;CEE¥EP JAN 1 0 1969 WEST VIRGINIA UNIVERSIJY MEDICAL CENTER LIBRARY JCC 30 19S8 ÎS5K o. Locked Cage QP 33 B48I <., Leçons sur les phenomenesdela^B erna _ 30802 000030496 1 OLD BOCKS QP33 771 11878 Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from LYRASIS Members and Sloan Foundation http://www.archive.org/details/leconssurlesphen01bern ."•'". ! i?57 WEST VIRGINIA UNIVERSITY MEDICAL CENT.ER LIBRARY LEÇONS s 1/ 1; 1. K S PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX TRAVAUX DU MÊME AUTEUR Cours de médecine du Collège de France. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Paris, 1854-1855, 2 vol. in-8° avec figures 14 fr. Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Paris, 1857, 1 vol. iu-8° avec figures 7 fr. Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-8° avec figures 14 fr. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations patho- logiques des liquides tle l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-8° avec 22 figures 14 fr. Leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8° de 600 pages 7 fr. Leçons sur les nnesthésies et sur l'asphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in-8° de 600 pages avec figures 7 fr. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fièvre. Paris, 1876, 1 vol. in-8° de 472 pages avec figures 7 fr. Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale. Paris, 1877, 1 vol. in-8°, VIII, 576 pages avec figures 7 fr. Leçons de physiologie opératoire. Paris, 1879, 1 vol. in-8% xvi-614pag., avec 116 figures. 8 fr. Cours de physiologie générale du Muséum d'Histoire naturelle. Leçons sur les phénomènes de la vie. communs aux animaux et aux végétaux. Paris, 1878-1879, 2 vol. in-8° de 450 pages avec 4 pi. coloriées et 50 figures 14 fr. Tome II, 1 vol. in-8° de 500 pages avec 3 planches et figures (sous presse). Séparément . 7 fr. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 1855, 1 vol. in-8° de 400 pages 7 fr. La science expérimentale, Paris, 1878, 1 vol.iii-18 de 450 pag. 4 fr. Table des matières. — Discours de M. J. A. Dumas. — Notice par M. P. Tîert. — Du progrés des sciences physiologiques. — Problèmes de physiologie générale. — Définition de la vie, les théories anciennes et la science moderne. — La chaleur animale. — La sensibilité. — Le curare. — Le cœnr. — Le cerveau. — Discours du réception à l'Académie française. '— Discours d'ouverture de la séance publique annuelle des cinq Académies. Fr. Magendie. Paris, 1856, in-8° 1 fr. Précis iconographique de médecine opératoire et d'anatomie chi- rurgicale, par Claude Bernard et Hiette. Paris, 1873, 1 vol. in-18 Jésus de 495 pages, avec 113 pi. fig. noires. Carlonné 24 fr. Le même, figures coloriées 48 fr. 1' A II I S . — IMPRIMERIE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2 COURS DE PHYSIOLOGIE GENERALE PU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX CLAUDE BERNARD Membre de l'Institut (Académie des sciences et Acade'mic française). Professeur au Collège de France et au Muséum d'histoire naturelle. TOME PREMIER AVEC UNE PLANCHE COLORIÉE ET 45 FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE et FILS Rue Hautefeuille , 19, près le boulevard Saint-Germain. Londres Madrid BviLLlÈRE, TlNDALL AND CûX. C. BaILLY-BaILLIÈRE . 1878 Tous droits réservés ÔP En commençant la publication du Cours de physiologie générale qu'il avait professé au Muséum d'histoire naturelle, M. Claude Ber- nard s'était proposé de donner une série paral- lèle au Cours de médecine professé au Collège de France. Dans l'un, il travaillait à foncier la médecine expérimentale ; dans l'autre, il posait les bases de la physiologie générale : c'était poursuivre, sous un autre aspect, un même objet, l'étude de la vie. La mort n'a pas permis à M. Claude Ber- nard de réaliser son projet; elle est venue le surprendre, le 10 février 1878, alors qu'en pleine possession de son sujet il corrigeait les dernières épreuves du présent volume. Le titre en a été fixé par lui : Leçons sur les phénomènes de la vie, communs aux ani- maux et aux végétaux; mais, en réalité, c'était plus que cela, c'était un Programme de la Physiologie générale. M. Claude Bernard a résumé dans ce VI volume l'ensemble de ses Doctrines, et c'est l'œuvre la plus complète et la plus métho- dique qu'il laisse au monde savant. Il avait déterminé lui-même la division des volumes qui devaient paraître ultérieurement; il se proposait de publier un volume sur les Fermentations, les Combustions et la Respira- tion; un deuxième sur la Nutrition et la Synthèse organique; un troisième sur la Sensibilité et Y Irritabilité; un dernier, enfin, sur la Mor- phologie. Les matériaux qu'il avait préparés et qu'il se proposait de coordonner et de développer ne seront pas entièrement perdus pour la science. M. Dastre, professeur suppléant de physio- logie à la Faculté des sciences, qui suivait depuis de longues années les expériences du laboratoire de Claude Bernard, et qui a été associé à ses travaux, recueillera les fragments disséminés, — et donnera ses soins à leur publication, ainsi, d'ailleurs, qu'il a fait pour la publication des Leçons sur les phénomènes de la vie. J -L>. Baillière et Fils. -20 février 1878. ACADEMIE DES SCIENCES DISCOURS DE M. VULPIAN MEMBRE DK l' ACADÉMIE DES SCIENCES AUX FUNÉRAILLES DE M. CLAUDE BERNARD LE 10 FÉVRIER 1878 Messieurs, L'Académie des sciences, si éprouvée, il y a quelques jours à peine, par le décès de deux de ses membres les plus célèbres, M. Antoine- César Becquerel et M. Victor Regnault, vient encore d'être cruellement frappée. Le plus illustre physiologiste de notre époque , M. Claude Bernard, est mort dimanche der- nier, 10 février 1878, à l'âge de soixante- quatre ans. L'émotion qu'a provoquée cette mort dans tous les rangs de la société, l'empressement des pouvoirs publics à rendre un solennel hommage à la mémoire de M. Claude Bernard, l'unanimité avec laquelle cet hommage a été VIII DISCOURS DE M. VULPIAN rendu, le concours d'une foule attristée à ces funérailles, tout atteste combien est grande la perte que nous venons de subir. L'Académie des sciences m'a désigné pour adresser en son nom un suprême adieu à M. Claude Bernard. Triste tache que j'ai dû accepter et que je ne puis accomplir d'une façon digne du corps savant dont je suis l'interprète qu'après avoir essayé de mesurer la profondeur du vide que la mort vient de creuser parmi nous ! M. Claude Bernard, né à Saint- Julien, près Villefranche, le 12 juillet 1813, vint à Paris vers 1834 pour se livrer à l'étude de la méde- cine et de la chirurgie, et, nommé interne des hôpitaux en 1839, il retourna dans le service auquel il avait déjà été attaché comme externe, le service de Magendie, à l'Hôtel-Dieu. C'est en assistant aux leçons de ce célèbre physiolo- giste, au Collège de France, qu'il découvrit sa véritable vocation. Au lieu des cours didactiques de physio- logie qu'il avait suivis jusque-là, il voyait, au Collège de France un professeur faire des expériences devant ses auditeurs, non-seule- ment pour confirmer des données déjà acquises, AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. IX mais encore, et le plus souvent, pour étudier des problèmes restés sans solution. Au lieu de la physiologie racontée, c'était la physiologie animée, vivante, parlante; c'était l'expérience elle-même saisissant avec force l'attention des assistants et imposant à leur mémoire des sou- venirs ineffaçables; c'était, en outre, une série de découvertes pleines d'intérêt, naissant pour ainsi dire sous les veux des élèves. L'effet de telles leçons fut décisif. M. Claude Bernard se sentit expérimentateur. Il entra comme aide bénévole dans le laboratoire de Magendie. Dès la seconde année de son inter- nat, il devenait son préparateur attitré. A dater de cette époque, M. Claude Bernard se con- sacra tout entier aux recherches de physiologie, si ce n'est dans un moment de découragement, où la carrière scientifique lui parut ne jamais devoir s'ouvrir devant lui et où il revint à la chirurgie. Un mémoire publié en 1843, sous le titre de Recherches anatomiques et physiologiques sur la corde du tympan, et sa thèse inaugurale pour le doctorat en médecine, soutenue en 1843 et intitulée Du suc gastrique et de son rôle dans la nutrition, sont ses premières publications. De- X DISCOURS DE M. VULPIAN puis lors, M. Claude Bernard travaille sans relâche ; les découvertes succèdent aux décou- vertes ; la célébrité ne tarde pas à s'attacher au nom d'un tel physiologiste. Il supplée d'abord son maître, Magendie, au Collège cle France. En 1854, il est nommé professeur à la Faculté des sciences clans une chaire cle physiologie créée pour lui ; la même année, il est nommé membre de l'Académie des sciences à la place devenue vacante par suite du décès du chirur- gien Roux; l'année suivante, il est appelé à remplacer Magendie dans la chaire du Collège cle France. En 1868, il quitte la Faculté clés sciences pour occuper au Muséum la chaire de Flourens, et, la même année, il le remplace aussi à l'Académie française. La plupart clés sociétés et des académies étrangères se hâtent de l'admettre au nombre de leurs associés. Il est nommé sénateur, commandeur de la Légion d'honneur, membre de divers ordres étran- gers ; mais je n'insiste pas sur ces titres extra- scientifiques : il a été de ceux qui honorent les distinctions honorifiques qu'ils consentent à accepter. Parvenu aux situations les plus enviées, il travaille avec la même ardeur que lors de ses AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XI débuts, et chaque année il fait connaître les résultats de ses infatigables expérimentations. 11 y a quelques mois, il lisait à l'Académie des sciences une série de mémoires des plus inté- ressants sur la glycogénie animale, et, au mo- ment où la maladie est venue le surprendre, il poursuivait de nouvelles recherches. Il meurt donc, on peut le dire, en pleine activité de pro- duction scientifique, et, au milieu de notre tris- tesse et de nos regrets , nous sommes obsédés par la douloureuse pensée que la mort détruit probablement d'importantes découvertes qu'il n'eût pas tardé à nous communiquer. Ce n'est pas ici le lieu de rappeler tous les travaux de M. Claude Bernard. Il faut me borner à mettre en saillie ses découvertes principales et à marquer l'influence qu'il a exercée sur la physiologie et sur la médecine. Au premier rang de ses travaux se place la série de ses admirables investigations sur la formation du sucre chez les animaux. Ce sont là des recherches qui feront époque dans la science. Non-seulement elles nous ont dévoilé un phénomène absolument inconnu jusque-là, la production du sucre par le foie chez tous les animaux, mais encore elles ont éclairé d'une XII DISCOURS DE M. VULPIAN vive lumière le mécanisme de l'influence qu'exerce le système nerveux sur la nutrition intime ; en outre , elles ont été le point de départ d'une nouvelle théorie du diabète. Depuis l'époque (1849) où M. Claude Bernard faisait à la Société de biologie sa première communication sur la formation du sucre dans le foie, jusqu'à Tannée dernière, pendant la- quelle il nous donnait lecture de nouvelles recherches sur la glycogénie, il n'a cessé de s'occuper de cette grande question ; et l'on peut dire que tout ce que nous connaissons d'im- portant sur elle , nous le lui devons entière- ment. Après avoir trouvé que le foie forme du sucre aux dépens du sang qui le traverse et quel que soit le régime de l'animal, il montre que ce sucre est le résultat de la métamor- phose d'une substance amyloïde dont il constate le premier la présence dans l'organe hépatique, substance qui se produit dans les cellules pro- pres du foie et à laquelle il donne le nom de matière glycogène. Il fait voir ensuite que la quantité de sucre fournie par le foie au sang des veines hépatiques varie suivant que l'ani- mal est en état de santé ou en état de maladie. Il découvre que la piqûre d'un point particulier AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XIII du bulbe rachidien exerce une telle influence sur la formation du sucre par le foie, que le sang, chargé d'une trop grande quantité de ce principe, le laisse échapper par les reins et que l'animal devient diabétique. Cette découverte tout a fait imprévue excite dans Je monde sa- vant un profond étonnement, qui fait bientôt place à l'admiration lorsque le fait annoncé par le physiologiste français est confirmé par tous les expérimentateurs. Par une suite de recher- ches d'une . prodigieuse sagacité, il montre par quelles voies les lésions du bulbe rachidien dont il vient d'indiquer les effets vont agir sur la glycogénie hépatique. Jamais regard plus pénétrant n'avait plongé dans les profondeurs de la nutrition intime. Il va plus loin encore. Comme je l'indiquais tout à l'heure, il tire lui-même de ses décou- vertes les conséquences qui s'appliquent à la médecine. Il édifie une nouvelle théorie du dia- bète. Pour lui, cette maladie est due essentiel- lement à un trouble des fonctions du foie, à une exagération de la production de matière glyco- gène et à une suractivité parallèle de la méta- morphose de cette matière en sucre. Ce trouble a le plus souvent pour cause une altération du XIV DISCOURS DE M. VULPIAN fonctionnement du système nerveux central. Cette théorie de M. Claude Bernard devient le point de départ de recherches pathologiques des plus intéressantes, et, aujourd'hui, après des discussions approfondies, elle semble sur le point de triompher de la résistance de ses contradicteurs. A côté de ce grand travail, et au même rang pour le moins, la postérité placera les recher- ches de M. Claude Bernard sur le grand sym- pathique et sur l'innervation des vaisseaux. Avant ces recherches, on ne connaissait presque rien de l'action du système nerveux sur la production de la chaleur animale. En 1851, M. Claude Bernard publie ses pre- mières expériences relatives à Xinfluence du grand sympathique sur la sensibilité et la calori- fication. Il fait voir que la section du cordon cervical du grand sympathique, d'un côté, dé- termine, en même temps qu'une congestion de toute la moitié correspondante de la face, une augmentation considérable de la chaleur dans cette même région. Dans aucun des travaux de M. Claude Bernard ne se montrent peut-être avec plus de netteté l'instinct de découverte, la sagacité AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XV inventive dont il était si richement doué. De nombreux physiologistes n'avaient-ils pas sec- tionné le cordon cervical du grand sympathique, depuis l'époque où Pourtour du Petit avait montré que cette opération produit un resser- rement de la pupille du côté correspondant ? Eh bien, aucun d'eux n'avait aperçu que cette section détermine aussi une élévation de tem- pérature dans les parties innervée par le cordon coupé. M. Claude Bernard a été le premier à démêler ce phénomène si remarquable. Il nous apprenait ainsi que le système nerveux influe d'une façon puissante sur la chaleur des diverses parties de l'organisme. Du même coup il dé- couvrait l'influence de ce système sur les vaisseaux. En montrant que la section du cordon cer- vical sympathique provoque une congestion de toutes les parties auxquelles se distribuent les libres nerveuses de ce cordon, il a ouvert la voie. Peu de mois après, pendant qu'il arrivait de son côté à trouver le véritable mécanisme de cette congestion, M. Brown-Séquard y parve- nait en Amérique et publiait, le premier, que les résultats de cette expérience , la congestion et l'augmentation de chaleur, sont dus à une pa- XVI DISCOURS DE M. VOLPIAN ralysie de la tunique musculaire des vaisseaux. L'existence des nerfs vaso-moteurs était désor- mais hors de doute. M. Claude Bernard, pour- suivant, comme il l'a toujours fait, les consé- quences de cette découverte , enseignait aux physiologistes et aux médecins quel est le rôle physiologique dévolu à ces nerfs et l'importance de ce rôle. Le cœur, organe central de la cir- culation, lance le sang dans les artères, et ce sang, sans cesse poussé par de nouvelles ondées cardiaques, revient au cœur par les veines. Le mouvement du sang aurait les mêmes caractères dans tous les capillaires du corps si les vaisseaux qui le conduisent à ces capillaires étaient par- tout inertes. Mais il n'en est pas ainsi. Grâce aux nerfs vaso-moteurs, les vaisseaux munis d'une tunique musculaire peuvent se resserrer ou se paralyser ; ces modifications peuvent se produire ici et non là ; il peut y avoir congestion ou anémie dans un organe pendant que la cir- culation ne subit aucun changement dans les autres parties. La face peut rougir ou pâlir sous l'influence des émotions, sans que le reste de l'appareil circulatoire soit notablement affecté; la membrane muqueuse de l'estomac peut se congestionner d'une façon pour ainsi dire isolée, AIjX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNAUD. XVII lors de la digestion, pour fournir aux besoins de la sécrétion du suc gastrique et revenir en- suite à l'étal normal ; le cerveau lui-même, dans les moments d'activité intellectuelle, peut de- venir le siège d une irrigation sanguine plus abondante, sans qu'il en résulte un trouble notable pour le reste de la circulation; il peut en être ainsi de tous les organes. Ce sont là des phénomènes dont le mécacisme n'a plus de secrets pour nous depuis les travaux de M. Claude Bernard. Mais ce n'est pas tout: il était réservé à M. Claude Bernard de faire encore, relative- ment à la physiologie des nerfs vaso-moteurs, une découverte sinon plus importante, assuré- ment plus inattendue que celle dont je viens de dire quelques mots. Les nerfs vaso-moteurs qui modifient le ca- libre des vaisseaux, en produisant unresserre- ment de leur tunique contractile ou en cessant d'agir sur cette tunique, ne sont point les seuls <|iii exercent une influence sur ces canaux. M. Claude Bernard a trouvé qu'il existe d'autres fterfs qui, lorsqu'ils sont soumis à une excita- tion fonctionnelle ou expérimentale, agissent aussi sur les vaisseaux, mais v déterminent Cl.. BEIINAI.ll. XVIII DISCOURS DE M. VULPIAN alors une dilatation. Ce sont des nerfs vaso- dilatateurs, comme on les a appelés, par oppo- sition aux nerfs dont l'excitation provoque une constriction vasculaire, et que l'on a nommés vaso-constricteurs . C'est en poursuivant des recherches du plus haut intérêt sur la physiologie des glandes sali- vaires que M. Claude Bernard a été conduit à cette remarquable découverte. CommeM.Lud- wig et sans connaître ses travaux M. Claude Bernard avait constaté que l'électrisation de la corde du tympan détermine une exagération de la sécrétion de la glande sous-maxillaire ; mais il reconnut, ce qui avait échappé au physiolo- giste de Leipzig, que cette électrisation produit en même temps une dilatation considérable des vaisseaux de la glande. Ces nerfs vaso- dilatateurs, véritables nerfs d'arrêt, n'ont en- core été trouvés que dans un petit nombre de régions : peut-être, comme l'a pensé M. Claude Bernard , existent-ils partout et jouent-ils un rôle considérable dans l'état de santé et dans l'état de maladie. Les études de M. Claude Bernard sur les glandes salivaires ont été fructueuses pour la science ; je ne signalerai ici, parmi les autres AUX FUNÉRAILLES DR CLAUDE BERNARD. XIX faits qu'il a découverts dans le coins de ces études, que les actions réflexes qui s'effectuent dans le ganglion sous-maxillaire séparé clés centres nerveux céphalo-rachidiens. Il a donné ainsi, et pour la première lois, la démonstration de l'autonomie physiologique si contestée du système nerveux sympathique. Une nuire glande, le pancréas, avait aussi attiré son attention au début de sa carrière. On n'avait alors que des idées fort incomplètes sur la physiologie du pancréas; une des pro- priétés les plus remarquables du suc pancréa- tique avait échappé à peu près entièrement aux investigations des expérimentateurs, je veux parler de son action sur les matières grasses. M. Claude Bernard fit voir que, de tous les fluides qui entrent en contact avec les aliments dans le canal digestif, le suc pancréatique est celui qui exerce l'action la plus puissante sur les matières grasses, pour les émulsionner et les mettre à même d'être absorbées. Dans un ordre très-différent de recherches, M. Claude Bernard, bien que précédé par de célèbres physiologistes, par Magendie, par Flourens , a été encore un véritable initiateur. Je veux parler de ses belles recherches sur les XX DISCOURS Dli M. VULPIAN substances lexiques et médicamenteuses. C'est à lui, en effet, que nous devons les vraies mé- thodes à l'aide desquelles on étudie l'action physiologique de ces substances, et, par les dé- couvertes les plus brillantes, il nous a fait voir tout le parti qu'on peut tirer de ces méthodes. Par une suite d'expériences décisives, il nous montre que le curare abolit les mouvements volontaires, en paralysant les extrémités péri- phériques du nerf moteur, tout en respectant les centres nerveux, les muscles et les nerfs sensitifs. D'autre part, il nous apprend que l'oxyde de carbone tue les animaux vertébrés par asphyxie en se fixant dans les globules rouges du sang, en y prenant la place de J'oxy- gène et en les rendant impropres à toute ab- sorption nouvelle de ce gaz. Enfin, pour ne parler que des faits principaux, je dois rappeler ses mémorables études sur les alcaloïdes de l'opium et sur les anesthésiques. J'ai cherché à mettre en saillie les décou- vertes les plus importantes de M. Claude Ber- nard ; mais que d'autres travaux ne faudrait-il pas analyser pour rappeler tous les services qu'il a rendus à la science! Je me borne à citer ses recherches sur le nerf pneumogastrique, AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXI sur le nerf spinal, sur le nerf trijumeau, sur le nerf oculo-moteur commun, sur la corde du tympan, suc le nerf facial, recherches dans le cours desquelles il imagine de nouveaux pro- cédas d'expérimentation, tels que l'arrache- ment des nerfs, la section de la corde du tympan dans la caisse tympanique, procédés qui por- tent aujourd'hui son nom. Je ne puis malheu- reusement aussi mentionner ses études sur la sensibilité récurrente et sur les conditions, si intéressantes au point de vue de la physiologie générale, qui font varier ce phénomène. Je me contenterai encore d'énumérer ses recherches sur la pression du sang, sur les gaz du sang, sur les variations de couleur de ce fluide suivant l'état d'inertie ou d'activité fonctionnelle des organes qu'il traverse (glandes, muscles) ; sur les variations de la température des parties dans les mêmes conditions opposées de repos ou de fonctionnement, sur la différence de température entre le sang du ventricule droit du cœur et le sang du ventricule gauche chez les mammifères; sur l'élimination élective par les glandes des substances introduites dans l'économie, ou de celles qui s'accumulent dans le sang sous l'influence de certains états mor- XXII DISCOURS DE M. VULPIAN bides (sucre diabétique, matière colorante de la bile) ; sur les caractères spéciaux et le rôle par- ticulier de la salive de chaque glande salivaire ; sur l'influence des centres nerveux sur la sé- crétion de la salive ; sur la sécrétion et Faction du suc gastrique et du suc intestinal; sur les modifications des sécrétions de F estomac et de l'intestin, après l'ablation des reins; sur l'albu- minurie produite par les lésions du système nerveux; sur la composition de l'urine du fœ- tus ; sur les phénomènes électriques qui se ma- nifestent dans les nerfs et les muscles ; sur la comparaison des actes de la nutrition intime chez les animaux et les végétaux, etc. En un mot, il n'est presque aucune partie de la physiologie dans laquelle M. Claude Bernard n'ait profondément marqué sa trace par des découvertes du plus haut intérêt. Aussi l'influence de M. Claude Bernard sur la physiologie a-t-elle été immense. On peut dire, sans exagération, que, depuis près de trente années, la plupart des recherches physio- logiques qui ont été publiées dans le monde savant n'ont été que des développements ou des déductions plus ou moins directes de ses propres travaux. A ce titre, il a élé véritable- AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXIU ment, dans le grand sens du mot, le maître de presque tous les physiologistes de son temps. Son influence sur la médecine n'a pas été moins grande. D'innombrables travaux de pa- thologie ont été inspirés par ses recherches physiologiques. Du reste, il avait encore, dans cette direction, montré lui-même le chemin. Par sa théorie du diabète, par ses recherches sur l'urémie, sur les congestions, sur l'inflam- mation, sur la lièvre, il indiquait comment, les progrès de la physiologie peuvent servir à ceux de la médecine. Ses travaux ont réelle- ment transformé sur bien des points la partie scientifique de la médecine ; son nom se trouve invoqué dans l'histoire d'un grand nombre de maladies par les théories qui ont pour but, soit d'expliquer le mode d'action des causes mor- bides, soit de trouver la raison physiologique des symptômes. La thérapeutique elle-même a subi l'influence de ses travaux. Les médicaments ont été, pour la plupart, soumis à de nouvelles études, calquées sur ses propres recherches; la thérapeutique a pu enfin s'efforcer de mériter le titre de rationnelle auquel elle n'avait aucun droit jusque-là. De tels services ne sauraient être méconnus ; aussi la médecine, qui a ton- XXIV DISCOURS Di: M. VULPIAN jours considéré M. Claude Bernard comme un des siens, comme une de ses lumières les plus éclatantes, regarde-t-ellesa mort comme le plus grand deuil qui puisse l'affliger. Parlerai-je des ouvrages de M. Claude Ber- nard, de ses livres, où se trouvent reproduites ses leçons du Collège de France et du Muséum d'histoire naturelle ; de son Rapport sur les pro- grès de la physiologie en France, publié en 1867, à l'occasion de l'Exposition universelle? Que pourrais-je en dire que vous ne sachiez tous ? Ces livres sont entre les mains de tous les phy- siologistes et de tous les médecins. Ce sont, dans leur genre, des modèles achevés. Outre les dé- couvertes originales dont ils contiennent la re- lation détaillée, on y trouve, presque à chaque page, des aperçus ingénieux, des vues nou- velles, d'importantes applications. On y assiste à l'évolution des recherches du maître, depuis leur premier germe jusqu'à leur complet déve- loppement et, tout en y puisant ainsi le goût des investigations personnelles, on y apprend à travailler par soi-même. Enfin, après avoir parlé du savant illustre, nedois-je pas dire un mot de l'homme ? N'est- ce pas un devoir, et le plus doux des devoirs, de AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXV rappolor que ce physiologiste de génie fut en même temps le meilleur des hommes ? La sim- plicité de ses manières, son affabilité, la sûreté de ses relations, tout attirait vers lui et le faisait aimer. Dépourvu de vanité, il savait mieux que personne rendre justice au mérite d'autrui, et il était toujours prêt à tendre la main aux jeunes savants pour les aider à gravir les degrés diffi- ciles qui mènent aux positions officielles. Tels sont les titres de M. Claude Bernard à l'admiration du monde savant et à la recon- naissance du pays. La postérité le placera au nombre des grands hommes auxquels la phy- siologie doit ses progrès les plus considérables, et son nom rayonnera ainsi à côté de ceux de Harvey, de Haller, de Lavoisier, de Bichat, de Charles Bell, de Flourens et de Masrendie. "o Au nom de l'Académie des sciences, cher et illustre maître, je vous dis adieu ! FACULTE DES SCIENCES DE PARIS DISCOURS DE M. PAUL BERT PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES SCIENCES AUX FUNÉRAILLES DE M. CLAUDE BERNARD LE 10 FÉVRIER 1878 La Faculté des sciences de Paris, qui a eu l'honneur de compter pendant quatorze ans M. Claude Bernard au nombre de ses profes- seurs, ne pouvait, bien que ce maitre illustre fût depuis dix années sorti de son sein, rester silencieuse aux bords de cette tombe. Elle vient, à son tour, exprimer ses regrets et revendiquer sa part légitime de gloire. C'est en 1854 que M. Claude Bernard entra dans notre compagnie. La grande découverte de la production du sucre par les êtres animés venait de frapper le monde savant de surprise et d'admiration. Pour permettre à son auteur de développer toutes les ressources de son fertile génie, une chaire fut alors créée, qui, sous le titre de Physiologie générale, vint agrandir et compléter le cadre de l'enseigne- ment dans notre Faculté. DISCOURS DE M. PAUL BERT, ETC. XXVII Le vaillant lutteur n'avait cependant obtenu qu'une partie des conditions de la libre re- cherche. Aucun moyen matériel d'action n'était annexé à la chaire où il allait professer : ni budget, ni laboratoire, ni préparateur. Et c'est au milieu de cette pénurie accusatrice de l'in- différence des pouvoirs publics que, de 1854 à 1868, Claude Bernard dut faire son cours. Il n'y parvint qu'en utilisant les ressources de la chaire qu'il ne tarda pas à recueilli]1 au Collège de France dans l'héritage de Magendie. Aussi, notre Faculté ne peut-elle prétendre à l'honneur d'avoir vu éclore ces découvertes, dont l'accumulation pressée porta rapidement au plus haut degré sa réputation scientifique. C'est du laboratoire du Collège de France, bien pauvre cependant lui-même, que sont sortis ces travaux innombrables dont chacun eût suffi à illustrer son auteur. Mais si c'est au Collège de France que se déploya, dans le domaine des recherches ex- périmentales, le génie créateur de M. Claude Bernard, il se manifesta avec non moins de puissance et d'utilité pour le développement général de la science dans renseignement de la Sorbonne. La fondation, au sein de la Faculté, d'une XXVIII DISCOURS DE M PAUL BERT chaire de physiologie générale, avait donné à cette science expérimentale droit de cité dans l'enseignement classique, à côté de ses soeurs aînées, la physique et la chimie. (Test à jus- tifier cet établissement nouveau , qui n'avait pas été universellement approuvé, que s'at- tacha dans ses leçons M. Claude Bernard. Jusqu'à lui, la physiologie n'avait guère été considérée que comme une annexe d'autres sciences, et son étude semblait revenir de droit, suivant le détail des problèmes, aux médecins ou aux zoologistes. Les uns décla- raient que la connaissance anatomique des organes suffît pour permettre d'en déduire le jeu de leurs fonctions, c'est-cà-dire la physio- logie ; les autres ne voyaient dans celle-ci qu'un ensemble de dissertations, propres à satisfaire l'esprit de système sur les causes, la nature et le sié^e des diverses maladies. Presque tous n'attachaient à ses enseigne- ments qu'une valeur variable d'une espèce vivante à une autre, ou pour la même espèce, suivant des circonstances indéterminables, qu'une valeur subordonnée aux caprices d'une puissance mystérieuse et indomptable, déniant ainsi, en réalité, à la physiologie jusqu'au titre de science. Claude Bernard commença par le lui resti- AUX FUNERAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXIX tuer. Il montra, prenant le plus souvent pour exemple ses propres découvertes, que si elle soulève des questions plus complexes que les a ulres sciences expérimentales, elle est, tout autant que celles-ci, sûre d'elle-même, lorsque, le problème posé, ses éléments réunis, ses va- riables éliminés, elle expérimente, raisonne et conclut. Il montra que de l'infinie variété des phéno- mènes fonctionnels, en rapport avec la diver- sité sans nombre des formes organiques, se dégagent des vérités fondamentales, univer- selles, qui relient en un faisceau commun tout ce qui a vie, sans distinction d'ordres, ni de classes, de vie animale, ni de vie végétale : le foie faisant du sucre comme le fruit, la levure de bière s' endormant comme l'homme sous l'influence de vapeurs éthérées. Il montra que, 'même pour la physiologie des mécanismes, la déduction anatomique est insuffisante et souvent trompeuse ; et que l'expérimentation seule peut conduire à la certitude. Il montra que les règles de cette expérimen- tation sont les mêmes dans les sciences de la vie que dans celles des corps bruts, et qu' « il n'y a pas deux natures contradictoires donnant lieu à deux ordres de sciences opposées. » XXX DISCOURS DE M. PAUL BERT Il montra que le physiologiste expérimen- tateur non-seulement analyse et démontre, mais domine et dirige, et qu'il peut espérer devenir, au même titre que le physicien ou le chimiste, un conquérant de la nature. Il montra que si le physiologiste doit sans cesse recourir aux notions que lui fournissent l'anatomie, l'histologie, la médecine, l'histoire naturelle, la chimie, la physique, il doit en rester le maître, les subordonner à ses propres visées ; si bien qu'il a besoin d'une éducation spéciale, de moyens spéciaux de recherches, de chaires spéciales, de laboratoires spéciaux. C'est ainsi que Claude Bernard assura les bases de la physiologie, délimita son domaine, en chassa les entités capricieuses, la débarrassa de l'empirisme, détermina son but, formula ses méthodes, perfectionna ses procédés, indiqua ses moyens d'action ; lui assigna son rang parmi les sciences expérimentales, ré- clama pour elle sa place légitime dans l'ensei- gnement public ; qu'en un mot il la mit en possession d'elle-même, l'individualisa et la caractérisa comme science, vivant en elle, siclentiliant avec elle, à un tel point qu'un savant étranger a pu dire : « Claude Bernard n'est pas seulement un physiologiste, c'est la Physiologie. » AUX FUNÉRAILLES DE CLAUDE BERNARD. XXXI Telle est la part, et elle n'est pas petite, que notre Faculté peut réclamer, pour s'en parer avec orgueil, dans l'œuvre de l'illustre physio- logiste. Telle fut, en effet, la matière de rensei- gnement qu'il y donna jusqu'en 1868, époque à laquelle il quitta la Sorbonnepour le Muséum d'histoire naturelle. C'est à celui de ses élèves qui fut appelé à lui succéder dans la chaire de Physiologie que la Faculté a confié aujourd'hui l'honneur de la représenter. Qu'il lui soit permis maintenant de dépouiller son rôle officiel et, au nom des élèves de Claude Bernard, d'adresser l'adieu filial au maître qui n'est plus. Aussi bien, celui qui lui doit le plus, puisqu'il lui doit tout, pour- rait presque revendiquer comme un droit ce douloureux privilège. Certes, la Science et la Patrie ont sujet d'être en deuil. Mais quelle douleur profonde s'a- joute à ces sentiments universels, dans le cœur de ceux qui ont profité de ses leçons, reçu les marques de sa bonté, éprouvé les effets de sa protection paternelle î Bienveillant et sympa- tique à tous, il fut, pour ceux qu'il appelait à son lit de mort sa famille scientifique, le plus affectueux et le plus dévoué des maîtres : non d'une affection sans ressort, car abondant en conseils et en encouragements, il se montrait XXXII DISCOURS DE PAUL BERT, ETC. critique aussi sévère pour nos travaux que pour les siens ; non d'un dévouement sans sacrifice, car il souffrait en quittant spontané- ment cette chaire de la Sorbonne pour la laisser à l'un de ses élèves. Jamais, parmi les incidents quotidiens du laboratoire, un mot impatient ; jamais un mot amer, parmi tant de douleurs physiques et morales, si courageusement supportées; jamais un reproche à ceux dont la reconnaissance s'est éteinte trop tôt ! Jusqu'aux derniers jours, aux dernières paroles, en face de cette mort inattendue, affection, conseils, sourires; il nous remerciait de nos soins, nous qui lui devions au centuple! Vous travaillerez, disait-il, et il parlait de cette science qui fut sa vie. Oui, maître, nous travaillerons; nous sentons tous, parmi notre douleur, le devoir qui Grandit. Nous serrerons nosraims. Nous mai- cherons, suivant votre trace lumineuse, dans le sillon inachevé. MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE LEÇON D'OUVERTURE (1) Sommaire : Inauguration tir lu physiologie générale au Muséum. — Raisons du transfort do ma chaire do la Sorbonne au Jardin des plantes. — La physiologie devient aujourd'hui une science autonome qui se sépare de i'anatomie. — Elle est une science expérimentale. — Définition du do- maine de la physiologie générale. — Initiation de la France. — Déve- loppement de la physiologie dans les pays voisins. — Les installations de laboratoires. — Ce n'est pas tout; il faut surtout une bonne méthode et une saine critique expérimentale. En commençant le cours de physiologie générale an Muséum d'histoire naturelle, je crois nécessaire d'indiquer les circonslances qui m'y ont amené. L'in- troduction de la physiologie générale dans l'établisse- ment célèbre qui abrite les sciences naturelles, la créa- tion d'un laboratoire annexé à la chaire marquent nu progrès notable dans l'enseignement de la physiologie expérimentale. Cette science toute moderne, née en France sous l'impulsion féconde de Lavoisicr, Bichat, Magendie, etc., était jusqu'à présent restée, il faut le dire, à peu près sans encouragements, tandis qu'elle en recevait, par contre, de considérables dans les pays voisins. La dotation de la physiologie se trouvait chez nous hors de proportion avec ses besoins; et je suis heureux de constater que les dispositions en vertu (1) Semestre d'été 1870. Vof. Revue scienlif., uu 17; 1871. CL. BERXABD I 2 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. desquelles j'ai été appelé au Muséum d'histoire natu- relle sont un commencement de satisfaction à des né- cessités devenues évidentes. C'est la seule considération de ces intérêts supérieurs qui m'a déterminé à transporter ici l'enseignement que je faisais à la Faculté des sciences depuis l'année 1854, époque à laquelle fut créée la chaire de physiologie générale dont j'ai été le premier titulaire. En 18(37, M. Duruy, ministre de l'instruction publi- que, me demanda d'exposer, dans un rapport, les pro- grès de la physiologie générale en France, et d'indiquer les améliorations qui pourraient contribuera son avan- cement. Quoique souffrant à cette époque, j'acceptai la tâche; je fis de mon mieux en comparant le déve- loppement de notre science en France et à l'étranger, et j'arrivai à celte conclusion, que la physiologie fran- çaise était mal pourvue, mais non pas insuffisante; c'est qu'en effet les moyens de travail seuls lui manquaient, le génie physiologique ne lui ayant jamais fait défaut. — Une conclusion de même nature pouvait, du reste, se généraliser pour la plupart des sciences physiques et naturelles, et les nombreux et excellents rapports publiés par mes collègues avaient mis cette situation en pleine évidence (1). Justement ému et désireux de remédier à cet état de choses, M. Duruy institua l'École pratique des hautes études; en même temps le ministre me proposa, dans cette création, la direction d'un laboratoire public de (1) Voyez: la collection des rapports. Paris, Hachette, 1807; I.A PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE AU MUSÉUM. S physiologie. L'état de ma santé et quelques considéra- tions me tirent tout d'abord décliner cet honneur; mais au nom de la science le ministre insista, et je crus qu'il y avait devoir pour moi de céder à des instances aussi honorables. — Il fut convenu que ma chaire de la Sor- boune serait transférée au Jardin des plantes à la place de la chaire de physiologie comparée qui sera sans doute rétablie plus tard. Le problème de la physiologie com- parée étant d'étudier les mécanismes de la vie dans les divers animaux, la place de celte science est marquée dans un établissement qui offre, à cet égard, des res- sources aussi complètes que le Muséum d'histoire natu- relle de Paris. Je n'ai donc pas à continuer ici les traditions d'un prédécesseur; j'inaugure en réalité l'enseignement de la physiologie générale que je professais depuis seize ans dans la Sorbonne. Nous aurons au Muséum un laboratoire spécial et une installation qui nous manquaient à la Faculté des sciences. Je me propose aujourd'hui de vous démontrer d'une manière rapide que ces moyens nouveaux d'étude ont été rendus indispensables par l'évolution môme de la science physiologique qui réclame un perfectionnement expérimental croissant pour atteindre son but et ré- soudre le problème qui lui incombe. La physiologie est la science de la vie ; elle décrit et explique les phénomènes propres aux êtres vivants. Ainsi définie, la physiologie a un problème qui lui est spécial et qui n'appartient qu'à elle. Son point de vue, son but. ses méthodes, en font une science 4 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. autonome et indépendante : c'est pourquoi elle doit avoir des moyens propres de culture et de dévelop- pement. Il sera nécessaire de faire bien comprendre le mouve- ment général qui s'accomplit sous nos yeux et qui tend à l'émancipation de la science physiologique et à sa constitution définitive. Cette évolution semble, il faut le dire, être restée inaperçue pour beaucoup de personnes qui prétendent faire de la physiologie une dépendance ou une partie de la zoologie et de la phytologie, sous prétexte que la zoologie embrasse toute l'histoire des animaux et que la phytologie comprend toute l'histoire des plantes. On ne voit pas cependant les minéralo- gistes contester l'indépendance de la physique ou de la chimie : et pourtant ils auraient autant de raisons de proclamer l'existence d'une science unique des corps oruts, que les naturalistes peuvent en avoir de proclamer l'existence d'une science unique des animaux, qui serait la zoologie, ou d'une science unique des plantes, qui serait la botanique. Toutes les sciences, d'abord confon- dues, ne se sont point constituées seulement suivant les circonscriptions plus ou moins naturelles des objets étu- diés, mais aussi selon les idées qui président ta cette élude. Elles se séparent non-seulement par leur objet, mais aussi par leur point de vue ou par leur problème. Au début, la physiologie était confondue avec l'ana- tomie et elle ne possédait pas d'autre laboratoire que l'amphithéâtre de dissection. Après avoir décrit les or- ganes, on tirait de leur description et de leurs rapports des inductions sur leurs usages. Peu à peu le problème ÉVOLUTION DE LA PHYSIOLOGIE. 5 physiologique s'est dégagé de la question anatomique el les deux sciences ont dû se séparer définitivement, parce que chacune d'elles poursuit un but spécial. Bien que le développement de la physiologie, qui aboutit aujourd'hui à son autonomie, ait été successif et pour ainsi dire insensible, nous distinguerons cepen- dant deux périodes principales dans son évolution. La première commence dans l'antiquité à Galien, et finit à Haller. La seconde commence avec Haller, Lavoisier et Bichat, et se continue de notre temps. Dans la première période la physiologie n'existe pas à l'état de science propre; elle est associée à l'anatomie dont elle semble être un simple corollaire. On juge des fondions et des usages par la topographie des organes, par leur forme, par leurs connexions et leurs rapports, et lorsque l'analomiste appelle à son secours la vivisec- tion, ce n'est point pour expliquer les fonctions, mais bien plutôt pour les localiser. On constate qu'une glande sécrète, qu'un muscle se contracte; le problème [tarait résolu, on n'en demande pas l'explication ; on a un mot pour tout : c'est le résultat de la vie. On enlève des par- ties, on les lie, on les supprime, et on décide, d'après les modifications phénoménales qui surviennent, du rôle dévolu à ces parties. Depuis Galien jusqu'à nos jours celte méthode a été mise en pratique pour déterminer l'usage des organes. Cuvier a préféré à cette méthode les déductions de l'anatomie comparée (1). Avant la création de l'anatomie générale, on ne con- (I) Voyez Lettre ii Mertrul; Lirons (Fanatomic comparée, an VIII. 6 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. naissait pas les éléments microscopiques des organes et des tissus, et il ne pouvait être question de faire inter- venir comme agents des manifestations vitales les pro- priétés physico-chimiques de ces éléments. Une force vitale mystérieuse suffisait à tout expliquer : le nom seul changeait : suivant les temps on l'appelait tyoyji, anima, archée, principe vital, etc. Quoique des tentatives eussent été faites dans divers sens pour expliquer les phéno- mènes vitaux par des actions physico-chimiques, cepen- dant la méthode anatomique continuait à dominer. Haller, qui clôt la période dont nous parlons et qui ouvre l'ère nouvelle, a bien résumé, dans son immortel Traité de physiologie, les découvertes anatomiques, les idées et les acquisitions de ses prédécesseurs. La seconde période s'ouvre, avons-nous dit, à la fin du siècle dernier. A ce moment trois grands hommes, Lavoisier, Laplace etBichat, vinrent tirer la science de la vie de l'ornière anatomique où elle menaçait de lan- guir et lui imprimèrent une direction décisive et du- rable. Grâce à leurs travaux, la confusion primitive de l'anatomie et de la physiologie tendit à disparaître, et l'on commença de comprendre que la connaissance descriptive de l'organisation animale n'était pas suffi- sante pour expliquer les phénomènes qui s'y accomplis- sent. L'anatomie descriptive est à la physiologie ce qu'est la géographie ta l'histoire, et de même qu'il ne suffît pas de connaîlre la topographie d'un pays pour en com- prendre l'histoire, de même il ne suffit pas de connaître l'anatomie des organes pour comprendre leurs fonctions. Un vieux chirurgien, Méry, comparait familièrement ÉVOLUTION DE LA PHYSIOLOGIE. 7 les anatoniistes à ces commissionnaires que l'on voit dans les grandes villes et qui connaissent le nom des rues et les numéros des maisons, mais ne savent pas ce qui se passe dedans. 11 se passe en effet dans les tissus, dans les organes, des phénomènes vitaux d'ordre physico- chimique dont l'anatomie ne saurait rendre compte. La découverte de la combustion respiratoire par Lavoisier a été, on peut le dire, plus féconde pour la physiologie que la plupart des découvertes anatomiques. Lavoisier etLaplace établirent cette vérité fondamentale, que les manifestations matérielles des êtres vivants ren- trent dans les lois ordinaires de la physique et de la chimie générales. Ce sont des actions chimiques (com- bustion, fermentation) qui président à la nutrition, qui produisent de la chaleur au dedans des organismes, qui entretiennent la température fixe des animaux supé- rieurs. Et à ce sujet l'anatomie ne pouvait rien nous apprendre; elle pouvait tout au plus localiser ces ma- nifestations, mais non les expliquer. D'un autre côté, Bichat, en fondant l'anatomie géné- rale et en rapportant les phénomènes des corps vivants aux propriétés élémentaires des tissus, comme des effets à leurs causes, vint établir la vraie base solide sur laquelle est assise la physiologie générale ; non pas que les propriétés vitales des tissus aient été considérées par Bichat comme des propriétés physico-chimiques spé- ciales qui ne laissaient plus de place aux agents mysté- rieux de l'animisme et du vitalisme; son œuvre a uni- quement consisté dans une décentralisation du principe vital. 11 a localisé les phénomènes de la vie dans les 8 COURS DI-: PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. tissus; mais il n'est pas entré dans la voie de leur véri- table explication. Bichat a encore admis avec Stahl et les vitalistes l'opposition des phénomènes vitaux et des phénomènes physico-chimiques; les travaux et les découvertes de Lavoisier contenaient, ainsi que nous le verrons, la réfutation de ces idées erronées. En résumé, la physiologie a présenté deux phases successives : d'abord anatomique, elle est devenue phy- sico-chimique avec Lavoisier et Laplace. La vie était d'abord centralisée, ses manifestations considérées comme les modes d'un principe vital unique; Bichat: Ta décentralisée, dispersée dans tous les tissus anato- miques. Toutefois ce n'est pas sans difficultés que les idées de cette décentralisation vitale ont pénétré dans la science. Dans ce siècle il est encore des expérimentateurs qui cherchaient le siège de la force vitale, le point où elle résidait et d'où elle étendait sa domination sur l'orga- nisme tout entier. Legallois expérimente pour saisir le siège de la vie, et il le place dans les centres nerveux, dans la moelle allongée. Flourens cantonne le principe vital dans un espace plus circonscrit qu'il appelle le nœud vital. D'après les idées de Bichat, au contraire, la vie est partout et nulle part en particulier. La vie n'est ni un être, ni un principe, ni une force, qui rési- derait dans une partie du corps, mais simplement le consensus général de toutes les propriétés des tissus. Après Lavoisier et Bichat, la physiologie s'est donc en quelque sorte constituée poussant deux racines puis- santes, l'une dans le terrain physico-chimique, et l'autre PHYSIOLOGIE MODERNE. 9 dans le terrain anatomique. Mais ces deux racines se développèrent séparément et isolément par les efforts des chimistes successeurs de Lavoisier, et des anatomistes contimialeurs de Biehat. Je pense qu'elles doivent dé- sormais unir leur sève, alimenter un seul tronc et nourrir une science unique, la physiologie nouvelle. Jusque-la la physiologie naissante manquait d'asile qui lui appartint et demandait l'hospitalité à la fois aux chimistes et aux anatomistes. Pourtant, Magendie, poussé dans la voie physiolo- gique par les conseils de Laplace, continuait les saines traditions qu'il avait puisées dans la fréquentation de ce célèbre savant. 11 introduisait l'expérimentation dans les recherches physiologiques; il attendait d'elle seule, pour la science qu'il cultivait, les bénéfices que les sciences physiques et chimiques ont elles-mêmes retiré de cette méthode. Il y avait bien eu en France des expérimentateurs physiologistes; Petit (de Namur), Housset, Legallois, Biehat lui-même. Mais par sa per- sévérance, en dépit de toutes les contradictions et des plus grandes difficultés, Magendie réussit à faire triom- pher la méthode qu'il préconisait. C'est à lui que revient l'honneur d'avoir exercé une influence décisive sur la marche de la physiologie et de l'avoir définitivement rendue tributaire de l'expérimentation. 11 n'est pas inutile de rappeler que, pendant que ce mouvement d'idées se produisait en France, les nations voisines, qui ont si bien su en profiter, n'apportaient aucun appui à cet essor. L'Allemagne sommeillait ou rêvait dans les nuages de la philosophie de la nature; 10 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. elle discutait la légitimité des connaissances expérimen- tales et se perdait dans les abstractions de la méthode a priori. L'Angleterre ne nous suivait que de loin. C'est donc de notre pays qu'est partie l'impulsion : et si le mouvement de rénovation ne s'y est point déve- loppé, tandis qu'il s'étendait en Allemagne et qu'il y portait tous ses fruits, nous pouvons au moins revendi- quer le iule honorable d'en avoir été les initiateurs. Magendie, lui-même, n'avait à sa disposition que des moyens fort restreints, il faisait des cours privés de phy- siologie expérimentale fondée sur les vivisections. Ce n'est qu'après 1830 que, nommé professeur de méde- cine au Collège de France, il y établit le laboratoire très-insuffisant qui y existe encore aujourd'hui et qui a été le seul laboratoire officiel qu'ait d'abord possédé la France. Cet enseignement expérimental de Magendie, à ses débuts, était d'ailleurs unique en Europe : des élèves nombreux le suivaient, et parmi eux beaucoup d'étran- gers qui s'y sont imbus des idées et des méthodes de la physiologie expérimentale. Par ses relations avec Laplace, Magendie, qui était anatomiste, se trouva engagé dans la voie de cette physiologie moderne qui tend à ramener les phéno- mènes de la vie à des explications physiques et chi- miques; aussi Magendie est-il le premier physiologiste qui ait écrit un livre sur les phénomènes physiques de la vie. Magendie ayant été mon maître, j'ai le droit de m'enorgueillir de ma descendance scientifique, et j'ai le devoir de chercher, dans la mesure de mes forces, à LABORATOIRE DK PHYSIOLOGIE. 1 1 xmrsuivre l'œuvre à laquelle resteront attachés les noms des hommes illustres que j'ai cités. Devenu successeur de Magendie au Collège deFrance, 'ai lutté comme lui contre le défaut de ressources; j'ai maintenu contre les difficultés le laboratoire de médecine du Collège de France qu'on voulait supprimer, sous ce prétexte erroné que la médecine n'était pas une science expérimentale. Malgré l'exiguïté des moyens dont je pouvais disposer, j'y ai reçu des élèves nombreux qui sont aujourd'hui professeurs de physiologie ou de mé- decine dans diverses Universités de l'Europe et du Nouveau Monde. A cette époque le laboratoire du Col- ége de France était le seul qui existât. Depuis, des in- stallations splendides ont été données à la physiologie et à la médecine expérimentale en Allemagne, en Russie, en Italie, en Hongrie, en Hollande, et le laboratoire du Collège de France, qui fut chez nous le berceau de la physiologie et de la médecine expérimentale n'a pas encore été l'objet des améliorations auxquelles son passé lui donne tant de droits. En définitive la physiologie est une science devenue aujourd'hui distincte, autonome, et, pour se constituer et se développer, il faut qu'elle ait une installation k elle, séparée de celles des anatomistes et des chimistes. 11 faut, son problème particulier étant bien défini, qu'elle possède les moyens spéciaux d'en poursuivre l'étude. L'avancement de toutes les sciences se fait par deux voies distinctes : d'abord par l'impulsion des décou- vertes et des idées nouvelles; en second lieu, par la 12 COURS DR PIIYSIOI.Or.IK GÉNÉRALE. puissance des moyens de travail et de développement scientifiques, en un mot, parla culture qui fait produire aux germes créés par le génie inventif les fruits qu'ils contiennent cachés. Au début, ainsi que nous l'avons déjà dit, lorsque la physiologie n'était qu'une dépen- dance de l'anatomie, Famphithéâtre de dissection était le laboratoire commun à l'une et à l'autre. Avec Lavoisier et Laplace, la physique et la chimie ont pénétré dans l'étude des phénomènes de la vie, et les expérimenta- teurs ont dû faire usage des instruments et des appareils de la physique et de la chimie. A mesure que la science marche on sent de plus en plus la nécessité d'installa- tions particulières où soit rassemblé l'outillage nécessaire aux expériences physiques, chimiques et aux vivisec- tions, à l'aide desquelles la physiologie pénètre dans les profondeurs de l'organisme. La méthode qui doit diriger la physiologie est la même que celle des sciences physiques; c'est la méthode qui appartient à toutes les sciences expérimentales; elle est encore aujourd'hui ce qu'elle était au temps de Galilée. Finalement, la plupart des questions de science sont résolues par l'invention d'un outillage convenable : l'homme qui découvre un nouveau procédé, un nouvel instrument, fait souvent plus pour la physiologie expérimentale (pie le plus pro- fond philosophe ou le plus puissant esprit généralisa- teur. Ou a donc cherché à étendre de plus en plus la puissance des instruments de recherche. Pour obtenir ce résultat, les instituts physiologiques de l'étranger ont su s'imposer des sacrifices. L'utilité des laboratoires spéciaux de physiologie ne AUTONOMIE OE LA PHYSIOLOGIE. 13 se prouve plus par des raisonnements, elle s'établit par des faits. Elle est appréciée dans tout le monde savant, et il me suffira de faire ici l'énuméralion des établisse- ments de cette nature installés à l'étranger, où les chaires d'anatomie et de physiologie, partout confondues il y a vingt ans, sont aujourd'hui partout séparées. Joli. Mueller professait autrefois l'auatomie et la physiologie à Berlin : le régime de la dualité s'est depuis longtemps introduit et l'analomie est actuelle- ment confiée à Reichert, la physiologie à Dubois- Reymond. A Wûrzburg, Kolliker enseignait au début l'auatomie microscopique et la physiologie; il a conservé l'anato- mie, et la physiologie a été donnée k Ad. Fick. A Reidelberg, l'enseignement de l'anatomiste Arnold a été également scindé : Arnold resta anatomiste, et la physiologie fut confiée à l'illustre Helmholtz. Dans la petite Université de Halle, l'enseignement de Volkmaun est encore resté indivis; c'est là une excep- tion qui ne tardera pas a disparaître (1). A Copenhague, la physiologie est représente par l'anum, bien connu par ses recherches sur le sang, par ses éludes d'embryogénie tératologique et par beaucoup d'autres travaux importants. L'Ecosse a suivi l'exemple du Danemark : a Edim- bourg, Bennett ne conservera au semestre prochain que sa chaire d'anatomie, la physiologie formera un enseignement séparé. I Aujourd'hui celle séparation est effectuée. 14 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. De tous cçités on se rend à l'évidence, et celle trans- formation est devenue un élément considérable de pro- grès. Dans mon rapport de 1867, j'avais insisté sur l'utilité de cette séparation, et fait voir que la France ayant été le point de départ de ce mouvement scienti- fique il y avait pour elle honneur et intérêt à ne pas rester en arrière. D'autre part, M. Wurtz, doyen de la Faculté de médecine, fut envoyé en Allemagne pour y visiter les laboratoires. En sa qualité de chimiste, il donna beaucoup à la chimie; son attention toutefois se porta sérieusement sur les instituts physiologiques. 11 visita tour à tour l'institut d'Heidelberg que dirige Helmholtz, celui de Berlin confié à du Bois-Reymond, celui de Gœttingue où travaillait autrefois Rodolph Wagner, et qui a aujourd'hui à sa tête le physiologiste Meissner. 11 ne pouvait oublier les établissements du même genre situés a Leipzig et à Vienne, l'un placé sous la haute direction de Ludwig, l'autre sous celle de Brùcke. — L'institut physiologique de Munich, dirigé par Pet- tenkofer et Voit, attira son attention d'une manière spéciale; il put voir dans cet établissement un magni- fique appareil destiné à étudier les produits de la respiration, vaste et belle installation où l'on peut, heure par heure, jour par jour, mesurer la combustion et faire une statique exacte des phénomènes chimiques de la vie. L'Allemagne n'a pas seule marché dans cette voie; Saint-Pétersbourg possède de beaux instituts physio- logiques. *= En Hollande, les villes d'Utrech et d'Am- PHYSIOLOGIE A L' ÉTRANGER. 15 slerdam ont dignement confié à Donders et à Kiihne (1) l'enseignement delà physiologie. — A Florence, à Turin, le même honneur a été réservé à Moritz Schiff (2), à MoleschoU, elc. Je mets sous vos yeux le plan d'un de ces laboratoires, c'est celui de Leipzig dirigé par Ludwig, qui est ici tracé dans le beau rapport de M. Wurlz : je veux que vous voyiez par cet exemple la richesse de ces installai ions scientifiques dont nous n'avons pas môme l'idée en France. Au sous-sol se trouvent des caves, des salles pour recherches à température constante, des appareils à distillation, une machine à vapeur qui entretient par- tout le mouvement, l'atelier d'un mécanicien attaché au laboratoire, un magasin pour les produits chimiques, un hôpital pour les chiens. — Au premier étage sont situés les laboratoires de vivisection, ceux de physique et de chimie biologique, les chambres où l'on emploie le mercure, les salles pour les microscopes, pour les études histologiques, pour le spectroscope, etc. (3). — La bibliothèque, la salle des cours, le logement du pro- fesseur, l'ont partie du même bâtiment; joignons à cela une écurie, une volière, de nombreux aquariums, et (i) Aujourd'hui Kiihne est à Heidelberg dans la chaire occupée avant lui par Hclmboltz. (2) Schiff est actuellement à Genève. (3) Il est très-important pour une bonne économie expérimentale d'avoir d. 18 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. La science des êtres vivants a trouvé sa voie; elle est définitivement expérimentale : c'est là un progrès consi- dérable : il s'agit de compléter la méthode, de lui donner toute la fécondité qui est en elle, de lui faire porter tous ses fruits en en réglant l'application. Cela ne peut se faire qu'en soumettant l'expérimentation à une discipline rigoureuse. Cette nécessité sera comprise par tous ceux qui sui- vent dans sa marche quotidienne le développement de la physiologie. Le terrain est déjà encombré d'une mul- titude de recherches qui prouvent souvent plus de zèle que de véritable intelligence de la méthode expérimen- tale. Il est urgent que la critique s'exerce sur ces maté- riaux incohérents et les ramène aux conditions d'exacti- tude que comportent les expériences physiologiques. Les études des phénomènes de la vie sont soumises à de grandes difficultés. 11 faut que le physiologiste puisse apprécier toutes les conditions d'une expérience afin de savoir s'il les réalise toutes et de dicerner celles qui ont varié d'une expérience à l'autre. Lorsque les conditions expérimentales sont identiques, en physiologie, comme en physique ou en chimie, le résultat est univoque : si le résultat est différent, c'est que quelque condition a changé. Ce n'est donc point l'exactitude qui est moindre dans les phénomènes de la vie comparés aux phénomènes des corps bruts; ce sont les conditions expérimentales qui sont plus nombreuses, plus délicates, plus difficiles à connaître ou à maintenir. Ce n'est pas la vie ou l'influence de quelque agent capricieux qui intervient : c'est la complexité seule des CRITIQUE EXPÉRIMENTALE. 19 phénomènes qui les rend plus difficiles ù saisir et a préciser. Les principes de l'expérimentation appliquée aux êtres vivants ne pourront être dévoilés que par de Longues études et un travail opiniâtre. Pour aborder les difficultés de la critique expérimentale et arriver à connaître toutes les conditions d'un phénomène physio- logique, il faut avoir tâtonné longtemps, avoir été trompé mille et mille fois, avoir, en un mot, vieil] dans la pratique expérimentale. LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE DANS LES ANIMAUX ET DANS LES VÉGÉTAUX PREMIÈRE LEÇON Sommaire : I. Définitions dans les sciences; Pascal. Les définitions de la vie : Aristote, Kant, Lordat, Ehrard, Richerand, Tréviranns, Herbert Spencer, Bicliat. La rie et la mort sont deux états qu'on ne comprend que par leur opposition. — Définition de Y Encyclopédie. — On peut caractériser la vie mais non la définir. — Caractères généraux de la vie : organisation, génération, nutrition, évolution, caducité, maladie, mort. — Essais de définitions tirées de ces caractères. — Dugès, Béclard, Dezeimeris, Lamark, Rostan, de Blainville, Cuvier, Flourens, Tiedcmann. — Le ca- ractère essentiel de la vie est la création organique. IL Hypothèses sur la vie: hypothèses spiritualiste et matérialiste; Pytlia- gore, Platon, Aristote, Hippocrate, Paracelse, Van Helmont, Stahl ; Démoerite, Epieure ; Descartes, Leihnitz, — École de Montpellier. — Bichat, etc. — Nous repoussons également hors de la physiologie les hypo- thèses matérialistes et spirilualistes, parce qu'elles sont insuffisantes et étrangères à la science expérimentale. — L'observation et l'expérience nous apprennent que les manifestations de la vie ne sont l'œuvre ni de la matière ni d'une force indépendante; qu'elles résultent du conflit nécessaire entre des conditions organiques préétablies et des conditions physico-chimiques déterminées. — Nous ne pouvons saisir et connaître que les conditions matérielles de ce conflit, c'est-à-dire le déterminisme <]es manifestations vitales. — Le déterminisme physiologique contient le problème de la science de la vie; il nous permettra de maîtriser les phénomènes de la vie, comme nous maîtrisons les phénomènes des corps bruts dont les conditions nous sont connues. TH. Du déterminisme en physiologie. — Il est absolu en physiologie comme dans toutes les sciences expérimentales. — On a voulu à tort exclure le déterminisme de la science de la vie. — Distinction du déterminisme philosophique et du déterminisme physiologique. — Réponses aux objec- *2*2 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. tions philosophiques; le déterminisme physiologique est une condition indispensable de la liberté momie au lieu d'en être la négation. — Séparation nécessaire des questions physiologiques et des questions phi- losophiques ou théologiques. — Il n'y a pas de conciliation possible entre ces divers problèmes; ils dérivent de besoins différents de l'esprit et se résolvent par des méthodes opposées. — Les uns et les autres ne peuvent rien gagner à être rapprochéss ï. La physiologie étant la science des phénomènes de la vie, on a pensé que cette définition en impli- quait une autre, celle de la vie elle-même. C'est pour- quoi l'on trouve dans les ouvrages des physiologistes de tous les temps un grand nombre de définitions de lu vie. Devons-nous les imiter et croirons-nous nécessaire de débuter dans nos études par une entreprise de ce genre? Oui. nous commencerons comme eux, mais CI dans le but bien différent de prouver que la tentative est chimérique, étrangère et inutile à la science. Pascal, dans ses réflexions sur la géométrie, parlant de la méthode scientifique par excellence, dit qu'elle exigerait de n'employer aucun terme dont on n'eût préalablement expliqué nettement le sens : elle consis- terait à tout définir et à tout prouver. Mais il fait immédiatement remarquer que cela est impossible. Les vraies définitions ne sont en réalité, dit-il, que des définitions de noms, c'est-à-dire l'imposi- tion d'un nom à des objets créés par l'esprit dans le but d'abréger le discours. Il n'y a pas de définition de choses que l'esprit n'a pas créées, et qu'il n'enferme pas tout entières; il n'y a pas, en un mot, de définition des choses naturelles. Lorsque DÉFINITIONS DANS LES SCIENCES. 23 Platon, dit Pascal, définit X homme : « un animal a deux jambes, sans plumes » , loin de nous en donner une connaissance plus claire qu'auparavant, il nous en four- nit une idée inutile et même ridicule, puisque, ajoute- t-il. «un homme ne perd pas l'humanité en perdant les deux jambes, et un chapon ne l'acquiert pas en perdant ses plumes » . La géométrie peut définir les objets de son étude, parce qu'ils sont une pure création de l'entendement : la définition est alors une convention que l'esprit est libre d'établir. Quand on définit le nombre pair : « un nombre divisible par deux», on donne une définition géométrique selon Pascal, parce qu'on emploie un nom que l'on destitue de tout autre sens, s'il en a, pour lui donner celui de la chose désignée. On procède de même en philosophie, parce que l'on y traite surtout des conceptions de l'intelligence; et encore là y a-t-il des termes primitifs que l'on ne peut définir. La même chose arrive d'ailleurs en géométrie, où les notions primitives d'espace, de temps, de mouvement et autres semblables, ne sont pas définies. On les emploie sans confusion dans le discours, parce que les hommes en ont une intelligence suffisante et une idée assez claire pour ne pas se tromper sur la chose désignée, si obscure que puisse être l'idée de cette chose considérée dans son essence. Cela vient, dit encore Pascal, de ce que la na- ture a donné à tous les hommes les mêmes idées primi- tives sur ces choses primitives. C'est ce que rappelait spirituellement le célèbre mathématicien Poinsot : « Si » quelqu'un me demandait de définir le temps, je lui 24 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. » répondrais : « Savez-vous do quoi vous parlez? » S'il » me disait : « Oui. — Eh bien, parlons-en. » S'il me » disait : « Non. — Eh bien, parlons d'autre chose. » Quand on veut définir ces notions primitives, on ne peut jamais les éclairer par rien de plus simple; on est toujours obligé d'introduire dans la définition le mot même à définir. Le temps est une succession , disait Laplace. Mais qu'est-ce qu'une succession , si l'on n'a déjà l'idée de temps? Ces définitions ne rap- pellent-elles pas celle dont se moquait Pascal : « La » lumière est un mouvement luminaire des corps » lumineux? » On ne saurait rien définir dans les sciences de la nature; toute tentative de définition ne traduit qu'une simple hypothèse. On ne connaît les objets que successi- vement, sous des points de vue différents et divers; ce n'est pas au commencement de ces sciences que l'on en possède une connaissance intégrale et complète, telle qu'une définition la suppose; c'est à la fin, et comme terme idéal et inaccessible de l'étude. La méthode qui consiste à définir et à tout déduire d'une définition peut convenir aux sciences de l'esprit, mais elle est contraire à l'esprit même des sciences expérimentales. C'est pourquoi il n'y a pas à définir la vie en physio- logie. Lorsque l'on parle de la vie, on se comprend à ce sujet sans difficulté, et c'est assez pour justifier l'emploi du terme d'une manière exempte d'équivoques. Il suffit que l'on s'entende sur le mot vie, pour l'em- ployer; mais il faut surtout que nous sachions qu'il est DÉFINITIONS DE LA VIE. 25 illusoire et chimérique, contraire à l'esprit même de la science, d'en chercher une définition absolue. Nous devons nous préoccuper seulement d'en fixer les carac- tères en les rangeant dans leur ordre naturel de subor- dination. Il importe aujourd'hui de nettement dégager la phy- siologie générale des illusions qui l'ont pendant long- temps agitée. Elle est une science expérimentale et n'a pas à donner des définitions a priori. Si, après ces préliminaires, nous rappelons néanmoins les principaux essais de définition de la vie, donnés à diverses époques, ce sera pour en montrer l'insuffisance ou l'erreur. Cette étude aura d'ailleurs pour nous un autre intérêt ; elle nous aidera à chercher, par l'analyse de tous ces efforts de l'esprit, la meilleure conception que nous puissions avoir aujourd'hui des phénomènes de la vie. Aristote dit : « La vie est la nutrition, l'accroissement » et le dépérissement, ayant pour cause un principe qui » a sa fin en soi, l'enléléchie. » Or, c'est ce principe qu'il faudrait saisir et connaître. Burdach rappelle que pour la philosophie de l'absolu : « La vie est l'ànie du monde, l'équation de l'univers. » 11 dit encore que « dans la vie la matière n'est que l'accident, tandis que l'activité est sa substance » . Nous ne nous arrêterons pas à des considérations si transcen- dentales qui n'ont rien de tangible pour le physiologiste. Kanl a défini la vie « un principe intérieur d'action» . Dans son appendice sur la téléologie, ou science des causes finales, il dit : U organisme est un tout résultant 20 LEÇONS SLR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. d'une intelligence calculatrice qui réside dans son inté- rieur. Cette définition, qui rappelle celle d'Hippocrate, a été acceptée, sous une forme plus ou moins modifiée, par un grand nombre de physiologistes. Mais la raison qui l'a fait adopter n'est précisément au fond, ainsi que nous le verrons plus loin, que spécieuse ou apparente. Le principe d'action des corps vivants n'est pas intérieur : on ne saurait le séparer, l'isoler des conditions atmosphé- riques ou cosmiques extérieures, et il n'y a aucun phé- nomène que l'on puisse lui attribuer exclusivement. La spontanéité des manifestations vitales n'est qu'une fausse apparence bientôt démentie par l'étude des faits. îl y a constamment des agents extérieurs, des stimulants étran- gers qui viennent provoquer la manifestation des pro- priétés d'une matière toujours également inerte par elle-même. Chez les êtres supérieurs, ces stimulants résident à la vérité dans ce que nous appelons un milieu intérieur ; mais ce milieu, quoique profondément situé, est encore extérieur à la partie élémentaire organisée, qui est la seule partie réellement vivante. Lordat admet un principe vital quand il dit: «La » vie est l'alliance temporaire du sens intime et de » l'agrégat matériel, cimentée par une zvop^ov ou cause » de mouvement qui nous est inconnue. » Trcviranus a eu en vue, comme Rant, l'indépen- dance apparente des manifestations vitales d'avec les conditions extérieures : « La vie est, pour lui, l'iinifor- » mité constante des phénomènes sous la diversité des » influences extérieures. » DÉFINITIONS DE LA VIE. 27 Millier paraît admettre une sorte de principe vital. Tl y a, selon lui, deux choses dans le germe, la matière du germe, plus le principe vital. Ehrard considère la vie comme un principe moteur : « la faculté du mouvement destinée au service de ce qui » est mû » . Richerand reconnaît implicitement l'existence d'un principe vital comme cause d'une succession limitée de phénomènes dans les êtres vivants : « La vie, dit-il, est » une collection de phénomènes qui se succèdent pen- » dant un temps limité dans les corps organisés, » Herbert Spencer a proposé plus récemment une défi- nition de la vie, que j'ai citée dans un article de la Revue des Deux-Mondes (t. IX, 1875) d'une manière qui a provoqué les réclamations du philosophe anglais. A la page 709 de la traduction française de ses Principes de psychologie, nous avons lu cette phrase : « Donc, sous sa forme dernière, nous énoncerons » comme étant notre définition de la vie, la combinaison » définie de changements hétérogènes à la fois simultanés » et successifs. » Cette définition que j'avais reproduite intégralement doit être complétée, à ce qu'il paraît, par l'addition de ces mots : en correspondance avec des coexistences et des séquences externes. D'après le traducteur d'Herbert Spencer, M. Cazelles, qui a exprimé cette critique [Revue scientifique, n° 33, février 1876), la pensée du philosophe serait défigurée sans l'adjonction du second membre de phrase. La définition est ainsi faite en plusieurs temps, par degrés 28 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VI K. successifs, et cette façon de procéder, qui n'est pas habi- tuelle, est bien capable d'égarer le lecteur. En résumé, ajoute le traducteur. le trait essentiel par lequel M. Herbert Speucer veut définir la vie, c'est t accommodation continue des relations internes aux re- lations externes. Bichat nous propose une idée plus physiologique et plus saisissable. Sa définition de la vie a eu un grand retentissement : « La vie est ï ensemble des fonctions » qui résistent à la mort. » La définition de Bichat comprend deux termes qui s'opposent l'un à l'autre : la vie, la mort. Il est impos- sible, en effet, de séparer ces deux idées; ce qui est vivant mourra, ce qui est mort a vécu. Mais Bichat a voulu être plus clair: il est descendu plus avant dans le problème et il y a rencontré l'erreur. Il a fait en quelque sorte de la vie et de la mort deux êtres, deux principes continuellement présents et luttant dans l'organisme. Il a beau répudier le principe vital, en tant que principe unique : il nous en donne l'équi- valent dans ses propriétés vitales. Ces principes vitaux subalternes, ces propriétés vitales, sont les agents tic la vie ; au contraire, les propriété physiques qui les combattent sont pour ainsi dire les agents de la mort. Tous les contemporains de Bichat ont partagé sa façon de voir et paraphrasé sa formule. Un chirurgien de l'École de Paris, Pelletan, enseigne que la vie est la résistance opposée par la matière organisée aux causes qui tendent sans cesse à la détruire. Cuvier lui-même développe, dans un passage souvent cité, cette pensée DEFINITIONS DIÎ LA VIE. *2\) que la vie est une forée qui résiste aux lois qui régissent la matière brute : la mort est la défaite de ce principe de résistance, et le cadavre n'est autre chose que le corps vivant retombé sous l'empire des forces physiques. Ainsi, non-seulement les propriétés physiques, suivant Bichat, sont étrangères aux manifestations vitales et doivent être négligées dans l'étude, mais il y a plus, elles leur sont opposées. Ces idées d'antagonisme entre les forces extérieures générales et les forces intérieures ou vitales avaient déjà été exprimées par Stahl dans un langage obscur et presque barbare : exposées par Bichat avec une lumi- neuse netteté, elles séduisirent et entraînèrent tous les esprits. La science, il faut le dire, a condamné cette défini- tion, d'après laquelle il y aurait deux espèces de pro- priétés dans les corps vivants : les propriétés physiques et les propriétés vitales, constamment en lutte et tendant à prédominer les unes sur les autres. En effet, il résul- terait logiquement de cet antagonisme, que plus les propriétés vitales ont d'empire dans un organisme, plus les propriétés physico-chimiques y devraient être atténuées, et réciproquement que les propriétés vitales devraient se montrer d'autant plus affaiblies que les propriétés physiques acquerraient plus de puissance. Or, c'est l'inverse qui est vrai : les découvertes de la physique et de la chimie biologique ont établi au lieu de cet antagonisme un accord intime, une harmonie parfaite entre l'activité vitale et l'intensité de phéno- mènes physico-chimiques. 30 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Eu somme, la conception de Bichat renferme deux idées : la première établissant une relation nécessaire entre la vie et la mort; la seconde admettant une oppo- sition entre les phénomènes vitaux et les phénomènes physico-chimiques. La dernière partie est une erreur. Quant à la première, elle avait été exprimée déjà plus simplement sous une forme qui en fait presque une naï- velé dans la définition de X Encyclopédie : « La vie est le » contraire de la mort. » C'est qu'en effet nous ne distinguons la vie que par la mort et inversement. En comparant le corps vivant au même corps à l'état de cadavre, nous apercevons qu'il a disparu quelque chose que nous appelons la vie. Les citations que nous avons faites précédemment nous montrent une grande variété apparente dans les définitions de la vie; elles présentent toutes cependant un fond commun qui constitue précisément leur défaut. Presque tous les auteurs ont admis implicitement ou explicitement que les manifestations de la vie ont pour cause imprincipe qui leur donne naissance et les dirige. Or, admettre que la vie dérive d'un principe vital, c'est définir la vie par la vie; c'est introduire le défini dans la définition. Il est vrai que d'autres physiologistes ont admis, sans en donner de meilleures définitions, que la vie, au lieu d'être un principe recteur immatériel, n'est qu'une ré- sultante de l'activité de la matière organisée. C'est ainsi que pour Béclard: la vie est l'organisation en action. DÉFINITIONS DE LA VIlî. 31 Pour Duyès : la vie est l'activité spéciale des êtres organisés. Pour Dezeimeris : la vie est la manière d'être des corps organisés. Pour Lamarck : la vie est un état de choses qui permet le mouvement organique sous l'influence des excitants. Cet état de choses, c'est évidemment l'organisation, avec la condition de la sensibilité. Rostan, qui avait place dans l'organisation la caracté- ristique de la vie et formulé l'organicisme, s'exprime dans les termes suivants : «Le créateur ne communique pas une force qu'il » ajoute à l'être organisé, ayant mis dans cet être avec » l'organisation la disposition moléculaire apte à la dé- » velopper. C'est l'horloger qui a construit l'horloge, » et en la montant lui a donné le pouvoir de parcourir » les phases successives, de marquer les heures, les » minutes, les secondes, les époques de la lune, les » mois de l'année, tout cela pendant un temps plus ou » moins long ; mais ce pouvoir n'est autre que celui » qui résulte de sa structure ; ce n'est pas une propriété » a pari , une qualité surajoutée ; c'est la machine » montée. » La \ ie c'est la machine montée : les propriétés déri- vent de la structure des organes. Tel est ïorganicisme. Toutefois cette conception a quelque chose de vague : la structure n'est pas une propriété physico-chimique, ni une force qui puisse être la cause de rien par elle- même car elle supposerait une cause à son tour. 32 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. En définitive, toutes les vues a priori sur la vie, soit qu'on la considère comme un principe ou comme un résultat, n'ont fourni que des définitions insuffisantes, et cela devait être, puisque les phénomènes de la vie ne peuvent être connus qu'« posteriori, comme tous les phénomènes de la nature. La méthode a priori est ainsi frappée de stérilité, et ce serait temps perdu que de continuer à chercher le progrès de la science physiologique dans cette voie. Renonçant donc à définir l'indéfinissable, nous essaye- rons simplement de caractériser les êtres vivants par rapport aux corps bruts. Cette façon de comprendre le problème nous conduira à des formules qui exprime- ront des faits et non plus seulement des idées ou des hypothèses. Ce n'est pas que nous rejetions les hypothèses de la science; elles n'en sont dans tous les cas que les écha- faudages; la science se constitue par les faits; mais elle marche et s'édifie à l'aide des hypothèses. Examinons maintenant quels sont les caractères généraux des êtres vivants. Ou peut les ramener à cinq, savoir : L'organisation ; La génération ; La nutrition : L'évolution; La caducité, la maladie, la mort. A. U organisation résulte d'un mélange de substances complexes réagissant les unes sur les autres. C'est pour CARACTÈRES DE LA VIE. .'5.'} nous, l'arrangement qui donne naissance aux propriétés immanentes de la matière vivante, arrangement qui est spécial et très-complexe, mais qui n'en obéit pas moins aux lois chimiques générales du groupement de la ma- tière. Les propriétés vitales, ne sont en réalité que les propriétés physico-chimiques de la matière organisée. B. La faculté de se reproduire ou la génération, c'est- à-dire l'acte par lequel les êtres proviennent les uns des autres, les caractérise d'une manière à peu près ab- solue. Tout être vient de parents et à un certain moment il est capable d'être parent à son tour, c'est-à-dire de donner origine à d'autres êtres. C. dévolution est peut-être le trait le plus remar- quable des êtres vivants et par conséquent de la vie. L'être vivant apparaît, s'accroît, décline et meurt. Il est en voie de changement continuel : il est sujet h la mort. Il sort d'un germe, d'un œuf ou d'une graine, acquiert par des différenciations successives un certain degré de développement, il forme des organes, les uns passagers et transitoires, les autres ayant la même durée <[ue lui-même, puis il se détruit. L'être brut, minéral est immuable et incorruptible tant que les conditions extérieures ne changent point. Ce caractère d'évolution déterminée, de commence- ment et de fin, de marche continuelle dans une direc- tion dont le terme est fixé, appartient en propre aux êtres vivants. A la vérité, les astronomes acceptent aujourd'hui CL. BERNARD. 3 34 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. l'idée d'une mobilité et d'une évolution continuelle du monde sidéral. Mais il y a dans cette évolution possible des. corps sidéraux, comparée à l'évolution rapide des corps vivants, une différence de degré qui, au point de vue pratique, suffit à les distinguer. Relativement à nous, le monde, les astres n'offrent que des change- ments insensibles: les êtres vivants, au contraire, une évolution saisissante. La mort est également une nécessité à laquelle est fatalement soumis l'individu vivant, qui fait retour par là au monde minéral. Il est sujet, en outre, à la maladie, et capable de rétablissement. Les philosophes médecins et naturalistes ont été frappés vivement de cette ten- dance de l'être organisé à se rétablir dans sa forme, à réparer ses mutilations, à cicatriser ses blessures, et à prouver ainsi son unité, son individualité morpho- logique. Cette tendance à réaliser et à réparer une sorte de plan architectural individuel ferait de l'être organisé, suivant certains physiologistes, un tout harmonique, une sorte de petit monde dans le grand; ce serait là un caractère exclusif aux corps doués de vie. « Les » corps inorganiques, dit Tiedemann, n'offrent abso- » lument aucun phénomène que l'on puisse considérer » comme effet, de la régénération ou de la guérisou. » Nul cristal ne reproduit les parties qu'il a perdues, » nul ne répare les solutions survenues dans sa con- » tinuité, nul ne revient de lui-même à son état » d'inléffrité. » Cela n'est pas exact; les cristaux, comme les êlrea CARACTÈRES DE LA VIE. 35 vivants ont leurs formes, leur plan particulier, et lorsque les actions perturbatrices ilu milieu ambiant les en écar- tent, ils sont capables de les rétablir par nue véritable cicatrisation ou rédintègration cristalline. M. Pasteur a vu «que lorsqu'un cristal a été brisé sur l'une quelconque de » ses parties et qu'on le replace dans son eau mère, on » voit, en même temps que le cristal s'agrandit dans tous h les sens par un dépôt de particules cristallines, un » travail très-actif avoir lieu sur la partie brisée ou défor- » niée; et en quelques heures il a satisfait, non-seule- » ment à la régularité du travail général sur toutes les » parties du cristal, mais au rétablissement de la régu- » larité dans la partie mutilée... » De sorte que la force physique qui range les particules cristallines suivant les lois d'une savante géométrie, a des résultats analogues à celle qui range la substance organisée sous la forme d'un animal ou d'une plante. Ce caractère n'est donc pas aussi absolu que le croyait Tiedemann : toutefois, il a, tout au moins, un degré d'intensité et d'énergie qui spécialise l'être vivant. D'autre part, comme nous l'avons dit, il n'y a pas dans le cristal l'évolution qui caractérise l'animal ou la plante. D. Enfin, la nutrition a été considérée comme le trait distinctif, essentiel, de l'être vivant; comme la plus con- stante et la plus universelle de ses manifestations, celle par conséquent qui doit et peut suffire par elle seule à caractériser la vie. La nutrition est la continuelle mutation des particules qui constituent l'être vivant. L'édifice organique est le 36 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. siège d'un perpétuel mouvement nutritif qui ne laisse de repos à aucune partie; chacune, sans cesse ni trêve, s'alimente dans le milieu qui l'entoure et y rejette ses déchets et ses produits. Celte rénovation moléculaire est insaisissable pour le regard; mais, comme nous en voyons le début et la fin, l'entrée et la sortie des sub- stances, nous en concevons les phases intermédiaires, et nous nous représentons un courant de matière qui traverse incessamment l'organisme et le renouvelle dans sa substance en le maintenant dans sa forme. L'universalité d'un tel phénomène chez la plante et chez l'animal et clans toutes leurs parties, sa constance, qui ne souffre pas d'arrêt, en font un signe général de la vie, que quelques physiologistes ont employé à sa définition. C'est ainsi que de Blainville a dit : « La vie est un double mouvement interne de composi- * tioîi et de décomposition à la fois général et continu. » Cuvier s'exprime de la même manière : « L'être vivant, dit-il, est un tourbillon à direction » constante dans lequel la matière est moins essentielle » que la forme. » Flourens a paraphrasé cette idée du tourbillon vital ou du circulus matériel, en disant : « La vie est une forme servie par la matière. » Enfin, Tiedemann, en admettant également le double mouvement de composition et de décomposition des êtres vivants, le ratlaebe à un principe vital qui le gouverne. « Les corps vivants, dit-il, ont en eux leur principe » d'action qui les empêche de tomber jamais en indijjé- CARACTÈRES DE LA VIE. 37 » renée chimique.» La définition tirée de ce caractère mérite de nous arrêter un instant. Nous avons déjà dit que les manifestations de la vie ne pouvaient être considérées comme régies directement par un principe vital intérieur. L'activité des animaux et des plantes est certainement sous la dépendance des conditions extérieures. Cela est bien visible chez les végétaux et chez les animaux à sang froid qui s'en- gourdissent dans l'hiver et se réveillent pendant les cha- leurs de l'été. Nous verrons plus tard que si l'homme et les animaux à sang chaud paraissent libres dans leurs actes, et indépendants des variations du milieu cosmi- que, cela tient à ce qu'il existe chez eux un mécanisme complexe qui entretient autour des particules vivantes, fibres et cellules, un milieu en réalité invariable, le sang, toujours également chaud et semblablement con- stitué. Ils sont indépendants du milieu extérieur parce que, grâce à cet artifice, le milieu intérieur ne change pas autour de leurs éléments actifs et vivants. En réalité il y a toujours chez l'être vivant, des agents extérieurs, des stimulants étrangers, extra-cellulaires, qui viennent provoquer la manifestation des propriétés d'une matière toujours également inactive et inerte par elle-même. Si un principe intérieur existait et était indépendant, pourquoi la vie serait-elle plus énergique l'été que l'hi- ver chez certains êtres vivants, plus vigoureuse en pré- sence de l'oxygène qu'en son absence, plus active en présence de l'eau qu'après dessiccation? Il n'est pas exact de dire, d'un autre côté, que les corps vivants sont incapables de tomber en état d'indif- 38 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. férence chimique. A la vérité, quel que soit dans les circonstances ordinaires l'engourdissement dans lequel soit plongé le végétal ou l'animal à sang froid, la vie n'a pas cessé en lui, l'organisme n'est pas tombé dans l'inertie absolue, dans l'état réel d'indifférence chimi- que. Mais, nous prouverons que, ce cas est réalisé dans l'être en état de vie latente. Voici une graine; elle est inerte comme un corps minéral. Dans certaines condi- tions, sa constitution reste invariable et elle restera ainsi pendant des mois, des siècles. Vit-elle? Non, d'après la définition de Tiedemann, puisque cette graine est en complète indifférence chimique. Et cependant, qu'on lui fournisse les conditions extérieures de la termina- lion, la chaleur, l'humidité, l'air, et elle va germer et développer une plante nouvelle. Nous vous montrerons qu'il en est de même des animaux ressuscitants ou reviviscents, des rotifères et des anguillules, qui peu- vent revivre après avoir été plongés, pendant un temps théoriquement indéfini, dans la plus complète inertie. Que conclure de là, sinon que les phénomènes vitaux ne sont point les manifestations de l'activité d'un prin- cipe vital intérieur, libre et indépendant. On ne peut saisir ce principe intérieur, l'isoler, agir sur lui. On voit au contraire les actes vitaux avoir constamment pour condition des circonstances physico-chimiques externes, parfaitement déterminées et capables ou d'empêcher ou de permettre leur apparition. En résumé le tourbillon vital n'est pas la manifestation unique d'un qu'xl îtihls, ni le seul effet de conditions CARACTÈRES DE LA VIE. 39 physico-chimiques extérieures. La vie ne saurait en conséquence être caractérisée exclusivement par une conception vitaliste ou matérialiste. Les tentatives qu'on a faites à ce sujet de tout temps sont illusoires et n'ont pu aboutir qu'à l'erreur. Devons-nous rester sur cette négation ? Non. Une critique négative n'est pas une conclusion. Il faut nous former à notre tour une idée, chercher un caractère, dont la valeur, bien qu'elle ne soit pas absolue, soit capable de nous éclairer dans notre route sans jamais nous tromper. Les caractères que nous avons précédemment rap- pelés correspondent à des réalités; ils sont bons, utiles à connaître. Je dirai de mon côté la conception à laquelle m'a conduit mon expérience. Je considère qu'il y a nécessairement dans l'être vivant deux ordres de phénomènes : 1° Les phénomènes de création vitale ou de synthèse organisatrice ; 2° Les phénomènes de mort ou de destruction orga- nique. Il est nécessaire de nous expliquer en quelques mots sur la signification que nous donnons à ces expressions création et destruction organiques. Si, au point de vue de la matière inorganique, on admet avec raison que rien ne se perd et que rien ne se crée; au point de vue de l'organisme, il n'en est pas de même. Chez un être vivant, tout se crée mor- phologiquement, s'organise et tout meurt, se détruit. Dans l'œuf en développement, les muscles, les os, les 40 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VI H. nerfs apparaissent et prennent leur place en répétant une forme antérieure d'où l'œuf est sorti. La matière am- biante s'assimile aux tissus, soit comme principe nutritif, soit comme élément essentiel. L'organe est créé, il Test au point de vue de sa structure, de sa forme, des pro- priétés qu'il manifeste. D'autre part, les organes se détruisent, se désorgani- sent à chaque moment et par leur jeu même ; cette désorganisation constitue la seconde phase du grand acte vital. Le premier de ces deux ordres de phénomènes est seul sans analogues directs; il est particulier, spécial à l'être vivant : cette synthèse évolutive est ce qu'il y a de véritablement vital. - — Je rappellerai à ce sujet la formule que j'ai exprimée dès longtemps : « La vie, cest la création » (1). Le second, au contraire, la destruction vitale, est, d'ordre physico-chimique, le plus souvent le résultat d'une combustion, d'une fermentation, d'une putréfac- tion, d'une action, en un mot, comparable à un grand nombre de faits chimiques de décomposition ou de dé- doublement. Ce sont les véritables phénomènes de mort quand ils s'appliquent à l'être organisé. Et, chose digne de remarque, nous sommes ici vic- times d'une illusion habituelle, et quand nous voulons désigner les phénomènes de la vi<\ nous indiquons en réalité des phénomènes de mort. Nous ne sommes pas frappés par les phénomènes de (1) Voyez Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, p. Mil. 1865, CRÉATION ET DESTRUTION ORGANIQUES. il la vie. Lu synthèse organisatrice reste intérieure, silen- cieuse, cachée clans son expression phénoménale, rassemblant sans bruit les matériaux qui seront dépensés. Nous ne voyons point directement ces phénomènes d'or- ganisation. Seul l'histologiste, l'embryogéniste, ensui- vant le développement de l'élément ou de l'être vivant, saisit des changements, des phases qui lui révèlent ce travail sourd : c'est ici un dépôt de matière; là, une formation d'enveloppe ou de noyau ; là, une division ou une multiplication, une rénovation. Au contraire, les phénomènes de destruction ou de mort vitale sont ceux qui nous sautent aux yeux, et par lesquels nous sommes amenés à caractériser la vie. Les signes en sont évidents, éclatants : quand le mouvement se produit, qu'un muscle se contracte, quand la volonté etla sensibilité se manifestent, quand la pensée s'exerce, quand la glande sécrète, la substance du muscle, des nerfs, du cerveau, du tissu glandulaire se désorganise, se détruit et se consume. De sorte que toute manifesta- tion d'un phénomène dans l'être vivant est nécessaire- ment liée à une destruction organique; et c'est ce que j'ai voulu exprimer lorsque, sous une forme paradoxale, j'ai dit ailleurs (Revue des Deux-Mondes, t. IX, 187."») : la vie c'est la mort. L'existence de tous les êtres, animaux ou végétaux, se maintient par ces deux ordres d'actes nécessaires et inséparables . V organisation et la désorganisation. Notre science devra tondre, comme but pratique, à fixer les conditions et les circonstances de ces deux ordres de phénomènes. 42 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Celte division des manifestations vitales que nous avons adoptée est, selon nous, l'expression môme de la réalité; c'est le résultat de l'observation des phéno- mènes. A cet avantage d'être une vérité de fait, elle joint celui non moins appréciable d'être utile à l'intelli- gence des phénomènes, d'être profitable à l'étude, de projeter une vive clarté dans l'appréciation des modalités de la vie. C'est ce que nous nous efforcerons de démon- trer dans la suite de notre cours; ce sera là notre pro- gramme. Nous sommes ainsi arrivé, croyons-nous, aux deux faits généraux les plus caractéristiques des êtres vivants; mais cela ne suffit pas, l'esprit a besoin de sortir du fait : il se sent entraîné au delà et il édifie des hypothèses auxquelles il demande l'explication des choses et le moyen de les pénétrer plus profondément. C'est pourquoi, à côté de l'observation des phéno- mènes, il y a toujours eu des hypothèses, des vues exprimées à propos de la vie par les philosophes, les naturalistes et les médecins depuis la plus haute an- tiquité jusqu'à notre époque. Ce sont ces hypothèses que nous allons maintenant examiner. II. Toutes les interprétations si variées dans leur forme et toutes les hypothèses qui ont été fournies sur la vie aux différentes époques peuvent rentrer dans deux types : elles se sont présentées sous deux formes, se sont inspirées de deux tendances : la forme ou la tendance spiritualiste , animiste ou vitaliste, la forme ou la ten- dance mécanique ou matérialiste. En un mot, la vie a été considérée dans tous les temps à deux points de HYPOTHÈSLS SUR LA VIE. 43 vue différents; ou comme l'expression d'une force spé-' ciale, ou comme le résultat des forces générales de la nature. Nous devons nous hâter de déclarer que la science ne dorme raison ni à l'un ni à l'autre de ces systèmes, et en tant que physiologiste nous devrons rejeter à la lois les hypothèses vilalistes et les hypothèses maté- rialistes. Les spiritualistes animistes ou vitalistes ne considèrent dans les phénomènes de la vie que l'action d'un principe supérieur et immatériel se manifestant dans la matière inerte et obéissante; ils ne voient que l'entervention d'une force extra-physique, spéciale, indépendante : Mens agitât molem. Telle est la pensée de Pythagore, Platon, Aristote, Hippocrate, acceptée par les savants mystiques du moyen âge, Paracelse, Van Helmont ; soutenue par les scolastiques et formulée enfin dans son expression la plus outrée, de {'animisme, parStahl. D'autre part, l'école matérialiste de Démocrite et d'Épicure rapporte tout à la matière, qui par ses lois générales constitue à la fois les corps inorganiques et les corps vivants, sans l'intervention actuelle et toujours présente d'une force active, d'une intelligence motrice. L'être vivant, dans le grand ensemble de l'univers, va de soi-même par la structure, l'arrangement et l'activité même de la matière universelle. Il est remarquable d'autre part que des philosophes très-convaincus, en tant que philosophes, de la spiri- tualité de l'âme, aient été en tant que physiologistes profondément matérialistes. C'est ainsi que Descartes et 44 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Leibnitz attribuent nettement au jeu des forces phy- siques toutes les manifestations saisissabtes de l'activité vitale. La raison de cette apparente contradiction réside dans la séparation presque absolue qu'ils établirent entre l'âme et le corps, entre la métaphysique et la physique : l'âme est, pour Descartes, le principe supé- rieur qui se manifeste par la pensée; la vie n'est qu'un effet supérieur des lois de la mécanique. 11 considère le corps comme une machine faite pour elle-même, que l'âme ne peut atteindre ni troubler dans son fonction- nement, mais qu'elle peut seulement contempler en simple spectatrice. Ce qui agit réellement, ce sont des rouages mécaniques, des ressorts, des leviers, des ca- naux, des filtres, des cribles, des pressoirs, etc. De même, au point de vue physiologique, Leibnitz se montre matérialiste. Comme Descartes, il sépare l'âme du corps, et quoiqu'il admette entre eux une concor- dance préétablie, il leur refuse toute espèce d'action ré- ciproque. « Le corps, dit-il, se développe mécaniquement » et les lois mécaniques ne sont jamais violées dans les » mouvements naturels; tout se fait danslesàmes comme » s'il n'y avait pas de corps, et tout se fait dans le corps » comme s'il n'y avait pas d'âme. » En recourant ainsi alternativement aux deux hypo- thèses spiritualisle et matérialiste. Descartes et Leibnitz ont en quelque sorte implicitement reconnu l'insuffi- sance de lune et de l'autre pour expliquer les phéno- mènes de la vie. Ces doctrines spiritualistes et matérialistes peuvent être agitées en philosophie : elles n'ont pas de place en HYPOTHÈSES SPIRITUALISTES ET MATÉRIALISTES. 45 physiologie expérimentale; elles n'ont aucun rôle utile ;i y remplir, parce que le critérium unique dérive de l'expérience. Les partisans de l'une et de l'autre de ces doctrines ont pu également faire des découvertes utiles; toutefois ce n'est pas en leur nom que les plus grands progrès se sont présentés dans la science. Personne ne sait ou ne s'occupe de savoir si Harvey, si Haller étaient spiritualisles ou matérialistes; on sait seulement qu'ils étaient de grands physiologistes, et leurs observa- tions ou leurs expériences seules sont parvenues jusqu'à nous. Aujourd'hui la physiologie devient une science exacte ; elle doit se dégager des idées philosophiques et théolo- giques qui pendant longtemps s'y sont trouvées mêlées. On n'a pas plus à demander à un physiologiste s'il est spiritualisteou matérialiste qu'à un mathématicien, à un physicien ou à un chimiste. Nous ne voulons pas, nous le répétons, nier pour cela l'importance de ces grands problèmes qui tourmentent l'esprit humain, mais nous voulons, les séparer de la physiologie, lesdistinguer, parce que leur étude relève de méthodes absolument différentes. La tendance, qui semble se raviver de nos jours, à vou- loir immiscer dans la physiologie les questions théo- logiques et philosophiques, à poursuivre leur prétendue conciliation, est à mon sens une tendance stérile et fu- neste, parce qu'elle mêle le sentiment et le raisonne- ment, confond ce que l'on reconnaît et accepte sans démonstration physique avec ce que l'on ne doit ad- mettre qu'expérimentalement et après démonstration complète. En réalité, on ne peut être spiritualiste ou 46 LEÇONS SU U LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. matérialiste que par sentiment; on est physiologiste par démonstration scientifique. La philosophie et la théologie ont la liberté de traiter les questions qui leur incombent par les méthodes qui leur appartiennent, et la physiologie n'intervient ni pour les soutenir, ni pour les attaquer. Elle aussi, elle a sa liberté d'action, ses problèmes particuliers et ses méthodes spéciales pour les résoudre. Ce sont donc des domaines séparés dans lesquels chaque chose doit rester en sa place; c'est la seule manière d'éviter la con- fusion et d'assurer le progrès dans l'ordre physique intellectuel, politique ou moral Ici nous serons seulement phys:ologiste et à ce titre, nous ne pouvons nous placer ni dans le camp des vita- listes, ni dans celui des matérialistes. Nous nous séparons des vilalistes, parce que la force vitale, quel que soit le nom qu'on lui donne, ne saurait rien faire par elle-même, qu'elle ne peut agir (m'en empruntant le ministère des forces générales de la nature et qu'elle est incapable de se manifester en dehors d'elles. Nous nous séparons également des matérialistes; car, bien que les manifestations vitales restent placées direc- tement sous l'influence de conditions physico-chimiques, ces conditions ne sauraient grouper, harmoniser les phé- nomènes dans l'ordre et la succession qu'ils affectent spécialement dans les êtres vivants. Nous resterons en face des phénomènes de la vie comme des hommes de science expérimentale : obser- vateurs des faits, sans idée systématique préconçue. Nous DOCTRINES V1TALISTES ET MATÉRIALISTES. M chercherons à déterminer exactement les conditions de manifestation des phénomènes de la vie, afin de nous en rendre maîtres comme le physicien et le chimiste se rendent maîtres des phénomènes de la nature inor- ganique (1). Tel est le problème de la physiologie moderne, et nous ne saurions certainement arriver à sa solution ni au moyen des doctrines spiritualistes ou vitalistes. ni a l'aide des doctrines matérialistes. 11 y a au fond des doctrines vitalisies une erreur irré- médiable, qui consiste à considérer comme force une personnification trompeuse de l'arrangement des choses, à donner une existence réelle et une activité matérielle, efficace à quelque chose d'immatériel qui n'est en réa- lité qu'une notion de l'esprit, une direction nécessaire- ment inactive. L'idée d'une cause qui préside à l'enchaînement des phénomènes vitaux est sans doute la première qui se pré- sente à l'esprit, et elle parait indéniable lorsque l'on con- sidère l'évolution rigoureusement fixée des phénomènes si nombreux et si bien concertés par lesquels l'animal et la plante soutiennent leur existence et parcourent leur carrière. En voyant l'animal sortir de l'œuf et acquérir successivement la forme et la constitution de l'être qui l'a précédé et de celui qui le suivra; en le voyant exé- cuter au même instant un nombre infini d'actes appa- rents ou cachés qui concourent, comme par un dessein calculé, à sa conservation et à sou entretien, on a le (1, Voyez à ce sujet Revue des Deux-Mondes : Problème de In physiologie générale. — Mon Rapport sur les progrès de la physiologie générale. 18(37. 48 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. sentiment qu'une cause dirige le concert de ses parties et guide dans leur voie les phénomènes isolés dont il est le théâtre. C'est à cette cause, considérée comme force directrice, tpie l'on peut donner le nom d'âme physiologique ou de force vitale, et on peut l'accepter à la condition de la définir et de ne lui attribuer que ce qui lui revient. C'est par une fausse interprétation qu'on a pour ainsi dire personnifié le principe vital, et qu'on en a fait comme l'ouvrier de tout le travail organique. On l'a considéré comme l'agent exécutif de tous les phéno- mènes, l'acteur intelligent qui modèle le corps et manie la matière inerte et obéissante de l'être animé. La raison suffisante de chaque acte de la vie était pour les vitalistes dans cette force, qui n'avait aucunement besoin du se- cours étranger des forces physiques et chimiques ou qui luttait même contre elles pour accomplir sa tache. Mais la science expérimentale contredit précisément cette vue : c'est par là qu'elle s'introduit dans le système pour en montrer la fausseté fondamentale. En effet, les recherches physiologiques nous apprennent que la force ou les forces vitales ne peuvent rien sans le concours des conditions physiques. 11 y a un accord intime, une étroite liaison des phénomènes physiques et chimiques avec les phénomènes vitaux. C'est un parallélisme parfait, une union harmonique nécessaire. L'humidité, la chaleur, l'air créent des conditions indispensables au fonctionne- ment de la vie. Les manifestations vitales s'exaltent ou s'atténuent, en même temps que les activités chimiques des tissus, et proportionnellement à cette action même. DOCTRINES VITALISTES. 49 L'abaissement de la température entraîne un abaisse- ment de la sensibilité, de l'intelligence et produit un engourdissement de la vie. Par la dessiccation, certains êtres sont plongés dans un état de mort apparente qui ne cesse, ainsi que nous le verrons, que lorsque Ton vient à leur restituer l'eau et les conditions physico- chimiques qui leur sont nécessaires pour les manifesta- tions vitales. Dans ces cas faudra-t-il dire que la chaleur exalte la force vitale, que le froid l'engourdit, que la dessiccation l'anéantit et que l'humidité la ressuscite. Mais alors ce ne serait plus elle qui commanderait à la matière de l'organisme, ce serait bien plutôt l'état matériel de l'organisme qui la gouvernerait. C'est qu'en effet la force vitale ne peut rien produire sans les condi- tions physico- chimiques : elle reste absolument inerte, et le phénomène vital n'apparaît que lorsque les condi- tions physico-chimiques déterminées pour sa manifes- tation sont réunies. C'est là ce que n'ont point compris les vitalistes, ni Stahl, qui confondait et unifiait la force vitale avec l'àme intelligente et raisonnable; ni Bichat, qui substi- tuait à ce principe unique les propriétés vitales, c'est- à-dire une multitude de forces vitales résidant au sein de chaque tissu. Ces propriétés vitales, comme il les appelle, étaient opposées aux propriétés physiques, les premières changeantes et éphémères, les secondes constantes et permanentes, se rencontrant dans le corps animal comme sur un champ de bataille et luttant sans repos ni trêve, jusqu'au moment où, la victoire restant aux agents physiques, l'être vivant mourait. CL. BERNARD. Il 50 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Ainsi, que le vitalisme soit envisagé dans son expres- sion la plus outrée et tel que Stahl l'a développé ou dans la forme plus adoucie et plus scientifique que Bichat lui a donnée, il est également inacceptable, parce qu'il se trouve en contradiction avec l'expérience et avec les faits de la physiologie. Si, comme nous venons de le voir, les doctrines vita- listes ont méconnu la vraie nature des phénomènes vitaux, les doctrines matérialistes, d'un autre côté, ne sont pas moins dans l'erreur, quoique d'une manière opposée. En admettant que les phénomènes vitaux se rattachent à des manifestations physico-chimiques, ce qui est vrai, la question dans son essence n'est pas éclaircie pour cela; car ce n'est pas une rencontre fortuite de phéno- mènes physico-chimiques qui construit chaque être sur un plan et suivant un dessin tixes et prévus d'avance, et suscite l'admirable subordination et l'harmonieux con- cert des actes de la vie. Il y a, dans le corps animé un arrangement, une sorte d'ordonnance que l'on ne saurait laisser dans l'ombre, parce qu'elle est véritablement le trait le plus saillant des êtres vivants. Que l'idée de cet arrange- ment soit mal exprimée par le nom de force, nous le- voulons bien : mais ici le mot importe peu, il suffit que la réalité du fait ne soit pas discutable. Les phénomènes vitaux ont bien leurs conditions physico-chimiques rigoureusement déterminées ; mais en môme temps ils se subordonnent et se succèdent dans un enchaînement et suivant une loi fixés d'avance : ils se DOCTRINES MATÉRIALISTES. 51 répètent éternellement, avec ordre, régularité, constance, et s'harmonisent, en vu d'un résultat qui est l'organisa- tion et l'accroissement de l'individu, animal ou végétal. II y a comme un dessin préétabli de chaque être et de chaque organe, en sorte que si, considéré isolément, chaque phénomène de l'économie est tributaire des for- ces générales de la nature, pris dans ses rapports avec les autres, il révèle un lien spécial, il semble dirigé par quelque guide invisible dans la route qu'il suit et amené dans la place qu'il occupe. La plus simple méditation nous fait apercevoir un caractère de premier ordre, un quidproprium de l'être vivant dans cette ordonnance vitale préétablie. Toutefois l'observation ne nous apprend que cela : elle nous montre un plan organique, mais non une intervention active d'un priucipe vital. La seule force vitale que nous pourrions admettre ne serait qu'une sorte de force législative, mais nullement executive. Pour résumer notre pensée, nous pourrions dire mé- taphoriquement : la force vitale dirige des phénomènes quelle ne produit pas; les agents physiques produisent des phénomènes qu'ils ne dirigent pas. La force vitale n'étant pas une force active, executive, ne faisant rien par elle-même, alors que tout se mani- feste dans la vie par l'intervention des conditions physi- ques et chimiques, la considération de cette entité ne doit pas intervenir eu physiologie expérimentale. Lors- que le physiologiste voudra connaître, provoquer les phénomènes de la vie, agir sur eux, les modifier, ce n'est pas à la force vitale, entité insaisissable qu'il lui 52 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. faudra s'adresser, mais aux conditions physiques et chimiques qui entraînent et commandent la manifesta- tion vitale. Quel que soit le sujet qu'il étudie, le physiologiste ne trouve jamais devant lui que des agents mécaniques, physiques ou chimiques. Lorsque il examine, par exem- ple, l'action des substances anesthésiques sur la sensi- bilité, sur l'intelligence, il constate que l'éther ou le chloroforme agissent matériellement et d'une manière physique ou chimique sur la substance nerveuse, et non point sur un principe vital, ni sur une fonction vitale, telle que la sensibilité, qui est insaisissable par elle-même. Comme il en est de même pour tous les phénomènes de la vie, les sciences physico-chimiques semblent com- prendre dans leurs lois l'apparition des phénomènes des organismes vivants; de là l'opinion matérialiste que la vie ne serait qu'une expression des phénomènes géné- raux de la nature. Quoi qu'il en soit, ce que nous savons, c'est que le principe vital n'exécute rien par lui-même et qu'il emprunte ses forces au monde extérieur dans les mille et mille manifestations qui apparaissent à nos yeux. De ce qui précède, il résulte que les conditions qui nous sont accessibles pour faire opparaître les phéno- mènes de la vie, sont toutes matérielles et physico- chimiques. 11 n'y a d'action possible que sur et par la matière. L'univers ne montre pas d'exception à cette loi. Toute, manifestation phénoménale, qu'elle siège dans les êtres vivants ou en dehors d'eux, a pour suhstratum obligé des conditions matérielles. Ce sont ces conditions CONDITIONS DÉTERMINÉES DES PHÉNOMÈNES. 53 que nous appelons les conditions déterminées du phéno- mène. Nous ne pouvons connaître que les conditions ma- térielles et non la nature intime des phénomènes de la vie. Dès lors, nous n'avons affaire qu'à la matière, et non aux causes premières ou à la force vitale directrice qui en dérive. Ces causes nous sont inaccessibles. Croire autre chose, c'est commettre une erreur de fait et de doctrine ; c'est être dupe de métaphores et prendre au réel un langage figuré. On entend dire en effet souvent que le physicien agit sur l'électricité ou sur la lumière; que le médecin agit sur la vie, la santé, la fièvre ou la maladie : ce sont là des façons de parler. La lumière, l'électricité, la vie, la santé, la maladie, la fièvre, sont des êtres abstraits qu'un agent quelconque ne saurait atteindre ; mais il y a des conditions maté- rielles qui font apparaître les phénomènes que l'on rap- porte à l'électricité : la chaleur, la lumière, la santé, la maladie : nous pouvons agir sur elles et modifier par la ces différents états. La conception que nous nous formons du but de toute science expérimentale et de ses moyens d'action est donc générale; elle appartient à la physique et à la chimie et s'applique à la phvsiologie. Elle revient à dire, en d'autres termes, qu'un phénomène vital a, comme tout autre phénomène, un déterminisme rigoureux, et que jamais ce déterminisme ne saurait être autre chose qu'un déterminisme physico-chimique. La force vitale, la vie, appartiennent au monde métaphysique; leur expression est une nécessité de l'esprit : nuus ne pou- 54 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. vous nous en servir que subjectivement. Notre esprit saisit l'unité et le lien, l'harmonie des phénomènes, et il la considère comme l'expression d'une force ; mais grande serait l'erreur de croire que cette force méta- physique est active. Il en est d'ailleurs de même de ce que nous appelons les for ces physiques; ce serait une pure illusion que de vouloir rien provoquer par elles. Ce sont là des conceptions métaphysiques nécessaires, mais qui ne sortent point du domaine intellectuel où elles sont nées, et ne viennent point réagir sur les phénomènes qui ont donné à l'esprit l'occasion de les créer. En un mot, cette faculté évolutive, directrice, mor- phologique; par laquelle on caractérise la vie, est inutile à la physiologie expérimentale, parce que, étant en dehors du monde physique, elle ne peut exercer aucune action rétroactive sur lui. Il faut donc séparer le monde métaphysique du monde physique qui lui sert de base, mais qui n'a rien à lui emprunter, et conclure en para- phrasant le mot de Leibnitz : « Chaque chose s'exécute » dans le corps vivant comme s'il n'y avait pas de » force vitale. » III. Par ce qui précède se trouve iixé le champ et le rôle de la physiologie. Elle est une science de même ordre que les sciences physiques : elle étudie le déter- minisme physico-chimique correspondant aux manifes- tations vitales ; elle a les mêmes principes et les mêmes méthodes. Dans aucune science expérimentale on ne connaît autre chose que les conditions' physico-chimiques des phénomènes; on ne travaille à autre chose qu'à déter- DÉTERMINISME. 55 miner ces conditions. Nulle part on n'atteint les causes premières; les forces physiques sont tout aussi obscures que la force vitale et tout aussi en dehors de la prise directe de l'expérience. On n'agit point sur ces entités, mais seulement sur les conditions physiques ou chimi- ques qui entraînent les phénomènes. Le but de toute science de la nature, en un mot, est de fixer le déter- minisme des phénomènes. Le principe du déterminisme domine donc l'étude des phénomènes de la vie comme celle de tous les autres phénomènes de la nature. Depuis longtemps j'ai émis cette opinion, mais lors- que j'employai pour la première fois le mot de déter- minisme (1) pour introduire ce principe fondamental dans la science physiologique, je ne pensais pas qu'il pût être confondu avec le déterminisme philosophique de Leibnitz. Toutefois si le mot déterminisme, que j'ai employé, n'est pas nouveau, l'acception que je lui ai donnée en physiologie expérimentale est nouvelle ; et cela devait être, puisque Leibnitz l'avait appliqué seulement à des objets purement métaphysiques, tandis que je l'appli- quais au contraire à des objets physiques, pour carac- tériser la méthode de la science physiologique. Lorsque Leibnitz disait : « L'âme humaine est un au- » tomate spirituel, » il formulait le déterminisme philo- sophique. Cette doctrine soutient que les phénomènes de l'âme, comme tous les phénomènes de l'univers, sont (1) Voyez Introduction à /'étude de la médecine expérimentale, p. 115. 1865. 56 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. rigoureusement déterminés par la série des phénomènes antécédents, inclinations, jugements, pensées, désirs, prévalence du plus fort motif, par lesquels l'âme est entraînée. C'est la négation de la liberté humaine, l'affir- mation du fatalisme. Tout autre est le déterminisme physiologique. Il est l'expression d'un fait physique. Il consiste dans ce prin- cipe que chaque phénomène vital, comme chaque phé- nomène physique, est invariablement déterminé par des conditions physico-chimiques qui, lui permettant ou l'empêchant d'apparaître, en deviennent les conditions ou les causes matérielles immédiates ou prochaines. L'en- semble des conditions déterminantes d'un phénomène entraîne nécessairement ce phénomène. Voilà ce qu'il faut substituer à l'ancienne et obscure notion spiritua— liste ou matérialiste de cause. Ce principe est fondamental dans toutes les sciences physiques. Là il est hors de conteste; il n'a pas même besoin d'être affirmé. Il en est autrement dans les sciences de la vie. Lorsque, en effet, il faut étendre le principe du déterminisme aux faits de la nature vi- vante, les médecins animistes et vitalistes et les philo- sophes se mettent à la traverse. Les vitalistes nient le déterminisme, parce que, selon eux, les manifestations vitales aundent pour cause l'ac- tion spontanée efficace et comme volontaire et libre d'un principe immatériel. Les conséquences de cette erreur sont considérables : le rôle de l'homme en présence des faits vitaux devrait être celui d'un simple spectateur, non d'un acteur; les sciences physiologiques DÉTERMINISME. 57 ne seraient que conjecturales et non certaines. L'expé- rience ne saurait les atteindre ; l'observation ne saurait les prédire. C'est là par excellence, on le voit, une doctrine paresseuse : elle désarme l'homme. Elle relè- gue les causes hors des objets : elle transforme des mé- taphores en des entités substantielles; elle fait de la physiologie une sorte de métaphvsiologie inaccessible. Ainsi, on le voit, la doctrine vitalisle conclut néces- sairement à l'indéterminisme. C'est précisément la conclusion nécessaire à laquelle Bichat a été amené presque malgré lui. Quand il com- mence à exposer ses vues si nettes et si scientifiques dans l'introduction de son Anatomie générale, on croit qu'il va s'attacher solidement à ces vues, devenues les bases de la science moderne, en répudiant les idées vitalistes qu'elles contiennent. Bichat émet en effet celte idée générale, lumineuse et féconde, qu'en physiologie comme en physique les phénomènes doivent être ratta- chés à des propriétés inhérentes à la matière vivante comme a leur cause. « Le rapport des propriétés comme » causes avec les phénomènes comme effets est, dit-il, » un axiome presque fastidieux à répéter aujourd'hui » en physique et en chimie; si mon livre établit un » axiome analogue dans les sciences physiologiques, il » aura rempli son but. » Mais voici qu'après ce début si clair il distingue les propriétés vitales des propriétés physiques, les unes agents de la vie, les autres agents de la mort; il les met en lutte, les oppose. Ses propriétés vitales font la guerre aux propriétés physiques, comme faisait Y dme de Stahl. 58 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. C'est une négation tout aussi catégorique du détermi- nisme en physiologie (1). Yoici en effet à quelles héré- sies scientifiques Bichat se trouve fatalement conduit : « Les propriétés physiques, dit-il, étant fixes, con- » stantes, les lois des sciences qui en traitent sont éga- » lement constantes et invariables; on peut les prévoir, » les calculer avec certitude. Les propriétés vitales » ayant pour caractère essentiel V instabilité , toutes les » fonctions vitales étant susceptibles d'une foule de va- » riétés, on ne peut rien prévoir, rien calculer dans leurs » phénomènes. D'où il faut conclure, ajoute-t-il, que des » lois absolument différentes président à l'une et l'autre » classe de phénomènes. » Bichat dit ailleurs {Recherches physiologiques sur la vie et la ?nort, p. 84) : « La physique, la chimie se tou- » client, parce que les mêmes lois président à leurs «phénomènes; mais un immense intervalle les sépare » de la science des corps organisés, parce qu'une énorme » différence existe entre ces lois et celles de la vie. Dire » que la physiologie est la physique des animaux, c'est » en donner une idée extrêmement inexacte : j'aimerais » autant dire que l'astronomie est la physiologie des » astres. » Nous pourrions multiplier les preuves del'indétermi- nisme ou négation scientifique à laquelle, malgré son génie, Bichat s'est trouvé conduit par les doctrines vita- listes qui régnaient à son époque et dont il n'a pu se dégager; mais le temps a déjà commencé à séparer (1) Voyez mon article dans la Revue des Deux-Mondes, t. IX. 1875. INDÉTERMINISME. 59 l'erreur de la vérité, et, comme les hommes ne sont grands que par les services rendus, Bichat n'en vivra pas moins dans la postérité par les vérités qu'il a intro- duites dans les sciences de la vie. Il y a une trentaine d'années, l'École médicale de Paris était encore imbue de ces erreurs de doctrine. Je me souviens d'avoir été pris à partie à la Société philo- mathique, au début de ma carrière, par le professeur Gerdy, qui, invoquant son expérience chirurgicale, exprima son opinion dans les termes les plus catégo- riques. « Dire en physiologie (pie les phénomènes vitaux » sont constamment identiques dans des conditions » identiques, c'est énoncer une erreur, s'écria Gerdy; » cela n'est vrai que pour les corps bruts. » Les progrès de la science physiologique moderne et la pénétration de plus en plus profonde des sciences physico-chimiques dans sa culture ont à peu près dissipé aujourd'hui, il faut le dire, la plupart de ces idées erro- nées, et on ne peut contester que la physiologie actuelle marche dans une voie qui établit de plus en plus le déterminisme rigoureux des phénomènes de la vie. Il n'y a pour ainsi dire plus de divergence entre les physio- logistes h ce sujet. Mais il n'en est pas de môme pour les philosophes; ils repoussent encore le déterminisme physiologique, et pensent que certains phénomènes de la vielui échappent nécessairement : par exemple, les phénomènes moraux. Us craignent que la liberté morale puisse être compro- mise si l'on admet le déterminisme physiologique absolu. Récemment même un mathématicien, voyant les pro- 60 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. grès de cette doctrine, a cherché à établir une con- ciliation entre le déterminisme scientifique et la liberté morale (1). Le malentendu entre les philosophes et les physio- logistes vient sans doute de ce que le mot déterminisme est pris par eux dans le sens de fatalisme, c'est-à-dire dans le sens du déterminisme philosophique de Leibnitz. Les philosophes dont nous parlons ne refusent pas d'admettre que les phénomènes inférieurs de l'animalité pourraient être soumis au déterminisme; que le mou- vement et le jeu des organes seraient réglés par lui ; mais ils exceptent de cette obligation les phénomènes supé- rieurs, les phénomènes psychiques. De sorte qu'il fau- drait distinguer dans l'homme les phénomènes de la vie soumis au déterminisme de ceux qui ne le sont pas. Pour nous, le déterminisme physiologique ne peut subir de restriction : tous les phénomènes qui survien- nent dans les êtres vivants et dans l'homme, phéno- mènes supérieurs ou inférieurs, sont soumis à cette loi. « Toute manifestation de l'être vivant, disons-nous, est » un phénomène physiologique et se trouve lié à des » conditions physico-chimiques déterminées, qui le per- » mettent quand elles sont réalisées, qui l'empêchent » quand elles font défaut. » C'est là le déterminisme absolu : il exprime que le monde psychique ne se passe point du monde physico- chimique; et c'est là un fait d'expérience toujours véri- fié. Les phénomènes de L'âme, pour se manifester, ont (1) Boussinesq, Compt. rend, de l'Académie. — Revue scientifique, t. XIX, p. 986, 1877. DÉTERMINISME. 61 besoin de conditions matérielles exactement détermi- nées; c'est pour cela qu'ils apparaissent toujours de la même façon suivant des lois, et non arbitrairement ou capricieusement, au hasard d'une spontanéité sans règles. Personne ne contestera qu'il y ait un déterminisme de la non-liberté morale. Certaines altérations de l'or- gane cérébral amènent la folie, font disparaître la li- berté morale comme l'intelligence et obscurcissent la conscience chez l'aliéné. Puisqu'il y a un déterminisme de la non-liberté mo- rale, il y a nécessairement un déterminisme de la liberté morale, c'est-à-dire un ensemble de conditions anato- miques et physico-chimiques qui lui permettent d'exister. Nous affirmons ce fait et nous disons : bien loin que les manifestations de l'âme échappent au déterminisme physico-chimique, elles s'y trouvent assujetties étroite- ment et ne s'en écartent jamais, quelle que soit l'appa- rence contraire. Le déterminisme, en un mot, loin d'être la négation de la liberté morale en est au contraire la condition nécessaire comme de toutes autres manifes- tations vitales (1). Que serait le monde s'il n'en était pas ainsi ! Les relations de ce que l'on appelle le physique avec le moral (1) La liberté ne saurait être l'indéterminisme. Dans la doctrine du déter- minisme physiologique l'homme est forcément libre : voilà ce que l'on peut prévoir. Je ne veux pas traiter ici la que>tion philosophique. Il me suffira de dire, au point de vue physiologique, que le phénomène de la liberté morale doit être assimilé à tous les autres phénomènes de l'organisme vi- vant. — Si toutes les conditions anatomiques et physico- chimiques nor- males existent dans le bras, par exemple, et dans les organes nerveux cor- respondants, vous pouvez prédire que vous ferez mouvoir le membre et que 62 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. ne seraient plus soumises à l'empire de lois précises, mais seraient dans un état de tiraillement anarchique, ou de caprice, dans un état contraire à l'harmonie de la nature, sans vérité et sans grandeur. Le déterminisme n'est donc que l'affirmation de la loi, partout, toujours, et jusque dans les relations du physique avec le moral : c'est l'affirmation que, suivant le mot connu de l'antiquité : « Tout est fait avec ordre, poids et mesure. » Lu loi An déterminisme physiologique ne saurait gôner la liberté morale, tandis que tout au contraire, le fata- lisme c'est-à-dire le déterminisme philosophique, la conteste et la nie. En résumé, nous réclamerons l'universalité du prin- cipe du déterminisme physiologique dans l'organisme vivant, et nous exprimerons notre pensée en disant : 1° H y a des conditions matérielles déterminées qui règlent l'apparition des phénomènes de la vie; 2Q II y a des lois préétablies qui en règlent Tordre et la forme. Conclusion. — Le but que nous nous sommes pro- vous le ferez mouvoir librement dans tous les sens suivant votre volonté. Seulement, le sens dans lequel vous le ferez mouvoir existe dans un futur contingent que vous ne pouvez prévoir, niais dans lequel vous êtes libre de vous déterminer plus lard, suivant les circonstances. De même, L'intégrité analomique et physico-chimique présumée de l'organe cérébral vous fait prédire que ses fonctions s'exerceront pleinement et que vous serez libre d'agir volontairement; niais vous ne pouvez pas prévoir le sens dans lequel votre volonté s'exercera, parce que ce sens est, je le répète, donné par la contingence des événements que \ous ignorez ou que vous ne pouvez pré- voir,, C'est pourquoi vous restez libre d'agir ou de choisir suivait les prin- cipes de morale ou autres qui vous animent. DÉTERMINISME. 63 posé en développant les considérations contenues dans les trois parties de cette leçon a été d'éliminer de la physiologie certains problèmes qu'on y a mêlés à tort, diverses questions qui lui sont étrangères, et par là d'eu fixer l'étendue et le but. Dans la première partie, nous avons montré qu'en physiologie il faut renoncer à l'illusion d'une définition de la vie. Nous ne pouvons qu'en caractériser les phé- nomènes. Il en est d'ailleurs ainsi dans toute science. Les défini- tions sont illusoires; les conditions des choses sont tout ce que nous en pouvons connaître. Dans aucun ordre de science nous n'allons au delà de cette limite, et c'est une pure illusion d'imaginer qu'on la dépasse et qu'on puisse saisir l'essence de quelque phénomène que ce soit. Dans la seconde partie, nous avons montré que les hypothèses matérialistes ou spiritualistes se ratta- chent a la recherche de causes premières que la science ne saurait atteindre. En rejetant la recherche des causes premières, nous avons repoussé par cela même l'hypothèse matérialiste et l'hypothèse spiritualiste du champ de la physiologie. Dans la troisième partie, nous avons admis le déter- minisme comme un principe nécessaire de la phy- siologie. Le déterminisme fait connaître les conditions par lesquelles nous pouvons atteindre les phénomènes, les supprimer, les produire ou les modifier. Ce principe suffit à L'ambition de la science, car au fond il révèle (es rapports entre les phénomènes et leurs conditions^ 64 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. c'est-à-dire la seule et la vraie causalité immédiate réelle et accessible. Nous avons ainsi écarté l'objection qu'on oppose aux physiologistes de ne pas savoir ce que c'est que la vie. On n'est pas plus avancé ailleurs. La vie n'est ni plus ni moins obscure que toutes les autres causes premières. En disant qu'on ne doit rechercher que les conditions de la vie, nous circonscrivons le champ de la science physiologique, nous fixons le but que nous lui assignons de conquérir et de maîtriser la nature vivante. Enfin en caractérisant la vie et la mort par les deux grands types de phénomènes de création organique et de destruction organique, nous embrassons l'ensemble des conditions de l'existence de tous les êtres vivants et nous traçons le programme des études qui feront l'objet des leçons qui vont suivre. DEUXIÈME LEÇON Les trois formes de la vie. Sommaire : La vie ne saurait s'expliquer par un principe intérieur d'action; elle est le résultat d'un confiit entre l'organisme et les conditions physico- chimiques ambiantes. Ce conflit n'est point une lutte, mais une harmonie. — La vie se présente à nous sous trois aspects qui prouvent la nécessité des conditions physico-chimiques pour la manifestation de la vie. — Ces trois états de la vie sont : 1° la vie à l'état de non-manifestation ou latente ; 2° la vie à l'état de manifestation variable et dépendante; 3° la vie à l'état de manifestation libre et indépendante. I. Vie Intente. — Organisme tombé à l'état d'indifférence chimique. — Exemples pris dans le règne végétal et dans le règne animal. — La vie la- tente est une vie arrêtée et non diminuée. — Conditions du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Conditions extrinsèques : eau, air l'oxygène), chaleur; intrinsèques : réserves de matériaux nutritifs. — Expériences sur l'influence de l'air (oxygène). — ■ Expériences sur l'influence de la chaleur. — Expériences sur l'influence de l'eau. — ■ Phénomènes de vie latente dans les animaux : infusoires, kérones, kolpodes, tnrdigrades, anguillules du blé niellé. — L'assimilation de la graine et de l'œuf n'est pas exacte au point de vue de la vie latente. — Existences des êtres ù l'état de vie latente : levure de bière, anguillules, tardigrades, etc. — Explication du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Expériences de M. Chevreul sur la dessiccation des tissus. — Mécanisme du passage à la vie latente. — Mécanisme du retour à la vie manifestée. — Succession nécessaire des phénomènes de destruction et de création organique. II. Vie oscillante. — Appartient à tous les végétaux et à un grand nombre d'animaux. — L'œuf offre la vie engourdie. — Mécanisme de l'engour- dissement vital. — Influence du milieu extérieur sur le milieu intérieur. — Diminution des phénomènes chimiques pendant la vie engourdie. — ■ Mécanisme de l'oscillation vitale dans l'engourdissement. — Nécessité de réserves pour la vie engourdie. — Mécanisme de l'oscillation vitale. — La cessation de la vie engourdie. — Influence de la chaleur; elle peut amener l'engourdissement comme le froid. — Résistance des êtres en- gourdis. — Les animaux réveillés pendant l'engourdissement usent rapi- dement leurs réserves et meurent. — Phénomènes de création et de CL. BERNARD. 5 66 LES TROIS FORMIiS DE LA VIL\ destruction pendant l'engourdissement. — L'engourdissement passager n'exige pas des réserves comme l'engourdissement prolongé. III. Vie constante ou libre. — Elle dépend d'un perfectionnement orga- nique. — Notre distinction du milieu intérieur et du milieu extérieur. — Indépendance des deux milieux chez les animaux à vie constante. — Le perfectionnement de l'organisme chez les animaux à vie constante con- siste à maintenir dans le milieu intérieur les conditions intrinsèques ou extrinsèques nécessaires à la vie des éléments. — Eau. — Chaleur ani- male. — Respiration. — Oxygène. — Réserves pour la nutrition. — C'est le système nerveux qui est l'agent de cette équilibration de toutes les conditions du milieu intérieur. — Conclusion relative à l'interprétation des trois formes de la vie. — On ne peut pas trouver une force, un principe vital indépendant. — Il n'y a là qu'un conflit vital dont nous devons chercher à connaître les conditions. La vie, avons-nous dit, ne saurait s'expliquer, comme on l'avait cru, par l'existenced'un principe intérieur d'ac- tion s'exerçant indépendamment des forces physico- chimiques et surtout contrairement à elles. — La vie est un conflit. Ses manifestations résultent de l'inter- vention de deux facteurs : 1° Les lois préétablies qui règlent les phénomènes dans leur succession, leur concert, leur harmonie; 2° Les conditions. physico-chimiques déterminées qui sont nécessaires à l'apparition des phénomènes. Sur les lois, nous n'avons aucune action, elles sont le résultat de ce que l'on peut appeler Y état antérieur; elles dérivent par atavisme des organismes que l'être vivant continue et répète, et l'on peut ainsi les faire remonter jusqu'à l'origine même des êtres vivants. C'est pourquoi certains philosophes et physiologistes ont cru pouvoir dire que la vie n'est qu'un souvenir; moi-même j'ai écrit que le germe semble garder la mémoire de l'organisme dont il procède. LES TROIS FORMES DE LA VIE., 67 Les conditions seules des manifestations vitales nous sont accessibles. La connaissance des conditions exté- rieures qui déterminent l'apparition des phénomènes vitaux suffisent, ainsi que nous l'avons déjà dit, au but de la science physiologique, puisqu'elle nous donne les moyens d'agir et de maîtriser ces phénomènes. Pour nous, en un mot, la vie résulte d'un conflit, d'une relation étroite et harmonique entre les condi- tions extérieures et la constitution préétablie de l'orga- nisme. Ce n'est point par une lutte contre les conditions cosmiques que l'organisme se développe et se maintient; c'est, tout au contraire, par une adaptation, un accord avec celles-ci. Ainsi, l'être vivant ne constitue pas une exception à la grande harmonie naturelle qui fait que les choses s'adaptent les unes aux autres; il ne rompt aucun accord; il n'est ni en contradiction ni en lutte avec les forces cosmiques générales; bien loin de là, il fait partie du concert universel des choses, et la vie de l'animal, par exemple, n'est qu'un fragment de la vie totale de l'univers. Le mode des relations entre l'être vivant et les con- ditions cosmiques ambiantes nous permet de considérer trois formes de la vie, suivant qu'elle est dans une dé- pendance tout à fait étroite des conditions extérieures, dans une dépendance moindre, ou dans une indépen- dance relative. Ces trois formes de la vie sont : 1° La vie latente; vie non manifestée. 2° La vie oscillante; vie à manifestations variables et dépendantes du milieu extérieur. 68 LES TROIS FORMES DE LA VIE. 3° La vie constante; vie à manifestations libres et indépendantes du milieu extérieur. I. Vie latente. — La vie latente, suivant nous, est offerte par les êtres dont l'organisme est tombé dans l'état d'indifférence chimique. Tiedemann, ainsi que nous l'avons vu précédemment, croyait que la vie dérivait d'un principe intérieur d'ac- tion qui empêchait l'être de tomber jamais dans l'état d'indifférence chimique ; de sorte que le cours de ses manifestations vitales ne pouvait jamais être arrêté ou interrompu. L'observation et l'expérience ne permettent pas d'adopter cette proposition. Nous voyons des êtres qui ne vivent en quelque sorte que virtuellement, sans manifes- ter aucun caractère de la vie. Ces êtres se rencontrent à la fois dans le règne animal et dans le règne végétal. La vie active ou manifestée, quelque atténuée qu'elle puisse être, est caractérisée par les relations entre l'être vivant et le milieu; relations d'échange telles, que l'être emprunte et restitue à chaque instant des matériaux liquides ou gazeux au milieu cosmique. Ce qui carac- térise l'état d'indifférence chimique, c'est la sup- pression de cet échange, la rupture des relations entre l'être et le milieu, qui restent en face l'un de l'autre, inal- térables et inaltérés. C'est ainsi qu'un morceau de mar- bre, par exemple, dans les conditions ordinaires, reste sans changements appréciables dans l'atmosphère : il n'en reçoit nulle action, il n'en exerce aucune sur elle qui soit capable d'en modifier la constitution chimique. VIE LATENTE. 69 Est-il possible que les êtres vivants tombent à ce degré d'indifférence chimique absolue? Quelques phy- siologistes ont répugné à le croire, mais il est des cas où l'expérience nous oblige à l'admettre. Dans le règne végétal, les graines, et dans le règne animal, certains animaux reviviscents, anguillules, tardi grades, rotifères, nous montrent cet état d'indifférence chimico-vitale. Nous connaissons déjà dans les animaux et les végétaux un assez grand nombre de cas de vie latente, mais outre ces exemples caractéristiques, on peut dire sans craindre de se tromper que la vie latente est répandue à pro- fusion dans la nature et qu'elle nous expliquera dans l'avenir un très-grand nombre de faits réputés mysté- rieux aujourd'hui. Les graines nous présentent les phénomènes de la vie latente. Si toutes ne se comportent pas d'une manière identique, ou peut comprendre pourquoi et par quelles conditions la vie latente se soutient moins facilement chez les unes que chez les autres. C'est en conséquence de l'altérabilité plus ou moins grande de leurs maté- riaux constituants par les agents atmosphériques. On peut dire que la vie de la graine à l'état latent est purement virtuelle : elle existe prête à se manifester, si on lui fournit les conditions extérieures convenables ; mais elle ne se manifeste aucunement si ces conditions font défaut. La graine a en elle, dans son organisation, tout ce qu'il faut pour vivre ; mais elle ne vit pas, parce qu'il lui manque les conditions physico-chimiques nécessaires. On aurait tort de penser que la graine dans ce cas 70 LES TROIS FORMES DE LA VIE. présente une vie tellement atténuée que ses manifesta- tions échappent à l'observation par le degré même de leur affaiblissement. Cela n'est vrai, ni en principe, ni en fait. En principe, nous savons que la vie résulte du con- cours de deux facteurs, les uns extrinsèques, empruntés au monde cosmique; les autres intrinsèques, tirés de l'organisation. C'est une collaboration impossible à disjoindre et nous devons comprendre qu'en l'absence d'un des facteurs, l'être ne saurait vivre. Il ne vit pas davantage lorsque les conditions de milieu n'existent pas que lorsqu'elles existent seules. La chaleur, l'humi- dité et l'air ne sont pas la vie : l'organisation seule ne la constitue pas davantage. En fait, nous voyons des graines qui sont conservées depuis des années et des siècles, et qui, après cette lon- gue inaction, peuvent germer et produire une végéta- tion nouvelle. Ces graines sont restées, pendant toute cette période si longue, aussi inertes que si elles eussent été définitivement mortes. Si atténuées que fussent les manifestations vitales, l'accumulation et la prolongation des échanges les multiplieraient en quelque sorte, et les rendraient sensibles. Cette vie réduite devrait s'user; or, dans les conditions convenables, elle ne s'use pas. Ainsi, la graine possède en elle, dans son organisa- lion intime, tout ce qu'il faut pour vivre; mais pour l'y déterminer il faut de plus un concours de circonstances extérieures. Ces circonstances sont au nombre de quatre. Trois conditions extrinsèques : L'air (oxygène). CONDITIONS DE LA VIE LATENTE. 71 La chaleur. L'humidité. Une condition intrinsèque : La réserve nutritive de la graine elle-même. Cette réserve est constituée par les matériaux chi- miques qui entrent dans la constitution de la graine et qui en font comme un réservoir de matière alimentaire que les manifestations vitales dépenseront plus tard. Mais ce n'est pas tout. Il faut encore que ces condi- tions existent à un degré, à une dose déterminée; alors la vie brillera de tout son éclat : en dehors de ces limites la vie tend à disparaître, et à mesure qu'on s'ap- proche de ces limites, l'éclat des manifestations vitales pâlit et s'atténue. A. Expériences sur la vie latente des graines. — Nous vous rendrons témoins d'expériences bien connues, mais qui ont ici un intérêt particulier; leur objet est de dé- montrer que l'on ne saurait admettre dans les êtres vivants un principe vital libre puisque toutes les mani- festations vitales sont étroitement liées aux conditions physico-chimiques dont rénumération suit : 1° Eau. — Nous avons placé dans de la terre sèche des graines également desséchées qui sont à une tem- pérature et dans une atmosphère convenables pour la végétation. Il ne leur manque qu'une seule condition, l'humidité ; dès lors elles sont inertes. Les blés conservés dans des tombeaux des Égyptiens, appelés blés de momie, seraient, dit-on, dans ce même cas. Si on leur fournit l'humidité qui leur manque, bientôt la germination se >Z LES TROIS FORMES DE LA VIE. produit. J'ai consulté à cet égard mon savant collègue M. Decaisne, professeur de culture au Muséum. Il m'a déclaré qu'il considère comme faux tous les exemples de germinations des graines trouvées dans les Hypogées, parce que le plus ordinairement (comme j'ai pu m'en convaincre sur un échantillon) ces graines sont impré- gnées de bitume ou carbonisées. La germination des espèces provenant des habitations lacustres serait également très-incertaine. Cependant, si l'on doit écarter de la science ces faits mal observés, on a constaté expérimentalement que des graines ont pu germer après plus d'un siècle. Parmi ces graines, il faudrait citer celles du haricot, du tabac, du pavot, etc. Il faut en outre que l'humidité n'empêche pas l'accès de l'air. Les graines submergées ne germent pas, soit parce que l'oxygène dissous est bientôt consommé par la graine, soit parce qu'il n'agit pas à l'état convenable, c'est-à-dire libre. Toutefois la submersion ne détruit pas la faculté germinative; il y a même, d'après M. Marti ns, des graines qui peuvent traverser les mers et aller germer d'un continent à l'autre. L'appareil simple dont nous nous servons pour faire germer les plantes consiste en une éprouvette (fig. 1), dans laquelle nous suspendons avec un fil des éponges humides auxquelles sont adhérentes les graines que l'on veut faire germer. Nous plaçons au fond de l'éprouvette un peu d'eau en b pour que l'éponge ne se dessèche pas; puis on bouche ou non les tubes <:/, d' suivant les circonstances dans lesquelles on veut se placer, soit que VIE LATENTE DES GRAINES. 73 Ton veuille confiner l'atmosphère de l'éprouvette ou y faire circuler un courant d'air . 2° Oxygène. — Voici des éprouvettes dans lesquelles des graines ont été disposées, sur des éponges, à l'humi- dité et à la chaleur convenables, mais dans une atmo- sphère impropre au développement. Dans l'une il y a une atmosphère d'azote; dans l'autre une atmosphère d'acide carbonique. Pic. !. — Dans cotte éprouvette E, nous avons introduit par l'ouverture supérieure deux éponges humidesfl et a' qui sont appendues à desûls fixés par le bouchon en caoutchouc c. L'éponge « porte des graines de cresson alé- nois que l'on vient d'introduire dans l'appa- reil ; l'éponge a' porte des graines de cresson alénois au 4" ou 5' jour de germination. Deux bouchons en caoutchouc c, c' sont traversés par deux tubes d, d' qui font communiquer l'atmosphère intérieure de l'appareil avec l'alinosphère extérieure. Cela permet de faire passer des gaz différents dans l'appareil, si l'on veut, ou bien d'extraire les gaz qu'il renferme pour les analyser. Dans le fond de l'éprouvette, il y a une couche d'eau b pour /jue l'atmosphère intérieure reste toujours saturée d'humidité. Nous avons choisi pour ces expériences des graines de cresson alénois, qui ont l'avantage de germer très- vite. Sur une éponge humide, dans une éprouvette fermée et remplie d'azote, nous avons vu les graines se gonfler; elles se sont entourées d'une sorte de couche mucilagineuse; la température ambiante, de 21 à 25 degrés, était très-favorable à la germination, et cepen- 74 LES TROIS FORMES DE LA VIE. dant il n'y a pas eu germination depuis deux ou trois jours que l'expérience est commencée. Dans une autre éprouvette nous avons placé de même des graines de cresson alénois sur une éponge humide dans une atmosphère d'acide carbonique, et la germination n'a pas eu lieu non plus. Enfin, dans une troisième éprouvette nous avons mis semblableinent des graines de cresson alénois dans une atmosphère humide avec de l'air ordinaire, et la germi- nation est déjà très-évidente après un jour. Toutefois les graines qui n'ont point encore germé dans l'atmosphère d'azote et d'acide carbonique ne sont point mortes; la germination n'a été que suspendue, car si nous faisons disparaître ces gaz en leur substituant l'air ordinaire ou l'oxygène, la végétation reprendra bientôt. Ces expériences démontrent que pour manifester la vitalité, la graine a besoin de toutes les conditions que nous avons énumérées précédemment ; si l'une d'elles seulement vient à manquer, l'eau ou l'oxygène, par exemple, la germination n'a pas lieu. Mais cet air lui-même doit être au degré convenable de richesse en oxygène. S'il en a trop peu, la germina- tion ne se manifestera pas; de même, s'il en contient trop, soit que l'atmosphère possède une composition centésimale trop riche en oxygène, soit qu'avec sa com- position ordinaire cet air soit comprimé. Alors, dans un volume donné, la proportion du gaz vital devient trop élevée, ainsi que l'ont démontré les recherches de M. Bert. VIE LATENTE DES GRAINES. 75 Nous avons observé en outre un fait important sur lequel nous aurons à revenir plus tard. Les graines de cresson alénois, par exemple, ne peuvent germer que dans un air relativement riche en oxygène ; en mélan- geant un volume d'air avec deux volumes d'un gaz inerte, de l 'hydrogène, par exemple, la germination n'a pas lieu. Chose singulière, tout l'oxygène est absorbé. Tl paraît probable que si alors on ajoutait une nouvelle dose d'oxygène à celle qui a été insuffisante d'abord pour opérer la germination, elle serait suffisante la seconde fois. La respiration de la graine est donc très- active et elle paraît, jusqu'à un certain point, plus in- tense relativement que celle des animaux. Cette nécessité d'un air assez riche en oxygène pour opérer la germination nous explique comment il se fait que des graines longtemps enfouies dans la terre y restent à l'état de vie latente et viennent à germer quand on les remet à la surface du sol. On a vu souvent, à la suite de profonds terrassements, apparaître une végé- tation nouvelle qui ne pouvait s'expliquer que de cette façon. Je tiens d'un ingénieur que dans certains terras- sements exécutés lors de la création du chemin de fer du Nord, on a vu apparaître sur les talus une riche vé- gétation de moutarde blanche qu'on n'avait pas obser- vée auparavant. Il est probable que les mouvements de terrain avaient remis à l'air des graines de moutarde blanche enfouies dans le sol et restées à l'état de vie latente, à une profondeur qui ne permettait pas à la végétation d'avoir lieu à cause du manque d'oxygène. 3° Chaleur. — La température doit être contenue 76 LES TROIS FORMES DE LA VIE. dans des limites déterminées, mais ees limites sont va- riables pour les diverses espèces de graines. M. de Can- dolle a publié à ce sujet, dans la Bibliothèque universelle et Revue suisse (nov. 1865, août et septembre 4875), des recherches très-intéressantes. Le fait qui nous inté- resse ici, c'est de démontrer que pour la môme espèce de graines la germination peut être ralentie ou suspen- due, non-seulement par une température trop basse, mais aussi par une température trop élevée. Avec les graines du cresson alénois qui ont servi à nos expérien- ces, la température qui semble la plus convenable pour une rapide germination est comprise entre 19 et 29 de- grés; au delà, le développement paraît difficile. lre expérience. — Dans des éprouvettes disposées comme il a été dit (voy. fig. 1) nous avons placé, ces jours derniers, des graines de cresson à la température ambiante du mois de juin, oscillant de 18 à 25 degrés. Dès le lendemain, au bout de vingt-quatre heures, la ger- mination était très-évidente, les radicelles étaient toutes poussées et les folioles commençaient à se dégager. 2e expérience. — Dans quatre éprouvettes disposées comme précédemment nous avons introduit des graines de cresson alénois sur des éponges humides. Nous avons modifié l'expérience en ce que dans les quatre éprou- vettes nous avions une atmosphère confinée. Au lieu de laisser les tubes d, d ouverts, nous les avons fermés en adaptant à chacun d'eux un tube de caoutchouc que nous avons comprimé avec une serre-fine. Deux de ces éprouvettes ont été laissées à l'air ambiant du laboratoire (17 à 21 degrés). Les deux autres éprou- VIE LATENTE DES GRAINES. // vetles ont été plongées dans un bain d'eau chauffée entre 38 et 39 degrés. Dès le lendemain les graines avaient germé dans les deux éprouvettes laissées dans le labo- ratoire, tandis qu'aucun développement n'avait lieu dans les éprouvettes plongées dans le bain d'eau. Le troisième jour la germination était complète dans les éprouvettes du laboratoire, et celles plongées dans le bain d'eau étaient comme le premier jour, sans aucun indice de germina- tion. Alors, je retirai du bain d'eau une des deux éprou- vettes et je la plaçai sur la table à côté de celle dont les graines étaient en pleine végétation. Le lendemain on n'apercevait pas nettement des indices de germination, mais le deuxième et le troisième jour la germination se manifesta et marcha ensuite activement. Quant à l'autre éprouvette restée dans le bain de 38 à 39 degrés, le septième jour elle n'offrait encore aucune trace de ger- mination; les graines étaient altérées, entourées de moi- sissures. On retira cette éprouvette du bain et on la plaça sur la table à coté des autres. La germination se mani- festa, mais très-lentement, elle ne commença à être évidente que le troisième ou le quatrième jour. Dans d'autres expériences où j'ai laissé les éprouvettes plus de huit jours à la température de 38 à 39 degrés, la ger- mination n'a plus eu lieu. De sorte que j'ai lieu de croire que dans les conditions indiquées ce point marque la limite supérieure de la germination. 3e expérience. — J'ai placé d'autres éprouvettes conte- nant des graines de cresson alénois dans une étuve sèche a 32 degrés ; elles ont germé très-bien quoique peut- être un peu lentement. Puis j'ai élevé l'étuve à 3 4°, 5; 78 LES TROIS FORMES DE LA VIE. alors il arriva un arrêt de la germination. Quelquefois cependant deux ou trois graines poussaient bien, mais le plus souvent aucune ne germait. J'ai laissé ainsi pendant six à sept jours des graines dansletuve sans résultat. On les en retira, le lendemain même la germination mar- chait avec activité. En résumé, on voit que de 35 à 40 degrés la germi- nation du cresson alénois est ralentie ou suspendue mais non pas détruite sans retour. 11 y a donc une sorte d'anes- thésie ou plutôt d'engourdissement produit par une tem- pérature trop élevée comme par une température trop basse. Ainsi la manifestation des phénomènes vitaux exige non-seulement le concours de la chaleur, mais d'un degré de chaleur fixé pour chaque être. Je rapprocherai de ces expériences un autre fait sin- gulier que j'ai observé depuis longtemps, à savoir qu'on anesthésie les grenouilles à cette même température de 38 degrés, qui est cependant la température de la vie normale des mammifères. Nous devons faire ici une remarque : la graine ne saurait être comparée physiologiquement à l'œuf, ainsi qu'on le fait trop souvent. Nous verrons plus loin que l'œuf ne tombe jamais en état de vie latente. La graine n'est pas l'ovule, le germe de la plante; elle en est l'em- bryon. La partie essentielle de la graine est en effet la miniature du végétal complet : on y trouve le rudiment de la racine ou radicule, le rudiment de la tige ou tigelle, du bourgeon terminal ou gemmule, des premières feuilles ou cotylédons. C'est donc X embryon qui reste en état de vie latente VIF. LATENTE DES PLANTES. 79 tant que les conditions extérieures ne se prêtent pas à son développement. D'où il résulte que ce que nous avons dit précédemment de la vie latente ne s'applique pas à l'œuf du végétal, mais bien au végétal lui-môme. L'eau et la chaleur sont pour l'embryon végétal des conditions indispensables du retour de la vie latente à la vie manifestée. La suppression deces conditions fait cons- tamment disparaître la vie, leur retour la fait reparaître. Une curieuse expérience de Th. de Saussure montre que, lors même que l'embryon a commencé son évolution germinatrice, il peut encore s'arrêter et retomber en indifférence chimique. On prend du blé germé, on le dessèche : à cet état, on peut le conserver pendant très-longtemps, absolument inerte, comme on conservait la graine d'où cet embryon est sorti. L'air renfermé dans le vase qui contient l'embryon desséché n'éprouve plus de modifications et témoigne par là que l'échange est nul entre l'être rudimentaire et le milieu. En lui ren- dant l'humidité et la chaleur, c'est-à-dire les conditions propices, la vie reparaît. On peut renouveler ces alter- natives un assez grand nombre de fois, et le résultat se produira toujours de même. La faculté de vie latente ne disparaîtra que lorsque le développement sera assez avancé pour que la matière verte se montre dans les premières feuilles. Ces phénomènes de vie latente expliquent quelques circonstances naturelles très-remarquables et qui avaient vivement frappé l'imagination de ceux qui les obser- vaient pour la première fois. 80 LES TROIS FORMES DE LA VIE. Un grand nombre de graines véritables ou de spores (graines simples des acotylédonées) sont enfouies dans le sol ou disséminées à la surface à l'état d'inertie. Tout à coup, à la suite d'une pluie abondante, ou d'un rema- niement de terrain, elles entrent en germination et le sol se couvre d'une végétation inattendue et comme spontanée. De même, on voit dans les allées des jardins, à la suite d'une pluie d'orage, des plaques vertes formées par le développement d'une espèce d'algues, le nos- toch . Toutes ces végétations ne sont pas apparues subite- ment et spontanément : les germes existaient dans la profondeur du sol, ou à l'état de dessiccation dans la poussière qui le recouvrait, et ils ne se sont manifestés en se développant que lorsqu'ils ont trouvé les conditions d'aération, d'humidité et de chaleur qui sont les trois facteurs essentiels des manifestations vitales. B. Vie latente chez les animaux. — Les organismes animaux offrent aussi beaucoup d'exemplesdevielatente. \]n grand nombre d'êtres sont susceptibles de tomber, par la dessiccation, en état d'indifférence chimique. Tels sont beaucoup d'infusoires, les kolpodes, entre autres, bien étudiés par MM. Coste, Balbiani et Gerbe. (Compt. rend, de ï Acad. des se, t. LIX, p. 14.) Mais les plus célèbres de ces animaux sont les rotifères, les tardigrades et les anguillules de blé niellé. Les Kolpodes sont des infusoires ciliés d'une assez grande taille, ayant la forme d'un haricot, armés de cils vibratiles sur toute leur surface (voy. fig. 2 e). On les voit VIE LATENTE DES KOLPODES. 81 sous le microscope introduire par une bouche placée clans l'échanerure de leur corps les monades, les bacté- ries, les vibrions dans leur estomac, et expulser par une ouverture anale placée à la grosse extrémité du corps, le résidu de la digestion. Près de cette ouverture anale se trouve une vésicule contractile prise pour le cœur par certains micrographes et qui paraît être l'organe propulseur d'un appareil aquifère. Au centre du corps du kolpode apparaît un assez volumineux organe de reproduction. ./ Fig. -2. — Bnkystemenl des kolpodcs. a, b, c, kolpode se divisant dans l'intérieur de leurs kystes en deux, quatre et plus {grand nombre de kolpodes nouveaux. — rf, kolpode sortant de son kyste. — e, kolpode libre. — f, f, kolpode enkysté. Quand à la surface des infusions, il se forme une pelli- cule où se développent des monades, des vibrions, des bactéries, on voit les kolpodes répandus dans le récipient se diriger vers cette pellicule pour y assouvir leur faim sur les animalcules qui la composent ou bien pour s'v mettre en contact avec l'air. Puis, parmi ces kolpodes, on en voit qui s'arrêtent tout à coup, se mettent à tour- ner sur place, se courbent en boule, et continuent cette gi ration jusqu'à ce qu'une sécrétion de leur corps se soif coagulée autour d'eux en une membrane envelop- CL. BERSARD. 6 89 LES TROIS FORMES DE LA VIE. pante : ils s'enkystent, en un mot, et alors ils deviennent complètement immobiles dans leur enveloppe comme un insecte dans son cocon. Les plus petits à cette période de leur existence ont une grande ressemblance avec un ovule ; c'est ce qui a pu faire croire à un œuf spon- tané. Bientôt les kolpodes enkystés et immobiles se séparent en deux, en quatre, et quelquefois en douze kolpodes plus petits (voy. flg. 2), qui une fois séparés et distincts entrent en giration chacun pour leur compte sous leur commune enveloppe. Les mouvements auxquels ils se livrent finissent par user le kyste en un point quelconque et dès qu'une fissure y est pratiquée, on les voit sortir de leur prison et se mêler à la population dont ils ac- croissent le nombre. Ce sont les kystes de multiplication par opposition à un autre enkystement qui se ratta- chera à la conservation de l'individu. Telle est l'explica- tion du peuplement des infusions. Quand dans les infusions les kolpodes ont épuisé leur pouvoir reproducteur et que l'évaporation menace de tarir leur récipient, ils s'enkystent pour se mettre à l'a- bri des causes de destruction. On peut alors les faire sécher sur des lames de verre et les conserver indéfini- ment en cet état ; ils reviennent à la vie dès qu'on leur rend l'humidité. M. Balbiani conserve de la sorte depuis sept ans des individus qu'il rend à la vie active et qu'il dessèche chaque année. Ces kystes de kolpodes, graines animales impalpables s'attachent comme la poussière à la surface des corps, sur les feuilles, les branches, les écorces des arbres, sur VIE LATENTE DES ROTIFÈRES. 83 les herbes au tond des mares taries, dans le sable ou la vase desséchée. Leur petitesse leur permet de passer à travers les fil 1res et l'on ne peut s'en débarrasser. Ils rompent leur enveloppe toutes les fois que les pluies ou la rosée leur rendent l'humidité, prennent la nourriture qui se trouve à leur portée et forment un nouveau cocon dès que l'eau vient à leur manquer. Ils passent donc tour à tour dans un état de mort apparente et de résurrection sous l'influence d'une condition physique qui existe ou fait défaut. Les rotifères ou rotateurs (fi g. 3 et 4) sont des animaux d'organisation déjà élevée, classés soit parmi les vers 4--A Fie. o. — Rotifère des toits i< l'état de vie active. 1, organes ciliés. — 2, tube respiratoire. — 3, appareil masticateur. — i, intestin. — 5, vésicule contractile. — 6, ovaire. — 7, canal d'excrétion. (Gegenbaur), soit comme groupe à part entre les crus- tacés et les vers (Van Beneden). Ces animaux ont de 0,nm,05 à 1 millimètre : ils sont 84 LES TROIS FORMES DE LA VIE. donc loin d'être microscopiques. On les trouve dans les mousses et surtout dans celles (Bryum) qui forment des touffes vertes sur les toitures. Leur organisation nous montre des appareils très- variés : ils possèdent des organes viscéraux et locomoteurs assez compliqués (voy. tig. 3). Ils peuvent ramper ou nager et, suivant qu'ils ont recours à l'un ou l'autre mode de locomotion, l'aspect sous lequel ils se présentent change. Dans l'état le plus ordinaire, leur corps est fusiforme, aminci à la partie antérieure et terminé par une sorte de ven- touse ciliée au moyen de laquelle ils se fixent aux corps solides pour progresser par reptation comme les sangsues. Ce prolongement d'autres fois est rétracté vers l'intérieur et alors on voit saillir deux lobes arron- dis en forme de disques bordés de cils. A l'état de vie latente ils sont immobiles et ramassés en boules comme on le voit dans la figure 4. Fio. 4. — Rotifère à l'état de dessiccation. Fie. 5. -- Croquis de tardigrade (Emydium 1 organe rotateur. - 2, yeux. - 3, appa- tes"ldu) &rimPant »''' ""* &«"" ^ sable. roil masticateur. — 4, intestin. Les tardigrades (tig. 5), bien étudiés au point de vue VIE LATENTE DES TARDIGRADES. 85 de leur vie latente par M. Doyère (4), sont des animaux encore plus élevés en organisation que les précédents. Ils appartiennent à la classe des arachnides : c'est une famille d'acariens. Ils ont quatre paires de pattes courtes, articulées, munies d'ongles. Leur corps apointi en avant permet de distinguer 3 ou 4 articulations. Exclusivement marcheurs, ces animaux vivent dans la poussière des toits ou sur les mousses qui y végètent. Exposés à des variations hygrométriques excessives, ils vivent tantôt dans l'eau qui baigne le sable des gout- tières, comme de véritables êtres aquatiques, tantôt comme des vers de terre. Lorsque l'eau vient à leur manquer, ils se rétractent, se racornissent, et se confondent avec la poussière voi- sine ; ils peuvent rester plusieurs mois, et on conçoit qu'ils puissent rester indéfiniment sans manifestations appréciables de la vie, dans cet état de dessiccation. Mais si, comme Leeuwenhœk le fit pour la première fois, le 27 septembre 1701, on humectecette poussière, on voit au bout d'une heure les animaux y fourmiller actifs et mobiles : leurs organes, muscles, nerfs, viscères digestifs, se rétablissent dans leurs formes (voy. fîg. 6 et 7) ; ils reprennent en un mot toute la plénitude de leur vitalité jusqu'à ce que la sécheresse vienne l'interrompre encore une fois. Ces laits ont eu un très-grand retentissement et ont donné lieu autrefois cà des discussions relatives à la ques- tion de savoir si véritablement la vie a été compléte- (1) Doyère, Ann. fies se. nul., 1840-lSil . 86 LES TROIS FORMES DE LA VIE. ment suspendue pendant la dessiccation, ou seulement atténuée comme cela a lieu par le froid chez les ani- J? 9e~f teà ^ W1' FlG. 6. — Système musculaire et nerveux d'un miliirsiiim tardigradum (figure empruntée à FiG. ". — Système digestif du Milnesium inr Doyère, Thèse de la Faculté des sciences de digradum (Doyère, Thèse de la Faculté de Paris, lsi-2). sciences de Paris, 1842). S\ tèmes musculaire et nerveux du tardigrade. 6, bouche. — glu, glandes sali va ire. — et, sa — À, mode de terminaison des unis dans les digestif avec ses lobes extérieurs el sa ravit muscles — B, un ganglion nerveux de la chaîne interne. — ov, l'ovaire rejeté sur le côté, sous-intestinale. vs, vésicule séminale maux hibernants. Après un débat porté devant la So- ciété de biologie par MM. Doyère, Davaine et Pouchet, VIE LATENTE DES ANGUH.EUEES. 87 il fut bien établi que: « 1° il n'y a pas de vie appréciable » dans les corps inertes des animaux reviviscibles et » 2° que ces corps conservent leur propriété de revivis- » cence dans des conditions (vide sec à 400° ) incompa- tibles avec toute espèce de vie manifestée. D'après ces faits, il paraît bien certain que la vie est complètement arrêtée malgré la complexité de l'orga- nisation de ces animaux. On y trouve en effet des mus- cles, des nerfs, des ganglions nerveux, des glandes, des œufs, tous les tissus en un mot qui constituent les or- ganismes supérieurs (voy. %. 6 et 7). Cependant on n'a jamais à ma connaissance, fait l'expérience de les con- server pendant un très-long espace de temps à l'état de vie latente. Le vrai critérium qui permet de décider si la vie est réellement arrêtée d'une manière absolue, c'est la durée indéterminée de cet arrêt. Fig. 8. — Figure d'après M. le docteur Davaine [Mémoires de la Société de biologie, 1850). A, grains de blé niellé de grandeur naturelle. B, coupe en travers du grain niellé contenant des anguillules adultes, grossi quatre fois. C, coupe longitudinale d'une jeune tige de blé, grossie cent fois; on n'a pu figurer qu'une portion de cette coupe sur laquelle on voit une anguillule (larve), son attitude montre qu'elle n'est ni dans les vaisseaux ni dans le tissu de la feuille, mais à la surface. Anguillules de blé niellé (fig. 8). — Les faits observés sur les anguillules du blé niellé ne sont pas moins in- 88 LES TROIS FORMES DE LA VIE. téressants que ceux que nous avons examinés précé- demment. Ils conduisent d'ailleurs aux mômes conclu- sions (I). La nielle se manifeste dans le blé, par une déforma- tion du grain, après sa maturité et par un changement de couleur. Les grains sont pelits, arrondis, noirâtres et consistent en une coque épaisse et dure dont la cavité est remplie d'une poudre blanche (fig. 8, A etB). Cette ma- ladie est provoquée par l'existence d'helminthes néma- toïdes très-petits, existant dans chaque grain au nombre de plusieurs milliers. Ces anguillules (anguillula triticï) n'ont point d'organes sexuels et ne peuvent se repro- duire : mais elles proviennent d'oeufs déposés par d'au- tres anguillules pourvues d'organes génitaux qui avaient pénétré dans le grain avant sa maturité. Celles-ci s'é- taient introduites dans la jeune plante, développée par la germination, entre les gaines des feuilles, qui renfer- ment l'épi en voie de formation (ûg. 8, C). Mais cette introduction n'est possible que si la plante est humide, car alors seulement l'anguillule est active et peut s'élever le long de la tige. Sinon l'anguillule restera dans le sol, au pied de l'épi nouveau, et le blé sera pré- servé de son atteinte. Aussi est-ce dans les années hu- mides, où les pluies sont abondantes au temps de la for- mation de l'épi, que les blés sont sujets à la nielle. Les cultivateurs savaient cela, mais ils ne pouvaient com- prendre le rapport qu'il y a entre l'humidité de la saison et la nielle du blé. On voit que ce rapport n'a rien de (1) Davaine, Mémoires de 'm Société de biologie, 1856. VIE LATENTE DES ANGUILLULES. 89 mystérieux; c'est une simple condition physique qui fait que le chemin est praticable ou non pour le parasite. Il en est ainsi généralement, et toutes les harmonies natu- relles se ramènent à des conditions physico-chimiques quand nous en connaissons le mécanisme. Le grain de blé est, à cette époque, formé d'un paren- chyme jeune et mou, dans lequel les diverses parties, paléoles, étamines, ovaires ne sont point distinctes, et où l'anguillule peut pénétrer facilement. C'est là que l'ani- mal passe de l'état de larve à l'état parfait ; ses organes sexuels, qui ne s'étaient point encore développés, appa- raissent et atteignent leur perfectionnement organique; la femelle pond des œufs qui arrivent à éclosion et vivent à l'état de larve dans la cavité qui renferme les parents destinés à périr. Les anguillules larves ne tardent point à se dessécher avec le grain lui-même et attendent, dans un état de mort apparente, les conditions nécessaires à leurs manifestations vitales : l'humidité et l'air. Les larves d'anguillules se présentent sous forme de poussière blanche grossièrement semblable à de l'ami- don, ayant une longueur moyenne de 8 dixièmes de millimètre (fig. 8, B). La respiration de ces animaux quand ils sont dans le grain de blé est nulle. M. Davaine a maintenu dans le vide pendant vingt-sept heures des anguillules enfermées dans des épis verts, sans que ces animaux fussent modi- fiés bien sensiblement dans leur activité par ce traite- ment. On conçoit donc qu'il serait possible de conserver des anguillules desséchées indéfiniment dans le vide. Mais on ne pourrait pas agir de même sur les larves vivantes 90 LES TROIS FORMES DE LA VIE. dans l'eau, exposée dans le vide, elles tombent bientôt dans un état de mort apparente; elles reviennent à l'activité quand on laisse l'air arriver de nouveau. Je vous ai montré qu'il suffit d'empêcher le contact de l'air avec l'eau où elles vivent, en mettant de l'huile par exemple autour de la lamelle du porte-objet du micro- scope pour voir bientôt les anguillules tomber en état d'asphyxie. M. Davaine n'ayant trouvé dans l'intestin de ces ani- maux ni revêtement cellulaire auquel on pourrait attri- buer des fonctions digestives, ni particules solides, en conclut que vraisemblablement la nutrition de ces ani- maux, comme leur respiration, s'accomplit en partie par la peau. Je pense que la nutrition doit surtout s'o- pérer au moyen de réserves alimentaires que renferme le corps de l'animal et non par l'absorption de substan- ces venues du dehors. Ces animaux se meuvent sur place, sans progresser vé- ritablement tant que dure leur vie. Leurs mouvements ne subissent pas d'interruption à moinsque quelque con- dition extérieure n'intervienne. La dessiccation, la sous- traction de l'air sont les conditions ordinaires qui arrêtent ces mouvements ainsi que toutes les manifestations appa- rentes de la vie. Baker, en 4774, observa que des anguillules con- servées inertes depuis vingt-sept ans, reprenaient leur activité dès qu'on les humectait. Pour ma part j'ai vu des anguillules revenir à la vie après avoir été conser- vées pendant quatre années, dans un flacon très-sec et bien bouché. VIE LATENTE DES ANGUILLULES. 1M Spallanzani détermina leur revivifiealion et leur en- gourdissement jusqu'à seize fois de suite. Ces animaux ne peuvent pas revenir à la vie indéfiniment, parce que à chaque reviviscence, ils consomment une partie de leurs matériaux nutritifs sans pouvoir réparer cette perte puisqu'ils ne mangent pas. De sorte qu'à la fin la condition intrinsèque formée par la réserve des maté- riaux nutritifs, finit par disparaître et empêcher la vie de se manifester lors même que subsistent les trois autres conditions extrinsèques : chaleur, eau, air. Si l'on abaisse progressivement la température de l'eau qui renferme les anguillules, elles conservent leurs mouvements jusqu'à zéro. Puis les mouvements s'étei- gnent. Lorsqu'ensuite on élève de nouveau la tem- pérature, c'est seulement vers 20 degrés qu'on les voit sortir de leur état de mort apparente. Elles renaissent ainsi lors même qu'elles ont subi un abaissement consi- dérable de température, jusqu'à 15 ou 20 degrés au- dessous de zéro. Elles résistent moins bien que les rotifères aux températures élevées, et à 70 degrés au- dessus de zéro elles périssent infailliblement. On a observé qu'il faut continuer l'action de l'hu- midité pendant des durées de temps très-inégales pour déterminer la reviviscence des anguillules. Mais on peut faire en sorte qu'une seule des autres conditions néces- saires fasse défaut, l'aération par exemple; si on la fait intervenir après humectation prolongée, la reviviscence se produira dans des temps sensiblement égaux. Pour réaliser l'expérience, j'humecte les grains niellés pen- dant vingt-qualre heures; les ouvrant alors, on observe 92 LES TROIS FORMES DE L.V VIE. que le même temps est à pen près nécessaire pour ra- mener les animaux à la possession de leurs fonctions vitales. Toutefois si on laisse les crains de nielle entiers trop longtemps immergés dans l'eau, les anguillules finissent par perdre la faculté de reviviscence. Autres exemples de vie latente : œufs, ferments, levure de bière, etc. — Nous avons vu que la graine fournit un des exemples les plus nets de vie latente. Le substra- tum de la vie existe bien dans la graine; mais si les conditions physico-chimiques externes font défaut, tout conflit, tout mouvement vital est suspendu. On a été tenté de chercher des phénomènes analo- gues dans les œufs de certains animaux, en les compa- rant aux graines. Cette assimilation est inexacte. La graine n'est pas un œuf, nous l'avons déjà dit; elle n'en a pas les propriétés : c'est un embryon. Il ne faut pas s'étonner d'ailleurs que l'œuf ne puisse pas comme la graine tomber en état d'indifférence chimique, à l'état de vie latente. L'œuf est un corps en évolution, dont le développement ne saurait s'arrêter d'une manière complète. Il est seulement à l'état de vie engourdie ou oscillante, comme nous le verrons; il reste toujours en relation d'échange matériel avec le milieu. En un mot l'œuf respire; il prend de l'oxy- gène et restitue de l'acide carbonique; il ne reste pas inerte dans le milieu ambiant inaltéré. L'indifférence ou l'inertie apparente de l'œuf n'est qu'une illusion produite par la lenteur, l'atténuation ou l'obscurité des phénomènes qui s'y passent. Les œufs des vers à soie, par exemple, attendent pour éclore le APPARENCE DE VI1£ LATENTE DES O'-iUFS, Vô retour du printemps; mais on doit admettre que la vie n'y a pas été complètement suspendue. Des changements s'y accomplissent sous l'influence du froid, et le prin- temps revenant, la chaleur ne trouve plus l'oeuf clans le môme état, avec la môme constitution qu'il avait à la fin de l'automne. On comprend dès lors que la chaleur qui, à cette époque, n'avait pu déterminer le déve- loppement de l'œuf le puisse faire maintenant. Ces phénomènes résultant de l'influence des condi- tions physiques du milieu sur la vie latente ou la vie engourdie des êtres nous expliquent certaines adapta- tions harmoniques de la nature. A quoi servirait, par exemple, que l'œuf du vers à soie puisse éclore au milieu de l'hiver, puisque l'animal ne trouverait point les feuilles dont il doit se nourrir. Il est donc naturel que cet œuf n'acquiert cette faculté qu'au printemps et qu'il sommeille pendant les froids de l'hiver en complétant lentement son développement. Des phéno- mènes analogues d'hibernation se passent sans doute dans les végétaux. Toutefois il ne faudrait pas attri- buer ces phénomènes à des causes surnaturelles ou merveilleuses. L'influence du cours des saisons, l'in- fluence de leur durée s'expliquent par le retour et les alternatives de conditions physico-chimiques détermi- nées. L'hiver n'a pas agi sur les œufs de vers à soie comme une condition particulière ou extra-physique; l'hiver a agi simplement comme condition physique, comme froid. C'est ce qu'ont démontré les expériences de M. Duclaux. L'œuf de vers à soie pondu à la fin de l'été ne doit éclore naturellement qu'au printemps 94 LES TROIS FORMES DE LA ME. suivant parce que l'hiver et les froids apportent une condition physique favorable à un certain dévelop- pement insensible qui doit précéder son éclosion. Or on peut remplacer l'hiver naturel par un hiver arti- ficiel. Si l'on soumet ces œufs pendant vingt-quatre heures à l'action d'une température de zéro degré, puis, que l'on fasse intervenir la chaleur, le dévelop- pement se fait immédiatement et sans retard. Les ferments, ces agents si importants de la vie et encore si peu connus, ont la faculté de tomber en état de vie latente. Toutefois, nous devons faire ici une dis- dinction relativement aux ferments solubles et aux fer- ments figurés. Les premiers ne sont pas des être vivants, et la propriété qu'ils nous offrent de se dessécher puis de se redissoudre et de reprendre leur activité chimi- que, ne peut rappeler que de loin les phénomènes de vie latente. Les ferments figurés, au contraire, sont des êtres vivants qui se reproduisent; après avoir été desséchés, ils revivent sous l'influence de l'humidité et manifestent non-seulement leurs propriétés chi- miques, mais encore leur faculté de prolifération, de reproduction; ce sont bien là de vrais phénomènes de vie latente. La levure de bière nous fournit un précieux exemple de cette double faculté. Que l'on prenne de la levure en pleine activité et qu'on la soumette à une dessiccation graduelle, elle se trouvera réduite à l'état de vie latente, on pourra l'exposer à une température fort élevée ou à faction de l'alcool prolongée, elle résistera à ces épreuves; et lorsqu'ensuite on la placera dans des con- VIE LATENTE DES FERMENTS. 95 ditions convenables elle revivra et pourra se développer de nouveau. Voici ua tube dans lequel nous avons mis en fermen- tation de la levure de bière desséchée à 40 degrés et conservée depuis deux ans; elle s'est peu à peu imbibée d'eau et a produit la fermentation alcoolique quand on y a ajouté du sucre. Dans un autre tube, nous avons mis de la levure de bière également desséchée et conservée dans de l'alcool absolu depuis un an et demi. Elle s'est également imbibée d'eau peu à peu et a très-bien produit ensuite la fer- mentation alcoolique. Dans une autre expérience, j'ai délayé de la levure de bière fraîche dans de l'alcool absolu où elle est restée immergée trois eu quatre jours. Après ce temps, j'ai recueilli cette levure sur un filtre pour la dessécher ; mise de nouveau avec de l'eau sucrée, elle a donné lieu à une fermentatien alcoolique très-active. Je dois ajouter que dans tous les cas où la levure a été préala- blement desséchée, qu'elle ait été soumise ou non a l'in- fluence de l'alcool, il faut qu'elle s'imbibe de nouveau par une macération préalable de vingt-quatre ou trente- six heures, avant que la fermentation alcoolique appa- raisse avec tous ses caractères : inversion de la saccha- rose en glycose, dédoublement de la glycose en acide carbonique et alcool, etc. On voit ainsi que les deux fer- ments dont est constituée la levure de bière : le ferment inversif ou ferment soluble, et le torula cerevisiœ, ferment figuré, possèdent tous deux la faculté de reprendre leur propriété après dessiccation. 96 LES [ROIS FORMES DE LA VIE. Explication de la vie latente. — La dessiccation est une condition de protection pour les organismes qui doivent être exposés aux vicissitudes atmosphériques. Nous avons vu les kolpodes, les rotateurs, les lardi- grades, les anguillules s'enkyster, se segmenter, s'en- rouler, etc., dès que l'eau nécessaire à leurs manifesta- tions vitales vient à manquer. Si maintenant nous cherchons à nous rendre compte des mécanismes par lesquels se produit l'état de vie latente et se fait le retour à la vie manifestée, nous verrons avec la plus grande évidence l'influence des conditions extérieures se manifester sur les deux ordres de phénomènes auxquels nous avons rattaché la vie chez tous les êtres : la création et la destruction orga- niques. Occupons-nous d'abord du passage de la vie mani- festée à 1 état de vie latente. La condition principale que doit remplir un organisme pour tomber dans cet état, c'est la dessiccation. Les autres circonstances, de température, de composition de l'atmosphère gazeuse, ne sauraient agir aussi efficacement que la dessiccation pour suspendre la vie. Une graine humide soumise au froid ou exposée dans un gaz inerte, finirait probable- ment à la longue par s'altérer. Cependant on ne pour- rait pas conclure d'une manière absolue que le maintien illimité de la vie latente exige la dessiccation, car des graines enfouies dans la terre ou au fond de l'eau, se sont conservées en état de vie latente pendant des temps indéterminés mais certainement très-considé- rables (au moins un siècle). EXPLICATION DE LA VIE LATENTE. 97 La dessiccation a pour conséquence immédiate de faire disparaître, de rendre impossible les phénomènes de des- truction organique, c'est-à-dire les manifestations fonc- tionnelles de l'être vivant; il en est de môme des autres conditions qui produisent la vie latente. Les propriétés physiques des tissus, leur élasticité, leur densité, leur ténacité, sont d'abord modifiées par un degré de dessic- cation de la substance organisée poussée trop loin. Viennent aussi les phénomènes chimiques de la destruc- tion vitale, dont l'action se trouve arrêtée par le fait même de la dessiccation; car les agents de ces phéno- mènes, les ferments, en se desséchant deviennent iner- tes. La dessiccation amène donc la suppression de la destruction vitale en faisant disparaître les propriété s physiques et chimiques des tissus. La création vitale s'arrête alors, elle aussi, dans les cellules desséchées. En un mot, la vie, considérée sous ses deux faces, es suspendue : l'organisme est en état d'indifférence chimi- que, il est inerte. Il y a arrêt de la vie ou vie latente. L'influence de la dessiccation sur les propriétés phy- siques des tissus et des substances de l'organisme a été mise en évidence dans un travail fondamental publié en 1819 par M. Chevreul [Mémoires du Muséum, t. XIII). Ces recherches, très-importantes pour la physiologie, ont porté sur les tendons, les tissus fibreux, le ligament jaune et diverses substances albuminoïdes. Les tendons forment les tissus par lesquels les muscles s'attachent aux os; ils se présentent à l'état normal comme des cordons souples, élastiques, d'aspect nacré, ayant une CL BERNARD. 98 LES TROIS FORMES DE LÀ VIE. grande ténacité. Lorsqu'ils sont secs, ils perdent 50 pour 100 d'eau environ, ils deviennent jaunâtres : leur élas- ticité a diminué au point que si on les courbe, il se pro duit des déchirures, des ruptures et le tissu est désor- ganisé. Mais qu'on remette le tendon dans l'eau, il absorbe de nouveau ce liquide jusqu'à en reprendre à peu prè sa teneur normale. La dessiccation lui avait fait perdre ses propriétés; l'humectation les lui restitue. La fibrine du sang se trouve dans les mêmes condi- tions. Elle peut perdre par la dessiccation 80 pour 100 d'eau et avec cela disparaissent sa couleur, sa ténacité, son élasticité. Remise au contact de l'eau elle en re- prend envirou la môme quantité et recouvre ses pro- priétés perdues. La cornée transparente offre des phénomènes ana- logues. Desséchée, elle devient opaque : humectée de nouveau elle reprend sa transparence ( l). On voit donc que pour les tissus, qu'on peut consi- dérer comme de simples matériaux physiques de l'orga- nisation, leurs propriétés n'interviennent dans les ma- ri) 11 n'y a pas que la dessiccation qui fasse perdre à la cornée sa transpa- rence. Quand on comprime entre les doigts l'œil d'un chien ou d'un lapin récemment extrait de l'orbite, on voit la cornée devenir opaque par la pression et reprendre sa transparence quand la compression cesse. J'ai, il y a bien longtemps, montré que ce phénomène se reproduit sur le vivant. Si avec l'extrémité du manche d'un scalpel on exophthalmise les yeux sur un chien ou sur un lapin, les deux globes oculaires l'ont saillie avec une cornée opaque à tel point que ranimai est devenu aveugle; mais dès qu'on l'ait rentrer l'œil dans l'orbite, la compression cessait, la cornée devient transparente et l'animal recouvre la Mie. Ici l'opacité de l.i cornée doit être attribuée non a la dessiccation de la cornée mais bien à un changement de la disposition moléculaire dans ses parties constituantes. DESSICCATION DES TISSUS. 99 nifestations de la vie, qu'en raison de l'eau qu'ils ren- ferment. V albumine d'oeuf soluble présente des phénomènes très-analogues à ceux que nous avons précédemment si&malés. Si on la dessèche lentement (au-dessous de 45 degrés) elle devient jaune, cassante, en perdant environ 90 pour 100 d'eau. Si ensuite on ajoute de l'eau, elle se redis- sout de nouveau. Quand l'albumine se trouve à cet état de dessiccation, on peut la soumettre à une tem- pérature sèche élevée, à 100 degrés par exemple, sans qu'elle perde la faculté de se redissoudre. L'albumine d'oeuf coagulée par la chaleur se dessèche en taisant évaporer environ 90 pour 100 d'eau, mais si après dessiccation on l'humecte, on voit qu'elle a perdu sans retour la propriété de se redissoudre. Cette expé- rience sur la solubilité de l'albumine à ses divers états est un fait capital au point de vue du sujet qui nous occupe. Nous voyons comment la suppression de l'humidité et des conditions extrinsèques propices peut entraîner la disparition, tout au moins la suspension, des propriétés des tissus; toute manifestation vitale qui exige la mise en jeu de ces propriétés physiques et mécaniques se trouve par là même supprimée. Nous devons rapprocher de ces faits une expérience de M. Glénard, de Lyon, relative à la dessiccation du sang du cheval dans ses vaisseaux. Le sang de cheval se coagule lentement; on fait dessécher à une température inférieure à 45 degrés le sang contenu dans une veine 100 LES TROIS FORMES DE LA VIE. jugulaire, par exemple. Après dessiccation, on constate que ce sang se redissout dans l'eau et que le plasma qui en résulte n'a pas perdu la propriété de se coaguler. Cela montre ce fait intéressant, que, chez un animal élevé, comme chez les êtres inférieurs, la fibrine soluble du plasma ne perd pas sa propriété coagulable par la dessiccation. Nous avons dit que la dessiccation, c'est-à-dire la disparition de l'humidité nécessaire aux organismes, supprime non-seulement les propriétés physiques des tissus mais aussi les phénomènes chimiques qui s'y pas- sent. Nous savons que ces phénomènes ont pour agents principaux des ferments et qu'il s'agit ici de fermenta- lion. Or, les expériences les plus simples nous montrent que ces fermentations, comme toutes les actions chimi- ques, ne sauraient s'accomplir qu'au sein d'un milieu liquide. Corporation agunt nisi soluta. Il faut donc, pour l'accomplissement des fermentations, à la fois une température et un degré d'humidité con- venables; faute de quoi l'action se suspend. J'ai depuis bien longtemps montré dans mes cours que les ferments ont la propriété de se dessécher et de reprendre leurs propriétés quand ils viennent à être humectés de nou- veau. Voici du ferment pancréatique à l'état sec : il peut être mis en contact avec l'amidon desséché sans qu'il se produise aucune action. Si l'on ajoute de l'eau, la trans- formation en sucre se produira rapidement à la tempé- rature convenable. Le ferment n'avait donc pas perdu le pouvoir d'agir : il était seulement dans l'impossibilité de manifester son action. RETOUR A LA VIE MANIFESTÉE. 101 Le suc gastrique desséché ne digère plus; il peut rester indéfiniment au contact de la viande également desséchée sans l'attaquer. L'addition de l'eau, à une température voisine de celle du corps, à 40 degrés, fera reparaître la digestion suspendue. On comprend par ces exemples que la dessiccation abolisse les deux ordres de phénomènes physiques et chimiques de l'organisme. Ces phénomènes caracté- risant la destruction vitale étant empêchés, la création organique s'interrompt à son tour; l'organisme perd les caractères de la vie. Le réveil de l'être plongé dans l'état de vie latente, son retour ta la vie manifestée, s'explique tout aussi simplement. C'est d'abord la destruction vitale qui redevient pos- sible par le retour des phénomènes physiques et chimi- ques : nuis, la vie créatrice reparaît à son tour, quand l'animal reprend des aliments. Dès que l'humidité et la chaleur sont restituées à l'or- ganisme, les tissus, ainsi que l'ont montré les recherches de M. Chevreul, reprennent la quantité d'eau qu'ils avaient avant leur dessiccation, et leurs propriétés méca- niques et physiques, de résistance, d'élasticité de trans- parence, de fluidité reparaissent. Le retour des phé- nomènes chimiques a lieu tout aussitôt : les ferments desséchés, en s'humectant de nouveau, récupèrent leur activité, les fermentations interrompues reprennent leur cours dans l'organisme vivant comme en dehors de lui, ainsi que l'expérience directe nous l'a montré. C'est donc par le rétablissement primitif des actes de 102 LES TROIS FORMES DE LA VIE. destruction vitale que se fait le retour à la vie. La vie créatrice ne se montre qu'en second lieu. C'est la une loi qu'il importe de faire ressortir. L'animal ou la plante en renaissant, commence tou- jours par détruire son organisme, par en dépenser les matériaux préalablement mis en réserve. Cette observa- tion nous fait comprendre la nécessité d'une nouvelle condition pour la reviviscence ou le retour à la vie ma- nifestée. Il faut que l'être possède des réserves, accumu- lées dans ses tissus, pour pouvoir se nourrir et parer à ses premières dépenses, jusqu'au moment où, com- plètement revenu à l'existence, il pourra puiser au dehors, par l'alimentation, les matériaux qui lui sont nécessaires pour faire de nouvelles réserves. Nous retrou- vons ici incidemment une application de cette grande loi sur laquelle nous ne cessons d'insister, à savoir que la nutrition est toujours indirecte au lieu d'être directe et immédiate. L'accumulation de réserves est donc une nécessité pour les êtres en vie latente : la reprise des manifestations vitales n'est possible qu'à ce prix. Dès que les phénomènes de destruction vitale ont recommencé dans l'être tout à l'heure inerte, la création vitale reprend aussi son cours, et la vie se rétablit dans son intégrité avec ses deux ordres de phénomènes carac- téristiques. II. Vie oscillante. — L'être vivant, considéré comme individu complexe, peut être lié au milieu extérieur dans une dépendance tellement étroite que ses manifestations vitales, sans s'éteindre jamais d'une manière complète VIE OSCILLANTE. 103 comme dans l'état de vie latente, s'atténuent ou s'exaltent néanmoins dans une très-large mesure, lorsque les conditions extérieures varient. Les êtres, dont les manifestations vitales peuvent varier dans des limites étendues sous l'influence des conditions cosmiques sont des êtres à vie oscillante ou dépendante du milieu extérieur. Ces êtres sont fort nombreux dans la nature. Tous les végétaux sont dans ce cas : ils sont engourdis pendant l'hiver. La vie n'est pas complètement éteinte en eux : les échanges matériels de l'assimilation et de la désassimilation ne sont pas supprimés absolument, mais ils sont réduits à un minimum. La végétation est obscure : le processus vital presque insensible. Au prin- temps, lorsque la chaleur reparaît, le mouvement vital s'exalte ; la végétation engourdie prend une activité ex- trême ; la sève se met en mouvement, les feuilles appa- raissent, les bourgeons s'entr'ouvrent et se développent, des parties nouvelles, racines, branches, s'étendent dans le sol ou dans l'air. Dans le règne animal, il se produit des phénomènes analogues. Tous les invertébrés et, parmi les vertébrés, tous les animaux à sang froid, possèdent une vie oscil- lante, dépendante du milieu cosmique. Le froid les en- gourdit, et si pendant l'hiver ils ne peuvent être soustraits à son influence, la vie s'atténue, la respiration se ralen- tit, la digestion se suspend, les mouvements deviennent faibles ou nuls. Chez les mammifères, cet état est appelé état d hibernation : la marmotte, le loir nous en fournis- sent des exemples. 104 LES TROIS FORMES Dh LA VIE C'est ordinairement l'abaissement de la température qui produit cette diminution de l'activité vitale. Quel- quefois cependant son élévation peut avoir les mêmes conséquences. Nous avons déjà vu que les graines en germination et, parmi les animaux, les grenouilles s'engourdissent à une température élevée; de même, il existe un mammifère américain, le ïenrec, qui tombe dit-on dans un véritable état de léthargie sous l'action des plus grandes chaleurs. Les vertébrés les plus élevés (animaux à sang chaud), qui ont un milieu intérieur perfectionné, c'est-à-dire des liquides circulatoires dans lesquels la température est constante, ne sont pas soumis à cette influence du milieu extérieur. Toutefois, à une certaine période de leur exis- tence, au début, ils commencent par être des êtres à vie oscillante. Gela arrive lorsqu'ils sont à l'état à'œuf. Le travail évolutif dont l'œuf d'oiseau doit être le siéçe exiçe un certain degré de température assez voisin de celui de l'animal adulte : si cette température convenable n'est point offerte à l'œuf, il reste dans l'engourdisse- ment. Il n'est pas en état d'indifférence chimique, car on peut constater qu'il respire ; il absorbe de l'oxygène et rejette de l'acide carbonique. Néanmoins cet échange matériel a peu d'activité. Que l'on prenne un œuf de poule récemment pondu et qu'on le place dans une éprouvette à pied au-dessus d'une couche d'eau de baryte : celle-ci se troublera lentement par le dépôt de carbonate de ba- ryte résultant de l'exhalation de l'acide carbonique res- piratoire. L'œuf pourra rester un certain temps dans cet état de vie engourdie, prêt à se développer en un animal VIE OSCILLANTE. 105 nouveau si les conditions de l'incubation sont réalisées. Mais il ne pourra pas conserver indéfiniment cette apti- tude : après quelques semaines il sera ce qu'on appelle passé, c'est-à-dire mort et devenu impropre à l'incu- bation. Il n'était donc pas complètement inerte : il vivait obscurément. Si l'on soumet au contraire l'œuf à la température de 38 ou 40 degrés, l'activité vitale va s'exalter, la respira- tion, témoin de ce mouvement énergique, va devenir très-marquée, la cicatricule va se fractionner, prolifé- rer, les rudiments de l'embryon apparaîtront d'abord et, par suite d'une épigenèse successive, compléteront le type d'un oiseau entièrement constitué; alors la vie n'est plus engourdie; elle est au contraire d'une activité extrême. On doit se demander comment se produit l'engourdis- sement sous l'action du froid, et par quel mécanisme le retour de la chaleur imprime une impulsion nouvelle à l'activité vitale. L'expérience établit que l'animal tombe en état d'engourdissement ou d'hibernation parce que tous ses éléments organiques sont entourés d'un milieu refroidi dans lequel les actions chimiques se sont abaissées et proportionnellement les manifestations fonctionnelles vitales. Il y a absence, chez l'animal à sang froid ou hibernant, d'un mécanisme qui maintienne autour des éléments un milieu constant en dépit des variations atmosphériques. C'est le refroidissement du milieu in- térieur qui engourdit l'animal : c'est le réchauffement de ce même milieu qui le dégourdit. Lorsqu'un animal à sang froid, une grenouille par 106 LES TROIS FORMES DE LA VIE. exemple, vient à s'engourdir, on pourrait croire que l'action du froid porte primitivement sur sa sensibilité, sur le système nerveux, qui est le régulateur général des fonctions de la vie organique et de la vie animale. Il n'en est rien. Lorsque \emilieu intérieur, c'est-à-dire l'ensemble des liquides circulants se refroidit, chaque élément en contact avec le sang, s'engourdit pour son propre compte, révélant ainsi son autonomie et les con- ditions de son activité propre. En un mot, chaque système organique, chaque élé- ment est de lui-même influencé par le froid comme l'individu tout entier. Il a les mêmes conditions d'activi- té ou d'inactivité que l'ensemble, et il forme un nouveau microcosme dans l'être vivant, microcosme lui-même au sein de l'univers. De même, lorsque l'animal engourdi revient à la vie, ce n'est pas le système nerveux qui réveille les autres systèmes : et comment cela se pourrait-il , puisqu'il est dans le même état d'engourdissement qu'eux? C'est encore le milieu intérieur qui reçoit l'influence du milieu extérieur et qui réveille chaque élément d'une manière successive selon sa sensibilité ou son excitabilité. Une expérience que j'ai exécutée autrefois met bien ces idées en pleine évidence. On prend une grenouille engourdie par le froid. La sensibilité, la motilité sont, éteintes : les appareils de la vie organique fonctionnent obscurément; le sans; revient rou«re des tissus où la combustion vitale est extrêmement atténuée ; le cœur ne fournit que quatre pulsations par minute au lieu de quinze à vingt comme cela a lieu pendant l'été. VIE OSCILLANTE. 107 Cette grenouille peut être tirée de son état léthargi- que. Pour cela, il suffit qu'elle soit réchauffée. Comment agit alors l'élévation de température? Ce n'est point, avons-nous dit, par une action nerveuse portant sur la sensibilité. J'ai fait, pour m'en assurer, l'expérience sui- vante : On plonge dans de l'eau tiède une patte de gre- nouille engourdie, dont le cœur a été mis à découvert. Soit que le nerf du membre ait été sectionné, soit qu'il reste intact, la grenouille est ranimée au bout du même temps. Le cœur reprend ses battements plus rapides et tous les appareils se réveillent successivement. C'est le sang réchauffé, qui a créé autour de tous les éléments la condition physique de température nécessaire au fonc- tionnement vital. Le sang revenant plus chaud de la patte a ravivé les battements du cœur et c'est le cœur excité qui a dégourdi l'animal. L'influence de la température est ainsi nettement mise en lumière. On voit dans la grenouille un animal à vie oscillante ou dépendante du milieu cosmique. L'a- baissement de température diminue son activité vitale, et l'élévation de la température l'exalte. Toutefois, la proposition, énoncée en ces termes, serait trop absolue. A ce sujet nous devons rappe- ler des faits que j'ai déjà invoqués tpour démontrer qu'il y a une mesure, une gradation et des nuances infinies dans les actions des agens physico-chimiques sur l'orga- nisme. 11 est vrai, d'une manière générale, qu'en élevant la température on exalte l'activité vitale; mais, si la température dépasse certaines limites, si, pour la gre- nouille, par exemple, elle atteint 37 à 40 degrés, l'animal 108 LES TROIS FORMES DE LA VIE. se trouve au contraire anesthésié et engourdi. Il en est de même pour les graines qui, excitées à germer à 20 degrés sont engourdies à 35 degrés. Nous plaçons sous vos yeux deux grenouilles, l'une que nous avons plongée dans de l'eau à 37 degrés, vous voyez qu'elle est engourdie et ne fait plus de mouvements; elle est dans le même état que la seconde qui a été plongée dans l'eau glacée. Changeons-les de bocal : elles vont se réveiller l'une et l'autre : seulement c'est le froid qui réveillera la première, c'est la chaleur qui ranimera la seconde. Les animaux et les végétaux engourdis ou anesthésiés résistent à des agents qui les tueraient s'ils étaient dans un état de vie plus active. Cette résistance varie d'ailleurs avec la nature des agents toxiques que l'on emploie. Les animaux engourdis résistent par suite de l'abais- sement de leur vitalité à des conditions où d'autres péri- raient. L'engourdissement est donc aussi une condition de résistance vitale comme Tétait la vie latente. Une grenouille reste pendant tout l'hiver sans prendre de nourriture : l'atténuation du processus vital permet cette longue suspension du ravitaillement matériel; l'animal ne supporterait pas l'abstinence aussi longtemps s'il était à une température plus élevée. Un très-petit oiseau, dont l'activité vitale est toujours considérable, meurt de faim si on le laisse vingt-quatre heures sans nourriture. Dans leurs belles recherches sur la respiration, MM. Regnaultet Reiset ont signalé la résistance remarqua- ble des marmottes en état d'hibernation à des conditions qui les feraient périr si elles étaient dans leur état de vie ordinaire. Une marmotte, qui respire faiblement pendant VIE OSCILLANTE. 109 l'hibernation, peut être plongée sans inconvénient dans une atmosphère pauvre en oxygène ; réveillée, elle ne tarderait pas à y périr asphyxiée. De môme, cet animal, qui était resté plusieurs mois sans nourriture et qui sup- portait l'abstinence sans dommage, ne pourra plus la soutenir dès qu'il sera réveillé. Il faudra lui fournir des aliments abondants qu'il engloutira avec voracité, sans quoi il ne tarderait pas à périr. J'ai souvent répété cette expérience chez des loirs ou des marmottes que je réveillais; si je ne leur donnais pas de nourriture, ils succombaient bientôt, ayant rapidement épuisé les ré- serves dues à une nutrition antérieure. Pour compléter l'exposé des faits relatifs à la vie oscil- lante, nous dirons que le mécanisme de l'engourdisse- ment et le mécanisme du retour à la vie active s'expli- quent aussi clairement que le cas de la vie latente. L'influence des conditions cosmiques produit d'abord la suppression incomplète des phénomènes physiques et chimiques de la destruction vitale. Les animaux en- gourdis ne font plus de mouvements : leurs muscles ne subissent plus qu'une légère combustion ; ils ont le sang veineux presque aussi rutilant que le sang artériel : de même, les combustions sont considérablement réduites dans les autres tissus ; la chaleur produite est faible, l'acide carbonique est excrété en petite quantité. C'est donc la manifestation vitale fonctionnelle, correspon- dante à la destruction des organes, qui est atténuée en premier lieu. La vie créatrice subit une réduction pa- rallèle. On peut même dire qu'elle est entièrement sus- pendue quant à la formation du* principes immédiats 110 LES TROIS FORMES DE LA VIE. qui constituent les réserves. Toutefois, certains phéno- mènes morphologiques, les cicatrisations, les rédinté- grations se produisent encore très-activement. Nous aurons plus tard à expliquer ces faits. Le retour à l'activité vitale s'explique encore de la même manière que la reviviscence. Il faut nécessairement que l'animal hibernant ait des réserves non-seulement pour parer aux premières dé- penses du réveil, mais pour suffire à la consommation qu'il fait dans l'état d'engourdissement. La destruction vitale, en effet, n'est pas suspendue, elle n'est que dimi- nuée; quanta la création vitale, à la formation des ré- serves, elle n'a plus de matériaux sur lesquels elle puisse s'exercer pendant l'hibernation, puisque l'animal ne s'alimente plus au dehors. C'est pourquoi, avant de tomber dans le sommeil hibernal ou dès qu'ils en pressentent les approches, les animaux préparent ces réserves sous diverses formes. Chez la marmotte, les tissus se chargent de graisse et de glycogène: chez la grenouille, chez tous les animaux, il s'accumule des provisions organiques de diverses sub- stances. C'est donc sur ces épargnes prévoyantes pré- parées par la nature que l'animal vit pendant la période d'engourdissement; il ne fait plus que dépenser, il ne crée plus, il n'accumule plus. Ces réserves suffisent pendant un certain temps aux manifestations atténuées qu'on observe chez ces animaux engourdis, mais elles seraient vite dissipées si l'activité vitale renaissait. Aussi, est-il nécessaire que, dès leur réveil, les animaux trouvent à leur portée les matériaux alimentaires sur lesquels va VIE OSCILLANTE. 111 s'exercer l'élaboration créatrice. Les loirs placent dans le gîte où ils s'endorment des provisions qu'ils consom- ment dès qu'ils se raniment. J'ai eu l'occasion de faire des expériences intéressantes sur ces animaux. Si l'on prend des loirs engourdis et que, les sacrifiant en plein sommeil, on analyse leur foie, on y trouve encore une certaine provision deglycogène; mais si on ne les sacrifie que quatre ou cinq heures après les avoir réveillés, on ne trouve presque plus de traces de cette matière. Ces quatre heures de vie active ont dépensé l'épargne qui eût encore suffi à quelques semaines de vie engourdie. Outre l'engourdissement prolongé dont nous venons de parler et que ranimai ne supporte qu'à la condition de présenter des réserves considérables antérieurement accumulées, il y a des engourdissements en quelque sorte passagers qui n'exigent plus de telles provisions. On voit des insectes engourdis le matin, après une nuit de fraî- cheur se montrer pleins d'activité au soleil de la journée. L'abeille immobile, que l'on peut saisir impunément le matin, est en état de piquer vivement vers le midi. 11 est clair que ces périodes d'activité et d'engourdissement sont trop courtes et se succèdent trop rapidement pour nécessiter des réserves considérables; mais néanmoins on doit être assuré que la grande loi de la nutrition au moyen des réserves est constante et que, au degré près, les choses se passent de la môme manière dans tous les états de la vie. III. Vie constante ou libre. — La vie constante ou li- bre est la troisième forme de la vie : elle appartient aux 112 LES TROIS FORMES DE LA VIE. animaux les plus élevés en organisation. La vie ne s'y montre suspendue dans aucune condition : elle s'écoule d'un cours constant et indifférent en apparence aux alter- natives du milieu cosmique, aux changements des con- ditions matérielles qui entourent l'animal. Les organes, les appareils, les tissus, fonctionnent d'une manière sen- siblement égale, sans que leur activité éprouve ces va- riations considérables qui se montraient chez les animaux à vie oscillante. Il en est ainsi, parce qu'en réalité le mi- lieu intérieur qui enveloppe les organes, les tissus, les éléments des tissus, ne change pas ; les variations atmo- sphériques s'arrêtent à lui, de sorte qu'il est vrai de dire ({Lie les conditions physiques du milieu sont constantes pour l'animal supérieur ; il est enveloppé dans un milieu invariable qui lui fait comme une atmosphère propre dans le milieu cosmique toujours changeant. C'est un organisme qui s'est mis lui-même en serre chaude. Aussi les changements perpétuels du milieu cosmique ne l'at- teignent point ; il ne leur est. pas enchaîné, il est libre et indépendant. Je crois avoir le premier insisté sur cette idée qu'il y a pour l'animal réellement deux milieux : un milieu extérieur dans lequel est placé l'organisme, et un milieu intérieur dans lequel vivent les éléments des tissus. L'existence de l'être se passe, non pas dans le milieu extérieur, air atmosphérique pour l'être aérien, eau douce ou salée pour les animaux aquatiques, mais dans le milieu liquide intérieur formé par le liquide organique circulant qui entoure et baigne tous les élé- ments anatomiques des tissus; c'est la lymphe ou le VIE CONSTANTE. 113 plasma, la partie liquide du sang qui, chez les animaux supérieurs, pénètre les tissus et constitue l'ensemble de tous les liquides interstitiels, expression de toutes les nutritions locales, source et confluent de tous les échanges élémentaires. Un organisme complexe doit être considéré comme une réunion d'êtres simples qui sont les éléments anatomiques et qui vivent dans le mi- lieu liquide intérieur. La fixité du milieu intérieur est la condition de la vie libre, indépendante : le mécanisme qui la permet est celui qui assure dans le milieu intérieur le maintien de toutes les conditions nécessaires à la vie des éléments. Ceci nous fait comprendre qu'il ne saurait y avoir de vie libre, indépendante, pour les êtres simples, dont les élé- ments constitutifs sont en contact direct avec le milieu cosmique, maisque cette forme de la vie est, au contraire, l'apanage exclusif des êtres parvenus au summum de la complication ou de la différenciation organique. La fixité du milieu suppose un perfectionnement de l'organisme tel que les variations externes soient à cha- que instant compensées et équilibrées. Bien loin, par conséquent, que ranimai élevé soit indifférent au monde extérieur, il est au contraire dans une étroite et savante relation avec lui, de telle façon que son équi- libre résulte d'une continuelle et délicate compensation établie comme par la plus sensible des balances. Les conditions nécessaires à la vie des éléments qui doivent être rassemblées et maintenues constantes dans le milieu intérieur, pour le fonctionnement de la vie libre, sont celles que nous connaissons déjà : l'eau, CL. BERNARD. 8 144 LES TROIS FORMES DE LA VIE. L'oxygène, la chaleur, les substances chimiques ou ré- serves. Ce sont les mêmes conditions que celles qui sont né- cessaires à la vie des êtres simples; seulement chez l'ani- mal perfectionné à vie indépendante, le système nerveux est appelé à régler l'harmonie entre toutes ces conditions. 1° L'eau. —C'est un élément indispensable, qualitati- vement et quantitativement, à la constitution du milieu où évoluent et fonctionnent les éléments vivants. Chez les animaux à vie libre il doit exister un ensemble de dispositions réglant les pertes et les apports de manière à maintenir la quantité d'eau nécessaire dans le milieu intérieur. Chez les êtres inférieurs, les variations quanti- tatives d'eau compatibles avec la vie sont plus étendues; mais l'être est d'autre part sans influence pour les régler. C'est pourquoi il est enchaîné aux vicissitudes climaté- riques : engourdi en vie latente, dans les temps secs, ranimé dans les temps humides. L'organisme plus élevé est inaccessible aux oscilla- tions hygrométriques, grâce à des artifices de con- struction, à des fonctions physiologiques qui tendent à maintenir la constance relative de la quantité d'eau. Pour L'homme spécialement, et en général pour les animaux supérieurs, la déperdition d'eau se fait par toutes les sécrétions, par l'urine et la sueur surtout; en second lieu par la respiration, qui entraine une quantité notable de vapeur d'eau, et enfin par la perspiration cutanée. Quantaux gains, ils se font par l'ingestion des liquides ou des aliments qui renferment de l'eau, ou même, pour CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. 115 quelques animaux, par l'absorption cutanée. En tout cas, il est très-vraisemblable que toute la quantité d'eau de l'organisme vient de l'extérieur par l'une ou l'autre de ces deux voies. On n'a pas réussi à démontrer que l'or- ganisme animal produisît réellement de l'eau ; l'opinion contraire paraît à peu près certaine. C'est le système nerveux, avons-nous dit, qui forme le rouage de compensation entre les acquits et les pertes. La sensation de la soif, qui est sous la dépendance de ce système, se fait sentir toutes les fois que la propor- tion de liquide diminue dans le corps à la suite de quelque condition telle que l'hémorrhagie, la sudation abondante ; l'animal se trouve ainsi poussé à réparer par l'ingestion de boissons les pertes qu'il a faites. Mais cette ingestion même est réglée, en ce sens qu'elle ne saurait augmenter au delà d'un certain degré la quantité d'eau qui existe dans le sang; les excrétions urinaires et autres éliminent le surplus, comme une sorte de trop plein. Les mécanismes qui font varier la quantité d'eau et la rétablissent sont donc fort nombreux ; ils mettent en mouvement une foule d'appareils de sécrétion, d'exbalation, d'ingestion, de circulation qui transpor- tent le liquide ingéré et absorbé. Ces mécanismes sont variés, mais le résultat auquel ils concourent est con- stant : la présence de l'eau en proportion sensiblement déterminée dans le milieu intérieur, condition de la vie libre. Ce n'est pas seulement pour l'eau qu'existent ces mé- canismes compensateurs; on les connaît également pour la plupart des substances minérales ou organiques con- ] 1 6 LES TROIS FORMES DE LA VIE. tenues en dissolution dans le sang. On sait que le sang ne saurait se charger d'une quantité considérable de chlorure de sodium, par exemple : l'excédant à partir d'une certaine limite est éliminé par les urines. 11 en est de môme, ainsi que je l'ai établi , pour le sucre qui, normal dans le sang, est, au delà d'une certaine quan- tité, rejeté par les urines. 2° La chaleur. — Nous savons qu'il existe pour cha- que organisme élémentaire ou complexe des limites de température extérieure entre lesquelles son fonctionne- ment est possible, un point moyen qui correspond au maximum d'énergie vitale. Et cela est vrai non-seule- ment des êtres arrivés à l'état adulte, mais même pour l'œuf ou l'embryon. Tous ces êtres subissent la vie oscillante, mais pour les animaux supérieurs, appelés animaux à sang chaud, la température compatible avec les manifestations de la vie est étroitement fixée. Cette température fixée se maintient dans le milieu inté- rieur, en dépit des oscillations climatériques extrêmes, et assure la continuité et l'indépendance de la vie. Il y a en un mot, chez les animaux à vie constante et libre, une fonction de calorification qui n'existe point chez les animaux à vie oscillante. Il existe pour cette fonction un ensemble de méca- nismes gouvernés par le système nerveux. Il y a des nerfs thermiques, des nerfs vaso-moteurs que j'ai fait connaître et dont le fonctionnement produit tantôt une élévation, tantôt un abaissement de température, suivant les circonstances. La production de chaleur est due, dans le monde CONDITIONS DE LÀ VIE CONSTANTE. 117 vivant comme dans le monde inorganique, à des phéno- mènes chimiques; telle est la grande loi dont nous devons la connaissance à Lavoisier et Laplace. C'est dans l'acti- vité chimique des tissus que l'organisme supérieur trouve la source de la chaleur qu'il conserve dans son milieu intérieur à un degré à peu près fixe, 38 à 40 degrés pour les mammifères, 45 à 47 degrés pour les oiseaux. La régulation calorifique se fait, ainsi que je l'ai dit, au moyen de deux ordres de nerfs : les nerfs que j'ai appelés thermiques, qui appartiennent au système du grand sympathique et qui servent de frein en quelque sorte aux activités chimico-thermiques dont les tissus vivants sont le siège. Quand ces nerfs agissent, ils dimi- nuent les comhustions interstitielles, et abaissent la tem- pérature; quand leur influence s'affaiblit par suppres- sion de leur action ou par l'antagonisme d'autres influences nerveuses, alors les combustions s'exaltent et la température du milieu intérieur s'élève considérable- ment. Les nerfs vaso-moteurs en accélérant la circula- tion à la périphérie du corps ou dans les organes centraux interviennent également dans le mécanisme de l'équili- bration de la chaleur animale. J'ajouterai seulement ce dernier trait. Quand on atténue considérablement faction du système cérébro- spinal en laissant persister pleinement celle du grand symphatique [nerf thermique), on voit la température s'abaisser considérablement, et l'animal à sang chaud se trouve en quelque sorte transformé en un animal à sang froid. C'est l'expérience que j'ai réalisée sur des lapins, en leur coupant la moelle épinière entre la septième I I 8 LES TROIS FORMES DE LA VIE. vertèbre cervicale et la première dorsale. Quand, au contraire, on détruit le grand sympathique en laissant intact le système cérébro-spinal, on voit la température s'exalter, d'abord localement, puis d'une manière géné- rale; c'est l'expérience que j'ai réalisée chez les chevaux en coupant le grand sympathique, surtout quand ils sont antérieurement affaiblis II survient alors une véri- table fièvre. J'ai longuement développé ailleurs l'histoire de tous ces mécanismes (voy. Leçons sur la chaleur ani- male, 1873); je ne fais que les rappeler ici, pour établir que la fonction calorifique propre aux animaux à sang chaud est due à un perfectionnement du mécanisme nerveux qui, par une compensation incessante, maintient une température sensiblement fixe dans le milieu inté- rieur au sein duquel vivent les éléments organiques auxquels il nous faut toujours, en définitive, ramener toutes les maifestations vitales. 3° L oxygène. — Les manifestations de la vie exigent pour se produire l'intervention de l'air, ou mieux de sa partie active, l'oxygène, sous une forme soluble et dans l'état convenable pour qu'il puisse arriver à l'orga- nisme élémentaire. Il faut de plus que cet oxygène soit dans des proportions fixées jusqu'à un certain point dans le milieu intérieur; une quantité trop faible, une quan- tité trop forte, sont également incompatibles avec le fonctionnement vital. Il faut donc que, chez l'animal à vie constante, des mécanismes appropriés règlent la quantité de ce gaz qui est départie au milieu intérieur et la maintiennent il peu près invariable. Or. chez les animaux élevés en CONDITIONS DE LÀ VIE CONSTANTE. 119 organisation, la pénétration de l'oxygène dans le sang est sous la dépendance des mouvements respiratoires et de la quantité de ce gaz qui existe dans le milieu ambiant. D'autre part, la quantité d'oxygène qui se trouve dans l'air résulte, ainsi que l'apprend la phy- sique, de la composition centésimale de l'atmosphère et de sa pression. On comprend donc que l'animal puisse vivre dans un milieu moins riche en oxy- gène si la pression accrue vient compenser cette diminution, et inversement que le même animal puisse vivre dans un milieu plus riche en oxygène que l'air ordinaire si rabaissement de pression compense l'ac- croissement. C'est là une proposition générale impor- tante qui résulte des travaux de M. Paul Bert. Dans ce cas, on le voit, les variations du milieu se compensent et s'équilibrent d'elles-mêmes, sans que l'animal in- tervienne. La pression augmentant ou diminuant, si la composition centésimale diminue ou augmente en raison inverse, ranimai trouve en définitive dans le milieu la môme quantité d'oxygène et sa vie s'accomplit dans les mêmes conditions. Mais il peut y avoir dans l'animal lui-même des méca- nismes qui établissent la compensation, lorsqu'elle n'est pas faite au dehors, et qui assurent la pénétration dans le milieu intérieur de la quantité d'oxygène exigée par le fonctionnement vital; nous voulons parler des diffé- rentes variations que peuvent éprouver les quantités de l'hémoglobine, matière absorbante active de l'oxygène, variations encore peu connues, mais qui interviennent certainement aussi pour leur part. 120 LES TROIS FORMES DE LA VIE. Tous ces mécanismes, comme les précédents, n'ont d'efficacité que dans des limites assez restreintes; ils se faussent et deviennent impuissants dans des condi- tions extrêmes. Ils sont réglés par le système ner- veux. Lorsque l'air se raréfie par quelque cause, telle que l'ascension en aérostat ou sur les montagnes, les mouvements respiratoires deviennent plus amples et plus fréquents, et la compensation s'établit. Néanmoins les mammifères et l'homme ne peuvent soutenir cette lutte compensatrice pendant bien longtemps, lorsque la raréfaction est exagérée, lorsque par exemple ils se trouvent transportés à des altitudes supérieures à 5000 mètres. Nous n'avons pas ici à entrer dans les détails particu- liers que comporte la question. Il nous suffit de la poser. Nous signalerons seulement un exemple que M. Cam- pana a fait connaître. Il est relatif aux oiseaux de haut vol, tels que les rapaces et particulièrement le Condor, qui s'élève à des hauteurs de 7000 à 8000 mètres. Ils y séjournent jet s'y meuvent longtemps, bien que dans une atmosphère qui serait mortelle pour un mammifère. Les principes précédemment posés permettaient de prévoir que le milieu respiratoire intérieur de ces ani- maux devait échapper, au moyen d'un mécanisme approprié, à la dépression du milieu extérieur; en d'autres termes, que l'oxygène contenu dans leur sang artériel ne devait pas varier à ces grandes hauteurs. Et en effet , il existe chez les rapaces d'é- normes sacs pneumatiques reliés aux ailes et n'entrant en fonction que lorsqu'elles se meuvent. Si les ailes CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. 121 s'élèvent, ils se remplissent d'air extérieur : si elles s'abaissent, ils chassent cet air clans le parenchyme pul- monaire. En sorte que, au fur et à mesure que l'air se raréfie, le travail de l'aile de l'oiseau qui s'y appuie augmente forcément, et forcément aussi augmente le volume supplémentaire d'oxygène qui traverse le pou- mon. La compensation de la raréfaction de l'air exté- rieur par l'augmentation de la quantité inspirée est donc assurée, et ainsi, l'invariabilité du milieu respiratoire propre à l'oiseau. Ces exemples, que nous pourrions multiplier, nous démontrent que tous les mécanismes vitaux, quelque variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur. 4° Réserves. — Il faut enfin, pour le maintien de la vie, que l'animal ait des réserves qui assurent la fixité de constitution de son milieu intérieur. Les êtres élevés en organisation puisent dans l'alimentation les maté- riaux de leur milieu intérieur: mais, comme ils ne sauraient être soumis à une alimentation identique et exclusive, il faut qu'il y ait en eux-mêmes des méca- nismes qui tirent de ces aliments variables des maté- riaux semblables et qui règlent la proportion qui en doit entrer dans le sang. J'ai démontré et nous verrons plus loin que la nutri- tion n'est pas directe, comme l'enseignent les théories chimiques admises, mais qu'au contraire elle est indi- recte et se fait par des réserves. Cette loi fondamentale est une conséquence de la variété du régime comparée 122 LES TROIS FORMES DE LA VIE. à la fixité du milieu. Eu un mot: on ne vit pas de ses aliments actuels, mais de ceux que l'on a mangés anté- rieurement, modifiés, et en quelque sorte créés par l'assimilation. Il en est de même de la combustion res- piratoire; elle n'est nulle part directe, comme nous le montrerons plus tard. Il y a donc des réserves préparées au moyen des ali- ments et à chaque instant dépensées en proportions plus ou moins grandes. Les manifestations vitales détruisent ainsi des provisions qui ont, sans doute, leur origine pre- mière au dehors, mais qui ont été élaborées au sein des tissus de l'organisme, et qui, versées dans le sang, assurent la fixité de sa constitution chimico-physique. Quand les mécanismes de la nutrition sont troublés et quand l'animal est mis dans l'impossibilité de pré- parer ces réserves, lorsqu'il ne fait que consommer celles qu'il avait accumulées antérieurement, il marche vers une ruine qui ne peul aboutir qu'à l'impossibilité vi- tale, à la mort. Il ne lui servirait alors à rien de manger; il ne se nourrira pas; il n'assimilera pas, il dépérira. Quelque chose d'analogue se produit dans le cas où l'animal est en état de fièvre; il use sans refaire : et cet état devient mortel, s'il persiste jusqu'à l'entier épuisement des matériaux accumulés par la nutrition antérieure. Ainsi, les substances alibiles pénétrant dans un or- ganisme, soit animal, soit végétal, ne servent pas direc- tement et d'emblée à la nutrition. Le phénomène nutritif s'accomplit en deux temps : et ces deux temps sont tou- jours séparés l'un de l'autre par une période plus ou CONDITIONS DE LA VIE CONSTANTE. 1*23 moins longue, dont la durée est fonction d'une Foule de circonstances. La nutrition est précédée d'une élaboration particulière qui se termine par un emmagasinementde ré- serves chez l'animal aussi bien que chez le végétal. Ce fait permet de comprendre qu'un être continue de vivre quelquefois fort longtemps sans prendre de nourriture; il vit de ses réserves accumulées dans sa propre sub- stance ; il se consomme lui-même. Ces réserves sont très-inégales suivant les êtres que l'on considère et suivant les diverses substances, pour les animaux et les végétaux divers, pour les plantes annuelles ou bisannuelles, etc. Ce n'est pas ici le lieu d'analyser un sujet aussi vaste ; nous avons voulu mon- trer que la formation des réserves est non-seulement la loi générale de toutes les formes de la vie, mais qu'elle constitue encore un mécanisme actif et indispen- sable au maintien de la vie constante et libre, indépen- dante des variations du milieu cosmique ambiant. Conclusion. — Nous avons examiné successivement les trois formes générales sous lesquelles la vie appa- raît : vie latente, vie oscillante, vie constante afin de voir si dans l'une d'elles nous trouverions un principe vital intérieur capable d'en opérer les manifestations, indépendamment des conditions physico- chimiques extérieures. La conclusion à laquelle nous nous trou- vons conduit est facile à dégager. Nous voyons que, dans la vie latente, l'être est dominé par les conditions phy- sico-chimique extérieures, au point que toute manifes- tation vitale peut être arrêtée. Dans la vie oscillante, si l'être vivant n'est pas aussi absolument soumis à ces 124 LES TROIS FORMES DE LA VIE. conditions, il y resle néanmoins tellement enchaîné qu'il en subit toutes les variations. Dans la vie constante, l'être vivant paraît libre et les manifestations vitales semblent produites et dirigées par un principe vital inté- rieur affranchi des conditions physico-chimiques exté- rieures; cette apparence est une illusion. Tout au con- traire, c'est particulièrement dans le mécanisme de la vie constante ou libre que ces relations étroites se montrent dans leur pleine évidence. Nous ne saurions donc admettre dans les êtres vivants un principe vital libre, luttant contre l'influence des conditions physiques. C'est le fait opposé qui est dé- monlré, et ainsi se trouvent renversées toutes les con- ceptions contraires des vitalistes. TROISIÈME LEÇON Division «le* phénomènes de la vie. Sommaire : I. Classification des phénomènes de la vie. — Deux grands groupes; destruction et création organiques. — Cette division caractérise la physiologie générale et embrasse dans sa généralité toutes les mani- festations vitales. — Unité vitale dans les deux règnes. II. Divisions des êtres vivants; Linné, Lamarck, de Blainville. — Théories de la dualité vitale dans les deux règnes. — Différenciation des règnes de la nature. — Opposition entre les animaux et les végétaux. — Anta- gonisme chimique, physique et mécanique entre les animaux et les végé- taux. — Priestley, Saussure, Dumas et Boussingault, Huxley, Tyndall. III. Réfutation générale des théories dualistes de la vie entre les animaux et les végétaux. — Forme dernière de la théorie de la dualité vitale. — La dualité vitale et la physiologie générale. — Unité des lois de la vie; variété des manifestations vitales et fonctionnement différent des ma- chines vivantes. — Conclusion : la solidarité des phénomènes de destruc- tion et de création organique prouve l'unité vitale. I. Nous avons montré dans les êtres vivants deux faces caractéristiques de leur existence, la vie, création organique, la mort, destruction organique. Il s'agira au- jourd'hui d'affirmer cette division et de montrer qu'elle sert de base à la physiologie générale. Nous ne con- sidérons ici les caractères de la vie que dans leur essence et dans leur universalité, et à ce point de vue nous les classons en deux grands ordres : 1° Les phénomènes d'usure, de destruction vitale, qui correspondent aux phénomènes fonctionnels de l'orga- nisme ; 126 LES TROIS FORMES DE LA VIE. 2° Les phénomènes plastiques ou de création vitale, qui correspondent au repos fonctionnel et à la régéné- ration organique. Tout ce qui se passe dans l'être vivant se rapporte soit à l'un soit à l'autre de ces types ; et la vie est caractérisée par la réunion et l'enchaînement de ces deux ordres de phénomènes. Cette division des phénomènes de la vie nous semble la meilleure de celles que l'on puisse propo- ser en physiologie générale. Elle est à la fois, la plus vaste et la plus conforme à la réelle nature des choses. Quelles que soient les formes que la vie puisse revêtir, la com- plexité ou la simplicité de ces formes, la division pré- cédente leur est applicable. Nous ne saurions concevoir aucun être vivant, aucune particule vivante même, sans le jeu de ces deux ordres de phénomènes. C'est la base physiologique sur laquelle se meuvent toutes les variétés de la vie dans les deux règnes. Les divisions des phénomènes de la vie qui ont été proposées jusqu'ici s'appliquent aux organismes élevés et se rapportent surtout à la physiologie descriptive ; elles sont loin de présenter celte généralité. Une classification, en physiologie générale, doit ré- pondre aux phénomènes de la vie, indépendamment de la complication morphologique des êtres et doit se fonder uniquement sur les propriétés universelles de la matière vivante, abstraction faite des moules spécifiques dans lesquels elle est entrée. C'est précisément à cette con- dition que satisfait la division en phénomènes de des- truction et de création organiques. Avant d'étudier, dans la suite de ce cours, chacune de DIVISIONS DES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. 127 ces phases de l'activité vitale, la destruction organique, la création organique, il importe de mettre en lumière et de bien établir, dès cette leçon, le rapport étroit qui unit indissolublement les deux termes de notre division des phénomènes vitaux. Cette division est l'expression de la vie dans ce qu'elle a à la fois de plus étendu et de plus précis. Elle s'applique à tous les êtres vivants sans exception, depuis l'organisme le plus compliqué de tous, celui de l'homme, jusqu'à l'être élémentaire le plus simple, la cellule vivante. On ne peut, en un mot, con- cevoir autrement un être cloué de la vie. En effet, ces phénomènes se produisent simultané- ment chez tout être vivant, dans un enchaînement qu'on ne saurait rompre. La désorganisation ou la désassirailation use la matière vivante dans les organes en fonction: la synthèse assimilatrice régénère les tissus; elle rassemble les matériaux des réserves que le fonc- tionnement doit dépenser. Ces deux opérations de des- truction et de rénovation, inverses l'une de l'autre, sont absolument connexes et inséparables, en ce sens, au moins, que la destruction est la condition nécessaire de la rénovation. Les phénomènes de la destruction fonc- tionnelle sont eux-mêmes les précurseurs et les instiga- teurs de la rénovation matérielle du processus formatif qui s'opère silencieusement dans l'intimité des tissus. Les pertes se réparent à mesure qu'elles se produi- sent et l'équilibre se rétablissant dès qu'il tend à être rompu, le corps se maintient dans sa composition. Cette usure et cette renaissance des parties constituantes de l'organisme font que l'existence n'est, comme nous l'a- 128 LES TROIS FORMES DE LA VIE. vous dit au début de ce cours, autre chose qu'une perpétuelle alternative de vie et de mort, de composition et de décomposition. Il n'y a pas de vie sans la mort; il n'y a pas de mort sans la vie. D'ailleurs une telle classification n'a rien d'absolu- ment inattendu : elle ne constitue pas, ta proprement parler, une nouveauté dans la science. Tout le monde a plus ou moins aperçu ces deux faces de l'activité vitale et nous avons cité comme exemples de nombreux pas- sages dans les essais de définition de la vie que nous avons rappelés dans notre première leçon. Le point essentiel est d'avoir compris l'importance et toute la portée de cette division simple et féconde et d'en faire resortir toutes les conséquences. Il y a quatre-vingts ans, Lavoisier avait nettement aperçu les deux phases du travail vital ; la désorgani- sation ou destruction des organismes animaux ou végé- taux par combustion et putréfaction, la création orga- nique, végétation et annualisation, qui sont des opérations inverses des premières (1) : « Puisque, dit-il, la combus- » tion et la putréfaction sont les moyens que la nature » emploie pour rendre au règne minéral les matériaux » qu'elle en a tirés pour former des végétaux et des » animaux, la végétation et l'aniinalisation doivent être » des opérations inverses de la combustion et de la pu- » (réfaction. » 11 n'est donc pas possible de séparer chez aucun être l ] Pièces Ki'i,jin s concernant Lavoisier communiquées par M. Dumas (Leçons de chimie professées à la Société chimique de Paris). Paris, 1861, p. 295. UNITÉ ET DUALITÉ VITALE. J "2D vivant ces deux modes de la vie qui se rencontrent chez les plantes comme chez les animaux. C'est là un axiome physiologique qui implique l'unité vitale : nous le formulons au début; nous le verrons se vérifier dans tout le cours de nos études et il nous servira de critérium pour juger diverses théories, dans lesquelles on a opposé la vie des végétaux à celle des animaux. En effet, contrairement au principe que nous venons d'énoncer et qui forme, nous le répétons, X axiome de la physiologie générale, plusieurs théories célèbres ont affirmé que les deux ordres de phénomènes vitaux, au lieu d'appartenir à tout être vivant se trouvaient distri- bués à des êtres différents, les uns étant l'apanage du .règne animal, les autres du règne végétal. Ces théories du partage des deux facteurs vitaux entre les deux règnes, qu'on peut appeler les théories de la dualité vitale sont contredites par notre principe ef nous pouvons ajouter, par l'examen des faits. Il n'y a pas une catégorie d'êtres qui soient chargés de la syn- thèse organique et une autre catégorie de la combustion ou analyse organique. Ainsi que nous l'avons dit, il ne peut y avoir vie que là où il y a à la fois synthèse et destruction organique. La physiologie générale doit examiner ces manières de voir dans leurs origines et dans les différentes formes qu'elles ont revêtues. C'est en France, MM. Dumas et Boussingault, Liebig en Allemagne, Huxley (1), Tyndall en Angleterre, qui ont créé et propagé ces diverses (1) Huxley, La plaie de l'homme dans la nature. Paris, 1868, et Les sciences naturelles et les problèmes qu'elles font surgir. Pari--, 1877. CL. BERNARD. 9 130 LES TROIS FORMES DE LA ME. théories dans la science. En les rappelant, nous devons rendre hommage à la simplicité et à l'ampleur des vues sur lesquelles leurs auteurs lesont appuyées et reconnaître les services qu'elles ont rendu en provoquant un nombre considérable de recherches, de travaux et de décou- vertes. D'ailleurs nous verrons que notre divergence d'opinion tient à une différence de point de vue. Les créateurs des théories dualistes ont considéré les deux facteurs de la vie, dans leur rapport avec le milieu cosmique, sans s'attacher autant que nous à l'identité de leur origine et à leur indissoluble unité. On a cru pouvoir attribuer à Lavoisier la première idée de cette dualité; mais les écrits de l'illustre fonda- teur de la chimie moderne qu'on a invoqués ne me semblent pas conclure en ce sens. Nous avons cité plus haut un passage où Lavoisier reconnaît l'existence dans les êtres vivants de ces deux phénomènes inverses par lesquelles ils opèrent la synthèse de l'organisme (animalisation, végétation), et d'autre part sa destruc- tion (combustion, fermentation, putréfaction). Lavoisier ne sépare point à cet égard les animaux des végétaux : il semble considérer qu'ils se comportent d'une manière analogue par rapport au règne minéral et il ne dit nulle part que le règne végétal doive servir d'intermédiaire exclusif entre le règne minéral et le règne animal. Ce n'est donc pas de Lavoisier que peut se réclamer la théorie de l'antagonisme chimique entre les animaux et les végétaux : il nous paraît que le germe en existe dans des travaux plus anciens et. en particulier dans THÉORIES DUALISTES DE LA VIE. 1.11 les célèbres recherches de Priestley sur l'antagonisme de la respiration des animaux et des plantes. D'ailleurs, il faut bien le dire, cette idée d'opposition entre les deux règnes a dû exister à toutes les époques parce qu'elle résulte de l'apparence des choses, et l'ap- parence nous a toujours trompé sur la nature réelle des phénomènes. Il y a en effet une distinction morphologique entre les animaux et les plantes assez nettement mar- quée extérieurement pour qu'on ait pu la croire profon- dément inscrite dans l'organisation et dans les manifesta- tions vitales. Mais cette distinction n'est que dans la forme, à la surface et non au fond des phénomènes. Nous soutenons, quant à nous, qu'il y a identité dans les attri- buts essentiels de la vie dans les deux règnes, et que la division que nous avons établie dans les actes de la vie : destruction, création vitale s'applique à l'universalité des êtres vivants. Pour justifier cette division fondamentale que nous avons introduite dans la physiologie générale, il est nécessaire d'exposer d'abord les théories con- traires et de les réfuter dans leurs points principaux. II. Division des êtres vivants et théories dualistes de la vie. — Les êtres de la nature ont d'abord été divisés en deux grands empires : l'un, formé des êtres animés, l'autre des êtres inanimés. Cette distinction est faite dans Aristote. Ce n'est que plus tard, vers 1645, qu'un alchimiste français nommé Colleson aurait formulé le premier la division de la nature en trois règnes, animal, végétal, minéral, qui embrassaient tous les' objets ter- restres; pour les corps sidéraux il aurait imaginé un 132 LES TROIS FORMES DE LA ME. quatrième royaume, le règne planétaire. Dans chacun de ces domaines existait un type de perfection idéale, un roi : l'homme parmi les animaux, la vigne parmi les plantes, l'or pour les minéraux, le soleil pour les corps célestes. La division des trois règnes aurait ainsi pris nais- sance, et Linné (1) l'a consacrée en lui donnant les caractères suivants : Esse. Vivere. Sentire. Minéral. Végétal. Animal. 11 les exprimait encore dans la formule suivante : Mineralia sunt. Yegetalia sunt et crescunt. Animalia sunt, crescunt et sentiunt. Il est des naturalistes, de Blainville par exemple, qui plaçant l'homme au-dessus de l'ensemble des animaux ont formé pour lui un règne spécial, le règne humain, caractérisé par un attribut de plus, Y intelligence : homo intelligit. Lamarck, cependant, avait repris la division binaire et, ne distinguant point tout d'abord entre les êtres vivants, il reconnaissait deux classes de corps : Les corps vivants, , Les corps bruts ou inanimés. Cependant la division en trois règnes a prévalu et les deux règnes animal et végétal ont été considérés comme presque aussi séparés l'un de l'antre qu'ils l'étaient chacun du règne minéral. Que l'on fasse des (1) Linné, Systema naturœ. Editio prima, réédita cura A. L. A. Fée. Parisiis, 1830. OPPOSITION ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. 133 animaux et des végétaux des catégories distinctes, nous n'y contredisons certes point, mais que l'on parle de là pour établir entre les deux groupes d'êtres une diffé- rence tellement profonde qu'elle comporterait en quel- que sorte deux physiologies différentes, l'une animale, l'autre végétait?, reposant sur des principes spéciaux. C'est là une manière de voir que nous devons combattre. Les éléments d'une différentiation entre les modes de la vie chez les animaux et les plantes ont été demandés d'abord à l'anatomie. Olivier, pour ne citer que cet exem- ple, signalait l'absence d'appareil digestif chez les plantes comme un caractère très-général qui pouvait servir aies distinguer des animaux. On sait très-bien aujourd'hui qu'un nombre immense d'animaux inférieurs ne possè- dent point de tube digestif, et que, dans des degrés plus élevés, les mâles de certaines espèces, telles que les rotifères, en sont dépourvus, tandis que les femelles le possèdent. En fait, ce caractère n'a donc point une valeur absolue; en principe, nous verrons plus tard que l'appareil digestif n'est qu'un appareil accessoire dans la nutrition. Les réserves qui sont en réalité le fond nutritif des êtres vivants sont identiques dans les ani- maux et dans les végétaux. On a cru en second lieu trouver une différence entre les animaux et les végétaux au point de vue de la com- position de leurs tissus. On a dit, par exemple, que l'azote était un élément caractéristique de l'organisme animal, tandis qu'il n'exis- tait qu'exceptionnellement chez les végétaux. L'analyse du parenchyme des Champignons et des graines des 134 LES TROIS FORMES DE LA ME. phanérogames , vint bientôt renverser cette opinion. On admet aujourd'hui que le protoplasma, seule partie active et travaillante du végétal, a la même constitution que le protoplasma animal : c'est une substance azotée. L'azote, au lieu d'être un élément accessoire est donc essentiel et fondamental dans les deux règnes. Les élé- ments anatomiques des plantes, cellules, fibres et vais- seaux perdent dans certaines régions leur protoplasma et n'interviennent plus dans la constitution végétale que comme des parties de soutien. A un moindre degré, cela se rencontre chez les animaux; le squelette des crus- stacés et la carapace des insectes, sont des parties qui sont peu riches en azote ou qui en sont même absolument dépourvues. La substance principale des tissus de sou- tien chez les végétaux est le ligneux ou la cellulose. Or, on avait émis la proposition que la cellulose était spé- ciale aux végétaux et n'appartenait qu'à eux seuls. Il n'en est rien. On a rencontré cette substance dans l'enveloppe des Tuuiciers et l'on a établi d'ailleurs des analogies étroites avec à la chitine qui forme la carapace des crus- tacés et des insectes (1). Toutefois, comme nous l'avons dit, c'est dans les rap- ports des animaux et des végétaux avec l'atmosphère que la théorie du Dualisme a trouvé ses premiers et ses plus forts arguments. Les découvertes accomplies, à ce sujet, à la fin du siècle dernier, ont immédiatement placé en opposition la vie des plantes avec celle des animaux. On connaît la célèbre expérience de Priestley, par (1) C Schmidt, Zur Vergleichenden Physiologie der Wirbellosen Thiere. 1845. — Berthelot, Comptes rendus de la Société de biologie. OPFOSITIOX ENTRE LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX. 135 laquelle ce grand chimiste établit que les végétaux purifient l'air que les animaux ont vicié et semblent se comporter, quant à leur respiration, en sens inverse. Une souris est placée sous une cloche clans de l'air confiné : elle finit par y périr; l'air est vicié et si l'on introduit un autre animal, il tombe très-rapidement et périt à son tour asphyxié. Mais si l'on dispose clans la cloche une plante (un pied de menthe) l'atmosphère est purifiée, rétablie clans sa constitution première et un animal peut v vivre de nouveau (1). L'être végétal vit donc là où meurt l'animal ; ils se comportent précisément d'une manière inverse relative- ment au milieu, l'un défaisant ce que l'autre a tait, et à eux deux ils constituent un état de choses harmonique, équilibré et par conséquent durable. Cette expérience fut vraiment le point de départ de l'opposition chimique moderne des animaux et des vé- gétaux. Les animaux absorbent de l'oxygène et exha- lent de l'acide carbonique. Les recherches* successives de Ingen-Housz, de Sénébier, de Th. de Saussure ont prouvé que dans les parties vertes des plantes, sous l'in- fluence des rayons solaires, il se produit au contraire, une absorption d'acide carbonique et une exhalation d'oxygène. Cette opposition entre la respiration des animaux et celle des plantes a été généralisée d'une manière gran- diose, par MM. Dumas et Boussingault clans leur théorie de la circulation matérielle entre les deux règnes orga- niques : .({) Voyez Priestley, Expériences sur les airs, t. III. 136 LES TROIS FORMES DE LA VIE. « L'oxygène enlevé par les animaux est restitué par » les végétaux. Les premiers consomment de l'oxygène; » les seconds produisent de l'oxygène. Les premiers » brûlent du carbone, les seconds produisent du carbone. » Les premiers exhalent de l'acide carbonique, les » seconds fixent de l'acide carbonique. » L'animal fut ainsi considéré comme un appareil de combustion d'oxydation, d'analyse ou de destruction, tan- dis que la plante au contraire était un appareil de réduc- tion, de formation, de synthèse. Il résultait de là que les phénomènes de destruc- tion ou combustion vitale se trouvaient absolument séparés dans les êtres vivants des phénomènes de réduc- tion ou de synthèse organique. La création vitale était dévolue aux végétaux, tandis que la destruction orga- nique était réservée aux animaux. L'organisme animal étant incapable de former aucun des principes qui entrent dans sa constitution : graisse, albumine, fibrine, amidon, sucre, tout lui était fourni par le règne végétal, et l'alimentation des animaux n'était plus que la mise en place des matériaux uniquement élaborés par les plantes. Le lait sécrété par l'herbivore, la caséine, le beurre, le sucre devaient se retrouver poids pour poids dans les herbages dont il fait sa nourriture, etc. Ces idées ont encore été rassemblées et exprimées avec une lumineuse simplicité, par MM. Dumas et Boussingault, dans leur statique chimique des êtres vivants. Nous reproduisons ici la formule saisissante de cette théorie célèbre : Un végétât : Produit des matières sucrées, grasses. albnminoïdes. Reluit, avec dégagement d'oxygène: CO'2 HO AzH'O Absorbe de la chaleur Est immobile OPPOSITION CHIMIQUE. Un animal , Consomme des matières sucrées , grasses, albuminoïdes. Produit, avec absorption d'ov - C0- 110 ÀzH*0 Dégage de la chaleur. Se meut. C'est dire en d'autres termes que la formation ou syn- thèse chimique appartient aux végétaux et que la combus- tion appartient aux animaux. Or cette conclusion est contradictoire au principe fondamental de la physiologie générale, à savoir que les deux phases de l'action vitale, la création et la destruction, au lieu d'être partagées entre les deux règnes, sont intimement unies dans tout être et dans toute partie vivante. Mais la dualité vitale ne s'est pas affirmée seulement au point de vue chimique, elle a revêtu de notre temps une autre forme que nous pouvons appeler dynamique ou mécanique. On a comparé souvent le corps de l'homme et celui des animaux à un appareil à combustion. Les chi- mistes ont établi que les produits rejetés du corps, les excrétions, pris dans leur ensemble, contenaient une plus grande proportion d'oxygène que les aliments in- gérés. Il se produit donc dans l'organisme animal, une combustion continuelle, source de chaleur et de force mécanique. « L'oxydation des composés complexes, dit M. Huxley. 13S LES TROIS FORMES DE LA VIE. » qui entrent dans l'organisme est finalement propor- » tionnée à la somme de force que le corps dépense, » exactement delà même façon que la somme de travail » que l'on obtient d'une machine à vapeur, et la quan- » tité de chaleur qu'elle produit sont en proportion » stricte de la quantité de charbon qu'elle consomme. » Les particules de matière qui entrent dans le tour- » billon vital sont plus compliquées que celles qui en » sortent. Pour employer une métaphore qui n'est » pas sans quelque réalité, les atomes qui entrent dans » l'organisme sont pour la plupart façonnés en grosses » masses et se brisent en petites masses avant de le » quitter. La force qui est mise en liberté dans celle » fragmentation est la source des puissances actives de » l'organisme. De là l'assimilation du corps des animaux à une machine à vapeur où s'engendreraient des forces vives. L'organisme, a-t-on dit, est une machine, et même assez parfaite; car, pour une semblable quantité de combustible, elle fournit deux fois plus de travail que les moteurs les plus économiques. Son rendement s'élè- verait, d'après Molesehott, au cinquième de l'équivalent mécanique du calorique dégagé par la combustion de riiydrogèneetdu carbone qu'elle consomme. En considé- rant les deux règnes, au point de vue des services qu'ils se rendent, comme font les partisans des causes finales, et non pas au point de vue de leur fonctionnement essentiel, on a pu dire que l'un était un réservoir de forces, et l'autre un consommateur. « Les phénomènes » les plus compliqués de la vitalité sont résumés, a dit OPPOSITION MÉCANIQUE. 13U » M. Tyndall, dans cette loi générale : le végétal est » produit par l'élévation d'un poids ; l'animal par la » chute de ce poids. » Le végétal créerait donc des forces à la façon du mécanicien qui soulève le poids d'une horloge ; par cette action, le travail des rouages est créé en puissance ; il suffit tic laisser tomber la masse pour le manifester. C'est là ce que Ton appelle en mécanique une force potentielle, une force de tension. Le végétal créerait des forces de tension, et cela aux dépens des forces vives du soleil. Sous l'influence des vi- brations transmises par les rayons solaires et par la cha- leur de l'atmosphère, la chlorophylle (avec laquelle on confond ici le règne végétal) séparerait l'oxygène des combinaisons oxygénées (eau, acide carbonique, sels ammoniacaux) qu'elle absorbe. Cet oxygène mis en présence des substances combustibles, est prêt à s'y combiner, à créer ainsi un travail, à développer des forces. La séparation effectuée par la plante reviendrait à la production d'une énergie potentielle, de forces de tension ; le rôle du règne végétal consisterait à transfor- mer des forces vives eu forces de tension. Au contraire, l'animal transformerait des forces de tension en forces vives. Le poids soulevé par le végétal, il le laisse retomber; il lâche, pour revenir à notre image, la masse qui fait mouvoir l'horloge, il pré- cipite sur les substances combustibles l'oxygène que la plante en avait séparé. Pour cela, que faut-il ? Il faut, d'après Hermann, à qui nous empruntons cette théorie, il faut détruire l'ob- 140 LES TROIS FORMES DE LA VIE. stacle qui empêche l'oxygène de se combiner, enlever la clavette qui retient le poids de l'horloge, détruire, en un mot, l'obstacle qui empêche la force de tension de devenir force vive, travail ; il doit exister des forces de dégagement. Ainsi, forces de tension, accumulées dans les végé- taux ; forces vives et forces de dégagement dans les animaux; voilà la distribution qui constituerait la dualité dynamique des êtres vivants. III . Réfutation générale des théories dualistes de la vie. — La physiologie générale peut faire à ces théories, des objections de principe et des objeclionsde faits. La grande objection de principe que nous adressons à la doctrine de la dualité vitale, c'est d'être en contradiction radi- cale avec notre conception fondamentale de la vie qui exige dans tout être animal ou végétal, la réunion des phénomènes de création et de destruction organique. Nous ne pouvons concevoir un être vivant animal ou végétal en dehors de celte formule, par conséquent nous regardons a priori comme erronée, toute proposition contradictoire à ce grand principe physiologique. La seconde objection de principe que nous formulerons est relative à l'idée d'une nutrition directe que la théorie dualiste admet et que la physiologie contredit. La théorie dualiste suppose en effet que les aliments passent directement des plantes dans les animaux et que leurs principes immédiats s'y mettent en place chacun selon sa nature. L'étude physiologique des phénomènes, prouve que rien de semblable n'a lieu, et que la nu- RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. I U trition est indirecte. L'aliment disparaît d'abord en tant que matière chimique définie et ce n'est que plus tard, après un travail organique à longue portée, après une élaboration vitale complexe que l'aliment arrive à constituer les réserves toujours identiques qui servent à la nutrition de l'organisme. La nutrition et la digestion se séparent complètement; la nature de l'alimentation, essentiellement variable, n'a jamais d'ef- fet dans l'état normal, sur la formation des réserves qui restent fixes comme la constitution des liquides et des tissus organiques. En un mot, le corps ne se nour- rit jamais directement d'aliments variés, mais toujours à l'aide des réserves identiques préparées par une sorte de travail de sécrétion. Et ce que nous disons ici de la formation des réserves nutritives se retrouve dans les deux règnes, aussi bien chez les animaux que chez les végétaux. D'ailleurs, il faut le reconnaître, les faits sont venus eux-mêmes démontrer que la dualité vitale ne pouvait exister sous la forme absolue quelle avait revêtue. Pour ce qui est delà formation des principes immé- diats, la question a été résolue et la solution acceptée par ceux-là mêmes qui avaient d'abord soutenu la théorie contraire. Il a été démontre que les animaux forment réellement de la graisse indépendamment de celle qu'ils ingèrent et qu'ils pourraient emprunter à l'alimentation. L'herbivore crée la graisse au lieu de la trouver toute formée, et le Carnivore agit de même. Non-seulement les animaux font de la graisse, mais ils n'emploient pas directement celle que renferment leurs 142 LES TROIS FORMES DE LA VIE. aliments. Celte sorte d'économie qu'il y aurait à utiliser la substance déjà formée et qui nous vient à l'esprit, la nature ne la connaît pas. Elle ne profite point de la besogne toute faite, comme si c'était autant de gagné. Le chien, par exemple, ne s'engraisse pas du suif du mouton; il fait de la graisse de chien. J'ai moi-même, avec le concours de M. Berthelot, essayé de fournir une démonstration expérimentale de ce fait, en employant un moyen de reconnaître et de suivre la graisse four- nie à l'animal : ce moyen consiste à employer comme aliment de la graisse chlorée, où le chlore remplace quelques molécules d'hydrogène. Si l'animal soumis à ce régime présente une graisse différente de celle qui lui a été offerte et possède les caractères propres à l'organisme qui l'a produite; il faudra bien conclure qu'il n'y a pas eu simple mise en place de l'aliment introduit. On pourrait démontrer de même que les substances albuminoïdes qui constituent les tissus animaux ne sont pas empruntés directement aux substances alibiles des végétaux. Mais c'est surtout pour la formation de la matière sucrée que les doutes ont été entièrement levés. Il y a une trentaine d'années, on croyait que le sucre était incontestablement une substance végétale et que celui qui existait dans les organismes animaux avait été nécessairement emprunté aux plantes. J'ai réussi à démontrer qu'il en est tout autrement et que l'animal fabrique lui-môme cette substance indispensable au fonctionnement vital, aux dépens des matériaux al i m en- RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 1 43 ta ire s très -différents qu'on lui fournit. J'ai prouvé de plus que le sucre se produit dans l'animal par un mé- canisme identique à celui qui a lieu dans le végétal. Nous reviendrons sur ces faits à propos de l'étude des phénomènes de créations organiques. Concluons seule- ment ici qu'à l'égard de la formation des principes im- médiats, l'expérience démontre que les animaux et les végétaux ne se distinguent pas et que les uns et les autres peuvent former les mêmes principes organiques. L'antagonisme de la respiration des animaux et des végétaux n'est pas davantage confirmé par l'expérience. La réduction de l'acide carbonique opérée par le végé- tal est le fait de la fonction chlorophyllienne ; celle-ci n'a aucun rapport avec la respiration qui est identique dans les deux règnes. Le protoplasma végétal, les par- ties incolores, racines, graines, etc., ont les mêmes pro- priétés respiratoires que les tissus animaux. Le végétal comme l'animal absorbe de l'oxygène, exhale de l'acide carbonique et produit de la chaleur; le fait n'est pas douteux lorsque l'on suit la germination des graines. Relativement à la sensibilité qui constituerait le troi- sième point d'antagonisme entre les végétaux et les animaux, nous aurons l'occasion de montrer qu'elle n'est en aucune façon un attribut exclusif de l'anima- lité (voy. Leçon VIIe). Si les végétaux ne présentent pas des fonctions locomotrices comparables à celles des ani- maux, ils n'en possèdent pas moins une sensibilité, qui est \eprimum movens de tout acte vital. Si les partisans de l'opposition chimico-physique, entre les animaux et les végétaux, ont dû céder à l'évi- 144 LES TROIS FORMES DE LA VIE. dence des faits contraires et revenir sur l'absolu de leurs anciennes opinions, l'esprit de la théorie n'en subsiste pas moins; il est intéressant de voir que la dualité vitale se concentre maintenant sur un seul argument. On ne peut plus douter, avons-nous dit, que les ani- maux et les plantes ne soient capables de produire les mêmes principes immédiats; on ne peut plus nier que les uns et les autres soient le siège de destructions et de réductions infiniment nombreuses et connexes. La différence ne résiderait plus entre animaux et végétaux que dans l'agent ou l'énergie qui est la cause des phé- nomènes chimiques et mécaniques qui se passent en eux. C'est un point que nous traiterons avec plus de détail, en étudiant les phénomènes de création vitale (voy. Leçon VIIe). Pour le moment il suffira de rap- peler les grands traits de la question. Il est admis aujourd'hui (1) que les phénomènes de synthèse chez les végétaux et les animaux forment deux groupes : ceux qui exigent la radiation solaire, ce sont les réduc- tions opérées dans les plantes vertes sous l'influence de la chlorophylle; ceux qui ont lieu sous l'influence des combustions opérées dans les animaux ou dans les parties des plantes qui ne contiennent pas de matière verte. Telles seraient les deux sources de forces vives qui s'accumulent dans les êtres vivants : tantôt elles sont directement empruntées à l'énergie solaire, tantôt elles sont empruntées à la chaleur produite par les (1) Voyez Boussingault, C. IL, 10 avril 1876, t. LXXXII, p. 78S. — C. /?., 24 avril 1876. RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 145 combustions. La force vive vient du soleil quand il y a de la chlorophylle; dans tous les autres cas, soit pour les animaux soit pour les végétaux, elle provient de la chaleur dégagée dans les oxydations ou dans les combi- naisons chimiques de même ordre. Comme exemple de ce dernier genre, nous pouvons prendre la levure de bière, le saccharomyces cerevisiœ. Ce champignon ne contient point de matière verte, il n'a pas de chloro- phylle. Aussi ce végétal ne peut-il emprunter son car- bone directement à l'acide carbonique : il a besoin d'un corps combustible explosif, le sucre, c'est-à-dire d'un corps qui puisse donner de la chaleur en se brûlant. Ici l'énergie calorifique remplacerait l'énergie solaire. Toute la différence entre les êtres vivants serait fina- lement réduite à cela. Nous ferons remarquer que ce nouveau caractère ne peut servir à distinguer les animaux des plantes. Quoi- que les végétaux soient pourvus de chlorophylle, surtout pendant l'été, d'une manière incomparablement plus abondante que les animaux, on ne peut d'une manière absolue confondre le végétal avec la chlorophylle. On devrait simplement dire qu'il y a des êtres contenant de la chlorophylle et capables d'utiliser la force vive éma- née du soleil : ce serait le règne des êtres à chloro- phylle; puis viendrait le règne des êtres sans chloro- phylle qui sont obligés de tirer d'une manière indirecte du soleil, c'est-à-dire des combinaisons formées en définitive sous l'influence de ses rayons, la puissance dynamique qu'ils doivent utiliser. Mais cette division qui consisterait à ranger les êtres d'après l'existence ou CL. BERNARD. 10 140 LES TROIS FORMES DE LA VIE. l'absence de la matière verte chlorophyllienne ne corres- pond plus à la classification des êtres vivants en végé- taux et animaux. Toute la vaste classe des champignons, dépourvus de chlorophylle devrait être distraite des végétaux et beaucoup d'animaux (Euglena viridis, Stentor polymorphus, etc., etc.) devraient être rangés dans les végétaux. Au point de vue philosophique, les théories dualistes de la vie ont eu pour objet de nous montrer d'une ma- nière saisissante les rapports des êtres dans les trois règnes de la nature. Elles ont étudié surtout les consé- quences de ces rapports et regardé chaque être comme une machine travaillant au service d'autrui. Ces théories sont surtout empreintes des considérations finalistes que l'homme ne peut s'empêcher d'exprimer lorsqu'il se fait le centre des grands phénomènes cosmiques qui l'en- tourent : le règne minéral est le réservoir général; les végétaux travaillent pour les animaux, et le monde entier est fait pour l'homme qui en utilise les produits pour son bien-être matériel ou dans l'intérêt social. Par ce côté ces théories paraissent se relier à la vie pratique. C'est pourquoi on en a fait à l'agriculture, à L'hygiène, de nombreuses applications que nous n'avons pas à examiner ici. Toutefois, nous pensons que ces vues théoriques qui reposent sur des résultats évidents et incontestables ne répondent pas à la véritable conception physiologique des phénomènes. En effet, l'identification de l'organisme animal à un appareil dans lequel s'engendrent des forces vives, à un RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 147 fourneau dans lequel vient s'engouffrer et se brûler le règne végétal, peut représenter une apparence exté- rieure; mais ce n'est pas l'expression physiologique d'une loi qui relierait la vie animale et végétale. Sans doute, les animaux herbivores se nourrissent des plan- tes, et les carnassiers des herbivores. Ces résultats qui assurent l'équilibre cosmique sont les conséquences, ainsi que nous le montrerons plus tard de la loi géné- rale de la lutte pour l'existence d'après laquelle la na- ture ne peut engendrer la vie que par la mort, la créa- tion par la destruction. Pour nous ces faits, quoique nécessaires, sont en réalité accidentels et contingents dans leur déterminisme; ils restent en dehors de la finalité physiologique. La loi de la finalité physiologique est dans chaque être en particulier et non hors de lui : l'organisme vi- vant est fait pour lui-même, il a ses lois propres, intrin- sèques. Il travaille pour lui et non pour d'autres. Il n'y a rien dans la loi de l'évolution de l'herbe qui implique qu'elle doit être broutée par l'herbivore; rien dans la loi d'évolution de l'herbivore qui indique qu'il doit être dé- voré par un carnassier; rien dans la loi de végétation de la canne qui annonce que son sucre devra sucrer le café de l'homme. Le sucre formé dans la betterave n'est pas destiné non plus à entretenir la combustion respira- toire des animaux qui s'en nourrissent ; il est destiné à être consommé par la betterave elle-même dans la se- conde année de sa végétation, lors de sa floraison et de sa fructification. L'œuf de poule n'est pas pondu pour servir d'aliment à l'homme, mais bien pour produire un 148 LES TROIS FORMES DE LA VIE. poulet, etc. Toutes ces finalités utilitaires à notre usage, sont des œuvres qui nous appartiennent (voy. Leçon VIIIe, causes finales), et qui n'existent point dans la nature en dehors de nous. La loi physiologique ne condamne pas d'avance les êtres vivants à être mangés par d'autres; l'animal et le végétal sont créés pour la vie. D'autre part une conséquence impérieuse de la vie est de ne pouvoir naître que de la mort. Nous l'avons répété sous toutes les formes : la création organique implique la destruction organique. Ce qui s'observe dans les phéno- mènes intimes de la nutrition, dans la profondeur de nos tissus, se manifeste dans les grands phénomènes cosmiques de la nature. Les êtres vivants ne peuvent exister qu'avec les matériaux d'autres êtres morts avant eux ou détruits par eux. Telle est la loi. En résumé, la physiologie générale, qui ne considère la vie que dans ses phénomènes essentiels et généraux, ne nous permet pas d'admettre une dualité des ani- maux et des végétaux, une physiologie animale et une physiologie végétale distinctes. Il n'y a qu'une seule manière de vivre, qu'une seule physiologie pour tous les êtres vivants; c'est la physiologie générale qui conclut à l'unité vitale dans les deux règnes. Si maintenant, au lieu de considérer la vie dans ses deux manifestations nécessaires et universelles, la créa- tion et la destruction vitale, nous pénétrons dans le jeu des divers mécanismes vitaux que la nature nous pré- sente, si nous descendons dans l'arène où se passe la lutte pour l'existence, alors nous trouverons des diffé- rences fonctionnelles et des variétés infinies. Non-seu- RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 1 Ï9 lement nous trouverons que des animaux sont con- formés pour manger des végétaux, mais que des ani- maux sont armés pour dévorer d'autres animaux plus faibles qu'eux. C'est en un mot le régne de la loi du plus fort, loi qui n'a rien de nécessaire, puisque les hasards du combat vital peuvent faire que tel être échappe à la mort, tandis que tel autre succombe. Toutefois, au milieu de cette mêlée silencieuse, que nous appelons par antiphrase l'harmonie de la nature, et dans laquelle viennent s'entre-détruire toutes les existences, jamais la loi fondamentale de la physiologie générale que nous avons énoncée n'est violée. Jamais la vie ne se manifesle sans en (rainer avec elle dans le même être un double mouvement de création et de destruction organique équivalente, de sorte que nous ne trouvons jamais des êtres vivants jouant séparément le rôle d'organismes créateurs de la matière organique, tandis que d'autres auraient le rôle contraire de détruire cette matière organique pour la restituer au monde minéral. Tous les êtres vivants se nourrissent de même : l'ani- mal pas plus que le végétal ne procède par nutrition directe, ils s'alimentent, en réalité, l'un et l'autre malgré les apparences contraires, en prenant au monde ambiant des matériaux tombés dans un état plus ou moins profond d'indifférence chimique. L'animal comme le végétal modifient ces matériaux, les élaborent et en forment des réserves appropriées à leur nature et utilisées ultérieurement pour leur propre compte. Tan- tôt la formation de la réserve et sa dépense peuvent 150 LES TROIS FORMES DE LA VIE. être à peu près simultanées ou très-rapprochées, tantôt elles sont successives et à long intervalle. Ce dernier cas s'observe pour les végétaux, surtout pour les végétaux bisannuels. Pendant la première année, la plante accu- mule ses réserves et on peut croire qu'elle n'est alors qu'un appareil de création ou de synthèse. Pour les animaux au contraire et particulièrement pour les ani- maux à sang chaud, les réserves ne durent pas long- temps et se dépensent en quelque sorte au fur et à mesure, de sorte qu'on peut croire que ces derniers êtres sont uniquement des appareils de combustion, de destruction. Chez les animaux à sang froid, les réserves sont faites dans certains cas à longue portée et se rap- prochent par ce côté de celles des végétaux. En définitive, le végétal et l'animal sont deux ma- chines vivantes distinctes munies d'instruments et d'ap- pareils variés avec des modes de fonctionnement qui don- nent aux phénomènes de leur existence des apparences fort différentes. Mais l'unité de la vie ne doit pas nous être dissimulée par la variété de la fonction; le muscle, la glande, le cerveau, les nerfs, lesorganes électriques, etc., vivent semblablement, mais fonctionnent très-différem- ment. Les végétaux et les animaux vivent identique- ment, mais fonctionnent autrement. Même en admet- tant que la fonction chlorophylienne soit spéciale aux végétaux, il ne faut pas en tirer la conclusion que les végétaux vivent autrement que les animaux, ce serait une erreur; le protoplasma chlorophylllien, qui a pour fonction de réduire l'acide carbonique et de dégager de l'oxygène, ne vit pas moins comme tous les proto- RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 151 plasmas animaux et végétaux en absorbant de l'oxygène et en exhalant de l'acide carbonique. Au point de vue de la physiologie générale, nous ne considérons pas seulement les fonctions différentielles des êtres vivants entre eux, lesquelles n'ont rien d'ab- solument nécessaires à la vie ; nous considérons, au con- traire, les phénomènes généraux et communs qui sont indispensables à l'existence de tous les êtres. Qu'importe qn'un être vivant ait des organes ou des appareils plus ou moins variés et complexes, des poumons, un cœur, un cerveau, des glandes, etc., etc. Tout cela n'est pas nécessaire à la vie d'une manière absolue. Les êtres inférieurs vivent sans ces appareils, qui ne sont que l'apanage des organisations de luxe. L'étude des êtres inférieurs est surtout utile à la physiologie générale, parce que chez eux la vie existe à l'état de nudité pour ainsi dire. Elle est réduite à la nutrition : destruction et création vitale. Or nous le répétons, cette vie est toujours complète dans la plante comme dans l'animal. Ils ne représentent pas chacun une demi-vie qui, se complétant réciproquement, rendrait les deux êtres étroitement complémentaires l'un de l'autre. C'est en définitive dans l'intimité des phénomènes de la nutrition que se manifeste surtout la loi de l'unité vitale chez les animaux et chez les végétaux. Mais pour saisir cette unité, il faut considérer le phénomène nutritif dans sa totalité; car si on n'analyse qu'un côté des rapports des êtres vivant avec le milieu cosmi- que, on peut trouver parfois que les phénomènes de la vie animale et végétale revêtent des apparences con- 152 LES TROIS FORMES DE LA VIE. traires. C'est ce qui a semblé parfois résulter de ce qu'on a appelé le bilan nutritif des animaux et des végé- taux. Nous terminerons par quelques réflexions à ce sujet. Le bilan du mouvement organique des animaux et des végétaux se dresse comme celui d'une machine or- dinaire dont on veut connaître le travail intérieur. On analyse ce qui entre, on analyse ce qui sort dans un temps donné, et de la dépense on déduit ce qui s'est fait dans la machine. Cette manière d'opérer, applicable sans doute aux machines inertes, n'est plus légitime pour les organismes ou machines vivantes. Si la nu- trition et la combustion organiques étaient directes, comme on l'a cru après Lavoisier, le bilan direct pour- rait être admissible. Mais la physiologie nous a appris que la nutrition est indirecte et ne se fait qu'à longue portée après des mois et môme des années chez cer- tains végétaux. Donc il faudrait, pour conclure, rigou- reusement avoir des observations ou des expériences d'une durée équivalente; sans cela on n'obtient que des résultats partiels dont on ne peut pas tirer de conclu- sions générales. MM. Regnault et Reiset ont fait bien sentir cette diffé- rence qui existe entre les machines vivantes et les ma- chines inertes, quand dans leurs belles recherches sur la respiration, ils ont analysé le travail de Dulong et Desprez sur la chaleur animale. Ces derniers auteurs supposant que la combustion est directe, admettaient que la chaleur produite dans le corps est représentée par la chaleur de combustion du carbone et de l'hydrogène RÉFUTATION DES THÉORIES DUALISTES. 153 à l'aide de l'oxygène respiré. Les nombres de leurs analyses correspondent même avec celte explication. MM. Regnault etReiset, tout en admettant que les phé- nomènes de calorifîcation ne peuvent être dans l'or- ganisme comme au dehors de lui que le résultat des phénomènes de combustion, n'hésitent pas à considérer les nombres trouvés par Dulong et Desprez comme faux et la concordance de leurs analyses comme tout à fait fortuite. C'est qu'en effet il y a bien d'autres phénomènes dont il faudrait tenir compte si l'on voulait avoir l'équation de la production de la chaleur animale dans l'organisme vivant. On simplifie donc trop les problèmes, et selon le mot spirituel de Mulder : déduire les phénomènes qui se passent dans l'organisme de l'analyse des maté- riaux qui le traverse, ce serait prétendre connaître ce qui se passe dans une maison en analysant les ali- ments qui entrent par la porte et la fumée qui sort par la cheminée. Nous reconnaissons néanmoins aux recherches de statique chimique une grande importance , parce qu'elles fournissent les premières données sur les- quelles le physiologiste doit se baser pour poursuivre l'étude des phénomènes intimes de la nutrition dans nos tissus. Mais la physiologie expérimentale nous enseigne que ces problèmes intermédiaires de la nu- trition doivent ensuite être suivis pas à pas à l'aide d'expériences délicates, au lieu d'être déduits d'expli- cations hypothétiques fondées sur la comparaison du matériel d'entrée et de sortie. 154 LES TROIS FORMES DE LA VIE. Les phénomènes de la nutrition sont trop complexes pour pouvoir se prêter à ce genre d'investigation qui n'est applicable, nous le répétons, qu'aux machines in- organiques. Nous pourrions citer beaucoup de consé- quences physiologiquement erronées, auxquelles on a été conduit par cette manière indirecte d'opérer ; tandis qu'au contraire l'étude expérimentale des phénomènes de la nutrition poursuivie directement dans les organes, dans les tissus, et môme dans les éléments de tissus, nous a conduit à des découvertes fécondes. Jamais on n'aurait découvert la formation du sucre dans le foie si l'on s'était borné à comparer les analyses des matières à l'entrée et à la sortie de l'organisme. Le physiologiste doit s'appuyer sur ces résultats chimiques généraux; mais il ne doit pas s'en contenter, il doit descendre, à l'aide de l'expérience directe, dans l'intimité des or- ganes, dans le tissu, dans la cellule vivante dont la fonction est identique dans l'animal comme dans le végétal. C'est par cette étude seule qu'il pourra saisir le mystère de la nutrition intime et arriver à se rendre maiire de ces phénomènes de la vie, ce qui est son but suprême. On voit ainsi par quel point de vue le physiologiste et le chimiste peuvent différer quand ils étudient les phénomènes de l'organisme vivant. Conclusion. — De la discussion générale qui précède, nous pouvons conclure que malgré la variété réelle que les phénomènes vitaux nous offrent dans leur appa- rence extérieure, dans les animaux et dans les végétaux ils sont au fond identiques parce que la nutrition des CONCLUSION. 155 cellules végétales et animales qui sont les seules parties vivantes essentielles ne sauraient avoir un mode diffé- rent d'exister dans les deux règnes. En conséquence nous considérons notre grande divi- sion des phénomènes de la vie : destruction et création organique, comme justifiée et comme établie en physio- logie générale. Cette division nous servira de cadre dans les leçons oui vont suivre. QUATRIÈME LEÇOS PHÉNOMÈNES DE DESTRUCTION ORGANIQUE. Ienm-utution. — Combustion. — I» ut ri- faction Sommaire : Phénomènes de la création et de la destruction organique. — Etude des phénomènes de destruction organique. — Fermentation, combustion, putréfaction. I. Fermentation. — Catalyse; Berzélius. — Décomposition; Liebig. — Théorie organique; Cagniard de Latour, Turpin, Pasteur. — Ferments solubles, ferments figurés. — Les actions des ferments solubles se retrou- vent dans le règne minéral. — Les mêmes ferments sont communs aux deux règnes, animal et végétal. — Les ferments agissent pour transformer et décomposer les produits des réserves nutritives. — Fermentations dues aux ferments figurés. — Fermentation alcoolique; ses conditions. II. Combustion. — Théorie de Lavoisier; combustion directe, vive ou lente. — La combustion directe n'existe pas. — Combustions indirectes; dédoublement, sorte de fermentation appartenant aux végétaux et aux animaux. — Fait particulier des glandes. — Rôle inconnu de l'oxygène dans l'organisme. III. Putréfaction. — Appartient aux animaux et aux végétaux. — Théories de la putréfaction; Gay-Lussac, Appert, Schwann, Pasteur. — Fermen- tation putride. — Analogie de la putréfaction et des fermentations. — La vie est une putréfaction. — Mitscherlich, Hoppe-Seyler, Sehùtzen- berger, etc. Nous avons proposé, discuté et établi en physiologie générale, la division des phénomènes de la vie en deux grands groupes : 'phénomènes de création ou de synthèse organique, phénomènes de destruction organique. Il faut maintenant poursuivre cette division dans ses détails et étudier séparément les deux ordres de phénomènes vi- taux qui s'y rapportent. Nous commencerons par l'étude des phénomènes de destruction vitale, parce qu'ils se PHÉNOMÈNES DE DESTRUCTION ORGANIQUE. 157 montrent dès l'origine de l'être et qu'ils débutent avec l'apparition de la vie. Les phénomènes de destruction organique ont pour expression môme les manifestations vitales. On peut regarder comme un axiome physiologique la proposition suivante : Toute manifestation vitale est nécessairement liée à une destruction organique. Quels sont ces. phénomènes de désorganisation ? Lavoisier, dans le passage que nous avons précédem- ment cité, rattache tous les phénomènes de destruction organique à l'un de ces trois types : I. Fermentation. ïï. Combustion. III. Putréfaction. C'est, en effet, par l'un ou l'autre de ces procédés que la matière organisée se détruit, soit par suite du fonc- tionnement vital, soit dans le cadavre après la mort. Ces trois phénomènes typiques présentent malheureu- sement encore beaucoup d'obscurités, malgré l'im- pulsion très-active qui a été donnée à leur étude et malgré les progrès considérables qui ont été accomplis depuis quelques années. Il ne s'agira pas d'ailleurs, dans ces leçons où nous traçons une sorte d'esquisse ou de plan de la physiologie générale, de résoudre les questions ; il importe d'abord de les poser : c'est à quoi nous nous bornerons en traitant successivement de la fermentation, de la combustion, de la putré- faction. Nous indiquerons d'une manière rapide et 158 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. sommaire non pas l'état détaillé de nos connaissances sur ces phénomènes complexes, mais bien plutôt la place qu'ils doivent occuper dans un conspectus phy- siologique, nous réservant de les développer plus tard en faisant connaître nos recherches personnelles. I. Fermentations. — Les chimistes et les physiolo- gistes n'ont jamais été et ne sont pas encore d'accord sur ce que l'on doit entendre sous le nom de fermenta- tion. On a dit, dans ces derniers temps, d'une façon géné- rale, que ce nom s'appliquait à toutes les réactions orga- niques provoquées par un corps qui ne gagnait et ne per- dait rien dans le phénomène, qui semblait n'intervenir que par sa présence. Berzélius appelait actions catalyti- ques les phénomènes de ce genre. C'est ainsi que la mousse de platine, disait-on, agit par simple présence ou par catalyse sur l'alcool pour le faire passer successive- ment à l'état d'aldéhyde, puis d'acide acétique. La fer- mentation était une catalyse organique. C'était là bien entendu une simple désignation et non une explication. Le rapprochement que ce nom indique n'est pourtant pas exact, et nous donnerait une idée très-fausse des fermentations qui s'accomplissent chez les animaux et les végétaux. En effet, les fermentations que Ton connaît pour les avoir étudiées dans l'économie vivante où elles s'ac- complissent ne sont pas comparables aux phénomènes que Berzélius appelait des actions catalytiques. Le fer- ment ne reste pas indifférent aux décompositions qu'il provoque. Il est prouvé aujourd'hui que, dans l'action FERMENTATIONS. 159 de la diastase sur l'amidon, la diastase s'use et que son usure est en rappprt avec l'énergie de l'action qu'elle a exercée. Aussi le ferment ne reste pas invariable. Nous venons de citer un cas où il se détruit : dans d'autres cas, il se multiplie. Cela a lieu, pour ce que l'on appelle les fer- ments figurés. Le Mycoderma aceti, organisme micro- scopique qui transforme l'alcool en acide acétique, n'agit pas simplement à la façon de la mousse de platine; il augmente de poids, il s'accroît et se multiplie dans la liqueur où il agit et corrélativement à son action même. ïl ne faut donc pas, d'après cela, rapprocher les fermentations des phénomènes d'ailleurs obscurs et inconnus que l'on a rangés sous le titre d'actions cata- lytiques. Berzélius avait en vue surtout la fermentation alcoolique : il ignorait que le ferment, la levure, fût un être organisé, il le regardait comme un principe amor- phe. Mitscherlich, qui connaissait cependant la nature organisée de la levure, lui attribuait le môme rôle que Berzélius. Liebig comprit autrement les fermentations. Prenant pour type la fermentation alcoolique, il la considéra comme l'avaient fait autrefois les iatrochimistes Willis et Stahl. « La levure de bière et en général toutes » les matières animales et végétales en putréfaction » reportent sur d'autres corps l'état de décomposition » dans lequel elles se trouvent elles-mêmes ; le mouve- » ment qui, par la perturbation d'équilibre, s'imprime » à leurs propres éléments se communique également 160 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. » aux éléments des corps qui se trouvent en contact avec » elles. » Le ferment, dans cette manière de voir, est un corps en décomposition, dont les molécules, animées d'un mouvement particulier interne, communiquent l'ébranlement à une substance fermentescible instable. Pour caractériser d'un mot la théorie de Liebig, il faudrait dire que la fermentation est une décomposition qui en entraîne une autre. Cagniard de Latour reconnut vers 1836, par l'in- spection microscopique, que la levure de la fermentation alcoolique était formée de globules organisés, de cellules vivantes, capables de se reproduire, ayant une enveloppe et un contenu. Le rôle de cet organisme dans la fer- mentation fut surtout précisé par M. Pasteur. La fermen- tation alcoolique est un phénomène corrélatif de l'orga- nisation, du développement, de la multiplication, c'est- à-dire de la vie des globules. C'est ce que l'on a appelé la théorie physiologique de la fermentation, que Turpin, en 1838, avait formulée le premier, en disant : « Fer- mentation comme effet et végétation comme cause. » On distingue aujourd'hui deux espèces de fermenta- tions, selon la nature soluble ou insoluble du ferment : les unes produites par l'intervention d'un ferment organisé ou figuré, les autres produites par les ferments non figurés, liquides, produits solubles, élaborés, sécrétés par les organismes vivants. Les ferments solubles existent dans les plantes et dans les animaux. Ils ont pour type, la diastase végétale et les ferments digestifs ; ils ont pour caractère commun d'être solubles dans l'eau, préci pi tables par l'alcool et FERMENTATIONS. ]()1 de nouveau solubles dans l'eau. Un autre trait com- mun est encore la grandeur de l'effet comparée à la masse très-faible du ferment. Une très-petite fraction de diastase peut saccharifier une grande quantité (plus de deux mille fois son poids) d'amidon. Enfin, la substance active ne se multiplie pas, mais au contraire s'épuise et se détruit par son action même. Ces ferments sont capables de provoquer des réactions chimiques très-énergiques. J'ai insisté depuis très-long- temps pour établir que les fermentations spéciales quant à leurs procédés, ne sont pas, au fond, quant à leur nature essentielle, différentes des actions chimiques générales; toutes, en effet, sont représentées dans le règne minéral. Certains ferments, diastase animale et végétale, ferments inversifs des plantes ou des animaux, agissent à la façon des acides minéraux : d'autres ont le même effet que produirait un alcali; de ce nombre est le ferment des matières grasses qui existe dans le suc pancréatique et qui émulsionue d'abord et qui saponifie ensuite ces substances, etc. Les fermentations amènent la destruction des compo- sés complexes des organismes, leur dédoublement en des corps plus simples, accompagné d'une hydratation. Elles jouent un rôle très-important dans la nutrition. On les trouve à la fois dans l'économie végétale et animale. La chose est facile à démontrer dans le cas des diastases ; le ferment glycosique ou diastase proprement dite se ren- contre dans toutes les parties de l'organisme où l'amidon animal ou végétal doit être rendu soluble. Dans les graines, le ferment manifeste son activité lors de la CL. BERNARD, 1 1 1(>2 LI£ÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. germination; dans le tubercule de la pomme de terre, il entre en activité au printemps; dans le foie, il existe toujours de manière à transformer l'amidon animal en glycose. En d'autres termes, partout où des matières féculentes doivent alimenter un organisme, on constate la présence d'un ferment identique. L'amidon n'est donc pas utilisé sous sa forme actuelle; il ne participe à la vie végétale ou animale, que lorsque par hydratation, il a été transformé en sucre de glycose. D'autre part, le sucre, s'il était à l'état de glycose, ne se conserverait pas clans l'organisme : il se détruirait bientôt, sans pou- voir jouer ce rôle de réserve qui est indispensable au fonctionnement vital dans les deux règnes. Ce que nous disons de l'amidon, de son accumulation en réserves insolubles, de sa transformation par fer- mentation au moment convenable, est vrai pour beau- coup d'autres substances moins bien connues. La ma- nière d'être, de l'une d'elles, cependant, le sucre de saccharose (sucre de canne, de betterave) vient con- firmer cette généralisation. Il est susceptible, en effet, de s'accumuler à l'état de réserves dans les tissus des vé- gétaux. Sous cette forme, il n'est point utilisable; il n'est pas directement oxydable par l'organisme ; il est nécessaire qu'il soit transformé en sucre de glycose. Un ferment inversif est chargé de la transformation. Ce ferment existe identique chez les animaux et les plantes : la levure de bière, qui a besoin de transformer en gly- cose, pour s'en nourrir, le sucre de cannes avec lequel elle est mise en présence, fabrique ce ferment. M. Ber- thelot l'y a découvert. La betterave se comporte de FERMENTATIONS. 163 même, relativement au sucre accumulé dans sa racine pendant la première année de la végétation; j'ai démon- tré que les animaux procèdent de même pour tirer partie du sucre de saccharose contenu dans leurs aliments. Nous avons dit que les actions du genre fermentatif sont extrêmement nombreuses; elles sont en effet le type général des actions vitales de destruction; beaucoup ne sont encore que soupçonnées; le plus grand nombre est absolument ignoré. Ce que Ton en sait suffit pour- tant pour permettre de juger de l'importance de ces phénomènes. Les matières albuminoïdes sont rendues solubles et digérées par un ferment, la pepsine, qui existe dans le suc- gastrique; la pepsine ne fait que commencer l'action : la trypsine, ferment de même nature, contenu dans le suc pancréatique, achève cette transformation en peplone. On a pensé que cet agent existait dans les différents points de l'organisme où sa présence peut être néces- saire pour digérer les albuminoïdes : Brùcke a prétendu le retrouver dans le sang et dans les muscles. Il est probable qu'on l'isolera dans les végétaux. De même, il existe dans les amandes, douces etamères, un ferment soluble énergique, Xêmulsine, qui est capa- ble de dédoubler un grand nombre de glycosides; l'a- mygdaline (en glycose, acide cyanhydrique et essence d'amandes ameres) ; la salicine, l'hélicine, l'arbutine, la phlorizine, Tesculine, la daphnine. Or, il est remar- quable que l'on trouve précisément un ferment de la même nature, chez les animaux, dans le foie et le pancréas. 11 serait inutile de multiplier ces exemples, 164 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. de signaler la fermentation du myronate de potasse pro- duite par la myrosine, la fermentation des acides biliai- res, de l'acide hippurique, du tannin, de la pectose, etc. Il suffit que l'on comprenne qu'il s'agit ici d'un procédé général employé par la nature pour opérer le dédouble- ment, c'est-à-dire la destruction dJun très-grand nom- bre de principes organiques aussi bien dans les plantes que chez les animaux. On range parmi les fermentations (F. à ferments figurés) un second ordre de décompositions provoquées par des êtres organisés. Le type de ces actions est la fermentation alcoolique produite par la levure de bière. C'est clans ce groupe de phénomènes qu'il faudrait ranger les transformations du sucre en alcool, en acide lactique, en acide butyrique, en gomme, en mannite, en acide acétique. Ce sont là des exemples de destructions accomplies dans des circonstances particulières ou dans le cours de l'existence d'êtres particuliers. Cependant quelques-unes de ces fermentations des- tructives des matières organisées pourraient peut-être avoir une très-grande généralité. Il semblerait que beau- coup de cellules soit animales soit végétales, mises dans les conditions des cellules de levure, agissent comme celles-ci. Dans quelles conditions la levure provoque-t-elle la fermentation alcoolique? C'est, d'après M. Pasteur, lors- que le ferment est privé d'air. Comme il a besoin d'oxy- gène pour subsister, ne pouvant l'emprunter directement, il se trouve dans l'alternative ou de périr ou de se le COMBUSTIONS. 165 procurer par un autre procédé. La levure prend alors de l'oxygène aux matières ambiantes; elle en prend au sucre en provoquant sa fermentation ou destruction, opéra- tion capable d'engendrer la chaleur, de produire l'éner- gie calorifique dépensée dans le fonctionnement vital. On sait, avons-nous dit, que d'autres cellules semblent susceptibles d'agir d'une façon identique. On a signalé, en effet, que certaines plantes d'Afrique produisent de l'alcool dans leurs racines. MM.LechartieretBellamy ont montré que les fruits placés dans une atmosphère d'a- cide carbonique, c'est-à-dire mis dans l'impossibilité de respirer comme ils font d'ordinaire en absorbant de l'oxygène et rejetant de l'acide carbonique, se compor- tent comme la levure : ils transforment partiellement leur sucre en alcool et acide carbonique. On sait d'ailleurs que l'on peut retirer de l'alcool de la distillation de cer- tains fruits, tels que les prunes à l'époque de leur maturité. M. de Luca s'est assuré que certaines feuilles placées également dans une atmosphère d'acide carbo- nique se comportent de la même manière et donnent naissance aux fermentations alcoolique et acétique. On pourrait comparer la fermentation à l'aide des ferments figurés ou vivants à une sorte de parasitisme qui altère le milieu dans lequel viveutces êtres élémentaires. A ce titre ces ferments rentrent dans notre étude puis- qu'ils produisent la destruction, le dédoublement des matières plus simples avec lesquelles ils sont en contact. IL Combustions. — Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans l'étude des phénomènes de combustion et IG6 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DK LA VIE. de leur rôle dans la vie des organismes. Nous voulons seulement rappeler, à cette occasion, un principe que nous soutenons depuis longtemps, à savoir que les phé- nomènes chimiques des organismes vivants ne peuvent jamais être assimilés complètement aux phénomènes qui s'opèrent en dehors d'eux. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que les phénomènes chimiques de l'être vivant, bien qu'ils se passent suivant les lois générales de la chimie, ont toujours leurs appareils, leurs procé- dés spéciaux. (Voyez, à ce sujet, mon Rapport sur les progrès de la physiologie générale, 1867.) On sait depuis Lavoisier que la destruction, l'usure moléculaire qui accompagne les phénomènes vitaux consiste dans une sorte d'oxydation de la matière organique : elle est l'équivalent d'une combustion. Mais Lavoisier et les chimistes qui nous ont fait connaître cet important résultat sont tombés dans une erreur, presque inévitable à leur époque, sur le mécanisme de ces phénomènes, erreur qui, encore aujourd'hui, a cours auprès de beaucoup de savants. Ils ont assimilé les pro- cessus chimiques qui se font dans l'organisme à une oxydation directe, à une fixation d'oxygène sur le car- bone des tissus. En un mot. ils ont cru que la combus- tion organique avait pour type la rombustion qui se fait en dehors des êtres vivants dans nos foyers, dans nos laboratoires. Tout au contraire, il n'y a peut-être pas dans l'organisme un seul de ces phénomènes de prétendue combustion qui se fasse par fixation directe d'oxygène. Tous empruntent le ministère d'agents spé- ciaux, des ferments par exemple. COMBUSTIONS. 107 Les impérissables travaux de Lavoisier sur la respira- tion nous ont fait comprendre le rôle de l'oxygène, non dans ses détails, mais au moins dans ses grands traits. L'oxygène est nécessaire ta l'entretien de la vie, a-t-on dit, parce qu'il entretient la combustion; sa suppression, si elle n'est compensée par quelque artifice, ne saurait être longtemps soutenue; ce gaz s'unit à la substance organique et il est éliminé de l'organisme, à l'état de combinaison avec le carbone, à l'état d'acide carbonique. Ce n'est cependant pas à une combustion directe que ce gaz est employé. La formule banale répétée par tous les physiologistes que le rôle de l'oxygène est d'entretenir la combustion n'est pas exacte, puisqu'il n'y a point en réalité dans l'organisme de combustion véritable. Ce qui est vrai, c'est que le rôle exact de l'oxygène, que nous croyons savoir, nous est encore inconnu : k peine peut-on le soupçonner. Nous ne pouvons ici que poser la question, sans prétendre en aucune façon la résoudre; mais, dans tous les cas, nous le savons déjà l'oxygène ne sert pas à une combustion directe. D'abord qu'est-ce que les chimistes entendent sous ce nom de combustion .? C'est encore ici un de ces termes mal précisés sur lesquels règne le plus complet désac- cord. Quelques chimistes réservent ce nom à l'oxydation du carbone et de l'hydrogène qui a pour conséquence la production d'acide carbonique et de vapeur d'eau, avec production de chaleur; et, avec Lavoisier, ils distinguent la combustion vive et la combustion lente suivant que la production de chaleur est plus ou moins intense, dissipée à mesure de sa production, de manière à ne pas élever 108 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. à une haute température le corps combustible dans le cas de combustion lente ; à le porter, au contraire, au degré où il devient incandescent dans le cas de combus- tion vive. D'autres chimistes considèrent comme fait caractéris- tique de la combustion le développement de chaleur, de sorte qu'ils attribuent ce nom à toute combinaison, à toute action chimique, qui s'accompagne d'un grand développement de calorique. En nous en tenant à la première acception, peut-on dire qu'il y ait combustion dans l'organisme animal ou végétal ? On a répondu affirmativement à cette ques- tion. Lavoisier, qui avait, par une intuition de génie, créé son système en comparant les phénomènes res- piratoires avec les oxydations des métaux, avait dû penser qu'il en était ainsi. 11 avait comparé (1789) la consommation d'oxygène faite par le même homme d'abord au repos, puis accomplissant un travail, et il avait conclu que le travail musculaire accélérait les com- bustions organiques. On était depuis lors si bien per- suadé qu'il y avait une véritable combustion que le débat roulait simplement sur la question de savoir si c'était la substance môme du muscle qui se brûlait, ou si c'était des matières combustibles hydrocarbonées. Mais ni l'une ni l'autre de ces opinions ne saurait être soutenue en tant quelles impliqueraient une combustion directe. En effet, dans l'organisme, on ne rencontre jamais les produits de combustion incomplète, tels que l'oxyde de carbone. D'autre part, il ne se brûle pas COMBUSTIONS. 169 d'hydrogène; jamais l'on n'a pu constater directement la production de l'eau dans les prétendues combustions organiques. Il semble, au contraire, bien avéré, que l'eau de l'organisme a sa source exclusivement dans l'alimen- tation et qu'elle est introduite du dehors. J'ai montré que le sang qui sort d'un muscle eu contraction, n'est pas plus riche en eau que celui qui y entre, c'est même plus souvent le contraire. J'ai fait, en outre, remarquer que le sang qui sort d'une glande en sécrétion est plus pauvre en eau que celui qui entre, et que la différence est repré- sentée exactement par la quantité d'eau contenue dans le liquide sécrété. D'autre part, l'oxygène n'est pas immédiatement em- ployé : il n'est pas fixé directement. Un muscle en activité produit une quantité d'acide carbonique supérieure à la quantité d'oxygène absorbée dans le même temps. La consommation d'oxygène n'est donc pas en rapport exact avec la production d'acide carbonique. C'est ce que Petenkofer et Voit ont établi pour le muscle main- tenu en place, et pour le muscle séparé de l'animal L. Ilermann a obtenu le même résultat. On sait (et nous allons reproduire ici l'expérience sous vos yeux) que, même en l'absence de tout renouvellement d'oxy- gène, dans des gaz inertes, dans l'hydrogène par exemple que nous avons substitué à l'air ordinaire le muscle peut se contracter assez longtemps. Il rend alors de l'acide carbonique qui évidemment ne provient pas d'une combustion directe. Si pendant l'état d'activité le muscle rend plus d'oxygène combiné qu'il n'en reçoit ; au contraire, pendant le repos, il en prend plus qu'il n'en 170 LEÇONS SUR I.liS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. rend. Les faits établissent bien clairement que l'on n'a point affaire ici à une fixation directe et extemporanée d'oxygène sur la substance du muscle. Le phénomène est beaucoup plus complexe. Il consiste en des dédouble- ments chimiques, très-certainement de la nature des fermentations, mais actuellement plutôt soupçonnés que bien connus. On a imaginé l'hypothèse d'un dédou- blement par fermentation d'une matière du muscle, Yinogène, en acide carbonique, acide sarcolactique. et myosine. Cette hypothèse a simplement comme valeur de nous montrer le sens des interprétations actuelles que l'on tend à substituer à la théorie de la combustion directe de Lavoisier. L'étude du fonctionnement des glandes conduit à des conclusions de môme nature relativement à la combustion directe. J'ai montré que le sang veineux qui sort des glandes est à peu près aussi riche en oxygène que le sang artériel, de sorte que l'exagération de la fonction n'en- traînerait pas la disparition de l'oxygène. L'oxygène ne se fixe donc pas au moment où l'on suppose qu'il devrait être employé ; il n'y a pas en un mot de consommation plus grande d'oxygène. Et cependant c'est pendant le fonctionnement qu'il se produit la plus grande quantité d'acide carbonique, que l'on trouve en proportions con- sidérables dans le sang veineux rutilant et à la fois chargé d'oxygène et d'acide carbonique. Ainsi, les deux phéno- mènes d'absorption et de dépense d'oxygène sont ici nettement séparés, ce qui exclut évidemment toute possi- bilité d'une combustion directe. C'est pendant le repos que l'oxygène est absorbé par la glande; c'est pendant COMBUSTIONS. 17S le fonctionnement qu'il sort à l'état d'acide carbonique, mais alors l'absorption de l'oxygène est suspendue. Il résulte de ces faits, que ce n'est pas à une com- bustion directe que l'oxygène est employé : conséquence importante pour le but que nous poursuivons, car la combustion directe du carbone et de l'bydrogène serait une véritable synthèse, une combinaison d'éléments séparés; tandis que le phénomène qui se produit est probablement au contraire un dédoublement, une des- truction de substance complexe, une véritable analyse par fermentation. Le rôle véritable de l'oxygène est inconnu, avons-nous dit plus haut. Il est bien certain que ce gaz est fixé dans l'organisme et qu'il devient ainsi un des éléments de la constitution ou de la création organique. Mais ce ne serait point par sa combinaison avec la matière organique qu'il provoquerait le fonctionnement vital. En entrant en contact avec les parties, il les rend excitables ; elles ne peuvent vivre qu'à la condition de ce contact. C'est donc comme agent d'excitation qu'il interviendrait immédia- tement dans le plus grand nombre des phénomènes de la vie. On a dit que chez les animaux élevés, l'oxygène devait être porté sur les centres nerveux, pour exciter la moelle allongée et provoquer les mouvements respiratoires. Chez la grenouille, la nécessité de l'excitabilité est moin- dre pendant l'hiver, période d'inertie, que pendant l'été, période d'activité. Aussi l'absorption d'oxygène est-elle moindre pendant la première saison que pendant la seconde. Une expérience curieuse d'Engelmann semble 17-2 LEÇONS SLR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. jeter quelque lumière sur ce rôle d'excitant qu'aurait l'oxvsène. Enselmann a observé les mouvements des cils vibratiles, mouvements qui sont faciles à apercevoir après que la membrane qui les supporte a été détachée de l'animal. Les cellules vibratiles sont examinées dans le champ du microscope. Si l'on chasse l'oxygène de la préparation et qu'on le remplace par l'hydrogène, les mouvements cessent au bout d'un certain temps, environ après vingt minutes, par exemple. Si l'on fait rentrer l'oxygène, les mouvements reprennent et l'on peut re- produire un certain nombre de fois ces alternatives. L'oxygène agit donc comme s'il excitait les mouve- ments vibratiles et comme si sa puissance d'excitation se continuait pendant un certain temps. Si l'on prend des cellules vibratiles à activité ralentie par le froid et l'engourdissement hibernal et que l'on répète l'expé- rience, elle donnera les mêmes résultats, seulement l'action de l'oxygène se continuera pendant un plus grand espace de temps; elle sera efficace pour une durée plus longue ; les mouvements se continueront encore plusieurs heures après le contact du gaz. La conclusion que nous avons exposée au début nous semble donc amplement justifiée; il n'est pas né- cessaire de multiplier autrement les exemples, pour prouver que la théorie de la combustion directe qui a dé- ierminé un si grand progrès, quand son illustre fonda- teur l'a introduite dans la science n'a cependant pas été confirmée par les études physiologiques. La combustion n'est pas directe dans les organismes, et la production d'acide carbonique, qui est un phénomène si général PUTRÉFACTION. 173 dans les manifestations vitales, est le résultat d'une véri- table destruction organique, d'un dédoublement analo- gue à ceux que produisent les fermentations. Ces fer- mentations sont d'ailleurs l'équivalent dynamique des combustions; elles remplissent le même but en ce sens qu'elles engendrent de la chaleur et sont par consé- quent uue source de l'énergie qui est nécessaire à la vie. III. Putréfaction. — Parmi les procédés de destruc- tion des matériaux organiques, Lavoisier rangeait à côté de la fermentation et de la combustion, la putré- faction. Il s'agit là d'un phénomène encore plus obscur que ceux de la fermentation et de la combustion que nous avons précédemment examinés. Qu'entend-on par putréfaction? On sait de tout temps que les matériaux qui entrent dans la constitu- tion du corps des animaux commencent à s'altérer après la mort, à se transformer et à se décomposer en divers principes parmi lesquels des substances à odeur forte et putride. De là le nom de putréfaction, pour caractériser ces décompositions à odeur nauséabonde. La même chose a lieu pour les végétaux. Seulement, ici, la destruction portant sur des corps où les sub- stancesalbuminoïdes, azotées, sonten moindre quantité, les caractères organoleptiques de la putréfaction sont moins saisissants et ont été moins bien connus. Dans la réalité les substances de l'organisme végétal, les sub- stances actives, travaillantes, véritablement vivantes, telles que le protoplasma albuminoïde sont tout aussi pu- 174 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. trescibles que chez les animaux. Seulement, ainsi que nous venons de le dire, la proportion des parties vivantes est, dans les individus végétaux, très-faible par rapport aux parties de soutien ou squelettiques inertes. Celles-ci ne sont pas davantage susceptibles de putréfaction chez les animaux que chez les végétaux; la carapace d'un crustacé, le squelette d'un mammifère sont dans des conditions d'inaltérabilité pareilles à l'écorce ou au bois d'un chêne. Après les travaux d'Appert et de Gay-Lussac, on avait cru que la putréfaction était une décomposition, un dédoublement, provoqué par l'intervention momen- tanée de l'oxygène et se poursuivant ensuite par une sorte de mouvement moléculaire communiqué. Plus tard, les travaux de Scbwann, Ure, Helmholtz et surtout de M. Pasteur, montrèrent que la cause déter- minante des putréfactions, devait être cherchée dans les êtres microscopiques, vibrions, bactéries et moisissures qui se développent dans les liquides en décomposition, quelle que soit d'ailleurs l'opinion qu'on se fasse de la provenance de ces êtres. Les substances altérables per- dent ce caractère lorsqu'on a chassé tout l'air par ébul- lition et que Ton ne laisse pénétrer dans le vase qui les contient que de l'air préalablement chauffé au rouge. M. Pasteur a distingué deux ordres de putréfactions, les unes qui se produisent à l'abri de l'oxygène et qu'il a appelées fermentations putrides, les autres dans lesquelles l'oxygène intervient comme élément essentiel; les unes et les autres étant d'ailleurs provoquées par des organismes. PUTRÉFACTION. 175 La fermentation putride se manifesterait dans un liquide, lorsqu'il ne contient plus d'oxygène, lorsque les premiers infusoires dé veloppés l'ont consommé en tota- lité. Alors, les « vibrions ferments qui n'ont pas besoin de » ce gaz pour vivre commencent à se montrer et la pu- » tréfaction se déclare aussitôt. Elle s'accélère peu à peu » en suivant la marche progressive du développement » des vibrionss Quant à la putridité, elle devient si » intense, que l'examen au microscope d'une seule » goutte de liquide est ime chose très-pénible. » Les produits de la putréfaction sont très-nombreux : chaque substance albuminoïde peut, pour ainsi dire, se comporter différemment à cet égard. 11 y a, comme ter- mes à peu près constants, des acides gras volatils, des ammoniaques simples et composés, la leucine, la tyro- sine, l'acide carbonique, l'hydrogène sulfuré, l'hydrogène et l'azote. Le second genre des putréfactions comprend celles qui exigent le concours de l'oxygène de l'air ; ces actions, appelées putréfaction, combustion lente, érémacausie, détruisent les matières organiques animales ou végétales abandonnées à l'air, et, après des transformations plus ou moins complexes, les réduisent en acide carbonique, eau, azote et ammoniaque qui font retour à l'atmo- sphère. D'après M. Pasteur, ces actions sont dues encore à des organismes, mucédinées et bactéries; il n'y aurait jamais de ces combustions lentes, spontanées, sans développe- ment d'organismes, à l'intérieur ou à la surface des sub- stances qui s'altèrent. 176 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Dans les circonstances ordinaires, les deux espèces d'actions se produisent simultanément ou successive- ment. Une substance altérable étant abandonnée à l'air, l'oxygène est d'abord soustrait par les premiers infu- soires apparus [rnonas crepusculum et bacterium termo). La liqueur se trouble. Une pellicule se forme à la surface, empêchant l'accès de l'air; la fermentation putride des vibrioniens s'accomplit dans ce liquide anoxygéné. La pellicule tombe au fond. De nouvelles bactéries se refor- ment à la surface et produisent la putréfaction ou com- bustion lente ; puis le même cycle d'opérations recom- mence jusqu'à épuisement complet de la matière altérable. Voilà où en sont aujourd'hui nos connaissances sur la putréfaction. Sont-cedes actions de ce genre identiques dans leur processus qui peuvent s'accomplir dans l'or- ganisme vivant et y détruire la matière organique? L'organisme ne permet pas normalement le déve- loppement ou l'introduction dans ses profondeurs de ces bactéries et de ces vibrions parasites. Et cependant il est possible dans certaines circonstances que des phénomènes de même nature s'y accomplissent réel- lement. Des chimistes, habiles et experts dans les études de ce genre ne craignent pas de le soutenir. 11 y a bien long- temps que j'ai entendu dire à Mitscherlich : « Là vie » n'est qu'une pourriture. » Hoppe-Seyler (1875) s'ex- prime ainsi quelque part : « Sans vouloir poser en prin- » cipe, l'identité de la vie organique avec la putréfaction, » je dirai pourtant, que selon moi, les phénomènes vi- PUTRÉFACTION. 177 » taux des plantes et des animaux, n'ont pas d'analo- » gués plus parfaits, dans toute la nature, que les » putréfactions. » On admet donc que clans les organismes il peut y avoir des processus analogues à ceux de la pourriture. Les substances organiques éprouveraient les mêmes transformations et les mômes dédoublements qui se pro- duisent dans la putréfaction. Qu'y a-t-il de particulier dans le mécanisme de la putréfaction? Envisageant la question au point de vue chimique, on pourrait dire avec Hoppe-Seyler, que le fait essentiel est une modification de l'équilibre molé- culaire de la substance avec transport de l'oxygène de l'atome hydrogène à l'atome carbone; cette action, se traduisant dans quelques cas, par l'expulsion d'acide carbonique, accompagnée d'élimination d'hydrogène ou de composés plus hydrogénés. Tous les autres phénomènes qui se produisent, sont primés et conditionnés par celui-là : ce sont des phénomènes secondaires provo- qués par l'hydrogène à l'état naissant, ou par l'inter- vention purement chimique et ultérieure de l'oxygène contenu dans le milieu. Ce seraient des phénomènes de ce genre qu'accom- pliraient les organismes signalés par M. Pasteur, le fer- ment lactique, le ferment butyrique, etc. Mais il se pourrait, comme déjà cela est démontré à propos de la fermentation alcoolique de la levure, que d'autres cellules ou d'autres éléments de l'organisme se compor- tassent de la même façon. De fait, toutes les mutations chimiques de l'organisme rentreraient dans ce type CL. BERN'AItD. 12 178 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. d'action théorique, et voilà la théorie que l'on proposerait de substituer comme hypothèse à l'hypothèse démon- trée fausse des oxydations directes. Les putréfactions sont en outre caractérisées par des phénomènes de dédoublement avec produits ultimes bien étudiés par M. Schùtzenberger. J'ai vu que de tous les organes du corps, celui qui se pourrit le plus facile- ment, est le pancréas. Un caractère particulier et final de cette putréfaction est une coloration rouge, d'abord observée par Tiedeinann etGmelin. Je l'ai ensuite étu- diée, et récemment, dans mon laboratoire, M. Prat a constaté que cette matière rouge se manifeste dans la putréfaction de presque toutes les substances azotées, animales ou végétales. Cette coloration rouge que M. Prat étudie en ce moment serait due à un produit de la pu- tréfaction mal connu. Conclusion. — Sans vouloir entrer plus avant dans la question des décompositions organiques qui est encore entourée de grandes obscurités, nous nous bornerons à déduire de cette leçon un seul résultat général : La putréfaction comme la combustion se rattache aux fermentations. Toutes les actions de décomposition organique ou de destruction vitale, dont l'organisme est le théâtre, se ramènent en somme à des fermentations.. La fermentation serait le procédé chimique général, pour tous les êtres vivants, et môme il leur serait spécial, puisqu'il ne se passe pas en dehors d'eux. La fermenta- tion caractérise donc la chimie vivante, et dès lors son étude appartient rigoureusement au domaine de la phy- siologie. CINQUIÈME LEÇON PHÉNOMÈNES DE CRÉATION ORGANIQUE Théories anutomiciues : cellulaire, protoplasmiiiiic, plastîdulaïre. Sommaire : Création organique comprenant deux ordres de phénomènes communs aux deux règnes : synthèse chimique, synthèse morphologique. I. Constitution anatomique et création morphologique de l'être vivant, ani- mal ou végétal; historique. — Période ancienne: Galien, Morgagni, Fallope, Pinel, Bichat, Mayer. — Période moderne : de Mirbel, R. Brown, Schleiden, Schwana. — Théorie cellulaire. — Le dernier élé- ment morphologique des êtres vivants est la cellule, mais une substance vivante est antérieure à la cellule; c'est le protoplasma. — Il est le siège des synthèses chimiques, des synthèses morphologiques. II. Origine de la cellule venant du protoplasma. ■ — Théorie protoplasmique. — Blastème. — Gymnocytode, Lépocytode. — Protoplasma dans les cellules végétales. — L'utricule primordiale. — Le protoplasma est le corps vivant de la cellule dans les deux règnes. III. Le protoplasma ; sa constitution. — Masse protoplasmique, noyau. — Êtres protoplasmiques. — Monères, Bathybius. — Structure du proto- plasma. — Théorie plastidulaire. — Complexité du protoplasma. — Son rôle dans la division du noyau. — Rapports du noyau et du protoplasma. — Du nucléole, sa constitution, son rôle. — Conclusion. En même temps que l'organisme animal ou végétal se détruit par le fait même du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte de synthèse organisatrice, de processus formatif, que nous avons appelé la création vitale et qui forme la contre-partie de la destruction vitale. L'acte de réparation vitale, n'a d'ailleurs pas la môme activité dans tous les points du corps. Il y a des par- ties dans les animaux et dans les végétaux qui sont plus vivantes, plus délicates, plus destructibles, tandis que 180 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. d'autres, plus résistantes et d'une vitalité plus obscure, laissent après la mort de l'être des traces durables de son existence. Tel est le ligneux ou les os qui constituent le squelette des êtres végétaux et animaux. L'acte synthétique par lequel s'entretient ainsi l'orga- nisme est, au fond, de la même nature que celui par lequel il se constitue dans l'œuf. Cet acte est encore semblable au procédé par lequel l'organisme se répare, lorsqu'il a subi quelque mutilation. Génération, régé- nération, rédintégration, cicatrisation, sont des aspects divers d'un phénomène identique, la synthèse organisa- trice ou création organique. Cette création organique est à deux degrés. Tantôt elle assimile la substance ambiante, pour en former des principes organiques, destinés à être détruits dans une seconde période; tantôt elle forme directement les éléments des tissus. Il y a donc à distinguer la formation des principes immédiats qui constituent les réserves, ce pabulum de la vie, c'est-à-dire la synthèse chimique, de la réunion de ces principes dans un moule particu- lier, sous une forme ou une figure déterminée, qui sont le plan ou le dessin de l'individu, des tissus qui le forment, des éléments de ces tissus, c'est-à-dire la synthèse morphologique. Nousdevrons traiter successivement ces deux questions; nous examinerons d'abord comment les auatomistes sont parvenus, en analysant graduellement l'organisme vivant à le réduire à ses parties élémentaires; nous verrons ensuite comment les physiologistes et les chimistes se sont rendus compte de leur création synthétique. CONSTITUTION ANATOMIQUE DES ÊTRES. 181 Historique. — La constitution des organismes a été étudiée dès le début des sciences de la vie. On y a trouvé des parties élémentaires des organes, puis des tissus. Galien dans l'(antiquité, avait essayé d'analyser l'organisme en parties similaires. Morgagni, beaucoup plus tard, avait tenté un grou- pement analogue, non plus pour les parties saines, mais pour les parties altérées. Fallope (1523-1562) avait réuni les parties similaires en dix ou onze groupes : les os, les cartilages, les nerfs, les tendons, les aponévroses, les membranes, les artères, les veines, la graisse, la moelle des os. Pinel, enfin, le prédécesseur immédiat de Bichat, avait ouvert la voie à celui-ci en réunissant (d'après des consi- dérations pathologiques encore très-incomplètes) les par- ties anatomiques qu'il considérait comme analogues, par exemple, les membranes diaphanes \ périoste, dure-mère, capsules ligamenteuses, plèvre, péritoine et péricarde. Mais c'est Bichat qui eut la gloire d'entrer magistrale- ment dans cette voie si timidement ouverte. Et chose remarquable qui montre bien l'influence des précur- seurs dans le développement des génies même lesplusori- ginaux, c'est par une critique de la classification des membranes de Pinel, que Bichat inaugura ses travaux d'anatomie générale. En face de l'anatomie descriptive, cultivée jusque-là, et qui faisait connaître l'organisme, en décrivant ses différentes parties, dans l'ordre topographique, de capite ad calcem, Bichat institua une méthode infiniment plus philosophique, en réunissant dans un même groupe, les 182 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. organes similaires quoique diversement placés et en les étudiant ensemble sous le nom de systèmes : système osseux, glandulaire, nerveux, séreux, etc. Il employa pour cette analyse, non pas les instruments optiques qu'il repoussait et qui ont été d'une si grande ressource pour ses successeurs , mais des moyens beaucoup plus imparfaits, les dissociations, les ma- cérations, et les divers agents chimiques qui per- mettent une dissection plus minutieuse. Il parvint néanmoins ainsi à jeter les bases de la science des tissus vivants : «Tous les animaux, dit Bichat, sont un » assemblage de divers organes qui, exécutant chacun » une fonction, concourent chacun à sa manière à la » conservation du tout. Ce sont autant de machines » particulières dans la machine générale, qui constitue » l'individu. Or, ces machines particulières sont elles— » mêmes constituées par plusieurs tissus de nature très- » différents et qui forment véritablement les éléments » de ces organes. » Bichat distinguait 21 espèces de tissus, qui se retrou- vent avec leurs caractères dans les diverses parties d'un même animal ou dans les mêmes parties de divers ani- maux. De là, le nom d'Anatomie générale donnée à leur étude. Ces 21 tissus étaient : 1° tissu cellulaire, 2° tissu nerveux de la vie animale, 3° tissu nerveux de la vie organique, 4° tissu des artères, 5° tissu des veines, 6° tissu des vaisseaux exhalants, 7° tissu des vaisseaux et des glandes lymphatiques , ■ 8° os, 9° moelle des os. 10° cartilages, 11° tissu fibreux, 12° tissu CONSTITUTION ANATOMIQUE DES ÊTRES. 183 iibro-cartilagineux , 13° muscles de la vie animale, 14° muscles de la vie organique, 15° muqueuses, 16° séreuses, 17° synoviales, 18° glandes, 19° derme, 20° épiderme, 21° poils. A chacun de ces tissus il attribue des propriétés spé- ciales qui sont les causes physiologiques des phénomènes que ceux-ci présentent. La physiologie ne devait plus être, dans l'esprit de Bichat que l'étude de ces pro- priétés vitales, comme la physique est l'étude des propriétés physiques de la matière brute. Les bases de la science créée par Bichat, s'éten- dirent rapidement, et les recherches se perfec- tionnèrent grâce à l'emploi d'un instrument d'analyse très-puissant, le microscope. Le premier microscope simple avait été fabriqué en 1590 par le Hollandais L. Jansen. Malpighi (1628-1694) et Leeuwenhoeck (1632-1725) firent grand usage de cet instrument au- quel ils durent des découvertes remarquables. Swam- merdamm (1630-1685) et Ruysch (1638-1731) ne comprirent pas l'importance de la révolution que pou- vait apporter l'emploi de ce précieux instrument. D'ailleurs le microscope simple était incommode et insuffisant; le microscope composé, l'instrument actuel ne devait être constitué qu'après Bichat, de 1807 à 1811 , grâce à Van Deyl et à Frauenhofer. Les travaux de Bichat marquèrent donc le premier pas dans l'analyse de la composition des organismes. Mais la vie devait encore se décentraliser au delà du terme qu'il avait assigné, au delà des tissus. La vie réside en effet, non pas seulement dans les tissus, mais dans les éléments 184 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. figurés de ces tissus, et même plus profondément dans le substratum sans figure de ces éléments eux-mêmes, dans le proloplasma. En 1819, Mayer s'occupe de classer les éléments des tissus; il emploie le premier le nom d 'histologie, nom mal approprié d'ailleurs, qui a servi à désigner la science nouvelle. I. Théorie cellulaire. — A partir de ce moment on commence à se préoccuper non-seulement de connaître les éléments des tissus divers, mais de plus, de péné- trer leur origine, de retrouver leur provenance, on fait en un mot X histogenèse. Mirbel en étudiant les végétaux, annonce qu'ils pro- viennent tous d'un tissu identique, le tissu cellulaire; qu'ils ont pour élément la cellule. R. Browu découvre le noyau de la cellule. Les travaux de Schleiden et de Schwann fondèrent la Théorie cellulaire. Th. Schwann, en 1839, fit voir que tous les éléments de l'organisme, quel qu'en soit l'état actuel, ont eu pour point de départ une cellule. Schleiden fournit la même démonstration pour le règne végétal, de sorte que l'origine de tous les êtres vivants se trouvait ramenée à cet organite simple, la cellule. La cellule est donc Vêlement anatomique végétal et animal, l'organisme morphologique le plus simple dont soient constitués les êtres complexes. 11 y ades plantes qui sont uniquement constituées de cellules (tissu cellulaire, parenchyme). D'autres fois, les cellules s'associent en vaisseaux, ou" se transforment en fibres. Le végétal le THÉORIE CELLULAIRE. 185 plus compliqué est un assemblage de vaisseaux, de fibres, de cellules, c'est-à-dire en somme, de cellules plus ou moins modifiées. Ce que nous venons de voir à propos des végétaux est vrai des animaux. Les éléments de tous les tissus ont été ramenés par les histologistes à la forme cellulaire. A côté des cellules bien caractérisées, prirent place les globules du sang, hématies et leucocytes, les corps fusi- formes du tissu conjonctif embryonnaire, les corps pigrnentaires étoiles, les éléments de la glande hépatique, les fibres lisses, les myéloplaxes, qui sont des cellules à des états analomiques différents. On reconnut (Remak, 1852; Max. Schultze, 1861) que l'élément musculaire volontaire, la fibre striée se développait aux dépens d'une cellule unique, dont le noyau se dédoublait ou pro- liférait. Tout récemment encore, mon ancien col- laborateur, actuellement professeur au Collège de France, M. Ranvier, rapprochait du type cellulaire, un élément qui semblait y échapper, la fibre ner- veuse. 11 montrait que la fibre nerveuse était com- posée d'articles placés bout à bout, véritables cellules, que leur longueur considérable (1 millimètre chez les mammifères adultes) avait empêché de reconnaître jusque-là au microscope. En résumé, il est établi maintenant d'une manière générale, grâce aux travaux accumulés des histolo- gistes, que l'organisme est constitué par un assemblage de cellules plus ou moins reconnaissables, modifiées à des degrés divers, associées, assemblées de différentes manières. Ainsi, aux 21 éléments de Bichat, aux 21 lis- 186 LEÇONS SUH LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. sus qui formaient pour lui les matériaux de l'organisme, nous avons substitué un seul élément, la cellule, iden- tique clans les deux règnes, chez l'animal comme chez le végétal, fait qui démontre l'unité de structure de tous les êtres vivants. L'œuf lui-même, ne serait qu'une cellule. La cellule en un mot, serait le premier représentant de la vie. C'est donc à cet élément, la cellule, que nous devrions maintenant rattacher le phénomène de création, de synthèse organique, aussi bien clans le règne végétal que clans le règne animal. Quant à l'origine de cette cellule, de ce corps par lequel débute l'organisme, on l'a interprétée de deux ma- nières différentes. Schwann, fondateur de la théorie cellulaire, admettait que les cellules peuvent se former indépendamment de cellules déjà existantes, par géné- ration spontanée, ou mieux, par une sorte de cristalli- sation dans un milieu approprié, le blastème. « Il se trouve, dit-il, soit clans les cellules déjà exis- y> tantes, soit entre les cellules, une substance sans tex- » ture déterminée, contenu cellulaire, ou substance inter- » cellulaire. Cette masse ou cytoblastème possède, grâce » à sa composition chimique et à son degré de vitalité, » le pouvoir de donner naissance à de nouvelles cellules.» Gerlach a été l'un des plus fermes partisans de cette théorie. M. Ch. Robin (1), en France, a émis des vues analogues. Cette théorie subsista sans contradiction jusqu'en 1852, où Remak montra que dans le développement de (1) Hobin, Anatomie et pliysioloyie cellulaires. Paris, 1873. THÉORIE PROTOPLASMIQUE. 187 L'embryon les cellules nouvelles qui apparaissent pro- viennent toujours d'une cellule antérieure. En cela l'analogie est complète avec les tissus végétaux, où les éléments nouveaux ont toujours des antécédents de même forme. Virchow (1 compléta la démonstration en examinant les proliférations cellulaires dans les cas pathologiques. Ainsi, en opposition avec la théorie du blastème ourle la génération équivoque des cellules, se produisit la théorie cellulaire qui peut se formuler dans l'adage : « omnis cellula e eelluld » . II. Théorie protoplasmique. — La science n'a pas justifié complètement cette conclusion; on a reconnu que la vie commence avant la cellule. La cellule est déjà un organisme complexe. Il y a une substance vivante, le protoplasma qui donne naissance à la cellule et qui lui est antérieure. La théorie cellulaire née en 1838 à la suite des tra- vaux du botaniste Schleiden a commencé d'être ébranlée vers 1850. La théorie plasmatique ou protoplasmique fit alors son apparition. C'est encore un botaniste, P. Cohn, qui en traça les premiers linéaments. Cet anatomiste observa les zoospores et les anthérozoïdes des algues, éléments plus simples que la cellule, en ce sens qu'ils sont formés d'une masse de substance de protoplasma, nue, sans enveloppe. Cette notion d'éléments sans enveloppe passa aussitôt dans le domaine du règne animal. Remak en 1850 con- stata que les premières cellules embryonnaires provenant (1) Virchow, La. Pathologie cellulaire, 4e édition. Puris, 1874. 188 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈKES DE LA VIE. de la segmentation de l'œuf n'ont point d'enveloppe, mais se composent uniquement d'une masse de substance au sein de laquelle existe un noyau. En 1861, Max. Schultze ramène à ce type les élé- ments qui au premier abord s'en écartaient davantage, à savoir les fibres musculaires. Il regarde comme des éléments individuels les corps que l'on appelle encore noyaux de la fibre musculaire, parce qu'il retrouve autour d'eux une mince couche de protoplasma; la même inter- prétation s'étend bientôt après aux cellules nerveuses. L'élément dernier où s'incarne la vie n'est plus alors une cellule, c'est une niasse protoplasmique. La cellule, formation déjà complexe, a pour point de départ une masse protoplasmique pleine. Ce premier état transitoire donne bientôt naissance à des états plus com- plexes. Le premier degré de la complication, c'est la for- mation du noyau par condensation de particules proto- plasmiques, sorte de nébuleuse qui se délimite de plus en plus nettement. Puis le protoplasma se revêt d'une couche plus dense, début de X enveloppe membraneuse qui sera distincte plus tard. Voilà un second âge, un second degré de complication. La cellule nous apparaît alors comme un petit corps plein, avec noyau et couche corticale. Le développement peut encore s'arrêter là : la forme transitoire peut devenir forme permanente, et cela pour les animaux aussi bien que pour les plantes. Tels sont les corps que Ha?ckel a appelés les cytodes et dont il existe deux formes : 1° La Gymnocytode, masse de matière albuminoïde THÉORIE PROTOPLASMÎQUE. 189 sans structure appréciable, sans forme déterminée, dépourvue de toute organisation, ne laissant apercevoir aucune différentiation de parties. Cette masse est fine- ment grenue : les granulations se rencontrent jusqu'à la périphérie. 2° La Lepocytode est une forme un peu plus com- pliquée présentant déjà un premier degré de différentia- tion. Il y a une couche corticale ou enveloppe ; le protoplasma périphérique se distingue du central ; ce dernier par exemple est granuleux, plus fluide, et le pro- toplasma corticale st sans granulations, brillant, réfrin- gent, homogène, résistant, faisant fonction d'enveloppe. Les Cytodes comme nous le verrons plus tard (voy. leçon 8) peuvent former des êtres vivants, isolés, com- plets. Hseckel les a appelés alors des monères. Dans ces dernières années l'étude de ces êtres rudimentaires a pris une grande importance et un grand développe- ment entre les mains de Haeckel, Huxley, Cienkowski. Le Protogenes primordial/s découvert en 1864 par Haeckel, le Bathybius Hœckelii découvert en 1868 par Huxley, sont des gymnocytodes. Le Protomyxa Auran- tiaca, le Vampyrella étudié par Cienkowski en 1805, sont des Lépocytodes. Le Bathybius Hœckelii a été trouvé par des profon- deurs de 4000 et 8000 mètres dans le fin limon crayeux de l'Océan. On l'a décrit comme une sorte de masse mucilagineuse formée de grumeaux, les uns arrondis, les autres amorphes, formant parfois des réseaux vis- queux qui recouvrent des fragments de pierre ou d'autres objets. (Voy. fig., leçon VIIIe.) 190 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Une telle masse de protoplasma, granuleuse, sans noyau, n'est donc caractérisée que par elle-même, par sa constitution propre ; elle n'a point de forme déter- minée, habituelle. C'est cependant un être vivant : sa contraclilité, sa propriété de se nourrir, de se repro- duire par segmentation, en sont la preuve. Ces observations, après avoir été contestées, particu- lièrement en ce qui concerne le Batbybius, ont reçu une confirmation complète des travaux récents accomplis dans ces trois dernières années. La reproduction de ces êtres par scissiparité a été observée chez le Protamœba et les Protogenes lorsque ces corps muqueux ont acquis une certaine grosseur (voy. les fig., leçon VIIIe). La masse qui les constitue s'étrangle, se divise en deux moitiés, dont chacune s'ar- rondit et se comporte comme un être distinct ; on a pu dire « qu'ici la reproduction n'est qu'un excès decrois- » sauce de l'organisme qui dépasse son volume normal » . La segmentation se fait quelquefois en quatre parties (Vampyrella) ou en un plus grand nombre : mais le procédé de reproduction est toujours aussi simple. Il y a chez ces protistes un mélange si intime des caractères animaux ou végétaux que l'on ne saurait les rattacher nettement à ceux-ci plutôt qu'à ceux-là, et que certains naturalistes en ont formé un troisième reçue intermédiaire entre le rèêne animal et le reçue végétal (Haeckel, p. 369.) Mais ces corps peuvent représenter également de; états transitoires d'organismes qui passeront à un degré plus élevé. Partant de cet état de gymnocytode certains THÉORIE PROTOPLASMIQUE, 191 organismes deviennent des lépocytodes, et plus tard, acquérant un noyau, deviennent de véritables cellules, d'abord nues, plus tard munies d'enveloppes, complètes en un mot. Dans un état plus avancé encore, le protoplasma, après avoir fabriqué son tégument et son noyau, se creuse de vacuoles remplies d'un liquide cellulaire. C'est ce qui arrive chez les végétaux. Puis ces vacuoles se réunissent en un lac central, en sorte que le proto- plasma se trouve plus ou moins régulièrement refoulé avec son noyau, à la périphérie. Il forme alors une couche qui tapisse intérieurement l'enveloppe. Hugo Mohl a vu, le premier, cette couche sous-tégumentaire ; il a compris l'importance de son rôle et lui a donné le nom ïïutricule primordiale. Le phytoblaste affecte alors la forme d'un sac creux et mérite bien le nom de cellule. - C'est sous cet état que les cellules ont d'abord été aperçues. Le botaniste anglais Grew (1682) les appe- lait vésicules; Malpighi (1686) utricules; le botaniste français de Mirbel (1808), le premier, employa pour les caractériser le nom de cellules. Ce n'est qu'en 1831 que le célèbre botaniste anglais R. Brown considéra les noyaux (nucléus, spkéride de Mirbel) comme une partie essentielle de la cellule ; Schleiden (1838) signala l'existence des nucléoles : toutes les parties de la cellule étaient connues désormais. Enfin, et c'est le dernier terme de cette évolution, la couche protoplasmique se raréfie de plus en plus et finit par disparaître. La cellule est alors morte ; c'est un 192 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA ME. cadavre. Hugo Mohl (1846) avait bien aperçu cette différence essentielle entre les cellules qui ont une utricule primordiale et celles qui n'en ont point. « Les » premières seules sont en état décroître, de produire » de nouvelles combinaisons chimiques, de former, » dans des circonstances favorables, de nouvelles cel- » Iules. Les autres sont désormais incapables de tout » développement ultérieur ; elles ne servent plus à la » plante que par leur solidité, par leur pouvoir d'imbi- » bilion pour l'eau et par leur forme particulière. » C'est qu'en effet le protoplasma est le corps vivant de la cellule; il forme toutes les autres parties et toutes les substances que contient le végétal. Le noyau, l'enve- loppe, sont des perfectionnements produits par le proto- plasma, seule matière vivante et travaillante. Les considérations précédentes établissent donc que la vie, à son degré le plus simple, dépouillée des acces- soires qui la compliquent, n'est pas liée à une forme fixe, car la cytode n'en a point, mais à une composition ou à un arrangement physico-chimique déterminé, car la matière de la cytode est un mélange de substances albu- minoïdes possédant des caractères assez constants. La notion morphologique disparaît donc ici devant la notion de constitution physico-chimique de la matière vivante. Cette matière, c'est le protoplasma. E. van Beneden a proposé de l'appeler «plasson» et Beale «ôioplasme» . On peut dire avec Huxley (1) que c'est la base physique de la vie. (1) Huxley, Les sciences naturelles et les problèmes qu'elles font sunjir, Paris, 1877. THÉORIE PROTOPLASMIQUE. 193 Le dernier degré de simplicité que puisse offrir un organisme isolé est donc celui d'une masse granuleuse, sans forme dominante. C'est un corps défini, non plus morphologiquement, comme on avait cru que devait être tout corps vivant, mais chimiquement, ou du moins par sa constitution physico-chimique. Ce n'est pas seulement un petit nombre d'êtres exceptionnels qui se présenteraient sous une forme tellement simplifiée ; tous les êtres, tous les organismes supérieurs seraient transitoiremenl dans le même cas. L'œuf, en effet, se trouve à un moment dans les mêmes conditions, lorsqu'il a perdu la vésicule germinative, avant de recevoir l'action de la fécondation. L'élément anatomique que l'on trouve à la base de toute organisation animale ou végétale, la cellule, n'est autre chose que la première forme déterminée de la vie, une sorte de moule où se trouve encaissée la matière vivante, le protoplasma. Loin d'être le dernier degré de la simpli- cité que l'on puisse imaginer, lacellule est déjà un appareil compliqué. Ce corps possède une enveloppe, membrane cellulaire ou corticale, un contenu granuleux, proto- plasma ou corps cellulaire, une masse limitée incluse dans le protoplasma, le nucléus ou noyau qui lui-même présente de petits corpuscules ou nucléoles. La dési- gnation de cellule est inexacte ; elle s'applique en effet à un corps qui subit une série de transformations successives et continues ; c'est dans l'un de ses états transitoires (le seul qui d'abord ait été connu) qu'il présente la forme de sac rappelée par le nom de cellule. On substitue aujourd'hui au nom de cellule végétale CL. BERNARD. 13 194 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. celui de phytoblaste. A ses débuts, el à son plus haut degré de simplicité, le phytoblaste nous apparaît comme une petite masse arrondie d'une substance plus ou moins finement grenue, sans noyau condensé ni paroi dis- tincte. Cette substance appelée sarcode par Dujardin, qui avait en vue plus spécialement les animaux, est désignée communément par le nom de protoplasma. Le phytoblaste, à ses débuts, est donc un amas sphé- roïde et nu de protoplasma ; la cellule animale à son origine présente la même constitution (gymnocytode d'Hœckel). A son état le plus rudimentaire, la vie réside dans cet amas de substance proloplasmique. Cet état, qui est le plus simple et le plus jeune sous lequel se présente l'élément, ne persiste pas ordinaire- ment. C'est, ainsi que nous l'avons dit, un point de départ qui se compliquera par différentiations successives. III. Théorie plastidulaire . — Nous venons de voir comment on a été successivement conduit à localiser la vie dans une substance définie par sa composition et non par sa figure, le protoplasma. Voyons les notions que l'on possède sur cette substance, puis nous exami- nerons le problème de sa création ou de sa synthèse formative. Quelle est la constitution physique du protoplasma? On avait cru d'abord cette substance homogène, sans structure appréciable. En 1870, une modification se produisit dans les idées et l'on vit naître la théorie plastidulaire. Un dernier pas THÉORIE PLASTIDULAIRE. 195 à élé fait depuis les deux dernières années par les recher- ches de quelques micrographes, Bùtschli, Strassburger, Heitzmann, Frohmann. Le protoplasnia nu ne serait point le dernier terme que puisse atteindre l'analyse microscopique. Dans beaucoup de cas, le protoplasma laisse apercevoir une sorte de charpente formée d'un réseau de granulations fines reliées par des filaments très-déliés : ce sont les plasti- dules. La théorie plastidulaire serait donc le point ultime où l'histologie conduirait la conception des êtres vivants. Lorsque Heitzmann et Frohmann examinèrent le tissu fondamental du cartilage, ou les noyaux des globules du sang de l'écrevisse, ils aperçurent des fibrilles très-nettes, disposées en réseau plastidulaire, à l'intersection desquelles se trouvent de petites masses granuleuses. (Voy. lesfig., leçon VIIIe.) Haeckel accepte comme un fait général l'existence de ces plastidules. 11 les regarde comme les composantes élémentaires ultimes des monères, les corps irréductibles auxquels l'analyse puisse conduire. Cet élément serait actif, et jouirait de mouvements vibratoires et ondula- toires, les mouvements plastidulaires. Hœckel leur attri- bue les propriétés physiques des molécules matérielles, et de plus une propriété vitale, la mémoire ou faculté de conserver l'espèce de mouvement par lequel se mani- feste leur activité. Déjà cette notion de la faculté de souvenir ou de mémoire considérée comme la propriété élémentaire des particules organiques avait été mise en avant au siècle dernier par Maupertuis, dans sa Venus Physique, et défendue plus récemment par le physio- 196 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. logiste Ewald. Enfin, un médecin américain, Ellsberg, a essayé (1874) de rajeunir la théorie de la génération de Buffon, en substituant aux molécules organiques ima- ginées par ce grand naturaliste les plastidules qui ont une existence plus certaine. 11 faut évidemment attendre que des confirmations nombreuses viennent établir la généralité des faits pré- cédemment exposés sur la complexité de structure du [irotoplasma. On peut dire cependant dès à présent que tout un ensemble de travaux vient militer en faveur de cette complexité : tels sont les travaux de Strassburger sur les noyaux des cellules végétales pendant la division cellulaire. ceuxdeBùstchli sur les noyaux des globules du sang, de Weitzel sur les cellules de la conjonctive enflam- mée et les cellules de la peau de grenouille, de Balbiani sur les cellules épithéliales des ovaires de certains insec- tes, tels que le Sthenobolhrus, de Hertwig sur l'œuf de la poule, de Fol sur certains œufs d'invertébrés. Plus tard, lorsque nous nous occuperons de la mor- phologie générale des êtres vivants et de la genèse de leurs tissus (voyez leçon 8e), nous entrerons dans le détail de ces travaux. Pour le moment, nous mentionne- rons seulement l'observation principale due à Strassbur- ger. Cet auteur a observé les noyaux ovulaires de cer- taines abiétinées au moment où les cellules vont se divi- ser pour former l'embryon. Le noyau est allongé : il se forme, aux deux extrémités, des amas de matière reliés par des filaments. Au milieu de ces filaments apparais- sent des granulations dont l'ensemble forme un disque (disque nucléaire) ; bientôt les granules se coupent en THÉORIE PLASTIDULA1RE. 197 deux et chaque moitié émigré vers le pôle correspon- dant où elle vient grossir la masse polaire. De nouveau apparaît, au milieu du filament, un gra- nule : l'ensemble forme une plaque cellulaire ou disque qui bientôt se divise en deux parties qui vont rejoindre les masses polaires. Voilà un phénomène qui nous révèle une constitution très-complexe du noyau. Or, ce n'est point là une observation isolée. Des algues, les Spirogyra, ont permis de constater des faits identiques et dès à présent Ton doit admettre qu'ils offrent une généralité véritable dans le règne végétal. Le règne animal a fourni des exemples pareils. Et ici nous constatons une fois de plus ce constant parallélisme des végétaux et des animaux, en vertu duquel tous les phénomènes essentiels se retrouvent identiques dans les deux règnes. Biilschli, en étudiant la division des globules du sang chez l'embryon, a retrouvé les tractus fibrillaires, la plaque nucléaire qui se divise en deux et la plaque cellulaire dont la segmentation entraîne celle du noyau. M. Balbiani les a observés de même chez le Sthenobothrus, et il considère les granules équa- toriaux comme des nucléoles. (Voy. iig., leçon YNIV Ces observations et la généralité dont elles sont susceptibles ont pour conséquence de faire du noyau, amas de protoplasma jusqu'ici considéré comme sim- ple, un corps complexe à la fois au point de vue ana- tomique et au point de vue physiologique. Lorsque l'on considère une cellule, qui est un être 198 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. vivant rudimentaire, on doit y retrouver les deux espè- ces de phénomènes essentiels de création organique et de destruction vitale. Or, les travaux précédents, les études des micrographes sur le noyau, et nos propres observations, semblent localiser l'un et l'autre ordre de phénomènes dans une partie différente, dans le proto- plasma d'une part, dans le noyau d'autre part. Le protoplasma est l'agent des manifestations de la cellule : manifestations vitales qui deviennent appa- rentes dans le fonctionnement du tissu où elles se l'as- semblent et s'ajoutent. Les phénomènes fonctionnels ou de dépense vitale miraient donc leur siège dans Je protoplasma cellulaire. Le noyau est un appareil de synthèse organique, [in- strument de la production, le germe de la cellule. Nous avons observé (voyez leçon 6e) que la formation amylacée animale est liée à l'existence du noyau des cellules gly- cogéniques de l'amnios chez les ruminants. Les no- tions acquises par les histologistes les plus compétents conduisent à cette interprétation. On sait la part qui revient au noyau dans la division des cellules et l'initia- tive qui lui appartient. Des observations nombreuses confirment cette concep- tion qui fait du noyau l'appareil cellulaire reproducteur. M. Ranvier a constaté dans les globules lymphatiques de l'axolotl un bourgeonnement véritable du noyau qui, primitivement arrondi, pousse en différents points des prolongements autour desquels se groupe la substance proloplasmique; de telle sorte (pie chacun de ces pro- longements apparaît bientôt comme le début d'une or- TUÉ0RIE PLASTIDULAIRE. 199 ganisation nouvelle et comme le premier âge d'un glo- bule lymphatique de seconde génération. R. Hertwig a constaté le même phénomène du bour- geonnement du noyau chez un acinôte, le Podophrya gemmipara, où la végétation nucléaire est le point de départ et le signal de la multiplication de l'animal. Les cellules des vaisseaux de Malpighi, chez les Insectes, présentent des faits analogues. 11 n'est pas nécessaire de multiplier les exemples pour en apercevoir la géné- ralité. Les études approfondies que quelques histologistes ont récemment exécutées sur la constitution des noyaux cellulaires leur ont dévoilé la complexité de cet élément considéré à tort comme simple. N. Auerbach dislin- gue dans le noyau quatre parties : L'enveloppe ; Le suc nucléaire; Les nucléoles; Les granulations. De ces éléments, celui dont l'importance est la phis grande, c'est le nucléole. Le nucléole est un corpuscule figuré que R. Rrown a signalé dès 1834, dans les cel- lules végétales. Deux opinions sont en présence relative- ment à la nature du nucléole. L'une consiste à considé- rer le nucléole comme une masse protoplasmique pleine, véritable germe de la cellule. Auerbach, Hoffmeisler et Strasburger acceptent cette manière de voir. L'autre opinion consiste à regarder le nucléole comme une masse lacunaire creusée de vacuoles, vésicules nu- 200 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. clêaires ou nuclèolules. M. Balbiani, qui a attiré l'atten- tion des histologistes sur cette structure, en a déduit une interprétation physiologique du rôle du nucléole. Il le regarde comme un organe de nutrition, une sorte de cœur. M. Balbiani a découvert dans les nucléoles d'un grand nombre de cellules des mouvements qui peuvent se ramener à deux types: l°des mouvements amœboïdes analogues à ceux du protoplasma ; 2° des mouvements de contraction des vésicules ou vacuoles placées dans la masse homogène du nucléole. Les mouvements amœboïdes des nucléoles ont été observés par M. Balbiani dans la tache germinative (représentant du nucléole) de l'œuf chez certaines arachnides, en particulier l'Epeire diadème. Cette observation a été confirmée par celles d'un grand nombre d'histologistes, de La Valette Saint-Georges sur une larve de Libellule, de Auerbach et Eimer sur les poissons, de Al. Braun sur la Blatte orientale. Mecznikow a retrouvé ces mêmes mouvements dans les cellules des glandes salivaires des fourmis et enfin W. Kiïhne les a signalés incidemment dans les corpus- cules du suc pancréatique chez le lapin. La seconde espèce de mouvements nucléolaires con- siste dans la contraction des vésicules. Ils sont bien évidents dans l'ovule du faucheur commun, Phalanyium, et d'un Myriapode, le Geophilus longicornis. Le nucléole est un élément à peu près constant du noyau. L'absence de nucléole, état énucléolaire de M. Auerbach, est transitoire et passagère le plus souvent; c'est ce qui arrive pendant la segmentation de l'œuf. THÉORIE PLASTIDULAIRE. ^ 1 1 Quelques éléments n'ont qu'un seul nucléole : les cel- lules nerveuses, les cellules de la corde dorsale sont dans ce cas. Chez les mammifères et les oiseaux il y a toujours dans le noyau un nombre de nucléoles variant de 4 à 1(3. Chez les poissons ce nombre s'élève singu- lièrement; on trouve dans la vésicule germinative de ces animaux un nombre de nucléoles variant de 150 à 200 pour chaque noyau. Conclusion. — Dans l'exposé rapide de l'ensemble des travaux qui ont paru récemment sur ces matières délicates, nous avons vu les différentes formes sous les- quelles peut se présenter la matière essentielle de l'orga- nisation , le protoplasma. Après avoir été considéré comme une matière d'une constitution très-simple, il est aujourd'hui regardé comme étant d'une structure très-complexe. Tous les problèmes d'origine organique, toutes les questions qui s'y rattachent, ne sont point résolus. Nous pouvons néanmoins nous arrêter à ce résultat général que les matériaux de l'édifice vivant représentent les différentes formes d'une substance uni- que, dépositaire de la vie, identique clans les animaux et les plantes. C'est dans le protoplasma, matière seule active et travaillante, que nous devons chercher l'expli- cation de la vie aussi bien des phénomènes chimiques de la nutrition que des réactions vitales plus élevées de la sensibilité et du mouvement. SIXIÈME LEÇON Théories chimiques. — Synthèses. — Protoplasnia incolore et protoplasnia vert on chlorophyllien. Sommaire : Du protoplasnia et de la création organique. — Généralités. — Synthèse chimico-physiologique. — Constitution élémentaire des corps organisés. — La synthèse créatrice est nécessairement chimique, mais elle a des procédés qui sont spéciaux. — Du protoplasma vert ou chlorophyllien et du protoplasma incolore. — Ils ne peuvent servir à limiter le règne animal du règne végétal. I. Hùle du protoplasma chlorophyllien dans la synthèse organique. — 11 opère la synthèse des corps ternaires sous l'influence de la lumière. — L'expérience de Priestley est le point de départ de cette théorie. — Hypothèse des chimistes au sujet des synthèses dans le protoplasma vert. — Le protoplasma vert tire son énergie de la radiation solaire. II. Rôle du protoplasma incolore dans la synthèse organique. — 11 opère des synthèses complexes. — Expériences de M. Pasteur. — Il ne peut toutefois incorporer le carbone directement. — Le protoplasma incolore emploie l'énergie calorifique. — État de la question des synthèses organiques; hypothèses nouvelles. — Hypothèse du cyanogène. — Syn- thèse chimique et force vitale. III. Synthèses en .particulier. — L'exemple le mieux connu est la synthèse amylacée ou glycogénique. — Découverte de la glycogénie animale. — Phénomènes de synthèse amylacée et de destruction amylacée. — Carac- tères principaux de la synthèse glycogénique chez les animaux et les végétaux. Nous avons vu précédemment qu'il faut séparer l'es- sence de la vie de la l'orme de son substratum : elle peut se manifester dans une matière qui n'a aucun caractère morphologique déterminé. C'est dans cette matière, le protoplasma , que réside l'activité vitale, indépendam- ment des conditions morphologiques qu'elle présente, CRÉATION ORGANIQUE. 203 et des moules où elle a été façonnée. Le protoplasma seul vit ou végète, travaille, fabrique des produits, se désorganise et se régénère incessamment : il est actif en tant que substance et non en tant que forme ou figure. Le phénomène fondamental de la création organique consiste dans la formation de cette substance, dans la synthèse chimique par laquelle cette matière se cons- titue au moyen des matériaux du monde extérieur. Quant à la synthèse morphologique qui façonne ce pro- toplasma, elle est pour ainsi dire un épiphénomène, un fait consécutif, un degré dans cette série indéfinie de différentiations qui conduisent jusqu'aux formes les plus complexes; en un mot, une complication du phénomène essentiel. Lavoisier avait donc raison lorsque, tout en procla- mant la difficulté du problème de la création organisa- trice et en reconnaissant qu'il était environné d'un mystère inpénétrable, il le réclamait cependant comme un phénomène chimique, phénomène dont les chimistes devaient d'ores et déjà entreprendre l'étude. Il proposait à l'Académie des sciences d'encourager et de provoquer des études par la fondation de prix décernés aux auteurs qui feraient accomplir quelques progrès dans cette direction (1). Le problème de la création organique ou synthèse vitale aurait ainsi pour premier degré et pour condition essentielle la synthèse chimique du protoplasma. (\) Voir la note de M. Dumas : façons de la société chimique, 1861, p. 294. 304 LEÇONS SUR LliS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. On ne saurait actuellement définir la constitution chimique du protoplasma; la formule G'8 H9 Azo2 par laquelle on l'a représenté est tout à fait illusoire. Le protoplasma est un mélange complexe de principes im- médiats, matières albuminoïdes et autres, mal connus, renfermant comme éléments principaux le carbone, l'hy- drogène, l'azote et l'oxygène, et comme éléments acces- soires quelques autres corps simples. Il faut y reconnaître en un mot, de môme que pour le blastème, des corps quaternaires, ternaires et des matières terreuses. Les corps simples que la chimie nous a fait connaître comme entrant clans la constitution des organismes les plus complexes sont peu nombreux. Il n'y a pas de substance particulière, de corps simple vital, comme Buffon l'avait imaginé pour expliquer la différence des êtres vivants et des corps bruis. Les seuls corps qui en- trent dans la constitution matérielle des êtres élevés, de l'homme par exemple, sont au nombre de quatorze. Ce sont : L'oxygène, Le chlore, L'hydrogène, Le sodium, L'azote, Le potassium, Le carbone, Le calcium, Le soufre, Le magnésium, Le phosphore, Le silicium, Le fluor, Le fer. Tels sont les éléments que met en jeu la synthèse chimique et qui, par des combinaisons successives, arri- vent à former le substratum de la vie. SYNTHÈSE ORGANIQUE. 2(>5 Ces éléments se réunissent en effet pour constituer des combinaisons binaires, ternaires, quaternaires, qui- naires; celles-ci s'assemblent pour constituer la sub- stance vivante originaire, biastême, plasma ou proto- plasma, dans laquelle se manifestent les actes essentiels de la vie. A un degré plus élevé, les matériaux prennent un caractère morphologique et constituent l'élément anatomique. la cellule ; plus loin encore, les organismes complexes. Le problème du mécanisme de ces synthèses organi- satrices est très-loin de sa solution, il n'est même pas encore bien posé ; et ici nous n'essayons pas autre chose que de fixer la question et de faire connaître l'état de la science à ce sujet. Lavoisier, avons-nous dit, a eu raison de léguer à la chimie l'explication des phénomènes de l'organisation des êtres vivants. Depuis le moment où il s'exprimait si nettement, la chimie synthétique a accompli, en effet, des progrès considérables. On a reconstitué de toutes pièces des essences végétales, des corps gras, des alcools. Les grands travaux de M. Berthelot sur la synthèse ont fait entrevoir la possibilité d'aller très-loin dans cette voie : les recherches récentes de M. Schïitzenberger rendent probable que l'on pourra même reconstituer artificiellement jusqu'aux substances àlbuminoïdes, qui sont considérées à juste titre comme le degré le plus élevé de la synthèse vitale. Mais ces progrès mêmes de la synthèse chimique nous obligent à nous demander si la physiologie peut en attendre la solution du problème de la synthèse physio- 206 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. logique. En d'autres termes, il s'agit de savoir si les pro- cédés par lesquels les chimistes ont formé ces composés naturels sont le calque exact de ceux qu'emploie la nature; si la synthèse chimique, qui, dans l'économie, forme les corps organiques, est pareille à celle de nos laboratoires. Il semble en être autrement. Les procédés physiolo- giques ou naturels, bien qu'ils rentrent dans les lois de la chimie générale, ne ressemblent pas nécessairement à ceux que les chimistes mettent en œuvre; ils sont géné- ralement différents, ils sont spéciaux. Ce que l'on sait déjà relativement aux transformations et aux synthèses des substances grasses, sucrées et féculentes, rend vraisemblable cette manière de voir que je soutiens depuis longtemps. C'est d'ailleurs l'opinion des chi- mistes qui connaissent le mieux les méthodes synthé- tiques et qui ont exécuté les travaux les plus remarqua- bles dans cet ordre d'idées. Tout le monde sait, par exemple, que M. Chevreul le premier a opéré l'analyse des corps gras. Il a montré que ces corps sont formés par l'union de la glycérine et d'un ou plusieurs acides gras. Partant de ces pro- duits, M. [Berthelot a reconstitué les substances grasses et en a opéré la synthèse. Or, ni M. Chevreul ni M. Ber- thelot ne tirent de leurs travaux la conclusion que les corps gras se constituent chez l'être vivant par les mêmes procédés. Ils ne pensent pas, en un mot, que la graisse se forme dans les animaux ou les végétaux par l'union nécessaire d'acides gras et de glycérine préexistants. Plus récemment M. Schiitzenberger a étudié la compo- SYNTHÈSE OKGANIQUE. 207 sition des matières albuminoïdes; il semble être parvenu à en réaliser l'analyse immédiate, ou plutôt une analyse immédiate. En traitant les matières albuminoïdes par une solution de baryte à 150 degrés, il a obtenu des principes définis et cristallisables. Ces principes obtenus par décomposition se rangent dans trois séries : 1° De l'ammoniaque, de l'acide carbonique, de l'a- cide oxalique et de l'acide acétique; ces corps étant dans une proportion constante pour une substance albumi- noïde donnée. 2U En second lieu, des composés azotés cristallisables appartenant à deux séries, CH"2ll + 1Az02. (n = 3,4, 5, 6,7) et OEr^-'AzO2. (n = 4,5, 6) qui ont pour type la leucine et la leucéine. 3° Des com- posés tels que le pyrrol, la tyrosine, la tyro-leucine, l'acide glutamique. Les différences entre les diverses matières albumi- noïdes paraissent tenir d'abord à la proportion relative de ces trois ordres de substances, ensuite à la nature et a la proportion relative des corps appartenant au second groupe. L'analyse ayant été faite quantitativement , c'est- à-dire poids pourpoids, M. Schùtzenberger a penséqu'il serait désormais possible de représenter par une for- mule chimique la constitution de l'albumine 6(C9Hi8Az204) = CGH13Az02 + C6HnAz02 + C5H"Az02 Leucine. Leucéine. Butalanine. -4- C5H°Az02 + 4(C4H9Az02 + C4H7Az02) + Aq Acide amido-butyrique. 208 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. A chaque substance azotée correspondrait une for- mule semblable. Est-ce à dire que, dans l'opinion même de l'auteur de ces laborieuses et remarquables recherches, la syn- thèse de l'albumine se fasse dans l'organisme par la combinaison successive de ces éléments? En aucune façon. La nature semble procéder par de tout autres voies. C'est bien toujours des combinaisons chimiques qui se font et se défont : mais l'organisme a des procédés spéciaux, et l'étude seule de l'être vivant peut nous édi- fier sur le mécanisme des phénomènes dont il est le théâtre et sur les agents particuliers qu'il emploie. Nous devons faire ici une remarque importante. Nous n'assistons pas à la synthèse directe du protoplasma pri- mitif, non plus qu'à aucune autre synthèse primitive dans l'organisme vivant. Nous constatons seulement le développement, l'accroissement de la matière vivante ; mais il a toujours fallu qu'une sorte de levain vital ait été le point de départ. Au début du développement d'un être vivant quelconque, il y a un protoplasma préexis- tant qui vient des parents et siège dans l'œuf. Ce proto- plasma s'accroît, se multiplie et engendre tous les proto- plasmas de l'organisme. En un mot, de même que la vie de l'être nouveau n'est que la suite de la vie des êtres qui l'ont précédé, de même son protoplasma n'est que l'extension du protoplasma de ses ancêtres. C'est toujours le même protoplasma, c'est toujours le même être. Le protoplasma a la propriété de s'accroître par syn- SYNTHÈSE ORGANIQUE. 209 thèse chimique; il se renouvelle à la suite d'une destruc- tion organique. Ces deux propriétés constituent la vie du protoplasma que nous avons à examiner. Quelques physiologistes ont paru croire qu'il y avait à distinguer deux espèces de protoplasma se comportant différemment : le protoplasma incolore des animaux, le protoplasma vert des plantes. En réalité, on ne doit pas distinguer, même sous le rapport de la couleur, un protoplasma animal et un protoplasma végétal. Le protoplasma des plantes, comme celui des animaux, est susceptible de s'imprégner de matière verte ou chlorophylle dans certaines circon- stances. Cette matière, si importante dans ses fonctions, peut apparaître ou disparaître au sein du protoplasma préexistant suivant des conditions extérieures. Si. par exemple, on recouvre quelques portions de feuille verte avec un écran opaque, les parties ainsi soustraites à l'ac- tion delà lumière se décolorent; la chlorophylle dispa- raît, le protoplasma subsiste seul. Au lieu de dire, par conséquent, qu'il existe deux variétés de protoplasma, il serait plus exact de dire que le protoplasma. suivant les cas. se charge ou ne se charge point de matière verte; et surtout il ne faudrait point considérer un protoplasma végétal que l'on opposerait au protoplasma animal. Ce serait très-inexact selon nous; en effet, le tiers au moins des espèces végétales connues est dépourvu de chlorophylle; dans une plante déter- minée toutes les parties soustraites à l'action de la lu- mière sont dans le même cas; enfin, comme nous le verrons plus loin, des animaux inférieurs, X Euglena CL. BEK5ARD. 14 240 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DI£ LA VIE. viridis, le Stentor polymorphus, etc. (voy. la planche, fig. 1 et 2), possèdent cette substance. Toutefois, en réservant la question de l'unité originelle du protoplasma, et à la condition de ramener à l'état de produit \a chlorophylle qui y est mêlée, il est pratique- ment permis de distinguer le protoplasma vert du proto- plasma incolore. Ces deux protoplasmas sembleraient se comporter, en effet, dans certains cas d'une manière tout à fait différente au point de vue des synthèses chimiques. I. Protoplasma vert ou chlorophyllien. — La chloro- phylle existe chez le plus grand nombre des plantes, dans les parties exposées à la lumière. Elle se présente dissé- minée dans le protoplasma cellulaire à l'état de granules d'une dimension moyenne de 0mm,01 ; quelquefois ce- pendant elle semble en dissolution véritable. Les botanistes admettent que cette substance est un produit de l'activité du protoplasma; cardans les graines en germination, ou dans les plantes étiolées ramenées à la lumière, on voit reparaître cette matière au sein du protoplasma qui n'a jamais cessé de fonctionner. En étu- diant le phénomène de plus près on avait cru pouvoir dire que la chlorophylle s'engendre dans la couche de protoplasma qui entoure le noyau cellulaire et Ton reliait son apparition à l'influence du protoplasma nucléaire. Les faits relatifs à la chlorophylle animale ne sont pas moins intéressants quoiqu'ils soient moins connus. Morren, en 1844, avait commencé à étudier la respiration de quelques organismes verts qui n'appartenaient évi- PROTOPLASMA CHLOROPHYLLIEN. 211 demment pas au règne végétal. Mais c'est surtout F. Cohn en 1851, Stein en 1854, et Balbiani en 1873, qui à cet égard ont donné des bases plus solides à nos connaissances. F. Cohn a constaté la présence de grains de chloro- phylle chez un infusoire, le Paramecium bursaria : ces grains sont logés dans la partie interne, plus fluide, de la couche corticale (paroi du corps). Celte couche fluide est dans un mouvement continu de rotation auquel participent les grains verts. Ces granules pré- sentent des réactions semblables à celles de la chloro- phylle végétale. L'acide sulfurique concentré leur com- munique d'abord une coloration vert-bleuâtre qui devient graduellement plus intense et passe enfin au bleu avec dissolution des granules. Stein a vérifié ces faits; il a mieux précisé la situa- tion des grains de chlorophylle dans le protoplasma qui forme la masse générale du corps, en dehors du tube digestif et de la paroi corticale. Il a vu de plus des espè- ces tantôt incolores, tantôt colorées en vert, telles que le Spirostomum ambiguum, YOphrydium versatile, ÏEpis- tylis plicalilis , le Stentor polymorpkus , etc. Chez beaucoup d'infusoires flagellés, Euglena viridis, Cryptomonas , Chlamydococcus pluvialis, Trâckelomonas, la matière verte se présente à l'état amorphe ou à l'état de granu- lations très-fines. Chez ces infusoires, comme chez les plantes, la chlorophylle se transforme à certaines épo- ques, surtout pendant l'enkystement, en une matière colorante jaune-rouge : elle repasse au vert lorsque l'humectation rend les animaux à la vie active. 212 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. En 1873, M. Balbiani (voy. la planche, fig. 1 et 2) a observé chez le Stentor polymorphus (variété verte) la multiplication des grains de chlorophylle dans l'inté- rieur du corps de l'animal, par division en deux et en trois, comme cela a lieu pour la chlorophylle végétale. Outre les infusoires cités plus haut, on trouve des glo- bules verts dans la substance du corps chez diverses autres espèces animales, Y Hydre verte,, un ver turbella- rié, Yortex viridis, et un géphyrien, Bonnellia viridis. Ces faits montrent le peu de fondement que pourrait avoir l'attribution exclusive du protoplasma vert aux végétaux, tandis que le protoplasma incolore caractéri- serait ranimai. Quel est le rôle du protoplasma vert dans la synthèse organique ? C'est le protoplasma vert qui, d'après les idées actuel- lement en faveur, travaillerait k la synthèse des com- posés ternaires hydro-carbonés. Il serait le seul agent des combinaisons synthétiques du carbone, la seule voie pour l'introduction de cette substance dans l'organisme végétal et animal. L'expérience célèbre de Priestley a été le point de départ de nos connaissances à cet égard. Ingeii-Housz, Seunebier, Th. de Saussure ont précisé les conditions de cette expérience et ont fait connaître l'action synthé- tique exercée par la matière verte. On admet, depuis leurs travaux, que la chlorophylle possède la faculté de réduire l'acide carbonique sous l'influence des rayons solaires, et de donner lieu à un dégagement d'oxygène. En même temps le carbone se trouve combiné à diffé- SYNTHÈSE CHLOROPHYLLIENNE. v213 rents éléments et constitue des matières hydrocarbo- nées ou combustibles qui se déposent dans les organes verts. Comment s'opère cette action ? A cet égard l'on n'a que des suppositions plus ou moins plausibles. On tendait à penser que « l'hydrate normal d'acide carboni- que est. sous l'action de la chlorophylle, dédoublé en oxygène et aldéhyde méthylique; l'aldéhyde en se sextu- plant donnerait le sucre, lequel à son tour, par duplica- tion ou triplicatiouet perte d'eau, donnerait la cellulose : l'oxydation de ces corps fournirait les graisses et les acides; l'influence de l'ammoniaque provenant de la réduction des nitrates formerait aux dépens des radicaux précédents les divers alcaloïdes végétaux et les matières albuminoïdes. » A ces hypothèses qu'il rappelle d'abord, M. Gautier Revue scientifique, 10 février 1875) en a substitué d'autres qui paraissent mieux en rapport avec le petit nombre des faits connus. Il faut admettre d'abord que la matière verte, la chlorophylle, n'est pas incorporée intimement et for- tement combinée au protoplasma lui-même; qu'elle est simplement disséminée dans la masse protoplas- mique d'où une foule de dissolvants neutres peuvent l'extraire. Ce protoplasma vert est l'agent d'une foule de syn- thèses carbonées, dont les produits, fabriqués pendant le jour sous l'action des rayons solaires, sont utilisés comme matériaux de construction par toutes les parties inco- lores de la plante. 214 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Il faudrait distinguer, d'après M. Gautier, deux états de la chlorophylle : La chlorophylle verte, La chlorophylle blanche. Dans les parties étiolées qui reverdiront à la lumière, la substance qui peut donner naissance à la chlorophylle existe > car il suffit de les traiter par l'acide sulfurique pour les voir instantanément se colorer en vert. M. Gautier admet que, sous l'influence de l'oxygène de 'air, la chlorophylle blanche passe à l'état de chloro- phylle verte et, inversement, que la chlorophylle verte passe à l'état de chlorophylle blanche sous l'influence de l'hydrogène naissant; l'expérience peut être faite et ré- pétée facilement. Les deux substances, chlorophylle verte et chloro- phylle blanche, seraient entre elles dans le rapport de l'indigo bleu à l'indigo blanc. La chlorophylle blanche serait douée d'une remarquable aptitude à réduire les corps oxygénés, à combiner leur oxygène à son hydro- gène. D'autre part la chlorophylle verte aurait la pro- priété de décomposer l'eau sous l'influence des rayons solaires, comme elle a la propriété de décomposer l'acide carbonique. Elle deviendrait chlorophylle blanche en prenant l'hydrogène et mettant l'oxygène en liberté. La chlorophylle blanche céderait à l'acide carbonique son hydrogène ; elle travaillerait ainsi à la synthèse de compo- sés carbonés, et repasserait à l'état de chlorophylle verte. Ainsi, par un perpétuel mouvement alternatif, la chlorophylle prendrait l'état vert et l'état incolore : SYNTHÈSE CHLOROPHYLLIENNE. ^15 décomposant l'eau et dégageant l'oxygène lorsqu'elle passe de l'état vert à l'état incolore, faisant la synthèse des produits carbonés en repassant de l'état incolore à l'état vert. Voilà la première partie de l'hypothèse. Elle est encore loin d'être vérifiée ou calquée sur les faits : mais elle n'est contraire à aucun de ceux qui sont connus. Voici la seconde : Quelles sont les matières premières sur lesquelles les chlorophylles verte ou blanche exercent leur activité ? C'est le mélange d'acide carbonique et d'eau mCO2 + m HO. De la réduction de ce mélange, grâce à l'hydrogène chlorophyllien, dériveraient : l'al- cool, le glycol, l'aldéhyde ordinaire, les acides glyco- lique et glyoxylique, le glyoxal, l'acide oxalique. En un mot, tous les corps « organiques ternaires pourraient » se former par ce simple mécanisme de la désoxydation » par le grain de chlorophylle, plus ou moins profonde » suivant l'influence des rayons lumineux, des diverses » associations d'eau et d'acide carbonique que le proto- » plasma laisse pénétrer jusqu'à l'organe de réduction » . La glycose serait la première formée parmi ces prin- cipes et la matière première de presque tous les autres. Par union avec l'acide carbonique et perte d'eau, la gly- cose peut donner l'acide pyrogallique, l'acide gallique qui, clans les jeunes pousses du printemps, est en effet abondamment associé à la glycose, en un mot une série d'acides, lesquels inversement peuvent repasser à l'état de sucre sous l'influence de la vie des cellules incolores. Ainsi dans les parties incolores s'accompliraient les phénomènes inverses exactement de ceux qui se produi- 216 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. sent dans les parties vertes. C'est en effet une ten- dance générale des chimistes d'admettre ce retour inverse, semblable dans son mécanisme quoique de sens contraire, des matières végétales actuelles vers les prin- cipes immédiats d'où d'autres cellules les avaient fait dériver. Voilà quelques-unes des idées que la chimie de notre temps a émises sur le rôle du protoplasma vert dans la synthèse des produits immédiats. Ces conceptions sont fortement imprégnées de ce que l'on pourrait appeler le chimisme artificiel. Le chimisme naturel est peut-être tout différent : il serait possible, par exemple, que toutes les synthèses imaginées par les chimistes fussent sans réalité et que les principes immédiats sortissent tous par voie de décomposition ou de dédoublement d'une matière unique et identique, le protoplasma. Quoi qu'il en soit, et pour rester sur le terrain des faits, on peut dire que le protoplasma vert paraît former incontestablement des produits organiques carbonés. Sous l'influence de quelle force, par quelle énergie s'exécutent ces phénomènes? où la cellule à protoplasma vert prend-elle la force chimique nécessaire à la décom- position du gaz carbonique? Il est admis que c'est dans la radiation solaire. Le soleil est le premier moteur de tous ces phénomènes, la source de la force vive qu'ils utilisent. II. Protoplasma incolore. — Nous venons de voir que le protoplasma est susceptible de se charger dans PROTOPLASMA INCOLORE. 217 certaines conditions d'une matière verte, la chlorophylle. Mais le protoplasma peut rester incolore dans un grand nombre d'éléments végétaux. Le protoplasma incolore est, moins encore que le protoplasma vert, l'apanage exclusif de l'un des rèsmes. Les animaux et les végétaux le possèdent comme élément essentiel, primordial, for- mateur et générateur de tous les autres. Quel est le rôle de ce proloplasma? 11 pourrait pro- duire toutes les substances qui existent dans les animaux et les plantes, mais avec d'autres éléments comme point de départ, et avec une autre force vive comme agent que celle du protoplasma vert. L'expérience de M. Pasteur à ce sujet est fondamen- tale. Elle montre que le protoplasma incolore peut fabri- quer, sans l'aide de la chlorophylle non plus que des radiations solaires, les principes immédiats les plus com- plexes, matières protéiques, albumine, fibrine, cellulose, matières grasses, etc. M. Pasteur (Comptes rendus, 10 avril 1876) constitue un champ de culture formé des principes suivants : Alcool ou acide acétique pur, Ammoniaque (d'un sel cristallisable pur), Acide phosphorique, Potasse, Magnésie, Eau pure, Oxygène gazeux. Il n'y a là aucune substance qui ne soit empruntée au règne minéral, car la plus complexe, l'alcool, peut être 318 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. réalisée, ainsi que l'a montré M. Berihelot, de toutes pièces au moyen des éléments empruntés au règne mi- néral. Dans ce milieu à constitution si simple, sans albu- mine, sans produits organisés, on dépose une graine de mycoderma aceti, d'un poids nul pour ainsi dire, d'une masse insignifiante. En l'absence de toute matière verte, à l'obscurité, la graine de mycoderme produit dans ce milieu une quan- tité considérable de cellules nouvelles de mycoderma aceti, d'un poids aussi grand qu'on pourrait le désirer. Dans cette récolte se rencontrent les matériaux les plus variés et les plus complexes de l'organisation : Matières protéiques, Cellulose, Matières grasses, Matières colorantes, Acide succinique, etc. La cellule vivante n'a donc nul besoin de chloro- phylle ou de matière verte, ni de radiations solaires pour édifier ces principes immédiats les plus élevés de f organisation. M. Pasteur a fourni un second exemple, en cultivant des vibrions, c'est-à-dire des ôtres plus élevés encore, à l'obscurité, sans matière verte et de plus sans oxygène gazeux. Le champ de culture était ainsi constitué : Acide lactique, Acide phosphorique(dans un sel pur cristallisable), Ammoniaque, SYNTHÈSE PROTOPLASMIOli:. 219 Potasse, Magnésie. On sème dans ce milieu quelques vibrions, d'un poids si faible qu'on ne saurait l'évaluer. Ces êtres se développent avec une activité prodigieuse, et l'on peut obtenir tel poids que l'on voudra de ces or- ganismes contenant : Des matières cellulosiques, Des matières protéiques, Des substances colorantes, Des alcools, De l'acide butyrique, De l'acide métacétique, etc. On pourrait dire par conséquent que le protoplasma incolore a accompli des synthèses très-élevées. Cependant, entre ces synthèses accomplies par le pro- toplasma incolore et celles qu'accomplit le protoplasma vert il y a deux différences. D'abord, dans le premier cas, l'on fournit nécessairement comme point de départ un principe carboné assez élevé, alcool, acide acétique, acide lactique : la vie ne serait pas possible si l'on donnait le carbone à un état plus simple, par exemple à l'état d'acide carbonique. La chlorophylle peut seule former les synthèses de principes carbonés ou ternaires, en partant des corps les plus simples ou les plus saturés, tels que CO\ Le protoplasma incolore, avec ce point de départ, formera les synthèses quaternaires les plus compliquées. Une autre différence résulte de l'énergie employée. 220 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Le protoplasma vert met en œuvre l'énergie des radia- tions lumineuses, c'est-à-dire la force vive solaire. Le protoplasma incolore met en œuvre l'énergie calo- rifique qui a sa source dans l'aliment carboné; celui-ci ne doit remplir qu'une condition, c'est de n'être pas saturé d'oxygène et de pouvoir, en conséquence, par saturation ou oxydation, fournir de la chaleur. M. Pasteur comprendrait, à la rigueur et comme vue de l'esprit, que le protoplasma incolore pût, sous l'in- fluence des vibrations électriques ou de quelque autre force vive, décomposer l'acide carbonique et assimiler le carbone pour en former les produits synthétiques ter- naires. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des choses, on attribue aux deux protoplasma un rôle différent : le vert prépare les composés ternaires carbonés, l'incolore fait avec ce point de départ les principes azotés quaternaires. Dans une plante les cellules vertes travailleraient ainsi pour les cellules incolores. Si une plante n'a point de parties vertes elle ne pourra vivre qu'à la condition de trouver tout préparés dans le milieu extérieur les principes qu'antérieurement aura élaborés la chlorophylle de quelque autre plante. Ainsi en serait-il des parasites végétaux, des champignons, des mucédinées, des êtres monocellulaires qui doivent trouver sur l'être qui les porte ou dans le milieu qui les baigne ces mêmes principes indispensables, source de leur activité protoplasmique. C'est dans ce sens que M. Boussingault et avec lui quelques chimistes ont pu admettre que les végétaux SYNTHÈSE ORGANIQUE. 224 (il faudrait dire : la matière verte) seuls étaient capa- bles de pourvoir les êtres vivants de carbone, et par conséquent de créer les principes immédiats, à l'aide des éléments inertes, minéraux, empruntés à l'air, à l'eau, à la terre. Celte puissance créatrice, la chloro- phylle seule la posséderait sous l'influence du soleil. « Si la radiation solaire cessait, non-seulement les plantes à chlorophylle, mais encore les plantesqui en sont dépour- vues, disparaîtraient de la surface du globe. » L'expérience de M. Pasteur, qui prend pour champ de culture des produits minéraux et un produit de laboratoire, l'alcool, redresse ce que cette vue a peut-être d'excessif. Le my coder ma aceti, le vibrion qui se sont développés dans le milieu artificiel constitué par M. Pasteur n'ont eu besoin d'aucune plante à chlorophylle antérieure, non plus que de la radiation solaire. Toutes les explications que nous avons données rela- tivement aux procédés de la synthèse organique indi- quent le sens général dans lequel l'esprit actuel conçoit les phénomènes. Mais leur mécanisme exact, nous l'avons déjà dit, pourrait être tout autre que ces hypo- thèses ne l'imaginent. Ici comme dans bien des cas, les explications chimiques nous font connaître com- ment les choses pourraient être plutôt qu'elles ne nous montrent comment elles sont réellement. L'expéri- mentation pratiquée sur l'être vivant peut seule nous renseigner. Au point de vue physiologique, on serait fondé à ima- giner qu'il n'y a dans l'organisme qu'une seule synthèse, "2"2ll LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. celle du protoplasma qui s'accroîtrait et se développe- rait au moyen de matériaux appropriés. De ce corps complexe, le plus complexe de tous les corps organisés, dériveraient par dédoublement ultérieur tous les com- posés ternaires et quaternaires dont nous attribuons l'apparition à une synthèse directe. Cette conception, qui ferait dériver d'un composé unique, le protoplasma, tous les produits de l'organisme, est encore, elle aussi, une vue de l'esprit. 11 ne serait pourtant pas difficile de rassembler un certain nombre de faits qui s'accorderaient avec elle. Un argument en sa faveur serait par exemple le maintien de la consti- tution fixe de l'organisme avec une alimentation variée. Les produits de l'organisme ne changent pas sensi- blement sous l'influence du régime, et ceci s'expli- querait parfaitement, si les matériaux provenaient exclusivement d'un protoplasma toujouvs identique à lui-même. Enfin nous ne pouvons que mentionner une dernière hypothèse sur l'origine de la matière vivante, quoiqu'elle ait été l'objet de développements considérables de la part de son auteur. M. Pfluger (Archiv fur Physiologie, t. X, 1875) a émis relativement à la création organique une hypothèse qu'on pourrait appeler l'hypothèse cyanique. Ce n'est pas, suivant M. P. Pfluger, l'acide carbonique, la vapeur d'eau ou l'ammoniaque qui présiderait à la synthèse organique [rimitive au début de la vie. «Ces corps, dit-il, sont le résultat et la terminaison de la vie plutôt qu'ils n'en sont le commencement, ce qui est d'accord CRÉATION ORGANIQUE. 223 avec leur grande stabilité. » L'origine de la matière vivante, suivant L'auteur, doit être cherchée dans le cyanogène. Et d'abord quelle serait l'origine de ce cyanogène ? Ce seraient les combinaisons oxygénées de l'azote qui, dans certaines conditions climatériques, orages, etc., peuvent donner des combinaisons cyaniques. M. Pflïi- ger explique comment, à l'époque de l'incandescence terrestre, il a pu se former du cyanogène, et il montre toujours le feu comme la force qui a produit par synthèse les constituants de la molécule d'albumine. D'où il conclut que la source de la vie est le feu et que les con- ditions de la vie ont été satisfaites précisément àl'époque où la terre était incandescente : Bas Lebcn entstammt also clem Feuer.... Quant à la molécule d'albumine, elle ne s'est en réalité formée que pendant le refroidissement terrestre, lorsque les combinaisons du cyanogène et les hydrogènes carbonés ont eu le contact de l'oxygène de Veau. Encore aujourd'hui le soleil engendre dans les plantes les constituants de l'albumine. Cela exclut toute idée de génération spontanée. La molécule vivante d'albumine est douée de la faculté de croître, elle est toujours en voie de formation et n'a pas de caractère fixe de composition et d'équivalence chimique. Sous l'influence directe ou non du soleil, elle croît et tout être vivant est une simple molécule d'albumine dérivée de la molécule albumineuse primitive et unique, déve- loppée à l'origine du monde terrestre. D'un autre coté, M. Pfli'iger, considérant l'albumine "ï*2r± LEÇONS SUR LtS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. comme la base du protoplasma, examine pour ainsi dire son évolution chimique dans les deux conditions d'organisation et de désorganisation. 11 y aurait dans le protoplasma qui se forme une albumine vivante dans laquelle l'azote est engagé sous forme de cyanogène; dans le protoplasma qui se détruit, une albumine morte dans laquelle l'azote est engagé sous la forme ammo- niaque. Le passage de la vie à la mort, c'est-à-dire de l'incorporation au protoplasma, à la séparation d'avec lui, est donc pour l'albumine caractérisé par le déplace- ment de la molécule d'azote qui va du carbone à l'hy- drogène; et l'admission de l'albumine à l'activité vitale est caractérisée par le retour inverse. Tel est à peu près l'état de nos connaissances sur la question des créations ou des synthèses organiques. Nous voyons qu'elle est encore, comme au temps de Lavoisier, un profond mystère. Néanmoins, les recher- ches, les hypothèses s'accumulent et un jour viendra où la lumière sortira de ce long et pénible travail. Nous devons en terminant revenir sur une question que nous avons déjà effleurée, et nous demander si le chimisme des laboratoires, que l'on invoque ordinaire- ment dans ces explications, est bien comparable au chi- misme des êtres vivants. Lavoisier et beaucoup de ses successeurs semblent le croire; mais nous avons sou- vent montré que cette application directe de la chimie de laboratoire aux phénomènes de la vie n'est pas légi- time. Nous avons maintes fois insisté sur cette idée que les lois de la chimie générale ne sauraient être violées dans les êtres vivants, mais que là cependant elles ont CHIMISMB ET VITALISME. 225 des agents, des appareils particuliers (1 ) qu'il est néces- saire au physiologiste de connaître. Faudrait-il aller plus loin, dire que réellement il y a des forces chimi- ques spéciales dans les êtres vivants, et en revenir avec Bichat à distinguer les propriétés vitales des propriétés chimiques? Les paroles de certains chimistes, qu'un pourrait appeler vitalistes, sembleraient avoir cette con- séquence, c'est pourquoi je pense utile de m'expliquer à ce sujet. Le Traité de chimie organique de Liebig débute par cette phrase : La chimie organique traite des matières qui se produisent dans les organes sous l'influence de la force vitale, et des décompositions qu'elles éprouvent sous F influence d'autres substances. Que signifie celte force vitale qui fabrique des produits chimiques particuliers? On est porté à croire que dans l'esprit de l'auteur il s'agit bien d'une force vitale capable d'exécuter ce que ne sauraient faire les forces chimiques; Liebig, en un mot, s'exprime comme un vitaliste, et dans un autre passage de ses Lettres sur la chimie, en parlant des em- poisonnements, il dit : Alors, la force vitale est vaincue par les forces chimiques. Nous n'admettons pas de force vitale executive; nous nous sommes longuement expli- qué à ce sujet. Cependant nous reconnaissons qu'il existe dans les êtres vivants des phénomènes vitaux et des composés chimiques qui leur sont propres. Com- ment comprendre dès lors leur production? Le chimisme du laboratoire et le chimisme du corps 1) Voyez mon Rapport sur la physiologie générale, 1867, p. 222. CL. BERNARD. 15 226 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. vivant sont soumis aux mêmes lois; il n'y a pas deux chimies; Lavoisier l'a dit. Seulement le chimisme du laboratoire est exécuté à l'aide d'agents, d'appareils jiie le chimiste a créés; le chimisme de l'être vivant est exécuté à l'aide d'agents et d'appareils que l'orga- nisme a créés. Nous avons surabondamment démontré la vérité de cette proposition relativement aux agents d'analyse ou de destruction organique. Le chimiste, par exemple, transforme l'amidon en sucre à l'aide d'un acide qu'il a fabriqué; il saponifie les corps gras à l'aide de la potasse caustique, de l'acide sulfurique concentré, de la vapeur d'eau surchauffée, tous agents qu'il a créés lui-même. L'animal, aussi bien que la graine qui germe, transforme l'amidon en sucre sans acide, à l'aide d'un ferment (la diastase) qui est un produit de l'organisme. La graisse se saponifie dans l'animal, dans l'intestin, sans potasse caustique, sans vapeur d'eau surchauffée, mais à l'aide du suc pan- créatique qui est un produit de sécrétion donné par une glande. Chaque laboratoire a donc ses agents spé- ciaux, mais les phénomènes chimiques sont au fond les mêmes : la transformation de l'amidon en sucre, le dédoublement de la graisse en acide gras et en glycé- rine se produisent dans les deux cas par un mécanisme chimique identique. Pour les phénomènes de création organique, il doit en être de même. Le chimisme de laboratoire peut opérer les synthèses comme les corps vivants, et déjà il en a réalisé un grand nombre. Les chimistes ont fait des essences, des huiles, des graisses, des acides, que les CHIMISME ORGANIQUE. 227 organismes vivants fabriquent eux-mêmes. Mais là encore on peut affirmer que les agents de synthèse diffè- rent. Bien que l'on ne connaisse pas encore les agents de synthèse des corps vivants, ils existent certainement. Nous avons énoncé les diverses hypothèses émises à ce sujet; nous avons été de notre côté amené, par des faits que nous exposerons plus loin, à attribuer un certain rôle non-seulement au protoplasma, mais encore au noyau des cellules. En un mot, le chimiste dans son laboratoire et l'or- ganisme vivant dans ses appareils travaillent de même, mais chacun avec ses outils. Le chimiste pourra faire les produits de l'être vivant, mais il ne fera jamais ses outils, parce qu'ils sont le résultat même de la mor- phologie organique, qui, ainsi que nous le verrons bien- tôt, est hors du chimisme proprement dit ; et sous ce rapport, il n'est pas plus possible au chimiste de fabri- quer le ferment le plus simple, que de fabriquer l'être vivant tout entier. En résumé, nous voyons combien sont encore obscures toutes ces questions de synthèses, de créations vitales, malgré tous les efforts dont leur étude a été l'objet. Nous ne pensons pas, quant à nous, qu'on arrivera jamais k la solution de ces problèmes complexes en voulant les saisir dans leur origine même. Nous croyons au contraire que c'est en suivant les faits d'observation les plus près de nous que nous pourrons remonter suc- cessivement et réussir à atteindre le déterminisme de ces phénomènes fondamentaux. Aujourd'hui on peut dire que la synthèse des corps 2'2S LEÇONS SLR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. complexes, des corps albuminoïdes, des corps gras, nous est complètement inconnue. La seule sur laquelle nous :i\ 'us quelques notions précises est la synthèse amylacée ou glycogénique dans les animaux. C'est sur cet exemple que nous devons appuyer nos idées du chimisme vital, puisque, aussi bien, il est actuellement le mieux connu; on pourrait dire : le seul localisé. III. De la Synthèse glycogénique. — Le résultat le plus général des études que nous avons faites à ce sujet est d'avoir prouvé que les animaux et les végétaux possèdent les uns et les autres la faculté de créer des principes immédiats amylacés et sucrés. Nous n'en sommes donc plus à cette supposition, que l'animal est absolument subordonné au végétal. L'animal et le vé- gétal forment les principes immédiats qui sont néces- saires à leur nutrition respective. Ce résultat est d'accord avec le principe général que nous avons posé au début de nos études, à savoir que la vie n'est pas opposée mais semblable dans les deux règnes, qu'elle comprend nécessairement deux ordres de phénomènes, la création organique et la destruction organique, que tout être doué de vie, animal ou plante, simplement protoplasmique ou complet, doit nécessaire- ment les posséder. Il y a ta peu près trente ans que je fus conduit à dé- couvrir la fonction glycogénique dans les animaux. Je n'y fus pas amené par des idées préconçues, mais au contraire par l'observation pure et simple des faits. On SYNTHÈSE GLYCOGÉNIQUE. 229 croyait alors à la formation exclusive du sucre chez les végétaux. Je débutais dans la carrière scientifique et j'a- vais naturellement les opinions de mon temps. Je ne voulais donc pas détruire la théorie de la glycogenèse exclusive, je cherchais plutôt à l'appuyer et à l'étendre. Je m'étais demandé comment ce sucre alimentaire que les végétaux fournissent aux animaux se brûle et se dé- truit dans leur organisme. Ne me contentant pas des hypothèses que Ton avait émises à ce sujet en se fon- dant sur l'équation alimentaire d'entrée et de sortie de l'organisme des animaux, j'entrepris une série d'expé- riences dans lesquelles je me proposai de suivre dans le sang jusqu'à sa disparition le sucre ingéré dans les voies digestives des animaux. Dès mes premiers essais, je fus très-surpris de trouver que le sang des chiens renferme toujours du sucre, quelle que soit leur alimentation et tout aussi bien quand ils sont à jeun. Le fait est si facile à constater qu'il est très- étonnant qu'il n'ait pas été vu plus tôt; cela tient uniquement à ce que l'on était sous l'empire d'idées préconçues dont il fallait se dégager, et que d'autre part les investigateurs, ceux qui m'avaient précédé, avaient omis de suivre strictement les règles de la méthode expérimentale. Déjà en 1832 Tiedemann avait trouvé que l'amidon des aliments peut se transformer en sucre et passer dans le sang ; il avait rencontré de la glycose dans l'intestin, puis dans le sang d'un chien qui avait absorbé des ma- tières féculentes. Tiedemann en avait tiré cette conclu- sion, alors nouvelle, que le sucre se forme normalement 230 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. dans l'intestin par le travail de la digestion des fécu- lents et peut passer de là dans le chyle et dans le sang. Mais si cet expérimentateur n'en découvrit pas davan- tage, c'est qu'il avait négligé dans ces expériences un des préceptes les plus importants de la méthode expéri- mentale; il avait omis la contre-épreuve. Il se coutenta en effet de dire que le sucre du sang provenait de l'amidon ingéré, mais ne rechercha point, pour cor- roborer son observation, si le sang des animaux qui ne s'étaient point nourris d'amidon était dépourvu de sucre. C'est cette contre-épreuve que je fis, et c'est elle qui m'apprit que le sang des animaux contient normalement du sucre, indépendamment de la nature de l'alimen- tation. J'allai plus loin et je montrai que c'est dans le foie que chez les mammifères adultes a lieu la formation du sucre. Le sang qui sort du foie est toujours plus abon- damment pourvu de sucre que celui de toutes les autres parties du corps. Après cette découverte on chercha à s'expliquer com- ment le sucre peut prendre naissance dans le tissu hé- patique. On songea d'abord à des dédoublements, à des décompositions. Schmidt croyait à un dédoublement des matières grasses donnant naissance à du sucre dans le sang. Lehmann admit que la fibrine du sang en traver- sant le foie se dédoublait en glycose d'une part et en acides biliaires de l'autre; Frerichs donna une expli- cation analogue. M. Berthelot était tenté de croire au dédoublement dans le foie, d'une matière analogue à GLYCOGENÈSE ANIMALE. 23J un amide; et je poursuivis moi-même pendant quelque temps des expériences d'après cette vue. Je trouvai enfin que la matière qui est le générateur du sucre dans le foie est un véritable amidon animal, le glycogène, et je pus établir ainsi que le mode de forma- tion du sucre est identique dans les deux règnes (1). Ainsi le sucre se forme dans les animaux comme dans les végétaux aux dépens de l'amidon. La formation de cet amidon dans les deux règnes est considérée comme un acte de création organique, une synthèse. La forma- tion du sucre au contraire est une destruction organi- que, une hydratation de l'amidon qui amène sa trans- formation en dextrine, en glycose; puis cette substance elle-même donne naissance à l'acide lactique, à l'acide carbonique, par une série d'opérations qui ont pour résultat la destruction du sucre par des procédés équi- valents h. des phénomènes d'oxydation. Nous trouvons ainsi dans la glycogenèse animale comme dans la glycogenèse végétale les deux phases caractéristiques des grands phénomènes de la vie : 1° Création organique : synthèse de l'amidon, syn- thèse du glycogène. 2" Destruction organique : transformation de l'ami- don ou du glycogène en dextrine et sucre, puis destruction du sucre par des procédés analogues aux combustions. Malheureusement nous ne connaissons bien jusqu'à présent que les phénomènes de destruction des principes amylacés ; nous savons que dans les animaux comme (1) Yoy. le résumé de mes Recherches sur les glycogènes {Annales de chimie et de physique. 1876). 232 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. dans les végétaux, ils ont lieu sous l'influence des fer- ments, la diastase, le ferment lactique, agents chimiques spéciaux à l'organisme. Nous savons de plus que dans les deux règnes ces phénomènes engendrent de la cha- leur en s'accomplissant. Quant à la création, à la synthèse de l'amidon ou du glycogène, elle est entourée pour nous de grandes obscurités aussi bien dans les végétaux que dans les animaux. Toutefois nous marchons dans une bonne voie, et c'est probablement chez les animaux que ce mé- canisme formateur sera d'abord dévoilé. J'ai fait à ce sujet un grand nombre d'expériences sur les animaux mammifères; leur complexité les rend toutes difficiles. En opérant sur des larves de mouches (asticots) , j'espère être dans de meilleures conditions pour saisir le méca- nisme qui donne naissance au glycogène très-abondant chez ces larves. Pour faire comprendre les difficultés de telles études sur les animaux, je rappellerai ici ce fait important que les vivisections troublent, arrêtent aussitôt les phénomènes de synthèse glycogénique, tandis qu'ils n'empêchent pas ou même accélèrent dans certains cas les phéno- mènes de destruction ou de transformation. C'est pour- quoi nous n'avons pu jusqu'ici étudier, postmortem, par les procédés d'analyse artificielle, que les phénomènes de destruction glycogénique, tandis que les phénomènes de synthèse correspondants comme d'ailleurs tous les phénomènes des créations organiques semblent exiger pour s'accomplir l'intégrité de l'organisme entier. Toutefois, la matière glycogène dans les animaux, GLYCOGENÈSE ANIMALE. 233 «aussi bien que dans les végétaux, n'est pas seulement destinée à se transformer en sucre ; elle semble aussi faite pour entrer directement dans la constitution des tissus pendant révolution embryogénique (1). La matière glycogène, quel que soit le rôle qu'elle ait à remplir dans l'organisme, se montre à nous dans les parties en développement comme le résultai d'une véri- table synthèse. L'agent de cette synthèse est le proto- plasma d'une cellule. Cette cellule, capable de produire le iiivcoEfène, réside dans le foie chez l'adulte: elle est très-diversement placée chez l'embryon ; dans le blasto- derme, dans la vésicule ombilicale, chez le poulet; dans l'amnios, chez les ruminants; mais il est vraisemblable que partout elle forme la matière amylacée par le même procédé. La substance dvcoçrène est sous forme de sranula- tions, de gouttelettes incluses à l'intérieur des cellules hépatiques dans le foie, dans les cellules blastodermiques dans l'œuf de poule, dans les fibres musculaires chez le fœtus, dans les tissus épithéliaux : elle existe d'une manière diffuse dans un grand nombre de tissus em- bryonnaires. Pendant la vie fœtale, les cellules glyco- géniques se rencontrent dans le placenta, sur les vais- seaux allantoïdiens \voy. fig. 9 (2) . Le cas le plus intéressant nous est fourni par les ruminants. J'ai montré qu'on peut en effet suivre, chez ces animaux, l'évolution complète de la matière (i) Voy. Compt. rend, de l'Académie des sciences, t. XLVIII, 1S59. 2 Voy. mon mémoire : Sur une nouvelle fonction du ''ompt. revins de i Académie des sciences, t. XLVIII, séance du 10 janvier 1859). 234 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. glycogène dans ses deux périodes, de synthèse formatim et de destruction organique. • Fig. 9. — Disposition dos cellules giycogéniques dans le placenta du lapin. A, Coupe de la corne utérine et du placenta en place. Les cellules giycogéniques sonl situées entre le placenta fœtal et le placenta maternel sur les villosite's des vaisseaux allan toïdiens. — B, Cellules giycogéniques du placenta isolées et colorées en rouge vineux par l'iode. Les cellules giycogéniques accompagnent, sous forme de plaques (fig. 10 et 11), lesvaisseaux allan toïdiens, qui, Fig. 10 et 11. — Plaques giycogéniques de I'amhios du feetus de veau dans leur plein développement. ici, viennent accidentellement se réfléchir sur lamnios. Les plaques giycogéniques de Tamnios des ruminants se montrent sous forme d'amas de cellules (fig. 15) dès les premiers temps de la vie embryonnaire; elles s'accrois- sent jusqu'au milieu de la gestation, puis commencent à se détruire et disparaissent avant la fin de la vie intra- utérine. La durée de leur évolution est donc mesurée GLYCOGENÈSE EMBRYONNAIRE. 235 par un espace de temps plus court que celui de la gestation. Les plaques développées sur la face interne de l'amnios, dont elles troublent la transparence, s'opa- cifient de plus en plus, à mesure qu'elles s'accroissent; Fig. 12. :7 ■••'o FlG.Ili. Q^> ir Fig. 12, 13 et 14. — Début de la formation des plaques glycogéniques de l'amnios d'un fœtus de veau. Fig. 12, premier étal : la petite masse centrale est formée de cellules qui se colorenl en rouge violacé par l'eau iodée, acidulée. En dehors, les cellules de cette membrane se colo- rent en jaune par l'iode. — Fig.' 13, état plus avancé : la masse des cellules glycogéniques se coloranl en rouge esl plu considérable. — Fig. 14, cellules glycogéniques dissociées et coloriées par l'iode en rouge violai >'■. elles se groupent en certains points et deviennent con- tinentes (voy. fig. 10). A leur maximum de développe- 236 LLÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. ment, elles présentent parfois une épaisseur de plusieurs millimètres. Elles sont alors au point culminant qui sé- pare la. période synthétique de la période de destruction. Nous avons représenté les diverses phases de révolu- tion glycogénique dans les plaques de l'amnios des ruminants (voy. fig. 12, 13 et 14). Les préparations (fig. 12 et!3) représentent la phase ascendante de l'évo- lution glycogénique. La préparation (fig. 15) représente 1 [G. 15. — n, une viilosité isolée des plaques glycogéniques. On voit mieux dessinées certaines cellules qui ont été colorées par l'iode. — b, cellules de la villosité isolées et colorées |>ar l'iode en rouge vineux. le point culminant de cette évolution. Les préparations (fig. 16, 17 et 18) représentent la phase évolutive des- cendante. La formation des cellules glyeogéniques n'a pas encore GLYCOG ENESE EMBRYONNAIR E . IL 3 7 été suivie hislologiquement d'une manière aussi intime qu'il serait nécessaire; mais tout porte à penser qu'elle a lieu par un mécanisme analogue à celui des produc- tions épithéliales. La destruction des plaques se fait de deux manières : Fit:. 17. FlG. 18. Fig. 16, 17 et liS. — Dégénérescence des plaques de l'amnios du fœtus do veau. Fig. 16, mélanges de cellules normales ayant encore leur noyau et du glycogène, et de cellules dégénérées, perdant leur noyau, ne renfermant plus de matière glycogène et pas- sant à la transformation graisseuse. I - 17, la dégénérescence graisseuse des cellules glycogéniques est complète. Fig. 18, la plaque glyco^énimie a disparu et,, dans le point qu'elle occupait, on ren- contre souvent des débris divers et des cristaux d'oxalate de chaux. ou bien par résorption in situ, ou bien par résorption dans le liquide amniolique où elles tombent. La plaque devient jaunâtre, d'apparence graisseuse et flotte dans le liquide amniotique. Dans tous les cas, à mesure que la dégénérescence s'accentue, le noyau de la cellule s'ef- 238 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. face; les granulations disparaissent, et avec elles les ca- ractères de la matière glycogène ; des gouttelettes hui- leuses se montrent dans la cellule flétrie et, quelquefois, des cristaux volumineux; dans certains cas, une masse de graisse assez considérable qui se retrouve à la nais- sance du fœtus; mais, très-souvent, il se fait une des- truction par oxydation ; des cristaux octaédriques d'oxa- late de chaux (flg. 18) accumulés clans ces parties, rendent témoignage de la combustion qui s'y est opé- rée. Ici la substance n'avait été édifiée que pour être détruite; sa destruction est une oxydation qui produit de la chaleur et contribue ainsi à l'entretien de la vie dans l'organisme. Cet exemple nous montre sur le vif l'évolution d'un principe immédiat : sa formation synthétique par l'action d'un agent cellulaire particulier, puis sa destruction par oxydation. Si nous poursuivons la formation de la matière glyco- gène dans les organes du fœtus (1), nous voyons que les cellules glycogènes se forment dans tous les épithéliums, à la surface de la peau dans les tissus cornés, bec, plume, cornes des pieds; dans l'épithélium de l'intestin, du poumon, dans les conduits glandulaires; mais jamais dans le tissu même des glandes, ni dans les ganglions lymphatiques, ni dans les endolhêliwns, etc., etc. Ce qui est curieux, c'est que le foie, qui chez l'adulte sera le lieu d'élection de la formation glycogé- (1) Voy. mon mémoire : De la matière glycogène considérée comme con- dition de développement de certains tissus chez le fœtus avant l'apparition île la fonction glgcogénique du foie (Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XLVIII, séance du 4 avril 1859.) GLYCOGENÈSE ET PROTOPLASMA. 239 nique, ne contient encore aucune trace de cette sub- stance. Chez le veau, c'est vers le milieu de la gestation environ que le foie acquiert cette propriété, et alors on voit la matière glycogène disparaître des épithéliums, et la fonction glycogénique cesser d'être diffuse pour se localiser dans le foie. Chez les êtres inférieurs qui n'ont pas de foie, la fonc- tion glycogénique reste toujours diffuse, comme chez les végétaux. Chez certains animaux, comme les crustacés, cette fonction est intermittente et correspond aux périodes de mue, comme elle correspond à la végétation chez les plantes, etc., etc. Le protoplasma cellulaire n'est nécessaire que pour la première phase, c'est-à-dire la genèse synthétique du produit immédiat; mais la combustion destructive peut s'opérer sans l'intervention du protoplama. Les preuves à ce sujet abondent. La matière glycogène en est un exemple : rien ne peut suppléer, pour sa production, le protoplasma animal ou végétal ; au contraire, la destruction est un phénomène chimique qui n'exige nas nécessairement l'intervention de l'agent cellulaire vivant, et qui peut se continuer après la mort ou en dehors de l'économie. Une expérience décisive à ce sujet est celle du foie lavé. On fait passer un courant d'eau dans le foie arraché du corps de l'animal, et par conséquent soustrait à toute influence vitale : on enlève par là toute la matière sucrée qu'il contenait. Aban- donne-t- on l'organe à lui-même pendant quelque temps, on retrouve une nouvelle quantité de sucre. On 240 LEÇONS SLR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. peut renouveler l'épreuve avec le même succès un grand nombre de fois, jusqu'à ce que la provision de matière glycogène soit épuisée. Ainsi, dans cet organe mort, isolé de toute influence physiologique ou vitale, la matière glycogène continue à se détruire comme pendant la vie, mais elle ne se refait pas. Comment le protoplasma cellulaire intervient-il pour former le principe immédiat? C'est une question à ré- soudre. Peut-être pourrait-on supposer que le glycogène apparaît non par une véritable synthèse dans le sens chimique du mot, mais par un dédoublement de la ma- tière protoplasmique. C'est à l'avenir, et probablement à un avenir prochain, qu'il appartiendra de résoudre ces problèmes qu'on ne peut qu'indiquer aujourd'hui, mais dont nous sommes déjà parvenus à analyser les principales conditions. SEPTIÈME LEÇON Propriétés dn protoplasmti dans tes deux règnes, irritabilité, sensibilité. Sommaire : Le protoplasma possède L'irritabilité et la motilité. — Ces pro- priétés constituent le trait d'union entre l'organisme et le monde extérieur. I. Historique de l'irritabilité. — Glisson, Barthez, Bordeu, Huiler, Brous- sais, Virchow. — Irritabilité; autonomie des tissus. — Le protoplasma est le siège de l'irritabilité. II. Excitants et anesthésiants de l'irritabilité. — Conditions normales d«j l'irritabilité protoplasmique. — Anestbésie (1) des propriétés protopLas- miques, du mouvement d'irritabilité ou de sensibilité chez les animaux et les végétaux. — Expériences. — Anestbésie des phénomènes, proloplas- miques de germination, développement et fermentation chez les animaux et les végétaux. — Anestbésie de la germination des graines. — Anesthésie des œufs. — Anesthésie des ferments figurés. — De la non-anesthésie des ferments solubles. — Anestbésie de la fonction chlorophyllienne des plantes. — Anesthésie des anguillules du blé niellé. III. De l'irritabilité et de la sensibilité. — Sensibilité consciente et sensibi- lité inconsciente. — Manière de voir différente des philosophes et des physiologistes à ce sujet. — Identité des agents anesthésiques pour abolir la sensibilité et l'irritabilité. — Nous n'agissons pas sur les pro- priétés ni sur les fonctions nerveuses, mais seulement sur le protoplasma. Le protoplasma, agent des phénomènes de création organique, ne possède pas seulement la puissance de synthèse chimique que nous avons examinée en lui; pour mettre en jeu celte puissance, il doit posséder les facultés de Y irritabilité et de la motilité. 11 peut en effet réagir et se contracter sous la provocation d'excitants (1) Le mot anesthésie désigne ici l'action des substances anesthésiques, éther ou chloroforme, amenant la suppression de la faculté des éléments et des tissus de réagir sous l'influence de leurs excitants ordinaires. CL. BERNARD. 16 '2^2 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. qui lui sont extérieurs, car il n'a en lui-même et par lui-même aucune faculté d'initiative. Les phénomènes de la vie ne sont pas les manifesta- tions spontanées d'un principe vital intérieur : elles sont, au contraire, nous l'avons dit, le résultat d'un conflit entre la matière vivante et les conditions exté- rieures. La vie résulte constamment du rapport réci- proque de ces deux facteurs, aussi bien dans les mani- festations de sensibilité et de mouvement, que l'on est habitué h considérer comme étant de Tordre le plus élevé, que dans celles qu'on rapporte aux phénomènes phvsieo-chimiques. Cette continuelle relation entre la substance organisée et le milieu ambiant est donc un caractère général de la vie organique aussi bien que de la vie animale. La nutrition, aussi bien que la sensibilité et le mouvement, traduisent sous des formes plus ou moins compliquées cette faculté de la matière vivante de réagir aux excita- tions du monde extérieur. Cette faculté, condition essen- tielle de tous les phénomènes de la vie, chez la plante aussi bien que chez l'animal, existe à son degré le plus simple dans le protoplasma. C'est X1 irritabilité. D'une façon générale, Y irritabilité est la propriété que possède tout élément anatomique [c'est-à-dire le proto- plasmaqui entre dans sa constitution) d'être mis en activité et 'le réagir crime certaine manière sous l'influence des excitants extérieurs. Toute manifestation vitale exigeant le concours de certaines conditions ou excitants extérieurs est par cela même une manifestation de l'irritabilité. La sensibilité, IRRITABILITÉ, SENSIBILITÉ; HISTORIQUE. 243 qui est, a son plus haut degré, un phénomène complexe, n'est au fond, comme nous le verrons, qu'une modalité particulière de l'irritabilité, seule propriété vitale élé- mentaire, dont l'existence est commune aux deux règnes. Nous devons d'abord examiner ce que l'on entend par ce mot irritabilité et savoir quelles idées et quels faits il désigne. 11 est nécessaire de connaître les antécédents historiques de cette question fondamentale qui, depuis plus d'un siècle, a donné lieu à des confusions conti- nuelles et ouvert des débats qui ne sont pas encore terminés. Le problème de la sensibilité des êtres vivants et, d'une manière générale, celui des propriétés vitales des êtres organisés trouveront leur solution dans la con- naissance et l'appréciation exacte de la doctrine de l'ir- ritabilité. I. Historique. — C'est Glisson (1034—1077) , profes- seur à l'Université de Cambridge, qui a le premier introduit dans les explications physiologiques l'irritabi- lité, propriété vitale qu'il attribuait à toutes « les fibres animales, musculaires ou autres » , c'est-à-dire indis- tinctement à toute la matière organisée : c'était pour lui la cause de la vie. Depuis le moment où cette expression a été em- ployée, elle a donné lieu à des confusions sans fin : on a distingué, confondu, séparé de nouveau et de nouveau identifié les trois propriétés et les trois termes, a savoir : sensibilité, irritabilité, contractilité . De là des méprises qu'il importe de dissiper. u2i4 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Bailliez (1734), le créateur de la doctrine \italiste, distinguait des forces sensitives, sensibilité avec percep- tion, sensibilité sans perception, et des forces motrices de resserrement, d'élongation, de situation fixe, toni- que, équivalents de la contractilité actuelle : ces deux ordres de forces étant d'ailleurs subordonnés dans l'être vivant à la force vitale. On a dit que Leibnitz avait accepté la doctrine de l'irritabilité de Glisson; l'entéléchie perceptive qu'il considérait comme le principe d'activité inséparable des particules vivantes ne serait autre chose que Yirri- tabilité sous un autre nom. Les rapports de Leibnitz avec Campanella et Glisson permettraient de supposer que cette interprétation a pu se présenter à l'esprit du grand philosophe. Bordeu (4742) distinguait une propriété vitale uni- que, la sensibilité générale, qui d'ailleurs les comprenait toutes. Première origine des confusions que nous avons annoncées! Bordeu prenait ce mot dans une acception nouvelle et inusitée. Il désignait parla cequel'on appelait de son temps les irritations, les excitations, X irritabilité de Glisson, Yincitaèilité de Brown, c'est-à-dire cette pro- priété de réagir sous l'influence d'un stimulus à laquelle le médecin anglais Brown (1735-1798) avait attaché tant d'importance. L'innovation de Bordeu est d'avoir généralisé la sen- sibilité au point (comme le lui reprochait Cuvier) de donner ce nom à « toute coopération nerveuse accom- 9. pagnée de mouvement, lorsque l'animal n'en avait » aucune perception. » IRRITABILITÉ HALLÉRIENNE. v2'h> Outre cette sensibilité générale, dent le fond est le même pour toutes les parties, Bordeu imagine encore une sensibilité propre pour chacune des parties : « Chaque » glande, chaque nerf a son goût particulier. Chaque » partie organisée du corps vivant a sa manière d'être, » d'agir, de sentir et de se mouvoir; chacune a si m goût, » sa structure, sa forme intérieure et extérieure, son » poids, sa manière de croître, de s'étendre et de se re- » tourner toute particulière ; chacune contribue h sa ma- » nière et pour son contingent à l'ensemble de toutes » les fonctions et à la vie générale; chacune enfin a sa » vie et ses fonctions distinctes de toutes les autres. » Bordeu va jusqu'il dire que « chaque organe est un » animal dans l'animal : animal in animait, » excès de doctrine qui a excité les critiques de Cuvier, et plus récemment de Flourens. Telle est la façon de voir de Bordeu relativement aux propriétés vitales ou sensibilités particulières. Ce fut Haller, le célèbre physiologiste de Lausanne, qui eut l'honneur de donner une base expérimentale à la théorie des propriétés vitales et de l'affermir solide- ment. Il distingue trois propriétés : 1° La contractilité, qui n'est autre chose que la pro- priété physique que nous appelons aujourd'hui élasticité ; 2° V irritabilité, tout aussi mal dénommée. C'est la manière de se comporter du muscle. L'irritabilité hal- lérieune, c'est la contractilité actuelle. Les muscles, dit Haller. sont irritables; on dit maintenant contractiles ; 3" La sensibilité. C'est la manière de se comporter des nerfs. 246 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. On voit par là que la distinction établie par Haller a un caractère pratique et expérimental. Il ne s'occupe pas de l'essence des propriétés qu'il constate. Il voit les nerfs et les muscles se comporter d'une manière diffé- rente, et il donne des noms différents à ces deux modes d'activité: irritabilité et sensibilité. Le résultat de ses expériences a donc été de séparer (ce qui n'avait pas été fait avant lui) le nerf et le muscle, au point de vue de leur manière d'agir, et de séparer l'un et l'autre des tissus différents, tendons, épidémie, cartilages, qui se comportent autrement. C'est le principal mérite de Haller d'avoir montré que le nerf et le muscle ont en eux-mêmes ce qui est nécessaire à leur entrée en action et qu'ils ne tirent pas d'ailleurs leur principe d'activité. La doctrine régnante depuis Galien, admise par Descartes, la doctrine des esprits animaux, enseignait que les organes recevaient leur principe d'action d'une force centrale transmise et distribuée par les nerfs sous le nom d'esprits animaux et conduisait, dans le cas actuel, à supposer que le muscle tirait du nerf la propriété de se contracter. Avant de réfuter expérimentalement cette erreur accréditée et de démontrer l'autonomie des deux tissus et leur indépen- dance par des preuves directes, Haller établit ingénieuse- ment et a priori le peu de fondement de la doctrine qui avait cours. Il fit observer que si le muscle tirait sa pro- priété du nerf, le nombre des nerfs qui animent un muscle devait être proportionné au volume de celui-ci, conséquence qui est en désaccord avec les faits; le cœur, par exemple, qui est le muscle le plus actif de l'économie, IRRITABILITÉ GÉNÉRALE. 247 est celui de tous dont l'innervation est la moins abon- dante et la plus difficile à découvrir. La démonstration de l'indépendance essentielle du muscle et du nerf, tentée par Haller, a été complétée plus tard par J. Millier, qui a prouvé que le nerf séparé du corps s'éteint avant le muscle. Les principes d'action des deux tissus ne peuvent être les mêmes, puisque l'un a disparu alors que l'autre persiste. Quant aux objec- tions dont l'argument de Millier était passible, je les ai levées plus tard par mes expériences sur le curare, qui supprime l'activité du nerf d'une manière complète en laissant subsister entière l'activité du muscle. Ici nous devons ajouter une réflexion; le curare détruit un mé- canisme, son action ne porte pas sur le protoplasma, c'est-à-dire sur la base physique même de la vie du tissu. Le curare détruit le rapport physique du nerf et du muscle, rapport indispensable pour l'exercice de la contraction volontaire et du mouvement volontaire. Il sépare des éléments normalement unis, il détruit leur harmonie, tout en ne détruisant pas les éléments eux- mêmes. En résumé, toutes ces recherches entreprises en vue de l'irritabilité ont abouti à prouver {'autonomie des tissus; elles n'ont pas éclairé la question de l'ir- ritabilité, qui est restée au môme point. La propriété des nerfs appelée sensibilité ou motricité et la pro- priété du muscle appelée contractilité ne sont point des attributs généraux de toute matière vivante, mais plutôt des réactions, des manifestations particulières d'une espèce déterminée de matière vivante. Ce sont 248 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. des propriétés spéciales et non des propriétés vitales générales. Lorsque Ton examine attentivement le fond des choses, on voit que ces propriétés ne sont que des déterminations particulières d'une propriété plus géné- rale, Y irritabilité. C'est ainsi que pensait Broussais. Broussais n'acceptait qu'une seule propriété essen- tielle de la substance organisée, Y irritabilité entraînant comme conséquence la sensibilité, la contractilité et toutes les autres facultés secondaires. Virchow professe li même opinion; les phénomènes vitaux ont pour con- dition intime Y irritabilité, terme générique qui com- prend, suivant lui, Y irritabilité nutritive, Y irritabilité formalive et Y irritabilité fonctionnelle . Virchow a désigné par le mot à' irritabilité « la pro- » priété des corps vivants qui les rend susceptibles de » passer à l'état d'activité- sous l'influence des irritants, .-) c'est-à-dire des agents extérieurs. » En d'autres termes, nous dirons, quant à nous, que « l'irritabilité est la propriété de l'élément vivant d'agir » suivant sa nature sous une provocation étrangère». A.vant tout chaque tissu réagit à l'excitation du milieu extérieur, eau, air, chaleur, aliment, en y puisant cer- tains principes, en yen rejetant d'autres, c'est-à-dire en opérant les échanges qui constituent la nutrition. C'est la ce que l'on a appelé Y irritabilité nutritive ou propriété de réagir à la stimulation alimentaire du milieu ambiant en s'en nourrissant. En outre, chaque élément a la possibi- lité de manifester ses propriétés particulières, de se com- porter d'une manière spéciale, caractéristique : la fibre ILUUTABIL1TÉ ET PROPRIÉTÉS VITALES. v2 W musculaire réagit en se contractant, la fibre nerveuse en conduisant l'ébranlement qu'elle a reçu, la cellule glan- dulaire en élaborant et en évacuant un produit spécial de sécrétion, le cil vibralile en «'infléchissant et se redres- sant alternativement, le globule sanguin en attirant l'oxygène, le grain de chlorophylle en décomposant l'acide carbonique. Ce sont toutes ces facultés que l'on a appelées du nom générique ^irritabilité fonctionnelle. Mais toutes ces manifestations particulières sont domi- nées par une condition générale; elles sont les modes divers d'une faculté unique, X inhabilité simple. Il n'est pas nécessaire selon nous de distinguer une irritabilité nutritive et une irritabilité fonctionnelle; encore moins faut-il établir des distinctions dans chacune de ces pro- priétés et démembrer, comme l'a fait Yirehow, l'irrita- bilité nutritive en une irritabilité formative, qui serait la propriété d'un tissu de s'entretenir par des générations de cellules ou d'éléments an atomiques qui se succèdent ; en une irritabilité d agrégation^ propriété de l'élément de s'incorporer les substances alimentaires convenables. C'est, au fond, la môme propriété essentielle qui ca- ractérise les rapports entre la substance organisée et vivante ou protoplasma d'une part, et le milieu extérieur d'autre part; la faculté la plus simple et la plus géné- rale de la vie dans les animaux comme dans les plantes, l'irritabilité. Les études expérimentales innombrables que l'on a tentées sur les propriétés des tissus vivants, et que nous ne pouvons retracer ici, conduisent a cette double conclusion : ^50 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. 1° Il y a dans tous les tissus vivants une faculté com- mune de réagir sous l'influence des excitants extérieurs: c'est X irritabilité. Le tissu n'est déclaré vivant qu'à cette condition; 3° Il existe en même temps dans tous les tissus vivants une réaction particulière et autonome, c'est la pro- priété organique qui caractérise physiologiquement le tissu. Maintenant, dans quelle partie constituante des tissus devons-nous localiser ces deux propriétés, dont l'une est commune à tous, et dont l'autre est spéciale à chacun? C'est dans le protoplasma seul que nous trouvons l'explication de toutes les propriétés du tissu. Le proto- plasma possède en réalité, à l'état plus ou moins confus, toutes les propriétés vitales; il est l'agent de toutes les synthèses organiques, et par cela même de tous les phénomènes intimes de nutrition. Le protoplasma, en outre, se meut, se contracte sous l'influence les ex- citants et préside ainsi aux phénomènes de la vie de relation. Par suite de l'évolution des organismes et par la diffé- renciation successive de leurs tissus, chacune de ces propriétés primitives et confuses du protoplasma se diffé- rencie elle-même par une intensité relative devenue plus grande dans certains éléments organiques. Ainsi l'autonomie des tissus n'est au fond qu'une différencia- tion protoplasmique. Toutefois dans chaque tissu, quelle que soit la spécialité qu'il revêt, le protoplasma ne perd jamais la faculté de sentir les excitants qui doivent entrer en contact ou en conflit avec lui pour IRRITABILITE DU PROTOPLASMA. r2 T» | amener la manifestation d'une de ses propriétés spé- ciales. Dans certaines cellules, l'irritation extérieure produit des synthèses de matières ternaires, quater- naires, sous forme de sécrétion solide ou liquide; c' alors la propriété synthétique du protoplasma qui a été mise enjeu; ailleurs, l'irritation externe produira une multiplication de cellules et mettra en activité la pro- priété proliférante du protoplasma; ailleurs, enfin, l'ir- ritation extérieure excitera la contraction musculaire et manifestera la propriété motrice ou contractile du pro- toplasma. Telle est la conception que nous devons nous faire du protoplasma; il est l'origine de tout, il est la seule ma- tière vivante du corps qui anime toutes les autres. C'est d'une partie du protoplasma de l'ancêtre que se déve- loppe le nouvel être, et c'est par la reproduction inces- sante du protoplasma que la vie se perpétue. Nous ne ferons pas ici l'histoire de toutes les propriétés du protoplasma, ce serait embrasser la physiologie en- tière. Nous nous occuperons seulement, dans ce qui va suivre, de sa propriété dominante, la sensibilité ou l'irri- tabilité, sans laquelle 1rs autres ne sont rien et restent incapables de manifestation. Nous dirigerons plus parti- culièrement notre étude sur l'action des excitants et des anesthésiants de l'irritabilité du protoplasma. II. Excitants et anesthésiants de l'irritabilité. — Les conditions de la mise en jeu de l'irritabilité nous sont connues, nous les avons examinées en étudiant la vie latente; car, il faut bien le savoir, la vie latente ne peut ^5^2 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. cesser que parce que le protoplasma se réveille en quel- que sorte, c'est-à-dire reprend ses propriétés d'irritabi- lité. Les excitants du protoplasma sont donc ceux de ia vie elle-même : ce sont l'eau, la chaleur, l'oxygène, certaines substances dissoutes dans le milieu ambiant. Sans doute, les conditions extrinsèques qui doivent être réalisées pour permettre au protoplasma de chaque cellule de vivre et de fonctionner suivant sa nature sont très-nombreuses, très- variables et très-délicates. Si l'on voulait les préciser dans tous leurs détails, comme la nature des excitants, leurdose, leurs variétés sont infinies, il faudrait pour les connaître faire l'histoire de chaque élément cellulaire en particulier. Mais pour nous en tenir aux conditions générales, essentielles, nous dirons qu'elles sont les mômes pour toute espèce de protoplasma, animal ou végétal : ce sont les quatre conditions que nous avons précédemment indiquées. Par un singulier rapprochement, on pourrait dire que ces quatre conditions indispensables à l'exercice de l'irritabilité, à la vie, sont précisément les quatre éléments que les anciens considéraient comme formant le monde; l'eau, l'air, le feu (chaleur), la terre (sub- stances chimiques, nutritives ou salines) que l'être vivant rencontre dans le milieu ambiant. Relativement aux conditions physico-chimiques de la vie nous n'avons rien d'essentiel à ajouter à ce que nous avons déjà dit, d'une manière générale à propos des conditions de la vie latente, de la vie oscillante et de la vie manifestée. ANESTHÉS1E DE LIRR1TABILITÉ DU PROTOPLASMA. 253 Nous nous arrêterons au contraire sur l'action des anesthésiants de l'irritabilité, sur lesquels nous avons fait des études particulières, chez les animaux et les véeé- taux. Les anesthésiques, l'éther, le chloroforme, nous four- nissent des moyens d'agir sur l'irritabilité, la faculté vitale par excellence, de la suspendre ou de la suppri- mer, de sorte que l'on peut considérer ces substances comme les réactifs naturels de toute substance vivante, et par conséquent du protoplasma. Ces substances jouissent de la faculté de suspendre l'activité du protoplasma, de quelque nature qu'elle soit et de quelque manière qu'elle se manifeste. Tous les phénomènes qui sont véritablement sous la dépen- dance de ['irritabilité vitale sont suspendus ou suppri- més définitivement ; les autres phénomènes, de nature purement chimique, qui s'accomplissent dans l'être vivant sans le concours de l'irritabilité, sont au contraire respectés. De là un moyen extrêmement précieux, de discerner dans les manifestations de l'être vivant ce qui est vital de ce qui ne lest pas. Ces vues ne sont pas purement théoriques : elles sont, au contraire, suggérées et démontrées par des expé- riences que nous avons instituées récemment et dont nous vous rendrons témoins successivement. Tout le monde sait que les anesthésiques, l'élher, le chloroforme, ont la propriété d'éteindre momentané- ment la sensibilité, et par conséquent d'empêcher le malade qu'on opère d'avoir conscience et souvenir de la douleur, ce qui équivaut a sa suppression. Or, nous 254 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. avons trouvé que cette action des anestliésiques est gé- nérale, qu'elle ne s'adresse pas seulement à ce phéno- mène conscient qu'on appelle douleur ou sensibilité, mais qu'elle atteint X irritabilité du protoplasma et s'étend à toute manifestation vitale, de quelque nature qu'elle soit. Il devait en être ainsi, puisque c'est au pro- toplasma que nous rattachons toutes les activités vitales. L'action des anestliésiques se traduit par des effets plus ou moins rapides sur les différents organismes et sur leurs divers tissus. Le premier point sur lequel il faut insister, c'est que l'action éthérisante s'étend suc- cessivement à tous les tissus dans le même être. Quand on anesthésie un homme, par exemple au moyen du chloroforme ou de l'éther, la substance anesthésiante est respirée, absorbée dans le poumon, et circule avec le sang- dans les tissus. C'est sur le protoplasma plus délicat des centres nerveux que l'anesthésique porte d'abord son action, et ce sont en effet les phénomènes de la conscience et de la perception sensorielle qui dispa- paraissent les premiers, tandis que le protoplasma des nerfs, des muscles, des glandes et des autres éléments anatomiques n'est pas encore atteint. Cela nous expli- que pourquoi les fonctions vitales peuvent continuer à s'exercer et pourquoi l'anesthésie est alors sans péril pour la vie; car, si les protoplasmas de tous les éléments anatomiques dans tous les tissus étaient frappés à la fois d'anesthésie, toutes les fonctions cesseraient simul- tanément et la mort serait instantanée. L'anesthésie chirurgicale est donc une anesthésie essentiellement ANESTHÉSIE GÉNÉRAJLISÉB. 255 incomplète; elle n'atteint que les éléments nerveux les plus délicats, qui sont le siège des phénomènes de sensibilité consciente, et cela suffit pour le but que l'on se propose. Mais ici nous voulons démontrer que l'anes- thésie est un phénomène général dans tous les tissus, et nous devons en donner la démonstration sur les animaux et sur les végétaux. Phénomènes danesthésie du mouvement et de la sensi- bilité chez les animaux et chez les végétaux. — Ou peut étudier l'influence des anesthésiques sur les animaux et aussi chez les plantes. Beaucoup de végétaux présentent, en effet, des phénomènes de réactions motrices en rapport étroit avec les stimulations extérieures, comme les manifestations de la sensibilité animale. Les exem- ples de mouvement approprié à un but fourmillent chez les cryptogames. On sait qu'il y a à la frontière des deux règnes tout un groupe dètres litigieux qu'on n'a pu annexer à au- cun des deux. Les amibes végétaux, les [ihismodies étu- diées par de Bary présentent confondus les traits de l'ani- mal et du végétal. Ce sont des masses protoptasmiques qui ne se constituent ni en cellules, ni en tissu pendant toute leur période d'accroissement : elles cheminent eu rampant sur les débris de plantes décomposées, sur les écorces, sur le tan. Elles émettent des prolongements, des sortes de bras, dans lesquels vient s'accumuler la matière protoplasmique granuleuse. L'apparence de structure, d'organisation, et le mode de reptation établissent les plus grandes analogies entre ces myxo- mycètes végétaux et les protistes animaux de Hceckel. 256 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. La faculté du mouvement se rencontre très-nette et très-évidente clans les appareils reproducteurs des algues, les zoospores. Ce sont de petites masses ovoïdes, termi- nées par une calotte ou rostre, muni de deux à quatre cils. Ces corpuscules se meuvent, se déplacent, se diri- gent en nageant : ils semblent, dans bien des cas, éviter les obstacles, s'y prendre à plusieurs fois pour les con- tourner et arriver à un but déterminé. On trouverait là, non-seulement le mouvement simple, mais le mouve- ment approprié à un but déterminé, les apparences, en un mot, du mouvement volontaire. Les caractères du mouvement volontaire se retrou- vent encore plus évidents chez les anthérozoïdes de cer- taines algues, les OEdogonium, par exemple. M. Pring- sheim a vu, en 1854, ces anthérozoïdes, corpuscules reproducteurs mâles, en forme de coin, avec rostre garni de cils. L'anthérozoïde, une fois sorti de la cel- lule qui l'enfermait, nage dans le liquide environnant et se dirige vers la cellule femelle; il vient buter contre la paroi de cette cellule, en quête de l'orifice que celle-ci présente. Après plusieurs tentatives infructueuses, il semble qu'un effort mieux dirigé lui permette de fran- chir l'étroit canal et de se précipiter dans la matière verte de l'oosphère, cellule où la fécondation s'accom- plit. Ces exemples de mouvement ne sont pas rares, parmi les plantes phanérogames. Le nombre des végé- taux dont les organes foliaires sont susceptibles de mou- vement est très-considérable. De ces mouvements, les uns sont provoqués par des attouchements et des ébrau- ANESTHÉSIE DES VÉGÉTAUX ET DES ANIMAUX. v2.>7 lements; d'autres par l'action de la lumière et de la chaleur; d'autres, enfin, semblent se produire sponta- nément sous l'action de causes internes. Nous citerons particulièrement les mouvements des étamines de l'épine -vinette (Berberis), des rossolis ou drosera, de la gobe-mouche (Dionœa muscîpirfa), du sainfoin oscillant {Hedysarum gyrans). La condition préalable de ces manifestations de mou- vement, c'est la faculté de réagir aux excitants exté- rieurs qui les provoquent; celte faculté n'est pas l'attribut exclusif des animaux. Beaucoup de plantes en sont douées à un degré plus ou moins éminent. Les légumineuses appartenant aux genres Smit/u'a, jEschynomene, Desmanthus, JRobinia, notre faux- acacia; X Oxalis sensitiua de l'Inde, présentent cette remarquable faculté de réagir aux excitations qu'on porte sur elles. Mais l'espèce la plus célèbre sous ce rapport, et la mieux étudiée, c'est la sensitive, Mimosa pudica. Les feuilles de la sensitive sont disposées comme les feuilles composées pennées, sur quatre pétioles secon- daires supportés eux-mêmes par un pétiole commun (voy. fig. 19, 20). Lorsque la plante a été soumise à un excitant quelconque, le pétiole commun s'abaisse, les pétioles secondaires se rapprochent et les folioles s'appli- quent l'une contre l'autre par leur face supérieure. L'irritation s'étend plus ou moins loin, suivant qu'elle est plus ou moins vive. Elle peut être produite par la plupart des agents que l'on connaît pour être des exci- CL. BERNARD. 17 258 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. tants de la sensibilité animale : ainsi les secousses, les chocs, les brûlures, l'action des substances caustiques, les décharges électriques. Il semble que quelques-uns de ces excitants s'affaiblissent par l'usage ou par la fa- tigue. Il y a comme une sorte d'habitude qui fait que la plante répond aux stimulations avec d'autant moins d'intensité qu'elles ont été plus répétées. Le natura- liste Desfontaines a observé le fait en transportant une sensitive. Les premiers cahots de la voiture amenèrent le rapprochement des folioles et l'abaissement des pé- tioles. Mais bientôt les feuilles se relevaient et s'épa- nouissaient de nouveau. Un arrêt et un départ nouveau déterminaient la répétition des mêmes phénomènes avec une intensité toujours décroissante. Nous avons parlé plus haut de la pratique très- connue aujourd'hui en chirurgie sous le nom à'anes- thésie. Les agents que l'on emploie pour insensibiliser l'homme et les animaux sont l'éther et le chloroforme. Eh bien! chose singulière, les plantes comme les ani- maux peuvent être anesthésiées, et tous les phénomènes s'observent absolument de la même manière. On a placé ici, séparément sous différentes cloches de verre, un oiseau, une souris, une grenouille et une sensitive. On introduit au-dessous de chacune de ces cloches une éponge imbibée d'éther. L'influence anesthésique ne tarde pas à se faire sentir : elle suit la gradation des êtres. C'est l'oiseau plus élevé en organisation qui est le premier atteint; il chancelle et il tombe insensible au bout de quatre à cinq minutes. C'est ensuite le tour de la souris; après dix minutes on l'excite, on pince la ANESTHÉS1E DES VÉGÉTAUX ET DES ANIMAUX. 259 patte ou la queue ; pas de mouvement. Elle est com- plètement insensible et ne réagit plus. La grenouille est paralysée plus tard ; et vous la voyez retirée de dessous la cloche devenue flasque et indifférente aux excitants extérieurs. Enfin la sensitive reste ta dernière. Ce n'est qu'au bout de vingt à vingt-cinq minutes que l'insensi- bilité commence à se manifester. Nous avons placé sous la cloche C (fig. 19), une sensitive bien vivace. A côté Fig. 10 G. 19. — Sensitive i Mimosa pudica) placée dans une atmosphère éthérée. — e, éponge imbibée d'éther. — Les feuilles de la plante sont étalées, sont devenues insensibles, et ne se ferment plus quand on vient à les toucher. du pot a été introduite une éponge humide e, im- prégnée d'éther. Bientôt la vapeur éthérée remplit la cloche et agit sur la plante. L'action anesthésiante est 260 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. plus rapide dans les temps chauds que dans les temps froids et suit les diverses circonstances qui augmen- tent ou diminuent l'irritabilité de la sensitive. 11 faudra donc graduer la quantité de l'anesthésique d'après ces diverses circonstances. Ici nous agissons à l'om- bre, à la lumière diffuse; si nous opérions au soleil, l'effet serait beaucoup plus prompt, mais aussi beau- coup plus dangereux; souvent dans ce cas on tue la plante et elle ne récupère plus sa sensibilité. Cette influence singulière et spéciale de la lumière solaire que nous constatons ici à propos de l'action de l'éther ou du chloroforme sur la sensitive, nous la retrou- verons ultérieurement dans bien d'autres phénomènes de la vie végétale. Maintenant, après une demi-heure environ, la sensi- tive est anesthésiée, et nous voyons que l'attouchement des folioles ne détermine plus leur abaissement, tandis que la même excitation produit une contraction immé- diate des folioles f sur une sensitive normale {voy. tig. 20). Nous observons encore ce fait que l'anes- thésie atteint en premier lieu les bourrelets des folioles et ensuite les bourrelets P placés à la base du pétiole commun de la feuille composée. Quelque temps s'est écoulé, et vous voyez que le moineau, le rat blanc et la grenouille ancsthésiés ont maintenant retrouvé leur sensibilité et leur mouvement ; bientôt il en sera de même pour notre sensitive; elle cessera d'être sous l'influence de l'éther et reprendra sa sensibilité comme auparavant. Le résultat de l'anesthésie est donc le même chez les ANESTIIÉSIE DES VÉGÉTAUX ET DES ANIMAUX. v2t>l animaux et les végétaux. Ce que nous voyous ici pour la sensitive est vrai en effet pour tous les autres mou- vements que nous avons signalés dans les plantes, mouvement des étamines de l'épine- vinette, etc. Il reste à savoir si le mécanisme par lequel ce phénomène est réalisé est identique. C'est là une question très- importante à résoudre. Si l'analogie des effets se pour- suit jusque dans le mode d'action, on conçoit quelle relation intime sera ainsi manifestée entre l'organisation animale et l'organisation végétale. ¥is. 20 p1G 20. Sensitive à l'état de contraction. Ses feuilles se sont rétractées et abaissées sous l'influence d'une excitation mécanique portée sur la plante. FlG. 20 bis. Feuille de sensitive isolée, pour montrer le renflement qui est à la base du pétiole et dans lequel siéije le tissu contractile végétal. D'abord rappelons comment agit Fétber ou le chloro- forme sur l'animal. Dans l'anesthésie de l'homme et des animaux telle qu'on la pratique ordinairement, l'agent anesthésique 262 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. arrive avec l'air de la respiration au contact du poumon ou de la peau; il est absorbé, pénètre clans le sang et vient baigner tous les organes, tous les tissus et les élé- ments anatomiques. On explique ordinairement l'action de la substance anestliésique en disant que de tous les éléments organiques avec lesquels il est mis en contact, un seul d'entre eux, spécial à l'animal, est atteint : l'élé- ment sensitif, l'élément cérébral du système nerveux central. D'où il résulte que la sensibilité est détruite dans son foyer perceptif et par suite la douleur abolie. Si cette interprétation était vraie, les expériences que nous venons de faire devant vous resteraient incom- préhensibles et il n'y aurait pas d'analogie possible à établir entre l'animal et le végétal. Car dans le végétal on ne retrouve pas de système nerveux, pas d'organe central d'innervation, pas de cerveau. Il est bien vrai que quelques auteurs, Dutrochet lui-même, ont cru trouver dans la sensibilité des végétaux la preuve qu'ils auraient quelque organe analogue aux nerfs, et il en est même (Leclerc de Tours) qui ont poussé l'esprit de système et l'invraisemblance jusqu'à admettre, dans la sensitive, l'existence d'un appareil nerveux, d'un cerveau et d'un cervelet. Quelques auteurs, des botanistes distingués, M. Unger, M. Sachs, de Wiïrtzbourg, considèrent les mouvements en question comme résultant de la rupture de l'équi- libre entre deux forces antagonistes, à savoir l'attraction endosmotique du contenu des .cellules pour l'humidité extérieure, et l'élasticité des membranes cellulaires. Mais quel que soit le mécanisme intime de ces phéno- ANESTHÉSIE SUCCESSIVE DES ÉLÉMENTS ORGANIQUES. :><>.*> mènes, nous ne pouvons attribuer leur suppression qu'à la disparition de l'irritabilité des cellules contractiles de la plante. En effet, l'agent anesthésique n'agit pas exclusivement sur le système nerveux, il porte en réalité son action sur tous les tissus animaux; il atteint chaque élément, à son heure, suivant sa susceptibilité. De même qu'il frappe plus rapidement l'oiseau, et plus lentement la souris, la grenouille et le végétal, suivant ainsi la gradation des êtres, de même dans un organisme animal il suit pour ainsi dire la gradation des tissus. L'effet se montre sur les autres systèmes après qu'il s'est déjà manifesté sur le système nerveux, le plus délicat de tous. C'est là ce qui explique comment l'influence anesthésique sur cet élément est la première en date. Ainsi tous les tissus répondent de la même manière à l'action de l'agent anesthésique : il y a dans tous une même propriété essentielle dont le jeu est suspendu; celte propriété c'est Y irritabilité du pr otoplasma. En résumé, l'agent anesthésique atteint l'activité commune à tous les éléments: il atteint, suspend ou détruit l'irritabilité générale de leur protoplasma. Il tait disparaître l'irritabilité pour un temps si le contact dure peu, définitivement s'il est prolongé. Et ceci, nous l'avons vu se produire partout où l'irritabilité existe, dans les plantes comme dans les animaux. Nous avons dit que dans nos expériences l'agent anesthésique n'agit pas sur la sensibilité comme fonc- tion, mais sur l'irritabilité du protoplasma, comme propriété de la fibre ou de la cellule nerveuse seusitive ; 264 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. dès lors la manifestation de la sensibilité et l'expression de la douleur se trouvent supprimées ainsi que les consé- quences fonctionnelles qui en résultent. Et ce que nous disons ici est vrai non-seulement pour l'irritabilité de l'élément nerveux sensitif, mais pour l'irritabilité de l'élément moteur et de tous les éléments vivants du corps. La preuve expérimentale est facile à faire. Prenons pour exemple le tissu musculaire du cœur. Voici le cœur d'une grenouille détaché du corps de l'ani- mal et qui continue de battre en raison même de son irritabilité qui persiste. Nous le plaçons dans une atmo- sphère éthérisée. Bientôt les battements s'arrêtent pour reprendre de nouveau lorsque nous faisons cesser l'in- fluence de l'éther. Prenons encore un autre tissu, l'épithélium vibratile qui se meut d'une manière incessante en vertu de son irritabilité. L'épithélium vibratile se présente facile à observer dans l'œsophage de la grenouille dont il con- stitue le revêtement interne. Les cils qui surmontent les cellules épithéliales sont animés d'un mouvement con- stant qui persiste longtemps après que l'irritabilité des autres tissus animaux est déjà complètement éteinte. En étalant, comme vous le voyez ici, la membrane de l'œsophage de la grenouille sur une plaque de liège, et en y déposant de petits grains de noir animal, on les voit transportés par l'action des cils de la bouche à l'estomac. On peut suivre le mouvement à l'œil nu et on les voit aller même contre le sens de la pesanteur. Celte action des cils vibratiles de la membrane œsophagienne est sut- ANESTHÉSIE DES ÉLÉMENTS ORGANIQUES. 265 fisam nient puissante pour charrier des corps assez lourds, tels que des grains de plomb, etc. D'ailleurs ces mouve- ments vibratiles sont connus et ont été bien étudiés. On peut les amplifier au moyen d'un appareil Ires- simple qui les rend appréciables à distance. Vous voyez l'un de ces appareils. Une lame de verre repose sur la membrane et se déplace, entraînant un levier très-long et très-léger formé d'un fétu de paille et pouvant tourner autour d'un de ses points. — Le déplacement de ce levier nous rend donc sensible les mouvements des cils vibratiles. Ce que nous voulons démontrer ici, c'est que la va- peur d'éther ou de chloroforme fait cesser l'agitation et tomber les cils au repos : on constate alors que le trans- port des petits corps à la surface de la membrane œso- phagienne s'arrête pour reprendre quand on a fait disparaître l'éthérisation. Comment l'irritabilité des tissus ou des éléments de tissus se trouve-t-elle atteinte par l'éther? Par suite, évidemment, de quelque changement chimique ou moléculaire que le poison anesthésique aura déterminé dans la substance même de l'élément. D'après des ex- périences que j'ai faites autrefois, je pense que celte modification consiste en une sorte de coagulation. L'éther coagule le proloplasma de l'élément nerveux : il coagule le contenu de la fibre musculaire et produit une rigidité musculaire analogue à la rigidité cadavérique. Dans l'état physiologique , les tissus et les éléments de tissus ne peuvent manifester leur activité que dans des conditions d'humidité et de semi-fluidité spéciales de 266 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. leur matière. Ainsi, pendant la vie, la substance musculaire est semi-fluide; si cet état physique cesse d'exister, et s'il y a coagulation , la fonction se sus- pend : comme, par exemple, si de l'eau vient à se congeler, ses propriétés mécaniques cessent jusqu'à ce que l'état fluide soit revenu. Enfin nous ajoute- rons que ces modifications, dans l'état physico-chi- mique de la matière organisée, bien que passagères, finissent par amener la mort de l'élément, lorsqu'on les reproduit successivement un certain nombre de fois, parce qu'alors sans doute l'élément n'a pas le temps de se reconstituer suffisamment dans les intervalles de repos. L'expérience directe nous a montré cette coagulation de l'élément musculaire déterminée par l'action de l'éther (1). Si l'on place un muscle [dans des vapeurs d'éther, ou si l'on injecte dans le tissu musculaire de l'eau légèrement éthérée, on amène après un certain temps la rigidité définitive du muscle; le contenu de la fibre est coagulé. Mais, avant cet état extrême, il arrive un moment où le muscle a perdu son excitabilité; il est anesthésié. Si alors on examine la fibre musculaire au microscope, on voit que son contenu n'est plus trans- parent, qu'il est opaque et dans un état de semi-coagu- lation. On observe très-bien ces phénomènes sur la grenouille en injectant de l'eau éthérée dans l'épais- seur de son muscle gastrocnémien ; nous obtenons ainsi une anesthésié locale, une cessation d'irritabilité (1) Cl. Bernard, Leçons sur les anesthésiques et sur l'asphyxie. Paris, 1875, p. 154. ANESTHÉSIE GÉNÉRALE. — UNITÉ VITALE. 267 du muscle qui ne se contracte plus. En abandonnant l'animal au repos, nous verrons peu à peu le muscle re- venir à son état normal : la coagulation de son contenu, la rigidité disparaîtront de l'élément anatomique baigné sans cesse et lavé par le courant sanguin. Il est permis de supposer que quelque chose de sem- blable se passe pour le nerf. L'expérience établit que l'éther, le chloroforme sont bien les réactifs naturels de toute substance vivante; leur action décèle dans la sensibilité une pro- priété commune à tous les êtres vivants, animaux ou végétaux, simples ou complexes. Bien loin par conséquent que la sensibilité et la motilité soient, ainsi que l'avait voulu Linné, un caractère distinctif entre les deux règnes, les anesthésiques établissent au contraire leur rapprochement et leur assimilation sur une base solide physiologique, comme l'analogie de structure établissait déjà l'unité vitale sur le terrain anatomique. Mais ce n'est pas seulement sur l'irritabilité du proto- plasma des éléments organiques, sensitif et moteur que les agents aneslhésiques portent leur action; ils attei- gnent aussi le protoplasma des éléments organiques qui agissent dans les synthèses chimiques, dans les phéno- mènes de germination, de fermentation, dans les phéno- mènes de nutrition en un mot. Phénomènes d' anesthésie du protoplasma dans les phé- nomènes de germination, de développement de nutrition et de fermentation chez les animaux et les végétaux. Anesthésie de la germination. — Nous avons constat»' 268 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. il y a déjà quelques années que l'éther ou le chloroforme suspendent la germination des graines. L'irritabilité gerrainative, comme on pourrait dire, est ici atteinte. Voici comment nous disposons les expériences : nous prenons des graines de cresson alènois, qui germent très-vite, et nous les plaçons dans les conditions néces- saires et suffisantes pour leur germination : air, humi- dité, chaleur convenable, mais en même temps dans une atmosphère anesthésiante. Nous opérous toujours comparativement sur les mêmes graines placées dans des circonstances identiques, moins la présence de l'a- gent anesthésique. Dans un premier dispositif expérimental {voy. fig. 21), nous faisons passer comparativement un courant d'air ordinaire et un courant d'air contenant des vapeurs anesthésiques sur des éponges humides ee dans deux éprouvettes et portant renfermées à leur surface des graines de cresson alénois. Une trompe P placée sur un robinet d'eau R, reliée aux deux éprouvettes par le tube de caoutchouc bb\ est destinée à faire l'aspiration dans les éprouvettes et à y faire passer l'air. Mais dans un cas Téprouvette aspire directement l'air extérieur par le tube a' placé à sa partie inférieure; dans l'autre cas, l'air qui entre par le tube a doit traverser préalablement une première éprouvette t, au fond de laquelle se trouve une couche d'éther S. L'air se charge ainsi de la vapeur élhérée qui sature l'atmosphère intérieure de V éprouvette, et par le tube de caoutchouc V est porté dans l'éprouvette et sur ANESTHÉSIE DE LA GERMINATION. 269 l'éponge é . Dans l'éprouvette qui reçoit l'air ordinaire, les graines germent très-bien sur l'éponge e, tandis que dans l'éprouvette qui reçoit l'air éthéré, la germination Fig. 21. a a', luljcs laissant entrer l'air extérieur dans les éprouvettes. b b', tube de caoutchouc bifurqué, emportant l'air des éprouvettes et s'adaptant à la trompe à eau par son extrémité b'. e e', éponges humides sur lesquelles sont placées les graines de cresson alénois ; elles ont germé et poussé sur l'éponge e. t, éprouvette contenant de i'éther S à sa partie inférieure. S, éther. V, tube de caoutchouc portant l'air éthéré dans l'éprouvette à l'éponge e'. R R, courant d'eau traversant la trompe et produisant l'aspiration dans l'appareil. est suspendue dans les graines qui reposent sur l'é- ponge e'. La germination a pu être ainsi arrêtée pendant cinq à six jours pour le cresson alénois qui germe du jour au lendemain ; mais dès qu'on a enlevé l'éprouvette d'éther t et qu'on a substitué l'air ordinaire à l'air 270 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. éthéré, la germination a pu se montrer et marcher avec activité. J'ai répété cette expérience sur un certain nombre de graines; sur le chou, la rave, le lin, l'orge, et tou- jours avec les mêmes résultats. Seulement la lenteur de la germination est souvent un inconvénient. C'est pourquoi je choisis pour les expériences de cours les graines de cresson alénois, qui sont de toutes les plus convenables à cause de leur rapide germination. On peut faire ces expériences d'anesthésie germi- native à l'aide de moyens encore plus simples {voy. fîg. 22). Il suffit d'humecter, par exemple, les éponges FiG. 22. — Deux éprouvettos à pied dans lesquelles on a disposé l'expérience pour l'anesthésie germioalive. a, éponge humide à la surface de laquelle sont des graines de cresson. — b, eau chloroformée au fond de l'éprouvette : les graines n'ont pas germé. — a', éponge humide à la surface de laquelle sont des graines de cresson. — b', couche d'eau ordinaire au fond de l'éprouvette : les graines ont germé. a a' sur lesquelles sont placées les graines, l'une a, avec de l'eau éthérée ou chloroformée, et l'autre a' avec de l'eau ordinaire; en verse au fond de chaque éprouvette une couche égale de liquide éthéré en b et non éthéré en V . Toutefois ce dispositif échoue parfois, soit parce que, en raison de la température ambiante, l'évapora- tion n'étant pas assez active, l'éponge reste trop char- ANESTHÉSIE DE LA GERMINATION. 271 gée d'agent anesthésique et tue la graine, soit parce qu'au contraire l'évaporation étant trop active, l'agent anesthésique disparaît et la germination n'est pas em- pêchée, mais seulement retardée. J'ai voulu régulariser l'expérience et la rendre très- exacte et aussi simple que possible à répéter. Voici comment il convient de procéder : on prend une éprou- vette à pied ordinaire de 130 centimètres cubes de capacité environ; on introduit dans cette éprouvelte une petite éponge humide garnie de graines de cresson alénois et suspendue dans l'atmosphère de l'éprou- vette à l'aide d'un fil. On place au fond de l'éprou- vette environ 20 centimètres d'eau distillée et on bouche l'éprouvette. Dès le lendemain, k la tempé- rature chaude de l'été, les graines de cresson sont en pleine germination. Maintenant si, dans une autre éprouvette exactement disposée comme la première, on ajoute 10 centimètres d'eau éthérée -aux 20 cen- timètres d'eau pure, et qu'on bouche l'éprouvette comme précédemment, la germination n'a plus lieu et reste suspendue pendant quatre, cinq, six, sept jours; si l'on débouche alors l'éprouvette, et qu'on enlève l'eau éthérée, la germination reparait dès le lendemain dans les graines où elle avait été arrêtée par l'anesthésie. Nous ajouterons seulement un détail relatif à la préparation de l'eau éthérée ou chloroformée. Pour préparer l'eau chloroformée ou éthérée, on prend deux flacons, on verse dans l'un du chloroforme, dans l'autre del'éther, on ajoute de l'eau distillée, on agite, après 272 LEÇONS SLR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. avoir bouché les flacons. L'excès d'éther monte à la surface de l'eau, l'excès de chloroforme tombe au fond du flacon; mais dans les deux cas l'eau est saturée de l'agent anesthésique. C'est l'eau dont on se sert pour faire les expériences. Nous avons dit que les anesthésiques distinguent les phénomènes vitaux $ organisation des phénomènes pu- rement chimiques de destruction. L'éthérisation de la germination va nous en fournir un exemple frappant. Dans la germination en effet deux ordres de phénomènes ont lieu : 1° les phénomènes de création organique pro- prement dits, en vertu desquels la graine germe, pousse et développe sa radicelle, sa tigelle, etc. ; 2° les phéno- mènes chimiques concomitants, qui sont par exemple la transformation de l'amidon en sucre sous l'in- fluence de la diastase, l'absorption de l'oxygène avec exhalation d'acide carbonique. Or, chez la graine dont les phénomènes vitaux de la germination sont suspendus par l'anesthésie. on observe comme k l'ordinaire les phénomènes chimiques de la germination ; on constate que l'amidon se change en sucre sous l'influence de la diastase, que l'atmosphère qui entoure la graine se charge d'acide carbonique, etc. On démontre ainsi que la graine anesthésiée dont la végétation est arrêtée respire comme la graine nor- male en germination. Pour cela il suffît de mettre au fond des éprouvettes bouchées de l'eau de baryte ; il se précipite dans l'un et l'autre cas une quantité sensi- blement égale de carbonate de baryte. Nous considérons la respiration des êtres vivants ànesthesie; création, destruction organique. 273 CL. BERNARD. 18 274 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. comme identique dans les deux règnes, et comme un phénomène de destruction caractérisé par l'absorption de l'oxygène et l'exhalation de l'acide carbonique chez les végétaux aussi bien que chez les animaux. Cela est vrai non-seulement pour la graine qui germe, mais aussi pour la plante adulte. Seulement chez celle-ci la fonc- tion respiratoire est masquée plus ou moins par la fonc- tion chlorophyllienne. Nous démontrons depuis bien longtemps dans nos cours cette identité de la respiration chez les animaux et chez les végétaux à l'aide de l'appareil suivant [voy. flg. 23). Dans le laboratoire, à la lumière diffuse, sous une cloche b est placé un jeune chou; sous une autre cloche c est placé un rat blanc. Le chou et le rat res- pirent de môme, comme on va le voir. On fait passer un courant d'air dans les deux cloches à l'aide d'une trompe qui aspire l'air en g. Un robinet /'permet de mo- dérer ou d'accélérer le courant gazeux. L'air qui entre dans l'appareil en a est dépouillé des moindres traces d'acide carbonique, par son passage à travers deux tubes de Liébig remplis d'eau de baryte; le second tube, ser- vant de témoin, son contenu doit rester parfaitement limpide. Le courant d'air en a' se divise en deux parties : l'une qui traverse la cloche du chou b, et ressort en b\ pour aller se rendre dans le flacon d et traverser l'eau de baryte qui se trouble très-mani- festement par la formation du carbonate de baryte; l'autre partie du courant d'air se rend dans la cloche du rat c, et ressort en c\ pour se rendre dans un sein- ANESTHÉSIE DES OEUFS. 275 blable flacon d'eau de baryte, où l'on voit se former également un trouble et un dépôt de carbonate de baryte. On s'est assuré que la terre du pot où est planté ce chou ne peut apporter aucune cause d'erreur dans l'expérience. Le végétal respire donc comme l'animal, et la pré- tendue opposition entre la respiration des animaux et des végétaux n'existe réellement pas. Anestliésie des œufs. — J'ai essayé à diverses reprises d'anesthésier des œufs de poule, des œufs de mouche, des œufs de ver à soie, eu agissant dans des conditions convenables et en faisant usage de l'appareil à courant d'air décrit précédemment (voy. fig. 11 et 23). Je n'y ai jamais réussi. Les œufs se sont très-bien développés dans l'éprOuvette qui recevait l'air ordinaire, mais dans l'autre ils ont été tués, c'est-à-dire que le déve- loppement arrêté n'a pas repris quand on a substitué un courant d'air ordinaire au courant d'air éthéré ou chloroformé. Je n'oserais dire qu'il est impossible de réussir en se plaçant dans de meilleures conditions. Je signale seulement ces essais pour montrer que la vie de la graine et la vie de l'œuf ne sont pas comparables, ainsi que je l'ai déjà dit ailleurs à propos de la vie latente. Toutefois, je le répète, on pourrait peut- être réussir en étudiant mieux les circonstances dans lesquelles il faut se placer. M. Ilenneguy a faif, sous la direction de M. Balbiani, et publié des observations intéressantes sur l'action des substances aneslhésiques cl 276 LEÇONS SUR LlîS PHÉNOMÈNES DE LA VIE, autres, sur les œufs et les spermatozoïdes des poissons. Anesthésie des ferments figurés. — Mes expériences ont spécialement porté sur la levure de bière. Je les ai poursuivies assez loin. Seulement je me bornerai aujour- d'hui à une simple indication, me réservant de revenir avec détail sur ce sujet important. On prend un des petits tubes dont nous nous servons habituellement pour l'étude des fermentations, on y in- troduit de l'eau chloroformée et éthérée sucrée; on y ajoute de la levure de bière. Dans un autre tube sem- blable, on ajoute de la levure de bière à de l'eau sucrée ordinaire. On laisse les deux tubes à une température basse pendant vingt-quatre heures, afin que l'agent anesthésique ait le temps d'agir sur les cellules de le- vure. On place les deux tubes dans un bain-marie à 35 degrés, et bientôt on voit la formation de gaz se développer avec activité dans le tube contenant de l'eau sucrée ordinaire, tandis qu'elle n'a pas lieu dans l'autre tube. Mais si alors on jette le contenu de ce tube sur un filtre de manière cà laver la levure de bière par un courant d'eau pendant un temps suffisant, et qu'on replace cette levure dans de l'eau sucrée ordinaire, on voit la fermentation reprendre au bout d'un certain temps. M. Miintz avait déjà signale l'influence du chloroforme pur pour arrêter la fer- mentation de la levure de bière. M. Bort avait observé une influence semblable de l'air comprimé ; dans ces cas il n'y avait pas anesthésie, mais destruction de la levure, tandis que dans nos expériences il s'agit d'une véritable anesthésie, puisque la levure reprend ses pro- A.NKSTHÉSIE DES FERMANTS. 111 priétés do ferment que l'éther avait momentanément fait disparaître. En étudiant au microscope les cellules de levure de bière anesthésiées, on reconnaît des modifications appor- tées dans le contenu protoplasmique de ces cellules, qui nous expliquent les effets observés. De la non-anesthêsie des ferments solubles. — Un fait intéressant est l'impossibilité de suspendre par les anes- thésiques l'activité des ferments solubles. Nous nous bornerons ici à une simple indication, ne voulant pas anticiper sur les études que nous pour- suivons encore en ce moment en vue de notre cours prochain sûr les fermentations. Si l'on dissout les ferments diastasiques animaux ou végétaux dans de l'eau chloroformée ou éthérée, on constate que leur aetivité n'est en rien altérée ou dimi- nuée; au contraire, elle paraît jusqu'à un certain point plus énergique. Il en est de même du ferment inversif animal ou végétal. Ceci nous explique pourquoi, quand on met de la levure de bière dans de l'eau éthérée sucrée avec de la saccharose, les résultats de la fermen- tation alcoolique ne se montrent pas, tandis que ceux de la fermentation inversive de la saccharose en glycose s'opèrent parfaitement. On pourrait donc d'après cela distinguer les fermen- tations en deux espèces : fermentations à ferments protoplasmiques ou vivants, qui sont arrêtés par les anesthésiques; fermentations non-protoplasmiques ou produites par des agents qui ne sont pas doués de vie et qui ne peuvent être anesthésiés. "278 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. C'est ainsi que le chloroforme et l'éther deviendraient, connue je l'ai dit ailleurs, de véritables réactifs de la vie. Amstkêsie de la fonction chlorophyllienne des plantes. — J!ai étudié l'action des anesthésiques sur des plantes aquatiques des Potamogeton et îles Spirogyra. Voici comment je dispose l'expérience. Sous une cloche tubulée à sa partie supérieure et remplie d'eau, contenant de l'acide carbonique, je place des plantes aquatiques du genre de celles qui sont indi- quées; puis toute la cloche étant immergée dans un grand bocal, je coiffe la tubulure de la cloche avec une éprouvelte également remplie d'eau et destinée à rece- voir les gaz qui seront dégagés par les plantes. Je place au soleil deux cloches ainsi disposées; seulement dans l'une d'elles j'ai placé, avec les plantes, une éponge humide imbibée d'un peu de chloroforme. Dans la pre- mière cloche, sans chloroforme, il se dégage de l'oxy- gène presque pur et en assez grande quantité ; dans la seconde cloche, avec chloroforme, il ne se dégage que très-peu de gaz qui est de l'acide carbonique. Si, après une durée de l'épreuve suffisante pour démontrer que la chlorophylle de la plante est devenue inapte à déga- ger de l'oxygène, je viens à reprendre la même plante, à la bien laver à grande eau et à la replacer au soleil sous une cloche sans chloroforme, je vois reparaître sa faculté d'exhaler de l'oxygène au soleil, qui avait été momentanément suspendue. Nmus devons relever un tait intéressant parmi ceux que nous venons de signaler, à savoir que la plante aquatique anesthésiée a dégagé de l'acide carbonique. Ce ANESTHESIË DES ANGUILLULES. w27i> fait est d'accord avec ce que nousavons vu précédemment que les phénomènes chimiques de synthèse vitale sont seuls abolis par les anesthésiques, tandis que les phéno- mènes chimiques de destruction ne le sont pas. En effet, la formation de l'acide carbonique par l'acte respiratoire n'est pas un phénomène vital, puisque, ainsi que l'a montré Spallanzani, les muscles séparés du corps, inertes, dépourvus de vie, forment encore de l'acide carbonique. Une tranche de jambon cuit mise sous une cloche res- pire et produit de l'acide carbonique. On pourrait donc, h l'aide de l'anesthésie, séparer la fonction chlorophyllienne des végétaux, qui est prolo- plasmique ou vitale, delà respiration qui, comme celle des animaux, est de nature purement chimique. Anesthésie des anguillules du blé niellé. — J'ai fait peu d'expériences sur l'anesthésie des animaux inférieurs. L'éther ou le chloroforme tuent très-rapidement les infusoires; je n'ai pu réussir à en graduer l'action. Il n'en est pas de même des anguillules du blé niellé qui se prêtent très-bien à ce genre d'expériences. Nous avons vu, à propos de la vie latente, que les anguillules du blé niellé desséchées ont la propriété de revivre quand on les immerge dans de l'eau ordinaire. Elles ne manifestent pas cette propriété si on les immerge dans de l'eau chloroformée ou éthérée; seule- ment il faut, en général, affaiblir l'eau éthérée ou chlo- reformée en y ajoutant moitié ou plus d'eau ordinaire, sans quoi l'anguille serait tuée définitivement. Dans l'eau anesthésique suffisamment diluée l'anguille reste im- mobile, ne revient pas à la vie ; elle se réveille dès qu'on v2S. 290 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. de la sensibilité et de l'irritabilité (1), à cause de l'iden- tité d'action des anestbésiques sur ces manifestations vitales. Car en science physique expérimentale nous n'avons pas d'autres manières de juger si ce n'est de considérer comme identiques les phénomènes qui pré- sentent des caractères physiques identiques. L'agent anesthésique n'atteint donc pas, à proprement parler, la sensibilité; il agit en définitive toujours sur Xirritabilitè et jamais sur autre chose, malgré les appa- rences. L'irritabilité du protoplasma des cellules céré- brales est atteinte par l'éther, et dès lors la fonction sensorielle consciente est abolie. De même le protoplasma des cellules de la moelle épinière ou des ganglions ner- veux étant altéré, les fonctions de sensibilité inconsciente seraient abolies dans les mécanismes nerveux corres- pondants. En un mot, la sensibilité serait une fonction, l'irritabilité serait une propriété : c'est la propriété seule que nous atteindrions. Mais si nous voulions descendre encore plus profon- dément dans l'analyse des phénomènes que nous exami- nons, nous verrions qu'en réalité 1 irritabilité, tout aussi bien que la sensibilité ou les sensibilités, que toutes les propriétés vitales aussi bien que toutes les fonctions, sont des créations de notre esprit, des représentations métaphysiques sur lesquelles nous ne pouvons pas par conséquent porter notre action. Nous n'atteignons réellement pas l'irritabilité qui est quelque chose d'immatériel, mais bien le protoplasma (1) Voyez ma conférence de Clermont-Ferrandj Revue scientifique, n° 7, 18 août 1877. ACTION PHYSIQUE SUR LU PROTOPLASMA. 291 qui est matériel. L'éther ou le chloroforme produisent par leur contact avec le protoplasma nerveux une action physique encore peu connue, mais réelle. C'est ainsi que nous agissons, toujours sur la matière et jamais sur les propriétés ni sur les fonctions vitales. Il n'y a, en un mot, que des conditions physiques au fond de toutes les manifestations phénoménales de quelque ordre qu'elles soient. Il n'y a que cela de tangible. Seulement les inter- prétations que nous donnons de ces phénomènes phy- siques sont toujours métaphysiques parce que notre esprit ne peut pas concevoir les choses et les exprimer autrement. La métaphysique tient à l'essence même de notre intelligence, nous ne pouvons parler que métaphysi- quement. Je ne suis donc pas de ceux qui croient qu'on puisse jamais supprimer la métaphysique; je pense seulement qu'il faut bien étudier son rôle dans nos con- ceptions des phénomènes du monde extérieur pour ne pas être dupe des illusions qu'elle pourrait faire naître dans notre esprit. HUITIEME LEÇON Synthèse organisée , Morphologie. Sommaire : Le protoplasma ne représente que la vie sans forme spécifique. — 11 faut nécessairement la forme pour caractériser l'être vivant. — La morphologie est distincte de la constitution chimique des êtres. I. Morphologie générale. — Quatre procédés: 1° multiplication cellulaire; 2° rajeunissement; b° conjugaison; 4° gemmation. II. Morphologie spéciale. — Développement de l'œuf primordial. — Période ovogénique; théorie de l'emboîtement des germes; épigenèse. — Période de la fécondation. — Période embryogénique. III. Origine et cause de la morphologie. — La morphologie dérive de l'atavisme, de l'état antérieur. — Distinction de la synthèse morpho- logique et de la synthèse chimique. — Des causes finales; elles se confon- dent dans la cause première et n'ont pas d'existence distincte. 11 importe, ainsi que nous l'avons déjà dit, de dis- tinguer chez l'être vivant la matière et la forme. La matière vivante, le protoplasma n'a point de morphologie en soi, nulle complication de figure, ou du moins (et cela revient au même) il a une structure et une complication identiques. Dans cette matière amor- phe ou plutôt monomorphe réside la vie, mais la vie non définie, ce qui veut dire que l'on y retrouve toutes les propriétés essentielles dont les manifestations des êtres supérieurs ne sont que des expressions diversifiées et définies, des modalités plus hautes. Dans le proto- plasma se rencontrent les conditions de la synthèse chi- mique qui assimile les suhstances ambiantes et crée les produits organiques; on y retrouve, ainsi que nous l'avons montré, l'irritabilité, point de départ et forme particulière de la sensibilité. PROTOPLASMA hT MORPHOLOGIE. 293 Ainsi, le protoplasma a tout ce qu'il faut pour vivre ; c'est à cette matière qu'appartiennent toutes les pro- priétés qui se manifestent chez les êtres vivants. Cepen- dant, le protoplasma seul n'est que la matière vivante; il n'est pas réellement un être vivant. Il lui manque la forme qui caractérise la vie définie. En étudiant le protoplasma, sa nature, ses propriétés, on étudie pour ainsi dire la vie à l'état de nudité, la vie sans être spécial. Le plasma est une sorte de chaos vital qui n'a pas encore été modelé et où tout se trouve confondu, faculté de se désorganiser et de se réorga- niser par synthèse, de réagir, de se mouvoir, etc. L'être vivant est un protoplasma façonné; il a une forme spécifique et caractéristique. 11 constitue une ma- chine vivante dont le protoplasma est l'agent réel. La forme de la vie est indépendante de V agent essentiel de la vie, le protoplasma, puisque celui-ci persiste sembla- ble à travers les changements morphologiques infinis. La forme ne serait donc pas une conséquence de la nature de la matière vitale. Un protoplasma identique dans son essence ne saurait donner origine à tant de figures différentes. Ce n'est point par une propriété du protoplasma que l'on peut expliquer la morphologie de l'animal ou de la plante. C'est pourquoi nous séparons la synthèse morpholo- gique qui crée les formes, de la synthèse organique qui crée les substances et la matière vivante amorphe. C'est comme un nouveau degré de complication dans l'étude de la vie. Après avoir fixé les conditions de l'être vivant idéal, amorphe, réduit à la substance, il faut connaître 294 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. l'être vivant, réel, façonné, apparaissant avec un méca- nisme, une forme spécifique. Il importe de faire immédiatement deux observations qui ont leur intérêt, l'une relative à la morphologie minérale et animale, l'autre au rapport de la forme avec la substance. La morphologie n'est point particulière aux êtres vivants, ils ne sont pas seuls à se présenter sous des formes spécifiques, constantes. Les substances miné- rales sont susceptibles de cristalliser ; ces cristaux eux-mêmes sont susceptibles de s'associer pour former des figures diverses et très-constantes, groupements, astérescenees, maclés, trémies, etc.; d'autres fois, les substances prennent des formes qui ne sont point véri- tablement cristallines, glycose en mamelons, leucine en boules, lécithine en globes, etc. Il y a donc lieu, jusqu'à un certain point, de rappro- cher les deux règnes des minéraux et des êlres vivants, en ce sens que nous voyons chez les uns et les autres cette influence morphologique qui donne aux parties une forme déterminée. Nous savons que l'analogie ne s'arrête pas à cette première ressemblance générale; les faits de rédintégration cristalline signalés précédem- ment [voy. Leçon I) nous ont montré dans le cristal quelque chose d'assimilable à la tendance par laquelle l'animal se répare, se complète et reconstitue le type morphologique individuel. Or les formes minérales, cristallines, ne sont pas plus que les formes vivantes une conséquence rigoureuse, absolue de la nature chimique, de la matière. Les sub- MORPHOLOGIE. 995 stances dimorphes en sont un exemple bien clair : le soufre peut se présenter avec deux formes cristallines in- compatibles et à l'état amorphe ; le phosphore, l'acide arsénieux nous montrent aussi une même matière façon- née dans des moules différents. Les substances isomères et polymères de la chimie organique nous offrent encore une preuve d'un autre ordre que l'identité du substra- tum est compatible avec des variétés de figures, de groupements et de manifestations phénoménales. En d'autres termes, il y a en chimie minérale et orga- nique des corps de même forme qui ont une composition chimique différente et des corps différents en compo- sition chimique qui ont une forme identique. L'étude des formes n'appartient plus à la chimie et ne s'explique point par ses lois. La chimie s'occupe de la composition des corps; là où la morphologie, c'est- à-dire l'étude de la forme commence, la chimie pro- prement dite cesse. Les matières que l'organisme produit ou met en œuvre ne sont donc pas seulement constituées chimique- ment, elles sont encore travaillées morphologiquement et arrangées sous une figure plus ou moins caractéris- tique. Il peut même arriver que la forme paraisse plus essentielle que la matière. Ainsi en est-il du squelette osseux et de la coquille de l'œuf des oiseaux. En modifiant l'alimentation de ces animaux et en y substituant les sels de magnésie aux sels de chaux, on a annoncé que la com- position habituelle des os et la composition de la coquille étaient changées et qu'une certaine proportion de ma- gnésie avait pris la place de la chaux. J'ai souvent en- 39() LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. tendu dire au naturaliste Moquin-Tandon que les mêmes espèces de colimaçons, habitant des terrains calcaires ou siliceux, avaient tantôt de la silice, tantôt du carbo- nate de chaux dans la composition de leur coquille, sans que, bien entendu, la morphologie spécifique en fût au- cunement modifiée. Ces diverses substances se seraient remplacées en toutes proportions dans la formation organique et elles se seraient comportées comme les substances isomorphes dans la formation cristalline. Ces comparaisons entre les formes minérales et les formes vivantes ne constituent certainement que des analogies fort lointaines et il serait imprudent de les exagérer. 11 suffit de les signaler. Elles doivent simple- ment nous faire mieux concevoir la séparation théorique de ces deux temps de la création vitale : la création ou synthèse chimique la création ou synthèse morpholo- gique qui, en fait, sont confondues par leur simultanéité, mais qui n'en sont pas moins essentiellement distinctes dans leur nature. Il nous faut maintenant étudier cette synthèse morpho- logique d'abord dans ses résultats, ensuite dans ses causes. L'indépendance de la forme et de la matière est poussée plus loin encore dans l'être vivant que dans le minéral. La morphologie, comme nous le verrons, paraît gouvernée par des lois absolument indépendantes de celles qui règlent les manifestations vitales essen- tielles du protoplasma. Elle suppose cette matière avec ses propriétés, mais elle l'utilise d'une façon tout à fait indépendante et suivant des conditions qui n'y sont pas nécessairement contenues. ÊTRES AMIBOÏDES. 297 Les formes variées qui résultent de ces lois morpho- logiques donnent lieu à des phénomènes vitaux, très- différents les uns des autres et qui ne sont que L'expression de la morphologie de l'être. La matière protoplasmique, ainsi que nous l'avons dit antérieurement {voy. Leçon Y , peut au début con- stituer des êtres en quelque sorte sans forme fixe, ou tout au moins sans mécanismes vitaux, morphologique- ment déterminés. Ce sont les êtres les plus simples, ne possédant que la vie nue, sans les formes variées et diver- sifiées cà l'infini sous lesquelles elle nous apparaît plus tard. Ces êtres sont en réalité des êtres protoplasmiques ou eytodes, dont Haeckel a fait un groupe, même un rès:ne sous le nom de Monères. Dans ces êtres monériens ou protoplasmiques, nous avons d'abord les amibes. Nous représentons ici une mo- nère d'eau douce, la Protamœbaprimitiva (voy. fig. 24), et des amibes avec leurs différentes formes changeantes A B Fie. 24. — Pi'otamœba primitiva, Haeckel. A, une montre entière. B, la même inonère divisée en deux moitiés par un sillon médian. Fig. 25. — Deux formes différente d'amibes de la vase. n, noyau. ontraclil .• [voy. fig. 25). Nous ferons observer que ces êtres ami- boïdes, qui peuvent vivre à l'état libre dans le milieu cosmique, peuvent également vivre comme élément en 208 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE L.\ VIE. quelque sorte du milieu intérieur chez d'autres êtres plus élevés. C'est ainsi que nous voyons dans la figure 26 des amibes isolés et des amibes du sang ou corpuscules lym- . B ?J4MÇ D Fig. 20. — Corpuscules lymphatiques du lombric et amibes îles infusions. A, un corpuscule lymphatique du lombric isolé. B, corpuscules lymphatiques du lombric agrégés. C, amibes des infusions englobant des corpuscules colorés. D, corpuscules lymphatiques du lombric ayanl englobé les mêmes corpuscules colores (bleu de Prusse). (Voyez la planche à la fin du volume.) phatiques du lombricus agricola, se comporter exacte- ment de même. M. Balbiani, à l'obligeance de qui je dois celte figure, a vu que les amibes du lombricus peuvent s'incorporer des petits corps en suspension dans le sanç, absolument comme le font les amibes des :> Fig. 27. — Protogenes primordialis. infusions, ce qui prouve bien que ce sont les mêmes êtres. Nous reproduisons également la figure du Proto- genes primordialis découvert, en 1864, par Haeckel [voy. fig. 27, et Leçon V, pag. 190). Il faut encore ÊTRES MONÉRIENS. 299 signaler parmi ces êtres rudimentaires le BatHybius Hœckelii, découvert, en 1868, par Huxley, espèce de réseau amiboïde gigantesque qui siège au fond des mers (fig. 28, 28 bis, et Leçon V, p. 189). Nous ne discuterons pas la question de savoir si ces êtres monériens ont une véritable morphologie, et si la - ?"*£'■-> Fie. 28, — Bathybius Hœckelii. organisme Fig. -28 bis. — Roseau protoplasmatique protoplasmatique vivant dans le fond des avec discolithes et cyatholitnes trouvés mers. La figure représente une petite por- dan- d'autres monères et qui sont vrai- tion du réseau protoplasmatique nu. seniblablement des produits d'excrétion. (Hœckcl.) cytode d'Haeckel peut être à la fois, par une sorte d'ar- rêt de développement, soit un animal vivant isolé com- plet, soit le commencement possible d'autres organismes beaucoup plus complexes. Ces questions sont fort incer- taines et fort problématiques. Pour nous, nous n'admet- tons de morphologie réelle que lorsque nous voyons le même élément organique partir d'un point fixe et suivre régulièrement une marche évolutive, qui le conduit à un type organique également fixe et déterminé d'avance. Or, cette évolution ne commence réellement qu'à la cellule. Les cellules se forment, se multiplient, s'accumulent pour constituer d'abord la masse de l'organisme, puis elles se modifient, donnant naissance à des formes 300 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. spécifiques qui caractérisent dès le début les êtres qui doivent en sortir. Le mécanisme de la formation et de la multiplication des cellules est ce que nous appellerons la morphologie gé- nérale,Le groupement de ces celluleset la configuration spécifique suivant laquelle elles se disposent pour former les êtres vivants constituent la morphologie spéciale. I. Morphologie générale. — La constitution du proto- plasma en un élément anatomique doué d' 'une morpholo- gie évolutive certaine et à longue portée est représentée par la cellule qui est le premier degré de la synthèse morphologique, commun à tous les êtres vivants. Comment se forme cet élément anatomique primor- dial, la cellule? Nous savons que la vie existe, avant la cellule, dans le protoplasma, mais dans l'état actuel des choses nous ne voyons jamais une cellule apparaître évolutionnel- lement sans une cellule antérieure. L'axiome « Omnis cellula e cellulâ » resterait donc vrai pour les deux règnes. Les histologistes qui ont le mieux étudié la question sont arrivés à cette conclusion : « La for- » mation de cellules, en l'absence d'autres, dans les » liquides organiques ou blustèmes, est, dit Strasbur- » ger (1876), une hypothèse qui n'a jamais été prou- » vée. Leur génération spontanée n'est pas plus exacte » que celle des formes organiques individuelles. » — C'est l'avis des botanistes comme des zoologistes, que les cellules naissent toutes du protoplasma d'une cellule préexistante. « Toute production nouvelle de MORPHOLOGIE GÉNÉRALE. 301 » cellule, dit Sachs, D'est au fond que l'arrangement » nouveau d'un protoplasme préexistant. » Il importe d'examiner par quels procédés la cellule apparaît aux dépens d'une cellule préexistante. Les procédés de genèse des cellules sont les mêmes dans les deux règnes, ainsi que l'on devait s'y attendre. On peut distinguer quatre formes principales de genèse cellulaire, présentant quelques variétés secondaires : l"La multiplication cellulaire comprenant : a la formation cellulaire libre ; b la division. 2° Le rajeunissement ou formation pleine. • ! La conjugaison. 4° La gemmation. A. Multiplication. — C'est le procédé de genèse cel- lulaire dans lequel il y a production de deux ou plu- sieurs éléments aux dépens d'un seul. Il peut arriver qu'une portion seulement du proto- plasma de l'élément originel participe à la formation des éléments nouveaux. C'est alors ce qu'on a appelé la formation cellulaire libre. Les plantes et les animaux en offrent des exemples. C'est ainsi que se forment les cellules endospermiques des Phanérogames à l'intérieur du sac embryonnaire et aux dépens d'une portion seulement du protoplasma qui y est contenu [voy. fig. 29). Chez les animaux. M. Baibiani a observé ce mode de genèse pour la constitution des cellules blastodermiques des insectes aux dépens du vitellu>. Une partie seulement de ce vitellus fournit des cellules nouvelles [voy. 6g. 30). 302 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. Si tout le protoplasma de l'élément originel est em- ployé à la constitution des cellules nouvelles, on a alors le procédé de division. ' ^'<-iS" Fie. 29. — Formation libre de cellules dans l'endosperme du Phaseohis multiflorus, lre forme. (Strasbur- ger, p. 501.) FlG. 30. — Genèse de cellules par forma- tion libre dans la couche blastoderinique d'un œuf d'insecte. (Balbiani.) a, formation des noyaux. b, différenciation des cellules. Ce procédé de division est le plus général de tous. Le plus grand nombre des éléments végétaux se produit de cette façon. Quant aux éléments animaux, on a admis depuis un certain nombre d'années que la division était leur unique origine. Ce mode de genèse, que Reniait a fait connaître depuis 1850 en étudiant la division des cellules du blastoderme, a été considéré comme le mode exclusif de la genèse cellulaire. C'est l'avis de Kolliker. La division est donc le mode génétique le plus uni- versel. Une cellule se divise et en donne deux nouvelles. Il peut y avoir deux cas: ou bien l'élément primitif n'a point d'enveloppe épaisse, ou bien il a une enveloppe bien caractérisée. Dans le premier cas, il y a scission simple ; dans le second cas division endogène. Les monères, les amibes, les infusoires, les globules sanguins de l'embryon se divisent ainsi. La masse pro- GENÈSE DE LA CELLULE. 303 toplasmique qui constitue ces animaux s'allonge, s'é- trangle, et se sépare bientôt en deux masses nouvelles; chacune constitue désormais un individu distinct dans lequel recommence de nouveau le même procédé des phénomènes vitaux (voy. fig. 24). Quant à la division endogène^ on la décrivait, il y a quelques années, d'une manière fort simple. Le noyau, disait-on, en prend l'initiative, et dans le noyau, le nucléole. Au lieu d'un seul nucléole on en aperçoit deux : puis le noyau s'étrangle et se segmente, en- traînant le nucléole nouveau. La division du noyau entraine celle du protoplasma, et finalement au lieu d'une cellule on en a deux. Mais cette idée que l'on se formait jusqu'à ces der- nières années n'était pas l'expression réelle de la vérité. Nous avons déjà fait connaître les recherches nouvelles qui tendent à réformer ces vues trop simples (voy. Leçon V, pag. KJ6). Nous devons y revenir. Strasburger a étudié la production des cellules au sommet organique du sac embryonnaire chez quelques plantes, en particulier chez les conifères, Picea vul- garis (voy. fig. 34, 32, 33, 34, 35). D'abord, le protoplasma de ce sac donne naissauce par une de ses parties à quatre cellules provenant de formation libre. Ce sont ces cellules qui se prêtent bien ultérieurement à l'étude de la division et des circon- stances qui l'accompagnent. On distingue deux phases successives. Le noyau de la masse protoplasmique, dans la première phase, montre deux amas de granulations situées aux deux pôles ou 304 LEÇONS SUR LUS PHENOMENES DE LA VIE. points antagonistes; ces amas sont reliés par des fila- ments intermédiaires. Ces filaments renflés uniformé- Genèsc des cellules par division chez les végétaux. j Fk;. 31. — Noyaux apparaissant simulta- nément dans l'œuf du Pinus sylvestris. (Strasburger, p. -250.) Fil. 32. — Prélude de la division des noyaux île l'œuf du Piitus sylvestris. Le noyau à droite montre un degré plus avancé qu'à gauche. (Strasburger, p. 200.) In.. 33. Étal plus avancé que dans la Fia. 'i\. — La formation des nouveaux figure 27. Les plaques cellulaires se îles- noyaux vient de se terminer; les plaques sinent déjà à l'cquateur entre les nouveaux cellulaires sont plus marquées. (Stras- noyaux en voie de formation. (Strasburger, burger, p. 250.) P. 250.) 1 Fig. 35. — La membrane cellulaire déjà sécrétée au milieu de la plaque de la cellule. (Strasburger, p. 250.) ment à leur milieu constituent par leur ensemble un disque équatorial ou disque nucléaire. C'est ce que l'on voit dans la partie gauche de la figure 32. Puis les ren- flements se divisent et remontent chacun vers le pôle correspondant. Cette séparation et ce mouvement s'aper- çoivent dans la partie droite de la figure 32, Dans la deuxième phase, il se reforme sur le plan GENÈSE CELLULAIRE. 305 équatorial une série nouvelle de renflements dont l'en- semble constitue Va plaque cellulaire; celle-ci se clive en deux : entre les deux clivages se forme une cloison de cellulose, et, le travail se continuant, on a bientôt, au lien de la masse primitive, deux cellules complètes dans le sac embryonnaire. Le noyau ne joue pas toujours ce rôle essentiel dans la genèse cellulaire. On connaît des cas où il n'existe pas encore au moment où le protoplasma se divise et des cas où ce noyau existant reste pour ainsi dire étranger à l'apparition des centres attractifs, qui grouperont la matière protoplasmique pour en former deux cellules nouvelles. Voilà des phénomènes complexes qui ont été observés chez les végétaux, et également chez les animaux, et qui paraissent avoir une très-grande généralité. Bùtschli (voy. Leçon V, p. 195) a observé la division des cel- lules embryonnaires du sang du poulet (voy. fig. 36); Weitzel, la prolifération des cellules de la conjonctive enflammée; Balbiani, la multiplication des cellules de l'épithélium ovarique des insectes ; Auerbach , Fol , Strasburger, Klebs, ont rencontré un nombre consi- dérable de faits du môme genre. En interprétant ces faits, on est conduit à penser qu'il n'existe chez les ani- maux qu'un procédé unique de genèse cellulaire auquel se ramènent tous les autres, qui en seraient simplement des abréviations. Ces études nous montrent, clans la genèse cellulaire par division, quelque chose d'analogue au jeu de forces attractives et répulsives, s'exerçant surtout sur le noyau, CL. BERNARD. 20 306 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. et manifestées par la polarité et la disposition rayon- nante qu'elles impriment aux particules du proto- plasma. Genèse des cellules par division citez les animaux. .1 s; t Fie. 30. — 1, 2, 3, 4, 5. 6, 7, 8, phases successives de la division d'un globule sanguin chez un embryon de poule!, d'après Butschli. B. Le rajeunissement, ou formation pleine, est un procédé rare dont on trouve quelques exemples dans le règne végétal; on n'en connaît point dans le règne ani- mal. Il va une cellule préexistante : la masse entière du protoplasma de cette cellule forme une cellule nouvelle, par une sorte de renouvellement ou de simple rajeunis- sement de ce protoplasma. C'est par ce moyen que Pringsheim a vu se former les zoospores dans les algues du genre Œdogonium (voy. fig. 37). C. La conjugaison consiste dans la fusion de deux ou CONJUGAISON. 307 plusieurs niasses protoplasmiques en une seule. Deux éléments participent à la formation de l'élément nou- veau, et cela peut se faire de deux manières : ou par conjugaison proprement dite, ou par conjugaison sexuelle, c'est-à-dire par fécondation. FiG. 37. — Formation pleine par rajeunissement (Sachs, p. 12). A, B, sortie des zoospores d'un Œdogonium; — G, sortie du protoplasma tout entier d'un jeune plant A'Œdogonium sous forme d'une zoospore; — D, zoospore libre en mouve- ment ; — E, la même, après qu'elle s'est fixée et qu'elle a formé son disque d'adhér mce. Dans la conjugaison ordinaire, les deux cellules qui interviennent sont sensiblement identiques en forme et en taille. C'est ainsi que se forment les zygospores des algues conjuguées et volvocinées, et les zygospores des champignons myxomycètes et des mucorinées. Le règne animal n'offre pas d'exemple connu de cette genèse cel- lulaire {voyez la planche ta la fin du volume). Quant à la conjugaison sexuelle ou fécondation, dans laquelle les deux éléments sont différenciés, on en a des 308 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. exemples clans les oospores des cryptogames et, chez les animaux, un type universel dans la fécondation de l'œuf. D. Enfin, nous avons signalé un quatrième mode de genèse cellulaire, c'est la gemmatiom, ou bourgeonne- ment, Les observations sont peu nombreuses, et il est certain qu'il s'agit ici d'un procédé rare : la majorité des auteurs, Kôlliker entre autres, le passent sous silence. Cependant il semble y avoir un petit nombre de faits positifs à cet égard (voy. fig. 38). Fie. 38. — Gemmation. Ovulation d'un mollusque lamellibranche](Venws decussata). A, cellule mère ; — B, C, bour- geons formes par le refoulement de la paroi cellulaire F sous la pression des nouveaux noyaux D, E, provenant de la division du nucléus primitif (d'après Lcydig). Telles, par exemple, la formation des œufs par bourgeonnement des cellules de la gaine ovigène des in- sectes; la formation des globules polaires, observée par Robin; la multiplication des infusoires acinètes (Podo- phrya gcmmipara), observée par Hertwig, et enfin la division des globules lymphatiques de l'axolotl, qui a été observée par Ranvier. Le noyau s'allonge, s'étrangle en bissac, et alors on voit naître de ce noyau des bour- geons plus ou moins nombreux et dans chacun de MORPHOLOGIE SPÉCIALE. 309 ceux-ci un nucléole. Chacun de ces bourgeons semble gouverner la masse du protoplasma environnant qu'il groupe autour de lui de manière à former une cellule nouvelle. Tels sont les procédés de la morphologie générale, par lesquels une cellule sort d'une autre cellule; par lesquels se constitue, en somme, l'organisme le plus simple. Nous examinerons, maintenant, la morphologie spé- ciale, qui préside à la production des formes complexes et spécifiques des animaux et des plantes. II. Morphologie spéciale. — Le point de départ des espèces animales ou végétales est une cellule appelée œuf ou ovule. A la vérité, un certain nombre d'êtres proviennent de parents par des procédés monogéniques ou asexués : mais la reproduction sexuée est le procédé génétique par excellence, général, et suffisant à lui seul à assurer la perpétuité de l'espèce. L'œuf lui-môme est primitivement une cellule. En remontant jusqu'à sa. première apparition, on le retrouve chez tous les animaux ta l'état de protovam ou ovule primordial; il est formé d'une masse protoplas- mique ou mtelhis primitif, ou archilécithe, ou plasma frimitif, masse au centre de laquelle existe un noyau granuleux, volumineux, réfringent, qui est le noyau primitif 'ou vésicule de Purkinje. Cet ovule primordial ainsi constitué est primitive- ment une cellule épithéliale, apparaissant dès les pre- 310 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. miers temps du développement dans l'organisme ma- ternel ; cette cellule se distingue des cellules épithéliales voisines, du même rang, grossit et se caractérise bientôt en tant qu'ovule primordial. Le mode de formation de cet ovule primordial aux dépens d'une cellule épithéliale préexistante, sa consti- tution entant que masse protoplasmique à noyau, sont des faits absolument généraux applicables à tous les animaux, depuis les protozoaires jusqu'aux vertébrés, ainsi que l'ont établi les travaux embryogéniques publiés depuis dix ans. C'est là l'origine commune de tous les êtres vivants : cette cellule si simple jouit de la faculté de donner naissance par une série de différenciations successives dans les produits de sa prolifération aux formes spécifi- ques les plus complexes. L'œuf, en effet, ne reste pas indéfiniment à l'état d'ovule primordial : il est un élément essentiellement doué de la faculté d'évolution, qui se modifie, se mul- tiplie, se complète, se différencie, par un mouvement progressif et un travail continuel. L'individu animal à ; son état achevé n'est pour ainsi dire que la phase la plus avancée ou la phase ultime de cette évolution; tandis que, d'autre part, l'ovule primordial pourrait être ap- pelé le premier état de l'animal, son début ou sa pre- mière ébauche. M. Balbiani, en poursuivant ses belles études sur les organes de la reproduction chez les aphidiens, a été amené à reporter plus loin encore l'origine de l'ovule. — Pour lui, l'œuf n'est pas un simple élément anato- OVOGÉNIE. ,°)| I inique, c'est déjà un organisme: il est constitué par l'union ou conjugaison de deux éléments, l'un jouant le rôle d'élément mâle, l'autre le rôle d'élément femelle ; ces deux corps dont l'union constitue l'ovule sont d'uue part la vésicule . g erminative avec son protoplasma, d'autre part la cellule embryogène ou qndroblaste. Ce dernier ne serait pas un produit de l'organisme maternel déjà constitué, mais il existerait déjà dans l'œuf d'où sort cet organisme maternel. Il y aurait donc dans l'œuf de la mère un élément essentiel de l'œuf du rejeton. Cet élément ovulaire se transmet, persiste, non plus comme un organe appartenant à l'individu qui en est porteur, mais comme un élément appartenant à l'ancêtre et qui clans l'économie de l'être actuel constituerait un véri- table parasite atavique. — On a commencé par croire que l'œuf est une production de l'organisme maternel à l'état de plein développement; puis on a dit qu'il était une production de l'organisme maternel, dès son état embryonnaire et avant même que le sexe y fût caracté- risé. M. Balbiani fait un pas de plus dans cette voie des orisïnes, et il rattache l'œuf à l'organisme maternel non encore développé, existant seulement en puissance, c'est-à-dire à l'œuf maternel. On en peut dire autant de celui-là même qui se rat- tache à l'œuf antérieur, et ainsi de suite, en remontant. L'œuf contient donc un élément essentiel des œufs des générations successives, élément spécifique et non indi- viduel. Cette doctrine de M. Balbiani semble donc, à un certain degré, rajeunir la célèbre théorie de l'involution ou de X emboîtement des germes qu'avait proposé au siècle 312 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. dernier le philosophe naturaliste Ch. Bonnet, de Genève. — On pensait, à l'époque où le naturaliste genevois proposait son hypothèse, que l'être nouveau existait tout préformé dans l'œuf; d'autres disaient, dans la liqueur séminale : ce n'était pas l'être actuel qui le créait, il ne faisait pour ainsi dire que le porter et fournir l'habita- tion à cette ébauche ou miniature du rejeton. Ch. Bon- net fut conduit par ses méditations a priori et ses expé- riences sur les pucerons à admettre la préformation ou préexistence du germe, non pas seulement dans l'œuf qui le développera, mais la préformation indéfinie et de tout temps de cet œuf lui-même. L'origine de cette doctrine se trouve dans les idées philosophiques de Leibnitz. Leibnitz considérait tous les phénomènes de l'univers comme la simple conséquence d'un acte primordial, la création. La puissance créa- trice qui était intervenue une première fois n'avait pas eu besoin de répéter son effort, et l'ordre naturel était fixé pour la série des temps. En particulier, le premier être contenait en puissance et en substance toutes les générations qui lui ont succédé, et l'observateur ne fait qu'assister au développement de ces germes du premier jour, inclus les uns dans les autres. C'est cette vue qu'adopta le philosophe genevois Bonnet. Il admit qu'un animal ne créait pas véritable- ment les êtres dont il devenait la souche; qu'il en con- tenait simplement les germes, enveloppés pour ainsi dire les uns par les autres et se dépouillant successive- ment de leurs enveloppes. Si Ton en croit certains témoignages, Cuvier, dont le génie précis s'acccmmodait ovogénie. :! 1 3 mal des hypothèses, aurait pourtant accueilli celle-ci avec faveur. Le développement de la science a écarté ce qui, dans cette doctrine, était manifestement erroné : à savoir que l'œuf serait l'image réduite de l'être nouveau qui n'aurait pour ainsi dire qu'à se déployer et à s'amplifier. L'animal se forme non par i'anipliation de parties existantes déjà, mais par formation, création successive de parties nouvelles ou êpigenèse, ainsi que nous le dirons tout à l'heure. Quant à l'autre partie de la doc- trine, qui consiste à imaginer que l'œuf renferme non pas seulement en puissance, mais sous une forme figu- rée et substantielle, quelque élément des générations successives, c'est cette partie de la doctrine que les idées de M. Balbiani vient de tirer de l'oubli et de la défaveur où elle était tombée. Dans l'histoire du développement ou de l'évolution d'un animal, on peut distinguer trois périodes : 1° La période ovogénique, qui s'étend depuis l'origine de l'œuf jusqu'à sa constitution complète; 2° La période de la fécondation^ qui correspond au moment où l'œuf, arrivé à l'état de maturité, reçoit l'impulsion nouvelle résultant du contact de l'élément mâle ; 3° Enfin la période embryogénique, la plus longue, qui comprend la série des phénomènes par lesquels l'œuf fécondé est amené jusqu'au développement com- plet de l'animal. Nous n'avons pas ici à faire l'histoire de ces trois pé- riodes : nous devons seulement les caractériser briève- 314 LEÇONS SUR LLS PHÉNOMÈNES DE LA VIE. ment, puisqu'elles marquent les trois étapes principales de la morphogénie. Nous signalons le point de départ commun de toute organisation dans cette forme partout identique, qui est Yovule primordial, simple masse protoplasmique à noyau. Cette identité d'origine pour tous les êtres orga- nisés est un phénomène bien essentiel et bien digne d'être mis en lumière. Il est acquis surtout depuis les travaux de Waldeyer, en 1870. Cet ovule primordial subit un développement (déve- loppement ovogénique qui l'amène à l'état où il doit être, pour subir efficacement l'imprégnation de l'élé- ment mâle, c'est-à-dire à l'état d'oeuf mûr. Ce dévelop- pement comprend trois faits principaux : la formation d'une enveloppe limitant extérieurement l'élément, ou enveloppe vitellirie; l'accroissement de la masse proto- plasmique primitive par l'adjonction d'éléments nou- veaux constituant le vitellus secondaire, ou vilellus nutritif, ou paralécithe, ou deutoplasme, suivant les différents noms que lui ont donnés les auteurs. Enfin, et en troisième lieu, le noyau, ou vésicule g erminative de Purkinje, jusque-là homogène dans toutes ses parties, permet d'apercevoir des granulations nucléolaires, taches germinatives ou taches de Wagner. Dès cette première période, des différences apparais- sent suivant que l'œuf devra former un animal de tel ou tel groupe zoologique. Avant toute fécondation, avant tout développement il est possible de prédire, d'après les caractères anatomiques particuliers de l'œuf complet, la direction générale de son évolution et le groupe EMBRYOGÉNIE. 315 auquel appartiendra l'animal qu'il formera. L'enveloppe vitelline, par exemple est striée radiairement chez les mammifères et les poissons osseux, et y présente un micropyle. Rien de pareil n'a lieu chez les oiseaux. Le vitellus secondaire peut être en proportions différentes relativement au vitellus primitif; tantôt il est très-abon- dant, c'est le cas des animaux ovipares, oiseaux et reptiles; tantôt il est très-peu abondant, ce qui est le cas des vivipares, tels que les mammifères. Enfin les taches germinatives du noyau sont bien différentes en nombre chez les uns ou chez les autres des vertébrés : il y en a plus de 100 à 200 chez les poissons, au con- traire 1 ou 2 chez les. mammifères. Une étude de l'ovogenèse étendue à tous les groupes aurait donc pour résultat de montrer une différencia- tion très-précoce dans le travail du développement. Il semble bien que dès le début commun les routes vont en divergeant et que chaque ovule primordial ait sa voie fixée d'avance, dans laquelle il marchera sans arrêt, jusqu'à réaliser sous la direction des lois mor- phologiques le type animal qui était virtuellement inscrit en lui. La seconde période du développement de l'œuf est caractérisée par le phénomène de la fécondation et tous les faits secondaires qui la préparent ou s'y rattachent. L'œuf, ainsi que nous l'avons dit, est un élément plastique très-énergique, centre d'attraction chimique et morphologique. Le processus évolutif de cet élément est renforcé d'une manière encore incon- 316 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. nue par l'intervention de l'élément mâle, c'est-à-dire parla fécondation. Une fois la fécondation accomplie, le travail évolutif prend une extrême activité et la phase embryogénique commence. Le problème de l'embryogénie consiste en définitive à expliquer par quels procédés successifs la cellule ovu- laire simple a donné naissance à cette construction poly- cellulaire d'une architecture si complexe qui est la machine vivante. On a eu d'abord recours aux hypothèses, avant de s'adresser à l'observation, pour essayer de percer ce mystère. Deux théories opposées se présentent à l'esprit du naturaliste philosophe dont chacune a eu ses partisans : c'est la théorie de Vinvolulion d'une part, de l'autre, la théorie de Xêpigenèse. Le débat est aujourd'hui tranché, et l'on sait, depuis les travaux du célèbre embryologiste Caspar-Frederick Wolfï, que l'organisme se développe de l'œuf par êpigenèse. Les partisans de l'involution pensaient que la géné- ration d'un être n'était pas une véritable création. Le rejeton préexistait tout formé, avec ses organes, ses appareils, sa forme, dans le germe, et la fécondation ne faisait que le déployer. Ce germe, image réduite de l'être nouveau, c'était Xœuf pour certains naturalistes, qui de là prenaient le nom d'ovzstes, tels Swammer- damm, Malpighi, Huiler. — Pour d'autres, les sperma- listes, Leeuwenhœck, Spallanzani, c'était X animal sper- matique, qui était le germe; mais pour les uns et pour EMBRYOGÉNIE. 317 les autres, le. germe était l'ébauche, la miniature de l'embryon ; et c'est là le point essentiel de la doctrine. L'être ne commençait donc pas à l'acte de la généra- tion; il préexistait déjà, à l'état donnant et n'attendani que d'être tiré de cette condition léthargique par l'im- pulsion fécondatrice. — Défendue par Leibnitz parmi les philosophes, par Haller parmi les physiologistes, cette doctrine subsista universellement acceptée jus- qu'au moment où C.-F. Wolff, le premier fondateur de l'embryologie moderne, vint lui porter le coud mortel et révéler la véritable nature du développement orga- nique. « 11 prouva que le développement de chaque » organisme s'effectue par une série de formations non- » velles, et que, ni dans l'œuf, ni dans les spermato- » zoaires, il n'existe la moindre trace des formes défini- » tives de l'organisme. » [Hœckel, Anlhropogénie, p. 28 (1764).] C.-F. Wolff montra en effet, en étudiant chez le poulet le développement du tube digestif, qu'il y a une époque où cet appareil n'est encore qu'une sorte de membrane ovale, un feuillet germinatif, qui passe par une série de transformations continuelles et par des additions nouvelles, arrive à constituer le canal intesti- nal, les glandes qui en dépendent, le foie, le poumon, etc. — On trouve dans cette observation le germe de la découverte des feuillets embryonnaires que Baër com- pléta et introduisit plus tard dans la science. Ainsi, les parties du corps sont faites successivement les unes après les autres, par additions et différencia- tions successives. Rien ne préexiste dans sa forme et 318 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. son dessin définitif. Le germe de l'homme n'est pas un homoncule, image réduite et parfaite de l'adulte; c'est une masse cellulaire qui, par un travail lent, acquiert des formes successivement compliquées. Les premiers phénomènes par lesquels débute l'évo- lution embryogénique sont sensiblement les mêmes d'un bout à l'autre du règne animal. Chez les mammifères, la masse protoplasmique qui forme l'œuf fécondé se segmente en deux moitiés par division endogène. Cha- cune des deux masses nouvelles subit une segmentation pareille. Ce phénomène appelé fractionnement du vilel- lus aboutit, par ces divisions réitérées de la masse protoplasmique principale, à la formation d'une masse de cellules toutes pareilles entre elles, groupe cellu- laire provenant par générations successives de la cellule primitive. Ce groupe formé de cellules pressées les unes contre les autres est une masse sphérique framboisée, muriforme. On a proposé de désigner ce premier stade de l'évolu- tion embryogénique commun à tous les animaux par un nom particulier, celui de monda. Chez les mammifères, cette masse pleine, compacte de cellules vitellines se creuse bientôt à. son centre où s'amasse un liquide, et se condense à la surface. L'œuf est alors transformé en une vésicule sphérique, dont l'enveloppe est constituée par une couche plus ou moins épaisse de cellules juxtaposées, et l'intérieur occupé par un liquide. Cette poche s'appelle blastula, vésicule blasto- dermique : la paroi blastoderme, ses éléments cellules du blastoderme. FEUILLETS DU BLASTODERME. 319 La vésicule blastodermique a environ 1 millimètre de diamètre. Elle est formée d'une seule assise de cellules. En un de ses points, cette paroi est doublée par un petit amas de cellules de segmentation à contour elliptique, taisant saillie dans la cavité blastodermique, simulant à la surface l'apparence d'une tache et que l'on appelle area germinativa, aire germinative, rudiment primitif du corps du mammifère. La partie de cet amas cellulaire qui en forme la limite vers le centre se développe bientôt active- ment; elle fournit une nouvelle couche qui s'étale à la face interne du blastoderme, et s'y dispose comme une seconde assise. Il y a donc alors deux couches ou deux feuillets comprenant entre eux au niveau de l'aire germinative une masse intermédiaire. Ces deux feuillets ont des caractères différents : on les appelle feuillet externe ou ectoderme, feuillet interne ou entoderme, ou encore êpiblaste et hypoblaste. Quant à la partie comprise entre les deux feuillets au niveau de l'aire germinative, c'est la masse intermédiaire ou mésoblaste. Chez les oiseaux, les reptiles, les plagiostomes et les céphalopodes, les insectes, les arachnides supérieurs, et les crustacés qui ont des œufs à vitellus nutritif volumi- neux, il y a segmentation partielle, portant seulement sur le vitellus primitif. Aussi ces œufs sont dits méro- blastiques ou à fractionnement partiel, par opposition aux œufs oloplastiques des mammifères ou à fractionne- nement total. Mais c'est là une différence sans impor- tance, car dans l'un comme dans l'autre cas le résultat 320 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA ME. premier du travail embryogénique est la formation de deux feuillets primaires. On trouve encore chez les animaux inférieurs le fractionnement total, la formation d'une masse fram- boisée ou monda et la constitution d'une poche à deux feuillets, munie d'une ouverture. Cette forme constitue le gastrula avec son entoderme et son ectoderme. C'est ce qui s'observe chez les éponges, les polypes et les vers. Il y a, comme on le voit, une certaine analogie dans la première phase du développement embryogénique chez tous les animaux. Plus lard, on trouve quatre feuillets ; cette multiplica- tion résulte, comme Ta montré Remak, du dédouble- ment du mésoblaste en une lame musculo- cutanée et une lame ftbro-intestinale. Quant à l'épiblaste ou ecto- derme, il prend le nom de feuillet corné ou cutané sensitif, ou sensoriel; l'hypoblaste ou feuillet interne est appelé intestino-glandulaire. Cette division en quatre feuillets, qui caractérise le second stade du développe- ment embryogénique, se rencontre chez tous les ver- tébrés et chez la plupart des invertébrés, sauf chez les derniers des zoophytes, les spongiaires où le travail se réduit à la division en deux feuillets primaires. Les cellules qui constituent chacun de ces feuillets et leur descendance ont dans la constitution de l'être un rôle particulier. Le feuillet corné ou seusitivo-cu- tané, encore appelé épiblaste, forme l'épidémie avec ses annexes (cheveux, ongles, glandes sudoripares et sébacées), et le système nerveux central, la moelle épinière. DÉVELOPPEMENT. 32J La lame musculo -cutanée du mésoblaste, ou méso- derme, forme le derme, les muscles, le squelette in- terne, os, cartilages, ligaments, c'est-à-dire le système musculaire et les systèmes conjonclifs. La lame fibre-intestinale du mésoblaste forme le cœur, les gros vaisseaux, les vaisseaux lymphatiques, le sang lui-même et la lymphe, c'est-à-dire le système vasculaire, plus le mésentère et les parties musculaires et fibreuses -de l'intestin. Le feuillet interne, hypoblaste ou hypoderme, ou feuillet in tes tino- glandulaire, fournit le revêtement épi— tbélial de l'intestin, les glandes intestinales, le poumon, le foie (voy. fîg. 40). Comment se disposent ces éléments, suivant quel dessin et quel plan? On peut répondre que ce dessin et ce plan sont ca- ractérisés dès le début, et que si ces éléments consti- tuent des matériaux de même nature et de même situa- tion, ils reçoivent au premier moment une destination architecturale distincte; ils servent à édifier un mo- nument d'un style particulier qui se révèle et peut se prédire sitôt qu'il commence à s'exécuter. Chez les vertébrés, dès ce moment le disque germi- nalif offre deux parties, une zone marginale opaque, area opaca, entourant une partie centrale claire, area oellucida, Les cellules les plus centrales des feuillets externe et moyen se multiplient dans Varec i pellucida . et forment une tache ovalaire plus brillante encore qui est le germe proprement dit, protosoma. Une gouttière, sillon primitif, divise bientôt ce germe en deux moitiés, CL. BERNARD. 21 322 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. et les bords do la gouttière s'épaississent de manière à constituer deux bourrelets saillants, grâce à la prolifé- ration des cellules du feuillet externe. Le contour du germe change dans le même temps, et, s' étranglant vers son milieu, prend la forme d'un corps de violon (voy. fig. 38). Pendant ce temps le feuillet moyen, méso- derme, s'épaissit et se comporte d'une manière diffé- rente dans sa partie centrale, dans sa partie périphérique et dans la région intermédiaire ; sa partie centrale, sous- jacente à la gouttière, se différencie et commence à s'organiser pour former le cylindre cellulaire appelé corde dorsale; la partie périphérique de ce mésoblaste se fissure pour constituer les deux lames musculo-cuta- née et fibro-intestinale qui tendent à s'écarter l'une de l'autre, laissant entre elles une fente, rudiment du cœlome ou cavité pleuro-péritonéale. Quant à la région intermédiaire de ce feuillet moyen, comprise entre la corde dorsale au centre, et la partie divisée à la péri- phérie, elle constitue de chaque côté une sorte de cordon appelé cordon vertébral primitif, d'où provien- dront les pièces des vertèbres. Les bourrelets dorsaux formés par le feuillet externe se rapprochent, s'affrontent, se ferment, et ainsi se trouve constitué un tube médullaire destiné à devenir la moelle épinière; celle-ci sera refoulée vers l'intérieur et enfermée dans le canal spinal qui l'entoure, en se constituant aux dépens des pièces vertébrales droites et gauches du feuillet moyen qui viendront se rejoindre sur la ligne médiane au-dessus et au-dessous, et lui formeront un étui. ÎYI'ES ËMBRY0GÉN1QUES. 323 Du côté du feuillet interne ou hypoblaste les choses se passent de même, mais plus tardivement. Réduit pendant longtemps à une seule couche cellulaire, ce feuillet montre bientôt dans l'axe du germe une dépres- sion en gouttière, dont les bords s'affrontent et consti- tuent finalement un tube complet, le tube intestinal. Ce n'est pas le lieu de suivre pas à pas le développe- ment de ces diverses parties. Il nous suffit d'en saisir le dessin général. Chez les vertébrés, le type se marque et se caractérise dès le début, en ce sens qu'il y a un sillon primitif au- dessous duquel le feuillet moyen resté indivis forme un cordon a.jtal, et les choses sont symétriques de part et d'autre. Cette division du germe en deux moitiés par une ligne primitive indique la direction que suivra le développement et l'embranchement auquel appartiendra l'animal. Les particularités distinctives des divers vertébrés, et d'une façon générale des divers groupes, n'apparaissent que graduellement et d'autant plus tardivement que les êtres adultes se ressembleront davantage. Hœckel a énoncé cette loi dans les termes suivants : « Plus deux animaux adultes se ressemblent par leur » structure générale, plus leur forme embryonnaire reste » longtemps identique, plus longtemps leurs embryons » se confondent ou ne se distinguent que par des carac- » tères secondaires. » Si nous voulons résumer les résultats précédents et les comprendre dans une formule générale, nous dirons après Baër : 324 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. « L'être vivant provient d'une cellule primitivement identique, l'œuf primordial; il s'édifie par formation progressive ou épigénèsk, par suite de la prolifération de cette cellule primitive qui forme des cellules nou- velles, qui se différencient de plus en plus et s'associent en cordons, en tubes, en lames, pour arriver à constituer les différents organes. Cette structure va se compliquant successivement, de manière que les formes se particu- larisent de plus en plus à mesure que le développement avance. C'est la forme la plus générale, celle de l'em- branchement qui se manifeste la première : puis celle de la classe, puis celle de l'ordre, et ainsi de suite jus- qu'à l'espèce. » Le développement suit donc des routes d'abord communes, puis divergentes, lorsqu'il doit aboutir à des formes différentes. La seule question en litige est de savoir à partir de quel point commence cette di- vergence, car, au premier moment, il n'y a aucune différenciation, et les stades originels semblent identi- ques. La plupart des embryologistes ont pensé que ce qu'il y a de commun dans un groupe animal est tou- jours développé dans l'embryon plus tôt que ce qu'il y a de spécial ; et, par conséquent, lorsqu'on imagine quatre types de structure, comme le faisaient Cuvier, Baër et Agassiz, il est naturel que l'on retrouve quatre types de développement ou d'évolution. Baër, en parti- culier, admettait quatre procédés embryologiques, qui se caractérisaient depuis une époque fort reculée du développement et qui conduisaient à leur forme parfaite les germes des animaux des quatre embranchements TYPES KMBRYOGÉNIQUES. 325 de Cuvier. Ce système était quelque peu prématuré et les observations embryologiques modernes en contre- disent bien des parties. Des quatre types primitifs admis par Baër, il y en a un, Xevolutio conforta^ qui a été ultérieurement rejeté; un autre, Yevolutio radiata, ne saurait plus être admis qu'avec d'expresses réserves. Néanmoins, et en l'absence de tout autre classement des procédés embryologiques, nous rappelons ici le système, si imparfait soit-il, de Baër; il offre tout au moins un intérêt historique et le cadre pour les systèmes nouveaux auxquels conduiront les observations si minutieuses des zoologistes modernes. Baër admettait donc quatre types de développement, de même que Cuvier admettait quatre types d'orga- nisation. Il les caractérisait par les noms suivants : 1° Evolutio bigemina; vertébrés. 2° Evolutio gemma; arthropodes. 3° Evolutio conforta; mollusques. 4° Evolutio radiata; rayonnes. 1° Le premier type, offert par les vertébrés, est le type à symétrie double. Baër employait pour en carac- tériser le développement la désignation d'evolutio bigemina. Plus tard, Kolliker, dans son Entwickelungs- geschichte (1er Cephalopoden (Zurich, 1844), acceptait le même type et la même désignation comme expri- mant en réalité le procédé de développement de ces vertébrés. L'embryon né d'une portion localisée de l'œuf frac- tionné {evolutio in unâ parte) se développe dans deux 326 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DH LA VIE. directions différentes, en présentant la symétrie bila- térale. Fie. 39. — Développement des vertébrés; type des mammifères (évolution symétrique double . — A, B, C, trois stades il'1 l'embryon du lapin. — 1), système nerveux. — E, bandelette axilc. — F, arca germinaliva. — G, vertèbres primitives. On voit ici ■ 1 iux axes de symétrie constitues, l'un par le système nerveux, l'autre par le système viscéral. (Hcusen et Kùlliker.) Le développement de l'embryon se fait par une double répétition de parties, repétition latérale et répé- tition de haut en bas : c'est-à-dire qu'il se produit des organes identiques qui partent des deux côtés d'un axe (corde dorsale), se projettent en haut et en bas (lames dorsales et lames ventrales), et s'affrontent le long de deux lignes parallèles, de telle sorte que le. feuillet interne du germe se ferme en dessous, et le feuillet externe en dessus; par là se trouvent constituées deux cavités allongées : l'une, cavité viscérale, qui loge et circonscrit le système des viscères ou système végé- tatif; l'autre, cavité médullaire, entourant et circonscri- TYPES EMBRYOGÉ.MQUES. 327 vaut la moelle épinière el le cerveau, organe rentrai de la vie animale. A Fie. 40. — Développement des vertébrés, évolution symétrique double (evolutio bige- mina de Bacr). — Type des poissons; A. B, G, trois stades de l'embryon de la torpille (Torpédo oculata); E, embryon; F, area germinativa ; G, système nerveux. — li, coupe d is feuillets embryonnaires; H, ecloderme formant la moelle primitive; I, mé- soderme; K, entoderme; au centre se voit la corde dorsale séparant les deux axes de développement. (Al. Schulz.) v2 Le second type d'organisation et d'évolution est offert par les articulés (voy. fig. 41). Il constitue X evolutio gemma de Baër et de Kolliker. 11 est caractérisé en ce que les lames dorsales demeurent ouvertes et se transforment en membres. Le développement produit ici des parties identiques émanant des deux côtés d'un axe et se refermant le long d'une ligne parallèle et opposée à l'axe. Ce type pour- rait encore être appelé type longitudinal. Il y a une seule cavité qui loge tous les viscères et le système ner- veux. Le canal intestinal, les troncs vasculaires et le 328 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. système nerveux s'étendent dans la longueur du corps qui présente deux extrémités. C'est entre ces deux ex- trémités, avant et arrière, que s'accuse l'opposition; elle se traduit moins clairement entre le dessus et le Fie. 41. — Développement des articulés; exemple d'évolution symétrique simple (evohitio gemma do Baé'r). — Œuf d'une arachnide (Agelena labyrinllrica) à divers degrés de développement. A B, de profil; C, de face. DE F, embryon symétrique par rapport à un seul axe de développement. (Balbiani.) dessous, car le système nerveux va d'un côté à l'autre du système digestif. Les parties appendiculaires ou subordonnées se pro- jettent latéralement, à gauche et à droite, ainsi que le montrent les figures que nous plaçons sous les yeux du lecteur (voy. fig. 41). 3° Le troisième type d'organisation et de développe- ment est le moins bien fondé des trois et celui qui doit subir les plus radicales transformations. C'est le type massif, caractérisé par le nom d'evolutio contorta, il exprime que le développement produit des parties T Y 1» ES I M li H Y 0 G K N I Q U ES . « ! 2 '. ! identiques courbées autour d'un espace, conique ou autrement disposé. L'appareil digestif est plus ou moins curviligne. L'étude plus complète du développement des mollusques a établi que l'enroulement offert par quel- ques-uns de ces animaux n'est pas un t'ait primitif, pas Fin. 4-2. — Développement des mollusques; évolution contournée (evolutio conlorta de Baër). Jeune embryon de g si ii'opode (Nassa mulabîlis) vu de profil : A, rein pri- mordial ; I!, pied ; C, anus, auquel aboutit la portion terminale du tuh ■ digestif qui com- mence derrière le pied, décrivanl ainsi primitivement une furie courbure plus qu'il n'est général. D'ailleurs, Kôlliker lui-môme, à une époque déjà ancienne (1844), a considéré les mollusques comme des êtres à évolution se faisant uniformément et indifféremment dans toutes les direc- tions, c'est-à-dire qu'il les a rangés dans le type de Yevolutio r'adiata. 4° Le quatrième type d'organisation et d'évolution est offert par le grand nombre des rayonnes. Il con- stitue le type périphérique, et se développe par le mode appelé evolutio radiata par Baër et Kôlliker. Tout le corps de l'embryon fait saillie à la fois {evolutio in om- nibus part/dus). Le développement se fait autour d'un centre et produit des parties identiques dans un ordre rayonnant, sur un plan transversal. C'est donc entre le centre et la périphérie que se fait le travail évolutif, et c'est entre ces deux régions qu'existe le contraste essen- 380 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. tiel. Au contraire, le contraste est moins marqué entre le dessus el le dessous parallèlement à l'axe longi- tudinal, ainsi qu'entre l'avant et l'arrière. En con- Fic. 43. — Développement des zooplvylcs; évolution rayonnée (évolutif) radiata de Baër). — A, B, C, trois stades de l'embryon d'une hydre (Hydra auranliaca). — a, entoderme ; — b, cctoderme; — c. enveloppe de l'œuf; — d, d', tentacules présentant d'emblée leur apparence radiée. (N. Kleinenberg.) séquence, le type évolutif se trouve être le rayonne- ment. HT . Origine et causes de la morphologie. — C'est surtout par l'élude du développement que l'on peut acquérir la notion de l'existence de lois qui règlent la constitution morphologique des êtres. On entrevoit dès les premiers moments un plan idéal qui se réalise degré par degré; on en saisit l'ébauche grossière d'abord, qui se perfectionne et se complète successivement. Le point de départ est identique en apparence : le terme est infi- niment diversifié et l'animal va de l'un à l'autre d'une façon régulière et invariable par un travail toujours le même dans sa complexité. Si l'on n'a que le point de départ, si l'on voit seule- DE I A MORPHOLOGIE. :!."! I ment l'ovule primordial, on ne sait rien de ce qui arri- vera; on ne peut prévoir si le résultat du travail forma- teur sera la création d'un zoophyte ou d'un vertébré, d'un mammifère, d'un homme. Il faut, pour prédire l'issue du travail, connaître l'ori- gine de ceprotovum. Si l'on sait d'où il sort, nu sait ce qu'il sera. Ainsi tout le travail morphologique est con- tenu dans l'état antérieur. Ce travail est une pure répé- tition : il n'a pas ses raisons à chaque instant dans une force actuellement active; il a ses raisons dans une force antérieure. Il n'y a point de morphologie sans prédécesseurs. Dans la réalité, nous n'assistons à la naissance d'au- cun être : nous ne voyons qu'une continuation pério- dique. La raison de cette création apparente n'est donc pas dans le présent, elle est dans le passé, ii l'origine. Nous ne saurions la trouver dans des causes secondes ou actuelles: il faudrait la chercher dans la cause première. L'être vivant est comme la planète qui décrit son orbe elliptique, en vertu d'une impulsion initiale; tous les phénomènes qui s'accomplissent à la surface de cette planète, comme les phénomènes vitaux dans l'orga- nisme, manifestent le jeu des forces physiques actuelle- ment présentes et actives; mais la cause qui lui a im- primé son impulsion initiale est en dehors de ses phénomènes actuels et liée seulement ta l'équilibre cos- mique général. Il faudrait changer le système planétaire tout entier pour la modifier; l'état de choses actuel est le résultat d'un équilibre auquel concourent toutes 332 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. les parties, et qui troublerait toutes les parties si lui- même était changé en un point. Cette comparaison s'applique à l'être vivant et à son évolution. La morphologie n'est pas plus liée à la ma- nifestation vitale actuelle que les phénomènes des agents physiques à la surface de la terre ne sont liés au mou- vement de notre planète sur le plan de l'éoliptique. C'est pourquoi nous séparons absolument la phénomé- nologie vitale, objet de la physiologie, de la morpholo- gie organique dont le naturaliste (zoologiste et botaniste) étudie les lois, mais qui nous échappe expérimentale- ment et qui n'est pas à notre portée. La loi morphologique n'a pas à chaque instant sa raison d'être : elle traduit une influence héréditaire ou antérieure dont nous ne saurions effacer l'influence, une action primitive qui est liée à un ensemble cosmique général que nous sommes impuissants à atteindre. 11 en résulte qu'en l'état actuel des choses la morphologie est fixée, et cela, bien entendu, quelle que soit l'idée que nous nous formions de l'évolution qui y a conduit. Que l'on soit Cuviériste ou Darwïniste, cela importe peu : ce sont deux façons différentes de comprendre l'histoire du passé et l'établissement du régime présent; cela ne peut fournir aucun moyen de régler l'avenir. On ne changera pas l'œuf du lapin et, lui faisant oublier l'impulsion primitive et ses états antérieurs, on n'en fera pas sortir un chien ou un autre mammifère. Les limites entre lesquelles la morphologie est fixée, si elles ne sont pas absolues (il n'y a rien d'absolu dans l'être vivant), sont au moins très-restreinles. Si l'on DE LA MORPHOLOGIE. 333 cherche à écarter un être de sa route, comme cela a lieu par la création des variétés artificielles, on sera obligé constamment de le maintenir dans la voie nou- velle. Les variétés tendent sans cesse à retourner à leur point de départ. Il ne faudrait pas voir dans cette tendance à revenir au départ une force particulière, mystérieuse, qui veil- lerait à la conservation des espèces. Si la chose a lieu ainsi, c'est que l'être est en quelque sorte emprisonné dans une série de conditions dont il ne peut sortir, parce qu'elles se répètent toujours les mêmes en dehors de lui et aussi en lui. Ainsi un Carnivore naissant avec des organes de Carnivore, il faut bien qu'il suive la direction que ses organes lui donnent. C'est antérieure- ment à la formation de ces organes, antérieurement à la vie adulte qu'il aurait fallu agir; mais cela est im- possible, parce que l'œuf a déjà en puissance l'état adulte, et que sa formation a lieu dans des conditions tellement déterminées qu'on ne peut pas changer sans amener la mort des êtres qu'on voudrait modifier. Il n'est donc pas étonnant que dans de pareilles circon- stances les espèces, les types se perpétuent et se con- servent, et qu'on ne puisse pas porter l'intervention expérimentale au delà de certaines limites. Dans un autre équilibre cosmique, la morphologie vitale serait autre. Je pense, en un mot, qu'il existe virtuellement dans la nature un nombre infini de formes vivantes que nous ne connaissons pas. Ces formes vivantes seraient en quelque sorte dormantes ou expectantes; elles apparaîtraient dès que leurs condi- 334 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA ME. lions d'existence viendraient à se manifester, et, une fois réalisées, elles se perpétueraient autant que leurs conditions d'existence et de succession se perpétueraient elles-mêmes. 11 en est ainsi des corps nouveaux que forment les chimistes; ils ne les créent pas, ils étaient virtuelle- ment possibles dans les lois de la nature. Seulement le chimiste réalise artificiellement les conditions exté- rieures ou cosmiques de leur existence. Les phénomènes de l'évolution s'exécutent, pour- rait-on dire, par suite d'une cause initiale donnée : leur apparition représente une série de consignes réglées d'avance qui en réalité s'exécutent isolément. Si vous voyez deux organes se développer successive- ment ou simultanément pour concourir en apparence à un but commun, vous pouvez croire que l'influence ou la présence de l'un a commandé logiquement la formation de l'autre; ce serait une erreur : les deux organes se sont développés aveuglément par suite d'une consigne qui peut parfois nous paraître complète- ment illogique, comme le sont d'ailleurs toutes les consignes quand on les considère clans leur applica- tion à des cas particuliers imprévus. Prenons un exemple : si l'on observe ie premier développement du poulet on voit le cœur se former dans la cica- tricule, et tout autour s'épanouir un système de vaisseaux, Xarea vascutosa, qui se relie au système circulatoire central de l'embryon. Il paraît bien na- turel de penser que le système vasculaire périphé- rique se forme parce (pie le cœur de l'embryon le MORPHOLOGIE ET PHYSIOLOGIE. 335 commande; il n'en est rien. Si vous empêchez l'em- bryon d'apparaître, X'area vasculosa ne se produit pas moins, quoique sa fonction soit devenue tout à l'ait inutile. Nous ferons à ce sujet une remarque générale qui sera développée ultérieurement dans des études plus spéciales. Les organes du corps, qui sont tous associés et harmonisés dans leur fonctionnement, ont leur déve- loppement autonome et indépendant. L'organisme re- présente sous ce rapport ce qui a lieu dans une fabrique de fusils, par exemple, où chaque ouvrier fait une pièce indépendamment d'un autre qui fait une autre pièce sans connaître l'ensemble auquel elles doivent con- courir. Il semble y avoir ensuite un ajusteur qui met toutes ces pièces enharmonie. Dans l'organisme animal, c'est le système nerveux qui est le grand harmonisa- leur fonctionnel chez l'adulte. Lorsque cet ajustement des organes dans l'embryon animal ou végétal se fait de travers, par une cause quelconque, il en résulte la mort de l'organisme ou des monstruosités, des malformations, comme on dit ordinairement. Nous voulons bien faire comprendre ce point essen- tiel que la morphologie doit être complètement distin- guée de l'activité physiologique des organes. Les lois morphologiques sont des lois que nous avons appelées dormantes ou expectantes, qui n'empêchent ni ne pro- duisent aucun phénomène vital, qui n'agissent pas et sur lesquelles on ne saurait agir. Le rôle actuel des organes n'est pas la cause qui a déterminé leur formation. M. Paul Janet, dans son .v536 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. traité philosophique des causes finales (1), a rassemblé tous les arguments pour démontrer que les choses sont arrangées, harmonisées en vue d'une fin déterminée. Nous sommes d'accord avec lui, car sans cette harmonie la vie serait impossible; mais ce n'est pas, pour le phy- siologiste, une raison de chercher l'explication de la morphologie dans des causes finales actuellement ac- tives. Ici comme toujours, l'ordre des causes finales se confond avec l'ordre des causes initiales ou premières. ■— Prenons encore un exemple. Imaginons que l'on suive le développement d'un être donné, d'un lapin. On verra successivement se constituer les différents organes. L'œil avec sa structure si particulière est organisé précisément afin de permettre au lapin de recevoir l'impression de la lumière et, suivant un partisan des causes finales, c'est ce but qui déterminera sa formation et qui prési- dera à sa constitution successive. C'est contre cet abus qu'il faut protester en physio- logie, La cause finale n'intervient point comme loi de nature actuelle et efficace. Ce lapin n'arrivera peut- être pas à terme, son œil lui sera inutile; il ne recevra jamais l'action de la lumière. Il en est de même dans le cas d'une poule sans mâle qui pond un œuf néces- sairement infécond. L'organe n'est pas fait dans la prévision de la fonction, car la cause finale serait singulièrement trompée. Ce serait une prévoyance bien aveugle que celle dont les calculs seraient si souvent déjoués. L'œil se fait chez le lapin parce qu'il s'est I) P. Janet, Les causes finales, 1876. [Bibliothèque de philosophie nporaine. I FINALITÉ PHYSIOLOGIQUE. 337 t'ait cliez ses antécédents et que la nature répèle éter- nellement sa consigne. Ce n'est point pour L'usage que celui-ci en tirera que la nature travaille. Elle refait ce qu'elle a fait; c'est là la loi. C'est doue seulement au début que l'on peut invoquer sa prévoyance : c'est à l'origine. Il faut remonter à la cause première. La cause finale est la conséquence de la cause première : suivant moi, elles se confondent l'une et l'autre dans un Inaccessible lointain. La raison qui fait que la poule couve ses œufs n'est pas actuellement de produire le développement du jeune animal. Donnez-lui un œuf de plâtre, elle le cou- vera également et elle poussera des cris si on le lui enlève. Elle couve en vertu d'une consigne que ses antécédents ont observée et non dans un but et par un mobile actuel. Nous n'admettons donc pas que les forces particu- lières qui travaillent continuellement dans un être vivant aient pour loi le salut de chaque être vivant; que ce soit pour cette utilité présente que le conduit biliaire coupé se reforme et que la fibre nerveuse sectionnée se répare et se cicatrise. C'est à tort, à notre avis, qu'on admettrait, dans l'homme comme dans les animaux, une force organique, agissant avec pleine conscience de ses actes, au mieux de ses intérêts. Aristote avait placé dans chaque organe un pouvoir spirituel [tyv/r\ Cçi-'iy.u), opérant en dehors du moi, ignoré de la conscience et agissant pourtant dans les circonstances diverses avec un parfait discernement. Alexandre de Humboldt n'a pas voulu décider si chaque acte orga- CL. BEK.NAHD. 22 338 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. nique ne supposait pas une force qui l'eut conçu au préalable d'une manière représentative. Pour nous la loi préalable n'existe qu'à l'origine, et tout ce qui est actuel en est le déroulement. En ramenant ainsi la cause finale à la cause pre- mière, le physiologiste l'écarté de son domaine, c'est- à-dire du champ de la science active pour la rattacher à la science spéculative, à la philosophie. La finalité n'est point une loi physiologique; ce n'est point une loi de la nature, comme le disent certains philosophes : c'est bien plutôt une loi rationnelle de l'esprit. Le phy- siologiste doit se garder de confondre le but avec la cause; le but conçu dans l'intelligence avec la cause efficiente qui est dans l'objet. « Les causes finales, sui- » vaut le mot de Spinoza, ne marquent point la nature » des choses, mais seulement la constitution de la fa- » culte d'imaginer. » Les philosophes qui font effort pour arracher du monde métaphysique le principe des causes finales et l'implanter clans le monde objectif de la nature se pla- cent à un tout autre point de vue que les hommes de science. Les philosophes partent de cette donnée, que tout ce qui est réel est rationnel et que tout ce qui se manifeste est intelligible. Les choses se passent, disent- ils, comme si la cause des phénomènes avait prévu l'effet qu'ils doivent amener. Cette cause est laite à l'image de celle que nous portons en nous, de la volonté qui préside à nos actions. « Ayant ainsi, en lui, le type de la cause finale, l'homme a été entraîné à la concevoir en dehors de lui, et comme il fait les choses par art ou FINALITÉ PHYSIOLOGIQUE. 339 industrie, il a imaginé que les choses de la nature étaient faites de même par art ou industrie »; c'est là ce qu'ex- prime le mot de Gœthe : la nature est un artiste. On a cru qu'une pensée conforme à celle de l'homme dirigeait vers un but tous les rouages qui fonctionnent dans l'être organisé, et subordonnait à un etfet futur détermine les phénomènes qui se succèdent isolément. De sorte que cet effet final en vue duquel tous les phénomènes se coor- donnent devient rétroactivement la cause directrice de ceux qui le précèdent. V acte futur qui apparaîtra comme un résultat serait un but toujours présent sous forme d'anticipation idéale dans la série des phénomènes qui le précèdent et le réalisent; il serait une cause finale. C'est là une conception essentiellement métaphysique que l'on peut accueillir à ce titre. Mais l'homme de science envisage seulement les causes ou les conditions efficientes et non, selon l'expression de M. Caro (1), leurs conditions intellectuelles. Il voit l'or- dre, le rapport des phénomènes, leur harmonie, leut consensus; il reconnaît leur enchaînement prédéter- miné. C'est là un fait, irrécusable. A la constatation de ce fait est borné le rôle de la science. M. Janet reconnaît lui-même à la science le droit de s'interdire toute autre recherche que celles qui ramènent des effets à leurs conditions ou causes prochaines. Sans doute ces causes physiques ou conditions ne suffisent pas à nous rendre compte des phénomènes, mais elles suffisent a nous en rendre maîtres. Que si l'on veut se rendre compte de la cause pre- (1) Caro, Journal des Savants, 1877. 340 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. raière de celte préordonnance vitale, ou sort de la science. Qu'il y ait là une intention intelligente et prévoyante, comme le veulent les finalistes, une condition d existence comme le veulent les positivistes, une volonté aveugle selon Schopenhauer, un instinct inconscient comme le dit Hartmann, c'est affaire de sentiment. La cause finale est une de ces interprétations adéquate à la nature de l'intelligence, imaginée pour arriver àla com- préhension des causes premières : c'est, selon M. Caro, une loi de la raison ou mieux la loi même essentielle de la raison humaine confondue avec la loi de causalité. Mais en limitant ainsi la Finalité dans le domaine métaphysique pour satisfaire aux exigences de la pensée, il faut encore n'en point faire abus. On peut, dans cet ordre d'idées, admettre comme physiologiste philosophe une sorte de finalité particulière, de Téléologie inlra- organique : le groupement des phénomènes vitaux en fonctions est l'expression de cette pensée. Mais alors, la cause finale, le but est cherché dans l'objet môme, et non en dehors de lui. Tout acte d'un organisme vivant a sa fin dans l'enceinte de cet organisme. Celui-ci forme en effet un microcosme, un petit monde où les choses sont faites les unes pour les autres, et dont on peut saisir la relation parce que l'on peut embrasser l'en- semble naturel de ces choses. Cette finalité particulière est seule absolue. Dans l'en- ceinte de l'individu vivant seulement, il y a des lois ab- solues prédéterminées. Là seulement on peut voir une intention qui s'exécute. Par exemple, le tube digestif de l'herbivore est tait pour digérer des principes alimen- FINALITÉ PHYSIOLOGIQUE. 341 taires qui se rencontrent dans les plantes. .Mais les plantes ne sont pas faites pour lui. Il n'y a qu'une né- cessité pour sa vie, nécessité qui sera obéie, c'est qu'il se nourrisse : le reste est contingent. Les rapports de l'animal avec la plante sont purement contingents et non plus nécessaires. La nature, pourrait-on dire, a fait les choses pour elles-mêmes, sans s'occuper du con- tingent. Elle ne condamne pas certains êtres à être dé- vorés par d'autres ; elle leur donne au contraire l'instinct de conservation, de prolifération, et des moyens de rési- stance pour échapper à la mort. En résumé, les lois de la finalité particulière sont rigoureuses, les lois de la finalité générale sont contingentes. La conception de finalités particulières peut être un adjuvant pour l'esprit, l'intelligence. Il faut au contraire rejeter toute finalité extra-orga- nique. Pour saisir le rapport de deux objets naturels du monde extérieur, il faudrait saisir ce monde extérieur tout entier, le macrocosme dans son ensemble. Ceci est impossible et le sera toujours comme la limite de la con- naissance humaine. Ajoutons, d'ailleurs, qu'en fait toutes les tentatives de ce genre n'ont abouti qu'à des conclu- sions ridicules ou tombant sous le coup des plus gravés reproches. Pour revenir au point de départ de cette discussion, la physiologie signale l'existence des lois morpho- logiques, mais elle ne les étudie point. Ces lois morpho- logiques dérivent de causes qui sont hors de notre portée : la physiologie ne conserve dans son domaine que ce qui est à notre portée, c'est-à-dire les conditions 342 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. phénoménales et les propriétés matérielles par lesquelles on peut atteindre les manifestations de la vie. L'étude des lois morphologiques constitue le domaine de la zoologie ou de la phytologie. Aristote considérait que, dans l'être vivant, ce qu'il y a de plus essentiel, c'est précisément cette forme qui lui est si profondément mprimée par une sorte d'héritage ancestral. La zoologie était donc pour lui l'étude de la vie même. Aujourd'hui nous séparons la physiologie de la zoologie, parce que nous séparons la phénoménologie vitale de la morpho- logie vitale. La morphologie vitale, nous ne pouvons guère que la contempler, puisque son facteur essentiel, l'hérédité, n'est pas un élément que nous ayons en notre pouvoir et dont nous soyons maître comme nous le sommes des conditions physiques des manifestations vitales : la phéno- ménologie vitale, au contraire, nous pouvons la diriger. A la vérité on peut considérer l'hérédité comme une condition expérimentale et l'employer, comme on fait en zootechnie, par les croisements et la sélection. On substitue ainsi des atavismes fugaces à l'atavisme fonda- mental; mais on met en œuvre, dans de telles expé- riences, une condition qui n'en reste pas moins obscure. C'est, nous le répétons, cette morphologie générale de l'être vivant avec les morphologies parti- culières et indépendantes de ses divers organes qui constituent le vrai terrain de la zoologie en tant que science distincte. En fixant ainsi son rôle, on fixe du même coup celui de la physiologie et la différence de ces deux branches des connaissances humaines. NEUVIEME LEÇON RÉSUMÉ DU COURS. Sommaire : I. Conception de la vie. — La vie n'est ni un principe ni une résultante ; elle est la conséquence d'un conflit entre l'organisme et le inonde extérieur. — Démonstration de cette proposition par divers déve- loppements. II. Conception des organisme? vivants. — La vie est indépendante d'une forme organique déterminée. — Loi de construction des organismes. — L'organisme est construit en vue des vies élémentaires. — Autonomie des vies élémentaires et leur subordination à l'ensemble. — Lois de différenciation et de division du travail. — Loi de perfectionnement organique. — Unité morphologique de l'organisme. — Démonstrations diverses. — Rédintégration, cicatrisation, etc. — Formes diverses des manifestations vitales. — Phénomènes vitaux. — Fonctions. — Pro- priétés. III. Conception de la science physiologique. — Physiologie générale et descriptive. — Physiologie comparée. — Problème de la physiologie : connaître les lois des phénomènes de la vie et agir sur l'apparition de ces phénomènes. — La physiologie est une science active. — Son prin- cipe est le déterminisme, comme celui de toutes les sciences expéri- mentales. I. Conception de la vie. — Nous soin mes arrivés maintenant au but que nous voulions atteindre; nous avons esquissé l'ensemble des phénomènes de la vie en les considérant dans leur plus grande généralité. Essayons de résumer les traits essentiels de ce tableau. Voyons d'abord quelle conception nous devons avoir de la vie. Nous avons établi, dès le premier pas, qu'il était illusoire de chercher à définir la vie, c'est-à-dire de prétendre en pénétrer l'essence, aussi bien qu'il est 344 LEÇONS SUR LKS PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. illusoire de chercher à saisir l'essence de quelque phé- nomène que ce soit, physique ou chimique. Les diverses tentatives qui se sont produites dans l'histoire de la science, dans le but de définir la vie, ont toutes abouti, nous le savons, à la considérer, soit comme un principe particulier, soit comme une résultante des forces géné- rales de la nature, c'est-à-dire aux deux conceptions, vitaliste ou matérialiste. — L'une et l'autre sont mal fondées; la première, la doctrine vitaliste, parce que, ainsi que nous l'avons établi, le prétendu principe vital ne serait capable de rien exécuter et conséquemment de rien expliquer par lui-même, et, au contraire, em- prunterait le ministère des agents généraux, physiques et chimiques. La doctrine matérialiste est tout aussi inexacte, en ce que les agents généraux de la nature physique capables de faire apparaître les phénomènes vitaux isolément n'en expliquent pas l'ordonnance, le consensus et l'enchaînement. En se plaçant au point de vue du jeu spécial des organismes, peut-être pourrait-on dire que les pro- priétés vitales sont à la fois résultante et principe. En effet, les facultés vitales supérieures, l'irritabilité, la sensibilité, l'intelligence, pourraient être considérées comme les résultats des phénomènes physico-chimi- ques de la nutrition; mais il faudrait aussi admettre que ces facultés deviennent les formes ou les principes de direction et de manifestation de tous les phénomènes de l'organisme de quelque nature qu'ils soient. Toutefois, en considérant la question d'une manière absolue, on doit dire que la vie n'est ni un principe ni CONFLIT VITAL. 345 une résultante. Elle n'est pas un principe, parce que ce principe, en quelque sorte dormant ou expectant, serait incapable d'agir par lui-même. La vie n'est pas non plus une résultante, parce que les conditions physico- chimiques qui président à sa manifestation ne sauraient lui imprimer aucune direction, aucune forme déter- minée. Aucun de ces deux facteurs, pas plus le principe direc- teur des phénomènes que l'ensemble des conditions ma- térielles de manifestation, ne peut isolément expliquer la vie. Leur réunion est nécessaire. Par conséquent, pour nous, la vie est un conflit. Ses manifestations résultent d'une relation étroite et harmonique entre les conditions et la constitution de l'organisme. Tels sont les deux fac- teurs qui se trouvent en présence et pour ainsi dire en collaboration dans chaque acte vital. Ces deux fac- teurs sont, en d'autres termes : 1° Les conditions physico-chimiques déterminées, ex- térieures, qui gouvernent l'apparition des phénomènes; 2° Des conditions organiques ou lois préétablies qui règlent la succession, le concert, l'harmonie de ces phénomènes. Ces conditions organiques ou morpho- logiques dérivent par atavisme des êtres antérieurs et forment comme l'héritage qu'ils ont transmis au monde vivant actuel. Nous avons démontré la nécessité du conflit ou de la collaboration de ces deux ordres d'éléments, en exami- nant les trois formes que présente la vie (Leçon II). Sui- vant la liaison plus ou moins étroite des conditions orga- niques aux conditions physico-chimiques on distingue : 346 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. la vie latente, la vie oscillante, la vie constante. Dans la vie latente, l'organisme est dominé par les conditions physi- co-chimiques extérieures, au point que toute manifesta- tion vitale peut être arrêtée par elles. — Dans la vie oscil- lante, si l'être vivant n'est pas aussi absolument soumis à ces conditions, il y reste néanmoins tellement enchaîné qu'il en subit toutes les variations; actif et vivace, quand ces conditions sont favorables, inerte et engourdi, quand elles sont défavorables. Dans la vie constante, l'être paraît libre, affranchi des conditions cosmiques extérieures, et les manifestations vitales semblent n'être tributaires que de conditions intérieures. Cette appa- rence, ainsi que nous l'avons vu, n'est qu'une illusion, et c'est particulièrement dans le mécanisme de la vie constante ou libre que les relations étroites des deux ordres de conditions se montrent de la manière la plus caractéristique. La vie étant, pour nous, le résultat d'un conflit entre le monde extérieur et l'organisme, nous devons écarter toutes les conceptions vagues dans lesquelles elle serait considérée comme un principe essentiel. Il nous reste seulement à déterminer les conditions et à donner les caractères du conflit vital d'une manière générale. Le conflit vital engendre deux ordres de phénomènes, que nous avons appelés : Phénomènes de création organique, Phénomènes de destruction organique. Cette division, que nous avons proposée, doit, sui- vant nous, servir de base à la physiologie générale. DEUX TYPES D ACTIONS VITALES. ".\\1 Tout ce qui se passe dans 1 être vivant se rapporte soit à l'un soit à l'autre de ces types, et la vie est carac- térisée par la réunion et l'enchaînement de ces deux ordres de phénomènes. Cette division est conforme à la véritable nature des choses et fondée uniquement sur les propriétés univer- selles de la matière vivante, abstraction faite de la complication morphologique des êtres, c'est-à-dire des moules spécifiques dans lesquels cette matière est entrée. Il y a quatre-vingts ans, Lavoisier avait eu l'intuition de ces deux faces sous lesquelles peut se présenter l'ac- tivité vitale et de la classification simple et féconde qui en résulte pour les phénomènes de la vie. Il avait en- trevu que la physiologie devait tendre, comme but pra- tique, à fixer les conditions et les circonstances de ces deux ordres d'actes, l'organisation et la désorganisation. 1° Les phénomènes de désorganisation ou de destruc- tion organique correspondent aux phénomènes fonc- tionnels de l'être vivant. Quand une partie fonctionne, muscles, glandes, nerfs, cerveau, la substance de ces organes se consume, l'or- gane se détruit. Cette destruction est un phénomène physico-chimique, le plus souvent le résultat d'une combustion, d'une fermentation, d'une putréfaction. Au fond, c'est une véritable mort de l'organe. Elle correspond aux manifestations fonctionnelles qui écla- tent aux yeux, manifestations par lesquelles nous con- naissons la vie et par lesquelles, à la suite d'une illusion, nous sommes amenés à la caractériser. 2° Tes phénomènes de création organique ou tforga- 348 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. nisation sont les actes plastiques qui s'accomplissent dans les organes au repos et les régénèrent. La synthèse assimilatrice rassemble les matériaux et les réserves que le fonctionnement doit dépenser. C'est un travail inté- rieur, silencieux, caché, sans expression phénoménale évidente. On pourrait dire que de ces deux ordres de phéno- mènes, ceux de création organique sont les plus parti- culiers, les plus spéciaux à l'être vivant; ils n'ont pas d'analogues en dehors de l'organisme. Aussi, les phé- nomènes que nous rassemblons sous ce titre de création organique sont-ils précisément ceux qui caractérisent le plus complètement la vie. Nous rappellerons encore que ces deux ordres de phé- nomènes ne sont divisibles et séparables que pour l'es- prit; dans la nature, ils sont étroitement unis; ils se produisent, chez tout être vivant, dans un enchaînement qu'on ne saurait rompre. Les deux opérations de des- truction et de rénovation, inverses l'une de l'autre, sont absolument connexes et inséparables, en ce sens que la destruction est la condition nécessaire de la rénovation ; les actes de destruction sont les précurseurs et les instiga- teurs de ceux par lesquels les parties se rétablissent et renaissent, c'est-à-dire de ceux de la rénovation orga- nique. Celui des deux types de phénomènes qui est pour ainsi dire le plus vital, le phénomène de création orga- nique, est donc en quelque sorte subordonné à l'autre, au phénomène physico-chimique de la destruction. Nous en avons eu la preuve en étudiant la vie latente (Leçon II); nous avons vu que chez les êtres plongés dans cet état DIVISION DE LA PHYSIOLOGIE. 349 d'inertie absolue, le réveil ou reviviscence débute par le rétablissement primitif des actes de lu destruction vitale. L'animal ou la plante en renaissant, pour ainsi dire, commence par détruire son organisme, par en dépenser les matériaux préalablement mis eu réserve. La vie créatrice ne se montre qu'en second lieu, et elle ne se manifeste qu'au sein de la mort ou des produits •de la destruction. C'est précisément parce que le phénomène plastique ou synthétique est subordonné au phénomène fonc- tionnel ou de destruction, que nous avons un moyen indirect de l'atteindre expérimentalement en agissant sur ce dernier. La subordination n'existe, bien entendu, que daus l'exécution, car, considérés dans leur impor- tance relative, ceux qui commandent les autres et les provoquent sont précisément les moins essentiels, les moins vitaux. La distinction que nous avons établie entre les phé- nomènes de la vie fournit une division naturelle de la physiologie qui doit se proposer successivement l'étude des phénomènes de destruction, puis celle des phéno- mènes de création. En physiologie générale cette division, seule légitime, doit être substituée, ainsi que nous l'avons longuement établi (Leçon III). à la division eu phénomènes animaux et phénomènes végétaux que l'on a pendant longtemps opposés les uns aux autres. La séparation des êtres de la nature en deux règnes ne peut être fondée que sur les différences morphologiques des phénomènes, mais non sur leur nature essentielle. Tous les êtres vivants, sans 350 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. exception, depuis le plus compliqué des animaux jusqu'à l'organisme végétal le plus simple, nous présentent les deux ordres de phénomènes de destruction et d'orga- nisation avec les mêmes caractères généraux. Ces deux ordres de phénomènes peuvent être étu- diés isolément, et c'est de cette étude que nous avons tracé le plan et les linéaments généraux. Dans la Leçon IV, nous nous sommes occupés des phénomènes de la des- truction organique que nous avons ramenés à trois types, à savoir : la fermentation, la combustion, la putré- faction. Quant à la création organique elle est, pour ainsi dire, à deux degrés. Elle comprend : la synthèse chi- mique ou formation des principes immédiats de la substance vivante, en un mot la constitution du proto- plasma; et en second lieu, la synthèse morphologique qui réunit ces principes dans un moule particulier, sous une forme ou une figure déterminée, qui sont la figure ou le dessin spécifique des différents êtres, ani- maux et végétaux. Mais cette dernière synthèse répond aux formes en quelque sorte accessoires des phénomènes de la vie; elle n'est pas absolument nécessaire à ses manifestations essentielles. La vie n'est point liée à une forme fixe, déterminée ; elle peut exister réduite à la destruction et à la synthèse chimique d'un subslratum, qui est la base physique de la vie, ou le protoplasma. La notion mor- phologique est donc, comme nous l'avons établi dans la Leçon Y, une complication de la notion vitale. A son degré le plus simple (réalisé isolément d'ailleurs dans la SUBSTRÀTUM VITAL; PIlOTOPLASMA. 351 nature, ou non), dépouillée des accessoires qui la mas- quent dans la plupart des êtres, la vie, contrairement à la pensée d'Aristote, est indépendante de toute forme spécifique. Elle réside dans une substance définie par sa composition et non par sa figure, le protoplasma. Après avoir indiqué les notions que l'on possédait sur cette substance, nous nous sommes occupés du pro- blème de sa création ou synthèse formative. C'est cette vie sans formes caractéristiques propre- ment dites, dont les mécanismes, les propriétés et les conditions sont communs à tous les êtres; c'est elle qui constitue le véritable domaine de la physiologie générale. Les rouages de tout organisme vivant nous représentent seulement les variétés d'aspect d'une substance uni- que, dépositaire de la vie, identique dans les animaux et les plantes, le protoplasma. — C'est là que sont localisés les deux types des manifestations vitales, la destruction d'une part, d'autre part l'organisation ou la synthèse créatrice. Dans la VIe Leçon, nous avons tracé le tableau de nos connaissances, relativement au rôle synthétique du protoplasma, et par là nous avons ter- miné le conspectus rapide de la vie considérée dans ce qu'elle a d'universel, c'est-à-dire tracé le plan de la physiologie générale. En résumé, le protoplasma est la base organique de la vie. C'est entre le monde extérieur et lui que se passe le conflit vital qui, pour nous, la caractérise et que nous devons étudier et maîtriser. Mais le protoplasma, si élé- mentaire qu'il soit, n'est pas encore une substance pu- rement chimique, un simple principe immédiat de la 352 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA. VIE. chimie : il a une origine qui nous échappe ; il est la continuation du protoplasma d'un ancêtre. Nous ne pouvons agir sur les manifestations de celte vie générale, attribut du protoplasma, qu'en réglant les agents physico-chimiques qui entrent en conflit avec le protoplasma préexistant. La détermination exacte de ces conditions matérielles est ce que nous avons appelé le déterminisme physiologique , qui est en réalité le seul prin- cipe absolu de la science physiologique expérimentale. Telle est la conception qui nous permet de com- prendre et d'analyser les phénomènes des êtres vivant?, et nous donne la possibilité d'agir sur eux. 0 II. Conception des organismes vivants. — Nous avons distingué, dans l'être vivant, la matière et la forme. L'étude des êtres complexes nous montre que le conflit vital y est au fond toujours identique, aussi la physiologie comparée est en définitive l'étude des formes superfi- cielles, en quelque sorte, de la vie, tandis que la physio- logie générale comprend l'étude de ses condition sfonda- mentales. La matière vivante, indépendante de toute forme, amorphe, ou plutôt monomorphe, c'est le protoplasma. En lui résident les propriétés essentielles, V irritabilité, point de départ et forme rudimentaire de la sensibilité, et la faculté de synthèse chimique qui assimile les sub- stances ambiantes et crée les produits organiques, en un mot tous les attributs dont les manifestations vitales, chez les êtres supérieurs, ne sont que des expressions diversifiées et des modalités particulières. Lui DE CONSTRUCTION lus ORGANISMES. 353 Toutefois, le protoplasma n'est pas encore un être vivant: il lui manque la forme qui caractérise l'être dé- fini : il est la matière de l'être vivant idéal, ou V agent de la vie; il nous présente la vie à fêtât de nudité, dans ce qu'elle a d'universel et de persistant à travers ses variétés de formes. La forme, qui caractérise l'être, n'est pas une consé- quence tle la nature du protoplasma. Ce n'est point par une propriété de celui-ci que peut s'expliquer la mor- phologie de l'animal ou de la plante. La forme et la matière sont indépendantes, distinctes; et il faut, ainsi que nous l'avons dit (Leçon VIII), séparer la synthèse chimique, qui crée le protoplasma, de la synthèse mor- phologique qui le façonne et le modèle. Mais cette indépendance est dominée parles exigences du conflit vital qui doivent toujours être respectées. Il y a, h ce point de vue, une relation nécessaire entre la sub- stance et la forme des êtres vivants, et cette rela- tion est exprimée par ce que nous appelons la loi de construction des organismes. La structure de ces édi- fices complexes, qui sont les espèces animales ou végé- tales, dépend d'une façon générale des conditions d'être de la matière vivante ou protoplasma. Ces conditions du fonctionnement protoplasmique entrent en ligne de compte dans la loi morphologique qui les respecte et les utilise, en sorte que, d'une certaine manière, la mor- phologie est subordonnée aux conditions vitales élémen- taires du protoplasma c'est-à-dire à la vie élémentaire. Cette subordination est précisément exprimée dans la loi de construction des organismes qui s'énonce ainsi : CL. BEIiNAItD. 23 354 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE. L'organisme est construit en vue de la vie élémen- aire. Ses fonctions correspondent fondamentalement à la réalisation en nature et en degré des quatre condi- tions de cette vie, humidité, chaleur, oxygène, réserves. La plus simple des formes sous lesquelles la matière vivante se puisse présenter est la cellule. La cellule est déjà un organisme : cet organisme peut être à lui seul un être distinct (voy. Leçon VIII) ; elle peut être l'élément individuel dont l'animal ou la plante sont une société. Qu'elle soit un être indépendant, ou un élément anato- mique des êtres supérieurs, la cellule est clone la forme vivante la plus simple; elle nous offre le premier degré de la complication morphologique et Ton peut dire que c'est à cet état que le protoplasma est mis en œuvre pour constituer les êtres complexes. Nous avons parlé longuement de l'origine de celte formation cellulaire, en traitant de la morphologie géné- rale, dans la leçon précédente. On la trouve pourvue, à un degré plus élevé, de toutes les propriétés vitales qui se rencontraient déjà dans le protoplasma, à savoir : mouvement, sensibilité, nutrition, reproduction. Lufonnehù constitue un caractère nouveau. La forme traduit une influence héréditaire ou atavique, dont l'exis- tence, déjà appréciable pour le proloplasma, deviendra tout à fait éclatante dans les organismes supérieurs. Nous avons dit que le protoplasma lui-même est une sub- stance atavique, que nous ne voyons pas naître, mais que nous voyons simplement continuer (Leçon VI). — Dans la cellule se traduit encore plus celte influence ORGANISMES COMPLEXES, :!.V> héréditaire, et cependant elle y est moindre que nous n allons la retrouver à mesure que nous envisagerons des animaux plus compliqués. En effet, la forme est moins fixée dans la descendance d'une cellule que la forme de l'être complexe dans la descendance de cet être : il y a un certain polymorphisme cellulaire, une certaine variabilité des espèces cellulaires, et l'histoire de rhislogénie et du développement embryogénique nous offre plus d'un exemple de ces transformations ou de ces passages des formes cellulaires les unes dans les autres. Les observations de Vôchting sur le bouturage des plantes fournissent encore un cas frappant de ce poly- morphisme, en montrant qu'une cellule ou un groupe cellulaire de la zone génératrice peut, suivant des cir- constances qui sont entièrement clans les mains de l'ex- périmentateur, fournir tantôt le tissu d'une racine tantôt celui d'un bourgeon. L'empreinte héréditaire est d'au- tant plus profondément incrustée qu'elle s'applique à un être plus complexe, comme si cette complexité était la preuve d'une plus ancienne origine ou d'une série d'actes plus souvent répétés et ayant, par cela même, d'autant plus de tendance à se répéter de nouveau. Voyons maintenant les êtres ks plus élevés. L'organisme complexe est un agrégat de cellules ou d'organismes élémentaires, dans lequel les conditions de la vie de chaque élément sont respectées et dans lequel li1 fonctionnement de chacun esl cependant su- ■ordonné à l'ensemble. Il y a donc a la l'ois 77 différents. On ne peut plus conclure légitimement, quand il s'agit de comparer les troubles qui résultent de la rupture de ces mécanismes, mais on peut conclure, au contraire, à l'identité du nerf (fui les anime. En un mot. il faut bien distinguer les propriétés qui appartiennent aux éléments et qu'enseigne la physio- logie générale, et les fonctions qui appartiennent aux mécanismes et qu'enseigne la physiologie descriptive et comparée. On peut généraliser pour ce qui lient aux propriétés, on ne le peut qu'après examen et condi- tionnellement pour ce qui concerne les fonctions. La physiologie doit se proposer le même problème que toutes les sciences expérimentales. La science a pour but déflnitif Y action. Descartes l'a déjà dit : «Connaissant la force et les » actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, descieux » et de tous les autres corps qui nous environnent... » nous les pourrions employer à tous les usages auxquels » ils sont propres, et ainsi nous rendre maîtres et pos- » sesseurscle la nature. » La conception cartésienne de l'organisation vitale permettait d'étendre cette domination jusque sur les phénomènes vitaux, puisque ceux-ci obéissaient aux forces physiques : « Je m'assure, dit Descartes, que (en » connaissant mieux la médecine) on se pourrait » exempter d'une infinité de maladies, tant du corps que » de l'esprit, et même aussi peut-être de l'afFaiblisse- » ment de la vieillesse. » Le but de toute science, tant des êtres vivants que 378 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LÀ VIE. des corps bruts peut se caractériser eu deux mots : prévoir et agir. Voilà en définitive pourquoi l'homme s'acharne à la recherche pénible des vérités scienti- fiques. Quand il se trouve en présence de la nature, il obéit ta la loi de son intelligence en cherchant à prévoir ou a maîtriser les phénomènes qui éclatent autour de lui La prévision et Yaction, voilà ce qui caractérise l'homme devant la nature. Par les sciences physico-chimiques, l'homme marche à la conquête de la nature brute, de la nature morte : toutes les sciences terrestres dont l'objet peut être atteint ne sont pas autre chose que l'exercice rationnel de la domination de l'homme sur le monde. En est-il de la physiologie comme de ces autres sciences? La science qui étudie les phénomènes de la vie peut-elle prétendre à les maîtriser? Se propose-t-elle de subjuguer la nature vivante comme a été soumise la nature morte ? Nous n'hésitons pas à répondre affirma- tivement (1). La physiologie doit donc être une science active et conquérante à la manière de la physique et de la chimie. Or, comment peut-on agir sur les phénomènes de la vie? Arrivés au terme de notre étude, nous voici de nou- veau en face du problème physiologique, tel que nous l'avons posé en commençant. Les phénomènes de la vie sont représentés par deux facteurs : les lois prédéter- (1) Voy. mon Rapport sur la pligsiulogie générale, 1867; et les Pro- lili'ines de la Physiologie générale in la Science expérimentale. Paris, 1878. PRÉVISION, ACTION. 879 minées qui les fixent dans leur forme, les conditions physico-chimiques qui les font apparaître. En un mot, le phénomène vital est préétabli dans sa forme, non dans son apparition. Nous devons donc comprendre que ces phénomènes de la vie ne peuvent être atteints c[ue dans les conditions matérielles qui les manifestent, mais qui n'en sont pas réellement la cause. Nous n'avons pas à nous préoccuper des causes fi- nales, c'est-à-dire du but intentionnel de la nature. La nature est intentionnelle dans son but, mais aveugle dans l'exécution. — Nous agissons sur le côté exécutif des choses en nous adressant aux conditions matérielles : on pourrait dire que nous sommes simplement les met- teurs en scène de la nature. Quant aux lois, nous les pouvons connaître : l'obser- vation nous les révèle ; mais nous sommes impuissants à les modifier. La prévision est rendue possible par la connaissance des lois; les sciences d'observation ne peuvent pas aller au delà. V action, qui appartient aux sciences expérimentales, est rendue possible par le déterminisme des conditions physico-chimiques qui font apparaître les phénomènes de la vie. En résumé, le déterminisme reste le grand principe de la science physiologique. Il n'y a pas, sous ce rap- port, de différence entre les sciences des corps bruts et les sciences des corps vivants. FI N. EXPLICATION DE LA PLANCHE. Fie. 1. — A. Stentor polymorplms, rempli de granulations chlorophyl liennes. a, bouche. a', noyaux. a", pédicule. 15. Grain de chlorophylle du Stentor polymorphus isolé. b, grains entiers. c, c, grains en voie de division. (1, d, division en trois ou quatre parties. Fig. 2. — - A. Cellule végétale, renfermant de la chlorophylle. a', noyau de la cellule. B. Grains isolés de la cellule végétale. b, grain entier. c, grain en voie de division. d, grain presque complètement divisé. Fig 3. — A. Amibes ayant englobé des corpuscules verts. P. Corpuscule lymphatique du Lumbricus agricola ayant englobé les mêmes corpuscules verts. Fig. à. — Zygnema. A. Zygospore provenant de la fusion du contenu de deux ad Iules : mâle o* c't femelle O. Fig. 5. — Pawlorina morum. \ , zoospore isolé. 2, 3, 4, phases de la conjugaison de deux zoospores. 5, oospore. Fig. 6. — Spirogyra. Passage du proloplasma de la cellule mâle (f dans la ce! Iule femelle £. CIA1 DI BERHARD PHEHOMKHES DE 1 \ MK R 380. F,,, 6 Mg.6 Libnzvif . 1. B.fi Il est clair que cette réserve sur le fait de la germi- nation des graines des tombeaux égyptiens ne touche pas à tous les autres exemples bien constatés de conser- (1) Cette note est le développement aussi fidèle que possible d'idées sou- vent exprimées par Claude Bernard dans ses conversations et qu'il se pro- posait de reproduire dans l'appendice. (Dastre.) (2) Voy. p. 74. APPENDICE. i'.M vation dos graines, et ne modifie en quoi que ce suit la conclusion que nous en avons tirée. IV (1) La première substance engendrée sous l'influence de la vie qui ait été reproduite artificiellement est Y urée. Wôbler l'obtint en maintenant pendant quelques in- stants en ébullition une solution de cyanate d'ammo- niaque. La transformation de ce sel en urée se produit par un simple jeu d'isomérie. On lui a plus tard donné naissance par l'action réci- proque du gaz cliloroxycarbonique et de l'ammoniaque. Cette dernière réaction établit la véritable constitution de l'urée, en démontrant que cette substance est l'amide de l'acide carbonique. Piria reproduisit ensuite l'hydrure de salicyle (essence de reine des prés) par l'oxydation de la salicine. Postérieurement, Perkins, en faisant réagir un mé- lange de chlorure d'acétyle et d'acétate de soude sur cet hydrure de salicyle, en a déterminé la conversion en cownarine, principe cristal lisable que l'on rencontre dans les fèves de Tonka. Piria a donné naissance à l'hydrure de benzoïle (essence d'amandes amères) par la distillation d'un mé- lange de benzoate et de formiate de chaux. Cahours a formé un produit entièrement identique à l'huile de Gaultheria procumbetis, essence douée d'une odeur très-suave, élaborée par une plante de la famille (1) Voy. VIe leçon, p. 205. 392 APPENDICE. des Bruyères qui croît à la Nouvelle-Jersey ; cette es- sence n'est autre chose que le salicylate de méthyle. L'acide salieylique a é!é reproduit en 1872 par Kolbe, en faisant réagir le gaz carbonique dans des conditions particulières de température sur le phénol sodique (phénate de soude) complètement sec. Dessaignes a refait de l'acide hippurique par l'action du chlorure de benzoïle sur le glycocolle zincique. Berthelot a opéré la synthèse de l'acide formique ou, pour mieux dire, du formiate de potasse ou de soude, par l'union directe de l'oxyde de carbone et de ces al- calis. Il se produit, dans ces circonstances, un formiate dont on isole l'acide formique par l'intervention d'un acide minéral plus fixe. Perkins et Duppa, d'un côté, Schmitt et Kekulé, d'autre part, ont reproduit les acides malique et tar- trique qu'on rencontre dans un grand nombre de fruits acides en faisant agir la potasse sur les acides succi- niques mono et di-bromés. On n'a pu jusqu'à présent réaliser d'une manière directe la synthèse d'aucune substance organique au moyen de ses éléments constituants. On n'a pu produire jusqu'ici que des synthèses indirectes. C'est ainsi que le carbone et l'hydrogène libres, se combinant, comme l'a démontré Berthelot, sous l'influence de l'arc électri- que, donnent de l'acétylène C'H2 : celui-ci, en fixant de l'hydrogène, engendre l'éthylène C'H'', lequel, en fixant de l'eau, donne naissance à l'alcool. La synthèse de l'alcool, produit organique, est donc un exemple de ces synthèses indirectes dont nous parlons. APPENDICE. 393 V FIXATION DE L AZOTE SUR LES COMPOSÉS ORGANIQUES Par M. Berthelot (1). Les expériences de M. Berthelot (•>) tendent à établir que, dans des conditions comparables aux conditions atmosphériques habituelles, il peut y avoir fixation de l'azote de l'air sur des composés organiques ternaires, tels que la cellulose et l'amidon. L'électricité atmo- sphérique agissant par les différences de tension qui se manifestent à une petite distance du sol , pourrait faire pénétrer l'azote dans des principes végétaux hydrocarbonés. L'induction (mais non encore vérifiée) que permettraient ces recherches, c'est que l'influence des agents cosmiques serait capable de transformer en combinaisons azotées les substances ternaires. Un tel phénomène projetterait une vive lumière sur le pro- blème des synthèses organiques. Quoi qu'il en soit de ces inductions lointaines, voici les résultats précis des remarquables expériences de M. Berthelot, Pour provoquer des différences de tension électrique soutenues dans un espace déterminé, M. Berthelot em- ploie un appareil composé de deux cloches en verre mince, l'une recouvrant l'autre, de manière à laisser un intervalle ou chambre dans laquelle on place les substances que l'on veut étudier. La cloche intérieure (1) Note relative à la page 205. (2) Annales de chimie et de physique. Décembre 1877. 894 APPENDICE. est recouverte à sa face interne d'une feuille d'étain, constituant l'armature positive du condensateur , la cloche extérieure est revêtue à sa face externe d'une autre feuille d'étain constituant l'armature négative. Le système repose sur une plaque de verre vernie à la gomme laque. On fait en sorte que les deux cloches soient d'ailleurs aussi rapprochées que possible. La surface extérieure de la petite cloche est recou- verte dans sa moitié supérieure d'une feuille de papier Berzélius, pesée à l'avance et mouillée avec de l'eau pure. L'autre moitié de la même surface a été enduite d'une couche d'une solution sirupeuse, titrée et pesée, de dextriue, clans des conditions qui permettaient de connaître exactement le poids de la dextriue sèche em- ployée. Le système tout entier des cloches a été mis à l'abri de la poussière sous un récipient de verre. Les choses étant ainsi disposées, l'armature interne de la petite cloche est mise en communication avec le pôle positif d'une pile formée de cinq couples Léclanché disposés en tension ; l'armature externe de la grande cloche est mise en rapport avec le pôle négatif. Entre les deux armatures, la différence de tension était ainsi maintenue constante. Ces différences de tension sont absolument comparables à celles de l'électricité atmo- sphérique agissant à de petites distances du sol. Avant l'expérience, l'azote a été dosé dans les deux substances. On a trouvé : Papier 0.10 Dextrine 0.17 APPENDICE. ,195 Après que l'expérience s'est prolongée sept mois, le dosage donne : Papier 0.45 Dextrine 1.92 Il y a fixation d'azote. L'intervalle des deux cylindres, et par conséquent la valeur du potentiel, a une influence sur le phénomène, car la distance des deux cloches étant triple, après sept mois, toutes choses égales d'ail- leurs, M. Berlhelot a trouvé, comme quantité d'azote: Papier 0.30 Dextrine 1.14 La fixation de l'azote sur les principes immédiats, cellulose, amidon., est ainsi mise hors de doute. La lumière n'est pour rien dans le phénomène ; les choses se passent de môme dans l'obscurité absolue. Les essais de M. Berthelot en vue de provoquer des réactions chimiques différentes de celles-là avec la même différence du potentiel n'ont pas réussi. VI (1) L'existence du Batkybius a été contestée et à donné lieu, dans ces dernières années, à une controverse qui n'est pas terminée. Les naturalistes de la seconde expé- dition du Challenf/er ont considéré cette matière comme un précipité gélatineux de sulfate de chaux ; des re- cherches plus récentes contestent cette opinion. Nous n'avons pas a prendre parti dans cette querelle. En dehors du Bathybhts , il y a déjà assez d'êtres (1) Note pour la page 189 et la page 299. 396 APPENDICE. prottiplasmiques bien connus pour que l'existence ou la non-existence de celui ci puisse apporter aucun chan- gement dans nos conclusions. Ml Après l'exposé qui précède, est-il possible de nous rattacher à un système philosophique? On pourrait être tenté de nous comprendre parmi les matérialistes ou physico-chimistes. Nous ne leur appartenons point. Car, envisageant l'état actuel des choses, nous admet- tons une modalité spéciale dans les phénomènes physico- chimiques de l'organisme. — Sommes-nous parmi les vitalistes? Non encore, car nous n'admettons aucune force executive en dehors des forces physico-chimiques. — Sommes-nous donc enfin des expérimentateurs empi- riques, qui croyons, avec Magendie, que le fait se suffit et que l'expérimentation n'a pas besoin d'une doctrine pour se diriger? Pas davantage; nous trouvons, au con- traire, qu'il est nécessaire, surtout aujourd'hui, d'avoir un critérium pour juger et une doctrine pour réunir tous les faits acquis de la science. Quelle est donc celte doctrine? Le déterminisme. Il est illusoire de prétendre remonter aux causes des phénomènes par l'esprit ou par la matière. Ni l'esprit ni la matière ne sont des causes. Il n'y a pas de causes aux phénomènes ; et en particulier pour les phénomènes de la vie, et pour tous ceux qui ont une évolution, la notion de cause disparait, puisque l'idée de succession constant»4 n'entraîne pas ici l'idée de dépendance. Les APPENDICE. 897 phénomènes de révolution s'enchaînenl clans un ordre rigoureux, et cependant nous savons que l'antécédent ne commande pas certainement le suivant. L'obscure notion de cause doit être reportée à l'origine des choses : elle n'a de sens que celui de cause première ou de cause finale; elle doit faire place, clans la science, à la notion de rapport ou de conditions. Le déterminisme fixe les conditions des phénomènes; il permet d'en pré- voir l'apparition et de la provoquer lorsqu'ils sont à notre portée. — Il ne nous rend pas compte de la na- ture; il nous en rend maîtres. Le déterminisme est donc la seule philosophie scien- tifique possible. Il nous interdit à la vérité la recherche du pourquoi; mais ce pourquoi est illusoire. En revanche, il nous dispense de faire comme Faust qui, après l'affirmation, se jette dans la négation. Gomme ces religieux qui mor- tifient leur corps par les privations, nous sommes ré- duits, pour perfectionner notre esprit, à le mortifier par la privation de certaines questions et par l'aveu de notre impuissance. Tout en pensant, ou mieux, en sentant qu'il y a quelque chose au delà de notre prudence scientifique, il faut donc se jeter dans le déterminisme. Que si après cela nous laissons notre esprit se bercer au vent de l'inconnu et clans les sublimités de l'ignorance, nous aurons au moins fait la part de ce qui est la science et de ce qui ne l'est pas. TABLE DES MATIÈRES A.VANT-PROPOS V Discours de M. Vilpian, membre de L'Académie des sciences, aux funérailles de M. Claude Bernard vu Discours de M. Paul Bert, professeur à la Faculté des sciences, aux funérailles de M. Claude Bernard xxvi COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE. LEÇON D'OUVERTURE Inauguration de la physiologie générale au Muséum. — Raisons du transfert de ma chaire de la Sorbonne au Jardin des plantes. — La physiologie devient aujourd'hui une science autonome qui se sé- pare de l'anatomie. — Elle est une science expérimentale. — Dé- linition du domaine de la physiologie générale. — ■ Initiation de la France. — Développement de la physiologie dans les pays voisins. — Les installations de laboratoires. — Nécessité d'une bonne méthode et d'une saine critique expérimentale 1 LEÇONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE DANS LES ANIMAUX' ET DANS LES VÉGÉTAUX. PREMIÈRE LEÇON . Définitions dans les sciences; Pascal. Les définitions de la vie: Aristote, Kant, Lordat, Ehrard. Richerand, Tréviranus, Herbert Spencer, Bicfaat. La oie et la mort sont deux états qu'on ne com- prend que par leur opposition. — Définition de l'Encyclopédie. — On peut caractériser la vie mais non la définir. — Caractères gé- néraux de la vie : organisation génération, nutrition, évolution, caducité, maladie, mort. — Essais de définitions tirées de ces carac- tères. — Dugès, Béclard, Dezeimeris, Lamark, Rostan, de Blain- \ille, Cuvier, Rourens, Tiedemann. — Le caractère essentiel de- la vie est la création organique. TAliLK DliS MATIÈRES. 399 II. Hypothèses sur la vie : hypothèses spiritualiste et matérialiste; Pythagore, Platon, Aristote, Hippocrate, Paraeelse, Yan Helmont, Stahl ; Démocrite, Epicure; Descartes, Leibnitz, — École de Mont- pellier. — Bichat, etc. — Nous repoussons également hors de la physiologie les hypothèses matérialistes et spiritualistes, parce qu'elles sont insuffisantes et étrangères à la science expérimen- tale. — L'observation et l'expérience nous apprennent que les manifestations de la vie ne sont l'œuvre ni de la matière ni d'une force indépendante; qu'elles résultent du conflit nécessaire entre des conditions organiques préétablies et des conditions physico- chimiques déterminées. — Nous ne pouvons saisir et connaître que les conditions matérielles de ce conflit, c'est-à-dire le déterminisme des manifestations vitales. — Le déterminisme physiologique con- tient le problème de la science de la vie; il nous permettra de maîtriser les phénomènes de la vie, comme nous maîtrisons les phénomènes des corps bruts dont les conditions nous sont connues. III. Du déterminisme en physiologie. — 11 est absolu en physiologie comme dans toutes les sciences expérimentales. — On a voulu à tort exclure le déterminisme de la science de la vie. — Distinction du déterminisme philosophique et du déterminisme physiologique. — Réponses aux objections philosophiques; le déterminisme phy- siologique est une condition indispensable de la liberté morale au lieu d'en être la négation. — - Séparation nécessaire des questions physiologiques et des questions philosophiques ou théologiques. — Il n'y a pas de conciliation possible entre ces divers problèmes; ils dérivent de besoins différents de l'esprit et se résolvent par des méthodes opposées. — Les uns et les autres ne peuvent rien gagner à être rapprochés 21 DEUXIÈME LEÇON LES TROIS FORMES DE LA VIE. La vie ne saurait s'expliquer par un principe intérieur d'action; elle est le résultat d'un conflit entre l'organisme el les conditions phy- sico-chimiques ambiantes. Ce conflit n'est point une lutte, mais nue harmonie. — La vie se présente à nous sous trois aspects qui prou- vent la nécessité des conditions pbysico - chimiques pour ses manifestations. — Ces trois états de la vie sont: 1° la vie à l'état de non-manifestation ou latente; 2° la vie à l'étal de manifestation variable et dépendante; 3,J la vie à l'état de manifestation libre et indépendante. 1. Vie h/tente. — Organisme tombé à l'état d'indifférence chimique. 400 TABLE DES MATIÈRES. — Exemples pris dans le règne végétal et dans le règne animal. — La vie latente est une vie arrêtée et non pas diminuée. — Conditions du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Conditions extrin- sèques : eau, air (oxygène), chaleur; intrinsèques : réserves de maté- riaux nutritifs. — Expériences sur l'influence de l'air (oxygène). — Expériences sur l'influence de la chaleur. — Expériences sur l'influence de l'eau. — Phénomènes de vie latente dans les ani- maux : infusoires, kérones, kolpodes, t-irdigrades, anguillules du blé niellé. — L'assimilation de la graine et de l'oeuf n'est pas exacte au point de vue de la vie latente. — Existence des êtres à l'état de vie latente : levure de bière, anguillules, tmligrades, etc. — Explication du retour de la vie latente à la vie manifestée. — Expé- riences de M. Chevreul sur la dessiccation des tissus. — Mécanisme du passage à la vie latente. — Mécanisme du retour à la vie mani- festée. — Succession nécessaire des phénomènes de destruction et de création organique. II. Tïe oscillante. — Appartient à tous les végétaux et à un grand nombre d'animaux. — L'œuf ofïre la vie engourdie. — Mécanisme de l'engourdissement vital. — Influence du milieu extérieur sur le milieu intérieur. — Diminution des phénomènes chimiques pen- dant la vie engourdie. — Mécanisme de l'oscillation vitale dans l'engourdissement. — Nécessité de réserves pour la vie engourdie. — Mécanisme de l'oscillation vitale. — La cessation de la vie en- gourdie. — Influence de la chaleur; elle peut amener l'engour- dissement comme le froid. — Résistance des êtres engourdis. — Les animaux réveillés pendant l'engourdissement usent rapidement leurs réserves et meurent. — Phénomènes de création et de destruc- tion pendant l'engourdissement. — L'engourdissement passager n'exige pas des réserves comme l'engourdissement prolongé. III. Vie constante ou libre. — Elle dépend d'un perfectionnement organique. — Notre distinction du milieu intérieur et du milieu- extérieur. — Indépendance des deux milieux chez les animaux à vie constante. — Le perfectionnement de l'organisme chez les ani- maux à vie constante consiste à maintenir dans le milieu intérieur les conditions intrinsèques ou extrinsèques nécessaires à la vie des éléments. — Eau. — Chaleur animale. — Respiration. — Oxy- gène. — Réserves pour la nutrition. — C'est le système nerveux i: E. MA 11 TIN ET, hi:e UICNON, S. ■ - • X <