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LE COÎ^TE DU TONNEAU

T L E C O N T E

TONNEAU,

Contenant tout ce que les ARTS, & les SCIENCES

Ont de plus SUBLIME,

Et de plus MYSTERIEUX;

Avec plusieurs autres Pieces très- çurieufes.

Par J o K x^y n am S v/ î f t>

Doïen de St. Patrick en Irlande» Traduit de i'Anglois, rOMB P RE Mi EU ^0$^^

ChezîIENRI SCHEURLEElb

M. DCC. XXXII.

A U

TRES NOBLE

ET PUISSANT SEIGNEUR

ADRIEN PIERRE

BARON de HINOJOSA,

PRESIDENT DE LA COUR DMOLLANDE, ZEELAN- DE, ET DE WESTFRISE;

&c. &c. &c.

t Nf

^^^4'^^OBLE ET PUISSANT SEIGNEUR,

Offrir à quelqu'un ce que

la Nation du Monde la plus

fpirituelle & la plus fcnfée a

'' 2 pro-

DEDICACE.

produit de plus judicieux & de plus délicat, c^eû fuppofer in- dubitablement en celui à qui on le dédie beaucoup de Penetra- tion & de grandes Lumières.

Cette Vérité , Nol;/c 8? Puif Jant Seigneur ^ me m^eneroit na- turellement aux Eloges qui font dus à Vos belles Quali- tés, fij^étois alîe:z imprudent pour me livrer au Zèle que je me iens pour tout ce qui eft efcimable en Vous.

Nous vivons dans un Siè- cle , le vrai Mérite doit confiderer comme une Infulte les Louanges , qui ne font qu'^enfîer un Difcours fans lui donner le moindre Corps; & qui, à force d'être appliquées

in-

DEDICACE.

indifféremment à toutes fortes d^Objets 5 ont perdu Je droit de fignifier quelque chofè.

Quand même les EJoges feroient aufTi rares que les Vertus dont ils devroient être naturellement la Récompenfe ; je ferois inconfideré , je me donnois les Airs d'entrepren- dre Votre Panégyrique. Je n'ai pas afîez de Vanité , pour croi- re que m.on Approbation fbit de niveau avec Votre Mérite; &je fiiis trop vain, pour vouloir pafîer dans le Monde pour le Plagiaire de la Voix publique..

Je me contente. Noble 6?

Puïjjant Seigneur , de Vous

prier de recevoir avec Votre

Bonté ordinaire cette foible

"" 3 Mar-

DEDICACE.

Marque de mon Dévoûment : & 5 en implorant Votre Bien- veillance, je fbuhaite que cet Ouvrage puiiîe contribuer à vous délalîer agréablement FEfprit 5 quand il efî: fatigué des Peines infinies que Vous vous donnez fans relâche5pour fauver les Biens^ PHonneur, & la Vie des Hommes, de cette Mer orageufè de Chicanes, qui inondent les Tribunaux.

Je fiiis avec un très-profond Reipeft,

Noble ^ Pitijfant Seigneur^

VOTRE

très-humblc & très-obcïfiant Serviteur,

n. SCIIEURLEER.

PRE-

A>iU ^i^ *?!■=• ^ viv *^^ ^«^ <«^ *^v ^i*- iMlf' ^f' »*i<fc

PREFACE

D U

TRADUCTEUR.

l^i^î^IWil jamais Livre a eu befoin S S ^i ^'une Préface , j'ofe dire que P^T^^^ ceft celui-ci. 11 ell vrai, '^^'^-^^ qu'il efl déjà tout chargé de toutes fortes de Difcours préliminaires j mais, ce n'eft nullement dans le defleia de nous faire entrer dans les véritables Vues de l'Auteur: ce font plutôc àcs parties de l'Ouvrage même ; & les Ironies Satiriques , dont ils font tout remplis, tendent au même But que tout le Livre,

Les Anglois le confidérent avec rai- fon comme un Chef-d'Oeuvre de fine Plaifanterie^ &, m.algré la langueur, qu'une Traduction doit de necefnté don- ner à ces fortes de Productions d'Ef. prit 3 je croi que le Ledleur convien-

dra

PREFACE

dra., qu'il efl: difficile de trouver dans aucune Langue un Ouvrao;e fi plein de feu , & d'imagination. Il eft vrai en mêmetems^ qu'il ne fe peut rien déplus bifarre. La Narration eft interrompue continuellement par des DigrefTions , qui occupent plus de place que le Sujet prin- cipal ; mais , cette Bifarrerie n'elt point Ytffct d'un Efprit déréglé , qui s^écha- pe à foi-même , & dont la Kaifon ne fauroit maitrifer la fougue : ceDefordre eft affecle , pour tourner en ridicule les Auteurs Anglois les plus modernes , qiii fe plaifent à ces fortes d'Ecarts imperti- nens, uniquement pour donner du vo- lume à leurs Productions.

Ces Digreiïions , d'ailleurs , font d'un Tour fi particulier , ôc pleines d'un Ba- dinage fi ingénieux, & fi peu commun, qu'il eft impofïïble qu'un LeCleur , qui a allez de pénétration & de juge- ment , pour developer la délicate Ibli- dité de ces Ironies , s'impatiente de re- tourner au Sujet principal.

La plupart de ces DiJ/ertations inci- dentes fervent h jetter un Ridicule furies Modernes , & fur-tout fur ceux d'en- tr'eux qui s'emparent du beau Nom de Critimes. L'Auteur de cet Ouvrage

eft

DU TRADUCTEUR.

cil grand Partifan des Anciens, & peut- écre Partifan outré. J aurois tort de décider là-defîlis , parce que adhuc fuh Judice Lis eft. Le Procès n'eft pas en- core vuidé , & peut-être ne le iera-t-il jamais. Quoiqu'il en foit , jamais le Par« ti des Anciens n'eut un plus habile De- fenfeur. Jufqu'ici , les Avocats de cette Faftion n'ont été gueres que des Sa- "vantas , qui ne favoient que dire des In- jures groïïieres, & oppofer à leurs An- tagonifles unBouvelardfailueux d^ Ci- tations inutiles, fondé fur un Orgueil pé- dantefque. C'étoient des gensfl familia- rifez avec les Langues favantes, qu'ils Tie favoient qu'à peine tourner une Pério- de dans leur Langue maternelle >&, par malheur pour eux , ils avoient à faire à des gens , qui avoient de l'Efprit , du feu, du (lile, & qui favoient s'infinuer dans l'Efprit du Lecteur par un Badinage élégant , & par une Raillerie délicate.

Notre Auteur efl le premier de ^on Parti 5 qui ait fu mettre les Rieurs de fon coté , & combatre les Modernes avec leurs propres Armes.

Ceux, à qui il en veut le plus, font les

Critiques de profefîîon , Race de petits

Efprits , dont le mince bon-fens animé

* f par

PREFACE

par une bonne doze de malignité, ne s'o- cupequ'à raflembler les endroits foibles des Auteurs les plus illuftres, fans leur rendre la moindre juflice fur l'art qui anime tout le corps de leurs ouvrages, & fur les paflages admirables , qui les em- belliiTent par-tout. C'efl avec raifon, que lAuteur fait main baOe fur cette lâche Vermine de Garçons Beanx-E[p'its\ & je fuis perfuadé , que les plus éclai- rez d'entre les Modernes lui en fauront autant de gré , que les plus zélez Par- tifans de la venerable Antiquité.

La Pièce principale, qu'on trouvera dans ce premier Volume, efl intitulée/.^ Conte du "Tonneau ^^oux les Raifons qu'on trouvera dans la Préface de l'Auteur. Le But en eft de tourner en ridicule laSu- perflition , & leFanatifme, qui desho- norent abfolument une Religion , qui, dans fon Inflitution primitive , n'a eu pour toute Parure qu'ime raifonnahle Simplicité. Tout cet Ouvrage eft une Allégorie parfaitement bien foutenue d'tm bout à l'autre, & très -propre à faire revenir d'un Paganifme déguifé , ceux qui fe font une gloire d'être apel- lez Chrétiens : elle efl capable de les faire renoncer à de certaines Subtiîi-

tez

DU TRADUCTEUR.

tez metaphyfiques , qui éblouifTent le plus ceux qui les comprennent le moins , & à de certaines Imaginations creufes , qu'on honore du titre d'Infpi- rations, quoiqu'elles ne foient réelle- mentque l'effet de certaines Vapeurs or- dinaires à des Conflitutions atrabilaires & hypocondriaques.

Pour mettre le Lecleur au fait de cet Ouvrage Allégorique, il fera bon, je crois , de lui en tracer ici un Plan abrégé.

Un Père a trois Fils. Avant que de mourir, il leur donne à chacun un Habit neuf d'une grande Simplicité , mais qui en recompenfe a la propriété de nes'u- fer jamais , & d'etre toujours juite au corps de celui qui le porte. Il leur or- donne fous de grandes peines de le brof^ fer fou vent, mais de n'y rien changer, ni de le relever par aucun Ornement. Il leur donne encore un Teftament , qui contient tous les Préceptes, qu'ils doi- vent obferver, pour porter leur Habit conformément à fa volonté , & pour vivre enfemblé dans une Amitié frater- nelle. Ils obfèrvent pon61uellement ces ordres pendant quelque tems ; mais , fe voïant méprifez, parce qu'ils ne fecon- formoient pas à la Mode , ils ne négli- * 6 gent

PREFACE

gent rien pour expliquer les Préceptes du Teilament d'une manière favorable à leurs Caprices. Un d'entreux , le plus verfé dans la Philofophie, leur applanit toutes les Difficultez, par des Sophif^ mes fubtils , & leur fait charger leurs Habits de toutes ce s Parures introduites par la Folie inconftante du Genre-hu- main : il leur perfuade même à la fin d'enfermer le Teilament dans un coffre- fort, pour ^'épargner la fatigue conti- nuelle de l'Interprétation. Enorgueilli par fos prétendues Lumières , il s'érige peu à peu en Tyran, & veut obliger Tes Frères à foufcrire k Tes imaginations les plus chimériques & les plus contra- diftoires: il porte même l'extravagance jufqu à vouloir être apellé Mylorcl Pierre \ &, voïant que leur foumiflion n'alloit pas aufTi loin que fes fantaifies , il les chafTe de la Maifon Paternelle. Avant que de le quitter, ils font alTez habiles pour tirer du Teftament une Copie Au- tentiquci &, dès qu'ils s'en font em- parez 5 ils prennent l'un le Nom de Martin , & l'autre celui de Jean,

Ils fe logent dans une même Maifon, & fe mettent d'abord à réformer leurs Habits. Martin le fait d'une manière

cal-

DU TRADUCTEUR.

calme & fenfée, & aiaie mieux ylaiffer quelque Ornement peu elTentiel , que de le déchirer. Pour , Jean il n'écoute que Ton Zele ; il le met tout en lambeaux : & voïant que Ton Frère ne veut pas l'i- miter, il fe brouille a\"eclui, cherche un quartier ailleurs , & donne dans les plus hautes Extravagances.

On voit facilement, que, dans cette Allégorie, \t% Habits fimples, c'eft la Reli- gion Chrétienne dans fa premiere Pu- reté ; le Teftament du Père , les Livres du Nouveau Teflament ; ces Parures^ \qs Ceremonies & les Dogmes de la Religion Catholique ; Mylord Pierre , le Pape , ou l'Eglife Romaine ; Mar-^ tin ^ la Religion Luthérienne^ Jeari^ la Religion Reformée; & ainu du rei- te.

L'Auteur paroit favorifer ici Martin^ aux Dépens de Jean^ dont il turlupine prefque par-tout le Zele inconfideré. La raifon en ell, qu'il veut plaider la Caufe de l'Eglife Anglicane, qui, à l'E- xemple des Luthériens, a garde plufieurs Cérémonies des Catholiques, dont elle croïoit la Reforme tropdangereufe: au lieu que les Calvinifles, pour vouloir re- former avec trop de rigueur , ont mis # 7 eux-

PREFACE

eux-mêmes des bornes à leur Réforma- tion. D'ailleurs, il range fous les Eten- darts de Jean toutes les différentes Sec- tes de Fanatiques, qu'il regarde comme forties du fein de la R. Réformée, telle qu'elle efl établie en Angleterre fous le Nom de Presbyterimiifine,

Je fuis perfuadé que ce que je viens de dire à l'avantage de ce Conte furpren- dra beaucoup la plupart des perfonnes, qui en ont entendu parler. Tous les Dévots en Angleterre regardent cet Ou- vrage comme le dernier Effort d'une Imagination libertine , qui ne fonge , qu'à fonder l'Irréligion fur la Ruine de toutes les Seules Chrétiennes. De la manière dont la maffe générale des hom- mes, qui ont une Religion, eft faite, il faut de necefTité qu'elle en forme ce ju- gement. D'ordinaire, chaque individu humain embraiTeles opinions de fa Se6te , pour ainfi dire, en blQc\ & il croit im- poiïible d'être d'une telle , ou d'une telle Religion , fi l'on héfite feulement fur le moindre Article de fa Confeflîon de Foi. Nous héritons la Religion de nos Parens: ils nous en délivrent les Dog- mes folides & raifonnables pêle-mêle avec le Fanatifme & la Superftiiion. Hé- ritiers

DU TRADUCTEUR.

riders crédules , &. inconfiderez , nous ne diftinguons pas ce qu'il y a de réel- lement beau 6c d'utile dans ce Tréfor, d'aveclafauiTemonoye, qui, la plupart du tems, brille de frappe d'avantage que l'or pur & veritable. Dans cette maî- heureufe prévention, un homme, qui examine , & qui ofe trouver quelque chofe à redire à la moindre particularité étrangère de chaque Se6le Chrétienne, paffe dans notre Efprit pour un Liber- tin , qui \qs rejette abfolument les unes & les autres , & qui ell indigne de por- ter le nom de Chrétien.

Il efl impoiTible , cependant, qu'un homme, qui a des Lumières, & qui prend TEvidence pour la feule Règle de îes Opinions , ne foit pas dans cette fituation d'Efprit; ôc qu'il trouve quel- que part un Corps de Doélrine & de Cérémonies religieufes, l'attention la plus forte ne foit pas capable de fentir le moindre défaut , le moindre foible.

Tous les Chefs de Secles ont été des Hommes : il efl naturel , que la vanité , le dépit, & l'efprit de contradiélion , les aient jettez dans quelque égare- ment > & qu'un homme, qui fe trouve

dans

PREFACE

dans une afîiette calme & Philofophique j s'en apperçoive fans peine.

Jôfe promettre à tous ceux, qui font capables de fentir cette Vérité, qu'ils ne trouveront rien ici, qui ait le moin- dre Air de Libertinage, <3c d'Irréligion. L'Auteur ne touche jamais à aucun de ces Dogmes , que toutes les Se6les Chrétiennes regardent comme fondai- mentaux. Il turlupine, dans l'Eglife Romaine , ce qu'il confidere , comme des Doârines inventées , pour aflervir la Raifon à l'Autorité humaine, & à une flu- pide Crédulité ; & , par raport aux diffé- rentes Branches de la Religion ProteA tante , il tourne en ridicule cet Efpric d'Enthoufiafme & de Fanatifme, qui rend la. Pieté incompatible avec le S^ns- commun. Je m'imagine que toutes les perfonnes fenfées en feront obligées à l'Auteur. On ne fauroit rendre vérita- blement un plus grand fervice à la feule Religion railbnnable , & digne de \^ Majeflé de Dieu & de l'Excellence de la Nature humaine , que de la debarafler de la SuperlUtion , & de la Ch'mere , qui, non feulement l'avililTent, mais la détruifent de fond en comble , en l'arrar shant de fa baze unique & folide ,. U

DU TRADUCTEUR.

Eaifon £5? le Bon-Sens. La Pieté eft pour ainfi dire la Sanre de l'Ame: lesSuper- ilitieux , & les Fanatiques , en font une Fièvre chaude; & quiconque s'efforce à y remédier efRcacement mérite les plus grands éloges.

Certaines perfonnes m'objeâeront ians doute , qu'il eft contraire à la bien- féance de railler fur les Matières de Re- ligion ; & 5 qu'au lieu de turlupiner , l'Auteur auroitL bien fait de découvrir l'Extravagance de ceux qu'il a en vua , par des Raifonnemens graves & ierieux. La Réponfe fuit d'elle-même de ce que j'ai déjà établi: il ne s'agit point ici de Matières de Religion \ il s'agit de cer- taines Extravagances , & de certains E- garemens d'Efprit, qui n'ont rien de commun avec la Religion ,, & qui" y font prefque aufTi contraires que flrre- ligion même. D'ailleurs , le moïen de raifonner ferieufement avec des gens, qui n'admettent pas le bon-fens comme. juge naturel de leur fentimens , & qui trouvent du crime à y avoir recours? S'il y a quelque chofe qui puilTe reveil- ler leur Raifon de la Léthargie ils la jettent de propos délibéré , c'eft le. ffij piquant de. la. Raillerie,.

PREFACE

J'avoue que l'Auteur auroit bien fait de badiner un peu plus fagement , & de ne pas mêler à fes Ironies certains Tours gaillards, qui révoltent une Ima- gination un peu délicate. J'ai adouci ces Endroits autant qu'il m'a été poiïi- ble ; & j'ofe efperer que la Pudeur du Public François ne fe gendarmera ja- mais contre mes Expreffions.

Je conviens encore , qu'à mon avis l'Auteur auroit agi fagement , en écar- tant toujours de fes Badinages tout Paf- fage formel de l'Ecriture Sainte. Il ell vrai qu'il ne les turlupine jamais dans leur Sens naturel, qui dans le fond elt le feul refpeccable ; il n'en tourne en ridicule quefaplication honteufe , qu'en font des efprits foibles : mais, tous les Lecteurs ne ibnt pas capables de faire cette Di{lin6lion , qui e(l quelquefois aiïez délicate ^ & il y a de la charité , & de la prudence, à leur épargner ces fortes de Scandales.

Il n'importe gueres , qui foit l'Au- teur de cet Ouvrage. Je drai pourtant, que des gens l'ont attribué au célèbre Chevalier Temple^ mais, que l'Opinion générale le donne au Docteur Sivift ^ Mi- niitre Anglican , & un des plus beaux

Efprits

DU TRADUCTEUR.

Efprits de la Grande-Bretagne. Si réel- lement il y a de grands Lambeaux de ce Livre qui fe font perdus ; ou bien l'Auteur a afeclé d'y laiiïer un bon nombre de Lacunes , pour le faire mieux reffembler à un Manufcrit ancien \ c'efl ce que j'ignore abfolument: & le Pu- blic peut l'ignorer avec moi, fans y per- dre beaucoup.

Je dirai peu de chofesde ma Traduc- tion. J'ai fait tous mes efforts pour la rendre bonne, malgré la Difficulté terri- ble , qu'il y a à faire palier heureufe- ment d'une Langue dans une autre tout ce que Tlronie a de plus fin, tout ce que la Raillerie a de plus vif, & tout ce que les ExprelTions figurées ont de plus hardi. Cette Difficulté eft fi grande , que jufqu'ici perfonne n'a entrepris de les furmonter j & que je mérite le titre de Téméraire , fi je fai tenté fans le moindre fucccs.

Ce que je fai d'avance , c'efl: que, quand j'aurois réiiffi autant que je puis le fouhaiter, les Beaux-Efprits Anglois ne feront pas trop contens de ma Tra- duction: du moins, ils ne manqueront pas d'en parler fur ce pied-là. Ce font des gens fpirituels, & judicieux,, s'il y

PREFACE

en a au monde ; & il y auroit de la fot- tife à leur difpater ces qaalitez: mais, ils excellent du coté de l'amour-propre autant que du coté du mérite ; & je n'en ai jamais vu un feul , qui parlât avec éloge d'un Livre eilimé chez eux, & traduit dans un autre Langue. Il faut avouer que leur vanité fe conduit à cet égard avec beaucoup de finefle : fi un Ouvrage, dont ils font grand cas, dé- plaît aux Etrangers , c'ell la faute du Traducteur j&, s'il eflaprouvé, ils don- nent la plus haute idée de l'Original, en faifant croire qu'il a été affoibU par la Tniduaion.

Ils me permettront pourtant de leur dire , qu'en parlant avec mépris générale- ment de tout cequipafle de leur Langue dans une autre , ils ne peuvent que dé- crediter leurs Produdlions dans l'Ef- prit des gens qui réfléchiflent : ils font penfer, qu'il ell impofîible de bien tra- duire leurs Ouvrages 5 ce qui fait foup- çonner naturellement, que ce qui y fra- p^ le plus confifle plutôt dans l'Expref- fion, que dans le Sens. Pour moi, qui fuis au fait, & qui ai lu avec attention ce qu'ils ont produit de plus eftimé , je ne fdurois être de cette Opinion ; je fais

que

DU TRADUCTEUR.

que leurs meilleurs Ouvrages ont une Bonté réelle , qui ne dépend pas du Langage, & dont on peut rendre à peu près l'équivalent dans toutes les Langues du Monde.

Si leurs plaintes, far le fujet en quefl tion, a encore quelque autre motif que la vanité, je croi qu'on peut le deviner fans peine.

Les Anglois font outrez, & libres à fexcès, dans leur tour d'Efprit , com- me dans leur Conduite, & dans leurs Manières: leur Imagination pétulante s'é- vapore toute entière en Comparaifons, & en Métaphores^ & je fuis furpris que leurs plus habiles gens ont une eilime & une vénération fi grande pour les Anciens , dont ils imitent fi mal le Na- turel & la noble Simplicité. J'avoue que d'ordinaire leurs Exprefiions figurées, malgré la bifarrerie d'imagination qui s'y découvre, ont un Sens admirable- ment exaét ; mais , dans le grand nom- bre , il s'en trouve d'extrêmement for- cées , & dont il faut chercher la juflef. fe. Quoique ces Endroits frapent & char- ment les Lecteurs Anglois , dont le tour d'Efprit efl au niveau de celui des Au- teurs , ils ne fauroient que déplaire à ** 2 des

PREFACE.

des Etrangers d'un Efprit plus exaft, & moins fougueux ; & , par-là , un Traduc- teur fenfé fe voit dans l'obligation de mettre dans Tes Périodes quelque degré de chaleur de moins. LesBeaux-Efprits Britanniques s'en aperçoivent ; & ils prennent un effet de prudence , pour un défaut de génie , & d'imagination : ils fe plaignent de ce qui mérite peut- être des éloges.

Je finirai cette Préface , peut-être déjà trop longue , en avertiiTant que j'ai trouvé à propos de faire quelques Remarques dans les Endroits qui me pa- roiiTent pouvoir arrêter un Le6leur ju- dicieux. Si j'avois voulu en faire aiïez pour rendre tout clair à des gens qui n'ont niledlure, ni pénétration, le Commen- taire auroit étouffé le Livre.

C A-

CATALOGUE

DE PLUSIEURS

TRAITEZ,

Faits par le même Auteur ^ ^ dont

il fait mention dans les Dijcoim

Jiiivans^ comme d"" Ouvrages

qui verront bien-tôt le jour.

1 Le Cara6i:ere de rAflbrtiment de Beaux-Efprits qu'on trouve à prefent en Angleterre.

2 Un Eflai de Panégyrique fur le Nombre Trois.

3 Une DifTertation fur lesProduclîon^ principales d'une Rue de Londres nommée Gruhfireet ^\

4 Des Lettres fur la DifTeclion de la Nature Humaine.

5* Le Panégyrique du Monde.

6 i:n

* C'dTr une Rue d'où fortent la plupart des Erocliures fubaltcrncs , & de ces CKanfons qu'on peut comparer à celles du Pofit-muf*

Tome L A

CATALOGUE.

5 Un Difcours Analytiqoie flir le Zè- le, confideré Hlfiori-i'heo-Phyfi'Lo* gicalement.

7 Hifloire Générale des Oreilles.

8 Defenfe modefle de la Conduite de la Populace dans tous les Ages.

9 Defcription du Roiaume des Ahfur-

ditez,

10 Un Voiage par Y Angleterre , fait par un Noble de la Terre Juftrak in- connue' 5 traduit de l'Original.

1 1 Effai Critique fu'r le Jargon dévot , confideré Moralement , Phyfique- ment, & MiiTicalement.

L E

LE CONTE

D U

TONNEAU,

Fait pour r Utilité Générale du GENRE-HUMAIX, U

Contenant un Abrégé complet de

Tous les ARTS & de toutes les SCIENCES , propres

A INSTRUIRE £5? j DIVERTIR LES HO M AI E S.

Par un Membre de I'llluftre Société

de G R u B s T R E E T.

Dlu multumqiie ckjîderat:im>

M. DCC. XXXII.

A 2.

- Jwuaîque novos decerpere flores , Inftgnemque ymo capiti petere inde coro*

nam , Vnde prius nuIU "velarunt îempora Mufa,

Lucret.'

D E

f

DEDICACE

Prétendue du Libraire

A

MYLORD SOMMERS ^

/}/ Y LO R D

PTJifque l'Auteur a fait une ample Dédicace à un Prince 7 donc aparemment je n'aurai jamais Tlion- neur d'être connu, & qui ell fort peu confideré par les Ecrivains de nô- tre fiécle, me trouvant exempt de l'ef- clavage que les Auteurs inipofent feu- vent aux Libraires , je me croi fage dans maprefomption, en ofant dédier à Vô- tre Grandeur les Ecrits fuivans , & les confier à fa protection. Je lailTe au bon

Dieu

* Milord Jean Sommers, Chancch'er d'Angle- terre, un des hommes les plus ilîuftres de fon Age ôc de fa Nation. Grand Protcéleur du fi- voir, ce qui lui attira pludcurs De dicaces , en- tre autres celle de notre Auteur, quiluiavoit de grandes obligations.

\ La Dédicace fai\ ante adreilee ^\xPriK,tToj' terité.

A 3

é DEDICACE

Dieu & à Votre Grandeur , h en connoi- ti*e le mérite & les défauts: pourmoî, je n y comprend rien \ & quand tout je monde ny entendroit pas plus de fi- îieiTe, que moi, le débit de l'Ouvrage n'en fera pas moins grand. Le nom de Votre Grandeur, brillant au frontifpice du livre en lettres Capitales , me débat- raflera facilement d'une Edition tout au moins \ & je ne demanderois pas davan- tage 5 pour m'élever à la qualité à'Ecbe^ «Lvv/, que le privilege de dediër à Votre Qrarideiir^ à fexcîufion de tout autre 'i\uteur ou Libraire.

Me prévalant du droit d'unfaifeurde Dédicaces, je devrois ici vous donner une lifte de vos propres vertus, fans avoir pourtant le moindre deiîein de choquer votre modeftie. Sur-tout , ce feroit ici le lieu de faire un portrait pompeux de vou*e générofité pour des V gens qui joignent de grands talens à une petite fortune, & de vous faire en- tendre d'une manière entre groffiere & délicate , que je m'entends par4à moi- môme.

Je vous avouerai franchement, My- lord, que j'ai eu l'intention de fuivre cette route batue 5 & quej'avois déjà

com-

A MYLORD SUMMERS, j

commencé à extraire d'une centaine d'Epitres Dédicatoires une Qiiintef^ fence de louanges appliquables à Votre Grandeur, quand je fus arrêté par un accident imprevu.Enjettant par hazard les yeux fur la couverture de ces Ecrits, j'y trouvai en grandes lettres les mots fuivans, Detur digm(Jïr,iO -^ & j^ ^^^ foupçonnai auiïï-tôt d'cnveloper un fens digne d'attention.

11 arriva par hazard, qu'aucun des Au- teurs que j'emploie n'entendît le La- tin , quoique je les aïe païez fouvent pour la traduction de livres écrits en cet- te langue. Je fus donc obligé d'avoir recours au Curé de ma ParoilTe , qui traduifit ces mots ainfi, que ceci foit donné au plus digne -^ & fon comm_entai- re me fit comprendre, que rintentioii de l'Auteur étoit que cet Ouvrage fut dedié au Génie le plus fublimeduiiecle pour fefprit, le favoir, le jugement, l'Eloquence, & la SagefFe.

Là-delTus, je donne un coup de pied pour aller trouver un Poète , qui travail- le pour ma boutique, & qui demeura dans un cu-de-fac proche de ma maifon. Je lui montre la verfion Angloife des mots en queflion , & je le prie de me A 4 gui.

s DEDICACE

guider dans la recherche que je vouîois faire du perfonnage que l'Auteur a eu dans FErprit.

Après avoir médité quelques mo- mens, il me dit, que la Vanité étoit une chofc qu'il avoit en horreur, mais qu'il étoit obligé en conscience de m'a- vouer, qu'il étoit fur que la chofe le re- gardoit lui-même; & en môme temps il m'offrit fort obhgeamment de faire pour moi gratis une Dédicace adref- féeàfon propre mérite. Ne voulant pas hii diiputer la fuperiorité qu'il s'attri- buoit, je le priai de faire une féconde conjecture : eh mais ! me répondit-il , ce doit ctre moi , ou Myîord Somers. De- là, je fus vifiter un grand nom^bre d'au- tres beaux-efprits de ma connoillance , avec grande fatigue , & grand rifque de mxe cafTer le cou fur tant de degrés obfcurs qui conduifent aux Galetas. C'étoit par-tout la même chofe : je trou vois tous les habit ans du plus haut étage dans la même admiration d'eux- mêmes , & de Votre Grandeur.

Ne croyez pas, Mylord , que je prétende debiter,comme un effet de ma propre induftrie, ces mefures fi bien concertées pourrépondre jufte àl'inten-

tion

A MYLORD SUMMERS. 9

tion de mon Auteur; j'avoue ingénu- ment, que je les dois aune Maxime que j'ai retenue, & qui dit que celui, à qui tout le monde ailigne la féconde place du mérite , a un titre inconteitable pour occuper la premiere.

Conform.em,ent à cette vérité, mes vifites me perfuadcrent queVotreGran- deur étoit la perfonne que je cherchois ; & auiïi-tôtj'emjploïai mes beaux-elprits àraflembler dts idées & des ingrediens propres à entrer dans le Panégyrique de vos vertus.

Deux jours après , ils m'apportèrent dix feuilles de papier remiplies de tous cotez 3 & ils me jurèrent, qu'ils avoient faccagé tout ce qu'on peut trouver de beau dans les caracleres de Socrate, d'ArilHde, d'Epaminondas, deCaton, de Ciceron, d'Atticus,& d'autres grands. Noms difficiles à retenir. Je croi pour- tant que ce font des fourbes , qui en im- pofoient à mon ignorance \ car , quand je me mis à examiiner leurs collections, je n'y vis rien que moi & tout autre ne fuiTions auiïi bien qu'eux: ce qui m.efit croire,qu'aulieu de piller les anciens,mes drolles n'ont fait que copier ce que les modernes difent unanimiCment fui' votre A s Cha-

ïo DEDICACE.

Chapitre. De cette manière, MylorJ> j'en tiens pour mes cinq pifloles , que j'ai debourfées fans aucune utilité.

Si encore en changeant le titre , je pou vois faire fervir les mêmes m.ate- riaux pour une autre Dédicace, com- me font fouvent plufieurs gens qui me valent bien, ma perte feroit réparable: mais des gens fenfez , à qui j'ai commu- niqué ces préparatifs , y eurent à peine jette ks yeux, qu'ils m'afiiirerent, qu'il n'étoit pas faifable d'appliquer tout- cela à tout autre qu'à Votre Grandeur.

Je m'attendois du moins à y trou- ver quelque chofe de la conduite de Vo- tre Grandeur à la tête d'une armée , de votre intrépidité à monter une brèche^ eu à efcalader une muraille *. Je me flat- tois d'y voir votre illuflre race def- cendant en ligne direfte de la maifon

d'Au-

* Mylord Sommers étoit un homme de: Robbc;, & par confequent de pareilles louan-? ges ne lui étoient pas applicables : ainfî , l'Au-- teur turlupine ici £nement les faifeurs de Dé- dicaces , qui penfent faire merv^eillc en entaf^- {ânt vertus fur vertus , fans fe donner la peine de di-fcerner , s'il y a la moindre vraiferablance. K les ajufter ;-u caractère & à la profeflion de leurs Keros, & s'ils ne les tournent pas ea ri- dicule ) au Ji€U de le» Jouer..

A MYLORD SOMMERS. u

d'Autriche ; avec vos talens merveil- leux pour rajullement & pour la danle, & avec votre profond favoir dans l'Al- gèbre, les Mathématiques, & les Lan- gues Orientales: en un mot, je m'atten- dois à quelque chofe, ni moi ni le public ne devions pas naturellement nous attendre. C'efl-là ce qui m'auroit accommodé à merveille : car, d'aller jet- ter à la tète des gens la vieille Hiitoire. de votre génie, de votre favoir, de vo- tre fageiTe, de votre juflice, de votre politefle, de votre candeur, de l'éga- lité de votre ame dans toutes les revo- lutions différentes de la vie humaine , de votre difcernement à déterrer le mé- rite , & de votre promptitude à Thono- rer de vos bienfaits, & mille autres lieux communs , ce feroit en vérité fe moquer du monde. Qiii peut ignorer, qu'il n'y a point de vertu qui concerne^ tant ïa vie pihlique , que la vie particulière, dont dans les différentes conjondlures de la vôtre vous n'aïez donné de brillans exemples ? Il eft bien vrai , que vous avez un petit nombre de grandes quali- tez, qui auroient été inconnues à vos amis , faute d'occaiion de paroitre avec éclat 3 mais, vos Ennemis ont eu le ibirt A 6 de

iz DEDICACE

deles étaler, & de les mettre dans leur plus beau jour, en leur donnant de l'e- xercice.

Dans le fond , je ferois bien fâché que ie grand exemple de vos vertus fut per- du pour nos neveux : ce feroit grand dom.mage pour eux & pour vous ^fur- tout, parce qu'il feroit fi propre h fervir d'ornement à THiftoire du =^ dernier Rè- gne : mais,c'ert de-là même que je tire une forte railbn pour garder là-deffus le filence^ des gens fages m'ont alTuré que 5 du cours que pren oient les Dédica- ces depuis quelques années , il y auroic peu dliiitoriens qui voulufîent y aller puifer leurs caractères.

Q.uoi que je fois l'homme du monde ]e plus porté à approuver tout , il y a un feuî petit article fur lequel il me fem- bleque les faifeurs de Dédicaces nefe- joientpas mal de changer de plan. Au lieu de nous étendre fi fort fur la géné- rofité de nos Mecenas , nous ne ferions pas mal de dire un petit m.ot de leur patience. Pour moi, je ne puis pas faire un meilleur éloge de celle de Votre

Gran-

* C'eft le Règne de Guillaume III., fous lequel Mshrd Sommers a joué un Rôle conilde- rablc.

A MITORD SOMMERS. ij

Grandeur, qu'en lui procurant un û valte champ pour la mettre en œuvre. Je crains pourtant , que je ne puiffe pas vous en faire un û grand mérite : la familiarité que vous avez eue autrefois avec tant de Harangues ennuïeufes % & aufïï inutiles pour les moins que la pre- fente Epitre , vous rendra fans doute plus promt à me la pardonner ; fur-tout , Il vous voulez bien confidérer, qu'elle, vient de celui qui eil avec toute forte de reipecl, & de vénération,

M YL O R D,

De Votre Grandeur^ i^c.

* Ce Seigneur 5 ai'ant été Chancelier, avoit en- tendu dans la Chambre des Seigneurs force Dif- cours 5 & Harangues , qui n etoient pas toutes de la même force, & de la même utilité.

A 7 Le^

^ Le Libraire au Lefieirr.

IL y a déjà fix ans que ces Ecrits font tombez entre les mains , £5? je crois qu'il y avait alors à peu près douze mois qu'ils avaient été faits : car, routeur nous dit dans la Préface qui précède le premier 'Traité , quilTavoit define pour Vannée i<^5>7; i3 il par oit par differ ejis paffages , qu'il les a compojez environ dans- ce tems-là.

Pour ce qui régarde ï Aicteur , je nen puis rien dire avec certitude \ mais, je puis avancer avec quelque prohabiiité , que cet^ te Edition fe fait fans quil en fâche rien : jaiapris^ qu il croit fa copie perdue^ l'aiant prêtée à une perfonm , qui e fi morte de*- puis , k3 ne ïa'iant jamais revue , depuis qu'il s'en eft défaifi. De manière quil y a grande aparence, qu'on ignorera toujours s'il y a mis la dernière main, ou fi fon^ intention a été d'en remplir les lacunes.

Si je me mettois dans ïefprit de rendre compte au Le^eur de ï jîvanture qui m'a rendu poffeffcur de ces Ouvrages, ce fié de incrédule pr endroit fans doute tout ce que je pour ois dire là-deffus pour un vrai jar- gon de commerce: il efthon,par conféquent^

que * C'eft le Librairç premier Editeiu: de cet

Le Libraire au Lecïeur. t^

que 'f épargne cette ^eine^ i^ à moi^ &? à mon Le^eur,

On fera curieux , peut-être , de faz'oîr pourquoi je nal pas plutôt donné ces Ou-* vrages au public : je réponds^ que c eft pour deus raïfons. Pre^nierement , faî cru pen^ dant tout ce te/n s pouvoir ni occuper d'une manière plus lucrative : en fécond liew^/aà toujours efperé d'entendre quelque nouveUe de r Auteur , i^ de recevoir de fa part quelques avis utiles pour mon Edition. Si je me fuis déteryniné enfin à m'' en pafjW y €*eft que j' et ois averti qu onmenaçoit jour» démentie public d'une certaine Copie ^ quun' des plus beaujc Efprits du fié de s' é toit don^ la peine de polir , ou , comme parlent nos Jouteurs à la mode , quil avoit accom^^ mode au goût de notre âge. NiVe^preJfion^ ni la chofe même , ne font pas tout-à-fait nouvelles : on a déjà pratiqué cette metho^ de avec grand fuccès à l égard de Don Quichotte , de Boccalini , de la Bruyère , Eff d'autres Auteurs diftinguez, Quelque jolie que foit cette invention^ fiai trouvé plus de franchife à donner l'Ouvrage ia puris naturalibus.

Si quelqu'un veut me prccureY une Clef propre à en découvrir les Mi fi ères , je lui en ferai très-obligé^ ^ je la fsrai impri- mer ^vec plaifir, EPI-

16

E P I T R E

Dedicatoire à fon Alteffe Royale L E

"" PRINCE POSTÉRITÉ.

J'OfFre ici h Votre AltefTe le fruit de quelques heures de loiHr dérobées aux occupations importantes dont m'accable un Emploi fort éloigné de pareils A mufemens. Cefl la pauvre pro- duction d'un temps de rebut qui m'a peféfur les épaules pendant une longue Prorogation du Parlement, une grande fterilité de nouvelles étrangères , & une ennuieufe fuite de jours pluvieux. Pour cette raifon, & pour pluiieurs autres,

elle

* Comme les Anglois n'cnt point de Genre , l'Auteur donne à la Fojrerite le titre de Prince. La delicatefTeFrançoifeaimeroit mieux Primcffe -^ mais, comme le fens de ce mot n'en détermine point le Genre , & que ce qu'on en dit ici eft plutôt appliquabîe à un Souverain , qu'à une Souveraine, je n'ai rien changé a ce titre. J'efpe- re que leLeéteur me le pardonnera: lî-non, je m'en mettrai fort peu en peine.

E pitre Dedkatoîre i3c, 17

clic fe flatte démériter la protection de Votre AlteiFe , dont les vertus fans nom- bre , acquires dans un âge il tendre , vous font confiderer des hommes , comme l'exemple futur de tous les Princes ave- nir. A peine Votre Alteffe efi: elle for- tie du berceau, que déjà tout le monde favant appelle à fes decifions . avec la re- fignation la plus humble & la plusfou- mife> perfuadé,que le fortvousadefti- à être Tunique arbitre des produc- tions d efprit , qui fourmillent dans no- tre âge, cet âge 11 accomphja qui fe- diitingue par une fi grande politefTe. Le nombre des appellans eit 11 prodigieux, qu'il étonneroit tout autre Juge d'un Génie plus limité que le vôtre.

Mais , Monfeigneur , il femble qu'on envie à V. A. des decifions fi glorieu- fes. Je fai de bonne part que la perfon- ne =^5 à qui on a confié le foin de votre éducation , a refolu de vous tenir dans une ignorance générale de nos favans efforts , dont l'exam.en vous appartient par un droit héréditaire. La HardieiTe de ce perfonnage me paroit étonnante. Quoi ! II ofera vous perfuader à la face du Soleil, que notre fiecle eft plongé

dans

* Le Tcms.

l8 Epîre iJcdicaîoîre

dans l'ignorance , & qu'il a produit à peine un feul Auteur dans quelque Gen- re d'écrire que ce foit? Je lai fort bien, que quand Votre AlteiTe fera parvenue à un âge plus meur, & qu elle parcour- ra le f avoir de tous les fiecîes , elle aura trop de curiofité pour ne pas s'informer des Auteurs de fage qui précède immé- diatement le fien. Mais , qu arrivera- t-il? Cet infolent va les réduire, dans le détail qu'il vous en prepare , à un nombre {i meprifable, que j'ai honte de fexprimer. Quand j'y penfe, ma bile s'échauffe , mon zèle me ronge , j'en fuis au defefpoir pour l'amour de ce corps de Beaux- Efprits aufîi vafle que fioriifant : je le fuis encor plus pour l'a- mour de moi-même , contre lequel il nourrit dans fon cœur des defleins d'une malignité toute particulière.

Il eft affez vrai- femblable, que lorfqu'un jour V. A. jettera un œil atentif fur ce que j'écris à prefent, elle aura quel- que difpute avec fon * Gouverneur , fur la vérité de ce quej'ofe affirmer ici ; & qu'elle lui commandera d'offrir à fes yeux quelques-uns de nos fameux Ou- vrages. Je fuis 11 bien Informé de fes

ma-

A S. A. R. le Prince Pojlerite. i^

malignes intentions , que je fai d'avance ce qu'il vous dira là-delFus. Pour toute reponfe , il vous demandera , font ces ouvrages, ce qu ils font devenus ; &, en vous faifant voir qu'ils n'exifisnt pluSy il prétendra vous démontrer par-là qu'ils n'ont jamais exiflé. ^i'ils n'exiftefit plus ! Grand Dieu ! Qui les a égarez ? Sont-ils abimez dans des goufres impé- nétrables ? Helas ! ils avoient ailez de légèreté pour nager éternellement fur la furface de T Univers. A qui en eil donc la faute , fi non à celui * qui leur a at- taché aux talons un fardeau affez pé- fant pour les enfoncer jufqu'au centre de la Terre? Leur eifence mêmeefl-el- le détruite ? Ont-ils été noiez dans des potions Médicinales? Le feu despippes allumées leur a-t-il fait foufrir le mar- tire ? Quel infolent les a dérobez aux yeux des hommes , pour les faire périr dans un réduit fecret, au fervice d'un maître qui ne vit jamais la lumière du jour?

Il faut queje me décharge le cœur, & que je mette V. A. au fait de la caufe veri- table de cette dellru6lion univerfelle. Je- vous conjure de remarquer cette Faux

lar- * LeTems.

zo Epitre Dedicatoire

large & redoutable , dont votre Gouver- neur affecte de s'armer la main; ob- fervez , je vous prie , la longueur, la for- ce, la dureté, & le tranchant de Tes dents & de fes ongles; prenez garde h fon Haleine empeilée, qui répand la corruption fur tout ; & jugez , s'il eil pofïïble au papier & à l'ancre de cette generation , de Ibutenir un ficge contre un ennemi qui l'attaque avec tant d'ar- mes irrefiftibles ? Plût au Ciel, Mon- feigneur, que vous prifiiez un jour la genereufe réfolution de defarmer ce fu- rieux & tyrannique Maire du Palais^ài que vous miffiez ainii votre Souveraine- té hors de Page.

Je n'aurois jamais fait , fi je voulois entrer dans le détail des mefures que prend votre barbare Gouverneur, pour réuflir à détruire les plus nobles Ecrits de ce ^iç.q}.'^ \ il fuffira de dire à V. A. , que de plufieurs milliers de livres , qui paroilTent pendant ime feule année dans notre fameufe Capitale , il n'y en a pas un dont on entende parler, après que le Soleil a achevé fa carrière annuelle.': Malheureux Enfans , qu'on voit périr avant qu'ils Lient feulement afîez apris de leur langue maternelle pour implorer

la

A S. A. R. le Prince Poftcrlté, iv

la pitié de leur Perfecuteur ! Il étouffe les uns dans leurs berceaux, il effi-aye tellement les autres qu'ils meurent dans les couvulfions , il démembre ceux-ci peu à peu, il écorche tous vifs ceux- , il en facrine des bandes entières à Moloch^ & le refle infecté de Ton Ha- leine languit & meurt de Confomtion. Ce qui me touche le plus vivement dans ce malheur general , c'efl le fort du corps de nos Verfificateurs , de la part defquels je prefenterai au premier jour une Requête à Votre Alteife , fignée de cent trente fix Suplians du premier rang, dont pourtant les productions im^mortelles ne feront peut-être jamais honorées de vos regards. Le moindre d'entr'eux ne laiife pas de briguer la couronne de Laurier avec autant d'hu- milité , que d'ardeur , 6c de fonder fes pretentions fur quelques volumes de fort bonne mine. En dépit d'un droit fi. bien fondé, votre injufte Gouverneur a confacré à une mort inévitable les œu- vres de tant de perfonnages illuftres, ces œuvres dignes de braver la durée des fiécles; & pourquoi? C'eft uniquement pour faire accroire à Votre Altefîê, que

no-

it Epltre Dcdicatoire

notre âge n'a pas donné naiflance à un feul Poète.

Nous confefTons tous, que l'Immorta- lité ell une grande Déene, mais, en vain lui ofFrons-nous nos vœux & nos iàcrifices. Votre Gouverneur, qui a ufurpé le façerdoce dans le temple de cette Divinité, auiïl avide qu'ambi- tieux, les intercepte & les dévore tous.

Affirmer que notre fiécle efl abfolu- ment ignorant, & deflitué de toutes fortes d'Auteurs , me paroit dans le fond une théfe il fauiTe & il hardie, que je m'imagine quelquefois, qu'on peut faire voir le contraire par des démonilra- tions formelles. Il efl bien vrai, que, quoique leur nombre foit prodigieux, & leurs produftions innombrables , ils diiparoilTent de la Scene avec tant de rapidité , que non feulement ils échap- pent à notre mémoire , mais qu'ils fem- tlent tromper nos yeux.

Pour faire voir à V. A. jufqu'à quel point ces apparitions font momenta- nées , je lui dirai que , lorfque je pris le defîèin de vousadrefferlaprefenteEpi- tre,j'avois envie de l'accompagner d'un Catalogue de Titres,comme d'une preu- ve autentique de ce que je viens d'a- vancer

A S. J, R. le Prince Pofterité. 15

vancer touchant nos Ecrivains , & leurs Ouvrages. J'avois vu ces Titres fraiche- ment attachez au coin de chaque rue ; mais , quand je revins , quelques heures après, pour les copier, je les vis tous déchirez , & leurs SucceiTeurs briller à leur place. Je m'informai de leurdefli- née chez les Libraires , & chez les A- mateurs de la Lecture mais , mes re- cherches furent vaines : la mémoire en étoit perdue parmi les homxUies ; leur place même n'étoit plus à trouver. L'é- tonnement, que me donna ce Phéno- mène, me fit pafTer pour un Campa- gnard, ou pour un Pedant deilitué de gout & de politefTe, & peu verfédans tout ce qui fe pafTe dans les meilleures Compagnies de laCour&delaVille.

Conformément à cette trille expe- rience, je puis bien allurer à V. A., qu'il y a parmi nous de l'eiprit & du fa voir copieufement -, mais, pour le prou- ver en détail , c'ell une entrepriie trop fcabreufe pour une capacité auiîi mince que la mienne.

Permettez-moi , Monfeigneur, d'é- claircir ce que je viens de dire par une comparaifon. Si, pendant un temps ora- geux, j'oièfoutenir à Votre Altefle,

que

24 Efitre Dedicatoîre

que près de l'Horizon il y a un grand nuage de la figure d'un ours , un au- tre vers le Zenith avec une tête d'ane , un troifiéme vers l'Occident avec des griffes de Dragon ; & fi vous attendez feulement un petit nombre de minutes à en examiner la vérité : il efl certain, que tout ce que je viens de voir fera changé de figure & de pofition. De nouveaux nuages fe feront levez; &;la feule chofe, fur laquelle vous convien- drez avec moi , c'efl que le ciel efl couvert de nuées : mais , vous foutien- drez,que je me fuis mépris groifierement par rapport à leur forme, & h leur ^i- tuation. Quoique cette preuve doive être fufïifante pour fermer la bouche à Votre Gouverneur, je prévois pourtant, qu'il infillera , & qu'il vous preiTcra de nouveau, Qu'eft devenu donc , vous demandera-t-il, la quantité terrible de papier , qui doit avoir été employé dans un fi grand nombre de volumes? O- dieufe difficulté, à laquelle je ne fai comment répondre. Il y a trop de dif. tance entre Votre Altefie&moi, pour vous envo] er , comme témoin oculaire, à des Fours , 6c certains endroits les plus' xiecefTaires &, \^^ moins refpeétez des

mai-

A S. J. R. le Prince Pojïerlté, i%

maifons. Prérenterai-je à vos yeux quel- ques lanternes crafieafes, ou les fenê- tres de quelque faîe temple de Venus ? Les livres, Monfeigneur, reflemblenu à leurs Auteurs : ils n'ont qu'un feul che- min pour entrer au monde -, mais , ils en ont dix mille pour en foriir, & pour n'y retourner plus.

Je protefle à Votre AltefTe , dans l'in- tégrité de mon cœur , que ce que je vais dire à prelent eit vrai à la lettre, dans l'initant môme que j'écris ceci. Pour les cataflrophes qui peuvent arri- ver avant qu'il foit en état d'être lu, je ne fuis garant de rien. Je vousfup- plie pourtant de l'agréer comme un échantillon de notre érudition, de no- tre génie , & de notre politefle.

Je vous afliire donc en homm.e d'hon- - neur , qu'aéluellem.ent il exiile dans notre Capitale un homme nommé Jeaii Drydcn , qui a fait imprimer depuis peu une traduction de /^/r^/7r,info}., bien re- liée ^ & fi f on en ' ouloit faire une exafte recherche, je crois qu'à fheure qu'il efl on pourroit encore parvenir à la voir. 11 y en a encore un autre intitulé Nahum *i"ate , qui eil tout prêt à declarer fous

T'orne L B fer-»

* Nom d'un Potte.

z6 Efitrc Dedkatoire

ferment, qu'il a donné au public pki- fieurs rames de papiers tous chargez de vers, dont & l'Auteur & le Libraire font encore en état de produire quelques copies autentiques; ce qui prouve la malignité du monde , qui fembie faire un fecrèt de toute cette affaire. Il y en a un troifiéme connu fous le nom de 'Thomas d'Urfey ^ Poëte d'une capacité vafte , d'une érudition immenfe , & d'un Génie univerlel. Je connois encore un certain Rymer , & un certain Dennh , tous deux Critiques d'une grande Pro- fondeur. Jaurois tort d'oublier le Doc- teur Bentley , qui a écrit près de ^ mille pages d'un favoir infini , pour nous doi\- ner une idée veritable & exa6le d'une certaine Querelle de très-grande impor- tance , qu'il a eue avec un Libraire. C eii; un Auteur d'un efprit auiïï fubli- me qu'agréable \ le premier homme du monde , pour la fine plaifanterie , & pour les faillies vives.

Je puis protefter encore à V. A. que j'ai vu, mais vu de mes propres yeux, !a perionne de Guillaume IVotton, qui

a

* L'Ouvrage de Bentley fur les Epitres dePhf laris»

A S. J. R. le Prince Pûjlcrité. £7

a fait un volume *= de fort belle taille contre une des grandest Amies de Votre Gouverneur, duquel pour cette raifon il ne doit pas attendre la moindre gra- ce. Il cil vrai , qu'il s'y efl pris de la ma- nière la plus civile, la plus polie, la plus galante, la plus digne d'un Gen- tilhomme. D'ailleurs , tout cet Ouvrage eft rempli de découvertes, aulTi eftima- bles pour leur nouveauté, que pour leur utilité: il efl embelli & relevé par des traits defp rit fi vifs , iipiquans, fi con- venables au fujèt, qu'on lui feroit tort de ne le pas confiderer comme feul di- gne de faire un attellp.ge avec le vene- rable Dofteur dont je viens de parler.

Si je voulois entrer dans un plus grand detail , je pourrois charger un volume entier d éloges dûs à mes illuftres con- temporains. J'ai entrepris de leur ren- dre cette jullice dans un § Ouvrage de plus longue haleine, j'ai réfolu de tracer le cara6t:ere de toute la bande de nos beaux efpriis: j'y dépeindrai leur

fia;u-

* Re£exions fur le Savoir ancien d moder- ne.

f L'Antiquité.

$ Voyez, h Catalogue aui precede le T/tre,

B z

i8 Epitre Bedicatolre,

Figure en grand , & leurs Génies en mignature.

En attendant, je prens ici la liardiefTe, INlonfeigneur , d'offrir à V. A. un extrait fidelle , tiré du corps univerfel de tous les Arts, & de toutes les Sciences; & je le delline entièrement à votre diver- tiilement, & à votre inllruclion. Je ne doute en aucune manière, que Votre Altelie n'en fafie le même ufage, & n'en tire les mêmes fruits confiderables , que plufieurs jeunes Princes de notre Age ont tiré d'un grand nombre de volu- mes faits exprès pour faciliter leurs étu- des ^,

Puiffe V. A, avancer en fa voir & en vertu , comme elle avance en âge > puif. *fe-t-elle effacer un jour la reputation de fes Augulles Ancêtres. Ce font les vœux ardens & continuels de celui qui fe fera toujours une gloire d'être ,

JMONSEIGNEUR,

De votre AlteiTe , &c.

Pecemb. 1^97?

* Les Auteurs Clafllqucs in Vfum DeJ^hmL

L A

^9

^**^ <♦*-« -V-^ i*.**- -^^ iv\*« ^j^ -f ♦** ^/-t i>*f« "k***^ »tM-^<^ '-F%l-<^v,^ '«%^^*V> 'tVS-c^v^ ';*^^>j<* j--i^

PREFACE.

LES Beauzv^-Efprits de notre Age étant fort remarquables, parleur nombre & par leur pénétration , ils commencent h caufer des frayeurs mor- telles aux Matiadors de l'Etat, & de l'Eglile. Ces homimes vénérables tremi- blent à lu feule idée que leurs fpirituels ennemis pourroient bien emploïer le loifir d'une longue paix à faire des brè- ches dans les endroits foibles de la Re- ligion 6c de la Politique. Après avoir médité long-tenis fur les moiens de prévenir ces delleins dangereux, d'é rnouiler les curieufes recherches de ces ennemis publics, (Se de les détourner d'u- ne m.atiere il delicate , ils fe font arrêtez unanimement à un projet dont l'exécu- tion coûtera beaucoup de temps & de peines. Le danger cependant s'aug* mente d'heure en heure j 6c il y atout à craindre des nouvelles recrues de beaux efprits , tous équipez d'encre , de papier, 6c de plumes, & prêts à paroitre en bataille, aupremier ordre, avec leurs B X ar-

50 PREFACE.

armes oiFenfives, dans la vafte Cam^ \:>:ignedes Brochures. Parconfequent,ce 2i'ell; pas fans raifon qu'on a jugé abib- lument neceflaire de fe lervir de queîc^ue promt expédient , en attendant que la grande entreprife, dont je viens dépar- ier, foit en état d'être exécutée.

11 y a quelques joui*s, que dans un grand Commtne ou l'on déliberoit fur ce mjet , un homm.e d'un efprit très-fubtil re- marqua que c'elt une coutume parmi \^s gens de Mer, quand ils rencontrent une Baleine, de lui letter un Tonneau vuidcjpour f amufer & pour la détourner d'attaquer le vaiiTeau même. On femic d'abord à interpreter cette Parabole. Par laBaleine.on entendit le * Leviathan ile Hchbes^ qui fe plait à fecoiier & à ballotter tous les Syftêmies de Religion , dont il y a plufieurs qui font fees , creux, fujèts à corruption, & qui font d'autant plus de bruit, qu'ils fontvui- des. Cell de ce jL:v'/^//^^//;, qu'on dit ique nos redoutables génies empruntent la plupart de leurs armes pernicieufes. Le VaiiTeau paffa, comme il eft naturel ,

pour

* Livre très-cfl:-mé de plufieurs perfonnes^^

mais cui paroit trç.î-daî:igereirx a d'autres.

PREFACE. ?i

pour le type de la Société civile. La grande difficulté fut de donner un fens Julie d.ii'Tomîeau -^mms^ après un long dé- bat, il fut refoîu de leconfeiver dans le fens literal > & , pour empêcher nos Le- viathans d'aujourd'hui de balotter la So- ciété humaine, qui d'elle mêm.e n eft que trop fujette k voguer fans rames & fans voiles, on décréta, qu'il falloit les amuferparun Conte du Tonneau. On me fit l'honneur de m'en donner la com- mifiion^comme ayant, pour m'en acquit- ter, des diipoiitions paflablementheu- reufes.

C'cil dans cette vue, que je donne au Public le Traité fuivant, qui pourra fer- vir, pRviriterm, de jouet à notre bande quiète de Beaux-Elprits, en attendant qu'on mette la dernière main h notre grand Ouvrage, fur lequel il eil; bon de donner ici enpaiTant quelques lumières au Lecleiu* bénévole.

* Notre intention efî d'ériger un

grand College, capable de contenir neuf

B 4 mil-

* L'intention de l'Auteur eft ici de dépeindre rignorance , & les mau'aifr^s mœurs, des petits- maîtres Anglois, qui ne laifTent pas de ù mêler de décider étourdiment des matières les pl\ii graves.

qz PREFACE.

mille fept cens & quarante quatre per- fonnes^ ce qui, par un calcul modefle, monte à peu près au nombre courant desBeanx-Gémes de notre Ile. Ils doi- vent être partagez dans dijfferentes clai- feS; felon leur diE^erent tour d'elprit. L'entrepreneur lui-même en doit don- ner au premier jour unplanexaél, au- quel je renvoïe le Ledteur curieux ; me contenant de lui donner ici une foible idée d'un petit nombre des claiTes prin- cipales. Telles font: unegrande ClafPv;; Pederajllque ^ diri^^ée par des maîtres de Jangue François oc Italiens j Ja Clajfe pour apprendre à épsïler ^ vaiileau d'une étendue prodigieufe ^ h Claffe des Lu^ nettes \ U Clajje des Jiiremens ; la Clajfe- (le la Critique ; la Clajff} de la Salrùation^ la Claffe de la Science d'aller à che^valfur an BatoTi > la Claffe de la Poefie \ la Claffe de VArî de foeîer le Sabot ; la Claffe de THypccondre\ la Claffe du Jeu\ & un grand nombreid'autres,dont la lifie pour^ roit devenir ennuieule. Perfonne ne fera admis comme membre de ce Col- lege, fans apporter un Certificat de Bel- Efprit, figné par deuxperfonnes capa- bles d'en juger, ô: à ce commifes.

P R E F x\ C E. 3J

II efl temps de finir cette parenthefe, pour revenir au but principal de ma Préface.

Je puis dire fans vanité, qu'unePré- face ell: une piece d'efprit dont je con- nois fort bien le point de perfe6lion : plût au ciel , que j'eulle aflez d'habileté pour y arriver. Trois fois j'ai mis mon imagination à la gène, pour en faire une, dont le tour fut de mon invention ^ & trois fois mes efforts ont été infru6lueux. Je ne m'en étonne point : mon génie a été mis à fee par le Traité même que je publie ici.

11 n'en efl pas ainfi de m.es féconds Confreres les Modernes, quinefe laif^ fent jamais échapper une Preface , ou une Epitre Dedicatoire , fans la diilin- guer par queique trait propre à étonner le Leéleur à l'entrée de l'Ouvrage, ôck exciter en lui ime impatience m^erveil- leufe pour ce qui va liiivre. Tel était ce coup de maître d'un Poète fort in- génieux, qui, pour ne rien dire de com- mun , fe compare lui-même au Boureau, & fcn Mecenas au Criminel. Voilà ce qui s'appelle injlgne ^ rccens^ ùuiiûum me ^.liênv.

54 PREFACE.

Rare £5? fuhllme effort cYune ïmaginatl'be , ^l ne h cede en rien à perfonne qui vive,- Dans mon Cotirs de Prefaces que j'ai fait, cours aufTi noble qu'utile, j'ai remarqué plufieurs traits de la même force. Je ne ferai pas Faifront aux Au- teurs de tirer ces traits de leur place , afin de \ts inférer ici ; je fai trop , que rien n'efl plus délicat, & moins capa- ble defoufrir le tranfport, qu'un bon-mot à la moderne.

Il y a des chofes qui font infiniment ipirituelles aujourd'hui^ ou à jeun , ou dans un tel lieu , ou ^ huit heures , ou entre la poire i^ le fromage^ ou dites -par Alonfieur un tel^ ou dans une matinée d'Eté\ qui font anéanties , par le m^oin- dre changement de fituation, ou d'ap- plication. Cell ainfi que l'eiprit a fes promenades limitées , dont il ne fauroit s'éloigner de répaiffeur d'un cheveu, fans courir rifque de fe perdre abfolu- ment. Nos Modernes ont trouvé l'art de fixer ce Mercure, en l'attachant aux tems, aux lieux, & aux peribnnes. Il y a tel trait d'efprit, qui ne fauroit fortir dans fK)n entier de la place de ^ Covent-gar-

din-, * Marché dans la VilU 4e Londres,

PREFACE, ^j-

den : il y en a tel , qui n'eft intiîîigible que dans un coin de Hide-park *

J'avoue que je fuis quelquefois tou^ ché d'une douleur fincere , en fongeane que tant de pajfages affaifonnez par la mode^ auxquels je vais donner Peiîbrc dans mon Ouvrage, feront hors de vogue , au premier changement de dé-» corations. Je fuis pourtant trop fince- re, pour ne pas approuver ce gout de notre âge : je voudrois bien favoir pour- quoi nous nous mettrions en frais, pour fournir d efprit les fiécles futurs : puif« que les précédens n'ont pas fongé à faire de pareilles provifions pour nous. Du moins, c'efl-là mon fcntimenc, parce quec'efl celui de nos Critiques les plus modernes , & par confequent les plus orthodoxes.

L'envie cependant que j'ai , que tou- tes les pcrfonnes accomplies , qui one acquis une part dans le gout qui doit avoir cours dans le prefentmois d'Août id5?7. , puiiîent pénétrer jufqu'au f-ivd du fublime, qui règne dans tout mon Ouvrage , m'obli2:e d'établir ici en leur "B 6 fa-

* C'eft îe Cours , les gens ce qualité fc promener.t en Carofte, dans les mêmes YUiiS qu'en ic fait par ttut ailleurs.

?5 PREFACE.

faveur la maxime générale que volcî. Tout Lecteur, qui fouhaite d'entrer comme il faut dans les penfées d'un Au* teur5ne fauroit mieux faire, que dele pla- cer dans lafituarion oufe trùuvoit l'Au- teur lui-même à mefure que chaque paf- fageimportantcouloit de fa plume. Rien neftplu3 propre que cette méthode à iier l'Auteur & le Lecteur par une cor- refpondance exacte d'idées. Pour faci- liter au public cette méthode û delica- te, autant que les bornes d'une Préfa- ce le peuvent permettre. Je lui dira i^'abord, que les Pieces les plus rafinées de mon Traité ont été miifes au monde dans un lit placé dans un Galetas. 11 faura encore que, pour des raifonsque je trouve bon de garder par devers moi, j'ai jugé à propos d'éguiferfouvent mon génie par la faim ^ &, que tout l'Ouvra- ge a été commencé, continué, & fini pendant un long Cours de Médecine, & une grande difctte d'argent.

11 faut, par confequent, que leLefteur bénévole, s'il veut pénétrer dans un grand nombre de mes plus brillantes penfées, s'en rende l'entrée facile, en s'y préparant ducment felon les inllruc- tions que je viens de lui donner. C'ell-là mon principal PoJIîilaium^ Com-

PREFACE. ?7

Comme je fais profefTion de m'ac- commoder en tout au gout des Moder- nes, j'ai grand' peur qu'on ne me repro- che d'avoir poufle ma Préface il loin, fans déclam_cr, felon la coutume, contre cette multitude d'Ecrivains , de laquelle toute la multitude des Ecrivains fe plaint avec tant de raifon. Je viens juilement de parcourir une centaine de Préfaces , qui, ^ès l'entrée, adreflent au public leur jufles plaintes fur un defordre fi criant. J'en ai retenu un petit nombre d'exem- ples,que je vaiexpofèr aux yeux du Lec- teur avec toute Fexaélitude, que ma mémoire me voudra permettre. Une de ces Préface commence ainfi :

Se mettre dans Vefprit d'être Auteur ^ dans un temps ou la PreJJe four mille y (Se

Une autre,

La taxe qtCcn a mife fur le papier ne diminue pas le nombre des petits Ecrivains qui infèrent y (sfc.

Une autre,

^and chaque Garçon Bel-Esprit- B 7 prend

3^5 P R E F ACE,

prend la plume en main, U eft ridicule d'entrer dam k Catalogue , i^ç.

Une autre ,

LorfqiiOn remarque quelle Friperie acca- hie à préfent la PreJ/e , i^c.

Une autre,

Monfteur ,

Ceft uniquement pour obéir à vos ordres^ que je me fais imprimer. A moins d'une raifon de cette force , qui voudrcitfe met" fre au niveau de cette Populace de petits Auteurs^ l§c.

J'avoue* que Tobjeclion , qu'une cou- tume il bien établie fournit contre moi , efl forte. On me permettra pourtant d'y répondre en deux mots. Première- ment, je fuis fort éloigné de croire , que le nombre des Auteurs fbit préjudicia- ble à notre Nation ; & je crois avoir vigoureusement plaidé pour le contraire dans plulleurs endroits de monOuvrage. En fécond lieu, je ne comprens pas trop bien le procédé qu'on veut me don- ner pour mo délie. J'ai obfervé qu'un

bon

PREFACE. 5P

bon nombre de ces Préfaces polies font de la même main , & quelles font com- pofées juflement par ceux-là , qui acca- blent le public par les produ6lions les plus z'oîumineufes. Le Lecteur ne trou- vera pas mauvais, j'efpere, que je lui débite là-delTus un petit Conte.

Un Charlatan, s'étant poflé dans la Place nommée Leicefter-fields , avoit at- tiré autour de lui une AiTemblée des plus nombreufes. Un de ceux qui la com- pofoient étoit un gros drolle, qui. étoic prefque étouffé par la preife. 11 s'écrioit à tout moment, Bon Dieu/ quelle chien^ ne de canaille s^eft attroupée ici? Ehy je 'VOUS prie , bonnes gens , faites un peu de place, ^el Diable peut avoir mis enfem-- hle cette populace ahonimahle ? Au Diable [oient les marauts , ajd mepreffent de cette force ? Homme de bien , au 7wm du Sei- gneur , ôtez de-là votre coude. Un Tiffe- ran , qui ie trouvoit tout près de cet animal plaintif, n'étant à la fin plus maître de fon indignation , & le re- gardant de travers : ^ue la pejfe vous crève , dit-il , B<£uf engraiffé que vous êtes. Dites-nous , au nom du Diable , qui d'entre nous tous contribue autant à hpre£eque vous? Ne voyez-vous pas que

votre

40 PREFACE.

'•^oire chienne de Figure prend plus déplace que cinq autres ? La place n'eft-elle pas autant à mus quà votre bedaine ? Met- tez vos diables d'inteftins dans une efpa- ce raifonnable ^ ^ il y aura place pour nous tous.

En voilà bien afTez fur ce fujet.

Il me relie encor à avertir mes Lec- teurs, qu'il y a certains privileges com- muns à tous les Ecrivains, donc je me flatte qu'on me laiiTera jouir en repos. Une de ces prerogatives veut que dans les endroits , l'on ne m'entendra pas , on fuppofera qu'il y a quelque chofe de profond & d'utile , caché fous ces té- nèbres : une autre , que tout ce qu'on verra en lettres italiques fera cenfé contenir quelque chofe d'extraordinai- re , ou dans le genre fleuri y ou dans le genre fublime.

Pour ce qui regarde la Liberté que j'ai cru pouvoir prendre quelque fois de me louer moi-même, il nefl pas necefîai- re de l'excufer; puifque cette pratique eft fondée fur l'autorité fuffifante d un grand nombre d'illuftres exemples.

Je dois remarquer, qu'anciennement FEloge étoit unePénfion, qu'on rece-

voit

PREFACE. 41

voit de la main du public ; mais, les Mo- dernes, voïânt quil y avoir trop de pei- ne à la recueillir, ont depuis peu pris Higement le parti d'acheter le F/ef tout entier. Depuis ce tems , ils en pofle- dent le domaine a pur & à plein , & ils jouïfTent du revenu , comme ils le trouvent à propos. C'efl pour cette raifon , que quand un Auteur fait fon propre Paneg3'rique, il fe fert d'une ef- pece de formulaire ^v^r lequel il decla- re le droit qu'il a d'en ufer ainfi , ôc qui confilte d'ordinaire dans ces paroles , je parle fans 'vanité. Ce qui marque clairement, qu'il fe croit autorifé par quelque autre titre que r amour -propre. Comme la repetition de ce formitlairç pourroit être ennuieufe à la fin, j'aver- tis ici une fois pour toutes , que dans toutes les occafions je rends juflice à mes propres talens, ledit formulaire efl fous-enténdu.

Je fens ma confcience fort au hrge de ce que , dans tout le cours d'un Traité fi travaillé & fi utile , je n'ai pas donné l'effor au moindre petit trait de Satire; ce qui elt l'unique article , fur lequel je me fuis hazardé à m'éloigner des fa- meux modelles , que ma Patrie a.produits

dan^

4t PREFACE.

dans notre age. J'ai obfervé , que quel- ques efprits fatiriques agiflent avec te public de la même manière, qu'un maî- tre d'école traite un méchant garçon qu'il vient fraichement de foéter pour le rendre meilleur. 11 comm.ence par lui mettre devant les jeux toutes les parti- cularitez du cas, qui ell: le motif delà corre6iion : il s'étend eniuite far la ne- ceiïité du châtiment-, & il finit chaque période par un bon coup de verges.

Si j'entens quelque chofe dans les îiiFaires de ce Monde ,nos Cenfcirs Fe- roient fort bien de s'épargner la peine de donner tant de coups de fouet inutile- ment. Il n'y a pas dans toute la natu- re un membre plus dur, ù. plus couvert d'un calus impénétrable, que les parties poflerieures du public, qui font égale- ment infenfibles, foit qu'on les attaque à coups de pied ou à coups de verges. D'ailleurs, plufieurs de nos Satiriques me paroiflent être dans une grande erreur, en s'imaginant, que, parce que les orties piquent, toutes les autres mauvaifes her- bes doivent avoir la même propriété. Cette comparaifon ne tend en aucune manière à diminuer l'opinion, qu'on doit avoir du mérite de ce dignes Au- teurs ^

PREFACE. 4}

teurs; car, cell une chofe trcs-conniië parmi les Naturalilles, que les mauvaifes herbes ont la prééminence fur tous les végétaux. Celt pourquoi le premier ^ ■Monarque de toute notre Ile, dont le gout étoit i\ fubtii &. ii rafmé , fit très- fagement, en ôtant la Rofe du Collier de notre Ordre, pour mettre le Chardoii h la place. De-là de profonds Antiquai- res ont conjecturé, que la démangeai- fon fatyrique , qui s'étend fi fort parmi nous, nous eft venue du Nord deTHe. Puilfe-t-elle fleurir long-temps ici ; puii^ lè-t-elle regarder de haut en bas le mé* pris des hom.mes, & égaler fon dédain pour le public à finfenfibilité qu'il a pour fes plus rudes coups j que propre Itu- pidité, ni celle defespai*tifans,ne l'em- pêche pas de pouffer fes généreux def^ feins ^ & qu'elle fe fouvienne toujours qu'il en ell de l'efprit comme d'un razoir, qui n'efl jamais fi propre à faire des bala- fres , que quand il a perdu fon tranchant.. Qu'elle n oubhe pas que ceux , dont ks Dents font trop pourries, pour pou- voir

* Jaques premier, grand Dodeur & petit Prince : on a fort joliment dépeint fon caraftere, & celui de la Reine Elifabet, dans cefeul vers Latin. ^\,cx crat Elifabet , ?jmic efi K^gina Jaiobus^.

44 PREFACE.

voir mordre vigoureufement, font très- bien qualifiez pour fuppléer à ce défaut par leur Haleine.

Je ne fuis pas fufceptible d e cette baffe jaloufie, qui pouffe le vulgaire à mépri- fer les talens qui font au-deffus de fa portée 5 & je fuis très-porté à rendre juftice à cette Se6le de nos Beaux- Ef. prits Britanniques. J'efpere auffi, que ce petit Panégyrique aura l'honneur de lui plaire, puifque j'y facrifie mes propres intérêts à fa gloire.

Il faut avouer auffi , que la Nature même a mis les chofes fur un tel pied , que , par la Satire, on acquiert de l'hon- neur & de la reputation à meilleur mar- ché, que par aucune autre production de l'efprit.

Il y a un certain Auteur ancien , qui propofe comme un problème , Pour- quoi les Dédicaces, &: d'autres ajforti- mens de flatterie^ ne roulent que .fur de vieux lieux-communs tout rouillez, fans k moindre teinture de nouveauté? Pourquoi elles font ^\ capables dejetter le Leèteur Chrétien dans le degout,& même , il l'on n'en prévient prompte- ment l'effet , de répandre la léthargie généralement par tout le Royaume : au

lieu

PREFACE. 4j

lieu qu'il y a fort peu de Satires, qui na- niment l'attention du public par quel- que chofe de finguîier ?

On artribue d'ordinaire cette mal- heureufe deftinée des Eloges à un défaut d'invention dans ceux qui fe mêlent de les débiter; mais, à tort: la verita- ble fblution de cette difficulté efl aifée & naturelle. Les Matériaux du Pané- gyrique , étant renfermez dans des bor- nes trcs-étroites , ont été épuifez il y a long-tems : car, comme la fanté ell uni- que , au lieu que les maladies font nom- breufes, & reçoivent de jour en jour quelques nouvelles compagnes ; de mê- me , les vertus font en petit nombre , mais les vices & les extravagances font innombrables, & le tems y ajoute conti- nuellement quelque nouvelle efpece. Ainfijtout ce qu'un pauvre Auteur peut faire , c'eft d'aprendre par cœur une liiie des Vertus Cardinales , & de les prodi- guer à fon Héros , ou à fon Mecenas. Il a beau les accommoder de différentes manières , & jetter quelque variété dans fcs Phrafes, le Le6leur eft bientôt au fait; il voit bientôt au travers de toute cette difference de fources, que tout cela n' eft

^,6 PREFACE.

^ue du ^ Cochon. L'Auteur n'en peui mais ; nos expreiTions ne fauroient aller plus loin que nos idées; &, quand cek ïes-ci font épuifées , les termes doivent de neceiTité fubir le même fort.

Mais 5 quand même le fujet du Pa- îiegyrique feroit aufîî fécond que celui de la Satire, il ne feroit pas difficile pourtant de trouver la raifon veritable, qui rend la dernière plus favoureufe que l'autre.

L'Eloge ne roulant d'ordinaire que fur une perfonne à la fois , qu'il nomme , ou qu'il defigne clairement , doit par- là, de necelîité, exciter l'envie de ceux qui n'ont point de part au gateau , ôl ibufrir de leur mauvaife humeur. Mais, la Satire ne nomme point les originaux de fes portraits : elle femble vifer à tous les hommes ; & , graces à notre vanité , aucun individu humain ne s^n croit l'objet particulier. Chacun rejette fage- ment fa part du fardeau fur les épaules du Monde entier, qui fontaffez larges dans le fond pour le foutenir.

Cette vérité d'expérience m'a fait rc-

fie-

* L'Auteur fait aîlufion ici à un Repas <dont parle Plutarque , tous les mets n'étoieiit que du Fore diiFerçiaent ailaifonDc.

PREFACE. 47

flecliir plufleurs fois fur Ja difference qu'il y a à cet égard entre l'Angleterre & l'ancienne Athènes Dans la Républi- que d'Athènes c'étoit le droit hérédi- taire de chaque Citoïen, de chaque Poète , d'attaquer publiquement, & mê- me déjouer fur le Theatre, lesperfona- ges les plus illuflres, ixnCréon, imHy- perboius ^ un Alcthiade^ un Deynofthene, On les nommoit même, aiînquelepu- blic n'en prétendit point caufe d'igno- rance. Le moindre mot, au contraire, qui fembloit réfléchir fur le Peuple en general, étoit aulïï-tôt relevé & s'atti- roit une punition exemplaire, quelque diilinguée que fut la perfonne qui eut eu faudace de le lâcher.

Chez nous, c'efljuflement le Revers de la Médaille \ on y peut emploïer en fureté toute la force de fon éloquence contre la Société en general, & dire en face à tout un Auditoire même fesveri- tez les plus odieufes.

Vous pouvez declarer hardiment , q^ue tous les hommes ont pris des chemins tor^ tus \ quîl ne refle plus au ?Konde un feul homme intègre \ que notre âge eft la lie des fiecles\ que la [celer ate Jje l^ Vatheïf- 'me fe répandent parmi nous comme des ma- ladies

48 PREFACE.

Icu!iescontagieuJes\ que Jahonne-foia qmï'^ îé la Ter-fC ai'ec Aftrée, Vous pouvez vous étendre fur de pareils lieux-com- muns aufTi nouveaux que brillans , au- tant que votre éloquente bile le trouve à propos ; & , quand vous aurez fini , tous les auditeurs vous en fauront gré , comme à un Orateur, qui vient de ré- pandre un beau jour fur les veritez les plus utiles, & les plus precieufes.

Je dis plus: vous ne courrez aucun rifque, que celui d'épuifer vos poumons, en préchant dans l'Eglife de Covent- garden contre \ts Airs petits-maîtres , contre la Fornication, & quelque chofe de pis encore. Vous avez la liberté, en celle de Wbithall ^ , de déclamer contre rOrgeuil, la Dilïïmulation, &la BaflelTe de fe iailTer gagner par des préfens: dans celle, qui eil la plus fréquentée par les gens de Robbe, vous pouvez attaquer avec fureur l'Injuftice & la Rapine; & dans une Chaire bourgeoifejau milieu de la Cité , perfonne ne vous contellera le droit de vous emporter contre l'Avarice, l'Hypocrifie, & rExtoriicn. Ce n'ell quime balle \^xx,iç, à tout hazard au mi- lieu

•* L'EgliTc de la Cour»

F R E F A C E. 49

liC-u du Peuple j chaque Auditeur eft armé d'une raauête , & fait habilement éloigner la balle de lui & la renvoïer dans la multitude.

Mais, d'un autrecôt-é, n'allez pas vous tromper aflez groûlerement fur la natu- re des chofesjpour vous laiiTer échaper en public le moindre met touchant un tel^ qui a fait mourir de faim la moitié d'une Armée navale, & qui a cmpoi- fonné le relie ; ni touchant un autre , qui s'atache aiTez aux véritables prin- cipes de l'amour & de l'honneur, pour nepaïer aucunes dettes, excepté celles qui concernent le Jeu, & les Courtifa- nés. Ne dites rien d'un troidéme , qui troque les grands biens de les Ancêtres contre les maladies les plus infâmes, Taifez-vous fur le Chapitre de Paris,qui, gagné également par Fenus^^ parj/^- 7ion, écoute tout leur plaidoïé en dor- mant. Ne vous émancipez pas fur le chapitre de cet Orateur , qui fait de lon- gues Harangues dans le Sénat, avec beaucoup de méditation, très-peu de fens, ëc fort mx9.1-à~propos. Qiiiconque ofe entrer étourdiment dans un pareil d -tail doit s'attendre à être em.prifonné , pourfuivi en juicice, comme un Ca-

'ïome L C -lom-

^o PREFACE.

iomniateur , & declare coupable du cri- me qu'on nomme * Scandalum Magna* turn.

Mais, je ne fonge pas que je m'étends fur un fujet, je ne fuis nullement in- térelTé, puifque je n'ai, ni talent, ni in- clination, pour la Satire. A cela près, je fuis fi fatisfait de tout le cours préfent des affaires humaines , que je prépare dé- jà depuis plufieurs années les Matériaux ^nn Panégyrique du Genre Humain^ au- quel j'ai defTein d'ajouter une féconde Partie intitulée,!)^/^ /^T^ modefle du Procc* de la Populace dans tous les Ages.

J'avois quelque envie de joindre fun & fautrede ces Traitez à cet Ouvrage-

'^ C'eft le Crime de médire de« gens titrez » contre lequel les Loix de l'Angleterre font trcs- fevères ; mais , comme on n'obferve dans ce Païs que la lettre des Loix , on a trouvé un moïen très-facile de dire pis que pendre d'un Grand Seigneur, ou de fa Famille j fans avoir rien à craindre. On le nomme même ; mais , on a foin de mettre des points à la place de quelques lettres; par exemplcjvoulez-vous dépeindre un Duc d'Or- mond des couleurs les plus noires ; mettez feule- ment Or. .nd, faites le rimer même vous vou- iez avec un terme duméme fon : laLoi n'a point de prife fur vous, quoi qu'il foit certain, de la dernière certitude, que c'çft SçiêUeUT qUSTOUS

m%it eu Qa ^n?»

PREFACE. ft

ci 5 en qualité d' Appendix ^ mais, voïani que mon livre de Lieux-communs fe rem- plit plus lentement que jen'avoiseipe- ré, j'ai trouvé bon de différer cette af- faire jufques a quelque occafion plus fa- vorable. D'ailleurs, j'ai été détourné de Texécution de ce deflein par un malheur domeftique , dont , felon la coutume des Modernes, je devrois ici informer le Leéteur bénévole. Cette particularité feroit d'un grand fecours , pour donner h ma Préface le volume , qui efl à pré^ fenten vogue , & qui doit ctre étendu à proportion que f'Ouvrage même cft petit. Néanmoins, malgré toutes ces coniiderations , je n'arrêterai pas plus long-temps, dans le Veilibule, l'impa- tience de mon Lecteur; &, lui aïant ducment préparé l'efprit par ce Difcours préliminaire , je fuis prêt à l'introduire dans les fublimes Myltéres qui iiiivenc

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LE CONTE

TONNEAU,

SECTION L

InîrQdudion,

Quiconque a l'ambition de ie faire entendre dans une grande prefTe "ell obligé de pouffer, de remuer les coudes , & de grimper jufqu'à ce qu'il puiffe s'élever à un certain degré de hauteur au-deffas de la multitude.

Or, toutes les Affemblées , quelques ferrées qu'elles foient, ont cette pro- priété particulière , qu'il y a de la place de relie au-deffus d'elles. La difficulté eft d'y parvenir; puifqu'il eft aufîî mal aifé de gagner le deffusfur le vulgaire, que de fe tirer des Enfers.

Evadere ad auras ^

HocOpiSy hlcJLahoreft,

Pouf

LE CONTE DU TONNEAU. ^

Pour y réulTir pourtant, les Philoib- phes de tous les âges ont pris le parti d'ériger certains édifices dans l'air; mais, malgré la réputation dont ces for- tes de batimens ont été de tout tems en poiTefïïon , je crois ( en foumettant mes lumières à celles des autres) que tous 5 fans en excepter le pannier ou fe fufpendit Socrate, pour faciliter fes Me- ditations, ont étéfujets àdeuxinconve- niens. Premièrement , leur baze étant pofée trop haut, ils ont été d'ordinai- re hors de la portée des yeux, & tou- jours hors de la portée des oreilles: en fécond lieu , leurs matériaux étant de leur nature fort '^ tra?ifitoires ont toujours fouffert beaucoup des injures de l'air, fur-tout dans nos pais iituez du côté du Nord-Ouefb

Pour

* Je crois que l'Auteur a en vue les Idées Me- tapKifiques de la plupart des rhilolophes, qui fem- blent le prerdre dans les nues, ou elles ne fauroient être atteintes par les fimplcs notions du fens- commun: c'cfl pour cette raifon , qu'il appelle leurs édiûc&s ti-anfîtoiyes , parce que les nuées •païïentvite. Si un autre entend ce pafTîige mieux que moi, je l'en félicite: Ôi û l'Auteur elldans cet endroit inintelligible , ou que Ion .'Ulegorie foit peu juile, tant pis pour lui.

f4 L E C O N T E

Pour furmonter ces obftacles , nos ancêtres out trouvé bon dans leur gran- de fagelTe , afin d'encourager tous les avanturiers, qui afpirent à l'élévation dont il s'agit , d'inventer trois Machi- nes de Bois 5 très-utiles pour tous ceux qui veulent parler fans être interrom- pus: ce font la Chaire ^ Y Echelle ^ & le ffhéatre anibidant *.

Pour ce qui regarde le Barreau, quoi- qu'il foit de la même matière, & delli- île au mém.e ufage , on ne fauroit ce- pendant lui attribuer avec juflice une quatrième place; parce qu'il efl à rès de chauffée avec /'^/^^//é?/V^ 5 & par-là fiijet à une interruption collatérale f. Le Tribunal lui-même , quoique placé dans une hauteur convenable, brigue- roit en vain cet honneur ; car , fi l'on veut remonter à fon Origine, on recon- noiirafins peine, que l'ufage , auquel on le deltine à préfent, répond avec une parfaite exactitude à fon inllitution pri- mitive ,

* Il s'agit ici des Harangues des Prédicateurs , des futurs Pendus, & des Charlatans.

f II eft permis & ordinaire aux Avocats , qui dans un Barreau font placez à la même hauteur les uns des J.utresj de s'interrompre très fou-

DU TONNEAU. sf

mitive , & que Fun & rautre ont une conformité entière avec F Etymologic da mot ^\ Il Vient de la Langue Phéni- cienne , dans laquelle il eit très-fignifi- catif, pQifqu'expliqué à la lettre il dé- figne u'/i lieu deftiné au fommeil. Sa fi- gnification ordinaire parmi nous ne s'é- loigne pas trop de ce fens original : car, ce terme de Tribunal exprime parm.i nous un fiége duément renverfé, & four- ni de couiTins , pour la commodité de inembrcs goûteux &affoiblis par Fâgc|

Senes ut in otîa tuta recédant,

Kien dans le fond n'ell mieux entendu , & plus juRe : il eil naturel que ceux , qui, dans leur jeunefle ont parlé long- tems 5 pendant que les autres dormoient, aient la permiiîion de dormir à leur ai- fe auiïï long -tems que les autres ba- billent.

D'ailleurs , quand il me feroit impoffi- ble de trouver la moindre raifon folide,

pour

* Bench veut dire en Anglois un Tribunal. S'il y a efl-eâ:ivement , dans la Langue Phéni- cienne, un terme compofé il peu près des mômes lettres, c'cft ce que j'ignore ; & j 'aime mieux le croire , que d'y aller voir.

C4

S6 L E C O N T E

. poar bannir \q Barreau ^le T'ribunalà^ liile des Machines Oratoires , il me fuffiroit , pour leur donner l'exclufion , que je ne veux pas m'écarter d'un cer- tain nombre que j'ai refolu d'établir dans toutes mes Divifions , en dépit de tout ce qu'il en pourra coûter à mon bon- iens. Je ne ferai qu'imiter là- dedans plu-. lieurs Philofophes , & autres génies fu^ blimes, qui s'attachent avec pafîlon à im certain Nombre myllique , que leur imagination a confacré à un tel point, qu'ils forcent la Raifon h lui trouver pla- ce dans chaque partie de la Nature. Ils y reduifentj ils yajuflent, chaque gen- re 5 chaque efpéce : ils en joignent quel- ques-uns enfemble, en dépit d'eux & de leur dents ^ & ils exilent de leur Syilê- me ceux qui ne veulent abfolumentpas fe fôumettre àun-enchainement pareil Pourmoi5c'ert leNombre Trois,c'ell ce nombre />ri?/(9;;^, qui a toujours occupé mes contemplations les plus fiiblimes , & qui m'a dedoroagé de mes pénibles recherches, par des délices infimes. Auffi, le public verra-t-il bien- tôt fortir de k prelle -^mon ElTay de Panégyrique tait- chant

* Voyez le Catalogue des Livres que l'Auteur promet au public.

DU TONNEAU. $j

chant ce Nombre. Je me flatte d'y avoir démontré , par les preuves les plus con- vaincantes, que tous les Sens &tous les Elemens doivent être rangez fous les étendartsde ce Nombre Sacré ^ & déjà j'ai caufé une terrible defertion parmi tous ceux qui ont affecté jufqu ici de fuivre la bannière de fes deux rivaux. Sept 5 & Neuf. Je retourne à mon fu- jet.

De ces Macloims Oratoires., la premie- re en élévation , auiïï bien qu'en digni- té, c'eil la Chaire. Il y en a différentes fortes dans notre Ile ; mais, celles que j'eftime uniquement font faites d'un bois coupé dans la Forêt CaIydo?nenne *. Plus elles font veilles , & meilleures elles fonr^ à'caufe de la direction à\xSon^ &: pour

d'au-

* LTcoïïe s'appello/t anciennement Calyd9ryi.a ; & notre Auteur recoraandc le bois de ce païs pour les Chaires , parce que les Kon-conformii^ tes , qui font la plus grande ngure en Angleterrty font les Presbytériens , qui ont la même difci- pline, 6clesm.èmes opinions, que ceux delà Re- ligion dominante de l'EcoJJe.- Au reile , il loue ici la £gurc fimple & unie de ces Chaires ,. parc& que les Presbytériens , qui prétendeat à une plu» grande Sp'ritu.i/ite quo les .'i;/^//r,.'s;;j,rc font ur.cf affaire-de Confcience de bannir tout ornement d^' leurs Tçmples,

f8 E E C O N T E

d'autres raifons qui feront mentionnées: dans le moment. Leur degré de perfec- tion, par rapport à la taille &àlafigure, confilte , à mon avis , à être extrême- ment étroites 5 & deilituées de tout or- nemient.Il efl bon m.emejqu'elles n'ayent pas une eipece de Dais au deflus d'elles3 car, félon la règle ancienne, ce doit être le feul l'aij/eau découvert ^ dans toy tes les AiTemxblées Ton en fait un legi- tim.e ufage. De cette manière, elles au- ront une reifemblance aifez grande avec im Pilori \ ce qui leur donnera une in- fluence eiricace fur les oreilles humai- nes.

La féconde Machine en que[lion,c'e{l \ Echelle , fur laquelle je ne m'étendrai pas. Les étrangers même ont remarqué , . ri la gloire de notre Patrie, que nous, furpafîbns tous les peuples par rapporta l'intelligence, & au veritable ufage , de- cette Machine..

Les Orateurs , qui s'y élèvent par dé- grez, n'obligent pas feulement leur au- ditoire par la charmante manière dont ils débitent leurs Harangues ; ils favo- rifent même tout le monde en les ren- dant publiques de bonne heuxe , avant que de les prononcer. .

h

Du TONNEAU. f^

Je regarde ces difcours comme le' trefor le plus choifi de notre éloquence Britannique: &aj'apprends avec joïe, que notre digne Citoyen & Libraire, le SitwvJeanDiiîton^ en a fait une fidelle & pénible Collection, quil adefleinde publier au premier jour en douze volu- mes in folio enrichis de figures Ouvra- ge, aufîi curieux qu'utile, (Se digne de la main qui nous le communique.

La dernière Machine des Orateurs ell le l^béaîre amhida 'it, drefle avec beau- coup de Ç2ig2iCité^fubJo'vepluv}o^ i/ttri^ *vlis^ t? quadriviis. C'ell le grand le- minaire des deux autres ^: &. les Ora- teurs , qui y montent , font quelque- fois admis à figurer fur la premiere, & quelquefois fur la féconde , felon leur dif- ferent mérite, la liaifon, qu'il y a entre

ces

* Il paroit d'abord difficile de comprendre comment les Theatres des Charlatans font lefemV naire des Prédicateurs, & des Pendus. Mais, il faut entendre ceci d'une manière figurée. La Char'atanerie influe eiîe<fi:ivem<;nt,non feulement fur la conduite des Voleurs, qui dupent fouvent les hommes par une faulTe Ofientation, mais' encore fur certains Miniiires de l'Evangile, qui parviennent a la fortune & à la reputation par- une fa'iiTç Parade de Lumières Qp de FietSy

c 6

€o LEG O N T E^

ces- trois Machines , étant auiTi étroite qu il ell pofîîble de fe l'imaginer.

Il paroit évidemm«^,t , par ce que je viens de dire , que l'élévation du lieu eil abfolument requife pour s'attirer l'atten- tion du public : mais , quoique tout le monde convienne du fait, les opinions font fort diférentes fur la caufe ; & je penfe , quant à moi, que peu de Philoio- phes ont eu le bonheur de trouver une explication aifée & naturelle de ce Phénomène. Voici celle qui me paroit la plus profonde , & la mieux fuivie.

L'air étant un corps pefant, &, par confequent, felon le Syfleme d'Epi^ cure 5 tendant toujours vers la terre, doit indubitablement defcendre avec plus de force, quand il ell chargé de paroles, autres corps d'un poids confide-^ rable , comme il paroit évidemment par les profondes impreifions qu'elles font fur nous. Il fuit de-là, que ces paroles doivent être répandues d'une hauteur fufhfante , fi l'on veut qu'elles parviens nent à leur but, & qu'elles tombent avec allez de force.

DU TONNEAU, ëi

Corpoream enim vomn conftare fatendum

Et fonitum qiioraam pojfunt i?npelkre fe}> fus, Lucret; lib. 4.

Cette raifon acquiert encore un noi> veau degré de force par une obfervaticn très-commune ; favoir que , dans tous les auditoires des différentes elpécesd'Ora^ teurs 5 la nature elle-même enfeigne à ceux qui compofent rAfTemblée , à fe tenir la bouche ouverte, dans une po- fition parallèle à l'horifon , de manière qu'ils font coupez par une ligne perpen- diculaire qui tombe du zenith vers le centre de notre globe. Dans cette, ii- tuation , fi rAlTemblée eft compacte (^ ferrée comme il faut, rien ne fauroit tom.ber à terre , & chaque Auditeur emporte chez foi fa portion de la Ha- rangue.

11 faut avouer , qu'il y a quelque choie de plus rafiné encore dans l' Archi- te6luredesBatimens modernes deftinez aux Ouvrages Dramatiques. Première- ment, le Parterre s'abbaiile devant le Theatre, afin que, felon nos Remarques grécédentes , toutes les matières de C 7 poids

€z LE C Off TE

poids qui fe répandent de-Ià , qu'elles: foienc or , owplomb , puillent tomber tout droit dans les mâchoires de certains ani- maux nommez Critiques , qui les atten-^ dent la gueule béante, pour les dévorer. Les Loges , qu'en faveur des Dames on a placées de niveau avec le Théâtre , font arrangées en cercle, parce qu'on a obfervé que cette grande dozed'elprit, qu'on emploie à exciter parmi le beau Sexe certaines démangeaifons, fuivent ordinairement une route circulaire ^,

Cer-

* L'Efprît, qu'on emploie dans les obfcenitezj eft très-commun , & aifé à attrapper : c'efl prefque toujours la même chofe parmi les Au- teurs Dramatiques , qui veulent ahfolument fai- re rire, & qui remplacent} par ces fottifes, le fel comique qui doit régner dans les Comedies. C'eft pour cette raifon, que l'Auteur fait rouler cette forte d'elprit eii cercle. Il dit proprement ^ans l'Original , que cet efprit s'avance en ligne droite^ & va toujours dans un cercle. Peut-être veut-il dire quelquechofe, que je n'ofe exprimer' ici 5 & qu'on devinera de refte. J'ai pourtant trouvé à propos de préférer la premierre idée dans ma tradudlion. Quoi qu'il en foit , il a grand' raifon de ccnlùrer la licence des Auteurs Dramatiques de fa Nation : licence fi effrénée , que la manière de garder fa contenance eft de- venue un Art dau§ ks formes p.arrui beau Sa-» xe-Anglois,

DU TON^^EAU. €^

Certains fentimens langoureux , & cer- taines penfées minces & étiques, s'élè- vent tout doucement par leur extrême légèreté jufqu'à la moienne region de la fale ; & elles fe gèlent par le mo- ïen de l'entendement froid deshabitans des fécondes loges.

Le Galimathias & la Boufonnerie, qui font encore d'une plus grande légè- reté , montent avec aflez de précipita- tion au deffus de Faii' qui eft plus pefant, & fe pcrdroient certainement dans la voûte, fi le prudent Architecte n'avoit pas eu la précaution d'y pratiquer un quatrième étage , appelle le Paradis , & fi l'on n'y avoit placé une Colonie bigarrée, qui les arrête dans leur paf^ fage 5 & qui s'en failit avec ardeur.

Le Lecteur faura, que ce Sylleme Phyfico-Logical des Alacblnes Oratoires cache de grands Milléres , & que c'ell un type, unfigne, une emblème, une ombre , un fmibole , qui a une analo- gie exacle avec la République des Au- teurs, & avec les mefures qu'ils doi- vent prendre pour s'élever au deffus du; vulgaire.

Par la Chaire,doivent être entendus les Ecrits des Sayits moderaes de la Gran- de.

^4 LE CONTE

de Bretagne ; écrits ipiritualifez , épu* rez , debarailez de la craffe des fens & de la raifon humaine. Le bois pourri doit être , comme j'ai dit , la matière de cette machine, pour deux raifons; premièrement , parce que le bois pourri a la qualité d'éclairer dans les ténèbres; & eniecond lieu, parce que les cavitez en font remplies de vers: deux types, qui, maniez avec raddrefTe ordinaire des Commentateurs, fignilient clairement les deux qualitez principales requifes dans rOrateur, & les deux Deftinées qui attendent fes Ouvrages.

Pour l'Echelle, c'efl un fymbole natu- rel de la FaClion, & delà Poefie, aux- quelles un fi grand nombre de perfon- nes illullres font redevables de leur ré- putation. Elle eil le fimbole-de laFac- tion , parce que . . .

Hiatus in MS. * * * -^

Elleelllefimbole de la Poefie, par- ce que les Orateurs de cette efpece iî* aiflent toujours leur Harangue par une Piece de PoèTie *, qu'ils montent les

■r dé.

f^'L^S futurs Pçndits cbanteiit dçs Pfçaucies

DU TONNEAU. (Sf

dégrez de cette machine avec lenteurj^c que le Sort les précipite du haut enbas Jong-tems avant qu'ils en aient gagné lefommet. Enfin, FEchelle efluntype delà Poèfie, parce qu'on parvient d'or- dinaire à ce polie de diflin6lion,parun tranfport de propriété^ Se en confon- dant le mien ôclttien"^.

Parle Théâtre ambulant, font dépein- tes toutes les productions de l'elprit, qui ont une relation particulière avec le di- vertilTement des mortels. Telles font ces Pieces aimables intitulées , De TEfprit à deux liards ^ Grotefques de TVcftmiinfter'^ Contes facétieux-^ Les parfait s Railleurs^ & d'autres femblables -f.C'eil par elles, que les Ecrivains de Gruhftreet ont depuis quelques années fi noblement triomphé du tems, qu'ils ont coupé fes ailes, rogné fes ongles , limé fes dents , émoul-

en Angleterre , quand ils font fur le pomt Je paffer le pas.

* Les Poètes font prefque tous Plagiaires.

f Le Lefteur François n'a qu'à mettre, à la place de ces livres , plufieurs ouvrages du cru de fon terroir , qui font du même acabit : il trouvera aflez facilement, fur-tout dans l'Etat florifTant îe bel efprit eft à préfent en France , à quoi ap- pliquer avecjufteite ce que l'Auteur va dirçdçU Socictt de Qrvhfmçt ti. de k% Rivales.

£6 LE CONTE

fa faux, & reculé fon fatal Clepiydre.

Cefl dans le Catalogue de ces fa- meux Ouvrages , que j'ai laprefomtioii d'enregiflrer ce livre-ci, aïant eu de- 23uis peu l'honneur d'être choifi mem- bre de cette focieté fi vantée.

Je ne fai que trop les pernicieux def- feins qui ont été machinez dans ces der- nières années contre cet illuilre corps, par deuxfocietez nouvellement érigées, qui ont fait tous leurs ettorts , pour tour- ner nos Auteurs en ridicule , comme in- dignes du rang qu'ils occupent dans ia République des Lettres. Ceux, qui en font coupables , aprendront d'abord par leur propre confcience, quec'eil eux y. que j'indique. Le public n'a pas été Speâateur aifez indifferent de leurs ja- loux projets pour Ibufrir avec patience que les Academies de Gresham^ 13 de fFills ^jfondent leur reputation fur la rui- ne

^'Le College de Gresham^ &le Cafféde Wiïïs, Af- femblées de beaux Efprits , qui ne font gueres fuperieurs, que par la vanité, aux Auteurs de Grub- fii-eety à qui la Nation Angloife eft redevable de ies Vanx-de-Villes ^ Contes borgnes ^ en un mot de toutes les produ(5tions de l'efprit du plus bas ordre. L'Auteur va donner dans le moment quelques ^hLautiUons de leur iàvoir-faire»

DU TONNEAU. ^j

ne de la nôtre. Notre douleur devient plus fenfible & plus violente , quand nous confiderons leur procède à notre égard , non feulement comme injufle , mais encore comme ingrat, & contrai- re à la nature même. Le monde peut-il oublier , ces corps peuvent-ils oublier eux-mêmes , quand nos annales ne fe- roient pas aulïï formelles là-defllis qu'el- les le font 5 que l'un & l'autre ils font des pépinières que nou5 avons, non feule* ment plantées , mais encore arrofées ? On m'a informé que ces deux rivaux cnt dreifé les préliminaires d'une ligue contre nous , &: qu'ils ont refolu d'unir leurs forces, pour nous défier , par un Cartel , d'entrer avec eux dans une cora- paraifon de Livres produits de part & d'autre, tant par rapport au nombre qif à regard du poids. Comme notre Préûr dent m'a chargé de leur répondre , je vais m'en acquitteriez En premier lieu, je Ibutiens que leurpropofitionreffem- bîe à celle , qu'Archimede fit dans un cas moins important, & que l'exécu-^- tion en ell abfolument impoflible. trouver des balances d'une capacité af- iez vafle pour pefer ces volumes de part&d'auu*e?. Quel Arithméticien fe-

68 LE CONTE

ra affez audacieux , pour entreprendre d'en calculer le nombre ? En fécond lieu, je dis que nous acceptons le défi, à con- dition, qu'on nous défigne une perfon- ne impartiale, pour décider à quelle fo- cieté chaque livre, chaque traité, & cha- que brochure, doivent être attribuez. La décifion n'en efî: rien moins que fa* cile. Nous Ibmmes prêts à produire un Catalogue de plufieurs milliers de vo- lumes 5 fur lefquels notre Corps a un droit incontellable , âc que pourtant certains Auteurs révoltez ont l'audace d'approprier à nos ennemis. Ce ferok donc à nous une imprudence impar- donnable de reconnoitre pour nos Ju- ges ces mêmes Auteurs , dans un tems les cabales & les intri- gues de nos adverfaires ont caufé une révolte fi générale contre nous , que les plus intimes amjs, qui nous refient encore , fe tiennent éloignez de nous , comme s'ils avoient honte de nous connoître.

Voilà tout ce que je fuis autorifé à dire fur un fujet fi mortifiant & fi mé- lancolique. Nous ne fommes nullement portez à nourrir une haine , qui pour- roit être égalem^ent fatale à tous les par- tis.

DU TONNEAU. 69

tis, &nous aimerions beaucoup mieux que ce different fût accommodé à l'a- miable. Notre corps eil tout prêt à recevoir à bras ouverts ces deux enfans prodigues , pourvu qu'ils renoncent à leurs Proftitîiées & à manger avec les Cochons, je veux dire, à leurs indignes occupations^ &, comme un père indul- gent, il ne manquera pas de leur rendre tendrefTe , & fa benedi6lion. Après rinconflance de toutes les chofes fublu- naires , rien n'a plus decredité les pro- ductions de notre focieté , que ce tour d'efprit fuperficiel, qui règne généra- lement parmi les Lecteurs de cet âge , qui font tropindolens pour creufer dans les entrailles des matières.

La Sagelfe pourtant eft un Renard , à qui fouvent on donne envainlachaife, Çi on ne. le force pas à fortir de fa tan- niere- c'efl un Fromage, qui efl d'autant meilleur, qu'il eft couvert d'une croûte épailfe, coriaiïe, & dégoûtante; c'efl du Ciiocolat , qui devient plus excellent a mefure qu'on approche du fond. La Sagelfe elt une Poule,dont il faut eiTuïer le chant defagréable , parce qu'il eft fuivi d'un œuf elle reffemble ï une noix, qui, fi elle n' eft pas choifie judicieufe-

ment

70 LE CONTE ^

m^nt , peut vous coûter une dent , & ne vous païer que d'un ver.

Cefl conformément à ces veritez , que nos fages Grubéem '^ ont toujours voulu conduire leurs préceptes vers notre efprit dans le Véhicule des fables &: des types. Peut-être les ont-ils plus ornées quelque fois, qu'il étoit necef- faire \ & par-là ces Véhicules ont eu le fort de ces Caroffes fi bien peints & dorez , dont l'éclat éblouit tellement les Spectateurs, qu'ils ne remarquent pas feulement celui qui en occupe le.fond. Nous nous confolons pourtant de ce mal- heur , parce qu'il nous efl commun avec Pitagore , Efope^ Socrate^ & plufieurs au- tres de nos iliuitres PrédéceiTeurs.

Néanmoins , afin que ,nile public, ni nous, ne foufrions pas davantage de ce défaut de pénétration, je me fuis laifle vaincre par Fimportunité de quelques amis^ &j'ai refolu d'entreprendre une DiiTertation laborieufe furies principa- les produ6lions de notre Société, qui, fous un extérieur alTez brillant pour con- tenter un Lecteur fuperficiel, ont envelo^ les plans les plus finis de tousles Arts

&

* Auteurs de CrulpcsU

D U T O N N E A U. 71

& de toutes les Sciences. Jeme fai fort de les expofer aux yeux des Curieux; (Se, s'ils font trop embaraiîez dans leurs enveloppes , je faurai bien les en tirer par le moyen de Vincifion^ ou de /Va.- ^nîlcition ^.

11 y a quelques années, qu'un de nos plus habiles Membres entreprit cet Ou* vrage important. Il commença par l'Hiitoii-e de Maître Renard \ mais, il ne vécut pas affez long-temps, pour pu- blier un traité fi utile, ni pour aller plus loin dans un fi grand deffein. On ne fauroit trop regretter ce grand homme , ne fut-ce que pour la découver- te qu'il avoit faite fur ce fujet , & com- muniquée à fes amis. La îbhdité n'en ell conteflée à préfentparaucim Savant de quelque Reputation^ <& perfonne ne doute que ladite Hilloire ne contienne un Corps complet , ou plutôt une Reve- lation, une Apocalypfe, de tous les Se- crets de la Politique.

Pour moi, j'ai pouffé cette entreprife beaucoup plus loin, ayant déjà mis la dernière main à mes Commentaires fur

plu-

* Moyen de faire fortir de quelque ^ndr<îit Tairou l'eau, par le moyen de la pomps.

ijt L E C O N T E

plufieurs douzaines de Traitez d'une pa- reille force. Je crois obliger le Lec- teur, en lui en donnant ici quelques idées fuffifantes pour le mettre au fait.

La premiere Piece *, à laquelle je me fuis attaché , c'efl le petit Poucet , dont l'Auteur étoit de la Secte de Pythagore, C'efl un traité ténébreux , qui contient tout le plan de la Metampficofe , & qui conduit l'âme dans toutes fes différentes revolutions.

Le fécond efl le Docteur Faufius , écrit par Artephius ^ un Auteur hon^ not ce & un adepte. Il le publia dans fa neuf- cent-quatre- vingt-quatrième année. Ce Sage procède entièrement par la voye de la réincrudatlon^ ou par la 'voye humide-. Le Mariage entre Fauflus & Hélène ne fertqu'à répandre du jour fur \2i fermen- tation du Dragon wâle^ ^ du Dragon femelle,

îVhitùngton £5? [on Chat efl l'Ou- vrage du miflerieux Rabbin Jehuda

Han-

* Les François n'ont qu'à fubilîtuer , à plufieurs âeces livrer ,163 Ouvrages parallèles de la façon de leurs Auteurs; les Contes de Peau d^ Ane -, les Contes de Fees y le Marcv de FeneJIe, Tabarin y

DU TONNEAU. 75

Hannafi , contenant la d^fenfe de Ja Gueriiara de la Mijha de Jerufaîetiz , ëi prouvant fa fiiperiorité fur celle de Bahilonc, contre l'opinion reçue.

La Bïche '^ la PanibercCei le Chef- d'œuvre d'un fameux Savant ^^ui exifte encore : le but de cet Ouvrage eft de nous donner un extrait iidéle de feize mille Auteurs Scholailiques, depuis Scot jufqu h BellaiTfîi^î.

Le Flacû?i de Grcmre. C'eft une Pi é- ce qu on iupole être ae la même main, & u'on regarde comme un Siiplém.enc du Traité qui precede.

Le Sage de Gotham^ cum Appendice, Ceft-là vericablemenr Un Traité d'une érudition immenfe: on peut l'apeller la fource originale de ces argUmens, quon poulfeapréfent avec tant de vi- gueur , en France & en Angleterre , pour défendre le favoir & lelprit des ^iodernes, contre la préfomption, l'or- gueil, Ôc Tignorance des Anciens. Cet Auteur a tellement épuifé cette matiè- re , que tout ce qu'on a écrit là-dcfuis depuis ne fauroit pafler que pour pure repétition, chez un Lecteur un peu pé-

né«

* Jiiin Dryden,

Tome L D

74 L E C O N T E

nétrant. Un Membre diilingué de notre Société a publié depuis peu un Abrégé de cette excellente Piece ^.

Ces petits échantillons fuffifent , pour faire entrer le public dans le goût de tout rOuvrage : il occupe à préfent toutes mes penfées,cc toutes mes études; & fi je puis y mettre la dernière main avant ma mort, je croirai avoir parfaite- ment bien emploie les pauvres refies dîme vie infortunée.

-j- Helasijen'aipasraifon d'attendre encore tant de vigueur d'une plume ufée au fervice de l'Etat , dans des DilTerta- tions pour & contre , fur les Confpira- tions des Papilles , fur les Loix d'ex- clufion, fur robéiffance pafiive, fur la liberté de confcience, &c. Je n'ai pas lieu de fattendre d'une confcience, qui tombe en lambeaux, & qui montre par- tout la corde à force d'etre retournée ; d une tète fracaffée par les coups de

barre

* M. Wotton : c'eft fon livre fur le {avoir ancien & moderne.

f C'eft ici une fanglante Satyre de plufieurs Au- teurs Mercenaires , dont Londres fourmille , & qui 5 vendant leur plume au plus offrant , écrivent tantôt pour une Faction , & tantôt pour une autre , & toujours avec une égale vehemence.

DU TONNEAU. 7$

barre de la fa6lion contraire ; ni d uiî corps confumé par certaines maladies mal guéries , graces à quelques Don- zelles & à quelques Chirurgiens, qui, comme il a paru dans la fuite, étoient les ennemis déclarez de l'Etat, & les miens , & qui foutenoient les intérêts de leur parti , aux dépens de mes jambes & de mon nez.

J'ai mis au jour quatre-vingt-onze brochures , fous trois règnes , ôc en fa- veur de trente-fjx factions : mais, voïant que l'Etat n'a plus befoin de mon encre, je me retire pour la répandre dans des Speculations plus affcrties au caraftere d'un Philofophe ; fatisfait de pouvoir me rendre cette juftice , que j'ai pafTé une longue vie Jàm offenfe envers Dieu i3 Jes Hommes.

Pour en revenir à mon fujet , j'at- tends de la juflice du public , que l'é- chantillon du Commentaire que je viens de lui doner , fufHra pour effacer de toutes les prod u6lions de notre Société une tache qui ne leur ell venue , que par l'envie & fignorance de nos Adverlài- res. Je me flatte , qu'on le perfuadera à la fm , que le mérite de cet Ouvrage s'é- tend plus loin 5 que les fimples agremens D i de

^6 L E C O N T E

de rerpnt& du ilile, que nos plus har- dis Calomniateurs neleur ont jamais ol£ difpuier.

Pour faire fentir cette beauté exté- rieure , aufîi-bien que le fens caché & myitique, j'ai fuivi exaclement les O- riginaux le plus généralement aprou- vez^ &, pour quil n'y manque rien , î'ai fait en forte , à force de donner la torture à mon efprit , que le titre % fous lequel cet excellent Commentaire doit être connu à la Cour & daus la Ville , réponde exaélement aux heureux modè- les que notre Société me fournit fi abon- damment.

Je conviens que j'ai été un peu pro- digue à en multiplier les titres; mais, fai remarqué que ceft-là le grand goût parmi certains Auteurs , que jerefp^cte fcjxtraordinairement.

Ont-ils t-onr ^^eil-il pas raiibnnable , que les Livres.ces Fils du cerveau, aient rhonneur de briller par une grande va- riété de noms, aufîi-bien que les autres iinfans d'une qu-tlité dillinguée? No- ire

* ïl y a eu un temps 5 en Angleterre on fe pîciifoit fort à donner aux livre? les titres les plus bilarres, C'cit encore le grand goCk en Aile- jnagne.

DU TONNEAU. 77

tre hmQuxDrrde^i s'efl hazardé même d'aller plus loin , en failant tous Tes ef- forts, pour introduire fulage de donner au même Livre plufieurs Parains '^.

C'ed une pitié , que cette belle inven- tion n'ait pas été mieux foutenue par une imitation exacte, autorifée par un exemple de cette force : j'ai fait de mon mieux, quanta moi, pour donner la vogue à cette mode:, mais, je ne Ton- geois pas alors , qu'il y a une malheureu- fe dtpenfe attachée à l'honneur de pro- curer des Parains \\ Tes Enfans, dépen- fedont on tire d'ordinaire de forts mai- gres revenus. La raifon m'en eft abfo- Uiment cachée: tout ce que je puis di- re, c'eil que, dans le cas dont il s'agit ici , j'ai perdu <& mes frais ô: la gloire que j e voulois m'acquerir par ce moïen . } 'a- vois emploie des meditations, 6c des efforts d'efprit prodigieux , pour couper* le Traité fuivant en quarante Sections ; mais, aïantfupplié autant de Lords de ma connoiflance d'en vouloir bien être les Parains , ils s'en font excufez tous , enm'envoïant dire, qu'ils s'en faifoient un cas deConfcience.

D 3 SEC-

* Ildcdîoit un même livre h plufîeurs gr:>nds Soigneurs.

78 LECONTE

SECTION II.

Commencement du Conte.

IL y avoit un jour un homme , qui avoit trois Fils delà même Femme, & d'une mêmie couche , ils étoient ve-? nus au monde d'une manière limiracu- leufe , que la Sage- Femme elle-même ne pouvoit pas dire, qui des trois étoin Y^iné. Le Père m.ourur , lorfqu ils étoient encore fort jeunes. Mais, avant que de rendre l'ame , il les fit ap- procher de Ton lit, & leur tint le dis- cours fuivant:

Aies Fils Je n ai j ardai s cherché les biens de ce Monde , i3 je n'en ai -point hérité de mes Pérès. C eft pourquoi,]' ai rêvé long-, tenis en vain fur les moïens de vous laijjer quelque chofe de bon {jf d"* utile, A la fin^ à force de foins 13 de dépenfes fje vous ai pourvus chacun d'un bon habit neuf ^^; les 'voici tous trois. Vous faurez , mes En- fans y

* Les habits , c'ell la Religion Chrétienne ; & le. Teftament, qui contient des préceptes fur la ma. niere de les porter, (Se de les conferverj c'cft Ixcriturc Sainte,

DU TONNEAU. 79

fjins^ que ces babils ont deux qualïtcz, particulières, La premiere eft , ([u^en les [oignant comme il faut^ ils auront tou- jours ce même air neuf ^ que -vous leur voïez à cette heure: la féconde ^ qu ils croit r ont dans la même proportion avec vos corps ^ s' étendant iy sélargijjant d'une manière a sajufter toujours à vos tailles, ivieîtez les^ mes Fils ^ afin que je les voie fur vous avant que de mourir Fort bien-yfoïez propres^ je vous en prie ^ £5? aïe z foin de les vergeterfouvent. Vous trouverez dans mon F'eftament ,, que voici ^ toutes les inf- truciions nécéjjdires touchant la manière de Ici po'rter ^ ^ de les ménager : obfer- vez les exactement , ft vous voulez éviter les chatvmens attachez à la moindre tranf- greffon de ?nes ordres , £5? ft vous avez à cœur votre bonheur futur. J'ai ordonné encore dans ?non Teftament , que vous de^ meuriez tous trois cnfemble^ comme amis^ y corame Frères \ c'eft- V unique moien Dour vous de profpcrer dans le monde.

Après avoir fini ce Difcours, le bon- homme moLirci;, à ce que ditriiilloire; & Tes trois Fils s'en allèrent enlemble chercher des avantures.

Je ne vous importunerai pas par le D 4 récit

So L E C O N T E

recit de celles , qu'ils rencontrèrent pen- dant les premieres fept années ^. Je dirai feulement , qu'ils fe conformèrent exac- tement au Teftament de leur Père, <& qu'ils gardèrent leurs habits en fort bon état. Au refte , ils parcoururent pluileurs pais, eurent a faire à un grand nombre de Géants, & eurent le bon- heur de déikire le monde de pluHeurs Dragons.

Parvenus à lagede fe produire dans le Monde, ils prirent maifon en ville, & fe mirent à faire l'amour aux Dames, iur- tout à trois d'entfelles, quiavoient la vogue, à favoir à la DucheiTe d'Ar- gent, à Madamie de Grands-Titres, & à la ComteiTe d'Orgueuil.

Ils furent d'abord affez mal reçus; mais, en aïant déterré lacaufeavec une grande pénétration , ils attrapèrent bientôt les bonnes manières. En moins de rien, on les vit écrire, rimer, rail- ler , chanter , parler & ne rien dire : ils beuvoient, fe battoient, juroient, prenoientdu tabac, &couroientlebon bord. Ils aîloient à la premiere reprè- fentation des Pièces de Théâtre , bat- toient

* LTglife Primitive

DU TONNEAU. 8r

toient le Guet, fe divertiffoient avec les belles , & s'en trouvoient fort mal. Ils donnoient aux Fiacres des coups de baton , au lieu d'argent. Ils s'en- dettoient chez les marclïans , ôc cou- choient avec leurs Femmes. Ils rof^ foient les Sergens, jettoient les vio- lons par la fenêtre , dinoient chez ^e plus fameux traiteur , & faifoient la digefljon au Café des petits Maîtres, Ils parloient des apparteniens , ils n'avoient jamais mis le pied; dinoienc avec des Mylords, fans \ç.s voir; par- loient à l'oreille a une Duchefle , fans lui dire le moindre mot ; failbient paf^ fer le griffonnage de leurs blanchilTeuîes, pour des billets doux de qualité. Ils ne faifoient que revenir de la Cour, fans y avoir jamais été vus; iîs étoient au le- vé du Roi fîib tlio'^ dans une Compa- gnie iîs apprenoient par cœur une liile des Pairs du Roïaume , & dans une autre ils en farcilloient leurs difcours , d'un petit air foit famlîier.

Ils ne negligcoient pas fur-toui de comparoitre régulièrement dans l'Ai- femblée de qqs Sénateurs^ qui n'ont rien à dire dans le Parlement, o: qui par- ient haut au Caifé , ils s'ajourmnt D f tûu$

SI L E C O N T E

tous les foirs pour remâcher les affîiires politiques, entourez d'un cercle de cu- rieux promts à ramafler leurs miet- tes.

Les trois Frères avoient acquis mille autres belles manières, dont le détail feroit ennuieux ; & , par confequent , ils paflbient avec juftice pour les Ca- valiers les plus accomplis de la ville. Mais, tout cela ne faifoit que blanchir; leurs Maitreflesreitoient toujours infen- fibles.

Pour en faire bien fentir la raiibn , il faut qu'avec la permiiïlon du patient Lefteur je m'étende un peu fur un point d'importance , qui n'a pas été funfamment éclairci par les Auteurs de ce fiecle-là.

Une nouvelle Secle s'éleva environ ces tems , & fes adlierans fe répandirent au long & au large , far - tout parmi le beau monde. Ils adreifoient leur culte à une certaine Divinité =^5 qui, felon leur Doctrine , s'occupoit journelle- ment à créer les hommes par une ope- ration mechamque. Elle étoitplacée,dans la partie la plus élevée de la maifon, fur

un

* Ufj Titi/lcffTe

DU TONNEAU. 85

un Alltel haut environ de trois pieds.

La Divinité y étoîtafTife dans lapof- ture d'un Empereur Oriental, avec les jambes croifées fous lui*.

A main gauche de l'Autel , Y Enfer fembloit ouvrir fa Gueule, pour dévorer les animaux, à la création defquels le l^ieu s'occupoit> mais, pour en rallen- tir la faim infatiable , certains Prêtres y jettoient detems en tems quelques pie- ces de -matière infcrme , & fouvent mê- me des membres entiers déjà vivifiez, que ce goufre afreux avaloit d'une ma- nière terrible k voir.

Cette Divinité paflbit pour avoir in-

ven-

* Il y a ici dans l'Original un pafTage qu'il n'efl pas poflible de mettre en François, parce que c'eft un badinage qui roule iur un mot équivoque. L'Auteur dit que ce Dieu ctoit accompagné d'un Oye , & que cet animal étoit honore dans ^on temple comme une Divinité fubalterne. Or le terme Go^j, Oye , fignine f.ul- {i le Clin-eau dont les tailleurs fe fervent pour aplatir les coutures. J'avertirai ici en même tems , pour rendre plus clair le pafTage qui fuit, que les Anglois donnent le nom d'Enfer à l'endroit les tailleurs jettent les pieces d'é- toffe, qu'ils trouvent bon de s'approprier, & que nous nommons en François, par bad:n.îge> lail du tailleur,

D 6 ^

S4 L E C O N T B

venté la * verge , & Péguilk : û c'eH en qualité de Dieu des Mariniers , ou s'il faut prendre cette exprefTion dans un autre fens milterieux & allegori- qu 5 c'eit un point fur lequel jufqu'icî on n'a pas répandu le jour necelTaire.

Les Adorateurs de ce Dieu avoient un Syiténie deDcclrine, quirouîoit à peu près fur les Dogmes Fondamentaux , que voici.

L'Univers , difoient-ils , n'efl autre chofe, qu un habillement complet, qui revêt toutes chofes : la terre eit habillée par Fair , Fair par les Etoiles , & les Etoiles par le primuin mobile. Jettez les 3v^eux fur notre Globe, vous verrez que Veil un habit dans les formes, & d'un ^rès-bon goût ; ce que certaines gens ■apellent la T^r/^n'elt autre chofe, qu'un fur- tout avec des paremens verds. Qii'ell-ce que la mer, fi-nonune vefle d'un beau tabist Examinez chaque ou- vrage particulier de la création , vous verrez quelle habile couturière la natu- re a été, enhabilanttcusles i-egetaux à la Cavalière. De quelle perruque galan- te

* Une mcfur^ de trois pieds ; c'eil l'aunç A^ï*

DU TONNEAU ^f

te n a-t-ellepas coefféle betre? De quel beau pourpoint de fatin blanc n'a-t-elle pas ajullé le boalcan ? Pour faire court, l'homme lui-même eft-il autre chofe qu'une Micrci'cfie^ ou, pour mieux di- re 5 un habit complet , avec toutes ^ts fournitures ? Par rapport au corps, la chofe eilinconteltable; mais, à exami- ner même toutes les qualitez de fon ame , on n'y trouvera rien , qui n'ait one re- lation étroite avec les différentes piér ces qui compofent notre ajuftement.

La Religion eit un manteau ; f inté- grité eft une paire de fouliers ufez à for- ce de marcher dans les boucs; l'amour- propreeil un fur-tout, la vanité , une chemife : pour la confcience , c'efl un haut-de-chaufe , deftiné à couvrir la vo- lupté & l'ordure ; mais, qu'on lahTe tomber fort promtem^ent , quand on fc veut livrer à l'une , ou à fautre.

Ctspoftulata étant admis , il s'enfuit, par une confequence legitime, que les éires, appeliez improprement par les hommes habits , compofent réellement réfpece la plus finie des animaux , ou pour aller encore plus loin, font réelle- ment hommes , ou animaux raifonna- bles, N'elî-il pas évident , qu'ils fe meu- 1) 7 ventj

S(5 L E C O N T E

vent , qu'ils vivent , qu'ils parlent , 5: qu'ils s'acquittent de tous les autres de- voirs de la vie humaine ? Ces êtres ne fe promenent-ilspas dans les ruës?Nerem- plillent-ils pa« le Parlement , les cafFés , les téatres, & les temples de Cytheret 11 ell vrai, que ces annimaux, nommez vul- gairement habits , doivent être appeliez difFerement , felon la difference de la ma- tière & de la forme, qui les compofent.

L'Alfemblage d'une chaine d'or , d'u- ne robbe d'écarlatte doublée d'hermi- nes, & d'une baguette blanche, placé fur un grand cheval , efl un Lord-Mai- re. Certaines autres fourures , accom- modées d'une certaine maniere5Compo- fent un Juge ; & un mélange de toile fine , & de fatin noir , eil un E'vêque.

Il y avoit des Profefleurs parmi cet- te Secle, qui , quoi qu'ils admifTent effcn- tiellcment le même Syflême, ne laif- foient pas de raffiner fur certains points. Ils foutenoient que l'homme efl com- pofé de deux habillemens differens , l'un celejîe ^ Vautre artijiciel-^ dont le pre- mier elt le Corps , & le fécond FAme ; que Pâme étoit fhabit extérieur , & le corps rhabit intérieur -, que le dernier ell ex traduce^ mais que l'autre proce-

doic

DU TONNEAU. B7

doit d'une création , & d'une circomfu^ Jîon quotidienne. Ils prouvoient cette dernière partie de la propolition, par l'Ecriture , parce que dans eux nous nous mowoons , nous 'vi'vons., G? nous avons F être y cz par la Philofophie, parce que ces habits extérieurs font tout dans le tout, l^ tout dans cheque -partie. D'ailleurs , difoient-ils , feparez ces deujc habille- mens , & vous trouverez que le corps n'efl qu'une vile carcalledeltituéed m- telligence; &, par confequent, il ell clair que ce qu'on nomme h rihlt extérieur ào'it être Vanie, A ce Syitéme de Religion étoient attachez certains dogmes fubal- ternes , qui av' oient.une grande vogue. Les Savans fe diitinguoient fur-tout à déduire de-là les différentes facuîtez de lame. Chez eux, la broderie étoit grand fond à'efprit\ les franges d'or, agréable converfation-^ les galons d'ar- gent, repartie vive ; la perruque carrée , î^n tour d' efpr it particulier \ & un habit, chargé de poudre du haut enbas,étoic fine plaijlmterie. Ils foutenoient , d'ail- leurs, que tous cestalensvouloient être maniez avec une extrême delicateffe ^S>C, dirigez 'à.y<^Q grand jugement ^ felon les tems, & les modes.

Cefl

8S LE CONTE

C'efl avec beaucoup de peines, & par le moïen d'une Lefture infatigable, que jairamafle, chez les anciens Auteurs , ce Syflême de Théologie, & de Philofo- phie, qui paroit avoir eu fa fburcedans une manière de penfer, qui n'a rien de commun, ni avec les Syilcmes anciens , ni avec les modernes. En m'engageant dans ces pénibles recherches, mon but a été , moins de fatisfaire la cariofité du Le6leur, que de lui faciliter fintelligen- ce de pluiieurs particularitez de l' His- toire fuivante -, car, a moins d'être in- fbruitdesdifpofitions oùfe font trouvez les hommes, & des opinions, qui ont régné parmi eux, dans un fiéclefi éloi- gné, il ne fera pas en état de compren- dre les grands événemens, qui en font dérivez comme de leur fource.

Celt pourquoi, je ne puis trop l'aver- tir de lire & de relire , avec toute l'at- tention imaginable, ce que je viens d'é- crire fur ce fujet.

Je reprens le û\ de mon Hifloire. Nos trois Frères n'étoient pas dans un petit embarras, en voïant les fufdites opinions li généralement reçues & fui- vies par tout ce que la Cour & la Ville avoit de plus poli. Leurs maîtreffes ea

itoient:

DU TONNEAU. 8^

étoient tellement imbues , qu'elles étoient toujours au plus haut faite delà mode, & quelles avoient un profond mépris,pour tout ce qui relloit au delTous d'elle de répaiOeur d\m feul cheveu.

Cependant , le Père de nos Cavaliers leur avoit ordonné formellement, fous peine des châtimens les plus rigoureux, de ne rien ajouter à leurs habits, & de n'en rien oter, fans un ordre exprès con- tenu dans ledit Teftament. Il eft vrai, que ces habits étoient d'un bon drap, & d'ailleurs coufu fi délicatement, qu'on auroit juré, qu'ils étoient tout d'une pièce; mais, ils étoient fort unis,&pre{^ que deflituez de tout ornement.

A peine avoient-ils été un mois dan» la ville , que tout d'un coup la mode vint de porter des Nœuds d'Epaule : d'abord tout le monde devint nœud d'Epaule; il n'y avoit pas moïen d'aprocher des ruel- les , fans cette marque de diftinction. Une trille experience aprit bientôt aux trois Avanturiers, jufqu'à quel point cette piece leur étoit neceflaire : ils ne faifoient pas un tour de promenade , qu'ils ne reçuffent mille mortifications.

Quand ils alloient à la Comédie, le Portier leur demandoit , s'ils ne vou-

Ipient

5?o LECONTE

loient pas fe mettre au Paradis ; appel- loient-ils un fiacre, le cocher les prioit de monter fur le derrière en attendant leur maître; lorfquils entroient dans un Cabaret, le Garçon leur difoit obligeam- ment, on ne 'vend point de h'iere ici ^ mei amis\ & s'ils vouloient rendre vifite à quelque Dame, le Laquais les arrétoit à la porte , pour les prier de lui dire feulement leur meiTage, & qu'il leur rendroit réponfe dans le moment.

Dans cette malheureufe fituation, ils ne manquèrent pas de confulterleTef- lament de leur Père. M.2i\s ^ahum filen- tium furies Nœuds d: Epaule, D'un côté, robéiffance étoit un point abfolument necelTaire; mais, de l'autre , fans les îsl'œuds d'Epaule^ point de falut. - Après une meure deliberation, un des Frères , plus lettré que les autres, s'avifa d'un expédient. Ileil vrai, dit-il, que le Teftament ne fait point mention des Nœuds d'Ep aille ^totide ni verbis \ mais, je conjeélure , qu'il en parle incluiivement, ou totidem fiilahis ^'\ Cette diflinclion

fut

* Les fuSîi'litez de l'Ecole, & les diftinclions re-? cherchées, font fort propres à eloigner les hommes du bon-lens.& n'ont pas peu contribué à introduire Jçi abus dans la Religion Chrétienne,

crm Z ^:fiz^.^i

DU TONNEAU. pt

fat d'abord goûtée, & l'on fe mit de nouveau à examiner ; mais, une malheu* reufe étoile avoit tellement influé là- delTus,que la premiiere fyîlabe ne fe trou- voit pas dans tout l'écrit: néanmoins, celui qui étoit l'Auteur de cette inven- tion reprit courage. Mes Frères , dit- il , ne vous affligez pas : l'affaire n'eft pas encor tout-a-fait defeipérée. Si nous ne trouvons pas ce que nous cher- chons, tot idem "verbis^ mtotidrmfillahis^ je me fais fort de le trouver , totîdem Ut^ ter is. L'expédient parut merveilleux,& les voilà aufli-tôt à l'ouvrage. En moins de rien, ils firent un recueil des lettres fuivantes N,U,D,S,D,E ,P, A,U, L; E; mais, ils avoientbeau///r^/fr par- tout, la féconde lettre neparoilfoit nulle-part *. La difficulté fembla d'abord importante j mais, le Frère à diilinclions,.

qui

* Nœud d^ Epaule c^ ex'pnmé ■p^r Shoulder-Knot en Anglois: c'efl dans ronginalfur h Lettre K^ qu'on ne prononce point , que roule la fubtile dii- tin<ftion du plus grand Clerc d'entre les Frères. Il eft impoiTible de rendre tout ce qui fe dit là-dcfTus, en François; mais, pour y fubftituer un Equiva- lent, je me fuis attaché à l'a-, quin'eftpas tout-a- fait utile dans le mot Nœud , qu'on peut écrire tout de même par un e fimple.

5>ï L E C O N T E

qui étoit en train de faire merveille, trouva bientôt de quoi remédier à cet inconvenient. Selon lui, rO£ étoit une lettre pedantefque, qui n'étoit d'aucu- ne utilité , & qu'on poiivoit remplacer facilement par un E iimple, qui faifoit dans le fond le même effet.

Voilà la difficulté évanouie : ils font évidemment autorifez, àfuivrelamode, jurepaierno'^ & mes Damoifeauxfe car- rent dans les rues avec des Neuds d'E- paule auffi copieux & auili flottants, que ceux d'aucun Fils de bonne Mere.

Comme le bonheur de ce monde eil fujètà pafler comme un éclair, les mo- des, dont ce bonheur dépend entière- ment, étoient foumifes à la même in- conilance dans ce iiécle-là ^ & le règne des Neuds d'épaule fut de courte du- rée.

Un Seigneur,arrivé nouvellement de la Cour de France, s'étala en public, tout couvert d'une cinquantaine d'aunes de galons d'or parcourant exaclement les Méandres^ les conduifoit la mode deflinée à régner à Paris pendant le mois courant. Deux jours après, tout le mon- de parut habillé d'or en barre: quicon- que ôfoit paroitre en compagnie fans

DU TONNEAU. §^

celte perfeclion , avoit l'air au fîî hon- teux qu'un Eunuque, &étoittoutaufli mal reçu des Femmes. Qiiel parti pren- dront ici mes gaians? Ils ont donné déjà une entorfe aiTez violente à la der- nière volonté de leur Père. Elle ne dit rien du tout fur ce nouvel article bien plus important que le premier. Le Neud" d^ Epaule^ n'étoit qu'un petit ornement détaché & fuperficieliau heu que le galon d'or caufe une alteration plus confi- derable , puifqu'il adhère en quelque forte à la llibitance même de la choie. Le m.oyen donc d'en porter fans un or- dre pofitifl

Il arriva heureufementdanscetems, que le Frère favant venoit de lire les JJlalecfiques d'Arillote , & particulière- ment fon merveilleux traité de r interpre- tation , qui nous enfeigne h trouver en tout palîlige tous les fens du monde, ex- cepté celui de FAuteur^ Ouvrage utile par conlequentaux Commentateurs des Révélations, qui expliquent les Prophé- ties , fans entendre un mot du texte Ori- ginal.

Eclairé de ces nouvelles lumières, il apoltrophe fes Frères de la manière fui-

vante.

94 LECONTE

vante *. apprenez ^ mes chers Frères., qu'il y a deux fortes de Teftamens , Nun- cupatorium,£5f Scriptoriumj que le Tejla^ ment écrit , que nous avons devant nos y eu x^ ne fait pas mention de galons d'or , bien loin d'en ordonner pofttivement Tufage» Conceditur. Mais ^fi on foutient la même chofe par raport à une dernière volonté ex^ primée de vive voix '^ negatar: car^ mes Frères^ vous vous fouvenez bien fans dou^ te , que , dans notre enfance , nous avons entendu dire par un certain quida'm^ qiiil avoit entendu dire d'un valet de notre Pe^ re , qu'il avoit entendu dire de notre Père lui-même , que nous ferions bien de char» ger nos habits de galons d'or , des que nous aurions af/ez d'argent^ pour en acheter.

Sur mon Dieu , il n''y a rien déplus vrai , s'écria un autre Frère. Je'menfouviens

par-'

* L'Auteur badine ici avec tout refprit imagi- nable fur la Tradition fur la quelle l'Eglifc Romai- ne appuie toutes les impertinences , pour icfquel- les elle ne trouve pas la moindre baze dans la Ré- vélation. Cette Tradition, quoi qu'aime qui vive ne fâche ce que c'eft, nice qu'elle nous dit de bon j pafTe pourtant pour avoir une autorité égale a celle des Livres facrez. Il eft bon même, qu'elle ne dife rien du tout : c'eft le vrai xnojen de lui faire dire tout ce que l'on veut.

DU TONNEAU, pf

parfaitement bien , ajoute le troifiéme ; &, fans s'alambiquer le cerveau d'avan- tage, ils fe mirent à acheter le galon d'or le plus large de tout le quartier, & fe firent braves comme des Mi- lords.

Qiieîque tems après, la mode vint de doubler \qs habits d une petite étoffe de fatin couleur de feu *. AufTi-tôt un mar- chand en porta un échantillon a nos Ca- valiers. Reverence parler ^ MeJJlcurs ^ leur dit-il , Mylord Cuts ^ le Che'valier Walter ont fris hier au foir des doublures de la même pièce : ^'ous ne /auriez croire la

quan^

* Il eft apparent que, par cette doublure de fa- tin couleur de feu , on entend ici la doctrine du Purgatoire , avec toutes fes dépendances , de laquelle les livres facrez ne difent rien, quoique cefoitunpoint tres-eflentiel. Le PaiTage duTef- tament, qui ordonue aux Frères de fe precau- tionner contre le feu , fait alluflon à un palTage de St. Pierre , oîi il efl fait mention de feu , mais d'une manière qui n'eft nullement appli- quable aux flammes du Purgatoire. Le Codi- cille, que le Frère Lettre hit ajouter au Teftamcnt , & qui , a ce qu'il dit , fut écrit par un Palfrenier de fon Grand- Père, defigne les Livres Apocr)-- phes, qui n' nt aucune autorité. IJs comman- dent de prier pour les morts ; & en voila aiTcz pour les mettre dans le rang ^ es Livres facrez^ quoiqu'ils en renverfent les Préceptes.

P5 LE CONTE

quantité que f en 'vends '^ (^ je fuis fur , que demain matin à dix heures il ne m'en refie^ ra pas de quoi faire un Pelotton à ma Femme,

Là-defllis , nouvel examen du Tefla- ment. Le cas demandoit un ordre pofl- tif j aujfïï bien que le précédent; puifque la doublure eft confiderée par tous les Auteurs orthodoxes, comme étant de l'efTence de l'habit. Tout ce qui parue les favorifer en quelque forte étoit un Avertiflemxent contenu dans ladite der^ niere 'volonté de le précautionner con- tre le feu , & d'avoir foin d'éteindre leurs chandelles , en fe couchant. Ces mots , reclifiez par un Commentateur adroit, pouvoient bien aller jufqu'à ap- procher aflez d'un commandement po- iitif; mais, comme ils ne tranquilhfoient pas encor tout-à-fait ces confciences ti- morées, le Frère Dodîeur^ refolu de re- médier une fois pour toutes aux incon- veniens prefèns & futurs , fe mit à ha- ranguer de nouveau. Je me fouviens, dit-il, d'az'oir 'vu plufieursTeftamens ^ oh il étoit fait inention d'un Codicille annexe^ qui eft ccnfé faire partie du Teftament^ i3 avoir la même jiuiorité. Or , le Teftament de notre Père n'^ft pas accompagné d'un

tvl

DU TONNExVU. 5)7

tel Codicille , f> , par confequent^ de ce coté* , il eft ma-nifeftiment défeclueu'^.

Ceft pour cette rai f on , que f ai refolud^y en attacher un habilement. Jen fuis déjà, en pojfejjlon depuis long-terns : il a étédrejjé par un F alf renier de notre Grand-Pcre-^ iy 5 par le plus grand bonheur du 7nonde , // y eft parlé fort au long de ce même Jdtiît couleur de feu.

Ce projet paiTa avec le même con^ lentement unanime. Un vieux parche-. min ridé eil attaché au Teftamicnt en guifede Codicille: on achette lefatin^ éc on le porte.

L'Hyver fuiA^ant, unAcïeur, gagné exprès par le corps des Faifcurs de Fran- ges^ joua ion role dans une Pièce nou^ velle 5 tout couvert de franges d'argent ; & , par-là , conformément à la louable coutinue , il en introduifit la mode. Les trois Frères confultant là-defllis de nouveau le Tellament en queflion, ils y trouvèrent à leur grand étonnement ces paroles accablantes : y ordonne £5? commande à mes trois Fils de ne porter ja- mais des franges d'argent fur leurs habits ^ ni à Ventour dlceux. Ces mots étoient fuivis d'une longue lifte de punitions , dont ils étoient menacez , en cas de d^s-

tome L E obcif-

^8 L E C O N T E

obeifTance. Plus les difficiiltez font grandes , plus il y a de gloire à les fur- mo nter. Un Article fi foudroïant ne découragea pas celui des Frères , dont j'ai déjà fi fouvent loué l'érudition. C'é- toit un homme expert dans la Critique, & il avoit trouvé dans un certain Au- teur, qu'il nenommoit pas pour certai- nes raifons, que le itvmQ frange ^ men- tionné dans le Teflament , fignifie aufîi un manche-à-halai \ & , felon lui , c'étoit dans ce fens-là qu'il falloit le prendre en cette occafion. Un de fes Frères dé- clara avec humilité , qu'il n'étoit pas de cet avis-là , à caufe que l'Epithéte , cC ar- gent , ne lui paroilloit pas tout-à-fait applicable à un manche à-balai. Il eut pourréponfe, que cette Epithétc de- voit ctre entendue dans un fens miile- rieux & allégorique ^ mais, il ne lailTa pas d'objeéler de nouveau , qu'il ne com- prenoit pas pourquoi fon Père leur au- roit défendu de porter des manches-à-

* Il s'agit ici probablement de l'etabliffement ^u Culte des Images, que les Dofteurs de TEglife Romaine fauvent par la merveilleufe diftinction entre ditlie Si, latrie , deux termes compofez de différentes lettres: & en voilà aflez pour aller di- rectement contre une Loi formelle de D^eu.

DU TONNEAU. ^j

halaï fur leurs habits ; précaution inu- tile , & même impertinente. Son Frè- re là-deilus prit un air grave, & l'arrê- ta tout court , comme un homme qui parloit avec irrévérence d'un mifiere , quijfans doutCjétoit très-fignificatif , & très-utile 3 mais, dans lequel il n'étoit pas permis à la Raiion humaine de creufer trop avant.

Cette réponfe fenfée mit fin à îadil^ pute \ & comme le Teflament du Père perdoit chaque jour quelque chofe de fon Autorité , on prit d'une manière docile ce joli tour de Critique, dont je viens de parler , pour une PermifTion dans les formes de fe jettera corps per- du dans les franges d'argent.

Quelque tems après, une vieille miode fut remife fur pied. C'étoit une bro- derie à la Chinoife chargée de Figures d'f ïommes , de Femmes , & d'Enfans ^'^

Dans cette occafion, il ne s'agiiToit pas feulement de confulter la dernière volonté du Père: les Damoifeaux ne fe reffouvenoient que trop de l'horreur

qu'il

* On voit aflez qu'il s'agit ici de l'Adoration des Saints mis a la placodes Divinitez nombreu- ses du Paganiime.

E 4

100 L E C O N T E

qu'il avoit toujours témoignée contre cette mode. Ils favoient que , dans plu- fieurs Articles drelTez exprès , il l'avoit deteitée ^ & qu'il leur avoit donné fa maledièlion éternelle, s'ils étoient jamais aflez hardis pour lafuivre. Malgré tant ■de déclarations 11 formelles , il ne fe pafla pas deux jours , qu'ils neportalfent cette mode jufqu'à l'excès. Ils alle- guoientenleur faveur, que ces Figures n'étoient point du tout les mêmes , qui avoient été en vogue autrefois , & dont le teflateur avoit voulu parler : d'ailleurs, ilsneportoientpas cette bro- derie , dans le fens dans lequel elle leur avoit été défendue ; mais , uniquement , pour fuivre une coutume , qui tendoit au bien public. A leur avis, ces Arti- cles duTeilament dévoient être inter- prétez cum granç falls.

Les modes étant fujettes à une revo- lution perpétuelle, le Frère à diil:in6tions fe laifa à la fin de chercher des échap- patoires , & de iuter contre des obfta- clés, qui fefuccedoientfansceffelesuns aux autres. Il voïoit ^qs Frères , aufli bien que lui , refolus à s'afTujettir à la mode , à quelque prix que ce fût : ainfi , il ne lui fut pas difficile de ksdétermi^

ner

DtJ TONNEAU. lot

lier a renfermer le Teltament fatal , dans un Coffre -fort , qui leur étoit venu de Grèce ou dlta]ie3 & à ne l'alléguer déformais, que dans les cas il s'ac- corderoit avec leurs intérêts.

Conformément à cette refolution , quand la mode vint de porter un nom- bre infini d'éguillettes ferrées d'argent, notre favant Critique prcilonça ex Ca- ihedra , qu'ils étoient autorifez à porter 'de ces éguillettes, Jure Paterno. Qj.i"il étoit bien vrai, que la mode aîioit un peu au delà de la permiiïïon que leur aecordoit le Teilament : mais , qu'en qualité de Succeffeurs de leur Père , ils avoient le pouvoir d'y ajouter certaines claufes , pour l'accommoder au bien pu- blic 3 &, quand même ces claufes nau- roient pas une liaifon exaéle avec le Tef- tament , qu'il falloit pourtant les admet- tre, de peur de tomber dans certaines incongruitez , ne multa ahfurda fequc-^ rentur. Cette décifion pafTa aufii-tôt pour Cano'/iicale ^ & , le Dimanche fui- vant, ils parurent à lEglife tous lar^ dez d'éguillettes.

Ce Frère avoir acquis par fon favoir

une {\ grande reputation , que fes affai-

re.5 aét^nt pas en irop bon état , il

E \ eut

102 L E C O N T E

eut le bonheur d'etre placé chez un certain Lord , pour avoir foin de Té- ducation de Tes Enfans. Ce Seigneur étant mort quelque tems après : il fut donner un tour fi adroit à quelques paf- iages du Tellament de fon Père , qu'il y trouva un titre pour s'approprier les biens de feu fon Maître. 11 en prit auffi- tôt poiTeiTion: il en chalTa les élevés ^ & donna leurs appartemens à fes Frè- res *.

* Ceci fait allufîon à la Proteârion que les Em- pereurs ont accordée jadis aux Papes , qui , peur récompenfe, fe font nichez dans leur Ville Ca- pitale , & ont uiurpé peu à peu ces Provinces. d'Italie^ dont ils font encore jufqu'ici Princes Temporels,

SEC-

DU TONNEAU. 10}

SECTION III.

'Digrejfion touchant Mejjieiirs les Critiques,

Quoique jiifqu'ici j'aye pris toute ^ Ja précaution polllble, pour flii- vre exactement les règles, & la maniè- re d'écrire, de nos llluitres JModernes, je me vois cependant, par un tour que me joue ma malheureufe mémoire , dans un égarement, dont il faut que je me tire, avant que jepuifle avecbien- féance continuer la tractation de mon fujet. J'avoue avec honte, que c'eft une négligence impardonnable d'y être entré fi avant, fans avoir adreiïe à nos Seigneurs les Critiques les difcours ufi- tez, tant expojiulaîoires^ &i JuppUcatoi' res ^ que àép^écatoires.

Pour les en dédommager, je prends ici humblement la hardieife de leur pre- fenter une courte DiiTertation fur eux- mêmes, & fur leur art. Je vais en exami- ner brièvement l'Etimologie &laGéné- alogie , & le confidérer, tant par rapport k l'état, il fetrouvoit autrefois, qu'à

E 4 ré-

IG4 LE CONTE

l'égard de celui nous le voïons pré- lentement.

Par le mot Crkiques^ fi ufité dans nos converfatioris d'aujourdhui , on a enr tendu autrefois trois elpeces d'hommes fort différentes, felon ce que jen ai pu découvrir dans les livres , & dans les brochures des Anciens. Ce terme defi- gna d'abord desperfonnes, qui s'occu- poient h inventer & à établir certaines règles, pour eux-mêmes, &pour le pu- blic, par l'obfervation defquelles un Lec- teur judicieux pouvoir fe rendre capa- ble de décider des produ6lions des fa- vans , entrer dans le vrai goût du fu- blime & du merveilleux, &diflinguer les véritables beautez du flile ou de la matière 5 d'avec le faux brillant qui le^ imite. Ils s'efforcoient , dans leurs Lec- tures, à remarquer ce que les livres a- voient de àèÏQdL^itux^t mutilité ,\d. fadeur^ Vabfurclité. Mais, ils s'y prenoient avec la' même précaution , dont fe fert un hom- me, qui paiTe par une ruëfale. S'il jet- te un œil attentif fur les tas de boue qu'il rencontre en fon chemin, ce n eft pas dans le deffein d'en examiner la cou- leur, d'en prendre les dimenfions, d'y goûter, ou de s'y vautrer j c'efl uni- que-

DU TONNEAU. lof

quement pour s'en tirer le plus propre- ment qu'il lui efl pollîble.

On prétend, mais à tort, que ces perfbnnes-là ont véritablement compris \q ferîs littéral do, \cnv dérwmination^ & qu'une partie confiderable du devoir d'un Critique eft de rendre juflice au mérite. Un Critique, dit-on, qui ne lit, que pour chercher les occalionsde cenfurer , reflembleà un Juge, qui pren- droit la refolution de condamner h. la potence tous ceux qui paroitroient devant fon tribunal.

En fécond lieu, on a deligné , par le terme de Critiques^ ces Reilaurateurs du favoir , ces hommes fa vans , qui ont tiré les belles Lettres du tom.beau, qui les ont délivrées ào^Fersj &:qui ont fe- coué la poufTiere qui couvroit les Ma- nu fcrits.

Il y a déjà quelques fiécles, que ces deux races ont été abfoiument étein- tes > &, par confequent, il ieroit fort inutile d'en parler plus au long.

La troifiéme & la plus noble efpc-- ce efl celle des véritables Critiques , dont Torigine efL bien plus illuflrc que celle des autres. Chaque veritable Critique eft un Demi-Dieu de naiiTance , puifqu'i 1 E s à^-

îO(^ L E C O N T E

defcend en ligne direcle de Momus & de Hybris , qui engendrèrent Zoïk y qui engendra Tigellius ^ qui engendra fc? Ci£tera premier du nom , qui engen- dra Bentley , Rymer , Perrault , & Z)(?«- 7?/j , qui engendra t3 cetera fécond du nom.

Ce font-là ces Critiques , qui de tous tems ont prodigué tellement leurs bien- faits à la République des Lettres, que la reconnoiffance de leurs Admirateurs eft allé jufqu'à leur chercher une origi- ne dans le Ciel , à côté de celle de Thé- fée, dePerfée, d'Hercule, & d'autres Bienfaiteurs du Genre-Humain.

Mais , la Vertu Héroïque même n'a pas toujours été exemte de la Calom- nie. On a ofé obfcurcir la gloire de tous ces grands hommes, en foutenant, que , fam.eux par leurs combats contre ies Geans , les Dragons , & les Bri- gands , ils avoient été plus nuifibles eux- mêmes à la Société humaine , que les Monftres qu'ils avoient vaincus \ & , qu'après les avoir détruits , ils auroient bien fait d'exercer la même juftice fur leurs propres indi'vichis. Hercule Fa fait avec beaucoup de generofité 5 ce qui lui a procuré plus de temples, & plus

d'en-

DU T O N N E A U. Ï07

d'encens , que n'en ont obtenu les plus ilkiilres de ihs compagnons.

Ceit pour cette raifon, je croi, que certaines gens fe font mis dans Tefprit, que chaque z-eritable Critique , après avoir achevé fa tache , feroit une œu- vre très-méritoire & très-utile pour le bien public du monde favant , s'il vou- loit bien s'attacher à une corde un peu forte , ou fe précipiter d'une hauteur un peu raifonnable. Ils font même d\i fentiment, qu'il nefaudroit donner pla- ce à perfonne dans le Catalogue des l'-ais Critiques , avant qu'il eut mis fin à cette perilleufe avanture.

De cette origine celefte d'un art fl noble , & de fon étroite analogie avec la Vertu Héroïque , on peut déduire ai- fément les devoirs d'un 'vrai Critique. Il doit parcourir la Republique des Let- tres, pour donner la chaffe aux défauts monftrueux , qu elle nourrit dans fon fein^ forcer les erreurs à fortir de leurs niches, comme Cacus de fa Caverne. Il faut qifil les multiplie, comme les tctes de l'Hydre; & quil les ramaile, comme le fumier de l'Etable d'Augée. 11 faut 5 fur -tout , qu'il pourfuivc fansre- E 6 la-

îog LE e O N T E

lâche certains oifeaux., qui ont rii> cîination perverfe d'arracher des bran- ches entières de Vj^rbre de Science , com- me les oifeaux StymphalicyiS ^ qui pri- voient les vergers de leurs meilleurs, fruits *.

Il fuit de-lh, que la plus parfaite déii-^ nition qu'on puifle donner d'un 'vrai Critique eft celle-ci. Un 'vrai Critique efl unho'fjune^qui découvre^ l^ quiraffcm^- bk^ les fautes des jouteurs. Qiiiconque. voudra examiner toutes les elpeces d'ou^- vrages , dont cette Secte ar.cienne a favo- rifé le m.onde , verra d'abord par toute, leur teneur , que les penfées de leurs. Auteurs fe font uniquement attachées aux fautes & aux négligences des autres. Ecrivains. Quelque fajet qu'ils traitent, leur imagination eft tellement remplie. & occupée de tous ces paflages défec- tueux, que la quinteifence mcme de. ce qu'ils ont remarqué de mauvais fe diftile dans leurs propres écrits , & que. leurs ouvrages d'un bout à Tauire ne pa-

roif-

* Par CCS oifeaux l'Auteur' entend les gens rtiifonnablcs , dont le but principal cft de pro- fiter de leur Lefture , & de s'amafTer un tréfox. de conuoiiranccs utiles.

DU TGNNNEAU. to^

roilTent qu'un extrait de tout ce qui a fervi de matière à leurs réfle>dons.

Après avoir ainfl coniideré l'origine & les occupations d'un Critique , à pren- dre ce mot dans le fens le. plus general & le plus noble , il eft terns de réfuter les objeftions de ceux , qui prétendent prouver par le filence des Auteurs, que l'Art Critique, comme il efl exercé à préfent, & comme je viens de l'expli- quer , eft tout-à-fait moderne ^ & que^. par conféquent, nos Critiques Anglois & François, ne font pas d'une Noblef^ fe auiïï ancienne , que celle dont je les ai mis en pofTeiïîon.

Or, Il je. fais voir clairem.ent, que l'Antiquité la plus reculée nous a dépeint îè 'vrai Critique &: fes devoirs , d'une manière, qui répond exactement à ma définition , on m'avouera , que cetta grande objeélion, tirée du filence des Auteurs , doit tomber nécelîairement.

Je confefle, que j'ai été long-tems moi- même dans une erreur fi pernicieufe,. & que je ne m'en fuis tiré, que par le fecours de nos illuflres Modernes, dont- je creufie jour & nuit les volumes édi- fians, pour mon propre bien, &pour celui de. ma Patrie. Ce font ces grands E 7 honi^-

110 L E C O N T E

hommes, dont les travaux infatigables ont découvert les endroits foibles des Anciens, & nous en ont donné un Ca- talogue copieux. Ce font eux , qui ont démontré , que les plus belles chofes , qui nous font communiquées parl'Antiqui- té,ont été inventées & mifes en lumière par des plumes beaucoup plus récentes -, & que les plus grandes découvertes, qu on lui attribue par raport à la Natu- re & aux Sciences , avoient déjà été trou- vées par le Génie tranfcendant de nos contemporains: ce qui montre évidem- mentjCombien le mérite des Anciens ell mince, &, doit mettre des bornes à cette admiration aveugle dont ils font honorez par des gens enfevelis dans la poulîiere du Cabinet , & aiTez malheu- reux pour ignorer ce qui fe palTe à pré- fent dans le Monde.

En délibérant meurement fur toutes ces chofes, & fur les proprietez elTen- tielles de lefprit humain, je n'ai pu m'empêcher d'en conclure , que les An- ciens,perfuadez fortement de leurs nom- breufes imxperfe6tions , doivent s'ctre efforcez dans quelques paiTagcs de leurs livres , à l'imitation de leurs Maîtres les IModernes, à détourner ou à adoucir

les

DU TONNEAU, m

les elpriis Cenfeurs, en faifant l'Eloge ou la Satyre des irais Critiquer. Ini^ truit de cet ufage moderne, par la lon- gue & utile étude que j'ai faite à^^ Prefaces à la mode, je me fuis déterminé à déterrer la même loiiable coutume dans les Ecrits anciens, & fur-tout dans ceux des premiers iiécles. Par ces re- cherches , j'ai trouvé à mon grand éton- nement, qu'ils nous ont laiifé tous des portraits du vrai Critique , plus ou moins favorables , felon que leur plume étoit guidée par lefperance , ou par la crain- te 5 mais, qu'ils s'y font pris avec la der- nière précaution , envelopant tout ce qu'ils avoient à dire fur ce fujet, dans des Fables ^ & dans des Hierogly^ fes. ^

C'efl aparemment cette circonfpec- tion , qui a donné lieu à des Le6leurs fupei^ciels de faire valoir le filence des Auteurs contre l'Antiquité des 'urais Critiques, Cependant, les types , que ces Auteurs ont emploïez , font fi juites , & l'application en eft fi naturelle, qu'il ell difficile à comprendre, comment il eft faifable, qu'un Lecleur d'un gout & d'une pénétration m.oderne ne s'en aperçoive pas. Je me contenterai de

choi-

HZ LEG O iVT E

choifir un petit nombre d'échantillons' de cette immenfe quantité de types ôc d'allégories, dont il s'agit ici ^ & je fuis- convaincu , qu'ils feront capables de mettre fin à cette difpute.

Ce qui mérite bien d'être remarqué ,. c'efl que tous ces Auteurs anciens , en- voulant traiter ce fujet d'une manière énigmatique, fe font rencontrez tous dans la même Allégorie, dont ils ont feule- ment varié la fuperiicie, conformément à leurs pafîîons, ou à leur tour d'ef. prit.

D'abord , Paufanias eft du fentiment; que la perfection de l'Art d'écrire ell due à l'établiiTem.ent des Critiques. Et- il eft évident, qu'il a en vue les ^urais Critiques ^ par la defcription qu'il en. fait dans les mots fui vans. Ceft, dit- il, une race d'hommes qm fe pJait à 'ué-- tiller fur les fuperfluitez i:j fur les ex- crefcences des Hires \ ce qui aïarit été à la fin remarqué par lesSavans^ ils ont re^- folu, de leur propre mouve?nerit ^ de re^ trancher, de leurs ouvrages , les branche s pourries, mortes^ défi it es de fuc, iy celles-là même do'it F unique défaut étoitde f puffer trop,

Ë. envelope ce fait adroitement dans.

una

DU TONNEAU, nj

une Allégorie , en difant que les Nau- fliens^ dans ï Argie , a'voient appris des Anes V Art de îafUer les vignes \ en ohfer- lant , que quand ces animaux en avoient rongé quelques branches , elles en croif- [oient mieux ^ ^ en port oient de meilleur fruit.

Herodote,en fe fervant du même Hie^ roglyfe , s'exprime encor plus claire- ment. Il eflbienalTez hardi, pour taxer les Critiques ouvertement de malignité & d'ignorance ^ car, il nous rapporte ea pleins termes , que dans la partie occiden- tale de la Libye il je trowce des Anes avec des cornes. Sur quoi Cteftas renchérit en- core 5 en faifant mention de certains ânes de la même figure , qui font dans les Indes : au lieu^ dit-il, que tous les autres Anes n^ ont point de fiel ^ ces Anes cornus en ont une telle abondance , qu^il n'eft paspof^ fible d'en manger la chair , à cauje de fonr extrême amertume.

La raifon, pourquoi les Anciens n'ont traii;é ce grand fujet que figurément^ ^ étoit la crainte qulls avoient des atta-"* ques d'un parti auiïl redoutable que ce- lui que formoient les Critiques de ces" tems. Le Ton terrible de leur voix étoic capable de faire trembler une legion en-

tierQ

IÎ4 L E C O N T E

tiere d'Auteurs , & de leur faire tomber la plume des mains : ce qu'Hérodote exprime clairement, en nous contant qu un jour une grande Armée de Scy- thes a voit été mife en déroute , par la ter- reur panique qu'y répandit le braire d'un ane. C'eit même de-là que cer- tains profonds Litterateurs ont conjectu- re 5 que le relpecl , que nos Auteurs An- glois paient aux vrais Critiques , nous eil venu de nos Ancêtres les Scythes.

Cette terreur des écrivains de l'anti- quité devint peu à peu 11 générale, & s'augmenta fi fort , que ceux , qui avoient envie de parler librement fur le Chapi- tre des 'vrais Critiques , furent obligez de renoncer à cette ancienne Allegarie , comme trop approchante àa Prototype y & de fe fervir de figures plus cachées & plus miflerieufes. Cell aind que Dio- dore jVoulant déclarer fon fentiment fur la même matière, fe hazarde feulement à nous débiter , que fur les 7nontagiies de ï Helicon il n- oit une mawuaife berbe , dont la fleur eft d^une odeur fi abominable , qu'elle empoifonne ceux qui la fentent. Lucre- ce en donne précifement la même def- cription.

Eft

DU TONNEAU, ii^

EJi eîiam in magnis Helkonis monîibus

arbos , Floris odorc bominem retro confueta necare.

Pour Cteflas , dont j'ai déjà parlé, il étoit beaucoup plus hardi : il avoit été fort mal traité par les vrais Criti^ qiics de ^on âge \ & il étoit bien aife de lailTer à la pofterité une marque feniible de fa vengeance contre toute cette tri- hii. Le fens en efl fi clair, que je ne conçois pas comment il a pu relier ca- ché à ceux qui nient l'Antiquité de cette illuflre race.

C ell en traçant le portrait de pîti- fleurs animaux des Indes , qu'il s'efl fervi de ces expreïïlons remarquables. Il y a entre autres un Serpent, qui ne [aurait mordre , parce qu^il n'a point de dents ; 772ais , en récornpenje , quand il vomit , ce qiiil fait très-fouvent , // caufe une cor^ ruption générale dans toutes les 'matières , fur le [quelle s il répand ce qui lui fort des entrailles. Ces Serpens fe trouvent d'or- dinaire fur les montagnes ou croisent les Pierres precieufes : ils font fort fujcts à jetter de leur gueule une liqueur empoifon- née ; £^ fi quelqu'un s'avife d'en boire

qucU

116 LE CONTE

quelques goûtes , fa cerieîle lui fort auffi-tùt 'pay les narines.

Il y avoit encore parmi les x^nciens une forte de Critiques qui ne differoienc pas des premiers en cypece^ mais feule- ment en taille , & en de^-é. Il y a de l'apparence, qu'ils étoient comme les a-pprentifs des autres \ & cependant on en fait mention, d'ordinaire. commue d'u- ne Secle h part, à caufedela drfleren- ce de leurs occupations. L'exercice ordinaire de ces Etudians étoit de fre- quenter les Spectacles , & d'y épier les- plus mau' ais endroits des pieces de théâ- tre , defquels ils étoient obligés de ren- dre un conte exa6l à leurs Gou^ccrneurs^ Mis en goût par cette petite proie, comme déjeunes Loups , ils acqueroient avec le tems aifez de force & de vigueur,- pour jetter fur une proie plus confi- derable: car , il a été obfervé parles an- ciens, auffi bien que parmi \k^i moder- nes 5 qu'un vrai Critique a de com- mun avec un Echcvin & avec une Cour^ tifane , qu'il ne perd jamais fon titre ; & quun Critique en gerbe a toujours été un Critique en herbe : fes talens na- turels aïant été feulement augmentez par fes lumières acquifes j femblable

ait

DU TONNEAU. 117

au chanvre , dont lafémence même , fe- lon les Xaturaliites, donne des fuffo ca- tions. C'eft à cette race de Garçons Critic qnes , qu'on eft redevable de l'invention, ou du moins du rafinement, des Prolo^ gués des pieces de théâtre * ; & ce font eux 5 dont Terence a fait fi fouvent men- tion fous le nom â^Male^'oIL

Il eft certain que rétabliffement de la race Critique eft d une neceiïïté ab- foluë pour le monde favant car , toutes les actions humaines ont une relation exacte avec les Talens de Thémillocle , ôc de fon Compagnon. L'un fait ra^ ckr le hoiaii , & l'autre fait faire cîiin petit Bourg une grande Ville ; & celui qui ne fait faire, ni Fim, nifautre, mé- rite d'etre chafle de l'univers à coups de pied. C'eft fans doute l'envie d'évi- ter une pareille punition , qui a donné nailîance au Peuple Critique , &: une occaiionaux Calomniatein*s de débiter, que chaque membre de ce corps eflime

e&

* Les anciens Comiques faifoîent précéder leurs Pieces d'un Prologue , dans lequel ils s'ef- forçoient a captiver ]a bienveillance des Spefta- tcurs. La môme coutume règne encore ^Jr le téatre Anglois,

îi8 L E C O N T E

efpece d'ouvrier, qui levé boutique, avec la même facilité qu un tailleur, Aufîi , felon ces detra6leurs du méri- te ," il y a une étroite conformité entre les talens & les outils de fun & de l'autre. UOeil du tailleur * eil un type parfait des Lieux-comynuns d'un Critique : & le Carreau du premier reprefente fort au jufle felprit & le favoir du fé- cond -j-. Leur courage eil de la même nature, & leurs armes font d'une figu- re fort reiTemblante §.

On peut repondte plufieurs chofes très-folides à toutes ces odieufes ob- je6tions. Rien au monde n'eft plus faux que ce qu'on ofe avancer fur la facilité , qu'il y a 5 à s'ériger en ''jrai Critique, Au contraire , rien n'ell plus difficile ;& il faut fe mettre plus en frais, pour être membre privilégié de ce corps, que de tout autre ; car , tout de même que , pour

bri-

* L'Endroit il jette les lambeaux qu'il vole.

f Le Carreau du tailleur applanit les coutu- res : Tefpnt & le favoir du Ciiique confiile à cacher la manière dont il a coufu enfembie les lambeaux de cqs 'Lieux-Communs.

$ Les Tailleurs rognent , & piquent; les Criti- ques en fout autant.

DU TONNEAU, up

briguer l'honneur d'être un Gueux dans les formes^ il en courte au plus riche af- pirant jufqu à fon dernier fou ; ainfi, pour qu'un homme puifTe s'établir dans Je monde fur le pied d'un 'vrai Critique^ il lui en coûte toutes les bonnes quali- tez de fon efprit. Ce qui feroit un aflez Jût marché ^ s'il s'agiiToit de toute autre acquifition moins, importante.

Après avoir prouvé de cette manière \ Antiquité de la Critique , & dépeint fon état primitif, il me refte d'entrer dans Texamen de fétat préfent de ce florif- fant Empire, & de faire voir Fexacte conformité de l'un & de fautre.

Un certain Auteur, dont les Ouvra- ges ont été entièrement perdus depuis plufieurs fiécles , en parlant des Criti- ques , dans fon Livre f. Chap. 8. ap- pelle leurs Ouvrages les Miroirs de l E^ rudition'^. Or, quiconque fait, que les miroirs des anciens étoit faits de cuivre, & fine Mercurio , doit comprendre par- d'abord les deux principales qualitez d'un veritable Critique moderne , & être convaincu , qu'elles ont toujours été les

mê-

* Citation imitée d'un Auteur illuflre. Voyez la Differtation de Bentley.

îio L E C O N T E

mêmes5& doivent refier les mêmes éter- nellement. Car, le cuivre efl l'emblème d'mie longue durée ^ &, quand il eiî: ar- tiftement bruni, les reflétions fe font fur fa propre fuperficie , fans qu'il foit befoin qu'il ait du Mercure derrière lui ^.

Les autres talens d'un Critique ne méritent pas un détail particulier , étant renfermez dans ceux dont je viens de faire mention, ou pouvant en être dé- duits fans peine. Je ne veux pas finir, pourtant , fans établir ici trois maxi- mes , qui ferviront de marques carac- térifliques , pour diflinguer un vrai Cri- tique moderne , d'avec un Ufurpateur de ce titre ; & qui feront d'un grand ufage , pour ceux qui veulent s'enga- ger dans une carrière fi utile , & fi agréable,

La premiere efl , que la Critique ,op- pofée en cela diam.etralement à toutes les autres Facultez de l'Ame , pafTe tou- jours pour la plus veritable , & pour la meilleure , quand elle fort fraîchement de l'efprit de fon Auteur. Il en efl

com-

* Décidons appuiees fur la témérité y fans être fécondées par le fàvoir.

DU TONNEAU, iir

comme de la premiere vifée d'un char- leur , qui eil d'ordinaire la plus feure ; s'il ne s'en tient pas-la , il y a mille contre un qu'il n'attrapera pas le but.

Seconde Maxi'me. Les \:rah Critiques font connus par leur penchant à volti- ger autour des plus nobles Ouvrages, à quoi ils fontllmplement portez parle même inilinct , qui guide les fouris vers le fromage le plus gras , & les guêpes vers le plus excellent fruit. Cell ainfî , que quand le Roi eil h cheval, il peut compter d'etre le plus file perfonnage de toute la calvalcade , puifque ceux , qui lui font le mieux la Cour , font pré- cifement ceux , qui féclabouiTent le plus.

Troifiéme Alaxiyne. Un vrai Critique rcffemble à un Dogue , qui eft à un Feicin , & qui attend la Gueule béante ce que les convives jettent à terre , & qui ne gronde jamais tant , que lorfqu'il y a peu d'os.

Je me flatte que ce Difcours aura l'honneur de contenter mes Patrons les vrais Critiques înodernes , & de les dé- dommager du filence , jufqu'ici je fuis demeuré à leur égard , auiîl bien que de celui que je poin*i*ois bien obferver

l'orne L F ^ à

i2Z L E C O N T E

à l'avenir. Je crois en avoir aflezbien ufé avec tout leur illullre corps , pour en pouvoir elperer une genereufe in- dulgence.

Dans cette attente, je m'en vais pour- fuivre hardiment FHilloire , que j'ai 11 Ijeureufement commencée.

SEC-

DU TONNEAU. nj

SECTION IV.

Continuation du Conte du Ton- neau.

J'Ai déjà condiik le Lefteur avec de grands efforts jufqu'à un période , il doit s'attendre à de grands événemens.

A peine notre Frère DoBeiir fe vit-il propriétaire d'une bonne maifon , qu'il commença à faire le gros dos , & à fe donner de grands airs ^ en forte que, il le Lecteur n'a pas la bonté d'étendre uii peu l'idée que j'en ai donnée jufqu'ici, je crains fort , qu'il ne reconnoiile plus notre Héros , tant il y a de changement dans fon roll e, dans fes ajuftemens , &: dans fa mine.

Il commença par dire à les Frères , qu'il vouloit bien qu'ils fuiïent, qu'il étoit famé, & par confequent l'unique héritier de leur Père. Q_uelque tems après, il ne voulut plus , qu'ils l'apellaf^ fcnt leur Frère ^ il vouloit être nom^m-é '/feux Monficur Pierre^ ou Perc Pierre^ ëz quelquefois même , Mrlord Pierre.

F 2 ' Pour

114 LE CONTE

Pour foutenir ces grands airs , qui ctoient fort au-deiTtis de Tes moïens , ii s'établit dans le monde far le pied d'un Fhtuofo , ou In"jcnteur de Projets, Il fit ce nouveau métier avec tant defuc- ccs , que plufieurs fiimeufès découver- tes, & un grand nombre de machines, qui font encore à prefent en vogue , doi- vent leur naiflance au fubtil efprit de My lord Pierre. Je donnerai ici un dé- tail des principales,fans me mettre beau- coup en peine de l'ordre des tems elles ont été inventées : aufîi bien les Auteurs ne font-ils pas trop bien d'ac- cord fur ce point.

Comme j'ôfe afleurer que ce préfent Ouvrage eil d'un mérite confiderable , par les peines , qu'il m'en a coûté , pour en am.aiïer les matériaux , par la fidé- lité de la relation , & par l'utilité du fjjct, je ne doute pas qu'on ne me ren- de la juftice de le traduire dans toutes les Langues étrangères. Je me flatte en ce cas 5 que les dignes membres de toutes les Academies de l'Europe, & fur-tout celles de France & d'Italie , confidere- ront cet ellai , co mm e un des gran d s fe- cours, pour parvenir à la connoiiTance

uni-

Du TONNEAU, n;

univerfclle de tout ce qui mérite d'e- tre fù.

Je dois avertir encor ici les Reverends Peres des Milhons Orientales que, pour Tamour d'eux , j'ai choifi exprès les Tours & les Plirafes les plus propres à être traduites facilement dans les Lan- gues de rOricnt , & fur-tout en Chi- nois. Après cette petite Digrellion , je vais mon chemin , extafié par la contem- plation des fruits confiderables , que tous les ILibitans de notre Globe recueil- leront aparemment de mes travaux.

La premiere entreprife de Mylord Pierre tendit h. fe m^ettre en poHeirion d'un continent fort étendu fitué dans tm pais nommé- l^erra Jujfralis inco- gyiita^. Il l'acheta pour peu de chofe de ceux qui fa voient découvert, quoi qu'il y ait des gens qui foutiennent , que les icudcirrs n'y ont jamais mis le pied. Il le partagea en diiferens Cantons , & les revendit en détail a plufieurs Marchands, qui y voulurent conduire des Colonies, mais qui périrent tous dans le Voiage. Enfuite,AIylord Pierre vendit de nou- veau ce même continent à d'autres , F 3 puis

* Le Civl, ouj fclon d'autres, le Purgatoire*

126 LE CONTE

puis à d'autres , & puis encore à d'aU" très 3 6c toujours avec le mêmefuccès, demeurant toujours PoiTeileur de ce qu'il avoit vendu.

Son fécond projet étoit le débit d'un remède fouverain contre les vers, & fur-tout contre ceax , qui ont leur fejour dans la ratte '^. Ce remède étoit fort aifé à prendre : il s'agiffoit feulement d'être trois nuits fans manger quoique ce foit après foupé ; d'avoir foin en fe couchant de fe mettre fur un coté , & de fe tourner, dès qu'on étoit las de cet- te fîtuation. Il falloit encore attacher en même tems les deux yeux fur le mê- me objet, & fe garder avec foin de lâ- cher des vents par devant & par derriè- re, dans le même inllant. Par l'obfer- vation exacte de cette recette , les vers fortoientimperceptibIementpar/r^;^y/?/- ration au travers du cerveau.

Sa trcifiéme invention fut FétablifTe- nient d'un Bureau pour le bien commun des Hypocondriaques -f ; & de ceux qui étoient tourmentez de la Cohque,des eu-.

vieux

* Scrupules de Confcience, Remords 6cc. Ce remède confiile en abiblutions , pardons , le. gcrcs penitences, &c.

"j: La ConfclÏÏQn..

DU TONNEAU. 117

rteux impertinens^ des Médecins , des Sages- Femmes^ des Politiques du ha s ordre ^ des Poètes plagiaires 3 des amis brouillez , des amans heureux eu defefperez , des Cour- îifanes^ des P age '>^ des Parajites^ iy des Bouffons'^ en un mot ^ de tous ceux qui courent ri [que de crever à force de l'ent. Dans ce Bureau la tête d'un Ane étoic placée avec tant d'adrelTe 5 que le mala- de pcuvoit aiiemenc apliquer fa bouche à l'une ou à l'autre oreille de cet ani- mal *. Lorfqu il s'étoit tenu dans cette pollure pendant quelques momens , il le trouvoit d'abord foulage par une Fa- culte attra6li-ve particulière aux oreilles de cette Béce, qui lui faifoit vuider la fource de fon mal par éructation^ cxpi^ ration , ou e^-jomiîion.

Un autre projet fort utile de Mylord

Pierre étoit féredlion d'un Bureau

d'Aifurance 7 en faveur des pipes- à-

F 4 ta-

* Par cette tète d'^r//^ cfl entendu le Prêtre qui eil place dans le Confefllcnal , & dans l'oreille duquel les Penitens vuident leur fac d'ordures.

7 11 y a à Londres un Bureau d'AfTurance , ou, pour une certaine fommc , on fait aiTurer les maiions contre les dommaf^os , qu'elles pourroient recevoirpar l'incendie. De la mcme manière, le

Pape

ii§ L E C O N T E

tabac , des Martirs clu zèle moderne, des recueils de Poclies , des ombres

& des rivieres ; tendani

à les garantir contre les dommages qu ils pciirroient recevoir par le feu.

Il paroit de-là, quenosSocietez, éta- blies dans des vues femblables, ne font que des Copies de Milord Pierre, quoi- qu elles ne s'en trouvent pas mal , non plus que lui.

Le même Seigneur Pierre paflc en- core pour l'Inventeur des Marionettes^ & des Curiofitcz'^' ^ dont Futilité efc trop reconnue dans le monde , pour qif il foit neceflairc de m'y étendre.

J'aurois tort de paffcr ici fous fiîence une autre découverte , qui lui acquit

une

Pape a une Boutique de pardons , 6i d'indul- gences j pour alicurer les âmes contre les flammes du Pur£;atoire. L'Auteur fait ici mention de plu- fieurs chofes , qui ne valient pas la peine d'être ailurécs contre le feu, ou qui ne font pas d'u- ne Nature à avoir befoin d'une pareille afTu- rance. W turlupine par la :a fottife de precaution- ner contre le feu du Purgatoire les âmes , qui font immatérielles, & qui pr;r confequent n'ont pas befoin d'un pareil oiîguent contre la brû- lure.

* Les Ornemens porppeux , qui font un fi beau Spedacle dans IT.g'ife Koinaine»

DU TOKiVEAU. up

nnc grande réputation : c'efl Ç-àfcimcw Je Saur,:uye umvcrfeLle ^.

Aïant remarque , que notre fiumu- re ordinaire n'avoit pas d'autre ufage , que de conferver la viande morte , & quelques efpeces de végétaux , il trou- va le moïen, avec beaucoup d'art & de dépenfe , d'en étendre l'utilité. Il ea compofa une propre à garantir de tout mal, Maifons, Jardins, Villes, Fem- mes , Hommes , Enfans , & Bétail; & il y conferv^oit tout cela aulTi fain (Se auiTi entier , que les Infectes font con- fervez dans FAmbre.

Cette faumure paroilToit au goût, à rodeur,& à la vue, prccifement la mê- me, que celle, nous mettons notre bœuf, notre beure , & nosharangs; mais , c'étoit bien autre chofe , par ra- port à ^cs rares quaiitez. Des que Pier- re y avoit mis une petite pincée de fa ^owàx'Q. preîimpi/npim ^ elle changeoitde nature, &produifoit des effets miracu- leux.

L'Opération étoit faite par <^'/>.";;/75;;;

& , pour être fur du fucccs , il falloit la

mettre en œuvre dans un certain tems

F s tie

* L'Eau bcnitc.

I

ija L E C O KT T E

de la Liine ^. Si le Patient qu il fal^»

loit aiTofer etoit une Maifon , elle étoit par cette operation en fureté contre les rats, les belettes , & les arragnées. Si c'étoit un chien , il étoit garanti de la gale, de la rage, & de la faim. Elle delivroit aufTi fans faute les Enfans des poux &: de la rogne.

Mais, de toutes les pieces que Pierre pofledoit , celles , qu'il eilimoit le plus , étoit une certaine race de Taureaux^ defcendus en ligne droite de ceux, qui gardèrent jadis la Toifon d'Or f. 11 eil vrai que certaines gens , qui les av oient examinez avec attention , prétendoient, que quelque fang roturier devoit s'être giiffé furtivement dans les veines de ces animaux , parce qu'ils avoient fort de-

*I1 faut être bien lunatique, en effet, pour <îonner dans des fottifes pareilles.

I L'Auteur parle dans cet Article des Bulles du Pape. On pourroit s'étonner qu'il les defîgne par l'emblème des Taureaux ; mais , outre que la <îngularitë affedée de fa. manière d'écrire fuffit pour rendre pardonnable une figure fîpeuufîtée, le Lefteur l'aprouvera fans doute, quand il faura qu'en Anglois le mot Bu// fignifie une bulk 8c un 'Taureau. Je n'ai pas eu l'efprit afTez inventif, pour trouver en François quelque chofe d'équi- valent.

DU TONNEAU. 151

gênerez, par raport h certaines qualicez de leurs Ancêtres , & qu'ils en avoient acquis d'autres fort extraordinaires.

On fait que les Taureaux de Colchos étoient fameux par leurs pieds d'ai- rain ^ mais, il étoit arrivé, ou par la mau- vaife nourriture, ou par quelques in- trigues de leurs Aïeules, ou par quel- que affoibliflement accidentel dans h femence, ou par la fuite des terns, qui a fi fort abâtardi toute la Nature dans ces derniers malheureux fiécles ; enfin il étoit arrivé, dis-je, que le métail de leurs pieds avoit fort baifTé en valeur, & que ce n'étoit plus que du plomb ordinaire.

D'un autre côté, ils avoient confervc ces horribles mugiflercens fi particuliers à leurs premiers Parens , aulfi-bien que le Don defoufler le feu parles Narines, que quelques Calomniateurs taxoienc de n'ctre qu'un pur artifice^ foutenant que ce Phénomène n'étoit pas ^i terri- ble quil paroiiToit, <S:quil n'étoit cau- fé, que par la nourriture de ces ani- maux , qui confiiioit en fujc'es ôc en fêtards,

Qiîoi

^ JLc Sceau attache au bas cTcs Bulles»

F 6

i^i L E C O N T E

Qiioi qu'il en foit, il efl certain, qu'ils avoicnc deux marques, qui les diitinguoient extrêmement de leurs Pe- res contemporains de Jafon, & que je n'ai jamais trouvées dans la defcription d'aucun monltre, excepté celui dont parle liorace. Farias inducere plumas ^ atru'ûi dejhiit in pifcem. Ils avoient ef» feclivement des queues depoiilbn^^ & cependant , en certaines occafions , ils voloient avec plus de rapidité, qu'au- cun oifeau au monde.

P/ar^fe 1er voit de ces Taureaux avec beaucoup de fuccès. Il les faifoit mu-- gir quelquefois pour effraïer & pour faire taire /c'^ En fans qui nétoient pas jo- lis]. D'autres fois , il leur envoïoit faire des commilfions fort importantes. Mais, ce qu'il y avoit de remarquable dans toutes leurs actions , & que le Lecleur prudent aura de la peine à croire , ils faifoient voir un amour enragé pour VOr. C'étoit aparemment un inflincl, qui ctoit paiïc dans toute la race de leurs nobles Ancêtres les Gardiens de la

Toi-

Suh anmih fifcatorii, Les Princes qui n'on fc pour plier fous i'Autoritc du Sî. Pcrc»

1 Les Princes qui n'ont p.is a/Tez de Soupki^

DIT TONNEAU. 135

Toifon. Ils Hiivoient cet inflincl avec tant de fureur , que quand Pierre les envoïoit feulement faire uncompliment h quelqu'un , ils fe mettoient à rotter , à jetter du feu par les narines , à mugir par devant &par derrière : en un mot, ils faifoient le diable à quatre, jufqu'à ce qu'on leur eut jette une bouchée d'or dans la gueule > mais alors, puh'eris exiguija^ii^ ils devenoient doux comme des agneaux.

Cette prodigieufe avidité pour l'Or, encouragée , à ce qu'on prétend , parla connivencedeleurMaitre, les faifoient regarder par-tout comme une troupe de Gueux infolens: c'étoit avec grande raifon> car, par-tout on leur refii- foit raumone,iIs faifoient un tintamar- re à faire avorter les Femmes, & àjet- terlesEnfans dans des convulfions. Ils pouffèrent enfin leur effronterie fi loin, qu'elle devint infuportable à tout le voifmage, &que certains Habitans du Nord-(Jueft envoïérent contre eux une meute de Dogues iVnglois ^, qui leur donnèrent des coups de dents li terri- bles,

* Henry 8. le premier Roi qui ait fccoué le Tçug du Pape,

F7

IÎ4 L E C O T E

bles , qu'ils s'en reffentirent toute leuf vie.

II faut 5 avant que de finir , que je fafle encore mention d un Rutveprojet de My- lord Pierre , qui fait bien voir , que c'efl un Maître homme , & d'une imagina- tion très-riche , & très - féconde *. Quand il arrivoit que quelque Scélérat étoit condamné à être pendu, Pierre le donnoit les airs de lui offrir le par- don, pour une fomme d'argent. Lorf- quele pauvre Diable avoit fait tousfes efforts pour la ramaffer , & qu il l'avoit envolée h. fa Grandeur ^ il en recevoit pour recompenfe un Papier contenant le Formulaire fuivant.

A tous Baillifs^ Prez'ôts^ Geôliers ^ Sergens , Archers , £5^. Salut.

Comme rious fo77rme s informez que le nom^ N. étant fous fentcnce de mort fe trou-^ ve aBuellement entre vos mains, nous 'voulons y £5? ordonnons, qu'à la vue de la pre fente , vous aïez à relâcher le dit prifonnier , {$ h le laifjer retourner libre- ment à fa demeure^ quel que puiffe être le cas ^ pour lequel il eft condamné , Meurtre ^

Fol,

* Ceci fait allufion aux TaxA CameUari'A "ho- rnnn& , les crimes les plus affreux font taxer à une légère foîumçr

DU TONNEAU. r^f

Fdï ^ Blafpheme ^ Incefie ^ Sacrilege^ Tra-^ hîfon^ Sodomie 'y i^c. Etfivousétes ajfez hardis y pour y inanquer ^ que le Ciel 'VOUS punijfe "jous fi? hs '■cotres éternelle- ment. Dieu 'vous ait en fa faint e i^ dign-c^ Garde,

Le tres-hurnUe Ser'viteur de 'VOS Serviteurs ^

L'Empereur PIERRE;

Qu'arrivoit-il? Les malheureux, qui fe fioientà ces bellos patentes , perdoient leur argent , & leur vie par-defllis le marché "*.

Avant que de palTer outre , je dois avertir ceux , à qui la Poflerité favante confiera l'honneur de commenter ce Traité ymr'veilkus ^ d'en manier avec beaucoup de précaution certains points obfcurs , defquels ceux , qui ne font pas 'verèadepti^ pourroient tirer certaines conclurions trop précipitées. Ce danger efl fur- tout à craindre par rapport à

cer-

* Les pardons achetez pour une femme il modique n'empêchent pas le Criminel, s'il eft faifi par le Bras fecuh'er , d'être pendu OU roué, en dépit de l'Autorité Papale.

135 L E C O N T E

certaines périodes Myftiques , Yon 2l joint ^ pour l'amour de la brièveté y certains ^;t^;^.^ , qui doivent être divi^ fez dans l'opération. Je ne doute pas que les Fils futurs du grand Art ne paient à ma mémoire des refpe6ls reconnoif- fans, pour un avertilTiment d'une aufîl grande utilité.

' Il ne fera pas difficile de perfuader aux Le6leurs5qiie tant de grandes de- couvertes de My lord Pierre eurent un fuccès prodigieux dans le monde. Je puis proteiler cependant , que je n'en ai raporté que la moindre partie. Mon intention n'a été que de vous commu- niquer celles 5 qui méritent le plus d'être imitées , & qui font les plus propres à donner une idée exaéle du Génie de Y hrcentcur.

Il eft aifé de s'imaginer, qu elles lui avoient procuré des richeifes immenfes. Mais , helas ! le pauvre Seigneur s'étoit donné une entorfe au cerveau , à force de mettre fon efprit à la torture. Son or- gueil & fes projets de Scelerateffe l'a- voient rendu fou à lier ; & fon imagi- nation s'étoit remplie des plus bifarres reveries qu'on puiiTe concevoir. Dans les plus terribles accès , ( comme il ar- rive

DU TONNEAU. 1^7

rivefouvent à ceux, à qui la vanité fait tourner Felprit) il s'appelloit quelque- fois le Monarque de l'Univers, le Dieu tout-puiilant.

Je fai vu un jour, dit mon Auteur y prendre trois vieux Chapeaux en pain de fucre, & fe les planter fur la tète rundelTus fautre, comme une Couron- ne h triple étage. Dans cet état, je fai vu fe montrer aux hommes, avec une Ligne à pécher à la main , & avec un énorme trouiieau de Clefs pendu à la ceinture.

Dans cette venerable pollure , û quelqu'un vouloitlui donner lamain en- figne d'Amitié , il lui tendoit galam- ment la jambe; & fi l'autre ne prenoit pas goût à cette civilité , il la levoit allez, haut, pour lui fangler un vigoureux coup de pied furies mâchoires. Voilà ce qu it apelloit filuer les gens. Qiiand quel- qu'un paffoit devant lui , fans fonger à lui faire la reverence, il lui faifoit tom- ber le chapeau dans la boue, en fou^ Jlant delTus; car, il avoit Icfouflc d'une force étonnante.

Au milieu de toutes ces extravagan- ces , les affciires de famille ctoient dans un defordre pitoiable , & fes Frères

pai-

i}8 L E C O N T E

paflbient fort mal leur terns. La pre- miere boutade par laquelle il s'étoit ii- gnalé à leur égard , c'eft de chaiTer un beau matin de la maifon leurs Fem- mes, aufli bien que la Tienne 5 & d'y fai- re entrer à leur place trois franches Don- zelles , qu'il avoit ramafTées dans les rues ^. Qiielques jours après, ilfemit dans l'efprit de clouer la porte de la Cave 5 pour faire manger fes pauvres Frères , fans leur donner à boire -|".

Dinant un un jour en Ville chez u^ Eche^vin , il l'écouta avec attention ha- ranguer fur un alloyau de bœuf.

Le bœuf , difoit ce fage Magiflrat , eji le Roi des mets : le bœuf contient la ^uintejjence dn perdreau , du fai* fan , de la caille , de toutes fortes de 'venaifon \ i^ même du pdding^ {^ du flan.

11 ne lailTa pas tomber à terre cette belle penfée ; & , dès qu'il fut revenu chez lui, il fut y donner un fi bon tour, qu'il en fit un dogme très-utile pour lui 5 en la rendant apphquable au pain.

U

* Le Mariage défendu aux Prêtres 5 & le Con- cubinage permis.

t La défenfe de la Coupe dans laStc. Cenc.

DU TONNEAU. 159

Le Pain , dit-il , mes chers Frères eft le foutien de la vie : dans le Pain font ren^ fermez inclufivè , le mouton , le veau , le gibier , le flan , i^ le podding '^. Et même^ pour en faire un aliment complet^ il y a unedozenéceffaire d'eau, qui, aiant perdu fa crudité par la chaleur £5? p^r la fermentation , efi devenue une liqueur ex^^ trémement faine répandue par toute la maffe. Conformément à ces beaux principes, un grand pain fut fervi le lendemain à dîner,avec toute la formalité d'une Noce Bourgeoife. Allons , mes Frères , dit Pierre , n épargnez pas ces mets. Je vous garent is ce mouton excellent. Servez-vous s'il vous plaît \ ou bien , je m'en vais vous fervir moi-ynême, puifque fy fuis. En mê- me tems,avec beaucoup de Cérémonies, armé d'un couteau & d'une fourchette, il leur coupe à chacun une tranche mal^ five de ce pain , & il la leur préfente fur une afTiette. L'aîné des deux, n'en- trant pas d'abord dans l'idée de Mylord Pierre , commença d'une manière fort humble à lui demander le fens de ce Miflere. Mylord , dit-il , avec tout le refpedl que je vous dois , il me femble quil y a quelque méprife ici. Comment donc\

* La Tranfubftantiatfon.

I40 LE CONTE

repondit brufquement Pierre. Nous al- lez-vous débiter ici quelque pîaifanterie de *votre façon? Nullerâent ^ Mylord ^ répli- qua le pauvre garçon. Jemétoisimaginé^ que Foîre Grayideur avoit parle d'une piè- ce de mouton -, (^ je ne fer ois pas fâché delà voir paroi tre fur la table, ^te vou- iez-vous dire? repartit Pierre d'un air fort furpris. Je veux mourir , ft je vous comprends. Le plus jeune trouva h pro- pos là-deiTus de fe mêler de la conver- làtion, afin d'éclaircir la matière. Aïy- lord^ dit-il, mon Frère a faim .^ aparem- ment \ ^ il voudroit bien tater de ce mor- ceau de mouton , que Votre Grandeur vient de nous promettre, ^uel pejle de jargon eft ceci ? repartit Pierre. Avez-vous le Ùiable au corps Vun £5? Vautre ? "ïreve de railleries , s il vous plait. Si vous , qui avez commencé cette farce , yf aimez p^as votre morceau Je m'en vais vous en couper un autre , quuiquà mon avis ce foit le plus friand ^obet d" appétit de toute ÏE^ paule. Comment donc^ Alylord! répon- dit le premier. Ccft donc -là une Epaule de moût on y à votre avis ? Monfieur , Mon^ fieur mon Frère ^ repartit Pierre aigre- ment 5 vuidez votre afjiette , s' il vous plait. Je ne juii point du tout en humeur defoufrir

vos

DU TONNEAU. 14.1

t

"■j OS fades houfonneries. Pouffe à bout par la gravité affeclée de Pierre, le pauvre Cadet ne put s'empêcher de fortir du refpecl. Parbleu^ Mylord^ dit-il, tout ce que je puis l'ous dire^ cefi quà en juger par mes yeux , mes doits , mes dents , £5? mon nez^ ceci n'eft autre chofe quiin gros ^Àgnon de pain. A quoi lautre ajouta , que de [es jours il nosjoit '•ou un morceau de mouton^ qui rejjhnblàt fi fort à une tranche d'un pain de douze fols. Ecou- tez^ Mejfîcurs^ s'écria Pierre là- defl us d'un ton furieux. Pour vous faire i:oir^ que 'VOUS ifétes qu^in couple de fats^ aveu- gles^ ignorans., 6? decififs^ je ne me fer- virai que de ce feul Argument. Ceci eji d\iujfi bon £5? d''aujfi veritable mouton^ qu'il y en a dans toute la boucherie : (J Dieu vous darnne éternellement ^ fi vous êtes ajjèz hardis , pour n'y pas ajou- ter foi.

Une preuve aufli foudroïante que celle-là ne laiffa aucun lieu à de nou- velles objections , & les pauvres gens rentrèrent dans leur coquille tout au plus vite. En cjfet^ dit le premier, en confiulerant la chofe plus meurement. . . . . jipres y avoir mieux fongé^ interrompit l'autre, // ?ne Cemble que F être Grandeur %

rai-

14Z L E C O N T E.

raifonne avec beaucoup de juftejfe. Bon cela^ repondit Pierre. Je fuis bien-aize de 'vous 'voir rentrer ft-tôt en 'vous mêmes. He\ Garçon^ remplijjez-moi un verre à bierre de 'vin rouge. A'vous^ Mejjïeurs ^ de tout mon cœur.

Les deux Frères, ravis de voir cet orage paiïe, le remercièrent très-hum- blement , & lui firent entendre , qu'ils ièroient bien-aifes de lui faire raifon. Ceft bien-là mon intention^ leur dit Pierre. Je m fuis pas homme à vous refufer rien qui foit raifonnable. Le vin pris avec ?noderation eft le plus exceU lent de cordiaux, 'Tenez , prenez chacun votre verre. Ceft le jus naturel de la grap- pe : il ri a point pafj^é par la brafjhie de nos Empoifonneurs ^ je vous en reponds. Aïant prononcé ces dignes paroles, il leur tendit à chacun une autre croûte feche. §ue honte ne vous fafje point dommage , mes Enfans , dit-il. Buvez hardiment : il ne vous monicra pas à la téte\ croyez-moi. Les deux Frères , après avoir emploie quelques minutes à s'acquiter d'un devoir très- naturel dans une conjoncture fi delica- te^ je veux dire, après avoir regardé fixement Mylord Pierre, & s'être en- tre-

DU TONNEAU. 14}

treregardez l'an Tautre avec la même at- tention; plièrent les épaules, voïanc bien qu'il étoit inutile d'entrer là-deflus dans une nouvelle difpute. Ils remar- quoient aflez, que Mylord étoit dans un de fes accès d'extravagance; 6c que, le contrarier, c'étoit vouloir le rendre infiniment plus intraitable.

J'ai trouvé néceilaire de raporter ici cette affaire importante dans toutes fes circonltances ; parce que ce fut-là l'o- rigine principale de la rupture , qui ar- riva environ ce tems entre ces Frères , qu'on n'a jamais pu racomoder dans la fuite. Mais, j'aurai occafion de parler plus au long de ce fujèt dans une des Sections fui vantes. Il ne faut pas croi- re que Mylord Pierre n'eut de tems en tems de bons intervalles; mais, dans ce tems-là même, il étoit fort libertin dans fes exprefîions, chicaneur, decifif, porté plutôt à fe crever hs poumons en difputant, qu'à convenir qu'il s'étoit trompé dans la moindre chofe. D'ail- leurs, il avoit un abominable talent de débiter de gros micnfonges palpables, qu'il appuïoitpar des Sermens afreux, en maudilTant tous ceux qui refufoient

de

144 L E C O N T E

de les croire , ôc en les donnant à tous les cent mille Diables.

11 jura un jour, qu'il avoit vu une Vache , qui donnoit aiTez de lait en une feule fois, pour en remplir trois mille Eglifes ; & que ce lait ne devenoit jamais aigre , quand on le garderoit pen- dant dix ou douze llécles ^^. Une autre fois, il conta que fon Père avoit un vieux Poteau , capable de fournir allez de bois & de fer pour conllruire fix grands Vaiffeaux de Guerre f.

Dans une Compagnie, Ton s'en- tretenoit de certains petits chariots Chi- nois capables d'aller à la voile par-delfus les montagnes , il fe mit à rire. jBû^i / dit-il 5 'voi/â une belle merveille. J'ai *vu^ moi , qui vous parle , une graride mai fon , faite de chaux ^ de briques , faire un volage , par mer ij par terre , de plus de deux mille lieues d' Allemagne. Il eft vrai quelle fe repofoit de tems en tems dans quelque gitc §. Il lardoit ce beau Conte de mille Sermens afi-eux , qui tendoient à perfaader aux Auditeurs,

qu'il

* Le lait de la Vierge.

f Le bois de la croix, qui ne cede en rien au' lait de la Vierge dans laFaTulte de f; multiplier. § La Chapelle de N. D. de Loreiti.

DU TONNEAU. 14^

qu'il n avoit jamais menti de fa vie. En confcicnce , Mejfieurs ^à^\{6\x.~A à cha- que moment , je m 'voiis dis que la pure njerîté. ^le le Diable broie éternelleynent tous ceux qui ne ^veulent pas m'en croire.

Pour faire court , la Conduite de Pier- re de\dnt à la fin fi fcandaleufe , que tout le voifmage le traita unanim.e- ment du plus grand maraut de la terre habitable 3 &, que fes Frères , fatiguez depuis long-tems de fes impertinences, refolurent de le planter-là : mais , avant que d'exécuter ce deflein, ils lui deman- dèrent honnêtement une Copie du Tes- tament de leur Père , dont ils avoient eu tout le tems d'oublier le contenu. Au lieu de leur accorder une chofe fi julte , il leur donna les noms de fils de chien- ne 5 de coquins , de traitres , en un mot les plus vilains que fa mémoire fut ca- pable de lui fournir.

Néanmoins , un jour qu'il étoit foril pour travailler à faire réiifiîr quelques- uns de fes projets , ils prirent leur tems , fe glifierent dans l'endroit le Tefla- ment en quelUon étoit renfermé , de ils en firent une Copie autentique, qui leur fit voir en moins de rien les erreurs

Tome L G afreu-

i4<^ LE CONTE

afreufes dans lefquelles Pierre les avoit engagez.

Leur Père leur avoit laiiTë à tous trois fon héritage à poitions égales , avec un ordre pofitif, que tout ce qu'ils gagne- roient feroit en commun. Autoriièz par- , ils enfoncèrent la porte de la Cave , (S: en tirèrent un peu de vin, pour s'é- gaïer le cœuj- , & pour rétablir leur eitomac.

En copiant le Teftament de leur Pè- re , ils y avoient remarqué un Article formel , contre la paillardife , & contre le divorce -, c'efl pourquoi, leur premier foin fut de faire revenir leurs Femmes, & de chaffer leurs Concubines.

Pendant qu'ils écoient dans toutes ces occupations, certain (S'c/Z/Vi/é'/^r de Procès entra dans la mailon , dansledeffeinde demandera Mylcrd Pierre un acte de pardon pourun \''r'eur, qui devoit être pendu le lendemain.

Les deux Frères lui dirent qu'il étoit un grand fat de vouloir obtenir un pa- reil afte d'un f::quin, qui méritoit lapo- tence hii-mcme ; ils lui déveîopérent toutte l'impolture, de la manière que je l'ai déduite ci-deiTus , & lui confeil-

lerenc

"^m .J', ^aa. 14-6^.

DU TONNEAU. 147

lérent de s'adrefTer au Roi, &non pas à leur fourbe de Frère.

Au milieu de cette converfation Voilà Pierre qui entre brufquement, fuivi d'u- ne troupe de Dragons; &, après les avoir accablez de piufieurs mDlions d'in- jures, & de rnaledidions canailleules , qu'il n'efl pas trop néceiTaire de répéter ici , il les fait fortir de la maifbn à grands coups de pieds , avec menaces de les traiter encor bien plus mal , fi jamais ils avoient la hardi elle d'y revenir: aufîi s'en font-ils bien gardez depuis ce tems- Ja jafqu à l'heure prefente.

"m-

SEC-

148 L E C O N T E

SECTION V.

Digreffion à la moderne.

NOus, que le monde honore du titre ai Auteurs Modernes^ nous ne nous mettrions jamais dans Fefprit la flatteufe idée d'une réputation immortelle, fi nous n'étions perfuadez de l'utilité infinie, que nos favans efforts procurent au genre-humain.

O vous, vafle Univers 5 c'efl: ce glo- rieux deffein de vous prodiguer mes bienfaits , qui m'oblige à prendre le titre de 'votre Secretaire, C'efl ce but , qui

^uemvîs per ferre labor era

Suadet , G? indue it no et es ^vigilare ferenas,

C'efl dans cette vue, que je travaille il y a quelque tems , avec des peines in- exprimables , à la diffection de la nature humaine , & que j'ai fait plufieurs le- çons curieufes fur fes différentes parties, tant contenantes , que contenues , julqu'à ce qu'enfin ce corps a commencé à fentir Il mauvais , qu'il m'a été impoiîîble de

le

DU TONNEAU. 149

le conferver pliislong-tems. J'ai pour- tant réu(]i,noni:ms des frais conildera- blés , à en placer tous les os dans leur connexion, & dans leur iimétrie natu- relle ; en forte que je fuis tout prêt à en faire voirie Squelette complet à tous les curieux.

Mais, pour ne m'écarter pas davan- tage au milieu d'une Digreiîion, à fe- xemplede piufieurs Auteurs, qui met- tent les Digreflions les unes dans les au- tres, comme un nid de boetes,ou comme les peaux d'un oignon ; je me conten- terai de déclarer ici, qu'en m'occupanc à cette Anaîornie , j'ai fait une décou- verte audi extraordinaire qu importan- te : favoir, qu'il n'y a que deux moïens d'être utile à la Société humaine , V Inftrii^fion^ & le Dli'crtijjernent. Pour- vu que les leçons que j'ai faites fur ce fujèt foient affez fortunées pour être volées par quelqu'un , ou qu'un ami me force par fes impotcunitez les ren- dre publiques , on y verra clairement démontré que le genre humain, difpofé comme il eit à prefent , a plus bcfoin d'être diverti , que d'etre inilruit. La raifon en eil , que fes maladies \qs plus G 3 ordi-

1/0 LE CONTE

ordinaires font le dégoût , Tennui, 6c l'indolence.

Néanmoins , j'ai voulu fuivre un pré- cepte fort ancien &; d'une grande Au- torité , & j'y ai réiifli dans la dernière perfeélion dans toute l'étendue de ce di- vin Ouvrage. Je veux dire, que j'y ai mis par-tout, avec une proportion exa6le, tantôt une couche d'utile, & tantôt une. couchz cV agréable.

Nos illuilres Modernes ont écli-pfé & écarté du Commerce du monde poli les foibles lumières des Anciens , jufqu'à un tel point , que nos beaux elprits les plus diilinguez révoquent en doute fi les Anciens ont jamais exifcé *. Ceft un Problème , fur lequel nous attendons de grands éclairciilemens de la favante plume du fameux Bentley & je n"y réfléchis jamais, fans m'étonner, qu'au- cun Moderne jpour faire valoir la prodi- gieufe fupériorite de notre fiécle, n'ait pas en trepris de renfeiTner , dans qu elque "^tulTulk-fve de pQchc . un Syileme géné- ral de tout ce qu'il Ï2i\it J avoir ^ aoirey.

(^

* Certains Partifans des Modernes. Fonteneîïe y. par exemple , prétend que nous fommes les An^- cicns. Je ne fais pas trop s'il a tort.

DU TONNEAU. lyr

13 'fzeîîre en pratique. Je dois avouer pourtant, que j'en ai vu une légère idée, dans récrit d un grand Philofophe du Brezil Oriental , qu'on a trouvé parmi Tes papiers après la mort. C eft une eipece de Recepte , que la tendreiTe que je mie fens pour les Savans Modernes, me porte a leur communiquer, afin d'ani- mer quelqu'un dentreux à la m.ettre en œuvre, & à rafiner furies ufages qu'on en peut tirer.

Prenez de belles Editions^ bien reliées en i;eau , ayant leur titres au dos en lettres d^or^ (y contenant toutes fortes de matiè- res ^ en toutes fortes de langue s \ faites les fondre enfembie an Bain Marie : infufez y une doze fuffi f ante de la ^uintejjh:ce de Pavots , avec Pinte d'eau de Le thé , qu'on peut trouver chez tous les ylpoticai- res : otez en foigneuj entent le Caput m or-- tuum , {jf laifjez évaporer tout ce qjÎ'ïI y a de vciatîi.

Vous n^en garderez que le premier ex- trait , que vous difiik; ez de nouveau di^- fept fois , jujquà ce que le refte ne mon- tera qu^a aemi-chopiyhc. Vous le conferve- rez^ dans une bouteille hermétiquement fer- mée ^ perulaht vingt (y un jours. Apres G 4 c^iay

isz L E C O NT E

cda^ I'ous parjez co?nmencer lotre Traité Univerfel , en prenant tous les matins à jeun trois goûtes de cet Elixir. Notez qu'il faut pre?72ierement bien Jccouer la bouteille^ ^ prendre îefdiîes trois goûtes par le nez. Elles fe dilateront par toute 'votre cer'velk^ fi 'vous en avez^ en qua- torze 'minutes de tcms \ £5^5 tout d'un coup^ l'DUS aurez rimagination remplie d'ex- traits.^ defcmmaires^ d' abrégez^ de recueils^ de Médaille, Excerpta, Florilegiaj&c. tous dilpofez dans l'ordre nécelTaire, & prêts à s'arranger fur le papier.

Je fais obligé de convenir, que c'eft par le fecours de ce fecrèt, que, malgré mon incapacité naturelle, je me fuis ha- fardé à entreprendre ce préfent Ouvra- ge, qu'on peut apeller réellement la Moelle de toutes les ConnoilTances ima- ginables.

Ce hardi delTein n ajamais été formé, que je fâche , avant moi , fi-non par ua certain Homère , dans lequel , quoi qu'il eut quelque talens, & que fon ge- nie fut paffabie pour un Ancien, j'ai découvert quantité de fautes groiîleres., qu'on ne fauroit pardonner à fes cendres fi elles exiltent encore. On

nous

DU TONNEAU. i;;

nous aillire que fon Ouvrage a été defliné h faire un corps complet de SciencQS divines çj hwuiaines , politiques (^ mechaniques ^-mais, il ell évident,qu'il y a des fujcts qu'il a négligez entière- ment, & d'autres qu'il n'a touché qu'en paÛant. Premièrement , il faut avouer, que, pour un aufïï grand CahaVfie qu'on prétend qu'il a été , ce qu'il nous dit du grayid œuvre ell pauvre & défec- tueux. On diroit qu'il n'a lu que fu- perficiellementtout ce qu'on trouve là- delTus dans Sendi-vogus^ dans Behnmi^ ôc dans V jintropofopbia T'hcomagica §. D'ailleurs, il fe trompe fur la Sphère Py- roplafiique^ d'une manière fi impardon- nable, que (le Lecleur me permettra bien une cenfure 11 févére ) vix credereni Author eni hune unquam audivijje ignis vocera.

Ses meprifes ne font pas moins lour- des à l'égard de plulieurs parties des Mechaniques j car,aïant lu les Ouvra- G f ges

* L'Auteur, quoique Partifân zelc des Anciens, ne laifTe pas de turlupiner vivement la pré- tention ridicule de fes Collègues , qui prétendent tout trouver dans Homère.

$ Auteurs, qui ont écrit des Rêveries fur Is Pierre Philofopiule.

1/4 LE CONTE

ges, avec toute l'attention ufitce par- mi mes illuilres contemporains, je n'y ai rien trouvé du tout fur la itruélure de cet inftrument utile qu'on apelle un B'inet'^ &, fans les lumières des Moder- nes , nous ferions encore dans de pro- fondes ténèbres à cet égard.

Mais, voici une négligence tout au- trement importante. Cet Auteur il van- té n'a pas dit un mot touchant les Loin Co'mmunes de ce Roïaume, non plus que fiir la Dcëfrine i^ fur le Ceremoniel de rEgUfe Anglicane : omifiion pour la- quelle, & Homère, & tous les autres Anciens, font cenfurez avec beaucoup de jullice , par mon grand & ilJullre ami M. Wotton, Bachelier en Théologie,- dans fon Traité incomparable fur !'£- rudiîion ancienne l^ modey-yie. C'efl un Livre , qu'on ne fauroit jamais affez eili- mer, de quelque côté qu'on le confi- dere. Ses tours d'efprit ingénieux , fes découvertes lliblimes fur les mouches & fur laffiive, l'éloquence labcrieufe de fon ilile, tout en ell merveilleux. Et Je ne faurois m'empécher de témoigner ici publiquement ma reconnoilfance à r Auteur 5 pour les fecours que j'ai tiré

dc-

DU TONNEAU, iff

de cette Pièce fans pareille , encompo- fant le préfent Traité.

Il eil aifé de découvrir plufieiirs au-» très négligences dans les Oeuvres du fa-- meux Hoïncre-. mais, je croi qu'il n'en doit pas être auiïï reiponfable , que du refte;, parce que, depuis fonfiecle, cha- que branche des Sciences s'efl étendue d'une manière très-coniiderable , parti- culièrement dans ces trois dernières années. Ce qui fait voir évidemment, qu'il n'a pas pu pénétrer auiïï avanc dans nos découvertes modernes , que fes Partiians le prétendent.

Nous le reconnoilTons avec plaifir pour l'Inventeur de la boufTole , de h poudre à Canon, & de la circulation du fang y mais , je défie tous fes Adora- teurs de me faire voir dans tous fes Ou-- vrages un détail exaél de la Ram, Nous- dit-il feulement un mot touchant les^ Charlaîanerles Politiques ; & y a-t-ii rien' de plus défeélueux, & de moins fatis- faifant, que fa grande Diflertation fur' le 7'hé'i Pour ce qui regarde fi metho-- de de faliver fans Mercure , je puis in-- former le public, que j'ai appris à mes" propres dépens, qu'il ntiï pas bon- de- s'y fier,

G 6' Gq

JS6 LE CONTE

Ce n'a été que pour fuppléer à des défe6luolitez fi importantes , que j'ai mis la main à la plume, après en avoir été longtems follicité ^ & j'ôfe afTeu- rer le Le6leur judicieux , qu'il trouve- ra ici tout ce qui peut être de la moin- dre utilité , dans toutes les circonflances de la vie. Je fuisperfuadé d'avoir épui- & renfermé dans mon Ouvrage tout ce qui peut être contenu dans l'efpace immenfe de l'imagination humaine. Je recommande fur-tout h la méditation des Savans certaines découvertes de ma façon , auxquelles mes PrédecelTeurs n ont pasfongé feulement: telle eil en- tr'autres mon nouveau fecours pour la teinture du fa'voîr , ou Varî de devenir profondément [avant , par une Le6lure fu- p}erficielle\ une invention curieufe concer^ nant les fouricieres ; une règle univerfelle deraifonnement^ autremeut intitulée ^ cha^ que hornme [on propre Ecuier tranchant ; tme Machine utile pour prendre les hi- houy.\ &plu(ieurs autres que leLefteur curieux verra expofées au large dans les diflferentes parties de ce Livre.

Je me crois obligé d'aider le public , autant qu il m'eit pofTible , à fentir tou- tes les beautez de ce que j'écris , parce

que

DU TONxNEAU. 15:7

que c'ell-Ià la coutume des plus fameux Ecrivains de cet âge poli & favant , quand ils veulent corriger le mauvais naturel à\i Lecteur Critique^ ou remé- dier à l'ignorance du Lecteur Bene^-jole. D'ailleurs, on a rendu publiques depuis peu plufieurs pièces en vers & enprofe, dans lefquelles , fi les Auteurs , poufTez par la charité qu'on doit au public , ne nous avoient pas donné un détail exacl du merveilleux qu'elles contenoient, il y a à parier milles contre un , que nous n'en aurions pas apperçu un feul grain. J'avoue que tout ce que je viens de dire, conformément à cette mxode, au- roit paru dans une Préface avec beau- coup plus de bienfeance: mais, je trou- ve apropos de me mettre ici en pofTef- lion du privilege attaché au bonheur d'écrire , après tous les autres j &, com- me le plus moderne entre les modernes, je me fers du pouvoir defpotique, que cette qualité me donne fur tous les Au- teurs mes devanciers. Autorifé par ce titre, je declare, que je defaprouve cette coutume pernicieufe de détailler dans une Préface tous Iqs matériaux qui doi- vent compofer fOuvrage qui le fuit. J'y trouve la même extravagance , qu'il y a G 7 dans

T/s L E C O N T Ê

dans la conduite de ceux, qui vont pro- mener, dans les Foires, des monflres& des animaux étrangers , &: qui placent au-deiîus de leur porte un grand ta- bleau de ce qu'ils ont à nous montrer, avec une ample & éloquente defcription de toutes fes proprietez. J'avoue que cet ufage m'a fauve mainte pièce de deux fols. Il fatisfait m.acurioiité, au lieu de l'exciter d'avantage ^ & je re- fifle fans peine à la Rhétorique preiTan- te de l'Orateur, quand il m'attaqueroit par ce trait pathétique : fur ma parole y Monfieur^ nous allons cûmmcnccr dans le viomeîit.

Voilà précifement laDellinée de nos Prefaces , Eptres , Inîroducllons , Dé- dicaces^ Avert iffe-mens aux Licteurs , Dlf- cours prélhriimires , tf autres Avant-cou- reurs des Livres. C'étoit d'abord un expédient admirable 3 & notre grand Dryden en a nré tout le fervice pofïï- ble. Il m'a dit fbuvent en confidence , que les hommes ne l'auroient jamais foupçonné d'être un Poète du premier" ordre, s'il ne le leur avoir pas fi fou- vent apris dans fes Préfaces , qu'il leur étoit impoiFible d'en douter , ou- de l'oiiblier»

DU TONNEAU. lyp

Je n'ai garde de lui donner un dé- mentir là-delTus^ mais, je crains bien , qu'à force de fe fer vir de cet expédient, il n'ait rendu à la fin les Lecteurs plus habiles , qu'il ne le fouhaitoit. Ils ont été fi fouvent les Dupes de ces grands- préparatiis , qu'il eil douloureux de voir à prefent , avec quel air dédaigneux on faute , commue c'étoit autant de Latin , les cinquante ou foixante pages , qui font à peu près l'étendue moderne d'une Préface, ou d'une Epitre Dedi- catoire.

Onnelauroitnier pourtant, d'un au- tre côté, qu'un nombre confiderable de perfonnes ne deviennent Critiques & Beaux-Elprits, par cette ièule Lecture.- La chofe elt inconteilabie ; & l'on peut avec beaucoup de jultefie pai'tager tous les Le6teurs d'à-préient dans ces deux Clafifes. Les uns ne lifent que les Dis- cours préliminaites 5 & les autres n'en lifènt jamais. Pour moi, je fais profef- fion d'être de la dernière; &, pour cette raiibn , me fentant la démangeaifon moderne de m'étendre fur le mérite de- mes propres productions 5 & d'endéve-- loper les parties les plus brillantes, j'ai jugé à propos de le faire dans le corpse

d^

i5o L E C O N T E

de rOuvrage même, ce qui en augmen- te coniidérablement le volume: profit, qui n'ell point du tout à négliger pour un Auteur qui fait un peu fes intérêts.

C'eft ainii , que j'ai cru devoir mar- quer mon refpeél pour la loiiable cou- tume des Auteurs de cet âge,par une Di- greiïïon, que perfonne ne me deman- doit , & par une Cenfure générale , qu'a- me qui vive n'avoit méritée de moi. C'eft ainfi, que j'ai trouvé nécefiaire d'étaler, par un travail pénible, avec autant de charité pour moi-même, que de franchife pour mon prochain , mes propres perfe6lions, &les défauts d au- trui. A prefent, m'étant acquité de ce devoir important, je reprends le fil de mon Hiftoire , à la grande fatisfaclion de l'Auteur & du Public.

^iS.i);^

SEO

DU TO XX EAU. 1^1

SECTION V L

Continuation du Conte du Tonneau.

NOus avons laiiTé Mylorcl Pierre dans une rupture ouverte avec fes Frères , chafTez tous deux de fa mai- fon , & envoïez chercher fortune dans ce vaite Univers, fans avoir fur quoi la fonder. Trifles circonflances , qui les rendent les iiijèts naturels de la plume charitable d\in Auteur de bien , pour qui d'ordinaire les Scenes les plus déplo- rables préparent une moilFon de grandes & belles avantures.

C'efl ici qu'on doit remarquer ladii^ ference , qu'il y a entre un Ecrivain gé- néreux , & un Ami ordinaire. Le der- nier s'attache inviolablement à la proC perité; mais, il décampe au plus vite, à la moindre révolution. L'Auteur géné- reux , au contraire , fe plait à trouver fon Héros fur le fumier , à l'en tirer, & à l'élever, par dégrez, jufque fur le Trô- ne. Il fe retire enfuite,fans attendre feu- lement qu'on le remercie de fes bontez.

Pour imiter un II bel exemple, j'ai place Mykrd Pierre dans une bonne

mai-

ï6z L E C O N T E

maifon , je lui ai donné un titre & de l'argent pour fes menus plaifirs. C'eft- que je le lailTerai pour un tems , pour aller charitablement au fecours de iës pauvres Frères , que la fortune a mis au plus bas de fa roue. Ma charité ne fe- ra pas aflez aveugle pourtant, pour me détourner du devoir d un fidelle liifto- rien ; & je fuis refolu defuivre l'exaéle vérité , de quelque coté qu'elle puiife diriger mes pas.

Nos deux exilez, fi étroitement unis par le fang ôc par les intérêts , prirent le parti de fe loger dans une même chambre, ils eurent tout leloifirde fonger aux malheurs de leur vie pafTée. Ils eurent de la peine à comprendre à quelle irrégularité dans leur conduite ils dévoient les imputer , jufqu à ce qu'ils euffent porté leurs réflexions iur la Copie du Teltament de leur Père , qu'ils avoient fi heure ufement atrapce. L'aiant examinée avec la plus grande attention, ils fe déterminèrent d'abord à rectifier tout ce qu'il y avok eu juf- ques-là de défe6lueux dans leurs aftions, & h prendre pour l'avenir toutes les mefures nécellâires pour fe conformer

exac-

DU TONNEAU. 1^5

exaftement aux ordres que ledit Tella- ment leur prefcrivoit.

Le Lefteur n'aura pas oublié, j'ei^ père , qu'il rouloit prefque tout entier fur leurs habits , & fur la manière d'en faire ufage. Quand les deux Frères fe mirent à confronter, Article par Arti- cle , la doctrine avec la pratique , ja- mais on ne vit une difference plus gran- de entre deux chofes : il n'y avoit pas un feul point à l'égard duquel la con- duite , & les préceptes, ne fuifent dia- métralement opofez. Cette faclieufe découverte les fit travailler fans délai , à corriger toutes leurs fautes palfées , & à conformer leurs habits ex a6lement au modelle, que leur Père leur en avoit tracez.

Il efl bon d'arrêter ici un moment le Ledleur précipité , toujours impatient pour voir la fin d'une avanture , avant que nous autres Auteurs Vy puiffent duë- ment préparer.

II faut qu'il fâche, qu'environ ce tems, nos deux Chevaliers malencontreux commencèrent à être dillinguez par certains noms: l'un fefitappeller Mar» ti/i^ & l'autre prit le nom de Jean,

IJs avoient vécu enfemble dans une

gran--

1(^4 LE C O NT E

grande harmonie fous la Tyrannie de Pierre ; comme il efl afTez ordinaire aux Compagnons de foufrance. Les hommes , qui font dans rinforrune,ref- femblent à ceux qui font environnez de ténèbres , & h qui toutes les couleurs pa- roilTent abfolument les mêmes. Mais, à peine ces deux Frères furent-ils for- tis de ce goufre de miferes, qu'ils fe déveîopérent, non feulement aux yeux Tun de l'autre , mais encore aux yeux du public. Leurs humeurs parurent ex- trêmement différentes , & la fituation de leurs affaires leur en fit donner bien- tôt les plus fortes preuves.

Je crains bien , dans cet endroit, les julles réprimandes d'un Lecteur fevere, qui me taxera fans doute d'un défaut de memoire,auquel dans le fond il n'ell gue- res poffible qu'un Ecrivain moderne ne foit un peu fujet. J'en dirai la raifon eu paifant. Comme la mémoire efl une Faculté qui s'exerce fur les chofes paf^ fées , elle doit de neceffité fe rouiller dans rinaclion,parmi lesSavans de notre âge , qui, ne fe mêlant que de Finven- tion , font fortir toutes leurs produc- tions d'eux-mêmes , ou du moins du frotlcment de leur propre efprit , contre

ce-

DU TONNEAU. i5>-

celui de leurs contemporains. C'eft conformément à cette vérité d expe- rience , que nous croïons très-juile d'alléguer notre peu de Mémoire, com- me une preuve inconteftable de notfe Génie, & de nos Lumières naturelles. Quoi qu'ilenfoit,je confelTe que, fe- lonies regies ordinaires de la Méthode, ■j'aurois initruire mes Lecteurs une cinquantaine de pages plus haut d'une Fantaifie de My lord Pierre , qu'il eut l'a- drelTe de communiquer à Tes Cadets, nies avoit portez à charger leurs habits de tous les ornemens, qu'il avoit plu à la mode de mettre en vogue , & à les entafler hs uns furies autres, fans que les premiers Ment jamais place aux fui- vans; ce qui fit, avec letems,la figure la plus grotefque qu'on puifTe s'imagi- ner. Dans le tems de leur rupture, il n'y avoit pas moïen d'entrevoir feule- ment le fond de leurs habits * : ce n'é- toit qu'un cahos de galons , de rubans , de franges , & d'égiulletes ferrées d'ar- gent

* Du tems de la Reformation , les nouvelles Inftitutions des Papes s'étoient fi fort augmen- tées , qu'on avoit de la peine à entrevoir feule- ment la Religion de J. Chriit a travers tout ce Fatras,

i66 L E C O N T E

gent *, car , les autres étoient tombées peu à peu.

Voilà cette particularité importante , dont j'avois oublié de parler dans fon veritable lieu. Mais, le malheur n'eil pas grand : elle vient ici comme de cire ; puifqueje vais parler de la Reforme, que nosdeux A vanturiers tachèrent de don- ner à leurs habillemens, après avoir fe- coué le joug de Mylord Pierre.

Ils s'appliquèrent unanimement à cet Ouvrage, enjettant les yeux, tantôt fur leurs Habits, & tantôt fur le Tellamenu Martin y mit la main le premier. D'un feul coup 5 il abatit toute une poignée d'égu Ueîtes *,& d'un autre il arrachaplus

de

* Par ces Eguiilettes ferrées d'argent , que le Tailleur avoit attachez à l'habit d'un double point, & dont Martin arrache une poignée au grand détriment de fon pauvre Juftau:crp{ , je ne doute point qu'il ne faille entendre les grandes Char- ges de l'Eglifc Romaine , qui font fi lucratives, & qui donnent tant d'attachement ôc de tendrelTc pour cette Eglife à ceux, qui poiTedent ces Char- ges , & qui croygnt être en droit d'y prétendre. Luther , après avoir aboli le trafic des Indulgeuccs avec beaucoup de faeces, br.nnit aufli de la Reli- gion le Pontificat fuprême , & le Cardinalat; mais, fa premiere chaleur étant pafTee, âcvoiant que toucher aux autres Dignitez Ecclefiaftic^ues

c'ctoit

DU TONNEAU, is-j

de douze aunes de frange ; mais, après cette éxecution vigoureufe, il s'arrêta pendant quelques momens. Ce n'eil pas qu'il ne fut très-perfuadé , qu'il lui reiloit encore beaucoup à faire; mais, fa grande chaleur s'étant évaporée, il refolut d'y aller plus modérément. II n'avoit pas tort, puifqu'il avoit failli déchirer une grande partie du drap, en arrachant cette poignée d'éguillettes , qui, étant ferrées d'argent, avoient été attachées d'un double point par le pru- dent tailleur , afin de les empêcher de tomber. Il les îailTa donc-là , & fe mit en devoir de débarafferfon habit d'une quantité prodigieufe de galon d'or: il commença à les découdre avec beau- coup de précaution, en épluchant les fils détachez à mefure qu'il avançoit \ ce qui étoit un ouvrage de longue ha- leine.

Ua-

c'étoit riTquer de tout perdre, il aima mieux lai/Tcr les chofes à z^t égard-lpi dans leur état, que de ruiner de fond en comble fbn pro- jet de Reformation. La Reine Eîifalet a imité cette prudence avec beaucoup de fucces: & il cft fort aparent, que fi Calvin ie fut {èrvi de cette Politique, qui, dans le fond, ne fait aucun mal cfTentiel à la pureté de notre Culte, nous ver- rions à préfent toute l'Europe dégagée du Joug de fa Sainteté.

î<^8 L E C O N T E

L'aïant achevé, il tomba fur la bro- derie chinoife chargée de figures d'hom- mes, de femmes 5 & d*enfans; contre laquelle, comme vous avez apris ci- deffus , le Teflament fe déclaroit d'une manière trcs-claire , & trcs-vigoureufe. Il en vint abfolument à bout , à force d'a- drefle & d'application. Pour la bro- derie d'or, ou d'argent, il y travailla avec moins de fuccès, quoiqu'avec la même prudence. Dans certains endroits, elle étoit fi épaifle , qu'il étoit impofli- ble de la défaire fans endommager Fha- bit même : dans d'autres ,q]\q fervoit à fortifier l'étoffe , & en cachoit certai- nes parties foibles, ufées à force de paffer par les mains des Ouvriers. Le bon Martin crut que le meilleur parti étoit de n'y pas toucher '^, & qu'il faloit

plu-

* Par la Broderie il faut entendre, comme j'ai déjà remarqué , la Pompe du Culte religieux. Martin trouva à propos d'en diminuer feulement l'excès, & l'abus, pour ne pas choquer les yeux du Peuple trop acoutumez à cet éclat , pour y renoncer fans regret. L'Eglife Anglicane en a ufé te même : & c'efl pour cette raifon, que l'Auteur en attribue plutôt la fondation à Mar- tm , qu'à Jean ; quoique, par raport aux Articles de Foi , Jean en foit plutôt le Fondateur , que Martin.

"Tom . Z^a^. J 6^8.

DU TONNEAU. i6^

plutôt laifler la Réforme imparfaite , que de gâter fon habit de fond en comble. Cétoit-là, à fon avis, la meilleure mé- thode, pour fe conformer à l'intention & au véritable fens des ordres de fon Père. Voilà la relation la plus exafte , que mes laborieufes recherches m'onc mis en état de vous donner du procé- dé de Martin , dans uneconjon6ture H delicate.

Pour fon Frère Jean , dont les Avan- tures extraordinaires abforberont une grande partie de ce qui me relie a écri- re , il travailla à la déconfit are * de fes ajuflemens fuperflus dans des diipoii-

tions

* Il doit paroi tre d'abord Airprenant, qu'on atribue ici tant de Chaleur k Jean , & tant de Flegme à Martin. Il eft certain , que ce der- nier pouiToit la confiance jufqu'à robftination y & h force d'efprit jufqu'a la férocité. Atro)C nnirnus Catonis. Calvin, au contraire, paroiïïbit d'un temperament plus doux ; &, d'ailleurs, c'é- toit un Génie tout autrement tranfcendant que /.?/- ther. Mais, il étoit plus bigot,- &peut-être l'en- vie de n'être pas un fimple Imitateur & de fc faire Chef de Scde l'a pu porter à faire des In- novations ) Evangeliques dans le fond , mais imprudentes, & dangereufes. Enfin, quel que fût fon naturel , plufieurs de fes aftions avoient le même caraftere, <]uc fi elles. étoient l'effet d'un zcle inconfideré.

Tome L \\

ijo L E C O N T E

tions fort différentes , & dans tout iia autre efprit. II y donna tête baiffée. Le fouvenir des injuflices de Mylord Pierre le porta à un tel degré d'indigna- tion & de haine, qu'il influa beaucoup plus fur fes a6lions , que les ordres du Père, qui ne fervirent chez lui, que d'un motif fubakerne , propre à fécon- der & à pallier les autres. A ce mé- lange de motifs il ménagea un nom fort prévenant , en l'honorant du titre de ZêIe,\Q. terme le plus lignificatif , qu'au- cune langue puiffe jamais produire. C'eftce que j'ai prouvé invinciblement dans mon excellent 'Traité yîmiy tique , je donne un détail Hi/ïori-Tb£G'Ph\-- JîcO'Lcgical du Zèle : faifant voir, de quelle manière, de Notion^ il étoit de- venu Mot \ & comment , parvenu enfui- te à fa pleine maturité , pendant une Automne excefiivement chaude il s'é- toit changé en fubjfance palpable. Cet Ouvrage fait trois grands volumes in folio, & en peu de jours je prétends îe rendre public, par la voie moderne àt^foufcription\ convaincu que laNo- blelTe , 6l les gens riches du Pais , mis en goût par ce qu'ils ont déjà lu de ma fajon 5 ne négligeront rkn j pour encou- rager

DU T ONNEAU. 171

rager mon Génie à de nouveaux ef- forts.

Frère 7m;?,p]ein comme un œuf de cet- te merveilleufe compoiition nommée Zêle^ fongeant avec fureur à la tyrannie de Pierre, & poufîeàbout par le Fleg- me de Martin , s'animoit lui-même à faire le Diable à quatre. Comment ! difoit-il : un Maraut qui nous a îaijj'ez mourir de foif, qui a chajje nos Femmes à grands coups de pied dans le 'ventre , qui nous a 'voulu faire paffer [es maudites croû- tes de pain noir pour du mouton ! Un fourbe , qui nous a fraudé de -notre hérita^ ge ! Un coquin^ d'ailleurs, dont tout le inonde connoit la Scelerateffe I Et je fer ois ajfez lâche , pour fuivre encore fes abomi- nables modes ! yaimrrois -mieux qi^il fut pendu , le double chien,

Aïant de cette manière enflammé fa bile au plus haut degré, & par confe- quent fe trouvant dans une charmante humeur pour commencer une Réforma- tion, il mit la main à l'œuvre > &, en trois minutes, il dépêcha plusd'ouv.ra- ge, que Martin n'avoit fait dans un jour entier. Le Lecteur bénévole faura, s'il lui plait 5 qu'on ne peut jamais rendre un plus grand feivice au Zèle, que quand II 2. on

171 L E C O N T E

on remploie à déchirer ; & , par-là , il comprendra fans peine, que Jcan^ qui regardoit le zélé comme fa meilleure qualité , étoit dans Ion veritable élé- ment 5 en fe livrant tout entier à cette no- ble ôc divertiflante occtipation. En ef- fet, il s'y abandonna tellement , qu'en voulant arracher un morceau de Galon , il déchira fon habit depuis le haut jufl qu'au bas ; & , comme il n'étoit pas fort habile à rentaire le drap , il fe conten- ta d'en raccrocher les Lambeaux, avec delà groife corde & une éguille à em- baller. C'étoit bien pis encor, & je ne faurois m'en reflbu venir fans larmes; c'é- toit bien pis encore , dis-je , quand il tomba fur la broderie. Le pauvre gar- çon 5 qui étoit naturellement aufii mal adroit qu'impatient , voïant à ^qs yeux un milhon de points à défaire , ce qui demandoit beaucoup de flegme & une main très-délicate; & perfuadé, qu'il ji'en fortiroit pas à fon honneur ; fe mit dans une telle rage, qu'il arracha toute la pièce , tant drap que broderie , & qu'il la jetta dans la rue. ylh ! mon cher Frcre , dit-il en s'applaudiflant de cet- te belle expedition, faites comme mui^ tirez y arrachez^ déchirez^ afin q^ue rten

ne

DU TONNEAU. 175

ne paroiJJ'e fur nous , qui nous donne la mol ri- dre refjhnblance aucc ce double marauî de Pierre. Je fer ois au defefpoir de porter la moindre chofc qui put faire foupçoHiier dans le voifinage , que je fujje des Parens de ce Diable incarné.

Martin^ qui par bonheur étoit alors dans une humeur fort Pàoderée, pria f^Jii Frère d'avoir foin d'épargner fon habit, puifqu'il lui étoit impofiîble d'en trou- ver un autre de cette bonté-lk. li le fuppliadeconfiderer, qu'ils ne dévoient pas régler leurs aétions fur leurs jufles reflentimens contre jp/>rrf , mais fur les maximes établies dans le TePaiment. Souvenez-vous , continua-t-il , que Pierrs eji toujours notre propre Frère , 7niilgré fis Injujtices c> fi^ Tyrannie \ (y évitez , autant quil vous ejîpojfji-bk , de vous croi- re innocent ou coupable ^ à mefurequc vous ferez vos efforts , pour te contrarier.

Il eft certain, a-outa-t-il, que les or^ dre s de notre Père font formels , pour ce qui regarde la manière de nous fervir de nos habits ; mais , ils ne le font pas moins , par rapport à l'affeélioî'i fraternelle , qui doit régner parmi nous : &? , s'il y a quelque précepte dans le l'^eftarnent., dont la trans- n 3 ^ref

174 LE CONTE

grejjïon puijfe être pardonnable , €e fera fliiîQt ^ fi elle tend à ferrer les liens de no-- tre amitié mutuelk , que fi elle a pour but de nous de funir pour jamais,

Martin alioit continuer avec la mê- me gravité , & il nous auroit laiiTé fans doute un admirable difcours, propre à procurer à nies Lecteurs le repos du corps & de lame , le veritable but de Ja bonne Morale \ mais, Jean avoit per- du patience : il n'étoit plus en état de récouter, bien éloigné de pouvoir pro- fiter de les leçons, On remarque que dans les difputes de l'Ecole, rien n'é- chauffe davantage la bile de celui qui argumente , qu'un certain calme pe- danceHjue dans le Répondant. 11 en eit comme de deux balances chargées d'un poids inér^ai: la pefanteur de l'une aug- mente la légèreté de l'autre- &, plus la premiere defcend, plus l'autre vole en haut avec rapidité. Ceil juilement le cas dont il s'agit ici : la gravité des raifonnemens de Martin augmentoit la vivacité de Jean^ & lefaifoit regim- ber contre la moderation de fon Frerc. En un mot, le flegme de l'un jettoit l'autre dans les derniers emportemens. 11 enrageoit fur-tout , en voiant l'habit

de

DU TONNEAU. ijf

de Martin fi bien remis dans l'état de fimplicité & d'innocence primitive^ au lieu que le fien etoit tout en lambeaux, & qu'il continuoit toujours à porter la- livrée de Pierre, dans les endroits qui avoient échappé à Tes cruelles griffes. Dans cet équipage , il avoit tout Fair d'un petit Maître ivre, qui fort d'entre les mains de quelques Breteurs ; ou d'un nouvel Habitant de Ncji'gate , qui a manqué de païer la bienvenue à fes Compagnons*; ou d'une Maque- relle en vieille jupe de veloiu*s , livrée au bras feculier de la Canaille -, ou d'un Voleur de boutique pris fur le fliit, ëc abandonné à la merci des marchands de la foire. Le pauvre Jean relTembloit à chacun de ces malheureux, & même h tous enfemble , couvert de ce noble af- fortiment de guenilles , de déchirures, de vieux galons , & de franges à moitié arrachées. Il auroit été ravi de voir fon habit femblable à celui de fon Frè- re ; mais , il auroit été infiniment plus charmé de voir celui de fon Frère dans

ré-

* FameufePrifon à Londres, les nouvcauîi venus font obligez de doiînerpour boire à leurs Compagnons , s'ils ne veulent pas être maltraitez d'une manière afreufe.

H 4

\'j6 LE CONTE

l'état il venoit de réduire le fîen. Mais 5 remarquant qu'il n y avoit point de remède , il fit de fon mieux pour donner un air de vertu à ce qui étoit un effet nécefTaire defbn imprudente pré- cipitation. Il emploïa toute fa Rhéto- rique , pour porter Martin à Timiter. Jamais le Renard de la Fable n'aporta plus d'argumens fubtils , pour porter tou- te fon eipéce àfe faire couper la queue , que Jean en décocha contre fonFrerc, pour le m.ettre àlaraifonj c'eft-à-dire, pour le réduire aux mêmes Lambeaux, dont il fe voïoit couvert lui-même. Mais, helasî il ne fit que tirer fa pou- dre aux moineaux^ ce qui le mit dans une telle fureur, qu'étouffant de dépit <k d'indignation , il accabla Martin de mille invectives canaiîleufes. Pour faire court , voilà une brèche irréparable dans l'amitié des deux Frères. Jean fut le loger dans une chambre à part} &, quelques jours après , un bruit fe répan- dit, qu'il étoit devenu Fou à lier. Il eut bientôt foin de confirmer ce bruit , en courant les rues , & en tombant dans les fantaifies les plus burlefques , qui aient jamais été produites par un cer^ veau malade.

Bien-

DU TONNEAU. 1-7

Bientôt les PolifTons des rues Tho- norérent de plafieurs Sobriquets. Tan- tôt ils l'appelloient , ^can le Pelé , tantôt Jean le Flamand , quelquefois Jean le Lanternier , d'autrefois Jean k Gueux , & fouvent le furieux Jean du Nord ^^ : & ce fut fous une de ces deno- minations , ou bien fous toutes enfem- ble , tout comme il plaira au favant Lefteur de le déterminer , qu'il donna l'origine à la très-illuftre & très-épide- mique Secle des jEoliftes -j-, qui hono- rent encore, avec reconnoiiTance , le fameux Jean comme leur Fondateur.

Je ne fais ici que glifler fur cette ma- tière, parce que je me prépare à grati- fier le public au p'-emier jour d'une ample DilTertation fur l'Origine, les Principes, & les Dogmes de cette Secte,

McU^o c ont ingens cuncla hj)ore.

* Dans une nutre Seâ:ion zçXt^ matière cil traitée d'une manière fort étendue.

t L'Auteur a \z\ en vue les dinerentes fortes- des Nomonformij^Cî,

H f SE c

178 L E C O N T E

SECTION VII.

Bigrejfion a la louange des DigreJJions,

J'Ai entendu parler quelquefois d'u- ne Iliade dans une Coque de noix * j mais, je puis dire avoir vu fouyent moi- même tme Coque, de noix dans une Iliade^. Ilefl certain, que le genre- humain a reçu de grands avantages de l'un, & de l'autre; mais, à laquelle des deux il a les plus fortes obligations , c'eft un problème que j'abandonne aux curieux , comme très-digne de leurs do61es Lucubrations, Pour ce quiregarde la dernière, j'ôfe avancer, que le Mon- de favant en ell fur-tout redevable à la grande vogue que les Modernes ont don- née aux Digrellîons. Nos rafinemensen matière de fav^oir font exaclement pa- rallèles à ceux de notre cuiline , dont la delicateife , du confentement unanime de tous les Palais judicieux , confifle

dans

* Beaucoup de fens dans un petit volume. \ Peu dj f.ns daiis uji grand ygliime.

DU TONNEAU. tyç)

dans la variété des ingrediens , qui corn- pofent les foupes , les fricajjees , les fa-' gouts j ^ les potS'pourris.

Il eil vrai , qu'on trouve une certaine race mal élevée, medifante, & mifan- tropique , qui prétend tourner en ridi- cule ces innovations polies, quife font gliflees dans la République des Lettres* Ils admettent la comparaifon tirée delà CLiifme \ mais, ils font allez hardis , pour déclarer que nos ragouts mêmes fonc une preuve de la corruption de notre gout. Ils nous débitent , que la m.ode d'entafler pêle-mêle, dans un même plat, cent chofes de différente nature , n a été introduite , qu'en faveur de certains ap- pétits deregleZîCaufez par unemauvaife Conftitution; & qu'un homime, qui dans un Pot-pourri va à la chafie d'une tétô d'0y^5 ou d'une aile de Cocq de Bruie- re , ou d'un ris de veau , prouve qu'il n'a pas l'eltomac aflez robuite , pour di- gérer des mets plus fimpîes, & plus ib- lides. Ils foutiennent encore , que des Digreffions dans un Livre reflemblent àr des troupes étrangères dans un Etat; qui fontroupçonner,que les Habitans même manquent de force & de courage ; & qui, bien fouvent, ks mettent fous k H 6 joug

iSo L E C O N T Ë

joug , ou les chaiTent dans les Cantons les plus fteriîes.

En dépit de toutes ces objedlionsde quelques Cenfeurs dédaigneux , il eil evident que la Société des Auteurs le- roit bientôt réduite à un très-petit nom- bre, il l'on vouloit emprifonner le Ge- nie de ceux , qui compofent les Li- vres, dans les bornes étroites de leur fujet.

J'avoue que , fi nous étions dans le même cas , fe trouvoient les Grecs & les Romains du tems que le favoir étoit encore au berceau , & qu'il falloit le Tiaurrïr & VemmatUotter par le moïen de Yin'venîion^ il ieroit aifé de faire des volumes entiers, fans s'écarter du fujet, que par de petites courfes néceflaires pour avancer le delTein principal. Mais, il en a été des Sciences,comme d'une nom- breufe armée campée dans un Pais ferti- ie.Pendant quelque tems, elle fubfifle par les productions mêmes du terroir; mais, dans la fuite, elle eft forcée d'aller en fou- lage àplufieurs lieues de-là,parmi les amis ouïes ennemis , tout comme elle peut. Les terres voilines cependant font entiè- rement foulées 5 & ravagées; elles de^ viennent nues & feches , & ne pro-

dui-

DU TONNEx\U. i8i

duifent plus rien , que des nuages de poufîiere.

L'Etat de la République des Lettres étant ainfi changé par une revolution totale, les fag es Modernes, qui en font parfaitement inltruitSjOnt découvert une méthode plus courte & plus prudente de devenir favans & beaux efprits. La lecture & la méditation y entrent pour rien; & il n'y a plus que deux manières parfaites de fefervir d'un Livre comme il faut. La premiere eft la même dont plufieurs gensufent à l'égard des grands Seigneurs ^ ils aprennent par cœur leurs titres , & enfuite ils fe vantent d'en être les amis intimes. La féconde , qui eft la mieux choilie, & la plus pro- fonde , confide à s'atacher à la Table des Matières, par laquelle un Livre efl dirigé, comme un VailFeau par le Gou- vernail.

Pour entrer dans le Palais des Scien- ces par la grande porte, il faut dutems & des foins : c'eft pourquoi, les perfon- nes expeditives, & ennemies du Céré- monial, fe contentent d'y entrer par la porte de derrière. N'ont-elîes pas rai' fbn ? Les Sciences reffemblent à des troupes en marche, qu'on ne batjamais Il 7 plus

iSz LE CONTE

plus facilement , qu'en tombant fur lar- riere-garde. Cell: par la même métho- de, que les Médecins jugent de laConi^ titution de tout un corps , en confultant ce qui en découle par en bas. C'eflainfi que les Enfans attrapent les moneaux , en leur mettant un peu de fel fur la queue. C'eft ainfi que , pour fe condui- re fagement , il faut, felon la maxime d'un Philofophe, prendre toujours garde fur la fin. On fe met en polleiïïon des Sciences comme Hercule trouva fes tau- reaux, en les remenant vers leurs traces , & non pas en les fuivant ^. Enfin, le fa- voir doit être effilé comme un vieux bas, en commençant par le pied.

D'ailleurs, toute l'armée des Sciences a été rangée depuis peu, par l'effort le plus pénible de la difcipline militaire, dans un ordre û ferré , qu'on peut la pafTer en revue en moins de rien. Nous

fom-

* Ceux, qui ont lu les Fables, favent que C.^cu r , fameux Brigand , aïant volé les Bœufs d'Her- cule , les tira vers fa Caverne à reculons , afin que ce Héros ne les put pas trouver en fuivant leurs traces mais. Hercule s'apperçut bientôt de cette fineife ,• ce qui dans le fend n'eîoit pas fort difficile, fur-tout étant aidé par les mugillcmcns de fes taureauîQ.

DU TONNEAU, igj

fommes redevables de ce bonheur aux Syftemes c& aux Abrégez, quQles Peres modernes du /avoir ont drelTez à la Tueur de leur corps , pour la commodité de leurs chers Enfans. Le travail n'eil autre chofe, quela femencedelaparet. fe ; & c'efi le bonheur particulier de notre âge de jouir paifiblement du fruit produit par c^tt^hienheureufe femence.

Or, la méthode de parvenir à un fa- voir profond & fublime , étant devenue il régulière, ScÇi fyilematique, il faut de neceiïlté , que le nombre des Auteurs augmente à proportion, <&■ que leur ha- bileté parvienne à une certaine hau- teur , qui rend abfolument nécellaire leur Commerce mutuel. Déplus, on a calculé, qu'il ne re (le plus dans la nature une quantité fuffifante de fujets nou- veaux , pour fournir à retendue d'un feul volume. Jepuisafleurer le Le6leur que j'en ai vu une demonftration dans les formes , fondée fur les principes in- con ellables de l'Arithmétique.

Ce que je viens d'avancer pourroit bien être combatu par certains Philo- fophes 5 qui foutiennent V infinité de la matière , & qui , pour cette raifon , .prétendent, qu'aucune ef^ece nefauroit

eue

iS4 L E C O N T E

être entièrement épuifée. Pour voir la futilité de cette objeftion , examinons la branche la plus noble del'efprit & de l'invention moderne , û bien cultivée dans cet heureux fiécle, qu'elle a porté des fruits plus beaux & plus nombreux qu'aucune de fes Compagnes. Je fai qu'on trouve quelques échantillons de cette forte d'efprit parmi les Anciens : mais , ils n'ont j amais été ramaflez , que je fâche , dans quelque Recueil pour fu- fage des Modernes ; (S:, par confequent, nous pouvons foutenir à notre honneur & gloire , que nous en fommes les In- venteurs , & que nous l'avons portée juf. qu'au plus haut degré de perfe6lion.

La forte d'elprit, dont je parle ici, efl ce talent merveilleux d'inventer des comparaifons & des allufions fort agréa- bles 5 furprenantes , (^ appliquables , à regard de toutes les matières , qui con- cernent la propagation du genre-hu- main; fujet, dont la politeile éloigne abfolument la propriété des termes.

(Quelquefois , en confiderant , que c'étoit-là le feul fujet , fur lequel on puif. fe briller à préfent du côté de Finven- tion, je mefuis hnaginé que fheureux Génie, qui éclate, cet égard, dans ce

fie-

DU TONNEAU. i8y

fiecle & dans cette nation , a été prophé- tiquement dépeinte , fous le type de cer- tains Pygmées Indiens , dont la taille ne palToit pas la hauteur de deux pieds , fed (luorum pudenda erant crajja , £5? ad talos ufque pertingenîia.

Quand j'examine nos dernières pro- du6tions , les beautez de cette natu- re brillent avec le plus grand éclat, je vois bien, que la fource en a été extrême- ment abondante; mais, quoiqu'on fafTe tous fes efforts , pour la tenir ouverte , &pour la dilater à la manière des Scy- thes, accoutumez à foufler dans les parties honteufes de leurs cavalles, pour qu'elles donnaffent plus de lait , je crains bien qu'elle ne foit prête à fe tarir pour jamais.

Ln ce cas-là , fi l'on ne trouve pas un nouveau fond d'efprit , adieu la nou- veauté \ il faudra recourir à la répéti- tion fur cette matière, comme fur tou- tes les autres.

On m'avouera, je crois, que ce que je viens de dire prouve invinciblement , qu'il ne faut pas compter fur finfinité de la matière, comme fur une fource intariflabîe d'invention. Que nous ref- te-t-il donc, que d'avoir recours aux

grands

iS6 L E C O N T E

grands Indices , aux petits Abrégez , & auxReciieils de citations rangées par or- dre Alphabétique. Pour y réiidir, il elt peu utile de coniulter les Auteurs, mais abfolumentnéceiTaire des'adrefler aux Critiques , aux Commentateurs , & aux DiElio flaires : fur-tout faut-il loi- gneufement feuilleter certaines Collec- tions de Fleurs de Rhétoriques^ & de Perifées ingenieufes^ qu'on apelle, par une figure très-jufle, les Tamis & les Bluteaux du fa voir & de Fefprit. Il eft vrai qu'on laiife indécis s'il faut eftimer le plus ce qui y paiTe, ou bien ce qui y relie.

Par le moïen de cette méthode , quel- ques femaines d'application font capa- bles de produire un Auteur propre a manier les fujets les plus profonds & les plus étendus. Qii'importe que fa tête foit vuide , pourvu que fon Recueil de Lieux-conmiuns foit bien rempli ? Il n'en faut pas davantage , pourvu qu'on lui paffe l'Invention, la Méthode, le Srile, & la Grammaire & qu'on lui accorde le privilège de copier les autres , & de s'écarter de fon fujet. Le voilà en état de compofer un Traité propre à faire im^ fort jolie figure dans la boutique

d'un

DU TON NE AU. 1S7

à\m Libraire; un Traité d'un mérite allez confiderable pour y être confervé long-tems, dans une grande propreté, fans courir rifquc d'être engraille parles mains des étudians , ni d'etre condam- nez aux chaines & à l'obfcurité dans une Bibliothèque *. Sa deftinée fera bien plus heureufe; letems feul triomphera d'un volume fi précieux; il ne ferafujet qu'a fubir le Purgatoire , pour monter enfuite vers le Firmament }.

Je n'ai attribué à cet Auteur Cham* fîgïion que des prerogatives , qui doi- vent être communes à tous les Ecri- vains modernes. Sans elles,le moïen d'in- troduire dans le monde nos Coïlediiom^ qui roulent fur tant de matières de dif- férente nature ? Si l'on nous envouloic priver injuflement, quelle perte d'amu- îemens & d'inilru6lions pour le monde favant ! Qiielle perte pour nous mêmes, qui ferions enfevelis pour jamais dans un honteux oubh 5 avec toute la mafle du vulgaire !

Les

* Dans les plus fameufes Bibliothèques d'An- gleterre les livres font enchaînez.

t Ilfervira à la fin à alumer des pipes à Tabac & a s'évaporer en l'air.

188 L E C O N T E

Les principes , que j'ai établis ci-deC fus, me font efpérer de voir encore le jour , le Corps des Auteurs fera en état de furmonrer en rafe Campagne tous les autres corps de m.étier. Ce grand talent de faire des livres efl derivéjufqu'à nous , avec plufieurs autres heureufès difpofi- tions 5 de nos Ancêtres les Scythes, parmi lefquels les plumes étoientfi abon- dantes, que l'Eloquence Grecque n'a pas trouvé de figure plus pathétique pour l'exprimer, que de dire, qu'il étoit impojjible de voiager dans leurs Pais , à caufe de la prodigieufe quantité de plu- mes , qui y voltigeoit dans Vair ^.

La nécefiité de cette DigrefTion en excufera facilement retendue. Je l'ai placée dans le lieu le plus propre que j'ai pu trouver d'abord^ &file Lefteur fait lui affigner une place plus convena- ble, je Ten lailTe le Maître, & je l'au- torife à la rejetter dans quelque coin du livre, tout comme il le trouvera apro- pos. Pour moi , je me hâte d en venir à une matière plus importante.

* C'eft, Ç{]ç^ ne me trompe, Hérodote, qui s'exprime aiiiii , pour d'écrire la quantité de nege , qm tombe dans les Faïs Septentrionaux.

SEC-

. DU TONNEAU. i8^

SECTION VIIJ.

ContiniMtion du Conte du Tonneau.

LEs fa vans Moliftes ^ ib atiennent que le Vent eli Télement unique de toutes chofes -, que c'eft îe principe, par lequel tout l'Univers a été produit, & dans lequel il doit fe réfbudre ; & que le même foufle , par lequel la Nature a été animée, doit à laiin des fiécles l'é- teindre.

^od procul à nohis fieciat Forîuna gu* bermns,

Cefl-là cette Caufe premiere, que les Adeptes t appellent Anima Mundi^ c'efl- à-dire, \q. JoufieoM le vent du monde \ & fi l'on examine tout ce Syflême dans chaque partie de la Nature, on verr^

qu'il

* Par -Moliftes l'Auteur entend les Quaquers, Moliniftes , PietWes , Q^uietiJ^es , Qp autres Fana- ticjues , qui dëtniifent la Raifon , pour mettre à fa place une prétendue Infpiration.

I Ceux qui font initiez dans le« Myfteres du jgrand osuvre.

ipo L E C O TSF T E/

qu'il efl appuie fur la baze la plus fbli- de. D'abord, de quelque manière qu'on veuille appeller cet être , qui diftingue rhomme d'avec les brutes, fpiritusy animus^ afflatus^ anima \ il elt certain, que ce ne font qu'autant de deyiomina- fions du Vent, qui efl l'élément, qui domine dans tous les êtres compofez^ & dans lequel ils doivent rentrer un jour.

Qu'elt-ce quec'ell que la Vie même, fi-non , conformément à fon nom le plus ordinaire , le foufle de nos narines ? Et c'eftde-là que lesNaturaiiiles ont obr iervé, que dans CQXtdins myfteres ^ qui ont avec la vienne relation fort étroite, ie vent eft d'un fort grand fecours, comme il ell évident par les heureufes épithetes de turgidus , & àHnflatus , auiïi appliquables ^\\^ organes^ qui reçoi- vent quà celks , qui donnent.

Selon tout ce que j'ai pu trouver dans les anciennes Chroniques, tou- chant la doclrine'des ^î'.ohlles , elle rou- loit fur trente deux points *, fur chacun defquels je ne faurois m'étendre , fans courir rifque de devenir cimuïeux. Mais, je n'ai gai'de de paifer fous filence ua

petit

* Allufîon aux 3i. points du vent.

DU TONNEAU, i^r

petit Nombre de Dogmes Fondamen- taux, qu'ils en déduilbient.

Leur premiere Maxime étoit , que', puifque le Vent dominoit dans la for- mation & dans les operations de tous les êtres compofez^ ceux-là devoientetre de la plus grande excellence , dans lef^ quels ce Principe éclatoit avec la plus grande fuperiorité.

UHomme, par confequent, efl la plus parfaite des creatures , puifque les Phi- lofophes , par leur grande bonté , font pourvu de trois jïmes , ou de . trois JQiifles difFerens j aufquels les fages ^Eo- liftes joignent libéralement un quatriè- me, pour lervir de fecours & d'ornem.ent aux autres , & pour en égaler le nombre aux parties du Monde *; ce qui a donné occafion à ce fameux Cabaliiie Vcnti- dius QaVmathias de placer le Corps de rHomme dans une pofition relative aux quatre Vents Cardinaux.

Coi>

* Les rhilofopKcs ont doué l'Iiomine de trois Ames, la iegcî.'{ti-ie.)\2i fenjtî^'iie^ Se la raifonnalle. Les Fanatique* y ont ajouté l'Ame IpiritucMc. Et de ces quatre , qui répondent aux quatre Points Cardinaux du Vent , ils ont tiré une Quinte/Tence, qu'ils nomment dans leur jargon, la Zz/w/^re /«- terienre, la Fi^ ivUrUmc.

I

ipi L E C O N T E

Confequemment à ce principe^ ils fou- tenoient , que chaque homme apporte avec \nï dans le Alonde une certaine portion de /^^mf , qu'on peut apeller une ^inte£ence extraite des quatre autres. Cette QLiintefFence efl d'un ufage uni- verfel , dans toutes les circonltances de la vie: elle influe fur tous les Arts, & fur toutes les Sciences \ & elle peut être merveilleufement augmentée & rafinée par l'éducation.

Dès qu'on areiiffi à l'enfler, jufqu'au point de fa perfection , on ne doit pas la renfermer , & la referver avaricieufe- ment pour foi-méme: au contraire, il faut la prodiguer généreufement à touc le genre-humain.

Fondez fur ces raifons , & fur d'autres du même poids, les jEolifies les plus illuminez alTeurent , que Y Eru5lation * efl ra6le le plus noble de la Creature hu- maine; &, pour en cultiver le talent ^ en faveur de toute la Société des hom.- mes, ils fe font fervis de plufieurs dif- férentes méthodes. Dans certaines Sai- fons de fsuinée , on peut voir les Prêtres

d'en-

* La Faculté de lâcher les vents par la bou- che.

DU TONNEAU. ic^3

d'entr'eux fe placer à l'oppoiite d'une lempête , la bouche béante. En d'au- tres tems, vous les verrez arrangez en cer-cle , armez chacun d'un fouflet , qu'ils appliquent aux parties pofcerieu- res de leur plus proche voifin, jufquà ce qu'à force de Feniier ils lui aient donné la ligure d'un tonneau. De-là vient, que, dans leur langage ordinai- re, ils appellent leurs corps, d'une ma- nière fort propre , leurs Faijeaiix,

Dêsque par cette cérémonie, & par d'autres femblables , ils font duèment remplis , ils s'en vont dans le moment ; & 5 pour l'utilité publique , ils le déchar- gent d'une portion copieufc de leurs nouvelles acquifitions dans les mâchoi- res d^ leurs difciples. Car , il faut re- marquer ici , qu'ils font d'opinion que tout ie favoir procède de ce même pin- cipe uni-ver fel. ils le prouvent en pre- mier heu par cette vérité inconteilable, que la fcience enfle : & , en fécond heu , ils fe fervent du Syllogifme fuivant.

Les paroles ne font que au "■jcnt-. Le favoir ne confifte qu'en paroles-^ Ergo , Le favoir n^efl que du venL

Cell pourcette raifon , que leurs Doc- "Tome L I tcurs

iP4 L E C O N T E

teurs ne commun iquoient leurs précep- tes à leurs Ecoliers , que par voie d'£- ru^iatioîi: ce qu'ils faifoient avec une grande éloquence , & avec une varie- inexprimable.

Mais , le cara6lere principal , qui dif- tinguoit le plus leurs fages du premier ordre ^ étoit une certaine contenance , qui faifoit comprendre , jufqu'à quel dé- gré le foufle Tfîyfterieux les agico it inté- rieurement. Ce 'vent meri:eUleux ^ après avoir caufé d'abord des tranchées , & des convuliions ; après avoir produit , pour ainfi dire , un tremblement de terre dans le Mîcrocojme du Philofophe ; s'é- îevoit en haut par degré, tordoit la bou- che, rendoit les joues bourfoufiées , & donnoit un horrible éclat aux yeux. L'Eruélation fuivoit ces grimaces de près. Tous les vents qui leur fortoient de la bouche paflbient pouriacrez: fur- tout, ceux , dont l'odeur étoit la plus for- te; &leurs maigres dévots les a valoient avec une confolation inexprimable. Pour rendre la chofe encore plus touchante, les '■cents les mieux choills, les plus cdi^ fians^ & les plus vivifiais, étoient lâchés par le nez, dont ils prenoientuneelpe- ce de teinture, qui leur donnoit

ce

DU TONNEAU, ipf

ce nouveau degré de perfeftioii 5 c'étoic le fentiment généralement reçu , que ie fou fie de la vie eft dans nos ijarmes.

Leurs Divinitez étoient les quatre Vents ^ qu'ils adoroient comme lesEl^ prits, qui parcourent , &; qui animent tout rUniverSj & defquels, à propre- ment parler, toute Infpiration tire fon origine.

Cependant, le Chefde ces Dieux, & celui qu'ils honoroient du Culte de La- trie^ étoit le grand 7?^r6'f, une Divinité ancienne , qu'autrefois les liabitans de Megalopolis, dans la Grèce, adoroient avec la plus profqnde vénération. Om- nium Deorum Boream ma'xi'me celebrant ^ dit Paufanias. Ce Dieu, quoique pre- fent par-tout, étoit pourtant cenfé , parmi les plus favants ^olilles , avoir un féjour particulier , une efpece de Ciel Empyrée , fon pouvoir éclatoit particulièrement. Cet endroit étoit (itué dans un certain Pais très-connu des an- ciens Grecs fous le nom de ^xct.* =^ ou Pais de Ténèbres. 11

* Ce mot Grec figniiîe effedîvement Ohfatri- te. Ceil: uneallufion àrEcoJTe, qui eft au Nord de l'Angleterre, & le centre des Presbytériens 5 qui donnent k plus dans le luinatifme»

I 1

io6 L E C O N T E

11 eft vrai qu'il s'efl levé fur ce fujet un grand nombre de controverfes : mais, toutes les parties conviennent , comme à\m po'mt inccnteftabîe ^ que d'une con- trée du même nom les ^Èolifles les plus rafinez tirent leur origine ; & que c'eft de-là, que, dans tous les fiecles, les plus zélez d entre leurs Prêtres ont ap- porté rinlpiration la plus choifie. Ils le font un devoir de l'aller recueillir eux-mêmes àlafource, dans certaines veffies , qu'ils ouvrent enfuite au mi- lieu de leurs Sectaires répandus dans toutes les Nations , lefquels hrayyient après ce vent facré , & l'attendent la bouche ouverte.

C'efl une chofe très-connue parmi les favans, que ItsFirtuofi des fiecles paf^ fez avoient inventé un moïen de con- ferver les %-cnts dans des Tonneaux; ce qui étoit très-avantageux pour les voïa- ges de long cours. La perte d'un art fi utile ne fauroit jamais être aflez déplo- rée; quoique je ne comprenne pas, par quelle negligence inpardonnable , Pan- ciroUus l'a palTé abfolument fous filen- ce. Cette invention a été atribuéé h j^oJe lui-même , dont toute la Se6le a tiré fon nom, & j pour célébrer la mé- moire

DU TONNEAU. 197

moire de leur Fondateur , ils ont encore confer jufqu'àpréfent un grand nom- bre de ces Tonneaus ^ , jadis dépoii- taires du vent , dont ils en placent un dans chacun de leurs Temples , après l'avoir enfoncé par en haut.

Ceftdans ce Tonneau^ que leur Prê- tre entre dans certains jours folennels, après s'y être duëment préparé , de la manière que j'ai dépeinte ci-delTus. Un entonnoir caché s'étend de Tes parties pofterieures vers le fond dudit Ton- neau ^ jufqu'à uue certaine Fente Sep- tentrionale, par il fe fournit conti- nuellement de nouveaux "i^cnts de la meilleure efpéce.

Peu à peu vous le voïez s'étendre ^c s'élargir à la même GroiTeur de fon Tonneau , qu'il remplit à la fin exacte- ment: &, dans cette pofture, il lâche ilir fon auditoire des te?npcîes forrûelles^ à proportion de la violence du foufle, qui lui vient d'embas, & qui, fortant d'un pailùge étroit, e:< adytis ^ ne fait pas fon devoir fins lui eau fer de douîoureu- fes tranchées. Qiiand ce vent eft par- venu

* Ce font les Chaires ùwî, ornement à la Pres- bytérienne»

I

î^8 L E C O N T E

venu jufqu'a fon vifage, il y fait les mêmes iinprefiions, qu'il produit fur la ruer. 11 le noircit d'abord: il le ride ènfuite ; & à la fin il en fait fortir une épaifle fumée.

C'eil précifement de cette manière, que les ^oliftes facrez communiquent IcrnsEru^atmis Prophétiques à leurs dil^ ciples haletans. Quelques membres de l'auditoire tiennent cependant la hou-, che ouverte , pour avaler avec avidité le foufle fand^ifimt ^ tandis que d'autres, chantant \^^ éloges de leurs Dieux , imitent par leur bourdonnement, tantôt plus tantôt moins élevé , les foufles agréables de leurs Divinitez appaifées.

Ce culte, pratiqué parmi les iEoliftes, donne heu à plufieurs Auteurs de four tenir , que leur Se6le eft des plus ancien- nes, parce que leur Eructation Propbe^ tique reilemble fort à d'autres anciens Oracles, dont on étoit redevable à cer- taines bouffées de Vent fout err ai'ri^ qui faifoient les mêmes imprefîîons fur le Prêtre , & qui avoient la même influen- ce fur l'efprit du Peuple. Il eft vrai , que ces Oracles paiToient fbuvent jufqu'à la multitude, parle canal des Femmes,. Laraifonenétoit, felon toutes les appa-

reu-

DU TONNEAU. ipp

rences , que leurs organes paroiflbient mieux difpofez , que ceux des hommes, pour donner entrée h, qqs tourbillons pro- pbétiques , qui , paffant à leur aife par un receptacle de plus grande capacité, eau- foient en chemin faifanc certaines dé- mangeaifons propres à produire des ex- tafes charnelles , qu'on pouvoit pour- tant y/j/y/V/^^/(/^r 5 par un ménagement un peu adroit.

Cette favante conjecture eft confir- mée parla coutume, qui règne encore aujourd'hui parmi les iEoliltes les plus épurez , de confier le Sacerdoce à des PrétreiTes , & de fe plaire à recevoir l'Infpiration par les mêmes conduits , par les Sybilles & les Pythies les transmettoient à leurs dévots.

Lorfque Tefprit humain lâche la bride à fes penfées, il ne s'arrête jamais, mais il traverfe , par une courfe continuelle , les extrémitez du haut C5? du bas y dubon<3 du mauvais. Les premieres faillies de l'imagination le portent d'ordinaire aux idées de ce qu'il y a de plus parfait & de plus accompli : mais, quand il s'e- leve au deifusde fa portée, il n'efl plus capable de diftinguer les limites qui réparent la hauteur d'avec la profondeur ; I 4 &

zoo L E C O N T E

& bientôt, continuant fon vol avec la

même précipitation, mais fans connoî- .ire fa route , il tombe jufqu'au fond des abimies : femblable à un voïageur , qui parcourt les mers de l'Eft jufqu'à rOuefl > ou à une grande perche d un bois-ibuple , qui , plus il efl étendu , & plus il fe courbe en arc de cercle.

La caufe de ce dérèglement de nôtre efprit eiï peut-être dans ce fond de ma- lice né avec nous, qui nous porte d'or- dinaire à joindre aux idées les plus no- bles celles , qui leur font précifement contraires. Peut-être eit-elle , dans les bornes de notre Raifon , qui, portant fes reflexions fjr toute la malle des cho fes, refîemble au Soleil , qui, n'éclairant que la moitié de notre Globe , laiile fautre couverte de ténèbres. Peut-être la faut- il chercher dans la foibleife de notre Imagination, qui, emploïant toutes fes forces pour s'élever à ce qu'il y a de plus grand &de meilleur, fatigué, à la iin , ai n'en pouvant plus , tombe tout d'un coup à terre, commeunoifeau.de paradis qui vient de mourir au milieu de l'air.

Peut-être aufli, que parmi toutes ces Conjeclures Metaphyfiqiies il n'y en a

paa

DU TONNNEAU. 201

pas une feule de fondée^ mais, cela n'em- pêche pas , queje n'avance une propor- tion très- vraie, endifanique, files plus groffiers mêmes d'entre les humains ont porté leurs Lumières naturelles à l'i- dée d'un Dieu , ou d'un Etre fuprême; ils n'ont auITi jamais oublié d'occuper leurs fraïeurs de quelques notions afreu- fes très-propres à leur feryir de Diables, quand il n'y en auroit point au monde. Il n'y a rien-là, dans le fond, qui ne foit fort naturel; car, il en eft d'un homme, . dont f imagination prend l'elfor vers le Ciel, comme d'un autre dont le corps efl élevé à une grande hauteur. Plus ils fe plaifent tous deux à voir de plus près ce qui efl au-deillis d'eux, plus ils font efFraïez par le précipice qu'ils dé- couvrent en bas. Cell ainfi que, dans le choix d'un Diable, le Genre-humain a toujours eu la méthode de jetter les yeux fur quelque être réel ou fantaili- que, dont il confidéroit toutes les qua- litez comme diamétralement oppofées aux attributs qu'il concevoit dans la Di- vinité.

Cell encore de la même manière , que

la Secte des yEoliftcs a toujours craint,

& haï, deux ^//Tj- d'une nature maligne,

I f cnire

2C1 L E C O N T E

entre lefquels , & fes Dieux , il y a eu une inimitié mortelle , depuis le com- mencement du monde. Le premier eil le Caméléon^ l'antipode de l'Infpirationj &qui,par pure haine, dévore continuel- lement les influences précieufes de ces JDi'vimteZyikns s'en déchargerjamais par Yéru6tation, L'autre eft un Monftre afreux 5 d'une taille plus que gigantei^ que, nommé Moulin-à-vent^ qui, avec fes quatre bras horribles, livre aces Dieux \me Guerre éternelle, les tournant avcC •ùdrefle, pour les dérober aux coups ces ennemis , ou pour les leur rendre avec intérêt.

S'étant ainfi fournie de Dieux & de Diables , la Se6i:e des .'Eoliftes conti- nue jufqu'h ce jour à faire une grande ligure dans le m.onde. Je ne doutepas, aurefte, que la Nation polie des Lapons ne doive paiTer pour en être une des plus illuftres branches. Je ferois fort injufte à leur égard , (i je négligeois cette occafion d'en parler avantageufe- ment ; puifqu'ils font û unis , par l'in- térêt , & par les inclinations , à leurs Frè- res les jEoUfies , qui habitent parmi nous. Non feulement ils prennent les Ventf en gros , chez les mêmes mar- chanda ,

DU TONNEAU, loj

ehands , mais ils les débitent en détail , dune manière toute femblable , & à des chalands , qui font à peu près du même naturel que ceux qui donnent leur pratique à nos tempétueux compel^ îrïottes.

Si ce Syfteme de Religion a été en- tièrement formé par notre Ami Jean\ ou 11, comme il elt plus vraifemblabîe, il l'a copié de l'Original, qui fe trouve h Delphes^ en y mettant des additions & des coiTections propres à Tajuder aux tems & aux circonilances c'efl:- un point , fur lequel je n ai pas la hardieiTe de décidier. ^iai3, je crois pou- voir affeurer, que c^elt Jean en propre perfonne , qui y a donné un tour nou- veau , (S: qui Fa précifement mis dans l'état dont je viens de tracer un fidèle tableau.

Au refte, il y aîong-tems que je cher- che une occafion favorable de rendre jufticeà cette Société d'Hommes, que j'honore extrémem.ent , & dont les opinions, aufïïbien que les cérémonies, ont été entièrement défigurées par la malice , ou par fignorance, de leurs adverfaires. Jecroi, pour moi, qu'une des meilleures actions d'un honnétc- I 6 liom-

204 LE C a N T E

homme , c'ell de déraciner les préju- gez , & de mettre les chofes dans leur veritable jour. Je viens de m'acquiter de ce grand devoir ,. fans aucune vue d'intérêt; excepté le plaifir defatisfaire à ma confcience , d'acquérir de la gloir- re 3 &: de m'attirer des remerciraens.

SEC.

DU TONNEAU, log

SECTION IX.

D/Jfertûtion fur Torigine £3? fur les progrès de la Folie , comme aufft furfon utilité danslaSocié-^ humaine.

JE crains bien que certains Leéieurs fuperficiels ne regardent d'un œil de mépris la Secle des y^/i/^é-j, par ce qu'elle reconnoit pour fon Fonda- teur un homme comme Jean , dont , de mon propre aveu, le cerveau s'étoitab- folument dérangé , & qui étoit tombé dans l'état que nous defignons par le mot de Folle , ou de Frénézie, Leur mépris feroit très-mal fondé \ & ils en feront convaincus eux-mêmes, s'ils veu- lent bien réfléchir fur les plus grandes allions , qui ont jamais été faites dans le monde , fous la dire6lion d'un leul homme. Telles font l'établiffcment de nouveaux Empires fait par la force des armes , finvention de nouveaux Syllê- mes de Philofophie , & fintroduéliou de Religions nouvelles. Il ell certain-, ^ue tous les grands hommes , à qui on eft I 7 10-

loé L E C O N T E

redevable de toutes ces fameufes révo- lutions , ont foufert de grandes altera- xions dans leur bon-fens, par leur nour- riture ^ par leur éducation , par une certaine inclination dominante , ou par une influence particulière de l'air qu'ils relpiroient , ou du cîin^at fous iequd ils ont été obligez de vivre.

D'ailleurs, il y a dans fefprit humain quelque chofe de lingulier 6l à" indivis diid^ qui fe reveiilefouventpar le choc accidentel de certaines circonitances , ■<|ui, minces & peu confiderables^^n el- •}es-mêmes, ne laiilent pas d-e produire ibuvent les évenemens les plus m-erveil- leux. Les grandes revolutions n'ont pas toujours de grandes iources , ■& il importe peu par quelle caufe les paC- fions font enflammées, pourvu -que les fumées s'en élèvent jufqii'au cerveau. La Région fti^c-fiewe de notre t-éte eft <ians la mem^efituation , que lamoïenne Region de l'air : les matières , qui s'y conduifent, en font d'une nature très -dit fe-rentes3 niais, elles y deviennenctoutes -de -la-méme fubftance , & produifent les mêmes efets. Les 'i^^/^^-j-s'éleveîK de 'la terre , les cxhalaiivns de la mer , & la

' /«-

DU TONNEAU, lof

fumée du feu. Cependant , toutes les nuées font de la même nature 3 & l'o- deur, qui fort à' Vin fumier ^ fait un nua- ge d un auiTi grand mérite , que celle qui fe répand d'une malle précieufe iencens.

De ces veritez de fait , qu'on ne fau* toit me contefler , il fuit évidemment , que comme Fair ne produit jamais de la pluie , que lorfqu'il ell troublé & fur- chargé d'exhalailbns ; de la même ma- nière , i'efprit humain , qui habite le cerveau , doit être troublé , & accablé de vapeurs exhalées des parties inférieures, pour produire quelque chofe d'extraor- dinaire.

Or, quoique ces vapeurs 5 comme je fai déjà dit , fortent d'autant de diffé- rentes fources que celles qui montent vers le Ciel, l'effet, qu'elles produifent, ne fe fent point de cette difference. Il eft feulement varié , tant par rapport à l'efpece , qu'au degré , felon la diffé- rente fituation du cerveau , dans lequel jl efl formé. Je me fervirai ici de deux fameux exemples , pour prouver , & pour éclaircir ce que je viens d'avan-

cer.

Un

2o8 L E C O N T E

Un certain Prince de par le mon- de leva un jour une grande armée , rem- plit fes coffres de trefors immenfes,- & arma une Flotte invincible , fans com- muniquer Ton deflein , ni à fes plus habi- les Miniftres , ni à fes plus chers Favo- ris. Ces grands préparatifs allarmerent d'abord tout le monde: les Monarques voifms attendirent , en tremblant , de quel côté forage devoit crever; & les Politiques fubalternes y trouvèrent la matière de mille profondes fpécula- tions *. L'un fe mettoit dans f elprit^, que

ce

* Ce Prince eft Kenry IV. qui , peu de tems avant fa mort, fît tous ces Préparatifs dont l'Au- teur parle. On les attribua aux deffeins les plus vailes 5 qui font dépeints ici; mais ^ l'Auteur ou>- blie un des Projets qu'on attribue à ce Grand Roi ; c'ctoit d'établir une Taix prptuelle dans le Monde, en mettant tous les états dePEuTope dans certaines bornes. C'eil ce deflein , qui dans nos jours a donné naiiïance à un Livre très-cu- rieux 5 qui établit toutes les Maximes neceflaires , pour parvenir à un but il fouKaitable , & q ui s'ef- force d'applanir toutes les difficultez, qui pour- roient s'y oppofer. Cet Ouvrrge mérite d'être lu avec la plus graruie attention. Quand il fcroit deftitué de fblidité , ce que perfonne jufqu'ici n'a entrepris défaire voir, il nous domieroit toujours la Chimère la mieux formée qu'on puiffe s'inxigi- Dcr» Il eft de l'Abbé de St. Pkrre,

DU TONNEAU. 20^

ce Prince en vouloit h la Monarchie uni- verfelle. Un autre , après une meure dé- libération , concluoit , qu'il s'agillbitde détrôner le Pape , & d'établir la Religion Proteflante , dont ce Prince avoit fait autrefois profeiïion. Un troifiéme, d'une fagacité encore plus étonnante, envoïoit. notre Fieros dans TAiie , pour détruire l'Empire Ottoman, & pour conquérir la Terre Sainte *.

Au milieu de tous ces beaux Raifon- nemens , un certain Chirurgien d'Etat vint à connoitre , que tous ces grands Projets n'étoient que l'effet d'uacerveau malade. Il en fut pleinement convaincu par les Syntomes du mal ^ & il entre- prit de le guérir. Il fit Toperation né-

ceflai-

* Des gens-, quiraffinoient moins furies projets de Souverains , ont débité , que la caufe de tous ces Préparatifs étoit la PrincelTe de Condé ^ qui avoit donné de l'amour à ce Monarque fufcep- tibîe 5 & qui , pour m.ettre fon honneur à l'abri de fes pourfuites , s'étoit retirée dans les Païs-Bas Catholiques. Ils prétendent , que Çow Amant avoit ramailé toutes ces forces redoutables , pour c nquerir cette Maitrefle cruelle,, en l'arracliant d'entre les mains des Efpagnols. Le grand def- ït'm dont je viens de parler, & ce Projet bas & mëprifablcj ne font pas incompatibles dans le fgiad.

210 LE CONTE

ceflaire d'un feul coup: la vejjie fe crè- ve 5 la vapeur fe diiïipe ^ & rien n'au- roit manqué à Theureufe guérifon du Prince , s'il n'étoic pas mort au beau mi- lieu de la cure.

Le Ledleur efl fort curieux appa- remment de favoir , de quelle fource étoit venue cette vapeur , qui avoit effraie fi long-tems tous les Peuples de l'Europe , & quel reffort fecret avoit mis en mouvement une machine fi ter- rible; mais, il fera bien furpris, quand je lui dirai, que c'étoit uniquememt une Femme abfente , dont les yeux avoyent caufé chez le pauvre Prince une certaine tumeur^ & qui s'étoit retirée dans le Pais ennemi, avant que cette tumeur fe fut mife ^[uppurer. Quel parti pou- voit prendre le malheureux Monarque, dans une conjon6lure fi délicate? Il eut beau effaïer le remède prefcrit par un Poète , qui foutient , que la maladie, qu'une Femme nous caufe , peut être giierie par toute autre Femme. Il n'en reçut pas le moindre foulagement-, par ce <iue, felon Lucrèce^

U-

r

DU TONNEAU, zit

Idque petit Corpus , mens unde eft faucta

amore , Uyiàe feritur , eo tendit , geftitque coin,

La matière entaflee dans les vajafe^ mlnalia s'enflamma bientôt , devint a- dufle , fe changea en bile , prit fon cours vers \z conduit j pi nal ^ & m.onta de-là dans le cerveau.

Ceft ainfi que le même Principe, qui porte un Breteur àcafler les vitres d\i- ne Femme de mediocre vertu dont il a été la dupe , anime un grand Prince à mettre des Armées en Campagne , & à ne fe remplir la tête que de Sièges , de Batailles, & de Vi6toires.

Cunnus teterrima helïi

Caufa

Mon fécond exemple eft un trait^ d'Hiiloire que j'ai lu dans une Chro- nique très-ancienne. Le voici.

Il y avoit autrefois un Roi fort puilTant , qui dans l'efpace de trente années confécutives s'étoit amufé à prendre & à perdre des Villes , h bat- tre

%\i L E C O NT E

tre des armées & à fe laifler battre, à chaffer les Princes de leurs Etats , à éfraier les Enfans d'une manière à leur faire tomber les tartines des mains \ en un mot 5 à brûler , à ravager , h dragon- ner, à faccager, à maffacrer,fLijets & en- nemis ^ maies & femelles ^. Les Philofo- phes Contemporains de ce Prince met- toient leur efprit à la gène, pour trou- ver les caufesPZ/)/%//rj, Politique: ^ &: Morales ^ dont il ïalloitdédaii-e ce Phé- nomène fuprénant. A la fin , la vapeur, qui troubloit le cerveau de ce Conqué- rant ^ s'étant mifeà circuler, fe fixa fur cet endroit du Corps humain fi renom- mé, par fon talent de produire la Z/- heta Occiàentalis f ^ & , fe raffemblant- dans une ///^/^^/^r , lailTa dans cet inter- valle l'Univers en repos.

On voit par-là de quelle confequen- ce efl le cours que prennent ces exha- lailbns , & comme il importe peu de quelle origine elles dérivent. Les mê- mes

* C'efl: Louis Xir, ^ t Ziheta Ovkntalis , c'eft le Mufc. Zibeta Oc- cidentalis, c'eft quelque chofe de fort contraire au Mufc j <^uoi qu'elle forte d'une fource touta pareille.

DU TONNEAU. 21?

mes fîrûjées^qni^s'élevdint vers le cerveau, font capables de conquérir des Roïau- mes , n'ont qu'à fe jetter fur Vjînus^ pour aboutir à une Fifiide ^.

Palîbns àpréfent à ces Grands Intro- dufteurs de nouveaux S y lié mes de Phi- lofophie : voyons de quelle Faculté de Tame fe levé Hnclination de pouffer dans le monde, avec un zèle il opiniâ- tre , de nouvelles idées , à l'égard de certaines chofes , dont, de l'aveu de tout le monde , il eil: impolTible de connoitre la nature j examinons, de quelle iburce dérive ce penchant,& à quelle propriété de Fefprit-humain ces Illuftres doivent leur gloire , & leurs difcipies.

11 eil certain , que pluiieurs des prin- cipaux d'entr'eux^tant anciens , que mio- dernes, ont été pris par leurs adverfai- res, &5 û vous en exceptez leurs Par- tifans, par tout le Genre humain, pour des gens qui avoient le cerveau boule- verlé. 11 efl fur mém.e , qu'ils fe font écartez extrêmement des m^imes du fens-commun , dans leur manière ordi- naire d'agir & de parler , & qu'ils ont

été

. * L'Auteur a en vue la fameufe Fiftuls de i^eiiii le Grand,

iLi4 L E C O N T E

été des types exa6ls de leurs legitimes SuccelTeurs , qui peuplent à préfent VU- niverfité moderne de Bedlam *.

Tels ont été jadis Epicure , Dioge- ne , Apollonius , Lucrèce , Paracelfe , Defcartes , qui , s'ils étoient dans le Monde à l'heure qu'il eil , arachez , & leparez de leurs Difciples , feroient ex- pofez fans doute à la Phîebotomie , aux coups de nerfs de bœuf, aux ténèbres, & à la paille. Auiïï , comment fe peut- il qu'un homme, en fuivant les fmiples & pures lumières du bon fens, fe mette dans la tête de jetter les idées de tout ie Genre-humain dans le moule de fes propres conceptions? Cell pourtant- l'humble & l'obligeante prétenfion de tous les Inno'vateurs dans l'Empire de laRaifon. Epicure, par exemple, efpe- Toit modeftement, que , par uncertain concours fortuit des opinions humaines, après un choc perpétuel des poin- tues & des unies , des légères & des péfantes, des rondes & des quarrées y,

tous

* L'Hôpkal des Fous à Londres.

I Ce choc des opinions pointues , unies , rondes , quarrces , eft fort inutile dans cette Allé gov U -^xï çxi dépîaife aux Admirateurs de cet Ou- vrage , parmi lefquels je me range très- volon- tiers.

DU TOxMNEAU. zif

tous les hommes s'uniroient à la fin, par certaines bidinailons , dans les no- tions du vtiide ^ des atomes^ tout de même que ceux-ci fe font accrochez , en formant cet Uni\^ers.

E efl évident que Defcartes ne fe flattoit pas moins , ëc qu'il contoit bien de voir, avant fa mort, tous les Philo- fophes , comme autant à' étoiles de moindre grandeur ^ attirez & abforbez dans fon propre tourbillon.

Or , je voudrois bien favoir, comment il efl pofïïble de rendre raifon de pareil- les Fantaifies , fans avoir recours à mon Syjîéme des Vapeurs ^ qui, montant dans le cerveau, s'y condenfent & fediflillent en certaines conceptions , que la fle- riiité de notre langue ne fauroit déligner, que par les noms de Frénézie^ & d'£x- tra'vagance.

Examinons à préfent d'où peut venir , qu'aucun de ces Innwoateurs ne manque jamais de gagner à les nouvelles idées un grand nombre de Difciples prêts à recevoir les plusbifarres opinions,parle moïen de la foi implicite, La raifon en

efl

tiers. Ce n'efl: pas le fcul endroit Timagina- tion de l'Auteur s'écarte de lajuHcfic d'efpritja force d'outrer les cho&s.

^i6 LE CONTE

eft auiïi facile à trouver qu'elle eft fo- lide. La voici.

" iDans V Harmonie de V Entendement hu^ main , il y a une certaine corde particu- Here j qui, chez plullers individus foi- difant raifonnables , eft montée précifé- ment fur le même ton. Dès que quel- qu'un eft affez heureux , pour tirer du Ion de cette corde parmi \qs eiprits à runiffon , il arrive par une fimpathie néceffaire , qu'ils produifent les mêmes tons , avec la dernière exa6litude. C'eft en cela feul, qui confifte tout le bon- heur , ou toute rhabileté , de nos Au- teurs de Syftémes ; car, fi par hazard vous donnez quelque coup d'archet en préfence de ceux dont la corde cft mon- tée trop haut, ou trop bas, pour s'accor- der avec la vôtre , bien loin de goûter vos tons, ils vous traiteront de Fou, ils vous enchaineront,&vous mettront au pain & à l'eau. C'eft par conféquenc une affaire fort délicate à ménager j & il faut une grande circonfpection , pour ajufter ce talent , comme il faut , aux dif- férentes'conjonélures des tems, & aux différentes dilpofitions des perfonnes. Ckerôn-3, raiibnné fort jufte là-deffus , ^ans une Lettre , qu'il écrit à un de fes

Amis

DU TONNEAU. 217

Amis en Angleterre , , parmi d'autres avis trcs-importans , il le précautionnc contre la fourberie des fiacres^ qui étoienr; aparem.ment alors d'auiïi grands fa- quins , qu'ils le font à préfent.

Il fe fert dans cette Epitre de ces exprefllons très-remarquables, efv quod gaudcas îe in ifia locci voiiffe , ubi aliquid japerc viderere: _yQUS êtes heureux d'e- tre venu dans un Païs, vous nefau- riez manquer de palier poux un elprit fuperieur.

Cette Sentence eft pleine de fens, ëc de jufteiTe- car, pour dire ici une véri- té un peu hardie , le peut-il un plus grand défaut de conduite , que d'aller pafTer dans une Compagnie pour un e.xtrai'agaiîî , quand on elt le ?'îaître de fe faire confidérer dans un autre com- me un PbiÎQfopbe'': Je prens ici la liber- té de conjurer quelques MelUeurs de ma connoiilance , de s'en fouvenir en tems & lieux , comme d'un avertif^ fement , dont ils peuvent tirer de grands ufiges.

Telle a été la faute de mon digne ami M. Wotton, un perionnage delti- à former dv à exécuter heureuf^ment les plus grands defleins ,ri Ton en peut

ironie L K ju-

2iS LE CONTE

juger par Tes Regards , &'par fon Gcnic. Plut au Ciel que fes heureux Taleiis, perclus dans les ipéculations d'une vaine Pliilofophie , fe fufîent exercez fur les ibnges , & fur les vifions , refpà ^ fair égarez font d'un il grand ufage. Onauroit vu, que jamais homme nefe produifit dans le public avec de plus grandes difpofidons de l'ame & du corps, pour rétabliiïement d'une nouvelle Re- ligion. S'il avoit enfilé cette noble route , jamais le monde medifant & calomniateur n'auroit ofé débiter, que le cerveau de ce grand homnie eft ab- folument détracqué ; jamais fes Frères les Modernes n'auroient poude l'ingra- titude jufqii'h s'entredire cette nouvel- le h l'oreille, mais afiez haut pourtant, pour que je lepuille entendre du Gale- tas où j'enfante ce Divin l^raiîê.

Je reviens à mon Syftême des Va- peurs. Quiconque réliechira fur cette iburce de fenthcufiafme qu'elles pro- dilifent dans le cerveau, & de laquelle dans tous les fiécles font fortis des ruif. féaux fi abondanj , remarquera que les eaux en font aulTi troubles &aufii char- gées de boucs au commencement qu'au milieu de leur cours. Cette vérité

,n em-

DU TONNEAU, ii^

n empêche pas , qu'il n'y aie rien de plus utile 5 qu'une force doze de ces i;j-. fei'.rs, nommées par les hommes ext-ra- "vag.ïncc. Sans elle le 3Ionde ne feroir pas privé feulement de ces deux grands avantages, les Conq'étes ^-tj^lcs SyfténuSy mais, tout le Genre-humain feroitmal- heureufement borné dans la niêm.e croïance touchant les chofes invifibles. Après avoir prouvé , qu'il eft indilTe- rent de quelle origine les vapeurs fuf- dites procèdent , mais qu'il importe beaucoup de quelle nature eft le cerveait qu'elles accablent , & fur quelle partie du cerveau elles le jettent, il me refte encore à developer un point de la der- nière delicatefTe. Il s'agit de faire voir au Lecleur curieux & fubtil la raifon propre & fpécifique, pourquoi les mêmes cxhalaifons font capables de produire une 11 grande variété d'effets , dans \i:is cerveaux d'une différente Conftitution ; il s'agit d'entrer dans le détail des cau- fus qui font fortir des mêmes vapeurs les Carafteres d'un Alexayzdre le Grand , d'un Jean de Leyden *, & d'un Def-

cartes.

^ * Ce Jean ce Leyden e'toitun TaMîeur, quife 'It Chef d'une S€<^c de Fanatiques , dans le com-

220 L E C O N T E

cartes. C'eft-là la matière la plus abflrai- te, qui ait jamais occupé mes reflexions : elle exige de mon génie les derniers ef- forts; & je conjure le Le6leur de me prêter l'attention la pius forte , & de ne me pas perdre un moment de vue, pendant que je travaillerai à défaire ce Nœud Gordien,

Il y a dans le Genre-humain

hic muîîa defideranîur

Voilà juflement la Solu- tion de cette Difficulté capable d'éton- ner tout autre Génie.

M'en étant débaralTé avec tant de fuccès, je ne doute point que le Lec- teur ne m'accorde la conclufion aboutiflent tous mes raifonnemens pré- cédens, favoir, que, 'ii les Modernes

en-

mencement de la Reformation. Soutenu d'une trcupe nombrcufc de Tes Partifans , il s'empara de la Ville de J///,v/^ >• , & prit le titre de Roi: il y foutint le Siege, avec beaucoup d'opiniâtreté; rnais , la Ville étant prilc a la iin , il fut puni de mort, comme fon Fanatifmt ambiiieHX l'avoit très-bien mérite.

DU TONNEAU. 211

entendent ^ir Exîravagance\QS troubles caufez dans le cerveau par les vapeurs , c'eil à V ExîravagaKce , qu'on ell rede- vable de toutes les refolutions , qui font, jamais arrivées dans les Eimires , dans la Philofopiiie , & dans la Religion.

L'entendement humain , dans fa iitua- tion calme (Scnatiu'elle, porte l'homme à palFer fa vie uniment, fans le moindre deiïein d'afllijettir Izs autres à Çonpoii-' voir ^ à Tes raifoyis ,' & â fes chimères. Plus quelqu'un s'applique à former fou efprit par l'érudition, & moins il a du penchant à procurer des Partifans à fes Opinions particulières ; parce qu'elle l'inftruit auiïi bien de fa propre foibîef. fe , que de la ftiipide ignorance du vul- gaire.

x^ïais, quand la fantaifie d'un homme îà met à caiiforchon fur fa raifon , quand fon imagination fait le coup de poing avec fes fens, le pauvre [cm-commiin eît jette par les fenêtres. Cet homme devient Ici-mc: me fon pre-.aier Profelyte : d:, dès qu'il en eit une fois venu à bout, il lui eit fort aifé d'en faire d'autres > puif- qu'une forte illufion opère avec autant de vigueur au cUhcrso^xtxvdedaiïS. Car, \q jargon y & les chimères, procure^lt la K 3 me-

HZ L E C O N T E

même volupté aux oreilles & aux yeux , que le chatouillement produit fur le /j/t ; & les divertiiTemens , qui nous cau- fent dans la vie les plaiflrs les plus pi- qiians , font precifément ceux qui du- pent nos fens , & qui font des Tcurs de G cl? de t déniant eux.

Si nous examinons attentivement ce qu'on entend en general par bonheur , tant par raport à i'efprit , qu'à l'égard des fens, nous verrons évidemment, que toutes les proprietez en font ren- fermées dans cette courte définition.

Le bonheur efi la pjjejfion tranquille du plaïfir d^ être bien îs) diicrnent trompé.

Par raport à I'efprit , il efl certain que la fiction a un avantage très-con- fiderable fur la vérité 5 & i! n'en faut pas chercher la raifon bien loin.

Qiielque effort que faiTent la Nature & la Fortune, elles ne fmroient jamais égaler, par leurs productions , les Pbeno^ Tf^enes admirables ^ ôz Iqs lùvolutio/is mer- 'ueilkufcs , que l'imagination efl capa- ble de produire. Et dans le fond l'hom- me eft-il fi fort à blâmer de préférer l'une aux autres ? La vérité place des notions dans la mémoire: la fiftion introduit des idées da;is l'imagination.

I!

DU TONNEAU. 223

li s'agit feulement de fa voir fi les der- nières n'exiilent pas aulU -réellement que les premieres. Il n efl pas poiïible d'en dijconvenir: on peut foutenir même, que rimagination l'emporte fur la mé- moire, parce qu elle eft, pourainfidire , h matrice des chofes , au lieu que l'autre n'en eft que le îo77ihea!L

IMa définition n'eft pas moinsjufteà regard des fens. Qiiei air fade, 6c infi- pide 5 ne trouvons - nous pas dans tous les objets qui fe prefentent à nos yeux fans l'en vel ope de nilufion ? Il n'y a rien de fi plat , que tout ce que nous découvrons dans le miroir de la Nature 5 &, fi nous n'avions pas l'adreife de le relever par de faux jours , par du vernis , & par du fard , il n'y auroit dans la plus grande félicité de l'Hom.- me 5 qu'une grande & ennnieufe Unifor- mité. Sijepcuvoisperfiiader au Genre- humain de faire là-deifus de ferieufes ré- flexions , ils ne regarderoient plus , com- miCun des plus hauts degrèsdeSagcffe, l'art d'expofer aux yeux du public les cotez foibles , & les defecluoficez , des chofes : ils y trouveroient autant d'impo- liteffe , que dans la brutalité d'aracher le mafque à quelqu'un \ ce qui pafte pour K 4 un

224 L E C O N T E

\m fi grand affront parmi ceux qui fa- vent leur monde.

Je vais phis loin. Dans la même pro- portion , que la crédulité t^ une fituation d'eiprit plus tranquille que la curioji^ \ la SageJ/e , qui s'amufb à la furfacc ÙQs cliofes , doit être préférée à la Pbi- lofophie , qui en pénétre les entrailles, & qui , pour toute découverte , s'en vient nous dire enfiiite , avec beaucoup de gravité , que Fintérieur n'en vaut rien.

Les deux fens, auxquels tous les objets s'adreiTent d abord , font la 'uue^ & le tacl , qui n'examinent jamais que les qualitez que l'Art ou la Nature éta- lent fur la fuperficie de corps. Dans le tems qu'ils s'y amufent , voilà la Rai- ÎQVi impertinemment officieufe , qui, munie d'outils propres à couper , tran- cher , percer , diflequer , s'offre à nous faire voir évidemment, que le dedans efl fort différent du dehors.

Celanes'apperie-.t-il pas pêcher grof- Herement contre la Nature , qui, confor- mément à une de fes Loix éternelles, fe pare extérieurement de ce qu'elle a de plus beau. Cell pourquoi Je me crois obligé en confcience de fauver aux hom- mes

DU TONNEAU, iis

mes les frais d'une pareille Jiîaîomie^ en les avertilTanc, que, dans cette occa- fion, laRaifon a le plus grand tort du monde; puifqu'il eft certain, que tous les êtres corporels, autant que j'en coa- nois , ne brillent que du côté de Ta- juflement. Rien ne m'a confirmé d'a- vantage dans cette Opinion, que quel- ques Experiences , que j'ai faites depuis peu.

J'ai vu la femaine pallee le corps d'u- ne Femme , qu'on avc^t écorché ; & vous ne fauriez croire,combien elle étoit mife à ion Qeiavantage,dans cette efpece de deshabillé. Je lis dépouiller hier en ma préfence le cadavre d'un Petit-Maî- tre;, & c'étoit une chofe étonnante da trouver un il grand nombre de défec- tuoîitez fous un ièu! ôc même habit. J'en ouvris enfuite le cerveau, le cœur, & la ratte; mais, je m'aperçus h chaque opei at .on , qae plus j'y allois en avant , & plus les défauts croiflbient en nom- bre, & en volume. J'en conclus , qu'un Philofophe, qui trouveroit l'arc de pal- lier 6c de plarter les imperfe£t:ionsdekl Nature , obligeroitle Genre-humain in- finiment d'avantage, que ceux, qii'on cTtime tant , & dont tout le Sivoir coi- K y nib

116 LE CONTE

ilite cependant à ouvrir ces playes ^&c a expofer ces taches aux yeux de tout le îMonde. Peut-on nier, qu ils ne foient nulii ridicules qu'un certain homme , qui foutenoit que \ Jnatomk ejî le But p-in- àpal ds la Médecine ?

A mon avis 5 un homme , qui pcffede- roit r.\rt merveilleux & fatisfaifant dont je viens de parler ; & qui , avec E- pcure, fluiroit fe contenter de ces ima- ges , que la fuperiicie des chofes envoie vers nos fens j^feroit feul digne du titre de Sage, Il ecremeroit la Nature , & laifTeroit à la Raifon , & à la Philofo- phie , à en avaler la lie. C'eft-là ce qui s'appelle le véritable point delà Félicite humaine ; voilà cette pcj/cffi on tranquilk élupUiîfr d'être bien f> duement trompé^ qu'on peut nommer autrement la f,- t nation cahne d'un fou environné de j ri- pons.

Pour en revenir à X Extravagance , il eil évident, felon le Syltcme que j'ai établi fur tant de fortes raifons , que chacune des différentes elpeces doit fon origine à Fabondance excefîive de certaines vapeurs. Or, comme certaines frenezies redoublent la force des nerfs, c'âutres augmentent la vigueur & la

?iva-

DU TO X V E A U 2Z7

vivacité de riniarrination. Il arrive nflez fouvent,que ces e f pr. i' s ûclif s, qm en pren- nent poliefiion , relleniblent à certains cfprits foicts , qui hantent d'antres babi- taîîons lîildcs , <& qui , faute d occupa- tion , en diiparoiirant , en emportent nne partie avec eux, ou bien y relten> pour jetter les maifoils par les fenê- tres, piece à piece.

On peut confiderer la conduite de ces Lutins comme un type d<^s deux prin- cipales branches de X Extravagance , que quelques Fhiîofcpbcs, par uneméprife groiïlére, ont attribuées , àdeuxcaufes différentes , iavoir, àlâdilette, & à l'a- bondance exceiïlve des EfpritSj au lieu que j'ai fait voir clairèm.ent , qu'elles doivent la naifîance à une feule & même caufe.

Il fuit de-lh manifeitement , que pour ttre heureux dans fbn extravagance, toute l'habileté de l'homme confiile à fournir de l'exercice à cette abondance de vapeurs , & h leur donner l'elTor dans le tems convenable. Conformément zi cette vérité , un homme, faifilfantune occafion favorable, le jette dans un gou- fi'e ; c'eit un Héros , c'eft le Sauveur de [a Patrie : un autre tente la ménvo^ K 6 entré-

ii8 LE CONTE

entreprife- mais, il prend mal fontems, & le titre de Fou couvre fa mémoire d'une honte éternelle. Fondez fur une diftnclion 11 délicate, nous prononçons le Nom de Curtius avec tendrefle & avec refpeél, mais celui à'Empcdode ^vec haine & avec mépris \ & nous concevons fans peine , que Brutus ne fit Vexîra'vagaîît ^ que pour le bien publie. Qiiant -h moi , je fuis convaincu , que rextravagance de ce grand homme étoit veritable , & que c'étoit une abondance de vapeurs m.al appliquée jufqu'alors , que les Latins appellent ingeniu7n par negoùis \ m-^is, que cette /;V^///?^ ne revêtit les apparences de la Sagejje , que quand elle trouva fon veritable élément dans les Affaires d'Etat.

Toutes ces raifons im.portantes , & plufieurs autres du même poids , quoi que moins curieufes, mie font faillr cet- te occafion de recommander un Projet fort utile aux foins des Clievaliers jE- -àouard Seymour , Chrijlothle Miifgra'vey Jean Bovjîs , 6? de M. Hoiv Ecuïer , & d'autres Amateurs de la Patrie *. Je

les

* C'etoient dan^ ce tents les Chiens à grâljd CoUiîT daiis Ciumbredes Conxmuîiss,

DU TONNEAU, itp

les conjure d'emploïer tout leur crédit, pour faire nommer des Commiflaires deflinez à avoir infpeftion fur Bedlam^ & fur les lieux voifms , & autorifez à examiner le mérite, les qualitez,lesdii^ pofitions 5 & la conduite de chaque Membre de cette ilIuftreSocieté. Silef- dits CommifTaires ont foind'enbiendi^ tinguer les difFerens talcns, & de les em- ploier a des occupations convenables, je ne doute point qu'on n'y trouve une pépinière de fujets admirables , pour remplir les Charges de FEtat , Ec- clefiafliques, Politiques , Civiles, & Militaires. On n'aura qu'à s'y pren- dre de la manière , que je vais indi- quer ici ^ & l'efpere que le Le6leur bénévole ne defaprouvera pas le mou- vement 5 que je me donne ici , pour faire reufTir ce deiTein important, en faveur d'un corps renommé , dont j'ai eu autrefois le bonlieiir d'être memh'Q indigne.

Si un Habitant de ce lieu jure , blaf- phême , brife fa paille , & la met en pouffiere, en jettant l'écume parla bou- che ^ s'il mord dans la grille de fon ca- chot , & viiide fon pot-de-chambre dans le nez des Spe6tateurs. Qiie Meiïieurs K 7 les

230 L E C O N T E

les CommifTaires le mettent à la tcte d'un Regiment de Dragons , & l'en- voient en Flandre ; je réponds du fuc- cès.

Un autre s'occupe fans relâche à ba- biller , cacqueter , criailler , fans pro- duire aucun fon articulé ; que de talens cachez fous terre ! Qu'au plus vite on lui fourniiîe du papier, un fac vert, & qu'avec trois fols dans fa poche on l'en- voie vers la Sale de Wefimunfler ^\

En veici un autre qui prend gra- vem.ent les dimenfions de fon apparte- ment. Quoi que condamné à l'obfcurî- té, il a l'air pénétrant & prévoïant, il marche d'une m.aniere pofée , il vous demande l'aumône avec gravité & céré- monie > il parle de la corruption du fiécle , des taxes , & de la grande pail- larde \ il barre fa cellule précifement à huit heures du foir ; la nuit il ne rêve que d'incendies , de voleurs , de cha- lands de la Cour, & des lieux privilé- giez pour les gens infolvables. Qiielle

ligu- * Qu'on en faffc un Avocat. La Sale de Weft- munftcr ell le lieu l'on plaide: les jeunes Ju- ris-Confultes , qui fréquentent cet endroit , y vont d^ordinatre quatre à quatre dans un lîacrc; qui leur coûte 3 fols à chacun.

DU TOXXEAU. 2^1

figure ne feroit pas cet homme pourvu de tant de qualitez éminentes , fi on l'envoi oit au milieu de f^s Frères les jEoIiftes NégGtians '\ ?

Prenez garde à ce quatrième. Il fem- ble enfoncé dans une ferieufe converfa- tion avec lui-mem.e ; il fe mord les pouces à des intervalles réglez ; de grandes affaires , à^^^ projets , font peints dans toute fa mine^ il marche d'un pas précipité, les yeux fixez fur un papier; c'eftunperfonnage , qui aime k épargner le tems \ il a fouie dure , la vue cour- te, & peu de mémoire j, il efc toujours en hâte, toujours accablé d'affaires \ il a un talent merveilleux poiu* parler àl'o- , reiile , du beau tems , &; de la pluie: c ell un grand Partifan des monofylla- bes , & des delays \ fi prêt à donner fa parole, qu'il ne la garde jamais; il a oublié le fens ordinaire de mots , mais il en retient admirablemicnt bien le fon ; jamais ilnes'atachelong-tem.s aux mê- mes fajets 5 fes grandes occupations l'en détournent à tout moment , femblablc

a \ Cet article fait alliîfion aux gros Ncî^ocians , Ou^jcres Sc Presbytériens , auiTi graves daiisleXir contenance, & réguliers dans l'extérieur de leur conduits, qu'avidi'S d^G;anj & aUcKez a l'Ar- gent,

z^z L E C O N T E

à un homme qui a pris médecine : vous approchez de fa grille dans les in- tervalles de familiarité , Mo'fifieur^ dit- il , donnez moi un fou , ^ je 'vcus chan- terai un air , mais donnez moi le fou au^ para'vant ; dès qu il a atrapé fargent, il fe replonge dans fei* diftraclions. Ne voila-t-il pas une defcription complette de la Science de la Cour dans toutes fes branches \ ik n'eft-ce pas dommage , que des difpoiidons li merveilleufes relient inutiles, faute d'etre bien appliquées? Avancez vers un autre Cachot , mais aïez la précaution de vous boucher le nez auparavant, vous y décou virez un mortel fombre , arrogant, d:mauffadc, fe vautrant dans fes propres ordures. Ses alirnens digérez font fes mets les plus délicieux, qui, après une longue circu- lation 5 rentrent peu à peu dans le fein de la matière par exhalaifon. Il a le teint d'un jaune tané , & une barbe foible , lemblable à celle qui couvre fa nourri- ture quand elle commence à perdre fa fraicheur. 11 elt femblable à certains infecles , qui empruntent la couleur & l'odeur de l'excrément , auquel ils doi- vent leur naiiTance, &leur nourriture: il eft fort fobre en paroles , mais en re-

CQm-

DU TONNEAU, ij}

compenfe fort prodigue de fon haleine. Il tend fa main pour recevoir votre fou; & 5 dès qu'il le tient , il le renfonce dans fes occupations ordinaires. N'eft-ce pas une chofe furprenante, que la Société de J^y^avwkk'Iane * , fe donne fi peu de mouvemens , pour recouvrer un Mem- bre , qui pourroit lui êu*e d'une fi grande utilité, & qui vraifemblablement pour- roit devenir un jour le plus grand orne- ment de cet illuilre corps.

Un autre Citoïen fe carre devant vous d'un air fier , il enfle fes joues , fes yeux lui fembîent fortir de la tête à force de vous régarder du haut en bas : il eil pourtant affez gracieux pour vous donner fa main à baiier. Le Châtelain vous avertit de n'en avoir pas peur , & vous aiTure , que c'ell un garçon qui ne fait du mal à perfonne : aufïï efl-il le feul qui ait la permifïïon de fe prome- ner dans l'antichambre. On vous ap- prend que ce fier perfonnage eil un Tailleur, à qui l'orgueil a tourné la cer- velle. Je pafi^e fous filence un grand nombre de Çts autres rares qualitez. J'en ai dit afifez, pour vous faire compren- dre >

Aflcmbléç de Médecins..

i]A- LE CONTE

cire , qu'il feroit fort propre a

Tes airs & (hs manières

me trompent fort, fi ce n'eir pas fon veritable element , & s'il n y feroit pas une figure admirable f.

Je n'entrerai pas dans un aflez grand détail, pour faire voir le grand nombre de Petits -Maîtres, de Muficiens , de Poètes, & de Politiques, quenotreNa- tion gagneroitpar une Reformation de cette nature, j'en ai dit affez, pour don- ner une idéedugain , que feroit la So- ciété, parl'acquifition d'un grand nom- bre de perfonnes, dont les talens, en- fouis à prefent , ou du moins s'enrouil- lant faute d'exercice , pourroient être très-utilement emploïez.

Ce qu'il y a de plus confiderable en- core, c'eft que toutes ces perfonnes ne manqueroient pas d'exceller chacim dans fon genre , & de parvenir au plus haut point de perfeftion j ce qui paroit clairement par ce que j'ai déjà dit, & qui paroitra encore avec plus d'éviden-

Cri

f L'Auteur ne s'explique point clairement ici. Si j'ofois hazarder une conjecture , je devi- nerois que leCaradere de cet Habitant de l'Ko- pital d'.s Fous fait aîlufion à quelque Favori à qui 1 orgueil avoit fait tourner la tête.

DU TONNEAU. 235-

ce, par un feul Exemple remarquable, que je vais vous alléguer. Le Lecteur bénévole faura s'il lui plaie , que moi- même , m^oi qui lui communique des veritez fi importantes , je fuis un per- Tonnage dont Vimf.glnaîmi^ aïanc la bou- che fort dure, eil extrêmement fujette à em.porter à travers champs moripau^ ire bon-fens , qui , com.me j'ai appris par une longue experience ^ eft un allez "{fianvais Cavaliey.

Mes Amis , qui me connoifTent là- défais , nofent jamais me laiffer feul^lans me faire promettre folemnellement , que je donnerai de fair aux exhalaiibns qui portent mon cerveau à prerdre le mords aux dents ^ & que je leslaiiferai évapo- rer dans quelques ipeculations utiles au public, &femxblables à celle-ci. Qj-iand je tiens ma parole , tout va bien , & je f.iis un des premiers hommes du mon- de.

Je m'imagine que le public, voïant les grandes choies dont je fuis capable , aura de la peine à fe perfuader, que je fois fjfceptible de pareilles Extravagances ^ lorfque mes talens merveilleux fortenc de leur Sphere , & s'exercent fur des fuieis oui ne leur conviennent pas.

236 L E C O N T E

Extrait , Sommaire , ou Abrégé de ce qui fuit dans le Manufcript 5 après la Sedion IX.

Comment Jean & Martin , s'étanc feparez, refolurent défaire chacun leurs affaires à part. Comment-ils voïa- gerent par Monts, & par Vaux , ren- contrèrent de fortmauvaifes avantures, foufrirent beaucoup pour la bonne cau- fe , & luterent long-tems contre la di* fette^ par ils prétendirent prouver enfuite , qu ils étoient les feuls Fils legi- times de leur Père , & que Pierre n'étoit qu'un Bâtard. Comment, ne trouvant aucime reflburce dans les Domiaines de Pierre , Martin tira du coté du Nord ; & , trouvant les Thuringiens & autres Peuples dilpofez à le favorifer , il drelTa parmi eux un Théâtre de Charlatan, dé- criant les poudres , les emplâtres , les on- gîients , y ks drogues de Pierre , qu'il avoit vendues jufque-là fort cher, fans donner à Martin aucune part du profit , quoi qu'il eut été emploie fouvent à les débiter, & à leur donner Cours. Com- ment le bon Peuple, ravi d'épargner fon

ar-

DU TONNEAU. 237

argent , commença h fe fier à Martin , & à lui donner fa chalandife. Comment plufieurs Seignem's fe lailTerent empor- ter au courant , un entre autres * , qui , n'aïant pas allez d'une feule Femme, & fouhaitant d'en avoir une féconde , fans vouloir donner , pour en avoir la permiiTion, le prix exorbitant que Pierre en demandoit, fit fon marché avec Mar- tin, qui prétendoit avoir le même droit de l'accorder, que Pierre. Comment plufîcurs autres Seigneurs du Nord , pour leurs propres intérêts, fefeparérent avec leurs Familles de Pierre, &fe liè- rent avec Martin. Comment Pierre, en- ragé de la perte de tous ces territoires & de leurs revenuSjfuîmina contre Mar- tin , & envoia contre lui \qs plus terri- bles de fes Taureaux 5 fans beaucoup de fuccès: cSl comment il le déclara rebelle & traître, avec tous les adhéranis;ordon- nant à tous les fidèles fujets de fon em- pire de prendre les armes, & les animant par de grandes pron:ieffes à tuer , brû- ler , & détruite fes ennemis , ce qui Rit l'origine de grandes & fanglantes gue- res.

Corn-

* Le Landgrave de Hciïc.

X38 L E CONTE

(Comment Henri Bra'vache , Sei- gneur de laParoilTe d'AIbion '^5 un des plus grands Breteurs defon liecle, en- voia un Cartel à Martin , pour le défier au combat en champ clos> d'où ell ve- nue la mode des Gladiateurs en Angle- terre 5 fi fameux dans ce païs-là, & ^\ inconnus par tout ailleurs. Comment Martinjétant un hardi compere, accepta le défi : com^m^ent ils combatirent , au grand divertiilem.ent de Spectateurs > <& comment , après s'être donné maintes belles taillades 5 ils furent tous deux vic- torieux : exemple, qui a été plufieurs fois imité par de fort habiles gens. Comment les Partifans de Martin le congratulèrent fur fa victoire, & com.- ment les Amis de Henri lui f rent de pareils complimens , fur-tout Mylord Pierre , qui, lui envoïa une belle Aigret- te f, pour être portée furfon bonnet & fur celui de fes Succeffeurs , en mémoire

du

* Henri VI II. Roi d'Angleterre.

"f Cette belle Aigrette cil Je Titre àtDe'fenfeiir de la Foi, que Henri VIII. n'a pas kiflc de por- ter, Jors même qu'il eut fecouc ic Jcug du 'Pa- pe , & dont les Succc/Ti-v'-îï fcnr encore par:.dc aujourd'hui. *

DU TONNEAU. 239

du beau combat qu il avoit foutenu pour les intérêts cludii Pierre.

Comment Henri, bouffi d'orgueil à caufe de fa prétendue victoire , com- mença à chercher noife à Pierre même ; (Se comment ils fe querellèrent , pour l'a- mour d'une Donzeile de médiocre vertu *. Comment quelques Sujets de I ienri , aimant la nouveauté , com.men- cerent à dire du bien de Martin, & com- ment ce Seigneur les châtia vigoureu- fement ^ comme il fit encore à Tégard de ceux , qui tenoient le parti de Pierre : (Se commuent il chaiTa , bruIa , & pendit , les uns & les autres "j--

Comment Henri Bravache , après plufleurs fanfaronnades, querelles, & débauches , mourut, &fat fuccedé par un bon Garçon 5 ; qui , fe laiiTanr em.por- ter par la foule de fes fujets , permit à

Mar-

* j4?!!:e Eoule??^ caufe de la rupture fameufe en- tre ce Roi & le Pape.

t La Perfscution de Henri VIII. , e'gderrient furisufe contre les Protcflans , & contre ceux qui ne vouloient pas reconnoitre laSupreraaiie au lieu de celle du .St. Père.

§ Ceftle jeune E.-iiWiîr^, Prince, qui avoit de fort bonnes inclinations, mais qui ne régna pas aiïcz long-tems pour faire le bonheur de ics Peuples.

240 L E C O N T E

Martin de répandre Ces drogues par-tout Albion. Comment , après fa mort , la ParoifTe tomba entre les mains d'une Dame , qui étoit violemment amoureu- fe de Pierre > & comment elle réiblut de purger tout Ton domaine des Par- tifans de Martin, & d'en exterminer juC- qu'au nom Comment Pierre triom- pha , & débita de nouveau fes poudres^ emplâtres^ l^ onguvr.ts ^ comme les feuls véritables , ceux de Martin aïant été tous déclarez contrefaits. Comment plufieurs des Amis de Martin aban- donnèrent le Païs , & voïageant dans les Regions étrangères firent connoiiTan- ce avec plufieurs Partifans de Jean , dont ils prirent les modes & les maniè- res de vivre , qu'ils introduifirent en- fuite dans leur Paroifle , qui étoit alors tombée en partage a une autre Dame plus modérée & plus politique j. Com- ment elle fit de fon mieux , pour entre- tenir Commerce en même tems , avec Pierre , & avec Martin , non fans faire

du

* C'eft la Reine Marie , Femme de Thiïipfe H. Roi dTfpagne , fort attachée au St. Siege , &per- fecutricc cruelle des Protcftans.

t La Reine Elifjihtth,

DU TONNEAU. 241

du bien k quelques Partifans de Jean: ëc comment elle eiTaïa en vain de ré- concilier les trois Frères 5 parce que chacun d'eux vouloit faire le Maître y & défendre aux autres de débiter leiirs onguents & leurs drogues.

Comment elle les chaifa tous trois , & leva elle-mêiiie une Boutique bien fournie de toutes fortes de beaumes & onguens, tous bons & véritables, com- pofez par des Médecins & des Apothi- caires établis par elle-même, & qui en avoient dérobé les recept^s- dans les Livres de Pie-rre , de Martii^& de Jean. Comment , poiu* mieux débiter ce P/?/- pomrl de remèdes, elle défendit la v^n- de ceux des trois Frères , fur-tout de Pierre , des inventions duquel elle avoit le plus profité. Comment Dame Elife, pour mieux affermir fon nouvel établilTem.ent , imitant fagement fon. Père , dégrada Pierre de fon prétendu Droit d'Aineffe, & fe fit reconnoitre elle-même pour Chef de la Famille, Comment elle ne laiffa pas pour cela de porter le beau Bonnet de fon Père , avec la, ùelle *y^igrctîe , qu'il avoit reçue de Pierre y pour avoir combatu pour lui; en quoi elle a été imitée par fesSuccef^

Torîie L L feiirs

241 L E C O N T E

feurs , quoi qu'Ennemis jurez de Pierre , iSc de fes Parti (ans. Comment Dame Elife , & fes Médecins, informez du mauvais eiret de plufieurs de leurs re- mèdes 5 refolurent de réformer leur bou- tique, & de la purger d'une quantité de TÎleriies, & d'onguenspernicieux,com- pofez d'après les receptes de Pierre, & comme elle en fut empêchée par la mort.

Comment la Paroîfie tomba en par- tage au Seigneur d'un petit Village dans le. Nord * , qui prétendit en faire mieux ^^^^tâJF J^s revenus qu'un autre , quoi qu-'i^iR à peiîïe -Capable de-bied ;3.dminiil"rer Ton pauvre petit Patrimoine. Commuent ce nouveau Seigneur, pour montrer fon adreile& fa valeur, fe ba- nt contre des Enchantenrs , deS Géants, &des Aloulins-h-vent, &fe vanta fort de fes victoires, quoique, fans le moindre danger , il fui fouvent fu;et à in- lùlter h doublure de fon haut de chauiTef.

Comment fon SuccefTeur § ne fut pas plus fage que lui , & caufa de grands defoi*dres , par les-nouvelles coutumes , q"u'iK''cmîoit introduire parmi fes fujets:

corn-

* Jajties Premier.

f II a toujours pfiflcpour un Prince foiblc> & Icuveroinement poîtrcn. $ CkAr!es Premier.

DU TONNEAU. 245

comment il entreprit d'établir, dans le Village du N'jrd^ une Boutique d'Apo- thicaire femblabk à celle , qui avoit la vogue dans \^Paroi[ie au Suà\ oc com» ment il y échoua, àcaufè qu'on y avoit beaucoup de Foi poiu* les drogues de Jean.

L'Auteur fe trouve embarafTé ici, pour avoir fait entrer dans fbn Hiftoire une Secle différente des trois dont il avoit refolu de parler \ ce qui eil: fort con- traire à fon refpecl inviolable pour le nombre trots, pour remédier à cet in- convenient, il prend le parti de neplus parler de la Boutique de Martin^ & de mettre celle de Madam.e Elife h la pla- ce; avertifTint le Lecleur, que défor- mais , par les Partifans de Martin , il faut entendre la nouvelle Secle fondée par kdite Dame. Ce point important étant duèment éclairci , il reprend le fil de fon Hiftoire , (Se nous décrit les gran- des querelles & batailles de Jmn & de Martin , dont tantôt lun avoit le defiiis, & tantôt l'autre , à la grande dé- flation de la Paroifle ; & comment ils s'accordèrent à la fin à faire pendre le fufdit Seigjiem' , qui prétendit foufrii^ le Martire pour Martin , quoi qu'il eut L 2 été

244 LE CONTE

été infidelle à l'un & à l'autre Parti , ëc fort foupçonné de favorifer Pierre.

Abrégé d^une BigreJJiofi fur la na- ture ^V utilité ^^ la nécejjité des Guerres :, £5? des Qiier elles.

Cette matière étant d'une grande im- portance, l'Auteur, refoludela traiter, d'une manière étendue,dans un Ouvra- ge à part , fe contente ici d'en donner quelques idées.

L'état de Guerre efl naturel à tous les Animaux; & la Guerre n'efl autre chofe, que le deflein de prendre, par force, ce que d'autres ont, & que nous voudrions avoir. Chaque homme , plei- nement convaincu de Ion mérite , & ne le voïant pas aiTezconfideré des autres, a un droit naturel de leur aracher tout ce dont il fe croit plus digne qu'eux >& chaque Animal, croïant fes befoins les plus grands, ell autorifé par la nature à s'approprier tout ce qu'il croit propre à y fatis faire.

Les E:utes font plus modefles dans leurs prétenfions à cet égard; que les Hommes; & le vulgaire l' ell d'avanta-

DU TONNEAU. 24;

ge, que les gens de diflinction. Plus un homme étend ces fortes de préten- tions, plus il fait de fracas dans le mon- de ^ plus il a de fuccès , & plus il mé- rite le titre de Héros. Les âmes .les plus grandes, qui font de la fuperiorité de leur mérite la mcfare de leurs befoins, ont un droit abfolu de prendre chez le Peuple tout ce qui leur manque: c'eft- la baze de la Grandeur, Ôc de l'Ilé- roïfme, comme auili de leurs differens dégrez. La guerre, par confequent, ell néceilaire, pourétabhr la fubordination parmi les hommes y pour fonder les Villes , les Etats , & les Empires ; & pour purger les Corps Politiques des humeurs fuperflues. Les Princes fages ont toujours foin de nourrir les Guerres en dehors , pour avoir la Paix en de- dans.- La Guerre ^h Fami/'ie y&, hPe/fe^ font les remèdes ordinaires de la cor- ruption , que l'Abondance caufe dans hs Corps Politiques, L'Auteur promet un Panagyrique formel de chacune des trois. La plus grande partie du Genre- humain aime mieux la Guerre que la Paix -, ceil- f inclination générale des hommes : & ceux , qui n'ont pas le pouvoir , ou le courage , de faire L 5 la

2^6 L E C O N T E

la Guerre eux-mêmes , paient des gen&, afin de la faire pour eux. Voilà ce qui entretient dans le Monde 'les Breteurs, les Braves , les AlTailms de profeiïïon , les Avocats, &]es Guerriers. La plus grande partie des Metiers ieroit inutile, dans une Paix perpétuelle. De-là vient que parmi les Brutes , il n'y a- ni For- gerons , ni Procureurs , ni Ingénieurs , ni Magiftrats , ni Chirugiens. Les Brutes, aiant des dellrs fort bornez, font incapables de perpétuer la Guerre con« tre leurs propres efpeces, & déformer des Armxées pour les détruire. Ces pré- rogatives apartiennent àTHommefeuL L'Excellence de la Nature humaine éçlaççe dans la multitude des defirs, des paillons, & desbefoins, dont nous fom- mes environnez. L'Auteur le propofe de traiter ce fujet plus au long dans Ion Panégyrique du Genre-Humahi.

Suite du Sommaire de VHifloire " de Martin,

Comment ^can , aiant mis à la pla- cé du Fie ux' Seigneur un de Çqs intimes Amis * 5 fe querella de nouveau avec

* Cromwel.

DU TONNEAU. 247

Martin, le chalTa de la Paroiile , pilla fa Bcutique,^ la ruina de fond en com- ble. Comment le nouveau Seigneur lit du pis qu'il pouvoir , roua Pierre de coups ,hourpiIla Mavtin, & fit trembler tout le -vcifinage. Comment les Amis de Jean fe diviferent en mille partis , mirent tout fens-deiHis-delfcus , & fe rendi- rent inlupportabîcs à tout le monde.- Comment ce Sei^j^e^ir impétueux étant venu, a mourir , Jean fut chaiTé de la Paroiffe, à grands coups de pied, pas le nouveau Seigneiu* * , qui rétablie Martin , & lui lailTa faire tout ce qu il vouloit. Commuent Martin, en récom- penfe, refolut de fe conformer en tout aux defirsde ce bon Seigneur, pourvu que Jean fût tenu bas. Diffère n s elf or ts de Jca'/î, pour relever latéteym.ais tous fans fuccès, jufquàce qu^après la morn dudit Seigneiu' ., la Paroiffe tomba en- tre les miains d'un grand Ami de Pier- re + , qui, pour humilier M-^r/i/i, traita Jean avec allez de douceur. Commuent 3Iartin, enragé de cette Irmovation^ in-

tro-

Charles II. f Jaques II,

248 LE CONTÉ

jLroduifit dans l'Héritage un Etranger =^, aidé par Jean , qui haïiToit mortelle- îTicnt le vieux Seigneur , à caufe de ^ts iiaifons étroites avec Pierre, dans les bras duquel ce pauvre exilé trouva bon de fe jetter. Comment le nouveau Sei- gneur rétablit Martin dans la pleine pofleiTion de Tes droits , fans lui per- mettre pourtant de détruire J^^^/, qu'il avoit toujours aimé. Comment Jean s'acquit dans le Nord une Province en- tière, au grand déplaifir àe Martin, qui, voïant encore , que dans le Sud on per- mettoit aux Amis de Jean de gagner pailiblem-ent leur vie , fut très-mécon- tent du Seigneur étranger , qu'il avoit apellé à fon lecours. Comment ledit Seigneur mit ordre à la conduite de IMartin , qui, de rage, tombant dans une fièvre chaude , jura qu'il fe pendr oit , ou qu'il s'allieroit avec Pierre, à moins qu'on ne fit mourir de faim tous les Adhérants de Jean. Pîufieurs projets , quon fit pour guérir Martin , & pour le reconcilier avec Jean , afin de \q.^ unir enfemble contre Pierre-^ mais, ' rendus tous infructueux, par certains

Allais * GulUaumc IIL

DU TONNEAU. 24^

Amis de Pierre , qui fe cachoient parmi ceux de Martin , &: qui pareil^ îbient les plus zélez pour fcs intérêts*^. Com^mënt Martin , dansun.violent aceès de fa lièvre, s'étant échapédeceux qui le gardoient , parut dans les rues fi ièmblable à Pierre dans fon air , dans ^QS habits, & dans fesdifcours, queles voifins avoient de la peine à l'endiflin- guer ; fur-tout lorfqu'il fe fut couvert de la Cuiraiie de Pieri'e , qu'il avoic empruntée pour combattre Jean. Quels remèdes on emp.loïa , pour la guerifon du pauvre Martin, &c.

NB. Certawes chofes qui fuïvrnt ceci ne fe trouvent pas dans le Mann fer it , £5* femhîent a'voir été écrites depuis pour rem- plir kl place de ce qu'ion ne tropsua pas à propos de faire imprimer alors.

Remarque du Traducleiir.

Pour moi ^ je crois plutôt , que VAhrcgé

que

* Il arrive aiTcz fouvent, que des Prêtres Pa- piftcs, &fur-tout des Jeluites , fc mcicnt parmi le Cierge' Anglican ; & que , faifant profclTion de k Religion Protcftante , ils ne nejrligent n«i>^ pour fapp^r fburdemeiit l'Etat «Se l'Églile»

^ S

2^0 L E C O N T E

^ que mus I'eKons de 'voir efl un entrait en Tair ; fe^ qu-e Tjluteur du rjfie de rOwvra- gs rH o/jamais fait un D ifcours ^ dent ce que nous lenons de voir puij/e être le Sommai- re. L'Editeur A'nglois place ce prétendu Difcours après la S.cîicn 9. ^ le poujje julqu'au tems du Roi Guillaume, Cepen- dant^ dans la Section cnziéine ^ C Hiftoire ri eft étendue que jufques au Rogne de Ja- ques Second.

On dira peut-être . que deft prccifemcnt eette' Sediion , qtic la petite Note de VEdir teur Anglois a en vue , . iy que par ccnfe- quent elle ne [e trouve point dans le Ma- nufcript ^ mais , cette Objeclien fer oit des plus frivoles , puifquil eft aifé de remar- quer , que c^ft par-tcut le même ftile., k même tour d'efprit , la mê?ne invention , qui brille dans tout le rejte de ÏQu- vrage.

Il n'en eft pas d^ même , à mon avis , du Sommaire. Il y a de ïejprit infiniment 5 mais 5 ce n eft pas la même forte d'efprit fi particulier à ï Auteur du Conte. LAI-- îegorie yiy efi pas par-tout également bien foutenuê , 13 elle eft de beaucoup trop dé- veloppe pour répondre à tout le refte. Tou- tes les Revolutions^ que la Religion a ejfuiées tn Angleterre , y ^aroijfent fi clairement^

^uil

DU TONNEAU, ifi

quil Juffit d'avoir une légère idée de THf- to'ire ^pour 'ft* y trouver rien d' Enigmatique ; ce qui eft fort éloigné du tour , qui 'règne généralement dans le refie de r Ouvrage. Pour ce qui regarde la juftcjfe de T Allé- gorie , je crois que tout le Public verra avec moi , que tous les trouJjlcs , £5? les changcmens , qui font arrivez dans la, Grande-Bretagne far raporî à la Religior^ ne font gueres appliquables à une fimpk ParoiiTe, bien moins encore à ////^f Ferme, ou Métairie 3 car ^c' eft l'idée dont on s eft fervi dans /'Abrégé Anglois. Auffï, F Au- teur de cette Piece s'y trouve-î-il trop fer- ré 'y il en fort plus d'une fois , f^ entre autres Jorfqii il parle aune Province entie^^e dans le Nord , dont Jean s' et oit 7ms en pojjeffon. Il dépeint k Corps de Do5îrt-.e- de chacundes Frères ^ fous l Emblème £ un^ Boutique Apothicaire \ mais cet P^'mblê' me eft trop bor'né : il 71 y refte pas , parce quil n'y f dur oit rcfter , fans donner vifible - ment la torture à fa matière , fjf à fori efprit. Ce que f en dis n'' eft pas pour rien àter au mérite de cet Extrait, je le trou* ve plein de feu , i^ de fine pfaifanterie^ £5? je crois que le Public doit [avoir gré à V Editeur Anglois de le lui avoir com'mu- i»qué , ij à moi de lavoir traduit, j 'y h 6 " ai

zfz L E C O N T E

^d laiffé le même tour , qu'il a dans fa Langue originale , i^ je fiai pas craint de devenir ennukux par rumformité des Périodes , ([ui commencent prefque toutes pur Comment &c.

// s'agit ici d'une efpece de Roman > £5? ceux , qui auront lu les Rolans , £5? les Am.adis, fe fouviendront fa?îs doute ^ que les Som^maires, qui pré cèdent chaque Livre de ces merveilleux Ouvrages , Jont écrits dans le même gout : Com.me Lafcaris combatk le Dragon du Lac, &c. Com- me le Damoifel de l'ardente Epée défit en combat fingiilier , &c. Comme le Soudan Zair & Tlnfante Abra fa Sœur le firent chrêtienner, &c.

J'avois même quelque démangeai/on de -traduire ce Sommaire en Gaulois , pour le relever davantage par le gout de ce vieux ftile Rom.anejque j mais , je ri ai pas tfé le bazarder^ parce que ce langage riefl. pas conforme à celui que j'ai employé dam k rejîc de jna "Traduction,

^vSP

SEC-

DU TONNEAU, zfi

SECTION X

Compliment de rAutettr au Public.

ON trouve une preuve inconteftable de la politelTe de notre âge, dans le commerce de civilité , qui fe fait depuis quelques années , entre les Auteurs , & le Public. On ne voit plus une pièce de Théâtre , une brochure , un petit Poëmejparoitre dans le monde,fans une Préface pleine de reconnoiiTance pour TAplaudiiTement general , avec lequel F Ouvrage a été reçu. Par qui, quand ^ ou de quelle ynanïere? c'efllebon Dieufeul qui le fait. Suivant un exemple fi digne d'être imité , je rends ici de très-humbles Graces àSaMajefté, aux deux Chambres du Parlement , aux Seigneurs du Confeil privé, aux véné- rables Juges, à laNoblefle, au Clergé, & au tiers Etat de ce Roïaume , vS: fpecialement à mes très dignes Frères du Caffé de Guillaume^ du Collège de Gres^ ham 5 de la Société de JVar--jjic'lane , de MoQrsficldSy de Scoîland-yard^ de Guild * h 7 . , baU

1S4 L E C O N T E

hal^ y de la Sale deWefimunfter ^, en un mot à tous les Habitans de la Gran- de-Bretagne , qui fe trouvent à la Cour, àFEglife, à l'Armée, à la Campagne, & dans la Ville \ je les remercie très- humblement ,dis-je, du favorable Ac- cueil , qu'ils ont fait à ce divin Traité. Je les aflure , que leur aprobaticn , & la bonne opinion , qu'il leur a plu de con- cevoir de mes petits talens, me touche de la manière la plus fenfible ; & que je fuis prêt à me fervir de toutes les Fa- cultez de mon amCjpcur leur faire voir dans Toccafion , que fingratitude n'eft pas mon vice.

Que je fuis heureux encore de faire briller mon Génie, dans unfiécle fi fa- meux pour la félicité que fe procurent mutuellement les Auteurs & les Librai- res, qui font à riieurequ'ileftles feules perfonnes dans la. Grande-Bretagne qui foient contente» de leur fort. Dem.an- dez à un Auteur , comment a reiifli fon dernier Ouvrage il dira que , graces à Jon étoile , le Public l'a traité a(jez fa'uo^ rahkment , £5? qtCil ri a pas la moindre rai fon de regretter fes 'peines : (y^ cependant^

cefl

* Aïïemblécs diiTcrcntes de Savans , & de Seaux-Eiprits,

DU TONNEAU, isf

ce fi un Ouvrage , qiCïl a expédié dans une feule [emaine^ a batons rompus ^ dans cer^ tains q^uart -d'heur es , qu'il a pu dérober à fes occupations prejfantes. Vous décou- vrirez la même fatisfaclion dans la Pré- face^ &, fi vous voulez favoir, jufquà quel point elle ell fmcere , vous n'avez qu'à vous en rapporter au témoignage autentique de celui qui a imprimé cet heureux Ouvrage. Graces à Dieu^ di- ra-t-il , la Pièce eft généralement goûtée : fen fais déjà une nouvelle Edition \ i^ je nen ai plus que trois Exemplaires dans met Boutique.

Si vous voulez rabatre quelque chofc du prix, il vous dira généreufement quiJ n'y regarde pas défi près, dans l'ei^ perance d'avoir une autrefois votre pra- tique; (S:, enmêmetems, il vous prie de dixe à vos Amis , qu'il leur donne- ra la pièce en queftion pour le même argent.

Je croi , qu'on n'a pas examiné avec aflez d'attention, à quelles caufes, quels accidens, le monde efl redevable de la plus grande partie de ces illultres Ouvrages , qui , pour le divertir , partent de la prelîe à chaque heure du jour. Amon avis , ce qui les eucoui'age à s'ex-

poler

t$6 LE CONTE

pofer à la lumière , c'efl un jour plw vieux , le lendemain d'une débauche , un accès d'affe^ion Hypocondriaque , un cours de Médecine^ un Dimanche oii Von ne fait que faire , un malheureux coup de dez , un compte peu laconique du tailleur^ une bourfe l'uide^ une tête chargée de vapeurs fac-- tieufes , une chaleur exceffive , un ventre conftipé , la difette de bons livres , £5? tm jufte mépris du javoir ; en un mot , tout accident de la vie, qui porte l'homme à fe diflraire , ou à fe tirer de l'ennui*, fens. Ibrtir de l'indolence. Sans ces raifons , & d'autres trop longues à dé- duire ici 5 on verroit le nombre des Auteurs, & des Ouvrages, diminuer t-ellement, que la chofe feroit pitoïable h voir. Si vous voulez favoir uue au- tre raifon de la multitude de ces fortes de Produ6tions , écoutez avec atten- tion les paroles du fameux Philofophe troglodyte.

Il eft démontré ^ dit-il , quil y a ccr^ tains grains de folie , qui femhlent entrer dans la compofition de la Nature humaine^ Nous ne forâmes pas les maîtres de nous en défaire : nous ri avons que le choix de les garder au dedans de nous , ou de les étaler au dehors -^ -^ il eft facile de comprendre.

à

DU TONNEAU, ifj

à quel parti ce choix fe détermine cV or- dinaire , quanà on foyige que les facultez de^ notre efprit rejjhnblo-it aux liqueurs , dont ks plus légères s'élèvent toujours au-dejjus des autres.

Il y a dans notre Ile fameufe un pi- toïabîe petit Auteur , ennemi juré du Stile Laconique. Je m'aiîure que fou impertinent Caraàere doit être alTez connu du Lecteur : \\ fe mêle d'une pernicieufe forte d'Ouvrages intitulez fécondes parties y & il prend d'ordinaire Je nom des Auteurs des preynicres. Je prévois, que, dès que j'aurai mis bas la plume, ce Compagnon alerte s'en faiii- ra; & qu'il me traitera aufîi inhumai- nement, qu'il a déjà traité le Doéku)^ Blackmore ^ le Sieur FEftrange^ & d'au-» très , qu'il ell inutile de nommer ici.

Cette juile crainte me fait déjà avoir recours par avance à cet Amateur du Genre-humain, ce grand Redrelîeur des Torts , le Docîcur Bentley. Je le prie de couvrir mon Traité fous les ailes de fa Charité Moderne \ &,s'il arrive par ha- sard , que, pour mes péchez, la peau d'un Ane me foit apphquée fur le dos, en guife ào, féconde partie ^ je le conjure de m'en décharger à la face de tout le.

mon-

2f 8 LE CO N T E

monde , & de la garder chez lui, juf- qu'à ce que la veritable bete trouve à propos de la reclamer.

Cependant , afin que le fufdit animal ne fe liatte pas de trouver bientôt occa- fion de me jouer ce tour , j'avertis le Public , que j'ai réfolu de prodiguer dans le prêtent Ouvrage tous les matériaux que j'ai préparez depuis un grand nom- bre d'années. Je n'en ferai pas h deux fois: puifquema veine eft ouverte, je fuis d'iiumeur à répuifer tout de fuite en faveur de ma chère Patrie, & pour le bien de toute la Société humaine. Mes conv'ives font nombreux , & je veux, comme un bon Hôte, mettre tout par écuelles, fans me foncier de mettre les relies dans le garde-manger : ce qu'ils lailTeront dans les plats fera pour les pau- vres ; permis aux chiens, qui fe trouve- ront fous la table , de ronger les os. Je trouve cette manière d'agir plus noble, que de donner mal au cœur à la Com- pagnie , en la priant de revenir le len- demain manger les bribes.

Si le Lecteur veut bien confiderer at- tentivement la force de ce que j'ai dit dans ma Seclion qui rou](î fur V Extra- vagance^ je fuis fur qu'il fentira une ré-

vo-

DU TONNEAU, i^p

volution extraordinaire dans Tes idées, & dans fes opinions -, & qu il en fera infiniment plus propre à goûter le plai- flr, que le relie de cet Ouvrage eil ca- pable de lui donner.

On peut partager tous les Leéleurs en t rois aile s . 1 i y en a de fuperficieîs , (f idiots , &: de far-ayis. Le Lecîeur fu^ ;perficiel^ en parcourant ce Livre, fera fort porté à faire de grands éclats de rire. Rien de plus excellent, pour donner de la liberté à la poitrine , & aux pou- mons : c'ell d'ailleurs le plus innocent de tous les Diurétiques , & un remède fouverain contre tous les maux , qui ont leur fource dans la ratte. Le Lecfeur igno- rant , entre lequel & le premier , la difference efl fi délicate, fe fendra dii- pofé à chaque période à ouvrir de grands yeux. Ceil un remède admirable pour diiTiper les mauvaifes humeurs , qui tom- bent fur foeil : il'donne de la vigueur 6c de la vivacité aux efprits animaux , de contribue merveilleufement à la tranf- piration.

Quant au Lecîeur f avant , pour quî particulièrement je veille lorfque les autres dorment , & je dors quand les autres font éveillez , il trouvera ici des

ma-

i^o LE COxNTE

matières fuffifantes, pour occuper toutes fes fpeculations pendant le refte de la vie. Ce feroit une chofe fort fouhaitable pour l'utilité publique , que chaque Sou- verain voulût bien choilirdans tous fes Etats fept des plus profonds Sa'vans , & qu il les fit enfermer pendant fept anSj d^ns fept différentes Ch ambre s\ avec or- dre de ïdSxQfept amples Commentaires fur cet Ouvrage miflerieux. J'ôfe foutenir, que, quelque différentes que puifTent ê- tre leurs conjedtures, elles pourront être toutes déduites du texte évidemment, & fans tordre en aucune manière la fi- gnification ordmaire des termes. Je de- fire ardemment, que, s'il plait à Leurs Majeilez , on commence au pliitôt l'exécution d'un projet ^i utile ; parce que je ferois chanPxé de jouir, avant que de quitter ce monde, d'un bon- heur , nous ne faurions atteindre d'ordinaire, nous autres Ecrivans my- ftiques , avant que d'etre couchez dans le tombeau.

Laraifon en efl peut-être , que la Re- nommée eft un fruit enté fur le Corps humain, & qu'il ne fauroit croitre , bien loin de parvenir à maturité , avant que le tronc foit mis en terre. Peut-être.

ell-

DU TONNEAU. i6i

- cft-ce un oifeaii de proie , qui ne fuit que Todeur des cadavres. Peut-être encore s'imagine- 1- elle , que fa trompette ne donne jamais un Ton plus fort , & plus propre à fe répandre par -tout , que quand il part de Félevation d'une z^//;?^^^ & qu'il efl fécondé par les Echos d'une voûte étendue.

Il efl certain que tous les Auteurs obfcurs , depuis qu'ils fe font avifez de l'expédient merveilleux de mourir, ont été extraordinairement heureux , dans la .variété , auiïi bien que dans retendue , de leur réputation. Comme la Nuit efl la Mere de toutes les chofes , les plus fages Philofophes eftiment tous les Li- vres féconds en merveilles , à proportion de leur obfcurité > &5pour cette raifon , les adeptes^ les ^Tûis illuminez , c'eft-à- dire les plus obfcurs de tous , fe font at- tiré des Commentateurs fans nombre, qui, comme habiles ^accoucheurs Scolal^ tiques, les ont ^<?7/V^z d'un grand nom- bre de fens differens , que les Auteurs eux-mêmes n'avoient jamais eu garde de concevoir. Cela n'empêche pas qu'il nefoitjufte de les mettre fur leur comp- te ; car , les expreïTions de pareils Ecri- vains font comme la femence , qu'on

ré-

t6i LE C O NTE

répand h tout hazard , & qui , rencon- trant un terroir fertile , produit une vafte moiflbn , le femeur lui-même ne fe feroit jamais attendu.

Aïant bien pefé toutes ces confidera- tions 5 je crois utile d'établir ici cer- taines Règles 5 qui pourront être d'un grand iècours aux efpritsfublimes, qu'on choifira pour faire un Commentaire uni- verfel de ce merveilleux Ouvrage. Ils fauront d'abord , que j'ai caché un grand myflere dans le nombre des O , quife trouvent dans ce Traité, multi- pliez ^zxfept^ & di vifez par neuf. De cet- te manière ^ fi un dévot Frère de la Ro- fe-Croix *, veut bien prier ardemment, & avec une foi vive , pendant foitsante & trois matinées , & enfuite tranipofer felon les règles de l'Art certaines Let- tres & certaines Syllabes, dans les Sec- tions féconde & cinquième , il peut être perfuadé qu'il enrefultera une Re- cete fonnelle & complete du grand œuvre. De plus , quiconque voudra fe donner la peine de calculer exactement le nombre "de fois que chaque Lettre fe trouve dans ce Traité 5 avec la difference

qu'il Un Adepte, un Partifan du grand oeuvre*

DU TONNEAU. k^j

qu'il y a entre tous ces nombres; & de chercher la caufe véritable Ôc naturelle de chacune de ces di;^erences\û trouvera, dans le produit ^ des découvertes , qui paieront fès peines avec ufure. Qu'il foit pourtant averti de fe précautionner contre Bythus , & Si^é , & de bien re- tenir les qualitez d'Acamoth *. ^ cuju^ lacrymis humecta prodît fuhftantia , à rifu lucida^ à trifihia folida ^ (y à timoré mohîUs, C'eft à cet égard o^-i Eugene Pilalethe f elt tombé dans une erreur impardonnable.

* Ce fout quelques Expreffions mîftsrieufee écs Adaptes.

f 11 a fait un Livre fur cet Art merveilleux appelle Anima Ma^ica ahfconàita.

s EG

0

z^4 LE CONTE

SECTION XI.

Continuation du Conte du Ton- neau,

A Près m'étre jette dans de fi valles détours , je me remets dans le che- min 5 refolu de fuivre déformais mon fujet pas à pas , jufqu à la fin de mon Voïage, à moins que quelque agréable perlpe6live ne fe prefenteà m.avuë, & ne m'invite à l'examiner de plus près. S'il nvarriveun pareil accident, juf- qu'ici je n'ai pas la moindre raifon de m'attendre, je demande à mon Lecleur par avance la grace de voulour bien m'accompagner , & de me permettre de le conduire avec moi vers tous les objets , qui me paroitront valoir la peine des'y arrêter pendant quelques momens. Il en eil de ceux qui écrivent , comme des Voyageurs. Si un homme fe hâte pour revenir chez lui, (ce quin'efl pas mon cas, car je ne fuis jamais fi defœu- vré que dans ma maiibn), &fi fon che- val efi: fatigué par la longueur du voïa- ge , ou par de mauvais chemins , ou

parce

DU TONNEAU. i6i

parce que c'ell une mazette , je lui confeilledeHiivre la route la plus cour- te & la plus batue, quelque fale qu'elle puiffe être. 11 eil vrai qu'un tel hom- me eit un aflez mauvais Compagnon de Voïage : à chaque pas , il s'éclaboufTe lui-mcme , & fes camarades. Leurs penfées, leurs deiirs , leurs converfa- tions, ne roulent que fur le gite\ &, à chaque embaras, à chaque tas de boue, à chaque fois qu un des chevaux bron- che , ils fe donnent mutuellement à tous les Diables du meilleur de leur cœur.

Mais, quand un Voyageur & fon Cour- fier font Tun & l'autre gais & vigou- reux , quand le premier à la bourfe pleine , & qu'il a le jour entier à fa difpofition , il ne choifit que les che- mins les plus propres & les plus agréa- blés ; il fait des contes borgnes à fes compagnons, & les amené avec lui de quelque côté un effet agréable de fart ou de la nature , ou de tous les deux , s'offre à fa vue : s'ils font trop flupides , ou trop fatiguez , pour le fui- vre, il les plante-là, bien fur de les ra- traper la Ville la plus proche. Dès qu'il y arrive , il y paffe au grand ga- l'ûme L M lop,

266 L E C O N T E

lop , tous les Habitans , Homines , Femmes , Poliflbns , fortent pour le voir. Une centaine de Chiens aboient après lui^ 6i,s'û en favorife les plus hardis d'un coup de fouet, c'ell plutôt par di- vertiiîement, que par vengeance : mais , û quelque Dogue hargneux l'approche de trop près , un coup de pied acci- dentel du courfier, qui par-là ne perd pas un pouce de terrain , Fenvoie chez lui boiteux , & à demi-mort. L'appli- cation en efl aifée à faire ^.

J'en reviens aux Avantures du fameux Jea?!. Les Le6leurs fe fou viendront fans doute, de létat , & des diipofi- ticns, je l'ai lailTé à la fin d'une des précédentes Sections. Ils n'ont qu'à ex- traire de tout ce que j'en ai dit ci-dell fus une ^to^ d'idées, propre à mettre leur efprit dans la fituation néceflaire , pour goûter , comme il faut , ce qui va fuivre.

Non

* J*avoue qxC'û n'en efl pas aind à mon e'gard. Le commencement de cette DigrefTion s'entend de refte : mais , ce Cavalier , qui galoppc par la \'iile 5 qui s'atrire les yeux du Peuple , & l'a- fcoïement des Chiens , tout cela eft un miftèrc pour moi ; Scfcn laiiTe l'explication aux adepte*^ OU aux Commentateurs profeflion«

DU TONNEAU, i^j

Non feulement Jean avoit afTez bien ménagé larévolution arrivée dans fa cer« veJle, pour devenir Auteur de la fa- îiieufe Se6le des jEoliftes \ mais , graces à la nouvelle fécondité , que fa folie donnoit à fon imagination , il avoit con- çu encore une grande quantité d'idées, qui , quoi qu'en apai'ence fans rime & fans raifon , ne laiiToient pas de cacher certains myfleres , & de s'attirer des Partifans zélez.

J'en raporterai les exemples les plus remarquables que j'ai pu ramafTer , ou dans une tradition inconteftablejOudans une immenfé leéture. Je les décrirai avec toute la fimp'licité poilible , & a- vec toute la claité dont des fujets auiîî profonds & auffi abftraits peuvent être fufceptibles. Je ne doute pas, qu'ils ne fourniflent une ample & noble matiè- re à tous ceux , qui , dans le creufet de leur imagination, favent changer les rea- litez en types , qui ont l'habileté de former des ombres fans le fecours de la lumière , & de les transformer en fubilances fans en être redevables à la Philofophie; en un mot, à ceux qui poifedent l'heureux talent d'attacher à un ï^m clair des Emblèmes 5 & des Al- M z lego^

268 L E C O N T E

îegories , & de metamorphofer tout ce qui ell littéral & fimple en figures & en myfteres.

Jean s'étoit fourni d'une belle copie du Teftamenc de fon Père, écrite fur une grande feuille de parchemi/i ; & , ' pour jouer le rolle d'un bon Fils, il devint amoureux à la folie de ce parchemin relpeclable *.

Qiioi que le Tefcament , comme j'ai déjà dit plufieurs fois , ne contint que des Règles claires & aifées , touchant la manière de porter, & de ménager, les trois Habits^ foutenues & fortifiées par des prom.efies & par des menaces, le bon-homme Jean ie mit dans Pefprit , qu'il y avoit quelque fens profond & obicur , & que , fous cette écorce de fmiplicité 5 elles cachoient de grands Myfleres t- Mejjlcurs ^ difoit-il à fcs

Dif-

* Il y a un bon nombre de Dévots fuperfti- tîeux, cjui ont une vénération particulière pour la figure extérieure de la Bible , à l'imitation des Mahometans , qui témoignent le plus pro- fond refped pour leur Alcoran.

•j- Il eft certain , qu'il y a des Chrétiens afTez fous, pour ne trouver rien de littéral dans la Bi- ble 5 & pour chercher des Myfteres dans les Ré- cits les plus fimples. Tel eft un ProfefTeur fa- meux

DU TONNEAU. ±69

Difciples, je "jous ferai volr^ que ce me- me -parchemin ^ que 'vous 'voiez-là^ contient du pain , du vin , £5? des habits ; que c'eft la Pierre Philojuphale , iy la Ivîé^ decine umverfelle, Confequemment à cette fancaiiîe, il reiblut de s'en fervir dans les plus viles , auiTi bien que dans les plus grandes circonihmces delà vie. Il avoic trouvé l'Art de le changer en toutes fortes de figures. Qj-iand il vou- loit dormir , il s'en faifoit un bonnet de nuit j & quand il faifoit de la pluie , il s'en fervoit en-guife de Parafol. Il étoit homme à en mettre un petit mor- ceau autour d'un orteuil blefle ; &, quand il avoit un accès de vapeurs , il s^en faifoit brûler un petit brin fous le

nez.

méux dans nos Provinces, qui a fait un gros Li- vre , pour prouver que tous les Miracles de Jefus- Chrift font autant de Types. D'autres Extrava- gans cherchent dans les Livrée facrez la Recèpte de la Pierre Philofophale ; & d'autres , moins grof- fiers dans leur Folie, Me. Dacier par exemple, les regardent comme un Traité de Rhétorique. Il y en a même, qui y cherchent leur bonne avan- ture , en confultantà l'ouverture du Livre le pre- mier pafHige , qui s'offre a leurs yeux, de la mê- me manière que les Païens cherchcient leur fort futur dans Virgile, Ce qu'on appelloit Sortes Vi;- giliana,

M 3

i-jo LE CONTE

liez. S'il avoit mal à reflomac, il eîî avaloit autant de raclure , qu'il en pou- voit tenir fur la fuperficie d'un foL Tous ces remèdes paflbient chez lui pour infaillibles.

Par une Analogie exaelement confor- me à ces rafinemens , tout fon Langage étoit emprunté du Itile du Teflament: toute fon éloquence étoit renfermée dans fes bornes ; & il n'ofoit pas fe lailTer échaper une fyllabe, qui ne tirât de-là fon autorité \.

Un jourjfe trouvant dans une maifon étrangère , preffé d'une certaine necefli- , fur laquelle il n efl pas néceffairede s'étendre, & ne fe reffouvenant pas avec aifez de promtitude de quelque phraze fanclifiée, pour demander le chemin d'un certain petit apartement y il préfera à

f Rien au monde n'eft plus ridicule que l'af- fcftation de ce jargon dévot, qui exprime les. çhofes les plus ordinaires de la vie par des ter- mes empruntez de l'Ecriture Sainte, qui certai- nement ne nous eft pas donnée pour cet ufage- là. D'ailleurs , il n'y a aucune bonté réelle , au- cune fainteté , dans ces exprcHTions. C'eft leur fens , qui eft facré & utile. 11 s'enfuit de- , •que la profanation n'eft pas tout- à-fait aufti.coiîir- iRUne, q^ue.l£ croiapt \ss bigots..

DU TONNEAU. 271

la mondanité de fe fenûr du terme ordi- naire , le parti defagréable que le Lec- teur devinera fans peine. Ce n'ell pas tout : la Rhétorique de toute la Com- pagnie ne fut pas capable de le porter à fe faire nettoïer ; parce qu'aïanc confulté le Teflament fur un cas de cette confequence , il y crut trouver un paiTage, qui s'y étoit gliiTé , peut-être parFignorancedes Copiiles, par lequel une pareille propreté paroiilbit être dé- fendue '^.

Il fe fit auITi un Dogme de ne dire jamais Graces après avoir diné; & tout r Univers n'auroit pas pu lui perfuader de manger comme un Chrétien , felon la phraze vulgaire f.

* L'Auteur tourne ici en ridicule certains Saints mauffades , qui trouvent du crime à tenir leur Vaijfe au propre-^ & qui s'imaginent, que la Sainteté ell incompatible avec la complaifance de s'habiller com.rae le refle du Genre-humain. Us feroient bien de fon.^er qu'il y a plus d'or-- gucil à fe diftinguer des hommes de ce côte-là , qu'a fe confondre avec eux. \jn Philcfophe dit un jour di Diogem , qu'il vo'ioit {on cœur or- gueilleux au travers de Ces habits déchires.

t II y a des Seftes , qui trouvent du crime à prier Dieu en fc mettant a table,

M 4

vji L E C O N T E

II trouvoit un délice extraordinai- re à fe bourrer de Salpêtre, aufîi bien que de mèches d'une chandelle allumée , qu'il favoit atraper & avaler avec une adrefle inconcevable '^. De cette maniè- re , il entrenoit dans Ion ventre une flam- me perpétuelle , qui, fortant comme une vapeur embrazée, de les yeux, de Ïq.?> na- rines, & de fa bouche, faifoit refplen- dir fa tête dans Fobfcurite, comme le fquelette d'une tète de veau , quel- que efpiegle.d'Ecolier a mis une chan- delle d'im hard pour efFraïer \t^ loïaux fujets de Sa Majefte : c'étoit le feul expedient, dont Maître Jean fe fervoit , pour fe conduire le foir chez lui étant acoutumé de dire, que ï homme fage doit 'être fa p'opre Lateryie,

Il fe promenoit d'ordinaire dans les rues , les yeux fermez : & , s'il lui arri- voit donner de la tête contre un po- teau, ou de tomber dans la boue, deux petit accidens , qui lui étoient fort or- dinaires, il difoit aux^Z/T^^/z/i, qui le regardoient de tous leurs yeux , qu'il

fe

* Ce PrJI-ige fait aîluficn à la chaleur du Zèle , que k*3 Dévots s'efforcent d'entretenir dans une vivacité perpétuelle.

DU TONNEAU. 17;

ie foumettoit avec refignation h Ton malheur , comrx'ie .1 un effet de la Del'ti- née , avec laquelle il favoit par expe- rience , qu'il n'étoit pas fur de luter; puifque ceux , qui s'y hazardoient , é- toient bienheureux de n'y gagner, qu'un nez fanglant, & un œil poché au heure noir f.

// a été ordonné , quelques jours avant la Création^ difoit-il, que mon nez. 13 ce poteau aur oient une Ye7ic entre enfernhle : y , pour cet effet , la Providence nous a envGÏez au Moitié îiin (3 l'autre dans le 7nême âge , pour être compaîriottes (3 conclîoicns. Or , ftfavois tenu mes yeux ouverts , le malheur auroit été bien plus grand , felon toi/.tes les apparences ; car ,

quels

t Toutes les perfonn es, qui admettent la Pre'- deftination dans toute fa rigueur , n'en tirent p^ des Confequcnces également impertinentes. IPf en a qui croient , que les Décrets de Dieu ne doi- vent pas nous empocher d'agir en Etres raifon- nables , & de nous déterminer vers le parti , qui nous paroit le meilleur; mais, d'autres abjureîit entièrement l'excellence de leur Nature, & s'i- m^'.gincnt , qu'il y a de la Vertu , & de la Saj^cffe , à fe conduire en ilmples Machines , & à fe lievear d'ime manière purement pafHve à l'Aârion de U Divinité.

M s

274 Ï^E^ COWT^

^ lie Is terribles faux -pas ne font point les hommes tous les jours , a^oec toute leur mondaine pré voïance ? D ailleurs , les yeux de l'entendement 'voient le mieux , quand ceux de la chair font écartez du^ ehemin : cefi pourquoi l'on ohferve , que les aveugles marchent avec plus de con- duite^ plus de précaution^ ^ plus de ju^ gementy que ceux ^ qui mettent tantdecon^ fiance dans leur Faculté vifuelk , que le moindre accident dérange , £5? que la moindre humeur , la moindre membrane y, détruifent pour jamais, La vue reffemble k une lanterne , rencoyitrée dans a rue par une bande de Bréteurs ivres , £5? qui expofe celui qui la porte , £5? fin propre individu^ à desfouflets^ ^ à des coups de- fied^ qiCilsaur oient évitez P un ^ Vautre y ft l'envie de paroitre leur avoit permis- de marcher dans les ténèbres, Helas!' utes ces lumières , dont on vante tant utilité , méritent^ par leur mauvaift conduite un fort encor plus malheureux: que celui quails s attirent journellement,^ M efi vrai^ que je viens de me cajfer le nez contre ce poteau , parce que la- Providence na pas trouvé bon de me ti^ rer par la manche , i^ de m^ avertir $m éviter h rencontre , fmis , que cer

DU TONN'ÉAU. 27J

sccîdetit n'encourage pas les hommes de ce Jïécïe ^ ni leur pofterïté ^ de donner leur nez.- à garder à leurs yeux : cefi le vrai mo'ien de le perdre une fois pour toutes, O vous , foibles yeux , ô vous aveugles Guides de nos corps aveugles , que vous êtes de pauvres Gardiens de nos nez fragile s ; vous , dis-je ,^ ^ui vous fxez fur le premier précipice qus' vous trouvez en chemin \ qui tirez enfuit e après vous nos mi fer able s corps trop promts- à vous obéir ^ jufques fur le bord même de la defiruélion :■ mais , ce bord ef- d'un bois pourri , le pied nous gUfje , ^ nous f ornâ- mes précipitez dans le goufre , fans ren^' contrer le moindre arbrijjeau officieux^ qui pttiffe rompre le ccup. Chute ofreufe! à^ laquelle aucun nez de fabrique mwtelle rCeji capable de reftfter^ excepté celui dw Géant Laurcalco , qui étoit Seigneur du Pent d' Argent *. Ainfi' donc , o vour foibles yeux , avec g-rande raifon- vous- peut -on comparer à ces feux follets ,■ quir- conduifent ï homme à travers V ordure £5? les ténèbres , pour le faire tomber dans uyy puits profond y ou dans un goufre empoi"' jonné.

Voilà un échantillon de l'éloquence'

^ Vo):e£ Don Qukhotte,

27^ L E C O N T E

de Jean , & de la force de Ton raifonnc- ment fur ces fortes de matières ablbu- fes.

II avoit d'ailleurs de grandes vues par raport àla dévotion, & il ne négligeoic rien pour en étendre les bornes, il in- troduint une nouvelle Divinité, à laquel- le il concilia un grand nombre d'Ado- rateurs. Les uns l'appellent Babel ; les autres , Chaos ^. Il y a un Tem.ple fort ancien,& d'une ftrucîure Gothique, ^ii'on a érigé à fon honneur dans la Plaine de Saîisburi , fameux par fon Re- liquaire honoré par de frequens pèleri- nages f.

Lorfqu'il avoit dans Fefprit de jouer à quelqu'un quelque tour fcelerat , il fe jettoit à genoux, quand ç'auroit été au beau milieu du ruiffeau ; &, les yeux levez vers le Ciel , il fe mettoit à prier. AuiTi-tôt, ceux5qui connoiilbient fes fail- lies 5 avoient foin de s'en éloigner au plus vite 5 mais ,11 quelques étrangers at- tirez

* Ceux de l'Eglife Anglicane accufcnt* les Presbytériens d'être ennemis de l'Ordre dans le Culte.

t C'cft une pièce monftrueufe de Pierres en- tamées fans ordre avec des. peines infinies; iâus qu'en en puiiTe deviner le but.

DU TONNEAU. 177

lirez par la rareté du fait , s'approchoient pour récouter , ou prénoient la liberté de rire de Tes contorlions , il ne man- quoit pas de leur lâcher fon urine dans le nez, & de leur jetter la boue à plei- nes poignées §.

En hyver , il marchoit toujours riiabit déboutonné , oc aufîi peu cou- vert qu'il étoit pofiible , pour donner un libre paiTage à la chaleur répandue dans lair qui Tenvironnoit^ &, en Eté,

il

§ Rien n'eft plus ordinaire aux Dévots de profcflion , que de couvrir leurs mauvais dcC feins du voile de la pieté ; & ils ne font jamais plus à craindre , que lorfqu'ils font dans les plus grands accès de leurs extafes devotes. On dit que Crom-zue/j fameux Pf.rtifan de Jea/2 , fe fer- voit quelquefois d'une Ruze a/Tez particulière, pour duper les Ambailadeurs , Efpions privilé- giez des Souverains. Quand il fav oit. que quel- qu'un de ces Meilleurs étoit dans fon Anticham- bre pour avoir Audience , il fe metoit à prier tout haut le bon Dieu, avec toute la ferveur pof- fible j de favorifer tel ou tel deffein. Le pauvre Ambafladeur , ne croïant pas qu'un homme fût capable de fe moquer du Ciel, pour mieux trom- per les hommes , ne manquoitpas de donner dans le Panneau ; & , par-là , fon Maître , fe prccaution- nant contre un Projet chim.eriquc, ferendoit in- capable de prévenir les véritables deiTeins de cet îllultre Fourbe.

M 7

ij% LE C O N T E

il s'accabîoit d'habits , pour lui fermer l'entrée f.

Dans certaines Revolutions extra- ordinaires 5 il follicitoit l'emploi de Bourreau general : il montroit une grande adrefle à en faire les fonftions ; &:,comme quelques-uns de fes Collègues couvrent le vifage dun mafque, quand ils exercent ce noble emploi, no- re Ami Jean croïoit fe déguifer de rela- te par de longues & favantes Prie-^ ïes *.

Sa Langue étoit ii mufculeufe , & ^i flibtile dans fes mouvemens, qu'il favoit l'entortiller dans fon nez , d'où il fai- foit ibrtir enfuite un langage tout parti- culier , & fort pathétique.

Il faut lui rendi'e encor cette juflice, qu'il a été le premier de ces Roïaumes,^ qui a fongé à perfectionner le talent

de

f Les Dévots font d'ordinaire fajets aux fan- taifies les plus bifarres: ils croient fe fanélifier ^ par des manières diamétralement opofees à cel- 3cs des autres hommes.

* Il n'y a point de gens plus cruels , en ge« neral , que ceux qui fe couvrent du mafque de 3a Devotion. Toujours prêts àprofcrire, & même" à damner éternellement 5 ceux qui n'adoptent, JH' feurs fentimens , ni leurs manières.

DU TONNEAU. 179

de braire , par lequel le grand Sancho fe fignala jadis fi noblement tnEfpagne\. Ses oreilles larges étoient toujours ex-- pofées à l'air , & dreiïees en haut^ & par leur fecours 5 il porta Ton art à un tel degré , qu'il étoit difficile , pour ne pas dire impofTible , de dillinguer la Co-^ pie de Y Original.

Il étoit attaqué d'une maladie tout-à-^ feit contraire à celle , qui vient de la mor-- lure de a 'Tarentule , il devenoit tout fu-- rieux au fon d'un inilrument de Mufi^ que, & fur-tout d'une Mufette=^: mais,. il s'en guériilbit aifément, en faifanc" quelques tours dans la Sale de JVcft^- munfter , dans Billing-gate , dans une Ecole , à la Bourfe , ou bien dans UQ< Qaffé rempli de Nou'VelUftes f.

11 ne craignoit pas les couleurs, mais

ili

t Ceci réfléchit fur ces tons de voix lamen-- tabJcs, & ces cris ridicules, dont plufieurs Pré- dicateurs dévots touchent les fens de leurs au- diteurs 5 au lieu de convaincre leur raifon par de bonnes preuves.

* Certains Dévots, partifans de fean^ ont la Mu- fique en horreur, comme la plus affreufe mon-- danité; quoi que rien au monde ne foit plus in- nocent: ils la trouvent fur-tout abominable dans îc Culte religieux.

t Ce font tous des lieux, ilfe fait unbruir- îkufiî grand; <jiie defagréabiçv

lEo L E C O N T E

il les haïlToit mortellement ; & , par con- fequent , il avoit une grande averfion , pour toutes fortes de ^^/>//^r^j*. Quel- quefois même , dans quelqu'un de fes accès , il fe promenoit dans les rues, les poches chargées de pierres , pour abatre les e/ife igné s des boutiques.

Sa manière de vivre , telle que je viens de la dépeindre , lui donnant fort fouvent occafion de fe laver, il fe jet- toit quelquefois jufqu'aux oreilles dans feau , même au beau milieu de FHyver : mais, on a remarqué , qu'il en fôrtoit plus fale qu'il n'y étoit entré "f.

Ilaétéleprem.ier, qui ait trouvé l'Art de donner un rem.ede foporifique par les oreilles. C'étoit im compofé de fou-

^ Les Presbytériens ont une Kaine furieufè contre toutes fortes de peintures expofies dans les EglifeSj dans quelque vue que ce foit.

f Cet endroit paroit un peu obfcur; je croi^ l'entendre pourtant. Cert^^ins Dévots, pieux par grimace , & réellement criminels , comme les Pharifîens, fe croient nettoïer de leurs défauts, par des jeunes , & des penitences extérieures, qui 5 ne venant pas d'un bon principe , & étant mêlées d'Hypocrifîe , deviennent des crimes elles- mêmes. De cette manière, le Dévot devient plu* fale , à force de fe laver.

DU TONNEAU. i8i

fre, de beaiimede Galaad, & de Ton- guent du Samaritain §.

II portoic fur Ton ellomac une large emplattre caufcique , par le moïen de laquelle il jectoit des foupirs , & pouffoit des gemiffemens , capables de fendre le cœur de ceux qui les enten-. doienc ^.

Qiielquefois , il fe plaçoit au coin d'u- ne rue- &, s'adrcfTantàceux, quipaC foient , il difoit à l'un , Je vous prie y mon bon Moyifieur , favortfez-rnoi d'un bon coup de poing dans les dents. A quel- que autre , Mon cher /Irai , oh l je vous conjure , faite s -7:101 U grace de me don-- mr un vigoureux coup de pied dans le ven- tre. Madame^ oferois-je de7nanckr àvoîre

Gran- § Ce font les SermonSjdont quelqucixis la Rhé- torique efl un mélange de chaleur , d'aigreur, & de douceur.

* Tout le monde connoit les Soupirs ci les Ge- miffemens continuels des Bigots. On diroi t que ces gens-la prennent k vertu pour une difpoiîon ë- trangere de Fame , qui lui donne latcriurc. Ce qui cfl très-faux, fur-tout par raport à une Pie- té avancée. Elle met Tanie dans ion plus haut degré deperreflion; &, lui Faifantfentir fortement Texcellencede fa nature, elle doit la remplir fàtisfaclion & de joye: elle doit même répandre la tranquillité 5 & le contentement; dans rout l'extérieur.

282 L E C O N T E

Grandeur de me donner de cette petite wain -potelée un petit [oujlet bien apliqué ? Mon hra've Capitaine , vous , quiparoijjez avoir le bras fi nerveuse , pour P amour de Dieu^ fanglez-moi une demi douzaine de coups de canne \.

Quand, par des folîicitations fi pref- fantes , il avoit rélifii à s'enfler le corps & l'imagination , il s'en retournoit chez lui contenc comme un Roi \ & faiibit mille Contes terribles de tous les mal- heurs, qu il avoit foufert pour la Caufe Commune ^. Voyez un peu ce coup-là , difoit-il , en fe découvrant les épaules ; un maudit Janijjairè me le donna ce ma^ tin à fept heures , dans le tems q^ui je fai-

fois

t Le fauxZêle porte fourent les Dévots à s'ex- J>ofer fans nëceflité à la Perfecution , contre la premiere loi de la nature , qui eft le principe de toute la morale , & contre les ordres câpres de notre Sauveur. La Vanité a fouventbe^.ucoup de part à cette conduite. C'eft un beau titrcj.que celui de Martir de la Vérité , c'eft un titre fort flatteur ; mais 5 le nombre de ceux qui le méritent eft bien petit.

*■ 11 n'eft pas rare de trouver des gens , qui fe vantent de ce qu'ils ont foufert pour l'Eglife , & qui par-la veulent fe faire confiderer , comme les grands boulevards de la Religion.

DU TONNEAU. 28^5

fois tous mes efforts , pour repouffer le grand Turc. Aies chers Voifins , cette tête caffée mérite bien une emplâtre , ce me femble. Si Je pauvre Jean a^voit fait grand cas de fa caboche^ vous auriez vu des au* jourd'huileVdL"^^ ^ le Roi de France /^i- re rage dans vos familles, Helcis I Peu* pie Chrétien , le Grand Mogol s'étoit déjà avancé jufquaux Fauxbourgs de la Fille , i^ vous navez q^iCà remercier ces pauvres cotes ^ de ce qu il ne vous a pasdéjci mangés à la poivrade^ avec vos Femmes ^ vos Enfans, ^

Rien n'étoit plus remarquable, que l'Ave rfion (^iitJean&iPierre avoieiit l'un pour l'autre, jufqu'à raffedlation. P/>r- re avoit fait depuis peu quelques tours de fripon, qui leforçoient à fe cacher^ & à ne marcher que de nuit, pour évi- ter les griffes dts Sergens. Ils s'é- toient logez exprès aux deux extremi- tez oppoiees de la Ville; &, quand ils fortoient, ils prenoient les detours du monde les plus bifarres pour s'éviter : mais 5 malgré tous ces foins , c'étoit leur deftinee perpétuelle de fe rencontrer. La raifon en eft ailée à découvrir : les fardai fies &V extravagance de l'un & de

l'au»

2S4 L E C O N T E

l'autre étoient fondées iiir la même baze; & on peut les confiderer, comme deux compas de la même grandeur & égale- ment ouverts. Si vous les fixez l'un & l'autre dans le même centre & fi vous les tournez enfuite des deux cotez op- pofez, il eil certain , qu'ils doivent de necefîité fe rencontrer quelque part dans la circonférence. D'ailleurs , le malheur de Jean vouloit qu'il relTemblât à Fier^ re comme deux goûtes d'eau , du côté de l'humeur , . du tour d'elprit , de la taille , & de la mine'^ Enfin , cette rei^ fembîance étoit il parfaite , qu'il étoit fort ordinaire à quelque Sergent de fài- fiY Jean au collet , en lui difant , Maître Pierre , je 'vous arrête de la part du Roi . D'autres fois, quelqu'un des plus intimes

de

* II eft certain quelesPapiftes, & les Persby- tericns , fe conirrecarrent avec plus d'?.fFedation , que ks mêmes rapiftes,^ les autres Sectes d'entre les Proteftans. Cependant, leur pieté eft plus fem- blable quelquefois , qu'ils ne penient : ils font fort étroilement unis par une certaine Devction Mo- nachale, parle Ouietifme, parles Aufteritez, & par ces marques extérieures de pieté , qui font le •vrai Phariféifme, N'oublions pas l'Intolérance, qui eft aufll incompatible avec une Vertu raifonnée qu'inféparable de la Bigotterie.

DU TONNEAU. 28^

de Pierre venoit embralTer Jean bras deiïïis bras dcPious , en le conjurant de lui envoier un de [es meilleurs remèdes (ontre les 'vers. C'étoit-là afieurement une trille recompence de toutes les pei- nes , quil avoit prifes depuis fi long- tems 5 pour n'avoir rien de commun avec ce Frère, pour lequel il avoit con- çu une haine Ci opiniâtre : il ne pouvoit qu'être cruellement mortifié de voir que le fuccès étoit 11 opofë à fon intention; & les pauvres refces de fon Habit en portèrent la folle enchère. Jamais le Soleil necommençoitfa Courfe journa- lière , ians trouver à ces pauvres Guenilles une nouvelle pièce à redire. Maître /^.î;;porta à la fin fon Zélé il loin, quil païa un tailleur pour étrelïïr le col de fon îlabit, jufqu à un tel point, qu'il étoit capable de l'étouffer ; & qu'il lui fit tellement fortir les yeux de la tète, qu'on n'en pouvoit voir que le l;lanc§. Tout ce qui relloit encore du fond de l'Habit étoit froté régulièrement tous

les

§ Les Dcvots ont bien fouvent un air aifez femblable à celui d'un homme conftipé ; & ils mettent une Dévotion toute particulière dans une certaine tournure afreufc^ qu'ils favent donner a leurs yeux.*

285 L E C O N T E

les jours pendant deux heures , contre une muraille rabotteule , afin d'en ôter les reftes du galon , & de la broderie: ôc Maitre Jean s'y prit d'une telle vio- lence , qu'il eut bientôt Fair d'un Phi- lofophe Indien. Mais , malgré tous fes foins , le fuccès continua à tromper fbn attente. Les Guenilles ont une certai- ne reflemblance comique avec les Ajuf- temens , à caufe de quelque chofe àt flot- tant 5 & de voltigeant , qu'il y a dans les uns & dans les autres , & qui n'ell diflingué qu'avec peine de loin , dans l'obfcurité , ou par une vue courte. Cefl ainfi que les lambeaux de Jean offroient à la premiere vue un petit air ridicule- ment dégagé 5 qui , fécondé par la taille , & par la mine , traverfoit tous fes def- feins , & contribuoit à le faire prendre pour Pierre , par les Partifans mêmes de l'un & de l'autre.

défunt nonnuUa

Un vieux Proverbe Sclavonien dit

par-

DU TONNEAU. 287

parfaitement bien , qu'il en eft des hom- mes, comme des ânes, qu'on ne retient jamais mieux, qu'en les faififlant parles oreilles. L'expérience fait voir pourtant, que cette règle à fes exceptions :

Effugiet îamen hac feeler us 'vincla Protheus.

Ce qui prouve , qu'en lifant les Maxi- mes des Anciens il faut donner quelque chofe aux tems & aux lieux ^ car, nousrecouronsauxplus anciennes Chro- niques , nous y apprendrons, que rien n'a été fujètàdes revolutions auiïi grandes, &aufli fréquentes , que les oreilles hu- maines.

Il yavoit autrefois une invention cu- rieufe, pour faifir & pour retenir quel- qu'un par les oreilles ; mais, j e croi qu'on peut la mettre au nombre des arts per- dus.Il n'eft pas poiTible même que la cho- fe foit autrement^ puifque, dans ces der- niers fiécles, toute l'elpéce s'eft dimi- nuée jufqu'à un degré déplorable, & que ce qui en refte eft fi fort dégénéré , qu'il femble fe moquer de ceux , qui veu- lent en prendre pofFeflion. Si l'on a jugé^qu'une fente dans l'oreille d'un feul

Cerf

288 L E C O N T E

Cerf etoit capable d'étendre cette imper- feélion fur tout une forêt , comment pourrions-nous nous étonner de l'aba- tardilTemient des oreilles humaines ; con- fequence naturelle delà mutilation, les oreilles de nos Peres , &les nôtres, ont été expofées depuis quelque tems ? Il eft vrai que , depuis que notre Ile a été illuminée par la Grace , il y a eu un tems, l'on a fait de grands efforts pour porter cette partie du Corps hu- main à fa grandeur primitive. Son éten- due & fa proportion étoit alors regar- dée, non feulement comme un ornement de ïh'ormie extérieur , mais en cor com- me un type de la Grace intérieure. De plus, les Naturalilles nous afîeurent , que quand il y a une grandeur exceffive , dans quelque partie faperieure du corps humain, comme dans le nez & dans les oreilles , il faut de nécellité que certaines parties inférieures y répondent. Pour cette raifon , c' étoit la coutimie dans cet âge véritablement pieux , que dans les AfTemblées chaque homme,à propor- tion qu'il avoit été favorifé de ce côté- par la Nature, étoit fort porté à faire parade de fes oreilles , & de leurs dépen- dances. Ils étoientfi libéraux à les don- ner

DU TONNEAU. 287

ner en ipeélacle , à caufe d'un Apho- rifme à'Hypocrate ^5 qui nous enfeigne , que r homme devient Eu:-mque , dès quon lui a coupé la 'veine qui eft derrière roj^eil- le. Les femelles de cet heureux fiécle n'étoient pas moins portées à les con- templer , & à s'édifier par cette con- templation. Celles, qui avoient déjà ufé des maiens "}", J^s regardoient avec une forte attention, dans leiperance, que cette vue feroit fur leuj- cerveau une imprellion avantageuie , pour le fruit fu- tur de leurs faintes amoUij. pour ce!-- -les , qui ne faifoient encû"e qu'afpirer au bénéfice du mariage, elies trouvoient- .'là dequoi choifir ; bienrefoiuës de don-- jier /leur inclination aux oreilles les inieux fournies , pour empêcher leur rar ce de dégénérer de ce côté-là. A l'é- gard des Sœurs diftinguées par leuîf: Dé- votion , elles confideroient l'étendue -extraordinaire de ce membre, comme des excrefconces fp'mîudks \ & elles ho- noroient les têtes, qui en étoient char- gées, comme des têtes [anclifiées, C'é- ; .' 'y. toit

" '. * i^r; de aère , Jocis , ô® /?y;r/V.-

t C-eftuneExprefTion devote, pour dire fain*- xçment," avoir Commerce avec un Homme.-

...ïï'Qme L N

288 L E C O N T E

toit particulièrement au Prédicateur, qu'elles accordoient cette veneration re^ ligieufe\ parce que fes oreilles étoient d'ordinaire de la premiere Grandeur, & que dans fes Ac cens de Rhétorique il ëtoit fort exa6l à les étaler à la vue du Peuple , de la manière la plus avanta- geufe, les expofant tantôt d'un côté, & tantôt de l'autre. De-là vient que la Prédication xvàm^ elt exprimée par cer- tains Dévots, jufqUwS dans nos jours, par le terme à' Expo/itio-u

Tels furent le foins des Saints de ce iîécle-là , pour augmenter le volume des ■oreilles 5 & il efl probable que lefuccès y auroit répondu , fi dans la fuite du tems il nes'étoitpaslevé un Roi craeU Perfecuteur de toutes les oreilles qui alloient au de-là d'une certaine mefure. Là-deiTus quelques-uns cachèrent une partie de leurs oreilles trop pouffantes fous un bandeau noir , d'autres furent em- prifonnées fous une peruque , d'autres furent , ou fendues , ou rognées , tni coupées jufqu à la racine.

J*en parlerai plus au long dans mon Hilloire générale dts Oreilles , que je rendrai publique au premier jour.

De cette courte Relation delà Déca- dence

DU TONNEAU. iSp

dence des Oreilles, dans les fiécles paf- fez; & du peu de mouvement, qu'on fe donne dans celui-ci, pour les réta- blir dans leur ancienne Grandeur; il fait évidement , qu'on efpéreroit eu vain d'arrêter les hommes par un mem- bre û petit, fi foible, fi glifrant;& que, pour réiiffir à fe rendre leur Maître, il taut inventer quelque autre moïen.Or, celui , qui voudra examiner la nature humaine avec attention , y trouvera des anfes de refle. Chacun des fix Sens f en fournit une. Il y en a un grand nom- bre , qui rendent les parlons maniables ; & il y en a quelques-unes attachées k l'entendement.

Parmi les dernières eft la curiofité, qui fe laifTe mieux empoigner que toute au- tre. C'eil'là, dis-je, cet éperofi ferré contre le flanc, cette hide dans la bou- che, cet anneau dans la narine du pu- blic parefTeux, impatient, & grognard^ c'eft par cette anje^ qu'un Ecrivain in- telligent doit faillr fes Le6leurs. Dès qu'il en eft une fois le Maître, toute leur réfiftance eft vaine ; ils font {çis prifon- niers , jufqu'à ce que , parlaffitude, ou

par

I Scaligtr en établit un fixiéme, N 2

2^0 L E G ON TE

par flupidité, il veut bien les reîaî cher.

C'efl par ce moïenque moi, Auteur de ce Traité miraculeux , je me fuis' ren- du jufqu'ici îe Maître abfoludu Leéteur bénévole j & c'ell à mon grand regret, que je me vois forcé de lâcher prife, en lui laiiTant la liberté , par rapport à ce qui me relie à dire , de fe replonger dans fon indolence naturelle. Ce que je puis vous dire , Ami Le6leur , pour votre Confolation & pour la mienne , c'efl que nous fommes tous deux également intérefTez dans la malheureufe perte du.refle de ces Mémou'es pleins de tours: defprit , d'accidens , & d'évenemens agréables, nouveaux, furprenans, & par conféquent tout-à-fait proportion- nez au gput déhcat du fiécîe.

Avec tous les efforts, dont ma mé- moire eft capable, je n'en ai pu retenir t^n un petit nombre de Chefs, Il y a^oit , entre autres , une Relation exafte delà manière , dont Pierre ^obtint un Sauf^ conduit du Banc Royal , & d'une Re- conciliation faite entre lui & Jea^i , à j'occalion d'un deflein qu'ils avoient de trépanerM7rr/»j pendant une nuit plu-

vieiife^

DU TONNEAU, i^^

.vieufe , dans la maifon d'un Sergent , & deledépouillerjulqu àla peau*. Com- ment A/^/7/> à grand peine leur montra une belle paire^e talons. Comment un .nouvel Arrêt fortit contre Pierre^ fur quoi Jean le laiffa dans la nalTe , lui dé- roba fon Sauf-condtàt ^ &s'en fervit lui. iPiéme t. Comment les guenilles de Jean -vinrent à la mode à la Cour, 6c dans Ja Ville- & comment ihnonta unfupcrbe Coity-fter ^ & mangea du pain ^épke.

Les particularitez, contenues fous tous ces Chefs , me font abfolument forties de la mémoire j &, par confequent , elles font perdues fans reffource. Force m'ell idonc de laiHer mes Lecteurs fe faire l'un à l'autre des complimens de condoléan- ce , autant que F humeur de chacun y poura fournir. Je les conjure pourtant., par ce commerce d'amitié, qu'il y a eu ■parmi nous , depuis le titre , jufqu à cette

page-

* Ce PaÏÏage faitallufîon au Règne de Jauuei 77. , qui abolit les L&/'Xj&f;Aî/fj faites contre ceux lie l'Egliie de Rome, û: coatr^ les ÎSonconfor- miftes.

t Guillaume III remit en vigueur les Loix ^contre le Papifine; mais, il trouva a propos de tolérer les Presb'jUYityns,

ir- L E C O N T E

page-ci incluflvernent , de ne ie pas al- térer la fante, pour un malheur qiii ell fans remède.

Pour moi, je vais m'acquitter d'un devoir de civilité, qu'un Auteur mo- derne, poli & inftruit dans les belles manières, ne fauroit négliger, fans fe rendre coupable d'une irrégularité crian- te. Je veux dire, que je vais prendre congé du public , avec toutes les for- malitez requifes.

La Conclufion.

POrter fon fruit au de-là du terme efl une caufe réelle de faufles cou- ches, aufli-bien que de ne le pas por- ter aflez long-tems , quoi qu'elle foit moins fréquente. Cette vérité a fur-tout lieu parraport auxprodu6lions de l'ef- prit, qui, pour être accomplies, doi- vent paroitre comm:e à point nommé. Béni foit donc ce noble Jefuite f , qui le premier des Auteurs s'elt hazardé à déclarer pubiiquenient , que les Livres ont leurs propres Saifons , comme les

mets,

t Le Père d'Orléans,

DU TONNEAU, ipj

mets , les habits , & les plaifirs. Plus bénie foit encore notre brave Nation , qui a rafiné fi fort fur cette Mode Fran- çoife. Il ne fera pas néceflaire que je vive fort long-tems pour voir le tems , qu'un Livre , qui ne paroitra pas dans fa Saifon, reffemblera à un nigaud d'A- mant, qui manque Xheure du berger \ & qu'on n'en fera non plus de cas, que de la Lune pendant le jour , & des Maqueraux qui viennent dix ou douze jours après que la faifon en ell paffée.

Perfonne n'a jamais été à cet égard un Obfervateur des tems plus éxa6l , ni un plus fin Connciiîéur de notre Cli- mat, que le Libraire , qui m'a acheté cette Copie. Il fait fur le bout du doigt quels fujets .pouiTent le mieux , dans une année fêclie; ^ quels autres il faut femer dans \ç. Pu^jc, quand le Ther- momètre efl )i grande pluie. Après avoir vu ce Livre, & confulté fon Almanac fur fa dellinée , il me fit entendre , qu'aïant meurement réfléchi fur les principales qualitez de mon Ouvrage , javoir , lefujet , k3 le 'vclume , il trouvoit qu'il ne reuïîîroit janaais ^ finon après de longues vacances , .&rdans une mau- vailê année pour \qs na^vcîs, Là-defTus , N 4 preffé

2P4 LE CONTE

preffé par mes néceiïltez urgentes , je le priai de me dire , quelle forte de Pièce pourroit être propre pour le mois courant. Après avoir tourné ihs yeux du côté de l'Oued , Je crois , dit-il, ^ue nous aurons quelque orage \ ^ ft 'vous pouviez faire au plus l'ite quelque fc* tiîe Drollerie , mais foint en 'vers-^ lu

bien quelque petit 7'raité jur ; ceU

courrcit comme le feu Grégeois : mais , // le tems s' éclair cit-^ fai un y^uteur à mes ga^ ges , , qui me fera, quelque chofe contre le Dotleur Bentley , ij je fuis fur d'y faire mes petites affaires.

A la fin pourtant, il fît fon marché avec moi; &, pour corriger les mauvai- fes influences du Ciel, nous convinmes d'un expedient. Si un de fes Chalands vient lui demander un Exemplaire de mon Livre , & qu'il fo^haite de favoir de lui confideram.ent le nom de l'Auteur , il lui nommera à l'oreille le Bel-Eiprit , qui fera en vogue cette fcmainc-là : & li la dernière Comédie du Sieur Durfey a cours alors, j'aime autant porter pour ce tems ce nom-là, que celui de Congreve. Je ne fais mention de ces bagatelles , que pour donner 11 laPofcerité une idée du gout de nos Lëfteurs. On pourroit les

com-

DU TONNEAU. 19$

comparer, cemefemble, à une mou- che, qui, chaflee d'un pot de confitu- res , fe jette avec avidité fur un ex- crément, pour y achever fon diner, avec le même appétit qu'elle Ta com- mencé.

Avant que de finir . j'ai encor un mot à dire fur les Auteurs profonds , dans la clafle defquels le pubHc judicieux me placera, félon toutes les aparences. 11 en efl à mon avis , de ces Ecrivains com.- nie d'un puits. Un homme, qui a les yeux bons , verra le fond du puits qui a le plus de profondeur , pourvu qu'il y ait de l'eau; mais , s'il n y arien que de la boue, quand le fond n'en feroic' qu'à une toife & demie en terre , il pa- roitra extrêmement profond , parce qu'il cil extraordinairement obfcur. J'ai pris depuis peu la réfolution de faire une experience , qui a fort bien réiifTi à plufieurs Auteurs modernes ; c'efl d'écrire fiir rien , & de laiifer tou- jours aller la plume fon grand chemin, quoique le fujet foit abfolument épuifé. C'eft comme l'ombre de l'efprit , qui fe plait encore à fe promener fur le tom- beau, où le cadavre efl enterré. Pour dire la vérité, il n'y a point de talent N f plus

29^ LE CONTE

plus rare, que celui de favoir bien diftin- guer quand il faut finir quelque chofe. Lorfqu'un Auteur aproche des frontiè- res de fonLî vrejl croit qu'en chemin fai- fant, lui &fesLe6teurs font devenus de vieilles connoifTances, & qu'ils doivent être au defelpoir defeféparer; de forte que certains Ouvrages reilemblent à des vifites de cérémonie, ouïes complimens, qu'on fait en fe féparant, font quelquefois plus longs que toute la converfation qui les a précédez. On peut comparer la Conclufion d'un Traité à celle de la Vie humaine , qui peut être comparée à fon tour à la fin d'un Repas, que peu de 'convives quittent dès qu'ils ont afilez mangé, CQr/vivafatiir, Ne voit-on pas mille fois 5 après leFeftin le plus abon- dant , les gens relier afiis , quand ce ne feroit que pour rêver , ou pour dormir le refle du jour. A cet égard-là , je fuis fort different des autres Auteurs , capa- bles de trouver à redire à un pareil aifou- pifi^ement dans leurs Lecteurs. Pour moi, je ferai charmé , fi, par mes tra- vaux infatigables , je puis avoir contri- bué quelque chofe au Repos du Genre- humam, dans un age fi tumultueux. Je ne croi pas même un pareil effet fi éloi- gnas

DU TONNEAU. 297

gné, qu'on diroit bien , des vues que doit avoir un Bel-Efprit : puifque jadis un Peuple fort poli dans la Grèce * a- voit drefle les mêmes Temples aux Mu- fes 5 & au Sommeil ; perfuadé qu il y ïivoit entre ces Divinitez des liaiibns d'amitié fort étroites.

Je ne faurois me réfoudre à quitter îa plume, fans demander encore une gra- ce au Lecteur : c'ell: de ne s'attendre pas à être également inftruit , & di- verti^ à chaque ligne , ■& à chaque pa- ge de ce Traité. 11 eft naturel qu'il donne quelque chofe à la ratte de l'Auteur, & à quelques courts inter- valles de péfanteur , & de ftupidité. Ce font de petits accidens , il pour- roit être fujet lui-même en pareil cas. Qu'il me dile , fi , fe promenant dans des rues fales, pendant un tems plu- vieux, il trouveroit fort poli, à des gens qui le regarderoient àleuraifepar la fenêtre, de critiquer fa demarche , & de tourner en ridicule fes habits mouillez?

Qu'il foit averti d'ailleurs , qu'en

dif.

* C'étolent les Habitans de Trezene,

N 6

2p8 1. E C O N T E

difpofant mon cerveau h la compofl- tion de cet Ouvrage, j'ai fait \"Inven- iion MaîtreiTe de tout, & que je lui ai donné la Raïfon , ^ la Alethode , pour Demoifelles fuivantes. J'ai pris cet ar- rangement, parce que j'ai toujours ob- iervé en moi-même, comme une qua- lité particulière, une démangeaifon per- pétuelle d'avoir de l'efprit , dans des -occafions il s'agilToit d'être raifon- nable , fenfé , -& méthodique. J'ai toujours été trop dévoué aux coutumes modernes , pour négliger la moindre aparence d'un bon-mot , qui fe levât dans mon efprit , quelques peines que je dufTe emploïer, pour le forcer à en- trer dans la converfation. 11 efl vrai .que le fuccès n'a pas toujours répondu à mon attente; car, aïant fait avec des peines immenfes une ColleUlon de fept cens trente huit Fleurs d'Eloquence^ ou Saillies fpiriîuelles , je n'ai pu en em- ploïer , pendant cinq ans de tems , qu'u- Jie leule douzaine , malgré tous mes efforts , pour faifir les vuides de la con- -verfation, aiin deles y fourrer comme des chevilles. Pour la moitié encore _, ce fut autant d'eiprit femé dans la Rivie- re,

DU TONNEAU. 25?^

re 'y les Compagnies, que j'en vouloir honorer, étant incapables de m'en fa- voir gré. Pour les' autres, il en coiita tant de tortures à mon pauvre eipriu pour leur ménager une heureufe en- trée, que je fus enfin forcé de renon- cer au metier pénible d'un difeur de bons-mots. C'efl à ce mauvais fuccès pourtant, que je fuis redevable delà prémierre idée, qui m'eftv^enuë dem'é- riger en Auteur; & il a produit le mê- me eiîet lur pluiieurs de mes Amis , qui ne s'en repentent pas , non plus que moi. Combien defoisn'arrive-t-il pas, qu'un tour d'efprit déplacé' a fait pitié dans un entretien , & qu'enfuite recti- fié par l'imprefiion il a fait merveilles dans un Livre ?

A préfent que, par la liberté de la PreiTe, je iliis devenu Maitre abfolu des occafions propres à faire briller ;;fé'i- Lumières acquifes^ je commence déjà à m'apperçevoir , que mon Capital dimi- nue, & que ma dépenfe va beaucoup plus loin , que ma recette. Je ferai bien , par confequent , d'etre un peu pi us éco= nome , & de faire de nouvelles épar- gnes 5, jufqu'à ce que mes moiens , fe

trou-.-

300 LE CONTE DU TONNEAU

trouvant dans une heureufe harmo- nie avec les befoins du Public , m'o- bligent de nouveau à me mettre en frais.

Fin du Tome premier.

TA-

i:±%t^ '% S ^' ^- ^ -^^ 'S -^^ -^ 't- '^ ît- 4t' '% r% i:é

«te ^' -^^ f - ^' ^^ ^' -^^^ -^ ^-^^ ^^ ^^ ^^^ ^ -^ ^ 8^

TABLE

DES

MATIERES.

^;^^^^.^j^gEdicac€ prétendue du Libraire à ^3 TA ^^ Myjlord Summers. De queUe f^ U ^1 manière il i découvert , que c'eft

à ce Seigneur que l'Auteur a trou- vé bon que l'Ouvrage fût dédié.

pag. 7. 8. & p.

Le Ridicule des Faifeurs de Dédicaces , qui donnent à leurs patrons des Eloges, quinccon- rienncnt pao à leur Caraâ:«re. 10, 11,

AvertiiTement du Libraire. Il rend compte au Public du tcms qu'il a gardé ces Ouvrages chez lui; de l'année , , felon lui , ils ont été compofcz ; & des raifons , qui le déterminent à les donner au Public.

EpiTHE Dedicatoire à S. A, R. le Prince Postérité'.

L'Auteur , craignant que le Te?72S , Gouverneur de ce Prince , ne détruife bientôt toutes les pro- duftions du Siècle, fe plaint de la Malignité de ce Pedagogue, qui fait pafier les Ouvrages les plus eftimez comme des éclairs. 17. Jufques 22.

Il s'efforce à perfundcr a S. Alteffe , qu'en dépit de fbn Gouverneur , il y a aiTâUreraent 4ans le fiéclc prêtent de l'Eijprit, du Savoir, &

des

TABLE

des Auteurs; & il protefle, qu'il en a vu pla- iîeurs de fts propres yeux. zf. Si, {[liv^ni.

Preface. Occailon & D;2irein de cet Ou- trage. 29. 30. 31.

Projet pour dernier de l'Employ aux Beaux- Efprits Petits-Maîtres 5 afin de les détourner d'at- taquer la Religion & le Gouvernement. 32

Préfaces Modernes. 33

DelicatefTe des Traits d'Efprit modernes, qai ne foufrent pas le tranfport. 34.

Méthode pour pénétrer fans peine" dans les Penfécs les plus mifterieufes d'un Auteur. 36

Juftes Plaintes de la multitude des Auteurs, faite par la multitude même des Auteurs. Echan- tillons de CQS Plaintes. 37. 38

Ce Sujet eft éclairci par le Gonte d'un hom- me à grofTe bedaine prefque étouffé dans une foule. 39

L'Auteur prétend fe prévîdoir des" Prérogati- ves accordées à tous les Ecrivains Modernes": favoir , de dire quelque chofe de beau & de fiiblime , quand on ne le comprend pas , & de louer foi-même fans façon. 40. 41

La raifon pourquoi aucun Trait, Satyriquç n'entre dans tout cet Ouvrage , contre la lou^ blc coutume de^ Livres modernes. 42. 43

Raifon veritable & nouvelle pourquoi H'Sa- i^'re eft plus goûtée que le Famgyri^ue, 44. 45^.

La Difference qu'il y a entre la République ^'Athènes, & la Grande-Bretagne, par rapport à la Satyre générale qui regarde tout un Peuple, & la Sat)r^ qui a pour objet quelque Particu- lier. 47.48.49.-

Deffein de l'Auteur de donner au Public ifn Tanegyrique du C€ftre-Hnmam & une Defenfe

mo*

DES M A T I E H E S.

modefte du procédé de la Populace d.ins tous les âges. fO

I. SECT. Introduction^ au Conte du T o N N E A u. DilTertation Fhyfîco - Mythologi- que, fur les JLîcbnies 0>\ttoires. Il y en a trois fortes 5 la Chaire , r Echelle , & les Théâtres des Charlatan:. 5" 3* 5!+

Du Barreau j & du Trihunal. 5-^

Tendrcilc de l'Auteur pour le nombre trois y dont il promet le Panégyrique. ^6. 5-7

Des Chaires, la matière 5c la forme les plus convenables. 5-7. çS

De V Echelle, Machine Oratoire, fur laquelle les Orateurs Anglois effacent ceux de toutes les autres Nations dans le même genre. ibid.

Du Théâtre ambulant ^ Séminaire des deux au- tres Machines Oratoires. ^9

Raifon Phyfique pourquoi toutes ces Machi- nes ont ime certr.rne élévation. 6a

Ménagement délicat & judicieux de l'Archi- tcdlure dont on fe fert dans les Theatres Dra- matiques. 61. 6i. 63

Les Machines Oratoires rcpreientent emble- matiquement les dirfcrens tours d'efprit de ceux qui y montent , & même de toutes fortes d'Au- teurs & d'Ouvrages. 64. 6<^

Apologie des Auteurs de Cruhjlreet contre les Societez révoltées de Gresbam & du Cafté ds Cuillaume, 66. 6j . 63

Les Lecteurs fuperiîciels ne fauroient déterrer la SagefTe, qui reffemble a un Renard, à un Fromage , & a beaucoup d'autres chofes > qu'oM lie foiige gueres à y comparer. 6^

L'Auteur promet des Commentaires ponr é- claircir plufîeurs Ouvrages mifterieux de TAca- demie de Grubftreet , comme Docteur Faujltts , J:etit Paiijfet^ &C» 70. 71. -2. 75

ToT2:e I, G La

TABLE

La perfonne & la plume de l'Auteur ufécs au fcrvice du public. 74. 7f

Utilité de pluiîeurs Titres & de plufieurs Dé- dicaces devant le même Ouvrage. 7^« ''T

II. SEC T. Commencement du Conte du Tonneau. Difcours d'un Père mourant à ies trois Fils , il leur donne des Habits , & un Teltament. ^ 78. 79

De la conduite de ces trois Cavaliers dans leur premiere jeunelTe , & des belles qualité^ qu'ils acquirent en fréquentant les petits maî- tres & les coquetes de la Ville. 80 81. 8 a

Defcription d une Scde , qui recornioilToit un Tailleur pour le Créateur & leur Divinité tutelaire ; du culte de ces 5eâ:aires & de leur Syiicme de Religion. ^ 83. & fuivant.

Comme les trois Frères lùivent les modes , & mettent des Nœuds d'épaules , contre le Tefta- n^nt de leur Père 5 qu'ils fe rendent favorables par la fubtilité de quelques diftindions Scolafti- ^es. 8p. po. 51

Us couvrent leurs habits de Galons d'or, en fe fondant contre ledit Ttûament fur la Trad/"

Ils y mettent des doublures de Satin couleur de feu 5 s'autorifint d'un Codicille, qui n'eft pus de la façon de leur Père. pf. p^. 97

11« les chargent de franges d'argent , en fc prévalant de la finefTe d'une interpretation Cri-' titjue dudit Teilament. ^ , . ^^* ^^

ils y ajoutent une broderie Chinoife , en léJudant le lens naturel à literal du Teftament.

Us le renferment dans un Coffre-fort. lor

Le plus habile des Frères, nommé Pierre,

.s'introduit adroitement dans la maifon d'un

grand Seigneur pour élever fes L.nfiuis j âpre»

DES MATIERES,

h mort de ce Seigneur il chaile les Fils & doi:=i ne leurs appartcmens à fes Frères. loi

III. SECT. Digrejfion tombant Mejpeurs les Critiques, 10}

Trws efpeces de Critiques > dont les deux premieres font éteintes. 104. lOf

Généalogie du vrai Critique. 10^

Son occupation , fcs devoirs 3 & fa definition.

107. loS

Son antiquité. Les Auteurs les plus ancien* en ont parlé d'une manière Emblématique, iio.

III*

Paufanias en parle fous le type d'un Ane qui broute les vignes. 1 1 &

Hérodote fous celui des x^nes qui ont des cor- nes , & d'un autre Ane dont le braire mit cr déroute toute une Armée de Scythes, 1 1 j

Diodort fe fcrt de l'Emblème d'une herbe em- poifonnée. 114.

Et Ctefîas de celui d'un Serpent qui vomit à.% '^oiron & qui n'a point de dents. 11^

Garçoni-Criîiqmi indiquez par Terence fous le nom de M.%k-voli, 116. 117

Le veritable Critique comparé à un Tailleur , & a un Mendiant. 118. 119

Trois marques Charaderifliques du vrai Cri- tique Moderne. 120. 121

IV. SECT. Continuation du Conte d-4 Tonneau. izj

Pierre fait le gros dos, fe donne des titres, & pour pouvoir foutenir 'Çt^s grands airs, il s'ë. rige en Inventeur de Projets. 124.

L'Auteur fe flatte d'être bientôt traduit dans toutes langues étrangères. I2f

Pierre acheté pour une fomme modique la

Terre Jujîrale ^ il la vend en détail à plufieurs

O 2 gens

TABLE

gens fans les en mettre en pofTeflion. Il débite un remède contre les Vers. 126

11 établit un Bureau en faveur des Hypocon- driaques & des gens tourmentez des vents. 127

Un bureau d'afTurance contre la brûlure. 128

Il invente la faumure univcrfeile. 1 29

Il nourrit une race de Taureaux, defcendus de ceux de Colcbos, mais dont les pieds étoient de plomb, au lieu que leurs Ancêtres les avoient d'airain. 130. 131. 132. 133

Il vend des pardons k des criminels , qui ne laiiTcnt pas d'etre pendus. 134. 13^

Il reçoit un coup de hache à la tête , donne dans les plus grandes chimères , & dans les fri- ponneries les plus infâmes. i 36. i 37

Il chaiTe de la maifon fa femme & celles de fss Frères. i 38

Il leur donne du pain pour du mouton & pour du vin. 339. 140. 141. 14a

Il débite les plus horribles menfonges , & prétend avoir vu une Vache , qui donnoir aiTez de lait pour en remplir 3000. Eglifes , un Poteau aiîez grand pour en faire fix Vaifleaux de Guerre , & une Maifon qui faifoit un Voiagc par mer & par terre de plus de 2000. lieues d'Allemagne. 143. 144

Les deux Frères s'emparent par fînefle d'une Copie du TejQ:ament, forcent la cave, boivent un doit de vin pour fe fortifier le cœur , & font chaûez par Pierre à grands coups de pied.

145-. 146. 147

V. SECT. Digrejpon à la Moderne. 148

L'Auteur s'étend fort au large fur les peines qu'il fc donne pour rendre fervice au public en l'inftruifant 5 & fur-iout en le divertiiTant. 149.

H donne aux modernes une rccepte pour

en-

DES MATIERES.

«enfermer dans un petit volume de poche , !e "Syfteme de tous les Arts , & de toutes les Sciences. 15-1. jfs

Defectuofitez à' Homère, & fa craiïe ingnoran- cc par raport aux inventions des modernes*

L'Auteur n'écrit que pour fuppléer à ce qui manque aux Oeuvres de cet ancien. 15-6. 15-7

Il excufè les louanges qu'il fe donne par l'e- xemple des plus fameux Modernes, iy8. 15-9.

160

VI. SECT. Continuation du Conte du Tonneau. 161

Les deux Frères cliafTez prennent unanime-, ment la refolution de réformer leurs habits & leur conduite. Us prennent l'un le nom de liartin , l'autre celui de Jian , & bien-tôt ils font voir qu'ils ont des Inclinations fort diffé- rentes. 164.. i^j-

Martin , ayant commencé la réforme de fou habit d'une manière trop rude & trop impe- tueufe , fe refoud de s'y prendre avec plus de précaution. 166. 167. 168

Jean 5 emporté par Ton zèle, tire, arrache, & met tout fon habit en Lambeaux. i6p. 170

Il emploie toute fon éloquence pour porter Martin a ia même fougue 3 mais n'y aïant pas ré'ufli, il fe fepare de lui. 171. 172, 173. 174..

Jean devient fou a lier, il s'attire un grand nombre de fobriquets, 6c invente la SeCte des JEolifies, 1 7 r. 176. 177

VII. SECT. Digrejponàla louangjedes Digre£ïoî2s, Rien n'eft plus fort dans 'c gout moderne que les DigrelTions. Le gout moderne en matière «d'efprit comparé au gout moderne en matières dQ ragouts & de fricaitces. 178. 179

Tome U O j £)i-

TABLE

Digrefïïons abfolument nece/Taires dans le genre d'écrire des Modernes. i8a

Deux méthodes d'acquérir rerudition , qui ont à préfent la vogue , la Leé^ure des Titres , & celle des Index. Les avantages confiderable» de la dernière de tes méthodes. i8i

L'utilité des Syfiemes & des Abrégez.'^ le nom- bre des Auteurs furpa/Tent de beaucoup celui des fujets propres à être traitez dans un Livre , rend abrdument neceflaires les Abrégez & le» Recueils. 182. 183

Réponfe a une objection théc de Vinfnite de la matière. L'obfcenitc eft la feule fource de bel efprit , fur laquelle l'invention des moder- nés fe fignale ; elle ne lailTe pourtant pas de s'épuifer & de fe perdre peu à peu, 184. i8f

Moîens faciles de fe rendre capable d'écrire fur toute forte des fujets. 186. 187

Si le Ledeur ne trouve pas cette Digrefi'ion bien placée, il eft Maître de la reléguer dans quelque autre coin du Livre. 188

V 1 1 L SECT, Continuation du Contée T o N N E A u. Syftème des JEoHJies, Ils foutien- nent que le Vent ou le foufle eft l'origine de toutes chofes, & qu'il domine dans la ^compofl* tien de tous les êtres. 189. 190

Les iEoliftes donnent aux hommes jufqu'à cinq âmes. ipi

Leurs Harangues ott Eructations. 19a

Leur manière de s'enfler pour «'y rendre pro- pres. 193. 194.

Bore'e eft leur plus grande Divinité. Ils reçoi- vent leurs infpirations du meilleur Acabit d'un pais apelé ^yxn-ta.. 19^

Ils fe fervent de tonneaux enfoncez en guife de chaires. J9<S. 197^

Inipirations coi^muniquécs au public par le

canal

BES MATIERES.

csnai des femmes , & pourquoi. 198. 199

Les notions la plus oppofies aux attributs Di- vins font les plus propres à former i'idce d'un Diable, llii'y a peint de Sede -qui puiiTe s'en paffer. 200. 201

Les Diables des iEoliftes font le Caméléon, & un Géant nommé Moulin-a-vent. Les Lapons font étroitement liez a3:ec les -Eolifles Britanni- ques. 202. 20}

Le profond refpedl de l'Auteur pour cette Sede. 204.

IX. SECT. Dijfertaîionfurrortgifze ^ fur V uti- lité de la Folie ; on lui eft redevable des con- querans , & des diefs de Sede , tant par raport à la Religion, qu'a Philofophie. 20f. 2o5

La moindre vapeur qui monte dans le cer- veau eft capable de caufer les entrepriies , les revolutions , & les CataftropKes les plus mer* veilleufes. 207

Cette vérité eft confirmée par l'exemple de i:Umy le xjr.mva qui T'A ies pius ^ranuô pjl^paratifs pour la guerre à caufe de l'abfence de fa Maî- trelTe. 208. 209. 210

Elle eft confirmée encore par l'exemple de Io«/i A"/;^. <i ont les vapeurs, qui avoient été la caufe des plus vaftes deffeins , aboutirent à la £n à une fîftule. 211. 2i2i

Les Syftémes des PhilofopKes ont la même fource. 213. 214.. 215'. i\6

Il faut à l'homme un gout fin, beaucoup de difcernement , & des occafions très-heureufes pour faire pafler Ton extravagance pour force d'efprit. M. IVotton a groffiereraent manqué de ce côté-là. 217. 218

Explication détaillée de la manière dont la "folie produit les Syftémes , & les conquêtes.

21^. 210- 221 O 4. 1^5

TABLE

Les dehors de toutes les parties de la nature vallenfmieux que les dedans. 223. 224. 225*

L'abondance des vapeurs eft l'unique fource de toutes fortes d'extravagances , & les difFe* rentes efpcces ne dependent que de la manière dont le cerveau en eft touché. 236. 227. 228

Projet de nommer des gens habiles pour aller vifîter l'Hôpital des Foux , afin d'apliquer chaque efpece de folie à fon propre objet , & de la ren- dre utile au public. 228. jufques 234

L'Auteur fait par fa propre experience que ce projet eft très^praticable. Extrait de ce qui fuit dans le Munufcript après la Sedlion I X. Conte- nant différentes Avantures des trois Frères arrivées dans la ParoifTe d'Albion fous plufieurs differeni Seigneurs de ladite Paroilîc. 1^6^ jufyues 243

Sommaire d'une DigrefTion fur la nature, l'u- tilité j & la neceftlté des Guerres, & des Que- relles. 244. 24^. 2^6

Suite du Sommaire de VHiftoire des trois Fre-

«^««« :;;. i;*. 24^

Remarque du Tradttâ:cur fur ce Sommaire.

25-0. 25-1. 25'a

X. SECT. Conrplîment de l'Auteur au Public, La grande civilité qui règne entre les Autcièrs, & les Ledeurs , & remercimens du nôtre adref- itz à tout le corps de la Nation. 25-3. 1^^

Perfonne n'eft plus fatisfait de (on fort que les Auteurs & les Libraires. 25'f

Les caufes auxquelles nous fommcs redevables de la plûpa t des Ouvrages modernes. 1^6

Plaintes de l'Auteur contre un certain Bar- bouilleur de papier apellé Auteur des fécondes parties ; il implore contre ce miferable la Pro- ">eâ:ion du D odeur Bentley ^ le grand Redrefleur des torts de la Republique des Lettres. 2^7

L'Auteur en veritable prodigue regale fes -con-

vi-

DES MATIERES.

vîves en dépenfant tout fon hÎQU à un feuî re- pas 2f8

Ufages que peuvent tirer de ce Traité toutes les différentes efpeccs de Lecteurs. Les fuper- ficiels, les ignorans , & les favans. i^g

Projet de faire fept amples Commentaires fur le prefent Ouvrages. 260

L'utilité des Commentaires pour les Auteurs profonds. 261

Quelques idées très-utiles à ceux qui voudront entreprendre de commenter ce Livre merveil- leux. 262. 263

XL SECT. Continuation du Conte du Ton- neau. L'Auteur fe deleûe à faire encore quel- ques tours de promenade avant que de gagner le gite. Difference entre un Voïageur fatigué qui fe prefTe de revenir chez lui , & un Voïa- geur qui ne voïage que pour fon plaifiir. 26^,

26<;. 26S

La fuite des Avantures de ^ea». Son refpedt fuperftitieux pour l'extérieur de la Bible , & les ufages burlefques qu'il en fait. 267. 268. 269.270

Il ne fe fert jamais que de phrazes tirées des Livres facrcz. Avanture plaifante qui lui arrive à cette occafion. i-jt

Son zèle & fa foumiflion pour les décrets ab- folus. 27»

Sa Harangue en faveur de la Prédeftination, , 273.274.275'

Il cache des tours Icelerats fous un extérieur de devotion, & affede une grande fingularité dans fes manières , & dans fes difcours. 276.

277. 278. 279

Son averfîon pour la Muiîque , & pour la Teinture. tb/'d. éy» 280

Il invente un foporifiquc propre à être don- né par les oreilles ; fes Jercmiadcs, & fon af-

fec«

TABLE DES MATIERES.

feftation de vouloir foufFrir pour la bonne cauf^,

281. 282. 283

L'averfion prodigieufe qui règne entre Jean & Tierre les fait fe rencontrer fouvent à force der s'éloigner l'un de l'autre. 284.

Jean reflemble extrêmement à Pierre 5 malgré tous les foins qu'il prend pour ne hii reflembler en rien. 285-. 286

Les oreilles abâtardies de ce iîécle ne four- nifTent pa? une anfe fuffifante à ceux qui veu- lent retenir les hommes par-là. 287

Grandeur & Sainteté emblématique des oreil- les des fiécles palTez. 288. 289. 290

Les paflions & les fens font d'autres anfes par 011 Ion peut arrêter les hommes avec fuccès. C'eft par la curiofitc , que l'Auteur à trouvé à propos d'arrêter le public. 2pi. 2921

Sommaire du refte de cette Hifloire , qui s'eft malheureufement perdu. 3P3

La Conclnf.on. Les Livres ont leurs Saifons , comme les fruits. 29-4.. 2pf. 196

' Defcription des profonds Auteurs , & de l'ombre de l'Efprit. 297. 298

Etroite relation qu'il y a entre les Mufes & le fommeil. 299

Apologie de certains endroits foibles du Li- Tre. ihi(^»

La Méthode & la Raifbn doivent être les Filles fui vantes de l'Inveiiiion, joo

Recueil Az Fleurs de Rhétorique, qui n'eft v-enu à propos à l'Auteur qu'en compofant foii Livre dans lc<ju?l il l'a entièrement épuifé. 30 r.

Tin du Tome premier.