LIBRARY OF THE 'fJT' FOR THE ^, ^ PEOPLE ^ -< FOR _ EDVCATION O Ç^ FOR , ^ O SCIENCE ^ LE PANTHÉON POPULAIRE. TROISIÈME SÉRIE. LE JARDIN DES PLANTES. ';^^^^^^r^\ PARIS. TYPOr.RAPHIE PLO\ ! RKRKS. nut: un VAl'GIRARD. 3G. r^.'?-' L V. JARDIIV DES PLANTES DESCRIPTION ET MOEURS DES MAMMIFÈRES DE I.A MÉNAGERIE ET DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE PAR M. BOÏTARD, 6-9.^.07 PRÉCKDK D't'XE 1 \ T RO IIIICT [0 A HISTOIUOIIK, DESCRIPTIVE ET PITTORESQUE PAR M. J. JANIN. T-^f ^^mp,^ PARIS, GUSTAVE BARBA, LIBRAIRE-ÉDITEUR «UK Dli SKIM; , 31 i^ V '.- ^w»«1»\- ^^ '' '^^ y GtàTAVB E^I'BA Kl-ITM R A\III1EW , SK&T KT LI'^I-i>'- li;is;ii-(ls lie l;i cilill)^^!!!', hiiili's lii'l riididll ili' r.iflMiilll^-i-lllcill cl ili' rr|i(i~ (|iii .-(■ puisse vcil- I 1rs laliliiilcs ri liilis les iis|)Ccls du luoMilc ((UIIIU , IdUlcs Irs (iri)- a^^My.-^. cnnlrcr dans ce vasic, ohsi-ur et luuiullucux univers parisien l.à se ((infdndciil dans un pOlr-méle aduiiralilc la fraîcheur, le calme, Icuuluaj^c, les (leurs naissantes, lolik's les douces joies ihirlions de la terre haliilt'e et des nuM's, les oiseaux du cii'l , les IxMes leroces du de'scrl , le lion er le liengali, li'h'ph.uil cl l'oi- seau-luoiielie , le li.^re royal et la clièvre du ïhiljel. l'rtMez l'aiis. T^pogi-apliic l'I' il fines, riir 'ii' \'aiijjir;iril 30. I LE JARDIN DES PLANTES. l'orcillp ! Que de rlinnls d'oisi-aux amiiiUTUX, que de hiirliMiionl-; épouvantables! Ici les familles des singes, bondissantes, amou- reuses, et toutes remplies des pl\is aimables caprices. Plus loin , dans ce bassin d'eau salée, la famille des tortues, revêtues de riches écailles, qui s'épanouissent au soleil. C'est un bruit à ne pas s'entendre, et c'est en même temps un admirable silence. Levez la tête , le cèdre du Lilian voii.s itrotege de son ouibre gi- gantesque. Baissez les yous , la violcMc îles liuis jelte à vos pieds son hmnlde et chaste parfuui. Puis entin , quand vous êtes fatigué de cette course, à travers la cre'alion, cpiand vos yeuK se sont repus de la couleur des papillons et des roses, quand vous avez passé en reviu^ ces myriades d'insectes au\ ailes d'or, ipiand vous avez touché de vos mains l'or et l'argent , le charbon et le fer, tous les trésors que la terre enferme , allez vous asseoir auprès de la fontaine miiruuirante , sur ce vastes banc de roche calcaire, tout aii-desgous de ces vastes poutres qui ont appartenu à la ba- leine. Mais cependant savez-vous sur quels délu'is solennels vous êtes assis? Vous êtes assis .sur les déitris du inaslodimle, sur quchpu- animal aulèdiluvicii reconnu et n(Hiimc ])ar Cuvier ! Quelle histoire à décrire, l'histoire de ce chariuant et savant petit coin de terre qui n'a pas son égal dans le monde! Autant vaudrait écrire l'histoire de l'univers tout entier. Non pas l'his- toire des hommes armés, des nations (|ui se précipitent l'une sur l'autre, des multitudes (|ui s'en vont çà et là dans I émigration , cherchant le pain et la terre de chaque jour. Insipide histoire celle-là, toujours la même, toujours sanglante, où reparaissent à des époipies déterminées les mêmes passions, les mêmes cri- mes, les mêmes révolutions, les mêmes meurtres, épais nuages à peine sillonnés par (|uel(jues grands hommes. Mais l'Iiistoirc dont je jiarlc, l'histoire de ce jardin miraculeux, posé sur li's rives de la Seine par quehpie main bienfaisante et |ir('v()yante, c'est l'histoire éterncdlenu'nt pittoresque et variée de la fleur qui se cache dans l'herbe , de l'insoete qui bridt sous le gazon , de la r(mce vidoiitée, de la mine enfouie, (h' la montagne et de la Vallée, l'hi-^toire de l'aigle ipii regarde |c s(deil et ihi moucherou enfant de l'air. Tout ce qui respire, tout ce (pii existe, loiit ce qui resplendit dan-* les eaux, sur la terre et dans le (ici, loiil ce qui rampe et tout ce qui vole, tout ce iiu liisidirc, jiagcs liiinoialilo pmn- tous deux, poin- l'Ane et pour M. de liufl'on, car il a rendu justice au plus patient et au plus sobre des travailleurs. En même temps ce beau cha(iitrc, si plein de raison, de justice et de bon sens, doit absoudre à loiii jamais M. de ItuM'ou du ui.iis reproche d'eudine et d'cmpiiasc avec lequel ou lallaiiiie depiii> ~i longlem|i>. .Mai>, Iciu'z, piiixpie nous en sommes arrives a cet lioiume ( élèbre, le véritable fonda- teur du Jardin du Koi, pourcpioi ne pas vous raconter sa vie".' Ce Leclerc, obéissant au secret instinct (pu le poussait, enirepiil un voyage' en .Angleterre : l'.Vnglelen'c (■lait dans ce temps la une espèce de monde à part où nous .illiuiis clierclile, ne savait pas encore ce qii il allait chcrclier eu Angle- terre. Il y trouva ce qu'on y trouvait alors, une giandc nation LE JARDIN DES PLANTES. lu'Uieuse et fière de h\ révolution (iii'elle avait accomplie , qui avait payé celte révolution au juix île son sang et de son or, et qui, uiaintenant, ai)rès tant de révoliilions et de teuiitèles, après ce roi égorgé, celle dynastie re|irise et cliassée de ncuiveau , re- gardait sans effroi les tem|iéles, les batailles et les prospérités de l'avenir. Le spectaile d'un peuple ainsi fait élait un spectacle d'autant plus grand el solennel, (pie la France était encore bien loin de pouMiir rtvirde seinMaMes destinées. Dans celle grande iialion, le-, dt liuts de ce jeune lionuiie, ipii devail être M. li ce grand ouvrage de V llislairr na- turelle où l'ensemble est tout, oii les détails dis|iaraissent em- portés dans le tourbillon de l'univers. En même temps, mais dans des sentiers plus ralmes, d'im pas lent et modeste, arrivait Danlienton, cuiieux el intelligent no- mendatcLn' des niniiulro ilélails de celle histoire (pi'ils f;iis;iienl à eux deux. Celui-là voyait de très-jjrès, M. de Hnll'on voyait de très-haut. H reconnaissait, cliemin faisant, tous les fragmcnis dédaignés par son fougueux compagnon de voyage. Il restait assis des heures enlièrcs à voir, à contempler, à étudier, à admi- rer, à juger les lu'ros de leur livre. Il diss<'qnait minutieusement l'animal dont M. de liulbin lali(iii, à son ('Inde partielle du monde; [icndant ce temps, .M. de Hud'in courait toujours. De 1783 à 1788 fiircnl publiée les cinq miIiiimcs de iniuér.inx; les sept volumes de suiiplément ont suivi justpren 1789; là s'ar- rête M. de lind'on. La mort le prit au moment le plus éclalant de notre histoire, à l'instanl même où la liberté française paraissait concpusc, la mort le prit , afin, sans doute, qu'il ne fût pas té- moin du meurtre de son fils sur l'échafaud et de l'éclatant dés- honneur de sa bru dans la maison du duc d'Orléans, .\joutez à cette œuvre ses Époques de la Nature, cette théorie de la terre dans laquelle il a déployé d'une main si ferme toutes les magni- ficences du style ; cinquante ans de la vie la plus laborieuse, la plus calme et la mieux r('glée, cin(pianlc ans de zèle , de haute jidminislration, d'un dévouement de tous les joiu's, d'une cor- respondance infinie sur tous les points du globe, avaient suffi à peine à compléter cet immense travail. A voir ce que font les liommes de nos Jours au milieu de ces agitations nùsérables, à voir ce (ju'a fait celui-ci au [dus fort des concpu'li's, des émeutes, des révoltes et des victoires de 1780, on se prend à sourire de pitié. Plus d'un, outre Daubenton, a mis la main à ce travail; mais ces gloires passagères ont été dévorées par la gloire du maître. On cite de M. Guénaud de Montbéliard ipielques beaux chapitres d'un grand slyle, et de ces chapitres on ne peut dire (jne ceci: C'est le slyle de BuII'on! Le slyle de l'.ufl'on, pimipeux, élégant, plein de grandeur et de majesté, a ('lé plus d'une fois attaqué par les faiseurs de rhétorique et ])ar les rivaux de sa gloire. Voltaire, que toute sorte de succès inquiétait comme un \ul l'ait à sa gloire, souriait de pitié quand on lui parlait de ï Histoire naturelle. — l'as si naturelle ! disait-il. Mais Voltaire élait plus d'une fois tombé sous la main de M. de llud'on ; il avait voulu se moquer îles bancs de coquillages découverts siu- le som- met des Alpes; il avait jjrétendu que ces coquilles s'étaient dé- tachées du chapeau des pèlerins ipn allaient à liouie. M. de Buf- fon lui avait répondu avec de bien piiiuanles railleries et des raisons sans répliipu's. Mais laissons là tous ces coups d'épin- gle, n'allons [las clieroher les critiques et les nuages ipn se jdacent , de leur vivant, au-devant des grands honunes , recon- naissons tout simplement l'éloquence, la passion, l'entraînement, la majesté de M. de l'.ull'on, |daçons-le au prciuiiu' l'ang des pay- sagisles, disons que jamais la descri|ition n'avait alleini ce haut degré de vérité et de magnificence; faisons connue a fait toute l'Europe du siècle passé , humilions-nous devant ce livre im- mense où la philosophie et l'histoire naturelle se tendent une main si bienveillante el si ferme. Sans nul doute d'autres obser- vateurs sont venus après celui-là ijui onl leilressé bien des er- reurs, réfornu' bien des ])aradoxes, expliiiué bien des cho.ses ol)scures; mais ipie nous importe, pourvu que la voie tracée soit suivie? Et d'ailleurs que d'idées grandes et nouvelles que le temps a (onfirmées, que de découvertes véritables qui sont restées im- niuables connue pour servir de l)ases éleruelles à la science; avec cpiel art merveilleux M, de liufl'on a su classer ses idées, disposer l'enseudde de son livre, nous faire passer en revue tant d'êlres divers! Aussi ce livre a-t-il répandu dans le monde une passion toute nouvelle, la passion i\v l'Iiistoin' naturelle. Cràce à M. de Buffiui, rhisloire nalurelleesl devenue la pr('oc( iqiation des rois, des gi'ands el des iicupbs. Les 6'(''oiy//(/ucs de Virgile n'ont pas eu |)lus d'induence sur le siècle d'.VugusIe ipie VUis- loire naturelle n'en devait avoir sous le règne de Louis XV. Aussi M. de Bud'oii fut-il grand et innssanl cnire tous les écrivains cl Ions les moralistes de ce siècle. 11 a jiroti'gé de son induence ce .lardin des Piaules qui élait loiile sa vie. Le respect, l'aduiiralion, la reconnaissance de l'Kuroiie savanle l'ont cnlomi' jus(pi'à sa ilernière heure; il a joui' jusipi'à la lin de ce siècle le beau rôle que M. Cnvier di'vait jouer dans celui-ci; il a été le prolcdcur dévoué des sciences, l'ami des savants, s'iutércssanl à leurs tia- vaux et à leur fortune . indiipiant aux voyageurs leui' chemin sur le gl(d)e lerreslre qu'il connaissail sj I)icn , a|qdiquant sa raiscu élevée à oublier les révobilions ipii grondaient de lonles jiarls. M. de llud'on .1 ('II' heureux I ou le sa vie; il ni' l'ai ira il jamais rêvée LE JARDIN DES PLANTES. si belle. Il avait deux domaines qu'il aimait d'une égale passion: le Jardin du Uoi et son cliftteau de Montbart, que le roi Louis XV avait érige en comte'. Le travail lui était facile, le style lui arri- vait couime le riiant arrive à l'oiseau; il aimait la gloire, il me- [irisait le lu'uit que la gloire fait autour des hommes; il ne s'oc- cu|)ait ni des agitations de la polilique ni des émeules de la littéralure; la critique lui e'Iait humaine et facile; la considéra- tion et l'estime le suivaient d'un pas c'gal et sûr. Sa personne donnait tout à fait une idée de son talent ; sa figure e'tait belle et grave, son air imposant, son extérieur magni(i(iue; on disait qu'il niellait des manchettes à son style et qu'il pnrlail un iialiit brode' lor.scpiil écrivait. Il oblint de son vivant un honneur (|ui, d'ordinaire, ne s'accorde qu'aux morts illustres; on lui éleva une statue dans l'entrée du Cabinet du Roi avec cette inscription ma- guitiipie ipie la postérité a confirmée: M.UESÏATT nature: PAR INGENIU.\T. n Son génie est égal à la majesté de son sujet. « Durant la vie de M. de Buflon d'autres améliorations s'claicnl introduites dans le .lardin du lîoi ; l'enseigneuunl avait gramli ; les trois Jussicu , M. Leuionnier, M. Desfontaines, s'étaient mon- trés les dignes contimuUeurs de Tournefort et de Linné. L'ana- tomie et la physiologie végétales, la classification des familles, des genres et des espèces , leurs rapports entre elles , leurs usages et les diverses modilications dont elles sont susceptibles, tel fui le sujet de ces leçons qui ont donné tant de grands Ixilanistes ;i l'Europe. La cliiuiie , avec l'oiucroi et Lavoisier, eut biiiilcH en- vahi ces savantes hauteurs. Antoine Petit, l'illustre analomisie Vicq d'Azyr et Portai, ont aussi apporté là toutes les puissances de leur enseignement. Ainsi, de son vivant, M. de RufTon a vu s'acciiinplir son grand rêve; il a donné l'iuqiulsion et la vie ,'i ce Jardin orcuses, cette couh^ur idi'ale loudjée du ciel avec la rosée du prinleuqjs, tout connue Rupnytrcn lui-même étudiait, à la même époipie, les nerfs, les tendons, les artères, les viscèrescpie contient le corps de l'homme. Pour les peindre tout à l'aise, ces (leurs bien-aimi'es qui ont et' la couronne de sa jeunesse , la fortune de son ftge nuu' et l'apo- Ihéose de son tnudieau , Redouli', ((• iieiulre charmant , avait in- venté cl perfectionné ra(piarelle, lomme la seule couleur (pii fût digne de reproduire dans ses nuances les plus fines et les plus délicates le tendre émail des prairies, le frais coloris des jardins. (;et luiunue, ((rii a peint toutes les (leurs (h; la cr('alion , n'( n a pas invent(' une seule. Il faut le dire à sa biuaugc, il a ]U'ouvé qu'un peintre de (leurs pouvait être et devait être un artiste sé- rieux. Ainsi parmi toutes les batailles de la révolution et de 1 em- pire , au plus fort de toute celte gloire des armes et de la iiolili que qui nous apparaît aujourd'luù comme un rè^e, Redouté s'est tenu renfermé toute sa vie, dans le jardin en été, dans la serre en hiver. H s'est maintenu entre une dcud)le haie d'aubé()incs en fleurs, au bruit de l'Europe en armes, au bruit des trônes qui croulaient. Cet honnne heureux n'était occupé qu'à ramasser des bluels dans les champs et des roses à toutes les épines. Il a été un instant le roi de la Mabuaison et le favori de cette douce im- pi'ratrice José|iliine, (pii aimait tant les hortensias et les lauriers. Modeste et bon redouté! le Jardin des Planles gardera son sou- venir comme on garde le souvenir de la première violette que nous a donnée notre jeune maîtresse. A voir sa main difforme et ses gros doigts, qu'on eût pris pour les doigts d'un forgeron, nul ne se serait douté des délicatesses infinies que ces gros doigts pouvaient contenir; comme aussi à entendre sa parole embar- rassée , à le voir chercher les mots les plus vulgaires de la langue , qui aurait cru que c'était là le professeur le plus suivi du Jardin des Plantes? Pourtant la chose étidt ainsi. Au cours de Redouté se pressaient en foule les jdus cliarmantes femmes et les ]ilus ai- mal)lcs jeunes filles de la grande fauiillc parisienne, qui venaient se mettre au courant de tpielciues-uns des mystères (pie renferme la (leur; et ]uiis, ipiand il parlait de cette grande famille dont il était le Van-Dyck et le Riibens, Redouté devenait pres((ue un ora- teur. Il expliquait, à la façon d'un peintre éloquent, les moindres (U'iails de cette di'licate aiiatomie des plantes. Pauvre homme! si aiiualdc et si bon , si iiigcnieiix et si modeste, dont l'école a i)orté laiil de (leurs, il est mort frappé d'apoplexie par la mauvaise et brutale volonté d'un méchant commis du ministre de l'inté- rieur, qui avait refusé de lui commander un tableau. Le matin même il avait fait sa dernière leçon au Jardin des Planles, juiis en passant dans le jardin il avait demandé un beau lis tout chargé de rose'e; rentré chez lui, il avait posé la belle fleur dans un vase de porcelaine et il s'élait mis à la dessiner avec cette calme passion ipi'il apportait à toutes ses œuvres. Cependant la nuit était venue d('jà; la fleur perdait peu à peu ce nacré Irans- jiarcnt (|ui la rend si iu'illautc, le lis se pencliail sur sa lige lan- guissante, la corolle fatiguée s'cntr'ouvrait avec peine laissant éciiapper son pollen maladif. (( 11 faut que je me hAte, dit Re- douté, voici déjà que m'échappe mon beau modèle; il ne sera plus temps demain, hàtons-noiis ce soir. «En même leini)s il alliimail sa lampe ; le lis fiit jijacé sous cette lueur favorable, Re- douté continuait sou travail. Ili'las! ipii l'eût cru, qui l'eût jamais pensé? entre le peintre et son modèle c'était un duel à iiiorl. A ce moment solennel la noble fleur royale jetait autour d'elle toute son odetir suave, toute son àme; le peintre n'sistait de tontes ses forces. A la fin il fiil vaincu, il tomba roide mort sur cette page commencée, il dura moins huigtcmps ipie cette (leur. Nous avons eu sous les yeux ce dessin inachevé de Rcdoiit('; c'est la dernière, et c'est, sans contredit, la plus belle Heur ipii soit sortie de ses mains. Que si vous voulez savoir ce (pi'esl devenue celte longue suite de dessins, continuée sans interruption depuis (Jaston d'Orh'ans jusiiu'à nos jours, allez à la bibliollièipie du Muséum, iiareourez ces imuienscs in-folio rcm|>lis des jdiis ad- mirables peintures sur peau de vélin, et vous resterez anéanti devant une telle merveille. La partie botanique seule compte ])lus de six mille dessins originaux et d'après nature; les connais.seurs alfirment (|ue celte collection vaut plus de deux millions. II faut dire aussi ipie la série animale est pres(pie aussi riche; qu'on y travaille sans (in et sans cesse, et ipie jamais plus grande, plus somptueuse entreprise n'a été exécutée sur une plus vaste échelle cl par des artistes i>lus habiles. Que si vous ajoutez à ces noms d'aiilres noms ipii sont devenus ei'lèbres à plus d Un titre : M.\l. niifrcsue, Valcncieniies, Delciize, vous eomiirendrez ipie le Jardin des Plantes n'a pas à se plaiiidii' de la révolution française. C'est la révolution qui a rappelé .M. de Lacépède; elle a agrandi le Musée, rc'gularisé et agrandi le jar- din: elle a été animt'e des meilleures intentions Maliieureiise- LE JARDIN DES PLANTES. Il ment il est arrive plus il'une fois que, tout d'un coup l'argent venant à man([uer, les iiiantes mouraient faute de feu dans les serres, les animaux faute d'aiiincnls dans leurs cages. La révolu- tion avait eneore ceei de bon (jHelle avait dégagé le Jardin de toutes sortes d'entraves; elle s'était emparée des jardins et des maisons ([ui l'obstruaient, liien i)ius, elle avait poussé la précau- tion jusipi'à emprunter au stathouder de la Hollande, en ITO.'i, emprunt (ait les armes à la main ronuiie nous empruntions toutes choses en ce temps-là, deu.x éléphants niAle et femelle pour le Janliri des Plantts Vous pensez si ce fui là ime Cèle pour U'. Jar- din et pour le peuple de Paris ; un éléphant, deux élé|)hants, le mâle et la femelle'. 11 ne fut plus question de la eon(iutHe de la Hollande pendant huit jours. Picveuim^ rc|iend.iul h licrnarilin de Saiiil-l'ierri'. Son nom <'st un de ceux (pii fout le )dus d'honui'in' au .lardin des Plaiilis. Le roi Louis XVI lui avait dit en lenouuuant ; « .l'ai lu vos ouvrages, ils sont d'iui honnête hounne, cl J'ai eru nommer en vous un digne succe.sscm- de liulFon. » Le passage d(^ lieruardin de Saint- Pierre a laissé des traces utiles, sinon savantes. Plusieuis de ses projets ont ('lé ado|i|{'s dejiuis lui. Avec cette imagination poéliipu' qui ne l'a jamais quitté, il voulait ('lablir la uu'nagerie sur un ])lan aussi vaste que i)iltoresque; elle devait l'enfermer des \o- lières plantées de toutes sortes deve'gétaux, des rivières d'eau courante, des ctables bien aérées et jusqu'à de soudjres cavernes appi-opriéi's aux bêles féroi'es. Il demanda, comme nous l'avons dit, le transport de la ménageriez ih' Versailles à Pai'is; il eut à soutenir contre les économistes de ce temps-là de violentes dis- juites en faveur des plantes et des arbres ûu Jardin national. Il défendit lui-même contre la souveraineté du peuple, et cette sou- veraineté était sans l'éplique, ce jardin que le roi Louis XVI avait conlié à sa i)robilé et à son honneur. — a Je suis le maître, disait le peuple, je suis chez moi, dans mmenllà jiaraît au .lardin des Plantes un homme d'un rare b(Ui sens, un des créateurs de la chimie. .l'ai uouimc' .M. l'oureroi; il avait en lui les qualités du savant cl du grand aduùni>-lraleur. Quand il vit (|ue l'instilulion s'était ainsi agrandie, ainsi l't'eon(l('e, iprelie élail plus durable peul-êli-e ^\w le lr(Jne de l'empereur en peisoinie, l'iun-croi compi'it que ce n'était pas assez [umr le .Mus('um d'avoir des cori'espoudanls dans loules les |)arlies du monde, d'envoyer çh et là des savants et des voyageurs, ici des capitaines (|ui expbu'cnt l'univers connu, là-bas des ambassadetn's (jui achètent , il voulut (pu- le travail incessant du Muséinu devint non-seuleuu'ut un enseignement parlé, mais encore un livre ('cril. A ces causes, il iusiilu.i les Annales ilii Mnsihiiii: dans ce livre , t[in n'a pas son égal dans le unuide , chiiipii' prnfe^-eur de- vait CdUsiguer les progi'ès et les d('c(iu\ciles de la ^ciemc: les plus habiles dessinateins deMiienl en faii'c les dessins; Inus les hduuues dislingués de I Europe s-a\ aille étaient de droil l'édac- leui's (le ce recueil. Ainsi fui fomb'e cette vaste collection , l'hon- neur lie 11 science moderne. Adoptes par toute l'Europe, les Mniiiiires ihi Muf:i'u'in d'Iiifloiic naturrllc doivent repn'senter jus- qu'à I.i (in de la civilisation française les travaux, les ed'orls et b's progrès de celle réunion dhounues (pii n'ont jamais mauipié ni au passé ni au pri'senl de la France, cl qui cci'Ies ne nuuupie- roiit pas à son avenir. On CDiiqu'end Irèsddi'ii ipie dans celle e-pèce ili' miiuumeiil à li'iiis l'i.iges, iloiil cli.iipiei'lage esl l'cpi'ésiMiU' par un des règnes 1? LEJAKDIN DES P/.A^TES. tic la nature, dans ce phalanstère de la science, iieniiettez-moi de nie servir de ce mot nouveau, devaient survenir toutes sortes de fortunes heureuses; c'est ainsi que fut acheté' le cahinet de niineralof^ie de M. AVarisse : ce cahinet se coniiiosait il'une col- lection de minéraux de toutes sortes; le itro|)iiétaire en voulait 150,000 livres. Le Muse'um n'avait pas d'argent comjilant, mais de Corse, tout le résultat du vovaae au\ terres austr; Dans ce voyage se distinguèrent M. Lesueur, peintre d histoire, et M. Péron; ils raiipoilèrent ])lus de 100,000 échantillons d'ani- maux gianils et petits, et appartenant à foutes les classes; ils rapportèrent le zèhre et la guenon pour l'impératrice Joséphine. Leur herbier était immense, leurs plantes vivantes étaient sans MtOBEVI.DEST.rci-O*- jalerio îles Singes. il avait des pierres ](r('cieuses y\e< moiceaiix de laiii^-la/uli, uni' pépite d'or; il s'estima trop lieureu.x d'éclianger ces inutiles ri- chesses contre nette suite n'gulière d'échantillons dont le temps devait remplir toutes les lacunes. L'expi'dilion dl'.g.vpl"' •i\,iil aussi apporté au .Muséum ses momies, ses animaux sacrés, liiiili> les reliques fahuleusi's d<'S temples et des lomlieaux de Thèiies et de Memphis. Dans sa course armée à traveis le monde, l'eiu- pereur n'oubliait jamais le Muséum : il lui envoya tour à tuiii' le^ poissons fosïiles de Vérone, les éehaulilhins des rnrhc- ilr 1 lie nomhre : c'e'iaieni de- fruits inconnus, des plantes toute- nou- velle-, des arhre- sans nom. Les métro^iiléros , les mélaleucas, les leplosi)ermes; c'était l'eucalyptus, un arhi'e qui ariiv<' à irO pieds dans son pays natal. Il serait impossihh^ de eoiupter loushs arlires nouveaux qui sont sortis de ce jaiilin ; la fauiille (h s myrtes à elh; seule es! inuoniliralde , cl notez liien que toutes et s familles allaient s'auguienliuit rhacuiie à leur tour ; aujoiird lu i les myrtes, demain les singes; chaque honnne et chaque animal de la créaliiui était pLicé dans son |iaysage naturel ; dans les LE JARDIN DES PLANTES. 13 |,,iiTset sousIV'iKMs gazon, les cerfs, les daims, les axis, les l.ouquetins, les rongeurs, les guenons, les kangourous, le zèl.re; ilans les bnssin> et sur le boni des ruisseaux, les cygnes, les ca- nards, le pélican, les |iaons étalant leur queue superbe; au centre du jardin , les autruches et les easoars avaient leur enclos >,d)lé; les oiseaux de proie poussaient leurs cris funcbies cl s'abandon- counue aussi chaque partie di' ce cadavre devient utile à son tour, lin utilise niéuie les vers des intestins, même les insectes de la pciii, car ce sont autant de sujets d'études. Ainsi se tenaient mer- veilleusement tous ces détails; ainsi la [liante tenait à l'animal vivant, l'animal vivant tenait à l'animal mort, et a|)rès la mort il y avait encore le s(iuclelle. l'eu à peu se fondaient ces vastes ga- L'AmphithéJtro des cours. naicnt àleurféroccjoie sans iui|uii'icr les fiii~ans(|orésel les oiseaux de la basse-eom-. Ainsi peu à peu la science rciiiportail sur la cu- riosit(' frivide. La nu-nagcrie était fondée sur un plan régulier, tout connue les serres et les plates-bandes; cliaipie animal était à sa place nalurellc, dans cet univers en uiiuialure : il avait son jK'iulre pour le dessiner, son gardiim pour le nourrir el pour éliidier ses mœurs, ses habitudes, ses amoins, ses maladies; l'a- tiiuud mort , nu le portait au laboratoire d'anatomie et de zocdo- gie, oii il rctioiivail une vie nniivcllc soun |,\ iii.iin de rcuipaillciir : Iciirs on l'aiiatomie couipai'ée raconte il une façon moins sidcu- nelle, il est vrai, toutes les uu'ivcillcs de la crc'.ition, A ce luo- menl-ln parall un houuue doni le nom n-tcra connue l'honnein' impéi issable du monde savant, j'ai iiouuué >l. Cuvier : il était à lui seul toute une siicnce, j'ai presipu^ dit toute la science; il élail liMil -iiiiplciiuul lie la famille des (ialilée et des Newton, de CCS Ikuuiiio qui Imil d lui bond alleignenl les limites du nuinde. t'e fut donc dans ces salles d'analonde comparée, au nulieu de celle longue série de M|uelcltes cl de luules les parties de ces H LE JARDIN DES PLANTES. mêmes squelettes, et en eomiiarant les osscmenis modinnes avec les vieux ossements vermoulus qui nous venaient du déluge, romme autant de vestiges fal)uU'ux de l'univers d'autrefois, que Georges Cuvier s'arrêta épouvanté le jour même où il découvrit que la [ilupart des ossements fossiles n'avaient pas leurs analogues parmi les êtres vivants. Sans nul doute, ces animaux, dont on ne savait pas même le nom, avaient vécu sur la terre; sans nul doute iU avaient eu leurs passions, leur instinct, leur utilité, leurs amours; à coup sur voici leurs ossements, voici la tète de celui-ci et le fémur de celui-là; l'un a laissé dans les limons du glol)e cette dent brisée, l'autre cette corne recourbée, et maintenant voilà tout ce qu'il en reste; pas un individu entier n'est resté de cette famille éteinte ; pas un nom, ou tout au moins un de ces noms (pii se renc(Uitrent dans Hérodote ou dans la IJible. 11 s'agit donc arcilles iulclligences, on s'incline avec rc>|H'ct , on aibiiire et l'on se tait. Toujours esl-il cependant ipie ce i)elit coin de terre où pareil travail s'est accompli, (pie ce jardin perdu dans le plus triste faubiuirg où se sont rencontrés liiifron et Cuvier, (pie ce point de (ii'part verdoyant et Henri de riiisluire iialiirellc et de Ihisloire des fossiles, est à notre sens un ciiin de lerie aduiirabb' entre t(Mis. (Test ainsi ipi'à Disc on mois munlre la tour penclu'c, du haut de laquelle Câblée pressentit iioiir la première fois 1 im- mobilité du soleil. Les fruits, les herbes, tous les bois en échantillons, toutes les nionograidiics, chapitres sépan'S de rhisloir(' naturelle, où se lisent les noms de lluniboldt , de Kurith , de Doiiplaud , envahi- rent l)ient(Jt tous les bâtiments du .Muséum. Déjà M. de IJuU'on avait clé obligé de céder son propre logement à ces collections qui arrivaient de toutes parts; les roches, les prodinls volcani- ques, les laboratoires de tout genre se |U'cssaicnt cliaipic jour dansées murailles ri'parécs. Lu même temps, .M. Ceoll'roy arri- vait de Lisbonne tout chargé d animaux nouveaux. M. Michaux fils rapportait les échantillons de tous les bois d'Amérique, M. Marcel de Serres rap|)ortait d'Italie et d'Allemagne toutes sortes de minéraux; M. Martin envoyait de Cayenne les plus ri- ches herbiers; le progrès allait toujours croissant jusqu'en 1SI3, où la France s'arrêta entin , n'en pouvant plus. Ici commencent d'étranges misères : c'est une histoire d'hier , et pourtant c'est une histoire incroyable. Les alliés, ces mêmes soldats (pn avaient leur revanche à prendre de tant de défaites , qui s'étaient em- parés de Paris tout entier, qui i-emplissaient nos rues et nos maisons, qui faisaient du bois de l'.oulogne une dévastation pres- que égale à celle qu on y fait aujouj'd hui ; les alliés s'arrêtèrent pleins de respect à la porte du Jardin des Plantes. C'était en eflet un terrain neutre dans lequel chaque partie de l'Europe avait envoyé ses j)roductions les jdns belles, les plus rares; là, devait s'arrêter l'invasion dans une sorte de stui>eur (pii tenait de la reconnaissance. Figurez-vous en effet ces Cosai|ues, ces Kusses, ces Prussiens, ces Allemands, ces bâtards de lltalie, toute cette famille armée, battue si souvent et si longtemps par les armes de la France; ils arrivent, disent-ils, pour tout ravager, pour tout détruire; ils veulent savoir enfin quelle est l'immortalité de ce peuple dont le joug et la liberté ont également jiesé sur leur tête. Us arrivent donc larine au bras, la torche allum('e, Paris est pris enfin , et avec lui la France entière. Soudain ils s'arrê- tent, ils regardent, ils déposent leurs armes. () iirodige! ils ont reconnu les fleurs, les arbres, les animaux, la culture de la pa- trie absente. N'est-ce pas une illusion? voici des fragments de la terre natale, voici le compagnon de leurs travaux champêtres; voilà la Heur des champs (pi'ils donnaient à leur jeune maîtresse; cet oiseau qui chante, c'est l'alouette de leurs sillons, c'est le rossignol de leurs nuits d'été. Ainsi , ces honmies que n'a pu arrêter la foilune de l'empereur Napoléon , ces hommes ipii ont réduit la grande année à ne plus occuper (|ue ipichpies sables de la Loire, ils sont vaincus jtar le chant d'un oiseau, par la toison d'un bélier, par un coipiillage, par un brin d'herbe! Leurs em- pereurs, leurs rois, leurs généraux, sont les premiers, même avant d'aller voir le Louvre, à venir saluer les domaines des Dud'on et des Jussieu L'einiiereur d'Autriche, leinpcreur de llussie, le roi de Prusse viennent reconnaître les échantillons de leur royaume; les vainipieurs iiromettent d'augmenter les ri- chesses des vaincus. liien plus : pendant (pi'ils reprennent au milieu du Louvre VAiKiUun, le Laocoon, la Venus, la Cummmuun de saint Jn-iiJiu', \i\ iSaiiitc Cécile, le Mariai/e Je la Vierge, tous les chefs-d'd'iivre de Titien, de liaidiaël; pendant ipi'ils rempor- tent, bouillants de joie, les chevaux de Venise sur leur piédestal chancelant, pas un de ces vain(iueurs n'ose reprendre an Muséum d'histoire naturelle la plus petite ])arcelle de ses con(iuêtes, tant ils trouvent (jne ces fragments sont à leur place; ils veulent bien di'pouillcr le Musée du Louvre, parce qu'aïuès tout , un chef- d'eeuvre est partout un ehef-d'ieuvre, mais ils auraient boule de briser l'unité de la science ; ce que leur a pris l'histoire naturelle, ils nous l'abandonnent, tant ils comprennent (pie ces conquêtes pacifiipies sont devenues notre propriété à force desoins, de zèle cl de génie. Iticn n'est plus Ixau ipie cette histoii-e d'une aimée entière (|ui rei'ule devani inic profanation ; il y a ('epen- dant une histoire aussi touchante. Vous V(ms lappelez ce jeune sauvage à (jui on faisait voir toutes les merveilles de Paris; on le menait aux Tuileries, à Notre-Dame, à l'Opéra, dans tous les lieux où se fabii(|ucnt la puissain;e, la l'cligion et le plaisir, le jeune homme restait immobile, mais au .laiclin des Plantes, tout au bout d inie alU'e solitaire , le voilà (pii se trouble , (|ui éclate en sanglots et (jui s'écrie : Arbre de mon j)ays 1 et il embrassait l'arbre de son pays. Voilà comment toute cette armée de six cent mille hommes s'est écriée, elle aussi, dans un transport unaniiiK; : /lf';;c.s de mon paijs .' Ce pays de France est le [lays le plus merveilleux pour se re- LE JARDIN DES PLANTES. l& lever tout d'un coup des comiiiolions les plus terribles; c'est vraiment cette tour dont pnrie Bossuet, cette tour qui sait repa- rer ses brèches; il arriva donc (|uc cette grande patrie de to\is les arts fut rendue >à elle-nuhne : l'invasion s'e'coula comme fait un fleuve immonde après l'ora;^e. De tous les monumenis de Paris, le seul ipii n'ait i)as èle insulte, c'est le Jardin des Plantes. Au eliAteau des Tuileries on avait (Ué son empereur; à l'aruK'e, son capitaine; à la colonne, sa statue; au Musée du Louvre, ses plus rares chefs-d'œuvre; au bois de lioulogue, ses plus beaux arbres; au Ire'snr public, plus d'un milliard; à nos fronlières, des l'oyaumes entiers.... On avait resiieclè le .lardin des Plantes! c'était le terrain neutre où venaient se reposer tous les iiailis de leurs agitations sans nombre. Dans ce beau lieu de rêverie et de calme, le vieux gentilhomme de l'e'migration cherchait à retrou- ver le souvenir des vieilles charmilles dont la révolution l'avait dépouillé; le vieux soldat de la Loire, héros mutilé dans vingt batailles, ne trouvant |ilus nulle jiart le portrait de l'empereur et roi, venait saluer le eliameau blanchi (pii avait jiorlé le général lionaparte dans les déserts de l'Egypte. Les enfants de toutes les générations se rencontraient dans ces paisibles allées à l'abri de la foudre et de l'orage; l'enfant et le vieillard, la jeune fille au bras de son fiancé, le jeune homme à la poin-suite de sa maî- tresse. L'ombre, le repos, le calme, la fraicheiu', les passions heureuses habitent en elFet ces i)aisibles hauteurs. Non, certes, ce n'est pas là ipie viendrait l'ambilicux pour s'abandonner à ses rêves boursouflés. Ce n'est pas là que viendrait l'avare tout jirc'occupé d'argent et de fortune. Arrière les passions mauvaises 1 C('ii est le domaine des nobles passions, des beaux rêves poéti- qu(!S, des éclats de rire enfantins, du bourgeois fatigué du tra- vail, du pauvre soldat qui pleure son village, de riionnèle pro- vincial (pil est venu chercher à Paris les bruyants plaisirs de la vie et (pn s'estime heureux de rencontrer celle calme oasis. C'est, en effet , un merveilleux eniiroil pour la méditation , pour la rê- veiie , pour la nonchalance, poiu' la conleiui)lalion. La science et l'oisiveté, la douce oisiveté et l'élude acharnée s'y coudoient sans se heurter. Les uns arrivent là au lever du soleil, ils étu- dient dans ses moindres détails le grand mystère de la création : celui-ci le crayon à la main , celui-là armé d'un scalpel , ce troi- sième, a l'aide de la loupe, ipii est son sixièriie sens; ils |iénètrent peu à peu dans toute la science de la forme, de la couleui', du mouvement; l'un regarde la plante parce qu'elle est belle, l'autre l'admire parce (pi'elle est utile; celui-ci en veut aux parfums qui s'en exhalent; cet autre, aux sucs bienfaisants (pii guérissent. Il en est ipii font lenr proie du tigre et du chacal ; il en e.«t (pii n'en veulent qu à liiiseete et à roiseau-uiouche, — heureuse passion, heureuse science, passionnés loisirs! Et qui donc, le premier en France, nous a appris à l'aimer cette douce élude du sol que nous foulons".' Qui donc nous a raconté les ])remières merveilles de la plante et de la (leur'? Ce n'est pas M. de liud'on iM. de Itullon n'est ]ias \m maître qui enseigne, c'est un historien qui laconle et ipii devine. Il parle des choses naliu'eiles avec tous les entraînements de l'éloquence; il ne se fait i)as huudile avec les humbles, petit avec les petits; il ne sait pas attendre ceux (|ui veulent mariber dans sa voie ; il maialu! à |ias de géaul, il va tout seul où 1 inspiration le pousse : tanlùtdans les euti-ailles de riiomuK', lauliH dans le sein de la terre dont il e\pli((ne la formation jiar une prescience incroyable que la science moderne a confirmée; tantôt au sein des mers, un autre Jour au sommet des montagnes, dans toutes sortes d'endroits ]i('rilleux (pu' nos faibles regards ou nos pieds chancelants ne saur.ùeul fianclùr. Non, ce n'est pas M. de l'un'on qui est notre professeur de bo- tanique. Le premier de tous, celui qui a vulgarisé l'étude et la conteiiqilalion des douces et frêles beautés de la nature, c'est Jean Jaopies Uou.sscau en personne : c'est lui , le brûlant so- phiste, lui qui a renversé et brisé tant de choses, liù (pn a pesé les sociétés vieillies dans ses deux mains, lui qui a semé dans toutes les âmes honnêtes ou perverties les brûlantes ardeurs de riléloïse et du Saint-Preux, c'est J J. fiousseau en personne qui a donné à la France sa première leçon de botanique. On eiit dit (pi'il tenait à honne\n- de réparer, par l'enseignement de cette vertueuse passion , tous les paradoxes funestes qu'il a démontri's dans ses livres comme autant le véiités incontestables. Pauvre homme, malheureux (pi'il faut |daindre,ear il a succombé le l>remier sous l'enthousiasme factice qui a l'ait tant de mal aux jeunes esprits de son teuq)s; le premier il a senti le besoin de se tirer de ces brûlantes hauteurs, et ilc chercher dans la fraîche vallée les doiu:es consolations d une ('tudc qui laissait de coté les honniies, leurs ]>assious et leurs mieurs. C'est ainsi (jue l'écrivain et les hommes iju'il agitait autour de lui, les liouunes, ces jouets dont il était le jouet à son tour, ont éprouvé tout d'un coup la même fatigue. Certes, vous ne lirez pas sans attendrissement et sans respect les Leilres sur la botanique de J -J. Uousseau. Le voilà ce grand maître dans l'art de brûler les âmes; le voilà ce sauvage qui foule d'un i)ied éloi|UCUl et passionné la civilisation tout entière: le voilà, ramassant an penchant des coleaux, au pied de l'arbre, sin' le bord des chenùns , la mousse qui pouss<' , le lichen ((ui rampe et la feuille enqiorléc par h; veut d'automne. C'en est fait, il oublie tout le bi'uit qui se fait autour de lui, et dont il est cause, et il revient aux plantes, ce.* utijcls a(/réaUfs cl variés. Ce précepteur des hommes tiui leur a enseigné tant de choses, même l'amour, se met à enseigner aux enfants le nom des plantes , leur organisation et tous les détails de la slrucliue végétale. L'idée de cette passion lui vint un jour de l'arrièic- saison; les i>lautes dont la structure a le plus de sinqdicité étaient déjà passées, mais (|u'importe".' Le piintemps les ramè- nera tout à 1 heure, commençons tout de suite, se dit-il. Irie plante parfaite est composée de racines, de tiges, de branches, de feuilles, de fleurs et de fruits; l'tiidions avant tout la (leui- ipn vient la première; et, iiour bien coumieucer, prenons un lis. Le lis a fait pâlir la maginficence de Salomon , le lis est la (leur du printemps, il est aussi la fleur de l'automne; étudions ce bouton verdàtre qui blanchit à mesure qu'il est près de s'éi)anouir; ad- mire/ couuucnt cette enveloppe blanchâtre prend peu à peu la forme d'ini beau vase divisé en i>lusieurs fi-agnients. Cette enve- loppe s'aiq>elle la corolle; cpiand la corolle se fane et toud)e, elle tombe en six pièces séparées as les Mi:iins inté- ressantes. Cueillez une marguerite dans les cliauips ; que vous explique l'arbre connue il a explique' la plante. Quant aux her- biers, les herbiers nous servent de ineiuoratif pour les plantes que l'on a déjà connues; mais ils font mal connaître celles qu'on n'a pas vues auparavant : ainsi le portrait d'un homme qui n'est plus vous frappe davantage lorsque vous l'avez connu dans sa vie. « Pour composer un herbier, prenez la plante en pleine fleur, dègagez-la de la terre qui euloure la racine, faites-la sé- cher avec soin , et classez votre plante dans la famille à h<|uelle elle appartient; choisissez avant tout un temps sec et chaud, de onze heures du malin à six heures du soir : c'est la belle heure lie la bolaiii(jue. " Heureux quand il parlait ainsi des )ilanles, son dernier amour, .l.-.l. Itousseau redevenait tout à fait l'Iioumie Les jirandob beirt-s. serez (■lnuur si Ion vous ilil : Celle pililc lleur, si pclile ri si iiiiguiiiiiu', csl i'<'elleMH'iil (■iiiiip(is('e de deux ou trois cenis auti'cs (leurs toutes |)arl',iiles, e'esl a dire ayant chaeuue sa corolle, sou germe, son pistil, ses e'tamlnes, sa graine ; devaul Uiiu cl (le\aMl la science des houmies, la marguerite est l'égale du lis su|ierlic ou de lajacintlie odorante! .I.-J. liousseau fait aussi l'hisloiie des fleurons des (leurs d'iuuuorlelle , de liardane, dab-inthe, d'ar moise; celles-là n'ont qu'un (leuron d'une seule couleur; d'autres n ontcpi'un demi-fleuron : la fleur de laitue, de ohicoreîc, de sal- silis; d'autres, plus heureuses, ont à la fois des fleurons entiers au centre de la fleur, et des demi-fleurons à leur ronl(jur. Ce fleurs doubles, (pu- vous admirez dans les pailerres, sont de luou-tres à (pii cet houneur a élt' refusii de produire leurs sem- blables , grauil honneur dont la nature a doue tous les êtres or ganises. C'est là ce qui arrive aux ai'bres fruilicrs louches par la grêle. La poire et la pomme de la nature, il ne faut pas les cher cher dans les vergers, mais dans les forcHs. Le voilà donc qui heureux (pii sVrriail avec des lariiics il.uis les yeux cl dau.s le cœur : " La pervenche', la |ierv(ii( lie' > eu souvenir de sa jeunesse lieiM'cuse, de son amour brùl.uil ri iiaïf, de ses chastes trans- ports; en souvenir de la grâce, de la !)eaut(' et du charmant sou- rire de madame de Warens. Mais (pi'il y a loin de cette botanicpie senliinentale à la science de nos modernes professeurs'. Il ne s'agit plus des deux mille espèces de Daudin , des cinq ou six mille plantes de Tournefort, des dix mille vegi'laux décrits ]>ar l.inn(' et de .lussieu, des vingt ou (rente mille plantes n'unies dans le grand ouvrage de .M. de Candolle, dont le inonde savant |ileure la perle récente .Aujour- d'hui ce cercle s'agrandit sans cesse, chaque année voit s'enrichir I immense herbier du .lardin des Piaules, et les derniers recen- sements portent à plus de soi\anle-dix mille le nombre des \t'- gj-taux connus. Il a fallu fiaclioutier ce vaste tlomaine; la vie d'un liomme sudil à peine |ioiu- embrasser un des iioiiils de cette LE JARDIN DES PLANTES. 17 science, dont les limites reculent sans cesse. Les mousses, les lichens, les champignons ont trouve' de dignes historiens; et les ouvrages de Dillens, de Bulliard et de Persoon montrent tout ce qu'il faut de talent et de patience pour apjjrofondir les mystères de cette cryptogamie qui de'passe à peine le sol , et se cache sous la feuille dont chacjue automne jonche la terre. D'autres bota- nistes ont mieu.\ choisi : Merlens a décrit l'immense et superbe famille des palmiers; Rublet, les chênes du nouveau monde; d'admiration de l'illustre Gtertner , à l'occasion de tous les fruits sur la structure desquels il a fait un si savant ouvrage. On s'as- socie aux regrets de iM. Desvaux sur les circonstances qui l'ont empêche' d'achever la publication de sa grande monographie des feuilles et des végétaux , et l'on envie avec lui le bonheur de M. Gettard, qui a tenninti son grand travail sur les poils et les glandes de toutes les plantes connues. N'allez pas croire qu'arri- ve'e à ces dernières liiuiles de l'analyse, la scienre [luisse se re- ffid. La fosse aux Ours. d'autres ont étudie' l'ensemble des plantes d'un seul pays : Des- fontaines a fait la Flore allanlique ; huhevl du Pelit-Thouars, celle de Madagascar ; Brown , celle de la Nouvelle-Hollande ; et ces travaux isolés , accomplis avec une rare persévérance, ont prouvé qu'il y avait de la gloire à acquérir ménu! en ne s'oecu- pant (|ue d'une partie de cet ensemble, l'eu de i)rivilégii's com- prennent tout le bonheur réservé à ces auianls solitaires d une science aimable entre toutes! Peu d'àmes sentent ces joies si pures, causées par la contemplation perpétuelle de ces merveilles odorantes et si richement colorées. On sourit aux transports 42, Tarii. Typojjrapbîo Plou procher des futilités indignes d'elle! Ces glandes, par exemple, ces ncrtaires, si curieusement observés dans leurs transformations successives par Sprengel, par Hall, par Pontedera et par Bohe- mer, sécrètent des matières utiles, fournissent à l'abeille le suc dont nous vient le miel, et jouent im rôle important dans la ]diy- siologie végf^tale. Tout se tient dans ce vaste ensemble des pro- ductions de la nature , et les hommes laborieux qui consacrent leurs veillés à l'étude d'une partie (pietconque de ce grand tout, sont assurés d'apporter une pierre au divin édifice qu'élèvent les générations, d'ajoutt'r un anneau à celle chaîne merveilleuse qui frtrt'S , ruo tic l'au^iraril , 3G. '" )8 LE JARDIN DES PLAMTES. unit e'troilement l'ntome aux animaux les jilus i>.ii'faits, ceux-ci à l'homme raisonnalile, l'iioninie enfin à Dieu lui-même, par l'in- termédiaire des esprits i|ui peuplent l'espace. ■ C'est ainsi que , dans le Jardin des Planles, tonles les passions honnêtes se rencontrent. Nous venons de vous dire les ravisse- ments du Ijotaniste • voulez-vous maintenant que nous vous di- sions, non pas la curiosité du minéralogiste qui cherche à recon- naître, dans leurs enveloppes terrestres, l'or et l'argent, le cuivre et le fer, le mercure et l'etain, le charbon et le soufre, toulesces brillantes richesses ([ue la terre renferme, non jias même l'alten- tion des zoologistes, mais tout simplement la joie du chasseur".' Moi ((ui vous i)arle et qui suis tout aussi ignorant que vous pou- vez l'être de ce grand art de la chasse dont il a été écrit tant de traités à commencer par Dufouilloux et finir par M. Deyeux, moi le plus triste chasseur (jni ail jamais porté un hAtou d é|iines dans une forêt giboyeuse, je vous assure ipie jai fait dans le Jardin des Plantes la plus admirable chasse qui ait jamais été faite. J'a- vais rencontré dans ces allées si bien sablées tm vieux chevalier de Saint Louis qui avait perdu dans une chasse au courre, chez M. le prince de liourbon, sa jambe gauche et son bras droit. Ainsi ble.ssé, notre vieux chevalier avait encore ti'ouvé le moyen de suivre les chasses de son royal ami, mais, hélas! à la perte de son bras et de sa jambe était venue se joindre la moi't affreuse du dernier Condé, cette énigme fatale, et à la mort du prinre de Condé, la venue de madame de Feuchères; ."il bien que notre enragé chasseur, retiré dans la rue de BulFon , seul , sans amis, sans un pauvre bras pour appuyer le dernier bras cpii lui restait , n'avait plus d'autre joie que de venir chaque jour viser de loin, d'un coup d'oeil animé et sur, toutes les bêtes féroces, tous les oiseaux de l'air, tous les gibiers de 1 univers. « Oh ! se disait-il , si j'avais mon bras, comme je prendrais mon fusil à piston! » Un jour, entre autres, coiniue j'oH'rais mon bras an digne gen- tilhomme : u Mou (ils, me dit-il, vous avez grandement raison d'aimer et de respecter les vieillards. Je vous ai toujours connu pour un homme bon et loyal, mais vous aimez trop les livres, vous lisez Iroj) les longues histoires, les ]M)ésies «pii endorment, le rabâchage polilicpie; et quand je pen.se que vous n'aimez pas la chasse! la chasse, juste ciel! ipielle vieillesse malheureuse vous vous pré|)arez, mon enfant. Mon enfant! voyez, que vous êtes déjà gros, lourd et massif! Voyez, moi, au contraire, la taille d'un cerf! mais, iu^las! plus de bras droit, plus de jambe gau- che, i)lus rien que le coup d'oeil. Cependant écoutez-moi, croyez- moi , pendant (pi'il eu est temps encore, devenez un chasseur. ■Voyez cpielle joie, si vous teniez au bout de votre fusil ces tigres qui bondissent, ces faisans qui voiligent, ces perdrix qui brillent au soleil , ces lièvres qui s enfoncent dans la plaine, les cerfs qui brament dans les bois. Dieu merci, une bienveillance a réuni dans celte euceinie toutes les merveilles des forêts, sans cela je serais mort. Dieu merci, si je n'ai plus le fer à la main , j'ai sous les yeux le plus bel ensemble qui puisse réjouir les yeux d'un vieux chasseur comme moi. .Allons, soyez attentif à cci|ue)e vais vous dire; prêtez-moi une attention obéissante, lais.sez-moi vous convaincre jiar des arguments sans ré|di(iue de la beauté de la passion uissant contre toutes les douleurs de l'Ame "et du corps. >< Je ])ris place sur un banc de j.ierre , vis-à-vis la volière , ou «'ébattaient en chantant tous les oiseaux de l'Europe , et, me te- nant par le bras, pour me rendre attentif, le vieux chasseur me lint à peu près fce langage : « La cha.sse , tout autant que l'amour, a été honorée par les •nations les plus diverses ; les As.syricns, les Hébreux, les Perses, les Medes, les Circassieus, les Lapons eux-mêmes ont été ou sont 'cncori'de grands chasseiirs. Nemi-od excellait à la battue, .Vlexan- dre à la chasse au courre. César à l'airùtj Pline le Jeune à la chasse au filet. Les Celtes, les Germains , les Gaulois employaient avec une ardeur égale à ce bel art le javelot, ré|)ieu , l'arc et l'arbalète ; Diane a été de son tenq)» une divinité égale à Apollon, Que de livres enfantés i)ar cette passion des gentilshommes! Les philosophes aussi bien cpie les ]ioëtes, les historiens tout autant que les romanciers ont exalté comme il convenait ce besoin de courre le cerf et de forcer le sanglier. Xénophon n'y a pas man- qué; Apjiius non plus qu'.Arien, Gratien non plus que Nemesia nus, Frédéric II, Albert le Grand, qui était un peu sorcier, Adi-ien Caslelleri, Conrad Ileesbach, Jérôme Fracaslor, tpii a chanté tant de choses, ont tous célébré cette vie de forêts et de montagnes. L'Allemagne s'honore à bon droit d'un chasseur nommé llarlig. La Fi-ance est lièrc des disseitations savantes de Gaston Pli(bus, comte de Foix , de Jean de Fianeières, maître |>iqueur de Louis .\l , de Guillaume Tardif, le lecteur de Char- les VIII; Charles IX lui-même, le roi de la Saint-Barthélémy, a écrit en vrai flibustier un Traité de la chasse au cerf; et cepen- dant, tout roi qu'il était, Charles IX s'est laissé battre en celte matière par Jac(]ues Dufouilloux , le iNicolas Boileau-Des|)ri'anx de ce grand art de tirer des coups de fusil en |ilein champ. Vous n'oublierez pas il'ailleurs, mon cher enfant , (|ue ce bon Henri IV, le père du peu|)le, qui voulait que son peuple mit la poule au pot chaipie dimanche , envoyait aux galères le manant qui aurait voulu remplacer la poule absente |)ar une malheureuse perdrix. >' Puis donc (pie l'on s'est amusé à ('ciire tant de romans, et >ous même ipii en avez écrit de fort tristes, avec lesquels mou noble maître, le duc de Bouibon , bourrait son fusil, puisque les peintres oui tanl à honneur de représenter, dans leurs tableaux les plus fidèles, les images adorées de tant de belles amours dont nous savons les noms depuis notre enfance, pourquoi donc, je vous prie, ne pas donner autant d imporlame a la vénerie? Pour- quoi ne pas s'occuper thi gibier-plume cl du gibier-poil comme on s'est occupé du gibier blond et du gibier châtain? Et me fe- rez-vous donc, à moi vieillard, sans enfants, sans amis, qui n'ai l>as même iin petit bois où je puisse masseoir |)our tirer un la- pin , un grand crime de traiter le faisan , la gelinotte , la bécasse , le pigeon biset, gibier de bois; la perdrix et la caille, gibier de plaine; le canard sauvage et le pluvier, gibier de marais, comme Van Dyck, comme hubens, comme Murillo ou Vélastpiez ont traité tant de beaux oiseaux, ail charmant plumage, gibier de boudoir, gibier de grottes obscures, (lamboyaut et élincelant gibier des théâtres, des coulisses, des petites maisons et des salles de bal ? » Je crois que c'est Ovide (Itl! l'a dit, et il avait rai.soii, il faut au chasseur et à l'amoureux des qualitt's identii(ues. lion ]>icd, bon œil, le nez au vent, l'oreille au guet, le ca;m- assez calme; il laut être actif, adroit, patient; il faut reconnaitre le gibier à la trace la plus légère, à la i)Ius faible senteur : par ici a passé le lapereau, par ici a passé une belle (ille de vingt ans! En chasse donc, vous les sages, les heureux et les ])hilosophes, ipii vous contentez de tirer votre poudre aux moineaux! Parcourez à votre rlioix la montagne ou la plaine; leve/vous de bonne heure, (piaiid la rcisée esl reiiujiiléc au ciel ipii l'envoie. Bonne clia.s.se! vous savez d'ailleurs comment se tue lo faisan commun , l'huxia- 7IUS cotcliicus . comme dit Linné. Le faisan , celte llainme qui vole, est un gibier plein de caprices. Il n'y a pas de jolie Parisienne (jui soil à la fois ]>lus stupidc cl plus malicieuse. Tant(H l'animal (je parle du faisan, ajoula-t-il avec un sourire) se laisse prendre à coups de bAton, tantôt il vous échappe à tire-d'aile, et le meil- leur fusil de l.epagc ne pourrait l'altcintlrc. Aujourd'hui il se poserai! volontiers sur votre épaule, le lendemain il se perd dans le nuage. Si vous le voulez tirer à coup sur, tirez le bec, je parle toujours du faisan. Ce qui est plus sûr encore, c'est de le pren- dre à l'all'iU, à la traînée le soir, quand il a bien nettoyé son beau plumage, bien pn'paré sa petite aigrette, bfen lavé s'cs j'o- LE JARIJIN DES PLAM'ES. )9 lies petites pattes, et qu'il s'est posé coquettement dans une avant- scène de rOpt'ra. .. je ne parle plus du faisan. i> Mon jeune ami, vous ne regaidez pas avec l'enlliousiasme convenalile ces belles perdrix ipii paraissent nous dclier dans leur bocage de métal. » La perdrix me représente ce que nous appelions, dans nos beaux jours de jeunesse et de misère , la chasse à la griselle. Jus- tement il y a la perdrix grise (pri vaut mieux que la perdrix rouge, qui vaut mieux que la bartavelle, quoi qu'en disent ([iiel- ques mi'cliants gommets blases, qui jugent du gibier par lu ci)u- leur de son brodeipiin. La bartavelle est la sœur aîne'e de la |>er- drix grise. Voilà un joli oiseau à tirer'. On le rencontre en troupe dans les champs de blé aussi bien (pie dans les magasius de la rue Vivienne. Le plumage est lisse et bien tenu. La (jueue se compose de quatorze plumes de couleur cendrée , l'iris de l'it'il est d'un brun gris, la gorge et le devant du cou sont tout à fait bleus, le dos est d'un gris cendré tirant au rouge quand elles sont jeunes. Elle ne fait |)oint de nid (la bartavelle), et se con- tente de déposer assez négligemment sur la mnusse les œufs qu'elle fait chaque i>rinlemps. La perdrix grise, modeste et sage, ne se mêle jauiais avec la perdrix roUge. Elle est inlinimenl plus serviable et i)lus facile à a|)privoiser. Elle aime à se joindre en nombreuses compagnies aux individus de son espèce. Elle mar- che devant voire chien; si vous voulez l'avoir, courez vous-mèuie au bout du chauq) , la pièce partira. File l elle en ligne , tirez en plein corps. Vole-t-elle en montant, lirez sous les pattes; si elle louriie, lirez sous l'aile. Vient-elle sur vous à hauteur d homUKî, lirez au bec. (Je cite textuellement, cfe n'est pas moi (jui fais dire toutes ces (choses à notre chasseur.) Je connais (luelqiies jeunes I liasseurs (]ui . en fait de perdrix grises, ne pi'tnueiit pas tant de souci, cl qui tirent tout simplement de patte en bec, et la chasse leur a réussi plus d'une fois. » Ceci dit, noire homme plongeait sa main gauche dans sa taba- tière placée entre les deux genoux , et il recommença sa disser- tation commenc('e : c< Après la perdrix grise vient la caille. Celle-là est un oiseau de passage (pii ne perche jamais , l'i donc ' ne lirez pas sur le merle, à moins (pie ce ne soit un merle blanc. 11 est si gai , si chanteur, si heureux d'être au monde! si bon garçon! si fin! Il sait si bien siffier! il se nourrit de vermisseaux et d'insecles, comme font les critiques. Gardez votre gros plomb pour l'outarde, mais, croyez-moi, respectez l'outarde barbue. Entendez-vous siffler le rAle, ('et enfant de lllalie, venu tout droit de (iéiies, la ville de marbre"? Il faut le mangera genoux. Quand la bécasse arrive, demandez-hn d'où elle vient. Elle vient de tous les crttc's du monde, de llslande, de la Norwége, de la Russie, de la Silésie; elle est Polonaise, Alle- mande, Française tour à tour; elle a visité lAfriipie et l'Egypte , le Srni'gal et la Ciiinée, le Groi'iiland et le Canada Pauvre oiseau voyageur! Et tant de chemin fait à tire-d'aile pour être nommé membre de la Société de géographie ou pour mourir sous le fusil d'un manant! » Ma foi, cel honnèle homme était si heureux de |)arler de sa passion (hmiinanle, et d ailleurs il en parlait si bien, avec tant de bon goût et d'à-propos , t\w. je me mis à l'écouter, d'abord par respect pour son vieil âge et pour son malheur, ensuite par iiiM'rèl et par plaisir. Hemarqiiez ([lie l'aspect de Ions ces beaux plumages, le Iniiil varié de toutes ces douces chansons, ajoutait beaucoup à la clarté et à la démmistration de ce brave homme. Il me eoudiiisit un instant , avec un petit ricanement de dédain , à la loge des animaux féroces. Tours, le buip, le blaireau ; car '.•'(•lait un chasseur au poil , à la plume , un chasseur de la plaine et de la mimlagne, et, vouslavez deviné, un chasseur (autrefois) un habile chasseur au fin gibier, (|ui se cachait sous les ombrages de Versailles ou du Pelit-Trianoii. « J aime la plume, disait-il, je laiiiie avec passion, et quant au poil , je suis biiu de le dédaigner. D.ius le poil il y en a de terribles. Il y en a d'innocents. Les uns mangent (piebpiefois le chasseur, les autres sont loujoiirs mangi's. D'abord vous avez l'ours, un des héros de La l'onlaiiie. Je n'ai jamais compris que cet animal fut si méchinl ((iidn le dit. Il est sauvage, il n est pas f.-roce. On dit cpi'il aime la chair fraî-he , mais aussi il se nourrit de le'gumes et de miti L'animal défend sa pe.iu , où est le crime? Nous le traitons à peu jirès comme ou tralail sous lempii e les Aiiliichieus et les liusses ; il y a des gens pouiMjiii r. A la bonne heure le loup! c'est un grand misi'rahle. Il dc'vore tout ce (pii lui tombe sous la dent, depuis le mouton jus(|u à la grenouille; ou le lue de toutes les f.içons, et même on l'enqjoi- soiiiie sans dt'shonueur. Nous en dirons prescpie aillant du re- 11.11(1. Le reiiaril est un drôle plein de ruses et Irès-dangereux. On le lue comme on peut, au terrier, au passage, à la traînée, au carnage, et encore on n'en lue guère Le blaireau est encore plus calomnii' que Tours. Le Diclùmnaire i/cs ('/k/s.^cs, (pii doit faire autiuilé en ces matières, place le blaireau parmi les ani- maux nuisibles; et de ipiel droit, je vous prie? Parce qu il mange liarbiis des navets, des fèves, des pois, des carottes, le grand crime! Et voilà pouripioi vous faites du blaireau le |>endaiit du reiiard! El d'ailleurs il est si gcnlil , si lin , si paresseux ! Sa tète est mise a prix 1 fr. 50 c. par bl.iireau. i Quant à la fouine, fi donc! M. le duc de liourbon avail Tha-i biludc de faire le signe de la croix (piaud il avail tué une fouine. La fouine est un ignoble animal, moitié loup, moitié renard. Elle tue pour le plaisir de tuer; elle ('gorge même avant de se rem- plir le ventre Ecoutez, mon pclil, ('coulez ce petit moyen que j'ai inventé (xnir luer une fouine. Sans doute le moyen est violent, mais il est sur. On a beau dire : Mais vous tuez bien des ar- bres! Une fouine tuée vaut mieux qu'un arbre vivant. Voilà mon sccrel; vous en ferez ce ipic vous voudrez (piaiid vous aurez des 2. ÎO LE JARDIN DES PLANTES. fouines : « Quand la fouine se retire dans le creux d'un arbre, le meilleur moyen de se rendre maître de la bête est d'abattre l'ar- bre lui-même. » Vous pensez bien que nous n'avons rien dit du cerf, du san- glier, de la biche, du daim, du chevreuil, plus brave que le cerf, et qui aurait honte de verser des larmes. Vous pensez bien que si mon ami n'a pas parle du lièvre, c'est pour ne pas tomber dans tisme et la goutte, et l'ophthalmie aiguë, et les autre revenants- bons de la chasse ; cette fois nous pouvons les suivre dans leurs caprices divers ces beaux oiseaux qui s'envolent dans toutes sortes de directions, la cigogne blanche et noire, la grue commune et le flamant, le héron au long bec, qui est lie à tous nos souvenirs he'raldiques , le vœu du he'ron , le roi du he'ron , nombreuse fa- mille qui se termine comme tant d'illustres familles par le he'ron Anciennes Serres tempérées. toutes sortes de descriptions trop connues. " Happelez-vou.s seule- ment que le cul d'un lièvre est un sac à plomb , et de f:iire uri- ner la victime quand elle est morte, » me dit-il. Du poil nous sommes revenus à la plume; et, bonté du ciel ! que vous êtes grande quand vous lancez dans les airs ces vivantes merveilles. Ah ! lai.ssons là le fusil et la chasse et ses gian.ls plai- sirs; admirons en toute liberté, en toute conscience, molleuienl couches sur le gazon du rivage, les oiseaux de rivage et les oi- seaux d'eau. Cette fois nous n'avons pas à redouter le rhuma- bulor, sans oublier le courlis, l'hrtte assidu et chantant d<'s étangs et (les rivières de la France; on sait son nom dans les Vosges, dans la Moselle, dans les deux Charentes, en Vendée, dans la Loire-Inférieure; il est oi.seau de pluie et de temi)êle, il est le courtisan de l'hiver, et il le suit à la piste, comme l'hirondelle suit le printemjis. '< V.l le vanneau? mangez du' vanneau, paur savoir ce que ce gibier vaut, disait notre gentilhomme. Et le pluvier-gnignard? le plus délicat des pluviers dorés et non dorés. 1! est la fortune de LE JARDIN DES PLAftTES. la ville de Chartres; il protège de son aile légère celte vaste ca- thédrale qui se rebâtit peu à peu. Vous avez aussi la race des che- valiers, chacun portant la couleur de sa maîtresse, le chevalier brun , le chevalier aux pieds rouges , le chevalier aux pieds verts et la maubége, et le combattant, et l'avocat, et le petit courlis, et le barbe-rouge, à queue rayée, à (lueue rouge, à queue noire, habi- toutd'un coup notre cliasseur s'agrandit encore. Quoi donc', mon maître, vous n'êtes pas content de tant de carnage? vous voulez encore nous faire égorger ce beau cygne décrit par Bulfon. « H plaît à tous les yeux ; il décore, il embellit tous les lieux qu'il fré- quciite; on l'aime, on l'applaudit, on l'admire; nulle espèce ne le mérite mieux'. .. ■ l'.t voilà pourquoi vous voulez qu'on le tue, Loiics (!es iininiaux féroces. lants de la \;\w et du limon , hdles bigarrés des marécages , becs noirs, pieds plombés ; autrefois la barge-rousse était /es' ilcdifces des Françii'js, dit le vieux Relon ; maintenant c'est la bécassine et la double-bécassine qui sont à celte heure les (Iclica; des Françata. «Monsieur, monsieur, ajoutait le vieux chevalier, n'oublions pas, s'il vous plaît, n'oublions jiasla poule d'eau qui demande beaucoup d'adresse , la mouriie (pii sent ]v. marais, qui n'est bonne à rien , mais ipii est ainusanic a tuer (Danton n'eût pas mieux dit); le r.Me d'eau, qui ne vaut pas, à beaucoup près, le r.Me de genêt. » l'uis ce beau |)aimipède chanté aussi par Virgile? ai-je répondu ;ui vieux genlilhomme. .\ ce blasphème cruel , la plume me tombe des mains; puissent tous les fusils en faire autant! C'est ainsi que, grAce à ce beau jardin tout remidi de sa pas- sion favouite, le vieux chasseur prenait sa peine en patience. Kn pn'sence de ces merveilleux animaux qui sont la vie des forêts , IhonnevM' de la i)lniiu' , le mouvenuMit de 'a montagne , la déco- ration variée du I1tu\<' ou de l'élang, il était comme est l'amant en i)résence du portait de sa maîtres.se adorée. Mais quoi! il n'e-t j5 LE JARDIN DES PLAMES. pas enrôle snlisfait; il y a eiipnrc quelque cliose à tuer dans cet univers. Le cor retentit dans les Imis , cuinine il e~t dit dans l'ope'ra de Robin des Bois. Celte fois linsatialile cha>seiir, non content de toute la pinme et de tout le poil du riiyaiiine de France, se met en voyage pour les trois parlies du monde, et il arrive tout d'aliord en Afrique, le fusil mm- IVpaule, suivi de ses chiens et de son carnier. l\e Irouliions jias , je vous prie, son envie; c'est de tuer une gazelle : il y en a de si belles au Jardin des Plantes! La gazelle se chasse à cheval ; il est bien rare ((uVlle se lais^e prendre, même par les plus fiers chivaux. Mais à (pmi bon les gazelles? — Parlez-moi, s'eVrie-l il, de tuer une li(mne et un lion! En effet, il s'en va dans la caverne du li(Mi et de la lionne, et d'une main légère il dérobe les plus jolis petits lion- ceaux du monde, sous le ventre même de la mère, cpii veut bien ne pas s'en apercevoir. « On a beaucoup exage'ré la fi'rocilé des lions de l'Africpie. » Je le crois pardieu foit, iiuand on voit un genlilhoainie de l'armée de Condé enlever ainsi ces lionceaux pour en manger les pattes et la langue avec des dames du pays. Après quoi nous passons dans l'Afrique occidentale du cenlre- oue.^t, et notre ihasseur, ce jour-là, lue un giiiier qu'il n'a pas encore eu l'occasiim de tuer, un gibier (pie bien |ieu de <'hasseurs ont tiré en Europe, excpté les thasseurs d'Abique : il tue des touariks... il y a justement îles IStes de louai ik au Musé. nu. Le touarik est un gibier qui moule à cheval, qui se défend avec des flèches, qui e.«t circoncis et qui croit en Mthumet. Le touarikse (ne, comme l'autruche, à coups de pi»lolrt Un autre jour on fait la chas.se aux singes, le singe ressend)le beaucoup au t.iuarik. Pour les abattre, pour les atteindre, ces deux bèlts si diflérentes, je vous assure qu'il ne faut être ni pied bot ni manchot. A ce propos, n'oublions pas la chasse aux manchots, qui s'a- battent à coups de liûton; la chasse à l'hipiiopoldUie , moitié chasse et moitié pèche, el tant d'autres animaux (pii se promè- tent de l'Kgypte à Tunis, de Tunis aux frontières d Alger , de l'empire de Maroc à la Sénrgaiidiie, de Tombouelou à Bouruou. Vous voyez bien que ce brave gentilhomme avait le délire , et que l'idée seule de la chasse l'emportait bien loin de Paris, oui, certes, bien loin de Paris, au Jardin des Plantes , le lieu de la terre le plus peupb' et le mieux i)cuplé de l'univers. Moi, je ne suis guère de celle luiuieur à hier toutes choses. A Dieu ne plaise que je me mette au milieu de ces enragés qui ne connais.sent (pi'un plaisir : faire feu sur tout ce (|ui est au bout de leur fusil; j'aime assez les créatures du bon Dieu jiour leur laisser la vie, l'ombre, l'espace, la chanson joyeuse, le plu- mage doré el le s(dcil. L'oiseau e^t riuinneur du printeiuiis; il est la chanson matinale du chanq) de blé, il est la plainte mé- lancolique de la charmille, il est le chant de triomphe, il est le cri deilouleur, il est Vlwsaima in excetsis de cette belle et grande nature où cliaipie èlrc lieiil sa place, depuis l'aigle qui aHidiilc le soleil, juscpi au ver luisant jetant sa pftb^ ('lai té sur la b udie que laisse tomber la rose. Lli bien ! consolez-vous. Déloiirnez vos yeux de cet allreux carnage 1 Laissez là les sanglants riVits de l'intréijide chasseur, vous êtes à l'obiM île ses eoujis , vous les faisans dorés, vous les ()i>eaux jaseurs aux couleurs changeantes, vous les tigres, les lions el les (mis de la iialioii. yiiatil a nous autres, les simples curieux, les voyageurs oisifs, ouvrons hardi- ment nos oreilles, nous n entendrons pas la détonation du fusil, mais bien le chant de l'oiseau. A la place de ces cadavres san- glants, voici des oiseaux qui volent. Dans la plus charmante vo- lière (pii soit au monde , des mains heureuses el savantes ont réuni les plus beaux oi>cauxdc la terre, cl nous les pouvons voir dans leurs plus belles couleurs, dans les atlitiidcs les |dus char- mantes de leur existence de chaque jour. Ils y sont tous, je dis les plus beaux, les plus charma'nis , les plu» joyeux, dans leur plus transparent attirail. Celle chaîne aih'e commence par le merle rose, pieds orange, bec orange et noir; la liupiie à joue grise, à liée noir, la huppe orange el rouge de b'ii : le chevalier qui(pielte aux pieds verdâtres, le gros-bec et le bec croisé; l'hi- rondelle de mer, épouvantait, ainsi nommé parce qu'il est le plus gai des oiseaux; celui-là, comme tant d'aulre^ oiseaux , possède deux plumages, le plumage d'amour et le plumage d'hiver. Quel hoiinue en ce monde n'a i(as son plumage? les cheveux noirs el bouclés; et son plumage d'hiver? la tète grise et chauve. Vien- nent ensuite, dans celle ronde aérienne, le coq domestique, qui sérail le plus beau des oiseaux s'il n'habitait pas nos basses-cours; le morillon el le héron [lourpre, et le bouvreuil au bec noir, aux pieds bruns, au ventre blanc, et le paresseux dans son plumage (l'aiuour; paresse et [dumage d'auiour, deux mots (pii jurent ! Vous ne sauriez croire que d'admirables petits èlres passent ainsi sous nos yeux ravis. Savez-vous rien de plus joli que la mésange bleue? rien de plus gai que la fauvette à tète noire? El la mé- sange-moustache? Vous en avez rencontré ]ilus d'une dans nos salons, 1,1 lèvre supérieure onilu'agée de ce lin duvet qui rend la lèvre plus rose el la dent plus brillante. Et le pinson, et le bruant, el la fauvette-rossignol, comme madame Damoreau, et le geai, cet admirable ricaneur; jusqu'à ce qu'enlin arrivent à leur tour les aigles et les cigognes, les faucons et les freux, les ou- tardes et les grues, les corneilles et les engoulevenls ; tous ces lyrans de l'air ont la beasité en partage, lont aussi bien (pie Ni'ron l'euipereur. Mais cette fois, qui (pie vous soyez, tyran ou victime, gros-becs à gorge rouge on mésange huppée, tourne-pierre à collier, avo- cclte à nuque noire , bécasseau-échasse , pluvier à collier iiiler- roiuiHi , buse el milan myal, cigogne noire et canard tadorne , aigle criard et gypaète barbu, (l'dicnème et lalcve, cresserellette cl gaiiga, ne craignez rien, livrez-vous en paix à vos jeux, à vos amours, a vos j>assions, à vos adorables caprices des quatre sai- S(ms de raniiée; cette fois vous n'êtes pas exposés au fusil Le- fauclieiix, au fusil lUibeit , aux lilels et à la glu ; celle fois vous êtes ronieiiienl bieii-aimt', la gloire bien pi'Oli'gée cl bien dé- fendue, la joie honnéle et populaire dii plus beau jardin de l'u- nivers. La restauration n'a fait que suivre l'inipulsion donnée au pro- grès du .Musi'um. Ou ne s'est pas contenté, celte fois, d'agrandir le jardin, de le pousser jus(pra la rivière, de le (U'gager de toute ombre lualfaisanle , de tout voisinage incommode, on a voulu encore associer à cette œuvre et à celle joie nationale tous les amis de l'hisloire naturelle. Nous avons vu d('jà (pie plus d'un voyageur, plus d'un marin célèbre avaient donné 1 exemple d'un dc'Viuieiuent sans bornes à celle iuslilulion Ces exicplions trop rares devinrent bienM'it une habitude. Pas un marin de (pielipie importance, pas un capitaine de vaisseau, pas même un lieute- naiil de frégate n'aurait cru son voyage coiuplel, s'il n'ci'il jias pu en consigner ijuchpies souvenirs au Jardin des Plantes. Nous avons di-Jà noiunui le capilaiiic liaiidiu ; il faut nommer \:M J Iliail et Diivamel, M.M l.esi liciiault cl Aiig Saiiil-llilaiie, .\l Delalande. .M. Dussuiiiicr-Fonbliine, M. SIcven, M. Diimoiil-d IJrville, .M. Erey- 1 inel, .M. Philibert, M. le baron Milius, M. La Place, M. du Petil- Thouars, le savant el l'illuslre voyageur autour du monde. Les uns et les autres, de tous les lieux de la Icrrc liabiN'c, de Cabutta et de Sumatra, de Pondichéry el de (!haudcrn,igor, du lîrésil et de rAméri(pie se|ilciitrioiialc , ilu Caji et des l'Iiilippincs et du Caïuase, des Iles de l'Archipel el des bornes du Ponl-Euxin, des terres australes et de la Guyane française et de l'Ile Bourbon, ont envoyé toutes sortes d'échantillons admirables, vivants ou morts, ipii oui agrandi, outre niesurt!, cette luécieuse c(dleclion. A ce propos, soyons justes. A force de nous occuper des grands me- neurs du Jardin des Piaules, à biice de parler des Cnvier , des liiiirou, n'oublions |)as,dans notre reconnaissance et noire estime, les humbles compagnons de leurs travaux et de leur science. Que les (lireiieurs du Jardin des Plantes passent les premiers, c'est li(qi juste ; mais aussi (pie les plus hiiiubles ambassadeurs île leurs observations el de leur bu-lune ne soient pas passés sous LE JARDIN DES PLANTES. Jf silence. Celte vaste science de l'histoire naturelle, qui embrasse le monile entier, ne peut pas se faire entre (|ualre nuirailles; elle doit, avant toute chose, se re'pandre au dehors. A l'exemple lie toutes les grandes puissances de l'Europe, la si ience naturelle agit surtout par ses députes, par ses ambassadetu's; donc, au- dessous dti grand naturaliste qui reste an jardin pour ("crire, i)our raconlei', pour enseigner toutes les découvertes dont il a le se- cret, il y a le naturaliste-voyageur, plus dévoué et jibis ardent, qui s'en va dans toutes les latitudes, ramassant, recueillant, en- tassant dans sa lourde valise, dans son immense herbier les niin('rau\ et les plantes, les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, l'n pareil homme doit être infatigable, actif, laborieux, ])lein il'obslination et de courage. Rien ne le fatigue, rien ne lui fait peur. Pour cet homme, chaque animal de la crt'ation, même le |)lus abject et le plus difforme, est une chose d'une grande va- leur. Il ira chercher les plus affreux insectes dans la pourriture, dont ils smit couune une exhalaison vivante; il ira chercher le lion dans sa lanière; il dompte l'éléphaut; il arrête le chevreuil ipii s'enfuit dans les bois; il est chasseur, historien, dessinateur, physiidogiste ; il rapportera de l'autre extrémité du globe une plante inconnue dans son chapeau, une bête f.Toce dans sa cage. .Noble, curieuse et sincère |)assion qui se suffit à elle-même, car pour l'ambassadeur du .lardin des Plantes, on n'a encore inventé ni la gloire, ni les académies, ni les honneurs ipie donne la science. Une fois que ce digne homme est de retour de ses voya- ges lointains, une fois qu'il a déposé à la porte du sanctuaire cet inmiense butin qui rei)résente souvent dix années de sa yie, c'est à peine s'il lui est permis de s'asseoir à l'ombre des arbres que ses prédi'cessseurs ont |)lantés. Dans ce Muséum embelli par ses soins, rinlréj)ide naturaliste est reçu connue tout le monde. La plante qu'il a ramassée dans le désert, et à laipielle lui-même, mourant de soif, il aura prodigué sa ration deau de chaque jour, la piaule tant aimi'e se titnt dédaigneusement renfermi'c dans son i>alais de cristal. Le digne homme la voit de loin prospérer et grandir; mais c(u'importe? Plus reconnaissant c|ue la plante (pii ne reonnail que le soleil, qui n'ob'it qu'au vent tiède et doux, l'animal féroce dont il a été le gardien et le domjiteur le reconnaît en bondissant dans sa cage, il le salue d'un hennisse- ment jovcux; ce sont là ses plaisirs, il n'a pas d'autres réc:oni- peuses. A |ieiue son nom est-il inscrit sur une des pages bril- lantes de cette grande histoire, a peine si le jardinier en chef le protc'ge. Trop heureux encore s'il peut atteindre à l'honneur inespéré de voir son nom ou bien le nom de son jeune lils, ou bien le nom de sa femme, si souvent délaissée pour la science, se rattacher a cpiebpies-uns des fruits cpi'il a ranieuc's de si loin, à c[uelqu('s fleuj-sdont il aura doté la patrie'.' Lu tel honune est le paria de la science. .Mais tel est le charme de la science, qu'elle ellace absolinnent les humiliations et les dégoûts de tout genre ; elle porte en cdle-même sa consolation et son courage, elle se pas.sc? de la reconnai-sance des hommes , elle se passe de tout , même de la gloire. Ceci vous donne le secret de bien des dévoue- ments obscurs, ceci vous explique bien des luttes ignorc'es. Vou- lez-vous cependant , pour c(ue notre justice soit complète , que nous prenions au hasard la biographie de l'un des naturalistes dont nous parlons? M. Milbert, par exemple , mort l'an passé, sans cpie pas une voix s'c'levitt pour lui payer un tribut de reconnaissance et de respect. Peintre, naturaliste, voyageur, correspondant du Mu- séinn d'histoire naturelle de Paris, au .lardin du Uoi , .lacipies- Gc'rard .Milbert aiu'ait pu attacher son nom aux plus grands tra- vaux et aux plus admirables di'CcmvcrIes de ce teuips-ii ; il s'est contenté i\ y apporter sa part de zèle et d'ulililé. Il c'Iail ik^ à Paris le IK noveudire t7(ili, et de fort bonne heure se révéla lin- slincl cpii le poussait à étudier Phistoire naturelle dans ses moin- dres détails. Cette passion naissante poui' toutes les belles c hoses de la création, a commencer par la fleur cpn est à la surface, à finir par le minerai caché dans les entrailles de la terre , avaif fait toutd'abord du jeune Milbert un dessinateur pratiipie, comme il en faut ]K)ur reproduire, dans toute leur beauté, et sans les embellir, les moindres diftails de l'histoire naturelle. En 179.S, il fui nommé professeur de dessin à l'école des Mines; la même année, il fut charge! d'une mission dans les Pyrénées; d'où il devail rapporter tous les sites relalifs à l'exploitation des mines. Di'jà les premiers travaux du jeune naturaliste avaient eU assez de retentissement pour que, deux ans plus tard, il fût admis à l'honneur de suivre , dans sa conquête de TÉgypte , le général Ponaparte. Malhein'eusement , tout désigné qu'il était i>our cette expi'dilicin, Milbert ne put pas partir, et cela a c'té, dcquiis, un des grands chagrins de sa vie, c]uand il se souvenait de tous les beaux échantillons ipi'il aurait j)u ramasser dans la vieille i)atrie des Pharaons. Cependant , pour n'avoir pas suivi le gc'ni'ral Ronapartc dans cet Orient à moitii' concpiis, M. .Milbert ne restait pas oisif; il avait été chargé en 17!l!l de visiter les Alpes, et de s informer en même temps comment ces hautes montagnes pouvaient être aplanies, et comment, depuis Genève jusqu'à Lyon, le Rhône pouvait devenir navigable. L'anni'e suivante, il s'embarquait pour les terres aus- trales, comme dessinateur en chef de l'expédition, sous les ordres du capitaine liaudin. La route fut longue et seuu'e de périls; mais aussi le voyage fut reuqdi de découvertes. De retour en Ein'ope, M. Milbert fut préposé par le ministre à la publication de cet important voyage. On a aussi de lin, mais e'crite en entier de sa main, une très-lidèle relation d'un voyage aux lies de France et de TénérifFe, et au caj) de Bonne-Espérance. Il écrivait comme il dessinait, dune main nette et ferme, simple et vraie avant tout. En 1813, nous retrouvons M. Milbert dans les États-Unis d'A- mériipie. En 1817, M. Ilyde de Neuville, ministre de France aux États- Unis, charge M. iMilbert d'un grand travail sur riiistoire naturelle. Ce travail a duré sept années; et pour avoir nue juste idée du zèle, de l'activilc', de la |)atience, du dévouement, du courage de ce savant homme , il Hnidrait lire le rapport adressé par les pro- fesseurs du Jardin des Plantes au ministre de l'intc-rieur. 0 Monseigneur , disaient ils , nous avons reçu récemment le.s" douze caisses cpd comi)osent le ciuquaute-huilième et dernier envoi de M. Milbert, et nous pouvons maintenant vous parler en détail des travaux de ce naturaliste infatigable. » En même temps les rapporteurs rac-ontent, non pas sans ('mo- tion, avec cpu'l zèle, c(uelle cxpc'rience iiltirie d'aiclciir, M. .Milbert a ('tiiclii' riuimense territoii-e des Etals-Unis, ce vaste empire, aussi curieux à étudier par le naturaliste cpie par le philo.sophe cl par le politique; comment M. Milbert a ramassé çà et là les jModuits des trois règnes dont il a enrichi le Cabinet du Jardin du Roi ; ccunment cnlin il a compb'tc', avec sa fcu'tune ]iersoiinelle, les rares subsides c[ue lui accordaient, fiour l'accomplissement de cet immense tra\ail, le ministère de lintérieur et le Musc'um. 11 avait choisi New-York comme le centre de ses opérations scientifiques, et de là il a visité le Canada, les lacs supérieurs, les bords de l'Ohio et du Mississipi. A Boston, il fut surpris par la fièvre jaune , et , à demi mort , il trouva , pour lui lendre une main amie, M. de Cheverus lui-même, le saint c'vêque exilé là, (pu est devenu plus tard un des hommes dont l'Église gallicane sera fière à tout jamais. .M. Milbert a raconté lui-même, dans la Vie du cardinal dç Che- verus, cpielle était l'hospitalité de ce grand évêi[ue , et, avec son hospilalitc', sa miidestic, sa pauvreté, pciin- ne pas dire sa misêfe; et comment, sans lui et sans M. de Valuais, le consul cle France, et mademoiselle cle Valuais, sa digne fille, lui, Millierl, il serait moit lourdement chargé iju'il était de soti nouveau butin à tfâ- vei's l'AuM^icpu' du Nord ; et notez bien ipi'il serait mort à la peine plutôt cpie de rien 6lev cle sa noble charge. L'histoire même 2* LE JARDIN DES PLANTES. en est touchante, et nous ne pouvons pas mieux la raconter que M. Milbert : 0 Dans l'e'te' de 1820, je revenais d'explorer les hautes monta- gnes des États de Vermont et de New-Hampshire; j étais lourde- ment chargé des collections d'objets d'histoire naturelle que j'a- vais recueillis dans cette excursion. Comme je suivais les bords pittoresques du Meriraack, je fus rencontré par M. de Cheverus, qui faisait alors une tournée pastorale dans son diocèse. Surpris de mon état de fatigue, ce bon prélat, tout en louant mon zèle pour la science , m'adressa des reproches pleins d'aflection ; puis il me dit : — Asseyons-nous ici ; montrez moi vos roches , vos rope, un phoque {Phoca mitrata), dont M. Cuvier lui-même n'a- vait vu que le crâne, et tant d'autres mammifères de plus de cinquante espèces dont les naturalistes s'inquiétaient beaucoup en ce temps-là. 11 y avait aussi, dans ces envois de M. Milbert, un grand nom- bre de mammifères conservés dans l'eau-de-vie , plusieurs sque- lettes les plus curieux, l'elck, le cerf de Virginie. Quant aux animaux vivants, ils étaient au nombre de quarante- neuf, les didelphes opossum, mâle et femelle, le cougouar de l'Amérique du Nord , l'ours des Apalaches , plusieurs espèces de cerfs de la Louisiane et de la Virginie, l'élan d'Amérique, et sur- Cabinet d'anatomie comparée. crustacés , vos végétaux , toutes vos richesses. Vidons ce sac et vos poches aussi ; je veux tout voir. Mais je m'aperçus qu'en pa- raissant examiner avec soin ces productions naturelles qui n'a- vaient pas même d'inténU pour lui, il en faisait deux parts, et je lui demandai pourquoi il agissait ainsi. Je fais à chacun notre part, me n'pondil-il; ce second sac est pour moi; gardez seule- ment votre j)ort(!ffui!le de dessins, je le veux ainsi, mon cher amil Nous allons marcher doucement jusciu'à Lowell; de là, par le canal de Middiesex, nous parviendrons sans fatigue jusqu'à Hoston. Et, malgré tout ce <|ue je ]>us faiie pour m'y opposer, le bon évéque se chargea d'une partie de mes collections. » Mais revenons à notre ra])port. Outre les rolleilions zoologi- ques et les dessins sans nombre envoyés par M. .Milbert, on peut citer plusieurs animaux presque inconnus au Jardin du Roi , le minck, la moufette, le pékan, dont à peine les naturalistes avaient entendu parler, un loup américain, et il ('tait encore; ijouteux que l'Amérique ait eu des loups semblables à ceux d'Eu- tout les deux breufs sauvages, le bison et sa femelle, et il n'a pas tenu à M. .Milbert (]ue cet utile et infatigable travailleur de la Ilaute-Louisiane ne fiit naturalisé parmi nous. Le nombre des oiseaux s'élevait à i]uatre cents espèces com- posées de plus de deux mille individus. Tour la i>remière fois, enfin, nous ]>énétrons dans les .serrcis inlinis de l'orniliiologie américaine, et |)arfni les naturalistes les i>1ijs distingu('s de l'Eu- rope , ce fut à (pii complimenterait M. Milbert de n'avoir jamais séparé le mâle de la femelle, et en même temps d'avoir suivi ces brillants échantillons de l'air, dans les nuances diverses de leur |ihimage ; en elfet, ce n'est que par la variété qu'on peut recon- naître l'espèce. Parmi ces espèces, il y en avait de tout à fait inconnues au Jar- din des Plantes ; d'autres qui avaient besoin d'être renouvelées : l'aigle à tête blanche, la buse à ipieue rousse, l'irinombrahle fa- mille des iiifs-grièrlies, des fauvettes et des gobe-mouches, plu- sieurs troupiales, et entre autres le mangeur-de-riz, les tétras, LE JARDIN DES PLANTES. 25 que Linné a nommés le Tetrao togatits, Teirao cupido , Tetrao phasianellus, si ma\ décrits jusqu'alors, (lu'on les regardait comme une seule et même espèce, malgré Linné. La mer et les fleuves n'avaient pas été exploités avec moins de bonheur que la terre ferme : les poissons, les coquillages, les tortues. Sur deux mille deux cents poissons envoyés par M. Mil- bert, plus de la moitié était même inconnue à Cuvier. Dans ces envois, on remarquait surtout deux requins, cliacun d'une espèce nouvelle, une raie de sept pieds de large et d'un genre à part, les esturgeons du Saint-Laurent, du lac Ontario et du lac Cham- plain, de six pieds de longueur, les limandes, saumons, bro- tout la sirène lacertine et les agames et les geckos que contien- nent les deux Amériques. Dans les coipiilles de M. Milbert, on a surtout remarcpié des cociuilles d'eau douce, peu étudiées avant lui , et dont il a rapporté plus de trente espèces nouvelles. Des insectes, il en a rapporté quatre cents espèces dont plusieurs sont nouvelles; rien de plus beau que ses papillons de toute coulein-; pas un ordre d'insectes n'a été oublié dans cette admirable ré- colte de tout ce qui bruit, de tout ce qui rampe, de tout ce qui bourdonne, de tout ce ([ui voltige et resplendit dans les savanes Le règne végétal n'a pas été plus négligé que les deux autres. M. Milbert aimait les piaules vivantes, comme il aimait les ani- ^"r>nEW. BcsT. Entrée de la vallée suisse. chets , et enfin i)lusieurs poissons vivants (pii devaient être jetés dans la rade du Havre et dans la Seine pour y ]ierpétuer l'espèce ; car c'était là un voyageur philosoplie qui trouvait |iUis d'utilité à un être vivant qu'à dix reptiles enq)aillés. Mallieureusement des gelées très-rudes ont fait périr les poissons de M. Milliert. Parmi les oiseaux vivants ([ii'il avait envoyés et qui sont encore aujourd'hui l'ornement du Jardin des Plantes, n'ouiilions pas le vautour brun de la Caroline du Sud , l'aigle chasseiu- des monts Alleghanys, l'aigle à tête blanche des bords de l'iludson , l'aigle de Terre-Neuve, celui des montagnes de Pensylvanie, et nombre de gelinottes, de cailles, de canards sauvages, tout le terrible ou friand |>lumage dont il est parlé d'une façon si coubisc dans les histoires des chasseurs du nouveau monde. Comme aussi l'intrépide naturaliste, pour être eonqdet , et malgré sa répugnance à ramasser tant de bêtes inutiles, afl'reux chaînons de cette grande chaîne où tout se tient, n'avait oublié ni les lézards, ni les cent cinquante espèces de reptiles, ni sur- maux vivants ; il avait grand soin de ses herbiers, où il entassait toides sortes de (leurs desséchées. Mais quand, avec la plante, il pouvait envoyer la graine ; ([uand , au lieu du cadavre desséché de la (leur, il pouvait envoyer son Amo, il était bien heureux cl bien lier. L'herbier lui faisait l'eflet d'un vaste cimetière où re])osent toutes sortes de poussières; mais un beau petit arbre bien vigou- reux, une fleur dans sa raciiu', un fruit (|ui rrive en germe d'Amérique, et qu'avec un i>eu de bonne volonté le soleil de la France va mûrir, c'étaient pour lui autant de conciuêles d'un prix inestimable. Comme il les étudiait sur leur terre natale, ces jeu- nes plantes, l'espoir de l'avenir ! il savait à merveille quelle zone leur pourrait convenir, sur ipicl sol ce chêne pouvait devenir un chêne, sous cpiel air cette rose pouvait fleurir; il s'iucpùélait avec une sollicitude toute paternelle des érables, des peupliers, des noyers, des châtaigniers, de toutes les épines qui fleurissent au printemps, et il les envoyait en Europe avec toutes sortes d'indi- I« LE JARDIN DES PLANTES. cations qu'il fallait suivre si on voulait voir l'arbuste prospérer et grandir. A défaut de nouveaux fruits, il envoyait des bois nouveaux; il allait chercher jusque dans les sols limoneux , dans les sables et même sur les hautes montagnes, dans les fentes des rochers, les pins, les cèdres, les gene'vriers, les mélèzes, les sapins, les cy- près. C'est lui i!es recueillis à la surface de ces vieux terrains calcaires qui constituent I immense plateau où I Oliio, le .Mississipi et le Saint-Laurent prennent iiais- siince; ainsi, grâce à lui, les géologues ont pu couq)arer la con- stitution du sol des États-Unis avec celle des autres parties de l'ancien et du nouveau continent qui nous soûl connues. Au total, les collections de M. Milbert di'pas.sent huit mille écliantillcins de tout genre j'ecueillis dans tous les règnes. Ce rajqiort stu- l'excellent et infatigable voyageiir est eouliruK' par une parole authentique de M. Cuvier lui-mêiriB : « M. Milbert surtout, dit M. Cuvier, artiste distingue, a mis dans ses reciier- ches une persévérance inoine, et expédié plus de soixante envois; sans avoir été d'abord un naturaliste de i)rol'ession , c'est un des hommes à qui l'iiisldire naturelle devra le plus de reconnais- sance. » Quand il eut accompli celte longue et diflicile mission , M. Mil- bert jiartit pour la France, accompagnt' de M. de Clieverus, ipii , lui aussi, rentrait dans sa pairie après avoir accompli de diflicdes devoirs. Ils étaient déjii arrivés en vue des côtes, lorsque la tcnipéle menaça de briser le navire qui les portait; on eut dit (pie la voix du saint prélat imposait silence à l'orage, le navire fut jct(' à la côte, mais i>ersoune ne périt. De cette comnuuiaut(' de dangcis entre le savant et le saint prélat devait iiaîlre une amilié (pu n'a été iuterrouqau' que par la mort ilii cardinal-archevéïpie de Bordeaux. Telle a été celte vie si honorable et si renqilie , utile entre toutes et si modeste, que les savants seuls ont enteiulu parler de M. Milbert. Il u est pas juste ipie de pareils hommes sortent de ce momie sans (pi'au moins ajirès eux une voix s'élève pour dire a lous ce qu'ils ont été et quels services ils ont rendus. Au surplus, ces injustices de la reconnaissance publique de- viennent de plus en plus rares; la conscience publiipu^ s impiièle de toulce ipii se fait d'utile de nos jours, et un seutiuuuit de juste reconuaissam:e est tiuijours prêt a nimuni'rer pes <'l de ses caractères les i)lus saisissants; ce sont des lètes pleines de vie, relli'Iant les liassions brutales du sauvage héli('té , lasluce du bipède aflamé qui cher- che sa proie, la ruse cruelle de I anthropophage; qui a soif de votre sang; c'est l'homme enfin tel ipi'il .se pn'senle à l'observa- teur, alors qu'il s'abandonne sans frein à ses appétits grossiers. Et i|uelle |)atieuce, quidle persuasion n'a-l-il p.is fallu déployer liour obicuir de ces barbares li^li^aiige faveur t\\\v l'on allcuilail d'eux! Modeler une lèle vivante'. Mais savcz-vous (pie les jdiis civilisés tic nos lères. Quedirai-je des oiseaux, ces joyeux habitants de l'air, qui chatpie année sont obligés de serrer leurs rangs, déjà si pressés, pour faire place aux nouveaux venus, et cpii se rangent si admiiablement dans les familles instituées par lîudon , Vieillot , Duméril , Temminck et Latham? Cha |ue nouvelle expédition rapporte des espèces in- connues, des papillons qu'on prendrait i)our des oiseaux, des oiseaux ipii ressemblent à des papillons, et ces merveilles d'une création inépuisable, ces conipiètes de la science brillent aux yeux de tout le monde dans ces galeries que l'on doit agrandir sans cesse. Vous voyez donc que cette institution des voyageurs du Jardin des Plantes ipii produit avec si peu de bruit de pareils hommes et de paieils dévouements, est une de ces nobles institutions (jui annoncent et qui prouvent les grands peui)les. Elle a fait de ces quelques arpents de terre perdus dans un des faubourgs de Paris, comme un vaste et puissant royaume qui envoie ses ambassadeurs dans toutes les parties de l'Europe : and>assadeurs triomphants et glorieux cette fois, cpie rien ne saurait arrêter, ni les flottes chargées de canons, ni les forteresses armées, ni les guerres de peuple à i)euple, ni les déserts, ni les lleuves débordés, ni les vallons, ni les montagnes. Qui que vous soyez, nations armées pour la guerre, laissez-les passer, ces ambassadeurs du i)rin- temps et de l'automne, ces représentants pacifiques de Pomone et de Eliire , ces Talleyrands modernes et passionnés de toutes les beauli's naturelles; laissez-les passer, car on n'en veut ni à vos frontières, ni a vos livages, ni à vos chartes, ni à vos des- potes; tout au plus veut-on ramasser ([uelques poissons dans vos fleuves, deux ou ti'ois co((uilles sur les bords de vos mers, qiiehpu's graminées imonnues sur le sommet de vos montagnes, un boutiui dans vus jardins, un pépin daus vos vei'gers, un oiseau (pii chante s\n' la brandie de vos arbres en Heurs. Voibi tout ce qu ils demandent, les envoyés du noble jardin ; et connue échange naturel de cette modeste récolte dans vos plantations, dans vos bruyères , dans vos rochers , dans vos sables , dans les tanières de vos lions et de vos tigres, ils vous a|q)orteront nos plus belles (leurs, tu)s plus beaux arbres, les fruits les plus savoureux, les graines les plus fertiles, leuis animaux les plus lideles, les oi- seaux les |)lus ehiuiteurs. Aussi telle est la force toute-puissante de la paix et de la bonté parmi les hommes, telle est l'attraction inévitable de cette chose divine, ai)pelée la bienveillance , que , seuls dans ce monde, les audiassadems du Muséum sont assur('s, nit'ine iiarmi les peui)les les plus fi-roees, tht leiiconlier les plus tendres sympathies. Le missionnaire lui-méuie , (pu iiorle IlOvan- gile dans sa robe noire, comme ce lîomain (pu |)orlail la jiaix ou la guerre dans le pli de son manteau, le missionnaire lui-même n'est pas autant le bienvenu (pie ces missionnaires de la science, tous charg('S(le ces o|iulentes corbeilles. Par une espèce de trans- action tacite qui n'est inscrite dans aucun de nos traités inter- nationaux, il a été convenu qu'en tous temps, en tous lieux, à toute heure de la paix ou de la guerre universelle, passerait le commis voyageur du Jardin des Plantes. Il est neutre, ou, pour mieux dire, il appartient cà la civilisation tout entière; il peut crier, lui aussi, ,à chaque obstacle du chemin, son Civis sum ro- 7iianu!t! inviidable et sacré. Non-seulement il adroit d'asile, mais encore il a le droit de cueillir et de ramasser tout ce (jui se ren- contre en son chemin; chaque plante tombée du sein de Dieu, fécondée par la rosée, mûrie par le soleil, chaque animal vivant ou mort, appartient de droit à ce eimqiu'rant paciRi]ue. On irait, mais en vain , dans les annales de toutes les sociétés humaines pour rencontrer une instiluli(m égale à celle là, et notez bien ipi'elle s'est faite parla force des choses, quelle existe indépen- damment de tout ce qui est l'autorité et la puissance, comme vivent, en fin de compte, toutes les choses humaines (|ui repo- sent sur l'utilité et sur le dévouement. 11 est bien entendu que cette noble mission , à travers les forêts, les plantes, les océans et les déserts de ce monde, devait avoir ses martyrs. La vie n'a ele' donnée à l'homme que pour la pou- voir sacritier, connue on donne une dernière preuve d'obéissance et de respect à ses espi'rances et à ses ( onvietions. Tel s'est fait tuera Auslerlilz, à Wagram, à Waterloo, pour avoir son nom écrit daus le bulletin impérial, ([iii ne ciiiii|irendrait pas (pie, pour compléter son herbier, un jeune savant de trente ans aille chercher la peste et la mort sur les montagnes de l'Himalaya. Celui-ci veut bien ju-endre à lui seul toute une batterie de rauoiis (pii lonuent; mais il fuirait ('pouvante s'il lui fallait aller dérober dans sou antre les petils d uu tigi'e et de sa femelle. Dieu merci! de quelque genre (pie soit la gloire que l'on cherche, c'est tou- jours la gloire. Christophe Culonib n'a pas été plus heureux et plus fier (piand il eut découvert un nouveau monde, (]ue le fut Cuvier, lorsipi'il eut retrouvé, daus les di'bris de la en'alion, (|uelques-uns des animaux (pie le ]ireinier déluge croyait avoir emportés avec lui. Le savant Tournefort s'estime tout autant pour avoir donné son nom à des plantes sans baptême, qii'IIerschel lui-même pour avoir imposé son nom à une comète errante dans les espaces du ciel. C'est là un des charmes de la science : il n'y a pas une science si petite ipi'elle soit, et si restrriute, (pii n'ait son immensité et sa grandeur. Ne vous étonnez donc pas que le Jardin des Plantes ail porté plus d'une fois le deuil de ses mis- sionnaires les plus intrépides: M. de Godefroy, mort à Manille dans une émeute; >I. Ilavet, mort à Madagascar, épuisé de fa- tigues, et enfin un luinnue sur Icipiel nous vous devons ()uel(|ues détails, un jeune et intréi>i(le naliiialisle (pii l'tait en uK'uie temps un grand écrivain , 1 honneur impérissabh' du Jardin des Plantes, mort au bout du monde, mort à trente ans, mort entouré d'es- time, de pilié et de regrets, mort loin de sou père, loin de ses amis et de la gloire , j ai nommé Victor Jacipieinont. En 1^2!), .\1. Victor Jacquemont était , comme la plupart des jeunes gens de (piehpie valeur sous la reslauralion (elle s est iierdiie pour ne pas les avoir reconnus), un jeune honinu; sans emploi et sans fortune, mais plein de zèle, plein de courage, savant comme un vieillard, ardent comme nu jeune homme, intrépide connue un siddat; (piehpiefois même c'était un poelc, poète à ses heures, (piaiid il avait le teiiqis. Son ()isivet(' pesait à ce jeune homme ; il sentait en liii-iiiêrae ce queliiui^ chose là qui p(mssait André Ch('- nier. Le Jardin des Plantes s'empara de Jae(pieuionl. On lui donna pour commencer rex|)loitation scientitupic de l'Inde anglaise; les appointements étaient des ]dus iiu'diocres. Le Jardin des Plantes, lui aussi, tout comme s.iiiit Paul, ne promet guère à ses ap(">lres (pie le vêlenuiil et la nourriture, l'ictuin H vrstiluin. Jaeipiemonl s'embanpia à Itrest , au mois de septembre 1828; il allait si loin , que, tout hardi qu il était. Il avait peine à regarder en face le but de son voyage. Tous les voyages autour du monde se ressemblent; c'est toujours la mer, ce sont les mêmes Iles, Î8 LE JARDIN DES PLANTES. toujours l'Espagne , le pic de TenérifFe, la ligne qu'il faut passer avec de folles cérémonies ; toujours le Bre'sil habite' par une cen- taine de vicomtes el de marquis , par quelques milliers de fripons à peu près blancs , par un nombre effroyable d'esclaves à peu près nus ; arrivent ensuite Bourbon, Pondiche'ry, Cayenne, toutes sortes d'histoires toutes faites. 11 faut avoir bien de l'imagination et de l'esprit pour trouver à dire quelque chose de nouveau à propos de ces parages parcourus si souvent, et par des hommes si divers. A la fin donc voici Victor Jacqueraont en Asie , le voilà en pre'- sence de lord Bentinik, cet homme qui , sur le trône du Grand Mogol , agit et pense comme un quaker de Pensylvanie. Là com- mence l'œuvre de notre voyageur; il apprend la langue persane, sortes d'empressements et de respects ce noble dévouement à la science. Ainsi toutes les routes lui furent ouvertes, mais quelles routes difliciles ! Il fallait passer sous 1 équateur pour vivre parmi les neiges éternelles, dans une hutte enfumée; il fallait voyager tout seul , presque sans escorte , couché sous une tente biùlante à midi , glaciale le soir, s'arrêter à chaque pas pour ramasser des herbes et des pierres , et , ce qui est le plus triste , n'être pas soutenu par l'enthousiasme, ce frêle soutien qui vous porte un instant dans le ciel, pour vous rejeter tout moulu et tout brisé sur la terre. Bien plus, il fallait commander le silence à la poésie, remplacer l'imagination par la science , contempler le monde , non pas en acteur passionné, mais en spectateur critique et dé- tNoftev<.Besx./fi Léi-aiit Intel ieur des Galeries tl Uistyire na'.urell il étudie dans son va.ste ensemble le janlin liol.iniquc de Calcul la, tous les végétaux de l'Inde anglaise, i>iépar.iiit ainsi a liiisii- celle expédition dont la fin devait être si funeste. C'est ainsi qu'en six semaines il lit une connaissance honnête, sinon complète, avec le mullam sine nomine plehem de la végétation indienne, 'foui d'aboi-d la cour de lord William Bentinck, tous ces Anglais ed'i'- niin('s de l'Orient, ces usurpateurs souverains du royaume du (iraml Mogol, ne romprenaicril rien à la vuialidu de ce grand fluet de Parisien , en habit étriqué et brûlé par l'eau de mer, ijui venait de si loin pour s'évertuer sur les herbes, les pierres et les bêtes de leur i)ays. Ces Anglais (|ui ne marchent (|ue suivis d'une armée de serviteurs, ces colonels à ."l-ijOOO fr. d appointements par anm'e, ne se renas bien compte de la |irob'ssion de .laccpicmont, de son titre, de la misérable simplicité de son ap- pareil ambulant. Mais cependant, rien qu'à le voir et à l'entendre, on eut compris bien vite la haute portée de ce jeinie honmie. Chacun lui tendit une main favorable, lord Wiiliiuii lierilinck l'adopla comme son fils: ce fui à (pii reconnaîtrait par toutes sinli'ressé de ces scènes divfr.scs; telle était la ISche de .lacque- inont, libelle stérile, mais utile; la science devait profiter de toutes les douces joies que le voyageur allait perdre. Le sang- froid de cet homme, dt'jà épuisé, devait rejaillir sur les obser- vations de cet ingénieux es|)ril. Il aura bcauroup moins d'admi- lalion pour la ciiaiuc centrale de l'Himalaya, mais en revanche il jioussera beaucoirp plus loin ses belles iccluTclies géologicpies; il ira, non pas s'extasier devant la haute vallée du Sutlege, mais il pas.sera six mois d'étude et de travail dans ces sites élevés de dix mille ])ieds au-dessus du niveau de la mer, mais il composera à loisir ses collections dliisloirc naturelle, mais il laissera des traces éternelles de son passage dans ces déserts, où n'est pas arrivé encore un seul homme de son nu'tier. Ce q\ii fait le charme (lu voyage de .laccpu'uiont, Dieu nous pardonne si nous blasphé- iiinns ! c'est l'absence de toute espèce d'enthousiasme; cela ne rc.'sendde en rien à l'émotion inli'ricure de M. de Chateatdiriand dans Alhèries, dans .lérusalem, non |)lus qu'à cette admirable description du nouveau monde ; c'est en revanche une ironie LE JARDIN DES PLANTES. 29 fine, gracieuse, légère, amicale; le causeur et le savant s'y montrent à la fois dans leur plus aimable néglige. Même dans les montagnes de l'Himalaya, ce jeune homme se souvient de Paris, de l'atlicisrae parisien, de la conversation parisienne; l'isolement lui [lèse sans l'accabler; perdu si loin de son i)ays, perdu dans les déserts glacés des plus hautes montagnes du monde, il ne songe même pas à se défendre contre l'ennui; l'ennui ne peut rien contre une âme ainsi trempée ; il obéit net- tement, franchement à la destinée qu'il s'est faite, il est calme parce qu'il est fort: il ne s'occupe pas si entièrement des arbris- seaux et des plantes qu'il n'ait un coup d'orli pour cette Fraure pas ravagé j)ar la multitude, pourvu que sa modeste pension lui soit conservée , pourvu qu'il puisse revenir quelque jour ! En attendant, il cueille des fleurs pour sa cousine, une anémone parmi les neiges de la source du Gumua, une primevère dans les aipes du Thibet, fleurissant le long d'un sentier couvert de neige à une hauteur supérieure à celle du Mont-Blanc; et encore plus haut que la primevère, une simi)le violette! Ce sont là ses conquêtes, la révolution de juillet n'en a pas tant conquis. Rien n'est aimaiile à voir et à suivre comme ce jeune lioinme, parcourant d'un pas ferme et dune ûme forte les positions les plus difliciles et les plus curieuses de l'Asie. Dans ces tristes L'élable île la girafe dans la grande rotonde de l'élépliant. «pi'il a laissée toute remplie d'agitations et d'inquiétudes. Que fait-on là-bas? orle , en clfet , la nnr fmichrccolulion! qu(' lui importe ce vieux loi ipii s'en va loin du trùne (pi'il n'a pas su défendre , ])Ourvu seulement ipie le Jardin des Plantes ne soit royaumes de la force malt'rielle, où le mot de justice est à peine connu, cet homme seul et pauvre se fait respecter par l'unique ascendant de ses lumières et de son bon droit . Les voleurs ipi'il ren- contre en sou chemin, il les tient en arrêt par la toute-puissance de son regard; les plus aflreux despotes de l'Orient, il les dompte, et (piand ils sont vaincus, il les force à lui apporter même leur respect, que dis-je? même leur argent. C'est ainsi ipi'il a passé par le royaume de Lahore, et qu'il a fait île l!unjet-Sing, le roi soupçonneux de ces conlrécs, une espèce d esclave obt'issant et dévoué. C'est une histoire des plus curieuses; elle est racontée avec beaucoup de verve , d'esprit et de bonne humeur. Notez bien que ceci se passait, pour ainsi dire , au moment où il n'était question (pie de l'Orient en poésie: c'i'iait le temps où on lieu a peu son horrible influence aulour de ce savant et malheureux jeune homme! (>iiendant il faul obi'ir à la nécessite'. Tout à coup .lac- quemont, si bien portaul la veille, se sent pris par de sourdes douleurs. Comme il e'tait tant soit peu me'decin , il voulut résister et se d('fendre : le mal résista au médecin et au malade réunis, .lacquemnnt voulait vivre, la vie pour lui était si belle, il avait si grande envie de revoir- son j)i're, et son fière, et ses amis, et cette france (ju'il aiujait! Vains efforts! vaine espérance! il faut mourir, il faut ne plus revoir personne; il faut mourir seul. Il avait pris son mal dans les fortMs empesli'es de l'ile de Salsette, à l'ardeur du soleil , dans la saison la plus malsaine A peine sut- on (pi il était malade , que l'Iiospilalilé la plus ein|)resst'e s'em- para de J.icipieinont Sa maladie dura trente jours, la soufTrance fut horrible, la raison resta nette et forte jus(pi'à la fni. « Ma fin, disait-il à son frère , est douce et trampiille. Si lu étais là assis sur le bord de mon lit, avec notre père et Frédéric, j'aurais l'Ame brisée, et je ne verrais pas venir la murl avec cette rési- gnation et celte sérénit('. Console-loi, console notre père, con- solez-vous mutuellement, mes amis. » Mais je suis épuisé par cet elTorl d'écrire , il faul vous dire adieu ! adieu ! Uh ! que vous êtes aimés de votre pauvre Victor 1 Adieu! jiour la dernièie fois! » Étendu sur le dos, je ne puis écrire qu'avec un crayon. De peur que ces caractères ne s'efl'acent, l'excellent M. Nicol copiera cette lettre à la plume, a(in que je sois sur que lu puisses lire mes dernières pensées. » Tel est l'homme que l'histoire naturelle a perdu à l'instant même où cet homme allait arriver à toute sa valeur, .lacrpieuiont appartient donc à l'histoire du Jardin des Plantes par toutes sortes de travaux utiles, par toutes sortes de regrets, d'espé- rances déçues et de souvenirs éternels. Deux hommes nous res- tent dont il faut parler, et dont à coup sur nous n'essaierons pas de raconter les travaux et la gloire, tant cette enlrei>rise-là serait au-de.ssus de nos forces. (!es deux hommes, l'honneur de la science, vous les avez di'jà nommés, c'est M. GeofTroy Saint- Ililaire et Cuvicr La lutte mémorable dont liufTon et IJnné avaient donm- l'exemple au milieu du dix-huitième siècle, Geof- froy SaiLit-llilairc et Cuvier font leproiluite de nos jours ; lun et l'autre, ils sont les rliel's respectés de deux l'coles opposi'cs. L'un se contente de classer et de décrire, l'autre va jjIus loin , il s'occupe avant tout des rapi)orts et des causes secondes de l'humanité; celui-ci marche à la tète dune foule immense de zoologistes, celui-là ne vient (pi'a la suite de liuU'ou ; l'un a pris pour sa devise ces (rois motsc('lèbres: Classer, décrire et nonniier, l'autre veut être avant tout un inventeur. Le premier a ail(q)té l'œuvre de Linné, en la perfectionnant, le second a perfectionné l'œuvre de Bufl'on en l'agraiulissant ; ils résument à eux deux toute la science; son passé, son présent, son avenir. Ces deux hommes très -grands sans doute lun et lautie sont deux en- fants du Mus('um. l'^n 17'Jl, (leofl'roy Saint llilaire ('tait profes- seur de zoologie au Musi'um d'histoire naturelle, il travaillait lentement à cette gloire qui > disait-il. C'est lui qui a créé l'enseignement de l'anatomie comparée au Jardin des Plantes, c'est lui ((ui a fait au Collège de France , d'une simple chaire d histoire naturelle, une véritable chaire de la philosoiihie des sciences. Voulez-vous sa- voir sa biographie, elle est dans toutes les mémoires. Il est né le 23 août 1709 à Montbéliard , une ville devenue française. Son père était pauvre, sa mère était belle et d'un grand esprit, et de bonne heure elle apprit à son fils à aimer l'histoire, la littéra- ture, les beaux-aits , la curiosité de toutes choses. Le |iremier livi'e qu'il lut avec admiration, ce fut Yllisloivf naturelle de Duf- fon, et, avec l'Histoire naturelle, \e Système de la Nature de Linné; mais que lui importent les livres? la mer et la terre , voilà ses grands livres: voilà le livre (]u'il lit la nuit et le jour Ainsi il arriva à Paris tout arnu' de science et d'observations, ainsi il entra au Jardin des Piaules en J802; il était secrétaire de l'Ins- titut en 1803; en 1808 il était membre du conseil de l'Université. Il sulFisait à tous ces travaux si divers; en même temps il créait au Muséum des collections si belles, « (ju'il ne croyait pas, disait-il , avoir été moins utile à la France par ses coltectimis seules que par tuus ses autres ouvrages. « La vie de cet homme est si rem|die, (|u'elle fait peur. Chaque heure de la journée avait son travail manpié , charpie travail a\ait son cabinet qui lui était destiné; il passait sans transition aucune d'un travail à un autre. Il eut étt' impossible de retrouver dans la première minute de Iheure suivante Ihominc île Iheiire ipii venait de s éc(uiler. Le .Muséum d'histoire naturelle de Paiis n'est pas seulement le premier, le plus beau , le plus riche de tous les établissements de ce genre, il en est encore, et cela vaut mieux, le plus noble, le plus libéral. Ouvert au public plusieurs fois par semaine, il l'est toujours aux personnes studieuses qui veulent feuille(erle grand livre de la nature. Nulle part au monde on ne trouve un tel concours de richesses, et nulle part ces richesses ne sont jikis accessibles à tous. La courtoisie française ne fait acception de liersonne : les i>ièccs les ])lus rares, les échantillons les jiliis pré- cieux, les catalogues les plus laborieusemiiit achevés, sont tenus à la disposition de quiconque en a besoin; .\nglais, .Mlemands , Russes, Italiens, Américains, tous sont accueillis à ce vaste ban- quet scientifique, et tous en sortent pleins de gratitude pour cette hospitalité royale. C'est ipie la France est grande et généreuse, c'est qu'elle ne connaît pas cet égoïsme étroit qui entasse des richesses inutiles et qui refuse la liiiuière à cvus. ipii viennent s'asseoir à son foyer; c'est quelle comprend la vi'ritable fiater- nité des nations et (pi'elle simU bien ipie la science ne jieut être ni parqm'e comme les penides, ni limitée comme les empires. Il s'agit ici du domaine de la nature, des droits et des besoins de riiumaniti' tout entière; il y aurait crime à refii'-er la libre com- luuiiicalion de ces trésors qui peuvent être utile- à l'espèce hu- iiiaine. Allez donc visiter le Jardin du Uoi , entrez dans celle nouvellt; galerie de minéralogie qui ressemble pour la dimension aux plus. vastes callu'drales, jetez un coup d'iril sur ces armoires ipii con- tiennent de- fragments de toutes les montagnes, des écliaiitiUons LE JARDIN DES PLANTES. 31 de toutes les terres, des mine'raux arraches aux entrailles brû- lantes de notre Riobe. Examinez la suecession merveilleuse des couches qui forment l'enveloppe solide de notre planète et les divers corps organises qui apparaissent graduellement, depuis l'informe Irilobite des ardoisières jiis(pi'aux mammifères fossiles des terrains d'alluvions modernes. Vous y trouverez la preuve des rt'voliilions antiques de la terre où nous vivons, vous y assis- terez au développement successif des êtres organises, vous aiier- cevrez la trace des pas de ces grands animaux sur cpiehpies lo- ches (|ui se sont lentement durcies et ont conserve ces i)rodigieuses empreintes. Vous comprendrez enfin que cette nature, rerum magna parms , n'est pas seulement un vain sperlaele |)our les cuiiiux di'sœuvrès, mais qu'elle est digue de nos |tlus ferxtntes adorations, et vous serez convaincus ipie l'eliule des cires élève l'Ame, agrandit l'inlelligence et rend 1 homme plus heureux parce (pi'elle le rend meilleur. Mais que faisons-nous'.' de «piel droit aborder un sujet pareil' d'où nous vietit cette tèmérilé de nous mêler aux niy>tères de la science? Qui sommes -nous ? (|ue pouvons-nous ?TliouiM, D.iiiben- ton, Desfontaines, Foureroy, Laugicr, Chevreul, Krongniarl, Van- quelin,Tournefort, Lamarck,JussieU, Lace'pèile.Dumt'ril, Latrellle, Mertrud, de Blainville, Cordier, Dubois, Becipierel, Ilaiiy, lein- maître à tous : Deleuze, Delalande, Valeneiennes, Louis Dufresne, Antoine Portai, Jean-Paul Martin, M. Uousseau, M. Laurillard, M. Kegley, M. Frédéric Cuvier , .M. Isidore Geoliroy ; ce sont là autant d'hommes (jui ont le droit de tenir leur place dans celle histoire, si nous faisions en effet l'histoire; comme aussi il ne faudrait oublier ni .M. Leschenault de I.a Tour, ni M. Lesueur. ni M. Auguste de Saiut-llilaire , ni M. Dianl , ni M. Duvaucel , ni M. Sauvigny, ni M. Fontanier, les pre'déeesseurs iieureux de MM. Ilavez, Godefroy et Victor Jaccpiemont. En fait de noms pro- pres , nous n'en manquerions pas non plus parmi les correspon- dants du Muse!um. A leur tête il faudrait mettre le baron de Ilumbidill, cet homme illustre ipii a fait pour r,\mèrii|ue presque autant (pie Christophe Coloud). Comme aussi , si nous écrivions l'histoire du Jardin des Plantes , ce serait notre devoir de vous mener par la main à travers ces grandes alle'es de tilleuls plantées par M. de BufTon en 1740 , à travers ces belles serres toutes mo- dernes, dans ces carrés tous remplis de genévriers, de chênes, de mélèzes, de frêne* de la Caroline, de noyers noirs de la Virginie, de merisiers à fleurs douces , de pommiers odorants , dans ces parterres consacrés aux plantes UK'dicinales , aux plantes indi- gènes et aux plantes exotiipies. Nous iiions de là dans les i)ar- terres oii les tièdes souilles du vent i)rintanier font éclore chaque année les plus belles plantes vivaces , les fleurs de plates -bande, et après les fleurs, les arbiisseaux autour du bassin carré, rosiers, boules-de-neige, lilas, fontanesia, glaïeuls; des arbrisseaux, vous passez aux arbres élevés dans la pé|)inière. Parcourons lentement le long de la giille du cot(' du midi ; là vous rencontrez 1 innom- brable famille des bruyères. Ainsi vous arrivez jusqu'à l'orangerie, dont les murs sont couverts de plantes grimpantes; de l'oran- gerie au labyrinllie il n'y a ipi lui pas. Là s'élève, dans toute sa majesté bibliipie, le <èdre ilii Liban, là est placé le tonibeaii de Daubcnlon, ce palriarclie de l'histoire naturelle. On i)eut appeler cette colline, la double colline ; elle est couverte d herbe ipie I ou fauche chaque année. Dans la vallée sont placés les plus beaux àlbres de la Nouvelle-Hollande, du cap de Bonne-Espérance, de l'Asie-Mineure, des ccMes de Barbarie, arbres frileux qui ont passé l'hiver dans la série chaude. Ainsi donc nous pourrions faire nnc longue et utile promenade; mais encore mie fois , ceci n est pas une histoire, c'est l'essai d'un homme qui aime les beautés de l.i nature, sans trop les comprendre ; ijui porte en ceci , comme eu toutes choses, plus d'ima^inaliim que de science, et qui, dans ce vaste domaine des ([ualre règnes de la nature, n'est connue vous qu'un simiile et curieux voyagem- , un badaud du Jardin des Plantes, un flâneur ('uni et charmé à travers tant de merveilles venues de si loin. — C'est un usage des voyageurs qui enrichis- sent le Muséum d'une plante rare ou d'un animal curieux, d'in- scrire leur nom à côté de le\n- ofl'rande ; cetîe petite gloire les récouqtense, et an delà, de bien des dangers et de bien des sacri- fices ; et moi aussi , j'ai voulu , à l'exemple de ces voyageyrs , inscrire mon nom (pielque part dans ce monument brillant (lue les arts et la science élèvent à l'histoire naturelle. J'ai dit, connue il est dit dans Virgile : « Ne me refusez pas une petite place dans le récit de ces grandes choses : » Mené igilur socium summis adjungere rébus, Nise, fugis? Et cet honneur ne m'a pas été refusé. JuLEi Jamn. r'^^'^ <\_ . ^,,^ .^:A^^^.li\l nESCiuPTiON nu jardin. I>'enlrt'e ])rin(;ipale du jnitlin (Ij* est celle qui donne sur le (|uai d'Auslerlitz ; elle existe depuis 1784. Une belle place, »}ui la si'pare de la Seine et du pont d'Austerlitz, offre aux voitures un lieu de station fort commode. Outre cette porte, placée au centre d'une longue grille circulaire, il y en a cini] autres : celle du quai de la Tournelle ("2) et celle de la place de la Pitié p), toutes deux nouvellement ouvertes et faisant les deux coins extrêmes de la rue Cuvier; la porte donnant .sur la rue du Jardin-du-Roi, ouverte eu 1808 (4), e'galement très-friMiuentee par les e'tudiants et i>ar les visileurs du Cabinet d'histoire naturelle, elle fait fai:e à la maison (70) ((n'habitait Buffon ; la porte de la rue Cuvier (5), pres- (|ue aussi ancienne que celle d'Austerlitz, enfin la porte de la rue de liullbn ((i), la moins frwjuentec de toutes. .Nous allons supposer que le visiteur entre par la porte d'Aus- terlitz (1), et nous dirigerons sa marche soit sur les lieux m(*mes, soit sur le plan joint à cet ouvrage , de manière à ce que rien (l'intéressant ne lui échai>pe dans la promenade que nous allons fain^ avec lui. En entrant, en face de nous, nous embrassons du piTuiier coup d'œil tout l'ancien jardin, resserre entre trois maguirn|ues avenues de tilleuls et de marronniers d'Inde; la perspective de ce jardin symétri([ue, plante dans le goût de nos pères, se ter- mine i)ar la façade d'un èdilice (7) (|ui renferme le Cabinet d liis- toirt' nalin-elle zoologi(iue. Les quatre premiers carres tjue nous rencontrons en face de nous (8) sont entièrement consacres à la cidture desp/antes médicinales, non-seulement dans un but d'étude pour les élèves pharmaciens, mais encore pour en faiie aux pau- vres des distribulions gratuil(\s; jibis loin sont <|ualre auties carrés (il) nomnu's du Flcurisk, dans lesciuels on cultive les plus belles plantes vivaces propres à l'ornenient des parterres. Par les * Les numéros placés entre parenthèse renvoient aux numéros du plan. soins intelligents des jardiniers, ces carres offrent depuis le prin- temps jus([u'aux premières gelées une succession non interrom- pue des fleurs les plus belles et les plus rares. Vient ensuite le Carré creux (10) ; c'était autrefois un vaste bas- sin creusé en pente douce jusqu'au niveau des eaux de la Seine, qui s'y rendaient par inTdtration. Il était destiné par Buffon, qui le fit creuser, à conserver et élever des plantes aquatiques. Sur ses rives en pente on voyait se promener, parmi des bosquets plantés d'arbrisseaux fleuris, une foule d'oiseaux aquatiques au plumage le plus varié, tandis que d'autres nageaient avec grâce sur la surface des ondes ou plongeaient dans leur sein. Ce vaste bassin , le seul qu'il y eût au .Jardin des Plantes, a été comblé, je ne sais pourquoi. Aujourd'hui ce n'est plus qu'un carré bizarre- ment enfoncé, et planté de fleurs et d'arbrisseaux. Voici, après le Carré creux, la Pépinière (H), dans laquelle on élève les arbres et les arbrisseaux destinés à la |>lantation et à l'entretien du jardin. Plus loin sont les (pialre carrés C/ia/j/a/ (12), destinés à la naturalisation des plantes étrangères de pleine terre. Au milieu de ces carrés se trouve un petit bassin de pierre (15) d'une construction singulière. 11 a la forme d'une coupe portée sur un pied, et l'on peut, dit-on , faire le tour de ce pied par un passage souterrain. Parvenus là, nous avons en face de nous le Cabinet de zoologie (7), à gauche la Bibliollièque et les Cabinets di: minéralogie , de géologie et de botanique, dans un maguilique bâtiment neuf (l-i), à droite les serres immenses construites il y a peu d'années. Nous reviendrons sur ces constructions. Nous ne nous occuperons pas de la grande avenue de tilleuls à gauclic : parce i|iie les massifs et carrés placés entre elle et la rue de lliiU'ou n'oH'rent un grand intérêt (pie pour les amateurs d'horticulture. Les deux premiers (15) conlieniienl un semis des arbres (|ui doivent être repi(]U('s dans la pépinière, le tj'oisième (lOj renferme des éclmntilions des plantes céréales, économiques LE JAKDllN DES PLANTES. 3Î et fourragères. Nous mentionnerons encore le café-restaurant (17), toléré par l'administration pour la commodité des promeneurs, et placé sous un ombrage délicieux de robinias, de mimosas, til- leuls et autres arbres. Revernis à notre première station (1), nous prenons la seconde avenue qui est à droite (19), c'est-à-dire celle (pii est plantée en semaine, de trois à cinq heures. A droite, le long de notre ave- nue, nous avons vu d'abord un parc (:22) renfermaTit des brebis d'Abyssinie, données a la ménagerie par le docteur Clot-Bey, et des moutons d'Islande envoyés par M. tliiimard; puis un autre parc renfermant ordinairement des ciièvrts étrangères (23); la fosse de l'ours blanc (24; ; celle des ours bruns nés à la ménage- Rotonde de l'éléphant. marronniers, et qui sépare le jardin symétriuis une panthère de 1 Inde, donnée par M. Beck. Les trois dernières loges sont habi- tées par des ours : l'un, l'ours aux p[randes lèvres, est dû à M. Dussuniier ; l'autre , l'oin-s des Cordilières , au prince de .loin- ville; If troisième, l'ours brun du Kaiulschalka , à M. le capitaine de vaisseau Du Petit-Thouars. (^omme on le voit, la ménagerie lies grands animaux féroces est assez pauvre en ce moment; mais sans doute l'ailministration y pourvoira avec le zèle qu'elle a tou- jours montré, d'a\ilant plus que là est le spectacle favori du peu- ple |»auvre, du peuple t une autre espèce de cheval , l'hémione , de la taille d'un petit mulet, à crinière brune et pelage Isabelle. H vit en troupe dans les step- pes de l'Asie centrale, court avec une très-grande agilité, et fait, dit-on , jusipi'à soixante lieues sans boire. A notre droite est un grand parc (bî;i) offrant |dusieiirs subdivisions : nous en ferons le tour en commençant par la division faisant face d'un cMi- à la faisanderie, et nous y remarquerons les jolies gazelles de l'Algé- rie , à la taille légère, aux niouvenienls gracieux, et aux yeux grands et noirs, si doux , si expressifs, qu'un Arabe ne croit pas pouvoir faire un coiuplimeul plus llaltcur à sa luaitressc (pie de comparer ses yeux à ceux d'une gazelle. Dans la seconde divi- sion (î)(i) , faisant pointe vers la grande rotonde , est une biche inuntjae. Nous doublons celte pointe, et, redescendant à droite, nous nous arrêtons avec surprise devant le chickara (.^i7), singu- lière antilope à (pialre cornes. Dans la division siiivaule (58) est l'oiseau le plus extraordinaire que l'im puisse trouver : c'est le casoar à casque, envoyé par M. Marceau. (ÀM oiseau, presque aussi gros que l'aulruche, est privé comme elle de la faculté de voler; ses plumes sans baibiilcs ressemblent à de gros crins plats-; sa tète est recouverte ou plutôt défcmliic par une sorte de casque osseux; ses ailes soûl remplacées par cinq tuyaux de iilumes, longs, pointus cl sans barbes; ses [lieds sont gros et musclés, d'une telle fori^c, que d'un coup il iieut terrasser son ennemi, et d une telle agilité , qu'aucun cavalier ne peut l'atteindre à la course. Ou le trouve dans l'archipel Indien. Derrière sa division en est une autre (pii renferme aii-^si dis c.asoars, mais ayant été ap- portés de la Nouvelle Hollande par le capitaine Du Petit Thniiars; ils n'ont [las de casque, cl leur plumage est jibis fourni, iiuoiipie moins brillant. Plus loin, toujoiir-- dans une division du même parc(.')9), nous 36 LE JARDIN DES PLANTES. voyons, autour il'iin petit bassin, des grues de Numidie envoye'es par le docteur Clot-Bey, des pintades, des dindons, des sarcelles et des canards e'trangers, tous d'un plumage agre'able. Viennent encore ((30j des casoars de la Nouvelle-Hollande, puis des niara- liouls , dont les plumes, duveteuses et légères, servent de parure de télé à nos dames, et enfin (Gl) des nandous ou autruches d'A- fait dans le crâne , sans leur oter la vie. A côte' d'elles sont des hérons pourpres, des bernaches armées, et autres oiseaux. Reprenons maintenant l'allée droite que nous avons déjà par- courue , et arrivons à la grande rotonde (65). Là vivent la girafe , l'éléphant et d'autres grands mauuiiifères. Six petits parcs , qui rayonnent autour de la rotonde, penncllent, quand la tcmpéra- Le cèdre du Liban. mérii|uc, ditréiaut principalement de la véritable autruche par leur taille plus |)etilc et leurs pieds munis de trois doigts au lieu de (h'u\. l'uis(iue, en faisant le tour lie ce parc, nous sommes revenus vers la faisanderie, nous remarquerons à ni)tre gauche (Oâ) , joi- gnant son cnccinle, le gazon sur lequel se proiiu''nent lourdement des tortues, singuliers aniuiaux au\(piels il repousse un o;il quand on le leur a arraché, et dont on peut vider la cervelle par un trou tare est favorable, de faire prendre l'air à ces animaux pour la plupart fort paisibles ; ces parcs correspondent à autant d'écu- ries dans lcs(|ucllcs ils sont logés, soign('s, et chaudes pendant l'iiivcr. Le prruiicr parc, à droite en regardant la porte de la rotonde, renferme des luMuioin^s, dont nous avons déjà parlé; le second est celui de la girafe, (pii, lors([u'eile arriva à Paris, était beaucoup moins grande qu'aujourd'hui. Elle fut envoyée à Char- les X jiar Méhémet-Ali , pacha d'Egypte. Dans le mOine enclos LE JARDIIN DES PLAJNTES. 37 sonl des ze'bus, variété bossue du bœuf domestique; les brahuies leur rendent des honneurs divins; les Africains les mangent et trouvent excellente leur bosse, qui n'est rien autre chose qu'une grosse loupe de graisse. A côté de la girafe est un éléphant d'A- fric|ue, amené fort jeune à la ménagerie; il est très-doux, fort affectionné à son cornac, auquel il obéit avec beaucoup de doci- lité. Chai|ue matin, lorsque le temps le permet, on lui fait faire mieux , et passent une grande partie de leur vie dans l'eau. La femelle d'un buffle d'Asie loge tranquillement dans la même en- ceinte que l'éléphant et les tapirs. C'est probablement cette race de buffle qui de l'Asie s'est répandue en Egypte, ensuite en Grèce, et de là en Italie, où elle s'est beaucoup multipliée avec de légères modifications. Dans l'enceiiile (|iii >.uit est un dromadaii'e, animal dont tout Cabane dea axis et des chèvres du Sennaar. une promenade dans les allées du jardin avant qu'il soit ouvert au public. Son cornac lui place sur le dos une couverture, ou un siège de bois maintenu avec une sangle; il lui ordonne de se baisser, ce que l'animal fait aussitùl; puis il luotile s\u- son dos, et par la parole seule il le dirige dans sa ])r()rnenade. Avec l'éléphant sont deux tapirs d Amérique , doniK's par M. Crouan. Ce sont des animaux mélancolicpies, stupides, se ser- vant fort habilement de leur petite trompe pour arracher, au bord des rivières, les lacines des i)laiites aquatiques dont ils se nourri'i-enl. Du reste, ils nagent fort bien, plongeni encoie le monde connaît la précieuse utiliUi dans les pays chauds, tels tpie le nord de l'Afrifiue, lArabie, la Syrie et la l'erse. Il se dis- tingue siiflisamment du chameau, employé en Turqueslan et au Thibet, en ce qu'il n'a (pi'uue busse tandis que le chameau en a deux. Avec lui vit un jiécari, animal ayant avec le sanglier des analogies de forme, mais exhalant une odeur fétide et pénétrante. Il a sur le dos une fente glanduleuse, d'où suinte l'humeur qui exhale celle odeur insupporlable. Knlin, dans la dernière en- ceinte, on voit une femell." de daiiw avec son poulain. l'our la seconde fois, en quillanl la rolonde, nous redescen- 38 1,E JARDIN DES PLANTES. drons vers le casoai- à casque , mais nous n'aurons à nous occu- per que (lu parc que nous allons longer à notre gauche. Sa pornte (tV'O faisant face à la girafe , nous offre une première di- vision habitée par des boucs et des chèvres sauvages du Sennaar, envoyés par le docteur Clot-Bey ; si tel était le type de nos chè- vres domestiques, il faudrait en conclure qu'une antique servitude n'a pas beaucoup influé sur certaines races assez communes dans les montagnes de la France. Vient ensuite une enceinte renfer- mant des axis (03); puis le bassin des oiseaux a(|uatiques 100). Là on voit le tadorne, jolie espèce d'oie , qui se loge dans les ter- riers , comme le lapin , pour faire son nid et élever sa jeune fa- mille. Le mile, pour écarter le chasseur de son nid, sait merveil- leu.scuient contrefaire le blessé, se traîner devant lui , se faire l)oursuivre à une demi lieue de là en lui faisant croire à chaque moment qu'il va se laisser prendre, puis tout d'un coup s'élancer clans les airs d'une aile agile, et disparaître aux yeux de son en- nemi désappointé. Des grues, des cigognes, se promènent gra- vement sur leurs longues jambes autour de la mare où nagent pêle-mêle des cygnes , des mouettes , des goélands , et le canard musqué, connu vulgairement sous le nom de canard de Barbarie. Cette espèce est si peu sauvage, que, prise aux filets et transportée dans une basse-cour, elle s'y fixe , s'y multiplie, s'y comporte comme les autres oiseaux domestiques, et ne pense plus à recon- quérir sa liberlé. A notre droite est une fabrique rusticjue (07), ayant quatre portes ouvertes sur autant de divisions d'un petit i>arc. Dans l'une vivent des gazelles d'Alger ; dans une autre est le chamois, seul animal dKurope que l'on puisse comparer aux gazelles : sa légèreté est incomparable , et on le voit qiielipiefois , dans nos Alpes, franchir d'un liond un précipice de dix à douze mètres, et courir, en s'élançant de rochers en rochers, avec autant d'aisance et de rai)idité que s'il était dans la plaine la plus unie. Nous voilà parvenus en face du dernier parc (08) , renfermant les cerfs du Malabar, et, dans une de ses divisions, l'alpaca du Pérou, animal assez doux, remarquable par l'épaisseur et la fi- nesse de sa toison. Ici nous pourrions sortir de la ménagerie par la porte qui donne en face de l'amphithéâtre ; mais nous nous bornons à passer devant cette porte, et, tournant à gauche, nous longeons, à notre droite, un petit jiarc (09) renfermant des chè- vres et des moutons étrangers, puis une assez grande enceinte (70) où sont des cerfs et des biches de France et du Malabar. Nous passons devant la grande rotonde. Dans l'enceinte (71), que nous laissons à gauche, sont des rennes de Laponie, sorte de cerfs dont les peu])les du Nord se servent' pour attelage à leurs traî- neaux, et des pécaris, animaux semblables à des sangliers, et dont nous avons déjà parlé. Enfin , nous arrivons à une porte par la- quelle nous rentrons dans le jardin symélri(pH'. La ménagerie, sous la direction de M. Florent Prévost, est ou- verte au public tous les jours, de]Miis onze heures jusqu'à six en été , et depuis onze heures jus((u'à trois eu hiver. Nous allons maintenant visiter les diverses autres parties de ce vaste ('tablis- senient, et nous nous Iransporlerons d'abord dans le Cabinet de zoologie, vulgairement connu sous le nom de Cabinet d'histoire naturelle. LE CABINET DE ZOOLOGIE. Les étrangers, sur la présentation de'leur passe-port, obtien- nent de l'administration des cartes qui leur permettent d'(tntrer au Cabinet d'histoire naturelle les lundi, jeudi et samedi de cha- que semaine, de onze à deux heures ; le public ne |)(Ut le visiter (|ue le mardi et le vendredi, de deux à cin(| heures en ('lé, et de deux jusipi'à la nuit en hiver. Les naturalistes qui veulent aller y étudier .sont ol)ligés de prendre des caries d'étudiants, et y en- trent aux heures consacrées aux éludes. La conservation des ga- leries est confiée à M. Kiciiei-. Le Cabinet de zoologie (7) est un des plus complets qu'il y ait en Europe, et , si on le considère dans son ensemble , dans le momie entier. Les animaux y sont empaillés avec grand soin ef placés dans des armoires vitrées herniéli(]uement fi'rmi'es , afin de préserver leurs robes (b'iicates et brillantes de l'attaque des insectes destructeurs. Chaque e.spèce est placée avec son genre , les genres avec leur famille , les familles avec les or- dres, etc.; c'est-à-dire que tous les objets y sont classés niétlio- di([ucment et dans le plus grand ordre. Une éti(|uette apprend aux visiteurs les noms g('néri(|ues et sjH'cifiques de elia(pie animal, le nom de l'auteur (jui l'a décrit, la partie de la terre où son espèce se trouve, et souvent le nom de la iiersonne (jui l'a recueilli et envoyé au Cabinet. Nous passerons rapidement en revue les ob- jets qui frappent le (ilus, non pas les savants, mais le public, dans cette riche collection. Dans la salle des singes on cherche à retrouver l'orang-outang qui a vécu à la ménagerie sou* le nom de Jack, et la jeune femelle de kinqiézey, Jacqueline. D'autres orangs, des gibbons aux longs bras , des mandrilles au nez rouge et bleu , des sapajous , des ouistitis , etc., sont les plus remarqués du public. Viennent ensuite les ours, les lions, les tigres et autres grands chats tous remarquables par leur robe admirablement tachée ou mouchetée. Les civettes, les hyènes, les loups arrêtent un mo- ment les regards; mais les éléphants, les rhinocéros, les hippo- potames, les girafes et autres grands animaux sont ceux «pii lixeut le plus l'attention générale. Les galeries d'ornithologie sont extrêmement fréquentées par les étudiants et les naturalistes ; mais le public , après y avoir admiré les vives couleurs métalli(iues des colibris ; la grande sta- ture des autruches, des nandous, descasoars; la singulière alti- tude des manchots; le phnnage si beau et si varié des perroquets, des paons , des faisans, de l'euphone à bandeau , du ranq)hocèle flamboyant, des lyres, etc. ; la poche des pélicans ; le bec énorme et singulier des calaos; la puissance des aigles, des grands ducs et autres oiseaux de proie; le public, dis-je, passe assez b'gère- ment sur tout le reste. Nous voici dans la galerie consacrée à la conservation des rep- tiles et des poissons. Comme ces derniers sont presque tous con- servas dans l'esprit-de-vin et renfermés dans des bocaux de verre, on s'y arrête peu. Il n'en est pas de même pour les reptiles : des tortues énormes , des crocoililes d'une grandeur prodigieuse , l'énorme boa anacondo, et (pielques autres, sont remarqm^s de tout le monde; on voit même des personnes chercher à l'econ- naître dans son bocal le terrible serpenta sonnettes. Les collections de cruslac('s, d'arachnides, de myriapodes et d'insccles ne sont guère visitées (jue ])ar les naturalistes; bis (pie i)ar les anliipies fragments (pie l'on trouve de loin en loin ensevelis dans le sol. La soûl des os d'ch'- ]>hants bien plus gros (pie ceux (pii existent aujourd'hui, et aiiv;- (juels G. Cuvier a donné les noms de mastodonte et de mam- mouth Plusieurs espèces monstrueuses de ces animaux foulaient le sol (pii depuis est devenu la France. Des hippopotames , îles LE JARDIN DES PLANTES. 39 iliinoréros , des ta|)ir> ou lopliioilnns , des clu'ropotaiiics , des liyènes, des lions, des fianthères, et mille aiilies monsires d'une grandeur énorme et n'ayant rien de commun avec les espèces qui vivent aiijourd'luii, erraient aux environs de Paris. D'alFreux crocodiles habitaient les marais de Meudon , des baleines d une grandeur prodigieuse venaient échouer dans la nw Dauphine; des ptérodactyles ou dragons volants , de cinci à si\ mètres de longueur, se balançaient dans les airs sur leurs ailes livides; des idésiosaures encore beaucoup plus grands, au corps de poisson, aux pieds de ce'tace' , au cou de serpent , à la tète de lézard , na- geaient là où sont aujourd'hui de charmantes vallées; des iciilh\o- saures, moitié poisson, moitié lézard, plus grands et plus foimi- dables que les précédents , traînaient leur ventre fangeux où coulent les eaux limpides de la Seine ; et je n'oserais , dans la crainte de passer pour un menteur , vous raconter toutes ces choses étranges, si nous n'étions ensemble dans le cabinet des fossiles, où sont réunis les squelettes de tons ces singuliers et antiipies lialiitanls de la terre. Vmis y verrez les restes de paheo- théi'ions, lantes rares de son jardin de Blois. .Vprès sa mort, Louis XIV l'acheta et la plaça à la Bibliothèque royale, d'où, en 179i, elle passa dans la bibliothèque du Jardin des Plantes. Elle renferme mnintenant plus de cinq mille vélins, distribués dans quatre- vingt-onze portefeuilles. Commencée par le peintre Bobert , elle fut continuée par Aubriet, mademoiselle Basse])orte, Bessa, Cha- zal, Iluet, Joubert, Maréchal, Meunier, Oudinot, Prêtre, Re- douté, mademoiselle Riche, Turpin , Van-Spaendonck , Vailly, Werner et quelques autres. VOYAGEURS DU JARDIN. En terminant l'histoire d'un établissement (|ui fait l'honneur de notre patrie , je dois rendre ici un hommage public aux intré- pides voyageurs qui, par un zèle aussi ardent que désintéressé, ont parcouru les pays les i)lus éloignés, les i)lus baibares, ont exposé cent fois leur vie , sont morts quehpu'fois sur \\n sol étran- ger, à trois mille lieues de leur famille , i)our enrichir le Muséum et la science. Je le dis à regret, ces hommages que leur rendent trop rarement les écrivains sont le seul dédommagement , le seul bénéfice ipi'ils retirent le plus ordinainmienl de leurs pénibles et périlleux travaux. Nous joindrons aussi à leurs noms ceux des personnes (pii , sans appartenir à l'établissement et jiai' pur amour pour les progrès de la science, ont fait des dons impor- tants soit à la ménagerie, soit an Cabinet. Malheureusement je n'ai pu me procurer à C(; sujet cpie des données incomplètes; et s'il manque des noms à cette liste , je prie les personnes oubliées de croire (jue les omissions sont tout à fait involontaires de ma part. Baudi.n (le capitaine), commandant le Géographe; voyage aux terres australes. Bellanoer a exploré les côtes du Malabar et de Coromandel. BriiiiON a exploré la Sicile. BoRv DE Saint-Vi.ncent (le colonel), Grère, Algérie. BovÉ, directeur des jardins de Méhémet-Aly, au Caire, l'Egypte. Brui.lé, Grèce. Bl'Sseuil, le tour du monde avec le capitaine Bougainville. Cau.iacii, le lleuve Blanc et Méroé. Le Muséum lui doit deux crocodiles embaumés. Catouie , l'Afri(iiie. CiiÉRuriiM , (ils du célèbre compositeur, l'Egypte. Clot-Bey, médecin au Grand-Caire, l'Egypte, le nord de l'Afrique. Constant Prévost. On lui doit des reptiles de Sicile. Dei ai.a.nde a ex|>li)ré le caj) de BonneEsj)érance et une partie du midi de l'Afriipu'. Désesse, le Brésil. DiARD, le Bengale, Java, Sumatra, les îles de la .Sonde, etc. DouMERC (Adolphe), Améri(iue méridionale. DussiiMiEii , négo('iant et armateur à Bordeaux. Le Muséum el la mr'nagerie lui doivent des envois fort importants. DiJVACCEi., le Bengale, Java, Sumatra, les îles d(' la Sonde, etc. KviiOLv, voyage sur la Favorite. Calot jeune , les environs de Rio-Janeiro , où il est mort. Gaunot, le tour du monde sur la corvette la Coquille. GAriiiciiui), Ainéri(pie iiK'ridionale, le Brésil. Gav, Anufricpie mi'i'idionale. Gaimard, port du Roi-George, terre de Nuitz, Port-Jackson, Nouvelle-Irlande, Nouvelle-Guinée, Amboine, terre de Van-Dié- men, Ilobarts-Town , Vanikoro, îles Marianncs, Amboine, les Célèbcs, Batavia, le cap de Ronne-Espérance , Islande , Groen- land, Spitzberg , Laponie. Gérard, rAlg(Tie. GouDOT, Madagascar. IIamelin (le capitaine), couun.iuilani Ir Xnliiraliste: voyages aux terres australes. ]loD(.sn.\ (le major), Inde. IIURi.Aii, l'Américpie sei)teulri()nale. LE JARDIN DES PLANTES. 43 JoANNis , haute Egypte, l)orils du Nil. .FoRÈs, haute Egypte, liords du Ml. DicsjAiiDiN (Julien), l'Afritiue. Lamare-Piulot a permis (pion choisît , parmi les doubles de sa collection , les espèces manquant au Muse'e. Leblond a anciennement'explore Cayenne. Lefkvre (Alexandi'e), l'Egypte. Leconte, les Étals-l'nis d'Amérique. LESCiiENAtLT 3 cxploré Cayennc , Sumatra , .lava , le Bengale, les îles de la Sonde. Lesson , le tour du monde sur la corvette la Coquille. Lesuedk, les terres australes, la côte occidentale; de la Nou- velle-Hollande, Timor, les côtes deDi^'uien, détroit de Bass,etc., les i;tals-Unis (lAme'riipie , l'Afrique. LEVAii.r.ANT a aucienuemeul exploré Surinam , puis le midi de l'Afrique. Le cabinet lui doit sa première girafe. Levilain, mort dans un voyage aux grandes Indes. L'Heusumer, les îles de la Martinique, Porto-Uico , la tlua- deloupe. Marloy, chirurgien de la marine, l'Algi'rie. Maugiî, mort dans un voyage aux grandes Indes. Ménestbie a exploré l'Amérique méridionale. Milbert, les Étals-Unis d'Amérique. Mn.iLS (le baron), gouverneur de Cayenne. MociNO, le Brésil. Orbigky (d'), l'Amérique méridionale. Pérou, les terres australes, la côte occidentale de la Nouvelle- Hollande, Timor, côtes de Biémen, détroit de liass.elc., l'Afriipie Pérottet, le cap de Bonne-Espérance. Plt:e, les lies de la Martinique, Porto-Uico, la Guadeloupe. Pih;v , la Havane, Gidia. PorrFAe a exploré Cayenne , où il était chef des cultures de naturalisation pour la France. QioY, îles de France, de Bourbon, Mariannes, Port-.lackson , lies Malouines, .Monte-Video, Bio-Janeiro, etc., lAfriipie. Revnauu, voyage sur la Chi-rrclle. BiciiARi) a anciennement exploré la Guyane. liicouii a voyagé pendant (pialorze ans pour le .lardin : île de Saint-Bomingue , .Vmérique se|)teutrionale. Roger , l'Afrique. Rousseau (Alexandre), Russie méridionale, et tout récemment Madagascar, archipel Indien. RozET , ingénieur, a exploré l'Algérie. SAiXT-lliLAUtE (Auguste) a exploré l'Améritiue méridionale. Sav icNva exploré l'Italie. Le cabinet lui doit de beaux reptiles. Sr.ANzix , capitaine d'artillerie de la marine, l'Afrique. Stemieil, l'Algérie. Tei.niuiuer , rAméri(pie septentrionale. TnÉDEXAT-DuvAx r , l'Egypte. Vekreaux, neveu de Delalande, le Cap. Nous nous sommes borné ici à indiiiuer les contrées explorées parles voyageurs du Mus('um et par les voyagein's libres qui ont fait des envois; car si nous ('lions obligé de mentionner espèce par espèce toutes les richesses (|udn leur doit, ce sei'ait nommer sans exception tous les objets rares et précieux que renferment les galeries et les vastes magasins de l'établissement. PERSONNEL DU JARDIN EN 1851. Zoolugii'. Mammifères et oiseaux. — M. Geoffi\ov Saint-Hilaire (Isidore), l>rofesseur. — M. Prévost (Florent), aide-naturaliste, et comme tel chargé de la surveillance de la ménagerie. Reptiles et poissons. — M. Demiril, professeur. — Dl'méru. (Au- guste) aide-n;ilin'alisle. Mollus(iues, annélides et zoophytes. — Valenciennes, profes- seur.— M. Rousseau (Louis), aide-naturaliste. Crustacés, arachnides et insectes. — M. Mu.^E-EI>^VARIls , pro- fesseur. — .M. Bi A.xciiAHK (Emile), aide-natiu'aliste. Analomii' et Pluisiologie. Histoire naturelle et Anatomie de l'homme. — M. Serres , ]>ro- fesseiu'. — M. .Iacquart, aide-naturaliste. Analomie conijiarée — M. Dfvernoy , |)rofesseur. — ,M Bdi s- SEAII (Emmanuel], aide naturaliste, chef des travaux anatomiipics. Physiologie compar('e. — M. Ei.ourens, professeur — M l'iu- iM'PEAEX (Constant), aide-naturaliste. Uotaniiiue. Botani(iue et physiologie végétale. — M. Bron(,ne\bt (Adolphe), professeur. — M. Tueasne, aide-naturaliste. liiilaniqiie rurale. — M. he Ji ssieu (.\.), professeur. — .\l. \\ i n- hi.i I. , aide-uaturalisle. Culture. M. Dt(.usxE, professeur. — M. Si'A( ii (Edouardj, aideiialu- raliste. Minéralogie et Géologie. Géologie. — M. C(U;niER, professeur. — M. [i'Orrignv (Charles), aide-naturaliste. Minéralogie. — M. Dlfrexov , professeur. — M. Rivière, aide- naturaliste. Physigue et Chimie. Pliysi(pie. — M. REcyLEREi, , i)rofesseur. — M. Becquerel fils, aide-i)réparateur. Chimie g('nérale. — M. Frejiv . professeur. — M. Deiomiue, aide-pr('parateur. Chimie appli(iuée aux arts. — M. Ciievreii., jïrofesseur — M. Ciot/, , aide-préparateur. Iconographie. Iconographie des animaux. — M. Ciiazai. , professeur. Iconographie des plantes. — M. Lesoluip he Bfaureguiii, pro- fesseur. l'eiiiturcs et dessins. — MM Dewau.i.v, Miimir. Peintures et dessins de botanique. — Mademoiselle RieiiÉ. llihUi>thè(jue. Bibliolh('(aire. — M. BESNOViais. CONSERVATEURS DES GALERIES, (lonservaleur du Cabinet d'anatomie com|>ar('e. — M. Lau- lur I ARII. 44 LE JARDIN DES PLAINTES. - M. KlENER. M. C.AIDICHAUB Conservateur des galeries d'histoire naturelle Conservateur de la galerie de botanique. ■ (Ciiarles). Jardiniers en chef. — M. Neumann, pour les serres : M. Pei'IN, pour l'École de botanique. Chef des bureaux — M. Pra;vosT (Hippolyte}. Tel est le personnel actuel du Jardin des Plantes. Tous les noms que je viens de citer sont une preuve suffisante que cet e'tablis- sement est aussi recoramandable par les hommes que par les choses. L'administration , afin de ne pas laisser envahir les colieclioiis par les curieux oisifs qui s'y portent en foule et qui enconibrc- raient les galeries au point de rendre toute étude impossible aux étudiants , a ainsi re'gle les heures d'entrées. Entrées sans cartes. Ménagerie. Tous les jours, de onze heures à cinq heui'es en elé, et de onze à trois en hiver. Cabinet dlïisloin' naturelle. Le mardi et le vendredi, de deux heures à cinq heures en e'té , et de deux heures à la nuit en hiver Bibliothèque. En été, tous les jours, sauf le dimanche, de dix heures à trois heures. — En hiver, aux mêmes heures, mais seu- lement les mardis, jeudis et samedis. Entrées avec des cartes. iNoTA. Les étrangers reçoivent des cartes à l'administration sur la simple présentation de leur passe-port. Cabinet d'histoire naturelle. Les lundis, jeudis et samedis, de onze a deux heures. Cabinet d'anatomie comparée. Les lundis et samedis, de onze à deux heures. Galeries de botanique. Le jeudi , de deux à quatre heures. Ecole de botanique. Les lundis, jeudis et samedis, de trois à cinq heures. Les personnes qui veulent se livrer spe'cialement à l'élude de l'histoire naturelle ou d'une de ses branches obtiennent de l'ad- ministration une carte d'e'tudiant, qui leur donne le droit den- tier aux heures consacrées à l'étude. Maison de Buflon. Nous croyons faire plaisir à nos lecteurs en mellant sous leurs yeux les lois et ordonnances par lescpiellcs se trouve régi le Jardin des l'iantes, les lettres patentes cpii en ordonnent la con- struction , ainsi ([ue le règlement jiour les cours e( de'nionstra- tions des professeurs. Lettres patentes concernant l'établisseinent du Jardin roijal des Plantes. (Du 6 juillet 1026.) Veu i)ar la Cour les lettres patentes donne'es à Paris au mois de janvier lOSli, par lesquelles le dict seigneur (le roi Louis XIII) veut et ordonne rpi'il sera construit un Jardin royal en l'un des fauxlinui'gs de cette ville de Taris, ou autres lieux proches d'i- celle, de telle grandeur (juil sera jugé propre, convenable et nécessaire par le sieur llerouard , premier médecin du dict sei- gneur, pour y planter toute sorte d'herbes et plantes médicinales ; du ipiel Jardin le dict seigneur accorde la surintendance a\i dict llerouard et à ses successeurs premiers médecins et non au- tres, etc. I.a dicte Cour a ordonné et ordonne ipie les dictes let- tres seront registrées au greffe d'icelle, pour jouir par l'impé- trant de l'effect et contenu en icelles. Heylenient de la première ouverture du Jardin royal des Plantes, pour la démonstration des plantes médicinales , en IGiO. Uu'aucuii n'eutie au Jardin avant les six heures ordonnées pour la démonstration, et cpie le di'iuoiistraleur et premier jar- dinier n'y soient; Que chacun y arrive à l'heure destinée, autrement ne seront reçus ; Qu'aucun n'y demeure après la démonstration faite, si ce n'est par la iicrniission du démonstrateur, cl en présence du principal jardinier; Que l'on n'y entre en foule, mais de rang et paisiblement; Qu'aucun n'y entre avec longue vesture; Que l'on ne vague point de côté ny d'autre, se tenant chaeiui attentif à la démonstration , sans s'éloigner île la compagnie; Que 1 on ne traverse iioiut sur les ipiarreaux ; mais que I on suive pas à pas le démonstrateur; Que l'on prenne garde à ne pas fouler et marcher sur les bor- dures; Que l'on ne se courbe pas sur les plantes; Qu'aucun ne ceuille ny feuille, ny fleur, ny tige, ny gréne ; Qu'aucun n'arrache de piaule, ipielquc petite (pi'clle soit; Qu'aucun ue fasse des questions pendant la démonstration ; Qu'aucun u'allenlc rien contre la volonté du démonstrateur; Que chacun aye des tablettes pour écrire ce qui sera eu-~eigué; Que chacun occupe ses yeux et ses oreilles et donne Irévc a ses mains, si ce n'est jiour escrire; Et ipii conlreviendra à ces justes lois , ^uil répiilj indigue d'a- border nos parterres. I.e 7 janvier lO'.i'.), le l'oi Louis XIV signa un règlement cpii don- nait à son premier médecin la surintendance générale du Jardin. Ce règlement fut conlirmé i)ar des lettres patentes du roi, en date du '.) mai 17118, portant (pie son i)remier médecin et ceux' qui lui succéderaient dans la charge eussent l'entière direction du Jardin. Le li février 1708, le roi, par un nouveau règlement, fixa les exercices de chaque professeur, établit deux démonstratem-s et un sous-dt'monstrateur des plantes et un démonstrateur d'anatomie et de chirurgie. Plus tard, le ni mars 1728, le duc d'Orléans régent, au nom du roi Louis XV , déclara qu'à l'avenir la surintendance du Jardin royal serait distincte et séparée de la charge de i)remier nu'decin. Le 1-2 juin 1715, le roi Louis XV signa, au camp sous Tiuu-nay, un brevet de démonstrateur du cabinet ilu Jardin royal en faveur de Louis-Jean-Marie Daidieulim, docteur eu médecine de l'.Xea- démie des sciences. Le 10 juin 179", la Convention natiouah' rendit un ih'crel re- latif à l'organisation du Jardin national des l'iautesel du CabiMil d'histoire nalurelle. Ce décret ('tait ilivisé eu ipiaire litres. Le premier, relatif à l'organisation de l'établissement, porte que le but iiriiicipal du Muséum est renseignement de lliisloire naturelle , appliipiée principalement à l'avancement de l'agricid- liire, du couunerce et d<'s arts. ■fous les officiers du Musi'nm jouiront des mêmes droits. La place d'inleudaut du Jardin est abolie; Le traitement réjjarti en portions égales. Un directeur sera nommé tous les ans, au scrutin, pom- prési- der l'assemblée et faire exécuter les règlements. Lu trc'sorier .sera nouuni' par la voie du scrutin. Lespr()f<'sscursu(mve,iu\ lu' seront admis que jiarla même voie. Tous les ans il y aiu'a deux séances publicpies où les professeurs rendront compte de leurs travaux. Le titre 11 traite de la nature des cours : 1" Min('ralogic; 2° Chimie gi'iu'rale ; 5" Arts ehimiipies; 46 LE JARDIN DES PLANTES. •i" Botanique dans le Muse'um; 5» Botanique rurale; 6° Agriculture et horticulture ; 7° Deux cours d'histoire naturelle géne'rale ; 8° Anatomie humaine; 9" Anatomie des animaux ; 10° Zoologie; 11" Iconographie naturelle. Le titre III est relatif à la bibliothèque, dont les éléments sont pris, soit dans les doubles de la Bibliothèque nationale, soit dans les maisons ecclésiastiques supprimées. Le litre IV organise la correspondance du Muséum avec tous établissements analogues placés dans les divers départements. Celte correspondance aura pour objet les plantes nouvellement cueillies et découvertes ; la réussite de leur culture , les minéraux et vi'gétaux qui seront découverts, et généralement tout ce qui peut intéresser les progrès de la science. Décret de la Convention nationale adoptant l'agrandissement du Muséum, proposé par le Comité d'Instruction publique, à la séance du 21 frimaire an III. La Convention nationale , après avoir entendu le rap])ort de ses comités d'instruction pid)li(|ue et de linance, décrète : AiiT. l'■^ Les maisons et terrains compris entre la rue Poliveau, la rue de Seine, la rivière, le boulevanl de l'Hôpital et la rue Victor, seront réiinis au Muséum d'hisluire naturelle. Aht. II. Les comil('s d insiruclion iiubli(|U(' et de llnaucrs sta- tueront sur la destination et l'emploi de ces maisons et terrains de lu manière la plus utile à l'instruction publi(iue, d'ajirès les plans qui leur seront pn'senlés par les professeurs du Musc'uui. Akt. III. Lue partie des terrains sera afl'eclée à l'agraiidisse- menl des rues adjacentes. AiiT. IV. Il sera nécessairement |)rocédé à l'estimation des ter- rains et bâtiments désignés en l'article I"', ])ar des experts nom- més, l'un par le bureau du domaine national de Paris, l'autre par le pro|)riétaire iiit('ressé; en cas de partage, un tiers expert sera nouiUK' |iar la coiuMiission des reveuus iialionaux. Aht. V. La conmiission des travaux publics fera aci|uiller sur les fonds mis à sa dispositiou toutes les ilé|)enses nécessaires pour l'acciuisition l't disposition des terrains et bâtiments, sous la sur- veillance des comités d'iustruclion jjulilique et des linani:es. Ain . VI. Il ne pourra néauMiuius être l'ail aucune construction cpi'après (pie les plans en aiiioiil l'Ié soumis à la (Jon\entioii et aiii>rouvés par elle. Décret relatif aux dépenses du Muséum d'histoire naturelle. La Convention nationale, après avoir entendu ses comités d'iii- slruilion |>ublique et des finances, décrète qu'il sera pris sur les fiinds mis à la disposition de la commission d'instruction pu- jilicpie : 1" La somme de l'.li,H8i) livres pour 1rs déiienses du Muséum (ïonr la troisième année républicaine; VA. (pie le traitement de chacun des professeurs sera piirl(' à ,"i,0()0 livres; 2" CeHc de 25,700 livres pour (h'peiises arriérées; 5° Celle (le lS,()il livres pour dispenses extraordinaires. Le tout conformément aux étals i)résentés par les professeurs du Miis('um et approuvés par le comil(' d instruction publique. l'roji'l de règlement pour le Muséunt national d'histoire naturelle, arrêté par le Comité d'Instruction puhliiiue de la Convention na- tionale , d'après le décret du \i) juin 171)5. AiiT. 1''. Les. douze cours institués dans le Muséum d'hisluire naturelle , par la loi du 10 juin 1793, seront faits par les douze oHiciers actuels de l'établissement. Aht. II. Sur l'égalité des appointements. Art. III. Tous les professeurs auront droit d'être logés dans l'intérieur du Muséum , afin d'être plus à portée de remplir leurs fonctions, lorsque la division des logements aura été établie, autant qu'il sera possible, suivant le principe d'égalité. Le choix de chacun appartiendra aux professeurs plus anciens; les loge- ments dont jouissent actuellement plusieurs professeurs leur se- ront conservés jusqu'à leur décès ou démission, pourvu qu'ils les habitent. On réservera une pièce pour chacun de ceux qui ne se- ront pas logés. Art. IV. Les professeurs seront seuls chargés de l'administra- tion générale du Muséum; ils se rassembleront tous les mois, ou plus fréquemment, selon les circonstances, pour délibérer et prendre décisions sur tous les objets relatifs à l'établissement, et sur les moyens d'améliorer l'étude des sciences naturelles. Art. V. Le nombre des volants nécessaires pour former cette assemblée sera de la moitié du nombre des jirofesseurs , plus un , pour toutes les délibi'rations, et des deux tiers au moins pour les élections, qui seront toujours faites à la majorité absolue. Art. VI. Un professeur sera censé avoir abdi(jué sa place lors- (jU il refusera ou négligera de remplir ses devoirs ; l'abdicalion sera prononcée par l'assemblée , et ne pourra 1 être qu'aux deux tiers des voix de tous les professeuis. Art. Vil. L'assemblée nommera à la majorité absolue tous les em|)loyés du Muséum , et aura le droit de les destituer aux deux tiers des voix des professeurs dans les cas de prévarication on de nc'giigence dans leurs devoirs; ils pourroni être sus|ieiithis |)ro- visoirement de leurs fonctions par le chef sous leipiel ils seront em|)loyés : lequel sere tenu d'en rendre compte à la plus pro- chaine assemblée et d'en informer sur-le-champ le directeur, (pii lui-même aura un pareil droit sur tous les emi)loyés. Art. VIII. Le directeur, dont les fonctions et leur durée seront fix('es par les art. 0 el 7 de la loi, sera noiiinu: tous les ans au scrutin, à la majorité des voix, dans le courant du mois de dé- cemlue, et il entrera en fonction le l'"' janvier prochain. Art. IX. En l'absence du directeur, l'assemblée, présidi'e par le plus ancien des ])rof('sseiirs, nommera, suivant le même mode d'élection, un des professeurs pour le remplacer piovisoirenient. Art. X. Les professeurs nommeront tous les ans |iarmi eux, dans la même séance et à la majorité absolue, un secrétaire, Ic- (piel entrera pareillement en fonctions le l" janvier suivant, les exercera pendant une année, et ne pourra être continué ((ii'aii scrutin pour une auiu'e seulement; en son absence, il sera rem- place' comme le directeur. Art. XI. Ses fonctions seront de tenir la plume dans les assem- blées, de rédiger les procès-verbaux des séances, qui seront si- gnés du directeur et de lui, de les inscrire sur un registre destiné à cet elT'el, de (b'iivrer des copies collationni'es de ces d('libéra- lions, et d'avoir la garde des pa|jiers , titres (d registres du .Mu- séum, qui seront (lé|)os('s dans une des salles de la bibliotiiè(pie. Art. XII. Outre les assemblées de Ions les mois, (pii auront lieu à jour fixe, le directeur pourra en convoquer d'extraordi- naires; et il .sera tenu de le faire sur la simple demande d'un professeur. Art XIII. Le tr('Sorier nommé au scrutin, à la majorit(' al).so- liie , sera élu tous les ans dans la même séance que le directeur cl le secrétaire; il entrera en fonctions le V janvier suivant; sa place sera incompalible avec celle de ces deux ofliciers. Le même jiourra être couliniK' plusieurs annc'es de suite; mais cha(|ue aiiiire |iar un nouveau scrutin. Ses fouclions seront de recevoir les fonds all'ectés à rétablissement , et d'en faire la ré|)artitioii suivant les étals arrêtés, ou d'ai>rès l'autorisation de l'assemblée. IIVTRODUCTIOX A L'HISTOIRE DES MAMMIFERES. Aviiiil (le commencer l'histoire de la riasse la plus importante en zoologie, je dois renilie comiitc au lecteur des inspiralions (|ui ont dirige ma plume, et faire un eximse' rapiile de mes opi- nions. Avant liullon , l'histoire naturelle était .«i peu avancée, si peu de chose , que , sans trop se hasarder, on peut dire qu'elle n'était ]n'esque rien. Tout à coup, et ilans le m^'Uie temps, deux lionnnes de génie la créèrent à la fois, mais avec des vues de l'espril Itien diU'èrentes : l'un ('lait Linné, l'autre liiiHon. (le dernier eut soin de cacher les épines de la science sous le charme d'un slyle iiii- niitahle ; mais celte magie , qui lui servit à la populariser, mourut avec lui, et les successeurs du grand écrivain, après avoir fait quehpies elforls pour marcher sur ses traces, (inirenl par les ahandouner. Cuvier parut alors, portant dans la science le flamheau anato- mique éclairé par Daulienlon. Il puhlia son Rhjne animal, méthode entièrement fondée sur l'organisation des animaux, et il lit une révolution utile aux i)rogrès. Mais ses admirateurs lirent comme font toujduis les enthousiastes d'un systèuu' nouveau , ils ({('pas- sèrent le liut i|ue s'('tait jM-oposé le iirofond anatomisle, et. mal- gré les elTorts de (piehpies esprits senssis , ils matérialisèrent la science, et sa partie phih)Soiihi(|ue fut dès lors étoullée par la nomenclature descriptive. La chose en est venue à un tel i)oint aujourd'hui , (pi'en lisant les ouvrages de certains savants on croi- rait pliil()l parcdurir les œuvres d'un vétérinaire que celles d'un naturaliste. Les auteurs ainsi fourvoyés, ayant noyé l'histoire naturelle dans l'analomie , ne s'aperçurent pas qu'ils l'avaient tuée, mais ils sentirent que, privée de sa partie la plus philoso- phi(pie et la plus attrayante , le lieu «pii restait de la soietu;e de- venait sans hul el nollrail i>lus (pi'une synonymie stérile et sans inlén't. C'est alors (pi'ils imagiiièienl de donner à la classification une importance d emprunt, (pi'elle n'a pas et qu'elle ne peut avoir devant la nature, et, grâce à cette marche hasardée, ils ne virent dans l'histoire des animaux que l'élude de l'analomie com- parée, de la classification el de la synonymie. Puis, avec une naïveté an nmins fort singulière, ils jiroclamèrenl que tout le reste étaii du ruman, sans se douter prohablement qu'ils relé- guaient ainsi l'imuiorlel BufTon, leur maître à tous, parmi les romanciers! ! nuaiil à celte émanation de la Divinité, à celte part d'intelligence (h'vidue d'une manière si admii'alile à cha(pie espèce pour satisfaire ses hesoins, r('gler ses habitudes et lui er('er des mœurs, ils n'en lieiinenl aucun compic ; ce (|U il y a de plus ad- mirable dans l'œuvre de la création, ils ne le croient pas digne de tenir la plus petite place dans leurs syslèmes ni dans leurs ouvrages ; ce (pi'ils ne peuvent saisir avec le scalpel cl leurs pinces de dissection, ils le reiioussent et le dédaignent. Ileureusemeiil (|ue telles ne sonl pas les o|iinions des princi- paux maîtres dans la science, de ces véritables savants ipii sont l'honneur de notre Muséum d'histoire naturelle, el une des gloires de noire pairie. Inspiré de.s mêmes opinions qu'eux , je n'ai pas cru pouvoir m'étendrc trop sur l'histoire morale des animaux, sur leurs habitudes si lapaliles de pi(|U(r la ruriosilé des lecteurs, sur leurs relali(uis avec riioiiime, etc. .l'ai lAclié de montrer dans leurs foriHs el livrés à tous les instincts piltorcsi|ucs de leur na- ture sauvage, ces èlres si tristes et si dégradés dans la servitude de nos ménageries, ces momies décolorées quoii(ne si ingénieu- sement pré4^iarées dans nos cabinets d histoire naturelle. lùilin. cette partie hislori(iue , que je regarde comme la plus inti'res- sante el la plus utile de la science, occupe la jilus grande parlie de mou livre. Comme BuU'on, je crois que la nature n'a fait ni ordres, ni fa- milles, ni genres, mais seulement des individus, el je ne crois pas à une classilication naturelle possible, au moins comme les na- turalistes l'ont entendu jusqu'à ce jour. Mais Bnfi'on n'a connu que deux cent cimiuanle mammifères, el ce nombre s'est telle- ment accru depuis, (pi'il serait impossible, sans tomiier dans une confusion inextricable, de les di'crire sans ordre, comme il l'a fait. Ensuite, je crois fermement qu'une bonne méthode de clas- silication , peu importe qu'on la regarde comme naturelle ou comme artiliiMelle, est un fil indispensable pour diriger le lecteur dans le labyrinthe de la nomenclaline; il od'ic l'avantage pré- cieux de le conduire par le chemin le plus court possible à la connaissance de l'espèce qu'il veut soumettre à son examen. .Je dois dire aussi que je n'ai la prétenlion d'imposer à personne mes propres opinions, et que, parlant de là, j'ai di'i, pour les lecteurs qui pensent autrement que moi, classer mélliodiqucmeiil mes onze cents mammifères; il était tout aussi simple ipie je choi- sisse la méthode la ])lus répandue, la plus généralement recon- nue bonne, c'est-à-dire celle de G. Cuvier. ,1e l'ai donc adojiti'e, avec de légères modilications devenues nécessaires par les rapides progrès de l'histoire naturelle et les nombreuses découvertes qui ont été failes dans ces dernières auiK'es. Mais ces modilicalions n'ont été adoptées par moi que lorsque je les ai crues rigoureu- sement indispensables; el j'ai rejeti' sans hésiter les nouM'aux genres créés par les auteurs, cpiand je ne les ai pas crus établis sur des bases dune grande valeur. La mammalogie , si l'on n'y piend pas garde, est menacée des mêmes abus qui ont envahi la botaniipie el l'entomologie, et bienlôl nous aurons autant de genres (jne d'espèces. La synonymie latine, toute stérile (pi'elle est, a été travaillée par moi avec une attention minutieuse. Dans la .synonymie vul- gaire, j'ai introduit , autant que cela m'a (■!(' ])ossible avec le peu de renseignements (pie nous avons , une inuov.iliou ipie je crois utile; c'est-à-dire (pic j ai reiulu à cluupu' espèce son V('ritable nom, celui qu'elle porte dans le pays (pi'ellc habite, .le me suis bien gard(' siirlout de défigurer ce nom, comme l'ont fait liulT'on el (piehpies-uns (h; ses successeurs, sous le vain prétexte de le rendre plus dons, à la |irononcialion française, car mon hul , le seul , je crois , ([uc l'on doive s(' iirtqioscr en pareil cas, a ('hf de mettre les voyageurs dans le cas de se faire com|irendre des na- turels des contrées où ils porteront leurs invesligalions, lorsiiu'ils dem.indcronl des renseignements sur un animal. (Juanl à la iiaitie descriptive, je l'ai faite dans des limites aussi resserrées ([lie i)os-ible, mais avec le plus grand .^oin , et mes descriiilions , quoi(jue fort courtes, seront toujours snllisantes l)Our ne laisser aucune ambiguïté sur ridenlit(' de cha(pie espèce. Une longue expérience m'a appris (pu' trop de détails dans une descii|ition y jcltciil de la coiifusi(Mi pluN'il (pie de la (■lart(' ; j'en ai conclu ([ue je devais ne moiilrcr les individus à mes lecteurs (pie par les cotés (pii les Irancheiil nel des espèces voisines, G esl-à-dire n'énoncer que leurs caractères spécilicpies. De jolies gravures, d'une exactitude rigoureuse, donneront, mieux que de longues descriptions n'auraient pu le faire, une idée nette et pré- cise des formes générales, du faciès de tous les types d animaux. 18 LE JARDIN DES PLANTES. Comme je l'ai dit , je inc suis beaucoup étendu sur les mœurs et les habitudes des animaux , et j'ai apporté dans cette partie toute la critique dont je suis capable. J'ai tâché d'amuser mes lecteurs en les instruisant, parce que j'ai cru que les grâces ne sont p;is ou ne devraient pas être ennemies de la science, (pioi qu en puissent dire quelques graves pédants. J'ai surtout évité avec un soin particulier l'emploi ambitieux de ces expressions techniques, accouplement bizarre de mots grecs et latins, trop souvent employé avec prodigalité par l'ignorance qui croit se ca- clier en se couvrant ainsi de haillons scientiliques. Je ne crois pas cpie la science soit mystérieuse et doive avoir des adeptes ; en conséquence, j'ai taché, avant tout, d'être clair, simple, et facile- ment compris de tout le monde. Enfin, j'ai r-igoureusement écarté de mon ouvrage ces polémiques, ces longues dissertations, quel- quefois savantes et toujours ennuyeuses , dont la principale et souvent la seule utilité est de mettre en relief le mérite de celui qui les écrit. Pour donner à ce livre toute l'utilité qu'il peut avoir , je ne me suis pas borné à faire seulement l'histoire des mammifères qui ont vécu à la ménagerie , mais encore de tous ceux qui existent au Cabinet d'histoire naturelle; et, grâce à l'extrême obligeance du conservateur, le savant conchyliologiste , M. Kiener, j'ai pu décrire les individus sur la nature même. J'ai cru devoir néan- nu)ins omettre quehpies espèces tout à fait nouvelles et encore fort mal connues, (|ui eussent , par conséquent, od'ert très-peu d intérêt à la (-lasse de lecteurs aux(picls mon livre est destiné. •'^^9,:-ff --^-^ ^î -AwliacvvBtil V-itifl.- Fontaina monumenlalp. DESCRIPTION ET MOEURS DES MAMMIFÈRES. La prcniiôn' grande classe du rùgne animal se compose des i intelligence supérieure à celle des animaux des autres classes, animaux verldbrés , c'est-à-dire de ceux dont le corps el les niera- I Constamment on leur trouve une lôte formde d'un crâne renfer- Vue int^ricuro do la grandi' Serre. Ijres sont soutenus à l'intérieur par une cliarpente solide, osseuse ou farlilagiueuse , dont les pièces liées et moUiies les unes sur les autres leur donnent i)lus de précision et de viguetir dans les mouvements. Leur système nerveux, plus «onrenlré, rend leur manl un cerveau; un tronc soutenu par une colonne vertébrale el (les côtes, et deux paires de membres, quand ils en ont. Les uns foui leurs pclils vivants, el les femelles oui toujours lies mamelles pour les allaiter; c'est pour celle raison (pi'ou les 44. l'Oi 'orls. Tjii(igrn|)Llc' Pli.n fiTits, rue i!<< V'aiijiiaiJ . 3C. 50 LES (,»UADRUMANES. a nommes inaminifi'res, et c'est ilc ceux-là seulement que nous avons à nous occuper ici. On les subdivise en ilivers ordres, dont nous donnerons les caractères à mesure que nous les parcour- rons. II nous sullU, quant à présent, d'en donner une idée ge- ne'rale et concise. Les mammifères ont le sang rouge, une circulation double, la respiration simple et aérienne, s opérant par des poumons. L'or- ganisfllion du plus grand nombre les force à marcher sur la terre ; mais quelques-uns ceiiendant, connue les chauves-souris, peu- vent se souteuii- dans les airs au moyeu des niembi'anes qui sou- tiennent leurs membres fort allongés; d'autres, au contraire, ont les membres tellement raccourcis, qu'ils ne peuvent se mouvoir que dans l'eau : tels sont les baleines, les marsouins, les dauphins, que les anciens confondaient avec les poissons, et dont on forme aujourd'hui un ordre à part, celui des cétacés. Ces derniers sont les seuls ijni manquent aiisolument de i>oils ; tous les autres en ont plus ou moins; ils leur forment une robe très-peu garnie dans les pays chauds , mais Irès-fourree , très-soyeuse et très- chaude dans les contrées froides. Tous ont quatre membres, et c'est pour cela qu'on les de'signe vulgairement sous le nom de quadrupèdes; mais dans quehiues-uus, les aiuphibies , ils sont si courts, si engagés dans la peau , surtout les pâlies de derrière, qu'ils paraissent n'avoir que des nageoires. Tels sont les caractères fondamentaux sur lesquels est établie la classe des mammifères. >Q&Q-6 LES QUADRUMANES. rnEMiKR onnitE des mammifkres. Les quadrumanes, dans leurs formes, ont plus ou moins d'ana- logie avec lliouune, mais ils en difTèreiit par leurs extrémités postérieures qui se terminent non par un pied, mais par luu' vé- ritable main dont le pouce est opposable aux autres doigts. Ce sont des animaux qui marchent didicilcmenl, surtout debout, mais qui grimpent aux arbres avec la idus grande agilité, d'où il résulte que tous sont habitants des forêts. Cet ordre se divise en ciu(i familles , savoir les anliu'oponior- phes, les singes, les sapajous, les ouistitis, et les makis ou lému- riens. LES ANTHROPOMORPHES. Ce sont les seuls dont l'os hyo'ide , le foie et le cœcnm ressem- blent à ceux de 1 homme. Us ont le museau très-proéminent; trente-deux dents, dont quatre incisives droites à chaque niA- choire, deux canines longues se logeant dans un vide de la mâ- choire opposée, dix molaires à tubercules mousses. Leurs ongles sont plats; ils manquent de queue. Leurs monvenienls .sont graves et n'ont pas cette pétulance capricieuse ou brutale ipii caracté- rise si bien les autres singes. Les femelles sont sujettes aux mê- mes incommodités périodiques que les femmes. l" Geniie. Les OH.VNGS [Pithecus, Geoff.) forment le premiei' genre. Ils manipient d'abajoues; leurs bras sont très-longs; leurs oreilles arrondies, plus petites ([ue celles de l'honune; enfin ils n'ont i)oiiit de callo.viti's aux fosses, L'OitANG-lIoi TAN [rUhccus sati/nis, Desm. Simiasalyms, Li.x.v. ],'Oranrj-Houl(in de Vosm. Lq. JocI Il se construit siu' les nrbres une sorte de hamac, où il se couche chaque soir pour ne se lever qu'avec le soleil. Les Indiens lui font la chasse pour le réduire en esclavase et en tirer quelque service domestique. «On les [U'cnd, dit Schout- ten, avec des lacs; on les apprivoise, on leur apprend à marcher sur les pieds de derrière et à se servir de leurs mains pour faire l'crlains ouvrages et même ceux du mi'nagc, couuue de rincer les verres, donner à boire, tourner la hroche , etc. » François Léguât dit avoir vu à Java « un singe fort extraordi- naire : c'e'Iait une femelle; elle e'tait de grande taille et marchait souvent fort droit sur ses pieds de derrière; alors elle cachait d'une (h' SCS mains l'endroit de scui ciir|is ([ue la pudciu- ilt'fcnd de montrer. Kilo avait le visage sans autres poils (pie les sourcils, et elle ressemblait assez, en gênerai, à ces ligures grotescpies de llottenlotes (pu' j'ai vues au Cap. Elle faisait fort proprement son lit chaque jour, s'y couchait la télé appuye'e sur un oreiller, et se couvrait d'une couverture... Quand elle avait mal à la tète, elle se serrait d'un mouchnir, et c'était un [daisir de la voir ainsi coi(T'('e dans son lit. Je pourrais en raconter diverses autres pe- tites choses qui [laraisseut extrêmement singulières, mais j'avoue (pie je ne pouvais pas admirer cela autant que la multitude, parce que je savais ([u'on devait conduire cet animal en Europe pour le uumlrer jiar curiosité, et je su|)posais qu'on l'avait dressé en coiisé(iiieiHe. " Il y a ici une chose qui me parait plus que dou- teuse, c'est le fait de la (ludeur, fait qui a été également eivance' parBontius, médecin à Batavia. Les voyageurs qin ont vu les feunues de la Nouvelle-Zélande , de quelques lies de la mer du .Sud, etc., se montrer sans voile et sans pudeur aux yeux des étrangers, auront de la peine à croire que cette vertu puisse exister naturellement dans un aninud, quand elle manque à des nations entières. ±' Genre. Le TROGLODYTE ou KlMl'ÉZÈY (Troglodytes, Gcoir.) forme à lui seul un genre qui se dislingue des orangs par des oreilles beaucoup plus grandes que dans l'homme, et un peu mobiles à sa volonté; par des crêtes sourcilières qui man(pient aux |)remiers, et enfin par ses bras plus courts, n'allcignanl i)as le bas de la cuisse. Le KcMi'i'/.i'.Y (Troglodites nitjrr, Geoff. Siinia tnnjhiiijtes , Linn. Le Chiinjjansé, (',. Ci:v. Le Quimpesé, Lecat. Le Jacku et le Poiiijo, BiFF. Le Quojas Morou et le Sahjrc d'Angola, Tulp. Le Pygméc , TvsoN. Le Pongo. Aldeii.). J'ai fait l'histoire de l'orang-houlan , animal (pii ressemble le plus à l'houniie par la forme ib; la lête et le di'vcloppcment du iront et du cerveau, mais dont l'intelligence ne rem|i(M'tc guère sur celle du chien : je vais faire maintenant celle de l'être < Enjoko, tais-loi. >' On ( (in- çoit r(uigine de ce nom quand on sait ipie les nègres du Congo croient (pie si le kimpiizèy ne parle pas, c'est qu'il ne le veut pas, dans la crainte qu'on ne le soumette à l'esclavage et qu'on ne le fasse travailler. .Mais tous ces mots ne sont ([ue des épithètes dont on accompagne le véritable nom kirapézèy, sous le(|uel il est connu par les naturels de toute la côte de Gui- née. Le voyageur Lecat en a fait quimpesé, et G. Cuvier chim- panz('. 11 y a peu d'années (pie tous les habitants de Paris se portaient au Jardin des Plantes pour voir Jacqueline, jeune femelle ajipar- tenant à cette espèce. Elle était douce, bonne, caressante même; elle reconnaissait parfaitement les gens qui allaient la voir et leur faisait plus de caresses qu'aux autres. Si on la contrariait, elle pleurait à sanglots comme un enfant, se retirait dans un coin de l'apiiarteinent et boudait (pieli[ues minutes. Mais sa co- lère enfantine cédait à la plus petite avance d'amitié; alors elle essuyait ses larmes et revenait sans rancune auprès de celui (jui l'avait chagrinée. Quoique sa jeunesse fût extrême (elle avait deux ans et demi), son intelligences était ch'jà fort développée, et j'en citerai deux exemples qui sont extrêmement reinarepiaiiles à mon avis, et dont j'ai été témoin. Vn ami qui m'accompagnait (piitla ses gants et les ])osa sur une table; aussil(jt Jac(pieline s'en em- para et voulut les mettre, mais elle ne put en venir à bmit parce qu'elle idaçait ;i la main droite le gant de la main gauche. On lui montra sa méprise , et on parvint si bien à la lui faire compren- dre, que depuis elle ne s'est jamais trompée, quoiqu'on l'ait mise souvent à l'e'prcuve. M. Werner, notre meilleur peintre d'histoire naturelle, fut chargé de la dessiner. Jacqueline, fort étonnée de voir son image se reproduire sous le crayon de cet habile ar- tiste, voulut aussi dessiner. On lui donna du papier et un crayon; elle s'assit gravement à la table du maître, et traça avec grande joie quelques traits informes. Comme elle appuyait de toutes ses forces, la pointe de son crayon cassa, et elle en fut très-contra- riée. Pour l'ajtaiser on le lui tailla , et, corrigée par l'expérience, elle appuya moins. Elle vit le dessinateur porter le crayon à sa bouche, cl elle en lit autant; seulement, au lieu de se contenter de mouiller la pointe, elle ne man(iuait jamais de la casser avec les dents. Il fut impossible de l'en emjiêiber, et ce grave inconvénient mit lin à ses études artisli(pies. Elle ess.iyait di; coudre, comme la femme qui la gardait, mais il lui arrivait diaepie fois de se piipier les doigts; alors elle jetait là l'ouvrage, s'élançait sur la corde qu'on lui avait tendue, et se consolait de sa maladresse en faisant quel- ques cabrioles (jui auraient l'ait jiiMir le plus hardi funamlMilc. Jacqueline avait un chien et un chat (pi'(dle aimait beaucoup. Elle les g;\tait au point de les faire coucher t(nis deux à c()lé d'elle, dans son lit, l'un à gauche et l'autre à droite; mais elle sut néanmoins conserver sur eux la supériorité que donne l'in- tidligence, et, ipiand elle le jugeait convenable, elle les ch:\liait sévèrement pour les soumettre à son obéissance ou ])oiir les for- cer à vivre entre eux en bons amis. La pauvre Jacqueline avait l'habitude de se laver cha(pie malin le \ isage et les mains avec de l'eau fraîche ; ces aspersions, jointes aux rigueurs d'un climat si dilLérent de celui d'Afritpie, lui occa- siounèrcnl |U'oliablcuien( la maladie de poitrine dont elle mourut. J.ick, rorang-lioulan (pi'(dle avait remplacé à l.i ménagerie, ainsi (|ue les kimpézèys (pii ont autrefois vécu chez BuHiui et chez rimpératrice Joséphine, sont moris de la même maladie. Quoi (pi'cn disent aujourd'hui les naturalistes qui n'assignent que deux pieds et demi* lO,Sl:i) de hauteur à cet animal, parce ipi'ils n en ont jamais vu (pu- de très-jeunes, il est certain qu'il atteint (piaire à (•in(| pieds (1,290 à I.O-Jl) et peut-être davan- tage, car sans cela rien de ce que les voyageurs lui attribuent ne serait possible. Lor.s((ue Jacqueline fut prise et ann-néc à Paris, elle était fort jeune; rependiuit sa taille était de deux pieds et demi (0,8I;2) de hauteur, et sa mère la portait encore dans ses bras. .N(uis avons vu l'orang buutan figurer dans lliisloirc d'Alexan- dre le Grand : iiiuis verrons le kimpézèy figurer dans celle des Carthaginois, et [lour les deux cas nous tirerons une consé(|ucnce hi LES QUADRLMA^ES. semblable, c'est-à-dire qu'alors l'espèce était beaucoup plus nom- breuse en inilividus qu'aujouril hui, et qu'elle s'avançait sur la côte occidentale de l'Afrique jusqu au pied de l'Atlas. Trois cent trente-six ans avant notre ère, les Carlliaginois, sous la conduite d'Ilannon , abordèrent une île de l'Afrique occiden- tale. Une immense troupe de singes les observaient, et les Car- thaginois, les prenant pour des ennemis, les chargèrent. On e marqua que ces animaux ne tinrent point en rase campagne contre leurs agresseurs, mais qu'ils se sauvèrent avec beaucoup de i>re'cipitation sur des rochers, d'où ils se défendirent vaillam- ment à coups de pierres. On ne parvint à se rendre maitre ([ue de trois femelles qui se débattirent avec tant d'acharnement, "jections, répondit le naturaliste; en votre faveur je changerai » mon arrangement, et je placerai le singe dans la classe des » hommes. » F,n domesticité, le kimpézèy montre la même douceur que l'orang, mais plus d'intelligence. « J'ai vu cet animal, dit BufTon, présenter la main pour reconduire les gens qui venaient le visi- ter, se promener gravement avec eux et comme de compagnie; je l'ai vu s'asseoir à table , déployer sa serviette, s'en essuyer les lèvres , se servir de la fourchette et de la cuiller pour porter à sa bouche , verser lui-même sa boisson dans un verre , le choquer lorsqu'il y était invité ; aller prendre une tasse et une soucoupe , l'ajiporter sur la table, y mettre du sucre, y verser du thé, le L'Orang-Uoutan. qu'il fut impossible de les garder vivantes. Ilannon, qui les prit pour des femmes sauvages et velues, les fit écorcher et raiq)orta leurs peaux à (larthage. {Ilaniionis iicriplus, pag. 77, édit. 1074.) Elles furent déposées dans le temple de Junon, où, deux siècles après, les Uomains les trouvèrent encore lors de la conquête de celte ville. Il est plus cpie probable (pie tout ce (pie les anciens nous ont Iransinis sur les satyres, les faunes, les sylvains et au- tres divinités des bois, tire son origine de l'histoire mal connue de cet animal. La peau de satyre que saint Augustin dit avoir vue à Rome était certainement celle d'un de ces animaux. Le kirajiézèya le visage jdat, basané, nu ainsi que les oreilles, les mains , la poitrine et une iiartie du ventre. Le reste du corps est couvert de poils rudes, noirs ou bruns, mais clair-seiués , excepté sur la t(Ue, où ils sont très-longs et lui forment une che- velure pendante par derrière et sur les côtés. Il marche debout avec beaucoup plus de facilité que l'orang- houtan , parce que les muscles de ses mollets et de ses cuisses sont plus d('veloi)p('s, et qu'il a le bassin plus large. On lui compte une paire de ctktes de plus (|u';i l'homme. Cet animal, ([ui ne se trouve que sur les c(")tes du Congo et de la Guinée, aie maintien grave et les mouvements mesurés, l'ar toutes ces considérations, lirookes, dans son Sys- tème d'histoire naturelle, avait mis l'homme dans la classe des singes; le prince royal d'Angleterre lui en ayant fait des repro- ches assez vifs : « Monseigneur, je me rends ;i la force de vos ob- laisscr refroidir pour le boire, et tout cela sans autre instigation (pie les signes (UJ la parole de son maître, et souvent de lui inOme. Il aimait prodigieusement les bonbons; il buvait du vin, mais cii [lelite quantité, et \c laissait volontiers pour du lait, du thé, ou d'autres liqueurs douces. » Dans son esclavage, le kimpi'zèy, si on s'en rapporte à tous les voyageurs, peut rendre autant de services (pi un nègre. On a vu à Loango une femelle aller chercher de l'eau dans une cruche, du bois dans la forêt; balayer, faire les lits, tourner la bro- che, etc., etc. Lllc tcuuba malade, et un chirurgien la saigna, ce (pii lui sauva la vie. Un an après, ayant gagné une fluxion de poitrine, elle fut de nouveau alil('e; lors(iu'elle vit entrer le même chirurgien , elle lui tendit le bras et lui fit signe de la saigiicj'. Un voyageur très-digne de foi, M. de Graiidpré, ofTieier dans la marine française, ayant habile Angola pendant deux ans, ra- conlc ce qui suit :« L'intelligence de cet animal est vraiment exlraiirdinaire ; il marche ordinairement debout appuyé sur une branehe d'arbre en guise de bftton. Les nègres le redoulent, et ce n'est pas sans raison, car il les maltraite rudement (piaiid il les rencontre. Us disent que s'il ne parle pas, c'est par paresse. Ils pensent qu'il craint, en se faisant connaître pour homme, d être ob!ig(' de travailler, mais qu'il pourrait l'un et l'autre s'il le voulait. Ce pn'jugé est si fort enraciné chez eux , (jii'ils lui par- lent lorsipi'ils le rencontrent. AATHROPOMORPHES. S3 » Malgré tous mes eflurts pour me procurer un individu de cette espèce, je n'ai pu y parvenir, mais j'en ai vu un sur un vaisseau en traite. C'était une femelle ; je l'ai examinée et mesurée avec attention , et elle s'y prêta avec beaucoup de complaisance. Debout, les talons portant à terre, elle était haute de quatre pieds deux pouces huit lignes. Ses bras pendants atteignaient à un pouce au-dessus du genou; elle était couverte de poils, le dos fauve, etc.. 1) 11 serait trop long de citer toutes les preuves que cet animal a données de son intelligence, je n'ai recueilli (pie les jdus frap- pantes. 11 avait appris à chaufTer le four; il veillait attentivement à ce qu'il n'échappât aucun charbon qui put incendier le vaisseau, la frappait. Dei>uis ce moment, elle refusa constauuuent de man- ger, et mourut de faim et de douleur le cinquième jour, regret- tée comme un homme aurait pu l'être. » Voyons maintenant le kinipézèy à l'état sauvage. Presque toutes les fois (jue les voyageurs en ont remontré, le mâle et la femelle uiarchaient ensemble , d'où on peut penser, avec quel- ques naturalistes anglais , (ju'il est monogame et ne change pas de femelle, yuand il est à terre, il se tient debout et marche avec un bâton qui lui sert à la fuis d'appui et d'arme ofTensive et dé- fensive ; il se sert aussi de pierres qu'il lance avec adresse pour repousser l'attaque des nègres , ou pour les attaquer lui-même s'ils osent pénétrer dans les lieux solitaires qu'il ha!)ile. Ceg «4.IJC.J..U»TtILtH C Le Pongo de Wurmb jugeait p.irfailement quand il élait sunisammcnt chaud, et ne uianquail jamais d'averlirà proiios le boulanger, qui de sou côté, -•ûr de la saga( ili' de l'animal, s'en reposait sur lui, et se hâtait d'apporter sa pâte au.ssitôt que le singe venait le chercher, sans ipie ce dernier l'ait jamais induit en erreur. » Lorsqu'on virait au cabestan, il se mettait lui-même à tenir dessous (tirer sur le câble), et choquait à propos avec plus d'adresse qu'un matelot. Lorsqu'on envergiia les voiles poiu- le départ, il luonta, sans y être excité, sur les vergues avec les ma- telots, (|ui le traitaient comme un des leurs; il se serait chargé de rem]iointure , partie la plus diflkile et la plus périlleuse, si le matelot désigné pour ce service n'avait insisté pour ne pas lui céder l.i place. Il auinrra les rabans aussi bien (|u'un uiatelol, cl, voyant engager l'extrémité de ce cordage pour l'empêcher de pendre, il en fit aussitôt autant à ceux dont il élait chargé. Sa main se trouvant prise et serrée fortement entre la ralingue et la vergue, il la détacha sans crier, sans grimaces ni contor- sions; et bu'sque le travail fut fini, les matelots se retirant, il tlé|>loya la supériorité ipi'il avait sur eux en agilité, leur passa sur le corps à tous, et descendit en un ilin d"(i:il. » Cet animal ne parvint pas jusqu'en Amérique ; il mourut dans la traversée, victime de la brutalité du second capitaine (pii l'avait iujuslemeiil et durement maltraité. Cette iutéressaule créature subit la violence «ju'on exerçait contre elle avec une douceur et une ri'sigualioii attendrissantes , teudaul les mains d'un air suppliant pour obtenir que l'on cessât les coups dont on animaux vivent en petite troupe d.ins le fond des Huêts; ils savent fiutbien se construire des cabanes de feuillage ])our s'a- briter des ardeurs du soleil et de la i)bii('. Ils forment ainsi des sortes de petites bourgades, où ils se prêtent un luuluel secours pour éloigner de leur canton les hommes , les éléphants et les animaux féroces. Dans ces attaques, si l'un des leurs est blessé d'un coup de flèche ou de fusil , ses camarades retirent de la plaie , avec beaucoup d'adresse , le fer de la flèche ou la balle ; puis ils pansent la blessure avec des herbes mâchées , et la ban- dent avec des lanières d'écorcc. Mais ce qu'il y a de [ilus singulier dans ces animaux , ce qui , à mon avis, dénote chez eux une intelligence très-perfcilionnée , c'est (pi'ils (liuinenl une séi)ullure à leurs morts. Ils ('lendeut le cadavre dans une crevasse de la terre , et le ri'coin rent d un épais amas de pierrailles, de feuilles, de branches et d'f'pines , pour empêcher les hyènes et les j)anthères d'aller le déterrer liendaut la nuit. Certes, il y a dans ce fait ipielque chose qui ap- l)roche bien d'une pensi'e. Les kimpézèys habitent leurs cabanes pendant les nuits ora- geuses et cpiarui ils sont malades, car dans toute autre circons- tance ils dorment sur un arbre. La femelle a beaucoup de ten- dresse pour son petit; elle le caresse sans cesse et le lient propre avec beaucoup de soin, l'.lle le porte sur ses bras à la manière des nourrices ([uand elle n'a qu'une h'gère dislance à iiarcourir, et s'il s'agit d'un long trajet, elle le place sur sou dos, où il se cramponne avec les mains et les pieds, absolument à la manière 54 LES QUADRU.MANES. (les iK'grillons V.We y est beaucoup attache'e et le garde avec elle longtemps encore après le sevrage ; mais le niAle le chasse quand il est assez fort pour se de'fendre et assez intelligent pour savoir chercher et choisir ses aliments. Le niàle aime tendrement sa femelle. Si , e'tant avec elle , il est surpris par la pre'sence inoi)iiu'e d'un ou plusieurs iiommes, il s'arme aussitôt de pierres , ou d'un bâton s'il se trouve une bran- che morte à sa porte'e ; il se lève debout, s'arrête, et, dans cette attitude menaçante, il attend que sa femelle se soit e'iolgnc'e pour fuir lui-même le danger. Deux de mes amis d'enfance, qui ont habile la Guinée, m'ont dit avoir e'té te'moins de ce fait. Ce|)endant . maigre ces apparences d'amour, le kimpezèy n'est pas toujours très-lidèle à sa femelle, et souvent il poursuit dans les bois des négresses qu'jl enlève et porte dans sa cabane. « Les kinipézèys, dit M. de la lirosse [Voyagea la côte d' Angola) , tâchent de surprendre des négresses , les gardent avec eux, et les noui"- rissent très-bien. J'ai connu , ajoute-t-il, à Loango, une négresse qui était restée trois ans avec ces animaux. )^ Quelquefois c'est moins pour satisfaire la brutalité de leurs passions que pour se faire une société qui leur plaît, que les kimpézèys attaquent les jeunes négresses , qu'ils em|)ortent sur les arbres et que l'on a beaucoup de peine à leur arracher. La preuve de cela est qu'ils enlèvent également les jeunes garçons , les conduisent dans leurs forêts, et les gardent sans autre but que de les avoir avec eux. Baltel nous apprend qu'un négrillon de sa suite ayant été em- mené par des kimpézèys, vécut douze à Ireize mois en leur société et revint Irès-conlent, gros et gras, en se louant beaucoup du traitement de ses ravisseurs. En faisant la plus large part à l'exagération des voyageurs, on trouvera encore que le kimpezèy est le plus intelligent des animaux, 5" Geniie. Les PONCOS [Pongo, Lacép.). Ce genre difTère de celui des orangs jiar l'angle facial, qui n'est que de trente degrés, et par les abajoues i|u'il a dans la bouche. En outre, ses canines sont très-fortes; ses crêtes sourcilière, sagittale et occipitale, for- tement prononcées. Il a des sacs thyroïdiens au larynx; S(!S doigts de pied ne sont pas réunis comme ceux des siamangs. Le Po.Nco DE AVl'kmd (Po/ijo Wttriiihii, Desm. Le grand Orang- Uoulan de quelques voyageurs.) Voici uti animal dont l'iiistoire scientifique est fort singulière, liun'un, qui n'en avait aucune connaissance, a donné son nom à un être imaginaire (|u'il croyait voisin du kimpezèy. Le savant G. Cuvier, qui probablement ne l'avait connu que par le mémoire deWurmb, le retira de la famille des orangs pour le classer entre les mandrillcs et les sapajous, pince qui certainement ne lui convient pas. Dcsmarets en a fait un genre bleu tranclié, et voilà (ju'aujourd hui on ne veut même pas l'accepter comme es- pèce; j'ai été moiinême de cette dernière opinion pciulant plii- Hieurs années , et encore aujourd'hui je doute si réellement le j)ongo de Wurmb n'est pas tm vieux orang-houtan. Sa taille est eu effet à |ieu près celle des plus granils orangs, cl atteindrait même celle de l'iiomme si on s'en rapportait aux voyageurs. Son corps est robuste, couvert de poils noirs; sa face est nue , d'un brun fauve ; son museau est trè.s-proéminent , son nez plat, et ses yeux petits et saillants ; ses oreilles, plus petites (pic celles de l'homme, sont collées contre sa tête; ses bras, d'une longueur démesurée, lui (IcsccudenI jiw(prau\ malli'olcs; enlin sa poitrine et son ventre sont nus. Il habite lîorni'o et Su- matra. Tous ces caractères peuvent également s'appli(pier à l'orang-houtan, mais ce dernier man(|uc d'abajoues et il a le foie comme l'iioiiunc, tandis (pu', le pongo aurait , selon Dcsmarets et d'autres iialuralislcs, des abajoues, et, scbui (i Ciivicr, le foie divisé en |)lusieiu's lobes; dan-^ le premier cas ce serait le dernier des anthropomorphes, dans le second on devrait le jdacer à l,i tête des singes. Si le pongo est un vieil orang-houtan , son histoire offre une singularité uniipie parmi les animaux, et la voici : dans tous les êtres doués d'instinct ou d'intelligence , cette intelligence est comparativement très-faible dans le premier âge ; elle se déve- loppe progressivement et n'atteint guère à toute son énergie que vers la fin dn premier tiers de la vie. Elle se soutient ensuite jus- qu'à la décrépitude, et même, dans les animaux sauvages, jusqu'à la mort. Dans l'orang-houtan, il en serait tout autrement, en supposant qu'il devint un pongo dans sa vieillesse. Dans son enfance, il a le front grand, saillant, proéminent, et la tête arrondie comme celle de l'homme. Alors il est doux, posé, réfléchi, si je puis me servir de cette expression, et il semble tout à fait incapable de la pétidance et de la férocité de beaucoup de singes; il s'afTeetionne aux personnes qui le caressent et le nour- rissent, et, comme le chien, il est susceptible de recevoir une certaine éducation. Devenu adidte , c'est-à-dire lorsqu'il prend le nom de pongo, il s'opère chez lui une métamorphose étrange. Son angle facial, qui était ouvert à soixante-cinq degrés, s'allonge et se trouve réduit à cinquante; son front se rejette en arrière comme celui de ces idiots nomuK's crétins; sa tête s'allonge vers son sommet et se rétrécit considérablement. Son museau s'avance ; sa face s'élargit prodigieusement par l'effet de deux grosses protubé- rances qui se développent entre les yenx et les oreilles, depuis la tempe jusqu'à la base des mâchoires ; enfin c'est une métamor- phose complète. L'intelligence éprouve la même révolution. Les voyageurs épouvantés, (pii le retrouvent dans les bois sous les noms dekukurlaco, de féfé , de golokk, tremblent à son appro- che; car ce n'est plus cet animal ren^di de douceur et de gentil- lesse, mais un être farouche, indomptable, plein de courage et de férocité, sans cesse occupé à donner la chasse aux êties plus faibles que lui, se nourrissant non-seulement de fruits, mais aussi de la chair des oiseaux (pi'il surprend la nuit sur les arbres; c'est ce mystérieux et terrible lionnue nocturne qui poursuit les femmes, atla(iue les voyageurs, les assomme à coups de pierres ou de bâton, et les dévore; (pii, enfin, porte ré|iouvanle avec lui. Tout cela est fort exagéré, couunc on doit le crnire; mais en adoucissant beaucoup ce jtortiait de mœurs sauvages, il n'y en aurait pas moins une métamorphose complète, car il est certain que le jiongo de Wurmb est féroce, sauvage, courageux, et qu'il se défend avec un bâton quand il est attaipu' par l'honuue. D'ailleurs, ce qui peu! encore ébranler l'opinion de ceux (|ui pensent (pie l'oraug et le jioiigo sont identiijucs, c'est qu'aujour- d'hui on coiuiaît deux espèces de ce dernier genre. Le PoN(;o c'AiiEi. {Pongo Ahelii, Lesson ; Pongo U'urmbii, Cl. Abee). m. Claïke Abel pense (pie cet animal est le véritable orang-houlan. Il atteint six pieds cinq pouces; son nuiseau est très-proéminent et son nez fort aplati; une épaisse crinière couvre sa tête; sa face est nue, mais une grosse uujiislaihe d('- bordc sa lèvre supérieure, et une barbe louflue lui jicud au men- ton ; il est couvert de poils d'un roux foncé, passant en (pielques endroits au rouge vif ou au brun noir; il a la planle des pieds et la paume des mains brunâtres. L'individu (pii a fourni cette description a été tué à Sumatra. Comme le précédent, il marchait debout avec facilité, courait avec vitesse, et grimpait sur les arbres avec une grande agili(('. Du reste, il ('lait l'obiisle , cl se défendil avec beaucoup de cou- rage. Il condiattait encore ayant reçu cimi balles dans le corps cl ]iliisieurs coups de lance. Enfin, allaibli par un vomissement de sang, il fit coiume César, cl, s'abamionnaul à sa mauvaise for- lune, il se laissa tomber, mit les mains sur 1rs ])rofondes bles- sures d'où son sang s'échappait à finis, et, en expirant , jeta sur ses assaillants un regard si plein de suiiplicatiiui et de douleur, ipi'ils en furent ('mus jusqu'.uix lai'iiies, et se i-e|)eniireut d'avoir lu(' sans nécessité une créature si ressemblante à eux-mêmes. ANTHROPOMORPHES. 56 Il parait que cet animal n'habite pas onlinaiicment la côte iW Sumatra où il fut rencontre; car les hal)ilanls, ijui ne le recon- nurent pas, déclarèrent que, depuis qupl([iie temps, ils enten- daient, pendant la nuit, des cris pousses |iar une voi\ étrange n'ayant l'ien d'analogue avec celle des animaux du pays. En outre, il avait les pieds couverts de boue jusqu'aux genoux, comme un homme qui viendrait de faire un long voyage. Sa force était si prodigieuse, que, mortellement blessé et ayant déjà jierdu nue partie de son sang, il brisait comme une paille le bois des lances -dont on le frappait, Il fut mesuré après sa mort, et on liii trouva, depuis le sommet de la tète jusqu'au talon , ^^i.x l'ieds cin(| [louces. i'^ Cenhe. Le SYiND.4CTYLE {SunihictijUia). 11 a le même carac- tère que les orangs , mais ses bras sont un peu plus longs , cl il a de légères callosités aux fesses; dans le mftle et la femelle, l'in- dex et le médium des pieds de derrière sont réunis jus(ju'à la dernière phalange, ^i Le Sumam; (pijndarliilus siamalig. — IhjhihaU'f. sijndachjlus ,^ Vv. Civ. Vithecus sxjiidactijiua , Desm. Siinia s)jndaclyla, Plufl.). (let animal , qui habite ka forêts de Sumatra, a le pelage lai- neux, é|iais, d'un noir foncé ; il a sous la gorge un grand espace nu. Il est lent , pesant, manipie d'assurance quand il grimpe, et d'adresse quand il saule. Si on le reiuoulre à terre, un homme un peu agile l'alleint aisément à la course et s'en emiiare sans qu'il clierehe à se défendre. Son iiu[)uissauce à fuir le danger ou à le repousser par la force l'a rendu très-défiant; jamais sa vigi- lauie ne s'endort. Comme il a l'ouïe très-line, il entend à un mille de distance lui bruit assez léger, et s'il lui est inconnu, il \])reud aussitôt la fuite. Sa taijie est de deux pieds huit pouces. Les siamangs se réiinissent en troupe nombreuse, et sont très- attachés à leurs petits. Si l'un tombe blessé mortellement i»ar nue balle, sa mère se laisse tomber )U'ès de lui en jetant des cris all'reux , se roule de désespoir, et fait tout ce qu'elle peut ]ioui' rjp[)elei' son enfant à la vie ; aperçoit-elle l'ennemi ([ui a [loi'tt' le coup fatal, elle .se relève et se précipile sur lui en étendant les bras, ouvrant la gueule, et poussant des hurlements lamentables. Mais là se bornent ses efforts, car elle ne sait ni mordre, ni frapper, ni parer les coups, et elle meurt viclime innocente de lamour maternel. Ce qu'il y a de fort singulier, c'est que les femelles ne iiorlent sur leurs bras que les jietites femelles, et que les mâles ne por- tent également que les pelils de leur sexe. « Les soins que les femelles prennent de leurs enfants, dit M. lluvaucel, sont si ten- dres, si recherchés, (pi'ou serait tenté de les attribuer à un sen- limeut raisonné. C'est un speclach; curieux, dont, à force de précautions, j'ai pu jouir cpielipiefois, ipie devoir ces femelles porter leurs petits à la rivière, les débarbouiller malgré leurs l)laintes, les essuyer, les sécher, et donner à leur propreté un temps et des soins (pie, dans bien des cas, nos proi>res enfants jiourraient envier. » Du reste, le siamang est peu iutelligcnl, apalliiipie. mal.idroit, mais fort doux. Huit jours après avoir été pris, il est aussi appri- voisé, aussi ac( outumé à l'esclavage que s'il eut passé toute sa vie eu domesticitt'. l'oiu- cela il n'en est pas plus aimable, car il pa- rait aussi insensible aux bons Iraileuu'uts (pi'aiix mauvais, et, sans jani.iis chercher à faire du mal, il ne donne jam.iis non plus le moindre signe d'afl'eeliun; la reconnaissance et la haine sont pour lui des passions tout à fait étrangères. La peur et la stupi- dité exercent sur lui un tel empiie, ((uc, dans les forêts, s'il ren- conlrc un tigre, loin de diercher à se sauver, il reste iinm(diile connue une sialiu', se borne à jeter sur son ennemi lui œil ed'aré, et (elle fas( ination lui coule la vie. ouaud CCS animaux voyagent, ils oui un ( hef ([ui marche à l('(U' l('lc cl eondiiit l.( troupe; comme ('est ordinairemcnl le plus agile et le moins stupide, si la petite caravane fait une mau- vaise rencontre, il vient toujoiu's à liouf de se sauver; il en ré- sulte que les Malais croient ce chef invulnérable Chaque matin, au soleil levant, les siamangs font retentir les bois de leur voix assourdissante, et ils en font autant quand le soleil se couche; aussi servent-ils d'horloge aux paysans en leur annonçant exao lement l'heure du travail et celle du repos. ^ ",' Cenre, Les CirmDNS [Hiilobates , U.uc.) ne diffèrent des orangs ((ue parce qu'ils oDI des callosités aux fesses, et ([ue leurs bras sont d'une longueur encore plus démesurée/ , Le WoL'woi! (Hylnbales kuciscus, Lesson. Simia kuciscus , Scii. Le Gibbon cendn' de Cuv. Le Moluch, Ai;i).). Lors même (jue le wouvou marche à ([ualre pattes, il se tient toujours debout , car ses bras sont si énormément longs, (pie, dans celle dernière posilion, ses mains loiichcnl à la terre. Sa taille atteint (pichpiefois quatre pieds (1,209) de hauteur; son corps est couvert de poils laineux d'un gris cendré; ceux de In face sont très-noirs, et un cercle de poils gris, (pii lui entoure le visage, lui donne un air fort original. Cet animal vil dans les îles de la Sonde et dans les Moluques. Il est assez doux, qiioi(pie vif et capricieux. A r('lat sauvage, il se plaît sur le bord des eaiix, dans les roseaux qu'il habile. Au- tant ses longs bras le rendent disgracieux quand il est sur la terre, autant il es( leste, agile et gracieux ipiand, s'élancant su|' la cime (les plus hauts bambous, il s'y balance, et prend IouIch les positions extraordinaires (pie lui permet la longueur de ses bras. Il n'est pas de sallimbaïupics plus amusants et ipii inven- tent des poses aussi singulières que cet animal. Dans le même genre se placent les trois espèces suivantes : Le CicnoN ..\(;ii.e"('//i//u?;i7/i's avilis, Fr. Cuv. Ilijlobalcs variega- lus, Less. Le Wuuv'ou de Fr. Cuv.). Il habite les forêts de Suma- tra , où il est assez rare; il a le pelage brun, cl jaune sur le dos; la face est d'un bleu noirAtre dans le màlc, brune dans la femelle. Il a sur les yeux un bandeau blanc qui descend de chaque côté et va s'unir à des favoris blanch.'itres; son front est très-bas, et ses arcades orbitaires fort saillantes. 11 a été découvert par M.M. Diard et Duvaucel. La nature n'a pas doué cette espèce d'une grande intelligence, cc|icndant en captivité elle est susceptible d'acquérir quehpie éducation. Ce gibbon est quelquefois fort gai, et recherche les caresses de son mailrc; il est loujoii#s faiiiilici', curieux et gour- mand Dans les bois, il vit par couple plus souvent (pieu famille. H est d'une agilité surprenante, et, (piand il s'('lancc de branche en branche, il .semble plutôt voler que sauter. Lorsqu'il est de- bout, il jieiit avoir trente et un à trente-deux pouces (0,859 à 0,91)7) de hauteur, et les doigts de ses bras touchent à terre. Le CiiiiiON AUX MAINS ni.ANCiiES {Uijhihqtea lar , Less. Simia. lonijini'ina. Si.ini.- Le Gibbon, Iîijee. Le Gibbon noir, (',. (;iiv. Ililhtbales albimanus, !s. CroEr. ) Celui-ci a les bras un peu moins longs que le wouwou : sa taille serait de plus de trois pieds (0,97S) selon r.ulT'on, qui en a vu nu vivant, et ne serait communi'meut ipie d'un pied trois [loiices (0, iOli) selon .M. Lesson, qui me parait ici faire \ine errcin-. Sou corps est grêle, allongiî, couvert de poils grossiers, longs et noirs, excepté ceux qui en- tourent la face, qui sont gris; son nez est brun , plat; .ses yeux sont grands, mais enfoncés; ses oreilles arrondies, et bordées à lien près comme celles de riiomme. La piaule des pieds et les ongles sont n((irs. Celle csiièce est de mnfiirs douces, d'un caractère tranquille, et SCS mouvements ne sont ni trop brus(|ues ni trop |>r('cii)ités. Iiaiis la ca|ilivil(', il prend as.sez doucement ce (pi'on lui présente, cl 1.1 uouriiliirc (lu'il paraît préférer est le pain, les fruits et le S6 LES QUADRUMANES. lait. Louis Lecomle , cité i)ar Bufibn , dit avoir vu aux Moluques, « une espèce lie singe , l'ounlio , marchant naturellement sur ses deux pieds, se servant de ses bras comme un homme, le visage à peu près comme celui d'un Ilottenlot , mais couvert d'une sorte de laine grise, se coiiiporlaiit comme un cnTant, et exprimant parfaitement ses passions et ses appétits; il ajoute que ces singes sont d'un naturel très-doux; que, pour montrer leur airtclion aux personnes qu'ils connaissent, ils les embra.ssent et les bai- sent avec des transports singuliers; que l'un de ces singes, qu'il a vu, avait au moins quatre pieds de hauteur, et qu'il t'tail extrt'- mement adroit, et encore plus agile. » .\ l'état sauvage , il se nourrit exclusivement de fruits. Il habite les iMoluques, la c6te de Coromandel, et la presqu'île de Malaka. Le C.icBON VARIÉ (Hijlubates varieyatus , Lf.ss.) n'est qu'une va- rie'te du prfoedent. Il ne s'en distingue guère que par sa taille d'un tiers plus petite, et par son pelage mêle' de gris brun et de gris fonce'. On le trouve e'galement dans la presqu'île de Malaka. ïiiplVm-^ "•'.k(,iv. ftf,*. ( .i:t "ic '''* ■ ^ ■'' Galeries do géologie, de mintTalogIo et do lulaniquo. SINGES. 57 LES SINGES. Ils ont le même nombre de tlenls (lue les anlliropomorplies , dont (|iiatie incisives à eliaque mftelioii'e, deux canines et dix mo- laires; mais l'os iiyoïde est en forme de bouclier; le foie est di visé en plusieurs lobes; le Cffcuni est gros, noiul et sans appen- dices. Ils ont une queue, quoiqu'elle soit r('(iiiile quelipiefois à un simple tubercule rudimentaire; leurs fesses sont calleuses. Tous appartiennent à l'ancien continent. 6" Genre. Les GUENONS (Cercopithecus, Linn.). Elles ont la léte ronde, le front rejeté' en arrière , le nez plat et ouvert à la hau- teur des fosses nasales ; point de crêtes soiircilières ; l'angle facial ouvert à cinquante degrés ; l'oreille d'une grandeur moyenne; la tpieue plus longue que le corps. Toutes sont vives, ca[)ricieuses , et assez douces dans leur jeunesse ; mais elles deviennent nie'- chantes en vieillissant. La Mono. La MoNE {Cercopithecus mona , Geofe. Simia mona et Simia monacha , Stnu. La Mone, Buef. Gellc jolie i)cti(e guenon a les lèvres et le nez couleur de chair; la fac(^ lirunc, avec un bandeau noir sur le front; la tète d'un vcri doi'è en dessus, enlourèe de blanc; le dos et les flancs d'un brun vif et piqueté de noir; les membres noirs; le dessus de la queue d'un bleu ardoisé, et une tache blanche de chaque côté de la queue. Sa taille est d'environ dix-sept pouces {0,i60) depuis le bout du museau jusqu'à l'origine de la queue : celle-ci a deux pieds (0,f!yo) de longueur. La mone est une des guenons les plus communément apportées en France, et celle qui supporte le plus aisément les intempéries de notre climat. L'élégance dans les formes , la grftee dans les mouvements, la do\iceur dans le caractère, la finesse dans l'in- telligence, la pénétration dans le regard, tout ce (pii , dans un animal de ce genre, j)eut le faire reciicrclier et inspirer |)Our lui de l'aU'ection, la mone le possède. yuoi([ue vive jusqu'à la pétu- lance , elle n'a pas de méchanceté et s'attache assez aisément à son maître. Klle est même susceptible d'une certaine éducation , si toutefois on s'en fait craindre assez pour la forcer à obéir. Contre riiabiliide des autres singes, clic ne grimace jamais, et elle a dans les traits une certaine gravité pleine de douceur. Klle mange volontiers tout ce iiu'on lui présente ; de la viande cuite, (Ui pain, des fruits et certains insectes; elle est particulièrement friande de fourmis et d'araigiK'es. Son adresse et son agilité sont extrêmes, et néanmoins tousses mouv('nienls sont doux. lOlle a de la ténacité dans ses désirs, inais jamais ils ne la portent à la violence, et, lorsijue, après avoir sollicité longtem|is ]wm obtenir un objet (pii lui plaît, on persiste à le lui refuser, tout à coup elle cesse de demander, fait une gambade et paraît n'y plus pen- ser. Sa moralilé n'est pas très-exemplaire sous le rapport du droit de propriété : elle a une telle tendance à la filouterie , qu'aucune correction ne peut vaincre ce penchant. Elle est fort liabile à glisser doucement la main dans les poches de ceux qui la caressent, et cela avec une adresse (jui ferait honneur au plus habile escamoteur. Pour s'emparer sans bruit des objets qu'elle convoite, pour voler quelques fruits ou quelques bonbons, elle sait fort bien tourner la clef d'une armoire, dénouer un paquet, ouvrir l'anneau d'une chaîne. Un peu capricieuse et distraite, elle n'est pas toujours disposée à caresser son maître; cependant, quand rien ne la préoccupe et qu'elle est tranquille , elle répond avec grâce aux avances ((u'on lui fait. Dans ce cas elle joue , elle prend les attitudes les i)lus aimables, mord légèrement, se presse contre la personne qu'elle aime , et fait entendre un petit cii fort doux qui est l'expression ordinaire de sa joie. En général, elle aime peu les personnes qui lui sont étrangères, et rarement elle manque de mordre celles (lui sont assez hardies pour la toucher. Elle est sujette aussi à prendre certaines gens en antipathie, et cela sans cause et pure- ment |>ar caprice. La DiaDe, ou le Roloway. Sa patrie est le nord de l'Africiue, et principalement la liarba- rie. Il paraît (|u'on la trouve aussi en Abyssinie, en Arabie, en Perse, et même danscpiehpies autres parties de l'Asie Comme elle est assez timide, elle s'approche rarement des lieux liabil('s et ne l)énètre jamais dans les plantations. En temps de famine, c'est-à- dire quand les fruits deviennent rares dans les forêts, elle des- cend en troui>cs dans les plaines, et là, elle tourne et renverse toutes les pierres, aussi bien (pu' pourrait le faire le plus ardent enlomologiste , afin de collcclionner les insectes (lu'elle trouve dessous. Elle a, pour serrer sa collection, non pas une boîte à épingles, comme celle dont se servent les savants (pii courent après les mouches, mais deux sacs très-commodes, dont la nature a fait toute la façon ; je veux ])arler de ses abajoues. Ce sont deux poclies mcudirancuses (pie la plupart des singes ont dans la bouche, une de clia(pu' C(jlé, sous les joues. La mone a ces poches tellement grandes, (pi'elle ])ourrait y serrer des provi- 68 LES QUADRUMANES. sions pour deux jours : mais sa ^ourmamlise est encore plus grande que ses abajoues, d'où il ii'sulle quelle ne manque ja- mais de consommer en quelques heures, c'est-à-dire aussi vile que son estomac le lui permet , ce qu'elle aurait pu économiser si elle avait un peu de prévoyance. Rien n'est original comme sa figure lorsque ses poches rem- plies de lu'ovisions se distendent et lui gonflent lesjoues au point de lui faire paraiire la léle deux fois plus grosse que de coutume. V.n cet état elle ressemble assez bien à ces figures bonifies et joufflues par lesquelles les peintres anciens représentaient les vents. Alors la moue quitte sa troupe, et cherche un arbre isolé dans le feuillage duquel elle puisse se cacher, car elle craint (jiie ses camarades ne viennent mettre s{ui magasin au pillage, en la battant pour la forcer à ouvrir la bouche , ce qui arrive quelque- fois. Au fond de sa cachette, très-tranquillement assise dans la bifurcation d'une branche, elle tire un à un de son sac les in- sectes qu'elle y a mis, les regarde avec un air de convoitise, les épluche avec ses petits doigts, leur arrache les ailes et les pattes qu'elle jette, puis y porte la dent, mais doucenu^nt et à [ilusiours reprises, en gastronome qui a des principes ; enfin elle les mange, et recommence la même opération jusqu'à ce que ses provisions soient é|iuisées. Alors seuleineul elle pense à rejoindre sa troupe. Tout près de la moue viennent se grouper les espèces dont nous allons [larlcr. Le Patas ou Sinc.e jioigz {Cercopilliecus ruher, Geovf. Simia rubra , CiMI,. Le l'citas, 0. Civ.). Cette guenon, ass<'z commune au Sénégal, est longue de dix-huit pouces, non com|U'is la queue. Sou pelage est roux en dessus, ceuilré en dessous, ses oreilles sont noii'cs ; sa face est couleur de chair , avec un bandeau noir sur les yeux , quelquefois surmonté de blanc. Elle est méchante, emi)ortée, capricieuse et sans afFeclion. La CurNON iii..vnc-ce.\uri; [Cercupitliecus albo-rinormf:, Drsji.). Cette espèce habite Sumatra. Elle est grise en dessus, plus foncée sur les lombes; le dessous est blanc; sa queue est brune; ses pieds et ses mains sont noirâtres; elle a une ligne de poils roides et noirs en travers du front. Le Vebvet (Cercopitheciis pijgerilhra'Hn , Des.m. Cercapilhccus pyt/crUhrus. Fr. Cuv.). Il est d'un gris verdAtre en dessus, blanc en dessous; il a un cercle de roux autour de l'anus; son scrotum est couleur de vert-de-gris, entouré d'un cerde de poils blancs; l'extrémité de sa queue est noire. Celte guenon est timide, fa- rouche, et vit, au cap de Bonne-Espéranie , dans le f(Uid des loréis les plus retirées. On ne la rencontre jamais à proximité des habitations. La Cur.NON a cnocriON blanc {Cercoptthccus h'ucopnjmnus, Otto). ,^ On ignore la patrie de cette jolie espèce qui, par son défaut d'analogie dans les formes avec les autres guenons, de- vrait ]ieut-èlre former un genre à jiart. Son cor|)S est grêle, et son estomac est néanmoins d'une grandeur reniaiMpiahle. Klle est brunAtre sur la nuque et le sommet de la léte; son dos, ses extrémités et sa face sont noirs; elle a la gorge d'un blanc cen- dré, le croupion et la queue d'un blanc sale. Elle appartient au genre Sctnnopithecus. La (liENON m: Dva.w.whf. [Cercopithecus intsilhif!, Di.i.ai..) est d'un gris cendré uniforme , avec le bout de la {lucue noir; elle a de longs poils sur la nuque , le dos et les épaules ; sa gorge est grisMre; le dedans des membres est d'ini gris blanchâtre plus fonii'; une tache d'un gris brun se piolonge de dessous le men- ton jusqu'à la gorge; ses sourcils sont noirs, suriuontc's d'un bandeau grisâtre; sa face et ses mains sont de couleur fauve, l'Ile a dix pouces (0,271) de longueur, non compris la cpieue. l'.Ue a été trouvée au cap de lionne-Espérance, aux environs d(! (lootc- vis-itiver, au Keirkama, par M. Delalandc. Je la crois le jeune ftge du vervet. Le lIociiEiR [Ceicopilhccus niclilans, Dism. Simia niclitans, Gml. La Guenon à long nez proéminent, Blff. Le Hocheur, G. Cuv.). Cette guenon a trois pieds quatre pouces (1,08") de longueur, la (picue comprise; son pelage est d'un noir intense, pointillé de gris verdàtre , avec les extrémités antérieures et la queue d'un noir foncé; son nez est large, mais proéminent, renflé, portant, vers la moitié inférieure, une tache blanche ar- rondie. Elle habite la Guinée, et paraît d'un caractère assez doux. La DiAXE [Cercopilhecus Diana, Geoff. Simia Diana, Linn. La Diane,Fr. Cuvier. LeRoloicay, Buff. — G. Cuv. L'Exquima, Marc). Cette jolie guenon a le dessus du corps d'un marron assez vif; les flancs d'un gris ardoisé, et une ligne de la même couleur lui traverse obliipu'ment les cuisses; le dessus de sa tète est couvert de poils courts et noirs, avec un bandeau de poils roideselblancs ; son menton porte une petite barbe blanche. Du reste, son pelage varie en raison de l'Age, et le blanc devient quelquefois jaunâtre. On trouve le roloway dans le Congo et la Guinée , où il habile eu grandes troupes les Htrèts silencieuses. A l'état sauvage, il se nourrit de fruits, d'oeufs d'oiseaux et d'insectes. (Jmime il s'ap- privoise très-aisément, les nègres lui font la chasse et le réduisent en captivité pour le vendre aux Européens qui font la traite sur la cote d'Afrique. Le caractère de celte petite guenon est fort doux ; elle s'alTcc- tionne à son maître, au point qu'elle le suit sans chercher à s'en- fuir, et qu'elle vient se faire prendre lors(ju'il l'appelle. In de mes amis en possédait une extrêmement caressante, qui l'accom- pagnait de la ville à une maison de campagne éloignée d'une lieue. Le chemin était bordé d'arbres, et comme elle était Irès- curieuse, elle grimpait sur tous sans en excepter un. Û"and les arbres étaient trop rapproches, elle s'élançait de l'un à l'autre avec une rapidité et une légèreté sans exemple. Mais cette ma- nœuvre l'avait bientôt fatiguée, et alors elle montait sur le dos d'un épagneul (lu'elle forçait à la porter, La première foisfpi'elle s'avisa de faire sa luoiitiu'c de ce pauvre chien, il fut fort effrayé et voulut s'en débarrasser. Mais elle saisit ses longues toullès de poils avec ses tpiatre mains, et se cramponna de manière ((u'il eut beau courir, sauter, tourner, elle ne désempara pas. Quand le chien se roulait sur U'vm ou dans un fossé, d'un bond h'ger elle s'élançait à cinq ou six ]>as, s'asseyait et le regardait faire, ])uis, quand l'animal se relevait, d'un autre bond elle se replaçait sur son dos. Enfin, le chien, lassé d'une opi)osition inutile, prit son parti en brave, et depuis devint la monture obligée du roloway. Cette guenon, toute bonne et toute caressante qu'elle ('lait, ne laissait pas (juc d'avoii' fréquemment des colères assez violentes , mais ijui toujours naissaient de la peur, l'ar exemple, si elle cas- sait un verre ou une porcelaine en les laissant tomber, aussil(U elle entrait dans une colère furieuse et poussait des cris aigus , dans l'atlenle d'une correction que le plus souvent elle ne rece- vait [las. Comme la moue, elle était un peu voleuse, et elle avait l'habi- tude d'aller cacher dans les lits, entre les draps, le fruit de ses larcins. Souvent elle entrait dans la basse-cour, se glissait dans le poulailler, prenait un (ruf à chaque main, et se sauvait en mar- chaiil debout sur ses jncds de dcriière. Dans cette position son attitude était fort grotesipu'. Elle avait un goût très |)roiioncé pour les œufs crus; elle fra))pait doucement du bout sur It' car- reau pour casser la co(iuille, avec son doigt elle agrandissait le trou, jiuis elle suçait toute la substance contenue dans la coquille, sans la casser davantage. Klle aimait beaucouii le café, et chaque fois qu'elle pouvait entrer fin-|iveuient à la cuisine, elle fui'ctait dans toutes les (tafelièi-esiioui' manger le marc (pii pouvait y être resté. Elle aimait les li(pieurs fortes, non pour les boire, mais pour s'en parfumer tout le corps avec ses petites mains qu'elle tremi>ait dans le vase. Du reste, elle mangeait de tout, de la viande cuite , du pain , des iietils oiseaux crus , mais seulement (|iiand on les lui donnait vivants, des fruits, des sucreries, des SINGES. 59 lionbons, etc. Kllc se servait d'une pierre pour casser les noix et les amnmlcs , et i)our beaucoup de choses elle paraissait avoir assez d'intelligence. Cependant voici un fait tpii prouve combien elle avait ]ieu de mémoire , et que la i)lupart de ses actions e'taient irredechies. Lorsqu'on plaçait un (lambeau sur la table, le soir, aussitôt elle s'en approchait, et, prenant la flamme de la bougie pour (jnelipie chose de bon à manger, elle allongeait le museau et y portait la langue. Elle se brûlait et poussait des cris affreux en se sauvant , mais celte expérience douloureuse e'tait i)er(lue pour elle , et le lendemain , iiuebiuefois même une heure après , elle recom- mençait. Lorsque son maître l'acheta , cette petite béte e'tait fort douce. 11 l'a conservc'e pendant trois ans , et j'ai cru m'apercevoir qu'à mesure qu'elle vieillissait, son caractère devenait ])lus méchant. Un pauvre chat de la maison était sa victime; elle le portait ou le traînait partout avec elle, le caressait et le battait dix fois par heure ; quelquefois elle lui remplissait la gueule de raisins ou de pommes, et, à force de coups, l'obligeait à avaler une nourriture qui ne lui convenait en aucune manière ; enfin elle le fit mourir de misère, et depuis lors on ne lui permit plus de s'emparer d'un autre. Du reste, tout ce que j'ai dit de la mone lui convient parfaite- ment, et ces deux animaux ont dans les mœurs et le caractère, ainsi que dans les formes, une très-grande analogie. La Guenon dorée [Cercopithecus aurotus ^Geoff.) se trouve aux Moluques et peut-être aux Indes. Son pelage est d'un beau jaune doré, avec une tache noire aux genoux; de longs poils lui ombra- gent les joues, le front et les oreilles; sa queue est longue et mince. L'AscAGNE ou Iîlanc-Nez [Cercopithecus petmtrisla, Desm. Simia pelaxrista, Gml. L'Ascagne, G. Cev. Le Blanc-Xez , Audeb.). Cette guenon est rousse en dessus, blanche en dessous, olivâtre sur les membres, qui sont gris en dedans ; ses oreilles sont très-grandes ; sa face est couverte de poils courts et noirs; la moitié de son nez est d'un blanc tranchant. L'ascagne se trouve en Barbarie. Ce singe est remarquable par l'hunnèleté de ses penciiants; jamais on ne lui voit de ces accès dégoûtants de lubricité si communs dans beaucoup d'autres espè- ces; on pourrait même legarder cette retenue comme une sorte de di'rence si l'on accordait cette vertu aux animaux. Ses gestes sont pleins de giAce et de douceur, et cependant il est d'iuie vi- vacit(i si extraordinaire, (juc lorsqu'il s'élance d'un arbre à un autre il semble plutôt voler que sauter. En repos , son attitude favorite est fort singulière : assis, il s'ap|)uie la tête dans une de ses mains de derrière, laisse errer au liasard son œil pensif, et reste ainsi fort loiiglenqis, comme s'il était idongi' dans une pro- fonde méditation. Qui sait.' peut-être rêve-t-il alors à la vallée dans laquelle il est né 1 peut-être son imagination le reporte- t-elle sous rond)rage du baobab gigantesque où il aimait tant à jouer alors ipie, dans son enfance, sa mère dirigeait ses premiers bonds' ou pcut-êli'e encore, dans sa mélancolie, pense-t-il à la chalin; i|ui l'attache à une terre étrangère".' yuoi (pi'il en soit, quand on a vu celte jolie petite créature dans l'attitude que je viens de décrire, il est diflicile de croire que les animaux ne pen- sent i)as. Malgré sa douceur et sa gentillesse, l'ascagne a aussi ses dé- lauts. Par exemple, il est très-vaiiileux et n'aime pas qu'on le raille lorsque sa pétulance lui fait commettre une maladresse; dans ce cas il se met en fureur et pousse des cris aigus ; mais sa rolère n'est pas de longue durée et son bon caractère rei)rend iiien vile le dessus; pour l'apaiser il ne lui faut ipi'inic cai'csse on un bdtiiion. Il a la singulier!' haiiitiide de rouiei' dans ses mains, avant de le manger, tout ce (|u'un lui donne, absolumint comme font les pàtissieis pour allonger un morceau de pâte cvlindriipie. La Guenon couuonnée [Cercopithecus pilealus , Geoff. ). On ignore sa patrie et ses mœurs. Des poils allongés lui recouvrent le front; son pelage est d'un brun fauve en dessus, qui s éclaircit sur la surface interne des membres. Le iMousTAC i Cercopithecus cppbus , Geoff. Simia cephus , Lin, Le Mdusiac, Burr. — G.Cuv.). Il estd'Africpie et parait assez com- mun sur la cote de Guinée , du moins si nous en croyons liulTon. Sa face est d'un noir bleuâtre ; il a sur la lèvre supérieure une ligne blanche ou d'un bleu pâle, en forme de chevron renversé, ce (jui , joint à une touffe de ])oils jaunes au-devant de chaque oreille, lui donne une physionomie assez bizarre. Son pelage est d'un brun verdâlre, et sa (pieue, qui a vingt à vingt et un pouces de longueur (0,542 à 0,569), est brunâtre, avec l'extrémité d'un roux très-vif. L'individu de cette espèce qui a vécu à la ménageiie avait de la douceur, de la gentillesse ; il était susceptible dairection. Le Barbique ( Cercopithecus latibarbatus , Temm. La Guenon à face pourpre, Buff.). Sa patrie et ses mœurs sont inconnues. Dans le jeune âge il est d'un gris brun-pâle assez uniforme, ijui passe au noir quand il d<'vicnt adulte ; sa face est d'un pourpre violet; de longs poils blancs , (pii lui entourent le visage , lui forment comme une coifl'ure en ailes de pigeon. Sa queue est longue , terminée en pinceau. Le TALAroiN ou Melarhine [Cercopithecus tatapoin , Geoff.). BufFon décrivit ce singe, et depuis lui on ne l'avait pas revu. 11 en était résulté que les naturalistes crurent que Ikiffon s'était trompé, et qu'ils regardèrent le talapoin comme un jeune malbroucl< , et quelques-uns pensent encore ainsi. Cependant Frédéric Cuvier fut assez heureux pour retrouver cette jolie esi)èce vivante, et ré- parer ainsi l'injure faite à Buffon. Le pelage de cet animal est olivâtre ou d'un vert jaunâtre en dessus, d'un blanc jaunâtre en dessous ; sa longueur, du bout du museau à l'origine de la queue, est d'environ un pied (0,225) , et sa queue , qui est cendrée en dessous , est longue de dix-huit pouces (0,t87). Les mains , les oreilles et le nez, excepté à sa base , sont noirs : le dessus des paupières est blanc, le dessous des yeux couleur d'ocre , le tour de la bouche couleur de chair. On croit aujourd'hui que ce joli animal est d'Afrique, quoiqu'on ne l'y ait pas encore trouvé. Buflon le supposait de Siam et des autres parties de l'Asie orientale , parce qu'on le lui avait donné sous le nom de talapoin, que l'on sait être la (pialilication de cer- tains prêtres banians, et (pi'il croyait le reconnaître dans ce pas- sage d'un voyageur : « Les singes de Guzarate .sont d'un vert brun; ils ont la barbe et les sourcils longs et blancs : ces ani- maux, que les Banians laissent multiplier à l'infini par un prin- cijie de religion, sont si familiers, qu'ils entrent dans les maisons, à toute heure et eu si grand noud)re, ([ue les marchands de fruits et de confitures ont beaucoup de peine à conserver leurs mar- chanaules ; son ventre est d'un jaune roussàtre; sa face , ses mains et sa queue sont d'un rou\ pourpre, plus clair sur les membres. Il habite la côte occidentale d'Afrique. 8"-' Genre. Les LASIOPYGES (Lasiopijga , li.Lin. ). Leur tête est arrondie et leur museau médiocrement allonge'; ils ont la queue longue; des abajoues; les pouces ante'rieurs très-courts et très- gréles; les mains plus longues que les avant-bras et les jambes; les fesses borde'es de longs poils, mais sans callosités. Le premier et le seul singe de cette espèce qui ait été étudié en Europe, jusqu'au moment où M. G. Cuvier a publié la dernière édition de son Ité(j7ie animal, consistait en une peau mal bourrée, déposée au Muséum d'histoire naturelle. Ce grand naturaliste pensait que les callosités avaient pu disparaître lors de l'empail- lage, et de là il doutait que ce genre fût bien fondé. D'autre part, M. Frédéric Cuvier, qui dit avoir vu plusieurs peaux envoyées de la Cochinciiine, prétend leur avoir trouvé des callosités aux fesses. Si ce naturaliste ne s'est pas trompé , il faudra supprimer ce genre, et reporter cet animal au genre Semnujnthecus. O" Genbe. Les NASIQUES [Nasalis, Geoff.). Ils ont tous les ca- ^<§r^St^^ Enclos du porc-épic , près des loges des animaux féroces. Le Doue {Lasiopyga nemœus, Iu.k. Cercopithecusnemœus, Desm. Simia nemœua , LrN. Le Ihnic, liurr. — G. Cuv. Semmipithecus w- mœus, Less.) se fait remarquer entre tous les singes par la viva- cité et la disposition de ses couleurs. Le dos, les bras, le ventre et les flancs .sont d'un gris vcrdAtre ; le dessus de la tête est brun, avec un étroit bandeau d'wu roiix-m.irron ; les joues .sont rmi- vertes d'un poil très-long et bianeliMre ; la face est en i)artle roussAtrc ; les épaules sont noires; les jambes d'un marron-roux très-vif, et la queue blanchâtre. Le doue ou dok, mots qui dans la langue de sou pays signifient singe, n'a pas moins de trois pieds cl denii à cpialre jiieds {l,ir.7 à 1,20tl) de hauteur. Il haliile la Cocliiticliine cl, si l'on en croit les voyageurs , il niarehe au.ssi .souvent sur deux i)icds que sur quatre. Ils disent au.ssi (jue l'on trouve dans son estomac des bézoards dont la qualité est supérieure à ceux des chèvres et des gazelles; mais comme on ne croit plus aujourd'hui aux ver- tus merveilleuses que les anciens attribuaient au b(=zoaid , il en résulte que ceci est d'une très minime iin|iorlance. ractères des guenons, mais leur nez est saillant et (U'uiesurénient long. Les oreilles sont petites et roiules ; le corps trapu ; les mains antérieures ont le pouce court; les pieds sont larges, avec des ongles t'pais; leur queue est plus longue que le corps, et ils ont des callosités aux fesses. Le Kaii.vi {i\asalis larvatus, Geoff. Simia naaica, Sciir. Le Na- sique ou h'ahau, G. Ciiv. La Guenon à long nez, ISiiff.) se trouve dans l'île de lîornéo, et peut-être aussi dans la Cochinchine. Il est très-remarquable par la longueur de son nez ; sa face est nue, noirâtre; il est couvert de poils courts, d'un fauve ious>:Hre, plus brun sur les i)arties supérieures (pii poiieiii qiiehpies taches jau- uAlres. Il est à i>eu de chose ])rès de la grandeur du doue. 11 n'existe pas de pays au monde i)lus riche en animaux singu- liers que celui habité par le kahau , et parmi ces animaux il n'en C'^l point de plii< exlr.iordin.iire que ce singe. Qu'on se figure un l)elit vieillard de lroi> pieds el ;lus rares dans celte es|H'ce que dans les autres. Tous ceux que j'ai vus en France avaient le plus heureux naturel; ils e'taient doux, familiers, caressants, et sujets à prendre de l'attiichement pour leur maître quand ils n'en e'taient pas mal- traites. Il n est pas de singes plus jielulants ipie ceux-ci; toujours en action, ils prennent toutes les attitudes et souvent les plus grotesques. « A la variété et à la vivacité de leurs mouvements, dit Frédéric Cuvier, on les croirait pourvus d'un plus grand nom- bre d'articulations que les autres quadrumanes et de plus de force musculaire. » Ce sont surtout les mâles qui se font remarquer par leur agilité; les femelles, plus calmes, sont aussi plus cares- santes. Les mangabeys sont grimaciers, mais dans deux circonstances seulement, quand ils sautent et (|uand ils sont en colère. Dans le premier cas, ils relèvent les lèvres et font voir leurs incisives, de sorte que l'on croirait qu'ils rient ; dans le second, ils agitent les lèvres avec rapidité, à la manière des magots, connue s'ils par- laient avec vivacité et en injuriant; ils font alors cnicndre un petit son de voix aigu et comme articulé. On ne peut appeler grimaces les jolies ])elites mines qu'ils font qu('h[uefois pour exprimer lems désirs. J'en avais un lellement doux et iiri\c que je le laissais libi'e de courir ilans toute la mai- son (Juanil sa convoitise était éveillée pour un fruit ou un bon- bon, il mettait son doigt index dans sa bouclie, en appuyant le bout derrière ses incisives supérieures en tournant la paume de sn main eu dehors, et restait dans celle gracieuse altitude jus- (ju'.-! ce qu'on lui eut donné ce qu'il demandait avec un [letit cri suppliant et répété heu! heu! heu! Il était du reste fort caressant et réiiétail fori doucement ce cri quand on lui passait la main sur le dos. Il était fort peu ca|iri- ciciix, mais Irès-voleur, et il ne le cédait pas à la mone et au ro- loway pour l'adresse qu'il mettait à commellrc ses larcins J'en citerai un exemple. Une femme de la campagne vint un jour m'apporler un pré- snt d'dMifs frais, ipTelle avait déposés dans un panier à deux couvercles. Comme le jianicr renfermait, outre les (rufs, (|ucl- ipies objcis assez lourds, elle l'appuya sur une table, sans li'iler de .sou bi'as, et, debout, elle se mil à me parler avec beaucoiqi d'attention. (.)uand elle eut Uni, elle m'annonça ses œufs frais, retira le panier de son bras, l'ouvrit , cl.... jugez de son étonur mi'nl quand elle n'y trouva plus lien! Je m'amusai un mouu^nt de sa siiiprisc et de sa confusion , puis je la lirai d'eiubarras eu sovdcvant l'oreiller d'un vieux sofa, et lui montrant ses œufs dessous, car j'avais vu la manœuvre de .lac(pml , nom ijuc portait mon mangabey. La boinie fcuune , en enirant, n'avait pas aperçu le petit ani- mal : celui-ci avait prolilc de .son incognito pour se glisser dei- rièrc elle, monter sur la table, ouvrir le ])auier sans biuit, y meltre la main avec autant d'adresse (pie de précaution pour fl'étre pas surpris en flagrant délit, enlever deux œufs, un dans chaque main , les porter sous le coussin du sofa , et recommencer cette manœuvre jusqu'à ce qu'il les eût tous volés. Jacquot s'a- percevait bien que je le suivais des yeux ; aussi de tenq)S à autre il s'interromi)ait et me jetait un regard suppliant pour me met- tre dans sa complicité. 11 crut probablement y avoir réussi, car il entra dans une colère terrible quand je révélai son larcin , et suitoul sa cachette. Dans sa fureur, il se jeta, non pas sur moi ni sur la bonne feunnc, qui ne s'était aperçue absolument de rien, mais sur les œufs ; il en saisit deux et se sauva debout à toutes jambes. J'ai C(uiservé ce charmant animal pendant deux ans, sans que jamais le climat ait paru l'incounnoder beaucouj). L'hiver il quit- tait rarement le coin de l.i cheminée, et il se chaulï'ait les quatre mains à la fois en tournant la paume vers la flamme. J'avais un bon vieux clden au(piel j'accordais le privilège de se coucher au- près (lu feu, à cause de sa fidélité et des anciens services qu'il m'avait rendus à la chasse. La place favorite de Jacquot était entre les quatre iialtcs de ce vieux serviteur, qui, avec beaucoup d'indulgence, le souffrait couché le long de lui. Du reste, ces deux animaux vivaient dans la meilleure intelligence. Mon singe mourut empoisonné par accident. Le iMAXCiDEV A coLi.iEii (Cercocebus œthiops , Gr.orr. Cercopithe- cus œthiopicus, Fr. Cuv. Simia œthiops. Lin. Mangabey à collier, G. Cuv.). Il a toutes les parties supérieures du corps d'un beau gris d'ardoise, ou d'un roux vineux, changeant en roux ou en brun marron sur le sommet de la tète ; ses paupières supérieures sont blanches ; un bandeau blanc voile le dessus de ses yeux, et descend sur les côtés du cou. Du reste , pour les mœurs et le ca- ractère, il ne (lilfèrc pas du précédent, aux grimaces près, qu'il fait par un mouvement de lèvres ipi'il relève en luoulraut les dents, manière (jui lui est i)roprc. 11 se trouve dans l'Afrique occidentale, au sud du cap Vert. Le MAi.nuoucK [Cercocebus malbrouck , Ceoff. Cercopitliecus cy- nosurus , DiiSM. S/oiî'a /'aunus, G.mcl. Simia cijnosuros , Sciir. Le Malbrouck, G. Cuv.). Ce singe est remarquable ]iar l'extensibilité de ses lèvres, il est d'un gris verdiMre en dessus, blanchâtre en dessous, gris sur les membres et la queue; son front porte un bandeau blanc; sa face est couleur de chair; les poils de ses joues sont très-longs et rejelés en arrière. 11 a un pied (0,52[)) de longueur du bout du museau à la naissance de la queue. La mcuagerie a possédé un grand nombre de malhroucks. « Il n'est point d'animaux plus agiles, dit Frédéric Cuvier ; ils s'élan- cent, en faisant j)lusieurs tours, comme en volant, couchés sur le cOlé, et ne se soutenant ainsi en l'air que par rinqmlsiou (pi'ils se douuent en frappant de leurs pieds les parois de leur cage. Ces lualbroucks faisaient rarement entendre leur voix, ipii ne fut jamais (ju'un cri aigre et faible, ou bien un grognement sourd. Les mâles, dans leur jeunesse, étaient assez dociles ; mais dès que l'âge adulte arrivait, ils devenaient méchants, même pour ceux qui les soignaient. Les femelles reslaient i)lus douces, et i)arais- saicul seules susceptibles d attachement. Cependant les mal- hroucks sont excessivement irritables; mais si d'un crtlé ils sont violemment poussés par leurs penchants, de l'autre ils calculent tous leurs mouvemenis avec soin ; et lorsipi'ils atlaciuent, c'est toujours Iraîlreuscment par derrière , et lorsi(u'on n'est point occupé dCux : alors ils se pii'cipitcnt sur vous , vous blessent de leurs dents ou de leurs ongles , et s'élancent aussitôt j)our se UM'Ilre hors de votre portée, mais sans cependant vous |ierdrc de vue , et cela autant pour saisir le moment favorable à une nouvelle allaa- rence extérieure de celle passion, car elle ne peut pas exister chez les animaux avec les mêmes caractères que chez l'homme ; mais ils lexpriment indépendanunenl de tout rapport de sexe. Lorsqu'un singe femelle est attaché à sa maîtresse , il témoigne iniiid'éremment aux hommes el aux femmes son espèce de ja- lousie; el s'il en est quehpiefois arrivé autrement, cela a tenu sûrement à des circonstances fortuites .le suis entré à (louti|iar,i (lieu saint habil(: par des biaïues), it j ai vu les arbres couverts de houlmans à longue queue, qui se sont mis à fuii' en poussant des eris affreu.\. Les Indous, en voyant mon fusil , ont deviné, aussi bien que les singes, le sujet de ma visite , et douze d'entre eux sont venus au-devant de moi \Hti\r m'a|)prendre le danger que je courais en tirant sur des animaux qui n'élaienl rien moins que des jtrinces nu'tanmrpho- sés. J'allais passer outre, lorsque je rencontrai sur ma route une de ces princesses, si séduisante, que je ne pus résister au désir de la considérer de plus près. .le lui lâchai un coup de fusil , et je fus ti'nioin alors d'un trait vraiment louchant ; la jiauvre bête, qui portait un jeime sing(^ sur son dos, fut atteinte juès do Cd'ur; ell(! se sentit morlellemenl blessée, et, réunissant toutes ses liirecs, elle saisit son petit, l'accrocha à une branche, et tomba morte à mes pieds. Un trait si touchant d'amour maternel m'a SINGES. 65 fait plus d'impression que tous les discours des brahmes , et le plaisir d'avoir un bel animal n'a pu l'emporter cette fois sur le regret d'avoir tué un être qui semblait tenir à la vie par ce tpi il y a de plus respectable. " ./ Le LouTOu (Scmnopithecus mourus et le Tchincou, Fr. Cuv. Cer- copithecus mourus, Desm. Simio cristata, Raffl. Simia maura, Le TsciuNcou ou Tsciiin-coo (Scmnopithecus pruinosus, DesmJ me parait si ressemblant au précédent, surtout à la gravure que )i[. Fr. Cuvier en a (ionnée, que je le soupçonne beaucoup n'être qu'une variété de la même espèce. Son pelage est noirâtre, glacé de blanc, sans tache blanche à l'origine de la queue, qui est brune. Ses mains sont noires. On le trouve à Sumatra, mais on ne connaît pas ses mœurs ForCt vierge de l'Amérique du Sud. Lin.). Ce singe a deux pieds de longueur lù,C>",()) non compris l.i i]ueue, qui a deux pieds et demi (0,812) Ses formes sont grêles, ses membres allongés; .son pelage est entièrement noir, excepté une tacbe Idanclie en dessous, à l'origine de la queue, et quel- (pies polis de la même couleur près de la bouclie ; les mains sont noires; les oreilles et la face sont nues. Dans le jeune Age il esl fauve ou d'un brun rougefttre. Il esl de Java, et ses habitude-; sont inconnues. Le r.iMf.rwE ou Pimpaï [Semnopithccus mclanophos, Fn. Clv. Si- mia melannphos, Haff.) a un jiicd six pouces (0, t87) de longueur, non compris la queue. Son pelage est d'un fauve roux brillant , soyeux en dessus, blanchAire en dessous; il a une aigrette de poils noirs en forme de bandeau; la face bleue; les lèvres et le menton couleur de chair II habile Sumatra et les lies de la Sonde; on ne sail rien de son histoire. ^/Le Ciioo ou Cnoi" {Semnopithecus comalus, Desm. — l'ii. Cuv.). *i. Paris. Typographie ÏMon ftf'ies , rtio do Vaiijlirani . 3G. «s LES QL ADRUMAJNES. Le nom de cet animal lui vient de son cri ; le dessus de son coqis et la face exlt-rieure de ses membres sont gris; sa léle est cou- verte en dessus de poils noirs, formant une sorte d'aigrette vers l'occiput; le dessous du cor|is cl des membres es! d'un blanc sale; sa queue est blanche en dessous, grise en dessus, et terndnéc pai' des poils blancs. Le nomenclalcur Temminck pense (ju'on doit rapporter cette espèce au presbylis mitrata d'EscIjollz. Il est de Sumatra et de Java, où les habitants le nomment quebpicfois eiro ; c'est tout ce qu'on sait de son histoire. y Le Soui.iLi {Seinnapilhccus fulro-griseus, Df,s.m.) est d'un gris fauve passant au brun ^-ur les épaules et le bas des quatre mem- bres; les quatre mains sont noires, le visage tanné; les favoris, la gorge et le menton d'un gris blanchâtre sale; la queue est d'un quart plus longue que le corps; les doigts sont très longs, très-grcles, à jibalangcs arquées. Les canines supérieures sont très-grandes et creusées d'un profond sillon sur la face anté- rieure. Il hal)ite Java. Je crois (pie cette espèce fait double emploi avec la guenon à croui)ion blanc, page 38, qui me semble appar- tenir à ce genre, / 12" Genre. Les M.\CAQUES (Macacu8,-LkCEP.). Leur angle fa- cial est ouvert à quarante ou quaraute-cinq degrés; ils ont des crêtes sourcilières et occipitales très-])rononcécs; des abajoues, des callosités aux fesses, et une (pieue plus ou moins longue; ils ont trenic-deux dents, dont la dernière mâchelièrc inférieure à talon , ce qui les distingue des guenons, et ils diffèrent des sem- nopithèques par de très-grandes abajoues. Le MACAgcE ToguE (Macacus radiatus, Desji. — Kii. Cuv. Cer- cucebus radiatus, Geoff. Le Bonnet chinuis, Buff. "Voir notre gra- vure du Chacraa, où il est représenté j. Ce singe a une grande ressemblance avec le bonnet chinois, dont il n'est peut-être, quoi qu'en disent les naturalistes, qu'une simple variété. Son pelage est rluu brun verdàtre en dessus , et d'un cendré clair en dessous; les poils du dessus de la tête sont divergents et lui for- ment une sorte de calotte, mais bien moins prononcée; il a le museau plus mince et plus étroit que tous les autres macaques, la face et les oreilles dune couleur île chair livide, et les mains violâtres. Sa queue est un peu plus buigue que son corps. Le to(pu; haliitc llnde cl se trouve principalement sur la côte de Malabar, où il Jouit des mêmes privili^gcs ,pie l'houlman au l5cngale. Il est défendu aux iialurcis .le le tiu'r, sous qucl.pie prétexte que ce soit, et sous des i.eines très-x^ières. .S'il arri\e a un Européen de commettre ce crime épouvantable, il n'est pas soumis aux peines prononcées contre les indigènes, et cela parce tiu'il serait difîicile de les lui faire appliquer; mais les brames sont parfaitement convaincus qu'un des dix ou douze dieux singes qui figurent dans leur Ihéogonie ne mauipicra pas de le fJire mourir dans laumV pour venger son repré.senlaiu sur la terre. Il en résulte que le macaque toque a ses coudées franches dans celle partie de l'Asie, et, comme dit le naïf voyageur Pvrard « ces singes sont si importuns, si fâcheux, et en si grand nmnbre qu'ils causent beaucoup de dmumage , et que les hal.ilauls des Villes et des campagnes sont obliges de mettre des treillis a leurs lenêtres pour les empêcli r d'entrer dans leurs maisons. » ,\ous n'avons, au moins à ma connaissance, aucun renseigne- ment de date récente sur cette espèce, et ceux que nous Ir.mvons dans les voyageurs anciens sont assez confus. Wéaninoins il pa- rait que le macaque toque est d un caractère caj)ricieux et mé- chant, au moins quand il a atteint un certain ûgc, et .piil se livre haluluciiemenl au iiillagc des vergers et des plantations de cannes a suriT. Il aime beaucoup la sève du palmier, dont on prépare, dans llnde, une liqueur fermentée nommée lan. Il se met en embuscade et observe les ludous .jui vont percer les palmiers et poser dans la plai,. de l'arbre une . annelle de bambou par la- quelle la scve qui s.Vhapp,. doit être conduite dans un vase. Ce malicieux aunual, aussitôt qu'il voit l'Indou parti , sort de sa ca- chette, grimpe sur le palmier, et boit la sève à mesure qu'elle coule du tronc. 11 arrive parfois, dit on, que cette liqueur l'en- ivre; alors il ne sait plus ce (pi'il fait, et on le prend aisément. Toutes ces anciennes observations ont besoin d'être conlirmées de nouveau. Le BoxxET CHINOIS {Macacus sinkus, Fit. Ccv. Siinta sinica, Gml. Le Bunnet chinois, G. Ccv. — Bckf. La Guenon couronnée). Son corps est grêle; son pelage est d'un brun marron ou d'un fauve brillant doré en dessus; sa queue est un peu plus brune; sa poi- trine, son ventre, ses favoris, le dessous de son cou et la face interne de ses membres sont blanchâtres; ses mains, ses pieds et ses oreilles noirùlres; sa face est couleur de chair. Les poils qui couvrent sa tête sont, comme dans le préct'dent, disposés en rayons divergents d'un point central, mais plus longs. Ce singe habile le Bengale, et son histoire est absolument la même que celle du maca.pie toque. Le MAt;.\gi;E a face noike (Macacus carbonarius, Fr. Cuv.') a la plus grande analogie avec le macaque ordinaire et n'en dill'ère essenlielleuient que par sa face, qui est noire au lieu d'être tan- née. Son pelage est d'un vert grisâtre en dessus; les favoris, les joues et tout le dessous sont gris; il a sur les yeux nu bandeau noir, élroil, et les paupières supérieures sont blanches. On le trouve à Sumatra. ■^ Le Macauie a face kouue [Macacus specinsus. Fit. Cuv.) a le pe- lage d'un gris vineux en dessus, d'un blancgrisâlre en dessous; sa face est d'un rouge pourpre et r.oii verinillonné, entourée d'un cercle de jioils noirs; sa ipieue est très-courte, iiresipie ca- chi'e par les poils; ses ongles sont noirs. Il est des Indes orien- tales. Peul-êlrc faudrait-il reporter cette espèce au genre suivant. Le HiuiSL's [Macacus erythrœus, Fr. Cuv. Macacus rhésus, Desm. Le Rhésus, Auueb. — G, Cuv. Le Palas à'queue co\iYlv et 'Te Maca- que à queue courte, Buff.). 11 ne faut pas confondre cttle espèce, comme l'ont fait M. Le'sson et quelipies autres naturalistes, avec le maimon de BiiHon. Son pelage est d'un beau gris verdàtre en dessus, gris sur les bras et les jambes, plus jaune sur les cuisses; gorge, cou, poitrine, ventre et face interne des membres d'un blanc pur; queue verdàtre en dessus, grise en dessous; face, oreilles et mains d'une teinte cuivrée très-claire ; fesses d'un rouge très-vif, cette couleur s'étendant un peu sur les cuisses, sur la croupe et sur la queue. Sa longueur est de onze à douze ponces (l),-2!)8 à 0,5;25) de l'occiput à l'origine de la (pieue, et cette der- nière est longue de près de six pouces (0,l(i2). Le mâle est un peu )ilus grand, et ses favoris sont plus louH'us. Cet animal se trouve dans les forêts de l'Inde. Le rhésus habite les bords du Gange, où il est en grande véné- ration. Encouragé par la répugnance invincible que les Indous ont pour tuer les animaux, il (piitle souvent les bois et vient justpie dans les villes p lier en plein jour une nourriture (pii lui |ia.alt d'cUitant plus agrt'able ipi'il l'a dérobée. Ainsi tpic tous les singes, il est assez doux dans sa jeunesse; mais en vieilii.s.saiit il devient méchant jusqu'à la férorité, et alors il est d'autant plus dangereux i(u'il a beaucoup d'intelligence et de pénétration pour cali nier et exécuter ses méchancetés. Le Nii.-BANDAii ou OcAxuEiiou [Macacus silenus, Desm. Simia si- huus et leonina, Lin. — Gml. Le Macaque à crinière, G. Cuv. \.'()uanderou, Buff.). Il a di\-liiiil ipouccs île longueur (0,512) depuis le musi^m jusipi'à longiue de la ipieue ; celle-ci a dix pouces de longueur (0,271). Il est entièrement noir, exceplt' le ventre et la poitrine, qui sont blancs, ainsi (pi'une crinière et une longue barbe qui lui forment comme une sorte de fraise tout au- tour de la tête. Le nil-bandar habile l'Ile de Ceylan et se relire au fond des bois les plus solitaires, où , ilit-on , il ne se nourrit que de reiiilles et de bourgeons. Ce dernier fait me parait d'autant plus douteux, que ceux qui ont vécu à la ménagerie aimaient beaucoup les fruits SINGES. 67 et se nourrissaient des mêmes aliments que les autres maciu|up-. L'un d'eux elait duux et caressant (prolialilcinent parce (jue c'était une jeune feinelle), mais lrcs-capriiien\; et souvent, .ni moMiPiil même où il |)araissail recevoir des caresses aven le ])lus de [)laisir, il poussait un cri de colère, mordait, et s'éloignait d'un hond. Quant aux niMes , ils e'Iaient très-me'chants. Les anciens voyageurs pre'tendenl qu'au Malabar « les autres singes ont tant de respect pour celle espèce, (piils s'iiiunilienl en sa présence, comme s'ils étaient capables de reconnaître en elle ((uelque supériorilé. >' Nous remarquerons , en fiassant , qu'il ne faut jamais se presser de rcjeler comme des fables les faits rapportés par les voyageurs, même les pins crédules, et que si on a le talent de dé|iiiuillcr ces fails des interpr('talions fausses et merveilleuses (pi'ds leur donnent, ou y découvre assez souvent une vi'rité En ellet, ce que le [lère Vincent-Marie, que je viens de ciler, a pris pour du respect, n'est rien autre chose que de la crainle ; et si on en concluait que le nil-bandar est féroce , qu'il atla(|ue et chasse de ses bois les singes plus faibles (pic lui, que ces doj'niers le ciaignent et le fuient, qu'ils se cachent en Irem- • bl.int lorsq\i ils l'aperçoivent, on serait tombé jusie sur la vérité. Les Indous estiment beaucoup ce singe et lui donnent une large part dans la vém'ratiou qn'ils ont pour toute cette race, parce ipi'il a une longue barbe et une certaine gravité; ce qui, dans tout l'Orient, passe pour le signe infaillible d une haute intelli- gence. Je ne sais si l'on doit regarder comme espèce, et Vf. Cuvierme parailrait être de cet avis, ou connue simple variété, un singe , Desm. Maca- cus sylcamis, Fr.'Cuv. Simia inuus, siileanus et pilhccus, Lin Le Magol, le Pilhéque, et le petit Cynocéphale, Buif.). Cet animal varie un peu pour la grandeur; n('anmoins il ;i assez ordinairement de seize à dixluiit pouces de longueur (0,i33 3. (iS LES QUADRUMANES. à 0,487), depuis la nuque jusqu'aux fesses; sa tête est fort grosse, son museau large et saillant, son nez aplati, sa face nue et d'une couleur de chair livide, ainsi que les oreilles; son corps est épais et ramasse'; il a de très-grandes abajoues, et sa bouche est armée de fortes canines. Le dessus de son corps est d'un jaune doré assez vif, mélangé de quelques poils noirs, traversé çà et là par quelques bandes noires; le dessous est d'un gris jaunâtre. Les mains sont noirâtres et velues en dessus. 11 habite la Barbarie et l'Egypte. De tous les singes que l'on apporte en Europe , celui-ci est à la autre chose que des grimaces de cet animal récalcitrant , ce n'est qu'à force de coups. 11 est cependant très-intelligent, mais cette précieuse faculté ne se développe chez lui qu'avec sa parfaite in- dépendance. Il ne se soumet à l'homme que dans son extrême jeunesse; i|uand il devient adulte , il se refuse à toute soumission, lutte courageusement contre la tyrannie qui l'enchaîne , et se défend avec fureur contre les mauvais traitements. Vaincu par la l'orce, il cesse la lutte, tombe dans la tristesse et le marasme; il meurt, mais il n'obéit pas. Quelquefois, s'il est traité avec beaucoup de douceur, il consent à vivre dans la servitude : assis Le Nil-B»iidar. fois le plus commun et le ]ilus robuste; sans doute il doit à l'épaisseur de sa fouri'ure la faculté qu'il a de très-bien résister aux intempéries de notre climat, et de vivre chez nous beaucoup plus longtemps que les autres espèces de sa classe. On dit même qu'il s'est naturalisé en Espagne, sur le Mont-au-Singe, près de Gibraltar; mais un|otlicier'^,anglais '.(jui a été pendant plusieurs 1-.-^^' Le Magot. années en garnison dans cette ville et qui a souvent chassé sur le Mont-au-Singe ; m'a assin-é que cet animal y était tout à fait in- connu aux habitants du pays, et que, pour lui, il n'avait jamais pu l'y rencontrer quoi(|u'il l'y eût cherclu^ Il est peu lie montreurs ambulants d'ours et de chameaux <|iii n'aient à leur suite un ou plusieurs magots; et s'ils obtiennent sur ses pattes de derrière , les bras appuyés sur ses genoux et les mains pendantes, plongé continuellement dans une languissante apathie, il semble ne plus vivre que de la vie végétative; il est aussi insensible aux caresses qu'aux corrections, aussi incapable d'amitié que de crainte; il suit d'un regard hébété ce qui se passe autour de lui , et ne sort momentanément de sa léthargie stupide que pour satisfaire sa faim. Le magot en liberté ne semble [dus le même ; c'est le plus vif, le plus pétulant et le plus intelligent des singes; aussi domine- t-il tous les autres animaux qui peuplent ses forêts; il élend même les effets de sa snpéi'iorité jusque sur les grands mammi- fères, en les effrayant par les branches (pi'il leur jette, et les poursuivant de ses cris jusipi'à ce qu'il les ait chassés de ses do- maines. 11 n'a d'ennemis dangereux que le serval , le caracal , le lynx et autres grands chats ipii griin|ieTit sur les arbres, le sai- sissent pendant son sommeil et \v (h'Vorcnt (.(•s singes vivent en troujies nombreuses et paraissent aimer la société jus([ue dans l'esclavage. Dans ce cas ils adoptent volon- tiers les petits animaux qu'on leur donne; ils les transportent |i,n'tnut avec eux en les tenant fortement embrassi's, et ils se Micllent en colèn^ lorsqu'on vent les leur <1tcr. Les femelles ont une grande tendresse ]iour leurs petits; elles ne les quittent ja- mais, roudiatient avec courage ])our leur défense, et ne cessent de les |)rotéger qu'en mourant. Elles leur donnent des soins re- mar(|ual)les et les tiennent très-proprement. Leiw plus grande occu])ation de tous les instants et de les lisser, de les éplucher jioil par poil, d'en enh^ver toutes les petites saletés, et de man- ger les in.sectes ou les ordures qu'elles y trouvent. Dans l'état de nature, le magot vit jirincipalement de fruits et de feuilles; mais en domesticité il mange à peu près de tout. Néanmoins, comme il est déliant, il ne jtorte rien à sa bouche sans l'avoir regardé, tourn<' dans tous les sens et llairt'. Avant de manger, il couniieiice, par précaution, à remplir ses abajoues, SINGES. G9 et c'est aussi dans ces singulières poches qu'il cache tous les pe- tits objets qu'il a vole's. Les aliments qu'il préfère sont les fruits, le pain et les légumes cuits. Le magot a une grande réputation de grimacier, et l'on dirait qu'il se pique de la mériter, tant il s'étudie à varier ses grimaces. Quand il est en colère, ses mâ- choires se meuvent avec une agilité inconcevable , ses lèvres s'agi- tent avec vitesse, ses mouvements sont brusques, ses gestes sac- cadés; il fait entendre une voix forte et rude, (pii s'adoucit quand il se calme. Un croit que cette espèce est le pithèque des anciens, le singe dont Galien a donné l'anatoniie. Le Magot de i.'I.nde (.]faffus maurus. Less. Macacus inaurus, Fr. Clv. Peut-être le Woodbaboon ou Babouin de Pennant). 11 est de l'Inde et diffère du précédent par sa face noire , par ses oreil- les et ses mains brunes; enfin par son pelage, qui est d'un brun foncé uniforme. Ses habitudes sont peu connues à l'état sauvage, mais on en élève quelquefois dans son pays. Ce magot, si on s'en rapporte aux personnes qui ont lial)llé l'Inde, serait d'un caractère moins indomptable que le précédent, et les jongleurs viendraient assez aisément à bout de l'apprivoi- ser. Un oflicier de notre marine m'a dit en avoir vu un t|ue l'on avait amené à Pondichéry, et auquel on avait appris plusieurs choses pour amuser le peuple. H faisait l'exercice avec un petit mais on était obligé de lui ôter souvent celui-ci pour lui en re- mettre un autre; les jongleurs, malgré leur adresse connue pour élever et dresser les animaux même les plus sauvages, tels, par exemple, que les ours et les serpents, n'avaient jamais pu l'em- pêcher d'y faire ses ordures, et il semblait même qu'il y mettait de la malice, car il attendait presiiue toujours qu'on lui eût mis un vêtement propre. Du reste, cette dégoûtante malproprelé est le fait de tous les singes apprivoisés, sans exception, et il n'y a ni coups ni menaces tjui puissent les empêcher de se satisfaire, sur ce point , en tous lieux et dans l'instant même où la fantaisie leur en prend. Le magot dont nous parlons voltigeait sur la corde lâche et y faisait le moulinet avec une telle rapidité que les yeux ne pouvaient le suivre ni distinguer ses formes. 11 obéissait au .y/ geste, à la parole, mais ce n'était jamais que par l'effet de la crainte , et il ne paraissait avoir aucun attachement pour son maître. 11 était très-gourmand, saisissait avec une brus(]ue viva- cité ce qu'on lui présentait, le flairait, le retournait dans tous les sens , puis le cachait dans ses abajoues quand l'objet lui plaisait, ou le jetait avec une sorte de colère quand il ne lui convenait pas. Tous ces faits paraissent avoir peu d'importance, et cepen- dant ils sont jusqu'à un certain point précieux pour le naturaliste parce qu'ils servent à montrer l'analogie frappante qui existe entre le magot de l'Inde et celui d'Afrique. Lo Macaque nègre. fusil de bols, mais il mettait dans le maniement de son arme beaucoup ]ilus de brusquerie que d'adresse; il liriiit de son four- reau un salire de fer blanc, et l'y reuicllail assez faiih'incnt. Il portait un cliai>eau à trois cornes, un habit brodé et un pantalon, '-^>e NicciiR (Maf/us niijer, — Cynocephalus nigcr, Des.m. Macacus 7ii(icr, de la Zoological Society). Cet animal esl enlièr. Tous auraient bien voulu caresser le ])etit; mais aussitôt qu'ils avançaient la main , un bon coup de patte ipie la mère leur ad- ministrait sur le bras les avertissait de leur indiscrétion. Ceux (pu ('talent plac('s derrière elle allongeaient dont doucement la main, la gliss.iicnt impf-rcejiliblement sous son couilc, el parve- naient (|U( hpiefois, à leur grande joie, à tou(dier le petit sans qu'elle s'en aperçut, surtout ipiand elle était oecupc'c à faire la conversation. Mais bicnicjt une nouvelle correction venait leur apprendn; qu'ils étaient découverts , el ils reliraient bêlement la main. La papione avait probablement l'usage du monde singe, et savait parfaitement partager son attention entre ce (pi'elle devait de politesse à la société et de soins à sa famille. Jamais sa ten- dresse ne se montrait mieux pour son enfant que lorsque celui-ci, devenu un peu fcut, s'exerçait à grimper conire le treillage de fer de sa loge. Klle le suivait des yeux avec anxiété, se plaçait derompte et si juste , ipie rare- ment ils laissent tomber ces fruits à lerre en se les jetant les un» aux autres . et tout cela se fait dans un profond silence cl avec 72 LES QUADRUMANES. beaucoup de promptitude. Lorsque les sentinelles aperçoivent quelqu'un, elles poussent un cri , et à ce signal toute la troupe s'enfuit avec une vitesse étonnante. » Choak-kania et Toque. Les choak-kamas sont sociables et vivent en troupe , mais lors- qu'ils se sont fixe's dans une montaf^ne rocheuse (pii leur convient, ils ne tolèrent pas l'établissement d'une autre troupe dans les environs, lis défendent même leur territoire contre les autres mammifères, et particulièrement contre les hommes. S'ils aper- çoivent un de ces derniers, aussitôt l'alarme sonne ; par de grands cris ils appellent leurs camarades, se réuni.ssent, s'encouragent mutuellement, et commencent l'attaque. Ils jettent d'abord à l'ennemi des branches d'arbre, des pierres, et tout ce qui leur tombe sous la main ; puis ils s'approchent , cherchant à le cerner de toutes parts et à lui couper la retraite. Les armes à feu seules les effrayent, mais cependant leur courage intrépide les empêche de fuir jusqu'à ce qu'ils aient vu plusieurs des leurs étendus sur la place. Si leur malheureux antagoniste est sans fusil , ou s'il manque de poudre, il est i)erdu ; les choak-kamas le pressent, l'entourent, l'attaquent corps à cor])s, le tuent et le mettent en pièces. Un imi>rudent Anglais, entraîné à la ])our.suil<' de ces fé- roces animaux, sur la montagne de la Table, j)rès du Cap, se vit bientôt cerné par eux et repoussé jusque sur la pointe d'un ro- cher dominant un précipice. Vainement il fit feu plusieurs fois sur ces animaux ; ils se jetèrent en avant en poussant des cris affreux, et le malheureux chasseur aima mieux se précipiter dans l'abime (pie d'être décliiré par eux ; il se tua dans sa i hule Les choack-kamas emploient eux-mêmes ce Irrrilile luoveri pour se soustraire à la captivité. Je liens de la bouche de M. Delalande, naturaliste voyageur que la mort a enlevé trop tôt à la science, un fait qui le prouve. Bien armé, et secondé par des chasseurs hottentots attachés à son service, M. Delalande parvint nu jour à blo(pier une petite lroup(' de res animaux sur des ranqies de jiré- cipice d'où la retraite leur était impossible. Ils n'hésitèrent jias à se lancer à trois cents pieds de profondeur (97,462) au ris(iue de se briser dans leur chute plutôt que de se laisser prendre. Je regarde comme une simple variété de celui-ci le l'apio cu- malus Gkoff., qui a le pelage brun, deux loufles de poils descen- dant de l'occiput, et les joues noires et striées. Le Tartarin (Cynocephalus hamadryas, Desm. — Fii. Cuv. Simia hamadryas, Lm. Papiun à face de chien, l'tNN. Papion à perruque et Tarlarin, liKLON. Singe de Mocu , \iv\ï. Le Tarlarin, ('.. Cuv.). 11 a environ (piinze pouces de longueur (0,400) de l'oceiimt à la partie postérieure des fesses. Il est d'un gris cendré ou verdûtre, plus pâle sur les parties postérieures du corps; les jaudies de devant sont presque noires; le ventre est blanchâtre, ainsi que les favoris. Sa face , ses oreilles et ses mains sont d'une couleur tannée; une épaisse crinière, longue de six pouces, couvre son cou et les parties antérieures de son corps. Cet animal habite l'Arabie et l'Abyssinie. Il paraît qu'il était autrefois commun dans les environs de Mococo, sur le golfe Persique, quoique, atijour- d'hui, on l'y trouve très-rarement. Il n'a jamais vécu à la ménagerie, au moins à ma connaissance, mais un marchand d'animaux l'a montré à Paris en 1808. Il avait le regard farouche et le naturel très-méchant , et ses gardiens étaient obligés de se défier beaucoup de sa perfidie; car la haine et la colère étaient les seuls sentiments qu'il partit être capable d'éprouver. Même lorsque la faim le pressait, si on lui jetait ses aliments, il s'en em|iarait brusqtiement, avec brutalité, en mena- lant du regard, du cesle et de la voix. Le Dbii.l {Cynocephalus leucophcv.is, Fn. Cuv. — Desm. Simia syl- vestris, Sciireb. Papion des bois, Pen.n. Le Papiun à queue courte, G. Cev.). Cette espèce a beaucoup d'analogie avec le mandrill. Son pelage est d'un gris jaunâtre clair ou d'un brun verdàtre , blanc en dessous; mais sa face est constamment d'un noir foncé dans les deux sexes et à tous les âges. 11 est aussi un peu plus petit, sa longueur, du sommet de la tête aux callosités des fesses, ne dépassant pas vingt-six pouces (0,704); sa queue est très- courte et très- menue. On le croit d'Afrique, et ses moeurs sont inconnues. ^'■ti^â^ '""-'"v' Le lioiico, BouGOC ou Manurii.i. (ri/Hocc/i/ia/i/s »Hon/iy/i, Fii. Ctv. — Desm. Simia mormon et Simia ntaimun, Linn. Le Mandrill, G. Cuv. Le Mandrill et le Chorus, Buif.). Son pelage est d'un gris brun , olivâtre en dessus , blanchâtre en dessous ; il a une petite barbe jaunâtre (dans la jeunesse) ou d'un jaune citron (dans l'âge adulte), qui lui |iend au menton ; les joues sont bleues et sillonnées; les mâles adultes |)rennent un nez rouge surtout au bout, où il devient écarlate; le tour de lanus^a les mêmes cou- leurs, et les fesses ont une belle teinte violette. Il habite la Côte- dOr et la Guinée. Le biiggo atteint presque la taille de riiomme, et l'on ne peut SINGES. 73 se figurer un animal plus extraordinaire et plus hideux. 11 a le caractère féroce et brutal des autres cynoct'iiliales , et ([uoique assez doux et confiant dans sa jeunesse, il devient de la plus atroce méchanceté' avec l'âge.» Les meilleurs trailemeuts, dit F. Cuvier, ne peuvent l'adoucir, et les actions les plus insignifiantes, un geste, im regard , une parole , suffisent pour exciter sa fureur ; mais aussi la circonstance la plus légère l'apaise , sans le rendre meil- leur. Sa voix est sourde, semblable h un grognement, et formée des syllabes aou, aou. A l'état sauvage, toute sa force, toute su puissance d'organisation ne sont mises en jeu que par les pas- sions les plus grossières et les plus cruelles. Il déleste tous les êtres vivants et ne semble pas avoir de plus grand plaisir que celui de la destruction. Ce penchant à déchirer tout ce qu'il peut atteindre se montre jusque sur les végétaux dont il fait sa nour- riture : il se complaît à les déchiqueter, à les éparpiller brin à brin après les avoir brisés ou lacérés. Du reste , la conscience de sa force lui donne de l'audace et de l'intrépidité. Le bruit des armes à feu l'irrite sans l'effrayer, et la présence de l'homme ne l'intimide pas. Il défend avec courage l'entrée des forêts qu'il habite, et lorsqu'on l'y va attaquer, il s'efforce d'inspirer par ses cris une terreur à laquelle il est lui-même inaccessible. Il résiste. Il dispute le terrain pied à pied, et sait, dit-on, s'armer de pierres et de bâtons pour repousser l'agression. Il a l'esprit de sociuliililé assez développé, et il se réunit en troupe pour di'fendre la cir- conscription territoriale qu'il s'est adjugée , contre l'invasion de tout ennemi. Aussi les nègres de la Guinée le craignent beau- coup , et c'est à peu près tout ce que l'on sait de certain sur son histoire ; car elle a été tellement embrouillée par les voyageurs , et par BufTon lui-même, avec celte du kimpézèy, et, par suite, de l'orang-outang, qu'il est impossible d'en rien démêler de plus. » ^Le CvsocÉpiiAi.E MALAIS (Cynoceplialus mataijanus , Desmoul. ) n'excède pas seize pouces (0,i33) de longueur, non compris la queue; son pelage est grossier, entièrement noir, lui formant une aigrette élargie sur la tête ; il a la face et les mains noires, la tète plus carrée (jue dans les autres espèces , le museau moins allongé , et la face beaucoup plus large. Ses joues ne se relèvent point en côtes le long de son nez. On le trouve à Solo , dans les îles Philippines. Intérieur du palais des singes. 74 LES QUADRUMANES. LES SAPAJOUS. Les quadniinanos de cette fiiniille apparliennenl tous à l'Ami'- rique. Ils ont quatre mâchelières île plus que les pre'ce'dcnls,"ce qui leur fait en tout trente six dents; ils ont les narines jH'ree'es au\ côtes, et non en dessous; ils nianiiuent d'abajoues; leurs fesses sont velues, sans callosités, et tous ont une longue queue. Les uns ont une queue prenante , ayant la faculté de saisir les corps environnants en s'entortillant autour. Ce sont les vrais sa- pajous; tels sont les genres alèle, lagotriche, alouale et sajou. Les autres ont la queue non prenante el composent la section des sagouins, qui renferme les genres sagouin, noclhore et saki. •16= genre. Les ALOUATES [Mjicctes, kt-ir,.). Leur angle facial n'est ouvert qu'à trente degre's ; leur ttMe est pyramidale ; la mâ- choire supérieure descend beaucoup plus bas que le crâne, et l'inférieure a ses branches très-hautes pour loger un tambour osseux, qui communique avec le larynx et donne à leur voix un volume énorme et un son effroyable. Leurs mains antérieuris sont pourvues de pouces; leur queue est très-longue , nue et cal- leuse en dessous dans sa partie prenante. Les voyageurs les ont souvent nommés singes hurleurs. Le GouARiBA (Mycetesfuscus, 1)es>i. Simm beehebut. Lin. SIenlor fuscus, GicofF. L'Ouarine, G. Cuv. — Buff.) est un peu plus grand que le mono-colorado : sa tête est petite, sa face nue, d'un brun . obscur ainsi que ses mains, ses pieds et sa queue; son pelage est d'un brun marron ou d'un brun foncé, les poils du vertex , de l'occiput et du dos sont terminés par une pointe dorée. Le gouariba est triste, farouche, méchant, et se retire dans les forêts les plus sauvages du Brésil. « On ne peut ni l'apprivoiser ni même le dompter, dit BufTiui; il mord cruellement, et quoi- qu'il ne soit ])as du nomltre des animaux carnassiers et féroces, il ne laisse pas d'inspirer de la crainte, tant par sa voix effroyable que par son air d'inquidence. Gomme il ne vil que de fruits, de légumes, de graines et de (pielques insectes, sa chair n'est pas mauvaise ta manger. » Aussi les chasseurs du Brésil lui font une rude chasse. Bien ne surprend plus (pie l'instinct de ces gouari- bas , qui savent distinguer , mieux que les autres animaux, les per.'onnes ipii leur font la guerre, el qui, lorscpi'ils sont attacpu'S, se défendent avec courage et se secourent mutuellement. Lors- qu'on les approche avec des intentions hostiles , ils se rassem- blent, se réunissent en phalange, et cherchent d'abord à effrayer l'euiu'mi en iioussaut des ciis horribles et faisant un tapage épouvantabli'. Knsiiile ils jettent à la tête des chasseurs des branches sèches ronqjues, tout ce qui se trouve sous leurs mains, et jusqu'à leurs ordures. Ce n'est que lorsipi'ils voient l'impuis- sance de ces moyens qu'ils pensent à fuir; mais toujours dans le meilleur ordre et sans se disperser , afin de pouvoir se i)roté- ger les uns bs autres. Dans celle circonstance, on les voit s'('- lancer de branche en branche et d'arbre en arbre, avec une telle agilité , que la vue ne j)eut les suivre. Si , en se jetant à corps perdu d'une branche à une autre , ils viennent à manquer leur coup, ce ([ui est fort rare, ils ne tombent pas pour cela, et restent accrochés à ([utdqiie rauu'au par la (pu'ue ou par les pattes, avant de parvenir jusipi'à terre. Il en ri'sultc que si on ne les tue pas roiile d'un coup de fusil, ils restint suspendus à l'arbre, même après leur mort, jusipi'à ce que la décomposition les fasse tomber en morceaux. Aussi est-on fort heureux crsonnes (pii en iireiincul soin et les Irailcnt avec douceur. Lue fois li('s par I an'cclion, ils ne cherchent ])lus à changer de siiiiation ni à s'enfuir; aussi n'a-t-on pas besoin de les tenir constamment à la chaîne comme les singes. Cependant ils ne nian([uctil pas de malice; et ils sont un peu voleurs, mais l)our des friandises seuleiiienl. Dans leurs forêts ils vivent en grandes troupes et se prélent un 76 LES QUADRUMANES. mutuel secours. Dans les pays où ils ne sont pas inquiétés par les hommes, s'ils en rencontrent un, ils sautent de branche en branche pour s'approcher de lui, le considèrent attentivement, et l'agacent en lui jetant de petites branches, et (pielquefois leurs excréments, qui, du reste, sont sans odeur. Si l'un d'eux est blessé d'un coup de fusil , tous fuient au plus haut sommet des arbres, en poussant des cris lamentables. Le blessé porte ses doigts à sa plaie et regarde couler son sang, puis, quand il se sent près de sa fin, il entortille sa queue autour d'une branche, et reste suspendu à l'arbre après sa mort. Éminemment bien conformés pour vivre sur les arbres, les coaitas ne descendent Jamais à terre, et s'ils s'y trouvent par accident, ils y marchent avec beaucoup de difficulté et de maladresse. Pour cela , ils po- sent leurs mains fermées sur le sol , puis ils tirent leur derrière ment de pouce , comme toutes les espèces qui vont suivre ; sa face est cuivrée. Il habite la Guyane et le Brésil. C'est un animal pleureur, excessivement lent, mais très-doux et très-intelligent. 11 vit en grande troupe et aime à se balancer suspendu par la queue aux branches d'arbre. En esclavage il s'apprivoise très- facilement. Les coaïlas se nourrissent [irincipalement de fruits, mais, en cas de famine, ils mangent aussi des racines, des insectes, des mollusques et des petits poissons. On dit même qu'ils vont pêcher des coquillages pendant la marée basse, et qu'ils savent fort bien en briser la coquille entre deux pierres. bampierVe et Dacosta racontent que, lorsque ces animaux veulent h-averser une rivière, ou passer d'un arbre à l'autre sans descendre à terre, ils s'atta- chent les uns aux autres en se prenant tous la queue avec les Le ttouariba. après eux, tout d'ime pièce, absolument comme font les culs-de- jalte. Leur voix consiste en un petit sifllenienl doux et llùté, qui rappelle le gazouillement des oiseaux. Le Mo.NO {Ateles hemidaclylus.- — Eriodes lieiiiidactijlus, Desmoiji,.) a souvent été confondu avec le précédent. Sa longueur, non com- pris la queue, est de dix-huit pouces (0,i87); son pouce ne con- siste pas en un simple tubercule, mais bien en un pelit doigt très-court et très gièle , minii d'un ongle, atteignant à peine l'origine du second doigt, et tout à fiit inutile à lanimal; son pelage est d'un fauve cendré, nu peu noirMre sur le dos; ses mains et sa queue sont d'un fauve plus vif, et les poils de la base de la (picue sont d'un roux fi'rrugineux; sa face est couleur de chair taché de gris. 11 est du Hrésil. Le CiiAMECK [Ateles subpendactylus , Desm. Ateles pendactijlus, Ceoii'.). Il est d'un noir très-foncé, à ])oils secs et grossiers II est un peu plus grand que Vateles paniscus et il s'en distingue parfaitement par un rudiment de pouce (|u'il a aux mains su|)é- rieures. 11 habite la Guyane, et, selon Bull'un, le Pérou. Le CoAÏT\ {Ateles paniscus, Geoff. Simia paniscus, Lin.) est absolument noir comme le préiéilent, mais il manque enlière- mains, et forment ainsi une .sorte de chaîne qui se balance dans les airs en augmentant i>cu à peu le mouvement d'oscillation, jusqu'à ce ([ue le premier puisse atteindre et saisir avec les mains le but où ils tendent; alors il s'accroclie et tire tous les autres après lui. Le Cavou (Ateles alor, Eu. Giv ) ressemble beaucoup au précé- dent; comme lui il a le ))elagc enlièrcment noir, mais sa face est d'un noir mat, ridée, au lieu d'être cuivrée. Il est de Cayenne, et a les mêmes mœurs et la même douceur de caractère que le coaïta. Le cayou a toutes les habitudes du coaïta, doni peut-être n'esl- il qu'une sinqile varirl(', comme le pensait GcoUroy, tpii le pre- mier l'a fait connaître. Ainsi (jue chez tous les animaux de son genre, sa queue ne lui sert pas seulement à assurer sa translation en s'accrochant aux corps environnants et i)articulièrement aux branches d'arbres, mais c'est encore une véritable main, dont il se .sert |iour aller saisir hors de la ])ortée de ses bras, et sans se (h'ranger, les objets dont il veut s'emparer; c'est un organe de préhension dont le tact est si délicat, qu'en en touchant ini corps quelconcpie, sans le regarder, sans d(;tourner les yeux de dessus un autre objet , il en reconnall i)arfaitement la nature. Sa (pietie SAPAJOUS. 77 lui sert encore à se garantir du froid, auquel il est très-sensible, en l'enroulant autour de son corps comme nos dames font d'un boa. J'ai vu un mille et une femelle de cayou , tous deux renfer- més dans une cage, se garantir de la fraîcheur des nuits en se tenant dans les bras l'un de l'autre, et roulant autour de leurs deux corps leurs longues queues qui les masquaient en bonne partie. La Marimonda {Ateles belzebuth, Geoff. — Fr. Cuv. Simia belzebut , Briss. Coaïta à ventre blanc. G. Cuv.). Elle est d'un noir brunâtre en dessus, blanche ou d'un blanc jaunâtre en des- sous; elle a le tour des yeux couleur de rhair. Elle vit en troupe sur les bords de l'Ore'noque, où les Indiens la chassent pour la manger, et quelquefois pour l'apprivoiser et la vendre. Le Macaco vernello {Ateles arachnoïdes, Geoff. Le Coaïta fauve , G. Cuv. ) a le pelage fauve ou roux , court, lisse et moel- leux, touffu à l'origine de la queue; sa face est nue, couleur de liis souvent sur ses dcus pieds de derrière. Le son de sa voix res- semble à un claquement, selon Spix, et il ajoute que cet animal est extrêmement gourmand. Le Lagotriciii'; grison [Laijoihrix canus , Geoff.), qui habile le Bre'sil, diffère du pre'ce'dent par des poils plus courts, d'un gris olivâtre sur le corps , et d'un gris roux sur la tête, les mains et la queue. Peul-élre faut-il ajouter à cette espèce ; Le LAGOrr.iciiE emlmé (Lagolhrix wfuinatus. — (iafirimaryus infamalus, Sim\) qui se trouve au Brésil, et (pii ne diffère guère des prèce'dents que par son pelage entièrement enfumé. Il habile les forêts les \>\ui retirées, et vit, comme les précédents, de fruils et d'insectes. Les lagolricbes grison et enfumé sont beaucoup moins farou- ches (|ue le précédent, et s'apprivoisent avee plus de facilité. Ils vivent également en bandes nombreuses, dans les forêts qui om- bragent les bords des grandes rivières du Brésil. Us sonld'uu naturel doux et timide, s'habituent aisément à la servitude, mais s'attaehent peu à leur maître et en changent avec la (ilus grande indifférence. Moins agiles, moins pétulants ipie les autres sajous, ils se montrent [dus robustes, moins iuquiels , moins remuants, et plaisent davantage i)ar une expression de i)hysionouiie jilus douce et plus aimable. Peu criards, on ne les entend guère trou- bler le silence des foréis que lorsqu'un air lourd et chargé d'é- lectricité annonce un prochain orage. Alors ils réunissent leur troupe épar|)iilée, s'appellent les uns les autres, et cherchent en- semble un abri contre la tcm|)ête. Ils se blottissent contre le tronc d'un arbre , à la bifurcation des branches basses les plus grosses , et là , dans la plus grande épouvante , serrés les uns contre les aulres en peliis groupes de trois ou ipiatre, ils attendent dans riann(diilil(' la plus complète que les éclairs aient cessé de sillonner les nues et le tonnerre de gronder. Le jaguar profite souvent de celte circonstance |ioin' les poursuivre , les saisir et les dévorer; dans leur effroi ils pensent à peine à fuir, cl il en fait aisément sa ]unie. Souvc'ul au.ssi ils deviennent les victimes du cougouard et d'autres grands chats sauvages. 1:ï^f mm^^'i 19" Genrk. Les SAJOUS [Cchu%, E«xleb.) ont l'angle facial ou- vert à soixante degrés. Us ont la tête ronde, le museau court, les oreilles airondies, l'occiput saillant en arrière, les pouces dis- tincts , o|(posables aux autres doigts , et la queue toute velue quoiijue prenante. Le Sajohassou {Cebiis apella, Dksm. Siiiiia apella, Linn. Le Sajou, BciT. — G. Cuv.). Son pelage est d'un brun plus ou moins foncé en dessus, jdus pôle en dessous ; les pieds , la queue , le sommet de la tête et la face sont bruns ; cette dernière est entonn'e de poils d'un brun noirAtre; le dessous du cou et la partie externe des bras tirent sur le jaune. Celle es|ièce ne se trouverait point au Rrésil selon le prince Maximilien, et serait propre à la Guyane française. Comme tous les sajous ont absolument la même intelligence , les mêmes mœurs, et des habitudes semblables, il nous suffira de donner l'iiisloire de celui-ci poiu' faire connaiire Ions les autres. Le sajouasso\i a toute l'intelligence des coaïlas, mais avec moins de circonsi>ection ; parce que la vivacité de ses impressions et la promptitude de son imagination ne lui i)ermetlent ni prudence ni réserve. Tous les sajous sont d'un naturel trè.s-doux, très- iiffectueux, et s'attacheni vivemeiil à leur maître, surtout (piand ils sont Iraiti's avec douceur. yuoi(pie vifs cl turbulents, ils n'ont pas la pi'tulance capricieuse des singes; mais il est fâcheux ijuils en aient la malpropreté et un peu l'imi)udicité , car sans cela ils seraient les animaux les plus aimables que l'on puisse soiwnetire à l'esclavage. En oulre ils craignent beaucoup le fi'oid, et, dans nos pays, ils sont sujets à des maladies de poilnue (|ui les enlè- vent promptemeul. Cependant, en les tenant dans des apparle- nienls chauds , ils passent assez bien l'hiver et vivent plusieurs années. J'en ai vu beaucoup qui avaient l'étrange habitude de se manger la (|Hetie, malgré tout ce qu'on ])ouvait faire pour les en empêcher et malgré la douleur (]u'ils en ('prouvaient. A l'élat sauvage ils vivent dans les bois en grandes troiqies. Ils se nourri-ssent principalement de fiiiits, mais ils mangent aussi des insectes, des œufs, et même des oiseaux (piand ils peuvent les attraper. J'ai reuK\r(pié (jue, de nu'nue (pie les petits maiumi- fères carnassiers, quand ils i)rennent un oiseau ils conniienccnt toujours par lui briser le derrière du crâne et lui manger la cer- velie. Le sajouassou est fort doux, mais capricieux et fanlas(iue. Il alFeclioniu' sans sujet de cti-laincs pei'sonncs, et prend les aiitres eu iiaiue sans cause appréciable. Il aime les caresses et fait aloi'S enlendie une ])elilc voix douce cl Ih'itée. S'il est effrayé ou eu colère, il fait des mouvements 1hus(JUcs d'assis et de levé, en ]>rononçant d'une voix forte et gutturale : heu, heu. Ce petit ani- mal se reproduit en caprivilé dans de cerlaines circonstances. Le père et la mère aiment beaucoup Imr- enfant , en prennent le plus grand soin , et le porlent tour à tour dans leurs bras; ils s'em|iressent à lui apprendre à marcher, à grimper, à sauter; mais lorsqu'il a l'air de faire peu d'attention à leurs leçons : ils le corrigent et le mordent serré pour exciter son application. Le Sajoij uoiidste [Cebtis ruhii^lus, Kian.) est brun ; le sommet de sa lêle est couvert de poils noirs (pii s'avancent sur le Iront, et deux lignes de la même couleur lui eulourent la face ; les mains, les avant-bras, Icsjambes, les pieds et la (pieue sont d'un brun fonei-; les épaules, le dessons du cou et la poitrine sont jauiiAIrcs; le cou et le ventr(ï sont d un marron roux. Cilte espèce a (ité dé('ouvert(; au Itréfil par le prince .Ma.ximilien de .Neuwied. Si ce n'est ))as la même ipie Kr. Cuvier a di'crite sous le nom de Sai femelle , elle a du moins une très-grande analogie avec elle. Le Sajou ghh [Cebus uriseux, Dksm. Ccbus barhai\:r, Geoii. Le Sapajou gris, lîui r. Cebua capucinus, Ehxl. : probablement une va- SAPAJOUS. rtt rit'tfi de Vapella). On ne connaît pas la patrie de cet animal, mais on le suppose du Bre-il ou de la Guyane. I,e derrière de la ItHe , le cou , le dos , les Hancs , les cuisses , la partie postérieure des jambes de derrii're cl le dessus de la (pieue sont d'un brun Jau- nâtre ou d'un brun l'aiive mêlé de grisAIre; le des^'ous est d'un l'aûve clair; une calolte noiriMre lui rouvre le somniel de la tfte; il n'a pas de barbe; sa face est entourée de poils d'un brun noir ; quelquefois le COU, la poitrine et le haut des bras sont blancs. Le Sajou barbu (Cebas barbatiis, DtSM. Cebus albus , Ceuif. Le Sa'i varié, Audib). Son pelade est gris, ou d'un gris roux, ou blanc, selon l'i'ige oir le sexe ; le ventre est roux : sa barbe se prolonge sur ses joues. Ses poils sont longs et moelleux. Il ha- bite la Guyane. Le Sajou coiffé {Cebus frontatus, Kuhl. Cebus trepidus , Geoff. — Erxl. Le Sini/e à queue touffue, Edwa.). Son pelage est d'un noir presi|ue uud'orme, mais ce|>endant les e\lii'mitc-s des mem- bres sont plus foncées; il a sur les mains ant('rieures et autour de la bouche quelipies poils blancs , ceux de son front sont rele- vés perpendiculairement et très-droits. On ne sait d'où il est. Le Sajou ^^;GRK [Cebus niger, Gf-off. Sapajou nègre, Buff.). Peut-être, counne le pense llumboldt, n'est-ce (ju'une va- riété du saj(ni brun (Cebus capueinus), cpii lui-même est une va- riété de ïapella. Son pelage est d'un brun fonce, son front et la partie post('rieure des joues sont couverts de poils jaunâtres; sa face, ses mains et sa queue sont noires. Sa patrie e»t inconnue. Le Sajou vaiué (Cebus variegatus, Geoff.). Sa tète est ronde, et sou museau saillant; l'espace de la face compris entre les yeux est d'un biun noirâtre; son pelage est noirâtre , pointillé de jaune doré en dessus, roussàtre en dessous; les poils de son dos sont bruns à leur base, roux au milieu et noirs à la pointe. On ne connaît pas son pays. Le Sajou fauve (Cebus fulvus, Desm. Cebus flavus, Gioff.). Tout son pelage est fauve; il est lemarquablc par ses poils soyeux, droits, non ondulés. L'OiAVAPAVi (Cebus albifrons , Gi off. — Humboldt) habite au- tour des cascades de l'Orénoque, près des Mai'iiures et des Attires. Son pelage est gris, jdus clair sur le ventre; le sommet ik' sa tète est noir ; ses extrémités sont d'un brun jaunâtre ; il a le front blanc ainsi que les orbites des yeux. Le Sajou lunule [Cebus lunatus, Kuiii.. — Fji. Cuv.j. Il est d'un brun de suie , presque noir sur la tête et les membres ; il a sur cliaipie joue une tache blanche en croissant se portant dc|)uis le sourcil jusqu à la bouche; ses parties nues sont vioUMrcs. Sa jia- liic u est pas connue. Le Sajou coR^u (Cebus fatuellus , Dfsm. Simia fatuellus , Lim. Cebus crislatus, Fk. Cuv. Le Sajou à aigrette, du même. Le Sajou cornu, liuFF.). Son pelage est d un brun marron sur le dos, plus clair sur les flau's, passant au roux vif sur le ventre; la (pieue et les e\tr<'mités sont d'un brun noir; deux forts pinceaux de poils blancs, séparés en forme de corne, s'élèvent de la racine de son front. 11 habite la Guyane française. Sajou a ioipet (Cebus cirri fer. Gnon.). Il a la tête ronde; son pelage est d'un brun chi'itain ; le vertex , les extrémités et la queue sont d'un marron tirant sur le noir; il a sur le front un toupet de poils noirâtres élevé en fer :\ cheval. On le croit du lirésil. Le Sai (Cebus capucitius , Des.m. Siritia capucina , Li>. Le Saï , HciF. Le .SV;jou saï , Gioff.) Son pelage varie beaucoup et passe du gris brini au gris olivâtre; il a le vertex et Icsextn'uiilés noirs; le front, les joues et les épaules d'un gris blanchâtre. Le sai habite les bois de la Guyane, où il se nourrit de fruits, de graines, de sauterelles et autres insectes. Il est très-farouche, et si l'on parvient à le prendre vivant, ce (|ui est fort diflicile, il se défend avec un courage bien au-dessus de sa taille et de sa force. Il niorit si opiniâln'ment , qu'il faut l'assommer iioiir lui faire lâcher prise. Les voyïgeurs ont quelquefois nounné ces sajous singes pleureurs, parce qu'ils ont un cri plaintif et que, pour peu ([u'on les contrarie, ils ont l'air de se lamenter; d'au- tres les ont appelés singes musipiés. parce qu'ils ont, comme le macaque, une odeur de musc (dit Bufl'on). F.n captivité , le saï est doux , craintif et assez docile. Son cri ordinaire lessemble à peu prés à celui d un rat, et il le fait volontiers entendre ipiand il désiie (juchpie chose ou (pi'on le caresse; dès qu'on le menace, ce cri devient une sorte de gémissement. En France, il mange des fruits; mais il préfère à toute autre chose les limaçons et les hannetons. Le Caiuiilaxco [Cebus hypoleucus , 1)es.m. — Fr. Cuv. Le Sa'i d gorge blmche , lii FF.) a ordinairement les épaules, les bras, les cotés de la tête et la gorge d'un blanc très-pur; le reste du pe- lage est d'un noir très-foncé. Sa face et son front sont nus, et de (Huileur de chair ainsi que ses oi'eilles. 11 vit à la Guyane et a les mêmes mœurs que le précédent. Celui qui a vécu à la Ménagerie était d'une extrême douceur et avait assez d'intelligence. Son regard, qui était très-pénétrant, savait deviner dans vos yeux les sentiments ipie vous éprouviez |)oiir lui, et au moindre geste il comprenait parfaitement vos in- tentions à son égard. Son cri , lorsqu'il désirait quelipie chose , consistait en un petit sifflement très-doux, et surtout lorsqu'on le caressait; mais, quand il était colère ou elfrayé, il se changeait en une sorte d'aboiement rude et saccadé. Le Sajou a poitrine jaune [Cebus xanthosiernos , Ki m,. Cebus macruccphalus, Fr. Cuv.) a été découvert au lîrésil , près du fleuve l3elmonte, par le prince Maximilien de Kcuvvicd. Il diflère de tous les autres sajous par la forme de sa tète. Son front large, arrondi , rejeté en arrière, est couvert de poils blancs et ras qui le font pa- raître chauve. Son museau est de couleur tannée; son pelage est châtain ; il a le cou et la poitrine d un jaune roussâlre très-clair; les mains d'un violâtre presipic noir. Le Sajou a pjeus uorês [Cebus chnjsopus, Fr. Cuv.). Sa tête est grosse, arrondie, d'un brun grisâtre un peu foncé descendant sur la partie moyenne du dos, avec la face d'un couleur de chair un peu tanni' , entoiiri'e d un large cercle de poils blancs; le lirlage est d'un gris jaiinâire , blanc jaiinâlre en dessous ; les quatre membres sont d'un beau fauve doré ; les oreilles sont de la couleur de la face, et les mains blanchâtres. U habite l'Amé- riipie méridionale, mais on ne sait pas (pielle partie. Le Sajou a tis ru fauve [Cebus j-imlhocephalus, Spix) a la région lombaire, la partie supérieure de la |)oilrine , le cou, la nu(pic et le dessus de la tête fauves; le milieu du corps, la croupe et le» cuisses bruns. Il habite le Brésil. Le Sajou .maicre [Cebus gracills, Spix) est d'un brun fauve en dessus, blanchâtre en dessous ; vertex et occi|iul bruns : corps très-grêle. Cette espèce, qui n'est |)as siifTisamment déterminée, se trouve dans les forêts voisines de la rivière des Amazones. Le Sajou a capuchon [Cebus cucullatus Srix) a les poils de la partie antérieure de la tête diriges en avant; le dos et la tête sont brunâtres; les bras, la gorge et la poitriiu^ sont roussâlres; le ventre est d'un roux ferrugineux; les membres et la (pieue .sont iu<'sque noirs. Il habite la Guyane et le lirésil. Le Sajou iascif [Cebus iibidiiwsus, Spix). H a la calotte d'un noir brun ; la barbe entourant en cercle toute la face ; le dos , la gorge, la poitrine, les membres (excepté les cuisses et les bras), le dessous de la queue, d'un roux ferrugineux; le devant de la gorge d'un brun roux foncé; les joncs, le menton et les doigts d un roux plus clair; le corps d'un roux fauve, et la queue un peu \\h\^ courte que le corps. Il habite le Brésil. 20" Genre. Les SAGOIJINS [Snguinus, Lac. Callilhrix, Geoff. — Fr. cuv.), ainsi cpie tous les genres qui vont suivre, n'ont pas la queue prenanle ; leur angle faiial est ouvert à soixante degrés; leurs oreilles sont très-grandes , déformées ; leur Corps est grêlo, 80 LES QUADRUMANES. et leur queue est couverte de poils courts. Du reste ils ressem- blent aux sajous. Le Saïmiri [Saguinus sciureus, Less. Callithrix sciureus, Geoff. — Fr. Cuv. Simia sciurea , G. Cuv. Le Sajoujaune, Briss. Le Singe orange, Penn. Le Titide l'Orènoque, IIlimboliit. Le Saïmiri, Buff.) Son pelage est d'un gris jaunâtre ou verilâtre, blanc en dessous; les avant-bras et les quatre mains sont d'un roux vif; le bout de son museau est noir. Ce joli petit animal se trouve au Brésil et à Cayenne. Comme nos écureuils, dont il a la taille, l'œil éveillé et la vivacité, il ha- bite constamment sur les arbres, et se nourrit de fruits, de grai- nes et quelquefois d'insectes. « Par la gentillesse de ses mouve- ments, dit BufTon, par sa petite taille, par la couleur brillante- de sa robe, par la grandeur et le feu de ses yeux, par son petit visage arrondi, le saïmiri a toujours eu la préférence sur tous quatre fois de suite. Du reste , ce charmant animal me paraît avoir plus de douceur que d'affection pour ses maîtres. Le Saiiouassu ou Sagoi'i;* a masque (Saguinus personatus, Less. Callithrix personatus, Geoff. — Desm.). Cet animal a le pelage d'un gris fauve, la queue rousse, la tète et les quatre mains noirâtres.' Il se plaît dans les bois qui bordent les rivières au Brésil. Ses mœurs, ainsi que celles des espèces qui vont suivre, ne diffèrent que peu de celles du saïmiri. Cependant ces animaux habitent moins les arbres et se plaisent beaucoup plus dans les broussailles que dans les forêts; ils nichent aussi plus volontiers dans les trous des rochers. Leurs yeux, fort bien disposés pourvoir la nuit, ont de la peine à soutenir la vive lumière du jour. Il en résulte que les sagouins en général passent la journée à dormir dans leur retraite, qu'ils n'en sortent qu'au crépuscule, et que Le Sajouassou. les autres sapajous, et c'est en cH'et le phis joli , le plus mignon de tous ; mais il est aussi le plus délicat, le plus difficile à trans- porter. Sa queue, sans être absolument inutile et lâche, comme celle des autres sagouins, n'est pas aussi musclée que celle des sa- jous ; elle n'est pour ainsi dire qu à demi prenante, et ipioiqu'il s'en serve pour s'aider à monter et à descendre, il ne peut ni s'atta- cher fortement, ni saisir avec fermeté, ni amener à lui les choses qu'il désire , et l'on ne peut plus comparer cette queue à une main, comme nous l'avons fait pour les autres sapajous. » Le saïnuri est un animal très-gai et fort doux ; sa physionomie ressemble à celle d'un enfant; c'est la même ex|)ression d'inno- cence, de plaisir, de joie et de tristesse; il éprouve vivement les impressions de chacun, verse des larmes quand il est contrarié ou effrayé, et toute sa personne respire une grâce enfantine. Dans sa jeunesse , il est extrêmement attaché à sa mère, et ne l'aban- donne pas même après sa mort. Lorsipi'il saisit (|uel(jue chose avec ses mains anti'rieures, son pouce est i)la(é à côté des autres doigts, parallèlement avec eux; mais il est o|)posable aux autres doitgs dans les mains de derrière. Quand il dort, son attitude est fort singulière ; il est assis, ses |)ieds de derrière éterulus en avant, ses mains appuyées sur eux , le dos courlx' eu deiui-cercii', sa tête placée entre ses jambes et touchant à terre. Soit qu'il veuille ti'moigner sa colère ou ses désirs, son cri consiste en un petit siftlemcnt plus ou moins doux ou aigu, qu'il répète trois ou ce n'est (ju alors (ju ils jouissent de toute leur gaii,-lé. Ce .sont de j)elits animaux fort intelligents. La Veuve (Saguinus lugcns , Less. CalHthri\v lugens , Geoff.) se trouve dans les bois qui ombragent le hord des rivières à San- Fernando de Atapabo. Son ])elage est noirâtre, sa gorge et ses mains antérieures sont blanches, <:t sa (pu'ue est à peine plus grande (jue son cori)S. Ses habitudes sont tristes et son caractère mélancolic|ue. Il vit isolé et ne se réunit jamais en troupe comme les autres, (pic l'on rencontre rarement moins de dix à douze ensemble. .\ la suite de ces trois espèces, qui appartiennent au genre cal- lithrix de Desmarest, (Geoffroy et F. Cuvier, genre fondé sur te que la queue est encore un ])eu prenante et sur d'autres légères considérations, viennent les véritables sagouins à queue tout à fait lâche. Le Sai^oimn a coi.i.iek (Saguinus torquaius, Desm. Callithrix tor- quata, IIoffm. — Geoff.). Ou le trouve au Brésil. Son pelage est d'un brun châtain, jaune en dessous, avec un demi-collier blanc. Sa (pieue est un peu plus longue que son corps. Le Sagouin a fiiaise [Siiguinus amiclus, Desm. Simia amicta , lli Mil.) habite, dit on , le Brésil, mais sa i)alrie n'est i>as bien eounue. Son pelage est d un iuiin noirâtre; il a un demi-collier blanc; ses mains antérieures sont d'un jaune terne et pâle, et sa queue est d'un quart plus longue que son corps. SAPAJOUS 81 Le MoLOCH (Saguinus moloch, Desm. Callilhrix moloch, Geoff. Cebus moloch, IIoffm.) se trouve à Para. Il est couvert de poils ccndrt's, annele's en dessus, d'un roux vif en dessous, ainsi i|ue sur les tempes et les joues; ses mains sont d'un gris blanchâtre, ainsi que l'extrémité de sa queue. Cette espèce est rare. Le Sacouin mitre {Saguinus infulatus, Desm. Callithrix infix- latus, KuiiL.) habite le Brésil. Il est gris en dessous, avec la (picue d'un jaune roussàtre à son origine, et noire à son extrémité; il a au-dessus des yeux une grande tache blanche, entourée de noir. Il n'est certainement qu'une variété du suivant. est très-séparé et très-peu distinct des autres doigts, et tous leurs ongles sont plats; leur queue est longue, recouverte de poils courts. Le DouROUCOHM ou cara-rayada (Noclhora trivirgata, Fr. Cuv. Aotus trivirgatua, Humu. Nyctipithecus felinus, Shix. Le Titi-tigre des voyageurs). Cet animal a dix pouces (0,271) de longueur du sommet de la léte à l'origine de la queue. Son pelage est d'un gris cendré en dessus, d'un jaune roux ou orangé en dessous; les mains, les Le Douroucouli, ou Cara-Rayada. Le Gu;o ou Sagouin a mains noires [Saguinus melanochtr, Desm. Callithrix incanescens, Lichst. Callithrix melanochir, KiiiiL.). Il habite le Brésil, où il a été découvert par le prince Maximilien de Neuwied, Son pelage est d un gris cendré, excepté au bas du dos, aux lombes et à l'extrémité de la queue, où il est d'un brun roiissâtre. Ses mains antérieures sont fuligineuses. 11 est très- commun dans les forêts, et, au lever du soleil, il pousse des cris rauques, désagréables, qui retentissent au loin. On ne connaît rien de plus de son histoire. im. i y U^"4^ 21' r.iNBE. Les NOCTIIORES f Noclhora, Fr. Cuv.). Leurs dents sont sciiililabirs à celles des sajous; leur tête est arrondie et fort large; leur museau court; leurs yeux sont très-grands et à pu- pille ronde ; leur nez est saillant et leurs narines sont ouvertes en dessous autant que sur les côtés; la bouche est fort grande, ainsi que les oreilles, qui sont arrondies; leur pouce antérieur oreilles , le nez sont couleur de chair ; le dessus des yeux est blanc, et trois lignes noires s'élèvent sur son front, l'une à partir du nez, les deux autres à partir de l'angle externe des yeux ; ces derniers sont tiès-grands, ronds et fauves. Sur les bords de l'Orénoque , dans les forêts de May]>ures et de l'Éméralda, on entend qiiebiuefois, pendant l'obscurité des nuits, un cri terrible que l'on prend pour celui du jaguar, et qui elTraye le voyageur. Ce cri retentissant se rapproche et semble articuler les syllabes muh-muh ; tout à coup il lui succède une sorte de miaulement, é-i'-oou, tout aussi sinistre. Déjà IFiiropéen épou- vanté |)orle la main à ses armes, lorsijue l'aniiual fc'roce se laisse apercevoir aux rayons brillants de la lune... C'esl un tili-ligre, un douroucouli nocturne, à peine de la grandeur d'un petit lapin, moins dangereux ipi'uii écureuil , et qui n'a aucune résistance à opposer à l'épagnciil (pii l'altaque, car sa lenteur et sa nial- 46. l'aria. Typngrapbifl l'ion frrrcs , rue da Vangirard , 36. 81! LES gUAIJRUMANES. adresse ne lui peniiptlcnt de se servir ni de ses dents ni de ses ongles pointus. Cependant il ne se rend pns sans avoir nu moins essaye' défaire peur à son ennemi; pour cela, il se he'risse, e'ièvc son dos reeourbe en arc comme fait un chat, il enfle sa gorge , et pousse un cri beaucoup moins terrible, mais tout aussi desagre'able que le premier, quer-quer. (let animal, Irisle et solitaire, vit avec sa femelle dans le fond des forêts les plus dt^ertes, et rarement on en trouve plus d'un couple dans la même partie dun grand bois. 11 ne descend à terre que dans des circonstances rares, et par accident, et passe tout le jour à dormir sur un arbre, auprès de sa femelle, ipi'il ne «piitte jamais que lors(|ue la mort vient les st'iiarer. Il l'aime avec tendresse , l'aide , la prote'ge , et la défend avec courage au besoin. Il partage avec elle les ]ietils soins de famille et contribue beaucoup à l'éducation de ses enfants. Pendant la nuit, le douroucouli se re'veiUe et se met en cliasse. 11 va furetant d'arbre en arbre, de branche en branche, pour saisir les petits oiseau\ (jui dorment sous le feuillage, ou prendre les mères couveuses sur leur nid. Ceci ne l'empèelie pas de saisir et de manger en passant des sauterelles, des fulgores, des co- leojitères et autres gros insectes. Si aucune de ces (basses ne lui réussit, il se rabal .-ur les fruits sauvages, et même sur des grai. nés de mimosa et de berlhollelia. Si, jiar bonne fortune, il len- conlre dans ses petites excursions des cham])s de bananiers, de cannes à sucre ou des palmiers, il ne manque jamais de les piller; mais le tort qu'il y fait n'est pas grand, car une ou deux bananes peuvent fournir aux repas de lui et de sa famille pour toute une journée. Le douroucouli ijui a vécu à la ménagerie se nourrissait de lait de biscuits et de fruits; il était fort doux, mais c'était une jeune femelle, et il jtarait (jue le m:\le, surtout à l'état adulte, reste farouche et ne peut pas s'apprivoiser. Du moins M. Ihnnboldt en a eu un qui, malgré tous les bons traitements, est constamment resté sauvage. Le NocTiiORE HURLEUR (Nocthoro vociferanf:. — Nyctipithccus Dociferans, Spix) a le pelage d'un gris roux partoul, même sur la lêle ; il a le tiers seulement de la queue uoirAlre. Il habile le lirésil , et, comme le priicédent, fait retentir les foréis de sa voix effrayante. Les nocthores sont de véritables animaux de nuit La sensibi- lité de leurs yeux est extrême et les enq)êebe de supi)orter la hi- tnière ; si on les y expose pendant le jour, leur iiis se ferme com- lilélenienl ; au ( ommcncement de la nuil, au contraire, il s'ouvre h un tel point que la pupille a i)resque la grandeur de l'œil. Il résulte de celte organisation qu'ils dorment toute la journée re- pliés sur eux-mêmes , et la tête cachée entre les jambes de de- vant; mais dès que le crépuscule commence à paraître, ils s'é- veillent et agissent, 2:2'- C,zyt.E. Les SAKIS {Vilhecin , Ceoii'.). Ils ont l'angle facial ouvert à soixante degrés; leur lêle est ronde, à museau court; leurs oreilles sont arrondies, médiocres; ils ont cin(| doigls ,iu\ mains; leur (|ueiu!, non ))renante, est généralenwnt tondue, ce qui leur a valu le non de singe à queue île renard. Le Varké [Vilhecia Icucocephula , Geoff. Siinia pftheciu, Lin. Le Saki et le Varice, G. Cuv. — Buff.). Il est noirfttre ou noir, avec le tour du visage d'un blanc sale; il manque de barbe; chaipie i)oil est d'une couleur imiforme; sa ipieue est à |ieu près de la lon- gueur de son corps. Le yarké est un animal de la Guyane, où néanmoins il est assez rare. Moins grimpeur que les animaux des genres ])récédenls, il s'enfonce moins aussi dans la ])rofondeur des forêts, et habile plus volontiers, eu iietiles troupes de dix ou douze, les bois et les broussailles. Il se nom-rit (h; baies et de fruits sucrés, et (puhpiefois d'insectes. La femelle ne fait qu'un seul petit, qu'elle aime beau- coup et qii'elle soigne avec la plus grande tendresse. Il est d'un caractère tranquille'' et doux, et cependant il s'apprivoise diflici- lement. Sa taille est assez grande, et atteint dix-sept à dix-huit pouces, non compris la queue. Du reste, toutes les espèces ont à peu près les mêmes uujeurs; ce sont des animaux nocturnes, qui ne sortent de leur trou que le soir et le malin, pour aller à la recherche de leur nourriture, et principalement des ruches d'a- beilles sauvages. Les habitants du pays prétendent que les sajous suivent les yarkés pour s'emparer du miel qu'ils ont découvert, et qu'ils les battent à outrance ))our les faire détaler s'ils font mine de s'opposer à ce brigandage. Le Caca.'ao ou Carmrii: et Siiuciizo {l'illiecia vielanocephala , Geoff. Le Mono-rahun de quelques provinces de l'Amérique) se trouve particulièrement dans les forêts qui bordent les rives du Cassiquiare et du Hio-Negro. Il est d'un brun jaunâtre, avec la télé noire, sans barbe; sa queue est d'un sixième plus courte que son corps. 11 a à jteu près les mêmes habitudes que le précédent, mais il est moins lent , moins paresseux , et ne vit que de fruits sucrés, tels que goyaves, bananes, etc. ; du reste, son caractère est doux et paisible. Le MoïKF (P///içem î«onac//((S , Gfoff.) habite le firésil. Il est varié delirun et de blanc sale jaunâtre, ses poils sont bruns dans la ])lus grande partie de leur longueur, et d'un roux doré vers leur extrémité; de l'occiput au verlex, sa tête est parée d'une sorte de chevelure rayonnante. Il n'a i)oint de barbe, et sa queue est à peu près de la longueur de son corps. Ce sajou et les deux suivants sont des variétés du rufiventris. Le Saki a moustaches housses [Vilhecia rupharha, Kuiu,.) est d'un brun noirâtre en dessus, d'un roux pAleen dessous; le des- sus des yeux est de la même couleur, et sa queue se termine en pointe. On le trouve à Surinam. Le Saki a ■rl'iTE jaune (Pithecia oclirocepliala, Kuiil.) est d'un marron clair en dessus, d'un roux cendré jaunâtre en dessous; les poils du tour de la face et du front sont d'un jaune d'ocre , ses mains et ses pieds d'un brun noir. On le trouve à Cayenne. Le Saki a ventre roux (Pithecia rufivenirix, Geoff. Le Si7ige de nuit, BuFi-. — 0. Cuv.), de la Guyane française, est d'un brun teiuh' de roussâtre ; les ])oils sont annelés de brun et de roux, entièrement roux sur le ventre; il n'a point de barbe; sa cheve- lure rayonne sur le vertex et aboutit au front ; sa queue est à peu j)rès de la longueur de son corps. Le MiniyuouixA {Pithecia miriquouina, Geoff.) habite les bois de la province de Chaco et les liords de la rivière du l'aragnay. Il est gris iiiun en dessus, annelé en dessous; les poils du dos sont blancs à la liase et à l'extrémité, noirs au milieu ; il a deux taches blanches au-dessus des yeux; il manque de barbe, et sa queue est uii lien plus longue que son corps. Dans la captivité, il est dou'i, paisible, l't il a même de la doeilité jusipi'à nu certain point. Le Couxio (Pithecia salarias, Geoff. Simia satanas, IIoffmans. lliaclnjurus israelita, Spix. Le Couxio, Humii. Le Saki 7wir, G. Cuv) se trouve sur les bords de l'Oréiioque, dans le Para. Le mftieest ilun brun noir, la femelle d'un brun roux; sa lêle est enlière- menl couverte d'une épaisse chevelure qui lui tombe .sur le front ; il a une barbe très-fournie, et sa queue est à peu près de la lon- gueur de son corps, Lorsque cet animal est irrité, il se dresse sur ses pattes de derrière, grince des dents , se frotte la barbe et se lance sur son ennemi. Le Capucin de i,'Oiii':nooue (Pithecia chiropotes, Geoff.) est d'un roux marron; il a une barbe longue et touffue; sa chevelure épaisse est séparée au milieu et se relève en deux toupets de cha- que côté de la tête. Variété du pn'cédenl. (;e saki est un animal triste, d'un naturel paisible et timide, Inyaiit la société de ses semldables et surliait celle de l'homme, se retirant dans la profondeur des forêts, où il vit solitaire avec sa femelle. Aussi, depuis (pie la population de la Guyane s'est OUISTITIS. 83 augmentée , il est devenu fort rare , et on ne le trouve plus guère (|ue ilnns l'Alto-Orpuoco , ;ui suil et à l'est de l'Oi e'noque. Comme les autres espèces de son geurc, il vit de fruits et d'iiisecles. I.e cynique Diogène eût jeté plus tôt son éeuelle de bols s'il eiit counu cet animal, car, ainsi que l'oi^guellleux pliilosophe d'Athènes, il |iuise l'eau des ruisseaux et la boit dans sa main avec beaucoup de précaution pour ne pas mouiller sa barbe. C'est ce qui lui a valu son nom scientifique de ehiropoles cpie lui ont donné les savants. .le ne sais si l'on ne doit pas regarder connue une simple va- riété du eouxio ou du capucin Le Saki imi.et {Pillwcia sagukila, Less. S/mi'a safjulata, Siew.), remanjualde par sa longue (pieue noire, très-touffue, airectant la forme d'une massue. Sou corps ^st noir en dessus, avec les poils du dos d'une couleur ocracée ; sa barbe est noii'e. Il est assez couuuun aux environs de Deuieraiv, dans la Cuvaiie boilaudai^c Les sakis vivent généralement en troupe de sept ou huit ensem- ble; et si le ca])U('in de l'Orénoque fait une exception à la règle générale, ce n'est probablement que depuis que l'homme, en troid)lanl la solitmle de ses forêts, l'a forcé de s'épai[)iller. Du reste, le uoui de cliirujwtes (qui boit avec ses mains), donné au capucin , ne peut nullement servir à caractériser son espèce ; car, ainsi tpu' M. Uicord m'a dit l'avoir observé, plusieurs autres sin- ges, mOnie de genres diU'érents, ont la même habitude. Or j'ai la plus parfaite confiance dans les ol)servations de ce naturaliste, qui , dans ses voyages Irausallauliques, a enrichi les sciences na- turelles d'un grand nombre d'objets nouveaux, et dont les re- cherches en ichthyologie ont été si utiles aux derniers travaux (le notre immortel (;. Cuvier. Moi-même j'ai eu l'occasion d'observer une guenon qui ne buvait pas autrement ipu' le >aki chiropote, et cela sans (p.i'elle y eût été incitée ni par l'exemple ni par l'c'ducation. LES OUISTITIS. Ce sont de jolis animaux, qui s'a|iprivoisent aisémeul. Ils ont la télc ronde, le visage |dal, les narines latérales, les fesses velues, point d'abajoiH's, et la queue non i>reuautc, caraelèrcs qui les rapprorheiaieul îles genres précédents; uuiis , ((uuiqu ils soient de rAnH'ri(pie, ils n'ont que vingt miichelières, e esl-à-ilire (renie- deux dents , ainsi que Icj singes de l'ancien coiitinicnt. 'i'pus leurs ongles sont comprimés et pointus, excepté ceusj dus ponces de derrière, et leur pouce de devant s'écarte fort (leu des autres doigts. 25= Cexre. Les OUISTITIS proprement dits (Jaochus , Geoii.) ont les incisives supérieures intermédiaires plus larges que les la- térales : celle.s-ci isolées de chaque coté; les incisives iul'iiriinres sont allongées, étroites, verticales: les latérales plus longues; les canines moyennes et coni(iucs : les Inft'rieures très-petites : eu tout trente-deux dents : selon G. Cuvier. Le Tiii on le Sai;oi;v [Jacchus vulgaris, Ccorr. Simia juirltus, LiNX. C'agui minor, Mauci;, \j'Oui$lili ordinaire, G. Cuv. — Wvvv. Le Singe à queue annelée, Pexn.). Ce cbarmaul iieiil auiuuil n'atteint pas la taille il un écureuil, car il a tout au i)lus six ]iouces de longu(nn' (O.Ki^), non ( ouqiris la queue, ipii est annelée de noir et de gris clair; son pelage est d un gris foncé jaunAtre, onde; la tête , les côtés et le de.^sous du cou sont noirs ou d'un brun roux ; la face, la plante dus pieds et la iiaïuue des mains S(Mit couleur de chair; il a un lubercnle sail- lant entre les yeux et une lai he blanche au front; l'oreille est entourée d une toulï'e de poils blancs ou cendrés ou noirs, roides et longs. Le titi habite la Guyane et le Hrésil: jiarlout il est recherché, non à cause de sa gentillesse , mais parce (|u'il est joli et jicn eudiarrassant. Son caractère est loin de rt'pondre à lamilii' (pi on lui porte; il parait hou parce iju'il est faible, intelligent i)arce (pi il est déliant , doux parce qu il est iieureux. Dans les bois de l'Amérique il a une certaine vivacité, qu'il perd dans l'esclavage, surtout dans nos climats, où je n'en ai jamais vu vivre plus de deux ans. Il aime à poursuivre de branche en branche, en s'élancant de l'une à laiilre , les gros insectes et même bs iietils oiseaux, dont il l'ail sa proie II adjoint à celle nourriture des fruits et des graines, mais seuleuuMil quand sa chasse ne réussit pas, car il a des habitudes carnassières. 11 lui arrive souvent de dcsceinlre des arbres et de chasser aux limaçons et aux petits lézards. Il parait même «piil se hasarde au bord des eaux pour saisir à l'iuquovisle ([uehiues |ietils imissons. Ldwards, citi' par liiilT'on , raconte ipie l'un de ceux qu'il a vus, étant un jour déchuiné, se jeta sur un petit poisson dore de la Chine (pii était dans un bassin, (ju'il le tua et le dévora avidement ; qn ensuite on lui donna de petites aiiguilles ipii l'eUrayèrenl d'abord en s'entortillant autour de son cou, mais ipie bientijt il s'en rendit maître et les mangea. Lors(pie, eutiaiiié |)ar l'ardeur de la chasse, le m:Me s'est un peu éloigné de sa femell(\ il pousse un sifllement aigu longtemps prolongé sur le même Ion, pour rap|)cler auprès de lui. Ce cri le trahit pi le fait iK'èPUvrir par le chasseur, qui sans cela aurait beaucoup de peine à l'apercevoir dans le feuillage. Mais, (|uand ou veut le tirer, il faiit s'en approcher bien doucement et sans bruit, car, s'il aperçoit ipielqu'un , il se blottit à reuroiircbure de deux grosses brani^lies, s'y cache et ne fait plus aucun inoiivc- (1161)1, *|ë inatiiMl'e qu'il est presque impossible de l'y voir. Le niàle et la femelle ne se ipiittent jamais , et cependant ils paraissent avoir assez i)eu d'ad'eetion l'un pour l'autre. La femelle surtout montre une sorte de férocité dans des cii-coiistances on jiresqiie tons les animaux développent des sentiuients de ten- dresse que leur a dévolus la nature; ainsi elle met bas trois on (pialre petits, et assez ordinairement elle débute dans les soins inaleriiels i)ar manger la lète d'un ou deux. Ce n'est que lorsqu'ils sont parvenus à saisir la mamelle, chose qu'ils chen-hent à faire aussitôt (pi'ils sont nés, (pi'ils sont à peu près suis de n'èlre pas di'Vorés. Dans-la suite de leur éducation elle ne montre guère plus de tendresse. Les petits se çrauiponnent sur son dos, et (|uand elle consent à les porter ce n'est pas imur longtemps; au moindre embarras (ju'ils lui causent, à la plus i)elile fatigue, elle se frolle le dos contre une branche ou un tronc d'arbre au ris- que de les écraser, les force ainsi à la lAcher, s'en débarrasse, et s'en va sans s'in(]uiéter davantage de ce qu'ils deviendront, Heureusement pour eux que , s'ils ont une mauvaise mère , leur père se montre beaucoup plus afT'eelncux. En entendant leurs cris de détresse, il vient à leur secoius , les idaee sur son dos et les porte. De temps à autre il rejoint la femelle cl les lui présente pour qu'elle leur donne à leter, ce qu'elle fait presiiiie toujours en rechignant. Dans la capli>ilé, le titi, tout chéri ipi'il est par nos dames, n'est guère plus aimable. Si on en jugeait par ses grands yeux toujours en mouvement et par la vivacit(' de ses regards, on croi- rait il sa pénétration, et l'on se tromperait, car ce n'est que la défiance de la peur. Les litis ne caressent jamais, et souvent même ne se laissent jias caresser. Ils se délient de toul le monde, de la main (pii les nourrit eouime des autres, et les mordent iiidillé- reiument. S'ils sont peu susceptibles d'afTeclion, ils le sonl beau- coup de colère; la moindre ciuitrariété les irrite, et lorsiiu'ils sont elFrayés ils courent .se cai lier en poussant un petit cri court et pénétrant. c. 84 LES QUADRUMANES. Plusieurs fois ces petits quadrumanes ont produit à la me'na- gerie , mais jamais on n'a pu les déterminer à élever leurs enfants plus de quinze à vingt jours. Passé ce terme, ils les laissaient mourir faute de soins et de nourriture. « Vers les derniers temps de la vie d'un de ces petits, dit Fr. Cuvier, lorsque son père se trouvait fatigué de le porter, n'étant plus reçu par sa mère, il montait jusqu'au haut de sa cage; arrivé là, et ne pouvant plus descendre , il jetait un cri de détresse, qui réveillait quelquefois la sollicitude de ses parents : alors ils allaient à son secours; mais le plus souvent ils restaient sourds à ses plaintes, et le jeune animal aurait été forcé de se laisser tomber si on n'avait pas eu soin de prévenir sa chute en lui tendant une main secourable. » Malgré tous ses défauts , le titi est très à la'mode chez les dames brésiliennes. L'Ouistiti a tète blanche (Jacchus leucocephalus, Geoff. Simia Geoffroyi, IIumb.) a le pelage roux, la tête et le poitrail blancs, un hausse-col noir, de très-longs poils noirs devant et derrière les oreilles, et la queue annelée de brun et de cendré. On le trouve au Brésil. L'OijTstiti a front blanc (Jacchus albifrons, Desm.) 11 a le pe- lage noir, légèrement varié de blanchâtre; les poils sont blancs à extrémité noire ; le front, les côtés du cou et la gorge sont blancs à poils très-courts; la face est noire : le tour des oreilles et l'occiput sont garnis de poils très-noirs, longs et droits; les environs de l'anus sont un peu roussàtres ; la queue est un peu plus longue que le corps, brune, légèrement variée de blanc, un peu plus foncée à son origine qn'à son extrémité. Il est de l'Amérique méridionale, probablement du Brésil. '4J\\j^\^ """•"■< Ouistiti à piQceau et Ouistiti oreillard. Le Mico [Jacchus argentatus, Geoff. Simia argentata. Lin. Le Mico, Buff. — G. Cuv.) Son pelage est d'un gris blanc argenté, quelquefois tout blanc; ses pieds et ses mains sont rouges , et sa face, ainsi que ses oreilles, d'un rouge vermillonné; sa queue est d'un noir brunâtre ou blanche, non annelée. Ce petit animal habite le Para. Le Mélanure (Jacchus melanurus, Geoff). 11 est brun m dessus et fauve en dessous; sa queue est non annelée, d'un noir uni- forme. Il semble faire le passage des ouistitis aux tamarins. M. de Humbolill l'a trouvé au Brésil. Le l'ouTE-C,\MAii, (Jacchus humeralifer. Geoff.). Il est d'un brun châtain , avec les l'paulos , la poitrine cl les bras blancs; sa (lucuc est légèrement annelée de cendré. 11 est du Brésil. L'Ouistiti a pinceaux [Jacchus peniciltatus , Geoff. Hapalepeni- cillalus, Imi. Cuv.). Sa taille est celle du ouistiti ordinaire; son pe- lage est cendré ; la poitrine , les côtés du cou , la niiipie , le dessus 4les ('pailles, sont noirs; il a sur la croupe et les côtés du dos des bandes transversales noires, grises et fauves; sa tète est noire, avec une tache blanche en demi-lune sur le front ; il a un pin- ceau de poils noirs très-longs devant les oreilles. Sa queue, an- nelée comme dans les espèces qui suivent, est à anneaux blancs et noirs. Il est du Brésil. L'Oreii.iaui) (Jacchus auritus , Geoff.) est noir, mêlé de brun; il a une tache blanche au front, et de très-longs poils blancs couvrent l'intérieur nie varii'C de brun ou de gris; ses mains et ses pieds sont d'un roux jaunâtre ou orangé. Il s'habitue ai.s('mcnt à la captivité, mais il n'y vit pas longtemps. Ce joli ix'lit animal habite la Guyane et le Maiagnon. Il est vif, gai, ca|)ricieux, irritable, et n('aiinioins il s'ai)|)rivois(' ais('iiient. Son intelligence est assez bornée, et sous ce ra|)port il le cède beaucoup aux sapajous. 11 est sujet, quand on le contrarie, à tomber dans des accès de colère, (pic son impuissance rend plus risibles (pie dangereux; car ses mâchoires n'ont i)as assez de force jiour ciitainer la peau. Sa coniplexion est fort ih'licale, d'où il résulte ipie si on le transporte en Europe il ne tarde i)as à être tué ])ar les induences du climat. Dans son pays il vit d'in.sectcs et de fruits. Même lors(pi'on est parvenu à le rendre tout à fait familier, il ne faut pas compter sur son afTcclion , car il n'en est OUISTITIS. 85 pas capable, et il n'est prive' que par le seul effet de l'habitude. 11 grimpe sur les arbres avec facilite', et ses mœurs, sa manière de vivre, rappellent beaucoup celles de l'ccureuil. Tout ce que nous en disons peut e'galement s'appliquer aux autres espèces du genre. Le Tamarin nègre [Midas ursulus, Geofp. — G. Cuv. Hapale ur- sulus, Fii. Cuv. Jacchus ursulus, Desm. Saguinus ursula, Hoffm.). Il a beaucoup d'analogie avec le précédent , mais il s'en dislingue aisément par ses mains constamment noires. Son pelage est noir, ondulé de roux vif sur le dos. Oa le trouve au Para. 11 s'appri- voise difficilement, est très-irritable, et mord serré quand on le louche. rosalia, Fr. Cuv. Simia rosalia, Lin. Le Sinye soyeux, Penn. Le Singe lion et le Marikina, Buff. — G. Cuv.). il est d'un roux doré ou d'un jaune clair un peu plus doré à la crinière, à la poitrine et sur la croupe, un peu plus pâle sur le dos, les cuisses, la base de la queue et le ventre : ses poils, longs, soyeux et très-fins, lui forment une belle crinière, ce qui lui donne un peu l'appa- rence d'un lion, mais en miniature, car il n'a pas plus de six pouces de longueur (0,163); sa face est nue et livide, ainsi que la peau de ses mains. Il est du Brésil. Ce que nous avons dit des habitudes du lili et du taraary' con- vient en grande partie au marikina. Il est un peu plus robuste que le premier, et dans nos climats, si^l'on a un soin minutieux 'èès: ^ZM Chasse au singo, paysage de l'Amérique du Sud. Le Tamarin ladié (il/idas labiatus , Geoff. — llujin.) habite le Brésil. Son pelage est d'un noir roussàlre ferrugineux en des- sous; sa tête est noire; le bord des lèvres et le nez sont blancs. Je pense avec Temminrk ipiil faut rapporter à cette espèce les iiiidas Tiigricollis, fascicollis et mysla.e de Spix. Le Tamarin a front jaune (Midas chrijsomelas , Kuiii,. Jacchus chrtisomelas, Dfsm.) est noir, avec le front et le dessus de la queue d'un jaune doré; les côtés de la tête, la poitrine, les genoux et l'avant-liras sont d'un roux marron. 11 vit dans les grandes forêts du Para et du Br('sil, mais il y est rare. Le Tahauin de Neuwied [Midas chnjsurus, Max. de Neuw.) a le dessus du pied, l'avant-bras, la main, le dessous de la queue dans la première moitié, d'un beau roux doré; les [loils (jui en- tourent la face et ceux de la gorge, très-longs, ropreté recherchée, on peut conclure, par induction, ([u'il se construit un nid à la manière des écureuils, ipi'il y élève ses petits et s'y retire pour se reposer. Il se nourrit d'insectes et de fruits doux, et il ne pa- rait pas qu'il soit carnassier comme le titi. Il est défiant, ainsi que tous les êtres faibles ays , où les makis, assez nombreux en espèces, semblent avoir élé i)lacés p(nir remplacer les singes qu'on n'y trouve pas. Le maki rouge est doué d'une grande agi- liti-, comme tousses congénères, mais il est d'un naturel triste et dormeur. Keliré dans le trou d'une vieille souche , sur un lit de feuilles sèches ou de mou.sso que la nature seule lui a préparé, il passe la jibis grande partie de son temps à dormir coiiciit' en rond et la têle entre ses jambes. Ce n'est (pie lorscpie la faim le lalonne (pi'il se réveille et ïort de sa retraite. Alors il di'ploie loute son adresse, toute son agilité, pour parcourir la forêt, lan- l(U en s'élançant d'un arhre à un autre, tantôt en se glissant à travers les broussailles et marchant d'un pas b'ger sur la len'e, à la manière des renards. Sa nourriture ordinaire consiste en fruits sauvages; mais il cherche aussi les nids d'oiseaux jiour en man- ger les œufs, el il ne dédaigne i)as les insectes ipiand il ne trouve rien de mieux. Ses maurs sont douces et indobmtcs; aussi s'accouimne-t-il assez bien à la captivité, cl il s'apprivoise avec faciliti'. Mais il MAKIS. 87 n'est jamais très-affectueux, et dans son esclavage il ne parait avoir (lue deux passions, à la ve'rlté bien innorenles, celle de manger et celle di' (Uinnir. Sion le trouble dans son repos, sa paresse ne lui permet i)as de se niellre trop en colère ; il se borne à ouvrir les yeux, à pousser un petit grognement, puis il se re- met à dormir. 11 est assez robuste et supporte bien les rigueurs de notre climat, pourvu qu'on le tienne dans une chambre à feu. i/ Le Vai\i [Lemur inacaco. Lin. Le Vari, liurr. — G. Cuv.) est, avec le précèdent, une des plus grandes espèces du genre. Ses cou- leurs sont le noir et le blanc, mais elles ne sont pas dislribu('es e'galcment, et elles varient de place d'inilividii à imlividu; la tèle est blanche dans les milles, noire dans les femelles. 11 a vingt jjouces (0,342) de longueur. Les naturalistes s'accordent assez à dire que cet animal est fort doux. En effet , dans l'esclavage, il semble avoir assez de , douceur, mais sans cei>endant montrer beaucoup d'aircction à ceux qui le soignent. Si son museau pointu, ses grands yeux assez expressifs (piand il a un de'sir, n'annoncent pas une grande me'chancete', ils ne di'uotent pas non plus beaucoup d'intelli- gence. Quelques individus même aiment assez à recevoir et à len- dre des caresses : mais tout cela proiive-l-il que ces animaux conservent un caractère pacifique ipiand ils vivent libres et à l'état de nature"? C'est ce que je ne crois pas, et je puis citer un fait à l'appui de mon opinion. A la ménagerie, un vari vivait avc(^ un mongous dans la même cage. Ces deux animaux ne paraissaient pas se soucier beaucoup l'un de l'autre, mais ihi moins, s'ils ne vivaient pas en parfaile intelligence, ils ne cherchaient pas à se nuire et ne se battaient pas. On les plaça dans une cage plus grande , et on les transporta dans un autre local. Le lendemain malin, on trouva le mongous tue' : le vari l'avait rais en lambeaux. D'ailleurs, ce fait se trouve assez en harmonie avec ce (pie dit le voyageur Duret : que les varis sont d'un naturel farouche et cruel comme celui d« tigre. Quoi qu'il en soit, l'impe'ratrlce Joséphine a eu pendant plu- sieurs anne'es des varis qui ont ]iarfattement vécu dans sa ména- gerie de la Malmaison. Ils y ont même fait des petits qui sont n<'s les yeux ouverts, comme les petits des ouistitis. ,^ Le Mococo (Lemur caita, Li.n. Le Mococo, Buff. — G. et Fn. Cuv.). Son pelage est d'un beau gris en dessus, teinte' de roux sur le dos et les e|)aules; le sommet de la tête, le dessus et les côtes du cou, le tour des yeux et le bout du museau sont noirs; tout le dessous est blanc, et la queue est annele'e de blanc et de noir. De tous les makis, le mococo est celui qui montre le plus d'int(d- ligence et de douceur. Il s'apprivoi.se trèsdjien et prend pour son Miailre une assez vive affection. Parmi les mammifères, il en est peu (pii réunissent, à des formes i)lus ('lèganles, des habitudes plus douces et un caractère plus conliaiit. Le Uii^icavH [Lemur moïKjom, Li.n. Le .]tunguus, Buff. — G. Cuv. Non Fil. Cuv. ). Il est tout brun avec le visage et les mains noirs, selon G. Cuvier. Selon ,M. Lcsson, il serait d'un gris jaimAtre en dessus, blanc en des.sous, et il aurait le tour des yeux et le chanfrein noirs. Kdwards dit que le dessus du corps est d'un brun fonce. Tout ceci jirouve que cette espèce mal dèlermini'e a e'té confondue avec d'autres, si réellement elle existe. M. Fr. Cu- vier est encore venu augmenter la confusion en donnant le nom de lemur monyous au lemur collaris de (ieoll'i-oy. LeM.\Ki A vn\\<.K{Li;mur collaris, ('•f.oi'i- . Lemur iiiuiii/uus, Fn. Cuv.). 11 est d'un brun roux en dessus, fauve en dessous; une fraise de lioils d'un roux doré entoure la face, qui est d'un pbuubé violAtre. Ces animaux sont timides, inofl'cnsifs et fort peu intelligents. Ils s'apprivoisent (pielquefois assez bien pour venir it , et ils s'y pren- nent avec tant de calcul , qu'ils se satisfont le moment d'aijrès par un saut de la plus grande hauteur. Abandonnés en liberté dans les maisons, ils choisissent un certain ein|)lacemcnt pour s'y livrer au repos et c'est loujouis l'encoignure du meuble le plus élevé et le plus retiré de l'appartement. Le M.\Ki A FUONT NOIR {LcmuT niç/rifrùns, Geoh'. — Kr. <'.v\. Simia sciurus , Pktiver. Lemur simia sciurus, Schreb.). Cet animal a le pelage cendré en des.sns vers les parties anté- rieures du corps, et d'un gris roux sur les p.irlies postérieures; le dessous est roux : il a un bandeau noir sur le front. Il ilidère princi|)alemenl du maki à fraise par ses favoiis, qui sont gris au lieu d'être roux. En faisant l'histoire de ce maki nous complétons celle de tous les autres animaux de son genre, car, sauf un peu plus ou un peu moins de méchanceté ou de douceur, ils ont à peu de chose près les mêmes instincts et les mêmes habitudes. Le maki à front noir vit solitaire, par exce|)tion, en compagnie de sa femelle seule ; il habite les parties les plus retirées des fo- rêts de Madagascar. C'est un animal crépusculaire qui passe la journée à dormir couché en boule , sa grosse queue passée entre ses jambes de derrière et ramenée de manière à s'enrouler au- tour de son cou. Il attend dans cette attitude que le soleil soit couché pour se mettre en quête de ses aliments. Il marche très- (liflicilement sur la terre; mais dès qu'il s'ap|iroihe d'un arbre dont les branches ne sont (pi'à douze ou (piinze pieds d'éléva- tion (4 à S mètres), d'un bond prodigieux, et ce|)endant sans effort, il s'élance dessus. Rarement il se donne la peine de monter autrement; à moins que les branches de l'arbre ne se trouvent à une hauteur extraordinaire, à laquelle il ne i)eut atteindre. Dans ce cas il s'élance au tronc , et ce premier bond le porte tout d'un coup à douze ou quinze pieds de hauteur (4 à 5 mètres). On ne reconnaît plus alors l'animal paresseux et somnolent : car il dé- ploie une telle vivacité, que les yeux ont jieine à le suivre, tant est grande la rapidité avec laquelle il saute de branche en bran- che en jouant avec sa femelle, qui ne le quitte guère. Le Uaki à frout noir. Ces deux animaux ont de la tendresse l'un pour l'auli'e, et se la témoignent d'une manière assez singulière : pendant le jour ils doriiitrit en ■•e tenant pressés dans lis bras l'un de l'autre. Lorsi|u'ils sont ('veillés, ils se grattent niulutllement les or( illes en enfonçant dans la conque cet ongle uniipie (pi'ils ont à l'in- dex de la main de derrière; ils se nettoient et se lissent le poil en se léchant et en se servant de leurs incisives inférieures, qui sont longues, couchées en avant, et simulent une sorte de ix'ignc. Elles ne sont propres cpi'à cet usage, et leui' forme, comme leur posilion, les rend tout à fait inutiles |)our la uiaslicalion ; ils ne peuvent pas même s'en servir pour mordre ou retenir une proie. Cette habitude, qu'ils ne doivent qu'au désir d'entretenir sur eux une extrême propreté, est cause que lorsqu'ils vivent en es- clavage et qu'ils lèchent la main de leur mailrc ils ne manquent jamais de lui frotter doucement la jieau avec ces petites dmls, et c'est la plus grande niar(|ue de contentement et d'amitié (lu'ils puissent lui donner. De là, de mauvais observateurs ont conclu ipi'ils avaient la langue rude et épineuse comme les chats; et eettf; erreur s'est généralemeni n'paiidiie, jiarce (pie liiill'on l'a consacrée. l.orM|iie deux makis se caressent connue nous venons de le MAKIS. 89 (lire, si un autre couple rôdeur vient les déranger, la guerre est aussitôt de'clare'e et commencée. Ce (lu'il y a de particulier, c'est que les deux femelles y prennent une part active, et montrent même plus d'acharnement et de fureur que leurs mâles. Tous à 1(1 fois poussent des cris sur un ton assez grave, mais très-fort, ce qui produit un bruit étourdissant; ils se saisissent corps à corps, se mordent, et s'arrachent des poigne'es de poils avec les mains. Le combat ne finit ipie par lassitude ; alois ils se séparent, et cha(iue couple se retire dans un lieu écarte pour remettre de l'ordre dans sa toilette, en se lissant mutuellement leurs iioiN ebourifTe's. Si tous les makis sont d'habiles grimpeurs, s'ils surpassent même les singes les plus lestes dans l'agilité qu'ils mettent à |iar- courir en un clin d'oeil toutes les branches d'un arbre, c'est (pi'ils le doivent à une organisation particulière. Chez eux, la paume de la main se continue par une ligne droite cache'e sous les poils, jus(iu'au milieu du bras, de sorte que lorsque ce dernier est e'tendii, les doigts se ferment nécessairement, et l'animal ne jteut plus les ouvrir sans faire un grand efl'orl ou recourber son bras. Ceci fait comprendre la facilité avec laquelle il se suspend aux branches et peut rester pendu par une seule main pendant fort longtemps. Il lui arrive quelquefois de faire son repas tout entier en restant dans cette singulière position, tauilis (pi'avec l'autre main il cueille et porte à sa bouche les fruits dont il se nourrit. Dans la captivité, le maki à front noir ne ditrère en rien des autres. 11 n'est pas méchant, cependant il se met assez facilement en colère si on le contrarie; et alors il jette un cri aigre inter- rompu , mais se succédant avec rapidité. Lorsipi'on le caresse , il fait entendre un petit son roulant et sourd, absolument comme celui d'un chat lorsqu'on lui passe la main sur le dos. On le nourrit comme les autres espèces, c'est-à-dire avec du lait, du pain, des fruits et des racines cuites. Si on le tient dans un lieu chaufl'é jien lant l'hiver, il vit fort longtemps dans nos climats. t/ 26« GENtii;. Les INDUIS (Iwiris, Lacip.) ont trente-deux dents : quatre incisives à chacjue mâchoire, les inférieures couchées en avant; cinq molaires de chaque côté aux deux mâchoires; la tète triangulaire et longue; le i)oil laineux; la queue ou très-courte, ou très-longue. I.'Indiu a qukue courte (Indris hrevicaiulalus , Gf.oit. Letnur inilri, SoNN. Indris ater, Lacei' ) est noirûlre, avec la face gri.se et le derrière blanc; sa queue est très-courte, à peine longue de deux pouces (0,03i). Comme ses congénères, il a la faculli^ de marcher debout. Cet animal , etits pa^scnl aj)rès. .Mais sa chasse n'est pas toujours iieureuse; car, ayant une vie sédentaire, il a bientôt détruit les oiseaux d'alentour; alors il se contenle d'insectes, ou même de fruits sauvages; puis il ('mit par ipiitler le canton et par se mettre péniiilement en voyage pour chercher une antre localité. Les ivrognes devraient prendre cet animal jiour leur .symliole, car il a une véritable borieur de l'eau. iNon-seuicuieul il n Cu boit jamais, mais il suffît d'y tremper l'aliment qu'il aime le mieux pour le lui faire rejeter avec la plus grande répugnance. Dans la servitude il est assez doux, s'apprivoise aisément, et semble même susceptible dune certaine éducation, car il sullit de quehpies légères corrections pour l'emiicrher de mordre , et il s'attache vivement à son maître. Si on l'irrite, il crie d'une manière plain- tive en traînant fort longtemps sur les sons aï, aï, aï, et c'est encore une ressemblance de plus qu'il a avec les vrais paresseux. « Cet animal , dit d'Ohsonville { ipii le nonune thévangues ou thongre), fait quelipiefois entendre une sorte de modulation de voix on de sifflement assez doux. Je pouvais facilement distinguer les cris du besoin, du plaisir, de la douleur et même celui du chagrin ou de l'impatience. Si, par exemple, j'essayais de lui re- tirer sa proie , ses regards paraissaient altérés; il poussait une sorte d'inspiration de voix tremblante et dont le son était plus aigre. Aux ap|U'oches de la nuit il se l'éveillait, se frottait les yeux; ensuite, en portant attentivement ses regards de tous côtés, il se promenait sur les meubles ou plutôt sur des cordes que j'a- vais disposées à cet effet. Un peu de laitage et quelques fruits bien fondanis ne lui déplaisaient pas, mais c'était un pis aller : il n'était friand (pie de petits oiseaux et d'insectes. » > aO" Genhe. Les MYSPITIIKQUES [Myspithecus, Fr. Cuv.) ont trente-six dents : quatre incisives placées à côté l'une de l'autre à la mâchoire supérieure , dont les intermédiaires longues et les latérales fort courtes : six à la mâchoire inférieure , couchées en avant. Ils ont tous les ongles plais excepté le second doigt des pieds de derrière, ipii porte un ongle long et crochu j la tête est ])lus allongée ijue celle des galagos , moins (pie celle des makis; le museau est court, un peu pointu; les yeux grands et saillants; les oreilles sont un peu arrondies; la queue est longue, cylin- drique, grosse, mais moins touffue que dans les makis. • Le Mvsi'iTHiîQUF. TYPE [Myspithecus typus , Fn. Cuv. Le Maki nain, du même. Est-ce lé Cheirogaleus major, Geoff.? — Cheiro- galeiis il////!',GEOFF.). Il a neuf iiouces (0 2ii) à partir de l'occiput à l'oiigine de la queue ; tout son corps , excepté l'extrémité de SCS memiires , est couvert d'un poil ('pais et soyeux , d'un gris fauve uniforme en dessus, blanc en dessous ; les mains et la face sont couleur de chair; il a entre les yeux une tache blanche, bordée sur les côli's d'Uli peti de noir ipii s'étend autour des yeux et passe au gris sur le museau et les joues. Il est de Madagascar, d'où il a été envoyé à la ménagerie par le baron Miliiis. C(^t animal a vc'cu à la mi'hagerie. Il y en avait deux , un mâle et une femelle; ils dormaient tout le jour, roulés en boule dans un nid (pi'ils s'étaient fait avec du foin. Aussitôt que la nuit était venue , ils sortaient de leur retraite, se promenaient , jouaient ensemble , mangeaient , et enfin agi.'isaieni juscpi'au jour. Us étaient fort agiles tt sautaient avei; h'gèrelii à une assez grande hauteur. On les notu'rissait de fruits, de pain et de biscuits. La lumière paraissait affecter douloureusement leurs yeux, mais ils voyaient très-bien dans l'obscurité. « Une nuit, dit Fr. Cuvier, s'étant ('chai>pés de leur cage , ils |)arcoururenl la pièce où ils étaient enferiui's , à travers la foule d'autres cages et d'autres aniiuiuix dont elle était rem|)lie; ils rentrèrent dans leur gile par le petit trou (pu leur avait servi à en sortir, sans qu'il leur fut arrivé le moindre accident , et quoi(iue l'obscurité la ])lu3 jiro- fcmde r('gnât dans celt(^ |iièce, dont tous les volets ('taicut fermés.» M. Geoffroy a établi son genre Clieirugalcm sur trois descrip- lions manuscrites trouvées dans les notes de Commerson après sa UKU'I. Mais ces descriptions donnaient à ces animaux les on- gles des pouces plats et tous les autres ongles subulés. Comme on n'a jamais vu les trois animaux (|ui composent ce genre, on pouirail croire (pie Commerson s'e>l lrom|)é dans le caractère ipic nous venons de citer ; alors ses chéirogales seraient mices- soirement des iiiysiiithè(pies, et son Chi'troyakiis maj-JV, que, d(^ puis, M. Geodroy a uoiihik' Cheirogaleus Milii, serait sans aucun / MAKIS. 91 tloule le Myspilhecus tijpHS dont nous venons de faire l'hisloire. Jlais tine cnfiir aussi grande de la part d'un naluralisle oouime Comiuorson est dillieile à supposer, et, dans le doute, nous allons donner ici les earnetères assij^nes par CeolTroy il ce genre, (pie peut être l'on sera oljligi' de sujipriiner, en repoilaul les deux dernières espèces à la suite du uiyspilhèiiue type. t T>r><- r.v.w.E. Clir.lIiOGALE {Clieirofialeus, Gicoir.). Ils ont la tèle ronde, le nez et le museau courts , et des moustaches longues; leurs oreilles sont courtes et ovales ; leurs yeux gi-dndà et sail- lants; ils ont tous les ondes siiliules, excepté ceux des pouces, (jui sont ])lats; leur queue est longue, cylindiic|iie, toiiH'iie, en- roulée; le poil de leur coriis est court. Tous sont de Madagascar. ,y' Le Grand Ciikirog.vle (Cheiro(jali'us iiuijor , Geoff.; pent-éire le Mijfpilhrcus, Fk. Guv.). U est long de onze pouces (0,"29.s) , d'un gris brun et plus foncé sur le museau. l Le Cnr;iiiO(;»LE moyen (Chcirogakus médius , Geoif.) est long de huit pouces (0.217), d'une couleuy moins foncée que le précédent et plus clair sur le museau; il a un cercle noir autour des yeux. (/ Le Pi.TiT CiuiiiiOi.ALr. (Cheirogaleua iiiinor , Giioi'i'.). Il n'a ipie sept pouces de longueur (0,lSi)), et sa couleur est encore plus claire; il a également le chanfrein il'ilne teinte plus claire, et un cercle noir autour des yeux. Celle espèce pourrait bien n'èlre rien autre chose que le galago de .^làdagascar , rîlal obsei'vé par le voyageur (iomuurson. « Pour comprendre les caraclères des cliéirogates, dit Geoffroy Saint-Hilaire, supposez que ce sont les formes sveKes, gracieuses et allongées des makis, (|ui si; sont concenll'éts fet raccoul-ciéSi Ge sont, à prendre en détail, les m(lmes trnilS j tiiais grossis et ramassés; les jialles sont plus courtes, celles i\'é llei'rière restant dans iiiu^ luènie proportion plus longues ipK^ les nnlérieurcs; le cor[)s est trapu, la tète fort grosse, sui'tout f(U'l large ; les yeux sont fort grands, elle uiuseau , déjà très-reiliarijuahle par sa lirièvet(' , l'est en outre (lar des lèvres supérieures fort ('paisses, qui recouvrent le bord des inférieures; les oreilles sont r(tniles et courtes; enlin l.i (|ueue est longue, toufl'uc et régulièrement cylindrique. Les chéirogales siult des li'muricns sous des traits en quelque sorte empruntés à la famille des chats. Ces anknaux sont entièrement nocturnes. Leurs formes trapues ne nuisent pas et, au contraire , ajouteraient plutôt à leurs moyens dagilili'. Dans le saut il n'est ]ioint de (luailiuiuanes plus vifs et plus rapides. 1. individu (pie .M. Milius a diuiui' à la ménagerie parcourait sa cage comme en volant, et se jilaisait principalement à «'(ilever verticalement de toute sa liaut(nir, sautant de cini] à six pieds. » ^ Sl"^ Genke. Les GAL.\GOS [Galaejo , (IiiOff. Ololichiius , Ii.i.iG. ) ont trente-iiuatrc à Irente-six dents, deux à (juatie incisives à la niAchoire supérieure, six à l'inférieure, moins couchées que dans les genres précédents; leur lètc est ronde, leur museau court, leurs yeux très-grands et rapprochés; leurs oreilles sont Irès- dévelop]iées et Iciii- queue fort longue ; mais ce ipii les fail dis- tinguer au premier coup d'oeil c'est la longu('ur dispro|)ortioun('e de leurs tarses postérieurs, et l'allongement liliforme du second doigt des pieds de derrière. Le Gai.aco !iu Siînécai. ( Galago aeiiegakmis , Gf.off. Otolichnus Keneyaltnaix, Kit. Cl'V. Galaijn G(^'lfriiyii, Fiscii. Le moyen Galago, (;. cuî.)- Il a la taille d'un rat ordinaiie, è'est-à-dire six polices de lon- gueur (Jl.IIJij depuis le bout du museau jusipi'à l'origine de la (lueue. Il est d'un gris fauve en dessus, et d'un blanc jaunâtre en dessous; ses oreilles sont aussi grandes que sa tète; sa cpieue , plus longue ipie son corps, est d'un brun roux et (init en |iiiiceaii. Il n'a ipie deux incisives supérieures. Ce joli petit animal oIT're iilusieurs singularités , et l'extensibi- lité de son oreille n'est pas la moins remarquable. La conque est grande, membraneuse, nue, et renferun; deux petits oreillons. Lorsqu'il dort, ces deux oreillons s'appliquent sur le canal audi- tif, puis la conque se fronce à sa base , se raccourcit, s'alï'aisse sur elle-même, s'enfonce dans les poils de la tète, et se replie au point de devenir invisible, ainsi ((ue dans ipiehpies chauves- souri'i. Comme ses habitudes ni'cessilent une gi'aude (h'Iicatesse dans l'ouïe, la nature a pourvu à maintenir la sensibilité de l'or- gane en lui permettant de refuser les sons aigus on qui rappel- leraient inutilement l'iUlention de l'animal. Mais cependant il en perçoit assez pour être averti ipiand il y va de sa conservation, ou même de ses petits intc'céts de gourmandise. Il se réveille alors, et aussitôt ses oreilles se déploient et s'allongent jiar un mouvement brusque fort original. Le galago est extrêmement commun dans les forêts de Sahel, Lebiar et .\lfalak , à cent lieues au nord-est de nos établissements i\\\ Sénégal , sur les lisières du Sahara ou Craud-Désert. C'est là (pie les Maures vont principalement recueillir la gomme ipi'ils vendent aux Européens sous le nom de gomme arabi(|ue, et, si l'on s'en ra])porte à ce qu'ils disent, le galago s'en nourrit quel- quefois faute d'autres aliments. La longueur des jucds de derrière donne à cet animal une grande facilité pour sauter d'arbre en arbre; aussi n'en est-il pas de plus vif et de plus leste à s'élancer et à parcourir une forêt. SoiiS ce rapport, U a beaucoup d'analogie avec les singes et les ('cui-etiiis. Mais .ses grands yeux nocturnes ne peuvent supporter les rayons du soleil, et, comme ses pupilles ne paraissent pas exirêmeuient dilatables, il est possible qu'il n'y voie bien clair ni le jour ni la nuit; la finesse de sou oreille vient au secours de Ses yeux, et c'est principalement par l'ouïe (ju il est averti de la jil'éselice des insectes ((iii viennent bourdonner dans le feuillage, l'endani le jour, d habite un trou creusé par le temps dans le tronc i\'m\ arbre; il tient son petit logis dans une propreté' con- stante, et, lantipie le soleil est sur l'horizon, il reste mollement cmiché sur Ud lit, ou \s\\\i6\. dans un nid, qu'il a su se faire avec du foin et des herbes (ines et sèches. C'est là que la femelle élève sa petite famille. Mais celle relraite leur est ipichpiefois funeste, parce qu'elle fait perdre à ces animaux la facilite- de déployer leur extrême agilité pour fuir le danger. Lorscpie les Maures ont dé- couvert le trou qui sert de porte à 1 habitation, ils commencent par le boucher, et ne craignent plus que le galago leur échappe; luiis à l'aide d'un bâton à crochet ils l'arrachent de son asile pour le manger. Les nègres de Galam lui l'ont une guerre active et continuelle, parce que sa cliair est pour eux un luels fort estimé. Lorsipie le galago cherche sa nourriture et ijuil entend , même de fort loin , le bourdoiinemeut d'un insecte , en (piatre ou cimi bonds prodigieux il s'approche, guidé par le bruit, et se trouve assez luès pour l'apercevoir. Il s'élance, l'atteint au vol, le saisit habilement avec ses mains, et calcule si bien ses mesures, (pi'ii retombe toujours sur une branche et jamais |iar terre ; tout cela su fait avec la rapidité de la flèche, et c'est avec la même pres- tesse (pi'il dévore sa proie. IJ'autres fois, s'il juge jiar la direction d'un papillon qu'il va passer [uès de lui, il se baisse, se fail petit, |)uis tout à coup il se relève, se dresse sur ses longs pieds de derrière, étend les bras cl le liappe. Si le papilliui vole tro|i haut, le galago saute verlicalemenl cl relombc à la iiiêine place en te- nant son butin. Tous les insectes sont de son goût , mais les co- b'oplères sont ceux qu'il préfère. .Ni'anmoins, en tsclavagi! , on le nourrit assez ais(mieiit avec de la viande cuile , des (rufs et du laitage. Il est but dmix et s'ap- liriviiise facilement; mais sa vivaciti-, sa pi'tulaiice, et surtout sa force pour le saUl, ne lui permettent pas de rester un iuslahl en lilace et, si l'on ne veut pas qu'il se ])erde, il faut le tenir en cage comme un oiseau. Toutes les espèces ont à peu près les mêmes habitudes. Le Gai Ai.o a chosse oim.ue (Galago crasskaudatus, Geoff. I^e grand Galago, G. Cuv.j a (piatre incisives supérieures; il est à peu |irès de la taille d'un lapin; ses oreilles, moins grandes (pie 92 LES QUADRUMANES. dans le précédent, ne sont que des deux tiers de la longueur de la tête; sa couleur dominante est le gris roux. On le croit de la côte orientale d'Afrique, sans en être bien certain. J Le G.iLACO DE MAD.\CASf..\R (Galago madascariensis, Geof F. Le liât de Madagascar, Buff. Le Maki nain, AuDEBj^st plus petit que le préce'dent. 11 a les oreilles moitié' plus courtes que la tête ; son pelage est roussàtre , et sa queue, moins longue (]ue son corps, est couverte de poils courts. On le trouve à Madagascar. Peut- être devrait-on le reunir aux makis. Le Galago de Demidoff (Galago DemidolJH, Fisch. Lemur minu- ius, G. Cuv.) est plus petit qu'un rat ordinaire, et ses oreilles sont moins longues que sa tête; il est d'un brun roux, et sa queue, plus longue que son corps, se termine en pinceau; il n'a que deux dents incisives à la mâchoire supérieure ; tous caractères qui le rapprochent beaucoup du Galago senegalensis , si ce n'est le même. On le trouve également au Sénégal. oreilles, moitié moins longues que sa tête, sont membraneuses, nues et transparentes: il a une queue fort longue et en partie dénuée de poils. Son apparition étrange et nocturne lui a valu le nom de spectre. Le podje habile les îles Moluques. C'est un animal nocturne, d'un caractère triste. La nuit, il sort de son obscure retraite , et chasse aux insectes qui font sa nourriture, en sautant sur ses jambes de derrière à la manière des gerboises, ce qui lui a valu de Pennaut le nom de woolly gerboa. Le Taksiek de Banca [Tarsius Bancanus, IloitsE, — Dem.) habite les mêmes contrées que le précédent; il manque d'incisives in- termédiaires à la' mâchoire supérieure; ses oreilles, beaucoup plus courtes que sa tête, sont horizontales et arrondies; son pe- lage est brun, et il a la queue très-grêle. Le Tarsier aux mains isru.nes {Tarsius fuscomanus, Fisch. — Geoff.) est un peu plus grand qu'un mulot et ressemble assez au Le Galago. Le Gai.aco de Guinée ou Potto (Galago guineensis, Desm. Lemur potto. Lin. — Gmi.. NijcHcehus potto, Geoff. Le Potio de Bosman) ne doit pas être confondu avec le kinkajou polio. S(m pelage esl d'un roux cendré, et sa ipieue de longueur moyenne. Il a la len- teur et les liai)itU(les paresseuses du loris et des paresseux. C'est tout ce que l'on sait de cet animal d'une existence douteuse, et que Bosman seul a décrit. U habiterait la Guinée. Je crois qu'on doit reporter cet animal au genre Potto. 52» Genre. Les TARSIERS (Tarsius, G. Cuv.) ont la tête arron- die, le museau court, les yeux très-grands; leurs dents sont au nombre de trente-ipiaire , dont (piatre incisives à la mâchoire supérieure et ras. La lumière du jour lui latisue les yeux , ausai cherche-lil l'obscurité'. Dès que vient le crépuscule du soir, il se reveille petit à petit , se frotte les yeux , bâille en tirant sa longue langue, fait (piehpies pas en chancelant et d'une manière irré- solue. Puis, enlin complètement réveillé, il se met en quête de ses aliments, (pii consistent en petits mammifères, eu oiseaux, en insectes et en fruits. H n'est pas très-habile sauteur, mais néanmoins il grimpe ha- bilement sur les arbres, en parcourt les branches pour chercher les nids d'oiseau, et en descend avec prudence, en empoignant la tige avec ses pieds de derrière et s'aidant de sa (jueue , qu'il entortille aux rameaux pour prévenir des chutes. Ce ne sont pas seulement des oiseaux qu'il va chercher en furetant sur les ar- bres -, il visite minutieusement les trous qui peuvent se trouver à leur tronc, afin de découvrir s'ils recèlent une ruche d'abeilles sauvages. Favorisé par un poil laineux et très-épais qui le défend de leurs aiguillons, et par la fraîcheur de la nuit qui tient ces insectes dans une sorte d'engourdissement, il enfonce une de ses pattes dans la ruche, mais avec précaution, et il brise les gâteaux pour mettre le miel à découvert. Alors il colle sa face contre le trou, et, à l'aiile de sa longue, langue il va recueillir le miel jusqu'à un pied de profondeur dans la ruche. Cette habi- tude lui a valu des missionnaires le nom d'ours à miel. Selon ipiebpies voyageurs, quand il en trouve l'occasion , il pénètre dans les basses-ciuirs, saisit les volailles sous l'aile, et leur boit le sang avec une grande avidité. Il parait, d'après ce que dit Ml de Ilumboldt, que les anciens indigènes de la Nouvelle-Grenade avaient réduit cet animal à lélat de domesticité. ,Ie ne sais trop quel avantage ils pouvaient y trouver, à moins qu'ils ne l'aient employé à détruire les souris de leurs cabanes, ou à aller à la découverte des abeilles. Ce (ju'il y a de certain, c'est que le manaviri, en cai>livité, est d'une dou- ceur extrême, et qu'il se familiarise avec la plus grande facilité. Dans ce cas, on le nourrit fort bien avec des fruits, du pain, des biscuits, du miel, du lait, du sang, etc. Mais quel ])laisir peut-on avoir avec im animal qui dort toujours"? Quand on le tire de son sommeil léthargi(pie, il se plaint d'abord par un petit sifflement fort doux, il fuit la lumière et cherche à se cacher dans un coin obscur, ou du moins à mettre ses yeux ta l'abri du jour. Cepen- dant, avec quelques caresses , on jiaivient à le faire jouer; mais dès qu'elles cessent, il retombe dans son état de stupeur somno- lente. Quelquefois il mange sans le secours de ses mains, mais le plus souvent il s'en sert à cet elTet. Quand il est en colère , sa voix devient assez forte et imite un peu les aboiements d'un jeune chien. 94 LES QUADRUMANES. M' Genre. Les AYE-AYE {Cheinimjs , \u.\r,. — Civ.) ont dix- huit (lents : deux incisives à chaque mâchoire, dont l(!s inlerieuies très-comprimccs ressemblent à des socs de rharnie. Les extré- mités ont toutes cinq doigts , dont celui du milieu des mains est très long et très-gréle ; le pouce des pieds de derrière est oppo- sable aux autres doigts; ils ont deux mamelles ventrales et la queue touffue et très-longue. y Le TsiTsun [Cheiroinys madascariensis , Dicsm. Sciurus madasca- riensis, Gmi,. L'Aijc-aije, Buff. — G. Cuv.) est de la grandeur d'un chat; son pelage est grossier, d'un gris brun mêle de jaunâtre; sa queue est longue, épaisse, garnie de gros crins noirs; sa tète est arrondie et porte de grandes oreilles nues; ses yeux sont tristes, fail)les, et peuvent à peine supjiorler la lumière. On voit à Madagascar des forêts vierges, aussi anciennes que la terre qu'elles couvrent de leur ombre, et dont les arbres n'ont jamais e'té renverse's que par la faux du temps. G'est là que vit dans la solitude du désert le tsilsihi, le plus farouche cl pourtant le plus innocent des habitants des bois. Il a des liabitiulcs paisi- bles, et de la gravité dans ses aciions, si l'on peut se servir de ce mot. Ses mouvements sont lents, mesurés, peut-èlie ])('nibles. Aussi, pour se soustraire aux ennemis qui l'atteindraient aisé- ment, vu la lenteur de sa marche, il ne sort de sa retraite que la nuit. Pendant le jour, il se tient blotti dans un terrier qu'il sait se creuser, dit-on, dans des ravins, à proximité des foièls où il va chercher sa nourriture. Cependant, la conformation de ses pieds me parait peu propre à lui permettre de creuser une habi- tation souterraine; probablement il s'empare de celle d'im autre animal i)lus faible que lui, counnc font les fouines, les martres, les renards et beaucoup d'autres, qui ne manquent jamais d'cx- projirier le prenii(!r propriétaire d'un Icirier, quand ils tn trou- vent l'occasion : et cependant on sait que la martre et le renard creusent la terre avec assez de facilité. L'écureuil peut nous four- nir l'exemple d'un pareil brigandage, car il s'empare assez vo- lontiers des nids de jiie pour y établir son domicile après l'avoir maçonné à sa fantaisie. Quoi qu'il en soit, le tsilsihi se nourrit d'insectes, de vers et de fruits, et il préfère ceux qui sont secs et durs aux baies et aux autres fruits mous. Pendant toute la belle saison , il ne s'occupe guère (pi'à parcourir les forêts, en grimpant lentement sur les arbres pour y trouver sa nourriture. Quoique peu carnassier, s'il peut saisir uu oiseau sur seul nid, il manque rarement de le faiie et de le dévorer; mais c'est aux œufs qu'il donne la pré- férence. Hien n'est curieux comme de voir manger cet animal ; il se pose sur le derrière, ayant le cor])s dans une position verticale, et avec ses mains il porte les alimeuls à sa bouche; mais pour saisir un fruit, il n'a pas besoin, couuu(^ l'écureuil, de ses deux mains : grâce à son long doigt , il enveloppe le fruit et le lient solidement, jiendant que son autre main est libre, .luuiais il ne prend un objet en l'empoignant avec ses cin(i doigis, mais il le saisit avec le doigt du milieu, et avec les autres il conliiiue à s'accrocher aux brauclus pour grimper. Lorscpie vient la saison des pluies, il ne quitte guère son ter- rier que s'il y est poussé i)ar la faim. Dans son réduit, il sait fort bien s'arranger une vie sédentaire, cl il ne nian(pu' jauiais de s'entourer de toutes les commodités que lui pcrmetlenl les cir- constances. Sans faire positivement des lU'ovisions, il est rare qu'il n'ait pas dans son terrier assez de fruits pour vivre trois ou quatre jours au moins sans sortir. Ainsi, quand des chasseurs rodent dans les soliliules qu'il habite, ou qu'un orage inonde la campagne, il reste tranquillement chez lui, à l'abri de tout dan- ger, juscpi'à ce que sa petite provision soit épuisée, et l'on assure même (ju'il la ménage avec économie , pour la faire durer autant de teuq)S (|u'il présume devoir i)asser en réclusion. Il aime beau^ coup ses aises, et sa voluptueuse mollesse ne lui permettrait pas d'habiter une demeure humide, fraîche, ou seulement de dormir sur la terre. Mais il n'est pas ])aresseux, quoiipie lent, et s'il aime à être bien, il ne compte sur personne que sur lui-même pour se procurer ce bien-être. Il travaille avec ardeur et pendant long- temiis à se faire un ap|)artemeul sec et commode au fond de sou terrier. Après l'avoir sullisanuneul élargi , il y Iranspoite une quantité de petites bûchettes de bois sec ((u'il entrelace, avec du foin et dont il forme une sorte de tenture exactement appliquée contre toutes les parois de sa chandue à coucher. Il la lemplit ensuite de foin sec et très-doux, au milieu duquel il établit son lit. Ce lit lui-même exige encore un travail, car il est tapissé, ou plutôt malclassé avec une mousse (ine, sèche et chaude. C'est là qu'il fait .ses petits, rarement en nund)re de plus de trois ou quatre. Pendant tout le temps de rallaitemenl, la feuulle en a le ]dus grand soin et ne les ipùlle tpie lors(iu'elle y est for- cée par une impérieuse nécessite'; elle les lient surloul dans une propreté recliei-ciiée. Lors(iue les petits coumiencent à marcher, elle choisit les moments où la lune jette ses rayons brillants sur les arbres des forêls pour les faire sortir et jouer sur la mousse humide de rosée. En sentinelle à côté d'eux, ehe veille à la sûreté gén('rale, et au moindre bruit, à la plus mince apparence de danger, elle fait rentrer les plus forts et emporte les plus petits au fond de son trou. Les naturels de Madagascar font une guerre soulenuc au tsilsihi, parce qu'ils estiment beaucoup sa chair, qui i)0ur un Euroi)éen est un mets détcstaide. Ils lui tendent des ])iéges au pied des arbres, ils le déterrent de son trou, et le tuent à coups de flèches ou de fusil. Il n'est ni féroce ni méchant, mais il aime la liberté jilus que la vie. Aussi, quand on le prend, jeune ou vieux, s'il ne se laisse pas luourir de faim dans les [ircmiers jotjrs de son esclavage, il vit (picli(ue Icnqis dans la tristesse, il tombe dans la eonsomjdion , et il péril après avoir traîné pendant quelques mois une vie languissante, ipi'il |iaraîl (juiller sans regret. Ici finit Tordre des (piadrumancs, dont, nous devons le dire, les limites sont tracées d'une manière assez iiu'crlaiue. Par exemple , ce dernier genre a été i)lacé par G. Cuvicr parmi les rongeurs, après les polalouehcs; M. de lîlainviile l'a reporté à la suite des quadrumanes, et nous l'y maiulenons sur la considéra- lion du 6011 pouce lies jiieds de derrière , (jui est opposable aux autres doigts. Le genre lursius est évidemment plus voisin des galéopilhèques et des chauves-souris que des (piadiumancs, aux ailes près. Les kiidiajous ou [joIos ne se prêtent encore nellement à au- cune de nos classilicalions cl pourraient peut-être se reporter, aveu les carnassiers plantigrades, entre les coatis et les blaireaux, où G. (hivier les avait mis, cl d'où son frère les a retirés pour les rejeter à la lin des quadrumanes. •mm'-^GS'i LES C/\11NASSIERS CHÉIROPTÈRES, DKUXIKJIE ORDRE DES MUnlIFERES. Ils ont (les incisives, des canines et des molaires, comme tous les carnassiers, mais de formes Irès-varii^es. Un caractère ((ni les tranche net d'avec tous les autres mammifères, c'est un icjili membraneux de la jieau des flancs, (jui s'unit aux quatre mem- bres et aux doii:ts des mains, de manière à former, dans le plus nianil nomLire, de verilaldes ailes propres au vol comme celles des oiseaux. Ils ont deux mauielles ijui sont placées sur la iioitrine. Cet ordre se divise en six familles, savoir : les gale'opilhèques ou chats-volants, les phyllostomes, les rhinolophes, les vesper- tilions, les noclilions et les mèsanyetères. LES CHATS-VOLANTS, oi GALEOPITHEQUES, se dislinsiient des chauves-souris jiarce (pie les doigis de leurs mains, tous garnis d'ongles tranchants, ne sont pas plus allongés (jue ceux des pieds ; il en résulte que la membrane (jui occupe les intervalles des membres et s'étend jusi(u'à la queue ne leur sert pas d'ailes, mais simi)lcment de parachute. Ils ont à la mà- clioirc inférieure six incisives l'endues en lanières étroites comuie les dents d'un peigne. 1" Gkmie. Les CHATS- VOLANTS ou PLEUROPTÈRES ( tfa/(;o- pilhecus, Pall.) ont lrenle-(|nalre dents; les incisives sup('rieMres dentelées et les in férieures pectinées ; leurs molaires sont mousses, avec une dentelure; leurs membranes interfémorales et latérales sont velues. Ces animaux saulent fort loin, an moyen de la mem- brane (]ui leur sert d'ailes, mais ils ne volent pas. Le KuBiiNG (Gqleopilhecus rafus, Geoff. Lemur mlam , Linn. — Aiuirn.). 11 habite les iles Pelew ou Palaos, dans les Molu(pies, tt aux îles de la Sonde. Il a environ un pied de longueur (0,52b); sa couleur est ronssâlre en dessons, d'un joli gris roux en dessus, avec des ondes blanches, irrégulièrement bordées de gris noirâtre, et s'étenilant de cha(|ue c(Jté du (^orps depuis le derrière des oreilles jusi[ii'à la naissance des cuisses. II a le museau nu peu long, lin connue celui d'une belette , les oreilles courtes et les yeux vifs. Le ku!)ung ne peut pas voler comme les chauves-souris, car sa membrane n'est pas assez longue pour cela ; mais il sait tellement bien manœuvrer, (pi'll [larcourt d'assez grandes distances dans les aii'S, et passe alsi'ment d'un arbre h un autre arbre ('loigué de ciucpianle h soixante pas. l'oiu-ecla, il monte à l'exlrémit('de la plus haute branche, s'élance d'un bond vers l'arbre voisin, puis il étend sa membrane, penche un peu son corps, la tête vers la terre, et glisse ainsi dans l'air en décrivant une parabole obli(|ue à l'horizon. Il en rc'sullc (pi'étant |)arti d(! la branche la ])lus haute d'un arbre, il arrive juste à la branche la plus basse d'un autre arbre. Uuaiid la forêt est épaisse et les arbres (rès- rapprorhés , on croirait (ju'il doit diriger son parachute tU: ma- nière h sauter sur inie branche élev('e ; il n'en est rien , et il tond)e toujours sur la |dus basse. Mais il a une raison |)our (cla : toute la journée il est occupé à donner la cliasse aux insectes et aux petits oiseaux qui , ainsi que lui , habitent les fonMs. Pour n'avoir pas à remonter à la cime d'un arbre quand il veut aller sur un autre, il commence toujours sa chasse en exjilorant les branches basses, puis celles au-dessus, et ainsi de suite de bas en haut, jus(pi'à ce (piil soit arrivé au soiiunct. Le kidiung on oleck est la lerreiu' des colibris et antres petits oiseaiix, ([u'il saisit sur lem- nid pendant la nuit ou dont il brise et mange les œufs pendant le jour, yuchpiefuis il se met en em- buscade sur une grosse branche, tantôt couché sur l'écorce, tan- t()t suspendu par la (jneue et bs pieds de derrière. Si im colibri ou une grosse phalène passent en volant à ipicbpies (licds de lui, il s'élance tout à coup , les saisit an vol cl tombe sur une branche voisine, où il les dévore à son aise. Quand il se lient suspendu dans son embiisi-ide, il attend (pie le colibri passe dessous lui, fùl-ce à quin^L i^u vingt pieds de ctistance; il prend son moment, se laisse tomber perpendiculairement dessus, les:iisit, déploie sa nieinbranc pour adoucir sa chute, et gliss(' dans l'air jus(pie sur la branche la plus rapprochée. Il a le couii d'œil si juste et si prompt qu'il rencontre toujours sa proie dans sa chute et ne la nian(iue presque jamais. Son odorat est aussi très-fm. Cet animal ne met bas ordinairement qu'un petit, pour lequel il a beaucoup de tendresse. H lui fait avec soin un nid d'herlie Une et sèche, dans le trou d'ini tronc d'arbre, mais il ne l'y laisse que (piatre à cinq jours; après ([uoi celui-ci est assez fort pour .'c cramponner sur son ventre et y rester constamment jus- ipi'à ce qu'il puisse se hasarder à quitter sa mère pendant (juel- (|ues instants, ou au moins à se placer sur son dos poiu' se re- poser de son attitude ordinaire. Du reste, sa posture est moins fatigante qu'on pourrait le croire , car sa mère le soutient presiiue constamment avec sa niain, (|u'ellc bd place sur le dos. Quand la chasse est fniie, ou même en la faisant, l'oleek ne marche pas, comme les autres animaux, sur les branches, mais dessous, de manière à avoir le corps pendu à la renverse. 11 en résulte que son enfant se trouve placé connue dans un hamac et retenu par la membrane des ailes, de la UK'Tne manière ([ue dans un berceau (pii serait [dacé au mi- lieu d'un lilct. S'il a envie de dormir, la mère cesse de marcher et donne à son corps un mouvement doux de balaiireineut , ab- solument comme une nourrice ipn berce avec précaution un en- fant chéri. Du reste cette attitude est fauiilière au galé(qiithèqiie, et s'il en prend cpielquefois une antre poin- dormir,' quand il n'a [las (h; petit, c'est piuir se susiundre par les [lieds de derrière, la l('le eu bas, eonmu: les ciiauves-sonris. Les Indiens aiuient assez la ciiair du chat-volant, sintout dans iMie saison de l'année où ces animaux cessent de faire la chasse aux insectes pour se nourrir d'une petite baie semblable à une groseille et trè.s-aboudanle dans les forêts en de certains temps; ils aiment ces petits fruits, (pii les engraissent beaucoup, i Le (lALi';ornui;oiF, (6'«/eop)//«'cu.s varifijalua . (irorr.) n'a que cinq pouces de longueur (0,15.^)); il est d'un brun gris, varié en dessus de jdus foncé, avec les membres tachés de blanc. Il a la tête plus grosse et le museau plus allongé que le précédent, et, comme lui, il habite les Moluipu'S. ( Le (Ui.itoriTm'mJK ))k Ti unatf. (Oaleopithecus ternalcnsis , Gf.oif. Felis volans Ternalm, Sfiia) est encore plus petit ipie le précé- dent. Il est d'ini gris roux plus p.Me en dessons ipicn dessus, avec des taches blanches sur la queue. Il habite également les Molu- ques. Seba avait cru lui trouver de l'analogie avec les chats. 96 LES CARNASSIERS CHEIROPTERES. C'est avec cette famille que commenre la se'iie des véritables chauves-souris, qui toutes ont les doigts des mains allonge's et pris dans une membrane nue formant une aile complète; leur pouce est séparé , libre, court, arme' d un ongle robuste et cro- chu; leurs pieds de derrière sont faibles, et leurs doigts e'gaux en longueur. La famille des phyllostomes a sur le nez une membrane en forme de feuille rcleve'e en travers, simple, solitaire ou impaire. L'index des mains est composé de deux phalanges. 2-= Genre. Les PHYLLOSTOMES ( PhijllostomaGEorF. ) ont trente- deux dents : quatre incisives , deux canines très - fortes et dix molaires à chaque mâchoire; leurs oreilles sont grandes, séparées, à oreillon interne denté; ils ont sur le nez deux crêtes, l'une en forme de feuille et l'autre en forme de fer de cheval; leur langue est hérissée de papilles. Les trois premières espèces ont une queue plus courte que les membranes interfémorales; les quatre dernières n'en ont pas du tout. difTormités superflues, sont des caractères réels et des nuances visibles de l'andiiguilé de la nature entre ces quadrupèdes volants et les oiseaux, car la plupart de ceux-ci ont aussi des membranes et des crêtes autour du bec et de la tète , qui paraissent tout aussi superflues que celles des chauves-souris. » Une analogie plus singulière encore est celle que ces hideux animaux ont avec l'homme par certains organes : notamment par les mamelles des femelles, qui sont placées sur la poitrine. Leurs autres caractères les rapprochent tantôt des quadrumanes, tantôt des petits carnassiers carnivores; leur figure et leur pe- lage les font souvent ressembler à des rats ou à des souris, mais leurs grandes ailes livides les séparent de tous les autres mammi- fères. Ce sont des animaux nocturnes, dont les yeux, excessivemerit petits, ne peuvent supporter la lumière du jour. Aussi se cachent- ils dans les lieux les plus obscurs, pour n'en sortir que la nuit et aller à la chasse aux insectes et particulièrement aux papillons nocturnes, qu'ils saisissent au vol avec beaucoup d'adresse. Dans Le Kubung. Le Fer de lance (Phyllostoma hastatum, Gkoff. Vesperfilio has- lalus, LiNN. Le Fer de, lance, Buff. — G. Cuv.) a la feuille du nez en forme de fer de lance, entière sur ses bords, c'est-à-dire ni crénelée ni dentée ; sa ([ueue est entièrement engagée dans la membrane inlerfémorale. Cette espèce .se trouve à la Guyane, où elle ne quitte guère les forèls Le fer de lance est, comme toutes les chauves-souris, un ani- mal fort extraordinaire poin* l'ob.servateur. La première chose qui frajipe le vulgaii'c, en considérant une chauve-souris, c'est l'analogie ipie son vol rai)ide et (■lcv(' lui donne avec les oiseaux. On est étonnt' de voir cet animal , couvert de poils, ajant une bouche armée de dents, s'c'lancer dans b^s airs, s'y soutenir, s'y promener avec plus de facilité même ipi'une hirondelle. Poui' l'observateur, l'analogie peut se pousser plus loin; ainsi que les oi.seaux, les chauves-souris ont les muscles |)ccloraux Irès-épais et très-développés, afin de fournir aux bras toute la force lu'ces- Snire l)our soutenir le cor|)S en volant; leur sternum a de ukUuc une arête saillante pour servir de point d'ap|)ui et d'attache à ses muscles; « enfin, dit liufi'on, elles paraissent s'en approcher en- core par ces membranes ou crêtes (pielles ont sur la face ; ces parties excédantes, qui ne se présentent d abord (juc comme des les trous et les rochers qu'ils habitent, ils se suspendent par les pieds de derrière, la tète en bas, et passent toute la journée à dormir dans cette attitude singulière. Les espèces de nos climats s'engourdissent et passent l'hiver en léthargie, comme les loirs l't les luarmolli'S. Les femelles font ordinaiicmenl deux |)etits, (prclles tiennent cramponnés à leurs mamelles, et dont la grosseur est considé- r.d)le comparativement à celle de leur mère. Tout ce que nous venons de dire s'appliipu' ndU-seulenu'nl au fer de lance, mais à toutes les chauves-souris. A la suite de cette cs|iéce (Ml [ilacera c(dles-ci : Le Piivi.i,osT0.MF, A FFiiii.i.E ALIONCÉE { PhijUustoma clongatum , (Jr.orr.). lîords de la feuille entiers; extrémité de la (jucue libre. Patrie inconnue. Le Piivj.i.osTO.MF. cri':m,i,é (P/ii/"".<''i'»a rretndalum, Geoff. Le Fer nrnelé, G Cuv.). lînrds de la feuille dentelés; exlr('mité de la queue libre. Patrie inconnue. Ci'ux (pii suivent n'onl [)as de (pieue. Le Piivi.i.osTOMF, «AYi; {Pliyllosloma lineatum, Geoff.). Long de deux pouces neuf lignes (0,071); une raie blanche sur la face et quatre sur le dos; feuille entière. Du Paraguay. Pli"» LLOSTOMES. 97 Le P11VI.LOSTOJIE i.t.NETTE {rhijllostoma pn-spicittalum , Ciiorp, Vespertiliopcrspicitlaluf, Li>-.) ine parnil aiip.irtciiir au si-ni'i' -Ir- libeus. Il est d'un noir brunùtrc, avec deux raies blanches ; feuille courte, ëchanerée près de sa pointe. De rAmerique méridionale. M. Ricord a observe que cette espèce vit du fruit du sapotillier, dont elle fait un grand dégât. Le Phyi.i.ostome a feuilles arrondies [Phyllostoîiia rolundain , Geoff). D'un brun rougeâtre ; feuille entière , seulement arron- die au sommet. Du Paraguay. Le PiiYLLOSTOME FLEUR DE LIS [Phijllostoma UUum , Geoff.). Mâ- choires allonge'es; feuille entière, aussi haule que large, à base très étroite. Du Paraguay. idupart (les'pays chauds de l'Américiue. Il y en a de monstrueuses pour la grosseur. Llles ont entièrement détruit à Borja , et en divers autres enchdils , le gros bétail que les missionnaires y avaient introduit, et qui commençait à s'y mulliidier. » Buffon cite ce passage avec une grande conliance, et il me semble que ce célèbre écrivain aurait dû le rejeter , comme im- ]ili(iuant «onlradii tion; en efl'et , comment le bétail a-t-il pu (ommeneer à se multiplier malgré les vampires, et comment les vampires, ipii n'avaient pas enqiéché celte multiplication, ont-ils u ensuite détruire tous les animaux qui en résultaient ■' .lumilla va plus loin que La Condamine. « Ces chauves-souris sont d'adroites sangsues, si! en fut jamais, qui rôdent toute la Ancienne hiibitation des singes S^CiENRE. Les VAMPIRES [Vampirus, Geoff.) ont trcnle-qiiaire dents, dont deux incisives et deux canines à cha(pu^ mâdioii e , dix molaires à la mâchoire supérieure cf douz'- à l'inférieure. Leur feuille est ovale, creusée en entonnoir. L'Andira-Giaçu (Vainpirua sariguixuavillon , «ont un fléau conimun à la 47. raria. Typogrflphlo rinn nuil pour boire le sang des hommes et des bêtes. Si ceux que leur (^lat oblige de dormir par terre n'ont pas la précaution de s.' .-ouvrir des pieds k la têle, ils doivent s'attendre à être piqués des chauves-souris. Si, par malheur, ces oiseaux leur piquent une veine ils passent des bras du sommeil dans ceux de la mort, à cause de la .piantité de sang .pi'ils perdent sans s'en apercevoir, tant leur piipire est subtile; outre que battant l'air avec leurs ailes, elles rafraîchissent le dormeur auquel elles ont dessein d'.Vier la vie. » lllloa est moins exagéré ; « Les chauves-souris sont communes à Carlhagène, dit-il; elles saignent fort adroitement les habitants en leur liraut assez de sang , sans les éveiller, pour les affaiblir extrêmement. » -, 1 La vérité est que l'andira-gMaeii , tout vampire qu il est par le nom, ne suce personne, ni hommes ni animaux , et c'est ce dont les voyag.'iirs modernes et les naturalistes américains se sont assurés. Sa langue papilh^use et extensible ne lui sert qu a sonder sous les vieille* .^'orces des arbres pour en retirer les insectes et frpros, rue Ac Vniigirard , 3G. as LES CARNASSSIERS CHÉIROPTÈRES. les phalènes qui s'y cachent , el il a cela de commun avec les phyllostomes et beaucoup d'autres chauves-souris. Il se nourrit hahitueilement d'insectes, de petits animaux, et même, dit-on, de fruits. C'est de tous les chi-imptères celui qui marche sur la terre avec le plus d'aisance. Il est commun dans la Nouvelle-Es- pagne. 4= Genre. Les MADATÉES [Matlateus, Lfach) ont quatre inci- sives à chaque mâchoire , les deux intermédiaires supe'rieures bifides et plus longues que les late'rales, les inférieures ('gales, simples et aiguës; huit molaires supérieures et dix inférieures; leur langue est bilide à la pointe ; leurs lèvres garnies de papilles molles, comprimées et frangées; ils ont deux feuilles nasales et pas de queue. La Mandatée de Lewis {Mandateus Letris, Leacii). D'un brun noirâtre; seize pouces d'envergure (0,-435), et membrane inter- fe'morale e'chancre'e; oreilles médiocres et arrondies; feuille brus- quement pointue vers le haut. De la Jamaïque. 0= GimE. LesGLOSSOPII.^GES (Glossophaga, Gf.off.) ontvingt- quati'e dents : quatre incisives, deux canines médiocrement for- tes, et six molaires à cIkkiuc mâchoire; la langue est très-exten- sible, terminée par des papilles; feuille en forme de fer de lance; Mieiid)rane intorfémorale Irès-jielite ou nulle ; queue variable ou nulle. Toules les espèces sont d'Amérique. La Glossophage de Pallas {Glossophaga soricina, Geoff. Ves- pertilio sorir.inus, L'x. — Pall. La Feuille., Vicq-u'Azyr) se recon- naît à son manque de queue et à sa membrane interfémorale qui est fort large. Cette espèce habite Cayenne et Surinam. La longueur de sa langue, les papilles qui la terminent, et que l'on a prises pour un suçoir, l'ont fait accuser, ainsi que ses congénères, de sucer, comme le vampire, le sang des hommes et des animaux endormis. Le fait est qu'elle est fort innocente de cette accusation , et que cet organe lui sert unitpicment à sonder les petits trous et les fissures des troncs d'aibres, qu.ind elle pense y trouver les larves et les insectes dont elle se nourrit. La Glossophage caldataiue Glossophaga caudifer, (iEOFF.) a la mend)rane interfémorale très-courte , un peu débordée par la quene Du Brésil. La Glossopiiac.e a queue enveloppée (Glossophaga amplexicau- dala, Geoff.) est d'un brun noirâtre ; sa membrane interfémorale est large; sa ([ueue, courte, est terminée par une nodosité. Du Brésil, aux environs de Rio-Janeiiu. La Glossopiiac.e saxs qleie (Glofsophaçja ecaudala , Gfoff.) man- que de queue. Sa membrane interfémorale est courte. Du Brésil. G" Genre. Les RIHNOPO.MES (/î/u'nopoma, Geoff.) ont vingt-huit dénis : deux incisives supérieures et quatre inférieures; deux ca- nines à chaque mâchoire; huit molaires à la mâchoire supérieure et dix à l'inférieure. Leur nez est conique, long, tronqué au bout, portant une petite feuille; les narines sont terminales, transver- sales, operculées; les oreilles sont grandes et réunies, avec un oreillon extéiieur; leur queue est longue, prise à sa base dans la membrane interfémorale , qui est coupée carrément, libre à l'ex- trémité. La Rhinopome microphylle de Geoff. {yespeiiilio microphyllus , ScHK. La Chauve-souris d'Egypte, Bilon) est d'un gris cendré et a" la queue trèsdongue. Elle se trouve en Egypte, et se plait surtout à habiter les galeries obscures des Pyramides. La RiuNoroME de la Caroline {Rhini'poma caroliniensis , Geoff.) est brune; sa (jueue épaisse est as.sez longue. On la croit de la Caroline du Sud. T Genre. Les ARTIBÉES [Arlibeus, Lfacii) ont trente dents : quatre incisives à chaque mâchoire, les supérieures bifides et les inférieures tronquées; deux canines à cha(pie mâchoire, les su- périeures avec un rebord interne à leur base; quatre molaires sui)érieures et cinq inférieures de chaque côté ; deux feuilles na- sales, une horizontale et l'autre verticale; point de queue. L'Artii!Ée df, la Jamaïque [Arlibeus jamaïcensis, Leacii) est brune en dessus , d'un gris de souris en dessous , avec les oreilles bru- nâtres, ainsi ipie les oreillons. Des Antilles. S" Genre. Les MONOPIIYLLES [Monophyllus, Lfach) ont trente dents : quatre incisives supérieures dont les mitoyennes plus longues et bifides ; point à la mâchoire inférieure; deux canines en haut et deux en bas; dix molaires supérieures et douze infé- rieures; leur feuille est unique, droite sur le nez , et leur ipieue courte. Le Monophylle de Redmann [Monophyllus Redwannii , Leach) est brun en dessus, gris en dessous, à meud)rniies brunes; ses oreilles sont arrondies; sa feuille est aiguè , couverte de petits poils blancs. Il habite la Jamaïque. LES HHINOLOPHP]S aux caractères généraux des chauves-souris en joignent de parti- culiers ipii les tranchent fort liieii. Leur nez est garni de mem- branes el de crêtes fort complii(uées; ils ont une seule phalange à l'index ; leurs ailes sont grandes ; les femelles ont les luaiuellcs sur la i)oilriiie, mais on leur voit souvent des verrues au ventre, simulant assez bien des mamelles. 'J' Ge.nre. Les RIILNOLOPIIES [lihinolophus, Geoff.) ont trente- deux dents : deux incisives à la mâchoire supérieure, quatre à l'inférieure ; deux canines en haut et en bas; dix molaires supé- rieures et douze inférieures. Le nez est placé au fond d'une ca- vil<' bord('e d'une large néte en forme de fer à cheval, et sur- inonléc d'une feuille- Les oreilles, qui manquent d'oreillon , sont latérales, moyennes. Leur queue est longue. Le Grand Ter a cheval [lihinolophus unihasialus, Grovr. Ves- pertilio fenum equimtm. Lin. i.e grand Fer a theval, Buff.). Il a la feuille nasale double, l'antérieure sinueuse aux bords et au SDiiimct, la postérieure en fer de lance. Cette chauve-souris est une des plus communes que nous ayons en France; elle habile les cavernes, les carrières et les souter- rains des vieux monuments abandonnés dans toute l'Europe. Elle n'en sort ipi'à la nuit close i)our aller chasser les ])apillons de nuit et les insectes cré|)usciilaires. Ses yeux sont ))elits, obscurs et couverts, à pupille noiturne; aussi fuit elle la lumière, et les liriix les plus ténébreux sont ceux qui lui plaisent le plus; elle y lixc son domicile el y vit suspendue à la voûte ])ar les pieds de derrière , en compagnie d'un grand nombre d'individus de son espèce. Ce qu'il y a de particulier, c'est que, quelle (pie soit la grandeur du souterrain ou de la caverne où elles habitent, elles ne se dispersent pas dans ses diderentes parties ; elles se fixent toutes les unes à côté des aulres et se touchant presque , à la même place, et il faut qu'il 'y en ait une grande (p]antit(' pour occii|)er plus de (piatre ou cin(| njèlrescarrés de la voûte. L'hiver, au momeiit de s'eiig(mrdir , elles se rapprochent au point de se tou( lier et de former p(jur ainsi dire une masse compacte. Il est luobable (pi'elles cherchent ainsi à se ré(haufrer les unes les au- tres et à se soustraire autant ([ue possible aux cruelles rigueurs du froid. HHINOLOPHliS. 9» Le f^rand fer à cheval , comme la plupart des chauves-souris , se traîne Irèspi'niblemenl sur la terre, et sur une surface un peu unie il ne peut s'élancer pour prendre son vol, par la raison fort simple (|ue ses pattes ne peuvent ))as exécuter en UK^ne temps loMs les niouvemenls ni'cessaiies au saut et au vol. Ceci nioulre que l'allilude î-ingulière ipi'ii prend dans le repos, en se suspenilanl la UMe en bas, est pour lui une position nalurelle et fort commode. En elTel, il n'a (pi'à lAcher la roche où il tsl atta- ché, étendre les ailes en tondiant, et le voilà au vol. Par la même raison, la femelle ne cherche ]>as à faire un lit ou un nid, comme les rats, par exemple, pour déposer ses petils, car il lui faudrait marcher [mur y entrer et en sorlir. Elle met bas sur le bord d'une roche perpendiculaire; et anssilôt que ses pelits sont ru's, elle se les altai lie sur la poitrine, se précipile de la roche la ti'te en bas , et va reprendre sa résidence ordinaire sous une voùle. Les pelils, au nombre de deux au jdus, se trou- vent, pour ainsi dire, emmaillollés dans les mcudtranes des ailes de leur mère, (pii les porle avec elle en V(dant jusqu'à ce ([u'ils soient assez f(Mls pour se laii -cr et se soutenir dans les airs, .lai été moi môiue l('Mioin de ces faits. Le l'F. riT Feiî .\ ciiLVAi. ( niiinul(ii>hus bHiasIalus , Gioff. Vufper- tiliu ferrun cquiiiinn, var. Li>. l>.ale sijr]])le, arrondie à son soimnet ; une bourse, furmce de trois leplis de la peau, s'élève SOI- sou front. De ril<^ de Timor. Le lliiiN i.oi'iU'; dk C(immfiisox (lihiii'iloiihvs C' mmentonii. Geoff.). Sa feiiide natale est simple, ; rroudie à la pointe; sa queue est de nioitii' midos biugue ipie les jaudies. De .Madagascar, aux envi- rons du foi'l Diupldii. 1 Le ItiiiNoi.iMMiR iiiAiiÈME ( Ithiw l phii$ ciah'iha, Cfoff. ) a la feuille nasale sinqde, arrondie au sommet; son rri.ut ne pn'scnle point (II- b lurse eom ne dans le crumcnifere , et sa queue est de la longueur de ses jambes. De Timor. 10- G^NKE. Les MÉG.\nERMES [Mcrjndcrmn . Gfoff.) ont vingt- six dents : quali-e incisives inf.'i ieiues, point à la luitchoire supé- rieure; deux 1 aidiies en haut cl i\v\\\ en bns; huit molaires su- périeures et dix inf'rieures; leurs oreilles sont très-gr;rrides, soudées à leirr base arr somrnet de la lOle, à oieiHon rirli'rierrr- lai'ge; leoi" nez porte Irnis ci'étes, irne verticale, rrnr' horizontale et \rrie en fi'r à cirev d ou irrfcr ieiri'e ; elles n'ont pas de ipieuc, et leur membrane inlcrfcmorale est coupi'e carrément La Mltf.AnEiiME feuille (jl/''(/''f/erma frnns, Geoef. La Feui'le, G. Cuv. — Daub), à feuille du nez ovale, presque aussi grande que la tt*le ; pelage d'un gris ceirdré leirrté de jaun.tlre. Du Sé- négal, et peutéire de l'archipel des Indes. La MtCADEnjiE lyre (Megailermahjrn, Gfoff.), à feuille rectan- gulaire, avec une follicule de moitié plus petite. On la croit de l'arcliipel Indien. La Mécaiiei'.me spasme [Me()aderma fpasina, Gfoff. Vi'spt-rliliu ! aireclaiil la forme d'un V. Du Séni'gal et de la Thébaïde. sj Le NvcTÈiiE iiE Java {Nycleris javanicus, Geoff.), d'un roux \if en dessus et d un cendré roussâtre en dessous. De l'île de Java. ' i± Genhe. Les TAIillENS {Taphozous. Gfoff.) ont vingt-huit dents ; quatre incisives en bas et deux en haut, selon G (^iivir r, ou point, selon M. Geolîioy; vingt molaires; leur chanfrein est sillonné comme dans le genre précédent ; la lèvre sii|)érieure est épaisse; les oreilles sont moyennes et écartées; l'oreillon est in- térieur; la (pieric est lilire à l'exlrr'milé, au dessus de la mem- brane, ipii est grande, à angle saillant au bord extérieur. Le Tatiiiex nor x (Taphozous rufus , Wils. Veftpertilio riifiis , Waud.) se distingue des autres espèces par la couleur ronge de son pidage; il est aussi le seul des laphieiis connus .jusiiu'à ce jorrr rpri habile lAu^riipie. On le trouve aux Étals Unis. Le l'AriiiiN iiE iMau;iick {Taphozous maurilianus, Geoff.). D'un brun uiairon eu dessus, roiissfttre en dessous; il a un oreilluii teiiiiini' par un bord sinueux. L île de Kiance. Le Taiiuev nu Sexfcai. { Taphozous si neijtilensis, Geoff. Le Lerol rolaiil, llAun.). H est brun en dessus, d'un brun cendré en dessous; ses oreilles sont moyennes, à oreillon arrondi. Du .Si'riégal. Le Taiiiifn eommmane (Taphozous long iiiianus . IIaiihw.), d'un br'iin de suie; à pel.ige r'pais; aili'S noires, ayant ipiiiize pouces (0,i(ll). d'euvergiire, oreilles ovales, plissi'es en travers. De Calent la. Le TAi'iirE>i rERFoni? (Taphozous perforai us, Cunv.) ilirn gr-is roirx en dessus, ceuilri' en dessoirs; \\n or-eillon en forme de fir de h.iclie. De 1 Egyi>te, où il habile les lombiaiix. Le Tapiiirn lEnruriE (Taphozous lepturus, Geoff.), gris; (iliis paie en dessous; dix huit lignes de longueur (0,Oil); un repli au coude formé par l'aile; oreillon obtus et fort court. On le croit de Surinam. Tous ces animaux vivent d'insectes et ne volent (|ue la nuit. Lue espèce, le taphien longiinane, est un objet de terreur pour les f(!mmes supei'stitieuses. Comme il est très-comnuin et qu'il voltige continuellement autour des maisons, si une croisi'e reste ouverte et rpi il y ait un flambeau alliimi', cet animal , allin' par la lumière de la meure manière rpie les papillons de nuit, errtre dans rap|iarteinent, et va s'allacher aux rideaux des lits ou aux coririclrcs , où on le trouve le lendemain, si avec ses ailes il n'a pas ri'veillé la dormeuse qui, dans ce cas, est fort effrayée. Mais c'est moins la crainte (pi'occasionne sa pn'sence que les conjec- tures sinistres rpi on eu lire, (pii fimt redouter cet animal , du reste fort innocent On croit cpie sa visite annonce la mort, et que dans la maison où il est entré il ne se passera pas un an 100 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. avant que l'on ait à déplorer la perte d'un des membres de la famille. Le peuple, en France, a un préjuge' semblable à l'e'gard de la chouette. iô" Genre. Les MORMOPS [Mormops, Leacii) ont trente-quatre dents : quatre incisives supérieures ine'gales, les mitoyennes très- e'chancrées ; quatre inférieures trifides et e'gales : deux canines à e Geoffroy (î\'ijclophiius Geuffrmii , Leacii) est d'un brun jaunâtre en dessus et il'un blanc sale en dessous; ses ailes sont d'un noir lirunàlic: ses oreilles sont larges. On \w con- naît ]ias sa pairie, mais il e^^t probable (pi'il ne se renconlie pas en Eui'o|)e. à leur situation , forme une considération de semblable anomalie que je crois devoir faire remarquer. » Le même savant pense (|ue cette l'irange faculté que les chauves-souris ont de se iliiiger sans hésitation au milieu des ténébreux labyrinthes qu'elles hahi- tent, est due à une extrême sensibilité du tact qui leur fait appré- cier les |iliis i)eliles difTi'rences almospliéri(|ues. (>l organe du tact résiderait dans les membranes des ailes, et serait alors d'une étendue comparative très-considérable. Telle était aussi l'opinion de (i. Guvier, ainsi que nous le dirons dans l'article suivant. VESPERTILION?. 101 i«iiilmiiiH^Ul,4* Lp Murin. LKS \ KSPKHTILKJXS, ;iini.i que les familles qui vont suivre, ii'onl aucun appendice au nez; leurs ailes sont grandes, et ils n'ont à l'index (]u"une seule phalange; leurs lèvres sont simples; leur langue est courte, leur ipieue longue, et leur tête est de forme allongée et poilue. Celte famille se compose des chauves-souris proprement dites. 15' Gemu;. Les VESPEHTlLIOiNS (Vesiierlilio. Groir.) ont trente- deux dénis : (juati-e incisives supe'rieures (quehpiefuis deux), dont les deux moyennes ordinairement e'cartees; six inférieures à tran- chant un peu dentelé ; oreilles sépare'es , rarement unies par leur hase; un oreillon interne; des ahajoues; queue totalement prise dans la niendjrane interfemorale. On en trouve des espiices dans toutes les parties du monde, et nous les classerons sur cette con- sidération . 1° VESPERTILIONS D'EUROPE. Le .Murin {Vespertilio murinus, Lin. La Chauve-sourin, Rinr.). Il a les oreilles ovales, de la longueur de la tête, et les oreil- lons en forme de faux; il est d'un brun roussAtre ou d'un gris cendre en dessus, d'un gris ManchMre en dessous. Il est assez commun en Eranee et dans toute l'Europe, dans les clochers et les vieux cliftteaux. « Toutes les chauves-souris, dit Buffon, cherchent à se cacher, fuient la lumière, n'habitent ([ue les lieux ténébreux, n'en sor- tent (pie la nuit, et y rentrent au point du joiu' pour demeurer collées contre les murs. Leur luouvenieul dans l'air est moins un vol qu'une espèce de vrtiligemeul incertain qu'elles seudilent n'exécuter que par efl'ort et d'une manière gauche ; elles s'élèvent de terre avec peine, elles ne volent jamais à une grande hauteur, elles ne peuvent (|u'imparfaitcment précipiter, ralentir, ou même diriger leur vol ; il n'est iii Irès-rapiile , ni bien direct ; il se fait par des vibrations brusipies d.ins une direction ()bli(|ue et tor- tueuse. Elles ne laissent |ias de saisir en ])assaut les moucherons, les cousins et surtout les pajjillons phalènes (pii ne volent que la miit , ipi'clles avalent, pour ainsi dire, tout entiers. » fout Cf. (pu; HulT'iin dit là du vol de ces animaux est parfaile- nienl juste pour les petites espèces, mais pas du tout pour les grandes. Ces dernières ont le vol très-élev(f, fort rapide, et elles se dirigent dans les airs avec autant el plus de facilité (|ue les (iisca\i\. Oiiant aux petites, si leur manière de parcourir les airs lui a paru oblique et tortueuse, c'est (pi il a pris ces crochets nombreux et rapides pour des résultats du caprice ou de l'imper- fection de l'animal, tandis que réellement ils résultent de la (loursuite incessante qu'ils font aux petits insectes dont le vol est irr('gulier. Mais il est dans les chauves-souris une chose bien autrement étrange que le grand écrivain n'a pas signalée. Dans les cavernes les plus obscures, dans les ténèbres les plus profondes, elles parcourent en volant les nombreuses issues de leur demeure, sans hésitation, sans jamais se heurter contre les angles avancés des ro(Aes ou les parois des soiulires voûtes , et avec la même siîreté qu'un autre animal en plein jour pourrait le faire. Cela vient, a-t-on dit, de ce que les chauves-souris voient dans les ténèbres, et l'on s'est trompé. Tous les animaux nocturnes ont la faculté de concentrer dans leur pupille, très-dilatable, les [dus faibles rayons de lumière, et c'est pour cette raison que pendant la nuit ils distinguent assez les objets pour reconnaître leur route, leur proie, et accomplir toutes les fonctions néces- saires à leur existence. Mais dans une obscurité totale, absolue, dans le nianipie complet de lumière, leur pupille a beau se dila- ter, elle ne peut percevoir des rayons cpii n'existent pas, et, dans ce cas, une chauve-souris est tout aussi bien frappée d'aveugle- ment que tout autre animal. Cependant, ainsi ipie nous l'avons dit , loin de se heurter contre les corps étrangers , elle parcourt toutes les sinuosite's de sa caverne avec la plus grande aisance et sans diminuer la rapidit(' de son vol. i'audrait-il en conclur(î (|u'au fond des souterrains les jilus noirs il pénètre encore ([uehjues rayons de lumière bien faibles, mais sutïisants? Non, et en voici la preuve. On a pris des cliauves- souris, on leur a crevé les yeux, et on les a làelu'es à proximité de leur demeure; elles s'y sont aussitiit précipili'cs et se sont di- rigt'es dans (dus les recoins de leur laliyririthe avec la même l',i- cilité, la même sûreté ipie si elles avaii'ut vu clair! Ces animaux auraient-ils donc été dou('S par la nature d'un sens exprès, ((ue nous ne pouvons ni connaître ni comprendre, parce (|u'il nous manque, et cpii leur donnerait rétoniiaiite fa- cult('de juger la fciruie, la position ou au moins la [Moximilé des objets sans les voir? G. Cuvier a cherché à ce mystère une expli- cation qui ne me paraît pas pouvoir être adoptée sans discussion. 102 LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. «Leurs oreilles, dit-il, sont souvent très-gramles et forment avec leurs ailes une e'norme snrfiice meinbranense, presque nire, et tellement sen-ilile , que les rhauves-soiiris se dirigeril dans leurs cavernes probableuieiit par la seule diversité des impressions de l'air. » Le marin, comme toutes les espèces de son genre, se nourrit uniquement d'insectes. BiifTon dit qu'il est carnassier, qu'il muuge, outre les insectes, de la viande crue ou cuile, fialche ou corrompue, et ipie, lorscpi'd peut entrer (bns une olFi e, il s'allac-lie aux ipiartiers de lard; mais tout ceci e»l au moins fort douteux. La iSocTULE (Vespertilio noctula. Lin. Vesperlih'o prolerus, Kuiil. La Séroline, Cruff. La Nodule, lii FF.) est d'un f.iuve iinirurine. à poils courts et lisses; ses membranes et ses oreilles sont ubsiiires; ces dernièi-es ovales-liiangulaiies, à oreiibm arque; sa léle e.-t large et arrondie. Elle se trouve dans toute l'Europe et exhale une légère odeur de musc. L\ SituoTiNE [VfSiierltlio serotinus, Lm. La Nodule , Cf.off. La Sérotine, Dlff.) diffère de la prece'dente par les poils du dos , qui sont longs, luisants, d'un brun marron vif, plus coiuts sur les femelles; par ses mendiranes noires , et eolin par ses oreillons en forme de cœur. On la trouve dans les creux des vieux arbres, dan^ loule l'Europe. La PirisrntLLE { Vefperlilio pipistrellus, Li.\. et Gml. La /'(/>/- airelle, Buff. et G. Ci.v.), la plus pelile des chauves-souris de la France: les poils du dos sont longs , d'un brun noirûtre; ceux du venire sont fauves; ses oreilles sont triangulaires, et ses oreillons sont presque droits , terminés par une tête arrondie. D'Europe et d'Egypte. Le FvGMÉE {Vespertilio pyifinœus, Leacii. Vcsperlilio mimUu^? MoxTAGu) est la plus petite des chauves-souri.s connues; d'un brun foncé en dessus, gris en dçs'-(uis; oreilles plus courtes que la tête, à oreillon linéaire et simple; queue nue au sonnnet, lon- gue, dépassant un peu la membrane. Dans les troncs d'arbre, en Angleterre. Le Vesi'Ertilion éciiancué (Vespertilio emarginalus, Ceoff.), d'un gris roussfttre en dessus, cendré en dessoLJS; oreilles oblon- gues, de la longueur de la lêle , à bord extérieur éehancré; oreillon subulé. Dans les souterrains en Angleterre, et rare en France. Le VESPEiiTifiON DE Kuiii, (Vespertilio lîuhlii, Natt.), d'un brun rouge en dessus, f.mvt; en dessous; moitié siq)érieure de la face interne de la membrane Interfémorale très-velue; les oreilles très- simples, pres(|ue triangulaires, à oreillons laiges et anpii's en dedans. De Trieste. Le Vesi'Eutii.ign a moustaches (Vespertilio mystacivus , Leisi,.1, d'un brun marron en dessus, plus clair dans la femelle; drux moustaches de poils lins sur le reboiil di; la lèvre su|)éiicMre; oreilles assez grandes, échanrrécs et replii'cs au bord extérieur, arrondies au sommet; oreillons lancéolés D'Allemagne. Le VESr'EiiTU.ioN de Daudenton (f>.sper/i7/o Vaubentonii, Lusl.), d'un gris roux en dessus, blanchâtre en dessous; oreilles pres- (jue ovales, i)clites , presipie nues, à bord externe un peu éehan- cré, le bord interne largement replié; oreillons lancéolés, minces, Irès-petits. De la VVétéravie. Le Vespertii.ion de Leisi.er (Vespertilio Leisleri, Kiiiii.. Vesper- tilio dasycarpos, Leisi,.), à poils longs, de couleur marron à la pointe et d'un brun fonru' à la bas(^; membrane très velue le long des bras; oreilles courtes, à oreillon leiniini! par uik' partie ar- rondie; (pieue dépassant à peine la n)end)rane. D Allemagne. Le VESPEUTn.io.N de ScuttEuiEns (Vespertilio Schreibersii, Natt.), d'un gris cendré, plus pAle en dessous, ipnlquefois mêlé de blanc jaunftirc; oreilles plus courlis ipie la liHc, larges, droites et triangulaires, avec les angles ai'rondiset un rebord iulenie V( lu; oreillon lancéolé, l'ecoiirbé en iledans veis la poinle. Des mon- tagnes de Itann il , d mis les cavernes. Le Ve>pertii ION de NATTrtiER (Vespertilio Naltererj, Kuiu.) d'un gris f.uive en dessus, blant en desSDUs; ailes d im gii> enfumé; meiidirane inleifi'morale feslcniiée; «u'cilles un iieu plus longues (|ue la télé, ovales, assez laiges; oi-eillon lancéoli», plaié sur une proliib'rance de la con(|iie. I) Albmag le. Le Vesi Eit iii.iiiN 1IE lîiciisiEiN (i'f^pertllio Beilisieinii , Lfisi,.), d'un gris roux en dessus, blano eu de-sous: on illes plus longues que la tt'le, arrundies au bout; ul) onillmi en furme île faux, un pi u courbé en dehors vers sa poinle. De l'Allemagne, dans les I roues d'arbre. 2" VESPERTILIONS D'AFRIQUE. Le Vespertii ion df. Nicritik (Vespertilio nir/rila , Gmi,. — Geoff. La Manmilte rolatiti: , Daiii:.), d'un bnin fauve en dessus; d'un fauve cendré en dessous; oreilles du tiers de la longueur de la létc. ovales-triangulaires, à oreillon long et terminé en pointe. Du Sénégal. Le V'ESi'.:KTiLinN de DounnoN (V'Sprrlilio lorbonictis, Geoff.), roux en des-us , blancluMre en dessous; oreilles de m- ilié plus courtes que la UMe, ovales-triangulaiies; oreillon long, en demi- cœur. De l'île Bourbon. 3° VESPERTILIONS D'ASIE. ' Le KiRivocLA (rcspcr/i//o pidus, Lin. Le Muscanlin volant, Daud.), d'un roux jaunâtre vif en dessus d'un jaune sale en dessous; ailes d'un brun mamm, rayi'es de jauur lus courtes cpie la tète, à bord postérieur portant deux pe- tites éihancrures obtuses; oreillon arqué, obtus au bout; mem- brane inleifémorale nue. Du nord-ouest des États-Unis. Le Vespertilio.n sudulé [Vesperlilio subulatus, Sa y), pelage à poils brunâtres à la base, cendrés au sommet; ceux du ventre noirs à la base et d'un blanc jaunâlie à l'extrémité ; membi-ane inlerféniorale unicolore, velue à la naissance, un peu dépassée par la queue; oreilles de la longueur de la (éle, ]>lus longues (jue larges. Des montagnes rocheuses du nord de l'Amériiiue. Le Vespertilio.n phuixeux {VesptrIiUo pruinosus, Sav), il'un brun noirâtre, pi(|ueté de blanc sur les paities anti'rieures; d'un fer- rugineux foncé sur la crou|ie; d'un blanc jaunâlre leine sous la gorg(^; oreilles plus courtes que la tète; oreillons arqués, à ()oiut(^s irès-obtuse.s. De Pen.sylvanie. 10= Genre. Les OREILLARDS (l'kcolus, Ceoff.) ont trente-six dents : quatre incisives supérieures et six inl'érieures; deux ca- nines en haut et en bas; dix molaires à la mâchoire ïuijérieure et douze en bas; leurs oreilles sont très-développées, plus grandes que la tète, et unies l'une à l'autre sur le crâne. L'OiiiiLLARi) [Plecolus comnnmis, Geoff. Vespertilio auritus, Lin. \:Oreillard, Ruff). Cet animal ot une des plus peliles chauves-souris de notre pays. Il e.-t entièrement gris, mais plus foncé en dessus qu'en dessous; on le distingue de tous les animaux de fa classe par l'énorme grandeur de ses oreilles, qui sont presque aussi longues que son corps. On en connaît deux vari('lés : lune, qui habite l'Autriche, est un peu plus grande que la nôtre; l'autre, qui se trouve en Egypte, est au coniraire un peu plus petite. L'oreillard est sans contredit l'animal le plus étrange que nous ayons en France, sous le rapport de la physionomie. Quand il est en repos, ses oreilles se plissent en travers, se raccourcissent, et finissent par recouvrir le canal auditif en di-paraissant pres- que, ou du moins ne montrant que des proportions onlinaires. Cette faculté lui est d'aul^nt jdus nécessaire, qu'il habile nos maisons, nos cuisines même, el se loge le plus souvent dans des trous de mur où ses oreilles le gêneraient beaucoup et serôient continuellement froissées s'il n'avait le pouvoir de les replier à peu près comme les membranes de ses ailes. Beaucouj) plus commun chez nous que la chauve-souris ordi- naire, s'il échap|ic à l'observation, c'est parce qu'il sort plus lard de sa retraite, (pi'il vole avec une rapidité telle, qu'à peine peut-on l'apercevoir dans l'obscurité, outre que ses petites di- mensions favorisent son incognito. 11 marche sur la terre avec plus de facilité (pie les autres animaux de sa famille, et je l'ai vu quelquefois grimper contre de vieux murs avec autant d'agilité que pourrait en mettre une souris. Son vol est très-irrégulier, très-capricieux , et l'on dirait qu'il prend à tâche de ne pas par- _ courir trois toises en ligne droite- il monte, il descend; il tourne à droite , à gauc he ; il va , il revient ; et tout cela par des mouve- ments brus(|ues et anguleux qu'il est presque impossible de sui- vre avec les yeux. Connue la chauve-souris, il est très-curieux ; et si on veut l'attirer en quehpie endroit, il ne s'agit que d'agiter un linge blanc autour d'un bâton : il viendra aussitôt voltiger autour Jusqu'à ce qu'il ait reconnu cet objet étrange ])our lui. Alors , il se remet en chasse et saisit dans les airs les j)lus petits insectes. Ses oreilles monstrueuses ne lui ont pas été données inutile- ment par la nature. Je ne pense pas, comme G. Cuvier, qu'elles lui servent beaucoup pour recevoir les impressions de l'air et re- connaître la présence des corps contre lesquels il pourrait se heurter; mais je crois que le sens de l'ouïe est prodigieusement développé chez lui, parce qu'il remplace jusqu'à un certain point celui de la vue, ou que du moins il lui est un puissant auxiliaire. En effet, comment l'oreillard, avec des yeux très-petits, presque ca( h('s dans les |)oils de son front, pourrait-il, surtout lorscpie la nuit est noire, apercevoir à une certaine distance les insectes dont il se nourrit? Il ne les voit pas, j'en suis persuadé, mais il les entend bourdonner, et alors il se précipite vers l'endroit où son oreille l'appelle, il le parcourt dans tous les sens, y fait mille tours et d' tours, toujours en obéissant à son guide, juscpi'à ce (pie sa faible vue ail découvert l'objet de ses recherches, et (|u'il ail pu le saisir. Eus\nte, il me semble (pie ceci expli(|uerait assez bien l'irre'gularité de son vol, el les mille crochets bruscjucs qu'on lui voit décrire dans un espace quehpiefois très-resserré. L'OuEii. i.Aiii) coR.NU (/Veco/us cornii/us, Fabkr.) est encore plus remarcpiabh; (pie le pri'cédtnt, dont il esl une varii't(', pour la longueur de ses oreilles, qui n'ont pas moins de dix-neuf lignes de longueur, et sont par consiiipient aussi longues que son corps. Les oreillons sont aussi longs que les oreilles, et figurent assez bien une paire de cornes. Son i)elage est d'un noir lavé de brun en dessus, et d'un noir bleuâtre varié de blanc grisâtre sur le ventre et sur la gorge. On le trouve dans le Jutland. L'OitEiLLARi) DE Ti.MOR (l'kcotus UmoHensis , Less. Vespertilio timoriensis, Geoff.) est d'un brun noirâtre en dessus, et d'un brun cendré en dessous: ses oreilles sont grandes, et ses oreil- lons en demi-cœur. Des Molu(]ues. L'Oriiliaud iiE lÎAiiNEsQUE (l'iccolus RaftnesquH, Less. Vesper- tiliu megalotis, Rafin.) est d'un gris foncé en dessus, pâle en des- sous; ses oreilles sont doubles, très-grandes, avec des oreillons aussi longs qu'elles, caractère {]ui le distingue de Pespèce de notre pays. On le trouve aux Etats-Unis. L'Oreii lard un Mauci* (P/c(vi^iS Maïujei , Lrss. Vesperlilio Mau- lOi LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈHES. gei, Desm.) est d'un brun noirâtre en dessus, d'un brun clair en dessous, avec les parties postérieures du corps blanches; ailes grises; oreilles très-larges, à pointe arrondie et écliancre'e exte'- rieurement. De l'île de Poito-Kico. Celui-ci et le suivant appar- tiennent au genre barbastclle. La Baiuiastelle (Plecotus barhastelhix, Less. \'erpertiUo harha- stellus. Lin— Gml.— Geoff.), d'un brun fonce, glacé de fauve; ailes d'un brun noir; oreilles larges, triangulaires, à bord exté- rieur échancré; oreillons très-larges à la base, étroits à lu pointe, recDiirlK's en arc vers l'inlérieiir De France et d'Allemagne. noveboracensis , Penn.), brun en dessus, plus pâle en dessous; poils doux et soyeux; une tache blanche aux épaules; queue en- tièrement prise dans sa membrane ; oreilles arrondies , larges et courtes. De iN'ew-York. L'Atalapiie de Sicile (Atalapha sicula. Rafin.), d'un roux bru- nâtre en dessus et cendré en dessous; extrémité de la (|ueue ob- tuse, saillant de sa membrane; oreilles aussi longues que la tête De Sicile. 18» Gemie. Les MYOPTfiRES (Myopteria , Geoff.) ont vingl-six 1,'Orcillaril. L'Oreillaiui >o:ié {Plecotus velalm, Isiu. Gloii-.), d'un liniii marron en dessus, brun grisâtre en dessous; (lueue aussi longue que le corjis, entièrement prise dans la membrane; oreilles iai- ges, fie la longueur de la tête. Du Brésil. ■17«GF,MnE. Les ATALAPHES (Atalapha, Rafin.). Point de dents incisives; queue plus longue que sa niembraue, ou entièrement prise dans elle; oreilles médiocremeiil écartées, munies d'o- reillon. L'Atai.apiik d'Amérique (Atalapha amerirana , Haï in VeHpn-titio dciils; deux incisives et deux canines supérieures et inférieures; huit molaires supérieures et dix inl'cricures; chanfrein simple et uni; oreilles séparées, latérales, larges, à oreillon interne; queue longue, prise à demi dans la membrane; museau court et gros. Le Myoptère de Dauiienton (Ahjopleris Daubentonii, Geoff. Le Rat volant, Dauh.), brun en dessus; le dessous d'un blanc sale, légèrement teinté de fauve Sa pali-ie est inconnue. l'J' Ge.m'.f. Les NYCÏlGÉLS {Nycticeus, Uafin.) ont deux inci- sives supérieures, séparées par un grand intervalle, appliquées contre les canines , et à crénelures aiguës ; six incisives inférieures tronipiées; les canines sans verrues à leur base, l'eut-étre, quand on les coiinailra mieux , l'aiidra-t-il reporter les espèces de ce genre et (lu suivant dans d .lulres genres. ^ocTILIOl^s. 105 La Nvr.TicitE humêrale (A'i/ca'ceus hunieratis, Kafin.), d'un brun foncé en dessus, grise en dessous, avec les épaules noires; queue presque aussi longue que le corps, très-mucronée; oreilles plus longues que la tête , ovales, noirùlres. Du Kenlucky aux Étals- Unis. La Nycticée marquetée {\ycliceus lessellalus. Hafin.), bai en dessus, fauve en dessous, a collier étroit et jaunâtre; queue de la longueur du corps , terminée par une verrue saillante; ailes ré- ticulées et pointillées de roux; nez bilobé. Du Kentucky. 20« Genre. Les HYPEXODONS (Hijiiexodon, Rafin. Nyctalus, Less.) manquent d'incisives supérieures, et en ont si.x inférieures, échancrées; les canines inférieures ont une verrue à la base; leur museau est nu ; leurs narines rondes, saillantes; leur queue est entièrement prise dans sa membrane. L'IIypexodon a moustaches (Hypexodon mystax, Rafin. Nxjcti- cajus mijstux, Less.) est brun sur le sommet de la tête, fauve sur le reste du corps ; ses ailes sont noires ; sa queue est mucronée ; ses moustaches sont longues ; ses oreilles sont brunes et plus longues ([ue la tête. Il haitite le Kentucky. Les mœurs des chauves-souris d'Amérii|ue sont fort mal con- nues, non pas qu'il serait fort dillicile de les étudier, mais parce que les naturalistes .iinéricains se sont laissés aller aux mêmes préjugés que les noires, et qu'ils regardent comme chose d'une importance très-minime 1 histoire morale des animaux. Et, ce- pendant , de ipielle ulililé serait pour la philosophie de la science la connaissance des faits intéressants et nombreux qui nous sont restés inconnus , simpli'ment parce qu'on n'a pas voulu se don- ner la peine de les observer, ne fùt-co que pour calculer le degré d'influence de l'organisalion sur les habitudes? Maison de Cuvier. LES ÎVOCTILIONS ont les ailes longues et étroites, et deux phalanges à l'index. Leurs molaires sont r('e!lement tubennleuses; leurs lèvres sont Irè.s-grosses; Iciu' tt»le est courte, obtuse; lein- (pieue recoLirlx'e Quel(|ues femelles de relie famille ont de cliaipu' càU- une ]ioclie nuMubraneuse dans laijuelle elles renferment leurs [lelits pour les poiter avec elles. '2I>- Genre. Les DYSÛPES (Dysopcs, Fk. Clv.) ont vingt-huit dents: deux incisives en haut et ([uatre en bas; deux canines à cliacpie mAchoire , huit molaires supérieures et dix inférieures. Le Moops (Dysopes moops, Fr. Crv.) est la seule espèce de ce genre et se trouve dans l'Inde. 2-2= Genre Les NOCTll.lONS (Noctilio, Geoff.) oui vingl-huit dents ; iiualre incisives en haut et deux en bas; deux canines très- fortes à chai|ue m.'iclioire , huit molaires supérieures et dix inb'- rieures. Leur museau est couit , renflé, fendu, garni de verrues; leurs oreilles soni lah'rales et petites; leur nez est simple, con- fonilu avec les lèvres; leuripieue est enveloppée à sa base dans la inendjrane, qui <;st très-grande. Le NocTuiON UNicoi.ORE [Xuclilio unicolor, Geoff. Vespertilio Iciiuriiuis , Lin ) est de la grandeur d'un rat, d'un fauve pile uni- forme. On le trouve dans toutes les parties chaudes de l'Amé- rique méridionale. On en connaît deux variétés: 1» Le Diiisalus, Geoff., cpii n'en diffère que par une bande blanilii'ilrc (|u'il a sur le dos; 2" L'Alhircnler, Geoi f., roussAtre en dessus, blanc en dessous 2r>'' Genre Les MOI.O.SSKS (jMolossus, Geoff.]. Ils ont vingt- huit dents: deux incisives, deux canines, et dix molaires à cha- i«C LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. que mâchoire; leur tête est courte et leur museau renfle; leurs grandes oreilles sont re'unies ou couchées sur la face, à oreiilun extérieur; la membrane interfémorale est étroite, coupée carré- ment, et enveloppe à sa base ou en totalité une longue queue. Le MoLOSSE PÉDIMANE {Molossus clieiropus , Less. Cheiromeh's torqtiatas, Housf. Dysupes cheiropus, Temm.) a vingt et un pouces (0,S6'J) ; son dos est nu ; t]uelques poils épars et rudes lui forment une espèce de fraise sur le cou; son ventre est recouvert d'un duvet court et peu sensible; ses ailes ont vingt et un pouces (0,56!i) d'envergure; sa queue est ridée dans sa paitie libre; les oreilles sont écartées, longues, à double oreillon. De Siam. / Le Molosse dilaté {Mulossus dilalatus, Less Nyclinmnus dila- talus, HoKSF.), d'un fauve noirâtre, plus pâle en dessous, les ailes très-grandes, la (|ueue grêle; la membrane interfémorale formée de fibres musculaires rares De Java. Le Molosse de Rlitel (Molos!'us Buppelii, Less. Di/sopes Hup- pelii, TEm\.), d'un gris de souris uniforme, un peu plus clair en dessous. Il est long de cinq pouces et demi {0,H9), et il a qua- torze pouces si.\ lignes f0,595) d'envergure. Son poil est lisse, serré , (in , long sur les doigts, rare sur le museau ; ses lèvres sont larges, pendantes et plissées. On le trouve dans les souterrains en Egypte. Le Molosse a pou.s iias {Molossm ahrasus , Less. Dijitopes abra- sus, Temm), long de quatre pouces trois lignes (0,115); d'un marron vif et lustré en dessus, plus clair et terne en dessous; ailes noires, de neuf pointes et demi {0,:2.')8) d'envergure; poils très-ras, mais serrés. Du Brésil. .^. Le Molosse ciiÉLE [Mulussus ienitis , Less. Nyclinomus ienuis, lIoRSF. Dysopes Ienuis, Temm.), long de trois pouces neuf lignes (0,101); d'un brim noirâtre en des-us , cendré en dessous, à poils courts, lisses, dou.x ; ades de dix pouces et demi (O.'âSSj d'en- vergure; des soies blanches au bout des doigts des pieds; lèvre supérieure large, bordée d'un rang de verrues. De Java et de Banda. Le Molosse alecto {Molossus alecio, Less. Dysopes a/ec/o, Tf.mm.), long de cinq i>ouces et demi (0,149); pelage d'un noir Irès-bril- lant , imitant le velours le plus fin ; de longues soies au croupion ; ailes d'un pied (0,5i5) d'envergure. Du Brésil. Le Molosse enfumé (Molosms fumarius, Srix. Dysopes ubscurus, Temm.), long de trois pouces trois lignes (0,088); poils de deux couleurs, d'un brun noirâtre eu dessus et d'un brun cendré en dessous; lèvres bordées de soies; ailes de neuf pouces (0,241) d'envergure. De la Guyane et du Bi'ésil. Le Molosse agile [Molossus vclox, Less. Dysupes vehx, Temm.), de trois pouces et quart (0,088) de longueur; d'un brun marron très-foncé et brillant en dessus, i>lus claiiet mal en dessous; un siphon glanduleux au-devant du cou; i)elage lis.se et très-court; ailes de dix pouces (0,271) d'envergure. Du Brésil. Le Molosse mauhon [Molussus rufus, Ceoif.), d'un marron foncé en dessus, clair en dessous ; museau court et très-gros. Sa patrie est inconnue. Le Moi.ossE ooscuR [Molossus obscurus, Geoff), d'im biun noi- râtre en dessus, plus terne en dessous, à poils blancs à leur base. Du Paraguay. Le Molosse noir [Molossus ater, Geoff. ), d'un noir lirillant en dessus. Sa patrie est inconnue. Le Molosse a lom.ue queiie [Molossus lonç/icaudalus, Geoff. Vespertilio mulussus. Lin. Le Miilut vulanl? Biirr.), d'un cendré fauve; (pieue presipie aussi longue que le corjis; une lanière de peau s'étcndant du front au museau. On le croit de la Mar- tinique. Le Molosse a lakce queue [Molossus laUcaudatus, Geoff.), d'un brun obscur en dessus, [dus el.iir eu dc^^ous; queue liordée de chaque côté par un i>rolongement d»; la mend)rane. Du l'aragiiay. Le MoLossB À CROSSE QUEUE (Molossus crassicaudatus , Geoff.), d'un brun cannelle, plus pâle en dessous; queue bordée de cha- que côté par un prolongement de la mendirane. Du Paraguay. Le Molosse a queue enveloppée {Mulossus amplexicaudalus , Geoff. La Chauve-souris de la Guyane, Buff.), noirâtre, moins foncé en dessous; queue entièrement enveloppée dans la mem- brane. Il vole en troupe nonibieuse. De Cayenne. Le MoLOSSK A ouEUE roi.MTUE [Mulossus acuticaudatus , Di.sm.), d'un brun noir, teinté de couleur de suie; queue longue, presque entièrement prise dans la membrane, qui forme un angle assez aigu. Du Brésil. Le MoLdssE CHATAIN [Mulossus casianeus, Geoff.), châtain en dessus, blanchâtre en dessous; un ruban étendu depuis le mu- seau Juipi'au front. Du Paraguay. Le Molosse a ventre buun [Molossus fuscicenter , Geoff. Le second Mulot volant de Bi ff.), d'un cendré brun en dessus, cendré en dessous, avec le milieu du ventre brun. On ignore sa patrie. 2{'= Genre. Les DINOPS ( Dinops, Sav. ) ont trente-deux dents : deux incisives en haut et six en bas; deux canines supérieures et deux inférieures; dix molaires à chaque mâihoire; leurs oreilles sont réunies et étendues sur le front ; leurs lèvres sont pendantes et plissées ; leur queue est libre dans la seconde moitié de sa grandeur. Le Dinops de Cestoni [Dinops Cestonii , Sav.), d'un gris brun en dessus, passant légèrement au jaunâtre en dessous: oreilles grandes, arrondies, à bord externe un peu échancré; ailes et queue d'un brun noir; lèvres, oreilles et museau noirs. Des en^ virons de Pise. 23« Genre. Les STÉNODEUMES [Stenoderma, Geoff.) ont vingt- huit dents: quatre incisives en haut et en bas; deux canines supérieures et inférieures; huit molaires à chaque mâchoire. Georges Cuvier dit ipi'ils n'ont que deux incisives siipi'rieiires. Si cela se vérifie, il faudra reporter ce genre à celui des Molos- sus ou Dysopes. Leur nez est simple; leurs oreilles petites, laté- rales et isolées, avec un oreillon intérieur ; ils mamiuent de queue, et leur membrane est échancrée jusqu'au coccyx. Le Sténouerme roux [Stenoderma rufa, Geoff.), d'un roux châ- tain uniforme ; oreilles moyennes, ovales, à bord externe un peu cchancré. De Surinam et de Cuba. 2G' Genre. Les CÉLÈNES [Celœno, Leach) ont vingt-six dents: deux incisives en haut et (piatre en bas; deux canines à chacpie mâchoire; huit molaires supérieures et inférieures; troisième et ipiatrièrae doigt à trois i)halanges, l'externe à deux; oreilles écartées; oreidons petits; queue nulle; membrane se prolon- \ géant peu au delà des doigts de derrière. Le CÉi.ivNE de Brooks [Celœno Brooksiana, Leacii); dos ferru- gineux; épaules et ventre d'un ferrugineux jaunâtre; oreilles ]ioiulucs, à bord poslc'rieur droit et l'antérieur arrondi; toutes les membranes noires. Patrie inconnue. 27° Genre. Les .ELLO [AUlo, Leacii) ont vingt-quatre dents: deux incisives su[)i'rieures cl inférieures; deux canines en haut et en bas, et huit molaires à chaque mâchoire; leurs oreilles sont rapprochées, courtes, très-larges, et manquent d'oreillon; leur troisième doigt a quatre pliaiaiiges, le (pialiièuie et le cinquième chacun trois; la ipieiie, formée de cinq vertèbres dans sa partie visible, ne dépasse pas la membrane, (jui est droite. L'.Ei.io DE CuviER [Aillo Cuvieri, Liacii), d'un fauve ferrugi- neux; oreilles un jieu tronquées au bout; ailes d'un brun obscur. S,i ])alne est inconnue. 2K'^ Cfnre. Les SCOTOI'IIII.F.S (Srutaphilus, Leacii) ont trente dents: ipiatre incisives su|ii'rieures et six inférieures; deux ca- nines en haut et en bas; huit molaires à chaque mâchoire; le ROUSSETTES. i«7 troisième, le quatrième et le cinquième doigs des ailes ont trois phaljiiif^es cliaruii. y Le Scoroi'iiii.E de KriiL {Sco'npliilas fiuhlii, Liai ii); pelage ferrugineux; ailes, oreilles et nez bruns. Sa patrie est inconnue. /' 29"^ Ckmif.. Les NYCTINOiVŒS (!V!jcHnomus , Ciori.) ont trente (lents: deux inri>ives supi'rieurts tt quatre inferiein-es; deux canines en haut et en lias; dix molaires àclia(|ue niàclioire. Leur nezestpl.it, cimfondu avee les lèvres; relles-ci sont ridres et profondément fendues; les oreilles .sont eourlièes sur la lares gr.indes , à or(illon extérieur; la (pieue est longue, à demi eu- vel ippee à sa base par la membrane, tiui e>.t moyenne et sail- lante. Le NvniNOMK u'Écvrir (A';yc//nnmiis œçiypliacus, Cf.oif. Duso- pcs Cilf.vijii, ÏE.\]M.) isl roux en de>sus, bnni en dessous; (jueue grèle, à moilif! enveloppi'e dans la membrane, qui n'a point de bride membraneuse. Eu Égyple , dans les souterrains. Le N'vctinome un Poiit-Lol'is [NijcIiiKnnus acelabulo>ius, Geuff.), diui brun noirâtre; (jueue enveloppée aux deux tiers parla nuMubrane inlerfemorale. De lile de France. Le iNYr.TixoME du Uengale (Nijctinomus bengalensis, Geoff. Ves- pnlilio pUcatus, Bucii.), remarquable par sa (pieue assez grosse, à moitié envebippée par la membrane, ([ui a des brides membra- neuses. I)n Bengale. Le Nvf.TixoME DU liinisiL {Nijctinomus hrasiliensis, Isid. Geoff.) est long de trois ponces onze lignes (O.IOG); d'un cendré teinté de brun noir on de brun f;iuve en dessus, plus gris et moins l'oui;é sur le ventre ; un peu plus foncé vers la poitrine ; quel(|ues poils raris sur la première moitié de la queue prise dans la membrane. LES ROUSSETTES ont les molaires bru>quement tidjerculeuses, d'où il résulte que ces animaux sont frugivores; les ailrs sont arromlies, avec le doigl index à trois phalanges ; leur léte e>l longue el velue ; lu-di- nairemerit elles n'ont ni queue ni membrane iulerfé(uoi'ale. La plupart des femelles ont des poches dans lesquelles elles portent leurs petits. i/^ôO" Genke. Les ROUSSLTÏES (Picrof.us. Biuss.) ont Irente-ipia- tre dents : (piati-e incisives en haut et en lias; deux canines Mipé- rieures et inférieures ; dix molaires à la ma boire supérieure et douze à l'inf rieure; leur tète est conii|ue; leurs oreilles curies ; elles ont un petit ongle au dnigt index de I aile; leur ipieue est nulle ou ruiliuu'iitaire, et leur membrane inlerf iTlorale très-peu apparente. Ce sont des animaux d'une taille assez grande. 1= ROUSSETTE SANS QUEUE. V Le Kalong {Pleropus jaranicus, DEhji.) a les ailes de cinq pieds (l,G2l) d'envergure; il c^l noir, excepté sur le dessus du cou, qui est d'im roux enfumé; il a ipiolipies [loils blancs mêlés aux autres sur le dos. On le trouve dans lile de .lava, et il a les niéiTies mœurs que l'espèce suivante, dont peut-être il n'est qu'une variété. i^a Roussette {Ptnropus vuli/aris, Geoff. La Ruusselle, Rui e. Le Chien volant , Daub). Quoiqm' moins singulier dans ses formes ipic la |iluparl des chauves-souris, cet animal n'en est pas moins un des [dus extraor- dinaire que l'on connaisse; il est brun ou d'un brini marron en dessus, d'un fauve ronssAtre à la face et aux côtés du dos, d'un noir foncé, ou rpiebiuefois marron, en dessous. Son corps a envi- ron un pied (0 5ij) de longueur, et ses ailes ont une Irès-graïule envergin'e. Une des premières bizarreries de la roussette est que la fe- melle, qui a ses deux mamelles sur la poitrine, est sujette il cer- taines incommoililés pi-riodiques des femmes et de quelipies fe- melles de quadrumanes. En outre, plusieurs espèces de cette famille ont de cluKpie roté du corps des sortes de podies mem- braneuses dans Icscpielles elles jilacenl leurs petits pour les transporter aisément pendant qu'elles volent; car elles ne s'en séparent (pie lors<(u'ils sont assez grands pour pouvoir remplir eux seuls et sans secoms to:iles les fonctions de l'animalité. Longlemjis même après et lie ('poque elles les guident on les suivent, les aidant de leur vieille expérien( e. Il résulte de celte ha- bitude (|ue ces animaux vivent en société, et (pion les rencontre 11' plus ordinairement en grande trouiie. « Les anciens , dit Rull'on , connaissaient imparfaitement ces (piadrupèdes ailés, qui sont des espèces de monstres, et il est vraisemblable que c'est d'après ces modèles bizarres de la nature (pie leur imagination a dessiné les harpies. Les ailes, les dents, les grill'es, la cruauté, la voracité, la saleté; tous les attributs diU'ormes, toutes les faillites nuisibles des harpies, conviennent assez à nos roussettes. Hérodote parait les avoir indi(piées lorsipi'il a dit qu'il y avait de grandes chauves-souris qui incommodaient beaucoup les hommes ipii allaient recueillir la casse autour des marais de 1 Asie; qu'ils étaient oblig('s de se couvrir de cuir le corps et le visage pour se garantir de leurs morsures dange- reuses. » Ces animaux sont plus grands, plus forts, et peut-être plus méchants que le vampire; mais c'est à force ouverte, en plein Jour aussi bien ipie la nuit , ([u'ils font leurs dégftts; ils tuent les volailli s et les petits animaux; ils se jettent même sur les hommes, les insultent et les blessent au visage par des morsures cruelles, et aucun voyageur ne dit qu'ils sucent le sang des hommes et des animaux endormis. » Ceci , comme on le pense bien, est fort exagéré, et je ne crois pas qu'aucun voyageur moderne ait vu atta(|uer Ihomme par des roussettes. Ces animaux vivent principalement de fruits; néan- moins ils dévorent aussi de petits mammifères et des oiseaux. Ils peuvent très-bien poursuivre ceux-ci dans les airs pendant le jour, car ils supportent sans iieiiie la lumière, ipioique le plus souvent ils ne sortent de leur retraite ipiau rri'puseule. Les roussettes sont généralement farouches; elles n'établissent leur domicile que dans les lieux les plus sauvages des forêts, où elles se suspendent aux branches des arbres par leurs pieds de derrière à la manière des chauves-souris. Le Mei.anou-Hoiihou (Pleropus edulis , Péron) a quatre pieds (1,2j!)) d'envergure; il est entièrement noiritre, avec le dos cou- vert de poils ras et luisants. 11 se trouve dans les Molmpies, el n'habite que les cavernes les plus ténébreuses contre Ihabilude des autres roussettes. Les habitants du pays lui font activement la chasse pour le manger, et trouvent .sa chair délicieuse. Les Eur«>|)éens ipii en ont goùlé la comiiarent à lelle du meilleur lapin (le garenne. y La Roussette d'Edwaiius (/'/eropus Edwarsii, Desm. La grande Chauve-souris de Madagascar, Edw. Vespertilio vampirus , Linn.) n'est peut-être, comme le pense Temminck, qu'une variété de la préci'dente. Son pelage est dun brun marron sur le dos, d'un roux vif sur les eiUés, et d un briiu clair sur le ventre. De Ma- dagascar. , La Roecettë (Pleropus rubricollis, Geoff. Vespertilio vampirus, Li.NN. La Roagelle, Ruff. La Roussette à collier, G. Cev.) a deux l)ieds (U,K>0) d'envergure; elle est d'un gris brun, avec le cou ios LES CARNASSIERS CHÉIROPTÈRES. rouge. Celle espèce habite l'île de Bourbon , où elle vit dans les arbres creux. ^ Le Famhi (Pleropus Keraudren, Quov el Gaim. C'est le Poé des îles Carolines). Il est singulier que dans l'ile d'Oualan cet animal était nomme' par les habitants Ouoy, c'est-à-dire (lu'il portait le même nom que le naturaliste qui l'a décrit le premier. 11 est noi- râtre , avec le cou, les épaules et le derrière de la tête jaunes. 11 a les oreilles courtes et noirâtres. On trouve le fanihi depuis les îles Pelew jusqu'aux Carolines orientales. Il vit en grande troupe dans les forêts, où il passe le jour suspendu au.x branches mortes des arbres. La RoLSSKTTE DE DussuMiER [PleToiius Dussuiiiieri , Is. Geoff.) est voisine de la précédente , mais elle en dirtêre par la couleur brune de la gorge et du devant du cou ; le ventre et le dos sont rées qu'elles obscurcissent l'air de leurs grandes ailes , qui ont quelquefois six palmes d'étendue. Elles savent discerner, dans l'épaisseur des bois, les arbres dont les fruits sont mûrs; elles les dévorent pendant toute la nuit avec un bruit qui se fait enten- dre de deux milles, et, vers le jour, elles retournent dans leurs retraites. Les Indiens, qui voient manger leurs meilleurs fruits par ces animaux, leur font la guerre non-seulement pour se venger, mais pour se nourrir de leur chair, à laquelle ils préten- dent trouver le goùl du lapin. « Si le badur n'est pas cette chauve-souris, du moins il est cer- tain (pie comme elle il vit en troupe, dévaste les vergers, et a une chair que les habitants estiment beaucoup. La Roussette i>e Leschenal'i.t {Pleropus Lcschenuultii , Desm.) a un pied et demi 'O.'iH") d'envergure; elle est d'un fauve cendré La Roussette. bruns, mélangés de poils blancs; la partie supérieure de la poi- trine est d'un l)run roussâtre; les c6tés du cou, depuis le bas des oreilles jus(|u'aux épaules, sont d'un fauve un peu roussatre. Sa longueur totale est de sept iiouces (0,1 8'J), et ses ailes ont deux pieds trois pouces (0,751) d'envergine. Elle est du continent indien. La Roussette grise {Pteropus griseus , Geoff.) a un pied six pouces (0,/»87) d'envergure; elle est grise, avec la tête et le cou d'un roux vif. Elle est de Timor. Le lÎMiMi [Pleropus médius, Ti;mm.) a quatre jiieds et demi (1,401) d'envergure; la tète, l'occipul, la gorge sont d'un marron noirâtre ; le dos est noirâtre , li'gcreraent teinté de brun ; la nuipie est d'un roux jaunâtre ; les côtés du cou et les parties inférieures sont d'un riiux brun feuille-morte; les ailes sont brunes. Les In- diens lui font une chasse active. Le badur habile Calcutta, Pondichéry et d'autres parties de l'Inde. Les voyageurs l'ont généralement confondu avec le me- lanou-bourou, (pioiqu'il n'ait pas les nuîmes habitudes. Je crois que c'est à cet animal qu'il faut applicpier ce passage de VHis- toire générale des voyages : « On voit sur les arbres une infi- nité de grandes chauves-souris qui pendent allaclu'cs les unes aux autres sur les arbres, et (pii prennent leur vol à l'cnln'c de la nuit pour aller chercher leur nourriture dans lis bois fort éloignés; elles volent queUpiefois en si grand riouibic et si ser- tiniforme en dessus, un ])eu blanchâtre en dessous; on lui voit quelques points blanchâtres à la base des membranes des ailes. Elle a une queue ? Elle habite les environs de Pondichéry. La Roussette a face nouie {Pleropus plia'iups, Temm.) a le corps ipoderma Peronii et Cephaloles Pe- ronii, GtoFF.) a deux pieds (0,650) d'envergure; elle est brune ou rousse, à pelage court, et elle manque d'ongle à l'index. I>e Timor. - 52" Genre. Les M.ACROGLOSSES (Macroglossa . Fr. Cuv.) ont trente-quatre dents : quatre incisives et deux canines en haul et en bas, dix molaires à la mâchoire siipéiieure et douze à l'infé- rieure; leur tête est extrêmement longue, leur langue e.xtensible. \. Le Lowo-Assu [Macroglossa kiodoles et Hors/irldii , Fr. Cuv. Plernpus mini mm tt rcstratux, Gioff.); tête fort allongée; ailes de dix pouces (0,271) d'enverguie; pelage laineux, d'un roux vif en dessus et terne en dessous, ou d'un biiin pâle iinifurnie pas- sant au gris isahelle ; point de (puue; langue lrès-exte^^il)le, pouvant s'allonger île deux pouces. Elle habile Java , où , dil-on , elle se nourrit de fruits ; mais sa longue langue annonce aussi qu'elle altacpie les petits insectes. ôô" Genre. Les CYiNOPTÈRES (Cynnpterus, F«. Cuv.) ont quatre incisives et deux fausses molaires rudimentaires à cha(|ue mâ- choire , comme les rous^eties, mais ils mauipient enlièieiiieiil de dernières molaires ; leur lêle a de la resseuddauce avec celle des céphalotes, et leurs mâchoires sont raccourdes. Le Cynoptèke a oueilles doudées ( Cynopterus marfiinalim , Fr. Cuv. Pleropu': marginalus , GcoFr ) a onze pouces (0,208) d'en- vergure : il est d'un brun olivâtre, à poils courts et ras; il a 'ui liséré blanc autour de l'oreille. Du Bengale. 3i= Genre. Les CÉPHALOTES (Cephalotef, Geoff. llnpijn, Ii.i.ic. — Less.). Elles ont vingt quatre dents : deux ineMves en haut et point en bas; deux canines à chaciue mâchoire; huit luolafres supérieures et dix inférieures. Ce genic ne dilTi're des h,V|ioiler- mes (pie i)ar le manque des inci^ive^ inférieures et des deriiièies petites molaires en haut et en bas. Si , comme le pense M. Geof- froy, ceci n'est que le résultat du jeune âge, il faudra rejiorler re.-^pèce sur laiiuelle ce genre est fondé à côté de l'hypodcriiie de Péron. La Cépii.mote .\ oreu.i.es iîtroiies (Céphalotes leniotis, li.riN.) est d'un gris brunâtre; la moitié de sa queue est libre; elle a une verrue entre les deux incisives. Elle habite la Sicile. Appartient- elle à ce genre? , . La Cépiialote de pAi.r.AS (Cephaloles Pallasii, Geoff. Harpija Pallfisii, Ilmg. Vespertilio cephaloles. Pâli.. — Li.n. Cepha'oles l'ai- lasii, Gr.OFF. Ln Céplialole, Bfff). Elle est d'un gris cendré en dessus et d'un blanc pâle en dessous , à poils rares et doux ; ses ailes ont quatorze pouces (0.37'.t) d'envergure, et l'index est muni d'un ongle. Elle habile les Molui(ues. , 53" Genre. Les PACIIYSOMES [Pachysoma, Geoff.) n'ont que trente dents; quatre incisives et deux canines en haut et en bas; huit molaires à la mâchoire supérieure et dix à l'inft'rieure ; corps lourd et trapu; museau gros; manu-tlcs placées sur la iioilriiie et non sur les côtés au-dessous de l'aisselle. Le B\T(EAUWEL (Pachysoma melanocephalus, Isid. Geoff. Pleru- pus melanocepha'us , 'rr.M.M.) a deux pouces dix lignes (0,077) de longueur, el ses ailes ont onze pouces (0 2'.i8) d'envergure ; ses poils sont d'un blanc Jaunâtre à la base tt d'un cendré noirâtre à la piiinte; sa tête est noire, el le dessous de son corps est d un bhuK^jauiiàlre el terne; une humeur odoiante suiiile de cliaipic côté de son cou. Dans les miinlagiies de lianlam a 1 Ile de Java. Le Pacuvsome «lASiMiurùVRE {Pachysoma liithœclieilus, Is. Geoff Piciopus lillhaicÂeilus, Te.mm.) est long de cimi pcnices 0,155), et ses ailes ont environ dix-huit pouces (0,487) d'envirgure; ses ])()ils, li>ses et tins, divergent .'•ur les eôli'S du cou; le mâle a le dos d'un brun rous.'-âtre; la lèle el les côtés de la p:iitrine sont roux, devenant orangés ([Uiind l'animal vieillit; un lisc'ié blan- châtre borde les oreilles; son ventre e.^tgris; la femelle, qui est un peu plus grande, est olivâtre, teinlée de roux sur les eôt(S du cou; la ((iieue a sepl lignes de longueur. On le trouve à Siam, dans la Coehincliine el d.ins les Iles ih' Java el de Sumatra. Le PaCiiyso.me de Duvaucel (l'iichyfoiua Uuvauceld, Geoff.) est long de trois [louces un quart ^0,088); son pelage (■^t d'où laove bniiiâlre uniforme; pou.e de l'aile fort allongi', pris tri grande partie dans la nieiiibraiie; queue ccmrle, ne d pa^sanl la mem- brane (pie de trois ligiKS (0,007). De Sumatra. Le I'ai iivsoME DE DiAKi) {Parliysoma D'Uidii , Gkoff.) est brun sur la télé, le dos ei les bras, gris autour du cou d sur le miliiu du ventre; d'un binn grisâtre sur l< s flancs; s-a longueur lidale est de quatre pou plus court et plus l'acile |)our le contraindre à se déve- lopper. Ils le jettent tout simplement dans l'eau, et le pauvre animal , pour ne pas se noyer, est bien force' de s'étendre et de iiagci'; du' reste il esl habile à cet exercice, et de lui-même il se met à l'eau pour traverser des ruisseaux et des rivières assez larges. Qiiebpicfois les paysans, (pii mangent sa chair, toute fade et détestable (pi'ellc est, ont la cruauté de le plonger vivant dans 112 LES CARNASSIERS INSECTIVORES. de l'eau bouillante , afin d'avoir la facilité de le dépouiller. La peau servait autrefois de peigne pour séraneer le chanvre. Le hérisson met bas du conunencement à la fin de juin , et les petits prennent à peu près tout leur développement dans le cours d'une année. Ils se nourrissent de fruits quand ils en trouvent, mais plus ordinairement d'insectes, comme hannetons, géotrupes, sauterelles, grillons, etc., et même de cantharides par centaines, sans en éprouver aucun inconvénient; ce qui est d'autant plus singulier, qu'une seule cause des tourments horribles aux chiens et aux chats, et que trois ou quatre tueraient certainement un homme. Ils mangent aussi la chair des cadavres d'animaux, et principalement la cervelle. Avec leur nez ils fouillent la terre figure de Seba (tab. SI, fig. l), et pourrait bien n'être pas suffî- samment authentique. II a huit pouces (0,217) de longueur; son museau est court, ainsi que ses oreilles, qui sont pendantes; ses piquants sont très-longs, parallèles, ce qui lui donne un peu de ressemblance avec un porc-épic. 11 serait de la presqu'île de Ma- laca, et on le trouverait aussi à Java et à Sumatra. Ses mœurs ne différeraient pas de celles du nôtre. 2= Genre. Les MUSARAIGNES {Sorex, Li.n.) ont trente dents : deux incisives à chatpje mâchoire, dont les supérieures moyennes, crochues et dentées à leur base; point de canines; seize molaires en haut et dix en bas Leur corps est poilu, sans piquants; leur Le Hérisson. pour en arracher les vers, dont ils sont très-friands, ou pour y trouver (pielipies racines, qu'ils mangent faute de mieux. D'un caractère timide, le hérisson aime la vie solitaire et trampiillc; au.ssi s'approche-t-il rarement de nos habitations. S'il y est ap- porté, il y vit et paraît s'accoutumer assez bien aux habitudes domesliipies ; mais il ne s'attache à personne, et, tout en cessant d'être farouche, il ne s'apprivoise jamais , et ne manque aucune occasion de reconquérir sa liberté. On doit regarder comme de simples variétés de celte espèce : Le Hérisson d'Egypte (Erinaceua (rfiyptiacus , Geoff.), qui ne s'en distingue (pie par les jioils de dessous son corps, qui sont bruns quand il est adulte, au lieu d élie d'un blanc rou.ssAtre; — le IIi'.iiissoN m; SniÉRiF. [l-'rhiarrns Siihiricus, Eu\i..), animal dont l'existence est douteuse, et (jui différerait du nôtre par ses oreilles plaies et courtes, par ses piquants roux à la base et jaunes au sommet, cnnu par la teinte d'un cendré jaunâtre des poils de dessous. Le Hérisson a lon(;i;i;s oui ii lis [F.rinaccus aurilwy, I'am . — ScHRtn. — G. (;uv.), plus petit (|ue le nôtre; ses piquants sont cannelés longitudinalement et tuberculeux sur les cannelures, et non plantés en quinconce comme dans le hérisson d'Europe ; <à museau court, et oreilles gramles comme le< deux tiers de la las moins de six à huit petits. On ])rétend qu'elle fait trois ou quatre portées par an. On la trouve partout, mais je ne l'ai vue très-commune nulle part. Les espèces qui vont suivre ont toutes à peu près les mêmes mœurs. La Musaraigne cabrelet (Sorea; tetragonurus, Herm. ) a de lon- gueur, la queue comprise , trois pouces neuf lignes (0,101); elle (■>! noirâtre en dessus, d'un cendré brunâtre en dessous; ses '^r^4K\^^^ La Musaraigne d'eau et la Musaraigne de terre. ses ennemis, car elle court mal et y voit à peme. Les pelils car- nassiers la tuent, mais ne la mangent pas; du muins les chats luoiitrent pour elle une grande répugnance, qu'il faut sans doute attribuer à la forte odeur qu'exhalent ses glandes. Lorsque bs aj)proches du froid commencent à dépouiller les Iiois de leur verdure, la musaraigne, ne Irouvant jibis d'inscctts, gagne ses logements 'd'hiver, et se rclirejdans les granges, les greniers à foin, es écuries et aulres parties de nos ii.diil.ilion-;, où clic trouve pour .se nourrir (pielques grains ('garés, et parfois des débris de cuisine. Je ne crois pas (lu'elle s'eugourdi.sse pen- dant la mauvaise saison, au moins quand les gelées ne sont pas très-rignureuscs, car j'en ai vu plusieurs fois se promener sur la ucge. oreilles sont courtes, sa queue est longue ctMoiit à fait carrée. On la trouve en France dans les granges. La iMisAHAiG.NE RAYÉE {Sovcx liiieatus, tiEon.) a trois pouces six lignes (0,093) de longueur totale ; elle est d'un brun noirâtre en d(s>us, plus pâle en dessous, avec la gorge cendrée; elle a une pilile^ligne blanche sur le chanhcin , il une lâche sur chaque ■ ^^^fel■,. oreille; sa (pieue est ronde, fortement larém'e en dess(uis. On la trouve aux environs de Paris. La Musaraigne pi.aron {Sorex cuasirictus, Hicrm. Sorex cuniru- larius, BicciisT.) atteint quatre pouces (0,108) delonguein- lotale; elle est d'un noir ei'nt longue de ([iiatre pouces ipialre lignes (0,117) la queue eouiprise; elle est Ijriine sur le dos, avec les flancs et le dessous blancs; sa queue est un peu cariée^ On la trouve aux environs de Strasbourg. La Musaraigne naune (Sorex minimus, Pall.) n'a pas plus d'un pouce huit lignés (0,0i5) de longueur totale; elle est brune; sa queue est ronde, étranglée à Sii biisi'. Elb' se troine en Sibérie et en Silesie. La MisAiiAiG.NE 1)1; Toscune (Sorex elruscus, Savi) est un peu plus grande que la précédente et atteint trois pouces (0,081) de longueur totale ; elle est d'un gris cendre, blancliftlre en dessous; ses oreilles snnl arrondies; elb' a la ([uçue niediocreuienl longue, grêle, et un iicu carre'e. On la trouve dans les racines et les sou- i-hcs des vieux arbres en Toscane. En bivcr, elle se rapproche des habitations, et se retire dans les las i]o fuuiier, où elle trouve à la fois de la chaleur et des insectes pour sa nourriture, La MiSAiiAitM; d'eau [Sorex fuJiens , Gmi,. Sorex Daubentonii , (iEOFi-. — Eiixi.Eii. Sorex carinatus, IIi;iim. Le Greber, VicQ-u'Azïii. La Musaraigne d'eau, ISuir. — G. Cuv. Voir la figure (;n avant dans notre gravure) est noirâtre en dessU», blanche en ilessoiis; ses doigts sont bordés de poils roides qili lui aident à nager ; sa qiu'ue est carrée, un peu moins longue ipie le corps. Dau!)enton esl le jirciuier naturaliste qui ait l'ait connaihe In musaraigne d'eau, et cepemlant elle esl beaucoup plus commune aujourd'hui que la musette, ([ui est connue depuis la plus haute anti(piité. Quoiipie \ivant iiabituellemcnt sur le bord des eaUx, pics(iue dans leur sein , elle n'a pas les pieds palmés, mais ils siuit garnis de cils roides, en éventail, ipii reui|dacent les mem- branes luterdigilaics, et lui donnent beaucoup de faciliiéà nager. Aussi passe-t-elle une grande partie de sa vie dans l'eau , où elle poursuit avec beaucoup d'agilité les insectes aquatiques, dont elle fait sa principale nourriture. Elle plonge avec autant d'ai- sance (pi'ellc nage , et , comme elle a l'oreille large et courle, la nature lui a donné la faculté de la fermer liermétiijuemeni cpiand elle s'enfonce s(jus les ondes; elle ouvre et ferme à volonté trois valvules qui répondent à l'hélix, au tragus et à l'antitragus, de manière (pi'il ne peut s'introduire la plus petite goultc d'eau dans son oreille. Du resie, toutes les espèces de ce genre jouissent de la mOuie faculu'. Ce petit animal iiabile des trous qu'il sait se creuser dans la terre, sur le bord des ruisseaux, au moyen de ses ongles et de son nez , mobile comme celui d'une taupe , mais beaucoup plus mince et plus allongé, et ressemblant a une pclile trompe. Quel- quefois, pour é\ lier la iiciue de .se l'aire iiiic demeure , il s'empare du terrier aiiaudonué d un rat d'eau, ou même il se conicule d'une fente de rocher ou d'un trou entre deux |)ierres. Il a juii d'ennemis, et les carnassiers ne l'attaquent Jamais, parce (pie l'odeur de ses glanilos leur répugne et les écarlc 11 n'a guère à craindre cpie la voracité des brochets et des truiles, qui liabileiit comme lui les eaux limpides el le iiappcnl ipieltpufoisaii jjassage. I.a nuisaraigne d'eau n'e^l pas un animal nodurnc; cependant elle rentri' dans son trou nUssitrtt que le soleil .«e lèvi' sur l'ho- rizon , el elle n'en sort qu'au crépusc ule piuir aller à la chasse. Quelques naturalistes pensent que, lorsfpi'idle luanipu' d'insectes, '■Ile se n(nnril de graines; mais ce fait me parait lrcs(louliu\. .le suis cerlain, par mes propres observations, qu'elle allaqiie les Jeunes écrevisses, les crevettes, les i)etits poissons, et même d'assez gros reptiles. Et en voici la preuve : In jour, sur le bord d'une fontaine, (hms les bois de Meiidon, luiui alleiition fui captivée par le singulier ciMobat d'une musarai gue d eau et d'une grenouille aii.ssi grosse qu'elle. Le petit inaïu- niilcre mêlait gli.ssi' doucement parmi les herbes pour surprendre sa proie, el il était parvenu à la .sai.sir par une patte. La grenouille, Be sentant prise, voulut se jeter à l'eau , croyant par là se débarras- ser de son antagoniste ; mais celui-ci se cramponnait de toutes ses forces avec ses quatre pattes à tous les corps auxquels il pou- vait s'accroiiier, et la pauvre grenouille, malgré la violence de ses inouvemenis convulsifs, a\ail bien de la peine à l'entrainer vers l'élément perfide, où elle espérait le noyer. Elle y parvint néan- moins peu à peu , et bientôt ils roulèrent tous deux dans les (uides, dont la transparence me pennetlail de voir parfaitement la suite de celle bizarre lulle. La grenouille entraîna d'abord son ennemie au fond de l'eau, mais la musaraigne ne lâcha pas prise, et [larvint à la ramener à la surface. Dix fois de suile ils s'enfon- «èrent et revinrent au grand jour, sans que le reptile se lassât de recommencer la même manœuvre, et sans ([ue le mammifère lâchât la patte dont il s'étaitsaisi. CependanI, par un mouvement brusque et heureux, la grenouille ))arvinl tout à loup à se dé- barrasser; elle |dongca subitement dans la vase, troubla le fond de l'eau, et se déroba ainsi aux yeux de son ennemie, qui l'avait suivie avec rapidité. Je les perdis un instant de vue tous les deux; mais la musaraigne ne larda pas à reparaître sur l'eau pour res- |)ircr, et j'observai ses petites manœuvres avec le plus grand intérêt. Soit pour se reposer, suit pour donner à l'eau le temps de s é- claircir en déposant le limon que la grenouille avait soulevé, elle resta dans luie parfaite immobilité ]iendant cinq minutes; puis, lorsqu'on pul voir le bmd de la fontaine, elle se mit à nager en regardani en bas et en décrivant des cercles, absolument comme un l'aucun (|ui guette sa proie en lournoyanldans les airs. Plu- sieurs fois elle plongea, cl je la vis parcourir le fond en cherchant avec beaucoup de soin ; mais probablement (pie la grenouille s'était cachée profondi'inent dans la vase, car elle ne put la dé- couvrir. (;e fait prouve sulllsainment, ce me semble, ((ue la musaraigne d'eau est carnassière ) et que son courage est i)roportionné à ses forces. En détruisant le frai du poisson, elle peut faire quelque (h'gâl dans les étangs dont elle peu|ilc les bords en grand nom- bre. Elle met bas au |irinlciirps, et peut-être encore dans d'antres saisons de l'année, et elle ne fait pas moins de douze à (piinze petils par portée, ce qui explique fort bien pounpioi elle est si nombreu.se le long des ruisseaux et des rivières dont les eaux lui plaisent. Elle s'engourdit pendant la mauvaise saison , car, même dans les lieux où elle esl extrêmement commune, je n'en ai ja- mais rencontré en hiver. On la trouve dans toute la France. La MusAiiAic.xE roRTE-iiAME (SoTcx Temifcr, Geofe.) est d'un brun noirâtre foncé en dessus, d'un brun cendré en dessous, avec la gorge d'un cendré clair; sa (jiieue est carrée à sa base, et cora- |u'iméc vers son extrémité. On la lrou\e en France, parlicnlière- mcul dans les environs d'Abbeville, siu' le bord des eaux. Elle a, ainsi (pic la suivante , les mêmes liabiludcs ipu; la musaraigne d'eau. La Ml :sAiiAi(;xE Aix ivents uolges [Sorex rubriJcns) a de l'aHinité avec la préc('d('nlc, mais elle est |)lus petite ; ses dent."! sont d'un rouge vif à leur exliémilé; la mâclioirc iuh'iieurc e.ît un peu plus longue; les quatre pieds et la ipieuc sont noii's , cl la tarhc de l'oreille est, non i)as loussâtre, mais d'un blanc i)ur. .l'ni eu sous les yeux plusieurs individus d'âge cl de sexe diflércnts qui m'ont coufiriiu! les ciuijeefures de M. Is. Geoll'roy. Elle habile la France. La Ml sAUAicxE A ((M I lEii lu Axc [Sorcrcollaris, Giiu r.^ esl noire, avec iiii cidlicr blanc autour du cou. Elle habite les petilcs iics de l'embouchure de la Meuse et de lEscaul , où elle parait assez commune. *• MLSAI'.AIGNES EXoTigUES. La MisARAicNE A coLiiTE QUEUE [Sorex brevicaudalu^, Sav), d uil noir plombé en dessus, plus pâle en dessous ; oreilles très-larges, blanches, cachées par les pdils de la têle, el ayant deux demi- cloisons; sa queue est prcsipie nue, déprimée; ses pieds sont DlOUOiNTES. 115 iinnes d'ongles aussi longs que les doigts. Celle esiièce est aqua- tique, et elle habite les leiiiers sur les bords du Missouri. La PETiTR MiisAnAiiJNE {Sorcjoparvus, Say. SoreX personalus, l>, Okoi'I-.) est d'un brun cendre en dessus et seidemenl cendrée en dessous; sa queue est courte, un peu reullee vers son milieu, presque eylindrii[ue, et blanchiUre en dessous; ses dents sont noiriltres et ses ongles blancs. Comme la précédente, elle habite le Missouri. La MusAiiAifiM: lus i'Imie {Sorex indicuf: , Ceoi-v.) a le pelage court, ras, d'un gris brun en dessus, teinté de roussftire en des- sous; sa ipieue est ronde, de la longueur île la luoilié du corps. Llle habile les maisons à l'ondicliéry et à Tranquebar, Llle e\hale une odeur de muse forte et assei: désagréable. La MusAiiAir.NE vu: Cap [Sorex cnpensis , (;i;orr.) a beaucoup d'a- nalogie avec celle de llude, mais elle en didère en ce qu'elle est plus grande, en ce cpi'elle a la (lueue rousse, bcaucoiiii (dus lon- gue, n'étant que moitié moins longue que le corps, entin en ce quelle a le museau plus long et plus eflilé. Elle a trois pouces huit lignes (0,(190) de longueur, non compris la queue , (jui a un (louce Tieuf lignes (0,0i7). Du C:i[> ou de lile de France. Peut-être n'est-ce (|u'une variété. La MisAR.Mi.NE i:\it.LE {Sorex exiiis , Pail.) est de Irès-iietite taille ; on la reconnaît aisément à sa cpieue ronde et très-épaisse. On la trouve en Sibérie. La .Mi s.MiAK.NE A QiEiiE iiE lUT (Sorex myosurus, Pâli,.) est du même i>avs; la l'emelle est blanche et le mMe brun; tous deux ont le museau rende, la (pieue pres(pie nue, épaisse et nuide. L:i MiiSAiiAiGisE «iiAciËUSE { SoTCX pukhdlus , Pander) est Irès- petite, d'uu gris clair sur le haut de la tète, gris foncé sur le dos, et d'un blanc [lur sur les flancs; elle a une lâche blanche sur la nui|ue, avec les oreilles d'un gris ardoisé. Elle est une des plus petiles de son genre, et elle uuilli|ilie prodigieusement. Celte jolie musaraigne liabitc les déserts sablonneux (jui sont placés entre Bukkara et Orcnbourg. Elle se ]>lalt à proximité des marais, où cha((ue soir elle va faire la chasse aux insectes et au Irai des grenouilles et d'autres i-epliles. Elle nage el plonge fort liicn , mais cc[ienilant elle a des habiludes moins a(]uatiqMes (]ue noire musaraigne d'eau. Au printemiis, elle se l'ait un nid d'herbes sèches qu'elle place au milieu d'une toufï'e de roseaux, et c'esl là qu'elle élève sa nombreuse famille. La Musm;aii;m: n'Orivucn (Sore.i; Olivieri , Desm.) un peu plus grande ipu' la uuisaraignc connnune, rousse; cpieue prcsipie aussi grande (pie le corps (a'tle espèce n'a jias été vue vivante, et pciil- èirc n'existe-t-elle plus. Elle a été trouvée à l'élal de momie, ])ar nlivier, dans les catacombes de Sakkara en Egypte. C'est peul- èlre le Sorcx rcliijiaaus dis. Geoffroy. La .MisARAic.NT. lui.ii.iEisE [Sorrx rclif)iosus , Is, (iEorr.) n'a élé trouv('e (pi'.a l'c'tat de momie , dans des autiiputi's égypiicnncs, et assez bien conservée poiu' pouvoir être déi rite jiar M Is. (ieof froy. Elle est de la taille du Sorex personalus; sa queue longue, qui atteindrait l'occiput, est parfailcmenl carrée, à angles très- saillanls; ses oreilles sont grandes cl sou pouce assez court. On ne 1';; pas encore reirouvée vivante en Egypte, où peut-être elle n'existe jdus. La MusARAiCNE luoNDE ( Sofex ftavescens , Is. Geoie. ) a la léle allongi'e , le dessus du corps et de la tète d'un blond roussMie, passant au cendré roussAire très-clair sur le dessus de la queue; tout le dessous, el le tour de la bouc lie, d'un blanc un peu ccii dré; une ligne longitudinale brunrtlrc sur le ihaulrcin. Elle a quatre pouces et demi (0,122), non compris la queue . qui c^i courte. Elle habile l'Afriipie méridionale. Le MOMijoenoe (Sorcj' (/iganlnis . Is. Ckcui, Sorex indicus, Geofk. — Fn. Ciiv. — Desvi. Le Motijourou, Er.. Cev ) a éli' con- fondu jiar tous les naturalistes avec la musaraigne de l'Inde, excepté par M. Is. (Jcoffroy. Elle en diU'èrc par sa taille, qui est de près de six pouces (0,loissons voraces et ipiclques aigles pêcheurs. Mais souvent il donne dans les (ilcts tendus dans les rivières el les lacs; et comme il ne sait pas les couper pour s'en débarrasser, on l'y trouve ii(iy('. Pour a|q>eler sa l'cnu'llc ou rasseruldcr sa jeune fanùlie autour de lui, il a un cri fort singulier, ayant Iieaucoup d'analogie avec celui du ca- nard ; pour se faire entendre, il ot obligé, selon l'.dl.is, de cour- deux branches, en forme d' xi, placées, non l'une à côté de l'autre, mais plus ordinairement l'une sur l'autre. La hanche supérieure s'étend (piel(|uefois sous les racines n des- sus, gris en dessous. Un le trouve le long des ruisseaux , aux en- virons de Tarbes, au pied des Pyrénées. 11 a des habitudes à peu près semblables à celles du précédent , mais il ne fait ])as son terrier avec autant d'art. ()" Genre Les SCALOPES {Scalops, G. Cuv.) ont trente-six dénis : deux incisives en haut et (piatre en bas; point de canines; dix- huit Miolnires à la mâchoire sup('rieurc et douze à l'inférieure; ils manquent d'oreilles externes; leur nuiseau est pointu, carti- lagineux, robuste; ils ont trois doigts aux pieds antérieurs, cinq à ceux de derrière, et nm: queue courte. Le ScALOi'K nu Canada (Scalops cayiadensis , Desm. Sorrx aq\^a- ticus, Lin. L'American irhile inole des Aiiu'ricainsl a le ne/ Irès- dant cette diirérence entre la taupe et le scalope , que celle-là choisit, pour établir son domicile, les terres fraîches, mais non humides ; tandis que l'autre ne se plaît que sur les bords froids et niaréiageux des rivières et des (Icuves On le trouve aux Elats- I nis, depuis la Virginie jusqu'au Canada. !■■ Genre. Les TALl'ASOnES ( Talpasore.v, Less.) ont ipiaraule dents : deux incisives supérieures et (piatie inférieures ; i)as de canines ; vingt- deux molaires à la mâchoire supérieure et douze h la mâchoire inférieure. Du reste, ils ne dillerent pas .lu genre précédent. Le Taipasohe he Pensvivame (Talpasorex pcmylvanica , Less. Sralupa pensijlramai , IIaiman.) a six pouces et demi (0,170) de longueur totale; son pelage est brun et sa (picue courte; ses molaires sont extrêmement rapprochées; les supérieures ont la couronne b^gèrcmcnt dentelée , avec un sillon qui .se continue 113 LES CARNASSIERS INSECTIVORES. tout le long (lu côté intérieur , et sur le côté externe pour les molaires inféiieiires. On le trouve aux États-Unis. Ses impurs sont les mêmes que celles des scalopes. S^Ci-NRE. LES CHRYSOCHLORES [Chnjsochloris, Lacép. ) ont quarante dents : deux incisives en haut et quatre en bas; pas de canines; dix-huit molaires supérieures et seize inférieures; le museau est court, large, relevé; le corps trapu; point d'oreilles externes; pieds de devant courts, robustes, propres à fouiller la terre, à trois ongles seulement, dont l'extérieur très-gros, elles autres allant en diminuant; pieds postérieurs à cinq doigts; pas de queue. Le CiiiivsocHLORE nu Cap (Chnjsochloris capensis, Des.m. Talpa asialica, Gmkl. La Taupe dorée, G. Ciiv.) a de longueur totale quatre pouces et demi (0,122; ; il est d'un brun changeant; a cinq doigts aux pieds de derrière, et manqtie de queue. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance, où il se creuse des galeries souteri'aines a la manière des taupes. La nature se plaît souvent à déjouer les suppositions systéma- tiques des savants, et cet animal en est une preuve nouvelle. Les naturalistes avaient cru que les brillantes couleurs, le vert doré, le pourpre, le violet, les reflets métalliques qui étincellent sur la livrée des oiseaux des poissons, des insectes, etc., leur étaient dévolus par la nature, à l'exclusion des mammifères, qui devaient toujours porter une robe terne ; et voici le chrysochlore qui vient donner un démenti à cette loi conclue par les analogies. En efTet, son poil est d'un vert changeant, passant au cuivré et au bronzé, et od'rant les plus brillants rellets niétalli(pies d'or, de pourpre et (le violet. Cet animal est aveugle, et on ne lui voit aucune apparence d'yeux; dans le fait, à quoi lui servirait-il d'en avoir, puisqu'il ne quille jamais la galerie ténébreuse et souterraine dans la(pielle il vit à la manière des taupes? Mais si la nature l'a privé d'im sens qui lui serait inutile , elle l'en a indemnisé en lui donnant une ouïe très-fine, quoi(iue son oreille n'ait pas de conque exté- rieure, et en dotant d'une force prodigieuse les bras dont il se sert pour fouiller journellement la terre. Son avant-bras est sou- tenu , pour creuser, par un troisième os placé sous le cubitus, et nul autre animal n'offre cette singularité. 9" Ceniie. Les DOUCANS TAUPES (Ducantalpa) ont les mêmes caractères généraux que le genre précédent, mais leur formule dentaire n'est pas encore connue, au moins je le crois; ils ont une queue , et leurs pieds de derrière n'ont que quatre doigts. Le DoucAN [Ducantalpa ruhra. — Chnjsochloris rufa, Desm. Tatpa rubra, Gmel.) est un peu plus grand cpie notre taupe, dont il a les mœurs; son pelage est d'un roux tirant sur le cendré clair; sa queue est courte. Ou le trouve à la Guyane. LES TRIOnONTES .\ COURTES CANINES ont les trois sortes de dents : deux grandes incisives supérieures en avant, accompagnées de deux autres de cha(pie cùlé, dont la jinslérieure en forme de canine; les vraies canines petites, non distinctes des fausses molaires; quatre incisives inférieures, pen- chées en avant , en forme de cuiller. IO'Gexue. Les COM)YLURES (CoîiJy/itra , li.i.u;.) ont quarante (lents : deux incisives supérieures et quatre inférieures; deux ca- nines en haut et en bas; seize molaires à la mâiMioire supérieure et (piatorze à linférieure. Ils ont le nez très-allongé, garni de crêtes membraneuses disposées en étoile autour des narines; leurs yeux sont très-petits; ils man<]uent d'oreilles extérieures; comme chez les taupes, leurs mains sont larges, à cinq doigts munis d'ongles |uiissants, propres à fouir la terre ; leur(|ueiie est de médiiicre longueur, et ils ont cinq doigts aux pieds de derrière. Le CoMivi.uiiE lÎTOn.i': {Condijlura crislala, Des»). Sorecccr/s/atus, Lin. Talpa rristata , G. Ci;v. La Taupe à mnneau èloilé (tu Canada, G. Ciiv.) est d'un brun noiiAIre, et a ipialre jiouces (0,108) de longueur totale; ses narines sont entourées d'un cercle de la- nières membraneuses, et sa ([ueue est longue comme le tiers ii peu près de son corps. Il est assez comnuin dans le nord des Etats-Unis et au Canada. Ses mœurs sont semblables à celles de la tau|ie, ainsi que dans les espèces suivantes. Le CoNiivi.UHE A citossE queue (Condylura macroura, IlAni.AN.) est d'un gris noirâtre en dessus, avec le museau fauve ; la crête étoilée de son nez est à vingt pointes; sa queue, presque aussi longue que sou cori>s, est légèrement comprinK'e. Il est commun dans le lNouveau-.lersey et se trouve dans tous les Etats-I^nis. Le Co.Niivi.uRE vi.r.r [Condijlura prasijwla, Harkis.) a quatre pouces (0,122) de langueur totale; son pelage est long, fin, à re- flet d'un vert brillant; la crête de son nez est à vingt-deux la- nières; sa (pieiie, mince, sans rides ni sillons, à poils non verti- cillés, est longue comme les trois ([uarts de son corps. Il habite le Jlaiue aux Etats-Unis. Le Coiidijlura lonyicaudala, Di.sm. Talpa lunyicaiidaUi , Gmei.., nie parait être un imimal imaginaire. S'il existe, ce n'est certai- nement pas un condylure. Selon les catalogues desrri[)tifs, il serait long île six pouces (0,102); sa ([ueue serait longue connue hi moitié de son corps, et il n'aurait point de crête nasale. On le trouverait en Américiue septentrionale. LES TUIODONTES A GRANDES CANINES ont quatre grandes canines écartées, entre les(piclles sont de pe- tites incisives. II'Gemie. Les T AUI'ES (Talpa, Lin.) ontquai'anle-quatre dents : six incisives en haut et hin'l en bas; deux canines à la mAchoire supérieure et point à l'infi'rieiire; (piatorze molaires en haut et en bas. Leur lête est albmgée, i)oinlue , prolong('e en avant par un museau cartilagineux, renforcé pai' un os dn boutoir; elles manquent d'oreilles externes, et les yeux sont excessivement pe- tits; ses pieds antérieurs sont larges, en forme de mains, ;i cir^i ongles traiiciiantsel pro[)res à fouir; leurs jiieds de derrière sont faibles et à ciiKj doigts; leuripitue est courte. Ces animaux vivent dans un terrier, d'iiii ils ne sortent (praccideiilellciueut La T*i l'C AVI 1 i:i r 'Talpa runi. S\\ i. Celle es|)èce. |jr<'si|iu' aussi commune dans certaines parties i\v la Fiance (pie la taupe ordi- npire, n'avait pas été observée avant Savi. Cependant elle en dif- fère ]>ar sa taille |)luspelile, ne di'passant pas ipialre pouces (0,10K), et par la forme plus aplali(^ de sou boutoir; son «'il est presipie entièrement caché par la peau, (|ui ne laisse passer la lumière que par un trou grand comme une iiiqùre d'aiguille. La fAUi'E co.MMUisE (Tolpa europœa, Lin. La Taupe, Bufr.). Klh' a commun('ment six |)0uces (0,1l!2) de longueur totale. Sou pelage est ordinaireuieiil d'un noir luisant, toujours lin, doux, et plus ou moins velouté. Sa (iiieiie est courte. On connaît plu- sieurs variét('s de taupe, Sîivoir : |a taupe pie, à pelage taché de blanc et de noir; la tavpe albinos, entièrement blanche; la laiipe jaune, ;i poils d'un fauve plus ou moins jaiiiiAIre : enfin la liiupe (jrise. doni le pelage est uiiiforim'meiil ccikIim'. TRIODONTES, 119 «Les taupes, ilit G. Cuvier, sont connues de tout le monde par leur vie souterraine et ])ar leur forme éminemment appro- priée à ce genre de vie. Un bras très-cnurt, allaché par une lon- gue omoplate, soutenu par une clavicule vigoureuse, muni de muscles énormes, porte une main extrêmement large, dont la paume est toujours tourne'e en avant ou en arrière; cette main est trancliante à son bord inférieur; on y islingue à peine les doigts, mais les ongles qui les terminent sont longs, forts, plats et tranchants. Tel est l'instrument que la taupe emploie pour dé- chirer la terre et pour la pousser en arrière. Son sternum a, comme celui des oiseaux et des chauves-souris, une arête qui donne aux muscles pectoraux la grandeur nécessaire à leurs fonctions. Pour percer la terre et la soidever, la taupe se sert de sa tête allong('e, pointue, dont le museau est armé au bout d'un osselet particulier, et dont les muscles cervicaux sont extrême- ment vigoureux. Le ligament cervical s'ossifie même entièrement. Le Ir.iiii de derrière est faible, et l'animal, sur la terre, se meut aussi péniblement (piil le fait avec vitesse dessous. Il a l'ouïe Irè.s-fine et le tynqian très-large, quoi((ue l'oreille externe lui manque; mais son œil est si petit et tellement caché par le poil, qu'on en a nié longtemps l'existence. Ses mAchoires sont faibles; et sa nourriture consiste en insectes, en vers, et, pe qui n'est pas bien certain, en qiiebuies racines tendres. » Cet animal est assez commun dans toute l'Europe tempérée, cependant on dit qu'on ne le trouve que très-rarement en Grèce et jamais en Irlande. Il habite de préférence les terres douces, faciles à percer, non i)icrreuscs, un peu fraîches en été, sèches et élevées en liiver Les taupes fuient les déserts arides, et sur- tout les climats froids , où la terre reste gelée ])endant la ]ilus grande partie de l'année, u Un atlaehement vif et réciprotpie du mâle et de la femelle, de la crainte ou du dégoût pour toute au- tre société, les douces habitudes du repos et de la solitude, l'art de se mettre en sûreté, de .se faire en un instant un asile, un domicile; la facilité de l'étendre et d'y trouver, sans en sortir, une abondante subsistance, voilà, dit lîulT'on , sa nature, ses mœurs et ses talents, sans doute préférables à des (pialités plus brillantes et plus incompatibles avec le bonheur que l'obscurité la plus profonde. » La taupe se prépare un gîte au pied d'une muraille, d'un arbre ou d'une haie , et ce gîte est fait avec beaucoup d'art. Il consiste en un trou de dix-huit pouces (0,487) de profondeur, assez large, recouvert d'une ou même plusieurs voûtes les unes sur les autres, en terre battue et gAehc'e avec des fragments de lacine d'herbe , et assez solidement p('liie pour résister aux eaux de pbiie. Cette demeure est à plusieurs comparlirnenls séparés par des cloisons, et soutenus de distance en distance |)ar des piliers, yuehpufois, dans les terres humides ou menacées d'inondation , la voûte de terre dure s'élève au-dessus du terrain, et le lit d'herbes sèidies et de feuilles où elle repose avec sa famille se trouve lui-même un peu au-dessus de la surface du sol, de manière à ne pouvoir être iniuult; clans le cas d'une subuu'rsion inopiiule. La manière dont elle se procure des herbes pour faire son lit est assez sin- gulière. Par la racine elle juge si l'herbe lui convient ; dans ce cas elle coupe les racines latérales .jus(iue vers le collet de la plante , puis , saisissant le pivot (pielle a ménag(i, elli- tire à elle et parvient à faire entrer dans son trou la lige uuinie de toutes ses feuilles. C'est là que , de mars en uuii , elle fait et allaite ses petits , or- dinairement au nombre de (piatre ou cinq. De ce nid part un boyau, (pu'lquefois long de soixante à cpiatre-vingls pas, et se )ir(dongeant ilans une direction à peu près droite. .\ gauche et à droite, elle jette cà et là d'autres boyaux qui s'en l'Cartent plus ou moins perpendiculairement; tous sont parallèles à la sur- face de la terre, à (iioins qu'elle ne rencontre un obstacle d«ns sou cheuuu ; en ce ras elle s'enfonce et passe par-dessous, à plu- sieurs mètres de profondeur si cela est tiécessairc. 11 ii'esl pas rare d'en trouver qui passent sous des fondations de hautes mu- railles, et même sous le lit d'un ruisseau ou d'une petite rivière. Dans les circonstances ordinaires, le boyau n'est jamais à plus de six i>ouces (0,i(i2) au-dessous de la surface du sol. Quand elle fouille, la taupe perce avec le nez, comprime la terre sur les crttés avec ses robustes mains, et en pousse une partie en avant avec son front et ses é])aules; aussi est-elle obli- gée de temps à autre de s en (h'barrasser en la rejetant à la sur- face, et formant ce (jue l'on appelle une taupinière. Tous le.s boyaux qui vont d'une taupinière à une autre sont en ligne à peu près droite, et ce n'est (pie dans ces espèces de points d'arrêt que la taupe se détourne d'un côté ou d'un autre pour chercher sa nourriture et former de nouvelles galeries. La taupe, vivant priniipalem<'nt de vers de terre et d'insectes, est obligée de fouiller chaque jour pour trouver sa nourriture et celle de sa jeune famille; aussi s'en occupe-t-elle régulièrement, et, ce (pi'il y a de fort singulier, à des moments déterminés de Iii journée. Elle conuuence ses prenùers travaux au lever du soleil, et les continue pendant environ une heure; elles les reprend à neuf heures, à midi, à ti'ois heures et au coucher du soleil, et (t'est dans ce dernier instant (pi'elle travaille avec le jdus d'ar- deur. Elle passe les autres heiucs du jour et la nuit à doriuir dans son gîte. (lomme elle ne sort que très-rarement de son souterrain, elle n'a que peu d'ennemis à craindre, et ne peut devenir la proie des animaux carnassiers. .Son plus grand fléau est le débordement des rivières. Dans ces inondations subites on voit les taupes fuir à la nage, et faire tous leurs ell'orts pour gagner les terres plus (■levées; mais la plu[iail p('rissent aussi bien que leurs petits, (pii restent dans les trous. Si on siu'pi'end une taïqie hors de son trou, elle ne cherche à fuir (pie lorsque la terre est trop dure pour lui permettre de s'y enfoncer avec rapidité; dans ce cas elle court avec assez de vitesse, quoi qu'en ait dit Cuvier dans la citation que nous avons faite plus haut, et elle |)ousse un petit cri très-aigu , comme le bruit d'une lime tpii glisse sur l'acier sans le mordre. Elle est si délicate (|ue le plus petit coup la lue, surtout si on la frappe sur le nez. Mais (piand elle est sur un sol meuble ou très-le'ger, au lieu de fuir elle s'enterre et avec tant de promp- titude ([ue , si l'on est à dix pas , on n'a pas le temps d'arriver à elle avant (pi'elle ait disparu. Si au moyen d'une bêche on la cerne dans son terrier, au premier bruit qu'elle entend, à la |)lus petite commotion que la bêche fait éprouver à la terre, elle se sauve dans son gîte. Si elle en trouve les issues feruM'es , elle se met aussitôt à creuser nu trou vertical dans le(pu'l elle s'enfonce qiiel(|uefois à plus d'ini mètre; et il n'y a plus d'autre moyen pour l'en faire sortir (pie dy iiilroduire de l'eau Malgré les habitudes douces que Buflon attribue à la taupe, il n'en est pas moins vrai que c'est un animal très-cvuel et Iim svo race. « Elle n'a pas faim comme tous les autres animaux, ilil Ceod'roy Saint-llilaire : ce besoin est chez elle exalté; c'est un épuisement ressenti juscju'à la frénésie. Elle se montre Niolem- ment agitée, elle est animée de rage quand elle s'élance siir sa proie; sa gloutonnerie (b'sordonne toutes ses fa(ult('s; rien ne lui coûte pour assouvir sa faim ; elle s'abandonne à sa voracité, ipmi qu'il arrive ; ni la |)r('ir La Taijpo, l'exemple de la taupe entraînerait à de grandes erreurs. En edél, si cet animal , dans sa taupinière , avait des api)étils si furieux , il ne pourrait les satisfaire et périrait bientôt de faim. Comment se procurerait-il des oiseaux, des grenouilles, de l'eau à boire? (Concluons donc de tout cela que les mœurs de la taupe valent mieux que son caractère. Elle ne s'engourdit pas l'hiver, comme la [dupart des carnassiers insectivores; elle cherche une exposi- tion chaude , tournée au midi , y établit son domicile, et ]iro(ile de tous les jours de soleil et de dégel pour travailler. Je suis fort tenté de croire (|u'elle fait, pour les consommer quand la terre est fortement gelée, une provision de bulbes ilc culchiquc d'au- tomne, car j'en ai constamment trouvé des débris autour de sun nid, en février et mars, c'est-à-dire avant (pi'elle ait mis bas Cet animal est un lléau i)our l'agriitdlure , partout où on le comme les hérissons, ils ont le corps couveit d'aiguillons; mais il leur manque la faculté de se roulci' aussi comidélement en boule; leur museau est pointu; ils n'ont pas de (pieue; leurs jiieds ont cinq doigts libres et umtiis d'ongles crochus. Le Tk.nkec [Seliger ecaudatus, Gi;()1-k. Eri7iaceus ecaudatus, Lin Ci-iitnx's spiiiosus, Des.m. Le Tenrec, Binr.) est un peu plus grand que noire hérisson, et |>eut avoir dix pouces (0,271) de longueur environ. Il est rouvert de piipianls roides sur le corps, et de poils ou de soies siw le veufre el l.i poilrine; ses incisives sont érlian- crées, au nombre de (piaire seulement en bas. (^e singulier animal , ainsi «pie ses congénères, est indigène de Madagascar, mais on le trouve à l'Ile de France, où il a été trans- TRIODONTES. 121 porte et où il s'est très-facilement naturalisé. Comme il a les pattes fort courtes, il ne peut pas courir, ni même marcher avec facilite'; aussi, maigre' ses aiguillons, devient-il assez souvent la proie lies animaux carnassiers et des oiseaux de proie. Son cri est une sorte de petit grognement, ayant, selon BulTon, un peu d'analogie avec celui du cochon. Le tenrec est un animal nocturne , qui aime à se vautrer dans la vase. Il habite le bord des eaux, et se plaît particulièrement sur le rivage des canaux sale's et des lagunes de la mer. Il (jas.se la plus grande partie des nuits à poursuivre , dans le sein des ondes, les insectes dont il fait sa principale nourriture ; an joui- naissant, il se retire pour dormir dans un terrier (ju'il se <'reuse sous les racines de ipiehpie arbre croissant au bord de l'eau , ou tout simplement dans le sol d'une falaise, au milieu des buissons ou des roseaux. 11 n'en sort que le soir, au cre'puscule, pour re- commencer sa pêche ; aussi nage-t-il avec une grande facilité Dans qucbiuesunes de ses habitudes, il a de l'analogie avec notre l'at d'eau. Le mâle et la femelle sont fort attachés lun à l'autre, et paraissent s'aimer avec tendresse. Cette dernière fait plusieurs petits, qu'elle allaite dans son terrier, et auxquels elle apprend à nager, à plonger et à chasser aux insectes aquatiques , aussitôt c(u'ils sont assez forts pour la suivre. (irdinairenient les maunnifères insectivores, et (pieUpies autres de dilïérenles classes, s'engourdissent pendant l'hiver; ici c'est tout le contraire. Pendant la saison pluvieuse, qui dans leur pays répond à notre hiver, les tenrccs sont vifs, agiles, sans cesse occu- pés de leurs amours, de la chasse et de l'éducation de leur famille. Mais aussitôt que les chaleurs de l'été couuuencent à se faire .sentir, père, mère et enfants, tous se retirent dans le terrier, s'enfoneent dans le foin de roseau qu'ils y ont amassé, s'endor- ment, tombent en léthargie, et restent plongés dans l'engour- dissement et la torpeur pendant trois ou quatre mois, c'esl-à-dire autant de temps que dure la chaleur. Dans cet état, leur poil tombe ; il ne repousse que quand ils se sont réveillés. Flaccourt dit (ju'ils sont ordinairement fort gras et que les Indiens trou- vent leiu' chair excellente, quoiqu'elle soit fade et mollasse. ■■ Le Tendrac (Setiger inauris, Geoff. Erinaceus setosus, Lin. Cenlenes setosus, Desm. Le Tendrac, Buff. — G. Cuv.) est beaucoup plus petit que le précédent, dont il difFèrc par ses piipianls plus flexibles , plus semblables à des soies et par six incisives échan- crées à chaque mftchoire. 11 habite Madagascar. Le Tenhec rave (Seliyer variegatus, Geoff. Centenes semispino- sus, Desm. Erinaceus semispinosus, G. Guv. Le jeune Tenrec, Buff.) a six incisives à chaque mâchoire, et les canines grêles et cro- chues; il est couvert de soies et de picpiants mêlés; son corps est rayé de jaune et de noir, et atteint à peine les dimensions de celui d'une taupe. On le trouve à Madagascar, où cependant il est assez rare. Intérieur du Cabinpt U'anatonne coniparéo. LES CARNIVORES PLANTIGRADES, QfATRiÈMK ORDRE n F) S MAMMIFÈRES, Ces animaux ont six incisives à chaque mftchoire; de ti-ès-foiles canines; les molaires non hérissées de pointes à leur couronne, mais tranchantes et quelquefois tuberculeuses ; aussi ils vivent tous lie jiroie pt ont une fe'rocite' sanguinaire, en en exceptant les ours. LES PLAXTIGRADES y marclicnt sur la plante entière tles pieds, (pi'ils ont toujours dé- pourvus de poils en dessous; aussi peuvent-ils assez facilement se tenir debout sur leurs pieds de derrière. Ils ont cinq doigts à tous les pieds, et man(|uent de cœtum. La plupart passent l'hiver en léthargie, dans les pays froids. ^" Genre. Les OURS (Ursus, Linn.) ont quarante-deux dents : six incisives et deux canines à cha(iuc m;^choire; douze molaires supérieures et quatorze inférieures; les trois molaires postérieu- res sont très-grosses, à couronne carrée et tubercules mousses, ce qui les rend moins carnassiers que les autres genres de leur ordre; leurs pieds sont armés d'ongles très-forts; leur eorjis est tra[iu, leurs membres i'|),\is et leur (pieiie liès-courle; les femel- les portent deux mamelbs pectorales el quatre ventrales. L'OuRS BRiiN (f/r,res. C'est là ipi'il passe ses journées à dormir en attendant la nuit pour se ineltre en cam- pagne et chercher sa nourriture. On prétend que, faute d'arbre creux ou d'antre de rocher, il se construit une sorte de cab.iiic avec des branchc>i de bois mort el ihi biiillage, mais ceci lue semble fort douteux. Tout lourd ipi'il i)arall, cet animal n'en est pas luoiii'^ dou(' d'une certaine agilité, (ju il ne dé|)loie , à la V('- rité, ipiavec bciucoup de circ(mspection et de prudence. (,>iiand il grimpe sur un arbre, soit pour aller chercher les fruits dont il se nourrit, soit pour rentrer dans son trou, il s'accroche aux liranches avec ses mains, et au tronc avec les griffes de ses pieds de derrière ; quelquefois aussi il embrasse la tige avec ses bras et ses cuisses, comme ferait un homme; mais, dans tous les cas, il y met beaucoup de précaution, et jamais il ne biche son appui d'une patte qu'il ne se soit assuré, à plusieurs re[irises, que les trois autres ne lui manqueront pas. liien que ses mâchoires soient armées de dents redoutables, son caractère n'est pas carnassier, et il n'attaque jamais un être vivant (pie pour défendre sa vie, ou ipiand il y est jioussé par une faim dévorante. Ordinairement il se nourrit de faine ou fruit du hêtre, de baies sauvages, de graines de différentes jilantes, et même de racines; il aime beaucoup les fruits du sorbier, de l'é- pine-vinette, et en gi'néral tous ceux qui sont un peu acides. Si cette nourriture m.uique dans ses forêts, il les (|uille, se jelle dans la plaine , et fiit d'assez grands ravages dans les champs d'avoine et de mais. Ce n'est guère qu'en hiver, après un long jeune, que, sortant affamé de sa retraite et trouvant la terre cou- vcrle de neige, i| se jette sur les troupeaux et attaque les animaux ipi il rencontre. Encore ce fait aurait-il besoin d'èlre confirmé. Ce dont je me crois certain, c'est ipie jamais il n'est ilangereiix pour l'homme, à moins (pi'il n'en soit attaqué; mais dans ce cas, il est d'une intrépidité efl'rayanle. Il a le sentiment de sa force; aussi n'éprouve-t-il jamais la crainte , mais seulement la colère. S'il rencontre un chasseur, il ne luit pas à la vue de ses armes; il ne se délourm^ même pas; il |>assc outre en jetant sur lui un reg:ird farouche de méconlenleuicnt , car il n'airae pas que l'on luinèfre dans ses forêts silencieuses pour troubler sa solitude. Mais malheur à l'imprudiMU audacieux ipii ose l'attaquer sans être si'ii- il(' lui donner la mort du premier coup! Ulessé ou simi)lemenl ollin-é, sa coièri^ est terrible, el toujours il en r('sult(? une lutte ujorlelle pour l'un mi p(mr l'aiilrc, ([uclquefois pour tous deux. Katis hi'siter, il coiirl sur sou agresseur; mugissant de fureur, l'œil en feu , la gueule béante , dressé sur ses pieds de derrière, il s'élance, l'écrase de son jiflids, le saisit dans ses bras puissants, l'étouffé, ou lui brise le crâne avec ses formidables mftchoires. S'il est harcelé par une meule de chiens courageux et appuyés par de noud)reux piipieurs, il se retire, mais il m; fuit pas. Il gagne lentement sa retraite, en se retournant de tem|is à autre pour faire face à ses nondireiix ennemis, qui reculent aussitôt épouvanl('s. Enfin, harassé de fatigue , mortellement blessé par les balles des chasseurs, près de luouiir, il s'aïquclc a faire jiayer chèrement la viiloire à ses cnneuiis. Debout, le dos apiuiyi' contre un tronc d'arbre ou un rocher, il les .illend, et tout ce (pii est assez téméraire pour l'approcher tombe écrasé sous sa terrible patte ou brisé par ses dents. l'.n l'.iirope, on fait la chasse à l'ours avec le fusil et des chiens, niiftlipiefois aussi, (juand on eonnait le lieu (pi il habite, (Ui le traipie comme le loup; c'est-à-dire ipie tous les paysans d'un ou plusieurs villages se réunissent , enloureni la forêt d une cein- LES CARNIVORES PLANTIGRADES. i?3 turc (le tireurs et de traqueurs qui marchent en resserrant de plus en plus le cercle (jui le circonscrit, et finissent par l'appro- cher et l'accabler sous leur nombre. «On prend les ours, dit Ruffon, de plusieurs façons en Norvège, en Suède et en Po- logne , etc. La manière la moins dangereuse de les prendre est de les enivrer en jetant de l'eau-de-vie sin- le miel qu'ils aiment beaucoup, et qu'ils cherchent dans les troncs d'arbre. » Ce fait, rapporte par le grand e'crivain , sur la foi de Regnard , me paraît tout aussi peu probable que les contes que ce voyageur nous avait dèbitf's sur les Lapons. L'ours aime la vie solitaire, et fuit par instinct toute socit'ie, même celle de ses semblables. Il ne cherche même sa femelle qu'au temps des amours, c'est-à-dire en juin, et, ce moment passé, il la ipiitte, et va fixer sa demeure à jilusieurs lieues de la forêt qu'elle habile, .\iissi est-il tout à fait indifï'rrent aux plaisirs de la pati'rnile'; et, il y a plus, c'est ipi il ne manque jamais de manger ses enfants, si le hasard lui fait découvrir l'asile sauvage oi'i sa femelle les a cache's dans un lit de feuilles sèches et de mousse. Au contraire celle-ci aime ses petits avec la plus ardente affection, et les garde avec elle jusqu'à ce (]u'ijs aient deux ans et qu'ils aient accpiis la force de l'epousser toute agression ('ir.m- gère. Elle les soigne, leur apporte des fruits et du gijiier, les lèche, les nettoie, et les porte avec elle dans ses bras lorsqu'ils sont fatigue's. Si un danger les menace, elle les défend avec un courage furieux , et se fait tuer sur la place plutôt que du les abandonner. Aussi n'est-ce qu'avec beaucoup de danger et de prudence ipie les montagnards viennent à bout de s'euiparer de ses oursons, ordinairement au nombre de un à trois, IrèS'i'are- ment quatre ou cinq. Le temps de la gestation est de sept mois. Pendant l'hiver, l'ours ne s'engourdit pas, ainsi que l'cuit cru quelipu's naturalistes, mais il reste dans son Irou des mois en- tiers à dormir. Connue les fruits ne lui ont pas manqué en aU' tonine, il est ordinairement fort gras au moment où il commence sa retraite, et il paraît que cette graisse suffit à l'entretien de sa vie pendant fort longleaips. Cependant son jeune ne dure jamais plus de trente à (piarante jouis, et il ne reste pas plus longtemps caché sans sortir et aller chercher dans la forêt quid(|ues graines ou des racines qui le soutiennent. Si la terre est couverte de neige, et ipi'il ne trouve rien à manger, c'est alors qu'il se raj)- proche des habitations de l'homme, et qu'il se hasarde, dit-on, à aitaipier les animaux domesli(|ues. .Malgré ses formes grossières, sa tournure \iesante et ses gestes grolestpies, il ne faut pas croire (pie l'ours soit un animal stii- l)ide; il est, au contraire, plein d intelligence et de finesse, et la preuve, c'est qu'il ne donne jamais dans les pièges qu'on lui tend. Tout objet nouveau éveille chez lui la défian{-e; il l'observe priidenuiicuf avant de l'approcher, passe sous le vent pour s'en rendre compte par lodorat, (juil a d'une déliealesse extrême; il s'avance doucement, le flaire, le tourne et le retourne, puis s'en éloigne s'il ne lui convient pas de s'en emparer. C'est ainsi qu'il agit toutes les fois(iii'il trouve un cadavre d'homme ou d'animal, aïKpiel il ne touche jamais. Sous cette enveloppe d'un aspect si rude existe une perfection de sensation j'en comiiuine dans les aiiimaux ; sa vue, son ouïe et son toiichei' sont excellents, (pioi- ijuil ait l'œil petit, l'oreille courte, la jieau éi)aisse et le poil touffu Le courage de l'ours a passi' chez (piehpies aiileiiis pour de la brulalit(', et il y a là une graiiilc erreur. Louis est iulicqiide, mais prudent, et il ne combat que lors(pi'il y est fiuci- par la faim , la défense de ses jietits ou la vengeance. .laïuais on ne le voit fuir, parce qu'il a la conscience de sa supérioi-ilé; il oppose la menace à la menace, la violence à la violence, et sa fureur de- vient terrible, parce (pi'il porte dans le eomliai un coiiiage in- souciant ih; la vie. Autrefois l'ours était bien plus commun en Europe qu'aujour- d luii , et alors sa eliassi' pouv.iil être avantageuse, à cause de sa fourrure assez estimée quoique grossière , et surtout à cause de la graisse dont il est toujours abondamment pourvu et à laquelle la crédulité de nos pères accordait des vertus merveilleuses pour guérir les rhumatismes et une foule d'autres maladies. Ce qu'il y a de certain , c'est que cette graisse, dépouillée par des procédés l'oit simples d'une odeur particulière dont elle est impre'gnée , est fort (hmce, excellente, et ne le cède pas au meilleur beurre pour la cuisine. 11 ne s'agit, quand on veut lui ôter son odeur, que de la faire fondre et d'y jeter, lorsqu'elle est très-chaude, du sel en quantité suffisante, et de l'eau jiar aspersion. 11 se fait une sorte de détiuialion , et il s'élève une épaisse fumée qui emporte avec elle la mauvaise odeur. Plusieurs fois les ours de la ménagerie ont fait des petits, et on a pu s'assurer que par la taille et la couleur ils ne se ressem- blent nullcmcut. La mère a toujours marqué un sentiment de inéférence pour l'un d'eux ; et jamais elle n'a perdu son autorité luateriielle, lorsipi'ils étaient devenus lieaucoup plus grands qu'elle. L'IJlus noir d'Europe (l'rsus aler. — L'Ours noir d'Europe, G. Cuv.) n le front a|>lati et même concave, surtout en travers; son pelage est laineux, non pas lisse comme celui de l'ours d'Amérique, etd'un brun noirâtre; il a le dessus du nez d'un fauve clair, et le reste du tour du museau d'un brun roux. .l'établis celte espèce sur le témoignage de G. Cuvier. Il est rare, et parait ne se trouver que dans le nord de l'Em-ope. bufi'on dit ((u'il est moins carnassier ipie notre ours brun. L'di Rs iiES PvRÉNÉES {Ursux pyreiKiiciis, Vk. Ccv.) est plus pelil ipie l'ours des Alpes; il est d'un blond jaunâtre sur le corjis, et noir sur les pieds, il habite les montagnes des Asliiries. licaucoup de naluralisles le regardent comme une variété de l'ours brun , ei je penche aussi vers cette o|)inion. L'Ours he Siréiue (Ursus collaris, En. Civ.) a beaucoup d'ana- logie avec le précédent sous le rapport des formes et des cou- leurs; mais sa taille paraît être un peu plus petite, et il a un large collier blanc qui passe sur le haut du dos, sur les épaules, cl se termine sur la (loitrine. (Jn le trouve dans le nord de l'Asie, et il parait (ju'il a les mêmes mœurs que notre ours d'Europe. Cependant ceux ipii ont vécu à la ménagerie paraissaient un peu plus carnassiers. L'Ours nu Tiuiiet ((Vsits Thibetanas , En. Cuv.) diffère des pré- ct'dents par la grosseur de son cou, et par S(Ui chanfrein, qui forme une ligne droite ; il est noir, à ])oils lisses; son museau est un peu roux, sa lèvre suiiérieiire couleur de chair et l'inférieure blanche; il a, sur la poitrine, une tache blanche en forme d'V. On ne l'a encore trouvé que dans les montagnes du .Sylhel an Népaul , et l'on ne sait rien de positif sur ses habitudes. L'Oi'Rs ORXÉ ( f.''/',7); son museau est un peu plus court, d'un fauve sale ; son pelage est ('gaiement d'un noir lisse et luisant, mais il a un demi-cercle fauve sur cha- ipie ail , et du blanc ou du fauve à la gorge ou à la poitrine. Il est assez commun dans les Cordillères du Chili, et peut-être dans toute l'Américpie australe. L'Ours aux grandes Li';vRES (f/rsus lahialus, de Hi.ainv. lirailiipua »rrès cette citation f.iile par liuffou, il seudilerait c|ue l'ours noir n'est jamais carnassier; et cependant les naturalistes, entre autres G. Cuvier, prétendent que lorsqu'il est poussé par la faim il atta(pie les niannnifères. Ce fait a besoin d'être conlirmé, mais ce qu'il y a de sur, c'est (piil mange le poisson. En hiver, il descend des bois, et vient pêcher sur le bord des lacs et des rivières. 11 nage et jilonge fort bien , et s'empare de sa j)roie avec beaucouji d'adresse et d'agilité. Il se plaît particulièrement dans les forêts d'arbres résineux, et il se loge dans les cavités formées par le lem|>s dans leur tronc. La plus lia\ite est celle (pi'il choisit de jiréférence, et il n'est i)as rart^ de le trouver ui<'hé à |)lus de (juarante pieds (li,8',lâ) de hauteur. Pour le prendre, les Amé- i-icains mettent le feu au pied de l'arbre ; ils le forcent ainsi à sortir de sa retraite pour se sauver des flauunes. Si c'est une fe- melle, elle descend la |)remière, à reculons, comme font tous les ours, (^t, lor.sipi'elle est près de terre, ilsl'aballeut d'un cou|» de fusil tiré à bout i>orlant dans le Cd'ur ou dans l'oreille. Les our- sons descendent ensuite, et on les prend vivants et sans danger s'ils sont encore petits; dans le cas contraire, on les tue. Ou chasse encore l'ours noir avec des chiens courants, qui le har- cèlent jus(prà ce qu(^ le chasseur ait trouvé le moment favorable liour le lirei. Toutes les manières de le chasser sont sans danger, jiaree qu'il ne court jamais sur le chasseur cl (|ue, Idi ssé ou non, il m- cherche jamais qu'à fuir. Seulement, il ne f.iut jias s'approcher impriulemment de lui lorsiju'il est aballii « I lumi- LES CARMVORES PLANTIGRADES. ISS rant; car alors, sentant «[u'il ne peut plus e'chapper au danger, il cherche à se défendre et à se venger. Son cri est trcs-difTe'rent (le celui de l'ours brun; il consiste dans des hurlements aigus, (|iii resseniblent à des pleurs. Les .\meri(niiis lui l'ont une chasse continuelle, non pas seu- lement parce qu'il dévaste leurs champs île mais, d'avoine cl autres grains, mais encore parce qu'ils estiment beaucoup sa chair, et que sa fourrure, dont on fait chez nous les bonnets de grenadier, ne laisse pas (]ue d'avoir de la valeur. Sa graisse remplace avantageusement le beurre ; ses pieds offrent un mets Irès-dëlicat; et ses jambons, sales et fumés comme ceu.x de co- chon , ont une grande réputation en Ame'riiiue et dans toute l'Europe, où on les envoie pour la table des riches. L'Omis iiLAfiC {Ursus marttimus. Lin. Ursus albus , Briss. L'Ours de la mer Glaciale, Buff. L'Ours polaire des voyageurs II est le type du genre Thularclos de Gray). Cet animal est connu de tout le monde par les exage'rations des voyageurs et par les contes qu'ils nous ont debite's sur sa grandeur, sa voracité' et son courage intre'pide. Quand nous au- rons réduit toutes ces histoires à leur juste valeur, on sera fort étonne de ne trouver dans l'ours blanc (jue les mœurs ordinaires des animauK de .son genre, mais accompagnées d'une stuiiidile ipie l'on a prise pour du courage. Les plus grands individus de cette espèce ne dépassent jamais six pieds et demi (2,11 1), et les voyageurs qui allirment en avoir vu de treize pieds (4,225) men- tent juste du double. Sa ttHe est fort allonge'e , son crâne aplati , sur la ni(*me ligne que le chanfrein; son œil est petit et noir, ainsi que le museau et l'iuti'rieur de la gueule; son cou est très- long, et sa plante des pieds est d'une largeur remaniuable; tout son corps est couvert de poils blancs, longs et soyeux. Habitant les glaces e'ternelles du pourtour 'du pùle boréal , les côtes du Groenland, du Spitzbcrg, en un mot les parties les plus froides de la terre, il a dû contracter des habituiles en liariiioiiie avec ces climats rigoureux. L'été, retiré dans les terres, il erre dans les forêts et mange les graines, les fruits (a même les ra- cines qu il y rencontre; ce qui ne l'empêche pas, cependant, de dévorer les cadavres des animaux, quand il en trouve. C'est là qu il lail ses peliLi, qu'il les allaite sur un lit de mousse et de lichen , et qu'il les habitue peu à peu à manger des substances animales. Mais, dans ces malheureux climats, la saison des beaux jours est trop courte, et bientôt la neige, qui couvre le |iays, force l'ours blanc à quitter les forêts où il ne trouve plus de nourriture , et à venir sur le bord de la mer, suivi non-seule- ment de sa famille, mais encore d'une troupe nombreuse que la lamine a également exilée des bois. Cette sorte de sociabilité cpù les réunit est un caractère <[ui distingue cette espèce, car toutes les autres ont une vie solitaire, et restent dans un isolement sau- vage. Pendant ce petit voyage, ils se pre'parent à combattre les grands animaux marins en atta(|uant les rennes et autres êtres timides qu'ils rencontrent sur leur route. Bientôt, de chasseurs maladroits , ils deviennent excellents pêcheurs . et ils poursuivent jusqu au fond des ondes les poissons et les mamnnfères amphi- bies, qui deviennent leur proie. Ils s'habituent à plonger et à rester longtemps sous l'eau; ils nagent avec aisance et rapidité, et peuvent faire ainsi plusieurs lieues sans se reposer. Mais si une course trop longue les fatigue, ils cherchent un glaçon en- traîné par le courant ou poussé par le vent; ils montent dessus, et cette singulière b,ir(iue les porte souvent à une très-grande distance. »»// -fmwvi'^^^h. \imm •^v l'k L'Ours blanc. C'est ainsi qu'en Islande et en Norvège on voit (pielquefois arriver sur des glaçons flottants des bandes d'ours affames an point de se jeter sur tout ce qu'ils rencontrent. C'est alors (pi ils sont terribles ])our les iiommes et les animaux , et cette circon- stance tout à fait accidentelle , mais ipii se renouvelle cha(|iic année, n'a pas ])eu contribué à leur réjjutalion de coLU-age et de férocité. Uuehpiefois, entraînés dans la haute mer par les glaces, ils ne peuvent plus regagner la terre niciuilter leur île (loltante; alors ils meurent de faim ou se dévorent les uns les autres. Sans cesse furetant sur les glaces au bord de la mer, leur proie ordinaire consiste en pluxpies, en jeunes morses , et même en baleineaux qu'ils osent aller attaquer à la nage à plus d'une demi-lieue de la côte. Ils se réunissent cinq ou six pour cela ; mais, maigri' leur immbre, ils ne réussissent pas toujours, parce que la baleine .iccouri à la défense de son petit, et, avec sa terrible queue, ('tourdit , assomme ou noie les agresseurs. Li- phoque, malgré ses puissantes niAclioires, ne leur offre guère de résis- tance parce qu'ils s'approchent de lui, doucement et sans bruit, pendant son sonmieil , le saisissent derrière la tête et lui brisent le cràue avant qu il ait pu oi)|)o>er la moindre résistance. Il n'en 1S6 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. est pas de même du morse ; plus défiant que le phoque , il est rare qu'ils parviennent à tromper sa vigilance. Le corps porte' sur les pattes on plutôt sur les nageoires de devant, la tête droite et e'ieve'e, il leur présente ses formidables défenses, les frappe, leur perce le corps et les renverse mortelleinent blesses; puis, force par le nombre de battre en retraite , il se lance à la mer et disparaît aux yeux de ses ennemis , qui le poursuivent avec autant d'acharnement que d'inutilité'. L'ours blanc, dans les contrées qu'il habite, n'a jamais ren- contre un être assez fort pour le vaincre, ce qui fait que la crainte est pour lui un sentiment étranger, mais dont il est ce- pendant Ircs-susceptible. N'ayant jamais éprouve' de lutte sé- rieuse , il ignore le danger, et sa stupidité l'empêche de le re- connaitre lorsi|u'il l'aperçoit pour la première fois. Aussi l'a-t-on vu venir d'un pas délibéré attaquer seul une troupe de matelots bien armés, et l'on a j)ris cela pour du courage. D'autres fois, il s'élance à la nage, va sans hésitation tenter l'abordage d'une chaloupe montée de plusieurs hommes, d'un vaisseau même, et il périt victime, non de son intrépidité, mais de sa stupide iui- prudence. S'il sent de la résistance, s'il est blessé, il cesse hon- teusement le combat, et fuit lAchement ; ce que ne font jamais l'ours brun, le tigre, et quelques autres animaux doués d'un vé- ritable courage. Les marins qui ont hiverné dans le nord ont toujours été in(|uiétés par ces animaux , qui venaient flairer leur proie jiiS(pi à la porte de leur cabaue, et qui grimpaient même sur le toit pour essayer do pénétrer par la cheminée. Mais toults les fois (ju'on les recevait à coups de fusil ou même à coups de lauce, les ours se liAtaient de prendre la fuite, ou du moins n'essayaient pas de soutenir une lutte. On a dit cpie l'ours blanc se retire en \n\v\- dans des trous creusés sous la neige, et qu'il y reste en élatcouqjlet de léthargie jus(|u'au retour de la belle saison Je ne soutiendrai pas iiue ce fait est faux, mais je dois dire qu'il me paraît très-douleu\. La ménagerie a possédé plusieurs ours blancs, et jamais on ne les a vus plus vifs, plus éveillés, si je puis le dire, "que pendant les froids le» plus rigoureux de l'hiver, S'ils paraissent languissants et faibles, c'est lorsque la température de l'été se trouve à un degré assez élevé, .l'ai vu le froid descendre, à Paris, à vingt de- grés du thermomètre de Réaumur, c'est-à-dire presque aussi bas (jue dans la Nouvelle-Zemble; et cejiendant l'ours blanc qui habitait un des fossés du jardin ne paraissait |ias plus engourdi que de coutume. Ensuite, si on lit attentivement les voyageurs, on verra que c'est précisément dans la saison ou le froid est le l)lus rigoureux que les ours se rencontrent le plus fréquemment sur le bord de la mer. La femelle met bas au mois de mars, et l'on i)rétend (|u'elle ne fait ((u'un ou deux pelils, très-rarement trois; du reste, on n a guère ])U s as.surer de ce fait, et l'on en juge i>ar le nombre d oursons dont elle est ordinairement suivie Le cri de ces auiuumx ressemble plutôt, dit-on, a l'aboiement d'un chien enroue! (pi'au nnirmure grave des autres espèces d'ours. Dans la servitude, il ne se montre susceptible d'aucune éducation, d'aucun attachement, et il reste conslanum ut d'uue sauv.igerie brutale el stupide. L'oiiis ['ùm:K[Ursusfero.T, Liiwis. Danis ferux,GK\\. Ursua ci- nereu.s, Desm. (/rsu.s horribilis, Oiup. L'Ours gris des voyageurs. 11 est le type du genre Danis de Grav). L'ours gris joint à la slupidilé de l'ours blanc la férocité du jaguar, le courage ress(' par la faim, car alois il prenait la uoiiriilure sèche et telle ([u'on la lui présentait. Il furetait par- tout, mangeait aussi de tout, de la chair crue ou cuite, du iiois- son, des œufs, des volailles vivantes, des graines, des racines, etc. Il niangeait aussi de toutes sortes d'insectes; il se plaisait à cher- cher des araignées ; (l lorsipi'il était en liberté dans un jardin, il prenait les limaçons, les liannetons , les \ers. 11 aimait le su- cre , le lait et les autres nourritures douces par-dessus toutes choses, à l'exception des fruits, auxipiels il préférait la chair, et surtout le poisson. 11 se relirait au loin pour faire ses besoins; au reste il était f.imilier et même caressant, sautant sur l(!s gens ipi'il aimait, jouant volontiers el d as>e/ bonne gr;ke, leste, agile, toujours en niouveiuent. 11 m'a paru tenir beaucoup de la nature du maki et un peu des (jualités du chien. » La ménagerie a autrefois possédé un raton qui avait absolument les mêmes habitudes. Quand je voulais m'amuser à ses dépens, je lui donnais un morceau de sucre. Aussitôt il le portait dans sa terrine d'eau pour le délayer, et rien n'était plus comique que 1S8 LES CARNIVORES PLANTIGRADES. ses démonstrations d V'ionnement lorsque, le sucre étant fondu, il ne retrouvait plus rien dans le vase. Le raton laveur habite l'Amérique septentrionale. L'ACOuARAPorÉ ou Raton crabier [Procyon cancrivorus , Geoff. Le Chien crabier de La Borde. Le Eaton crabier, Buff.). Vingt-cinq pouces (0,G77) de longueur totale ; son poil est plus court, fauve, mêlé de gris et de noir, et assez uniforme en dessus; d'un blanc jaunâtre en dessous; ses pattes sont brunâtres; et sa queue, plus longue, est marquée de huit ou neuf anneaux noi- râtres, quelquefois peu a])parents. Commun à la Guyane , il cher- che sur les rivages les crabes dont il fait sa principale nourriture, et d'où lui est venu son nom. Ses habitudes difTerent peu de celles du précédent, mais il est dun caractère plus timide. ^SXi.^' L'Ours féroce. Du reste les ratons , étant tous fort mal armés , ont le sentiment de le\ir faiblesse, et sont doués d'une intelligence trcs-développéc. Si, à la ménagerie, une personne étrangère se présente devant la loge de ces animaux, aus'-itùt le raton s'enfuit et se cache dans le coin le plus obscur en donnant les signes les plus énergiques de son effroi. Les deux espèces dont nous donnons ici les figures sont les seules qui aient été reconnues par les naturalistes, et bien décrites par eux; l'une, comme on l'a vu, api)arlient à l'Amé- rique du Nord, l'autre à l'Amérique du Sud. On raiq)Orte à la première, comme variétés, le raton lAanc deBrisson, le raton fauve et le raton doser, et (pie nos méthodes prétendues naturelles lui sont tout à fait étrangères. 5' Gi;nue. Les BENTOURONGS (/chiks, Vai.knc. Arctictis, Tf.m.m.) ont trente-six dents : six incisives, deux canines et dix mol.iires à chaque mâchoire; les canines longues et comprimées, tran- chantes; corps trapu; tète grosse; yeux])clils; oreilles velues, arrondies et petites; cinq ongles crochus, comprimés, non con- ractiles, à chai(ue (lied; queue prenanic, mais cnlic rcuu'nt velue. Le Bentourong noir (Ictides ater, Fr. Cuv.) est un peu plus grand que le Bentourong à front blanc, dont il serait possible qu'il ne fût qu'une variété. Son pelage est entièrement d'un gris noirâtre. Il habite Java. Le BsiNTOURONG doré {Ictides aureus , Valenc. Paradoxurus au- reiis, Fr. Cuv.) est couvert de poils très-longs, soyeux , d'un brun fauve doré et uniforme. On le croit de l'Inde. Le Bentourong a front blanc (Ictides albifrons, Valenc. Para- doxurus albifrons, Fr. Cuv. Le Benturong, Raff.) a deux pieds (0,650) de longueur, non compris la queue , qui a deux pieds six pouces (0,812). Son pelage est composé de longues soies noires et blanches , excepté sur la tète et sur les membres , où le poil est court; son museau et son front sont presque blancs, avec une tache noire sur l'œil s'étendant jusqu'à l'oreille ; sa queue et ses pattes sont noirâtres ; ses moustaches très-longues et très-épaisses ; ses oreilles bordées de blanc. Cette espèce se trouve dans l'intérieur de l'Inde. Elle est noc- turne et dort pendant le jour. Le soir elle se réveille pour se mettre à la recherche des insectes , des fruits et des petits ani- maux dont elle se nourrit. Les bentourongs se rapprochent beaucoup des ratons par la forme de leurs dents et par leur marche plantigrade. Ils lient aussi ce genre aux civettes et principalement aux paradoxures , dont ils sont très-voisins par l'ensemble de leur organisation. C'est à M. Duvaucel, mort dans l'Inde, ([ue l'on doit la connais- sance de ces animaux, qui ont été plusieui'S fois observés depuis, mais sans qu'on nous ait rien transmis d'intéressant sur leurs mœurs et leurs habiludes. Le Raccoon. G" Genre. Les PARADOXURES [Parado.rurus, Fr. Cuv.) ont ourrait aisément le soumettre à la domcslicité. L'A^oiiarapope. c'est tout diflérent aussitôt que le crépuscule desteiid sur les fo- rêts (|u'il haliite; il déploie alors une grande vivacil(', et c'est un vrai mouvement perpétuel. Toujours furetant comme un chat, grimpant, sautant comme un écureuil, il est occupé à laire la chasse aux oise.mx, à dénicher leurs œufs et leurs petits, dont il est très- friand. Il grimpe sur les palmiers avec la plus grande agilité, s'y Le MusAM.-Bur.AN ou Lhwach (Paradoxurus musany. Vnerro musaïKja, Raffl. Le Musany, Marsd.) est plus petit, sa grosseur atteignant au plus celle d'un chat; son pelage est d'un fauve foncé , mélangé de noir ; sa queue est noire , excepté deux pouces (0,051) de son extrémité qui sont d'un blanc pur, et ce caractère le (lifTérencie fort bien du iiréc('dent. Il habile Java et Sumatra. Le Pougounié. mainlienf aisément au moyen de sa queue , et y poursuit les pe- tits mainmifcres. Il est très-carnassier; c'est à peu piès tout ce ipiOri sait (le son histoire. l'ii de ces animaux s'écliappa un jour du .ianliu des Piaules, et, loin de se jeter dans les champs, il remonta de maison en maison le long du boulevard intérieur jus(|u';i la barrière d'Enfer, où je l'aperçus, un mois après sa fuite, jouant avec un jeune chat sur le tuyau d'une chcmim'c .le crois que c'est à cette es])èce cpi'il faut rapporter la Genctie dti caji de bit]ine- lisy)èrant:t', de liuM'ou. Le Dr.i.iiNiiuNC ou Li.nsanc (l'aratloxunt^ pn-hensilis. Viverra prc- Iie7isilis, DisM., — ni; l!l.Al^v. f/rcna (jraalu:, lions. Viverra lin- sang, IIai\i)\v. ) , plus petit encore ipic le précédent, ne dépasse guère la taille d'une fouine. Son jielage est d'un jaune ver- d.Mre; la ligne dorsale, les pattes et la queue sont noires; il ;jia|plii.' l'irii Iriirs ilr \ iiiijii .11(1 , ^ÎO. i:i(i LES CARNIVORES PL A^TIGRADES. deux lignes de lâches allonge'es noires près du dos, et beau- coup de petites taches orbicuiaires sur les flancs. Il habite le Bengale. 1' Genre. Les CO.VTIS [Simia, G. Cov.) ont quarante dents : si\ incisives, deux canines prismatiques aplaties et douze molaires à chaque mâchoii'e. Ils ont à chaijue pied cinq doigis armes d'on- gles longs , ace'rcs ; leur nez est extrêmement allonge et mobile ; leur queue est pointue, non prenante, et trè.s-longuc; ils man- quent de follicules anaux et ont six mamelles venirales. Le QuACiii [Nasua rufa. Fr. Cuv. Viverra nasua, Lin. Le Coali roux, G. Cuv.) a deux pieds cinq pouces (0,785) de longueur; il est d'un roux vif et brillant, un peu plus sombre sur le dus; son museau est d'un noir grisAlre, avec trois taches blanches autour de chaque œil, mais sans ligue longitudinale blanche sur le nez. Il habile le Brésil et la Guyane, et ses mœurs sont absolument celles du coati-mondi. Il est assez singulier (juc l'on ait trouve en Europe des ossements fossiles de ces animaux , analogues à ceux qui vivent aujourd'hui en Amérique. Le CoATi-MoNDi (!\'asua fusca, Fr. Cuv. Vwcrra nasica, Lin. Le Cuati brun, G. Cev. Le Coati noirâtre, Biiff. Le Blaireau de .Su- rmam, Briss.) est brun ou fauve en dessus, d'un gris jaunMre ou orange en dessous; il a trois taches blanches autour de cliaipie a'i! , et, ce qui le dislingue plus particulièrement du iirèce'dent, une ligne longitudinale blanclie le long du nez. Du reste, son ]ic- lage varie beaucoup de couleur. (Juoiciue les coatis aient une pupille Irès-dilalnble , on ne peut pas dire ipiils soient des animaux nocturnes, et, si l'on en croit Linné, ils sont trè.ssinguliers sous ce ra|)|)ort. Ce grand natura- liste en avait un cpii diu-mait depuis minuit jusipi'à midi, veillait le reste du Jour, et se promenait régulièrement dcjiuis six heures du soir Jusqu'à minuit, qLiehpie teuq)S ([u'il fit. Il |iarait cepen- dant cpie d.ins les forêts du Brésil , du Paraguay et de la Guyane, oi'i cet animal est assez commun, il chasse depuis le matin Jus- qu'au soir, et dort toute la nuit. De tous les carnassiei's, les coatis et les ours devraient être les ])lus omnivores, si on en Juge ])ai' leur système dentaire , et nèaumoins les jjremiers se nourrissent entièrement de sid)Slanies animales : aussi sont-ils cruels, et out- ils toutes les habitudes fe'roccs des martes , des fouines , des re- nards et autres carnivores. S'ils peuvent iie'nétrcr dans une basse- cour, ils n'en sortent pas ([u'ils n'aient tué toutes les volailles, (ju'ils ne leur aient mange' la tète et suc;' le sang. El) esidavage , ils deviennent assez familiers, el reçoivent les caresses qu'on leur fait avec un certain plaisir, et en faisant entendre un petit siffle- ment doux; mais ils ne les rendent jamais, et ne paraissent ja- mais capables d'aucun altachcment. lis ont dans le caraclère une opiniàtret(' invincible, et rien n'est capable de leur faire faire une chose contre leur vohuilé. En coati est-il en r<'pos, il y reste malgré tous les moyens que l'on peut mettre en usage pour l'en faire sortir; si l'on emploie la force pour l'exciter à changer de jdaci', il se cramponne, s'accroche comme il peut au\ corps en- vironnants, rc'siste de toute la jniissance de ses forces, et finit, dans sa colèri' furieuse, jiar se Jeter dans les Jambes de ses pio- vonalciirs, en aboyant d'une voix très-aigtii'. Si l'on veut l'arrêter dans sa marciie, le détourner de l'endroit où il veut aller, le fairit sortir d'un appartement, en un mot, le contrarier dans sa vo- lonté de fer, il faut constamment euijiloyer la violence; contraint par la force, vaincu dans ses elfoits, il se laisse Irainer, mai- il n'obéit pas, et recommence la ri'sistaiice dès (pi'il le peut. Sa cu- riosité ne le cède guère à son opiniâtreté, el ces deux défauts, poussés il l'extrême, le rendent fort incommode dans un appar- tement. Aussitôt entré dans une chand)rc, il commence jiar cii visiter tous les coins; il va fuirtanl, fouillant |iailoul, tournant et retournant ( haque chose pour la consiilérer, (hqpi.içant tiuis les objets qu'il peut atteiiuh-e, saiitaiil sur les meubles avec |ilus de b'gèreté qu'un ili.il , grimp.iut aux lideaux des lits, eiilin mettant tout sens dessus dessous. Il résulte de ces habitudes désagréables que l'on est obligé de le tenir constamment il la chaîne, quehpic apprivoisé (]u'il soit. En outre, son caractère est tellement mobile , que cliez lui les caprices se succèdent presque toute la journée, et il passera dix fois par heure de la joie à la tristesse, de la tranquillité à la colère, sans aucune cause a|)i)arenle. Ajoutez à cela qu'il est d'une méfiance extrême, qu'il a la singulière habitude d'aller flairer les excréments (pi'il vient de faire, (juil exhale une odeur forte et désagréable, qu'il est voleui' comme un chat, et s'empare délibérément de tout ce qui est à sa convenance, sans (lu'aucunc correction puisse l'en em- pêcher ni le corriger de ses défauts, et vous aurez le portrait peu flatteur, mais vrai, d'un commensal nullement aimable. A l'état sauvage , le coali-mondi ne quitte pas les forêts les plus sauvages. Il grimpe sur les arbres avec toute l'agilité d'un singe, et, ce (|u'il y a d'extraordinaire, c'est qu'il est le seul animal de son ordre qui en descende dans une position renversée , c'est-à- dire la léte en bas. Il doit cette étonnante faculté à la conforma- tion particulière de ses jiieds de deirière, cpii lui permet de les retourner de manière à pouvoir se suspendre par ses griffes. Tout son tciiqjs est occupé à la chasse aux oiseaux et à la recherche de leur nid, ou à poursuivre les petits mammifères. Il ne laisse pas pour cela de se nourrir d'insectes , et pour les trouver il fouille très-aisément la terre avec sou boutoir, ou plutôt sa liom|ie, (|u'il meut dans tous les sens et continuellement, même quand il n'a p;is besoin de s'en servir. Lorsifuil boit, il a bien soin de la relever afin de ne pas la mouiller, et alors il lape comme un chien. Cet animal turbulent ne se creuse pas de ter- rier, ainsi que l'ont avancé la plupart des naturalistes, mais il se loge dans des trous d'arbre. Il vit en troupe assez nombreuse, el, selon Azzara, (piaïul on les surprend sur un arbre isolé que l'on fait semblant d'abattre, tous se laissent aussitôt tomber comme des masses. Pour porter les aliments à la bouche, les coatis se servent de leurs pattes de devant, mais non pas à la manière des écureuils et autres rongeurs; ils commencent à diriser en lam- beaux la chair de leui' proie, au moyen de leurs grilles, puis ils cnlilcnt un morceau avec leurs ongles et le portent à leur bouche comme ferait un homme avec une fourchette. La femelle fait de trois à cinq petits, qu'elle élève avec ten- dresse , et parmi lesquels se trouvent constamment plus de milles (pie de femelles. Aussi, (|uand leur éducation est terminée, la troniie s'cmiircsse-t-elle de chasser ses mâles surabondants; ils vont rôder solitairement dans les forêts jusqu'à ce que le hasard leur ait fait rencontrer une compagne, avec bupielle ils viennent vivre en société dans la première troupe cpiils rencontrent. Les coatis marciicnt toujours la (pieue élevée, mais non pas inclinée sur le dos. S" Geniie. Les BLAIRE.\EX {Mêles, Briss.) ont trente-six dents : six incisives el deux canines en haut et en bas; huit molaires à la mâchoire su|iérieure et douze à l'inférieure; leur corps est trapu, bas sur jambes, ce qui leur donne une marche rampante; ils ont ciii(| doigts à chaque pied, ceux de devant armés d'ongles longs et robustes, propres à fouir la terre; la (pieue est coiirle, velue; ils ont près de Innus une poche rem|)lie d'une humeur grasse et infecte; on leur trouve six mairicllcs, ilcux pectorale» et ipialrc venirales. l-c lii AiRi.AU Commun [Mêles rulgaris, Desm. Ursus mêles, Lin. Le llliiireau, Ben. Le Taiss(}n de (piclquc chasseur) est d'un gris brun en dessus, noir en dessous; il a de chaque côté de la tête une bande longitudinale noire, jiassant sur les yeux et les oreilles, et une autre bande blanche sous celles-ci, s'étenieds de devant, très-longs et très-fermes, il a plus de facilité (pi un autre pour ouvrir l.i terre, y fouiller, y pénétrer, et jeter derrière lui les déhlais de son excavation, ([u'il rend tortueuse, oblique, et qu'il pousse quel- ((uefois fort loin. Le renard, qui n'a pas la même facilité pour creuser la terre, profite de ses travaux : ne i)onvant le contrain- dre par la force, il l'oblige par adresse à ijuitler son i]oml( ile, en l'inquiétant, en faisant sentinelle à l'entrée, en l'infectant même de ses ordures; ensuite 11 s'en empare, l'élargit, l'approprie et en fait son terrier. Le blaireau , forcé à changer de manoir, ne change pas de pays ; il ne va qu'à (pielque distance travailler sur nouveaux frais à se pratiquer un autre gile, dont il ne soi't (|ue la nuit, dont il ne s'écarte guère, et où il revient dès (pi'il sent quelque danger. 11 n'a que ce moyen de se mettre en sûreté, car il ne peut échapper par la fuite : il a les jandies trop courtes pour pouvoir bien courir. Les chiens l'atteignent proniptement lors- ipills le surpreinient à quehpie distance de son trou; ce|)endant il est rare ipi ils l'arrêtent tout à fait, et ([u'ils en viennent à bout, à moins qu'on ne les aille. Le blaireau a les poils très-épais, les jambes, les mùchoires et les dents très-fortes, aussi bien i|ue les ongles; il se sert de toute sa force, de toute sa résistance et de toutes ses armes, en se couchant sur le dos, et il fait aux chiens de profondes blessures. 11 a d'ailleurs la vie très-dure, il cond)at longtemps, se défend courageusement et jusipi'à la der- nière extrémité. » Le blaireau est carnassier, mais cependant, et qijoi qu'en aient dit les naturalistes, il ne vit guère de |iroie eau, mais point de [loche. Le RossoMAK {Gutlo arcticus, Desm. Ursus gulo, Lin. Le Glouton, BuFF. La Volverenne, Penn. Le Vielfras des Danois; le Gieed'k des Lapons.). Sa taille est celle d'un gros chien braque, mais il a les jambes Olaiis Magnus est, je crois, le premier naturaliste qui ait parlé du glouton, mais pour exagérer beaucoup sa voracité, qui a passé en proverbe. Cet auteur raconte que, quand il dévore un cadavre, il se remplit au point d'avoir le ventre gros comme un tambour; puis il se presse le corps entre deux arbres pour se vider, retourne ensuite au cadavre, revient se presser entre les deux troncs d'ar- bres , et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de sa proie , quelque grosse qu'elle soit. De pareils contes se réfutent d'eux-mêmes. D'autres naturalistes, et particulièrement Gmelin , ont avancé que cet animal , par une exception qui serait unique fe^*" Le Coali-Mondi, beaucoup plus courtes ; sa fourrure est très-belle et fort estimée des Russes, (jui la préfèrent à toutes les autres, si on en excejpte l'hermine , pour garnir les bonnets et faire des manchons. Elle est d'un 1)1 un marron foncé, avec une grande tache discoïdale \\l r t*i,'>'/ jilus foncée sur le dos, et quelcjucfois di s teintes [dus jiMes. Il a l.i queue a.s.sez courte, le corps ln\\>u , et eu général les formes lourdes II habile les contrées les plus froides et les plus dé.sertes du nord de IKiiiop,- cl de WWn:. Il est commun en Laponie et dans les dt'seiis de la sili('i-ie. parmi les êtres vivants, n'avait,' pas l'instinct de la conservation; il.s° basent leur opinion sur ce que le glouton, (juand il voit un homme, ne donne aucun signe de crainte, et s'en approche avec iiidifTérence , comme s'il ne courait aucun danger. A supposer (|ue ce fait fut vrai, il ne prouverait (|u'une cho.se, c'est que, vivant dans le désert, où jamais il ne Uduvc un élrc plus fort qw lui, il ignore ce (|u'il a à craindre de la présence de l'Iidinnie, D'ail- leurs tout animal qui n'aurait i)as la conscience de sa conserva- lion ne vivrait pas vingt-(pialrc heures. PLANTIGRADES. 133 Le rossomak vit solitaire, ou, mais rarement, avec sa femelle, dans un terrier qu'il se creuse en terrain sec, sur le penchant tl'une colline ombrage'e par une forêt de sapins ou de bouleaux. Il n'en sort que le soir pour aller à la (juétc de sa proie, consis- tant en rennes, élans et autres animaux ])lus petits. S'il habite par la fuite, car le glouton marche très-lentement et ne peut pas courir. Aussi, le plus ordinairement, sa proie lui e'chapperait s'il n'em[doyait mille ruses pour s'en emparer par surprise. Souvent il se cache dans un buisson épais, sous des feuilles sèches, dans un][tronc d'arbre creux, partout où il peut échapper à la vue, et l.e Glouton une contrée où les chasseurs d'hermines tendent des pièges pour prendre des animaus. à fourrure, il commence par visiter toutes leiMS trappes, qu'il connaît fort bien et dans les(pielles il ne se picnd jamais, et il s'empaie des anim^iux ipii y sont arrêh's, ce il reste j)atiemnient en embuscade , sans faii'e le moindre mouve- ment, jusi[u'à ce que le hasard, ou plutôt ses prévisions, amènent une victime à sa portée. Il reconnaît fort bien les sentiers frayés par les rennes sauvages , lorsipi ils s(U'leut de la forél pour aller '■--''■ 't^.ii^^ ■0^P^'-'' Le Ralel. dont se i)laignent beaucoup les cliasseurs de renards bleus et blancs qiù se tiennent q!ie tonte l'Ami'ricpic méridionale ; cependant il est plus commun à la C.uyane, surtout au Paraguay, que partout ailleurs. Il est aussi carnassier et plus fi'roce que le précédent; mais sa petite taille ne lui permet pas d'atlai|uer de gros animaux. Il s'en venge sur les volailles, les oiseaux, les lièvres, lapins, ou espèces analogues, elc , auxipiels il fait journellement une guerre d'extermination; aussi est-il un v('ritable fléau pour les basses cours. 11 se retire le jour dans un ])rofond terrier, d'où il ne sort que la nuit pour commettre ses brigandages. S'il est surpris dans ses méfaits par des chiens ou des chasseurs, sa colère lui fail aussitôt exhaler une odeur de musc tellement désagréable, qu'elle réussit quelquefois à écarter ses ennemis. Quand ce moyen ne réussit pas , il combat avec fu- reur, et ne i|iiille la lutte (juavec la vie. Il est cruel par plaisir plus peut-être ipie ])ar besoin , et même , lorsqu'il est apprivoisé, il n'a pas de plus grande jouissance i\w celle d'égoruer sans né- cessité tous les petits animaux domesti(iues qui se trouvent à sa portée. Le Taïha [Gulo harbalus, Desm. Mustcla harbata, Liin. Vwerra vitlpecula, (iwL. Le J'aïra ou Galera, Buff. Le Carigueibeiii , MMUuiii. Le jirand Furet, Azzar.) a de vingt-deux à vingt-quatre pouces (0,.^i)j à 0,050) de longueur, non compris la (lueue , qui en a quinze (0}406); son corps est mince, allongé; son pelage d'un brun noir ou entièrement noir, avec la tête et (]uelquefois le cou; une large tache blancli.'ilre ou jaunâtre, triangulaire, lui couvre le devant du cou et de la gorge; les jjieds de derrière ont les doigis réunis par une membrarie. Cel animal a les mêmes ha- bitudes que le précédent, comme lui exhale une forte odeur de musc, et se trouve dans les mêmes contrées. Le NiEMTiîCk (Gulo orientalis, IIoksf.) a la tête un ])cu jilus allongée que dans les espèces précédentes; il a deux pieds un pouce (0,077) de longueur totale : sa ([iieue est médiocre; son pelage brun avec la gorge, la poitrine et les joues jaunâtres; une tache de la même couleur j)art du vertex, s'étend sur le dos, et se termine en pointe; ses pieds de devant sont armés d'ongles très-crochus. Il se trouve à .lava , et doit avoir des mœurs analo- gues à celles des espèces précédentes, du moins si Ion en juge ])ar l'analogie. On ne sait rien de son histoiie. 10'' Gkmik. Le HATEL (Mellivora, Stoiiii.) a Irentcdeux dents : six incisives, deux canines et huit molaii'cs à chaque mâelioire. Quant aux autres caractères, il ne didcrc [las du genre Ciulo. Le Ratel (Mellivora capcnsis , Lf.ss. Viverra capeiisisvl \'iverra mellivora. Lin. Gulo capensis, Di:sm. Le Ralel, Spaum. Le Blaireau puant, Lacaii.i..). Il a le corps ('(lais et trapu, long de trois pieds quatre ixiuees (I,OHr)), compris la (pieiie; il est gris en dessus, noir en dessous, avec une ligne buigitudinale blanche de cluupie côté, dei)uis les oreilles jusfiu'à l'origine de la (pieue. (!ct animal exhale une oilcur di'sagrc'able , mais moins forte (pic celle des moufettes. Il habile l'yVI'riipu' depuis le Si-iu'gal jus- (pi'au c;qi de Ronne-lispérance, et la facilité avec la(pu'lle il creuse la terre l'ait croire qu'il se retire dans un terrier. Il vit de proie comme le glouton ; mais il est tellement friand de miel qu'il déploie toute sou industrie ]>our s'en i)rocurer. Trois espèces d'êtres s'occupent jouriiclJciuenl à di'couvrir des ruches d'abeilles, et se prêtent muliiellement secours i>our s'en em|)arer; ce sont : le llotunlol s.Mivage on Itoscliisman , le ratcl , et le coucou indi- cateur [Indicalor major, Lf.vaii.i,.). On sait que les lioschismans, ipie la nature et les siècles avaient faits propriétaires de leurs brûlantes montagnes, en furent chas- sés par les colons hollandais, ipii allaient les chercher et les tuer dans les bois à cou|iS de fusil, p.ir partie de plaisir; des femmes même étaient Irès-adroiles à les jjoiu'suivre à (dieval, et à les ex- terminer. Ces misérables, forcés de se retirer dans les plus éiiaissej liiHls, iiaqiiés comme des loups, fusillés aussitôt qu'ils parais- PLANTIGRADES. t35 s.iient, ne trouvaient pour se nourrir, clans ces affreux déserts, (jiie quelques racines amères, des termes ou fourmis blanches, et du miel sauvage. Mais, n'osant sortir que la nuit des antres de rocher où ils se cachaient pendant le jour, il leur eût e'ie' difïicile (le de'couvrir les ruches d'aiteilles , s'ils n'eussent su niellre à profit la connaissance ipiils ont d'une haliilude du ratel. Celui- ci , chai|ue malin, se promène silencieusement dans les forêts en écoutant. lîientot le cri d'un oiseau vient frapper son oreille, et il le reconnaît pour celui de l'indicateur ou du guide au miel, comme disent les Ihdlandais du Cap. Le ratel suit l'oiseau, mais douc^ement pour ne pas l'eUrayer, et relui-ci, volant d'arhre en arbre, de roche en roche, toujours en faisant entendre son cii, conduit bientôt le mammifère au jiied d'un arbre dans le tronc diicjuel est une ruche d'abeilles sauvages. Ici se rencontre une diflii-ulte'. Le ratel ne sait ni ne jieut grimper; il lève le nez, il flaire le miel, il bondit contre l'ècoice, il niurmure, il se met en colère ; rien n'y fait, et l'indicatein- a beau redoubler ses cris, les abeilles sont parfaitement en sûreté' clans leur ruche. Le ratel, ein-age' de colère, se met alors à attaquel- le pied de l'arbre avec les dents, en enlève l'crorce, le mord avec fureur, probablement dans 1 esiièiauce de; le renverser; mais la fatigue ne larde pas à l'avertir de l'impuissance de ses efforts, et il abandonne son en- treprise pour aller à une autre découverte. Les Boschismans, qui pendant le crépuscule errent en trend)lant dans les bois , trou- vent l'arbre, le reconnaissent aux morsures qui en ont enlevé l'écurce, moulent dessus et prennent le miel Lorsque le mammifère est conduit par le guide au miel à des abeilles qui établissent leurs ruches dans la terre, les choses se passent différeannent. Aussitôt avec ses ongles robustes il se met à creuser. Les abeilles se jettent sur lui par légions ; il se con- tente de passer de temps à autre ses pattes sur son nez et de fer- mer les yeux, car ces deux parties seides sont accessibles à leur aiguillon. Un poil long et touffu et une |)eau excessivement dure, épaisse , impénétrable , lui défendent sullisamment le reste du corps. Lorscju'il a mis les gAteaux à découvert, il mange autant de miel cpi'il le peut sans crever, ]niis il s'en va tranc|uilliMnenl sans s'inipiiéter de son guide. L'imlicaleur descend de son arbi'e, et tire parti des bribes que l'autre lui a laissées, faute de pouvoir tout avaler. Les Ijoschismans ont plus de reconnaissance, car ils ne manr(uent jauuiis de laisser à l'oiseau, sur une pierre ou une large feuille, une cpianlilé de miel sullisaule pour lui l'aire faire un bon repas LES CARNASSIERS DIGITIGRADES, riXQL'IKHE OHnRE DKS MAMMIFKRFS. La Marte a gorge riorée. Oet oidre iTufeiiiie tous les animaux carnivores ([iii inarciieni sur les doigts, c'est-à-dire qui ne s'appuient pas sur la plante entière des pieds comme les animaux précédents. On peut le diviser en cinq familles, qui sont celles des martes, des chiens, des civettes, des hyènes et des chîils, tontes très- intéressantes et nombreuses en espèces LES MAKTKS. Elles ont une seule dent lulieiruleuse en arrière de la dent carnassière de la mâchoire supérieure : on leur compte de trente- deux à trente-huit dents; leur corps très-allongé et leurs pieds très-courts leur permettent de passer dans les plus petits Irons. Elles nianipicnt de cœcum, et ne tombent pas l'hiver en It'tliargie. l" Genre. Les MARTES {Mustcla,L\ji.) ont de chaque côté trois fausses molaires en haut, quatre en bas, et un petit tubercule intérieur à leur carnassière d'en bas : leur museau i st un peu allongé et leurs ongles pointus. Tous ces animaux exhalent une odeur désagréable plus ou moins forte et analogue au musc. La Marte a gorge doréiî {Mustela ftavigula, Bodu. Mustela Hardwickii, Horsf.) est noire, avec la gorge , le ventre, le dos jaunes et les joues blanches; elle a environ vingt-deux pouces (0,r)95) de longueur, non compris la ((ueue, (pii est prfs(pic d (■- gale dimension. Elle habile le Ne'paul. De tous les animaux carnas.siers, les martes sont les |dus cruels et les plus sanguinaires. Elles ne se nourri.ssent cpie de ])roics vivantes, et il faut qu'elles soient poussées par une f^im extrême pour manger (pielques baies sucrées, telles que les raisins et les fruits de la ronce. Celles qui vivent dans les bois sont conslam- ment (iccu|)ées à la chasse des oiseaux, des souris, des rais. Les plus pelilrs esjièccs nK'mes , telles (pie l'hermine et la bclelle, atl.Kpieiit sans hésitation des animaux dix fois plus gros qu'elles, les lapins, les lièvres et les plus grands oiseaux. La ruse dans l'allaque, relTronlcrie dans le danger, un courage furieux dans le coud)al, une criiaulé inouïe dans la victuire, un grii'it désor- doMui' pour le carnage et le sang, soiil des caractères ipii ap- partiennenl à loiiles les espèces de celle famille, .sans c\rei>lion. Leur corps long, grêle, vermifoiine, comme disent les naliUM- listes, leurs jaudjes courtes, leur souplesse et leur agilité, per- mettent à ces animaux de se glisser partout et de passer par les plus petits trous , pourvu que leur tète puisse ,v entrer. Aussi parviennent-elles à pénétrer aisément dans les basses-cours, et leur ai)pariiion est toujours le signal de la mort pour tous les l)etits animaux domestiques qu'on y élève. Itien n'est épargné, et avant d'assouvir leur faim il faut qu'elles aient tué tout ce (pii les entoure, tout ce qu'elles peuvent atteindre. Elles ont un art merveilleux |ioui' sa|ii)rocher doucement de leur victinu' sans en être aperçues et sans la réveiller, pour s'élancer sur elle, la saisir cl lui couper la gorge avant qu'elle ait eu le temps de pousser un cri (|ui eût donné l'alarme aux autres. Les maries sont tellement cr\)elles, qu'elles n'épargnent pas même les animaux de Icui' gcinc; les espèces les plus fortes font une guerre à mnrl .'i celles qui sont plus faibles. Et cependant les niùles ne mangent pas leurs petits, connue font la idM|)art des chats et même les lapins; ils en prennent, au contraire, le plus grand soin, et dès qu'ils peuvent marcher, ils i>ar(agent avec la femelle les .soins, de leur éducation. J'ai ])U m'assurer de ce f.iil ]iar mes propres yeux, dans l'espèce de la marte com- nunie cl celle de la fouine. Les animaux sont d'un caraclèrc sauvage et farouche ; ils se plaisent dans les bois les moins fri'cpienic's, et ne s'api)rochenl pas volontiers des habitations de l'homme, si l'on en cxc( pie la fouine et la belelte. On ne peut nier(|u'ils aient de riiilclligcnce, si on en juge par les ruses cpi'ils eiuploieiil |ioin' Mirprciidre leurs ennemis; mais c'esl purement une iulelligeiice de mciirlre et de cruauté, qui ne les empêche pas de donner dans Ions les MARTES. 137 pièges qu'on leur tend. Re'duits en captivitfî, ils s'apprivoisent assez bien; cependant jamais assez pour avoir une véritable af- fection pour leur maître , et ne pas s'effaroucher de la pre'sence d'un e'tranger. Sans cesse agite's par un mouvement de défiance et d'inquiétude, ils ne peuvent rester un moment en place, et s'ils cessent pai- intervalles de chercher à briser leurs chaînes c'est pour dormir. La Marte comuvse [Mustela jnartes. Lin. La Marte, Biff.) a environ un pied et demi (0,487) de longueur, non compris la queue, qui a un peu moins de dix pouces (0,271). Elle est d'un brun lustré , avec une tache d'un jaune clair sous la gorge ; le dans les bruyères, le lièvre dans son gîte, les écureuils dans leur nid ; et si ces espèces lui manquent, elle se jette sur les mulots , les loirs, les lérots, et même sur les lézards et les serpents. Elle cherche aussi les ruches des abeilles sauvages pour en manger le miel. Comptant sur son agilité, elle s'effraye fort peu (piand elle est chassée par des chiens courants , et se plaît à se faire battre et rebattre, à les dépister, à les fatiguer, avant de monter sur un arbre pour échapper à leur poursuite. Encore, lorsqu'elle em- ploie ce dernier moyen, ne se donne-t-elle pas la peine de grim- per jusqu'au sommet Assise à la bifurcation de la première bran- %V.^^^V Cabane et enclos des Hétniones, près de la (grande rotonde. bout du mii'-eau , la dernière partie de la ([ueue et les membres sont d ini brun plus foncé, et la partie postérieure du ventre dun lirun plus roussCitre que le reste du corps. Lorsque la France possédait encore de vastes forêts, la marte y était assez commune; mais aujourd'hui elle est devenue très- rare. J'en ai cependant tué plusieurs dans les montagnes qui sé- parent la Saône de la Loire, et j'observerai ipie l'une d'elles l'iail suivie de si.x petits, quoicpie lUilï'on prétende (|ue cet animal n'en fait(iue deux ou trois ])ar ])ortée. La marte fuit les haliitalions et les lieux découverts, elle ne se plaît qu'au plus profond des fo- rêts silencieuses; et là, grimpant sur les arbres avec beaucotqi d'agilité, CDUune tiuites les espèces de son genre, elle s'occupe uni(|uement il la chasse. Ce n'i'st pas un animal nocturne; mais, iiiii^i (|iie tous les animaux sauvages (pii habitent des contrées où riioinme peut les incpiiéter, elle se cache pcinl.iiit le jour, et ne .sort guère qu'aux crépuscules du soir et du malin pour com- mettre ses déprédations, Llle détriiil une grande (pi.intité de menu giliicr; elle clierclie les nids d'oiseau, dont elle brise et mange les irufs; elle t.V'lie de siirpreiidre la perdrix coiivaiil che, elle les regarde effrontément passer sans s'en inquiéter davantage. La marte ne se creuse p'as de terrier et n'habite même pas ceux qu'elle trouve tout faits ; mais, quand elle veut mettre bas, elle cheri'he un nid d'écureuil, en mange ou en chasse le pro- priétaire , en élargit l'ouverture , l'arrange à sa fantaisie et y fait ses petits sur un lit de moii.sse. Tant qu'elle les allaite, le mâle rôde dans les environs, mais n'en approche pas. (Jiiand les petits sont a.ssez forts jioiir sortir, elle les mène chaque jour à la pro- menade, et leur apprend à grimper, à chasser et à reconnaître la proie dont ils doivent se nourrir. C'est alors que le mâle se réunit à la femelle, a|)porte à ses enfants des oiseaux, des mu- lots et des œufs. Dès lors ils ne rentrent l'Ius dans le nid. et couchent tous ensemiile sur les arbres, ou dans les feuilles sè- ches sous un buisson touffu. Dans les forêts très-solitaires, la famille se hasarde quelquefois à sortir de sa retreite pendant le jour, mais en se glissant liirtivement sous le feuillage, et se don- nant bien de garde d'être aperçue par les oiseaux. Si un roitelet , un rouge -gorge, une mésange, ou toute antre espèce d oiseau 13R LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. p;i'an{l ou petit, vient à apercevoir une marte, il pousse aussitôt un cri particulier qui donne une alarme générale à un (jiiart de lieue de rayon. Les pies, geais, merles, pinsons, fauvettes, en un mot presque toute la nation ailée se re'unit aussitôt o* criail- lant, enloure l'animal , le poursuit, le harcèle, s'en approche en i-edoublant ses cris, et, à force de l'ctourdir par dos clameurs, le contraint a une prompte retraite. Du reste, tous les animaux carnassiers, chouettes, ducs, chats, renards, loups, ne sont pas reçus d'une manière plus amicale par le peuple chantant des forêts; tandis qu'il vit en très-bonne intelligence avec les ani- maux paisibles, comme daims, chevreuils, lièvres, etc. La four- iiire de la marie commune a ((uelqiie valeur; mais il s'en faut de beaucoup qu'elle soit coiuparablc a celle de la marie zibeline, dont nous aurons à nous occuiter plus loin. Elle est moins rare dans le nord de rEurojie (pieu France, et plus commune en- core dans le Canaila. La Fouine {Mustela foina, Li.s. La Fouine, Buif. — G. Cuv.) a beaucoup de ressemblance avec la marte, mais cependant elle s'en distingue au premier coup d'œil par le dessous du cou et la gorge , qui sont blancs et non pas jaunes. Sa taille est la même; son pelage est brun, avec les jambes et la queue noirâtres. Elle e.xhale une forte odeur de musc. Cet animal habite toute l'Europe et l'Asie occidentale ; il est assez commun partout. « La fouine, dit Bufïon, a la physiono- mie très-fine, l'icil vif, le saut léger, les membres souples, le corps (lexible, tous les mouvements très-prestes; elle saute et bondit plulôl ipielle ne marche ; elle grimpe aisément contre les murailles ipii ne sont jias bien enduites , entre dans les co- lombiers, les poulaillers, etc., mange lesiRufs, les pigeons, les poules, etc., en tue quelquefois un grand nombre et les porte à ses petits; elle prend aussi les souris, les rats, les taupes, les oiseaux dans leur nid. Les fouines, dit-on, portent autant de lemiis (pie les chats. On trouve des jielits dejuiis le printemps jusqu'eii aiilomne, ce qui doit faire iirésumer qu'elles produisent plus d'une fois par an ; les jjIus jeunes ne font que trois ou ipia- trc petits, les plus âgi-es en font jusqu'à sept. Elles s'établissent, ]>oiir niellre bas, dans un magasin à foin, dans un trou de mu- raille, où elles poussent de la |iaille et des beibes; (luelquefois dans une fenle de rocher ou dans un trou d'arbri', ou elles jior- tent de la mousse; et lorsipi'oii les inquiète, elles déménagent et transportent ailleurs leurs petits, (]ui grandissent assez vite; car celle ipie nous avons élevée avait, au bout d'un an, presque atteint sa grandeur iialiireilc, et de là ou peul inférer (pie ces animaux ne vivent ipie liiiil ou dix ans. lis ont une odeur de faux musc (pii n'est pas abs(duiuent désagrc'able. » La fouine se rencontre dans toutes les localités, dans les forêts, les bois, les vergers, les granges, les fermes, et même dans les magasins à fourrage des villes; il n'est i)as rare d'en trouver jiis- (pie dans les faubourgs de Paris. En cela seulement elle difl'ère de la mart(\ Dans les luiils d'été, aux apiirocbes de l'orage, on l'entend assez souvent crier encourant et jouant sur les toits et les vieux murs des iiabitations rurales. M. de lUifFon , (|ui en a élevé une, dit qu'elle faisait la guerre aux chats, qu'elle se jetait sur les |ioules, etc. " i'ille demandail à manger comme le chat et le chien , et mangeait de tout ce ipi'on lui donnait, à l'exception (le la salade et des herbes; elle aimait beaucouj» le miel, et pré- férait le chènevis à toutes les autres graines ; il a remanpiéqu'elii! buvait fré(piemment, qu'elle dormait (|Uel(]uefois deux jours de suite, et (pi'elle était aussi (pichpiifois deux ou trois jours sans d(u-iuir; (pi'avaiit le soimiieil elle se mettait eu rond, cachait sa tête et l'enveloppait de sa (|ueuc ; i|iie tant (pi'elle ne dormail pas, elle était dans un moiiveiuenl continuel si violent et si incom- mode , (pie (piand même elle ne se serait pas jetée sur les vo- lailles, on aurait été (jbligéde l'attacher pour l'empêcher de loiil briser. « J'ai été à même de vi'iilicr une partie de ce (|iie dit Buiroii. Dans un village des bords delà Seine, à Saint-Albin, près de Màcon , un ancien garde-chasse un peu fripon était si bien par- venu à ajiprivoiser une fouine , qu'il appelait Robin , que jamais il ne l'a tenue à l'attache; elle courait librement dans toute la maison, sans rien briser et avec toute l'adresse d'un chat. Elle était turbulente, il est vrai, mais elle prenait ses précautions l)our ne rien renverser; elle répondait à la voix de son maître, aciourait ipiand il l'appelait, ne le caressait pas, mais semblait ]>rendre jilaisir à ses caresses. Elle vivait en très-bonne intelli- gence avec Bibi , petit chien noir anglais qui avait été élevé avec elle. Ceci est di'jà fort singulier; mais voici (jui l'est davan- tage: Robin et l'.ihi n'étaient pour leur maître que des instru- ments (le vol et des com[dices. Cha(pie malin le vieux garde sor- tait de chez lui portant à son bras un vaste panierà deux cou- vercles dans lequel était caché Robin; Bibi suivait par derrière, lui marchant presque sur les talons. Ce trio se rendait ainsi au- tour des fermes écartées, où on est dans l'usage de laisser la volaille errer asse* loin de l'habitation. Dès que le vieux garde apercevait une poule à proximité d'une haie, dans un lieu où on ne pouvait le voir, il prenait Robin , lui montrait la poule , le po- sait à terre, et continuait son chemin. Robin se glissait dans la haie, se faisait petit, rampait comme un serpent, et s'approchait ainsi de l'oiseau; puis tout à coup il se lançait sur lui et i'étrau- glait sans lui donner le temps de pousser un cri. Alors le vieux fripon de garde revenait sur ses pas; Ribi courait chercher la ])Oule, et l'apportait suivi de Robin; l'oiseau était aussitôt mis dans le ]ianicr avec la fouine, qui avait sa petite loge séparée, et l'on se remettait en marche pour chercher une nouvelle occasion de recommencer cette manœuvre. A la fin les fermiers des envi- rons s'aperçurent de la diminution du nombre de leurs poules et de leurs chapons ; on se mit à guetter, et l'on ne larda pas à saisir les voleurs sur le fait. Le juge de paix, (pii u'i'tait nullement soucieux des ju'ogrès de l'histoire naturelle, fit donner un coup de fusil à la fouine , cl crut faire gii'lce au vieux garde en ne le condamiiaiil qu'à payer les poules ipii, grâce à liibi et à Robin, avaient passé par son pot-au-feu. La Zii)i;i,i?iE {lilmlcla zibeUina , Lix. — Pall. La Marie zibeline, lîiirr. — (i. Cuv. Le Sabbel des Sui'dois ; le Sobol des Polonais et des Rus.se.s) ressemble beaiieoup à la marie comiiiiiiie ; elle s'en distingue ce|iendant en ce (|u'elle a des poils jiis(iiie sous les doigts; sou pelage est d'uii brun lustré, noirâtre en hiver, plus |),'ile en été; elle a le dessous de la gorge grùsâtre, le devant de la tête et les oreilles iilanchàlres. Sa fourrure est l'objet d'un commerce considérable. (Ict animal vil dans les régions les jibis septentrionales de rKiii(i|ie et (!(■ l'Asie, et se trouve jusqu'au Kamtschatka; c'est aux chas.seurs(]iii le poursuivent dans ces régions glacées que l'on doit la découverte de la Sibi'rie orientale. Sa fourrure est extrê- mement |>r('cieuse, et il s'en fait un coiiiiuerce immense en Rus- sie. Les (iliis eslimées vicnneiil de Sihi'rie, surtout celles de Wi- linski et de Niirskinsk. Les bords de la AVitima, rivière qui sort d'un lac situé à l'est du Raïkal et va se jeter dans la Lena , sont (•('lèbres par les zibelines qu'on y trouve ; elles altondenl égale- ment dans la partie glacée et inhabitable des monts Altaï, ainsi (pie dans les nuintagiies de Saïaii, au delà du Jcnisseï, dans les environs de l'Oby cl le long des ruisseaux (pii lombcul dans la Touba. La fourrure d'iiivi'i- est noire, et c'est la plus précieuse. Celle d'été, jilus ou moins brunâtre et mal fournie, a beaucoup moins de valeur; mais les marchands russes, par des prépara- lions particulières, savent la faire passer dans le commerce pour de la marte d'hiver, et les plus lins connaisseurs s'y laissent qiiel- ipiefois jM'endre. Carnassière comme tous les animaux de sa famille, la marie zibeline rôde sans cesse dans tes buissons pour s'emiiarer de.s nids d'oiseau. Elle se plait |iarliciilièrement dans les halliers Idiirn's . sur les Imids des l;ics . des rivières et des 'ruisseaux , MARTES. 139 dans les bois et surtout dans Cfux (lui offî-cnt ((uebiues ail)res élevés, sur les(iuels elle grimpe avec beaucoup d'agilité. (Quel- quefois elle s'établit dans un terrier qu'elle se creuse en terrain sec, sur une pente rapide, et dont l'enlrée se trouve toujours iiias(iuée par des ronces et d'épais buissons. Quelquefois aussi elle se loge dans les trous d'arbre, où elle s'empare du nid d'une elinuelle ou d'un petil-gris. Aussi cruelle, aussi rusée ipie la fouine, elle est beaucoup pins l'aioucbe, et jamais ne s'approebe, comme celle dernière, des lieux habités. Son courage n'est nul- lement comparable à son peu de force; quel que soit l'ennemi (jui l'attaque, elle se défend avec fureur juscpi'à son dernier mo- ment, et })arvient quebpiel'ois à écli.ipper à la dent meurtrière (In chien le mieux dressé à la chasse. Son corsage di'lii' lui permet de se glisser dans les plus petits trous; sa force musculaire et ses ongles pointus lui donnent une extrême facilité à grimper, à s'é- lancer de branche en branche pour poursuivre , jusqu'au som- met des plus minces rameaux , les oiseaux, les écureuils et autres |)elils auiuiaux, auxcpiels elle fait une guerre d'extermination, yuehiuel'ois elle suit le bord des ruisseaux pour s'euq)arcr, faute de mieux, des reptiles aquatiques et même des poussons , si on en croit quelques voyageurs et BulFon ; mais ce fait me paraît très- contcslable. Elle mange des insectes quand elle manque de gi- bier, et ((uelcpiefois elle se contente de (juclques baies sucrées , telles ipic celles de l'airelle , etc. Sur quatre-vingt mille exilés, plus ou moins, ((ui |)euplent habituellement la Sibérie , environ quinze mille sont employés à la chasse de l'hermine et de la zibeline. Ils se réunissent en pe- tites trou|)es de quinze ou vingt, rarement jdus ou moins, afin de pouvoir se prêter un mutuel secours, sans cependani se nuire en chassant. Sur deux ou trois traîneaux attelés de chiens, ils emportent leurs provisions de voyage, consistant en poudre, plomb, cau-ar des brouillards, elles dirigent leur voyage au moyen de ((uelque constellalion ; pendant le jour elles consultent le soleil ou une petite boussole de poche. Quelques chassein's se servent, pour marciici', de palius eu bois à la manière de ceux des Sa- moïèdes; d'autres n'ont pour chaussure ([uc de gros souliers ferrés et des guêtres de cuir ou de feutre. Chaque traîneau a ordinairement un atlclage de huit chiens; mais pendant (jue (jualre le tirent, les quatre autres se re|)osenl, soit en suivant leurs maîtres, soit en se couchant à une place ipii leur est n'Servée sur le traîneau même. Ils se relayent de deux heures en deux heures. Pendant les premiers jours on fait de grandes marches, afin de gagner le jihis lot possible l'endroit où l'on doit chasser, et cet endioit est (picl((uefois à deux ou trois cents lieues de dislance du point d'où l'on est |iarli. Mais jilus on avance dans le désert, plus les obstach^s se umlliplient. iauli'it c'est un torrent non encore glacé i|u'il faut traverser; alors on est obligé d'entrer dans l'eau jusipi'à l'estomac et de porter les traîneaux sur l'autre bord, en se frayant un passage à travers les glaçons charriés par les eaux, l'ne autre fois, c'est un bois a tra- verser en se faisant jour à coups de hache dans les broussailles; puis un pic de glace à monter, et alors les chassems, après s'être attaché des crampons aux pieds, s'alicllcnt avec leurs chiens j)our faire grimper les traîneaux à force de bras. Là, un hiver de neuf mois couvre la terre d'i'pais frimas; ja- mais le sol ne (h^gèle :\ jilus de. Uv.is nu quatre pieds de jirofon- denr, et la nature, éternellement morte, jelle dans l'Ame r('p(m- vante et la (b'solation ; à peine si une vc'gf'taliou languissante couvre les plaines de quelque verdure pendant le court intervalle de l'été; et des bruyères stériles, de maigres bouleaux, rpndques arbi-es r('siiu'u\ rachitiipies, font rornemcul le plus pillorcsque de ces climals glacés. Là, tous les êtres vivants ont subi la triste influence du désert : les rares habitants qui traînent dans les neiges leur existence cngounlie sont presque des sauvages dif- formes et abrutis; les animaux y sont farouches et féroces, et tous, si j'en excepte le renne, ne sont utiles à l'homme que par leur fourrure : tels sont les ours blancs, les loups gris, les re- nards bleus, les blanciies hermines et la marte zibeline. 'Venons à nos ciiasseurs. L'hiver augmente d'inlensité ; les longues nuits deviennent pins sombres parce que l'air est surchargé d'une fine poussière de glace qui l'obscurcit; vers le nord, le ciel se colore d'une lu- mière rouge et ensanglantée, annonçant les aurores boréales. Les gloutons, les ours, les louiis et autres animaux féroces, ne trouvant plus sur la terre couverte de neige leur nourriture accoutumée, errent dans les ténèbres, s'approchent audacieuse- ment de la petite caravane, et font retentir les roches de glace de leurs sinistres hurlements. Chaque soir, lorsqu'on arrive au l)icd d'une montagne (pu peut servir d'abri contre le veut du nord, il faut camiier. On se fait une sorte de remiiarl avec les (raineaux; on tend au-dessus une toile soutenue par ([m'hiues perches de sa|)in coupées dans un bois voisin. On place au mi- lien de cette fa(;on de tente un fagot de broussailles auquel on met le feu. Chacun étend lUie peau d'oiu's sur la gl.ice, se couche dessus, et se couvre île son manteau fourré, et attend le lende- main pour se remettre en route. Pendant (pie les chasseurs dormrni , l'un d Ciix fiii senliueile, et souvent son coup de fusil annonce l'approche d'mi ours féroce on d'une troupe de loups all'amés. Il faut se lever à la liAle, et (piel((uefoiss(Uilenir une alï'rense lulte avec ces terribles animaux. Mais il arrive aussi (pie la nuit n'est Iroublée par aucun bruit , si ce n'est le sinit'Uient du vent du nord ipii glisse sur la neige, et par une sorte de petit bruissement particulier sur la loilc de la tente. Les chasseurs ont dormi profunib'ment, et il est grand jour ((uand ils se réveillent; ils a|ipelleut la sentinelle, mais personne ne répond; leur Crtuir se serre; ils se bi'Uent de sortir, car ils savent ce (pie signifie ce silence. Leur camarade est là, assis sur nu tronc de sapin renversé; il a bien fait son devoir de surveillant , car son fusil csl sur ses genoux , son doigt sur la g;1- cbelle, et SCS yeux sont toiiriii's vers la montagne où, la nuit, les hiirlemenls des loups se sont fail eiilcndre ; mais ce n'est plus un homme (pii est en sentimilc, c'est un bloc de glace. Ses com- pagnons, après avoir versé une larme sur sa dcsiinée, le lais- sent là , assis dans le désert, et se réservent de lui donner la sépulture six mois plus tard, en repassant, lors(prun froid moins intense permetlra d'ouvrir un trou dans la glace. Ils le retrou- veront à la même place , dans la même attiliule et dans le même état, si un ours n'a pas essayé d'entamer avec ses dents des chairs blanches et roses comme de la cire colorée, mais dures comme le granit. Knfin , après mille f.iligiies et mille dangers épouvanlables , la [letite caravaiKî arrive dans une coutri'C coii|iée de collines et de uiisseanx. Les chasseurs les plus expéiiineiit('s tracent le plan d'une misérable cabane construite avec des iierches et de vieux troncs de bouleau à moiti(= pourris. Us la couvrent d'herbe sèche et de mousse, et laissent au haut du toi! un Iroii pour donner jiassage à la.biiiK'e. l'n autre trou, par leipiel (ui ne peut .se glisser ipi'en rainpanl , .sert de porte, et il n'y a pas d'aulrc ou- verture (lour introduire l'air et la lumière. C'est là (pie (piinze malheureux passent les cimi ou six mois les plus rudes de l'hiver ; c'esl là (pi'ils braveront rincléiuencc d'une tempe'raturc descen- dant prcsipie chaipie jour à \iiigl-denx ou vingt cini| degrés du Ihermomèlre de tléaumiir. l.m'squc les travaux de la cabane sont Icrmini's, lorsipie le cliaudron est jdacé au milieu de l'habilalion sur le l'iiycr jiour faire fondre la glace qui doit leur fournir de l'eau, busipic la mousse et les lichens sont disposés ])0Ur faire les lils, alors les chasseurs partent ensemble pour aller visiter leur 140 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. nouveau domaine , et pour diviser le pays en autant de cantons (le chasse qu'il y a d'horames. Quand les limites en sont définiti- vement trace'es, on tire ces cantons au sort, et chacun a le sien en toute proprie'te' pendant la saison de la chasse, et aucun d'eux ne se permettrait d'empiéter sur celui de ses voisins. Ils jiassent toute la journée à tendre des pièges partout où ils voient sur la neige des impressions de pieds annonçant le passage ordinaire des martes , hermines et renards bleus; ils poursuivent aussi ces animaux dans les bois, à coups de fusil : ce qui exige une grande adresse; car, pour ne pas gâter la peau, ils sont obligés de tirer à balle franche. Le soir tous se rendent à la cabane . et la pre- qu'il se laisse aller aux pleurs , puis au sommeil , il est certain qu'il ne se réveillera plus. Le Wiij.iCK ou Maute pêcheuse {Mustela piscatoria , Less. Mus- tela melanorhyncha, Bodd. Mustela Pennanti, Eux.) n'est peut-être qu'une variété de la précédente, mais appartenant à l'Amérique septentrionale. Elle est noire, avec la face et les côtés du cou d'un cendré mêlé de noir; ses oreilles sont arrondies, larges, bordées de noir; elle a des moustaches longues et soyeuses; sa ipieue est très-touffue , et ses larges pieds sont velus. Elle a les mêmes mœurs que la zibeline. Elle habite la Pensylvanie et les bords du grand lac des Esclaves. Cabane et enclos des Cerfs d'Europe mlère chose ipi'ils foni est de se regarder mutuellement le bout du nez: si l'un d'eu\ l'a blanc comme de la cire vierge et un peu transparent, c'est (pi'il l'a gelé, ce dont il ne s'aperroit pas lui- même. Alors on ne laùsse pas le chasseur s'ajiprocher du feu , et on lui applic|ue sur le nez une comjiresse de neige (pie l'on rc ncjuvcllc à mesure (pi'elle se fond, jus(prà ce (pie la partie ma- lade ait repris sa couleur naturelle. Ils traitent de même les mains et les pieds gcb's ; mais, malgré ces soins , il est rare (pic la petite caravane se remette en roule au printemps sans ramener avec elle quelques estropi(;s. Dans les hivers extrêmement rigou- reux , il est arrivé maintes fois (pie des caravanes enti('res de chasseurs sont rest(Ts gelc'es dans leurs huttes, ou ont été en- glouties dans les neiges. Les douleurs morales des exih's, venant ajouter aux rigueurs de cet affreux climat, ont aussi poussé trc-s- souvenl bw chasseurs au (h^'ouragement ; et, dans ces .solitudes épouvantables, il n'y a (pi'un pas du découragement à la uiorl Qu'un exilé haras.sé s'asseye mu i|uarl d'heure au pied d un arbre, !.<■ I'i,ii\N [Mustela ainadensis. Lis. Le l'clcan, lii i r.) est un peu plus grand que les espt;ces précédentes. Ses pattes, sa (pieue, le dessous de son corps et son museau sont d'un brun marron très- fiincé; ses oreilles sont l)lanrliAtres ; le reste du corps est d'un brun gris varie' de noir^'llre, tr('s-(liangeaiil, et pass.inl ipiebpie- lois au noir ; quelquefois une taciu' se dessine sur sa gorge. Celle espèce vit sur le bord des lacs et des rivières , dans des terriers (pTclle sait se creuser. Elle habite le Canada et le nord des F.lals- Inis. La Maute nus IltiiioNS [Mustela huro, Vr Ciiv.) est ordiiiaireiiienl d'un blond clair , avec les pattes et l'exlrémiti' de la (pieiie plus foncées et quelquefois brunes. Celle espèce varie beaucoup pour les couleurs, car on en voit au Mus('um dont les parties inférieures du corps sont|)lus fonc('cs que les suin'rienres, et d'autres où les cDuleurs sont dans uiu' diNposilion inverse; la tête e-t ipieliiuefois blanili;\lre on même enlièreniciiliiianclie. Elle habit(^ rAinériipie ■-e|i|eiMrionale. MARTES. 141 La Maute grise ( Mustela poUoci'phala , Less. Viverra polioce- phala , TiiAiLL.). Celle espèce est plus haule sur jambes que les autres; elle est noire sur le corps, grise sur la tête et sur le cou , et porte sur la gorge une tache jaune entoure'e d'un liord noir (le jais ; ses poils sont fort longs sur la nuque, et lui forment une sorte de collerette. On la trouve dans les forêts de Demerary à lu (Guyane. La ZoRRA [Musteta sinuensis, III mu ) a le corps moins vermiforme que les autres martes; elle est d'un gris noirâtre uniforme, avec l'intérieur des oreilles et le ventre blancs. Elle habite la Nouvelle- Grenade, et chasse aux petits oiseaux. Le CujA {Musiela cuja, Moi.i>a) est de l.i laiiic du furet; son pelage est trèsiloux, e'pais, cnlièremcnt noir, sa ipieue est aussi longue (|ue son corps, toull'ue ; son museau se termine en sorte de groin. 11 habite le Chili, et se nourrit d'oiseaux, et de petits mammifères. très. En Lorraine, on en trouve quelquefois une varie'te' blanchâ- tre ou jaunâtre. Le putois ou puani habile les climats tempe're's de l'Europe, et il est assez commun partout. Son nom vient de l'odeur infecte qu'il exhale, surtout lorsqu'on i'irrite ; cette odeur devient alors tellement forte , (}u'elle de'goùte et e'carle les chiens. Ses mœurs ont beaucoup d'analogie avec celles de la fouine ; aussi nos cul- tivateurs les confondent-ils souvent, au moins dans leurs méfaits. 11 habile la campagne dans la belle saison ; mais aussitôt que les premiers froids se fout sentir, et que les bois commencent à se dépouiller de leurs feuilles, il se rapproche des habitations et se loge dans les vieux bâtiments, les granges et les greniers à foin. 11 dort pendant le jour, et ne sort de sa retraite i)ue la nuit pour aller à la chasse des souris, des mulots, des insectes et de tous les petits animaux qu'il o.se attaquer impunément. 11 a toute la cruauté , toute l'audace des maries ; mais il est plus rusé , plus iLQAUr.oui.l.uu.a Le Furet. Le yuiuui (Mustela quiqui , Molina) se rapproche de la belette ; sa couleur est brune, sa tête aplatie; son museau en forme de groin, avec une tache blanche au milieu du nez ; ses oreilles sont courtes et rondes. Elle se trouve au Chili , habile des terriers, et se nourrit de petits animaux. Du reste, il me parait fort douteux que cette espèce et la précédente appartiennent au genre des martes. Quand on les connaîtra mieux, il faudra cerlaiiieuienl les reporter aillcLu-s, ou, probablement, leur cr('er un genre nou- veau. 2" GE^RE. Les PI TdIS {Putorius, Cuv.) ressendilcnt bcauioui> aux martes, mais ils n ont ((ue (pialre fausses molaires à la iiiâ- choire supérieure, six à l'inférieure, et jioinl de tul)(r(ule ulté- rieur à la carnassière inférieure. Leur tète est un peu moins allongée (pie dans le genre précédent, et tous exhalent une odeur désagréable. Le Putois commun {l'utorius vulgaris. — Mustdâ pulorius. Lin. Le Pulois , Buri-. Le Putois commun, G. Civ.). Il a un peu plus d'un pied (0,5"25) de longueur, non compris la (picuc, qui a en- viron six pouces (0,1(!'il. Il est d'un brun noirâlrc, assez foncé sur les membres, mais i>his clair et prenant une teinte plus fauve sur les lianes , il a le bout du museau , les oreilles et une tache derrière l'œil blancs; ses poils iiih'rieurs laineux sont blanchâ- déliant , et donne moins souvent dans les pièges qui lui sont tendus. « Il se glisse dans les basses-cours, dit BufTon, monte aux volières, aux colombiers, où, sans faire autant de bruit que la fouine, il fait plus de dégâts. Il couiie ou écrase la tète à loiilcs les volailles , et ensuite il les emi>orle une à une et en fait un magasin. Si, comme il arrive souvent , il ne peut les emporter entières, parce (piele trou paroîi il est entré se trouve trop étroit, il leur mange la cervelle et emporte les tètes. 11 est aussi fort avide de miel; il atlaipie les ruches en hiver, et force les abeilles à les abandonner. Il ne s'éloigne guère des lieux habités. Il ciilre en amour au printemps. Les mâles se battent sur les toits, et se disputent la femelle; ensuite ils l'abandonnent et vont jinsscr l'été à la campagne ou dans les bois. La femelle , au coiilraiic , reste dans son grenier jus(pi'à ce ([u'elle ait mis bas, el n'emmène ses petits que vers le milieu ou la lin de l'été. Elle en fail trois ou quatre et quelquefois cinq, ne les allaite pas longtemps, et les accoutume de bonne heure à sucer du sang et des œufs. « l'ciKlaiit (pi'il lialMl<' la campagne , le i)ulois fixe son domicile dans MU creux de rocher lus souvent dans les terrieis. lis dorment rontinuellemeul , et ne se réveillent guère que jiuur manger; ce qu'ils font avec voracité. La femelle est sensiblement plus |ielite (pie le niàle , elle le recherche avec ardeur dans le temps des amours, et il serait dangereux de les séparer à celle époipie, jiarce ipie le plus ordinairement elle mourrait de cha- giin. ICIle |)()rte six semaines, et fait des petils deux fois par an. Il arrive fréÉpieminent à cette bonne mère de manger ses enfants, non par gourmandise, mais simplement pour avoir le plaisir de faire de nouvelles avances à son niàle; dans (;e cas, elle fait trois porli'es au lieu de deux. Chaque porl('(' est ordinairement de cin(| ou six petits, raieineul de huit ou neuf. Ces animaux exilaient, sur- tout (piaiid ils sont en colèie , une odeur fétide, tout a fait ana- logue à celle du putois. Lorsqu'un se sert du furet |iuur la chasse aux lapins, on a .-oiii de le museler avant de le pri'seulcr à l'eiitrée du terrier; car sans cela il les tuerait, leur mangerait la cervelle, se goigerail de sang, puis il s'(Midormirait sur ses victimes, et rien ne serait ca paille de le réveiller , ou au moins de le délermiiier à sortir du trou. Quand il est muselé, il les attaque seulement avec les on- gles; les pauvres lapins é)iouvaiilés .se bâtent de sortir pour échapper à leur cruel enneiid , et, dans leur frayeur, ils vont donner lOte baissée dans la bourse de filet «pie le chasseur a ten- due à l'entrée du terrier. Quelquefois, malgré sa muselière, le furet vient à bout de tuer les jeunes lapins avec ses ongles, de leur ouvrir les veines et de sucer leur sang, pour s'endormir en- suite ; dans ce cas , on parvient assez souvent à le réveiller et à le faire sortir en tirant un ou deux coups de fusil , à l'entn'e du trou, ou en le fumant comme un renard. Mais on risque de l'ir- riter, et alors il s'enfonce davantage dans les ditrércnts canaux du terrier, et II est perdu pour le chasseur. Ou voit ipie le furet n'est réellement jamais bien apprivoisé et que , dans sa préten- due éducation, tout se borne à tirer parti de rinslinct que lui a donné la nature. Il ne reconnaît pas son niailie, n obéit à la voix de personne, et ne mani(ue guère l'oecasion de mordre la main qui le nourrit. Le Putois u'Eversman.x {Pulorius Everninannii. — Musicla Eversmannii , Lcss.) ne me paraît encore (pi'une varii'lé du ]iu- tois comnnin. Son pelage est d'un jaune clair, à ])ointe de poil brune seulement sur les lombes; la ]i(iitiiuc et les pieds sont bruns; la (pieue est partout d'une égale leinle. Il a été trouvé par M. Eversmann entre Orembourg et Bukkara. Le CiiOROCK (Pulorius sibiricus. — Mustela sibirica , Pall.) est à peu près de la taille du furet, dont il a les formes générales; mais son pelage est à poils [dus longs, d'un fauve doré en des- sus, et d'un jaiuie fauve pâle en dessous; le tour du mufle est blanc , et la partie du museau comprise entre les yeux et cette partie blanche est brune. Quelques individus ont le dessous de la mâchoire inférieure blanc, d'autres de la couleur du cor])S, mais \m |iiu ]ilus clair. Le chorock habite les forêts de la Sibérie, et, ainsi (jue le putois, dont il a les niiBurs, il se rai)|irociie des ha- bitations pendant Ihiver et dévaste les basses-cours. Le Putois df.s Alpes (Putorius alpinus. — Musiela alpina, GiiiLin) est plus petit, plus allongé (jue le putois commun, au- «piel il ressemble; il est jaunâtre ou brunâtre en dessus, d'un jaune pâle en dessous, avec le menton blanc, ainsi (pi'une partie de la bouche. Il se loge dans les trous de rocher, ou dans des terriers dont il s'empare, et se nourrit d'oiseaux et de petits mammifères. Le Viso.N {Pulorius vison. — ,)[uslfla rusnn, Lin. Le lYso«, Buir. — G. Cuv.), (pie l'on a souvent placé mal à pioiios avec les martes, est d'un brun jdus ou moins foncé, tirant plus ou moins sur le fauve, avec une tache blanche à l'extrémité de la mâchoire infé- rieure; sa queue est noirâtre. Il n'a pas les pieds palmés, comme l'ont dit les naluralisles. Celle esiiècc vit dans des terriers qu'elle se creuse au bord des eaux dans le Canada et dans tout le nord de l'AuK'riipie. Sa fourrure brillante est fort estimée. Le MiNk lits AjiÉiiicAiNS [l'ulorius lulrcucephalus. — MusUla lulreocephala, Haih.an. La Marie à tête de loutre de quebjues na- turalistes) ne doit être confondu, ni avec le Vison, ni avec la Mus- iela lulreola de l'allas on luhcuri. Il est d'un blanc jaunâtre, plus clair en dessous, avec la ipieue d un brun lernigiiieux , ce ipii le distingue du vison; sa taille est double de celle du luluuri, et il ressemble à la loulre par la forme de sa tête el de ses oreilles ; ses doigts sont à demi i)alinés. Il habite le Maryland. Le Putois maiihox- [Pulorius rufus. — Musiela rufa, Dksm.) est encore une esjièce douteuse (pii peut a|)parlenir au vison ou au tuhcuri. Il a un pied scjil iioiices ((l,.')l l) de longueur totale. Son j)elage est d'un roux rnarnui , plus f(uicé en dessous (pi'cn des- sus, et composé de poils annelés de brun myrron et de jaiinAlre ; sa (pieiic est brune à sa pointe, ainsi que ses quatre extrémités. Il habile l'Amériipie Ce n'est peut-être (pi'une varii'lé du pré- cédent. Le TuiicuRi, ou M(h;\ck, ou Nihjus [Pulorius lutreolus. — .l/u.v/e/a lulreola, Pai.i,. Luira jttinor, Enxi.. Le M ink des naluralisles. Le Tuhcuri des Finlandais. Le Mintck des Russes , el le Nœrs ou A'(i/(/t des Prussiens) est un peu plus pelil (pie le vison ; son jie- lage est d'un brun noirâtre, a\ec le dernier tiers de la (pieue tout à fait noir; la lèvre siii)éricure, le inculou et le dessous du MARTES. I i i cou sont l)l;incs; il a les lùeds à demi |i.i!mi's. Cet animal luiljite le noi-il (le IKiirope, et surfont la l'iiilainle. Il se tient sur le bord des eaux, et se nourrit de grennuilks, d'e'crevisses et de poissons, qu'il poursuit dans les onlus prodigieux ne lui coûtent aucun effort. Sa vivacité ne lui permet pas de marcher, elle bondit; si elle grinqie à un arbre, d'un premier élan elle |)arvieul à niu\ («i six pieds de liaulciir, et elU^ s'élanc(^ ensuil(^ de bianclie en branche avec la même agilité (pi'un ('(iMeuil. Dans la canqiagne, elle fait la chasse aux taupes, aux nmlots, aux oiseaux, aux rats d'eau , aux lézards et aux serpents. On a raconté » ce sujet que lors(pi'en se battant contre une vipère elle en était mordue, elle allait aus.sit('it s(' roider sur une certaine herbe, en m:'*i'hait (juel- (pies feuilles , et revenait guéiie au condial. Aujourd'hui, ces erreius n'ont pas besoin de réfutation. Le coiuage de ce petit animal est extraordinaire; il combat le surmulot deux fois plus gros que lui, renla(^e de son corps llexible, l'élreint de ses grill'es et Unit par le tuer. Elle ose même attaipur un lièvre de sejit à huit livies, cl j'ai été témoin de ce fait. Dans une plaine décou- verte, je vis un jour un lièvre s (■lancer de son gite , courir de toute sa force, en décrivant de grands cercles ou plut('it des spi- rales se rétrécissant peu à peu. Cette manoeuvre, que je ne ])ou- vais m'expliiiuer, car je n'en soupçonnais pas la cause, dura sept à huit minutes, et enlin le lièvre iumba se roulant sur la terre et criant comme lors(pi'i! est pris par des chiens. ,Ie m'approchai à la hMe, et quand j'en fus h (piehpies pas, il était expirant. Une belette s'était crauqionnée sur son cou et lui faisait tran(|uille- ment un trou dans le crâne, pendant que le malheureux animal faisait des efforts inimaginables pour s'en délivrer. J'ai entendu dii'e qu'une belette, cranqionuée au cou d'un faisan, d'ini tétras ou autre oiseau vigoureux, se laisse plutôt emporter |iar lui dans les airs que de liicher prise, et je le crois depuis que j'ai vu ce (pie je viens de raconter. liuffon dit (|ue la belette ne chasse (jne la nuit, et en ceci il se tronqie : il n'est pas de chasseurs (|ui n'en aient rencontré fré- queumient le joui-, et moi-même j'ai |iu observer maintes l'ois, et en ]dein soleil, son adresse à surprendre les petits oiseaux (pii se posent sur la haie où elle se met en embuscade. Si un moineau l'aperçoit, il a]ipelle aussit(H ses compagnons qui l'entourent et la harcèlent de leurs cris; mais, loin de s'en laisser étourdir et de fuir comme la marte ou la fouine, elle profite de la circon- stance j)our saisir et emporter le plus hardi ou le [ilus imi>rudenl. C'est au printemps qu'elle met bas, dans un nid qu'elle s'est pr('paré à l'avance avec de la paille, du foin, des feuilles sèches et de la mousse , dans un trou de saule ou un terrier. Elle fait ordinairement de trois à cinij petits (pji grandissent fort vite, et qui ne tardent guère à suivre leur mère à la chasse. Lorsijue vient la mauvaise saison, toute la fandllc gagne la plus prochaine habitation et va se loger dans un grenier à fourrage ou une grange. C'est alors qu'elle est dangereuse pour les cultivateurs, car sa taille lui iiermet de se glisseï- dans les plus petits trous, et si elle ])eut pe'nétrer dans un colombier ou un poulailler, elle y fait les mêmes dégMs (pu' la fouine et le jiutois. Cependant, elle attaque rarement les coijs et les vieilles poules, non yias, comme l'ont dit quelques naturalistes, qu'elle puisse être repoussée par eux à coiqis de bec, mais bien parce (pi'elle donne la iiréférenee auxjeunes volailles et partiiiilièrement aux ]ioussins. Si le hasard la fait tomber sur une couvée de ces derniers, elle les tue tous et les emporte les uns après les autres. Conmie tous les animaux de son genre, c'est toujours par la tête qu'elle attaque ses vic- times; elle leur perce le crâne un peu au-dessus du cou, et leur suce la cervelle jiar cette ouverture fort ))etitc. Le plus souvent elle abandonne le cadavre sans y toucher autrement. .M. de Bullon dit (pie la belette ne s'apiu-ivoise jamais, et qii il faut constamment la tenir en cage si on veut la garder en capti- vité. Pourtant, il est certain ([u'elle s'apprivoise mieux (pi'am un autre animal de sa fmiille, pourvu ((u'elle soit prise fort jeune et traitée avec beaucoup de douceur. J'en ai vu une ipii venait à la voix de son maître chercher sa nourriture dans la main. On la tenait dans une boite d'eau de Cologne où l'on avait [ilacé des étmipes. Elle aimait beaucoup à s'y enfoncer pour dormir une grande jiartic de son teuqis. Elle s'occupait le reste du jour à fureter dans tous les coins de ra]i|)arlemeiit, à courir après les moiiclies et les ai'aigru'es , faute de rats et de souris; mais elle ue tentait pas de s'éehajqier, (pioique la porte fut souvent ouverte. L'approche des étrangers l'effrayait, et aussitôt elle se sauvait dans sa boîte et se cachait dans ses éloupes. On la nourrissait de pain trempé dans du lait, et de viande. L'odeur (pi'elle exhalait n'était pas assez forte pour se faire sentir dans l'apparteuienl. On trouve en France une vari('l(' de belette entièrement jau- nâtre, et une autre, plus rare, parfaitement blanche, surtout en hiver. On les distingue de l'hermine et de l'hermineltc en ce (pi'elles n'ont jamais de noir ,m bout de la (pieue. L lli iiMiM-TTi; ou l!i.ii;i ri', m s NEK.rs (l'ulorius nivalif. — ,)/iis- li'lci niralis , Lix. Musiela rulyaris, var. Cviel. MusIcIh Iteriiiiiica , var. Domi.) a été regardée par les uns comme variété de l'her- mine, par les autres comme variété de la belette. Quant a moi, je penche vers la première o))inion , par la raison qu'elle a con- stamment du noir à l'extrémité de la queue. Du reste, elle est en- 144 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. tièrement blanche su» toutes les autres parties. Elle habite le nord rlc l'Europe, et se trouve quelquefois en France. L'Hermine (Putorïus hermellanus. — Mustela herminea. Lin. Musiela alba , Gesn. V Hermine ou le Roselet , Buif.), en pelage d'ete', porte le nom de roselet : alors elle est généralement d'un brun marron plus ou moins pâle en dessus, et d'un blanc quel- quefois un peu jaunâtre en dessous, avec la mâchoire inférieure blanche; sa queue est brune, avec l'e-xtrémité noire en tous temps. En hiver, on la nomme /lerm/ne ; et elle est entièrement blanche , si ce n'est le bout de la queue <]ui reste noir. L'hermine atteint ordinairement une taille un peu plus grande que la belette, à laquelle, du reste, elle ressemble beaucoup. Elle a jusqu'à neuf pouces six ligues (0,2.j8) du bout du museau à l'origine de la queue, et celle-ci a un peu plus de trois pouces cl demi (O.OÎJ.'i). Cet animal ne se trouve pas dans les i)ays chauds, et il est d'autant plus rare dans ceu\ i|ui .sont tempères que leur zone se rapproche plus du midi. Cependant il est assez commun en France, dans les grandes forêts, surtout en Normandie et en cieuses, surtout quand elle a ce blanc éclatant qu'elle perd tou- jours plus ou moins, en vieillissant, pour prendre une teinte un peu jaunâtre. Les hermines/{ue l'on trouve en France ont de la valeur, mais moins que celles du Nord ; parce qu'elles ne sont jamais aussi blanches, et que, même pendant les plus grands fruids, elles ont toujours cette légère teinte jaunâtre qui les déprécie. La Belette alpine {Putorius allaïcus. — Musiela alla'ica. Pâli, ) doit peut-être se placer à côté de l'hermine; mais il est fort dilli- cile d'avoir là-dessus qiiebpic certitude, car on ne la connaît, je crois, que par cette phrase de Pallas : « Queue deux fois plus longue que la tête et d'une seule couleur. » Elle est du nord de l'Asie et de l'Europe. Est-ce une variété de notre belette commune? La IJLLETTE ii'.4iFniyiiE (^Puturius africanus. — J/us(p/tt africana, Besm.) a dix p()uc<'S (0,:271) de longueur depuis le bout du museau jusqu'à l'origine de la queue, et celle-ci a environ six pouces (0,1 02). Elle est d'un brun roussàtre en dessus, d'un jaune blanchâtre en dessous, avec une bande brune longitudinale et étroite sur le Ls est allongé, ari|U('; elles ont des glandes anales qui sécrètent, sur- tout (piand l'animal est irrité, une ll(iucur extrêmement fétide, ce (|ui leur a valu leurs noms de hèles puantes , moufettes, enfants du diable , etc. O'ttc llipieur est versée par les glandes dans l'anus. Les doigts des pieds sont séparés et armés d'ongles forts, surtout ceux des ]iieds antérieurs, (pii sont très-propres à fouir la terre, Ellis ont iMie (jueue longue et loudiie. MARTES. 145 La MoiFETTE d'Amérique [Mephilis americana, Desm.) est de la taille d'un chat ordinaire; son pelage est doux, lustré, ordinaire- ment d'un brun noirâtre, avec des raies et des bandes blanches longitudinales ; sa queue est couverte de poils longs et très-toulïus. Elle habite 1 Aniériiiue. Les moufettes sont généralement plus grandes, plus trapues que les putois; ce sont des animaux nocturnes (pii habitent des terriers (juils savent se creuser sur la lisière des bois ou des trous dégftis parmi la volaille, qu'elle altai|ue par la tête pour lui man- ger la cervelle, instinct (pie l'on trouve, d'ailleurs, dans tous les petits carnassiers. Moins sauvage que la marte , plus clTrontée que les putois, elle ose [lénétrer dans les habitations et jusque dans les caves et les celliers. Llle doit celte audace non à sa force ni à son courage, mais à une arme singulière cpii lu: uuuKiue jamais de mettre en fuite ses ennemis même les plus arharnés; et cette arme n'est rien autre chose que l'odeur infecte, iusuppor- f.ibare et enrlos des Gazelles de l'Algérie. d'arbre et des fentes de rocher; ils n'en sortent qu'après le so- leil couché i)our aller faire la chasse aux mulots et auK autres petits mammifères, aux oiseaux, dont ils aiment beaucoup les œufs, el à une foule d'autres petits habitants des bois, dont ils font un grand carnage. Faute de mieux, ils se nourrissent d'iii- J^l- , fx*»»' sectes, et l'on dit même de fruits. La moufette est privée de la faculté de grimper sur les arbres, si l'on en croit nos natura- listes, (pioiipie beaucoup de voyageurs disent le contraire, aussi est-elle moins ilangeniise (|ue les marli's et les ]iiit(iis jninr les basses-cours, où elle ne peut pénétrer cpie dilliciliiiicut ; mais quand par bonne fortune elle peut s'y glisser, elle f.ùt les mêmes table, qu'elle exhale à vohinté. La li(pieur qui la produit est épaisse, jaunâtre ou venh'ilre, seudilable à du pus, renfermée dans deux grosses glandes enloun'es de muscles puissants, de ma- nière que, lorsque l'animal est irrilt', il comprime violemmenl,ses glandes, et la liqueur emiioisonnéejpeut être lancée assez loin par l'anus. Comme la moufette porte constamment la queue re- troussée .sur son dos, cette partie est, ainsi (juc le reste du pe- lage, à l'abri de son allcinle, d'où il résulte tpu- l'animal lui- même n'a i)as d'odeur, ou du moins eu a une supporlalile. C'est ce (pion a pu voir à la ménagerie, où l'on a conservé vivant. 50. •aris. Typogiftpliio IMim Irôrcs , rue do Vflugirard , 3(3. 10 146 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES peiiiLinl quelinie temps, un de ces animaux « Dans les terres voisines du drdoit de Magellan, dit le cai)ilainc \Vood , nous vîmes un animal auiiuel nous donnâmes le nom de groi}di'ur ou de souffleur, parce qu'il ne voit pas idutot (pielipi'un , qu'il gronde, souffle et gratte la terre avec ses pieds de devant, cpioi- ([u'il n'ait pour toute défense que son derrière (|u'll tourne d'abord vers celui qui l'approche, et d'où il fait sortir des excré- inenls d'une odeur la plus détestable qu'il y ait au monde. >: On lit dans Garcillasso de la Vega : « Il y a au Pérou beaucoup de petits renards parmi lesquels il faut remarquer ceux qui rendent une odeur insup|>ortablc; ils entrent la nuit dans les villes, et quel- que fermées que soient les fenêtres, on les sent de plus de cent pas; heureusement (jue le nombre en est petit , car sans cela ils empuantiraient le monde entier. » D'autres voyageurs disent (pie cette insupportable odeur est si forte ipi'elle se fait sentir à un quart de fiéue à la ronde, et qu'elle sufl'ocpie tellérnent les chiens par lesquels on fait attaquer une moufette, qii'ils en sont lila- lades pendant si.x heures. Si une goutte de là liqiieur odorante tombe sur les habits de (pielqu'un , ils en sont empeslts pour plus de six mois, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre pour les désinfecter. « Quand ect animal, dit Kaliri en parlant du pskatte ou polecat, est chassé soit pal- Ifes chiens, soît par l'homme, il court tant ipi'il peut , et lorsqu'il ^è trbute tiafi pressé, il lani e son urine contre ceux (jui le poursuivent. L'odeur en est si forte qu'elle suffoque; s'il tombait une goutte de celte liqueur empestée dans les yeux, on courrait risque de ptrdre la vue... La plupart des chiens se rebutent et s'enfuient (les qu'ils en sont frapi)és... En 1719, il vint un de ces animaiix pies de 1.1 ferme où Je logeais; c'était en hiver et pendant la nuit; le.s chiens (■laieiit éveillés et le poursuivaient. Dans le ttiottiétii il se répandit une odeur si fétide qu'étant dans mon lit, je pcn.sai être suffoqué; les vaches beuglaient de toute leur t'brce... .^ill' 1;( lîll de la même année, il s'en glissa un aidre dans iiotrC cave; nirils il ne répandit [las la plus légère odeur, inircr qu'il ne la réjiniid que quand il est chassé ou press('. Une femme, qui ra[>errul la nuit à ses yeux étincelants, le tua , et dans le (liomètit il remplit la cave d'une telle odeur que non-seulement cette feiiiiiie fut ma- lade i)endaut cpielqucs jours, mais que le jiain, la viande et les iuilres provisions ([u'on conservait dans cette cave furent telle- ment infectés qu'on ne put rien en garder, et tpi'il fallut tout jeter dehors. » J'ajouterai (pie, au Jardin des l'ianles, les peaux seules des moufettes infectent pour plusieurs mois les armoires du cabinet où on les place; les glandes qui contiennent cette li- ipieur empestée, bien (pie plongées dans l'espril-de-vin dans un bocal bien liité, et que le corps d'où on les a tirées soit venu lui- même d Amérique dans l'esprit-de-vin , se font sentir pendant plus d'un an dans le cabinet d'anatomie compare'e. Cette odeur ressemble à celle du putois renforcée ]iar un m('langc d'odeur d'ail très-exaltée. On ne peut rien imaginer de plus (lt'sagr('able. El ce|icnd;uit, hoii-setilemetit les Ami'ricains inaugcnt la chair de cel animal après Ilu avoir enlevé ses glandes fi'liih's aussil()l après sa mort, mais fncore ils en élèvent dans leur maison ou lem- jardin pour en tirer les mfines services qiic des chats, c'est- à-dire leur faire détruire les .souris et les insectes. Ils i)arviennent nuMue à les apprivoiser au |ioinl de s'en faire suivre couune des chiens. Avec la précaution de ne jamais les coniraiier ni h s bat- tre, on n'est jamais incommodé |iar la mauvaise odeur (pie cet animal n'exhale qu'à sa volonté, ainsi (|ue nous l'avons observé. " On m'a envoyé de Surinam cet animal vivant, dit Scba , je l'ai (Conservé en vie lout nu ('t(' dans mon jardin , où je le lenais alla- clié avec une jiclile chaîne. Il ne mordait personne, et lorsi|u on lui donnait à manger, on pouvait le manier comme un pclil chien ; il creusait la terre avec son museau en s'aidanl des deux pattes de devant, dont les doigts sont armés d'ongles longs et recourbés; il se cachait pendant le jour dans une espèce de tanière qu'il avait faite lui-même; il eu sortait le soir, et, après s'être nettoyé, il commençait à courir, et courait ainsi toute la nuit à droite et à gauche, aussi loin que sa chaîne lui permellait d'aller; il furetait partout, portant le nez en terre. On lui don- nait cha(pie soir à manger, et il ne prenait de nourriture que ce qu il lui eu fallait, sans toucher au reste; il n'aimait ni la chair, ni le pain, ni quantité d'autre nourriture, ses délices étaient les panais jaunes, les chevrettes crues, les chenilles et les arai- gnées. » Sous ce nom de moufette d'Amérique, on comprend un gran(l nombre d'animaux fort difFi-rents par leur pelage, et qui ont été si mal décrits par les voyageurs qu'il est impossible de décider si ce sont des espèces distinctes ou de simples variétés. Nous allons donner ici un extrait des recherches faites à ce sujet par Desma- rest et G. Cuvier, afin d'engager les voyageurs à les com])létcr ou à les réciilier quand ils en trouveront l'occasion. i" L' tsijûieimll d'Ilernandès est marquée de plufieurs raies blanches, ëi se trouve au Mexi([ue. i" Le Poikai ou Putois de Catesby est marqué de neuf raies blanches; il est digitigrade. .""= Lfe toiiepnte (le HillFon a six raies blanches. La figure le re- présente plantigrade. 4° Le Conepdtt bit VUlpèciila puerilis d'Ilernandès n'a que deux raies blahcllès, se pi-blohgeant sur la queue. S" Le Èiapurito de Mutis n'a qu'une raie et le bout de la (jueue blancs. (V Le Chinchc de DufTon est blanc en dessus, avec une ligne nciire sur la croupe, et une queue toufTue et longue. 7" La Moufette, prétendue de Bemjale, de Cation, a des taches blanches à la tête , (piatre raies blanches sur le dos, et une queue très-tôuf!'ue, blanche et nuageuse. 8' Le Chinche de Feuillée a deux raies blanches qui s'écartent et finissent sur Ifcs côtés; sa queue est comme celle d'un renard. D" Le Chhiga de Molin;! est noir, avec une bande de taches blan- ches et rondes le long du dos, et la queue comme un écureuil. iO" Lé Yagouare de d'Azzara est marqué de deux raies blan- ches fjii! vont jus(prà la (pieue. 1 1° Le Polecat , ou Skunk , ou Fibkattc de Kalra a cin(i l'aies blanches. 12" Le Zorille de Gmelli Carreri est noir et blanc. 13' Le Maimriln ou Mofutitiqui de Gumilla est tout tacheté de noir cl de blanc, avec une belle (pieue. 1 i" La Héte puante de Lcpage Duprals, dont le niAle est noir, et la femelle bardele'c de blanc. La (igurc la représente rayée en travers de blanc et de noir. I.'i" \,'Ort(ihula de Eernandès est noir et blanc, avec quelques parties fauves. lO" Le Tamaxtla du même n'a pas de fauve, et il a qiiobpies anneaux noirs et blancs à la (pieuc. Tous sont de r.\méri(|ue. (lu conçoit (pi'avec des renseignements aussi vagues il était iuijiossible aux naluralîsiès de reconnailre des espèces et de les déicrmiiier. (Cependant on est parvenu à eri décrire assez com- ])l('lem('iit ciiK] es|ièces, txcessivcmcut larges sur le corps, et sa t]iicue est four- nie de très-longs poils blancs mêlés d'un peu de noir. Il habile le Chili. L'AroK ou ZomiA iii; Qrno IMephilia quitetiaiH, Lf.ss.) est noir, manpu' de deux bandes blanches longitudinales ; ses oreilles sont peliles, noires cl Irès-iioinlnes ; sa (piene , d'un tiers moins lon- gue (pie son corps, est blanc et noir, très-ton fine. U se lrouv(' dans la province de Quito. La Moui-KTTF, 1)1) Ciiir.i {Mephilif chiliensif, Gf.otf.) est d'un brun marron, avec deux raies blanches sur les c()tés du corps, qui se MARTES. 147 léurllssenl ileii-ièrc la ti^lo pour l'oimpr iiii ri'oissdlll; sa quoiip est três-toufTiie, niélangt'e de lilanc et de lu-un. Elle est du Cliili. La MolfETïE iMERRoMPi'fe (Mephitis interriipta , RAtmtSQ.) est brune, avec tiens raies courtes, blanches, Occupafit parallèlement la tt'le ; huit raies de la même conleur se dessinent sur son dus, les (juatre antt'rieures ('gaiement et paraliéhuient, les quaire postérieures dans un sens inverse. Elle hai)ile la Louisiane. La Moufette MARiinito [Mephitis màpurito, Less. Viverra mapu- rito, G.Mi..) a le pelage loullu, d'iin noir forice', H'àyirht sur le dos qu'une bailde blanciie ; ses oreilles sont peu apparentes, el sa queue est terminée [.ar du blanc. Elle se creuse des terriers, vit de larves et d'insectes, el habite la Nouvelle-Grenade. Peut-être jiourrait-on ertcore regarder les cinq stiivantes comme des espèces distinctes : Le Chi.nca [Mephitis chinga) est noir, avec une bande de taches rondes et blanches le long du dos; sa queue est longue, louirue et plate , comme celle d'un écureuil. Il habite les Étals-Unis. La .MoLFETTE DE GiiMu.iA [Mcjihitis Gumillœi) est enlièremeut lachete'e de noir et de blanc, avec une queue longue et loullue. Elle habite les États-Unis. La Moufette trés-puamte [Mephitis fetidissîma) est il demi plantigrade, comme les deux suivantes; le fond de son pelage est noir; elle a une ligne blanche sur le museau; tout le dessus du cou et du garrot est couvert d'une plaque blanche au milieu de laquelle est un point noir; cette bande se bifurque et forme de chaque côte' une bande blanche (pii va en s'écarlant Se Iferiiiilièr sur la cuisse; derrière chatpie cuisse est une touH'e blatichc ; la queue est tiès-toulï'uc , noire, avec un pinceau blarib a l'exIR'- niilè. Elle habite les États-Unis. La Moufette des États-Ums [Éejâhitis olidà) a, colhriife la thbii- fetle du Chili, une sim|ile bande blanche sur l'occiput, d'où par- tent dcLix bandes longiludiiiales restant ideines Jusipi'à l't'pnide; depuis l'i'jiaule, une ligne blanche élroile et interrompue iègiie jusqu'au milieu du flanc, et se prolonge même un peu sur la croupe. Le fond de son pelage est noir, ainsi qiie sa titièùé; tjHI est longue, et se termine par un pinceau blanc. Elle se trouve aux États-Unis. La Moufette he New-.Iersev [Mephilift pnilida) difl'ère de la |irc- cédenle en ce que la bande de l'occiput et ses prolongements lon- gitudinaux atteignent à peine l'épaule. Les lignes des côtés man- quent entièrement. Elle est des États-Unis. G. Cuvier penche à croire qu'il n'existe réellement que deux espèces de moufettes : l'une, à queue blanche, qui ju.squ'à pré- sent paraîtrait \)\ns commune dans l'Amérique méridionale; l'au- tre, à (pieue noire, qui ne viendrait guère que de l'Amérique du Nord. Néanmoins, pour ])ouvoir décider (|uelipie chose de positif sur ce sujet, il faudrait savoir : 1" si tous les individus de la luéiue Timille ont les couleurs onlonnées de la même manière, c'est-à- dire .si les individus Iransmetlent identiijuement à leurs enfants la même robe ; -2" si toutes les moufettes habitat)! urle même con- trée portent la même livrée, etc. 4« Genre. Les ZORILLES [Zorilla, Ism. (h-.oif.) ont à peu près le nu^me système dentaire (jue les putois; leur molaire tubercu- leuse d'en haut est assez large; ils ont, comme eux, deux fausses molaires supérieures, trois inférieures. Leur museau est court; les ongles de leurs pieds de devant sont longs, épais, mais non poinlus; ils ne peuvent leur servir à grimper, mais seulement à fouir la tcire. Le '/.onu.FE [/orilla muftrJa, — .]ruxleta zorilld, Dfsm. ]'iren-a zoritla, Gmi.. Le niaireaa du Cap , Kor.ii. Le Zurillc, Ruff.) a plus d'un pied (0,"l"i) du bout du mu.seau à l'extrémité de la ([ucue, qui a huit pouces {0,217) h peu |)rès de longueur ; il est noir avec plusieurs taches blanches sur la tête et des lignes blanches lon- gitudinales sur le corps en dessus, ou blanc avec des lâches el des lignes noires. La première variété se trouve au cap de bonne Espé- rance, la seconde aii Sém'gnl et slii- les bords do la Gambie Du reste, cet animal a le même genre de vie (|uc les martes, à cela près que, ne pouvant grim[)er stii- les arl)t-es, il se ci-busfc ilH ttriiei' (pi'il habile pendant le jour, et dans lequel il se retire à la lilbiii- dre apparence de danger. .')= GF^RE. Les MVDAS {Myiiaii^, \'i\. Cuv.) ont le même système denlaire que les nioufelles , mais ils en diffèrent par leur ([ucue ]>resque nulle ou à l'élal rudiuHuilaire; par leur oreille exlerne, qui est nulle; par leur lêle conii|U(^ et allongée, terminée par un uuisea\i en forme de groin de cochon ; leurs pieds anléiieurs sont armés d'ongles très-grands, propres à fouir la terre. Le Stinxkard ou Tf.i.aron [Mydaiis meliceps, Fr. CUv. Èfepliilis javiinensis, Lescuen. Le Slmckard des habitants de Sumalra. Le Télagon des Javanais. La Moufette de Java) répand, dans les mêmes circonstances (]ue les moufelles, une odeur toul aussi fétide. Son pelage, assez peu fourni, est brun, avec une t.u-he blanche lon- gitudinale sur l'occipul, se iirolongeaut sur le milieu du dos jus- qu'à la queue, ou quehjuefois moins loin, d'aulres fois en ligne interrompue, etc. Sa queue a au i)lus deux pouces (0,034) de longueur; elle fest blanche à son extréniilé. Cet animal habite Java et Sumalra. On île connail pas ses habiludes; mais, à en juger par son organisation, elles doivent êlre les mêmes que celles des moufettes. 6" Genre. Les LoWtiÈâ [Lutra, Storr.) ont trcnle-six dents : six îhtlsives , deux eàriines et dix molaires à chaque mâchoire ; leur tête est comprimée; leur corps est très-long; lems jambes St)ht bdtirtès; leurs pieds palmés, et leur (pieue aplatie horizon- talement ; leur t)redle externe est très-courte ; elles ont les yeux grands et de grandes rtiôustaches. Ce sont des animaux qui tous titèrit silr le bttt-tl des eailx. La Loutre u'EuhciPfc [Lutra vulgaris, Erxl. Mitslrli luira, LiN. La Loutre , ]iwv . L'Enijdris des anciens auteurs grecs) a deux pieds (O.t^yO) de longueur ; elle est d'un brun fonce' en dessus, d'iln gris bruhjilre en dessous, avec la gorge et l'extrémité du museau d'un gris clair. On en trouve des variétés accidentelles tachetées de blanc; mais ces individus sont fort rares. Cet animal nage et plonge avec une extrême facilité, el déve- loppe dans les eaux une agilité surprenante (pi'il est bien loin d'avoir sur la terre, où il ne marche pour ainsi dire ipi'en ram- pant, à cause de la brièveté de ses pâlies. Le jour, il se lient à proximité (lésa retraite ou caclu' dans quelque buisson épais peu éloigné de l'eau, dont jamais il ne (piilte les bords. Il a l'ouïe, l'odorat el l'œil excellents et au moindre bruit il s'('lance dans les ondes, plonge à une profondeur sudisanie pour dérober sa trace, nage entre deux eaux, et regagne ainsi sa retraite, quel- ipiefois à une assez grande distance, sans i-eparaîlre à la surface. Si par hasard on l'a surprise loin du Irou ipi'elle habile ordinai- rement, la loutre se cache sous des racines ou des herbes épais- ses, reste le corps entièrement plongé dans l'eau , el n'élève à la surface pour respirer que le bout de son nez, qu'elle a soin de cacher sous une large feuille de nynqihéa ou d'aiilre plante. Elle demeure iuuuobile dans celle allilude , jusiju'à ce ((u'elle soit as- siu('c de réhtignemeni de l'individu qui rin(piii'lail Elle se plait de préférence dans les pays solitaires et un peu montagneux, le long des petites rivières qui nourrissent des éci-evi.s.Ses, des truites el d'autres poissons, mais toujours à i)roximil(f des étangs, où elle va de Icuqis à autre faire des cxciu'sions di'sastreuscs. Elle s'y rend la nuit, cherche d'abord lin trou ou fourré dans lequel elle pourra se cacher pendant le jour; puis, si elle trouve une retraite qui lui convienne, elle y établit soii domicib; pour plus ou moins longtemps, selon qu'elle y esl plus ou moins inquiétée. Ch.iquc nuil elle |iêrhe, et l'on peut calculer ([u'un seul de ces animaux peut déiruire de cent à cent cimpuuile carpes par an dans un grand étang. Si elle reiiconlre un simple vivier, auprès 10. LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. duquel elle ne peut e'tablir son domicile à cause de la proximité d'un village ou d'une ferme, elle agit alors comme le putois; c'est-à-dire qu'elle commence d'abord par tuer tout le poisson qu'elle y trouve, puis ensuite elle en emporte autant qu'elle peut. Lorsqu'elle s'est établie sur le bord d'une grande rivière, ce qui arrive souvent, elle devient redoutable pour les pêclieurs, non-seu- lement parce qu'elle ruine leur pèche en détruisant le poisson, mais encore parce qu'elle mancjue rarement de couper leurs li- gnes et de trouer leurs nasses et leurs fdets quand ils sont obligés de les laisser tendus pendant la nuit. Elle reste fort longtemps sous l'eau sans avoir besoin de venir respirer, mais cela n'empê- che pas qu'elle ne se noie quehiuefois lorsqu'elle a pénétré dans une nasse d'osier, et que le temps lui manque pour en couper les barreaux avec ses dents. habitude, vont s'embusquer à vingt pas de cette pierre, l'atten- dent au clair de la lune, et manquent rarement de l'y voir venir et de la tirer. S'ils ne la tuent pas roide, elle est perdue pour eux, car elle se jette dans la rivière et se sauve entre deux eaux. Si elle se sent mortellement blessée , elle plonge , s'accroche au fond à quelque racine, se laisse noyer et ne revient plus sur l'eau. La loutre donne rarement dans les pièges qu'on lui tend; aussi le meilleur moyen de la détruire est de lui faire une chasse aclive au fusil. Lorsque, dans les prés qui bordent les rivières, le foin est assez haut pour cacher ces animaux , ils aiment à s'y prome- ner le matin pour poursuivre les rats, les mulots, les grenouil- les, etc. Si le ciel est serein et que le soleil soit chaud, ils s'y couchent volontiers, et s'y endorment pendant quelques heures de la matinée. Le chasseur arrive en silence dans le pré où il les La Loutre. Comme on le voit, la loutre se nourrit le plus ordinairement d'écrevisses et de poissons; mais elle attaque aussi les rats d'eau, les mulots, les petits oiseaux, etc. Elle cherche dans les roseaux les nids de canard, de sarcelle, de bécassine, et en mange les œufs; elle se .jette sur les grenouilles, les couleuvres et autres reptiles; mais pour tout cela elle ne s'en contente pas moins d'herbe tendre, décorée et de jeunes bourgeons, quand les proies vivantes viennent à lui manquer. Elle devient en chaleur eu hiver, et met bas, en avril, trois on quatre [iclits, qu'elle allaite pen- dant deux mois, et qu'elle abandonne ensuite. Elle ne se creuse pas lie terrier, conmie on l'a dit; mais si elle en trouve un tout fait, elle s'en empare volontiers, et y loge ses i)clits sur un nid de bûchettes et de foin. Le plus ordinairement clic se loge dans une vieille souche d'aune, de saidc ou de peu|di(r-, (luclquclois dans un trou de nn-hcr , une pile de fagots ou le premier trou venu. C'est la (pi'elle jiorte sa pèche ou sa cha.sse pour la manger avec tranquillité et à l'abri de tout danger; mais elle ne tient pas tant à son domicile qu'elle ne le quitte i)our toujours et aille eu chercher un autre à une grande distame , pour peu qu'on l'v ail inquii'tée. La loutre a une singulière habitude, celle daller chaque nuit sur la grève, au même endroit, faire ses ordures auprès dune pierre blanche que le hasard aura placée sur le .sable On r.'cou- nalt ses fumées aux débris darèle de jioi.sson et dv test décrr- visse quelles coulicunent. Les chasseurs, ^^S%^fe^^^' La LournE de i.a Gi;vane (Lutra cnmhif:, Fii. Ciiv.) a trois jéieds et demi (1,157) de longueur, la (pieue comprise, et reile-ei forme à peu près le tiers de la longueur totale; elle est d un brun clair en dessus , plus pâle en dessous , avec la gorge et les côtés de la face jusqu'aux oreilles pres(|ue blancs. On la trouve sur les bords (les grands fleuves de la Guyane. La Ldhiu: de ia Cahomne (Lutra lalaxina , Fit. Ccv.) est un peu idus grande que la loutre île la Guyane; son pelage est d'un brun noirâtre en dessus, moins foncé en dessous; la gorge, l'ex- trémité du museau et les côtés de la tèle sont grisSIres. f)an-^ cette espèce, des poils longs et soyeux recouvrent les laineux. On la trouve dans la Caroline du Sud. La Loutre de la Trixiti; [Lutra insularis, Ffi. Cuv.) a deux pieds trois pouces de longueur (0,751), et sa queue a dix-huit pouces (0,187) ; son pelage est court et très-lisse , d'un brun clair en dessus; d'un blanc jaunAtre en dessous, sur la gorge, la poitrine et les côtés de la tête. Elle habite l'île de la Trinité. La Saricovienne ou Caricuebevi; [Lutra hrasiliensis , Geoff. Mustela lutris brasiliensis , Lix. La Saricoi'ienne de la Guyane, BuFF. ) est plus grande que la loutre d'Europe ; son pelage est d'un brun fauve, un peu clair sur la tête et le cou , plus foncé à l'extrémité des membres et de la queue, avec la gorge et l'extré- mité de la (pieue d'un blanc jaunAtre; ses narines sont nues sur leur contour, mais elle manque de mufle. Elle habite la rivière de la Plata, elThevet dit que sa chair est très-délicate, fort bonne à manger. Le Barami-Raranc (Liiira harang ,Vr. Cuv.) a un pied huit pouces (0,512) de longueur, et sa queue a huit pouces (0,217;. Son pelage est rude, d'un brun sale en dessus, un peu plus pâle en dessous ; sa gorge est d'un gris brunfttre ; ses poils laineux sont d'un gris brun sale. Il habite Java et Sumatra. LeSiMUNc [Lutra simung , Raff. Luira perspicillata, Is. Geoff.) est un peu plus grand que le barang-barang; son pelage est moins long, plus lisse et plus doux : il est d'un brun foncé , plus clair et un peu roussfttre en dessous; il a la gorge, les côtés de la tête et le tour des yeux blanchâtres, avec le menton blanc. II habite Sumatra. Le iNir-Navié (Lutra nair, En. Cuv.) a deux pieds quatre pouces (0,758) de longueur, non comjiris la queue, ipii a dix-sept pouces (0,460). Son pelage est assez court, d'un châtain foncé en dessus, plus clair sur les côtés du corps ; d'un blanc roussâtre en dessous, ainsi que sur la gorge, les côtés de la tête et du cou, et le tour des lèvres; le bout de son museau est roussâtre, et il a deux taches (le la même couleur, l'une en dessus, l'autre en dessous de l'ail. Il habite les Indes, dans les rivières autour de l'on- dichéry. 7' Genre. Les LATAXES (Latax, Aristote?) ont une formule dentaire qui m'est inconnue. Ils ont les formes générales des loutres ; mais leurs pieds de devant, non aplatis ni élargis, ont les doigis velus, épais, armi's d'ongfes aigus, avec la |)aunie nue, tandis (pie ceux de derrièri' sont eu forme d<^ rames plates, abso- liiiuent .semblables à ceux des plioqucs , si ce n'est qu'ils sont libres. Le Lataxe de Stem.er (Latax t^tclleri. — Luira Stcllcri, Less. Lutra marina , Stei.l.) est de la taille d'un chien médiocre; son pelage est épais, d'un noir brunâtre ou marron; sa queue est courte , large , jiointue. Il habite les terres voisines du pôle 150 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. boréal , et vit sur les bords de la nier ; il se nourrit de crustace's et de poissons, et passe la plus grande ]iartie de son temps dans J'eau. 11 parait (pie ses habitudes sont mixtes entre celles des loutres et des phoques. Il faudra probablement , quand on con- naîtra mieux ce genre , le reporter à la lête de la famille de ces derniers. 8" GïNnE. Les AONYX (Aonyx, Less.) ont les mêmes caractères génériques que les loutres, mais ils en dilfèrent parla forme des pieds et par les doigts à peine réunis par une membrane; le se- cond doigt parait soudé au troisième sur toute la première arti- culation; ils sont tous les deux plus allongés que les suivants, et tous les doigts sont privés d'ongjes, oii un vestige d'ongle rudi- mentaire est seulement observé aux second et troisième doigts des pieds postérieurs. L'AoNYX Delal.\nde {Aomjx Delalandi , Less. Luira inunguis , G. Guy. La Luutrc ilu Cap) a deux i)ieds dix pouces (0,9âl) de longueur, non compris la queue, (jui a vingt i)ouces (0,5iâ); son pelage est épais , doux , d'un brun ch;"itain , plus foncé sur la croupe , les membres et la queue , plus clair sur les flancs ; le dessus de la tête est d'un gris brunâtre, et le dessous du corps d'un blanc assez pur. Il iiabite le pays des llottentots, au cap de lionne-Espérance , et vit de poissons et de crustacés qu'il péciie dans les étangs salés du bord de la mer. Du reste, ses habitudes sont semblables à celles de notre loutre. LES CHIENS. Ils ont deux dents tuberculeuses plates derrière la carnassière supérieure; celle-ci a iii] talon assez large. Ils ont tous un petit cœcum. •l'^' Genre. Les CfllENS {Canis, Lin.) ont quarante-deux dents : six inrisives et deux canines en haut et en bas; douze molaires à la mâchoire supérieure, et quatorze à la mâchoire inférieure; les deux molaires tuberculeuses sont placées (lerrière c)iaque mo- laii'c carnassière, cl la |jremière lulierculeuse supérjeure est fort grande; jçur langue e^[ ("louce; ils ont cin(i doigj^' aux'i)ieds de devant, e|, quatre aux pieds de dcriière , munis d'oiigjes non ré- tractiles; enfin la pupille de leurs yeux est ronile. i" LES CHIENS DOMESTIQUES. Le Chien domf.stiule [Canis familiaris, Lin.) ne se distingue du loup , du chacal et autres variétés sauvages, (jue par sa cpieue toujours plus ou moins recourbée, tandis que dans les autres elle est constamment droite. Du reste, il varje de mille manières pour la taille, les couleurs, et même les formes!. La question de savoir si le chien domestique vient du louj) et du ciiacal a beaucou]) occupé les anciens naturalistes. Aujour- d'hui que l'on sait que le chien, le loup et le chacal sont trois va- 1-iétés dans la même espèce, puisque par Je croisement ils pro- duisent des individus capables de se reproduire eux-mêmes, cette discussion serait tout à fait oiseuse et' sa solution de nulle impor- tance. Elle se borner.iit à nous apjirendre (pu'lle est la variété (|ui est venue la première. Mais, d'ailleurs, il n'est pas i)ossible d'obtenir cette .solution, puisque l'on trouve, même en France , parmi les auiniaux perdus, dont il ne reste que les S(picletles fossiles, une douzaine d'espèces de chiens tpii ont jdus ou moins d'analogie avec plusi<'urs es il console le malheureux, qui, sans son chien, n'aurait pas un ami sur la terre; il [leuple, il embellit la solitude de son obscur ré- duit; il occupe son cœur et l'aide à traverser une misérable vie oubliée par les hounnes; il l'encourage et semble l'aimer d'autant plus ipi'il est plus opprimé i)ar l'adversité. Dans ses durs travaux , il l'aide même au delà de ses forces; il s'excède à tirer une voi- ture, à tourner la roue d'un soufflet de forge, à maintenir l'ordre dans un troupeau; il fait ses commissions à la ville, et lui évite même la honte de la mendicité en tendant pour lui une écuelle de bois aux passants. Il n'est jamais plus heureux que lorsqu'il croit se rendre utile, qu'il reçoit un sourire pour l'encourager et une caresse pour son salaire. C'est alors surtout qu'il déploie celte admirable intelligence qui le met tant au-dessus des ani- maux et qui ne le cède qu'à l'homme, à l'honirae, qui serait un être parfait s'il avait les (pialités morales du chien. Pour défendre son maître, le chien ne connaît ni crainte ni danger, et fùt-il sur de ])érir dans la lutte, il s'élance avec intré- ])idité, attaque avec fureur, et ne cesse de combattre de toutes ses forces, de tout son courage, qu'en cessant de vivre. 11 le dé- fend contre les animaux féroces dix fois plus forts que lui; contre les brigands (|ui menacent ses jours, et il vit pour le venger, s'il n'a i)u le dérober aux meurtriers; il veille sur lui s'il est blessé, et ne le (|uitte (pu- ]iour aller chercher du secours; il le sauve des flots ([ui allaient l'engloutir; il le réchaull'e de son haleine, de son corps, après s'être volontairement enfoncé avec lui dans les abîmes de neige ; enfin il oublie l'instinct je sa propre conserva- tion pour ne penser qu'à la conservation ()e celui qu'il aime. Ouand il s'agit de son maître, de celui au(|uel il a voué son existence entière, rien ne lui est indilt.rent; il ne sent ipie i)ar lui et pour lui, et parjage tout sans hésiter ; haines et affections, joies et chagrins, fortune cf pauvreté. l'orlune!... non, car il n'exige rien en retour de son dévouement; et ordinairement le chien de l'hoinme (jont, )a rlcbesse a n'Iréci le cœur est jdus mal nourri, plus mahr.iité ipie celui du juiuvre, abandonné qu'il est à des valets. I.e chien se plaît où son maître se plait, quitte sans regret les lieux ipiil abandonne, et, avec lui, passe gaiement de la cuisine du juinee au baiiuet de la gargote. 11 caresse les vieux parents et vient dormir à Icin-s ]iieds; il aime la femme; il protège les enfants et joue bien doucement avec eux; en nu mot, il ne vit tpie de la vie de son maître; et si la cruelle mort vient le lui arracher, il se traîm; sur son tonibcau, s'y couche et y meurt de tristesse et de douleur. Aussi g<'m'reux qu'aimaiil , il supporte avec patience l'ingrati- tude et les mauvais trailemiuls dont lr(qi souvent on paye ses .Miviccs et son an'cclion. Si on le gronde, il s'humilie; si on le frappe, il se i>lainl, il gémit; son œil supi)liant, si doux, si ex- pressif, demande grâce pour une faute que parfois il n'a pas commise. Il se traîne aux i)ieds de son brutal tyran, lui lèche les mains, lente de l'allendrii-, de di's.iiiner sa lolère. mais jam.iis CHIENS. ISI il ne cherche à repousser l'agression par l'agression , la force par la force, quelles que soient l'injusline et la barbarie de son sup- lilice, et s'il se sent blessé mortellement, en mourant, son der- nier regard est encore un regard de pardcm et de tendresse. liernanlin de Saint-Pierre a dit que c'est tMre à nuiili(= anlliro- pophage que de manger le chien, et je partage tout à l'ait cctie opinion. Je crois aussi que l'homme qui n'aime pas les animaux, (pu reste insensible à tant d'atrection ou de services rendus avec désinléressement, qui n'a pas pitié de leurs douleurs, de leurs souirranees physiciues, est plus brute (pieux, et ne fera jamais ni un bon citoyen, ni un bon père de famille; je crois que les hommes n'ont rien à attendre de lui que le plus froid égoïsme. Qu'on n'aille ])as croire que dans ce ipie je viens dire de ce iioble et bon animal, il y ait de l'exagi'ratiou ; je n'ai jias écrit une seule |dirase que je ne puisse justilier i)ardes fait< niiml>reux, et je terminerai par une citation di' lïufl'on cpii complétera le por- trait : « Le chien , indépendamment de la beauté de sa forme , de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualitc's intérieures ([ui peuvent lui attirer les regards de l'homme : un naturel ardent, tolère, même féroce et sanguinaire," rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux , et cède dans le chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire.... Plus docih; que l'homme, plus souple qu'aucun des animaux, non-seulement le chien s'in- struit en peu de temps, mais même il se confoi'me aux mouve- ments, aux manières, à toutes les habitudes deceuxcpii lui com- mandent; il prend le ton de la maison (pi'il habite; comme les autres domestiques, il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne; toujours empressé pour son maître et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indiffé- rents, et se déclare contre ceux qui par état sont faits pour im- portuner : il les connaît aux vêtements, à la voix, à leurs gestes, et les empêche d'approcher. Lorsqu'on lui a confié, pendant la nuit, la garde de la maison, il devient plus fier et (|uelquefois féroce; il veille, il fait sa ronde; il sent de loin les étrangers, et pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des aboiements réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne l'alarme , avertit et combat. Aussi furieux contre les hommes de proie que contre les animaux car- nassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur ôte ce ipi'ils s'efforçaient d'enlever ; mais content d'avoir vaincu , il se repose sur les dépouilles, n'y touche pas, même pour satis- faire son appétit, et donne en même temps des exemples de cou- rage, de tempérance et de fidélité. » Quel(|ues-uns de nos jeunes écrivains, probablement pour dire du nouveau, ce (pii n'est pas aisé, viennent d'élever la voix con- tre ro|>inion de liulfiui , et d'imprimer que le chien n'est que le modèle parfilt de l'esclave abject dont le cœur avili se plait dans la servitude; ceux-là ne comprendront jamais l'amour ni le dé- vouement. Mais ce ((u'il y a de plus singulier, c'est que le chien, déclaré propriété par nos lois, est mis, sans réclamation, hors la loi par un i)r('fet de police de Paris ou par un maire de village. Sans respect |)our la propriété, s'aii|iuyaiil sur un vieux préjugé qui a été cent fois renversé par la science, et faisant même Imit ce qu'il faut pour amener l'hydrophobie qu'ils prétendent éviter, ■ ils font semer de l'arsenic et de la noix vomiipie sur la voie pu- bli(pie, au ri.sque d'empoi-^onner, non |ias toujours des chicu';, mais des enfants, ce qui, préleml-on, est arrivi: plus d'une lois. En ell'tM , le chien est sujet à une maladie terrible, la rage; mais les plus habiles vétérinaires de l'Institut vl de l'école d'Alforl ont fait, pendant plusieurs années, de noud)reuses et cruelles expi'- riences i)Our coiuiailre les causes du développement de celle maladie; cl ils oui positivement lecmiiui «pie celte caiisi; n'est ni dans la chaleui- atmosphéiiipie , ni dans la soif par manque d'eau, mais uniquement ilaiis une |U'ivali(jn longiu' et totale de hi n'u- nion des sc.kcs. La chienne porte -ojxanle trois jours et fait di' quatre à huit petits, quelquefois jusqu'à douze. La durée ordi- naire de la vie, dans ces animaux, est de douze à quinze ans. Cependant il n'est pas rare d'en trouver qui atteignent vingt ans, et j'en ai vu un ipii en a vécu vingt-cinq. Le chien a suivi l'hoiume sur tous les points de la terre, et a dû, comme lui, éprouver les iniluences des divers climats; outre cela, soumis à la plus antique des domesticités, il en a subi les consé(|uences. Aussi n'est-il pas d'animal connu qui fournisse des races plus variées et mieux caractérisées, et peut-être plus con- stantes quand on veut les conserver pures. Nous ne citerons ici (|ue les principales reconnues i>ar les naturalistes. LES MATl.NS. i" Le M.^TiN onniNAuiF. [Catiis laniarins, Lin, Le Mali», P.m-f.) est de grande taille; il a la (pu'ue rclevi'e; son pelage est assez court, d'un fauve jaunâtre, quehpiefois blanc et noir; le nez un peu allongé et constamment noir. Quoique de taille assez h'gère, il est rob\iste et courageux. On s'en sert à la garde ESM.), à pelage très-épais, fauve en dessus, l)1us pMe en dessous; le ])oil exti'rieur soyeux, celui de dessous plus lin et duveteux; sa queue est loulfiie. Cet animal misérable a peu d'intclliginre, parce ijue les habitants ne réjèvent guère ()ue pour le manger, et l'élèveiit en conséipicm'e. 7" Le Waii (Canis Iiimahniensis) a le museau pointu et la lêle allongée; ses oreillteu d'iiilelligincc, mais beaucoup d'affection pour leur mailre. Ce sont des chiens d'ap|iartement. 1i2" L'Im'acneui. anci.ais [Canis rxirariu'i brilannus), comme l'épa- gneul français, mais à pelage |)bis .soyeux. |p1us long, enliire- mciil noir, avec une tache de fauve rouge sur chaque œil. Il a pour la chasse les mimes ((ualités, mais moins d'arileiir. 13" L'Éi'ACNEUL écossais [Caiiis extrarius scolicus). Il diffère de répngîHMil français |)ar se- roriiies |dus Ic'gères, plus ('LiUm'cs : par ses oreilles pendantes, mais plus petites et plus haut placées ; par sa queue en panache , plus relevée et plus courbée ; enfin par ses yeux jaunes et son nez rose. Son pelage est constamment blanc, avec de larges taches blondes. 11 est excellent pour la chasse en plaine , mais il est très-délicat. 14» Le Bakiiet ou Caniche [Canis aquaticus, Lin.) a les oreilles larges et pendantes, les jambes courtes, le corps trapu ; le mu- seau épais, peu allongé; le pelage très-long, frisé et un peu lai- neux, noir ou blanc, ou mêlé de ces deux couleurs. C'est le plus fidèle et le plus intelligent des chiens. Il a deux sous-variétés, qui sont : Le petit Barbet ; Le Barbet griffon ou Chien anglais. IS» Le Chien de Teiire-Necve [Canis aquatilis] n'est probable- ment qu'un ancien croisement du m;Uin et du barbet. Il est au moins de la taille du premier mais plus épais; il a le museau nu, gros et assez allongé; les oreilles pas très-grandes, mais pen- dantes et soyeuses comme celles de l'épagneul; le pelage soyeux, très-long , ondulé , blanc et noir ; la queue recourbée , relevée en beau panache. 11 se plaît à aller dans l'eau pour en retirer les ol)jets qui flottent à sa surface, mais on a beaucoup exagéré cette qualité. Il est aimant, fidèle, et susceptible d'une certaine édu- cation. 10° Le GniFEON [Canis arectus), de la taille du plus grand barbet, mais à forme moins lourde. Son pelage est rude, hf'rissé, peu épais, ordinairement d'un fauve roux ou noiiAtre, (picl(|uefois grisâtre, rarement blanc. C'est un métis du courant et du barbet. 11 est bon à la chasse du lièvre. Rarement il s'attache beaucoup à son maître, et ses manières sont rudes et grossières. 17" Le Chien couiiaxt [Canis gallicus. Lin.). Il a le museau gros et long; les oreilles très-larges, très-longues et très-pendantes- les jambes robustes, assez longues, le corps gros et allongé; la queue mince et relevée; le pelage ras, court, blanc mêlé de noir, ou, mais très-rarement, entièrement noir, ou mêlé de blanc et de fauve. Il est excellent pour la chasse du lièvre, du cerf, du sanglier, etc.; mais il est brutal, égoïste, et n'a aucun attache- ment pour son maître. 18" Le Chien braque [Canis avicu'arius, Lin.) a les oreilles plus courtes et moins larges que le précédent; le museau plus épais et plus court; le corps moins allongé; la poitrine plus large, les jambes (pudquefois i>lus longues; le pelage ras, blanc, avec des taches toujours d'un brun marron plus ou moins foncé, et jamais noires. Il a de l'intelligence , de l'attachement pour son maître , et les passions Irès-vivcs. Il est excellent pour la chasse de plaine, et craint peu la chaleur ; mais dans les marais il est sujet à prendre des douleurs. Le Braque à nez fendu en est une variété (pii ne le vaut pas à la chasse. 19° Le BiiAycE de Iîencale [Canis avicularius beiigatensis) a le nez un peu moins épais, les jambes plus hautes, le corps un peu plus svelle; son pelage est constamment blanc, avec de gramles taches de brun marron, et de nombreuses mouchetures d'un brun grisâtre; il a sur les yeux, et .souvent sur les pattes de devant, de petites taches d'un fauve rouge vif. Il a les mêmes qualités (juc le braque. 20" Le Basset a jambes droites [Canis vcrtagus. Lin.) -a les oreilles et la tête comme le chien courant, mais le museau plus fin et plus allongé; son corps est trè.s-long, ainsi ipic sa queue; ses jainhes sont grosses et fort courtes; son pelage est ras, ordi- nairement brun ou noir, et, dans ce dernier cas, il est marque de f(!U sur les yeux et les (jualre i)attes. Il n'est ni attaché ni fidèle. On s'en sert pour la chasse du blaireau , du lajiin et du levraut. Le Basset à jambes torses ne diffère du pii'clus complètes, imisipie ceux cpie l'on con- serve à la ménagerie s'accouplent très-bien avec des chiens, et les individus qui en résultent sont féconds et se multiplient, soit entre eux , soit accouplés avec des chiens ou des loups. Tout ce que lUifTon a écrit sur ces animaux, sur leur férocité indompta- ble, sur leur antipathie pour le chien, sur les caractères qui tranchent ces deux espèces, etc., est absolument faux et le ré- sultat des ju'éjugés de son temps, comme je le démontrerai. De tous les temps , le loup a été le fléau des bergeries et la terreur des bergers; il est d'une constitution très-vigoureuse; il peut faire quarante lieues dans une seule nuit, et rester plusieurs jours sans manger. Sa force est supérieure à celle de nos chiens de plus grande race. Heureusement que la férocité de son carac- tère ne réi)ond pas à celte extrême vigueur, et que, par ses qua- lités morales, il ne mérite pas la réputation qu'on lui a injuste- ment faite. Le Toup n'est ni lâche ni féroce, et c'est ce que son histoire pro()yera quand on la débarrassera des absurdes contes dont on a coutume î\e }a falsilier. Si le loup n'est pas tourmenté parla faim, il se retire dans les jjois, y passe le jour à dormir, et n'en sort que la nuit pour aller fureter ilans la campagne. Alors il marclie avec circonspection, évitauf tpvjte julte inutile , fût-ce même avec des animaux plus fai})les que }uj. 1| fuit les lieux voisins de l'habitation des hommes ; sa iiiarclic est furlive , légère, au point qu'à peine l'entend-on fouler des feuilles sèches. 11 visite les collets tendus par les chas- seurs, pour s'emparer du gibier qui peut s'y trouver jiris; il par- court le bord (les ruisseaux et des rivières pour se nourrir des immonflicies que |es eaux rejettent sur le sable. Son odorat est d'une telle finesse, qu'il lui fait découvrir un cadavre à plus d'une lieue de distance. Aussitôt que le crépuscule du matin commence à rougir l'horizon, il regagne l'épaisseur des bois. S'il est dé- rangé de sa retraite, ou si le jour le surprend avant ipi'il y soit rendu, sa marche devient plus insidieuse ; il se coule derrière les haies , dans les fosse's , et , grâce à la finesse de sa vue , de son ouïe et de son odorat, il parvient souvent à gagner un buisson solitaire sans être apenni. Si les bergers le découvrent et lui cou- pent le passage, il cherche à fuir à toutes jambes; s'il est cerné et atteint, il se laisse dévorer par les chiens ou assommer sous le bâton sans pousser un cri, mais non pas sans se défendre. Quand cet animal est jioussé par la faim , il oublie sa défiance naturelle et devient aussi audacieux (jifintrépide, sans renoncer à la ruse quand elle ju'ut lui être utile. 11 se détermine alors à sortir de son fort en plein jour; mais, avant de ipiitter les bois, il ne manipie jamais de prendre le vent, et s'arrête sur la lisière, évente de tous côtés, il reçoit ainsi les émanations qui doivent le diriger dans sa dangereuse excursion. 11 parcourt la canqiagne, s'apiu'ochc des troupeaux avec i)récauliou jiour n'en être pas aperçu avant d'avoir mar((ué sa victime, s'élance sans lu'siter au milieu des chiens et des bergers, saisit un mouton, l'enlève, l'em- ]iorle avec une légèreté telle, cpi'il ne peut être atteint ni par les chiens ni jiar les bergers, et sans montrer la moindre crainte de la poursuite qu'on lui l'.iit, ni des clameurs iloiit on l'aciompa- gue. D'autres fois, s'ij a (h'couvcrl un jeune chicii iiiexpérimenté dans la cour d'une grange écartée, il s'en approche avec effron- terie et souven juscpi'à poi ti'e de fusil ; il prend alors did't'rentes altitudes, fait des courbetles , des gambades, se roule sur le dos comme si son intention ('tait de jouer avec le jeune novice. Ouand celui-ci se laisse surprendre à ces Iroiiipeuses amorees et s'approche, il est aussitôt saisi , étranglé et entrain(; dans le bois voisin pour être (jévorél f ai été tiimoin de ce faif , qui prouve dans le loup autant d'intelligence que d'audace. Mais ipiaiid un chien de basse-cour est de force à disputer sa vie, le loup s'y |)reuil difli'rcmmeul : il s'apiu'oehe jus(pr;i ce (pie le (bien l'aperçoive et s'i'lance pour lui livrer combat ; alors l'animal sauvage prend la fuites , mais de manière à exciter son ennemi à le suivre , ne s'en ('loignant (pie siidisammcnt pour n'être i)as atteint. Le mâtin , animé par ce commencement de victoire, poursuit le loup juscpi'aiiprès d'un fourré où un second CHIENS. ISS loup les altendait ; ce dernier sort tout ;i coup de son embuscade, se jflte sur le uiailieureux cliieii , (|ui coniuience le couibat avec fureur; mais le fuyard revient sur ses pas, joint ses efforts à ceux de l'autre assassin, et le nuMin louibe victime de son courage et de la perlldie de ses deux ennemis On a vu très-souvent un loup affame' entrer en [ilein Jour dans un banieau, saisir un chien à la porte d'une maison, une oie au milieu de la rue ou un mouton près lie la bergerie, l'entrainer dans les bois maigre les bourras d'une population entière, et même maigre les cou(is de fusil qui Jejà ne peuvent plus l'atteindre. C'est surtout pendant la nuit que le loup afTame oublie sa jirudence ordinaire pour montrer un courage (pii va jusqu'à la tènK'rile. llencontre-l-il un voyageur accompagne d'un chien, il le suit d'abord d'assez loin , puis s en approche peu à peu , et quand il a pu calcider les chances de danger et de succès , d'un bond il se jette sur l'animal effrayé, le saisit Jusqu'entre les jand)es de son maître, l'euqjorte et disparaît. On en a vu très- souvent suivre des cavaliers pemlant plusieurs heures, dans l'es- pe'rance de trouver le moment propice pour èiraugler le cheval et le dévorer. Dans le iNord , il paraît (pie , lorscpie les neiges abondantes couvrent la terre, les loups, ne trouvant plus de nourriture dans les bois, se réunissent en grandes troupes, des- cendent les montagnes, sortent lusicurs fois fatale à des voyageurs. Dans l'esijace d'une nuit un loup vient quelquefois à bout de creuser un trou sous la porte d'une bergerie et de s'y introduire. Dans ce cas, il commence par étran- gler tous les moulons les uns a])rèsles autres, puis il en emporte un et le mange; il revient en chercher un second, qu'il cache dans un hallier voisin, avec la précaution tle recouvrir son corps de feuilles sèches ou d'un peu de terre;' il retourne en chercher un troisième, un quatrième, et ainsi de suite, .jusqu'à ce que le Jour le force à battre en retraite. Il les cache dans des lieux (]if- férents et à une assez grande dislance les uns des autres; mais, soit oubli , soit défiance , il ne revient janiaîs |es cliercher. Le loup préfère une proie vivante à toute autre nourriture; cepen- dant il dévore les voiries les plus infectés, et, faute de substance animale, il se contente de fruits mûrs ou i)ourris, (|e racines, et même, dit-on , de bois tombant en décomi>ositi(»n et d'une cer- tîiine terre glaise. « H aime la chair humaine, dit lîutron, et peut- être, s il était le plus fort, n'en mangerait-il pas d'autre. On a vu des loups suivre des armées, arriver en nombrr à des champs de bataille où l'on n'avait enterré que négligemment les corps, les diîcouvrir, les dévorer avec une insatiable avidité, et ces mêmes lou|)S, accoutumés à la chair liiunaine, se jeter ensuite sur les bonunes, attacpier le berger plutôt (pie le troupeau, dévorer les femmes, emporter les enfants. » La critiipie fait aujourd'hui Jus- lice de toutes ces exagérations; mais il n'en est pas moins vrai (pie (piehpiefois des louves affamées, à r('i)o(pu' où elles allaitent leurs petits, se sont Jetées sur des enfants, (h's femmes et même des hommes. Les annales de |dusieurs de nos départements en fout foi. Tout ce qu'a dit Buffon de rindom])lable férocité du lou]) cM faux ou très-exagéré. J'ai eu i)eii(lant (piatre ans nue louve par- faitement (uivée, aussi douce, aussi caressante ('t aussi allaclu'e qu'un chien, vivant en liberté, sans ipie Jamais elle ait cherché à se sauver. Frédéric Cuvier a donné 1 lùsloire de deux loups (pii vivaient il y a peu de temps encore à la ménagerie , et qui ont montré l'exemple d'un attachement pour leur maître, aussi grand, aussi passionné (pi'aucun chien ait pu I (■prouver. L'un d'eux, ayant éli! pris fort jeune, fut élevé de la même manière (piuii chien, et ile\int familier avec toutes les personnes de la maison , mais il ne s'atlaclia d'une affeetion très-vive qu'à son maître; il lui montrait la soumission la plus entière , le caressait avec ten- dresse, obéissait à sa voix et le suivait en tous lieux. Celui-ci, oblig(' de s'absenter, en fit présent à la mi'nagerie , et l'animal soulliit de celte absence , au ])oint (|ue Ion craignit de le voir mourir de ciiagrin. Pourtant, a|)rès plusieurs semaines passées dans la tristesse et pres(pie sans aliments , il reprit son appétit ordinaire, et l'on crut qu'il avait oublié son ancienne affection. Au bout de dix - huit mois son maître revint au .Jardin des Plan- tes, et, perdu dans la foule des spectateurs, il s'avisa d'appeler l'animal. Le loup ne pouvait le voir, mais il le reconnut à la voix, et aussitôt ses (ris et ses mouvements désordonnés annoncèrent sa joie. On ouvrit sa loge ; il se Jeta sur son ancien ami et le couvrit de caresses, comme aurait pu le faire le chien le plus fidèle et le plus attaché. Malheureusement il fallut encore se sé- parer , et il en résulta pour le jiauvre animal une maladie de langueur j)lus longue «pie la première. Trois ans s'écoulèrent; le louj), redevenu gai, vivait en très-bonne intelligence avec un chien , son compagnon , et caressait ses gardiens. Son maître revint encore; c'était le soir, et la ménagerie était fermée. Il l'entend, le reconnaît, lui réjiond par ses hurlements, et fait un tel tajiage, qu'on est obligé d'ouvrir. Aussil(jt l'animal redouble ses cris, se préci|iite vers son ami, lui pose les jiatteS sur les épaules, le caresse, lui lèche la figure, et menace de ses formi- dables dents ses propres gardiens, qui veulent s'interposer, ses gardiens qu'il caressait une demi-heure auparavant. Enfin , il fallut bien se quitter. Le louj), triste, immobile, refusa toute nouiriture; une |irol'oiide mélancolie le fit tomber malade; ij maigrit, ses poils se hérissèrent; au bout de huit Jours il était méconnaissable, et l'on ne douta pas qu'il ne mourût. Cependant, à force de bons traitements et de soins, on jiarvint à lui conser- ver la vie; niais il n'a Jamais voulu depuis ni caresser ni souffrir les caresses de personne. Je le demande, un chien ferait-il da- vai]Lige2 ■' ; Une jetirie |ouve, prise au piège, étant déjà adulte, vivait fami- lièrement avec des chiens qui lui avaient appris à aboyer contre les étrangers, fait extrêmement reuiarcjuable ; elle était devenue si douce et si docile, (jue , sans son goût irrésistible pour la vo- laille , on l'eût laissée en liberté. Nous pourrions citer une foule (i'autres exemples , mais nous nous bornerons à ceux-ci , mon- trant (jue le louj) , ainsi (pie le chien , est dominé par le besoin (l'aimer Ihommc et d'être aimé jiar lui. Tout en reconnsissant que dans les animaux le caractère varie d'individu à individu, dans la même espèce, on ne jveut voir dans ces exemples autant d'exceptions à la règle de l'espèce. Si le loup de nos contrées est toujours farouche et quelquefois féroce , cela ne tient qu'à l'in- stinct de conservation , et à ce (ju'ou lui fait une guerre à mort. Il paraît que cet animal est , ainsi que le chien , suscei)tible de recevoir une sorte d'('(lucatiou, « En Orient, et surtout en Perse, dit Chardin , on fait servir les loups à des spectacles pour le peujde : on les exerce de jeunesse à la danse , ou i)lut()t à une esi>èce de lutte contre un grand nombre d'hommes. On achète jus(|u'à ciiKj cents écus un loup bien dressé à la danse. » Huff'on s'est encore tromjié sur un fait i)lus positif: intéressé par système à sé|>arer resjièce du chien de celle du louj), il a dit (jue la louve jiorte trois mois et demi. Or, dans la ménagerie, où ces animaux font des petits tous les ans , la gestation n'a Jamais été (jue de deux mois et (|uelqucs Jours. Le loup, (jui est deux ou trois ans à croître, vit (juiiize à vingt ans. La femelle met bas du mois de décemhri^ au mois de mars. A la veille de mettre bas, la louve se prépare, au fond dniie forêt, dans un fourré imjiéné- Irable, une sorte de nid où elle dispose, avec de la mousse et des feuilles, un lit commode pour ses j)ctiis. Le nombre ordinaire en est lie six à neuf. Jamais moins de trois, et ils nais.sent les yeux feiuiés. Peud.iiil les i>remieis Jours , elle ne les (juitle j)as, et le mâle lui aiipoile a uKinger. Elle allaite deux mois; mais dès la cimpiièiiK; ou sixièiiK^ semaine, elle leur d('gorge de la viande à demi digi'rée , et bient()t leur ajijjrend à tuer de petits animaux (ju'elle leur aj)j)orle. Jamais ses petits ne restent seuls , car le 156 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. père et la mère se relèvent chacun à leur tour pour aller cher- cher la nourriture île la famille. Au bout de deux mois, la louve commence à les mener en course et à leur apprendre à chasser. En novembre et en décembre , ils sont déjà assez forts jiour se séparer et battre la campagne chacun de son côté pendant la nuit; mais ils se réunissent chaque matin et passent la journée en famille. 11 existe entre le chien et le loup une antipathie, une haine que BufTon croyait constitutionnelle et inhérente à deux natures très-distinctes; et, cependant, à la ménagerie, les deux préten- dues espèces vivent péle-méle en fort bonne intelligence. Cette haine n'a été ni expliquée ni niée par nos naturalistes d'aujour- d'hui, mais elle les a embarrassés pour établir, sur tous les points, que le chien et le loup ne font qu'une seule et même espèce ; ce pommelé à sa partie supérieure, et le gris domine sur ses flancs; mais ce qui le distingue de ses congénères , c'est l'odeur forte et fétide (]u'il exhale. Lesson le regarde comme une variété du loup ordinaire. Cet animal rolniste, d'un aspect redoutable, habite les plaines du Missouri, dans l'Amérique septentrionale. 11 a les mêmes mœurs que notre loup, mais avec les moditications qu'amène né- cessairement la vie du désert. Dans ces immenses solitudes, il ne se trouve que rarement en présence de l'homme ; aussi a-t-il peu appris à le craindre. On en a conclu, assez légèrement, à mon avis, qu'il avait plus de courage ou de férocité. Comme tous les chiens sauvages que les nombreuses populations des pays très- habités n'ont pas forcés à s'éparpiller , le loup odorant vit en troupes nombreuses, associées pour la chasse, l'attaque et la dé- Les Chenils. qui, du reste, est siinisammeiit prouvé par la fécondilc^ des métis. Avec un i)eu plus de connaissance des mœurs des animaux sau- vages, ceci n'eùl pas été une diflicullé pour eux. On peut ad- mettre comme règle générale que tout animal des foréis , nMiiit à la domesticité cl vivant en bonne iulelligence avec l'iionuiie, est, par ce .seul fait, ré|iiidi(: |>ar les animaux .sauvages de sa race! S il veut recon(pufrir son indé|ien(lance et retourner dans les bois, il y trouve dans ses semblables des ennemis imi)lacables qui, loin de le recevoir, l'altaquent, le poursuivent, le chassent ou le tuent. Ceci est démontré par rexi)érience, dans le daim , le cerf, le chevreuil et b(suicou|) d'aolres espèces que l'on a pu ob- server; pounpioi n'en seiailil pas de même dans les chiens? D'ailleurs, le clnen domesllque, à linstigation de l'homme, a d(=- claré une guerre implacable au loup; il le harcèle, le combat dans toutes les occasions, et celte hilte incessante a du nécessai- rement amener une haine atroce entre les deux rares, haine (|ui est devenue héréditaire et instinctive. Le Loir ODORANT (Canisnuhilus, Sav) est plus grand que n.ilic loup commun, auquel il ressemble; son pelage est obscur .t fense, aguerries, soumises à une sorle de lactique régulière. Ils poursuivent les daims et autres animaux ruminants , les forcent ou les surpreniienl cl les th'voreni en eomuuin. Ils osent même assaillir le bison quand ils le Iroiiveiil ('earh' de son troupeau, et ils viennent assez ordinaireuient à boul de le terrasser. Les sau- vages qui iPi'U|)lent le pieil des monlagnes Itoeheuscs et les bords de l'Arkansas redoutent cet animal; et, quand ils sont parvenus à en tuer un, ils se font un lro])héc de sa dépouille, qu'ils por- tent en forme de manteau , avec la peau de la têlc pendante sur leur |ioilrlne. Le 1.01 1' iii;s ihauim.s (Canis liilranii, IIari..) se Irouve dans les mêmes contrées que le loup odorant, et a les mêmes habitudes; cependant il parait ipi'il est un peu moins carnassier, car il se nourrit souvent de baies et autres fruits. Son pelage est d'un gris ceiidri' , varié de noir et de fauve cannelle Icrne; il a sur le dos une ligne de poils un jieu plus longs (pie les autres , lui formant connue une sorle de courle crinière; ses |>arlies inférieures sont plus pAlcs que les supérieures, et sa (jueue est droite. Le Canis la(ran^<, Sav. — Uicii., de la Colombie, est-il le même animal? CHIENS. Ii7 L'Agoiara-Glazou ou Lolp rolge {Canis jubatus , Desm.) est de la taille de nos plus grands loups. Sa couleur générale est d'un roux cannelle fonce' sur les parties supérieures, plus pAle en des- sous, presque blanc à la queue et dans l'intérieur des oreilles; il a le pied, le museau et le bout de la queue noirs; une courte crinière noire part de la nuque et s'étend jus(iue derrière l'épaule, quelquefois tout le long du dos. C'est un animal dont la force ne répond pas à la férocité. 11 habite le Paraguay, la Guyane et le Brésil. Cette espèce n'est pas rare dans les pampas de la Plata. Elle se plaît dans les marécages qui bordent les rivières et les fleuves, et y vit solitairement. La femelle, qui r<'sseiiddi- tout à fait au mâle, a six mamelles, et fait, à chaque portée, trois ou (|uatre petits qu'elle met bas vers le mois d'août. Dans le courant de mai, époque de ses amours, l'agouara fait retentir les pampas de ses hurlements qui s'entendent de très-loin, et qui ont un son lugubre et effrayant; il répète plusieurs fois de suite, et en les traînant, les sons goua-a-a, d'où probablement lui vient son nom. Cet animal ne quitte sa retraite que la nuit pnur roder sur le bord des eaux et saisir les animaux ai[uali(pies cpi'il poursuit à la nage avec une grande facilité; rarement il attaque le bétail, à moins (|u'il n'y soit poussé par la faim, et alors son courage ne le celle pas à sa force. Le Loti' riL' Mexique (Canis mexicanus , Lin. Lupus 7nexicanus, Briss. — G. Ciiv. ) est un peu moins grand que notre loup ordi- naire. Son pelage est d'un gris roussàtre , mélangé de taches fauves , marcpié de plusieurs bandes noirâtres qui s'étendent de chaipie coté du corps, depuis la ligne dorsale jus([u'aux flancs; le tour du museau , le dessous du corps et les i)ieds sont blan- châtres. Cette espèce habile les i)arties chaudes de la Nouvelle- Espagne. Elle est beaucoup moins féroce que le loup rouge. Le Loup de Java (Canis javanensis) l'essemble beaucoup au loup ordinaire pour la taille et pour les formes, mais ses oreilles sont plus petites, et son pelage est d'un brun fauve, noirâtre sur le dos, à la queue et aux pattes. Il a été trouvé à Java par Les- chenault. Le TsciiERNO-IîtJROi ou Loup noir (Canis hjcaon, Lin. Vuipcs ni- gra, Gksn. Le Loup noir, lirrr. — G. Cuv.) haiiilc principaleincnt la Hussie et le nord de l'Europe, et il se Iroiive ([uelquefois acci- dentellement dans nos montagnes. Georges Cuvier dit en avoir vu quatre pris ou tués en France, et, depuis, la ménagerie en a possédé deux ipii avaient étt; amenés des Pyn'nées. Il est de la grandeur ihi lou|) ordinaire, mais ses formes soul plus h-gères, et son [lelage est entièrement noir. On le trouve aussi dans le Canada. On dit cet animal beaucoup plus féroce (]ue notre espèce ordi- naire , cependant je ne connais point de faits (pie l'on puisse ap|)orter à l'a[ipui de celte o|iiuion. Les deux iiulividiis qui ont vécu à la mifnagerle étalent mâle et feimlle. Chaque année, ils y faisaient des petils presipie aussi déliants et aussi sauvages ipie leurs parents ; mais, ce qu'il y a d'extrêmement .singulier, et ce (pii prouve que les loups ont heaiu oup plus d'analogie avec le chien domestique qu'on ne le croit généralement, c'est que ces petits n'avaient ni les mêmes traits ni le même pelage, et qu'ils dilïéraieut autant entre eux qu'avec leurs parents : on les eût crus (l'une autre espèce, ou quelque variété de chien domesti(pie. De là on a pensé que le père et lii mère n'étaient pas de race pure, et (ju'ils étalent métis de quelque chien abandonné dans les Py- rénées et devenu sauvage. Cela est possible; mais il me paraît plus probable que cette variation était le résultat de la captivité des parents, de leur changement de vie, de climat, de nourriture, d'habitude ; en un mot, d'un premier degré de domesticité; d'au- tant ]dus qu'il n'y avait de modllications bien prononcées que dans la physionomie et la couleur , tandis que le caractère de défiance et de férocité était resté absolument le même. Je regarde le loup noir comme une simple variété du loup ordinaire. 1 ^ /fer- 1^ Le Loup noir. Le CuLPEU (Canis culpœus, Molin. Canis anlarcticus, Siiaw.) est un peu plus grand que le jackal; son pelage est d'un gris roiis- sâtre; ses jambes sont fauves; sa queue, rousse à son origine, est noire au milieu et terminée de blanc 11 habite le Chili et l'île Falkland, l'une des .Maloulnes, où il a été trouvé par le caïutaine Freyeinet, et précédemment par le commodore Byron. Cet ani- mal a une vie solitaire et misérable, (|u'll passe en grande i)artle dans un terrier qu'il se creuse dans les dunes sur les bords de la mer ou des fleuves. Toujours maigre, sans cesse all'ainé, Il se nourrit des lapins et du gibier (pi'il peut saisir à force de ruse et (h' patience. Comme on n'a pas (diservé sa pu|)llle , il n'est pas ceilaln si celle espèce appartient au chien ou au renard. Le terrier (|u'il se creuse ferait croire ipie iieiil-étre il appartient au genre de ce dernier; mais comme Bougainville dit l'avoir entendu aboyer ainsi que les chiens ordinaires , j'ai cru devoir le laisser avec eux jusipi'à ce qu'on ail de plus amples renseignemenls. ISS LES CARNASSIEP.S DIGITIGRADES. Le KoiiPARA ou Chien ckaiiier [Canis thom. Lin. Canis cancru-o- rus, Less. Le Chien des bois de Cayenne , Buff. Cents ochropus, Less. ) n'est probablement qu'une simple vàrie'te' du chien domes- tique. Son pelage est cendré et varié de noir en dessus , d'un blanc jaunâtre en dessous; ses oreilles sorit brunes, droites, courtes, garnies de poils jaunâtres en dedans; les côtés du cou et le derrière des oreilles sont fauves; les tarses et le bout de la queue noirâtres. Par ses qualités morales, il le dispute à nos chiens les plus intelligents. Le koupara vit en famille dans là Gùyâtlè fratiçaise , où ofi le rencontre en troupes coinposées de sept ou huit individus, rare- ment plus ou moins. Il se plaît dans les bois oii coulent des ri- vières peuplées d'écrevissés et de crabes, qu'il sait fort bien pê- cher, et dont il fait sa nourriture de prédilection. Quand cetle ressource vient à lui manquer, il cliasse les agoutis, les pacas et autres petits mammifères. Enfin, faute de mieux, il se contente de fruits. Il est peu farouche, et s'a|iprivoise avec la plus grande facilité. Une fois (ju'il a reconnu son maître, il s'y attache, ne le quitte plus, ne cherche jamais à retourner à la vie sauvage, et devient pour lo'tijdiil-s )e commensal de la maison. Il s'accoujile sans aucune sorte de réptigtiance avec les chietts, et les uiéiis qu'il produit sont Irès-estimés (lotir la chasse des agoiitis et des akouchis. Ces métis, croisés de nouveau avec des chiciis d'Europe, produisent une race encore plus recherchée pour la cliassê. Le PwiT KoiipAnA [Canis caciàvorûs,JkRB.) est d'iiiie taille moindre que le précéderit; sa tète est plus grosse, son museau plus allongé; son ])elage est noir et fort long. Il habite le même pays, a les mêmes habitudes, mais son instinct le porte h faiic aux cabiais une guerre beaucoup jdus active. Aussi les sauvages l'élèvent-ils de préférence pour la chasse de ces animaux. Lesson pense que c'est une variété du précédent, et je ne serais pas loin de partager cetle o|)iniou. Le ConsAC ou Adive [Canis cursac, Lin. Le Chie7i du Bençiah' ^ Penn. Bufi'on s'est trompé en le décrivant sous le nom A'halia. Canis pallidus, Ruppel.). La taille de ce chien est très-petite it ne di'passe ])as celle d'un chat. Son pelage est d'un gris fauve uniforme en dessus, d'un blanc jaunâtre en dessous; les mcnibics sont fauves; la queue est très-longue, touchant à terre, et noire au bout. Il a de chaque côté de la tête une raie brune qui va de l'œil au museau. Il habile les déserts de la Tartarie et se re- trouve dans riude. Il a souvent été confondu avec le jack.d. Les corsacs vivent en troupes dans le désert, non dans les bois, mais dans les steppes couvertes de bruyères , oi'i sans cesse ils sont occupes à chasser les oiseaux , les rats, les lièvres et autres petits animaux. Pendant la nuit, ils font entendre leur voix, moins gliqiissante (|iie celle desjackals, mais tout aussi désagréable. Ils s'acc()U|ilcnl au mois de mars; la femelle p(irl(' autant de jours (pie la chienne, et ulel bas, en mai ou en juin , de six à huit petits, cpi'elie alltlite pendant cinq ou six semaines. Elle les fait sortir ensuite (Ifc sa t-cltaitc, leur apporte à manger, et leur ap]>renil peu à iieii à ch(iisir leiil' nniiirilure cl à cli.wser. Ces animaux n'ont pas moins té en levant la cuisse, donnent couchés en rond , et vont amicalement, ajoiile l'auteur, flairer au derrière des chienâ (pi'iis rcnconlrcnl. Sciiin lui, I'ikUmii- du jackal , beaucoup moin- dre (pi'on ne l'a dit, est à peine plus bute ipie celle du chien à rap|)roche de l'orage, etc. 11 conclut de loiiles ces observations vraies ipie le chacal est le véritable chien sauvage et la souche de toutes les variétés de chiens domestiques. CHIENS. 159 En cela il se lromi)e, selon moi. l-e. jarlinl est inconteslalilc- ment une variété, et même très-lcs'^i'C, 'lu chien ilomcsli(|iie, puisqu'il produit avec lui des individus fc'conds , comme on l'a vu à Conslantino|)lp il y a peu d'années, et rommc cela se voit tous les jouis chez les Kalmoucks ; il eu est de niOuie du loup, (luoi- que les analogies accessoires soient moins frappantes. Mais ]iour décider jx'remptoirement (piel est le ty]ie de lespèce, c'est-à-dire quelle est la race venUé la première, la chose est impossible : car, ainsi que je l'ai dit, l'e'tudc des ossements fossiles nous a dévoile de noudtreuses raies de cnnis ante'rieures à ceux qui existent au- jourd'hui , d'où peuvent venir à la fois nos chiens (lomesti(]ucs, nos kouparas, nos jacknis, nos loiqis et en gênerai tous nos chiens sauvages. Dans ce cas, ils desiendraicnt tous d'un ou de plusieurs types primitifs et perdus; ils seraient parents en ligne collatérale, mais non en ligne descendanle de l'un d'eux. Les anciens racontaient que le lion, lorsipi'd allait à la chasse, c'iail accoin])agnéou plutôt conduit par un [letit animal (|ui lui dé- couvrait sa |)roie. Le roi des forêts , après l'avoir atteinte et terras- sée, ne manquait jamais d'en laisser une portion pour son guide, qui l'attendait à l'écart, et qui n'osait en approcher (pie cpiaud le lion sciait retire. On appelait cet animal le jmurvoijeur du lion ; mais son vérilalde nom était resté inconnu, et nill auteur ancien n'a avancé ipu' ce pouvait être le thoës d'Aristote. Cépend.iul quel- «pics auteurs du dernier siècle ont cru reconnaître le thos , le jackal dans ce prudent pourvoyeur, et il s'est tilètilé élëvb' à ce sujet une polémique aussi ridicule qii'inutile, ptùsqu'elle tottibait sur un conte, sur un apologue ayant autant d importance en histoii-e naturelle qu'une fahie de La Fontaine. Ce conte indieu de Pilpaï, le voici : « Ou demandait un jour à ce petit aniiiial (|iii » marche toujours devatit le lion pour faire parti^ le gibier ; » Pourquoi t'es-tu coHsacré ainsi au service du lion? — C'est, ré- » [KHidit I animal , jiarce ipic je me nourris des icstes de sa table, » — Mais par (jucl motif ne l'approches-tii jamais? tu jouirais de » son amitié et de sa reconnaissance. — Oui, mais c'est un grand ; » s'il allait se mettre en colère ! « La vérité est que le lion n'a jamais eu de pourvoyeur que lui-même, et que si les jackals se nourrissent (piebpu'fois de ses restes, ainsi (jue les hyènes et aulres aniuiaux voraces, ils le doivent au hasard. Les jackals vivent en troupes composées d'une trentaine d'in- dividus au moins, et souvent de plus de cent, i>articulièrement dans les vastes solitudes de l'Inde et de r.\fri(pie. Ouoi(|ue ces animaux n'aient |)ns la pupille nocturne, ils dorment le jour dans l'f'paisseur des forcis, ou , scion les anciens voyageurs et nos na- turalistes, dans des terriers. Ce dernier fait a si souvent été avancé que j'ose à peine le révoquer en doute; cejiendant je ne conçois ])as trop comment des animaux carnassiers, vivant en trou|ics, pourraient rester sédentaires dans une localil(' cxlrômc- nicnt boriu'c , ce (pie nécessite ab.'^oluiucut la vie des terriers, l'.omuii' ils se retirent volontiers dans des grottes et des troiiS de rocher (piaiid ils en trouvent l'occasion, ceci, mal observé, auiM donné lieu de croire (lu'ils se creusent des habitations soiilei-rai- nes; ou bien encore le renard de lîengale et le corsac, du même pays, ayant (•l(' souvent confondus avec le jackal, (ui aura allribiii'à celui-ci des habitudes ipii n appartiennent (pi'aiix deux premiers, tjuoi qu'il en soit, la nuit, ces animaux parcourent la campagne pour ('hercher leur [iroie tous ensemble, et, pour ne jias (lop se disperser, ils font conlincllemcnt retentir les forêts d'un cri lugu- bre, ayant (|uelipie analogie avec les hurlements d'un loupe! les aboiements d'un ciiicn. Ou pourrail en donner une iib'e en pro- nonçant lentement et sur un ton très-aigu les syllabes ima... (lua... uua. Ils sont alors tellement audacieux ipi'ils s ajqirochent des habitations, et entrent dans les maisons qui .se trouvent ou- vertes. Dans ce cas, ils font main basse sur tous les aliments tpt'ils rencontrent, et ne manqueni jamais d'emporter ceux ipiils ne peuvent dévorer a l'instant. Toutes les lualii'ics animales con- viennent également à leur voracité, et ils attaquent, faute de | mieux, les vieux cuirs, les souliers, les harnais des (hevaux et jusqu'aux couvertures de peau des malles et dès colTres. Comme les hyènes, ils vont retidre visite aux cimetières, déterrent les cadavres et les di'vorent. Aussi, potir meltre les morts à l'abri de ces animaux , est-(Mi parfois (d)ligé de mêler à la terre don! on les recouvre de grosses i>ierres et des é|)ines qui, en déchirant les pattes des jackals, les arrêtent dans leurs funèbres entrepri- ses. Si une caravane ou un corps d armée se mettent en route, ils sont aiissitiU suivis jiar une h'gion de jackals qui chaipie nuit viennent riider autour des camiiciuiuts et des tentes, en |ioussaiit des hiirlemcnls si nombreux et si i-etenlissauts (pi'il serait im|ios- sible à un voyageur curopiTU de s'y accoutumer au point de pouvoir dormir. Après le départ db la caravane, ils envahissent aussitôt le tei-raîn dit campement et dévo'rent avec avidité loiil ce qu'ils trouvehi: de débris des repas, lès itlimondices et jusqu'aux excréments des hommes et des animaux. Les voyageurs sont tous d'accord sur ces choses, qui ne pèltvënt appartenir a des espèces sédentaires comme sont nécfe^sàii-cmeht celles qui habitent des terriers. Lorsqu'une troupe de jackals se trouve inopinément en pré- sence d'un homme, ces animaux s'arrêtent brus(|uement, le regar. dent quelques instants avec une sorte denVonteric qui dénote peu de crainte , puis ils continuent leur route sans trop se pres- ser, à moins que quehpies coups de fusil ne leur fassent hAtcr le pas. Quoiipi'ils se nourrissent de charognes et de toute espèce de voiries, quand ils en rencontrent, ils ne s'occupent pas moins de chasser chaque nuit , et (pi(dc[ucfois en i>lcin jour. Ils poursuivent et allaquent indistinctement tous les animaux dont ils croient pouvoir s'emparer; mais néanmoins c'est aux gazelles et aux an- tilopes qu'ils font la guerre la plus soutenue. Us les chassent avec autant d'ordre «pie la ukiiIc la mieux dressée, et joigueut à la finesse du nez et au courage du eliicu la ruse du renard et la per- fidie du loii|i. On a dit ((lie les jac kals se jettent (pielcpicfois sur les enfants et sur les femmes : ceci me jiarait une exagération que l'on n'aïquiie sur aucune observation positive. 11 est plus cer- tain qu'ils poussent qiiélqtjéfois la hardiesse, malgré leur pelile taille, jusqu'à allaquer des bœiifs, des chevaux et aulres gros bi'iail; mais jioiir cela ils se ii'iiiiisstht en grand flotfilirc et em- ploient avet; beaucoup d'adresse leur forcé ct)llective. Ils entrent hardimehl: albi-s dans les bèi-gèries, les Hàsses-cotirs et autres lieux habités, et enlèvent à là viié dès hommes toiil ce qui est à leur cbhvenarice. Ou a encore dit du jaikal, comme du loup, qu'une fois accouluiué à la chair iiiimaine, il néglige pour elle toutes les autres proies. Si loti voulait réfuter sérieusement ce conte de nourrice, il serait aisé de pi-ouver fjÙ'àucuri aniriial ne peut contracter l'habitude de se nourrir de cadavres humains, parce (pie chez tous les peuples, même les plus barbares, riiomme vi\ant resiieclc l'homme mort, et a soin de le dc'rober à la vora- f ilé des animaux , (dus encore chez les mahoiuélans , ipii liabilcnt les mêmes con tires i(iie les jackals, les hyènes et autres bêtes féroces. L'étude de l'histoire naturelle oflre assez d'aliments à la curiosité sans (pie, pour en augmenter les attraits, on soit (d)ligé d'y coudre grossièrement, comme faisaient beaucoiq» d aucicus écrivains, des coules autant absurdes (pie merveilleux. Le voyageur l)(don rapporte (pie dans le Levant On élève des jackals dans les maisons, mais il ne dit rien sur leurs habiludcs domestiipies. Si l'on s'en rapporte à ceux qui vivent à la ménage- rie, ils seraient doux, aimants, Irèscaressaiils, mais capricieux , et passant (picbpicfois, s.uis motif ap|inrcnt, du plaisir à la co- lère. Du reste, raccoupleiiicnt, la gestation, et toutes les circon- stances de rallaitement et du développement des j)elits, ne did'c- renl en rien de ceux du chien. i>«CF.MiK. Les IlENARDS {Vulpcs) diirèrent essentiellement du genre pr('cédcul |iar leur syslèiiie dentaire; leurs incisives siipi'- rieurcs sont moins échancrées ou même rectilignes sur leur Lord 160 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. horizontal; leurs rangées dentaires, au lieu d'être continues comme dans les chiens, ont les trois premières molaires se'pa- rees, ne se touchant piis, et il reste surtout un large intervalle' entre la canine et la première molaire; leur pui)ille est nocturne, allongée verticalement ; leur queue est plus longue , plus touflue ; leur museau est plus pointu , et ils exhalent en général une odeur fétide. Quant aux autres caractères, ils sont les mêmes que ceux des chiens. Le Renabd ordinaire [Canis vulgaris, Klein. Canis l'ulpes, Lin. Le Renard, Buff. Le Fox des Anglais. Le /ia/des Suédois. Le Zorra des Espagnols. Le Li'sz/.a des Polonais. Le Lisilza des Busses. Le Tulki des Turcs et des Persans. Le Taaleb ou Dorcn des Arabes, et le iVori des Indous). .le regarde comme simples variétés de cette espèce : 1° le Renard fauve de la Virfjinie [Canis fulvus, Desm.); 2" le Renard charbonnier (Canis alopex, Lin.); 3° le Renard mus- qué de la Suisse ; i" le Renard noble du même pays, et le Renard croisé d'Europe (Canis crucigera. Briss.). Le Jackal. Le renard ordinaire est d'un fauve ))lus ou moins roux en des- sus, blanc en dessous; le derrière de ses oreilles est noir; sa (|ueue est touffue, terminée |)ar un bouquet de poils blancs. Le renard charbonnier n'en difl'ère que par le bout de sa queue, «pii est noir ainsi ([ue (piehpies poils de son dos et de son poi- trail. Le devant de ses pattes anti'rieures est également noir. M. Steinmuller pense (pie le cliaibonnier n'est (jne le jeune .Ige du renard ordinaire, et je ne suis pas de son avis. Pendant plus de dix années consécutives, j'ai chassé le renard dans un pays (jui en était très-peuplé; j'en ai élevé plusieurs, et je crois être certain ipie le charbonnier n'est rien autre cliose (pi'un vieux m.Me. Cependant il m'est arriv<', mais rarement, de tuer de très- vieilles femelles qui portaient la même livrée. .le suppose, par analogie, (pi'elles ne revêtent cette livrée que lorsi|u'elles de- viennent stériles. Quant au renard fauve des États-Unis, il ne dif- fère en rien du renard ordinaire ni pour les habitudes, ni pour les formes, ni même pour les couleurs. Son pelage est nuancé de roux et de fauve; le dessous du cou et du ventre sont blancs; sa poitrine est grise; le devant desjauibes antérieures et les pieds sont noirs avec du fauve sur les doigts; le bout de la queue est blanc; sa taille est exactement la même que celle du nôtre. Le renard musqué de la Suisse a cela de particulier qu'il répand une odeur, non pas agréable , comme on l'a dit, mais un peu analo- gue à celle de la fouine; entin, le renard noble, ou kohlfuschs des Suisses, n'est rien autre chose qu'un très-vieux mâle char- bonnier. Le renard croisé d'Europe (Canis crucigera de Gesner et de Brisson), qu'il ne faut pas confondre avec le renard croise' d'Amérique (Canis decussatus de Geoffroy), est également une sous-variété du charbonnier, qui a quelques poils noirs lui for- mant une croix surjle dos. Le Renard fauve. Les'renards ont toute la légèreté du loup et sont presque aussi infatigables, mais ils sont plus rusc's à la chasse et plus ingénieux pour se dérober au danger. Ils habitent des terriers (]u'ils savent se creuser au bord des bois ou dans les taillis, sous des troncs d'arbre, dans les pierres, les rochers, ou eulin dans la terre, mais alors sur un sol en pente, afin d'éviter l'humidité ou les inondations. Quelquefois ils s'emparent des terriers des blaireaux, ou même de ceux de lapin, (pi'ils élargissent. Les chasseurs ont observé la forme du terrier et l'ont ainsi (h'cril : « Il se divise en trois parties ; la maire est celle qui est le plus ra|)prochée de l'entrée ; c'est là que la femelle se tient quehiues moments en embuscade jiour observer les environs avant d'amener ses petits jouir de l'influence de l'air et des rayons du soleil, c'est aussi là (pie le renard (pie l'on enfume s'airête (piehpu's minutes pour attendre liiistant favorable d'('chapi)er au clia>seur. Après la maire vient la f(}sse, où le gibier, la vulaille et autres prodiiils de la rapine sont (h'posés, partagés par la famille et dévorés; pres- ((ue toujours la fosse a deux issues, et quelquefois davanlage. L'accu/ est tout à fait au fond du terrier; c'est l'habiialion de l'aniinid , l'endroit où il met bas et allaite ses petits, u Gc terrier n'est guère liabil(' par le renard (ju'à l^qxxpie où il élève sa jeune famille; dans tout autre tem|)s, il ne s'y retire (|ue |)our échapper à un danger |)ressant. Il passe la journée à dor- mir dans un fourr(' à proximité de sa retraite, et il chasse pen- dant la nuit, il ne sv, noiurit guère (pie de proie vivante, à moins (pi'il ne soit exirêiiieiiieiil p(iuss(' parla faim; dans ce cas, il mange des fruits, parliculieremeiil des baies de ronces, et se tient à proximité des vignes pour se nourrir de raisin. Il faut ipi il éprouve une grande disette pour attaquer les charognes et CHIEWH. 161 autres voiries. Vers la tombée île la nuit, il (|iiille sa retraite et se met en quête. 11 i)arcourt les lieux un peu couverts, les lais- sons, les haies, pour làoher de surprendre des oiseaux endormis, ou la perdrix sur ses œufs; il se place à l'anùt ilans un buisson épais pour s'élancer et saisir au passage le lièvre ou le lapin. Quelquefois il parcourt le bord des étangs, et se hasarde même dans les joncs et marécages pour saisir les jeunes poules d'eau, les canards qui ne peuvent pas encore voler, et autres oiseaux aquati(iues. A leiw défaut, il mange des mulots, des rats d'eau, des grenouilles et des lézards. Mais si, pendant ses recherches. bond il se jette sur sa proie, fuit au fond des bois avec autant de vitesse que de précautions jiour n'être pas découvert, et là il la mange avec sécurité. Quand son coup lui a réussi , on peut cire sur qu'il reviendra à la charge tous les trois ou quatre jours, et qu'au bout de l'année il ne restera pas une seule pièce de volaille dans la basse-cour, si l'on ne parvient à saisir le voleur. Dans les pays giboyeux, les renards s'adonnent plus particu- lièrement à la chasse. Deux sortent ensemble de leur retraite et s'associent pour la chasse du lièvre. L'un s'embusque au bord Le Renard argenté. léchant d'un coii vient frapper son oreille, il s'achemine avec précaution vers le hameau d où viennent ces sons alléchants, il en fait cent fois le tour, et malheur à la volaille ipii ne serait pas rentrée le soir dans la basse-cour : elle serait saisie et étranglée avant même d'avoir eu le temps de crier. I.orsipie le jour commence à p.iraîlre, il rentre dans le bois, et toujours dans le même iiallier qu'il a clioisi pour sa retraite liahituelle. Cependant, quand la ferme où il commis ses rapines pendant la nuit se trouve Irès-éloignée de sa retraite, il cherche une autre cachette plus rapprochée et y passe la journée en ob- servation. Si la vidaille s('carte dans les chanq)s i)our aller clicr- cher sa pftture, il la guette avec soin, choisissant des yeux sa victime en attendant patiemment l'occasion de s'en emparer. Tant (jue le cliien de cour rôde ou veille dans les environs, il reste inimoliile et tapi dans sa caclielte; m.ùs cebii-ci rcnlre-t-il un moment dans la ferme , le renard se coule le long d'une liaie, en raiu|iant sur le ventre. Pour approclicr sans être aperçu, il se glisse derrière tout ce qui peut le masquer, un buisson , un tronc d'arbre, une toulFe d'herbe ; parvenu à proximité, d'un 51. Paris Typogrnphio l'Ioii d'un chemin , dans les bois , et reste immobile ; l'autre (piéte , lance le gihier, et le jjoursuit vivement en donnant huit ou dix coups de voix i)ar minute pour avertir son camarade, d'un ton aigu, gla|)issant, mais non en aboyant comme le chien. C'est ordinairement pendant la belle saison, entre dix heures du soir et minuit, que l'on enlend chasser ces animaux dans les pays boisés. Le lièvre fuit et ruse devant son enneuù connue devant les chiens de cliasse ; mais tout est inutile, et le renard, collé sur la piste, le déjoue sans cesse et se trouve toujours sur ses talons. Il combine sa poursuite de manière à le faire passer sur le chemin .uqirès iluquel son camarade est à l'afïïit pour l'alten- loyer qu'à propos. » Ce que dit Bufl'on est le portrait le ])kis exact ipi'on puisse f.iire de cet ainmal , et il ne cesse d'employer la ruse pour se sauver d'un danger qu'en rendant le dernier soupir. Je pour- rais en citer plusieurs exemples dont j'ai moi-même été témoin, mais j'aime mieux en choisir un, absolument Identique à ce que j'ai vu, dans un ouvrage estimé sur la chasse : « J'ai vu un re- nard, vieux charbonnier, dit l'auteur, qui, après avoir mis plus d'une fois les chiens en défaut, s'élant fourvoyé dans un trou peu profond et fort large, où il fut pris par les chiens, se laissa fou- ler par eux, tourner et retourner par les chasseurs pendant plus d'un quart d'heure en faisant le mort, et qui, lorsque les chiens furent soûls de jouir, se releva tout d'un coup sur ses pieds, et décami)a lestement au moment où on y pensait le moins. » Chassé par les chiens, le renard ruse une ou deux fois devant eux pour les mettre en défaut, puis gagne son terrier; mais, effrayé par les morceaux de pajiier (pie les chasseurs ont eu soin de pla(^er devant les trous, au|irès desquels ils se sont postés, il regagne l'épaisseur du bois s'il n'est atteint et tué par leurs coups de fusil. Apres avoir fait un grand tour il revient encore une se- conde fois à son terrier, et s'il est encore manqué par les tireurs, il (Ile de long pour ne plus revenir. Devant les chiens il se fait toujours batlre dans les fourrés les plus épais et dans les lieux bas. S'il a un chemin à traverser, il s'arrête un moment au bord du bois, examine s'il throuvrira le chasseur, auquel cas il re- . brousse subitement; si rien ne l'Inquiète, il n'en franchit pas moins le chemin d'un seul bond , ce (pn le rend très-dillicile à tirer. Quand il est terré, on le prend dans son trou au moyen d'un basset qui rin(pnète pendant (|u'on creuse en dessus avec des pioches; si le terrier est dans les roches, on le fume. Qiiel(|ues naturalistes ont prétendu que le chien de Laconie, dont i)arle .Vrislote, n'était rien autre chose (pie le renard i)li(: à la domesticité, et ceci me parait plus ((ue douteux. J'ai essay.^ plusieurs fois de priver des renards pris fort jeunes, et je nui jamais pu y parvenir. Itud'on n'avait pas obtenu (dus de .succès ipic moi, et tous ceux (pii ont v('cii à la ménagerie se sont tou- jours montrés farouches et sauvages. Je ne crois pas non ])lus qu'il y ait un seul exemple de l'accouplement de ces animaux avec des chiens. De ces raisons et de beaucoup d'autres tirées des dillérences auatomlipies cpii existent enire eux, je conclus que non-seulement ils n'a|i|iartieiinent pas à l'esijèce du chien, mais pas même a son genre. Les renards entrent en chaleur ( n hiver, et la femelle, (jui ne fait qu'une portée par an, en avril et eiî mai, ne met jamais bas moins de trois i)elils et rniemeni ]dus de (piatre on ciiii]. Elle en a le plus grand .soin, et si elle s'apen/oit qu'on ait iridé auloiir de .sou leriicr, elle les .sort pendant la nuit et les transporte un à un dans m) autre. Le renard met dix-huit mois à croître et vit treize ou quatorze ans. L'Isatis [Vulpes lagopus. — Canis laçjopus . SeiiEii. Le Itenard bleu, buFK. — G. Cuv. Le Pesez des Russes. Le Fiallracka des .Su(:- dois. Le Itefl et le Tua des Islandais. Le Siriil d U- draa-raev des Danois. Li; Aaii^i des Kinnois. Le .I/c/ra/j des Norwéglens. Le Njal des Lapons). Son pelage est très-long, très-fourré, très-moel- leux, presque semblable à de la laine, mais non crépu, tant(Jt d'un cendré foncé, tantôt blanc; le dessous de ses doigts est garni de poils, et le cinipiième doigt des pieds de devant est presiiue aussi fort que les autres, un peu plus court seulement, et son ongle plus recourbé. Le bout du museau est noir. L'isatis se trouve sur tout le littoral de la mer Glaciale et des (leuves qui s'y jettent, et partout au nord du soixante-neuvième degré de latitude. Il se plait dans les jiays déboisés et di'couverts, sur les montagnes nues, et c'est sur le penchant de ces dernières, ou au moins sur les collines élevées , qu'il aime à creuser son ter- rier. Il entre en chaleur vers la fin de mars, et la femelle porte environ neuf semaines. En mai et juin elle met bas sept ou huit petits, et même beaucoup plus si on s'en rap|>orle à Ginelin. Les mères blanches font leurs petits d'un gris roux en naissant, et ceux d'une mère cendrée sont presque noirs. Pendant les cin(i à six premières semaines, la mère reste le plus longtemps possible dans son terrier, et n'en sort que pour aller chercher sa nourri- ture; elle y allaite ses enfants avec grand soin et les tient très- propres sur le lit de mousse qu'elle leur a jiréparé à l'avance. Vers le milieu d'août, elle les fait sortir et les mène i>roniener avec elle pour leur a|)prendre à chasser. Leur poil alors a un peu plus d'un denupouce (0,014) de longueur, et ces jeunes isatis prennent alors le nom de norniki. Les individus blancs commen- cent déjà à avoir une raie d'un brun cendré sur le dos; les indi- vidus cendrés ont déjà leur couleur foncée et ne subissent plus aucune variation que dans la longueur et le reflet du pelage. Dès le milieu de septembre, les blancs sont d'un blanc pur, excepté la raie du dos et une barre sur les épaules qui noircissent, et les font alors nommer krestowiki ou croisés. Puis le noir des éjiaules disparaît entièrement, et bientôt après celui du dos, de manière qu'en novembre l'isatis blanc est dans sa perfection de couleur et se nonmie alors nedopesez. Néanmoins les poils des blancs et des cendrés n'ont ac(pns toute leur longueur qu'en décembre, et c'est depuis ce moment jusqu'en mars que leur fourrure est le plus estimée. Celle des blancs étant la plus commune est aussi celle (jui a le moins de valeur; celle des gris en a beaucoup |ihis, et celte valeur augmente d'autant plus que la couleur en est plus foncée et rellète le cendré bleuâtre, d'où est venu à ces animaux le nom de renards bleus. La mue commence en mai et finit en juillet. A cette éjioipie les adultes ont la même livrée que les nouveau-nés de leur couleur, et ils iiarcourent des phases de co- loration ab.solument semblables. Les fourrures d'isatis ont un tel prix que, s'il arrive à un chasseur de s'emparer d'un ou de deux petits, il les apporte chez lui et les fait allaiter par sa femme, (|iii se donne beaucoup de peine pour les élever jus(|u'au moment de les tuer et de vendre leur |)eau. Les voyageurs prétendent ipi'il n'est (las rare de voir de pauvres femmes partager leur lait et leurs soins entre leur enfant et trois ou qiiatre renards bleus. Ces animaux ont une singulière liabilnde , c'est d'émigrer en grand noiiibre du pays (|iii les a vus naître dès (pie le gibier dont ils se nourrissent ordinairement, par exemple les lemmings et I(;s lièvres tolaï, vient à diminuer en nombre. En g(fnéral, ces émigrations se font vers le solstice d'hiver, et les émigrants des- cendent quehpiefois au sud du soixante-neuvième degré, mais jamais ils n'y fixent leur demeure et n'y creusent de terriers. Après trois ou ipialre ans au plus, Ils retoUrncnl dans leur pa- trie, où le gibier a eu le temps de peupler [lendant leur longue absence. Comme tous les renards, l'isatis est rempli de ruses, de har- diesse , et enclin à la rapine. Sans cesse il est occupé , pendant la nuit, à fureter dans la campagne, et (pielipicfois on l'entend chasser avec une voix (pii lient à la fois de l'aboiement du ( bien et du glapissement du renard. Il a sur ce dernier l'avantage de ne pas craindre l'eau et de rager avec la plus grande facilité. Aussi se hasarde-t-il souvent à travers des bras de rivière ou des ClllEWS. 163 lacs, pour aller chercher, parmi les joncs des ilôts, les nids des oiseaux ai|ualiques , dont il dévore d'abord la mère, s'il peut la surprendre, puis les petits ou les œufs. Le Renaud iie Lalanue (Vulpes Lalandii. — Canis megalo'is, Uesm. Canif Lalandii. Dksmoul. Olocyon megaloptis, Less. Mega- lolis Lalandii, S.Mirii) est plus haut sur jamiies ([uc notre leuard; sa tête est plus petite et sa queue plus fournie; ses oreilles très- grandes, e'galant presque la tète, sont remarquables par un double rebord à leur bord inférieur externe; son pelage est d'un gris brun en dessus, d'un fauve pAle et jdus laineux en dessous; il a une bande de i)oils ])lus grands que les autres et noirâtres le long du dos; le devant des quatre pieds est d'un brun noir:\tre; le dessus et le bout de sa queue sont noirs. Tout le pelage de cet animal est plus laineux que celui des autres renards. Il habite le cap de Bonne-Kspcrance, et principalement la Cafrerie. Le Ziciiuo ou Fen.nec (Vulpes fennecus. — Canis fennccus, Less. Canis zerdo , Gml. Fennecus lirucii , Desm. Canis zerda, Pijgmœus ou Saharensis de Leuckakt. Probablement le Canis fumelicus de KiiETsciiMAiî) est de très-petite taille; ses jambes sont grêles, son museau eflilé, ses oreilles très-grandes; son pelage est d'un joli roux isabcile en dessus; blanc en dessous; il a >uie tache fauve place'e devant chaipie (til ; la base et le bout de sa (pieue sont noirs; à l'inte'rieur ses oreilles sont bordées de longs poils blancs. Cet animal est fort peu connu , et tout ce qu'on sait de certain sur son compte, c'est qu'il se trouve à Dongolah en Afri([ue, qu'il habile un terrier, et qu'il se nourrit de petits mammilères, d'oiseaux et d'insectes. On a dit, à tort, ([u'il grimpe sur les ar- bres et mange des dattes. Le FeniNec de Denuam (Vulpes Denhamii] diffère du précédent pat son pelage d'un roux blanchâtre uniforme , seulement plus pAle en dessous; son dos, brun , est rayé de lignes noires très- d('liées; son menton, sa gorge, son ventre et les parties internes de ses cuisses et de ses jambes sont blancs; son museau est noir. Du reste, il ressemble au précédent. Il habile l'intérieur de l'Afrique. Le Re.vahd de Bengale (Vulpes hengalensis. — Canis bengalensis, SiiAw) est brun en dessus, avec une bande longitudinale noire; il a le tour des yeux blanc, et sa queue est noire au bout. Il habite I Inde, et diffère peu de notre renard quant aux mœurs. Le Renakd d'Egypte [Vulpes niloticus. — Canis nilolicus, Geoff.) ressemble beaucoup au renard ordinaire quant aux mœurs, à la grandeur et aux formes; sou pelage est roussàtre en dessus, d'un gris cendre' en dessous ; ses oreilles sont noires et ses pieds fauves. II se trouve en Égy|)te. Le Renaud argenté [Vulpes argentalus. — Canis argenlatus, Vk. Cuv. Le Renard argenté ou Renard noir, G. Clv., confondu par Gmelin avec le loup noir, Canis lycaon, Canis argentalus et Decussatus, Geoff. ^ Sa longueur, non compris la (pieue , est de vingt-trois pouces (0,025); il est d'un noir de suie, ])iquelé ou glacé de blanc par- tout, excepté aux oreilles, aux éf)aules et à la queue, où il est d'un unir plus pur; il a le bout de la (pu'ue , le dedans de l'oreille et le dessus du .sourcil idaurs; son museau et le tour de scm œil sont gris; son iris est jaune. Cet animal habite principalement le nord de l'Anu'riipu' ; mais, selon Lesseps et Krakenninilvof, on le trouve aussi au Kamls- chalka, (pu)i(pie assez rarement. Il a les mêmes habitudes que notre renard oïdinairi'; et comme il est plus grand et plus fort, il est aussi jdus courageux et ne craint pas d'alla(pu'r des ani- maux d'une certaine grosseur. On dit que lorsipi'il peut ajipro- cher d'un troupeau, il a la hardiesse d'enlever, malgré les cris des l)ergers, les agneaux ou (-hevreaux qui sont à sa convenance, et c'est pndiablemcnt pour avoir culcndu raconter de pareilles choses ipie (Inielin l'a confondu avec le loup noir. Sa foinrnre a du prix, (pioi(pi'cilc soit moins csliniée ((ue celle du renard ideu. La ménagerie du Jardin des Plantes en a possédé un ((ui y a vécu assez longtemps, et l'on a pu reconnaître en lui toutes les allures de notre renard; ainsi que lui, il marchait la tète et la queue basses, et, quoique très-bien apprivoisé et fort doux, il gardait un amour de la liberté (jui a fini par le faire mourir dans la tris- tesse et le marasme. Lorsqu'on le contrariait, il grognait comme un chien en montrant ses dents, et il eut été dangereux de le toucher dans ces moments de mauvaise humeur. Il exhalait une odeur désagréable, mais qui n'avait pas beaucoup d'analogie avec celle du renard commim , et, pendant l'été, il paraissait beau- coup souffrir de la chaleur. Le Renard agile ( l'u//jes velo.v. — Canis velox, Sav) habite l'A- mériiiue , ainsi (|ue les espèces (pu vont suivre. Son pelage est doux, fin, soyeux, fauve et d'un brun ferrugineux; le dessous de sa tête est d'un blanc pur , et les poils de son cou , étant plus longs (pie les autres, lui forment une sorte de fraise. 11 a la taille svelte , le corps nnnce , ce qui , dit-on , le rend très-h'ger à la course. Il se plaît dans les pays découverts, sur les bords du Missouri, se loge dans un terrier , et parait avoir les mêmes ha- bitudes que nos renards. Le Renaud gris (Vulpes virginianus. — Canis virginianas, Euxl. Le Rrmird gris de Caticscy) se distingue de ses congénères à son pelage entièrement d'un gris aigenlé; du reste, il a les mêmes mœurs et les mêmes habitudes. On le trouve en Virginie. Le Renard croisé ( Vulpes decussatus , Geoff. Canis cruciger^ Scun.) est de la taille de notre renard ; tout son corps, et surtout le dos, la queue, les pattes et les ('paules sont d'un gris noirâtre, plus foncé vers les épaules, à poils annelés de gris et de blanc; il a une grande plaque fauve de l'épaule jusqu'à la tête, et une autre de même couleur sur le côté de la poitrine. Son museau , les parties inférieures de son corps et ses pattes sont noirs; sa queue est terminée de blanc. On le trouve dans l'AiiK'rique sep- tentrionale et probablement jusepi'au Kamtschatka. L'Agolauachay ou Renaud trk'.oloue ( Vulpes cinereo-argenteus. — Canis cinereo-argenteus, Scmueb. — Fu. Cuv.) est noir, glacé de gris eu dessus ; la tête est d'un gris fauve ; le museau blanc et noir; les oreilles et les côtés du cou sont d'un roux vif; l'intérieur de l'oreille est blanc, ainsi que la gorge et les joues; le menton est noir; la face interne des membres est d'un fauve plus vif vers les Hancs, plus pâle sous le ventre et la poitrine; la queue est fauve, nuancée de brun, et terminée par du noir foncé. Il habite les États-Unis et le Paraguay. Un jeune, apporté de New-York, a vécu ([uelque temps à la ménagerie. Sans être méchant, il était assez farouche, et il exhalait une odeur ilésagn'ahle. Les autres espèces , nouvellement comiues , sont : Vulpes ame- ricanus, ou Canis vulpes, IIaulan, de la Nouvelle-Calédonie. Vul- pes mayellanicus , Guaï. Vulpes fuloipes, Martin, des lies Chiloë. Canis griseus, King, delà .Magellanie. Canis brasiliensis, Scuinz. Ce dernier est V Agouarachay d'AzARA. Puis les renards llinia- laicus, xanlhura, kukri, riparius, dorsalis, caama, qui n'ont pas été sullisamment comparés. Tj^tHuNUE. Les HYKNOIDES (//ycrto/fies) ont le même système dentaire que les deux genres précédents, seulement le petit lobe en avant moins |)ronoii(('; elles n'oTit que (piatre doigis à tous les pieds. Ces caractères les placent entre les chiens et les hyènes, avec lesquels elles ont de nombreuses allinités. La llïÉNOïDE l'MNTE (Ilgcnoides picta. — Ilijana picta , Te-mm. llynma venatica, BuoocKS. Canis tricidor, Griff. — Canis pictus , Desm). Sa taille est celle du grand uKMiu, et, de Ions les animaux, c'est celle (pii a le iielage le plus agréablement varié. Sur un fond gris.ltre se dessinent d'une manière |dus on moins tranchée des taches blanches, noires, d'un jaune d'ocre foncé très-irr('gulière- ment parsemées et mélangées, (pielipiefois assez larges, d'autres fois irès-petiles , loujours placi'cs sans ordre et sans nulle symé- trie. Non-senl( ment ces taches varient beaucoup sur les parties cori-cspondanics du même animal, mais encore d individu à in- dividu , car je n'en ai pas trouve deux tachetées identiquement 11. 164 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. dans les collections que j'ai visitées, quoiqu'elles y soient en assez grand nombre. Du reste , la liyënoïde a quelque analogie de forme avec la hyène tachetée {llyœna crocata) , à laquelle elle ressemble par le manque de crinière , et par son train de derrière , qui est même plus relevé , quoiqu'il le soit moins que dans les chiens. Comme celte dernière, elle a la tète grosse , le museau court et les yeux gros et saillants; ses oreilles sont larges et velues; sa queue est toulTue, blanche au bout, et descend jusqu'aux talons. La hyénoïde habite le midi de l'Afrique ; elle a toute la vora- cité des hyènes, mais moins de lâcheté, et elle est beaucoup plus dangereuse pour le bétail. Elle se réunit en troupe plus ou moins nombreuse, et ose alors se défendre contre la panthère et même contre le lion. Elle aime à se nourrir de cadavres corrompus et de voiries, et, pour satisfaire ce goût, elle a la hardiesse d'entrer pendant la nuit dans les cours des fermes , et même dans les villages, où elle vient ramasser les immondices jusqu'aux portes des mai.sons Malgré cela elle ne s'en livre pas moins avec ardeur à la chasse des gazelles et des antilopes. Dans ce cas, les hyé- noïdes se réunissent en meutes, et poursuivent le gibier avec au- tant d'ordre et de persévérance que nos meilleurs chiens cou- rants; seulement elles se divisent quelquefois en deux ou trois bandes, et pendant que l'une suit la piste de l'antilope, les autres cherchent à preiulre les devants , à la couper et à la saisir au passage; lorsque l'animal est pris ou forcé, elles le dévorent toutes ensemble sans se quereller; mais elles ne soullVeut ])as qu'un animal carnassier d'une autre espèce vienne leur disputer leur proie , et c'est alors ((ue , comptant sur leur nombre et leur courage, elles osent résister à la panthère et au lion. Si les voiries man(inent et (pie la chasse n'ait pas donné de produits, les hyénoïdes se répandent autour des habitations et poussent la hardiesse jusqu'à at(a(pier les troupeaux, les mou- tons principalement, et même les bœufs et les chevaux lorsqu'elles les trouvent isolés. Mais aucun fait ne constate (pi'elles se soient jamais jetées sur les hommes. Ce que nous venons de dire de cet animal est tout ce qu'il y a de positif sur son histoire, et si l'on n'en sait pas davantage, c'est parce qu'il a toujours été confondu avec les hyènes par tous les voyageurs. •i" Genre. Les GYMNURES (Gj/mnura , Less.) devraient peut- être se rapprocher des paradoxures, qui sont plantigrades, car ils n'ont pas une analogie parfaite avec les civettes et moins en- core avec les chiens. A la mâchoire supérieure leurs deux incisives moyennes sont les plus larges, et écartées l'une de l'autre; les deux latérales sont fort petites et les canines médiocres; la pre- mière molaire a deux i)ointes, la seconde une seule, la quatrième et la cinquième quatre tubercules et la sixième trois ; les ca- nines de la mâchoire inférieure sont longues. Ils ont en tout quarante dents, dont douze incisives, quati'e canines, et douze molaires à chaque mâchoire. Du reste , leur museau est pointu , leur langue douce ; leurs oreilles arrondies, droites et nues; leurs ongles comprimés , arqués et aigus ; leur (jueue nue. On n'en connaît qu'une espèce ; Le GvjiNunE ue Raitles [Gymnura Rafflesii, Less. Viverra gym- nura, H,\\'f.) a un i)ied de longiieui- (0,ô:i.')) non compris la queue, qui est nue et a dix pouces (0,^71). Son pelage, long et assez dur en ilehors, laineux, doux et très-épais en dedans, est noir et blanc-; le corps, les jambes et la première moitié de la queue sont noirs, et une bande de la même couleur passe sur les yeux; la tête, les épaules et le cou sont blancs; le museau est pointu, dé- liassant d'un pouce (0,027) la mâchoire inférieure ; les moustaches sont longues , et les yeux petits. Cet animal habite les Indes orientales, et l'on ne sait rien de ses habitudes. Puils et Manège, derrière la grande serre lempérco . CIVKTTES. IG.S ., rfô^ m ''X. La Civette. LKS CIVETTKS ont (iiiarante dents, à une seule espèce près, qui n'en a que trente-six: douze incisives, quatre canines et douze molaires, dont trois fausses molaires en liaiil, ipialre en lias : les antérieures toiidianlquelipiefois ; deux tuberculeuses assez giandes en haut; une seule en bas; deux tubercules saillants au cote interne de leur carnassière inférieure en avant, le reste de cette dent étant plus ou moins tuberculeux. Leur langue est hérissée de papilles rudes et aiguës ; leurs ongles se redressent à demi dans la marche, el jnès de leur anus est une poche, |)liis ou moins |irofoii(le, où des glauiles parlieulières font suinter inie matière onctueuse et souvent odorante. 1<-T.i.NnF.. Les CIVETTES (Vivcrra, Cuv.) ont les pieds à cinq doigts, ainsi (|uc les genettes et les mangoustes. On les reconnaît à la poche jirofonde qu'elles ont entre l'anus et l'organe de la g('nt'ration , poche divisée en deux sacs qui se remplissent d'une ]iotnuiade ,d)ondante exhalant une forte odeur musquée. Le NzFUSi ou Nzime ( Viverra civelta , Lin. La Civette ordinaire , G. Cuv. — BuiF. Le Kankan des Éthiopiens. Le Kastor des Gui- néens) a environ deux pieds trois pouces (0,731) de longueur, non compris la queue; son museau est un |ieu moins pointu (jue celui du renard; ses oreilles sont courtes et arrondies; son pe- lage est long et grossier, gris, tacheté et couvert de bandes bruiu-s et noirùtres, avec une crinière tout le long de l'échiné ; sa ijucue est brune, moins longue que son corps; la tête est blanchâtre, excepté le toiu- des yeux, les joues et le nienlon, qui sont bruns ainsi ipte irs ipialre pattes. La civette ou nziuie habite l'AfriiiiU' et surtout l'Aliyssinie ; on la trouve aussi en Asie. Elle a, outre les poches singulières dont nous avons parlé, un petit trou de chaque côté de l'anus, d'où suinte une humeur noir.Mre très-ft'tide. (l'est un auiin.d (|ui fuit les terres huuùdes et basses, et (pii si' [ilaît parliculicreiui rit dans les pl.iines élevées et les montagnes arides. Agile à la course connue un chien , leste à sauter comme un chat, .souple comme tous les animaux de son genre, ayant des yeux très-brillants et qui lui permettent de distinguer les objets pendant la nuit; étant, outre cela , d'un caractère courageux et cruel , la civette est le fléau des oiseaux et des petits mammifères, i|u'elle surpicud dans les ténèbres, qu'elle poursuit à la course pendant \i' jour, et qu'elle atteint d'un bond à une assez grande dislance. Son oi'cu- pation constante est de chasser; nuiis , quand elle ne trouve pas de gibier, elle vient en maraude autour des lieux habités, saisit avec toute la riise du l'cnard bs volailles qui se sont écartées de la ferme, pénètre même quchpiefois dans la basse-cour, et met tout à mort avant de se retirer. Enlin, si toutes ces ressources lui manquent, elle se rabat sur les fruits et les racines, qu'il lui est facile de liroyer avec ses birges molaires tidierculeuses. Quoique nalurcliement farouche, la civette s'apprivoise assez facilement, mais jamais assez pour s'attacher à son maître et caresser la main ((ui la nourrit. Née dans les pays chauds, elle s'habitue cepen- dant très-bien dans les climats tempérés, et même froids, pourvu que, iiendant Ihiver, on la tienne dans un lieu chaufTé. Il n'y a que quelques années (pi'oil en nourris'^ait encore beaucoiq) en Hollande, alors que le [larfum qu'elle produit était à la mode, et lelui qu'on en tirait était phis estimé que celui qui venait de .son |iays même, probablement parce qu'il n'était pas frelaté. Il paraît aussi que son odeur est d'autant plus forte et plus suave, et sa qualité d'autant jilus grande, que l'animal est mieux nourri; de la chair crue et hachée, des œufs, du riz, des petits animaux , des oiseaux, de la jeune volaille, et surtout du poisson, tels sont les aliments ([ui lui conviennent le mieux; il ne lui faut que peu d'eau, parce qu'il boit très-rarement. Pour recueillir ce parfum, on met l'animal dans 'ine cage étroite où il ne peut se tourner; on ouvre la cag(^ pai- un bout, et on tire la civette par la (picue; on la contraint à rester dans cette position en passant à travers les barreaux un bâton (jui lui entrave lesjambes de derrière ; alors on introdiùt une petite cuiller dans le sac (pii contient le parfum, on racle avec soin toutes les [larties intérieures des deux poches, et l'on met la matière odor.uite (pion en lire dans un vase ipie l'on ferme ensuite lieiuiéti(|iiemeiit. Si l'animal se porte bien, et qu'il soit convenablement nourri, on peut répéter cette opération deux ou trois fois par semaine. Cette matière exhale une odeur si forte, qu'elle se coinmunitpie à toutes les parties du corps de la civette ; le poil en est iuibn, et la peau pi'néln'e au point qu'elle se conserve encore longtemps après sa mort. Quand on irrite et tourmente laniiiial, il iu'risse sa crinière, se secoue en grondant, et il réiiand une odeur cpii devient violente, au point qu'on ne peut la supporter dans un appartement où l'on se trouve enfermé avec lui. Cette humeur onctueuse et parfumée, (pie nous appe- lons civclle, est conuiie dans le Levant et vn .Vrabic sous le nom de zibet ou alijalUa, et elle est encore en grande estime dans ces contrées et dans l'Inde. Aiitr(;fois, en Europe , la médecine s'en était emparée , et lui attribuait des propriétés merveilleuses , comme aphrodisiaque et stimulante; mais aujourd'hui ses pré- ifie LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. tendues vertus sont oublif'es, cl il n'y a plus guère que les parfu- meurs et les confiseurs qui en emploient encore quelquefois. On sait parfaitement aujourd'hui que la civelle, quoiipie très- commune, ne produit cependant que deux ou trois petits à la fois, et les anciens naturalistes auraient dû déduire ce fait du nombre de ses mamelles, qui est de quatre; mais comme elle refuse constamment de s'accoupler en domesticité, on ne sait pas le temps que dure sa gestation , ni même les circonstances qui accompagnent l'éducation de ses petits. V La Civette d'Hardwicii (Viverra Uardirichii, Lçss.) a environ quinze pouces (0,406) de longueur, non eorapris la queue, (pii en a onze (0,298); elle est d'un blanc jaunfttre, marquée de larges lignes longitudinales et de taches noires allongées etcon- (hientes; la queue porte six anneaux noirs; le nez est noie, et une ligne de celte couletir va de l'œil au cou , de chaque côté. Elle est de Java, et ses mœurs, n'étant pas connues, \\f peuvent se déduire que par analogie. V Le ZiBET ou SAWADu-PiJMtE (Viverra ziUtla, Lin. Le Ziheth, G. Cuv. Le Musc de la Pevrome. Le Qmtt et Baardes des Arabes) est plus petit que la civette, sa longueur ne dépassant pas douze ou quinze pouces (0,525 à 0,400), non compris la queue. Il a celle-ei beaucoup plus longue, couverte de poils courts, et an- nelée de noir; le fond de son pelage est d'un gris jaunAlre, avec de nombreuses taches noires, i)leines et quclipiefuis assez rap- prochées pour former des lignes continues, surtout au train de derrière; le ventre est gris; une bande noire, naissant derrière la partie supérieure de l'oreille, s'étend en arc de cercle jusqu'au devant du bras, et sépare' la robe, tachetée de blanc pur, des côtés et du dessous du cou ; une autre bande un peu plus large, également noire, en est séparée par un cercle blanc; une troi- ième descend verticalement au-dessous de l'oreille, enfin une quatrième correspond à la branche montante de la mâchoire. Le zibet habile les Indes, et se trouve principalement aux Phi- lippines Ses liabitudes sont plus nnclurnes que celles de la ci- vette, parce (pi'il voit mal pendant le jour, qu'il passe entière- ment à dormir dans les fourrés où il fait sa demeure. La nuit il se met en chasse, et parcourt la campagne avec une grande acti- vité, et dans un profond silence que rien ne peut lui faire rompre. A toutes les soites d'aliments il préfère les oiseaux et surtout leurs œufs , il attaque aussi les petits mammifères, mais il mange aussi les fruits, et il se contente de racines (piand il ne trouve pas mieux; en un mot, il est presque omnivore. T)u reste, il a toutes les autres habitudes de la civette, et jiroduit un parfum qui ne lui est i)as inférieur. Celui qui a vécu à la ménagerie était triste, silencieux, facile à se mettre en colère, et alors il se lu'- rissail le dos comme s'il eût eu une crinière. 2" Genre. Les GENETTES (Genetta, Ciiv.) n'ont qu'une poche très-peu profonde, ri'duite à un enfoncement h'ger formé sur la saillie des glandes, et presque sans excrétion sensible quoicpi'il y ait une odeur très-manifeste. , La Genette ordinaire [Genctia vuhjarh, Fr. Cuv. Viverra ge- netla. Lin. Viverra malaccensis, Gml. Viverra tigrina, Scii. La Genette et la Genette du Cap de Buff. La Civette de Malacca, Son- NERAT. Le Chat hizaam de Vosm. Le Chat du Cap de Forster) est ;i peu près de la grosseur, de la longueur et de la figure ri'une fouine, mais sa tète est (ilus ('Iroile, son museau jilus cdijé, ses oreilles plus grandes, plus minces et plus nues; ses |iattes moins grosses et sa queue plus longue. Son pelage est d'un gris mêlé lie roux, tacheté de jietites macules noires, lantrtt rondes et tan- tôt oblougues; la queue a quinze anneaux alternativement noirs et blanchâtres, avec des teintes rousses. Cet animal, si l'on n'a pas confondu jdusieurs espèces en une seule, se trouverait en Afrique, au Cap, dans le midi de l'Asie, en Espagne , et même en France , dans le Poitou , selon Pjud'on ; mais ce dernier fait me paraît d'autant plus douteux que la figure qu'il a jointe à sa description est celle d'une genette étrangère, .l'ai fait moi-même prendre dans le Rouergue et le Poitou des renseignements (pii ne m'ont rien appris, si ce n'est que cet ani- mal est tout a fait inconnu aux chasseurs dans ces anciennes provinces. Quoi qu'il en soit, la genette n'habite ni les monta- gnes, ni les grandes forêts, ni les terres arides; elle ne se plaît ipie dans les vallées fraîches, ombragées par de simples bocages, et le long des ruisseaux, sur le bord desquels on prétend qu'elle se creuse un terrier. Elle a de la finesse dans la figure , de la grâce dans les mouvements, et beaucoup d'agilité pour pour- suivre les oiseaux et les petits mammifères , dont elle se nourrit habituellement. Prise jeune, elle s'apprivoise parfaitement et de- vient un fidèle commensal de la maison, ayant à peu près les mêmes habitudes que le chat, et rendant les mêmes services en faisant une giieire active aux souris, aux mulots et aux rats. liellon dit en avoir vu dans les maisons à Conslantinople; elles étaient aussi privées que des chats, et on les laissait aller et cou- rir partout, sans qu'elles fissent ni mal nidégftt. Deux geneltcs, un iiuMe et une femelle, qu'on avait envoyées de Tunis, ont vécu à la ménagerie, s'y sont accouplées à la manière des chats, et y ont fait un seul petit ([ui , en naissant , portait déjà la jolie livrée lie ses parents. Comme on les tenait dans une cage assez étroite, elles étaient tristes, ennuyées, et dormaient toute la journée en- roidées l'une sur l'autre. Elles se réveillaient le soir et s'agitaient toute la nuit. La fourrure de cet animal était autrefois très à la mode pour faire à nos dames des manchons légers, (hauds et fort jolis, qui se vendaient un prix exorbitant; mais les indus- triels de ce temp.s-là parvinrent à peindre des taches noires sur des peaux de lapins gris, qu'ils vendirent pour de la genette; cette fraude en fit tomber la valeur, et la mode en passa. La genette du Cap n'est, selon G. Cuvier et d'autres natura- listes, qu'une très-légère variété. Cependant ses bandes longitu- dinales sont au nombre de six au moins , tandis que celle cjue nous venons de décrire n'en a que quatre. Le Berré ou Genette de Baiuiaiue [Cmetta afra, Fn. Cuv.) a le pelage gris plus ou moins mêlé'de jaunâtre; le chanfrein blanc; le menton et la ligne dorsale noirs ; ses bandes longitudinales sont plus régulières et au nombre de cimi. Elle habite le nord de rAfri(|ue. , Le LiSAXG ou Delendung (Gcnelta lisang, Less. Vicerra gracilis, Desm.) a de longueur totale deux pieds six pouces 0,8(2). Il a la tête allongée, le mii.seau pointu; son pelage est d'un fauve très-clair, avec quatre très-larges bandes brunes transverses; sa queue a le bout noir, avec neuf anneaux dont les deux premiers plus étroits que les autres; il a des taches sur les épaules et les cuisses, et des bandes étroites sur le cou. Il habite Java. V- Le FossA (Cene'/a fosfa , Less. Viverra fo^sa. Lin. La Fossa7ie, RuEF. La Genette de Madagascar des voyageurs. Le Fossa des ha- bitants de Madagascar) est d'un gris roux, marqué de taches brunes disposées sur le dos en qualrc! lio;nes longitudinales, et l'parses sur les flancs; sa ([ueu(; est roussâlre, faiblcnu>nt mar- quée d'anneaux d'un roux brun. l'Ile habile Madagascar, et se plaît dans les bois (pii sont à jiroximité des habilalions l'urales. On ne sait de cet animal que ce que Poivre en a écrit à Butron : « La fossane que j'ai apport('e de Madagascar, disait-il, est nn animal (pii a les mœurs oche , et je ne lui trouvai aucune odeur de parfum. J'ai élevé un animal semblable à la Coehinchine et un autre aux Iles Philippines, l'un et l'autre ('laient des mâles; ils étaient devenus un peu familiers; je les avais eus tiès-pclits, et Je lie les ai guère gardés que deux ou trois mois; je ne leur ai jamais trouvé de poche entre les parties (jue vous m'indi(|uez; je me suis seulement aperçu que leurs excréments avaient l'odeur de CIVETTES. 167 ceux (le noire fouine. Ils mangeaient de la viande et des fruits, mais ils piv'ft'iaient ces derniers, et montraient surtout un goût l>lus d('cidi' pour les bananes, sur les(|uelles ils se jetaient avec voracité. Cet animal est très-sauvage, fort diflicile à apprivoiser; et, quoique e'ievé bien, jeune, il conserve toujours un air et u" caractère de férocité, ce qui m'a paru extraordinaire dans un aniuial (pii vit volontiers de fruils. L'neil de la fossane ne pré- sente ipiiin globe noir fort grand, comparé à la grosseur de sa tête, ce (pii donne à cet animal un air méchant. » La Genette a queue nouie (Genetta caudâ nigricante. — La Ge- nctte de France, Buff.) a vingt pouces (0,3i2) de longueur totale; son pelage, surtout sur le cou, est plus long ([uc celui de la ge- nette ordinaire, gris mêlé de grands poils noirs à reflets on- doyants, avec le dessus du dos rayé et mouclieté de noir ; le des- sous (lu corps est blanc; les jambes et les cuisses sont noires; les deux tiers de la queue sont noirs , et il n'y a d'anneaux dis- tincts (pi'au premier tiers; les oreilles sont rondes; l'feil grand, à piqtille ('troite. Cette genette a véi u à la ménagerie; elle avait été a'-liet('e à Londres, mais on ignorait sa i)alrie. Elle était tou- jours en mouvement, et ne se reposait (]ue pour dormir. La Genette a eaniieau {Genetia fasciata, Less. \'iverra fasciala, Geoff.) est de la grandeur d'une fouine. Son pelage est d'un jaune clair marqué de taches d'un brun marron , disposées par séries longitudinales; le bout du museau, la mAchoire inférieure et le front sont d'im blanc jaunâtre ; tout le dessous du corps est d'im gris uniforme. Sa patrie est inconnue, mais on la soupçonne de Java. X La Genette de l'Inde [Genelta indica, Less. Viverra indica, Geoff. Viverra rasae, FIorsf.) est un peu plus grande que la gpuelle ordinaire, avec la queue plus courte; son pelage est d'un blanc jaunâtre, avec huit bandes longitudinales étroites et brunes, et trois ou quatre lignes de points bruns parallèles sur les flancs; elle a le tour des yeux brun, la lèvre et le menton blancs, la queue annelée de brun et de blanc jaunâtre. Elle ha- bite l'Inde. Le cabinet en possède, sous le nom de Genette de Java, nue variét(' qui n'en difTère que par sa taille plus petite. La Genette rayée {Genetta striata, Less. Viverra fasciata, Lin. Viverra striata, Desm. Le Putois rayé de l'Inde, Cuff. Lf; Chat sauvage à bandes noires de l'Inde, Sonnebat) ressemble à notre putois par la taille , la forme du corps et des oreilles; sa queue et sa tête sont d'uu br(m fauve, plus pâl(> autour des yeux, aux joues et sous la mâchoirt; ; elle a six larges bandes noires et cinq plus étroites d'un blanc jaunâtre le long du dos et de.s flancs. Elle habite la c6lv de Coromandel. Le lîoMiAr. (Genetta hondar, de Ri.mnv. Viverra hondar, Desm.) a le fond du pelage fauve, avec la ])ointe des grands poils noire; il a sur le dos une bande noire, avec deux bandelettes parallèles de la même couleur sur eha(]ue flanc; ses quatre pieds et le bout de sa queue sont également noirs. Il habite le Bengale. La Genette iieilmapurodite (Genetia hermaphrodila. — Viverra hermaphntdila , Pm.i.) a le museau, la gorge, les moustaches et les pieds noirs; une ta( lie blan(lie sous les yeux; le poil cendré à la base, noir à la pointe; trois liiiil'lcs noires le long du dos; la queue \\n peu plus longue que le porps et noire à l'exlrémitc'. Elle habite la Bi|rbarie. .■" Genre. Les MANGOUSTES (Ilerpestes, hua.) ont le même système dentaire que les deux genres |)récéden(s; elles ont ime poche volumineuse, siniple , ayant l'anus perc(' dans sa profon- deur; leurs poils sont courts sur la tête et sur les pattes; leur queue est longue, très-grosse à sa |}^se, et leurs doigts sont à demi palm('s. Le 'Sr.«s (Ilerpestes griseus. — IVrerrfi cafra, Lin. khiieumun 'griseus. Less. Le Xems, Buff.) est d'un (■in(pMème ]dus grand que le sunsa; il a vingt-deux pouces (0,,WG) de longueur, non com- pris la queue, ipii en a vingt (0,Si2). Son |)elage est dm-, redressé, ]dus ( lair (pie dans le sunsa , en géne'ral d'un jaune paille , d'un gris briMiâtre uniforme au dos et aux pattes; les ongles sont noirs; liris est d'un fauve foncé. BulTon le dit d'Afrique et Geod'roy de llnde. Le Sunsa ou Gagabanc.an [Herpesles mu7igo. — Viuerfa mungo, Lin. Ichneumon mungoz, Less. La Mangouste do l'Inde, Buff. Le Chiré ou Kirpelé du .Malabar) est à peu près de la taille d'une fouine, le fond de son pelage est brunâtre; il a sur le dos vingt- quatre à trente bandes transversales alternativement rousses et noirâtres; le dessous de sa mâchoire est fauve; ses pieds sont noirs ; sa queue , un peu moins longue que son corps , e.st d'un brun noirâtre uniforme. Cet animal a (le la célébrité dans l'Inde, comme riihneumon en Egypie. Le sunsa iiabite l'Iiule, et n'est pas rare au Malabar et à Java. C'est un joli petit animal , (]ui se plaît le long des ruisseaux et des rivières, qui nage fort bien, et qui aime surtout à clapoter au bord de l'eau. Il fait une chasse continuelle aux re])tiles , aux œufs des oiseaux aquati(pies, aux petits mammifères et aux in- sectes. Il mange même des fruits (piand sa chasse n a pas ('té heu- reuse; il boit beaucoup, est d'une propreté' recherchi'e. et se roule en boule pour dormir, à peu près comme fait le hérisson. C'est surtout par ses combats avec les serpents que le sunsa s'i^sf acipiis ime grande célébrité. Sans cesse on le voit fureter sur le bord des marais, et partout où il |)ense pouvoir remontrer de ces reptiles. Dès qu'il en apcr(;oit un, il s'élance dessus d'un seul bond s'il est à portée, et lui écrase la tête avant que le ser- pent ait eu le temps de se n^etlrP en défense. S'il est à une cer- taine dislance lor.sque le sunsa l'aperi^oit, rien n'est cinieux comme les mines qu'il fait ])our l'aiiprocher sans en être vu , ou au moins sans l'cfFrayer ; tantôt il se lève debout sur ses pattes de derrière pour l'examiner; puis, cette vue le mettant en fureur, il marclie à lui en haussant et courbant le dos comnip un cha- miMu , et se roidissant sur ses quatre jjattes tendues comme des bAt(uis; tantôt, apercevant le reptile ipii fait un nuiuvenu'ut pour fuir, il se laisse tofiiber sur le ventre, s'('tend , se colle à la terre, et se glisse doijceipent à travers les herbes en rampant. Parvenu à sa portée , il se jette sur son dangereux ennemi, pt glors com- mence une lutte terrible qui ne finit jamais que par la mort de l'un deux, et quolipu'fois par celle de tous deux. La mangouste cherche à saisir le serpent sur le cou ou sur le crâne, et le com- bat est fini dès qu'elle y parvient. Mais, connue si l'animal veni- meux connaissait les intentions de son adversaire , il roule conti- nuellement son corps pour abriter ces ])arlies sous .ses anneaux écailleux, et de temps à autre, jiar un mouvement rapide comme l'éclair, il lance sa tête sur son antagoniste, et, avec ses crochets venimeux, lin fait une bicssme mortelle. Tous les edorts du sunsa changent alors d'objet, et il ne cherche plus qu'à se de'- barra.sser des replis dont il est enlacé; il y parvient, s'éloigne en se traînant avec douleur, et cherche dans les environs une plante merveilleuse dont il mange (piebpies feuilles et sur b-upielle il se roule à plusieurs reprises. Aussitôt, el comme par enchantement, plein d'une nouvelle vigueur et d'un nouveau courage, il re- tourne au combat et finit |)ar tuer le serpent. Les Indiens, té- moins de ce fait extraordinaire, ont observé la plante que cher- chai! la mangouste, et l'ont nomuu'e chiri, du uom (pi'ils donnent à l'animal (pii la leur a fait diuîouvrir; les botanistes l'ont a|)pele'e ophiorhiza inungo>i. Depuis ('c tem|is, on emploie dans I Inde la racine de cette plante contre la morsure des ser|ients venimeux. Voilà l'histoire telle que la racontent les anciens voyageurs, et d'après eux (piebpies naturalistes; mais est-elle vraie? peut-elle se soutenir devant nue crili(|ue (■(•lair('e'? C est ce (pie je ne ])ense pas. In voyageur allemand s'est lroiiv('dcnx fois dans le cas de voir le combat d'une mangouste avec un ser|ient venimeux, et il pré- tend (pie ce petit mammifère, lors(pril est mordu, va en effet se rouler sur le gazon, (ju'il y ail ou (jii'il n'y ait pas d'o|ihiorhiza, mais (|iie cela ne l'empêciie pas de mourir de sa blessure. 168 LES CARNASSIEHS DIGITIGRADES. • La Mangouste indienne (Herpesles Edwarsii, Geoff. — Desm, Ichneumon Edwarsii, Less.) a le museau d'un brun rougeâtro; le dos et la queue annelés de brun sur un fond olivâtre; cette es- pèce et le nems sont les seuls qui aient les ongles noirs. Elle se trouve dans les Indes orientales. Le VoHANG-SiURA (Herpestes galera. — Mustela gâtera, Lin. Ichneumon galera, Less. Le Vansire, Buff.) est plus petit que le sunsa; son pelage est d'un gris brun, pointillé de jaunâtre; ses pattes sont brunes; sa queue est e'galement grosse et e'galement touffue dans toute sa longueur. Ce petit animal habite Madagascar, se plait sur le bord des ri- vières, et aime à s'y baigner tous les jours. Les Made'casses le prennent jeune , l'apprivoisent et l'élèvent dans leur maison, qu'il délivre des souris et autres petits animaux nuisibles. Les services qu'il rend, joints à sa familiarité et à sa douceur, l'ont fait re- chercher par les habitants de l'ile de France; ils l'ont transporté chez eux , et quelques années après il était naturalisé dans leur île. Du reste, il a les mômes habitudes que les autres mangous- tes , et il fait une guerre à mort aux lézards , serpents et autres reptiles. La ménagerie en a possédé deux qui y ont vécu assez longtemps. ;• La Mangouste de Java (Herpesles javanicus. — Ichneumon java- nicus, Less.) a le pelage marron ou presque roux, pointillé de blanc jaunâtre ; la tête et les jambes sont d'un marron foncé uni- forme; la queue est d'égale grosseur dans toute sa longueur. Elle habite .lava. La .Mangouste iiouge (Ikrpestes ruher. — Idmeumun ruber, Geoff,). Sa taille dépasse d'un cin([uième celle du sun.sa; elle a le pelage d'un rouge ferrugineux lrès-('clatant, plus particulière- ment sur la léte et les épaules; ses poils sont aniielés de toiik et de fauvo; sa queue est très-épaisse et fort longue. On ignore son pays. La Grande Mangouste {Ilerpeales major. — Ichneumon major, Geoff.) a trois pieds six pouces (1,437) de longueur totab;; ses poils sont annelés de fauve et de marron , mais les anneaux fauves sont si étroits «pie le marron domine partout; la ijueue, plus ln'- rissée et plus longue (pie le rorps, .se termine en pointe d'une couleur plus foncée ; ses doigts sont couverts tU\ |)oils ras et ser- rés, comme chez les animaux a(iuatiqiies, ce ([ui fait supjioser •pie ses habitudes doivent se rapprocher beaucoup de celles de la loutre. Sa |)atrie est inconnue. Le Tf.zEiiDÉA ou Ichneumon (Herpesles ichneumon. — Ichneumon rharmmis, Geoff.) Viverra ichneumon. Lin. Le Nems des Arabe-. \: Ichneumon d'.\iiiSTOTE. Le liai de Pharaon de Iîelon ) est phis lielil d un sixiriiic (|iie la f^r.iiulc mangouste; son pelage entier paraît être mélangé également de brun marron et fauve, chaque poil étant annelé de ces deux couleurs; les pieds et le museau sont noirs ou d'un marron foncé; les poils sont plus gros, plus secs et plus cassants que dans les autres espèces; la queue est aussi longue que le corps, terminée par mie touffe de très-longs poils noirs étalés en éventail. Il habite l'Egypte. L'ichneumon est un joli petit animal qui se ])laît sur le bord des ruisseaux et des rivières; il est commun sur les rives du Nil. Sa marche est légère et sa prudence extrême; il se glisse toujours à l'abri d'une haie ou d'un sillon, tt il ne lui suflit pas de ne rien voir de suspect, il n'est tranquille et ne continue sa route qu'après avoir flairé tout ce qui est à sa portée. L'odorat est son guide le plus sur; même (juand il est apprivoisé, il va sans cesse flairant, remuant continuellement ses narines avec un petit bruit imitant le souflle liaictaut d'un animal qui vient de faire une longue course. Il se nourrit de petits mammifères, d'oi- seaux , d'œufs, de serpents , de lézards et de reptiles en général, et même d'insectes, quand il ne trouve pas mieux. En domesti- cité, il est d'une très-grande douceur, caressant, répondant à la voix de son maître, et se laissant volontiers prendre par lui. Dans ce cas, on le saisit, non par le corps, mais par la base de sa grosse queue conique, on le soulève et on le porte ainsi sans qu'il perde sa position horizontale. Sa prudence ne tient ni de la timidité ni de la ])oltronnerie; il est au contraire très-courageux, et non-seulement il se défend contre des animaux beaucoup plus gros (jue lui , mais encore il n'a pas l'air de les craindre. Le té- zerdéa étrangle fort souvent le chat assez maladroit pour lui chercher querelle, et il se fait respecter par les plus gros chiens, auxquels il saute audacieusement à la face, pour peu qu'ils aient l'air de le menacer. Dans la maison où il est élevé , il s'est bien- tôt rendu maître delà cuisine et des opparicmculs, où nul autre animal ne peut s'introduire sans son bon i)laisir. Il est vrai qu'il n'est pas querelleur, et qu'ordinairement il vit bien avec les au- tres domesticpies de sa classe, pourvu qu'ils ne lui disputent rien , pas même la i)lace du coussin sur le(piel il a l'habitude de dormir. Ccl anim.il , quoi (pi'en dis<' lîuflon , n'a jamais été vcril.ible- ineiit domeslique ni en Egy])te ni ailleurs, car il ne pnuhiit pas en captivité , et les petits que les fellahs ou paysans apportent CIVETTES. 169 queliiuefois aux marchés du Caire ont toujours été trouvés sau- vages dans les champs. On les élève dans les maisons pour rem- placer les chats et faire la guerre aux souris. Us ont pour celte chasse une ardeur et une adresse ([ui surpasse celle des chats , et l'avantage qu'ils ont sur ces derniers est que , outre les rats , ds détruisent les mulots, les belettes, les crapauds si incommodes dans tout le nord de l'.Vfriiiue , les insectes , et en général tous les animaux nuisibles moins forts qu'eux. Les anciens auteurs ont débité des fables absurdes sur l'ichneu- mon. Pour expliquer la raison qui lui avait fait rendre les hon- neurs divins par les prêtres des anti(iues Thèbes et Memphis, ils ont dit qu'il entrait dans le corps du crocodile, lorsipi'il le sur- tuent toutes les volailles qu'ils y trouvent, leur sucent le sang ou leur mangent la cervelle. Mais à cette époque, se trouvant res- serrés sur des îlots avec les renards et les jackals, ils deviennent eux-mêmes la proie de ces animaux. Dans le Saïd, ils ont pour ennemi perpétuel l'ouaran el bahr {lupinanibis itiloticus, ou mo- nitor du Nil), sorte de grand lézard très-carnassier, qui, ayant les mêmes habitudes et se tenant dans les mêmes sites, les sur- prend au passage et les dévore. Du reste , toutes les mangoustes, celles d'Egypte comme celles de l'Inde, s'apprivoisent très-bien et se familiarisent aisément; mais, ainsi que le chat, la plupart paraissent s'attacher plus aux maisons qu'aux personnes. Toutes craignent excessivement le froid, et ne vivent que fort peu.de BKT.ULOl» . La Boucherie , derrière les loges des animaux féroces. prenait dormant la gueule ouverte, et qu'il lui donnait la mort en lui rongeant les entrailles. Le vrai est ([u'il se contente d'at- taquer les iietits crocodiles presque sortant de l'oeuf, lorsqu'ils sont encore trop faibles pour se défendre , et qu'il sait très-bien les saisir par le cou pour les étrangler. Il sait aussi 'reconnaître sur le sable des rivages l,i place où ces animaux ont enterré leurs œufs, et il ne manque jamais de les iléterrer ]>our en manger une partie et briser le reste. Quant à moi , je ]ieiise que si les an- cicn.> égyptiens ont divinisé l'ichneumon, comme l'ibis et tant d'autres animaux, c'est qu'ils lui pardonnaient la destruction des œufs de leur dieu crocodile en faveur du service (pi'il rendait au jiays en le nelloyani , après les inondalions du .Nil , des .ser- pents et autres reptiles venimeux, des iiiserlcs et en g('néral de tou> les autres petits animaux nuisibles à l'agricidlure. Lors des inondations, les iehneumons se retirent sur les hau- teurs, autour des villages, et alors leurs habitudes ont une grande analogie avec celles de nos fouines Ils cherchent à péni'lrer pen- dant la nuit dans les ba.sses-cours , et s'ils y parviennent , ils temps en Europe. Lorscpi'on les caresse , elles font entendre une sorte de petit murmure très-doux ; mais leur cri devient aigu et perçant lorsipi'on les irrite. 4" Genre. Les MANGUES (Crossarchm . Fh. Cuv ) ont les dents comme les mangoustes, mais seulement au nombre de trente- six ils durèrent de ces animaux par la tête j.lus arrondie, le mu- seau plus grand et mobile, et leurs pieds non palm.^s. Us ont la pupille ronde; les oreilles petites, arrondies, bdobées ; la langue d.mce sur les bords, papilleuse et cornée au centre ; la queue est aplatie ,1 leur poche anale secrète une matière onctueu.se puante. Ces animaux, étant plantigrades, n'ont été placés entre les man- goustes et les surikates cpi'à cause de la grande analogu- de forme et d'habitudes .pi'ils ont avec eux. t)n n'en connaît qu'une espèce, (pii est Le Mangue obscuk [Crossarchus obscurus, Fii. Ciiv.), qui a un pcMi moins d'un pied (0,Ô25) de longueur, non comi)ris la <\uvw; qui a sept pouces (0,18!)) ; son pelage est d'un brun uniforme sur 170 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. tout le corps , un peu plus pâle sur la tête. Il est assez rare par- tout, si ce n'est dans les forêts île l'Aliyssinie. Le mangue habite la côte occidentale de l'Asie, et c'est à peu près tout ce qu'on sait de lui à l'i'tat sauvage. Mais comme un individu a vécu à la ménagerie, on a pu faire sur lui quelipies observations inte'ressantes. 11 était parfaitement apprivoise', très- doux, et aimait beaucoup à être caressé. Aussitôt iju'on s'appro- chait de sa cage, il venait présenter sa gorge ou son dos pour qu'on le caressât; lorsipi'on le faisait, il restait immobile et té- moignait le plaisir qu'il en éprouvait en ouvrant et fermant con- tinuellement la gueule, comme s'il mâchait quelque chose Quand on, s'éloignait, il poussait un petit cri plaintif, semblable au sif- flement d'un oiseau. Il était extrêmement propre, faisait ses ordures dans un coin de sa cage, toujours à la même place, et il avait le plus grand soin de ne pas salir la partie où il se prome- nait et surtout celle où il se couchait. Il buvait en lapant, et, quoiiju'il se nourrît habituellement de viande, il mangeait volon- tiers du pain , des carottes et des fruits secs. Probablement que dans ses bois cet animal est chasseur comme les fouines et les mangoustes, et qu'il se contente (pielquefois de baies et autres fruits doux, ainsi que de racines, car son museau mobile doit lui donner, jusiiu'à un certain point, la faculté de fouiller la terre. 5« fiENRR. Les SURIKATES (Hijzœni, Ii.i.ic.) ont douze incisives, quatre canines et vingt molaires, en tout trenle-six dents; les canines sont coniques et très aiguës, et la deuxième incisive ex- terne de la mâchoire inférieure est plus épaisse à sa base; leurs pieds n'ont que quatre doigts; leurs ongles sont robustes, non rétractiles et propres à fouir la terre; leur langue est garnie de paiiilles cornées; leurs oreilles sont pcfilcs; leur corps est allongé; leur queue est longue, grêle et pointue; enfin leur poche donne dans l'anus même. Le SuniKATE ou Zenick (Rijzœna capensis, Less. Suricata capen- sis, Desm. Inhneumon tetradachjlus, Geoff. Viuerra tetradactijla, Li.N. Viverra zenick, Gml.) a environ trois ])ieds dix pouces (l,2iG) de longueur totale; son museau est allongé en forme de boutoir mobile ; son pelage est mêlé de bfun , de blanc, de jaunâtre et de noir; le dessous du corps et les niembres sont jaunâtres; sa queue, moins longue que son corps, es\, noire à 1 exlrc'mité; le nez, le chanfrein , le tour des yeux gt des pceiljss sont bruns. Il habite l'.^frique. Buffon, en indiquant cet animal comme étapt de l'Amérique méridionale, a commis une erreur; il est certain qu'il habile le cap de Bonne Espérance. Il est fort joli, très-vif et très-adroit, ne vivant que dans les bois, sur la lisière desquels il se creuse un terrier. 11 en sort pendant le jour, et quelquefois aussi pen- dant le clair de lune, pour se mettre en chasse et poursuivre les petits mauunifères et les oiseaux dont il se nourrit. Comme il aime beaucoup les neufs, il se hasarde quehpiefois dans la jilaine pour chercher des nids de perdrix, ganga, caille, etc., mais alors il avance avec beaucoup de précaution, tantôt marchant debout en levant la tête au-des qu'on venait de mettre dans l'eau pour ciiii'e; il refusait les fruits, même le pain, à moins qu'on ne l'eût mâelait. Il avait deux sortes de voix, l'aboiement d'un jeune chien, lorscpi'il s'ennuyait d'être seul, ou qu'il entendait des bénits extraordinaires, et, au con- traire, lorscpi'il était excité par des caresses, ou qu'il ressentait quelque mouvement de plaisir, il faisait un bruit aussi vif et aussi frappé que cplnj d'une petite crécelle tournée rapidement. » LES HYENES n'ont point de petites dents du tout derrière la grosse molaire d'en bas; leurs ongles ne sont pas rétractiles, et elles ont une poche profonde et glanduleuse sous l'anus. '!'"■ Genre. Les HYÈNES (//i/rrna, Bniss.) ont tous les pieds à quatre doigts; elles ont treiite-our l'anuiier au secours d'une femme ou d'un enfant expirant. HYÈNES. «Tl Le malheureux , trompé par ces gémissemenls douloureux, vole auprès du liuisson pour secourir un tîUe soullV^int (|ui l'appelle, mais il ue trouve qu'une afTreiise l]yène (|ui le dc'vore. S'il devine le piège qui lui est tendu, il fuit : mais l'animal ur en faire sa proie. 11 parait que les jeunes Mlles étaient i>Uis dillicilcs à fasciner que les bergers, car l'hyène pour s'en emparer était obligée d'em- ployer d'autres moyens beaucoup plus mystérieux et compliqués. Elle prenait la forme d'un beau garçon , et toujours au moyen de ses yeux, elle faisait iiaitre dans le cœur d'une jeune tille un amour désonloniii' cpii la rendait folle; alors la pauvrette aban- donnait son troupeau pour courir les champs , et le monstre pro- litait de cette circonstance pour ero(iuer d'abord la bergère, iniis ensuite les moutons... «Tout cela peut arriver sans l'hyène, » dit BufTon. Dans le siècle dernier, les écrivains, un peu plus critiques (pie leurs pères, abandonnèrent ces contes absurdes , mais pour les remplacer par d'autres contes, ou au moins par des exagérations outrées. Bufl'on lui-même n'est pas à l'abri de ce dernier repro- che ; écoutons-le : « Cet animal sauvage et solitaire demeure dans les cavernes des montagnes, dans les fentes des rochers ou dans des tanières (pi'il se creuse lui-même sous terre. Il est d'im natu- rel féroce, et, ijuoique pris tout petit, il ne s'apprivoise pas. 11 vit de proie comme le loup, mais il est plus fort et paraît plus hardi; il attaque (pielquefois les hommes, il se jette sur le Ix'lail, suit de près les troupeaux, et souvent rompt dans la nuit les portes des étables et les clôtures des bergeries. Ses yeux brillent dans l'obscurité, et l'on prétend qu'il voit mieux la nuit que le jour. Si l'on en croit tous les naturalistes, son eri ressemble aux sanglots d'un homme qui vomirait avec effort, ou plutôt au mu- gissement d'un veau. 1. 'hyène se défend >\n lion, ne ciainl pas la |ianthère, allaque l'once, laquelle ne peut lui résister. Lorsque la proie lui manque, elle creuse la terre avec les pieds et en tire par lambeaux les cadavres des animaux et des hommes. » A présent venons-en à la vérité. Les hyènes rayées sont en elTet des animaux très-farouches et d'une voracité dégoûtante, mais d'une Iftcheté, d'une poltronnerie incomparablement |)lus grande que celle du loup. Elles ne vivent (|ue de cadavres , de voiries, et e est à ce goût j)rononcé ])our la chair corrompue, beaucoup i)lus qu'à leur prétendue férocité, qu'il faut attribuer cette iialiilude (pi'elles ont de déterrer les cadavres quand elles parviennent à entrer dans les cimetières mal clos des musulmans; et cncoie, liruce, (pii a vécu longtemps en Abyssinie, l)ays de la terre i|ui est le plus i)euplé d hyènes, nie positivement ce fait. «Après beaucoup de rpcUerclies , dil-il, je n'ai encore pu avoir une seule preuve que Jes hyènes eussent tlélerrd un cadavre. » ( Voyage, aux sources du Xil, tonie XUI, ]iago -ISi.) Non-seidcuu'nt elles ne peuvent en aucune manière lutter contre le lion et la p.mllicrc, mais leur limidité ne leur permet pas même d'attaquer des jaclvils et autres animaux île la t.iiile du renard et au-dessus. Elles rôdent sans cesse pendant la nuit, et quelquefois elles s'ap- lirochent des habitations, non pour inipiiéter les hommes, dont elles rcilouleni beaucouji la pri'sence, mais pour se nourrir des imtiioudices (|u'elles y eiierchent. Si elles se hasanleiil à altaipier une pièce de bi'tail, c'est un faible agneau ou iin animal iiKiiiranl qui ne peut leur faire aucune résistance, et si elles sont surprises dans ce méfait, elles se laissent assommer à coups de b.'iton par des enfants de huit à dix ans, sans chercher à se défendre. Les marabouts , dont toute l'ambition est de se faire passer jiour saints aux yeux du peuple, eonuaisseut parfailcmeiit la h'iclieté de celte espèce; aussi ne manquent-ils jias , ipiand ils en trou- vent l'occasion, de saisir une hyène vivante à bras-le-corps, et de l'apporter ainsi dans la ville. Comme elle ne leur fait jamais la moindre blessure , les Arabes attribuent à la sainteté du person- nage et à une faveur spéciale du pro|diète ce qui n'est ipie le résultat de la timidité de lanimal. « En Barbarie , dit Bruce , j'ai vu des Maures saisir , en plein jour , des hyènes par les oreilles , et les tirer vers eux sans qu'elles fissent d'autre résistance que de chercher à se dégager. » La ménagerie a possédé fort souvent des hyènes rayées, et ja- mais elles ne se sont parfaitement apprivoisées, quoique ces ani- maux y aient toujours paru inodensifs. L'une d'elles s'était rongé jusqu'à complète destruction tous les doigts de ses (laltes de der- rière, et se trouvait réduite à marcher sur de véritables moignons, ce (pii ne l'a pas empêché de vivre plusieurs années Cependant il est certain que cette espèce, élevée avec douceur, s'ajiprivoise parfaitement. Il y a trois ans que toute notre armée d'Algérie a vu à Bone un ofïicier français qui en avait élevé une. Elle lui était attachée , le suivait librement dans les rues comme à la campa- gne, obéissait à son commandement, accourait à sa voix, et le caressait absolument comme aurait fait un chien. L'Ih'ÈNE u'AiiYSSiMK {Hijuma lirucii. — Canis hyœnoniflas, Bruce) atteint jusqu'à cinq pieds neuf pquces (1,808) de longueui- totale, et sa queue a vingt et un [jQiiees (0,SG9) ; ses formes générales se rapprochent davantage de celles du chien, et elle n'a pas le train de derrière aussi incliné que l'hyène rayée, dont elle dld'ère encore par sa couleur d'un roux brun , plus pâle aux oreilles et à la tête ; par son museau plus long et non étranglé , vessemblant à celui il'iin chien ; par sa crinière d'un roiige brun et non pas noire, et par sa qiieiie également d'un rouge brun, dopt les poils, ainsi que ceux de la crinière , ne sont pas annelés de noir à la pointe; elle n'a pas lu gorge noire, mais seuleqient une tache remontant jusqu'à l'extrémité de la mâchoire inférieure; .ses oreilles, longues de plus de neuf pouces (0,2 S-l), ne SQi}t paS nues, mais couvertes de poils très-lins et ||'ès-couvts. Du re.sté, elle est rayée de noir à |ieu près de la même manière , à cette dlfTérence néanmoins que les bandes des jambes de derrière ne sont pas transversales, mais longitudinales, ce qui est un caractère spéci- fique très-tranché. Malgré ces diirérences énormes, malgré des mœurs tout à fait diirérenles, l'hyène de Bruce, quatre fois plus grosse que l'hyène rayée, a été confondue avec elle par tous les naturalistes, et cela parce ipi ils ont plus consulté la mauvaise figure qu'on en a don- née dans la traduction françai.se du • oi/a;/e aux sources du Nil, que la description écrite du voyageur. Les hyènes d'Abyssinle vivent solitairement comme l'hyène rayée, et paraissent n'avoir guère plus d'intelligence. Bruce dit: « Elles sont au contraire excessivement brutes, paresseuses, sales, dépourvues de toute espèce de pudeur, et ayant enfin des mœurs très-ressemblantes à celles du loup. Le courage qu'elles monlrent ne leur vient que de leur extrême voracité ; aussi meurent-elles plus souvent en fuyant qu'en combattant. C'est une vraie peste en Aliyssinie; il y en a ])ailout, dans les campagnes et dans les villes, et je suis sur qii il y en a |dus que de moutuns, ipioique les moutons y soient pourtant en grand nombre. l)e|uus le moment du crépuscule du soir jusipi'au point du jour, Condar est rempli d'hyènes , qui viennent dévorer les cadavres des infortunés que les cruels .\byssins laissent sans sépulture dans les ]daees publi- ques et dans les rues. Il croit en même temps, ce peiiplo sangui- naire et superstitieux, que ces animaux ne sont autre chose (|iie les falashas (sorciers), qui changent de figure par le pouvoir de la magie, et qui descendent la nuit de leurs montagnes pour venir se nourrir de chair liiiinaine. » II raconte qu'en sortant chaque soir du palais du roi pour rentrer chez lui, il eoiirail risque d'être mordu par des iiyènes. " L(!s hommes armi's qui m'accom- pagnaient, dit-il, ne les épouvantaient i>oinl. Elles grondaient en rôdant autour de nous, et il ne se passait guère de nuit sans qu'elles tuassent ou blessassent quelqu'un. « En Abyssinie et dans l'Atbara , on n'enterre pas toujours les 172 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. cadavres humains, et on se borne à les porter ilans la campagne ou même à les laisser dans la rue , quand ce sont les corps de pauvres gens ; les hyènes se chargent de leur donner la sépul- ture. Aussi, cet animal marche insolemment en plein jour, fait face à l'homme ; cependant il attaque toujours le mulet ou l'âne plutôt que le cavalier. En route , les fusils l'empêchent de venir très-près des voyageurs; mais la nuit, le soir et le malin, il est toujours sur leurs talons. Comme on ne le chasse jamais , et que l'on se contente de repousser ses agressions, l'impunité lui donne de l'audace, et sa voracité le pousse quelquefois jusqu'à entrer dans les maisons. « Une nuit , dit encore le voyageur cite plus haut, j'étais dans la province de Maïlsha , très-occupé d'une ob- servation astronomique , lorsque j'entendis passer quelque chose derrière moi ; soudain je me retournai et ne pus rien voir. Ayant achevé ce que je faisais en ce moment, je sortis de ma tente dans l'intention d'y retourner bientôt, et, en elTet, j'y rentrai pres(|ue tout de suite. Mais, en mettant le pied sur le seuil, j'aperçus deux L'Hyène raj'ée. gros yeux bleus élincelantsdansles ténèbres. Je cri:ii soudain à mon domesli(pie de porter de la lumière; et nous vîmes une hyène à côté du chevet de mon lit, tenant dans sa bouche trois ou quatre paquets de chandelles. Je ne jiouvais lui tirer un coup de fusil sans courir ristpie de briser mon quart de cercle, ou (piehpie autre de mes instruments. Comme (die avait la gueule i)leine de di.in- delles, elle semblait à ce moment ne pas songera une autre proie, et je voyais qu'elle était trop embarrassée pour me mordre. Je pris donc une lance, et je la fra|)pai aussi près du cœur qu'il me fut possible. Jusiiu'ali)rs elle n'avait pas monin' la moindre co- lère ; mais dès (picllc se sciilit blessée elle laissa loiidiei- ce qu'elle avait dans la gueule, et lit des elforls incroyables pour remonter le long du fût de la lance et venir jusqu à moi. La crainte de la voir réussir me lit tirer un pistolet de ma ceinture, et je lui lA- chai mon coup. Presque aussitôt mon domestiipie lui fendit le crâne d'un coup tle liaelie. Kiitiii , les hyènes faisaient les tour- luenlsde ma vie; elles troublaient nos promenades du soir; elles dévoraient sans cesse (piehpi'un de nos mulets et de nos .ânes, animaux qu'elles cherchent toujours de préférence. » On voit par ces citations (|ue l'hyène; d'Abyssinie dill'ère de l'hyène rayée, non-seulement jiai' la l.iille cl la couleiu', mais en- core par son audace et sa férocité. (>omme U: loup, celte espèce préfère le chien à toute autre proie , et il parait (pi'en cela elle satisfait à la fois et son goût et sa haine. U y a entre ces ani- maux une antipathie invincible, et les chiens les j)lus hardis pour la chasse au sanglier n'osent jamais la poursuivre dans les bois, ni la combattre en plein clianq). Il n'en est pas de même pour l'hycne de lîarbarie; les chiens de berger, aussitôt cpiils I aper- çoivent, s'élancent sur elle et rc'Iranglent sans façon. L'HvicNE TACHETÉE [Hywna capensis, Desm. Canis croeu/«s , Lin. Hyœna crocula , Zimm. Hyœna striata, Penn. Hyœna maculata , Thunb. Le Loup-tigre de Kolbe, si ce loup-tigre n'est la hyéno'ide peinte) a le pelage d'un gris roux prononcé; la tête est rousse, avec du noirâtre sur le front et entre les yeux; le dessous du front est d'un brun roussâtre; le dessous du cou et du front seu- lement est blanchâtre; des tâches noirâtres, peu distinctes, occu- pent les flancs, la croupe et les cuisses ; elle a une bande noirâtre de chaque côté du cou , les jambes et les pieds noirâtres, avec la face interne des jambes de devant d'un blanc roussâtre, la queue rousse dans sa première moitié, et noirâtre dans la seconde. Dans sa pi'cmière édition des Ossements fussiles, Cuvier avait donné le nom d'hyène rousse à cette espèce, et celte méprise a beaucoup embarrassé les naturalistes; il en est résulté cpie plu- sieurs d'entre eux ont appliepié à sa synonymie la descriiition de res|>èce suivante, qui est restée sans nom, ou avec un nom qui ne lui convient ])as puisqu'il appartient à celle-ci. L'hyène tachetée habite le midi de l'Afrique, et principalement le cap de lîonne-Espérance ; il paraît cependant (pi'on la trouve quehpiefois aussi en Barbarie. Pour la grandeur elle tient le mi- lieu entre l'hyène rayée et l'hyène d'Abyssinie, car celles de la ménagerie avaient deux [lieds et demi (0,812) de hauteur sur le garrot, et trois pieds et demi (1,157) de longueur, non compris la queue. Moins sauvage et plus courageuse (pie les autres espèces, celle-ci a aussi plus d'intelligence, et sous ce rapport elle ne le cède guère au chien. Elle se défend hardiment C(uilre les ani- maux féroces avec lesejucls sa force lui permet de lutter, et elle ■=^' ne se nourrit de e.idavres (pie lorscpie la chasse aux gazelles et aux antilopes ik; lui réussit pas. Si l'on s'en rapporte à Karrow, il est des pays où on rai)privoise et on la dresse pour la chasse. Il iiariiîtrail (pi'alors elle s'attache à son maître avec beaucoup d'aU'eclion, et (pi'elle lui est aussi dévouée, aussi (idèh; (piun chien. Toutes celles (pii ont V('cu à la mi'iiagerie porlent à croire ce (pi'en a dit ce voyageur, car elles étaient fori douces, cares- santes même, et elles aimaient beaucoup (pion les grallâl autour (les oreilles et sur le cou. Ce n'était pas seulement à leurs gar- diens (pi'elles donnaient ces marques d'amitié , mais encore à toutes les personnes étrangères (pii s'approchaient (h; leur loge. L'une d'elles , lors de son ariiv('e en Erance , s ('cliaiipa de sa cage, à Liirieiit i'.lle courut ipiehpie temps la campagne sans HYENES. 173 faire de mal à personne , et se laissa bientôt reprendre sans ré- sistance, Klle a vécu seize ans à la ménagerie , et ce n'est que vers la fin de sa vie, lorsqu'elle fut tourmentée par les infirmités de la vieillesse , que son caractère s'aigrit un peu. Elle cessa d'ê- tre caressante, mais pour cela elle n'en devint pas plus méchante. L'flYiiNE DE CiiviKR (Hijœna Cuvieri) est d'un gris blanchâtre tirant un i)eu sur le fauve; elle a des taches brunes, rondes, nettes, sur les tlancs et sur les cuisses; celles de ré|iaule forment une bande qui se continue avec une ligne longitudinale brune de chaque c6té du cou; les pieds sont blanclullrcs, un peu leinls de roux vers le bas; la queue est annelée de blanchâtre, et de brun à la base, noirâtre dans ses deu\ tiers inférieurs; la tête, du même fond que le dos, a un peu de brun vers les joues et du fond. Leur système dentaire est encore inconnu, mais tout fait présumer qu'il doit être à peu près celui des hyènes. Le PiiOTici.E Dei.ai.amie ou Aard-Wolf [Proteles Lalandii , Is. Geoff. La Civette hyéiioide, Fr. Cuv. La Genetle hyénuïde, G. Ctv. Proteles hyenoïdes , Blainv.) a beaucoup de ressemblance aven l'hyène d'Orient, tant par ses formes que par son pelage; comme elle, par la flexion de ses jambes de derrière, il porte l'arrière- Irain beaucoup plus bas que celui de devant; son pelage est gris; il a sur le dos une crinière peu fournie ; les pieds sont noirs ; il a sur les cotés des Itandes noires peu nombreuses, et de plus petites sur les jambes; sa ipieue est loufTue, noire, grise à sa base. Les Hyènes. roux vers le .sommet. Celte esi)èce, à la(|uelle les auteurs ont ap- pliqué à lort la .synonymie de la précédente, ,se trouve ('gaiement au Cap , mais elle y est beaucoup plus rare. Du reste , elle a les mêmes mœurs. Je la crois une variété de la suivante. L'Hyène iirune {Hyœna fusca, Geoff. Non la Hyène brune, l'u. Cuv.) est un peu moins grande que l'hyène rayée; son coi-|is est couvert en entier île poils longs, rudes, d'im brun noir.Mre, qui penilent sur les cotés; la tête est couverte de pdils couils d un brun grisâtre; elle a sur les jambes de devant et les pieds de derrière (piehiues bandes transverses brunes et blanchâtres ; h" dedans des jambes, le dessous du ventre et réf('rence les bords île la rivière des Poissons, cti Cafrerie, où le docteur Kno\ l'a rencontré plusieurs fois. Pendant le jour, il se tient en famille dans un terrier profond et à plusieurs issues, ipiil se creuse ilans les bois. Lorsqu'on l'irrite , il redresse sa crinière et liérisse ses longs jioils depuis la nuque jusque sur la queue. Le viiyagiurDclalande, le premier qui ait découvert et fait loinialtre cet animal, en a tué et rapporté en Kiir.pe trois individus qui liabitaient le même terrier ; il en a vu fuir avec vitesse, la crinière hérissée, le corps Irès-penché en arrière, les oreilles et la queue baissées. if4 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. LES CHATS n'ont point de petites tlenls Jii tout (lei-rière la grosse molaire d'en bas; leur museau est court et rond; leurs ongles sont re'- tractiles, excepte' dans le premier genre. Ils ont cinq doigts aux pieds de devant, et quatre à ceu.x de derrière. i" Genre. Les GUÉPARDS {Guepar cijnofelis, Less.) diffèrent des chais proprement dits par leurs ongles non relracliles, mais semblables à ceux des chiens; par leur tête plus petite et plus courte, par leurs Jambes plus longues, leur corps plus l'iance, et enfin par leurs dents mâchelières, qui sont moins tranchantes. On n'en connaît qu'une espèce, qui est Le Guépard ou Fauh (Guepar jubalus. — Felis jubata , Schr. — Lin. Felis guttala, Geum. Cynofelis jubata, Less. Le Tigre chas- seur, des Indes; le Léopard à crinière: le Fadh et le l'ouse des Persans, le Jaz des Turcs). Ce joli animal habile l'Asie méridionale et plusieurs contrées de l'Afrique; il a trois pieds et demi (1,157) de longueur, non compris la queue, et deux pieds (0,650) de hauteur. Son pelage est d'un beau fauve clair en dessus, et d'un blanc pur en des- sous; de |)etites tar-hes noires, rondes et pleines, e'galcment se- mées, garnissent loule la partie fauve; celles de la pnriie blanche sont plus larges et plus lavées; la dernière moitié de sa queue est annele'e de douze anneaux alternativement blancs et noirs; enfin, les poils de ses joues, du ins autant (pi'elle les étonna; on courut chercher le gardien des animaux. On ai)|)rit alors que le guépard et l'enfant avaient fait ensemble la traversée du Sénégal en France, qu'ils s'étaient ('pris d'amitii^ sur le pont du bâtiment, et (pie tous les deux venaient de se rencontrer par hasard, et de se reconnaître après une séparation de trois mois. Si l'on eu croit Kldeuiiri , ce serait Chaleb , fils de Walid , ([ui , le premier, se serait servi du guépard pour la chasse, ce qui, du reste , est assez peu important à savoir. Ce qu'il y a de cer- tain, c'est ([u'à Surate, au Malabar, dans la Perse et dans quel- ques autres parties de l'Asie , on élève ces animaux pour s'en servir à cet exercice. Les chasseurs sont ordinairement à cheval, et portent le guépard en croupe derrière eux; quelquefois ils en ont plusieurs, et alors ils les placent sur une petite charrette fort légère et faite exprès. Dans les deux cas l'animal est enchaîné, et a sur les yeux un bandeau ipii l'empêche de voir. Ils partent ainsi pour parcourir la campagne, et tâidier de découvrir des gazelles dans les vallées sauvages où elles aiment à venir paître. Aussitôt qu'ils en aperçoivent une, ils s'arrêtent, déchaînent le guépard, et, lui tournant la tête du c(ité du timide ruminant, ils le lui montrent avec le doigt. Le guépard descend, se glisse doucement derrière les buissons, rampe dans les hautes herbes, s'a])proche en louvoyant et sans bruit, toujours se mas(piant derrière les inégalités du terrain, les rochers et autres objets, s'arrêtant su- bitement, et se couchant à plat ventre quand il craint d'être aperçu, puis reprenant sa marche lente et insidieuse. Enfin, quand il se croit assez près de sa victime , il calcule sa distance , s'élance tout à coup, et en cinq ou six bonds prodigieux et d'une vitesse incroyable, il l'atteint, la saisit, l'étrangle, et se met aussitôt à lui sucer le sang. Le chasseur arrive alors, lui parle avec amitié, lui jette un morceau de viande, le llatte, le caresse, lui remet le bandeau, et le re])lace en croupe ou sur la charrette, tandis (pie les domesliqties enlèvent la gazelle. Néanmoins, il arrive quelquefois que le guépard manque son coup , malgré ses ruses et son adresse, .\lors il reste tout saisi et comme honteux de sa mésaventure, et ne cherche jamais à poursuivre le gibier; son maître le console, l'encourage [lar des caresses, et les chas- seurs se remettent en quête avec l'espoir qu'il sera plus heureux une autre fois. Dans le Mogol, celte chasse est pour les riches un plaisir si vif, qu'un guépard bien dressé, et qui a la réputation de manquer rarement sa proie , se vend quelquefois une somme exorbitante. En Perse, cette chasse se fait à peu près de la même manière, à cette différehce près qlie le chasseur qui porte le guépard en croupe se \)hwe au passage du giliier que des hommes et des chiens vont relancer dans le bois. Quand ime gazelle i)asse à sa portée, « il débande les yeux de l'animal, dit Chardin, et lui tourne la têle du côté de la bêle relanci'c; le gu('pard ra]>erçoil, fait un cri, s'élance à grrtnds sauts, se jette dessus et la terrasse. S'il la man(pie après quelipies bonds, il se rebute d'ordinaire, et ])our le consoler on le can sse. Il y a en llyrcanie des bêles dres- sées (|ui font la chasse linement, se traînant sur le ventre le long des haies et des buissons jus(pi'à ce qu'elles soient proches de la proie, et alors elles s'élancent dessus. » L'empereur Léopidd l'"' avait deux gm'pards aussi privés que des chiens. Quand il allait à la chasse, un de ces animaux sautait sur la croupe de son cheval, et l'aulre derrière un de ses courtisans. Aussitôt (pi'ime pièce de gibier ('lait lev('e, les deux gm'pards s'élançaient, la surprenaient, l'étranglaient, et revenaient tranipiilleuient, sans être rappelés, reprendre leurs places sur le cheval de l'empereur et sur celui de son courtisan. Le GiiiîPAiii) de Fr. (envier (Felis gultala, IIeum. Cijnofelis gul- tata, Less.) est une es))èee ou variété très-voisine, ipn habite I Afri(pie, le Sén('gal, le Kordofan et le cap de Bonne-Espérance. i' Gexre. Les CH.\TS (Felis, Lin.) ont trente dents, savoir : douze incisives, (pialre canines, huit molaires su|iérieures et six inh'rieures ; leur carnassière siqx'rieure a trois lobes et un talon mousse en dedans; l'inb'rieme a deux lobes pointus et Iran- chants, sans auctm talon; enfin ils n'ont qu'une très.])elile tu- berculeuse supérieure, sans rien qui lui corresponde en bas. CHATS. 17S Leurs doigts sont armes d'ongles re'tractiles qui s'etendenl et se reiiressent, puis se cachent entre les doigts, à la volonté de l'animal ; leur langue est he'risse'e de ])a|Mlles ('pineuses et cor- nées; leurs oreilles sont pointues; ils n'ont point de follicules anaux. 11 résulte de l'organisation des chats ([u'ils sont essen- tiellement carnivores et propres à se nourrir de proie vivante, et qu'ils seraient les animaux les plus destructeurs s'ils pouvaient courir. § [". CHATS DE L'ANCIEN CONTINENt. Le Lion {Felis leo. Lin. L'Asad des Arahes et le Gehad des Per- sans) varie , ]>our la taille et la couleur, en raisoil des pays qu'il hahilo. Sou pelage est communément d'un l'auve assez uniforme; le dessus de la léte et le cou du mâle adulte portent une épaisse crinière, tandis ((ue le reste du corps est couvert de poils ras; sa queue est terniiiu'e par un flocon de poils. La femelle ressemble au uiMe, à cela près (pi'elle a la télé plus petile et qu'elle man- que de crinièie. Les variétés qui ont été signalées par les natura- listes sont : 1° Le Lion jaune, du Cap, peu dangereux; 2" Le Lion brun du Cap , le plus féroce et le plus redouté de tons; 3" Le Lion de l'nse ou d'Arabie, à pelage Isabelle pâle et cri- nière épaisse; i" Le Lion du Sénégal, à crinière peu épaisse et pelage un peu jaunâtre ; 5' Le Lion de Barbarie , à pelage brunâtre, avec uile grande crinière dans le nulle; ce dernier est poltron, mais il s'apiuivoise facilement. Avant de commencer l'hisloire du lion. Il est indispensable (pie je donne quelques généralités sur les chais; car j'aurai proba- blement sur cette famille bien des préjugés à coujbaltre, bien des erreurs à relever. Ces animaux, si on les étudie en aualomiste, sont iaconleslablement organisés pour être les plus fc'roces et les plus forts de tous les cirnassiers , et leur structure est admira- blemeht en hîihnonie iitec leurs mœui'S. « Continuellement en action la nuit et le jour, dit Uesmoulins, la ruse et la patience sont toujours les moyens qu'ils préfèrent; leur attaque est tou- jours une surprise: aussi leur oi-eille est-elle plus dévelo|>pée (pie dans les autres maunnifères pour entendre clair et de loin. L'dil des espèces nocturnes est aussi bien approprié aux habitudes de l'animal; outre (pie son volume et celui des lobes opti(pies sont trèsgrands, la ililatalion de l'iris, de plus un miroir réflecteur auipiel les moindres rayons de lumière difl'use ne peuvent échap- per, les recueille pour les renvoyer sur la rc'tine. L'odorat, moins actif ((ue dans les chiens, est pourtant snp('rieiir à celui de beau- coup de carunsbiers. Le gmlt parait le plus obtus de tous leurs sens. En effet, leur langue est plutôt un organe de mouvement; ses pointes conn'es, inclinées en arrière et redressables, servent aux chats a làpcr les parties molles et juteuses de leur proie. Un toucher trcs-d('licat réside dans leurs moustaches, ou pliit(it dans leurs bulbes; car les barbes ne font (pie transmettre l'impression du choc et de la résistance des objets. L'intestin est plus court (pie dans les autres carnassiers. La force musculaire est iuniien.se. llcuriMisenuiit la force irn'sistible dont pourrait disposer leur féroiit(' naturelle est laissée inactive par leur timide iirudencc pon('e jiis(pi'a la h'ichet('. Les chats ne courent |)as; cette impuis- sance tient moins au d.'faut d'une force d'impulsion suflisaiite (pi'a l'extrême flexibilité de leur colonne vertébrale et de leurs membres, incapables de conserver la rigidili' n('cessaire dans la course. En revanche, leurs bonds sont (■normes, lis se glissent, ramiient, grimpent, s'accrochent, se fourriut avec une adresse et une agilité incroyables. Hien de plus sur ((ue leur coup d'oeil; mais aussi, ipiand ils mampient leur coup, soit méfiance, soit dépit, ils se retirent ordinairement sans revenir ii la charge. Les femelles ont pour leurs petits une tendresse toujours prête à se dévouer, et (pii multiplie leur courage et leurs forces. Cette ten- dresse des mères contraste avec la jalousie qui fait quehpiefois des mâles les plus dangereux ennemis de leur propre postérité. Aussi les femelles se cachetlt pour mettre bas; et, pour mieux préserver leur famille, elles la changent souvent de retraite : cet instinct ne se perd pas même en douiesticit('. » L'intelligence des chats est généralement moins développée que celle des animaux des familles précédentes, et c'est encore une nécessité de leur organisation. Aucutie éducation ne peut exciter en eux des facnlti's dont ils n'ont pas les organes, et c'est à cela que l'on doit attribuer les habitudes farouches, le carac- tère inib pendauf et sauvage que le chat domesli(iue a conserv('s, malgré l'anliipiiti' de sa servitude. Aucune espèce connue ne vit en société, et l'amour même ne parvient à réunir le mâle et la femelle que pendant le court instant des désirs et de l'accouple- ment. Du reste, celte vie solitaire, celle antipathie pour la société, s'expliipient assez bien par les besoins individuels. La plupart des chats ne se nourrissant ipie de proies vivantes, il faut à cha- cun un espace de pays assez grand pour le nourrir, et tout ce qui vient lui disputer son gibier, partager ses moyens d'existence, est n('cfessaireiiienl un ennemi. L'instinet de la solitude, naissant de cette cause, parait in(l('léblle chez ces animaux; aussi tien- nent-ils au pays, à la loi alité, où, dès leur enfance, ils ont trouvé une suflisanie nourriture. Ils s'y alFectionnent, et même le chat domestiiiue le plus doux, le plus caressant, s'attache plus à la maison qu'à son maître; il ne la quitte jamais pour lui, et y re- vient si on l'a translt'ré dans une nouvelle demeure. Tous les chats ont, à bien peu de chose près, les mêmes for- mes, le même ensemble d'attitude, de gestes, de mouvements et de manières. Tous, pour exprimer leur satisfaction , même dans les plus grandes espèces, font entendre ce rourou qu'à Paris on aiipelle /î/erdans les chats domesticpies. Tous feulent en soufflant et montrant leurs dents de la même manière et dans les mêmes occasions, et ceiicndant leur voix varie beaucoup d'une es])èce à une autre : ]>arexemide, le lion rugit d'une voix creuse et pres- que semblable à celle d'un taureau ; le jaguar aboie comme un chien , le chat miaule; le cri de la panthère ressemble au bruit d'une scie, etc. De tous temps, les chats et les grandes espèces surtout ont été célèbres par leur cruauté et leur férocité prétendues indompta- bles. Le vrai est qu'ils sont beaucoup moins cruels tpie la plupart des petits carnassiers auxipiels nous ne faisons pas ces reprociics. La belette, la fouine, le renard, le loup, ]iar exemple, semblent donner la Uiort pour le plaisir de tuer S'ils |)éiiènent dans un poulailler, une basse-cour, une bergerie, ils n'en sortent pas tant qu il y reste un être vivant. Les chdts, ait contraire, h'attaiiuent que (juand ils ont faim, et se ciintentent pour l'ordinaire d'une seule victime. Au milieu d'un troupeau nombreux et sans défense, ils saisissent leur [iroic , la dévorent, et se retirent sans niêuic faire attention aux autres, jus((u'à ce (pi'une nouvelle faim les ramène; ils ne tuent jamais sans nécessité. Quant à leur prétendue féro- cité, elle n'existe |)as plus chez eux que chez tous les autres car- nassiers, ynoi ipi'on en ait dit, toutes les e>|>èces s'apprivoisent fort bien et sont susce|)til)les d'alTection iioiir leur maître. Ce qu'il y a de singulier, c'est (jne de toutes les esitèces ])cut-être lë chat doiiieslique est celle qui est le moins Susceptible de senti- ments aU'ectueux ; non pas ipie cela tienne à son caractère, mais à sa timidité et à l'habilnde ipie nous avons de le faire vivre avec le (bien, son enneini le plus redouté et le plus dangereux, et dont la présence lient conslammeut le chat dans un état d'irrita- tion et de frayeur (]ui ab.sorbe ses autres sentiments. Le lion se trouvait autrefois dans une grande partie de l'Eu- rope inéi'idionale. Il habitait en trè.s-grand nombre la .Macédoine, laThessalic, laTlirace, pridiablemeut la Grèce entière et loule la partie méridionale de l'Asie , depuis la Syrie jusqu'au Gange et 176 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. à rOxus. Aujourd'hui il n'existe plus en Europe, et n'est commun nulle part; l'on n'en voit plus que quelques-uns en Asie, dans la presqu'île de l'Inde. L'espèce se soutient encore en Barbarie , particulièrement aux environs de Constantine et de Bone, au Sahara , au Se'négal et au cap de Bonne-Espèrance ; mais on la refoule continuellement dans le de'sert, et il est à croire iiue bien- tôt les armes à feu l'auront entièrement de'truite. Les Grecs, qui ne connaissaient pas le tigre du Bengale , ont naturellement fait du lion le roi des animaux, parce que c'e'tait pour eux le plus grand et le plus fort des carnassiers. L'ayaut fait roi, il était naturel aussi qu'ils lui attribuassent les vertus que les rois de- vraient avoir, c'est-à-dire la][noblesse de caractère, la supériorité' y iV -f' ni % V -14,! ^f Le Guépard. du courage, la fierté, la générosité, etc. BufTon , en sa qualité d'écrivain plus qu'en celle de naturaliste , s'est emparé de ces idées , et nous les a transmises dans son style aussi brillant qu'i- nimitable. 11 est fâcheux que toutes ces belles qualités disparais- sent devant l'étude des faits. Comme tous ses congénères, le lion n'attaque (jue par surprise, soit qu'il attende en embuscade, soit qu'il se glisse dans l'ombre ou rampe à la clarté du jour, caché par (piehpie a!)ri , pour tomber à limproviste sur une victime longtemips épiée , et cette victime est toujours un animal faible et innocent, qui ne peut lui oi)|)oscr aucune résistance. Ce n'est que poussé par une faim extrême qu'il ose assaillir un bœuf ou un cheval; mais jamais il ne commence volontairement une lutte avec un animal capable de lui résister. Tout ce qu'ont dit les voyageurs du comlial du lion contre l'élépliant, le rhinocéros, riii|)popi>tame cl le ligre.est autant de suppositions hasardées qui ne itu'rilcut aucune foi. Sa nourriture ordinaire consiste en ga- zelles et en singes (|uand il peut les rencontrer et les saisir à terre. 11 se place ordinairement en embuscade dans les roseaux, autour des mares où ces animaux ont l'iiabilude d'aller boire le soir et le matin. Là il reste à guetter un temps infini, avec celte admirable patience qu'ont tous les chats. Si un animal passe à sa portée, d'un boiul prodigieux il s'élance sur lui , lui enfonce ses formidables griffes dans les (lancs, et lui brise le (;râne avec les dents. S'il manciue son coup, il ne cherche ])as à poursuivre l'a- nimal , et l'on a mis sur le compte de sa géru'rosité ce qui n'est que le résultat de sa conformation. En (■(I'<'t, il bondit, saule, mais il ne peut courir, et il marclu; avec une Icnleiir (pie I on a prise pour de la gravité. Le lion n'est pas aussi cruel (pie le tigre, al on dit; mais si, en se glissant dans l'ombre, il s'est approclié d'un krahal sans (Hre découvert, et (pi'il ait pu pénétrer dans un parc de moulons, il égorge tout avant de choisir la proie (pi'ij veut emporter ou dévorer. Il n'altaipu' pas les animaux (piand il n a pas faim , cela est vrai ; mais c'est simplement parce que, dans ses forêts, sûr de sa supériorité de force, n'ayant jamais attaqué un être qui ait pu lui résister, comptant sur une agilité qui n'est comparable qu'à sa force, il ne craint jamais de man(|uer de proie; après s'être repu avec voracité, il s'endort pour deux ou trois jours, et ne sort de sa retraite ou de son apathie que poussé par une nouvelle faim. Tel il est dans le désert; il n'a jamais peur j>arce qu'il n'a jamais rien à craindre. Dans les pays habités par l'homme, il n'a plus ni courage ni fierté. La nuit il rôde dans la campagne; s'il ose alors approcher des habitations, c'est pour chercher à s'emparer des pièces de menu bétail échappées de la bergerie ; il ne dédaigne pas même de prendre des oies et autres volailles quand il en trouve l'occasion. Enfin, faute de mieux, il se jette sur les charognes et les voiries, malgré cette délicatesse de goût qu'on lui suppose. Il est arrivé assez souvent à nos senti- nelles, à Constantine, de tirer et tuer des lions qui venaient pen- dant la nuit rôder autour de la ville, afin de manger les immon- dices jetées hors des murs. Si ce noble animal, comme disent les naturalistes, a la hardiesse de s'approcher en tapinois d'un trou- peau pour s'em|iarer d'un mouton , les bergers crient aussitôt haro sur le voleur, le |ioursuivent à coups de bAton, lui arrachent sa proie de vive force , mettent leurs chiens à ses trousses, et le forcent ainsi à détaler au plus vite. Il en arrive très-souvent au- tant au cap de Bonne-Espérance , quand les fermiers hollandais le surjjrennent rôdant autour de leurs écuries; ils en ont même quehiuefois tué à coups de fourche jusque dans des cours où ils étaient parvenus à se glisser furtivement , à la manière des loups. Néanmoins ce n'est pas sans danger que l'on attaque cet animal, tout ]ioltron qu'il est, car, lorsqu'il se sent blessé et qu'on lui ôte la faculté de fuir, il entre en fureur; et malheur à l'individu sur lequel il déjdoie sa force prodigieuse! "1 ' ^ '-=^ ^; M Le Lion. Le lion fuit la présence de l'homme; il ne ratta(|ue jamais pen- dant le jour, à moins qu'il n'y soit poussé par une faim atro(;e ; nous citerons comme ))reiive un fait qui s'est passé au Cap. Deux Hollandais (rAfii(pi(' vont un jour à la chasse; l'un d'eux s'ap- l>ro(he d'une mare, et un lion, à lad'ùl dans les hautes herbes, cri)yant entendre le bruit d'une ga/elle , s'élance et le saisit i)ar le bras avant d'avoir pu le distinguer; il reconnaît un homme, et, surpris de sa propre audace , ell'rayé de ce qu'il vient de faire, il reste immobile sans ni'anmoins lâcher sa victime; il a vu sa face imposante, et il lrcnd)le ; il ('('rme les yeux pour se (b'rober a I in- llucnce d'un regard (pii r('pouvanle. I.c malheureux Ikillandais, voyant (pie son ami ne peut tirer sur le monstre sans risquer de CHATS. m le percer lui-même d'une Icille, prend une eouiageuse résolution ; il pionie de la stupeur du lion pour glisser dans sa poclie la main qu'il avait libre; il en sort doucement son eouleau, l'ouvre, mesure son coup, et le plonge dans le cœur de l'animal. Mais yeux, mais cmore dans les rides de son fiont; sa demarthe est légère, t|Uoi(pie lente et toujours oblique. Sa voi,\ est terrible, et tous les animaux Irendjlent à une deuji-lieue à la ronile quand son rugissement lait retentir les forêts pendant la nuit,: c'est un cri Le Li. celui-ci en mourant deciiire sa \iciime , et tous deux roulent morts sur le gazon ensanglanté. Le lion atteint jusipi'à luit à neuf p'eds (2,. SOO^à 2,921) de Ion- L..^-^ gueur, depuis le bout du nez jusqu'à la naissance de Ja queue, mais seulement dans les déserts où il n'est pas in(iuiété et où il trouve une nourriture abondante. Le plus ordinairement sa taille prolongé, d uu liui grave, mêlé d'un frémissement ]dus aigu Lorsque le lion menace, il se ride le front, se plisse et relève les lèvres, montre ses énormes dents, et souffle de la même manière que le chat domestique; enfin, lorsqu'il attaipie, il pousse un cri court et réitéré subitement. Dans la colère , ses jeux devien- nent flamboyants, et brillent sous deux épais sourcils qui se re- ^■-^^1. La i loiu.i; ne di'passe pas cinq pieds et demi {l,78()) de longueur, sur trois et demi (1 ,157) de hauteur. Sa femelle est d'environ un quart plus petite ipie lui. Sa figure est imposante et mobile comme celle de I homme, et ses passions se peignent non-seulement dans ses lèvent et s'abaissent comme par un mouvenu-nt convulsif ; sa cri- nière se redresse et s'agite; de la queue il se bat les (lancs; il (juvre la gueule et laisse voir une langue hérissée d'épines poin- tues et tellement dures, qu'elles suffisent seules pour (icoreher 52. l'arin. Typograpbio Plcn fnt^rog . rue Hf \'niigirar't , :16 12 178 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. la peau et entamer la chair. Tout à coup il se bai.sse sur ses pattes lie devant, ses yeux se ferment à demi, sa moustache se he'risse, son agitation cesse , il reste immobile , et le bout de sa queue roide et tendue fait seul un ti-ès-petit mouvement de droite à gauche. Malheur à l'être vivant qu'il regarde dans cette attitude, car il va s'e'lancer et déchirer une victime. Quelque terrible que soit le lion, on ne laisse pas (Jue de Yk chasser avec des chiens appuye's par des hommes à cheval ; mais il faut que les uns et les aulres aient ete' dresses a cet exercice pour le faire sans danger. On le relance dans son fourre, on l'eii déloge, on le poursuit, et on parvient à le tuer. Le courage de ce roi des animaux ne tient pas contre l'adresse d'iiii llotlehiol ou d'un Nègre, qui souvent osent l'attaquer lêle à tête avec dès armes assez légères. Ils le prennent quelquefois en le l"aisànt tomber dans une fosse profonde qu'ils recouvrent avec des ma- tières fragiles au-dessus desquelles ils attachent un animal vivant. Dès (|u'il est i)risonni('i-, il devient d'une telle lâcheté, qu'on peut l'attaciier, le museler et le conduire où l'on veut, selon ce que dit Buffon. Cet animal, pris jeune, s'apprivoise fort bien, et il est môme susceptible d'attachement pour son maître et d'une certaine docilité. « Élevé parmi les animaux domestiques, dit l'écrivain (]ue je viens de citer, il s'accoutume aisément à vivre cl à jouer innocemment avec eux; il est doux pour ses maîtres et même caressant , surtout dans le premier âge , et si sa férocité reparait quel([uefois, il la tourne rarement contre ceux qui lui ont fait du bien. Comme ses mouvements sont très-impétueux et ses appétits fort véhéments, on ne doit pas présumer (pie les impressions de léducation puissent toujours les balancer; aussi y aurait-il quelque danger à lui laisser souffrir trop longtemps la faim, ou à le contrarier en le tourmentant hors de propos. Non- seulement il s'irrite des mauvais trailements, mais il en garde le souvenir, et parait méditer la vengeance, comme il conserve aussi la mémoire et la reconnaissance des bienfaits. » .le ne sui- vrai pas jilus loin notre grand écrivain, surtout quand il dit que « sa colère est noble, son coui'age magnanime et son naturel sen- sible; » toutes choses qui sont là pour le style et pour faire .il- lusion aux contes d'Androclès, du lion de Florence, et à cent autres inventés à plaisir et devenus célèbres par le manque de criti(iue des anciens écrivains. Dans ces animaux, la passion de l'amour est très-ardente. « Lorsque la femelle est en chaleur, elle est queliiuefois suivie de huit à dix mâles, dit Gesner dans son Histoire des animaux, et ils ne cessent de rugir autour d'elle et de se livrer des combats furieux. » .le doute beaucoui) de ce fait, et voici pounjuoi : Le lion est armé d'une manière si terrible , que tout combat livré à un animal de son es|)èce serait terminé en moins d'une minute par la mort de l'un îles assaillants et peut-être de tous deux, .l'ai eu dans mou cabinet les ongles d'une lionne; ils étaient longs de cinq pouces (0,153), très-gros à la base , tranchants en dessous comme (m rasoir, et aigus comme la (lointe d'un canif. (,es deuls de ces animaux sont d'une grosseur énorme, et les canines dé- passent les gencives de trois pouces. Avec de pareilles armes, le résultat d'une lulti' doit être prompt et mortel. En second liiMi, chaipie lion habite un canton assez grarid, où il ne soulire au- cun rival, et ce ne serait guère (|ue dans un rayon de quarante à cinipiante lieues que Ion i)ourrait trouver huit à dix mâles, même dans les contrées où ces animaux sont le pUis abondants. Il est ilonc croyable ipu; la femelle n'est suivie que par le mâle ipn habile son canton , et il est certain (pi':iussilôt après l'accou- plement, tous deux se quittent |iour re[irendre leur vie solilairr La LioNiNE a, comme tous les chats, ijualrc mamelles ; elle porte cent huit jours , fait de deux à cin(| petits qu'elle allaite cm-- dinaireuient six mois. Elle aime ses enfants avec une tendresse excessive. Quoiijue moins forte ipie le lion , elle oublie le danger, et, i>our les défendre , combat jusqu'à la dernière extrémiti'. Elle cherche toujours pour mettre bas lui lieu Irès-écarté et d'un dillicile accès. Lorsqu'elle craint la découverte de l'endroit où elle a caché ses petits, elle embrouille sa trace en retournant plusieurs fois sur ses pas, et finit par les cacher dans une autre retraite, queb[uefois très-éloignée, où elle les croit plus en su relé. Quand ils commencent à prendre de la force, elle va à la chasse, se jette indifléremmenl sur tous les animaux qu'elle ren- contre, les met à mort, se charge de sa proie , la partage à ses lionceau'x , et leur apprend à déchirer la chair palpitante. En naissant, les petits se ressemblent tous, (jucl que soit leur sexe; leur pelage est plus laineux , i)lus foncé que celui de leur mère, et ils portent une livrée de iielitcs raies brunes, transversales, silr les flancs et l'origine de la queue; ce n'est qu'à l'âge de cinq 6ii six âtls, tî'fest-à-dire lorsqu'ils deviennent complètement âuiiltes, qu'il ne resté plus aucune trace de cette livrée. La cri- nière qui pare les mâlëS ne commence à pousser qu'à l'âge de trois ans. Plusieurs fois des lionnes se sont accouplées à la mé- nagerie, et y ont élevé leiirs lionceatix. On a dit que, dans sa générosité, le lion donne quelquefois la vie aux animaux qu'on avait dévoués à la mort en les lui jetant, et le fait est vrai si on le met non siu' le couqite d'un sentiment généreux, mais sur celui*du caj'rice, et sur le besoin d'avoir un compagnon qui lui fasse supporter les ennuis d'inie ('troile ca|)- tivité. Parmi les lionnes qui ont vécu à la ménagerie, plusieurs ont souffert des chiens dans leur loge; mais une seule a montré de l'afFection pour son camarade de prison. Elle se nommait Constantinc, et avait été prise fort jeune dans le Sahara. On jeta dans sa loge un petit roquet noir et blanc, qui, tout effrayé, fut se cacher dans un coin en tremblant de tous ses membres. La lionne se leva lentement, et, râlant d'une voix sourde, s'appro- cha du pauvre animal , qui poussa un cri plaintif en la regardant d'un air suppliant, il paraît que ce regard plein de désespoir la toucha, car elle se recoucha tranquillement sans faire de mal au roquet. L'heure de la distribution venue, on jeta dans la loge le dîner de Constantinc; elle le mangea et en laissa une ])art pour son nouveau compagnon d'esclavage, qiù n'osa pas y toucher, car la faim la plus dévorante n'aurait pu le déterminer à quitter le coin noir où la frayeur le tenait blotti. Le lendemain il avait un ])eu moins peur, et il se détermina à manger la portion (pie la lionne lui laissa comme la veille; le second jour il se hasarda à sortir de son coin et à manger après elle ; huit jours après il mangeait avec elle, et huit aulres jours après il se jetait sur le diner, et ne permettait à la lionne d'en avoir sa part que lors- qu'il avait pris la sienne. Si Constantinc s'aiq)rochait , le roquet entrait en fureur, et, purement jiar caprice, lui sautait à la figure et la mordait de toute sa force. Il n'est rien de plus hargneux , de plus méchant (pi'un être faible qui a conipiis sur un être fort l'empire que la bonté et l'affection lui ont laissé prendre, et l'on pourrait en citer de trop nombreuses preuves prises ailleurs que chez les chiens et les lions. Quand l'automne fut venu avec ses journées froides et humides, le roipict , jiour être plus chaude- ment, jugea à propos de passer les nuits entre les cuisses de la lionne, et elle s'y prêta de fort bonne grâce. Pour récompense , dans ses accès de fureur, il se jeta un jour sur elle et lui mordit la (jueue avec tant de rage et de nK'chanceti' , «[u'il parvint à la lui coiqjer à moitié et à l'estropier ])our toute sa vie. Au bout de «pudipies anni'cs, le chien mourut, moitié de vieillesse, moitié d'un accès de colère , et la jiauvrc Constantinc ne put jamais s'en consoler. On lui donna plusieurs autres chiens, qu'elle étrangla; enfin elle laissa la vie à l'un d'eux, mais jamais elle ne lui mon- tra ni alf(tction ni complaisance , cl cll(^ mourut bicntiH après, coiisuiih'c d'ennui, de tristesse et peut-être de regrets. Du reste, si je me suis un peu étendu sur Ihistoire de Constantinc , c'est moins pour donner une idée du caractère des lions, que j)Our montrer par un exemple très-remarquable que, dans les animaux comme dans riiomme , on trouve des individus excentriipies qui sortent presipic tout à fait du caractère général de l'espèce. CHATS. 179 V Le TicRE {Fdia iigrif. Lin. Le Tigre royal de BriK. — G. Cuv. Le Hailja-huulan ou Arimaou-bessar des Malais. Le Mad'ym (jMé des Javanais. Le Lau-hu des Cliinois). Cet animal est la plus grande et la plus terrilde des espèces de son genre ; il égale et surpasse même le lion en grandeur, mais il est plus grOle , plus svelte , et sa tête est |)lus arrondie; ses jambes sont proportionnellement jdiis longues ; son nniseau court , ses mAilioires armées de dents énormes et lianeliantes, donnent à sa gueule une force prodigieuse. Sa langue est cou- verte d'épines recourbées du coté de la gorge , de manière à lui donner la faculté d'enlever d»;s lambeaux de peau d'un seul coup ; ses pâlies sont nuniies d'ongles puissants, qui se redressent vers le ciel et se cacbent entre les doigis dans l'état d(.' repos , par TefTet de ligaments élastitpies, et ne perdent jamais leur pointe ni leur trancliant Son pelage est d'un jaune vif en dessus, d'un blanc ]iMr en dessous, partout irrégulièrement rayé de noir en travers, ce ipii le distingue très-bien de toutes les grandes esiiè- ces de cbats ; sa e(iieue, noire au bout, est alternativement aiine- lée de celte couleur et de blanc; enfin, c'est un des plus beaux et des plus élégants animaux que l'on connaisse. Il habite les Indes orientales et leur archipel, les déserts qui séparent la Chine de la Sibérie orientale jnsques entre les rivières d'Irtisch et d'Is- chim, et même juscju'à l'Obi, quoi(pie rarement; il est commun dans le liengale, mais jamais on ne la trouvé en deçà de l'Indus, de l'Uxus et de la mer Caspienne. Ces limites bien tracées n'em- pêchent pas que presque tous les anciens voyageurs qui ont par- couru les contrées chaudes, non pas seulement en Asie, mais encore en .\frique el en Améri([ue, disent en avoir rencontré, et racontent à son sujet les choses les plus exagérées et les plus merveilleuses, loi, c'est le combat (l'iih tigre et d'un rhinocéros ou d'un crocodile ; là , il terrasse UH itlbnstrueux éléphant ; ail- leurs, il lutte contre un lion ; etc. Si on a paré le lion d'un courage, d'iine générosité, d'une no- blesse (pi'il n'a pas, eu lompensalinri oii s'est plu h nous peindre le tigre avec les couleurs les plus noires; on le repn'seute connue ayant une cruauté inouïe, une férocité iiidomplable, une soif de sang ([ui le dévore constamment; il n'y a pas plus de vérité dans ce jjortrait que dans l'autre. Le tigi'é ri'est pas plus cruel que le lion , mais seulement |)our approcher sa proie il met plus de ruse, pour l'attaquer beaucoup |dus d'audace, elpour la vaincre un courage (]ni ne cède qu'à la mort. Le lion annonce son ap- proche par des rugissements qui paralysent ses victimes : le tigre se glisse à petit bruit el les surprend; le lion se relire s'il tl-ouve une résistance : le tigre combat el se fait tuer. Telles sont les unièces de chats qui ont la peau mouchetée de taches noires et arrondies, sans s'inquiéter si le vrai tigre lui- même portait cette robe, ce qui n'est pas. Cette habitude n'a pas peu contribué à jeter la confusion dans l'histoire des espèces de chats, et BufTon, malgré sa critique et son talent, n'a pu se tirer de ce chaos. En outre, tous ces animaux tachetés ont entre eux une telle resseuddance, que Cuvier lui-même en est venu à douter s'il existait vraiment un léopard distinct spécifiquement de la panthère. » Si cela est, dit-il, je pense que ce doit être un animal dont nous avons reçu des peaux de l'île de la Sonde. » Il en ré- sulte que le premier ([ue nous avons décrit ne se trouverait que dans l'Asie, et que le second, celui de Temminck, habiterait non- seulement r.\sie, mais encore rAfrii(ue, et |)ourrait |iie(i [l'i-Hre, comme il le ilil, ([u'une simple variété de pelage de j'animaj au- quel on donne, à la ménagerie, le nom de panlhère. "' ' ' '" Quoi qu'il en soit, en .\fri(pie le léopard est célèbre pour son courage et sa cruauté. Il a l'air féroce, l'œil inquiet, le regard cruel, les mouvements brusipies, et, ajoute liulTon, les cris sem- blables à celui d'un ddgue en colère; U a même la voix plus forte et plus rauque cpie le chien irrité. Il se jjlaît dans les forêts touf- fues, où il épie et surprend tous les animaux plus faibles (pu- lui, pour s'en nourrir. Comme la panthère, il est d'une force et d'une agilité inconcevables, et il grinq)e sur les arbres pour y pour- suivre les chats sauvages. Quehpiefois , ainsi que le lynx, il sp |)la(e sur une grosse branche , et là , immobile , le cou tendu et l'oreille au vent, il attend qu'une antilo|ie passe à sa portée i)our s'élancer sur elle, la terrasser, la déchirer avec ses griffes et la dévorer. Il lui arrive au.ssi de rrtder autour des haliilalions pour saisir les animaux domestiques. Il ose même s'a|qiroclier en \>\vm joui- des troiq>eaux, et alors il euq)loie une patience et une ruse admirables |.our s'aiiprocher sans bruit et sans être aperçu de la victime que son œil a désignée. Il se coide lentement le long' d'un ravin; il se glisse à travers les buissons; il raiiq)e dans l'herbe comuie un serpent, en se traînant .sur le ventre. Si I ani- mal fait un mouvement dinquie'lude et lève la tète, le léopard se colle a la leiie et re,le immobile, en retenant mêaie sa respira- tion : puis, (piand l'animal rassuré s'est remis à paître, la même manœuvre recommence, mais avec encore plus de lenteur et de circonspection; il avance avec l'extrême soin de se masquer con- stamment derrière les objets placés entre sa proie et lui, et sa persévérance est tel|e, qu'il mettra deux heures, s'il le faut, pour arriver. Mais lorsqq'ij se croit à une distance convenable, prompt comme l'éclair, il se jette sur sa victime, la saisit et l'emporte dans le bois voisin en bondissant et en courant d'une telle vi- tesse , que ni chien ni berger ne peuvent l'atteindre. Quand il mam|ue sa proie, sa méfiance ne lui permet jias d'en choisir une autre, fùt-il au milieu du troupeau; il s'arrête, se relire ensuite lentement, en reculant, sans ôler ses yeux de dessus les chiens et le berger et en bravant leurs cris et leurs clameurs. Parvenu à une certaine dislance, il se retourne et se retire un peu plus vile, mais sans courir, en tournant souvent la tête et leur lan- çant des regards étincelants. Si, dans toute circonstance, on lui (ire Ufi coup de fusil et qu'on ne fasse que le blesser, loin de fuir, il se préci[)ite sur l'impnuleiit chasseur, et c'en est fait de bii s'il n'a pas d'armes pour se défendre, de camarades pour tirer sur le monstre, ou au moins des chiens foris et courageux pour le harceler et lui tenir lête. Si le coup de fusil l'a leuversé, il est dangereux de s'approcher de lui avant qu'il soit tout à fait ex- piré, c^r (jans ses ilerniers moments il concentre tout ce qui lui reste de force pour les employer à la vengeance. Les nègres lui tendent le même piège (pt'à la panthère et au lion. Dans un endroit (pi'ils reconnaissent j)our être fréquenté jiar lui, ils creusent une fosse profonde, recouverte de roseaux et d'un peu de terre, sur laquelle ils déposent pour a[ipat (piel- que bête morte, ou un agneau dont les bêlements attirent le léo- pard de fort loin. D'autres fois, quand les nègres sont en nombre, il» osent l'altaipier corps à corps, alin d'avoir sa peau, (pii est une fourrure superbe et de beaucoup de valeur. Ils parviennent à le tuer à coups de flèches et de sagaies, pendant que leurs chiens l'occupent et le harcèlent: mais, ipielque percé qu'il soit de leurs coups, il se défend avec rage tant ipi'il lui reste une étincelle de vie, et fort souvent il ne meurt i)as sans s'être vengé sur les chiens ou sur les hommes. Les négresses du Congo recherchent beaucoup ses dents pour s'en faire des colliers. Le TicRii-BoscuKAT ou Serval (Felis seri^al. Cjil. Le Chat du Cap de FoRSTEH. Le Chat-tigre des fourreurs. Les Felis galeopar- dtis et ca/)M!s/.s de Desm. Le Chat-pard our en laisser naître deux autres, terminées au tiers antérieur du dos; des ta- cjies isolées si)r le reste du corps; deux bandes noires à la face interne du bras, et la (picue annelée de noir; toutes les taches sont pleines. Cet animal habite les forêts du cap de lîonne-Esp('rance et de toute la partie méridionale de rAfri(pie. Il grimpe sur les arbres avec beaucoup (ragilil(' et s'occupe sans cesse à douTier la chasse aux singes, aux rats et aux autres petits animaux, (lu en a eu plusieurs à la ménagerie, mais j.imais on n'a pu les ajiprivoiser. Dans la captivité il parait indill'érent aux bons trailc'ments; les mauvais le font entrer dans une fureur que rien ne peut calmer, et il paraît impossible d'adoucir ou de diiui|iler sa f('rocité. Au Cip on recherche sa fourrure |iour en faire le commerce , parce qui', étant fort belle, douce et chaude, elle a une a'^sez grande valeur. Le Chat doré {Felis chrysolhrix et Felis aurata, Temm.) a envi- ron deux pieds et demi (0,812) de longueur, non compris la CHATS. 183 queue, qui est moitié' de la longueur du corps seulement, avec une bande brune tout le long de sa ligne médiane, et le bout noir ; les oreilles sont courtes, arrondies, sans ])inceaux de poils; le i)clage est très-roiirl, luisant, d'un rouge bai très-vif, sans taches sur les pai-lies supc'ricures, avec (|iH'l(|ues pclilcs taches brunes sur les flancs et le ventre; ce dernier d'un blanc rous- sâtre; la gorge est blanche; les oreilles sont noires en dehors, roussàtres en dedans, et les quatre pattes d"un roux dore. Sa i)a- trie est inconnue. Le Stf.pxaia-Koschka ou Manoit, [Felis 7na)uil, Pai.i.) est de la taille d'un renard; sa queue, loufTue, touchant à terre, est niar- (]ui'e de si.K à neuf anneaux noirs; son pelage est d'un fauve roussàtre uniforme, très-toniru et très-long; il a deux points noirs sur le sommet de la tèle , et deux bandes noires parallèles sur les joues. Son nuiseau est très-court, et il lui manque la dent madielière anti'rienre (pi'ont lesaulres clials. Temminck n'a point admis celte esjièce; mais la figure bien caracte'rise'e qu'en a donnée Pallas ne laisse aucun doute sur son existence. Ce chat, toujours selon Pallas, serait la souche de notre chat d'Angora, probablement à cause de sa fourrure dont les poils ont de vingt à vingl-huit lignes (0,Oi(l à 0,06 '►) de lon- gueur. Le manoul habite surtout les solitudes les plus nues des vastes steppes rocheuses qui s'étendent entre la Chine et la Si- bérie ; il parait qu'il ne se plaît pas dans les bois , où il n'entre jamais, et qu'il préfère les pays stériles et hérissés de rochers; aussi n'est-il pas rare dans la Daourie et dans toutes ces contrées comprises entre la mer Caspienne et l'Océan, au sud du cin- quauledeuxièine degré de longitude. C'est un animal nocturne, qui ne sort que la nuit du trou de rocher où il dort pendant le jour, pour aller faire la chasse aux oiseaux et aux petits mammi- fères dont il se nourrit. C'est surtout à la timide famille des liè- vres qu'il fait une guerre aussi acharnée (pie cruelle. Le Chat oiiscuK [Felis ohscura , Desm. Le Chat noir du Cap, Fr. Cijv.) a le pelage d'un noir un peu roussAtre, avec des bandes transversales d'un noir foncé et très-nombreuses : il a sept an- neaux à la queue. Cette espèce douteuse se trouverait au cap de Bonne-Espérance. Le Chat iif. [.a Cairiiue [Fdh cafra, Desm.) est d'un tiers plus grand que notre chat sauvage. Il est d'un gris fauve en dessus et fauve en dessous; les paupières su|)érieures sont blancliAtres; sa gorge est entourée de trois colliers ; il a vingt bandes brunes transversales sur les flancs ; huit bandes noires lui traversent les pâlies de devant, et douze celles de derrière; sa cpieue est lon- gue, à (|ualre anneaux bien maripu's, et termin.'e de noir. M. La- lande l'a trouvé dans la Cafrerie. Le Chat ganté [Fe-litmaniculata, Www — Tkmm.) est à peu près de la taille du chat domestique. Il est d'un gris fauve, avec la plante des pi(;ds noire; il a sur la tête sei)t ou huit bandes noires, étroites et arquées : sa queue est longue, noiie au bout, avec deux anneaux rapprochés de cette couleur; la ligne de son dos est noire; les parties inférieures sont blanches, nuancées de fauve sur la poitrine; la face çxtei'ne des pieds de devant a qua- tre ou cimi jK'lites bandes transversales brunes , et la face interne deux grandes taches noires; il porte cinq ou six petites bandes sur les cuisses. Il habile l'EgypIe et probablement toute la partie septentrionale de l'Afi-ique. Le Chat nu BtXGALE [Felia bengalensist, I)i;sm,) est d(' la taille du chat ordinaire; ^pn pelage est d'un gris fauve en dessus, blanc en dessous; son front est marqué de ipiatre ligues longitudinales brunes, et les joues de deux; il a un collier sous le cou et un autre sous la gorge; des lâches brunes i:\ allong<'es s'('leudint sur son dos; .ses pieds et son ventre sont nipuchelés de brun ; sa queue est brunâtre, avec des anneaux peu apparents. Il habile le Bengale. Le Chat iio.vrsTujuK (FcU$ catus. Lin ) est trop généralement connu lie nos lecteurs ])our «[ue nous perdions noire tenqts à le décrire, description qui d'ailleurs serait fort difficile, au moins pour les couleurs, pui.scpie, ainsi que tous les animaux soumis à une antic|ue domesticité, son pelage varie de mille manières. Quant à son type, le cbat sauvage, il ne varie pas, et nous allons donner sa description : Son pelage est d'un gris brun un lieu jaun;Mre en dessus, d'un gris jaune pâle en dessous ; il a sur la tèle ipiatre bandes noirMrcs qui s'unissent en une se\de plus large régnant sur le dos; des bandes transverses très-lavées sur les flancs et les cuisses; du blanc autour des lèvres et sur la mâ- choire inférieure; le museau d'un fauve clair; deux annea\ix noirs près du bout de la ipieue, (lui est également noir, ainsi ipie la plante des pieds. Il a vingt-deux pouces (0,506) de longueur, non compris |a queue, c'est-à-dire qu'il est de très-peu plus grand que le chat domesti(]\ie. Malgré sa petite taille , on retrouve dans le chat sauvage les habitudes des grandes espèces. Le chat sauvage était autrefois assez commun dans toutes les grandes feinlre et savait habilement placer dans ses tableaux des ombres noires pour faire ressortir davantage les brillantes couleurs dont il embellissait les scènes principales, mais ces ombres, ces i)arlies sacrifiées, tombaient-elles toujours juste? Non, et nous en citerons comme preuve Ihisloire du chat, qu'il a chargée de sombres couleurs ('videinment pour l'aire valoir celles du chien. Ces oppositions sont fort habiles, trcsq)iquanles, mais elles ne S(uit pas vraies. Il a calomnié le chat, comme nous allons le montrer en rapportant le portrait qu'il en a fait. « Le chat, dit-il, est un domestique infidèle ipi'on ne garde que par uécessili', pour rojiposer à un autre cniiciui domesliijiie encore plus incommode et ()u'on ne peut chasser : car nous ue comi>lons pas les gens (pii, ayant du goût ])0ur toutes les bêles, n'<'levent des chats que pour s'amuser; l'un est l'usage, l'autre l'abus. Et quoiipie ces animaux, surtout quand ils sont jeunes, aient de la geiitilbsse, ils oui eu même lemjis une malice innée, un carac- lèrc faux, un naturel pervers que l'Age augmente encore, et que rs4 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. l'éducation ne fait que masquer. De voleurs de'leraiine'.s , ils de- viennent seulement, quand ils sont bien élevés, souples et flat- teurs comme les fripons; ils ont la même adresse, la même sub- filit', le même goût pour faire le mal, le même iiencbant à la pelile rapine; comme eux ils savent couvrir leur marche, dissi- muler leur dessein , épier les occasions, attendre, choisir, saisir l'instant de faire leur coup, se déi-ober ensuite au châtiment, fuir et demeurer élois^nés jusqu'à ce qu'on les rappelle. Ils pren- nent aisément des habitudes de société, mais jamais de mœurs : ils n'ont que l'aïqiarei.' .' de l'altaeliement : on le voit à leurs mouvemeuls obliques, à leurs yeu.\ ('quivoques; ils ne regardent jamais en face la personne aimée; soit défiance, soit fausseti', ils prennent des détours pour en approcher, jiour chercher des ca- l'esses auxciuelles ils ne sont sensibles que pour le jilaisir (|u'elles leur font. Bien dilTi'rent de cet animal fidèle, dont tous les sen- timents se rapportent à la personne de s(mi maiire, le chat ne paraît sentir que pour soi, n'aimer que sous condition, ne se prêter au commerce que pour en abuser; et, par cette conve- nance de naturel, il est moins incompatible avec l'homme qu'avec le chien , dans lequel tout est siueère. » ^-^t^-'^^-^^i^ Voyons maintenant ce que ce |iortrait a d'exagéré et de faux. Si le chat est voleur, et tous ne le sont pas, c'est toujours la faute de ses maîtres. Les uns, ])ar parcimonie, lui refusent une quantité sudisante de nourriture; d'autres, par un cruel pré- jugé, ne lui en donnent pas du tout, sous j)rétexle qu'il cesse de chasser aux souris dès qu'il trouve à manger à la maison ; ce pré- jugé du moins contredit la prétendue férocité du chat, qui, ainsi que la plupart des autres animaux , ni- donne la mort (pie pous.sé parla faim. Dans la maison, il hid)ile avec un rival pr.Téré, un eniiiMui moilel, le chien, toujours prêt à le polu' se glisser furtivement dans la cuisine, y sai--ir avec subtilité un niis('rable morceau de viande pour apaiser une faim dévoraiile , et voila de la perversité! .Mais il n'est |)as un chien de chas.se ipii n'en fasse autant dans l'occasion , avec plus d'audace à la vérité, et on ne l'accuse pas de mampier de mœurs, d'être pervers, de ne se prêter au commerce i|ue pour en abuser. Le ch.it n'est farouche et savivage (pi'autaut (pi'il est (b'daigné et uudiraité; (pianci il est i'lev(' avec douceur, il s'attache à son maiire, lui nioulre ib- r.ilT'ectieu (1 oli'it même à sou coiuHinnderueul II est susceptible d'éducation autant que son intelligence bornée le lui permet; j'en ai vu qui donnaient la patte, qui contrefaisaient le mort, et même qui rapportaient comme un chien. Buffon lui-même dit (pie des moines grecs de l'île de Chypre en avaient dressé à chas.ser et à prendre et tuer les serjienls. Il est vrai (pi'aju'ès une antique servitude , le chat n'est devenu (pi'à moitié domestique , et qu'il a su conserver son entière indépendance; mais ceci re'- sulte purement de son organisation physique et non de son mo- ral. Animal exclusivement de proie, il a les habitudes, les gestes de ces animaux, ([uoi((u'il en ait perdu le caractère, au moins dans les grandes villes, où l'on a soin de lui, où ses besoins, ses appétits sont constamment satisfaits. On dit qu'il s'attache plus au logis qu'à ses maîtres, et cela est vrai, mais seulement dans les maisons où l'on s'in(|uiète peu de lui, où il n'a pas pu placer son afrcclion suj' queb|u'un. S'il a et- adop!é par une iiersonne, (ju il en ait re(;u des soins, des amitiés, qu'il s y soit attaché, il la suit dans un autre logis, s'y établit, y reste, et ne pense pas à retourner dans celui qu'on lui a fait quitter. En résumé, le chat est d'un caractère timide; il devient sau- vage par poltronnerie, défiant par faiblesse, rusé par nécessité. Il n'est jamais méchant que lors(ju'il est en colère, et jamais en colère (|ue lorsqu'il croit sa vie menacée; mais alors il devient dangereux, parce que sa fureur est celle du désespoir, et qu'a- lors il combat avec tout le courage des lâches poussés à bout. H a conservé de son indépendance autant qu'il lui en fallait pour assurer son existence dans la ))osition que nous lui avons faite, et si on rend celte position meilleure , comme à Paris , jiar exem- ple, où le peui)le aime les animaux, il abandonnera aussi une partie de son indépendance en proportion de ce (pi'on lui donne en aireclion. La challe est plus ardente en amour que le mâle, ce qui est une exception dans la nature ; elle entre couimMiiéuient en cha- leur deux lois ]iar an, en automne et au printemps; elle porte cin(iuante-cinq à cin(piante-six jours, et ses portées ordinaires sont de quatre à six petits. Comme les mâles à demi sauvsges sont sujets à dévorer leur progéniture, la femelle cache ses petits dans des trous ou d'autres lieux retirés, et elle les transporte ailleurs et les change de place à la moindre apparence de dangc r. Après les avoir allaités ipiebpies semaines, elle leur apporte des souris, des petits oiseaux, et les accoutume peu à peu à vivre de |iroie. Il arrive quelipiefois aux jeunes mères qui mettent bas pour la première fois de manger leurs petits au lieu du placenta (jue mnugeut toutes les espèces d'animaux, (lelle erreur de l'in- tilligence animale estime des bases fondamentales sur laiiuelle on ('tablil la fi'rocité de l'espèce. Mais ceci arrive encore plus souvent aux lapines, et je ne vois pas que pour cela liiiiron ail avancé (|ue le lapin est un animal féroce. Le chat est joli , b'ger, adroit, plein de grâce, et sa robe est toujours d'iuie pro|>relé recherelK'e ; ses poils soyeux, secs et lMStr('s s'('lei-ti-isent aisé- ment, et si on les frotte dans robsciirit(' on en voit sentir des étincelles. Lor.sque la femelle est en chaleur, elle s'échappe de la maison , et va qut hpiefois s'accoupler avec les chats sauvages. Les petits (pii en r('sullent sont fort beaux , mais on les dit jdiis fa- rouches (pie leur mèie. La longueur ordinaire de la vie d'un chat est de dix à (juinze ans. CHATS. 186 §2. CHATS D'AMÉRIQUE Le Jaguar [Felis onça, Lin. L'Onza des Portugais. Le Tlatlanqui- Oceloll (l'Hernanilès. La Grande Panthère des fourreurs. Tiyris americanus, Boi.iv.). Après le tigre et le lion , cet animal est le plus grand de son genre. Azzara dit en avoir mesure un (pii avait six pieds (I OiOj de longueur non compris la queue, qui elle-même était longue de vingt-deux pouces (0,596). Son pelage est d'un fauve vif en dessus, senie' de taches plus ou moins noires, ocellées, c'est-à- dire formant un anneau plus ou moins comjdet, avec un point noir au milieu; ces lâches sont au nomlire de ([uatre ou cin(], par lignes transversales, sur cha(|ue (lanc ; (pudipiefois ce sont de simples roses; elles n'ont jamais une rcgularit(' i)arfaite, mais elles sont constanuncnt jileines sur la tête , les jambes, les cuisses et le dos, où elles sont allongées, sur deux rangs en quehpie partie, sur un seul dans une autre. Tout le dessous du cor|)s est d'un beau blanc , semé de grandes taches noii'cs, pleines et irre'- rement dans les eslères et les grandes forêts traverse'es par des fleuves , dont il ne s'éloigne pas plus (jue le tigre , parce qu'il s'y occupe sans cesse de la chasse des loutres et des paras. Comme lui, il nage avec beaucoup de facilité, et va dormir, pendant le jour, sur les îlots , au milieu deS toufTes de joncs et de roseaux. Souvent il fait sa proie d'ini bœuf ou d'un cheval, et il est d'une force si prodigieuse, ipi il le traîne aisément dans les bois pour le dévorer. En plaine, le jaguar fuit presijue toujours et ne fait volte-face que lorsqu'il rencontre un buisson ou des herbes hautes dans les- quelles il puisse se cacher. Dans ces retraites, il attend sa proie, se lance sur son dos en poussant un grand cri, lui pose une patte sur la tête , de l'autre hii relève le menton , et lui brise le der- rière du crâne. Pendant la nuit, sa hardiesse est extrême; de six hommes dévorés parles jaguai-s, à la connaissance d'Azzara , deux furent enlevés devant un granil feu de bivouac. Heureuse- ment ipi'il ne lue que lorsqu'il a faim, et qu'une seule victime lui suflit à la fois. 11 vit cantonné avec sa femelle; et, dans les anses peu profondes des fleuves, il pêche le poisson, (pi'il enlève Le Jaguar. gulières. Le dernier tiers de la queue est noir en dessus, annelé de blanc et de noir en dessous; l'extrémité affleure la terre sans traîner. Le jaguar est répandu depuis le Mexiipw exclusivement, juscpie d;His le sud des jiampas de BiU'nos-Ayres, et nulle part il n'est phis commun et plus dangereux (|ue dans ce pays, malgré le climat pi-es(iuc tcuqiéré, et la nourriture abondante ([ue lui fournit la grande quantité de bétail qui paît en liberté dans les plaines. 11 y attaque constamment l'homme, tandis que ceux du lirésil , de la Guyane et des parties les i)lus chaudes de l'Amérique fuient devant lui , à moins qu'ils ne soient pressés |)ar la faim ou (pi ils aient été attaipiés les premiers. Les buis marécageux du Parana, du Paraguay et des pays voisins , sont peut-être les en- droits où cette esi)èce s'est le plus multipliée, et où les aecidiiits sont le plus frécjuents. Elle était encore si nombreuse au Para- guay, après rexi)ulsion des jésuites , qu'on y en tuait deux mille par an. selon d'Azzara; mais au commencement (h' ce siècle leur destruction annuelle n'allait pas à mille Cet animal est éga- lement très-commun dans la Guyane et le Brésil, et l'on entend ses cris presque régulièrement le malin au lever du soleil , et le soir à l'entrée de la nuit. Ces (M'is sont flùtés, avec une trè.s-forte aspiration i)ectorale, et se fout entendre à une Irès-grinde dis- lance Il en a un autre qu'il (loussc quarul il est irriti' ou ipi'il va fondre sur sa proie. Ce dernier ressendde à un rftlement profond ([ui se termine par \m l'elat de voix terrible et pro|)re à é|ii)uvaM- ler l'homme le plus intrépide. Cet animal se plait ii.ulicuiie- très-adroitemcnl de l'eau avec- sa patte. Il mange aussi les jeunes caïmans, et atta(iue même les plus grands, tels que le ca'iman à lunettes {Allijalor sclerops, Cuv.), très-commun à la Guyane, au Brésil et à la colondiie. Mais il arrive (piehpiefois que le ciocodile le saisit par un memlire avec ses puissantes uulehoircs , et l'en- traîne dans le fleuve pour le noyer. L'iiisliuct du jaguar lui ré- vèle alors le seul moyen qu'il y ait pour faire lâcher prise à son ennemi; il lui enfonce les griffes dans les yeux, et la douleur fait aussitôt ouvrir la gueule au caïman, qui dégage ainsi le ja- guar et devient sa proie. Le jaguar ne rôde guère ipie la nuit; il dort peuilaut le juur, couchi' au pied d'im arbre ou dans le milieu d un ('pais taillis. Si le hasard fait qu'on le reiiRonlrc en cet état, il faut se gaiiler de prendre la fuite , de pousser des cris ou faire quelque mouvement extraordinaire, si l'on ne veut se vouer à une mort inévitable. Le parti le plus sur est de se retirer lentement , en rerulnot cl tenant les yeux fixés sur ceux de l'animal, et de s'arrêter s'il marche sur vous. Alors il s'arrête lui iuêm(t et ne reeouniu'nce à vous suivre que lorsque vous cherchez à vous éloigner. De halte en halte on parvient ainsi à gagner un lieu habité. Si l'on est armé et(iu'on veuille !(• tirer, il faut le tuer d'un seul coup, car il se précipite sur le chasseur au feu de l'amorce ou s'il n'est (|ue blessé. Malgi'i' tout ce que cet animal a de terrible, des gaiui- clios (Espagnols nc'S au Brésil) osent l'attaquer corps à corps et sans armes à feu l'n homme s'arme dune lance longue de cin(| pieds: sur s(ui br.w gauciic il iiorte une peau de mouton garnie 186 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. de son épaisse toison , et il s'avance hardiment dans le buisson où il sait que le jaguar s'est retiré. A l'instant où le monstre se dresse sur ses pieds de derrière pour s'élancer, l'intrépide chas- seur le perce de sa lance. S'il manque son coup, il abandonne à l'animal sa peau de mouton , et pendant que celui-ci s'acharne dessus, il reçoit un second coup de lance qui l'étend mort sur la place. Quand le jaguar est chassé par une meute de chiens ap- puyée d'un bon nombre de piqueurs, il fuit en fri'niissant de colère et en se retournant souvent jiour faire tète à ses ennemis. Dans ce cas on emploie souvent le lasso pour s'en emparer. Le lasso est une corde de cuir, tressée dans sa fraîcheur, d'iin ppuce et demi au moins (0,Oil) de circonférence, longue de vingt à trente pieds (0,197 à 9,715) très-flexible, avec un nœud (oulant à son extrémité. Un gahucho, monté sur un excellent cheval, poursuit le jaguar au triple galop; il tient d'une main son lasso, qu'il fait tourner sur sa tête, le lance autour du-cou de l'animal féroce avec une adresse (jui ne manque jamais son coup, et con- tinue à galoper en le traînant après lui jusqu'cà ce que le jaguar expire étranglé. Malgré sa grande taille, cet animal grimpe sur les arbres avec autant d'agilité qu'un chat sauvage , et fait aux singes une guerre cruelle. A Buenos-Ayres , les grands animaux savent se défendre contre lui sans l'assistance de 1 homme. Les bœufs se mettent en cercle, croupe contre croupe, lui présentent leurs cornes, et parviennent assez souvent à le tuer s'il se précipite sur eux avec trop d'impétuosité. Les chevaux se défendent en lui lançanf i|es ruades, et ceux qui sont entiers, loin de fuir devant lui, le pour- suivent quelquefois lorsqu'ils l'aperçoivent, et le mettent en fuite. Les chiens dressés à la chasse du jaguar sont de moyenne taille, mais pleins de force et de courage. Leurs aboiements le mettent hors de lui ; il s'arrête au pied d'un arbre et joue des pattes de devant, et tous ceux qui sont atteints sont ordinairement éventrés d'un seul coup. On profite de ce moment pour le t'i"er, en ayant soin de ne pas se montrer, car aussitôt (ju'il aperçoit le chasseur il laisse là les chiens et se lance sur lui. Le plus souvent il grimpe sur un arbre, et on l'abat à coups de fusil. Le Jafjuérété de Marc- grave, ou Jaguar noir [Felis nigra, Erxl.), n'est qu'une simple variété accidentelle de cet animal, de même que le Jaguar blanc ou albinos dont parle d'Azzara. Le Goi;a7.ouai\\ ou Coucuar (Felis puma, ïraill. Ffiis conculur, Lin. Le Lion pwna des colonies espagnoles; le Miizli du Mexique ; le Pagi du Cliili; le Tigre rouge de Cayenne). Le gouazouara atteint ordinairement quatre pieds (1 ,299) de longueur, et (pudquefois davantage, non compris la queue, qui a vingt-six pouces ((t,70l). Son jielage est d'un fauve agn'able et uniforme, sans aucune taciie; sa queue est noire à l'exlri'mité, et ses oreilles sont aussi de cette couleur. Il ressemble un peu au lion, mais il n'a ni crinière ni flocon de poils au bout de la queue; son corps est plus allongé, plus bas sur jambes, et sa tête, pro- l)ortionuellcniciit |)lus petite, est ronde comme dans les chats ordinaires. Dans sou ])remier Age , il porte une livrée comme le lioncisui. Il se trouve dans le Paraguay, le lin'sil , la (luyaue et les États-Unis. Le couguar de Pensylvanie, de Dufl'on, en est une très-légère variété. De tous les chats, le gouazouara doit être le ])lus féroce, car il est le seul de cette famille ([ui tue les animaux pour le plaisir de tuer, sans ipi'il y soit |)0usséi>ar la néccssili'. S'il tiDUVc le moyen de |)énétrer dans un |)arc de ciriqu^iiile moutons, il les met tous à mort avant d'en manger ou d'en enq)orlci' un. Sous ce rajqiort il a quehpie ressendilance avec le loup, et, si on étudie son his- toire , on lui trouve etuore (pielques analogies de mœurs avec cet animal, l'ar exemple , après avoir satisfait sa voracité, il cache le reste de sa proie et le rouvre de feuillage, d herbe ou de sable, pour le retrouver au besoin : et, soit (pi'il ait plus de nu'moire ou moins de méfiance que le loup , il revient, ce que ne fait jamais ce dernier. Il se lient plutôt dans les ])amiias ou plaines herbeu- ses (|ue dans les forêts, et il n'affectionne pas les bords des ri- vières, conmie le tigre et le jaguar. Il a une vie solitaire et des habitudes vagabondes; la nuit il vient rôder autour des habita- tions , et il tâche de se glisser dans les basses-cours pour les dé- vaster. Il s'empare des chiens , des moutofis , des cocjions et au- tres animaux incapables de lui résister; mais jamais il n'ose attaquer le gros bétail, à moins qu'il n'y soit poussé par une faim excessive. Ce qu'il y a de singulier, c'est (pie, à Cayenne, on le regarde comme plus dangereux que le jaguar, tandis que l'opinion contraire règne à Buenos-Ayres, où il est très-commun. Quant à moi, je pense que s'il attaque l'homme, c'est par une exception extrêmement rare , et hors de ses habitudes ordinaires ; je su[ipose que, lors(]ue cela lui est arrivé, c'était pour sa défense et à la suite d'une agression. 11 monte aussi sur les arbres, mais en s'élançant d'un bond, soit pour monter, soit pour descendre; et non comme le jaguar, en grimpant à la manière des chats. Cet animal est lâche; aussi, à Buenos-Ayres, rarement se donne-t-on la peine de le chasser dans les règles. On le poursuit avec des chiens , et on le tue à coups de fusil , ou on le prend au lasso, sans courir le moindre danger. Cependant, malgré sa fé- rocité, le gouazouara est facile à apprivoiser, et même il s'atta- che assez à son maître pour chercher ses care.sscs et les lui ren- dre. Azzara en a possédé un qui était fort doux, qui le suivait, cpji faisait entendre le ronron de nos chais (piand on le grattait, et qui se laissait même battre sans chercher à se défendre, abso- lunienf comme ferait un chien. Le Chat unicoi.ore (Felis unicolor, ïraii.l.), comparé au cou- guar, est de moitié plus petit; son pelage est en entier d'un fauve brun rouge sans tache, et sa queue est longue; ses oreilles n'ont ])oint de noir, sa tête est beaucoup plus pointue, et ses petits ne ' portent point île livrée. On le trouve dans les profondes forêts de Demerary et de la (iuyane hollandaise. Le ÇouGUAR Npm (Fdis discolor, Scureb.) serait noir, avec des poils longs, ainsi que les moustaches. Mais Buiron, qui lui donne pour synonymie le jaguérété de Pison, s'est probablement liouqx', et son couguar noir, qu'il dit se trouver à Cayenne, ne serait, selon Cuvier, qu'un couguar ordinaire à fond du pelage un peu plus brun. Du reste, je regarde cet animal comme une variété I du puma. Le Yacouaroundi (Felis yagouaroundi, Df.sm. — Lacép.) est de la taille d'un chat dome.stiipie. En petit, il ressemble a.ssez au cou- guar par ses formes allongées; mais son pelage est d'un brun noirâtre, piqueté de blanc sale; les poils de la queue sont plus longs (|ue ceux du corps, et ceux de sa moustache sont à longs anneaux allernaliv<'meul noirs et gris. Cette espèce s'apprivoise assez ais{jiieiit. Klle vit solitaire, ou le mâle et la feuielle ensem- ble, dans les lieux lourr('S et les taillis ('pais, sans jamais s'expo- ser en plaine. Elle se nourrit d'oiseaux, auxipiels elle ne fait la chasse (pie ])en(lant la nuit, et elle habite le Paraguay, et proba- blement le (;hili. Le CiiAï A VF.NTRE TAcnK (Fclis cclidogasler, Ti:m.m.) est de la grandeur de notre renard ; son i)elage est doux, lisse, court, d'un gris de souris, uiar(iu(; de taches pleines d'un brun fauve; les taches du dos sont oblongues et les autres rondes; il a cinq ou six bandes brunes demi-circulaires sur la poitrine; le ventre est blanc, manpié de taches brunes; il a deux bandes brunes sur la face interne des pieds de devant, et (piatre sur les pieds de derrière ; sa (picuc est un peu i>lus courte (|ue la moili(' totale de son corps, brune, tachée de biiin foncé ; .ses oreilles sont médio- cres, noires à l'extérieur; ses moustaches sont noires, leiininées de blanc. Il habile le Chili ou le Pérou. Ses mn'urs sont les mêmes (juc celles de l'ocelot. Le Miia(:aka(;a, ou MAr.ACAVA , ou Ocelot (Félix pardalis, Lin. Le Chihigouiizou, d'A/./.ARA, l.'Ocelut , Buir.). Ce joli animal a environ trois pieds ( 0,075 ) de longueur, non coui])ris la ([ueue, qui a quinze pouces (0,40GJ; sa liau- CHATS. 187 teiir ne dépasse pas un pied trois pouces (0,406); on pj-e'tend qu'il y en a d'un peu plus grands, mais ils sont rare?. Le fond de son pelage est d'un gris fauve; il a sur les (lancs et la croupe (•ini( haniles olili(iiies d'un fauve |)lus fonce ijue celui du fcind , bordées de noir ou de brun ; une ligne noire s'étend du sourcil au vericx ; deux autres vont obliiiueuient de l'œil sous l'oreille , d'où part une bande transverse noire, interrompue sous le milieu du cou, el suivie de deux autres parallèles; on lui voit (piatre lignes noires sin- la nuipie, deux sur le coté du cou , trois jdus ou moins interrompues, le long de l'épine du dos; le dessous de son corps et l'intérieur de ses cuisses sont blancliAires, semi's de taches noires isolées. Sous le nom d'ocelot, Hufl'on a fait l'his- toire du jaguar. Le mbararaga est un animal absolument noctiirne, (Iil| ne sort (pie la nuit des fourrés impént'trables (piil habile. Tant ipi'il fait jour il dort, et il conserve même cette habitude dans la captivité. Cette espèce offre cela de particulier que d'une Ijmidité excessive pendant lejour, elle devient dans les ténèbres 4'uiie audace donf rien n'approche. Sa taille ne lui permettant pas (j'attaquer de grands animaux , l'ocelot se glisse furtivement autour des habi- tations, p('nètre dans les basses-cours, enjève |e premier animal domesli(iue /.. Le Cliat pécari, Sciiomb.) ressemble également au mara- caya , à ces différences près: son pelage est i)lus clair; sa (piciie notablement plus longue et moins mince vers l'extnîtiijti!; sa taille est i)lus petite, son corps [dus allongé, ses jambes plus basses, et les taches de ses lianes moins étendues. Il h.dpile le liirsii. Le CuATi (Felis mitis, Fii. Cuv.) a vingt-deux pouces el demi (a,(ilOj de longueur, non compris la ipieue , qui en a dix (0,i>7l). .Son |ielage est fauve, ou d'un gris bruuMre iii^li.ssaiil sur les Il nus : blanc aux joues et sur le coi [.v ; mouilielé à la tt>te comme l'ocelol, avec trois séries de taches noires le long du dos; celles des lianes , des ('paules et de la croupe sont d'un fauve foncé , bordées de noir tout autour, excepté en avant, et elles forment cinq rangs; il a dix ou onze anneaux noirs à la (pieue. Son mu- seau esl couleur de chair. Celte jolie espèce se trouve au lirésil et au Paraguay, où elle est fort commune. C'est un animal très- doux, extrêmement aisé à apprivoiser, et s'attachant aux per- sonnes qui en prennent soin. Son miaulement est plus grave, moins étendu que celui de notre chat, avec lequel, du reste, il a de grandes analogies d'habitude. Le Clic.na [Felis (jui(j7ia , Moii>a) pourrait bien n'être qu'une variété du margay. Il est de la grandeur de nos chats sauvages, dont il a les formes gi'nérales ; son pelage est fauve, marqué de taches noires, rondes, larges d'environ cinq lignes (0,011) et s'étendant sur le dos jusqu'.i la ((ueue. Il habite l'Amérique mé- ridionale, et particiilièremenl le Chili. Le Coi.ocoLio on Cai.o-Caia [Felis colocoUo, Fi\. Ci;v.) est de la grandeur de l'ocelot ; son pelage est blanc, avec des bandes transversales, fjexneuses, noires et fauves. Sa queue est anneh'e jusqu'à sa pointe de cercles noirs. Il se trouve au Chili. Le &|Anr.Aï [Felis tigrina, Li.n. Le Margaij de Berr. Le Chat de la Caroline de Coi.i inson) a un ]>eu jilus de vingt et un pouces (0,869) de longueur, non compris la ipieue, qui en a onze (0,298); son ])elage est d'un fauve grisAtre en dessus, blanc en dessous; Il a quatre lignes noirâtres entre levertex et les ('paules , se pro- longeant sur le dos en série de taches; les taches des flancs sont longues, obliipies, plus pâles à leur centre qu'à leur bord; il y en a une verticale sur r('|)aule, et d'autres ovales sur la croupe, les |)ras et les jambes; les pieds sont gris, sans taches, et la queue porte dotjze ou quinze anneaux irréguliers. Cet animal a les mœurs de notre chai sauvage, et vil de petit gibier, de vo- laille, etc.; mais il est trèsdiiricile à apprivoiser, et ne i)erd ja- mais son caractère farouche. Il habite le lin'sil et la Guyane. Le CiiAT i)K .MONTAGNK [Felis morilana , Desm.) est une espèce peu connue, douteuse; son pelage est grisâtre et sans taches en dessus, blanchâtre avec des taches brunes en dessous ; ses oreil- les sont dépourvues de pinceaux, garnies de poils noirs en de- hors, avec des taches blanchâtres et fauves en dedans; sa (]uetie esl courte, giisAlre. 11 habite les monts AUeghanys, les monta- gnes du P('rou et les Etals de New-York. L'EvRA [Fe.iis eyra, Dusm. L'Eijra d'AzzAiu) a vingt pouces (0,542) de longueur, non compris la queue, qui en a onze (0,298); son pelage est d'un roux clair; il a une tache blanche de chacpie côté du nez, eluiie autre de la même couleur à la mâchoire in- férieiire ; ses moustaches sont ('gaiement blanches ; sa (pieue est |i)S touffue riue celle du chat domesti(|ue. Le prince de Neuwied a retrouvé en Améri(pie. Il habite le Paraguay. fJe Pajehos ou Chat i>es Pampas [Felis pageros, Desm. Le Chat pampa d'AzzARA) est long de vingt-neuf pouces (0,783), non compris la (pieue, (pii en a dix (0,271); son pelage est long, (l()ux, d'un brun clair en dessus, montrant, sous une certaine incidence (|e Ifimière , une raie sur l'échiné et d'autres parallèles sur les flancs ; la gorge et tout le dessous du corps sont blan- cliA|res, avec (le larges bandes fauves en travers; les membres sont fauves à l'exlérieur, annelés de zones obscures; les mous- taches sont annelées de noirci de blanc, et se terminent ]>ar celte dernière couleur. Ce chat habite les pampas des environs dp Buenos-Ayres. Le Chat de i.a Fi.ohide [Felis floridana, Desm.) est une espèce douteuse (pii aurait, selon l'.:irines(pie , le port d'un lynx, et la taille un peu moindre (pie celle du eliat-cervier. Son p(dage est grisâtre; il n'a pas de pinceaux aux oreilles; .ses flancs sont va- ri('s de taches d'un brun jaunâlre el de raies onduleuses noires. Il habile non-seulement la Floride, mais encore la Géorgie et la Louisiane. Le Chat he i a Nolvei.i.f.-Espagne [Felis mexitana, Besm. Le Chat sauvage de la iXuiivelle- Espagne , lien-.) esl une espèce donleuse admise par Desmarets. Son pelage est d'un gris bleuâtre uni- forme , nu)uclielé de noir. 11 habile les forêts de la Nouvelle- Espagne. Le Chat ^i.(;llE [Felis niger) sérail, selon Azzara, un peu plus grand (pie notre chat ordinaire. Il a vingt-trois pouces (0,023) de ISS LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. longueur, non compris la queue, qui en a treize (0,352); son pelage est enlièi-ement noir. Il habite le Brésil , et n'est peut-être (ju'une varit'te nègre d'une des espèces pre'oe'dentes. Le CiiAï Doiu: 'Felis aurea , Desm.) est encore une espèce dou- teuse dont Rafinesi|iie a fait un lynx , quoi(pie ses oreilles soient dépourvues de pinceaux. Il est de moiti(' plus grand que notre chat sauvage ; sa queue est très-couite ; son pelage est d'un jaune Teraminck, il ne serait qu'une varie'té. Lesson pense que c'est une varie'té' de la panthère des Indes. Ayant vu l'animal vivant, je ne puis parlager ni l'une ni l'autre de ces opinions. Le Kt;vi;c {Felis minuta, Tomm. Felis javanensis et Felis undaia, Desm. Felia fouinai raim e( Felis javanensis, WoR^r. Le Chat Je Java, Ci!v. Le Chat onde, le Servalin et le Chat de Sumatra, des au- teui-s). Il a la taille et un i)eu les formes de notre chat domes- ^^Hf^'^li Le Cousuar ou Puma clair hrillant, parsemé' de taches noires et blanches; son ventre est d'un jaune pâle sans taches. On ne l'a trouvé en Ami'rique que sur les bonis de la rivière Yellow-Slone , vers le quarante- quatrième parallèle. On peut ajouter à la suite de ces espèces, les /'i7(.s hrasiiiinsis , Fit. Cnv. Arnillatus, Fii. Cuv. Elegans, Lesson Tous les trois du Brésil. tique, mais sa queue est plus courte et plus grêle, et ses oreilles sont plus petites; son pelage est d'un fauve brun clair en dessus, moins foncé sur les flancs; le dessous est blanc; des bandes et des taches noires s'étendent parallèlement du froni aux épaules, et d'autres occiq)ent les parties supérieures du corps. Sous cette robe c'est le Servalin ou Felis minuta de Temminc k. I. Ocelot. § 3. CHATS DES ILES ASIAiloUES DE L ARCHIPEL DES INDES L'AiiiMAOU ou Mei.as {Felis mêlas, Pi.uoni est de la taille d'une panihère; son pelage est d'un noir Irè.s-vif, sur Icfpiel se dessi- nenl des zones de même couleur, mais (pii semblent plus luslrées. 11 n'iiabile ipie les disliicls les plus isol('s de l'ile de .lava, et ses habitudes sont les mêmes (|ue celles du b'upard , dont, selmi Avec le j)el;)ge d'un gris brun clair en dessus et blandiMre en ilessoiis; (piatre ligiU'S de taches brunes allongées sur le dos; des lâches rondes, épaisses, sur les flancs; une bande transversale sous la gorge et deux ou trois autres sous le cou , c'est le Ciial de .lava ou Felis javanensis d'ilorslield et de Desmarets. Enfin , avec le pelage d'un gris sale, parseuu' de pelites taches noirAIres un peu allongées, c'est le Chat onde ou Felis undata de Desmarels. CHATS. 1S9 Toutes ces varii-tés se troiivenl ('gaiement à Java et à Sumatra. Elles ont absolument les mêmes habiluiles (|iie notre eliat sau- vage. ^ Le Chat de Diauu (Felis Diardii, G. Cuv.) a trois pieds de lon- gueur (0,975), compris non la queue, qui a deux pieds (pialre pouces (Oj'.yS); le fond du pelage est d'un gris jaun;Mre; le dos et le cou sont semés de taelies noires formant des bamles longi- tudinales; d'autres taclies descendent de l'épaule en lignes per- pendiculaires au.\ précédentes, sur les cuisses et une pariie des flancs, et les anneaux sont noirs, à centre gris; il a des taches noires et pleines sur les Jandies; les anneaux de sa queue sont nuageux. 11 habile Java. Le Polzchori des (".('orgiens. Le Lynx ordinaire des auteurs) est d'une grosseur à peu près double de celle du chat sauvage. Son corps est long de deux pieds quatre pouces à deux pieds dix pouces 0,738 à 0,9il) , et sa queue ne dépasse pas (piatre pouces (0,108); le dos et les membres sont d'un roux clair, avec des mouchetures d'un brun noirâtre; le tour de l'œil, la gorge, le dessous du corps et le dedans des jambes sont blanch'ilres; trois lignes de taches noires sur la joue joignent une bande obli(|iie , large et noire, placée sous l'oreille de chaque coté du cou, où les poils, plus longs qu'ailleurs, forment une sorte de collerette; il a ((uatre lignes noires |)rolongées de la nuque au garrot, et au milieu d'elles une cin(piième interrompue; des bandes mouche- Le Carîioal. v' L'Arimaoi!-Daiian (Fclis macrocelis,'ïrMV. lù'lis iiehulnsa,GR\Fr'.) a trois pieds (0,!)7.'j) de longueur, non compris la (pieue, qui a deux pieds huit pouces (0,867) ; il est gris, avec des taches noij-es, transversales et très-grandes sur les épaules, oblicpies et plus (■Iroiles sur les lianes, où elles sont séparées par des taches an- guleuses, rarement ocellées; ses pieds sont forts et munis de doigts robustes; sa queue est grosse et laineuse. Ce chat habite Sumatra et lioi'uéo ; il fait la cliiisse aux oiseaux, et sa grande taille lui permel d altai|i](;r les bêles fauves. § l. LES LYNX, dont la fourrure est généralement plus longue que celle des autres chats, dont la quiuc est courte, et dont le caractère est d'avoir les oreilles terminées par un pinceau de poils. Le Loup-CEiivniii (l'élis lijn-v, Ltn. Le Warrirhu' ou Lo des Sué- dois. Le /.i/s- des Danois. Le Coupe des .Norvt'giens. Le liijx os- trouidz des Polonais. Le Itys des Husses. Le Sijlausin des Tatares. tées obliques sin- l'épaide, transversales sur les jambes; les pieds d'un fauve pur, excepté le tarse, qui est rayé de fauve brun en arrière; enfin la queue est fauve, avec du blanc en dessous et des mouchetures noires. D'autres variétés ont les taches et bandes moins foncées, la queue rousse avec le bout noir; tout le des- sous du corps blanchâtre, et la taille plus petite. Fischer en cite une variété blanchâtre. Le nom de loiqi ceivicr, ([lu' porte ce lynx, peut lui avoir t'té doiiiu' par les chasseurs, pai'ce ipie , ainsi (|ue le loup, il jiousse un Inirlcmeut ipie l'on peut prendre pour celui d un de ces ani- maux, et ((u'il atlacpie les faons et les jeunes cerfs de préférence à toute autre proie. Quoi qu'il en soit, le loiip-cervier existait au- trefois en France et en Allemagne; mais à prt'seni on ne l'y trouve plus, si ce n'est peiit-élrc dans cpiclques granch's foréls des Alpes et des Pyrénées. Il parait (pi il se Irouve encore assez fi('(piemment en Fs|)agne , et ipi'il est très-commun dans les fo- rets du nord de l'Asie et dans le Caucase. Dans ma jeunesse, les vieillards des Pyrén('es se souvenaient encore d'avoir vu i|uelques i90 LES CARNASSIERS DIGITIGRADES. lynx , et ils en racontaient des choses efFroyables , moins clas- siques que les contes des Grecs sur le caracal, mais beaucoup plus dans le goût du jour. Cet animal féroce suivait les voyageurs égarés, et ne manquait Jamais de les dévorer s'ils avaient le maj- lieur de tomber; il les fascinait avec ses yeux, et les rendait muets. Pendant l'obscurilé de la nuit, il pénétrait dans les ci- metières pour déterrer les cadavres. Il eût été bien plus dange- reu.x encore, s'il n'eût pas manqué totalement de mémoire, au point que, lorsqu'il suivait une personne à la piste, la moindre diversion lui faisait oublier et sa poursuite et sa victime, qui par- venait ainsi à lui échapper. Mais laissons là ces contes de nos aïeux , et revenons h la véiité. Le loup-cervier, étant d'une assez grande taille, attaque par- fois les faons des rhevreuils et des cerfs, même lorsqu'ils sont parvenus à plus de la moitié de leur grosseur. Aussi agile que fort, il grimpe sur les arbres avec facilité, non-seulement pour surprendre les oiseaux sur leur nid, mais encore afin de pour- suivre les écureuils, les martes, et même les chats sauvages, qui ne peuvent lui échapper. Quelquefois il se place en embuscade sur une des basses branches, pour attendre, avec lilië J)aliencë admirable, que le hasard amène à sa portée un rehtie, iin cerl', un daim ou un chevreuil. Alors, ainsi que le glouton, il s'élance d'un seul bond sur leur cou, s'y cramponne avec ses ongles, el ne hVche i)rise que lorsqu'il les a abattus, en leur brisant la pre- mière vertèbre du cou ; il leur fait ensuite un ti-bil dèrrièi-e le crâne, et leur suce la cervelle par cette ouvei-lilrè, hti itioyen de sa langue hérissée de petites épines. Rareriiehl il attaque une autre partie du cadavre des grands animau.x, à moins (|u'ii iie soit très-i)ressé par la faim. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il em])orte le corps pour le cacher dans un fourré, si c'est un petit animal; et si c'est un grand, il le couvre de feuilles sèches et de bois mort, quoiqu'il ne revienne jamais le chercher. Est-ce, comme on le dit, manque de mémoire, ou est-ce déliance? Pris jeune et élevé en captivité, il s'ai)i>rivoise assez bien, et devient même caressant ; mais i)0ur le conserver il faut le tenir à l'atta- che, car, dèsiiuil en trouve l'occasion, il fuit dans les bois pour ne plus revenir. Quoique ses formes soient un peu ('j)aisses, il est plein de grftce et de légèreté; son œil est brillant, mais cepen- dant plein d'expression et même île douceur. Comme le oiiat , il est d'une propreté recherchée, et passe beaucoup de teuqisà'.se nettoyer et à lisser sa jolie robe. C'est un grand destructeur d'hermines, de lièvres, de la|)ins, de perdrix et d'autre gibier; aus.si les chasseurs russes lui font-ils une guerre cruelle, (pii en diminue journellement le nombre. Sa fourrure est assez re- cherchée. Le Paiiiie [Felis pardina , Okkn. — Te.mh. Le Chat-pard des voya- geurs. Le Loup-cervier des académiciens de Paris) est de la taille de notre blaireau; sa queue est j)liis loHftùe que «elle du louji- cervicr; il a de grands favoris aux joues; soli pelage est court, d'un rmix vif et lustre", paj\sriné de rtiècties bli lâches longltudi-^ nales d'un noir iji-ofond , avec de semblables lâches .sur la queue. Il habite les contrées les plus i haiules il^ l'fcuroi)e, telles que le Portugal, rEsjiague, la Sicile, la l'urquie et la Sardaiguc. C'est prol.ahlement lui (pie Rory de Saint-Vincent attes , a\ec des taches noires dans l'adulte, brunes dans le jeune Age. Il habite le nord de l'Asie. Il a les mêmes mœurs (pie les précédents, «ais sa grande taille et sa force le rendent jdus redoutable pour «.'faons et autres aiii- iraaux Innocents. Le Lynx des a.ncie.ns ou Caracal (l'élis caracal, Lin. Le Lynx de Barbarie et du Levant des voyageurs. Le Siagoush des Persans, L'Anak-el-Ared des Arabes. Le Lynx africain , d'Aldrovande. Le Kara-Kalach des Turcs. Le Roode-h'ai des Hollandais du Cap). Le caracal a deux pieds cinq pouces (0,7iHri) de longueur, non compris la queue, qui a dix ])ouces (0,271), c'est-à-diic qu'il est de la taille d'un de nos plus grands barbets. Son pelage est d'un roux uniforme et vineux en dessus, blanc en dessous; ses oreilles sont noires en dehors, blanches en dedans; sa queue lui atteint les talons; il a du blanc au-dessus et au-dessous de l'œil, autour (les lèvres, tout le long du corps et en dedans des cuisses : sa poitrine est fauve , avec des taches brunes; une ligne noire part de l'œil et se rend aux narines ; il a une tache de la même cou- leur à la naissance des moustaches. Cette espèce a fourni plu- sieurs variétés, qui sont : Le Cnracul d'Alijer, (pii est roussAlre, avec des raies longitudi- nales ; il a une bande de poils rudes aux (piatre jambes, et ses oreilles mancjuent quelquefois de junceaux; c'est le Gat-el-Kaltah des Arabes ; Le Caracal de \uhie, dont la tête est plus ronde; (jui n'a ])oint ilè croix siii' le pelage, mais qui porte des taches fauves sur les |>arties internes et sur le ventre; Le Caracal de Ilemjiile, dont la queue et les jambes sont plus longues que dans les précédents. Le lynx habité l'Afrique, l'Arabie et la Perse. Il y a jieu d'ani- maux qiii , dans l'ëlitiquité , aient autant prêté à la fable que celui-ci. Les Grecs l'avaient consacri' à Racchus,et trè.s-souvent ils le i'epr('sentaieht atleh- au char de ce dieu. Pline en raconte les choses les plus merveilleuses; selon lui, il avait la vue si per- çante, qu'il voyait très-bien à travers une muraille ; son urine se jiétrifiait et devenait une jiierre précieuse nommée lapis lyncu- rius, (jui , oufie son éclat , avait la propriété de guérir une foule de maladies. Les Grecs racontaient cette histoire : Cérès envoya un jour Triptolènie eu Scytliie, chez le roi Lyncus, pour civiliser ses sauvages sujets, en leur apprenant l'agriculture. Mais ce roi barbare , qui i)référait la guerre et la chasse à la civilisation , reçut fort mal ce cultivateur, et le jeta dans une prison pour le faire mourir de faim. Cércs vint fort heureusement au secours de son favori ; elle l'enleva de son cach(d , et, |)oiir se venger, elle changea le roi en lynx. Depuis ce temps-là, Lyncus et ses descen- dants n'ont cessé de chasser et de faire la guerre aux animaux paisibles. Le lynx a les mœurs du chat sauvage , rien de moins, rien de ])Uis : mais, comme il est jilus fort et )ilus gros, au lieu de se contenter de menu gibier, il atla(pie de grands animaux, tels (|ue gazelles, antilopes, etc. On dit (pi'il suit le lion pour recueil- lir les débris de sa proie , mais ce fait me parait singulièrement liasard('. Lors(pi'il attaipie une gaztdie , il la saisit à la gorge, r('liangle, lui suce le sang et lui ouvre la tête pour lui manger la cervelle, après (pioi sollvent il rabandonne p jambes sont longues, son museau obtus, ses oreilles pourvues de pinceaux très-coiu'ts; il a une bande noire ilepuis le boril anté- rieur des yeux jusqu'au museau ; son pelage est d'un gris clair jaunâtre; le bout de sa queue est noir, avec deux anneaux de la même couleur qui en sont rapproches. Il habite l'Egypte, la >'u- bie et le Caucase; il est surtout commun sur les bords du Kur et du Terek. Il offre une i)artieularite rare parmi les chats, c'est d'ê- tre un excellent nageur, et de se plaire dans l'eau, où sans cesse il est occupe à faire la chasse aux canards et autres oiseaux acpiati- ques, et aux reptiles. Il vient aussi à bout de s'emparer des pois- sons en plongeant. Le Lynx dotté (Fdis caligata, Bruce. — Temm. Felis Hhycus, Oi.iv.) a vingt-deux pouces de longueur (0,59{'>), non compris la queue, qui en a ])rès de quatorze (0,579), et «lui est grêle ; ses oreilles sont grandes, rousses en dehors , à pinceaux truns très- courls ; la plante des pieds et le derrière des patles sont d'un noir profond; le milieu du venire et la ligne moyenne de la jioi- trine et du cou sont d'un rouss;Ure clair; les parties sup»'rieures du pelage d'un fauve nuance de gris et parsemées de poils noii's; les cuisses sont marquées débandes peu distinctes, d'un brun clair, il a deux bandes d'un roux clair sur les joues; la queue est de la couleur du dos à sa base , terminée de noir , avec trois ou quatre demi-anneaux vers le bout, séparés par des intervalles d un blanc [)lus ou moins pur. H habite l'Afiiquc, de[)Mis l'ÉgypIe jusqu'au cap de lionne-Espérance, et le midi de l'.Asie. «Cet animal, dit le voyageur Bruce, habite le Uas-el-Fcel, et, tout petit qu'il est, vit fièrement parmi ces énormes dévastateurs des forêts , le rhinocéros et léléphaut, et dévore les d('bris de leur carcasse, quand les chasseurs ont pris une ])arlie de la vianaie, avec des taches noires; ses moustaches sont roides et noires ; il a deux taches de Ja même couleur sous les yeux , et ses oreilles sont garnies de jioiis lins ; ses jambes sont nùnces, tachées de noir. La femelle à les formes plus légères que le mâle; elle est d'un gris roussàlre , sans aucune tache sur le dos; son ventre est d'un blanc sale, avec une seule tache noire. Si l'on ne considérait pas les pinceaux des oreilles comme le seul caractère qui tranche les lynx des autres chats, il faudrait piobablement rapporter à celle section le chat de montagne, celui de la Floride et le doré. Cuvier pensait ipie ce ne sont ipie de simples variétés du chat-cervier. Tous les animaux du genre chat fournissent au commerce des fourrures plus ou moins pré- cieuses. LES CARNIVORES AMPHIBIES, SIXIEME ORDRE DES M1M.MIFERES. Le Hioque comDiun. Ils se (lislinguent tle tous les autres mammiréres carnassiers par leurs pioils extrcîiiienient courts, plats, envelopp('s |>ar la peau, palme's, en forme de nageoires, ne pouvant leur servir qu'à ram- per pe'nililemenl sur la terre, mais très-propres à nager. Par le le mot amphibie il ne faut pas entendre que l'animal peut vivre sous l'eau et sur la terre , mais seulement qu'il habile l'un et l'autre, et cpi'il respire l'air atmosphericpie seulement, ce qui le force à se maintenir à la surface des ondes, ou à y venir respirer (piand il a plongé. LES PHOQUES ont des canines et des incisives, et leurs canines supérieures sont de grandeur ordinaire, non en l'orme de défense. L'histoire de ces animaux est encore très-embrouillee. Comme tous les pho(pies ont à peu près les mi''mcs mœurs, les munies habiluiles, à de très-petites nuances près qui seront signa- le'es en drcrivaul les espèces, je pense qu'il est nc'cessain; de faire ici leur histoir,', a(iu d'i'viter des redites ennuyeuses et sans but. Jusqu'à ]trt'seut nous avons trouve les animaux, objet de nos études , dans le sein des forêts , dans les steppes de l'Asie , les savanes et les pampas de l'.Vmi'rique, les di'seris brûlants de l'A- fri(pie, et les riantes cami).igucs de l'Kurope ; maintenant nous allons les suivre a travers b^s éiueils cl les récifs <|Ni bordent toutes les mers , et Juscpie sur les glaces éternelles des pôles. Nous les verrons se jouer à travers les tempêtes, sur les vagues irritées, passer la plus grande partie de leur vie dans les eaux, s'y nourrir de poissons, de crustacés et de coquillages (piils pè- chent avei- beaucoii|) d'adresse, et ne venir à l<'rre, où ils ne peu- vent se Iraiuer (pi en rampant, ipie i)our allaiter leurs petits ou dormir au soleil. Leur corps allongé, eylin(lri(pie , dimiiiiiant progressivement de grosseur depuis la poilrin(\jus(|u'à la queue, leur colonne verli'brale très -mobile , leurs muscles puissants, leur bassin étroit, leurs poils ras et serrés contre la peau, en un mot toute leur organisation en fait les meilleurs nageurs qu'il y ait parmi les mammifères, -^i l'on en excepte les ci-lacc's. La nature leur a donné une confoimation particulière qui leur permet de respirer à d'assez longs intervalles , et par conséipieni de rester longtemps sous l'eau, cpioicpi'ils n'aient ]ias le trou bolal bouché, comme l'ont prc'tendii qiiehpies naturalistes, et iiarliciilièrcmeiit liud'ou. Leurs narines offrent aussi une paitii'ularit(' reinarqu.dde: elles sont munies d'une sorte de petite valvule ipie l'animal ouvre et ferme à volonté, et qui empêche l'eau de leur entrer dans le nez lorsqu'ils plongent. Un fait extrêmement singulier, mais no- toire , est (pie ces animaux ont riiabitiub' constante , lorsipi'ils vont à l'eau, de se lester ccunmeon fait d'un vaisseau, en avalant des cailloux , qu'ils vomissent en revenant au rivage. Certaines espèces reclierelient les plages sablonneuses et abritées, d'autres les rocs battus par la mer , d'autres enfin, les toufTes d'herbes épaisses des rivages. Ils ne se nourrissent pas exclusivement de l)oissons ; car lorsipi'ils ])euvent saisir (piehpie oi.scau aqualiipie, un albatros , une mouette , ils n'en manquent guère l'occasion. Pendant leur s('jour à terre ils ne mangent pas, aussi maigris- sent-ils beaucoup. Même en captivité, pour dévorer la nouiritnre (pion leur jette ils la plongent dans l'eau; ils ne se déterminent à manger à sec que lors(pi'ils y ont été habitués dès leur pre- mièi'e jeunesse, ou (pi'ils y sont poiissi's par une faim extrême. PHOQUES. lOI Quand les phoques veulent sortir de la mer, ils choisissent une roche plate ipii s'avance dans l'eau en une pente douce par la- quelle ils grimpent, et qui se termine de l'autre par un bord à pic, d'où ils se précipitent dans les ondes à la moindre apparence de danger. Pour ramper, ils s'accrochent avec les mains ou les dents à toutes les aspérités ([u'ils peuvent saisir, puis ils tirent leur corps en avant en le courbant en voûte; alors ils s'en ser- vent comme d'un ressort pour rejeter la tête et la poitrine en avant, et ils recommencent à s'accrocher pour répéter la même opération à chaque pas. Néanmoins, malgré ce pénible exei-cice, ils ne laissent pas que de ramper assez vile, même en montant des pentes fort ruides. Le rocher sur lequel un |)lioque a Ihahi- Les plioqufs sont polygames, et il est rare qu'un mâle n'ait |ias trois ou cpiatre femelles. 11 a pour elles beaucoup d'an'eclion, et les défend avec courage contre toute atta(iue. Il s'accouple au mois d'avril, sur la glace, sur la terre, ou même dans l'eau (juand 1,1 mer est calme. C'est surtout pendant cpie ses femelles sont pleines, et (juand elles niellent bas, (pi'il redouble de soins et de tendre.s.se pour elles. Il les conduit sur terre , leur choisit, à cin- ([uante pas du rivage, une place commode et tapissée de mousses a((uati(pies, pour y allaiter leurs petits. Dès que la femelle a mis bas, elle cesse d'aller à la mer pour ne pas abandonner son en- fant un seul instant; malscelle privation n'est jins de longue durée, car, a])iès douze à quinze jours, il est en état de se Irai- Les Plioques, vue de la mer Glaciale. tude de se reposer avec sa famille <'st sa propriété, relativeuu'ut au.\ autres animaux de son espèce. Ouoi(pi'ils vivent en grands troupeaux dans la mer, qu'ils se pi(it('gcnl , se défendent, s'ai- ment les uns le.s autres, une fois sur la terre, ils se regardent comme dans un domicile sacré où nul camarade n'a le droit de venir troubler la tran(piillité domeslicpie. Si l'un d'eux s'approche pour visilcr les pc'nales de ses voisins, il s'ensuit toujours un combat terrible, e La Pu.aïe [Calocephalus lagurus, Fr. Cuv. Phoca lagurus, G. Cuv. Phoca Pilayi , Less.) a trois pieds trois pouces (1,036) de longueur; il est d'un gris cendré et argenté en dessus, avec des taches éparses et d'un brun noirâtre; les flancs et le dessous sont d'un cendré [iresque blanc; les ongles sont noirs, robustes; les moustaches médiocres, en partie blan- ches et eu partie noirâtres, et gaufrées comme dans le j)lioque commun. 11 habite les côtes de Terre-Neuve. Le Calocéphale lièvre (Calocephalus leporinus, Fr. Cuv. Phora leporina, Lepech.) a quatre incisives à chaipie mâchoire ; sa lon- gueur e.st d'environ six pieds et demi (4,111); les poils de ses moustaches sont épais et forts, placés sur quinze rangs; les bras sont faillies, les mains petites, la queue courte et épaisse : son pelage est long, peu serré, hérissé, d'un jaune pâle, excepté sur le cou, qui porte tme bande transversale noire. Dans sa jeunesse il est d'un gris noirâtre , avec de petites taches plus foncées sur le dos. Il habite les mers borc'alcs , la lîalti((ue et les cotes d'Eu- rope. Dans la servitude, il mange sous l'eau, souffle comme les ehats quand on linquiète, et ne cherche pas à mordre, mais à égratigner. Le Neitsek (Calocephalus hispidus, Fr. Cuv. Phoca hispida, ScHR. Phoca fœiida, Mull. Le Phoque neitsuak, 1!ufe. Phoca Schreberi , Less.). Il ,tir, Péron) a de sept à dix pieds (2,274 à 5,2 iS) de longueur ; son |)e lage est ras, court et très-serré, entièrement noir en de-sus, avec le ventre blanc; ses moustaches sont lisses. Cet animal est fort intelligent, et s'apprivoise très-bien; il est mèiue docile cl obéit au commandement de son maître , qu'il allèctionne beau- coup ; il est commun dans la mer Adriatique, et se trouve aussi , dit-on , sur les côtes de Sardaigne. 5'= Genre. Les MACRORHINS [Macrorhinus, F. Cuv ) ont trente dents, savoir : quatre incisives supérieures et deux inférieures, crochues comme les canines, mais plus petites; (piatre canines fortes ; vingt molaires , dont les racines sont simples, plus larges que les couronnes qui imitent un mamelon pédicule. Le MiouiiouNc, ou Piiooue a trompe [Macrorhinus. probusciih'us, F. Cuv. Phoca proboscidea et Phoca Ansonii, Desm. Phoca leoninii, Lin. Phoca elephantina , Moi.ina. Le Loup marin, Pernettv. Le Phoque à museau riJé, Forsï. Le Lion marin, Da.mp. — Anson. L'EIrphant marin, Péron, et les voyageurs anglais. Le Lame, Molina). Cet animal atteint de viiigl-cin(| à trente ])ieds (8 à 10 mètres) de longueur, sur quinze à dix-huit (i,872 à 5,«i7j de cir- conférence ; son pelage est ras, grisâtre ou d'un gris bleuâtre, ipichpiefois d'un brun noirâtre, ruinet d'Hunter, à Londres. Elle a six incisives supérieures, dont la seconde exté- rieure est plus forte que les autres et resseudde à une canine ; les crêtes occipitales et sagittales sont trcs-saillantcs, ainsi que raj)ophyse niastoïde. L'animal avait e'te' trouvé sur les côtes des lies Marianes. G» Genre. Les (ARCTOCÉPII.\LE.S Arctocephalus, Fr. Cuv.) ont trente-six dénis, savoir : six incisives supi'rieujes dont les ((iialre moyennes sont profonde'ment échancrces dans leur milieu, et T-'GEMiE. Les l'LATYmiViNUUES (Platyrhynchun, Fr. Cuv.) ont le même système dentaire (pie dans le genre précèdent, mais les incisives sont iiointues, et les niflchelicres n'ont de pointe secon- daire qu'à leur partie antérieure; leur crâne est très- élevé, et leur museau élargi. Le Lion marin (Platyrhijnchus leoninus, Fr. Cuv. Olaria jubata, Desm. non Linné. Otaria Pernctiyi, Less. Olaria leonina, Pkron) est long de douze pieds (ri, 898), et, si l'on en croyait Pernetty, il en atteindrait jusqu'à vingt-i inq (8,121); son pelage est fauve; ses moustaches noires; le mâle porte sur le cou une crinière épaisse qui lui descend jusque sur les épaules; sa tête est assez petite, semblable à celle d'un dogue, avec le nez un peu relevé et comme Irompié à son exlréniité. Celte espèce habite les îles mt^ ^/d % 11 m'^m^.. Le .Morse. (piatre inférieures échancrées d'avant en arrière, quatre canines; douze molaires supérieures et dix inférieures. Les màehelières n'ont (|u'une racine, moins épaisse (pie la couronne, consistant en un tubercule moyen garni à sa base, en avant el en arrière, (l'un tubercule beaucoup plus petit. Les mains de ces animaux sont placées très en arrière, ce qui leur fait paraître le cou fort allong('; les pieds ont leur membrane à cin(( lobes d('passant les doigts; leur tête est surbaiss('e et leur museau r('lréti. L'Ours .marin {Arctncephalus ursinus, Fr. Cuv. Pliuca uraina, Lin. Olaria ursina, Desm. Otaria Forsteri, Less Ursustnarinus. Forst. UOars marin, de Buff.) est long de quatre à six pieds (1,299 à i,9i9), mince, à tête ronde et gueule peu fendue, avec des yeux prot'minents, et de longues moustaches; ses oreilles sont poin- tues el e()iii(pies; son pelage est composé de deux sortes de poils ; celui de dessous, court, ras, doux et satiné, d'un brun roux; ce- lui de dessus plus long, brunâtre, tacheté de gris foncé. Il habile les côtes du Kamschalka et des îles Aléoutiennes. On le recherche beaucoup à cause de sa fourrure très-cstiuK'c en Chine, mais ses miturs sauvages, la finesse de son odorat (|ui lui fait re- coniiaitic de fort loin l'apiiroche du chasseur, lendent sa chasse fort dinicile. Il n'haliite (pi'au milieu des rochers el des récifs, sur les côtes les plus balliie^ |iar la tcmiK'te. antarctiques; son caractère est doux et timide. Elle vit de i)ois- sons, d'oiseaux d'eau qu'elle surprend avec adresse, et (|uclipie- fois d'herbe. La femelle i)our faire ses petits se cache dans les roseaux où elle les allaite. Cha(pie jour elle va à la mer, et gagne sa retraite le soir. La chair de ces animaux est mangeable; son huile est utile et sa peau est excellente pour les ouvrages de sel- lerie. Le Pi.ATviiiivNyur. Moi.ossi; {Plaliirhynclius mulo^sitius , Lrss. Olaria mnlossiiia. Lr.ss. et Garnot. L(; Phoque, à crin des baleiniers anglais. Le Pelil lion marin, de Pkunkïtv). Celte espèce a de (pia- tre à huit pieds (1,299 à 2,599) de longueur; son pelage est d'un roux uniforme , ras sur toutes les jiarties du ('orps; les poils de ses moustaches sont aplatis, d'un brun rouge, à extrémité noire; les mains ui.iiKpienl d'ongles, et les pieds en ont trois assez gros. La ti'le est petite, arrondie; les oreilles sont petites, pointues, rouU'es sur elles-mêmes. Elle habite les îles .Maloiiines. Le Pi.ATVKiivN(jUE DE GiÉLiN (Platyrliynclius Guerinii. — Plaly- rhijnchus Uraniœ, Less. VOtarie Guérin , Quoï et Gaimard) a la plus gr.iuile analogie avec le ))réct'dent ; mais les deux natura- listes du voyage de l'Uranic lui donnent six incisives en haut et (piatre en bas, (pialorze molaires su|>('riciires et douze inférieures. Son pelage est brun , ras; son museau aplati , portant cin([ rangs de inoustaches; sa taille est de (piatre pieds dix pouces (1,S70). 198 LES CARNIVORES AMPHIBIES. Il habite les iles Malouines comme le pre'ce'dent , aunuel il faudrait stîns doute le rapporter, s'il se trouvait que ses dents eussent e'te' mal observées. 8^ Genre. Les IIALYCHORES {Hahjchœrus. ITornsch.) ont trente- quatre dents , toutes coniques , recourbées : les inférieures égales, courtes, séparées également par un intervalle vide; les deux in- cisives externes d'en haut simulant des canines et marquées d'un canal étroit à leur partie postérieure, les quatre intermédiaires plus longues et égales entre elles; les canines inférieures ra|i]iro- chécs, sillonnées en arrière et en dedans, s'engageant dans un intervalle des canines supérieures qui sont semblables; molaires triangulaires , les supérieures convexes sur leur face externe , re- courbées, les troisième et quatrième les plus grandes, les infé- rieures pyramidales, les deuxième et troisième plus grandes. Du reste, les ongles sont plus longs et plus recourbés que dans les autres phoques. Ce genre fait le passage des phoques aux morses. L'Halvciiore gris {Halycharus griseus , IIorns. Phoca annellala , NiLss. Phoca cucullata, Bon».) a le pelage composé de deux sortes de poils: celui de dessous est blanc, laineux et court; celui de dessus est long de deux pouces (0,05i), soyeux, d'un gris plombé sur le dos , blanc sur le reste du corps. On le trouve sur les côtes de la Poméranie et des mers du nord de l'Europe. Espèces non encore classées. 9= Genre proinsoire. Les PHOQUES (Phoca, Lm.) n'ont pas d'oreilles extérieures. Le Phoque a tiVpe iie tortue {Phoca tesludinea, Siiaw.) ressem- ble par ses pieds au phoque commun , mais son cou est allongé, et sa tête ressemble à celle d'une tortue. Espèce douteuse, qui habiterait les mers d'Europe. Le Lakiitak [Phoca lakhiak, Desm.) n'est connu que par une des- cription do Krasclicnninikow; il serait de la grosseur d'un bœUf, et habiterait le Kanischatka. Le PuoguE ticué (Phoca tiyrina, Kraschenn. Phoca Chorisii , Less. Le Chien de nier du détroit de Behring, Choris. Var. Phoca punctala , maculata , elnigra, de l'Encycl. ang. ) est de la taille d'un veau; son corps est couvert de taches rondes et égales; son ventre est blancliiltre. Les jeunes sont entièrement blancs. Du Kamschalka. La variété punctala a la tète, le dos et les membres tachetés. Elle habile les Kourilles. — La variété maculata est mou- chetée de brun et habile les mornes côtes. — La variété nigra est noire , (pielquefois tachée de blanc , et se trouve sur les mêmes rivages. Le Phoqve fascié (Phoca fasciata , Siiaw.) est noirâtre; une bande jaune lui dessine une selle sur le dos. Patrie inconnue. 10'^ Genre provisoire. Les OTARIES ( Otorm , Péron) ont des oreilles externes apparentes. L'Otaiue [ie Deealande (Otaria Dclalandii, G. Cuv.) a trois pieds el demi de longueur (1,137); son jielage , doux, fourré, laineux à la base, a la pointe de ses poils aunelé de gris et de noirâtre, ce qui lui donne une teinte d'un gris brun roussâlre; le ventre esl d'une couleur plus pâle. Il a été apporté du cap de Bonne- Espérance par M. Delalande. L'Otarie de Péron {Otaria Peronii et nigra, Desm. Phoca pusilla, Lin. Phura parva, Bodd. L'Otarie de Vue de Rotlnest, Péron. L'O- tarie de Delalande, Fr. Cuv. Le Loup marin. Pages. Le Pclil pho- que, BuFF.) a de deux à quatre pieds de longueur (0,0.^0 à 1,299). Ses oreilles sont pointues; ses pieds de derrière n'ont d'ongles apparents qu'aux trois doigts du milieu, et sont terminés par une membrane à cimj festons; sa couleur est généralement noirâtre ; son pelage doux, et ses moustaches rondos et lisses. Il habite la Nouvelle-Hollande. L'Otarie cendré (Otaria cinerea, Péron) a neuf à dix pieds (2,923 à 3,248) de longueur : son pelage est dur, grossier, d'un gris cen- dré. Il habite la Noiivello-IIoliande, sur les côtes de l'Ile Deirès. L'Ot\rie ai,I!I(:(u.i,e [Otaria albicollis, Péron) a huit à neuf pituls (2,li7i à 2,9i3) de longueur; ses membres antérieurs sont siliiés fort en arrière , et il a une grande tache blanche sur la partie moyenne et supérieure du cou. Il habite la Nouvelle-Hollande. L'OtariE couronné (Otaria coronata, Blainv.) a le pelage noir, taché de jaune, avec une bande de celte couleur sur la tête et une tache sur le museau. 11 a cinq ongles aux pieds de derrière. Sa patrie est inconnue. L'Otarie jaunâtre (Otaria flavescens , &n\\\ .) est long d'un à deux pieds (0,32,') à 0,r),')0). Son pelage est d'un jaune pâle uni- forme ; ses oreilles sont longues; ses mains man(pient d'ongles, et il en a trois seulement aux doigts moyens des pieds. Sa patrie est inconnue. Le Cochon de mer (Otaria porcina , Molina) ressemble par la forme et le pelage au macrorhin urigne, mais son museau est ]>lus allongé; ses oreilles sont relevées, et il a cinq doigts aux pioils de devant. Il habite les côtes oinl à riiifériciiro; huit molaires en haut et hiiil en bas; leurs molaires sont cylindriipies, courtes, tron(pjées obli- quement, et semblent, par leur slriicture et leurs rapports, agu- les unes sur les autres comme le pilon agit sur son mortier. Le MoiisE ou CiiKVAL MtRiN {Trichrchus rusttuirus, Lin. Le Morse, liuFF. La Vache marine et la Bêle à la grande dent des voyageurs) atteint onze à douze pieds (3,575 à 5,898) de longueur, el même beau(OU|i |ilus, si on s'en rap|iorlait à certains voyageurs; son pelage est très-court. Irèspeu fourni, et d'une couleur roussâlro : son muffle est très-gros, sa lèvre supérieure renflée; ses narines se trouvent prosipie regarder le ciel et non Icrininer le museau; ses défenses ont quch|uofois deux pieds de longueur (O.OjO) et davantage; leur grosseur esl proportionnée à leur longueur. Pour les membnîs el le reste du corps, il ressemble beaucoup aux l)ho(pies. Si le morse a beaucoup d'analogie dans les formes avec les aiiiin;iux de la famille |>réc('(loiile , il n'en a pas moins dans les ma;urs el dans toutes les habilud<'s de la vie. Cependant il a moins d'intolligence , et, par suite, moins de douceur dans le caraclère. Kward Worst dit avoir vu en Angleterre un de ces animaux âg(' de trois mois, que l'on ne pouvait toucher sans le mettre on lolèro, ot mémo le rendre furieux. La seule chose que l'éducation ait pu oblenir de lui était de le faire suivre son maître en grondant, (piand il lui présentait à manger. Cet animal habite toiilos les parties de la mer Glaciale, mais il esl bien moins coin- PHOQUES. 11)9 miin (lu'aulrt'fois. «J'ai vu à .lakiilzk, ditCmclin, quelques dents (le morse qui avaient cinq quarts d'aune de Russie, et d'autres une aune et demie de longueur; communément elles ont Jusqu'à (jua- tre pouces de largeur à la hase. .Te n'ai pas entendu dire qu'au- près d'Anadir>k()i l'on ait jamais chassé ou |)éche' de morse pour en avoir les dénis, qui néanmoins en viennent en si grande quan- tit(' ; on ma assure' , au contraire, que les hahilauls trouvent ces dents, de'tache'es de l'animal, sur la basse côte de la mer, et que, par conse'quent, on n'a pas besoin de tuer auparavant les morses. Plusieurs personnes m'ont demandé si les morses d'Anadirskoi étaient une espèce différente de ceux ipii se trouvent dans la mer (lu Nord et à l'entrée occidentale de la mer Chu iale, parce (pie les dents qui viennent de ce côté oriental sont beaucoup plus grosses (pie celles qui viennent de l'Occident , >' etc. Gnielin ne rnout pas cette (jucstion, et liuU'on en donne une solution qui me parait ètie une erreur. «On n'apporte d'Anadirskoi, dit-il, que des dents de ces animaux morts de mort naliirelle; ainsi, il n'est pas surprenant que ces dents, qui ont pris tout leur ac- croissement, soient plus grandes que celles du morse de Groen- land, que l'on tue en bas âge. » Pour admettre cette hypothèse, il faudrait admetti-e aitssi (plé jamais dans le Groenland les morses n'atteignent toute leur grandeur, et que tous ceux que l'on lue, sans exce])lion , sont Jeunes, puisque leurs dents sont, aussi sans exception, beaucoup plus petites que celles apportées d'Anadirskoi. Cette proposition n'est pas soutenable. Voici une autre ditliculté : il est certain qu'on ne trouve jiresipie plus de morses aux environs d'Anadir- skoi, et que ceux (pii s'y montrent de loin en loin ne dépassejit pas douze pieds de longueur; or, un morse qui aurait des dents longues d'une aune et dvm'w russe devrait avoir le corps au moins de trente-cinq jiieds de longueur, ce qui ne s'est Jamais vu, puisque les plus grands ipie l'on ait observés ne dépassent pas douze à ipiatorze pieds. Je pense que l'ivoire trouvé sur les bords de la mer, aux environs d'Anadirskoi, n'est rien autre cho.se que les dents fossiles d'un grand morse dont l'espèce ne se trouve plus vivante. Ce qui me fait ajouter foi à cette hypo- thèse, c'est que dans le même pays on rencontre des collines entières composées pres(pie en totalité d'ossements de mam- mouths, de rliinocéros et autres animaux perdus, et que l'on possède au cabinet de SainlPétersbourg des défenses de mam- mouths dont l'ivoire est aussi [jarfaitement conservé fjue s'il avait été pris sur des animaux vivants. Les morses ne ])eiivent pas toujours se trui, as les sauvages de manger sa chair, et de la trouver délicieuse, probablement parce qu'elle ne participe pas à la puanteur du poil et de la i)eau.Du reste, cette fétidité dont il s'entoure (piand on le poursuit ou ((u'on l'irrite est la seule dt'fense ([U il ait à oi)- poser à ses ennemis; car il ne sait ni mordre, quoique bien armé sur les arbres pour aller surprendre les oiseaux dans leur nid, et c'est à ce genre de chasse «piil passe une grande partie de son temps, car il a un goût de prédilection |)OMr la chair des oiseaux, et surtout pour leurs œufs. Cependant il est souvent forcé par la nécessité de se rabattre sur les reptiles, sur les insectes, et même sur les fruits. U rôde souvent autour des habitations, et, comme il grimpe (•gaiement contre les vieilles murailles mal unies il lui arrive quelquefois de péiiétier dans les basses-cours; dans ce cas il tue la volaille ijui s'y trouve, et se borne à lui sucer le sang, après quoi il abandonne les cadavres sur la place. Buffon dit « qu'il se cache dans le feuillage d'un arbre en se su»|)endant par la queue, et qu'il reste quebpiefois longteuqisdans celte situation, Ancianne cabane des Kanguroos, près de la grande volière. de dents, ni fuir, pui.squ'il ne court guère jilus vite (|u'mi héris- son. U a la ]>Mpille nocturne, d'où il résulte ([u'il y voit beaii- cou|> mieux la nuit (|ue le jour; sa (U'marche est lente, et sa stupidité extrême. Cependant il est fort doux, et s'accoutume très-bien à l'esclavage; mais il ne s'attache à personne, et n'est capable d'aucune éducation. Dans les maisons on le nourrit avec du pain , du lait et de la chair crue. On a observé ipiil boit en laiiant, et qu'il aime (pi'ou lui verse de l'eau d'un peu haut dans la bouche , qu il lient ouverte pour la recevtoire du .sarigue est a.s.sez merveilleu.se en elle- même, sans (pie l'on soit obligé de la broder maladroitement. Vingt-six jours après l'accouplement . l.i femelle iiiel bas de dix à 502 LES MARSUPIAUX. douze petits, n'ayant encore nulle forme d'animal, gros comme un très-|ielit pois, et ne pesant chacun qu un grain d'orge. Quoique aveugles et informes comme de très-petits fragments de chair gre'latineuse , ils s'attachent aux mamelles , y adhèrent bien- tôt au moyen d'une membrane commune au mamelon et au petit trou qui leur sert de bouche, en aspirent le lait, et y restent adhe'rents pendant cinquante jours , absolument caches dans la poche, ce qui, avec les vingt-six jours qu'ils ont passe's dans le sein de leur mère, complète le temps de la gestation. Alors leurs membres sont développe's , ils ouvrent les yeux , ils ont à peu près la grosseur d'une souris, et la membrane qui les unissait au mamelon se de'chire. Quoique libres, ils ne commencent à sortir de la poche que (pielques jours après, pour jouer sur l'herbe, au clair de lune , pendant que la mère fait sentinelle et veille à leur sùrele'. Au moindre bruit, à la moindre apparence de danger, elle les fait rentrer dans leur sac , et elle les emporte dans son terrier. Ce genre de vie dure jusqu'à ce qu'ils soient trop gros pour rentrer tous dans la poche; aloi-s la mère s'éloigne un peu plus de sa demeure, parce que ses petits commencent à la suivre, et qu'il faut qu'elle chasse pour eux. Si , dans ce cas , elle croit sa jeune famille menacée d'un accident, elle jette un petit cri. Aus- sitôt ses enfants se rapprochent d'elle en tremblant: lés uns se précipitent dans la poche, les autres lui montent sur le dos et s'y maintiennent solidement au moyen de leur ((ueue ipi ils en- roulent autour de la sienne , ou autour de ses jaudies. Quelque- fois la pauvre mère en est tant chargée et surtout embarrassée, qu'à peine peut-elle marcher. Ce que nous venons de dire du manicou pouvant s'apidiqiier à tous les didelphes, sauf (iuel(|ues légères modifications (|ue nous enseignerons plus loin, nous n'avons plus à nous occuper que de la description des espèces. Le Gamba {Didelphis Azzarœ,TFMU. Le Mcoure, ii° i", H'At/aks. Didelphus aurila , Neuwied) est un peu plus petit qiie le précé- dent, avec le(piel il a souvent été confondu. Son museau est long; le tour des yeux est noir, ainsi ipie les oreilles et les ex- trémités des jambes; la face et la nu(pie sont presque noires; son pelage est composé d'une sorte de feutre cotonneux et court en dessous, et, en dessus, d'un poil soyeux d'un blanc plirdans toute sa longueur. 11 haiiite rAméri(pie méridionale. Le Qlica [Dideliihis (juira , Timm.) ne dépa.sse pas la taille d'un jeune putois ; sa (pieue est i)lus longue que son corps ; son pcl.ige est d'un gris de souris en dessus et d'un blanc pur eh dessous; la femelle est d'un fauve noirâtre, jtlus clair sur les flancs et comme argenté. Il a un cercle noir autour des yeux, et le museau noir. Cette espèce a les mêmes habitudes c]ue les précédentes, mais elle vit presipie constamment sur les arbres. Elle habite le lirésil. Le Saiiicoui^;ya (Didelphis upossum, Li.n. — Desm. Le Saritjue opossum et le Quatre-iril des naturalistes). Cette espèce, plus ])e- tite que les précédentes, ne dé|)asse guère la taille d'un écureuil. Son cori)s a un pied (O.ôijr)) tout au jikis de longueur loiale, et sa (pieue onze pouces '0,298). C'est à celui-ci ipielîufibn rappoite les récits (]U'onl faits les voyageurs sur toutes les esj>è(-cs de di- delphes. Son pelage est d'un gris brun en dessus et un peu plus fonce sur la tète; la jinitrine, le devant du ventre et le dedans des membres sont d'un blanc jauiiMre, ainsi qiu; les doigts; le dessus de chai(ue œ'i\ e-l manjoé dune tache ovale, d'un jaune l)Me; les oreilles sont bordées de blanc en arrière ; le uuide , les lèvres et le menton sont blanchâtres. Le mâle est d'une couleur gi'néralement plus foncée. Il habite l'Amériipie méridionale , et n'est pas l'aii' à la (luyane. Le Diiiii.i'nE (jcece-he-iiaï (l)idelphif myii.suro.s, Stemm.) est de la taille d'un jeune putois; son pelage est serré, doux, très-court, brun et d'un fauve roussâlre , plus foncé sur léchine, d'un blanc roussâtre en dessous; ses oreilles sont très-grandes, un i)eu ar- rondies; sa queue, semblable à celle d'un rat, est bicolore, grêle. beaucoup plus longue que le corps et la tête. Celte espèce se trouve à la Guyane , à Surinam et au Brésil. Le Faras (Didelphis philandn, Temm. Didelphis caijopollin. Lin. —Desm.) est de la taille d'un écureud, à pelage d'un fauve rous- sâlre, teinté de jaunâtre sur les flancs, blanc en dessous et sur les joues; il a une bande d'un roux foncé sur le milieu de la lête et une tache cendrée (pu lui envelo|ipe les yeux ; ses narines sont séparées par un sillon lrès-mar(|ué; sa ipieue, beaucoup ]ilus longue que le coii)s et la lête, est tachetée de brun sur un fond blanc. Il se trouve à la Guyane. Je ne sais trop si celte espèce a une poche. Le PtiANT ou CRAniEiî (Didelphis rancrivora et marsupialis, Lin. Didelphis marsupialis , Sciiiii.iiEn. Le Grand Sarigue de Cai/enne, du lirésil, etc., Bcff. Le Grand Philandre. orienlal de Seiia). Il ne faut pas confondre ce didelphe avec le chicn-crabler, comme l'ont fait plusieurs naturalistes. 11 a quelque analogie avec le manicou, dont il a la taille, mais son museau est plus eflilé, son chanfrein plus droit, le front non déprimé. Ses moustaches sont noires, ainsi que ses oreilles et ses yeux ; sa tête est d'un blanc jaunâtre; le cou , le dos et les flancs sont j.ninâtres, parsemés de noir, ce qui vient de ce que les longs poils du dessus , noirs dans leur moitié supérieure, sont couchés sur les autres, qui sont d'un blanc sale; les poils de l'échiné sont noirs, longs, et lui foi-menl une sorte de crinjère lorsqu'il est en colère. Les mendu-es sont noirs, les ongles blancs , ainsi que leur [dialange; la queue est blanche , avec son premier tiers noir ; le museau et les lèvres sont couleur de chair. l'ris jeune, le crabier s'apprivoise assez facilement; maisl'oileur infecte qu'il exhale, beaucoup plus forte (pie celle du renard, avec la(pielle il a de l'analogie, ne permet guère qu'on l'élève dans les maisons. Cet animal est assez commun à Cayenne et à Silfiham , où il habite le bord des ruisseaux ombragés par des pa- létuviers , sur lesquels il aime à grimper poin' chasser aux oi- seaux. La nuit, il se promène sur les rivages limoneux, j)our chercher des crustacés et principalement des crabes, pour les- (piels il a un goût de prédilection. Il sait fort bien fouiller dans le sable pour les retirer des trous où ils se cachent , et , si l'on en croit Laborde , il les retirerait des trous de rocher et de dessous les racines d'arbi'e d'une manière fort ingénieuse. 11 enfonce sa queue, dit le Voyai^eur, dans le trou où il soupçonne un crabe, et celui-ci, en sa (piaillé d'animal très-carnassier, ne manque pas de saisir cette (]ueue avec ses pinces pour la dévoi-er. Le puant la relire alors par un mouvement brusque , elle entraîne le crabe hors de sa retraite , et le puant s'en empare et le mange. Si cela n'est ])as vrai , c'est au moins bien inventé , et (;'esl |irobablcment pour cela que les voyagems ont altribuit cette petite manœuvre à plusieurs animaux , et iiarliculièrcuienl à un singe. Du reste, le crabier a les mêmes habitudes que les autres didelphes à poche. 2» Didelphes sans poche et à mamelles découvertes. Le Taïri (Diilelphis murina, Lin. La ,]tarmose, Bcee.) a cinq pouces (0,155) de longueur, du bout du museau à la naissance de la queue; celle-ci est de la même longueur, jaunâtre, unicolore et entièrement nue; le pelage (îst d'un gris fauve en dessus, et d'un jaunâtre |)âlc ou |ircsipie blanchâlre en dessous ; Id'il est pl.iré au mili(Mi d lin ovale brun. La fciiulle a quatorze mamelles, au\(pielles s allacheiil les peiils, comme dans les espèces précé- dentes, à cela près (pi'ils ne sont pas cachés dans une poche, mais seulement soutenus par des ])lis inguinaux de la peau; il en est (lrobabk'ment tpi'une variété. Il n'en diU'ere que par son pelage d'un roux foncé en dessus et sur les lianes, blanclifitre en des- sous; la (|ueiie est de la longueur de la moitié du corps. Il se trouve dans les mêmes contrées. Le Gkison (Dideliihis cmereo, Temm.) est de la taille d'un rat ordinaire ; son pelage est épais , court, d'un gris cendré clair en dessus, blanchâtre en dessous, roussâtre sur la poitrine; la fe- melle est de celte dernière couleur. Sa télé est petite; son mu- seau très-court; ses oreilles sont nues; un peu étranglées à la base; sa queue, beaucoup plus grande que le corps, est très- gréle, très-poilue à sa base, nue dans le reste de sa longueur, blanche à l'extrémité. II a été découvert au lîré,>il par le prince de Neuwied. Le DinEiriiE dorsai. (Didelphis dorsigera, Lin. — Tesim.) est de la taille d'un rat; son pelage est court, fin, peu fourni, d'un gris brun, avec le front et les joues d'un blanc jaunâtre. Sa queue est grêle , poilue dans une assez grande portion de sa longueur, brune et unicolore à l'extrémité. Il haiiile Surinam. Le MicouiiK i.AiNEix [Didelphis laniyera, Desji.) a le pelage de couleur de tabac d'Espagne en dessus, blanchàire en dessous; sa queue n'est ni conique ni cylindriipie , mais prismati(iue , à an- gles trcs-('moiissés, avec une rainure sur la face inférieure; elle est beaucoup plus longue ipie le corps, et nue en dessus dans son dernier tiers seulement. Cet animal a sept pouces (0,18'Jj de longueur, non compris la queue. Il habite le Paraguay. Le Minotiiiit a grosse queue {Didelphis macroura, d'AzzARA. Didel- jihis crassicaudala , Desm.) a onze à douze pouces de longueur (0,298 a 0,52'i) du bout du museau à la naissance de la (jueue ; celle-ci, à peu près de même longiieiu', est ronde, et n'a pas moins de Iniis pouces et demi (0,093) de circonférence à sa base; elle est velue à son ])remier tiers , nue , écaiUeuse et noire dans le reste de sa longueur, avec un pouce et demi (0,Oil) de sou extrémité blanc. Son pelage est fauve ou couleur de cannelle en dessus, plus clair sur l'oeil, plus foncé à la face et au pied. Il habite le Paraguay. Le MicouRK NAIN [Didelpliis pusilla, (I'Azzara. — Pesm.) n'a que trois pouces quatre lignes de longueur (0,090), depuis le bout du museau ju.s(pi'à la naissance de la queue; celle-ci est entière- ment nue, longue de trois pouces huit lignes (0,099). Son pelage est d'un gris de souris, avec le tour de l'œil noir, les sourcils blanchâlres, séparés par une tache triangulaire obscure. Ce pdil animal , stupide comme toutes les espèces de son genre, vit dans les jardins et les broussailles au Paraguay. a-- Genre. Les CIIIRONLCTES [Chirouecles, U.uc.) ont dix inci- sives en haut, huit eu bas; deux canines à chaque mûchoire; les umiaires en nombre indéterminé; leur museau est pointu, leurs oreilles arrondies, nues; leurs yeux sont (ouriu's de crtié; tous les pieds oui cini| doigis, les |i()slérieurs )i.diu<'s, avec le ))ouce sans (lugle; leur marche esl plauligrade, la feuullc a une [lociie abdominale (pii manque aux nulles. Le Yapock [Chircnectes yapock, Desm. Didelphis palmala. Geoi e. Lutra minima, Zimm. Luira minima , P)()i)[i. La Pelile Loutre de la Guyane, Buff.) a tout au plus un pied (0,523) de longueur, du bout du museau à la naissance de la queue; celle-ci a six ou sept pouces (0,102 à 0,189) de longueur, elle e.st prenante, nue, ridi'e, plate en dessous; le pouce postérieur est lilue; le pelage est brun en dessus, avec trois bandes transverses grises, claires, interrompues dans leur milieu ; le dessous du corps est blanc. Tout ce qu'on sait de cet animal , qui habite la rivière de Yapock, à la Guyane, c'est qu'il a des mœurs aquatiques analogues à celles de notre rat d'eau, cpi'il nage et plonge fort bien, et qu'il se nourrit de poissons et d'insectes. Le CniRONECTE de Lancsdorff [Chironectes Langsdorfp,i) n'a pas plus de deux pieds de longueur (0,(i50); son pelage est très- doux, d'un gris uniforme, manjué de deux bandes en travers des lombes; sa queue est velue, non prenante; enfin le pouce des pieds de derrière est pris dans une membrane des doigts. Il a été trouvé par Langsdorff au bord des ruisseaux, dans les forêts, près de Rio-Janeiro. , 5" Genre. Les DASYURES (Dasytirus, Geoff,) ont quarante-deux dents, savoir- huit incisives siqiérieures et six inférieures, en rangées régulières; quatre canines et douze molaires à chaque mâchoire. Leur têle est très-pointue, conique, leur gueule très- fendue, leurs oreilles médiocres et velues; ils ont cinij doigts à tous les pieds, mais le pouce des pieds de derrière est rudiuien- taire ; leur ([ueue , non prenante , est couverte de poils ; enfin , ils n'ont point de poche alxlominale, dit-on, quoique M. Gervais leur en donne une. Ces animaux ne se trouvent que dans la Nou- velle-Hollande. ^^ Le DastUre a loNCIjé queue [Dasyurus macrourus, Geoff. Viverra maculala, Smaw. Le Spotled-Martin des Anglais. Le Dasyure tacheté de Pékon) est long d'un pied et demi (0,.i87), et sa queue est prestpie aussi longue ipie son corps; son pelage est d'un beau marron, tacheté de idanc, ainsi (pie la (punie. Cet animal se trouve dans la Nouvelle- Hollande , aux environs du Port-Jaokson, Il a un peu de la physionomie des genetles et des fossanes, et beaucoup des habiliides des martes, La struclure de ses pieds ne lui permet pas de grimper aux arbres, mais la nuit il sort des trous de rocher où il se tient caché et où il dort pendant le jour, et il se met en quête des oiseaux, des petits mammifères et des insectes dont il se nourrit. Comme les petits animaux dont il pourrait faire sa proie sont très-rares en Austra- lasie, et se bornent à ipiehpies ornilhorhyncpies, échidnés ou kangourous, il lui arrive fri'(pieminent de faire une mauvaise chasse. Alors il descend sur le rivage de la mer, attaipie avec voracité les cadavres de pois.son et de phoque à demi putréfiés que les flots de la mer ont rejetés de leur sein. Quebiuefois aussi il se glisse en silence dans les basses-cours des colons, et mas- sacre toute la volaille, absolument comme fait la fouine. Tous les dasyures S(uit très-voraces et ont les mêmes habitudes que celui-ci. / Le Dasyure Maucé (Dasyurus Maugei, Geoff.) est plus petit que le pr('cédent, et n'a (pie tpiatorze pouces de longueur (0,379). Son pelage esl olivâtre en dessus, cendré en dessous, à mouche- tures blanches , uniformes, également n'parlies; la (|ueue est un peu i)lus rousse ([ue le dos. On le trouve dans le même pays, et il se fait remar(pier par son extrême propreté. On doit à Gaimard les observations suivantes sur cet animal : « Nous en avons conservé un vivant, dit-il, à bord de l'Uranie, pciulaiil ICspace de ciu(| mois. Cet élégant petit animal ne cher- ciiail pointa mordre, (pi(d(iues tracasseries (pi'on lui fil. Fuyant la lumière un peu trop vive , il se jilaisait beaucoup dans la niche étroite (pi'on lui avait pr('par('e. Il n'était pas méchant , mais on ne remarcpiait point (|u'il fut susceptible d'attachement pour la persouiii' ipii le nourrissait et le caressait. L'instant de ses repas élail une scèiu; toujours (Uirieuse pour nous; ne vivant que de 204 LES MARSUPIAUX. viande crue ou cuite, il en saisissait les lambeaux avec voracité'; et lorsqu'il en tenait un dans sa gueule , il le faisait quelquefois sauter en l'air et l'attrapait adroitement; apparemment pour lui donner une direction plus convenable. Il s'aillait aussi avec ses pattes de devant, et iiuaml il avait ai hevé son repas, il s'asseyait sur le train de derrière et frottait longuement, et avec prestesse, ses deux pattes l'une contre l'autre {absolument comme lorsque nous nous frottons les mains), les passant sans cesse sur l'extre- mite' de son museau toujours très-lisse, très-humecte' et couleur de laque, quelquefois sur les oreilles et le sommet de la tète, comme poiu- enlever les parcelles d'aliment qui auraient pu s'y attacher. Ces soins , d'une excessive propreté' , ne manquaient jamais d'avoir lieu après qu'il avait fini de manger. » dents, savoir : huit incisives en haut et six en bas; quatre canines et quatorze molaires à chaque mâchoire, c'est-à-dire qu'ils ont une fausse molaire de plus; leurs incisives ne sont point égales, les deux moyennes e'tant beaucoup plus longues que les latérales. . Le PiiASCOGALE A PINCEAU (Phascogalc penicillata, Tejim. Didel- phis penicillatus , Shaw. Dasyurus peniciUatus, Geoff. — Df.sm.) est long de huit pouces (0,217), non compris la queue, qui est très-touffue à sa pointe; son pelage est court, laineux, très- touffu, d'un cendré uniforme, blanchftlre inférieurement. Cette espèce habite la Nouvelle-Hollande, où, selon M. Lesson, elle vivrait sur les arbres. Ses habitudes sont les mêmes (pie celles des dasyures. ^ Le Dasjure a loiigiu queue. y/ Le Tapoa-Tafa (Dasyurus viverrinus, Gkofk. Le Dasijare viverrin des naturalistes. Le Spolled-opossum de Philipp.) a un pied (0,525) de longueur ; son pelage est noir, parsemé de taches blanches ; le ventre est gris; les oreilles sont plus courtes et jilus ovales «pie chez les précédents; la i(ueue est plus ('tiangléc à la base et jilus touffue à la pointe. .le réunis à cette espèce , comme simple va- riété d'âge, le dasyure taffa (Dasyurus tajfa, Gkoff. Viverrina opossum de Shaw) qui n'en difTère que par sa taille un peu j)lus petite, et son pelage uniformément brun. Tous deux habitent les environs du Port-.Iacksoii. V* i' Genre. Les URSINS [Ursinus; Sacrophius de Fr. Cdv.) ont les mêmes caractères générlipies que les dasyures, mais on leur trouve dix incisives en bas, au lieu de six, ce ipil jxirlc le nom- bre total de leurs dents à (juarante-six ; en outre, leur queue est un peu prenante, et nue en dessus. L'UiisiN DE IIahris {Ursinus Uarrisii. — Dasyurus ursinus, Ge;ofk. Sacrophilus ursinus, Fii. Cuv.) est de la taille d'un petit blaiicau. Son pelage est long, grossier, noir, irréguliireiueiil mai-qué d'une (III deux taches blanches ('parses sur la gorge, les ('iiaiilcs et la croupe. Son corps est long de dix-huit pouces (Oj/iSS) et sa queue de huit (0,2)7). (iet animal vit sur les bords de la mer à la terre de Van-Dieincn , et parait se nourrir plus de pèche ipie de chasse. Ses mœurs sont absolument les iiK^mes (pie celles des dasyures. 5« Genhe. Les PIIASCOGALES [Phascogale, Temm.) ont les mêmes caractères ((ue les dasyures, mais on Icui- liiiuve ipi.ir.uile-six v/Le Phascogale nain [Phascogale viinimu, ïnnL Dasyurus ndni- wus, Geoff.) a tout au plus quatre pouces de longueur (0,108), et sa queue, couverte de poils ras, atteint le tiers de cette dimen- sion. S(Ui museau est coni(pie; son pouce de derrière est plus loiigipie dans les dasyures; son pelage est fort ('pais, cotonneux, doux, d'un roux uniforme. Il habite le nord de la terre de Van- Diemcn. V' 6" Genre. Les TllYL.^CllNS (Thylacinus, Temm.) ont quarante-six dents , savoir : huit incisives supérieures et six inb'rleures : elles sont rangées en demi-cercle, égales, et séparées, dans le milieu et aux deux mâchoires, par un espace vide : l'incisive extérieure, de ( lia(pi(' C(jlé , est la plus forte ; quatre canines grandes , fortes , larges, courbées et pointues; (pialorze molaires à chaque mâ- choire, dont les dernières liériss(TS de trois tubercules obtus. Ils ont cinq doigts aux pieds de devant et cinq à ceux de derrière. \ Le Tiivi.AoïN DE llAitiils {Thylacinus Uarrisii, Temm. Dasyurus cynocephalus , Geoff. — Desm. j est long de trois pieds dix pouces (d,2iti), et sa ((ueue, comprimée sur les c(')tés, a deux pieds (O.CSO) de longueur. H rc-sulte de ses autres proportions qu'il atteint à jieti ])rc,< la taille d'un jeune loup; aussi est-ce le plus grand des carnassiers du continent austral Sou pelage est doux, court, tirant sur le bniii jaunâtre obscur, plus pâle eu dessous et d'un gris foncé sur le dos; il (lorte sur la croiiiie seize bandes transversales d'un noir brillant. Cet animal stupide habite des cavernes et des fentes de rocher très-profondes. Il chasse la nuit el.se nourrit d'oiseaux , de iietils mamiiiifères , et probablement lie I ailavr(< de poissons et autres aniiiiaiiN marins. Ilans la co- MARSUPIAUX CARNASSIEUS. Î05 li'iT, il jxnisse avec peine un cri court et gutlural. Il se trouve sur les l)(irds de la mer à la terre de Van-I)iemen. x/ 1" Genre. Les PÉRAMÈLES {Peramcles , Geoif.) ont quarante- huit dents, savoir : dix incisives supérieures et six* inférieures; quatre canines et quatorze molaires à chaque niAchoire. Leur ttMe est pointue, allongée ; leurs oreilles velues et me'diocres; les ](Ouees des pieds postérieurs rudimentaires; les deux ]>remiers doigts petits et reunis par la peau jusqu'à la racine des ongles; leur train de derrière est plus fort que celui de devant, et les fe- melles ont une poche abdominale. , I-e BANDieoiT NEZ-i'OiNTi: {Perameks nasuta , Groir. ) a de lon- gueur un pied quatre pouces (0,'i-3ô) ; la ((ueue a environ six laires. Son corps est roux en dessus et cendre' en dessous; la tèle est allonge'e et aiguë; les oreilles oblongues, longues d'un pouce; sa longueur totale est de huit pouces et demi (0 2")1). 11 habite le littoral (le la Nouvelle-Hollande. Le Ghand BA^DlcouT (Perameks Lawsonii, Quoy et Gaim.) se distingue des précédents par sa grandeur; il n'a pas moins de deux |(ieds (0,('>50) de longueur. Son ])elage est d'un roux brun en de^^sus , et [irescpu' fauve en dessous. Il habile les montagnes lileues de la iNouvelh-tlalles. 8« Gfm:e. Les ISOODONS (Isoodon , Geoif.) ont à peu près les mêmes caraclèrfs que les pe'ranièles, mais ils ont huit incisives à la uirii'lioire iufrrii ure; il- ont .iiissi I,i Irle plus courte et le rhanfi'cin ai(|u:'. pouces (ft,IC2). Sa tête est très-longue, son museau eflile; son nez prolonge' au delà de la mâchoire; ses oreilles sont courtes tt oblongues; ses yeux très-petits; son pelage est d'un gris brun en dessus, blanc en dessous. Il habite la iNouvelle-llullunde. Les peramèles habitent, dit-on , des terriers dans les dunes. Ils cou- rent en sautillant sur leurs pieds de di:rrière , (pii sont foii longs, à la uianière des kangourous. Le Bandicout de Bolgainville {Peramèles BougainvilUi, Quov et Gaim.) a e'te regarde' par Temniinck comme un jeune de l'es- lièee pre'eedente; mais il s'en distingue sprrili(|uenK'ut par ses oreilles |)roportionnellemcnt beaucoup plus longues, par ses birnies plus élancées, par sa l.iille beaucoup plus petite, et par le peu de longueur de ses canines qui ne dt'|)assent pas les luo- L'IstODON OBÉsiLE {Isoodon ubtsula, Fk. Clv. Peramèles ubesula, Geoff. Didelphis (diesula, Siiaw.) est de la taille d un rat; ses oreilles sont assez larges, arrondies; son pelage est d'un jaune l'oussâtre en dessus, blanc en dessous. Il habite la Nouvelle-Hol- lande, et ses mœurs sont tout à fait inconnues. L'IsoouoN DU 11ijsilu.m (/soodoji Musei) ne m'est connu que jinr un individu incomplet alib' (pi'il a i-lé appoilc' de la Nouvelle-Uollarule. ^^luand on eoiniailra mieux cet animal, il faudra |n\ b..Iilciuent lui créer un nouveau genre. 206 LES MARSUPIAUX. LES MARSUPIAUX FRUGIVORES. Ils ont six incisives à la mâchoire supérieure et souvent à toutes lieux; la mâchoire infe'rieure manque de canines. \ H' Genre. Les KOALAS [Phascolarctos, Blainv.) ont trente dents, savoir ; six incisives supérieures dont les deux intermédiaires beaucoup plus longues, et deux inf('rieures; quatre canines en haut, peut-être deux seulement, mais point en bas; huit molaires à la mâchoire supe'rieure et dix à l'inférieure. Us ont aux pieds de devant cinq doigts séparés en deux faisceaux opposables; le faisceau inférieur de deux ; les pieds postérieurs sont munis de cinq doigts, dont le pouce très-gros, opposable, sans ongle, les deux suivants plus petits et réunis jusqu'à l'ongle. La queue est extrêmement courte. Le Koala ou Colak [Phascolarctos fuscus, Desm. Phascolarctos Flimlersii, Less. Lipurus cinereus , Goldf. Le \]'omrqt, Flindeus) habile le voisinage de la rivière de Wapaum, dans la Nouvelle- Hollande. Il a la taille d'un chien médiocre, le corps trapu, la tête courte, les oreilles médiocres, les jambes robustes, à peu près de même longueur, ce qui lui donne le port et la démarche d'un petit ours. Son poil est long, touffu, grossier, brun de chocolat clair; le dessous du corps est blanc. Cet animal, assez peu connu, passe une partie de sa vie sur les arbres, sans doute pour chasser aux insectes, car il me paraît douteux qu'il se nourrisse seulement de fruits dans une contrée où , comme nous l'avons dit, ils sont extrêmement rares ; il est possible cependant ipi'il vive de feuilles, ainsi que les poto- rous, kangourous, etc. Le reste du temps il le passe à dormir dans un terrier qu'il se creuse dans les forêts. La femelle ne fait qu'un petit, qu'elle aime avec beaucoup de tendresse. Après l'avoir élevé jusqu'à une certaine grosseur dans sa poche abdo- minale , elle continue encore longtemps à le porter sur son dos et à en prendre le plus grand soin. .le ne sais si l'on doit regar- der connue i(lentii[ue avec cette espèce le koala de G. Cuvier. Si ce grand naturaliste ne s'est pas trompé, son koala dilTérerait de celui-ci par le manque de pouce aux pieds de derrière, par sa couleur, non pas brune, mais cendrée, et enfin par ses oreilles plus i)oiutiH'S. 9« Genre. Les PHALANGERS(Pftaians[îSto,GEOFr.) ont trente-huit dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures; point de canines; seize molaires supérieures et (jualorze inférieures. Leur tète est assez courte ; leurs oreilles sont longues et droites; leur (jueue prenante est couverte de poils. Le VouA-TAPOUA-ROU (Phalangina vulpina, Temm. Didelphis vul- pina et lemuriita, Siiaw. Le Bruno de Vicq-d'Az. Le Vulpain opos- sum de WiuTE. Le Phalanger renard de G. Cuviiu et des natura- listes) a vingt-six pouces (0,704) de longueur, depuis le bout du museau ju.sipi'à la naissance de la queue; celle-ci est longue de (juin/c |iiiu(cs (0,40fi). Sa forme générale est à peu près celle d'un raton; ses oreilles sont droites, pointues, triangulaires, nues seulement en dedans ; son pelage est d'un fauve roussàtre , ou brunâtre, ou d'un fauve argenté, suivant l'incidence de la lu- mière; une sorte de collier d'\ni fauve vif lui entoure le cou; la dernière moitié de la queue, le tciur des yeux et les lèvres sont noirs; le ilessous est d'un roux januillre. (À't animal habite les environs du l'ort-Jackson, autoiu' des co- lonies anglaises, et cependant on ne sait presque rien de ses mœurs. Quoique classé parmi les frugivores, il est certain qu'il ne peut se nourrir de fruits, car la Nouvelle-Hollande n'en pro- duit point de mangeables, mêuu' pour les oiseaux, si ce n est une pelilc baie as.sez rare (celle du L'ptoineria Hiilardicrt}. Il est donc obhgc, ainsi (pie le dit le chirurgien Uollin, de se nourrir de gi- bier, et particulièrement d'oiseaux, qu'il poursuit ou surprend sur les arbres, où Cook a cru qu'il montait pour chercher des fruits. Il paraît qu'en captivité il mange à peu près de tout, qu'il s'assied sur son derrière et porte ses aliments à sa bouche avec les deux pattes de devant. Il habite un terrier qu'il se creuse dans le sable. Le PiiALANCER DE CooK [Phaldngisla Cookii , Cuv. — Desm. L'O- possum de la terre de Van-Diemen, Cook) est de la taille d'une fouine; son pelage est doux, court et brun, ou d'un gris roussàlre en dessus, blanc en dessous; la queue, de la couleur du dos, est terminée en blanc. La longueur de l'aniuLil est de tpiinze à seize pouces (O.iOtj à 0,155), non compris la queue, q\ii en a douze ou treize (0,5:23 ou 0,552). Il habite la terre de Van-Dieiiicn. Le PiiALANGER NAIN [Phalancjisla nana , Geoff. Desm.) est de la grandeur d'une souris, il a , du bout du museau à l'origine de la queue, deux pouces et demi (0,OCS), et sa queue est de la même longueur. Son pelage est gris on dessus, blanc en dessous; la queue est griso. Tout ce que l'on sait de son histoire est qu'il se trouve dans 1 Ilot Maria, de la terre de Van-Diemen, et que les naturels du pays le mangent. lO» Genre. Les COUSCOUS ou COUSSOUS [Cuscus, Ucf.v.) ont quarante dents, savoir : six incisives à chaq\ic mâchoire; point de canines; douze molaires supérieures et seize inférieures. Leur queue est prenante , mais en grande |)artie nue et couverte de ru- gosités; leurs oreilles sont très-courtes, quelquefois peu a]>pa- rentes. Du reste, ils ressemblent aux phalangers. Les uns ont les oreilles peu apparentes et velues en dedans et en dehors; telles sont : Le ScuAM-scHAM (Cuscus amboinensis , Lacép. Phalangista macu- lala, Geoff. — Desji. Diddphis orientalis , Lin. Cuscus maculât us, Lisson. Le Phalanger mâle , Bukf. Le Couscous tacheté des natu- ralistes. Le Cocs-coès des habitants des .Moluques). Cet animal est d'une forme allongée et de la taille d'un gros chat ; sa tête est arron- die, à chanfrein légèrement concave, à museau court et conique; ses paupières sont renflées et rougei'itres ; la queue esf nue dans plus de la moitié de sa longueur, chargée de verrues d'un rouge assez vif. Son pelage , très-épais et laineux , varie en raison du sexe et de l'âge; il est généralement blanchâtre, couvei't de pla- ques brunes isolées, distinctes ou confondues. Il habite quelques îles de l'Inde. Le scham-scham est un animal nocttu'ue, lent, paresseux et slupide, ainsi i|ue ses congt'nèrcs, aux(puds s'appiicpu' également tout ce que nous allons en dire. Ses grands yeux très-saillants, à fleur de tête, à pupille longitudinale, sont l'expression de son imbécillité. Ses mouvements annoncent plus de paresse (|ue de dilîiculté d'agir, et la colère même ne peut qu'à peine 1 animer. Dans ce cas, cependant, il grogne eu soufflant à la manière des chats, et il cherche à mordre, mais non à combattre. V.u captivité il montre un caractère triste, mais fort doux; il se cache dans le coin le plus obscur de l'appartement pendant le jour, parce ((uc l'éclat de la lumière lui blesse les yeux. La nuit il en sort poui' manger le i)ain et même la viande dont on le nourrit. 11 boit eu lapant ; il se frotte sans cesse la face et les mains pour se net- loyer, et il aiiue à enrouler sa (pieue et a se tenir assis sur son derrière. Lorscjuc l'cm voyage dans les iuuneuses forêts de la Nouvelle-Guinée ou des Moluipies, l'odorat est quelquefois frappé d'une odeur forte, excessivement désagréable, annonçant d'assez loin la présence d'un de ces animaux caché dans le feuillage; (Ile rc'sidic d'un apiiarcil glaiuliileux que les couscous oui auloiu' (le laiMis. Malgré celte déleslable odeur , les naturels du pays mangent leur chair avec le plus grand plaisir, et leur font une MARSUPIAUX FRUGIVORES. 207 chasse inccssanie. u Les Nègres du jxirt Praslin, à la Nouvelle- Irlande, disent les naluralistes voyageurs de la Coquille, aiment singulièrement la ciiaii- grasse des rouseous; ils la l'ont rolir sur des charbons avec les ])oils, et ne rejettent que les intestins. Avec les (lents ils forment des ceintures et autres ornements, et leur abondance est telle (|ue nous avons vu beauroup d habitants avoir des cordons de plusieiu's brasses de lougueiu' (jui attestent la destruction <|iie l'on l'ail de ces mammifères. « Il seudderait sin- gulier au premier coup d'œil que des iNègres sans armes pussent si aisément s'emparer de ces animaux grimpeurs; mais, si l'on s'en rapporte à ce qu'ont dit et cru G. Cuvier et Huffon, la chose devient facile à expliquer. Selon ces auteurs, les couscous, ipii vivent jjrestjue continuellement sur les arbres pour y chercher les insectes et les fruits dont ils se nourrissent, sont tellement sur|)ris quand ils viennent à apercevoir un homme, qu'ils se sus- pendent par la queue à une branche, et, au lieu de fuir, res- tent là , immobiles, à le regarder. Dans ce cas, il ne s'agit plus pour le chasseur (pie de s'arrèlcr et de les regarder aussi : soit las- situde, soit par une sorte de fascination rèsidtant de la peur, ils finissent par lâcher la queue; ils tombent et deviennent la proie du ( hasseiir. .Malgré les deux grandes autorités que je viens de citer, je crois que ce fait a besoin d'être confirmé. Le scham- schara vit dans les forêts équatoriales des grandes îles Mohiijues et Pajioues. Le Couscous ursin (C'uscus ursinm , Less. Phalangisla ursina, Tem.m.) est de la taille d'un chat sauvage; il a de longueur totale trois pieds six pouces (1,1371, compris la cpieue, qui a vingt pou- ces (t),Sl2). Son pelage est frisé, cr('pu , rude, d'un noir parfait dans l'âge adulte, |)lus clair dans le jeune âge; les |)oils soyeux sont entièrement noirs; le dessous du ('or|)s est roiissAlre; les partie nues de la (pieue et du museau sont noirâtres. Il habite la partie septentrionale des Célèbes, où les habitants estiment beau- coup sa chair. Le Do ou Ramiiavf, (Cuscus Qaoïjii, Less. Vhalangista papuonsis, Desm. Phala-nghtn Quog , Gaim.) ne serait, selon M. Tenuniuck, que le jeune âge du scham-scham, et je suis porté à partager cette opinion. 11 a le pelage d'un gris brun, avec une ligne dor- sale plus foncée; le dessus de la tète est jaunâtre, le dessous d'un blanc sale ; les e\tr('mités des membres sont d'un brun noir assez fcHicé. Il habite le même i>ays que le scham-scham. Le CouscoLS \ ciiouru» doké {Vhalangista chrtjsorrhos , Temm.) est de la taille d'un chat sauvage, et atteint à peu près trois pieds (0,07.5), compris la (|ueue, (pu a treize pouces (0,5r)2); ses oreilles sont très-courtes, couverte d'une toudè de poils blanchâtres; son jn'lagc est cotonneux, serré, un peu frisé, garni de poils soyeux d'un cendré gris (lair sur la fêle, d'un gris de cendre un peu brunâtre sur les (lancs, d'un jaune doré vif sur le croupion et la partie supérieure de la queue; la poitrine, la moitié du ventre et le dedans des membres sont blancs; il a nne bande noire sur les flancs, les |)alles d'un roux doré, et la pai'tie nue de la cpuiic jaune. Il habite les ,Molu(pies. Le Couscous a cuosse queue (Cuacm macrourm, Less. et Gaiin.) a douze pouces huit lignes (0,ôi2) de longueur, non comiiris la queue, qui est très grosse à sa base et (jui est longue de dix-.sept pouces (0,40(1); il a le pelage gris, d'où sortent des poils noiis plus longs, et parsemt'S de taches ('parses, brunes; la lêle est fauve; la gorge et les oreilles sont blanches; la ipieue est robusic, cendrée; le ventre est blanchâtre, les extrémités brunâtres. Il habite l'Ile de Waigiou, aux Moluques. L'espèce qui suit a les oreilles distinctes, nues à l'intérieur. LeCAPOUNÉ ((7ii.scu.s alhus, Lrss. Diddiihis orientalis, Lin. Pha- Imigista ru fa, Dks.m. Phalangisla car i fions , ïi:>ni. Phalangisla alba et rufi, (;r.ori-. Le Pliatunger feim-lle, Buii' .) est long de \ingl l)ouces six lignes (O.îirili), et sa queue en a treize (0,552); son pe- lage, éi)ais et cotonneux , est blanchâtre dans le mâle, d'un roux assez vif dans la femelle, avec une ligne très-foncée sur le dos, et une piaipie jaunâtre sur les c(jt('s du cou; la partie nue de sa queue est d'un rouge carmin. Cet animal est très-commun au port Praslin, dans la Nouvelle - Irlande ;^ les naturels estiment beaucoup sa chair. 12" Genre. Les POTOROUS {Ihjpsiprijinnus . liiir..) ont trente dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures; deux canines en haut et point en bas ; dix molaires à chaque mâ- chaire. pes jambes de derrière sont beaucoup i)lus longues que celles de devant; elles man(pient de ])ouce et ont les deux iire- miers doigis réunis jusqu'à l'ongle; le troisième doigt esl armé d'un ongle très-fort; les pieds antérieurs ont cinq doigis munis d'ongles obtus proiires à fouir la terre; leur(iueue, médiocre- ment longue, est écailleuse et couverte de quehpu^s poils; leurs oreilles sont grandes, leur tête allongée et leur lèvre supérieure fendue. Le PoTOROU (Hypsipnjmnus Whitii, Quov et Gaim. PoIoivus mi- nimus el Kangurus Gaimardii , Desm. Macropus niinor. Siiaw. Le Potoruo, \\iuTE. Le Kanguroo-Rat, G. Cuv.) a un pied six lignes (0,5.î9j de longueur, non com|iris la queue, qui a un pied (0,32.'j); il est de la grosseur d'un i>etit lapin. Sa tête est triangulaire , large et un peu aplatie par derrière, pointue en avant; ses oreil- les sont larges; ses tarses très-longs; sa (pieue est grêle, flexible, terminée par un pinceau brun; son ])elage est d'un gris rougeâ- tre en dessus, blanchâtre en dessous. Cet animal, d'un caractère fort doux, quoique moins timide que celui des kangourous, ne vit (pie de feuilles et d'herbe, qu'il ])ait avec ses longues incisives (uniiianles, et des ruils, (piand il en rencontre. Il parait même, selon Qiioy et Gaimard, (pi'il s'ac- commode foil bien de substances alimentaires propres à l'homme, quand il en trouve l'occasion. Un de ces animaux, disent ces voyageurs, vint enlever familièrement des restes d'aliments au milieu d'une cabane bâtie pour les abrilcr, pendant une excursion dans les iniinlagnes Bleues, et il s'enfuit par un trou, à la ma- nière des rais. Il habite les broussailles, et fuit avec beaucoup de rapidité , en faisant des bonds prodigieux avec ses jambes de der- rière, quand on le poursuit. Il esl d'une telle agilité que M. Lesson dit en avoir vu au milieu des rocailles de la Werra-Gambia courir sur les petits buissons qui couvrent celte partie de la Nouvelle- Hollande, C'est à peu près (ont ce qu'on sait de son histoire. Le PoTOROU DE Lesueuk [Hypsipnjmnus Lcsueur, Quoy et Gaim.) n'est connu que par le squelette d'une tête trouvée dans l'Ile Dirçk- Halichs. Il serait à peu près de la grandeur du précédent, mais ses oreilles seraient beaucoup plus larges, ses joues plus saillantes, son museau moins long et sa fêle généralement jdus arrondie. Le PoToiiou DE Péko.\ (Hiijisiprgrnnus Perun, Quo\ et (Iaim.) n'est également connu (|ue i)ar un sipielelle apporté de la Nou- velle-Hollande. Il serait de la même grandeur que les précédents, mais ses oreilles seraient beaucoup plus étroites, ses yeux plus saillants à cause de l'abaissemenl de ses joues; .son nez plus sail- lant, sa tèlc en gi-néral plus mince, plus pointue, en (rtiie plus allongé; ses incisives supérieures mitoyennes et ses canines sont plus longues. 208 LES MARSUPIAUX. _ ^1 Le Kangourou enfumé. LES MARSUPIAUX FOLIIVORES. fils manquent de canines aux doux mâchoires.) 14" Genre. Les K.\i\GOUROUS {liangurus, Geoif. Macropus, SnAw)ont vingt-quatre dents, savoir : six incisives supérieures et deux inférieures; pas île canines; luiit molaires en liaut et iniit en bas. Leurs jambes de derrière sont encore plus longues et plus robustes que celles des potorous, et le gros ongle du jiied est presque en forme de sabot; leurs oreilles sont très-grandes; leur tête est allonge'e, avec la lèvre supe'rieure fendue, et des moustaches très-courtes et très-peu fournies ; leur queue est lon- gue , triangulaire, très-musculeuse et très-grosse à son origine; les femelles ont une poche abdominale cachant deu.x mamelles. 1, Le Kancourou enfumiî {Kangurus fuliginosus , Geoff. Macropus fuliginosus, Less. — J. Goui.. Le Méni'i-âh de la Nouvelle-Hollande) atteint, dit-on, Jus((u'à six pieds (l,r)'(.9) de hauteur, mais sa taille ordinaire est de (pialre pieds et demi (1,i(>l); il est d'un brun fu- ligineux en dessus, roux sur les (lancs, et d'un gris clair en des- sous; les (piatre pattes, une portion de rextrémité du museau et le deri'ière du cou sont d'un brun iioinlilre ; les oreilles sont bru- nes en dehors; la (jueue est rousse en dessous, d'un brun passant an noir en se rapprochant de rexlr('niiti' en dessus. C'est dans h^s pays bois('s, dans les vasies forOls de la .Niiuvcllc- llollande, (|uc vivent tontes les espèces de kangourous, lu.iis ils s'acclimatent fort bien chez nous, et même ils s'y nnilli|)licnt , pour peu qu'on en prenne quelcjues soins. Ces singuliers animaux ont ctc observes pour la )iremière fois iiai' Cook en 177!). Leurs paltes antérieures, fort petites et munies de cint] doigis armes d ongles assez forts, ne paraissent guère leur êlre ulilcs ])our la marche, mais ils s'en servent comme de mains pour porter leurs aliments à la bouche, à la manière des rongeurs. Leurs pattes de derrière sont allongées hors de toute pro|)ortion, munies de qua- tre doigts fort longs, dont le second exierne, dépassant beau- coup les autres dans ses dimensions, a pour ongle un v('ril,ible sabot. Il résulte de cette conformation (pie la station verticale est leur position habituelle, et qu'ils s'appuient non-seulement sur leurs longues jaNd)es, mais encore sur leur grosse et puissanle queue, (|ui leur sert comme de ressort quand ils sautent; le bond est donc leur marche naturelle. Le sabot de leurs pieds de der- rière est pour eux une arme défensive et ofTensive, car, en se tenant sur une jambe et sur la queue, il peuvent, avec le pied qui leur reste libre , donner des coups assez violents ; dans les combats qu'ils se livrent entre eux, ils se servent aussi des pieds de devant et se font de profondes blessures avec leurs ongles. On a vu quelquefois les kangourous qui vivaient à la ménagerie atla- <]uer leurs gardiens de cette manière, quands ils en étaient mal- traités. Ils font des bonds ])rodigieux, et peuvent, dit-on, fran- chir d'un seul saut un espace de Irenle pieds ('.l,7i."i) ; mais cej)en- dant, lorsqu ils sont chas.s('s dans des bois fourrés, ils savent fort bien courir à (piatre iialtes. (Juoy et (iaimard , (jui ont assisté à jilusieurs chasses aux kangourous , disent « que lorsqu'ils sont vivement i>oussés par les chiens, ils courent toujours sur leurs (|uatre jiieds , et (pi'ils n'exécutent de grands saiils (pie ipiand ils reiK'OuIrent des obstacles à franchir. » Les k.iiigourous vivent eu petite troiiiic, ou peu! élre en fa- mille, conduite par un vieux niAle (pii marche en avant, observe la campagne, cherche à découvrir le danger, et donne le signal (In repos, des joyeux ébats ou de la fuite, selon les circonstances. Les ixiils, en naissant, n'ont jias plus d'un pouce (0,027) de lon- gueur; la mère les place dans sa poche, où ils achèvent de se développer, et ils n'en sortent délinitivemcnt (pic lorsipie leur grosseur ne leur permet plus d'y rentrer. Aussi ils s'y retirent encore lorsque dtïjà ils sont en état de paître, ce qu'ils font en sortant le museau de la poche, pendant (pie la mère paît elle- im''me. Ces animaux vivent d'herbe, mais cependant ils ne dédai- gnent pas les autres aliments, et l'on en a vu manger avec plaisir MARSUPIAUX FOLIIVORES. 209 non-seulement de la chair, mais du vieux cuir. Quoy et Gaimaid en ont possédé un qui buvait même du vin et de l'eau-de-vie. 11 est très-remarquable que tous les animaux de la Nouvelle-Hol- lande, habitant un pays fort pauvre en substances alimentaires, sont à peu près omnivores, malgré les formes qu'affecte leur système dentaire. Toutes les espèces de ce genre sont extrêmement douces et ti- mides, et les plus grandes ne pensent à se défendre contre les chiens mis à leur poursuite que lorsque la fuite leur est tout à fait interdite. Dans ce cas, l'animal tâche de s'élancer sur une pierre ou une roche de trois h quatre pieds de hauteur , et là , assis sur sa queue et sur une de ses pattes, il tâche d'écarter ses aisément, mais sa chair est coriace. Il est commun dans la Nou- velle-Galles du Sud. Le Kakooubou a cou rolx {h'angurus rupcollis, Gkoff. — Desm. Macropus ruficullis, Less.) est beaucoup plus petit que le précé- dent; son pelage est d'un gris roussâtre en dessus et sur les flancs; la nuque et le haut des épaules sont d'un roux mêlé de gris ; la face interne des membres est blanche, ainsi qu'une ligne médiane étroite sous le corps ; le dessus de la queue est d'un gris roussâtre , et le dessous blanchâtre. U habite l'Ile de King , dans le détroit de Bass. Le Kancouiiou vineux (h'angurus vinosus, Fr. Cuv.) a beaucoup d'analogie avec le précédent, dont il n'est peut-être qu'une va- La Marmotte, paysage suisse. ennemis à coniis dr pied, et sait très-iiien proliter de sa position. Mais cet éclair de courage ne lui sert pas à grand'chose, et deux ou trois chiens viennent aisément h bout de le terrasser. En do- mesticité il s'apprivoise fort bien, et il devient même familier. La chair des kangourous est assez Imnne à manger, et a , dit-on , le goût de celle du cerf; aussi les habitants leur font-ils une guerre active. L'espèce dont nous parlons ici est le plus grand animal que l'on ait trouvé dans la Nouvelle-Hollande. Le Kangourou a moustaches (Tiangurus labiatus, Geoff. Macro- pus labiatus , Less. Didelphm gigayilea, Gmi.. Macropus majar , Smaw. Le Kantjuroo . C.otm) est la première espèce connue; quoi- ()u'un \u\] moins grand ipie le précédent, sa taille égale celle d'un niduton. Il est gris cendrii en dessus et blanciiAtre en des- sous; le menton est traversé par une ligne d'un gris cendré; le museau est blanc; les pieds et le dessus de la queue sont noirâ- tres. Cette espèce est très-douce , très-timide, et se familiarise 54. Paris. Typographin [Mon riété ; mais son pelage est plus gris, et la tache blanche qui en- toure la boiiclie est plus prononcée. Il habite le même i)ays. Le Kangourou r.Mf,-ROV\ {Kartgurus rufogriseus, Gkoff. — Desm.) est un peu plus petit que le kangourou à moustaches, et n'a que trois pieds et demi (1,157) de longueur; son pelage est d'un gris roux tirant sur le blond, plus foncé sur le dos, plus pâle en des- sous et passant au blanc sur la ligne médiane; d'un gris bru- nâtre sur les quatre jambes, et au bout de la queue. Les oreilles sont plus arrondies que dans les deux premières espèces. De la Nouvelle Hollande. Le Kangourou de Banks (lîangurus banksianus, Gaim. Macropus banksianus, Less.) est une espèce fort douteuse, qui serait d'un rouge foncé, avec des taches brunes sur la tête. Sa taille serait plus petite que celle du kangourou à moustaches , et il habiterait les montagnes Bleues de la Nouvelle-Hollande. Le Kan(;oi Rou LAINEUX {Kangurus lanigcr, Quov et Gaim. kan- frrres. riio (io \'aii;pinrd , .36. '* 2)0 MAUSOPIAUX. giirus riifus , Desm. Macropus laniger, Less.) est presque de la même taille que le kangourou enfume', et n'a pas moins de quatre pieds (1,299) de longiiem'; son pelage est très-long, doux, soyeux, frise et laineux, d'un rouge ferrugineux en dessus; hlaniliâtre sur la poitrine et le ventre; les oreilles sont ovales, grisâtres en dehors; les doigts d'un hrun roussâtre. Ses membres postérieurs sont encore plus allong(^s que ceux des autres espèces. 11 habite les environs du port Manqnarie. Le Kaxgoi'iiou he l'île Kli.knf. {Kangurus Eugenii, Desm. J/a- crepus: Eugrnii , Less.) a dix-neuf pouees de longueur {0,S11); son pelage est épais, moelleux, d'un gris brun en dessus, mêle d'un peu de roux sur les parties antérieures et sur les pattes de devant, et blanch;1tre en dessous; la queue, en dessous, est d'un blanc roussAtre. 11 vit en troupes nondireuses sur l'ile Eugène, à la côte sud de la Nouvelle-Hollande, et parait ne pas se trouver sur ce continent. " L'OuALABAT ou KANGOUROU DE i)UissoN [Kangwus ualabatus , Less. et Gabn. Macropus ualahatus, Liss. Kangurus bicolor, vélins du Muse'um; Kangurus Brunii, Desm.) est brun en dessus, fauve pâle en dessous; sa (pieue est très-longue, très-noire en dessus ainsi que la bouche; les paltes et les joues sont grises, et les poils de la base des oreilles sont d'un jaune rougeftire. 11 est commun dans la Nouvelle-Galles du Sud. Le Kangourou de Labillardière (Kangurus BiUaitiierii , Desm. Macropus Billardierii, Less.) est à peu près de la taille d'un lièvre; ses oreilles sont courtes et ovales-arrondies; sa lèvre su- périeure est rousse; ses main: sont d'un brun roux, et ses ongles très-compriraès au lieu d'être déprimés; sa queue est de la lon- gueur de son corps; son pelage est d un gris brun en dessus, roussâtre en dessous. Il habite la terre de Diéuien. Le PoDiN ou Pélandoc d'Ahoé [Kangurus «'eferum, Less. et Gakn. m acropus velerum , Less. Le Filander , Vaiexti.\ etLEBimViN. Le Lapin d'Aroé) est de la taillt^ du précédent. Il est beaucoup plus ramassé dans ses formes que les précédents; sa queue est moins longue; .ses membres antéiieurs plus forts; son pelage est entièrement brun. Il habite exclusivement la iS'ouvelle-GuUiée et les îles équatoriaies. Le Kangourou filandre (Kangurus philander, Geoff. DideliMs asialica, Pall.) a presque toujours été confondu avec l'oualabal, quoiqu'il ne soit pas de la Nouvelle llollanile, ou avec le podin, cpioiqu'il ne lui ressemble jwis. Il a environ deux pieds et demi (0,K12) de longueur; il est brun en dessus, mais le dessous du corps et la partie interne des membres sont roux ; le museau et les doigts sont noirâtres; la queue est noire, avec un peu de blanc à l'extrémité; les «fleiiles sont brunâtres, avec du roux à leur base. Il habile les îles de la Sonde. 13« Genre. Les PÉTAURISTES ( Petouru.s Siuw) ont trcnle- huit dents, savoir : six incisives siip('rieurcs et deux inférieures: pas de canines; seize molaires en haut et (piatorze en bas; ils ont !a peau des flancs plus ou moins étendue entre les jaudies, et couverte de i>oils, de manière à leur servir, non pas d'ailes, mais de parachute ; leur lélc est assez courte ; leurs oreilles sont petites, et leuraules. En efl'et, le pelage de ces animaux est très-épais, très-long, d'une douceur et d'une finesse extrême, qui, sans aucun doute, lui donnerait une grande valeur si jamais on le mettait dans le commerce de la pelleterie. Le Pétauriste a grande queue (Petaurus macrourus, Desm. Pe- taurifita macroura, Desm. Didelpliis macroura. Siiaw. Le Phalanger volant à longue queue, G. Cuv.) est de la taille du surmulot. Il est d'un brun foncé en dessus, blanchâtre en dessous; sa queue est grêle , une fois et demie longue comme son corps ; les paltes de devant sont blanches à leur extrémité. 11 habite la Nouvelle-Hol- lande. Probablement on devra réunir à cette espèce, comme sini|de variété. Le Pétauriste a ventre jaune (Petaurus jlaviventer , Desm. Pc- iaurista fiaviventer, Geoff.). U diffère du précédent par son pe- lage d'un brun marron en dessus, d'un fauve blanchâtre en des- sous; la queue est d'un brun marron, ronde, un peu plus longue que le corps. U habile le même pays. Le Petauiuste de Péron (Petaurus Pcronii, Desm.) est de la taille de nos e'cureuils , et se distingue des autres par sa membrane des flancs, i|ui ne lui vient que jusqu'aux coudes ; son pelage est brun en dessus , blanc en dessous, et mélangé de brun et de gris sur le dessus des membranes; ses pieds sont blancs, ainsi que l'ex- trémité lie sa queue. Il est de la Nouvelle-Hollande. Le PÉTAURiSTii sciURiFN [Pctaurus sciureus , Desm. Didelphis sciurea , Siiaw) a près de neuf pouces de longueur (0,24i), sans y comprendre la queue, ipii en a près de dix (0,271), c'est-à-dire qu'il est à peu près de la taille de noire ('ciireuil commun. Son pelage est d'un gris cendre' en dessus, blanc en dessous ; le bord t^es membranes est blanc ; la tête a deux traits noirs partant des narines et «'étendant jusque sur les yeux; une autre ligne noire s'étend depuis le nez jusqu'au bout de la queue ; c(dle-ci est cen- drée, roussâlrc à l.i hase et brune au bout. Il lialiite l'île de Nor- folk et les montagnes lili'ucs. On sait qu'il s établit dans des trous d'arbre, et ([u'il fait huit petits à chaque portée. Le PiiTAURiSTE i'ygmée (Pclaurus pygmwus, Desm. Didelphis pyg- mœa, Siiaw. Petaurisia pijgmœa, Gkoef. Le Phalanger volatil nain, G, Cuv.) se disliiigue de tous ses congénères par sa queue d'un gris roussâtre, diuit les poils sont parfaitement dislicpies et ad'ec- tent la position des barbes d'une plume; son pelage est d un gris de souris uniforme, légèrement lavé de roussâtre en dessus, et d'un blanc pur en dessous. Il est de la grosseur d'une souris, et sa ipieue est moins longue que son corps ; la membrane de ses (lancs se termine aux coudes. H habile la Nouvelle-Hollande. 1.^= Genre. Les HALMATUHES {Italmaturus, Fr. Cuv.) ont vingt- Imil dents, savoir: six incisives supérieures et deux inf('rieures; pas de canines; dix molaires en haut et dix en bas, c'est-,i-dirc deux de plus à chaque mâ( hoirr «pie les kangourous. Du reste, ils leur ressemblent beaucoup et n'eu dillèrent guère ipic par leurs oreilles plus courtes et leur queue pres«jue nue ou n'ayant que quelques poils rares. MARSUPIAUX FOLIIVORKS. 2I( L'Halmature a bandes {Halmaturus fasciatus. — h'anyurus fas- ciatus, PiiRON et Lesueur. Halmaturus ekgans, Less. Le Kangou- rou élégant, des naturalistes) a la tête arrondie; son pelage est d'un gris de souris, raye' transversalement en dessus de gris, de roux et de noir, formant douze à quinze bandes d'un efTet agréa- ble ; le dessous est gris, ainsi que la queue dont l'extre'mite' est noire. Cette espèce a les mêmes mœurs et les mêmes liabituar leurs incisives inférieures très-compri- me'es; ils ont cinq molaires en haut, ou plutôt quatre , avec une très-petite en avant (pu tombe de bonne heure, quatre en bas, de chacpie côté des mûciioircs, en tout vingt-deux dents. Leur «pieiie est longue, garnie de longs poils souvent distiques, c'e.st-à-dire , dirig('s sur les côtes comme les barbes d'une idume ; ils ont qua- tie doigts devant et cinq derrière, munis d'ongles très-aceres ; qucKpiefois le pouce de devant est indicpie par un tubercule. Quelipies-uns ont des abajoues ou poches buccales; chez d'auti'es, la peau des flancs s'étend de chaque côté d'une patte à l'autre. ■1" Gkxiii:. Les TAMIAS (Tamia, Im.ic.) ont la tète osseuse, prc- sentant une ligne courbe uniforme à sa ])artie supérieure vue de prolil ; et, vue en dessus, toutes ses parties antérieures Irès-elli- lees ; lein- boîte cérébrale , peu étendue , ne s'avance i)as jusiju'a la moitié de la tête; ils ont des abajoues cl la queue distique. Tous sont fort lestes, fort vifs et pleins de grâce. Le Palmiste [Tamia pahnarum , Less. Sciurus palmarum , Lin. — DusM. Mustela africana, Glus. Le l'ahmste, Buif. Le Rat pal- miste, HiiissoNj ajiparlient peut-être au genre écureuil, car nous ne savons pas s'il a des abajoues; mais , pour tous les autres ca- ractères, il se rapproche davantage des tamias. Ce joli animal est un peu jibis petit que noire écureuil; son cori)S a cinq pouces (O.inri) de longueiu-, et sa queue six pouces (0,102); il la porte droite et relevée verlicalement , mais sans la renverser sur son cori)s comme l'écureuil : il ne l'a pas non jilus aussi loulbu', cl elle est rougeftire en dessus, et blauch:'*lre bor- dée de noir en dessous. Sou judage est brun ou d'un roux mêlé de gris, avec trois bandes longiludinales d'un blanc sale ; le des- sous de son corps est blanc; ses oreilles n'ont pas de pinceau terminal. On en connaît une variété albinos, figurée ici. Le pabnisle vit de fruits et se sert de ses deux ])attcs de devant ])our les saisir et les iiorler à sa boiuhe; il passe inie grande jiailie di' sa vie sur les palmiers, d'où lui est venu son nom, et il fait un grand dég;U de dattes , ainsi tpie d'autres fruits ipi'il va chercher dans les vergers et dans les jardins, et qu'il emporte avec lui soit pour les manger ])lus à son aise, .soit po\n' en faire une piDvision. (Jiiand il ne les emporte pas, il en gAle néanmoins un grand nombre , car , avant d'eu manger un , il faut ipi'il en cnlame au Tiioius une douzaine pour les goûter. Vif, léger, éveillé, d'une agilité surprenante, il aime à bondir de branche en bran- che et d'arbre en arbre, le j)lus souvent pour le seul plaisir de se donner du mouvement. Les auteurs (pie j'ai eonsult('s ne disent pas s'il niche sur les arbres , comme les écureuils , ou dans des ÉCUREUILS. 213 terriers; mais coRime par ses formes il se rapprociie moins de ces derniers que des rats , il est à croire qu il se retire dans des trous de rochers ou dans des troncs d'arbres. Du reste, il est fort doux et très-familier ; il s'apprivoise aisément et s'attache à la demeure qu'on lui a faite au point de n'en sortir que pour se promener et d'y revenir ensuite de lui-même, sans y être ni ap- jielé ni contraint. 11 a un grand plaisir à grimper sur tous les objets e'ieve's , comme les toits des maisons , les murailles; aussi habile-t-il souvent dans les villages, et, dans ce cas, la femelle dépose ses petits dans les trous de murs. 11 est tellement familier, qu'il entre parfois dans les maisons pour ramasser les miettes de pain (jui tombent de la table. Quant à ses autres habitudes, elles sont les mêmes que celtes des e'cureuils. Il est certain que cette et il est remari]uable que sa prévoyance dépasse de beaucoup ses besoins. Pour transporter toutes ces graines, il n"a pas d'autres moyens que ses abajoues , dans lesipielles il les place à mesure qu'il les ramasse. Je crois qu'il faut regarder comme une espèce distincte de celle-ci ; L'OinoiiiN [Tamia caruliniensis-. — Sciurus caroliniensis, Bniss. Sciurus Lisleri , Ray. L'Ecureuil de tem , CxTF.suy . Ohiuhin des Ilurons), (pii est moitié plus petit que l'écureuil ordinaire, et un peu plus petit que le précédent. 11 est roux, au lieu d'être brun; ses raies blanches sont plus jaunâtres; les autres sont noires; l'intervalle entre la raie du dos et celle des lianes est roux au lieu d'être d'un gris brun. Il est de la Caroline, et a les mêmes habitudes que le précédent. L'Eouiî'Uil noir il'AméritjUP. espèce habite l'Inde, et peut-être se trouve telle aussi au Sénégal et au cap Vert. Une espèce nouvelle , le Tamia Deles!terti , Sciurus Delesserti de Gervais, se trouve dans l'Indoustan. Le BuBL'KDUK ou Suisse [Tamia striata, Less. Sciurus siriatus, Lin. — Desm. Le Ruyeriik des Tartares. h'Ulbuki des Tungouses. Le Schepek des Ostiaks. Le Dsjulalà des Baskirs. Le Dschyraki des Mongols. Le .^iort/io des Mogols. Le Suisse, Buir. — Ci. Ccv.). Il a environ cinq pouces (0,irK>) de longueur, non compris la (pieuc, qui n'en a que trois (0,081). Son pelage est d'un brun fauve, avec cinq raies longitudinales brunes et deux blanches; le dessous est blanc; la région lombaire est rousse, ainsi que la ([ueue, qui est bordée de noir en dessous, et noirMre en dessus. Il habite les parties seiitenirionales de l'Europe et de l'Asie. Le buriindiik est moins doux, moins familier (pie le précédent, et il mord sans ménagement, à moins qu'il ne soit parfaitement apprivoisé. Beaucoup moins agile que les écureuils , (|uoique très-vif, il se (h-termine rarement à monter sur les arbres, à moins que ce ne soit pour éviter la iioursuite de son ennemi, et pour y cueillir (piehpies fruits ([u'il aime avec jjrédilection. Il se contente le plus ordinairement de ramasser les amandes du pin, les noisettes, etc., (pii tombent sur la terre, pour en faire sa pro- vision d'hiver. Il se creuse, entre les racines des arbres, un ter- rier a double sortie, et, au milieu, il construit inie sortie de cave assez grande qui lui sert de magasin , et ipii ist placée à C(Hé d'une petite ch.uidtre très-propre , bien matelassée de foin doLix et sec, oij il couche. 11 va ensuite à la provision , et enta.sse dans sa cave autant de fruits secs cpi'il en peut trouver. Si la saison est favorable, son magasin est bientôt plein ; alors il en creuse un autre à côté qu il reuq)lil, puis un troisième, un quatrième, etc., Le SiKSMv (Tamia II uJsonia, Less. Sciurus hudsunius , Lis . — Desm. Peut-être le Sciuropterus de Lesso.n) est un peu plus petit que l'écureuil d'Europe; son pelage est d'un brun roussAtre en dessus et sur la tête; une raie noire occupe les flancs; son corps est blanchâtre en dessous; sa queue, plus courte que le corps, est d'un brun roussAtre, bordée de noir; ses moustaches sont très-longues et noires. On ne le trouve que dans les forêts les plus froides de l'Amérique seiitcntrionale. Le Tamia a quatke hanhes {Tamia quadriviliata, Less. Sciurus quadriviltalus, Sav) a environ sept pouces (0,18!)) de longueur; son pelage est brunfttre, mélang(,' de fauve sur la tête , fauve sur les côtés, avec quatre lignes blanches; le dessous du corps est blanchâtre. Il habite les États-Unis, vit dans des trous décro- chées, et ne grimpe jamais sur les arbres. 214 LES RONGEDRS. 2" Genre. Les ÉCUREUILS (Sciurus, Lin.) ont la dépression du front légère, et la saillie postérieure des frontaux peu sen- sible; leur profil e.st à peu près droit pour la face; la cavité de leur crâne est de la longueur des deux tiers de la face. Leur queue est distique, comme dans les tamias, mais ils n'ont pas d'abajoues. Même système dentaire que les précédents. Les écureuils ont en général les mœurs tellement semblables , que, pour éviter des redites toujours ennuyeuses, nous allons donner ici une esquisse de leur histoire générale. On })eut apjdi- quer à tous ce que Buffon dit de l'espèce d'Europe. « L'écureuil est un joli petit animal qui n'est qu'à demi sauvage, et qui, par sa gentillesse, par sa docilité, par l'innocence même de ses mœurs, mériterait d'être épargné; il n'est ni carnassier, ni nui- sible, quoiqu'il saisisse quelquefois des oiseaux. Sa nouri'iture ordinaire sont des fruits, des amandes, des noisettes, de la faîne et du gland. Il est propre , vif, très-alerte, très-éveillé , très-in- dustrieux; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, le corps nerveux, les membres très-dispos; sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, (|u'il relève jusque sur sa tête, et sous laquelle il se met à l'ombre. On ne le trouve point dans les champs, dans les lieux découverts, dans les pays de plaine ; il n'approche jamais des habitations ; il ne reste point dans les taillis, mais dans les bois de hauteur, sur les vieux arbres des plus belles futaies. 11 ne s'etigourdit pas comme le loir peudant l'hiver; il est en tout temps très-éveillé, et, pour ]>eu (pie l'on touche auprès de l'arbre sur leipiel il re- pose, il sort de sa petite bauge, fuit sur un autre arbre, ou se cache à l'abri d'une branche. Il a la voix éclatante, et plus per- çante encore que celle d'une fouine; il a de jilus un murmure à bouche fermée , un petit grognement de m('contente(neht qu'il fait entendre toutes les fois qu'on l'irrite. Il est trop léger pour marcher, il va ordinairement par petits sauts, et quehiuefois par bonds; il a les ongles si pointus et les mouvements si {irompls , qu'il grimpe en un instant sur un hêtre dont l'écorce est lisse. Les écureuils semblent craindre l'ardeur du soleil ; ils demeurent, pendant le jour, à l'abri dans leur domicile, dont ils sortent le soir pour s'exercer , jouer, faire l'amour et manger. Ce domicile est propre, chaud, impénétrable à la pluie. C'est ordinairement sur l'enfourchure d'un arbre (pi'ils l'établissent ; ils commencent par transporter des bûchettes qu'ils mêlent, qu'ils entrelacent avec de la mousse; ils la serrent ensuite, ils la foulent, et don- nent assez de capacité et de solidité à leur ouvrage pour y être à l'aise et en sûreté avec leurs petits; il n'y a qu'une ouverture vers le haut, juste, étroite, et qui sulFit à peine jiour passer; au- dessus de l'ouverture est une sorte de couverture en cône qui met le tout à l'abri , et fait (pu; la pluie s'('couIe et ne pénètre pas. (Is produisent ordiiiau-ement (rois ou cpiatre petits; ils en- trent en amour au printemps, et mettent bas au mois de mai, ou au commencement de juin ; ils muent au sortir de l'hiver. Ils se peignent, ils se polissent avec les mains et les dents; ils sont propres; ils n'ont aucune mauvaise odeur. Leur chair est assez bonne à manger, et le jioil de leur queue sert à faire des pin- ceaux. » Nous comi)léterons l'article de liulfon par quelques observa- tions qui s'appliqueront ('galemenl à toutes les espèces. Qucl(|ucs écureuils ont une vie isolée, solitaire, mais par couple, car le raàle n'ab.iiidonne jamais la femelle; d'autres, au contraire, vi- vent par troupes de plus d'une centaine. Tous sont sédentaires, et s'écarlent fort peu de la forêt qui les a vus naître. Linné , Klein, Shneffer, le poëte voyageur Uegnard, tpii nous a tant dé- bité de contes sur les Lapons, et liufTon lui-même, nous ont ce- pendant racontt; que des trouiics de pellts-gris voyagent, et que pour passer les rivières ils s'embanpienl sur des morceaux d'ii- corce qui leur servent de bateaux, qu'ils gouvernent en traver- sant le courant en étalant leur queue au vent et en s'en servant comme d'une voile. De telles histoires n'ont pas besoin de réfu- tation. La queue de l'écureuil ne lui sert jamais de gouvernail , cpioi qu'en aient dit des auteurs, et cela par une raison fort simple, c'est que cet animal craint beaucoup l'eau et n'y entre jamais. Si elle lui sert à se gouverner, c'est dans les airs, lors- qu'il fait de ces bonds prodigieux qui le transportent d'un arbre à un autre, à douze ou quinze pas de distance, comme j'en ai été souvent témoin. 'Mais elle ne peut pas non plus lui servir de parachute, comme l'a dit Desmoulins, car, placée à l'extrémité de son corps, dans une chute elle lui ferait faire la culbute, et il tomberait sur la tête. Les écureuils sont très-prévoyants : aussi ne font-ils jamais un seul magasin, mais plusieurs, et dans difl'é- rents troncs d'arbres, afin que, s'ils viennent à en perdre un par accident, il leur en reste toujours d'autres pour les alimenter l)endant l'hiver. Us savent fort bien retrouver ces cachettes quand ils en ont besoin, et même sous la neige qu'ils grattent pour les découvrir. Aussi rusés que méfiants, ils construisent toujours plusieurs nids, à d'assez grandes distances les uns des autres; et la mère, sans même être inquiétée, change souvent ses enfants de domicile, en les transportant avec sa gueide. Le matin, quand le soleil brille à l'horizon, et que la forêt est parfaitement silen- cieuse, elle les descerid l'un après l'autre sur la mousse, et les fait jouer. Si elle est surprise dans cette occupation, elle en saisit un qu'elle transporte, non dans le nid, ce qui lui ferait perdre du teftips, mais jusqu'à l'enfourchure d'une grosse branche, où elle le cache; puis elle revient chercher les autres pour les em porter de même. Ces animaux ont toujours le soin, quand ils aperçoivent le chasseUr, de se tenir derrière le tronc de l'arbre, et de tourner autour, pour rester masqués, à mesure que le chas- seUr tourne liu-même autour de l'arbre. Ils n'en continuent pas moins à monter, et, parvenus à l'enfourchure d'une branche, ils s'y blottissent et restent invisibles. Aussi est-il fort diflicile de les tirer si on est seul. Les écureuils ne sont pas tellement frugivores qu'ils ne veuil- lent manger aucune matière animale. S'ils trouvent un nid d'oi- seaux, ils sucent fort bien les œufs (pi'ils y trouvent, ou dévorent les iielits, et même la mère s'ils peuvent la surprendre. Gmelin dit cpi'en Sibérie on les prend avec des espèces de trappes dans lesquelles on met pour appât un morceau de poisson fumé, et qu'on tenil ces trappes sur les arbres. Dans (]uelques contrées, ils vivent aussi de la sève sucrée des graminées, et île graines de maïs. Depuis qu'on a transporté la culture de cette dernière jdante en l'ensylvanie et en Virginie , les écureuils s'y sont beau- coup multipliés, et font de grands dégâts aux récoltes. L'Écureuil gris (Sciurus cinereus, Schreii. — Desm. Sciurus ca- rolinensis, Lin. Le Petit-Gris, Buff.) est très-peu plus grand que l'écureuil d'Europe; son pelage est fort variable, et la mi'nagerie en a possédé plusieurs, dont les uns étaient tout entiers d'un gris blanchâtre, et les autres d'un gris fauve, surtout sur les (lancs. Son pelage est ordinairement de celte dernière couleur, piquet!' de noir en dessus, avec une ligne fauve sur les lianes; le dessous est blanc; il manque de pinceau aux oreilles. Cette espèce est de la l'ensylvanie et de la Caroline, où, ainsi que nous l'avons dit, elle s'est beaucoup niulti|iliée (l<'|)uis qu'on y cultive le maïs. Cet animal vit en lrou|)es nombreuses; il est briisipie, pétulant, mais cependant assez doux, et il s'ajiprivoise Irc.s-bien, (|Uoique sans s'allacher à son maître ni même préférer l)crsonne. Il construit au fond de la cage où on le renferme un nid de |iaille ou de foin, en forme de boule, et il y dort toute la nuit. A l'élat sauvage, il parait (]u'il ne fait pas son nid sur des branches d'arbres, mais dans les creux de leur tronc. Le (;ram) Écureuil gris (Sciurus cinerfus, Liiv. Sciurus i^irgi- nianus cinereus major, Uav.), confondu avec le prc'cédent, est certainement une espèce distincte. Sa taille, trois fois plus grande que celle de noire écureuil , égale celle d'un jeune lapin. Son pelage est à peu près de même que celui de l'écureuil gris, KCUREUILS. 315 mais son corps est plus tapais, plus Irapu; sa t#le et ses oreilles sont plus courtes, et sa queue lui couvre tout le corps II est du même pays. L'ÉcuRF.iiii. d'Europe ou Commun (Sciiirw nilgaris, Lin. Le Bjelka des Russes. i.'Uiuk des Tungouses. VOnurass des Finois. L'Orre des Lapons. Le h'erma des Kalmouks. Le Tijin des Tar- tares. Enfin, le véritable Petit-Gris des fotnreurs.) Il a sept à huit pouces (0,189 à 0,217) de longueur, non compris la queue, qu'il relève toujours en panache juscpie par-dessus sa tête; son pelage est gf'neralement rou.x, tirant plus ou moins sur le brun ^ avec le ventre d'un beau blanc; chaque oreille se termine par un pinceau de longs poils; sa queue est en dessus de la couleur du dos, mais en dessous les poils sont annele's de blanc et de Im-mu , et seulement termines de rou.x. Il habile les forêts de tout le nord de l'Europe et de l'Asie. II est peu d'animaux qui varient plus que l'e'cureuil, en raison des climats; ceux de France et d'.Mlcmagne sont ordinairement d'un roux plus ou moins vif pendant toute l'année; mais dans le Nord on en trouve de roux piqueté de gris , de gris cendre' , de gris ardoise' fonce', de gris blanc, de blancs et de noirs. Le petit- gris, si connu par le commerce que l'on fait de sa fourrure, est, en hiver seulement , d'un gris d'ardoise piqueté de blancliAIre , chaque poil étant manpié d'anneaux alternativement gris de souris et gris blanciiftlre. Comme le loup et le renard, dans le Nord il prend une taille plus grande, à compter des boftts ijë rOby jusqu'au Je'niséi , et son pelage y devient d'un gris plttS argenté. Depuis le Jéniséi jusqu'à l'Augara, sa (\iurrure redevient moins é|iaisse, et preuil une teinte plus obscure. C'est die cet écureuil ipie l'on a raconté les voyages en bateaux d'écorce. Dans ce cas , il arrive quelquefois que « le vent se faisant un peii fort, dit Regnard, et la vague élevée, elle renverse en même temps et le vaisseau et le pilote. Ce naufrage , qui est bien stlu- vent de trois à cpialre mille voiles, enrichit ordinairement (piel- ques Lapons (jui trouvent ses débris sur le rivage. H y en a ilne quantité ipii font une navigation lieureuse, et arrivent à bort port, pourvu (pie le vent ait été favorable, et qu'il n'ait poiiit causé de tempête sur l'eau, qui ne doit pas être bien violente pour engloutir tous ces petits bAtiments. » Et remarquons encore que c'est sur l'espèce de nos pays, dont les mœurs nous sont parfaitement connues, que Regnard nous fait de jiareils contes. L'ÉcuRiiuiL NOIR (Sciurus niger, Lin. — Des.m. Le Quauhtecatlotl- ThiUlie des Mexicains). Ce joli animal est à peu [irès de la grandeur de notre écureuil d'Europe; ses oreilles sont ilépourvues de pinceau; son pelage, formé d'un feutre brun et serré, traversé par des poils soyeux seuls apparents au deliors, parait entièrement dun noir foncé en dessus et d'un noir brunâtre en dessous. Selon Desmarets, les oreilles et le bout du nez seraient constamment noirs, comme le reste de la tête, et c'est à ces caractères cpic l'on distinguerait cette esi)èce des variétés noires du capistrate; selon C^tesby, au contraire, quelques individus ayant le bout du nez, ou les pieds, ou le bout de la queue, ou un collier sur le cou, blancs, appar- tiendraient à cette dernière espèce; l'inspection de plusieurs de ces variétés me fait ranger à cet avis. Quoi ipi'il en suit , l'c'cuieuil noir lial>ite rAméri(pie septentrio- nale, et probablenu'ut le Mexiinceau; la queue est brune, presque ronde, médiocrement toufTue. Il se trouve dans l'Inde, mais il parait y être rare, et ses mœurs sont peu connues. L'Écureuil du Malahak (Sciurus maximus, Gml. — Desm.). Cet animal est le i)lus grand des écureuils , et sa taille ne le cède pas à celle d'un chat. Le dessus de la tête, une bande der- rière la joue, les oreillfs, la nuque, les flancs et le milieu du dos sont d'un roux bnin très-vif; les épaules, la croupe, les cuisses et la queue sont d'un beau noir; le ventre, la partie an- térieure des jambes de derrière, les jaml)es de devant presque entières, la poitrine, le des.siis du cou et le bout du museau .sont d'un beau jaune. Ce bel animal n'habite guère que les forêts de tête et les orbites sont d'un gris ferrugineux pâle ; les oreilles et les joues sont d'un brun obscur. Il habite les forêts qui ombra- gent les bords du Missouri. L'Écureuil a queue linéoi.ée (Sciurus yrammurus , Sav) doit peut-être se reporter au genre tamia. Il a onze pouces (0,298) de longueur; son pelage, coin|)()sé de poils durs et grossiers, est entièrement d'un gris cendré; trois lignes noires, parallèles, se dessinent sur sa (|ueue. Il habite les montagnes Rocheuses, sur les bords de l'.Vrkansas, se rclii-e dans des trous, mange des boulons de feuilles, et ne grimpe pas sur hs arbres. I. ÉcuitFiiii. A iiANiiE LATÉRALi: (Sciiivus lalefaUs , Sav) est d'un brun cendré en dessus, et se reconnaît à une ligne peu déter- minée qu'il a de chaque côte du dos, plus large antérieurement que iiostérieiirement, d'un blanc jaunâtre terne. 11 habile les iiiontagiies Roclieu.ses , au nord de l'Amérique. Il apiiarlicnt, je crois, au genre des spermophiles. Le ISaiuiaresque (Sciurus (/rlulus. Lin. Le Barbarcsque, Buff.) est d'un tiers plus petit que l'écureuil d'Euroi)e; sa longueur est d'environ dix pouces (0,271). Il est brun, avec «piatre lignes lon- gitudinales blaiiclu's, qui se (U'olongent jusque sur sa (|ueue. Il habite l'Afrique et vit sur les palmi('rs. Les espèces i|ui vont suivre sont encore trop mal dt'terminées jiour qu'on .soit sur (pi'elles resteront toutes (l?ns le genre Sciu,^ ÉCUREUILS. 217 rus; celles qui resteront avec les écureuils appartiennent peut- être , comme variétés , à des espèces précédemment décrites. L'ÉCLKEUIL JAUNE (SciuTus fluvus, LiN.) est de moitié plus petit que notre écureuil ; son pelage est d'un jaune plus ou moins fauve avec la [)ointe des poils blanche ; il mancpie de pinceau aux oreilles, il serait de la Colombie selon Linné, et de l'Inde selon Pennant. Peut-être n'est-ce qu'une variété du Macro.rus annulatus. L'ÉCUREUIL DU Mexique i^Sciurm mexicanus, Séua) est long de cinq pouces (0,1ÔS), non compris la queue, qui a un peu plus de l>inceaux aux oreilles. Est-ce une variété du Sciurus maximus? Il habite Bombay. L'Écureuil anomal [Sciurus anomalus, Gml.) est un peu plus grand que notre écureuil; son pelage est d'un ferrugineux foncé en dessus, un peu plus pâle en dessous; ses joues sont fauves; ses orbites brunes, et il a le tour de la bouche blanc; ses oreilles sont petites, effilées à la pointe. Il se trouve dans les montagnes de la Géorgie, L'Écureuil de Perse (Sciurus persicus, Gml.) est d'un gris obscur Amphilhéàtre d'aiatomie comparée. longueur; son pelage est d'un brun cendré, avec sept bandes blanches le long du dos du mâle , et cincj sur celui des femelles. La figure que Séba donne de cette espèce la rend très-douteuse. L'Écureuil d'Abyssinie (Sc/urus abyssinicus . Gml.) est un peu plus grand (pie l'écureuil ordinaire, et ne serait, d'après Shaw, qu'une variété du dandoléana de Ceyian. Il est d'un noir ferru- .' "1: ■■•V" 'fJiëi,,. gineux en dessus, cendré en des.soiis; s<'S oreilles sont noires, triples de celles de l'écureuil d'Europe; sa (picue est grise, lon- gue d'un pied et demi (0,-487). Il est de l'Afritiue orientale. L'Ecureuil de l'Inde {Sciurus intlicus. Gml. Sciurus bomhayus, Penn.) a seize pouces (0,4") de longueur, non compris la (|ueiie, qui en a dix-se|)t (0,4liO); il est d'un pourpre obscur en dessus, jaune en dessous; la queue est orangée à son extrémité; il a des en dessus et jaunAtre en dessous ; il a le tour des yeux noir; les cuisses et les pieds de derrière roux; les oreilles noirâtres, man- quant de pinceau. Il se trouve dans les montagnes du Ghilan , en Perse. u- L'ÉCUREUIL ROur.E (Sciurus criithrccus, Gml.) est un peu plus grand que l'écureuil ordinaire; son pelage est d'un jaune mêlé de brun en dessus, d'un fauve .sanguin en [dessous ; sa queue, ronde et très-velue, est du même fauve, avec une ligne noire. Il habile les Indes orientales. .-)« Gknri,. Les Gl EULINGUETS (Macroxus, Fr. Cuv.);ont le front lrès-d('piiiiié; les naseaux peu allongés; une profonde d('pression entre le crâne et la face; ils niauquent d'abajoues, et leur (pieue 218 LES RONGEURS. est enlièrement ronde, ou distique seulement à l'extrt^mite'. Du reste , ils ressemblent aux e'cureuils et en ont absolument les habitudes. Le Grami Gimiii.iNr.iîET [Macroxus œsluans, Less. Sciurus œntuaiis, Dësm, Myoxus guerUngeus, Siiaw) est à peu près de la même cou- leur rpie l'écureuil commun, dont il a les formes; son pelade est d'un gris olivMre lavé de roussAtre en dessus, d'un roux pâle en dessous; la queue est plus longue ijue le corps, nuancée de noir, de brun et de fauve; ses niouslaclies sont noires et ses oreilles manquent de pinceau. Il se trouve aussi souvent à terre que sur les arbres, vit de fruits de palmiers, et habite la Guyane et le Brésil. Le Petit GuEnLixcuET {Macroxus pusillus, Less. Seiurus pusillus, Geoff. — Desm. Le Rat des bois de Cayenne) n'a guère plus de trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue, tpii en a un peu moins. Son i)elage est d'un gris brun olivâtre, jilus clair sur les parties inférieures ; le museau est fauve; la queue est cou- verte de poils mélangés de brun et de fauve; ses oreilles man- quent de pinceau, et ses moustaches sont noires. Il est assez commun à Cayenne. Le TouPAYE (Macroxus toupaï , Less. Sciurus bivittatus , Desm. Sciurus a/linis, Raffl.) est un peu |ilus gros i|ue notre écureuil ; son pelage est d'un brun noir, piqueté de jaunâtre sur le dos; le dessous est d'un roux brillant; il a sur les flancs une ligne blanche, et au-dessous, la touchant, une ligne noire; sa (pu'iie est rousse à l'extrémité. Il vit sur les cocotiers, à Sumatra. Il me parait appartenir au genre funambulus. Le GiNGi (Macroxus albovittalus , Less. Sciurus dschimchicus , Sonnekat. Sciurus ginginianus, Siiaw. Sciurus erylhropUs. Geoff. Sciurus LevaiUanlii, Mvwi.. Se i uns selosus, Foiist.^ me ])aratt être un Tamia). Il est roussAtre en dessus, blanc en dessous, avec inie ligne blanche de cliaque côté du corps; sa queue est variée de noir et de blanc; ses oreilles man([uent de pinceau; ses ongles sont très-longs, comprimés et arcpiés. Il habite le cap de lîonne- Esi)érance, et il a dans l'Inde ti'ois variétés : l" à queue brune ou roussAlre à sa base , noire à 1 extrémité; 2" à pelage d'un gris terreux en dessus, beaucou|> i)lus clair en dessous, et ipieue en- tièrement noire; 5° à dessus du corps et queue mélangés de jau- nâtre et de brun; ventre d'un blanc sale; oreilles très-courics et bandes blanches sur les flancs. H est à peu près de la taille de noire écureuil. Le Laiiy (MacroT.us inaignis, Less. Sciurus insignis, Fn. Cuv.) a le pelage d'un gris brun en dessus, avec trois lignes longitu- dinales noires; le menton, le cou et le ventre sont blancs; la tète est grise; les flancs et l'extérieur des membres sont roux; la (|ueui' est brune. Il habile Siniiatra. Celui-ci (!t le précrdent appartiendraient au genre Tainia, selon M. (Servais. Le GuEiiLiMaiET a quede aîsnei.ée (Mucruxus aimulatus, Less. Sciurus annulatus, Desm.) a cini| |)ouces environ (0,135) de lon- gueur, non compris In cpieue qui en a six (0,102); son pelage est d'un gris verdâtre clair en dessus, et blanc en dessous; la (|iieue est annelée en travers de noir et de blanc. Il habite le S('n('g;il. 4» Genre. Les ANISOiSVX {Anisonyx, Rafin.) ont les deiiis comme les écureuils , et matKpient d'abajoues; tous les pieds ont cinq doigts, les deux Internes des pieds de devant très-courts; les pieds sont très-longs et la queue distique. L'.\nisonvx iiRAcuvuRE (Anisowjx brachijura, Rafin. Arclomys brachyura. Mare. ]^' Ecureuil de terre de Lewis et Clarck) a le pe- lage d'un brun tirant sur le gris, un |)eu piipielé de blanc roiis- sâtre; le dessous est d'une h'gèrc eoiileur de briipie; la queue est ovale, très iourte, d'un luun roiigeâlrc eu dessus, d'un gris de fer en dessous, bordée de blanc. Cet animal vit de fruits, de racines , et habite un terrier. On le trouve à la Colombie. Le Sêwewf.i, (Anisonyx rufa, Map. Arctomys rufa. Harlan) n'est connu que par une peau dont le pelage est long, soyeux, d'un brun rougeâtre; les oreilles sont courtes, pointues, avec des poils courts. H habite la Colombie, llarlan pense ipie ces deux espèces ne sont rien autre chose que des marmottes, et je pen- che assez vers cette opinion. Si elle se justifie par de nouvelles observations , il faudra retrancher les anisonyx du catalogue des mammifères. 5" Genre. Les POLATOUCHES (Sciuropterus, Fr. Cuv.) ont l'oc- ciput saillant, les frontaux allongés, et la capacité du crâne comprenant les trois cinquièmes de la longueur de la tète-; la parlie antérieure du profil de la tète est droite jusqu'au milieu des frontaux, où elle prend une direction courbe très-arquée, sans dépression intermédiaire. Leur système dentaire est le même que celui des écureuils; leur queue est aplatie, distique, et leur taille petite. Ils ont la peau des flancs très-dilatée , étendue entre les jambes de devant et de derrière , en manière de parachute. L'Assapanick (Sciuropterus voluceUa , Less. Pteruinys volucella , Desm. Sciurus voluceUa, Pale. L'Assapan, Fr. Cuv. Le Polalouche, Buff.) n'a que quatre pouces et demi (0,122) environ de lon- gueur, non compris la queue, qui est prescjuc aussi longue que le corps. Son pelage est d'un gris roussâtre en dessus , blanc en dessous; la membrane des flancs est simplement lobée derrière les poignets. Cet aiiimal est triste et fort timide. Buflbn, ayant confondu cette espèce avec la suivante, lui a donné le nom que cette dernière iiorte en Hussie, tandis que l'assapanick n'habite que le Canada et les États-Unis, jusqu'en Virginie. C'est un animal nocturne, comme tous ceux de son genre, dormant le jour dans un nid de foin ou de feuilles sè- ches ipi'il s'est fait au fond d'un trou d'arbre, et n'en sortant (pie la nuit pour se mettre en quête de sa nourriture. Alors seu- lement il devient très-vif et d'une agilité surprenante. Grâce à la membrane qui s'étend entre ses pattes, il |>eut franchir, d'un arbre à l'autre, une dislance prodigieuse, de plus de quarante à cinquante pas , si l'on s'en rapporte aux voyageurs. Il se nourrit de graines et de bourgeons de pins et de bouleaux; il vit par petites troupes, et ne descend jamais de dessus les arbres. Son naturel est doux, tranquille; il s'apprivoise assez facilement, mais il ne s'attache jamais, et perd rarement l'occasion de re- prendre sa liberté; aussi est-on obligé de le conserver dans une cage. On le nourrit de pain, de fruits et de graines, mais il re- fuse les amandes et les noix, si recherchées par les écureuils. A la ménagerie, ceux qu'on a conservés se tenaient constam- ment, pendant le jour, cachés dans un lit qu'ils se faisaient avec le foin de leur litière. En 1S09, cette espèce s'est rc|)roduite à la Malmaison, chez l'impératrice Joséphine, et la femelle a mis bas trois |)etits. Le PoLATOUKA (Sciuropterus sibiricus, Ltss. Sciurus volans. Lin. l'teromys sibiricus, Desm.) est plus grand (pie le précédent et le suivant; son pelage est d'un gris cendré en dessus, blanc en des- sous; ses nu'inbranes des flancs n'oIR-ent ipi'iin seul lobe arrondi derrière le poignet; sa queue est moitié moins hmgue que son corjis. On en connaît une variété enlièrement blamlie. On le trouve dans les fmOls de pins et de bouleaux de tout le nord de l'EiMMqie. Il a les mêmes habitudes tpie le précédent, mais sa vie est solitaire. V Le SciUKOPTiiRE Fi.fcciii; (Sciuropterus sagilla, Licss. Sciurus sagitta, G. Cuv. l'teromys sagilla, Desm. Est-ce un Pteromys? ,Ie le crois.) a cin(| pouces et demi (0, 1 iO) de longueur, non compris la ipieue , qui en a ciiui (0,155J. Sou j)elage est d'un brun foncé en dessus, blanc en dessous; il a un angle saillant à la membrane d(;s flancs, jirès des poignets; sa (lueue est d'un brun assez clair. Il habite Java. L'es])èce unique décrite par llorsfield , sous les noms (le l'teromys lepidus et genibcirbis , est très-voisine de celle- ci, si ce n'est une simple variété. Elle est également de Java. &■ Genre. Les PÏEHOMVS (Pteromys, G. Cuv.) ont les membres MARMOTTES. 31» engages dans la peau des flancs, comme les préce'denls, dont ils ont aussi la formule dentaire; mais leur queue est ronde, non distique; la partie poste'rieure des os du nez est un peu liomliee; les frontaux sont fortement déprimes dans leur milieu et se relè- vent ensuite légèrement ; les parties postérieures de la tète ne commencent à se courber en bas , d'une manière sensible, qu'à partir du uiilieu des pariétaux; la boite du crâne est petite, et ne prend que la moitié' de la longueur de la léte. v/ Le Taguan (Pleromys petaurista, Desm. Sciures petaurista, Pall. Le Grand Écureuil volant, Buff.) a environ un pied et demi (0,487) de longueur, non compris la queue, qui a vingt à vingt et un ]iouces (OSfil à O.tifiQ). Son pelage est brun, pointillé de blanc en dessus, gris en dessous, excepte' au cou, qui est bruni les cuisses sont un peu roussâlres, et la queue est presque noire ; la membrane des lianes forme un angle derrière le poignet. Cet animal nocturne habite les Mobupies et les Philippines. Il a les mêmes habitudes que les polatouclies. V Le Pti;iu)mïs éclatant {l'Ieroinys nitidus, Geoff. — Desm.) res- semble au précédent, au pelage près, qui est d'un brun marron foncé en dessus, et d'un roux brillant en dessous; sa queue est presque noire, et le dessous de sa gorge est brun. 11 habite Java A la suite de cette espèce on ))lacera le Pteromys leucoyenys, de ïemmink. 11 se trouve au .la()nn. LES MARMOTTES ont dix màchelières supérieures et huit inférieures , toutes tuber- culées; les incisives sont pointues; leur tête est grosse et leur ([ueue courte ou moyenne. 7'^^GENRE.LcsMAHM0TTES(/lrcfomi/s,r.ML.) ont vingt-deux dents, savoir : quatre incisives; pas de canines; dix molaires supérieures et huit inférieures; leur corps est trapu ; leur léte large et aplatie; leurs jambes sont courtes, ainsi que la queue, ([ui est velue; elles manquent d'abajoues, et leurs ongles sont robustes et com- primés. f,a Marmotte des Alpes [Arctomijs marmotta , Gml.). Cet animal, célèbre par son sommeil léthargique , a plus d'un pied (0,525) de longueur, sans comprendre la queue, qui est assez courte et noirâtre à l'extrémité; son [lelage est d'un gris jaunâtre, teinté de cendré vers la tête, dont le dessus est noirâ- tre; les pieds sont blanchâtres, et le tour du museau d'un blanc grisâtre. La marmotte vit en petites sociétés sur le sommet- des monta- gnes alpines de toute l'Europe, près des glaciers; elle est assez commune dans les Alpes et dans les Pyrénées. Elle est fort douce de caractère, s'apprivoise aisément, et même s'attache à son maître jusqu'à un certain point. Lorsqu'elle est devenue familière dans une maison , et surtout quand elle se croit appuyée par son maître, elle montre un courage qui ne le cède en rien à celui de tous les autres animaux domestiques , et elle n'hésite pas à atta- quer les chats et les plus gros chiens pour les chasser de la place qu'elle s'est adjugée au coin du feu. Puiroii dit « qu'elle apprend aisément à saisir un bâton, à gesticuler, à danser, et à obéira la voix de son maître ; » en un mot, qu'elle est suscejjlible d'édu- cation, et c'est ce que je ne crois pas. Il est vrai cpie les jeunes Savoyards qui montrent des marmottes au peuple leur font faire (piel(|ues exercices; mais, si on se donne la ])eine de les regarder sans [irévention, on verra que ces tours ne sont jamais que le résultat des tiraillements de la chaîne par laipielh? on les tient, et de la manœuvre du bâton qu'on leur passe entre les jambes. L'éducation n'est pour rien dans tout cela, du moins, je ne l'ai jamais vu autrement. En captivité on la nourrit avec tout ce que l'on veut, de la viande, du pain, des fruits, des racines, des herbes potagères, des cho\Lx, des hannetons, des sauterelles, etc., mais ce (pi'elle aime par-dessus tout, c'est le lait et le beurre. Quoi(pie moins prédisposée au vol que le chat, si elle peut se glisser furtivement dans une laiterie , elle manque rarement de le faire, et en se gorgeant de lait à n'en pouvoir pliLs, elle ex- jiiime le plaisir qu'elle éprouve par un petit murmure parlieuller fort expressif. Ce umrmure, quand on la caresse ou ipi'elle joue, devient plus fort, et alors il a de l'analogie avec la voix d'un ])etit chien. Quand, au contraire, elle est effrayée, son cri devient un sifflement si aigu et si ])ereant, qu'il est im|)ossible à l'oreille de le supporter. D'une propreté recherchée, elle se met à l'écart, comme les chats, pour faire ses ordures; mais, ainsi que le rat, elle exhale une odeur qui la rend très-désagréable pour certaines personnes. Ce qu'il y a de plus étonnant dans la marmotte soumise à la domesticil(', c'est qu'elle ne s'engourdit pas l'hiver, et (prclle est tout aussi éveillée au mois de janvier qu'en été, pourvu cpi'elle habit(: les appartements. A l'état sauvage, la marmotte montre assez d'industrie, sans pour cela avoir une intelligence très-remar(|ual)le. Sur les mon- tagnes, elle établit toujours son domicile le long des pentes un peu roides regardant le midi ou le levant; elles se réunissent plusieurs ensemble pour se creuser une habitation commune , et elles donnent à leur terrier la forme invariable d'un •< grec cou- ché. La branche d'en haut a une ouverture par laquelle elles en- trent et sortent ; celle d'en bas, dont la pente va en dehors, ne leur sert qu'à faire leurs ordures, qui, au moyen de cette pente, sont facilement entraînées hors de riialiilalion. Ces deux bran- ches, assez étroites, aboutissent toutes deux à un cul-de-sac pro- fond et spacieux, qui est le lieu du séjour, et cette partie seule est creusée horizontalement. Elle est tapissée de mousse et de foin, dont ces animaux font une ample provision en été. «On assure même, dit BufTon, que cela se fait à frais ou travaux com- muns ; que les unes ccnqient les herbes les plus fines ; ([ue d'au- tres les ramassent, et cpu' tour à tour elles servent de voitures pour les transporter au gile; l'une, dit-on, se couche sur le dos, se laisse charger de foin , étend ses pattes en haut pour servir de ridelles, et ensuite se laisse traîner par les autres qui la tirent par la queue , et prennent garde en même lemjis (|ue la voilure ne verse. « Ce qui a donné lieu à ce conte de chasseur, c'est que l'on trouve beaucouj) de marmottes (pii ont le poil rongé sur le dos, et, selon l'usage, on a mieux aimé inventer un conte merveil- leux pour expli(iuer ce fait, ipu; de n'y voir que l'efl'et fort sim- ple du frottement souvent répété du dos contre la paroi su])é- rieure d'un terrier fort ('troit. Les marmottes ]>assent la |)lus grande partie de leur vie dans leiu- habitation; elles s'y retirent pendant la nuit, la pluie, l'orage, le brouillard, n'en sortent que pendant les [dus beaux joiu's, et ne s'en ('loignent guère. Pendant (}u'elles sont dehors à paître ou à jouer sur l'herbe, l'une d'elles, posli'e siu' inie roche voisine, fait sentinelle et ob- serve la campagne; si (die aperçoit cpichpie danger, \\n chasseur, un chien ou un oiseau de proie, elle fait aussitôt entendre un long sifflement, et, à ce signal, toutes se précipitent dans leur trou. Dès que la saison du froid commence à se faire sentir, les mar- mottes, retir('es dans leur leriier, eu boMchent les deux ouver- tmes avec de la t('rre gâchée, et si bleu maçonnée, (pi'il est plus facile d'ouvrir le sol partout ailleiu's (jue dans l'endroit qu'elles ont muré. Elles .se blolli.ssent dans le foin et la mousse qu'elles y ont entass('s à cet effet, et toud)ent dans tm état de léthargie d'autant pUis profond (pie le froid a plus d'intensité. Elles restent 220 LES RONGEURS. dans cet état de mort apparente jusqu'au printemps prochain, c'est-à-dire depuis le commencement de de'cemijre jusqu'à la fin d'avril , et quelquefois depuis octobre jusqu'en mai , selon que l'hiver a e'te' plus ou moins long. Lorsque les chasseurs vont les de'lerrer, ils les trouvent resserrées en boule et enveloppées dans le foin. Ils les em])ortent tout engourdies, ou même ils les tuent sans qu'elles paraissent le sentir. Ils mangent les plus grasses, et souvent ils conservent les jeunes pour les donner à de pauvres enfants qui viennent les montrer en France et déguisent ainsi leur mendicité. Pour faire sortir ces animaux de leur engourdis- sement, les rendre à la vie et rappeler toute leur vivarité, il ne s'agit que de les placer devant un feu doux, et de les y laisser jusqu'à ce qu'ils se soient réchauffés. Leur chair serait fort bonne si elle était sans odeur ; mais il n'en est pas ainsi , et ce n'est qu'à forie d'assaisonnements éi>icés que l'on parvient à la déguiser. bruns en dessus, et roux en dessous ; il a quelipies teintes rousses vers la tête; la queue et la gorge sont roussàtres; le tour des yeux est brun, et le bout du museau d'un gris argenté. Le bobak habite la Pologne et l'Asie septentrionale jusqu'au Kamtsehatka. 11 a les mêmes habitudes que notre marmotte, mais, vivant dans des pays plus froids, il ne creuse son habitation que sur des col- lines peu élevées, à l'exposition du midi. Le MoNAX (Arclomys monax, Gjil. Cuniculus bahamensis, Catesb. La Marmotte du Canada, ou le Monax, Buff. Le Si/fleur de quel- ques voyageurs) a quatorze ou quinze pouces (0,379 à 0,400) de longueur, non compris la queue ; il est brun en dessus, plus pâle en dessous et sur les côtés; le museau est d'un gris bleuâtre et noirâtre; les oreilles sont arrondies; les ongles longs et aigus; la queue, longue comme la moitié du corps, est couverte de poils noirâtres. Cet animal, de la taille d'un lapin, habite toute l'Amé- 1,1'S Marmottes. Cependant, j'ai mangé des marmottes fumées ijui avaient entiè- rement perdu celte odeur et(iui étaient d'un goût excellent. La marmotte ne produit qu'une fois ]>ar an , et sa jiortée or- dinaire n'est que de (juatre ou cinq petits dont l'accroissement est rapide; elle ne vit guère que neuf à dix ans. Nous termine- rons cet article par une observation qui se rapporte à tous les animaux sujets à rengoiirilisseriient liibetnal. La létliargie, chez eux, n'est rien autre chose <|u'uii .sommeil profond , mais natu- rel, qui ralentit toutes les fonctions, mais n'en suspend aucune, (juel que soit le froid (ju'aient à supporter ces animaux sortis de leur état normal, soit par l'effet de la maladie, soit par toute airire cause, ils poinront moin'ir gelés, mais ils ne s'engourdi- rimt |)as. Il en résidlc i|ii(\ lorsque l'hiver est très rigoureux et le froid excessif, les animaux engourdis se r('v(!illent , soufli'cnt beaucoup, et finissent par mourir gelés si la température ne change pas a|)rès un certain t,enq)S. 11 en résulte encore qu'une excessive chaleur de l'été, connue celle des tropiques, peut ami'- ner l'engourdissement tout aussi bien (|ue le froid. Heaucoup d'animaux, les reptiles par exemple, s'engourdissent l'hiver dans les pays tempérés, et l'été dans les pays chauds. Le UoiiAK (Arclomi/s bobac, (îml. — Des.m. La Marmulle de Polo- gne ou Bobac, Buff. — G. Cuv.) est de la môme grandeur que la précédente ; son pelage est d'un gris jaunâtre, entrt'uuMi' de poils rique septentrionale, et particulièrement l'intérieur des États- l'nis. 11 se plaît dans les rochers, et a les mêmes moeui'S ijue la marmotte des .\lpes. La Maumotte oe Quiîkec [Arclomys empêtra, Gml. Mus empêtra, Pai.i.. La Marmotte du Canada, de l'Encycl. niéthod. VArctomys mclannpus , de Kein.?) est d'im brun noirâtre, piipielé de brun en dessus; d'un roux ferrugineux en dessous; le sommet de la tête est (l'un brun uniforme, passant au brun rougeâlre sur l'oc- ciput; les joues et le menton sont d'un blanc grisâtre sale; la poitrine et les pattes de devant d'un roux vif; la queue est courte, noirâtre au bout. Elle habile particulièrement le Canada et les environs de la baie d lliulson. La Maumotte fauve {Arctomiis fuh'a, Lveus.) a beaucoup d'ana- logie avec le bobak; elb; a treize |)Ouces (0,5rj^) de longueur, non compris la queue, (pii en a trois (0,081); son pelage est d'un jaune brun luisant, avec un duvet interne d'un gris cendré; ses doigts, et surtout le pouce, sont trè.s-minces et très allongés. Elle habite les montagnes entre ((reudiourg et l!oul»l»ara. (j<'tt(^ espèce , ainsi c|ue les inarmotles AJuyusaricus, Leptodac- tylus, et le spermo])hile Citillus, composent aujoin-d'hui le genre Citilius, LiciisT. La Maumotte poudrée (Arclomys pruinosa , Gmi,. — Sabine ) esl de la grosseur d'un lapin; son iielage, long et dur, esl formé de MARMOTTES. 221 poils cendres à leur racine , noirs au milieu , blanchâtres à leur extrémité', ce qui donne une couleur générale de gris blanchâtre ; le bout du nez, les pattes et la queue sont noirs, cette dernière mélangée de roux; les oreilles sont courtes, ovales; les joues blanchâtres; le dessus de la tête est brun. Elle habite le nord de l'Amérique. Elle me paraît appartenir aux spermophiles. luisant en dessus, blanc en dessous, d'un gris brun sur le sommet de la tète; elle a une tache blanche entre l'œil et le nez, et un trait noir sur la face. La queue est d'un noir luisant en dessous, bordée de blanc. Elle habite Caraghata, près de Boukkara. Le GuNDi [Arctoimjs gundi , Gmi,. Mus gundi , Roïhm.) est de la taille d'un lapin ; ses oreilles sont très-courtes, mais larges; son Se Les Hélamys, vue du cap de Bonne-Espérance. La Marmotte mit.osarique (Arclomys mugosaricus], Eversm.) a huit pouces (0,217) de longueur, non coin|>ris la queue, qui n'en a qu'un (0,027). Son pelage ressemble à celui du souslik , mais l'animal en dilFère principalement par sa plante des°pieds large et courte, égalant la dixième partie île la longueur du corps. Elle habile dans les montagnes de .Moughodjar, près Honkkara. La Mahmotti: ai \ ikiii.is i.isses {Ardumiis /l'/j/ui/ac^y/us.EviaisM.) est longue de huit pouces (0,217), non compris la queue, qui a deux pouces et demi (0,068). Son pelage est serré, d'un jaune pelage est roussAtre; il n'a , dit-on , ipie quatre doigts à ciiaipic pied. Il habite l'Afrique. Le MaiîliiN (Arctomijs maulina , Spaw, j1/u.s mauliiius , Moi.ina) serait, selon Molina, deux fois plus grand que notre marmotte; son museau est plus long, plus effîlé; sa queue moins courte; ses oreilles sont pointues , et il a cinq doigts à chaque patte. 11 iiabile le Chili. La Mahmotte i>e Ciucassu-; {Arctomijs Circassiœ , Penn. Mus Ischerlcessicus , Ehxi..) est de la taille du hamster; ses yeux sont 333 LES RONGEURS. rougès et brillants; son pelage est châtain; sa queue est assez longue et pointue; ses jambes de devant sont plus courtes que celles de derrière. Peut-être est-ce un gerbille? Elle habite des terriers le long du fleuve Tërek. Ces trois dernières espèces ont e'té si mal décrites par les auteurs qui les ont observe'es , qu'on doit les regarder comme fort douteuses. 8« Genre. Les SPERMOPllILES (Spermophihis , Fr. Ciiv.) ont la même formule dentaire que les t'cureuils , avec lesquels ils ont autant d'analogie qu'avec les marmottes; leurs molaires sont e'troites; un he'li.x borde leur oreille; leur pupille est ovale ; leurs abajoues sont grandes ; leurs doigts de pied sont étroits et libres; ils ont le talon couvert de poils , et les doigts des pieds de der- rière sont nus. Le Jevrascuha ou Souslik (Spermophilwi cilillus, Lr.ss. Arclomijs cilillus , Desm. Mus cilillus. Lin. LeZizel et le Soualick, Duff. La Marmotte de Sibérie, Buff.) a environ un j)ied (0,52.-)) de longueur, non compris la queue, qui n'a guère que trois pouces (0,0*1) ; son pelage est d'un gris brun en dessus , onde ou tacheté de blanc par gouttelettes, blanc en dessous. On en connaît plusieurs va- riétés, dont BiifTon a fait autant d'espèces : i''\esouslik, à pelage tacheté'; 2" le zizel , à pelage ondulé; 3° la marmotte de Sibérie, à pelage d'un brun jauuMre uniforme. Le jevrascbka vit solitaire dans le nord de l'Europe et de l'Asie, ainsi que dans la Perse, l'Inde et la Tartarie. Il se creuse un ter- rier comme la marmotte, et y passe l'hiver dans un engourdisse- ment complet. Lors(pron l'irrite , ou qu'on veut le prendre , il pousse un cri comme la marmotte, et mord violemment. En man- geant il se tient assis, et porte les aliments à sa bouche avec les pieds de devant. Il entre en amour au printemps, et, en été, la femelle met bas cinq ou six petits, qu'elle allaite dans son terrier. Ces animaux se nourrissent de graines, et, si l'on en croit Buffon, ils dévastent les récoltes île blés et s'amassent des provisions pour l'hiver. Leur fourrure est assez estimée. Le Sperjiopiule de Riciiardson { Spermophilus Richardsonii, Less. Arctomys Richardsonii, Sabine. La Marmotte tannée d'Amé- rique , des voyageurs) a le sommet de la tête couvert de poils courts, noirâtres à la base, plus clairs à la pointe; le museau est aigu, couvert de poils brunâtres; les oreilles sont courtes, ova- les; la queue médiocre, à poils longs, annelés de brun et de noir, fauves à la pointe; le pelage est uniformément fauve, à poils bruns à la base; la gorge est d'un blanc sale; le ventre est plus clair i|uc le dos, et des taches ferrugineuses sont éparses çà et là. Elle habile le nord de l'Amérique, et a été trouvée aux environs de Carlston-House. Le Spebmophile de Hood {Spermophilus Hoodii, Less. Arctomijs Hoodii, Sabine. Sciurus tridecejnlim'alus , Desm.) a environ cin(| pouces (0,1 5î)) de longueur, non compris la (jueue, qui n'en a que trois (0,081); son corps est mince et son museau pointu; son pelage est d'un cliâtain foncé en dessus, avec une ligne médiane blanchâtre, moitié continue et moitié formée de petites taches; de chaque ertté de cette ligne en sont trois autres non interrom- pues,'alternant avec trois séries de taches blanchâtres; le dessous du corjis est d'un blanc jaunâtre. H habite les forêts des sources du Meschasabé; on ignore ses habiludcs. Le Spermophii.e ce Franklin {Spermophilus Franklinii, Less. Arctomys Franklinii , Sarine. La Marmotte grise d'Améririue) a dix pouces (0,271 ) de longueur totale ; elle a la gorge d'un blanc sale ; son pelage est d'un gris jaunâtre varié, ou brunâtre pi()tiel(' ii lui donnèrent le nom d'aspalax et remarquèrent fort bien qu'il est aveugle. Les auteurs latins qui vinrent après traduisirent ce mot aspalax par celui de talpa, taupe , parce qu'ils ne connaissaient pas le zemni, et de là est venue cette erreur populaire que la taupe est aveugle. Quoi qu'il en soit, ainsi qu'elle, le zemni habite de longues galeries souterraines, d'où il ne sort que très-rarement. En cieusant son habitation, il trouve sa nourriture, consistant en racines bul- beuses, et principalement en celles du cerfeuil bulbeux [Chœro- phyllum bulbosum) qu'il aime beaucoup. C'est particulièrement dans les terres humides, où cette plante croît abondamment ^ que cet animal aime à fixer sa résidence. Dans le temps des amours, c'est-à-dire dej>uis le printemps jusqu'au milieu de l'été, il se hasarde quelquefois à sortir de son trou pour aller chercher sa femelle, mais il le fait avec beaucoup de prudence. Il marche avec iuipiiétude, s'arrête de temps en temps, la tète haute, non pour voir le danger, iJuisipi'il n'a pas d'yeux, mais pour écouter, car, en compensation de la vue, qui lui serait à peu près inutile dans son habitation souterraine , la nature lui a donné une ouïe d'une finesse extrême. Au moindre bniil il fuit avec vitesse, tan- tôt en avant, si le danger lui paraît venir derrière lui, tantôt à reculons , et il est aussi agile dans cette singulière démarche que s'il courait devant lui. Est-il attaqué, il se défend de la grill'e et des dents, avec un courage extraordinaire, et il ne cesse de combattre qu'en mourant. La femelle fait de deux à quatre petits, qu'elle élève avec soin et qu'elle allaite avec ses deux mamelles. Cet animal liabite l'Asie-Mineure, la Perse, la Uussie méridionale jus(pi'au nord de la mer Caspienne. Il est fort gras en automne, et pèse jus(iu'à un kilo et demi. Le SuKEiiKAN [Spalax talpinus, Lemnus talpinus, Desm. Mus talpinus, G^ih. Spalax minor, Enxi.EB., Lemniomys talpinus, Less.) n'a guère que trois pouces (0,081) de longueur; son pelage est d'un gris brun en dessus, blanchAlrc en dessous. Il a une petite queue. Ou en coiniaît une variété à pelage noir. Il se creuse des galeries coumie le pi('c('(lent, et n'en sort que la nuit. Il se nour- rit principalement de bulbes de ge.sse tubéreuse (Lathyrus tube- rosus] , de phlomis tubéreux [Phlomis tuberosus), et d'oignons de tulipes. Dans le temps de ses amours, il répand une odeur mu.s- quée assez forte. Il habite la Russie im'ridiouale, la Tartarie et la Bukkarie. Le Rat-tai'I'E a itAxnES {Spalax vittatus. Spalax trivillala, Rafin.) est long de sept pouces (0,189) et a la forme d'un cochon d'Inde; ses oreilles sont petites, ovales, un peu pointues; il manque absolument de queue; son pelage est fauve en dessus, avec trois bandes longitudinales larges et brunes; le dessous du corps est blanc. Il habite le Kentucky, aux États-Unis d'Amé- rique. Le ZocoK {Spalax zocor. Lemnus zocor, Dessi. Mus aspalax, Lin. — Pai.i.. Siphneus aspalax, Bkandt.), ]>1us petit que le zemni, a le pelage d'un gris roussâtre , mélangé de gris clair et de brun à la racine , passant au blanchâtre en dessous ; sa queue est très- courte, pointue, couverte de poils de même couleur que le dos; le corps est raccourci, ventru. Il n les mêmes habitudes que les précédents, et se nourrit principalement des bidbes du Ils pom- pon (Liiium pompimium) et de l'éi-ythrone dent-de-ciiien {Enj- thronium dens-canis). Il habite la Daourie et les monts Allais. 11= Genre. Les BATIIYERGUES {Baihycrgus, Ii.lig.) ont seize dents, savoir : quatre incisives en coin , et douze molaires; leurs pieds de devant sont munis d'ongles robustes propres à fouiller la terre; leurs yeux sont extrêmement petits, mais découverts; leur queue est très-courte. Le Cricet {Balhijergus capensis , Desm. Mus capensis , G.ml. — Pai.l. Le Pclit rat-laupe du Cap, Ruff.) est de la grandeur d'une taupe; son pelage est brun ; il a le bout du museau blanc, avec une tache blanchâtre autour de l'oreille , une autre autour de l'œil , et une troisième sur le vertex. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance , et il y fouille la terre à la manière des taupes. Le Batiiyergue iioTTENTOT [Batlnjergus hollcnUilus , Li;ss. et Garn.) est moitié plus petit que le précédent, et a quatre pouces six lignes (0,122) de longueur; son pelage est d'un brun gris, passant au cendré en dessous; sa ipieue, excessivement courte, est bordée de poils distiques. Il habite les environs du cap de Bonne-Espérance, prèslaPéarl. 12" Genre. Les OBYCTÈRES {Onjcterus , Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, ayant un .'•illon longitudinal très- profond; point de canines; huit molaires en haut et huit en bas. Leur museau , plus allongé que dans le genre précédent , est terminé par un boutoir; leur queue est plate. L'Orïctère des dunes [Orycterus maritimus , Less. Bathyergus maritimus, Desm. Mus maritimus, Gmi,. La Grande Taupe du Cap, Blff. Le Bat-taupe des dunes, G. Cuv.) est presque aussi grand qu'un lapin. Son pelage est d'un gris blanrhâtre; sa queue est grise, à poils roides. Cet animal , qui vit à la manière des taupes, fouille tellement la terre dans les environs du Cap de Bonne- Espérance, où il habite, qu'il est souvent dangereux de se pro- mener à cheval ilans les cantons où il est commun. 11 se nourrit de racines et d'oignons de plantes bulbeuses. 12° Genre. Les CTÉNOMES (C^'/iomt/.'î, Bi.ainv.) ont vingt dénis, savoir : quatre incisives fortes, à coupe carrée, à bord large, sans sillon sur leur surfaei^ ; huit molaires en haut et huit eu lias; leur tête est ovale, peu déprimée; leurs yeux .sont petits; leur corps est assez allongé, un peu déprimé; leurs Jambes sont courtes; leurs pieds ont cin(i doigts pourvus d'ongles longs, très-arcpiés, pointus, propres à fouir la terre; ceux des (lieils de derrière plus courts, plus larges, t relises en cuiller en arrière, garnis à leur racine de poils roides en râteau. Le Cténome du Brésil {Ctniuinys brasilicnsis, Blainv.) est de la taille de notre rat d'eau. Son i)elage est doux, lin, court, d'un gris ardoisé à sa base, et d'un bruu roussâtre luisant dans tout le reste de sou étendue ; le dessous est d'un blanc roussâtre ; sa 224 LES RONGEURS. queue est me'diocre, à poils rares et d'un brun noirâtre. 11 habite le Brésil. 15" Genre. Les HÉLAMYS (Helamys, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives en forme de coin ; huit incisives à chaque avec une ligne de la même couleur dans le pli des aines; ses jambes sont brunes; sa queue, assez mince, est roussâtre à l'ori- gine en dessus, grise en dessous, noire à l'extre'mite'. Le mannet habite les montagnes autour du cap de Bonne- Esperance. Avec ses ongles puissants il se creuse un terrier ayant Le Rat-Taupe. mâchoire, .siiii|des, à deux lames ; ils ont le museau épais; les oreilles longues; les jambes de devant courtes, à cinq doigts armés d'ongles fort longs; les jambes de derrière Irès-longues, à quatre doigts ; la queue longue et très-touffue ; quatre mamelles pectorales. quelque analogie avec celui d'un lajtln , mais un [leii ]ilus large. C'est là que cet anitnal se retire pendant le jour , car ses grands yeux nocturnes ne lui peniiettent jias de soutenir l'éclat des rayons du soleil. Il dort pi'ofondénient toute la journée , et il semble ([u'il y nielle une sorte de volupté paresseuse. Assis sur L'Hélamys Mannet. Le Mannkt ou Lii:vRK sauti.ur du Cap {Helamys cafcr, Fii. Ciiv. Pedetes capensis, Desm. Dipus cafer , Gmi,. Le Grand Gerbo, Buir. Le Herr/haas nu Springharm des habitants du Cap) est à peu près de la grandeur et de la couleur d'un lièvre; il est d'un fauve jaunâtre clair, varié de noirâtre en dessus, blanc en dessous. le derrière , le dos appuyé contre la paroi de sa chambre à cou- cher, il ploie le dos, courbe la tête et la place entre ses deux genoux écartés et mollement iiliés; avec ses mains, il prend ses d.ux longues oreilles, les rabat sur ses yeux en manière de ri- deaux, et par ce moyen aucune disliaction ne lui arrive, m par GEIiB01Sl-:.S. 225 la vue, ni par l'ouïe. S'il se reveille de lemps a autre , c'est pour goûter à ses provisions, et se remlormir bientôt après dans une douce quie'tude. Mais quand les premiers voiles de la nuit ont assombri l'iiorizon, il quitte son atliluile somnolente, et pense à faire ses provisions jiour le lendemain. Il sort de son terrier, el du bord de son trou évente les environs pour s'assurer qu'aucun danger ne le menace. Alors il se hasarde dans la campagne, mais avec précaution , et il ne s'éloigne Jamais beaucoup de sa retraite, afin de pouvoir y rentrer promptenient s'il aperçoit quelque objet in(|uiétant. I.()rs{|ii'il est tranciuille, il marche sur ses quatre pattes, et ramasse l'herbe et les graines dont il se nourrit. 11 goûte à ses provisions avant de les transporter, et pourjcela , debout sur son derrière , il les porte à sa bouche avec ses pattes de devant, qui font ofl'ue de bras et de mains. Aper- coit-il un animal carnassier ou un chasseur, il fuit en sautant sur ses jambes de deiriére , en conservant sa |)osition verticale et faisant des bonds prodigieux. Dans ce cas, ses jambes de devant sont si exactement appliquées contre son corps, qu'elles disparaissent presiiue enlièreuient dans les poils de la poi- trine. Du reste, cet aniuial , si tiuiide à l'état sauvage, s'apprivoise très-facilement, et, en domesticité, il porte ((uelquefois la fami- liarité Jusqu'à l'insolence. Comme sa chair est assez bonne à manger, les Iloltentols et les colons lui font une guerre active. Ils cherchent .son terrier, le découvrent avec la pelle et la pioche, et s'emparent de l'animal , qui fait fort peu de résistance, et qui se borne le plus souvent à pousser un petit grognement sourd de colère , si on ne le blesse pas. Quand son terrier est creusé dans des fissures de rochers, on le force à en sortir en le fuuiant. coniuie nous faisons ici pour les renards. La Gerboise Alnrtfg.i LES GERBOISES sont icuiaiipiables par leurs membres postériem'S beaucoup plus longs cpie les antérieurs, d'où il résulte qu'au lieu de marcher à quatre [licds elles sautent sur deux; elles ont les incisives infé- rieiu'es pointues, et non cunéiformes; Jamais plus de douze ou quatorze molaires, et tous les doigts libres. 14= Genre. Les GERBOISES (Dipus, Sciiiiti). — G.\m..) ont di.x- huit dents, savoir : quatre incisives, dont les inférieures pointues ; pas de canines; huit molaires en haut et six en bas, siuqdes, à couronne tuberculeuse, la première supérieure n'étant (pie rudi- mentaire et tombant avec l'Age; les Jambes postérieures sont ])lus ou moins allongées, et les doigts en nombre variable, mais n'ayant, comme ceux des oiseaux, qu'un seul métatarsien pour tous ; les pommettes sont trè.s-saillantes ; la queue est très-longue, toulFue au bout; et ils ont huit mamelles. Tous ces animaux ne marchent qu'en sautant. L'Ai-ACTACA {Dipus jaculus, Gml, Mus jaculus. Pâli.. Le Monyul. ■Vu q-d'Azvr. Le Marin jalma des Kaliuoucks) a environ sept pouces (0,1 sît) lie longueur, non compris la qiuue (pii est beau- coup plus longue (pie le corps, et n'a |ias moins de onze iiouces (0,->08). Il a beaucoup d'analogie avec le gerboa , mais il en dif- fère par un iielage moins fauve, par sa tète plus longue, par ses oreilles presipie nues , assez étroites , mais plus huigues ipie la 55. l'aria. TjiKi;[r,ipItio Ploii fi- lète , et surtout par rexisicuce des deux petits doigts latéraux aux pieds postérieurs. Sous le nom de Dipus jurulus piii/nurus , Eversmann en iudi(|ue une variété plus petite habitant le désert entre Orembourg et Bukkara. L'alaclaga se trouve d(uis les déserts de la Tartarie, de la Cri- mée et de la Tauride. Il s'engoiu'dit deux fois par an : en hiver, et abu's il a le soin de boucher lu'rui('li(pu'nu'nl sou terrier avec de la terre délayt'e , et en été pendant les grandes chaleurs. Il n'amasse aucune provision , et se borne à transporter dans son trou ini ))eu de foin et de mousse pour se coucher dessus pen- dant son hivernage. Nocturne comme les autres animaux de son genre , il ne (piille sa retraite ipre la nuit poiu' aller cliercher sa noiirrilure, ([ui consiste eu heibes, eu feuilles et eu racines, ((uchpiefois en insectes, et même en petits oiseaux (juand il iieul les saisir. D'un caractère farouche et féroce , il lui arrive parfois de se jeter sur des individus de son espèce, sur ses propres en- fants même, et de les dévorer s'il est le plus fort. D'un seul bond il franchit une distance conside'rable, et ses sauts se répètent avec une si grande rapidil(\ que, selon l'allas, le meilleur clieval de course ne peut le dépasser. La femelle produit plusieurs fois l'aimée , et chaque fois elle fait un nombre de petits assez consi- dérable. le Giiiiio ou C.riiiio.v [Dipus ijerboa , Gmi.. — Di.sm. Mus jaculits, ;(iro8 , ruo de V'aiiyirard , 3(j. 15 226 LES ROINGEDRS. Lin. Mus sagitla. Paix. Le 6>r6o ou Gerboise de Buff. La Gerboise à trois doigis île (luelques auteurs) a le corps long de si\ pouces (0,102), non conipris la queue, qui est plus longue que le corps; son pelage est d'un fauve clair en dessus, la pointe des poils étant noire; le dessous du cori)S est blanc; un croissant de la même couleur se dessine sur chaque fesse ; les oreilles sont de moitié aussi longues que la télé; celle-ci est courte, élargie; les pattes de derrière ont Irois doigts, dont celui du milieu le plus long; les pattes antérieures ont un petit pouce onguiculé. Les jambes sont nues, aussi bien que les oreilles et le museau. Il a été' souvent confondu avec le précédent. Le gerbo, que les Arabes nomment jerbuah, habite les lieu.x sablonneux et déserts de la Barbarie, de l'Arabie et de la Syrie. C'est un animal timide, inquiet, fort défiant, assez doux, et qui néanmoins ne s'apprivoise que jusqu'à un certain point. Ses jam- bes de devant sont trop courtes pour pouvoir lui servir à marcher, aussi ne les emploie-1-il à (et usage que lorsi)u'il s'agit de grim- per contre des |)enles très-roides; dans toute autre circonstance, son allure est le saut; il peut, dit-on, franchir d'un seul bond un espace de dix pieds (5,248), et, dans sa marche ordinaire, il ne saute pas moins de trois à quatre pieds (0,073 à 1 ,200) chaque fois. Rien n'est curieux comme de voir ce petit animal, lorsqu'on le surprend dans un blé déjà haut, s'élancer à chaque pas qu'il fait au-dessus des épis, paraître et disparaître comme une marion- nette, mais avec une si grande vivacité qu'il est imposlble 9« chasseur le plus habile de pouvoir le tirer. Dans cette circon- stance, il a les pieds antérieurs exactement appliqiie's contre la poitrine, le corjis Irès-penché en avant, ses longues jambes étendues en arrière, ce (jui lui donne une physionomie fort sin- gulière. Les gerboas vivent en troupes quelquefois assez nombreuses, et se creusent des terriers à la manière des lapins ; ils y entassent, I>cndanl la belle saison, une a.ssez bonne quantité de provisions, mais pour leur consommation journalière, et pour le temps où des orages ne leur permettent jias de sortir, car ils s'engourdis- sent pendant l'hiver, comme les marmottes. Ils mangent des graines et même de l'herbe; mais leur nourriture favorite, et la jilus ordinaire, consiste principalement en petites racines tubé- reuses et eu bulbes de plantes liliacées, qu'ils déterrent avec une grande faiiliti'. Pour manger, ils sont assis sur leurs talons, et ils portent leurs aliments à la bouche avec leurs pattes de de- vant ; dans le repos , celle-ci sont tellement bien cachées dans les poils de la jioitrine qu'on dirait (jii'ils n'en ont |ias. Ce sont des animaux nocturnes, qui dorment tout le jour dans leur retraite, cl qui n'en sortent que la nuit pour aller à la provision. Pendant les premiers jours de l'aiitomne, ils s'occupent à couper et trans- porler des herbes fines et sèches pour composer le lit mollet dans leipiel ils doivent passer un court hiver. Dès que les vents froids commencent à se l'aire sentir, ils .s'y retirent, et n'en sortent cpie lors(iu'une nécessité absolue les y pousse. S'il survient des gelées, il.s s'y blottissent et s'y engourdissent. La Gehboise géantk (Dipus maximus, Bi-ainv.) est de la gros- seur d'un lapin de moyenne taille; son pelage est d'un gris clair en dessus, blanc en de.s.sous; elle a sur chacpie (ril une ligne noire, et ces deux lignes se réunissent sur le chanfrein; elle a quatre doigis aux pieds de devant et trois à ceux de derrière. On ne connaît ni ses mœurs ni sa patrie. La GmiiioisE braciivure (nipus /irac/ii/itru.s, Bi.ai.nv. Musjaculiis, var. Pâli..) a quatre pouces cl demi (0,122) de longueur, sans la queue, qui est seulement un jteu plus longue; son pelage es! dun fauve pâle varié de brun en dessus, blanc en dessous; elle a un croissant blanc sur chaque fesse; son museau est blanc à l'exlrémité et brun en dessus; la queue elles membres sont assez épais, les oreilles assez courtes; les pieds i)ostérieurs ont cinq doigts , dont les trois inlernes .sont d'égale longueur entre eux. Elle habile la fartarie et la Sibérie. La Glrhoisf naine {Dipus minutus, Desm. JJipus jaculus, var. mi- nor Pall.) atteint à peine la taille d'un mulot. Son pelage est d'un gris jaunâtre pâle, varié de brun en dessus, blanc en dessous; ses Extrémités sont blanches, ainsi qu'un croissant sur chaque fesse; le museau est d'un gris jaunâtre, et non pas blanc; elle a cinq doigts aux pieds de derrière , à onglet des trois inlernes d'égale longueur entre eux. Elle habite les bords de la mer Cas- pienne et du Volga. La Gtp.noisÈ trait {Dipus telum, EVEhs.) est longue de cinq pouces (0,13.")), sans la queue, qui en a six (0,162), est bordée de noir, et n'a pas de blanc à son extrémité; elle a trois doigts aux pieds de derrière ; les tarses, garnis en dessous de poils noirâtres, durs , médiocrement longs, ont de forts tubercules à la naissance de l'ongle. Elle se trouve aux environs du lac Aral. La Gerboise a med de Lii:vRE {Dipws lagopus , Evers.) a quatre pouces trois lignes (0,115) de longueur, sans la queue, qui en a autant; celle-ci est terminée par une toulfc de poils blancs, et bordée de poils noirs à un pouce de son extrémité; les tarses sont garnis en dessous de poils serrés, longs, roides et blancs, formant la brosse; le pelage est Isabelle clair en dessus, blanc en dessous. On la trouve entre Bukkara et Oremboiirg, près du lac Camexhli. La Geriioi.se a oi'El'E fiATE {Dipus platurus, Evers.) a trois pou. ces six lignes (0,093) de longueur, sans la queue, qui en a trois (0,081). Ses formes sont les mêmes que celles de la précédente ^ niais ses oreilles sont longues, sagitlées, terminées par une petite touffe de poils noirs et très-courts; les iiieds ont cinq doigis Elle habile le même pays , près de Kouvan-Deria. 13« Genre. Les GEBB1LLES (Gerbillus, Desm ) ont seize dents. Savoir ; quatre incisives; |)oinl de canines; six molaires en haut et en bas, simples, à couronne lubereulense. La pommelle des joues n'est pas saillante; les jambes postérieures sont très-lon- gues, à cinq doigts, ayant chacun son métatarsien iiro|>re; leur queue est longue , |dus ou moins toulT'ue; son pinceau de poils plus longs à l'extrémité. Ils ne marchent (pi'en sautant. Le .liRD {Gerbillus meridianus, Desm. Mus lo7}gipes et Mus meri- dianus , Pai.i.) a quatre pouces deux lignes (0,11") de longueur, sans la queue, qui en a trois (0,081); son pelage est d'un fauve grisâtre en dessus et d'un blanc jiur en dessous , avec une ligne dorsale d'un roux brun ; les membres sont blancs ; la queue est d'un fauve grisâtre uniforme. Les pieds de devant ont un pouce à la vérité fort court, mais onguiculé. I.c jird habile les déserts sablonneux et arides qui séparent le Volga de la cliaiue des monts Durais; il est assez commun sur les bords brûlants de la mer Caspienne. Il se nourrit de graines 'sèches et de fruits à coque dure , tels que noisettes, noix, etc., et vit dans un terrii'r. Toutes les espèces ont les mêmes habiludes. Le (iFRiiii.i.E nu TAMARisr, {Gerbillus tamancinus , Desm, Mus la- tiiiiricimts, Pai.i..) est long de six pouces (0,102), sans la queue, tjui en a cinq (0,15.^)); son pelage est épais, d'un gris jaunâtre en dessus, blanc en dessous; le tour des yeux et du nez est d'un blanc sale, la queue est anneh'c de gris et de brun ; les pieds de derrière ont le ponce plus court que !<■ doigt exierue II habite les bords de la mer Cas|iieiinc, dans un terrier creus(' à )MOximité des marais salins, n'en sort que la nuit, el se nourrit de feuilles de soudes et de lamariscs. L'IIkrimc (Gerbillus iiidiius , Desm. /)//nis indiens on Yerbua, IImuiukii) est de la taille d'un rat commun; sou pelage est mar- ron en dessus el lachet(' de lignes brunes longitudinales ; le cor|>s est blanc en dessous; la queue, un jieu plus longue c|ue le corjis, est brune, terminée par un flocon de poils blancs. Il habile l'in- doslan, vil île graines, et amasse des provisions. L(' (iERiiii.i.E nr Lauuadoii {Gerbillus Uibruilorieus, Sarinf) a qua- tre pouces de longueur (0,108), sans la queue, qui en a deux el demi (0,008) el qui est noire en dessus, blanche inlérieureiuenl; RAÏS, 2ï7 le pelage est brun en dessus, blanc en dessous, ces couleurs se fondant insensil)lement l'une dans l'autre; les moustaches sont très-fournies , longues et noires. Le Gerbille des pyramides [Gerbillus pyramidum, Isid. Geoff. Dipuspijramidum, Geoff.) a cinq pouces (0,435) de longueur, non compris la (pieue , qui en a autant; celle-ci est presque nue , ter- mine'e par un petit i)inceau de poils jaunâtres ; le pelage est d'un jaune roussàtre en dessus, d'un blanc sale en dessous, les pieds antérieurs n'ont que quatre doigts, sans rudiment de pouce. Ce n'est peut-être qu'une variété' du gerbille du taraarisc, mais dis- tincte delà suivante, avec laquelle Desmarels, Lesson, etc., l'ont confondue. 11 habite les environs des grandes pyramides, en Egypte. Les espèces qui vont suivre ont les jambes postérieures d'une longueur excessive. Le Gerbille d'Écypte (Gerbillus œyiiptias, Desm. Dipus Gerbillus, Oliv.) n'est que de la taille d'une souris; comme le précédent, mais de moitié plus jietit; ses pattes antérieures ont cinq doigts, sa queue est brune, et ses membres postérieurs sont au moins aussi longs que le corps. II se trouve dans le même pays. Le Gerbille aux yeux ronds {Gerbillus megahps, Uafin.) est long de deux pouces I0,0oi), sans la queue , qui est plus longue et terminée de blanchâtre ; ses jambes postérieures sont longues de trois pouces (0,081); son j)elage est gris; ses oreilles et ses yeux très-grands , et son museau noir. 11 habite le Kentucky, en Améri(|ue. Le Gerbille queue de lion (Gerbillus leonurus, Rafin.) a trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue, et ses jambes de derrière sont de la même longueur; son pelage est fauve ; ses oreilles sont très-longues ; sa queue est noire , termi- née par une toulfe fauve. 11 habite le Kentucky et l'Indiana, en Amérique. Le GERBn.LE de la baie d'Hudson (Gerbillus hudsonius, Rafin.) ressemble beaucoup au précédent , mais son corps est brun , bordé d'une ligne jaune de chaque côté. Il habite les rives de la baie d'Hudson. Le Gerbille soricin (Gnbillus soricinus, Rafin.) est d'un gris brun en dessus, avec une ligne rousse longitudinale sur les flancs ; les oreilles sont presque nues, ovales-arrondies; la queue, plus courte que le corps, est soyeuse, d'un gris brun en dessous. Il habite l'Amérique du Nord. 16" Genre. Les MÉRIO.NES (Meriones, Illig.) ont dix-huit dents, savoir : quatre incisives, huit molaires en haut et six en bas; les molaires sont com|iosées et non simples comme dans les genres précédents; la couronne représente une sorte d'vî renversé, avec des cercles de plus en plus marqués sur les dernières dents. La Mi'rione du Canada (Meriones ncmoralis, Is. Geoff. Meriones canadensis, I.ess. Gerbillus vanadensis , Desm. Gerbillus Daviesii, Rafin. Dipus canadensis, Ravies. Dipus americanus , Barton) est de la grandeur dune souris; son pelage est jaunâtre en dessus, blanc en dessous; ses oreilles sont très-courtes; sa ipieue, écail- leuse et presque nue, une fois et demie aussi longue que le corps, se termine par un flocon de poils allongés; elle a quatre doigts aux pieds de devant et cin([ à ceux de derrière. Elle habite le Ca- nada et passe l'hiver engourdie au fond de son terrier. La Mérione épaisse (Meriones opimus , Evers.) a cinq pouces de longueur (0,455), non compris la ipieue, qui en a quatre (0,40S) et qui se termine par une houppe brune ; ses formes sont lourdes, épaisses, et ses oreilles courtes. Elle habite entre Oreuibourg et Bukkara. LES RATS ont les incisives inférieures pointues et jamais au delà de seize molaires. Leurs membres postérieurs ne sont )ias allongés comme Ceux des gerboises, d'où il résulte (ju'ils marchent sur leurs quatre pattes. Les uns ont des abajoues extérieures , ce sont les saccomys, géomys, diplostomes, hamster et hétéromys; tous les autres n'en ont pas. Presque tous sont des animaux nuisibles à l'agriculture. 17<^ Genre. Les HAMSTERS (Cricetus , Lacép.) ont seize dents, savoir : quatre incisives, point de canines; six molaires en haut et six en bas; les molaires sont simples, à couronne garnie de tubercules mousses. Leurs abajoues sont très-grandes; ils ont quatre doigts et un rudiment de pouce aux pattes de devant , et cinq doigts aux pattes de derrière; leurs ongles sont robustes, et leur queue courte et velue. Le CuiNciiiLLA (Cricetus laniger, Geoff. Mus lanit/er, Moli.na. Le Chincille de d'AcosTA. Chinchilla laniqera, Harvev). Ce cliarniaut animal a onzi' pouces (0,2i)S) de longueur; il se fait remanpier par la beauté de sa fourrure, si reclierelu'e par nos dames. Elle est composée de poils longs, soyeux , très-doux, d'un gris noirâtre ondulé de blanc, ce qui donne au pelage une nuance veloutée de gris, de blanc et de noir; le ventre et les pattes sont d'un blanc pur et brillant; les oreilles sont grandes, arrondies, membraneuses; sa c|ueue est courte, couverte de longs poils roidcs, gris et blancs. Le eiiinchilla se trouve vers le sommet des plus hautes mon- tagnes du Chili et du Pérou; son caractère est très-doux sans être extrêmement timide ; aussi s'apprivoise-t-il avec la plus grande facilité, et je ne doute i)as (pi'avec un peu de persévé- rance on ne juiisse en faire un animal domestique, comme le lapin. Il deviendrait alors d'autant plus précieux ui- le dus pour se d. •fendre des dents et de la gi id'e coiilre ses euuemis, et ne s'ap|uivoi>-e jamais. L.i feu;elle fait ciui| pelils cliMiiiic fois, et probablement deux portées par an. Le l'iui [Cricftus /j/ireus , Dism. Mus phœus , Pâli.. ) est de la grandein- du cam|)agnol commun. Il a trois pouces cin(| lignes (0,092) (le longueur, sans la (pieue, (pii est blanchâtre cl longue de neuf lignes (0,li20). Son pelage est d'un cendré bleuâtre sin- le dos et entièrenient blanc sur toutes les [larlies inb'riemcs; le nez est nu; ses oreilles sont brimes, ovales et Irèsdarges. velues à la |)ointe; le tour de la bouche et des (piaire jiieds est blanc. II habite les déserts d'Astracan et la Perse. Pendant l'hiver il pé- nètre dans les habilations , s'y établit, et pille le grain dans les greniers. 11 ne s'engourdit pas iieiidant la saison froide, et je crois ipiil a cela de commun avec tous les hamsters. Le Uaciii [Cricvluti iniiiraluriiis , 1)i;sm. .1/it.s miijralorius, Pam..) a Irois [louces de longueur (0,OSI), non compris la (pieue, qui a huit lignes (0 018;. Son nez est arrondi et un iieii velu, fendu en deux \y.\v un sillon; ses abajoues sont très-grandes, son pelage no LES RONGEURS. est d'un gris cendré en dessus, blanc en dessous , ainsi que le museau , le pourtour des narines et les pieds ; les oreilles sont nues et ecliancrées. 11 habite la Sibérie, à l'est de .laïk. Les Cosa- ques de cette contrée prétendent qu'il émigré la nuit, en troupes considérables que les renards suivent pour s'en nourrir; mais ce fait , si contradictoire aux habitudes des autres hamsters , mé- rite d'être confirmé, et doit peut-être s'appliquer au campagnol social [Arvicola socialis), s'il est vrai. Le Hamster de So.ngarie [Cricelus songarus, Desm, Mus songarus, Pâli..) a trois pouces (0,081) de longueur, non compris la queue; sa tête est ramassée, son museau obtus; ses oreilles sont ovales, susceptibles de se plisser ; son pelage est cendré sur le dos avec une ligne dorsale noire ; les flancs sont variés de blanc et de ])run ; le ventre est d'un blanc pur; le corps est trapu, et la queue très-courte. II habite les déserts de la Sibérie et les steppes de Barabensk, près rie l'Irtisch. Le site qu'ils préfèrent, dit Pallas, est un terrain aride , sablonneux et salin. Au milieu de juin, il découvrit le terrier dune femelle qui avait sept petits encore aveugles. La chambre dans laquelle on les trouva était tapissée d'herbes sèches et de racines fines, et contenait en outre un petit approvisionnement de siliques d'alysse de montagne et d'élyme des sables. Les petits vécurent trois mois de pain et de toute sorte de graines; ils étaient si familiers, qu'ils mangeaient dans la main; ils jouaient le jour et ne dormaient que la nuit. Leur voix était rare, et, quand on les tourmentait, ils ne faisaient (|ue piper comme une cliauve-souris Leur tn'ine était très-fétide. Ils nmururent de gras-fondu, en août. L'Okozo [Cricelus furityiculas, Desm. Mus furunculus, Pai.i.. Fu- runculus myoides , Messebch.) 11 ressemble au sahlé, mais il est plus petit; son corps est allongé; son museau pointu; ses oreilles sont larges et nues; son pelage est d'un gris jaunâtre en dessus avec une ligne dorsale noire; le ventre et les pieds sont blanchil- tres. Il habite la Daourie, et l'on en trouve une variété dans les plaines de l'Irtisch et de l'Oby. Le Hamster a randes [Cricelus fasciatus, Rafin.) est roux, avec environ dix bandes transverses noires sur le dos ; les jambes sont marquées de quelques rayures noires ; la queue, un peu plus courte que le corps, est mince, annelée de noir; le.s abajoues sont pendantes; les oreilles sont coiu'tes, ovales et un peu aiguè's; les yeux sont très-petits et le corps trapu. 11 habite les prairies du Kentucky, Le GuAXOtiE [Cricelus iijuneus. — Mus cijancus, Moi,. — Lrss. ) est de la grandeur du mulot et lui ressemble ; ses oreilles sont plus arrondies; sa queue courte est à demi velue; il a quatre (loigls aux pieds de devant et cinq à ceux de derrière ; son pelage est d un gris iiieuàtre en dessus, blanc ou blancli.'itre en dessous. Ce \ielit animal, très-limidc, habile le Cliili. Il se creuse un ter- rier formant une galerie tU: dix pieds de profondeur , le long de laquelle régnent, de chaipie côté, sept magasins (ju'il remplit d'oignons de |)l!mtcs bulbeuses. Dans la saison des pluies, il ne quitte pas son habitation, et se nourrit de ses jjrovisions, avec la pri'caulion de commencer par les premières rarnas.sées , et ainsi de suite. (Chaque terrier contient une famille avec les six petits de la dernière portée nés en aulonme; ceux de la première, nés au printemps, quittent le terrier à l'flge de cinq à six mois. 18' Genre. Les SACCOMYS [Saccamys, Vr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, pas de canines; huit molaires en haut et huit en bas, la première molaire ayant une large échancrure an- guleuse au coté inleriu' , et au milieu de cette échancrure une portion circulaire (pii lient i)ar l'émail; tous les pieds sont armf's d'ongles analogues à ceux des faillies. Le Saccomys anhioi'iui.e [Saccomys anlhophilus, Fr. Ciiv. Pseu- elostoma hursarius, Sav. Mus liursarius, Siiaw. Saccoplinrus bursa- rius, l\i\ii Iiipki^liitiia fusca,\Kf,\:\-s. Ascomyscanadensis, Licnsiws] est de la grandeur d'un loir: sa queue est longue, nue; la lon- gueur totale de l'animal est de onze pouces (0,298) ; il a cinq doigts à chaque pied ; son pelage est d'un fauve uniforme, tirant plus ou moins sur le gris ou le brun. 11 habite les bords du lac Supérieur, en Amérique, vit dans un terrier, et se nourrit de fruits et de racines. dO" Genre. Les GÉOMYS [Geomys, Rafin.) ont probablement le même système dentaire que le genre précédent; ils ont cinq doigts onguiculés à chaque pied, les ongles de ceux de devant très-longs; leur queue est ronde, nue, ce qui les distingue des hamsters. Le GÉOMYS DES PINS (Geomys pineti, Rafin.) est de la taille d'un rat ordinaire; sa queue, entièrement nue, est plus courte que son corps. Il habile les forêts de pins de la Géorgie, en Amérique. 20« Genre. Les DIPLOSTOMES [Diplostoma, Rafin.) ont le même système dentaire que les saccomys; leurs dents incisives sont sillonnées; leurs abajoues sont très-grandes, atteignant en arrière jusqu'aux épaules; leur corps est cylindrique, sans queue et sans oreilles; les yeux sont couverts de poils, et ils n'ont que quatre doigts à chaque pied. Le Dii'i.osTOME REANC [ Diplostoi)}a alha , Raf.) a cinq pouces et demi de longueur (0,119); son pelage est blanc. Il habite le Mis- souri. Si réellement le genre diplostome de Rafinesque n'a que (juatre doigts aux pieds et manque de queue, il faudra y rappor- ter son Diplosloma fusca , i[\\c j'ai provisoirement jilacé comme simjde variété à pelage brun avec le saccomys anthophilc. Dans le cas où Ralinesque se serait trompé , il faudra , au contraire , reporter le diplostome blanc à la suite du saccomys, sous le nom de Saccomys aWus. , 21' Genre. Les HÉTIÎROMYS [Heteromys, Desm.) ont probable- ment le même système dentaire que les hamsters, mais on n'en est pas certain. Gomme les précédents, ils ont des abajoues, mais ils ont les formes générales des rats, et, comme chez ces der- niers , leur queue est écailleuse et presque nue; ils ressemblent aux échimys par des piquants aplatis qu'ils ont sur le dos ; leurs jiieds ont six callosités en dessous, et cinq doigts, dont l'interne est très-petit. L'Hétiîromvs \KQMki. [Heteromys Thoiupsonii, Le>s. Cricelus ano- malus, Desm. Mus onoj?in/u.s, Tiiumps.) est de la taille du rat ordi- naire; .son pelage est d'un brun marron en dessus, blanc en des- sous; son dos est armé d'aiguillons lancéolés, fins, entremêlés de poils fins; la queue est écailleuse avec quelques poils épars, noir.^tre en dessus; sa tête est pointue et sa bouche très-petite. Il habite l'île de la Trinité, aux Garaihes , cl l'on suppose que ses mœurs doivent être les mêmes que celles des hamsters. Tous les génies qui vmit suivre manquent d'abajoues. 22"^ (Ienre. Les OTOMYS ( Otomys , 1''r. <;uv. ) ont seize dents , savoir ; quatre incisives; point d<' canines; six molaires en haut et six en bas; les molaires supérieures ont leur couronne formée de lames transversales un peu arquées, bordées d'émail, et dont le nombre est de trois pour la première, de deux pourla seconde, et de (piatre pour la Iroisièmc; les inférieures ont moins de lar- geur, et leurs lames, moins arquées, sont au iioudirc de quatre pour la première, et de deux pour chacune des deux dernières. L'Otomvs de Rrantz ( Olomys Brantzii , Liciist.) a ciiu] pouces neuf ligues (0,1,';.')) de longueur, non conqu'is la (|ueue , qui a deux pouces et demi (0,008); celle-ci est annelée de i)oils roides, rares et durs. Son pelage est d'un gris jaunâtre en dessus et d'un blanc sale en dessous. (a\ animal habile l'.Vfriipic mi'ridionale, et, à la queue près, il a beaucou|) d'analogie de forme avec no- Ire surmulot. L'Oio>ns m; Cap [Olumijs unisulcalus, Liciist.) ne dilTère guère du piécéilcni, dont je le regarde comme une simple variété, que RATS. 231 par sa taille un peu plus granile ; il a six pouces et demi tle Ion- ' gueur (0,47()), non compris la queue, ((ui est longue de trois pou- ces et ([uart (0,088). Son pelage est d'un i^i'is fauve en dessus et d'un gris blancliAtre en dessous. H haliile le cap de lionne-Espé- rance. 23T.rMiF.. Les RATS (.Vus, Lin.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; point de canines ; six molaires en haut et six en lias, à couronne tuberculeuse ; les pieds de devant sont munis de tpialre doigis avec un rudiment de pouce : les pieds de derrière ont cinq doigts non ])alnu's; les poils du dos sont quel(|uefois roides et plats, ou épineux: la ipieue est plus ou moins longue, presque nue, présentant des rangées transversales très-nomlireuses de petites écailles, de dessous lesquelles sortent des poils; quelque- fois elle se termine par un flocon de poils. Nous diviserons les rats en deux sections ; la première com- ])ren(lra les espèces sans épines. Le Hm ûiiuiN.viRh ( .Uns ra//us , Lin. ] est trop généralement connu pour qu'il soit besoin d'en donner une description détail- lée. Sa taille lient le milieu entre le mulot et le surmulot; il est noivAtre en dessus, et d'un cendré foncé en dessous; des pelils poils lilancliMrcs lui couvrent le dessus des pieds. Cet animal s'est fait une fatale ré|iulalioii par les incouimodités i[u'il cause dans nos maisons, et par les dégAts qu'il y fait. BulLon croyait que le rat était originaire d'Iùirope, et qu'il avait été transporté par nos vaisseaux en Aniéricpie; cependant le seul l'ait ipie cet animal était tout à fait inconnu aux anciens écrivains aurait dii l'éclairer s\u' cette erreur. Le rat, au contraire, est in- iligène du nouveau continent , et n'a été introduit sur le nôtre qu'à la fin du moyen Age , c'est-à-dire à l'époque des premières navigations d'Europe en Amérique. Cet animal est omnivore , et mange également des fruits, des graines, de la chair, des insec- tes, etc. Il habite nos maisons, où il fait un d('gi\t i|ui le rend fort incommode ; non-seulement il attaque et gaspille toutes les substances alimentaires, mais encore il ronge la laine, les étoffes, les meubles; il perce les bois de charpente, fait des trous dans les murs , se loge dans l'épaisseur des planchers , dans les vides delà charpente ou de la boiserie, y établit ses magasins, et y transporte tout ce (]u'il peut traîner. L hiver il cherche la chaleur et établit volontiers son domicile derrière les cheminées, sur les planchers d'écurie, dans la paille, le foin, etc. La nuit, et même en plein jour, s'il u'entend aucun bruit suspect, il sort elFrouté- ment de sou trou, s(> glisse partout, et partout fait autant de dé- gftt (pi il en i>eut faire. La feunlle met bas [)lusieurs fois par an, et chacpie portée est ordinairement de quatre à cinq petits. Il en résulte que ces animaux sont toujours fort nombreux , et que malgré les chats , les pièges et le poison , il est fort diincile de s'en (h'barrasser. S'il est poussé jiar la faim, le rat j)énèlre dans les poulaillers et les iiigeonuiers, perce ou iirise les (luifs pour se nourrir des petits (pi ils contieniU'Ut, cl nu'aie (pR'l(|uefois il tue les jcinies lapins, les poussins et les pigeonneaux. Lorsque ces derniers ont la gorge pleine d'aliments , il leur perce le jabot pour manger les graines à ma gne , où l'on garde du blé dans les greniers , et où le voisinage des granges et des uiagasius à foin facilite lem' retiaile et leur mulliplicaliou, (pie les rats sont eu si grand nombre, qu'on serait obligé (le démeubler, de difserter, s'ils ne se détruisaient eux- mêmes; mais nous avons vu par expérience qu'ils se tuent, ([u'ils se mangent entre eux pour peu cpic la faim les presse , en sorte que, (piand il y a disette à cause du trop grand nombre, les plus forts se jettent sur les plus faildes, leur ouvrent la tète et man- gent d'abord la cervelle, et ensuite le reste du cadavre; le lende- main la guerre recoinmencu, et dure ainsi jusqu'à la destruction du plus grand nombre. » Le rat est aussi courageux que féroce ; il se défend hardiment contre les chats , les belettes et les surmulots , et si sa force ré- liomlait à sou courage, il sortirait toujours vaimpieur de la lutte. De tous ses ennemis, le |)liis terrible pour lui est le surmulot, parce ([n'ayant tous les deux les mêmes goûts et les mêmes lia- liitudes, ils se rencontrent fréipiemiuent et jamais impunément. Aussi, depuis i'rM, époque où le surmulot nous a été apporté de l'Inde , le nombre des rats a diminué dans la même progression ipie celui des surimilots a augmenté. Aujourd'hui ces derniers sont beaucoii|i plus communs (pic le rat ordinaire, nuelqiies na- turalistes ont attribué aux rats une singulière prévision : ils di- sent ((ue ces animaux connaissent parfaitement quand une maison menai e ruine , et ipi'ils en décamiicnl toujours quelques jours avant qu'elle s'écroule. Ce qu'il y a de certain , et je le sais par ma propre observation , c'est (pie ces animaux voyagent par troupes assez nombreuses, pour quitter une localité et se rendre dans une autre plus ou moins éloignée. <( Les rais , dit lUifTon , sont aussi lascifs que voraces ; ils glapissent dans leurs amours et crient ipiand ils se battent. Ils préparent un lit à leurs petits, et leur apportent bient(Jtà manger; lorsipi ils commencent à sortir de leur trou, la mère les veille, les défend, et se bal même contre les chats pour les sauver. Celle espèce, qui se trouve dans toute I Europe et en Amériipie, oH're (jnelquefois des individus albinos, c'est-à-dire tout blancs, mais plus rarement ipie dans les souris. » Il y a quelques années ipie .M. Thénard a lu à l'Académie des Sciences une note sur le moyen de détruire les rats et les autres animaux malfaisants qui habitent les murs des maisons, à l'aide de fumigations d'hydrogène sulfuré. On commence par boucher tous les trous , puis on ouvre ensuite ceux qui sont le i)lus fré- quentés par ces animaux. Abus on aiipliqiie l'appareil , qui con- siste en une cornue de verre dont ou Iule exactement le goulot à l'entrée de ces nouvelles ouvertures. On y introduit ensuite, par une tubulure, (hi sulfure noir de fer, puis on y verse avec pré- caution , pour éviter l'explosion , une certaine quantité d'acide siilfiiri(pic étendu il'eau. Il se fait aussilôt un dégagement d'hy- drogène sulfuré, ipii jiénèlre par le trou dans tous les recoins où les rats se cachent, et les fait périr en peu de temps. La Souris (Mus musculus, Lix.) est d'nu gi'is uniforme en dessus, passant au cendré en dessous , assez velue ; sa queue est aussi longue (pic son corps. Elle a une variéti- albinos assez commune. La souris est originaire d'Europe, mais nos vaisseaux l'ont trans- porlix' dans les autres parties du monde : aiijiuird'liiii ou la trouve à peu près |partoul. Elle multiplie beaucoup; la femelle fait iiliisieurs portées par an, chacune de six à liiiil petits, et rhaque petit se reproduit à l'âge de trois mois. (Jiiinze jours après sa naissance, il est assez grand pour (piitter .sa mère et ehenlier lui mêiiie sa nourriture. La souris est lui petit animal assez joli , ayant la physionomie (ine, l'œil vif, la Umrnure d('gag(:e , et les mouvements alertes. La ténuité de sa taille lui permet de se glisser par les moindres trous; aussi la reucontre-t(ui dans des lieux où l'on serait em- barrassé de s'expliquer comment elle est enlise. Elle de'grade les murs les phis solides en s'y frajaiil des pas.sages ; elle [lerce les meubles du bois le plus dur pour y pénétrer, cl ce sont là ses moindres dégâts. Animal rongeur par excellem^e, elle coupe, ré- duit eu poussière loul ce qui loiube .sous sa dent. Elle attaque le linge dans les armoires, les liMcs dans les bibliothèipies, les mar- chandises de loul genre dans les magasins, foules les substances alimentaires sont à sa convenance, et elle parvient toujours à liénélrer dans les lieux où on les a renfermées. Le i>ain, le lard , le beurre, le fromage, le sucre, les eonlitures, les fruits, les fa- rines, les graines, et même la chandelle, sont les objets ordinai- rement les plus recheiclu's par elle; non -seulement elle les entame et les cousoiiimc, mais encore elle les salil et leur eom- ?32 LES RONGEURS. ■ muniqiie une otieiir désagréable. On en a vu pousser la hardiesse jusqu'à enl.iiiier le lard de cochons vivants, pendant leur sommeil. Lorsqu'une ou plusieurs souris attaquent un ohjet d'une certaine grosseur, par exemple un pain, une pièce de lard, un fromage, elles commencent par y faire un trou assez petit , pour gagner le dedans. Alors elles s'y établissent et rongent toute la substance intérieure de l'objet, en ne laissant qu'une légère cvoùte exté- rieure , qui suffit pour masquer les dégâts, dont on ne s'aperçoit souvent qu'au moment où l'on veut faire usage de ces objets. « La souris , dit Buffon , a le même instinct que le rat , le même tempérament, le même naturel, et n'en diffère guère que par la faiblesse et par les habitudes (|ui l'accompagnent; timide par nature, familière par nécéssiti', la peur ou le besoin font tnus ses mouvements; elle ne sort de son trou que pour chercher à vivre; elle ne s'en écarte guère, y rentre à la première alerte, ne va pas, comme le rat, de maisons en maisons, à moins qu'elle n'y soit forcée, fait aussi moins de d('g,Vs. a les mœurs plus douces, et s'apprivoise jusqu'à un certain point, mais sans jamais s'atta- clier. Les chouettes, tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes, les rats même lui fout la guerre; on l'attire, on la leurre aisément par des appâts, on la détruit à milliers; elle ne subsiste enfin que par son immense féconditi'. » C'est sans doute pour délivrer nos haiiitatious des souris que les premiers chats ont été apportés des bois iiour être élevés en domesticité. On a voulu se délivrer d'une incommodité grave par une autre (pii l'est un peu moins, et on y a réussi jus(pi'à un certain jtoint ; car non- seulement les chats prennent et mangent les souris, mais encore ils les écartent de la maison |>ai- b ur .'^euie odeur. Le Surmulot {Mus drcuinanus, Pai.i.. Le Suriiiuhl et le Powc, BiiFF.)est d'un cjuart plus grand que le rat ordinaire; son pelage est d'im gris brun roussi^lrc en dessus, blanc en dessous; sa •lueue est nue, jjresque de la longueur de son corps. Il est ori- ginaire de l'Inde, et, comme nous l'avons dit, il n'a été observé en France, ])our la première fois, qu'en 1750. Aujourd'hui il est beaucoup jibis conuiiun (pie le rat, au(iuel il fait une guerre d'extermination. Le surnudot, plus fort et ])lus fc'roce que le rat, est aussi plus incommode par les' dégâts qu'il peut faire. Comme lui, il habile les maisons, mais il en sort assez souvent pour aller faire des excursions à la cam|)agne, et, s'il y trouve aisi'ment à vivre, il s'y fixe ])our toute la belle saison ; dans ce cas, il se creuse un terrier ou il |iorte (pielipics |)r()visions pour se nourrir jiendant les jours de pluie et d'orage. Toute son occupation est de chasser au menu gihier, et son voisinage devient funeste aux jeunes fai- sans, aux perdreaux, aux cailles et autres oiseaux; il attaipie même les jeunes levrauts et les jeunes lapins, et souvent il s'i'la- blitdaus leurs trous après en avoir chassi: le ])èrc et la mère. Il s'est tellement uudiiplié dans les voiries de Montfaucon , qu'il menace, si on (h'truisait celles-ci, d'envahir tout un ipiartier de Pans, où il porterait le ravage. Rigoureusement oninivoie, il se nourrit indifiércmment de chair \ive ou onrouipue, de fruits, de graines , et de toutes les substances alimentaires. En automne, il regagne les hahitations et y commet les mêmes dégâts que les rats, mais, de plus, il se glisse dans la basse-cour, dont il dé- vore les jeunes oiseaux après leur avoir préalablement sucé la cervelle, et il y attaque les jeunes lapins et les cochons d'Inde. Aussi courageux ([ue méchant, il se défend avec fureur contre les chats ; et lorsque ceux-ci sont encore jeunes il parvient assez souvent à leur échapper. Quelle que soit la puissance de son en- nemi, il ne se rend jamais sans combattre, même contre les chiens. Lorsqu'un homme le poursuit trop vivement et lui fait perdre l'espérance d'écha|iper par la fuite, il se retourne, s'é- lance sur la main (]ui le frappe , et lui fait de cruelles morsures. Les chats ont pour lui de la répugnance, et ne l'attaipient que très-rarement; si l'on veut s'en débarrasser, on ne peut donc employer (pie les pièges et le poison. Du reste, il donne assez facilement dans les embûches (pi'on lui tend. Cet animal aime assez s'établir sur le bind des eaux, et il nage avec la plus grande facilité, quoiqu'il n'ait jias les pieds palmés. La femelle produit trois fois par an , et fait chaque fois douze à quinze petits , quel - (piefois jus(]u'à dix-neuf. %.<.^t LeMcioT (Mu-; xijlralicus, Lin.) est de taille moyenne entre celle du rat et de la souris. Son pelage (st d'un gris roiissâtre sur le dos, blanchâtre sous le ventre; sa (pieue est un peu [dus courte que son corps. On le trouve dans toute l'Euroiie. et, par sa prodigieuse multiplication, il devient qiicbpiefois le fléau de l'agriculture, en détruisant les semences ou les récoltes. Ce |)clit animal h;ibite de prc'l'i'rence les terres sèches et ('levées, à cause de la facilili' ipi'il trouve à y établir son liabitatiiui. Ra- rement il S(; donne la peine de creuser lui-même son terrier, s'il trouve un trou de taupe ou de musaraigne à sa porti'e ; quelque- fois même il s'empare d'un trou tout fait sous une souche d'ar- bre. Dans tous les cas, il arrange sa demeure pour rap|)roprier à ses hahiludes. Pour cela, à un ]>ie(l (0,r)'2.'>), plus ou moins, de l'entri'e, il él.iblit une première chambre, (|ui doit lui servir d'habitation ainsi ipi'à sa famille. Il creuse tout à cù\r une autre chambre, qui devient son magasin. S'il se trouve nue grande cavité dans un trou dont il se .sera emparé, elle deviendra la ihambre aux provisions et il se creusera sou apparlemeiil à lùlé; d'où il résulte (pie le maga.siii se trouve souvent beaucoup plus grand(pi'il nescrait iK-cessairepourson usage, ce(pii ne reiiipêche |)as de travailler à re'colter des grains jusipi'à ce ipi'il soit plein Ces grains ne peuvent pas être entièrement consomnK's par lui dans l'espace d'un hiver; ils])ourrissent, et c'est autant de perdu pour lui cl |ioiir les ciiiliv.ilcuis, lleiireusemeiit i|ue le uiulol ue RATS. 2:13 ramasse des graines de ce'ié:des que lorsque les fruits secs lui man(|uent dans les bois , et que le plus souvent il ne remplit ses greniers que de glands, de noisettes et de faines, dont il entasse plus d'un décalitre dans les anne'es favorables. Il fait surtout un tort conside'rable aux semis forestiers, car il s'y rend par milliers pendant la nuit, suit exactement les sillons de la charrue, et déterre les glands ou autres graines un à un. Dès que les froids .se font sentir, il se retire dans son trou , où il vit grassement de ses provisions, mais il n'en bouche j>as l'entrée, et de temps à tellement favorables à leur multiplication, qu'ils deviennent un vérital)le fléau pour des provinces entiéi'cs. Ils ont jjour ennemis les loiq)S, les renanls, les martres, les beleltes et les oiseaux de proie. Le Hat nain [Mus soricinuf , IIkrm. Le K(it à mu!:eau prolungé , de quelques naturalistes) a de l'analogie avec le rat des moissons, mais il en diflere par son museau allongé; son pelage est d'un gris jaunâtre en dessus, blandullre en dessous; ses oreilles sont orbiculaires et velues ; sa queue est aussi longue que son corps. Le Alulot nain. autre, quand II fait une belle journée , il en sort pour aller faire un tour à la cam|)agne. Si l'hiver est très-long, que les mulots aient vidé leurs greniers, et que la famine se fasse sentir, les gros commencent par manger les petits qui habitent avec eux dans le terrier, puis, quand ils ont dévoré leur famille, ils sor- tent de leurs trous et vont atta(iuer le'us voisins. La guerre de- vient bientôt générale, et ils finissent par si bien s'enlre-détruire les uns les autres, que l'on est quelquefois trois ou quatre ans sans en voir ilans des localités tpii en étaient précédemuieni in- Le Rat i)'lsi,AMiii (,)/i(.v islaiulicus . TnirN.) a le pelago noirâtre sur le dos, gris sur tout le reste du corp", avec des taches jaunes sur les flancs; la (|ueue est presque nue, à écailles verticillées, et à [leine plus longue que le corps. Il a ('té observé en Islande, par Thieneniann. Le Rat m.s moissons {Mus messoriw;, Siiaw. — Dksji.) a deux pouces trois lignes (0,001) de longueur, non conij-ris la ipieue , qui est légèrement plus courte que le corps; sou pelage est d'un gris de souris mêlé de jaunâtre en dessus, le dessous du corjis et Lo Rat do Bjrbarie. restées. Ruffon a fait une singulière expérience sur la férocité vnrace de , ces petits animaux, u Nous avons mis dans un vase, dit-il, douze mulots vivants; on leur donnait à mangera huit heures du matin. Un jour, qu'on les oublia d'un (piart d'heure , il y en eut un (|ui servit de pâture aux autres; le lendemain ils en mangèrent un autre, et enfin, au bout de (|uel(pies jours , il n'en resta qu'un seul; tous les autres avaient ('!(• lues et di'vorés en partie, et celui qui resta le dt iiiicr avait lui-uièiuc les pattes et la queue mutilées. » Le mulot pulluh' beaucoup, car la femelle fait plusieurs fois par an neuf :i dix petits; mais il est des années les pieds sont Idancs. Il habite les cliamps cultivés et rocailleux, en Anglelerre. Je le crois le mi'iuc. que le .l/i/x niimilu!:. Le Sitnk: ou Hat k bariie (Mus agrarius. I'aii.. — Cmi.) a deux pouces dix lignes (0,077) de longueur , non compris la (pieue , qui a un peu i>lus de la moitié' de la longueur totale du corps; .son pelage e.st d'un gris ferrugineux gi'uéral , avec une ligne noire et élmile sur le ilos. Il habite la .Sib('rie, la Russie et le nord de r.Vlh'magne, où, dans de certaines années, il commet beaucoup de dégâts dans les moissons. Le Ml i.oT NAIN (Mus cuuippstris , Fk. (^uv. Le Muhil nain ou 234 LES RONGEURS. Mulot des bois, Daud.) est un peu plus petit que le précédent; sa queue , plus longue que son corps , le dépasse de (jualre lignes (0,009j; les poils qui le couvrent sont d'un gris ardoisé à leur naissance , et fauves à leur extrémité; le dessous de son corps et ses quatre pieds sont blancs; ses moustaches sont noires. On le trouve dans toute l'Europe tempérée , comme en France , dans les champs, à proximité des villages. Ce petit animal habite un terrier, mais, néanmoins, il fait son nid dans les hautes herbes des prairies ou dans les blés , quehjiiefois dans les buissons touf- fus. Dans tous les cas, ce nid est suspendu aux tiges des grami- nées ou des arbustes, à une hauteur suffisante pour n'être pas atteint par l'humidité de la terre, lors des pluies. Il a la forme d'une boule delà grosseur des deux poings, et il est tissu en herbes sèches, fines et solidement entrelacées. La femelle y pé- nètre par un très-petit trou ménagé sur le côté; elle y mpt bas de cinq à sept petits. Le SiKisT.\N (Mus sublilis, Mus vaçius et Mus betulinus, P.u.i.. Le Rat subtil et le Rat vagabond des naturalistes) a de l'analogie avec le rat fauve de Sibérie, .]fus minute , mais ses oreilles et sa queue sont plus longues; son pelage est fauve on cendré en des- sus, avec une ligne noire sur le dos; ses oreilles sont plissées, et sa queue est plus longue que son corps. Il a i>h!sieurs variétés de pelage. Cette espèce, très-commune en Tarlarie et en Sibérie, aime à se tenir sur les arbres, oti elle grimpe avec facilité. Le Uat fal'vf, {Mus mhnitus, Pm.l. Le Rat ferrugineux de ([uelques naturalistes) est de moitié moins grand qu'une souris; son pelage est ferrugineux en dessus, blanihâtre en dessous; son museau est peu allongé , et sa queue est plus courte que son corps. Cette espèce habite les champs cultivés, en Russie et en Sibérie, et s'assemble en grand nombre sous les gerbes de blé. Le lÎAT A QiiF.iJF. iiicoLORE {Mus dichrurus , Rafin. Le Rat de Si- cile des naturalistes) a huit pouces (0,217) de longueur; son pe- lage est fauve, mélangé de brunâtre en dessus et sur les cotés; la léte est marquée d'une bande bruuAlre; le ventre est blanchâtre; sa queue, de la longueur de son ior|>s, est annelée, ciliée, brune en dessus, blanche en dessous et un peu tétragone. On le trouve dans les champs cultivés , en Sicile, y Le Rat géant [Mus gigantcus, Hardw. — Desm. Mus selifer, IIORSF. Mus malaharicus , Penn.) a treize pouces (0,3H2) de lon- giiein-, non compris la queue, qui est de mènie longueiu'; son |ielage est d'tm brun obscur en dessus, gris en dessous, avec les pattes noires ; la cpieue est légèrement couverte de |ioils. Il habite les champs cultivés, près des habitations, au Rengale, au Malabar et à .lava. Il vit dans des terriers et se nniu'rit autant de fiiiits que de graines. yy Le Rat he .Iava (Musjaranus, Desm.) est de la taille d'un Sur- mulot ; son pelage est d'un brun roux en dessus, avec les pieds blancs; sa queue, plus courte ([ue le corps, est assez velue. Il habite l'ile de Java. I Le Rat de Sumatra [Mus sumatrensis , Raffi.es) a dix-sept pouces de longueur (0,.'pfiO), non coiui)ris la queue (|ui en a six (0,1(12), et qui est écailleuse, nue, terminée en pointe mousse; son ])elage est roide, d'un gris brun sur le dos; sa ttfte est courte, d'une teinte plus claire. Cette espèce habite Sumatra; elle vit dans les haies de bambous, dont elle mange les racines. Il appartient au genre Rhhiimys, Grav, ou Nyctoleples , Ti:m\i. Le Caraco (.1/us carneo, Paii.. — Desm.) est à peu |>rès de la taille du surnudol ; son pelage est d'un gris fonc(! mélange- de roussâtre sur le dos, jilus clair sur les flancs, d'iui cendré blan- châtre en dessous; ses pieds sont à demi palmés, d'un blanc sale. Il habile la Sibérie et la Mongolie. Pendant la belle saison il se plait sur h; bord des eaux , mais en hiver il se relire dans les liabitations. Le lÎAr A RANUES {Mus lineatus , Evers.) est d'un brun gris en dessus, d'un gris clair en dessous; ses oreilles sont d'un gris jaune, avec une grande tache noire près de chacune; il a sur le dos une ligne étroite, noire, depuis la nuque jusqu'à la queue? et deux autres lignes latérales moins foncées et un peu obliques; sa queue est aussi longue que son corps. 11 habite entre Orem- bourg et Rukkara, sur le bord des ruisseaux. Le Rat i>e l'I.vle {Mus indicus, Geoff. — Desm.) a les oreilles grandes, presq^e nues; sa taille est à peu près celle d'un sur- mulot; son pelage est d'un gris roussâtre en dessus, et grisâtre en dessous; sa queue est un peu moins longue que son corps. Cette espèce se trouve à Pondichéry. Le Rat d'Alexandrie {Mus alexandrinus, Geoff. — Desm. Àcan- Ihojnys alexandrinus, Less.) est d'un gris roussâtre en dessus, cendré en dessous ; les poils les plus longs de son dos sont aplatis, fiisiformes, striés sur une de leurs faces; sa queue est d'un quart plus longue que le corps. Il habile l'l';gypte. Le Rat de Do.navan {Mus Donavani , Less.) a le pelage d'un fauve noir, yçirie' de cendré, avec trois raies plus claires sur le dos; sa queue est d'une longueur médiocre, légèrement pointue. 11 se trouve au cap de Ronne-Espérance. \l Le Rat strié (Mus striatus, Li.nn. Mus orientalis, Sera) est un peu plus petit qu'une souris; son i)elage est d'un gris roux en dessus et mari]ué d'une douzaine de lignes longitudinales blan- ches , avec quelques petites taches de la même couleur ; sa queue est de la longueur de son corps. On le trouve aux Indes orien- tales. Le Rat de Barrarie {Mus barbarus, Lin.). Cette jolie espèce se dislingue aisément des ]irécéilentes en ce qu'elle n'a que trois doigts aux pieds de devant, ce qui a fait douter quelques naturalistes qu'elle appartînt au genre rat. Elle est d'une taille un peu plus petite ipiune souris; son pelage est brun en dessus, marqué de dix lignes longitudinales blancliâtres. On la trouve dans toute l'Afrique septentrionale. L'AxGouvA (.'1/ms angowia d'AzARA. Musbrasiliensis,Çi'e.ovY., non Desm.) a les oreilles moyennes, arrondies; son pelage est d'un brun fauve en dessus, blanchâtre en dessous, mais plus clair .sous la tête et plus foncé sous la poitrine; sa queue est un |)eu plus longue que son corps. On le trouve au Paraguay. Le Rat a grosse tète (j1/«.s cephalotes, Desm.) a le museau coui-t et la tête extrêmement grosse; son pelage est brun -en dessus, plus clair sur les côtés, et d'un blanc un i)eu fauve en dessous; sa (pieue est de même longueur que son corps. Il habite le Paraguay et se creuse des terriers dans les champs cultivés. L(! Rat du Brésil {Mus brasiliensis, Desm.) ressemble au rat coniuuin dont il a la taille, mais ses oreilles sont moins longues et sa tête est plus courte ; son |>elagc est ras et doux , d'un brun fauve sur le dos, fauve sur les lianes, et gris en dessous; ses moustaches sont noires; sa queiu' est un ])eu plus longue (jucson corps. On le trouve au Brésil. Le Rat roux {Muf: rufus, Azara) est d'un fauve roussâtre, plus foncé et plus terne sur le dos et sur la tête; le ventre est jau- nâtre; la (|ueue a plus de moitié de la longiu'ur du corps. Cette es|)èee vil sur le bord des eaux, au Paraguay. Le Piloris {Mus pilorides, Desm.) est un \wu moins grand que le surmulot; son pelage est d'un beau noir brillant; son menton, sa gorge et la base de sa queue sont d'un blanc pur. Il habile les Antilles. Le Rat des Catisgas {Mus pyrrurliimis, Wied de Nf.uwied) est de la grosseur d'un lérot; ses oreilles sont grandes et prescpie nues; son pelage est d'un gris brunâtre sale ; le nez , les cuisses et la base de la (picuc sont d'un rouge brun ; sa (pieue est très- longue. Il se Irouve au Rr('sil , et loge souvent dans la partie in- h'rieure du nid de la faiivelle à front roux, tandis (|ue cet oiseau eu habile Irainpiillemenl la partie siipéiieure. Tous deux vivent eu fort bonne intelligence. Le Rat oreillard {Mus auritus, Desm.) est remarquable i)ar la longueur de ses oreilles et la grosseur de sa tête; son ))elage est RATS. 235 d'un gris de souris en dessus, blanchâtre en dessous ; la queue est plus courte que le corps. Il se trouve dans les pampas de Buenos-Ayres. Le Rat aux tabses noires (Mus nigripes, Desm.) a la tête grosse, mais les oreilles courtes et arrondies ; il a cinq pouces onze lignes (0,t60j de longueur, en y comprenant la ((ueue, qui est plus courte que le corps; son pelage est d'un lirun fauve en dessus, blan<-liùtre en dessous; les pattes sont d'un noir très-foncé à leur extrémité'. On le trouve dans les champs cultivés, au Paraguay. Le Laucha [Mus loucha, Desm.) est d'une coideur plombée en dessus, blanchâtre en dessous; sa tête est peu large, son museau pointu, et ses moustaches sont fines et noires; sa queue est un peu plus courte que son corps , et ses tarses sont blancs en des- sous. Le Rat NOiRATriE [Mus nigricans, Rafin. — Desm.) n'est proba- blement rien autre chose que notre Mus raitus. Il a si.K pouces (0,162) de longeuur; son pelage est noirâtre en dessus, gris en dessous ; sa (pieiie est noire, plus longue que son corps. 11 habite r.Vmériijue septentrionale. Le Rat aux pieds blancs {.][us leucopus, Rafin.) a cinq pouces (0,1 5S) de longueur, non compris la queue; son pelage est d'un fauve brunâtre en dessus, blanc en dessous; ses oreilles sont larges ; sa léte est jaune ; sa queue , aussi longue que son corps , est d'un brun pâle en dessus et gris en dessous. Il se trouve aux États-Unis. Les espèces qui suivent ont des poils épineux. Le Pekchal (Mus perchai, Gml. Echymis perchai, Geofp. Le Rat perchai, Bvrv. Acanlhomya perchai, Less ) a quinze pouces (0,406) de longueur, non compris la queue, qui en a neuf (0,2ii); ses oreilles sont nues : son pelage est en dessus d'un brun roussâtre, un peu plus pâle à la tête, parsemé de poils roides; le dessous est gris , et les moustaches sont noires. Cette espèce habite les maisons à Pondichéry, où on lui fait la i basse moins pour le dé- truire (jue pour le manger, car sa chair est fort estimée. La SouBis DU Caiue (.1/us cahirinu!^, Geoff. Acomys cahirinus , Is. Geoff.) a quatre pouces de longueur (0,108), non compris la queue, qui en a autant; son pelage est d'un gris cendré uni- forme , composé de poils roides et un peu épineux sur le dos , plus clairs et plus doux sur les côtés. On la trouve en Egypte. 24" Genre. Les LOIRS (Myoxus, Gml.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, point de canines;! huit molaires en haut et huit en bas, simples, à lignes transversales saillantes et creuses; ils ont cinq doigis aux pieds de derrière, ipiatre doigts et un rudi- ment de i)ouce aux pieds de devant; leurs |>oils sont très-doux et très-fins ; leur queue est très-longue, tantôt fort toufTue et ronde, quelquefois aplatie et à poils distiques , enfin d'autres fois flo- conneuse à l'extrémité seulement. Ce sont les seuls rongeurs qui manquent de cœcum. Le Loir commun {Myoxus ijlis, Gml.) a un peu plus de six iioiices (0,162) de longueur, non compris la (picue, (pii est toud'ue et très-fournie; son pelage est d'un gris brun cendrii en dessus, blanchâtre en dessous, avec du brun autour de l'œil. Il habite les pays raontueux et boisés de l'Europe, jusqu'en Laponie, et ce- pendant on ne le trouve ni en Angleterre ni, je crois, dans le nord de la France. Ce joli petit animal est extrêmimcnl farouche, et ne s'appri- voise jamais Il a les mêmes habitudes (pie l'écureuil ; comme lui, il n'habite que les forêts, grim])e sur les arbres, saute de bran- che en branche, quoique moins légèrement, se nourrit de châ- taignes, de faines, de noisettes et autres fruits sauvages. Il se loge dans les troncs d'arbres ou les Irons de rochers, où il se fait, avec un peu d'art, un lit de mousse et de feuilles sèches. Il amasse aussi dans son trou une provision de fruits pour s(ï nourrir l'hi- ver, mais seulement (piand la saison est douce, car lorsqu'il fait froid il est plongé dans un sommeil lélhargitpie, comme la mar- motte. Il sort de son engourdissement de temps à autre, lorsque le soleil a suffisamment réchaiiiré l'almosphère, et alors il lui ar- rive quelquefois de sortir de sa retraite pour aller faire un tour à la campagne. Dès que le froid leprend , il rentre, s'enfonce dans son nid de mousse, se roule le corps en boule, et retombe dans un état presque complet d'insensibilité. Ordinairement, pendant l'hiver, les loirs se réunissent plusieurs ensemble dans le même trou , et dorment pressés les uns contre les autres pour se com- muniquer réciproquement un peu de chaleur. Rarement cet ani- mal descend à terre; il ne se borne pas à une nourriture pure- ment végétale, et, quand il en trouve l'occasion, il mange fort bien les petits oiseaux qu'il peut surprendre sur leur nid, et leurs ccufs. Les loirs s'accouplent au mois de mai et de juin, ils font leurs petits en été, et les portées sont ordinairement de cin(|. Ce sont des animaux très-courageux , qui ne craignent ni la belette ni les petits oiseaux de proie; leurs ennemis les plus dangereux sont les martes et les chats sauvages. Les Romains mettaient les loirs au nombre des aliments de luxe, que les gastronomes riclies pouvaient seuls se permettre, lis avaient établi des sortes de garennes où ils élevaient et en- graissaient CCS animaux, comme nous faisons aujourd'hui des lapins, et ils y mettaient une telle importance, que Varron a donné une méthode trcs-détaillée sur l'éducation des loirs et sur l'art de les engraisser. Apicius nous a aussi lai.ssé d'excellents documents sur l'art d'en faire des ragoûts; mais, malgré la haute vénération que nos pères avaient pour les auteurs anciens , ces préceptes sont restés pour eux et pour nous de simples théories, que personne n'est tenté de mettre en pratique. Cette répugnance que l'on a pour manger des loirs vient, sans aucun doute, de la grande ressemblance qu'ils ont avec les rats, car leur chair, sans être excellente, n'est réellement pas mauvaise, et a une grande analogie avec celle des cochons d'Inde et des rats d'eau. Les Ita- liens, probablement moins didiciles que nous, mangent encore ces animaux avec grand plaisir, et voici comment ils se les pro- curent. Ku commencement de l'automne, on creuse, en terrain sec, dans les bois, des petites fosses que l'on tapisse de mousse et (pie l'on recouvre de paille : on y jette préalablement une bonne (piantité de faine. Les loirs, alléchés par ces fruits, s'y rendent en grand nombre, s'y établissent et s'y engourdissent; vers la fin de l'automne, on va les y chercher, et c'est alors qu'ils sont le plus gras et que leur chair est excellente. Le Lérot (Myoxus nitela, Gml. Mus quercinus, Lin. Le IJrot, BuFF.) est un peu moins grand que le loir, et n'a guère que cinq pouces (OjiôS) de longueur, non compris la queue ; son pelage est d'un gris fauve en dessus, blanchâtre en des.sous ; son œil est entouré par une tachfv noire, (pii s'étend, en s'élargissant, jusque derrière l'oreille ; sa queue est longue , garnie de poils ras , puis terminée par une épaisse totitre blanche. Il habite diins tous les climats tempérés de l'Europe , et il n'est que trop commun en France, où il fait le déses])oir des jardiniers. Le b'rot, (pie les cultivateurs appellent (pielquefois loirot ou loir, est le fb'aii de nos vergers, de nos jardins, et surlout de nos espaliers de pêchers. II ne se contente pas de manger la (piantité de fruits nécessaire à sa nourriture, il en entame un grand nom- bre avant de se déterminer à en manger un , d'où il résulte (pi'il fait de grands dégâts sans iH'néfice pour lui. Il n'habite jias les bois, comme b^ loir, mais nos iilantalions d'arbres fruitiers, et (piel(|uefois luèiiie nus liabitalions. Il ('tablit son domicile dans un terrier, dans un trou d'arbre, et plus souvent dans les cre- vasses d'une vieille muraille. Il y jiorte de la mousse, du foin et (les feuilles sèches pour y construire son nid, dans lequel la fe- melle fait en été cin(| (Ui six petits (pu croissent promplcment, mais (pii ne produisent (pie rann('e suivante. Lors(pie l'hiver ap- ])ro(iie, ils se r(:unissenl sept à huit dans le même nid , se roulent le corps en boule et s'engourdissent les uns contre les autres. Connue les loirs, ils font des provisions qu'ils consomment pen- ;ir, l.ES RONGEURS. dant les temps doux pour se rendormir dès que le froid revient. Ces provisions consistent en amandes , noisettes, noix et graines de le'gumineuses, quand ils ne trouvent pas mieux; du reste, leurs habitudes sont absolument celles des loirs. Le lerot ne sort guère de sa retraite qu'à la nuit tombante ; exirèmement agile pour grimper contre les murs les plus unis, et descendant rarement à terre, il est peu exposé à être surpris par les chats, qui d'ailleurs ne se soucient pas de l'attaquer, parce qu'ils ne le mangent pas et l'aSandonnent après l'avoir étranglé, peut-être aussi parce (|u'il se défend avec un courage furieux. Le Loir du Sénégal {.l/yojus Coupeii , Fr. Cuv. Myoxus africa- nus, SiiAW.) est plus petit que notre hVot ; les pattes sont blan- châtres, les oreilles un peu ovales; son pelage e.'-t d'un gris clair, Le Loir de Sicu.e [Mijoxus Siculœ , Less. Musculus frugivorns . Raf.) a les oreilles nues et arrondies; la queue cylindrique, ci- liée et brune; son pelage est d'un roux brunàlre, parsemé de longs poils bruns en dessus; le dessous est blanc. Il habite la Sicile , où les habitants esiiment beaucoup sa chair, et il niche sur les arbres. Il appartient au genre Mus. Le MuscARniN (Myo.vM muscardinus, Gmi.. Mus avellanarius , Lin. Le Croque-noix, Briss.) est à peu près de la grosseur d'un mulot ou d'une souris. Son pelage est d'un fauve clair en dessus, presque blanchâtre en dessous; sa queue, jiresque de la longueur du corps, est aplatie h(nizontalement et formée de poils disti- ques. Il haliile toute l'Europe. Cette Jolie miniature de l'écmeuil n'habite guère que les forêts, Le I oir co'nm;:ii. légèrement jaiin.Mre eu dessus et sur la queui-; les joues et les m.'iclioiies sont d'un lilanr (lur; le dessous du vm-ys est blanchâ- tre. Il habite le Sénégal, cl se Iimum' assez souvent ilaus les maisons. Ditit-on regarder comme de simples variél('s ou comme des es- pèces les deux individus suivants".' Le MiiRiN {Myuxus murinus, Dksm.). Il ne iliU'ere du préiédenl que jiar son jielage d'un cendié noir:Mre, nulicnu'ut rou.ssAIre. Il habile le cap de lioune-lispérance. Le Petit Loir {Myoxus minor) est un peu plus petit (pie le pré- cédent; son pelage est d'un cendré noiiAtre en dessus et d'un blanc beaucoup plus pur en dessous. Du reste, il ressemble au précédent, mais il habite le Sénégal. Le l.oui DRYADE [Myuxus drijas . Si;iii'.i.ii. — Desm.) est d'un gris fauve en dessus et d un blanc sale en dessous ; .son œil est enlouré d'une tache obscure qui se prolonge vers l'oreille; la queue est entourée de grands poils disliipies à sa base. Peut-être, comme le pensait C. Ciivier, n'est-ce iiu'une variété du loir commun, mais je ne crois pas que ce soit un b'rotà (|ueue écourtée, comme l'a dit l"r. Cuvier. 11 habite les forêts de la Ci'orgie et de la Russie. Le Dégu {Myoxus deyu , Less. Sciuras deyui, Cmi..) i)Ourrait bien ne pas appartenir à ce genre. Sa taille e>l petite ; son pelage d'un bloiid obscur, avec une ligne noirâtre sur l'épaule. Il ne s'engourdil pas Ihiver et se loge dans des terriers. Il habile le (;hili Est-ce un loir, un laiiil,i ou un canipagroj' surlout celles où les noisetiers sont alxuidanls, parce qu'il fait sa principale nourriture de leurs fi uils II loge et s'engourdit dans les vieux troncs d'arbres et les trous de murailles, mais il f.iit sou nid sur les buissons de noisetiers, entre les lu-anches basses, avec des herl)es entrelacc'cs; il lui donne environ six pouces de diamètre (0,1()2), et ne laisse i)our y entrer (pi'une ouverture dans le haut C'est l,i que la femelle met bas el allaite trois ou quatre ])elits, (pii abandonnent le niil jinur toujours aussitôt qu'ils sont assez forts pour pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Aussitôt (pie le froid se fait sentir, ils se retirent dans un trou d'arbre où ils ont amassé une provision de noisettes, et ils s'y engourdissent à la manière des loirs. On prétend qu'en Italie se trouve une espèce ou variét(' de muscardin h odeur de musc; celui de France ne sent rien, et se trouve (piehpicl'ois dans nos jardins ipiaud il y :\ une plant, iti(Ui de noisetiers. 25" Genre. Les ÉCIIIMYS (£c/umi/.s, Geoif.) ont vingt dcnls, savoir : ipialre incisives , jias de canines , huit molaires en haut et en lias, simples, à couronne pr('senlant des lames Iransverses, réunies deux à deux par un bout ou isoh'es; ils ont cin(| doigts aux |>ieds de derrière, ijualre doigts aux pieds de devant avec un moignon de pouce; leur ipicue est très-longue, écailleusc, pres- que luie, leurs iioils, surtout ceux des parties supérieures, sont en forme de pi(pianls aplatis, carénés sur une de leurs faces, crensi'sen goMllière de l'autre, et leiniiiu-s \r.\r une soie Irès-fiue. H ATS. 237 L'Angouva-v-Bigoin [Echimys fpinosus, Dfisji. L'Iichiiiiiis roux, G. Cuv. Le Rat épineux, Azaiia) a sept pouces 1,0,180) Je longueur, non compris la queue , qui en a trois (0,081), et qui est couverte de poils courts, assez fournis jiour caelier les écailles; son jie- lage est d'un brun obscui', mélangé de rougei'itre en dessus et d'un blanc sale en dessous; les poils du dos sont entremêlés de I>iquants très-forts. Cet animal habile le Paraguay et vit solitaire- ment dans des terriers qu'il se creuse dans les savanes, sur le bord des rivières, mais dans des situations assez élevées pour queue, ipii en a quatorze et demi (0,595). Son pelage est brun , mêlé de gris et de jaunâtre en dessus ; ses flancs sont roussâtres ; les poils sont secs et rudes, mais non pas précisément épineux; les deux doigts du milieu des pieds de devant sont plus longs que les autres et ont des ongles plats; les cinq doigts des pieds de derrière sont armés d'ongles longs et crochus; toute la queue est écaiUeuse et nue. Il habite l'Amériiiue méridionale. L'EeiUMVs A AIGUILLONS ( Echimys hispidus, Geoff. — DesM.) a sejit pouces (0,189) de longueur, non compris la queue, cpii en a Le Lenimiiu. que les inondations ne puissent pas le surprendre. L'enirée de son terrier senfonre à peu près verticalement à huit pouces (0,217) de profondeui-, puis ensuite une galerie s'étend parallèle- ment à la surface du sol à quatre pieds (1 ,'29!l) de ,0,271) de longueur, non compiis la autant, et qui est annelée cl entièrement écailleuse; son pelage est d'un biun roux, plus clair en dessous, avec beaucoup de poils épineux très-roides sur le dos ; sa léte est roussâlre. Il habite l'Amérique méridionale. L Echimys soyeux (Echiiiujs selusus, Geoff. — Desm.) a environ six jiouces (0/K)2) de longueur, non compris la ipieue, qui en a sept (0,189); son poil est soyeux, Irès-peu mélangé d'épines, roux sur le corps, blanc en dessous; ses pieds sont l>lancs; ses tarses postérieurs sont fort longs, avec les trois du milieu près- ()ue égaux entre eux. 11 habile l'.Vmérique, mais j'ignore quelle partie. L'Éciinns de Cayen.ne {Echiiinjs caijenne7)sis , Geoff. — Desm.) a environ six pouces (0,102) de longueur, non com|iris la (|ueue. Son pelage est d'un roux passant au brun sur le milieu du dos; tout le dessous du corps est d'un beau blanc; les piquants man- quent sur la tête, et sont entremêlés, sur le dos, de poils annelés de roux, de fauve et de brun à la pointe ; ses tarses et tes doigts [lOslériturs son comme dans le précédent. 11 résulte de celle 238 LES RONGEURS. conformation que ces deux espèces doivent avoir sur les autres une grande supériorité à la course et au saut. Il habite l'Ame'ri- que me'ridionale. L'ÉciiiMYS DiDELPHOïDE [Echimys didelphoïdes, Geoff. — Desm.) a environ cinq pouces (0,135) de longueur non compris la queue, qui en a autant : celle-ci est couverte de poils à sa base et nue sur le reste de sa longueur; le pelage est brun sur le dos, plus clair sur les flancs, Jaunâtre en dessous; les piquants, qui n'exis- tent qu'au dos et à la croupe , sont annele's de brun foncé et de roux. Il habite l'Amérique méridionale. 25'= Genre. Les LEMMINGS [Georychus , Illig.) ont seize dents, savoir : quatre incisives; pas de canines; six molaires en haut et en bas, composées, à couronne plane, présentant des lames éraailleuses, anguleuses; les oreilles sont très-courtes, ainsi que la queue, qui est velue; ses pieds de devant ont tanlét cinq doigts, tantôt quatre , toujours munis d'ongles i)ropres à fouir la terre. Tous ces animaux ont des mœurs intéressantes, dont les voyageurs se sont préoccupés. Le Lemming [Georychus norvégiens. — Ilipiida'us norvcyicus, Desm. Mus lemnus, Lin. Le Lemminy, Buff. — G. Cuv. Le Lapin de Norvège, Briss.) est de la grandeur d'un rat; il a cinq doigts aux pattes de devant ; son pelage est agréablement varié de noir et de jaune sur le dos; le ventre et les flancs sont blancs. Il habite les montagnes de la Norvège. Ce joli petit animal vit dans un terrier au fond duquel il se creuse une chambre dans laquelle il élève sa famille ; mais il n'y fait pas de magasin et n'y amasse point de provisions. Sa nour- riture consiste en lichens pendant l'hiver, en herbes dans la belle saison, et probablement en racines lorsqu'il fouille la terre. Par un instinct inexplicable, ces animaux connaissent à l'avance quand il doit y avoir un hiver rigoureux , qui ne leur permettrait plus de remuer le sol glacé ni de trouver leur nourriture dans leur contrée natale , et alors ils se pré|)arent à émigrer jiour aller dans des pays plus favorisés. On a observé plusieurs fois chez eux cet étonnant pressentiment, et surtout en 4742. Cette année-là l'hiver fut très-rigoureux dans le cercle d'Uméa , et beaucoup plus doux dans celui de Lula, quoique plus au nord : ils émigrè- rent à l'avaune du premier et non de l'autre. 11 résulte de cette prévision, que leurs émigrations ne sont ni annuelles ni i)ériodi- ques, et que souvent il n'y en a (ju'une dans l'espace de dix ans, tandis que d'autres fois il y en a deux ou trois dans le même espace de temps. Quand ils se préparent à partir, la population d'une contrée entière .se rassemble par un merveilleux accord, et leur troupe iiinoudM'able se forme en colonnes parallèles et se met en uiarclie eu ligne droite, sans qu'aucun obstacle puisse la détourner ni à droite ni à gauche. Rencontrent-ils une montagne, ils la franclilssent en la gravissant; une rivière ou un bras de mer, ils les passent à la nage ; et si le vent vient à s'iilever pen- dant cette Iraversi'e, des milliers de ces animaux sont submergés ; leurs cadavres , rejetés en monceaux sur le rivage, euipolsonnent l'au- au point d'occasionner dos maladies épidéiniipies dans les villages voisins. Ils marchent la nuit, font halte pendant le jour, et malheur à l'endroit où ils s'arrêtent, car, en quebiues heures, jardins, moissons, récoltes de toute espèce, verdure, tout est déliuil, et le Sdl reste nu et rasé comme si le feu y avait passé. Ili'urcuseuuiit c|u'ils rcspcetcut les haliitalious et ne |)('uètrent ni dans les maisons, ni même dans les cabanes. Aussi courageux que dévastateurs, ils se défendent avec fureur contre toutes les agressions, soit de la part des animaux, soit de la part de riioiume; ils cherchent à s'c'lanccr à l.i (igure de celui (pii le allaipie, ils mordent le b.'iton ((ui les frappe, la main qui les me- nace, et une fois qu'ils ont saisi avec les dents, ils ne lichent plus ((u'en mourant. Dans leur colère, selon Scheffer, « ils vont au-devant de ceux qui les attaquent, crient et jappent presque tout de môme que des petits chiens. >> Les leramings ne s'expatrient i)as pour aller établir ailleurs des colonies, mais simplement pour trouver à vivre pendant l'hiver, et retourner ensuite dans leur pays. Ces bandes prodigieuses, qui, au départ, couvraient la terre d'individus serrés en pha- langes, sont tellement diminuées au retour, qu'à peine s'aperçoit- on de leur passage. Les renards, et une foule d'autres petits mammifères carnassiers, les suivent dans leurs migrations et s'en nourrissent exclusivement; les oiseaux de proie en détrui- sent aussi un grand nombre; et la fatigue, les intempéries, les naufrages et la faim, font périr une grande partie de ceux qui restent ; c'est à peine si la centième partie de la troupe peut re- gagner sa terre natale. Du reste, leur passage est regardé par les haliitants du pays (pi'ils parcourent comme un fléau terrible, et dont il est impossible de se délivrei'. Comme leur apparition est subite , et que le peuple ne sait d'où ils viennent, il s'imagine qu'ils tombent du ciel avec la pluie. Le Lemming de Laponie [Georychus laponicus) est un tiers plus petit que le précédent ; son pelage est d'un fauve brun sur le dos, jaunissant sur les lianes, et blanchâtre sous le ventre. Quelques naturalistes ne le regardent que comme une variété du précédent, quoiqu'il n'en ait ni la taille, ni les formes, ni la couleur, ni les moeurs, et qu'il ne se trouve pas dans les mêmes contrées. 11 habite la Laponie russe, où l'autre ne se ti'ouve ja- mais, et il est commun dans les régions voisines de la mer Blan- che et de la mer Glaciale, jusqu'à l'Obi. Il émigré aussi, tantôt vers le Petzora , tantôt vers l'Obi , et de la même manière que le précédent. Son terrier, au lieu de n'avoir (pi'une chambre, en a plusieurs qui lui servent de magasins, et il y amasse des provi- sions consistant en lichen des rennes [Lichen rangiferinus). Le Lemjung de la baie d'Hudson [Georychus hudsonius. — Hipu- dœus hudsonius, Less. Mus hudsonius, Pall. Le Hat du Labrador) est de la grosseur d'un rat; il a cinq pouces (0,135) de longueur, et le mâle est un peu plus grand que la femelle; il manque de queue et d'oreilles apparentes, et ses pieds de devant n'ont (]ue quatre doigts avec un rudiment de pouce; son pelage est unifor- mément d'un gris perle. Il habite l'Amérique septentrionale. Le Lemming a collier [Georychus torquatus. — Hipudceus torqua- tus, Lfss. Mus lorquatus, Pall.) a le pelage ferrugineux, avec une ligne noire sur le dos et un collier blanc autour du cou , inleriouipu en dessous; ses oreilles sont très-courtes; ses ])ieds de devant ont cinq doigts armés d'ongles médiocrement forts, excepté le pouce, qu'il a court , arrondi , ou nul. Il habite la Si- bérie et émigré aux mêmes épocpies que les lemmings. Le Lagcre [Georychus lagurus. — Hipudirus lagurus, Less. Mus lagurus. Pâli,. Le Lugure, Vicq d'Azvu) est plus pclil ipie notre campagnol ordinaire; sa longueur est de trois pouces lujit lignes (0,099); il n'a que quatre ongles aux pieds de devant, et sept vertèbres à la queue; son pelage est d'un gris cendré, avec une ligne noire sur le dos, mais il manque de collier. Il vit en gran- des troupes dans les steppes de la Tartarie et de la Sibérie, el il est surtout nombreux dans le désert d'Irlisch , où croit en abon- dance l'iris nain [Iris pumila) dont il mange les racines. Qu()i(pie le plus petit des leunnings, il csl courageux el fort, et ne craint pas d'attaipier les plus grandes espèces de son genre, pour les manger; aussi aucunes délies n'ose habiter les cantons où il a établi sa demeure. Les mâles se font entre eux une guerre à ou- trance, et le plus fort, après avoir dévoré ses rivaux, s'enqiarc des femelles pour peupler son harem. Le TACriN [Georychus lalpinus. — Mus talpinus, Pall. Le Petit Spala.r , Kncvcl.) a cini| doigts à tous les pieds ; sa jircmière mo- laire est la i>lus longue ; son pelage varie du gris jaune au brun noir, avec l'âge; la fenu'lle a six mamelles. Il liaiiite les bassins méridionaux de l'Oural, et ne se trouve pas à l'est de l'dbi. Cet animal se creuse un terrier comme la taupe , près de la surface du gazon, et, comme elle, il élève de petites buttes de terre le long de ses longues galeries et de distance en distance. 11 ne sort ja- RATS. 239 mais de sa retraite que pour aller chercher sa femelle, ou chan- ger de canton; il se nourrit de racines, et principalement des petits tuliercules du phlomis tubéreux. 26" Glnre. Les CAPKOMYS (Capromys , Desm, Isudon, Geoi-k.) ont vingt dénis, savoir: quatre incisives, dont les infe'rieures peu conipriuK'cs sur les côtiis; |)oint de canines; huit molaires en haut et en lias, prismatiques , ayant leur couronne traversée par des replis d'émail qui pénètrent assez profondément, et qui sont semblables à ceux qu'on voit sur la couronne des molaires des castors; les pieds de devant ont quatre doigts avec un rudiment de pouce; la ipieue est ronde, coni(|uc, écailleuse; les membres sont forts, robustes et assez courts. Ce genre semble être inter- médiaire entre les rats et les marmottes. Le CiiÉMi {Capromys Furnieri , Desm. hodun i>ilorides, Sav. L'Agutia congo des créoles de Cuba ; jieut-étre le liacoon de Browne) est de la grosseur d'un moyen lapin ; il a un peu plus d'un pied (0,325) de longueur, non compris la queue, qui a six pouces (0,102); sa marche est plantigrade, et les cinq doigts des pieds de derrière sont forlement onguiculés ; son pelage est gros- sier, d'un brun nolrftlre, lavé de fauve obscur dans les parties supérieures; la croupe est rousse; les pattes et le museau sont noirâtres. Le chérai habite l'Ile de Cuba , vit dans les bols , et grimpe aux arbres avec la plus grande facilili'. Il a peu d intelligence, mais II est curieux, joueur et d'un caractère fort gai. Sans être posili- vement un animal nocturne , il est plus éveillé pendant le cré- puscule que le jour; il a l'odorat excellenl, et, lorsqu'il se croit menacé d'un danger, il se dresse sur ses pieds de derrière, comme un kangourou, et fait mouvoir ses narines pour flairer le vent et prendre connaissance de l'objet qui l'Inquiète. Alors 11 fait entendre un petit cri aigu analogue à celui des rais pour ap- peler ses camarades et les avertir de prendre la fuite. Quand, au contraire, il éprouve un senllment de salisfaction , soll en man- geant quelque chose ipu flalte son goût, soit en s'élendant mol- lement au soleil dans une voluptueuse quiétude. Il fait entendre un ])etil grognement très-doux et fort bas. Sa nourriture con- siste uniquement en substances végétales, et il aime surtout les bourgeons d'arbres et les jeunes écorces. Connue la jilupart des autres rongeurs, les chéuiis pi-ennent et porlent à leur bouche leur nourriture avec les deux pattes de devant, mais souvent aussi Ils ne se servent pour cela que d'une seide main, ce qui leur donne une physionomie fort originale. Du reste, cet animal est d'un caractère fort doux. L'Agutia caravalli, ou Uïia (Capromys prehennlis, l'Œn.Nc) a vingt-trois jiouces de longueur ((),02ô) ; sa tèle, la ]>lante de ses jùi-ds et les ongles , sont blancs; sou pelage est mou , épais , fer- rugineux mêlé de gris; sa queue est grêle, de la longueur du corps, nue à son extrémité. Il habite Cuba , où il est assez rare. Cet animal, lourd et paresseux, grimpe cependant aux arbres avec la plus grande farllilé; il aime à .se |)endre à Iciu-s branches et à se cacher dans leur feuillage. Lesson en fait le type de son genre Mysaleles. '2~-' Cexiie. Les CAMPAGNOLS (.lri^/fo?a,LACi;p.) onl seize dents, savoir: quatre incisives; point de canines; six molaires en haut et six en bas, composées, à couronne |ilane , offrant des lames émailleuses, anguleuses; oreilles assez grandes; pieds de devant pourvus d'ongles mt'diocres ; (pieue à peu près de la longueur du coips, velue, rondin; huit à douze mamelles. Le Rat d'eau {Arvicola amphibius, Desm. Mus amphibius , Lin. Mus aqualicus, Rai et Briss, Mus marinus, .Klian.) est un peu I)lus grand (jne le rat ordinaire , d'un gris brun foncé; sa queue est d'un tiers plus courte ipie son cor|is, et il n'a ([uc l'ongle de visible aux pieds de devant; ses o: cilles sont nues, presque cachées dans le poil de sa tête; les quatre pieds sont nus et écailleux. Le rat d'eau se trouve dans toute l'Europe, le nord de l'Asie et (le l'Amérique , mais avec (pielques modifications qui tiennent au (limai. Par exemple , en Sibérie il est plus grand qu'en Eu- rope, et d'autant plus (pion s'avance davantage vers le nord; ceux (jue l'on trouve à rembouchure de l'Obi et du Jenisey sont assez grands pour que l'on puisse employer utilement leur four- rure, qui, d'ailleurs, n'a pas une grande valeur. Partout les mâles sont plus grands (jue les femelles et d'une couleur plus foncée. Le rat d'eau ne quille jamais le bord des eaux douces, et s'il s'en éloigne ipielquefois, c'est d'une cimpiantaine de pas au ])lus. Au moindre danger (pil le menace, il y revient, se jette dans les ondes, plonge, et gagne son trou en nageant entre deux eaux. Ce trou consiste en un boyau parallèle au sol , peu ]>rofoiid, et ayant idusieurs Issues. La femelle y met bas, au mois d'a\ ril , six ou sept i)etlts qu'elle soigne avec tendresse , et elle ne les laisse sortir de sa retraite «pie lors(prils ont alteint au moins la moitié de leur grosseur. Rufl'on accuse ces animaux de ne se nourrir que de poissons et de reptiles, et de faire du tort aux étangs et aux rivières en (h'trulsant le frai des carpes , bro- chets , barbeaux , etc. Le vrai est (jue les rats d'eau ne mangent ([ue des matières végétales , cl entre autres les racines et les graines des plantes de la famille des typhacées; si quelquefois ils se permettent une nourriture animale , elle consiste purement en quelques insecles et leurs larves ; quant aux poissons, grenouilles et autres animaux aquathpies, ils n'y touchent jamais. Dans cer- tains pays on mange sa chair, (pil n'est pas mauvaise , et peut être comparée à celle du cochon d'Inde. Entre lObi et le .leniscy on trouve une variété , ou peut-être une espèce de cet animal , qui difTère de notre rat d'eau par une grande tache blanche (pielle a entre les épaules, et une raie de la même couleur sur la poitrine. Le SciiERMAiss (Arvicola paludosus. — Mus paludosus, Lix. Arvicola argentoratensis, Desm. Le Schcnnan, Buff.) est plus petit que le précédent, à tête remarquablement plus ramassée, à queue plus courte, et à pelage noir. Il habite les environs de Strasbourg et s'éloigne davantage de l'eau. Le Campagnol des rivagis (.Ircfco/a riparius, Ord. Arvicola pohistris, IIarlan) a cinq pouces de longueur (0,13,5), non com- pris la queue, qui est moins longue; ses oreilles sont médiocres ; son museau est gros; Il a le pelage d'un brun rougeâtre mêlé de noir en dessus et cendré en dessous. Il habite le bord des eaux, aux Etats - Unis, et se nourrit des semences de la zizanie aqua- tlijue. Le Rat d'eau eu Nil (Arvicola niloticus, Desm. Lemnus niloticus, Geoff.) a la queue presque aussi longue que le corps; son pelage est d'un brun mêlé de fauve sur le dos, d'un gris jaunâtre en dessous; ses oreilles sont hrunfttres, presque nues; sa ipieue est brune. Il habile l'Egypte, et a les mêmes mteurs que les précédents. Les espèces «(ui vont suivre sont enlièremcnt terrestres, et toutes habitent l'ancien conllnent. Le Cami'agxoi. oudiinaire (Arvicola vulgaris , Desm. Mus arvalis, Lin. Le Campagnol ou Pclil liai des champs, Buff. — G. Cuv.) est de la grandeur d'une souris; son corps a trois pouces (0,0SI) de longueur, non compris la (pieiie, qui a un pouce (0,027), et qui est velue; ses oreilles sont moyennes et arrondies; son pelage est d'un jaune brun en dessus, d'un blanc sale en dessous. Cette espèce a souvent été le n('au de lagiiculturc, surtout dans l'an- li(iuité. Le campagnol est commun dans toute l'Eurtqie , et se trouve dans le nord de la Russie jusqu'à l'Obi. Il habite les chaini)S et les jardins, mais il ne pénètre jamais dans les maisons ni dans les bâtiments d'exploitalioii rurale. Il se creuse un terrier con- slslanl en~une petite chainiirc de trois ou (piatre pouces (0,081 à 0,10S) (le dianictre en Ions sens, à la(piclle aboulisscnt plusieurs boyaux en zigzag lui servant d'entrée et de sortie. C'est là que la femelle établit son nid dherbe sèche, et met bas, au moins 340 LKS KUJNGEUUS. deux fois par an, dix à douze petits à chaque porte'e. Aussi, lorsqu'un e'te favorise la multiplication de ces petits animaux, ils deviennent un véritable fléau pour l'agrirulture. Ils font des pro- visions de grain, (le noisette et de gland, mais il parait (pi'ils préfèrent le blé à toute autre nourriture. <' Dans le mois de juillet, dit Biifibn, lors(iue les blés sont murs, les canqtagnols arrivent de tous c6tés, et font souvent de grands dommages en coupant les tiges du blé pour manger l'épi; ils semblent suivre les mois- sonneurs, ils profitent de tous les grains tombés et des épis ou- bliés; lorsqu'ils ont tout glané, ils vont dans les terres nouvel- lement seuK'es et déiriiisent d'avance la récolle de l'année sui- vante. En aiitouine et en hiver. In pliqiarl se reliiiiil dans les brun en dessus, jaunâtre sur les flancs, blanc sous la gorge et sous le ventre; sa queue n"a que le quart Me la longueur du corps, et elle est brune; ses oreilles sont très-courtes. Cette es- pèce habite la Sibérie et le Kamtschalka.Ses habitudes la rendent précieuse aux Kamtschadales. Le campagnol économe est l'espèce la plus singulière et la plus célèbre de son genre. H habite les vallées piofondes et humides, et creuse son terrier avec beaucoup d'art; il consiste en vingt ou trente boyaux de huit à neuf lignes (0,018 à 0,020) de diamètre, serpeniant presque à la surface du sol , ou au moins à peu de profondeur, et s'ouvrant en dehors de distance en distance. Ces lioy;iiix coMiiniiniquent à d'autres galeries plus profondes, se Les Castors, paysage de l'Amérique du Nord. bois, où ils Irouvent de la faine, des noisettes et des glands. Dans cerlaines années ils parai.'stnl en si grand nombre, (|u'ils détruiraient tout s'ils subsistaient longtemps; mais ils se détrui- sent eux-mêmes, et .se mangent dans les temps de disette; ils servent d'ailleurs de |).1turc aux midots, et de gibier ordinaire aux renards, aux chats sauvages, à la marte cl à la beietle. .. Mais ce qui contribue jdiis encore à leui- destruction , ce sont les pluies d'auliinine et Us fontes de neige qui inondent lem-s ter- riers. Il parait qu'autrefois cette espèce était plus umltipliée ((u'aujourd'hui, et que souvent elle a ravagé des provinces en- tières; l'histoire nous en offre de frnpienls exemj.les, et, dans des temps reculés, on regardait les arnuTS de rats apparaissant tout à coup , comme un ellet de la vengeance céleste ; aussi n'op- posait-on guère à leur invasion ([ue des prières et des exorcismes. La Fi!goui.e, ou Campagnoi, éconojii: {Arvicula œco7iomus, 1)i:sm. Mus œconomua, Pâmas. Le Campaijml des. prés, G. Cuv.) ne dif- fère extérieincmcnt du |)récédent que par sa couleur plus foncée, mais a l'intérieur il a une i)aire de c6tcs dr plus; son pelage e>t rendant toutes à son habitation ou à ses magasins. Son habita- tion , ou chaïuhre principale, a trois ou ijuatre pouces (0,081 ou 0,108) de hauteur et environ un pied (0,r>2")) de largeur; elle est plafonuf'c avec des racines de gazon, ou, mais seidenicnt dans les lieux humides, voùtc'e dans une nu)tte de terre (pu domine le sol environnant ; sur le plancher est étendu un lit de mousse. A cùU' de cet a])|)arlemcnt, où loge la famille, sont deux ou trois magasins plus grands , construits avec beaucoup de soin et main- tenus constamment très-propres. Tel (^st l'établissement d'un couple solitaire ; mais s'il a une famille un peu nombreuse , il se fait aider ])ar ses enfants; alors la chambre est beaucoup plus spacieuse, et l'on creuse jusqu'à huit ou dix magasins, afin d'y serrer assez de provisions pour tout le monde. Quelquefois deux ou trois familles se rc'unissent pour travailler et vivre en conuutm. Dès le C(unui(iiccuient de l'automne, chacun se hftte de récolter des racines et des bulbes de phloiiùs lubéreux, renouées historié et vivipare, de piuiprcnellc sangui.sorbe, de lis de Kamtschatka, des graines de pin ccmbro, etc., etc.; et ces provisions se dépo- RATS. 241 sent dans un premier magasin pour y être épluche'es et trie'es. Chaque espèce ve'ge'tale occupe seule un magasin , ou du moins est re'unie en une pile sans mélange avec d'autres. Tous les jours on visite les approvisionnements pour voir si tout est en ordre et si rien ne se gâte; une racine paraît-elle attaquée par l'humidité', elle est aussitôt enleve'e, transportée dehors, au grand air et au soleil , puis on la reporte au magasin quand sa dessiccation est parfaite. Lorsque les Kamtschadales rencontrent une habitation de cam- pagnol économe, c'est pour eux une bonne fortune, car ils se servent de la racine de sanguisorhc pour préparer une sorte de thé qu'ils aiment beaucoup, et les autres racines du magasin de proie et à la dent vorace des brochets et des saumons , qui en détruisent beaucoup ; le moindre vent en fait aussi noyer un grand nombre; mais enfin le gros de la troupe finit ordinaire- ment par gagner la rive opposer. Il arrive quelquefois qu'ils sont tellement fatigués, qu ils se couchent sur le sable du rivage, sans pouvoir aller plus loin, et qu'ils périraient de froid si les Kamtscliadales ne leur portaient secours en les séchant et les réchauirant, soit dans leur sein, soit devant un feu. Quand ces petits animaux sont un peu remis, ils leur rendent la liberté pour (pi'ils puissent continuer leur voyage, ce que les campagnols font incontinent. Lors(|u'ils ont passé le l'enshina, qui se jette à l'ex- trémité nord du golfe d'Ocholsk, ils côtoient la mer vers le sud, '^ozT -; W OR.tÎJTBii?ffiLSÎ-tl|J-- Le Licvre. Paysage de France. k'in- servent à assaisonner leurs mets. Ils s'en emparent donc, mais avec l'extrême précaution de ne maltraiter ni blesser aucun des membres de la famille, de laisser à l'économe une partie de ses provisions, et de remplacer celles (pi'ils enlèvent avec du ca- viar sec. Ils croient que sans cela ces petits animaux se tueraient de désespoir, et les priveraient ainsi, pour l'année suivante, de la part qu'ils s'adjugent des fruits de leiu'S économies. 11 n'est pas rare de trouver dans les greniers du campagnol jus([u'à quinze ou vingt kilogrammes de racines. f^omme les lemmings, les canq)agiiols économes ont la i)révi- sion , non pas des hivers rigoureux , mais des étés ])luvieu\, des orages et des tempêtes, des inondations (pu doivent submerger leurs terriers, et ils énngrent pour aller chercher un climat plus favorable. C'est au printemps qu'ils se réunissent en grande troupes et se mettent en voyage, en dirigeant leur marche sur le couchant d'hiver, en ligne droite, sans (|ue ni lacs, ni rivières, ni bras de mer puissent les di'Ierminer à faire le moindre d('lour. En les traversant à la nage ils sont exposés au bec des oiseaux 56. Paris. Typograpliîo Pion 1 et au mois de juillet arrivent sur les bords de l'Ochotsk et du Joudoma, après une route de plus de six cent vingt-cinq lieues. Au moment de leur départ, ils formaient des colonnes si nom- breu.ses, qu'il leur fallait ])lus de deux heures \mw déliler; mais au retour, qui a lieu la même année, au mois (l'octobre, il n'en est plus de même; les renards, les martes, les hermines, les oi- seaux de proie, la fatigue, et les mille accidents d'un long voyage, les ont plus (pie décimés, et .souvent il n'en revient pas la moi- tié. Leur arrivée n'en est pas moins un jour de fête pour les Kamtschadales, parce (pie c'est un signe certain de la fin des tempêtes (pii ont ravagé le pays pendant leur absence, parce qu'elle présage une anni'e heureuse pour la pêche et les récoltes, et aussi parce qu'ils amènent à leur suite mie foule d'animaux carnassiers à fomrures, qui promettent une chasse abondante et lucrative. On sait, au contraire, «pie lori!(priis retardent leur ar- riv('e, c'est un pronostics infaillible de jduies et d'orages. Du reste, les émigrations des campagnols ne sont pas plus périodi- ques que celles des lemmings. frwrea, rue do Vatigirard , 30. *® S42 LES RONGEURS. Ordinairement, cliez la plupart des autres animaux qui vivent en famille ou en petite socie'té, c'est le mâle qui se charge des plus rudes travaux; ici c'est le contraire : les femelles sont un tiers au moins plus grandes que les mâles , fortes à proportion , et beaucoup plus laborieuses. Vers le milieu de mai, et peitl-étre plusieurs fois dans l'année, elles niellent bas deux ou trois petits, qui naissent aveugles , et ikjnt elles prennent le plus grand soin. Le campagnol e'conome du Knmlsi lialka n'est qu'une variété très- légère de celui de Sibiirie , et il n'en diffère que par sa taille un peu plus grande, et son pelage d'une teinte légèrement plus brune. Le Campagnol fauve {Arvkola falvus, Desm.) a la queue un peu plus courte que la moitié du corps; ses oreilles sont à peine visi- bles; son pelage est «l'un fauve roussàtre, avec le ventre et les pattes jaunâtres. Il habite la France. U se pourrait qu'il fit double emploi avec le Lcmnus fulvus dis. Geoffroy, et VArvicola vulga- ris de Desraarest. Le Campagnol ai.liaire [Arvicola atliarius, Desm. ij'm alliarius, Pall. — Gml.) est de la grandeur du campagnol ordinaire; ses moustaches sont fort longues; ses oreilles grandes, presque nues; sa queue est de la longueur du tiers de son corps; son pelage est d'un gris cendré en dessus, blanc en dessous. Il habite la Sibérie, à l'est de l'Obi, se creuse un terrier, et se nourrit d'ail, dont il fait des provisions. Le Campagnol des rochers ( Arvicola saxatiUs , Desm. Le Mus saxatilis de Pall. et Gml. ) a la queue longue comme la nioillé du corps; ses oreilles sont grandes, ovales; son pelage est brun, mêlé de gris en dessus, gris foncé sur les flancs, et d'un cendré blanchâtre en dessous. Il habite la Sibérie et la Mongolie. Le Campagnol roux {Arvicola rulUus, Desm. Mus ruiilus, Pall. — Gml.) a la queue longue comme le tiers du corps ; son pelage est roux en dessus, blanchâtre en dessous, teinté de gris et de jaunâtre; ses oreilles sont nues, bordées de poils à l'extrémité seulement. On le trouve en Sibérie et au Kamtschatka. Le Campagnol social (Arvicola sociaiis, Desm. Mus socialis, Pall. Mus yregarius, Lm.) est remarquable par la finesse et la mollesse de .son pelage d'un gris pâle sur le dos, d'un blanc pur sur le ventre et sur les extrémités; ses oreilles sont courtes, larges et nues; sa queue, blanchâtre, est longue comme le «piart de son corps. H vit d'oignons de la tulipe de Gesnère , dans 1rs dé.serts du Volga et du iaïk, et quelquefois en si grand noud>rc, qu'on ne peut faire un pas sans enfoncer ses terriers. Le Campagnol d'.Astrakan (Arvicola astrachanensis , Desm.) a la queue de la longueur du quart de son corips; il est jaune en des- sus, cendré en dessous; sa grandeur est celle d'une souris. Ou le trouve dans les environs d'Astrakan. Le Campagnol des collines (Arvicola greç/alis, Desm. Mus yre- galis, Pall. — Gml.) ressemble beaucoui) a" campagnol. ordi- naire, mais 8on pelage est d'un gris pâle sur le dos, et d un blanc sale .sous le ventre; les oreilles sont très-minces et assez grandes; la queue porte environ (luarante anneaux écailleiLX. Celte espèce a les mêmes mœurs (pie le campagnol économe, mais comme elh; habite des montagnes (pii ne sont pas sujettes aux inondations, elle n'a pas besoin d'émigrer. Ce campagnol est commun dans les montagnes de la Daoïirie, et depuis llrtich juscpi'aux sources du .I<;iiiseï. Son terrier ress('mblc à celui de l'éconoiiie, à cette didrience ipie les ouvertures des galeries sont couvertes d un petit doine de terre. Il se nourrit des bulbes de l'ail teniiissininm et du lis de pompone. Le Campagnol rayé (Anncola pwnilio, Desm. Mus pumilio , Spabm.) se dislingue de tousses congénères à son pelage bleu clair en dessus, luarqiK' de quatre iiandes longitudinales noires. On le trouve au ca[( (!(• Honiie-I^spt^raiice. C est iirobablenient un mus. Le Campagnol AUX jouis fmivrs (Arvicola xanthognalus , Desm.) a le pelage fauve varié de noir en dessus, d'un gris cendrt- clair en dessous; ses joues sont fauves; sa queue est noire en dessus, blanche en dessous. Il habile les bords de la baie d'Iludson. Le Campagnol a queue blanche (Arvicola albicandatus , Desm.) a la queue à peine aussi longue que la moitié de sou corps, blan- che en dessus; son pelage est brun et ses pattes blanches. Sa pa- trie m'est inconnue. 28« Genre. Les MYNOMES (Mynomes, Rafin.) ne difVèrent du genre précédent que par le nombre de leurs doigis, qui est de quatre à chaque pied, avec un doigt interne fort court, et par leur queue qui est aplatie, velue, écailleuse comme dans les on- datras. . Le MvNOME DES PRAIRIES (My7ioines pratensis, Rafin. Arvicola pensijtvanica, Ord. et IIarlan) a quatre pouces (0,108) de lon- gueur, et sa queue n'a que neuf lignes (0,020j; son pelage e.--! d'un fauve brunâtre en dessus, et d'un blanc grisâtre en dessous. Il habite les Elats-Unis, se creuse un terrier sur le bord des ri- vières , et se nourrit de bulbes d'ail et autres plantes de la famille des liliacées. 29» Genre. Les StGMODONS (Sigmodon, Say et Oru. ) ont seize dents, savoir : qtiatre incisives; jtoint de canines; six molaires en haut et six en bas , égales, avec des racines , et à couronne mar- quée par des sillons alternes, très-profonds, disposés en sigma ■ ils ont cinq doigts aux pieds de derrière, et quatre à ceux de de- vant avec le rudiment d'un cinquième doigt onguiculé; leur queue est velue. Le Sigmodon velu (Sigmodon hisjjidum, Sav et Ord. Arvicola hortensis, IIarl ) est long de six pouces (0,162), avec une grosse tète, de grands yeux, et le museau allongé; son pelage est d'un jaune d'ocre pâle, mélangé de noir sur la tête et en dessous; le- parties Inférieures du corps sont cendrées. Cet animal habite la Floride orientale, dans les cbaïups qui avoisinent la rivière de Saint-Jean. 50<^ Genre Les NÉOTOMES ( iVcotomo , Say et Oru.) ont seize dents, savoir : quatre Incisives; pas de canines; six molaires en haut et six en bas, ayant de longues racines qui man(|uent à celles des campagnols ; ils ont aux i)ieds de devant ipiatre doigis avec le rudiment d'un cin(piièuie, et cinq doigts aux pieds de derrière; leur queue est velue. Le Néotome de la Floride {Neotoma ftoridana, Say et Ord. Mus lloridanus , Desm.) a la ((ueiie plus longue ipie le corps, brune en dessus et blanche eu dessous; les oreilles fort grandes; le pelage iloux et court, d'un gris ploiid»' m('lang(' de poils noirs et jau- nâtres , en dessus; plus brun sur le dos et plus jaune sur les flancs; le dessous du corps est d'un blanc pur. Il habite les bords du Missouri et les montagnes Hocheuses. ^.,i. jiSf: HAÏS NAGEURS. Î43 LES RATS NAGEURS ont tous les caractères de la l'amille pre'cédenle, mais leurs pieds posteVieurs sont palnie's ou à demi palmc's, c'est-à-dire que leurs doigts sont plus ou moins reunis par une membrane, comme ceux (les canards ou autres oiseaux aijuatiques. 31'= Genre. Les CASTORS {Castor, Lin.) ont vingt dents, savoir: quatre incisives; pas de canines; huit molaires en haut et huit en bas, compose'es, à couronne plane, avec des replis émailleux, sinueux et complicpu's ; ils ont cimi doigts à tous les pieds; leur queue est large, aplatie horizontalement, ovale, sans poils et couverte d'e'cailles imbrique'es. Le Castor ou Rièvre {Castor fiber, Lin.). Cet animal est à peu près de la grosseur d'un blaireau et atteint trois ou (]uatre pieds (0,975 à 1,299) de longueur, en y comprenant la (jueue; son pelage se compose de deux sortes de poils, l'un fort long , grossier, d'un brun roussàtre, recouvrant un duvet très-lin , plus ou moins gris. Du reste, il varie de cou- leur en raison des pays; par exemple, les castors du Nord sojit d'un beau noir, et quelquefois tout blancs; ceux du Canada sont d'un brun roux uniforme; vers l'Ohio et dans le pays des Illinois, ils sont d'un fauve pâle, passant même au jaune paille; en France ils sont de la couleur de ceux du Canada; et enlin, on en trouve quelijuefois île varie's de jaunùlre et de brun. Ils ont les pieds de derrière palme's, ce qui leur donne une grande facilité peur na- ger , et leur queue plate et large leur sert de gouvernail. Ces animaux sont encore communs dans l'Amèriijue sei>tentrionale , mais ils sont devenus assez rares en Europe, et parliculièremeut en France, où l'on n'en trouve plus que quelques individus isoli's sur les bords ouces à deux ])ieds de profondeur ((1,iH7 àO.ti.'iO), une grande (piautil('de petites bran- chies, de pierres et de limon, et ils donnent à cet amas la forme d'un monticule conique, dont la moitié seulement est submergée ; alors ils creusent dans cette butte , ras le fond de. l'étang , nn trou rond (|u'ils élargissent au milieu du tas de matériaux de manière à lui donner une forme analogue à celle d'un four. C'est là (pi'ils (l('|)osent la provision d'écorce desliu('e à les nourrir pen- dant Ihiver. Ils p('r(;ent un autre trou dans h; d('>iue de ce maga- sin , puis ils élargissent également ce trou en forme de four, et font ainsi deux pièces l'une sur l'autre, et n'ayant ipi'une même et seule issue. Celle dernière pièce n'est pas submergi'e comme la pr('cédenle, elle est au-dessus des eaux les plus hautes, et la fa- mille peut y dormir à sec. 16, S44 LES RONGEURS. Ils savent fort bien profiter du courant du ruisseau pour ame- ner par le flottage leurs matériaux sur l'emplacement où ils doi- vent s'en servir; mais ces pilotis, ces arbres apointis par le pied, transporte's par une sorte d'art, cette combinaison de travail, ces prétendus chefs qui forcent les paresseux à prendre part à l'ou- vrage, cette queue qui leur sert de truelle, cette maçonnerie , et ces murs solides et crépis avec du mortier de terre, cette sorte de police qui règne dans chaque bourgade ou même dans chaque famille , sont autant de contes dont les voyageurs ont enjolivé leurs relations. Loin que le castor Soit comparable au chien et à l'éléphant pour l'intelligence, on peut aflirmer que c'est un animal presque stu- pide. « Tous conviennent que le castor, dit Bufl'on lui-même, loin d'avoir une supériorité marquée sur les autres animaux, paraît, au contraire, être au-dessous de quelques-uns d'entre eux pour dans le discrédit. On ne chasse plus le castor (|ne pour s'emparer de sa fourrure, très-recherchée dans la fabrique de chapellerie, et pour manger sa chair, d'un goût assez amer et fort peu agréa- ble. Dans les siècles derniers , il s'en faisait une chasse assez abondante dans tout le Canada, mais le nombre de ces animaux a été tellement diminué, qu'aujourd'hui les expéditions de chas- seurs sont obligées d aller les chercher jusqu'aux sources de l'Arkansas, dans les montagnes I5ocheuses. Le piège ou la trappe dont on se sert pour les prendre ne diffère en rien de nos pièges à renards et à putois. Les trappeurs, qui ne voyagent qu'en ca- ravanes pour se défendre contre les peuplades de sauvages, ont l'œil tellement exercé à cette chasse, qu'ils découvrent, au signe le plus léger, la piste du castor, sa hutte ou son terrier fussent-ils placés dans le taillis de saule le plus épais : ce même coup d'oeil leur fait deviner exactement le nombre des habitants qui s'y .'&-; Le Castor. - les qualités purement individuelles. C'est un animal assez doux, assez tranquille , assez familier , un peu triste , même un peu plaintif, sans passions violentes, sans appétits véhéments, ne se donnant que peu de mouvement , ne faisant d'ed'ort pour quoi que ce soit, cependant occupé sérieusement du désir de sa liberlé, rongeant de temps en temps la porte de sa prison, mais sans fu- reur, sans précipitation, et dans la seule vue d'y faire une ou- verture pour en sortir; au reste, assez indifrérent, ne s'attachant pas volontiers, ne cherchant point a nuire et assez peu à plaire; il ne semble fait ni pour servir, ni pour commander, ni même pour commercer avec une autre espèce (juc la sienne • seul , il a peu d'industrie personnelle, encore moins de ruses, pas même assez de défiance pour éviter des pièges grossiers. Loin d'atta- quer les autres animaux, il ne sait pas même se bien d('fendre. » Ces animaux font pour riiiv(u- une provision d'écorce , de bour- geons et de bois tendres, formant leur nourriture ordinaire. Les femelles, dit-on, portent ([ualre mois, mettent bas vers la lin de l'hiver, et produisent ordinairement deux à trois petits. Comme la plupart des autres rongeurs, ils se servent de leurs pieds de devant avec beaucoui) d'adresse , princi|ialemetit pour porter leurs alimcnls à leur bouche, lis nagent et |il(ing(Mit |>arf.iile- ment, mais sur terre ils ont la démarche lourde, et ils courent fort mal. Autrefois l'on redu-rchait beaucoup, dans la viedle médecine, une matière onclueuse, odorante, conicinie dans de grosses vési- cules que les castors ont près de l'anus, et coutnie dans le com- merce sous le nom de castoréum. On lui attribuait plusieurs pro- priétés merveilleuses ; mais aujourd'hui cette drogue est tondtée trouvent. Alors le chasseur pose sa trappe à deux ou trois pouces au-dessous de la surface de l'eau, et, par une chaîne, l'attache à an tronc d'arbre ou à un piipiet fortement enfoncé sur la rive. L'appât consiste en une jeune tige de saule dépouillée de son écorce, fixée dans un trou de la bascule du piège , et la sommité dépassant la surface de l'eau de cinq à six pouces. Ce sommet a été préalablement trempé dans la médecine ( pour me servir du mot techni(|ue des trappeurs) (pii doit attirer l'animal par son odeur alléchante. Or, la composilion de la médecine est le secret du trappeur , secret (jui néanmoins n'a pas été si bien tenu que nous ne puissions le révéler ici. Au prinleuq)s, le chasseur ra- masse une grande (piantité de bourgeons de peuplier, au moment où ils sont le i)lus couverts de celte sorte de glu visqueuse et odorante destinée probablement ]>ar la nature à protéger le dé- veloppement des j('uncs f(!uillcs. Il jetle ces Ixuirgeons dans une chaudière avec de l'eau , quehpies feuilles de meullic des ruis- seaux, un peu de camphre, et une sullisante ipiantilè de sucre d'érable. Quand tout a bouilli assez longtemps pour réduire l'eau à l'état de sirop sans em|)orter l'odeur du bourgeon de peuplier, il pas.se au filtre, et la mcùlecine est l'aile; ou la conserve dans des fioles bien bouchées, et on y trempe l'apiiAt (piand on leud le pii^ge. Le castor, doué d'un odorat très-tin, ne tarde pas à être attiré par l'odeur ; mais dès qu'il a touché à l'appAt ipii tient la délente, le piège ]>art et le ])rend par les pattes. L'animal se débat; il entraîne la tra[)pe de tout(! la longueur de la chaine; bientôt, épuisé de fatigue, il coule a fond avei- le piège et se noie. \)w\- quefois, quatui le piquet vient à manquer, le castor gagne la rive RATS JNAGEURS. 246 et emporte le piège dans les bois, où l'on a beaucoup de peine à ie retrouver. Il arrive aussi que lorsque ces animaux ont e'te trop inquiètes, ils deviennent méfiants et déjouent toutes les ruses du trappeur. Dans ce cas le chasseur abandonne la partie , met ses pie'ges sur son dos, et s'éloigne en se disant vaincu. ôt" Genre. Les OND.\TRAS [Ondatra, LacéI'. /•'/ter, G. Cuv.jont seize dents, savoir : quatre incisives et douze molaires, ces der- nières composées et à racines distinctes , leur couronne plane , avec des lames e'mailleuses et anguleuses. Ils ont cinq doigts à tous les pieds; ceux des pieds de derrière à demi palmes et munis sur leurs bords d'une rangée de soies roides, les aidant à nager en remplissant l'oflice de membrane ; leur longue queue est cylin- drique à la base, puis comprimée latéralement, écailleuse, linéaire, recouverte de peu de poils roiiles. nourrit. Là il creuse un terrier et fait avec de la mousse un nid très-commode où la femelle dépose ses petits, au nombre de cimi ou six, dont elle prend grand soin pendant toute la belle saison. Si, par hasard, lors(jue la femelle est pleine , le couple se trouve à portée dune vieille cabane d'ondatras , elle s'en empare , et c'est là qu'elle mel bas et élève ses enfants. Dans tous les cas, le mâle ne se mêle jamais de cette éducation, et il s'éloigne même de sa famille pour aller errer seul dans les bois. Au mois d'oc- tobre les petits sont aussi grands que leurs parents, et le père vient les rejoindre pour passer l'hiver avec eux. Alors toute la famille abandonne son habitation d'été et se rend sur le bord d'un lac ou d'une rivière; elle choisit un em- placement commode, c'est-à-dire un endroit couvert déjoues, de souchels, et autres plantes croissant dans les ondes et étendant de longues racines dans la vase; il faut que l'eau soit limpide, Coloiiiu' de Daubenton. L'O.NDATRA ou Rat MUSQUÉ DU Canaiia (Ondatra zilietliicus, Less. Castur zibetliecus, Lin. Mus zibethecus , Cm.. L'Ondatra, Huit. — G. Cuv. Le Rat puant des sauvages du Canada) a treize pouces (0,332) de longueur, non compris la (pieue, qui en a neuf (0,'iii), c'est-à-dire qu'il est à peu près de la grandeur d'un lapin. Son pelage est d'un brun gris teint de roux en ilessus, et d'un cendré clair en dessous; il exliale une odeur de nuise (pii devient très- forte et trèsdi'sagréable dans le tcuq)s îles amours. Ainsi (jue le castor, l'ondatra habite le nord de r.\uicrique septentrionale, fréquente le bord des eaux, se construit une ca- bane , et vit en société; mais, et ceci surprendra |irobablcuu'nt quelques-uns de mes lecteurs, il est bien uicllieur architecte. Au j)riulenq>s, lorsqu'il a trouv(' une fcuicllc ipù lui convient, et il lui est iierinis d'être dillicile, car il doil passer sa vie entière avec la même comi)agne , il se relire avec elle au fond d'un bois , à proximité d'une rivière, d'un étang ou d'un lac, où se trouvent aliondammcnl les joncs et autres plantes a(|uali(pu's dont il se calme, et (|ue, dans les plus grandes inondations, elle ne monte pas à un pied ou deux au-dessus de son niveau ordinaire. Le lieu convenable étant trouvé, tout le monde se met à l'ouvrage, sous la direction du père , ])our bâtir la cabane qui doit les abriter pendanl l'hiver, l.es matériaLix consistent en fiente de bison et en terre glaise, qu'ils pétrissent avec les pieds, et tpi'ils nK'lan- geiit avec de la iiaille de jonc et des feuilles sèches. Cluuiue ca- bane a ordinairement deux pieds et demi (0,812) de diamètre à l'intérieur, et ((uelqnefois beaucoup plus quand plusieurs familles se réunissent. La forme en est ronde, et elle est recouverte d'un drtme as moins de huit pouces (0,217) d'('paisseur. Cette in- génieuse toiture est impénétrable à la pluie, à la neige et aux autres intempéries de l'air. Ils savent très-bien prévoir le cas où lui accident exlraordinaire feiait monter l'inondation plus haut ipie de coutume; eu conséquence, ils construisent à l'intérieur ?46 LES RONGEURS. plusieurs étages de gradins sur lesquels ils se logent à sec, lors même que l'eau s'empare du bas de l'e'difice. Comme les ondatras ne font pas de provisions , ils creusent des puits et des boyaux au-dessous et à l'entour de leur demeure, pour aller chercher de l'eau et des racines de ne'nufaret d'acore aromatique, formant la base de leur nourriture d'hiver; dans ce cas, ces galeries leur servant de sortie, ils ont le soin de murer la porte de leur ca- bane. Mais quand celle-ci est construite au milieu de joncs fort e'pais, capables de les dérober à la vue de leurs ennemis, ils ne creusent point de galeries souterraines, laissent leur porte ou- , verte, et se frayent des sentiers couverts parmi les joncs, sous la neige, que ces plantes soutiennent e'ieve'e par leurs tiges rappro- che'es. Ces habitations sont construites avec tant de solidité, que les chasseurs ont beaucoup de peine à les ouvrir à coups de pio- ches et de pics. Lors(}ue l'hiver est rigoureux , la cabane est quelquefois cou- verte de plusieurs pieds de glace et de neige, sans que ses h:d)i- tants, couchés bien chaudement sur de la mousse, les uns auprès des autres, en soient le moins du monde incommodés. Lorsque les douces influences du printemps commencent à fondre les neiges, à dégeler les lacs et à faire naître la verdure, les onda- tras quittent leur cabane pour n'y revenir jamais. Ils se séparent par couples, et vont, comme je l'ai dit, passer la belle saison dans les bois, où ils vivent de toute sorte d'herbes. Dans les pays où l'hiver est moins rude , par exemple comme dans la Loui- siane, ces animaux se terrent et ne construisent pas. Leur fourrure, malgré l'odeur de musc (ju'elle exhale, est fort recherchée à cause du duvet soyeux qui se trouve sous le poil , et qui sert à confectionner les plus beaux chapeaux. C'est en hiver que les chasseurs vont à la recherche de ces animaux, quchpie temps avant le moment où ils quittent leur retraite. Ils ouvrent avec des pioches le dôme de leur cabane , les offusquent brus- quement de la lumière rlu jour, assomment ou prennent tous ceux qui n'ont pas eu le temps de gagner les galeries souterraines qu'ils se sont pratiquées, et qui leur servent de derniers retranche- ments où on les suit encore. Pris jeune, l'ondatra s'apprivoise fort aisément et caresse même la main 'c [Hydromys leucogasler, Geoff. — Desm.) a un pied (0,323) de longueur, non compris la queue, qui a onze pouces (0,298). Sa fourrure est très-fine, très-douce au toucher, brune en dessus, blanche en dessous; la queue est blan- che dans sa moitié terminale ; les pieds de derrière ne sont guère qu'à demi palmés. Il habite l'île Maria , sur les bords des rivières, ep Australasie. y/ L'HvDROJivs A ventre jaune (Hi/dromys chryxogaster, Geoff. — — Desm.) est une espèce bien distincte de la précédente, quoi qu'en aient dit quelques naturalistes. Elle en dill'ère par ses pieds de derrière, dont les doigts sont réunis par une membrane plus étendue , par sa fourrure plus douce, plus fine, et d'un orangé très-vif en dessous; enfin par sa queue blanche seulement à l'ex- trémité. Il habite l'île Druni , dans la même partie du monde. Z-i" Genre. Les POTAMYS [Myopotamus, Commers.) ont vingt dents, savoir : ([uatre incisives, huit molaires analogues à celles des castors, ayant une échancrure sur une face et trois du côté opposé; la tète est large, les oreilles petites et rondes, le museau obtus; les pieds sont à cinq doigts, avec les pouces de devant fort courts, et les doigts des pieds postérieurs palmés; la queue est forte, conique, longue, écailleu.se, par.semée de gros poils. Le QuouiYA ou Coypou { Myopolamus honariensis, Comm. Hydro- mys coy/jus, Geoff. — Desm. 71/ us cuypus, Molin.) est ])resque de la grandeur d'un castor, dont il a les formes générales ; son poil, très-fin et très-soyeux, est d'un brun marron sur le dos, roux sur les flancs et brun clair sous le ventre; il a une variété entiè- rement rousse. Il est commun au Paraguay, au Chili et au Tucu- man. Depuis fort longtemps nos fourreurs reçoivent par milliers des peaux de cet animal, dont le poil, (onnu dans le commerce sous le nom de racunJd, remplace très-bien celui du easior dans la fabrication des chapeaux. Le coy])OU habile des terriers creusés sur le bord des fleuves, des grandes rivières et des lacs; il vit de bourgeons , d'herbes et de racines de plantes aquatiques. Ses mœurs sont fort douces; il s'apprivoise très-aisément, et s'attache même aux personnes (pii prennent soin de lui. Du reste, son in- telligence est très-bornée, et il donne ais('meut dans tous les pii'ges qu'on lui tend. n. >r..Ky'^> ^/f'-- "Tr- PORCS-EPICS. 247 SECTION DEUXIEME. LES RONGEURS HERBIVORES n'ont que îles riidiraents de clavicules. Cette section ren- I et les dasypoïJes. Tous sont des animaux inofTensifs et ti- feinie trois familles, savoir : les |)orcs - ë[iies , les lièvres I niides. LES PORCS-EPICS y se reconnaissent aux piquants roides et aigus dont leur corps est arme'; ils ont quatre molaiies partmit, cylindrii|aes, manpie'es sur leur couronne de quatre ;i cinq empreintes enfoncées. Leur langue est he'risse'e d'e'cailles épineuses : ils ont quatre doigts aux pieds de devant , et le plus ordinairement cinq à ceux de der- rière , tous armés d'ongles robustes. ■55'= Genre. Les PORCS-ÉPICS [Hystrix, Lm.) ont vingt dents, savoir : quatre incisives, unies et arrondies au-tlevant, huit mo- laires en haut et en bas, à peu i)rès d'égale longueur; leur chan- frein est fortement arqué; leurs pieds sont plantigrades, ceux de devant ayant quatre doigts avec un rudiment de ponce ongui- culé , ceux de derrière à cinq doigts ; la queue est rudimtuitaire, non prenante; l'œil très-petit, à ])upille ronde; l'oreille arron- die, courte. y Le Porc-Épic ordinaire {Hystrix cristata , Lin. Le Porc-Epic commun ow à crinière, G. Cuv. Le Porc-Epic, liiirr.). Cet animal a plus de deux pieds (0,(î.')0) de longueur, non com- pris la queue, qui est très-courte. Son corps est couvi'rt de pi- quants fort longs, surtout sur le dos, où ils atteignent souvent plus d'un pied (0,52o) : ils sont régulièrement annelés de noir brun et de blanc; sur sa nuque et sur son cou s'élèvent de lon- gues soies roides, lui formant une sorte de crinière qu'il hérisse, ainsi (|ue les dards de son dos, quand il est en colère; mais cet appareil effrayant, qu'il présente à ses ennemis en le .secouant et lui faisant produire un bruit formidable, n'est dans la réalité qu'une parure aussi singulière qu'innocente. Ces dards, si dange- reux, (juandon s'en rapporte aux anciens écrivains, ne sont rien autre chose (|ue de véritables phnnes à tuyaux creux, et auxquels il ne niampie que des barbes pour être tout à fait analogues à celles des oiseaux. Leur pointe jieu aiguë et leur flexibilité en font des armes si peu offensives qu'on peut preiulre l'animal sans en éprouver ni blessure ni même de piciùre; et même ceux de la queue, qui, en se choquant les uns les autres, produisent ce bruit redoutable, sont creux dans toute leur longueiu' et ouverts à leur extrémité. Dans le temps de la mue , c(^s longs jiiquants , qui ne tiennent à la peau que par un pédicule fort menu, se dé- tachent d'eux-mêmes , et l'animal s'en débarrasse en se secouant. Ce fait, mal observé, a fait dire aux anciens auteurs que le porc- épic lance à ses ennemis ses dards avec tant de roideur, i|u'iis peuvent percer uiu- planche de part en part à ((ueh|ues pas de distance; pour rendre la clijse plus merveilleuse encore, d'autres ont ajouté que ces aiguillons avaient la funeste projiriété de s'en^ foncer dans les chairs d'eux-mêmes, sans aucune force étrangère. On conçoit que toutes ces niaiseries n'ont plus besoin de réfuta- tion, l'observation et la critique en ayant fait justice depuis longtemps. Le porc-épic est assez connnun en Italie, tui Lspagne, en Grèce, en liarbarie, et se trouve généralement dans toutes les parties chaudes de l'Europe et de l'Asie. Il se plaît sur le penchant des coteaux exposés au levant ou au midi, loin des lieux habit('s par les hommes. Dans cette solitude, il se creuse un terrier profond, à plusieurs issues, dans lequel il passe la join-née à dormir. Il en sort la nuit pour aller à la recherche de sa nourriture, qui con- siste en bourgeons, en racines, fruits et graines sauvages. Quel- (juefois, dans ses courses nocturnes, il se rapproche des habita- tions, et s'il pénètre dans un jardin, il y commet de grands dégâts, en coupant et gâtant beaucoup plus de légumes qu'il ne peut en manger. Quoique n'étant pas compté ])our un animal hibernant, le porc-épic reste l'hiver solitairement dans son trou , non pas dans un état eomijlet d'engourdissement comme la marmotte, mais plongé dans un profond sommeil. Il en sort au printemps pour aller chercher sa femelle avec laquelle il s'accouple , an mois de mai, à la manière des autres mammifères. Quoi qu'on en ait dit, celle-ci met bas ses petits en août; ils naissent les yeux ouverts, et ayant déjà le corps couvert de pi(piants longs de cinq à six pouces (0,153 à 0,1G!2). En état de domesticité, le porc-épic, quoique peu intelligent, n'est ni méchant ni farouche, mais il ne perd jamais une occa- sion de reconquérir sa liberté, si elle s'offre à lui, et ])our cela il cherche constamment à couper les barreaux de sa cage ou à en ronger la porte avec ses dents. Ceux que l'on a eus à la ménage- rie se nourrissaient aLsément avec du pain, des fruits et des légu- mes. Quand on les contrariait, ils faisaient entendre une sorte de grognement ayant de l'analogie avec celui d'un porc, d'où leur est sans doute venu leur nom, car c'est là toute la ressem- blance qu'ils ont avec un cochon. A l'état sauvage, ils sont fort gras en automne, et c'est à cette époque qu'on leur fait la chasse pour les manger, quoi(pie leur chair soit assez fade. Ils exhalent une odeur forte et désagréable. Il n'est pas d'animal qui ait autant prêté que celui-ci au mer- veilleux dont les anciens écrivains aimaient tant à allonger leurs pages; le poète Claudien admire le porc-épic, parce que « il est lui-même le carquois, la flèche et l'arc dont il se sert pour re- pou.sser victorieusement ses ennemis. » Dosman , dans son Voyage en Guinée, dit ([ue « lorsque le porc-épic est en furie , il s'élance avec une extrême vitesse, ayant ses i)iquants dressés, qui sont ((uelcpu^fols de la longueur de deux empans , sur les hommes et sur les bêtes, et il les darde avec tant de force, qu'ils pourraient percer une planche. » Mais ce qu'il y a de plus curieux , c'est que l'ancienne Académie des sciences de Paris ait répété ce conte, ayant sous les yeux plusieurs ))orcs-épics vivants et en ayant liissiMpié une demi-douzaine. Voici le fragment d'un rapport fait par les anatomistes de celte célèbre société : « Ceux desi>iquants (pii étaient les plus forts et les plus courts étaient aisés à arra- cher de la peau , n'y étant pas attachés fortement comme les autres; aussi sont-ce ceux que ces animaux ont accoutumé de lancer contre les chasseurs, en secouant leur peau comme font les chiens quand ils sortent de l'eau, » On trouve souvent dans l'estomac des porcs-épics une sorte d'égagro|>ile qui, avec le temps, se -durcit et devient un véritable lu'zoard auquel l'ancitmiie médecine accordait plusieurs pro- pri('lcs surprenantes. Le PoKoi'.i'ic nu Maiacca {llyslrioo fasciculata, Suaw. Mus fas- ciculatus, Dksm. Atherura fasciculata. Fr. Cuv.) a \m pied quatre 248 LES RONGEURS. pouces (0,455) de longueur, non compris la ([ueue, qui a cinq polices et demi (0,149). Le dessus de son cor|)s est couvert de longs piquants un peu aplatis et marque's d'un sillon dans toute leur longueur : la plupart sont blancs à la pointe et noirs dans leur milieu, ou noirs en dessus et blancs en dessous; sa queue est écailleuse, nue, termine'e par un bouquet de poils longs et plats, ressemblant à des rognures de parchemin. Il habite l'Inde et a les mêmes habitudes que le pre'cédent. Fr. Cuvier a fonde' sur cet anim.d son nouveau genre athérure , que nous ne croyons pas devoir adopter, pour ne pas trop multiplier des coupes abso- lument insignifiantes. Si véritablement les porcs-épics devaient se diviser, il me semble (jue l'on ne devrait en former que deux genres : l'un renfermerait les espèces à queue non prenante, et ayant cinq doigts aux pieds de derrière; l'autre se composerait silis. Il est couvert d'aiguillons courts, nombreux, entièrement blancs, excepté à la pointe, entremêles de poils bruns; les jambes, les pieds et le bout du museau sont couverts d'une sorte de crins bruns. Sa patrie et ses mœurs me sont inconnues. L'Urson (Erethizon dorsatum, Fr. Cuv. Hijstrix dorsata, Gml. Le Porc-Epic velu, G. Cuv. L'Urson de Buff.) a environ deux pieds (0,(550) de longueur, non compris la ((ueuc , qui a huit pouces (0,217) ; son corps est couvert de piquants beaucoup plus courts que ceux du porc-èpic ordinaire, en partie blancs ou jau- nâtres, et en partie bruns ou noirâtres; ces piquants, au plus, longs de trois pouces (0,081), sont en partie cachés dans de longs poils d'un brun roussâtre et assez rudes; le dessous de sa queue est garni de jioils roides et bruns ; le ventre, les pattes et le mu- seau sont couverts de soie d'un brun noirâtre. Il habite les États- Le Porc-Epic ordinaire. de celles qui ont la queue prenante et ipiatre doigts aux i)altes postérieures. 1-e jjremier comprendrait par conséipient les hystrix, acanthion , erethizon et atherura; le second les coendu et sphig- gurus. Si nous n'avons pas opéré ici cette fusion , c'est parce que nous avons l'intention de présenter la science telle que l'ont faite les naturalistes de nos jours. 36« Genre. Les ACANTHIONS [Acanthion, Fr. Cuv.) ont le même système dentaire que les précédents; mais leur chanfrein, au lieu d'être fortement arcjué, est presque droit; les os du nez for- ment un parallélogramme allongé, et les crêtes occipitales ne sont (jue médiocrement allongées. L'AcANTiiiON iiE Java (Acanthion javanicum, Fr. Cuv.) n'était connu de Frédéric Cuvier que par une tête apportée de Java par M. Leschenault. L'AcANTiiiON DE Dauhenton (Acanthion Daubentonii , Fr. Cuv.) n'est, comme le précédent, connu cpie par une tête osseu.se beau- coup moins elîilée à cause des os et du nez oils rudes et d'un brun noiràlre. (iet animal haliile l'Américpie Mu'riilionale el pi'inripalemenl le PORCS-EPICS. 249 Mexi(|ue, le liiv'sil , la Guyane et l'ile de la Trinité. Il se retire dans les forets les i)lus solitaires, et passe une grande partie de sa vie sur les arbres , où il grimpe avec beaucoup de facilite'. Quoiqu'il ait la queue prenante, on a cependant remarqué que jamais il ne s'en sert en s'accrochant aux branches que lorscjuil s'agit de descendre. Sa nourriture ordinaire consiste en fruits, feuilles, racines et boin'geons; on dit (juil mange aussi les bois tendres. La ménagerie en a conservé un vivant pendant j)lusieurs années, et de ses habitudes on a pu conclure que cet animal a les mœurs nocturnes. La lumière paraissait l'incommoder beau- dès animaux du genre précédent que par les parties anlérieures de la télé, qui sont très-déprimées au lieu d'être élevées. Quant à tous les autres caractères, ils sont absolument les mêmes. Le Cotiv {Sphiggurus spinosa. Fr. Cuv. Hystrix insidiosa, Liciisr. Hijstrix prehenKtlis , Fr. Cuv.) est d'un tiers plus petit (pu; le coen- dou à longue (pieue , et sa (pieue est proportionnellement beau- coup plus courte. Il est couvert de piquants acérés, nombreux, serrés, entremêlés de très-peu de poils, à pédicules très-menus; ceux de la tète sont blancs à leur base, noirs au milieu , et d'un J.c l'orc-Epic de Alahiooa. marqué qu'il s'en soit servi pour saisir quelque chose. Je pense que l'on ne doit regarder que comuie une simple variété de cette espèce le hoitztlacuatzin ou sarigue épineux de llernandez, (pii n'en diffère guère que par l'extrémité noire de ses épines. ."jO-Ge.nri;. Les SPlllCGUHUS [Sphiggurus, Vn. Cuv.) ne dillèrent brun marron à l'e.Klrémité; les autres sont généralement jaunâ- tres ,i la base et noirs m bout. Le ventre est revêtu d'un poil laineux el grisAlre; la queue est couverte de poils durs et noirs, avec son extrémité nue. Il habite le Paraguay. L'Oiiico (Sphiggurus villosa, Fr. Cuv.) n'est, selon les obser- V '^ - ._«^ valions positives faites jiar M. d'Orbigny dans le Hr('sil, (pie le précédent en pelage d'hiver. En effet , il n'en diffère ipie par le poil blanchâtre, abondant et très-long, qui cache en entier ses épines. Il habite les plus épaisses forêts du Brésil, et se plait particulièrement sur le somnu't des montagnes. Ses UKi'urs sont douces et seud)lables à celles des espèces précédenles. LKS LIMVHKS ont, dans l'âge adulte, (piatre incisives à la mâelioire supérieure, deux à l'inférieure, et de vingt à vingt-deux molaires. Dans leur jeunesse il leiu' pousse à la uiâclmire sup('ri('iiie deux incisives destin('es à en renq)lacer deux ([ui doivent tomber, de manière ((ue , pendant un certain leuq)s, ils ont six incisives en haut. Leurs pieds de devant ont cin(| doigts et cvn\ de derricic (piaire iO" Gk.nhe. Les LIÉVHKS [Lepus, Li\.) oui viugl-huit dents, sav((ir : (piali'c incisives sujx'ricurcs el deux inférieure-;; douze molaires sM|)érieures dont deux peliles et siuqdes, et deux infé- rieures; toutes, excepté les deux petites, sont compos('es et for- uK'es de deux lames verticales soudées ensemble. Les pattes de derrière sont très-longues, ainsi que les oreilles; la ipieiie est 2S0 LES RONGEURS. courte et relevée; la femelle a de six à dix mamelles. Ces animaux timides sont recherchés et poursuivis par les chasseurs et leurs meutes. Les LiÈvKES et les Lapins se ressemblant tous, non-seulement par les formes, mais encore par les mœurs, nous allons ge'néra- liser leur histoire , afin de ne pas tomber dans des redites en- nuyeuses. Peu d'espèces sont aussi fécondes et se multiplient autant que celles des animaux de ce genre. Les femelles mettent bas plusieurs fois par an , ne portent que trente jours environ, et font plusieurs petits qu'elles allaitent pendant quinze à vingt jours. Ces petits naissent couverts de ])oils et les yeux ouverts; ils grandissent très-vite et sont capables de se reproduire dès l'âge de six à huit mois. Ceci explique comment les lièvres et les la])ins n'ont pu être détruits en France même dans les cantons les plus exploités par les chasseurs et les braconniers. Ces ani- maux sont d'une timidité qui est devenue proverbiale, et il ne pouvait en être autrement, puisqu'ils;n'ont aucune arme à opjio- ser à leurs nombreux ennemis; une belette, un surmulot sont assez forts et assez hardis pour attaquer et étrangler un de ces animaux. Aussi les lièvres ne trouvent-ils leur salut que dans la fuite et la rapidité prodigieuse de leur course, et les lapins dans le i)rofond terrier qui leur sert de retraite. Sans cesse aux aguets pour découvrir le danger qui peut les menacer, ils sont doués d'une ouïe excellente qui leur révèle de fort loin l'approche de l'ennemi ; le moindre bruit suspect les met sur leurs gardes, et la peur est pour eux une sentinelle toujours éveillée qui les avertit à temps de détaler au plus vile. Les lièvres, quoi qu'on en ait dit, sont des animaux intelli- gents qui savent parfaitement employer la ruse, non-seulement pour fuir le danger, mais encore pour le prévenir. Si la terre est couverte de neige, ils .savent que l'empreinte de leurs pas peut mettre l'ennemi sur leur trace, et il n'est pas un chasseur qui n'ait admiré avec (|uel art ils savent l'efTacer, ou plutôt l'em- brouiller, en passant et repassant vingt fois sur la même ligne, en décrivant mille tours et détours avant de se gîter; puis, s'élançant tout à coup de ces traces inextricables, par un bond prodigieux ils vont tomber dansim buisson ou un sillon profond, où ils restent cachés sans faire le moindre niouvi'nieut. Dix fois le chasseur, en cherchant à démêler les traces de leurs pas, s'est avancé tout près d'eux , a passé à quelques pieds de leur gîte sans que le moindre mouvement de frayeur ait dénoncé leui' retraite. L'expérience leur a aussi appris (pie les chiens, sans (pi'il soit besoin de neige, ont l'odorat assez lin |>our les suivre à la piste; atissi font-ils la même mananivre, quoi(iue avec un peu moins de lircxautions, toutes les fois (|u ils veulent se gtter; j'ai été plu- sieurs fois témoin oculaire de ce fait. Quand les lièvres sont pour- suivis par les chiens, ils rusent devant eux pour t.'^cher de leur faln^ prendre le change, et quehpies-uns y parviennent en em- ployant d(;s moyens (|ui annoncent de l'inlelligence. On en a vu se cacher au milieu d'un troiiix'au de moutons, d'autres s'enfon- cer dans des trous tie roihers; j'en ai vu un qui s'élançait sui' le tronc d'un vieux saule penché sur une rivière, et qui restait là, caché dans le fi'uillage, pendant (pie la meute le cluM-cliait vai- nement au pied (le larbre el finissait jiar perdre sa voie. Du Koiiil- loux, dans son naïf langage, raconte idiisieuis faits trcs-reinar- quahles à ce sujet : « .l'ai vu, ilit-il , un lièvre si malicieux, (pie, depuis qu'il oyait la trompe, il se levait du gtte, et eût-il été à un ((iiart de lieue de là , il s'en allait nager en un étang, se rc- laissant au uiiheu d'icelui sur des joncs sans être aucunement chassé des chiens, .l'ai vu courir un lièvre bien deux heures devant les cliiens, ipii , après avoir couru , venait pousser un autre et se nicltait en son gitc. J'en ai vu d'autres qui, quand ils avaient couru une demi heure, s'en allaient iiKmler sur une vieille iiiii- raille de six pieds de haut, et s'allaient relaisser en un peiiiiis de chaullaiil couvert de lierre, etc., etc. » Certaines espèces de ce genre habitent les bois et les monta- gnes, d'autres la plaine et les pays sablonneux. Quelques-uns ne se font aucune habitation, changent de gite tous les jours, et font leurs petits sur la terre nue , comme notre lièvre commun ; il en est (|ui se creusent des terriers et préparent à leurs petits un lit de foin et de duvet, par exemple le lapin. Un fait assez extraordinaire, c'est que les espèces qui semblent avoir le plus d'analogie entre elles sont animées les unes contre les autres d'une haine mortelle, chose rare parmi les animaux purement lierbivores. Jamais les lièvres ne vivront dans le même canton que les lapins; si l'on renferme dans la même cage deux de ces animaux, un de chaque espèce, on peut être sûr que le plus fort aura tué le plus faible après quelques heures, et le lapin, quoi- que le plus petit, reste ordinairement le vain(|ueur dans cette lutte acharnée. La ]dui)art des lièvres vivent solitairement, et les femelles abandonnent leurs petits après les avoir allaités une vingtaine de jours; les espèces qui se creusent des terriers vivent au contraire en famille, et souvent même en sorte de société, dans des garennes composées quehiuefois d'un très-grand nom- bre de terriers. Tous vivent d'herbes, de feuilles, d'écorces, et ne sortent guère que la nuit de leur retraite |)our aller paître. Ils dorment le jour, mais d'un sommeil léger, les yeux ouverts et l'oreille au guet. Ce sont des animaux silencieux qui ne font entendre leur voix que lorsqu'ils y sont forcés par la douleur ou un danger inévitable ; alors ils poussent des cris aigus qui ont (|uclqiie ressemblance avec ceux d un petit enfant. On trouve des lièvres dans pres(pie tous les pays de la terre , et partout leur chair est estimée comme un mets excellent. Mais cependant on a remarqué que sa saveur est d'autant meilleure cpie l'animal habitait un pays de montagnes et se nourrissait de ]il,niles odorantes, telles que le thym, le serpolet, etc. Les lièvres de plaine sont moins estimés des gastronomes, et ceux des ma- rais passent |>our ne rien valoir du tout. Néanmoins les musul- mans et les juifs , par un préjug(f de religion , ne mangent pas le lièvre. Les Crées, et .surtout les Romains, en faisaient grand cas, et nous savons par Martial qu'ils estimaient sa chair au- dessus de celle de tous les autres quadrupèdes. Ces animaux ne vivent guère ipie sept à huit ans. Le Lu;vRE 0Ilm^AlRF, [Lepus limidus. Lin.) a le pelage d'un gris fauve ou d'un fauve roussâtre, nuancé de brun en dessus, blanc en dessous ; ses oreilles sont plus longues que sa tête , d'un roux cendre sur la conque, noires à leur extrémité; sa ipieue, longue au plus de trois pouces (0,081), est blanche, avec une ligne noire en dessus. Cet animal odre une singularité très-remarquable, et (pie je crois uni(iue parmi les mammirères, c'est d'avoir du poil dans la bouche. Il vit solitairement; il est très-commun dans toute l'Europe. On en trouve une variété blanche. Le Lu;vi;f, A yiiiaïF, iiocssi; (Lepus rti/icaiidatus, Is. Gkokf.) res- .semble beaucoup au lièvre commun; il en dillcre m'anmoins par sa (pieiie plus longue, et rousse en dessus au lieu d'être noire, par sa tache oculaire moins prononcée et sa joue très-mélangée (le noir; par son poil beaucoup plus rude, et sa taille un ])eu moins grande. Il habilla le Itcngah^ Le MoussKi. [Lepus vipricoltis , Kit. Ccv.) est de la taille d'un gros lapin; son pelage est d'un roux tiquel(' en dessous, d'un gris ('gaiement ti(pielé sur les (lancs et les cuisses; d'un blanc pur eu dessous ; une bande grisâtre s'étend du museau à l'oreille en passant sur l'œil; les oreilles sont variées de blanc, de roux gris et de brun pâle , avec la i)ointe noire ; le dessus du cou est (1 UM licau noir; le reste du corps, en dessus, est d'un gris de licilc; les (piatrc pattes sont nnisses; la (pieiie est blanche en dessus cl brune en dessous. Il habite le Malabar el Java. I.e LiÈviiE d'Égyptf. [Lepus œgypliacus, Geoff.) est plus petit ipie le lièvre ordinaire; son pelage est d'un roux grisAtre, avec le luenlon el la gorge d'un blanc h'gèremcnt lavci de fauve ; une Uaiiilc hlaiiclic lui passe sur l'd-il : le devani du cou est d'un LIÈVRES. 261 roussâtre pâle ; le dessous du corps d'un blanc roussMre, avec la queue d'un brun noir en dessus et blanfliAtre en dessous; ses oreilles sont très-longues. Il habite l'Ésypte. Le LiisvRF. nu Cap ou Moutain iiare {Lepus capensis. Lin.) est plus grand (jue notre lièvre ordinaire. Son pelage est d'un gris roux en dessus et blanc en dessous ; sa poitrine et ses jambes sont d'un fauve uniforme et vif; sa (pieuc est nnir(î en dessus, blanche en dessous; un trait roussiUre, borde d'une bande hrunAtre en dessous, occupe la re'gion de l'oreille, dont lexl remite est noire; ses oreilles et ses jambes sont extrêmement allonge's. 11 habile les dunes du cap de Bonne-Espt^rance , mais il n'est pas commun. Le LiicvRE PEs rochers (Lep!e Magei.i.anie {Lepus inayellanicus , Less. et Garn.) est entièrement d'un noir violacé, offrant çà et là des taches blan- ches; les oreilles sont d'un brun roux, et ])bis courtes que la tête; il a plusieurs taches blanches régulières, l'une sur le nez, l'autre entre les deux narines, une troisième sur la gorge, et une (pialrième sur le front. Il vit en grandes troupes aux Iles Malouines.et se creuse un terrier sous les raie< buissons du pays. Le Lapin d'Amiïrhiue {Lepus hudsonius, Pai.l. Lepus americanus, Desm.) est de la grandeur d'un moyen lapin. Son pelage est d'un roux brun tiqueté de gris sur quelques parties; son ventre et le dessous du cou sont blancs; les oreilles sont plus courtes «pie la létc, noires à leur extrémité; la queue est blanche en dessous, grisâtre en dessus, et longue de deux pouces (0,051), ce (pii le dislingue très-bien du tajiéli avec le(iuel G. Cuvier l'a confondu. Il devient blanchâtre pendant l'hiver. Il habite l'Amérique sep- tentrionale et ne se creuse pas de terrier. Le Lapin ordinaire {Lepus cuniculus, Lm.) a le pelage gris, mêlé de fauve, et une plaque rousse sur la nuque; son ventre et sa gorge sont blanchâtres; ses oreilles sont à peu près de la lon- gueur de la tête, grisâtres en dehors, d'un roux tiqueté en de- dans, avec un liséré noir à la partie supérieure; la (pieue est blanche en dessous, brune en dessus. Originaire d'Afrique, le lapin a d'abord été naturalisé en Espagne, d'où il s'est répandu eu France et dans tout le reste de l'Europe. Il vit en troupes nonibreuses , dans des garennes où cha(pie famille se creuse un terrier; la femelle y met bas deux ou trois fois par an , jusqu'à liuil à dix petits, qui n'en sortent que lorsqu'ils sont assez forts (lour se suflire à eux-mêmes et se creuser de nouveaux terriers dans les environs, car jamais ils ne s'éloignent beaucoup de l'en- droit (jui les a vus naître , et ils ont cela de commun avec tous les lièvres. Jusque-là elle défend au mâle l'entrée de sa retraite, parce qu'il ne manquerait pas de tuer ses enfants s'il pouvait y pénétrer; elle a soin, toutes les fois qu'elle en sort, d'en boucher l'entrée avec de la terre délayée. Soumis à la domesticité, le la|)in , (|ui ])rend dans ce cas l'épitliète de clapier, a fourni plu- sieurs variétés, toutes plus gro.sses que leur ty|)e, et ayant les oreilles plus longues. Les plus remarquables sont : 1" Le Clapitr à lonçjues oreilles, (pii atteint la taille des |)liis grands lièvres ; son pelage est le même «pie celui du lapin de ga- renne, mais ses oreilles sont, proportionnellement, beaucoup plus longues et jdus larges; "2" Le Clapier blanc, à |)oils ras et pelage entièrement blanc. H a les yeux rouges comme tous les albinos; 5" Le Clapier varié, mélangé de gris et de blanc; l" \.eClapier roux, d'une couleur rousse i)lus ou moins jaunâtre: ti" Le Clapier noir, à poils ras comme les |M(-cédents, et pelage entièrement d'un noir fonciî; ()" Le Clapier pie, varié de noir et de blanc; 7" Le liiche, à poils soyeux, et pelage d'un gris d'ardoise plus ou moins fonci'; S" Le Lapin d'Angora, à poils très-longs, très-soyeux, i|u'on lui arraclu; elwKpie ainu'C pour rein|)loyer à la fabrication de feutres, de tricots et autres (■tofl'es. Celui-ci a fourni plusieurs sous-vari('tés de couleur, ])arnii lesquelles on remarque: 252 LES RONGEURS. 9" L'Argenté, à poils très-longs et d'une blancheur parfaite. La chair lies lapins de garenne est assez estime'e, mais il n'en est pas de même de celle des lapins domestiques, qui est toujours ]diis ou moins fade , à moins qu'ils n'aient e'te' nourris avec des végétaux choisis, et non avec des plantes potagères, telles que le chou , etc. 41'* Genre. Les LAGOMYS [Lagomijs, G. Cuv.) ont vingt-si.x dents , savoir : quatre incisives supérieures et deux inférieures ; dix molaires en haut et dix en bas; toutes les dents à peu près conformées comme celles des lièvres. Leurs Jambes sont à peu près de la même longueur entre elles; leurs oreilles sont courtes, arrondies; ils manquent de queue, et leurs clavicules sont pres- que complètes ; la femelle a de quatre à six mamelles. que sept pouces (0,189) de longueur; son pelage est épais, fin, très-doux, d'un fauve grisâtre, mélangé de brun et de gris; le dessous du corps est d'un blanc sale, avec la gorge, les lèvres et le nez tout à fait blancs; les oreilles sont un peu triangulaires, bordées de blanc. 11 habite les parties méridionales des monts Durais, et vit solitairement dans un terrier qu'il se creuse sur la lisière des bois, dans les cantons fertiles et découverts. Il n'en sort que la nuit pour aller chercher sa nourriture , consistant en feuilles, fleurs, bourgeons et éeorces d'arbres, tels que le pom- mier sauvage , le cerisier nain , le robinier frutescent, et le cytise rampant. Chaque jour, au soleil couciiant et au soleil levant, il pousse des cris aigus, sans doute pour appeler une femelle, et ces cris le dénoncent aux chasseurs. L'OfiOTON [Lagoimjs ogolona , Lesm. Lepiis oç/olona, Pai.l. Le .-^^|//-=-^^' Le Lapin. Le PuiA (Lagoiin/s pika , Geoff. Lagoinijs aliiinus , Desm. Lepus alpinus, I'.m.ias) a neuf pouces et demi ((),:2.")7) de longueur; il est généralement d'un roux jaunâtre avec quelques longs poils noirs; le dessus du corps est d'un fauve pâle, le tour de la bou- che cendré , le dessous des pieds brun ; les oreilles sont arrondies et brunes. Cet animal est très-commun en Sibérie, où il liabitr dans les montagnes les plus hautes et les plus escar[)ées, les bois, les vallées, et les prairies fraîches et herbeuses. Quebiucfois il se creuse un terrier, mais le plus souvent il fixe son habitation dans un trou de rocher ou dans un arbre creux , et il s'y retire solitairement, ou, plus ordinairement, avec un ou deux de ses camarades. U se nourrit de feuilles et d'herbes, et il a la pré- voyance de faire une bonne provision pour passer l'hiver dans I abondance. Dès le mois d'août il commence ses approvisionne- ments, consistant en herbes (ju'il choisit, coupe et fait sécher avec beaucoup de soin. Ensuite, pour mettre ce foin à l'abri des intempéries de l'air, il eherohe un tionc d'arbre cicusé p,ir le lem|is, une grotte, ou un ti'ou dans une roche. Là plusifMU's se réuni.'isent i)our établir un magasin commun, et ils y entassent une quantité de foin calculée sur le nombre d'individus qui auront à s'en nourrir pendant la mauvaise saison. Aussi n'est-il pas rare de trouver de ces tas (pii outJus(prà cin(| et six picils (I ,(i-2i et 1,0inétrei- dans les vastes solituilcs de la Sibérie une précieuse ressource jiour uouirir leurs chevaux. Le Sci.i.AN [Lagomiis pusitlu^, Desm. Lepuf: piisillus , Vmi.. Le Luguing^ nain, {,. Ciiv.) est jilus jietil cpie !.• pnVéïleul , cl n'a Lagoimjs gris, G. Cuv.) a six pouces et demi (0,1 76) de longueur; il est d'un gris pâle en dessus, blanc en dessous, avec les pieds jaunâtres; ses oreilles sont ovales, un peu pointues, de la cou. leur du corps; son pelage est fin, lisse, et assez long. U habite la 'l'artarie mongole et les montagnes au delà du lac Daikal. Comme le précédent, il se creuse un terrier, dont il ne sort ([ue la nuit, et son cri est un sifflement aigu qui se distingue très-bien de celui du sulgan. 11 se nourrit décorée d'aubépine et de bou- leau, d'herbes, et surtout d'une sorte de véronique qui croît sous la neige. Ainsi que le pika , il fait une provision de foin , qu'il amasse en tas hémisphéri(pies, d'environ un jiied (0,5:23) de hauteur. L'hermine et le chat manul sont les ennemis les plus dangereux de ce petit animal; car sa petiti' taille le fait dédai- gner de l'homme, ([uoique sa chair soit bonne. DASYPOIDES. 263 Le Paca brun. IJ<:S DASVPOIDKS onl seize molaires en tout, deux incisives seulenunt à la iiiAclioiie supérieure, et deux à l'inférieure ; leurs pieds postérieurs onl trois ou cinq doigts, mais dont un de chaque côté est très-petit. 42" Genre. Les PACAS {Cœlogenus , Fr. Cuv. ) ont vingt dents, savoir : deux incisives à chaque mâchoire ; huit molaires en haut et huit en bas, composées), à couronneiplate, irrégulièrement sil- lonnées; ils ont cinq doigts à tous les pieds; ils ont sur les joues une sorte de cavité dont l'ouverture est extérieure; leur queue est très-courte; la femelle a quatre mamelles. Ces animaux sont de l'Amérique méridionale. -:-.^¥^. I^e Paca iibln [Co-'loyenus sub7ngi'r, Vi\. Clv. Caria l^ai-a, (Jmi,. Le Paca, Buff. Le Pag, d'Azzara. Le Pak ou VOurana, m; HAiticiiE. Le Pag et le Cullie de quelques parties de l'AuK'rique nuridio- nale). Cet animal , très-commun au Brésil et à la Cuyane malgré la chasse continuelle qu'on lui fait, se trouve aussi , mais plus rare- ment, aux Antilles et au Paraguay. Sa longueur totale est d'un pied neuf pouces (0,,">(i9), c'est-à-dire (pril arent à celle du cochon de lait, et n'en parlent jamais sans en faire le plus grand éloge. Il parait (pion le fait cuire avec sa i)eau , et ([ue celle-ci est excellente. Ln douieslicité, le paea, ainsi qu'on a pu le voir à la ménagerie, 264 LES RONGEURS. mange tout ce qu'on lui présente, comme du pain, des légumes, du sucre, des e'corces et même de la viande. 11 se prive aise'ment, et a beaucoup de douceur dans ses habitudes; de là, Buflbn , et plus tard Fr. Cuvier, ont pense' qu'il serait possible, et même très-utile, de le naturaliser en France et d'en faire un animal de basse-cour; mais ils ne disent pas s'il se reproduit en ca])tivilé, ce qui me parait fort douteux , et ce qui est cependant la condi- tion indispensable de la domesticité. Les pacas ont été tellement chassés dans les Antilles, qu'au- jourd'hui il n'en reste plus guère; mais l'espèce s'est parfaite- ment soutenue dans les autres parties de l'Amérique. Et cepen- dant, ils sont non-seulement la proie des hommes, mais encore de tous les grands oiseaux de proie , qui leur font une guerre cruelle et continuelle. Ces animaux ont des abajoues fort grandes, dans lesquelles ils cachent leurs aliments quand ils sont pour- suivis, ou simplement pour les transporter dans leurs terriers; mais ils ont, outre cela, sur les joues, deux poches dont l'usage est encore inconnu. Leur peau, quoique couverte d'un poil court et assez rude, fait cependant une assez belle fourrure, parce qu'elle est régulièrement tachetée sur les côtés. Le Paca fauve [Cœlogenufi fatvus, Fit. Cuv. Cavia paca, Geoff. — G. Cuv. Ostcopera platycephala, Haul. Le Paca femelle de Buff.) n'a été regardé par presque tous les naturalistes, jusqu'à Fr. Cu- vier, que comme une variété du précédent. Cependant il en dif- fère par .ses arcades zygomatiques, i|ui sont extrêmement écar- tées, et par d'autres caractères anatomiques. Le fond de son pelage est fauve , et non pas brun. Du reste, il lui ressemble en tout le reste, tant pour les couleurs que pour les mœurs. 11 habite la Guyane. ■lô" GE^RE. Les COBAYES [Cavia. Erxi.. Anœma, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir : deux incisives à cha<]vie mAclioiic; huit mo- laires en haut et huit en bas, toutes comi)osées et n'ayant chacune qu'une lame simple et une fourchue; ils manquent de queue; leurs pieds de devant sont munis de quatre doigts séparés, et ceux de derrière de trois; leurs ongles sont courts, robustes, en forme de petits sabots ; ils ont deux mamelles ventrales. L'Apéréa ou Cochon d'Inde [Cavia cobaya, Desm. Mus porce.llus. Lin. Anœma cobaya, Fr. Cuv. Le Cochon d'Inde, Buff. Le Cori des Indiens) a environ dix pouces de longueur (0,271): son corps, gros et trapu, est d'un gris roussiUre en dessus, et blanchâtre en dessous. Dans la domesticité on en a obtenu de blancs, de jaunes plus ou moins fauves ou orangés, de variés de ces couleurs ou de noir, et qui dillèrent considérablement de leur type. L'apéréa est commun au Brésil et au Paraguay, où il habite les l>ajonals (sortes de buissons) qui rouvrent les rives des fleuves, mais il ne pénètre jamais dans les bois. Cet animal a foil |)eu d'inlelligence, il ne sait pas se creuser un terrier, et cependant il aime à en habiter un quand il le trouve tout fait ; dans le cas contraire , il se recèle dans des trous de rochers , sous des tas de pierres, ou tout simplement dans un buisson fourré. 11 ne sort de sa retraite (pie le soir et le malin , au i iw'puscule , pour aller paître les herbes dont il se nourrit, et qu'il transporte dans son gite. Il |)araît ipie, dans cet ('tat sauvage, sa ehair est excellente, et comparable au meilleur lapin de garenne; aussi lui fail-on une chasse active. Sans aucune défense, n'ayant pas même la res- source de fuir avec rapidité , il devient facilement la proie des petits mammifères carnassiers et des oiseaux de proie. La femelle ne met bas ipinne ou deux fois par an , et seidement deux ou trois petits à la fois. Il parait certain , d'ajirès plusieurs anciens voyageiirs, et parliculièremcnl d'après ce que dit Garcilasso de la Vega, dans son Histoire des Innas, que l'apéréa était ini animal douiesliipie au Pérou, avant la découverte de l'Aménipie, (pi'ou rélevait comme no\is faisons du lapin domestique, et qu'on en avait obtenu de blancs, de roux, etc. Depuis bien longtemps cette espèce est répandue en Europe sous le nom de cochon d'Inde, et sa nature s'est tellement modi- fiée par l'esclavage et le climat, que BufTon a décrit l'apéréa et le cochon d'Inde comme deux espèces différentes, sans soupçon- ner le moins du monde leur identité. En état de liberté, l'apéréa, comme nous l'avons dit , montre peu d'inlelligence ; mais chez nous il est devenu tout à fait stupide, au point de se laisser tuer par les chats et les autres animaux , sans montrer ni frayeur ni envie de se défendre. C'est un animal qui ne vit absolument que pour dormir, manger et se mulliidier, comme une véritable ma- chine organisée, et il est impossible de saisir chez lui un geste, un signe, qui se rapporte à un autre sentiment, une autre pas- sion, que ces trois choses. Il en résulte que la femelle tient très- peu à ses enfants, (ju'elle les mange quelquefois, et que toujours elle les chasse après les avoir allaités quinze joiu's. Ceux-ci crois- sent très-vite, et à l'ûge de deux ou trois mois ils sont capables de faire des petits , quoi(iu'ils n'atteignent toute leur grosseur qu'à six mois. Or, comme la femelle ne porte que trois semaines, elle peut faire six à huit portées par an, et les portées, qui ne sont (pie de ein(i à six petits dans le commencement, augmentent avec l'âge et finissent par être de dix à douze ; l'on a calculé qu'avec un seul couple de ces animaux, on pourait en avoir un millier après l'espace d'un an. Les cochons d'Inde mangent à peu près toutes les substances végétales qu'on leur présente, mais ils paraissent préférer le pain, le son et particulièrement le persil, les pommes de terre et les fruits, à toute autre chose. Ce qu'il y a de singulier, c'est (jue , même nourris avec des aliments secs, comme le foin , ils ne boivent jamais et urinent beaucoup. Ils supportent assez bien les rigueurs de nos climats, pourvu qu'ils soient renfermés dans un lieu oîi le thermomètre centigrade ne descende pas au-dessous de quatre à cin(l degn's au-dessous de zéro. Leur chair est assez bonne, quoi(pie un peu fade. ii" Genre. Les CABIAIS [Htjdrochœrus, Briss.) ont vingt dents, savoir: deux canines à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas , toutes composées , les postérieures étant les plus longues, et formées de lames nombreuses, simples et parallèles, les ant('rieures oITrant des lames fourchues ; les pieds de devant ont quatre doigts larges et armés d'ongles, réunis par des mem- branes ; les pieds de derrière n'ont que trois doigts ; ils raan(pient de queue, et la femelle a douze mamelles. Le Capiyc.oua ou Cariai {llijdrocli(irus capybara, Desm. Cavia ca- pijbara, Gmi.. — Lin. Le Cabiai, Buff. Le Capybara, G. Cuv. Le Chiguère des habitants de Caracas. Le Cabionara de la Guyane. Le Capivard et le Cochon d'eau de quelques voyageurs) est de la grandeur d'un cochon de Siam : il a trois pieds (0,973) de longueur, sur un i)ie(l et demi (0, iH7) de hauteur, ce (pii en fait le plus grand des rongeurs. Son pelage est d'un brun roussâtre en dessus, fauve en dessous, à jioils rares, comme ceux d'un co- chon, mais plus fins. 11 habile l'Amérique méridionale, deiuiis la Plata jusqu'aux affiuents septentrionaux de l'Oréno(pie, et il ne s'éloigne jamais du bord des eaux. Cet animal a le corps gros et ramassé, la lèvre siipérieuie fen- due, les yeux noirs et grands, les oreilles et les jambes pres(pie nues; en marchant il appuie par terre toute la plante des jiieds de derrière, ce (pii lui donne l'air de ramper. 11 ne quitte jamais le bord des rivières et des lacs, et se cache dans les pajonals ou buissons d'arbrisseaux a(pialiipies (pii croissent sur les sables des rivages. Il csi timide et vit en famille ou en petites tioiipes de dix à ipiinze individus. Quand un olijet suspect les ell'rayc , ils poussent un cri que l'on i)eut rendre par le mot a-p(', prononcé avec force cl avec les aspirations que l'âne met dans son braire. A ce signal de l'un d'eux, tous se jettent à l'eau, i)longent, et ne vont reparaître à la surface (pi'à une très-grande distance de l'endroit où ils se sont enfoncés ; ils nagent ensuite avec une si DASYPOIDES. 255 grande facilité et une telle vitesse, qu'il est impossible à un canot de les atteindre. Selon d'Azzai-a , ils ne vivraient que d'herbe, mais M. de Hnmboldt s'est assuré qu'ils mangent aussi du poisson , et qu'ils savent le pêcher avec beaucoui> d'adresse. Ce voyageur en a vu des troupes rester tranquillement assises sur leur der- rière, ce qui est leur position favorite, tandis ([u'un grand cro- codile sorti des ondes passait au milieu d'eux. Cette se'curilé, dit-il, leur venait sans doute de l'expérience qu'ils ont (jue le crocodile n'attaque pas hors de l'eau. Le cabiai ne se creuse pas de terrier ; il se gîte sur la terre comme le lièvre , et ne quitte guère sa retraite que la nuit. La femelle seule a un domicile fixe, dans lequel elle revient toujours ; elle y met bas de quatre à huit petits ([u'elle allaite ipielipie temps, et qu'elle abandonne aussitôt qu'ils sont assez grands pour se rendre sans elle à la rivière. Pris jeune , cet animal s'apprivoise parfaitement, vient à la voix de son maître, et le suit presque comme un chien; il est d'un caractère doux, tranquille et tout à fait inolïensif. En captivité on le nourrit fort bien avec de la sa- lade, des carottes, de l'orge et des fruits. Sa chair est grasse, tendre, et passe pour excellente, quoique, selon BufTon, elle ait un peu le goût ilu poisson. Les missionnaires de l'Orénoque la permettent pendant le carême , comme un aliment maigre. Les chasseurs américains lui font la chasse et le regardent comme une importante pièce de gibier; mais comme il ne s'éloigne ja- mais à plus de cent pas des eaux, il faut, pour l'avoir, le tuer roide d'un coup de fusil, car, s'il n'est que blessé mortellement, il se jette dans la rivière, et, ainsi que la loutre, il ne reparaît plus. •45= Genre. Les KERODtjNS {fùroilon, Fr. Cuv.) ont vingt dents, savoir: deux incisives à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas, toutes composées de deux parties égales, sembla- bles l'une et l'autre à un triangle ou ]>lut6t à un cœur, réunies du côté externe de la dent, et séparées du côté interne. Ces triangles sont entourés chacun de leur émail et renqilis de ma- tière osseuse , et leur séparation produit une échancrure angu- leuse en partie remplie de matière corticale. Ils ont quatre doigts aux pieds de devant et trois à ceux de derrière, comme chez les cobayes, mais les jambes sont plus hautes, les doigts plus gios et plus séparés, et les ongles larges, courts, assez aplatis. Le Moco (Kerodon moco , Fr. Cuv. Kerodun sciureus, Is. Gf.off. Cavia ruitestris , Max. de Neuw.) est un i)eu plus grand que le cochon d'Inde; son pelage est d'un gris cendré mêlé de noirâtre et de jaune rougeâlre en dessus, blanchâtre en dessous; ses moustaches sont entièrement noires. Il habite le Brésil et se plaît dans les lieux rocailleux; ses mœurs sont à peu près les mêmes que celles de l'apéréa. 46" Genre. Les AGOUTIS [Chlornmys, Fr. Cuv.) ont vingt dents, , savoir : deux incisives à chaque mâchoire; huit molaires en haut et huit en bas, toutes composées, prescpic égales, à couronne plate, irrégulièrement sillonnée et à contours arrondis; les pieds de devant ont ((uatre doigts, et ceux de derrière trois, tous libres; les jambes sont liues ; ils ont une petite queue , ou un tubercule qui la remplace. L'Akouciii ou Akouki [Chloronii/s acuschti, Desmoiii,. Cai'ia acus- chy, Gmi,. Dasyprocla acuschy , Di:sm. L'Acouchy, Bijif.) esta peu près de la taille du précédent; son pelage, un peu plus doux et plus soyeux, est brun , avec des mouchetures fauves; la croupe est noirâtre, et le ventre roux; il n'a point de crête derrière la tête; sa cpieue est mince, un jieu allongc'e; <'nliu il n'a que six mamelles. Il a les mêmes mcciirs ipie le \)réN. Da^yprocta palagonica , Desm. Le Lièvre des Pampas, d'.^zara. Cavia palaijo- nica, SuAw) est d'un gris fauve piqué de blanc sur le dos, pas- sant au noir sur la croiqie ; les fesses et le ventre sont blancs ; les flancs fauves; les oreilles longues; la queue est très-courte, et les mamelles sont au nombre de (]ualre. On le trouve depuis les ])ampas du Paraguay, juscpi'au détroit de Mai^ellan. Il ne vit pas en troupe, mais par couple, et le mâle ne quitte pas sa femelle, même quand ils sont poursuivis par des chiens. Pendant la nuit, s'ils se sont séparés pour chercher leur nourriture, ils ne tardent pas à s'appeler par un cri aigu, fort, que l'on pourrait écrire ainsi, o-o-o-y, cri qu'ils font aussi entendre lorsqu'on les tour- mente. Us s'a|)privoisent aisément, et ne font aussi rol'oudes mor- sures à ses enneuds. Lorsque les chiens le chassent, il lu' ruse pas devant eux, ainsi (pie le lièvre ou le lapin , mais il s'enfuit très-vite et gagne au plus tôt sa retraite, où il s'enfonce et reste avec obstination. Il n'est (pi'un seul moyen de l'en faire sortir, c'est de l'y enfumer; à demi suH'cKpié, il jette des cris aigus et idaintifs, et ce n'est qu'à la dernière extrémité qu'il s'élance tout à eiiup dehors pour conuneuccr une lullc (pi il sait devoir lui être mortelle. Son cri, lors(pi'on l'impiiète ou ipi'on l'irrite, est, dit Bu lion , semblable à celui d'un petit cochon. Lorsipie l'agouti est en colère, il frappe la terre de ses pieds de derrière, absolument comme le lapin, cl les longs jioils de sa croupe se lu'rissent verlicalemeiit. (Juaud il iiiauge, il saisit ses aliments avec ses |)attcs de devant , mais elles ne lui servent pas à les [lorter à sa bouche. Comnu' tous les animaux de son genre, il est omnivore : il n'a donc pas besoin de s'amasser des provi- 256 LES RONGEURS. sions, et c'est par erreur que BufTon lui attribue celte habitude; mais sa nom-riture la plus ordinaire consiste en fruits et en ra- cines. La femelle prépare un nid fait avec du foin et des feuilles sèches ; en octobre elle y met bas deux petits , qu'elle n'y allaite que pendant trois ou quatre jours, après quoi elle les transporte dans une autre cachette, ainsi que fait la chatte doniesti(iue , et cela probablement par dtTiance. Si elle éprouve la moindre in- quiétude, elle les change de nouveau de domicile, et cette manœuvre recommence souvent. Cependant elle ne les allaite que pendant une vingtaine de jours, après quoi ils commencent à la suivre pour apprendre à chercher leur nourriture, et bientôt après ils la quittent pour se réunir à la première troupe de jeunes agoutis qu'ils rencontrent. Tout farouche qu'il est, si on prend un Jeune agouti , et qu'on le traite avec douceur, il s'ap- privoise aisément, s'attache, sinon au maître, du moins au logis, sort et entre seul à la maison, et ne pense même à la quitter tout à fait que lorsque vient le temps des amours. Sa chair se mange, et passe même pour assez bonne. L'A.couti. LES ÉDENTÉS, NEUVIÈME ORDRE DES .M \ Al ,M 1 K K R E S . L'Ai. Ils forment le dernier ordre des mammifères onguiculés. Si on en excepte les Tatous, ils manciuent tous d'incisives aux deux mAchoires; quelquefois ils ont des canines et des molaires, d'au- tres fois des molaires seulement, et enlin souvent ils n'ont |)oint de dents du tout; ils ont de gros ongles, embrassant l'extrémité des doigts, et se rapproeliant plus ou moins de la nature des sabots. Cet ordre renferme Irois familles, celle des tardigrades , celle des da.sypoïdes, et celle des monolrèmes. LES TARDIGRADES n'ont point d'incisives, mais dix-huit molaires ou moins; leur museau est court; et tous leurs mouvements sont extrêmement lents. l^'' Ge.mœ. Les ACIIÉES (Achcus, Fr. Cuv.) manquent d'iiu-i- sives et de canines , et ont di.x-huit molaires toutes en forme de cylindre, dont l'extre'miU; est creuse'e, tandis que le rebord est formi' d'une substance plus dure; ils ont trois doigts complets à clia(iue pied, et leurs bras sont deux fois plus longs (pie leurs Jambes. Ils ont une courte queue. L'Aï [Acheus aï, Fii. Cuv. Bradijpux tridartijlus , \a\. — Of.sm. L'Aï de liiHK. Le l'aresseu.v des voyageurs. Le Ihocoudiji des 15o- locoudos. Cet animal extraordinaire est de la grandeur d'un chat; son front est saillant, comme tronqué en avant; son pelage, grossier et ressemblant à du foin sec, est d'un gris briiuAtre, souvent ta- cheté de blanc sur le dos, où règne le plus ordinairement nue larg(î tache jaune ou orangée, traversét' par une ligiur noire lon- gitudinale. Il a plusieurs variétés assez remarquables, dont l'une, r^'î à collier, est regardée par Temminck comme espèce ; les autres sont : VAï dos brûlé, VAï à face jaune , \'AÏ à collier noir et VAÏ gris cendré. Cet auiin:d .1 ('le pour pres(pie tous les naturalisics, sans en excepter ISufl'on et Georges Cuvier, un sujet d'erreur la plus complète, parce que , malgré leur excellente critique, ils se sont laissé iiitluencer |)ar les contes absurdes des anciens voyageurs, et peut-être aussi par des opinions préconçues. Écoulons d'abord BulFon : « Nous disons, pour revenir à nos deux animaux (l'aï et l'iinau), ([u'aulant la n.ilure nous a paru vive, agissante, exaltée dans les singes, aillant elle est lenle, conirainle et resserrée dans ces paresseux; et c'est moins paresse ([ue misère, c'est dé- faut, c'est déuùiuent, c'est vice dans la conformation ; [loint de dents incisives ni canines; les yeux obscurs et couverts, la mâ- choire aussi lourde qu'épaisse, le poil plat et semblable à de l'herbe sédiée, les cuisses mal emboilées et jiresque hors des hanches , les jambes lro|) courtes , mal lournécs et encore ])his mal terminées; point d'assiette de pieds , point de pouces, point de doigts séparément mobiles; mais deux ou trois ongles exces- sivement longs, recourbés en dessous, qui ne peuvent se mou- voir qu'ensemble , et nuisent plus à marcher cpi'ils ne servent à grimper; la leiileur, la stu|>idité, l'abandon de son être, et même la douleur habituelle résultant de celte confiuuialion bi- zarre et néglige^'; (loint d'armes pour attaipicr ou se défendre; nul moyen de séiiirité, pas même en grattant la terre; nulle ressource de salut dans la fuite : confinés, je ne dis pas au pays, mais à la motte de terre, à l'arbre sous leipiel ils sont nés, pri- sonniers au iiiiiicu de l'espace; ne pouvant parcourir qu'une toise en une heure, grimpant avec peine, se traînant avec dou- leur, une voix plaintive et par accents entrecoupés, qu'ils n'osent élever que la nuit : tout annonce leur misère, tout nous rappelle 57. Paris. Typnyniphlo rion frères , me (lu V'aiiyirard , 3G. w 258 LES EDENTES. ces monslres p:ir ilcl'iiiil, ces ébauches imparfaites mille fois pro- jete'es, exe'cute'es par la nature, qui, ayant à peine la faculté' d'exister, n'ont tlù subsister qu'un temps, et ont été ensuite effacés (le la liste fies êtres. » Pour achever ce triste portrait, Buffon ne manque pas de répéter que ces animaux , après avoir mangé toutes les feuilles d'un arbre, se laissent tomber au risque de se briser les os, etc., etc. Enfin il ajoute que « ce sont peut- être les seuls que la nature ait maltraités, les seuls qui nous offrent l'image de la misère innée. » Cuvier, imbu de toutes ces idées, mais plus anatomiste que Buffon, après nous avoir dit que la nature, en créant ces ani- maux , semble avoir voulu s'amuser à produire quelque chose d'iuiiiarfait et de grotesijue, cherche à trouver la cause de ces misères [jrétendues dans leur organisation. « Leurs doigts sont réunis ensemble par la peau, dit-il, et ne se marquent au dehors que par d'énormes ongles comprimés et crochus, toujours fléchis vers le dedans de la main ou la plante du pied. Leurs pieds de derrière sont articulés obliciuemeni sur la jambe, et n'appuient que par le bord externe; les phalanges de leurs doigts sont arti- culées par des gynglymes serrés, et les premières se soudent, à un certain âge, aux os du métacarpe ou du métatarse; ceux-ci finissent par se souder ensemble faute d'usage. A cette incommo- dité dans l'organisation des extrémités, s'en joint une non moins grande dans leurs proportions: Leurs bras et leurs avarit- bras sont beaucoup plus longs que leurs cuisses et leurs jambes, en sorte «juc , quand ils marchent, ils sont obligés de se traîner sur leurs coudes ; leur bassin est si large et leurs cuisses telle- ment dirigées sur le côté, qu'ils ne peuvent rapproclier les ge- noux. Leur démarche est l'effet naturel d'une structure aussi disproportionnée. Ils se tiennent sur les arbres et n'en quittent un qu'après l'avoir dépouillé de ses feuilles, tant il leur est pé- nible d'en gagner un autre; on assure même qu'ils se laissent tomber de leur branche pour s'éviter le travail d'en descendre. » Nous albms maintenant faire l'histoire vi'aie de l'ai, et ce sera une réfutation coinpiète de tout ce i]u'ont avancé les célèbres natinalistes que je viens de citer. L'aï est très-eomnum au Brésil , à Cayenne , à la Nouvelle- Espagne, et généralement dans toute l'Amérique intertropicale. 11 habite exclusivement sur les arbres, dans les forêts composées d'ambaïi)a iCecropia pcllala) dont les feuilles font sa prineii)ale et peul-èire son uni()ue nourriture. Il jiarcourt les forêts en pas- sant d un arbre à l'autre par les branches ; il sait parfaitement profiter, pour cela, du vent qui, en les agitant, met leurs ra- meaux en conta( t, et il saisit avec beaucoup d'agilité ce moment. Jamais, si ce n'est par force ou par accident, cet animal ne des- cend à terre, où il n'a rien à faire; il lui serait doue tout à fait inutile de pouvoir y uuucher; aussi la nature lui a-t-elle refusé celte faculté, connue elle l'a refusée aux orangs et à quelques autres singes éminemment grimpeurs , et devant passer , ainsi que lui, toute leur vie sur les arbres. Et jiourtant, c'est .sur des iiulividus arrachés à leurs forêts, à leurs habitudes, [ilacés sur la terre plate, ([ue les naluralisles ont décidé que l'aï était d'une lenteur excessive, et qu'il lui fallait une heure pour parcourir la distance de deux mètres , ce qui est d'ailleiu's nue granile exagé- ration. L'aï, sur la terre, est en effet obligé de se traîner avec peine sur ses coudes, à cause de la longu<'iu' de ses jambi^s an- térieures, mais cela n'empêehe pascpi'il n(' grinqie sur les arbres, sinon ave» une grande agilité, du moins avec une extrême faci- lité. MM. Uuoy et t;aimard ont eu vivants pendant (juelques jours, sur le vaisseau l'Uranie, deux de ces animaux, et ils ont observé (pi'il faut beaucoup rabattre de la leuteiu' qu'on leur attribue. « Tout l'c'quipage a vu l'ai monter en viiigl-cinq minutes du giiiliai'd (l'arrière au haut du grand niAt; il parvint successi- vement, en moins de deux heures, au sommet de tous les mais, en allant de l'un à l'autre par les étais. Une autre fois, étant descendu pai- l'cchelle du gaillard d'an ière et louchant l'eau par une de ses pattes , il s'y laissa v.olontairement tomber , et nagea aisément , la tête élevée. » Nous remarquerons en outre que cet animal est tout à fait nocturne, qu'il ne jouit de tout le dévelop- pement de ses facultés que la nuit, et que ces observations ont été faites le jour. Sur la terre, pendant l'obscurité, il marche de la même manière que les chauves-souris , et d'un mouvement assez vif. Cherchons si son organisation est aussi malheureuse qu'on le dit, quand on la considère dans ses rapports avec les habitudes de l'animal ; nous verrons qu'au contraire , loin d'être un mal pour lui, cette organisation , qui paraît si informe et si bizarre, est un bienfait de la nature. L'aï ne se tient pas sur les branches ainsi (pie le font les singes et les écureuils, mais par-dessous , et le corps suspendu par les quatre jiattes ; qu'il marche , qu'il mange, qu'il dorme, il ne quitte jamais cette attitude, qui pour ces animaux est celle du repos , à cause de l'extrême prédomi- nance que leurs muscles fléchisseurs ont sur les extenseurs. Leurs gros ongles arqués, embrassant toute l'extrémité des doigts et naturellement recourbés vers la ])aume de la main, les phalanges de leurs doigts soudées au métacarpe et au métatarse, ceux-ci (jui s'ossifient de manière à ne former, à un certain Age , qu'une seide pièce, tout cela leur donne ime puissance d'accrochement, si je ])uis me servir de cette expression, qui rend pour eux fort commode une position intolérable pour tout autre animal. Leurs jambes écartées par l'énorme largeur de leur bassin ou quehiuefois par de longues clavicules, leur permettent d'embrasser les grosses branches sans la moindre fatigue; la paume des mains et des pieds articulés obli(iuement , leur permet de poser les pattes à plat sur les côtés des branches qu'ils embrassent; leur cou, com- posé de neuf vertèbres (ce qui est unique jiarmi les mammifères), leur permet d'allonger la tête , de la tourner dans tous les sens pour saisir les feuilles sur les rameaux à distance; l'axe de la tête étant le même que celui de la colonne vertébrale, la bouche regarde en haut (juaiid l'animal est debout; ce qui dispense les aïs, lorsqu'ils sont s\is|iendus, de relever la tête yisr un effort musculaire soutenu; ils broient les feiulles avec des dents parfai- tement adaptées à cet usage; leurs poils, plats et grossiers, res- semblant, par la forme et la couleur, à de l'herbe desséchée ou de la mousse , les dérobent à la vue des animaux carnassiers et des oiseaux de proie (jui pourraient les alla(pier. Eu cas de chute, ils ont une force de vitalité cent fois jdus consid('rable ([u'un chat; et tout cela ils le doivent à une organisation «[ue G. Cuvier appelle imparfaite et grotesque, et BuU'on, misérable, faute par ces naturalistes d'avoir connu les habitudes et les besoins de ces singuliers animaux. S'il m'était |)crmis, dans un ouvrage du genre de celui-ci, d'entrer dans de |dus grands détails analomi- ques, on verrait (juil n'est pas une de leurs pr('teii(lues iruj)erfec- tions qui ne soit une preuve irrécusable de la haute sagesse qui a i)résidé à la création. L'aï, (]ui jus(prà ce jour n'a été étudié que dans des lieux et des elr(:ouslan((^s poiu' les(]uels la nature ne l'a |)oint créé, vil au fond des plus sondues forêts, où la hache de llunume n'a point encore établi de clairière ; il est doux , tout à fait inofl'ensif, et ])arait |)eu intelligent par la raison qu'il a jieu de besoins; so- litaire sur l'arbre qui le nourrit, il y passe une jjartie de sa vie, et ne pense à le (piilter ([ue lors(iu'il en a dévoré toutes les feuilles, u II marche d un bon [las, dit le voyageiu' anglais Wat- terlou; et si, comme moi, vous l'aviez vu passer d'un arbre à l'autre, vous ne seriez plus tenté de lui donner injustement la qualification de paresseux. » S'il ne peut passer sur un autre ar- bre au moyen de l'entre-croiseraent d(!S branches, il ne se laisse pas tomber, connue on l'a dit , mais il en descend fort bien , en (|uel(pies miiiules, et se traîne sur la terre aussi vile (pi'il le Jieut jiour en regagner un autie. Si on le sin'prend dans f(^ moment, il s'arrête, et cherche à se défendre conune il le ))eul ; poiu- cela, il s'assied sur son derrière et joue des bras de devant, l'un après DASYrOIDES. 269 l'autre, absolument comme un aveugle qui chercherait à enlacer (le son bras un objet ((u'il ne verrait ])as, ou i)luldt comme une me'canique. S'il parvient à saisir le bâton ilont oa le frappe ou tout autre objet, il le serre contre sa poitrine avec une telle force, qu'il est fort diincile île le lui arracher, et il ne le Iftche qu'en mourant. Dans la joie comme dans la douleur, il fait entendre le cri qui lui a valu son nom; mais il reste silencieux tant qu'il n'est pas agité par une passion. La femelle ne fait (pi'un petit qu'elle soigne avec la plus grande tendresse, lîlle (uet bas non pas sur terre, mais sur un lit de mousse qu'elle établit à la bifur- cation de deux ou trois grosses branches. Au bout artiments semblables à des pav(!s ; ce test, ou carapace, est composé de plusieurs parties; un bou- clier sur le front, un second bouclier arrondi sur les épaules, un autre semblable sur la crou])e , et des bandes mobiles transver- sales, plus ou moins nombreuses, entre les deux. Quehpiefois tous leurs pieds ont cin(i doigts, tous armés d'ongles robustes. Tous les animaux de ce genre sont doux et inofTensifs. Le Tatou-Poïou ou Encouueut [Dasypus encoubert, Desm. Dasy- pus sexcinctus et Dasypus oclodecimcinctus , Lin. Dasypus setosus. WiED. Le Tatou à six bandes, G. Cuv. L'Encoubert et le Cirquinçon de liui-E.). Ce singulier animal a la tête large, aplatie et triangulaire, r(;- couverte d'un bouclier osseux, comme tout le dessus du corps; la cuirasse qui lui couvre le dos est composée de six à sept bandes mobiles , formées de pièces grandes , rectangulaires , lisses , jjIus longues que larges; sa queue est longue comme la moitié de son corps , ronde, portant des anneaux osseux seulement à sa base : ses oreilles sont assez longues; son bou(^licr postérieur est den- telé en scie ; les parties non écailleuses de son corps sont garnies de poils blanchâtres, assez longs et assez fournis; tous ses pieds ont cinq doigts inunis d'ongles médiocres; il a deux mamelles pecloral(^s. Le tatou-poyoïi habite l'Amérique méridionale et est assez commun au Paraguay. Nous nous étendrons peu sur son his- toire, parce qu'elle est exactement la même que celle des ani- maux composant les genres priodontc et tatu.sie, qui ont él(' séparés des tatous par Fr. Cuvier. Tous ces animaux sont exclusi- vement des parties chaudes de r.-Vmérique. Leur chair est assez bonne à manger; mais il parait que celle des ])etites espèces est plus délicate (pie celle des grandes, et (|iie celle de l'encoiibert est la moins estimée de toutes. Quoi ([u'il en soit, on leur fait une chasse assez active. Ces animaux ont tous plus ou moins la faculté de se rouler en boule , à peu près comme notre hérisson , et dans cet état ils présentent à leurs ennemis la cuirasse dure qui les recouvre ; mais comme tous ne sont pas également bien arnu's, et (pi'il existe des vides, surtout dans cette altitude, entre les boucliers et les bandes du dos, la dent des animaux carnassiers trouve ai- sément un passage , et leurs armes défensives ne leur servent pas à grand'chose. Le tatou-poyou ne jouit pas, à un aussi haut point que les autres, de la faculté de se mettre eu boule, mais il |)eui, quand il est menacé d'un danger, s'aplatir contre la terre, dont il a un peu la couleur, au point de disparaître aux yeux de ses ennemis, parce qu'alors il ne ressciiible plus (pi'à une légère iné- galité du sol. Celui qui a vécu à la ménagerie était craintif, noc- turne, cherchait toujours à se cacher, et, dans ce but, il apla- tissait son corps de façon à présenter trois fois plus de largeur que (le hauteur. Sa voix était une sorte de grognement, qu'il fai- sait surtout entendre lorsqu'on le contrariait, et il courait avec beaucoup de vitesse. Ces animaux sont très-iiiofreusifs, n'atta- quent jamais les êtres plus faibles (pieux, et cei)endant ils ne ré[)ugneut ])as à se nourrir de lambeaux de cadavre (piand ils en trouvent; leur nourriture habituelle consiste en fruits, en légumes et en racines, qu'ils savent fort bien déterrer en fouil- lant la terre avec leur nez, à la manière des cochons. Ils habitent des terriers qu'ils se creusent, les uns dans les savanes humides, et les grandes espèces sur le penchant des collines sèches et arides. Ils creusent la terre avec une telle vitesse, que, sous ce rapport, ils ne peuvent être compart's qu'à la taupe. Ne pouvant ni courir bien vite (si l'on en excepte l'encoubert), à cause de la brièveté de leurs jambes, ni sauter, ni grinqier sur les arbres, ils n'ont de ressource, pour échapper au danger, (]ue de se jeter 17. 260 LES i: DENTES. dans leur lenier; s'ils sont poursuivis de trop près, et qu'ils n'aient pas le temps de gagner leur retraite, ils se mettent à creuser, et pour peu cpie le chasseur soit à cinquante ou soixante pas d'eux, ils ont déjà disparu sous la terre lorsqu'il arrive. Si leur queue paraît encore en dehors et qu'on la saisisse, ils se cramponnent avec tant de force dans leur trou, qu'on la leur casse ]dut6t que de les en arracher; dans ce cas, on est obligé, sans les li'ieher, d'ouvrir le terrier en avant, et on les a ainsi sans les mutiler. Lorsqu ils sont tout à fait enfoncés dans un terrier profond , on ne peut les en faire sortir qu'en les inondant d'eau ou en les enfumant. Aussitôt qu'ils sont pris, ils se roulent en On a dit que les tatous vivaient en société' amicale avec les ser- pents à sonnettes, et qu ils n'en craignent jias la morsure; que leur graisse , leurs écailles calcinées avaient des propriétés admi- rables en médecine; mais tous ces vieux contes, avancés par Mé- nard, Ximénès et d'autres, sont complètement tombés en dé- suétude. l" (iENRE. Les PRIODONTES (Priodontes, Fr. Cuv.) ont quatre- vingt-di,K-huit dents, savoir : point d'incisives, point de canines; cinquante molaires à la mâchoire supérieure et quarante-huit à l'inférieure; jiour l'ordinaire, car ce nombre varie un peu d'in- boule, et pour les faire étendre on les jette dans l'eau ou on les place devant un feu un peu vif. On dit que pendant une grande partie de l'année ces animaux restent dans leur terrier sans en sortir. Ce qu'il y a de plus cer- tain , c'est (pi'ils s'y tiennent pendant tout le jour, et qu'ils n'en sortent (jue la nuit pour aller chercher leur nourriture. Gumilla -aê^/^s. A ÊLM. prclcuil que la femelle met bas tous les mois, et que chai|ue i'dis elle fait cjuatre petits; il faut que cela soit, car on chasse conti- nuellement ces animaux, soit au fusil, avec des chiens, soit aux pièges, et le nombre ne parait |ias en être beaucoup diminué. Pour cette chasse on emploie une race de ]>etils chiens ipii les poursuivent avec acharnenu'nt, et rarement le tatou leur écliappe, à moins qu'il ne se trouve à proximité d'une roche escarpée ou d'un ravin; dans ce cas, il s'approche du bord, se contracte en boule, et se laisse rouler au fond du ])récij)iec sans le moindre danger, grftce aux ('cailles qui le défendent. dividu à individu ; ;outes ont à peu près les mêmes proportions et sont plus ou moins comprimées latéralement. Elles sont divi- sées longitudinalement dans leur milieu par une partie plus claire et demi-transparente. Ils ont deux mamelles pectorales, cinij doigts aux pieds de devant , et tous les autres caractères des gen- res précédents et suivants. l.e Tatou noir mes nois ou Tatou géant (Priodontes giganteus, Fr. Cuv. ]>asijijus gigas, Fr. Cuv. Dasypus gigas, G. Cuv. Dasy- pus giganleus , Desm. Le Deuxième Kabassou de Buff. Le Grand Tatou, d'Azzaiia) a quelquefois plus de trois pieds de longueur (0,97S), non compris la ieds, et ceux de devant sont armés d'ongles plus forts que ceux de derrière. Le CuLAMïi'iKiRE TRONyuÉ {Clilaimjphorus truncatus, IIarlan. Le richiciayo des Cliilicns) a cinq pouces et quart (0,142) de lon- gueur totale; les écailles de son test sont rhomboïdales, et s'a- vancent sur sa tête ; sa queue est ferme, ajipliquée sur son abdo- men, et ))arait avoir peu ou point de mouvement; le dessous de son corps est garni de poils blancs, soyeux, épais et doux comme chez la taupe. Cet animal se trouve dans les Cordillères du Chili, aux envii-ons de Mcndoce, Il se creuse avec beaucoup d'agilité un terrier couq>os(! de longues galeries à la manière de la taupe, dont il a toutes les habitudes. Pendant qu'il allaite ses petits, il les porte sous les rebords de son test écailleux. 7« Genre. Les OKYCTIÎKOPES [Oryclempua, C.im-i:) ont vingt- six (liants , savoir ; point d'incisives , point de canines; quatorze molaires en haut et douze en bas, toutes ( omposées d'une grande quantité de petits cylindres creux. Leur peau est épaisse, mais non écailleuse, et lem- corps est couvert de poils ras; ils ont quatre doigts aux pieds de devant, cinq à ceux de derrière, munis d'ongles plais et non tranchants, pro|tres seulement à fouir; leur langue est un peu extensible; ils ont la queue et les oreilles (huiles. L'OmcTKiioi'E Dii Cap , ou Cochon de terre (Orycteropus capen- sis, DicsM. Myrmecophafia afra, Pam.. Myrniecophatja caperisis. Cmi.. Le Cochon de terre, Huii-.) a trois i)ieds et demi (1,157) de longueur, non conqiris la i|ueue, ipii a un i)ied neuf pouces (0,5139). Son corps est épais, ses jambes sont courtes; ses oreilles ont un ])eu plus d'un demi-])ied (0,162). Son pelage, composé de poils roides comme des soies, est d'un gris roussâtre , avec la jambe, l'avanl-bras et les pieds noirâtres; sa queue est presiiue blanche. Cet animal a été tellement (-liasse ])ar les Hollandais du Cap, qu'il est devenu extrêmement rare dans la colonie. I^e cochon de terre habite les environs du cap de Bonne-Espé- rance et vit dans un terrier. Le voyageur hollandais Kolbe, quoi- qu'il ait dit beaucoup de choses hasardées, a cependant très-bien connu cet animal. « Il se creuse un terrier avec beaucoup de vi- vacité et de ])romi)titude, dit-il, et s'il a seulement la tète elles pieds de devant dans la terre, il s'y cramponne si bien que Ihomme le plus robuste ne saurait l'en arracher. Lorsqu'il a faim , il va (chercher une fourmilière. Dès qu'il a fait cette bonne trouvaille, il regarde autour de lui pour voir si tout est tranquille et s'il n'y a point de danger : il ne mange jamais sans avoir pris cette précaution. Alors il se couche, et, plaçant son long museau tout près de la fourmilière, il tire la langue tant qu'il peut : les fourmis montent dessus en foule, et dès qu'elle en est bien couverte, il la retire et les gobe toutes. Ce jeu recommence plusieurs fois , et jusqu'à ce qu'il soit rassasié. Afin de lui procurer plus aisément cette nourriture, la nature, toute sage, a fait en sorte que .la partie supérieure de celte langue qui doit recevoir les fourmis est toujours couverte et comme enduite d'une matière visqueuse et gluante , qui empêche ces faibles animaux de s'en retourner lorsqu'une fois les pattes y sont empêtrées : c'est là sa manière de manger. H a la chair de fort bon goût et trè.s-saine (quoique exhalant une forte odeur d'acide formique). Les Européens et les Hottentots vont souvent à la chasse de ces animaux ; rien n'est plus facile que de les tuer : il ne faut que leur donner un petit coup de bâton sur la tête. » 8= Genre. Les FOURMILIERS (Myrmecophaga , Lin.) manquent absolument de dents; ils n'ont pas de cuirasse écailleuse; leur museau est long, terminé par une petite bouche; leur mâchoire inférieure est presque rudimentaire ; leurs ongles de devant sont forts et tranchants, et varient en nombre selon les espèces; leurs oreilles sont courtes; leur langue est Irès-extensible; leur queue est longue , velue , lâche , (pielquefois nue et prenante. L'Ouateri-ouassa ou Tamanoir (Myrmecophaga jubata, Lin. — Desm. Le Tamandna-Gunçu du Brésil. Le Gnourouj»!' et le Yoquoin ou Yogoni du Paraguay. Le Tamanoir de Buei-. cl de G. Cuv.) Cet animal, de la grosseur d'un mâtin, a quatre pieds (1,299) de longueur, non conq)ris la queue, qui en a trois (0,975). Son corps est bas sur jambes proportionnellement à sa longueur; sa tête est fort mince , allongée, et se lernûne par un long museau prescpie cylindri(pie, et par une bouche extrêmement petite, fendue d'environ un pouce. Ses pieds de devant sont munis de (luatre doigts , et ceux de derrière de cin(i ; ses oreilles et ses yeux sont Irès-pelits ; sa queue est garnie de très-longs poils. Son pelage est brun, avec une ligne oblique, noire, bordée de blanc sur (•ha([ue épaule. Ses pieds de devant sont blanchâtres, ceux de derrière noirâtres. En marchant, le tamanoir s'appuie sur une grosse callosité contre laquelle il tient leplié le i)lus grand de ses ongles, et qui sert au.ssi de point d'appui à cet ongle (juand l'animal saisit quel- que objet. Cette altitude le force à ne poser le pied que sur le c()té, ce (pii rend sa marche lente, didicile et fort peu gracieuse. Il ne se promène guère que la nuit, et il dort tout le jour dans un fourré, couché sur le cùlv , la tête entre les jambes de devant, rapprochées et croisées avec celles de derrière , et la queue étalée sur lui. Comme il craint beaucoup la lumière, si un accident le contraint à sortir de sa retraite pendant le jour, en marchant il a grand soin de relever sa (|ueue sur son dos , et avec son pana- che il .se fait une sorte de parasol (pii le garantit des rayons du soleil. Sa vie est solitaire et triste, et jamais il n habile que les lieux bas et humides, ou même inondés; quchiuefois aussi il pé- nètre dans les bois i)Oiir ch(!rcher sa nourriture, mais, malgré la puissance de ses ongles, il ne grimiie jamais sur les arbres. Sa principale nourriture consiste en foiu-mis et en termites, mais il mange aussi d'autres insectes. On sait que les termites sont une sorte de fourmis qui se logent dans des cônes de terre hauts DASYPOIDES. 2fi3 ([ueI((iierois de plusieurs pieds et larges à propoilion. Ces habita- lions sont construites avec tant de solidité qu'on a souvent beau- coup de peine à les entamer avec une pioche ou un pic. Quand le tamanoir a trouve' un de ces cônes , il en fait deux ou trois fois le tour en l'observant minutieusement; puis, lorsqu'il a reconiui l'endroit faible de l'e'dilice, il y fait un petit trou avec les ongles de ses pieds de devant. Il applicpie le bout du museau contre cette ouverture, ou même (juelquefois il l'y enfonce plus ou moins profonde'ment , jusqu'à ce ([u'il ait rencontre' la population presse'e des termites. Alors il allonge une langue de la grosseur d'un tuyau de plume à écrire, longue de dix-luiit pouces {0,i87), et enduite dans toute sa longueur d'une salive extrêmement vis- queuse et gluante; il la promène dans tous les sens, en la tortil- lant comme un ver de terre, puis, quand elle couverte de ter- miles c|ui y restent englués, il la retire tout à coup dans sa ])ou- clie et avale tous les insectes qui s'y sont jiris. Il ré[)ète celle manœuvre avec beaucoup de promplilude, jusciu'à ce qu'il ail entièrement satisfait sa faim. 11 exécute la même manœuvre pour manger les fourmis , après avoir gratté la terre pour ouvrir Kl fourmilière. Tout dormeur ([u'il est, le tamanoir ne laisse pas ipie d'être plein de courage, et de se défendre avec opini.Mreté ipiand on l'attaque. Dans ce cas, il se dresse sur ses pieds de derrière, et cherche à s'appuyer le dos contre un rocher ou Un tronc d'arbre ; il se couvre le corps avec la queue, et abrite son faible tnuseâii en l'appliquant contre sa poitrine. Dans cette attitude, il présente constamment à son ennemi ses ongles puissants, avec lesquels il lui fait de profondes blessures. On dit qu'il se (b'fend même con- tre le jaguar , et que si ce dernier a l'imprudence de l'aborder sans précaution, le tamanoir l'étreint entre ses bras et ne le lâche qu'après l'avoir étouffé; ceci me paraît au moins douteux. Quoi qu'il en soit, cet animal , le plus grand des fourmiliers, est ex- Irêmcmcnl robuste et fort diflicile à tuer. S'il n'est pas attaqué, il n'en est point de plus paisible et de moins dangereux. Quand on le rencontre, si on ne l'irrite pas, on peut le chasser devant soi et le conduire ainsi partout où l'on veut ; mais il faut avoir la précaution de ne pas trop le presser pour ne pas le fatiguer, ce (pii pourrait l'impatienter. Pris jeune, il s'habitue assez iiien à l'esclavage , et vit de pain et de petits morceaux de viande ; il s'attache à son maître jusqu'à un certain point; mais sa tristesse habituelle s'accroît avec l'âge , et ordinairement il périt d'ennui peu de temps a|irès avoir atteint l'âge] adulte. La femelle ne fait i|u'un petit, cl a pour lui le plus grand altachement ; jamais elle ne le quitte, et lors(iu'elle sort de sa retraite pour aller chasser aux termites, elle le porte constamment sur son dos, et passe même des rivières à la nage avec sa précieuse charge. Le lama- noir habite le Brésil, la Guyane, le Paraguay cl le Pérou. Le CA'ir.oiiAiii'; ou T.vmandl'a {Myrmecophaga tamandna , G. CiiV. — Desm. Les M ijrmecophaga tridactyla et tctradachjla , Lin. Le Tamundua de 13uff, et Cuv. Le Petit Ours fourmilier des Espa- gnols) est de moitié moins grand que le précédent, dont il a la forme des pieds ; sa queue est pres(pie ronde, velue à sa base et nue à son extrémité; sa tête est cylindri(pie et allongée : Son pelage est ordinairement d'un gris sale, ayant souvent une bande obli- (|ue d'une autre couleur sur chaque épaule. Il en existe plusieurs variétés, l'une ayant un cercle noir autour des yeux, d'autres à pelage fauve et bande noire , h pelage fauve ayant la bande , là croupe et le ventre noirs, enfin d'enlièrement noirâtres qui sOiil, je crois, le MtjTmecùphaya niyra de (Icod'roy. Il habile la (luyanr et le lirésil, et a les mêmes mœurs t\w le |)i<'cédenl , à cela près qii'il monte sur les arbres, dans le tronc desc|uels il niche. Il exhale une forte odeur de musc , qui devient très-désagréable et se sent de fort loin quand il est irrité. Il a la queue prenante et s'en sert souvent pour se suspendre aux branches d'arbres. Il parait (pi'il altaqiu', outre les fourmis, les abeilles sauvages, el (lu'elles ne le pi(iuenl pas. Le Fou RM u,i nu ANNF.i.if [Myrmecophaga annutata, Desm.) ressem- ble au précédent , mais son museau est plus gros , en forme de groin; son pelage est d'un brun uniforme; sa queue est ronde, velue, annelée de fauve et de brun. Il habite le Brésil. Le l''oiiHMu,iER A iiEUX DOKiTS ( Mijrmecophaga didaclyla , Lm. Myrmecophaga unicolor , var. Geoff. Le Petit Fourmilier, Buff. \:Ouatiri ouassou, à la Guyane) est de la taille d'un surmulot; son pelage est laineux, fauve , avec une ligne rousse le long du dos, manciuant dans la variété unicolore; sa queue est prenante , nue au bout; il a aux pieds de devant deux ongles seulement, dont un fort long , et ipiatre à ceux de derrière. Il habite la Guyane et le Brésil, sur les arbres où il se suspend par la (pieue à la manière des sapajous. Il a les mêmes mœurs que les préc('- denls, mais il niche dans les troncs d'arbres, où la femelle met bas un seul petit, sur un lit de feuilles sèches. 9« Genre. Les PANGOLINS (Manis , Lin.) n'ont point de dents; leur langue est trè,s-extensible ; leur corps et leur queue sont couverts d'écaillés triangulaires, tranchantes, se recouvrant les unes les autres comme les tuiles (l'un toit, ce (jui les dislingue sulFisamment des fourmiliers; ils ont cinq doigts à tous les pieds, et ils peuvent se rouler plus ou moins en boule. L'Aliincu ou Pankolin de 1,'l'SDE {Manis pentadactyla, Lin. Manis macroura, Desm. Manis brachyura, Euxl. Manis crassicaudata , Geoff. Talu mustelinus, Klein. Le Pangolin de Buff. Le Pangolin à queue courte de G. Cuv. Le Diable de Negumbo des Hollandais et le Caballe des Chingulais) est long de trois à quatre pieds (0,97S à 1,299); sa tête est petite ; son museau allongé et étroit ; son corps as.sez gros; la queue est plus courte que le corps; les écailles de son dos sont blondes et forment onze ou treize ran- gées longitudinales; le dedans des membres et le ventre sont nus ; qiielipics soies très-longues sortent d'entre les écailles. Il habite les Indes orientales. Les pangolins se creusent un terrier au moyen de leurs ongles robustes , et ils n'en sortent que la nuit pour aller chercher leur nourriture, consistant, comme celle des animaux précédents, en termites, en fourmis et autres insectes. (»n prétend aussi qu'ils mangent des mollusques el même des petits lézards, mais ce fait me paraît mériter confirmation. .Munis d'une langue très-longue, extensible, enduite d'une humeur visqueuse, ils s'en servent ab- solument comme les fourmiliers, pour ramasser les fourmis et les termites dans leurs habilalions. Les pangolins sont des animaux paresseux , lents , et se bornant à jiousser un petit cri très-faihie lorsqu'ils sont elT'rayés. Mais la nature leur a donné, dans les écailles qui les couvrent, une arme défensive, qui les sauve des animaux de i)roie, si ce n'est de l'homme, le plus cruel de tous. A la première apparence de danger, ils se roulent en boule. « Leurs ('cailles, dit liiiiron, sont mobih's comme les piquants du porc-é|)ic, et elles se rcdèvcnl ou se rabaissent à la volonté de l'animal; elles se hérissent lorsqu'il est irrité, elles se hérissent erlcore plus lors(|u'il se met en boule comme le hérisson ; ces écaillés sont grosses, si dures et si poignantes, qu'elles rebutent tous les aniiiiaiiv de proie; c'est une cuirasse od'cnsive cpii blesse aillant (pi'cllc résiste; les plus cruels et les plus allâmes, Icls (pie le ligl'é, la panthère, etc., ne font que de vains ed'orts pour d('- VOI-PI- ces .iniinaiix aruK's; ils les foulent, ils les roulent, mais en même tt'tiips ils se font des blessures douloureuses dès qu'ils veu- lelit les saisir; ils ne peuvent ni les violenter, ni les écraser, ni les ('liiiin'cr en les surchargeant de leur poids, n Ceci n'empêche ]ias les Indien^; et les Mègrcs de les assommer à cou])S de bâton l)oiir les manger, cl ils Irouvent excellente leur chair blanche et délicate. Ces animaux, du reste, sont fort doux, tout à fait inof- feusifs, mais sans intelligence. « Ce sont, dit Bufl'on, des es|)èccs dont la forme bizarre ne parait exister que |)our faire la première nuance (le la ligure des (piadrupèdcs à celle des reptiles.» En efi'cl , au premier coup d œil , on les prendrait idiilot pour des 2C4 l.ES ÉDENTÉS. lézards que pour des mammifères. Celle espèce csl très-commune à Ceylan, auprès de Negumbo. Le QuOGOLO (Manis africana , Bf.sm . Manis tetradaclijla , Lin. Munis longicaudata , Geoff. Manis macroura , Euxl. Le Pangolin à longue queue, G. Guv. Le Phalagin, Buff.) a un pied (0,525) de principalement en Guinée et au Sénégal. Tout ce que nous avons dit du précédent s'applique à celui-ci. -^ Le Pangulling ou Tciiin chian-kiapp {Manis javanica , Desm.) a un pied quatre pouces (0,4-33) de longueur, non compris la qiieui', c|ui est déprimée et qui a treize pouces (0,532) ; ses écailles mi "■'' Le Tamanoir. longueur, non compris l.i (jueue , (pii est plus longue cpie le cor])S, et qui a divneul pouces (0,5U); elle est ajdalie. La tète est petite; ses exMiiles dorsales forment onze rangées longitudi- nales, el celles des cotes sont earén('es; le dedans des membres et le ventre sont l'cvèlus de soies brunes. Il se trouve en Afrique, sont brunes, plus claires sur les bords, minces, striées, et for- ment dix-sept rangt'es sur son dos; le dessous de la lête, le ven- tre et les |ialtes manquent de poils. Celte espèce habite Java et la Chine. On ne connaît pas bien ses mœurs; il est à croire qu'elles sont connue d:uis les pr('c('(lenls. .^4^?bfê ^4rs -^ MONOTRÈMES. 265 '^4^:é L'Oi-nithorhyiique, LES MONOTREMES, placés i)ai- Teiiiminck, et avant lui pac Latifiilc, à la lin de la classe lies mammifères, y eussent aussi été i)lacés par moi, si, comme Je l'ai dit dans rintroduction , Je ne m'étais fait une loi de suivre strictement la classification de Cuvier. Ils manquent de dents; ils ont, comme les oiseaux, un os de la fourchette et un cloaipic commun ; comme chez les marsujiiaux on leur trouve sur le j)ul)is des os surnuméraires, mais ils n'ont pas de poche. Tous leurs pieds ont cinq doigts. y 10« Genre. Les ORNITHORHYiNQUES {Ornithorhynchus , Bt.u- MENR.) manquent de dents véritables, mais ils ont à chaque maxil- laire deux tubercules fibreux, aplatis, ([uadrilatères à leur cou- ronne, n'ayant ni émail, ni substance osseuse, et qui ont été comparés h des dents; leur museau consiste en un véritable bec analogue à celui des canards, corné, élargi, déprimé, dentelé sur les bords, portant les narines à sa base sup('ricurc; les pieds sont palmés, ceux de derrière portent un ergot analogue à celui des oiseaux. On a débite' beaucoup de contes siu- ces singuliers animaux. Le MouFi.ENCONG ou OiiNiTiioRnvNouE PARAnoxAL (Omilhorliynchus paradoxus, Blumenb. Les Ornithorliynchus fuscus et rufus de Péron et Lesueur. Platijpus anatinus, SiiAW. Le H'ai(T-mo/edes habitants de Sydney). Cet animal est certainement l'être le jibis singidier qui existe dans la nature, et il semble avoir été créé exprès pour embar- rasser les naturalistes. Sa tête est ce qu'il y a de plus extraordi- naire, au premier coup d'«'il; elle est postérieurement recou- verte d'un iioil court cl lisse; la petitesse des yeux et le manque ddrcilles, ainsi que la forme gi'uc'rale du crAne, lui donnent un l)cu l'apparence de celle il'une taupe : mais ce cr;^ne se prolonge antérieurement en un véritable bec, muni de membranes cor- nées, courtes et presque flottantes à sa base. Dans ce bec se trouvent ileux langues soudées : une longue, extensible, bi'rissée de jioiis courts et serrés; une courte, é|>aisse , portant en avant deux pelil<'s pointes charnues. L'animal est à peu près de la gros- seur d'un lapin de garenne; son corjis est allongé, pres(pie cylindrique ainsi que celui d'un phoque, couvert de poils rous- siMres, menus et lisses, terminé par une <|ueue courte, mais aplatie comme celle d'un castor, et lui servant également de gouvernail quand il nage; ses jambes sont très-courtes; les pieds de celles de devant sont munis d'une membrane qui non-seule- ment réunit les doigts, mais dépasse de beaucoup les ongles, et il résulte de cette bizarrerie sans exemple que les doigts sem- blent comme perdus dans une sorte de nageoire. Dans les pieds de derrière la membrane se termine à la racine des ongles; mais ils ont une autre singularité non moins remarquable : ils sont armés, comme les pattes d'un co(|, d'un ergot particulier, long, pointu, posé sur une glande et non porté par un os, ce qui le rend légèrement mobile quand il appuie sur un corps étranger. Cet ergot est percé, dans sa longueur, d'un canal par où s'échappe une liqueur onctueuse, que les naturalistes ont dite venimeuse, quoiqu'il n'en soit rien. La femelle manque d'ergot, mais elle a à la place un petit trou, ou plutôt une fente longue au plus d'une ligne (2 millim.), épanchant la même liqueur quand la glande est comprimée. Enfin, l'anatomie de l'animal offre des faits si étranges, (pi'on y retrouve des caractères appartenant aux oiseaux, aux reptiles et aux mammifères de [ilusicurs ordres. L'ornithorhyntpie a soulevé plusieurs polémiques toutes plus curieuses les unes que les autres, et c'est le scalpel à la main que les naturalistes ont fait et soutenu les romans les plus bizarres, faute de connaître les mœurs de l'animal, ses habitudes, dont ils traitent si dédaigneusement l'étude de roman. Citons tpiel- ques-unes de leurs opinions vraiment fantasticpics. En 1827, les Annales des sciences naturelles inséraient un article anonyme , traduit de l'Antliologie de Florence , dont voici quelques échan- tillons : « L'ornilhorliynque habite les marais de la iNouvelle- llollande : il fait, parmi des toulT'es de roseaux, sur le bord des eaux, un nid ([u'il compose de bourre et de racines entrelacées, et y dépose deux œufs blancs , plus petits que ceux des poules ordinaires; il les couve longtemps, les fait éclorc comme les oiseaux , et ne les abandonne (pic s'il est menacé par cpudque cniK'mi reihiiilable. Il paraît que i)endant tout ce temps il ne mange ni semence Tii herbe, et (lu'il se contente de vase prise à sa i)orlée, ce qui suflit poin- h; nourrir. Il plonge , etc., et n'em- ploie ordinairement ipi'une narine ])Our respirer l'air. Le luAle, le seid (pii soit armi' d'un éjieron à la Jambe de derrière, emploie S66 LES ÉDENTÉS. cette arme contre ses agresseurs. La blessure qu'il fait produit une inflammation et une très-vive douleur, mais il n'y a pas d'exemple qu'elle ait occasionne' la mort. » Et qu'on ne croie pas que ceci est un conte, un puff de .journaliste , comme disent les Américains. Des hommes du premier mérite , les naturalistes les plus distingue's ont voulu prouver, le scalpel à la main , que l'ornithorliynque fait des œufs, et ils se sont tellement complu dans cette opinion , que plusieurs ont nie' à Mecifel que la femelle ail deux mamelles, lors même qu'ils les voyaient. Examinons donc maintenant si tout ce merveilleux se soutiendra devant les observations des voyageurs, et racontons l'histoire de cet animal telle que la racontent ceux qui l'ont e'tudié dans la Nouvelle- Hollande. Le mouflengong est un animal nocturne, qui fuit la clarté du soleil parce qu'elle l'incommode, et qui ne sort que le soir et le matin, pendant le (?re'puscule , pour aller nager sur le bord des marais et des rivières. Il habite des terriers qu'il creusé stlr les dunes, le plus près de l'eau possible, et qui ont la profohdétir et la largeur d'un terrier de lapin. 11 ne fait pas de nid au mi- lieu des roseaux , mais au fond de son trou ; il n'y pond pas deux œufs gros comme ceux d'une poule , car son bassin très-étroit ne permettrait pas le passage à un œuf même beaucoup plus petit, mais il y met bas trois ou, rarement, quatre petits, qui sont presque nus en naissant, et qui n'ont pas alors plus d'un pouce et demi (0,0i1) de longueur, quoique, à l'âge adulte, ils atteignent vingt pouces (0,5i2) : c'est-à-dire qu'au moment de leur naissance, leur taille, compare'e à celle de leurs parents, est à peu près la même proportionnellement que dans les autres animaux. La femelle allaite ses petits, et voilà ce qui a embar- rassé les naturalistes, car, comment avec un bec corné, disent- ils, les petits peuvent-ils teter? Mais la nature y a pourvu. La femelle a bien réellement des mamelles sur le ventre, mais elles manquent de mamelon , et les canaux excréteurs du lait viennent a'u contraire aboutir à une petite fossette enfoncée. Le jeune or- nilhorhynque saisit avec un côté de son bec une grande partie de la mamelle, la presse, et le lait est ramassé avec sa langue double à mesure qu'il sort, sans qu'il y ait même besoin de suc- cion. Les ornithorhynques ne vivent ni de semences, ni d'herbe, et encore moins de vase , mais de vers et d'insectes aquatiques. Sans cesse ils nagent sur les bords vaseux des marais, et ils bar- botent dans la boue et dans les herbes, absolument à la manière des canards. Ils nagent [larfaitement bien , avec beaucoup de vitesse , et plongent à une assez grande profondeur ])our ramas- ser les insectes du fond de l'eau ; puis ils viennent respirer à la surface non pas avec une seule narine , mais avec les deux , qm sont placées fort près l'une de l'autre, et au premier (juart de longueur de la mandibule supérieure du bec, près de sa base. Quant à l'ergot du mâle, ce n'est point luie arme , comme l'ont dit quehpies personnes, encore moins un organe pour maintenir sa femelle pendant l'accouplement, qui se fait de la même ma- nière (pie chez les autres mammifères; c'est tout simplement un organe sécréteur analogue aux glandes ijue les oiseaux, et sur- tout les oiseaux aipjati(pies, ont sur le crouiiion. L'animal, avant d'entrer dans l'eau et après en être sorti , se i)asse à plusieurs reprises les pattes de derrière sur le corps, se lisse le poil, et répand dessus la liipieur onctueuse qui , chez le nielle, est sécré- tée ))ar l'ergot, et chez la femelle [)ar la petite ouverture qui le remplace. Cette li(|ucur a la |iiiq)riété, toujours comme chez les oiseaux, de rendre le pelage imperiiiéahle à l'eau. Du reste, ces animaux sont tout à fait iuofl'ensifs , et ne cherchent pas plus à piquer qu'à mordre, quoi iju'on en ait dit. Sur la terre, la brièveté de leurs membres les force à ramper, et cependant leur marche est assez vive; aussitiH (pi'ils se croient en dangci', ils se jettent à l'eau, dont ils ne s'i'loigiient guère, ou s'enfoncent dans leur terrier s'ils en sont à proximité. J^curs habitudes ouf beaucoup d'analogie avec celles de nos rats d'eau. M. Bennet, qui habitait Sydney en dSôS et ISS^, conserva pen- dant assez longtemps un ornithorhynque dans un tonneau où il avait mis de l'herbe et de la vase. 11 le nourrissait avec du pain trempé dans l'eau , mélangé avec des œufs cuits à dur et de la viande hachée. Il était fort doux et montrait quelque intelligence ; par exemple, comme on le conduisait quelquefois à l'eau en le tenant en laisse au moyen d'un ruban qu'on lui attachait à la jambe, il apprit (rès-vite à connaître le chemin qui menait à la rivière, et marchait devant ceux qui l'y conduisaient. (In remar- qua qu'il plongeait souvent , qu'il nageait toujours en remontant le courant, qu'il cherchait de préférence les endroits herbeux pour barboter, etc. De temps à autre il sortait de l'eau , venait se cotichel- sut- rtiérbe du rivage, et s'occupait avec beaucoup d'action à se lisser les poils avec les pieds de derrière, jusciu'à ce qu'ils devinssent lustrés et brillants. M. Bennet fit beaucoup de recherches pour savoir si ces animaux faisaient des œufs ou des petits; il fit ouvrir un grand nombre de leurs terriers, et enfin dans l'un d'eux il trouva une femelle avec trois petits qui ve- naient de naître, mais jamais le moindre fragment d'œuf ni de coquille. Les petits étaient fort bien portants, et la mère fort maigre ; il lui pressa les mamelles et il en sortit du lait , mais en fort petite quantité. En captivité, la mère dormait tout le jour à côté de ses petits , et la nuit elle s'occupait constamment à cher- cher les moyens de se sauver; elle grattait contre les murailles et parvenait à y faire des trous. Elle mourut de chagrin a])rès une quinzaine de jours. Les petits , que l'on nourrissait comme je l'ai dit plus haut, vécurent. Ils étaient fort gais, fort lestes, et jouaient comme de petits chiens avec assez de grâce. L'un d'eux, au moyen de ses ongles, grimpa en assez peu de temps jusciu'au haut d'une bibliothèipie. Ils étaient fort capricieux, et changeaient souvent de place sans aucune raison appréciable; ils dormaient la plus grande partie de leur temps, et pour cela ils se retiraient dans les endroits les plus obscurs de l'appartement. Autrefois l'ornithorhynque était très-commun dans la rivière Népéan et au pied des montagnes Bleues; aujourd'hui on ne le trouve plus guère ipi'à New-Castle, Fish-ltiver près Baihurst, et dans le Macquarie et le Champbell. On a cru qu'il y en avait plu- sieurs espèces, parce (pi'il varie beaucoup de taille et de couleur; mais il paraît, au moins jusqu'à ce jour, que ces jirétendues espèces ne sont cpie des variétés de l'ornithorhynque paradoxal. Les auteurs qui se sont le plus occupés de l'anatouiie de ces ani- maux si extraordinaires sont:Meckel, Blumenbach, Everard- Home, Vander-Hoeven, Budolphi, Knox, l'alrick-Hill, de Blain- ville, Georges et Frédéric Cuvier, GeofTroy Saint-Hilaire, Isidore CeolTroy Saint-llilaire, etc. y H' GiîNnr. Les l'XIIIDNÉS (^c/iù/na.G.CiJv.) n'ont pas de dents, mais leur palais est garni de plusieurs rangées de petites épines dirigées en arrière; leur museau est très-mince, très-allongé, et se termine par une fort pelile bouche; leur langue est très-ex- tensible ; leur corps est ramassé , recouvert de [liquants très- forts; leurs pieds sont courts et ont chacun cinq ongles très longs et très-robustes; le mâle a aux pieds de derrière un ergot comme celui di" l'ornithorhynqiK' ; leur queue est très-couric. £ ^ V^!f'^K H-' , ^'■ 'iï|t^^j*ï^. PACHYDERMES. 56T / L'HEDGE-IIor. ou ÉciiiDNÉ ÉPINEUX (Echidtia Mstrix, Cuv. Echidna auslralieima , [jKss. Onuthorhynchus hiftrix , Hojiic. Tachiiglossus hislrix, lu.. Myrinecophaga aculeata , Siiaw) est à peu près île la grosseur d'un hérisson , et a la faculté de se rouler en boule comme lui; tout son corps est couvert en dessus de fortes épines coniques, d'un pouce à un pouce et demi (0,0^7 à 0,041) de lon- gueur, noires à la pointe et blanchâtres sur leur longueur, en- tour(fes à leur base de petits poils roux ; des poils courts et roides couvrent aussi la tète et le dessous du corps. Cet animal, dont l'organisation est aussi extraordinaire que celle de l'ornithorhyn- que, avec lequel il a beaucoup d'analogie, habite les environs du port Jackson, dans la Nouvelle-Hollande. Il vit dans des ter- riers , et se nourrit d'insectes et de fourmis (pi'il saisit avec sa langue extensible à la manière des pangolins. 11 paraît qu'il craint beaucoup la sécheresse , et qu'il ne sort de son trou que pendant les pluies ; peut-être y reste-t-il dans un état de léthar- gie, car on l'a vu, dans l'esclavage, avoir de fréquents en- gourdissements qui duraient jusqu'à quatre jours de suite. Du reste, il supporte longtemps une abstinence forcée; ce qui ren- drait probable son sommeil léthargique pendant toute la saison sèche. i/ L'ÉciUDNÉ soyIîux (Echidna setosa, G. Ctiv. Aller omithorhynchus hislrix, Home) ne serait, selon M. Lesson, qu'une variété du pré- cédent, et je serais assez porté à partager cette opinion. Cepen- dant, il est un peu plus grand, ses ongles sont un peu moins longs , plus arqués et plus pointus; tout le corps est couvert de poils longs, doux et soyeux , d'un brun marron, enveloppant les épines dans lein- presifue totalité; la tête est couverte de poils jusqu'aux yeux; le museau est noir et nu. U habite la terre de Van-Diemen et le détroit de Bass. LES PACHYDERMES, DIXIÈME ORDRE DES MAMMIFÈRES. A l'exception du daman , tons les animaux de cet ordre n'ont pas d'ongle , mais une sorte de sabot de corne qui leur enve- lo[)|ie toute l'extrémité des doigts; ils ont quelquefois les trois sortes de dents, d'autres fois deux seulement; leur estomac est simple, divisé en plusieurs poches, et ils ne ruminent pas; le nombre de leurs doigts varie de un à cinq. I'''' DIVISION. Pieds à cinq doigts que l'on ne distingue que par les ongles; une trompe et des défenses. \" Genre. Les ÉLÉPHANTS (Elephas, Lin.) sont assez recon- naissables par leur taille gigantescjue , leur nez ])rolongé en une énorme trompe , à leurs défenses longues et arcpiées, naissant à la mâchoire inférieure. Ils ont six ou dix dents, savoir: deux dé- fenses; i)as de canines, deux ou quatre molaires en haut et au- tant en bas, selon l'époque où on les examine. L'Éi.ÉPiiANT DES Indes (Elephas maximus , Lin. Elephas indicus, G. Cuv. L'EUphant, Buit. Les Romains l'appelaient bœuf luca- nien, parce que le ]>remier avait été vu dans la Lucanie, partie de la grande Grèce). C'est le plus grand des mammifères terres- tres qui vivent aujoui'd'hui sur le globe; sa hauteur est commu- nément de huit à neuf pieds (2,599 à 2,92i), et quelquefois da- vantage; il diffère de l'éléphant d'Afrique par ses oreilles et ses diifenses plus petites, par son front concave, et par ses pieds de derrière qui ont ipiatre sabots au lieu de trois; sa peau est aussi lin )ieu moins brune. Quelquefois on en trouve des individus albinos, entièrement blancs, et pour lesquels les Indiens ont beaucoup de vénération. L'histoire de l'éléphant est tellement connue de tout le monde, on en a tellement bercé notre enfance, qu'il serait fastidieux ici de répéter ce que chacun a entendu dire mille fois dans sa vie. Cependant nous rapporterons les faits généraux , avec quelques observations moins connues du public. On a dit «pie l'éléphant était le plus intelligent des animaux, et en ceci on s'est trompé. Il s'en faut de beaucoup que .'■:):) intelligence aiiproche de celle du chien, et même de celle de |)lusieiirs autres carnassiers, et telle était aussi l'opinion de G. Cuvier. Cet animal , d'un aspect imposant et même effrayant par son énorme taille, est néan- moins d'un caractère assez doux et d'une grande docilité ; ce sont CCS ipialités que l'on a prises pour de l'intelligence , et ce- pendant elles ne résultent peut-être que de sa poltronnerie, il est certain que le courage de l'éléphant n'est nullement en rap- port avec sa force prodigieuse, et ne peut se comparer à celui du cheval. Je n'en citerai qu'une preuve, c'est ipie jamais on n'a pu l'accoutumer à entendre la détonation d'une arme à feu sans prendre la fuite, et que depuis qu'on se sert de ces armes dans les batailles, oh a été obligé de renoncer à l'employer, si ce n'est pour jiorter les bagages. Celui de l'Inde n'attaque jamais les hommes ni les animaux, mais s'il en est attaqué il se défend avec la fureur du désespoir, et alors il devient terrible, tant que durent sa peur et sa colère. Une fois pris et apaisé par quel- ((iies bons traitements, il devient doux et soumis, et il ne faut (]iie quelques jours pour l'habituer à la servitude et à une obéis- sance passive. On a dit aussi ipie l'éléphant était plein de décence, qu'il ne s'accouplait pas en esclavage par pudeur, et que, pour cela, il n'avait jamais produit en captivité. Il y a là dedans au- tant d'erreurs ((ue de mots. Cet animal ne connaît pas plus la pudeur que les autres animaux, et on en a vu la preuve à la mé- nagerie de Paris; il s'accou|)le et produit à l'état de domesticité, et cela est prouvé depuis l'antiquité, quoique BufTon ait assuré le contraire. Elien et (^ohimelle aflirment que les éléphants se reproduisaient à Rome de leur temps, et que ceux qui parurent dans les jeux de Germanicus, sous Tibère, étaient nés dans cette ancienne capitale du monde. Ce (pii confirme parfaitement ce fait, c'est (jue M. Corse, qui dirigea longtemps dans l'Inde les élé- jihants de la Coinpagiiie anglaise, a réussi récemment à les faire jiroduire. Enfin , une erreur populaire est que ces animaux ne [leuvent pas se coucher, qu'ils dorment constamment debout, et (pic s'ils sont tombés ils ne peuvent plus se relever. Le vrai est ((u'ils s'agenouillent, se couchent et se relèvent quand ils le veu- lent, mais (pie l'on trouve chez eux, comme chez les clievaux, des individus ipii dorment debout, et par conséipicnt ne se cou- chent que très-rarement ou même jamais. On sait avec quelle adresse ils se servent de leur trompe , qui chez eux remplace la main des singes. Elle leur est indispensable en ce (pie, ne pouvant baisser leur ému'ine tête jusqu'à terre, c'est avec elle qu'ils cueillent et ])orteut à leur bouche les herbes et le feuillage dont ils se nourrissent. Dès la plus haute antiquité on les a soumis à la domesticité; on les a dressés à faire le ser- vice des bêtes de somme et de trait , et on les employait très- iitiienicnt à la guerre. On leur ida(;;ait sur le dos une sorte de petite tour en bois, dans laquelle se postaient des archers et des S68 LES PACHYDERMES. arbalétriers, qui, hors d'atteinte , incommodaient beaucoup l'en- nemi. Depuis l'invention des armes à feu, on ne s'en sert plus que comme bétes de luxe ou de transport, et au lieu de porter de farouches soldats, ils ne sont plus montés aujourd'hui que par des rajas efférainés et leurs femmes. C'est un très-grand sujet de gloire pour un prince asiatique que d'avoir un grand nombre d'éléphants dans ses écuries , et il se croit au faîte de la gran- deur quand il peut en posséder un ou deux blancs. Chaque élé- phant est confié aux soins d'un homme que les Indiens nomment mahoud, et que noiis appelons cornac. Pour le conduire, il se met assis ou à cheval sur son cou , et il dirige sa marche en lui tirant légèrement l'oreille du côté où il veut le conduire, au moyen d'un bâton dont le bout est armé d'un petit crochet de fer. Les princes indiens se servent souvent de ces animaux pour faire la chasse au tigre sans beaucoup de danger, car si la béte féroce fait mine de se lancer sur les chasseurs, l'éléphant la sai- pèces d'éléphants antédiluviens dont nous ne nous occuperons pas ici , parce que leur histoire appartient à celle des animaux fossiles, et ne doit pas entrer dans le cadre de cet ouvrage. Il" DIVISION. Trois sortes de dents dans le plus grand nombre, deux au moins dans les autres; pieds terminés par quatre doigts au plus , et par deux au moins. 2<^ Genre. Les TAPIRS {Tapirus, Briss.) ont quarante-deux dents, savoir; six incisives en haut et six en bas; deux canines supérieures et deux inférieures; quatorze molaires à la mâchoire sujiérieure et douze à l'inférieure, présentante leur couronne, avant d'être usées, deux collines transverses et rectilignes ; leur nez consiste en une petite trompe mobile, sans doigts au bout; leur cou est assez long , arqué; ils ont deux mamelles inguinales; leurs pieds de devant ont quatre doigts et ceux de derrière trois. L'Eléphant femelle de l'Intle. sit aussitôt avec sa puissante trompe, la jette loin de là, ou la perce de ses défenses et la foule avec ses pieds : du moins on le dit. A l'état sauvage, les élé|)hants vivent en grandes troupes et n'habitent que les forêts les plus solitaires des contrées chaudes de l'Asie et des grandes Iles de l'archipel indien. Lorsqu'ils se croient menacés de quelque danger, on dit que les vieux mâles marchent à la tête du troupeau, et les femelles à la suite avec leurs petits. Du reste, lorsqu'ils sont attaqués, ils se défendent avec leur trompe et avec leurs défenses, cpiand ils en ont, car, dans l'espèce de l'Inde, les femelles en ont rarement de saillantes hors des lèvres, et celles des mâles sont toujours très-courtes. Ces animaux ont une vie très-longue, mais dont la durée a été beaucoup exagérée. Ce sont leurs défenses, i)articulièrement celles de l'es])èce d'Afrique, qui fournissent l'ivoire du com- merce. L'Élki'iiant ii'Afrique [lUephas africanus, Cuv. Le Naghe des Abyssins. Le Manzao ou Manzo du Congo) est un peu moins grand (jue le précédent. Il a la tête ronde , le front convexe , les oreilles très-grandes ainsi que les défenses, dont la femelle est aussi bien armtMMiue le mâle; il n'a cpie trois doigts aux pieds de derrière, au lieu de qwalie. Il habite toute l'.Mrique m(-ridi(iiialc, depuis le Séiii'galjus(prau Cap. Ouoique plus farouche et plus courageux ([ue rélépliant de l'Inde, il n'en avait pas moins été soumis à la domesticité |)ar les Carthaginois. Aujourd'hui on ne le trouve plus en servitude que dans les ménageries. (In connaît, sons les noms de mammoulh «i ilr masiddonlrs, jdusieurs es- Le iMaïpouri ou tapir ii'Amiîrique (Tapir americanus, Lix. L'Anla ou Tapir de Buff. Le Tapiirète de Marcg. Le Mbuurica ou le Mborebi d'Az/.ara. Le Tapihire-été , le Tapir-gouaiou et le Afa- nipouri des Indiens. L'A7ita, le Danta et le Vagra des Espagnols). Cet animal surpasse quebpiefois la taille d'un âne ordinaire, mais il est moins haut sur jambes, ]ilus trapu , et son corps est arqué comme celui d'un cochon; son cou est gros, charnu , for- mant comme une sorte décrète sur la nuque, et portant une courte crinière dans le mâle et quelquefois dans la femelle , selon d'Azzara. Son corps est épais, prescpie nu , et le i)eu de poil qui le couvre est, comme sa peau, d'un brun foncé; sa tête est grosse, longue, et, ce qui lui donne une figure très-bizarre, il a une trom|)c cliarnue, mobile dans tous les sens, dont il se sert avec beaucoup de dextérité pour arracher de la vase les racines des plantes aquali(pies. Sa queue est courte, en foiine de tronçon. Le niaïpouri est un animal triste, extrêiiiciiuiit liiiiide, cpii n'ose sortir de sa retraite que la nuit , jiour aller se plonger dans les eaux des lacs, des marais et des rivières dont il habile les bords. Il n'est aucunement carnassier, vit de plantes et de racines, et ne se sert de ses dents ni contre les liomiues ni con- tre les animaux. Sa douceur, ou, si l'on aime mieux, sa poltron- nerie lui fait ('viter tout combat , et lorsqu'il est ,itta(|U(', il u<' sait que fuir ou mourir. Cependant, (piaiid il est dans l'eau, il .semble que son habileté en natation lui donne (piehpie velléité de cou- rage, car on en a vu , dit-on, avant de succomber, se lancer contre les canots d'où partaient les coups dont on les frajqiait ; mais ce n'est jamais que réduit'^ à la dernière cxtrénnti', que le PACHYDERMES. 260 désespoir de la peur les de'termine à un semblant de de'fense. Le tapir a quelque analogie avec le sanglier dans ses habitudes. Comme lui il aime à se vautrer dans la fange des marais , mais avec cette difiërence qu'avant de rentrer dans son fort , il a le soin de se laverj dans l'eau claire, justiu'à ce qu'il ne lui reste aucune ordure sur le corps; comme lui il se nourrit de racines, de fruits, d'herbe et de graines, mais jamais de chair; comme lui , il ne se de'tourne pas de son chemin quand il fuit , et ren- verse brutalement tout ce qui se trouve sur son passage, hommes et animaux ; mais il ne cherchejamais à les blesser avec les dents. Pris jeune', on l'élève et l'apprivoise avec la plus grande facilité; prend à courir de toutes ses forces , en baissant la tête et la mettant presque entre ses jambes de devant, ce qui lui donne fort mauvaise grâce. 11 ISche de gagner l'eau le plus prompte- ment possible, s'y jette, plonge et disparaît aussitôt, et nage sous les ondes avec une telle rapidité , que ce n'est quehpicfois qu'à deux ou trois cents pas qu'il reparaît pour respirer et plon- ger de nouveau. La femelle ne fait qu'un petit , (jui , en naissant et pendant les premiers mois de sa vie, porte une jolie livrée semblable à celle des faons. La mère lui est fort attachée tant qu'il porte cette livrée ; mais aussitôt (lu'elle commence à s'efTa- cer, c'est-à-dire quand il est assez fort pour pouvoir se passer de ^. ''VN"I ^ s', Le Tapir d'Amérique. il s'impalronise dans la maison, va furetant partout, brise, par maladresse, toutes les choses fragiles qui sont à sa portée, et se rend fort incommode à force de familiarité. Autrefois ces animaux étaient très-couununs dans les forêts so- litaires et les savanes de toute l'Amérique méridionale. Mais de- puis qu'on s'est servi d'armes à feu pour les chasser, le nombre en est beaucoup diminué , quoiqu'ils ne soient pas encore très- rares, et le plus ordinairement ils vivent solitaires et isolés. Cha- que soir ils quittent leur forêt pour gagner la rivière où ils ont coutume de se baigner, et ils rentrent au bois chncpic matin, en passant exactement par le même endroit, de manière (pi'ils finis- sent par se tracer dans les broussailles des sentiers aussi battus (ju'unc grande route. Cette singularité les trahit , et les Indiens vont se poster sur ce passage pour les tuer à coups de fusil , ou bien ils creusent des fosses (pi'ils recouvrent de gazon , et ces animaux manquent rarement d'y tomber. On chasse aussi le tapir avec des chiens, et aussitôt iju'il est relancé dans son fourré, il se ses soins, elle l'abandonne et ne le reconnaît plus. La chair du maïpouri est dure, coriace, peu agréable, cependant les sauvages la mangent. Mais ce qu'ils estiment le plus dans cet animal, c'est sa peau qui est épaisse et si dure quand elle est sèche, ((u'ils en font des boucliers que les flèches ne peuvent pas percer. Le Maïda (Tapirus indicus, Fn. Cuv. Tapirus malaganus, IUffi,. Le Tennu des Malais. Le Gindul ou Babi-alu des habitants de Su- matra) diffère du précédent par sou pelage court et ras, d'un blanc sale , avec la tête, le cou , les épaules, les jambes et la (pieue d'un noir foncé; le niMena pas de crinière sur le cou. 11 est commun à Sumatra et dans la presipiilc de Mnlaka. Le PiriCiiAQiiK [Tapirus pinclmqui', Houlin) dillère thi maïpouri par son occiput aplati, sa nucpie ronde; son pelage épais, d'un brun noirâtre, une place nue sur les fesses, et une raie blanche à l'angle de la bouclie. On le trouve dans l'Améri(|ue méridio- nale, mais il n'habite que le sommet des montagnes et jamais la plaine. 2Tft LES PACHYDERMES. 3« Genre. Les RHINOCÉROS {Rhinocéros, Lin.) ont trente-deux dents : deux incisives en haut et en bas, ou nulles ; point de ca- nines; quatorze molaires à la mâchoire supérieure et autant à l'inférieure; ils ont trois doigts à chaque pied : leur peau est Irès- e'paisse , nue et rugueuse ; ils ont une ou deux cornes fibreuses sur le nez, et deux mamelles inguinales. Le Rhinocéros des Indes {Rhinocéros indiens, G. Cuv. Rhinuceroa unicornis , Lin. Rhinocéros unicornu, Bodd. Le Rhinocéros, Huff. h'Abada des Indiens) a neuf ou dix pieds (2,924 ou 3,249) de lon- gueur , et cinq à sis de hauteur (1 ,62-i à 1 ,949) , et quelquefois davantage. Après l'e'le'phant, c'est le plus puissant des mammi- fères terrestres. Ses formes sont massives ; sa tête est raccourcie et triangulaire, portant une seule corne sur le nez; il a deux fortes incisives à chaque mâchoire; ses yeux sont fort petits. Ses oreilles et sa queue seules sont garnies de quelques poils grossiers et roides, et le reste de sa peau est nu , d'un gris foncé violàtre : elle est marquée de deux sillons profonds, l'un en arrière des épaules, l'autre en avant des cuisses, et sans cela il ne pourrait guère se mouvoir, car sa peau est si épaisse, si dure et si sèche, qu'il est impossible de la percer avec une balle. La ménagerie , lorsqu'elle était à Versailles, en a possédé un individu vivant. La corne que le rhinocéros porte sur le nez est composée de poils agglutinés, et ne paraît être qu'un prolongement de l'épi- derme ; elle ne tient qu'à la peau et n'a aucune adhérence avec les os sur lesquels elle est placée. Les anciens lui attribuaient la propriété de détruire l'effet des poisons les plus dangereux, et les tyrans soupçonneux de l'Asie s'en faisaient faire des coupes qui avaient une valeur exorbitante. La corne du rhinocéros lui sert rarement d'arme défensive, car cet animal , paisible quoi(iue très-farouche, n'attaque jamais, et sa force redoutable fait (pic les animaux le craignent et ne lui l'ont pas la guerre. Il ne l'emploie donc le plus souvent que pour détourner les branches et se frayer un passage dans les épaisses forêts qu'il habite. Son caractère est triste, brusque, sauvage et indomptable; ses jambes courtes, son ventre pre.scpie traînant, ses formes grossières, la petitesse de ses yeux, dénonçant sa stupidité, en font un être assez malgra- cieux. 11 vit solitairement dans les bois, à proximité des rivières, où il aime à aller se vautrer dans la vase. Il se nourrit de feuilles et de racines, et l'on prétend (pie pour avoir celles-ci il ouvre la terre avec sa corne; mais ce fait me parait douteux, car elle est recourbée du côté des yeux et placée de manière (ju'il doit lui être extrêmement dillicile , si ce n'est impossible , d'en présenter la pointe au sol. Sa lèvre supérieure, la seule partie de son corps où il i)uisse avoir le sens parfait du tact, est allongée et mobile; il s'en sert avec assez d'adresse pour saisir et arracher les v('gé- taux dont il se nourrit. Lors(ju'il est paisible , sa voix est f.iible , sourde, et a (pichpie analogie avec le grognement d'un cochon; mais lorsqu'il est irrité, il jette des cris aigus qui retentissent au loin. La femelle ne fait (pi'un petit, qu'elle porte neuf mois, et pour lequel elle a beauc'ouj) de sollicitude; quaiiii elle en est suivie, sa renconlre peut devenir dangereuse, suriout si elle le croit menacé. Alois elle se prc'cipite avec fureur sur les animaux qu'elle rencontre, et le tigre lui-même est obligé de fuir à toutes jambes pour éviter sa terrible rencontre. Aussi capricieux (jue stupide, le rhinocéros passe subitement, sans cause et sans transitions , du pUis grand calme à la plus grande fureur. Alors cette pesanteur, cette sorte de lourde j)a- resse font place à une légèreté effrayante ; il bondit à di'oite et à gauche par des mouvements brus(iues et (Wsordonnés, puis il s'é- lance devant lui avec la rapidité du meilleur cheval, brise, ren- verse et foule aux pieds tout ce qui se trouve sur son passage, et pousse des cris à faire trembler le plus intrépide chasseur. .Vussi n'ose-t-on l'attaqiK'r ((ue monté .sur les chevaux les plus vifs et les plus Ic'gers. Les chasseurs, dès qu'ils l'ont aperçu, le suivent de loin et sans bruit, jusciu'à ce qu'il se soit couché pour dormir; alors ils s'approchent sous le vent , car si le rhinocéros a la vue mauvaise, il a l'odorat très-fin, et flaire de fort loin l'approche de son ennemi (piand le vent lui apporte ses émanations. Parvenus à la port('e du fusil, les chasseurs descendent de cheval , visent l'animal à la tête , font feu , et s'élancent sur leurs chevaux pour fuir avec vitesse s'il n'est que blessé, car alors il se jette avec rage sur ses agresseurs ; et malheur à eux s'il parvenait à les attein- dre I Mais comme sa course est toujours efi ligne droite, au moyen de quelques écarts prompts qu'ils font faire de c.ùlé à leurs che- vaux, ils parviennent à éviter sa rencontre, et d'autant plus aisé- ment que le rhinocéros, ainsi (jue le sanglier, ne se détourne ja- mais dans sa course et ne revient point sur ses pas. Les habitants du pays où l'on trouve ces énormes animaux les chassent pour avoir leur corne, à laquelle, ainsi que nous l'avons dit, ils accor- dent des propriétés merveilleuses, pour manger sa chair, (pi'ils trouvent fort bonne, et enfin pour avoir sa peau, dont on fait d'excellentes soupentes de voiture. Pris très-jeune, le rhinocéros de l'Inde se familiarise jus(pi'à un certain point et devient a.ssez doux; cependant il faut toujours se défier de ses caprices. Si on l'arrache à ses déserts lorsqu'il approche de l'âge adulte, il conserve pour toujours sa farouche brutalité. En esclavage, il se nourrit très-bien de riz, de pain et de sucre. Cet animal a deux fortes incisives à chaque mâchoire. Le Rhinocéros de Java {Rhinocéros javanicus, et Rhinocéros son- daicus, G. Cuv. Le Rhinocéros unicorne de Java, Camp.) n'a pas jilus de huit pieds (2,S99) de longueur , non compris la (pieue , qui a un pied (0,525); sa hauteur moyenne est d'un peu plus de (jualre pieds (1,299): les jeunes ont quatre incisives, mais il leur en tombe deux quand ils deviennent adultes ; la peau est couverte de tubercules pentagones , et forme de grands plis derrière les épaules et aux cuisses. 11 n'a (ju'une corne, placée juts des yeux; des poils courts, roides et bruns, sont épars sur son corps, lui bordent les oreilles, et garnissent l'extrémité de sa ((ueuc ; sa tête est courte, à chanfrein concave; ses yeux sont petits; enfin il lui manque ce pli dans le sens de l'épine du dos, comme on le voit sur r('i)aule du précédent. 11 habite ,Iava et a les mêmes mœurs que les autres espèces. Le Rhinocéros deSumatra {Rhinocéros sumalranas, Raifl. Rhi- nocéros sumatrensis, G. Cuv. Le Buddah de Marsd. Le Badak des habitants de Sumatra) a quatre incisives à chaque mâchoire, mais il lui en tombe deux à la mâchoire supérieure (juand il atteint un certain âge. 11 n'a guère que cinq à six i)ie(ls de longueur (1,624 à 1,94!)), sur trois ou quatre de bailleur (0,975 ou 1,299). Son nez porte deuxjcornes , dont celle placée près des yeux est plus courte que l'autre; sa peau est;rugueuse, couverte de poils assez rares , roides et bruns ; les plis de ses épaules et de sa croupe sont i)eu maniués; sa peau a peu d'épaisseur, jiresquc sans plis ; sa tête est un peu allongée ; ses yeux sont bruns et petits; sa lèvre supifrieure est petite, pointue, recourbée en des- sous; ses oreilles, bordées de poils noirs et courts, sont petites et pointues. H habite Sumatra. Le Rhinocéros d'Airkjue {Rhinocéros africanus, G. Cuv. Rhino- céros bicornis, Camper. Le Nabal des Hottentots. Le Rhinocéros d'Afrique , Buff. ) a de onze à douze pieds de longueur (3,.57.'5 à 3,898). Son nez porte deux cornes; il manque d'incisives et n'a point de plis à la peau , qui est presque entièrement nue : ses yeux sont ])etils, enfoncés; ses oreilles sont bordées de (piebiues poils noirs, et sa iiueue en porte un bouquet a l'exlrémilé. Cette espèce habite le pays des Hottentots, la Cafrerie, et probablement tout l'intérieur de l'Afrique méridionale. Elle fré(|ueiite le bord des grandes rivières, se retire dans les bois qui ombragent leurs bords, et parait encore plus farouche que le rhinocéros des Indes. Le Rhinocéros de Hiirciiii.l {Rhinocéros Rurchelii, Lkss. Rhino- cmos simus , Hcrchell) pourrait bien être une simple variété du précédent, quoique sa taille soit beaucoup jilus grande. Il en difïérerait par ses lèvres et son nez, qui seraient trèsélargis et PACHYDERMES. 271 comme tronqués. Bruce, Gordon et ilaulres voyageurs ont si- giialii (luelciues autres esi)èces ou varie'tés ilc rhinocéros irAlriqne, mais que je ne connais pas assez pour les mentionner ici. giiant au Hurchelii, ie ne Joute pas que ce ne suit une variété du pré- cédent. III' DIVISION. Dents comme dans la division précédente; quatre doigts aux pieds de devant, trois aux pieds de derrière. 4» Genre. Les DAMANS (//yrax, IIerm.) ont trente-quatre dents: deux incisives fortes , recourbées , sans racines , à la mâchoire supérieure, tiuatre à l'inférieure; point de canines ou deux très-petites, mais seulement dans la jeunesse; quatorze molaires en haut et autant en bas, conformées comme celles des rhinocé- ros; corps couvert de poils; (jueue ne consistant qu'en un tuber- cule; museau et oreilles courts; tous les doigts munis d'un petit sabol arrondi, excepté le doigt interne de derrière , qui est armé d'un ongle crochu et oblique. L'AsKHKOKO ou Daman du Cap [Hyrax oapensis , Desm. Caria ca- pensis, Pâli,. Le Daman et la Marmotte du Cap, I!i;i'i'. L'Askhkoko et le Gihe des Abyssins. \^' Agneau d'Israël et le Nabr des Arabes. Le Klip-dass des Hollandais. Le Daman des Syriens). Cet animal ne dépasse |)as la taille d'un lapin. Ses formes sont lourdes; son corps est allongé et bas sur jambes; sa tête est épaisse et son museau obtus; son pelage est doux, .soyeux, très-fourni, d'un gris brun en dessus et blanchâtre en dessous; il a une petite tache plus foncée sur l'œil, et quelquefois une ligne dorsale plus foncée que le fond du pelage. Il habite le cap de Bonne-Espé- rance, l'Abyssinie et le Liban, et ne se trouve que dans les montagnes hérissées de rochers. Cuvier dit {Ossem. fossil. ) : « Il n'est point de quadrupède qui prouve mievfx que le daman la nécessité de l'anatomie iiour dé- terminer les véritables rapports des animaux. » En effet, personne n'eût deviné, avant ce grand naturaliste, que le daman, grand comme un lapin, se creusant un terrier, ayant une jolie et douce fourrure, les formes d'un cochon d'Inde ou d'une rnarniolte, les mœurs douces, le caractère aimant, susceptible de s'attacher à son maître; que le daman placé par tous les naturalistes avec les rongeurs à cause de ses formes générales, de sa physionomie, de ses habitudes douces et intelligentes, de son goût recherché pour la propreté; on n'aurait jamais deviné, dis-je, ipie le daman était un rliinocéros , c'est-à-dire le portrait en miniature du plus fa- rouche, du plus stupide et du plus brutal des quadrupèdes, dont le plus grand plaisir est de se vautrer dans la fange. Grâce soit donc rendue à l'anatomie, car sans elle j'aurais certainement pris le daman, non pour un rhinocéros, mais[iourun rat! Cependant ne serait-il pas possible que ce que le grand naturaliste prend ici pour une preuve de l'utilité de l'anatomie pût être pris aussi pour une preuve de l'abus qu'on en peut faire quand on s'en sert avec des idées préconçues? Les véritables rapports naturels du daman sont-ils bien ceux qui, brisant tous les liens de foraics, d'aspect, de grandeur, de mœurs , d habitudes et d'intelligence, le retirent d'auprès de la marmotte, auprès de bupiclle un grand homme aussi, Bufl'on, l'avait placé, pour en faire un rhinocéros? Je ne sais. Quoi qu'il en soit, ce petit animal habite de préh'rence les montagnes boisées, au milieu des roches les plus escarpées et les plus roides. Quehpu^fois il se creuse un terrier analogue à celui d'un lapin, mais très-souvent il se contente d'im trou d'arbrlissée; les défenses, très-longues et très-grêles dans le mâle, niampient dans la femelle. Cet aniuial , dont la mé- nagerie a poss('dédeiix individus, habite les forêts marécageuses dins l'intérieur de l'ile lîourou , l'une des MoliKpies, et, dit-on, lis iles riiilippines, lesCélèbes, lîoruéo et l'arcliipi'l des l'apous Il aime ICau, nage et plonge fort bien, et se jette daus les ondes aussitôt ([u'il est poursuivi. Il se nourrit de racines, d herbes et de fruits, et il aime particulièrement le maïs; si l'on s'en rap- liorlait à lîuffon, qui du reste parait avoir fort peu connu cet .luijiial, il vivrait en troupe , mais les h;diiludes (pi'il avait à la iiK'iiagerle me foui croire ce fait Irès-douteux. Il se relire jiar couple il.ui'^ des troues d'arbres creux ou daus d'atitr('s trous, où il te couvre eniièreuieut , avec sa femelle, de feuilles sèches ou 68. l'dri». Typn^rapliio l'Iiiii 1 corps est couvert de poils roides , de la nature du crin; les deux doigts du milieu sont grands, ayant de forts saliots : les deux doigis extérieurs sont courts et ne touchent [las la terre. IPH, riio (If l'.-mjjii.ird , 30. IS 274 LES PACHYDERMES. Le Sangi.iei! cojimdn (Sus scrvfa, Lin.) atteint la taille de nos plus grands cochons domestiijues, dont il est la souche; ses ca- nines ou défenses sont recourbées en dehors et un peu vers le haut; son corps est trapu, couvert de poils hérissés, d'un brun noir; ses oreilles sont droites. La femelle ou laie est un peu plus petite (pie le mAle. Les jeunes, nommés marcassins, sont rayés de blanc et de brun pendant leur première jeunesse, et sont alors recherchés pour la table. Le sanglier habite les forêts les plus grandes et les plus soli- taires de toutes les contrées temiiérées de l'Europe et de l'Asie. Il ne se trouve pas en Angleterre, probablement i)arce qu'il y a été détruit dans des temps reculés. Malgré ce que l'on en a dit , ce n'est pas un animal stupide, mais grossier, brutal et d'un cou- rage intrépide. Lors(iu'll fuit devant les chiens de chasse, il est rare que la rencontre d'un homme le détourne de son droit che- min ; il le renverse et le blesse cruellement d'un coup de boutoir, lui passe sur le corps et continue sa route; mais il ne se détourne pas non ])lus pour courir sur le chasseur, si celui-ci a la précau- tion d'éviter sa rencontre. Quand il reçoit un coup de (eu qui le blesse, il n'en est plus de même; quelque éloigné que soit son ennemi , il perce droit à lui au travers de la meute qui le harcèle, et fond sur lui pour se venger. Si l'on évite son premier choc, il est rare qu'il revienne sur ses pas. Du reste , il n'y a guère que les vieux mâles ipii agissent ainsi ; les femelles et les jeunes se bornent à fuir ou à faire fort contre les chiens, qu'ils estropient fort souvent. Le sanglier croit j)cndant cinq ou sis ans, mais dès sa seconde année il est cajjablc de reproduire son espèce. La fe- melle entre en rut en janvier et février, elle porte quatre mois, et elle met bas de quatre à dix marcassins. Elle les cache dans les fourrés les plus épais pour les soustraire à la voracité des mâles, qui ne manqueraient guère de les manger â'ils les rencontraient pendant les premiers jours après leur naissance. Elle les allaite pen- dant trois ou quatre mois, mais elle ne les quitte cpie longteiniis après, et elle ne cesse pas de les instruire, de les protéger cl de les défendre. l>ans les pays peu peuplés, il arrive parfois que plusieui's famille!-: se réunissent, et forment ainsi des troupes plus ou moins coÈisid(:rables, toutes composés de femelles et de leurs enfants âgés quel([uefois de deux ou trois ans. Ils vivent entre eux on fort bonne intelligence, et se défendent mutuellement. Lor-squiin (langer les menace, ils se rangent en cercle, placent au milieu d'eux les marcassins portant encore la livrée, et pré- sentent à l'ennemi leurs boutoirs menaçants. Quant aux vieux mâles, ils vivent solitairement. Ces animaux aiment à se vautrer dans la vase des marais; ils nagent très-bien, et traversent aisé- ment les rivières les plus larges. Pour peu qu'ils soient tro). in- •piiéfi^s dans une contrée, ils la quittent et vont s'établir quel- quefois â plus de vingt ou trente lieues de là. Leur nouri'itiire ordinaire consiste en racines, en grains et en fruits, mais ils dé- vorent aussi les reptiles, les œufs d'oiseau et tous les jeunes ani- maux (pi'ils peuvent .surprendre. Malgré leur air lourd, ils courent avec une gi'aiide iai)idil<'. Ils ne sort('nt guère de leur bauge (pie la mut, et ils d(Hastent l(!s champs de maïs et de pommes de terre où ils peuvent p(:nétrer. Le sanglier s'apprivoise très-bien et devient très familier; il est tout à fait inodeusif tant qu'il est jeune; il s'attache même à la personne (pii en prend soin, et FnMério Cuvier en a vu aux(piels on avait aiqiris à faire des gesti- culations grol(S(pies pour obtenir quebiue friandise; mais il .se- rait imprudent de s'y trop lier ((uand il devient vieux. Le Cochon DOMEsri«iui; n'est rien autre que le .sanglier dont une anli(|ue servitude a modifié le physique et le moral. On en pos- sède jdusieurs races très-distinctes, dont les principales .sont : Le C'oc/ioîi de Chine. H a le corps épais , le museau court et con- cave supérieurement, le front bombé, les poils Irè.sfrisés sur les joues et à la mâchoire inférieure; Le Cochon du cap de JionneJispérance , de la grandeur d un ro chon commun d'un an. Il a le poil rare, dur, noir ou brun foncé; J les oreilles droites; la queue pendante terminée par un flocon de soie ; Le Cochon de Siam; le Bouré des naturels de l'ile Praslin ; le Bouaa des naturels des îles de la Société, de la grandeur du précédent et lui ressemblant ; Le Cochon commun ou à grandes oreilles; Le Cochon turc ou Monyolitz , Les Porcs de Pologne, de Russie, de Guinée, etc. Toutes ces races ont elles-mêmes un assez grand nombre de variétés. Le Bène ou Sanglier des Papous (Sus papuensis, Less. etCARN.) est petit, long de trois pieds (0,975); canines supérieures très- petites, de même forme (pie les incisives; poils courts, épais, d'ini fauve brunâtre en dessous, blancs et annelés de noir en dessus; queue très-courte. 11 est commun dans les forêts de la Nouvelle-Guinée. Le Sanglier a masque (Sus larvatus, Fh. Cuv.) est de la gran- deur de notre sanglier, et n'en diffère que par une protubérance fort grosse, placée de chaque côté de son museau. Il habite Ma- dagascar et l'Afrique orientale. S' Genre. Les PHACOCHOERES (Phacochcerus, Fr. Cuv.) ont seize ou vingt-quatre dents, savoir : deux incisives ou point à la mâ- choire supérieure, et six ou point à la mâchoire inférieure; deux canines en haut et deux en bas ; six molaires à chaque mâchoire, composées de cylindres émailleux ; leurs défenses sont très-fortes, latérales, dirigées en haut ; leurs pieds sont comme ceux des co- chons; leur queue est courte; ils ont sur les joues de très-grosses loupes charnues. L'Engalo (P/tacocAa;r«s edentatus, Is. GEOrr. Sus éthiopiens, Lm, — pALL. Le Phacochère du Cap; le Pure à large groin des voya- geurs; VEmgatla de la Guinée et du Congo) a plus de quatre pieds de longueur (1,299), non compris la queue; il maïKpie de dents incisives ; son pelage est d'un gris roux, et sa tête noirâtre; son cou porte une longue crinière; sous les yeux s'élèvent, de deux pouces trois lignes (0,0(11), deux protubérances rondes, plates et assez épaisses, simulant à peu jirès deux oreilles, d'où les chasseurs ont qiiel(|uefois donné à cet animal le nom de Porc • à quatre oreilles. Au-dessous de ces protubérances et sur la ligne ' du museau en existent deux autres qui sont dures, rondes et pointues, saillantes en dehors. Du reste, l'engalo ressemble au sanglier. U habite le cap de lionne-Espérance, et se nourrit de fruits et de racines qu'il arrache de la terre en fouillant avec ses pattes et son large groin. Il a les yeux très-petits, rajiprocliés et placés haut, ce qui lui donne une mauvaise vue, mais son ouïe ' et son odorat sont d'une extrême finesse. Son caractère est ca- pncieux et féroce; cependant, étant pris jeune, il s'apprivoise bien , et reste assez doux pendant ses i>remières ann('es. Sa force , est redoutable, et son eoiirage le rend dangereux pour les chas- ' seurs. Le PiiACOciioi.iiE A INCISIVES (Phucochccrus i7icisivus, Is. Geoi'e. l'hacochd'Tus africanus, Fk. Cuv. Sus africanus , Gml. Le Sanglier du cap Vert, ISuef.) dilTère du pr('cédeiit en ce (pi'il a des dents incisives; son pelage est noirâtre; sa (pieue, lermiiK'e par un (locon de ])oils, lui descend juxpiaux jarrets; il lui man(pie ces sortes de fausses oreilles (pi'a le précédent; enfin sa tête est plus longue et plus étroite. Il habite le cap Vert. 9'- Genre. Les HIPPOPOTAMES (Hippopotamus, Lin.) ont trente- huit dents, savoir : quatre incisives en haut et en bas; deux ca- nines supérieures et deux inférieures, ces dernières courbes, et toutes (pi.itre fort grosses; (piatorze molaires en haut et douze en bas, dont l'émail ligure des trèllcs opposés base à base quand elles sont usées; le corps est très-gros, les jambes sont courtes, la peau est presipie entièrement dépourvue de poils; la(pieue est courte, le museau renflé; les pieds sont terminés par des petits sabots. PACHYDERMES. 275 L'Hippopotame amphidie {Hippopotamus amphibius , Lm. Hippo- potamus capensis, Desmoul.) est d'une grosseur énorme, et atteint quelquefois jusqu'à onze pieds 15,573) de longueur sur dix (3,248) de circonférence ; ses formes sont massives , ses jambes courtes , et son ventre traîne presque à terre. Sa télé est e'norme, terminée par un large mufle renlle; sa bouche est démesure'ment grande, armée de canines énormes , longues quelquefois de plus d'un pied, fournissant de l'ivoire plus estimé que celui de l'éléphant. Ses yeux sont petits, ainsi que ses oreilles; sa peau est nue et d'une grande épaisseur, d'un noir d'ardoise ou d'un roux tanné. Il habite toutes les grandes rivières du midi de l'Afrique , et il pa- rait qu'autrefois il était assez commun dans le Nil, mais aujour- d'hui il nexisle plus en Egypte. Après l'éléphant et le rhinocéros, l'hippopotame est le plus grand des mammifères quadrupèdes; comme tous les animaux aquatiques de celte classe, il a beaucoup de graisse sous la peau, et il parait que sa chair est fort bonne à manger. Cet animal est très-lourd , il marche fort mal sur la terre , mais il nage et plonge avec une extrême facilité, et a, dit-on, la singulière faculté de marcher sous l'eau, sur le fond des rivières, avec plus d'agilité que lorsqu'il est sur la terre. Il peut rester assez longtemps sous l'eau sans venir respirer à la surface, mais non pas une demi- heure, comme on l'a dit. Il résulte de tout cela que lorsqu'il est poursuivi il gagne aussitôt la rive d'un lac ou d'un fleuve, se jette dans les ondes , plonge, et ne reparait à la surface pour respirer qu'à une très-grande dislance. Son cri est une sorte de hennisse- ment ayant beaucoup d'analogie avec celui d'un cheval , ce qui lui a valu son nom d'hippopotame (en grec, cheval de rivière). Son caractère est faiouchc, et ([uoiqu'il n'atta(iue jamais l'homme, si on le poursuit trop vivement, il se retourne pour se défendre; .mais sa stupidité ne lui [terraet pas de distinguer son agresseur du canot ou de la (;haloupe qui le porte, et lorsqu'il a renversé ceux-ci ou brisé leur bordage, il ne pousse pas plus loin sa ven- geance. « Une fois que notre chaloupe était près du rivage, dit le capitaine Covent, je vis un hippopotame se mettre dessous, la lever avec son dos au-dessus de l'eau , et la renverser avec six hommes qui étaient dedans; mais par bonheur il ne leur fit aucun mal. » Buffon dit que si on le blesse il s'irrite, se retourne avec fureur, s'élance contre les barques, les saisit avec les dents, en enlève quehpiefois des pièces ou les submerge. L'hipiiopotame passe tous les join-s dans l'eau, et n'en sort que la nuit pour aller paître sur le rivage, dont il ne s'éloign(^ jamais beaucoup , car il ne compte guère sur la rapidité de sa course pour regagner, eu cas de danger, son clément favori. 11 .se nourrit de joncs, île roseaux, et lors(|u'il trouve à sa iiorti'c des planta- tions de cannes à sucre, de riz et de millet, il fait alors de grands dégâts, car sa consommation est énorme. On a prétendu (ju'il mangeait aussi du poisson, mais jce fait est entièrement con- trouvé. Sans quitter les lieux marécageux et les bords des lacs et des rivières, il n'est cependant pas sédentaire, car souvent on le voit apj)araître dans des pays où il ne s'était pas montré depuis longtemps. Sa manière de voyager est très-commode et peu fatigante : le corps entre deux eaux, ne montrant à la sur- face que les oreilles, les yeux et les narines, il se laisse tranquil- lement emporter parle courant , en veillant iK'anmoins aux dan- gers qui pourraient le menacer. Il dort aussi dans celte attitude, mollement bercé par les ondes, l'i'esipie toujours ces animaux vivent par couple, et le m.Mc et la femelle soignent l'éducation de leur petit, ((u'ils aiment avec tendresse et protègent avec cou- rage. On chasse rhi|)popotame de différentes manières : quel- quefois on se cache, le soir, dans un éi>ais buisson , sur le bord d'une rivière, fort près de l'endroit où il a l'habilude de sortir de l'eau, ce qui se reconnaît à la trace de ses pas. On a le soin de se placer sous le vent et de ne pas faire le moindre bruit, et il arrive parfois qu'il passe sans défiance auprès du chasseur, qui d'un coup de fusil lui envoie une balle dans la tête et le lue roide. Si l'on manijue la tel»; il se sauve , car sa peau est telle- ment dure et épaisse, qu'elle ne peut être percée à nulle autre partie de son corps. S'il n'est que blessé, il est également perdu pour le chasseur, parce qu'il se jette dans l'eau et ne reparaît plus. Les Nègres, et particulièrement les lloltentols, quand ils ont reconnu le sentier où il passe habituellement en sortant de l'eau et en y entrant, creusent une fosse large et profonde sur son cliennn, et ils la recouvrent avec des baguettes légères, sur lesipielles ils étendent des feuilles sèches et du gazon; l'animal manque rarement d'y tomber, et on le tue sans danger à coups de fusil ou de lance. L'hippopotame, quoi ipi'en aient dit beaucoup de voyageurs, fuit I eau salée et ne se trouve jamais dans la mer. Mais comme il se laisse souvent entraîner par le courant jus(iu'à l'endKiuchuie des neuves, et aussi loin ipie l'eau reste douce, on a pu ly ren- contrer, et faire confusion en prenant son séjour accidentel el momenlané pom- sa demeure ordinaire. L'IIii'riii'OTAJiE i>ii SKNÉr.Ai. (Ilippopdlamussenegalensts, Desmoul.) est ordinairement plus petit ([ue le précédent, dont il ne diirère guère que par des caractères anatomiques. Ses canines sont con- stamment plus grosses, et le plan sur lequel elles s'usent est beaucoup plus incliné; l'échancrure de l'angle costal de l'omo- plate est à jieine sensible, etc., etc. Il habite principalement la Guinée, et fournit le meilleur ivoire. V" Division. Un seul doigt apparent, renfermé dans un unique sabot. 10= Ge.nre. Les CHEVAUX [Equus, Lin.) ont quarante-deux dents, savoir : six incisives en haut et six en bas; deux canines à chaque mâchoire, séparées des molaires par une barre ou espace intermédiaire; quatorze molaires en haut et douze en bas, à ('ou- ronne carrée , marquées de nombreux replis d'émail. Ils ont deux mamelles inguinales. Le CHEVAL ordinaire {Equus caballus, Lin.) varie considc'rable- ment pour la taille et la couleur; on en trouve de noirs, de bruns, de bais, de marron, d'isabelle, de blancs, de pie, etc. Il en est qui ont les poils très-longs et un peu frisés sur tout le corps, mais le plus ordinairement leurs poils sont ras et lisses; on en voit qui ont la peau entièrement nue , comme les chiens turcs. Leurs oreilles sont moyennes; ils n'ont point de croix ou bande noire sur le dos et les épaules; leur queue est garnie de crins depus son origine. Tels sont les caractères spécifi(iues les moins variables du cheval. « La plus noble conquête (pie l'homme ait jamais faite, dit liulfon, est celle de ce lier et fougueux animal tpii partage avec lui les l'alignes de la guerre et la gloire des Cdinbals, Aussi intré- pide que son maître, le cheval voit le péril et l'airronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s'anime de la même ardeur; il partage aussi .ses plaisirs à la cha.s.se, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle; mais docile autant ipie coura- geux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait rc'primer ses niouvenienls : non-seulement il lléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et, obéissant toujours aux impressions ipi'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit (jue jjour y satisfaire. C'est une créature (pii renonce à son être pour n'exister que par la volDiité d'un autre, qui sait même la prévenir; <(ui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime el l'exécute; qui sent autant (pi'on le désire , et ne rend iprautant (|u'on veut ; qui , .se livrant sans réserve , ne se refuse à rien , .sert de toutes ses forces, s'excède et meurt pour mieux obéir. » Dans ce peu de ligues et dans son histoire du chien, liuH'on a conquis la n'piitation d'un grand écrivain, el, i)ar contrecoup, celle d'un excellent natu- raliste ; ce tpii est hors de doute, c'est qu il mérite la première de ces réputations. Quehpies naluralislcs nous ont présenté le cheval comme l'ani- 18. 270 LES PACHYDERMES. mal le plus intelligent et le plus afl'eetueux piiur l'homme, après le chien et l'e'le'phant , et ceci est une grande exagération. L'in- telligence de cet animal consiste presque toute dans son obéis- sance passive , automatique, si je puis rae servir de cette expres- sion , et cette docilité, qui le ferait s'élancer sans hésitation du bord d'un précipice si son maître l'y poussait, me parait prouver chez lui plus de machine que d'intelligence. 11 est vrai qu'il re- connaît son maître, qu'il hennit de plaisir à son approche; mais l'inditrérence avec laquelle il en change prouve au moins que, s'il y a afFection, il n'y a pas d'attachement. Le chien fait cent lieues d'une traite pour retrouver son ami; il languit, hurle, se désespère s'il en est séparé, et souvent il vient mourir de chagrin sur sa tombe; le cheval a un maître et non un ami, il l'oublie quand il ne le voit plus. Redevenu sauvage, dans les immenses savanes de r.Vméri(|ue, il a plus d'intelligence et de fierté ipie le qu'elles le peuvent. Descendus de la race andalouse, ils lui sont inférieurs jiour la taille, l'élégance, la force et la vitesse. » Pris au lasso et domptés, ces chevaux deviennent dociles , mais ils ne manquent jamais l'occasion de retourner à la liberté. La patrie (lu cheval sauvage jiaraît être le désert des environs des mers Caspienne et Aral, jusqu'au ciniiuante-sixième degré boréal, et dans ces immenses plaines, il porte le nom de Tarpan. Quelques naturalistes, sans doute pour se conformer à une opinion reçue, ont dit que ces tarpans sont des chevaux autrefois domestiques et redevenus sauvages, et je ne sais trop sur quels faits ils pour- raient établir la preuve d'une telle supposition. A travers plu- sieurs observations, qui me semblent appuyer une opinion tout à fait contraire , j'en choisirai une. Il est reconnu que tous les chevaux devenus sauvages se domptent avec la plus grande faci- lité, et en jieu de jours prennent toutes les habitudes de docilité L'Hippopotame. cheval domes(i(pie , parce qu'il a reconquis son indépendance. Au rai)port d'Azzara , ces animaux se réunissent en troupes nom- breuses, composées ipiehpiefois de plus de dix mille individus, et non-seulement ils vivent tous en bonne intelligence, mais en- core ils savent se proféger muliiellement. Précédés par les vieux mâles, qui font l'ollice d'éclaireurs , ils marchent en colonne serrée que rien ne peut rompre. Si queliiue caravane de voya- geurs est signalée, «les chefs, dit Desmoulins, vont en recon- naissance, et, selon l'ordre de ces chefs, la colonne, au galop, passe à travers ou à côté de la caravane, invitant, par des hen- nissements graves et prolongés, les chevaux doinestiiiues à la désertion. Ils y réussissent souvent. Les chevaux transfuges sin- cori)orent à la troupe et ne la quiltent plus (Pallas dit ipie les troupes de dziggelais end)auclient ilc la même manière les che- vaux domesliques). Si les chevaux sauvages ne chargent pas, ils tournent h)ngteuq)s autour de la caravane avant de faire retraile. D'autres fois ils ne font qu'un seul tour et ne reparaissent plus. Clia(pie troupe est conqiosée d'un grand nombre de pelotons for- més d'.iulant de juments qu'un seul (^laion peut en réunir. Il .se bat pour leur possession coulre les premiers qui la lui disputent. Les juments reconnaissantes suivent néanmoins le vaincu autant | qui caractérisaient leurs ancêtres; il n'en est nullement de même des tarpans; pris à tout Age, soumis à tous les modes de traite- ment, ils ne s'a|q)rivoisent jamais ])arfaitemcnt et restent tou- jours farouches et indouqitables , comme le zèbre et l'hémione; cette sauvage inflexibilité prouverait en outre, si cela était né- cessaire , qu'il n'a rien moins fallu (pi'un laps de temps très-con- sidérable, des siècles i)eut-êlre, jiour les amener à changer de caractère au point d'être les plus olx'issants de tous les animaux. .\ussi la conquête de Ihouime sur le cheval daict elle de la plus haute antiquité. Nous n'entrerons pas dans de ])lns grands détails sur l'histoire du cheval, parce qu'elle est connue de tout le monde, et nous nous bornerons ici à énoncer sommairement les ])rincipales races qu'on en a ohtenues. Les Arahef passent pour les plus beaux et les meilleurs de tous. Les liarbes sont moins grands et moins éto(T('s que les préc(f- dents, et presque aussi estimés. Parmi ceux-ci les Marocains pas- sent i)our les meilleurs, et ceux de Monlaiinef. viennent après. Les ï'urcsne sont pas aussi bien proporlionui's, et Icuis jambes sont trop menues, ainsi (pie leur encolure. Les i'ersans ont le poil i)lus ras (juc les autres. PACHYDERMES. 277 Les Arméniens sont un peu mieux laits. Ces trois dernières races sont très-vigoureuses. Les Espagnols tiennent le second rang après les barbes ; ils ne sont pas couiinune'ment de grande [aille. Les Andalous passent pour les meilleurs de la race prece'dente. Les Anglais sont fort beaux , légers à la couise. Ils sont croisés de barbe ou d'arabe et de normand. Les Italiens sont moins beaux qu'autrefois. Les Xapolilains font encore de bons chevaux d'attelage, mal- gré la grosseur de leur tète et l'épaisseur de leur encolure. Les Corses sont remarijualdes par leur pelile taille. Ceux de la Cainaryw fournissent de bonnes remontes à la ca- valerie. Beaucoup sont blancs. Il i nous Unirons une nomenclature qu'il serait inutile de pous- ser plus loin, en menlionnant pourtant la singulière race Cal- mouque, h poils longs et laineux, et dont le muséum possède un bel individu. Le Dzicr.KTAi [Equus hemionus, P.u.i.. Le Dshikketey de Pf.nn. Le Dzingtai, le Czigilhai de quelipies naturalistes. Le Mulet sau- viii/e des voyageurs) tient le milieu entre l'àne et le cheval pour I,c Z'bre. Les Danois , à cause de leur belle taille , sont très-estimes pour les attelages. Le Allemands sont beaux, mais, en général, pcsanis et man- quant d'haleine. Les Hongrois et les Transylvains sont bons coureurs, et foi I propres à la remonte delà cavalerie. Les Crodies et les Polonais sont suiels à être bégus. 0'\ Les Ilullandais , et surtout les Fnsuns, sont de beaux i|icv;uix de carrosse. Les NoriiianJs sont les jilus beaux chevaux de la Kranee, pour le carrosse et le cabri(det. Les Limosins sont les meilleurs chevaux de selle. Les chevaux du Cotenlin sonl très-beaux au carrosse. Les Erancs-Comtois et les Boulonnais sont excellents pour le trait. Les lliiurijuignons , Auverynals , Poilcrins et Morrandiau.v sont assez laids, mais trè.s-robustes et fournissent de bons bidets. les pro|ioilions, et pour les formes il ressemble au mulet , quoi- qu'il ail les jambes [ilus minces et latlilude plus h'gèie. Sou pelage est Isabelle, avec la crinière et une ligne dorsale noires; sa queue est terminée par une houppe noire. 11 vit en troupes souvent composées de plus de cent individus, dans les déserts sablonneux de l'Asie, particulièrement dans la Mongolie, l'In- dostan et lliimalaya. 11 est très-vigoureux, et peut soutenir. dit-on, une marclie de soixante lieues sans se reposer; habitant des plaines, jajuais il ne pénètre dans les montagnes élevées, ni ne pénètre dans les forêts; son ouïe et son odorat sont d'un<; (i- nesse extrême; sa course est ilune telle rapiditc', (pi'elle surpa.sse de beaucoiqi celle d'un cheval, ddi'i il rc'swile ipie, lorscpic les Mongols et surtout les Tangiils veulent s'en emparer ])our son cuir et sa chair, qu'ils trouvent excellente, ils sont obligés de lui tendre des jnéges ou de lattendre à l'alTitt, et de le tuer à coups de fusil. I.e earaetère de cet animal est imloniptable, et jamais i>n n'a pu le soumetlre à la domeslieilé. Le .lardin des 278 LES PACHYDERMES. Plantes en possède plusieurs individus assez doux, mais très- capririeux. Le Zècre {Equus zébra. Lin. Equus montanus, Burch. L'Hippo- tigre ou Cheval-Tigre des anciens. L'Ane rayé du Cap de quelques voyageurs. Le Burro di Matta des Portugais) est plus grand que le dziggetai et approche de la taille du cheval ; il est extrême- ment remarquable par la beauté de son pelage blanc ou jatmâ- fre, raye' sur la tête, sur le cou, le corps et les fesses, de bandes noires ou brunes, très-régulières; il n'a pas de raie noire longi- tudinale sur le dos; son ventre est blanc, marqué d'une ligne noire au milieu. Sa queue, comme celle de l'Ane, est garnie, au bout, de longs poils. Cet (=legant animal habite le cap de Bonne-Espérance, et pro- bablement toute l'Afrique me'ridionale. On dit l'avoir rencontre' au Congo, en Guine'e, et en Abyssinie. Si on veut interpréter d'une certaine manière assez vraisemblable plusieurs passages obscurs de Dion Cassius ( Abrégé de .Yiphillin ) il paraît que les Romains, sous le règne des Cé.sars, connaissaient déjà le zèbre, et Diodore de Sicile semble le désigner, quoique confusément, dans sa des- cription du pays des Troglodytes. On peut en tirer cette consé- quence, que, dans des temps antérieurs, cette espèce occupait une zone beaucoup \i\iis étendue qu'aujourd'hui. Quoi qu'il en .';oit, le zèbre se rencontre rarement dans les plaines, et semble ne se plaire ([ue dans les pays montagneux. Quoicpie moins agile que le dziggetai, sa course est très-légère, et les meilleurs che- vaux ne peuvent l'atteindre. Il vit en troupes qui aiment à paître l'herbe sèche des lieux les plus escarpés : son caractère est fa- rouche, cl comme il a l'organe des sens excellent, il reconnaît de très-loin ra|)proche des chasseurs, et fuit même avant qu'on ait ])u l'apercevoir. Aussi n'est-ce guère que jiar surprise (|u'on ])eut l'avoir à la portée du fusil , et il est presque impossible de s'en emparer vivant , si ce n'est lorsqu'il est fort jeune et qu'on a tué sa mère. Vainement les Hollandais du Caj) ont-ils fait tout ce cpiils ont pu jiuur l'apprivoiser et le soumettre à la domesticité. Quel que soit l'flge au(piel il a été pris, il reste toujours indomptable, ca- pricieux, rétif, et plus têtu qu'un mulet. Il y a quelques années que la ménagerie en possédait une femelle qui paraissait assez douce. Plusieurs fois elle se laissa atteler à une voiture de travail sans (le trop grandes ilillicullés, mais tout à coup elle se niellait à ruer, entrait en fureur, et brisait harnais et voiture. Deux fois on la fit couvrir, une fois par un cheval, et l'autre fois par un une d'Esi)agne, et j'ai vu le i)roduit de ce dernier. Il ressemblait beaucoup à sa mère; il leta pendant un an et jusipie-là fut très- doux; mais à cet âge il changea de ressemblance et de caractère: il devint d un gris foncé, et il ne lui resta de sa belle livrée (iu(' des bandes transversales sur le garrot, les jambes et la (pieuc. Son caractère devint encore plus unichant (juc celui de sa mère, et il lui est arrive plus d'une fois d'altncpierses gardiens à coups de pieds et de dents. Il ne hennissait jias, vl paraissait épi'oiiver un grand plaisir à se rouler dans la blus légères et i>lus gracieuses; ses oreilles sont plus courtes; le fond de son l)elage est coideur Isabelle, blanchissant sous le ventre; ses jam- bes et sa qiuMie sont blanches; le dessus est rayé de bandes noi- res, transversales, alternativement plus larges et plus étroites sur la tête, le cou et le corps : celles des fesses et des cuisses se por- tent obliipiemcnt en avant. Otte charmante esjièce habite l'Afri- que. Elle vit en troupes et peuple les karoos les plus secs et les plus solitaires, où elle se nourrit d'herbes sèches, de jdanles grasses, et du feuillage de quel<[ues mimosas. Le dauw est peut- être le plus farouche de tous les chevaux, et il est absolument impossible de le soumettre à la domesticité. Rétif, têtu, capricieux et colère, il se défend avec fureur non-seulement contre les mau- vais traitements, mais quelquefois encore contre les caresses. On en a fait la triste expérience à la ménagerie, qui en possède plu- sieurs depuis 1824. L'un d'eux, sans aucun motif apparent, se jeta sur un de ses gardiens, le renversa, lui fit avec les dents plusieurs épouvantables blessures, et s'acharna tellement sur lui, qu'il lui broya une cuisse. On parvint à arracher le malheureux gardien de dessous ses pieds, mais il était tellement maltraité, qu'on fut obligé de lui faire l'amputation. Les dauws produisent à la ménagerie, et plusieurs y sont nés; dans l'instant où j'écris ceci, une femelle y allaite encore son poulain. Le CouACGA {Equus quaccha, Gml. Le Couagga,]iUFf. Le Quacha de Penn. Le Cheval du Cap des voyageurs) est un peu moins grand que le zèbre et se rapproche plus du cheval par ses formes générales. Sa tête, son cou et ses épaules sont d'un brun foncé tirant sur le noirâtre; le dos et les flancs sont d'un brun clair, et cette couleur passe au gris roussfttre sur la croupe; le dessus est rayé en travers de blanchâtre; le dessous, les jambes et la queue sont blancs : celle-ci se termine par un bouquet de poils allongés. 11 habite les karoos ou plateaux de l'Afrique méridio- nale, et vit eu troupes, pêle-mêle avec les zèbres. Moins farouche (jne les autres chevaux, il s'apprivoise vite et assez bien, se mêle avec le bétail ordinaire, et le protège contre les hyènes. S'il en aperçoit une , il s'élance sur elle , la frappe des pieds de devant, la renverse, lui brise les reins avec ses dents, la foule aux pieds et ne l'abandonne qu'après l'avoir tuée. Comme il a l'odorat ex- cellent, il la flaire de Irès-loin, et ne la laisse jamais approcher du troupeau. Les colons du Cap en élèvent souvent pour s'en servir de gardien. Dans les circonstances ordinairis, il a une sorte de hennissement ayant de l'analogie avec celui du cheval, mais d'autres fois il pousse un cri aigu que l'on peut rendre assez exactement ainsi, coua-ag. La ménagerie en a possédé un qui a vécu jus(ju'à l'âge de dix-huit ou vingt ans, et on lui fit couvrir une ânesse en chaleur sans obtenir de résultat. Malgré sa facilité à s'apprivoiser, je ne crois pas qu'on soit encore parvenu à le dompter, et ceiiendant Pennant dit qu'au Cap on en a vu un qui tirait une charrette. L'Ane [Equus asinus. Lin. h'Anetl le Mulet, Buff. L'Onagre des anciens. Le h'uulan des Tatares. Le Chutan des Kalmoiiks) varie beaucoup moins que le cheval dans sa couleur, mais beaucoup dans ses formes et dans sa taille. L'âne domestique est ordinaire- ment gris de souris ou gris argenté, luisant ou mêlé de taches obscures; il a le plus ordinairement sur le dos une bande noire longiludinale, croisée sur les épaules par une bande transversale; ses oreilles sont très-longues, et sa ([iieue est floconneuse à l'ex- trémilé. L'Aiie sauvage ou Onagre a la taille plus grande, le poi- trail étroit, le corps comprimé : les oreilles beaucou]) ])lus cour- tes; il a les jambes très-longues, et il se gratte aisémenl l'oreille avec un pied de derrière ; son chanfrein est aripié, sa têlc li'gère et il la jiorte relevée comme le cheval en inarchanl. 11 a le dessus de la tête, les côtés du cou, les flancs et la croupe de couleur Isabelle , avec des bandes de blanc sale; sa crinière est noire; il porte le long du dos une bande couleur de café, (pii s'i'largit sur la croii|ie, mais cpii n'est traversée i)ar une autre bande sur les épaules (pie chez les mâles. L'onagre est connu de])uis la plus haute anli(juil(', et .Moïse défendit de l'accoupler avec l'âne parce qu'il le croyait d'une espèce (liir('ren1e; les empereurs romains en nourris.saient dans leurs écuries comme objet de curiosit('. Aujourd'liin on ne le trouve ]ilus vivant en liberté (pie dans la Tatarie, et parliciilière- iiieiit dans le pays des Kalmoiiks , (pii le regardent coinnie un excellent gibier, et le chassent pour le manger et vendre son cuir dont on prépare le chagrin. Aucun animal di; son genre n'a le pied aussi sûr que lui pour marcher sur le bord des précipices , PACHYDERMES. 279 au milieu des rochers ; aussi aime-t-il de pre'ference les sentiers escarpe's et étroits, et cet instinct primitif s'est transmis de ge'- ne'ration en gp'nt'ration jusqu'à notre ^ne domestique. Il court avec une vitesse extrême, et soutient cette allure plus longtemps que les meilleurs chevaux arabes et persans; enfin sa solirie'te' en ferait un animal parfait, si l'on }inuvait le dompter assez bien pour le monter sans danger; malheureusement il n'en est pas ainsi. Les Persans, qui tiennent à honneur d'avoir de beaux ânes pour monture, élèvent de jeunes onagres c|u'ils ajiprivoisent et croi.sent avec des ânesses. Les individus (pii en résultent sont Irès-estimés pour leur force, leur légèreté, et ont une graiide valeur, mais ils sont un peu plus vicieux que les autres, et comme on a encore l'antique habitude de leur peindre la tête et le corps en rouge pour les distinguer des ânes ordinaires, ils ont donné naissance à ce proverbe vulgaire qui a passé jusqu'à nous, «mé- chant comme un âne rouge. » Cette habitude de les jieindre a aussi fait croire à quelques voyageurs peu observateurs, (ju'en Perse il existait des ânes rouges. Du veM, leS Ohagres Tivent en troupes innombrables, et se défendent aVee Côlirage conit-e les bétes féroces, lis em|iloient pour cela, couune pour leurs mar- rhes dans le désert, la même tailique <|ue les chevaux sauvages. Lorsi]ue les éclaireurs qui vont en avant de la troupe aperçoivent un homme, ils jettent un cri, font une riiade, s'arrêtent, et ne fuient ([ue lorsqu'on en ajiproche; alors toute la bande détale au ])lus vite. Pour les prendre on emploie des pièges et des lacs de corde , que l'on tend dans les lieux où ils ont l'habitude d'aller boire. L'âne domestique, si chétif et si dégénéré chez nous, n'en est pas moins un animal extrêmement utile , et que l'on ne sait pas assez ai>précier parce que l'on est trop porté à le comparer au cheval. « Il est de son naturel, dit BufTon, aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent, impétueux; il .souirre avec constance, et peut-être avec courage, les clLMi- ments et les coiqis ; il est sobre et sur la (piantité et sur la qua- lité de la nourriture; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que les autres animaux lui laissent et dé- daignent; il est fort délicat sur l'eau, il ne veut boire que la plus claire et aux ruisseaux qui lui .sont connus. Comme on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère, et sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maitre le peu de soin (|u'on (irend de lui; car il ne se vautre pas dans la fange et dans l'eau, il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval; il est susc-eptible d'éducation, et l'on en a vu d'assez bien dressés pour faire curio.sité de spectacle. L'âne est peut-être de tous les animaux celui (pii , relativement à son pe- tit volume, peut porter les plus grands poids; et comme il ne coûte luesque rien à nourrir, et qu'il ne demande pour ainsi dire aucun soin, il est d'une grande utilité à la campagne, au niou- iitl , ëte. Il peut aussi servir de monture, toutes ses allures sont douées et il bronche ttioins (pie le cheval ; on le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger, etc. » Si l'âne a de bonnes qualités, il a aussi ses (b'fauts. Son cri ou bi-aire est aussi désagrt'able (pie retentissant; (pioi(iue son carac- tère soit gi'néralemenl doux et inofTensif , cet animal est capri- cieux et si têtu, qu'on le tuerait pUit(it que lui faire faire ce (pi'il S'est rais dans la tête de ne pas faire. Du reste, c'est à grand tort (pion l'a accusé de stupidité, car son intelligence siir|iasse celle (lu cheval. Il est très-courageux, se d('fcn(l avec autant d'adre.-se que de fureur contre les chiens et autres animaux , et si un loup est seul pour l'attaipier, l'âne vient aisément à bout de le mettre en fuite, et même de le tuer. Par le croisement du cheval et de l'ânesse, on obtient les liar- dots ou petits mulets; par celui de l'âne avec la jument, on a le mulet proprement dit. Tout le monde sait que ces précieux animaux sont st('riles, (pi'ils ont une force prodigieuse, la sobriété de l'âne, mais aussi son entêtement. Le Khur (Etjuusi khur , Less. Ij'Ane faurage, Isis de ISi'i) a les formes assez semblables à celles de l'âne; cependant sa tête est plus longue, et ses membres sont plus forts. Son pelage est d'un gris cendré en dessus, et d'un gris sale en dessous; son cri ne parait être qu'un fort grognement. Il habite l'Asie et vit en grandes troupes, avec les mêmes habitudes que l'onagre; mais il descend dans les plaines pendant Ihiver et ne se retire dans les montagnes que pendant la belle saison, ,1e crois que ces raisons ne sont pas suflisantes pour le séparer spécifiquement de l'onagre. LES RUMINANTS OMZIKME ORDRE DES MAMMIFERES. Le Lama blanc Ils n'ont d'incisives qu'à la mAilioire inférieure (si on en ex- cepte le chameau et le pacos) et ordinairement au nombre de huit; elles sont remplacées en haut par un bourrelet calleux. Entre les incisives et les molaires est un espace vide , où se trou- vent, seulement dans quelques genres, une ou deux canines. Les molaires, presque toujours au nombre de six partout, ont leur couronne raarque'e de deux doubles croissants. Tous les pieds sont terminés i)ar deux doigts et deux sabots qui se touchent par une face aplatie; les rudiments des deux doigts latéraux sont placés derrière les sabots. Ces animaux ont la faculté de ramener dans leur bouche pour les mAcher de nouveau les aliments qu'ils avaient avalés , et cette opération se nomme ruminer. LES CHAMEAUX ont des canines et point de cornes. giH'l(iues-uns ont sur le dos une ou deux loupes graisseuses ou bosses. i" GiîNBE. Les LAMAS {Lama, Cuv.) ont trente dents , savoir ; deux incisives supérieures et six inférieures; deux canines en haut et deux en bas; dix molaires à la mâchoire supérieure et huit à l'inférieure; les deux doigts séparés; ils man(|uent de bosse; leur cou est très-long; leur lèvre supérieure fendue. Le Lama ou Guanaco [Lama peruviana , Less. yluchenia glama, Desm. Camelus llama , Lin. Le Lama, litu-. Le Guanaco ou Hua- naca d'Ui.i-OA. Le Llama des Péruviens), Cet animal est de la grandeur d'un cerf, il ressemble assez, en petit, à un chameau qui n'aurait ]»as de bosse, mais ses pro- portions sont plus légères, son oreille est plus longue et sa queue l>lus courte. Sa tête est plus petite, plus gracieuse; son œil est rond, saillant, vif, mais son regard est adouci par d<'S(ils longs et serrés; ses jambes sont longues et minces; il a une jibique calleuse sur le ])oitrail , et ces derniers caractères conviennent également à tous les animaux de ce genre; mais il se distingue des autres par son pelage d'un brun foncé tirant sur le noir, avec un reflet roussâtre, à poils longs, laineux et grossiers, et l>ar sa grande taille. Lu domcsticilé, son pelage varie beaucoup de couleur d'un individu à l'aLitre, et nw^ine d'une ]>la( e à l'aidre sur le même individu ; cependant il est généralement brun , varié de taches blanches , et quelquefois tout blanc. Le lama paraît originaire des chaînes éipiatoriales de la Cordi- llère des Andes. Lorsque les Espagnols firent la conquête du Pérou, c'était la seule bête de somme que connussent les Amé- ricains, et Grégoire de Bolivar dit que de son temi)s les lamas- étaient si nombreux, qu'on en mangeait ([ualre millions par an, et qu'il y en avait trois cent mille employés journclb'ment à l'exploitation des mines du l'otosi. Mais depuis (jue les mulcis sont employés à ce travail, et avec beaucoup d'avantage, le nom- bre eu est considérablement diminué, et on n'en élève plus guère que jioin' la bduclieric. I.e lama ne peut pas porter plus de cent à cent citupianle livres; si on le charge davantage il rcliise de se lever, ainsi que le chameau, JiisqLi'à ce ()u'ou lui ait enlevé une partie de son fardeau. Il ne peut pas faire de longues marches, et quatre ou cin(| lieues par jour est tout ce qti'on |ieut attendre de lui, encore faut-il qu'il se repose au moins un ou deux join-s sur ciiKj ou six. Sou pas est a.ssez lent, mais il a le pied telle- ment sur, qu'il liasse dans des di'lih's, le long des rochers, sur le bord des pré( ipices où les nudets seraient e\po.sés à se préci- piter. Cette raison engage les habitants des hautes montagnes à s'en servir encoie (piehiuefois. Pour se faire charger, il se couche sur la callosité de son jioitrail , sur leipiel il s'appuie ayant les jandics re|di('cs sous le cor|is ; il rumine el dort aussi dans celle attitude. Si on le surmène et tpi'on le faligiu; en le foiçaut à liAler le pas, il fait quelques ell'orts, puis se chagrine, tomlie dans le dt-sespoir, se couche par terre, refuse de se lever, et on CHAMEAUX. 381 le tuerait plutôt que ilc le déterminer à se remettre en marche; d'ailleurs , si on le bat pour le déterminer à se lever, il se frappe la tête contre les rochers et se tue. C'est, du reste, un animal extrêmement doux, tout à fait inof- fensif, se bornant, pour toute défense contre l'agression et les mauvais traitements, à cracher sur ceux ipii le frappent. 11 est très-docile, et surtout extrêmement sobre; il se contente de foin et d'herbe pour toute nourriture , et il peut passer plusieurs jours sans boire, parce (jue, ainsi que le chameau, il a une poche à au même endroit, comme font quelques antilopes et les chevaux sauvages, et ceci dénonce aux chasseurs leur présence dans les cantons où ils se trouvent. On leur tend des pièges et des lacets, et ils y donnent assez aisément. Le temps de la gestation est de cinq mois et quelques jours; la femelle ne met ordinairement bas qu'un petit, rarement deux, et elle allaite pendant einci ou six mois. Ces animaux croissent très-vite et ne vivent pas plus de douze à quinze ans. Leur chair est bonne, et celle des jeunes est particulièrement estimée. Le Lama brun. eau dans l'estomac. M. de Buffon dit en avoir vu un à l'école d'Alfort qui resta dix-huit mois sans Iioire, et ce fait est au moins fort singulier. En Amérique on nomme Guanaco le lama sauvage, vivant à l'état de liberté dans les montagnes. M. de Ilumboldt pense que ces guanacos ne sont rien autre chose (jue le lama domestiiiue qui a reconquis son indépendance, et il apjjorle à l'apimi de son opinion des observations assez concluantes. Unoi qu'il en soit, ou ne trouve ces animaux (pie sur le sommet des plus hautes ui.ntagnes , et près de la réj^ion des neiges ('ternclles. Ils y vivent en troupes fort iiomhretiscs et sont extrêmeiiieut fanuiches. Si on veut les poursuivre avec des chiens, ils se jclteiil aussitôt dans des rochers inaccessibles à tout autre animal (pieux, et franchis- sent les précipices avec la même légèreté (pic les chamois. Ils ont l'habitude singulière de déposer leurs excréments toujours Les naturalistes reconnaissent aujourd'hui trois espèces de lamas : celui dont je viens de parler, l'alpaca et la vigogne; mais ces trois prétendues espèces produisent ensemble des hybrides , comme le chien et le loup , et ces hybrides se reproduisent entre eux : ceci a été parfaitement observé sur le troupeau de lamas envoyé à Cadix en 1808. Or, jusqu'à ce que les naturalistes (|ui rejettent l'importance de ce fait, et qui prétendent (pie cela ne --5^î#^-îv Av'S^ :g.:i - ,/{, S'«êv,, fait rien à l'espèce (|ue le métis soit fertile ou mulet, jusqu'à ce que, dis-je, ils aient défini dairement ce qu'ils entendent par espèce eu zo(dogie et en botaui(pie, je m'en tiendrai à la (h'Iiiii- tion des l'.ud'cni, Cuvicr, de Candolle, etc., etc., je regarderai ces trois lamas comme de simples types de races, et j'y en .ijoiiterai même deux autres sans empêcher (jue l'espèce ne reste uni(pie à mon avis. L'Ai. PACA [Ldiiui jiac", l.rss. Auclunia inico, Des.m. Caiiielux pa- J82 LES RUMINANTS. cos, Erxl. Le Paco, Buff.) est plus bas sur jambes que le précé- dent et beaucoup plus large de corps; un bandeau de poils roides et soyeux s'étend du front sur la face; son poil est de longueur uniforme depuis la nuque jusqu'à la queue, aux poignets et aux talons; il est d'un brun marron , reflété de noir; le dessous de la gorge et du ventre et le dedans des cuisses sont presque blancs ; sa toison , presque entièrement composée d'un poil doux et laineux, lui tombe sur les flancs en mèches longues de l)lus d'un ]iied (0,52S), n'ayant guère moins de finesse et d'élas- ticité que celui dune chèvre de Cachemire. L'individu qui a vécu à la ménagerie était doux, timide, sensible aux caresses, et se laissait aisément conduire à la laisse ; il donnait des ruades comme les autres ruminants, et galopait pour courir, ce que ne fait pas le chameau. Cet animal a les mœurs sauvages et vit en troupes dans les Andes du Pérou. Le LuAN ou GuANAQUE DE MoLiNA {Lama Molinœi) dilTère des précédents par sa taille beaucoup plus grande, égalant presque, selon Molina, celle d'un cheval; son dos est voûté, sa léte est ronde, son museau pointu et noir, ses oreilles droites, sa (|ueue courte et dioite comme aux cerfs. Son pelage est fauve sur le dos, blanchâtie sous le ventre. Cet animal habite l'Amérique australe jusqu'au détroit de Magellan. L'été il se tient dans les hautes montagnes, mais l'hiver il descend dans les vallées et les jilaines. On le rencontre toujours en troupes composées quelque- fois de plus de sept à huit cents. Le llui:(,uiE {Lama chili-hueque) ressemble au mouton par la tête, les oreilles ovales et flasques, et son chanfrein bossu; ses yeux sont grands et noirs, ses lèvres grosses et pendantes. Les anciens Chiliens l'employaient comme béte de somme et le con- duisaient en lui passant une coi'de dans l'oreille. La ViiiOGNE {Lama vicuijna, Less. Auchenia viciigna, Des.m. Ca- melus vicugna, Lin. La Vigogne, Buff.) est de la grandeur d'une chèvre; ses jambes sont longues et menues; sa télé est d'une grosseur moyenne, et son museau s'unit au front par une fégère courbure; son pelage est d'un brun fauve pâle, tirant sur la couleur isahelle en dessus, et blanc en dessous ; son poil est lai- neux, très-doux, extrêmement tin, long d'un pouce (0,027) sur le corps et de trois pouces (0,081) sur la poitrine. La vigogne est d'un caractère timide, mais sauvage et farou- che ; elle est incapable de s'attacher, et 8'ap])rivoise très-didicile- ment. C'est un individu de cette race qui a vécu à Alfort, et qui a permis à lîufl'on de faire des observations. Elle cherchait à mordre ses gardiens, et crachait sur tous ceux qui rai>])rochaient. Malgré les soins que l'on a eu d'en prendre de très-jeunes et de les faire allaiter par des alpacas , on n'a jamais pu parvenir à les réduire à l'état de domesticit*'. Cet animal vit en troupes consi- dérables i)rès des cimes toujours glaci-es des Andes , où on va le rha.sser pour s'emparer de sa toison après l'avoir tué. On en fa- bricjue des ponchos, étofles excessivement fines dont ne se vê- taient autrefois que les caciipies , et (lue portent aujourd'hui les riches Espagnols américains. On a vainement essayé d'élever des vigognes dans les plaines du Pérou et du Chili; elles y vivaient queh[ue temps dans le regret de leurs muulagnes glacées, se couvraient de gale ot mouraient. Quand les chasseurs ont reconnu l'endroit où se trouve un troupeau de vigognes, ils tendent, du côté des défilés par lesquels elles pourraient s'échapper, des cordes aux<}uelles sont suspendus des chilTons de toutes couleurs , puis ils se mettent à la ()oursuile du troupeau, ipii souvent se compose de deux à trois cents individus. Ces animaux sont si ex- Iraordinairement timides, qu'arrivés en face des cordes ils en sont effrayés au point de s'arrêter et de rester dans une immobilité complète, le cou et les yeux tendus vers les chid'ons rouges, blancs et jaunes agités par le vent. Les chasseurs arrivent , les saisissent par les pieds de derrière sans (pi'clles osent se retour- ner, et ils en tuent une grande quantité. Si un guanaco ou un alpaca se trouve dans le troupeau, la chasse ne réussit pas, car il franchit la corde et toutes les vigognes en font autant après lui. Encore aujourd'hui, au Chili et au Pérou, on tue annuellement jusqu'à ([ualre-vingt mille vigognes, et cependant l'espèce ne paraît pas diminuer. 2" Genre. Les CHAMEAUX {Camelus, Lin.) sont de grands ani- maux qui se reconnaissent de suite à une ou deux bosses énormes qu'ils portent sur le dos. Ils ont trente-quatre dents , savoir : deux incisives supérieures et six inférieures; deux canines à cha- (]ue mâchoire; douze molaires en haut et dix en bas. Leurs doigts sont réunis en dessous par une semelle commune qui s'étend jusqu'à la pointe. Le Chameau {Camelus bactrianus, Lin. Camelus Bactriœ de Pline. Le Chameau, Buff.) a ordinairement sept ])ieds (2,27-4) de la terre au garrot; il porte deux bosses, l'une sur le garrot, l'autre sur la eroupe. Son pelage est d'un brun roussâtre, laineux, très- toufTu , coinposé d'un duvet fort long entremêlé de poils rares, plus longs et grossiers. 11 est précieux dans les coutrées chaudes et sablonneuses. Le chameau , nommé par les Arabes le vaisseau du désert, parce que sans lui il serait impossible de traverser les vastes solitudes de l'Asie , parait être originaire du pays de Shamo , vers les fron- tières de la Chine; du moins aujourd'hui on ne le trouve plus que là à l'c'tal sauvage. Il est plus grand, plus fort que le dro- madaire, mais moins léger à la course; il craiut moins les ter- rains humides et la boue, mais tous deux deviennent iuuiiles dans les pays rocailleux, faute de pouvoir marcher sans se bles- ser. Leur chair et leur lait servent à la nourriture , et leur poil à faire des vêtements grossiers, principalement d'excellents man- teaux que les Arabes nomment baracans. Le chameau est célèbre par sa sobriété, et en effet, sous un ciel brûlant, à travers les déserts les plus secs et les plus arides, il peut soutenir la fatigue pendant trois ou quatre jours sans boire, et ayant pour tout ali- ment quelques noyaux de datte mêlés à un ])eu de riz ou de maïs. Il a dans l'estomac une sorte de ])oclie dans laquelle il n'amasse pas une |)rovision d'eau en buvant , comme on l'avait dit, mais dans laquelle il s'en amasse continuellement qui se forme dans son corps et se rend dans cette poche en suintant de ses parois. En contractant ce singulier organe il force l'eau à en sortir, à se mêler à ses aliments , ou à refluer jusque dans sa bouche. Hors le temps du rut, cet animal est docile et fort doux ; il obéit à la voix des chameliers , mesure son pas à la cadence de leurs chants, s'agenouille pour se faire charger et décharger, et porte aisément une pesante charge de marchandises. Mais quand il est en amour, pour peu ipi'on le contrarit^ , il entre en fureur et devient alors très-dangereux. Il apiiortc en naissant ces callo- sités (pi'il a au iioitrail et aux genoux, et (|ue BufCon regardait comme un stiguiate imposé par une antique servitude. On a vai- nement cherché à acclimater ces précieux animaux dans d'autres pays que les leurs, ^ar exemple en Espagne et en AuK'ricpie; ils y vivent et multiplient même, ce <\\t\ leur arrive ('gaiement à la ménagerie à Paris, et cela en raison des soins que l'on en prend ; mais ils y sont impuissants ail travail, deviennent faibles, lan- guissants, et finissent par ])érir avec leur ehétive postérité. On a voulu, au Jardin des Plantes, en utiliser deux en leur faisant tourner une manivelK- pour tirer l'eau d'un puits ; ce faible tra- vail les fatiguait beaucoup, et ils faisaient dans leur journée moins de travail ipie n'en aurait pu faire la ]dus mis{'rable rosse. Comme le chameau et le dromadaire produisent ensemble des I)etits féconds, on ne doit les regarder que comme types d'une simple race. Le DnoMAiiAiRE {Camelus dromedarius, Lm. Camelus Arabiœ, PriNE. Le Camelus arabicus d'AiiisTOTE. Le Drnmas des Grecs, et le Djemal des Arabes). Cet animal diffère du précédent en ce qu'il n'a qu'une bosse arrondie sur le milieu du dos; son pelage MOSCHINÉES. S8S «st assez doux, laineux, de médiocre longueur, d'un gris blan- châtre ou roussâtre. Ses mœurs sont alisoliinicnt les mêmes (]ue celles du pre'ce'dent, mais il est beaucoup plus léger à la course et sert plus souvent de monture. Les Maures en possèdent une igoureuse et si légère, variété plus petite, nommée herry, si vigoureuse ei m legeie. (pielle peut faire aisément trente lieues d'un se\il trait. Le dro- madaire est très-répandu en Perse, en Egypte, en Arabie, ec Abyssinie , en Barbarie , etc. LES MOSCHINEES n'ont pas de cornes ; ils ont de chaque côté de la mâchoire su- périeure une longue canine qui sort de la bouche dans les mâles. ■y 5" Genre. Les CHEVROTAINS (j1/osc/jus, Lin.) ont trente-quatre dents, savoir: huit incisives en bas, point en haut; deux ca- nines en haut, point en bas ; douze molaires à chaque mâchoire; leur taille est élégante, leurs ])ieds (ins, à sabots conformés comme chez les autres ruminants; ils mamiuent de larmiers. Le Musc (Moschus moschiferus , Lin. Le Xé des Chinois. LeGifar des Tatares. Le Kudari , le Dsaanja et le Dsehija des Kalmoucks. Le Gloa , Glao et Alath du Thibet. Le Kaborga, le Saïga et le njof: des Russes cl des Ostiaks) est un charmant animal, de la taille d'un chevreuil de six mois; son pelage est grossier, teint de brun, de fauve et de blanchâtre; ses canines sont longues, recourbées , sortant de la bouche. Elles lui servent, dit Sonnerai, à déterrer des racines, à accrocher les branches des arbres pour mettre les feuilles a portée de sa bouche; un simple renflement remplace la (|ueue. Les jeunes portent une livrée et varient selon l'âge; mais, vieux ou jeunes, tous ont sous le cou, depuis la gorge jusqu'au poitrail, deux bandes blanches bordées de noir, enfermant entre elles une bande noire. (Jn trouve cet animal dans i)resque toute l'Asie , et principale- ment en Chine, au Thibet, au Pégu et en Tarlarie; il a une es- pèce de bourse de deux à trois pouces de largeur, en dessous du nombril, des parois de laquelle sécrète une humeur odorante, formant une masse de consistance sèche , même pendant la vie de l'animal, et connue dans le commerce de la parfumerie sous le nom de nuise. C'est entièrement à ce parfum très-recherché que l'animal doit l'antique célébrité dont il jouit, mais aussi la guerre incessante qu'on lui fait. Le musc n'habite que le sommet rocailleux des plus hautes montagnes, au milieu des rochers et des précipices, où il dé- ploie dans sa course toute la légèreté du chamois. Ses ongles posl('rieurs , fort longs et pouvant s'écarter beaucoup, lui don- nent une sûreté de marche extraordinaire; il gravit aisément les pentes les plus rapides, s'élance d'un bond au-dessus des abîmes, se précipite avec hardiesse du sommet des rocs, saute d'une pointe à l'autre avec une précision admirable , ipii annonce au- tant de justesse dans son coup d'oeil que de force dans sou jar- ret, et tout cela avec tant de ra])i(lité, ipie l'œil du cliasseur peut à i)eine le suivre dans sa fuite; si le hasard ]c jette dans la plaine, il n'est pas plus embarrassé dans sa course, et il passe même de grandes rivières à la nage sans montrer la moindre hésitation. Comme le renne, il se nourrit en hiver des lichens (pii tapissent le flanc des rochers et les troncs d'arbres; réllement possible la poche au musc, en ferme l'ouver- ture avec un bout de ficelle, la fait sécher à l'ombre, et en cet état elle est bonne à livrer au commerce. Mais quelquefois .son avarice le détermine a la fraude, et il fait de fausses poches avec des morceaux de peau (ju'il enlève au ventre de l'animal ; il y met plus ou moins de musc de la véritable poche, et achève de les remplir avec du sang de l'animal. Souvent , pour donner plus de poids, il y ajoute une certaine quantité de plomb, et tout cela est fait avec tant d'adresse , qu'il est fort diflicile aux marchands de s'en apercevoir. Les femelles n'en produisent pas, et n'ont même pas de bourse musquée. Ce i)arfum, extrêmement ])éné- trant , n'a jtas la même force et la même qualité partout ; le meil. leur vient du Tunkin , et le moins estimé des Alpes sibériennes: ce dernier n'a pas plus d'odeur que le castoréum. ■-'' Le Meminna [Muschus meminna, Erxl. Le Chevrotain à tache blanche , IUiff.) est remaniuable par son pelage d'un gris olivâtre en dessus, blanc en des.sous, avec des taches rondes et blanches sur les flancs ; ses oreilles sont longues et sa queue courte. 11 est plus petit que le précédent et n'a pas de poche à musc. Il se trouve à Ceylan. j/Le CiiEviiOTAiN DE Java [Moschuf. jaranicus, Pam.) est de la taille d'un lapin ; son pelage est d'un brun ferrugineux en des- sus , onde de noir et sans taches sur les flancs , avec trois bandes blanches en long sur la poitrine; le bout de son museau est noir. Il habile Java. .. Le Napu (Moschus napus, Pu. Cuv. Moschus jatmnkus , IUffl. Le l'elandok des Iles Malaises et de Sumatra) n'est guère plus grand que le précédent, et sa taille ne dépasse pas celle d'un lièvre; son pelage est brun, irrégulièrement mélangé de reflets d'un gris noirâtre ou fauve; le poitrail est d'un brun foncé, avec cinq taches blanches, linéaires et convergentes; sa mâchoire in- férieure est blanche. Il habite Sumatra. i.^^'Le Kanciiil {Moschus kanchil , Uaffi..) a quatorze pouces (0,379) de longueur sur neuf (0,:2ii) de hauteur; son pelage est d'un brun rouge foncé, jiresque noir sur le dos, et d'un bai brillant sur les flancs, avec le dessous blanc; il a trois raies sur la poi- trine el ww. bandelette, qui va de la mâchoire à l'épaule, blan- ches; sa t|ucue est toudue, blanche au l)0ut; ses canines sont forl longues et courb(ies en arrière. (Jn le trouve à .lava , dan les forêts, où il vit de feuilles, de bourgeons et de graines d'arbres. Ce singulier animal est extrêmement rusé et plein d'intelli- gence; aussi les Malais, quand ils veulent désigner un adroit sa LES RUMINANTS. voleur, disent qu'il est ruse' comme un kanchil. 11 n'habite que les forêts les plus profondes, où il se nourrit principalement des fruits de graelinia villosa. Malgré son agilité' extraordinaire, il courrait risque qucl(iuefois d'être atteint et déchire par les bêtes croche par ses dents, y reste suspendu, et de là regarde tran- quillement passer la meute. Quand les chiens sont éloignés, il se laisse tomber à terre et retourne sur ses pas sans plus s'en inquiéter. j^jms'^^mLj^ \ =ï:'iv ,r^^ Le Musc ou Chevrotain. féroces ou les chiens des chasseurs, s'il n'avait l'adresse de s'en tirer d'une manière fort extraordinaire pour un animal ruminant. Après avoir fui devant ses ennemis et avoir rusé devant eux pour leur dérober sa piste, s'il se sent trop pressé par eux, il s'élance d'un bond prodigieux à la haute branche d'un arbre, s'y ac- Les naturaliste» ont encore signalé parmi les chevrotains des espèces qui n'appartiennent pas à ce genre. Tels sont les mos- chus p,ygma;us , jeune Age de l'antilope spinigera ; les moschus americanus et delicatulus, qui ne sont que des faons du cervus rufus. '■^j:u<àî~- -^t»-^ LKIaii. LES plk:vicorivks n'ont point de canines; les iiiAles seulement ont des cornes ou bois osseux et caducs , c'est-à-dire tombant chaque année , ou à des intervalles plus longs. ^ 4° Gknuk. Les CEUKS (Cernus, liEiiss.) ont trente-deux dents, savoir; point d'incisives en haut cl liiiit en bas; ))oirpl de canines; douze molaires à chaipie mâchoire. La plupart ont un niuflle; tous ont des larmiers sous les yeux. Leur taille est svelte, leurs jam!)es minces, leurs oreilles mt'iliocres ; ils cmt la (punie Ires- roiirte. Nous ne décrirons c|ue les espèces vivantes, et nous adop- Icnins la classi(ir;iliou ropre dans ses acceptions qu'ignoble dans son ensemble, porte le cachet des valets de chiens et des palefreniers qui l'ont inventé; et néanmoins, on l'entend quelquefois parler dans les salons de Paris. Quoique fort timide et peu intelligent, le cerf ruse devant les chiens, et emploie quelquefois des moyens surprenants pour leur échapper. Entre plusieurs exemples je n'en citerai qu'un, dont j'ai été témoin sous l'Empire. Un vieux cerf, habitant un canton des bois de M/eudon, vingt fois fut mis sur pied par la meute impériale. Il se faisait battre dans la forêt pendant un quart d'heure, puis tout à coup il disj)araissait , et ni hommes ni chiens n'en avaient plus de nouvelles , ce qui mettait les [il(|ueurs au désespoir régulière- ment tous les quinze jours. Enfin , un paysan (pie h; hasard avait rendu plusieurs fois témoin de la ruse de l'animal le trahit, et le pauvre cerf fut pris. Voici comment il agissait : après avoir fait deux ou trois tours dans le bois pour gagner du temps, il filait droit vers la route de Fontainebleau, se jtlaçait eu avant d'une diligence ou d'une voiture de poste, trottait devant les che- vaux qui efl'açaicnl sa piste, et sans se presser davantage, sans s'effrayer des voyageurs à cheval, à pied ou en voiture, qu'il rencontrait, il faisait ses six lieues et arrivait gaillardement dans la forêt de Fontainebleau, d'où il ne revenait (pie le lendemain, (piand le danger était passé. Le Wapiti (Cervus wapiti, Mitch. Cervus major, Di-.sm. Le IVa piti de Warden. L'Elk des Américains) est d'un quart plus grand que notre cerf, et a la queue très-courte; son i)elage est d'un fauve brunâtre; ses fesses et sa (picue sont d'un jaune très-clair; ses bois sont rameux, tiès-grauds et sans em|>ainnuie ; le mufic est très-large, et le mâle seul a des canines; ses |ioils sont fort longs sous le cou et la tête ; l'intérieur de l'oreille est blanc , et les larmiers sont très-grands. Cet animal habite le nord de l'Amé- rique; il n'a (ju'unc femelle qu'il ne (piilte jamais, et vit en fa- mille, mais non en troupe. Son caractère est fort doux, et il s'apprivoise facilement, jus(|u'à une deiui-doiiieslicité; aussi les Indiens s'en servent-ils pour l'atteler à leurs Iraiiicaux. Un indi- vidu a vécu à la ménagerie, et l'on a vainement tenté de lui faire couvrir des biches. Le Cerf nu Canada {Cervus canadensis, (iMi.. — Desm. Le Bed- ticec de Warden) n'est certainement (pi'une vari(flé du précédent. Son pelage est d'un fauve obscur, sans taches jaunâtres .sur les fesses ; sa queue est assez longue ; ses bois sont branchus , sans PLÉNICORNES. 287 empauraure terminale, et ont six andouiileis isoles, recourbés à leur exU'i'mité. Cet animal habite l'ouest et le sud des États-Unis et se trouve aussi dans les montagnes Rocheuses , où Clark el Lewis disent en avoir vu dont la (jucue avait dix-sept pouces de longueur. C'est un animal slupide, dont le cri approche du brai- ment de l'àne. Le Cerf a grandes oreilles {Cervus macrolis , Say) est d'un brun pâle et rougeiitre sur le corps; les (lancs sont d un cendre brunâtre; il a le dos i)arsemé de poils à pointe noirâtre, lui for- mant une pointe distincte sur le cou ; ses oreilles sont longues de sept pouces et demi (0,203) ; sa queue , longue de quatre pou- ces (0,108), est d'un cendré roussâlre, terminée et dépassée par des poils noirs aussi longs qu'elle. 11 habite dans le nord des États-Unis. Le Cerf de Wallicii {Cervus WalUchii , Fr. Cev.) est d'un gris brun jaunâtre , plus pâle sur les joues, le museau, autour des yeux et au ventre ; il a à la croupe une grande tache blanche ainsi que la queue, qui est très-courte; ses bols s' écartent de cùlé et se renversent en arrière, après les premiers andouillers, pour remonter verticalement ; sur chaque bois naissent deux andouil- lers qui se dirigent en avant : l'un descend sur le chanfiein , et l'autre se relève un peu ; un troisième naît du merrain et se dirige en dehors. Celte belle es|)èce habite le Népaul. V° SECTION. Bois sessUes, ramifiés avec un seul ayidouiller basilaire, sans médians , et le supérieur ordinairement simple. Pelage lâ- cheté. ^/L'Axis (Cervus axis, Lin. Le Cerf du Gange, Buff.) a les formes générales du daim ; son pelage est d'un fauve assez vif et mou- cheté de blanc, avec une ligne presque noire le long du dos; le dessous du corps est d'un blanc pur : le mâle man(|ue de canines supérieures; ses bois ont deux andoudlers et une seule pointe terminale. La femelle a une ligne longitudinale blanche sur les flancs. Ce charmant animal est originaire de l'indostan , et a été introduit en Angleterre au commencement du dix-septième siè- cle. Son cri ressemble un peu à l'aboiement d'un chien, et peut s'écrire ainsi houi , houi , houi. L'axis est fort doux, fort timide, mais nullement farouche. 11 s'est très-bien acclimaté en France, et ceux de la ménagerie produisent chaque année. Il n'a pas de temps marqué pour le rut, et le mâle ne maltraite pas ses biches. Le Cerf-Cociion [Cervus porcinus , Lin. Le Cerf-Cochon, Ruff.) a le corps plus trapu et les jambes plus courtes que le précédent ; il est fauve , tacheté de blanc en dessus, avec une ligne un peu brune sur le dos; d'un gris fauve en dessous; ses fesses sont blanchâtres; sa (juoue est fauve eu dessus, blanchâtre en dessous; ses yeux et sou museau sont noirs; ses bois sont grêles, n'ayant que trois petits andouillers. Il habile llnde, oii il vil en grandes troupes. 11 est timide, mais néanmoins il s'aiiprivoise facilement et devient très-familier. Il est à demi domestique au Bengale, où on l'engrai-sse pour le manger, comme le iirécédcnl. VI" SECTION. Bois comme les précédents , mais pelage sans larlirs. ■,y Le Roussa-Itan {Cervus hippelaphus , G. Cuv. Non V Hippeluphc d'Aristote. Le Mejangan-banjoé ou Cerf d'eau des Javanais. Le Rusa ou lîoussa-itan de Sumatra. Le Barendng-ha du Bengale) est de la taille de notre cerf; son poil est plus dur cl plus rude, plus long et |)lus hérissé en sorte de barbe sur le cou, les joues et la gorge. Sou pelage d'hiver est d'un gris brun plus ou moins foncé : celui d'été est d'un brun plus clair et plus doré. Sa croupe est d'un fauve pâle ; sa (|ueue brune, terminée par des poils assez longs et noirs. Il habile les deux presqu'îles de l'Inde et son ar- chipel. Plusieurs ont v('cu à la ménagerie. Le Cervus malaccensis, de Fr. Cuvier, est très-voisin de cette espèce. Le Cerf des Mariannes (Cervus mariannus, G. Cuv.) ne dépasse pas la taille d'un chevreuil ; il est entièrement d'un gris brun ; sa queue est courte; il a, comme les précédents, un mufle et des larmiers ; son bois a deux andouillers à une seule pointe termi- nale, dirig('s l'un en avant et l'autre en dedans. Il nuuKpie d'in- cisives. On le croit originaire; des Philippines, d'où il aurait été apporté aux Mariannes par les Ésiiagnols Dans tous les cas, il s'y est prodigieusement multiplié. La femelle met bas en mars, et son faon ne porte aucune livrée. Il nage avec une prodigieuse vitesse , et lorsqu'il est trop pressé par les chiens il se jette à la mer el leur échappe au milieu des brisants qui déferlent avec le plus de fureur. U ; Le Cerf de Leschenault (Cervus Leschenaultii , G. Cuv.) n'est connu que par son bois envoyé de la côte de Coromandel par Leschenault. Ce bois est aussi grand que celui du cerf d'Aristote, mais il est moins grand, quoique aussi tuberculeux, que celui du cerf d'Europe; il donne de sa base un audouiller médiocre, et sa pointe se partage en deux corps pres(iue égaux , faisant chacun le quart de la longueur lolale. Le Cal-Orinn ou le Cerf d'Aristote {Cervus Aristotelis, G. Cuv. l.'llippelaphe d'Aristote, selon G. Cuv. L'Iilk venator des Anglais de l'Inde. Le Saoumer des habitants d(' Ramguhr) ressemble beau- coup au roussa-ltan, mais 11 est plus grand et ses larmiers sont aussi plus grands et plus profonds; le bois a de l'analogie avec celui du mariannus ; l'andoulUer de la base s'élève à plus de moitié de la hauteur du merrain , tandis que l'andouiller supé- rieur, très-petit, est tout près de la pointe à laciuelle il est posté- rieur; son pelage est le même, à cette dilLcrence que la queue est brune au lieu d'être noire. Il est commun dans le Népaul , et vers rindus. Le Cerf noir {Cervus niger , Blainv. — Desm.) a la taille et les formes générales de notre cerf; son pelage est d'un brun presque noir en dessus, plus clair en dessous, tandis que les parties su|ié- rieures du dedans des membres sont blanches. Les bols n'ont qu'un andouiller conUpie à la base d'un merrain allongé. Il ha- bite l'Inde, el n'est peut-être qu'une variété du roussa-itan. ^ Le Cerf de Duvaucel (Cervus Duvaucellii , G. Cuv.) a été établi par G. Cuvier sur un bois envoyé de l'Inde par Duvaucel. Le merrain est dirigé d'abord un peu en arrière et de crtté, et re- courbé en avant par sa partie supi'ricuro, de sorte (|u'il est con- cave en avant; un seul andouiller sort de la base, dirigé en avant; des deux ou trois andouillers terminant le merrain, l'in- férieur, (pii est ordinairement le plus grand, se bifur(|ue ou Irl- fun|ue, suivant lâge, en sorte (pion peut compter tle cinq à sept cors à chaque perche, les (piatre ou six cors su|iérleurs formant une sorte d'empaumure. Qu(dortées par le mâle et par la femelle, ne londient jamais. Elle a sur le chan- frein un tubercule osseux, à partir duquel le museau s'élargit et se dé()rinie au ])oint d'être cotisidi'rablement plus large (pi'épais. Ses jaiubes sont fort longues, et celles de devant le sont un peu ]dus que celles de derrière; tout son corps est un peu aplati sur les cotés, surtout vers la i>oitrine , comme s'il avait été mis en presse ; sa queue, assez longue, se termine en queue de vache ; enlin le fond de son pelage est d'un blanc grisâtre ou roiissâtre, plus ou moins irrégulièrement taeliii de fauve foncé ou de brun ; une ])etite crinière grise et fauve règne dejuiis les oreilles jusqu'à la (|uene. Il résulte de cette singulière organisation (pie la girafe est obli- gée de marcher l'amble , c'est-à-dire de porter à la fois en avant les deux pieds du même côté, ce qui ne contribue pas à donner de la grâce à ses mouvements; quand elle trotte, c'est encore pire. « Cet animal vient-il à trotter, dit j>evaillaiit, on croirait (|u'il boite, en voyant sa tête perchée à rexlréniilé il un long cou (pii ne jdie jamais, se balancer de l'avant en arrière el jouer d'une seule pièce entre les deux ('paules (pii lui servent de char- nières. » Quoique la girafe fut connue des anciens et qu'on en vît paraître dans les cir(]ues de Borne dès la dictature de J. César, ses mœurs sont restées ju-esipie inconnues jusiju'à c(' jour, et l'on no peut guère les (h'duire que de ses formes, des habitudes Irès- douccs des individus en captivité, et de quelques informations prises chez les Hottentots. La girafe se trouve dans toute l'Afri- que australe, et en Abyssinie; elle vit en petites troupes de six à se|)t , peut-être en famille. Pour boire elle est obligée de s'age- nouiller ou d'entrer dans l'eau, et pour atteindre la terre avec sa bouche , d'écarter beaucoup les jambes de devant afin de bais- ser son corps. Il en résulte qu'elle se nourrit principalement de feuilles d'arbres et de bourgeons, surtout de ceux d'une espèce de mimosa, qu'elle peut cueillir à une grande hauteur et avec beaiiroup de facilité, grâce à sa lèvre supérieure très-mobile et à sa langue fort longue, grêle, noire, pointue, qu'elle a la fa- culté de faire saillir de sa bouche de plus d'un pied (0,523) et d'enrouler autour des rameaux feuilles. Ses yeux sont grands, noirs, très-doux, et son caractère ne contredit pas son regard, car en esclavage elle est docile jusqu'à la timidité, et un enfant peut la conduire partout au moyen d'un simple ruban. Confinée dans les forêts où elle entend chaque jour les rugissements du lion et de la panthère , elle n'a aucune arme à opjjoser à ces ter- ribles ennemis que la fuite; mais elle est d'une grande agilité, et le meilleur cheval de course est incapable de l'atteindre; aussi échappe-t-elle assez aisément à ces animaux (jui bondissent pour saisir leur i)roic , mais ne la poursuivent jamais. Cependant elle ne manque ])as absolument de courage, et si on s'en rapporte aux voyageurs, quand la fuite lui devient impossible, elle se défend en lançant à ses ennemis des ruades qui se succèdent en si grand noudire et avec tant de rapidité ((u'elle triomphe même des ed'orts du lion. La femelle , au dire des Uottcnlots, [lorte un an et ne fait (pi'un petit. Tout Paris connaît la girafe ([ue le pacha d'Egypte, lléhémet- Ali, a envoyée au roi de France, et qui vit depuis une quinzaine d'années à la ménagerie; lorsqu'elle est arrivée, accompagnée de deux vaches qui étaient ses nourrices, et ])our lesi|uelles elle a montré benncoup d'altachement tant qu'elles ont vécu, elle avait onze pieds (5,57.5) de hauteur, et aujourd'hui elle en a en- viron dix-huit (5,^47). C'est à M. Levaillant, mort il y a quelques années dans un état bien près de la misère, après avoir sacrilié sa fortune à de longs el périlleux voyages en Afri(]ue, que l'on doit la première girafe empaillée (piait possédée le Cabinet d'his- toire nalurelle. Les |ireniières girafes (pie l'on ait vues en Europe furent oflertes par h^ prince de Damas à renqx'reur Frédéric II, et décrites par Albert le Grand sous leurs noms arabes A'j\nahulla et de Seraph, dernier nom dont nous avons fait girafe. Les Ilol- lentols estiment beaucoup la chair de ces animaux , et avec leur jieau ils font , entre autres ustensiles, des vases et des outres pour conserver l'eau. Ils l'attendent au jiassage, lui lancent des (lèches empoisonnées, et la suivent à la piste pour s'en emparer lors- qu'elle meurt de sa bles.sure. ANTILOPES. 291 LES ANTILOPES manquent de canines et ont des larmiers; leurs cornes sont com- posées d'un noyau conipli'tenicnt solide , el d'un ('lui creux et élastique, dans les deux sexes. Ces animaux ont trente -deux dents, savoir : point d'incisives en haut et huit en bas; douze molaires supérieures et douze inférieures. Leur taille est légère; leur nez est tantôt termine' par un mufle, tantôt entièrement couvert de poils; la plupart ont des larmiers, et tous man(juent de barbe; leurs oreilles sont grandes, pointues. Comme ces ani- maux sont très-nombreux en espèces et d'une détermination fort diflioile, nous suivrons ici la classification de M. de Blainville, en établissant les sous -genres en genres, mais sans attacher la moindre importance à ce changement. C Cr.NRE. Les ANTILOPES {Antilopf., Lin.) ont des cornes à doubles ou à trijdes courbures, annele'es, un jieu en spirale, sans arête; elles man(pient ordinairement de larmiers, et leur mu- seau ne se termine pas en mude : elles ont souvent des brosses de poils sur les poignets, et des pores inguiiléiiix; la femelle n'a que deux mamelles, et manque de cornes. L'Antu.ope des Indes (Antilope cervicapra , Pall. — Desm. ]j' An- tilope, Brrr. ) a le corps svelte comme la gazelle; son pelage est d'un brun fauve en dessus et blanc en dessous, plus y!\\e chez la femelle. Ses cornes sont noires, assez longues, à triple courbure, tordues en spirale, annelées dans une grande étendue. La femelle porte neuf mois et ne fait qu'un petit. Cet animal habite l'Inde; avec ses cornes, pose'es base contre base, les Indiens se fotit One arme offensive à deux pointes op[iosees et fort dangereilSP. Le S.\ïr;,\ [Antilope saïga, Pai.i.. Capra iatarica, Li.n. Le Saïga, BuFF. Le Cnlus de Stracon) est de la grandeur d'un daiili; son pelage est lisse, d'un gris jaunâtre en éU?, blanc en dessotis, et devient long et d'un gris blanchâtre en hiver; les cornes, de la longueur de la tête, sont trans|)arentes , jaunes, dispose'es en lyre, et annele'es jusqu'à leur extrémité'; son museau cartilagi- neux, gros, bombe, à narines très-ouvertes, le force, dit 0 Cu- vier, de paître en re'trogradant. Cet animal habite la Hongrie et le midi de la Pologne et de la Russie. Le saïga vit en grandes troupes et se plait particulièrement dans les lieux découverts, arides, sablonneux, à jinixiiuilé du bord des eaux. Pour boire, il plonge entièrement sou nez dans l'eau, et en aspire une bonne partie avec le nez. Sans avoir la pupille tout à fait nocturne, la lumière du soleil incommode beaucoup ces animaux, et vers le milieu ilu jour ils voient si mal, (|ue les cliasseurs les approcheraient aisément, si l'extrême finesse de leur ouïe et de leur odorat ne les avertissait. Ils éven- tent l'ennemi de plus d'une lieue, et ]>our nt; pas être surpris pendant (pi'ils mangent ou qu'ils dorment, ils ont toujours le soin de placer des sentinelles avancées qu'ils relèvent chacun à leur tour. Le rut a lieu au mois de novembre, et les mAles , qui alors exhalent nue forte odeur de musc, se livrent de rudes combats pour se disputer la propriété des femelles. Celle.s-ci mettent bas au mois de mai, un ou, très-rarement, deux petits, qui croissent très-vite, et qui deviennent souvent la proie des re- nards et des loups, malgré les vieux miles ([ui, à la tête du trou- peau, les défendent avec beaucoup j)lus de courage (pie de force. Les saïgas sont agiles, mais d'un tem|)éramenl si délicat, (pie la moindre blessure les tue. Leur troupe se compose (pu'hpicfois de jiliis de dix mille, surtout ([uand ils voyagent en automne, pour chercher un climat plus doux, des sources d'eau salée, et des plaines oii croissent des arroches, des armoises, et autres plantes acres «ît sab'cs qu'ils aiment beaucoup. Leur chair est mangeable, quoique exhalant une odeur assez dc'sagréabie, surtout lorsqu'elle vient d'être cuite et qu'elle est encore chaude. Le Ciuiuj {Antilope chiru, Less.) a de longueur totale cin([ pieds quatre pouces (1 ,752) ; son pelage est d'un bleu grisAtre , passant au fauve roux sur le dos , très-fourni, long d'un pouce ; le ventre est blanc, et les jambes sont noires; son cou est très- long, et ses cornes trcs-rapprochi'es. Il habite le Népaul, et les voyageurs anglais ont cru retrouver dans cet animal ranti(iue et fabuleuse licorne. Le Dseuen [Antilope gutturosa, Pall. — Desm. Le Hoang-yang ou Chèvre jaune des Chinois) approche de la taille du daim ; il est d'un gris fauve en dessus et blanc en dessous, en été ; d'un gri- sâtre prescpie blanc en hiver; la femelle est plus petite que le mâle, et, par une singulière anomalie, elle n'a que deux ma- melles, tandis que celui-ci en a quatre. Ses cornes sont noires, courtes, annelées dans toute leur étendue, disposi'es en lyre. Le niMe a le larynx prodigieusement gros, et sous le ventre une poche contenant une matière fétide. Il habite les déserts de la Mongolie, et vit en troupes très-nombreuses, siu'touten automne. Il est lieu farouche, s'apjirivoise très-bien , reconnaît son maître et le suit. Des troupes entières se mêlent quehpiefois aux trou- peaux domesti(pies. Ces animaux habitent les ])laines, et jamais les forêts; ils ont une si grande crainte de l'eau, que lorsqu'ils ont éti' acculés sur les bords d'une rivière, ils aiment mieux se laisser tuer (pie de la passer à la nage, et cependant ceux qui sont apprivoisés nagent fort bien. . L'Antilope ziîbre [Antilope zehra, Grav) se distingue très-bien des précédentes par ses lai-ges raies transversales et li.s.ses. Elle se ttoUve à Sierra-Leone. 7" Cenre. Les GAZELLES [Gazdla, Br.iss.) ont les cornes en lyre ou à double courbure, toujours anneh'es, sans arêtes, et la femelle en est pourvue aussi bien (|ue le m.Me; elles n'ont point de mufle, et qUelques-uncs ont des larmiers; leur (jueuc est courte ; on leur trouve des pores inguinaux , et deux mamelles. La Gazellf, dorcas [Gazella dorcas. — Antilope dorcas, Lin. La Gazelle , Buff.) a la taille du chevreuil, mais les formes beaucoup plus légères et plus gracieuses; son pelage est d'un fauve plus ou moins foncé en dessus, blanc en dessous, avec une large bande noire en travers des flancs; elle a une ligne noire sur le nez; ses cornes sont rondes à leur base, et portent treize à ((iia- torze anneaux saillants. Les gazelles vivent en troupes nombreuses en Barbarie , en Syrie et en Arabie, où elles semblent avoir été foriiK'es tout exprès par la nature pour fournir une pMure certaine aux lions, aux panthères, aux hyènes, aux chacals, aux loups, et même aux aigles et aux vautours. Douces, timides, tout à fait inofren- fives, elles n'ont à opposer à leurs nombreux ennemis qu'une fuite à la vérit(' assez rapide pour se dérober en un clin d'œil à leurs regards , quand elles n'ont pas été surprises ; dans ce der- nier cas le désesi)oir leur donne une sorte de courage, car alors elles se pressent les unes contre les autres, forment un (crcle, et présentent de toutes parts des cornes im|)uissantes. Cette ma- nœuvre ne sert qu'à donner à la panthère le choix de la victime sur laquelle elle bondit, et à l'instant toute la troupe épouvantée fuit à la débandade. Cet animal innocent a de si beaux yeux et un regard si doux, (pie les Arabes n'ont rien imaginé de plus galant (pie de comparer les yeux de leur maîtresse à ceux d'une gazelle. Prise jeune et élevée en domesticité, elle se prive très- bien et se montre sensible aux caresses; mais elle paraît inca- pable (le s'alTeclionner à son maître, et elle ne lui olx'it (pie par la crainte (pie fait naître chez elh; le sentiment de sa faiblesse. Elle ne cherche pas à recon(pi('rir sa liberté par la fuite, mais elle regrette son désert, languit, et refuse de multiplier son 19. 2') 1 .ES RUMINANTS. espèce; si elle n'a pas le courage fie secouer ses chaînes, elle a (lu moins relui de refuser à son maître une postérité' d'esclaves. On chasse les gazelles avec les chiens, l'once et le faucon, à cause de leur chair, qui est assez bonne, et comparable à celle du chevreuil. Ce sont des animaux d'une extrême propreté', et dont on n'entend presque jamais la voix; du reste, elles ont cela de commun avec tous les animaux de la famille des antilopes. Le Kevei, {Gazella kerella. — AnlUope knella, Pai.i.. Antilope dor- cas, Desm ) n'est probablement, comme le pensent quelques na- turalistes, qu'une varie'te' de la pre'ce'dente; il n'en diffère que par ses cornes plus longues, comprimées à leur base, ayant de quinze à vingt anneaux: par ses yeux plus grands. 11 a la queue noire. Il habite le Sénégal. La CoiuNXE {Gazelta corinna. — Antilope corinna, Pai.l. Anti- lope dorcaf, Desm.}, qui n'est encore qu'une variété de la gazelle dorcas, en diffère par son poil plus long, ses cornes plus me- nues, moins contournées, et à anneaux ]dus pelils; ses yeux sa tète est presque blanche, avec une ligne noire de l'œil au coin de la bouche ; les cornes sont assez longues, annelées, en lyre. Il habite , en troupe , les environs du cap de Ronne-Espérance , et ne fait que voyager d'une localité à une autre. La G.izEi.LE pol'upre {Gazella pygarga. — Antilope pygarga, Pall. — Drs.M.) est de la grandeur d'un rerf ; son pelage est d'un bai brun très-vif, et d'un rotige sanguin sur le cou et sur la tète; le chanfrein porte une large bande blanche; et elle a une raie brune sur chaque flanc; les fesses et le dessous du corps sont blancs; elle manque de brosses et de larmiers; les cornes sont rondes, noires, en lyre, à onze ou douze anneaux très-saillants. Elle liahile le cap de Bonne-Espérance. La Gazelle nez-taciié {Gazella nasomaetilata. — Antilope naso- maculatii, Blainv. — Desm.) est de la grandeur d'une chèvre ; elle est brune en dessus, blanche en dessous; son front est d'un roux vif, et une bande blanche traverse son chanfrein ; ses cornes sont noires, assez longues, annelées, courbées en avant et en sont entourés d'une bande blanchMn; qui descend ju.sipi'aMx narines; sa tète est fauve et d'un gris clair sur l'occiput. Elle est du Sénégal. Le Tsr.iiEYiiAN {Gazella subgutturosa. — Antilope suhguttunisa, GuLD. — Desm. VAhu, de KmcMPT. L'Antilope de Pêne des natura- listes) ne serait encore (pi'une variété de la gazelle dorcas, selon G, Cuvier. Elle est cependant un peu |ilus grande; son pelage est d'un brun cendré en dessus, blanc en dessous, avec une bande brune sur clia(pie flanc; les poils de son dos ont plus de deux pouces (0,OSi) de longueur; ses pores inguinaux sécrètent une matière odorante; les cornes, ilans les deux sexes, sont grandes, d'un gris noir, annelées et en forme de lyre. Elle habite la Perse et les confins de la Sibérie et de la Chine. Le SpRiNKiiOK {Gazella euchore. — Antilope euchore, Eoiisr. — Desm. Antilope dorsata, Lacép. Antilope marsupialis, Zimm. L'^ln/i- /ope à ÔQur.?!; des natin-alistes est d'un tiers plus grand que la ga- zelle dorcas , et un peu plus trapu ; il est fauve en dessus, blanc en dessous, avec une ligne brune longiludinale sur cliaqiu- (liiiie; il a sur la partie i)ostérieurc du dos une raie de poils blancs et longs de dix pouces (0,271) sur un repli longitudinal de la peau; diliors, i)uis eu dedans; elle a des brosses aux poignets. Sa pa- trie est inconnue. Le Kon [Gazella l;oli. — Antilope l(ol>, Ekxl. — Desm. Antilope leucophœa, Pall. La petite Vache marine du Sénégal, lUirr.) est de la taille d'un daim. Ses cornes sont noires, grosses, rapprochées l'une de l'autre au .sommet, à sept ou huit anneaux. Il habite r.Afrique équatoriale. Le KonA (Gazella senegalensis. — Antilope aenegalensis, Desm. Le Kolia de Buir.) est de la grandeur d'un cerf; ses cornes sont assez minces, noires, très-longues, un peu comprimées, en lyre, (h- douze à dix-sept anneaux, lisses au sommet. Il habite le Sénégal. La Gazelle aux pieds noirs {Gazella melanopus. — Antilope me- lanopua, Lnciisr. — Desm.) est ferriigineu.se en dessus, avec une ligne dorsale, noire, coupée obli(pienient sur les fesses par une ligne de même couleur; les fesses, le dessous du corps et le de- dans des membres sont blancs; elle a une tache noire à chaque pied , et mancpu- de brosses ; ses cornes sont Irès-longues, noires (1 très-fortes, en lyre, annelées, à pointe mince et lisse. Elle habite le cap de Boune-Espérance et vit en troupe. ANTILOPES. 293 8= GEMiE. Les CKUVICIIIATŒS [Cervkapra, Hiainv.) ont les cornes simples, tantôt ilroites, tantôt courliées en avant ou en arrière, peu ou point annele'es, sans arêtes; souvent des lar- miers , mais jamais de brosses; le mufle manciue ordinairement ; elles ont la (pieue courte et des pores inguinaux. Les unes ont les cornes courbées en arant; telles sont : Le Nanguek (Cervicapra dama. — Antilope dama. Le Dama, Pline. Le Nanguer. Buff,), de la taille d'un chevreuil; fauve en dessus; hiane sur les fesses et sous le ventre, avec une tache de la même couleur sous le cou; ses cornes sont noires, courtes, rondes, brusquement courbées en avant, lisses à leur sommet, courbée ; sa queue est courte. Il habile le cap de Bonne-Esperance, Le RiTKOK [Cervicapra eleolrayus. — Antilope eleotraréparée. Les cornes sont coniques, très-petites, pointues, annelées à leur base , à courbure postérieure presque insensible. J'ignore sa patrie. Les espèces suica7ites onl quatre cornes. Le TsciiiCARA Cervicapra chiekara. — .intilopechickara, IIardw.) est d'un brun uniforme en dessus, d'un blanc plus ou moins mé- langé de roux en dessous ; il a quatre cornes : les antérieures droites, courtes, cylindriijues, rapprochées à leur base et brus- quement pointues ; les ]iostéiieuies droites, lisses, allongées, pointues, peu divergentes. 11 habite l'Inde et n'est pas rare dans les forêts du Bengale et d'Orissa. La Cervichèvre \ quatre cornes [Cervicapra quadricornis. — Aniihpe quadricornis, de Blainv. — Desm.) a été établie par de Blainville sur une tête venue de l'Inde. Elle a quatre cornes : celles de devant sont assez grosses, lisses, un peu courbi'es en arrière ; les postérieures sont plus grêles, pins élevées, coniques, presque droites et un peu recourbées en avant. 9« Genre. Les ALCÉLAPllES [Alcelaphus, Blainville) ont des cornes à double courbure, annelées et sans arêtes, dans les deux si^xes; ils ont des larmiers et point de pores inguinaux; leur ipieue est médiocre, terminée par un flocon de jioils longs; ils ont un dcmi-mufle et deux mamelles. Le Bubale (Alcelaphus bubalis. — Antilope bubalis, Pall. — Lin. ]^c flubalus de Pi.ink. La Vache-biche, le Taureau -cerf, des voyageurs) est de la taille d'un grand cerf; d'un roussâtre uni- forme, avec un flocon de longs poils noirs au bout de la queue; il a la tête très-longue et très-étroite; ses cornes sont grosses, se touchant jire.sipie à leur base, fortement annelées, et garnies de petites cannelures longitudinales, arqnc'es d'abord en arrière, |iuis en avant et enfin en arrière. H habite le nord de l'Afrique, vit en petites troupes, et s'apprivoise fort bien quand on le i)rend jeune. Le Kaama (Alcelaphus kaama. — Antilope caama, Screr. — Desm. Antilope bubalis, Paii.. Le Licama des Gafrcs, et le Kaama des llotlentots) a été confondu avec le ])i-('eédenl, dont il dillere |)ar la tête plus longue encore , et par la courbure plus prononcée des cornes en avant et surtout en arrière; il est d'un roux brun assez foncé sur le dos et plus clair sur les flancs; il a le ventre, l'inti'rieur des membres et les fesses blancs, une taclie noire à la base des cornes, et pln^iciirs lignes noires sur les jambes. Les cornes sont grosses, forleinenl annelées. Il habite en grandes troupes le cap de Bonne-Espérance. ANTILOPES. 29S L'Alcélaphe a collets (Alcelaphus suturosus. — Antilope sutu- rosa, Otto) a les formes très-lourdes et la laiile moyenne; son pelage est très-sec, à poils inégaux, très-longs sur le dos et sur le cou, où ils forment trois bandes imitant de larges collets ; il est d'un brun cendré, blanc au ventre, aux pieds et à la queue, avec une tache brune au front et trois taches blanches sur les côte's de la tète; sa queue est longue, floconneuse; les cornes allon- gées, aiinelèes, grandes, recourbe'es au sommet. Je ne connais pas le mâle, ni sa patrie. 10^ Genbe. Les ïliAGÉLAPlIES [Tragelaphus, iie Hlainv.) ont les cornes plus ou moins comprimées, contournées en spirale, à arêtes existant tantôt chez le mâle, tantôt chez les deux sexes. Ils manquent (pielcpiefois de larmiers, et ils ont des pores ingui- naux, et un demi-mufle; leur (jueue est médiocre, et ils portent quatre mamelles. Le CoNDOMA ou CoNDOus ( Trayelaphus strepsiceros. — Antilope strepsiceros , Pâli . — • Dksm. Le Coes does des Hollandais du (;ap) a le corps robuste; son pelage, assez long et couché, est d'un gris plus ou moins roussâtre, avec une ligne dorsale blanche d'où partent d'autres lignes blanches qui descendent sur les flancs; il a une barbe au menton, une crinière sur le cou et une autre dessous; ses cornes sont grosses, lisses, d'un jaune varié de noirâtre, divergentes, à trois courbures en spirale. 11 habite les forêts de l'Afrique méridionale. Cet animal partage avec toutes les antilopes la légèreté des formes, la grâce des mouvements, la beauté de l'œil et la dou- ceur du regard; mais, plus courageux sans être plus méchant, il ne craint pas d'habiter solitairement le désert; il lutte contre le chacal et parvient même à s'en défaire. On ne le li'ouve guère que dans les forêts les jdus silencieuses du cap de l{onne-Es|>é- rance, où il se nourrit d'herbe et déjeunes bourgeons de bruyères. Sa course est tellement rapide et ses bonds si prodigieux , qu'il échappe aisément au lion et à la ])anlhère s'ils ne le saisissent à l'improviste et du i)remier élan ; s'il n'a pas le caractère assez sociable pour vivre en troupe avec d'autres animaux de son es- pèce, en récompense il s'attache beaucoup à sa femelle et passe sa vie entière avec elle. En domesticité il reconnaît la main qui le nourrit, suit son maître, montre de l'afTection ])our hii, et con- serve toute la gaieté de son caractère; mais à la jdus légère occa- sion de fuir, il ne niancpie jamais de regagner les forêts, et il ne reparait plus. Les llottentols, qui aiment beaucoup sa chair, lui font une cruelle guerre et emploient, pour le surprendre et le tuer, mille ruses, mille pièges, dans lesquels néanmoins il donne rarement, car il a autant de finesse tpie la gazelle a de défiance. Le BosiioK [Train'hiphuf. sylixiticus. — Antilope sijlvalica, (oïl. — Dlsm.) est d'un noir brun en dessus, blanc en dessous, avec plusieurs i)etiles taches blanches sur le museau , le milieu du cou , les flancs et les cuisses ; la queue est blanche en dessous , noire en dessus; la femelle n'a pas de cornes ; le mâle les a noi- res, tordues en spirale jiresque sur elles-mêmes, et lisses au bout, il habile le cap de lionne-Espérance, et vit par couples so- litaires dans les bois. Le Guui [Trayelaphus scriptus. — Antilope scripla, Pall. — Dlsm. La Chèvre tachetée ou Bonte-bock du, Sénégal, TriUMi. ) est d(^ la grandeur d'un daim, d'un fauve marron, à bandes hlanehes trans- versales, et beaucoup de taches rondes, blanches, ('parses sur les flancs et les cuisses. Il a sur le dos une ligne de poils blancs et noirs i)lus longs que les autres ; son ventre et le bout de sa es, s'il est atteint jiar le chasseur, il ne se rend pas sans avoir vigoureusement défendu sa vie. Pour cela il s'agenouille ties ])ieds de ic à l'autre, il leur suffit d'une pointe où se puissent ramasser leurs quatre pieds pour y tomber d'a- plomb d'une hauteur de vingt à trente pieds, y rester en équili- bre ou s'en élancer au même instant sur d autres pointes, soit inférieures, soit ])liis culminantes. Ils éventent le chasseur bien avant de lui être en vue. Une fois lancés, leur résolution est aussi rapide que le coup d'oeil. Si une tactique calculée d'après l'expé- rience de leur poursuite et la connaissance des lieux les a cernés sur ipielque rampe de iirécijiice d'oi'i il n'y ait h leur portée ni une pointe de glace ni une crête de roc, ils se jetleiil dans l'a- blnie, la tête entre les jambes |iour amortir la ciiute avec leurs cornes. D'autres fois, jugeant l'audace plus profitable à se défen- dre qu'il fuir, le bouiiuetin fait volte-face, s'élance, et, en pas- sant comme la (lèche, jirécipite le chasseur. » Pris jeune, le bouquetin s'apprivoise aisément, et vit fort bien au milieu des chèvres domestiipies. Il s'unit avec elles, et les cufanls (|ui en naissent sont fertiles et Irès-cslimés des montagnards de l'.^sie pour r('g(inérer leurs troupeaux. La femelle, plus petite que le mâle, met bas un ou deux petits à la fin de mars ou d'avril. Le Zeiiuiiou ou IIacii (Capra caucasica, Gui den. — Desm.) est de la taille du [U'écédent; son pelage est d'un brun fauve funcé en dessus et blaiichâlre en dessous, avec une ligne dorsale brune et une blanche sur les canons; le nez, la poitrine et les i>ieds sont noirs; la tête est grise; les cornes sont triangulaires et longues de plus de deux pieds (O.C.'^iO). Il habite le Caucase. Les Talares CHÈVRES. 299 et les Géorgiens trouvent sa chair délicieuse et font des vases à boire avec ses cornes. La Chèvre de Nubie (Capra nubiana, Fi\. Cuv. Capra arabica du Musée de Vienne. Le Buuc sauvage Je la haute Egypte, Fu. Cuv.), qui n'est peut-être rien autre chose qu'un mouton , est un peu plus svelte (|iie le bouquetin ; ses cornes sont plus griMcs et plus longues, et ont environ deux pieds et demi (0;81i); elles sont comprimées du côte interne, noires, avec une douzaine de ren- flements saillants. Cet animal est d'un fauve grisâtre , mêlé de brun, avec une ligne dorsale noirâtre. Les épaules, les flancs et le devant des jambes sont bruns ; il a des taches blanches aux ta- lons et aux poignets. Elle habite rAfri(pie. La CiiiiviîE SAiivACE [Capra œgagrus, Pall. — Desm. Le Vascng des Persans] est plus grande que la chèvre domesliiiue ; elle a la tête noire en avant , rousse sur les côtés, avec une longue barbe brune ; son corps est d'un gris roussàlre , avec une ligne dorsale noire ainsi (pie la queue; ses cornes ont la face antérieure com- primée el la postérieure arrondie, elles sont recourbées inférieu- remeiit en arrière. Elle habite toutes les chaînes de montagnes de l'Asie. Le paseng a absolument les mœurs et les habitudes du bouquetin, et ce serait nous répéter mot pour mot (jue de don- ner ici son histoire. Selon G. Cuvier, ce serait la souche de toutes nos chèvres domesti(pies; mais si cela est vrai, il est certain aussi que .SCS descciiilants ont été croisés fort souvent avec les espèces préci'dentes. Quoi qu'il en soit, la chèvre domestique a conservé une bonne i>arlie du caractère indépendant de son type , de son goût pour grimper, et de son humeur vagabonde. Son afleclion est intelligente; elle suit la vieille femme ipii en prend soin, l'aime , soulage sa misère de son lait , allaite même ses petits en- fants au berceau et accourt à leurs ciis pour satisfaire leurs be- soins en leur tendant sa mamelle gonflée d'un excellent breuvage; mais elle n'est docile que par amitié, n'obéit qu'aux caresses, et se révolte contre les mauvais traitements; le bouc; devient même quel([uefois méchant s'il est habituellement maltraité, et dans tous les cas il se défend quand on l'attaque. La chèvre a fourni de nombreuses variétés, dont nous citerons ici les principales, savoir : La Chèvre sutis cornes, qui habite l'Espagne; — la Chèvre de Cachemire, à poils lins, laineux, servant à la fabrication des châ- les; — la Chèvre de Juida ou Juda, d'Afrique; — la Chèvre du Tibet, introduite en France depuis assez longtemps ; — la Chèvre d'Angara, à poils longs et soyeux; — la Mambrine ou Chèvre du Levant, de la Palestine et de la basse Egypte ; — la Chèvre du Népaul; — la Chèvre naine, originaire d'Afrique; — enfin notre Chèvre commune. Les espèces qui vont suivre ont les cornes dirigées en arrière et revenant plus ou moins en avant en si)irale; leur chanfrein est ordinairement convexe; elles manquent de l)arbe; elles ont un sinus à la ba.se interne des doigts, dans les ([uatre pieds. Elles ont reçu le nom géni'ri(pie de Mouton (Ovis, Lin.), (piolipielles pioduisent avec les chèvres des métis féconds, et que G. Cuvier h's regarde comme congénères , ainsi que les regardaient Pallas, Leske, llliger, lilumeiibach, etc. I.,e Mouton oudinaire [Capra ammon. Lin. Ovis aries, Desm. Le Mou/Ion, F. Cuv. — Huit-. Le l/usio/ie de Sardaigne. Le Mu/fuli de Corse). Le mouton sauvage ou mouHon , i|U(; l'on regarde , avec l'ar- gali , comme la souche des moutons domestiques , a le pelage ras, composé de poils courts et roiiles, nullement laineux, d'un fauve terne, plus ou moins foncé en dessus, blanchâtre en des- sous ; sous ces poils on en trouve d'autres très-lins, très-doux, laineux, assez courts et en tire-bouchon; ses cornes sont très- grosses, arquées en arrière et recourbées en avant: la femelle a les cornes moins fortes, et la taille plus petite ipie le niAle : tous deux se revêtent d'un pelage plus noir et plus fourni en hiver. Le mouflon se trouve en Corse, en Sardaigne, dans la Turquie d'Europe et les îles de la Grèce, enfin sur presque toutes les montagnes élevées du midi de l'Europe. C'est près de leur som- met, dans les lieux les plus arides et les plus inaccessibles, ipi'il se plaît davantage. Le mouflon était connu de Pline sous le nom iVombre , et de son temps l'on savait déjà que les métis sortant de lui et de la brebis étaient féconds, d'où l'on concluait, comme aujourd'hui, que ce n'est rien autre chose que le mouton sauvage. Ses habi- tudes sont en tout pareilles à celles du bouquetin, mais à cela près qu'il manque totalement d'intelligence. « On le voit sauter de rochers en rochers avec une vitesse incroyable, dit Geoflroy; sa souplesse est extrême, sa force musculaire prodigieuse, ses bonds très étendus et sa course très-rapide; il serait impossible de l'atteindre, s'il ne lui arrivait pas fréquemment de s'arrêter au milieu de sa fuite, de regarder le chasseur d'un air stupide, et d'attendre que celui-ci soit à sa portée pour recommencer à fuir. » Telle est aussi l'habitude de nos moutons. Les mouflons vivent en troupes assez nombreuses , et la société de leurs semblables est si nécessaire pour eux ([u'uii individu isole' ne larde pas ii tomber dans le marasme et à périr. Fr. Cuvier a consigné dans les pre- mières livraisons de son Histoire naturelle un fait observé à la ménagerie, prouvant que le mouflon a tout l'idiotisme du mou- ton domestique. « Si le mouflon est la souche de nos moutons, on pourra, dit-il, trouver dans la faiblesse de ce jugement (pii caractérise le premier la cause de l'extrême stupidité des autres, et les moyens d'apprécier avec exactitude la nature des senti- ments qui portent ceux-ci à la douceur et à la docilité : car c'est sans contredit à cette faiblesse qu'on doit attribuer l'impossibilité où sont les mouflons de s'apprivoiser; ils nous ont donmi sou- vent les plus fortes preuves des bornes de leur intelligence. Ces ani- maux aimaient le pain, et lorsqu'on s'approchait de leurs barriè- res, ils venaient pour le prendre : on se servait de ce moyen pour les attacher avec un collier, afin de pouvoir sans accident entrer dans leur parc. Eh bien, qiioiqu ils fussent tourmentés au dernier point quand ils étalent ainsi retenus, (pioicpi'ils vissent le collier qui les attendait, jamais ils ne se sont déliés du i)u'ge dans le- quel on les attirait en leur offrant ainsi à manger; ils sont con- stamment venus se faire prendre sans montrer aucune hi'sllation, sans manifester qu'il se fût formé la moindre liaison dans leur esprit entre l'appât qui leur était ]>résenté et l'esclavage qui en était la suite, sans qu'en un mot l'un ait pu devenir ])our eux le signe de l'autre. Le besoin de manger était seul réveillé en eux à la vue du pain, m Le mouton domestique est, après le cochon d'Inde, le plus idiot de tous les animaux soumis à la servitude; et la domesticité, en achevant de le dépouiller de la faible part d'Instinct cpil lui avait été dévolue par la nature, eu a fait une sorte de machine vivante, dont toutes les conditions d'existence gisent dans les soins intéressés ipie l'homme lui accorde. Abandonné à sa propre conduite, dans le climat le plus favorable, un troupeau n'existe- rait pas deux mois, et tous seraient morts de misère ou par la denl des ainuiaiix carnassiers avant ce terme. Noii-seulement les moulons n'ollrent aucune résistance à lennemi ipii les attaque, mais ils ne cherchent pas même à prendre la fuite, et ils se bor- nent à un vain simulacre de courage en frappant la terre avec leurs pieds de devant. Un'»» loup se présente, aussitôt le trou peau entier s'arrête, le regarde avec une slupi fesses sont d'un blanc pur; ses cornes sont régulièrement eour- be'es en spirale et très-grosses. La femelle a des proportions plus petites. Il habite les montagnes du Canada, par troupes de quinze à vingt. C'est probablement inie variété, et même bien légère, de l'argali. Le Mouflon d'Afriuue (Capra ornata. — Ot'i's orna(a , Gfoff. Ovis tragelaphus, Cuv. — Desm. Le Moufhn barbu et le Moujlon à manchettes des naturalistes) est de la grandeur d'un mouton or- dinaire; son chanfrein est peu arqué; son pelage, dou'i, rous- sâtre, lui forme une sorte de crinière sur le cou, et de longs poils lui dessinent des manchettes aux poignets. Ses cornes sont médiocres, plus larges sur leur face antérieure, et non contour- nées en spirale. Il habite la haute Égyiite et la Barbarie. Le Zébu. LES BOEUFS n'ont point de larmiers, et le noyau de leurs lornes est en ])artie cellulcux; leurs cornes, i)lus ou moins arrondies, sont dirig('es lie (ftté et reviennent en avant vers le haut en formant le crois- sant. 18» Genre. Les BOEUFS [nos, Lin.) ont trente-deux dents, sa- voir: point d'inrisives en haut et huit en bas; point de canines; douze molaires à chaque mâchoire. Ils ont un large mude, le corps <'|)ais, les jambes fortes et assez courtes ; des onglons der- rière les saliots; la queue assez longue, terminée par un flocon de poils, et (|uatre mamelles inguinales. Tous ces animaux sont lourds et de grande taille. Le BiHUF 0UII1NAIRE (Wo.proche beaucoup de celle du rhinocéros. Son pelage est composé de deux sortes de poils, celui de dessous laineux et doux. Le devant du corps , jus(pi'aux épaules, est rouvert de poils bruns, durs et grossiers, surtout à la pointe, longs de près d'un pied (0,325) ; le dessous de sa gorge , jusqu'au poitrail , est garni d'une longue barbe pendante; tout le reste du corps est couvert de i)oils ras, courts, d'un blanc noirâtre ; son front est bombé; ses cornes sont grosses, rondes, lali'rales; sa (pieue est très-longue. I.nliu il a (piatorze jiaircs de cotes tandis rcs lîanines(pie, le bison ne serait pas indomptable, comme on l'a dit, et il serait domesli(pie dans les fermes du Kentucky et de l'Ohio. Il se plaît et s'accouple avec les vaches ordinaires, et jiro- diiit des métis (pii ont la couleur, la tête et la demi-toison du bison , son dos incliné, mais pas de bosse sur le garrot. Ces métis s'accouplent indiiréremmenl entre eux ou avec leurs ])ères et mères, et produisent d(! nouvelles races fécondes : ce qui j)rouvc, selon l'opinion de liuflou , (pie le bœuf et le bison formaient ori- ginairement une espèce unique. 304 LES HUMINANTS. 17= Gemïe. Les OVIBOS {Ovibos, Blainv.) ont la même formule dentaire que les bœufs; ils manquent de mufle, et leur chanfrein est assez fortement busqué, comme dans les moutons; leurs cornes sont très-larges, se touchant h leur base, s'appliquant ensuite sur les côtés de la tête , puis se relevant brusquement de côté et en arrière; ils n'ont pas de barbe; leur queue est très- courte et leurs membres sont robustes. '^*^à*■ L'OviBOS MUSQUÉ (Ovibos inoschatus, Blainv. — UtSM. Bus inus- chatus, Lin. Le Bœuf musqué, Buff.) est beaucoup moins grand que le bœuf et offre un peu l'aspect d'un très-gros mouton; son pelage se compose de deux sortes de poils, l'un doux et laineux en dessous, l'autre grossier et fort long en dessus. Sa couleur générale est le brun foncé ; son chanfrein est anpié , et sa bou- che fort petite; ses cornes sont blanches, lisses, fort larges à la base et se touchant presque, surtout dans le mâle. 11 habite l'.Vmérique, sous le cercle polaire, par troupes de ijuatre-vingts à cent , parmi lesquels on ne trouve que deux ou trois mules. A l'époque du rut, c'est-à-dire en août, ces derniers sont excessivement jaloux , et se jettent avec fureur sur tout ce qui approche leurs femelles; ils se battent entre eux jus(iu'à la mort, et le mâle vainqueur fuit dans les bois avec ses conquêtes, dont quelques-unes restent pour consoler les vaincus. Les femelles mettent bas un seul petit, à la fin de mai ou au commencement de juin. Karement ces animaux s'écartent beaucou]» des bois, et ils aiment à errer dans les parties rocailleuses et stériles des montagnes. Malgré leur lourdeur apparente, ils gravissent avec beaucoup d'agilité les rochers, où ils aiment à aller paître les bourgeons de plantes alpines. Leur chair a quelque analogie de goût avec celle des l'élan , mais elle exhale une forte odeur de musc qui la rend détestable pour les personnes qui n'y sont pas accoutumées. y^-.^-fi'^ •'•^•llll^ DES FIAMES f i^^,__, , Enclos des Chèvres et Moulons d'Islande près de la fosse aux Ours. TABLE ALPHABÉTIOUK DES \OAIS DE (iENRES. Nota. Les noms d'ordres sont en GRANDES CAPITALES, les noms de familles en i>ktites capitai,es, les noms de genres en caractères ordinaires, et les noms latins en ilalique. Li' nom des espèces figurées est précédé d'un astérique ( *). A Antilopes , Aiililajie. jni ISentouronijs. 128 Antii.iipf.s. ib. lilclie de Virginie. S8g Acaiitliions , Acanlliion. 248 Aonj\ , Adnij.r. 160 iilaireaux. 130 Acliëes, Acheiis. 267 Arctoci'phales , Aixtoci'iiltdlus. 1!)7 |{:ii;UK.S. 301 Kilo, .1: lo. lOG Anlomii'i. 319 IloS. 16. Agou.ir.ipopé. 129 AretODjx, ArfluniiX. 127 Itosélaphes, Hoselaphus. 295 Agouti. 25(i Armardilles. 201 ' Uuuquetiii. 296 .\goulis. il,b Arlibtîes, .Irltlicuf:. 98 Bradypes, HrcitliJiius. îiO Aï. 2i7 Arriiiita. 2:!9 Ailurus. U'7 Atalaphes, Atalapha. 104 C Al.icrai;i. 226 Alfles. 7 6 Alcélaplies , Akrla[/huf. 20 i Aye-Aye. 94 Cabi:. Noctbores, Nocthora. 81 * Porc-Épic de Malacca. 249 Nûctilions, Noclilio. 105 ' Porc-Épic ordinaire. 248 Nyctères, A'ycteris. 99 Pof.cs-Épics. 247 H Nycticèbes, yycticebus. 89 Potamys. 246 Nycticées, Nycliceus. 104 Potorous. 207 'Macaque nègre. (,'9 Nyctinomes, Nyctinomus. 107 Pottos. 9» Macaques, Macacus, 66 Nyctopbiles, Nyctophilus- 100 ' l'oucan. 89 Macrocélides. 115 • Nyl-Ghau. 293 * J'ougounié. 125 Macroglosses, Macroglossa. iro Presbyte, Presbytis. 70 Macrorhins, Macrorhinus. I9'(i Priodontes , Priodontes. 260 Afacroxus. 21-7 O Procyon. 127 Madatées, Madateus. 98 Protèles , Proteles. 173 * Magot. es ' Ocelot ou Maracaya. 188 Ptéromys, Pteromys. 2IS Magots, .]fagus. «7 Ondatras, Ondatra. 245 Pteropus. 10.7 'Maki à front noir. 88 ■ Orang-lloutan. M Putois, Putorius. 141 'Maki rouge. ib. Orangs. 50 Makis. 8C Oréas, Oreas. 295 'Mangabey sans collier. CI •Oreillard. 104 « Mangoustes. 167 Oreillards. 103 Mangues. 1C9 ■ Ornithorynque, Ornithorhynchus. 2G.'-. QUADRUMANES, premier ordre 50 Manis. 2G3 Oryctères, Onjcierus. 223 'Mapach. 128 Oryctéropes, Orycteropus. 2G2 R ' Marmotte des Alpes. 230 Oryx, Oryx. 290 Marmottes. 219 Otaries, Otaria. 198 'Raccoon. 128 MARSUPIAUX, septième ordre. 200 Otomys, Otomys. 230 'Rat de Barbarie. 233 'Marte à gorge dorée. 1.3G ' Ouanderou. GS Rats. 227 Martes. ib. "Ouistiti à pinceaux. 8i Rais. 231 Mégadermes , Megaderma . 99 ■ Ouistiti oreillard. ib. Rats-Nageurs. 243 Mêles. 130 Ouistitis. 8 3 * Rat-Taupe. 224 Mellivora. 134 Ours. 122 Rats-Taupes. 223 Mephilis. 144 ■ Ours blanc. 12j ' Ratel. 133 Mériones , Merioncs. 227 ' Ours brun d'Europe. 124 Ratels. 134 Midas. 84 ■ Ours féroce. 128 * Raton crabier. 128 Molosses, Molossus. 105 Ovibos, Ovibijs. 304 Ritons. 1 27 'Mone. Monophylles, Munophyllus. 57 98 'Renard argenté. 'Renard fauve 101 160 Monotrèmes. Mormops, Mormops. i'GS 100 P Renards. Rhinocéros, Hhinoceros. 159 270 'Morse. 197 "Paca brun. 253 RiiiNOLoriiBs, Hhinolophus. Rbinopomes, Rhinupoma. ' Roloway. RONGEURS, huitième ordre. Rongeurs iierdivore.s. Rongeurs omnivores. Rossomak. ' Roussette. Roussettes. RUMINANTS, onzième ordre. Morses. MoSCIlINÉES. Moschus. •Moufette. 9S 198 283 ib. 114 Pacas. PACHYDERMES, dixième ordre. Pachysomes, Pachysoma. ' Palmiste. ib. 2G7 110 212 ib. 57 212 Moufettes. ib. Panda. 127 247 Mouton. •Mulot nain. 'Murin. Mus. 'Musiraigne d'eau. 'Musaraigne de terre. Musaraignes. 297 233 101 231 Pangolins. Panthère. Paradoxures, Paradoxurus. 'Pécari à collier. 263 180 128 272 212 132 lOS 107 280 113 ib. 112 'Pécari à longues lèvres. Pécaris. Pelages, Pelagius. ib. 271 196 hitpicapra. Ryzœna. 297 170 'Musc. 284 Péramèles , Perameles. 20,1 Muslela. 13G Pétauristes , Pelaurus. 210 M Myceles. 7 4 Phacochœres , Phacochœvus. 274 Mydas, Mydaiis. 147 Phalangers, Plialangista. 20G Saccomys, Saccomys. 330 Mygale. 115 Phascogales, Phascogale. 204 Sagouins, Saguinus. 79 Mynomes, Mynomes. 242 Phascvtarctos. 206 'Sajouassou. 80 Myopotahius. 240 Phascolomes , Phascolomys. 211 Sajous. 78 Myoptères, Myopteris. 104 'Phoque commun. 192 Sakis. 82 Myo.cus. 235 PlIOOUKS. ib. Sapajous. 74 Myrmecophaga. 262 Phoques, Plioca. 198 "Sarigue. 200 Myspithèques, Myspithecm. 90 PlIVLI.OSTOMES. 96 Scalopes, Scalops. 117 Phyllostomcs, Phyllustoma. «7/. Sciuruplerus. 218 Pilhcria. 82 Sciurus. 214 K PiIIkcus. 50 Scotophiles , Scotopliilus. 106 Plantigrades. 122 Semnopithèques , Scinnopithecus. 64 Nasalif. CO Platyrhynques, Plalyrhynchus. 197 Scliger. 120 Nasiques. «6. Plerotus. 103 Siamang. 55 Nasua. 130 Pi.iÎmi:ornes. 284 Sigmodons , Sigmodon. 242 "Ncms. tC8 Plcuroptères. 95 Singes. 57 Néotomes, Xeotoma. 242 Polatouches. 218 Sorex. 112 Nil-Bmdar. 68 Pongos, Ponyo, 54 Spalax. 223 nos TABLE ALPHABÉTIQUK. Sperniojihiles, Spcrmophilus. 222 Tapirus. 2C8 Sphiggures, Sphiggurus. 249 Taphiens. 99 U Stemmatopes, Stemmatopus. Sténodermes, Stenoderma. 195 106 Tajilio-ous. TaRU]GBADE<. ib. 257 Dlacodes, Ulacodus. 22i Slénoibynques , Slenorhijnchus. 195 Tarsiers, Tarsiuf:. 92 Drsins, Ursinus. Ursus. 204 Surik-iles. no ' Tatou-Poyou. 2C0 122 Su':. 273 Tatous. 259 Syndaclyles, Sijndaclylus. r.5 Tatusia. 'Taupe. 2GI 120 V Taupes. 118 Vampires, Faiiipirus. 87 V Tenrecs. 121) Vespertilioss. 101 Thylacins, Thylacinus. 20 i Vespertilions, Vefperlilio. ib. Talpa. 118 •Tigre. 181 Virerra. 105 Tdlpasores, Talpasorex. 117 - Toque. 1î Vulpes. 159 ' Tamanoir. 2C4 Tragt'lapUes, Trajela[jJius. 295 Tamarins. 8'1 Trichechus. 19S K 'Tamia palmiste. 212 Triodostes a courtes camne<. 1 18 Tamias, Tamia. il). ThlODCrNTES A GRANDES CANINES. /6. ■ Zèbre. 277 "Tapir d'Amérique. 3 (19 Troglodytes , Troglodijti'S. 51 ■ Zébu. 301 Tapirs. 2li8 ' Tsclierno-Buroi. l37 Zorilles, ZoriUa. 147 ■.",'."^.''''S-7i:iiifïïïïr LR PMTHÉOIV POPULAIRE. ONZIÈME SÉRIE. TABLE DES MATIÈRES. ROBINSON SiJlSsr. , par madnnio (In Mmiiclirn. Quentin DumvAnn, pnr Walicr Sroti. ABD-r.r.-KADEn , par I,(''on VU-e. PARI». TïrOCKAI'IIIK l'LON IIIÈIIES, Illt: DE VAUcmAHO, 36. LE PAIVJTHÉOIV POPULAIRE ® Q) Œif S-i^^l¥ll liWSf lis DE LA LITTÉRATURE PARIS, GUSTAVE BARBA, LIBRAIRE-EDITEUR, RUE DE SEINE, 31. 11. i^:S§j^i'>K^\>-.^^'T^-''>, CU5TAVR ninrA, kuiteir. LE ROBINSON SUISSE. CHAPITRE I. Naufrage et préparatifs de déli- vrance. ... C'i'l;iil aM\ ;i|)]iroilifs de ri(mino\e; déjà la tem- pête avait duré six terribles jours, et , loin de se laliner le seiUiènie, elle paraissait auijmenter de l'iireiir. Nous nous étions fort écartés de notre route, et avions été' lelleiiUMit entraînés vers le sud-siul-est, que ])ers()nne sur le vaisseau ne savait où nous étions. L'é((uipa|;e était épuisé par le travail pénilile et les loU!;ues veilles, et tout à fait décourajjé. Les mâts étaient fracassés et je- tés à la mer, le vaisseau était ouvert en plusieurs endroits; l'eau commençait à y péné- trer. Les matelois avaient cessé de jurer, el récitaient des iiriires et des oraisons, ou faisaient des vieuv ridi- cules; eliacuu recomman- dait son àiue à Dieu, et pen- sait cependant auv moyens de sauver sa vie. J'étais avec ma famille dans la chamWre i|ue nous avions louée en partant. « Knfauts, dis-je à mes (|uatre j;arc()ns, (|ui .se serraient contre moi enVayés et ffémissants , Dieu peut nous sauver, s'il le veut, car rien ne lui est impossi- l)le; et s'il ne le lrou\e pas ■inl Knlre tr.-ijet se lit tics-heureu.''onicnt , (iii.ii >Ion cœur fut percé comme par un eoup de poii;nard : « Perdus! » lu'écriai-jc; et les lamentations des enfants furent plus fortes cpie jamais. Alors je me contins, et je m'eeriai : a Courage, mes amis! nous sommes encore ii sec; la terre est proche; le Seigneur ilonne aide aux couraifcnv; restez là, vous êtes pour le moment en sûreté; je vais voir s'il n'est pas possible de se sauver. » Je les quittai, et je montai sur le tillac : une vague me renversa et me mouilla de la tète aux pieds; elle fut ii l'instant suivie d'une s<'conde. Ciuubattanl toujours contre de nouvelles vagues, je me tins heureusement ferme, et je vis avec épouvante, lorsque je pus regar- der autour de moi, le désastre le plus complet: le bâtiment était eiiticrcmeiil fracassé et prcs([uc séparé en deux. J'aperçus nos cha- liuipes remplies de plus de monde qu'elles ne pouvaient eu contenir, et le dernier matelot s'élança pour couper la corde et se joindre à ses eoiiipagnons. Je criais, je priais, je les conjurais de me prendre aussi sur la chaloupe avec les miens; mais ce fut en vain : le mugis- sement de la tempête rendait mes ardentes prières inutiles; ils ne m'entendirent jias , ou ne voulurent pas ni'cntendrc; d'ailleurs, les vagues, qui s'élevaient comme Ce discours calma tout à fait mes enfants, et, eomnicà l'ordinaire, ils prirent (loiir une certitude ce que je leur disais; ils se réjouirent lie ce (|uc le cruel halanceiuent du vaisseau avait cessé : |iendant tout le temps qu'il avait duré, ils avaient été jetés douloureusement les uns contre les autres et coutr<' les parois du bàtimcnl. Ma femme, plus accoutumée à lire dans mon cceur, découvrit rin(|uiéludc riont j'étais dévoré; je lui fis un signe qui lui confirma notre enlier aban- ilon, et j'éprouvai une grande consolation de voir (|u'ellc supportait le malheur avec une résignation vraiment cbrétieinie. » i'renons queli|ue nourriture, ilit-cUc : avec le corps l'àmc aussi sera fortifiée; probablement une nuit triste et pénible nous attend. • lin cITct, le soir arriva : la tempête et les vagues continuèrent leur f.ireur; de tout eolé les planches et les poutres du vaisseau furent arrachées avec un épouvantable fracas. 11 nous parut impossible (|ue l('s chaloupes, ou aucun , des vessies ou des corselets de liég'c jiour niu mère el pour mcsfrèrcs, vous, mon |)ère, et moi, nous nagerions sans secours. ' De.s insiriimonis pour aider ii n.i!;er. — Ta pensée est bonne, répliquai-je ; je vais y suppléer et prendre desnicsures pour cette nuit, en cas d'accident. » ^ous chcrchàincs dans notre chambre quelques petits tonneaux , des caisses vides, on des vases de fer-blanc assez forts pour tenir un enfaiil en équilibre au-dessus de l'eau; nous en nouâmes deux en- semble avec des mouchoirs, à un bon pied de distance l'un de l'autre, et nous attachâmes cette espèce d'instrument de natation sous le bras de chacun (\vr, petits garçons, pendant que ma femme en prépa- rait un pour elle-même. INous nous pourvûmes tous de couteaux, de ficelle, de brii|uets e( d'antres ustensiles qui pouvaient tenir dans nos poches, et nous espérâmes (|iie, si le vaisseau achevait de se bri- ser dans la nuit, nous pourrions arriver à terre, moitié nageant, moiti(> poussés par les vagues. l''rilz, qui n'avait point ilorini la nuit précédente, cl qui était fa- tigué de son nouveau travail, alla se reposer près de ses frères; il seiulorniit aussitôt; mais leur mère et moi, pleins de souci, nous limes le guet, afin d'euleudre chaque coup et chaque son (|ui paraî- li-ait annoncer un changement. La jilus Icrrilile des nuits s'écoula dans la prière, dans des iiii|uiéludes mortelles et dans des résolutions varices sur ce qui nous restait à faire. Nous remerciâmes Dieu de tout notre cieur quand la lumière du jour ]iarut par une ouverture. La fureur des vents commen(;ait à se calmer, le ciel s'éclaireit, et, plein d'espérance, je vis une belle aurore colorer l'horizon : le eieur ranimé, j'appelai femme et enfants sur le tillac, où j'étais monté. Les enfants furent surpris de se voir seuls avec nous : o Mais oîi sont tous nos gens:' dircul-ils. — Ils sont partis dans les chaloupes. — Pour- quoi ne nous ont-ils jias pris avec eux? Comment pourrons-nous mainlcnanl aller plus loin sans secours? Comment saurons-nous où nous sommes? — Bous cillants, leur rciiondis-je, un Etre ]ilus puissant que les hommes nous a aidés jusi|u'à présent, et, si nous ne nous livrons pas au désespoir et au murmure, nous en recevrons, n'en doutez pas, d'autres secours. ]\os compagnons, en ([ui nous avions tant de con- liance, nous ont abandonnes sans miséricorde, mais la grâce divine a soin de nous ! A présent, chers amis, mettons la main à l'œuvre; Dieu veut que l'Iioinme agisse et travaille. Aide-toi , le ciel l'aidera. Happelez-xons bien cette utile maxime, et travaillons chacun selon nos forces. ^ oyons d'abord ce qu'il y a de mieux à faire dans notre situation. — 11 faut , dit Frilz , nous jeter tous à la mer pciulant (|u'clle est calme, el nager jusqu'à terre. •^ C'est fort bien pour toi, répoudil Kruest, tu sais nager; mais nous, nous serions biiiitôt noyés. INC x'aul-il pas mieux construire un radeau pour arriver tous ensemble ' — Fort bien, répli(|uai-je, si nos forces pouvaient sulVire à eel ou- vrage, et si un radeau n'était pas toujours un bâtiment dangereux. Allons, allons, dis|icrsez-vous sur le vaisseau ; que ehacuu songe aux objets qui nous seront le plus nécessaires, et ehcrclie ce i|ui pourra iiiuis aider à sortir d'ici. A CCS mots, tous coururent dans les dilll'ércntes parties du vaisseau jiour trouver (|uelque chose d'utile. ()u;uil à moi, je me rendis dans l'endroit oii élaieiil les provisicuis et les tonneaux d'eau douce, pont' examiner ces objets importants; ma femme et le petit cadet allèrent faire visite à nos bêtes, ipii étaient dans un pitoyable état, et péris- saient ])ics(|ue de faim et de soif : Frilz entra dans la chambre des armes et des miiuitions, Ernest d;uis celle des ( liarpeiitiers, Jack dans la cabine du iMpilaiiie; mais ii peine l'eul-il ouverte, que deux (juissants dogues s'é'lanci'rcnt joyeusement sur lui et le saluèrent avec une amitié si rude, (pi'il faillit être renversé. Il criait comme s'il eitt lié égorgé; cc]icndant la faim avait rendu ces animaux si doux, qu'ils léchaient ses iiniins et sou visage avec des gémisscmenls, et le cares- saient pres(|ue à l'étouffer. Le pauvre enliint employait toutes ses forces il les irapperpour les éloigner de lui : cnhii il put se remettre sur ses jambes, et, saisissant le plus grand par les oreilles, il s'élança sur son dos, el vint ainsi avec gravité au-devant de moi; je sortais du fond de cale, et ne |nis m'cmpêchcr de rire; je louai son courage, mais je l'exhortai il être plus prudent à l'avenir avec des :iniinaux de cette espèce, (pii peuvent être tri's-dangi'reux ipianil ils sont affamés. l'eu il peu loutc ma iietite triuipe se rassembla autour de moi, et cliaeiin x'antii ce qu'il ;>pporlail. l'rilz avait deux fusils de chasse, de la poudre, du petit pliiinl), des balles renfermées dans des flacons de corne ou d;iiis des bourses. Eriiesl tenait son eliapeaii rempli de clous; il apportait, en outre, une hache et un marteau; une pince, une p;iire de grands ciseaux et un peri'oir sort;iieiil à demi de ses poches. Le iH'Iil l'raneois même portait une assez iji'aiide boîte sous le bras, de l.i((uelle il lira avec bcaïK'oup d'euipi-esseiiiciil di' pelils crochets pointus: c'est ainsi (|u'il les nommait. Ses frères voulurent se moquer Ar sa trouv:iille ; — Taisez-vous, leur dis-je, li' plus pelil a l'ait la plus belle capture, et cela se voit souvcnl ainsi dans le monde : l'être (|ui court le moins après la forliiiie, et qui, dans sou innoeence, la connaît à peine, est souvent celui à qui elle se préscnlc le ))liis vo- lontiers. Ces crochets, mes enfants, sont des hameçons, el, pour la conservation de notre vie, ils nous seront peut-être plus utiles que LE ROliUNSON SUISSE. tout ce qu'on pourrait trouver sur le vaisseau. Cependant Fritz et l'"rnest n'ont pas mal rencontré non plus. — I^onr moi, dit ina femme, je n'apporte i|iriine bonne nouvelle, (|ui me procurera, j'espère, un accueil i'avorahie; je viens vous dire (|u'il y a sur le vaisseau une vache, un âne, deu\ (lièvres, six lirebis et une truie pleine, (|iie nous venons de l'aire mani;er, d'abreuver, et que nous jmurriuis conserver. — Tout ce que vous avez fait est bien, dis-je .i mes petits iiu\ riers; il n'y a que maître ,lack qui, au lieu de penser ;i (|mcI(mic chose d'utile, nous amené iliuv ijros mangeurs , qui nous seront bien jibis nuisibles qu'a\ anl:ti;('U\. — Ah I dit Jack, ipiand nous serons à terre, ils pourront nous aider à chasser. — Oui, répondis-je: mais comment arriver à terre? en sais-tu les moyens? — Ahl cela n'est pas bien difficile, dit en secomint la tète mon lielil éveillé ; ne pouvons-iu)us pas prendre de i;randes cuves, nous melire dedans, et naijer ainsi sur l'eau? .l'ai navigué Irès-bien de cette manière sur le grand étani; de mon parrain, à S"". — liienl bien 1 mon.lackl tu es de bon rnnseil; (Ui peut accepter avec reconnaissance un bon avis de la bouche d'un enfant. \ ite, mon fils, donne-moi la scie, le pcrçoir et des clous; voyons ce qu'il y a à f.iire. .le nu' rappelai d'avoir vu des tonneaux vides .-i lond de cale; nous \ descendimes, les tonneaux na|;eaicnt; niuis eùiiies moins de peine à les tirer de là et à les poser sur le premier plancher, qui était ;i peine hors de l'eau. >ous vîmes avec joie c|ue liius étaient très-bons, de bon bois et bien ijarnis de cercles de fer; ils conve- naient parfaitement ;i mon but, et je coniiueneai, avec le secours de mes fils, à en scier deux parle milieu. Après avoir travaillé long- temps, j'eus huit cuves égales et ii la hauteur que je les voulais. INous nous restaurâmes tous .avec du vin et du biscuit, dont qiii'li|ues-uns de ces mêmes tonneaux étaient encore remplis. Satisfait, je contem- plai mes huit bati-aux rangés en ligne, .l'étais étonné de \(iir ma femme cnrnre tout abattue; elle les regardait en souiiirant : « Jamais, disait-i'llc, je ne pourrai me mettre là dedans. » — ?(e juge pas si vite, ma chère amie, réplicpiai-je ; mon ouvrage n'est pas encore lini, et tu verras qu'il mérite plus de confiance que ce vaisseau, qui ne peut bouger de place. Je cherchai ensuite une longue planche un peu flexible, et je l'ar- rangeai de manière que nos huit cuves pouv.iicnt s'y attacher, et que ili'vani cl derrière elle les dépassait encore d'autant qu'il le fallait pour faire une courbure semblable à la (|uille d'un vaisseau : alors iKHis lixlimes toutes ces cuves avec des clous sur la planche, et cha- que cuve à la partie latérale de sa voisine, afin qu'elles fussent très- termes. Nous clouâmes ensuite deux autres planches de chaque côté ili's cuves, de la même longueur (|ue la première, et les dépassant de iiième en avant et en arrière. Lorsque tout fut solidement arrangé, il en résulta une es]ièce de bateau étroit et divisé en huit loges, ((ui |iaraissait me promettre tout ce qu'il me fallait pour une courte na- vigation par une mer calme. Mais nialheurcusement ma construction merveilleuse se trouva si pesante, que, malgré toutes nos forces réunies, nous ne pûmes la transportera un pouce de sa place : je demandai le cric, et Fritz, qui l'ii avait rema'-qné un, courut le clnu-clier : eu alleiidant, je sciai nue grosse perche ronde en ([ucl(|ues nuirceaux pour eu faire dis cylin- dres ; je soulevai ensuite avec le cric bipartie de devant de mon ba- teau, pendant que Fritz posait dessous un des cylindres. — (^'est bien étonnant, dit Krnest, que cette machine, qui est moins grosse ([u'aucun de nous, puisse faire plus (|ue toutes nos lorces réunies; je voudrais bien voir comment elle est construite en dedans. .le lui expliquai aussi bien ([lie je le pus la piiissani-e de la vis d'Ar- eliimi'dc, avec la((uelle ce géomètre offrait, dit-on, de soulever le monde, pourvu (|ii'il eût un iioint d'appui, et je promis à mon fils de décomposer le crie lorsipic nous serions à terre, pour le lui montrer en dedans, .l'avais ]>our système d'édnealiiui d'éveiller la eiiiiosité de mes his ]iar des observalioiis intéressantes, de laisser d'abord agir leur imagination, et de rectifier ensuite leurs erreurs, .le terminai la dé- liiiilion du cric par cette remarque générale, (|ue Dieu compensail siiflisamment la faiblesse naturelle de rhoiume par la raison, la force inventive et l'adresse des mains, et ([ue les réflexions et les médita- tions humaines avaient composé une science (|ui , sous le nom de ttiijcanique , nous enseignait ii ménager ou à compenser nos propres r.irccs, et à les étendre d'une faiHin incroyable |iar le moyen des luaehines. .lai k lit alors la remaii|iie (|uc le cric agissait tri's-icntemeiil. — Il vaut mieux lentemeiil que pas du tout, iiiiiii lils, lui dis-jc. On sait de tout temps par rexpérience, et les observations mécani- (|U(!s ont établi pour principe, (|ue l'on perd en vitesse ce (|iie l'on gagne en force. Le cric ne doit pas nous servir pour lever vite, mais pour siuilevcr un poids, et plus celui (pi'il soulève est pesant, plus lenlement il opiue : mais sais-tn par (|uoi celte lenteur se compense ? — (.)h ! oui! c'est eu toiiniiiiit plus vite la maiiJM-Ilc. — l'as du tout, cela ne compenserait rien; c'est avec la patience, mon bis, et avec la raison; à l'aide de ces deux fées, j'espère melire mon bateau à l'eau. Aiissiliît j'attachai une longue corde à l'arrière de mon bâtiment, et l'autre bout à une ])oulre (|ui me parut être encore leriiie, de nianiere (|ue la corde traînait à terre sans être ten- due, et devait servir à guider et à retenir le bateau lors([ii'il serait lancé; ensuite, avec un second et un troisii'mc cylindre ])lacés des- sous, et (Ml ]i(Hissant avec le eric , notre petite embarcation fut mise à flot. I'',lle sortit du vaisseau avec une telle vitesse que, sans ma corde prudenimeiit attachée , elle aurait couru bien loin de nous dans la mer; mais malheureusement elle penchait lellemeni, ([u'aucun de mes gaicons ne voulut se hasarder à y entrer. Je m'arrachais les che- veux de désespoir, lorsqu'il me vint tout à coup dans l'idée qu'il y manquait du lest jiniir la tenir en équilibre : je jetai dans les cuves tout ce que je pus trouver (|ui avait du ]ioids sans tenir trop de jilacc; peu à peu elle se releva et fut enfin droite et ferme devant nous, nous invitant à y prendre iilace. Alors tous mes enfants auraient voulu s'y jeter à la fois, et ils commencèrent à se pousser et à dis- puter à (|ui entrerait le premier; mais je les en empêchai, car je x'oyais clairmicnt (|ne le trajet serait trop hasardeux, et (pi'.iu moindre mouvcinent de l'un de ces pétulants enfants la niacliine pourrait tom- ber de C("ité et les eiilbnter dans la mer. Pour remédier à cet incon- vénient, je pensai ii un balancier de perches, tel ([ue ceux avec les- (jucls les nations sauvages savent cmpêclicr leurs pirogues de chavirer. Je mis donc, encore nue fois, la main à l'œuvre pour perfectionner un ouvrage (|ui devait faire la sûreté de tant d'êtres chéris. Deux morceaux de vergues, égaux en longueur , furent placés l'un sur lajirouc ' du bâtiment, et l'autre sur la poupe, et attachés avec une cheville de bois, en sorte (pi'on put les tourner à volonté pour faire sortir notre construction de la place encombrée oii elle se trou- vait encore. J'enfon(;ai de force , dans le bondon d'un tonneau vide , le bout de chacune des vergues; et, de cette manière, je fus sûr que, lorsque mes vergues seraient tournées en travers, elles serviraient de balanciers , et que leurs tonneaux feraient le contre-poids. Il ne me restait plus rien à faire que de trouver un expédient pour sortir du milieu de nos débris et entrer en pleine mer. Je montai dans la première cuve, et je dirigeai mon avant tellemcntqu'il entrait par la fente de la ])aroi, (pii nous ofl'rait une porte : alors je rcssortis, et j'abattis, soit avec la scie, soit avec la hache, à droite et à gauche, tout ce qui obstruait le libre passage. (Juand cela fut fait, nous pr(5- parâmes des rames ])Our notre voyage du lendemain. La journée s'était écoulée dans ce travail; il était di'qà tard, et, comme il n'aurait pas été possible d'arriver le même jour à terre, nous fûmes obligés , ipioii]u'à ciuitrc-co'ur , de passer une seconde nuit sur le bâtiment, qui meiia(;ait à chaque instant de s'cntr'ouvrir. Nous prîmes des forces par un repas en règle; car nous nous étions à peine donné le temps , dans cette journée de travail, de manger un morceau de pain et de prendre un verre de vin. Inlniiment plus Iran- quilles que le jour précédent, nous nous livrâmes tous au sommeil; cependant je pris encore la précaution d'attacher mes instruments de natation sous les bras de mes trois plus jeunes fils et de ma femme, afin i|ue, si une nouvelle tempête s'élevait et qu'elle achevât de dé- truire le vaisseau, il y eût encore ce moyen de les sauver : je con- seillai aussi à ma femme de mettre un habit de matelot; les h.abits d'hommes étant bien plus commodes, soit pour nager, soit pour les autres travaux ipii pouvaient iumis alliuidre. Elle y consentit , mais non sans peine , et alla en chercher un (jui convînt à sa taille; après un (|uart d'heure elle revint avec le plus joli habit de matelot, qu'elle avait troux'é dans la caisse d'un jeune homme (|iii servait eomiiie vo- lontaire sur le vaisseau : elle se présenta timidement dans son nou- veau costume; mais j(' louai de bon cœur son choix, et je lui promis tant de commodité dans ce eliaiigemenl , ([u'enfin elle s'enhardit et rit elle-même avec ses enfants de son costume ; elle grimpa dans son lurmac, oii, par un sommeil bienfaisant, elle se prépara, comme nous, à de nouveaux travaux. CHAPITRE II. Prise do terre ou abordage ; premières occupations sur le riv.ige. Le lendemain , avec l'aube du jour , nous étions tous éveillés et alertes; car l'espérance et le chagrin ne permettent pas de sommeiller longtenips. Aussiti'it tpie nous eûmes lait en commun notre prière, je (lis à mes clicis eiilanls : « Maintenant , mes amis, avec le secours de l)i(ui , nous allons bientôt tenter notre délivrance : avant tout, donnez à manger cl à boire à nos pauvres bêtes; préparez- leur de la nourriture pour ipicli|ues jours; nous ne poiivmis pas les emmener ax'CC nous, mais peut être pourrons nous revenir les chercher, si notre voyage réussit, l'.tes-vons prêts' llasscmblez ce que nous viuilons emporter, ce (pii nous est absolument nécessaire pour nos besoins actuels. » D'après nnni intention, le premier chargement de notre é(|uipage devait consister dans un baril de pondre, trois fusils de chasse et trois carabines, avec grenaille, balles et plomb , autant que ' La proue est l'avant d'un vaisseau ou le bout opposé à la ;iou;i(;, qui est derrière. LE ROBINSON SUISSE. je pouvais en cmpoilcr; deux paires ilc pistolets de jioclie et une paiie de ijraiids pistolets, avec les moules à balles : chacun de mes lils , ainsi que leur mère, devait avoir une fjibeciijre bien garnie : nous en trouvâmes de Irès-boniies dans les chambres des officiers; puis nous primes une caisse avec des tablettes de bouillon, une autre pleine de biscuit sec , une marmite de fer, une ligne a pêcher, une caisse de clous et une seconde remplie de différents outils, tels (|ue marteaux, scies, pinces, haches, etc., cl de la toile à voiles pour faire une lente. Enfin, mes enfants apportèrent tant de choses, qu'il fallut en laisser beau- coup en arrière, ([uoique je changeasse tout le lest inutile contre des objets nécessaires. Quand tout fut prêt, nous nous décidâmes à monter dans nos cuves, après avoir encore imploré l'assistance du Très-Haut. Au moment oii nous allions partir, nous entendîmes inopinément chanter les coqs abandonnés et oubliés, comme s'ils voulaient nous faire leur» tristes adieux : cela me donna l'irléc de les emmener avec nous, ainsi que les oies, canards, poules et pigeons : car, dis-je à ma femme, si nous ne pouvons pas les nourrir, ce seront eux (|ui nous nourriront. Mon conseil fut suivi; dix poules, et un vieux et un jeune coq, furent mis dans une des cuves, qui fut recouverte de planches; le reste de la volaille eut sa liberté, dans l'espoirqu'elle trouverait d'elle- même le chemin de la terre , les oies et les canards par eau , et les pigeons dans l'air. Nous attendions ma femme, qui s'occupait de ce soin, lors(|iie nous la vîmes venir avec un sac assez gros , qu'elle jeta dans la cuve oii était déjà son fils cadet; je crus que c'était uniquement pour l'asseoir et le serrer de manière qu'il n'y eût rien à craindre jjour lui, et je ne lis aucune question à ce sujet. Voici l'ordre de notre embarque- ment, auquel nous jirocédàmes d'abord : Dans la première cuve, sur le devant, se plaça ma femme, digue, pieuse, fidèle épouse, et la plus tendre mère; Dans la deuxième, ii côté d'elle, notre petit François, aimable en- fant de six ans, annonçant d heureuses dispositions, mais dont le ca- ractère n'était pas encore décidé; Dans la troisième Frit/., notre aîné, âgé de quatorze à quinze ans, aux cheveux frisant naturellement, garçon plein de bonne humeur, d'intelligence et de vivacité; Dans la quatrième était le baril à poudre, avec les poulets et la toile à voiles; Dans la ciu([uième nos provisions de bouche; Dans la sixième mon lils Jack, j'igé de dix ans, garçon d'un carac- tère léger, entreprenant, téméraire, bon et serviable; Dans la septième nuin fils Ernest, garçon de douze ans, très-rai- sonnable, assez instruit, mais un peu sensuel et indolent; Dans la huitième moi-même, avec le cœur paternel le plus tendre, et l'importante commission de tenir le gouvernail pour sauver ma famille chérie. Chacun de nous avait :i côté de soi des outils ulilis; chacun tcnail en main une rame et avait devant soi un inslrumiiil natatoire pour le cas malheureux oii nous chavirerions. I.a m;irée avait dcja atleint la moitié i\v s;i hauteur (|uand nous (iiiillàmcs le vaisseau; je complais (|u'ellc favoriserait nos faibles fori'es. Nous retouinàmes les deuv perches balaucièics de nolÈ-e bateau en lon- gueur, cl nous passàiiu's ainsi heureusement par l'ouverture du vais- seau entr'ouv(;rt dans la |ileine mer. Mes enfants dévoraient des jeux la terre bleue (car elle nous paraissait de cette couleur); nous ra- mâmes de toutes nos forces pour l'atteindre, mais longlciups eu valu : le bateau tournait toujours en roinl sur lui-même; enfin pourtant je fus assez heureux pour le diriger de manière ((u'il poussa en avant. Quand les deux chiens qui étaient restés sur le vaisseau virent (|ue nous nous éloignions, ils piirent leur parti, sautèrent dans la mer et nous atleiguirent à la nage. Ils étaient lro|i grands jXMir notre bateau; je craignis qu'en voulant y entrer ils ne lé fissent chavirer. Turc était un dogue anglais et liil'l un chien danois, .l'eus cepcndaul pitié d'eux, cl je craignis qu'ils ne pussent nager aussi loin; ma^ ils se tiri-rent d'all'aiie avec iulellig« née. Dès rpi'ils se sentirent fati- gués, ils poscn'iit leurs patles de devant sur le balancier (|ue niuis avions retourné r\i tr.ivers, et le Irain de derrière des nageurs suivit sans beaucoup d'efi'orts. .lack voulut leur refuser cette faveur; mais je lui reprochai d'à bandonner ses protégés, qui nous protégeraient pcut-êlre ;i leur loiir en faisant la garde et en chassant pour nous. « D'ailleurs, lui dis-jc, les bêtes sont aussi îles êtres vivants, et le (^réaliura donné le eliieii à l'homme ])oiir être son aiui et son coiiip;igiioii fidèle. » Notre trajet se fit très-heureusement, quoique avec leiilcur; mais plus nous ;ipprnchions de la terre, plus son aspect nous paraissail triste : des rochers nus bordaient la côte, et nous annonçaient la faim et la détresse. Ea mer était calme; elle se frisait douceii t contre le rivaije, et le ciel était serein; tout autour de nous nageaient des tonneaux, des ballots, des caisses sortis du vaisseau iiaiifrapé. I)ans l'espérance d'acquérir quelques bonnes |irovisions, je voulus lâcher de m'appropriir deux tonneaux : je commandai à l''ritz de tenir prêts une corde, un marteau et des clous, et de tâcher de les saisir au passage. Il parvint heureusement à les accrocher et à les attacher si bien, que nous les traînions derrière nous, et nous 1rs conduisîmes ainsi au rivage. Lorsque nous en fûmes plus piès. le site nous sembla moins hideux ; les rochers parurent plus éloignés les uns des autres. Fritz, avec des yeux de faucon, pcuivait déjà découvrir des arbres, et disait que c'él aient dis palmiers. Ernesl se réjouit de manger des noix de coco, bien plus graiiilis et bien meilleures, disait-il, (|iie les noix d'Europe. ,1e me déso- lais de n'avoir pas songé ;i emp irler le grand télesccqu' qui était dans le cabinet du cajiilaine, quand ,lack tira une petite lunette de sa poche, me la donna, et )iaruttrès-lierile pouvoir satisfaire à l'instant mon désir. Cl Ainsi, lui dis-je, tu as escamoté cette lunette jioiir toi seulement et sans en parler a personne:' Ce n'est pas bien, mon fils; plaisir cl peine, tout doit être commun entre nous. » Il m'assura qu'il avait oublié de me la donner plus tôt, et qu'il l'avait jirise pour le bien général. Il me fit en effet un grand plaisir; avec cette lunette je pus faire les observations nécessaires et mieux diriger ma course et ma route. Je remarquai que le rivage devant nous avait l'air désert et saux'age, et qu'il présentait un meilleur aspect sur la gauche; mais, toutes les fois que je voulais me diriger de ce côté, un courant me portait derechef vers le bord désert couvert de rochers arides. Nous aperçûmes bientôt, ;i côté de l'embriuchure d'un ruisseau, un enfon- ceiuent étroit entre des rocs vers lesquels nageaient nos canards et nos oies, qui nous servaient de guides; cette entrée formait une petite baie où l'eau tranquille n'était ni trop profonde ni trop basse pour notre bateau. J'y entrai, et j'abordai avec précaution à une place oii la côte avait environ la hauteur de nos cuves, et où l'eau était encore suffisante pour nous maintenir ii flot. Le rivage s'éten- dait dans les terres en formant une ])clite plaine en |)eiile douce et trianijulaire, dont la pointe se iierdait entre les rochers, et don! le bord de la mer formait la base. 1 ont ce qui pouvait bouger sur le bateau sauta proiu]ilement à terre; même le petit l''rauçois, qui av:iit été couché et serré dans sa cuve comme un hareng, grimpait lestement pour tâcher d'en sortir; mais, malgré tous ses efforts, il eut besoin du secours de sa mère. Les chiens, qui avaient pris les devants à la nage, nous reçurent à leur manière amicale en faisant autour de nous mille sauts de joie; les oies, avec leur caquetage continuel; les canards, au large nez jaune en faisant la basse continue; les poules et les coqs, que nous mimes d'abord eu libi'i'ti', en gloussant; les enl'anls,i'n babillant tous à la fois, (aisaient un lapage ellroyable. Il s'y mêlait le cri di'saijréable de quel, (Iles manchots ' et llamanls que nous aperiùmes, les uns volant au-dessus de nos têtes, les autres perchés sur des pointes de rochers à l'entrée de la baie, lueurs cris prirent bientôt le dessus, étant en Jiliis grand nombre; ils nous asscuirdireut d'autant plus que leurs voix n'étaient point d'accord avec l'harmonie de nos musiciens empluinés et mieux civilisés. Cependant tout ce |)euple ailé et sauvage nie fit plaisir; je le voyais déjîi nous servant de niiurritiirc, si nous devions rester sur cette plage déserte. La prcmiî're chose que nous fîmes, eu arrivant s. dus et saufs sur la terre ferme, fut de remercier à genoux l'Elre suprême, à qui nous devions la vie; de lui rendre grâce de sa protection divine, et de nous recommander, avec abandon de ca'ur et une entière résiena- tiiui, ;iux soins de sa bouté paternelle. Ensuite nous nous occupâmes à décharger notre bàliinent. Oh! combien nous nous trou\âmi's riches ilu peu qui" nous a\ ions sauM-l Nous chi'rchàiucs une ]>lace commoile pour l'-lablir une lente ;i r;ibri des roeliers; di's que nous l'iûmes trou\ée, elle lut bienlôt tendue. Nous assiijettirues l'ortemeut une perche dans nue fente de rocher; elle formait le laite de la tente cl re|iosait sur une vergue plantée dans la terre; de cette manière elle était tri's-ferme cl ne risquait point d'être renversée; la toile fut eusiiile lenilue par-dessus et af- fermie par terre des deux côlés avec des pieux, l'ar précaution, nous chargeâmes encore les bords de caisses de provisions et d'autres choses pesantes, et nous attachâmes des crochets au boni de la loilc sur le devant pmir pouvoir en fermer l'entrée penilant la nuit. Alors je recommandai à mes fils de chercher autant de mousse et d'herbe sèche qu'ils pourraient en ramasser, et de les exposer au soleil pour en achever la dessiccation; elle devait servir ,'i faire notre couche; et pendant cette occupation, où même le petit h'rançois pouvait être employé, je construisis, ii quelque distance de la tente, près du ruis- se.iii qui devait luHis fournir de l'eau douce, une espèce de pelile cuisine : c'était un fojer de pierres plaies que je truiivai dans le lit du ruisseau. Je rassemblai aussi une quanlilé de branches sèches : avec les |>lus grosses je fis une espi'ce de iietit enclos autour du foyer; ;ivec les petites j'allumai, en ballant mon briquet, un feu ré- jouissant et pétillant en vives nammes. Lu ])ot rempli d'eau avec des tablettes de bouillon fui mis dessus, et la bonne mère, ayant son petit François pour marmiton, fut chargée de la jiréparation du dîner, l'rançois crut, ii la couleur des lablelles, que c'étaient des Iranehes de colle forte. " Qu'esl-ee que papa doit donc coller:' demanda til. — Uien; je veux faire de la soupe grasse, lui dit sa luî're en riant. , — Ah! oui, répondit-il. Et oii prendrons-nous la viande jioiir la l'aire, ici oii il n'y a ni boucher ni boucherie:' — Petit fou! lui dis-je, ce que tu ]ireiiils ]iour de la colle, c'est de la viande réduite en gelée à force de cuire, et qui, étaiil séchée, ne ' Oiseaux de ces contrées; on en donnera dans la suite la description. LE ROBlJNSOrv SUISSE. se gàlc point; on pciil ainsi la tiansporlci' dans (le longs voyages sur mer, où l'on ne peut prendre assez de bétail pour nourrir tout l'iVjui- pagc, et où la viande salée ne lerait pas de lionne soupe; celle-ci sera c\eellente, je te le promets, n l.e pauvre petit avait bien faim, et dit iju'il se réjouissait d'en manger. Pendant ee temps-là Fritz avait cliargé nos fusils; il en prit un et s'éloigna du côle du ruisseau. Ernest, à qui il proposa de l'accompa- gner, lui dit que cette cote montueuse et pierreuse ne le tentait point, et s'en alla rôder à droite du côté du rivage. Jack se dirig<'a contre une paroi de roeber (|ni s'avançait jusqu'au bord di' la mer pour prendre des moules qui y étaient attacliées. Pour moi, j'essayai de tirer sur le rivage les deux tonneaux repècbés, et je n'en pus venir à bout; notre place de débarquennuit, très-commode pour le l)ateau, avait trop de profondeur perpendiculaire pour ramener les tonneaux. Pemlant que je m'in(|uiétais en vain pour trouver un meilleur bord, j'enlendis à une certaine dislance ]iousscr des cris afl'reux, et je re- coninis la voix de mon petit Jack. Je saisis ma baelie, et je courus, plein d'angoisse, à son secours; (|uand je l'aperçus, il était dans un bas-fond, ayant de l'eau jus([u'aux genoux, et un gros bomard le tenait par la jambe avec ses pinces; le pauvre petit poussait des cris jii- toyables, et faisait d'inutiles elïorts pour s'en débarrasser. Je sautai aussitôt dans l'eau; à peine <-et bôle incommode eut-il remarcpié mon approelie, qu'il lâcha l'enfant pour se s:iuv<'r en pleine eau; mais je ne l'entendais pas ainsi, cl je xoulais qu'il payât la pcurcpiil nous avait faite. Je le saisis dune avec précaution par le corps, et je rcmiiorlai vivant, suivi de Jack, qui poussait des cris de joie et de triomphe ; il désira porter lui-même k sa mère cette belle capture, et, voyant qu'elle ne me faisait aucun mal, par la manière dont je la te- nais, il voulut s'en saisir; mais à peine fut-elle entre ses mains, qu'elle lui donna un coup si violent de sa queue sur la joue, qu'il se laissa tombir et recommi'ni;a ses cris. Je ne pus m'empèclier de rire cl de railler le petit fanfanni du s(uilllet qu'il avait reçu. Alors, dans sa colère, il prit vivennnl une pierre, cl tua le bomard en la lui je- tant sur la tète, qu'il lui fracassa, ,1c fus fâché de cette action : « (À'ia s'ap|iellc tuer son ennemi it terre, lui dis-je; Jack, il ne faut pas se venger ni agir dans sa colère : si ce bomard t'a pincé, tu voulais le manger; ainsi vous êtes bien à deux de jeu; une autre fois, sois, je te prie, plus prudent et (ilus d(uix. — Pourtant, papa, me dit-il, vous me ])ermetlez de le portera ma mi're? ■> Il le prit sans plus courir de risc|ue, et le porta à notre cuisine. « Alaman, un homard! dit-il d'un air triomphant. Krnest, un bomard ! Oii est donc Fritz? Prends garde, François, il va te mordre. " Alors tous se mirent autour de lui à re- j;arder la bête merveilleuse, et s'étonnèrent plus de sa grandeur énorme (]ue de sa l'orme, qui est exactement la même que celle des écrevisses d'eau douce. «Oui, oui, regardez! disait Jack en soulevant une de ses palllus un goût nauséaboiul cpii se perd (|uand on sépare le sel, comme vient de le faire voire mère.» Pendanl (|uc je (larlais, ma femme goûta la soupe avec un pelil bâton (pii lui servait à la remuer, el déclara (|ii'ellc était bonne et salée fort à propos. « .Mais, dit-elle, Fritz nous maïupic encore; el puis comment maugtrons-nous notre soupe? nous n'avons ni cuillers ni assiettes? Pourquoi n'axons-nous pas pensé à en prendre sur le vaisseau ? — Parce qu on ne pense jamais à tout, chi're femme; nous nous apercevrons peu à peu de bien d'autres privations. — .Mais celle-là, dit-elle, sera une des plus pénibles; il est impos- sible que chacun de nous soulève ce gros pot brûlant pour le porter à s.i bouche cl prenne le biscuit ii la main. « Elle avait raiscni ; notis restions stupéfaits à regarder notre marmite, comme le renard de la fable (]uand la cigogin' lui présente une cruche à long col. l'jilin nous partîmes tous d'un éclat de rire de notre dé- nûment d'usiensiles et de notre imprévoyance, car des cuillers et des fourchettes étaient des inslrumcnls de ]U'cmièrc nécessité. " Si nous avions seulement des noix de coco, disait Ernest, nous pourrions les casser, cl nous servir des f ragiiients de la co(|uillc comme de cuillers. — Oui , oui , dis-je, c'est fort bien , si nous en avions! mais nous n'en avons pas; on va loin avec des si; et si des vœux suffisaient, j'aimerais autant avoir tout de suite quelques douzaines de bonnes et belles cuillers; mais à quoi nous servent les souhaits? — IN'oiis ])ouvons au moins, répondit-il, prendre des coquilles de moules. — liien ! bien ! Ernest, voilà ce que j'a])iiclle une pensée utile; va donc chercher ces huîtres dont tu nous parles. ^lais, messieurs, point de dégoût entre nous; nos cuilli'rs n'auront point de manche, et nos doigts tremperont dans la gamelle. » Jack courut le premier, Ernest le suivit lenlemeni, et Jack était déjà dans l'eau jus(|u'à mi-jambe c[uand il arriva : le petit entreprenant arracha vite les huîtres cl les jeta au ])elit paresseux, ([ui en remplit son nuiuchoir, mit de plus une grosse moule dans sa |)ocbe, et tous deux arrivèrent avec leurs pro- visions. Fritz n'était pas encore de retour, et sa mère commençait à s'in- ie avec un rei;ard de satisfaction, el je reconnus d'abord (|ue le prétendu cochon était une espèce d'agouli ; je dis une espèce, car je savais ((lie les vrais agoutis ne se sont jamais trouvés (pic dans l'Amé- rique méridioinde, ilont nous étions bien éloignés'. « Oîi l'as-tu trouvé? oîi l'as-tu tiré? t'a-l-il bien fait courir? « disaient à la fois les petits garçons. « Voyons, voyons... » Pour moi, j'étais sérieux, n Je préférerais, lui dis-je, (]u'en elVcl tu n'eusses rien apiiorlé, et (|uc tu ne te fusses pas permis un mensonge ; ne fais plus cela, mon bis, même en badinant : on s'accoutume ainsi à dire ce i|ui n'est pas, celte ha- bitude déi;c'niM'e facilement en fausseté, c'est le plus alTreux des vices. A présent, voyons la chasse; oh l'as-tu trouvée?" Fritz iu)us raconta qu'il avait été de l'autre côté du ruisseau : « \h ! ' L'agouti, dit M. Descouttilz, dans son Voyage à Saint-Domingue, est de la grosseur d'un lièvre, et court avec la même vitesse ; mois, pour la figure, il tient plus du cochon; il en a le grognement. Ce n'est point un animal vorace, il est'seuloment friand; lorsqu'il est rassasié, il enterre le reste do ses provisioiis , et le garde pour un autre repas. Il est nalurcllement d'un caractère doux ; mais , quand il est excité, d mord, jes poils se lu'rissent, et il frappe la tene de ses pieds de derrière, à la manière des lapins; ainsi que ces derniers, il creuse des lanières, mais qui n'ont qu'une is5ue; il s'y cache pendant les grandes chaleurs, el y dépose des provisions de patates et de bananes. On le prend à la course, ou bien on le chasse avec des chiens; lorsqu'on a trop de peine à l'alteiiule, le chas- seur n'a qu'à siffler ; dès que l'agouti l'entend, il se pose su'- les pieds de derrière et se laisse prendre facilement. Sa ehair est blanche, comme celle des lapins, mais sèche cl sans graisse, et nu perd jamais tout à fait un goût un peu sauvage, dé.sagrcable aux Européens ; les naturels du pays en f .ni grand c;is, surtout quand l'animal pilture prés de la mer, et mange les planto.< imprégnées de sel : aussi en tuent-ils un si grand nombre , qu'il est devenu beaucoup moins commun. LE ROBir^SON SUISSE. nous dil-il, c'csl liion aiilic clioso i|ii'ici ! Le livayc csl bas, el vous ne vous faites aucune idée de la (juanlilé de tonneaux, de caisses, de planches, de toule sorte de choses (jue la nier y a déposées : n'irons nous ])as les prendre :' Nous devrions aussi, luon père, faire encore demain une course au vaisseau pour aller chercher noire bétail; ne faut-il pas du moins amener la vache ? Notre biscuit, trempé dans du lait, ne serait pas si dur. — Et serait meilleur, dit le gourmand Ernest. — Là, de l'autre côté, reprit Frilj, il y a de l'herbe tant qu'on en vent pour la faire paître, |ue c'est la vanité ipii a excité ta fureur : si un autre ipie toi avait chassé et tué l'agouti , tu aurais beaucoup mieux supporté cet accident. » Il en convint, sentit son lort, et me demanda pardon en versant des larmes amèrcs. Bienlôl après notre repas, le soleil baissa vers le couchant; la vo- laille se rassembla peu à peu autour de nous, en picotant les miettes de biscuit tombées ; ma femme prit alors son sac mystérieux, el l'ou- vrit ; elle en tira des |;raines de vesce , de pois, d'ax'oine, dont elle leur donna queliiues poignées ; il y avait aussi plusieurs autres se- mences de ]ilantes légumineuses, qu'elle me montra. Je louai beau- coup sa prudence, la priant seulement d'être plus économe de celte utile jirovision, (|ui pourrait nous serxir de semailles et nous ]irocu- rer des récoltes, el de nourrir plutôt la volaille avec le biscuit gàlé que nous apjiorterions du xaisseau. Nos pigeons s'enx'olèrc'ut dans les rochers voisins; les poules, et le coq à leur lête, se rangèrent en ligne sur le faite de la lente; les oies et les canards allèrent, en ca- quetant, dans un endroit marécageux el couvert de broussailles, près du rivage. Nous aussi, nous fîmes nos préparatifs de repos. Nous chargeâmes, par précaution, nos armes, fusils cl pistolets, que nous posâmes dans la tente ; nous fîmes ensuite nos prières en commun ; nous remerciâmes Dieu du secours qu'il nous avait donné; nous nous recommandâmes à sa garde vigilante, cl, avec le dernier rayon du soleil, nous entrâmes dans notre tenle, où, bien serrés les uns con- tre les autres, nous nous couchâmes sur la mousse que nous y avions étendue. Ce fut avec étonnement que les enfants reinar(|uèrent que l'obscu- rité arrivait si subitement, et que la nuit succédait au jour presque sans crépuscule : « Cela, leur dis-je, me fait soupçonner que l'en- droit oii nous sommes n'est pas loin de l'équaleur, on du moins qu'il se trouve entre les deux tropiques, oii ce phénomène est ordinaire; car le crépuscule provient des rayons solaires rompus dans l'at- mosphère : plus ils tombent obliquement, ])lus leur faible lueur s'élend el se prolonge; mais au contraire, plus ils soiil perpendicu- laires, moins ils s'écartent, el par conséquent il fait totalement niiil beaucoup plus xite quand le soleil est au-dessous de l'iiorizon. Du reste, d'ici à quelques jours, je tâcherai de découvrir, au moins par approximation, le lieu où nous sommes. » Je regardai encore une fois hors de la tente, pour voir si toiil élail tranquille autour de nous; puis j'en feriinii soigneusement l'entrée : le co(|, réveillé par le lever de la lune, nous chanta xèpres, et je me couchai. IMais aiitanl le jour avait été chaud, aiilani la niiil fut froide, et nous fûmes obligés (le nous serrer les uns contre les autres pour nous réchauffer : un doux sommeil comiiiciica alors à lermer les pau- pières de tous mes bien-aimés; je tâchai de ne m'endormir que lors- que je vis leur mère jouir en paix de son premier sommeil : alors mes paupières se fermèrent aussi, et, grâce à la fatigue, la première nuit que nous passâmes dans notre ile déserte fut tri's-siipportablc. CHAPITRE in. Voyages et découvertes. A peine l'aube du jour eut-elle paru, que je fus reveilb' par le cri de notre co(| ; j'appelai aussitôt ma femme, et je délibérai axer elle sur ce (|ui devait nous occuper ce jour-là : nous fûmes d'accord (jue la première chose import.uile était d'aller à la recherche de nos compagnons de voyage, et d'examiner en même temps la nature du pays (le l'autre côté du ruisseau avant ilc prendre une résoliilion dél'inilive. Ma femme concevait bien ([u'uii voyage dans ce biil ne pouvait se faire en famille, et, pleine de cmiliance en la bonli' de Dieu, elle consenlit avec courage à la proposilion de garder auprès d'elle Er- nesl et les deux petits, tandis (]ne l'rilz, comiiie le jibis âgé et le plus vaillant, irait avec moi à la découverte. Je la priai de ne pas perdre de temps et de préparer le d<''jeiiuer : elle nous pn'vint i[iie les por- tions seraient petites, parce (pi'il n'y avait plus de iirovisions que pour une soupe. « Mais, demandai-jc, le homard de .lack , qu'est il devenu? — C'est ce que .lack nous a|)pren(lra, dit sa mi'rc : va éveil- ler les petits; moi, je vais faire du feu el mctirc de l'eau dessus. » Les enfants furent bienlôl sur pied, et même le paresseux Kriiesl C(Misenlil sans murmure à se lever de si Ikmi malin. (_)uan(l je de- mandai à Jack où était son lioin;ird, il courut le (hcrclicr dans une fente de rocher, où il l'avait soigneusement caché. • Je ne voulais pas, dil-il, que les chiens le manijeassenl comme le gibier de Fritz ; il me parait (pie ces gaillards ne méprisent rien. — Il me paraît aussi, dis-je, (|iie mon étourdi sait relléchir à ce ((ui l'inléressc. Heureux celui (pii devient sage p.ir le dommage d'aiilriii ! dil le proverbe; mais ne veux-tu )ias céder à l'rilz, pour son voyage, la grosse pince (jui t'avail pris la jambe el que je l'avais promise ? LE noblINSOlN SUISSE. — Oiiel voyafjc ? s'Ocnt'rcnl-iU tous; nous voulons tii cire aussi. \ oja|;fl voyaije! répilùiciU-ils en liappiiut îles maius et sautant au- tour (11' moi comme de petits elievreaux. — Pour cette l'ois, leur (lis-jc, c'est impossible ; nous ue savons pas ee (|ui no\is arrivera : moi et votre frère aine, nous pouvons mieux afl'ronter le (lan|;er et nous en tirer : outre cela, un voyai^e en lamille se ferait très-lentement ; vous resterez donc tous trois ici avec votre mère, à cette jilace, (|ui parait être sûre, et vous (;ardcrc7, pour vous prolcç.er le vaillant Itill, j)en- danl i|ue Turc nous accompajjnera : une telle i;ardc et un lusil elian;é peuvent insiiirer du respect. Allons, Fritz, attache llill pour (|u'il no nous suive pas, et jjarde Turc près de loi; prépare aussi nos fusils. • Frilz roui;it. Son fusil était courbé et ne pouvait servir; il alla le dicrelier, l'I tàclia en vain de le redresser. Je le laissai faire pendant (|ueli|u<' temps. Enlin, je lui permis d'en prendre un autre; mais je vis a\cc plaisir son re|;rel d'avoir aliimé le sien. Un nuimcnt après, il vouiiil prendre liill pour ralta<-lier, mais l'animal se souvenait des coupsi|u'il lui avait donnés : il lui montra les dents, et ne voulut pas venir it lui, non ])lus (|ue Turc : ils n'obéirent iju'a ma voix, .\lors Fritz, en ]deuranl, denuinda ilu biscuit à sa mère, en disant qu'il se passerait pluléit de déjeuner pour faire sa paix avec les cliiens; il leur en porta, les llatta , les caressa, et sembla leur demander pardon. Comme de tous les animaux, sans en excepter l'iiomme, le cliien est le moins rancunier et le plus sensible aux caresses, Bill consentit ii le léclier; mais Turc, ((ui était plusl'ier, résistait encore et paraissait le craindre. « Donne-lui une patte de mon liomard, lui dit Jack; aussi bien je veux te la céder pour ton voyage. — Iton, dit Ernest, ne t'inquièle pas, ils trouveront sûrement des noix de coco, comme Uobinson, et c'est bien autre chose (|uc ton mi- sérable liomar• I\Iais Ernest dit : " i\loi, je devine ce que c'est; nous n'avons pas encore fait notre prière du malin. — C'est cela même, mon cher «'niant, répoiulis-je : on oublie trop souvent Dieu, notre )ière à tous; |H'i(Mis-le d'alléijer mis )icincs, de pourvoir a notre subsistance, à noire bien-être, car jamais nous n'a- vons eu tant besoin de son secours et de sa prolection que dans une situation telle que la nôtre, et au moment d'entreprendre un voyage sur nue plai;c inconnue. » Alors le petit polisson .lack commença ii contrefaire le sonneur de cloches et à crier : « lliini , hum, hidiboin, bidiboin! à la prière! à la prière! baiii, lioml — Etourdi! m'écriai-je fâché, faut-il donc (|ue tu mêles tes sottises et tes cspieijlcries aux choses les plus sérieus<'S et les plus sacrées? Eu n'es pas lUijne de ])rier le bon Dieu, puisque tu en fais un badinage it un j<'u. Eloi|;iu'-toi , laisse-nous prier avec rcspc(-l, et réfléchis sur la folle conduite. • I.e petit i;arc(ni recula de qucl((ues pas, mais ayant toujours un air mutin (|ui me déplul. Nous nous mimes tous à pénaux, et je lis l.i prière avec ])lus de n , (|ui venait de l'offenser. A ces nuits, JacU s'avaiii;a doiieemeut en pleurant, se mil à (;cuiiu\ derrière moi; cl (|uand j'eus l'un, il dit en san|;lotant : o .Ic' demaiule pardon ii papa cl au bon Dieu. — Il fallait mettre Dieu le premier, lui dis-je, et mèÉue ne l'a- dresser <|u'ii Dieu, car tu n'as olïensé que lui; mais si tu te rcpens sincèrenuni , il est si bon, (|u'il te pardonnera. « .le l'embrassai en- suite, et je lui fis encore (|uel(|ues petites exhortations en lui recom- mandant, ainsi <|u'au\ deux autris, d'obéir en tout ii leur mère : alors jecharijcai les fusils i|ui restaient, et i|uc je leur laissai, et je dis à nui fi'iLimc de se tenir toujours près du bateau, (|ui, pour la défense et la fuite, était le meilleur asile. Après cela, nous nous arrachàmi'sde ses bras et de ceux des eulanls, non sans émotion et sans douleur, car des deux cé)tés nous ne pouvions savoir ce dont nous«'lions menacés sur cette plai;e inconnue. Tons t'omlaii'nl en larmes; mais le bruit du ruisseau, dont ucnis approchions, lit (|ue nous n'entendimes plus leurs sani;lols et leurs adieux jépélés, cl iious obliijea de penser ii nous- um'-mics et au buldi' iu>lre marclu'. Les bords du ruisseau éuicnl si escarpés îles deux cotes, que l'on ne pouvait approcher de son lit que par un iiassaije fort étroit du côté où nous étions, et près de son embouchure dans la mer. C'était lii que nous avions été pour puiser de l'eau; mais il n'y avait pas moyen de le traverser en cet endroit, le bord opposé étant hérissé de rocs perpcndi( ulaires el trop élevés. Pour y parvenir, nous fûmes obligés de nuinler, en suivant son cours, jus(|u'a la paroi de rochers il'oii l'eau tombait en cascade : il se trouvait jiar-ci par-lii de grosses pierres dans le lit du ruisseau, que nous franchimes en faisant des sauts bien hasardés; mais enfin nous arrivâmes sur l'autre rive. Nous marchâmes alors très-péniblement au travers de hautes herbes à moi- tié séchées par le soleil. Nous descendions en diagonale iiour lâcher d'arriver au bord de la mer, oii nous espérions trouver moins d'ob- stacles à notre marche , et peut-être découvrir la chaloupe ou quel- (|ues-uiis de nos camarae te rappelles-tu pas aussi d'avoir lu que la noix de coco est envelo|ipée dans un corps rond, fibreux, entouré d'une peau mince et fragile , semblable à celle ipie lu tiens? Celle peau est gâtée par le temps, c'est pounjuoi tu vois ces petites fibres hérissées en dehors; à présent nous allons les ôter entièrement, et tu trouveras la noix dessous. » Nous le fîmes, et la noix fut cassée; nous ne trouvâmes rien de- dans qu'un noyau desséché , qui n'était plus mangeable. :^^^ /^ Un gros homord le tenait pjr la jjmbo uvic ses pinces. FBirz. Ah! mon Dieu ! que dirait Ernest, qui m'envinit tant ces amandes grosses comme la tète et ces jattes iileines d'orgeat ? .le croyais aussi, nion père, (|iie les noix de coco renfermaient un' liquide doux et rafraîchisant comme du lait d'amandes. Les voyageurs sont de gramis meilleurs ! i.H l'KUE. (.>iicli|iiefois, mon li|s ; niais dans ce cas ils oiil <'ii raisiui; ce lait existe dans les noix de coco r|iiaii(l elli's ne sont pas tinil ii fait iiiùres , comme dans les nùlres, mais en plus grande ipiantilé ; plus le fruit mûril, plus ce licjiiide s'épaissit, se forme eu noyau, se dessèrlie enliii eoiiiplclcment; si celle noix niùre est mise dansun bon terrain, les iiojaiu g<'rment et rompent la co(|iie; mais s'ils reslinl smla l<>rre ini dans iiii endroit qui ne leur eonvieni pas, ils élnulfciil p;ii- la lei'iiieiilalion inlérii iiic et pi-risseni coiuiiK' celui-ci. iiiM/. .le Miis iij:,inleiiaiil l'tonné que tous n'étouffent pas ; la eoipie est si (liii<' ! (uni ni un iiojau ]ieiil-il la percer? i.F. l'Kiu:. INos iu)yaux de pèche ne sont pas moins durs, el ee|ieiichiiit le |>epin peut les rompre (|iianil ils soni mis dans un bon terrain, I lui z. C'esl ce (|ue je conçois très-bien ; le noyau de ])èclie esl divisé en deux parties, comme une coipiille de moule; il y a une eonlure qui s'ouvre facilement d'elle-même ipiaiid le [lepin se g'onfle parl'lui- niidilé; mais celui-ci est rond et loiil d'une pièce. i.ii riuE. Tu vois (|u'il esl pcut-èlre plus aisé de l'ouvrir en dedans qu en dehors; conviens (|iie les noix de coco oui une tout autre eoii- struetion, mais tu peux voir encore, par ces fragments , que la nature sait aussi venir a leur secours. Ici, près île la'ipieue, lu trouveras trois Irons ronds, qui ne siuit poiiil eouverls d'un lissu aussi dur (pie e reste de la co(|ue ; ce n'est ipi' espi^ce de bondoii spoueieux (lui les ferme, el c'esl par là que I germe des pepiu-- peiil siirlir. FRITZ. Je vais remettre ensemble ces fragments, et je rapporterai cette noix à maître Ernest, qui en est si friand, pour voir s'il la trou- vera de son goût. I.E pi'cRE. Et moi, mon cher Fritz, j'aimerais bien à te trouver moins de méchancelc ; badine avec ton frère sur cette mauvaise noix , à la bonne heure, pourvu ■ Un cochon de lail 1 » Nous procédâmes ensuite à notre fabrication de plats et d'assiettes' je montrai a Fritz ii couper la courge avec une ficelle, bien mieux et bien plus droit qu'avec un couteau : j'attachai la ficelle autour de la calebasse aussi fort que possible ; je la lis enirer un peu avant ilans la peau tendre, en la frappant toiil autour avec le manche de mon couteau; puis je la serrai davantai;e, jus(|u'ii ce (|u'ell<' eul traversé tout l'intérieur de la courge, et formé ainsi deu\ éciielles fort régu- lières; tandis que mon fils, qui avait voulu essayer de (lartager une calebasse avec son couteau, l'avait eomplélement gâtée, jiarce que le couteau avait glissé, tantôt trop haut et tantôt trop bas. Je lui con- seillai de fabriquer des cuillers avec les morceaux (|u'il avait faits, et qui ne pouvaient lui servir ii autre chose, .le lis ainsi deux plats assez grands, et d'autres plus petits pour servir d'assielles. Fritz était émerveillé. « Comment l'idée de cette manière de cou- per vous est-elle venue, mon pi're ? me demanda-1-il. I.K i'i:iiE. .l'en ai lu la description dans des lix'res de voyage, .l'ai lu que des sauvages, rpii n'ont pas de couteau, mais i|iii fabri(|ueul des espèces de ficelles d'écorce d'arbre, s'en servent pour coii|)er diftë- reiites choses; et tu vois quelle est l'utilité de la lecture et de la réflexion. FRirz. Et pour faire des flacons, comment s'y preiid-oii ' .le ne le comprends pas. I.K PKRK. Oii s'en occupe d'avance. Pour avoir une bouteille avec un cou, il faut entourer la courge toute jeune d'un baudaiie df loile ou d'écorce, en sorte que la partie libre se forme seule en nuuleiir, et que celle cpii est comprimée reste élroile ; de cette manière on oblieul un flacon de la meilleure forme. On le fait ensuite .sécher, puis on fait une ouverture en haut, par la(|U(lle on fait sortir la moelle, en y metliiiit de petits c.iillniix qu'on secoue, l't i|ui délaclu'iit l'intérieur. FRITZ. Les courges en flacon, qu'on iiDiiinie des gourdes, et ([lie j'ai vues dans notre pays, ont-elles été faites de cette maniiM-e ' I.K pÎ-ihe. !Non, mon cher; c'est une espèce à p.irt, ipii a n.iturel- lement cette forme. » Tout eu causant, l'ouvrage avançait ; I-'rilz avait aussi lait iiu plat et des assiettes, et il les admirait. « Ah ! quel plaisir ma mère aur.i à manijer là-dessus ! disait-il ; mais comment les emporterons-nous ? Elles me paraissent bien fragiles. — Nous allons, lui dis-je, les laisser ici au soleil, sur le sable, pour qu'elles sèchent bien, et nous les prendrons au retour ; mais il faut avoir soin de les remplir de sable pour i[ue l'ardeur du soleil ne les rétrécisse pas. ■■ (le conseil plut à mon Fritz, qui se voyait dis- pensé our ma miu-e, lorsque je leur en porterai 1 » Il la coupa par morceaux, et les suça les uns après les autres, au |ioiul i|ue le nectar coulait de loules jiarts, et qu'il fut obligé de modérer son avidité. « Je te conseille de respirer un peu, lui dis-je; il ne faut jamais s'abandonner aux excès, à la sensualité, et l'on doit savoir se modérer, même dans les plaisirs permis. j'Rirz. Mais j'étais altéré, et ce jus est si bon ! LE l'iiBE. Tu t'excuses précisément comme les ivrognes, ipii boivent immodéréujent parce ipi'ils ont soif, disent-ils, et parce (|ue le vin a un goût exipiis ; cependant, quel((ue bonnes que soient leurs excuses, ils n'en perdent pas moins la raison. i-iurz. Je veux du moins ])iendre une bonne provision de cannes à sucre avec moi, aliii ([ue, clieiiiin faisant, nous puissions en sucer, de temps eu temps, et en régaler maman et mes frères. LE piiiiE. Oui, j'approuve cela; mais ne fais pas ton fardeau trop gros, car tu as déjà lieaiicoiip à porter, et tu auras longtemps à mar- cher. » J'avais beau prêcher, il coupa au moins une douzaine des plus belles cannes, les dépouilla de leurs feuilles, les lia et les prit sous le bras, jicndant ipie nous axancions jioiir sortir eiihn de ces épaisses broussailles. INous arrivâmes heureusement au bois de palmiers, nous y |iéuélrâmes pour nous coucher à l'ombre et manger le reste de notre dîner. Tout à coup un nombre assez grand de singes, effrayés par notre arrivée et par l'aboiement de notre chien, grimpèrent si lestement sur les arbres, que nous ne les aperçûmes guère que lors(|u'ils furent loi;és tout en haut dans la couronne; alors ils grincèrent des dents, firent des grimaces épouvantables, et nous saluèrent d'un affreux cri hostile. Je remanniai bientôt que les arbres étaient des cocotiers, et j'eus l'espoir d'obtenir, par le moyen des singes, quelques fruits peu mûrs et remplis de lait. Fritz, de son côté, était empressé à tirer sur ces bêles ; il jeta à terre le paipiel de cannes à sucre, mit en joue, et... j'i'iis à peine le temps de l'empêcher de faire feu en le prenant par le bras pour donner une autre directicni à sou fusil : o Que vou- lais-tu faire, lui dis-je, dans ton ardeur de jeunesse? Quelle utilité ou (|uel plaisir aurais-tu trouvé à mettre à bas un de ces singes? iiuTz. Ah! mon père! pniir([uoi ne m'avez-vous pas laissé faire ? Les singes sont des bêtes iiiécliautes et nuisibles ; voyez comme ils nous montrent le dos pour se mii(|uer de nous. LE pîiRE. Et cela peut-il exciter à la vengeance ce Fritz si raison- nable ? A dire la vérité, je n'aime pas trop les singes : ce sont des animaux malicieux par caractère; mais aussi longtemps qu'une bête ne nous nuit pas, ou que sa mort ne nous est pas utile pour conser- ver notre propre vie , nous ne sommes pas en droit de la tuer, et nous le sommes moins encore de la tourmenter pour nous amuser, ou par un désir insensé de vengeance. iiuiz. ]\ous aurions aussi bien pu rôtir un singe que tout autre gibier. LE rî-RE. Grand merci! tu nous aurais fait là un beau régal! D'ail- leurs, ton singe tué n'aurait pas couru de lui-même à la cuisine, et moi je n'avais, je t'assure, nulle envie de le porter chez nous. Pour toi, mon hls, tu es chargé de reste avec ton i;ros paquet de cannes à sucre; les singes vivants nous seront peiil-i'tre d'une plus grande uti- lité. Kl garde-moi faire; mais prends garde à ta tète; si je réussis, ils nous loiiriiiront des noix de coco en abondance. » Je commençai alors à jeter des pierres contre les singes; et quoique je n'atteignisse pas la moitié de la hauteur des palmiers, ils furent cependant très-excités et fort en colère. Dans leur manie d'imitation, ils arrachèrent avec acharnement de la tige des palmiers noix sur noix pour les jeter contre nous, de sorte (|ue nous avions beaucoup à faire jiour éviter d'en être frappés, et bientôt il y eut autour de nous une grande quantilé de fruits. Fritz riait de lion cœur de ce (|ue ce tour nous avait si bien réussi; et quand la grêle de cocos fut ralentie, il raniass:i autant de noix qu'il voulut. iNoiis choisîmes une place sûre pour jouir (h- notre récolle, et nous ouvrîmes les coques avec la hache; mais au]iaravaiit inuis bûmes, par les trois petits trous que nous pouvions percer avec le couteau, le lait ipii s'y trouvait. Nous ne le trouvâmes pas très-bon; mais il désaltère. Ce qui nous parut excellent, ce fut une espèce de crème solide (|ui s'attache à la coque, et que nous grattâmes avec nos cuillers; nous y inêlâmes du jus de nos cannes, et nous fîmes un régal délicieux. Âlaître Turc y gagna le reste de notre homard, (|ue nous méprisions, et un peu de biscuit; mais cette grosse bête était loin d'être rassasiée : elle mâcha de tout sou cœur des morceaux de canne à sucre et des pépins de coco. Enfui nous nous levâmes; j'attachai ensemble (pichpies noix qui avaient encore leurs tiges, et je les jetai sur mon épaule, l'rilz reprit son paquet de cannes; nous nous cliaii;eâmes, et nous nous prépa- râmes à repartir pour reprendre le chemin de notre habitation. CHAPITRE IV. , Ileloiir du voy.n^'o de découvertes ; alarme nocturne. Fritz n'acheva pas son voyage sans faire entendre ses plaintes : le paquet île (■.innés a sucre pesait sur ses épaules; il le changeait soii- vriil de place; euhii il s'arrêta en ropirarit forteiiieiil : « .Non! s'éeria- t-il,ji n'aurai:i jamais jieiisé que quelques cannes à sucre lussent si LE UOBlNSOiN SUISSE. U pcsanles; que je plains les pauvres nc;;res qui le apportent de 1» coup plus loin 1 Je voudniis bien cependant (|uo ma mère et mes h rtent de beau- rères iriliniit.cj-'^im"»»^'!'*'- ~ ~' eussent part à noire butii.. — Patience cl coMraije, clier Fritz! lui eriai-je; pense au panier de pain d'Ksopc, cpii ilail d'abord le plus pesant iardeau, et qui dcvinl à la tin le plus Ici'er; les cannes ii sucre diminueront aussi, cl nous " ■ sucer encore plusieurs, à prisent, alléi'e-loi d'une en ma laveur; elle nie servira de " Prends-en une pourrons iiicii avant d'arriver chez nous en Dès à présent, ailéije-loi d'une en ma laveur; elle bâton de pèlerin et de riiclie ,i miel en même temps. . aussi à la main; (|uanl aiiv autres, tu li's lieras lortemenl ensemble et tu les atlaclieras sur ton dos en sautoir avec ton fusil, et alors lu les porteras avec jibis d'ai,sance. Dans notre situation, il i'aut appren- dre à l'aire usai;e de son iiilelliiiciice ; la réflexion et la laenllé ui'en- trice doivent compenser le délaiit de secours. « Pendant i|uc nous marcliions et causions ainsi, Fritz s'aperçut que je suçais de tem])S en temps le boni de ma canne, et voulut en laiie autant; mais il eut beau sucer de toutes ses forces, rien ou presque rien n'arrivait dans sa boiiclie. « 13'oii vient donc, dit-il, que je ne tire point de jus ' Opcndant elle en est pleine. — Cela iMOvieiit, lui dis-je, de ce que tu ne fais usaije ni de ton jugement ni de ton imaipiialion. FRITZ. Ahl j'y suis; c'est sans doule par di'iaut d'air. S'il n'y a pas une ouverlure en bas, je sucerai en vain; rien n'.irrivera. LE PÈRE. Tii l'as deviné; mais que faul-il faire maintenant :' FRITZ. Prêtez-moi un moment votre canne, mcui père. LE PKRE. Point du tout; il n'y aurait pas alors grand mérite; il laul que tu trouves loi-même le moyen. FRITZ, \oyons... Je iiense qu'il n'y a qu'il faire un petit Irou au- dessus du premier anne;iii , alors l'air peut \ entrer. LE l'Î.RE. Fort bien pensé; mais pourquoi fais-tu ce trou au premier anneau, et comment l'air fait-il entrer ce jus dans la bouclie ' FRITZ. La canne étant fermée ii cliaque :inneau, le Irou que je ferais au-dessous ne servirait ii rien pour la partie supérieure. En suçiinl, j'aspire mon baleine et je fais un vide d'air dans ma bouclic; l'an extérieur péiii'lre alors par le trou pour remplir ce vide; il est ar- rêté par le jus, el le presse jusipie dans ma bouclic, "Mais couimcnt la par le jus, el le presse jusqi m'y prendrai-je, (juand cette partie sera vidée, pour en venir seconde ? LE i'l;uE. Comuieiil ! i;raiiil |iliysicien , qui viens de niisonncr si jnsie sur la force et la fluidité de l'air, tu ii'imai;ines, pas de couper la partie vidée jusqu'au-dessous de l'anneau, de faire une nouvelle ou- verture au bas, el ainsi de suite? FRITZ. Oui, oui, j'y suis, cela va bien; mais à ]irésenl (|ue nous savons la bonne manière, j'ai ijiand'pcur que nous n'en apporliiins pas beaucou]) il nos amis. LE n.KE. Je crains fort aussi (|iie nous ne leur apportions que dis bâtons qui seront bons à briiler; d'ailleurs le jus s'aiijril facilemeiil dans les cannes coupées, el par un soleil aussi brûlant. Ae l'alllii^c donc pas trop si leur nombre diminue. FRITZ. Fil bien', si le sucre se ijâte, je leur porlerai au moins une bonne provision de lait de coco, que j'ai dans mon flacon de Icr- blane ; nous en ferons Ions en famille un joli réjjal. LE piiUE. Pauvre petit! comiiie lu le clianjesl el peut-être a la Im tu n'auras que du viiiaii;re; car le jus de coco, sorli de son vase na- turel, se (jâte encore plus vile (|ue le sucre dans les cannes; iieut-êlre est-il déjà j;àté iiiainlenant : le vase de fer-blanc oii lu l'as uns s'e- chaulïe cxcessivcmeiil aux rayons du soleil. FRITZ. Cela serait bien iiiailieureux! il faut que ji' le ijoùte. » l.e flacon fut vile ùlé de dessus son dos, el il essa\;i de lirer avec force le bouclion, (pii sorlit tout ;i coup avec un ijrand fracas et le jus aussi eu écumaiit comme du vin de Cliampaijne. LE pi:RE. Bravo, monsieur Fritz! vous avez fait là de bon vin mous- seux, à ce qu'il me parait. Prenez ijarde ;i présent de vous enivrer. FRITZ. Papa, papa, goûtez, goûtez : c'est délicieux, et, bien loin d'être du vinaigre, ceci ressemble tout ii fait à d'excellent vin nou- veau; c'est doux et piipiant; goûtez. .N'est-ce pas que c'est bon .' Si cela reste ainsi, ils vont bien se régaler. LE pi-RE. Je le désire; mais j'ai grand'peiir cpi'il ne se déiialure en- core. Ceci est le premier degré de fermentatiiMi; la même eluise ar- rive lorsque le miel est dissous dans de l'eau [loiir en l'aire de l'hy- dromel. (_)uand celle prcmii're fernieiitalion est passée et ipie le fluide s'est épure, on obtient du vin ou quel(|uc liqueur fermentée plus nu moins bonne, suivant le jus ((u'on a; cM>uite, par la chaleur, il ré- sulte une nouvelle IciTiicutilion plus lente, qui fait tourner le fluide en vinaigre; mais celle-ci peut être prévenue par des soins el de la fraieheur; eiihii il s'étaldil dans le viiiairre iiième une troisième fermentation, ipii le dénature, lui ôle toute sa force et le coriiimpl. Sous la tempéraliiie hrùlanle oii nous sommes acliudlcmeut , cette triple feriiieiilalion peut s'opérer très-rapidement, el tu pourrais fort bien n'apporter ii la maison que du vinaigre, ou peTit-ètrc une eau sale el puante. Nous pouvons dune boire chacun nu peu de ta nou- velle l)ois;,oii pour III profiter ])inilanl ((u'elle est encore bonne, et nous restaurer. Doniir, mon fils. A ta santé et il celle de nos bien- aiiiiés! l'.n effet, celle liqueur esl excellente, mais assez forte; cl il faut que nous en soyons sobres, si nous ne voulons |ias i|u'cllc nous )iorte il la tète. » ( ielle boisson nous redonna des forces cl de la gaieté; nous cliemi- nàmes avec courage jusqu'à l'endroit oii nous avions enfermé dans le sable nos ustensiles d'écorce de calebasse : nous les trouvâmes très- secs, point déformés et durs comme de l'os; nous pûmes donc les piendre dans nos gibecières sans en être incommodés : cela fait, nous continuâmes notre route. A peine avions-nous traversé le petit liois oii nous avions déjeuné, que Turc nous (|uilta loul furieux pour fondre sur une troupe de singes qui, au bout > Ainsi les (|ueslions, les excla- mations se succédaient , et si rapidenu'iit, que nous ne pouvions y réjiondre. Enfin, quand on commença à se calmer un peu, je pris la parole, et je dis : o Je vous salue encore une fois de tout mon C(eur, mes bien-aimés; nous arrivons. Dieu soit loué, sans avoir rien rencontré de fâcheux, et nous vous apportons toutes sortes de bonnes choses; mais je n'ai pas réussi dans ce qui me tenait le plus à co'ur, nous n'avons rencontré aucun de nus compagnons d'infortune, .l'espérais être plus heureux. I'iiis(|ue Dieu le veut ainsi, dit ma femme, soMineltons-nous et re- mercions-le de nous avoir sauvés tous ensemble et réunis encore une lois : combien je l'ai prié pour (|ue vous revinssiez en bonne santé, et combien de malheurs je redoutais pour vous! (jette journée m'a ]iaru un siècle. Uacontez-nous maiiitenaiil votre petit voyage et (|uiltez vos fardeaux; <|uant à nous, nous sommes reposés, ({ui>i(jiie nous n'ayons lias été tout à fait oisifs. Mes enfants, débarrassez votre père et votre frère de ce (|u'ils ont porté si longtemps.» Jack prit mou fusil, Ernest les noix de coco, Francis les coi|ues de courges, et ma femme ma gibecière. Fritz distrihiia les cannes à sucre, mit son sini;<' sur le dos de Turc, à la grande joie des eiifanls, et pria son frère Ernest de prendre encon' sou fusil; mais ImucsI n'ai- mait pas à s'inciunmoder |)lus qu'il ne fallait, et prétendit que les grosses boules (pi'il porl;iil étaient assez pesantes pour ses forces : sa mire, tn's-disposée à le gâter, les lui jirit, et nous nous acheminâmes ainsi vers notre lente. " Ah! dit Fritz, si Ernest avait connu ce qu'il a trouvé si |>esanl, il l'aurait gardé; ce sont des noix de coco, lirnesl , de tes chères noix de loeo d(uU lu as tant d'envie. riiMcsT. I)is-lu vrai? des noix de coco! Maman, vite, rendez-les- moi, s'il vous plaît; je les iiorli-rai bien, et le fusil aussi. LA Mi^Kii. ]\on, non, je ne veu\ plus enlendre les plaintes sur la fa- tigue, et tu ne larderais pas à les recommencer. » 11 aurait volontiers prié sa mère de prendre le fusil en échange, mais il n'osa pas : « Je n'ai , dil-il, qu'à jeter ces bâtons et à porter le fusil à la main. FiiiTz. Je ne te le conseille pas, tu t'en repentirais bientôt; ces bâ- tons sont des cannes à sucre. — Des cannes à sucre 1 s'écrièrent-ils tous, des cannes à sucre ! » Ils enlourèrenl Fritz, lui firent raconter sa découverte, et demandè- rent des instruclions sur le grand art de sucer. 31a femme aussi, qui ;ixait toujours eu dans son ménage un grand respect pour le sucre, était tout émerveillée, et me demandait des explications : je lui en donnai avec grand plaisir, ainsi que sur la marche successive de nos découvertes, en les lui montrant tour à tour; rien ne lui fit plus de plaisir que nos plats et nos assieltes, parce que nous en avions le besoin le plus urgent. iSous arrix'âmes à la place de la cuisine, cl nous y trouvâmes avec grande joie les préparatifs d'un excellent repas; d'un côté du feu il y avait un tourne-broche de bois sur deux fourches plantées eu terre, où tories sortes de poissons rô- tissaient, attachés tout du long avec une baguette que François s'était chargé de tourner de temps en temps; de l'autre côté, une oie était enfilée dans une seconde baguette, et sa graisse, eu fondant, tombait dans des coquilles d'huître rangées dessous et serrées les unes contre les autres : au-dessus de la flamme était nue marmite de fer, d'oii s'évaporait l'odeur reslauraiite d'un bouillon sax'oureux. Derrière le foyer, un des tonneaux repêchés était ouvert, et nous niontrait dans son intérieur les plus beau\ fromages de Hollande reuleriués dans des cercles de plomb. Tout cela était fait pour exciter l'appétit de deux voyageurs qui n'avaient fait qu'un mauvais relias, et rien ne ressem- blait moins à un dîner d'ile déserte. ot 1 Certainement aiu un service, soit de vermeil, soit de porcelaine du Japon, n'a fait aul.iiit de plaisir il son possesseur que nos ustensiles de courije et de noiv eu tirent à cette dii;iie femme. Fritz me demanda si nous ne voulions pas boire de sou vin de Ci'hampaijiie pour éijajcr le repas: « J'y consens, lui dis-jc; mais ijoùte-le auparavant jiour savoir ce que tu nous olIVes. Il ouvrit son flacon et Koùla... « () malheur ! dit-il , ce n'est plus que du viuaiijre. — Du vinaii;rc! s'écria ma femme; il sera parlait pour la sauce de notre oie ; la jjrais.se servira d'huile, et nous aurons une bonne salade. )■ Fut dit, fut fait; ce vinai|;re de lait de coco aiijri se trouva très-fort et très-bon; il eorrii;ea le ijoùt désaijréahle et saumàlre du pini;ouiii, que sans cela nous n'aurions pu manijer, et rendit moins fades les poissons rôtis. Chacun vantait son plat; c'étaient .laek et l''raiu;ois i|iii avaient pris les poissons dans le bas-fond, peinlant qu'l'.rncst chassait sans beaucoup de peine son slupiile: ma pauvre femme avait eu plus à faire ;i rouler le tonneau de fromaijc jusqu'il la cuisine et ii le défon- cer par un bout; mais aussi cet excellent dessert fui ce c|ui nous lit le plus de plaisir, cl elle en reçut un juste tribut d'éloijes. Quand nous eûmes fini de souper, le soleil était à son déclin; sa- chant que la nuit arrivait ])resquc aussitôt, nous n'eûmes rien de [dus pressé que de r.'i;ai;ner notre jjite; ma femme avait eu l'atleutioii de ramasser encore beaucoup d'herbe si'ihe et de l'étendre dans la lente, de sorte que nous nous réjoiiimes d'avoir des matelas mieu\ l'oiirnis et plus tendres (|ue la nuit précédente. Toute notre volaille se [ilaça comme la veille; nous finies notre prière du soir, et nous nous jjlis- sàmes dans la tente; nous prîmes le sinije avec nous, c'était le petit favori de tous; Fritz et Jack se partai^èrcnt son amitié et le mirent tendrement au milieu d'eux, en le couvrant avec soin pour ([u'il n'eût pas froid. Nous conehàmes tous d'ailleurs dans l'ordre accou- tumé; je restai ])Our fermer la tente, et, après les ifrandcs fatiyiies du jour, je tombai bientôt, ainsi que les autres, dans un sommeil pro- fond et restaurant. Mais il peine commençais-je à jouir de sa douceur, que je fus ré- veillé par l'inquiétude des poules perchées sur le faite de la tente el jiar un fort aboiement de nos chiens vigilants, .le courus prompte- mcnt à leur secours; ma femme et Fritz furent de leur côté réveillés et alertes; nous primes tous les trois des armes, et nous sortimes de la tente. <( \ eux-tu aussi faire feu, chère amie? dis-je ii ma femme. — Oui, sans doute, s'il le faut, répondit-elle; j'oserai tout ce que notre sûreté el celle de nos chers enfants exigeront ; mais il vaut peut- être mieux que je vous laisse ce soin et que je m'occupe ;i eliarger les iusils et il vous les présenter ;i mesure que vous tirerez. — bien, dis-je; à présent allons courai;euscment voir à ([uel en- nemi nous avons affaire. • Nos chiens continuaient d'abojer avec force, et il s'y joignait d'autres hurlements. Nous sortimes de la tente; ù notre grand étonneiuent, nous aperçûmes au clair de la lune un terrible combat : une douzaine au moins de chacals ' avaient en- touré nos deux braves dogiu's, t un quadrupède très-commun dans l'.Vfriquc etl'A'ic II tient le milieu onlrc le loup (t le chien; il ressemble aussi au renard pour la graiulcur et le poil ; mais ses jambes sont plus courtes et son poil est d'un jaune vif et brillant; il est connu soils le num de (oiiji dorf. Le chacal joint ù la férocité du loup la raniiliarité du chien; sa voix est un mélange do hurlement et d'aboiement. Ces animaux ne vont jamais seuls, mais toujour.s par troupes de vingt, trente ou quarante. Ils se rassemblent le soir pour faire la guerre et la chasse 4 toute espèce de bétail avec beaucoup de voracité. {Nouveau Dictionnaire d'Histoire ntitiiTPÏtf .) es]ii're plus sauvage et plus méchante que les renards de nos contrées. T.a bonne mère, voyant que tout était tranquille, nous exhortait ;i aller nous recoucher; mais l'ritz me demanda la permission de traî- ner son chacal tué vers la lente, pour pouvoir le montrer ii ses frères le lendemain dès le matin. Sur notre consentement, il alla le cher- cher et le Iraina avec beaucoup de peine, car il était de la grosseur d'un grand chien. Je dis cependant à Fritz (|uc si Turc et liill n'é- t lient pas rassasiés, ce dernier chacal devait encore leur être accordé pour récompense de leur bravoure. .^'ous en restâmes b'i; le corps du chacal fut pose'' .'i côh' de l.i lente, sur le rocher, près des petits dormeurs, qui ne s'étaient jias réveillés il tout ce bruit, el sans autre interru]>lion nous nous eudormimes à côté d'eux jus(|u'ii ce ipie l'aube du jour commençât ii jiarailre el (|ue le co(| au cri perçant me réveillât, ainsi (|iie ma bonne Iciume. Pendant que les enfants dormaient encore, je délibérai avec elle sur le plan des travaux de la journée. CHAPITRE V. Retour sur le vaisseau échoué. Il Ah! chère amie ! m'écriai-je, je vois devant nous tant de travaux, tant de soucis, que j'en suis effrayé. Un voyage au vaisseau est d'une nécessité indispensalde si nous ne voulons i)as perdre notre bétail et tant d'objets utiles i|ue nous sommes encore en état de nous procurer et que la mer peut engloutir d'un moment ii l'autre; et nous avons tant de choses ;i soigner et il faire ici! Ne serait-il pas nécessaire, avant tout, de nous ]iréparer une meilleure demeure et un moyen de nous mettre à l'abri, nous et nos provisions.' .le ne sais par où com- mencer. — Tout s'arrangera peu à peu, me dit ma femme ; l'ordre el la pa- tience font bien de la besogne. Je frémis, il est vrai, de ce voyage au vaisseau; mais, |uiis(|ue tu le juges si nécessaire , je pense que c'est par lii que tu dois commencer; le reste se fera de lui-même, je te le promets. N'ayons pas le souci du lendemain : ii clia([ue jour sullit sa peine; voilà ce que nous dit le plus grand ami de riiumanilé. — Je suivrai ton conseil, répondis-je, et cela dès aujourd'hui. Tu resteras ici avec nos trois cadets; et Fritz, comme le iilusfort et le plus habile, viendra avec moi. « A ces mots, je me levai en criant à haute voix : « Levez-vous, mes enfaiils ; le jour \a paraiire, et nous avons de graiuls projets pour au- jourd'hui; ce serait une honte <[ue le soleil nous ti'onvàl dormant en- core, nous les fondateurs d'une nouvelle colonie. » A mes paroles, Fritz sauta lestement hors de la teiile, peiidarit ipie ses petits frères bâillaient el se frollaieni les jeux pour chasser le sommeil ; il courut vers sou chacal tué, qui était devenu tout roide pciulant la nuit ; il le mit debout, eu sentinelle, à l'entrée de la tente, pour savoir ce que les petits diraient en le voyant; mais aussitôt inie les chiens l'eurent aperçu, ils grognèrent et aboyeicnl d'une manière épouvantable, et le croyant en vie, ils vouliireul l'attaiiuer. Fritz eut beaucoup de peine à les retenir; il en vint cependant à bout en joi- i;uant la douceur à la fermeté. Cependant le bruit qu'ils faisaient acheva d'éveiller nos enfants, qui sortirent de la tente, curieus de savoir ce qui l'excitait. Jack parut le premier, avec le petit singe sur les épaules; mais quand ce dernier a]ierçul le chacal , il se sauva avec terreur dans l'endroit le plus reculé de notre gitc, el se reiranclia si bien ilerrière de la mousse cl ilu foin, qu'on apercevait à |>einc son museau. Les petits furent Irès-siiriiris en voyant cette grande bête d'un fauve doré, <|ui se tenait à toiile droite sur ses pieds de derrière. « ISon Dieu ! un loup, je crois ! s'écria l'"rançois en reciilanl un peu. — Non, non, dit .l.ick en s'aïqinu-hant el le prenant par la pallc, c'est un chien jaune et qui est mort; il ne luuigc pas. — Ce n'est ni un loup ni un chien dit F.rncst d'un ton de docicur: lie voyez-vous pas (|iie c'est un re- nard doré i' — Ha, ha! s'écria Fritz, monsieur le savant professeur, vous ne savez pas ce que vous dites, cette fois; vous avez si bien pu rcconnaitre l'agouti, el vous ne connaissez pas un chacal, rien (|ue cela, el (|ue j'ai tué celle nuit? — Cette nuit! en dormant, sans iloute? dit Frnest. FRITZ. Non, monsieur, en veillant pour votre sûrclé; j'.ii lue' ce chacal pendanl votre sommeil , et vous ne savez pas seiileiiKiil ce (|ue c'est (|u'ui^chacal, que vous apjielez un renard doré. KiiNKsr. Tu ne le saurais pas non plus si papa ne te l'avait pas dil. — Allons, allons, mes enfants, m'écriai-jc, point de dis|)ute. Fritz tu as tort de te moquer de ton frère, lors même (|ii'il se tromperait. Ernest, tu as tort d'être si sensible à une légère raillerie, et vous avez tous raison (|uand vous niuumcz cet animal chien , Idup et renard; il ticnl de ces trois espc'ccs, et il a x r.iiiiKiil le poil doré. » Les enfants hrent la paix, et il y cul qiieslions, narralions, admi- rations sans fin. o Enfanls, m'écriai-je, celui (|ui comiueiice la journée sans ad ressi'r sa prière à Dieu n'aura ni bonheur ni succès dans ses entreprises ; prions donc avant d'aller à l'ouvrage. » Ils se mirent tous à genoux autour de moi. Lorsipie j'eus hni les prières, il fui (pieslion'de dé- jeuner, car l'appi'til îles pelits garçons s'ouvre en même temps ipie 1 i LE ROBINSOJN SUISSE. leurs vcii\; cette t'ois, leur mèi'C n'avait à leur donnci' iiue du l)is- ciiit , et il était si dur et si sec, qu'ils pouvaicut ii peine l'avaler. Fritz ileiiiaiida d'y joindre un peu de fiomape, et Einest se jjlissa \ ers l'aulie tonneau repèrlu' , ([ne l'on n'avait pas nnveit, et (|ne nous pensions aussi être plein de l'mnia!;e. Au boni d'un moment , il re- vinl auprès de nous; la joie brillait ilans ses \en\. « l'apa , me dit-il, si nous avions seulement de bon benrre étendu sur notre biscuit, il serait bien meilleur, n'cst-ee pas'.' — Oui, dis-je, si, Si', avec tes élerneU si ; ce biscuit avec du l'ro- majjc vaut mieux que tes s/... cpii ne signifient rien. rriMisr. Pent-èlre qu'ils sifjnilieraient beaucoup si on ouvrait cette tiuine. LE l'iiRE. Quelle tonne , et ([ne veu\-lu dire? !:it\Esr. Que cette autre tonne est pleine d'un beurre salé excellent; l'y ai l'ait nue petite ouverture avec un couteau ; voyez ce que j'en ai tiré. » El il nous montra une evcellenle tartine au beurre. Il 'J'on instinct de ijonrmand te conduit tort bien, lui dis-je, cl tu as eu bon nez. Allons, à l'ouvrai;c! qui veut des tartines? » Tous en- lonri'rent la tonne; mais j'étais dans l'embarras sur la manière la [iliis prompte et la plus sûre de l'ouvrir. Fritz pensait ([u'il fallait ôter lin des premiers cercles pour l'aire sauter le i'oiul ; je lui représentai ijii'il lallait bien se garder de relàclicr les douves, parce que la chaleur du jour, ([iii serait très-forte, ferait loiulrc tout le beurre, (|iii coule- rait dehors. J'eus l'idée de faire une ouverture assez |;rande au l'ond, pour en tirer le beurre dont nous aurions besoin avec une petite [iille de bois, ([ui fut liientùt fabriquée. Cela réussit très-bien ; nous eûmes pour notre d('jenner une coque de noix de coco pleine de beau beurre salé de Hollande, antonr dui|uel nous nous mimes par terre , désirant plus que jamais du lait de vaclie ou de coco pour nous désaltérer. Nous fiiues jjriller noire biscuit, et lorsqu'il fut bien eliaud, nous y mîmes le beurre, ([iii nous |)arut excellent. Nos cliiens nous laissèrent di'jeuuer tranquillement; ils dormaient il côté de nous; mais pendant leur repos, nous vîmes qu'ils n'étaient pas sortis du combat sans blessures; ils en avaient d'assez ijrandes en |i!iisieiirs endroits, et princiiialemenl au cou. Dans la crainte que la clialenr n'envenimât lenrs plaies, je fis laver du beurre dans de l'eau Iraîclie , et je dis à .lack rintré|iide de les oindre pendant qu'ils étaient trani(uilles; il le fit avec compassion et adresse; les chiens se réveillèrent, mais ne boui;èreut [)as , comme s'ils avaient eu le seuli- uient du bien qu'il leur faisait ; ensuite ils se léchèrent, et ils furent ijiu'ris en peu (le jours. (t II ne faudra [las oublier, dit Fritz, de chercher sur le v:iisseau si nous ne trouvons |)as pour eux des colliers ii pointes, afin de pré- server nos vaillants défenseurs, dans le cas oii ils auraient encore des chacals ii combattre; et je ne doute pas i|iie cela n'arrive , ii présent ([lie ces animaux savent le chemin. — Alii dit Jack, je leur ferai moi-même des colliers, si maman veut m'aider. i.\ MÎ'RE. Je te le [iromets, jietit fanfaron; nous verrons ce (|iie ta liiinne tèle inventera. I.K riaiE. Oui , (uii , petit homme , exerce ta force iiiri'iifvice , In ne saurais mieux faire; si tu produis (|uel(|ue chose d'utile, il y aura pour toi élojjcs et honneur. A (irésent il est tem|)s de nous mettre ii i'mivraee ; pré|iarez-vous, monsieur l'aîné ; vous, (|ui, [lar votre ài;e et votre prudence, êtes de droit nnni conseiller privé, vous viendrez avec moi sur le vaisseau pour sauver ce qui [lourra èlre em|)orlé. \ oiis autres petits, vous resterez encore sous l'aile de votre bonne iiii'ie, bien sages, bien obéissants, et vous prierez Dieu ([ii'il nous ramiuie heureusement vers vous. » l'eiulant ([lie l'"ritz [u-éparait le bateau, j'arrangeai uiu' perche avec un morceau de toile blanche ii l'un des bouts, je la i)!aulai sur le rivage, de miinii're (|iie je pusse la voir du vaisseau, et je cinivins avec ma femuu' que, dans le cas de quelque danger, ils l'abattraient cl tireraient trois coii|)s de fusil en signe de détresse, ce ([ni iu>us ferait revenir ;i l'inslant; mais je la ]irévius ([ue, vu loni ce ([iie nous au- rions à faire au vaisseau, il était très-possible ([iie nous fiissions'obli- i;és d'y |>asser la nuit, cl je lui ])romis, de mon côté, de leur faire des signaux, dette femme excellente et ciniragcuse consenlil a loiil, mal- gré le danger ([ii'il pouvait y avoir pour elle ii [lasscr une niiil seule avec ses trois enfants; mais elle préféra s'y résoudre , [diitôl (jue de nous exposer il revenir [U'iulant la nuit ; elle nous fit iiièiiie juiiinetlre de la passer dans nos cuves, et non pas sur le vaisseau. Nous ne prîmes avec noiisque nos armes et lenrs charg(^s. il devail y avoir sur le vaisseau encore assez de provisions pour nous nour- rir; le petit singe seiileinenl fut admis, parce que l'rilz élait iiiqia- lientde le réi;alerde lait de vache nu de chèvre. Kn silence, et trcs-émus, nous i|uitlàines le rivage, oii nous lai.ssions l.i moitié de nous-mêmes; l'rilz ramait fortement, et je le secondais aiilaiil <|ue possible , ])lacé sur le derrière, avec une seconde raine, ijiii me servait aussi de ijoiivcriiail. (_)iiiin(l nous fûmes à une grande (lislaiice de la terre, environ au milieu de la baie , je reiiiar(|ii;ii ([irtHilre roiivertiire [»ar oii nous avions p.issi'' l;i [iremii-re l'ois, elle eu axait une' seconde, fiar laijiielle le ruisseau (|ui s'y jel:iit non loin de lii fiiriiiait iiii eoiir.iut jiis(|iie Ir('s-;ivaiil dans la mer. Profiler de celle circonstance pour ménag'cr nos forces lui iii;i [ire- mière pensée et mon premier soin; tout mauvais pilote (|ue j'i'lais , je réussis pourtant il entrer dans ce cnuranl, ([ui nous entraîna dou- eemcnl, cl nous porta jusqu'aux trois quarts du trajet ((ii'il y avait à faire pour arriver au vaisseau; nous n'avions d'autre peine que de tenir le baleaii dans une direcliou droite, jusqu'à ce qu'enfin la dimi- nution ijnidiielle du courant nous obligeât d':ivoir de nouveau recours aux rames; mais nos bras étaient reposés et ils s'acquittèrent bien de ce devoir; nous entrâmes dans l'ouverture du vaisseau brisé, et nous y atlachàmes notre petit bâtiment. A peine fûmes-nous sortis des cuves, (|ue Fritz prenant son petit singe dans les bras, le porta sur le tillac, où étaient toutes nos bêtes; je le suivis promplement , et je me réjouis de la noble iin|)atience qu'il témoignait de porler du secours ii ces pauvres créaliiros. Oh ! comme ces animaux abandonnés nous salui'reut par les cris naturels il clia([iic espèce! Ce n'était pas autiint le besoin de nourriliire que le [ilaisir de voir des hommes qui leur fil manifester ainsi leur joie, car ils avaient encore dans linirs auges du fourrage et de la boisson. Le singe fut d'abnicl placé au [lis d'une chèvre cl le su(;a avec un plaisir et des grimaces ([ui nous amusèrent beaucoup. Nous allâmes ensuite rafraîchir, autant «jii'il nous fut possible, l'eau et la nourriture des bestiaux, pour ne pas être interrompus dans nos autres fonctions; nous ne négligeâmes pas non plus de nous réconforter par un bon repas. Pendant que nous dînions avec appétit, je délibérai, avec mon fils, par oii nous devions commencer; ii ma grande surprise , son avis fut d'arranger d'abord une voile à noire bateau, n Mais, au nom du ciel! lui dis-je, es-tu fou? Commenl cehi te |iarait-il si imporlant dans ce moment? Nous avons tant d'antres choses plus nécessaires à faire! Nous [lenserons ;i ccUe-lii ii loisir, d'autant plus qu'elle nous pren- dra beaucoup de Icmps. » J'avais à cieiir de [louvoir revenir le même siiiran[irès de ma famille. « \ (lus avez raison , dit Frilz, mais il faiil (|iie je vous avoue que j'ai bien de la peine à ramer, ([iioi(|iie je n'aie [las épargné mes forces; j'ai remar(|ué (|uc le vcnl souillait fortement de la mer, et malgré cela le courant nous portait en avant; au retour, il ne nous aidera ]ilus; je peiis;iis (|iie le vent pourrait y su[ipléer. Notre bâtiment sera trop pesant ([uaïul nous l'aurons chargé (le tout ce ((lie nous trouve- rons d'utile, et je crains de n'avoir pas assez de force pour l'amener il terre; une voile nous aiderait beaucoup. Un seul doute m'arrête; s le vent x'enail ii changer? — Ah! ah! monsieur Frilz, voilii le fin mot; tu veux t'é|)argiier un peu de peine; an reste, tu as raison , cl je remercie mon conseil- ler privé de sou avis ; il vaut mieux bien charger notre bâlimcnt , et ne pas courir le risque d'être subineri;és ou obligés de jeter notre charge ii la mer. Allons , ;i l'ouvrage ! si la voile doit l'é[iargner du travail sur le bateau, elle l'en donnera ii présent; va chercher tout Vf qu'il faut. IJu reste, n'aie aucune inquiétude pour le changement de vent. Dans les régions oii nous sommes, il ue ch:ingc jamais. Le vent soiilile toute la journée de la mer \crs la terre, cl toute la nuil de la terre vers la mer. » Je l'aidai ensuite à porter une [lerchc assez foric [loiir servir de mât, cl une plus mince pour y altaelicr la voile; je eluirgcal l'rilz défaire, avec un ciseau, dans une planche, une (Uiverliire assez grande pour y faire entrer le bout du mal. J'allai d;iiis la chambre :iiix voiles; je eou|)ai, d'un gfi'and rouleau de loile, une voile Iriaugii- lairc , j'y mis des cordes en y faisant des Irons; je pris ensuite un moufle ' pour l'attacher au haut du mât, et jioiir pouvoir hausser et baisser la voile à volinilé ; puis je vins rejoindre mon l'rilz, (|iii tra- \aillail avec zèle. Dès (|iie son ouvrage fui achevé, nmis (losàmes la [ilanclie percée sur la ([ualrième de nos cuves, oii elle fut liien affer- mie; le moiine fut siis|H'ndu à un anneau à la [loinle du mât; la corde, allachée ii l'angle le plus long de la voile, y fui [lassée ; et enfin le mal fut [ilanlé dans l'ouverliire de la ]ilanelic jus(|ii'aii fond de la cuve, [mis affermi avec des coins de bois et des [lii'ccs écrouécs sur la planche cl eoulrc le mât. Ma voile foriiiiiil un Iriangle rec- laiigle, doni un céué louchait le mât cl y fui allaché ; le côlé le moins long fui ;iiissi ;illaclié avec des ficelles il une \ergiie, (|ul avan(;ail hors du lialc;(ii , et dont un des bonis élail fixé au m.'il , cl l'aiilre , au inoyeii d'une corde, au giinvernail; en sorte (|ue je jioiivais de mn [ilace diriger la voile, ou l'abandonner loiil ii fail. Sur l'avant cl sur l'arrière-li;iiic (lu [iclil bâlimcnt, nous fîmes des Irons ;ivec un gros [lercoir [lour l'allaclier cl pouvoir ainsi remiiloyer des deux côtés salis être obliges de tourner le li;iteaii lui-même. rendant ijue j'étais ainsi occupé, l'rilz, avec une liiuine lunette d'a|i|)r()(lie , observait la terre, ce ((ue nous avions di'jii fait (ilusieurs lois. Il iii';i|i|)orla la bonne nouvelle que tout y élail en ordre, il avait distingué sa iiu're marchant Iranquillcmeiil. 1 1 m'ii(i[iorla ensuite une [iclile fl;imme ou [lavillou , qu'il me conjura d'allaelier ;iu haut du mal, cl i[ui lui fil ()rcsi|iie aiilanl de |ilaisir([iie hi voile. Il donna il noire [lelil éi|iii(iag(' le nom de /(( Dclirriinm , et ne ra|i[)ela plus i|iic le (lelil vaisseau. Celle vanité dans noire misère me fil rire, ' Un moullc csl une nuichino qui consi^t(■ dans un asscmhlogo do plusieurs poulies : on s'en sert pour lî'Icvcr àes poids énoruics , et pour lover ou haissor les voiles dos vaisscoux. LE ROBINSON SUISSE. et me montra de nouveau un trait caraClapa, me dit l'ritz en m'rinbrassant , à présent (|iie vous m'avez délivré du banc de rameur, il Caul aussi avoir soin de vous- même, et vous laiil' un bon ijouvernail pour pouvoir diriger le vais- seau plus laeilenient et plus sûrement. — Celle pensée, lui dis-je, serai! tri's-bonne; mais je ne voudrais ])as perdre l'avanlaise de pou- voir avancer et reculer sans être oblijjc de tourni'r le bateau ; je vais dirijjer nos ranu's de manière ii pouvoir les remuer en avant et en arrière, afin ([ue nous puissions ramer cnseiuble, et doubler ainsi de force. » Nous fimes les préparatifs nécessaires; aux deuv bouts du bateau nous arranijcàiiies des a])puis pour les rames, qui nous épar- gnèrent beaucoup de peine. Durant ces travaux, le jour avainait, et je vis bien ipie nous serions oblii;és de passer la nuit dans iu)S cuves, u'ayani encore rien fait sur le vaisseau. Nous avions promis it nos amis de planter un pavillon si nous devions rester jiisi|o'au lenciciiiain sur le vaisseau; il se trouvait tout prêt, et celui du bateau sullisail. ^fous employâmes le reste du jour .'i ôterdes cuves le les! de pierres et il mettre en place des clioses utiles, telles (|ue des clous, des usten- siles, des étoiles, etc. Nous |)illàmes le vaisseau comme des Yaiulalcs, et nous remplimes noin' b;ilcau à souhait. Vu la |;raudc probabilité (jue nous resterions loni(lemps seuls dans l'ilc, nous dirii;eàmes notre attention principale sur la poudre et sur le plomb, afin d'avoir aussi longtemps que possible des mov'us de eliasse et de déicusc contre les bêtes sauvai;cs; les outils de toute espè, qui, enflée par un vent favo- rable, nous conduisit vers le rivage avec notre escurle. ^()us vimes ;dors combien le secours du vent nous était Indispen- sable; car toutes ces bêles, attachées .lU petit iiâtiment, lui douiiaient un poids immense, et nos seules forces n'auraient jamais sulh .'i le conduire; mais, an moyen de la voile et des balanciers, il chemina, traînant après lui notre cortéije d'animaux naijeauts, qui faisait le plus singulier elVet ; de sorte qu'en peu de temps nous avançâmes considéralilenu'nt. l'iers de notre ouvrage, satisfaits liir IMnn frrrrs , nprin Ernest le découvrit livré à celto occupation assez malpropro. — Oui, dit Fritz avec fierté; pour celle fois monsieur le conseiller privé a fait preuve de laleul. — C'est très-vrai, réiioiwlis-je ; j'avoue (li tonte humilité (|uc c'est à l'rilz que les éloges appartiennent, el(|uc c'est lui ipii m'a mis sur la bonne route. » Sa mère se leva et embrass;i leiulr< meut son premier- né. « ^otre reconnaissance vous est due ;i t(uis les deux, nous dit- elle, vous niHis avez ranu'ué avec ce IroupiMU tout ce <|ui peut nous être II' plus utile dans notre situation. — Ml ! ah ! s'écria le petit l'rançois , (|ue vois-je lii sur notre ba- ' Gros poi>son de mer, célèbre par sa taille, sa force, sa voraeité, et par la grandeur démesurée de sa gueule garnie de plusieurs rangs de dents aiguës, coupantes et tros-rohustes. 1rs de l'F.niprrr'iir , roc «le V;tn{;irar(i , 3(i. LE ROBINSON SUISSE. 17 tcau^ HcffaiJez, maman, cette jolie petite voile, et ee pavillon qui flotte h'i-liiiut dans l'air : oli ! comme c'est joli! eomliien je suis plus content encore de cette voile ([ue de l'àne et de la vache! — Petit fou ! lui dit sa mère, tu clianneias d'avis i|uand je te don- nerai tous les matins une jatte de coco pleine de l)on lait. •' Ernest et .lack coururent aussi sur le l)ateau aicn ma la sueur de leur front; mais, entourés de mille et mille biens à leur usai;e, ils laissèrent pénétrer dans leur famille la haine, l'envie, la jalo'usie; Caïii, furieux, éijaré , tua son frère Abel, porta la plus amère douleur dans le cieur de ses malheureux pariuils, et fut mau- dit de Dieu, ainsi que loiile sa race. > oilà l'horrible crime aiuiuel l'habitude de disputer peut conduire. Ayons ici lout en commun, bannissons le tien et le mien : ce ipic l'un lue ou découvre est au pro- hl de toute la famille el apparlimt aulanl aux uns qu'auv autres. Il est vrai, Jack, cpie ton ceinturon, (|ui n'est pas sec, a beaucoup d'o- deur; le plaisir de porter ton bel ouvrai;e le fait passer sur cet in- convénient; mais il ne faut pas incommoder les autres pour ton plai- sir. Ainsi, mon fils, va l'ôler et mets-le sécher de manière (|ii'il ne se rétrécisse pas; ensuite lu iras aider tes frères à jeter le chacal a la mer. » Le moment d'humeur de Fritz était jtassé; mais Jack, toujours un peu mutin , résistait à ôler sa belle ceinture tt se pava- nait d'un air irimportaiice; enlin, ses frères ne cessant de l'éviter el de lui crier : « .lack ! sous le vent, sous le vciil! » il prit son parti, jeta sa cein- ture, cl courut aider ses frères à traîner le chacal dans la mer, où il ne nous incommoda plus. Je voyais ccpendanl qu'on n'avait fait aucun prépa- ralif pour le souper : je donnai l'ordre à Frilz d'ap- porter les jambons de West- phalie qui étaient dans le titnncau. 'J'oiis me re(;ar- daienl avec élmiiiement el croyaient que je plaisantais, lorsque l'rilz accourut en sautant et montrant de loin un superbe jambon que nous avions entamé le ma- lin. B lîiciivenu ! bienvenu! s'écrièreut-ils; un jambon lout prêt à manijcrl (|uel excellent repas nous allons faire! « Va le messaijer de bonnes nouvelles fut reçu avec des baUeiuents de mains et des cris de joie. K 11 vient fort à propos, dis- je à ma femme, car il me parait que notre méiiafjèrc comptait nous faire jeûner ce soir; cependant, après une course en mer, l'ap- pétit est réveillé. — Je te raconterai, me dit-elle, ee qui m'a empêché de vous préparer un festin de bonne arrivée; ton beau j.'imbon \ suppléera, cl x'oici i\v (|uoi lairc une omelette qui sera prèle dans un in- s la lit. » File m<' iiKUitra, dans un p;ini<'r (|u'i'lle avait au bras , une douzaine d'o'ufs de tortue. '■ N'oyez, papa , me dit F.rnest , si ce n'est pas là de ces Imns œufs de tortue dont r,obinsoii se réijalail dans son ile. Voyez, ils soiil comme des boules blaïuhes enveloppées d'une peau ■■oiume un par- cheniin mouillé, el nous les avons trouvés dans le sable, près de la mer. — C'est cela même, mon cher l'.rnesl, lui disje; mais comment avez-vous fait cette belle découverte? — Cela se lie avec toute notre histoire, me dit ma fenime, car j'ai aussi une histoire à raciuiter, lorsipie lu voudras bien m'entendre. 11= l'fciu:. Eh bien, chère amie, préparc Ion omelelic , tu nous don- neras ton histoire iiour le desserl : en atlcndant , je vais délivrer en- tièrement la vache cl l'àne de leur attirail marin ; iU doivent en cire iniMuumoilés. Allons, jeunes ijcns, venez m'aider. » Je me levai, et Ions me suivirent avec joie sur le rivai;c, où nos auimanv se Irou- vaieul encore. Nous eûmes bientôt mis en libcrti' la vache el l'âne, <|ni sonl de b iniic's bêtes; mais quand vint le tour du vilain porc P,TO- i;uard, la chose ne fui pas si facile. Dès que nous eûmes détaché la corde, il nous échappa par un mouveiuent si brus(|ue cl si prompt, que nous ne pûmes le retenir; il prit le lari^c, el ni moi ni mes fils ne fûmes assez lestes pour le raltiaper. Erncsl eut l'idée de lâcher après lui les deu\ chiens, qui le prirent aux oreilles. ]Sons arrixâiuesà demi sourds des cris alïreux qu'il poussait : il se laissa ôler as.sez paisible- ment son eorsel de liéiïc iVous chargeâmes toutes ces dépouilles sur le dos de l'àne, el nous leviumes vers la cuisine; mon paresseu\ Il LE ROBINSON SUISSE. Ernest était enchanté d'avoif un serviteur quadrupède pour porter les lardeaux. Pendant ce tcmps-l.i, la honne mère avait préparé l'omelette et mis le couvert sur la tonne de beurre, avec des assiettes de bel étaiu et des couverts d'argent brillant, qui avaient très-bonne façon : le jani- liou au milieu , l'omelette vis-à-vis du Iromage formaient un repas dans les règles. Les deux cliiens, les poules, les pigeons, les brebis et les chèvres se rassembli'rent i>cu ii peu autour de notre grand couvert, ce qui nous donnait lout ,i fait l'air de souverains de la'conirée. Il ne ))hilp3s aux oies et aux canards d'augmenter le nombre de nos sujets curieux; ils se sentaient mieux dans leur élément naturel, et restè- rent dans une mare, oii ils trouvaient en abondance une espèce de petits crabes qui leur foiirnissaicul une nourriture friande, et nous débarrassaient du soin de pourvoir à leur entretien. (,)uand nous eûmes fini notre repas, je lis présenter par Fritz une bouliille de vin deCauarie, que nous avions conquise dans le caveau ilii capitaine; alors je i)riai la bonne mère de raconter l'histoire (lu'elle nous avait promise de ses faits et gestes pendant notre ab- sence ; je lui versai une tasse de coco ;i demi pleine de la précieuse lu[iieur. Klle commença son mémorable récit comme on le verra dans le chapitre suivant. CHAPITRE VII. Second voyage de découvertes par la mire de famille. 'c Tu prétends être curieux de savoir ce que j'ai îi te raconter, me dit ma bonne petite femme avec un malin sourire, et tu ne m'as pas laissé prononcer un seul mot de la soirée; mais plus l'eau a mis de temps il s'amasser, et plus longtemps elle coule. Maintenant donc que tu veux bien in'écouter, je vais m'en donner i» creur joie ; mais ce]ien(lant, pour ne pas trop rim|)atienler, je sauterai à pieds joints liar-dessus le premier jour de voire absence, oii rien ne fut cliaiieé à notre train accoutumé, si ec n'est que l'inquiétude que j'éprou- vais ne me permettait pas de quitter le rivage oii nous étions débar- qués, etd'oiije pouvais voir le vaisseau ; mais ce matin, ajuès avoir remarqué avec joie votre signal, et y avoir répondu avec reconnais- sance, j'ai cherché, avant que mes petits fussent levés, une place ombragée pour me reposer, et je n'en ai pu trouver; il ne croit pas nu seul arbre sur cette Jilage stérile, et il n'y a d'autre ombre que celle (le notre tente. Alors je me suis mise à réfléchir profondément sur notre situation. 11 est impossible, dis-je ;i part moi, de rester plus longtemps ii cette place oii nous sommes grillés toute la journée ])ar un soleil di'vorant, et oii je n'ai d'autre abri pour m'en garantir qu'une misérable tente, dans laiiuelle la chaleur est plus forte en- core. Courage donc ! pendant que mon mari et mon fils aiiié sont en activité sur le vaisseau pour le bien général, je veux, de mon côté, être active, courageuse, et travailler avec mes hls cadets au bien de la famille. Je veux aller ii mon tour de l'autre côté du ruisseau, visi- ter cette contrée dont l'ritz et mou mari m'ont dit tant de merveilles, et voir si je ne trouverai pas une place agréable, ombragée, où nous puissions nous établir, .le vous attendis encore quchpies moments, mais, ne voyant sur la mer aucune apparence de retour, je résolus, apri^s un repas plus court qu'à l'ordinaire, de hasarder un voyage ])our alliu- à la découverte «rune habilalion commode. 1. Pendant la matinée, Jack s'était glissé de l'autre côté de la tenle, oii le chacal de Fritz était suspendu ; avec sou couteau, qu'il aieiii- saitdc temps en temps sur le rocher, il coupait, le long du dos de l'.Miimal, de buigues courroies de peau, (ju'il nettoyait eîisuite avec adres>,e. Ivrnest le découvrit livré ;i cette occupation assez malpropre; cl, eouiiue il est très-délicat, et qu'il craint toujours de se salir le bout (lesue cela ne t'arrive ])lus, je t'en prie ! Il — .Py ai mis bon ordre avec l'eau dont je les ai remplis, » me dit-il en les seconaul. l'.ii efl'el , il y en avait tant, qu'il n'était pas à craindre (|u'ils fissent feu. Pcmlant que nous parlions ainsi, nous fûmes cll'rayéspar un bruit soudain, cl noiisviiiics nu grand oiseau sortir île l'épaisseur de l'herbe et s'élever en l'air; chacun des en- fants se jirépara à tirer son coup de fusil ; mais, avaiil qu'ils l'ciisscul concile en joue, l'oiseau élail bien loin. Ernest se désolait et s'en prenait à la carabine que je lui avais iloiiiii'c : " Si j'avais eu mon LE ROBINSON SUSSE. 19 fusil léger, tiisait-il , et que l'oiseau ne fùl p.is parti si vite, je vous |)rniiH'ls (|iie je l'uuniis ahaltu. » — Tu (levais lui onlonner d'alleiulrc (|iii' lu eusses bien pris toutes tes mesures, lui réponilis-je en riant. » — Mais, maman, eomment me serais-je douté i|u'un oiseau allait partir au vol dans ee moment? Ali ! (|u'il en vienne un il présent ! » — l 11 bon cliasseur, Ernest, doit toujours être prêt; et voilà pour([uoi il est si diftieile de tirer au vol. Les oiseaux n'envoient pas des messagers avertir (pi'ils vont jiasser. » — Je voudrais bien savoir, dil .laeU, quel oiseau e'élait; je n'en ai jamais vu de semblable. » — Je suis sur que c'était un aiijle, dit le petit François ; j'ai vu, ilans mes Fables, <[ue les aiijles peuvent enlever un mouton, et cet oiseau était terriblement grand ! u — (lomme si tous les grands oiseaux devaient être des aigles ! dit Ernest avec importanee. Il y en a de plus grands encore : l'autruche, et un oiseau que les voyageurs nomment conitur. Ah ! si du moins j'avais eu le temps de l'cvaininer ! " — Tu aurais eu alors celui de le tuer, lui dis-je ; mais cherchons au moins dans l'Iierlie, à l'endroit d'oii il est parti ; en voyant où il était posé, nous pourrons juger de sa grandeur. » Ils coururent vers la ]ilace d'oii il s'était élancé, et tout .à coup un second oiseau sem- blable au ]iremier, mais un ]>eu plus grand encore, s'envola devant eux avec grand bruit. Us restèrent tous les trois stu|)él'aits, la bouche béante, et le suivant des yeux, .le ne pus m'eiiipêeher de rire aux éclats. on, mon cher ami, lu ne peux te faire une idée de ces arbres; il faut (pie tu ne sois ])as eiilré dans ce bois, car il t'aur:iil frappé; je n'en ai vu de ma vie d'aussi beaux el d'aussi grands : l'e (|ui iinus avait paru de loin êlre un buis n'élail ipi'iin groupe de dix à dnu/e plantes dont les tiges paraissaient soutenues dans les airs par de gr.mds arcs-boiilants> formi'-s par d'éuoriues racines iVirt (''p:iisses et tr('S-(''len(lues, (pii ont l'air d'avoir soulevé l'arbre entier à une hauteur considérable, et do l'y supporler. Le tronc principal lient aussi à la terre par une racine perpeiiiliciilaire qui se trouve au milieu des autres, mais (|ui est in- jinimi'ut plus mince, et dont le volume immense parait se joindre à celui de l'arbre et doubler sa circonférence. » .lack grimpa, avec assez de peine, sur un de ces ares-boulants , el, muni (ruiie hcelle, il mesura la circonférence du tronc au-dessus des racines; il y trouva plus de dix-huit aunes; j'eus quarante pas à faire pour mesurer la circonférence de l'un de ces arbres gigantes- ques autour des racines, la oii elles sortent de terre : la hauteur de l'arbre, depuis la terre jusipi'ii l'endroit où les branches commencent, peut être d'environ trente six aunes. Les rameaux sont épais et forts; les feuilles, assez grandes, rcsscmbleul à celles de nos noyers; mais je n'ai pu y découvrir de fruits. Lue herbe courte, épaisse, par- faitement nette, sans buissons ni épines, croit autour et dessous, entre les r:iciiics détachées de terre; de sorte (jue tout se n'iiiiil pour faire de ces lieux l;i place de repos la plus fraîche, li plus ]iailaite et la plus délicieuse. 11 Aussi je m'y plus tant, f[ue je résolus d'y faire la méridienne : je me couchai dans ee joli palais de verdure, sur une place commode, avec mes fils autour de moi. Les sacs de provisions furent visités. Un charmant ruisseau , ipii ajoute à l'agrément de cet ombrage, coulait à nos pieds et nous fournissait une boisson fraîche et salutaire. Nos chiens ne tardèrent pas à arriver; ils étaient restés en arrière sur la lisière du hois. A ma grande surprise, ils ne deniandèrent point à manger, mais se couchèrent tranrpiillement et s'endormirent liientéit il nos pieds. Pour moi , je ne |ioiivais me rassasier de regarder et d'admirer cet endroit iiicoinparable ; il me semblait (|ue si nous pou- vions nous établir sur un de ces arbres, nous y serions |)arraileinent en sûreté; nulle part je ne voyais rien (pii pût nous convenir mieux à tous égards. Je résolus donc de m'en tenir la, et de retourner, en côtoyant le bord de la mer, pour voir si nous ne trouverions pas quehpics débris du vaisseau, (pie les vagues pourraient avoir poussés contre le rivage. )i J'allais nie lever jiour jiartir, mais M. Jack m'arrêta en me sup- pliant d'achever de coudre les bandes de toile à sa ceinture de peau de chacal; le petit orgueilleux avait si grande envie d'être paré de sa ceinture, qu'il avait pris avec lui dans notre course fa petite planche sur laipiellc il l'avait clouée, cl, jiar l'ardeur du soleil, elle était complètement sèche. Je lui fis ee plaisir, aimant mieux, puisqu'il le fallait, travailler sous cet ombrage que sur noire plage aride et brû- lante. I^liiand j'eus fini, il se hâta de l'attacher autour de son corps , et d'y [ilacer la paire de pistolets; il marcha devant nous avec ficrtë- le poing sur la hanche, et laissa à Ernest le .soin de mettre les col, liers aux deux chiens, pour leur donner aussi, disait-il, un air guer- rier. Ce petit drille était si impatient de te faire voir, ainsi qu'à Fritz, sa nouvelle parure, (pi'il se mit à courir en avant, et si lestement, (|u'il me fallut aussi inariJier très-vile pour ne pas le perdre de X'uc : riaiis un pays où il n'y a aucun chemin battu, il aurait pu facilement s'égarer. Je fus plus tran(|uille à cet égard ([iiand nous eûmes gagné le bord de la mer; nous y trouvâmes, en effet, des ]ierches, des pou- tres, de grosses caisses et d'aiilrcs objets; mais il était au-dessus de nos forces de les amener sur terre; nous traînâmes cependanl sur le sable tout ce ([iie nous pûmes remuer pour le mettre à l'abri des va- gues et de la marée. INos chiens se mirent de leur côté à pêcher fort adroitement des crabes, qu'ils tir;iient avec leurs pattes au bord de l'eau, et dont ils se régalaient; je compris que c'était là ce qui les av;iit si bien rassasiés. Q)uc le ciel soit béni , in'écriai-je, «jne ces bêtes aient trouvé moyen de se nourrir ainsi! Je commençais à trem- bler i|u'ils ne nous dévorassent nous-mêmes avec leur énorme a|)pétit. » JNoiis dévorer! s'écria mon brave petit Jack; ne suis-je pas là pour vous défendre avec mes pistolets':' 11 — l'auvre petit fanfaron! ils t'avaleraient comme un oiseau s'ils eu avaient envie; mais ee sont de bonnes bêtes, (]ui nous aiment et ipii ne nous feront aucun mal • ([inmd j'ai dit ipi'ils nous dévore- raient, j'ai voulu faire enleiidre ipi'ils diminueraient si fort nos pro- visions (pie nous en soiilTririons. 11 Tout il coup nous viiiies Hill (pii grattait quelque chose de rond qu'il :ivait trouvé dans le sable, et (pi'il avala avidement. Ernest le regardait aussi, et dit tranipiillemcnl : ('e sont des œufs de lorliie. » — ^ Oh ! m'écriai-je, venez, mes enfiuls; ramassons-en autant qu'il nous sera possible; c'est excellent, et je serai si contente de régaler nos eliers navigateurs, à leur arrivée, avec ce nouveau mcis! 11 11 nous fallut un peu de peine pour écarter le chien, ipii y pre- nait goût; mais enfin nous réussimes à en recueillir près de ilcux douzaines, (pie nous distribuâmes dans nos sacs de provisions. Après cette occupation, nos regards se porlèrent par hasard sur la vaste mer, et nous aperi;ûmes, à notre grand élonnemenl , une voile qui s'approchait joyeusement de la lerre; je ne savais «pi'en penser. Er- nest, qui veut toujours loul s;ivoir, tout deviner, s'écri:i (pie c'était papa el Fritz; mais le pelit l'"raneois avait gnind'peur ipic ee ne fiis- seiil (les sauvages (|iii venaient nous manger, comme ceux qui vin- rciil dans l'ile de Hobinson Crusoé. Bientôt nous reconnûmes ipi'l'.r- •2. 20 LE ROBINSON SUISSE. nest avait raison, et que c'était effective ment vous, mes bien-aimés. INoiis courûmes pioniptemeiil vcis le ruisseau, et nous sautâmes de pierre eu pierre jusqu'à l'autre boni, moi chargée, comme le matin, lie mon petit François. IVous arrivâmes bientôt à la place du débar- quement, oii nous volâmes dans vos bras avec des cris de joie. ^ oilù, mon clier ami, la narration lidèlc et circonstanciée de notre voyage de découvertes : maintenant si lu veux me rendre bien lieurçiise, nous irons demain avec tout notre mobilier nous établir auprès de mes superbes arbres. )i — Yoilà donc, cbère femme, tout ce que tu as découvert pour notre établissement futur! un arbre baut de trente-six aunes, oii nous nous percherons comme des perrocpiets, si nous pouvons trou- ver moyen d'y grimper, ce qui, certes, ne sera pas tacile! » — llélas! mon bon ami, je n'ai rien vu de mieux, et je ne voulais pas me hasarder plus loin sans toi; tu seras peut-être plus heureux et sûrement plus habile. » J'embrassai ma femme; elle avait presque les larmes aux yeux de ce que je plaisantais de sa découverte et de ses arbres gigantes(]ues. « Je suis bien loin de me plaindre de loi, mon amie, lui dis-je; an contraire, j'adoiire ton courage; tu es bien la preuve que les femmes en trouvent autant dans leur cteur que les hommes dans leurs forces : ne te fâche donc pas, ma chère amie; mais dis-moi si tu veux que je te fasse un ballon de toile ii voiles avec lequel nous puissions monter dans tes beaux arbres? — Oui, oui, me dit-elle, raille-moi si cela t'amuse, je le veux bien, mais je t'assure que mon idée n'est point si folle que tu le crois; au moins serions-nous, la nuit, ii l'abri ourrions nous repentir, cl réfléchissons mûrement. Dans le fond, il me parait que nous ferons bien de rester oii la Providence nous a conduits; celte jilace parait nous convenir à mer- veille, tant pour notre sûreté (|iie par la proximité du vaisseau échoué, d'oii nous pouvons encore tirer un si riche butin. \ ois comme les rochers nous protègent de tout côté ; on ne peut pénétrer dans noire asile que par la mer, ou en traversant le ruisseau, ce qui n'est pas aisé, l'renons donc patience encore (]iieli|ue temps, jusqu'à ce que du moins nous nous soyons emparés de tout ce qui jicul nous être utile sur le navire. — Tes raisons sont bonnes, cher ami, me répondit-elle; mais je t'avoue ([u'il n'y a patience qui tienne contre l'ardeur insupportable du soleil sur celle plage aride et entourée de rochers i|ui la rendent ])liis brûlante encore. Tu ne peux te faire une idée de ce que je soulTre pendant que lu es sur la mer avec Fritz, ou dans les voyages de découvertes au milieu de bois ombragés. Ici nous devons renoncer à toute espèce de fruits, puisque nous n'avons point d'arbres, et vivre d'huitres, que nous n'aimons pas, ou d'oies sauvages, que lu trouves détestables. (,)uant à celte sûreté ([ne tu me vantes, nos rochers n'ont pas empêché les chacals de nous faire une visite, et les tigres pour- ront à leur tour trouver le même chemin. Tu m'objecteras les trésors du vaisseau; j'y renonce de bon cuur; nous avons à présent de tout eu abondance , et je suis dans des angoisses mortelles toutes les fois que tu l'exposes avec Ion fils sur cet élémenl perfide. — Comme ta langue s'est déliée, chère amie, depuis (|ue lu as été sous l'ombrage de tes géants! Il n'est rien de tel, ce me semble, qu'un désir vif et une volonté décidée pour animer une femme; je vois (|n'il faudra finir par l'obéir. Tu es et tu dois être notre souve- raine; mais nous pouvons tout arranger : établissons notre demeure dans ton bois, et faisons de ces rochers notre magasin et notre forte- resse; en cas de danger l'I d'invasion, nous iiourrons toujours nous y retirer. Je pourrai à loisir faire sauter quel(|ues quartiers de rocs des bords du ruisseau avec de la poudre : alors, ])as même un chai sauvage n'y pourra passer malgré nous... Allons, c'est décidé; mais avant tout, il faut construire un pont sur le ruisseau si nous voulons le traverser avec armes cl bagages. — Un pont! s'écria ma femme; y penses-lii? Il nous faillirait un temps infini pour sortir d'ici : ])Oiiri|iioi ne pmivons-nons pas traver- ser le ruisseau comme nous l'avons déjà fail ? I.'âne et la vache por- teront sur leur dos les objets les plus nécessaires. — l'ort bien, mais il faut (|ue ces bêtes puissent le passer à gué; si elles étaient obligées de nager, adieu toutes nos ))rovisions ! Il faiil avoir des sacs et des eorheilles à leur mettre sur le dos; peiidant<|iie tu 1rs feras, nous pouvons travailler au pont : il nous sera toujours utile; le ruisseau peut augmenter et le passage devenir jmpraticalile : il l'est déjà pour nos chi'vres et ]iour nus brehis, je ne veux pas les exposer à se noyer, ainsi que nous-mêmes et nos gareiuis, si jeunes encore; nous pourrions ne pas être toujours aussi heureux en sautant de pierre en pierre — Eh bien, à la Imuiiic heure! dit la honue mère; je me rends; mais travaillons sans inlerriiption pour pouvoir partir, 'l'u laisseras, j'espère, ici toute ta provision de poudre; je n'aime point à en avoir une si grande (|iiantité dans notre voisinage; le tonnerre, l'étourderle d'un petit ganiui, peuvent nous exposer aux plus grands dangers. — lu as raison, elii're amie, cl je loue ta priuleiice ; nous n'en aurons avec nous que pmir l'usage journalier; je verrai dans la suite à la cacher dans le rocher même, à l'abri du feu et de l'humidité : la |ioiidre peut devenir notre plus dangereuv ennemi si nous ne la siiigiuuis jias; mais elle peut être aussi notre ami le plus utile, u Ainsi fui décidée l'importaiile i|iieslion du chaii|;ement de dumi- cih' , et iiolri' ouvrage du jour fut en même ti'inps arrêté. iNous ré- veillâmes nos fils, notre plan .li'iir fut eoiiimiinlqiié ; ils en furent enchantés, mais effrayés cependant de la eonslruction du pont et du tem]is (|ii'elle iicms )ireii(lrait : ils auraient voulu ce même Jour pou- voir s'établir dans le liois, auquel ils donnaienl déjà le nom de 'l'iTie jirmnise. <,>iiand la prière fut faite, l'Iiaiiin chercha son diji'iiner, et I''ritz n'oublia pas eeioi de son singe, i|iii s'était allaché ;i la ehi'vrr eiiirime LE nOBl^SOiN SUJSSE. ■21 si elle eût été sa moic. Jack s'était rjHssé dovircmcnt du côté de la vache, et pour aller plus vile il voulait la tiairo dans son cliai>cau; mais ne pouvant en venii- ii bout, il imita le singe, se coucha s()us la bonne bête, et la leta. N iens à côté de moi, François, cria-t-il à son petit iière, tu suceras du lait autant (|uc tu vomiras. Cva mots éveil- lèrent notre attention ; nous ii;iiorions ce (|u'il était devenu : ses frères se moqucrerit de lui et l'appelèrent le veau; sa mère lui re- procha son avidité et sa malpropreté. Elle le fit ôter de là, cl s'occupa à traire la vache et la chèvre; elle distribua une partie du lait à ses enfants, et mit le reste moitié sur le feu pour faire une soupe avec du biscuit, moitié dans un flacon pour notre voyaije. Pendant ce temps, je préparais le bateau pour aller au v.,isseaii chercher des planches et des poutres pour la construction du pour poiivoir descendre; nous amarr;imes noire bateau avec une grosse pierre, et nous marcliàuics doucement et avei' pré- caulion jus<|u'à l'endroit où se trouvait ee groupe énorme d'oiseaux. jNdus vîmes en elïet jn-ès de la mer un monstre marin échoué, sur le corps diu(uel tous les oiseaux des envinuis s'étaient invites au festin, et dont ils étaient si fort occupés, que, quoi(|uc nous nous fussions ai)prochés d'eux à une demi-])ortée de fusil, aucun ne jicnsa ii s'en- \iilcr. ÎNous regardions avec étonnement la pétulance et la voracité de ce peuple emphimé; il était tcllenicnl acharné sur sa proie, rju'il nous eût été facile de tuer, ii l'aide de bâtons, une grande i|uanlité de ces oiseaux; mais le genre de leur nourrilure ne ncms donna nulle envie d'en faire la nôtre. l'"ritz s'elonnait de la grosseur démesurée du monstre, et me dinianilait ce qui pouvait l'avoir mis là. o Toi-même, mon his, lui dis-jc; il y a toute apparence (|ue c'est le requin que tu blessas hier si adroitement; regarde à la tète, il a trois blessures au museau. — C'est cela même, dit mon jeune chasseur en sautant de joie; j'avais mis trois balles dans mon fusil, et je les ai envoyées dans son horrible tète. — Ah! oui, bien horrible! elle fait frémir; cl si tu n'avais pas si bien tiré, il nous aurait sans doute dévorés. Voyez quelle elfro\able gueule! (|uel singulier lambeau de chair qui s'avance par-dessus! quelle pe;iu rude cl chagrinée ! on pourrait s'en servir pour limer; cl ce giùllard n'est pas un îles plus petits de son cspi'ce ; il a, je parie, plus de vinijt pieds de la lèle à la queue. Que Dieu soit béni de nous avoir délivrés de ce monstre! l\Iais nous devrions emporter de sa peau ; j'ai dans l'idée qu'elle pourra nous être utile : si nous savions seulement commeni en iiiqnocher au milieu de cette cohue vor;ue qui l'entoure ! " Krnest lira ])romple ni la bagiiclle de fer de seul fusil, cl Irappa si lestement de droite el de gauche, (|u'il tua plusieurs oiseaux, et que les autres prirent le large; alors Fritz el moi nous conp.imes île la peau plusieurs longues courroies, que nous porlànu's dans notre bateau, .le remarquai avec plaisir une quantité de planches et de poiilres que l'eau ax;iit amenées récemment sur le rivage de la |ielile ile, et qui nous épargnaieni la peine d';iller au vaisseau. Je choisis donc ce qui me paroi bon pour la construclion du pont : j'avais .avec moi un levier et un crie, qui me furent tri's-uliles ))our soulever ce qui était à sec. Je liai les poutres en forme de radeau, je mis les jdanches dessus, el j'atl;iehai le lout derriire notre bateau; de sorle que, quatre heures apris notre départ, nous étions prêts à revenir, et nous piuivions nous vanter avec justice d'avoir fait une bonne journée, l'our faciliter notre retour, je cinglai de nouve:iu dans le courant, qui nous poussa bientôt en iilcine mer; alors je revirai de bord, et je repris le chemin de la baie et de notre ile en direction plus droite, et courant moins de danger il'èlrc arrêté par les bas-fonds. Tout nie réussit à merveille; je déi>loyai ma voile, et un bon vent nous eut bienlôl riiuenés vers nos amis, à la place du ilébari|uemenl. ' Oiseau maritime qui se iioiirnt de poisson ; il y en a de plusieurs espèces; elles volent loiijouis ci troiipe. Tout en cheminant, Fritz, par mon ordre, clouait sur le mât les baniles de peau de requin, pour les faire promplement sécher au so- leil. Krnesl s'occupait à examiner les oiseaux qu'il avait tués avec sa baguette de fer. « !\I:ms, mon père, me demandait-il , pourquoi dites- vous que ces oiseaux ne seraient pas bons à manger ' coinment les nonime-t-on ? i.E pî:i\E. Je crois que ce sont des niouetles, qui ne vivent que de la chair d'autres animaux morts, cl qui doivent, en raison de leur nour- riture, avoir mauvais i;oût; il y en a de plusieurs espèces, et de si stupides, qu'il la chasse de la baleine elles se jellent sur la graisse de ce poisson , à côté des pêcheurs qui le dépèeenl; elles en arrachent des morceaux entre leurs mains , et se laissent tuer plutôt que de les lâcher. ir.irz. Il faut, en effet, que ces mouettes soient bien bêtes et bien avides, pour s'être laissé tuer avec une baguette. Mais voyez, mou père, vous m'avez fait faire une mauvaise besogne en clouant la peau du requin sur le mât; elle s'est tout à fait arrondie en séchant ainsi sur une perche. LR l'i'iRE. C'est précisément coque je voulais; ces bandes nous seront plus utiles rondes (|ue plates; d'ailleurs, ee que tu n'as pas encore étendu restera plal; el nous aurons là une belle provision de chacrin si nous pouvons enlever ces pointes et polir les peaux. FRITZ. Je croyais que le chajjrin se faisait avec de la peau d'âne. I.E vv.v.v.. Va lu avais raison : dans la Turquie, la Perse, la Tarl;irie, le meilleur chagrin se fabrique avec la ]icaii du dos de l'âne et des chevaux. Lorsqu'elle est encore tendre, on étend dessus une espèce de graisse très-dure; on bat ensuite la peau , cette graisse s'y incor- pore, et fait que la superficie ressemble à une lime. Mais on en tait aussi de très-bon , el siirlout en France, avec des ])eaiix de poissons de mer. » Ernest dem;inda à son frère s'il devinait poiir(|iioi les rei|uins n'a- vaient pas, comme les autres animaux, la gueule au devant du museau, mais directement dessous. Fritz avoua son ignoranee. « Je ne sais que les tuer dans l'occasion, dit-il d'un air important; et toi , mon- sieur le savant, que sais-tu là-dessus? Voyons. — Je suppose, dit Esnest, que le requin a la gueule ainsi placée jiour ne pas dépeupler la mer et la terre ; avec sa voracité, rien ne lui échap]ierait s'il ]i(nivait saisir sa proie sans se retourner; mais, par ce moyen, on peut encore lui écliaiipcr. i.n l'ir.i;. Fort bien raisonné, mon petit philosophe : si nous ne pou- vons pas toujours deviner l'intention du Créateur dans ce qui nous entoure, les conjectures sont du moins un exercice utile pour notre esprit. » Enfin, nous ciitràiues heureusement dans la baie, et nous abor- dâmes bientôt .1 la place du débarquement : aucun des nôtres ne se trouva là; mais on ne pouvait nous attendre encore; nous les appe- lâmes en criant, et bientôt on nous répondit de même. La mère parut entre ses deux petits garçons, du côté du ruisseau , dont le lit , très- encaissé, et la hauteur du rivage, les avaient dérobés à nos yeux; chacun d'eux portait à la main un mouchoir, et l'raneois avait sur l'épaule un petit filet à poisson, en forme de sac, altaehé à un bâton. Dès qu'ils nous eurent aperçus, ils vinrent à notre renconlre, en s'é- tonnanl de notre prompt retour; .lack prit les dev;ints, et, ili's qu'il nous eut joints, il ouvrit le mouchoir qu'il tenait, el laissa tomber de- vant nous de belles écrevisses; bi maman et le petit François en tirenl .Milaut, et nous eûmes en un instant un noiiibre cnnsidi'rable d'écrcvisses viv;cnles, cl qui nous proniettaienl un eveclleiit répiil. Elles voulaient s'échapper de tout eôlé; on courait aiiri's, et il y eut beaucoup de cris, de sauts, de grondcries, de questions, d'éclats de rire. « i\'est-il pas vrai, papa, disait mon petit cadet, quej'ai fait une bonne ])êehe ? C'est moi qui les ai découvertes, au moins ! voyez, il y en a ])liis de deux cents : et comme elles sont grosses, et quelles belles pinces! Elles seront bonnes, je vous en réponds. — Excellentes! j\Liis est-ce vraiment mon petit l'ranc ois qui a lail cette trouvaille ? JACK. l,ui-inêine ; mais c'est moi ipii suis lileii vile allé le dire à maman; c'est encore moi qui ai été chercher et arr.inger le filet, et qui me suis mis dans l'eau jusqu'aux genoux pour les pêcher. — Hacontez-moi cela, mes enfants, car c'est vraiment un événe- ment important pour notre cuisine, el je me réjouis fort de manger un bon coulis de votre façon. lACK. Eh bien, pap.i, quand vous avez été partis, maman s'est assise à côté de hi tente pour travailler, et l'raneois et moi nous sommes allés nous ]n'omener vers le ruisseau, pour voir oii nous ferions le pont. — lîravo, monsieur rarchitecte ! c'est donc vous qui voulez diriger les ouvriers ' ALiis, bailinage à part, je suis charmé que sa tête li'gère ait une fois pensé à quelque chose d'iilile. Eh bien ! :is-lu trouvé nue bonne place ]ii)nr ecttc construclion? JACK. Oui, oui; écoutez seulemenl, et vous saurez tout. Nous avan- cions vers le ruisseau , et mon petit frère s'amusait ii ramasser des pierres de différenles couleurs : quand il en trouvail une brillante , il accourail tout joyeux, et me disait : « \'ois-lu , .lack, comme c'est beau! c'est eu craintif, se retirait avec sa mère; Jack courait étourdiment après l'rilz, son fusil sur le dos; moi-même, dans la crainte (pie les cliiens n'eussent été alta(piés par (juchpie animal dangereux , je disi)Osais mes armes pour aller à leur secours. Mais la jeunesse est plus ardente, et, malgré ma recommandation d'avancer avec prudence, mes deux pelils curieux ne firent ipi'iiu saut jusipi'ii l'eiulroit oii les chiens s'étaient arrêtés; bicnlot je vis JacU accourir aii-devanl de moi en frappant dans ses mains: « ^ enez vite, mon père! un ijrand porc-épic'! il est mon- strueux! » J'arrivai, et je vis qu'il avait dit vrai, (|uoiqu'en exagérant un peu. Les chiens couraient, le museau ensanglanté, autour de la bêle, et quand l'un d'eux approchait trop, elle faisait un bruit elïrayant, en hérissant ses dards si promplemenl contre lui, que ((ueli|ues-uns étaient entrés dans la peau de notre vaillant Turc, et y étaient restés, ce ([ui l;iisail jeter les hauts cris à ce pauvre chien et à son com- pagnon. iViulant (pie nous regardions, M. Jack fit un coup de sa tête (|ui lui réussit à merveille; il prit un des pistolets (pi'il avait mis dans sa ceinture, le banda et tira le coup si ferme et si près de la tète du porc-épic, (|ue l'animal tomba iiuirt au mouicnl oii le coup partit et avant (|ue nous nous en fussions aperçus. Jack était au comble de la joie et plein d'orgueil, comme Frilz de jalousie; il était près de pleu- rer. 'I Est-ce raisonnable, Jack, lui dit-il, ce que lu viens de iaire? un petit gaiTon comme toi faire partir ainsi ton pistolet ! pense donc (pie tu aurais pu blesser mon père, moi ou un de nos chiens. — Ah! oui, blesser! n'ctiez-vous pas derrière moi et les chiens à cijlé ? N'ai-je pas vu cela avant d'ajuster mon coup? me prends-tu pour un imbécile.' Celui-là saurait qu'en dire, s'il pouvait parler; du premier coup, paf! roide mort; c'est tirer, cela! tu voudrais bien avoir fait ce coup-là?» Frilz répondit en secouant la tête; il était méconteul de ce que son jeune frère lui avait enlevé l'honneur de cette chasse, et il lui cherchait chicane comme le loup à l'agneau « Allons, allons, mes enfants, dis-je, point d'envie, point de reproches; aujourd'hui a toi, demain à moi, nous agisstms tous pour le bien coiumiin. Le petit Jack a peut-être été un peu imprudent, mais il a été adroit et coura- gcuv, et nous ne devons pas troubler sa victoire. » Alors éclata la joie complète des petits; ils entourèrent le singulier animal à ([ui la nature a donné une si forte défense en armant son corps de longs pi- quants. Mes enfants ne savaient comment s'y prendre pour l'empor- ter, ils voulaient le traîner sur l'herbe; mais toutes les fois (pi'ils s'en approchaient, ils poussaient des cris et revenaient en moniraiil leurs mains ensanglantées: « llfaudra le laisser là, disaient-ils; c'est pour- tanl bien dommage! — l'as pour uii empire, s'écria Jack; il faut que ma mère le voie. « En disant cela, il attacha son mouchoir par un des bouts au cou de la bêle, et tirant l'antre l)out, il traîna lestement sa proie aux pieds de ma femme, qui avait été dans de grandes in([uiéludes. «ALiiuan, dil-il, voilii le monstre armé de ses cent mille lances, et je lai tué d'un seul coup de pistolet; c'est excellent à manger, papa l'a dit. n Ernest commen(;a avec son sang-froid accoutumé rexanien du porc-épic; après l'avoir lons;temps regardé, il dit : « C'est un singu- lier animal! il a des dents incisives et les oreilles et les pieds à peu près comme ceux d'un homme. — Ah! dit Jack, si tu avais vu comme il a hérissé toutes ses pointes contre les chiens! si lu avais entendu le bruit qu'elles faisaienl en se choquant les unes contre les autres! c'est un terrible animal! je l'ai approché sans crainte, je lui ai fourré quelques balles dans la tète, et le voilà par terre. — Il n'est donc pas si terrible, dit Ernest, puis(|u'un enfanl a pu si facilemeni le tuer. — Un enfant! » reprit Jack d'un Ion piipié et en élevant la tête. Il semblait que sa victoire l'eût grandi d'un demi- pied. En alteiulanl, nous nous occupions, ma femme et moi, ir(")tcr aux chiens leurs pi(|iianls et d'examiner leurs blessures; nous allâmes en- suite nous joindre au groupe qui regardait de tous ci'ués le porc épie. Jack en taisait les honneurs comme s'il l'eût montré à la foire. « Voyez, disait-il, ([uelle terrible bête ! voyez ses dards, comme ils sont longs et durs! voyez ses pieds; je suis sûr (|u'il court comme nu lièvre; (M pourtant c'est moi (pii l'ai tué! Et ce toupet (pi'il a sur l.i tête, voyez comme c'est plaisant! — (_:'esl poiir((uoi, dis-je, les naturalistes le nomment porr-rpir à crête. Mais dis-moi ii présent, mon petit héros, n'as-lii pas craint, en t'approchaiil de lui, qu'il ne le passât ses iiiipiants à travers le corps? — Oh! non, mon père, je sais bien (pie ce (]u'oii dit à cet •■gard n'est (pi'unc table. — Mais |>oiirlanl tu as vu (pi'il en a lancé contre les chiens, à qui nous veninis d'eu l'iter cin(i ou six. — C'est (pie les chiens attaipiaient la bête par derrière, et, comme des furieux, ils se sont jetés d'eux-mêmes sur les pi(piaiils; il n'est pas étonnant ((u'ils en aient été blessés : moi j'allaqiiais par devant, et je n'avais rien à craindre. On raconte (pi'en fuyant ils lancent leurs dards contre le chasseur cl peinent le tuer: mais cela n'est pas vrai, j'y ai bien regardé. » Le porc-épic est un (luadnipéde des pays chauds et toinpéios qui , par sa forme et ses lonj>5 piquants implantés ?ur son corps, ressemble au hérisson; mais sa chair a le snùl de relie ihi porc. Il est do la grosseur d'un gros chat ou iluu Wè^rc; quand ses puiuants sont relevés, il par.dt beaucoup plus ^ros : c est sa seule défense : il se met cii boule et présente do tons cotés à l'ennemi un rcai- parl. de palissades. Il vil de h-uits, et dort pendant les six mois d'automne cl d'hiver. 24 LE ROBINSON SUISSE. — Tuas raison, mon petit héros; cependant un accident comme le nôtre peut avoir donné lieu à propa;;er celte fable. C'est une reman]ue assez singulière, mais vraie, que l'Iiisloire naturelle, oii cependant la vérité devrait être palpable, a donné lieu ii plus de fables que la my- tliolofiie. En général, les hommes aiment le merveilleu\, et la belle niarclic île la nature leur a paru trop simple, trop uniforme; ils l'ont chargée de toutes les rêveries de leur imagination. JMais dis-moi, .lack, que veuv-tu faire de ta chasse? devons-nous la prenilre avec nous ou la laisser? — La prendre, la prendre, mon père, je vous en prie; vous dites que c'est bon à manger. « .Te ne pus résister ix ses pressantes instances, et je résolus de mettre le porc-épic sur le dos de l'âne, derrière le petit François; j'ôtai une des couvertures, dans laquelle je l'enveloppai, après avoir mis beau- coup d'herbe autour de sa tète ensanglantée, cl avoir couché avec soin ses dards; j'attachai ce nouveau paquet sur notre grison, et, contents de notre ouvrage, nous nous remimes en route. A peine avions-nous fait quehpies centaines de pas, que l'âne commença à fra])per avec fureur des pieds de derrière; il s'arracha des mains de ma femme, qui le conduisait, prit le large au grand galop, poussant — Viens à côté de moi, François, cria-t-il à son fctit frère, tu suceras du lait autant que tu voudras. des cris lamcnlables, et faisant des sauts si plaisants que les enfants en riaient aux éclats; mais notre crainte pour le petit cavalier qui le montait nous ôta, il ma femme et à moi, toute envie de rire : ii un signal donné, les chiens |)artirenl comme un trait apri's le déserteur, se mirent sur son chemin en faisant avec lui un concert de hi lian! et d'aboiements; ils alliiieut l'arrcler, lorsque, courant aussi de toutes nos forces, nous arrivâmes au secours de notre petit l'rançois : il n'était pas trop cITrayé; grâce à la bonne idée (|ue j'avais eue de l'at- Lirlier, il n'avait pas couru ris(|Me de tomber. « Mais, l'rançois, lui dis-je en riant, as-tu donc donné (!<• l'éperini à ta monture!' (|u'cst-ee qui a pu lui mettre dans la tête de prendre ainsi le l.cr|;c? •> 'VdiH ;i (■oii]i je pensai au porc-épic dont j'avais cliargé maître alibornn, et j'examinai si les dards n'avaient point percé la couverture dont je l'avais enveloppé: c'était cela même; (|iioiqu'clle eut trois dnubles, ils passaient tons au travers, et lenaiiuM lieu du plus formidable épe- ron. ,1'cus bientôt paré ii cet inconvénient : le sac eiu-hauté de ma femme fut mis dessous, et il était si bien rempli , qu'il n'y av.iit pas a craindre (|u'il fut transpercé; la couvcriurc lut placée de coté pour garantir l'rançois; je l'exhortai à se li nir droit comme un écoli<'r de manège, et je lis continuer la route. Fritz avait prisles devants avec son fnsil, tout pn'l ii tirer aussiqucl- quc bel animal; il aurait bien désiré trouver une ou deux de ces outardes Kous commençâmes alors ;i nous débarrasser et ii décharger nos bêtes de somme ; nous primes ensuite la bonne précaution de leur lier les jambes de devant avec une corde, pour ((u'elles ne pussent ni s'éloigner ni s'égarer; la volaille fut laissée en liberté : nous nous assîmes ensuite sur l'herbe, et nous tînmes un conseil de famille sur notre établissement futur. J'étais un peu en peine de cette première nuit; j'ignorais si dans celte vaste contrée, ouverte de tous côtés, nous ne serions point exposés aux bêtes féroces, o Je veux , dès ce soir, tenter notre établissement sur l'arbre, » dis-je ii ma femme. Pendant que j'en délibérais avec elle, Fritz, (|ui n'avait plus en tète que sa chasse et son désir de prendre sa revanclie du porc-épic, s'était esijiiivé; bientôt nous entendîmes tout près de nous un coup de feu qui m'aurait effrayé si, au moment même, nous n'avions reconnu la voix de notre Fritz, qui s'écriait : « J'ai touché I j'ai touché ! » et bien- tôt nous le vîmes accourir en sautant, et tenant par la patte un su- perbe animal morl. « P.ipa , papa ! voyez quel beau chat tigré! • Il l'élcva avec fierté en l'air pour nous le montrer. « Bravo, braxo! m'écriai-jc ; bravo, mon cher Aeinrod ' ! tu as rendu là aux pigeons cl aux poules un vrai service de chevalier; dès celte nuit, ton l)eau chai sauvage nous aurait privés pour toujours de noire basse-cour : je te charge de chercher avec soin ses cama- rades, et d'en détruire la race dans notre voisinage : le leur est un peu trop dangereux. ERxKsr. Dites-moi, mon père, pourquoi Dieu a-t-il créé les bêtes féroces, piiisijiie l'homme doit clicreher à les anéantir? LE ri;RE. 11 est toujours difticilc de dire précisément pourquoi Dieu a produit telle ou telle chose qui nous semble nuisible, et qui pour- tant entre dans l'ordre de la création. (,^>iiant aux bêtes de proie, je suis porté à croire que leur destination est d'abord d'embellir et de varier les œuvres de la création, puis de maintenir un éijiiilibrc né- cessaire parmi les créatures douces de la vie, et enfin de fournir ii l'homme, ipii naît sans cire vêtu, de quoi se préserver du froid par leurs fourrures, qui deviennent un moyen d'échange et de commerce entre les nations. On pourrait dire aussi ([lie le soin de se garantir des animaux féroces ciilrctient les forces physiques et morales de l'homme, soutient son activité, le rend inventif cl courageux, [^es Jinciens Allemands, par exemple, se sont exercés, par l'habitude do la chasse, ;i devenir des guerriers robustes et vaillants, qui ont su, au besoin, défendre leur patrie et leur liberté, comme ils savaient tuer les loups et les ours. lACK. Mais les insectes, qui dévorent l'homme tout vif sans que leur chasse et leur fourrure l'en dédommagent, ;i quoi servcnl-ils? r.E ri';RE. Ils exercent notre patience, mon fils, et nous obligent ;i la propreté, qui contribue à entretenir la santé. .ALiis revenons ;i ce bel animal ; raconte-nous, Fritz, comment tu l'as tué. — Avec un pistolet, mon père, comme Jack a tué le jiorc-cpic. — Sur cet arbre ? — Oui , sans doute : j'avais remarqué que quelque chose se mou- vait sur ses brandies, je me suis approché doucement, et j'ai reconnu le chat tigré; j'ai tiré dessus, il est tombé ii mes pieds blessé et fu- rieux, et je l'ai vite achevé d'un seconil coup. — ^ raimeni tu as eu du bonheur (pi'il ne soit pas tombé sur toi, il aurait pu te dévorer : tu aurais dû tirer de |diis loin. — Pourquoi, mon père? j'aurais risipié de le manquer : je me suis, an contraire, approché le plus possible, et j'ai tiré sous ses oreilles. — Tu as donc fait coinmc .lack, dont tu l'es tant moiiué? (^)ue cela te serve de leçon, pour ne pas blâmer chez tes frères ce ([iic tu seras peul-èire obligé de faire à ton tour, et de ne pas troubler leur joie (|iianil ils ont un succès que tu dexrais partager an lieu d'en conce- voir un sentiiiiciit de jalousie. — Eh bien! mou père, toiil ce qui' je demande ,i pri'scol de Jack, c'est (|u'il ne me gâte jias celle belle peau comme celle du chacal. \ oyez, papa, ce beau dessin, ces taches rcguli('res noires et blanches sur ce fond jaune d'or ; c'est comme la ]diis niagiiifii|iie étolYe ! Oiiellc espèce d'aniiiial est-ce donc, il prcqircmcni dire? — Provisoircmcnl lu peux t'en tenir a la dcnoininatiiin de chat tigré; nous verrons plus tard (|ii(l nom il faudra loi diuincr. (l'est, du rc..te, certainement une méchanle bête, Irès-dangcreusc ; elle dé- peuple les forêts de nos chèvres : nous devons te remercier d'avoir anéanli cet ennemi rcdoiilable. — Je ne demande qu'une chose pour ma récompense : c'est de garder la peau jiour moi ; si je savais seulement ce que j'en pourrais faire d'utile ! — Il me vient une idi'C : il faut que lu ('■corclies l'aiiinial tiii- iiiènie, de manii'rc ii ne |iiiiiil gâter la peau, surtout celle des quatre ' Fameux cliassoui do l'Kcriluro sainte. LE ROBINSON SUISSE, 25 j.imlies et (le la (jueiio; ensuite tu feras une ceinture comme celle de ton frèie Jack, mais beaucoup plus belle ; les quatre cuisses peuvent te servir à faire de jolis étuis pour renfermer des services de table, couteaux, fourclu'ttes, cuillers, et tu pourras facilement les porter dans ta ccinlure lorsque nous ferons ([uciques excursions; tu les re- couvriras adroitement avec le reste de la peau coupée par bandes, et si tu veux l'y appliquer, les étuis seront d'une beauté remar(|uablc : il n'est ])as mal, dans notre silualilale pour notre foyer, cl le petit l'rancois ramassait des morceaux de bois sec, et les portail à sa mère pour allumer ochent ou qu'ils se repo-cnt, ils établissent des scnlinclles qui font une espèce d'avanl- garde j et si quelque chose les alarme, ils jcttenl un cri bruyant, qui s'entend très- ioin, et qui ressemble assez au son dune lrom|iette ; la sentinelle s'envole la première, et tous les autres la suivent; mais lorsqu'on n'est pas vu ou entendu par celui qui est en vcdetle , il est très-facile d'en approcher et d'en tuer un grand nombre. Lo bru.t du fusil ne les fait point changer de place, il les rend plutôt im- nicihilcs ou slu|iéfics ; ils demeurent les yeux Kxés sur le chasseur, et sans bouger. Partout ils fuient les lieux habiles; ils vivent de petits poissons, de coquillages, ou d'insectes qu'ils trouvent dans la vase, oii ils enfoncent leur gros et sinj>ulier bec. Ces oiseaux font leur nid à terre, et presque toujours dans les marais; ils amoncellent la fange avec leurs pieds, et en fout de petiis monlicules d'un pied cl demi de haut, fort élargis à la base, et allant en diminuant jusqu'au sommet, nù ils pralupiont un iielil trou , dans loquld la femelle dépose deux ou trois œufs .iu plus , qu elle couve debout : ses jambi's très-longues sont à terre , ou plutôt dans l'eau, se repo.sant contre le nid, qu'elle couvre de sa queue. Ses ccufs sont blancs, gros comme ceux de l'oio , mais plus allongés. Les petits courent , avec une singulière vitesse, peu dejours après leur naissance, et ne comiriencent à voler quo lorsqu'ils ont acquis toute leur grandeur. Leur plumage est d'abord gris clair, presque blano; il rougit à mesure qu'ils avancent en âge : il leur faut presque une année pour l'entier accroissement de leur corps, et ce n'est qu'alors qu'ils commencent à prendre leur belle couleur do feu. Elle parait d'abord sur l'aile, où elle est tnujou.-s plus éclatante; s'étend cnsuilc sur le croupion, puis sur le dos et la poitrine, tt jusqu'au cou, qui est d'une belle couleur rose. Leur chair est un mets recherché, et dont on compare le gnilt à celui de la perdrix; In langue surtout, qui est fort grosse, passe pour lo morceau le plus friand. Ils \»- rionl en grandeur, grosseur et couleur, mais cette dilTérence tient à l'Jgo. Lors- qu'ils sont dans leur clat parfait, ils ont plus de quatre pieds du bec à la queue, et près de six pieds jusqu'à rextrémité des ongles. Leur cou et leurs jambes sont d'une extrèmo longueur ; tout leur plumage est dans la nuanre du miigo vif au rose tendre, et cette teinte se r. trouve encore dans les jambes et les pioJs : quel- ques plumes do l'aile sont noires. Les uns ont le bec rouge, d'autres jaune, et chez tous l'extrémité est noire. (Note du traducteur, exlrailo du A'ouitau Dkliunnairc d'ilisloirc nalurelle.) LE ROBINSOIN SUISSE. 17 LE pÈBK. Non, mou cher ami, ccIh n'est i)niiil rare : plusieurs oi- seaux ont, romnie relui-ei, la (loul)l(^ faculté de courir et de narjer. ERM'Si . Mais, mon pcre, tous les flamants sont-ils, comme celui-ci, d'un(' si lielle couleur de rose, avec les ailes rouge pourpre? H me ' semble en avoir vu dans mon histoire naturelle peints d'une autre couleur : ce n'est donc peut-être pas un flamant (|uc nous avons jiris? LE PERE. Je crois, iiu)n fils, ([ue cette diflVrenie de plMmai;e tient à l'àjje : très-jeunes, ils sont i;ris; pl^is ài;és , ils devieinwut blancs; et ce n'est que lorsipi'ils ont toute leur croissance (ju'ils prennent ces belles nuances. ERNEST. Celui qui est mort est donc très-vieux : il fera, je le crains, un rôti bien coriace, car il a de fort vives couleurs. Mais n'allons-nous pas le portera maman? LE PÈRE. Oui, sans doute, je vous laisse le soin de rarr,ini;cr de la manière la plus coiiimodc pour l'emporter; pendant ce temps-i.-i, je vais couper encore quebpu", bouts de cannes dont j'ai besoin, et pour lesqm'ls je suis principalement vc nu. » Je coupai , cil cIVcl , les cannes qui n'étaient [dus fleuries , pour en faire des pointes de flèches, à la manière des sanvaijcs des Antilles ; puis j'en cherchai deux des plus hantes, que je coupai de toute leur lonfjueur, pour mesurer la hauteur de notre arltre, ce que j'étais très-curieux de savoir. Ouand je dis à messieurs mes fils l'usaue au- quel je les destinais, ils se moqui'ient de moi, et m'assurèrent que, ipiand j'en mcllrais dix au bout les unes des autres, je ii'allcindiais pas les brandies les plus basses; je leur demandai un peu de pa- tience, et je leur rappelai l'histoire de nos poules, qu'ils nous dé- liaient de premlre, parce (pi'eux n'avaient pu en venir à boni. Lorsipie tout fut arrangé, je lis mes dispositions de départ. Ernesl fut chargé des cannes hingiics et petites ; Frit/, eut à porter le fla- mant mori, et je me chargeai re avait ipiaranle pieds de haut, ce ((ii'il m'était nécessaire de savoir pour faire mon échelle en eonsé- ([ucnce. Je donnai ii Fritz et ;i Ernesl la commission de mesurer notre provision de grosses cordes, dont il me fallait (piatre-viiii;ls pieds pour les deux côtés de l'écliellc; les petits eurent la tâche de ramas- ser tonte la ficelle (pii nous avait servi à mesuier, et de la porter ii leur mère ; pour moi, je m'assis sur l'herbe, et je m'oeciiiiai ii faire, avec un morceau de bambou et avec de courtes pointes de cannes, une demi-douzaine de flèches; comme elles étaient vides, je pus les remplir de sable humide pour (pi'elles ne fussenl pas tro]) Icgiu-es; je les garnis ensuite avec les ])liimes du flamant, [iinir (pi'elles allassent plus droit. A peine eus je fini mou travail, (pic mes jeunes gens vinrent saii- Icr auloiir de moi eu jclaiil îles cris de joie : « Un are ! 1111 are et de belles flèches! (Jii'en voiilez-\(ius faire, mon père? — Oh! laissez- moi tirer, je vous en prie ! — [Moi aussi ! — Moi aussi ! LE iMRE. l'atience ! mes chers amis, piitience ! Pour cette fois je demande la préférence ; je veux f;iire, le premier, l'essai de mon ou- \'rai;e ; je l'ai exécuté pour l'utilité et non pour l'amusement ; nous allons tout de siiile en faire usage. i\Ia femme, si ])ar hasard lu avais du lit bien fort, donne-le-moi. — ÎSous allons Viiir, dit-elle en riant el en courant à son sac, ce ([iie pourra faire mon sac enchanté ; jiis- (pi'ici il ne m'a pas refusé son secours. » Elle l'ouvrit : « Allons ! (lit elle, montre-loi bien , mon sac ; donne-moi ce que je te demande ; mon mari veut du hl, et du fort... Eh bien ! que vous avais-je pro- mis ? En voilà une pelote précisémeni comme tu le désires. ERNEST. Voilà vraiment une grande magie, bonne mère, que de tirer d'un sac ce (pi'on y a mis ! i,E ri-:RE. ÎNon , mon fils, ce n'est pas un sortilège , j'en conviens; mais avoir pensé, dans un moment d'effroi tel ([ne celui oii nous étions en ipiittaiit le \aisse;iu, à tout ee (pii piuivait être utile ou agréable à chacun de nous , c'est vraiiiienl un enchanliuiicnl dont nue bonne femme et une cxcellcnle mère esl seule capable ; et la vc'itrc, avec son sac qui subvient à tous nos besoins, est pour nous comme une fée sccoiirable ; mais des étourdis comme vous ne savent pas seulement le sentir. » En ce moiiient Fritz arriva ; il avait achevé le mesurage de nos cordes, el m'apportait la bonne nouvelle qu'il y en avait environ cin- quante toises, ce (jui était plus que suilisant pour mon échelle. J'at- tachai alors le bout de la pelole de gros lil à une flèche ; je la mis sur l'arc, et je la tir;ii de manière à faire passer ma flèche par-dessus une des fortes branelies de l'arbre, et de la faire rclomber de l'aiilrc e(jté ; on conçoit qu'elle (Uitralnait avec elle le fil que je dévidais à mesure, et (pii, de celle manière, se troiixa suspendu sur la branche; il me fut facile alors d'y attacher le bout d'une corde, ipie l'on tira en haut à l'aide du lil. Lois([ii'elle eut passé à son tour sur la bran- che, nous mesurâmes la moilié du fil, (pii nous donna (piar.iiite pieds, ainsi (pie je l'avais déjà trouvé géoiiiétri(piciiicnt. Sûr alors de pou- voir élever mon échelle en l'air jusi|u'à la biMuche, au moyen de la corde qui y élail di'jà, nous niuis mimes tous avec zèle et conhance à l'ouvrage. Je coupai d'abord cnvinui cent pieds de ma provision de cordes, d'un pouce d'épaisseur; je les partageai ( nsuilc en deux par- ties égales, (pie i'élcuilis sur la lerrc (ui deux ligues parallèles, à la distance d'un bon ]iied l'une de l'autre ; je lis couper par Frilz des morceaux de baïubou longs de deux [lieds, et tous égaux , Ernest me les tendait à lucsiire ; je les fis passer l'un après l'autre dans des nœuds (pie je faisais aux cordes, à la distance aussi d'un pied. A me- sure que le bambou était passé dans les nœuds, Jack, par mon ordre, les traversait aux deux bouts avec un long clou , (|iii les empêchait de ressortir. J'eus ainsi en très-peu de temps une échelle de quar.inle échelons très-solides, (pie nous regardi(Uis Ions dans un jojeux éton- ncmciil ; je l'atlachai ensuile fortement au bout de la corde (pii iicii- dait de la branche, et par l'autre bout nous la tirâmes facilcmenl au but, et le haut de noire échelle parvint à la branche et s'y jiosa si bien, (|iie les cris de mes fils relcnlircnt de tous eiîtés , et ipic iimi et ma femme nous y joignîmes les m'ilres. Cluiciin des petits gaieons voiilail mouler le ])rcmicr; je décidai (pie ce serait Jack, comme le plus léger cl le plus lesle ; moi el ses frères luuis tînmes en bas le bout (le la corde aussi fcriue (pi'il nous fut possible. i\Ioii iictil téméraire grimpa comme un chat et fut bicnU'il en haiil, posté sur la branche ; mais il n'élait pas assez fort pour nouer sornbuucnt la corde (pii Icnail l'échelle. Frilz m'assura ipi'il pourrait au.si monter sans (langer ; comme il était be;iiicoiip plus pesant que son frère, je n'étais pas linit à fait sans crainte; je lui donnai mes iiistruetions pour mon- ter de manière à diviser son poids en oeciipanl (pialre éclicloiis à la fois avec les pieds et les mains ; je lui fis piendrc dans sa poche ipiel- (iiies bmis clous el un marleau pour assurer fortement l'échelle sur la branehe. INoIre aîné eutrepril son ;iscensioii avec courage, et fui bicntijt à côté de son jeune frère, à quarante pieds au-dessus de nous, nous saluant avec des cris de triiuniilic. 11 se mit tout de suile à l'ou- vrage pour aH'crmir l'échelle, eu jiassaut et repassant les bonis de la corile aulourde l:i branche, el il hl cetle opéralion avec laiil d'inlel- lii'Cnce el d'adresse, ipie j'osai uioi-mêiiu' , ;iprès cela, grimper des- sus pour la rendre plus solide encore. Avant de mouler, je hs alla- (hcr une grosse poulie au bout d'une corde, i[ue je fixai solidemcnl 28 LE ROBIJNSOW SLliiSE. à une liranche aii-iU'ssiis de nous, et à laquelle je pouvais atteindre, alin de parvenir, au iuoyon de ce secours, à monter le lendemain les planches et les i)outres\liuit j'aurais besoin po\ir liàlir mon château aérien. J'achevai tout ce travail au clair de la lune; je trouvai que ma journée avait été liien remplie, et je redescendis (loucemcnt mon escalier de cordes et de bambous pour rejoimlre ma iemme et mes eulants. Comme Frit/, et Jack me ijènaicnt autour de moi sur le haut de l'échelle, je leur avais dit de descendre les premiers ; qu'on juge donc de mon étonnemcnt et de mon effroi en ne les retrouvant eu lias ni l'un ni l'autre, et en apprenant de leur mère qu'elle ne les avait pas revus depuis ipi'ils étaient montés ; je ne comprenais pas ce qu'ils étaient devenus, lorsque j'entendis tout a coup, vers la cime de l'arbre, des voix (|ui nous jiaraissaient venir du ciel, et qui chantaient un eauti(|ue du soir. Je reconnus bientôt que c'étaient lues deux petits drôles, qui, pendant que j'ét.iis occupé de nuui tra- vail, élaicul nuintés de branche en branche au lieu de ar mes enfants ; leur mère, (pii ne put se résoudre à goûter du porc-épic, mangea sidiremcnt du pain et du fromage. Pour le des- sert, les enf.'uils nous ap|iorlèrcnl des figues qu'ils avaii'iit ramassées sous l'arbre , et dont nous nous régalâmes tous; apri's (|uiii des bâil- lements, de petits bras étendus, nous avertirent qu'il était temps de faire reposer nos jeunes ouvriers. Je fis une courte prière du soir, j'allumai quelques las de rameaux, je préparai les autres pour les allumer successivement, et je vins à mon tour gagner mou hamac; nu's petits bonshommes ('taieiit déjii encaissés dans les Unirs, et je n'entendis de tous côtés ipie des ijt'missements de ce (ju'ils étaieni couchés si il l'étroit et sans pouvoir remuer. « Ah ! ah ! messieurs, leur dis-je, vous X'OIIS étiez, tant réjouis de coucher dans des hamacs ! Il faut bien vous y habituer et vous en scrxir coiiiiiie les matelots, (pli y dorment à merveille. » Je li'iir indiipiai la iiianii'rc d'y être h leiii- aise : en se couchant obliquement et se balaïu'.int doucement, le soiniiieil arrive bientôt comme dans les meilleurs lits. Après (piel- qiies essais et quelipie» soupirs, ils y parvinrent ; toute la famille s'endormit paisiblement , ;i rcxccption de moi, cpii voulais veiller cette niiit-lii à la sûreté générale. CHAPITRE XI. Établissement sur l'arbro. Cette nuit ne se p;issa piis sans inquiclurlc de ma part piuirla sû- reté de tous les miens; je n'entendais pas bouger une feuille que je ne crusse que c'était un chacal ou un tigre ipii venail dévorer mes enfants. Dès qu'un de iiu'S petits bûchers était consumé, j'en allumais un autre; mais voyant enfin (pi'aiieiiii animal ne paraissait, je me calmai un peu, et sur le malin le sommeil s'empara si piiissaminent dcmoi,(pie]e m'éxeillai le Iciidciuain presque trop lard jioiir la tache (pie j'avais projetée pour la journée. I.a plupart de mes enfants étalent déjà debout; lions finies la prii'rc , nous déjeunâmes et nous nous mîmes au travail. Ma femme, après avoir fait son ouvrage accou- tumé du matin, c'esl-à-dire après s'être occupée à traire la vache, à préparer le déjeuner pour nous et nos bêles, partit avec Ernest, Jack, le petit François et l'àne , pour aller au bord de la mer chercher quel- ques charges de bois, ((ne les vagues y jetaient en quantité. Pendant ce temps-lii je montai avec Frit/, sur l'arbre, et je fis les préparatils nécessaires pour nous y arranger avec commodité. Tout y était à souhait : les branches étaient très-rapprochécs les unes des autres; quelques-unes, jilus fortes, sortaient liori/.ontalcment du tronc et s'élevaient dans les airs ; celles qui ne me parurent pas pla- cées colixenableiiiciit furent sciées ou coupées avec la hache ; je lais- sai tontes celles qui se trouvaient de niveau, et qui s'étendaient le plus au dehors, pour établir mon ])laiiclicr; au-dessus de eelles-ei, à la hauteur de (|iiaraiile-six pieds, j'en ménageai ipielqucs autres pour y suspendre nos hamacs ; et ]îIus haut iiiu' série de branches serrées fut destinée à recevoir la couverture de mou toit, qui, provisoire- ment, devait consister seulement dans un grand morceau de toile à voile. La marche de ces préparatifs était assez lente ; il s'agissait de mon- ter plusieurs poutres fort lourdes, et ma femme et ses petits aides avaient grande peine même à les soulever; heurciisement j'avais le secours (le ma poulie, qui me fut très-utile; ma feinine et mes fils les attachaient en bas, et moi je les tirais avec Fritz pièce à pièce. Lorsf|iie j'eus assuré deux poutres sur les branches, je posai les plan- ches dessus, et je fis mon plancher double, pour ipi'il fût plus solide si les poutres xeiiaicnt il se déranger; je formai ensuite nue espèce de parapet tout autour avec d'autres planches, pour ([ii'il n'y eût pas de danger de tomber en dehors. Ce travail, et le troisième voyage pour aller ;iu bord de la mer chercher le bois nécessaire, remplirent telle- ineiil notre matinée, que personne ne songeait à dîner; il fallut, pour celte fois, nous coiileiiler de lait et de jambon. Aussitôt que nous eûmes achevé ce friii;al repas, nous nous remiiues à l'ouvrage pour finir notre palais aérien, (]ui commençait ii se montrer avec axantage ; nous détachâmes les hamacs et les pièces de toile des ra- cines où nous les avions accrochés, cl, avec la poulie, nous les iiioii- tâiiies roulés, non sans beaiicou]) de peine, dans notre nouveau gîte; la toile fut étendue sur les branches ombragées, au-dessus de la de- meure. Comme cette toile était très-grande, et (|u'elle descendait des deux côtés, j'eus l'idée de la clouer au parapet, et de former ainsi noii-sciilement un toit, mais encore deux parois; I immense tronc de l'arlirc nous en formail une Iroisième. Je n'avais fait notre établisscmcnl que sur un des côtés, pour être ;ippiiyé contre le tronc; le (piatrième côté fermait au-devant rentrée de noire aiiparlenient ; je le laissai ouvert, tant ])oiir savoir ce ijui se passait an dehors (pie pour nous procurer un coiiranl d'air dans cette température brûlante ; nous avions aussi de ce côlé là une vue Irès-élendiic cl très-libre vers le rivage et sur la vaste mer. Les hamacs fureiil bientôt suspendus aux branches préparées à cet effet, et tout lut prêt pour y coucher le soir même. C(Milcnl (le mon ouvrage, je descendis avec mon aine, (pii m'avait aidé dans ce travail assez pénible, et comme la journée ii'élail pas encore très avancée, et que je trouvai en bas ipielipies planches de reste, nous nous mimes tout de suite à fabriipier une gr;inde table entourée de bancs enlie les laeines de notre arbre; ce fut biplace destinée ii former notre salle ii manger. Cet ouvrage fut fait à la lé- gère, parce (pie j'étais fatigué; ce])eudant le tout fut très ])assable- meiil arrangé, et fit grand plaisir à la bonne ménagi'ie, ipii s'oceii- pail du souper peudanl ipie je laisiris la table. Durant ce temps-là, mes trois petits garçons ramassaient avec soin tous les débris du bois ipic nous avions coupé sur l'arbre; ils en firent des faisceaux qu'ils (Iressèrcnt à nue place un peu éloignée du foyer, et oii il y avait assez de soleil pour les faire sécher, ,1e sciai cl coupai encore toutes les branches basses pour auginenter noire provision. (joir.plétemcul épuisé par la l'aligne des traxaiix de la jiMirnée , je me jetai sur un banc en cssiixant la sueur ipii coulail de iiiiui Iront. « \ raiment, disje à ma femme, j'ai travaillé aujourd'hui comme un forçat, mais demain je me permellrai du riqios. — Tu le peux et même tu le (lois, me ri''poii(lil-clle , car j'ai calculé (pie demain sera un diinanche. ^Lilheureusemeut nous en iivons déjà profané un sur cette côte, sans y penser, par les soucis et les travaux. — liien, bien, (hère amie, je te remercie d'y avoir songé, et je te lu'omets (pic le jour du Seigneur sera sanctifié demain coinme il doit l'cire. J'ai remarqué aussi que nous n'avions pas observé le dernier diinanclie; mais j'ai cru, je l'avoue, (pie cette omission était pardon- nable dans la nécessité oii nous nous trouvions de nous sauver cl d'assurer notre existence sur cette plage déserte sur laipiclle il a ]ilu à Dieu de nous jeter, et oii nous somiiics sons sa prolection immé- diate; mais il présent (pie, par sa grâce, nous voila bien établis, et en sécurité, nous serions tri's-coupables si nous néjiligions son saint service, et si nous ne célébrions pas plus solennellement que par notre prii'ie ordinaire lejoiir(pil lui est consacré. — Je t'assure, riqiril ma femme, (pie je me ri'joiiis du loud du cœur d'employer la journée de demain loiil entière à remercier Dieu, (pii a sauvé, dans un grand péril, tout ce ipii m'était cher, et ipii me (loiiiie, sur celle terre étrangère, non -seulement ce ipi'il faut pour LE ROBIKSON SUISSE. vivre, mais encore ce qui peut rendre la vie ar;réal)le. Je ne pourrais avoir nulle part une luibilation plus à mon gré i|ue celle (|ue tu m'as préparée sur cet arbre; je veux y jjriniper ce soir avec vous tous, et je me réjouis comme un enfant de cette première nuit passée dans les airs. iNous allons promptement souper et nous coucher sans dire un mot ilu dimanche à nos enfants; je me fais une lèle de les surprendre en leur annom anl un jour de repos et île récréation auipu'l ils ne s'attendent jioiut. — Et moi, chère amie, lui dis-je en l'embrassant, je me réjouis de te voir aussi résifjnéi' li ton sort, aussi contente mcuie, en examinant l'ouvrage de les apprentis charpentiers. A présent, voyons ce (pie tu nous as préparé pour notre récompense; rassemble nos enfants; je sens que j'ai besoin de quelque restaurant après un si rude travail." 'J'out notre monde fut bientôt réuni autour de la table. La bonne mère arriva, tenant dans ses deux mains un pot de terre (pie nous avions vu longtemps au])iès du feu : nous étions tous curieux de sa- voir ce qu'il renfermait : ([iiand le couvercle fut levé, elle en tira avec la fourchette le flamant que Fritz avait tué; elle nous dit qu'elle avait mieux aimé le faire cuire à l'étoulïade que de le mettre à la broche, parce qu'Ernest lui avait assuré que c'était une vieille bète qui serait dure et coriace, et lui avait conseillé de chercher à l'attendrir par la cuisson. Aous raillâmes notre ]>etit gourmand de sa l)récaiition , et ses frères ne l'appelèrent plus que le cuisink'r ; mais nous hiiimes jiar trouver ipi'il av.iit eu raison : cet oiseau (|iii , rôti, n'aurait sans lioule pu être mangé, nous parut excellent, et fut dévoré, rongé jusqu'.iu plus petit os. l'eiidant ([lie nous dissé((uions ainsi notre flamant, en buvant à la santé du cuisinier, du chasseur et de la bonne mère, l'oiseau (pii était en vie arriva tout paisiblement près de nous au milieu de nos poules pour avoir sa part du repas, sans se doiiler(|iie sou camarade en f.iis.iit les frais; il s'était tellement apprivoisé, (|ue nous l'avions déjà détaclié de son pieu; il se promena avec gravité dans les envi- rons, et ne fit pas mine de vouloir nous quitter. Son beau plumage fl.ittait notre vue, pendant i|ue, d'un autre côte, les gentillesses et les grimaces de notre petit singe nous donnaient le plus plaisant des spectacles : il était com])létemenl iauiiliarisc avec nous tons, saiitail d'une épaule à l'autre, attrapait ce qu'il pouvait de nos repas, et le mangeait si jilaisamment , (|ue nous en riions tous aux éclats. Pour .lugmenler notre gaieté, notre grosse truie, c|ui jus(|u'alors s'ctail montrée très-insociable, et ((ui nous man(|u; l'eiidanl cette eonversalioii , mes fils, par mon ordre, avaient al- lumé un (le nos las de bois pour protéger notre bétail; cela fait, nos braves chiens fiirenl atlaehés ii des cordes (pii passaient liliremeiil sous leur collier cl ;irrivaiciil jiisipie sur l'arbre, piiir ipi'aii premier aboiement je pusse les lâcher sur l'enneiiii. Chacun désir.i d';iller se coucher, cl le signal de f/riwpddi; fut donné. Vies trois aînés fiircnl bienlôl en haut; vini eiisiiile le tour de la mère, qui moula plus len- temeiil et avec préc.iutiiu^ mais ipii ariixa enfin heureuscuiinl. Aliui ;isceiision fut la dernière cl l;i plu, dilhcile : je portais sur iiiiui dos monpelil Kran(;ois, cl j'avais dclaché l'échelle en lias pour pouvoir la relirer; j'eus donc assez de peine à mouler, à cause de son bahin- eemcnt;j'y [larxins cependant, et au gr.ind plaisir de mes fils, je tirai l'échelle en haut; il lem- semblait ipie nous étions dans un de ces cliâteaiix forts des aiieieiis chevaliers, où, lors(pi'on a levé le pont, on est à l'abri de toutes les allaqiies. Je préparai cependant ii tout événemeni mes armes ii feu, poiirèlre en élal, en cas d'inviision, de boniliarder l'ennemi. _\(iiis nous livrânics ensuite au repos, ciuileiils el en toute sùrelé, et la fatigue générale nous fil jouir sans iiilerriip- •' lo plus doux sommeil jiisipi'ii l'iiulic du jour. CHAPITRE XII. Le dimanche et la farobole. Au réveil, tout le monde se sentit reposé et plein de courage. « Eli bien! messieurs, dis-je en riant ii mes enfants, vous vous êtes accoutumés à coucher dans un hamac; je n'ai enlendu cette nuit ni plainte ni gemissemenl, et tout est resté Irampiille. — Ah 1 me dirent- ils en étendant les bras, nous étions hier si fatigués qu'il n'est pas étonnant ipie nous ayons bien dormi. Li; liaiE. Eh bien! mes enfanls, voilà encore un avantage du travail, celui de procurer un sommeil doux et paisible. LES ENr.wTS. Oui, oui, papa! c'est bien vrai; aussi nous voulons aujourd'hui nous mettre vaillamment à l'ouvrage. Qu'y a t-il à faire ? (jue faut-il entreprendre:' i.E PIRE. Rien, absolument rien aujourd'hui de toute la journée. i.ES ENFANTS. Oli ! VOUS badiiicz , cher papa. Nous le voyons bien, vous vous raillez de notre paresse, parce ipie nous nous sommes peut- être éveillés trop tard. i.E PÈRE. Non, mes enfanls, je ne badine point. C'est aujourd'hui dimanche : le Seigneur a dit : Six joui s tu trarailleras , mais le sep- tième sera le jour de l'Eternel, ton Dieu. Nous allons donc le célébrer, mes cliers petits amis. JAhc. I)iiu;inche! il y a donc aussi des dimanches par ici? Ah! ([ue c'est charmanl! .le vais tirer mes flèches, me ]iroiuener, m'amuser, et ne rien faire de tout le jour. i.E piiRE. Crois-tu donc, mon enf;int, (|ue ce soit uiiiipiemcnt pour ([u'on puisse s'amuser et faire le paresseux que Dieu s'est réservé le dimanche? Tu te trompes, mon cher J.ick : c'est pour ([u'il y ait un jour marqué pour le servir, l'adorer, le remercier, sans ipic rien puisse nous en détourner, et c'est ii cela que nous devons trouver notre plus grand plaisir. EKNEsr. .l'ai cru, mon père, (pie le service de Dieu consistait à aller à l'é-glise enlendre le sermon et chanter des cantiipies : nous n'avoMs point d'église. Comment pourrons-nous donc célébrer le di- manche ? niANcois. l\ous n'avons point d'orgues non plus, et j'en suis fâché, car j, lime bien à les entendre. ivck. ^ ous voyez donc bien, papa, (|ue nous ne pouvons pas célé- brer le diiiMiiche, comme vous le dites. nuiz. ^ ous p.irlez coiiime des enfants. Est-ce (pie (lapa, ipii fais;iit des sermons chez nous, ne peut pas nous en faire ici ' Dieu n'cst-il pas partout comme dans une église? Ne peut-on chanter sans orgues de saints caiiliques'' (Juaiid les soldats campaient chez nous, ils n'a- vaient ni église ni orgues, et pourtant on leur faisait des sermons; nous avons un bon ministre, c'est l'essentiel. i.E riiRE. Autre frère ;ilné a raison, mes enfants; Dieu est p;irtout où l'on pense à lui sincèrement et de cœur, où l'on réfléchit ;i sa sainte volonté, où l'on se propose de la remplir. Dans ce sens, cha que endroit du miuide peut servir d'église, parce (]ii'oii peut axoir partout de bons sentiments; et celte belle et m;ijestueuse voi'ite du ciel, ouvrage du Tout-Puissant, doit encore ]ilus élever l'âme et toucher le cieur qu'un édifice de pierres lait jiar la main des hinumes. Nous allons donc ce matin faire un service divin; ce ne sera pas pour aujourd'hui un sermon; ceux (pie je sais par eieur ne convien- draient pas à X'olre âge; il i'aiit xiuis parler de l'I'.lre suprême selon votre intelligence, et non comme il un auditoire dont la raison el le jugement sont formés. .\ l'avenir, j'en composerai (pii seront ii votre porice. Aujourd'hui donc nous ferons seiilemeiit la prière; nous cliaiiterons un des beaux cantiipies d'ador.ition (pie votre mère vous a appris, et puis je vous raconterai la parabole du grand roi, i(iic je crois |iriqire à réveiller en vous des pensées et des sentiments ]iieux. LES ENEANTS. Uiic |);irabole! une parabole! comme celle du semeur dans la Bible? Oh\ oui, mon papa, s'il vous plaît! nous récouterons bien. Commencez vite, s'il vous plaît! LE pÎ:ke. Tout dans l'ordre, petit ])euple. Alliuis d'.iburd faire notre prière ordiiuiire du matin avec attention et resiieet; ]mis nous des- cendrons iioiir dijeuner el soigner nos bêles; c'est nu oiivraije ipic Dieu permel, mêiiie le dimanche. Pendant ce temps-lii, je réfléchirai un peu il riiistoirc (pie je veux vous raconler, et ensuite vous l'en- lendrez. » On fil selon mes ordres iiaternels. Après la prière, nous descendîmes de l'arbre; nous fîmes un biui (li''jeiiiier de lait ch.iud ; nous eûmes soin de nos bestiaux, puis nous iiiuis assîmes sur l'herbe tendre : mes |ietils garçons, iiiipatients el curieux, les yeux fixés sur moi; leur mère, dans une silencieuse réflexion, les mains jointes et le regard souvent tourné vers le ciel; et iiioi,a\'ec le plus vif désir de graver profondément dans le jeune coMir de mes enfants ce que I je rcjïardais coinnie tout ce (pi'il y .1 de plus ini|iortaul pour ce minide et pour l'iiiilre. Après avoir lait debout la iirii're conformémenl à la liturgie, que je savais p,ir eieiir, et chanté (piehiues versets du psaume cxix'', (pic tous mes enf.iiils avaient appris, nous nous ;issîuies de noiiveaii et je commençai : 30 LE ROBINSON SUISSF. « Mes chcrs cnlaiits, il v avait autierois un grand roi dont le ripvainiic s'apiielait le iJUijs'je la Ii(-alitc ou du Jour, parce ipie la lumière la ]iliis pure et la plus douce y réijuait continuelleineut , et iiu'on y était dans une activité perpétuelle. Sur les tnuilieres les plus él'oirjuées, du côté du nord glacé, il y avait une autre contrée i|Lii appartenait aussi au grand roi, mais dont personne que lui ne (■(Uiuaissait l'iuimense éteiulue; depuis des temps infinis on en con- servait un plan e\act dans les archives. Ce second royanuu' s'appelait le roijauvie de la Possibilité ou de la Xuit , parce que tout y était sombre et inactif. ., Dans la partie la plus fertile et la plus agréable de son empire de la Iléalité, le grand roi avait une magnilique résidence nommée la \'iUc céleste, oii il demeurait et tenait sa cour, qui était la plus In-illante dont l'iinagiualion ])uisse se iormer une idée. Des milliers de gardes et de serviteurs, élevés eu dignité, loi obéissaient, et des myriades se tenaient respectueusement eu sa présence. Les uns étaient vêtus d'une étoffe plus légère (|ue la soie et blanche comme la neige; car le blanc, image de la pureté, était la couleur favorite du grand roi. D'autres avaient en main des glaives étincelauts, et ils étaient cou- \erls d'armures des pins brillantes couleurs de l'arc-eu-ciel ; chacun d'ciu se tenait prêt ii evécuter les volontés du roi au premier signe et avec la rapidité de l'éclair. Tous étaient heurenv d'être admis en sa présence; leur visage, resplendissant de la plus douce joie, portait l'eiupreinle du calme, de la sérénité, de l'absence de tonte in([iiié- mde et de toute peine. Ils n'étaient entre eux tous qu'un ecenr et (|u'une i'ime; un accord fraleruel les liait lelleiuent, (|u'il n'y avai; jamais parmi eux ni rivalilé ni jalousie. L'amour pour leur souve- i-.iiu élait !<■ centre commun oii se rénnissaienl tontes leurs pensées cl tous leurs sentiments; il aurait été impossilile de les voir on de converser avec eux sans désirer passionnément et an prix de tous les sacrifices d'obtenir leur amitié et de partager leur sort. Dans le reste des habitants de la ^ ille céleste se trouvaient aussi d'antres lii)un;eois moins rapin-ochés du grand roi; mais ils étaient tons bons, l(Uis heureux, riches |);ir les bienfaits du monarque, cl , ce (pli valait encore mieux, ils recevaient sans cesse des marques de sa bonté; car t(Mis ses sujets étaient égaux èi ses yeux : il les aimait, il les traitait comme ses enfants. Il Or, le grand roi avait encore, dans les confins de son royanme (le la lîéaliié, nue ile Irès-coiisidéralile et inhabitée , ([u'il désiriiit peupler et faire cultiver, car t(mt y était dans nue espi'Ce de chaos. Il la (leslinail | r être, pendant (pichpies années, le sijour des fu- turs iKuirgcois (pi'il comptait rcccxdir dans sa résidence, car il von- lait y admetln- peu à peu tous ceux de ses sujets (|ui s'en rendraient dignes pur leur bonne conduite : celte ile s'appeliiit Deincurc ter- restre. Celui (pii y aurait passé (piehpie teniiis, et qui se serait rendu (ligne d'une réco"m|iense jiar ses vertus, par son application au tra- vail et au défrichement de ce pays, devait être recn ensuite dans la ^'ille céleste et faire partie de ses lieiireux habitants. Il Pour ;illeindre s(ni but, le grand roi fit é(piiper une flotte (|ii devait transporter les nouveaux colons dans cette ile ; il les jirit dans le royaume de l'Obscurité, et leur accorda ainsi, p(nir premier bien- fait, la jouissance de l;i lumière et d'une belle nature, dont ils avaient été ius(|u'alors totalement privés dans leiPr sombre demeure, 'roiis ceux (pii obtenaient cette faveur étaient joyeux el eonlenis; car iioii- senleiiient cette Ile élait belle el fertile lors(|u'elle élait cultivée, mais encore le grand roi, toujours bieiifais;int , doniiiiit il chacun de ceux (|ui y abordaient tout ce (|iii lui était nécessaire ]i(nir y p;isser agréablement le temps (|u'il avait hxé, avec la certitude d'entrer un jourdansia niagiiifupie demeure du souverain, el d'en dexeiiir bmir- l'cois en sortant de l'ile terrestre; il ne fallait pour cela ipie s'oeeii- per sans relâche h des travaux utiles el obéir siriclenient aux vidontés du grand roi. l'oiir faire coinmitre ses volontés il ses sujets, il leur enviiya son his nni(pie, et voici ce (pie ce fils leur dit de la pari de son père : (I Mes chers enfints, je vous ai ajqielés du royanme de la Nuit et de l'Insensibilité, pinir vous rendre heureux par la vie , le senliiiicnl et l'activité; mais la jilus grande partie de votre bonheur di'penilra de vous-mêmes, vous serez heureux si vous vonle/. l'être : si c'est la votre sincère désir, n'oubliez jamais que je suis votre bon roi, voire tendre père, et observez fidi'Iemeiit ma volonté d;ins la culture du pays (|ue je vous ai confié. (;iiacun recevra, ii s(ni (lébaKpicment dans l'ile, la portion de terre (|ui lui est destinée; mes ordres ultérieurs sur votre conduite s'y tronveroul tracés. Je vous enverrai des hom- mes sapes et iiisiriiits ipii vous ('xposeronl mes ordres el vous les e\pli(lueroiit; et, afin ipie vous puissiez vous-mêmes chercher la lu- mii're nécessaire et vous rappeler ii clia(|iie instant m;i volonté, je veux que clnupie piue de famille ait une e(q)i(t exacte de mes lois dans sa maison, ])(nirles lire jinirnellement iivec les siens. Outre cela, le premier jour de ch;((|ue semaine doit être consacré ;'i imni service ; dans chaque élablissement ])arliculier, tout le monde se rassembler;!, cmiiiiie aniani de frères, dans un endroil eommiin, (u'i l'on vous lira el oii l'on vous expli(piera les lois tirées de mes archives; le reste de l;i j(niriiée, vous réfléchirez sérienseiuent el iivec gravité sur les de- voirs et la desliiialion des colons, et sur les moyens d'jittelndre le Init désiré : de celle f;ieou , il ne lieiHlra ipi'ii \(ius tous d'être instruits. de la manière la pins avantageuse, des moyens de faire valoir le ter- rain (pii vous a été confié et de travailler clia(|ue jour k l'améliorer, à le semer, le planter, l'arroser, à le purger d'ivraie el de tout ce qui pourrait étonlTcr la bonne semence. Ce même jour, chacun pourra aussi me présenter ses siippliipies, me dire ce qui lui manque et ce qu'il désire pour perfectionner son travail. Tontes ces requêtes pas- seront sous mes yeux, et je répondrai chaque fois, en aceneillantccllcs que je trouverai raisonnables et conformes au but. Si, en outre, votre cœur vous dit que les nombreux bienfaits dont vous jouissez méritent de la reconnaissance, si vous voulez me la témoigner doublement eu consacrant ii me la prouver le jour (|iii m'est destiné, j'aurai soin que ce jour de délassement, loin de vous être préjudiciable, vous soit utile par le repos de votre corps, par celui des bêtes que je vous ai données pour vous être en secours dans vos travaux , et (|iii doivent aussi se reposer pour reprendre de nouvelles forces; je veux même que le gibier des cinimps el des forêls soit , ce joiir-là , ii l'abri des ponrsuiles du chasseur. » Celui (pii, dans sa Demeure terrestre, aura obéi le (ilns stricte- ment à mes volontés, (|ui aura rem]>li tous ses devoirs de bon frère envers les antres habitants, qui aura conservé s;i |daiit^iti(Mi dans le meilleur ordre et dans le pins riche rajiporl, en sera récompensé, et deviendra bourgeois de ma magniliipie résidence de la \ ille céleste; mais le négligent, le paresseux, le inauv;iis sujet, (pii n'aura fait que troubler les autres dans leur utile travail, sera mis jiour la xie aux galères, ou condamné aux mines situées dans les entrailles de la terre. » De temiis en temps j'enverrai des fri'gates pour chercher (piel- ((iies-nns des individus de la Demeure terrestre, pour les récompenser ou les punir, suivant (|n'ils auront bien ou mal l'ail; el comme per- sonne ne saura d'avance ipiand je jugerai à propos de le faire partir, il vous sera bon à tous d'être sur vos gardes, toujours |n'êts :i taire le voyiige et dignes d'arriver ii la Ville céleste. Il ne sera permis à per- sonne de se glisser sur les frégates el de parlir sans mon ordre; il en sérail sévèrement puni .l'aurai la plus exacte connaissance de loiil ce rpii se piissera dans la Demeure, terrestre , et personne ne pourra me tromper; nu miroir magique me montrera, de la manière la plus claire el la jilus jirécise , tout ce qui se passera dans l'ile, et chacun de vinis sera jugé d'après ses actiinis et ses pensées les ]ilus secrètes, n «Tous les colons se montrèrent ln''s-conteuls du discours du roi el promirent monts et merveilles. Après leur avoir laissé (|uel(pie temps (le repos pour ])ren(lrc les forces nécessaires au travail, on leur dis- Iribua ;i chiicun une porlioii de lerniin et des iusli'nmenls ]ionr le défricher. Ils rc(;iireiit :uissi des semences, des piaules utiles, de jeuius arbres pour y grefl'er de. bons fruits : ou laissa ensuile chacun libre d'agir el de meltre il profit ce qui lui était eiuifié. Mais qn'ar- riv:'.-t-il :' Au bout de qneh|iie temps, clnieun voulut faire ii sa tête: l'un élabliss;iit sur son terrain des bosipiels , des parterres fleuris, des jardins anglais, très-jolis ii voir, niiiis d'aucun rapport; nu autre piaulait des pommiers sauvages, el an lieu de les greffer de bons fruits, comme le grand roi l'avjiil recommandé, il se C(uileiitait de donner un beau nom an misérable fruil(|u'il cultixait; un troisième semait, il est xrai , de bon blé; mais, ne sachant ])as dislinguer l'i- vr;iie, il arrachait le froment ;ivant sa maliirilé, el ne conservait dans son champ (|iie le mauvais grain : la plupart laissaient leur terrain en friche, s:ins même le labourer, parce ipi'ils avaient gâté leurs outils on perdu leurs semences, soit par néglijjcuee, soit par une légèreté ini nue paresse qu'ils ne cherchaient pas a vaincre, aiiuanl mieux s'a- muser ou ne rien faire (pie de Iravailler. plusieurs n'avaienl pas voulu ciniiprendre les inslructions du grand roi ; d'aulres chcLchaient par des siiiililités a eu corrompre le sens. » Peu, fort peu travaillèrent avec courage et diligence, d'après les ordres ipi'ils avaient rciMis, el cherchèrenl it mettre leur terrain en bon rapport. Le i;ran(l mal ven:iit de ce (pi'ils ne voulaient pas croire tout ce (lue leur grand roi leur av;iit fait diri' : ii la vérité, tous les pi'i'es de famille posséihiient une copie des volontés du souverain , mais la jibiparl ne la lisaient ]);is; (piel(|ues-iins dis;iienl (pi'il était inutile (le la lire , )i;irce ipi'ils la savaient par Cd'iir; et ce]H'ndaut ils ii'v pensaient presque jamais : d'aulres prélendaienl (pie ces lois étaicul lionnes pour le temps passé et ne v;ilaieiit plus rien pour l'état iicliiel du pays; ils avaienl même l'audace de dire (pi'il s'y tr(nivail des coiitradi( lions incxplicaliles, cl ne voulaient poiirlant pas aller demander des éclairiisseiiicnls il ceux ipii eu ax';iieut fait nue élude parti(uilière ; d'aulres encore suiilinaienl (pie ces lois ('laieut suppo- sées ou falsifiées, el (pi'ils étaient, par conséipient , en droit de s'en écarter autant qu'il leur plairait. De Icmps eu temps, il y eu avait même (|iil osaient dire ipi'il n'y ;ivail point de roi :iii-(lessus d'eux ; (pie. s'il j en ;ivail un, il visiterait ses Klals et se ferait vyir pielqne- lois ; d'iintres croyaient hien (pie le gcand roi exislail ; « mais, disaient- ils, il n'a hesoin ni de nous, ni de noire service, piiis(|u'il est si grand, si heureux, si puissant : n'esl-il pas trop élevé pour songer il ce qui se ])asse dans une petite colonie éloignée ' » (inehpies-iins assuraient (pie le miroir m;igi(|iie élail une f.-ilile ; (|ne le roi élait Iriqi lion pour entretenir des galères; ipi'il ii'avail point de mines souterraines, et (|ue tout le monde eiilrerail, il la fin, dans Sa \ ille céleste. On eélé- brail encore par habitude le premier jour de la seiiniine, mais une petite partie seule en était consacrée .1 honorer [c grand roi : beaucoup LE ROBINSON SUISSE. 31 se dispensaient d'aller à rassemblée RÔnérale, ou par paresse, ou pour se livrer à quelipie travail, nialijré lu (IcCcuse expresse qui leur en avait élé laite; la plus ijrande partie peusail ([ue le jour du repos n'était destiné ((u'au plaisir, et dès le malin ils ne sonijcaient <|ii'ii se jiarer et à s'amuser. Il n'y avait diiiu' qu'un très-|ielit nombre de i;ens qui le célébrassent d'après sa destination ; et nu'uie ceux (jui se ren- daient exaeteinent à l'assemblée, au lieu d'écouter ce (|Me leirr disaient les pré|iosés du souverain, étaient ou distraits ou enilormis, ou occu|)(s de mauvaises pensées, ('ependaul le ijrand roi suivait la marche immuable qu'il avait annoncée : de temps eu temps parais- saient qucl(|ues iréijatcs (|ui portaient les noms désastreux de plu- sieurs maladies et (|ui étaient suivies d'un l'.ros vaisseau de liijne nommé Ir Tomlieait, sur lequel l'amiral Mart taisait llotler son pavil- lon (le i\rn\ couleurs, verte et noire : il montrait aux colons, suivant la situation dans laquelle il les tnuivait, ou la riante couleur de l'es- pérance ou la sombre teinte du désespoir. » (Jette flotte arrivait toujours sans être annoiu'éc et ue faisait aucun plaisir à la plupart des habitants. L'amiral envoyait les capitaines de ses l'réj^ates se saisir de ceux i]u'il avait ordre d'emmener : bien des planteurs qui n'en avaient nulle envie lurent subitement embarqués; d'autres, qui avaient tinit préparé pour leur récolte, et dont le ter- rain était dans le meilleur état, li' lurent aussi; mais ceux-là parlaient Ifaienjent et sans crainle, sachant bien ipiel bonheur les attcmlait : c'étaient ceux ipii avaient le plus mal cultivé leur terriiin cpii p;ir- laient le ]ilus a conlre-eicur ; il (allait même (|ucl(|uei'ois <'mplojer la force pour les y contraindre; mais la résistance lU' serv.iil ii rien. I.tuand la flotte était charijée, l'amiral cinijhiil vers le|iortde la rési- ilence royale, et le ijrand roi , (|ui s'y trouvait présent, réparlissait avec une sévère justice les récompenses et les punitions qu'il av;nl annoncées. Toutes les excuses (|ue les colons néj^iiijenls allé};uaient pour leur justification étaient iiuililes; ils allaient travailler aux mines et aux i;alères, t;unlis que les bons insulaires qui avaient obéi au grand roi et bien cultivé leur terrain étaient admis dans la ] ille crlesle , revêtus de robes brillantes et élevés à différents i^riules, sui- vant (|u'ils les avaieiil plus ou moins mérités. » Voilà ma parabole finie, mes chers enfants; puissiez-vous l'avoir comprise et la mettre a profit! faites-en le sujet de vos réflexions pendant celle journée. Toi, Fritz, mon aîné, tu es là tout pensif; dis -moi ce ijui t'a le plus frappé dans ma narration. Fiuiz. La bonté du grand roi et l'ingratitude des colons, mon père. LE l'ÈRE. Et toi, Ernest? F.RMEST. Et moi, je les trouve d'une bêtise excessive de n'avoir pas mieux calculé : que gagnaient-ils à se conduire ainsi? Avec un ])eu de soin et de peine, ils pouvaient ])asser une vie agréable, même dans rile, et de là aller sûrement à la ]'ille céU'sle. JACK. Au\ galères, aux mines, messieurs! vous l'avez bien mérité. nuMiois. l'our moi , j'aurais préféré aller vers ces beaux hommes habillés comme l'arc-en-cicl : ah! que cela devait être beau! IF. l'ÈriE. Fort bien, mes enfants; chacun, suivant son âge et son caractère, a saisi le sens de m;i parabole. Je vous ai représenté, ]iar celte image, la conduite de Dieu envers les hommes, et celle des hommes cnvi'rs Dieu ; voyons maintenant si vous en avez bien saisi le sens. » ,Ie leur fis alors des questions; je leur expliquai ce (|u'ils n'avaient pas compris ]iarfaiteiiicnl, et a))rès un court examen des principaux points de mon discours, je le terminai par une application murale : Il Nous autres hommes, dis je, nous sommes ici-bas les (-(dons de Dieu ; nous devons, pour un |icu de temps, subir nos épreuves, et partir ensuite les uns |)lus tût, les autres plus tard. IVotrc destination ultérieure est le ciel, et la parfaite béatitude se Iroiive dans la coiii- muiiaulé avec des êtres pins relevés et plus parfaits, et dans la pré- sence de notre l'ère miséricordieux. La culliire ipii a été cmifiée à chacun de nous est son iliiie, cl, suivant qu'il la cultive et l'ennoblit, ou (|ii'il la néglige et la déprécie, son sort futur sera nalurellcmeiil pinson moins heureux. A inéscnt, mes clicrs enfants, ipie vous savez le vrai sens de ma parabole, faites-vous-en l'apidicition, chacun se- lon sa conscience. Toi, b'ritz, pense aux planteurs de pommes sau- vages, qu'ils veulent faire passer pour des fruits doux et savoureux, d'une nature supérieiiri! : ce sont ceux qui font parade de ipiclqucs verlus naturelles qui tiennent à leur caractère, et qu'ils n'ont, par coiiscipieut , ;iucuiie peine à exercer; ipii les préfèrent aux ipialilés plus ess( iitiellcs(pic' d'autres mit acquises avec travail, et (|iii, pleins de présomption et de fierté, se regardiuit coiiime irré]u-o(liables, jiarce que la nature leur a diuiné de la force, du courage ou de l'adresse. " Toi, Ernest, pense aux cultixateurs des jardins anglais cl de jolis arbres sans fruits : ce sont ceux qui s'adonnent ciitièremenl aux counaissanees et aux sciences infruclueuses, et regardent avec une espèce de mépris ce (|ni est le plus nécessaire a la cmiduite de la vie; ceux (pii s'uecupiuil seulement de leur esiirit cl négligent leur C(eiir; i-cux ipii ne pensent qu'à mener sans peine une vie X(duplueuse et ne \culenl pas s'occupir de choses utiles. » \ DUS, Jack et François, pensc-z à ceux qui laissenl leurs champs en Irii-he cl sans les ensemencer, ou qui, dans leur étourderie, se trompeni de graines et sèment de l'ivraie en place de froment : ce scuit les négligents, les étourdis, qui n'apprennent Jias , ne pensent pas, jettent au vent ce cpi'on leur enseigne, l'oublient le lendemain et mettent de côté les bons sentiments [lour laisser germer et ertn'lrc les mauvais. Mais niuis autres, nous prendrons pour modèles les bons et zélés travailleurs; s'il nous en ccu'ite un ]icu de peine, pensons à la récompense ipii nous attend lorsi{ue nous aurons embelli nos àines de tout ce qui est bon, juste cl hniable, afin ([lie, ipi.ind la mort nous appellera, nous puissions l;i suivre avec joie dexanl le IriJnc du fé- iiereux et grand roi, ipii , d'une voix tcu'lre et consolante , adressera à chacun (le nous ces douces |)aroles : (J toi, fidèle serviteur, tu as clé éprouvé et trouvé sage et bon; entre dans la joie de ton Sei- gneur ! 11 Je terminai la solennité de notre dimanche par ces mois et par une courte prière de bénédiction, et j'eus la satisfaction de voir non- seulement (pie mes ipialre fils m'avaient écouté attentivement, mais encore (pi'iis étaient frappés de l'application (pie je venais de faire à chacun d'eux. Us restèrent ipielquc temps à réfléchir dans un silence que Jack rom|iit le premier : « Vous nous avez expliipic toute la pa- rabole, mon père, !i l'exceptiim de cette cojiie des lois du grand roi i[iic clhupic famille doit avoir et lire avec les siens; est-ce que vous en avez une? vous ne nous l:i lisez jamais ! lE ri-aïK. Hélas! mes entants, j'en ai toujours eu non sculcmenl une iu;iis plusieurs, et presipie touj(Uiis nous en avons lu. Cette copie, c'est la sainte llible . oii sont contenues les lois de Dieu, lois (|iie tout être pensant doit méditer avec soin. Je ne ]iuis me pardininer de n'avoir ]>as jiensé à la prendre dans le vaisseau; si nous ne la relrou- vmis plu.-, nous serons a jamais privi's de cette divine doctrine. Esl-il possible ([lie moi, [lastcur du saint Evangile, ]ière de famille, je me sois occii|)é de tout ce (|ui [iiiuvait convenir à ce cor|)s [lérissable, et que j'aie oublié ce ([ui devait nourrir et consoler mmi àme iiii mor- telle, un livre ([iii serait si nécessaire à mes enfants? i.A MÎiRE. As-tu donc oublié, mon ami , mon sac enchante, qui le fournit tout ce que lu désires? Tu veux une liible? eh bien! je te promets ([lie, dans un moment, lu vas en avoir une, et je me réjouis de tout mon c(eiir de pouvoir te la donner. IF l'iiiE. O la meilleure, la [ilus excellente des femmes, combien tu me fais honte ! l'cndant (|u'au milieu de la tem[ièle et de la con- fusion lu [icnsais à tant de choses nécessaires à la vie, et dont nous autres lioiuiues dédaignions de nous ociu[ier, tu as eu soin aussi de ce i|u'il y av;iit de [dus essentiel , du salut de notre àme : grâces t'en soient rendues! Donne-moi ce luécicux livre, ee.s docniucnts du grand roi, dont je viens d'entretenir nos enfants, et ([ue nous vou- lons, dès ce moment, prendre pour base de notre conduite. Elle ouvrit son sac, et ce fut avec une joyeuse cniotion (|iie je reçus d'elle le livre de vie; je l'ouvris, et j'en lus tout de suite ([uel- ques jiassaijes à ma famille. iNous fûmes singulièrement saisis dans cette solitude, où (Uqiuis si longtcm[is nous n'avions ouï ((ue nous- mêiiics , (rentciidre comme une voix du ciel qui s'adressait à nous; nous sentîmes vivement ([ue, malgré notre exil, nous étions encore ;issociés à la grande comiiuinaïUé des hommes [lar ce lien invisible d'une même religimi et d'un même [lère ; nous étions toujours ;iu nombre des enfants de Dieu, auxi[uels il dicte ses lois, et dinit il a soin dans un désert comme dans une immense ca|iitale. Notre ilc, où il n'y avait que notre famille, était aussi intéress;inle à ses yeux que des nations et des peii[iles. Je mis toute ma science à ex])li([uer ce (|ue je lisais, et je donnai cnsuilc lour à tour à cliacun de mes fils le saint livre, |)Our ([u'ils eussent Ions le [ilaisir d'en lire (|iieli|iies pages, .le choisis de préfi-reuce les luorceaux (jui pouvaient s'applitiiicr à notre situation : nous élcxàmcs nos c(eiirs à l)icii [lonr lui rendre grâce (lu bienfait sigKalé de la liible conservée, a|ir('s ([uoi nous lé- luuignàmes aussi notre reconnaissance à rexccllentc mère à ([ui nous devions ce [irésenl. iMes jeunes gens restèrent ([iiel(|U(^ temps [lensifs cl lian(|uillcs ; mais peu à [icii la b'gèrelé de leur âge [irévalul , cha- cun s'échaïqia de son côté; ceiiendant , comme ils (troyaient ne [loii- voir entreprendre aucune afl':iire , ils allaient çà et là avec l'air de l'ennui [duti'il qu'avec celui de la réflexion. Je vis bicnt(>l qu'à cet âge rame est encon! triqi [lauvre [lour jioiivoir se sulVire à elle-même et [lasser une journée entière sans occiqialion. Je les ra[i|ielai donc, et je leur dis que le bon roi n'exigeait |ias d'eux une trop grande inaction, cl (pi'il leur iicrmettait, [lar ma voix, i\it s'amuser et d'eni- [iloycr à leur gré le reste de la journée, .lack demanda mon arc cl mes flèches; il voulait faire l'essai des dernii'res, ;i[irès les avoir ar- mées des (lards de son |iorc-é|iic. Fritz eut envie de travailler à son bel étui de clnit tigré, et me [iria de lui donner des coiiscils. Le [lelll l'rançois me mil aussi en activité; il voulait (|U(! je lui fisse un arc et des flèches, n'osant [las encore tirer des armes à feu. Il f.illiil bien céder à la volonté de mon cher pclil dernier, cl je me mis à l'oux rage. Après avoir donné à Jack ce ([u'il dcmaiidiiil avec inslanee, je r instruisis comment il devait d'abord faire sortir le sable ([ne j'avais introduit (huis les rose;inx, [mis comment il [larviendrail ii ada[ilerles [loiiiles et à consolider ce travail avec de la ficelle et de la colle. « (lui, oui, me dit JacU en secouant sa mutine tête, c'csl fiirl bien, pa[)a ; ayez seulcmeul à [iréscnl la bonté de m'iudiipicr la boiiti([iie du marchand de colle, [loiir ([lie j'aille en acheter. 32 LE ROBINSON SUISSE. — Je te l'appieiulrai, moi, dit en riant le petit Fi'iinrois; adresse- toi à maman, elle le donnera une de ses tablettes de bouillon, qui ressemblent paiiailement à un morceau de e(dle forte. — Petit imbécile, lui dit Jack, crois-tu qu'il suflise que cela y ressemble? J'ai besoin de colle, cl non d'un consommé. LE pÈbe. Pas si imbécile, monsieur Jack : la vérité sort souvent de la bouche des enfants, et vous ferez fort bien de suivre le conseil de ce petit garçon : pour moi, je suis convaincu qu'une tablette de viande fondue dans très-peu d'eau, puis épaissie par la cuisson, doit faire une très-bonne colle; ))rends-en une, mets-la sur le feu dans une coque de noix de coco; il faut au moins eu faire l'essai. » '^'^ JkM. Le petil François avait son arc à la main et sun carquois d'écorce sur l'épaule. Pendant que Jack préparait sa ((die, et que François, lier de l'a- voir inventée, l'aidait eu souûlaiil le feu, Kril/. vint me dcuiander des c\plicali(Uis sur la niauière de fabri({iier son étui : « ^ a cbcr- clier la peau, lui dis-je, et tu travailleras près de moi.» Je m'assis sur l'herbe, je pris mon couteau, et je commciu;ai à faire un petit arc pour I* rauçois avi'C un reste de bauibou. J'étais enchanté (|u'ils prissent tous la fantaisie de tirer de l'arc, cl je désirais qno par l'ha- liitude ils pussent se ]>erfeeliiunu'r dans cet exercice, qui était l'arme des anciens ijuerriers, el (jui pouvait devenir par la suite notre seul moyen de défense et de subsistance : noire incivision de poudre de- vait finir ]iar s'épuiser, nous pouvions d'ailleurs la perdre d'un luo- iiicnt à l'autre par un accident; il était donc très-utile d'avoir un autre moyen de chasser et de tuer noire ijibicr el nos ennemis. Les Caraïbes, peiisai-je, parvienuenl très-jeunes à toucher di' leur fleclie, à la distance de Irciite ou <|uarant(' pas, le centre d'une cible pas [dus i;rande ((ii'un écii ; ils lireiit les plus petits oiseauv au soiiiiiiel des plus jjraiwls arbres; mes ]',arcous peuvent parvenir à eu faire autant, Cl je veu\ les pourvoir d'arcs el de lli'ches. IV'iidanl ([Ile je réfléchissais ii cela eu travaillant ii l'arc At- l'r. ni- çois, Erncsl, qui m'avait re[;ardé faire mou ou\ r.i!;e pendant (piel(|uc temps, s'échappa sans être aperçu; coiiiine au mèiiie monicut l'ril/. arrivait avec la ])eaii mouillée du chat tiijié, je ne remar(|uai pas rabsence d'Ernest. Je coiiiineneai mes instiuetions à mon aine sur le métier de tanneur; je lui appris ii bien dégraisser la peau en la frotlaiit avec du sable el la reiiieltaut d:uis l'eau courante, jusqu'à ce ([u'elle n'eût plus vestige de chair et (lu'clle fut sans oileiir; je lui conseillai ensuite, pour l'assouplir, de la frotter avec du beurre salé, de l'étendre eu tout sens jusi|u';i ce ipi'elle devint flevible, el d'em- ployer aussi à cela (picl(|ues-uns des teufs de nos poules, si sa maman voulait lui en céder, puis de recoiniiu'ncer avec des cendres chaudes. «Tu ne feras ]ias encore, lui ilis-je, des étuis aussi beauv (|iie ceuv (|ni sorlcnl des fabriciues ani;laises; mais, avec de la patience, cl en ne plaii',uant ni ton liiiips ni ta peine, tu peii\ en avoir de Irès-jud- pres, et qui le Icronl d'aulanl plus de plaisir (pi'ils seriuit le fruit de ta ehasM' cl de ton trav.iil. (>uand la peau sera ainsi préparée, coupe de petits morceaux de bois de la forme el de la dimension des quatre cuisses du chat, partagés en deu\ ; creuse chaque partie avec un ci- seau, de manière (|uc les couverts puissent y entrer facilement; tu tireras ensuite sur ces espèces d'étuis la peau mouillée, de façon qu'elle dépasse un pieu le bois el le garnisse à l'entrée; puis lu la laisseras sécher et s'adajiter d'elle-même sur ces moules : alors ton ouvrage sera fini et le fera honneur. Fiirrz. Je comprends fort bien, el j'espère réussir; mais, si je pre- nais du liège ])0ur mes moules, les étuis seraient plus légers el plus commodes à jiorler. LE rÈKE. Sans aucun doute; mais où prendras-tu du liège, et com- ment le creuser ? C'est un bois rcvèclie, el (pii résiste au couteau. FRITZ. Oh ! si vous vouliez me permettre de prendre un des corse- lets de liège dans lesquels nos brebis oui nagé, j'essayerais de le creu- ser avec du feu. LE pîiBE. X la bonne heure, mon fils, j'aime qu'on invente, qu'on cherche ce qu'il y a de mieux. Nous avons, en effet, plusieurs de ces corselets, et j'espère ipie nous n'en aurons plus besoin; prends-en un, mais ne va pas le gâter en le brûlant. Ou'as-tu donc, chère ma- man? lu secoues la lète. Tu ne parais pas satisfaite de l'ouvrage de ton fils? LA »Ù;re. De son ouvrage, oui, s'il en vient h bout; de sa destina- tion, non, ]ias du tout. Croyez-vous que je vous donne ainsi les cou- verts d'argent du capitaine pour les traîner avec vous dans vos courses, el risquer de les perdre? Je ne les regarde point comme étant il nous. Que dirons-nous au capitaine si nous le retrouvons un jour? JACK. Que sans nous ils seraient au fond de la mer, oii les requins ne les lui rendraient pas ; ipie c'est nous qui les avons sauvés, et que nous ne somiius pas non ]iliis obligés de les rendre. LA Mi;RE. Tu t'associes donc aux rec|iiins, mon cher petit? J'es])ère que lu as une plus haute idée de ton être, et, si lu y penses bien, lu verras qu'eu équité et justice nous ne devons rei;arder ces couverts, et tous les objets ipii ont une valeur réelle, que comme un dépôt qui nous est confié, et ipic nous devons tâcher de conserver. Je crois Jo donnai un coup de mon acier, ot dans l'instant la moelle sèche et spongieuse fut allumée. bien ecpeiidaiil i|ue , les ayaiil sauvés aux dépens de notre vic\ nous avons le droit de nous en servir pour nolr(' usaijc pi'iidant que nous sommes ici, dénués de tout secours; mais, si nous trouvons jamais ceux à qui ils appartieniiciil , nous devons li's leur rendre. IBITZ. El je crois que iiionsieur le capitaine, tout eapilaine qu'il est, ne siu-a pas fâché de les retrouver dans un magnihqiie éliii de peau de chat tigré (pie je lui donnerai pour conserver son argen- terie! » , Je riais de l'oiiMH'il de imui pelil laiilaron, lorsqu'un coup île leii se fit entcndic sii'r l'arbic de noire eliambre il coucher, el deux oi- seaux toinbi'rciit presque il nos pieds. Nous fûmes à la fins ell rayes et surpris, el tous les regards se portèrent en haut: alors nous vîmes Paris. Ty|iof;rapIiic Piiui Irrrps. inipriiiipiir!^ (le riàiipcifiir, rue de \'uu(;irdi'(J , 'Mi- LE ROBINSON SUISSE. 3S Enicst (UOioiil (lovant la clianilno oiivcrti', son fusil à la main, criant d'un ton tiioiniiliant : " Attrapés, attra]irs! ces dcuv-là n'ont pas cic manques; j'ai lait ma cliassc aussi, messieurs les chasseurs! » Joyeux, il descendit ])récipitaninient de l'éciielle, cl courut avec François ramasser les d<'iiv oisean\, i)cndant (|ue iM-itz et ,Iaek grinipaieiil a leur tour au rliàleau de l'arlire, avec l'espoir d'en l'aire autant. Je les reniar(|uai coniine ils étaient près d'arriver, et je leur criai vive- ment : a (Ju'est-ce i|ue vous allez ilonc l'aire? A vez-vous déjà ou- blié le ijra'iul roi, qui veut que les oiseaux ilu ciel et les bêtes des champs aient aussi leur repos le jour qui lui est consacré? Je suis hssez fâché ((u'un de mes fils lui ail >ous ne parlerons pas des ecUcs : (pii suit si ipielipie illustre voyageur européen ne les a pas di'jà baptisées ile|Miis long- temps du nom de quehpie i;rand iiavig;ileiir ou de (pielc|ue saint, et si notre ile ne hgure pas di'jà ibins des cartes géographiques? Mais nous pouvons au moins duuner des noms ;'i nos établissements, ce qui nous sera très-commode pour nous entendre ipiand nous en par- lerons; cela nous procurera aussi une douce illiisiiui; nous croirons habiter nue contrée peuplée et connue. » Tous poussèrent des cris de joie cl trouvèrent mon idée parfaite. \\v.i\. Oh! je vous eu prie, papa, inventons des noms bien longs, bien dilïiciles à prononcer; je serai bien .lise qu'on se casse un peu la tête dans le monde ;'i rete- nir les noms de noire ile. Combien ne m'a -t- il ]):is fallu de peine piuir appren- dre leur Moiitiinolnini . leur Zamiudiar . leur Curoniaii- (lel . et tant (r:iutres noms plus difliciles (Uicore ! Ah ! nous leur écoreherous aussi la bouche et les oreilles. LE l'ÎRF.. Oui , si l'on ;ip- preiid jamais l'existence de notre pays et de nos noms, et si l'on nous trouve ici; en attendant, ce serait notre propre lioiicbe (pie nous f.i- tiijuerions à (u'iuioncer sans cesse des noms barbares et incompréhensibles. îACk. Comment fcroiis- iious donc? quels jolis noms pourrions-nous trouver? 11: ri:iii:. \(his l'eriuis com- me ont l'ait tous les peuples de la terre ; nous iiidi(pie- rons les endroits, dans notre langue maternelle, d'après les circonstances ipii nous oui le plus frappés. I m;k. Oui, oui ! fort bien ! ce sera encore mieux: par oii commcnceriuis - mois donc? i.E pi-iiir. IS'oiis commence- rons naturellement par la b;iie oii noussiMUUiesd'abo rd entrés. (Comment l'iippellc- rons-nous ' allons, mou Fritz, parlez le premier, vous qui clés l'aine. Kiirrz. I.a Imif au.r Huî- tres : vous savez comliieii nous y en avons trouvé. lACK. Oh non! plutôt la kn'r du Homard : vous vous rappelez bien celui qui m'empoigna si fortement la jambe et ipie je vous apportai. KiiNF.ST. .Mors tu pourrais la nommer aussi la liuio di's l'iciirs : le raiipelles-tu les beaux cris que lu poussais? I.A Mi'ciiE. Mon avis, à moi, serait, par reconnaissance envers Uicu, qui nous y a si lieureiisemenl conduits, de l'appeler la Imie du Salul. i.E rùuK. Voil.'i un nom juste, sonore cl (jui me plait beaucoup clu'ue amie; mais (piel csl celui (pie nous choisirons | place oii nous nous élalilimes d'aliord ? i-iiiTZ. 'l'oiil simplcmiiit /rllheim. pour demeure. IK ri lu . A la lioTHic liiiire; ce nom lue plaît assez ('t me parait ible. V.l le lu'lil ilol. à renln'C de 1 loiir dcsiiïner la nous V avons eu une U'iilo 1" h. du .S.iiiil , oii nous (l( uistrucluiu I" )li'c |ioi(l . ipicl nom lui conven.ti trouvâmes des bois donnerons-nous ? EiiNEsr. Nous pouvons le nommer Vili' des Mouettes, ou l'//r ilu Hc- quin : c'est là (pie nous les avons trouvés. i.E l'iiiE. Je suis pour ce dernier nom, Vik du Ucquiji. C'était le re- quin qui élait hi c:iuse de la présence des mouettes, et cette dénomi- nation élernisera le courage et la vi( loire de Fritz , ipii monstre marin. tue 3 3« LE ROBINSON SUISSE. lACK. Par la mémo raison, nous appellerons le marais oii vous avez coupe les cannes pour nos flcches le marais des Flamants. lE I'i're. Oui, num fils; et la plaine par oii nous avons passé pour venir ici, le champ du l'uic-Epic, en uicmoire de lou adresse. Main- lenanl vieni la fjrandc question : commcnl devons-nous appeler notre demeure actuelle? EK.\EST. Simplement le château de V Arbre (flauinschloss). FRrrz. Non! non! cela ne vaut rien; c'est comme si on voulait liaptiscr une ville et qu'on rap])elàt la \ ille ^ inventons quelque chose de jilus noble. Quant à moi, j'aimerais micu\ nid d'Aiyte {Ad- lerhorst); cela sonne mieux. IJans le fond, noire demeure sur un arhrc est plulôt un nid qu'un château, et l'aigle l'ennoMil, puisque c'est le roi des uiseaus. LE rÈi\E. Eli bien! je vais tous vous arranger, nous rappellerons Fall.enhorst ' ; car, mes ]iauvrcs enfants, vous n'êtes pas encore des aiijles, mais de vérilaliles oiseaux de jjroic, et vous serez, j'espè're, dociles, obéissants, prompts et courageuv comme les faucons. Ernesl n'aura rien à objecter, car les faucons nichent sur les plus grands arbres. LES E^FA^■^s fen frapp;inl des mains). Oui, oui! FuUicnhorsl: c'est un nom chevalcres(|ue. « Salut, cbàleau de Falkenhorsl ! » dirent-ils en regardant le baul lif(uai à mon tils la dilVérencc i|u'il y avait entre la patate et la pomme de terre, en lui déclarant, loutclois , ((ne sa découverte n'é- tait ijucre moins iniporlaiile |ii)nr nous, puis(|ue celle plante est, ii tous éi;ards, pour les pajs chauds ce que la pomme de terre est pour les zones tempérées. Le pétulant ,lacli s'écria en sautant de joie : i( ^ ivent les patates ! si je ne les ai pas déccni\crtes , je saurai bien au moins les déterrer. » Kn parlant ainsi, il se mil ii |;cniiu\ , et com- ineiiea ii gratter la terre. Avec ses petits doi|;ls, il n'anrail pas beau- coup avancé ; mais, encourafjé par son exem])le , le siuijc se mit aussi il |;ratter avei! plus de succès : Il arracha i|ueli|ues racines; mais, après les avoir flaflées, il allait les jeter au loin, si ,lack ne les lui eût arrachées d'entre les (;rilïes. Il les donna ii sa mère. « Tenez, ma- man, dil-il, voilà les ]uemières pièces de notre trésor, u Et lui cl le slni;e recommencèrent à (;ratter : bientiil ils en eurent une assez Ijrande (|iianlilé. ÎVons ne voulûmes pas rester spectateurs oisifs, el avec nos couleauv el nos bâtons nous récoltàiucs assez de cette pré- eieiise denrée pour remplir nos sues, nos gibecières el nos poches. (/Uandiious lûmes bien ehari;és, nous nous remîmes en route pour arriverai '/.elthciui : i|iu'l(|ues \oi\ s'élevi'i'cnt pourdemander de re- louriier pinli'it ;i Falkenhorst , alin de nous ilécliar|;er de notre Irou- \aillc et en faire un délicieiiv repas; mais des motifs si pressants nous appelaicnl ji noire Mia|;asin de provisions, qu'il fui décide que nous eonliiiuerions notre roule, et, mal|;ré notre chari;e inallenilue, nous avançâmes i;,iicnu'iit \crs notre bul. "I Mes enfants, bonté et des miracles qu'il a faits eu faveur des fils des bommes; il » abreuve l'âme altérée cl la comble de biens. » Fiiiiz. Oui vraiment, cela nous convient parfaitement, et nous allons remercier Dieu de ce don iiiappri'eiable. I F. I i:iiE. Il y a sans doulc des mets plus recliercliés el plus siiecii- lents; mais ce sont préeisi'mcnt ceux qui irritent le moins le );oùl dont l'boinme fait le plus d'usai;e. el (|u'il préfère a la lonijuc, comme le pain, le riz et les racines esculeiiles : pourriez-voiis, cnfanis, me dire pourquoi :' ERNEST. Sans doute parce qu'ils sont plus sains ? lAOK. Et parce qu'ils ne répiii;nent jamais ; je manderais des pom- mes de terre tous les jours de ma xie sans i|u'clles me eausassiiil le moindre déi;oùt. i.E riiiiE. Nous avez raison Imis deux. A présent, il s'agit de savoir cniniuent nous remercierons Dieu de ce bienfait d'une manière con- venable. rnANcois. Il faiil ajouter à nos prières du soir el du malin : « Nous Il le remercions, bon Dieu, pour les bonnes palatcs que tu nous as 11 données. Aincii. « riuiz. (le ii'esl pas assez, l'iançois ; le meilleur remercimeiil ii l'aire an rout-1'uissiiiil , c'est de l'aimer de tout sou cn-ur, d'être saijcs, obéissants, el de mériter, autant (|ue nous le pourrons, les ijràces qu'il nous accorde, i.E l'iiiiE. Tu as très-bien parlé, cher h'ritz ; les bienfaits doivent ré- veiller notre amour, el l'aïuoiir doit conduire il roln'*issaiicc ; car ou n'a nul plaisir ii olïciiser l'objet ipie l'on aiiiieet<|ui nous comble de biens. 0 Tous mes enfants, d'un commun accord, s'écrii'rent : " ÎNous vou- lons l'aimer de loul notre ecenr. — Bien, mes enfants, leur dis-je ; cl vous verrez (|u'avee ce sentimeiil il ne nous manquera jamais rien. » CHAPITRE XIV. Continuation du di.ipitre précédent et des découvertes. En conversant ainsi , nous étions parvenus jusqu'à la longue chaîne de rochers d'oii notre petit ruissciui s'écb.ippail eu cascades qui fai- saient entendre un doux murniurc el avaicnl un aspect di licieiix ; nous côtoyâmes la piiroi il;;s rocs i{iii devait nous conduire au ruisseau des (;iiacals el de la » '/.elllieim. \ous y rcirouvâmes l'herbe haute, où nous eûmes assez de peine ii marcher; mais, d'ailleurs, nous avions deux points de vue Irès-dilïérenls et très-agréables : l'un , à notre droite, sur la vaste mer (|ue nous voyions ii qiiel(|ue distance, ainsi que sur l'ile et la baitt (|ui en formait l'cnlrée; l'autre, à notre gauche, sur la chaîne de rochers, qui nous pn'sentail le speclacle le jiliis pilloresque <|u'il fût possible de désirer ; ils me donnaient l'idée d'une belle serre de jurilinier ouverte : au lieu de pois de fleurs, les |ielitcs terrasses, les l'entes, les saillies, les corniches élaienl couvertes des plantes les |ilus rares cl les plus variées, el de la plus belle végé- tation. Dans le nombre, se distinguait surtout la famille de (ilanlcs grasses ', l;i plupart épineuses, et qui sont précisément celles que l'on cultive dans les serres d'Europe. Là se troiix aient en abondance la ligue d'Inde avec ses larges palettes, des aloès de dillérentes formes cl ciHileurs, le superbe cierge é-piiieiix , ou cactus, portant des tigt'S droites plus liaiilcsi|u'un homiiie, chargées de longs piquants : la ser- lientine laissait pendre le Icuii; des rocs ses iniioiiibrablcs tigi's entre- lacées, el (les fleuri portani une houppe d'un rose \ if ; mais ce qui nous réjoiiil le plus, et ce qui s'y Iroiixait aussi en abondance, c'était le roi des fruits pour la forme et pour le goût, le bel ananas couronné. ]\uus tombâmes dessus axée avidité , parce (|iie nous le connaissions et qu'il pouvait se manger sans autre préparation quelle le cueillir; le singe ne l'ut pas le dernier à s'en saisir, el comme il sautait mieux que mes pelits garçons , ceux-ci prirent plaisir à l'irriler pour qu'il leur jetât des ananas lorsqu'ils n'y |)iuivaiciil atteindre ; ils y allaicnl de si bon courage , que je jugeai à propos d'arrêter leur ;ividilé , de peur i|iie la crudité de ce fruit ne les rendit malades. Ma femme el moi nous en maiigcàiues un ou deux avec grand plaisir, et, après avoir donné des éloges bien mérités à celte excellente producliou des climats chauds , nous nous promîmes de venir souvent chercher là notre dessert. l'.ulin , j'eus le bonheur de découvrir aussi, au milieu des |danles dixcrscs qui croissaient dans les fenles des rochers ou à leur pied , des karalas '-, qui étaient en partie en grande lloraison ou ayant iléjit perdu leurs llcurs; ils ressciublaienl ii de jeunes ;irbres. Le kiiratas esl si parfailemenl dépeint par nos voyageurs el nos naturalistes, que je ne jius m'y tromper cl que je le reconnus à l'iuslaiil ii sa tige ilroite et svcllc (|iii s'élève en ]ixramide, sortant d'une toulTe de fcuillaije assez semblable à celui de l'ananas, et (|ui oITre, dans le haut , une forme d'arbre pleine de grâce, ainsi qu'a ses grandes feuilles termi- nées par une pointe triangulaire, .le voulus faire admirer à mes en- iauls la grandeur immense de ses feuilles, cnuisées an milieu en forme de coupe, oii l'eau de pluie se conserve Irès-longleiups, et ses belles llenrs rouges. Connaissant les propriétés de eetle plante utile, dont la moelle sert d'amadou aux nigres el dont les feuilles renfer- ment un tissu d'oii l'on tire un l'il très-forl, j'étais iiresque aussi con- lenl de ma Irouvaillc que de celle des patates, et j'assurai mes enfauls que j'en faisais bien plus de cas que de l'ananas. Je leur fis, en outre, remaripier la boulé de la Proxidcnce envers nous, en nous jetant dans une île qui réunissait les |iroduclioiis de la terre, des régions les plus éloignées. Tous me rèpoiidireiil, la bouclie |ilcine , qu'ils me laisseraient Milonllers ces petits arbres ii jolies fleurs, pourvu (|ue je leur laissasse les ananas, <* L'ananas sui'passe tout, disaient-ils : qu'esl-cc qu'une jilaiile agréable aux yeux lorsqu'elle ne porte au- cun fruit .' Serviteur à vos karatas; nos bons ananas sonl bien pré- férables! — l'etils gourmands! m'éeriai-je en colère, vous faites dans cette occasion comme ceux qui préli'rent niic persinuie donl la lignre est belle cl qui a même de l'esprit à celle qui possède des vertus essen- tielles cl un mérite plus durable. L'ananas llatle votre goût, cha- touille agréablcmciit votre palais; mais on peut s'en passer dans les be- soins de la vie, el je vais vous montrer sur-le-champ si j'ai tort de lui préférer le karatas. Ernest, voilà mon briipiet et une [lierre à fusil; lais-moi le plaisir de lu'alliiiuer du feu. EiivEsr. .le vous demande (lardon, mon |)ère; eo n'est pas tout : il me faut aussi de l'aïuadou. A quoi voulez-vous (|ue le feu se coiu- luiiniqne .' LE l'î.iu;. (i'esl ou je l'atlcudais. Lors(|ue l'aïuailou que nous avons apporté du vaisseau sera consumé, avec quoi nous procurerons-nous du feu? Sans feu, commeni ferons-nous cuire nos alimenls el ferons- iious aussi lanl d'autres choses utiles? EuxEsr. ,1e n'en serais pas en peine : nous iiiiilcrions les sauvages, (|ui frollcul deux morceaux de bois l'un cunire l'autre jusqu'il i e qu'ils s'allument. lE l'îiiiE. Bien obligé jioiir nous, qui ne sommes pas des sauvages, et qui n'en avons pas l'habitude; ce serait un pénible travail, .le parie qu'aucun de vous ne produirait une seule étincelle, quand même il frollerait loute la journée; el dans aucun cas vous n'oblicndriez du feu d'une manii're aussi proiuple, aussi sûre el aussi commode qu'avec de l'amadou. EiixEsi. En ce cas, nous n'avons qu'à prendre patience jusc|u'à ce ' On appelle iitanlen grnsies un genre de pUntos dont les fouilles SOI)t épaisSAa et rharnvios, telles, par oxemplo. que les aloés. '' C'est une Irés-granile plante de l'Amérique , une espèce d'aînés dont les fouilles sont épaisses , fort amples et terminées en pointes trinn;;ulaircs. Ces fouilles bouillies donnent une espèce do fil ()ui sort à faire de la toilo cl des filets de pi'ohour. Il y en n une espèce dont les f.nullos sonlrnurtos, et retiennent si bien loau do pluie , cprolles «ont d'une gronde ressoiirro dans les lioux secs. Un autre os|iéro porlo un fruit en forma de gros rlou , qui n le ijni'it du la pomme de reinolte. La moelle do rotlo utile plante sort aussi d'amadou, et la feuille, par- tagée dans son épaisseur, est un excellent remède pour les blessures. On y trouve aussi des filaments qui peuvent servir do fil. {Vnlmont de Uomare.) 36 LE ROBI^SOIN SUISSE. que nous trouvions un arbre à amadou, comme nous avons trouvé un arbre à courije. LE pi:nE. Nous jioiirrions en Inire aussi avec du linije en le brûlant dans un vase lermé; mais nous aurons besoin de notre linge pour un autre usai;e. Ce <|ui voudrait le mieux, ce serait de trouver dans quelffue plante un amadou tout préparé tel que la moelle de ce ka- ratas. » Je pris alors une tiije morte de l'arbrisseau, j'en ùtai l'écorce, j'en fis sortir un morceau de moelle sèclie et sponi;ieusc, que je mis sur la pierre à feu; je donnai un cou]) de mou acier, et dans l'instant elle fut allumée. Mes enfants me regardèrent avec élonucment, puis ils firent un saut de joie en s'écriant : « Vive la plante à auiadou! — Allons, dis-je, voilà déjà une utilité plus ijrande que celle qui n'a pour but que la ijourmandise. A présent, voire mère nous dira avec quoi elle compte coudre nos habits lorsque sa provision de fil du sac enchanté sera épuisée. i.A MÈRE. Oui, il y a lonijiemps que j'y pense avec incpiiétiide, et je donnerais volontiers tous ces ananas pour trouver du lin ou du chanvre qui me missent à même de ])Ouvoir coudre. LE riiRE. Eh bien! tu vas en avoir, chère femme : il est juste que je te procure une fois ce que Ion C(cur désire. Tu vas trouver du fil excellent sous ces feuilles, où la bonne nature a ])réparé un tissu. Sans doute (|ue les aiijuillées ne seront pas plus i;iaudcs (|ue la feuille même; mais il y en a (|ui oui précisément la lonsjueur c(uivcuable. » J'en ouvris une, et j'en tirai un peu de fil Irès-forl et d'un beau roup,e, que je donnai à ma femme. « Comliien il est heureux pour nous, me dit-elle, que tu aies tant lu et tant étudié! INous autres ifjuorants, nous serions passés à côté de cette plante sans nous douter de son milité; il sera cependant long cl difficile de tirer ce fil par petites aiguillées du milieu île ces épines. LE PÈRE. Pas du tout. Nous mettrons ces feuilles séihci- au soleil ou à un feu doux; ce qui est inutile tombera, et la masse de fil restera intacte. FRrrz. ,1e vois bien à présent, mon père, qu'il ne faut pas se fier à l'apparence. 11 en est de celle j.lante comme des hommes : on trouve soux'ent le plus de nu'rite là où on ne le soupçonnait pas; mais je crois cc])eudant i|u'il serait dilficile d'en découvrir. a toutes les plantes épineuses qui croissent ici et qui ne servent (pi'à lilcsser ceux ipii veulent approcher. A quoi peuvent-elles être bonnes.' LE rÈRE. Tu juges encore sur r.ippareiwe, mon ami; la plupart oui des qualités médicinales, et l'on lait dans la pharmacie un grand usage de l'aloès ou (ùerge épineux, qui produit eu abondani'c de très belles fleurs; on en a vu, dans des serres d'Euro]ie, qui en ])ortaient à la fois plus de trois mille, ce qui devait être superbe à voir. A Carlsbad, il y avait un aloès de vingt-six pieds de hauteur; il avait produit à la fois vingt-huit rameaux, qui ])orlèrent plus de trois mille fleurs dans l'intervalle d'un mois. H y en a eu ii Paris, à Leydc, en D.iucmaik d'aussi curieux. Phrsieurs ont un suc résineux dont ou fait des gommes plus ou moins précieuses; puis voilà la figue d'Inde, etit J;iek, leste et gourmand, était déjà griuijié sur les rochers pour attra])er ([u<'l- ques-uns de ces fruits; mais il eut lieu de se repentir de sa précipi- tation. Ces figues sont garnies de fines épines qui pénètrent dans la peau du téméraire (pii les cueille sans précauticui, et lui causent de vives douleurs. Mou pauvre enfant revint bientôt a moi en pleu- rant, en frajipant du pied et en sei'ouanl ses doigts, (|ui en élaiiuil tout garnis, .le n'eus pas le courage de lui débiter une moralité sur sa g(iurmandis( , dont il était assez puni, et, tout en lui otant ses petites épiiu's, je gnuulai ses frères qui voulaient le railler, .le leur ajipris ensuite comme il f.illait s'y prendre pour cueillir ce fruit ; j'en fis tomber nu très-mûr sur mon chapeau, j'iii coupai les deux bouts; je pus alors le saisir aux places cnupées et le peler cntii're- ment; je le livr.ii ensuite au jugement et a l.i curiosité de nuui petit peuple. l.a nouveauté, plus que le goût, b' leur fit paraître lion; ils en ciu'il- lirent tous, et chacun s'exerça à trouver une m;inière pour ne pas être piipié. l'"ritz inventa la meilleure : il ôla le fruit de l'arbre avec un bàloii pointu, dans Ictpiel il l'enfila; il le pela sur ce même bâton très-proprement, et l'offrit ii sa mère, qui le iuani;ea avec plaisir. Pendant ce temps, je voyais Kriiest qui tenait nue figue au bout de son couteau; il la tournait, la retournait, et l'approchait de son a'il d'un air curieux, a Je vomirais bien savoir, dit enfin mon jeune observateur, quelles sont les petites bêtes que je vois dans cette figue, qu'elles siiiiiil avec empressement; elles sont rouges comme un mor- ceau d'écarlate. LE PÈRE. Ha! ha! ce pourraient bien être encore une nouvelle dé- cotiverte et une seconde utilité de cette plante. Voyons; je parie que ce sont des cochenilles.' .TACK. Cochenilles! le drôle de nom! Qu'est-ce que cela, mon papa? LE l'ÈRE. (''est un insecte du genre de ceux (|u'(Ui apiiclle parduilea ou kermès. 11 se nourrit de la figue d'Inde, cl il eu tire sans doute cette belle couleur rouge vif qui fait de la eoehenille un objet de commerce très-coiisidéralile pour les teinturiers; ils en font le plus bel écarlale. Eu Amérique, on étend des linges sous les figuiers, on les secoue, et, lorsque rinscclc est tombé, ou le plie dans le linge, qu'on arrose de vinaigre ou d'eau froide ; puis on le sèche et on l'envoie en Europe, oii on le paye très cher. ERNEST. Je conviens à présent (jue, pour l'utilité, cette ]ilante vatit dix fois plus que le bel et bon ananas; mais celui-ci a aussi son mé- rite, et nous ne sommes pas obligés de choisir. Nous pouvons jouir de l'utilité de l'un et de l'agrément de l'autre. D'ailleurs, comme nous n'avons rien à teindre en écarlale, et comme le fruit de la figue n'est certes pas aussi bon qu'un ananas, je jirélere encore ce dernier. LE PÈRE. Et tu as tort, nnui fils. Je ne vous ai pas encore parlé de la plus grande utilité du figuier d'Inde; il sert de protecteur à l'homme. KRiiz. De ]iroteeteur à l'homme! Oh! comment cela, mon pajia? LE PÈRE. On en fait autour des maisons des enclos, (|u'aucune bête ne jicut franchir à cause de ses redoutables épines; car vous voyez qu'outre les petites qui ont meurtri les mains de Jack, il y en a en- core une très-forte à chacpie na'ud. LA mÈre. Elles peuvent aussi servir d'épingles et même de petits clous; voyez comme elles tiennent ma robe! LE pÈre. Eh bien! c'est une utilité de plus à laipiclle je n'avais pas pensé. Vous voyez donc de <[uelle force sont de tels endos; et on les fait d'autant plus facilement qu'il siitt'it de planter en terre une de ces leuillcs épaisses. Elle y preiul tout de suite racine, et croit avec une grande rapidité. Non-seulement c'est un préservatif coiilre les bêles sauvages, mais aussi contre des ennemis; ils ne pourraient passer au travers qu'en la coupant, et pendant celte opération, qui ne scr.iit môme pas sans danger, ceux (|ui seraient derrière auraient le temps de fuir ou de se défendre. » Jack, le roi des étourdis et des imprudents, prétendit que cette pl.inte, étant très-molle, opposait de la résistance, et ((u'axec un couteau ou seulement un biiton on pouxait facilement passer au traxcrs. Pour nous le prouver, il commença à tailler avec son cou- teau de chasse une iilante assez grande, dont il faisait tomber les raquettes de droite et de gauche; mais riinc d'elles, se trouvant ]iarlagée, tomba sur le bas de sa jambe nue et s'y attacha tellement par ses é|)ines, qu'il jioiissa de nouveau des cris eIVroyables, cl s'assit bien vite sur une pierre pour s'en débarrasser, ,1e ne pouvais m'em- pèclii'r, tout en le secourant, de me moquer un peu du l'cnouvellc- iiieul de smi accident, causé par son o|)iniàtrelé et son iiujirudence ; je lui fis ohservcr combien il serait dilficile à des sauvages, ipii sont pres((iie nus, de forcer une telle harrière; et celte fois il en convint. ER\EST. O pa])a ! je vous en prie, faisons vite une de ces barrières autour de notre demeure. Nous n'aurons plus besoin d'allumer des feux pour lunis préserver des bêles féroces, cl même des saux'ages, (fui jieuvent d'un jour à l'autre arriver dans leurs canots, comme chez Kohiiisiui (,'rusoé. LRiiz. El nous pourrons alors facili'ment recueillir des cochenilles et essayer de faite cette liclle ciuileur. LE PÈRE. Il y aura temps pour tout, chers enfants ; il siilfil à présent de vous avoir démontré (|ue Dieu ne fait rien ipii soit tout à fait in- utile, et ([ue c'est à l'homme, à i|ui il a départi la sagesse cl l'intel- ligciiee, il tâcher de découvrir, p:ir son raisonnement et son expé- rience, l'utililé des dilTérentes productions. JACK. Ah! quanta moi, j'abandonne la figue d'Inde, sou fruit, ses cochenilles, ses épingles maiulitcs, à qui voudra s'en servir, et je n'en aiiproche plus. LE PÈRE. Si celle plante savait pirlei'. elle dirait pcut-êlre : Je ne veux plus que ce jiclil garçon s'approche de moi sans raison, sans nécessité, et seulement pour contredire son pi'rc; il vient m'alla- qiicr et me détruire, moi ipii ne lui aurais fait que du bien s'il avait voulu me traiter avec douceur cl me toucher avec précautimi. Au reste, si tu as encore mal à la jambe, appliques-y une feuille de ka- nitas ; je me rappelle (pie celle plante a aussi la propriété de eiiérir les blessures légi'ies. Il le fil, et s'en trouva si bien, ([ue hicntôl il jmt reprendre avec nous le chemin de /.eltlicini. 0 Me voilii convaincu, dit Ernest, du mérite du karalas et de la figue d'Inde ; mais je voudrais counaitrc jiiissi celui de ces prands bâtons chargés d'épines, ipii s'éli'venl devant nous de tous côtés ; je ne vois là ni fruits ni insectes; ii quoi peuvent-ils servir :' Dites-le- nous, papa. LE PERE. ICn vérité, si je pouvais vous dire à quoi servent toutes les piaules du monde, il faudrait que je possédasse la science univer- selle , et il n'y a que Dieu qui l'ail, .le présume ipie plusieurs pl.inles n'ont d'autie utilité (|ue d'être la noiirrituie de difliueules espèces iraoirii.'iux , cl c'est, comme je vous r.-ii dit, à la raison de riionime LE ROBIMSOW SUISSE. :î7 à lui faire découvrir celles dont il peut faire usai;e ; plusieurs ont aussi des qualités médicinales que j'ip,nore, et qu'on découvrira jieu à peu. Il nie semble que ces cierj;es épineux sont de l'espèce de ceux dont |)arle Bruce dans son IVii/ayt' d'Ahyssinic , et dont il donne le dessin ; seulement ils me |iaraissent avoir été plus gros que ceux-ci ; ils servent, dit-il, de nourriture à réléjiliant et au rhinocéros ; le premier axec ses fortes dents, ou avec sa lrom|)e, et l'autre avec sa corne , saisissent cette espèce de bàlon, et le fenri(|ue, jiuiMpie lu te mo((ues de lui et de son ii;norunee. liRMisr. Je sais bien (|ue c'est un produil de l'art; mais j'avoue (jue je ne puis pas bien e\pli(]uer connneiil (M1 la lait : je pense i|ue c'est avec (lu eliarbon pilé , puis(|irelle e^t si noire, et ([o'on y nnjle du soufre, dont elle a l'odeur. LE riiUE. Ajoute du salpêtre, el lu n'aoriis pas mal lépoudu; le sal- pêtre en est le j)rincipal ingrédient : mêlé avec du eliarbon, il s'al- lume très-iiromplement et développe cxlraordiuairemenl l'air (|ui s'y trouve renfermé, le(iuel se déifaijc subitement par l'action du l'eu, s'étend avec violence, et pousse au dehors, ]iar une foii c ét(ninaiitc tout ce i|ui lui résiste : de sorte (|uc les balles ou la i;renaille lancées par cette fone irrésistible frappent l'objet (|u'elles rencontrent au point de le délniire, ainsi (]ue vous en faites l'expérience tous les jours en liranl des coups de fusil. • Mes enfants me firent alors une foule de questions qui amenèrent une sorte de leçon de physique, telle que je pus la faire d'après mes faibles lumières et sans instruments : les aines me eompriieut d'au- tant niieuv qu'ils eu avaient déjà quehioes notions ; mais le petit Fraii(;ois, nreiitendant dire que le feu, renfermé dans tous les corps, se développait jiar le inouvemenl ou par le frottcmciil, demanda plaisaniniciit si en courant très- vite on n'était pas en daiii;er de s'ennamiuer et île brûler. o 'lu vas trop loin, petit drôle, lui dis-je; mais si un petit nari'oii comme toi se donne trop de mouvement, il court au moins le risipie d'écliaiilTcr son sanij , de se donner la lièvre ou d'autres maladies (lan|;ereuses : il en résulte donc qiiel(|ue chose de semblable it la eoinl)Ustion dont tu jiarles, el qui peut être tout aussi dani;ereu\, comme il l'est, d'un autre cijté, (le ne pas se donner assez de moiive- nienl, de se livrer à la paresse, parce qu'alors les humeurs croiipis- senl et le saui; se corrompt. Ainsi, mes chers enfants, en cela comme en tout, il faut savoir ijarder un juste milieu. » Pcuilanl cette conversalioii, je faisais tiuijours ma claie ou traîneau, qui fui bieuiôl fini, el je trouvai que la nécessité avait fait d'un pas- teur de talent assez médiocre un très-bon cliarpenticr ; deux pièces de bois courbées par-devant, liées au milieu el par derrière par une traverse de bois, me snftirent pour la construire : j'attachai, de ])liis, deux cordes de trait aux deux cordes élevées, et ma claie fut achevée. Comme je n'avais pas levé les yeux de dessus mon ouvraije , j'iijno- rais ce (|iie faisaient la mère et les deux cadets : lors(|iie je les re- jjardai , je vis qu'entre eux trois ils avaient plumé une ([uanlité (i'oiseauv tués, et (lu'ils les cufilaienl dans l'épée d'un oflicier de ma- rine, (1(' la(|iielle ma femme avait fait une broche, .le louai son idée, mais je la blâmai de sa prodi|ialitc en voyant devant le feu plus de fjibier ipic nous n'eu pounioiis manijer. Elle me calma en me rappe- lant (|ue je l'avais moi-même enj;ai;ée, pour le conserver eu provi- sion, à le faire cuire à demi et à le mettre dans du beurre, n .l'espé- rais, me dit-elle, que, puisque tu as un traîneau, lu irais après diner à '/.eltbeim chercher la tonne de beurre. En attendant, j'ai voulu jn'i'parcr mon î;ibier. u .le n'eus rien à objecter, et je concertai tout de suite la course à Zellheim iiour le jour même, en la priant de hâter le diucr : elle m'assura (inc c'était son iulention , ayant elle-même un projet pour ce jour-là, que je connaitrais à mini retour. Moi, j'avais celui de prendre un bain de mer, me sentant fort échauiïi^ jiar un travail pé- nible et conlinuel; je voulais aussi en faire prendre nu ii Ernest, qui devait m'aecuinpa|jiier, tandis (|ue Frilz resterait pour ijardcr la maison. CHAPITRE XVI. Le hjin, la pi?rhe, le lièvre sauteur, la mascarade. Aussitijt que nous eûmes dîné, Ernest el moi nous nous préparâmes au départ, l'ritz nous fit à eliacun le joli présent d'un étui (|ue innis devions pl.icer dans la ceinture de couleau de chasse, el qui l'Iait ar- ranijé d'une maiiii're tii's-ini;i'nieuse ; on pouvait y iiieltre un cou- vert tout entier et même une pelile hache, ce (|ui me parut coiuiiiode et nlile. Je louai mon lils aine d'avoir perfectionné mon idée et trouvé le moyen de faire deux étuis avec sa peau au lieu d'un : il avait employé les deux jambes de devant pour l'un, celles de derrière pour l'antre, et réservé au milieu la place pour la petite hache, l'.r- nest le remercia plus vivement (|ue je ne l'eu aurais cru eajvible. .Nous allelâmes ensuite l'âne el la vache ii notre claie; nous primes chacun un morceau de bambou à la main en nuisede fouet, el, notre fusil en bandoulière, nous nous mîmes en chemin; Hill nous suivit, Turc resta. Ainès avoir fait nos adieux à nos amis, nous piMissàmcs nos bêtes en avant. Nous ciîtoyàmes le bord de la mer, oii notre claie, liaîiiéc sur le sable, ijlissait plus faeilcmeiil que sur l'herbe liaule et épaisse; nous parvînmes au pool de l'ainillc, sur le ruisseau desCha- caU, et nous arrivâmes à '/.ellheim sans obstacle et sans aveiilure. ]Nous dételâmes iinssili'it nos bêtes pour les laisser paître pendant que nous ehar|;ions notre traîneau. Ce ne fut pas saus peine ipie nous parvînmes à y placer la loiiiie de beurre salé, celle de fromarje, et un Iciril de poudre : nous ajoutâmes à cela plusieurs instruments, des balles, de la i,reuaille, et la cotte de porc-épic de Turc. Ce tra- vail nous attachait tellement, que nous remai(|uâines trop tard que nos bêles, attirées par la bonne herbe de l'autre cillé du ruisseau, avaient repassé le pont, el s'élaient si bien écartées, ([u'ellcs avaient disparu à nos yeux. J'espérais (|u'ellcs ne seraient pas allées bien loin; je eoinmandai donc à Eriu'sl de courir avec Hill à leur reelier- elie et de les ramener, pendant (|ue, de l'aulre <ôlé de /.eltheim, je chercherais un endroit commode pour me baiijner. .le fus bieutôl ii l'extrémité de la baie du Sulat , el je trouvai ((u'elle finissait par un marais cliarjjé des plus belles cannes de jonc qu'il fût possible de voir, cl au del.i une suite de rochers escarpés, (|ui avancaienl même un peu dans la mer, el foimaient une espi'ce d'.inse qui paraissait ar- ranijée exprès pour le bain ; les saillies des rochers faisaient même comme des e;ibinels séparés, oii l'on ne sérail point vu de ceux avec (|ui on se baii;neiail. Enchanté de colle découverte, je criai à Ernest de venir me joindre, et en l'atlendanl , je m'amusai à couper quel- ques joncs, pensant que je pourrais m'en servir utilement. Ernest n'arrivant point el ne me répondant pas. je jiris enfin le parli de retourner en arrière, avec une eert;iine inquiétude; je le vis de loin étendu tout du Ion;; ii l'ombre de notre tente : je m'en ap- prochai avec un i;rand battement de creur, crainnanl qu'il n'eût été lilessé, et je vis avec un plaisir inexprimable que mon pelil drôle dor- mait comme une marmotte, pendant que l'àue et la vache broulaieut de l'herbe dans son voisinage. « Allons, allons, paresseux, criai-je au dormeur, réveille-toi ; pen- dant que lu dors, au lieu de i;ai(lcr tes bêles, elles ponrraicnl bien te jouer le tour de passer encore une lois le pont. » Il se réveilla en sursaut, el fut bientôt deboiil : « Oh! je les in défie, me dit-il en se froltant les yeux ; j'ai ôtc plusieurs planches, ([ui laissent un vide ([ii'clles ne seront pas tentées de franchir. — A la bonne heure ! je le iiardoiine la paresse quand elle te rend invenlif ; mais c'est dnnimai;e de passer à dormir un temps oii In pourrais faire quel(|ue chose d'utile. ]S'as-lu pas promis à ta mi're de lui apporter du sel? E'inactivilé est toujours un tort quand le travail est une nécessité. ■ — ^ Pardon, Jiapa, mais j'ai travaillé de têle. — Ali , ah 1 e'esl nouveau à ton â|;e ! (Juel esl donc ce travail si important et si profond ([ui t'a endormi en y pensant :' — Eh bien ! oui, j'ai pensé combien il serait diflicile d'aincner sur terre tout ce qu'il y a encore d'utile ])our nous sur le vaisseau. — Et as-tu imaijiné quelque moyeu de lever ces dilTieullés ? — Non, pas ({iMiid'eliosc ; je me suis endormi trop vite. — El lu trouves là de ([uoi le vanter? A quoi bon chercher des dilïiciillés si l'on ne sait eominenl on parvient à les vaincre ? — Dans ce momeni même il me vient une idée. Il nous faut uu i;raiid radeau, mais les poutres sont trop pesantes ; il me semble qu'il vaudrail bien mieux priuiilre beaucoup de loniies vides el clouer des planches dessus, de manière que le tout tint ensemble. J'ai lu ([iie les sauvaijes en Amérique reioidissent d'air des peaux de chèvres, les lient l'une à l'autre, et font ainsi des radeaux avec lesquels ils passent les plus larges rivières. — Eh bien, voilà une idée dont nous pourrons tirer parti un jour; mais à présent, mon fils, répare le temps perdu, et va chercher du sel dans ce sacliel ; quand il sera plein, tu le videras dans le grand sac de l'âne , que lu rempliras é|;alenienl des deux côtés. Pendant ce temps, j'irai me baigner pour me rafraîchir; ton tour viendra en- suite, et moi je garderai nos bêles, n Je retournai donc vers les rochers, el je pris un bain délicieux; mais, pour ne pas faire attendre mon petit garçon, je ne restai dans l'eau que peu d'inslants. Dès que je me fus iluibillé, j'allai vers la place du sel, pour voir s'il avaitavancc son ouvrage; il n'y était pas, et je croyais presque qu'il s'était ren- dormi (hins i|ueh(ue coin, lorsque des cris subits se firent entendre : « Papa, pap:i ! un poisson, un poisson monslrueux! venez à mon se- cours, je ne |niis plus le retenir, il dévore la ficelle. » .le courus du côli' oii j'enlciKhiis la voix, el je trouvai l'.rnesl sur rextrême pointe de terre, en deçà du ruisse;iu ; couché sur l'herbe, :ifin d'avoir plus de force, il lirait avec efl'orl un hauic(;on dont la ficelle p(ui(lait dans l'eau, et aii(|iiel était attaché un Ihoii, ou du moins uu jioisson qui lui resseiiiblail biMucoup, el auquel je me |)eriuis de donner ce nom, quoiqu'il fùl plus pelil (|ue les gros thons de la Médllerranée; il lâchait de se débarrasser, el était sur le point d'enlralncr l'enfant dans l'eau, .l'accourus sans tarder, je saisis la ficelle, et je laissai aller librement le poisson, puis je le tirai doucement vers un bas-fond, oii il ne pût plus nréiha))pcr; mais il fallut qu'Ernest se mît à l'eau, et terminal avec sa ])elite hache l;i vie et les angoisses de la bêle. Quand il fut à terre, j'estimai que ce poisson devait peser au moins ((uinze livres; de sorte (pie nous avions fait là une magnifiipie capture, qui angmenterail les provisions de notre bonne ménagère, el lui ferait grand plaisir. « Vraiment, dis-je à Ernest , tu as Ir.ivaillé à présent nou-siuleiiieni de la têle, mais de loul le reste du corps : essuie la sueur de loii fronl. el repose-loi avant d'aller te b;iigner : lu nous as prociiié 11 uni' exccllenle nourrilure pour plusieurs jours, el lu l'es conduit en vr.ii iluv.ilier sans peur. 40 LE ROBINSON SUISSE. — C'est nu moins tri's-licureux, nie dit-il d'un ton modeste, (jue j'rtie jiensé à picndre avec moi ma liijnc et mon liameion. — Oui, sans doute ; mais raconte-moi où tu as vu ce gros animal, et comment il t'est venu dans l'idcc de t'en emparer. — J'avais remarque, lorsque nous demeurions ici, qu'il y avait à cette place des quantités innombruliles de poissons; c'est pour cela que j'ai pris ce malin avec moi ce cju il me fallait pour jièclicr. Oimiue j'allais, il y a un moment, clierclu'r le sel, j'ai aperçu sur le rivage beaucoup de crabes, qui sont la nourriture des poissons; vou- lant essayer d'eu accrocher a l'Iiamceon, j'ai vite fait notre provision de sel, et je suis venu à cette place, où j'ai pris d'abord une douzaine de petits poissons, qui sont là ilans mon mouchoir : je remarquai qu'il y en avait de plus gros qui leur donnaient la chasse ; j'eus alors l'idée de mettre à riianieinui un des petits poissons que j'avais ]iris; mais l'hameçiui cl lil trop petit et la perche trop faible. Je pris donc une de ces l)clles cannes que vous aviez cueillies, j'attachai à ma lieclle un hameçon plus fort , et bientôt ce gros gaillard étendu là ^aisit l'appât, y resta attaché, et paya de sa vie sa voracité. Cepen- dant si vous n'étiez pas venu à mon secours, j'aurais été forcé de le lâcher, ou il m'aurait entraîné dans l'eau , car il élait plus fort que moi. Il J ai fdit ma chasse auiji, niessiours les chasseurs 1 Nous examinâmes loiilc sa pèihe : les pelils pi)iss(Uis me parurent être de la fuiuilli' des harengs, et le grand un \rai Ihon. .le me hàlai de les ouvrir, cl je les frottai en dedans avec du sel, afin de les ap- ]iorter frais à l'"alkeuhi)rsl. l'enil.int celle oecupaliou , mon fils prit son bain; j'eus le temp> de garni r encore quelipies saeliels de sel avant son n'Ioiir : nous eommcueàines alors ii alleler iu)s bêtes et à les charger; nous reiniiucs les planehes sur le p(uil, et nous reprîmes le chemin de notre demeure. Ëiivinin il moilié chemin, Itill, i|iii nous |irécédait, s'éloigna de nous l'apidemcnt, cl ninis averlil, par ses abuieuienis, ipi'il venait de découvrir queli|ue gibier, l'ji elïi't, nous le vîmes bieiilôt poursuivre un animal <|ui fujail ilevanl lui en f.iisani des sauts étonnants. Le chien, en le chassant toujours, le fit passer assez près de nous, à portée de fusil; je lir.ii dessus, mais sa course élait si rapide, (|ue je le manquai. iMiii'St, qui me suivait à quchjue distance, averti par mon c ,up de feu, prépara le sien, el saisit, pour tirer, un iiislani oit ce singulier animal cherchait à gagner les grandes herbes pour s'y cacher; il ri'in.ir(|iia l.i place, el le tira si adroileiuenl , ([u'il le fit tomber luori à l'instant même. Je courus joindre mon fils, très- ciirieiiv de savoir i|iielle espi'ce d'animal il vciiail de tuer, et nous ti(Uivàines la plus siiiguli<-re bêle (|u'il lui |iossible d'imaginer. Elle etail de la gr.indeiir d'une brebis el portait une (|ueui' de tigre: son museau el son poil ressemblaient ii ceux d'une souris; ses dénis elaienlde la forme de celles du lièvre, mais beaiicou|i ]ilus gr.-.ndes; les pattes de devant comiiie celles de l'écureuil, mais evicssivement courtes, el celles de derrière longues comme des cchasses et d'une forme très-extraordinaire. Nous regardâmes longtemps en silence cet animal curieux ; je ne pouvais absolument me souvenir d'avoir jamais rien vu de semblable dans les gravures d'histoire naturelle ni dans les descriptions des voyageurs. Ernest, après l'avoir bien regardé, interrompit noire silence |)ar un cri de joie : « Est-ce bien moi qui iii tué ce monslre? dit-il en ballant des mains : que dira ma mère:' (|ue diront mes frères? comme ils vont être étonnés! et que je suis heureux d'avoir fait celle belle chasse! 3Ion père, comment croyez- vous que cette bête se nomme.' je donnerais tout au monde pour le savoir. i.r. l'iiRE. El moi aussi, miui cher Ernest, mais je ne le sais pas plus i|ue toi; ce qu'il y a de sûr, c'est que tu es en jour de bonheur; je vais bientôt t'a|qieler mon petit Hercule. Tu es aussi quelquefois mon petit savant, el nous allons tous les deux examiner attentivement cet animal, pour tâcher de déconxrir à (|'ielle classe de quadrupèdes il ap))artient; cela nous conduira peut-être à connaître son nom. eunest. C'est lout au plus si c'est un quadrupède; ses petites jambes de devant ressemblenl plulôl ii de petites mains, comme celles des singes. LE l'ÈRE. Ce sont ])Ourlaiil des jambes; mais nous jioiivons toujours jirovisoirement le classer dans les maminifères; car nous ne pouvons douter qu'il n'apparlienne à celte espèce : examinons ses dents. ERjNEST. Il en a qualrc incisives, comme l'écureuil. LE rîiRE. Ainsi nous voyons (|ue c'est une bête rongeuse; chcrchous maintenant les noms connus de cette espèce. ERNEST. Je ne me rappelle, outre l'écureuil, que les souris, les mar- mottes, les lièvres, les <'ast(U's, les pores-épics et les sauteurs. LE n.RY.. Les s;iulciirs! lu me conduis lii tout à fait sur la trace; la bête a coiupb'lcnii'nt la coiistruclion d'un lièvre sauteur, seiilemcnl il est le double plus grand (pie ceux dont j'ai lu la dcscriplioii... Attends, il me vient une idée ; je parie (pie nous avons là un indi- vidu de la grande espi'ce de sauteurs, qu'on appelle des Aiok/ki'oos ' : cet animal apparlient prcqireiucnt à la classe des didcliihes ou/i/i/- lanrlres, parce que la femelle, (jui ne met jamais bas qu'un petit à la fois, le porte dans une cs|iècc de bourse placée entre les jambes de derrière. Il n'a été trouvé jiisi|u'à présent que sur les côtes de la Nouvelle-Hollande, oii le céK'lire navigateur Cook l'a découvert le premier. Ainsi in peux doubleiucnl le féliciter d'avoir tué un ;inimal si rare et si remarquable, et uioi je puis me réjouir de l'exactitude de mon observation; car il est maintenant très-certain que nous ne sommes pas loin de l'AusIralie, (pioiquc j'avoue que, dans ce cas, le grand nombre de iiigeons (]iie nous avons rencontrés m'ciiibarr;tsse nu peu. Je crois (|iie, si jamais nous retournons en Europe, la rcla- li(Hi de nos aventures fera une véritable révolution dans le monde savant. ERNEsr. Mais comment se fail-il, papa, que vous l'ayez manqué? vous savez tirer mieiiN que moi; j'avoue qu'à votre place j'en serais vivement piqué. LE pÎcre. Bien au coulraire, mon fils, je m'en irjouis. ERNEST. Ah! voilii, ]iar exemple, ce que je ne puis comprendre, qu'on puisse se ré'jouir d'avoir manqué un coup; cxpiiipiez moi cela. le rî-RE. Je m'en réjouis, parce (|ue j'aime mieux mon fils (pie moi- même, (pie je ]iarlage son plaisir et sa pelile gloire bien plus vive- meiil que si j'ax'ais fait le coup. » l^riiest, touché, vint iirembras,ser : « Bon père, me dit-il, je reconnais bien là votre amour palernel. — Et ta reconnaissance augmente ma joie, lui dis-je en lui rendant son embrassemenl ; mais traînons à présent la bête jusqu'à noire claie.» Ernest me pria de l'aider plutôt ii la porter; il av.iil ])eur de salir ce beau poil gris de souris en le traînant par terre; sa reiiiai'({iie me parut fondée. Je liai donc avec une corde les (piatre jambes du kaii- giiioo, et nous le portâmes avec peine, au nioxen de deux cannes, jus(ju'à notre claie, sur lai|iiclle nous l'allachàmes. Bill, (pii le pre- mier l'avait découvert cl chassé, avait perdu sa pisle, el rôd.iit de tout côté dans les hautes herbes, sans doute d.ins l'espoir de le irou- ver: nous l'appelâmes et le comblâmes de caresses; mais celle ré- compense ne lui sMHis:iit pas; il se mil à tourner autour du kaiigiiroo, dont la blessure s.iignait encore, el cherchait à la lécher. J'eus ;Llors l'idée de saigner enliî'rement r.inimal, de ]ieur (pie, dans un elimal :iiissi chaud, on ne pi'il le conscrv'cr. Xoli'c bon chien fui Irî's-coulenl ' C'est le nom d'un (iiiadru|iuile dL^couvcrt à la Nuuvcllc-Hollaiido pav le capi- taine Cook. Il est de l'ordre des animaux rongeurs, et tient du rliien lévrier, du lièvre, et surlont do la gerboise. 11 u, comme ce dernier animal, les pattes de de devant extrêmement courtes et celles do derritîre très-longues ; mais la ger- boii-e n'excède pas la grosseur d'un lapin, et le kanguroo parvient à celle du mouton. Lorsque lekanguroo marche, il saule sur ses jambes de derrière, tenant celles de devant pressées contre sa poitrine, et à l'aide de sa queue, qui lui sert comme d'une espèce' de levier; de celle manière il marche assez vite, el quand il est pour- suivi, il fait des sauts de vingt à vingt-huit pieds d'élendue, et de cinq à six de hauteur. Dans l'élat de repos, il étend sa queue, s'assied dessus, ou plulot a l'air d'iHre debout, sa léle levée el ses pâlies de devant pendinles : il s'en sert, comme Ic3 écureuils, pour porter sa pfthwe à sa Ijouclie. Klie est |ietile, ainsi iiuo ea tèle ; el sa queue, dont il frappe son ennemi, parait èlre son seul moyen do défense. Sa chair est médiocre. (Voyez sa description et sa gravure dans le Dic- tionnaire W Histoire naturelle.) LK U0BIJNSO^ SUISSE. 41 ai- son repas, et nous continuâmes paiement notre roule vers Falken- horst. (Chemin faisant, nolie eonversalion roula sur l'élude de l'iiis- toire nalurellc, sur la nécessité de s'y livrer de bonne heure et d'ap- prendre il classer les piaules et les animaux d'après leurs mari|iies distinclives; c'est ainsi q\ie nous étions ])arvenus, au moyen de l'examen des dents, à reconnaiire notre Uanijuroo. Ernest me pria de lui dire sur cet animal tout ce que ma uiéinoire me présenterait : " C'est, lui dis-je, nue bêle sinijulicre, mais i|ui n'a pas été encore bien observée, cl <|ui l'ouruil, ])ar cousé([uent, peu de matière à la narralidii. Ses jainbcs de devant, ainsi ([ue In le vois, oui à peine en louijueur le tiers de celles de derrière; c'est tout au plus s'il peul s'en servir pour marcher; mais, avec celles-ci, il fait des sauts énor- mes, comme les puces et les sauterelles. Sa nourrilurc consiste eu Et je vis avec un plaisir inexprimable que mon petit drùlc du.-mait comme une marmotte. licrlirs cl co racines, (|u'i! arrache trcs-adroilcincnl a\ec les pâlies de devant. Il s'assied sur eclles de deri'ière , reployées, eoniine sur une chaise, pour reijardi'r ])ar-dessus l'herbe liante; il s'appuie sur sa (|neue, (jui a beaucoup de force; elle lui sert aussi ii sauter et à se repousser fortement de la terre : on prétend (]ue le kanguroo, privé de (piene , ne peut presque pas sauter. » INous arrivâmes eniin licurcusenicnl, (|uoi(|u'un peu lard, à Falken- horst, et de tri's-loin U(ins culcndimes les cris de joie <[u'oceasionn;iit notre retenir. Tout notre moiule accourut au-devant de nous; mais ce fut notre tour d'éclater de rire en voj:int le plaisant costume des trois enfants : l'un avait une lonijue chemise de matelot qui traînait autour de lui comme la robe d'un spectre; l'autre était caché dans un pantalon <(u'il s'élail attaché aulour (In cou, et ((ui arrivait jus- qu'au bout du pied; le Iroisiiune avail une lonijue vesle qui venait jus4|u'a la cheville, et lui donnait l'.'tir d'un ])orlemantcau ambubint : tous marchaient lourdement, ciubarrassc's dans leurs lonijs vèlcnu'uts, mais se promenaient cependani avc<: fierlé , comme des héros de tlicàirc. Apres les avoir regardés en riant, j<' demandai ii leur mère ipielle était la cause de c<'S jeux de carnaval, cl si elle avail voulu me donner la eoméas, les aulres a èlre salées el fumées, 'l'urc cl Bill lircul un exccllcnl souper avec ses eniraillcs, el nous en finies un très-bon aussi avec nos petits poissons frits cl nos patates; mais il fut court : nous désirions el cherchions le sommeil, dans les bras diupicl nous fûmes bienli'it ensevelis. cn.APITUE XVII. Nouveau butin sur le vaisseau échoué. An iircmier chant du coq, je me levai, el, avanl que le reste de la famille fiil réveillé, je descendis de l'échelle cl je m'occupai du kan- 4Î LE H0Bi^S01\ SUISSE. belle rnbc r'ris de son cl puroo, pnur lui ôler, s:iiis la ijaler, sa Délie rriDc gris fie souris vraiment il (^lail temps d'y penser; nos chiens s'élaient si bien trou- vés la veille de leur repas d'entrailles, qu'ils y avaient pris goût et voulaient faire nn déjeuner en rèj^'le avec la bête entière. Axant (jue je fusse au bas de l'échelle ils avaient déjà arraché la tête de l'aninial, que j'avais suspendu assez haut par les pieds de derrière; cl , moitié amis, moitié ennemis, ils allaient se la parlajjer, lorsipie je vins à temps pour les en empêcher, .le trouvai que , n'ayant ni cave ni ijarde- manijer pour garantir nos provisions, il serait prudent de leur admi- nistrer une petite eorreelion : ils se sauvèrent sous les racines en inurmurani cl en hurlant; leurs cris réveillèrent ma femme, (|ui, ne m'avant pas trouvé, descendit fort inquiète de ce qui se passait. « Pour l'amou r du ciel, me cria-t-elle, qu'^irrivc-t-il ? nos chiens sont- ils enragés?... i.E PF.BE. Pas du tout; je leur faisais seulement un petit sermon tou- chant sur la tempérance et sur la nécessité de se vaincre soi-même. i,A MKiiE. Il vaudrait mieuv prêcher d'cxcmjile , commencer par vaincre sa colère et ne pas se laisser aller à la vengeance contre des animaux fidèles ,c. J'allai ensuite au ruisseau me laver les mains, puis je visitai la caisse du matelol et je changeai d'hrdiit, pour'mr' présenter eonveualilement au déjeuner el offrir à mes fils re\ciu|ile de la proprelé, cpie leur mère leur prêchait sans cesse. Je donnai, après déjeuner, l'ordre à Frilz de lout préparer pour aller à Zellhcim cherclicr notre baleau, et de là nous acheminer \ers le vaisseau. Au inomeul du dépari, comme je voulais preinire congé de tous les miens, je ne trouvai ni Eriiesl ni Jack; leur mère ne savait, non plus que moi, ec qu'ils étaient de- venus; mais elle soupçonnait (pi'ils élaicnl allés chercher des palales, dont nous manquions. Je la chargeai de les gronder un jieu, ne vou- lant pas ([u'ils s'accoulumassent à s'écarter seuls el sans permission dans celte contrée in<-onnue; mais, cette fois, ils avaient pris J'urc avec eux, ce <|ui me trau(|uiHisa. Nous nous mimes eu clKunin après avoir fait de tendres adieux à ma femme el à mon ]ietit François; je lui laissai Bill, et jel'exhorlai il ne pas s'inciuiélcr, et ii se confier à la Provideiue, (|ui nous avait si bien gardés jus(|u'alors, et qui nous raminerail encore eetle fois sains et saufs auprès d'elle , munis de beaucoup de choses miles à notre bien-être ; mais il n'y eut pas moyeu de lui faire cnleiidre rai- son sur ces voyages au vaisseau. Je la laissai loule en larmes, el priant Dieu ipie ce fût le dernier. INoiis nous arrachâmes avec efforl de ses bras et niarchànies liès^ vite pour hâler notre retour : nous eûmes bientôt alteiiit et jiassé le jiont; alors, à notre grand éloiincment , nous enlendimes d<'S cris perçants de voix liiiuuiines, et ])resque en même temps nous viines sortir d'un buisson Ernest el maitrc Jack , qui se réjouissaient de nous avoir joué ce loiir. « Ah '. n'avez-vous pas cru que c'élaieiil des sauvages? disait Jack. — Ou bien nos gens du X'aisseau ? disait ImucsI. LE ri.RK. Dites plulôt deux méchanls pelils polissons (|ue j'ai eu bientôt reconnus, dis-je, el (pie je serais bien lente ous l'ouvrirons demain, n'est-ce ))as? el j'aurai ma monire. lAi.K. Moi, je veux encore avec la inonlre une jolie labalièrc, piiis- ([u'il y en a tant. iiiAM ois. Moi, je voudrais une jolie bourse toute pleine de jiièces d'or. LE riiu:. Hicii imaginé, mes petits. Ainsi, Jack veut sans doute prendre du tabac sans eu avoir, el F'r.inçois veut iieiit-être semer des louis pour qu'il en croisse? i-u.h. INon, je n'aime pas le tabac, et je sais bien que nous n'eu avons point; mais je voudrais avoir une jolie boîte pour cacher de- dans toutes sorte de eharmautes graines, des rouges, des noires lui- santes, des viidctlcs, que je trouve ici sur les buissons. Si jamais nous retournons en l'Europe, je les sèmerai dans notre jardin. J'ai aussi trouvé de jolis scarabées et des mouches de toutes couleurs, el je voudrais emporter loul cela. FRwiius. El moi, je garderai mon argent pour aciieler du pain d'épice. l'eiil-êtr.', (|uand ce sera la foire, en viendra-t-il ici des marchands; j'en ferai une [srande provision pour tout le monde, car (!'cst bien iiicilleiir et plus tendre ([lie le biscuit que maman nous donne. i.ii l'iiu;. (^)iiaiil il la ioire cl aux marchands de friandises, lu l'en passeras encore loii-.lcmiis , mon cher petit; mais je le conseille de 4) LE ROBIJNSOIN SUISSE. faire loi-inème du pain (l'i'pice; tu sais si h'wn prend le du miel ! >• Le pauvre enfant devint tout rouj;e. ]| y avait (jnelcpies jours qu'il avait découvert dans un arlire un essaim d'abeilles et de beauv rayons; voulant en prendre .ivec unliàlon, tout l'essaim sortit en eoli're et fondit sur lui. Il fut liorril)leiMeut pi(jué au visage, et paya elier sa découverte, qui cependant pouvait devenir fort utile. Ainsi, tout en causant et en liadinant, nous arrivâmes au pied de notre château. Nous eûmes encore beaucouji de peine avec la tortue, que je lis mettre sur le dos pour lui ôter sur-le-champ son écaille et profiler de son excellente chair. Ma femme doutait (|uc cela fût pos- sible; mais je pris ma hache, je coupai et séparai les deux ])artics de l'écaillé, qui sont liées eusenible par des espèces de carlilai;es; celle de dessus, qu'on nomme carapace , est exlrêniement bombée; l'infé- rieure, ou celle de dessous, est à peu près plate, et s'appelle le plas- tron. Quand je les eus séparées, avec assez de peine, je découpai autant de chair qu'il nous en fallait ])onr un repas. .le la posai pro- prement sur le plastnni comme sur un i;rand plat; je priai la mère de la faire rôtir ainsi dans sa propre écaille, sans autre assaisonne- ment (jue du sel, et je lui promis un des mets les plus friands et les plus renommés ([u'elle eût manijés de sa vie. '( Tu me permettras au moins, me dit-elle, d'ôter ce vert qui pend de tous côtés, l't c[ui ne me plaît pas à la vue. LE rKRE. Tu as tort, chère amie ; ce ne sera pas la première fois que ce qui aura déplu aux yeux plaira au iifoùt ; ce vert est la ijraisse de la tortue, i|ui a naturellement cette couleur, cl qui rendra notre rôti bien pins tendre et plus savoureux ; mais si tu crois qu'il y en a trop, tu peux en ôter une partie et la faire fondre à part, pour t'en servir ensuite pour des soupes, (|ui seront parfaites. INous allons saler tout ce que nous voulons conserver; mais lu peux donner aux chiens la tête, les pattes et les entrailles, car il faut (|ue chacun vive. — O mon papa ! s'écria .lack, je vous en prie, donnez-moi l'écaillé. A moi 11 s'écrièrent-ils tous à la fois, .le leur imposai silence, en leur disant (|u'elle appartenait de droit ii l'rilz, puisqu'il l'avait harponnée, et que sans lui elle serait encore au fond de la mcj-. «Mais enfin, voyons, dis-je, ce que chacun de vous voudrait en faire, car ce n'est pas sans raison, je pense, que vous désirez tous la posséder. EBNEST. Moi, je voudrais m'en faire un excellent bouclier pour me garantir contre les sauvages quand ils viendront nous attaquer. LE ri;RE. Petit égoïste! je te reconnais bien là ; mais je m<' doule (|n'eu pareil cas lu la mettrais bravement sur ton dos, et tu te sau- verais au plus vile. Et toi, Jack, iju'cn lerais-lu :' JACK. Moi, j'en fabriquerais un charmant petit bateau , qui nous ferait plaisir ii tous. Quand j'aurais des patates, des Karalas, ou antre chose à porter li la maison, je les mettrais ded:ins, et ils suivraient le fil de l'eau du ruisseau; ainsi nos provisions arriveraient ici sans me fatiguer. LE rÈRE. A la bonne heure ; mais un pilil radeau, uiu' c.iisse, peu- vent servir au même usage. Et toi , |)('lil I''r.ini;ois , ciu'en voudrais-hi faire ? FRANOUS. Oh '. je voudrais me bàlir une petite cabane, cl je pensais (pie celte écaille ferait un su|)erbe toit. LE i'i-;nE. Tout cela est fort bon, mes amis, si nous ne voulons (|uc jouer ; mais je désirerais ipie vous pensassiez plus à l'avanlaijc C(un- mun (|u'ii votre sûreté personnelle, ii votre commodité, ou enfin .à vos ])asse-temps. Et ii quoi M. l'ritz, le possesseur légitime de celle écaille, l'a-l-il destinée '' EBiTZ. A un bassin, ipu' je placerai à côté de noire ruisseau, pour que ma mère puisse toujours avoir de l'eau propre pour ses besoins journaliers. LE l'KiiE. Bien, l'on bien, num ami ; honiienrii rinvcnleur du bas sin ! ^ oilii un usage d'une milité générale, et qui sera exécuté di's (pic nous aurons de la terre glaise pour poser ce réservoir sur une base solide. JACK. Ah! ah! Eh bien! c'est moi qui louruirai la terre grasse; j'en ai là un tas sous ces racines. LE ri;RE. .l'en suis bien aise. (Jii l'as-tii prise ' LA mÎ;re. Il l'a prise ce malin sur la hauteur, oii il en ;i découxcri une couche ; il s'est tellement sali , ((u'il m'a fallu l.iire une h ^sive en règle pour ce ])etit iiolisson. JACK. Si je ne m'étais pas sali ainsi, bonne mère, jamais je n'.iu- rais découvert cette terre, qui nous sera fort iitrle. Kn revenant de chercher des jialates, j'ai voulu suivre là-haut le bord du ruisseau pour ni'amuser à le voir couler et faire ses jolies petites cascades; voilà que j'arrive à une grande place en peiile, arrosée par l'eau du ruisseau , et si glissante (jue je ne pus marcher ; je suis tombé, cl luc suis sali de la tête aux pieds ; alors j'ai vu que c'était de la belle terre grasse, douce comme de l'huile. J'en ai fait de grosses boules, et je les ai apportées. n MIRE. Et tu t'es vanté de ta découverle comme si elle étail la suite des recherches les plus empressées, tandis ipi • tu ne la devais (pi'au hasard ; enfin, lu l'avoues à présent, et je t'en loue. Er.xr.si . Dès (|ue ce bassin d'écaillé seni posé, je nieltrai dedans les racines ipie j'ai Irouvéeset (|ui sont Ins sèches, .le ne sais si c'est une e-spccc de rave ou de raifort; la plante avait iilutôt l'.iir d'un arbrisseau; mais, comme elle m'était inconnue, je n'ai pas t)sc goûter de ces racines, quoique j'aie vu notre cochon en manger avi- dement. LE i'i:iîE. l'u as agi très-sagement, mon fils; mais fais-moi voir ces racines ; je suis bien aise (jne tu lasses atleulion à tout. Comment les a.s-tu découvertes ? FRxEsr. Je rôdais par-ci par-là, lors(|oc je rencontrai le cochon, (jui, avec son long museau, fouillait sous de petits arbrisseaux, et avalait avidement queh|ue chose (pii sortait de la terre ; je le chassai, et je trouvai à cette ]ilace un pacpiet de grosses racines que j'ai apportées à la maison, et ()ue vous voyez là. LE 1'i:re. Si mon soup(;on est fondé, lu as fait là une excellente dé couverte, ((ui, avec les pommes de terre (jue nous avons déjà, peut nous préserver de la famine tout le temps f|ue nous resterons ici. Je crois que ces racines sont ce qu'on appelle du inaiiiiic. dont on fait dans les Indes occidentales une espèce de pain ou de g.'ilcaii (|ue l'on nomme cassacc ; mais pour cela il faut d'abord pré|)arer la racine, qui, s;ins cette précaution, serait un ])oisou d:iiigi'reux. Si tu as bien rem.aniué la place où tu as rencontré celle piaule, et si nous en trou- vons la ou ailleurs en assez grande (piantité, nous essayerons cette ]Méparalion pour en (aire du pain, et je crois (|u'elle réussira. » Tout en parlant ainsi, nous avions déchargé notre claie, et je me mis en chemin avec mes fils pour en charger une autre et la conduire avant la nuit à notre habitation. ISoiis laiss.imes ma femme et l'^ran- (•ois pour nous prép:irer le souper, dont nous avions le plus grand besoin après une journée aussi fatigante; la tortue était arrivée fort à propos. Il Je te promets, me dit ma femme avec un sourire, que lu trouveras à ton reloiir de quoi reprendre des forces, u En cheminant, Frilz me demanda si l'écaillé de notre tortue était de celle espèce précieuse dont on fait des boîtes et d'autres bijoux, et si ce n'était pas dommage de l'employer pour un bassin de fontaine. « D'abord , lui dis-je , rien n'est diuumage dans noire ])osition ; iso- lés de tout ce <^ui peut être nécessaire aux besoins de la vie, ton bassin serait de dianuiut, i|ue s'il nous est utile, il ne vaut pas plus pour nous (ju'iine pierre brute. Ce n'est (pie par le luxe et le com- merce ([uc l'or et les iiierrcs précieuses ont (juelque v;ileur ; ensuite, pour te consoler, je le dirai i|ue noire tortue, si bonne à manger, n'est |ias de celles dont l'écaillé devient si belle. f!elte dernière es- pèce, (|ui s'appelle caret , ne se mange point; sa chair est aussi mal- saine et aussi mauvaise (pie celle de la tortue franche est saine et dé'- licieiise. On prépare l'éeaille des tortues-carets par racti(ui du feu, qui sépare sa couche supérieure, et laisse la partie voûtée, ipii est transparente et si belle à la vue. On peut aussi réunir toutes les ro- gnures |iar la fonte, et s'en servir encore ; mais alors elle est moins belle et plus cassante. » Quand nous fûmes arrivés près du radeau , nous chargeâmes sur la claie tout ce (juc nos bêtes pouvaient traîner, ,1'y mis d'abord deux caisses de nos propres elïets, sûr (|uc ce serait là ce (|ui ferait le plus de plaisir à ma femme, (|iii se servait à regret de ce (|ui ne lui appar- lenait pas; et d;ins l'une d'elles je savais (juc je trouverais (pichpies livres d'étude, et principalement une grosse et belle Ilihir. J'y mis ensuile (|ualre roues de char, le moulin à bras, (pii me parut alors d'une grande im]iorl;ince, ;i cause de la découverle du nianioe, et enfin toutes les bagatelles (pii pureiil y trouver place. La bonne mère nous reçut avec une affabilité extrême, lorsque nous arrivâmes tard et luirassés à Falkenhorsl avec tant de choses utiles. « Viens, me dit-elle toujours en souriant; je veux, avant le souper, te présenter un verre d'une excellente boisson (pic tu ne t'at- tendais pas à trouver ici, et qui te remettra de tes grandes fatigues; viens, ajouta-t-ellc en me menant sous l'arbre dans un endroit frais et ombragé ; voici m.i trouvaille, à moi, et mon ouvrage de la jour- née. » En parlant ainsi elle me montrait un loiinelel passablement !;ros et deboiil, moitié en terre, et recouvert de branches el de ra- meaux. Wn femme tira un petit bouchon, et remplit une noix de coco d'un li(|ui(lc (|u'ellc me ])résenta , el (|ue je reconnus bicnlôt : c'était du meilleur vin de (Janarle. « Oii donc as-lii pris cela? lui dis-je ; \i: sors-tu aussi de ton sac enchanl('' ;' — l'as tout à fait, me dil-elle ; iiuiis du bord de la mer, oii je l'ai découvert en allant voir si je n'apercevrais rien. Les (Uifants sont vite allés chercher la claie, (pie nous avons amenée , et je l'ai arrangé ainsi pour le tenir an frais en t'atlendant. l'rnest el .lack ont (ail à ci'ilé un pelit trou, et y on! adapté un ■ branche percée diuil ils ont ôlé la moelle. I''.rnesl a dit d'abord (|ue c'était du -vin, le meilleur (|u'il eût jamais goûté. Je leur ai défendu d'en boire avant toi, el je r;ii rebouché avec un pelit morce.ui de bois; ils m'ont obéi et gardé le secret, ce (huit je les loue, n .le fis de même, et , pour leur récompense, je leur en donnai à ch:icun la v;ileur d'un pelit verre; ils y prirent goût, et revinrent souvent a la charge, eu demandant encore ipiehpies gouttes de ce iieclar ; mais, Irouv.inl (pi'ils devciuiieiil un peu bruyants, je crai- gnis (pi'il ne les enivrât, et je les éloignai de force du tonnelet, en laisaul un pclil sermon sur la nécessité de iiuiîtriser ses passimis, el de ne pas faire servir à nous ôler l.i raison ce (pie Dieu , dans sa boulé, nous ;i donné pour nous fortifier el nous n'-jouir en en faisant un usage iiKuléré. LE ROBINSON SUISSE. 45 Avec ces instructions et quelques menaces, je parvins à les calmer et à les éloigner du ilanijcreux tonnelet, qui m'avait si eompirtenicnt restauré, (|ue je pus eueorc mouler, à l'aide de la poulie, les mate- las dans notre iliauilire à coucher; mes lils les allacliaieut en bas, et nous eûmes liieiilôt des lits, où nous lûmes impatients de nous étendre. Mais la lorlue nous appelait par la \iii\ de ma l'emnie, et elle avait bien aussi son attrait ; je reilesceiidis, el je savourai avec ma famille un des meilleurs repas (|ue j'eusse laits de ma vie. Aous en remer- ciâmes I )ieu en commun , puis nous nous liàtàmcs d'aller elu'relier sur un matelas un sommeil aiiréable et bienCaisanl , (|ue nous ne tardâmes pas à y trouver. CHAPITRE XIX. Nouveau voyage au vaisseau naufrage. ,Te me levai avant le jour pour aller au bord de la mer visiter mes deux embarcations. [Ma famille ne s'aperçut point de mon départ, et je ne voulus pas troubler son dou\ sommeil , cet utile réparateur des forces, dont les enfants surtout ont besoin. Je descendis donc douce- ment l'éclielle ; j'avais laissé en haut le repos, en bas je trouvai le mouvement et la vie. Les deux doijues faisaient des sauts de joie au- tour de moi , en s'apcrcevant que j'allais en course ; le coq et les poules battaient de l'aile en chaulant, et nos chèvres broulaienl en remuant leurs lon(>ues barbes ; mais notre baudet, le seul dont j'eusse besoin dans ce momenl-la, était encore étendu sur l'herbe, et ne paraissait nullement disposé ii la promenade matinale à laquelle je le destinais ; je l'éveillai un peu rudement, et l'allachai seul a la claie, ne voulant pas emmener la vache avant (|u'ellc eût donné son lait pour le déjeuner, .le n'eus pas besoin d'ordonner aux chiens de me suivre, et je m'acheminai vers le rivaije, aijité tour à tour )iar l'es- pérance et par la crainte ; là je vis avec plaisir ([ue, ijrâce aux mor- ceaux de plomb et aux barres de fer ([ui me tenaient lieu d'ancre, mon bateau et mon radeau axaient résisté ii la marée, quoiqu'elle les eût un peu soulexés. Sans tarder, je montai sur le radeau, et j'y pris une chai'fje modérée, pour ne pas trop fatiijiier mon ijrison, et afin de pouvoir êlre de relourà Falkeuhorst pour le déjeuner. Mais qu'on jui;e de ma surprise lors(|u'en arrivant au pied de notre château aé- rien, je ne vis ni n'entendis aucun de ses habitanls, quoique le soleil fût déjà très-élevé sur l'horizon ! ,1e lis alors bi'aucoup de vacarme et un appel comme s'il eût été i|ueslion d'aller à la ijuerre. ila femme s'éveilla la première, el fut bien étonnée en voyani le jour si avancé. « \ raiment, me dit-elle, c'est le charme maj;i(|ue du bon matelas (|ue tu m'as apporté hier qui m'a l'ail dormir si prolonilément el si loui;- tenips ; il me parait ([u'il exerce aussi scui inllueuce sur mes quati'c lils. » Ln cDet, ils avaient beau se frotter les yeux, ils pouvaient à peine les ouvrir; ils bàilhiienl, s'étendaient, se rclournaienl et se rendormaient. « Allons, allons ! debout ! m'écriai-je encore une fois; plus on veut capituler avec l;i paresse, jilus elle vous retient dans SCS lacs; de xaillants ijareons comme vous doivent être éveillés au premier appel, et sauter vile el rjaiement hors du lit. « Fritz, honteux d'y êlre reste si tard, fut le premier habillé. .lacU le suivit de près, puis François; mais Ernest, toujours paresseux, fut debout le der- nier. " Est-il possible, lui dis-je, mon cher Ernest, qu'à ton àije lu te laisses devancer même ])ar le petit F'rançois :' KiixEST. Ah ! papa ! c'est si aijréable de se rendormir après avoir été réveillé ! On sent le sommeil revenir tout doucement el ses idées se perdre, .le xoudrais qu'on me réveillât ainsi tous les matins, jiour avoir le jdaisir de me rendormir. i.E PKiiE. En vérité, voilà un raftinemenl de paresse dont je ue me doutais pas encore. Si lu prends celte habilude, Ernest, tu d<'vien- dras un être cfl'éminé, el tu ne seras propre à rien. Il faut qu'un homme, quand mèiue il ne serait pas (onnne nous dans une ile dé- serte, sonije au moyen d'exister sans êlre à rharrje à la société; il doit faire ax'cc courage et proiu|)lilude ce i|ui est bien, sans penser à ce qui est cunnnode ou ai;ré:ible. (jelui (]ui s'abandoinie à loul ci' (|ui flatte ses sens devient bientol la vieliiue de sa coupable eompl;iis;nnc; il est lui-même son plus cruel ennemi. La nature produil des poisons ibuil la s;iveur est agréable, mais malheur à ceux cpii les poùlenl ' Ils lutlenl en x'ain contre les ani;disses el la morl. » .\près celte petite moralité, nous descendinn's tous ; la prière pré- céda mitre déjeuner, puis nous relouriiâiues sur le rivaije |iour ache- ver di' déehar;;i>r le rade.iu, afin qu'à l;i marée deseeiulanle il fût prêt à rentrer en mer. ,\yanl ;dors des aides, je mis peu de lem|)s à rame- ner à la maison deux eanjaisoiis. Au dernier voyajje , la marée com- meni-ait déjà à alleindrc> nos bàlimenls ; je renvoyai bien vile ma femme et mes trois caeau temps, qui nous eni|;ai;e;i ii nous ilirii;er vers le navire ; mais niiiis ne piir- vinmes qu'axec beaucoup de peine, malyré un xent de mer très vif, à atteindre le courant qui devail in)us y conduire. Lors(|ue nous arri- vâmes, il était beaucoup trop tard pour rien entreprendre d'impor- tant, et je ne voulais pas donner à m;i femme l'inquiélude d'une au- tre nuit d'absence. Je me propos;ii de prendre seuleiiu'nt à la hâte ce qui se préseulerait. Nous parcourûmes dune le vaisseau pour cher- cher toutes sortes de bai;atelles i|ui pussent être faeilemenl Iranspor- lées. .lacU courait et |;rimpiiil parloul, ne saehanl ce qu'il devait choisir; il arriva bienlùl, faisanl ijrand bruit; il Iraîiiail une brouelle, et se réjouissait be;iueoup d'avoir lr(Hivé une voilure |iour Iranspor- 1er eommodéiuenl les palales à Falkeuhorst ; mais l'rilz m'a|)porla l'excelleule ncuivelle qu'il avait trouvé derrière un enclos de ])lan- ches , dans le corps du vaisseau, une pinasse (espèce de petit bâti- ment dont la ])Oupe est carrée) ; elle élait dénnuitée, mais garnie de tout son attirail, et même de deux pelils canons pour l'armer. J'en fus si enchanté que je laissai tout le reste pour courir à l'enclos. Alon lils ne s'était pas trompé ; mais je ]>ensai ipi'il faudrait un terrible travail pour remonter cette machine et la mellre en mer. J'y renon- çai pour le momenl, et je rassemblai (|uel([ues ustensiles de ménaee et les autres objets que je trouvai les plus utiles, comme une erande chaudière de cuivre, queh|ues plateaux de fer, de ijraiulcs râpes à tabac, deux ])ierres à aiguiser, un petit tonneau de poudre à tirer, et un antre plein de pierres à feu, qui me firent grand plaisir. La brouelle de .lack ne fut pas oubliée ; j'en pris menu' encore deux autres, avec queli|ues courroies pour les atleler, et i|ui se trouvèrent dedans, 'loul cela fui porté sur le baleau sans que nous nous fussions donné même le temps de manger. Nous nous rembar(|uàmes promp- lement pour ne pas être surpris piir le vent de terre, ipii ne man([ue jamais de s'élever vers le soir. En nous approchanl heureusement du rix'agc, nous aperçûmes avec surprise une troupe de petites figures, (|ui étaient rangées debout sur une longue file au bord de la mer, et qui avaient l'air de nous regarder avec cnriosilé; elles élaient toutes vêtues d'un uniforme noir, avec des vestes blanches et de grosses crax'ates, et laissaient ]iendre leurs bras négligeiuiuent le lone du corps; quelquefois cependant elles paraissaient les étendre avec ten- dresse, comme si elles axaient voulu nous embrasser ou nous faire un signe d'amitié. "Je crois, en vérité, dis-je à mes enfants, iiui regardaient celle apparition de tous leurs yeux, que in)us sommes dans le pavs des l'ygmées ; (|u'ils nous ont découvcris, et (|u'ils veulcnl former avec nous une élroile alliance. jxeiv. Oh ! non, papa; ce sont sûrement des Lillipuliens, quoiqu'ils soient un peu ])lus gros que ceux dont j'ai lu la description dans les I oijages de (îaltirer. LE l'iiRE. lu crois donc ([ue ces X'oyages sont vrais? (|u'il y a vraiment une ile de Lillipnl habitée par des hommes en miniature ? JACK. Gulliver le dit. Il a aussi triuivé des hoiiuucs d'une graiuleur extraordinaire, et puis une ile habitée par des chevaux... LE piiisE. Et dans toutes ces découvertes, il n'y a de vrai que la riche imaginalion de l'auteur, qui a pris ce moyi'u pour dire de grandes vérités sous le xoile de l'allégorie. Sais-tu , Jack , ce que c'est qu'une allégorie :' JACK. C'est, je crois, à peu près comme une ]iarabole. LE pÈhe. C'est fort juste. JACK. El les l'ygmées dinit xous parliez, est-ce qu'il y en a de par le monde .' LE rIciiE. Pas plus que de Lilliputiens; c'est aussi nue fiction poé- tique, ou une erreur de queli|ues anciens navigateurs, qui auront pris des troupes de singes ]mur de pelils hommes. FBITZ. Je crois ipi'il en est ux acolytes qu'on leur donnait. Ma femme me montra une pro\ isiiui de patates qu'elle avait rassemblées ]iend.iiit notre absence, ainsi qu'iMie (|uaiititi'' de ces racines que j'avais prises pour du manioc, et il l'éijard di's(|oelles je ne m'étais pas Iriniipé ; je lui donnai beaucoup ilcloijcs sur sa ililijjeiice et sa ])révoyanee, ainsi qu'au petit François et il Ernest. ri'.ANçiiis. Oui, papa, nous avons liiiui tr.ivaillé; et (|oi' iliiez-voiis lors(|iU' nous aurons bientôt une belle récolte de maïs et de mrldus, d'avoine et de eour!;('s.' Maman a planté de tout cela dans li's troiis que nous avons faits en arrachant les patates. i.A MÎni;. Moi , je dirai <|iie M. l'rancois est un petit babillard in- discret. Pourquoi vas-tu trahir ainsi mon secret.' tu m'as ôté tout !<■ plaisir (|iic je me pronieltiiis d'av.uice île la sinpiise de Ion pi'rc en voyant lever mes plantations. I K l'iaiK. Je suis fâché, chère amie, que tu n'aies pas ce petit |ilaisir lie i>liis; mais je t'assure r|ue je n'en ai pas moins pour savoir d'avance ce qui doit arriver. Dis-moi, je t'en conjure, oii tu as toutes ces se- iiieiices et i-es graines, et ce qui a fait naître en toi celte idée lumi- neuse? i.A MÎiRE. J'ai pris les (çraines cl les seiueuces au tond de ir sac enchanté, et c'est votre soif de butin et vos éternels voyaijcs au vais seau (|iii m'ont inspirée. J'ai ]iensé qu'avant i|ii(^ vous eussiez com- plètement pillé i-ctte carcasse, vous ne siuiijeriez pas à ciillivcr l.i ti-rre, et que nous laisserions :iinsi p.isscr infnicliieuscment toute la bonne saison; c'est ce (|iii m'a donné l'idée, en atteiidint que tu puisses t'oeciiperd'iin jardin i)olaj;ir. de semer au moins mesi;raines dans la terre que nous avions remuée; j'.ii eu soin aussi de laisser toutes les plus petites patates pour qu'elles iiiius iloiiii.issenl une bonne et abondante récolte. IF. l'F.nE. 'rri's-bien pensé; mais notre pillage ne laissera pas aussi de nous être utile; nous avons découvert aujourd'hui une pinasse toute neuve et démontée qui pourra nous rendre un jour d'éminents services. ! i,A MÈBB. Je ne puis pas dire que celte découverte me fasse grand plaisir; je ne désire nullement faire de nouvelles courses sur la mer; niiiis, s'il le faut absohimenl , je conviens qu'il vaut mieux avoir un ' bon bâtiment que ton bateau de cuves, si fragile et si mauvais. i.E piiKE. Eh bien! tu l'auras, si tu veux bien me laisser retourner au vaisseau : en allendant, donne-nous .à souper; nous irons nous eouclicr, et j'espire que mes petits ouvriers seront pins diligents de- main matin; j'ai un nouveau métier ii leur ap])rcnilre. » La curiosité fut excitée, in;iis j'attendis an lcudciu:iiu pour la satisfaire. CHAPITRE XX. la liouloiigerie. Je réveillai mes enfants de bonne heure en leur rapprhinl que j'a- vais il liuir a]ipiendrc un nouveau métier. « Lequel? lequel ' dirent- ils tons en sautant :i bas de leur lit et en s'habillaiit promptcmcul. m; i'i';i\K. Celui de boulinger, mes enfants; je ne le sais pas mieux que vous, mais nous rapprendrons ensemble, et nous ferons une fournée d'excellent pain, dinit nous nous régalerons d'autant mieux que nous en avons été privés depuis que nous sommes sur cette plage. Donnez-moi ces plaipies de fer que nous avons a|)porlées hier, et les râpes à tabac. i.A »iîau;. \ raiuK'ut, je ne comprends pas ce (]ue des râpes et des plaques de fer peuvent avoir de commun avec du pain frais; il vau- drait mieux avoir un four, et nous n'en avinis |ioinl ici. IK l'i-iin. Ces ]il:iques de fer que tu as regardées hier avec tant de dédain, ma bonne amie, nous eu tiendront lien; il est vrai que je ne promets ]ias encore des pains bien londs et bien levés, mais des espèces de gâteaux ]ilats qui n'en seront pas moins excellents. Mous allons en faire l'essai avec les racines (|u'l'^rnest a apportées; mais il faut d'abord, chère amie, que tu me fabriques un petit sac avec de la toile bien forte. » M:i femnii' se mil siir-le-cliamp ii l'ouvrage; elle ne se hait ])as trop il mes talents pour la boiilangi'ric. Elle remplit en même temps de patates la grauile chaudière de cuivre i|ue nous ;ivions apportée, et la mit sur h' feu, pour avoir en tout cas (|iiclqiie antre chose à nous offrir, l'endaut ce temps, j'éteinlis par lerre une grande pièce de toile, et je rassemblai ma jeune troupe autour de moi pour enlre|irendre notre grand œuvre; je remis ii mes his une râpe; je leur appris à en a]ipuyer le bout sur la toile; puis je leur donnai des racines de ma- nioc bien lavées, qu'ils râpi'rcnt de si bon courage, qu'avant peu chacun cul devant soi un tas de fécule qui ressemblait ii mes euf;iuts; ils ne voyaieul eu elle (|u'un badinagc, et se montraient l'un il l'antre celle espèce de farine en se disant récipro(|uemeiit d'un Ion goguenard ; « Allons doue! mange un peu de Ion p;iin de raves râpées. i.ii rîiu:. Kaillez, égayez-vous ii votre aise sur celle cxcellenic prn- diictiiui, elle va niuis douner bientôt un pain jiarlait, qui fait la prin- cipale nourriture de plusieurs peuplades de l'.Amérique, et que les Eiiroiiécns «|ui habitent ces eonirées préli'ienl même !i notre ]iain de fromenl. Il y a , au reste, plusieurs espèces de maiiioc : l'une croît très-rapidi'inenl , et ses racines mûrissent en jieii de lemps; une se- conde est un peu plus tardive; et il y en a enlin une qui, dit-on, ue produit (iii'aii bout de deux ans des raiincs mûres. Les deux pre- mières espèces sont xénéneuses ou malsaines lorsiju'on les mange crues, mais la Iroisii'me peut se manger sans faire de mal; cepen- dant lui préfère les ileux preinii'res (|ualitcs, parce ((u'ellcs sont plus pniiliiclives et qu'elles atteignent plus \it<' leur maturité, iu;k. Il faut être fou pour donner la préférence à celles qui sont du poison; grand merci (te ce pain i|ui fait miuirir (et le petit mnliii jeta sa râpc)I (_)ui nous dit que nos racines ne sont pas de ces deux premii'res espi'ces? JE pîiiir. Je ne le crois pas : autant (|ue je me le rappelle, l'espi'ce tardive tient, C(niiine eclle-ei , du genre des arlmslcs, et les deux autres sont des plantes gi'lmpantcs. Cepeiulant , pour en être plus sûrs, nous albuis d'abord presser notre fécule. EBXEsr. l'our(|uoi la presser, mon iiiie? I.K riaiE. l'arec (|ue, dans l'espèce nuiHaisante, ce n'est (|ue le suc de la racine qui est uiiisilde, tandis (|iie le marc desséché est, au eoniraire, très-sain et lr(S-nourriss;(nl. Pour ai;ir ensuite avec pru- dence, avant de manger nos (galettes, nous en donnerons i|iiel({ue peu aux poules et au singe : si elles ne leur font point de mal , nous pourrons en manger avec sécurité. ne K. liicn obligé; je ne veux pas (|ue mon singe soit empoisonné. i.E riaiE. .le ne crois pas, si c'est du poison, i|uc nos animaux en niaiigenl ; ils ont pour cela un iiislinct i{iii ii'csl pas duo né à l' lui m me; il doit y suppléer par le l'aisonueuicnt : d'ailleurs niuis leur en ilon- ncroiis trop peu pour (|u'ils en meurent, h .lack, comme les autre», se mit alors ii râper de nouveau avec i.E HOlil^'so^ PUISSE. « zi'lc; la peur du poison avait pour \iu iiislaiil paialjsé tous lus liras; liioiilôt notre provision de manioc l'ut ràpcc; nous en avions un amas assez considéralde sur la toile. Sur ecs enlrel'ailcs, ma femme avait aelLevc de couilre son sac; on le remi)lit de cette leeule, et notre ini'na|>ère le ferma en C(uisant lortenienl l'ouverture. Il fallut ensuite soM|;er à faire une espèce de pressoir: je choisis pour cela une brandie d'arlire un peu lonf;ue, droite et forte; je la coupai et j'en enlevai l'écorce; je lis ensuite il côli' de notre arbre, et attaelié à l'une des plus fortes racines, un planilier sur le(|uel je posai le sac, (|ue je couvris de planches; je plaçai en travers la i;rosse bran- che, dont j'insinuai le bout le plus épais sous la ijrossc racine de notre arbre; je pendis ii l'autre evliciuilé, (|ui avançait beaucoup au delà de mes plaiiclies, loules sortes d'objets iiesaiils, îles morceaux de pliimli, des enclumes, des barres de fer (|ui la firent baisser con- tre t<'rre, et pressèrent avec une force étonnante le sac de manioc, dont le suc coulait il |;ros bouillons et se réiianilait de lout coté sur la terre. riuiz. ^ oilà une machine bien sim])le et cependant bien commode! ri! l'ini;. (Certainement; c'est en mécaiiii|uc le levier le plus simple, et il est d'une grande utiliti'. iiiNKST. .le croyais (|u'on ne se servait de levier (|ue pour soulever lie jjrandes niasses, des pierres de taille ou d'autres choses fort pe- santes ; j'ifjiior.iis qu'on s'en servit pour comprimer. i.K riiiiE. !\Iais, mon cher l'jrnesl, tu vois bien (|iic le poiiil oii le levier repose sur les planclies doit loiijours être le ])oinl d'appui ou de compression; celui oii son evlrémilé touche à la racine serait sans doute le point (|ui soulève, si la racine n'c'tait p;is trop forte pour céder a la pointe du levier; mais ;i présent l.i résistance sur le point de compression ou d'appui est ]ilus forte et jircsse parfaitement, comme tu le vois, notre farine de manioc. Les nèijres ont ee])eiulant une autre manii'rc, mais i|ui , pour nous, aurait été beaucoup plus loiiijuc : ils tressent avec de l'écorce d'arbre des espèces de paniers assez longs; ils les remplissent de nianioi' tellement serré, ipie ces paniers se raceourcisseni et deviennent lanjes; ils les suspendent en- suite il de fortes brancliiN d'arbres, allachent au bas des pierres ipii les tirent en long, et eomprimeiit ainsi le manioc, dont le jus coule il travers le treillaije. LA MKiiiî. Est-ce ([u'on ne peut rien faire de ce jus:' i.F. rî;BE. Si fait; les sauvages le font cuire et y mêlent beaucoup de poivre, cl (|iielfinefois du fr.ii de homard, ])nis le mangent comme un mets evecllenl. Les Européens le laissent reposer d:iiis des vases jus- (|u':i ce qu'il forme un dépôt; ils décantent ensuite le li(|iiide, hivent ce dépôt avec de l'eau fraîche , puis le font sécher au soleil : ils oh- lienuent de celte manière un amidon très-hn, dont on fait de l'em- pois pour le linge; au reste, la p:itate renferme une fécule qui peut scr\ir au même usage; mais elle esl moins nourriss:inte (|iie le m:inioc. i.A Mi'iiE. El dis-moi, je te prie, f;iut~il absolument employer tout ce manioc .i la fois? Dans ce cas, nous ne pourrons faire autre chose de bi journée. ir riiiiF.. Pas du tout, m:i chère amie; quand cette farine est bien sécliée, on peut bi inelire dans des tonneauv, et si elle esl fortement serrée, elle se conserve plusieurs années; mais lu veriMs ipie ce gros tas se réduira en cuisant à bien peu de cliiiso, et qu'il ne nous en restera guère. riuTZ. Papa, il ne coule plus une seule goutte du sac; ne pourrions- nous p:is faire le p:iin tout de suite? i.ii i'i:RK. Je le veiiv bien; mais il seniil (dus prudent de ne faire ce m:ilin (|u'uu petit gâteau d'essai pour le singe et les poules, et d'at- tendre il tantôt ]iour laire noire provision de pain, lorsque nous nous serons assurés que cel aliment ne peut nous faire aucun mal. » IN'oIre sac fut ouvert; on prit i|uelr|ucs poignécsde bi fiirinc, (|iii se trouva en efl'et èlre assez siclie; on remua le reste a\ee un bi'iloii, cl on le mit sous la presse; on établit ensuile une de nos pbiqiics de fer, (pii était ronde et un peu conveve, sur des eheiiets de pierre; ou alluma dessous un feu :irdi'nl, et dès ([u'cllc fut écliaufl'ée, on élendil dessus de la farine délayée dans un peu d'eau avec une spaliile de bois. I)('S(|ue legàtc:iu eommençii ',< jaunir par-dessous, on le reliiiirM:i |iour le faire cuire de l'aulre côli'. EiiMîsr. Ah! que cela a bonne odeur! (7est bien domm:i|;e que nous ne puissions pas manger toiil de suite de ce bon p:iiii loiii cIkiiuI ! JACK. Poiiriiuni donc pas? .l'en mangerais sans la moindre inquié- tude; et toi aussi, l'nineois, n'est-ce pas? LE rluK. Oh! oh! (ju'est donc devenue cette peur terrible d'/^tre empoisonné, qui t'a fait jeter bi n'ipe loin de toi? elle cède ii présent ;i la gourmandise, .le crois bien ciuc ce pain ne vous ferait aucun mal, mais il vaut mieux alleiidre ii ce soir; nous ne voulons p:is même lisipicr de faire mourir loules nos poules, nous n'en donnerons qu'il une ou deux et ù maître liertrand; ce sera le premier service qu'il nous :iiir:i rendu. Dès i|ue le gàleaii fut refroidi, on en émietin un morceau qui fut jeté il quelques poules; on en donna un autre au singe, qui le rongea avec un plaisir e\lrème, cl, dans sa joie, ht de si plaisaiiles grimaces, que les enfants furent jaloii\ de ne pouvoir se régaler comiiie lui. rmi/. A présent, je vouili:iis savoir louimenl toni les sauvages pour rilper leur farine; car bien sûrement ils n'ont point de râpes comme nous. Est-ce qu'ils nomment aussi leurs gi'iteaiix du j)ain? ii; ricRE. Les sauvages n'ayant point de p:iiii n'ont point de mot dans leur langue pour le désigner. Aux Antilles, le liain de manioc se noinine cos.sdce. Les sauvages se font des espi'ces de râpes avec des pierres aiguës ou des coquillages, ou, lorsqu'ils ont des clous, dont ils font graïui cas, ils les plantent sur des bouts de planches. A ]>résent, bonne mère, donne-moi vite ii dîner; lu feras ensuite la boulangère, poiuMi, toutefois, que nos dégustateurs n'aient point de Coliques ou d'étoiirdissemenls riurz. Esl-ee donc lii le seul effet des poisons, mon père? LE im':iu:. (.a- son! du moins les plus ordinaires; il y a aussi des poi- sons qui engdurdissent cl endiirment, tels que ropiiim pris il trop forte dose, la ciguë, etc. D'autres encore sont acres cl rongeurs, cl attaquent les intestins et l'eslounic, tels ([ne l'arsenic, le sublimé et les ch.impignnns vénéneux : si , dans ces cas- lii , on n':idiiiinislre pas de prompis secours, la m:ichine liuniaine s'arrête, se désorganise, et le m:il;ide meurt. A celle oeiasion, je veux, mes chers enfants, vous prévenir contre une espèce de fruit, d'autant jibis dangereux, (|u'il séduit par sa belle apparence : il croît ordiiiiiircment en Aiuéri(|ue, sur le bord des eaux ou dans les marais; mais, comme j'ai trouvé dans cette île bien des végétaux (|uc je ne m'attendais pas ii rencon- trer, il se peut que celni-bi y croisse aussi. Son asiicct est fort agréa- ble ; le fruit de cet arbre ressemble ii de trè.i-jolies pommes jaunes avec des taches rouges. C'est un des poisons les jiliis violents qui existent, on dit même qu'il est dangereux de s'eiulormir sous l'om- brage de l'arbre <|iii le ])roduit. Soyez donc bien sur vos gardes contre cet arbre et son friiil pernicieux : il est connu sous le nom de liiiiii - ccnillirr. l'.n général, je vous exhorte ii ne rien manger de ce que vous trouverez, quel(|ue appétissant que cela vous p:iraisse, avant de me l'avoir montré; promcttez-li'-moi lous, gr:inds et petits. i\Ch. Je vous le promets, et je liendr:ii mieux ma |i:irole qu'Adam ne II tint au bon Dieu, qui lui av:iil défendu de manger la pomme. ii: liiu:. Tu feras très-bien; mais ne sois pas si présomptueux ni si prompt il bliliner ce que tu ferais peut-èlre toi-même; tu serais, je le ]iarie, le |)remierii te laisser eniraincr p:ir i|ucli|ue madré polisson qui viendiMit le dire que j':ii voulu me moquer de toi ; que la pomme du manccnillier est parfaite; qu'elle te rcniliM fort comme un lion. Tii gdurmandisc et ta v:inilé te feraient oublier mes conseils et cro- quer ce fruit il belles dents. Mais en voilii assez; allons, au lieu de poisons, manger nos patates en Inulc sécurité : nous donnes-tu autre chose, bonne mère? LA MÎam. Oui, mes amis; j':ii fait cuire le ])ingouin, la chasse de M. Jack. \ dire vrai, cet oiseau nous parut un peu coriace; il sentait le poisson. Jack n'en voulut pas convenir; il nous assura que c'était un m.inger de roi; on le laissa s'en régiilcr ii son aise. Aussitôt que nous eûmes dîné, nous alb'imes visiter nos poules. Celles qui avaient iiuingé du manioc se portaient ii merveille, ainsi que le singe, (pli nous le prouva en faisant mille g:imbades. « A l'ou- vrage donc, mes petits mitrons, leur dis-je en riant; ii la boulangerie! » La farine de manioc fut lirée du sac; on alluma un grand feu pour avoir beaucoup de braise : dès qu'il y en eut assez , j'assignai ii cha- cun de mes his un foyer particulier, avec une phupie de fer et une noix de coco pleine de farine pour faire son pain. « \ oyons qui de vous fera le meilleur,!) leur dis-je. Ils se rangèrent en demi-cercle autour de moi, iiour voir comment je m'y prendrais et pour m'imiter. Nous ne réiissimes pas mal pour le premier css:ii , quoiqu'il y eiit bien quelques petits gâteaux un peu brûlés; mais ceux-bi tombèrent en parlage aux pigeons et aux poules, qui caqiict:iient autour de nous pour Vu avilir. Tout en travaillant, mes pclils mitrons goûtaient fré- quemmenl leur pâtisserie; de sorte qu'il lalliit :issez de lemps pour en obtenir une provision un peu raisonnable. (Juand nous eûmes fini, une grande gamelle de l;iit fut apportée, cl nous fîmes un excellent goûter de pain frais trempé ibiiis ce biil; ce fut pour nous un vrai régal; nous livrâmes ensuile il nos bêtes les restes du repas. Je rc- iuar(|uai avec plaisir que les pingouins que j'avais conservés vivants s'iiecomiuodaicnl fort bien de l'cltc nourriture, et qu'en général ils commeniMicul à perdre leur timidité : j'eus donc iiitié de leur cap- livilé, je les sépar:n de leurs camarades, cl ils furent lout conlenis de se senlir en liberté. Le reste de cette journée fui employé à (|uclqiics voyages de mes fils avec leurs brouettes, et de moi avec l'âne et le radeau, pour rappoiier ii bi maison le reste des elïets comiuis sur le vaisseau. I.orsipie Iniil fut en ordre, nous :illâmes nous mettre dans nos lits, '(•?, avoir remercié Dieu des biiuis dont il nous conibbiil. après CHAPITRE XXI. La piaasse et le pétard. J'.ivais un désir irrésistible de retourner an vaisseau, mais je vou- lais y aller en force, afin de pouvoir, avec tous nos bras rassemblés, lâcher de conquérir l:i pinasse que nous avions découverte la veille; 'aurais voulu même v mener 111:1 femme, mais elle :iv:iit pris une 48 LE ROBINSON SUISSE. telle horreur du perfide cloincnt , qu'elle m'assura qu'elle s'y trouve- rait mal, et serait plus eml)arrassante qu'utile; j'eus même beaucoup de peine à rcui;aî;er à ui'abiimlonuer tous ses enfants, à l'exception du cadet; il fallut que je lui donnasse ma parole de revenir le soir, et de ne plus passer de nuit sur le vaisseau naufragé; j'y consentis a rcpret. Enfin elle nous laissa partir lorsque nous eûmes déjeuné, mais ce ne fut pas sans soupirs; mes trois garçons, au contraire, étaient gais, dispos et fort contents d'être du voyage, Ernest surtout, qui n'était pas encore retourné au vaisseau; nous étions tous bien armés et pourvus de patates bouillies et de cassave. Nous nous ren- dîmes d'abord à la baie du Salut, oii nous arrivâmes sans ;iucuu évé- nement dii'ne d'être noté : là , nous nous revêtîmes prudemment de nos scaphandres, ou corselets de liège ; nous donnâmes (|uelque nour- riture aux oies et aux canards ([ui y séjournaient, puis nous sautâmes gaiement dans notre bateau de cuves, nous atiacliànus le radeau N" 1, feu t N" 2 , feul cria le commaidaiit Fritz ; cl Jack et Ecne^t (irrnt f.i derrit-re, et nous conimeucàuies noire navigation, non sans crainte de ne plus retrouver le vaisseau; mais il élail encore ferme entre les rochers. Notre premier soin fut de charger notre embarcation de divers objets, afin de ne pas retourner cliez nous sans bulin; ;iprès quoi nous visitâmes encore la pinasse. Deux poinls me parurent oppo- ser des obstacles insurnujutables à ce (pie nous l'emportassions : l'un était l'endroit oii elle se trouvait; l'autre, sa granileur et sou poids. L'endroit dans lc(|uel elle était, en arriiu'e de l'intérieur du vaisseau, s'appuyait contre la paroi (pii touchait à la mer, et (;rapliic Plcui fn'-rf», imprime neuve, parfaitement sûre et qui pouvait un jour servir à notre déli- vrance, n'eût à chaque instant ranimé nos forces. Cepcndaiil la fin du jour approchait sans ipie nous eussions beau- coup avancé : il fallut siuiger a la promesse que nous avions faite à ma femme , ainsi qu'à notre retour, que nous exécutâmes heureuse- ment. En abordant à la baie du Salut, nous eûmes le grand plaisir d'y trouver ma femme et le petit E^'ançois, (|ui avaient employé cette journée à faire toutes les dispositions nécessaires pour établir notre domicile à Zicltheiiu , pendant que nous aurions a traxaillcr sur le vaisseau, afin que notre trajel ne fût pas aussi long, et que nous fus- sions toujours en vue les uns des autres. Cette attention de ma bonne femme me toucha vixement; je ne pus assez lui en léiuoiguer ma re- connaissance, d'autant plus (pie je savais (|u'clle n'aimait pas ce sé- jour; je me trouvais trop heureux de pouvoir la récompenser de ce sacrifice volontaire en lui présentant la riche cargaison de notre ra- deau, ([ue je savais devoir lui plaire. J'ét ilai à ses yeux deux tonnes de beurre salé, trois de farine, (]ueh]ues sachets de blé et de riz, et une l(nile d'autres objets utiles dans le ménage; tout cela fut trans- porté dans notre magasin, et elle en témoigna grand plaisir. Nous passâmes toute une semaine à reconstruire notre pinasse. Tous les matins régulièrenu'ut je partais avec mes trois fils aînés, et ch:i(iue soir nous revenions chargés de butin ; nous nous accoutu- mâmes si bien à ces voyages, qu'a la fin la bonne mère nous voyait p:irlir sans souci, et que nous la quittions sans inquiétude ; elle eut même le courage de retourner plusieurs fois seule à Ealkcnhorst avec son petit, jioiir avoir soin des volailles qu'elle y avait laissées, et pour rapporter des patates. Lorsque le soir nous réunissait , nous avions mille choses à nous raconter mutuellement; nous éprouvions une nouvelle jouissance à nous revoir, à nous relrouver ensemble, et nous nous régalions avec grand apjiétit des mets que notre excellente ménagère avait eu soin de nous ap|irêler. Je mo suis i;lisséc on Ireniblaiit avec mon polit François derriiro les rochers. Ijifiii la iiinasse fut achevée et mise en étal d'être lancée à la mer; il ne s'agissait plus (pie de la faire sortir du vaisseau; elle était jolie, élégante même; elle avait sur la proue un petit tillae, des mâts et des voiles comme un briganlin ; elle paraissait bon voilier, ])arce (|u'elle était légère et ne devait pas tirer beaucoup d'eau. Nous en avions calfeutré et garni d'éloiipes toutes les jointures, afin i|ue loul fût eu ordre : nous avions nièiuc pris soin elanl leur bon génie, el en la remercianl d'avoir conservé le sainl livre pour leur iiislruction el pour notre consolation à tous. Apri'S dîner, je hs encore une eouile alloculiou morale à mes lils, aprî-s ipini je leur permis les ri'-cri'atious qui leur plair. lient, :iyaiil LE ROBINSON SUISSE. 5J pour système de ne pas les fiitiiîiier ni les ennuyer de ce qu'ils doi- vent aimer. J'eus l'idée, pour les amuser utilement, de leur reeom- maiidci' la rdiitinuatinn des evereiees que nous avi(uis ((numencés le |)reiuicr dimanche par le tir de l'are; j'avais l'orl à id'ur d'entre- tenir el {l'auipuculer iliez eu\ la forre et ra|(ilili'' corijorelles si né- eessaires dans nuire situation. l\ien n'ote plus le enurai;e :i un lionime que de ne pas se sentir la loree ou l'ailresse néeessaires pour se dé- fendre ou pour éeliapper aux danijers. dette lois, j'ajoutai au tir de l'are la eourse et les sauts; je les lis i;rimper sur les arlires, soit en escaladant le tronc, soit au moyeu d'une corde suspiuulue, comme les matelots <|uand ils montent sur les mâts. Au eommeneeinent, ils s'aidaient par des nceuds placés ii la distance d'un pied l'un de l'au- tre; puis avec des meuds plus éloii;nés, et enfin sans nceuds. Je leur appris ensuite un evercicc qu'ils ne couuaissaieut point, et (|ui s'evé- cute avec deux balles de plomb attachées aux deux bouts d'une licellc d'une toise de louijueur. Pendant que je préparais cette macliine, tous les veux étaient fixés sur moi. o One doit-il en résulter, pa]ia ■' Comment se sert-on de celai' nnintre/.-le-nous vite, s'il vous plait! — ^ Dus saurez r]ue ce sont ici les armes d'une peuplade vaillante el Irès-liabile ii la chasse, des lameux l'ataijcnis, (|ui habitent vers la pointe méridionale de rAméri(|ue , et cpii passaient aulrel'ois pour des ijéants; seulement, à la place des balles qu'ils n'ont pas, ils atla- eheul deux iiierres solides et pesantes aux deux bouts d'une C(Uirroie plus binijue ipie celle fi(-elle. Ils soni lous armés de ce simple instru- ment, d'Mil ils se servent avec une liabilelé incroyable. S'ils veulent hier ou blesser un ennemi ou un animal, ils lancent de toutes leurs l(U-ees une des pierres contre l'objet qu'ils veulent frapper, et la re- tirent aussitôt par le moyen de la seciuule, qu'ils retieinient dans l'autre main ])nnr porter un second coup, s'ils le trouvent néces- saire; mais s'ils veulent prendre un animal en vie sans le blesser, ils lancent avec une adresse sinp,ulière une rcsc|U(' jamais leur coup, et qu'ils en entortillent ainsi une bêle nu'ine au ijalop. Les jiierres conlinuenl ;i tourner et ii faire touriu'r la courroie; et lors- (|u'elle arrive soit aux pii'ds, soit au cou de l'animal, elle l'arrête par la force centrifui;e, tellement (|ue ces pauvres bêles ne peuvent plus ax'ancer et toudx'ut au pouvoir du cluisseui'. (^■Ile description de la chasse des l'alaijons intéressa beaucoup mes fils; il me fallut faire sur-le-eliam]) l'essai de nuui instrument contre un petit tronc d'arbre (pie l'on me montra dans queli|ue éloi- (jnemenl. Mon jet me réussit fort bien, et ma ficelle avec mes balles entoura si bien le tronc, que l'habileté des chasseurs ])atai;iins fut complélement démontrée. (Chacun de mes enfaiits voulut à son tour essayer cette espèce de fronde, et l''ril7, devint bientôt maître passé dans cet exercice, ainsi que dans tout ce qui demandait de la iorcc et de l'adresse; il était non-seulement le plus ar;ile de mes jjareons, mais étant le ]ilus àjjé, il avait aussi plus de force el son inleHi[;cnce élait plus dévelo])pée. L'esprit est d'un plus ijrand secours (|u'ou ne pense dans les exercices du corps. Le lendemain, en me levant, je remaripiai du haut de mon clui- tcau aérien, (pii dominait sur la mer, (|u'elle était fortement ai;itée, el (pie le X'cnt la soulevait avec violeinu'; je me rc'jcuiis beaucoup d'être en sùret('' chez moi et d'axoir destiné celle jourm'-e il rester sur la terre ferme. <,)uoi(pie ce vent n'e('it rien été pour des navi!;aleurs li;(biles, il jxiuvait devenir aussi dangereux pour nous (pi'une leni- pète. Je dis donc à ma femme ([lie je ne la ipiillerais pas, et (pie je serais à ses ordres pour faire ce qu'elle juijerait b(Ui el utile. Elle me mollira ce ipi'il y avait de nouveau à Falkenhor>t, el ce (pi'elle y avait lait pendant mon absence. Je vis d'abord un Imui tonnelet de ramiers et de j;rives ii demi rôtis, et mis dans du beurre pour les conserver: c'était lii sa chasse; elle les avait pris au cerceau dans les branches (lu fi|;uier. l'Ius loin, elle me montra une paire de jeune ])ii;coiis privés (pii étaient nés sur l'arbre, et (pii vollii;eaient déjà, tandis ipie la miu'c était de nouveau sur le nid pour couver les oMils. INous ar- rivâmes enfin au pa((uet des arbres fruitiers, (pii vérilablemenl de- mandaient mes soins et paraissaient ii demi secs. Je me mis siir-le- cliamp eu devoir de prévenir un iiialheiir. J'avais (iroiiiis la veille à mes enfants (pie nous irions dans le bois des arbres à calebasse |)oiir nous y pourvoir de vases de dilféreules i;ran(leurs, dont nous avions besoin ])oiir mettre nos pri)visi(uis; ils se faisaieni un i;raii(l plaisir de cette course; mais je voulus avant de renlreprendre (pi'ils in'ai- dassenl à mettre en terre nos jeunes arbres, (pioi(|ue, par la raison (pie j'avais (biniiée il ma femme ;i l'éijard des léipimes, je ni' fusse iiiillcmeut assuré qu'ils réussiraient tons. Lors(pie nous eûmes fini, le jour me parut trop avancé pour coiumciieer ce voyage, dont la mère el le petit François voulaieul être aussi. Il y avait eu tant de préparatifs ii faire, (|iie le soir nous surprit; nous y renonçâmes donc jusqu'au leiubuuain , et nous résoli'iiues de nous mellre en marche de ijrand matin. Avec le lever du soleil, tout mon monde fut sur pied, cl les derniers arraiij;emeiits ])our le départ ruicnt faits avec une promplilude extraordinaire. L'àne attelé ii la claie jouait celle fois le rôle principal; il cluil destiné il ramener ;i la maison notre vaisselle de courije, et à porter noire petit Fran(;ois s'il se sentait fatiijué. En attendant, il fut cliari;é de nos provisions de bouche, d'une petite lioulcille de xiii de (iauarie, de poudre el de plomb, 'l'iirc, revêtu de sa cotte d'armes, ouvrait comme de coutume la marche et for- mail l'avant-ifarde ; venaient ensuite mes trois fils aînés, éipiipés eu chasseurs; puis la mi'i'c, Icnanl par la main le petit cadet, et liill, pour l'arrièrc-jïarde, portant le sinije sur son dos; mes fils avaient donné le non, de lùiipx ii cet »iiimal. J'avais pris celte fois un fusil de chasse i( deux coups, ehari;é d'un côté de (jrenaille pour le [;ibicr, de l'autre d'unie balle de plomb pour notre défense. Ainsi, nous partîmes ;;aiement el de bonne humeur de Falkenhorst. Tournant autour du marais des Flamants, nous arrivâmes bientôt dans rexcellciite contrée située de l'autre côté. !Ma femme et ceux de mes fils qui n'y avaient pas encore été ne pouvaient se lasser d'en :idmirer les bcaiilés. Fritz, avide de ([uchpie aventure de chasse, (piilla un lieu les bords de la mer, attirant Turc du côté des hautes herbes, oii ils entrèrent tous les deux, et disparurenl entièrement .î nos yeux; mais bientôt nous entendîmes les ;(boiemeiils du chien. Nous vîmes partir en l'air un oiseau, et pres(pie en même temps un coup de fusil de l''rilz ratteiuiiit et le fil tomber; mais l'oiseau frappé n'était pas mort : il se releva el ]irit le lariie avec une célérité in- croyable, non pas en volant, mais en marchant. Turc courut comme un furieux après lui; I''ril7,, en criant commis un forcené, le suivit, et Bill, apercevant tout ce train, jeta de côté le singe sur le sable, cl, partant comme un trait, se précipita aussi sur les traces du fuyard; ce fut lui (pii le saisit et le tint ferme jusipi'ii l'arrivée de l'iilz. IMais ici ce fut autre chose qu'avec le flamant, dont les lon- gues jambes sont assez faibles : l'oiseau blessé était p,r:ni(l et lort; il donnait, soit au chien, soit ii Fritz, lorsqu'ils voulaient l'approcher, des coups de pied tellement sensibles, que ce dernier abandonna le cliamp de bataille el n'osa plus aller trop près du lutteur emplumé. 'i'urc,(pii s'était vaillamment jeté dessus, fut ;iussi intimidé par ipiel- (|ues coups de pied (pi'il re<;ut il la tête, et ne xoiilut plus être de la partie. Le courageux lîill s'était saisi d'une aile et rcfiis;i de lâcher prise jus(pi'ii mon arrivée, rpii fut lenle il cause des hautes herbes et (lu poids de mon fusil ; mais lorsque je fus assez près pour distinguer l'oiseau couché et il demi vaincu , j'eus une grande joie en recon- naissant une belle oiilarde femelle '. J'avais grande envie d'en ap- privoiser une p(nir notre basse-cour, (pioi([ue je susse ([lie c'était Irès- diUicilc; je voulais au moins l'essayer. ,1c regardai celle Irouvaille comme une des [dus iniport;intes (|iie nous eussions faites depuis noire entrée dans l'ile. Je savais ([u'iiiie (les [larlicularilés de l'AiisIralie, (|iii sous bien des ra|q)orls est la conirée la [dus singulière du monde, est de ne nourrir aucune es- pèce de gallinacés. La proximité de ce cmitincnl m'avait fait craindre (pie mon ile ne partageât avec lui celle défaveur de la nature; mais, soit ([lie je me fussi! trompé dans ma longitude conjecturée, soit ([ue (piel(|iie voyageur venu avant moi eût laissé dans l'île des individus de cette utile es[)èce d'oiseaux, il est certain que j'eus ce jonr-lii un 1 vcl exemple de la réunion pliénoménalc d'animaux auslraliens et antiausiraliens, si je peux iii'ex|iriiiier ainsi, dans l'heureux coin de terre oii le ciel m'avait jclé. l'oiir avoir l'oularde en iiiilic pouvoir sans la tuer, je [iris mon mouchoir, el , éiiianl un moment favorable, je le jetai sur la tète du l'oisciu; il ne put s'en débarrasser, et ses clïorls ne firent (jiie l'cn- toitillcr (lavaiit;i|;e. Comme alors il ne pouvait me voir, j'en appro- chai assez |ioiir lui [lasser dans les jambes nue forte ficelle nouée en lacet coulaul, ([lie je serr;ii; alors nous fûmes a l'abri de ses [dus fortes armes. Je dégageai doiiceiucut celle de ses ailes ([ue Bill te- nait encore; je les allachiù toutes les deux avec une ficelle autour (lu eor[)s. iMiliii l'outarde fut douqilée, non sans que je reçusse plu- sieurs eou|)s bien aiqiliiiués; mais elle fui à nous, en état d'être trans- portée ;( notre demeure, oii je me |)ro[iosais. par mille soins et cares- ses, delà dédomiuiigcr du mal ([uc nous lui faisions pmir le moment. S, (Ils [iliis tarder, nous portâmes la [irisonuiènt il ceux qui nous itlcndaieut im|ialiemmciil assis sur le rivaije. Dès (pi'ils nous aper- ' La gnindc outarde, oiseau (In l'ordre des gallinacés; c'est le plus grand drs discaux do nos climats. I-a Rraïuhîiir ordinaire et moyenne du niàlc est de trois pieds du hei? à la queue ; l'ciivorgmo , de sept pieds ; le poids , do 2li à 30 li- vres. Toules les dimeiiMons des femelles s nt d'un tiers au-dessous. Quoique les (lies de l'oulardo, aiii^i que celles des poules, ne soiedt pis proportionnées au poids di; son corps , elle prie, cependant s'élever cl se soutenir ([uelque um|is en l'air ; mais elle no prend sa volée qu'avec beaucoup de peine : aussi ( c seplail-elleipiodans les plaines découvertes et spacieuses. Cet oiseau ne percha point et fuit le voisinage des eaux. C'est un animal craintif, diMiant, qu'on n'ap- I roche que ilinicilement, et qui so di^fend avec fureur, au moyen de ses coups do [lied, lorsqu'on veut le saisu'. Pris jeune, il s'apprivoise, il s habitue à manger avec la volaille. La grosseur de l'outarde et la délicatesse do sa chair ont fait dé- srrer de l'élever en domesticiié , et il serait intéressant d'en faire la tentative; mais son liumeiir farourhp sera un grand obstacle il sa civilisation. La couleur ordinaire rie son plumage est le no;r nuM(> de roux en dessus, et blanc en des- S'ius, faiblement mélo de fauve; à la naissance des plumes, so trouve un duvet couleur de rose. Il y en a de plusieurs espèces, tant indig('>ncs qii'élrangères : 1 outarde cancpeliiîre, l'oulardo d'Afrique, l'outarde huppée, la bleuâtre, la Ijlanclie, etc. (Voyez le JVotioeau Dictionnaire d'Histoire ualttrelie.} &t LE ROBINSON SUISSE. curent, Eniest et J.iek vinrent au-devant de nous en eriaut déjà de loin : « Ali! le bel oiseau! comme il est jjrand! comme son ])Uimai;e est joli! — .Te parie ijue c'est une outarde! cria Ernesl dés (ju'il l'eut entrevu. — Et tu as fjagné tou pari, lui dis-je; la chair de cet oiseau est excellente; elle a le goût de celle du dindon, avec i[ui l'oulardc a aussi des rapports. Le mâle l'ail la roue avec sa ([ueuc pour plaire à sa femelle, lionne mère, je le prie de lâcher d'aii|uivoiser celle-ci. tA MERE. Et moi, je suis d'avis de la laisser courir; elle a peut-être des petits à (|ui ses soins sont nécessaires. LE piiBE. Oh! non, chère amie; celte l'ois ton hou cu'ur t'cgare; celle pauvre hèle csl blessée, et périrait en libcrlc faute de soins. Quand j'aurai bien examiné sa blessure, si je la trouve trop forle pour la guérir, je la tuerai, et nous aurons un excellent rôti; mais, si elle est guérissable, nous gagnerons pour notre basse-cour une su- perbe poule, qui peut-être attirera sou mâle cl nous procurera une belle couvée; si elle eu a une en ce moment, espérons (]ue les pelils pourront se tirer d'affaire eux-mêmes : ainsi (jue les pciulcls, ils peu- vent courir en sortant de l'œuf. « Tout en parlant ainsi, j'attachai l'outarde sur la claie, de manière qu'elle y fût commodémeul, et nous marchâmes vers le bois des Singes, ainsi nommé depuis que nous y avions passé, Fritz et moi, et qu'ils nous eurent jeté avec colère tant de noix de coco. Il ra- conla de nouveau très-eomi(|ueiiieut à sa mère tout ce qui s'élait passé. Pciulant ce temps, Ernest allait de eôlé cl d'autre, saisi d'ad- miration pour la beauté cl la hauteur des arbres; il rcsiail en extase dex'ant un graupé de la prodigieuse longueur du tronc jusi|u'aux belles grappes de coco, ([u'il voyait pendre sous leur couronne de feuilles cl (|ui lui donnaieni grande envie d'en man- ger. Sans être aperçu, je m'élais placé derrière lui, et je m'amusais à voir l'exiircssion de son regard; cul'iu il poussa un profoiul soupir et dit à hante voix : « Mon Dieu, (pie c'est haut! LE PÈRE. Oui, pauvre Ernest, el point de singe pour t'en jelcr; c'est bien triste! Si j'y lâchais Kuips, outre (|u'il n'a pas l'habilude de cueillir ces noix et de les donner, il s'aviserait )ieut-èlre d'y rester, tant le goût de la liberté est naturel! C'esl liicu dommage, n'est- ce pas, ((lie ces belles noix ne tombent pas d'elles-mêmes dans ta bouche :' HRNEST. ISon, vraiment je ne m'en soucie pas du tout, elles tombcnl de trop haut et sont trop dures; j'aurais pour le moins quelques deuls de cassées, et peut-être n'en serais-je pas quitte à si bon marché. » A peine a-l-il achexé, f(u'uiie des plus grosses noix de l'arbre tombe à ses pieds. Effrayé, il fait un saut de eôlé et lève la lète vers l'arbre. Il en tombe une seconde, qui manque de me toucher, et je n'étais pas moins surpris (|iie lui, ne pouvant couiprcndre d'où venait ce pliénomène. Ou n'apercevait pas le moindre animal, et je savais que les noix de coco ne se dc'taehent d'elles-mêmes (|ue lorsi|u'clles s(uit trop mures el presipie gâtées; or celles-là étaient vertes et fraîches. ERNEST. ÎMoii papa , c'est comme dans les contes des fées; à peine forme-t-on un souhait, qu'il est aecom])li. LE fÈRE. Sans doute. (Jiqiendanl l'enehanleur qui nous sert si vile pourrait bien être caché là -haut dans le leuillagc, sous la forme di' quelque petit singe que nous ne x'oyons pas, et avoir plutôt l'iiiteii lion de nous chasser d'ici que de nous régaler de ces noix. » Ernest se décida alors à ramasser ces fruits ; ils n'étaicut pas même assez mûrs, &c sorte que nous ne pouvions imaginer ce (|ui les avait fait tomber, et nous faisions sans cesse le tour de l'arbre pour lâcher de le découvrir. IS'ous avions beau fatiguer nos yeux, nous n'aper- cevions rien, excepté, de tcm]>s en temps, un léger mouvement dans li'S feuilles; maison ne voyait, du reste, ni oiseau ni singe, et il n'y avait pas un souille de vent. Fril/. avait hni de raconter à sa mère son histoire; voyant (|iie nous persisli(uis à tenir les yeux fixés sur le liant de cet arbre, il crui iiii'il y avait quchpu' gibier à tirer, et se hâta d'accourir avec ses jeuins frères. INous lui dimes de quoi il était <|iicslion; il avait vraiment des yeux de lynx. « .le verrai bien ce (|iie c'esl, moi, dit-il <'n levant le nez; et s'il tombait des noix à présent, je saurais bientôt ipii iiiuis les jette. — Tu les sentiras au moins, » lui dis-je. A l'instant, il tu tomba deux qui se détachèrent de leur queue, et cela si pris du ru rieiix, qu'il en eut la lèvre et le menlon éeorchés. Ernest ue^uit s'em- pêcher d'en rire: « Voilà du moins un sorcier Irès-poli , dil-il, il xeut le les envoyer dins hi bouche ; ce n'est pas sa faute si lu ne l'as pas assez i;rande pour les laisser entrer... — lîoii! en voilà encore deux (|iii roulent du côté de maman el de l'rancois ! ^ Ojcz comme il est honnête : à mesure (pie les convives aiigiuenlcnt , les noix loni- bent pour ehaciiii d'ein; allons, ouvrons-les vile pour boire leur li(|ui'ur fraîche el bienlLisanle ii la santé du magicien. » Une noix fut brisée; elle renfermait un lait abondant, chacun en ]iril un peu dans les débris de la ci>(|uillc, clou l'avala en regardant en haut Ions à la fois : u Vivat! monsieur le sorcier! — Le voilà, le voilii! s'écri.i Jack... Ali ! mon Dieu! i|ii'il est laid! ^(>yez, Jiapa , comme il est hideux! Une tête horrible, plate, ronde, grosse eoniii.e l'intérieur de nuui chapeau, avec deux pinces effroyables. — 'J'i ' oii le vois lu doue? — Le voilà (pii desceud doneemeiit , » dit-il eu iKUis le luoulrant. .le l'eus d'aliiinl rccn : c'était iincr.ilie de terre, espèce de crustaeé de forme ronde, ressemblant d'ailleurs beaucoup à un homard, mais cent fois plus hideux. Il y en a qui sont excellents à manger, et qui font la principale nourriture des Indiens. Celui-ci est connu sous le nom de crabe à coco, ou pagure t\'>leur, parce qu'il est tri's-friand de ce fruit; il monte lentement et avec beaucoup de peine le long du tronc du palmier. Lorsqu'il est parvenu dans le chou ou faisceau de feuilles, il s'y cache el casse alors avec ses pinces, ipii sont très fortes, toutes les (|iienes des giappes de coco, il les sépare el les fait tomber du haut de l'arbre; souvent elles se brisent ; alors le crabe redescend , el trouve en bas de ([iioi se réga- ler. On prétendque leurs pinces sont assez l'orles pour casser les noix ; j'en doute, el je crois plutôt (pi'ils en sucent le lait par le moyen des trous ([lie les cocos ont près de la ((ueue. (!es animaux ne sont dan- gereux que lorsi|u'on est à portée Alors Jack, ]>i>piéau jeu, s'arrêta, jeta par terre son fusil, sa gibecière , ôta vive- mcnl son habit, l'élendil au-devant de lui, et courut rapidement contre son adversaire, (pii s'axaiK'ait en agitant ses redoutables jiiiices. Sans lialancer, Jack lui jeta sou vêtement sur la tête, l'en enveloppa, el frappant ensuite sur le paipiet : « Je l'arrangerai bien, vilain sorcier, lui (lisait-il, et je t'a]qiren(lrai à me saluer de tes cornes. » Je riais si fort que je ne pouvais aller à siui secours, et je voyais le ])aqiiel se soulever; riiivulncrable animal était encore plein de vie el de colère. Je pris alors ma hache, el j'en donnai deux ou trois coups sur l'Iiabil; ils me parurent siiflisanls. Je le soulevai, el ji' trouvai en cll'el l'horrible bêle morte, mais coiiservanl encore s(ui altitude luein- (\llllC. 0 Quelle épouvantable créature! disait Jack eu l'cxauiiiiaul; mais bien loin i|ue sa laideur m'ait effrayé, elle iii'a donné du courage cl de l'ardeur : on est bien aise de délivrer la terre d'un tel monstre. — Tu aurais bien à faire, mon petit Hercule, dis-je en lui frap]ianl su r l'épaule, c'esl l'animal le plus l'ommnn sur les bords de la mer; (Ui en voit par millions de différentes espèces, toutes plus laides les unes (pie les autres. Sais-tu bien, luiui cher Jack, (pie j'ai grande envie de créer un ordre en ta faveur, el de le faire chevalier du llomarti? \ Oilà le second combat singulier (pie tu as avec elles, nous ne parle- rons pas du premier, où tu fus pris par la jambe; mais cette fois lu as vraiment montré du ecuiragc cl de la présence d'esprit. L'idée de jeter ton habit était Irès-biuine ; je doute ipie lu en fusses venu à bout autrement. Le grand crabe est nu .animal assez red(uitable , et il faut (pie ceux-ci soient bien forts jionr ouvrir des noix de coco; ainsi lu n'avais iioinl affaire à uu ennemi méprisable; mais la prudence hu- maine et le raisonncmenl donuent à l'iKUiinie la victoire sur les bêtes les plus dangereuses. lAck. Mais, papa, peiil-cin manjjcr les crabes ? ils sont si laids! LE n'iUE. L'habiliicle fait tout siirinonlcr. L'écrevisse est affreuse aussi , et se sert pourtant sur les tables les plus délicates; le crabe est le mets favori des esclaves nègres dans les Antilles , el souvent de leurs maîtres. Je crois (pic ce doit être une viande indigeste el dure, mais nous en ferons l'essai à diuer. » Je chargeai sur la claie le crabe el les noix de coco (pi'il nous avait priKurées, et nous nous remimes en marche, l'en à peu le bois s'é- paissit; nous enincs assez de |ieine à le traverser; il fallut souvent me servir de la hache jioiir (uivrir un passage à l'âne au travers des broussailles. La clialeur angiucntail aussi, et nous étions tous altérés, lorsipic l'.rnest, (pii faisait toujours des découvertes utiles, en ht par hasard une (pii venait à souhait dans ce momeul-lii. Il était, eiuiiiuc (Ui sait , grand anialciir dliistoire naturelle, el cueillait, elieuiin I li- sant, les piaules (pi'il ne counaissait pas, pour les exaiiiiiier. Il trouva une esjii'ce de li|;e iniiiii^ el assez hante, ipii croissait au pied des arbres , et (pii, souvent, entravail noire marche. Avec son coulean il en coupa , et fut bien surpris, au binil d'un iiunnenl , de voir sorlir de (■ha(pie plante, à reiiiiroil oii elle avait été coupée, une goullc d'eau pure cl fraîche ([d'il nous montra; il eu mouilla ses lèvres, la trouva paiCaile et s'affligea ipi'il ii'\ ( l'il pas dav.iutagc. le les pris LE ROBIJNSOJN SUISSE, 53 à mon tour, et je vis bientôt que le manque d'air empêchait l'eau de sortir plus aliniidammeut. J'y lis des ini-isi(ins, cl l)iciitôt elle coulii connue par uuc rijjole. D'abord Ernest, et bieulôt tous les autres, se dosalu'rérent el s'en ré(;alè"reut. Pour moi , ému de reconnaissance envers la bonté de Dieu, j'élevai les jeux au ciel : « Voyez , dis-je à mes entants, rpiellc bénédiction de la Providence nous avons Irouvée dans ces piaules salutaires, dont je suis bien làclié d'i];ruirer le nom ! Uue deviendraient les pauvres vciyai;eurs dans ce climat brûlant, en traversant ces forêts immenses? EloijiîU's de toute source d'eau, ils périraient de soif et de cliale\ir si le ciel ne leur avait nuMiaijé ce nniyen de se rafraîchir. » Je «l'avisai de fendre la plante tout du loiii; ; nous eûmes alors assez d'eau pour pouvoir en donner même i» l'âne , an sinije et à la pauvre outarde blessée. Nous fûmes encore obligés ipiel(|ue temps de cheminer entre les buissons avant de nous retrouver en liberté. Enfui nous aperçûmes à notre droite, un peu à côté du riva|;e, le bois des (Calebasses, oii se dirii;eait notre course, et bientôt nous eùiiies al- leinl celle plaije ;ii;réable , oii je m'étais reposé dans mon iiremicr vo\ai'eaver Fritz. Chacun s'étonnait, admirait ces beaux arbres et ces fruits énormes (|ui croissent si siuj;nlièreinent attachés au tronc. Fritz, qui les connaissait déjà , e\pli(|uait tout en détail et faisait le professeur, ainsi que je l'avais fait avec lui lors de notre première excursion. Je fus bien aise de voir qu'il n'eût rien oublié. Pendant sou récit, je faisais des yeux un choix de calebasses de difIVrentcs Ijrossenrs pour nos divers besoins. Je cherchais aussi à découvrir si la malicieuse horde des siujjes n'était point dans le voisinai;e; je crai- p,nais d'en être inquiété pendant nos occupations. Je fus bien content de n'en pas voir un seul, et a]Hès une petite promenade dans le bois, je revins auprès de ma famille. Je trouvai Jack et Ernest dans la plus i;rande activité; ils ramas- saient des branches de bois sec et des cailloux , pendant que leur mère s'occupait de l'outarde blessée ; ne trouvant pas que l'oiseau eût i;raud mal, elle me dit qu'il y aurait de la cruauté à la laisser |dus h)ii;;temps attachée sur la claie. Pour lui faire plaisir, je la déija- i;eai et lui laissai seulement les pieds liés de manière cpi'elle pût marcher, mais non courir ni donner des cinips ; ensuite je nouai à un petit tronc d'arbre une lonj;ue heelle , qui lui ))ermit de se pro- mener à petits pas et en liberté, l.lle se montrait peu sauvaije, ex- cepté ([uaud les chiens l'approchaient; mais elle ne craiijnait point rhomiue , ce qui me confirma dans l'idée ipie nous étions sur des côtes tout il fait inhabitées. Iles fils étaient iiarvenus il faire un i;raud feu , autour du(|uel je les voyais tous occupés. Je |u'is l:i liberté de me mo((iier d'eux; je leur demandai s'ils étaient devenus des sala- mandres ou des habitants de la planète de Mercure, qui allument, dit-on, du feu pour se rafraichir, tant le soleil est jirès d'eux et brû- lant : ici il ne l'était jjuère moins. Il Papa, me dit Jack, il est question seulcnieiit de faire cuire mon sorcier iuan;ieur et distributeur de cocos. — Ah! c'est pour cela, messieurs, que vous avez cherché ces beaux cailloux : vous voulez, j'en suis sûr, vous eu servir en les faisant ch:iuffer pour apprêter votre crabe sans mettre sur le feu votre vaisselle de courije, qui ne le sup- porterait pas. » Us oiis préparâmes ensuite, ii eiilé du flamant, une couche commode pour notre outarde, cl nous allâmes nous éteiiilrc dans nos lits, dont nous avions tous r,raiid besoin. CHAPITRE XXIU. Excursion dans ries conticcs inconnues. On comprend (|ue, le lendeniaiii, ma première pensée fut d'aller chrirber noire claie dans le bois des Calebasses ; j avais eu un double but en la laiss;int l;i, et je n'en axais pas parlé pour épargner des iii- quiéludes à ma femme; je voulais faire une excursion au delà de la p.iroi des rochers, et voir si nous n'y trouverions pas quelque chose d'utile. J'étais curieux, en outre, de connaitre un peu iiiieiix l'élen- due de notre ile; je ne voulais avoir avec moi que l'rilz, qui était plus fort et plus eourajjeux que ses frères. BLilhciireusemcnl , tous nos travaux, toutes nos recherches furent suspendus, ii cette épo([iie, par des eircoiislances qui auraient pu avoir les suites les plus funes- tes, dont, toutefois, la Providence daii;iia nous lu'éserxer. 11 était sans doiile lort siirpieuanl qu'après les cruelles anijoisses (|ue nous avions soiilferles peudanl la tempête, après l'horreur de notre naufrai;e, api'i's les pénibles travaux auxquels nous nous étions lix'ri's sous un climat si dillereiil de celui de noire patrie, aucun de nous n'ei'it en- core é|Hoii\é de maladie ; je ne jiouvais i;iière me llaller (|iie cela pùl coiiliniuu' ainsi. Lu elTet , le moiiienl était vi'uii oii il nous fallut payer le tribut au eliaui;ement d'air. Mon petit l'raiiçois fui le pre- mier qui s'en ressentit; il eut quelques jours de iièvre, mais il ne l.irda pas à se rétablir, et nous tombànies tous malades apri's lui. ,lack fut même pendant vini;t-(|iiatre heures eu danger. ,Ie laisse ,'i penser, pendant ce temps, les iiii|uiéludes de sa pauvre mère; b' eoii- rai;e de ctle cxecllente femme la soutint pourtanl si bien, qu'elle lui la dernière ii se mellre au lil. lleureiisement , nous ne fûmes jamais malades tous à la fois; il resta toujours deux ou trois d'entre nous debout pour soiiïiier les antres. Lnlin, quand notre réiablisseiiicnl l'iit l'inuplrl, j'en rendis à Dieu des ijràces d'aiilaiil plus vives que je rc- ;;ardais apri's cela ma pelite famille eoiiiiiu* eomplélciucnl aeclimali'c. Je repris alors mon projet momeiilaiii''iiien1 ab.iiiiloiini' ; je pris J''rilz avec moi, et je laissai les trois autres enlaiils avec leur mère, ainsi que IJill, pour les piotéijer. Turc nous suivit, et nous en téiiioii;iia sa joie par ses sauts cl ses hurlements. jSoiis partîmes de i;raiid m.iliu, en chassant devant nous notre jîne, qui devait ramener la claie. Étant arrivés au bois des chênes verts, nous trouvâmes sons les ar- bres notre laie . à l'engrais, et avalant une quantité de ijlaiids doux qu'elle paraissait trouver excellents. Nous lui souhaitâmes bon appé- tit, en la priant de vouloir bien nous admettre à 1 honneur de parla- (;cr son déjeuner, l'rilz remplit de fruits les poches de sa veste. INoiis vîmes avec plaisir que la leçon di' la veille avait rendu eel animal plus Iraitable; il ne cherchait pas à nous éviter, et nous aurions pu remmener avec nous s'il n'avait pas été lro|) incommode. Tout en ra- massant nos ijlamls douceinent et sans faire île bruit, nous vîmes les oiseaux, qui rcinplissaicnl le bois de tons les cotés, s'aiiprocher de nous; il y eu avait de charinanis par leur |>luiiiai;e, il cette fois je ne pus refuser ii mon i;rand chasseur l'rilz la permission de tirer un iiii deux coups de fusil, pour en examiner quelques-uns de plus près. Il en mit trois ii bas; je jujjcai que l'un élail le ijraiid j;cai bleu de \irj;inie, et les deux autres des perroquets : l'un des deux était un superbe ara nmijc , le jiliis beau des perroquels connus; l'autre était une perruche verte avec quelques plumes jaunes. l'cndanl que l'rilz rechargeait son fusil, nous eiilciiilliues dans réloi|',ncmeiil un briiil singulier, ipii rcsseinidail tantiil à celui d'un t.imhonr coiixcrl, laiilôl à celui d'une scie qu'on aiijuise. IN'oiis pcii- sâiues d'abord a la musique des sauvages , et nous nous glissâmes un peu de côté dans les buissons. Nous parvînmes doucement en avant vers la place d'où venait ce bruit singulier : ne voyant rien qui dût nous cll'rayer, nous écartâmes les branches, et nous aperçûmes, sur un tronc d'arbre renversé et il moitié pourri, un très-bel oiseau de la grosseur d'un coq domeslique, paré d'un beau collet de pliiiiies autour du cou et d'une belle huppe relevée; il était occupé à faire les gesles les plus extraordinaires. Sa queue était étalée en éventail comme celle d'un coq d'Inde, mais plus courte. Les plumes de son cou et de sa tète étaient relevées et hérissées; il les agitait quelque- fois avec une telle vitesse (prclles paraissaient un nuage qui l'ciivc- loppait subitciiient ; tantôt il lournait en cercle sur son tronc, taiilôl il remuait la tête cl les yeux connue s'il était possédé, cl poussait ce cri singulier ([iii nous avait alarmés. C'était le monvcnicnt de son aile frappant à temps précipités sur le tronc creux et sec, qui causait ce bruit semblable au son du tambour. Autour du tronc étaient rassem- blés une quanlité d'oiseaux qui lui ressemblaient, mais qui, |dus petits, n'avaient pas sa belle forme. Tous avaient les yeux attachés sur lui et paraissaient admirer ses manières. Je regardais ce singulier speclaele, dont j'avais enlendu jiarler avec étonnement. Le nombre des spectateurs du bouffon emplumé augiiienlait à chaque instant, ainsi que ses cris et ses jeux, qui donnaient l'idée de l'ivresse on du délire, lorsqu'un coup de fusil de M. Frilz, placé ii quelques jias derrière moi, termina le spectacle, en faisant tomber de son llié.ilic l'acteur, éleiidii mort sur le sable : le coup mit tous les spectaleurs en fuite. Celle inicrruption d'une scène aussi extraordinaire me fol très désagréable, cl je ne pus m'cmpèelier d'en faire de vils repro- ches à iiiiui his 11 Poiiri|iioi, lui dis-je, pourquoi toujours la morl et l'anéanlissemenl ,' La nature et ses actions aiiiiiiées ne sont-elles |)as mille fois plus réjouissantes que la destruction:' H peut sans doute vous êlre permis d'accorder quelque chose il votre curiosité, à vos besoins, et même à voire goût pour la chasse. Je ne ni'i)])pose jias, vous le savez, ii vous voir faire la guerre au gibier ou aux bêtes sin- gulières ou dangereuses; mais la modération est utile partoul; le speclaele de ce <-oq de bruyère ou tétras, prenant tant de iieine pour attirer autour de lui sa cour de femelles, était pour moi fort amiisanl, et je suis très-fàché de voir sans inouveiuent la eréaliire qui en ax.iil de si r.ipides il y a une seconde. lOiiroiives-tu un i;rainl plaisir d'avoir mis en fiiile ces jolies poules qui avaient lanl de plaisir à ailiuircr l'oiseau que lu as tué :' • Fritz liaissait les yeux et paraissait honteux et repeulant; je lui dis que, puisque le mal était fait, il fallait au moins tirer paili de sa chasse; que le tétras' ou coq de bruyère était un gibier trcs-csliiiié , el([u'il devait aller le ramasser pour le porter ii sa mère. ]| y alla, cl reviiil, malgré ma leion, Iri^s-contcut de son butin. « N"esl-il pas vrai, papa, me dit-il, que c'est une siiperlie bêle? Mais je voudrais bien savoir pourquoi elle se démenait si singulièrement? IF ri:r.F,. Je pense que, par ses gestes et ses sons singuliers , il appe- lait aulourde lui ses femelles, doiil il a un grand nombre, comme le coq domestique; il a cela de eommiiii avec les coqs de bruyère de nos |iays septentrionaux. Je crois, en l'examinant de plus près, que c'est la poule ;i fraise ou grosse gelinolle du Canada ou de ^ irginie. Tu as joué un mauvais tour il toutes ces poules, mon lils, en les iii- terrompanl d'une manière aussi cruelle dans leurs amusements. nu iz. J'en suis bien fâché à présent, d'autant jdus que nous aurions pu les prendre en vie, et qu'il serait bien beau d'avoir celle espèce de poule il FalUcnhorsI. iK rÎBE. J'allais te le dire, et nous en avons encore le moyen. Des qu'une de nos poules domestiques sera disposée ii couver, nous re- viendrons ici, avec notre singe, à la chasse des ceufs; s'il en trouve un nid , ainsi i[ue je le présume, nous le pillerons et ferons couver les œufs par la iioiile couveuse : de cette manière nous nous procurerons la plus belle race de ]ioiiles qu'on puisse trouver. » Nous chargeâmes alors le coq à fraise sur notre âne. et nous conti- nuâincs noire voyage. Nous arrivâmes bientôt au bosquet desCoyaves, dont les agréables fruits nous rafraîchirent, et bientôt après nous eûmes retrouvé notre claie dans le bois des Calebasses Tout notre butin était dans le meilleur élat; mais, comme la malinée n'était point encore avancée, nous eommeneâmes notre excursion projetée au delà de la paroi des rochers: pour y parvenir, nous les longeâmes ' La pnule à fraise, on grosse gelinotte du Canada, se trouve aussi dans l« Maryland, la Pcnsylvanio d'îles lies do ces parages. Ses miriirs sont les mômes que celles du tétras ou coq de bruyère d'Europe; aussi quelques auteurs l'ont simplement désigné sous le nom de roq de bruyère à ^roisf, ou i Un trouve ainsi, disais-je à miui fils, des architecles sociables qui bâtissent en commun dans presque clia()iic classe du règne ;iniinal ; je n'en ai pas encore vu chez les am- phibies, mais nous en découvrirons peut-être aussi (piehpie jour, connue chez ces oiseaux. Une foule de causes peuvent engager les animaux à se réunir en masse an lieu d<' vivre isolés : le mani|iie de fciucllcs ou de mâles, le fardeau de l'éducation ou de la nourriture, la sûreté, la défense. Qui osera poser des bornes à riii>tinct de l'ani- mal et à ses facultés ? ritiiz. Mais je ne vois cependant que les abeilles ipii vivent ainsi en famille. i.K riiiu:. A (|uoi penses-tu, mon fils ]' l'.l lesguêpcs, et les fourmis i' rnrrz. En ell'et, je ne sais comment j'oubliais les fourmis, car je me suis souvcnl amusé à les observer; rien n'est plus joli qu'une ' Ce petit perroquet se nomme loui ; c'est un des plus petits perroquets connus . LE ROBINSON SUISSE. 57 fourmilière; on voit, en les reijardanl avec alU'ution, comme elles travaillent en société, fout leur ménage, leurs provisions, bâtissent, se dcfcntlent et soiijnent leurs couvées LE piaiu. Tu as aussi remarqué comme elles ])ortent soii;ncuscmcnt leurs œufs au soleil, et les traînent de tout colé pour les échauffer, jusqu'à ce qu'ils soient éclos :' FRITZ. Ne )iensey.-vous pas, mon jière, que ce (|ue nous prenons pour des œufs pourrait bien n'être autre cliose ijuc des elirjsalides dans lesquelles les fourmis se sont enfermées, ainsi que le font d'au- tres insectes, pour prendre des ailes et opérer ainsi leur métamor- phose ? IF, riiiiE. Ta remarque est juste , mon fils; il y a de bons naturalistes qui ont observé avec fruit ces industrieux insectes '. IMais si les four- mis communes de notre patrie ont si fort excité ton aduiiralion, tu Bieniût après le ci cj-u^c .;[.', un i^jiniLiiu iii'ji- annoncèrent la destruction du navire. .lu iix et ui.e rulmno de feu serais liien plus étonné des travaux ineroyables'des fourmis étran- gères! il y en a une espèce (|ui bâtit des fourmilières de qiialre, six, huit pieds de hauteur, cl au moins aussi lan;es ; les murs exté- rieurs de ces bâliincnls sont construits avec tant de solidité, cl d'une telle épaisseur, que ni la pluie ni le soleil ne jieuvent y pénétrer. ICii dedans elles pratiquent des ruelles, des voûtes, des arcades, des colonnades, des chambres à couvert. 'J'oiite cette masse est si solide- ment faite, (|iic, si on la vide cl si on la nettoie en dedans, elle peut servir de four, l.a fourmi est, en ijéncral, un iiiseele nuisible, qui vit de brii;andai;e, et dont on a beaucoup de peine à se débarrasser; il en existe cepemlant une espèce utile eu Ainéri(|ue, qu'on nomme fourini cri)liahile. ou fourmi de visite : elle paraît en graiKh's troupes tous les deux ou trois ans, et se répand en abondance dans les mai- sons. Des qu'on les voit i>araître, on leur ouvre les chambres et les armoires; elles entrent parl(uil, et en très-peu de temps elles exter- minent les rais, les souris, les punaises, b's kaUerlas (espèce d'in- secte très -incommode dans b s pays chauds), eiihn tous les ani- maux nuisibles a l'homme, comme si elles avaient une mission particulière pour l'en débarrasser. Kllcs ne lui foiil personiicllen.cnl aucun mal , à moins ipi'il ne soit assez, inijrat pour les atl:ii|uer cl les chasser; alors elles s'alla< lient si fortement à ses souliers (|ii'en un instant ils sont détruits. Ces foiiiiuis font un horrible dé|;ât dans les plantations d'arbres, (|u'elles dépouillent en une seule nuit de leurs Icuilles. A mesure (|u'elles toiubeut, ceux de ces insectes qui sont restés au pied des arbres s'en emparent, et les cmporleut dans leur fourmilière. Cà'tle espèce curieuse ne construit pas sa demeure sur terre, mais elle creuse des caves, ipii ont quelquefois huit pieds de proloiideur, et les maçonnent comme des hmumes pourraiiuil le laire-. Des voyageurs assurent (pi'iine des îles de la mer du Sud en ' Entre autres, M. Pierre Hubert, de Genève; il a publié un volume de ses observations siu- les fourmis, aussi instructif qu'agréable à lire. ' llhloire des insectes A Amérique, par mademoiselle Méiian. est teliemenl infestée qu'on n'ose point y aborder. On la leur a aliandonnée, et elle est connue des marins sous le nom A'He aux Fourmis. FUIT/.. N'a-t-on trouvé aucun moyen de les détruire ou d'arrêter leurs dévastations ' IF, lÎRF. Dans notre l'.urope, elles ne sont lieurcnseinent pas si for- midables ; mais cependant elles sont encore assez nuisibles pour qu'on ait cherché les iiioveiis de s'en défaire. Les (dus sûrs sont le feu et l'eau bouillante ; elles ont d'ailleurs beaucoup d'ennemis parmi les insectes cl les oiseaux ; le plus terrible esl le myrmécophage on four- milier'. La nature, ipii l'a destiné sans doute à prévenir la trop iji'ande miilli]ilication des fourmis, l'a pourvu d'une lonijue langue [lluante, qu'il enfonce, pour les attirer, dans les trous de la fourmi- lière; les insectes s'en approchent et y demeurent attachés; dès qu'elle en esl assez, charijéc, le myrméeopliage la retire cl avale avec délices ceux f[ui se sont laissé |)rendre à ce piéjje, dont il renouvelle l'iinploi plusieurs fois avec le même succès. Un prétend ipic deux inyrmécophages sur une fourmilière peuxcnt la détruire en très-peu lie temps. Il y a de plus un insecte qui porte le nom de fuurmi-lion , et qui esl aussi leur ennemi. 11 a l'iustinet de faire de petits enton- noirs de sable sur la lonte des loiirmis, qui sont entrainécs rapide- ment au fond sans jioiivoir se retenir; elles y trouvent leur formida- ble ciineiui, qui se saisit de sa proie. Plusieurs nations sauvages, telles (|uc les llottcntols, les mangent aussi par poignées. FniTZ. Ah ! les vilains ! .l'ai bien de la |iciiie à le croire. Mais en voilà assez sur les fourmis. Nous avez dit, mon père, que dans cha- que classe du genre animal il y en axait qui vivaient en société com- mune ; quels sont les autres, s'il vous plait ? IF, liaiK. Dans le règne des oiseaux, il y a ceux que nous venon.s de découvrir, et je n'en connais aiii'uii autre ; mais, parmi les ([uadru- pèdes, il existe au moins un exemple de vie comiuune et sociale : lâche de te le rappeler. FRITZ. C'est peut-être l'éléphant ou la loutre de mer. Kn elVel, il travailla des genoux et des bras si bien et avec tant de force, qu'il avançait dans son ascension. I.E l'îciii:. Tu n'as |ias deviné ; quoique ces deux animaux-là montrent un grand penchant à vivre en société avec ceux de leur espèce, ils ne bâtissent rien qui ressemble à une maison commune. l\Liis cepen- dant tu es sur l;i trace en parlant de la loutre de mer. FRi I z. Ah ! je m'en souviens à présent ; c'est le castor, n'est-ce pas? On dit que ces bêles si intelligentes savent faire déborder les ruis- seaux cl les rivières, et bâtissent des villages entiers dans l'étani; qui se forme par ce débordeiueiit. I.E ricRF. Très-bien, mon cher! Et à la rigueur on pourrait aus.si ' H y en a de trois espèces : le tamanoir, le tamandoua , et le fourmilier pro- prement dit. Il y a aussi une famille d'oiseaux qui se nomment fourmiliers, cl qui se nourrissent de fourmis. b» LE ROBINSON 6U1SSE. coinpler les iiiMinioltos au noinlde des aniinaiix sotiuliles; cependant elles ne )>àlissent pas dans le sens prnpie du mot, mais elles se cieii- sent une eaverne eonimune diins les miinlaj;ni-s ((n'elles liabitent, et elles y passent eliaudement l'Iiivei' en l'amille dans un sommeil eon ■ tiniiel. Tu aurais d'aulanl plus toil de les oulilier (pi'elles sont nos compaliioles; car c'esl prineipalenienl dans les hautes Alpes de nolie Suisse (|i\e les maiiuolles se trouvent. » l'enieds, cl par l'écorcc de leur tronc, écaillcuse comiiu' une pomme de piu. Ils ne portent point de braucbcs dans leur lonijucur; mais il en pousse plusieurs au sommet, les unes droites, les autres incli- iH'es. Les feuilles sont, à l'extrcmilé des raiuca\i\, coriacées, épaisses, ayant leurs deu\ surfaces de teinte diOfércuile. .ALiis ce (pii nous sur- prit le plus fut une espèce de |j.iuime ou bitume (jui paraissait être sortie li(p\ide du tronc par (|uel(|uc ouverture acoint. On a découvert plus lard ipic celle jjomiiic inlc- vait les traits du crajon, et les dessinateurs se servent eu cousé{|ueii(e pour les effacer d'un morceau de ces petits flacons, (|u'ils dé|ii'ceiit ])our eu faire usa|',c. — Celte fabrication esl bien simple. IS'oiis lâcherons, mon |ière, de l'imiter, et de faire des bouteilles (|ui seronl bien commodes pour boire à la chasse; mais cepeudaiil ce n'est pas, comme vous disiez, un si ijranil bonheur pour nous, — >on pas dans ce sens; mais on eu fait aussi des souliers cl des bottes sans coutures sur des moules en lerrir de la ijro.sseur du pied ou de la jambe, et tu penses combien, sous ce rapport, sa découverte jieiil iwnis être utile. Nous chercherons (pielqiie moyeu d<' lui rendre sa liquidité pour l'étcndic sur les moules, cl si nous n'en trouvons ]ioiut, nous làcliennis de tirer des arbres iiiêiiies du bitume frais et liquide eu assez (jrande ipiantité )iour nous en servir, cl ipii nous sera de la jilus ];rande utilité! On peut avec cet enduit rendre im- pi'iincabti' toute cspi'cc d'éton'e, du linijc, de la soie, de la laine, c'est- ii-dire faire en sinle (|ue l'eau ne puisse les péiiélrer, cl celle qualité rend surtout celle résine cxcelleute pcnir les bottes et ])our les sou- liers. Ou les fait sans doute aussi plus facilement que ceux de cuir, et cela sera précieux pciiir luiiis. ipii ne sommes pas cordoiniiers. u ' Lo caoutchouc, connu en Europe sous lo nom de gomme Haatiquc , quoique co soil une espèce de résine^ découle d'un arbre nomme /Wré i/e la Guyane. Très-contents de notre découverte, cl déjà chaussés en iiiiaijina- tion des plus belles bottes de caoutchouc, nous continuâmes notre route, cl iKuis pénétrâmes plus avant dans ce bois, ipii s'étendait assez loin. Peu après l'avoir (|uilté, nous atleij;nimes celui des cocotiers, dont nous connaissions déjii la partie inférieure. C'était le même qui se proloni;eait depuis le bord de la mer jusque sur les haiileurs; lunis nous y reposâmes un moment avec plaisir, cl une couple de noix iiinis réijalèrcnt. 1 urc les avait luilcvécs à de petits sinijcs qui jinniieiit dans l'herbe comme des enlanis ; ils les abandoiuièrent et ];rimpèrenl bien vile à la cime des arbres peuilant(|iie nous nous mani;ions leurs joii joux. Apri'S celte petite collation, nous nous remimes en marche; nous voulions au moins parvenir jusqu'à la sortie du ijr.md bois de cocoliers jiour examiner l'étendue de notre empire. jNous y par- vînmes bientôt, et nous reconnûmes alors à droite la p,rande baie et à jjaiiche le cap ilc i E^périince trunipée , qui avait élé le ]ioinl linal de noire première excursion. Là seiilemenl j'aperçus, au milieu de la quanlilc des palmiers à cocos, une espèce jdus basse, que je présumai être le palmier saijoii ou saijoulier : il y en avait un, abattu par le vent, et que j'exami- nai, .le vis qu'il conlenait beaucoup de moelle, et en la touchant elle me parut farineuse. Alors avec ma hache j'ouvris le tronc pourvoir si elle était de iiiême partout, et, à mon ijrand plaisir, je la trouvai de la plus excellenle ipialitc, (Jette moelle, que je ijoùlai, avait cxac- lemeiit la saveur du saipni, dont j'avais souvent maillé eu lùirope '. Lu ouvrant le tronc, je lis une nouvelle trouvaille qui me confirma dans l'idée que j'avais décoiixert le palmier sa|;oiilicr : je vis dans la moelle cette espèce de larves qui s'en nourrit uniqueuieiil, et ipii passe aux Indes orientales pour la plus jjraiide friandise. La curiosité me tenta d'en faire l'essai sur-lc-ihaïup. .le dis à L'ritz de chercher des branches sixlies et de faire du feu; j'en eiulirocliai une demi- douzaine il une ba|;uetle de bois. Nous avions pris du sel avec nous pour nos patates; je les en saupoudrai, cl je les fis rôtir à la flamme. I. 'odeur suave qui s'en exhalait me lit bien présumer de ce nouveau niels. IJès qu'il fut i;rillé, j'en iuani;eai avec une \ialate qui me tint lieu de pain, et je puis assurer tinis les p,ourmands de notre l'.iinqic que, s'ils font cas d'un bon morceau, celui-là seul vaudrait la peine de faire le voyaije de riiiile; je n'avais de ma vie rien inan|;é d'aussi parfait. Fritz, qui d'abord avait pris la liberté de me railler, et de m'assurer que, pour rien au monde, il ne i;oùlerail de ma (jrillade, attiré par l'odeur cl la bonne mine, ne imt y résister. 11 m'en de- manda, et fil chorus d'éloijcs avec moi; il chercha d.nis le troue de l'arbre toules les larves qu'il put trouver, et les ];rilla à sou lour. Après ce repas sensuel, nous inuis lexâmes pour coiiliiiiicr et finir notre excursion. D'épais buissons de bambous, dans lesquels il était impossible de pénétrer, y mettaient un terme naturel. Il nous fut impossible de nous assurer si on pouvait passer au delà de la paroi de rochers. INous loiirnâmcs donc ii |;auelie, contre la pointe di' r/;'s- pèriinre trompée, oii la belle planlatimi de cannes à sucre que nous avions dccouverle la première fois nous attirail encore, l'oiir ne pas retourner au lop,is les mains vides, et pour nous faire pardonner notre loiiijue absence, nous en coupâmes un bon paquet, qui fut lié sur le dos de I âne, cl nous ne nci;lii;eàmes point d'eu prendre chacun une canne pour la sucer chemin faisant. A uns arrixàmes bientol au bord de la mer, oii le chemin était ouvert et bien plus coiirl; il nous coii- ' De tous les palmiers qui croissent dans l'Inde, le sagoulicr est un des plus intéressants; il esl utile dans toutes ses parties; des incisioiii faites â son tronc, découle une sève qui fermente proniptemcnt, et qui est saine et agréable. On en ferait plus d'usage, si l'expérience n'avait pas appris ([u'on se lo procure aux dépens de la moelle farineuse, connue en Europe sous le nom de snfiaii, et cpi'd est plus important d'avoir de cette dernière, qui a sur toutes les autres suh- stances farineuses l'avantage inai'préciable de se conserver â perpétuité et d'étro extrêmement saine. Le tronc et les larges feuilles du sagoulicr sont d'une grande ressource pour la construction des maisons; le premier fournit le? planches et la charpente, les feuilles la couverture. On fait de plus, avec ces dernières, des cordes, des nattes et une foule d'objets d'utilité domestique. La fécule du sagou- licr s'obtient comme celle de pommes de terre; on arrache la moelle, on l'écrase, on la met dans un baquet avec de l'eau, on l'agite, puis on la passe dans un tamis de crinj on met l'eau ([ui reste dans des vases où la fécule se dépose, puis on la sèche au four en espèces de galettes, qui sont pilées ensuiio en grains comme le riz , et c'est ainsi qu'elle se transporte en Europe. Ce qui est resté dans le tamis se jette en tas dans les jaidins , et bientôt ces tas sont recouverts d'un (hanipignon d'un goût exquis, et d'une larve * ipii n'est pas moins estimée comme aliment. (Dictionnaire d Histoire naturelle.) * Les larves, que l'on nomme souvent trés-improprement vira, 6 cause de quelque ressemblance de forme, n'en sont pas, puis([un les vers forment une classe d'insectes qui doit toujours rester ce qu'elle est. On a donné le nom do Jorre, qui veut dire masi/tie, à l'état d'enfance pendant lequel les insectes crois- sent et prennent leur développement avant de se transfoimer en nymphes , et de vivre ensuite dans un état plus parfait. Cette enfance dure des mois, et quelque- fois même des années, et c'est le moment où l'insecte a le plus besoin do nour- riture : aussi les larves sont très-voraces. Chaque espèce d'insecte ou larve a sa nourriture qui lui est particulière; celle du sagoulicr nu pa'mier à sagou vit uni- quement do la moelle farineuse dn cet arbre, qui l'engraisse extrùrnenient el la rend un mets délicat et Irès-rcchcrché dans l'Inde sur la table dos nababs et des rois. LE ROBINSON SUISSE. 59 duisit eu peu de temps au bois des Calebasses, où nous trouvâmes notre elaie telle que nous l'avions laissée. L'âne (ut déeliar(;c, et le paquet de cannes à sucre lié sur la claie; après quoi nous l'allelàmes avec les courroies, et le patient animal traina ce qu'il avait jiorlé. Nous arrivâmes à l'alkenborst sans autres aventures et d'assez bonne lieiire. Nous fûmes d'aboid un peu ijrondés, puis (lueslionnés, puis remerciés quand nous étalâmes nos trésors, et surtout nos cannes à sucre. Chaque enfant en prit une el commença à sucer; leur mire s'en réi;ala aussi. Il fallait entendre Frit/, raconter avec feu toutes nos découvertes, imiter les p,estes du coq ii fraise en le leur mon- trant, ce i|ui lit rire ses frères aux éclats; puis vint le tour de l'his- toire du i;rand nid et du perroquet vert, qu'ils écoutèrent avec trans- port el comme un conte de fées. Fritz leur nuintra le bel ara pourpre, qu'ils ne pouvaient assez admirer, ainsi (pie le i;rand /(cai bleu. .ALiis Iors(|ue Fritz tira de la poche de sa veste le pclil perroquet vivant, je crus (pi'ils devicndraicnl fous; ils saulaicnl tous de joie, et je fus obli|;é d'interposer mon autorité p(uir qu'ils ne misscul jias l'oiseau en pièces en se l'arrachant mutuellement, l'raucois demaiulait à son frère aine s'il ne lui avait p.is déjà appris bien des nuits eu chemin. 0 C'est toi (|ui seras son précepteur, lui dit l'"ritz, petit jaseur, et je crois (|u'il saura hienlôt l)aliillcr. » François le couvrit de baisers, lui ré)iéla cent fois piTraquel iiiijiiKiii, puis l'attacha par la patte il une des racines en atlendaiil qu'on lui eût fait une ca|;e ; il lui pré- senta des ijlaiuls doux, dont l'oiseau mangea avec appétit. Nous en finies tous autant, et niuis racontâmes notre excellent diner de larves de ,saj;ou, qui lit venir l'eau à la bouche il mes ]ielits, mais non pas il leur mère; elle n'aimait ni les mets nouveaux ni les bêtes extraor- dinaires. ,1e lui |)romis jiour sa part des chanipiijuons parfaits, qui viennent d'euv-inêmes sur le résidu de la fécule de sajjou; je l'en- clianlai aussi avi^e le projet de mes boujjies de mj rica, de mes bottes cl de mes souliers de caoutchouc élastiijuc, et l'rilz en faisait tirer des morceaux ;i ses frères et les lâchait subitement, ce qui les amu- sait beaucoup. A la nuit tombante nous grimpâmes par notre échelle; et, après l'avoir retirée, nous nous livrâmes aux douceurs du sommeil, tlont nous avions grand besoin. CHAPITRE XXIV. Occupations et travaux utiles ; embellissements; sentiment pénible et naturel. Le lendemain, la mère et les enfants ne me laissèrent aucun repos jusqu'à ce que j'eusse mis en train ma fabrique de bougies; je cher- cliais il me rappeler tout ce i|ue j'avais lu sur cet objet, aliii de le mettre en pratique. J'aurais voulu avoir un peu de suif ou de graisse (le moiilon ,i mêler avec la cire des baies; je savais que la bougie en devient plus hianchc et la lumière plus pure; mais, n'en ayant [loint, il fallut nous contenter de la cire toute seule. Je mis des baies dans une chaudière autant (|u'elle put en cimtenir, et je les fis cuire sur un feu iiioiU'ré; peudant ce temps, ma femme faisait des mèches avec du fil de toile ii voiles. Lorsi|ue nous viincs paraître au-dessus de la cliaudii're une matière huileuse, odorante el (l'un joli verl clair, nous la levâmes avec précaulion el la posâmes dans un vase ii enté du feu pour (|u'clle restât liipiidc; nous continuâmes ce procédé tant ([uc nous eûmes des baies, el jusqu'à ce ipi'il y eût une liouue provision de cire fondue. Nous trempâmes ensuite nos mi'clics ruuc après l'autre dans la cire, et nous les suspciidimes ii des branches. Lorsque la cire fut prise autour et refroidie, nous les Irempâmes encore, et toujours de même jus(|ii'à ce que nos bougies eusseni la grosseur eonveiiable; elles furent ensuite placées dans un endroit frais iioiir les durcir ]iarfaiteiiient avant de nous en servir, ^oiis voulûmes cependant en taire l'essai le soir même, et nous en fûmes très-satisfaits; nous pûmes nous déshahiller et nous coucher plus tard que de coutume dans notre château aérien, et ce genre de lumière, que nous n'avions pas vu depuis que nous avions ((uitté l'Furopc, nous fit un exlrênie plaisir. (]e siiteès nous encouragea dans une autre entreprise à laquelle ma femme tenait beaucoup • c'était de f.iire du beurre frais avec la crème qu'elle levait avec g'raiid soin tous les malins, dans l'espoir de pou- voir s'en servir à cel usage, mais ipii se gâtait taule (riislcnsiles né- cessaires. Le plus indispensalilc, celui dans Iccpicl on bat le beurre, et que l'on nomiue une liaratlf, nous maiii|iiait. A force de réfléchir au iiioven d'j suppléer, je me rappelai ce (pie j'avais lu dans des re- laticnis de vojiii;es sur la manii're dont les lloticutols font le beurre; mais j'observai, ce dont ils n'(uit [las même l'idée, la plus grande propreté. Au lieu d'une peau de moulon cousue en forme d'outre, je creusai une grosse courge, (|ui fut auv trois (iiiarts remplie de crème. Un couvercle, fait de la même courge, la ferma hermélicpiemenl. Je mis ce. vase sur un grand morceau carré de toile à voiles: j'attachai les (piaire coins à des pienv; ensuite je plaçai mes (|ualie fils, et je les chargeai de diuiner un moiiveiiienl au vase de courge placé au milieu, en lial.iniaul la toile chacun de son cijlé. Cet exercice peu pénible les amusa beaiiciuip; il ressemblait au moincment du berceau d'un enfant ; ils s'en (uiupaieiil en ch.inlaut, en riant, el nous eûmes la salisfacliou , (juand nous soulevâmes le couvercle, au bout d'une heure, d'y trouver une molle de beurre excellent, (|ui fut pour nous un vrai régal et pour ma femme une i;rande ressource dans sa cui- sine, '^loiis ces ouvragcs-l.'i n'étaient i|iie des jeux; mais celui qui me dunna une peine véritable, et ii l'égard (lu(|ucl je fus sur le point d'é- chouer, fut la conslrucliiui d'un char pour Irausporler nos provisiiuis et nos récoltes plus commiulémeut i|ue sur la claie, ipii était dillicile ' il traîner. I.'impalience, le iiiiinque de force ou d'adresse, le besoin du moment, me décidi'ienl ;i fair' d'abord seuleiiieiit un char ;i deux roues, et de rcnvojerii un autre temps la couslrudi(Ui d'une voiture à (piatre roues. Je n'ennuierai pas mes lecteurs des détails de cel ouvrage , ipii me donna une peine inouïe et réussit iiiédiocreiuenl; j'employai beaucoup de bois en essais inutiles; enfin je parvins à composer une machine roulante que je ne conseille à personne de prendre pour modèle, mais (pii ré|iondit assez bien au but ipie je m'étais proposé d'atteindre. Fendant que j'y Iravaillais avec acliarnement , ma femme cl mes fils élaicnl aussi occii|iés de travaux utiles; je i|uiltais le mien de temps en temps pour les diriger et leur donner des ciuiseils; mais je dois dire avec vérité qu'un seul mot sutlisait, el (|u'ils s'acipiiliaieiit il merveille de ce iprils cntreprenaienl. Ils transplanlèienl , d'apri's mes iuslruclious, la pluiiart de nos arbres fruitiers d'Eiiroiic dans les sites où nous pensions (|ii'ils pourraient réussir le mieux, snivanl leurs qualités. Ils plantèrent d'abord des ceps de vigne aiipri'S de notre bel arbre el autour du tronc de i|uel(|ues autres; et nous eûmes l'espoir, dans la suite, de les élever en treille el d'avoir un ombrage agréable. Dans ces climats, il faut (pie la vigne croisse sous la pro- tection de hautes piaules qui la meltenl ii l'abri de l'ardeur du soleil. iNos châtaigniers, nos noyers, nos cerisiers, furent plantés eu deux belles allées droites, lormanl une avenue qui conduisait du piiiil de Famille ii l'alkcnhorst , cl nous luoiuellail dans la suite une proiuc nade ombiMgée pour aller à notre ferme de Z,elllieini. Nous mimes beaucoup de temps il la former; il fallut arracher les herbes el rem- plir de sable notre allée, ipii fut élevée et bombée dans le iiiilieii pour être toujours si'che. Aies enfants s'employèrent avec zèle il por- ler du sable de la mer dans leurs brouettes; je leur construisis aussi une espèce de tombereau oii l'âne j/ouvait être attelé. Nous nous occu|)âiiies ensuite d'ombrager el d'embellir notre aride Zellheim, et de le mettre en même l( lups plus en sûreté. Nous y plantâmes en (piinconcc tous ceux de nos arbustes qui ne craignaient pas rardenle cbaleiir, comme citronniers, limoniers, |ilsl.uliicrs, pamplemousses, espèce d'oranger qui parvient ;i une grandeur extraor- dinaire, et porte des fruits de la ijrosseur de la tète d'un enfant, et du poids de douze à quatorze livres, enfin les amandiers et les mû- riers. Tous les arbres d'espèces plus communes de fruits ii no\aux furent plantés sur les bords les plus convenables Pour fortifier el masipu'r notre tente, qui renfermait nos luovisions, nous l'enloiirâ- mes (l'une ])lantaliou très-serrée de citronniers et d'orangers sau- vages, qui porteiil de fortes épines el des branches Iri's-loulViies; et, pour la rendre el plus épaisse cl plus belle, j'y enlremèlai ipiclipies grenadiers que j'avais trouvés dans le paipiel de plantes pris sur le vaisseau. Je n'oubliai pas non plus de faire un bosipiet de goyaviers, qui vieuncnl facileiiicnt de boutures el produisent un petit fruil très- agréable. De dislance en distance, nous plaçâmes, au milieu de ces dilïérentes plaiitalions, i|iielipies gros arbres destinés à diuiner plus d'ombre el ii former des cabinets naturels; ils favorisaieiil aussi la crue des hautes herbes, en empêcliant (pi'elles ne fussent desséchées par l'ardeur du soleil. Si jamais nous étions obligés, jiar (jiielrjiie crainte ou (pielqiie accident, de nous retirer dans celle forteresse, il était essentiel d'y trouver de la nourriliire pour notre bétail, l'oiir plus de précaution, je fis garnir tous les espaces inlermédiaires entic nos enclos et le lit du ruisseau avec des figuiers à piipiants. Je fus alors assuré contre la facililé d'une invasiiui : toutes ces piaules, favorisées par l'influence du climat, devaient acquérir bienlijl une telle hauteur cl une telle épaisseur, qu'il deviendrait dirticile de les traverser : je me proposai, par la suite, d'augmenter encore ces moyens de défense. Les sinuosités du ruisseau avaient occasionné dans l'enclos des avances de terrain (pie je coupai en angles droits el en talus, et qui pouvaient former ainsi un baslion pour \ placer les canons du vaisseau el nos autres armes ii feu, dans le cas d'une atla- (pic des sauvages. Il fallait aussi que notre )iont, (pii était devenu le seul point oiiveil (lour pénétrer dans l'enclos, lût disposé de manière (pi'on pût le retourner ou renlever lacilemcnl, afin d'empêcher le passage du ruisseau. IMais, en attendant qu'il nous fût possible de nous occuper de nos vaste» projets ii son égard , nous nous conten- tions, comme nous avions fait jusipi'alors , d'(j|cr les premières plan- ches de chaipie (ôté, lorsque nous voulions rendre le passage moins facile. Je jilanlai aussi, le long du ruisseau et près de noire abordage ordinaire, quehpies beaux cèdres, pour j attacher ;i l'avenir notre vaisseau. Je m'arrête, car je crains (lue, si mon journal se lit un jour en Europe, le lecteur ne soit aussi fatigué ipie nous de toutes ces plantations, (|ui nous coûtèrent bien de la peine et bien des sueurs, et nous prirent au moins six semaines; mais celle activité soutenue eut l'avautage, outre l'utilité du Iravail, de nous maintenir en bonne santé, d'aiii;menlcr la force physiipic et iiiorali- des jeunes i;ens, et d'eulrclcnir noire i;aieli- el notre sérénité. Plus nmis embellissions €0 LE KOBINSOM SUISSE. notre retraite, plus elle nous était chère, et le travail du jour et le re- pos de la nuit étaient des jouissances pour nous. Les dimanches, fidèlement oliservés, restauraient k la fois notre âme et notre corps; nos ni<'ml)rcs fatigués et notre esprit ahaitu avaient également besoin d'occupations plus relevées; notre sentiiiieni de reconnaissance pour l'Etre suprême qui nous avait sauvés, et qui répandait sur nous tant de bienfaits, demandait à s'épancher. Aussi, nos exercices religieux, suivis de notre gymnastique et de quelques promenades agréables, oii j'instruisais mes fils en causant amicalement avec eux, nous ren- daient tous el meilleurs et plus heureux. C'était une chose très- remarquable de voir comment ces jeunes garçons, qui, pendant toute la semaine, avaient employé leurs forces aux travaux les plus pénibles, en trouvaient encore pour grimper sur les arbres, pour courir au but, pour lancer des flèches ou des bombes, et pour nager; ils olYraient la preuve que ce n'est pas autant l'inaction ([ui repose que le chan- gement d'occupation. Mais tous ces traxaux pénibles usèrent tellement nos vêtements, ([u'un nouveau voyage au vaisseau, oii il devait y en axoir encore, devint absolument nécessaire. ISous avions à peu près épuisé notre ;;arde-robe d'habits d'ofliriers et de matelots; ce n'étaient plus que des lambeaux; el nous voyions arriviT avec peine le mo- ment où il faudrait renoncer ,'i nos vêlements européens. Outre cela, mon nouveau char, dont j'avais d'abord été très-enchanté, avait un défaut insupportable; il criait si affreusement à chaque mouveiiienl des roues, que notre tympan en était éeorclié ; el les roues tournaient si mal autour de l'essieu, que l'âne et la vache réunis pouvaient :i peine le traîner. C'était en vain que j'essayais de temps en temps, en dépit des murmures de lua femme, de mettre quelques petils mor- ceaux de beurre à l'essieu; il était desséché dans peu d'heures, et cette denrée nous était trop précieuse pour la prodiguer ainsi. Ces deux circonstances nous obligèrent donc d'avoir encore re- cours au vaisseau échoué, que le ciel et la mer nous avaient conservé ; nous savions (|u'il y avait encore cinq ou six caisses remplies de che- mises et de vêtements de matelots dont nous pouvions nous servir; et nous soupçonnions qu'il pourrait y avoir ;i fond de cale quchpies tonnes de goudron ou de graisse de char, que nous voulions transpor- ter chez nous. A cela se joignaient la curiosité de savoir dans i|uel état était le vaisseau et le désir de nous approprier, s'il élait pos- sible, quelques-uns de ses gros caniuis pour les poser sur nos bastions, et pour être prêts à nous défendre en cas de guerre. Le premier jour oii le temps me parut sûr el le vent favorable, j'allai an vaisseau avec mes fils aines, el nous y arrivâmes sans obsta- cles; nous le trouvâmes encore serré entre les rochers, mais ayant cependant soufl'ert de la mer el du vent. Nous nous mîmes sans lar- der il l'ouvrage pour nous procurer quelques tonnes de goudron, et les mettre sur notre pinasse ii l'aide de la poulie; nous nous empa- râmes aussi des caisses d'habits et de ce qui restait des munitions de guerre, de poudre, de balles, etc., etc., cl même des canons qu'il nous fut possible d'emporter; mais les plus gros résistèrent ii tous nos ef- forts; il peine parvînmes-nous à les soulever pour en ôter les roues, ((ui pouvaient nous être très-ntiles. jNous nous bornâmes donc ii chercher les moyens d'avoir une ballerie de pièces de quatre, el nous employâmes à ce travail tout ce que nous avions d'art el de force. Nous retournâmes, dans celle inlention , iilusieurs jours de suite au vaisseau, oii nous fîmes tous lespréparatils nécessaires pour rendre les canons mobiles, el nous revenions cliaiiue soir chez nous, cliai!'és de tout ce qui restait dans la carcasse du bâlimenl el qui pouvail être il notre usage, comme portes, fenêtres, serrures, ferraille sur le vaisseau et sur l'explosion qui de- vait avoir lieu d'un instant ii l'autre, ne nous laissait aucun repos, quoi(pic j'eusse fait la mèche assez longue pour espérer (|ue le bâli- menl ne sauterait pas avant l'approche de la nuit, .le proposai à ma ieiiime de porter noire souper sur une pointe de terre, de laquelle on x-oy.,it distinrtemeut le vaisseau, cl nous allendîmcs lii avec impa- tience le miuucnl terrible de l'explosion, liicnl it, après le crépuscule, un tonnerre majestueux et une colonne de feu annoncèrent la des- truction du navire i|ui nous axait amenés dans ces contrées désertes et d'oii nous avions tiré tant de ricliesses : aussi ne pûmes-nous voir son anéantissement sans un vif scutimenl de donleur. Dans ce mo- ment, ]ilus que j.imais, l'amour de la patrie, ce puissaiil lien qui attache l'homme aux lieux oii il est né, se fil sentir ii nos co'urs; il nous semblait qu'il élait pour jamais déchiré. Nous nous rendîmes en silence et la têle baissée il notre tente; les cris de joie auxquels mes enfants s'étaient |>ré|)arés se changèrent en soupirs et en sanglots que j'avais peine moi-même ii étoulVer. Ma femme était celle qui éprouvait le moins de ]ieine : elle pensait avec plaisir que nous n'i- rions plus exposer notre vie sur ce bâtiment ii demi détruit, el chaque jour elle s'attachait davantage it son ile et ;i notre genre de vie. Le repos de la nuit nous calma cependant assez pour que notre premier soin fût d'aller sur le rivage examiner les traces de l'énorme des- truction du bâlimenl. Le X'aisseau avait enlièrement disparu, la mer était couverte de débris (|uc les xagues nous auienaieut, el je vis avec une extrême satisfaction lloller les tonni's \iiles allachées aux chau- dières et aux canons. Nous sautâmes aussitôt dans mitre (linasse, ;i la(|uelle noire bateau de cuves fut allaclié; muis traversâmes sans obstacles toutes les ruines, tous les bois llotlaul autour des écucils oii le vaisseau avait échoué, et nous cluTchâines les canons, (|ue leur immense poids faisail voguer lentement. Nous en découvrîmes bien- tôt trois, soutenus ii fleur d'eau par les lonnes, cl, ce ipii nous fit plus de plaisir encore, les chaudières en cuivre, qui étaient plus utiles, que l'on voyait surnager un peu au-dessus de l'eau, escortées de leurs lonnes. Fritz, avec sa proinplilude ordinaire, se jeta dans le bateau de cuves, lia des cordes à l'alîùl d'une des pièces de quatre, il en attacha deux à noire bateau, outre une énorme quantité de perches, de lattes el d'autres bois; et nous retournànu's à terre avec ce riche butin. Nous fîmes encore trois courses pour amener les autres canons, les chaudières, les fragments de mats, etc., etc., que nous déposâmes provisoirement dans le bassin de la baie du Salut : alors commença un travail bien pénible, celui de porter le tout .a l<'rrc el au sec Nous détachâmes les canons et les chaudières de nos bateaux , et ensuite de leurs tonnes, el nous les laissâmes dans une place oii nous pouvions ariiveravec notre claie et nos bêles de somme; avec le secours du cric, nous chargeâmes les chaudières sur la claie; par ce même moyen, les ipiatre roues furent remises il l'afl'ût : alors il nous fut facile de les faire arriver à terre en y attelant notre âne el notre vache. Nous emportâmes de même tous les bois que nous voulions mettre ii sec, et le reste fut fixé avec des pieux et des cordes pour n'être pas emporté par le reflux. Nos grandes chaudières nous furent d'abord très-utiles pour mettre il l'abri nos barils de poudre ; nous les rangeâmes en trois las ii une distance convenable de la lenlc, nous les enlourâmes d'un petit fossé pour empêcher l'eau d'en approcher, et nous pl.u-âmes dessus les cliaii- our(|uoi ils a\ ;iicul établi b'ur grand nid dans le voisinage de ces arbres. _\oiis lotus hâtâmes (l'en faire aussi notre provision, et nles. C'était dans ce but (|ue je m'étais pourvu de plusieurs écuelles de coco. Je lis des incisions dans les plus gros troncs, et des espèces de rigoles avec des feuilles d'arbre repliées, ([ue je plaçai dans roiiverliire faite ;i l'ecoree , in posant au - dessous le vase de coco pour recevoir le jus précieux. Nous eûmes bientôt le plaisir de le voir couler, blanc comme du lait, goutte il gciutte ; en sorte que nous eûmes rcs|)oir de Iroiixer nos vases ]ileins ii notre retour, et d'obtenir assez de ié>iiie pour faire un essai. Nous eonlinuâmes notre route; elle nous conduisit dans le bois des cocotiers; de lîi nous prîmes notre direction ;i i;aiiche, du côté des cannes à sucre, pour nous arrêter ensuite à une égale distance des bambous et des cannes, dont nous voulions faire provision. Nous nous dirigeâmes si heureusement, i|ii'cn soiianl du bois nous nous tioiivâmcs en rase campagne dans une plaine, axiinl à notre gauche les caniics îi sucre, ii notre droite les bambous cl une qnanlité de palmiers d'cspi'ccs différentes; en face était la superbe baie formée par le cap de l'I'.spéranee trompée, qui s'avançait dans la mer. I.'aspeel de ce point cli' \ ue était si ravissant, que nous résolûmes Huanimemcnl de elioisii- celle place pour nous v arrêter, cl en faire le eeiilre de liuiles nos excursions; il s'c'ii falliil mêiiie peu ipie nous n'eussions formé le plan d'y transporter notre établissement de Fal- kenliorst, et d'en faire notre domicile : mais l'Iiabitude nous attaeliait déjii à notre demeure ; nous y étions idiis en sûreté sur notre' grand arbre, et plus près de notre Xclllicim, c|ue nous venions d'embellir; ainsi nims nous cciulenlâmes de faire de ce beau site le but de nos promenades. Nous dételâmes aussilcjl nos deux bêtes de somme i)our les laisser paître en liberté l'herbe loull'cie qui croissait ;i l'ombre des palmiers, et nous-mêmes fîmes une petite halte rcstauranle avec nos ]irovisions, en causant de nos affaires cl de la beauté de ce lieu. Après nous être rafraîchis, nous nous divisâmes en arrêtant le tra- vail de chaciiii; les uns allèrent .'i droite coii])er des bambous, et les autres à gauche aux Cannes ii sucre; nous eu fîmes des paquets, c|ui furent liés pcnir les meltic sur le char, l.c travail excita de nouveau l'appétit des jeunes gens, ils sucèrent (piclciucs cannes; cela ne leur siiliit pas. Leur mère ne voulait pas leur livrer cuicore le reste des provisions, el leurs yeux se porlaieiil vers le haut des palmiers, où pcndaienl les plus belles noix de coco. Enfin il fut décidé que deux d'entre eux grimperaient liardiment sur ces arbres de soixante ou quatre-vingts pieds de haut, avec une hache attachée ;i la ceinture pour abaltrc les noix. Fritz el Jack ne balancèrent pas; ils choisirent les palmiers les pins chargés de fruits, et avec mon aide ils s'élevèrent d'abord assez liant; mais, lorsc|u'ils furent livrés ;i eux-mêmes, leurs jambes el leurs bras n'emlirassanl point cet immense tronc, ils ne purent s'aceroclicr ;i rien, el ils dégringolèrenl plus xilc qu'ils n'é- taienl montés. Arrivés au pied de l'arbre, je les vis honteux el cha- grins; alors je m'avançai, cl comme un bon père, je vins à leur se- cours. c( .l'ai voulu, leur ilis-je, vous laisser faire l'c'ssai de vos forces, et X'ous prouver que la présomption est qiielc|uefois punie. (J'esl fort bien d'ax'oir du courage el de ne pas balancer dans l'occasion; mais à votre âge, mes amis , il faut ]uenilie conseil de rexpérience, et, si vous axiez eu recours à la mienne, je vous aurais dit cju'il vous était impossible de monter sans secours à une telle hauteur. Sans doute de petits mousses aussi jeunes c|ue vcnis grimpent li des mâts aussi hauts, mais ces mâts n'ont jkis l;i grosseur de ces ;irbres, et les mous- ses s'aident avec des cordages. ^ oici donc; ce cjiic je xcmis conseille de faire pour y sujipléer : d'abord je vais vous allaclicr aux jambes des morceaux de peau de reciiiin, qui vous em]iêchcroiil de glisser cl vous reliendriuil ii l'arbre; voici ensuite une corde avec laquelle je X'ais vous allachcr au Irone de manière qu'en la fais;iiil monter avec vous X'OUS puissiez, en vous scuileuant avec les bras, vous asseoir de temps en temps, et grimper en avant, au lieu de vous cramponner, en poussant la corde tcnijours un peu ]ilus haut. (lelle manière de grimper esl pralii|uée avec succès par les sauvages el par les esclaves nègres; elle demande de l'Iiabilelé el de riiabiliide. Vous mon- terez d'abord très-lenlcnicnt , puis vous irez aussi vile c|ue les sau- vages. » Ils m'avaient écoulé avec alleuliiui; animés par mes ciiiim'ÎIs, ils essayèreiil la manière cpic je leur avais iiidii|uée , el réiissireiil bien plus faeilcmeiit ciiie je ne l'avais imaginé ; ils arrivi'rent heureuse- ment ;i la couronne de l'arbre , oii il leur était facile de se tenir , et nous saluèrent axcc des cris de joie. Ils tirèrent bien vite leur petite hache de leur ceinture, et, frappant sur les noix de coco, ils les Il l'eut tomber comme la grêle aiiloiir de nous; ii peine eûmes-nous le temps de nous mcllrc de ecilé pour ne pas les recevoir sur la tête. Alais notre singe, aprc's avoir bien regardé ce qui se passait, voulut en faire aut;iiit , et rinstinct d'imilalion s'empara de lui; il s'élança de l'herbe sur un palmier, el il fil tomber des noix, en trav.iillaiil des )ialti'S et des dents, aussi Viieii cpie Fritz cl .lack avec la liaelie ; il rcdesccndil ensuite aussi vile i|ii'il était monté , el s'assit par terre en grugeant une noix qu'il leiiail entre ses pattes, cl en faisant les grimaces les jibis drôles. Mes deux fils descendirenl moins vite que lui, mais aussi heiireiisemenl , cl reçurent nos félicitations sur leur adresse dans ce pénible exercice. Ernest ne dis;iil mot ; ses frères se nioquaieul de lui et de sa ]ia- resse ; ils lui offraient leurs noix de coco piiui' se restaurer après Itint de fatij/ues : il ne lépondail rien, el les repoussait. 11 se leva ensuite, el regarda atlentivciucnt Ions les palmiers les uns après les aiifees; il xiiil après cela me jirier de lui scier une noix de coco par le haut, cl d'y faire un Iroii pour y passer un lien et l'allaelier ii un des bou- lons de sa veste. IVrsonne ne comprenait ce qu'il voulait faire ; il prit une pclitc hache dans sa ceinliire, imis s'avancanl de deux pas, il prononça ce petit discours avec assez de grâce : « .le vois, mes cliers parents, que, dans noire l'épuldique , ou |dii- >i loi dans notre royaume (c.ir notre bon père esl iiolre roi bien aimé, » et noire nic're une reine chérie), je vois, dis je, qu'ainsi ciu'en Eu - » l'ope, celui qui a le talent de s'élever au-dessus des autres est eu » grand honneur cl eu i;raiide ccuisidéiatiou. Pour moi, j'avoue ipie H je trouvais bc'aui'ou|i plus doux et plus commode de rester paisible- u ment à ma place, .l'ai peu d'ambiliiui, el je préfi're le repos; mais » je n'eu aurai cpie plus de mérite d'être à mon tour utile à la patrie )) en grimpaiil comme les autres : heureux si je puis aussi inériler des • éloges de mon chef el de mes couciloyeiis ! (irimpons donc, piiis- • c|u'il faut grimper; » el . nous saluant de la main, il s'élanea vers lin nalmicr tris haut , de l'espèce des choux p ilmisles ou aréeas olé- es LE ROBINSON SUISSE. r.ici's '. .l'ctuis curieux de savoir ce <[u'il allait l'aiie; mais lois de roseaux enlacés. Us surpassaient tellement en hauteur et en épaisseur tous ceux que nous avions vus jusqu'alors, que je soupçonnai que c'était le roseau géant d'Amérii|ue, ou le bambou sommât ; on en a vu qui avaient (|uatre- vingts pieds de hauteur et dix-huit pouces de diamètre ; ceux-ci n'avaient, il est vrai, qu'une élévation de trente ou quarante pieds ; Bienlôl je vis couler abondamment cette agréable liqueur, que je reçus dans la coupe. mais on pouvait les employer à des mâts de bateau et de canot, et je savais ^ que menaçait une mort procliaine, il fallait Iiasarder de les dçfen- i dre à noire tour, ce qui, vu le nombre de nos ennemis, paraissait une véritable témérité. Notre seul espoir était dans l'effroi que pour- rait leur causer notre mousipielerie, qu'ils entendraient pour la pre- mière lois, et (|ui les délerminerait peut-être à fuir, l.e cœur un ] eu tremblant , je l'avoue, nous finies feu tous deuv en même temps ; et en effet les liiillles, effr.ivés par ce bruit et par la fumée, restèrent un insl.nit immobiles, comme frappés de la foudre, et prirent la fuite avec une telle r^.pidité qu'ils furent bientôt hors de notre vue. Nous entendîmes leurs mui;issements, qui se perdirent peu a peu dans le lointain. Une femelle seule, qui était sans doute la mère du petit que les chiens tenaient eu arrêt, étant accourue il ses cris, avait été blessée; elle était furieuse. Après s'être arrêtée pendant deu\ secondes, elle courut têle baissée et avec rage contre nos doijucs, qu'elle aurait exterminés si, d'un coup de mon double fusil, je ne l'eusse prévenue. Elle tomba; je m'approchai d'elle, et, voyant •pi'elle vivait i ueore, je l'a- chevai d'un coup de pisr tolet.Cene fut ([u'alorsque nous commeiic;iiues à respi- rer ; nous venions de voirde près une mort lerrihle et presque inévitable; nous avions lisipu' d'être écrasés sous les eou)is de pied et de corne de ces redoutables animaux. J'étais enchanté de mon Jack, qui, au lieu de pousser des cris et des gémissemenls, comme bien d'autres enfants de son ;Vje l'auraient fait, était resté lerme, silencieux à côté de moi, et avait avec calme tiré son coup de fusil. Je le louai .à juste titre, et je lui lis sentir combien, dans le daiii'cr, il est essentiel de ne ])as perdre la tète, de ne pas la faire perdre à ceux f[iii son! :ix('c nous jiar des démonstrations d'une crainte inutile, et de con- server toute i>a présence d'esprit, ipii siillit quelque- fois pour sauver la vie. Mais je n'avais pas de temps à perdre en loiip,ues ré- lle\i le lis approcher lurc et Bill, et je leur tendis les oreilles du jeune Imllle, dont la tête fut alors tiMiiquille; je tirai de ma poche mon ciiiiteaii pointu et tranchant, je pré- p;irai une corde de moyenne grosseur, je me plaçai de- vant lui, et , saisissant d'une main son museau, je lis un trou dans la narine; j'y passai vite la corde , que j'attachai ensuite à un ar- bre, assez ferme pour que la bête ne ])ùt pas même secouer la têle, ;itlenilu que,jus(|u'à ce que la jilaie lût cicatrisée , cha(|iie moil- xement aogiuentcrait ses douleurs. Je lis éloigner les chiens dès que l'opération fut finie. Le biiHletin fu- rieux se leva et voulut s'é- \ (der; mais ses jambes l'iéi s à demi et la douleur ipie lui causait sa blessure l'arrêli- leut. Au premier essai i|i e je lis pour tirer la corde, il se ]irêl.i à ce mouvement et marcha eu avant ; je vis alors que nous l'cmmène- rioiis avec .assez de facilité. •Il' le rattachai ensuite à l'arlire aussi (irès ipie pos- sible, voulant lâcher d'em- porter au moins ce que nous pourrions de la femelle (pie j'avais tuée. Je comiiieiieai jiar couper la langue, (pli est le iiieilleur morceau. Nous prenions toujours avec nous (|iiel(pics iioignées de sel pour nous en servir an besoin; je l'en frottai pour la conserver; j'ôtai ensuite la pe.iii des quatre pieds, en prenant garde de la dé- chirer. Je me rappelai d'a- voir lu (pic les chasseurs américains mettent cirs peaux en guise de bottes et de souliers, (pi'clles sont très-douces à porter et ties-tlcvibles, et je voulais les ciuidoycr à cet^ usage, .le coupai cTicore quehpics pii'ccs du corps avec la peau, j'y mis ce (pii me res- tait de sel, cl i'abaiidoiiiiai aux chiens les débris de la bêle pour les ré- compenser (le leur bravoure. J'allai, apri's avoir fait le bouclier, me laver à la rivière. \ous nous assîmes ensuite à l'ombre des roseaux, et en admirant leur superbe végétation nous mangeâmes avec ajqiétil les provisions (pie nous avions apportées. Nos pauvres dogues dévoraient aussi de leur côté ; mais ce ne fut pas sans peine (pi'ils achevèrent leur repas. A peine reiircnt-ils commencé, (pic des vautours se précipilè- rent du ciel, oii nous les avions observés comme des points nous, et .'•e jeti'rent sur le cadavre du bullle sanss'emliarrasser des burleiueiils de uns chiens. Il s'éleva d'abord entre eux une espèce de combat; mais, nul ne voulant céder la proie, ils se décidèrent à la parlaj;er; cliacuu en attrapait ce qu'il pouv:iil avec nn emiircssement et une glouton- nerie ipii nous firent rire : aussi en ])eii de temps ne resla-1-il que les os de cette énorme bête. 1)('S (prune horde de ces brigands em- pluinés était rassasiée, il en arrivait une autre de plusieurs espèces d'oiseaux de proie, entre lcs(piels je rccoiiniis le grand vautour royal, elle calao, (pie l'on nomme aussi Voifectu rhinocéros, (pii est très- facile à connaître par l'excroissance courbe (pi'il a sur son bec supé- rieur. Nous aurions bien voulu avoir en notre puissance cet oiseau Jack lança si adroitement sa fronde à halle contre le jeune bullle et autour de ses jambes de derrière, qu'il en fut renversé. ce LE ROBl^SO^ 8UISSE. icpos nùlc lie iissez curieux , et iilusi.-uis ;>utics rspèces qui m'ctiiiLMit iiKonnuos; nous eussions pu eu al.uUrc une (luunlité au moyen île (jueliiucs coups de i'usil; mais à quoi cela nous auiuit-il servi? nous n'avions déjà ([ne trop troulilé, pour nos besoins et notre défense, la Iranquillilé (les habitants de celte île, qui jusque-là n'avait appartenu qu'aux ani- maux. « Pourquoi, dis-je à mon lils, tuer ceux-ci dans l'unique des- de satisfaire une vaine curiosité' .' • >ous les laissâmes donc en et nous nous contentâmes de les chasser lorsqu'ils voulurent rendre notre diner dans nos mains et sur nos i;enoux. J'eus de la iieine à empêcher Jack de s'amuser à les tirer : il fallut l'occuper au- trement, et je lui donnai une petite scie pour préparer des vases de roseau, qui devaient nous être beaucoup plus utiles (juc ce ijibier. Je ne pouvais me lasser d'admirer la hauteur et l'épaisseur de ces bam- bous; mais mon petit paresseux n'eut i;arde d'atta(|iier les plus hauts, (|ui lui auraient donné trop de peine; il en choisit (lui avaient loiit au plus un pied de diamètre et ii peu près un pouce d'épaisseur, et il les sciii de jiùnture en jointure. « Il me parait, lui dis-je en riant, que tu veux te faire une llu Pan pour arriver en triomphe ii la maison au son de la musi(|ue. et célébrer notre victoire sur les bullles; mais tu prends encore des r()- seaiix beaucoup trop ijros; coupe les plus petits, et choisis les iiie- Ijaiix. — Ahl me dit-il, je penserai à la musiciue une autre fois; je n'ai |)as vu que l'iobiuson dans son île s'amusât ;i faire des llùtes : mais il me vient une idée; je vais faire quchpic chose qui sera [ilus utile il maman, ^'oule7,■vous, mon père, achever ces vases.' il n'y a plus rien i. faire (|u'ii les partager; je vais â présent couper des ro- seaiu i;ros comme des cierges d'éfjlisc , et j'en ferai des moules pour nos boiijjies. — Bien pensé, Jack, lui dis-je en lui frappant le front, il me semble que .cette petite tète sans cervelle commence ii en acquérir; c'est très-bien imaginé, et je loue ton invention. Je vais t'aider à faire (]uelques-uns de ces moules : si nous ne pouvons pas en laire sortir la bougie sans les casser, ce que je crois très-probable, nous savons ou ils croissent, et nou» reviendrons en chercher d'autres. « En disant cela , je me levai , et je fis clioix des roseaux qui pou- vaient le mieux convenir à cet usage; j'en coupai ensuite qucli|ues- uns des jdus grands, que je partageai seulement en trois ou quatre parties, pour en donner une idée ii ma femme. Je donnai ensuite le siijnal du déjiart. 'jNous avions tant de choses à traîner et il porter, et la soirée était (h'jà si avancée, que je n'hésitai pas à renoncer pour ce jour-lii ii la reclierche de l'âne, et à retourner sans délai près des nôtres, afin de ne pas les inquiéter; je désirais aussi moi-même savoir s'il ne leur était rien arrivé pendant notre absence. Je détachai notre jeune buffle, et vis avec plaisir, en m'approehant, ipi'il s'était endormi; ce (|ui me jirouva (jue sa blessure ii la narine n'était |ias trop doulou- reuse. Cependant il beugla lors(|ue je lirai la corde, mais il me sui- vit sans résistance. Je lui en attachai une seconde ;iu\ cornes, cl je les tins toutes deux; je ne lirais celle du nez cpie lors(pie j'y élais iddigé pour le faire marcher, cl presque ii chaque pas il devenait plus docile; enfin il le lut au point (|ue nous luisardâmes, pour nous HOiilTiger, d'attacher sur son dos Ic^ |)aquets de roseaux et les pièces de viande salée. Le bulllelin n'eut pas l'air de s'en apercevoir; il me suivit comme auparavant, et nous rendit, ce premier soir, un bon service; nous en fûmes plus lestes pour la marche, et nous iitiursui- vimes gaiement notre chemin. >ous nous retrouvâmes bientiU dans l'étroit passage entre le torrent et les amas affreux de rochers dont j'ai déjii parlé. Inopinément se trouva là, à quatre pas de nous, un chacal assez gros : aussitiit (|u'il nous apeiTul il prit la fuite; mais il fut vivement poursuivi par nos chiens, (|ui ratteiguircnt à l'entrée d'une caverne, et le forcèrent; n'ayant plus la possibilité d'j entrer, il prit le parti de se défendre. Mais le combat était très-inégal; nos vaillants dogues étaient ileu\ cinitre un, et leur larg'c collier armé de pointes et de clous résistait bien aux attaques de l'cniu'uii , (|ui était trop à découvert pcuir n'être pas bienli'it vaincu. ( hiand nous arrivâmes sur le champ de bal;iillc il était déjii mort; nous l'exami- nâmes, et nous \ imes (iiie c'était une femelle (|ui allaitait, (l'était sans doute pour défendre l'eulrée de la cavenur (ui devaient être ses petits (pi'elle axait perdu la vie. Jack voulut y pénétrer et les preu- «Ire; mais, craignant ipie le mâle n'y fût caché, je retins son zèle, et je lirai d'aboni un coup de pistolet dans cet enfonecment obscur : vovaiit (|iic tout était 1 raii(|uille , je le laissai faire, car j'étais charmé l(]nles les fois (|ue je le vojais donner des preuves de ciuiragc. l'endaut (|uel(|n(s UKUiients ses yeux ne purent rien découvrir à cause de l'obscurité; mais, ((nand ils y fiireiil accoutumés, il aperçut dans un coin un nid rempli de petits chacals. Les dogues, <|ui l'a- vaient suivi, les scnlirent avant même qu'il les eût vus; ils se je- tèrent dessus et les exlcriiiiiH'rcnt sans miséricorde, à l'exccplion d'un seul, qu'il parvint à leuréiler. Il revint vers moi, tenant dans ses bras ce petit animal, qu'il caressait, cl qui pouvait avoir douze .i ([uinzc jours ; ses yeux étaient ii peine ouverts, car, chez les bêtes ijni ludssent aveugles, les yeux ne s'ouvrent p;is .tvaiil le dixii'uie ou le douzième jour, et rcstenl (|n(l(|ue temps encore faibles et à demi feriiK's. .lack me demanda avec iicl;iu<'e la permission d'élever ce petit chacal, comme Fritz avait élevé son singe : je n'eus rien à oijjecler, ne voulant pas refuser à l'un de mes entants ce ipic j'avais accordé à l'autre; il me paraissait cruel de tuer de sang-froid cette jiauvre petite bête. J'avais envie aussi d'essayer sur elle le pouvoir de l'édu- cation, et de savoir s'il nous serait ]iossil)le de parvenir à l'apprivoi- ser assez pour nous procurer à l'avenir une bonne race de chiens courants : cela valait la peine d'en faire rexpérience. Jack eut doue la permission de le garder, et fut si content, qu'il d.msait, sautait de joie , serrait contre son sein le petit renard doré, le couvrait de bai- sers, et me promettait de l'élever si bien, qu'il deviendrait doux et gentil, et n'incommoderait personne. ]N'ous sortîmes de la caverne; j'avais attaché près du torrent le jeune bulile à un arbre sans remarquer de quelle esiièce il était. En y cillant pour détacher l'animal, je vis que c'était un petit palmier; près de là j'en trouvai d'autres, de deux espèces trèsremaLapiables, (|uc nous n'avions encore vues nulle pari'. Les uns avaient de dix à ilouzt^ |)ieds de hauteur; leurs feuilles étaient armées d'épines poin- tues, et portaient un fruit de la forme d'un petit concombre obioiig; mais il n'était pas encore mûr, de sorte ipie nous ne pûmes le goûter. Les autres, un peu plus petits, avaient ;iussi des feuilles épineuses; ils ét.iient en neiirs et ne portaient pas encore de fruit'-. Je sou]i(;on- nais que la prcmicic espèce était le palmier royal , (|u'on nomme arriva ou aiifuiUe d'Aduin, et la seconde le palmier nain. Je résolus de me servir de lous deux pour fortifier mon enclos de Zeltheim, et d'en planter aussi une ligne serrée pour hi défense du pass;ige étroit oii nous étions. Nous nous proposâmes donc de revenir dans (piel(|ue temps ])our arracher les plus jeunes et les Iraiisplanlcr; nous eûmes l'espoir lie trouver alors leurs fruits mûrs, et de pinivoir reconnaître leur espèce avec plus de certitude. Nous traversâmes .heureusement le ruisseau (|ui, depuis la paroi des rochers, se jette en cascade écnmanle dans la rivière, après avoir également franchi l'étroit et rude passage qui tourne le rocher, et qui ne laisse pas d'être dangereux; marchant toujours avec précau- tion, nous arrivâmes cheit nous un peu avant la nuit , fatigués, mais d'ailleurs sains et saufs. Nous fûmes re(;us avec des cris de joie et d'admiration à cause des nouveaux hôtes que nous amenions : le veau noir fut trouvé très-beau, le renard jaune très-joli, et Jack eut assez à faire de raconter l'histoire du mémorable combat avec les bullles et la mort du chacal. On lui faisait tant de (|uestions, (|ue je pus ii peine m'inforiuer de ce qui s'était passé pendant notri' absence : j'en vins à boni cependant, et j'appris avec phii^ir tout ce que mon monde avait entrepris et exécuté, ainsi qu'on le verra au chapitre suivant. J'ai ilé'jà plusieurs fois fait r(diservation du privilège particulier dont jouissait notre île, de rcnleinier des animaux i|ui ne se sont ja- mais jnsipi'ii présent trouvés ensemble. Pour la dernière fois je ferai reniar(|uer ici ipie l'Australie, dont nous étions peu éloignés, ne nourrit ancune espèce d'animaux ruminants, de sorte ipie la présence du bulile dans l'ilc m'aurait paru fort extraordiu:iire sans les exem- ples singuliers qui s'étaient déjii ofl'crts ii nous. En attendant, ce qui me confirmait ilans la pensée que nous étions réellement dans un lieu d'exception, c'était que le règne végétal ne présentait pas la même marche, du moins je n'avais encore renconlré aucun des ar- bres essentiellement australiens, tels que les eucal^ples, les panda^ nus, et antres. CHAPITRE XXVII. L'aigle de Malahar et la fabriiine de 9as;ou. Ma femme prit la parole : elle me dit ([ue tous ses enfants avaient été saijcs et diligents; ils étaient moulés ensemble sur l(! promontoire de l'I'.spérance trompée, avaient ramassé du bois et lait des flain- beanv pimr la nuit, et, ce (lue je n'aurais pas cru possible, ils s'é- taient hasardés il ;ibattre un immense palmier, celui oii Ernest était moulé. (](■• pénible et dangcrenv travail avait été heureusement exé- ciiié; le roi des forèls gisait étendu sur la terre, et couvrait un es- pace de soixante-dix pieds de long au moins. Ernest avait encore une fois grimpé dessus, muni d'une longue corde (ju'il avait fortement altacliée au sommet. Lorsi|u'il fut redescendu, lui et Fritz avaieni travaillé de la hache et de la scie pour le couper. Dès qu'il fut à peu pri's traversé, ils dirigi'reul douceiiicnt sa chnie avec la corde, et de ' Le palmier épineux, nu l'avoira de G'uiice. Ses feu'llcs ont (iiielqiefois jus- qu'à dix pieds de lonj; ; elles sont ad.'OS,ct leur pétiole est Rarni d'épmes longues et aiguë*; ces queues ou p('tiole» sont Iri-s-ailliéreiits à l'arbre , c( subsistent lors nu'me q.c sa feuille tombe ou qu'on la cueille pour dilTéienis us.igc.-t ; et cet amas d'épine» eetrelacécs autour du trond en rend rn|)i)rocho impossdilu. Les fruits font plus (;ros qu'un ceuf de pigeon, ohlonga , jaunes et velus. Dans le brou ou l'enveloppe, so trouve une substance jaune cl onctueuse, que les singea, les vocliPS et d'autres animaux mangent avec délices; on en tu'e une huile dont on se sert pour apprêter des aliments et pour brûler. Do l'rmnnde contenue dans ce brou on extrait une espèce de beurre d'un très-bon g ût. (Nouveau Dicliannaire d'ilisloire niitiirelte.) 2 Palmier nain ou cocana. Son fruit est jaune et coniient des graines entourées d'une pelliiulo aigrelette. Les sauvages in font une boisson assez agréable et ra- frntrlii«s.iiile «n feuille cles deux fils s'ac- quittèrent fort bien de la commission dont je les avais chargés, et nous arrivâmes assez vite et sans accident vers les arbres a cire et à gomme, oii nous nous arrêtâmes pour mettre sur notre voiture les sacs de baies. Le caoutchouc n'avait pas donné autant que je le croy.iis, jiarcc qu'il s'était trop vite épaissi à l'ardeur du soleil, et qu'il s'était formé une croûte au-devant de l'incision; nous en eûmes cependant environ un pot, qui suftisait pour tenter l'essai des bottes imperméables, que depuis loiiijlemps je désirais faire. Nous nous remimes en roule, toujours précédés de nos fourriers, qui nous préparaient les voies. En traversant le petit bois de goyaves, nous entendîmes tout à coup un bruit efTrayant qui venait de notre avanl-garde, et nous vîmes Fritz et Jack accourir au-devant de nous. Je craignis d'abord qu'il n'y eût un tigre ou une ])anthère dans le voisinage. Turc aboya si effroyablement, et Bill, courant à lui, l'ac- compagnait d'une manière si bruyante, que je me préparai, non sans effroi, à un sanglant combat. J'allai, ii la tcti' de ma troupe, ([ui vou- lut absolument me suivre, secourir ceux que je croyais en danger; mes braves chiens s'étaient portés, comme des furieux, contre un fourré assez épais, oii ils s'étaient arrêtés, et, la tête baissée, soufflanl de tons leurs poumons, ils tâchaient d'y pénélrer. Sans doute, me Uisais-je, il y a là quelque animal redoutable; Fritz, qui l'avait en- trevu à travers les feuilles, me confirmait dans cette idée, et disait ((ii'il était .à peu près de la grosseur du jeune buffle, et qu'il avait un ])oil noir et hérissé. J'allais, à tout hasard, lâcher mon fusil dans ce fourré, lorsque .lack, qui s'était couché par terre pour tâcher de voir la bêle, se leva en éclatant de rire. « C'est, nous dit-il, un nouveau liKir de maître cochon; cVst notre grosse truie, qui ne cesse de se moquer de nous. » Dans ce moment, le grognement du monstre ca- ché dans le buisson confirma ce que nous disait Jack. Moitié fâchés, moitié riant, nous nous fîmes jour au centre du fourré, où nous trouvâmes en etl'et notre truie étendue par terre vl entourée de sept petits, qu'elle avait mis bas depuis peu de jours, et qui la tétaient ii qui mieux mieux. Cette trouvaille nous fit grand plaisir, et nous ca- ressâmes tous la grosse nourrice, (|ui semblait nous reconnaître, et grognait ainicaleineiU en léchant ses petits et sans témoigner aucun cft'roi. Nous la récompensàiues de cette bonne conduite par des pa- tates, des ijlands doux et du pain de cassave : mes petits garçons s'en privaient vohuilicrs pour elle ; ils lui ;ivaieiit obligalion de celle belle porlée ciuniiie d'un présent, et voyaienl déjii en idée un coclinn de lait croquant tourner ,i la broche. jSous délibérâmes sur ce qu'il valail mieux faire : laisser là loiite eetle famille, ou la (-(Uiduire à la maison. l'"rilz voulait qu'on ne la dérangeât point. 11 peiisail i|ue l'isolement rendrait ces animaux sauvages, (|u'ils ilevieiidr;neiit peul- êtic de petits sangliers, et (|u'il aurait le plaisir de chasser. Ma feiuiiie désirait iju'on en élevât au moins deux pour le ménage, et que, puis- que la mère nous échappait toujours, on la tuât lorsipi'elle aiir.iil sevré, afin d'avoir une provision de viande salée : ce fut là l'avis ipii prévalut. Pour le niomenl, nous les laissâmes en paix dans leur r<- traite, nous réservant d'en élever trois, et de laisser courir les ipialre aiilres dans les bois, oii nous pourrions les cliasser s'ils cansaieni du dommage à nos plantations. JNoiis continuâmes notre roule vers I'';ilkcnliorsl , oii nous .ini- vâmes heureusement et avec une grande salisfaction, tant il est vr.ii cpi'on retrouve toujours avec satisfaclion sa demeure habiliiellc. Toul était en bon ordre, et nos aniiiianv doiiiesticpiis vinrent au-devant de nous en caipielant et en nous léiuoiijnant a leur luaiiii'i'e leur joli' de niuis revoir. Nous leur jetâmes tout ce i|ue nous crûmes leur êlre agréable; elles retiui ruèrent ensuite d'elles-niêmes à leur jilaee accou- tumée. Jl fallut encore attacher le luillle el le chacal pour les appri- voiser peu à peu : ce fut aussi le sort du bel aigle de .Malabar. l''iilz crut faire merveille en le plaçant îi côté du perro(|uet, sur une ra- cine d'arbre; il l'attacha avec une ficelle assez longue piuir (jii'il ))ùt remuer facilement, el il lui débanda les yeux. Jusqu'alors l'aigli; avait été assez tranquille; mais il n'eut jias pliilôl la vue libre, <|u'il entra dans une espèce de rage qui nous ét(uina; il releva lièreiiicnt la Icte, hérissa ses plumes, et ses prunelles sembliuent tourner dans leurorbile et lancer des éclairs. Toiile notre volaille s'en efl'raya el prit la fuite; mais le pauvre perroquet se trouva trop près du brigand, et ne put lui échapper. Avant que nous nous fussions aperçus de son danger, il fut saisi et déchiré en un instant par le véritable bec cro- chu de l'aigle. Fritz éclata en injures et en malédictions, et résolut de liier à l'instant le meurtrier; mais Ernest accourut, en le priant de le laisser vivre, o iNoiis retrouverons, lui dit-il, des perroquets tant (pie nous en voudrons, mais jamais peut-être un aussi bel oiseau que cet aiijle, que nous ]K)iirrons di'csscr pour la chasse au faucon, comme le dit mon jière. C'est bien la faute s'il a tué le perroquet : pourquoi lui débander les yeux? J'ai lu que les faucimniers les leur laissaient bandés pendant six semaines, jiisim'à ce (|ii'ils fussent en- tièrement apprivoisés. Donne-moi ce gaillard-là ii élever, il sera bien- tôt souple et docile comme un ])etit chien ; je sais le moyen d'y parvenir; tu n'as (|u'à me le céder, cl tu verras! • — Oni-da! dit Fritz; je le donnerais mon aigle! il est à moi, je ne veux le confier à personne; je relèverai toul aussi bien ipie toi si tu veux seulement me dire commenl tu voulais faire; c'est bien in;il à toi si tu ne me l'apprends pas. j\ 'est-ce pas, mon père, que c'est bien dommage? » Ernest avait secoué la lête, coiume pour dire non à la proposition de son frère. LE pî-BE. Doucement, doucement, mes enfanls! 11 faut, Fritz, que je te raconte un petit apologue. Un eliieii s'était posté sur une bolle de paille, (|u'il regardait comme sa propriété. Un âne et un bœuf af- famés vinrent le prier de la leur laisser luanger, puisqu'il ne pouvait la manger lui-même; mais le chien, hargneux el jaloux, ne leur pi'r- mil pas même d'en approcher. Jalua.r, inaiiiie ta balti; uu laisse-niiug la inanijer, lui dit le bœuf'; mais le chien ne voulut rien entendre, el le força de s'en aller. Dis-moi à présent si lu n'agis pas aussi mai que ce méchant dogue. Ju ne sais comment apprivoiser ton ;iiglc; tu voulais le tuer il n'y a (pi'iin iiislant, cl maintenant lu ne veux pas le donner à Ernest, ([ui te promet de l'élever, parce (|ue lu es jaloux de ce qu'il est plus instruit ipie toi! Comme il a lu avec plus de ré- llexioii, il esl tout simple qu'il veuille retirer quehpic profit de ses leclures el de son savoir; au moins devais-lu lui offrir liounèlcmeiit (pielquc chose pour (pi'il le donnât son secret, si lu liens tant à gar- der ton aigle. Si Ernest veut te le eommuiiic|iicr pour rien, ce s&ra d'autant plus généreux de sa part, et je serai content de lui et de loi. iiurz. \oiis avez raison, mon père : eh bien I je lui donne mon singe, s'il le veut; un aigle, c'est plus noble, plus héroïipie. Puisiiue je l'ai trouvé, je veux le garder; mais lu m'apiu-cudras à l'appri- voiser. Qu'en dis-lii, Ernest? acceptes-tu le marché? EiisEST. Je le veux bien ; moi, je ne f;iis pas grand cas de cet hé- roïsme; j'aime mieux être uu savant. Tu seras, si lu le xeiix, le che- valier (le l';iigle, et moi, je serai votre historiographe el votre poêle, el je ferai une belle épopée sur les hauts faits du chevalier et de son oiseau de proie. riuTZ. Mauvais railleur! mais enfin prcuds le singe, el apprends- moi Ion secret pour dompter mon aigle. t^)ue faiil-il (pic je fasse pour le rendre plus tranquille ? Kll^EST. J'ai lu, je ne sais oii, que les Caniïbes souIlleiU de la fumée de tabac dans le bec des oiseaux de proie et des pcrnupuls ipi'ils attrapent jusqu'à ce qu'ils en soient étourdis et tombent presipie sans connaissance; quand cette espèce d'ivresse esl passée, ils ne sont plus farouches. niiTZ. Voilà donc ce grand sortilège! de la fumée de tabac! il va- lait bien la peine de s'en vanter! Ton secret ne vaut pas mon singe : n'est-ce pas, mon père ? i.ii 1 kiiE. Et poiinpioi pas? s'il esl b(Ui, comme je le crois, le marché doit tenir; s'il ne l'est pas, Ernest ne demandera rien pour un con- seil inutile; mais j'en ai bonne opinion. On peut, par le même moyen, tellement étourdir les abeilles, (|u'oii en fait ce (|iic l'on vciil sans (pi'ellcs se iléfendenl : comment pourrait-on sans cela prendre leurs rayons de miel? L'idée n'est pas du tout mauvaise. rii,\i\i;ois. Il y a donc un moyen d'empêcher ces mécliaiitcs abeilles de piquer un pauvre petit garçon (pii vent seulement goùler de leur miel! 1)011 papa, je vous prie d'aller un peu fumer dans ce trou d'arbre , cl d'endormir si bien ses habitants que nous puissions avoir au moins la moitié de leur miel sans eu êlre dévorés. i.E l'îiiK. Je te le pnnuels, mon petit ami : je m'en occuperai au premier jour; en attendaiil, je prie l'rit/, de donner une fumigation à son aigle, pour (pi'il nous laisse passer tranipiillcmcnt celle niiil? il ne cesse de battre des ailes cl de faire crier noire volaille; il faut ah solumeiit le lucllre ii la raison el faire l'épreuve du secret d'Ernest. t'ritz y consentit. 11 prit du tabai; el une pljic; nous en ax'ions trouvé en (|uaiitil('' dans la caisse des matelots; puis il liiina en s'ap- ]n'ocliant peu à ]umi de l'oiseau farouche. Lors(pie celui ci lut un peu calmé, il lui remit son capuch(m sur les yeux, el fiinni de iioii\eaii si pri's de ses narines, que l'aigle denieiira sans connaissance sur la place, comme s'il eût été empaillé, l'rilz le crut mort, cl vouliil se fâcher contre son frère; mais je lui fis observer ipie l'oiseau ne se tiendrait pas perché s'il élail sans vie, et que sa lête seule étail étourdie, l'.ii elTct, il revint à lui peu à peu, sans faire aiieiin bruil, (|iioi(pi'(ui lui débandai les yeux; il nous regardait d'un air éloniié, lu.iis sans fureur, el de jour en jour il devenail plus apprivoisé et plus li'.iiupiille. I.e singe fui unanimement adjugea Ernest. Dî's le même LE nOlilWSOIN SUlûSE. (il) soir il en prit possession, et le lit coucher près de lui. Nous passâmes tous une excellente nuit dans notre eli.ikMU aérien et dans nos lits, i|ue nous retrouvâmes avec beaucoup de plaisir. CHAPITRE XXVIII. Origine de qiiclciues arbres fruitiers européens; les abeilles. Le lendemain, de bonne heure, nous entreprimes ce que nous aviojis décidé depuis longtemps, c'est-à-dire de planter des pieux de lianihiius à côté de nos jeunes arbres pour les soutenir. Nous par- tîmes avec joie de la maison, notre char chargé de cannes et d'un fer gros et pointu pour faire des trous dans la terre, dette fois nous laissâuies ma femuie seule avec son petit François en les priant de nous préparer uu bon diner, sans oublier le ehou-paluiiste et les ma- caronis de sagiiu an fromage; ils offrirent aussi de faire fondre la cire des baies pour notre provision de bougies. INous ne primes pas avec nous le buffle; je voulais que sa blessure achevât de se guérir par un jour de repos, la vache suflisanl d'ail- leurs pour la charge légère de cannes de bambous. En (lartanl, nous donnâmes au bnflle, pour nous en l'aire aimer, (|ueli|ues poignées de sel; celte friandise lui plut tellement qu'il voulut à toute force nous suivre, et que pour l'en empêcher nous fûmes obligés de l'allachcr. IN'ons commcuçânu's nos Iravauv à l'entrée de l'allée qui condui- sait à Zeltheim, cl assez près de l'alkenhorst. Les noyers, les châtai- !',niers et les cerisiers qiu' nous avions piaules en ligne régulière et ii une égale distance iieucliaient déjà sensiblement, et tous du même côté, parce qu'ils avaient été courbés par le vent. Comme étant le plus fort, je tenais le fer, avec leipiel je faisais facilement daijs cette terre légère un vide assez profond pour que le pieu y tînt ferme. Peiulaul ce temps-là mes t'ils choisissaient des tuteurs, les coupaient tous a la même hauteur, cl faisaicul une pointe au bout i|ui devait entrer en lerri'. Lors(pi'ils furent bien solidement établis, nous ser- râmes la terie tout autour, et nous ;itlacliàmes les jeunes arbres aux pieux avei- une plante lunguc, élroite et souple, (pie je soupçonnai être "lie espèce de liane, cl qui se trouvait dans les environs. Tout en tiavaillant, nous entamâmes uift conversation animée sur l.i culture des arbres. Jusipi'alors mes enlants n'avaient songé qu'à manger les fruits sans trop s'embarrasser d'oii ils venaient; mais ciiiin leur curiosité fut excitée, et ils me firent tant et tant de qucs tions sur cet objet, que je fus assez embarrassé pour leur rcpcuidre. Cependant je leur communiquai avec plaisir tout ce que je savais : je voyais que le moment était venu de rendre mes leçons instructives et vraiment profitables; je pouvais en même temps leur en ilouner la démonstration, .le vais rendre compte eu abrégé de notre ciitre- licn , qui ne sera pas sans utilité pour les jeunes gens destinés à la vie agricole. fBirz. Ces jeunes arbres ([iie nous avons plantés, et que nous vc- lunis d'appuyer, sont-ils sauvages ou cultivés? uch. l'Iaisanle question! ei'ois-lu donc qu'on ap]n'ivoise les arbres ciimiue les bullles cl les aigles? Tu leur apprendras peut-êlre à se baisser polimenl pour que nous ayons moins de [U'ine quand nous viendrons cueillir leur fruit! riurz. Tu crois dire lii, mou pelil ami, quelque chose île bien spi- rituel, et tu ne dis (prune bêtise. Peuses-tu (|iie tous les êtres créés (biiveiit être élevés de la iiiême manière? Si cela était, papa devrait, à ta première désobéissance, te passer une corde dans le ne/- pour te rendre plus docile. EiiXEsr. JNous le verrions bienlôl bridé. i.i: rKKK. Vous courriez ris(pie de l'être tous, si c'était là le seul moyeu do vous dom])ler; mais Fritz a raison : on n'éli've pas les hommes comme les aniiuaiix, ni ceux-ci comme les plantes, (|iioii|ue l'éducation de tous tende toujours au niêiue but, c'est-à-dire à faire céder leur volonté au joug de la nécessité et du devoir, et à les faire iiKirclier droil, comme ces arbres <(ui pliaient à tout vent, et que nous venons de redresser et d'assurer. (Jhaipie créature est siiseep- lible de se perleetioiiner, c'est-à-dire que, par la culture et les soins, cliaipie être peut devenir meilleur et acipiérir des verliis et des ipia- lités (|u'il n'aurait pas eues s'il élail resié abandonné il lui-même cl à son naturel : ainsi je rends noire biillle cl lu rends ton chacal do- ciles en leur faisant stinlir le pouvoir de l'Iiinuiuc sur la brûle; ainsi je tâ( lie, mes chers enfants, de vous perfectionner en eiillivaiit votre iiitelligciice,en vous doiinanl, aiilanl ipie je le puis, de bonnes leçons et de bons exemples, et ces arbres, ([ui n'étaient d'abord (pic des sauvaifcons, c'est-à-dire venus de semence et ne portant ipie du fruit petit cl mauvais, ont été rendus c;ipablcs d'en produire d'exeellenls eu les greffant de bonnes espèces. Ap|iroehcz, regardez celte braii- ehe; il est aisé de voir qu'elle a été insérée dans celle-ci; on a élagué tontes les autres pour ne conserver (|ue celle-là; toute la scvc ou le sue nourricier s'y est porte, s'est étendu, et le sauvageon est de- venu un bel et bon arbre produisant le même fruit que celui dont ou a pris la greffe. C'est ainsi ipi'on procède lorsqu'on veut greffer. FRITZ. Il y a bien des choses que je ne comprends pas encore, .l'ai souvent enlendu parler d'enler les arbres : est-ce la même chose (pie de les greffer ? LE pîîRE. A peu près. Eiiler est, je crois, le mot propre de l'opéra- tion, et (/ri'lfe le nom de la branche que l'on insère. Il y a, suivant les espèces d'arbres, dilTéienles manières de greffer et différentes sai- sons pour faire celte opération avec succès; on ente en fente, en écusson, en œillet : les uns greffent avec une branche insérée, d'au- tres avec un boulon non développé. Ola ne réussit pas toujours ; mais on recommence une seconde ou une troisième fois. JACK. Peiil-on enter de bons fruits sur toute espèce d'arbres, sur des sapins, sur des chênes? LE PÈRE. Non, mou fils; il faut choisir des espèces d'arbres homo- gènes. JACK. Ah! voilà, par exemple, un fruit ipie je ne connais pas, ho- imH/p.ne. Est-il bien bon? est-ce que nous en avons ici? .le serais bien aise d'en manger. i.E riaiE. Ce n'est pas un fruit, mou cher enfant, c'est un mot un peu plus savant, et dont j'ai eu lorl de me servir sans vous en don- ner l'explicaliou. llomoijcne dérive ou vieni du grec, et veut dire d'une, iin'ine nature, quia de uramls rapports: ainsi un jiommier, un poirier, un cognassier peuvent s'enler les uns sur les autres, parce que leur bois, leur semences ou pépins sont homogènes ou se res- semblent. 11 en est de même de différents fruits à noyau, tels ipie le cerisier, le prunier, le pêcher, l'amandier. Vouloir enler ces dif- férents arbres sur un pin ou sur un chêne serait tout à fait inutile. 11 en est de même parmi les hommes : la meilleure éducalion ne peut faire de chacun d'eux un savant, un artiste, un général. nu rz. Vous disiez, mon père, que les sauvageons ou les arbres pro- duits par la seule seiuence ne portent pas de bons fruits; eependanl tous ceux qui sont dans notre ile, nos cocos, nos goyaves n'ont pas élé entés, piiisipi'il n'y a ici aucun jardinier, ni personne ipii put leur faire cette opération. LK l'iiHE. Ta rcmaripic est juste; aussi je ne parlais que des arbres fruitiers de notre l'urope, oii, presiiue sans exception, les fruits de- mandent à être améliorés par un meilleur terrain, par la ;;reffe et la culture. La Providence a voulu sans doute dédommager les cli- mals brûlants de plusieurs inconvénienls, en leur accordant les pal- miers et d'aulrcs fruits (|iii viciiueiil nalurellemeiit cl s.iiis peine. ERMiST. Je comprends tout cela; mais une seule chose m'in([iiicte : d'où a-t-on tiré en Europe, au commencement, les greffes des meil- leures espèces? JACK. Relie ([iiestion! des pays qui en avaient. ERXEsr. Belle réponse! Et ces pays où les avaienl-ils prises? .le voudrais savoir d'où l'on a tiré les premières branches des bonnes espèces avant ([u'il y eut des gens ([ui s'occupassent de la culture des arbres et c[ui eussent inventé l'art de les enler; il faut cependant (pie, dans l'origine, tous les arbres aient été sauvages. JACK. Oui-da!... Et le paradis terrestre, ne crois-tu pas qu'il y eût là d'excellents fruits et de toutes les espèces? n'a-t-on pas pu en prendre là autant (pi'on en a voulu? i,E rkiiE. Mon petit ami, si lu avais lu la Bible avec :illenlioii, tu aurais vu que notre père Adam fui chassé du paradis tcrresirc pour avoir mangé de l'un de ces bons fruits, contre la défense positive de Dieu; et comme il était alors seul sur la terre avec sa femme Eve, personne n'a pu aller prendre des greffes dans ce beau jardin, ijui d'ailleurs n'était pas eu Europe : ainsi la question d'Ernest est juste cl sensée. Les bons arbres fruitiers sont sans doute originaires de (piehpies endroits sur la terre, oii ils porlcnl iiatiirellement, dans le climat qui leur convient, des fruits aussi exquis (jue l'art cl les soins peuvent en produire chez nous. Ces arbres auroiil été arrachés jeunes de leur sol natal et transplanics en Ijirope, oii, par le<'soins des jar- diniers, ils .iiiriuil prospéré et fourni des greffes pour les luulliplier; c;ir le clim.it d'I'.uropc esl si peu propre à produire n.iliircllemcnl de bons friiils, (pic le meilleur arbre, venu seiilemenl de semence, y redevient sauvage et a besoin d'être greffé. Des jardiniers rassem- blent dans un enclos une ([iiantité de jeunes arbrisseaux; ils les sè- mcnl d'abord et les greffent ensuite. On appelle ces enclos ilca pépi- nières ; c'est là que l'on va choisir ceux dont on a besoin, cl ipie les nôtres ont été pris pour les mellrc sur le vaisseau. FRITZ. Est-ce que vous savez, mon père, quelle est la p:ilric origi- naire de ces arbres ? LE l'i-RE. Uc la plupart, du moins. La vigne que j'ai hasardé de planter près de notre arbre, à Falkeiihorst, ne vient (pie dans la zone tem- pérée; elle ne prospère ni dans les pays trop froids ni sous la zone torridc, quoi(pi'eii général elle préfère le midi au nord. Du reste, elle date de loin, celU^là! puisque nous voyons dans la Uible que le père A()é faisait déjà du vin. Il y a lieu de croire (pie la vigne est originaire de rAsie-!\linciire cl de l'Arménie; elle parait avoir été portée, dès l'anti((iiité la ])lus reculée, en Egypte, en Grèce, et dans tout le resle de l'Iairope. Les narrations f.ibuleiises de la mythologie sur IJacchiis lieiineiit sans doute à la propai^alion de la vigne. L'Italie l'aura reçue de Grecs émigrés et des Komains, (|ui devinrent les maîtres du monde connu; elle a élé jiortée dans les Gaules, en Es- pagne, eu Allemagne, et dans les parties de l'ilcivétie où elle pou- vait prospérer. Peut-être aussi (|ue les Phénieiens l'avaient porlée auparavant dans quelques-unes de ces parties du monde. 70 LL, HOBINSON SUJSbË. LES ENFANTS. El les pommicis, les poiriers, les châtaigniers, les noyers, les :iiiianourrail établir un escalier tournant, en dediuis de l'im- mense troni; de l'arbre, si par hasard il se trouvait nalurcllenient creux, ou c|u'il fût possible de le creuser : François avait réveillé celte idée en rue parlant des abeilles. • Ne m'as-tu pas dit, ihcre amie, demandai-je it ma femme, qu'il y a un trou dans le tronc de ce gros arbre, et qu'il s'y trouve un es- saim d'abeilles :' i.\ MiRR. Sans doute, c'est là que François, qui voulait y fourrerun bàlon, fut si bien piqué. Tiens, regarde, lu verras entrer et sortir des abeilles eu foule. i.E i'i;iiE. Eh bien! il s'agirait seulement de savoir jus(|u'où descend ce Irou, s'il atteint les racines, et (piclle eu est la circoid'ércnce : alors notre escalier serait déj;i bien avancé. » Tous mes enfants saisirent cette idée avec ardeur; ils se levèrent en sauUnt, et se préparèreni ',\ grimper, comme des écureuils, sur les arcs des racines, pour de l.i frap)icr le tronc avec des haches, afin de juger, au bruit, jiis(|u'à cpicl point il était creusé; mais ils eurent bientôt assez de leur essai. L'essaim des abeilles, alaruu'es du bruit que l'on faisait contre leur deuieurc, sortit en bourdonnant avec fu- reur, se jeta sur les pelits tapageui's, commença h les ]iiqiur, s'atta- cha à leurs cheveux et ;i leurs habils, et les mit bientôt en fuite, emportant avec eux leurs ennemis el poussant des cris lamentables : nous eûmes assez de peine ii les arrêter et ii couvrir leurs petites plaies de terre fraîche pour apaiser la douleur. ,lack, toujours le plus Uinéraire, avait frappé droit contre le nid des al>eilles; aussi était-il le plus maltraité : il i^allut lui mettre un mas(|ue de liun)n sur le vi- sage. Le pau'ssenx l'.rncst était monté le dernier, et s'était sauvé le premier qiiaud il avait vu le combat; aussi en fut-il (piitte pour une couple de piqûres; mais il fallut nue heure ou deux avant (|ue Ions les yeux fussent ouverts et les grainlcs douleurs passées. Alors vint le désir de la vengeance contre les insectes rpii les avaient si fort mallrailés : ils me prcssi'renl de faire tous les préparatifs nécessaires pour lu/us emparer de leur miel. Elles bourd(UMiaient , encore fu- rieuses, autour de l'arbre ; je pré))arai du labac , une pipe , un mor- ceau de lerre glaise, des ciseaux, des marteaux, etc. ,1e pris la grande courge, destinée de])uis longlemps ;i faire une ruche, el je lui prépa- rai sa place en clouant un bout de planche sur une branche de notre arbre; je fis un toil de ])aillc pour la ])oser dessus cl la nu'tlrc ii l'abri du soleil el de la pluie. Tout cida un' prit plus de temps que je ne pensais; il fallut renvoyer au Icndeuutiu l'allaquc de l.i forteresse, et nous nous y préparâmes par un bon som il, qui acheva la gué- rison de tous mes petits blessés, CHAPITRE XXIX. Conquéle sur les abeilles; l'escalier tournant ; éducalio» de divers unimau.x ; fabriques diverses; fontaine, etc. Le leudcHuiin, di-s l'aube du jour, nous étions debout; les abeilles axaient repris possessicni de leur trou, (|ue je comnn'uçai par bou- cher avci- de la terre glaise, en n'y laiss.mt d'ouverture ([ue pour y passer le tuyau de ma \i\\)c; je fumai cusuite pour étourdir, sans les tuer, ces insectes. A'ax ant point de bonnet ii masque, connue les pre- neurs d'abeilles en luitlent, ni mènn' de i;auts, cette précaution était uéecssaire. Au comm iiceinenl, ou entendit un léger bourd(nnu?ment dans ce trou, il augmenta ensuite et devint scmbl.ible au bruit d'un orage; mais peu il peu il se calma, tout redevint tranquille . et je retirai mon luviu de pipe >ans i|u'il piirùl une s:-Mle abeille, l'"ril/ avait grimpé it côté de moi : alors nous counueuçàmcs, avec un ciseau et une petite hache, k ôterde l'arbre, au-dessous du trou des abeilles, une pièce de bois de trois pieds eu carré; avant de la détacher en- tièrement, je recommençai la fumii;alion : je eraii;nais (|ue l'etour- dissemenl de la preniii'rc ne fût passé , ou que le bruil que nous venions de faire u'eùl ranimé les abeilles. Lors(|uc je les crus sufli- samiuent endormies, je séparai du tronc le morceau (|ue j'avais taille, et par le uu>yen de celle espèce de fenêtre tout l'inlérieurde l'arbre fut éclairé; nous fûmes en même temps saisis de joie et d'étcuinemeut en voyant le travail immense et merveilleux de cette peuplade rl'iu- seetes. 11 y avait une si grande provision de cire el de mi(d , que nous ( raignîiues de n'avoir pas assez de vases pour la contenir. L'in- léricur de l'arbre était plein de r.iyons : je les coupai ave(- précau- tion, cl je les plaçai dans les caleba:;s<'s ipu' mes enfanls m'apporli'- renl. Uès que j'eus un peu de vide, je mis les rayons supéri(uirs, oii les abeilles étaient rassemblées en gr.ippes el en pelotons, dans la courge préparée pour servir de ruche, el je la plaçai sur la )dauche que j'avais élevée exprès; je descendis, emportant avec moi le reste du miel; j'en remplis un lonnclet , après l'avoir fait laver dans le ruisseau; j'en réservai quelques rayons pour nous régaler à iliuer : je fis couvrir avec soin ce baril de toiles et de planches, de peurque les alieilles , attirées par l'odeur, ne vinssent le visiter; |)uis noM> nous assîmes autour de la table, et nous uiangeàmcs il souhait de ce miel délicieux et parfumé. Lorsque nous en eûmes assez, ma femme serra b' reste avec soin , et je proposai it mes fils de retourner a l'arbre, et d'empêcher ([ue les abeilles , réveillées, ne s'y rassem blassent de nouveau, ce qu'elles n'auraient pas maitt(ué de faire, sans la précaution que je pris de passer une planche en dedans, el d'allu- mer dessus (juelques poignées de tabac, dont l'odeur et la fumée les éloignaient de leur ancienne demeure toutes les fois qu'elles vou- laient y entrer; elles finirent par ne plus s'en approcher, elpar s'ac coulumer it leur nouveau gîte, où la reine était sans doule établie. A celte occasion, je racontai it mes enfants tout ce que j'avais lu, dans rinli'ressant ouvrage de M. Hubert de Genève ' , sitr celle abeille : reine el mère chérie et respectée de ses sujets, (jui sont tous ses enfants, qui la soignent, la gardent, Iravaillen' pour elle, nour- rissent les itouveaux essaims, foui les cellules oit ils doivent être logés, en préparent d'une structure dilYérente, et apprêtent aussi les ali- ments des jeunes reines qui doivent conduire au dehors des colo- nies. Tous ces tlétails, que des observateurs célibres, et surtout celui i|ue nous venons de itommer, oitt su rendre si inléressants, amusè- rent beaucoup tua jeutu' famille, et lui firctil presque regreller d'a- voir troublé par leur brigandage ce paisible royaume, (|ui, depuis si longtemps, prospérait dans un tronc immense. Quanta moi, il me convenait si liien pour mon escalier, que j'adoptai la morale de tous les conquéranis, qui laissent de côté les scrupules (|uand un pays est à leur convenance, el je résolus de commencer dès le lendemain ;i prendre possession de l'arbre. En atlendant , je proposai a tout le monde de veiller celte nuit pour garder notre provision de miel peu dant le sommeil des abeilles, qui ne notis juraient pas laisses Irati- quilles, et seraient venues en légions reprendre leur bien. Pour ne pas nous tuer de fatigue, nous allâmes nous jeter loitt habillés sur nos lits, et faire un itetil sommeil en attendant l'heure de la retraite. Nous nous eniloriuîmcs ait bruil de leur bourdoitnemenl ; mais il avait tout it fait cessé quand noits nous réveillâmes à l'etilrée de la nuit : elles élaicnl rentrées paisibictnent d.ms la courge, ou iien- daient en giappes it iiueh|ues braitches. Sans nous en embarrasser, nous noits miities prompletueitl à roitviai;e : le tonnelet île miel lui vidé dans un chaudron, à rcxecplion de quelques rayons que nous gardâmes pour noire usage journalier; le reste, mêlé d'un peu d'eau, fut mis sur un feu doux, et réduit en une masse liquide, que nous passâmes ;i travers un sac, en la pressaitl , et que nous versâmes en- suite de nouveau dans la tonne, qui fut laissée debout et découverte le reste de la nuit, pour se refroidir. Le matin , toute la cire s'était sép.irée et élevée au-dessus sous la forme d'un disque dur et solide , ((ue nous enlevâmes très-facilement ; au-dessous était le miel le plus pur, le plus beau, le plus appétissant (|u'on pût voir. La tonne lui soigneusemenl refermée el mise au frais, en terre, îi côté de nos tonnelets de vin, et nous nous promîmes de la visiter souvent pour nos desserts. Je montai ensuilc pour examiner la ruche : tout y était en ordre; les abeilles sortaient eu foule, et rentraient chargées de cire, ce ipii me fit voir qu'elles construisaient de nouveaux édifices dans leur nouvelle habitation. J'étais sitrpri> que la quanlilé qu'il y en avait dans l'arbre eût pu se placer dans la calebasse; m.iis, en re- gardant de plus près, j'en aperçus une i>arlie rassemblée en i;roupc autour d'une branche. Je jugeai qu'il y avait peut-être là une jeune reine; je me fis donner une seconde courge , dans laquelle je les se- couai, el que je plaçai à côté de la première. Ainsi j'eus le plaisir d'avoir it peu de frais deux belles ruches en activité. ' .M. Hubert Luilin (de Genève) a fait paraire un excellent traité sur les mœuis de ces insectes. Il a découvert sur la reine abeille l"s détails les plus cu- rieux el les mieux prouvés; mais, ce qui est plus singulier encore, c'est que celui qui a répandu tant de lumiiTes sur cet inUVcssant objel de l'hisloire • i lurelle était aveugle. 72 LE ROBIJNSON SUISSE. Nous passâmes de là à l'examen de l'iiiténeiir du tronc d'arbre; je le mesurai avec une perclie , de la fenêtre que j'avais faite jusqu'en liaul, et une pierre attachée à une ficelle nous servit pour sonder le bas et connaître ainsi la hauteur et la profondeur du creux^ A mon fjrand étonnemcnt, ma perche pénétra sans résistance jusqu'aux bran- dies où nous avions notre demeure, et la pierre alla jusqu'aux raci- nes. Le tronc avait donc perdu son noyau et la plus ijrande partie de son bois intérieur; je pensai qu'il n'y avait rien de plus facile (|ue de placer un escalier tournant dans ce (jrand vite, qui tenait du bas en haut. Apparemment cette espèce d'arbre, ainsi que le saule de nos contrées, se nourrit par l'écorce, car il ne paraissait point souffrir, et ses branches, très-étendues, étaient de la plus grande beauté, .le décidai que nous devions commencer le jour même notre construc- tion : au premier moment, une telle entreprise semblait au-dessus de nos forces ; mais l'inlelligencc, la patience, le temps et une ferme résolution viennent à bout de toutes les difficultés. >ous avions de tout cela de reste, et j'étais charmé de trouver des occasions de tenir mes fils dans une activité continuelle; leur pliysii|ue et leur moral s'en trouvaient à merveille; ils grandissaient , se forlifiaicnl, et n'a- vaient le temps de regretter aucune des jouissancei de l'Europe. Là fabrique do iiijcdtoiii. !\ous commenràiiies par couper dans l'arbre, sur le côlé en face de la mer, une porte de la grandeur de celle de la chambre du capitaine, que nous avions prise avec sa fermeture; ainsi nous fûmes d'ahoril rassurés contre toute invasion de ce côté : ensuite l'inléricur fut n<>t- loyé et dégagé de tout le reste du bois pourri (|ui l'i'iicoiiilirait ; les |i.irois en furent reinliics unies, en \ laissant assez d'épaisseur pour N laire des incisions et \ placer les marches loiirnantes, sans nuire ii l'écorce. ,1e |)lac;ai au milieu un arbre di' dix ii douze pieds de hau- leur et de l'épaisseur d'un pied, bien dégarni de ses branches , pour lair(> miuilrr autour mou escalier touriiaiil. Nous fîmes dans ce tronc et ilans la |iariii intérieure du grand arliK' des rainures iiarallcles en (orme de limaçon, pour v placer, de deiiii-]iied en demi-pied de ilis- lanee , les planches (|ui devaient servir de marches , jus(|u'ii ce que j'eusse atteint la hauteur du petil arlire autour du(|uel elles tour- naient. I.a fenêtre (|ue j'avais ouverte dans le haut, ])0ur enlever le miel, suffisait pour nous donner du jour; j'en fis une seconde plus bas et une troisièiue plus haut , qui éclairèrent parfaitement notre l'sealier. .le perçai aussi une issue près de noire chambre, jioiir pou- \oir faire de lii tn's-eommodémenl la partie supérieure de l'escalier. I n secoiul tronc fut posé sur l'autre, et retenu solidemenl ])ardes ecrons et des cales transversales; il fut garni de marches taillées <•!! biais comme les précédentes, et nous arri\àmes ainsi heiireusemeiit au niveau de notre chambre ;i coucher. Lit , j'ouvris nue secuiide porte, par laquelle on \ entrait dircetement , el miui but fut rempli. iSi notre iseilicr n'i'tail pas eiilièrnnenl confornie aux règle, de l'ar- chitecture, il répondait du moins à nos besoins, et nous conduisait en sûreté et il l'abri dans notre demeure. Pour le rendre plus solide, et aussi pour qu'il fût plus joli , je fermai l'espace intermédiaire des marches avec des planches mises de hauteur au-devant de charpie degré ; puis j'attachai deux fortes cordes, l'une descendant le long du petit arbre, l'autre contre la paroi du grand, pour nous retenir si nos pieds venaient ii glisser. Je posai les fenêtres vitrées de la cabine du capitaine aux ouvertures faites pour éclairer l'escalier; et (|uand tout fut achevé, cet escalier se trouva si joli, si solide, si commode , que nous ne pouvions nous lasser de le monter et de le descendre avec une véritable admiration pour nos talents. Il faut que j'avoue ccpcudant qu'ils étaient médiocres, que nous ne réussîmes iju'ii force d'essais, de patience et de temps; car cet ouvrage nous tint plusieurs semaines en haleine. 11 me fit penser plus d'une fois à la sagesse du système d'éducation du philosophe genevois Jean-Jacques Rousseau , au moins ii cet égard , lorsc|u'il veut qu'on apprenne à tous les gar- çons, de quelque classe (|u'ils soient, un métier utile, et surtout celui de charpentier : combien n'aurais-je pas été heurnix, dans les cir- constances oii nous nous trouvions, si j'avais su ce métier et si j'ax'ais ])u l'apprendre à mon fils aine! Je ne puis trop exhorter les pères de famille .à donner d'avance à leurs fils une ressource ipii , si elle ne leur devient pas alisolumcnt nécessaire, a du moins l'avantage de rendre un jeune homme plus fort , plus adroit , d'occuper plusieurs des heures si dangereuses de l'ardente jeunesse, et, dans l'âge mûr, de pouvoir au moins, si on ne travaille pas soi-même , surveiller les ouvriers qu'on emploie. Je ne suis point un enthousiaste du système de Jean-Jacques, quoique j'admire son style et son génie; mais, quand l'humanité ne lui devrait (|ue ee sage conseil et le bonheur de la première enfance, c'est bien assez pour l'aimer et pour le regarder comme un bienfaiteur. Notre escalier ne nous occupa cependant pas exclusivement pen- dant tout ce temps. Dans notre solitude, nous ne dépcndiotis de personne que de nous-mêmes et de nos besoins journaliers; et. n'é- tant contraints par aucune autorité étrangère, il eût été ridicule de nous tourmenter à travailler du matin au soir comme des forçats ou des ouvriers salariés; nous n'avions ni dur inspecteur, ni (|ucstion- nciirs curieux, ni voisins, ni conseillers importuns. Si quelquefois il nous arrivait de regretter que nous ne fussions plus membres d'une grande société, soumis au\ lois et aux convenances établies entre des honiiiies rassemblés, le ]dus souvent nous nous applaudissions de n'être pas assujettis ii cette gêne et aux embarras qui en sont la suite. S'il nous arrivait parfois de manquer de quelques-unes des jouis- sances de la vie sociale, nous étions bientôt consolés en jM'nsanI que du moins nous n'avions pas besoin d'anjent, que nous n'étions pas obligés de nous rompre la tète pour nous en procurer, (|ue nous n'at- tirerions sur nous ni l'envie, ni la pitié, ni le blâme; et l'imperfec- tiiui de notre travail, et la peine qu'il nous donnait, nous semblaient amplement compensées |)ar la liberté et par la gaieté avec lescjuelles nous l'avions fait, sans jamais nous disputer, el n'ayant tous qu'un cceur et (|ii'iine àmc. Je vais raconter maintenant en peu de mots ce ([ui nous arriva de remai'i|uablc pendant cette construction. l'eu (le jours après (|u'elle fut commencée, nos deux chèvres nous donnèrent deux petits chevreaux, et nos brebis cinq agneaux; de sorte f|ue nous nous vîmes en itossession d'un joli troupeau. Pour empêcher nos bêtes (lomestiques de suivre le mauvais exemple de l'âne et de nous échapper, je fis attacher au cou de chacune une pe- tite cloche; nous en avions trouvé beaucoup sur le bâtiment, (|ue l'on avait emportées pour en trafiquer avec les sauvages, ()iii en sont fort :imatl accoutumée au Irait, dont nous avions déjii fait l'épieiive, et \ devini tort docile; mais j'eus plus de peine comme éeiner. Il talliit, pai' deip-i'-s, lui faire supporter une sangle (|uc j'avais faite de la peau de sa mère. Je fabri- ipiai une espèce de selle de toile à voiles, (|iie j'attachai il cette sangle ; peu à peu je mis sur cette selle ([uchpies fardeaux toujours plus pe- sants : il renversa les premiers ; je ne me lassai pas, et bientôt je pus lui faire porter sans crainte les ([los sacs de l'âne, ]>leins de patates, de sel , etc., ele. Quand il s'agit de le monter, ce fut le singe qui, le premier, en fit l'essai, et qui se craniponiia si bien à la selle, (|iie, malgré les sauts el les ruades du bullle, il ne fut jioint renversé : vint ensuite le tour de b'rançois, comme le jibis léger; mais pendant sa cavalcade je conduisais la bête par la corde, jiour (|u'il ne jetât pas l'enfant par lerre. Jack brûlait (i'impalienee d'être à son tour sur le dos (le l'animal; il fallut le c(Uileiiler. J<' passai dans le nez du bullle le morceau de bois; j'attachai ii cliai|ue bout une forte ficelle, et je les réunis toutes deux sur le cou de l'animal ; je mis ensiiile celte espèce de bride dans la main du jeune cavalier, en lui mon- LE ROBINSON SUISSE. 7;î tidiit comniciU il devait s'en scrvii-. Le petit bonliomme se tint d'a- bord assez l'enne, maljïré les sauts répétés de son clicval cornu ; mais un écart de côté le jeta sur le sable sans lui faire grand mal. Ernesl, Fritz et moi nous le montâmes tour ii tour avec plus ou moins de succès. Son trot nous secouait rudeiuent les entrailles; son ijalop était si rapide, que la tète en touruail , el noire leçon d'é([uitation se répéta bien des jours avant que l'animal fut dompté el (|u'on pût le monter avec sûreté et agrément. Nous en vinmes à bout cepen- dant sans accident fàelieux, el la force et la vitesse de notre monture étaient vraiment inconcevables; il paraissait se jouer des l'ardcanx les plus pesants ; mes trois l'ils aînés le montaient ([uelquefois ensem- ble, et il allait comme l'éclair. INous nous donnâmes tant de peine, Il prit une pipe , puis il fuma en s'approchant peu à peu de l'oiseau farouche. qu'il devint extrêmement docile; il n'était nullement ombrageux, et j'eus un vrai plaisir à ]>ouvoir, par ce moyen, rendre mes fils si ha- biles dans l'art du manège et de l'équitalion, que si jamais ils ont des chevaux, ils pourront monter les plus fougueux et les plus ardents sans la moindre crainte. Aucun cheval, du reste, ne peut être com- pare à notre jeune buffle; et notre âne , que j'avais compté employer aussi à cet usage, fut plus que remplacé. 1>ilz et Jack, d'après mes instructions, s'amusèrent à dresser leur buffle comme un vrai cheval de manège, et avec son petit bâton passé dans le nez ils en faisaient ce qu'ils voulaient. Fritz, pendant ce temps-là, ne négligeait pas son aigle. Il tirait tous les jours cpielques coups de fusil à de petits oiseaux qu'il lui donnait à manger en les plaçant tantôt entre les cornes du bullle, tantôt sur le dos de l'outarde, tantôt sur celui du flamant; d'autres fois il les mettait sur une planche ou au bout d'une perche, afin de l'accoutumer à fondre, comme les faucons, sur d'autres oiseaux. Il lui apprit .'1 venir sur sou poing' à son appel ou lorsc|u'il silllail; uiais il lui Irès-louglenips sans oser l'abandonner à ce vol libre, à UKiiuh (|u'il ne lui attaché à une longue ficelle. H craignait (|ue s(Mi i..itui<'l hardi el sauvage ne l'entrainàt pour jamais loin de nous. i.e paresseux Ernest fui aussi saisi de la fièvre d'instruire et de lormer des animaux; il essaya ses talents avec son singe, i|ui lui donna, coiniue on dit, dit fil à ri'lnrdre. (^'étail une chose plaisante de voir le fleguiatii[ue Ernesl, dont tous les mouvements étaient Isnts el relléehis, obligé de faire des saiils cl des gambades avec son élève pour le remettre au pas. Il axait ii cœur d'accoutumer maître knips il porter sur son dos de petits fardeaux dans une hotte, à i;rimper, cette hotte sur le dos, au haut des cocotiers , el à y jeter des noix et d'aulres fruits pour nous les rapporter. Lui et ,lack fabriipièrenl une petite liolte de roseaux extrrnu'ment légère ; ils y attachèrent trois courroies : deux passaient dans les bras, et une entre les jambes du singe ; celle-ci se rallachail par-devanl à une ceinture, et devait te- nir la hutte feruie sur le dos de la nH'chanlc pelitc liètc. Toul ccl attirail lui fut d'abord insupporlable ; il grinça des dents, se roula par terre, sauta comme un furieux, el fil tout ce qu'il put pour s'en débarrasser ; mais on se moqua de lui : on lui laissa la hotte jour et nuit, et on ne lui donna à manger que ce qu'il y avait mis; au bout de quehiue temps il y fut si bien accoutumé, (|u'il grognait lorsqu'on voulait la lui ôter, et ([ue dès qu'on lui donnait quchiuc chose à te- nir, il le jetait dans cette hotte, qui lui avait d'abord tant déplu. Il nous devint très-ulile, mais ne voulait obéir qu'il Ernest, ([u'il aimait et craii;iiail en même temps; ce qui devrait cire le but de tous les instituteurs, .lack était le moins heureux avec son petit chacal , r[u'il avait nommé If Chiisneur. espérant que ce nom développerait ses til- leuls. Il voulait lui apprendre ;i arrêter et ii apporter le gibier; mais, pendant les premiers six mois, il ne |)ut réussir qu'à lui faire appor- ter ce qu'on lui jetait, et lorsc|ue c'était une pièce de gibier morte, il la mangeait toujours chemin faisant, et n'apportait (|ue la peau. Cependant il était d'ailleurs si joli el si docile, que j'exhortai Jack à ne pas se rebuter en faisant une éducation ([ui nous rapporterait de si piands avantages, et il la continua avec beaucoup de zèle. Ces dilïérentcs occupations remplissaient plusieurs heures de la journée; et lorsque, pour nous reposer du travail de notre escalier, nous nous rassemblions, vers le soir, autour de la bonne mère, en cercle amical et joyeux , c'était son tour de nous donner qucl(|ue oc- cupation agréable et peu fatigante pour l'aider dans les soins du me- nace. Ainsi, par exemple, nous nous applii|uâmcs à perfectionner notre fabri(|ue de cieri;es et de bougies en mêlaiil à la cire des baies celle des abeilles, el en nous servant îles moules de roseau inventés par Jack. Ayant éprouvé queh|uc difiiculté à en faire sortir les liou- l'ies lors(|u'ellcs étaient refroidies, j'imaginai de Cendre les moules en deux, de bien nettoyer l'intérieur, de le frotter a\ec un peu de beurre, pour que la cire ne s'y attachât pas, puis de réunir ces deux moitiés avec un lien , (|ui se détachait cusuile pour en faciliter la sortie. Les mèches furent ce qui nous donna le plus de souci, n'ayant ■point de colon; nous essayâmes, sans beaucoup de succès, les fils du Mallro Knips. c.irata, ceux de l'agave ou bois de lumière. Tous avaient l'inconvé- iiicnl de se charboiuicr cl de se réduire en cendre; ce (|ue nous trou- vâmes (le mieu\ pour le monienl, ce fui la moelle d'une espi'cc de sureau, qui ne nous empêcha pas de désirer vivement de trouver le cotonnier ou arbre à coton. J'inventai ;iussi une manière de rendre nos bougies égales et luisantes en les faisant rouler entre deux plan- ches : il n'y avait plus que la couleur vcrdâlrc qui les distinguait ilc celles d'Euroiie. Ayant appris à mes enfants que la cire se blanchit comuie la toile en l'exposant, sur des linges, à la rosée et an soleil, ils voulurent rciilreprcndrc ; mais je trouvai que puisque nos bou- eies vertes brûlaient ii merveille, c'était un luxe inutile el une perte (le temps ipic de chercher à les blanchir, ,1e préférai d'employer ce temps il la labri(|U(' de nos bottes de caoutchouc imperméahles et sans couture. Je commençai par les miennes, et j'encouiMgeai mes M LE HOBlNSOiN SUISSE. enfants à essayer leur induslru' en se l'aliriqiianl des flacons et des pobelets qui ne pussent pas se casser, lis firent d'abord des moules en terre ijlaise, pour les enduire de couches de ijomnie, ainsi que je le leur avais explique. Q)uant il moi, je pris une paire de mes vieux bas, (jue je remplis exactement de sable; j'étendis dessus une couclie de limon, <|ue je fis sécher d'abord à l'ombre, ensuite au soleil. Je coupai sur un de mes souliers une semelle de cuir de buffle, ([iie j'avais bien battue avec un marteau; je plantai tout autour de petits clous ;i tête, qui nie servirent comme d'anneaux pour la fixer solidement sous le pied du ba«, cl dans tous les interstices je versai de la gomme liquide, qui fil, en séchant, un point de réunion solide entre la semelle de cuir et celle du bas. Ensuite, avec un pinceau de poil de chèvre, j'en- duisis le tout d'une couche de résine un peu épaissie : dès qu'elle fut tout il fait prise, j'en étendis une seconde , et ainsi de suite, jusqu'il ee que je les jugeasse assez épaisses. Alors je fis sortir aisément le sable de l'intérieur du bas, puis le bas lui-même, puis la croûte de terre; je secouai bien la poussière, et j'obtins ainsi une paire de bolles sans couture, aussi bien faites que par le meilleur cordonnier anjjlais, souples, chaudes , douces, unies, et conipléteuienl imp('iié- tnibles il l'eau. Je les mis tout de suite ii mes jambes, pour qu'elles achevassent de sécher sans se rétrécir; elles allaient il merveille, cimes quatre i;arçons en furent si enchantés, (|ii'ils sautèrent de joie en me suppliant de leur en faire de pareilles. Je ne leur promis rien encore, parce «lue je voulais mettre h l'épreuve la solidité de cette chaussure, et la comparer avec celle des bottes de simple cuir de Imllle. Je me mis aussitôt à l'ouvrajje pour en faire une paire ii Fritz avec la peau de la jambe de biillle ; j'eus beaucoup plus de peine qu'avec le caoutchouc, que j'employai aussi pour couvrir les coutures, afin que l'eau ne pût y pénétrer. 11 en résulta un ouvraije imparfait, <|ui n'é- tait pas con;paral)lc il mes superbes bolles; de sorte que Frit/, se fit violence pour les porter, attendu (|ue ses frères se moquaient de lui parce iju'il avait de la peine à courir (|uaiid il les .avait mises. Mes fils, lie leur cûlé, avaient passableincnl réussi ii conleclionner leurs vases, quoiqu'ils fussent loin d'être parlaits; mais pour un premier ouvrage de ce genre, exéculé par de petits polissons, j'en fus assez content. Nous arrangeâmes aussi notre fontaine projetée, qui lui pour ma femme et pour nous une source d'agréments. Avec des pieux et des pierres, nous construisimes dans le haut du ruisseau une espèce de baUirdcau , qui élevait l'eau de manière (|u'elle pouvait entrer dans nos canaux de palmier de sagou, et arriver ainsi, par une pente con- venable, près de notre demeure, oii elle était reçue dans l'écaillé de tortue qui servait de bassin. Nous avions posé celte écaille sur des pieri'es k une certaine hauteur pour notre couiniodilé; le trou du harpon se trouva placé de manière .'i faciliter l'écouicmcnt du su- perflu de l'eau au moyen d'une canne qui y fui adaptée. Je plaçai deux bâtons plats en travers pour y poser les calebasses, qui nous servaient de scau.x , et nous eûmes ainsi tout pris de nous une clu:r- mante fontaine, dont le murmure nous euchanluil, et qui nous don- Mail une eau très-pure, ce qui nous avait (|uili|uelois manijué lorsque nous n'avions que le lit du ruisseau, souxcut tnuiblé par les feuilles et la terre qui y tombaient, ou par les jeux de notre volaille aqiiali- qiie. Le seul inconvénient était que l'eau, coulant .liiisi à découvcri dans les canaux et en petit volume, nous arrivait très-chaude et peu restaurante; je me proposai de remédier plus tard ii ce mal en me servant, au lieu de canaux, de grosses cannes de bambou, enterrées assez profondément pour conserver k l'eau toute sa fraîcheur. En attendant ((uc cela pût s'exécuter, nous nous réjoiiiiues de celle nouvelle acquisition, et gloire en fut rendue à Fritz, qui en avait eu le premier l'idée. CHAPITRE XXX. L'âne sauvage; éducation dilTicile; le nid de gelinotte à collet. Nous étions k peine levés, un maliu, pour luetlre la dernière main à notre escalier tournant, lorsque nous eiileniliuie> dans le loinlaiu deux voix siu|;ulii'res qui resseiiililaieiil ii des hurieiuents de liêtes féroces entremêlés de silllemenls et de sons mourants; je ne ]>ouvais concevoii' ce que cela voulait dire, cl je ne fus pas sans inquiétude; nos chiens aussi dressaient les oreilles, cl paraissaient aiguiser leurs dents pour un combat meurtrier avec (|uelque ennemi datigereux. U'apri's leur conten.ince, nous jugeâmes prudent de nous mettre en état de défense; nous cli.irgeâiues nos fusils et nos pistolels, nous les rangeâmes les uns ;i côté des autres dans le château aérien, et nous nous préiiarâmes ii repousser de là une attaque lio>lile. Opeu- daiit ces liurlemenls axant lessi' pendant quelques instants, je descen- dis bien armé de notre citadelle; je mis à nos deux fidèles gardiens leurs colliers de clous et leurs colles de porc-épic ; j'appelai noire bétail auloiir de l'arbre, pour l'avoir en vue, et je remonlai pour re- garder de tous côtés si l'ennemi n'arrivait pas. Jack désirait que ce fussent des lions. « .le voudrais, disait-il, voir de près le roi des animaux, et je n'en aurais pas la moindre peur : on dit qu'il est généreux. LE piiRE. Je ne le conseille pas de l'y fier ; je crois bien que lu n'as pas peur des lions à quarante piids a i-dessus d'eux ; mais les ani- maux auxquels nous avons affaire n'en sont pas; les hurleuients du lion, ]ilus prolongés, sont plus majestueux, et inspirent à tous les animaux un effroi, une inquiétude que je ne remarque en ce mo- ment dans aucun des nôtres. Fiirrz. Je croirais plutôt que c'est une troupe de chacals, qui vou- draient venger sur nous la mort de leurs camarades. ERXEST. Ce n'est pas le cri du chacal ; je crains plutiil que ce ne soient des hyènes ; leur hurlement doit être aussi alTreux que leur aspect. FiiANçois. Pour moi , je suis sur que ce sont des sauvages, qui vien- nent dans notre ile manger leurs prisonniers. Si, comme Robinsou, nous jiouvions les sauver et nous procurer un bon Vi^vilredi ! LE rinr. Quoi que ce soit, mes enfants, ne nous laissons pas inti- mider par l'cftet de l'imagination ; nous sommes ici en sûreté. » Au même moment, les hurlements recommencèrent ; ils s'étaient Irès- rapprochés de nous, l'rilz s'avança autant que possible, écoula atten- tivement, regarda de tous ses yeux, puis jeta sou fusil en riant aux éclats et en s'écrianl : « Moi, je vous dis que c'est notre âne, notre fugitif, qui revient chez nous et nous chante l'hymne de retour; écou- tez 1 ne dislinguez-vous pas ses touchants hi lian '. In' Iiaii ! répétés sur tous les tons?)> Nous écoulâmes, et nous ne pûmes douter que Fritz n'eût raison; nous fûmes tous presque en colère d'avoir eu peur, cl d'avoir fait des préparatifs de défense pour nous mesurer contre maitre Aliboiiin. Cependant j'en étais charmé au fond ; un nouveau hurleuieni, bien caractérisé, k la manière de l'âne, excita de bruyants éclats de rire suivis de railleries réciproques sur nos craintes et nos suppositions. Kientôl apri^s, nous eûmes le plaisir de voir de loin, entre les ar- bres, notre bon vieux grisou xenirà nous Iranquillemenl, en s'arrc- lant de temps en temps pour brouter. A notre grande joie, nous aperçûmes qu'il clail suivi d'un compagnon de son espèce, mais infi- niiuenl plus beau ; et, lorsqu'il fut près, je reconnus que c'était un onagre ', ou âne sanvaije, el je désirai vivement m'en rendre maitre, quoique je susse que cet animal est Irès-diflicile k apprivoiser el k se soumelire k l'homme. Quelques ailleurs qui l'ont dépeint sous le nom de (IsliihLeij, ou rlioval a hiu/ues oreilles, que les Tatars lui donnent, prétendent (|ue c'est impossible; mais j'avais Ik-dessus une idée i|ue j'étais résolu k suivre, si je pouvais m'approprier ce bel animal. Sans tarder, je descendis avec Fritz, en exhortant ses frères k rester tran- quilles, et je consultai mon conseiller privé sur les moyens de m'em- parcr du compajjiion de notre déserteur. Je préparai aussi vite qu'il me lut possible une lonj;ue corde avec un nœud coulant, dont j'alla chai forlement un bout k une racine d'arbre ; le lacet fut tenu ouvert par le luoxcn d'une bagiielle jiosée légèrement dans l'ouverture, et qui devait tomber d'elle-uiêuie en le jetant an cou de l'animal, que le nœud serrerait aussitôt qu'il voudrait prendre la fuite. En outre, je préparai un morceau de bambou d'environ deux pieds; je le fendis par le bas, et le liai fortement dans le haut, pour qu'il ' L'onagre, Ic^shikkcy, le koulan, paraissent être le mémo animal, dont le nom varie suivant les pays et les auteurs qui en ont parlé. Sa conformation lient le milieu entre le cheval et l'âne; sa télé est forte , très-relevée dans l'clat de repos, et au vent dans sa course, qui est d une extrême rapidité, et l'emporte sur celle des meilleurs chevaux. Il a l'encolure tres-fine, le poitrail largo et carré, le dos long, l'épine du dos concave et raboUusc, la croupe elfilée, le sabot sem- blable à celui de I àne , la crinière courte et épaisse, la mâchoire garnie de ironle-quatre dénis, la queue longue de deux pieds, ressemblant exactement à une queue de vache, les épaules étroites, peu charnues; il a une extrême souplesse dans tous ses membres et dans loi. s ses mouvements, La couleur dominanio de son poil esi le brun jauni'ilre; un jaune roux couvre le devant de la tête et I in- térieur des jambes; la crinière et la queue sont noires. Il a tout le long du dos une bande d'un brun foncé, qui s'élargit au défaut des reins et .se rétréoil beau- coup vers la queue. En hiver, son poil est long, frisé, ondoyant; en été , il est court et lustré. Ces animaux errent en troupes dans les vastes déserts et dans les plaines découvertes et abondantes en herbe salée : jamais ils n'approchent des bois ni des montagnes. Ils ont les sens de l'ouïe et de l'odorat d'une délicatesse extrême. Leur hennissement , assez singulier, est beaucoup plus éclatant que celui du cheval. Ils sont timides et farouches , et leur principale défense est dans la rapidité de leur course, cependant leur naturel c,H paisible et sociable. Leurs troupes sont communément de vingt t> trente, et quelquefois de cent : chacune a son chef, qui veille à sa sûreté , la conduit , et donne , dans le danger, le signal de la fuite: ce signal d'alarmo consiste à sauter trois fois en rond autour de l'ob- jet qui cxcilB leur crainte. Si le dshikkcy chef est tué , co qui arrive souvent parce qu'il s'approche plus prés des chasseurs, alors la bande se disperse et donne la facilité d'en tuer ou d'en prendre plusieurs. Les Tatars-Manichous font un grand cas de sa chair, qui leur parait délicieuse. Mais on n'a pu parvenir en- core à apprivoiser un dsliikkey , même en le prenant fort jeune, lie serait sans contredit la nu illeure des monlures si l'on pouvait le soumettre a la domesticilé; mais son carai tere c-t indomptable; ceux que l'on a leiilé do réduire se sont tué» dans leus entraves philùt que do les ^oulfrlr. Si notre Hobinson suisse y aréu.-si, en effet, par lo moyen siiuulier qu'il indique, cost une vraie conquête. Le nom de dakil.Iifij donné à l'onagre ou âne sauvag(^, dans les centrer s où il est le plus commun, vient du mot dshiggelei, qui signifie, dans la langue des Talars, (o»i- r/ucs oreilles : en cll'r't , cet animal les a très-longues, mais plus droites et mieux faites (pie celles de l'âne. LE R01Ui\S0IN SUISSE 7S liùt 1110 l'aire l'office d'une piiicelte. VviU rei;ar(lail avec curiosité mon ouvratjc, cl n'en cninjiicnail ))as l'ulililc; iiupalicnl comme un jeune homme, il prit la Inuule à balle, cl me proposa «le la jeter contre l'àne sauvage; ce ()ui serait, disait-il, lieauconp iihis tôt fait; mais cette fois je ne voulus pas iiermeltrc la eliasse des l'ataijons; je crai- gnais que, le jet ne réussissant pas, celle belle bcle ne pril la l'uilc avec la célérité ({ni lui est propre, et ne fût perdue pour louj(uirs. Je lui cxpli(|uai mon ]irojct de le prendre au lace! , i|ui' je lui rcuiis pour en l'aire usage, attendu qu'il élait plus Icslc et plus adroit i|ue moi. Peu n peu les voyages de chevaux demi-sauvages, (lui se Irouvcnl dans les provinces méridionales de celle république, et qu'on prend dans des pièges avec, des lacets. Ils sont d'abord in- domptables, et ne veulent absolument pas se laisser charger de far- deaux ; mais du moment qu'un des chasseurs leur mord l'oreille, ils deviennenl doux cl soumis, et ou peut en faire ce ipioii vent. Le voyage continue, au travers de forêts et de bruyères, jiisipi'ii la de- meure des sauvages ; on échange les marchandises apportées contre des pclleleries, que l'on charge de nouveau sur le dos des chevaux. On se remet lui roule en se dirigeani , par le moyen de la boussole et des astres, vers les établissemenls européens, oii l'on vend avec avantage et les peaux et les chevaux, .l'avais regardé, je l'avoue, coiunK" un conte celle singulière manii're de dompter un animal saii- vaee ; mais l'essai ipie je viens de faire sur noire jeune onagre prouve que ce voyageur m'a dil la vérité. » Après (|iicl(pics semaines, cel animal fut si bien apiirivoisé, que nous pouvions tous !e uionler sans crainle ; je ciuiliniiai ccpeiidaiil à lui tenir les deux jambes de dcvaiil liées par une corde lâ( lie, pour modérer l'exlrêmc vélocité de sa ecuirsc. A défaiil de mors pour le (lirii'cr, je lui fis une espi'cc de caveçon ipii réussit assez bien, et au moven (l'une g.iiile dont on lui touchail l'oreille, il allait à droite ou à gauche, comme on le jugeait ii proiios. .le le moulais aussi (|uelque- fois avec un plaisir mêlé d'un scnlimcnl d'orgueil, .l'étais fier d'être parvenu seul ii dompler un animal regardé par tous les voyageurs et tous les naluialisles comme indom]ilable, cl j élais ravi (piand je voyais mon Fritz s'élancer sur ce bel animal, en faire ce (pi'il voii- lail, parcourir sur lui, comme l'éclair, noire longue avenue, .le pen- sais'que, dans cette ile déserte, ignorée , je iiouvais rendre ces cliers enfants propres il rentrer un jour dans la société et il en faire l'or- ncmenl. Leur force et leurs grâces pbysiipiessc dc\ ehqipaicnt et se perlecli(Uinaienl en même temps (pie leur esprit cl leur inlclligcnce; élevés dans celle retraite, loin du lumulle du iiuuidc cl de ce qui excite les passions, ils pouvaicnl devenir tout ce ipie désirait mou cœur paternel. Je n'avais pas perdu l'espoir qu'un jour nous pour- rions rclourncr en Europe, soil sur (picli|iie vaisseau ipic le hasard amènerait dans ces parae.es, soil avec noire pinasse; mais je sentais déjà, et ma femme bien plus encore, que ce ne serait pas sans un vif reerel (pii- nous abandonnerions notre ile, oii je résolus en attendant de'continuer ii m'arranger comme si nous devions y passer notre vie, avec la satisfaction de voir tout prospérer autour de nous. Pendant l'éducation de notre âne sauvage, que nous avions nommé Lfidilfuiis illied léger), une triple couvée de nos poules nous avait donné une foule de pclils êlrcs empliimés; une qu.iranUiinc au moins T6 LE U0B1IN60JN SUISSE. pipaient et saulillaieiil autour de nous, au grand contentement de ma femme : elle les soignait avec un zèle qui nie faisait (juelquefois sou- rire. Les femmes ont en général une telle dose d'amour maternel dans le coeur, qu'elles aiment tout ce q\ii leur retrace l'image de l'enfance. La bonne mère ne murmurait donc point de la peine que lui donnait celte quantité de petits poussins; elle la prenait avec grand plaisir, et ne pouvait se lasser de les admirer, ce qui ne l'em- pccliail pourtant pas d'en destiner une partie à paraître rôtis sur notre table, et l'autre à former de petites colonies, qui s'élèveraient et se nourriraient elles-mêmes dans le désert, où nous pourrions les retrouver. «Voilà, nous disait-elle, des bêtes bien plus utiles au ménage que vos singes, vos chacals, vos aii;lcs, (|ui ne font que man- ger, sans être eu\-mcmcs bons à nous nourrir au besoin. » Cependant elle nous pardonnait le buffle, qui lui apportait ses provisions, et Luiclitfuss, sur leipiel elle aimait ii voir galoper ses lils. Depuis que nous l'avions rendu propre à cet usage, le rude bullle, qui nous fai- sait sauter les entrailles, n'était plus monté; on le réservait unique- ment pour le trait. Cette augmentation dans notre basse-cour nous rappela la nécessité {l'un travail auipicl nous avions pensé depuis longtemps et qu'on ne pouvait plus remettre; c'était de construire entre les racines de notre gros arbre des loges couvertes i)our tous les animau\ bipèdes et qua- drupèdes. La saison pluvieuse, qui est l'hiver de ces contrées, s'avan- çait à grands pas, et si nous ne voulions pas risquer d'en perdre la plus grande partie, il fallait les mettre ii l'abri. Nous coiumene.imes donc à construire nue espèce de toit au-dessus des racines voûtées de notre demeure; nous employâmes à cet usage des cannes de bambou; les plus longues et les i)lus fortes soutinrent la toiture en guise de colonnes; les minces furent attachées et liées fortement les unes à côté des autres pour la couverture. Dans les interstices, je fis entrer de la mousse et de la terre grasse, et j'étendis sur le tout une couche épaisse de goudron. Il en résulta un toit si solide, qu'on pouvait se promener dessus; je le munis tout autour d'une balustrade ou garde-fou; de sorte (|u'il ressemlilail a un joli balcon, sous leiiuel, entre les racines, se trouvaient plusieurs ap))ar- tcmcnts il l'abri de la pluie et du soleil, et qu'il était aisé de Icrmer et de séparer les uns des autres au moyen de quchpies planches clouées contre les racines. Us pouvaient nous servir les uns d'écurie et de basse-cour, les autres de salle à manger, de dépense, etc., etc., ou de fenil pour tenir au sec nos provisions et notre foin. Cet ou- vrage nous ]>rit peu de temps; mais il s'agissait ensuite de remplir nos cellules de [irovisions de toute espèce pour la mauvaise saison. Nous nous en occupâmes sans relâche, et tous les jours nous allions de côté et d'autre avec notre char pour ramasser quelque chose d'u- tile et qui pût aussi nous fournir de l'ouvrage pcuilant (|ue nous se- rions enferuus. Un soir, nous revenions de la récolte aux patates; notre char, chari'é de sacs, roulait doucement, traîné par le bullle, l'âne et la vache : vovant qu'il y avait encore place sur le char, j'eus l'idée d'envoyer ma femme à la maison avec mes deux plus jeunes l'ils, pen- dant qu'avec Ernest et Fritz je ferais un détour par le bois des Chênes aux glands doux, pour en ramasser autant (|ue nous pourrions en rapporter. Il nous restait encore (pielques sacs xides; Ernest avait sur son épaule scu) cher knips, qui ne le (|uillait guère, et Fritz, comme un énlait l'onagre, (pi'il s'était approjirié, jiarce qu'il m'avait aide à le prendre et à le dinuplcr, et qu'il savait. Il est vrai, le diriger mii'U\ que ses frères. Ernest était trop paresseux, et préférait marcher paisiblement avec son singe, (|ui lui épargnait même la peine de cueillir des fruits. ,lack était si étourdi, qu'il peine osait-on lui confier seul le cheval, qu'il montait souvent en croupe derrière son frère, et l'rançois était trop [xtit même pour l'essayer. Ouoiipie l'onagre fût devenu docile ii la monture, il était encore excessivement vif et rétif à rattelai;e, aut|iiel il fut même impossible de le soumettre ; mais quelquefois il souffrait qu'on lui mit sur le dos un ou deux sacs assez bien garnis, pourvu, toutefois, que Fritz se plaçât devant; alors il les apportait ;i la maison, et servait ainsi au liien-être général. Ouaiid nous fûmes arrivés sous les chênes, Leichtfuss: fut attaché il un buisson, et nous nous mimes avec activité à ramasser des glands qui étaient tombés en quantité sur lé terrain. Nous y étions tous oc- cupés; le singe avait ipiitté l'épaule de son maître et s'était jeté dans le buisson voisin sans que nous nous en fussions aperçus. Il y était depuis quelque temps, lorsque nous enlendîmes de ce côté des cris d'oiseaux et des b.itlements d'ailes très-bruyants; ce (|ui nous lit ju- ger qu'il y avait un vif combat entre maître Knips et les habitants du buisson, .l'envoyai Ernest voir ce qui s'y passait; il se (;lissa dou- cement dans (a haie, et au bout d'un moment nous l'entendimes s'é- crier : 0 l'apa, venez, venez vite ! un nid de belles poules ii fraise " tout plein il'ceufs! monsieur mon sinije voudrait les croquer; la mère les défend. l'"ritz, viens vite la prendre! moi, je tiens maître Knips. » Fritz y courut aussitôt, et peu île moments ajiri's il rapporta vi- vants une poule et un co(| ;i collet semblable à celui qu'il avait pré- eédemnu-nt tué au milieu de sa pantomime amoureuse, et dont la mort m'avait causé tant de regrets, .le fus très-réjoui de cette trou- vaille, et j'aidai mon fils ii mettre le beau couple dans l'impossibilité de nous échapper, en leur liant les pieds et les ailes avec de la ficelle, et en les tenant dans mes bras pendant (|ue Fritz retournait au buis- son chercher les œufs. Au moment même, nous en vîmes sortir le singe, qu'Ernest chassait devant lui ; peu après, il arriva lui-mèuie, portant avec ])récaution son chapeau dans ses mains; il avait garni en entier sa ceinture de feuilles étroites et poinUies , semblables ii des lames de couteaux, et ([ui me parurent être des feuilles de glaïeul; mais j'y fis alors peu d'attention, étant tout occupé de notre chasse aux œufs, et regardant cette parure comme un enfantillage. Des qu'il fut près de moi , il leva le mouchoir qui couvrait son chapeau , l'ôta avec soin et me le présenta avec des cris de joie. « A oilà, cher ])apa, me dit-il, des œufs de poule à collet; je les ai trouvés dans un nid si bien caché sous ces longues feuilles, ipie je n'aurais pu le décou- vrir, si la poule, en se défendant contre le singe , n'en avait dérangé quelques-unes. Je vais les porter chez nous avec précauliiui; ils fe- ront bien plaisir à maman, je le parie, et ces feuilles, que j'ai prises à dessein , amuseront beaucoup François; voyez, elles ressemblent il de petits glaives : ce sera pour lui un charmant joujou. » Je louai Lruest de ses attentions pour sa mère et son petit frère, et j'exhortai Fritz, aussi bien que lui, à penser toujours avec intérêt à ce qui pouvait faire plaisir aux absents et leur prouver qu'on s'était occupé d'eux; il y a plus de mérite encore dans les complaisances que l'on a pour une personne dont on est séparé, et elle vous en sait plus de gré que lorsi|u'elle est là pour les rendre. Nous pensâmes en- suite au retour; mes deux fils achevèrent de remplir de glands les sacs, et les chargèrent sur la croupe di' Lcicittfusfi. Fritz s'assit entre eux; Ernest portait les œufs, moi la poule, et nous reprîmes ainsi le chemin de Falkenhorst , suivis de notre char; nos braves bêtes n'a- vaient plus besoin que de la voix pour conduire leur charge en sûreté. Pendant la marche, je voyais Ernest approcher souvent son oreille du chapeau où étaient les leiifs; il prétendait entendre un petit bruit, comme si les poussins allaient en sortir ; j'écoulai, je regardai, et je m'aperçus, en effet, que quelques coquilles étaient déjà cassées, et (|u'on entrevoyait, au-devant du trou, les petites bêtes naissantes, (jette circonstance nous causa une ijrande joie, et Fritz ne put résis- ter au plaisir de nu^ttre sa monture au trol pour aller annoncer cette bonne nouvelle à sa mi-re. iMais l'onagre alla plus vite qu'il n'aurait voulu : il avait pris aussi un paquet de feuilles poinlucs, ipii, volti- geant autour des oreilles et des yeux de l'animal, elfrayèrent telle- ment celui-ci, qu'il prit le mors aux dents, et partit comme un trait, emportant sacs et cavalier, si bien que nous les eûmes bientôt perdus de vue. Pleins d'inquiétude pour lui, nous les suivîmes aussi vite ipie nous pûmes, mais sans les apercevoir. Cependant, en arrivant à l'al- kenhorst, nous eûmes la satisfaction d'y trouver Fritz sain et sauf. Sa mère avait été efi'rayée de le voir arriver comme un éclair, mais se tenant ferme entre les sacs. Maître Lekiilfiiss, t\m méritait bien cette fois son nom, s'arrêta de lui-même devant son écurie. Il fut en- suite question d'examiner les œufs. La poule à collet était trop elTa- roucliée et trop sauvage pour retournera sa couvée : par bunheur, ma femme en avait une qui couvait , elle lui ôta ses o'iils et y substi- tua ceux quêtions venions d'apporter: la poule à fraise fut mise a part, dans la cage du perroquet défunt; nous la plaçâmes dans notre salle à manger pour l'accoutumer à nous peu ii peu. Il ne se passa pas trois jours avant (|ue tous les petits fussent sortis de leurs co- (|uilles; ils restèrent fidèlcmeul autour de leur mère ailoplive, et man- gèrent a\ec avidité d'un mélange de glands doux piles et de lait, dont nous nourrissions notre volaille. A mesure (|u'ils grandissaieul, je leur retranchais les loni;ues [dûmes des ailes, de peur que leur natu- rel ne les portât à s'envoler. Mais, peu à peu, et les petits et leur vraie mère furent si bien apiirivoisés, qu'ils allaient, le jour, avec les nôtres, chercher de tous côtés leur nourriture, et revenaient le soir d'eux-mêmes dans le réduit que je leur avais arrangé, et où cette jolie peuplade paraissait se plaire. CHAPITRE XXXI. Le lin et la saison pluvieuse. François s'était fort amusé de ses petites feuilles à glaive, et puis, comme tous les enfants, léger dans ses plaisirs, il s'en était ennuyé et les avait jetées là. l'ritz en ayant ramassé (|uelques unes, qui étaient tout à fait molles et flétries, il en trouva qui céilaient comme des rubans. « Petit garçon, dit-il à son frère, tu pourrais à présent faire des fouets de tes giaives; relève-les et soigne-les pour cet usage ; lu t'en serviras pour conduire les chèvres et tes breliis. » Celait la tâche de François de les mener au pâturage. 0 Mh bien, aide-moi, » lui dit le petit. Ils s'assirent à côlé l'un de l'autre; François fendit les feuilles en longui s co'urroies, et l-'rilz les tressa en cordes de fouet; cela lui réussit très-bien. Je remanpiai avec plaisir, pendant ce travail, combien ces bandes étaient llevibles et fortes; je les examinai de plus près, et je trouvai qu'cjles étaient composées de longues fibres ou filaments, ce <|ui me lit soupiouNcr que ces s()i-dis:inl glaïeuls pourr.iieiit fort bien n'être autre clioseipie la plante de lin vivace de la Nouvelle-'/,élaude , que des naturalistes LE ROniNSON SUISSE. -.1 lioinmoiit phormiuinK Cetti' découverte étail précieuse tliiiis noire situation; je savais que ma IVmme soupirait après le lin, et <|iie c'é- tait presque la seule chose (|u'elle rcfjretlàt. Je nie liàtai doue d'aller lui faire jiart de notre trouvaille; elle en fut traus]iortée de joie. ic\oilà, dit-elle, ce ([ue vous avez trouvé jusqu'il inésent déplus utile; je vous prie d'aller clicrclier de ces feuilles et de m'en ajipor- ter autant que vous le pourrez; je vous ferai des bas, des chemises, des habits, du lil à coudre, des cordes... Knlin, (|u'on me doinie du lin et des métiers, et je ne serai pas en peine de les employer utile- ment, j) .le ne pus m'empêchcr de rire du chemin (|ue faisait son ima- j;ination au seul nuit de lin : il y avait loin de ces feuilles à la toile qu'elle cousait déjà en idée. Fritz divisâmes les grands paquets eu petits, que nous rangeâmes dans l'eau du marais eu mettant des pierres dessus pour les faire enfoncer, et nous les abandonnàhu's à leur sort jusiiii'au moment oii noire souve- raine jugerait (|u'il serait temps d'aller les tirer de lii et de les mettre au soleil pour les faire sécher et pour rendre fragiles les tiges mouil- lées, afin de pouvoir les teiller facilement, l'endant celte occupation, nous eûmes l'occasion d'admirer en plusieurs endroits l'iustiiiet des flamants dans la eonstruction de leurs nids, faits en cône, élevés au dessus de la superficie du marais, ayant en mitre un enfoncement oii les œufs sont il l'abri de tout danger : la femelle peut les couver ayant les jambes dans l'eau. La iiuitière des nids est de l'argile maçonnée ' I-e phormiwm est une [liante do la Noiivcllc-/.'lan(le , que Cook a fait con- naître. Les habitants de cette lie tirent de ces feuilles une filasse très-forte, qui leur sert ii fabriquer des eUilfes, des filets , des cordes, etc. Ces fouilles sont ra- dicales, longues de doux à trois pieds, larges de deux priices, ayant la forme d'un glaive. Macérées d.ins l'eau, elles produisent une lilasse plus longue, plus forte CI aussi lino que le lin. Le climat cù se trouve cette ulile plante donne lieu de croire ipion pourrait la naturaliser en Europe, où elle pro Jiiiiait les plus grands avantages. Lorsqu'on ouvre ces feuilles sur la plante , il en découle une .gomme inodore, transparente, couleur de paille, et ressenililonl extérieurement ii la gomme arabique ; elle est très-anière. si solidement, que l'eau ne peut ni les dissoudre ni les renverser jus- qu'au moment oii les petits sont en état de nager. Ouinze jours iiprès cette opéraliou, ma femme nous assura que son lin devait être siiflisamment roui; nous retournâiues au marais pour l'ôter de l'eau et l'étendre au soleil sur l'herbe, oii il sécha si par- faitement et si |ironiptemcnt (|ue le même soir nous pûmes le charger sur notre chariot et le porter .i F'alkcnliorst, où il fut serré en atten- ilaut (|iie nous eussions le temps de nous en occuper et de faire les battoirs, les rouels, les dévidoirs, les peignes, que notre habile ou- vrière eu lin nous demandait. Il était plus urijcnt de garder cet ouvrage sédentaire ])oiir l;i saison pluvieuse, et de préparer ce dont nous avions besoin pendant ce temps de retraite; dans l'incertitude de sa durée, il fallait avoir soin de ramasser des provisions siilhsantes pour nous et pour nos aniiuau\. Déjà de temps en temps nous avions quelques grains, avant-coureurs de la siiison pluvieuse; le temps, (|ui jusqu'alors axait été serein, devint sombre et cliange;int; U' ciel était souvent couvert de nuages; les vents orageux se faisaient entendre, et nous invitaient à profiler de clia(|ue moment favorable pour ras- sembler autour de nous tout ce qui nous était nécessaire. ]\ous com- mençâmes par tirer de terre une quantité suffisante de patates et de racines de manioc pour faire du pain; nous ne iiégli!;eâmes pas non |iliis de ramasser des noix de coco et ([iielques sacs de glands doux. Kn bêcluiut la terre, il nous vint à l'esprit de profiter de ce travail pour semer, dans ce terrain remué et engraissé par le feuillage des plantes, tout ce que nous avions de blé d'Europe. IMalgré toutes les friandises que ce pays étranger nous fournissait, l'habitude nous fai- sait regretter le pain, avec lequel nous avions été élevés et nourris. INous n'élions pas encore en mesure pour labourer régiilièremenl , et je voulais essayer de fabri(|uer t;iiit bien (|ue mal une charrue, lors- que nous aurions assez de graiu pour que cela en valût l:i peine; cette fois nous le mimes eu terre sans grande préparation, (^'élait le moment le plus favorable |iour semer et planter; la pluie devait dé- tremper et gontler tous les sucs nécessaires aux dilTérenles plantes, qui sans cela aur:iicnt élé perdues dans ce sol sec et brûlé. Nous nous empressâmes donc île jdanter à '/.elthciiu toutes les diverses espèces de palmiers que nous avions découvertes dans nos courses, en ayant soin de les clioisir aussi petites et aussi jeunes que nous pûmes les trouver. Nous fîmes aussi une grande plantation de cannes il sucre dans les environs pour avoir à l'avenii' aulour de nous tout ce qui nous était utile ou iigréable, et ne plus perdre notre temps à aller le eherclicr au loin. Ces différentes occup.itions nous tinreul peiidaiii quelques se maines dans une activité continuelle; notre cliarint roulait sans cesse de coté et d'autre pour transporter à la nuiisou ce qui nous ps- raissait néccss;iire pour notre liixcriuigc. Le temps nous était si pré- cieux, que nous ne nous permettions plus même des repas en règle; nous nous contentions de iu;inger du pain, du fromage, des fruits, ])oiir avoir plus tôt fait, et pouvoir retourner à l'ouvrage, afin de tout expédier av;iiit (juc la mauvaise saison nous forçât de rester enfermés. liélas! ce moment prévu arriva plus tùl que nous ne l'avions pensé. Avant (|ue nous eussions fini tout notre élablissemeut d'hiver, il tom- bait déjà des averses si fortes, si abondantes, que le petit François me demandait tout effrayé si le iléduge du père Noé allait revenir, et que moi-même j'en ét;iis al.irmé, ne voyant pas moyen de nous préserver de celle quantilé- d'eau, i|ui faisait un l;ic rie toule la contrée. La premiire chose à faire, et qui nous fut extrêmement pénible, ce fut de transporter sans délai notre demeure aérieuue dans le bas d(^ notre arbre, et de nous établir entre les r;icinesel sous noire toil goudronné; car il n'était plus iiossible d'Iiabller la cime, à cause des coujis de veut qui ch.issaienl des lorrents de pluie jiisi|iie dans nos lits par la grande ouverliire i\i\ devant, .l'y av;iis cluiie à la vérité une toile ii voiles; mais elle fut bientôt pénétrée d'eau cl déchirée. Nous fûmes doue obligé-s de descendre nos li;im:ies, nos matelas, e( tout ce qui pouvait êtri' endommagé par la pluie; trop heureux d'avoir fait noire escalier tournanl, (|ui nous mettait à l'abri ]icndant ce dénK'iiagement. Il nous servit ensuile de garde-meuble; nous y lais- sâmes loiit ce dont nous pouvions nous passer, et l.i ]duparl de nos ustensiles de cuisine, que ma femme prenait à mesure ((u'elle en avait besoin. Les petites loges entre les racines, arrangées pour notre vo- laille et notre bétail, pouvaienl à peine nous contenir tous. Les pre- miers jours lurent vraiment cruels : entassés à ne pouvoir ]uesqiie leinuer dans ces réduits obscurs, etcpie l'odeur fétide de nos proches voisins, nos animaux, rendait presiiue insupportables, éloiill'és par la fumée dès (|ue nous voulions nous procurer du feu pour faire la cui- sine, et inondés par hi pluie dès i|iie nous ouvrions les portes, l'our la premiiu'c fois depuis noire désiisire, nous soupirâmes tristement aprî's les maisons île uolre cbi'ri" p;ilric. ALiis que l'aire;' nous n'y étions pas; il ne fallail ]ias aii);uieiil<>r notre mal en perdant eouriige. .le lâchai de ranimer celui de tout mon nionile,et de remédiera (|uelques-nns de ceii ineonvéïiicnls. L'escalier tournanl nous fut, comme je l'ai dil , Iri's-iilile ; l'étage supérieur fut reni|)li de mille choses qui débarrassèrent le bas, et comme il él;iil éclairé el garanli par les fenêlres, ma leiume y fit souxent son établissement de travail, LR KOHINSON SUISSE. assise sur les inarche», l't sùii petil Hniiirnis à i>ks pieotie bonne iiié- naffère nous faisait souvent quelque ai;iéable surprise pendant (|iie nous étions occupés avec nos bestiaux; elle allumait un petit fai;i>l de cannes sèches, et rôtissait vite, à ce l'eu cl.iir et Irès-ch.Liid, lanl'ôl un poulet, un pii;eon, un canard, un |)in!;(uiiii de notre basse-cour, tantôt (|uclques ({rives conservées dans le beurre, qui se trouvèrent exiel- leiites, et furent pour nous un vrai réiial. 'Ions les quatre ou cinq jours, elle nous ball.iil, ilans la b;iralte de coun;e, du beurre frais et délicieux, dont nous faisions, sur nos ijàteaux de cassave, des tartines avec du miel parfumé; nos (foûters aur.iicnl fait envie ii tous lesj;i)iir- mands européens. Ces jours de ré|;al iii.Mleudii élaicnl des espicesde petites fêtes (|ui nous taisaient oublier pcinlant quelques lieiues notre cinprisonnemciil , leipiel , du reste, ét;iil plutôt causé par rhiiiiiidilé de la lerre et les grandes llaiiues d'eau que nous rencontrions à cha- que pas, que par la pluie elle-même : car s'il ne se passait pas de jours oii il ne lombâl plusieurs averses, dans les intervalles le soleil luisait et la chaleur él:nt l'-loulïanle. Les restes de nos lepas apparleuaieni de droit ii nos animaux i lis encore éprouvé sur celle côli' si riche, si belle, oii nous ;ivioiis été conduits et protégés d'une manière si LE noniNSON SUISSE. miraculeuse. Xous étions plus cpie d('clonii]i:t|ii's de ((uelnues m;iu- viiis moments, et, pleins d'un uouveiiu zt'le, résii;nés il plisser, si IJicu le voulait, notre vie entière dans cette solitude, avec une ànie con- tente et l'activité (|ui nous était nécessaire. 'Slan cieur paternel lor- inait, il la vérité, pour mes calants (iueli(ues vo'uv de plus, dont ji' ne leur parlais pas; mais, en me permettant de souhaiter ([uelque événement (|ui put jirolonyer et doubler leur honlieur, je m'en re- mettais en toute ^.oumission a la volonté de Dieu, et je l'attendais avec patience. j\ou3 commençâmes nos travaux par arranger et par nettoyer notre cliàleau aérien , que la pluie et les feuilles jetées par le vent avaient sali; mais il n'avait d'ailleurs pas souffert, et dans peu de jours il fut en état d'èlre habité de nouveau. L'escalier tournant fui débarrassé; les appartements entre les racines furent rendus ii leur destination primitive, et nous nous livrâmes ii d'autres enireprises. Ma femme ne larda |ias un instant ii s'occujicr de son lin et h lui donner tous ses soins. Pendant que nos fils conduisaient notre bétail dans des iiàtuiages frais et que le soleil avait déjii sédiés, je portais les paquets de lin an grand air, et je composai avec des pierres amon- celées une espèce de four pour le sécher complètement. Oès lu même .soirée, nous nous mimes ;i le (eiller, puis nous le plaçâmes sous le battoir pour en ôter l'écorce ; il fut peigné ensuite avec ma luacliine à clous, qui réussit à merveille. Ce fut moi (|ui me charjjeai de cet ouvrage assez, pénible, et j'en tirai des quenouilles de lin ])rous commençâ- mes nos promenades par Zelthcim : nous étions curieux de voir les ravages des eaux, et nous en fûmes effrayés. Z,eltlicim avait été beau- coup plus maltraité i|ue Falkenliorst ; l'orage et la pluie avaient abattu la tente, emporté une partie des toiles, et lelleiiient attaqué toutes nos provisions, que beaucoup de cliose= n'étaient plus bonnes à rien , et (|ue les autres ne pouvaient être sauvées qu'en les faisant sécher sans délai. Heureusement, du moins, notre belle pinasse avait été passablement épargnée; elle était encore ii l'ancre, prête ii nous servir au besoin ; mais notre bateau de tonneaux a\ait été entière- ment avarie , et je n'os.iis plus espérer de pouvoir m'en servir. Dans la recherclu» exacte de nos provisions, nous eûmes la douleur de voir que celle qui avait le plus soufl'en élail la poudre il canon, dont j'avais laissé trois barils sous la tente, au lieu de les porter sous la voûte des rochers. J'ouvris deux de ces barils, et je les trouvai abîmés par l'eau ([ui avait pénétré dans l'intérieur. 11 iallut jeter leur conlenu en enticc, et je m'estimai encore heureux de ce (|ue le troi- sième n'était pas en aussi mauvais état; mais celle grande et irrépa- rable perle fui pour moi un puissant motif de penser ii des ijuarticrs d'hiver, où nos provisions et nos richesses fussent désormais ii l'abri d'un tel malheur. Cependanl j'espérai peu, malgré le plan gigantesque de Frit/, et le coura|;c de ,lack, (|u'il nous fût possible de creuser une demeure dans celte paroi de rocher. Uobinson (Jrusoé est censé avoir trouvé une grotte spacieuse, (ju'il n'eut ([ue besijin d'arranger. Dans toute sa longueur, noire rocher n'en offrait aiutiine; il avait l'air d'être partout de roc primordial, d'une extrême dureté ; et, avec nos forces si bornées, l'emploi de trois ou quatre étés paraissait à peine suffi- sanl. (Cependant le désir ardent d'avoir une demeure |)lus solide et à l'abri de l'eau me lourmeiilait sans relâche : je résolus de faire au moins un essai , et de creuser, s'il était possible , une espèce de cave pour préserver notre poudre, le plus précieux de nos trésors, des in- tempéries de l'air, .le partis donc un jour à la tète de mes deux bra- ves ouvriers , Fritz et .lack , laissant la mère il la filature avec ses deux aides Ernest et François. Nous étions chargés de pieux, de ci- seaux, de marteaux, de barres de fer, pour essayer nos forces contre le rocher. Je choisis une place oii il était presque iierpeiuliculairc , et beaucoup mieux situé que noire tente. La vue, en cet endroit , était si élendue, que l'on découvrait en entier la baie du Salut, les rivages du ruisseau des Chacals avec son iiont, cl toutes les saillies pittores- ques des rochers. Je inan|uai avec du charbon le contour de l'ouvcr- liire (|ue nous voulions tailler, cl nous commençâmes, ii la sueur de notre front, le pénible ouvrage de l'arriers. Le pninicr jour , non-. avaniâmes si peu, que, malgré notre courage, nous fùme>. sur le point d'abandonner notre besogne, (iepeiulant nous persistâmes encore, et ce (|ui me donna quelque espérance , ce fut (lu'à mesure que nous avancions dans la profondeur, la dureté de la pierre diminuait, ^ous supposâmes que le soleil ardent frappant contre ce roc en avait durci la couche extérieure, et qu'en dedans la masse de la pierre se trouverait toujours plus tendre; il nous parut enfin (|ue c'était une espèce de pierre calcaire. LorM|ue j'eus creusé environ ;i la profon- deur d'un pied, on pouvait presque la détacher avec la bêche, comme du linuui des.-^éclié. .Mors nous nous décidâmes ii continuer sans re- lâche ; mes fils me secondaient avec un zèle et une assiduité au-dessus de leur âge. Après c(uelqiies jours de trav.iiu assidus, nous mesurâmes notre ouverture, et nous trouvâmes qui nous avions déjà sept pieds de pro- fondeur. Fritz, avec une brouette, conduisait les décombres, cl les rangeait au-devant pour faire une espèce de li'rrassc : moi, je travail- lais dans le haut pour élargir rouverliire. JacU, comme le plus petit, pouvant déjà èlrc caché dans cette espèce de i;rotlc, était en bas et creusait dans la profondeur; il avait pris une barre de fer assez lon- gue et l'avait enfoncée ;i coups de marteau pour détacher un gros morceau de roc. Tout à coup je l'cnlends crier d'une voix forte : « Papa, j'.ii percé 1 Fritz , j'ai percé! Li. l'îiiu;. (Jui-da, mon fils! (|ii'as-tu donc percé, je l'en prie? est-ce la luonlagnc.' Pourvu que ce ne soit pas ta main ou Ion pied ? lACK. Son, non, c'est la montagne; » et il lit relentir les rochers de son cri de joie accoutumé : « Vivat! vivat ! j'ai percé la montagne 1 » Fritz était accouru à ses cris. « Tu as percé la inonlagne, mon pelil I lui dil-il d'un Ion moi)iicur; pourquoi pas le globe tout entier? cela t aurait élé tout aussi facile; tu n'avais iju'à enfoncer bravement Ion fer jusipTà ce que lu eusses atteint l'Europe, qui est, dil-on, sous nos pieds, .l'aurais été bien aise de guigner dans ce trou. jACh. Eh bien! lu pourras avoir ce plaisir, mais je ne sais pas Irop ce que lu verras, \iens d'aboni examiner comme ce fer est enfoncé, et dis-moi si je fais à présent une fanfaronnade : liens, regarde toi- même si je mens; il est sûr que , s'il n'y avait pas un grand vide par derrii're , je n'enlom erais pas ainsi cette barre dans le roc. iiurz. En effet. \o\ez,papa! c'est très-singulier; son fer parait être parvenu dans un grand espace vide; on peut le tourner comme on x'cul. » Je m'approchai , car cette observation me parut digne de mon attention. Je saisis l'instrument, qui était encore planté dans le roc, et, en le secouant avec vigueur de côté et d'autre, je lis un trou assez grand pour qu'un de mes fils pût y passer, et je vis qu'en elTcl une partie des décombres tombaient en dedans, et (|u'il y avait là une cavité dont je ne distinguais pas retendue ; le bruit des pierres me fit cependant juger qu'il ne s'abaissait pas beaucoup au-dessous du sol sur lei|ucl nous nous trouvions. Mes deux garçons m'offrirent en- semble de passer par c<' trou pour aller voir ce que c'étail ; mais je le défendis sévèrement, et je les fis même s'éloigiierbicn vite, parce que je sentais (|u'il sortait de cette ouverture une si i;raiulc (]uantité d'air mépliiliiiue , que je conimeni'ais moi-même à éprouver des vertiges pour m'en êlre trop approché, de sorte (lue je fus obligé de me re- tirer promplement, afin de respirer un air plus pur. « Gardez-vous, mes cliers enfants, dis-je avec eiVroi , gardez -vous de pénétrer dans ce creux : vous pourriez y trouver subitement la mort. lÂCM. La mort, papa ! croyez-vous donc (|u'il y ait là dedans des lions ou des tigres ? Donnez-moi un fusil, je ne les craindrai pas. Fnnz. Comment pcu\-lu penser c|ue de tels animaux puissenl vivre là ? Mais papa craint peut-êlre (|u'il n'y ait des scrpciils ou des vi- pères. lACK. Et ne peut -on pas aussi les tuer, ces vilaines bêles? i.E n";m:. J'aime à le voir ce courage, mon vaillant petit mineur; mais, cette fois, il ne sera pas mis à l'épreuve. 11 n'y a pas plus de lions, de tigres et de serpents là dedans i|u'il n'y a d'hommes; mais le danger n'en existe Jias moins. One ferait mon iietil héros si, en en- trant dans ce trou, il ne pouvait plus respirer? JACK. Plus respirer! et ]ioun|iioi pas ? i.K ri'uE. Parce ipie l'air y est uiépliiti(|iie, c'est-ii-dirc corrompu, et qu'il ne vaiil plus rien pour la respiration. Les personnes qui iiuprn- ilemiiienl ou [lar ignorance entreraient dans ce gouffre y seraient étouffées. I iiiiz. !\Liis comment l'air peut-il se corrompre ? i.K l'îni:. De diflcrenles manières : soit quand il se charge de va- peurs nuisibles, soit lorsqu'il renferme trop de p.irlies ignées ou in- flaiiiiiiables, soit enfin lorsqu'il est tro)! pesant , comme l'air qu'on appelait aulrefois fixe, et qui est désigné dans la chimie modiune sous le nom tViicidc carlioniqiic Mais, en généial, dès ipie l'air perd de son élasticité, il ne pinèlre (ilus dans les poumons, et on ne respire plus; alors on étouffe proniplemiiit , parce (|ue l'air est absolument nécessaire à la vie et à la circulation du sang. lACh. H n'y a qu'il se sauver bien vite, quand mi seul (lu'oii ne peut ])liis respirer. IF. pi.iu;. C'est ce qu'ini fait (|uand on en a la force; mais ordinairp- menl cel état commence par un vertige ou un lournoiemenl de têle Ici (|u'(Ui a peine à marcher. Ce malaise est suivi d'une oppression que l'iui w peut vaincre; on fait des elVorls pour respirer, on perd 80 LE ROBINSON SUISSE. connaissance, et on iiicurt sul)ilemont si l'on ne reçoit jias de prompts seconrs. FRITZ. Quelle espèce de secours peut- on donner? LE PÈRE. Il faut d'abord transporter le malade dans un air pur el frais, et lui jeter de l'eau fraîche sur le corps. Après l'.ivoir bien essuyé, on le frotte avec des linges chauds, on lui souille de l'air sain dans les poumons, on lui donne des lavements de fumée de tabac , enhn on le traite comme un noyé , iusi[u'à ce (|u'on l'ait fait revenir à la vie : ce qui n'arrive malheureusement pas toujours. FRITZ. Quelle raison avez-vous , papa, de croire (jue l'air de cette caverne soit méphilitjue, ou mauvais à respirer? Fritz sur son ona» e. i,F. PKRF. Parce (pie peu à peu tout .lir reureroK' et l'ulièrcment sé- paré de l'air atmosphéricpie ])erd son élaslieilé, et contracte ilesqu.i- lités nuisibles et contraires à la respiration, (^'est (piand on respire que l'air alnHisphérif|ue, ou celui (pii e;.t rép:Ln. LE ROBINSON SUISSE. SI la grotte souterraine, d'en ôter les gravois , et «le frayer un chemin pour que sa mère put y pénétrer l:ieilemeut. Il y avait trois ou ijiiatre heures ([ue nous travaillions, (piauil nous la vunes arriver sur notre char de parade, sur celui (|ue j'avais arrani;é pour les patates; il était attelé de la vache et de l'àue, et conduit par Krncst. François s'en mêlait aussi, et disputait a sou frcre les cordes qui servaient de rênes. Jack, grimpé sur son buffle, caracolait devant eu\ , souillait dans son poignet fermé comme à travers un cor de chasse, et fouettait de temps en temps l'ànc et la vache pour les faire avancer. Lorsqu'ils eurent passé le pont, il prit les devants au galop. Arrivé près de nous, il descendit de sa monture, qui devait l'avoir éreinté; il se se- coua en faisant deux ou trois sauts, puis, comme un galant chevalier, il courut au char pour aider sa mère à en descendre J'allumai promptcmcnt mes flainljcaux ; mais au lieu île les atta- cher ensemble, comme j'en avais eu lidéc, je préférai en donner un à chacun, ainsi qu'un instrument qui put servir à nous tirer d'alTaire dans le cas oii (pielque ébou- lement aurait lieu. Une bou- gie non allumée dans la po- che, un bri([uet à la ceinture, nous films notre entrée so- lennelle dans l'intérieur du rocher, moi ii la tète, mes fils ensuite , et leur mère la dernière , avec son petit François, dont la curiosilc était mêlée d'un peu de peur. Moi-même je n'étais pas sans celte espèce de crainte que cause une en- treprise hasardeuse. Nos chiens , qui nous avaient suivis, témoignèrent même une sorte de timidité, et ne coururent pas en avant , comme à l'ordinaire ; mais nous n'eûmes pas fait (juatre pas dans l'intérieur de cette grolle, que nous n'éprouvâ- mes plus i[ue de la surprise et de l'admiration. Le plus beau , le plus magnil'uiuc spectacle s'offrit à nos yeux: les parois élincelaicut com- me des diamants; nos six flambeaux étaient répétés de tous côtés, et produi- saient l'effet d'une superbe illumination. Du haut de la voûte liai u relie pciulaient d'innombrables cristaux de toutes longueurs et de tou- tes formes, qui, se joignant à ceux des parois, formaient des colonnades, des autels, des entablements, des buf- fets d'orgues, et paraissaient autant de diamants énor- mes. Il nous semblait être dans le palais d'une fée ou dans un temple illuminé. A dilTércntes places, les cou- leurs du prisme, se peignant dans les angles des cristaux, leur donnaient l'app.irence de pierres précieuses. Le jeu des lumières, leur reilel , l'.discurité de quelques endroits, le jour éblouissant répandu sur d'autres, tout cela offrait un coup d omI vraiment magique. L'étonuement de ma iaïuille était tout à fait risible; elle élail d une espèce de stupeur muclle, ne sachant ; réalité, l'our moi, j'avais déjà eu occasion d j'avais lu la description de la fameuse considérable encore que celle-ci une idée. Le sol en était uni, ' On a donné ce nom à une espèce de sel plus dur que le sel ordinaire, et qui quelquefois a la transparence et la couleur des pierres préceuses. Le sel àpnime se trouve toujours dans le m.'me terrain que le svpse; et c'est une observation constante, qu ,1 y en a toujours dans le voisinage de ce dernier ; souvent m,^me es couches de sel alternenl avec les couches rie gypse, l.e .el gemme se forme tantôt en grands bancs continus, tantôt est disséminé en grands cubes isolés der- rière des couches d argde ou de roc. Les mines (je dirai pre-ciue les carnèresl de sel gemme se trouvent à toute, sortes .IVlévaiinn, et même quelquefois au niveau des plaines Dans toutes les parties du monde connu, il n'y a p.-.s rie pro- duction naturelle plus abondante que le sel. La plupart des mines de sel pemme en Espagne, en Angleterre, sont dune étendue de pluMeurs cent.incs rie pieds. En Espagne, le bourg de Cardona est situé au pied dun rocher de sel massif •20(i. Il prit après cela son arc, et posa la flèche dessus... E'Ie partit , et ail percer le plus gros des saumons. risible ; elle éliiil c'était un rêve ou une voir des stalactites , et grolle d'Aiiliparos , bien plus , <|ui pouvait cependant en donner couvert d'un sable blanc tres-lin. comme si on l'y avait étendu à dessein, et si sec, que je ne pus dé- couvrir nulle part la moindre trace d'humidité; ce (|ui me ht espérer qu'elle serait Irès-saine et très-agréable, ayant le projet d'y établir notre demeure. Je fus amené alors ii une conjecture particulière sur la naliire di'S cristallisations ipii sortaient de tous entés, et surtout de la voûte. Llles pouvaient dillicilciuent être de la même espèce que nos cristaux de roche, qui sont produits par des suintements d'eau tombant en goutte et se coagulant ii mesure; on iic les trouve pas ordinairement dans des caxilés aussi sèches ciue l'était celle-ci, et il n'y en a pas autant de perpendiculaires et de parfaitement unies. Je m'empressai de me convaincre, par une épreuve, de la vérité ou de la fausseté de ma conjecture, et je trouvai, ;i ma joie iiie\|priiiiable, en en cassant un morceau , (pie je ne m'étais ])as trompé eu pensant que j'étais dans une grotte de sel gemme ', (|ui se trouve dans le sein de la terre en masses solides el cristallisées, ordinairemcul sur un fond de spath ou de [jypse, cl entouré de couelies de fossiles ou uel im meiise avantage pour nous et pour notre bétail c|uc celle énorme qiianlilé de sel ])ur et tout prêt, <|ui ne de- mandait d'autre peine que de le prendre avec la pelle, et qui valait mieux, ii tous égards, que celui ((lie nous ramassions sur le rivage, et f(u'il fallait toujours pu ri fier! Ma femme admirait mon bonheur d'avoir creusé il cet endroit; je lui fis obser- ver (|ue, suivant toute ap- parence , cette mine de sel s'étendait beaucoup plus loin , et que nous l'aurions toujours trouvée, quel que fût l'endroit où j'eusse atta- (|ué le roc, mais qu'il eût été ]iossible que je n'eusse pas découvert la grotte mi- raculeuse oii nous étions. Le petit François assurait tout bas à ses frères (|ue c'était bien sûrement le palais de qiiel(|ue bonne fée, qui vien- drait , d'un coup de ba- guette, leur faire don, s'ils étaient sages, de tout ce qu'ils demanderaient. « Eh bien! dit Jack, je lui de- mande de rendre mon petit frère un peu moins savant el un peu moins crédule. N'entends lu pas que papa dit (|iie tous ces diamants ne sont que du sel, el ne sais-tu pas (|iril n'y a point d'autre fée que le bon Dieu ? » Le petite tète blonde; il lui en ili pauvre petit se lui eu secouani sa j coûtait de renoncer ii son palais de fée, el vraiment je comprends fa cilement (|ue cet enfant ait eu celle idée. En nous avançant dans la grotte, nous remarquâmes des masses et des figures singulières que la matière saline avait prodiiiles. 11 y avait des piliers entiers ijui montaient depuis le sol jus(|n'a la voûte el semblaient la soutenir; d'autres où se trouvaient des moulures et des chapiteaux ; ilaus quel- ques endroits on voxait des couches ondulées, qui, ;i une certaine dislance, rcssemblaiiuit à la mer. L'imagination pouvait se repré- senter tout ce qu'elle voulait dans ces formes variées el bizarres : des coupé presque à pic; il s'élève do terre à la hauteur de quatre à cinq cents pieds sans crevasses, sans fentes, sans couches : ce bloc immense do sel peut avoir une lieue rie circuit; comme on ignore sa profondeur, on ne sait pas sur quoi il repose. Le sel, depuis le haut jusqu'en bas, est de la plus grande blancheur; on y en trouve aussi qui est bleu clair et transparent. Celle prodigieuse mon- tagne de sel pur. sans mélange de gypse ou d'autres matières, est la seule en Europe, En Angielorre. dans la province de Chester. près de la mer d Irlande, il se trouve une mine immen«e de sel gemme, derrière une bande de roc, et après avoir exploité vingt-cinq pieds de sel, qui e»t en plusieurs endroits d'un beau rouge foncé , on a retrouvé douze h quinze pieds de roc , puis encore du sel en dessous, ce (iiii détruit tout à fait Ihypothèsc que le sel gemme est produit par des lacs salés et desséchés. {Dklionnmre d'Histoire no(urei(«.) 6 8? LE ROBINSON SUISSE. fenêtres, de praiictcs .iimoîies ouvertes, dos bancs, des ornements d'éclisp, même des l'inures sinpjulières d'hommes et d'animaux, les uns comme des cristiiuv polis ou îles diamants, les autres romme des blocs d'albâtre. ISous ne pouvions nous lasser de parcourir cette merveilleuse en- ceinte. Déjà nous avions allumé nos seconds cierijcs, lorsque je m'a- perçus ([u'il y avait sur le terrain, dans ([uel(|Mes endroits, une quan- tité de fragments de cristaux qui semblaient être tombés de la voûte. Cette chute pouvait se répéter et menacer notre sûreté ; une de ces lames cristallisées lombant sur la tête de l'un de mes enfants aurait pu le tuer à l'instant. Mais ini examen plus exact me prouva i|iie ces morceaux n'étaient p;. s tombés d'eux-mêmes ar- limenls pour séparer les différentes espèces d'animaux, occiipèri'ul le fond de la caverne de ce côté-là; de Taulre,se Innivaienl, comme je l'ai déjii dil, la cave et li^ iiiagasin. Jl est facile de concevoir que ce plan assez étendu ne pouvait s'exé- cuter eoiume par euchaulemeut, et i|u'il fallut se contciiler d'abord d'arninger le plus pressé, en réscrvanl le reste des disposilions pcuirLi saisiui d'cs pluies; mais ee|u'ndanl clia(|ue jour nous avancions notre besogne plus ipie nous ne Taviiuis espéré, l'.n allant el yeiiani , nous appoilioiis toujours de Falkcnhorsl quelque (Jiose (|ui trouvait sa jdace dans la iiouvelle maison, oii nous menions aussi en sûreté ce qui nous était resté des provisions placées sous la tente. Le long séjour à Zeltheim pendant ces occu]iati(Uis nous donna Toecaaion'de emiiialtre plusieurs avantages sur lesquels nous n'avions pas compté, et iliie nous ne tardâmes pas à lucllre à (ïrolit. Très- souvent il se monirail au bord de la mer d'immenses tortues <|ui dé- posaient leurs œufs dans le sable cl nous fournissaieni un iiarfait régal; mais nous portâmes plus loin nos préleiuions, el nous eher- ehàmes à nous assurer lUi provision les lorlui-s elles luê s, vivantes, pour les manger quand bon nous semblerait. Dès que nous eu vimes une sur le rivage, un de mes bis lui dépêché pour lui couper la re- traite, l'cndanl'ee temps, nous approchâmes de la bêle, nous la tour- nâmes promplemcnl sur le dos sans lui faire aucun mal; nous pas- sâmes une longue corde dans son écaille, el nous atlaehâmes Taiilre boni à un picii, que lums piaulâmes aussi près du bord que possible. Nous remimes la prisonnière sur]iieil; elle se hâta de rentrer dans la mer, mais ne put s'éloigner (|ue de la longueur de la corde; elle n'en étail en apparence (|uc plus heureuse, Inuivant sa nourriture bien plus facileiucut au bord que dans la hanle mer, el nous fûmes charmésde pouvoir la prendre au liesidn. Je ne parle pasdcs homards, des hnilres etjle beaucoup de pelils poisscuis, (|ue nous prenions fa- eileincnl el en quantité. Nous .avions fini par nous aceoiilumer aux huîtres el à nous en régaler. Les gros homanls, dont la chair est dure cl coriace, fiinint abandonnés aux chiens, (pii les préféraient aux pa- tates; mais bientôt nous eûmes pour notii' hixcr une ;iutrc provisimi excellente, (pie le hasard nous procura. Tîn matin, nous parlimes de Ircs-boiiiie heure de l'alkciihors.1 ; lorsque nous fûmes près de la baie du Salul, nous api'riûmcs, à notru grand ét(uiiieiuenl, dans la mer, à quelque ilislanccdn bord, un siii- l'ulier spectacle que nous n'avunis point eueori' vu , quoique' ce lui au moins la eciilièmc fois (|ue nous faisions cet chemin, lue étendue d'eau iri's-consiilérable paraissait être dans une forte ébullitnin el comme échaulfée par un feu souterrain; elle s'élevait el s|abaissait nd de la mer; que c'était quelque l'eu souterrain i|ui cher- chait une issue, ou bien un treiublemciil île terre; (|ue peut-être un nouveau vidcan allait s'ouvrir quchpie part. Mais l'.rnest faisait de fortes objections contre celle iilée. « Les oiseaux, disait-il, s'en éloi- gneraient par instinct, au lieu de se rassembler en foule au-des-us, et de vollincr avec ijaieté, tellement qu'on dirait qu'il y a un second banc eu l'air, aussi iirand et aussi aijilé que celui de la mer : voyez eoninieils s'y précipitent, disait-il; si c'élaitde l'eau chaude, comuie le croit liilz, ils se brûleraient les (lalles et le bec.» Fritz n'eut pas Ijranil'chiise à répondre. «Eli bien! monsieur le savant, lui dit-il, dis-nous donc ce que c'est. ERVKsr. .le suis fort tente de croire que c'est quelque énorme monstre marin, un cachalot, ou une baleine, qui élève île temps en temps comuie une ile son dos, sur lei|uel se Irouxcnt une quantilé de petits |>i)issons qui offrent une proie facile aux oiseaux. O'est dans ce but ipi'ils suivent ce monstre, et qu'ils cherchent avidement à saisir tout ce qu'ils peuvent prenilio en se précipitant sur lui; ceux qui y ont réussi s'envolent avec leur proie, et les autres les poursui- \ent pour la leur enlever, .le parie que c'est cela même , et que si nous rcijaiilons bien, nous verrons ce jji'ant aipiatique étendre ses iiniiicnscs bras ou ses nai;eoiics; et quand il se sera assez réchauffé au soleil , quand il aura bien humé l'air, il se précipitera dans l'im- mense profondeur de l'eau et y occasionnera un tourbillon capable d'enijluutir un vaisseau. lAcK. Oui, oui, papa, Ernest a bien raison. Tout au fond de ce* banc, et à mesure qu'il s'approche, je vois distinctement qiiehiue chose qui s'abaisse et se relève; je suis sûr que ce sont les terribles bras du inonsire marin; il me semble aussi que je vois d'éunnues jiiiiccs. Si cet animal venait à s'élancer hors de l'eau, n'y aurait il pas piuir nous du danijer !' i.E rinK. Il avalerait ]ieul-ètie mon Jack coninie une jiilule. Mes en- fants, vos hypothèses sont pleines d'iinai;inatiou ; et c'est ijranil dom- maive qu'il n'y ait |ias l'apiiarence de vérité. (lominent pouvez-vous croire a rexistciice d'un uionstrc de la lonniieur de ce banc mouvant? EBNEsr. .le vous assure, papa, (|ue j'ai lu que des baleines avaient renversé, en se mettant dessous, les plus ijros vaisseaux, et que très- souvent des !iavif;atcurs les prenani pour îles îles sont descendus des- sus, et ont été submei'fjés et ilévoii's. lE r'v.RV.. Il y a du moins, mou his, beaucoup d'exarjération dans ces récils, si même ils ne sont pas entièreiuenl fabuleux. Il esl possible que quelque monslre marin ait, par ses moiivcmcnls, fait chaxirer queh|uc petit navire, quoique je pense (|ue cel,i a dû être dilVicilc; je crois aussi que, de loin, ou a pu prendre le dos iriiiie baleine pour un ilol ; mais, de près, on a dû être détrompé par la forme et parles luouvenients de cel énorme poisson, .le sais aussi que les jjécliciirs lie la baleine vont sur son dos pour la harponner ; mais voilii , je crois, à quoi se bornent ces étonnauls récits, (juant au banc que nous avons sous les yeux, je croirais |)lutôl qu'il se eoiiipose d'un ijraiiil uoiubre de petits poissons, et si ikhis (■liiuis dans riiéuiisphère boréal, je i;a- ijerais (|uc c'est un banc de harciifjs, qui va enirer dans notre baie du Salut et tomber entre nos mains : si cela pouvait être, ils seraienl Irès-biin reius, et il vaudrait bien la peine d'y arriver aussi vite (|ue possible ; il ne faudrait pas laisser échapper un des dons les plus jiré- cieiix de la Providence. KRANçois. Mais qu'est-ce que c'est qu'un b.iiic de liarenijs, cher papal" lE pi-iiE. C'est une énorme quanlilé de petits poissons qu'on appelle liiireufis, et (|iie tu dois coiinaitre, car lu en as souvent luanrjé en Eiiroiie. Ils passent dans la mer si près l'un ili- l'autre, et dans une si ijraudc éleiidue, qu'ils ressemblent à un banc ou il une île de s.ibic de plusieur.>, lieues de larjje, de plusieurs toises de profondeur, et i|ucli|uefois lie plus de cent milles de liuii;ueiir, au moiucnl oii celle iiaiide iiinoiubrable sort de la mer (llaci.ilc. De l.'i elle se divi.sc (ui colonnes, qui traversent I'Ocimii et se poussent vers les côtes et d.iiis les baies, nii elles vienuenl frayer, c'est-à-dire déposer leurs criifs dans les pierres et dans les plantes maritimes : c'est là que les pêcheurs de tous les pays vont en faire capture. Les bancs sont toujours suivis d'une léi;ion des plus ijr.inds poissons de mer, tels que les bonites, les dorades, les esliir|;eons, les dauphins, les chiens de mer, ou ïqnalcs, etc., etc., (|ui en sont exlièmeuieiil friands. Ce ne sont pas leurs seuls ennemis : ilsallirent, de plus, une horde d'oiseanx voraces, qui, en vrais brigands, se jettent sur la superficie de l'eau et en attrit- lient le plus qu'ils peuveut. Il ]>araîl que les bareiiijs se liaient d'arri- ver dans les endroils oii la iiiei est très-basse, (lour se dérober du moins à la voracité des uionslres marins, qui ne peuvent les y suivre; mais alors ils tombent d'autant [iliis facilement sous celle des oiseaux et de l'homme. Avec tant de moyens de destruction, on aurait lieu de s'étonner que la race des haren(;s subsiste encore, si la nature n'y avait pourvu par leur élonnaule fécoiiililé : on a compté (;s,(i.'j(l œufs dans une seule femelle de médiocre ijro.sseur : aussi , mali;ré tout ce qu'on en détruit, on ne l'ciiiarquc pas que la pêche diminue. FUiTZ. Et criiyez-vons réellenicnl , mon père, que ce soieiil là des harengs ? I.E iMiiiE. .le n'vu dcuilcrais pas, ciHiiiue je \ iciis de le le iliic , si j'é- tais eu Europe, .riijiiorc si l'on en a jamais trouvé dans les mers de riiéiuisphère aiislr.ii. ,1e sais qu'il y en a une espèce (|ui fréquiuite les côtes de la Chine; mais je ne sache p;is qu'elle voyai^c par Iroupes, comme nos liareni;s seplciitrionaux. (Jiioi qu'il en soil , prohloiis de noire bonne chance, cl, hareiijis ou iiiiu, iirenons ces |i(iissoiis; don- nons-leur un nom i|ui nous soil familier, el laissons aux naluralisles à venir le soin de les classer. iiirrz. \ oyez, voyez comme le banc se précipite dans la baie. » E(, encflVl, l'entrée en lui remplie. Ces harcnns faisaient assez de bruit dans l'eau, et saiilaienl les uns ]iar-ilcssus les autres, en laissiiiit voir leur veiiire couvert de petilcs écailles arijeiilces. IN'oiis reconnûmes que c'était là ce (lui prodiiisail ces étincelles de lumièri' que nous avions remarquées dans la mer, sans pouvoir comprendre alors ce que ce ]iouvail être. M;iis nous n'avions plus de leiups à perdre dans cette coulemplalioii ; nous nous hàlànies de déleler noi re char el de revenir prendre ces pelits poissons avec nos mains, à défaut de filels. Mes en- fants accoururent avec des seaux de calebasses; il n'y avail qu'à puiser pour qu'ils en fiisseiil pleins, cl nous n'aurions su où les luellre, si je ne lu'élais avisé d'eiiiployer à cel iisai;e noire bateau de cuves, qui ne pouvait plus nous servir à navi];iicr. Silôl dit , sitôt l'ail, .le le fis à l'inslanl lirer par le bulllc sur le rivai;e; il fui placé sur des rouleaux; puis ma feiuiue el ses pelits i;arçonslc nelloyèreni jiendaiil que leurs aînés allaient eheicher du sel dans la caverne, et que je dressais proiiiiilcuicnt une espèce de lenlede toile sur le rivaije, pour pouvoir, iiial;;ré l'ardiuir du soleil, nous occuper à saler ces poissons ahii de les conserver. INoiis nous y luiiiies Ions; je disiribuai les occup.ilions siii- vaiil les forces el l'habilelé. Frilz se mil dans l'eau pour prendre les hareni;s et nous les jelcr il mesure ; Ernesl el .lack les iiclloyaicnt avec un couleau, la mère broyait le sel; François aidait à tous, et moi je les rani;eais dans les cuves, ainsi que je l'avais vu praliquer. Un cri joyeux fut le siijiial de l'aclivilé iiénérale. Nous eùiiies d'abord un peu de iieiiie à nous accorder; souvent un de nous n'avail rien à faire, et les autres étaient siircliavi;és d'oiivrai;e; mais bieiilôl tout fui en Irain el si bien ordonné, que c'était un vrai plaisir. .le mis une couche do sel au fond de la Iouik', puis une eouclie de harenijs ayant Ions la tôle loiirnée vers le centre, puis un nouveau lit de sel, puis un de poissons la lêlc vers le bord, el toujours de même jusqu'à ce que mes cuves fussenl à peu près remplies, .le mis sur la dernière couche de sel de i;r.iiides feuilles de |i;ilinier, cnsiiile un morceau de toile, sur lequel j'enfonçai deux deiiii-planches rondes bien joiiiles; je les char- (veai de pierres; j'alli'lai de nouxean à ce lialeau notre biillle el notre Ane, el je le menai dans notre cave, que la voûle de sel reud.iil Irês- fraîelie. Au bout de quelques jours, lors(|iie la masse fui abais^ée, je les fermai mieux encore par le luoycn d'une couche de terre glaise pétrie avec des éloupes de lin el posée sur la toile; ce qui fit une croûte que ni l'air ni riiuiuidilé ne pouvaient péuélrer, cl qui nous assura une excelleiile provision |)our les mauvais leiups. (;e travail, qui nous occupa phisieurs jours , nous retint une se- iiuiine entière a '/.illliciiii. Ivi Iravaillalit du malin jusqu'au soir, nous ne pouvions préparer et saler que iliiix loiiues, el nous voulions au luoiiis en avoir huit. |'e|idaiit tout ce temps là, le ha reii|j frais fm à peu près notre seule non rriliire, el nous nous eu Iriiux .âmes ii mer- veille. A peine eùiues-nous Uni notre salaison, qu'il se présenta une autre occup.ition , (|iii en étail la suite. Il arriva dans notre baie, el même dans le ruisseau, une (|iianlilé de chiiuis marins' qui les avaient siil- \ is jusque-là avec une exlrèiiie voracité, el qui s'amiisaienl dans l'eau et sur le rixaije, sans p. naître nous irainilre. ( .'e poisson, dont la chair esl très-mauvaise, n'était nullement attrayant pour notre palais ; ni.'iis, sous un aulre rapport, c'i'-lail une c.ipliire Iri's-ax aiil:i!;eiise ; sa peau, tannée et ]irépHrée , fait un cuir exeelleul; j'en avais le plus I I.c ctiieii de mer e?l un poisson do l'espace nommée squale par les noturj- lislcs ; c'est une espère do rcipiin qui est aussi un squale. ( Voyez les orlirlos Sqtiale et nequin d.ins le Nn-ivrnn Din'innnnin d'illslnire natttri'llf,) S4 LE ROBINSOIN SUJSSE. granil besoin pour coiifcrtionncr les couiroies de l'attelafje de nos bêtes, pour faire à Vrili el à .lack des espèces de selles lorsqu'ils mon- taient i'ona!;ie ou le buffle , et enfin pour nos semelles de souliers , nos ceintures, nos pantalons, qui élaient complètement usés; je savais de plus que leur i;raisse donne une très - bonne luiile à brûler, qui pourrait suppléer à nos boui;ics, et ous gardâmes avec soin la graisse, dont nous eûmes une ample provision; elle fut d'abord mise dans une chaudière; fondue el nettoyée avec soin, nous l'enfermâmes dans des tonnelets, et la réservâmes pour la tannerie el pour la lampe. J'avais encore le pro- jet d'en faire du savon lorsque j'en aurais le temps, et cette douce espérance anima le zèle de la bonne ménagère pour cette occupation assez désagréable , mais qui nous promettait de si utiles résultats. JNous gardâmes aussi les vessies de ces poissons; elles étaient très- grosses et pouvaient nous servir de vases pour des liquides. J'oiit le reste, n'étant bon à rien, fut jeté dans le ruisseau, et me donna l'oc- casion d'avoir toujours à notre disposition un mets plus aipéable ; une quantité d'écrevisses vinrent chercher leur pâture sur ces restes de chiens marins. IVous primes des caisses vides, oii nous jicrçâmes des trous des deux côtés; nous les chargeâmes de pierres et les mimes dans l'eau. C'est dans cette espèce de réservoir (|ue fut jetée notre provision d'écrevisses; par ce moyen, nous eûmes la certitude d'en trouver (|uand nous en aurions envie. Une pareille caisse fut attachée par une chaîne dans la baie du Salut ; nous la remplîmes de toute sorte de petits poissons de mer, que nous allions pêcher sans peine. Pendant ces jours-là , je lis aussi une amélioration à notre claie , pour transporter plus facilement nos provisions de Falkeidiorsl dans notre demeure du rocher de /,elllieim. Je la posai sur deux poutres, ;i cha<|ue bout desquelles j'attachai une des petites roues ôtées aux canons (|ue j'avais fait sauter avec le vaisseau. J'obtins ainsi une voi- ture légî're et très-commode |)ar son peu de hauleiir; nous pouvions y placer, sans licaucnup d'efl'orts, des caisses el des tonneaux, (àin- tents lie notre semaine et rie notre travail , nous revînmes l'aiemcnt passer notre dimanche à l'alkenliorst, el remercier Oieu de tout notre coyir des grâces qu'il nous avait accordées. CHAPITRE XXXIV. Nouvelle pêche ; nouvelles expériences ; nouvelles chasses ; nouvelles découvertes ; nouvelle maison. L'arrangement de noire grotte allait toujours son train , et devint tantôt une ociuipalion principale, laiitôt un accessoire, suivant que nous avions d'autres aflaires plus ou moins importantes; nous avan- cions lentement, mais assez cependant pour espérer d'y être établis commodémenl à la saison pluvieuse. Depuis (pie j'avais découvert dans notre grolle le spath gypseux ' ' Le gypse est une substance minérale composée de chaux et d'acide snlfii- ri(iue : on pourrait, à la rij^uour, le considérer comme un sel neutre : mais, comme il n'est (pie très-peu soluble, ou susce[>tible de se fondre, et (pi'ii a d'ail- leurs tous les earacl(''res extérieurs d'une pierre, les niiiiéralngislcs le considè- rent comme une matière pierreuse. Les principales variétés iiu'il présente sont le gyp.se commun ou pierre à plaire; le pypse compacte ou l'allialrice, qui est comme fond ou base du cristal de sel , j'espérais en tirer un avan- tage immense pour notre bâtiment; mais, ne voulant pas agrandir notre demeure en creusant davantage, je cherchai, dans la continua- tion du rocher, (juehpie endroit facile à faire sauter. J'eus bientôt le bonheur de découvrir près de notre magasin, derrière une avance de rocher, un passage naturel (|ui y conduisait et une quantité de fragments de gypse déjà détachés. J'en fis porter beaucoup près de notre cuisine, et chaque fois ([ue nous avions du feu, j'en faisais rou- gir (|iiel(|ues morceaux. Lors(|u'ils étaient calcinés et refroidis, on les réduisait en poudre blanche avec la jiUis grande facilité ; j'en remplis des tonnes, (|ue je fis mettre à l'abri pour l'employer dans l'intérieur de la grotte. Je x'oulais me servir de mes carreaux de pierre , les réunir avec ce gypse, en former nos parois et nos séparations, épar- gner par là une (|uantité de planches, et rendre notre bâtiment plus solide et plus joli. On ne saurait croire combien nous obtînmes de plâtre en peu de temps; mes fils s'en étonnaient, et prétendaient que j'augmentais le tas pendant leur sommeil; maisje les assurai que je n'avais garde de ne pas dormir moi-même, et qu'avec mes bons aides je n'avais nul besoin d'user de tels moyens. « Vous voyez, leur dis-je, comme on avance lorsqu'on ne perd pas un moment, et qu'on va toujours droit à son but. Nous avions d'abord regardé comme impossible de bâtir une maison, n'étant ni charpentiers ni maçons; à présent nous voilà stucatcurs , et si nous l'avions bien à cœur , nous pourrions faire à nos chambres des plafonds unis comme une glace; nous avons la ma- tière et l'intelligence, et, avec de la patience et du courage, l'homme vient à bout de tout, même de ce (jui d'abord lui paraissait impos- sible. ■ ! Le premier emploi que je lis de mon plâtre fut d'en poser une couche sur nos tonnes de harengs, ce qui leur donna un couvert ])ar- faitement impénétrable à l'air; je n'en mis cependant qu'à ((uatre tonnes, je destinais les autres harengs à être fumés et séchés. A cet efl'et, nous arrangeàines dans un coin écarté une butte à la manière des pêcheurs de harengs hollandais et américains; elle était composée de roseaux et de branches; et au milieu nous plaçâmes, à une cer- taine hauteur, une espèce de gril, sur lequel les harengs furent dé- posés ; nous allumâmes en dessous de la mousse et des rameaux frais, qui donnèrent une forte fumée ; nous fermâmes soigneusement la hutte, et nous obtînmes des harengs bien fumés, d'un jaune d'or brillant et appétissant : nous les serrâmes dans les sacs suspendus dans notre magasin. Environ un mois après la grande expédition desbarengs, qui avaient (|uitté nos parages, nous eiinies une autre visite, <[ui nous fut tout aussi profitable. La baie du Salut et les rivages voisins se trouvèrent l)lcius d'une quantité de gros poissons qui s'elTorçaient de pénétrer dans l'intérieur du ruisseau pour déposer leurs leufs entre les pierres et dans l'eau douce. Jack fut le premier i|ui guetta l'arrivée de ces étrangers. « Papa, s'écria-t-il , j'ai vu une ([uantité de baleines nager dans le ruisseau des Chacals; mais elles viennent beaucoup trop tard si elles veulent manger des harengs : il n'y en a plus pour ces gour- mandes-là. LE piiRE. J'ai grand'peiir , petil homme, (|ue tes baleines ne soient imai;inaires comme les grands bras du monstre (pie tu voyais dans la mer : un régiment de baleines dans notre ruisseau me paraît très-sin- gulier; à peine pourrait-il en contenir une. JACK. Mais venez, papa, venez voir vous-même ; il y en a qui sont aussi grosses (|ue vous, et si ces ]ioissons ne sont pas des baleines, ce ne sont pas non plus des harengs, je le parie. IF. ri;Riî. A la bonne heure; tu ])ermets au moins qu'on marchande avec toi ; mais du hareng à la baleine il y a une énorme din'érencc. • INoiis profitâmes cependant de l'avertissement de .lack )ioiir aller voir ces nouveaux venus. INous dcscendiiues au lias du rivage, à l'em- liouchiire du ruisseau. Je vis elVecli vemeni une quantilé immense de très-beaux poissons de mer s'approcher lentement pour chercher .i remonter le ruisseau, oii (|iiel(pies-iiiis étaient déjà entrés; il \ en avait de {[uatre à huit pieds de longueur. Au museau pointu des ])liis gros, je les pris pour des esturgeons; d'autres , moins grands, res- semblaient à des truites , et je jugeai que c'étaient des s;iumons; leur nombre était considérable, et leur marche jilus fière et plus redou- table (pie celle des harengs. [Mon petit lack triomjihail comme si c'eût été une armée à ses ordres. « Kh bien, papa , me dit-il, vous con- viendrez que <;'est bien autre chose (|ue vos petits harengs! In seul de ces drôles-là remplirait une toinie. — Oui, sans doute , lui dis-je d'iiu ton sérieux. A |>résciil, mon petit ami, je te prie de sauter dans l'eau el de me jeter ces poissons l'un apri's l'autre pour (pie je les sale et les fume. » Il me regarda .avec des yeux étonnes, el semblait douter que je parlasse sériciisciucnl ; puis tout à coup il prit son parti : <■ (.)ui, papa, de tout mon cieur; je reviens à l'instaril. » Il coiiriil du côlé de la caverne, d'oii il revint bientôt avec des ni'ches, un arc, des vessies de chiens marins el un paipiel de ficelle. « .l'attraperai avec cela tous une espèce d'albàlre. et le gypse crislallisé, connu sous le nom de sélniiic qui se I trouve sous les formes de lames, d'aiguilles, de fer» de lance, el sons il'aiilres formes très-extraordinaires. LE UOBl^SOI\ SUISSE. 85 CCS hoaux messieurs, » me dit-il en me montrant ce qu'il apportait. Je le rcfjardais avec intérêt et surprise, sans comprendre ce qu'il vou- lait faire; sa pliysionomie animée, ses inouvemonts prompts etfjra- cicin, ot sa contenance déterminée, m'amusaient inlininicnt. Il atta- cha ces vessies par le milieu avec une loni;ue licelle, dont il noua un bout à une flèclie, à laquelle il avait fixé un crochet de fer; il laissa le paquet de ficelle à terre près du rivage, chanjé des plus grosses pierres qu'il put soulever; il ])rit après cela son arc et posa la flèclie dessus... elle partit, et alla percer le plus gros des saumons. Mon petit chasseur fil un saut de joie. Au moment luèuie, l'ritz nous avait rejoints; il lui léiuoin du triompiie de son frère, et n'en eut aucune jalousie. « liien, Jack, lui dit-il; lu seras bientôt .tussi lion tireur que moi. A mon tour à présent, u 11 courut ii la maison, el revint avec le harpon et le dévidoir. Ernest, ijui l'accompagnait, voulut aussi se signaler contre «|uelques monstres marins. iNous fûmes bien aises de les voir arriver à notre secours : le saumon blessé se déballait telle- ment que, malgré nos elTorts pour retenir la ficelle, nous avions peur qu'elle ne se cassât et que cette belle proie ne nous échappât ; enfin le poisson s'affaiblit peu à peu; Eriiesl et Fritz joignirent leurs fories aux nôtres , et nous parviniues à le tirer sur le riviige, oii j'a- chevai de le tuer. (Ici heureux commencement de pèche nous donna de l'émuliliou. Fril7. saisit le liarpon avec le dévidoir à corde; moi, comiin' Neptune, je pris en main un trident; Ernest prépara le grand liameçoii, et Jack ,sa ilèclic avec les vessies qui servaient à retenir sur I eau la proie (|ii'ellc frappait. >ous senlimes alors la perle de noire bateau de cuves, avec Iciiuel nous aurions pu suivre les poissons et les prendre plus facilement, au lieu ([iie nous étions forcés d'attendre qu'il en viiil ii notre portée; mais il y en avait une si grande quan- tité, el ils 'se pressaient tellement pour entrer dans le ruisseau, ipie nous n'eûmes bienlùt plus qu'à choisir, el que nous finies une pêche abondante. Jack iuaiii|ua deu\ fois; mais il eut enfin le bonheur d'at- traper un esturgeon formidable, que nous eûmes assez de peine ii amener; il appela à son secours sa mère et le petit François, qui arrivèrcnl aussi. Pour ma part, j'avais pris deux gros esturgeons; mais j'avais été obligé d'entrer à mi-corps dans l'eau pour m'en em parer. Ernest, avec son hameçon à grand crochet, eu eut aussi deux petits, l'ritz avait jeté son dévolu et son harpon sur un esturgeon de huit pieds au moins; tous ses efforts pour tourner la corde du dévi- doir furent inutiles; je fus obligé d'aller à son aide, el nous eûmes besoin pour l'allircr sur le rivage d'une seconde corde, à laquelle nous attelâmes notre buiHe. Tous nos poissons furent d'abord ouverts el rangés comme il le fallait pour les conserver. Je lis mettre à part tous les œufs, dont il se trouva au moins une trentaine de livres, pour en faire du caviar, ce mets si estimé des Russes, et je destinai les vessies à la fabrica- tion d'une colle excellente, qui nous deviendrait de l.i plus grande utilité. Je conseillai à ma femme de faire bouillir quehjues saumons dans de l'huile, comme on prépare le thon dans la Miditerranée; et pen- dant qu'elle s'en occupait, je préparai aussi iiioii caviar el ma colle. Pour le premier, après avoir fait laver bien proprement dans plu- sieurs eaux celle masse d'œufs, je les mis pendant vingl-qiialre heures dans une calebasse percée de petits trous, et où ils étaient fortement pressés. Lorsque le liquide fut écoulé, nous les relirâiues de là eu masse solide eomiue des fromages; ou les porta dans la caluile à fu- mer, cl nous eûmes encore une petite ciuisolalion de plus pour la saison des longues idiiies. « A présent, dis-je à mes enfants, prépa- rons les vessies pour faire une des plus fortes el des meilleures colles de poisson (|ue l'on connaisse. » .le leur fis couper les vessies en la- nières, (ju'ils attachèrenl fortement par un bout; ensuite ils prirent l'autre avec une large pince, el tournèrent jiis(|u'à ce i[iie la lanière lormâl une cspi'ce de nœud ou de coipiille, (|iie l'on mit sécher au soleil. C'est la seule préparation qu'il y ait à iaire pour obtenir cette colle ; elle devient d'une dureté evlrèine, el lors(|u'on veut s'en servir, on la coupe en petits morceanx, que l'on place sur un fini doux. INous nous iniiues tous à l'ouvrage', et nous obtiumes une colle si belle el si transparente, qu'elle me otic jardin polagcr [iris de '/,elt- heim réussissait il merveille; la végétation y était étonnante, et sans beaucoup de soins nous avions toutes sortes de légumes d'un goût excellent, cpii lleiirissaienl et mûrissaient successivement, et nous promettaient pour tous les mois d'été une abondante récolte de pois, de haricots, de fèves, de laitues. Il n'y avait autre chose à faire que desarrosements frécpients pour prévenir la sécheresse du sol, et les ca- naux de palmiers y conduisaient de l'eau du ruisseau autant ([ue nous en vouliinis. INous eûmes aussi des concomlircs et des melons déli- cieux, (|ui nous furent très-agréables peiidanl les grandes chaleurs. INous moissonnâmes une immense quantité de hlé de 1 uripiie, dont les épis étaient longs d'un pied. INous vimes prospérer la canne à sucre, plantée et cultivée; et enfin nos ananas, sur les hauteurs à côté de l'avenue, nous promettaieiil un délicieux régal. Celte prospérité dans notre voisinage nous donna de douces espé- rances pour les plantations lointaines; réscdus d'aller les \isilcr, nous partiiues un matin tous ensemble de '/icllheim. INous passâmes d'abord par Falkciihorst ; nous voulions nous y re- poser el y coucher. Nous allâmes visiter le champ que ma femme avait très-libéralement ensemencé; les grains avaient levé d'une telle épaisseur, qu'ils formaient des touffes ou des paijuets di- dilVércntcs espèces de céréales, partie en fleurs, partie en épis, qui faisaient l'effet le plus singulier. INous coupâmes tout ce cpii nous païul être mûr, puis nous le liâmes en gerbes, et le portâmes à Falkeiihorst pour le mettre en sûreté contre des moissonneurs plus habiles ipie nous; car ce champ était rempli d'oiseaux de toute espèce. INous y récol- tâmes de l'orge, du froment, du seigle, de l'avoine, des pois, du millet, des lentilles, en petite quantité, il est vrai, mais assez pour les semailles de l'année suivante. La moisson la plus considérable fut celle du mais, auquel ce terrain paraissait surtout convenir : nous en avions eu beaucoup dans notre jardin; ici il y en avait un petit champ couvert de beaux épis dorés; c'était à ces grappes que tous les oiseaux en voulaient. Au inoment oii nous en approchâmes, une douzaine au moins de grosses outardes prirent la fuite avec un grand bruit, (|ui réveilla l'attention de nos chiens : ils sautèrent dans le blé, et un essaim immense d'oiseaux de toutes les grosseurs et de toutes les es|ièces prit la volée; une foule de cailles couraient en fuyant; enfin iiuel(|iies kangnroos se mirent aussi en fuite, et échappèrent il nos cliieiis à l'aide de leurs éehasses el de leurs sauts prodigieux. IN'ous fûmes tcllemeul troublés par ces surprises, qu'aucun de nous ne songea qu'il était armé d'un fusil pour punir ce brigandage; nous restâmes comme pétrifiés, regardant les fujards en l'air ou sur la terre, el nous les eûmes bientôt jierdus de vue. Fritz, déterminé chasseur, fut le ]ircmier ([ui revint à lui avec nue vive expression d'iiidignalion contre lui-même; il chercha à la hâte les moyens de réparer son oubli. Sans larder, il prit son aigle, qu'il portait toujours sur sa gibecière; il lui ôla son petit capuchon de dessus les yeux, lui montra de la main les outardes en fuite (|ui s'élevaient en l'air. L'aigle prit rapidement son vol. Fritz sauta sur son onagre, galopa par-dessus les ronces et les pierres après son élève, et disparut dans un moment à nos yeux. Nous vimes alors dans les airs un spectacle (|ui excita vivement notre intérêt et noire curiosité. L'aigle eut bientôt sa proie en vue; il s'éleva comme un faucon, direclciiieul au-dessus sans en détourner ses yeux perçants, puis fondit tout à coup sur elle avec la ra|ii(lité de l'éclair. De tous côtés on voyait les outardes efl'rayées tantôt se réuiiissaul , tantôt se dispersant, tantôt cherchant à éviter leur rediMilalile ennemi en se cachant dans (|iiel(|ne buisson; mais il les laissa faire, cl se borna à l'oiseau (|u'il av.iil suivi et qui ne pul lui échapper; il se crampinina sur son dos, cl le tint là sous ses re- doutables serres et sous son bec jusqu'à ce (|ue Fritz, arrivant au galop, dcsci'udil , remit le capuchon sur les yeux de l'aigle, le posa sur sa gibecière, délivra la pauvre outarde de son persécuteur, et lions appela avec de grands cris de joie et de triomphe. INous cou- rûmes à lui. Jack resta seul sur le champ de mais pour nous donner aussi 1111 échantillon du savoir-faire de son jeune chacal; celui-ci s'étail glissé doucement auprès des oiseaux, ijui m'avaient paru être des cailles, et <|ui s'évadaieul de leur côté. Il les eut bientôt retrou- vées; il en saisit une par l'aile, et l'apiiorla à siui maître; il en avait pris au moins une douzaine ([uaiiil nous revinmes auprès de lui avec notri- outarde; el il fallait entendre comiiie ces petits garçons se félicilaicnl de la belle éducation el du succès de leurs élèves sau- vaees, que nous admirâmes beaucoup. En récompense, on leur donna à chacun une caille grasse; j'en admirai le |)liiiiiage, el je vis (|ii'cllc était de l'espèce que liulTon appelle la grosse caille du I\Iexii|ue. Après cette aventure, nous allâmes en avant pour arriver aussitôt (|ue possible à Falkeuliorsl , el guérir avant toutes choses l'oularde des légères blessures i|u'elle avait reçues dans son combat avec l'ai- l'ie. INiius vîmes avec plaisir que c'était un mâle, el (|iie nous pour- rions l'associera iiolre outarde solitaire, qui était parlaiteinenl appri- voisée. Je chargeai promplcmenl encore queli|ues gerbes de mais sur le char, et sansaiilrc retard nous arrivâmes à notre ehâieau aérien, altérés, affamés et accablés de faligues. 'Ma feiiiiue, (pii l'était aulaiil (|uc nous, s'occupa d'abord à nous restaurer tous par une Ii(|ueur de son iuveulion. Elle écrasa cuire des pierres des grains mûrs de maïs que nous venions de cueillir, elle mit cette espèce de pâte sur un Sis LE KOBINSOJN SUlSSt. linijc (|ii't'lle pressa; clic y ajouta porlanl de cette préleuduc neige, cpii élail, comme je l'avais pensé de Iri's beau eoloii; ce, charmants arbrisseaux , (pii croiss;iienl dans celle plaine, élaicnl des ( (ilonnicr.s. Cille priidiielion végétale, la plus utile peut-être (|uc k licl iiil accordée ;i 1 liommc, lui fournil de quoi se vcliv et se cou- elier mollement, sans aulre peine que de récolter el de filer celle belle bourre blanche; on la trouve avec tant d'abondance dans ion les les Iles, que j'avais été surpris de n'en pas rencontrer encore. Les capsules, crevées par leur maturité, avaient répandu de tous cotés la biuiire donI elles étaient remplies; une partie était au pied des arbres, l'autre lUMidail au.x branches oii elle s'était iiccrochée; le reste enfin agité par un venl léger, tournoy.iit el voltigeait dans l'air avant de tomber sur la terre. La joie que causa celle découverte fut bruyante el générale. Le pelil l'iancois regrettait bien un peu ses boules de neige; mais sa mère lui en fit de coton, ipii ne fondaicnl pas, et lui promil des che- mises neuves el de beaux habits. Elle ne cessait de raconler tout ce (pi'elle ferait de ce coton , si je voulais lui fabriquer des rouets el des métiers pour le metlre en œuvre. ÎNoiis en ramassâmes autant que nos sacs vides purent en con- tenir, et ma femme remplit ses poches de graines pour les semer à Zelllieim. Après quelques moments, j'ordonnai le départ, el je me dirigeai vers une pointe ipii terminait le bois des Calebasses, et qui, étant assez élevée, me pioinettait une tiès-bcUc vue sur toute la contrée. J'avais envie d'établir notre colonie dans le voisinage de la plaine des Cotonniers cl des Arbres à courges, oii je trouvais tous mes us- tensiles de ménage. Je me faisais d'avance une idée eharniante d'avoir dans ce beau site tous mes colons européens emplumés ou à (pialre pieds, d'établir là une métairie sous la sauvegarde de la Providence, de venir m'y promener quchpiefois, et d'avoir le jdaisir d'entendre en arrivant le caipielagc de notre volaille , qui, sur ce sol étranger, me rappellerait ma patrie. Nous dirigeâmes donc noire course à travers le champ de coton, cl nous arrivâmes en moins d'un ipiarl d'heure sur celle hauteur, que je trouvai très-favorable à mon dessein. Derrière nous la forêt s'éle- vait doucement; au-devant elle se perdait insensiblement dans une ])laine couverte d'une herbe épaisse et arrosée jiar un limpide ruis- seau, ce (|ui était d'un avantage inappréciable pour nos bêles, ainsi (pie pour nous-mêmes, lorsque nous viendrions les visiter. Chacun approuva ma proposition de former lii un petit établisse- ment. JNous nous liàlàmes de dresser notre tente, de taire un foyer de pierres et de préparer notre diner. ^Ous nous partageâmes pour le reste de la journée les occupations préliminaires. La mère avec ses fils s'occupa à nettoyer son coton, en l'itant les grains ipii y étaient attachés; elle le remit ensuite dans les sacs, (|ui cette nuil-li) nous servirent d'oreillers el (le matelas. Pendant ce temps, je parcourais la contrée d'alentour, soit pour me convaincre de sa sûreté et de sa salubrité, soil pour trouver ([uelipies gros arbres dont je pusse pren- dre l'éeorce pour ma nacelle, soil cnlin pour découvrir un groupe d'arbres C(uivenablcmcnl distants les uns des autres, el (|ui pussent me servir de piliers pour établir ma UK'tairie. Je fus bientùl assez heureux pour Iroiiver à la jioiute de la lorêt, à peine dislante de deux porli'csdc fusil de la place oii nous étions arrivés, ce qui convenait pour la métairie; mais je ne réussis pas aussi promptemenl pour ma nacelle : les arbres d'alentour étaient Iro]! minces; elle n'aurail pas eu la profondeur nécessaire pour se soutenir sur l'eau. Je iTJoignis mes enfants, cpii s'étaient assis cl travaillaient près de leur mère; ils préparaient d'excellentes couches de coton, sur lesquelles nous al- lâmes de bonne heure chercher le repos pour entreprendre el exécuter avec succès les travaux du lendemain. CHAPITRE XXXV. Établissement do deux métairies; le lac; la bùtc à bec. Les arbres cpie j'avais choisis pour la construction de ma cabane étaient la plupart d'un pied de diamètre; ils avaient crû presque régiilièremenl , formant un carré long, dont le grand C(')lé donnait sur la mer; ce d'île avait vini;t ipiatrc pieds d'élcndue, cl le pelil seulemenl seize. Je taillai des emlioitures ou mortaises dans les troncs, à dix pieds de hauteur cl de distance, pour former deux étages; celui d'en haut devait êlre moins élevé de (pielques pouces sur le derricic, pour que le loit fût incliné. Des ]icrehes de ciiK] pouces de diami'trc furent placées en travers de ces mortaises, el (onnèreni la cage du bâtiment. N(uis clouâmes ensuite des lattes d'arbre en arbre, k égale distance , pour lormer le toit, et nous ar- rani;eàmes en ordre des morceaux d'écorce coupés C(uiime des tuiles et posés de manière à laisser écouler la pluie, (^omme nous n'avions pas beaucoup de clous de fer, nous nous servîmes pour tout ce bâti- ment, en place de clous, de fortes épines d'acacia que nous avions découvertes le jour préeédcnl. ('et arbre, qui porte une belle fleur, esl connu sous le nom iVacacia à trnin épines. i\ y en a, en effet, toujours trois ensemble, si forles, si pointues, si acérées, qu'on pourrail en faire une arme dangereuse, ^ous en coupâmes bcaneoup, (pic nous finies sécher au soleil ; elles deviurenl presque aussi dures (pic le 1er, cl nous rendii'ciil de Iri'S-lxuis services. ^Olls eûmes plus (le ]U-iue à peler les arbres dont nous voulions employer l'éeorce ii g.irnir notre loit. Je eomiuencai i>ai la scier tout autoiii, au bas du tronc j II, (pi'à l'aubier, puis de mèinc de deux pieds en deux jùcds de LE UOBllNSOM SUISSE. haiilciir; je fendis ensuite pei'pendicuhiiremcnt el en deux iiarlies l'ccoice d'un de ces cercles, el avec des coins de bois j'enlevai les moice:iux entiers ; je les cliiinjciii de pierres |)our (|ii'ils ne se mis- sent pas en rouleauv, et je les lis scclier au soleil ; je les clouai après cela l'un sur l'antre comme des écailles de poissons , ce qui produisit un très-joli toit, i|ui nous rappela ceu\ di- notre patrie. A cette occasion, nous lïuies une découverte aijréable. 'Ma femme s'était servie des jictils morceaux d'écorcc (|ui restaient pour allumer son leu, pensant iju'ils brûleraient facilemeni ; tout à coup nous fûmes surpris d'une odeur aromatiiiue (|ui parinmail l'air. Nous e\a- mii'àmes de ]dus près les copeaux à demi c(Misumés. el nous vîmes (pie les uns renfermaient de la tércliculliiue, et les autres du mastic; en sorte que nous iiùmes espérer {l'obtenir en abondance de ces deux matières sur les arbres (|ue nous avions pelés. (J'élail moins dans le but de tlatlcr notre odorat par ce ijenre de parfum que dans l'idée de faire avec ces deux injjrédicnts une esi>èce de pr)i\ pour i;oudronm-r notre nacelle, ce qui ne me rendit point insensible à cette trouvaille. L'instinct de nos chèvres ou leur odorat nous en fit faire une autre, cjui ne nous fut pas moins aijréable. Nous fûmes sur- pris de les voir accourir d'assez loin et se jeter avec avidité sur(|uel- ques-uiis des morceaux d'écorcc qui étaient il terre; elles les cboisis- saient parmi tous les autres, et les mâchaient avec un air de )daisir (|ui lit envie .i mes petits gourmands. « .le veux savoir (|uel ijoût a celte écorce, et si les chèvres ont raison d'en êlre friandes, dit .lack en en prenant un morceau. Excellent, sur ma foi ! !\lcsdames les chè- vres ne sont pas malavisées. Goûte, Fritz; on dir.iil que c'est d<' la cannelle sucrée. » Fritz en prit un morceau, el fut du même avis. Sur sa parole, nous en ijoùtàmes ma femme cl moi, et nous demeu- râmes ciuivaiiicus que c'était en clïet de la cannelle, non pas aussi tine que celle de l'ile deCeyIan, mais ayant cependant un parfum très -aijré'able. Oette découverte n'était jias sans doute de première ulilili' dans reltc circonstance; nous la rei;ardàmcs cependant comme nu biui- lieur, (pii ajouterait (pielque chose ii nos jouissances ; tous cil voulu- rent !;oùter, et la trouvèrent Iri's-bonne; elle avait été |uise sur un vieil arbre, ce (jui la rendait sûrement ]ilus grossière ; je me rajipc- lai qu'on préférait celle que l'on recueille sur de jeunes plants. Du reste, il était sans doute de l'espèce ([u'on appelle ra!:sia liynca. ou cannelle de la Chine, qui est beaucoup moins forte que cille de Ceyiaii. Penilant notre repas, nous parlions de ce (pie nous avions décou- vert dans la journée; il fallut raconter ii ma femme tout ce que ma mémoire me fournil sur la térébenthine, le mastic et la cannelle. Je leur dis que les deux premiers avaient (''té découverts ))ar les A éiii- liens, qui avaient été les chercher dans les iles de l'ancienne Grèce, d'iui ils s'étaient répandus en Europe par le commerce. « El (ju'cst-cc qu'on (ail de la térébenthine .' « me demandèrent-ils. LE pi:i;F.. On s'en sert en médecine ; on l'emploie aussi pour du vernis, pour de la colophane : en la faisant cuire el en la mêlant avec de l'huile de poisson, on en fait un excellent ijoudron, dont je compte me servir p(uir notre nacelle ; on peut aussi eu faire usaee pour grais- ser les roues. Ei!\iisr. El le maslie .' LE rÈKE. Le mastic se recueille sur des arbres que l'on noniuie ar- hrcs à miistic : \\ sort en (jouîtes transparentes, qui se durcissenl promptenieni au soleil, à peii ])r('s comme l'ambre. On en met dans les partuins; en le faisant dissoudre dans de l'esprit-de-vin, on eu fait 1111 vernis léijcr et transp.i relit ])0ur la porcelaine. ^)uant à la can- nelle, la meilleure croit dans l'ile de Ceyian ; on la recueille sur de jeunes plants de cannelliers, auxquels on ijte d'abord l'écorce exté- rieure, ce i|iii fait de la cannelle [(lossière et commune. On prend alors avec soin une fine écorce qui se troiixe sur l'aubier, et dont le parlUm est (b'iicieux ; on la fait sécher au soleil ; elle se roule d'elle- même en jjrands et petits morceaux, selon (|ue l'on a coupé l'écorce; on lie ces morceaux en petits pi(|uets, et on les coud soiijueuseini lit dans des sacs de coton, i](ie l'on recouvre de nattes de roseaux ; ces paquets sont ensuile renicrmés dans des jieaux de buMle aussi dures el aussi imperméables (|ue de la corne. De cette manière la cannelle est si bien préservée, qu'on la transporte sur des vaisseaux dans toule l'Europe, sans qu'elle perde rien de son jiarfum. Ou en fait des li- queurs délicieuses. Après notre repas, nous nous remîmes de nouveau à la ( onstrue- lion de notre métairie, qui fut contiuiiée avec aclixilé |ien(lanl plu- sicrs jours. Kous tressâmes les parois de notre bâtiment avec de loni;s roseaux pliants cl des perches minces et souples, jusiiu'à la hauteur de six pieds ; le reste de l'espace jusqu'au toit fut seulement fermé par une espèce de (;rillaj;e, ])(>iir que l'air et la luuiii're pussent y pénétrer, l^ne ])orte fut idacée au milieu de la façade, qui donu.iil sur la mer. INous arranei'âiiies ensuile I intérieur aussi comiuodement (jii'il nous fût possible de le faire en si peu de temps, san^ employer lieauioup de bois; une cloison, qui s'élevait jusiju'à la moitié de la hauleiir du bâliincnt, le divisa en deux j)arlies inéi;ales, dont la jilus jjrande fut destinée aux moulons et aux elièvres, et la plus petite à notre usaijc, lorsqu'il nous couviendiail d'y passer quelques jours. Au fond de retable aux moutons, nous établîmes un poulailler avec des perches pour les poules; au-dessus, une espèce de fenil pour le iourraije. I)evanl l'entrée du bâtiment, nous plaçâmes deux bancs tressés, pour nous reposer à l'ombre des arbres entre lcs([uels nous avions eonslruil notre maisonnelte, cl pour jouir de la belle vue ([ui s'ouvrait au-de- vant de nous. Kotre chambre fut provisoireiuent pourvue de deux claies d'osier élevées de deux pieds au-dessus de terre, devant servir de bois de lit et recevoir des matelas de coton. Toul prit jiour le miimeiit une l'orme et une destination provisoires, en altendaiil (pie nous eussions le temps d';irranj;er notre métairie avec plus de commodité, cl même de l'orner ; nous voulions la ma- çonner en dehors avec du sable et de la terre grasse mêlés ensemble, et en dedans avec du plâtre, poiiripie l'humidité ne pût y pénétrer. Il nous suflisait d'abord que nos colons fussent ii l'abri el s'accoutumas- sent à se retirer d'eux-mêmes tous les soirs dans leur étable en reve- nant du pàturai;e. Pendant plusieurs jours, nous remplîmes leurs auijes de leur nourriture favorite mêlée avec du sel, el nous nous proposâmes de venir de temps en temps renouveler cet appât , jus- qu'à ce qu'ils eussent pris l'habiludc que nous désirions leur voir contracter. .l'avais cru |iouvoir achever ce travail en trois ou quatre jours ; mais cette bâtisse nous prit une semaine entière. Nos provisions de bouche hiiirent avant notre ouvraije. Aous réfléchîmes au meiUeur moyen de remédier à cet embarras; je ne pouvais me résoudre il retourner il Falkenhor.st avani d'avoir terminé ma métairie ; j'avais résolu d'en établir une seconde un peu plus loin, yvrii le cap de l'Espéianee trompée, .le me déterminai donc ii envoyer Fritz el Jack 11 Falkeiihor.-.! et il Zellhcim, pour nous clicrcher une provision (le lroma;;e, jambons, patates, poissons fumés et ijâteaux de cassave, el pour renouveler la nourriture et le fourra(;e des animaux ([ue nous y avions laissés. Je leur fis mouler l'ouaijrc et le bullle. INIes deux petits cavaMers, bien tiers de leur mission, partirent au ijrand Irol. Je leur axais aussi ordiuiué de prendre avec eux notre vieux baudet pour rapporter les provisions; Fritz le menait en laisse, el maître .laik, pour hâler sa inarehe, faisait cbu)iiir son fouet autour de ses louijues oreilles. 11 est certain ([ue , soit l'influence du climat, soil l'exeiiiple de son camarade, l'âne sauvai;e, il avait beaucoup perdu de sa nonihalance naturelle ; j'en étais d'autant plus content <|iie je le destinais à servir de monture it ma femme dans nos cxciir.-.ions, (lès ([ue j'aurais pu faire une selle oii elle pûl être commodémciil assise. Pendanl l'absence de nos deux pourvoyeurs, je rôdais avec Ernest dans les environs, tant pour connaître cette nouvelle contrée (|ue dans l'espoir de trouver (pieli|ues noix de coco, qui nous manquaieni, ou (pielque autre nuiirrilure. Nous n'iiiontâmes un ruisseau que nous avions remarqué dans le voisiuai;e. jusipie vers la paroi de rochers où nous comptions retrou- ver l'ancien chemin (|ue nous avions déjà fait une fois ; mais nous arrivâmes bienti'.t vers un p,rand marais et un petit lac dont l'aspect était très-pittoresque. Nous étant un peu avancés, je vis avec nu jo\eiix étonnemenl que le sol, marécageux jusqu'au bord du lac, était couvert de riz sauvaee en pleine maturité, et (|ui avait attiré une quantité d'oiseaux voraces. A noire approche, ils s'élevèrenl peu à peu dans l'air avec un grand bruit, el nous reconnûmes quelque, oulardes el d'autres oiseaux plus petits (|iu' nous ne connaissions pas. JNous réussimes à abattre cin(| ou six poules, el Ernest montra une ha- bileté à tirer juste que je ne lui connaissais pas et qui nie surprit ; il reiii|iorIail même sur Fritz, ipii se vantait d'èlre si adroit. Ernest, avec son llegme ordinaire, ne se passionnant pour rieu, faisant tout lentement et presipie malgré lui, venait a bout iiiicuv (|uc tous les autres (le ce (|u'il entreprenait, parce qu'il était obser- vateur. Il n'avail guiuc tiré (|u'a nos exercices du dimanelie; mais il .ivail rélléihi , el ses coiiiis d'essai furent des coups de maître. Pour- tant son habilelé aurait été infructueuse sans le jeune chacal de Jack, qui nous avait suivis, et qui sautait avec beaucoup d'adresse dans la rizière pour ramasser et nous rapporter les pièces de gibier aussitôt qu'elles y tombaient. Un peu plus loin,mailre Knips, Mes enfanls avaient ])lacé de plusieurs eôlés, dans des vases, une i|u;uilité suflisanle de nourrilnre pour pouvoir prolonger encore notre al)s<'nce d'une dizaine de jours : ils nous avaient aussi a]iporlé de quoi fournir à notre subsistance pendant Uuil ce temps-lii, sans coinp- Icr la ressource du lac et des oiseaux aquali(|ues, doiil nous leur par- lâmes d<' manière à leur donner une grande impatience de les voir. La mère et son petit François n'étaient pas non plus restés oisifs; ils avaient épluché bc;LUCoup de coton, en avaient rempli de la toile à voiles, cl fait d'excellents matelas pour nos lits de la métairie. Après avoir entendu ces différents rapports, nous fîmes, Ernest et moi, les honneurs de notre promena \dlre eonliance en toi, lui dis-je, ne le fait-elle pas mille lois plus d'hon- neur que la mort d(^ quelques oiseaux (|ue tout autre aurait tués «omiue toi? et n'es-tu ]ias bien aise (|ue ton frère réussisse dans un arl i|iie vous pourrez exercer ensemble comme deux bous eaiiiara- cles?» Fritz n'avait jamais que le premier moment contre lui, il fut IkuiIcux du monvemenl de dépil qu'il avait eu; et sautant au cou de sou frère, il lui dit que, si j<' le periuellais, ils relouriieraient ensemble au lac avant de riuilli'r ces parages : j'y consenlis de liiui laeor. Ma femme s'occupa insuiti' ;i plunnr et it saler les poules a eollel que nous ;ivious apportées : nos pourvoyeurs n'avaient pas oublié de prendre un sac de sel, qui vint fort à prcqtos pour les conserver. Nous en mangeâmes une loule fi;iîche, qui lut trouvée cxcellenli' par tous les convives affamés. Notre salle :i manger fut élablie au devant de la nouvelle métairie, et nos sièges furent les bains ipie nous y avions pkicés. Nous donnâmes ii la métairie elle-même le nom de ff'iihlci/ii . conformément au but etil air an- i;lais. En bon allemand , j'avais envie de l'appeler Scliiine7ibach ou "Scitatleiiliarij; mais Prnspect-Hill remporta ii l'unanimité, et je cédai. Nous commeneànies, comme à l'ordiMaire, par faire du feu pour satisfaire la curiosité générale au sujet des pignons; ils furent étendus sur le brasier, et le pRisir des enfants fut bienlôl complet en enten- dant les pif, paf, pouf, répétés comme si des partis ennemis étaient ineagés dans de vives escarmouches. Ils se hâtèrent alors de les re- tirer avant que l'amande fùl brûlée; ils les mangèrent, et les trouvè- rent fort à leur goùl. Ala lemme ne pensait qu'il la bonne huile que nous pourrions en retirer, el me priail déjà de faire au plus tôt un pressoir convenable. Nous remîmes 1,t piisonnieie sur pioil , elle se hàla de rentrer dans la mer, mais ne put s'éloigner que de la longueur de la corde. Après ce déjeuner supplémentaire, nous allâmes gaiement nous occuper de la consiruction de la cabane, qui fui arrangée à lien près comme celle de"Walilegg, mais exécutée plus promplement, (larcc que nous allions moins à tâtons; elle fut aussi perlcctinniu'e : le toit, relevé an milieu et penché des quatre côtés, ressemlilait |ilus à une ferme européenne. !\Ies fils arrangèrent un cabinet pour eux à côlé du nôtre, et ma femme demanda à la suite des écuries un iiugisin fermé selle. On la mange fraîche ; elle produit surtout une huile excellente Ix brûler, sans odeur el abondante. ' Suivant les poètes, l'Arcadie était le plus beau elle plus fortune des pays. 90 LE ROBINSON SUISSE. pour des provisions. Le toul fut achevé en six jours aussi bien que nous pouvions le désirer, et nous eûmes là une niaisonnelle pour nous, et un abri pour les nouveaux colons que nous voulions y établir. CHAPITRE XXXVI. La nacelle; l'ermitage; le taureau; travaux dans la demeure des rochers. Lorsque notre bàtiuieut fut terminé, nous parcourûmes la contrée, afin de trouver un arlire Ici que je le désirais pour ma nacelle d'écorce ; il fallait c|u'il fût assez près de la mer pour que nous pus- sions essayer notre construction, et nous assurer ainsi f|u'il ne pré- senterait aucun ilan[;er. Après un loup, examen, je trouvai enfin une couple d'arbres superbes cl à hautes tii;es, qui rcsseuiblaient assez .'i des chênes; le !;lancl était lieauioup plus petit, et l'écorcc , qui res- semblait il du liép,e, était plus serrée, plus compacte que celle de nos chênes d'Europe, cl convenait paifailemeul à mes vues. Il fallut cependant se casser un ]icu la tête pour savoir comment je pourrais enlever en entier un morceau d'écorce de dix-huit pieds de loni^^ieur et de cinq de diamètre : c'est à cela que devait nous servir réehelle de corde ijue j'avais apportée. Nous la dressâmes et l'attachâmes aux branches inférieures, pour que Fril?. pût travailler avec commodité à cerner l'arbre à la hauteur du tronc, c[i coupant tout autour l'écorcc avec une petite scie jusqu'à l'aubier. Il grimpa dessus en un clin d'oeil, cl nous nous mîmes à travailler avec cou- rage; c'était à qui de nous deux avancerait le plus. Ouaiid cela fut fait, nous ôtàmes une banile en louj;ucur d'un cercle à l'autre; en- suite, avec des coins de bois, nous séparâmes peu à peu l'écorcc de l'arbre, et comme il clait en pleine sévc, (|ue l'écorcc était flcxilile et coriace, noire travail fut assez facile et réussit à souhait, surtout au commeni'emenl ; mais nous eûmes assez de |)eine à la fin à forcer la séparation de l'écorcc sans la brise. A mesure que la besogne avançait, je faisais soutenir en l'air cet immense morceau d'écorce avec des cordes et des poulies, de peur qu'en tombant il ne se fra- cassât. A'ous le laissâmes glisser doueemcul jus<|ii'à lerre, et, à notre grande joie, il arriva tout culier couché sur l'iierlic. INous pûmes alors, à notre aise, l'examiuir et le travailler, ce que nous entre- primes sur-le-champ pendani i|uc l'écorcc était encore fraîche et flexible, et pouvail prendre la fornu' que je voulais lui donner. Mes fils, dans leur impaliencc, croyaient <|u'il n'y avait (|u'à clouer aux deux bouts un nioiccau de planche, et que la nacelle serait aussi bonne et aussi commode c|ue la plupart de celles des sauvages ; mais j'avais la prétention de lui donner un petit air plus civilisé, et de ne pas me contenter de ce gros nuilcau d'écorce. Je leur répétai ce (|ue je leur avais dit ceiil fois, rpic, lorsque avec du temps et de la pa- tience on peut perfcclionner son travail, on ne doit ])as se rcluiler; <|ue d'ailleurs une nacelle telle qu'ils l'culenilaieiit sérail lourde et pénihle à conduire, .sans compicr iju'elle ferait iiji efl'ct désagréalilc à la siiile de noire jolie pinasse, (^elle dernière rénexioii l'emporta, cl ils me laissèrent agir et me ])romireiit leur aidi'. Je ne savais moi- même cojument je devais m'y prendre pour lui donner la forme d'une chaloupe. Je commençai ii faire avec la scie une fente de ('imi pieds à cha(]ue houl de ce rouleau, puis je rejoignis ces dviix parties en les croisant l'une sur l'autre, Iclleinenl qu'elles tinissaieul par une pointe semblable aux extrémilés d'une iiacelfe, l't se relevaient iialu- rclleineul. Je les jolifiiis soli'ayaiil pas avec moi U's iiulils qui m'élaiciil absuluiuenl nécessaires pour l'adiever, il ialliil me résoudre à ciixoycr de nouveau mes deux amliassadeurs chercher la claie ii Zeltheim, aliu d'y lrau.sportcr la nacelle pour la perfec- tionner. l'rilz el Jack partirent t\ni\r en courriers avec leurs dcu\ moiiluKS cl noire âne, qui devait au rclour èlre allelé ii la claie. l'enrlant le voyage île mes fils à '/.elthcim, j'allai avec mon cama- rade Ernest visiter les environs, el chercher le lioisdoul j'avais besoin pour faire des espi'ccs de douves avec lesqui'Ues je voulais douhler les côlés de ma nacelle, afin de les relenir droits et relevés. Je fus bicnlôl assez heureux pour découvrir le pin à feuilles «f (Cu/oiVcs ' ; les grandes écailles des cônes m'en fournircul d'excellentes , quoi- qu'un peu pcliles. Nous découvrîmes aussi à uii Ironc d'arine une es- pèce de poix facile à manier, et qui se durcit cxliêmemeiil au sideil : ma femme, aidée de l'raniois, eu ramassa une Ixinne provision; je la prêterai au ma-,lic pour gijudroniier ma nacelle. Aiilreiriml pin île rir;;r»i>, ru j,in „ iri.i.i /Vii,/(m Elles sont longues et sor- tent toujours |j;ir trois de la niriuc cnvelDppe. Ses concs, austi très-longs , nais- sent en paquets autour des branches : les éesilles sont roidos. La soirée était déjà très-avancée quand nos deux messagers arri- vèrent avec la claie; il était trop tard pour rien entreprendre, nous ne songeâmes donc qu'à souper et à nous reposer. Le lendemain, des que le ciel fut coloré à l'orient, nous nous levâmes; après la prière faite eu famille, el (ju'on n'oubliait jamais, nous déjeunâmes et nous retournâmes à l'ouvrage. jN'otrc nacelle fut posée sur le char avec les douves, la pois et ce dont nous pouvions avoir besoin. Avant de nous mettre en marche , nous allâmes de côté et d'autre arracher de jeunes plants d'arbres i[ue nous voulions transplanter à Zcltlieim , el que je plaçai commodémenl dans ma nacelle ; je voulais aussi, dans le passage étroit entre la grande rivière elles rochers, construire une fortification qui aurait le double but de nous mettre en sûreté contre l'invasion des bêtes sauvages , et de tenir enfermés, dans la savane derrière les rochers, quelques jeunes cochons que nous voulions y amener pour ([u'ils y multipliassent en paix , sans danger pour nos cham])s el nos ])lanlations. iN'ous nous mimes en route pour ccl ouvrage; comme nous traver- sions le grand buisson des cannes à sucre, oii nous nous fîmes un chemin eu travaillant avec la hache, nous trouvâmes des tiges énor- mes de bambous , telles que je n'en avais encore vu de ma vie: nous en coupâmes une pour servir de mât à notre bateau. Au bout de queh|ue temps, nous eûmes franchi l'épais buisson , et nous nous Iroiivânies dans un espace libre. iVous eûmes alors, en ])laee de la mer, à notre gauche, une grande rivière , et à notre droite la longue chaîne de rochers qui se courhaienl pour laisser l'étroit pas- sage que j'ai décrit plus haut. INous donnâmes à ce détroit le nom de la Cluse. A la place la plus étroite, à quel{|ucs pas du ruisseau qui se précipitait dans le tbuve, nous coustrui.sîines un rempart devant un grand fossé, (|u'(ui ne ]>ouvait traverser qu'avec un pont mouvant, que nous établiiiies. Au delà du pont, nous plaçâmes une porle élroile et très-forte de bambous entrelacés, pour pouvoir , quand nous le voudrions, entrer rlans le pays intérieur. L'espace du rempart fut garni, en outre , de palmiers nains à piquets, de figuiers d'iiidi', el d'aulrcs plantes à fortes épines. >ous pratii|uâiues au milieu un sen- tier tortueux pour pouvoir ])asser; une fosse à louji, cachée, se trou- vait au centre, et nous était indiquée par quatre morceaux de bois destinés à soutenir une planche lorsque nous xinidrions y passer, l'ont ce que nous pouvions faire pour le moment à cette forliftcation élaot achexé, nous donnâmes le nom d'Eniiilage à celle partie de planla- lions en deçà du ruisseau, et nous y plaçâmes, en face de la cascade, une petite cabane d'écorce pour nous reposer. Après trois ou quatre jours d'un travail assez pénible, nous reprimes la route de la métai- rie de Pros|)ecl-liill, où nous nous accordâmes quelque repos. ÎNoIre seul ouvrage fut de coujier cl de préparer pour notre mât la grande canne de bambou, cl de la joindre sur la claie aux aiilres objets doul elle était chargée. Le malin suivant, nous primes le plus cour! diemiu pour relcuirner enfin chez nous, à Zeltheim, où je voulais finir ma ilialoiipe dans le voisinage de la mer; nous nous arrêtâmes sculemenl deux heures à Falkeuhorsl pour dîner et pour prendre soin de notre volaille, puis nous continuâmes notre roule vers /.elthcim , où nous n'arrivâmes jias Iroji t;ird, mais excessivemeiil l'alignés. Après (|ueli|ues arrangements domestiques, on Iravailla à force à la nacelle, ipii lut bieiil<'il complrlemeul eu élat d'êlre mise à l'eau; elle était à la fois élégaute el solide. Elle fui doublée partout de côtes de bois et garnie d'une quille, puis nous mimes au bord des ]ierehcs et des lattes llexihles, où fiirenl attachés des anneaux pour y passer les câbles du mât et y fixer les mines. En place de lest, je fis au fond un pavé en pierres, recouvert d'argile, sur le(|uel je posai un plan- cher, oii l'on pouvait, au besoin, coucher à sec. l'.ii travers, je clouai des bancs de rameurs : au milieu fut placé le mât di' bamhoii avec une voile laline; ])ar derrière, j'altachai le gouvernail, rpii pouvait être dirigé facilement par une manivelle avançaiil (l;ms le bateau , et je pus alors me vanler d'avoir lonstruil une cxeellenlc pirogue. Mais ce <|ui fit le plus d'hoiiiieurà mon génie invenlif, ce furent des outres de peaux (le chien marin que je fis coudre par ma femme; elles furent gonflées d'air, bien giiud roiiuées cl allachées des deux côtés le long de ma nacelle avec une forle corde bien cnduile de |;oudron; ce (|ui devait empêcher mon petit liâlimciit d'être siibiuergi', même lor(|u'il serait trop forlemenl chargé. Ma n;icclle fui parloul calfeutrée avec lie la poix el des étoupes; de sorte que dès bi premii're fois que nous la mîmes à l'eau nous fûmes extasiés de la manière sûre et agréahie dont elle s'y soutenait, ainsi <|ue de sa jolie struelure. Notre llotle fui, dès ce moment, très-bien montée : nous pouvions, suivaiil nos désirs, aller en mer avec la jiinasse ou la iiiicellc. ou même avec les deux , en les attaclianl l'une à l'autre. J'ai oublié de dire, dans le li'uips, ipie notre vache avait fait uii veau aussilôl après la saison des pluies : je lui avais percé la narine comme au biillle, pour le dompter plus facilemeni, cl le conduire ainsi avec une bride et une baguelte. Ce jeune laureau était déjà fort et vigoureux, cl, depuis qu'il él;iit sevré, j'avais conimeneé à l'exercer à sa dcslinaliou fiilurc, el a lui faire porter, un peu maigre lui, la sangle cl la selle de loili' du jeune buflle. " A quoi ileslimv.-vous noire laureau? me- dciuiuida Erilz un soir. 11 esl plein de feu el di- bravoure ; mon avi;i sérail de le dresser au L,b; KOblWSOIN SUIbSt". 91 coiiihul .1 la manière des Cafres. » Ma femme, effrayée do ce mot, prô- teiiilit 1)111' iiiiiis n'avions nul besoin, ilans notre ile paisible, (le nous donner ce ijenre de spectacle, dont elle avait lu, dans des voyages en Espagne, une desiription ipii lui avait fait liorreiir. LE rtiRE. Il y a peu de rapport, eliéie amie, entre les combats de taureaux des Espagnols et ceux dont te parle Frit/. : dans les premiers, ce lier animal, ipii ne redoute rien lorsipi'il est animé, donne sou- vent la morl auv insensés (|ui engagent avec lui une lutte sanglanle; mais cbez les Cafres, c'est pour l'utilité générale ipi'on le dresse aux comliats. Celte peuplade de sauvages haliile un |iajs iriupli de bêtes féroces; les Cafres, divisés en trilms, vivent presc|ue entièrement du produit de leurs troupeaux, qui sont toujours en plein air sur les pâ- turages, et par consé(|ueiit exposés à la fureur des tigres, îles pan- lliéres, des lions et de plusieurs autres animaux carnassiers très- communs dans les déserts de l'Afrique. Dès que le taureau combattant sent, par son instinct, l'approche d'un ennemi , il avertit les vaches du danger par un beuglement particulier; il les fait ranger en cercle, les veaux au milieu, et toutes les vaches, serrées en rond, présenten à l'enin-mi leurs têtes cornues : le taureau va de l'une à l'antre jus- (|u'ii ce qu'elles soient en ordre de bataille, et, s'il est bien dressé, il doit courir en hurlant sur l'ennemi et le forcer ;i s'éloigner. Si c'est un lion, lequel ne recule jamais, le taureau sacrifie généreusement sa vieil la défense du troupeau qui lui est confié; mais lorsque c'est un animal moins dangereux, il le combat vaillamment, le tue, ou le met en fuite, et revient à son poste. Lorsqu'une Iribu est en ijuerie contre une autre, ses troupeaux raccompaj;iieiit ; les taureaux font ravanl-garile, et souvent décident de la victoire. Fritz a raison; notre taureau, élevé de celte manière, pourra nous devenir fort utile. Cette destination militaire eut l'assentiment général. 11 fut alors question de savoir lequel d entre iiousser;iit particulièrement chargé de l'élever. .l'avais d'abord eu l'idée de l'instruire moi-même, ch;i- cun ayant déjà son élève, à l'exception de mon patit cadet François: mais craignant que cet enfant, gâté par sa mère et toujours près d'elle, ne devint efféminé et trop délicat, je saisis cette occasion pour éprouver et réveiller son courage. « Petit homme, lui dis-je, serais-tu bien aise d'élever le taureau ^ » Ses jolis yeux bleus s'animèrent , il joignit les mains : « O mon papa, me dit-il, je ne demande pas mieux. \ous m'avez une fois ra- conté l'histoire il'uii homme bien fort qui s'appelait Mitnti , et qui avait commencé par porter un veau sur ses épaules : il se fit une loi de le porter ainsi tous les jours , et devint si fort qu'il pouvait encore le soulever i|iiancl ce veau fut un bœuf. Je ne puis pas |iiirler le veau, qui est déjii beaucoup plus gros que moi , mais je puis m'en faire aimer, le conduire, raeeoutiimer à moi, et de cette manière, quand il sera tout il fait grand , je ne le craindrai pas; alors, moi aussi, je serai grand et vigoureux. i.H ri^HR. Il ne faut pas l'altendre, cher enfant , ii ce que les forces croîtront dans la même proportion que celles du taureau. L'homme, destiné ii vivre plus longtemps , se développe bien plus lenlemeni : dans un au, lu seras encore un faible petit garçon , et ton taureau sera déjii dans toute sa force; mais tu peux, comme lu dis l'en faire aimer, et l'accoulumer ii se laisser mener par toi. FBA.Miois. Et il me mener aussi, car je veux monter sur lui ciuuine Jack sur le buffle; ce sera mon chcxal. FRITZ. Et comment veux-tu l'appeler? \ ojons ! cherche-lui un beau nom bien sonore. rRAMciis. Je veux l'apjiclcr VatUant : ce nom lui portera bonheur, puisque nous voulons en faire un taureau de combat. JACK, l'ous moi. Je veux que mon bulile se nomme StuTin (Temiiête!. ^ oyez comme cela ira bien quand on dira : Jack arrive sur la l'em- pêlc! — Ce sera comme les ombres gigantesques des liéros de mon Ossiaii , dit Ernest, (|ui aimait beaucoup cet ouvrage, ce sera tout ii fait majestueux, w Dès le même jour, François ne voulut plus (|ue personne s'occupàl de son veau. Il lui donnait sa nourriture, l'embrassait, le comluisait parlnnl avec une corde , et rései-vait toujours pour lui la moitié de son pain; de sorte que l'animal reconnaissant s'attacha ii cet enfant et le suivit partout. ÎSous avions encore deu\ mois devant nous avant l.i saison des pluies; nous les emplo\àmcs ii travailler dans notre belle grotte de sel, pour en faire une ibiueure agréable. !Nous finies avec des planches les divisions intérieures; mais celles t|iii nous séparaient des écuries furent coustniiles en pierres. (|ui inlerceptaieul mieux l'odeur, nous réservant tout ce qui tiuiait ii rembellissemenl intérieur pour notre passe-temp> d'Iiiveruage. Notre travail assez difficile , sans lUnile. le devenait moins tous les jours, parce que nous acquérions plus d'Iia- lulcli' et (|ue nous avions une tri> belle ])rovisioii de poutres et de planches du vaisseau, toutes rabotées et ]>einles ii l'huile; les roseaux pour tresser ne nous man(|uaient pas, non plus que le iilàtre, et nous fîmes de grands progrès dans l'art de travailler le stuc. PVous confec- tionnâmes des parois tressées en osier et roseaux, el recouvertes des deux ciilés d'une couche de ]ilàlre bien blanc et glacé, comme le font les stucateurs, ii l'aide d'une polile planche lis^c. Cet ouvrage nous amusait beaucoup. J'eus l'idée d'en entreprendre un autre, ([ui nous rappela le luxe eiiroiiéen; ce fui de fabriquer des tapis de pied avec le poil de nos chèvres, et la chose réussit assez passablement, l'endaiil qu'il faisait encore assez beau pour que notre ouvrage put sécher ])rompteiiieut, nous couvrîmes le terrain de nos chambres avec du limon bien battu, comme ou fait les aires des granges. Lorsqu'il fut sec, nous étenilimes dessus une grande pii'ce de toile ii voiles , dont ma feiiiiue a\;iil cousu ensemble toutes les largeurs, jiisipi'ii ce i|ue le idaneher lui ciitii'reiuenl garni. INous primes ensuile le poil de chèvre et quelc|ue peu de laine de nos brebis, que nous étendîmes également sur la toile. Alors nous versilmes sur celte masse de l'eau chaude, dans laquelle nous avions fait dissoudre de la colle de poisson; nous roulâmes ensuile la toile, el nous donniîiues des coups de gros bâtons de bois dur sur ce rouleau. INous recommençâmes il arroser, ii battre, il travailler tellement ce mélange, qu'il en résulta une espèce de feutre qu'on put détacher de la toile. jNous retendîmes au soleil pour achever de le faire sécher, et nous nous en servîmes pour couvrir le plancher de notre salle ii manger et du salon de comp;ignic : ces deux ])ièces élaienl finies et en étal d'être habitées lorsque les pluies coiu- meneèrenl. Nous les attendions presque avec impatience pour cmiiié- nagcr dans notre jolie maison, el nous y livrer il des travaux séden- taires qui ne nous étaient pas moins utiles que ceux de l'été. Tout ce que nous avions soufl'ert pendanl l'hivernage précédent releva encore nos jouissances el noire bonheur; nous ne pouvions nous lasser d'admirer notre demeure sèche, éclairée, coiuiuode, rcm]die de provisions |ilus alioud.intcs ipi'il u'élait nécessaire à nos besoins el ii ceux de nos bêles. Le matin, en nous levant, nous allions les soigner sans beaucoup de peine, |iarce que tout était couverl et ii notre portée; l'eau de pluie, recueillie avec propreté, nous dispen- sait même d'aller en chercher au ruisseau : nous nous rassemblions ensuile dans l.i salle i» manger ]ioiir faire la prière et déjeuner ; nous passions ensuite dans celle du travail, oii ma femme s'établissait avec son rouet ou un métier de tisserand, que je lui fabriquai lanl bien que nnil, et avec lequel elle nous tissa une Irès-bonne étoile, moitié laine et moitié coton, et de la toile pour des chemises et des draps: tout le monde y Inivaillait tour ii tour, et le métier n'était jamais xacanl. Je trouvai moyen aussi, avec une petite roue de canon, de m'arranger une espèce de tour, avec lequel je fis plusieurs ustensiles et plusieurs meubles, el j'a|)pris ii mes fils ii y travailler. Le penseur Ernest y devint bientôt jibis fort que moi; il fit à sa mère une quan- tité de jolies choses. Après un bon cl joyeux diuer, l'ouvrage recom- mençait jusqu'il la nuit. Alors lampes et bougies s'allumaient; cl, comme celle lumière ne nous coulait que la peiuc de la recueillir, nous ne l'ép.irgnions pas, el c'était un de nos grands plaisirs que ces illuminations répétées par nos belles cristallisations. Nous avions .irrangé une petite chapelle dans un des coins de la caverne, où nous les avions toutes conservées, et il en existe peu de plus magnifiques que la nôtre avec ses colonnades, ses portiques, ses autels. Comme elle n'avait pas de jour, nous l'éclairions pour le service divin, que nous y faisions bien régulièrement tous les dimanches. J'y avais construit une espèce de chaire, où je débitais il mon petit peuple des sermons que je tâchais de rendre aussi instructifs que (lossible. Le reste de ce jour de repos était consacré ii des jeux qui pouvaient nous donner de l'exercice el entretenir les forces physiques de nos jeunes gens. La danse et même l'escrime curent leur tour. Jack et François avaient un talent naturel pour la musique; je leur fis des flageolets de roseaux, sur les(|uels ils s'exercèrent et devinrent assez habiles; ils aceouipagnaieul leur mère, qui avait une jolie voix, dont le volume était diHililé ])ar les échos île la grotte : ainsi nous eûmes aussi de très -jolis concerts. Nous avions fait, comme on le voit, des ji;is considérables dans notre civilisation. Séparés de la société, condamnés peut-èlre il passer notre vie entière sur cette côle inconnue, nous pouvii ns encore y vivre heureux; nous avions en abondance tout ce cpi'il nous fallait pour notre nourriture et pour la plupart des besoins de la vie. Nous étions actifs et laborieux; nous étions joyeux el contents; nos forces et notre santé augmentaienl ainsi que notre altachemenl mutuel; tous les jours, nous apprenions ii mieux employer nos facultés ]iliysi- ques el morales; nous apercevions, nous reconnaissions p;irloul les traces de la bonté el de la sagesse divines; nos cu'urs étaient pénétrés d'amour, de reconuaissance, de vénération pour cette céleste Provi- dence qui nous avait sauvés et luotégés si miraculeuscmeiil , el con- duits ii la vraie destination de l'homme, qui est de vivre en famille du travail de ses mains, je nie fiais ii sa bonté, soit pour nous rame- ner un jour dans la société, soit pour nous envoxer les moyens de commenier dans notre ile chérie une colonie heureuse el iloris.«iote. En allendaut ce qu'il lui plairait d'ordonner de notre sort futur, notre existi'iice actuelle était pleine de jouissances et d'innocents plaisirs. J'évitais, autant (pi'il m'était possible, tout ce qui |>ouvait, soit dans la conversation, soit dans mis lectures, éveiller les passions de mes enfants, ou exciter leurs regiels ou leurs désirs. A peine une année s'était écoulée depuis que nous haliitions ces rivages: la per- spective de les voir visiter (lar un vaisseau européen était donc lro]> éloignée el trop iiicerlainc pour rju'il fùl i>riulcnl de s'en occuper, et de iious donner le lonriiieul de rallcnle cl de rimpalicuee; noui 92 LE UOBIiNSOlN SUISSE. vivions tianiiuillos il lieuioiix, comme si nous devions rester toujours ainsi dans notre petit ménage. CHAPITRE XXXVII. Supputation du temps. — Grande fête de la délivrance. — Disinbulion de prix. — Gourdes. — Nouvelles de Waldegg. — Le cavia capcnsis. — L'anis. — Le ginseng. — Les grues. Un matin, peu de temps après ces journées si utilement remplies, je me réveillai beaucoup plus tôt qu'à l'ordinaire, cl ne voulant pas troubler le repos de mon ])euplc, je restai tranquille dans mon lit, m'amus.int à computer le temps que nous avions déjà passé dansTilc. A mon fjrand étonnemcnt,jc découvris que le lendemain était préci- sément l'anniversaire du jour de noire salut, et mon cfcur s'éleva, plein de reconnaissance, vers le Dieu qui nous avait si merveilleuse- ment conservés et qui répandait sur nous tant de ijrâccs. ,1e résolus en même temps de ne pas laisser passer cette époque sans la célébrer par une solennilé qui pût nous m.iintenir tous d.ins les scnlijuents que noire position devait, à si juste titre, nous inspirer. Je me levai donc, je réveillai ma femme et mes enf.inis, et je fis préparer le déjeuner. Comme je n'avais point encore combiné en moi- même le programme de ma fête, je me conlent.ii, dans le cours de la journée, de faire ranger tout dans le meilleur ordre et de faire Icrminer quelijues petits travaux commencés; puis, ayant fait servir le souper une demi-heure plus tôt qu'à l'ordinaire, je pris la parole eu ces termes : « Préparez-vous tous, mes chers amis, à célébrer demain la fêle de notre délivrance, et que votre mise soit, dès le malin, propre et soignée. lACh. Qu'est-ce que papa veut donc dire en parlant de délivrance? Qui a été délivré:' FRITZ. Notre petit évaporé ne se rappelle-t-il donc plus qu'il y a tout juste un an que nous étions tous au moment de périr avec noire vaisseau, et que Dieu nous a heureusement délivrés en nous faisant aborder sur ce rivage? lACK. Quant au naufrage, je ne l'oublierai de ma vie; mais, pour ce qui regarde la délivrance, c'est bien nous qui nous sommes sauvés nous-mêmes, et je ne crois pas que ce soit là le sujet d'une fête. LE PF.RE. Tu as raison dans un sens , mou fils. Les hommes ne sont que trop vains du succès de leurs efforts, pour (|u'il soit nécessaire d'en perpétuer le souvenir par des solennités; mais c'est là une raison de plus pour nous, ((ui sommes bien convaincus (|ue, sans le secours de l)i<-u. Ions nus elfoils auraient été vains, de ne néglii;cr aucune occasion de recoiiuaitic sa puissance et notre |yropre fail>lesse. lACK. Il me semble jiourtaiit i[ue nous avons déjà bien souvent re- mercié Dieu de ce (ju'il a fait pour nous. LE PÈRE. .Jamais assez souvent. Un cœur vraiment reconnaissant aime à se rappeler sans cesse les bienfaits qu'il a reçus, et il se plait, en outre, à choisir des moments particuliers pour' faire éclater ses sentiments. ERNEST. Mais, à le bien preiulre, mon père, quel avantage le bon Dieu retire-t il de nos remcrcîmenls:' LE riîRE. Quel avantage retire-t-il > Après celte courte couve rs.iti on , nous achevâmes notre toilette, nous finies notre prière accouliimée du matin, nous déjeunâmes, et puis, nous étant assis à l'entrée de notre grollc de sel, je commençai la solennilé de la joiiriu'c par lire ii mes enfants i|uel(|ucs passages de mon journal, afin de leur rafraîchir la mémoire sur toutes les cir- constances de noire délivrance. Je leur expliqu.ii ensuite, delà ma- nière la plus impressive, toute la bonté de la Providence divine en- vers nous; je citai, à cette occasion, ))liisicurs versets des psaumes, et je Icseng.igeai, en définitive, à me faire part de leurs observatioiis sur ce que je venais de leur dire. Ernesl, qui était la tète la plusspé- LE r.OBINSON SUISSE. fi culalive, m'avoua qu'il avait été frappé, la veille au soir, de l'obser- vation (le .lack ; qu'il ne eoncevait pas pouripioi je «lisais que c'était Dieu qui nous avait sauvés , puisque nous aurions péri si nous n'avions pas employé toutes nos forces pour nous tirer du danijer. LE rÈRE. Je suis bien aise de voir que tu m'exposes franibenunt tes doutes ; sans cela, je ne pourrais pas te donner les instructions néces- saires. (Ju'aurait-il donc fallu, insensé, (|ue Dieu fit ]>our nous sau- ver d'une manière évidente ? FBAxrius. 11 n'aurait «u qu'à faire descendre une main du ciel, comme dans mon livre d'images, et nous donner un vaisseau tout neuf. LE PÈRE. Tu parles comme un enfant, mon petit François. Ce ([ue nous voyons clairement des yeux de notre esprit n'est-il pas aussi certain pour nous, qui sommes des êtres raisonnables, que ce qui frappe nos sens ? KBXEST. Il me semble pourtant (|u'un mirarle aurait été le moyen le plus sûr de prouver que Dieu veillait ii notre salut. LE l'ÈRE. Un miracle est un acte de la Divinité, (|iii interrompt le cours ordinaire de la nature. Or, quel est l'Iiomiue assez audacieux, assez plein d'orgueil pour oser en exiger dans son intérèl personnel .' Nous devons, au contraire, nous efforcer de considérer tout le cours de la nature comme un grand, comme un perpétuel miracle de Dieu. Nous savons (|ue Dii'u ne s'occupe des événenicnls de la terre que d'une façon indirecte, puisqu'il a, dès l'origine, ac('or< Après le manège, nous eûmes l'exercice de la froiule; ils ne s'y montrèrent jias à beaucoup pri's aussi adroits i|u'au\ autres; et comme j'y mettais une haute importance , je resoins de ne pas le leur laisser néiîliger. La fêle se termina par l'épreuve de la natation, dans la(|uellc Fritz fut décidément supérieur ii tous ses frères. Le jour baissait déjà (luaiul nous nous mimes en route à pas lents et en eortéijc solennel pour retourner de la grève ii noire habitation. Ma femme nous avait précédés de queliiues minutes, car c'était elle qui devait distribuer les prix. A cet elVet, elle se plaça avec la plus grande gravité sur un toiuu'an , qui lui servit de tronc, et les quatre enfants se rangèrent respectueusement devant elle. Le prix du tir el de la natation fut accordé à Fritz, (|ui reçut un beau fusil anglais à deux coups, et un couteau de chasse (|u'il con- voitait depuis longtemps. F.rnest, <|ui gagna le prix de la course et d<' la fronde, reçut une montre d'or semblable à celle (|ue I''ril7, possédait déjà. La part de Jack, (omme ayant remporté le prix de la grimpade et du manège, fut une cravache anglaise et une paire d'éperons ])la(|ués. François enfin, comme accessit du prix du manc'ge, une paire d'épe- rons d'acier et un grand fouet de peau de rhinocéros du (Jap. Ces prix distribués, je me levai et je fis observer que la mère de mes aimables enfants méritait incmitestalilenienl un prix; je lui pré seiilai en eonséi(nenee une boite ii ouvrage anglaise, g;irnie île tous les objets nécessain's à une femme de miiuige, le tout du travail le plus élégant et le plus soigné. Ma femme fut enchantée de ce eacicau, dont elle ignorait l'existence, et que j'avais caché jiis(|iralors ]iour lui en laire la suriirise. Je ne pus refuser ii mes eiilanls la perinis- smn de clore la solennité par un coup de canon; je leur recomman- dai seulement d'épargner la poudre, ce (|ui n'enipècha pas que le son n'en retentît au loin sur la plage. A|)rès cela, comme nous étions tous tri's-faligués , nous n'eûmes rien di' (iliis pressé i|U(' de souper et diMious coucher pour chercher le repos, dont nous avions grainl besoin. L'épiK|ue de la rccolli' des pigeons était arrivée. Cette expression peut p.iraitre sinf;iili('rc ; mais le fait est que, l'année précédente, ces oiseaux s'étaient montrés en si grand nombre , ipie non-seubunent nous en avions mangé pendant assez longleiiips de frais, mais encore^ i|ue nous en avions conservé dans l'huile uim proxisioii (|ui nous avait duré pendant une gianil dieu! de quoi parles-tu donc .' je brûle d'impatience de l'apprendre. i.A MiiRK. Je le crois bien; mais laisse-moi le temps de réfléchir oii je les ai mises. Tu sais que nous avons semé en tant d'endroits, qu'il n'est pas élonnant que je ne me rajqielle pas où je mis celles-là. xioi. Encore vellfs-lci! Mais je ne sais ce que tu veux dire. i.A xiiiiiE, Eh! tout doux, monsieur l'impétueux; je parle des courge» ordinaires dont on fait les gourdes pour les pèlerins et les soldats, et puis de celles qui ont un long goulol qui les fail ressembler à de véritables bouteilles. MOI. O ma chère femme! qu'elles seraient précieuses pour nous! Tu en avais des graines, et lu les as plantées, l'oiirqiioi ne m'en as- tu jamais parlé ? LA i\u;be. Dans le premier moment, j'ai voulu l'on faire la surprise, el puis j'ai fini par l'oublier moi-même. Jioi. Viens donc vite, el cherchons-les partout. » Nous partîmes en effet, accompagnés d'Ernest et de François, et nous ne tardâmes pas à ;irriver à la plantation. On ne saurait croiro combien ces courges avaient propagé, on en voyait de tous les côtés par terre; il y en avait de vertes, de mûres el d'autres qui étaieul déjà pourries. JNous en choisîmes un certain nombre de rhaipic es- pèce, parmi celles (|ui ét;nenl les plus mûres, mais dont l'écoree était encore bien saine, el nous nous promimes de revenir à mesure que nous en aurions besoin. De retour chez nous, nous vidâmes nos gourdes, nous les nelloyâmes, nous enlevâmes avec un )ielit bàloii toute la chair desséchée, et nous finimes ])ar les rincer, comme de« bouteilles, avec du menu plomb, de sorte qu'elles devinrent aussi lisses en dedans ([u'cn dehors. Nous choisîmes deux des plus longues el des plus minces )iour en faire des entonnoirs. A cet elïel, j'en enlevai moi-même avec une scie les fonds, qui nous servirent plus tard il'assiettes ou de soucoupes. Tout ce travail, momeiit:iiiéiiient interrompu par le dîner, nous ax'ait occupés jusqu'au soir, quand tout à coup j'entendis de loin des p;is d'animaux, et bientôt nous vîmes nos deux cavaliers arriver au galop. Ils furent reçus avec joie, el pendant qu'ils sautaient à bas de leurs bêles, je fus le premier à leur demander s'ils avaient fait de bonnes affaires. FiuTZ. Oh! d'excellentes; nous avons f.iit bien des découvertes. Voici d'abord une grue; jinis voilà des racines de singe; elles sont bonnes à manger, el enfin une grosse courge pleine de gomme élas- ti([iie, i|ue j'ai bien entourée de feuilles pour qu'elle ne s'écoulât pas pendant la roule. nch. lu en voici une seeonde courge toute pleine, et un blaireau, ou une marmotte, ou bien un lapin de rocher, je ne sais pas lequel. \'oici de l'anis; j'ai a|iporlé le phinl tout entier avec sa racine et ses graines. Enfin, voici une moitié de courge |)leiiic de lérébenihine, ce qui n'est pas non plus à déiliiigner. l'endanl i|ue nous examinions les divers objets (|iie nos garçons nous avaient apportés, .lack vantail la ra|iidité de son coursier .S'nndi, el avoua qu'une fois il avait failli perdre l'équilibre. Il saisit cette occasion pour me prier de faire des selles, m'assiiranl i|uc, s'ils en avaient, le diable ne les jetterait pas par ferre. Ernest , qui reg.ir- ilait avec ■itleiilion l'aiiimal que Jack avait apporté, lui dil (|iie bien certainemenl ce n'était ni un blaireau ni une ni.irmoUe. iu;h. Je l'ai tiré sur une des crêtes du granil rocher, cl c'est ce qui m'a f;iil penser (|ue ce devait être un luibilaiil des luontagiies. i.K n'iiiii. La conilusion élail assez juste, mon fils. (Jiiiinl à moi, je crois (|iie c'est un de ci's aiiiin;iux originaires de rAfri(|iie méridio- nale,que les llolhindais ;ippellcnl /,//;ii/(/.s, et ;iiixqiiels les ii;iliiralisles ont donné le nom de ci/r/ii cdiiriisis. Us soni doux, iiinoccnls, socia- bles comme les niariuolles, el luibiteiit les creux des rochers. Mais voyons maintenant votre anis. iMK. Le voici, mon père. Oh! comme nous allons faire de bonne anisetle ! i.E ri.;n|i. C'est fori bien. I',l vo|ie térébeulhine ? j'attache plus de prix à celle-là qu'a l'anis, mal '.ré l'excellente iiipieur i|iie xous es- pérer en distiller. lACK. Elle a découlé des arbres (|ue nous axions mis en perce à riiiie de nos précédentes expéditions, el auxquels nous ;ivioiis attaché des courges. IV triuivait dans la ilirecliiui de son arme, ([uoiipie si loin (pi'il n'aurait pas cru pos- sible de l'alleindre. Mais eonliiuie ton ircit. nuTZ. Avant de (piiller ces euvinuis, je remanpn/i (pie les buis- sons de myrica étaient eouverls de baies à cire bien mûres; nous en finies à la hâte une n'oolte. Je xis aussi (pie les arbres à caoutchouc produisent une espèce de petites l'iijues dont les pi|;eoiis me parurent tri's-friands, (pioi(pi'à mon ijoi\t elles fussent un peu ri^ches. Nous nous dirigeâmes après cela vers ^^'aldeJ;[;, le loiij; d'un ruisseau ([iii se jetait dans un plus i;raiid , et (pie je juijeai devoir se perdre dans le petit lac de la nu'tairie. Ala supposition se trouva exacte; m;iis, avant d'arriver à AValdeijfj, nous iK'couvrimes une troupe de singes (|ui nous parurent très-occiipi's dans un coin du bois oii les arbres étaient plus claii-semés. Nous nous approchâmes d'eux avec piécau- tion , après avoir attaclu" nos montures et le chien pour ne pas les troubler, et nous découvrîmes, à notre ijiMiul élonnemenl , (pie les sinjjes l'onillaieiil dans la terre pour en ;irraeher des racines. Nous nous coiisiiltànies pendant (piel([ues instants, ,lack cl moi, |iOiir sa- voir si nous ne leur enverrions pas ipiehpies coups de fusil; mais coninie nous n'iivions aucune envie de maïujer un rùli de sinije pour notre dîner, et (pie nous nous rappelâmes cpie notre bon père nous avait souvent recommandé de ne jamais tuer des animaux sans motif, nous les laissâmes tranfpiilles pour celle fois. ivciv. Ah! si nous avions pu savoir le dét;àl ipie cesco([uius avaient lait il W al(le|;i;, ils n'en seraient pas récha])pés à si bon marché. nuT/,. \on vraiment; en attenJant, ils ne deoieiirc'rent pas tout à lait impunis; car j'avais la plus grande envie de C(]niiailre ces ra- cines, (|u'ils paraissaient manger avec tant de jdaisir; cl il fallut bien pour cela finir ]iar les déranger. Nous leur envoyâmes donc notre Turc, (pii tomba sur eux si vivement, (jii'ils se sauvèrent à toutes jambes, abandonnant les racines ipi'ils avaient dcjii coinniencé à riMiger, cl (|iii jonchèrent la terre en si grand nombre, (]ue nous pûmes en faire une réeidte assei abondante. A la vérité, nous ne savions pas ce (pie c'était. Jack voulait y voir des carottes ou des navets; mais les |ilanles ne resseiiililiiienl aucunement à celles de ces racines européennes. Les tiges en étaient d'un ronge foncé, et les feuilles ovales et dentelées, réunies par cin terme à cet amour de la deslriiclion (pli anime ces b''les malfaisantes; sans {|iioi, en dé- finitive, tous nos travaux deviendraient inutiles. Olle fois, la distruc- tion a été, en (pieli[iie sorte, compensée par la découverte d'une nouvelle racine alimenlaire. FiuTZ. Et rpii est excellenle. Ayant fait du feu dans notre ancienne cuisine, non loin de l;i cabane, nous en fîmes cuire pour notre dîner (piebpies-iines , ijiii nous pariircnl bien meilleures ipie (puiiid nous les avions goûtées; nous fîmes aussi rôtir nue couple de pigeons; m:iis nous étant trop hâtés de les flamber avant de les avoir comiilélcmcnt plumés, ils en prirent un guùl de brûlé i|ui ne les rendit nullement appélissants. Après le dîner, nous nous reposâmes un peu, pour laisser passer la grande chaleur du jour; malheureusement, nous ne pûmes nous coucher dans notre jolie cabane, ([ui aur.i besoin d'être nettoyée à fond avant cpie nous piiissiiuis l'habiler de nouveau, Nous étions donc ;issis n ci'ilé l'un de l'autre, causant de mille choses et jurant de nous venger (!j.'S singes, (pi;uid tout à coup nous entendîmes un bruit terrible au-dessus de nos lèles, et ayant le\é les yeiiv , nous aperçûmes une troupe immense d'oiseaux de passage ; mais ils élaient à une si grande bailleur, ipi'ils luma paraissaieul à peine gros comme des hannetons. Jiick disail ipic c'étaient des oies, à cause du bruit f|u'ils faisaient; mais moi je jugeai plutôt iiue c'étaient des cigognes. Nous les regardâmes altenlivement à travers les ouvertures ipie lais- saient les arbre», et enfin nous crûmes voir ipi'ils s'approchaient de terre. La grande urinée se partagea alors en ])lusieiirs petits esca- drons, et leur vol deviiil jilus rapide el plus irrégiiliei". Ouekpies-iins même touchèrent la terre el rcmoulèrent ensuite plus Icutemeut, mais avec vigueur, dans les :rirs. Après avqir passé ainsi ipielipie temps à reconnaître le terrain, mais sans nous ;i|iercevoir, ils s'abal- tircnt tous, emuiue à un signal convenu, sur notre rizière, nii ils commencèrent h s'en donner à c(ciir joie, (.'ela nous parut un peu moins plaisant que le resle, el nous songeâmes aux moyeiis de nous délivrer de leur importune présence. Nous jirîmes un détour piuir lâcher d'arriver jiisipi'à eux; mais nous reconnûmes (|ue ces rusés co(pnns avaient placé de tout eolé des avant-postes ou des faclion- naires, (pii, aussitôt (pi'ilsnous ;(per(;iirent , se mirent à pousser des cris pour avertir leurs compagnons; ceux-ci, à l'inslant même, s'éle- vèrent de nouvean dans les airs, avei^ une telle r;ipidilé, (jue, dans notre surprise, nous n'essayâmes pas même de leur tirer (piehiiies coups de fusil. Eu atlcudanl, nous reconnûmes alors ([ue c'étaient de grosses grues auxquelles nous avions an'aire. Bien décidés à ne p:is revenir sans avoir une d'entre elles en notre puissance, nous lan- (^àmes contre l:i troupe notre aigle, (pii ne tarda pas, en effet, à nous en amener une, mais morte. Nous (bumâmesii l'aigle un pigeon pour sa réciiiupensc ; puis, él;inl allés proniplemcnt à \Valdfgg, nous re- cueillîmes encore un peu de tércbenlhine et ((uehpies boisse;iiix de riz, et nous nous remîmes en roule pour la maison, oii nous voici grâce au ciel, lieurensemcut ;irrives. 1 el fut le récit de l'rilz; ;iprès (pioi, nous nous décidâmes sur- le-champ à essayer pour notre souper lanl le ginseng (jne la racine d'anis. Ma femme nous lit observer i[ue nous ne c(uirioiis aucun ris- que avec celle-ci, (pii se vend habilucllemeut au marché du Cap; mais (pic (plant au premier, s'il iiossédail récllcineiil les qualités ipie lui allribnent les (iiiinois , il pourrait bien être tro|i éehauft'aiil pour servir d'aliiiiciil journalier. CHAPITRE XXXVIII. La ghi. — Chasse aux' pigeons sauvages. — La grande chasse aux singes, Races de pigeons étrangers. — Le pigeonnier. — Crin factice. Le lendemain, ;iu point du jour, nous nous mîmes sérieuscmeiil li r(Hivr:(ge. .l'envoyai mes garçons à la recherche de ranieaiiv d'osier pour en faire des pièges, ]i(uihiul ipie, de mon côlc, je m'occiip:iis de la élu. .le mêlai une (pianlilé d'huile .ivec mon eaïuilchoiic encore liipiide, el je les ]ilaiai enseioble sur un feu doux; j'y ajoutai ensuite ;iussi un peu de térébenlhinc , el je mêlai si bien loule la masse ,'i force de la remuer, ipie j'en ennfcelioiinai une glu bien furie et bien lenaee. Axant, iiprès cela, enseigné ji mes enfants, en jicii de mois hi maiiii're d'arranger les piéj;es, j'allai faire mes observalioiis sur les endroits oii il serait le plus convenable de les placer. ,1c 10' lardai p:is à reconnaître (pie, l'année précédcnic, nous étions sans doole arrivés (buis l'ile tout îi la t'iii de l'épiupie du passage des pigeons, car leur noiiibrc était cette fois-ci incoin)iarablemcnl plus gr.md. Tons les arbres en élaienl chargés, el la qininlili' de lieiile 98 LE ROBINSON SUISSE. dont la terre tHait couverte indiquait rlairement (|u'ils y avaient passé la nuit. J'en fus enchanté, car je pensai que si nos pièges ne nous fournissaient pas une provision sullisante, je pourrais faire en- core une chasse nocturne aux flambeaux, ii la manière des colons de la Vircinie. Je rassemblai donc à la hâte autant de bois sec que j'en pus ramasser. Quand je revins à la maison , je trouvai mes enfants dans un bel état; ils avaient fait de vains cft'oris pour enduire les pièges de glu : leurs visai'es, leurs mains, leurs habits, tout en était couvert. Je leur reprochai d'abord leur maladresse, je les grondai ensuite de la mau- vaise habitude ilont ils ne voulaient pas se défaire, de s'essuyer les mains après leurs babils; enfin je les engageai à se laver avec du sa- ble, après (|uoi je leur enseignai la manière de mettre la glu sur leurs Nous nous y mimes tous; je distribuai les occupations suivant les forcer et Ihabileté. liafuettes d'osier sans se tacher les mains, (jela fait, je dis à Jack de monter sur notre grand arbre, de choisir les branches d'ciii il verrait pendre le plus grand nombre de figiii's, cl d'y faire des entailles dans les(|uelles il devait insérer les baguettes d'osier, qui, de celle ma- iiièr<', seiiibleraiinl faire partie de l'arbre même. 11 avait é|uiisé les bagiieltcs (|u'il avait prises avec lui, et était re- descendu ])Oiir en cheriher de nouvelles; mais, ax'ant (|ii'il pût re- monter dans l'arbre, nous vîmes des pii;coiis volti(;er à l'entour et venir se poser dans les endroits les plus dangereux. l'Iiisieurs oiseaux ne tardèrent pas à se prendre ;i la glu. A force de se (lébaltre pour s'en débarrasser, ils détachèrent les baguettes, et, ne piiiivani plus voler, ils vinrent tomber par terre à nos pieds. Cependant Jack, étant remonté dans l'arbre, ))laca d'autres pièges, et huit par devenir si adroit à cet exercice, qu'il n'eut plus besoin de mes leçons. Je laissai alors il ma femme et au petit François le soin de ramasser et de plu- mer les pigeons, pendant que je préparerais les torches iioiir notre chasse nocturne. Comme je m'occupais ainsi, Jack arriva tenant à la main un pi- ceon d'une beauté particiiliire, pour l('i|uel il me demanda iji-àce, en ajoutant (pie la ]>aiivi(' bête avait l'air de le rei;ai(ler ciiiiinie si elle le connaissait, lùncst, (|ui arriva dans ce moment, dit : « Ji' crois bien i|irille te ((Minait : c'est un de nos in-o|ires pi|;eoiis à (pii nous avions donné la volée. 11 ne faudrait pas le tuer avant (|iie la race en fût multipliée. » .le sonsc'rivis à cette observation, et |)renant l'oiseau, je nettoyai ses ailes et le mis dans la corbeille de ,laek, en lui recommandant d'en rapporter autant (|u'il pourrait de celle belle espi'ce. Kn efïel , avant la lin du jour nous avions réuni deux couples de pigeons d'Eu- rope. Mais (|uant aux pigeons sauvages, noire tonneau n'élait pas à beaucoup près rempli; Jack commençait il se fatiguer de monter sur l'arbre et d'en redescendre, de soric que je sentis la nécessité indis- pensabli' de recourir ii un moyen plus ellicace d'augmenter noire Psris. TvpoRrnphic !*i.on Fiti-'HfS, inïprim* provision. Fritz proposa d'établir nos pigeonniers au-dessus de noire grotte, où les pii;eons pourraient multiplier, et nous assurer en tout temps un bon aliment, sans que nous fussions obligés de dépenser notre poudre. Je lui répondis que son idée était fort bonne, et que je m'occuperais de la mettre il exécution au premier loisir que j'aurais. A la chute du jour nous nous rendîmes, d'après le jirojet ([iie j'en avais formé, au bois de Chênes il glands doux, oii je pensais (|ue les pigeons se fixeraient pour la nuit. Nous étions singulièrement armés pour la chasse; nous portions de longs roseaux de bambous, des tor- ches et des sacs. Mes enfants ne pouvaient concevoir de ((uelle uti- lité tout cela nous serait pour prendre des pigeons. Etant arrivés dans le voisinage du lieu que j'avais choisi, et le crépuscule, si court dans ces climats, étant déjii remplacé par la nuit, j'allumai sur-le-champ nos torches, et je vis que j'avais fort bien calculé, car les branches étaient couvertes d'une immense ([uanlilé de pigeons déjii endormis. Réveillés et éblouis par l'éclat des torches, ils s'agitèrent et commen- cèrent il voltiger avec in([uiétiide d'une branche ii l'autre. Quelques- uns tombircnt d'eux-mêmes par terre et furent mis dans nos sacs; mais nous rendîmes notre chasse bien plus productive en secouant les br.inchcs des arbres avec nos bambous, ce i|ui redoublait le tu- multe et rinriuiélude des oiseaux. Enhn, (|uand je jugeai (|iie nous avions rassemblé une assez grande abondance de gibier, je donnai le signal du départ, et avant que nos torches fussent tout ii fait épuisées, nous nous remîmes en marche pour retourner ii la maison. Nous formions un cortège assez singu- lier. Notre excellent butin remplissait plusieurs sacs posés sur deux longs bâtons attachés parallèlement ensemble et k peu de distance l'un de l'autre, de manière ([u'on pouvait les porter comme une sorte de brancard. Deux d'entre nous se relayaient pour le voitiirer, pen- dant que les autres nous éclairaient avec les lioiils des torches. On eût dit le convoi funèbre d'un criminel condamné par rancien tri- bunal vehnii(|iie, d'autant plus que, la nuit étant assez fraîche, nous Il s'éleva coinme un l.niroii, ilirciirinent au-dessus sans en détourner ses yeux pcrçanta, puis fondit tout i coup sur elle avec la rapidité do l'éclair. nous éliiMis'envcloppés de manteaux comme si nous eussions caché avec intention nos hgures. Arrivés enfin ii Falkcnhorst, nous mîmes fin, par une promiile mort, aux soulTraiices de nos pii;cons ; et les ayant di'posi'S en un lieu sûr, nous allâmes, accablés de laligiie, cher- cher le repos dans nos lits. J'avais jn-ojelé de consacrer la journée du lendemain ii faire la guerre ii nos ennemis les singes; mais il n'y eut pas moyeu d'y son- ger. Il fallut s'occuper exclusivement d'accoiiiinnder nos pigeons; car ma femme remar(|u:i avec raison (pie, si nous ne l'aidions pas tous dans l'ctte besogne, ne pouvant pas en venir il bout seule, une i;rande partie du produit de notre chasse serait gàlec. ^olts voila donc il Idiivrage, occupés ii plumer, ii cuire, ii ri'itir, a eliiver. (Jiiant il moi, j'étais spécialement chargé d'arranger les pigeons dans trs de rF.injHTCiir, riir de X'niiRÏrarrl . îllï. LE ROBINSON SUISSE. 97 les tonneaux. Ces dispositions nous prirent l:i journée tout entière, et quand elles furent achevées il ne nous resta ]ilus que le temps stric- tement nécessaire pour faire les préparatifs de notre expédition du jour suivant. Dans le nomlire de ces préparatifs se trouva le soin d'épaissir con- sidérablement notre ijlu, car mon intention n'était pas de me servir d'armes .à feu contre nos ennemis. Je voulais d'aliord leur rendre la fuite difficile, et ensuite tomber sur eux avec la fronde ou le fouet; moyens bien moins coûteux de nous en débarrasser. Au nioiueiit de partir, nous cliarijeàmes tous nos cflTets, y compris des provisions pour deux jours, (|ue ma femme nous obligea d'em- porter, ainsi que notre petite tente, sur le dos du bullle. Jack et Er- nest , qui n'étaient pas fort lourds, y montèrent aussi, Fritz et moi nous nous mimes sur nos ânes, et, suivis de nos cliiens, nous entre- prîmes cette grande expédition. l'eiuiant la route, après nous être plaisantes réciproquement sur notre adresse dans l'art de l'é([uitatiou, la conversation roula sur le combat (jue nous allions livrer. LE pi.:RE. C'est aujourd'hui qu'il va se faire un grand carnage, une horrible des- truction dans la race pigeon- nière. On n'aura jamais rien vu de semblable! Aussi est- ce avec intention que j'ai laissé votre maman et les petits à la maison; ils sont trop sensibles pour pouvoir su p|)orter une pareil le scène. IRITZ. A vrai diie, pour- tant, je plains ces pauvres singes. LE l'i'RE. Crois-tu donc , répondis-je, que , moi aussi , je n'aie pas pitié d'eux ? Ce sentiment est juste et con- venable, mais il ne faut pas qu'il nous amollisse. L'hom- me ne doit pas toujours sui- vre le premier mouvement de son cœur. Les parents, les maîtres, les juges ne pu niraienl presque jamais s'ils éconl.iicnl dans taules les occasions la voix de la com- passion. nuTZ. ^lais il n'est jias jmssible d'anéantir complè- tement sa sensibilité. LE pÈ.iîE. IVon , certaine- ment, on ne le devrait pas, cpiand nu'me on le pourrait; mais il f.iul toujours qu'on la soumette à l.i raison et au devoir: sans cela, l'homme doux devient faible, l'hom- me aimant devient jaloux, l'homme irritable colère et même furieu\. Kn un mot, celui qui se livre exclusi- vement .i sa sensibilité court risque de devenir iiii insensé plein de passion et de partialité. TACK. Diies-nioi porls el les comparaisons, agissant sur iMiln' imaifination, nlribuaieiit beaucoup à modifier nos senlinunts. » iNous tuons sans pitié, lui dis-je, un essaim tcuil entier de moiu-hcs ou d<' cousins; nous donnons la mort à un animal plus grainl quand il est seul; et quand il a l'air mé(duint ou effrayant, nous en lirons mêiiie une espèce de triomphe; mais, celte fois, la ressemblance des singes avec les hommes, el le grand nombre de ceux que nous avons massacrés, nous loni frémir. • ^ I our écarlcr la Irislesse (|ui s'emparait inv(dontaii-cmcnt île nous, j'employai le remède ordinaire, le travail. Il fallul nclloNer les pièce, dans la direction du ruisseau des Chacals. Cette pièce avait été destinée par nous ii notre bibliothècjuc, comme aussi pour y serrer des caisses vides. Elle était prête, quoi(|u'cllc ne fût pas encore arrangée. Il nous fut facile, d'après cela, de continuer nos travaux au-dessus, sans craindre de rien gâter par la poussière cl les débris de jiierre qui pourraient y tomber. IN'ous eommcnçànies le lendemain, et nous continuâmes presque sans relâche pendant plusieurs semaines. J'y pratiquai trois entrées et une pelitc fenêtre an-dessus pour lui donner de la lumière, el j'y aj(uitai en dehors queh|ue3 peiclioirs avec un volet retombant. Nuire éelielle de corde, ((ui élait restée en place, nous facilita beaucoup cet ouvrage. Nous disposâmes l'inlérieur de la manière la plus confor- table, avec des juchoirs et des nids séparés les uns des autres par un |ictit treillage, (,)uaiid tout fut assez bien disposé pour la réception de nos anciens el nouveaux volatiles, je dis un matin à Fritz : « Mainlenant, mes habiles ouvriers, nous allons nous occuper du charmer qui devra fixer nos colons dans leur demeure, et peut-être même leur y procurer des compagnes. FBiTZ. Prélenilez-vous réellement pour cela, papa, cmplojer des moyens surnaturels? MOI. J'y pense si peu, mon enfant, que je compte invoquer pour cela ton secours. iRiTz. Je suis réellement curieux de savoir comment vous vous y prendrez. Miii. .le veux essayer d'un secret qui m'a été donné par un mar- chand de pigeons de mon pays. Pour cela il me faudra un peu d'anis, de l'argile el du sel, dont je ferai une boule, qui, par son agréable odeur, retiendra nos pigeons, el en attirera d'aulres dans noire colombier. FitiTz. Uien ne sera plus facile, puisfjue nous avons découvert de l'anis dans notre ile. Mcil. (^'esl cela même ([ui m'y a fait penser. Mais il faudrait (|ue nous eussions aussi un peu d'Iiuile d'anis jiour en eniluire les entrées de la volière. inirz. Nous pourrions en faire nous-mêmes; et si la distillation était un procède trop compliqué, nous n'aurions qu'à pilier de l'anis dans un morlier el le mettre infuser dans un peu d'huile commune. Mais pourquoi en enduire les entrées? MOI. l'our que les pigeons, en les traversant, s'en frotlenl toujours un peu les plumes, ce qui fera (|ue les oiseaux ipi'ils rencontreront dans les volées les suivront à l'odeur jus(prà la volière. J'approuve du reste Ion idée sur la manière de suppléer à l'huile essenlielle (|ui imus mancpie. » l\oui nous mîmes à l'instant même à l'ouvrage. Notre huile ne fut, il la vérité, cpie fort légèremenl parfumée d'anis, mais je jugeai que l'odeur s'en eonserscrail bien peudanl (|ucl(|ucs jorlé ensuite dans le labyrinlhe des brandies de corail toutes sortes de coquillages et de plantes marines, (|ui s'y seront arrèléset se seront peu à peu mêlés avec du sable et de la craie. Plus tard en- core, il y sera arrivé des semences; elles y auront jiris racine et auront produit des coraux, des graminées, des fleurs. Des débris d'animaux, des troncs d'arbres pourris anginentèrent par depiés l'épaisseur an|uâmes. Eriiesl avait encore trouvé sur la grève iiuclques beaux eo(|uillages et, entre autres, un nautile papyraeé , acquisiiion précieuse pour le cabinet d'hisloire naturelle que nous avions eoinmcncé à former. Pendant noire traversée, mes enfants me demandèrent à quoi je complais employer les boyaux et les nerfs de la baleine. Je leur ré- pondis que les premiers me serviraient à faire des outres dans les- quelles je conserverais l'huile, et que, quant aux seconds, j'iniilerais les Es(|iiimaux el les Samoyèdes, qui , n'ayant pas de chanvre pour faire de la ficelle, prennent en place les nerfs des cétacés, qui leur tiennent même lieu de fil pour coudre leurs vêtements et leurs canots. FRITZ. Mais, dites- moi, mon papa, qui vous a appris à préparer les boyaux comme vous l'avez fait aujourd'hui ? LE PERE. C'est noire vieille charcutière , k***. JACK. Papa se moque de nous. Serait-ce dans l'Aar que la charcu- tière aurait péché les baleines dont les boyaux lui ont servi à faire des saucissons ? LE PÈRE. Non vraiment, petit railleur; mais, comme je l'ai vue nettoyer des boyaux de cochon, qu'elle remplissait ensuite de chair, je n'ai eu qu'à l'imiter dans cette occasion. La baleine, ([ui est un mammifère, tout comme le cochon, a des boyaux qui se composent de trois ou quatre peaux, de différente épaisseur , placées l'une sur l'autre. La peau intérieure, (pii est velue el plissée, ainsi que l'exté- rieure , qui est charnue, se jettent. C'est celle du milieu, qui est épaisse el forte, dont se servent principalement les charcutiers et les batteurs d'or, car elle est à la fois élastique el résiste à la corruption. FRITZ. Quel usage peuvent en faire les balteurs d'or? LE pi;RE. Je ne sais si je pourrai te le bien faire comprendre. Voici à peu près comment ils font : ils prennent un cahier de papier blanc, du plus fin qu'il y ait, el placent entre chaque feuillet un morceau de fil d'or aplati entre deux cylindres d'acier. On pose ensuite sur le fil d'or un morceau de boyau de veau ou de bœuf, de la même grandeur que le papier, en prenant soin de le choisir bien net el bien uni , ce qui est cause que l'on préfère employer les morceaux qui ont déjà servi, pourvu qu'ils ne soient pas déchirés. Quand le cahier est plein, on le met entre deux morceaux de carton fin et on le bat ensuite, avec de grandes juécautions, au moyen d'un maillet arrondi, sur une table de marbre jioli. Quand cette opération a duré assez longtemps, ce que les ouvriers connaissent par l'habitude, on relire le cahier el l'on enlève les boyaux ipie l'on a placés entre les feuillets. L'or s'y réduit à une si grande ténuité, que l'on assure qu'un seul ducat suf- firait pour dorer complètement un cavalier el son cheval. En der- nier lieu, on rogne le cahier pour lui donner le format convenable, et l'or qui reste entre les rognures se colle avec de la gomme dans de petites coquilles à l'usage (les peintres. JACK. Ces boyaux peu\'ent-ils servir à autre chose encore ? LE PÈRE. Cerlainemenl. Ainsi, par exemple, quand votre mère fera des confitures, elle ne sera pas fâchée d'en avoir pour couvrir ses pots ou ses bouteilles et empêcher l'air d'y pénétrer. Les apothicaires s'en servent au même usage; aux naturalistes, ils prédisent les chan- gements de temps; les servantes les emploient pour filer, elles jeunes gens trouvent en eux un grand secours pour le chant el la danse. ERNEST. Pour le chant et la danse? Papa veut sans doute mettre notre crédulité à l'épreuve. FRITZ. Non vraiment, frère Ernest ! tout ce que papa nous a dit est fort exact : les physiciens ne se servent -ils ]>as de cordes à boyau pour mesurer l'humidité de l'air? n'y a-t-il pas toujours deux cordes semblables aux rouets? et enfin sans elles comment joiierail-on du violon ? ERNEST. Tout cela se fait avec des cordes et non point avec des boyaux. LE PÈRE. C'est une erreur commune parmi les hommes de juger des choses par les noms (|u'on leur donne jilutôt que par leur essence. Ces cordes se font avec des boyaux de moiilon très-fins el bien net- toyés, que l'on coupe en lanières et que l'on lord ensuite à jieu près comme de la ficelle. JACK. Vous venez de parler, papa, de boyaux très-fins; tous les boyaux d'un animal ne sont-ils donc pas de la même finesse ? LE picRE. Non, ils sont plus ou moins épais selon leur destination particulière. On ne saurait croire eoiubien est eoniplis oiseaux étaient devenus un peu sauvages. Du reste, leur nombre était considérablement augmenté. Mes enfants firent une récolle as sez abondante d'oeufs; mais quand ils vouinrenl traire les chèvres ]ionr nous procurer uti peu de lait cliauil, il fut impossible d'en ap- procher. Cepeiulanl mes garçons trouvèrent bienliit moyen d<' les maler : ils en couchèrent deux ou trois par lerre il grands coups de lanière; puis, leur ayant donné un peu de sel ii lécher, ils réussi- rlus pressé ipic de faire un métier pour ma femme; car, au grand reg'-et de cette bonne ménagiu-e, notre fonds de linge commençait à diminuer visiblemcnl. 11 fut très-heu- reux pour moi, dans cette occasion, <|ue j'eusse pris plaisir, dans ma jeunesse, à visiter souvent les atelii'rs des tisserands et d'autres ou- vriers de ce genre. Je réussis assez bien, mais n'ayant pas d'amidon, et sentant la nécessité de ménager notre farine, je fus ohligé de me servir, en place, de colle de poisson pour enduire les fils et les em- pêcher de glisser. Le travail auquel j'avais employé cette colle m'inspira l'idée d'en faire des carreaux de vilrc. IMes enfants se moquèrent de moi et se- couèrent la tête; mais je leur répondis, de mon côlé, par un signe affirniatif que j'étais siir de mon fait. Je pris donc une certaine quan- tité de notre colle la plus fine et la plus claire, et i> force de la faire bouillir, de l'éclaircir avec du blanc d'iruf el de l'écumer soigneu- sement, je la rendis limpide comme de l'eau. Oiiand elle fut réduite jusr|ii'à la consistance du miel, je la fis coulcrsiir le marbre de notre console, que j'avais d'avance garni d'un rebord en cire pour empê- cher que le li(|iiide ne se répandit. J'avais pris, en outre, la précau- tion d'enduire la console d'hiille afin de pouvoir enlever la colle sans la briser; de sorti' que, (|iiand elle se fut refroidie, je me Irouvai «voir uni' belle plaque bien liausparenle et encore assi'z molle pour que je pusse la tailler en carreaux. (Juoi(|ne mon verre ne fût pas brillant comme du cristal, je suis convaincu (|u'il valait bien le lapis speculuiis des Romains, et il était ineonleslablemeiit plus Iranspa- rentqiic la corne portés, et je fis bien, car ces essais furent si informes, que nos paniers ne purent servir tout au plus qu'à transporter de la terre ou des ordures. Peu à peu cependant nous devînmes plus habiles, et enfin les paniers qui sortirent de nos mains furent, sinon élégants, du moins grands el commodes. Je les avais garnis d'un rebord avec des anses aux quatre coins, au travers des((uelles on poiixait passer des perches, de sorte (jue deux d'entre nous, en les appuyant sur leurs épaules, seraient en étal de porter de cette façon des fardeaux assez lourds. Celle dernière invenlion réjouit fort mes enfants, qui voiilurenl en faire sur-le-ehanip l'essai. Jack et Ernest forcèrent le petit François à se inellre, bon gré, mal gré, dans un panier, et le porlèn'nl ainsi en triomphe. aiia , s'écria Fritz, nous dex'rions faire une sorte de litière d'osier, dans laipielle maman pourrait voyager plus commode ment que dans notre charrette ou sur le dos d'un de nos ânes. » J'approuvai cette idée, en remari|uant toutefois, seulement, que dans l'Inde, oii l'on se servait de palanquins, car ce que l'on se pro- posait de faire ressemblait plutôt à un ]>alanqiiin qu'à une lilière, dans l'Inde, dis-je, on prenait, pour les porter, des esclaves vigou- reux el accoutumés à cet exercice fatigant, tandis ipie nous n'avions personne qui pût remplir cet oflice pour ma femme. «Comment! s'écria Jack, mon brave Slurm et l'adroit Brummer du petit Franiois ne sont-ils pas assez forts pour porler maman? t.K l'iiiu;. Par ma foi, voilà une exeelli'iite idée de mou cher étourdi ! Ce sont, en elT<'l, là deux fort bons porteurs de palanquin, lires de la caste des parias de la nature. lE PETIT FiiAxçois. (,)u'esl-cc quc c'est qu'un p:iria , s'il vous plaît, mon cher papa:' Je ne comprends pas non plus le mot de caste. i.B rîiiE. Le peuple himlou, mon enfani, est ilivisé en quatre grandes classes de personnes i|ue l'on appelle des castes. On ne peut jamais sortir de la caste dans laquelle on est né, el thacunc d'cnire elles a des prolessions qui lui sont propres. Celle des parias est la dcrnii're de toutes, elles est gcMiéralenicuil méprisée, et elle se consacre aux travaux les plus pénibles et les plus humiliants. JACK. Mon cher papa, permettez, je vous en prie, que le petit Fran- 108 LE ROBIKSOW SUIbSli. cois et moi nous fassions l'essai île nous faire portcf par nos parias quadrupèdes. IS'ous verrons par là si le métier de porteur de palan- quin leur plaît. » Je ne pus m'cmpêclier de sourire en songeant à la vivacité de la jeunesse, qui, dès qu'elle a formé un projet, veut sur-le-champ le mettre à exécution. Cette fois, je consentis avec plaisir à l'essai que l'on voulait faire; car j'étais curieux moi-même de savoir comment ils s'y prendraient. lAIes enfants s'em]iressèrent donc d'aller chercher la trompette, et sonnèrent le rappel dans un style parfaitement mili- taire; sur quoi toutes nos hêtes arrivèrent sans retard au rendez- vous. Sturm et Brummer furent mis en réquisition pour l'épreuve, sauf à la tenter une autre fois avec des animaux moins dociles encore. Il fallut, comme de raison, leur essayer les nouvelles selles, ce qui ne parut pas leur faire plaisir du tout. On enleva les étriers, on fit à la hâte, avec les étrivières, deux nn'uds coulants pour faire en- trer les bâtons du panier, (|ui y furent en outre attachés avec deux fortes cordes pour les empêcher de glisser. Tout cela se fit le plus facilement du monde, Jack et François ayant dressé leurs bêtes res- pectives à se baisser au commandement et à ne se relever qu'à un commandement nouveau. Cela fait, Jack s'élança sur le buBle, qui était à l'avant, le petit François sur le bœuf à l'arrière, cl Ernest monta gravement dans le panier, qui reposait encore tranquillement à terre. Alors les deux eaviiliers crièrent à la fois à leurs montures de se lever; elles obéirent sur-le-champ et eomineneèrent à marcher d'un pas majestueux. Cette litière d'osier librement suspendue for- mait réellement une xoiture fort agréable, et son balancement était aussi doux que celui du carrosse le plus élégant placé sur des ressorts d'acier. Bientôt cependant nos deux postillons s'ennuyèrent d'une marche si lente, ils pressèrent le pas de leurs bêtes; et Ernest lui-même, quoique naturellement un ])en peureux, troiiva cette manière d'aller fort amusante, ([uoii|ue, de temps en temps, il s'accrochât aux deux côtés du panier lorsqu'il recevait une secousse un peu forte. Cepen- dant, comme les enfants ne peuvent jamais garder de mesure en rien, ils finirent par exciter si fort les bêtes, que celles-ci se mirent au grand galop, ce qui secoua le panier d'une manière si effrayante, qu'Ernest, partagé entre la colère, la frayeur et la honte, poussa les cris les plus terribles, suivis de larmes abondantes, jusqu'à ce qu'enfin les coursiers, après avoir achevé le lourde la grève, du ruisseau des Chacals et l'enceinte de ZeUheim, vinrent s'arrêter d'eux-mêmes de- vant nous, comme pour recueillir les applaudissements qu'ils avaient mérites. La scène ne se termina pas aussi joyeusement qu'elle avait com- mencé; des i)laintes et des cris, on en vint aux querelles; et je fus oblige d'imposer silence aux enfants en leur faisant reiuar(|ucr com- bien facilement une plaisanterie jioussée un ])eu trop loin ]ieut dé- générer en dispute. (\)uand ils se furent réconciliés, ils ramenèrent les bêtes à l'écurie, et déjà ils formaient les plus beaux plans de promenade en lilière pour le lendemain, quand une apparition inat- tendue et terrible dissipa soudain leur gaieté et nous obligea de nous livrer aux soins les ])lus sérieux. J'étais assis, avec ma femme et Frit/., sous le bos(|uet devant noire nouvelle demeure, oii nous causions tran<|uillement, quand tout à coup Fritz se leva de son tabouret, lit (|uel(|U(s ])as sur la poinle des pieds, et jeta un regard attentif le long de l'allée qui s'étendait depuis le ruisseau des (Chacals jusqu'à l'elsenheim. Au bout de ((uel()ues instants, il s'écria : « (^iiel est donc cet objet (]ue j'aperçois là-bas qui se meut si singulièrement ' Il ]iarait se rapprocher de noiLS, et en avançant il fait voler autour de lui un nuage de poussière. 11 faut que ce soit <|uelque chose de bien graïul et de bien fort. i.A MERE. C'est peut-être un trou|ieau de moulons ou de cochons. inrrz. Oh! non jias! c'est quel(|ue chose de fort extr.iordinaire. On dirait tantôt un gros câble cpic l'on tirerait sur le sable en le dérou- lant, tantôt un petit mât qui s'élèverait de lui-même de dessus la terre. i,K PÈRE. Il faudra donc que j'ap|ie!le ma lunette d'approche à mon aide. Pendant c[ue je vais la elierelicr dans ma chambre, continue à lenir les yeux fixés sur cette étrange apparition! » (,)uand je revins, Fritz me dit (|u'il ne s'était rien jiassé de nou- veau penclaiil mon absence, le nninstre n'avait pas bougé. Du reste, il ne pouvait disliuguer aucune trace de pieds. « En vérilé, l'ritz, dit ma femme, lu m'effrayes avec les singulières observations. Je vais rentrer à la maison pour tout fermer et je vous porterai vos armes. Je ne sais pourquoi je me sens saisie des plus Iristcs pressenlimeiUs. rRirz. Et moi aussi, je commence à avoir un jieu peur. Qu'en ]iensez-vous , jiapa :' i.i; piÈRE. La chose me paraît sérieuse. Que les trois enfants ne sor- leul pas! Ils n'ont ipi'à rester auprès de leur mère et l'aidera apprê- ter nos armes. Après cela, ils monteront tous sur la terrasse et se meltnuit armés à l'affût devant les fenêtres du haut. . FRrrz. INlais que croyez-vous doue, mon ])ère, que cela soit? i.K pi;r,F.. Je soupçonne ou, jiour mieux dire, je suis sûr que c'est un énorme serpent. INous aurons un combat à soutenir. FRrrz. Eu ce cas, je ne resterai pas en arrière. Je vais chercher nos fusils et une couple de haches. LE pÈuE. Prends garde, mon fils. Ces reptiles ont la vie fort dure et une force terrible, lu ferais mieux de monter auprès des autres, et de préparer mon jilus gros fusil. Je ne tarderai pas à vous suivre , et alors nous nous entendrons sur ce qu'il y aura de mieux à faire. » Fritz me quitta à regret, et moi je continuai à examiner le mon- strueux serpent. Il était déjà beaucoup trop près pour (|u'il fût possible de l'arrêter en coupant notre ponl. Il s'avançait en droite ligne vers noire demeure, et ne paraissait relarder sa marche que par un motif de prudence, soulevant Liis comment est- il possible (|ue ce serpent puisse, d'un seul coup, détacher la chair et les os de l'animal ? i.E ri-iiE. Il ne cherche pas à se donner cette peine ; il avale le tout ensemble. l'eiulant que nous parlions ainsi, le serpent avait déjà commencé son horrible opération de broyer les os de sa victime pour en faci- liter le passage dans sa gueule. Je n'essayerai jias de décrire ce spec- tacle : ma femme ne put en supporter la vue, et se retira avec le petit François. Je n'en fus pas fâché, car j'avoue (|uc moi-même je détournai jilusieurs fois les yeux en frisscumant , surtout lorsque, après avoir mis l'âne dans l'état (|u'il voulait, le monstre l'eut couelu' |iar terre et eut commencé à le couvrir d'une épaisse bave vis((ue\ise qui devait le faire ijlisser sans difliculté juscpi'au fond de son estomac. (Jet épouvantable re)>as se prolongea depuis sept heures du matin juscjii'à midi, l'out l'animal était alors avalé, à l'exception de la tète, (|ui se montrait encore, et qui semblait avoir plus de peine à ])asser que le reste. .le n'ai sans doute pas besoin de dire qu'en assistant à ce drame affreux je ne cherchais nullement à satisfaire une vaine curiosité, ,1e voulais d'abord saisir, s'il était possible, le moment le plus avanta- !;eux pour attaipier le monstre, et ensuite accoutumer mes enfants à de pareils spectacles, afin que, dans l'occasion, ils pussent conserver la présence d'esprit nécessaire pour se défendre. J'avouerai cepen- dant que, frap]>é par ce qu'il y avait de neuf et d'étrange ilans cette scène, nous avions de la peine à en détacher nos regards. Tout à coup je compris ipie le moment si longtemps attendu éliiit arrivé, et, avec un mouvement de joie inexprinuible, je m'écriai : «Courage, mes amis, courage! il dépend maintenant de nous de tuer le nninslre ; il est hors d'étal de se défendre. • Je sortis aussitôt \v. premier de notre embuscade, et, le fusil liamlé, je m'approchai jusqu'au bord de la mare. Fritz me suivait en véri- table chasseur; mais Jack resta d'une dizaine de pas en arrière et montra, du reste, une crainte toute fralernelle. Ma femme et le petit François n'étaient pas revenus près de nous depuis le moment oîi ils nous "avaient laissés. Quant à Ernest, il poussa la prudence jusqu'à ne pas i|uilter notre poste, et je me promis bien de lui reprocher sa poltronnerie. Quand je fus arrivé à dix-huit ou vingt pas du reptile, je lâchai mon coup, cl Fritz en fit autant pour me soutenir. Nous reconnûmes sur-le-champ que nos balles avaient fracassé le crâne de l'animal. Ses yeux, naguère si étincelanls, perdirent leur éclat; l'avant-corps et la gueule demeurèrent immobiles, comme ils l'étaient au|)aravant; mais le train de derrière s'agita terriblement. Nous y courûmes ce- pendant , afin d'achever le monstre par deUx coups de pistolet, à la suite desijuels la ipieue fit encore (luelipies mouvements couvulsifs et s'étendit, au bout de quelques secondes, par terre, comme le timon d'une grosse charrette à foin. En ce moment, Jack, voulant avoir aussi sa part de l'honneur de notre victoire, accourut et lâcha dans le ventre du serpent un coup de pistolet, que je jugeai tout à fait inutile; et pourtant le monstre, comme éleclrisé, souleva encore une fois sa queue, la lança en avant contre l'imprudent enfant et avec tant de force, ((u'il alla rouler dans la poussière comme un brin de paille poussé par le vent; heureusement, il n'eut d'autre mal (pi'un peu de surprise. Il se releva bientôt , et vint , avec la mine la plus comique, se mettre en posture de défense. Mais cette fois ses démon- strations furent réellement superflues : le serpent restait étendu et sans mouvement; la mort qu'il avait donnée à tant d'animaux venait enfin de le frapper lui-même. Nous sonnâmes avec joie l'hallali, et nos compagnons, qui s'étaient tenus à l'écart, s'empressèrent de nous rejoindre. Ernest arriva le premier ; ma femme et le petit François vinrent plus tard ; ils s'étaient d'abord occ\ipés à rendre la liberté à nos bêtes. Je laisse à penser la sensation de bonheur et de tranquillité dont nous fûmes remplis quand nous nous vîmes délivrés d'un ennemi (|ni nous tenait ainsi, depuis c(uatr<' jours , assiégés dans notre maison. Nous nous assîmes tous devant notre porte , et nous commençâmes une conversation dans laquelle nous repassâmes nos aventures des derniers jours, et inues des jirojets pour l'avenir. Le petit François demanda si la chair du serpent ne pouvait se manger, sur r|uoi ses frères se récrièrent avec les manjues de la plus vive répugnance. Ma femme reuiarqua, en outre, (pi'il était possible qu'il fût veni- meux : je répondis à cela, en premier lieu, que cette espèce de ser- pent ne rétait point, et, secondement, que, (|uand mén\e elle le serait, il était démontré (pie l'on jiouvait manger sans inconvénient la chair des serpents les plus dangereux. Je citai, entre autres, la vipère, dont on fait un bouillon très-fortifiant, et i|ue les médecins ordonnent dans iiliisieurs maladies. Ayant laissé échapper i[ue je savais une his- toire fort singulière ii l'appui de celle opinion, mes eufanls s'écrièrent tout d'une voix (ju'ils voulaient absolument entendre cette histoire; je pris donc la jiarole en ces termes: o Au milieu du lac Supérieur, dans l'Amérique septentrionale, se trouve nue jolie petite ile, mais qui n'avait jamais pu être habitée à cause du grand nombre de serpents à sonnettes dont elle él.iit in- festée, ce qui faisait que iiiêine les navii;alcurs (pii passaient devant évitaient avec soin d'y ilébanpier. Or, il arriva (pi'un jour une bar- que chargée de cochons ayant fait naufrage dans cette île, hoinmcs et bêtes se sauvèrent sur le rivage. Les premiers ne tardèrent pas à être emmenés par un petit bâtiment ([ui vint les prendre; mais les cochons, qui s'étaient dispersés dans l'île, ne purent être repris, et s'y cachèrent pendant assez longtemjis, jusqu'à ce que les propriétaires de la ban(ue naufragée vinssent les reprendre. Mais ciuel fut l'élon- ncment de ceux-ci, qui déjà regardaient leurs bêtes comme perdues, de les retrouver considérablement engraissées, tandis que les serpents à sonnettes avaient complètement disparu de l'île ! EUNF.sr. Mais est-il bien sûr (pie ce soit aux cochons qu'elle ait dû celte délivrance? Ne serait-il pas possible (pic d'autres causes encore y eussent contribué, par exemple, une volée considérable de l'espèce d'oiseaux ipie l'on appelle des secrétaires, qui se seraient abattus dans l'île ? i.K ri-nn. La supposition est assez ingénieuse; malheureusement la chose n'est pas possible. EiiNEsr. l'ounpioi donc est-elle impossible, mon papa.' i.E rf.iiE. Il y a deux raisons pour cela : d'abord, que le secri'laire ne se trouve ipi'en Afri(pie, principalement au caji de Hoiiue Espé- rance, et que l'on n'en .i jamais vu en AMiéri(pie; ensuite, iiarce (pie cet oiseau vit, en général, seul ou par couple, et n'a pas coutume de voyager par grandes vcdces. Du reste, jiour mettre ton esprit parfai- tement en n-pos, je te dirai (pi'ou trouva les débris des serpents dans les intestins des cochons ipi'on tua pour les saler. i.K crriT rBAMOis. Mais (pielle espèce d'oiseau est-ce donc (pi'un secrétaire, papa ? Je n'ai jamais entendu dire cpi'il y eût des oiseaux (wii sussent écrire. i.E pi RE. Aussi n'est-ce pas pour cela (pi'ils ont reçu ce nom, mais à cause de deux longues plumes qui leur |iendent derrière la tête, de sorte que l'on dirait presipi'un commis (pii , en (piîttant son bureau, aurait fiché sa (dume derrière son oreille. rnrrz. Je viuidrais bien savoir aussi comment ou distingue les ser- pents venimeux de ceux (pii ne le sont pas. 110 LE ROBI^SO^' SUISSE. LE l'i.HE. C'i'sl piiiuiiialcmii.t à la fonue lU' leurs dcnls. Les ser- pents (lan(;ere\ix "iil, de clia(jue côté de la niàclioire, deux dciiK qui, luisr|ii'ils smil eu repos, sont taeliées au ioiul de la rjeneive, el ne se mollirent (|ue (|uand le reptile se prépare à ralla(|ue. Ces dents sont creuses, mais si dures et si aip,ués, ([u'elles peuvent percer même une bolle de cuir. Au bas de chacune de ces dents est placée une pe ■ tilc vessie remplie de venin, dont nue goulle coule dans les plaies qu'elles font. Indépendamment de la l'orme particulière de ces dents, on reconnaît encore les serpents venimeux ii celle de leur tète, lus sin|;ulières, dont (iucli|ues-unes descendaient juscpi'à terre et ressemblaient à des colonnes soutenant celle voùti'. I,e sol était tout couvert d'une espèce de terre très-fine, savonneuse et blanclie comme de la neiije, et i|ue je reconnus sur-le -eliamp, à ma grande joie, pour être d'excellente terre à foulon. J'en recueillis une cer- taine (|nantité, (jue je nouai dans mon moiiclioir, et je m'écriai: • C'est maintenant, mes enfants, (jue votre mère sera contente, piiis- <|ue, si nous revenons avec des babils crottés, nous lui rapporterons du moins de quoi les nettoyer : de bon savon. — Du saviui , papa! me dit ICrncst ; mais je croyais que le savon était le produit de l'industrie des bommes. — Cela est en effet ainsi, répondis-je; le savon se fait avec de l'alcali véi;étal, rendu plus mordant par de l'eau de chaux, et puis mèé avec de l'buile ou de la yraisse. iMais il existe encore une sorle lie sav^in naturel : c'est une terre argileuse, fondante et grasse, (|iii est surtout indisiicnsable pour fouler ou nettoyer la laine, et (|uc, pour celte raison, lui appelle terre à foulon, l.a meilleure espèce se trouve en Anijleterrc, et les Anglais altaclient un si grand prix ;i ix'tte matière, que l'exportation en est prohibée sous les peines les plus sé'vères. » Tout en causant ainsi, nous arrivâmes à la source du ruisseau, ((ui sortait d'une fente assez large dans le rocher. Nous l'agrandimes en- core, et nous trouvâmes la pierre si friable, (|ue Fritz parvint à s'y frayer un passage; il s'écria que la grotte allait en s'élargissant et liaraissait se terminer par une grande salle. Comme je mettais la plus baille importance à m'assurer que le serpent n'avait point laissé de petits dans notre voisinage, je suivis mon lils jus(|u'ii ce c|ue j'ar- rivasse dans un endroit oii je pouvais me tenir debout à coté de lui. .lack et Krnest étaient restés dans la grotte exiéricure. Ma femme et le petit l'rancois ne nous avaient point accompagnés. Mou premier soin, après cela, fut de faire tirer par Fritz un coup roche. Fiurz. Cela serait superbe! nous aurions donc découvert un grand trésor? IF. piiRE. Sans doute, pourvu qu'il pût nous être de (|ncl(|ue utilité; mais, dans notre siluation, il nous sera aussi superflu que le morceau d'or de Ki>binson (^rusoé. nuiz. (Jiioi (|u'il en soit, je vais en abattre un petit morceau avec mon ciseau, ahn d'examiner de plus près la nature de notre trou- vaille... l'.n elVet, ce n'est point du sel. c'esl du vr»i cristal... .Mais voyez, il a perdu presque toute s.i transparenee. IF. i'i;iiE. C'est que In t'y es mal pris pour l'abattre; ce qui arrive efl'eoiuliis avançaient encore un lieu. Il me dit que son intention élail d'introduire ce panier dans un autre à large ventre el fort long, maisloiil à l'ail fermé par le bout, de façon que la plus pelite oiivcriure du siphon se trouvât placée a peu près aiieenlredii panier fermé. Le but de cette invention était d'attraper des (loissonsqui une fois dans le panier, ne pourraient plus en res- sortir. ,1e louai l'esprit de mon fils, el je lui demandai ce qui lui avail fourni l'idée d'une nasse de ce genre. H me réjmndil que c'était le souvenir de la manière dont ou pèche le saumon el l'alose dans sa patrie. Il l'avait d'ailleurs entreprise pour dissiper reuniii qu'il éprouvait dans le marécage. LE l'i'uiE. Il parait que l'ennui est bon à qncbpie chose. Il iliuine de l'activité aux paresseux. Kii\i:sr. Il ne faut pas croire que j'aie été tout à fait oisif avaril de tr.i\ailler à ma nasse. J'ai tiré un jeune boa. IK pîiu:. .Ml! vraimenl? lu as donc été plus heureux que nous. l'.n ce moiueiil Frilz el Jack s'approchèrent, et ayant eulcndii par- ler d'un jeune boa, ils lémoignèrent une vive euriosilé de voir lu chasse de leur Irère. 112 LE ROBINSON SUISSE. «Voyez, leur dit Ernest, voyez ce petit monstre; il a au moins quatre pieds de long LE PÈBE. Ali! ah! ah! le terrible boa! C'est une anguille aussi belle qu'il eu fut jamais. Voilà un excellent plat pour notre souper de ce soir. » Je laisse à penser si Fritz et Jack se moquèrent de lui. Il repartit qu'il était tout naturel i|u'il crût avoir trouvé un serpent en ce lieu plutôt qu'une anguille. Quant à moi, je le félicitai de ce que la frayeur uc l'eût pas poussé à se sauver. ERNEST. Je me suis dit : Si je cours, le serpent me rattrapera peut-être et me saisira par derrière (|uand je serai sans défense. Il vaut mieux l'attaquer bravement. Je l'ai donc couché en joue, et je lui ai cassé la tête d'un coup de feu. Mais ce qui m'étonne , c'est de voir combien ces animaux ont la vie dure. Nous nous occupâmes de notre plantation jusqu'au soir. LE PÈRE. Il est vrai que l'anguille, de inèuie (|ue les i;renouilles et les crapauds, ont une grande irritabilité dans toutes les ])arlies de leur corps, irritabilité qui siilisisle encore pendant quelipie temps après la mort de l'animal, ce (|ui lui donne l'apiiarence d'être tou- jours en vie. JACK. Papa, vous parliez de manger cette anguille pour souper; mais il faiulra y renoncer, car elle est déjà gâtée : voyez, elle est toute pleine de vers. ERNEST. Des vers! cela n'est pas possible. Elle est aussi fraîche que si elle était encore en vie. LE piîRE. Voyous, mes enfants. Ah! je sais ce que c'est. L'anguille ne dépose point son frai dans l'eau comme les poissons; mais ses œufs éclosent dans sou ventre, ce (jui fait i\nc plusieurs naturalistes ont cru (ju'ellc était vivipare. (Je (|ue .lark a ])ris pour tcs l'appellent bujilex/s rjii/antfa. Son duvet nous deviendra lort iilile pour le mêler avec les poils du rai musqué. l'endant que le souper cuisait, il fallut (|iie tout le monde s'occu- pât à dépouiller les rats, qui étaient presipie aussi gros que de petits lapins. (Juant au cabiai de Jack, apri's l'avoir é|iilé au feu, n'ayant point de vase pour l'échauiler, la(|ii(lle opération, par parenthèse, répand une odeur (|ui n'a rien fl'agréable, je le partageai <'n ([iialre i|uartiers et je jetai la tête aux chiens. Ma femme en lit griller un eigol pour le souper; mais nous lui trouvâmes un g'oùt de vase si fort qu'il nous fui impossible d'en manger, l'iiis lard, nous essayâmes de saler et de fumer la bète; mais sa chair ne nous plut pas davantage de celle manii're, et nous liiiimcs par l'abandonner tout entière à nos chasseurs (|uadrupi'des. Iliiiaiit le souper, mes enfants me demandèrent la cause de la forte odeur de musc que répandait l'ondatra, et quel avantage cet animal pouvait en tirer. LU riiiE. Hicn n'est plus facile (|ue de reconnaître d'oii vient cette odeur; mais, i|uanl ii son iisaije, j'avoue ([lie je n'en ai pas encore trouvé d'explication satisfaisante. Elle provient d'unie malière res- scitiblant un peu ii la cire ipii se forme dans les oreilles, et que sé- crètenl de petites glandes placées entre cuir et chair à la région de l'anus. Son odeur, (|ui est tantôt agréable, tantôt fétide, sert sans doute à ces animaux à la fois pour se reconnailre enire eux et pour attirer les |ietites bêles dont ils se nourrissent; peiit-èlre aussi son usage est- il d'éloigner leurs ennemis. rr.nz. Y a-l-il encore d'autres anim;iux (|ui sécri'lenl des matii'res odorantes, et cette sécrétion se fail-elli' toujours au même endroit? i.F. l'kiiiî. Il y en a encore plusieurs, cl preMpie loiijuurs les glandes sont placées de même; tels sont la hyène, le lil.iiiei.ii, le castor. La matière (|ue l'on lire de ce dernier animal prend, quand elle est sèche, a peu près la consistance de la cidophane; on l'appelle riirtlurnan, et elle est d'un grand usage en médecine contre les maladies nerveuses; son odeur est fortin cl désagréable , celle de la civette est plus douce; mais le plus célèbre de tous ces animaux est le porle-musc. Ce (|u'il y a de reman[iiable, c'est que ces matières senleul toutes mauvais (|uand elles sont fraîches, et n'ac(|uièrent une odeur de parfum i|u'en vieillissant. nuTZ. Comment s'y prend-on pour recueillir cette matière? i.E pi KE. Dans la plupart des cas, on est obligé de tuer 1 animal ([ui la porte; mais la civette et la genelte fonl exception. Elles se laissent apprivoiser, el en les gardant dans les maisons, ce qui se fait surtout dans le Levant et quel(|uefois aussi en Hollande, on parvient à leur enlever de temps en temps leur musc. i.E l'ETir l'RAMius. Si iious poiivious aussi eu prendre et en appri- voiser (|uelques-uncs, cela serait bien gentil, et je vous réponds (|uc je saurais fort bien leur retirer le parfum sans qu'elles s'en aper- çussent. i.E riiBE. Oui, mais il ne faudra pas les laisser approcher du pou- lailler; car je te préviens (|u'elles sont très-friandes d'o'uts frais et de jioulets. Fuirz. Le porle-musc ne s'apprivoise-l-il pas? i.E pîiuE. Je crois que cela ne serait pas impossible; mais il est pro- bable que cela rendrait son musc moins fort el moins abondant, et que c'est jiour cette raison qu'on ne l'essaye pas. FniTz. Celle matière esl donc l'objet d'un commerce important? LE riîRE. Il s'en fait un commerce très-considérable dans le Levant. La matière sécrétée par le porte-musc découle dans i. (Juand ils m'eurent vu tirer, ils tirèrent à leur tour, et abatti- rent encore (pielipies cochons ; mais la marche n'en fut guère inter- rompue (|ue peiulaut ((uchpies instants, au bout desquels tout rentra dans l'ordre accoutumé. lin réunissant toutes ces circonstances, je ne doutai pas que nous lie fussions tombés sur une troupe de tajams ou cochons musqués. .Sachant combien il est important de leur enlever sur-le-champ la poche odoriférante qu'ils ont sur le dos, pour que la chair ne s'im- prègne pas de la saveur du musc, je m'empressai de faire cette opé- ration aux deux (|ue j'avais tues. Fritz et Jack couraient de leur coté s'emparer du butin. La tnuipe avait cessé de dcliler, mais nos chiens, ayant encore trouvé quebiues tralneurs, les joignirent ,'i ceux que iHiiis avions abattus. Pendant que nous étions ainsi occupés, nous entendîmes dans l'éloigniiuenl deux autres coups de fusil, que je jugeai avoir été tirés par ma lemuje et par Ernest Je me hâtai d'envoxer Jack auprès d'eux pour leur dire comment il fallait s'x iirendre avec leur butin, et en uu'uue temps pouj- m'amener la voiture, afin de pouvoir Irans- jiorter notre chasse a la cabane de /.uckertop. Dans l'intervalle, Fritz et moi nous rassemblâmes eu un tas les bêtes, au nombre de huit, (|ue nous et les chiens avions tuées ; nous les couvrimis de cannes à sucre, et nous nous assîmes auprès pour attendre le retour de noire messager. Ernest arriva lui-même avec la voiture ; il nous apprit (|ue loiite la troupe avait passé devant la cabane, <[u'il en avait tué trois, et que le reste, au nombre de trente ou quarante au moins, s'était sauxé' dans le marais de bambous. Il était absolument nécessaire de vider sur-le-chaïup nos coehons, si nous ne voulions pas que la chair s'en corrompit par la l'haleur, avant que nous fussions en mesure de la saler ou de la fumer. Ce qu'il y avait de malheureux, c est que l'heure du dîner ap|iriiaiid lout fut achevé, nous chargeâmes les bêtes sur notre charrelte ; nos enfants les couvrirent de fleurs et de rameaux verts, et nous |)arlîmes au milieu de leurs chants de Irioin- plic. l.e petit l'rancois et .lack étaient moulés sur les Ineufs, Ernest et Fritz s'étaient placés dans la cliarrelte, l'un en avant, l'autre der- rière, et iiuii je iiiarcliais ii côté avec les chiens i-omine un piqueur. Ce fut dans cet ordre (pie nous arrivâmes sains et saufs auprès de ma femme, qui nous attenUail avec impalicnce. • Vous êtes terriblement en retard, mes amis, dit-elle eu nous apercevant, il lie sera pas possible d'aller plus loin aujourd'hui; aussi me siiis-je occupée des moyens de vous faire passer la nuit le plus commodéiuenl possible. Mais, pour commencer, venez manger le dîner que je sous ai (iréparé. n l'.ii réponse, je montrai îi ma femme le. provisions ipie nous lui iipporlions, et mes curants lui remirent un lu mu p.ripiel de <:aiines :i sucre qu'ils avaient mis de côte pour leur mère. Elle fut fort sensible il cette aimable attention ; mais elle me demanda ce cpie je voulais faire d'un si granil nombre de cochons, et pourquoi j'en avais tué tant à la fois. Elle ne reconnaissait pas dans ma conduite l'économie avec laquelle j'avais coutume de me servir des dons de la nature. Je lui expli(|uai (|ue le hasard, plutôt qu'aucun dessein prémédilé, m'avait procuré une chasse si abondante ; j'ajoutai que l'occasion de faire une proxisicui considérable de porc salé ne se présenterait peut-être pas de longtemps, et ipie d'ailleurs il n'y aurait pas de mal si, par le car- nage (pie nous avions fait parmi ces bêtes, nous les avions chassées pour quchpie temps de notre voisinage, oii elles auraient lait le plus grand tort a la sucrerie. FRrrz. Alon cher papa, ne me permettriez-vous pas de vous servir demain nu rôti de porc frais ii la mode d'Otaliiti ? LE PIRE. Je ne demande p.is mieux , mon cher Fritz, surloul puis(|ue tu remetsà demain l'essai de tes talents culinaires; car, pouraujoiir- d'Iiui, nous avons de la besogne pressée qui ne nous laissera pas de temps de reste. 11 faut (|uc nous commencions par construire un fu- moir, comme celui (]ue nous axions autrefois à Zeltheim ; puis nous avons les deux cochons tués par ta mère et Eriiesl ii vider, et puis encore tout ce qui a rap|iorl a la salaison; ainsi je crois (|ue notre S{'jour ici sera encore plus loii|; i|ue la mère ne l'avait pensé, et (pie nous ne pourrons pas partir avant deux ou trois jimrs. Je distribuai après cela les tâches de chacun. Les plus jeunes de- vaient rassembler des pieux, des branches et de l'osier; Frilz devait les aider il construire lefumoir. .le me chargeai de vider les animaux; je voulus qu'Ernesl lu'aidàt ii les flamber, et qu'il les portât au fur et à mesure ii ma femme, pour ([u'elle les mît dans la saumure. Je n'entrerai pas dans le détail de la manière dont nou.i nous y prîmes pour ces dernières opérations, qui nous occupèrent ]ieu(laiit le reste de cette journée et toute la suivante, à l'exception, toutefois, d'une partie de la matinée de celle-ci, (|ui fut consacrée ii la cuisine olahi- lieiine, dont j'avais permis à Frilz de faire l'essai. A cet elïel , ses Irères et lui coiiiiiieiicèrent par creuser dans la terre un trou asseï profond, (pi'ils remplirent de roseaux, d'herbes et de branches qu'ils allumèreiil. et sur lcs(|uels ils jetèrent un certain nombre de jjrosses pierres pour les faire rougir. Pendant ce temps, Frilz apprêtait le cochon. Il le vida, le flauilia, le lava et le remplit d'une farce com- posée de viande hachée, de patates et d'herbes odoriférantes. J'exi- geai toutclois qu'on suivit la mode européenne sur un point, je veux dire que l'on y mît du sel, ce qui n'est pas d'usage aux îles des Amis. Pendiinl tous ces préparatifs, ma femme secouait la tète et muriiiu- rail ]iar moments enire ses dents : « Au nom du ciel ! un cochon tout entier ! dans la terre! sur des pierres chaudes! Ce sera lii un fameux régal pour des gastronomes! » Les doutes sur le succès du plat ne rempêelièrent pas de donner aux enfants des C(uiseils sur la manière de le dresser; elle l'arrangea comme un cochon de lait. En place de feuilles de bananier (|ue nous ne ■flossédions point, on se servit d'écorce d'arbre et de ipieli|ues au- tres feuilles dniil la bête fut enveloppée, et puis recouverte de terre, pour cuire là-dedans comme dans un four. Après deux ou trois heures de cuisson, la terre fut enlevée, et, avant même (|ue l'on retirât le cochon du four olaliitien, il se répandit à l'entoiir une odeur si di'li- cieiise, que j'en fus étonné. Ni la bête elle-même ni la farce (|ui la remplissait ne pouvaient exhaler un semblable parfum. Je me doutai sur-le-champ que c'était à l'écorce et aux feuilles dont nous l'aviiuis enveloppée qu'il fallait l'attribuer. Le plat de Fritz fut troux'é excel- lent. Sa mère ne cessait de répéter qu'elle n'aurait jamais cru que cela fût possible. Qu.iiit à moi, j'attendais avec impalieiice la lin du repas pour aller vériher de c|iielle espèce était l'arbre (|ui avait com- muniqué à notre cochon une saveur si agréable. J'en Ils jeler (piel- ([ues branches dans le feu de notre fumoir, afin de donner aussi aux jambons une légère leinle du même goût, et je dis ii mes enfants de lâcher de se procurer un ou deux jeunes plants de cel arbre, (|ue je voulais transplanter d.iiis le lieu de notre demeure. Sur la prii|msi- tion d'Ernest, nous arrosâmes cet excellent dîner de vin de palmier, et nous gardâmes pour notre souper le chou de l'arbre cpii nous l'avait fourni. En allendant, l'arbre ii l'écorce odoriféranle aui|uil iiinis aximis dû une surprise si agréable, préoecuii.iit toujours ma pensée. Je metl.iis tous mes souvenirs à coiitributioii (loiir tâcher de découvrir smi nom, et je me rappelai eiihn iiii'il devait exister dans l'île de Madagascar un arbre de ce genre, (pie les naturels appelaient ravi'tidsai'u. Son tronc est gros, et sa tête pyramidale répand un agréable ombrage. Son écorce réunit le jjoût de la cannelle et du giroOc ; on eu tire une huile essentielle ibuil on se sert pour assaisonner les mets. Le fumage de nos jambons nous retenant quchpies jours, nous pro- htâmes de ce retard pour aller faire tous les matins des excursions dans la campagne. Un de mes gaiçons restait avec son fusil puur dé- fendre sa mère, et ceux cpii s'en allaient faisaient toujours en sorte d'èlre de retour pour l'heure du dîner. Dans l'après-midi du second jour. Je commençai une grande entreprise. Je voulais percer d.uis le grand jungle de bambous une roule assez large pour pouvoir y pas- ser, même avec notre cliarrelte. Ce travail fut, du reste, récom- peiisi' par la découverte de bien des choses (|ui promellaienl de nous 1 Ifi LE ROBINSON SDISSE. être fort utiles. iNous tioiivàmes, entre autres, des roseaux aussi épais que des arbres, et d'ime hauteur de einqu:iute à soixante jiieds, de sorte qu'eu les vidant nous pouvions en faire des conduits pour l'eau, et toutes sortes de vases pour le ménage, sans autre difticulté que de calculer l'endroit où nous devions couper le roseau, et de réfléchir s'il fallait couper les deux nœuds du haut et du bas, ou un seul ou pas du tout. Ue chaque côté des nœuds sortaient, en outre, de lonijues et fortes épines, qui ne me furent pas moins agréables, pouvant, en cas de besoin, remplacer des clous de fer, toutes les fois qu'il ne s'agirait de travailler que sur du bois un peu tendre, tandis que le bambou lui-même servait à renfermer ces épines, comme une espèce de carquois; de sorte que l'utilité de cette belle plante était réellement inépuisable. Quaud nous eûmes coupé un grand nombre de roseaux , la route commençant déjà à s'éclaircir, je remarquai par terre une foule de petits rejetons que nous n'avions pas aperçus auparavant. En essayant de les couper avec un couteau, je vis qu'ils étaient fort tendres, et ils me parurent composés de feuilles roulées ensemble comme celles du chou-palmiste. Je me rappelai sur-le-champ avoir mangé au Cap une sorte de conserve indienne (jue l'on y appelle acluir-ba inbou ; et ne doutant point qu'elle ne fût faite avec ces jeunes pousses, je me promis d'imiter en cela les habitants de Java. Ma femme fut enchan- tée de tous les trésors que nous lui rapportions, elle comprit sur-le champ quelle pourrait être leur utilité; elle les regardait avec une joie inexprimable et ne savait par où commencer. Elle sentit toute- fois que les jeunes pousses de bambous réclamaient ses premiers soins, et elle s'empressa de les mettre dans un vase avec du vinaigre de palmier et des feuilles de ravendsara ; elles devaient, avec le temps, nous tenir lieu de cornichons. Le lendemain, nous finies une excursion à Prospect-Hill. Ayant fait déjà ([iielques petits détours, nous mîmes près de deux heures pour franchir cette dislance. J'eus le chagrin d'y trouver tout dé- vasté par les singes, comme autrefois à Waldegg. Dans ma colère, je vouai cette exécrable race à la destruction. Les moutons et les chè- vres s'étaient aussi dispersés dans le voisinage ; les ])Oules étaient de- venues tout à fait sauvages, et la cabane était si sale et en si mau- vais état, qu'il n'était pas possible de la réparer et nettoyer en un seul jour. 11 fallait se résoudre ii mettre un terme à de pareilles dé- prédations, si nous ne voulions pas renoncer complètement au succi's de tous nos efforts; mais des travaux plus pressés réclamant nos soins, je fus forcé de remettre à un autre moment la punition des coupables. Nous reviinnes tristement à notre camp, et pourtant je me disais (ju'ayant tant de bonheur, j'avais tort de me plaindre de quehpies contrariétés. Pourquoi n'éprouverions-nous pas aussi quel- ques chagrins dans la vie ? La troisième journée fut de nouveau consacrée au percement de la route, (|ui nous occupa encore deux jours de ]>lus. Alors, notre viande étant sutTisammenl fumée et rien ne nous retenant plus dans ces environs, nous songeâmes à pomsuivre notre roule. 11 nous fallut pourtant encore une journée entière pour mettre à l'abri des ani- maux de proie de toute espèce le fumoir dans lequel nous avions ré- solu de laisser notre provision de jambons, à l'excciition d'un ou deux que nous emportâmes avec nous pour le voyage. Nous barricadâmes cette construction avec des pierres, des mottes de terre et des |ilanles l'pineuse?, ce qui lui donna l'apparence d'une élévation lumulaire. Enfin , quand je me fus convaincu (pi'il n'y avait plus rien à faire, je donnai le signal du départ, et nous nous dirigeâmes vers noire destination définitive, l'ermitage, situé à deux heures de marche par la nouvelle route, c'est-à-dire dans une direcli(ui opposée à celle de Prospctt-llill. Nous arrivâmes sans accident ou aventure i|uelcon(|ue au but de notre voyage, et notre petite caravane s'arrêta sur la lisiire d'un pelil bois, formant en quelque façon le vestibule de l'ermitage, (^e lieu était assez frais et assez abrité ; car, d'un côté , le bois s'appuyait contre des rochers escarpés, et, de l'autre, nous avions l'embouchure d'un ruisseau qui tombait, pri's d'Ebi ifuri, dans l.i grande baie. Nous déballâmes nos effets et finies toutes les dispositions nécessaires pour un assez long séjour. I^'ermilage j)ro[)reniriit dit. c'est-à-dire la partie la plus resserrée du défilé (|ui londuisait dans l'intérieur de l'ile ipie nous ne connaissions pas encore, était placé à environ une portée de fusil de nous. Quand nous nous trouvions dans le petit bois , nous y étions en quelque faccui cachés, et |ioiirtant sur une élévation d<' terre assez grande pour dominer avec notre artillerie le passage le plus direct de la côte aux jilaines doser pendant (pielques instants sous son abri. Mais, de niêinc qu'Ulysse en présence des sirènes, nous résistâmes à ses séductions, et nous nous diriijeâmes vers un ]iromontoire éloiijné, d'oii, si nous pouvions parvenir à son sommet, nous espérions pouvoir embrasser une étendue considérable de pays. Près d'Eberfurl, nous passâmes la rivière à gué. Le paysage y était agréable et pittoresque ; mais, au bout d'un (|uart d'Iieure, il se changea en un désert triste et aride, oii le sol, brûlé par le soleil, s'était fendu et enir'ouvert. Heureuse- ment nous avions tous rempli nos gourdes à la rivière, car liuile ap- parence d'humidité disparaissait de plus en ]dus; le gazon élait desséché, et les seules plantes que nous voyions élaient (picl(|iies gé- raniums et (|uelques-uiies de celles (|ue l'iui appelle plantes grasses. En un mot, je fus surpris en ree(uinaissaiM (|iril avait sulli d'une demi- heure de marche pour changer si compIiMeiuent l'.ispcct d'une cam- ]);igne ([iii avait jiaru riante el agréable ii Jack et à moi lorsque nous y étions venus autrefois à la recherche de notre âne. Jack en fil la remari|ue comme moi. « C'est vrai, lui répondis je. (a'ite ))laine ressembb' beaucoup à celles que l'on trouve au cap de Pioniie - Espérance. Pendant la sais(ui des pluieselU's sont coiiverles de la plus riche végétation ; maisdès que l'eau us nous jetâmes par terre, à l'ombre d'un rocher, sur un point assez élevé , car la l'haleur el la lassitude ne nous permettaient pas de cheichcr le site le plus avanlaj;eux. Pen- dant assez longtemps, nous restâmes immobiles, les yeux fixés en LE aoBl^so^ suisse. in silence sur la vaste perspective qui se présentait à nous. L'horizon était bordé de montagnes bleues à une distance que j'estimai être de quinze à vingts lieues. La rivière Orientale traversait la plaine aride et monotone , comme un ruban d'argent bordé do vert. C'était ainsi que je me figurais le >il arrosant les déserts de la Nubie 11 y avait à jieine dix minutes que nous étions là, ipiand maître Knips, après avoir llairé le vent à droite et à gauche, avec les gri- maces les plus bizarres, poussa tout à coup des cris et partit au ijrand galop vers un point assez écarté des rochers qui s'élevaient à côté de nous. A ces cris, il fut suivi par les chiens, et nous crûmes qu'il avait découvert une troupe de singes ou quehpie mets dont il était très- friand. JNons avions cependant trop chaud et trop soif pour suivre les animaux ; nous demeurâmes donc tranquillement couchés , suçant des cannes à sucre, consommant les provisions que nous avions emportées avec nous, et causant de tous les sujets divers qui se présentaient à notre pensée. Soudain Fritz se leva et regarda fixement certain objet éloigné; puis, au bout de quelque temps, il s'écria : « Je ne puis con- cevoir ce que c'est que j'aperçois là-bas. On dirait deux hommes à cheval. Ali ! en voilà un troisième qui s'approche au galop. A oilà qu'il a atteint les premiers, et tous les trois s'élancentde notre côlé. Seraient- ce des Arabes du désert? ER\EST. JVe dis donc pas des Arabes, Fritz, dis des Bédouins. LE PÈRE. p>nest, lu fais là une fort mauvaise querelle à ton frère. Si c'étaient des Bédouins, ce seraient aussi des Arabes; car c'est ainsi que l'on appelle les Arabes nomades du désert. Quant à moi , je gage que ce ne sont ni des uns ni des autres. Tiens, Fritz, prends ma lunette d'approche et rei;arde. Eli bien, que vois-tu? FBiTZ. Je vois de nombreux troupeaux ipii paissent, des meules de foin qui marchent, des charrettes chargées qui sortent du taillis, pour descendre vers la rivière, et qui remontent ensuite... Ah! ah! ah! Qu'est-ce que tout cela peut vouloir dire ? lACh. Tu vois des choses bien étranges, Fritz; mais jiermets que je regarde aussi à mon tour. Oui, oui; ces Arabes ont de petites piques avec des drapeaux. Nous devrions rappeler les chiens pour les envoyer h la découverte. ERNEST. A moi aussi la lunette. En vérité, voilà un quatrième ca- valier qui vient rejoindre les autres ! D'où est-il venu ? 11 faut que nous prenions bien garde qu'ils ne nous coupent la retraite. LE rÈRE. A ous avez tous vu , maintenant prêtez-moi la lunette. Si mes yeux ne valent pas mieux que les vôtres, du moins mon juge- ment est plus sûr et mon imaijination moins ardente. Quant à vos charrettes et à vos meules de foin , mon cher Fritz, elles ne me plai- raient pas du tout si elles n'étaient pas si loin de nous ; car je soup- çonne que ce sont des éléphants et des rhinocéros. Les troupeaux qui paissent sont bien certaineuunl des buflles et des antilopes, ou bien des zèbres et des ijuatjyas. l'our les Bédouins du désert qui portent des lances et qui se disposent à nous attaquer, ce sont... allons, Jack, devine. JACK. Des girafes, peut-être. LE pi-:RE. l'as mal imaginé; mais pourtant ce n'est pas précisément cela. Je suis d'avis que ce sont plutôt des aiilriiches ou des casoars. Quoi qu'il en soit, nous allons leur faire la chasse et tâcher d'en attraper un vivant , ou tout au moins de lui prendre une toull'e de belles plumes. » Charmés de cette rencontre, Fritz et Jack coururent du côté oii les chiens et le singe avaient disparu, .ihii de rappeler, s'il était pos- sible, ce dernier. Lendant ce temps, Ernest et moi cherchions (|uel- que petit bois où nous pussions nous cacher, pour que ces bêtes ne nous aperçussent pas de trop loin, (lelui que nous trouvâmes était composé d'arbustes que je reciiiiiiiis pour être des euphorbes; ils crois- sent souvent dans les fentes des rochers. La gomme qui en découle, quoi(|ii'un vrai poison, est d'un grand usage en médecine , surtout à l'extérieur. Je lis, en passant , (|iielques entailles dans l'écorce des plants qui me parurent les plus vivaces ; mais, vu la ([ualité véné- neuse de la gomme, je pris dès lors la résolution d'eu faire la récolte à moi seul, ce (pii me serait d'autant plus facile qu'Ernest, préoccupé de ce qui se passait au loin , n'avait pas remarqué mou opération. Fritz et Jack revinrent bientôt avec les chiens et avec notre grand dégustateur. L'aspect de ces animaux nous ht connaitre qu'ils s'é- taient baignés et désaltérés, ce ipii nous expliipi.i U: motif de leur dé- part précipité. Je m'entendis ensuite avec mes enfants sur la manière dont nous devions nous y jireudre pour attaquer les autruches, que nous distinguions alors parfaitement , et qui jouaient et couraient gaiement dans la campagne. Je fis remaniuer à m<'S garçons que le mâle, car il n'y en avait qu'un, se reconnaissait à ses plumes blaïK'hes, et je leur recommandai de s'attacher particulièrement à lui. lleiireu- seiuenl Fritz avait aiuené avec lui son aigle, et je prévoyais que cet oiseau nous serait d<' la plus i;rande utilité, .l'eu fis l'obserxation , ce (|ui parut oITenser un peu mes pelils garnements. Ils me rappelè- rent le succès qu'ils avaient eu à la ciiursc. Je convins de leur adresse; mais je ne pus m'empècher de leur dire aussi (|iie, (|iielle que fût b'ur légèreté , elle ne pouvait se com]iarer à celle de l'autru- che, (|ui laisse derrière elle le cheval le plus rapide. FRITZ. IVlais alors coiument font donc les Arabes pour les jirendre? LE PÈRE. C'est à cheval, à la vérité , qu'ils les poursuivent; mais encore il leur faut employer bien des ruses. Ils savent que , quand rautriiche est ]ioiirchassée, elle ne court pas droit devant elle, mais décrit un cercle de trois à quatre lieues de circonférence. Le chas- seur, donc , a grand soin de ne pas la suivre par derrière; lui aussi décrit, sur son cheval, un cercle, mais en dedans et beaucoup plus petit que celui de l'autruche, de sorte (|ue, faisant moins de chemin, il peut soutenir la course beaucoup plus longtemps. D'ordinaire aussi, ils se mettent plusieurs après une seule autruche, se plaçant sur dif- férents points du cercle que celle-ci parcourt, et comme ils ont des chevaux de relais, ils continuent la poursuite jusipi'à ce que l'oiseau tombe épuisé de fatigue. Mais <|uant à nous, nous sommes à pied, et la connaissance des ruses qu'emploient les Arabes à cliexal n'est pas pour nous d'une fort grande utilité. Notre seul moyen est de nous mettre en embuscade, et d'abattre , s'il nous est possible , l'oiseau à coups de fronde. Uetenez donc les chiens; car j'ai déjà remarqué que les animaux en général craigneni beaucoup plus les chiens (|iie les hommes. Si toutefois l'autruche prend la fuite avant que nous puissions lui lancer une pierre, il faudra lâcher nos chasseurs et même enx'oyer contre elle l'aigle de Fritz. Peut-être qu'à eux tous ils par- viendront à retenir du moins le fugitif, jusqu'à ce que nous arrivions. Surtout faites attention à la <|ueue blanche, car ses plumes sont bien plus précieuses que celles des autres ; et, en outre, elle est bien plus vigoureuse, si nous voulons plus tard nous en servir comme monture. Nous nous approchâmes donc séparément, et en nous cachant au- tant que possible derrière de petites élévations de terrain, ahii de surprendre les tranquilles et confiantes aulruches. Mais, quand nous ne fûmes plus qu'à environ deux cents pas d'elles, il n'y eut plus moyen d'empêcher qu'elles ne nous aperçussent. Nous reiuarqiiàmes bientôt à leur inquiétude qu'elles nous axaient vus. Nous nous ar- rêtâmes donc, en prenant grand soin de faire en sorte i|ue les chiens ne se monlrassent pas. Cette manœuvre rassura les oiseaux, qui pri- rent même le courage d'avancer de quelipies pas, pour voir quels étaient les êtres inconnus (|iii osaient iisurperlcurs domaines. Elles faisaient des mouvements fort bizarres avec la tête et le cou; mais, à tout prendre, elles me parurent d'une bêtise extrême. Par malheur, en ce moment même, l'impatience gagna nos chiens, sans ipioi je crois vraiment que nous aurions pu approcher d'assez près pour prendre les autruches dans des lacs que nous leur aurions jetés; mais, comme je viens de le dire, les chiens nous échappèrent et s'élancèrent avec fougue contre le mâle, qui s'était courageusement avancé de quelques pas en avant de ses femelles. A l'instant , les oiseaux prirent la fuite avec une rapidité dont on ne saurait se faire une idée. Leurs ailes étendues et un peu bombi'es pouvaient se com- ])arer à des voiles tendues au vent, qui, en l'IYel, les enflait et con- tribuait à la promptitude de leur course. Les plumes de l'épaisse (|ueiie qui s'étalaient par degrés ajoutaient à leur vol une noblesse et une majesté singulières. Mais il ne s'agissait point de contempler à loisir ce spectacle. En moins d'un instant, les fugitifs furent si loin, (|ue nous ne les aperce- vions plus. Fritz s'était empressé d'ôter le bandeau des yeux de son aigle et de le lancer contre les autruches. L'aigle, à son tour, prit son élan, et ne tarda pas à rejoindre le mâle, sur lequel il se jeta avec tant de force, d'une hauteur immense, qu'il faillit le tuer du jiremier coup, et le superbe animal roula dans la poussière. Nous n'arrivâmes qu'au bout de c|iiclque temps sur le champ de bataille, (liioii|iie nous y courussions de toutes nos forces, car nous désirions, s'il n'était pas déjii trop tard, nous emparer de l'autruche en vie. Les chiens, comme de raison, nous précé ennemis étaient vraiment morts. Pendant ce temps, Jack chantait victoire et courait à son frère Ernest pour le ramener auprès de nous; ce i|ui ne fut pas très-facile, t;int ses nerfs avaient été ébranlés par la frayeur, du reste fort excusable, qu'il avait éprouvée. Lui ayant demandé eommeul il avait osé se risipier si ;ivant dans la caverne aux Ours, nom (|ue je voulais que portât désormais cette grotte, il me répondit i(u'il avait voulu ell'rayer un peu son frère Jack en grognant comme un ours, '|uand le ciel, sans doute pour le punir, avait envoyé deux véritables ours contre lui. Je lui reprochai son imprudence, en ajoutant (|ue rien n'était plus dangereux (|u'iine frayeur et (|u'il aurait pu faire à son fiiTC, en imitant la voix de l'ours, un mal plus giave que celui i|ue ces animaux eux - mêmes lui avaient causé. (Cependant Jack me demanda comment des ours avaient pu venir dans un pays aussi chaud (|ue celui ipie nous habitions; car il rcuiari|ua avec raison que CCS animaux ne se trouvent d'ordinaire (|ue dans des climats froids. Je lui expLuiualque si les ours noirs et blancs n'habitent guère (pic les pa^s froids, on trouvait des ours bruns ou roiiv, tels (|ue ceiiv i|ue nous venions de tuer, non-seulement dans les réijions tem- pérées, niais encore dans la zone lorride, à la Chine, au .lapon, en Arabie, en Egypte , et jus(|ue dans l'île de Java. Après avoir, pendant i[ucl(|iic temps, admiré les monstrueux en- nemis (|ue nous venions de combattre, mes enfants demandi'rent enfin ce (|ue nous allions en faire. Il s'ensuivit entre eux une petite discussion, à lai(uellc je mis un terme en dcuinant l'ordre de faire iir-le-champ tous les préparatifs nécessaires pour notre retour à la maison. Nous n'avions pas de temps à perdre, d'aut.int pliisijue l'un de nos chiens était légèrement blessé et (|ii'il fallait le panser, tandis que, d'un autre côt(', nous avions des arrangements à prendre pour pouvoir, le lendem.iin de grand malin, revenir en ce lieu, avec notre charrette attelée, |>our emporter notre butin. Ma iH'oposition de retourner auprès de leur mère fut accueillie avec une ajiprobation universelle, le coiiibal inatlendu contre les ours n'inspirant pas la moindre envie a mes enfants de passer la nuit en ces environs, (^hiaiil aux œufs d'aiitruelie, dont le poids les em- barrassait aussi , je les comblai de joie en leur disant que ce (pi'ils pouvaient faire de mieux était de les enterrer dans le sable, oii ils ser.iient, pour le moins, autant en sûreté (|uc dans notre tente. Cette 0])érali(Ui faite, nous Irainàines nos deux ennemis morts jusqu'à l'en- trée de la caverne, oii nous les couvrîmes de feuilles et de brancha- ges, afin de les mettre, autant (pie possible, à l'abri de l'attaiiiie des animaux de proie ; (piiltant ensuite le théâtre de notre terreur pani- que et de notre triomphe, nous partîmes, pleins de courage et d'ar- deur, pour aller rejoindre des amis bien chers, auprès de qui nous devions trouver un bon souper et un Iranipiille repos. Le soleil venait de se coucher quand nous arrivâmes chez ma feiiime, (pii, ainsi (pie le petit h'rançois, nous accueillit, selon sa cou- tume, avec une joie sincère. Nous étions si accablés de fatigue, que tonte cspi'ce de travail nous aurait été impossible, de sorte (pie nous fûmes fort contenls de voir ipie tout avait été prévu jiour notre ar- rivée, et (juc nous n'aviiuis plus rien à faire ipi'à manger et à nous reposer. Nous n'élions pourtant pas assez las pour (pie cela nous em- pêchât de raeiuitcr en détail toutes nos aveiiliires de la journée, .le terminai le récit en disant que, le lendemain, dès le point du jour, il faudrait nous mettre en roule, tous tant que nous étions, pour la LE UOBIlNbOIN 5Ulb.SK. caverne aux Ours, afin de prendre une résolution sur la nicillciirp raanièrt' d'utiliser notre butin, (|ue, sans doute, nous serions oblijïrs di' dépecer et de fumer sur le lieu même, eomme nous avions déjà fait pour les coelions. Ma femme me raconta ensuite comment, de son côté, elle avait passé la journée. Elle s'était, avec le petit François, frayé, à travers le bois, une route vers la paroi de rocliers, au pied de laquelle elle avait trouve une espèce d'anjile très-fine qui pourrait, à ce (|u'elle nous dit, servir il faire de belle porcelaine. Puis elle avait arr,inj;é, avec des tuyaux de bambou, uvic sorte d'abreuvoir, dans le(|uel elle voulait rassembler l'eau qui filtrait en minces filets à travers les ro- chers, et la faire servir ;i abreuver notre bétail; enfin elle m'assura qu'elle avait trouvé une piaule qui produisait des fèves sauvantes, et ([ui s'élevait, en rampant comme du lierre, aux troncs des arbres. Elle avait, eu outre, disposé un foyer dans un creux du rocher, et elle avait fait porter par nos bêles une certaine quantité de bambous, pour servir ii la construction dont j'ai parlé, et que nous vouliiuis élever en ce lieu. Je lui fis mes remercimcnts de toutes les |)eines ([u'elle s'i'lait don- nées, et je lui promis qu'en temps et lieu elles auraient toutes leur récompense. Pour commencer, je pris une ou deux boules d'arijile cl je les mis dans un i;rand feu de !;arde ([uc nous avions allumi', et auprès dui|uel les chiens se couchèrent, après que ma femme eut lavé et pansé avec soin le blessé. Nous nous retirâmes après cela dans notre tente, oii, fatii;ués comme nous l'étions, nous ne lardâmes pas il nous endormir d'un profond sommeil. Le jour n'axait pas encore paru, quand, secouant la paressi' qui m'avait retenu plus lonijlemps au lit, je me le\ai et je réveillai mon ménajje. Ma première couise fut au feu de jjarde, où je trouvai les boules^l'argile bien durcies, d'un fjrain très-fin et d'un bel émail, mais un peu troj) diminuées de volume, ce qui me fit juger que la terre n'était pas suflisamnieut à l'épreuve du feu; je remarcpiai celle cireonslance, mais je ne désespérai pas d'y remédier à l'avenir, ^dus fîmes ensuite notre prière, nous déjeunâmes, nous préparâmes nos bêtes, et nous nous mimes en route pour la caverne aux Ours. Tout cela se fit promplemeni et dans le meilleur ordre, et nous ne tar- dâmes pas à arriver sans aceideut au lieu de notre destination. Comme nous eu approchions, Fritz s'arrêta tout à coup et ncuis cria : « \ enez , venez vite , si vous voulez voir une troupe tout en- tière de coqs et poules d'Inde, (|ui se sont sans doute réunis pour assiter au convoi de notre ours; mais un sévère ijardien s'est placi' en faction devant l'entrée de la caverne, pour les empêcher d'appro- cher du lit de parade. » jNous avançâmes, étonnés de cette singulière allocution, et nous vîmes le factionnaire dont Fritz nous avait parlé. C'était un ifrand oiseau , ayant une espèce de crête sur le devant de la tête, et une peau ([ui lui pendait sous le bec ; sou cou, nu, ridé et rouge, étiiit entouré, près de la poitrine, d'une fraise de plumes blanches. Les plumes du corps et des ailes étaient brun foncé, à l'exception de quel(|ues points blancs; les pattes étaient garnies de fortes serres. Ainsi (|uc Fritz nous l'avait dit, il gardait, en effet, soigneuscnu'nt l'entrée de la caverne, et ne permettait pas aux petits oiseaux d'en approcher. De temps eu temps il y entrait lui-même, mais seulement pour quelques instants; puis il venait reprenilre son poste. Après (|ue nous eûmes considéré pendant (|uelc[ue temps cette scène, nous enlendimes tout à coup un grand bruit dans l'air au- dessus de nos têtes, et le soleil fut obscurci comme par un cros nuage; elYraxés, imus li'vâmes les yeux, et notre frayeur en devint plus graiule encore. iMais Fritz, qui avait vu venir de loin cet objet monstrueux, avait eu la présence d'esprit de le tirer en l'air, et, au bout d'un instant, un oiseau énorme vint tomber comme une bombe au pied du rocher, oii il se cassa le cou, tandis (|ue le sang coulait k flots d'une blessure (|u'il avait reçue ii la poitrine. Le silence de la frayeur fut ;ilors interrompu par des cris de joie ; les chiens brisi'rent leurs liens et coururent vers la caverne, suivis de Fritz. .Sur ces en- trefaites, le factioiniaire cherchait avec peine k prendre son x'ol, et il lut assez longtemps à s'élcv<'r pour (|ue l''rilz pût lui envoyer une balle de pistolet et le blesser; mais cela ne l'empêcha piuirtant pas de s'échapper et <\r disparaître bientôt ;i nos yeux eu s'élevant majes- tueusement jusqu'à une hauteur prodigieuse par un vol en spirale. Il ne resta plus sur le lieu du combat que l'oiseau monstre cl une .^es pri'lcudues jioules d'Inde (pie le factionnaire avait tuc<'. >oiis commençâmes par examiner les deux morts. Ma femme se Il ttait que l'un des deux serait effectivement une volaille de basse- ci ' r ; mais je fus forcé de la tirer d'une agréable erreur en lui pia vaut i|iie c'était un uruliu ou vautour {\\\ lirésil, qui vit de cha- rognes. (^)uant à l'autre oiseau, .lack découvrit que c'était un ccndor, le plus i;ros de tous les oiseaux de proie. Celui que mon fils avait tué mesurait seize pieds d'envergure. Le reste .'e la journée se passa ii dépouiller les deux ours, opéra- lion fort dillicile, car je n'avais pas encore eu alïaire il d'aussi gros animaux, et ce qui la rendit plus difficile encore, ce fut (lue mes enfants me prièrent instamment de faire en sorte ([ue les têtes restas- sent entières , sans (|ue je susse pourtant ce ([u'ils en voulaient faire. Dans les intervalles de repos que ce travail exigeait , j'examinai les œufs d'autruche; et, m'ctant convaincu que le germe qu'ils conte- naient était détruit, je permis à mes enfants de les casser, en les en- gageant toutefois à le faire avec précaution, afin ([ue les dtnix moitiés de l'écaillé restassent entières. Je leur appris la manière i\e. s'y prendre en entourant les ccufs d'une ficelle trempée d;ins du vinai- gre, et en les remouillant de temps en temps, ,1e n'oubliai pas non plus ma iietile tortue; je lui donnai .à manger et ;i boire, et je l.i plaçai dans un sac vide, dans Icjucl je compUiis la transporter ii Felsenheim. CHAPITRE XLIV. Préparation de la chair des onrs. — Le poivre. — Excursion des enfants dans les savanes. — Le lapin angora. — Vanlilope refjia. — Le coucou indica- teur. — Le mica. — Prise et dressos5e de l'auiruclie — La vanille. — L'eu- phorbe et les œufs d'autruche. .l'eus encore pour une journée entière de travail avant de parx'enir il dépouiller les deux ours de leurs fourrures ; j'y réussis pourtant .i la fin. Je m'occupai ensuite il dé])ecer la chair pour la faire saler et fumer, en réservant les pattes, que je savais être un mets fort recher- ché des gourmands. Ouant il la graisse, je la donnai ;i ma femme pour (lu'elle la fil fondre et la conservât. J'avais lu que les habitants des contrées septentrionales s'en servent pour la cuisine et la uian- gent même sur le p.iin eomme du beurre frais. Après ax'oir iTliré d, d'en emporter aussi (pielques plants de ce que ma femme avait pris pour des fèves, car je désirais vérifier la nature de ce végétal. Tout cela ne nous occu])a pas siiflisaiument pendant la longue et ennuyeuse opération du fumage; en conséi|ucnee, nous vidâmes et dépouillâmes le condor et l'uruliu (pie nous avions tués, et nous en commençâmes l'empaillage, sauf il lachever plus tariL Nos grains de poivre no'us rendirent, dans cette occasion, leur premier service; car, les ayant réduits en poudre, ils rendirent plus facile la conservation des peaux des oiseaux. Ce travail terminé, ne trouvant plus aucun moyen d'occuper mes enfants auprès de moi, je pris une résolution ipii, je l'avcnie, me coûta beaucoup dans le premier inomenl. Je leur permis de partir seuls pour la plaine aride (|ue nous avions visitée ensemble, afin d'y faire soit quel(|ue biuiiie chasse, soit (iuel(|ue découverte nouvelle. Pendant leur absence, je comptais délaeher un ijros morceau du talc entremêlé d'asbesie (|iie j'avais trouvé dans la caverne des ()urs, et de l'examini'r de plus près, pour voir s'il valait la peine d'en em- porter avec nous ;i Felsheim. La permissiiMi (|ue j'accordai causa une gr.inde jine ;i mes enfants; toutefois l'.rnesl, apri's qiieUiucs réflexions ipril fil à pari lui, me dit qu'il préicrail rester avec nous, résidiilion ipie je ne combattis en aucune façon, car je voulais que rcxiiédition fût entièrement voloii- taire. Le petit François, au contraire, que j'aurais volontiers gardé, insist:i si fort pour (fiie je le laissasse aller avec Fritz et Jack, que je ne voulus pas rétracter la permission générale que j'avais donnée. Ils s'empressèrenl, après cela, de seller leurs bêtes, opc'iatioii dans la(|uelle Ernest prit plaisir à les aider; et en les voyant partir, il leur souhaita beaucoup de succès et une abondante récolte de nouveaulcs rares et utiles. Pour moi, (pioi(|ue je ne les visse pas jiarlir sans chagrin, je me 120 LE ROBINSON SUISSE. disais qu'il était temps qu'ils commenrassent k apprendre à se tirer d'affaire cti\-iiièmcs. Le ciel pouvait leur enlever leurs parents par quelque coup inattendu et prématuré, et il était d'une haute impor- tance jiour eux ([u'ils sussent, dans ce cas, se conduire avec prudence. J'avais d'ailleurs assez de confiance en Fritz pour ne pas craindre de lui laisser la direction de ses plus jeunes frères. Et enfin, me dis-je, ils ont tous trois de bonnes mnnlures, île bonnes armes et des chiens vigoureux et fidèles pour les déleiKlre. (^)ue le ciel les conduise donc! Ce fut ainsi que je terminai mes réllexions. Le Dieu qui deux fois délivra le fils de Jacob et le ramena deux fois dans les bras de son père daignera aujourd'hui se charger de protéger les miens! (^)uand ils furent partis, je me mis à mon travail sur le talc de la caverne, dans lequel je fus aidé par Ernest. Après en avoir enlevé un assez gros morceau, nous trouvâmes au-dessous un lit assez considé- rable de mica, dont je saluai l'apparition avec un grand cri de joie. Je le trouvai fort utxuiio à un liavail de vannerie, qui tcniblait l'iDtéresser beaucoup. Ma femme elle-même, qui n'avait pas coiiliime d'circ aussi expansive que nous dans l'expression de sa satisfaction, ne put s'empêcher cette fois de se livrer franclicmenl au plaisir que celle découverte lui fai- sait; car il était évident que nous venions de trouver une malière qui nous fournirait le moyeu de suppléer, sans embarras et sans aucune fabrication préalable, aux carreaux de vitres dont nous inani|uii>ns. .le dois convenir, du reste, (]ue je ne crois pas que, même en llussie, pays qui prculuil les séléiiites les ])liis parfaites, on ail jamais trouvé des morceaux aussi unis, aussi Ir.insparenls et d'une aussi grande ili- ineiision que ceux ipie nie fournil la grolle. Ma femme pn'para pour noire souiier des jialles d'ours, et assis près du feu, je causais avec i'îrnest eu alleiidanl le retour de nos chasseurs, (|uaiid tout à ciuip nous enliuiilimes un piélinemenl d'ani- maux, et l'iiislanl d'après nos trois petits cavaliers arrixi'renl au i;a- iop avec de grands cris île joie. Ils saiilèreul .'i bas de leurs ciuirsiers avec l'adresse de vrais hussards, leur ôlèrenl les selles, et les laissè- rent courir en liberté se rafraîchir au bord etils ipii avaient des cornes de bouc. Ce sont là a]iparrmiucnt des (;azelles. LE rl.RE. Si tout ce que tu nous dis est exact, nous aurons bien des raisons de nous félicilcr. le premier de ces animaux est tiîs-rare et Irès-reiuanpiable, et l'autre est on ne saurait plus joli, l'ourvu ipi'ils n'aient p. is trouvé moyen de s'échapper! riiiiz. J'avouerai ipie j'en ai eu |)eur. iNoiis nous sommes donc con- sultés sur le iiieilleiir moyen de rempêclier , et voici le jilan auquel nous nous sommes arrêtés. Je tendis une corde sur tcuile la largeur du défilé et à une hauleur d'euvirini quatre pieds et demi. A celle corde nous allaihâmes de distance en distance les plumes d'autruche que, par bonheur, nous avions encore à nos chapeaiiv. Nous déchi- râmes eiisuile quelques ehilTons qui nous servaient à netloyer nos fusils, que nous luiuàiiies éi;aleiuenl il la corde. Le courant d'air, qui ne cesse de souiller par le défilé, ne manqua pas, comme je l'aviis pensé, de mettre les plumes et les chilïons eu mouxemeut, et je nie flatte qu'ils serviront d'épouv anlail aux anlilopes et aux gazelles, et leur ôteront , du moins pour qiiilipie temps, toute eux ie de sort''' de notre parc. LU l'KRE. ("est fort bien imaginé, l'rilz. l'on invenliiui suffira pour le jour, et ipiant à la nuit, les hurlements des chacals les effrayeront assez. Mais dis moi d'oii t'est venue eetle idée? FRITZ. C'est la lecture du Voyage de Levaillant qui me l'a fournil'. Quand plusieurs kraals, ou villaijes de llotlentnts, se réunissent pour- lâchasse :iiix antilopes, ils foriiient une enceinte d'epoinaiitails de ce genre, d'oii ce.-. I.èles n'osent plus sortir, de sorte qu'ils dcvieuiieut une facile proie pour les chasseurs. niK. IN'oiis sera-t-il permis » préscnl de faire aussi notre réei LE UOBINSON SUISSE. 121 papa? J'en brûle d'envie, el je puis vous assurer que nos aventures et celles du petit François valent aussi la peine d'être écoulées. LE PÈRE. Je n'eu doute pas. Eli liien ! raconte-nous comment vous avez fait pour allrapor ces deu\ jolies petites bètei. îACK. C'est au îjalop i|uc nous les avons prises, toujours au galop; mais aussi il fallait voir comme nous courions. Ouand Fritz se fut un peu cloii;nc de nous pour suivre les lapins, nous continuâmes notre route assez posément. Tout a coup nos cliieus, (|ui couraient devant nous en flairant de ci'ité et d'autre, s'élancèrent en deux sauts au milieu d'une pelouse d'épais jjazon et firent lever deuv petites bêtes <|ue nous prîmes pour des levrauts, et (|ui partirent avec la promptitude de l'éclair. Mais nous ne les perdimespas de vue, et les poursuivîmes avec tant de rapidité, bien secondés par nos chiens. Je frappai d'esloc et de taille , j eu tuai pluaieurs , ut les autres se sauvèrent dans la mer. (|n'eu moins d'un (|uart d'Iiciire ils demeurèrent étendus sur le ter- rain, essoulllés, liois d'état de faire un pas de plus. Sauter à lerre, li'S saisir, les soulever, les arracher auv chiens, les attacher ensemble par les jambes, tout cela fut l'alTaire d'un clin d'(eil, et ce fut alors que nous vimes (|ue ce (|ue nous avions pris d'abord pour des le- vrauts étaieiil de jolis pelils faons. i.E riîRE. On, pour uiieuv ilire, deux charmanle.s anlilopes naines, si je ue me trompe, el je n'eu suis anier à une LE KOBIWSUIN SUISSE. 1S2 brandie d'arbre, afin que nos antilopes n'rprouvasscnt aucune pres- sion qui pût les blesser. Tout cela rcussil si bien, que nous nous em- pressâmes de l'aire un nid semblable pour les deu\ laperciuv. Il s'ai'issait, après cela, de décider eu quels lieux nous donnerions plus tard la liberté à nos antilopes ; serait-ce à Felsbeim ou bien à rile du Re(|uin? Je me décidai pour l'ilc ; car, quoique nous dus- sions avoir là moins souvent le plaisir de les voir, elles y seraient bien plus en sûreté ; nous courrions moins de ris(|ue de les voir s'é- cbapper; et peut-être mcnic pourrions-nous espérer qu'elles y pro- pageraient. . . Mais une inquiétude plus grande m agitait : c étaient la conduite et même la présence du coucou indicateur , qui avait diri(;ë mes en- fants dans la reeliercbe du miel. Ces oiseaux , qui avaient si grand besoin de rbomme pour trouver leur nourriture , pouvaient-ils se ren- contrer dans une ile inliabitée? Devais-je rci'arder leur présence comme la preuve que nous n'étions pas seuls dans notre royaume' ou bien se servaient-ils aussi , dans l'occasion, de singes et d'autres animaux pour déterrer leurs ruches? ^e sachant pas bien précisé- ment à quoi m'en tenir à cet égard, je pensais que, dans tous les cas, la prudence exigeait que nous augmentassions les t'ortificalions de l'erinilapc. Je songeais aussi à établir un corps de garde , avec une batlerie^'le deux canons, dans l'ile du Uc(|uin, pour délendre l'entrée de la baie, et un ponl-levis ou un pont tournant sur le ruisseau des ^'''"'"'■'*- . • • .-1 I r -11 j En allendant le souper, je montrai a mes his les ieuilles de mica que j'avais trouvées, et dont la vue les réjouit beaucoup. (^)uand nous nous mimes » table, le premier aspect des pattes d'ours, ([ui ressem- blaient beaucoup à des mains d'homme, inspira un moment il'éloi- enemeut aux convives; mais leur ayant donné l'exemple, ils m'imi- tèrenl, et ma femme elle-même avoua que ce mets était fort délicat. Le repas terminé , nous allumâmes nos feux, et après avoir préparé , les torches, nous nous couchâmes, pour nous endormir, jus(|u'au jour, d'un profond sommeil, que , grâce au ciel, rien ne vint inter- rompre. „ _ , ... Le lendemain , je lis lever mes enfants dès le point du jour, parce qu'il fallait songer à retourner chez nous. Les travaux que nous avions à faire en ce lieu étaient, pour ainsi dire , terminés , et la saison des pluies approchait, saison que nous n'avions nulle envie de passer à une aussi grande distance de notre demeure habituelle , et dépourvus de tous moyens de subsistance. D'un autre côté, je ne voulais aban- dcMiiier ni les œufs d'autruche, ni la gomme d'euphorbe. Je songeai qu'en montant à cheval nous pourricuis encore avoir le temps de rap- porter tout cela ; et ce fut pour cette raison (|ue je réveillai mes gar- çons de si bonne heure. ■ Fritz m'avait, pour cette fois, cédé sa monture, et comme il etail plus léger que moi, il se plaça sur l'ânon, à qui nous avions donné le nom de Itiiach, et qui déjà jusliliait cette appellalion qui signihe Ita- piJi'. Ernest demeura de nouveau aupris de sa mère, à ciui il pouvail être plus mile ([ue François; et qu.ind lout fui arrangé, notre petite cavalcade se mit en roule sans inquiétude. \ous suivîmes derechef la vallée, mais dans la direction opposée à celle que nous avions prise le jour oii nous avions découvert la ca- verne aux Ours. Dans le ui.irais aux 'rorliies, nous rempliiues nos vases d'eau, et puis nous nous rendimesa la lourdes Srabes, nom (|ue nous donnâmes, pour plaisanter, à l'élévalion d'oii nous avions pris les au- truches pour des Bédouins il cheval. Jack el l'iançois ayant pris les de- vants, je restai j.endanl quelque temps en cet endroit avec Frilz, pour recueillir la liqueur ou la gomme des euphorbes, (|ui, depuis ma der- nière excursion, avait découlé des fentes que j'avais faites à ces ar- bres, cl que le soleil avait déjà presque durcie. Nous la mimes dans un bout de bambou que j'avais a|iporté pour cela; et l'rilz fut si en- chanté de l'abondance de notre récolte, que, dans sa joie, il s'écria : « Nous y allons aussi rondement que si nous recueillions de l'opium :' — Pas mal , Fritz, réiiondis-je ; mais sais-tu ce que c'est (|ue l'o- pium eteoiiimenl on le récolte.' FRITZ. Il n'y a pas longtemps encore que j'ai lu, dans un voyage aii- Plais aux liiiles orientales, que l'opium se lire des lèles de pavots, el que son usaee j.roduit les effets les plus agréables. Celte gomme d'eu- phorbe en produit-elle de semblables, ou bien .luelle est son ulilil.' .' iF. riuF.. Il faut que cette plante soit liés - vénéneuse , car on dit qu'au cap de Honne-Espéranee les colons la coupent par tranches et la jettent dans les savanes pour empoisonner les liètes léroces. I Rirz. .Mais n'arrive-t-il pas que de cette faç-on on empoisonne aussi (luelqui'fnis des animaux miles ou même des hommes .' iRpiiiF.. Certainement; aussi ce moyen est-il dan!;ereux à emphiyer. Toutefois b'S colons prennent (|ueh|ues précautions pour en prévenir les ineoiivénienis, et entre autres, celle de ne jamais bouc eux-mêmes ou laisser boire leurs troupeaux dans une .source incminue , sans avoir d'abord essayé l'eau. S'ils voient nager sur la surface une lé- gère pellicule semblable à un nuage, ils rccoiinaissenl ipie l'eau est empoisonnée, ou, du moins, fort suspecte. iRiiz. Je voudrais bien savoir, mon père, ce que vous comptez laire d'une si grande quanlilé de gomme de cette plante vénéneuse. i.E pi;HE.'je m'en servirai comme d'une dernière ressource contre les singes, s'ils eonlinucnt à dévaster nos plantations. J'cmpoison nerai leur eau, quoique j'avoue que ce ne sera qu'à regret que j'en viendrai ii celte extrémité. Celle gomme peut, en outre, nous être utile pour em|ièclier que nos aiiim.iu\ euipaillés ne soient mangés par les vers. Elle possède aussi une vertu épispastique comme les mou- ches cantharides, lesquelles, du reste, ne sont pas des mouches, mais une espèce de petits scarabées; et j'ai jieilsé, d'ajirès cela , que nous ne ferions pas mal d'avoir toujours avec nous une certaine provision d'euphorbe. » Des i|ue nous eûmes terminé cette petite affaire, nous nous em- pressâmes de suivre les jeunes gens qui nous avaient devancés. Ils étaient déjà fort loin de nous, et nous crûmes remarquer qu'ils avaient dépassé le nid d'autruche et se disposaient à le premlre de revers, afin de pouvoir chasser de noire côté les oiseaux qui s'y trouveraient, soit mâles ou femelles, car les deux sexes s'entr'aident pour couver leurs teufs, et d'ailleurs plusieurs femelles ont coutume de pondre dans le même nid, el se placent eiisuile indifféremment sur les œufs les unes des autres. Fritz, qui avait résolu cette fois de s'emparer vivante de la pre- mière autruche (|ui se trouverait à sa portée, avait pris la préeaulion d'envelopper de coton le bec de son aigle, afin qu'il ne pùl blesser grièvemenl l'oiseau (|u'il poursuix'rait. De mon côlé, je rendis à iiinii fils sa monture, jugeant (|u'avec elle il serait mieux en état d'exécu- ter son entreprise. Nous nous posâmes donc à quelque distance l'un de l'autre , les yeux fixés sur le nid d'autruche, et pleins d'impalieiice de voir paraître quelque objet de ce côlé. Nous n'attendimes pas longtemps sans voir des masses vivantes sortir des buissons qui enviroiiiiaient le nid , elles semblaient se ber- cer sur les ailes du vent el s'approchaient de nous avec une rapidité incroyable; mais nous demeurâmes si complètement immobiles , (|ue les pauvres oiseaux ne nous rcmaniuèrent pas, on du moins ne nous crurent ))as aussi dangereux pour eux que les chiens qui les suivaient par derrière. Mes enfants eux-mêmes en étaient déjà assez proches, et les autruches se pressèreni tant, que nous ne tardâmes jias à re- connaître parmi elles un mâle , qui devint sur-le-champ l'objet de nos plus ardeiils désirs; car nous savions que les mâles sont beaucoup plus beaux et plus forts (|ue les femelles. Celui (|uc nous avions en vue était suivi de trois de celles-ci. Quand il fut arrivé à une petite portée de pistolet de l'endroit où nous étions postés, je lui lançai une fronde; mais, comme je n'étais pas encore très-adroit dans le manie- ment de cette arme, au lieu de l'atteindre à la palte où j'avais visé , je le frappai à la poitrine et aux ailes, autour desc|uelles la corde s'enlaça à la vérité , mais sans mellre aucun obstacle considérable à sa course : je ne sais même si elle ne la hâta pas, par la frayeur qu'elle lui causa. Cependant les femelles se séparèrent et se mirent à courir de côté et d'autre. Nous les laissâmes faire pour ne nous attacher qu'au luàle. Jack et François étant arrivés par derrière, à point pour les pousser vers l'rilz, qui était aux aguets, celui-ci s'empressa de l.inccr contre lui son aigle. L'oise.iu , embarrassé par l'enveloppe qu'il avait autour du bec, au lieu d'alta(|uer francliemenl rantruche, se mit à voler auloiir d'elle. Touterois l'aspecl de ce inuivel ennemi, qui semblait la po;ir suivre dans les airs, troubla si fort notre autruche, ipi'elle se mil à courir cà el là sans plan arrêté; ce (|ui nous fil gagner du temps et nous permit d'en approcher de plus près. En même temps , l'aigle se décida à se jeter sur elle, el, d'un coup d'aile sur la tète, l'étourdit; Jack lui lançant aussitôt sa fronde , la corde s'entortilla autour des pâlies de l'oiseau et le fit lomlier. Nous poussâmes un cri de victoire, et nous courûmes à lui pour le délivrer des altaipies de l'aigle et des chiens. Mais lout n'était pas terminé. Il se débatlail si forlemeni des pattes el des ailes, (|ue nous n'osi(Mis mettre la main sur lui , d'auliiiil plus que nous vouli(nis éviti'r, par-dessus tout, de le blesser sérieu- sement. J'eus enfin l'heureuse idic cb" lui jeter mon mouchoir sur la têle , car je savais (|ue les autruches perdent lout leur courage dès (ju'elles cessent d'y voir. En effet, à peine notre ennemi eiil-il les yeux bandés, (|u'il ne fil plus aucune résistance et se laissa conduire Iranipiillemeiit. Nous lui liâmes les pallesde façonqu'il in'il marcher, mais leniciiiciil , et je lui entourai le corps d'une lari;e ceinture de peau de chien de mer, dans laquelle j'avais pratiqué deux fentes pour y passer les ailes; de sorte que noire prisonnier ressemblait, sauf la taille, à un appeau, el (|ue nous pouvions le faire aller où nous vou- lions, (^ependanl l'rilz exprima q,ieh|ues doutes que nous pussions jamais parvenir à dompter un oiseau si viijoiireux , an point qu'il pùl nous devenir de quel<|ue utilité. Mais je lui demandai s'il ne savail pas comment les Indiens et les Cingalais s'y prennenl pour dompter un éléphant. FBirz. Je le sais bien, ils le lient avec de 1res fortes courroies entre deux éléphanlsdéjii apprivoisés, el lui eniliainent aussi la trompe. Il faut bien alors i|u'il obéisse, car, s'il regimbe, ses deux llanqiieurs le frappeni de leurs trompes; tandis que leurs cornacs le clialoiiillenl si désagréablement derrière les oreilli's avec leurs crocs de fer. qu'il ne tarde pas à |>erdre toute envie de faire le mutin. JACK, l'our faire de même, il faudrait que nous eussions deux au- truches apprivoisées; car je ne serais pas trop d'avis de l'allacher entre Frilz el moi. KRirz. Ah! ah! ah! non vraiment! LE HObl^6o^ sujtist. LK PÈRE. Mais faut-il donc absolument que ce soient deux autruches ? M'avons-nous pas d'aulrcs animaux assez vii;oureu\ pour eeia? (Jue dites-vous de nos l)ullles ? Et (|uant à deux cornacs, je fiensc qne nous en trouverions difliciicnient ileiix meilleurs (|ue le petit François et Jack, qui sauront l>i(n le mater avec leurs ([ninds fouets , surtout si nous lui attachons d'avance les jiattes, qvii sont pour lui, comme la trompe l'est pour l'éléphant, ses principales armes dércnsivcs. Mon avis ohtint l'approbation (jénérale , et nous nous occupâmes sur-le-rhanip à mettre le plan à exécution. De chaque côté de la cein- ture, et imméiliatcmcnt sous les ailes, j'attachai deux autres courroies plus clroilcs, mais toujours assez fortes et d'une lonijucur telle, i|u'en tenant les deux bouts on était assez éloip,nc de l'autruche pour qu'elle ne pût faire de mal à personne. Je nouai après cela ces deux cour- roies aux cornes des deux animaux, et mes deux jeunes cornacs se placèrent sur leur dos. Je leur recommandai défaire bien attention; car j'allais délivrer l'oiseau des cordes de fronde et du mouchoir (juc je lui avais jeté sur les yeux. Cela me réussit sans peine ; mais quand j'eus fini , je n'eus rien de plus pressé que de m'éloiijner, et nous fixâmes tous les yeux sur l'autruche, ])Our voir quel serait le ])remier usafje qu'elle ferait de sa liberté. Elle demeura, pendant quelque temps, immobile par terre, ccinime si elle eût boudé, et paraissant ne vouloir protilcr i|m' i!e la liberté de ses yeu\ ; puis tout à coup elle sauta sur ses jambes, et, ne voyant personne devant elle, chercha à preiulre son élan de ce côté; mais, y ayant mis trop de force, elle retomba sur les ((cnoux ; s'étant prom])tcmcnt relevée, elle recommença ses lenlatives, mais elles ne lui réussirent pas davantage. 1,'oiscau ne fut i)as plus heureux dans les essais qu il fit pour user de violence, et huit ])ar tomber sur la poitrine; deux bons coups de fouet le firent se relever. Alors il vou- lut se retourner et se sauver par derrière. Kucore empêché, falii;ué et lourmenle de tant d'inutiles efforts, il s'arrêta un moment et reprit son élan devant lui. Ses deux nan(|ueurs le suivirent au |;alop, et tous les enfants criaient : n Bravo! bravo! » L'autruche, animée par ces cris, redoubla de vitesse ; mais les cornacs furent assez, habiles pour la fatipjUer, en lui faisant faire plusieurs tours et détours, de sorte qu'elle finit par adopter une marche plus posée. Alors seulement on put soni;er à se dirijjer vers un but lise. Je dis ii mes deux dompteurs d'autruche de se rendre à la tour des Arabes, tandis (|ue l'rit/. et moi nous irions examiner le nid , pour emporter avec nous autant d'o-ufs que nous jui;erions convenable. Eu approchant de ce nid , nous vîmes une couveuse se lever et le quitter si inopinément, i|ue, dans notre surprise, nous ne cherchâmes point à l'éviter. INous eûmes avec plai- sir, dans cette circonstance , la preuve que le nid n'avait ]ioinl été abandonné, de sorte ([uenous nous contentâmes de prendre dix œufs, et nous laissâmes les autres pour qu'ils pussent être couves, avec l'es- poir d'y trouver plus tard des petits tout éclos. Wous emballâmes notre butin avec tout le soin (|ui nous fut pos- sible, et, l'ayant suspciulu ii nos bètes, nous n'altendimes pas plus lonijtemps pour retourner au lieu oit nous avions laissé nos deux jeunes dompteurs d'autruche; de là nous revînmes avec eux it Hae- renbert;, oii nous trouvâmes nos amis en bonne santé. Je n'ai sans doute (las besoin de peindre l'étonnement de ma femme en nous voyant arriver avec un si majestueux prisonnier. Sa surprise en fut si j;randc, ipi'elle surpassa la joie que lui causait notre retour, et qu'elle en demeura longtemps muette. Dans sa prévoyance ordinaire, elle s'effraya toutefois en songeant que notre colonie allait s'augmenter d'un animal si vorace, et qui, à ce (]u'elle disait, ne pourrait nous être utile k riiii. .le l'assurai, au contraire, que, pourvu (|ue je parvinsse à le dompter, il nous ren- drait des services précieux. Il s'éleva ensuite une discussion entre mes enfants pour savoir à qui il appartiendrait ; mais il fut, en défi- nitive, adjugé à Jack, sous la condition qu'il le soignerait et le gou- vernerait. .le fis ensuite le récit détaillé de notre chasse. Ernest l'écoutait avec un intérêt extrême, et, à la fin, les larmes lui en vinrent aux yeux. • Hélas ! s'écria-t-il, je ne suis donc jamais de la partie ipiand il se passe quelque aventure glorieuse et agréable ! H faut que je reste toujours ii la maison, et je n'obtiens pas même pour ma part une peau d'ours. i.E pinc. Tu oublies, mon cher Ernest, de ([uelle façon lu nous as rendu mémorable l'affaire des ours. D'ailleurs, j'avoue (|ue tu n'es point amateur de grands efforts et de scènes orageuses el fatigantes. On ne peut pas jouir à la fois de tous les avantages de la vie. l'ritz el Jack le surpassent, à la vérité, en activité et vigueur; mais lu as plus de penchant qu'eux pour l'étude, et, iiulépeiidammenl des ser- vices que tu nous as déjà rendus par tes connaissances en histoire naturelle, lu pourras nous être fort utile comme iulerprèle, si quel- que jour un bâtiment étranger vient aborder ces rivages. )■ L'heure étant beaucoup trop avancée pour que nous pussions son- ger à reloiuner ce jour-la ii l'elsenhcim, il fallut dételer nos deux ous crûmes reconnaître dans ces derniers des gelinottes des bois, (pioi(|ue d'une espèce peut-être un peii différente de celles d'Europe. En tout rovision afin de les mêler avec la graisse et de s'en servir à l'occasion pour enijraisscr nos mets d'une façon à la fois agréable et écouomi(|uc. Elle nousjiria, en consé(|iience', de lui confectionner encore force barils de bamhous, pour y conserver son beurre, ce qui ne nous fut pas dillieile. Je trouvai un peu plus de peine à exécuter un iierfectionnement que j'avais imaginé : c'était d'y faire deux anses pour en rendre le transport plus commode. Les peaux des ours furent mises à tremper dans l'eau de mer, mais chargées de grosses ])i(ircs, de peur ((u'elles ne fussent emporices par le reflux et dévorées par quel(|ue monstre marin. Ma femme se chargea île soigner la poule couveuse. Le condor et l'aulriiche fu- rent déposés dans noire cabinet d'histoire naturelle, eu attendant la saison des pluies (|iiand je mv promettais de les empailiiT. Le laie, l'asbestc cl le mica , ainsi que la lerre à porcelaine, oliliureiit provi- snireraent une place dans notre atelier, et je roulai d.insma tète mille projets pour les employer d'une manii're utile et ai(réal)le pour nous. Je pris sous ma gariie personnelle la gomme d'euphorlie, que j'enve- loppai de papier avec une éti(|uette porlaut le mol poison. Enfin les peaux des rats musqués furent suspendues .m grand air, sous le toit de notre galerie, de peur qu'ils n'empeslasseiit notre caverne tout euui:re par leur parfum. Je me rappelais d'avoir entendu dire que les marins avaient coutume île placer l'assa fretida, qu'ils apporlent îles Jiidesen ILiiiope, dans les liiincs, pour qu'elle n'infeete pas le navire par son insupportalile odeur. Ce ne fut qu'après avoir tout ranj;é que je compris quels trésors en objets instructifs et utiles nous avions rapportés de notre excursion. Deux jours entiers avaient été consacrés à ce travail; et quand il fut achevé, je ne pus m'empècher de m'écrier : «Juste ciel! que nous sommes riches! » La première chose que je me proposais de faire après cela était d'ensemencer un champ et de me livrer aux travaux qui en dépen- daient. 11 fallait ensuite nous occuper de dresser l'autruche, d'en soigner les œufs , de préjiarer les peaux d'ours; tout cela ne pouvait souffrir aucun relard. Le labourage nous fut extrêmement pénible, et nous n'eûmes pas de peine à comprendre combien, dans l'origine des sociétés, il dut être difficile d'y astreindre des peuples accoutumés à la chasse ou au soin de leurs troupeaux. Aussi, pour cette fois, nous nous contentâmes de labourer un petit carré de terre, à côté de la plantation de cannes à sucre de ma femme, et d'y semer du froment, du maïs et de l'orge. Nous jetâmes les autres graines dans des endroits séparés, comme le hasard nous l'inspira ; car nous avions remanpié (|iie les trois pre- mières étaient celles qui réussissaient le mieux dans ce climat. Je disposai, en outre, deux champs, l'un de patates et l'autre de manioc, sur la rive opposée du ruisseau des Chacals, parce que je voulais avoir ces aliments, si précieux par leur simplicité, dans un endroit voisin de notrt' demeure oii je pusse mieux les protéger contre les cochons errants. Dans cet intervalle, la pauvre Brauseirind , nom que Jack avait donné à l'autruche, eut beaucoup à souffrir. Il ne se passait pas de jour qu'on ne l'enfumât avec du tabac , ce qui lui donnait de tels étourilissements, qu'elle ne pouxait plus se tenir sur ses jambes, et alors on pouvait faire d'elle tout ce que l'on voulait. Mes enfants saisissaient ce moment pour monter tour à tour sur elle , comme sur un cheval, parce qu'ils voulaient dès lors l'accoutumer à cet exercice. iS'ous lui avions fait une bonne litière de roseaux, et ses liens étaient assez longs pour que cet oiseau pût commodément se coucher, se re- lever, et faire même, d'un pas plein de gravité, le tour des colonnes de bambous. Deux grands plats de courge qui lui servaient d'auges étaient placés à une distance telle qu'il pouvait tout juste y atteindre avec son bec. Nous le nourrissions de patates crues et cuites, de glands doux, de riz, d'avoine et de maïs. Il aurait sans doute préféré des dattes, mais n'en ayant point, je tâchai de les remplacer par des tranches de goyaves. J'eus encore soin de lui donner tous les jours une certaine quantité d'herbes, tant maigres que grasses, et qu'il ne dédaigna pas. Enfin, je plaçai à côté des auges quelques cailloux bien propres; car j'avais entendu dire (|ue les autruches, sans doute pour faciliter la digestion, en avalaient ([uelquefois, et c'est cela, sans doute, qui a donné lieu au conte qu'ils se nourrissent de fer. En alleudanl, pendant trois jours, le pauvre prisonnier ne voulut absolument rien accepter de toutes les friandises que nous lui offrions, et il redevint si faible, que nous commençâmes à craindre qu'il n'y succombât. Ma femme, toujours ingénieuse, imagina de faire de jic- tiles boulettes de grains de maïs et de beurre , que nous lui enfon- çâmes dans le gosier. Il ne tarda pas, après cela , à recouvrer des forces, et je ne sais quelle révolution s'était faite, si je puis m'expri- mer ainsi, dans son esprit; mais, à compter de ce moment, toute sa sauvagerie, toute sa timidité disparurent, et il ne montra plus cpie de la curiosité, de la familiarité, je dirais presi|uc de la gaieté. Il commença à manger de tout, et loiil lui parut bon. Aussi nous, qui, naguère, nous étions donné tant de peine pour rempècher de mourir de faim, nous commençâmes à craindre sérieusement sa voracité. Il dévora une |)artie de sa litière, cl les cailloux mêmes furent engloutis dans son estomac. Mais les aliments que maîlie liraiisexviiid préférait à tous les autres étaient le maïs cl les glands doux. Au bout de dix ou douze jours, nous pûmes entïu le délivrer de ses entraves, nous rattachâmes à une corde plus longue, et lui accor- dâmes une plus grande lilierlé. Mais aussi ce fui alors ipie commença, à pio|u-cment dire, le dressage selon loiiles les règles de l'art. On allacha sur son dos des fardeaux d'abord légers, imis de plus lourds en plus lourds. Nous l'obligions à s'asseoir et à se relever allernali- vement, moitié par la force et moitié par la douceur, et nous lui enseignions à obéir, à cet égard, au commandement; puis nous le faisions courir à droite, à gauche et en avant, dans toutes les allures imaffinabics. On le liait |iar une forte conle aux corues du biiflle, sur ieipiei l''rançois ou Jack miuitaienl. S'il se mollirait rélif, on lui en- veloppait sur-le-champ la tète d'un mouchoir et on l'enfumait par- dessous de tabac, ce qui ne manquait jias de lui causer de l'ivresse et lie mellrc un terme à sou opiniàliilé. lui un mol, au bout d'un mois, notre autruche fut si bien inslruilc, que je pus songer à son éipiipemenl. Je commençai par lui fahriquer un harnais neuf et plus commode; sous les ailes, j'adaptai deux anneaux qui devaient servir à l'atleler, en cas de besoin, à une voilure, et, au moyen d'une très- forte boucle jilaeée sur le dos, on pouvait ôter et remettre à volonté le harnais toul entier. A côté de celte boucle, il y avait une plaque et un anneau de cuivre par lequel ou pouvait passer une guide ou allacher l'oiseau dans l'écurie ou à un arbre, eu voyageanl. Il me restait encore à imaginer et à faire un mors et une bride, ce qui me coûta beaucoup de peine; car on conçoit que la forme oïdi- naiie d'un mors de cheval ne pouvait guère servir pour le bec d'un LE HOlilINSON SUltiSE. 125 oiseau. J'avais reinan(ué que la lumière, selon [u'on la donnait ou la retirait, a(;issait paititiilièrcnicnl sur les nuiuvenieiits rie raiiiinal. D'après cela, je lui lis un eainiclion resseinhlaut à celui dont Frit/ se servait pour son aiijle , mais (|ui descendait plus lias. J'y penai deu\ trous pour les yeu\, et avec les écailles de deux petites tortues je pratiquai deux couvercles ([ui, ii l'aide de la bride et de deux petites baleines qui faisaient l'effet de ressorts, pouvaient monter et descen- dre à volonté, ensemble ou séparément. Or, quand l'autriirlie voyait de ses deux yeux, elle allait toujours droit devant ell<'; quand l'œil droit était couvert, elle allait à gauclie, et si c'était l'ieil ijauclie, elle se dirigeait à droite. Il est facile de voir (|ue nicui capuchon et mes couvercles remplissaient parfaitement l'otlice de mors. La selle ne lut pas nu)ins dillicile à imaginer. Le dos d'une autruche étant beaucoup moins horizontal <|ue celui d'un cheval, il devenait, comme de raison, beaucoup moins facile d'y conserver l'aplouib. Il fallut nécessaire- ment lui donner des appuis et y adapter même un croc poui- saisir avec les mains. (^)uoi qu'il en soit, j'y réussis si bien, ipic, si j'avais été en Europe, j'aurais pu obtenir un brevet d'invention pour les selles à autruche. Il nous coûta beaucoup moins de peine (pic je ne l'avais craint pour accoutumer l'oiseau à son harnais; mais ipiand j'y fus parvenu, il nous rendit les plus éminents services. Il marchait trois fois plus vite (|ue ne le peut faire un homme; il allait ii FalUcnhorst et en re- venait dans un espace de temps presque inappréciable. Il me fallut user de mon autorité paternelle pour maintenir Jack dans la possession de son autruche : ses frères auraient bien voulu en parlaijcr la p)0- priété avec lui; mais je décidai que sou adresse su[iérieure et les soins (|u'il s'était donnés ]ionr dresser l'animal lui assuraient des droits incinitestables sur sa possession; qu'en consé<|uenee, ce serait lui (jui monterait habituellement maître Hrausewind , me réservant le droit d'en disposer momentanément en faveur de mes autres en- fants, quand les circonstances rexiijeraicnt. lîii'U avant ([ue nous eussions terminé la ijrande afi'aire du dresse- nicnl et du harnais de l'autruche, Fritz m'av.iil, i> trois reprises, apporté un petit de cet oiseau, éclos des leufs que nous avions i)lacés dans notre four; il avait soigneusement maintenu la température au degré convenable. Les deux autres œufs furent perdus, et l'une des petites autruches ne vécut qu'un jour. C'étaient des bêtes assez in- formes, car elles ressemblaient ii des oisons perchés sur de grandes pattes. Les premiers jours, nous leur dcumàmes à manger des ccufs durs hachés et de la cassave trempée d'eau et les animaux ipi'ils y prendraient, afin ipie, leur mère et moi, nous pussions aussi, ;i noire tour, avoir une coiffure nouvelle. Tous mes garçons troiiviMenl la eonditiiui fort juste, à l'cxceplioii du petit François, (pii, possédant di'ja son bérel, ne devait avoir aucun |uiifit des prises futures; mais je lui fis comprendre (pie, pour avoir joui d'avance du bénéfice, il n'eu était pas moins tenu, |)Oiir cela, d'en payer le prix. Le succès de ma chapellerie in'encoiiragea à essayer d'autres fabri- cations, et je résolus de commencerpar celle de la porcelaine, (pioiipie la quantité de terre ipie je possédais fût trop pieu considérable pour que je pusse faire autre chose ipie (pielques petits é( b;iiitilloiis. Je disposai doni! le tour de potier, ainsi ipie ipiehpics tables el ta- blettes pour sécher les vases, dans la caverne di^ sel, imiuédialeiiicnt derrière notre étable. Je me servis, pour le tour, de la roue d'un affût de canon, au-dessus de hupiclle, et jxisé parallèlement, je mis un plat tourné expri's, sur leipiel on pouvait, du moins sans beau- coup de peine, fabriipicr des vases de forii.e simple el rc|;ulière. Je songeai d'abord ;i faire, pour ma femiue", des pots à lait, (pi'clle dési- rait beaucoup, ]iarce (pi'elle pensait ipi'ils seraient |ilus pnques, plus frais et moins sujets ii fiiiripie ceux (le bambous, dont clic se servait pour faire nionler la crème. l'ont étant ainsi préparé, je pris ma terre, ipie je iiiclai de talc en- levé au bloc d'asheste et ri'diiit en une poussière line; je lavai et nettoyai le mélanije, que je laissai ensuite séclier. Je remis ;i ma femme l'asbeste pour en faire des mi'clies incombiistibles. En atten- dant (pie nous eussions trouvé ipiehpie autre moyen encore plus avan- tageux d'iililiser cette uiatiiTc; je jicnsais ipie peut-être ma femme parviendrail à la filer et ;i en fabri(pier de la toile incombustible ;i la manière des ;iiieiens. Je lis donc, avec une partie de ma terre, des vases de différentes l'iandciirs pour la laiterie, et je les lis cuire d'abord dans un feu (lin cri, ensuite dans un four, renfermés dans un vase de terre coiii- iiiuiic; ils en sortirent blancs coiiiiiie la neige et avec un grain si bu, ipi'il eût été difficile d'en trouver de plus beaux; le talc , (pie j'avais mêle il ma Icrrc ii porcelaine, lui axait doiiiié plus de feriiielé dans le Icii cl l'avait empêchée de couler. Je pris ensuite dans la caisse lîfi 1.E IIOBIINSOIV SUISSE. (le verroteries, (|iii avait fait i)artie du cliargcinent de notre navire et qui (levait servira iu';;ocier avec les sauvai;es, un certain nmiibro (le prains noirs et jaunes, (pie je i'rap|iai avec le marteau sur l'encliiiue |iour les r('loxer el de leur donner la forme que je jui;eais convenable. Le kaïak avail trois pieds de lari;e au milieu, et se ré- Irécissait vers les deux extrémilés. Une espèce de tillac remplissait eomplétemeni le creux, sauf un trou an milieu dans lequel on devait s'asseoir. Je i;aruis le tour de ce trou du bois le plus léi;er que je pus trouver, et j'y hs une entaille dans |a(|iielle la vesie il iia|;er du ra- meur devait s'adapter si parfailenieiil, qu'il semblerait ne faire ipruii avec son caiiol, el i|u'il scrail impossible (|iie les vaijiies pénétrassent dans le trou pour le mouiller. Au-dessous du trou, je ])ralii|iiai nue esc.ibellc oli ||. r.imeur, (pii du reste devait être ;i ];eiiiiii\, piiuv.iil en quel(|in' l.o'oii s'asseoir, afin de ne pas I ro)i se fali|;uer. (l'i'lail l.i un peifectionnement, en comparaison de la manière dont les canots des Groeiil.indais sont construits. I elle fut donc la carcasse de mon canot, et je me flattai qu'il nous serait d'une tjrande utilité. La matière dont il se composait était i« la fois si élastique et si lénère, que, (|uand je le lançai avec assez de force jiar terre, il rebondit comme une balle de paume; et l'ayant mis dans l'eau, une cliar|;c passablement lourde ne le lit pas enfoncer d'un pouce. (Juoi(|iie cette embarcation ne fût achevée qu'assez long- leiiips après, je vais dès à présent dire comment je m'y suis pris, afin de n'avoir plus à revenir sur ce sujet. Je choisis deux des plus grandes peaux de chiens de mer, dont j'avais dépouillé les animaux sans les fendre. Je les nettoyai et les jiréparai de la nianiirc que j'ai di'jii décrite en parlant des peaux d'ours, et les enduisis de caout- chouc li(|uide, ce qui les rendit à la fois imperméables et si élastiiiues, i|iie je les étendis sans peine sur la carcasse de mon kaiak. Chacune de ces peaux en couvrit la moitié, et je les cousis fortement ensemble au milieu, ;i l'aide d'une alêne de cordonnier et de nerfs tirés de la baleine. Des coutures pareilles furent faites ;i la poiipe et à la proue, et toiiles ces coutures enduites de eaoïilcliouc. Je ne dois jias oublier de dire (|ue j'avais préalablement garni l'intérieur de peaux de chiens de mer et calfaté tous les joints. Cela fait, je recouvris aussi le tillac de ces mêmes peaux, (|ui passèrent par-dessus le bambou supérieur que j'avais laissé entier, el qui formait un rebord assez élevé, par- dessus lequel les peaux furent tendues. Je ferai remarquer encore que j'avais placé le trou du rameur un peu plus en arrière que ne le font communément les Groenlaiidais, mon intention élan! plus lard d'adapter un petit mât et une voile sur la partie d'avant. En attendant, le canot devait être dirigé au moyen d un aviron double ou ;i deux pales, que je fis un peu plus long i|ue de coutume, et il l'une des ])ales du(|iiel j'attachai une vessie bien enduite de ])oix pour .liiler au rameur à se soulenir sur la surface de l'eau, dans le cas où la bar(|iie menacerait de chavirer. Après avoir terminé ainsi tout ce (|ui me regardait dans la coii- striielion de mon canot, je chargeai ma femme de faire, d'apri'S mes instriielions, les vestes de rameurs, sans lesquelles je n'aurais pas voulu ]>oiir tout au monde (|ue mes enfants se ris(|iiasseiil dans le kaïak, l'eau ]ioiivant entrer par le trou et rcmidir le fond de la cha- loupe, (^es vestes furent faites de boyaux de chiens de mer. Il serait tro]i long de décrire en détail la manière doni j'avais imaginé de tailler ce costume pour qu'il oITrit ;iu rameur une siirelé parfaite sans ijêner ses mouveiuenls, et pour qu'il put, en cas de besoin, lui servir aussi de scaphandre en y iiilroduisaiil l'air comme dans une vessie. Ce fut dans ces oceiipations que nous passâmes la saison pluvieuse, nous livrant par intervalles à la leeliire, ii l'étude des langues el à divers travaux du ménage. Mais aiissitôl que le ciel s'éclaircil, nous recommençâmes nos exercices champêtres, et Fritî fui le premier qui essaya de se servir de sa vesle k nageur. Uien ne |ioiivait être plus comique que de le voir se promener sur l'eau avec ce singulier eosliiiiie, bossu par devant et par derrii'ie, ;i cause du rennement de 1.1 vessie. Quoi ((u'il en soil, l'essai réussit parfaileiuent, el mes autres l'iifanis ne laissèrenl point de rejios ii leur mi'rc qu'elle ne leur eût promis d'en faire aussi de semblables pour eux. )\()iis allâmes ensuite visiler notre aiililope naine; nous la réga- lâmes d'une pâlée de sel, de grains de maïs et de glands doux, (|iii pariil être fort de son goùl, cl qui la rendit eompléleiiienl appri- voisée. IN'ous reconnûmes avec ])laisir, par l'étal de sa liliiu-e, ((u'elle élait rentrée souvent dans sa cabane, el nous nous empressâmes d'après cela de lui renouveler sa couche de roseaux el de feuilles. Mous parcourûmes apri's cela l'ile du He(|uiii tout eiilirre; nous ramassâmes du corail et des coipiillagcs pour notre musée, ainsi cpie plusieurs espèces d'algues el aiilres piaules marines, dont, à la prière de ma feiiime, j'ciuporlai une bonne provision avec nous. .\ noire reloiir a la baie du Salul, elle ehoisil, parmi ces piaules marines, cer- laiiies leuilles qui avaient la forme d'une lame d'épée, el cpii élaieiil denlelées comme une scie. Elle les lava avec soin el les éli'iidit pro- xisoiremenl pour sécher au soleil; elle les dessécha ensuile eoiiiplé- leiiieul dans noire four, et les déposa, non sans une mystérieuse solcnnilé, dans la pii'ce oii nous conservions nos |irovisioiis. .le ne pus m'cmpêclier d'éprouver (piel(|iic surprise il l'importance ipi'elle allachail a une plante eu ap|iareuee si inutile, el je lui demandai si elle voulait en faire du labae ii fumer. "Ma femme me répoiidil en rianl (pie son inlenlioii élait d'eu remplir nus paillasses, parce ipi'aiiisi nous serions couchés plus fraichemeiil quand xienilr.iienl les cha- leurs. I'>n allcndant, son Ion et siui regard, en me faisant celle ré- ponse, indiipiaienl bien que (■(■ n'était qu'une défaite. IMais un jour, comme nous revenions de l'alkeiiliorst , l'alignés cl éeliaiilTés par une longue el pénible expi'dilion, ma femme nous pré- senla, dans un plal de courge, la gelée la plus belle et la plus appi'- lissanle par siiii éelal et par sa Iransparenle pureté. Le giiûl eu était aussi délical ipie l'aspect en était admirable ; jamais nous n'avions rien mangé d'aussi agréable el d'aussi rafraichissanl. Ma femme sourit el me dit : « \ois-lii, mon ami, e'esl la un trail de giuiie de la eui- sinicrc en chel, qui roiigissail d'avoir sans cosse besoin île lis iiisiriic- LE KOblWSOlN SUlSSt. r.'T lions et de tes recettes. J'ai fait cette j^elée avec les leiiillcs (l'ali;iie f|iie j'ai fait laiiiasscr dans l'Ile du lleiiuiu. » I.iii ayani deiiianar une forte corde, nous les traînâmes à la remorque de notre chaloiipc jusqu'à l'clsenheim. Comme nous venions de nous y établir, et eonime nous nous dis- posions il entreprendre Je laisse il penser la joie de mes enlanls a la vue de l'excellc souper qu'ils ilurenl à ma chasse cl aux lalciils de leur nuMc pour la cuisine. Le souper Icriniué, Frilz raconta l'hisloirc de leur expédi- I (Ui, cl commcnl ils s'y élaienl pris pour s'emparer des divers ani- ' maux et piaules qu'ils nous apporlaienl. linmidialemenl après le souper, j'examinai tous ces objets, cl je reconnus, dans les chardons 138 LE ROBIINSOIN SUISSE.. supposés de Fritz, une espèce de cardes qui étaient précisément telles que je désirais eu avoir pour ma manulacture de cluipeaux. Les au- tres plantes ni'oflVirent deux plants de la pomme de cannelle , que nous connaissions déjà, et même quelques véritables cannellicrs. Ma femme les reçut des mains de ses enfants avec une vive reconnais- sance, et dès le lendemain matin elle les planta avec soin dans notre potager. Sur ces entrefaites, je confectionnai une macliinc de ma propre invention pour faciliter le dépouillement des divers animaux que mes lils avaient a]iportés avec eux. Je pris dans la caisse du cliirur- gien du vaisseau une seringue à clystère, et je l'arrangeai de façon qu'en perçant le piston et en y ajoutant deux soupapes j'en fis une macliine pour comprimer l'air. Elle était à la vérité bien imparfaite, Le condor. mais elle pouvait néanmoins servir à l'usage i\\if je me proposais d'en faire; car, ([uand je lirais le pistou vers n\oi, l'air entrait dans la se- ringue par les soupapes, et quand je le repoussais, l'air comprimé sortait avec force par la soupape du bout. Les enfants venaient d'aelicver avec un peu d'humeur les prépara- tifs nécessaires au dépmiillement des animaux, quand je me présentai au milieu d'eux ma seringue au bras comme un fusil. Ils éclatèrent de rire et demandiu-ent ce qu'un instrument si ignoble venait faire dans leur laboratoire. .Je répondis : « (;'esl la bonne seringue qui a eu pillé des couteaux de chasse, et (|iii vient respeclueuseiiicnl leur offrir ses secours ])our faciliter leur |)éiiible travail. — là commenl celle bonne ]iàle de <:réalure eompte-t-elle s'y prendre pour cela ' » s'écrièrenl-ils Ions en m'enloiiraul avec curiosité. Je ])riB sans rien dire le kanguroo, aii(|nel on n'avait pas encore touché, et je le suspendis parles pieds de derricM-e, de façon (|iie sa poitrine se trouvait immédialemenl i la bailleur de la mieime. Je hs après cela une ouverture dans la jieaii de l'animal entre les deux cuisses de devant, et j'y introduisis avec précaution la canule de ma nouvelle pompe entre (tuirel chair; puis je commençai à souiller de toutes mes forces. Le kanguroo ne tarda pas a entier et à devenir nue masse informe; mais je continuai toujours à souiller, jusipi'ii ce (|iie je reconnusse ipi'.i l'exception de (jiielques endroits iieu iinporlanls, toute la iieaii s'était séparée de la chair, ce (|iii ne laissa plus à mes eul'anls (|u'un travail très-facile à faire pour achever le dépouille- ment. !Mali;ié mon peu d'expérience, cette opération s'acheva dans la moitié du temps qu'elle aurait exigé sans cela, lis me demandereirt eommeiit l'idée m'en était venue; je leur répondis par une courte description anatciiiiiqiie de ce que l'on appelle le tissu cellulaire, eu leur faisant observer ipie je ne pourrais leur en diuiiier une evplii-a- tion compli'le (|iie ipiaud ils seraient ]iliis àgi-s. ,1e continuai apri's cela mes opéraliinis piieiimati(|ues , et j'eus bientôt vidi' tontes les bêles; toutefois, ce travail nous occupa peiidani la journée eulii're. La suivante devait être consacrée à couper du bois; en eoiisé(|ueiice, nous partîmes de grand matin, munis de cordes, de haches cl de l';iri«, Ty|iO(;rii|iliic I'Idij Ii ère» , iiiipriiiici notre claie à roues. Je montrai en passant aux enfants le dégât qu'a- vaient fait nos cochons, et je leur indiquai l'endroit oii j'avais tué les trois jeunes porcs. Quand nous fûmes arrivés près de l'arbre que j'avais destiné à être abattu, je dis à Fritz et à Jack de grini]ier jus- qu'au sommet pour en tirer les principales branches, afin que, quand le tronc tomberait, il ne s'accrochât pas aux arbres du voisinage. Ils devaient aussi attacher deuv longues cordes au-dessous de la cou- ronne; elles nous serviraient à diriger l'arbre de manière qu'il pût se placer dans l'endroit qui serait le plus commode pour nous. Nous nous mimes après cela à scier le tronc; quand nous y eûmes fait deux profondes entailles, nous commençâmes à tirer les cordes, le tronc prit un mouvement ondulatoire, puis il craqua et vint enfin tomber par terre sans avoir occasionné le moindre accident. INous le taillâmes en morceaux de quatre pieds de long. iNous fîmes aussi avec les branches des morceaux de différentes grandeurs et même des bûches tortues; tout le reste fut mis sécher au soleil pour en faire des fagots. Cet ouvrage nous occupa encore toute une journée, et ce ne fut que le lendemain (|ue je pus commencer à travailler les six jdus gros blocs de bois. Voici comment je m'y pris. Au milieu de chacun d'eux j'enfonçai un bois torlu qui s'élexait assez haut au-dessus delà surface du bloc, et à son sommet je fis une entaille dans laquelle je plaçai hori/.ontalement une traverse qui, de même que le fléau d'une balance, se mouvait facilement dans une mortaise, et dont une moi- tié était placée immédiatement au-dessus de la poutre primitive. A cette moitié j'attachai un marteau de bois de forme coni([ue et dont la tête arrondie touchait le centre de la poutre, ([lie je creusai légère- ment. A l'autre extrémité du fléau, j'attachai une espèce de pelle creuse, ou de sasse, et je rabotai le marteau jusipi'â ce qu'il devînt un peu plus léger que la pelle quand elle était iileine d'eau. 11 s'en- suivit que, (juand la iielle se remplissait, elle entraînait le fléau et faisait remonter le marteau; mais celte pelle était l'aile de manière Jack sur son autruihe. qu'elle devait se vider en arrivant près de terre, aussitôt le marteau icloniliait et venait frapper avec fori'c contre la poutre. Cependant la pelle se rempliss.iit our (|iie, sans eiilier dans de plus grands détails, on comprenne le jeu de mou iiniiiliM. le me félicitai d'avoir is lie rKiripei c'nr, rite ilc Vanjjirar*!, 3li LE ROBINSON SUISSE. K9 pu en construire un sans roue; car un moulfn ordinaire, à courant d'eau, eût été une entreprise beaucoup au-dessus de nos forces et de nos talents. Aussitôt ([ue celle machine fut en état de travailler, ma femme s'empressa de mettre du riz dans les six mortiers. I^'opération s'exé- cuta, comme d(^ raison, avec plus de lenteur que si nous avions eu un moulin véritiilde; mais pourtant, dans l'espace d'une journée , le riz se trouva coinplétcmciit dépouillé de son enveloppe et en état de servir pour la cuisine. La lenteur de la machine n'était pas un ohjet important pour nous, car nous n'attendions pas après nos tjrainspour les porter au marché. La joie de mes enfants fut extrême de se voir délivrés de l'ennui de piler dans des mortiers toutes les ijraines dont leur mère avait besoin pour la cuisine. Nous étions ciuore occupés à notre moulin, (|ui, placé dans le voisinage de nos champs de hié, nous permettait de voir tout ce qui s'y passait, (piandje remar- quai ([ue nos jeunes autru- ches et nos autres volatiles y restaient une grande partie de la journée et en reve- naient tout il fait rassasiés. Curieux de savoir d'oii cela pouvait provenir, j'y allai, et je reconnus, à ma grande surprise, (jue nos grains étaient déjà mûrs, quoiiju'il n'y eût guère plus de eiu([ mois que nous les avions semés. J'en conclus, avec une satisfaction extraordi- naire, que je pouvais désor- mais compter sur deux ré- coltes par an. Eu attendant, il faut convenir que le tra- vail que celte circonstance allait nous occasionner arri- vait fort mal à propos; car c'était précisément I époi|ue où nous attendions nos ha- rengs et les cliicus de mer qui ne niaiu|uaient jamais de les accom|iagner. Le sur- croît d'embarras que nous allions avoir ne laissait pas que d'effrayer ma lemme, malgré son activité natu- relle. Je la consolai en lui faisant observer (|ne nous pouvions recueillir et battre notre grain à la manière italienne, laiiuelle, si elle n'est pas la plus économi- ((ue, est du moins la plus facile , (|uaut aux précau- tions à prendre et au temps; et si nous n'en relirions pas autant (jne nous de- vions, notre douille récolte nous dédommagerait de cette perte. Je disposai d'après cela, devant notre habitation , un espace de terrain assez considérable pour en faire une esiièce d'es- planade, et je recouvris le sol, qui était Maturcllemeiit argileux, d'eau de fumier. J'y lançai aussitôt nos liètes pour ([u'ellcs le foulassent aux pieds, et j'achevai de l'égaliser eu le faisant battre de toutes nos forces avec des rames, des pelles, des planches et autres objets siuii- blaliles. La chaleur du soleil ne tardait pas à faire évaporer l'eau; mais nous en remettions sans cesse de nouvelle , jusqu'à ce (|uc le terrain se trouvât si ferme et si uni, qu'après l'évaporation il n'olfrit plus la moiiulre fente. Nous nous rendîmes après cela aux champs avec des faux, accom- pagnés de nos porteurs de palamiuiiis, Slurm et /irummer. iiui portaient suspendu entre eux, pour recevoir le ijrain, ce même graiid panier dans lequel Ernest avait été un jour si fortement se- coué. Arrivés sur le lieu, ma femme me demanda avec in(|iiiétude si j'avais apporté des bouts d'osier pour nouer les gerbes, et mes en- fants cherchèrent en vain autour d'eux des râteaux pour rassembler les épis. . iNoiis n'avons pas besoin de tout cela, leur dis-je; je vous ai déj;i aniioiicé que nous ferions notre moisson à l'italienne, et Italie on n'aime ni les peines ni la ilépense. — Et comment foi (loue pour faire leurs gerbes et pour porter le blé chez eux ? — l'.icii n'est plus facile, répoudis-je ; ils ne font point de i;.>rbes tout; ils réunissent dans la maiii g.uiche un certain ii'cMubre •20(1. An bruitjque je fis, l'étrangère se leva, m'aperçut, joignit les mains, et attendit cn^silence que je m'approchasse d'elle. en t-ils du d'épis, les coupent de la main droite, les lient aussitôt avec un brin de paille, et les jettent sur-le-champ dans un panier; cette ifianiere a encore l'avantage de ne pas les obliger à se baisser, position qui rend les travaux des champs si fatigants. » Cette méthode plut beaucoup à mes garçons, ils se mirent au tra- vail avec zèle, et en fort peu de temps noire panier .avait été deux fois rempli et vidé, et le champ n'olïril pas (|ue du chaume. Ma femme seule se montra moins contente que les autres. Accoutumée à la manière suisse de couper le grain, le cceur lui saignait de voir abandonner ainsi non-seulement tant de paille, mais encore tous les épis placés trop bas pour pouvoir être fauchés à la main. Elle repro- cha aux Italiens leur prodigalité. Je me rais à rire. « Les Italiens, lui dis-je, ne sont pas aussi mauvais calculateurs que tu le penses; ils ne perdent pas tout ce qu'ils laissent ainsi sur la terre, mais ils aiment mieux le boire (|ue le manger. » .le n'ai pas besoin de dire que tout le monde se récria en entendant cela. On me reprocha d'aimer les paradoxes, mais j expli- quai ce que je voulais dire. Je leur appris ipie le sol, en Italie, étant jteu favorable aux pâturages, les habitants, après avoir coupé leur blé de la manière dont nous l'a- vions fait , laissaient pen- dant quelque temps l'herbe croître entre le chaume ; a]irès (|uoi ils y condui- saient leurs bestiaux, qui y trouvaient une nourriture d'autant ]dus saine ([ue ce qui pouvait manquer à la paille se trouvait compensé par les épis (|ui étaient restés sur pied. Les vaches ainsi nourries doniiaiint un lait abondant et d'excellente qualité , de sorte ([ue j'a- vais eu bien raison de dire que les Italiens aimaient mieux boire que manger le blé qui restait après la moisson. Il fallut, après cela, son- ger à battre le blé, opéra- tion que je comptais faire aussi il la manière ita- lienne ; à cet effet, nous ac- compagnâmes nous-mêmes le dernier panier d'épis. Ar- rivés sur l'esplanade, Ernest et le jietit François, sous la direi limi de leur mère, éta- lèrent le grain en cercle, après eu avoir séparé les diverses espèces en petits las. Alors commença une nouvelle et joyeuse opéra- tion, (|ui fut bien plutôt un plaisir ipiun travail. (Cha- cun des enfants se mit sur une de leurs moutures, et il n'y eut pas jusqu'à l'au- truche qui ne dût jouer un rôle dans ce spectacle, et tous se mirent à fouler aux pieds le blé en riant et en chautaut, ]icndant que des nuages de poussière nous enveloppaient. Ma femme et moi, armés de grandes fourches, nous ne cessions de rassembler les épis battus pour les rejeter sous les pieds des animaux. A la vérité, nous eûmes à dépbircr (|iielqiies ,-ic- cidcnts aiiX(piels je n'avais pas ]ieiisé dans le prciuicr iiioiiieiit. D'a- bord , les animaux, (|ui ne crurent pas devoir se gêner, hiisserent tomber bien des ordures dans les grains; ensuite il leur :irriva plus d'une fois d'en iiiaiii;er de bonnes bouchées. Mais mes eul;iiils me demandaient :ilois d'un air railleur si cela faisait partie de la mé- thode italienne, et ma femme reuniniua (|ue si cette méthode n'était pas écoiiiuuii|ue, elle avait du moins l'avantage de raecoiireir le temps pendant le(|uel on devait avoir l'u'il sur l.i grange. Je répondis (|ue, d.iiis 1111 climat aussi eluiud que celui (|ue nous habitions, la fieute des animaux se desséchait promptciuent ; et quant aux grains (|u'ils mangeaient, l'Écriture elle-même nous disait de ne point mu- seler le biinif ipii foule nos épis; notre récolte iivait été d'ailleurs si al laiite, que nous aurions eu tort de n'en pas faire part aux servi- teurs (|ui nous avaient aidés dans nos travaux. Quand le grain fut suffisamment battu, nous nous mimes à le net- toyer, opération ipii ne fut pas des plus agré.ibles ; aussi je voulus (|ue mes enfants se relayassent, et celui ipii était chargé de jeter le ') )30 I.E ROBINSON SUISSE. grain en l'air se cous'i-ait la l'upire du capuclinn que j'avais fait pour les préserver de la piqûre des alieillcs. Fendant ce temps, tous les habitants de notre basse-cour arrivèrent auprès de nons et s'efl'orcè- reiil .1 qui mieux mieux de nous épargner une partie de notre peine. Les petits batteurs en (grange voulurent les cliasser; mais je leur représentai que si leur présence nous coûtait i[uel(|ucs grains de blé, cette perte serait amplement compensée par la ([ualité que leur chair en acquerrait, et j'obtins ainsi grâce |)Our ces innocents ma- raudeurs. Quand cela fut lini, nons mesurâmes le produit de notre récolte, et nous trouvâmes (|uc , malgré tout le pillage auquel elle avait été exposée tant sur jiied qu'après avoir été coupée, nos grains avaient rendu soixante <à quatre-vingts pour cent, car nous avions ])lus de cent mesures de froment et plus de deux cents d'orge. Le lilé de Turquie exigea des soins un peu différents de ceux (|ue nous avions donnés aux antres grains. Les gros épis furent détachés de leur tige et mis à sécher sur notre esplanade. Cela fait, nous les frappâmes avec de grandes xerges, pour détacher coni]détemenl les grains des épis, et le produit en fut si considérable, (]ue je demeurai convaincu que de toutes les différentes espèces de céréales, c'était celle qui convenait le mieux au climat et au sol de notre île. Mais nous n'avions pas de temps à perdre pour ensemencer de nouveau nos champs, si nous voulions obtenir une seconde récolle dans le cours de celte année. 11 fallait, pour cela, relever complète- ment le chaume. Nous étant donc rendus sur les lieux, armés de faux, nous fûmes lous surpris d'entendre un bruit étrange (jui pro- venait d'une foule de cailles du Mexique, ainsi que de quelques fa- milles de perdrix, qui s'élaicut fixées dans notre champ pour y glaner. Cette rencontre fut lar(|uer, quand nous arrivâmes à la mer, Fritz élait déjii si loin, (|ue nous le chereliâiues vaiiieiiient des yeux. Nous fendions cependant les flots avec la rapidité d'une mouette, et nous ne taillâmes pas à arriver ii l'endroit oii iiotri' vaisseau avait échoué, et oii nous jui;ions que l'rilz devait avoir été enlrainé par le courant. Lit se trouvaient des I rochers ii tleiir d'eau, et d'autres se montraient au-dessus des Ilots, qui se brisaienl contre eux avec bruit et en éciimaiil. Fii cherchant a passer, nous nous vîmes bientôt entourés de tons côtés de ruchers rpii s'étend. lient jusqu'à un priuiioiitoire sauvage et nu, situé à une .isse?. grande dislaiiie du lieu oii niiiis l'Mimis. \ous ne savions plus de quel côté chercher notre Groenlandais, car il était probahleinent caché derrière un de ces rochers, sans que rien nous indiquât celui sur lequel nous devions nous diriger de prél'érence. Il n'y avait pas fort longtemps que nous étions dans cette incerti- tude, ipiand nous vîmes à une assez grande distance s'élever une pe- tite colonne de fumée, .le mis sur-le-champ le doigt à mon pouls, et je comptai quatre baltemenls axant d'entendre une légère explosion comme un coup de pistidet. i< C'est là Fritz! m'écriai-je avec un soupir de bonheur, c'est lui qui tire. — Oii est-il? oii est-il? » demandèrent mes fils en relevant la tête, qu'ils tenaient baissée; et au même instant une colonne de fumée s'éleva. Je comptai encore quatre battements de mon pouls avant l'explosion, et j'assurai à mes enfants que l'rilz n'était pas à plus d'un quart de lieue de nous. A mon tour je tirai un coup de fusil pour signal, et la réponse ne tarda pas à se faire entendre. Nous nous dirigeâmes alors avec joie, mais prudemment, du côté d'oii le coup élait parti, et Ernest calcula le lem])S que nous y met- lions en re;;ardant sa montre. Au bout de dix minutes nous aper- çûmes Fritz, et cinq minutes apri's nous arrivâmes auprès de lui, et nous reconnûmes, à notre grande surprise, que ce jeune héros avait tué, à l'aide de ses deux harpons, un assez fort waïriiss ; cet animal était couché sans vie sur une avance du rocher qui nous ofl'rait un lieu commode pour débarquer. Je lis pourl.ml quelques reproches à notre apprenti groenlandais de ce qu'il s'était si fort éloigné de nous; il s'excusa d'abord sur la force du courant dans le ruisseau des Chacals, qui l'avait enlrainé malgré lui, et ensuite sur la joie qu'il avait éprouvée en voyant les xvalruss, ainsi qu'au désir de s'emparer de l'un d'eux. 11 nous rendit compte de la manière dont il s'y était pris, et nous admirâmes son adresse et son courage. " Tu as fait là un grand coup de tête, lui dis-je ; car, quoique ces animaux soient en général assez timides, ils deviennent souvent fu- rieux quand ils sont blessés, et peuvent mettre en pièces des cha- loupes bien plus solides (|ue loii frêle kaiak. i\Iais, grâce an ciel, tu es en sûreté, et c'est là le point principal. D'ailleurs je ne sais ce que nous ferons de ce monstre, qui a (juatorze pieds de long, quoiqu'il n'ait pas encore atteint toute sa croissance. FBiTZ. S'il est trop gros pour ipie nous l'emportions tout entier, permettez du moins, mon père, que je m'empare de la tête avec ses deux belles dents si longues et blanches comme la neige. LE PÈRE. ,Ie n'ai garde de te refuser ta jirière ; pendant que tu coupes la tète de l'aiiimal, je vais tailler deux courroies dans sa peau. C'est là, je crois, tout ce qu'il nous offrira d'utile. IMajs hâte-toi; des X'apeurs couvrent le ciel et semblent présager un or.ige. EiiNEST. Il me semblait, mon père, (|ue les xvahuss habitaient les mers septentrionales Comment ceux-ci peuvent-ils être venus ici? LE n'iiiE. Il s'en trouve sans doute dans les mers i;laeu considérable, ou est censé x'oir la naiiiiue au moment oii elle s'allume. Le son, au contraire, ne fait i|u'eiiviroii mille quarante pieds en une seconde. Je s.ivais, en outre, ((ue le pouls, chez un adulte liieii portant, donne d'oi'dinaire soixante battements par mi nute, c'esl-à-dire un hatlemenl par seconde. Tu comprends, d'apris cela, (|ii'a\ant compté quatre sccimkIcs, entre le mouienl oii j'ai vu la fumée et celui oii j'ai entendu le briiil, j'en ai conclu avec raison que Frilz devait se trouver à (|UMlre mille ceni soixante pieds de nous, (i'esl d'apris les mêmes données ((lie l'on calcule la disl.inee d'un nuage électrique pendant un orage, on celle d'un canon ((ui se lire (lentlant la nuit. EiixEsr. A-t-oii fait aussi les luêiiies calculs pour la liiiiiiire des astres ? LE pÈiiE. Sans doute, mon fils. ( )n sait que la lumière du soleil met huit minutes sept sei^oiides et demie (loiir arriver jtisr(irii la terre, et il esl probalile qu'il existe des étoiles fixes si éloignées que leur lumière ne nous est pas encore (laiM'Uue depuis la création du monde, n Nous ;ivions fait à pein ■ le tiers du elieinin jusqu'à la m.iisoii , LE R0B1^S01N SUISSE. 131 (|ii:tiKl nous fûmes surpris par un orarje terrible qui m'euibarrassa beaucoup; car, (|uni(|ue je m'y attendisse pour la journée, je ne pensais pas (pTil dût i elater sitôt. I'>il7. avait une si grande avance sur nous, (|u'il ne nous fut plus possible de le voir ;i travers la pluie, ni niêiue île nous faire entendre de lui, ce ([ui m'inquiéta double- ment, tant ])arre que nous ne pouvions le pri'udre avec nous dans noire bateau (|ue parée (|ue nous ne pouvions p:is profiler nous- mêmes de son secours pour le dirii;er. En atlendinl, je lis mettre à nu>s enfanis leurs corsets de liéijc, afin ([u'ils fussent préparés à tout ce (|ui pourrait nous arriver, jls eurent de la peine à m'obéir, et nn)i-iuème je fus oblieé d'avoir recours au même expédient, après (|uoi nous nous reeommanIais, hélas ! j'éprouvais toujours la plus vive inquiétude sur le sort de Fritz ; tanlôl je me figurais que mon pauvre enfant avait été lancé contre un éeueil , lanlùt (pTil avait été enlrainé au loin dans la pleine mer ; je n'osais plus ad resser au ciel des prières pour sa vie, et je ne demandais à Dieu que de pouvoir su])porter sa perte avec courage. A la fin, j'arrivai à la hauteur de la baie du Salut, et je fis une profonde iiispiralion comme un plongeur qui revient du fond de l'eau. Nous franchîmes heureusement la passe, et nous nous retrou- vâmes dans une eau tranquille, où nous jiûmes remercier le ciel de ce que, nous du moins, nous n'avions plus rien à craindre. Mais, grand Dieu! quelle fut ma joie, lorsqu'en approchant du rivage, les in'cmicrs objets qui frappèrent mes regards furent uni femme. Frit/, et le petit François agenouillés sur la grève, oii ils remerciaient le ciel de la délivrance de l'un et lui adressaient des prières pour les autres. Hien ne put égaler notre ravissement qu.ind nous nous re- vîmes eiilin réunis. Je m'attendais à de graves reproches de la part de ma feiiiiue ; mais elle fut assez bonne et assez raisonnable pour tout oublier dans sa. joie de nous retrouver. Après avoir renouvelé Ions ensemble mis actions de grâces, nous allâmes changer de vête- ments et oublier nos peines et nos périls auprès d'un excellent soupc'r. Fritz nous raconta qu'une fois qu'il se fut convaincu que son canot liait en état de se soutenir sur les flots agités, il n'avait plus éprouvé d'autre crainte que celle de perdre son gouvernail; mais il ne fui |ias a-isez malheureux pour cela ; du reste, le vent l'avait favorisé, et sa traversée avait été si rapide, qu'il était déjà arrivé il la maison avant la dernière averse. Je remarquai après cela qu'il était rare que rhoiuiue ne pût tirer quelque avantage même des malheurs qui lui arrivaient. Dans cette occasion, la certitude que nous avions ac(|uise de la solidité de nos embarcations devait être pour nous une grande eoiisolalion, ]iiiisqu'elle nous permettait, si le cas se ]ii'éseiilait, d al- ler au secours de vaisseaux en détresse, et par coiiséipieiit nous of- frait la seule espérance raisonnable de sortir un jour de notre île. J'avais à peine achevé dî^ parler, (|ue mes enfants |irirent feu sur-le- champ. Ils me direiil qu'il fallait absiiliiiuenl planter un mât avec un ])avilloii sur le haut du rocher de l'ile du Hei|uin, et y transporter un canon pour pouvoir avertir les vaisseaux de notre présenie dans l'ile. Je leur lis observer (|ue cette entreprise était bien |;iganlesipie pour nous; comment espérer de ])orter un canon sur le haut d'un rocher que nous n'avions jamais pu même gravir? (Jiioi qu'il en soil, je lus flatté de la confiance ipi'ils semblaient mettre dans mes talents et mon génie inventif, et leur promis de ne pas perdre de vue un projet si bien conçu. I.a pluie (|ui venait de tomber avec tant d'.iboiid.ince, ii une épo- que lie l'aiiiiée oii nous n'avions p;is coutume d'éprouver des (irages, avait prodigieiiseincut enflé les ruisseaux. F.n quehjiies endroits, coiiime par exemple à Falkenliorst , ils étaient sortis de leur lit, et avaient occasionné- des dégâts cpi'il était urgent de réparer. !1 n'y eut pis jusqu'au ruisseau des ( Ihacals (|ui ne menaçât d'emporter le pont. (a'Iiii de l''alkciiliorst avail détniil l'aiigi' de la foiilaiuc cl l'aqucdue qui y coiiiliiisait , et nous eûmes assez de peine ii les remettre promp- Icmeiil en élat de servir. Nous élant rendus à cet efl'et à la paroi de rochers d'oii l'eau tombait, nous vîmes que la terre était coiivcrle de baies d'un rouge loncé, garnies par le haut d'une petite couronne de feuilles, et qui pouvaient avoir la ijrosseiir d'une noisette ordi- naire. Leur aspect était si attrayant, que mes enfants se jetèrent des- sus, et y portèreni la dent sans précaution ; mais ils n'curcul rien de pIlLS pressé que de s'en débarrasser au jibis vile , laiil le gnûl en élait fort et mordant. Ils furent ainsi punis de leur gourmandise. Cinnme, en même temps, le singe ne témoignait pas le moindre désir de man- ger de- CCS baies, elles m'aiiraicnl p.iru fort suspectes si, à leur par- fum , je ne les eusse reconnues sur-le-champ pour les fruits du géro- flier ; et, le.s^iyant i;oûtécs avec iirécaution, je ne tardai |)as à acquérir la certitude de ce que j'avais supposé. Celte découverte était beau- coup trop précieuse pour ne pas fixer toute notre attention ; aussi com- mençâmes-nous à ramasser ces baies avec soin et ;i les rassembler dans un Siic. A notre arrivée a Felsenlieim, nous donnâmes notre moisson il ma femme, qui la reçut avec reconnaissance. Elle mit de coté les fruits les plus parfaits pciiir les planter dans notre pépinière, cl porta les autres dans sa cuisine, où ils devaient servir ;i relever le goût de nos mets. J'avais apporté aussi avec moi de la paroi de rochers une bonne provision de terre glaise pour eu former les bords d'un ;i(|ucduc, et comme j'avais remanjué que la pluie d'orage avait siiigulii'rcmcnt rafraîchi nos champs ensemencés, j'y conduisis l'eau du moulin a fouler et je l'y laissai couler en liberté pendant la saison chaude; mais je préparai en môme temps une rigole, pour qu'à l'époque des pluies elle |iùt s'écouler dans le ruisseau des Chacals. Une nuit, pendant un très-beau clair de lune, je fus réveillé du sommeil le plus rafraîchissant jiar des aboiements répétés de nos chiens de garde, auxquels se joignait un bruit de pas, de croasse- ments et de cris étranges, qui me rappelait toutes les horreurs de l'attaque des chacals ; on eût dit que le chasseur sauvage était venu prendre ses ébats nocturnes près de notre demeure. Mon imagination se remplit sur-lc-cliamp des tableaux les plus effrayants; à côté des chacals, je croyais voir déjà des bullles, des ours et des boas. Je me levai à la hâte, et jetant sur moi de légers vêtements, je saisis la première arme (]iii me tomba sous la main, et je courus à la porte, dont la partie supérieure restait ouverte pendant les nuits d'été, pour répandre de la fraîcheur dans la maison. A peine eus-je avancé la tête pour voir ce ([ui se passait, que j'aperçus Fritz à la fenêtre de l'étage au-dessus, qui me dit : « Est-ce vous, inon père? Au nom du ciel! que signifie ce bruit ?» Je lui repondis que je l'ignorais, mais que je croyais m'aiiercevoir que c'était encore un tour iiue nous jouaient nos cochons. J'ajoutai que, du reste, nos chiens paraissaient prendre fort mal la plaisanterie, qu'ils en voulaient sérieusement aux cochons, et que je priais mou fils de descendre pour empêcher ce carnage. A ces mots, Fritz s'empressa de sauter par la fenêtre, et nous cou- rûmes ensemble au lieu du combat. Là, nous reconnûmes que toute la pelile trou]ie de nos cochons devenus sauvages avait passé le pont du ruisseau des Chacals, et se disposait à pénétrer dans les planta- lions de ma femme, lleiireusemenl nos chiens faisaient bonne police, l'eiidant que l'un d'eux s'était attaché à l'oreille du mâle, l'autre poursuivait les marcassins, qui se sauvaient à toutes jambes, et s'ef- forçaient de gagner le bois le plus voisin. J'eus pitié du pauvre ver- rat, qui n'était pas de force à lutter contre son vigoureux adversaire; j'allai donc à sou secours pendant que Fritz rappelait l'autre chiea auprès de lui. Ce ne fut pas sans peine (pie nous réussiiues. Il me fallut employer toute ma force pour ouvrir la gueule du chien et délivrer l'oreille du cochon, ipii, dès ([u'il se sentit en liberté, n'eut rien de plus pressé que de se sauver, sans même me remercier du secours que je lui avais prêté. Je me préparais à gronder mes enfanis d'avoir négligé de relever les planches du pont, comme nous avions coutume de le faire toutes les nuils, ipiaiid je rciuar(|iiai que les coihons, .avec une adresse dont je ne les aurais pas crus capables, avaient passé par-dessus les ])outres de traverse qui reslaieiil en place. Cela me décida à prendre de ]dus grandes précautions encore pour notre sûreté, et ii changer notre poiil tournant en nu pcnit-levis ipie l'on pût lever tous les jours, ce ipii nous mettrait à l'avenir à l'abri de pareilles visites. Dès le lende- main matin, nous commençâmes ce travail. Je fis d'abord deux fortes |ioiitres, qui, réunies en haut et eu bas par deux traverses, formèrent un carré long, garni d'un certain nombre d'échelons par Icsipicls il était fai'ile de monter. Je fis à clia- ipie poutre une enlaille à la partie supérieure, al'iii d'y attacher un des bras de mon lunit-lcvis. Ce carré long fut ensuite enchâssé dans un autre pareil, qui fut placé horizonlalement par terre, et assez solidemenl attaché par des luquels pour ipi'il («ût soutenir la poutre. Je hs aussi en sorle qu'il avançât d'un jiied sur la rive, afin qu'il posât par terre lorsqu'on baisserait le poiil. jNdus enlevâmes ensuite , partie sulTisanli' de l'ancien pont, pour que la partie extérieure de la i;raiiile planche relombaiilc y |)ûl poser sur une largeur de hiiil où dix pouces. Il fallut s'occuper après cela des fléaux, ipii fii- reiil posés en éipiilibrc du haut des grandes poutres, et attachés avec des crochets de l'cr de façon à pouvoir s'élever cl s'abaisser avec assez de facilité. Je viens de donner les détails des travaux préparatoires de mon pont-levis. On conçoil (]ue, pour le faire jouer cl prévenir les acci- ilcnls, il fallut encore un gr.ind nombre de précautions auxquelles je n'arrivai pas mêiiu! tout à coup. Ce ne fui qu'au fur et à mesure (lue je perfectionnai cet ouvrage, (pii finit par être assez parfait pour iHiiis scrx ir de défense , d ii moins caiitre les animaux. Si nous a\ ions <.'!2 LE ROBIWSON SUISSE. eu affaire à des Iiommes, il aurait fallu lui donner plus de solidité, et surtout remplacer ])ar des chaînes les cordes, qui me parurent suf- iisantes dans la jiosilidu où uiius nous trouvions. Quand notre pont fut achevé, je proposai à mes enfants un voyage au dclilé de l'ermitage, parce que. j'avais besoin de re^iouveler ma provision de terre k porcelaine. Je n'ai pas besoin de dire que ce jnojet fut accueilli avec joie. Quand le jour du départ fut fixé, Fritz alla trouver sa mère, qui travaillait dans le potager, et la pria de vouloir bien lui donner un morceau de viande d'ours, dont il voulait faire du pemmican. lA siiiiiE. Auparavant, mon cher enfant, je te prierai de me dire ce que c'est que du pemmican, et quel usage tu en veux faire. FRITZ. C'est un mets américain, que les marchands de pelleterie canadiens emportent avec eus comme provision dans les longs voyages qu'ils ont coutume de faire chez les sauvages. C'est de la viande d'ours ou de cerf séchée et réduite en farine. Rien n'est plus nourrissant sous un petit volume, de sorte qu'il est d'une commodité extrême dans un voyage lointain oii l'on ne veut pas être trop chargé. LA MÈRE. C'est fort bien ; mais je ne vois pas pourquoi il vous faut à présent de ce pemmican , mets dont j'avoue n'avoir pas une très- haute idée. FRITZ. J'en ai besoin à présent, parce que nous allons partir pour une délicieuse excursion. LA MÈRE. Ah I ah ! c'est donc ainsi que l'on forme des projets sans me consulter et sans demander ma permission. Du reste, je conçois que votre ragoût de viande d'ours desséchée peut être utile dans le cours d'un très-long voyage, au milieu de terres arides et de peu- plades sauvages; mais ici, dans notre île charmante, qui fournit à tous nos besoins, cela ne saurait être nécessaire pour une absence qui ne se prolongera pas au delà d'une couple de jours. FRITZ. Vous pouvez avoir raison à quelques égards, ma mère; mais songez au plaisir (jue l'on doit éprouver en se disant que l'on vit à la manière de ces hardis traqueurs. Cela n'est-il pas bien plus glorieux que de faire comme nos chasseurs bourgeois qui, pour obtenir un lièvre vivant, emportent un lièvre rôti dans leur poche? LA MÈRE. J'admire, en vérité, ton héroïsme; mais il me semble que, pour que la gloire fût parfaite, il faudrait que la viande fût toute crue ; il y aurait plus de mérite encore à s'en contenter. L'entretien en était là (piand nous arrivâmes tous, et nous prîmes si chaudement le parti de Fritz, que ma femme finit ]>ar céder. Elle donna son consentement à notre excursion, et lui accorda la viande d'ours qu'il avait demandée. Après cela, il ne fut plus ([ueslion, ])eiulant deux jours, que de la fabrication du pemmican. On eût dit (|ue vingt hommes au moins se préparaient à uu voyage qui devait durer tout l'été. Indépendamment de cela, mes enfants firent plusieurs sacs et des paniers ronds pour transporter de petits oiseaux ; ils fabriquèrent aussi des pièges d'oiseleurs, et se préparèrent, en un mot, à de véri- tables expéditions de maraude, du vrai but desquelles ils s'efforçaient de faire pour moi un mystère. 11 fallut s'occuper ensuite à mettre en état notre ancienne claie, devenue, comme on sait, une espèce de charrette par le moyen des roues d'affût qui y avaient été adap- tées. On la nettoya, on la visita, on la graissa, et, la veille de notre départ au soir, on la chargea de munitions de guerre et de bouche; on y mit aussi la tente de voyai;e, le kaïak de Fritz, sans compter plusieurs autres objets ((u'il serait trop long d'énumérer ici. Enfin parut l'aurore attendue avec tant d'imiiatience. Chacun fut de bonne heure sur ]>ied , et je remarquai que Jack portait à notre charrette avec une sorte de mystère deux couples de nos pigeons euro- péens, qu'il plaça soigneusement dans un des sacs à paniers. C'était de cette espèce de pigeons (|uc Ituffon ap|)elle des pigeons turcs. Je ne pus m'empêcher de sourire en voyant cela, c«r je me dis qu'ils étaient gens de précaution, et qu'ils voulaient se nourrir de viandes délicates en cas que le pemmican ne les ragoûlàt pas à la longue. Quand le moment du départ arriva, j'appris à mon grand étonne- mcnt (|ue ma femme désirait, cette fois, rester traii(|uille à la mai- son, et l''rnest, qui de])uis loiigleuips chuchotait avec ses frères déclara que lui aussi préférait ne point être du voyage. Je me déci- dai, d'après cela, à ne pas partir non plus, et à m'occuper, pendant ce temps, de confectionner le pressoir (|ue ma femme m'avait si sou- vent demandé pour écraser les cannes à sucre, 'i'out étant ainsi con- venu, Fiitz, François et Jack se mirent en route, les deux premiers sur nos bêtes de trait, et le troisième sur son autruche; ils ])artirent au galop, en faisant retentir les rochers de leur bruyante joie. Quant à moi j(' me mis sur-le-champ à l'ouvrage pour mon pres- soir ou moulin, et comm(' je ne m'écartai ])as beaucoup du modèle ordinaire, je ne décrirai pas le travail (|ue je fis à celte occasion ; j'aime mieux rapporter un extrait aussi abrégé (|ue jmssible du liiplc récit que mes enfants me firent à leur retour des aventures qui leur étaient arrivées en voyage. Ils arrivi'rent promptenient dans les environs de Waldegg, oîi ils avaient résidu de se fixer pour cette journée et la suivante. Mais, en approchant de là, ils fun'ut surpris d'enlciulre pousser de grands éclats de rire, qu'on eût dit provenir de la voix d'un homme.' Aus- sitôt tous les animaux donnèrent les plus grandes marques de frayeur, et l'aiitruche, prenant tout à coup son élan le plus rapide, courut avec son cavalier dans la rizière du lac de Waldegg. Ce rire cl l'ex- pression de frayeur des animaux se renouvelèrent à plusieurs re- prises. Fritz s'arrêta alors, et dit au petit François d'aller en avant avec les deux chiens, ])0ur lâcher de découvrir à quel ennemi ils avaient affaire, mais en lui recommaiulant d'user de beaucoup de prudence, et de retourner sur ses pas s'il voyait le moindre danger. François, qu'aucun péril n'effrayait, ch.irgea ses pistolets, accompa- gna les chiens, et partit pour le ]ietit bois d'oii sortaient les éclats de rire. 11 avait fait à peine quatre-vingts pas dans le taillis, quand, par une ouverture entre les arbres, il vit, à trente ou quarante pas de dislance, une énorme hyène qui venait d'abattre un mouton, et qui, la gueule ensanglantée, dévorait sa proie. Elle continua son dé- jeuner sans se déranger, quoiqu'elle eût aperçu l'étranger qui venait assistera son repas. Elle se contenta de le saluer par un de ces rires de mauvais augure. Cependant le petit François s'était placé derrière un arbre, d'où il visa le monstre avec son fusil, et au moment où les chiens, dont l'inquiétude s'était changée en fureur, s'élançaient sur l'hyène, l'enfant lâcha son coup; la balle fracassa une des pattes de l'animal , et lui fit en outre une blessure assez forte à la poitrine. Sur ces entrefaites, Fritz, ayant non sans peine attaché les deux buliles à des arbres, arriva, le fusil bandé, au secours de son frère; mais ce secours était heureusement devenu superflu. Les chiens combattaient avec un courage si admirable, qu'ils vinrent seuls à bout de leur terrible adversaire, et le laissèrent mort sur la place. Ils s'étaient si fortement cramponnés l'un à sa gorge et l'autre à son cou , ([u'il fal- lut user de violence pour les en détacher. Même après que cela fut fait, ils continuèrent à tourner autour de leur ennemi en grognant; mais mes enfants les rappelèrent auprès d'eux, les rassurèrent, les lavèrent avec de l'eau et du vinaigre, et les oignirent de graisse d'ours ((u'ils avaient emportée avec eux pour assaisonner leurs mets. Bientôt a|irès, Jack rejoignit ses frères, s'étant avec peine tiré du marais, et tous trois poussèrent des cris d'étonnement en voyant la grosseur monstrueuse de l'ennemi dont ils venaient d'être délivrés. 11 était, en effet, presque aussi gros qu'un sanglier , de fortes soies se relevaient hérissées tout le long de sou épine dorsale ; sa peau grise était tachetée de noir ; sa gueule ressemblait à celle d'un loup, mais ses oreilles étaient beaucoup plus petites et plus pointues <(ue celles de cet animal; sa queue était touffue , sa jambe musculeuse, et ses griffes étaient fortes et bien armées. Aussi est-il plus que probable ijue les chiens n'auraient pas pu le vaincre sans la grave blessure i|ue le petit François lui avait faite, et qui lui servit de prétexte pour réclamer l'animal comme sa propriété ; ses deux frères ne firent au- cune difliculté de reconnaître son droit. Le reste de la journée se passa à transporter l'hyène à Waldegg, h la vider et à la dépouiller, et à tuer (luelques oiseaux perchés sur les arbres du voisinage. Pendant (pie cela se passait, nous étions assis sous un bosquet à Felshcim ; nous parlions de nos jeunes voyageurs, et ma femme ne laissait pas(|ue d'exprimer sur leur compte ces incjuiétudes auxquelles le cœur d'une mère n'a que trop coutume de se livrer. Tout à coup Ernest prit la parole et dit : « Trani|uillisez-vous, ma chère mère ; demain, j'espère vous donner les meilleures nouvelles de tous trois. MOL Ah! ah! Aurais-tu l'inlenlion de leur faire une visite:' Cela ne ni'ariangerait pas trop, car j'ai besoin de ton aide pour les travaux que je fais. ERNEST. Oh non! Je n'ai nulle intention de m'en aller, et pourtant je compte bien apprendre demain ce que font nos voyageurs. Un songe, qui sait? m'en instruira peut-être. MOI. Qu'est-ce que je vois ? Voilà un pigeon qui rentre bien tard au colombier. Il fait si noir que je ne peux pas distinguer si c'est un des nôtres ou bien un étranger. ERNEST. Je vais aller bien vile lui ouvrir b; guichet , et demain nous verrons ce qui en est. Je m'attends, vu l'heure, à ([uehpie chose d'extraordinaire. Ce jiigeon nous a])porte piiil-êlre des nouvelles de Sydney. Vous m'avez dil une fois, mon pire, (|ue vous pensiez que notre île n'était pas loin de la INouvelle-llollande. MOT. Que de chemin Ion imagination fait en peu de temps! Mais je suis d'avis cpie nous allions maintenant nous cmicher ; demain ma- tin, au déjeuner, lu nous liras la gazette de Sydney, lUi bien tu nous raconteras ce que tes frères t'auront dit ilaiis la visite nocturne que lu as, je ])ense, intention de leur faire. Bonsoir donc; dormez bien tous deux , comme je compte aussi le faire de mon côté. « CHAPITRE XLVII. Retour du pigeon. — Capture dos cygnes noirs. — Le vautour royal ot le tapir. — Massacre des singes. — Dégâts faits par les éléphants. — Arrivée ù l'ermitage. — Le cacao. — Les bananes. — L'hippopotame. — Elfioi do Jack. — Le corps de garda dans l'Uo des Requins. Erncst'fut debout, le lendemain matin, beaucoup plus tôt qu'à l'ordinaire , de sorte que, (|uaiidjc me levai, j<' rcntcmlis déjà re- muer ilans le colombier ; et ijuand nous nous mîiiies'à table pour LE ROBINSON SUISSE. 133 déjeuner, il entra d'un air de (jravité, et nous dit qu'il venait de re- cevoir à l'instant une lettre du gouverneur de la colonie ani;iaise de Sydney. 11 nous lit lecture de cette dépccUe, par laquelle le ijouver- neurse plaignait de ce que trente hommes des habitants de notre île avaient fait une incursion sur le territoire qu'il commandait, et y eierçaient de sjrands ravages. En même temps il disait qu'ayant ap- pris qu'une troupe d'hyènes s'était montrée dans notre ile, il nous engageait, pour noire sûreté et la sienne, à faire ce (|ui dépendrait de nous pour les détruire. En achevant cette lecture, qui nous amusa beaucoup, Ernest poussa un grand éclat de rire, et fit un si grand saut qu'un hillet lui tomba de la poche ; je voulus le ramasser, mais il m'en empêcha, en me disant que ce ]iai)ier contenait sa corres- pondance particulière de W aldegg. .le lui demandai ce (ju'il voulait dire par là, et comment cette lettre lui était |)arvenuc. ERNEST. C'est un pigeon qui me l'a apportée hier au soir; et si l'heure n'avait pas été si avancée, j'aurais pu dès lors vous dire com- ment mes frères se portaient et à quoi ils s'occupaient. i.E l'iiRE. Cela est vraiment charmant ; ton idée a été fort bonne, et peut nous devenir très-utile. Mais (| uesigni h e cette histoire de l'hyène.? Elle m'inquiète, car je ne saurais croire qu'elle soit sortie tout entière de ton cerveau poétique. ERNEsr. \ ous allez le savoir ; je vous lirai le billet mot à mot : « Mes • hien-aimés ])arents et mon cher Ernest, une monstrueuse hyène a » tué deux agneaux et un mouton ; mais nos chiens l'ont attaquée, ■> après (|ue le petit François l'eut grièvement blessée. Nous avons » passé presque toute la journée it la dépouiller de sa peau, qui est » fort belle. Motrc pemmican ne vaut pas grand'chose. Portez-vous • tous aussi bien que le font vos fils et vos frères. Nous vous em- » brassons de tout notre cœur. » A Waldegg, ce 15. » Votre Fritz. » i.s l'ÈRE. Ah ! ah! Il faut convenir que c'est là une véritable lettre de chasseur. Mais comment ce monstre a-t-il pu pénétrer dans nos domaines >. Il faut qu'il ait forcé depuis peu de temps le défilé de l'er- mitage ; sans cela sa connaissance avec nos moutons et nos chèvres ne daterait pas d'hier. LA MiaiE. Je frémis encore du danger qu'ils ont couru, et je ne sais si nous ne ferions pas bien de les faire revenir au plus tôt. ERXEST. Je suis d'avis qu'il ne faut pas trop se presser. J'attends ee soir encore une lettre d'eux, et nous saurons alors ce qu'il faudra faire. LE PÈRE. 11 vaut certainement mieux attendre; car si nous nous mettions à courir après eux, nous courrions ris([ue de les manquer. En cflet, le soir, d'un peu meilleure heure que la veille, nous vîmes un second pigeon se diriger avec rapidité vers le colombier. Ernest s'emi)ressa d'y monter, et revint au bout de quelques instants a\ec un bilh't (ju'il avait détaché de dewous l'aile de l'oiseau. Voici quel était le contenu de cette laconique épitre : « La nuit tranquille. La matinée belle. Navigation en kaïak sur le « lac de Waldegg. Capture de cygnes noirs. Idem d'un vautour royal, u (jhasse aux grues et aux macreuses. Un animal inconnu du marais » mis en fuite. Demain, départ pour Prospcct-IIill. Portez-vous tous » bien. Tout à vous. » Fritz , Jack et le petit François. » Ce billet nous tranquillisa beaucoup, ma femme et moi; car, la nuit ayant été tranquille, nous en conclûmes qu'il n'y avait pas d'autres hyènes dans le voisinage. Le reste de son contenu était, jiour le moment, autant d'énigmes, dont nous ne reçûmes la solu- tion (|u'au retour des enfants. Leur projet avait été de reconnaître en détail tout le lac de Wal- degg, et surtout de marquer les endroits où l'on pouvait s'approcher d(^ l'eau sans courir risque de demeurer pris dans la vase. En con- séquence, Fritz navigua le long du rivagi' dans son kaiak, tandis que ses frères suivaient la même route par terre, derrière les ro- seaux, 'l'outes les fois que Fritz leur faisait roiiiiaitre par un signal i|ue la terre était ferme, ils descendaient au bord de l'eau, et mar- ([uaient la place, eu liant ensemble des roseaux et des broussailles. Fritz voulut profiter de cette occasion pour s'emparer xivants de .pielques cygnes noirs, et il réussit à jeter un na'ud coulant autour liu cou de trois jeunes oiseaux, qui se montrèrent moins farouches qu'il ne s'y était attendu. Une fois |)ris, il luur banda les yeux et leur lia les ailes. Ils arrivèrent sains et saufs à Fclseuheim , où , après que nous eûmes pris toutes les précautions nécessaires pour les em- pêcher de s'envoler, ils devinrent les plus beaux ornements de la liaie du Saliil. Ainsi que le billet nous l'avait appris, cette capture ne tarda pas à être suivie île celle d'un magnifique vautour royal, qui s'était ca- ché dans les roseaux, et Fritz, l'ayant vu avancer son beau cou et sa tête couronnée, lui lança ii son tour le nœud coulant, et s'en em- para de la même manii're qu'il avait fait des cygnes. Pendant que mes trois tils, debout sur le rivage, contemplaient avec admiration les belles prises qu'ils avaient faites, un gros ani- mal sortit du milieu des roseaux, et, à leur grand clïroi, passa rapi- dement devant eux. IJ'après leur description , cet animal avait la taille d'un jeune cheval , sa couleur était brun foncé , et il ressemblait assez à un rhinocéros, si ce n'est (|u'il n'avait point de cornes et que sa lèvre supérieure était mince et allongée. Il était évident, d'après cela, que c'était un tapir ou anla qu'ils avaient vu, amphibie inno- cent, qui habite d'ordinaire les bords des grands fleuves de l'Amé- rique méridionale. Ils auraient bien voulu s'en emparer; mais, avant que leur frayeur se fût dissipée et qu'ils eussent eu le temps de rap- peler leurs chiens, qui criaient au loin, l'animal disparut dans un jungle qui s'étendait jusqu'au bord du lac. Fritz le poursuivit inutilement pendant quelque temps; mais Jack et François retournèrent ii Waldegg avec les cygnes. Sur ces entre- faites, une volée nombreuse de grues arriva de loin avec de grands cris, et en faisant un bruit très-fort avec leurs ailes; elles s'abatti- rent près de la rivière. Mes deux fils , au lieu de les coucher en joue avec leurs fusils, voulurent cette fois se servir de leurs arcs, qu'ils avaient emportés avec eux , et d'une espèce de flèches qu'ils avaient inventées eux-mêmes. Ainsi armés, ils se glissèrent dans le voisinage des grues , qui becquetaient avidement les grains de riz qui étaient tombés par terre. Les flèches dont je viens de parler étaient garnies, indépendamment de leur pointe , de plusieurs cordons enduits de colle, de sorte qu'il suffisait qu'une d'elles touchât un oiseau en pas- saut pour l'embarrasser dans son vol, et faciliter aux chasseurs le moyen de s'en emparer vivant. Mes petits oiseleurs parvinrent, eu effet, à prendre ainsi cinq oiseaux superbes, dans le nombre desquels je reconnus plus tard deux demoiselles de Numidie. Lorsque Fritz revint à Waldegg, après avoir vainement poursuivi son tapir, il éprouva un léger mouvement de dépit et de jalousie à la vue de la belle chasse de ses frères. Le désir de ne pas rester eix arrière d'eux ne lui laissa aucun repos; de sorte «[ue, prenant son aigle , et se faisant accompagner des chiens, il s'en alla avec ses fusils au bois des Goyaviers, dans l'espoir d'y rencontrer un gibier non moins distingué que celui que ses frères avaient pris. Il n'y avait pas un quart d'heure qu'il était parti, quand les chiens firent lever tout à coup une peujilade entière d'oiseaux ressemblant à des faisans, dont les uns traversèrent la plaine avec un vol rapide, et dont les autres se perchèrent sur les branches les plus basses des arbres, d'où ils regardèrent le jeune homme avec un étonnement mêlé d'insouciance. Fritz lança contre eux son aigle, dont l'approche les fit se jeter de là dans le gazon, où ils se cachèrent. Toutefois l'aigle en tua un, et un second éprouva une telle frayeur, qu'il tomba vivant dans les mains de Fritz. L'n troisième fut tiré de sa retraite entre les branches d'un arbre, par le moyen du cordon de métal attaché au bambou. Celui - ci était le plus beau de tous. 11 se distinguait des autres par une queue qui avait au moins deux pieds de long , et qui se composait de plusieurs plumes. Dans le nombre de ces plumes, s'en remarquaient surtout quatre fort longues, recourbées, dont deux étroites et deux larges. A tout prendre, ce bel oiseau tenait le milieu entre le faisan et l'oiseau de paradis. Je le reconnus sur-le-champ pour la macTfAina superba de la Nouvelle-Hollande; mais celui que mes enfants avaient pris n'était qu'une femelle, et beaucoup moins belle que le mâle. Pour le reste, nos chasseurs vivaient assez bien de viande froide, de jambon fumé de pécari, de gâteaux de cassave et de fruits, no- tamment de goyaves et de pommes de cannelle. Ils ne se firent pas faute non plus de patates; mais quant au pemmican, ils déclarèrent à l'unanimité, dès la première bouchée, qu'il était indigne d'eux, et il fut décidé qu'il servirait de nourriture aux chiens. Enfin lesjeunes gens rassemblèrent, le soir, une provision de riz, pour le lendemain, et un sac de coton. Ils voulaient l'emporter avec eux à Prospect-lIiU, qu'ils avaient intention de visiter. Fritz fut aussi d'avis d'emporter quelques noix de coco et du vin de palmier, pour donner une leçon aux singes qui s'y trouvaient. (,)uelques palmiers furent, en consé- quence, mis en perce, et en fournirent une quantité sufiisanle; mais, pour obtenir le chou et les noix, les enfants s'y prireul comme les sau- vages, ils abattirent deux des plus beaux arbres. (,>uand ils me rendi- rent compte de cet acte de barbarie , je ne pus m'eni|ic(!her de leur en faire des reproches, et de leur rappeler que, pour se procurer avec plus de facilité une jouissance passagère, ils avaient tari la source de précieuses richesses. Ils me répondirent (pi'ils avaient cherché à ré- parer le mal (|u'ils avaient fait en plantant au moins une douzaine de noix, qui ne inan(|ueraiciit pas de produire, avec le temps, des arbres superbes. Il fallut bien me contenter de cette excuse; mais je leur défendis de jamais commettre, à l'avenir, de pareils actes de van- dalisme sans ma permission expresse. Je vais mainten.int laisser par- ler Fritz lui-même. Tel fut le récit de Fritz. Je reprends, maintenant, le fil de ma narration. (Quoique celte lettre renfermât bien des parties myslé- rieuses , elle ne nous causa point d'inquiétude, car nous y voyions que nos enfants étaient gais et bien portants. Il n'en fut pas de nu"'me le soir, lorsque, de bien meilleure lieure (ju'à l'ordinaire, nous vimes arriver un nouveau courrier qui nous apporta la dépêche suivante : « Le défilé a été forcé. Tout est ravagé jusqu'à Ziickertop. La ca- » liane à fumier est détruite. Les cannes à sucre sont les unes arra- » chées , les autres écrasées sur pied. On voit, par terre, des ex(-ré- i> menls comme des boulets de canon , et des vestiges de pas grands » comme des assiettes. ^ ene/. à notre secours, mon cher père; nous » n'osons ni avancer ni reculer, et nous ne sommes pas de force soit » à réparer le mal, soit à affronter le danger. Pour le reste, nous » sommes sains et saufs. » Je laisse à juger si une pareille lettre me donrui des ailes. Je cou- rus sur-le-champ seller ronai;re, et je dis a ma femme de me suivre le lendemain matin avec Ernest el la grande charrelle, en apportant, avec elle , tout ce ipii serait nécessaire pour un séjour prolonge'. La vache el le jeune âne liasch devaient former l'atlelage de la charrette. Je pressai lidlemenl ma monture que j'arrivai auprès de mes trois chasseurs beaucoup plus toi (|uils ne m'attendaient, clje fus accueilli par de grands cris de joie. J'allai , sur-le-champ , examiner l'état des lieux, (pie je trouvai, en eO'et, tel qu'il m'avait été décrit. Les mon- slnieux vestiges de pas me parurent être évidemment ceux d'un élé- pliaiil, et il n'y avait, d'ailleurs, qu'un animal de celte for(!e s manglicrs touffus en dérendaieiit la grève contre les empiéteuHiits de l'Océan. Le corps deg.irdc, le canon et le mât de signaux ipii counuinaient le rocher n'ajoutaient pas peu à l'inlérèt général ilu [loint de vue. Le lac était animé par les majestueux cygnes noirs, par les oies blanches comme la ncig'C, j)ar une foule de canards de cent couleurs différentes. Au sein des roseaux se montraient la brllc jioule sultane le flamant pourpré et le fier vautour royal; la demoiselle de Numi- die frecpientait aussi volontiers ces parages. Dans les intervalles que présentaient les touffes d'arl.res, la gig'antesque autruche se prome- nait avec gravité, et puis tout à coup changeait son pas mesuré contre la course la plus rapide. Les grues cl les outardes se tenaient d'ordi- naire dans les environs du champ de blé, tandis que la superbe mœ- nura accompagnait les poules, et que la poule à collier du Canada et les coqs de bruyère parcouraient les taillis. Enfin les pigeons volaient et roucoulaient jus(|u'au milieu de notre colonnade. Pour tout dire en un mot, les environs de notre habitation offraient tant de vie cl de mouvement, que nous croyions souvent y voir un tableau du pa- radis terrestre. Ce site délicieux était borné à droite par le ruisseau des Chacals, dont les bords élevés étaient couverts d'orangers, de citronniers, de figuiers d'Inde, de palmiers nains et d'autres arbres éjuneux, qui croissaient si dru, ([u'iine souris aurait ]ui à peine y pénétrer. A gauche, nous étions défendus par des rochers inaccessibles, et le ma- rais des Oies nous séparait si complètement de la contrée située au delà, que nous n'avions besoin d'aucune autre clôture de ce côté. Nous y avions établi une plantation de bambous dont les produits nous furent souvent fort utiles. Par derrière enfin, la grande paroi de rochers dans laquelle notre demeure était creusée s'élevait per- pendiculaire et rendait impossible toute communication avec linté- rieur du pays. On ne pouvait y arriver à pied sec qu'en passant par le pont-levis, que nous tenions habituellement levé, et qui était, en outre, défendu par deux petits canons de siv. Deux autres canons du même calibre dominaient l'entrée de la baie du Salut, tandis que dexh autres encore complétaient nos moyens de défense, placés à bord de notre plus gros bâtiment, la pinasse. Entre la grotte et le ruisseau des Chacals, en remontant vers la source de celui-ci, étaient situés nos jardins, nos plantations et un petit champ cultivé; mais le plus grand était sur l'autre bord du ruisseau, quoique toujours en vue. l'aruii ces plantations se trouxail notre verger d'arbres fruitiers d'Europe, qui avaient, du moins poui la plupart, réussi de la manière la plus admirable. Oux qui eurent le plus de succès furent les pistachiers, les amandiers, les noyers, les pêchers, les orangers, les citronniers ; le raisin vint mal et fut de mauvaise qualité. Quant aux autres fruits d'Europe, tels que les pommes, les poires, les cerises et les prunes, la chaleur du climat ne leur convenait nullement; et si nous continuâmes à les cultiver, c'était plutôt pour qu'ils nous offrissent quelque réminiscence de notre chère ])atrie, que pour l'agrément qu'ils nous procuraient d'ailleurs, d'autant plus qu'ils étaient bien remplacés sous tous les rapports par les ananas, les oranges, les citrons et les pommes de cannelle. La grande fertilité de nos domaines y attira une foule de marau- deurs de toute espèce, tant en quadrupi'dcs cpi'en oiseaux et en in- sectes. Dans le nombre, je remarquai surtout de inagnifK|ues perro- quets et deux des ]dus grosses et des ]dus laides espèces de chauves- souris, dans l'une descpielles je crus reconnaître le chien xolant. Dans les commencements, quand notre récolte de fruits n'était pas encore très-considérable, il nous fallait inventer mille moyens d'écar- ter ces voleurs; plus tard, cependant, nous devînmes si riches, que nous pûmes fermer les yeux sur leurs brigandages, sans cesser d'ax'oir une ample provision de fruits pour notre usage. Mais ce n'était pas seulement l'époque de la récolte <|ui exigeait de notre part une active surveillance, celle de la floraison des arbres attirait aussi des maraudeurs, mais d'une autre espèce. Alors c'étaient des oiseaux-mouches et des colibris, (|ue nous ne pouvions nous lasser d'admirer pour la beauté de leur plumage et la rapidité de leur xol. i'c qui était encore fort amusant à voir, c'était la manière dont ces oiseaux si petits donnaient la chasse à d'autres bien plus gros qu'eux. Souvent aussi ils se battaient entre eux en c\lialant leur colère contre les fleurs, lorsque par hasard ils reconnaiss:iienl ipi'ils avaient été prévenus par une abeille ou par quelque autre insecte qui en avait sucé le miel. Nos plantations d'arbustes à épiccs devenaient la proie d'ennemis d'un genre particulier, savoir d'oiseaux de paradis; mais, de tous les arbres ([iie ikiiis cultivions, ceii\ qui étaient le moins exjiosés aux attaques, c'étaient les oliviers. Nous récollions des olives de deux espèces; de Iris -grosses (|ue nous marinions |)Our manger comme hors-d'œuvre , et de beaucoup plus petites que nous prélériiuis i)Our en tirer de l'huile, (^es |iioduclions, cl d'autres encore, nous obligè- rent à ét^'blir des macliiiics pour pouvoir en tirer tout le profit pos- sible. Il nous fallut des pressoirs, je me suis rappelé le iiinjen dont se servent les (iid(ulanIèrc, voici voire (ils; jeunes («ens, voici votre frère aine. Je vous le présente en vous déclarant que depuis longtemps déjà, et surtout depuis l'expédition dont il vient de nous faire le récit, il a donné tant de preuves d'activité, de courage et de prudence, qu'à compter d'aujourd'hui je le regarde, et je veux que vous aussi le regardiez , comme un jeune homme indépendant et niaitre de ses actions, qui n'aura plus désormais à recevoir de moi i|ue des con- seils et plus d'ordres. Il est entièrement affranchi de la puissance paternelle. » Fritz fut vivement saisi de celte scène imposante. Sa mère le prit dans ses bras en versant des larmes de joie, et lui donna sa bi'iicdic- lion. Elle s'éloigna ensuite pour préparer, à ce qu'elle dit, un festin, mais en réalité pour pouvoir se livrer dans la solitude ;i tout son allcudrissement. Mes his, de leur côté, quoiqu'ils ne resseulissenl pas la moindre jalousie de la distinction dont leur fri're avait élé l'objet, en furent toutefois un peu abasourdis, et ils exhalèrent leurs senll- menls par des railleries innocentes (|ui n'avaient rien d'iimer. La eonversaliou roula ensuite de nouveau sur les perles. Il f.illul (|ue je décrivisse la manière dont les perles se forment dans l'Iiuilre, la pèche, les travaux des ])loug('urs, détails trop connus pour iju'il soit nécessaire de les répéter ici. Mais le résultat de cet entretien fut i|ue, puisque nous étions assez heureux pour que les huilrcs (]ui les four- nissent se trouvassent sur les côtes de notre ile, à une profondeur si peu considérable, il fallait absolument rpii^ nous établissions une pê- cherie en règle. Je ne rejetai pas la proposition; mais je jui'cai (|ue bien des choses nous seraient nécessaires pour cela c|ue nous ne pos- sédions point. Aussitôt chacun se chargea d'une ]iartie de l'ouvrage pour y suppléer. J(' fis deux grands el deux petits crochets de fer, auxipiels j'adaptai de forts manches en bois, et aux deux plus grands j'attaeliai des anneaux de fer ]>our pouvoir les lier à notre chaloupe, laipielle en avançant ferait racler la terre aux crochets qui enli've- raient ainsi les huîtres. Ernest conlcctionna , d'après mes conseils, une espèce de ratissoire pour enlever des bords du rocher des nids d'oiseau, dont je voulais faire une ample provision ; Jack s'occu|i,i défaire une échelle à un seul montant; François travailla avec sa mère à fabriquer des sacs de filet, que je voulais attacher à mes grands crochets pour recevoir immédiatement les huîtres détachées; iPritz, enfin, se livrait avec ardeur à un travail mystérieux, il s'agis- sait de faire dans son kaïak une seconde ouverture pour y placer encore une personne avec lui. Je devinai sans peine son but et ses espérances. (Uiant à ses frères, ils n'y trouvèrent rien qui dût les étonner; car il leur paraissait assez simple qu'il voulût de temps eu temps se faire aecompai;ncr par un d'eux dans ses expéditions. Je n'ai bas besoin de dire (|ue notre chaloupe fut chargée i)us in'empèchcr de m'écricr : « Esl-il honorable, est-il permis, de la part d'un héros en herbe, de se livrer à des plaintes si vives, de soupirer et de pleurer pour si peu de chose ! Miss Jenny. JACK. Vous appelez cela peu de chose! J'ai été moulu, foulé au\ pieds, presque écrasé. Cet animal m'a, pour ainsi dire , tiré l'àuie du corps. Il s'en est fallu de peu qu'il ne m'ait éventré, et alors adieu le héros en herbe. Heureusement les braves chiens et le fusil de Eritz ont traité le monstre comme il le méritait. LE PKRE. Dis-moi donc quel est le monstre ([ui l'a si cruellement moulu ; je n'en ai encore aucune idée. JACK. <,)iiaiit à toi, Fritz, n'oublie pas de me garder la tète de eetle horrible bête!... Oh! mon genou!... Oh! ciel! ma jambe! il faut la couper tout de suite!... Ah ! mon dos!... Nous en souperons ce soir et nous en déjeunerons demain; il y aura assez pour deux repas. lE pÈBE. Encore! Est-ce le délire de la fièvre qui te fait parler ainsi:' Tu veux qu'on te coujie la jambe et que nous mangions Ion dos à souper ! JACK. ]\on , non ! Mais je veu\ que la tèle et les défenses soient cou servées dans notre musée. Elles m'ont fait une belle frayeur, ces dénis. I.E PERE. Saurai-je enfin, étourdis que vous êtes, de (|uel animal il s'agit ? ERNtrsr. C'est d'un horrible sanglier d'Africjue (|ue nous parlons. Il était ellrayant a voir avec les buigues peau\ ipii lui pendaient sous les yeu\ et sur les tempes, avec ses rlélens l.ii achevant ces mois, je donnai au petit chasseur un verre de vin lie Canarie dLiis il en résulta ce qui arrive sou- vent aux jeunes gens quand ils se trouvent pour la première fois avec des personnes à qui ils désirent de plaire ; c'est-à-dire que leurs discours, presque tous adressés au modeste étranger, prirent une si forte teinte de raillerie , que je crus devoir donner le signal de la retraile, d'autant ]ilus que l'ritz, ([ui mêlait à sa gaieté une teinte visible de jalousie, devenait beaucoup trop siisceiilible pour i|ue je voulusse le soumettre plus longtemps à une semblable épreuve. Je criai doue : n Au lit! » et, sur-le-champ, on se disposa à obéir au comiuandemenl. Lord l'.douard voulait remonter sur l'arbre d'où il était descendu à noire arrivée; mais nous le forçâmes d'accepter un lit ])lus commode dans la pinasse. " Hélas! dit Fritz à cette occasion, notre nouvel ami n'est pas difficile à satisfaire. Depuis que nous sommes dans cette île, il a cou- ché sur l'arbre et moi dans la cabane; mais, pcndaiil tout le cours de notre voyage, nous avons été obligés de passer la nuit sur des ro- chers isoles, ahii d'être en sûreté contre les attaques des bêtes féroces. INoiis tirions alors notre kaVak sur la grève, et nous nous endormions chacun dans notre trou, enveloppés d.ins nos manteaux, et nos armes chargées à côté de nous. Jl y a deux jours que nous habitons cette île, parce ipie mon kaïak avait besoin de i;randes réparations. » Ma femme avait écouté avec beaucoup (l'intérêt le couiniencement de ce récit; mais, coiuiuc elle tenait toujours les yeux attachés sur riHianijcr, elle saisit les premiers signes de fatigue ipi'il donna pcuir le mener coucher. Les enfants resti'rcnt encore assez longtemps au- pri'sdufeu, causant entre eux et croquant des pignions; j'admirai l'adresse avec lai|uelle les plus jeunes interrogeaient Fritz et ciier- cliaient à lui faire avouer d'oii lui était venue la premii'ie idée de son voyaijc. Fritz répondit gaieiuent à leurs questions railleuses, se laissa entraîner à raconter son aventure avec l'albatros, et mit tant LE ROBINSON SUISSE. M5 de franoliiso cl d'aliandon dans ses discours, qu'il finit par s'oublier lout à fait, et par mellre à la place de lord Edouard une miss Jenny (fue personne ne connaissait encore. Ses frères n'eurent pas de peine, d'aprè's cela , à décou\rir le secret rpi'il voulait leur cacher; mais, dans le premier moment, ils ne firent semblant de rien, et, conti- nuant à parler toujours de lord Edouard, ils l'enlacèrent si bien dans ses propres filets, qu'il ne lui fut plus possible de leur cacher plus longtemps la vérité. Le lendemain matin, les trois espiègles n'eurent rien de plus pressé (|iie de souhaiter respectueusement le bonjour à miss Jenny et de lui demander comment elle avait passé la nuit. La pauvre fille en fut si confuse, qu'elle demeura pendant quehiues instants les yeux baissés et le front couvert de rougeur; mais elle finit par prendre son parti, tendit la main à chacun des trois et se recommanda à leur amitié fraternelle. On déjeuna gaiement avec du chocolat de la fabri- que de Fritz, qui parut faire beaucoup de plaisir il la jeune miss, et lui rappeler le bonheur dont elle avait joui autrefois dans la maison l>aternelle. Le déjeuner fini, je remarquai qu'il était urgent de s'occuper de notre cachahit, parce (|ii'il était à craindre, sans cela, que la chaleur du soleil n'en corrompit en peu de temps les chairs. François de- manda si le cachalot était meilleur à nianger que la baleine; je lui répondis négalivcmenl ; mais j'ajoutai (|iie sa capture nous offrait une occasion excellente de nous approvisionner de cette substance hui- leuse que l'on appelle blanc de baleine, et qui sert à une foule d'usages différents; il se trouve dans plusieurs cavités de lénorme tète, et en si grande abiuidance, qu'un seul poisson en a souvent fourni vingt barils. « l\lon unique embarras, ajoulai-je, est de savoir nii nous le mettrons : nous ne man(|uoiis pas, à la vérité, de sacs; mais pour des barils, nous n'en avons point apporté avec nous, u L'aimable Jenny prit ici timidemenl la parole et demanda la per- mission de donner son avis. Elle nous engagea à essayer de nous ser- vir de sacs de chanvre, attendu, nous dit elle, qu'en Angleterre les tuyaux des pompes à incendie sont faits de cette matière, et qu'il n'était pas probable que le blanc de baleine fût plus liquide que de l'eau. Cette iili'e me parut fort bonne, et je résolus de la mettre sur-le- champ a exécution. Je fis donc rassembler nos sacs vides, je les fis d'abord tremper et puis battre sur une pierre plate pour en serrer davantage les mailles. Je les garnis ensuite intérieurement de ra- meaux flexibles, et je fis en sorte, par d'autres petits rameaux, que l'ouverture en demeurât béante, afin de rendre plus facile l'introduc- tion du liquide et leur faire mieux tenir la jilace de barils. Cette opération nous prit une couple d'heures : quaiid elle fut terminée, nous nous embarquâmes pour le banc de sable; mais les dames res- tèrent dans l'ilc sous la |irotection de 'Jure. Nous arrivâmes bientôt à la place oii le monstre était encore cou- ché à sec sur le sable, et nos chiens s'empressèrent d'y courir au grand galop; mais à peine nous étions-nous mis en dexoir de les suivre, que nous enteiidimes, derrière la xastc masse, un si grand bruit de grognements, d'aboiements et de hurlements, que nous commençâmes à craindre (|uc nos liraves gardiens ne fussent engagés dans un combat avec queli|iies ennemis encore invisibles pour nous. En efl'et, nous ne tardâmes pas à découvrir qu'une bande tout en- tière de loups s'était logée dans le corps du cachalot, d'oii les chiens s'efTorçaieiit de la faire déguerpir. Deux loups avaient déjà mordu la poussière, deux autres se défendaient à grand'peine contre braun et Falb; le reste se sauvait à toutes jambes par un endroit oii la mer était guéable. Nous recoiinûincs alors parmi les loups trois ou quatre chacals qui se repaissaient un ]ieu à part du reste de la bande. En ce moment le chacal de Jack, (|iii jusqu'alors s'était tenu assez timide- iiieut à côté de son maitre, prit soudain son élan et se mit proclicr d'assez près jiour qu'elle i>ùt lui jeter une corde au cou et le museler. Quand elle s'en fut rendue maîtresse, elle l'cntiaina dans le kaïak, le ]>laça debout dans un des trous, et s'assit elle-même dans l'autre. Dans sou humeur folâtre, elle lui mit sur la tête un des chapeaux de jonc qu'elle s'était amusée à tresser pendant son séjour sur la Hoche fumante, et lui ayaiil noué un mor- ceau de toile autour du cou, elle lui donna absolument l'air d'un petit passager. Fritz et moi étions sur le point de nous einhar(|uer pour aller a la rechenhc de Jenny , dont l'absence nous iiii|iiiétait , (|uand nous la vîmes reparaitre avec un coiiipariKUi de voyage que nous ne lui connaissions pas. Fritz rougît de dé|iit de voir un autre occuper la place a la(|uclle seul il se croyait des droits. Il entra ma- cliinalemciil dans l'eau iioiir voir de ])liis près son rival; mais tout à coup il partit d'un grand éclat de rire, et saisissant, (lar un mouve- ment couvulsif, soii frère Jack, il s'écrie : « Le voilà ! le voilà vrai- ment ! c'est maître Jager qui revient à nous sous la forme la plus respectable, comme uii butor i|ui s'est enrichi aux grandes Indes! » Nous rimes à Jenny l'accueil le ])lus cordial , et chacun de nous exprima son admiration dr l'adresse avec la(|uelle elle avait exécuté ce qu'elle avait entrepris, l'cndant le diner, nous tînmes conseil sur ce (pii nous restait à luire. Les plus jeunes membres de ma famille opinèrent pour que nous allassions visiter la l'iochc fumante, où miss Jenny avait passé plusieurs années; mais ollc ainsi (pie nous et Fritz étions impatients de retourner à Kelsenhcim , oii nous désirions in- 146 LE ROBINSOJN SUISSE. stailer notre nouvelle compagne. Ce deiiiicr avis prcvalul , el nous passâmes la soirée à nous préparer au déparl. INous découvrni'.es alors que Fritz et Jenuy avaient une loule de belles rlioses à nous faire voir, dont ils ne nous avaient pas encore parlé : c'étaient les riches- ses de l'Anglaise , qui consistaient eu partie dans les objets qu'elle avait sauvés du vaisseau naufragé, et en partie dans des ustensiles et ol)jets de toilette qu'elle s'était faits elle-même pendant son séjour sur le rocher avec les dépouilles de divers animaux dont elle s'était emparée , moitié par ruse et moitié par force. On ne saurait croire tout ce que son industrie était parvenue à faire ou à imiter. Je serais tenté d'en donner ici une liste ; mais ces objets étaient si nombreux et si ingénieusement imaginés, que je craindrais d'inspirer de la mé- fiance à mes lecteurs. Le tout était enfermé dans une espèce de grand bahut que Fritz avait fait exprès pour elle, et (jue nous ))ùmcs laci- lemcnt )ilacer dans notre pinasse. INous terminâmes la journée par un souper copieux, pendant lequel la conversation ne roula que sur l'é- tonnante imagination et l'adresse consommée que la pauvre miss Jenny avait déployées en fabriquant avec les outils les plus imparfaits une si grande quantité d'objets utiles ou curieux. INous exécutâmes le lendemain de bonne heure ce dont nous étions convenus le soir, je veux dire de faire encore un court séjour dans la baie aux Perles avant de retourner chez nou-s. Miss Jenny fut de nouveau la première levée, et comme elle prenait plaisir à nous faire des surprises, elle nous en avait préparé une tout a fait inattendue. Dans un petit bois, non loin du lieu de notre débarquement, elle avait caché un cormoran apprivoisé, qu'elle nous montra tout ii coup, en nous disant qu'elle ne lavait tenu ii l'écart jusqu'alors qu'à cause de sa malpropreté, mais que, du reste, elle l'avait dressé à la pêche , selon l'usage des Chinois. ]Nous fûmes tous réunis dans la pinasse ii l'exception de Fritz, qui nous servit encore de pilote dans son kaïak. INous arrivâmes ainsi sans peine dans la baie aux Perles, oii nous jetâmes l'ancre et descen- dîmes il terre à l'aide de notre petite chaloupe. Psous y troux'âmes toutes choses dans l'état oii nous les avions laissées , si ce n'est que l'air s'était épuré ; les luiitres ne répandaient plus de mauvaise odeur, et les squelettes, tant des lions que du sanglier d'Afrique , se mon- traient presque entièrement nets et dépouillés de chair. Le premier point dont nous nous occupâmes fut de dresser notre lente, qui devait nous abriter allcrnativement contre l'ardeur du jour et le froid de la nuit. Ensuite nous nous mîmes à examiner les nacres pour en tirer des perles. <^ue d'activité chacun déploya dans ce tra- vail, mais aussi que d'avidité! Oucls cris de joie éclataient quand nous trouvions une perle remarquable par sa forme, sa grosseur et son orient! Mais ii quoi devaient nous servir lous ces trésors? Miss Jenny ne se montra-l-elle |)as plus sai;e que nous en dédaignant ces bagatelles, jolies mais inutiles, ])our rassembler les hbres ou hiaments dont les coquilles étaient garnies ' liienlôt cependant elle nous quitta pour aller aider à ma femme à préparer le diner , pour lequel elle nous promit un plat de poisson frais, ainsi qu'un beau roli de gibier ailé pour le- souper. Ma femme sourit d'un air d'incrédulité au pre- mier point ; il lui paraissait impossible qu'on pfit se procurer en si peu de temps assez de poisson pour nourrir sept personnes. Mais Jenny, en souriant aussi, s'élança dans le kaïak avec son cormoran , et s'éloigna d'une cinquantaine de pas du rivage. Lii, elle mil un col- lier au cou de son adroit pcelieur, afin d'empêcher qu'il n'avalât lui- même le poisson qu'il preiulrait ; puis (Hle le plaça sur le kaïak, où elle le laissa libre, liien n'était plus intéressant qiie de voir l'oiseau se jeter à la mer et venir rapporter à sa maîtresse tantôt un hareng, tantôt un saumoneau , ou uii jeune cabliau, et puis repartir tout de suite pour continuer sa pêche. En fori peu de temps miss Jenny eut assez de poisson i)Our deux repas abondants; après quoi elle délivra son pêcheur ailé de son collier, et lui abandonna , pour prix de sa peine , quelques-uns des plus petits poissons d'entre ceux (ju'il avait pris. Quand elle revint auprès de nous, ma femme ne sut comment exprimer son admiration; elle dit que miss Jenny n'était point une Anglaise, mais une fée. Le diner n'était pas encore achevé , qu'elle songeait déj.i à nous procurer le gibier qu'elle nous avait promis pour le sou|)er , et de- mandait sciilcmenlla permission d'emmener avec elle le chacal. Cela lui fut accordé sans peine; je me bornai il remarquer qu'il était a craindre qu'elle ne m'enlevât aussi les ouvriers, dont j'avais cepen- dant gland besoin pour m'aider à faire la chaux et la soude : travail auquel j'avais consacré ceIK' après-midi. Jenny reprit, en riant, que je parlais, à la vérité, de faire de la chaux et de la soude, mais que je n'ax'ais jias de vases pour conlenir ce i\nc j'aurais fait. Je ne pus m'em- pêchtr d'avouer ([u'elle avait raison; et comme je rougissais en son- geant qu'elle avait montré jilus de prévoyance <|ue moi , elle me dit eu riant : o Ne vcnis ini(iiiétez pas, mon cher père, faites de la chaux tant que vous voudrez; d'ici ii demain je vous jn-ocurerai tous les vases dont vous pourrez avoir besoin , pourvu , toutefois, que vous puissiez vous passer pendant quelque temps de l'ritz et de Jack. » Je ne pus lui refuser sa demande ; mais ijuand je la vis (irendre mon fusil à deux coups, je témoignai (piehiue crainte (|u'elle ne sut passe servir de celle arme. « CHiumenl pouvez-vous croire, s'écria .Icnny , que la hlle d'un colonel au service de la compagnie des ludcs cl du plus hardi chasseur de l'Asie puisse être embarrassée quand il s'agit de tirer un coup de fusil à un oiseau? » Elle partit donc avec mes deux his , et , longtemps avant le souper, elle revint avec plusieurs bécasses qu'elle avait tuées et que le chacal ax'ait ramassées. Quant aux \ases, elle les fabriqua d'écorce d'arbre qu'elle avait coupée en spirale a l'aide de mes fils; elle la rattacha d'un côté et la garnit de deux fonds de bois. Quoique ces objets ne fussent pas très-élégants ii la vue , ils pouvaient fort bien serx'ir îi l'usage auquel ils étaient destinés. En revenant à la maison, elle con- seilla il ses compagnons de se munir encore d'un certain nombre de rameaux flexibles de plantes grimpantes, pour en faire des cerceaux pour les tonneaux , et ils arrivèrent ainsi tous trois chargés de gibier, de truffes et des vases qu'elle m'avait promis. Pendant que le souper se préparait, nous passâmes le temps à trier les perles selon leur grosseur, et nous reconnûmes que nous en pos- sédions environ quatre cents, parmi Icsipielles il y en avait quelques- unes qui étaient grosses comme de petites noisettes; mais bien da- vantage qui ressemblaient k des tètes d'épingle. Le repas fini , je déclarai qu'il serait nécessaire de passer une partie de la nuit debout pour faire la chaux. Fritz offrit sur-le-champ de xeiller avec moi , disant qu'il s'occuperait, pendant ce-temps, à faire les cerceaux pour nos barils. Aussitôt tous ses frères s'écrièrent qu'ils étaient prêts à l'aider dans son travail, pourvu qu'il consentît à leur raconter en détail ses aventures ])endanl qu'il était à la recherche de leur nou- velle sœur; Fritz ne crut pas devoir leur refuser cette satisfaction; et Jenny s'étant levée pour aller joindre ma femme, je m'approchai du feu afin de m'occuperde ma chaux ; mes enfants se mirent a décou- per les cerceaux, et Fritz commença sou récit ii peu près en ces termes : « Vous vous rappelez comment je vous quittai pour aller, dans mou frêle kaïak, affronter le vaste Océan. La mer était tranquille; mais mon cœur était d'autant plus agité. D'une part, je me peignais mon bonheur si je réussissais à trouver l'Anglaise naufragée sur la Roche fumante, et, de l'autre, l'état affreux oii je serais si, après de vaines recherches, je ne parvenais pas à revenir auprès de vous. Je ne chan- celai pourtant pas dans ma résolution; je me recommandai au ciel, et je m'encourageai par la pensée que mon expédition serait peut-être le premier pas vers notre rentrée parmi les hommes. )) Je n'osais pas m'avaneer trop dans la pleine mer, par la crainte qu'un coup de vent subit ne me fit perdre tout i) fait la terre de vue; je me xis donc obligé de suivre toutes les sinuosités de la côte, et le résultat en fut que j'avançai très-peu, et que la nuit me surprit sans que j'eusse fait de grands proj;rès dans ma route. Je n'avais nulle envie de passer la nuit sur la grève, ne me sentant pas la force de tenir tête aux lions; je cherchai donc un rocher isolé, et j'en vis un à un quart de lieue environ du rivage. En m'en approchant, je le re- gardai allcntivemenl pour voir s'il ne s'en élèverait pas de fumée; jiiais mon voyage se serait terminé trop promptemenl, et je me crus fort heureux de trouver, au pied de ce rocher, un coin où je fusse à l'abri du vent de la nuit. Je m'y endormis tranquillement, bien en- velop|ié dans ma couverture. Je fis un souper froid, comme le fut aussi mon déjeuner du lendemain malin; car je n'avais pas de quoi allumer du feu. Je repartis au point du jour, et je me sentais déjii plus de courage (jue la veille. IJuoii|ue je ne crusse pas devoir m'é- carter du rivage , je visitai pourtant tous les rochers dont il était bordé. La côte était basse et sablonneuse ; mais, ii peu de distance, dans l'intérieur du pays, je voyais de somlires forêts garnies de tail- lis, el avec beaucoup de plantes grimpantes. Je jugeai que ces der- nières étaient, pour la plupart, des plantes de poivre, car un grand nombre de toucans ne cessaient de voltiger à l'entour. Je m'arrêtais souvent pour les regarder; mais je ne voulais point en tuer, car je croyais (Icvoir être exlrêmement économe de ma pondre. » Au bout de quelque temps, tous les rochers qui bordaient le rivage dis|)ariirenl, et j'entrai dans une espèce de golfe, que je recon- nus bientôt jioiirètre l'embouchure d'un fleuve. Quoiqu'il n'y eût pas lien de penser qu'en remontant son cours je dusse arriver au but de mon voyage, je ne ])us résister au désir de naviguer, pendant quel que temps, sur ses eaux tranquilles, entre les paysages charmants que présentaient ses bords. Après avoir fait une lieue, je me décidai à descendre à terre pour iiu quarl d'heure. La campagne était assez ouverte pour que je n'eusse point de danger ii craindre , cl j'espérais que mon aigle m'apporterait quel(|ue oiseau dont la chair servirait à varier l'uniform'i-té de mes repas. Je tirai, en elTet, un toucan, et, au bruit de mon coup de fusil, il s'éleva un Vi'carme si effroyable parmi les liabilanis du bois, que j'en fus presque assourdi. Mais 1rs grands irieurs sont gens de peu de besogne. Ils ne sor.gi-rent pas ii m'atta- r[uer. l"n attendant, ils ne fiirriil pus les seuls ipie ma l'iiassc eût troubles dans leur repos. T^n frémissement se fit sentir dans les ro- seaux , non loin di' moi; on eùl dll nn tremblement de terre; une masse informe s'éleva lenlinienl à mes yeux et me causa une si grande frayeur, ([ue je forçai de rames ])Our m'éloigner le plus promptemenl possible de ce lieu. C'était un liippopcitaine qui traversait le fleuve, emportant son petit avec lui. Les délicieux jiaysag'cs perdirent sur- le-champ tous leurs charmes pour moi, je me hâtai de redescendre LE ROBINSON SUISSE. 147 le courant; et (|iianil j'anivai ;i la mer, j'allai clierclier im asile sur le seul rocher qui se [uésentàt à mes regards. ji Je me coucliai ce soir-là bien plus tôt (|u';i l'ordinaire; aussi lus-je levé de meilleure heure le lendemain malin. Je me rapprochai, comme de coutume, de la côte ; je me dirigeai vers l'ouest, et je ne tardai pas à me trouver dans des parages ((ui surpassaient eu lieuuté et en fertilité tout ce ([ue j'avais vu jus([u'alors. Cn jjrand nombre de cascades tombaient des rochers, et, di'venues des ruisseauv , arro- saient en serpentant un pays dont la surl'aee était légèrement ondu- lée. Sur le penchant des collines, je vis plusieurs troupeaux d'ani- maux (|ui me paruri'nt être des lamas ou des vii;oi;ues, et i|ui peut- être un jour seront pour nous cl'une valeur inappréciable. Je ne pus m'empêcher de descenilre à terre; et comu\e, parmi les habitants de ces lieux, j'avais remarijué certains oiseaux (|ui ressemblaient à des canards, je lenrl.îchai mon aiyle, qui m'en rapporta deu\ pour mon souper. Déjà j'avais allumé du eu, cl je me disposais à les l'aire cuire, cpiand je vis, à travers les arbres du taillis, certains objets ((ui me parurent fort suspects. Je crus reconnaître des sauvages armés de sagaies. Je n'eus rien de plus pressé, d'après cela , (|ue de rentrer dans mon kaiak. Je vis alors les sauvages sortir des buissons, et s'ap- procher du feu que j'avais allumé; et je me convainquis que ce n'étaient que des orangs-outangs, ce qui me tranquillisa beaucoup. Je retournai donc à terre aussitôt que ces visiteurs importuns fuient partis ; mais je découvris, à mon grand regret, i|ue mon canard était brîilé d'un côté et cru de l'autre. En altemiaiit, désirant économiser autant que possible les ])rovisions que j'avais euiporlécs avec moi, je me décidai U recommencer ma chasse, ce qui me lit perdre tant Le lendemain fui pour moi un jour de malheur. Je passai devant un petit bois lialiilé par des perroquets au brillant plumage, et j'en- voyai contre eux mon aigle, l'out ù coup, jugez de mon elïroi, quand je vis paraître à quelques pas de moi un énorme tigre ! Jamais encore je n'avais couru d'aussi grand danger; il n'était qu'à quinze pas de moi, et, une seconde, plus tard, il ne lui eût fallu qii un s:'ul ])onr s'élancer sur moi et me déchirer. Jl s'arrêta pourtant, et quand ma frajeur me permit de lever les yeux sur lui, je vis que mon aigle s'était jeté sur sa tète, et cherchait, avec son bec aigu et recourbé, à lui crever les yeux. Hélas ! il fut victime de siui courage; le tigre, au comble de la fureur, le saisit avec ses deux pattes de devant, l'écrasa connue une mouche, et le jeta mort sur le sable. Dans le premier moment de mon trouille , j'avais oublié de charger mon fusil. Un pistolet me restait à la ceinture; je le lirai , et, (|U()ii|uc je ne parvinsse pas à tuer lu tigre, je le blessai assez grièvement pour qu'il prit la fuite dans les bois sans songer à m'attaquer. De mon côté, je jugeai que la prudence m'ordonnait de ne pas demeurer plus long- temps en ce lieu ; je me retirai le plus vite que je pus, mais non sans avoir ramassé le corps inanimé de mon hdèle et malheureux oiseau, bien résolu soit à l'empailler, soit à lui faire des obsèques honorables à la première occasion qui se ]irésenlerait. Je ne pouvais oublier que les derniers moments de sa vie avaient été consacrés à ma défense. » Alais un objet d'un plus haut intérêt ne tarda pas à fixer toute mon attention, (domine je faisais le tour des deux écueils, j'aperçus tout à coup à une assez grande distance une iictitc île de laquelle s'élevait une colonne de fumée ; et cet aspect me remplit sm-lc-champ de l'espérance d'avoir enfin trouvé la Koche fumante, séjour de l'Anglaise naufragée. Je me dirigeai de ce côté en rainant de toutes mes forces ; et telle élail mon émotion, que j'entendais mon cœur battre dans ma poitrine. J'en fus bientôt si près , qu'il m'eût été facile de distinguer un être humain qui s'y serait trouvé ; mais la fumée s'élevait du côté opposé du rocher; et déjà je calculais que je serais sans doute obligé d'eu faire le tour pour débarquer, quand je remar- quai un ]ietit plateau en pierre oii je poux'ais amarrer ma barque ; je sautai à terre avec autant de vivacité que jadis Guillaume Tell. Quehiues pierres placées par échelons me facilitèrent la montée vers une partie élevée du rocher, d'oii, à ma joie inexprimable, je vis enhn la prcmii're étrangère qui Se fût on'erle à moi depuis tant d'an- nées. C'était une jeune personne assise auprès d'un feu dont la fumée s'élevait à une grande hauteur. Au bruit que je lis, l'étrangère se leva, m'aperçut, joignit les mains, et attendit en silence que je m'approcliassggd'elle. Je ne me hâtai point pour ne pas l'clïrayer, et pour qu'elle ne me prit pas pour un brigand. Ouand je ne fus plus qu'à dix pas d'elle, je lui dis d'une voix émue : Soyez la bienvenue. Anglaise naufragée de la Roche fumante ! Voici le libérateur que voire appel, grâce à la providence divine, a ramené de loin auprès de vous ! • u Uuoique je ne fusse pas très-versé dans la langue anjjiaise, la jeune personne comprit parfaitement sur-le-champ ce que je voulais lui dire. 11 semblait que nos âmes eussent pu se communiquer sans faire usage de la parole. Un long silence suivit nos premières excla- mations. De temps à autre je saisissais la main de l'étrangère, comme pour m'assurer ipie ce n'était point une illusion qui égarait mes sens. Nous ni songions ni à boire, ni à manger, ni à quitter le lieu où nous étions. Nous avions tant de choses à nous demander mutuelle- ment et tant de réponses à nous faire ! La jeune étrangère fut la pre- mière qui reprit son sang-froid , il elle en donna une preuve en s'oc- cupanldu souper, tandis (juc je continuai à bavarder, croyant peut-cire par là me rendre plus aimable. Miss Jenny se relira pour la nuit dans le fond de la grotte , qui était séparé de la partie de devant par une espèce de rideau de roseaux et de plantes marines entrelacées. Je coucliai dans la partie extérieure ; mais j'étais trop agité pour m'en- dormir facilement ; je ne fermai les yeux qu'au point du jour ; et je ne tardai pas à ^Ire réveillé par Jenny, qui vint m'annoncer que le déjeuner était servi. Nous pass;iincs cette journée à mettre cn ordre et à charger dans mon ka'iak tous les elVets de ma nouvelle connais- sance, d'à char[ue objet qui me passait sous les yeux je me récriais sur l'esprit inventif et l'adresse avec lesquels Jenny était parvenue, en moins de deux ans et demi, à faire tant de choses utiles et cu- rieuses. Pendant ce temps elle me raconta son histoire, qui est fort intéressante, cl que j'engage mon père à mettre par écrit, quand la saison pluvieuse aura interrompu nos travaux au dehors. Notre tra- versée n'ofi'rit rien de remarquable; cl nous aurions été de retour quelques jours plus tôt, si des avaries survenues à mon ka'iak ne non? avaient pas forcés de relâcher dans l'île de Frcudenau. » CHAPITRE LI. Histoire de miss Jenny. — Retour à Felsenheim. — Réception solennelle — Voyage à Falkenhorst. — La saison des pluies. — Événement inattendu. — - Le jaiiit. — La Dorcas. — Le mécanicien et sa famille. — Séparation. — Conclusion. Le récit de Fritz s'était prolongé jusque fort avant dans la nuit, et pourtant aucun de ses auditeurs n'avait éprouvé la moindre fatigue, tant les détails qu'il eonteiiait nous avaient paru remplis d'intéict. Quand il fut terminé, j'ordonnai à nos eufauts de se coucher, et je les suivis dès ipie j'eus achevé le travail auquel je me livrais. Per- sonne ne dormit bien cette nuit; pour moi, je ne fermai presque pas les yeux, tant il se passait de choses dans mon esprit, lorsque je soniveais au nouvel avenir que préparait pour nous raugmentalion de notre ména;;e et l'heureuse découverte que Fritz avait faite. J'étais décidé à rester encore une couple de jours dans la baie des Perles; mais les travaiiv que j'y voulais entreprendre étaient tous si impor- tants et si pleins d'attraits, que je ne savais auquel m'arrêter le pre- mier, (luanl à mes fils, la fin du récit de in-itz leur avait inspiré un ' si grand désir de connaître les aventures de Jenny, qu'ils la siippllè- '' relit de les leur raconter pendant le déjeuner. l'Ile y consentit, cl ) voici le résumé de ce qu'elle nous apprit. 148 LE ROBINSON SUISSE. MissJcniiy avait à peine sept ans quand sa mère mourut. Son père, qui était au service, où il avait le grade de major, fut olilirjé, peu de temps après, de quitter la jolie terre qu'il habitait en Angleterre pour se rendre aux Indes, où sa fille l'avait suivi successivement dans plusieurs garnisons. Lui, bravo officier el zélé chasseur, fit comme font souvent les pères ([ui restent veufs avec nne fille unique, c'esl-à- dire qu'il éleva la sienne comme il aurait fait d'un garçon, et elle serait peut être devenue une amazone, si une femme de chambre de confiance, née d'honnêtes parents, n'eût pris soin de lui enseigner tout ce ((u'une femme doit savoir, et n'eût maintenu en elle les ma- nières et la modestie féminines. De son côte, miss Jenny, étant douée d'une facilité extrême et d'un jugement exquis, finit par réunir à la fois dans sa personne tous les mérites d'un aimable jeune homme el ceux d'une demoiselle accomplie. Sur ces entrefaites, le major Mont- rose s'étant distingué et ayant obtenu le grade de colonel, avait été mis à la retraite, mais avec l'ordre de ramener auparavant en Eu- rope un certain nombre d'invalides. Forcé, en conséquence, de s'embarquer sur un vaisseau de guerre, où sa fille n'avait pu être admise, il s'était vu obligé de chercher pour elle un autre passage, et il la confia, ainsi ijue sa femme de chambre, à son ami le capi- taine Grcenftcld. ,)enny, qui avait alors dix-sept ans, partit deux jours avant son père par la corvette la Dorcas. La traversée fut, pen- dant quelque temps, fort heureuse ; mais bientôt le bâtiment fut sur- pris par d'affreuses tempêtes, au sortir desquelles une frégate fran- çaise vint lui donner la chasse, et le força de se réfugier dans le port de Batavia, qui était, à cette époque, dans la possession de l'Angleterre. A peine avait-il remis en mer, que de ^uvclles tem- pêtes l'assaillirent et se prolongèrent pendant plusieurs jours. Arrivée devant une côte inconnue, la corvette se brisa contre des écueils, et l'équipage n'eut que tout juste le temps de se jeter dans les deux cha- loupes, .lenny descendit dans la plus petite. Elle chavira, et, de tous ceux qui la montaient, .lenuy seule se sauva. Au sortir d'un long évanouissement, elle se trouva au pied d'un rocher escarpé, et dans un danger imminent d'être entraînée à la mer par la première vague qui arriverait jusqu'à elle. Il lui fut impossible de donner le moindre renseignement sur ce qu'étaient devenus le capitaine Greenfield et la grande chaloupe. Pendant deu\ jours, la pauvre enfant était restée Ifi dans un si grand état d'épuisement qu'elle ne se rendait pas même compte de l'étendue de son malheur. (^)uand la connaissflucc lui fut un peu revenue, elle se traîna péniblement vers une grotte, oii elle fut du moins à l'abri des flots de la mer, et elle y dormit pen- dant deu\ fois vingl-(|uatre heures, ne se réveillant que pendant de courts intervalles. Dans tout ce temps elle ne mangea ijue deux oeufs, dont, par bonheur, il se trouvait un assez grand nombre à sa portée. Le troisième jour enfin, le calme qui était revenu dans l'atmo- sphère se comniuui(|ua aussi à l'esprit de Jenny. Elle se flatta que quelques hommes de l'équipage se seraient sauvés comme elle ; et afin qu'ils la découvrissent plus facilement, elle crut ne pouvoir mieux faire (|ue de s'occuper sur-le-champ à allumer un grand feu. En s'embanjuant , elle avait pris le costume d'un aspirant de marine, de sorte ciu'elle avait sur elle un bri([uct, et tout ce ([ui pouvait lui être nécessaire pour ce qu'elle voulait faire. Elle entretint pendant Ioup- Icmps ce feu avec le bois de la corvette naufragée, el ])lus tard avec des plantes marines desséchées. Elle ne fut pas assez heureuse pour pouvoir se procurer la moindre chose d'utile des débris du navire, du moins sous la forme d'outils ou de vêlements. Quel(|ue.i barils de provisions furent les seuls objets (|ue la mer jiineur se faisaient toujours en nombre impair. 11 sollicita et obliiil la permission de rendre ce salut, et, pour se conformer à l'usag'c , lui et Jack répondirent par onze coups aux honneurs qu'on nous avait rendus. Comme nous doublions la poinl<> de l'ile des liequins, nous vîmes l'ritz descendre par une corde du haut du rocher où il s'était |)osté pour nous saluer, et à cet aspect miss Jenny poussa un cri involon- LE ROr.INSON SUISSE. 149 taire, tant sa position lui parut pùiilleuse; mais Fritz fut en un clin d'ccil au pied du rocher et dans son kaïak. S'étant aiiproclic de nous, il se fit connaître pour l'amiral du port, et nous invita à dcbarc|uer à Felsenlieim. Prévenu, nous dit-il, de notre arrivée, tous les ral'rai- cliissements dont nous pouvions avoir besoin nous attendaient à terre. Nous ne ]/ûmes assez admirer la manière noble, déi;aj;ée et martiale dont Fritz joua son rôle dans cette occasion ; et il l'acheva par la pronipliludc avec laquelle, après avoir prononcé ce discours, il retourna à l'ile des Rocpiins, prit François dans son kaïak, et se re- trouva à côté de nous, avant que nous eussions complété notre débar- quement. Jlais lorsque enfin nous fiiines tous à terre, et que nous nous avançâmes vers notre maison si aifréablement située et si richement ombraijée; comme dans le plus beau jardin anglais, tandis que les fleurs les plus brillantes, les odeurs les plus suaves se réunissaient pour charmer tous nos sens, et que les oiseaux de notre basse-cour nous entouraient en gloussant et en caquetant, alors la bonne Jenny fut saisie d'une si vive émotion, qu'il lui fut impossible d'exprimer par des paroles tout ce qu'elle sentait. Quant à nous, il nous semblait que nos richesses étaient doublées, et pour la première fois nous sen- tîmes jusqu'à quel point il est vrai que de donner rend plus heureux que de recevoir. Dans la galerie fraîche et ombragée qui régnait le long de la mai- son, et en face de la principale entrée, nous fûmes agréablement sur- pris de voir une table sur laquelle on avait étalé tous les objets ([ue nous possédions, vieux et neufs, de fabrique européenne ou de la notre. De la porcelaine de Felsenhcim, des vases de bambou, des assiettes de noix de coco, des cou|)es d'ccufs d'autruche, se mon- traient à côté de verres, de bouteilles et de vaisselle trouvés dans le bâtiment naufragé. L'efl'et de cet étalage était rendu beaucoup plus pii|uant par des oiseaux empaillés, tirés de notre musée, et (|ui, sus- pendus à une ficelle, semblaient voltiger sur la table. Enfin, un grand tableau couronné de Heurs s'élevait au-dessus, et l'on y lisait ces mois en lettres rouges : « Vive miss Jenny JMontrose! bénie soit son » arrivée dans la demeure du Robinson suisse! a Du reste, les vases étalés sur cette table n'étaient pas vides; ils étaient, au contraire, remplis des mets les plus délicats (|u'on avait pu rassembler en si peu de temps. De l'hydromel, du vin des Cana- ries et de la crème invitaient à étancher sa soif. Des fruits de toute espèce se montraient en brillantes pyramides, et il ne niani|uait pas de plats plus solides. Il y avait du poisson frais et un magniii(|iie rôti. La seule chose qui me fît de la peine en tout cela, ce fut de voir, à l'air fatigué de François, (pii, malgré lui, bâillait et se frollait les yeux, ([ue nos deux pauvres enfants avaient passé la nuit pour donner plus d'éclat à notre réception. Miss Jenny obtint la place d'honneur, entre ma femme et moi. Kriiest et Jack s'assirent aussi; mais Fritz et François voulurent ab- solument nous servir de maîtres d'hôtel. La serviette sous le bras, ils découpaient les plats, changeaient les assiettes, et nous versaient à boire avec tant de grâce et de bonnes manières, que plus d'une fois nous oubliâmes de manger pour les regarder. La soirée ne fut qu'une suite de réjouissances toujours nouvelles, au milieu desquelles la pauvre miss Jenny fut souvent à )ilaindre. C'étaient ii tous coups de nouvelles acclamations : « O ma chère miss, venez par ici ! montez là-haut ! regardez ceci 1 examinez d'aboid cela! » 11 fallut à cette aimable enfant toute son adresse pour con- tenter tout le monde; pas un coin de la maison ne fut oublié, si ce n'est, je ne sais pouniuoi, la cuisine, et il fallut en définitive que Jenny exprimât elle-même à ma femme le désir de la voir, sans (pioi on ne la lui aurait apparemuient pas montrée. Le lendemain, tout le monde fut levé de bonne heure, car nous devions faire une excursion à Falkenhorst. Ce n'était pas là seule- ment un voyage de plaisir : il était réellement nécessaire de voir en quel état se trouvait cette propriété. (^)uoique Felsenlieim renfermât tous nos trésors les plus précieux, et que son admirable position près de la mer et pour l'hivernage en fît, comme de raison, notre séjour le plus habituel, je ne vcuilais sous aucun prétexte abandonner Fal- kenhiirst, ou nous avions rassemblé nos pigeons, nos abeilles et tous nos animaux domestiques. Toutes nos bétes d'attelage se trouvant à Falkenhorst, nous fûmes obligés de nous y j-endre à pied. t_)ue l'on juge, d'après cela, de notre embarras quand, au nionieiit de sortir de la maison, ma leiuiue se donna une eiilorse. Le mal n'était pas grand, mais il lui était impos- sible de marcher. Comment faire? INotre charrette était trop lourde pour (put mes fils pussent la traîner. Il fut question un moment de disposer un brancard, ({uaiiil loiil à coii|) lùiiesl nous dil de prendre patience, et (lu'en moins d'une demi-heure il nous lirirait d'em- barras. ÎNous nous assîmes en l'attcndanl. Il ne voulut emmener per- .sonne que Jack avec lui pour l'aider, et en elVet, dans un peu plus d'une demi-heure, nous les vîmes arriver : ils avaient pris la moitié d'un grand iiaiiier dont nous ne nous servions plus, et l'avaient at- tachée à deux forts et longs liamlioiis. Pour rendre la voiture plus douce, ils l'avaient ijarnie iiilérieiiremciit iroreilicrs. Ma feiunie s'assit dans le (lanier, Eriiesl si' plaça dans le brancard par devant, et Jack marchait à côté de lui. Fiilz soutenait le brancaril par derrière avec François : je fermais la marche avec miss Jenny, et ce fut ainsi que nous partîmes pour h'alkenhorst. Arrivés là, je n'y trouvai pas les ciioses précisément dans l'état ([uc j'aurais voulu, et nous consacrâmes une semaine entière à net- toyer, à réparer et à améliorer celles qui exir.eaieut le plus de tra- vaux; mais ce temps ne nous suflit pas à beaucoup près pour tout remettre en ordre. En attendant, quoique nos occu])ations fussent grandes et nombreuses, notre séjour à Falkenhorst fut des plus agréables. Nous étions gais et contents, nous travaillions avec ar- deur; ma femme, complètement rétablie, prenait plaisir tantôt à nous faire voir un nouvel ouvrage qu'elle avait achevé, tantôt à nous servir un nouveau plat qu'elle avait inventé avec Jenny. En un mot, chacun d'entre nous semblait n'avoir d'autre désir que de se rendre le plus agréable qu'il lui était possible aux personnes qui l'entou- raient. Notre séjour à Falkenhorst se termina jiar une excursion générale à Waldegg pour faire la récolte du riz. Ce lieu nous fit faire bien des réflexions par le souvenir de nos aventures passées et par la pré- vision de celles qui pourraient nous arriver dans la suite. A vrai dire, le moment jn-ésent qui s'écoule avec tant de rapidité n'offre quelque agrément à l'homme que par ses souvenirs et ses espérances, (jelui qui n'a rien fait ni rien vu, celui ipii n'entreprend rien et ne tend à rien, enlève à la fois à l'arbre de sa vie et les racines et les branches. Il ne présente plus qu'un tronc nu, dont on détourne malgré soi la vue. Il ne faut pas que l'on s'attende à ce que je puisse décrire avec dé- tail les événements de ces derniers temps. .le touche à la fin de mon ouvrage, et ce (|uc j'aurais à dire ne serait guère que la répétition, avec quelques variâmes, de ce ([ue l'on a déjà lu. La présence de miss Jenny causa pourtant quelques changements dans notre exis- tence. La saison des pluies approchait, et nous nous occupâmes, avant son invasion , d'ensemencer nos champs. Nous rassemblâmes aussi divers objets qui devaient servir à varier nos travaux pendant cette espèce d'hiver. L'adresse de Jenny à tresser la paille et les roseaux nous donna l'idée de consacrer une partie de notre tem])s à fabri- quer soit des chapeaux fort légers, soit de grandes nattes (pii pussent remplacer la toile à voile ipii commençait à s'user. A tout prendre, mon ménage voyait arriver la saison pluvieuse avec beaucoup moins d'elïroi ipi'a rordinaire. Nous comptions sur la com])laisance de notre nouvelle amie pour nous perfectionner dans la langue anglaise, dans la([uelle notre prononciation avait toujours été très-fautive. L'hivernage se passa et la belle saison revint. Le cœur agité de mille sentiiiients divers, je iirends la plume pour achever ce chapitre. Dieu est grand ! Dieu est bon! tels sont les premiers mots ipii se pré- sentent à ma pensée au moment d'exprimer pour la dernière fois mes sentiments. L'Être suprême dirige toutes choses avec une sagesse in- finie. Il a accordé à ma famille une protection qui a surpassé toutes mes espérances, et j'en suis si ému, (|ue je ne ]uiis trouver assez de calme pour terminer cette histoire d'une manière satisfaisante. Je sais à jieine de (pielle façon commencer les dernières communications que j'ai à faire à mes lecteurs. C'était vers la fin de la saison pluvieuse; le ciel, cette année, s'était éclairci plus tôt qu'à l'ordinaire, et la nature renaissait dans toute sa beauté. Nous sortions de notre maison comme, a|>rès un orage, les pigeons sortent de leur colombier; nous i)arcoiirions notre jardin, nos diverses ]ilanlations, ne chercliaiit i|ii'à profiter de notre liberté nouvelle, et projetant une foule de travaux divers pour la saison dans laiiuelle nous allions entier. Fritz proposa de se rendre tout d'abord à l'île des Hccpiins, et de monter au corps de garde pour jeter ses regards au loin, et voir si les tempêtes n'avaient rien amené de noiiveaii'sur ces côtes. J'y consentis, et.lack l'accompagna. Ils ne tardèrent pas à arriver dans l'île, et ils grimpèrent bslemenl sur le rocliiM-. Je leur avais dit de tirer deux coujis de caïuui (|iiaiiles jeunes gens n'eurent riin de plus pressé que d'obéir à mes ordres; car loiites les fois c|u'il fallait tirer un coup de canon, c'était pour eux une vraie partie de plaisir; mais ils avaient si souvent rempli cette cérémonie, sans recevoir d'autre réponse que celle que leur donnaiciil les échos, (|u'iin saisis- sement extrême s'empara d'eux lorsipi'au bout de quehiues instants ils enteiidireni trois coups sourds, mais distincts, retentir au loin. Dans leur premiire émotion, mes enfants s'embrassèrent sans rien dire; ils éprouvaient un mélange de joie, de crainte, de doute et d'es- pérance cpii les rendit muets, l'rilz fut le premier cpii relnniva la force de parler; il s'écria : « Des hommes! des hommes! ^ enille le ciel cpi'ils soient bons! ;\].,is (pie faut-il que nous fassions? » demanda Jack, (|ui était pris d'un tremblement involontaire. Les jeiiucs gens n'eurent rien de plus pressé que de se diriger vers l'endroit où j'étais occupé à travailler, et je vis sur-le-champ ipi'il ISO LE ROBINSON SUISSE. venait d'aiiivei- quelque chose d'exlraordiuaiie. Je leur demandai ce qu'il y avait. 0 O mon pèi-e, mou ])ère ! s'éciièrent-ils à la fois eu lue |iicuant cliaciin par un l)ras, n'ave/.-vous rieu entendu? « Aucun liruit extraordinaii-c n'élaul parvenu jus(|u'à moi, cl le récit de mes !ils me paraissant fort iuvraiseiublable, je secouai la tète; je leur As plusieurs objections, auM|uelles ils répondirent. Je ne savais réellement (|u'en penser, et mon embarras était plus i;rand que je n'aurais cru qu'il le serait eu pareil cas. Je ne m'étais jamais bien rendu compte de la conduite que je tiendrais si des étranijers abor- daient dans mon ile. Fallait-il me découvrir sur-le-cliamp it eux ou me tenir caclic ? comment savoir si c'étaient des Européens ou des pirates malais? des mallieureux comme nous ou des ennemis? Je m'empressai de rassembler toute ma maison et de tenir un conseil de guerre, car je trouvais la chose beaucoup trop sérieuse pour oser prendre une décision à moi seul, aidé mèiue des avis de Fritz et de Jack. Sur CCS entrefaites, la nuit arriva, et je résolus de remettre au len- demain à nous fiver sur le parti (jue nous devrions prendre; mais j'ordonnai à mes trois aînés de se relayer pendant la nuit pour faire sentinelle dans la galerie de notre demeure. Mais la nuit ne fut pas aussi paisible que je l'avais espéré; une tempête affreuse parut avoir ramené la mauvaise saison, et il nous fut impossible d'entendre aucun autre bruit ipic celui du vent, de la |)luic et des flots de la mer se brisant contre le rivage. Ce conflit des éléments se prolongea pen- dant deux fois vingt-quatre heures, et nous eûmes tant à faire pour nous en défendre, ijue nous ne pûmes pas songer à aller à la décou- verte. Ce ne fut que le troisième jour (|ue, le vent s'étant calmé, nous en entrevimes de nouveau la ]iossibilité , et je n'eus rien alors de plus pressé (|u ■ de me transporter moi-même à notre cor))s de garde. J'emmcriai avec moi Jack, et nous emportâmes un pavillon (|ui de- vait indi(iner à ceux (jui étaient restés si les nouvelles étaient bonnes, ou si nous étions menacés de (juclque danger. Si je .iccouais le pavil- lon trois fois et le rejetais après dans l'abîme, ma femme, mes en- fants et Jeuny devaient se retirer, le plus promptement possible, ii Falkenhorst, y emmener tous nos bestiaux, et atleudrc c|ni je vinsse les y rejoindre. Si, au contraire, je ne secouais le pavillon que deux fois elle plantais de suite à côté du corps de garde, les ap|)areuces étaient favorables, ou, du moins, ne présentaient aucun motif urgent d'in(|uiétude. Je laisse il juger avec quel ballemenl de cœur nous débarquâmes dans l'île des Uequins et nous gravîmes le rocher. Arrivés au sommet, nous regardâmes de tous côtés autour de nous, sans rien voir d'ex- traordinaire. Sur les instances de Jack, je résolus alors de tirer trois coups de canon, car je commençais à croire de nouveau (|ue mes en- fants s'étaient trompés et avaient pris I écho pour une réponse. Nous chargeâmes les pièces et tirâmes nos trois coups, en laissant deux mi- nutes d'intervalle enire chaque. Nous tendîmes les oreilles, et bientôt un coup sourd se fit entendre; |)uis, après un intervalle, un second; puis un troisième. Sept coups se succédèrent ainsi ; ma joie était au comble; Jack devenait comme un homme pris de vin. .le m'empressai de faire le signal favorable; mais l'instant d'après, me frappant le front, je dis : « (^)iie je suis insensé ! Je nie livre à la joie sans savoir si ce sont des amis ou des ennemis que nous avons près de nous, u Nous rechargeâmes, après cela, nos pièces, et je dis à J;ick de rester auprès d'elles, iiu'che allumée , pendant une heure, et de tirer un coup dès (|u'il apercevrait soil une personne, soit un bâtiment étran- ger. (,)uant à moi, je me hâtai d'aller rejoindre ma famille à Felsen- heiin. iMalheureusenient , je ne pus satisfaire la vive curiosité doiil tous les ((curs étaient remplis; mais chacun m'approuva (luaiid j'annonçai l'inlenlion d'aller à la découverte avec Frit/. Jcnny , d'or- dinaire si raisonnable, semblait avoir entièrcincnt perdu la tête; elle assurait (|ue c'était son pi're qui ;ivail traversé les mers pour venir la chercher. Je jugeai prudent, dans cette occasion, d'imiter la conduite de Fritz lorsqu'il était revenu avec Jenny. Nous nous déguisâmes de notre mieux, et nous convînmes (|ue, par nos allées et nos venues, nous tâcherions de faire croire aux personnes que nous renconlre- rions que nous possédions une flottille de plusieurs canots. ]| était environ midi (|uand je montai avec l'ritz dans son Uaïak , et ([uaiid nous primes le large. Ala femme était émue et adressait pour nous au ciel une fervente prii're. I',rnest et Jack s'étaient déjà mis en marche avec nos bêtes et (iueli|ues-uns de nos effets les plus lu'écieux. Nous étions , comme je viens de le diie, (léj;uisés en sauvages ; nous étions bien armés, et nous avions décidé de nous entretenir dans le jiatois suisse-allemand li! plus grossier, bien convaincus qu'aucune nation maritime ne pourrait nous comiirendie. la roule (|uc nous devions suivre était située du seul côté par le- quel nous n'avions jamais été ii la découverte, parce que la mer y était remplie d'écueils, et que la côte se présentait si escarpéi', ipie nous n'avions éprouvé aucun désir de nous y risiiiicr. Je regrettai alors de n'iivoir jamais visité ces parages, parce ([iic mon ignorance des lieux pouvait nous empêciier de trouver une place de dél)ar(|iie- menl sûre, dans le cas oii nous serions poursuivis. Mais, pour abréger, je dirai (|ue nous mîmes une heure cl i|oart à faire un chemin qu'en droite ligne nous aurions pu parcourir en vingt- cinq minutes, si nous n'avions pas été obligés de longer la côte. Nous nous trouvâmes alors près d'un promontoire ([ue nous nous disposâmes à doubler, convaincus que nous trouverions tout de suite le vaisseau que nous cherchions; attendu que, s'il avait été plus éloigné, nous n'aurions pas pu entendre les coups c|u'il avait tirés. En elïct, que l'on juge de l'agréable surprise que nous eûmes lors(|ue, après avoir dépassé la jiointe du promontoire, nous vîmes tout à coup, à l'ancre, dans une petite baie, un vaisseau européen , à la vérité ,a moitié dé- gréé , mais portant pavillon anglais. H n'était point abandonné, car, en ce moment, une chaloupe le quittait pour se diriger vers le rivage. .l'eus de la peine à retenir Ffitz, qui aurait voulu se jeter à l'eau pour suivre la chaloupe à la nage; mais je réprimai son impatience, ■ et, j'ajouterai encore, la mienne : car, il bien prendre la chose, nous ne pouvions pas être encore tout à fait rassurés. Tout ce (|ue nous savions, c'était que nous voyions un vaisseau européen; mais il était encore possible que des pirates malais s'en fussent emparés, ou bien que l'équipage anglais lui-même se fût révolté et eut massacré ses oOiciers. En consé(|uence , nous débarquâmes derrière un rocher, sur lequel nous montâmes , et de là, à l'aide de lunettes d'ap]iroche, nous pûmes examiner l'objet de notre vive curiosité. Je crus reconnaître que le bâtiment que nous voyions était un yacht léger, armé de huit ou dix petits canons. Les voiles, les cordages et les huniers étaient enti(!rs. Le vaisseau était à l'ancre et semblait être en répar;ition. Sur le rivage étaient dressées trois tentes, d'où s'élevait une fumée lios- pilalièrc i|ui annoiirail les prép;u'atifs d'un repas. I,'é(|uii);ige ne pa- raissait pas être nombreux, et était, par conséquent, peu il craindre. Toutefois nous crûmes pouvoir distinguer à bord deux sentinelles, et, il travers les sabords ouverts, on voyait sortir les bouches des ca- nons. Après mûre réflexion, je jugeai ((u'il n'y aurait pas d'impru- dence à nous montrer; nous résolûmes cependant de ne pas quitter notre kaïak, et, provisoirement, de ne pas nous faire connaître. Nous nous dirigeâmes Iciiteinent vers la baie, eu prenant l'air de personnes timides et étonnées. Un ollicier se montra alors sur le pont du yacht , et Fritz me fil rciiiar(|ucr qu'il avait la peau blanche et les traits européens; d'où il conclut que c'était le capitaine , d'autant plus qu'il lui trouva le maintien d'une personne accoutumée au commandement. <• 11 faut d'.iliord, lui dis-je, que nous chantions une chan.-.on suisse, en faisant de grands gestes, après quoi nous prononcerons (|iiel<[ues mots en mauvais anglais, et nous xerrons ce (]ui en résultera. » Nous nous approchâmes donc encore un peu du bâtiuient , après quoi nous entonnâmes à tue-tête une chanson dans les paroles de laquelle, cerles, aucun Européen n'aurait reconnu un langage civi- lisé, l.e capitaine et quelijues personnes qui se monln'rcnt auprès de lui commencèrent alors à faire attention à nous; ils sixouèrent des mouchoirs blancs et ouvrirent les mains, comme pour nous faire voir (lu'ils n'étaient pas armés. {_]omme nous hésitions encore à nous ren- dre à son invitation, le capitaine prit le porte-voix et nous demanda qui nous étions, d'où nous xenions et comment s'appelait cette côte. ,1e répondis ;i plusieurs reprises, aussi haut qu'il me fut possible : lùifjlisli iiii'ii , goi)d men! sans entrer en plus de détails, et tenant toujours les yeux attachés au vaisseau, pour lâcher de découvrir ce rpii en était. Les hommes qui entouraient le capitaine le trailaient avi'c beaucoup de respect, et nous ne x^oyions rien (|iii indii|uâl du (b'sordre ou de l'ivresse. On nous montra du drap rouge, des haches, des clous et autres objets servant au commerce d'échange avec les sauvages. En réponse, je leurfais:iis voir nos harpons, comme pour dire que naus n'avions rien il leur oIVrir. A la lin ils nous demandè- rnit des iialatcs, des noix de coco, des figues cl antres fruits; à ((uoi je répondis: « Ft'.s, î/cs, mucIi , iiimli! n et comme je voyais que Fritz commençait à avoir de la peine à garder son sérieux, je l'engageai à reprenilreau plus tôt le large; ce (|ue nous fîmes siir-le -champ ; et ^ c|naiid nous fûmes assez éloignés pour i[iie l'on ne pùl plus nous voir, nous nous livrâmes ;i toute notre ijaielé, cl ii la joie que nous éprou- vions de nous retrouver de nouveau parmi les hommes. En arrivant dans la baie du Salut, nous déchargeâmes nos fusils el nos pistolets, signal convenu pour annoncer notre succc'S ii nos amis , qui nous ré- pondirent, de leur côté , par quehpies décharges d'armes ii feu, après (|noi nous courûmes nous jiMer ilans les bras les luis des autres. Oiianil nous eûmes répondu aux premières (|ueslions vl satisfait à la ])reinière curiosité, nous tînmes conseil sur ce (|u'il fallait faire, et nous nous décidâmes ii nous eiubar([uer tous ensemble sur noire grande ])inasse, et il nous rendre en (H'rémonie au|U'i's du yacht, à l'équipage dur|uel nous ne dirions point (|ue nous l'avions déjà vu. l'.n attendant, je ne saurais peindre toute l'agitation que causa ])armi nous cet événemeni, surloiil ipiand on vint à considérer siuis toutes leurs faces les résultats probables ipi'il pourrait .avoir. Déjii nos en- fants croyaient (|ue nous alliiuis nous embarquer lous pour reloiiriicr en Europe. (îuani à moi, en ma ipialilé de pal riarche, j'avais bien de la peine il jirendre une résoluliini sur le ]>arli qu'il fallail suivre, et j<' ne savais jusqu'à quel ])oinl il sérail piiidenl, de ma pari, de ra- mener ma petite colonie soit en l''.iirope, soit dans quelque grande possession européenne, ,1e finis cependant par me dire i|u'il était LE ROKINSON SUISSE. 151 absurde de me tounneiilei- ainsi avant d'avoir visité le liàliriiciil inconnu. l,a journi'O suivante se passa l(iul entière dans les travaux de !;ri'e-- n.eni de noire pinasse, dans l'arranijenient di' nos habits et de nos armes, et dans le choix des fruits et des léijuuies (|ue nous voulions emporter avec nous pour les otïrirau capitaine. Ce ne tut même que le surlendemain i|ue nous pûmes nous uietlri' en roule, toujours pré- cédés de Fritz, dans son kaïak, ([ui iu)us servait de pilote, mais ipii, pour celte occasion extraordinaire, avait endossé le costume d'un ofiicicr de marine. Ce lut ainsi que nous entreprîmes une evpédilion bien importante pour notre avenir. D'elle allait, selon toute apparence, dépendre notre réunion détinitive avec nos semblables, ou la douleur d'une espérance perdue peul-ètre pour jamais. Aussi éprouv.ii-jc un (;rand serrement de eo'ur quand, après avoir doublé le dernier promon- toire, je vis de nouveau le yacht anj;lais. Fritz était monté sur notre bord, et toute ma famille tenait les yeux fixement attachés sur le na- vire étranijer. .le fis sur-le-champ hisser le pavillon anÇjlais, et je plaçai ma pinasse ili' façon à pouvoir facilement, selon l'occurrence, entrer en communication amicale avec le yacht ou bien nous défen- dre contre son attaque. 1,'élonnement de l'équipage du yacht en nous voyant entrer ainsi li('rement dans la baie ne saurait se décrire; j'avoue même que si nous avions été des pirates déguisés, nous n'aurions pas eu beaucoup ersonne de nos projets, et, dans l'iulervalle, de diriger les choses de telle façon que deux de mes fils exprimassent d'eux-mêmes le désir de res- ter avec nous, après quoi les deux autres pourraient accompagner le e;ipilaiiie Littlestone en Lurope, pourvu (|u'il voulût les prendre. Or, dès le U'iidemain, les circnnslances amenèrent d'elles-mêmes la ma- nifestation que nous voulions iirovoqucr. Il avait été décidé pendant le déjeuner que le capitaine, son pilote et un aspirant de marine viendraient nous visiter il Felseuheim, et qu'en même temps le mé- canicien malade y serait transporté, dans l'espoir que le bon air et nos soins contribueraient ii lui rendre la sauté. Ce voyage fut réelle- ment une partie de plaisir; le bonheur et l'espérance remplissaient tous les cœurs. Fritz et Jack obtinrent la permission d'aller en avant pour nous recevoir. Je n'essayerai pas de peindre la surprise des Européens lorsqii'en entrant dans la baie du Salut, notre maison, notre jardin, nos divers établissements frappèrent ii la fois leurs regards. Cette surprise fut au comblt' lorsqu'ils s'entendirent saluer de onze coups de canon, et qu'ils virent le grand pavillon anglais sur le sommet du rocher de l'île des r\e(|uins. Le débarquement olïrit une nouvelle scène de r-avissement ; de tous côtés on ne voyait qu'hommes et animaux. Chacun cherchait à satisfaire sa curiosité, ii faire des questions ou ii y répondre, i'endant ce temps, le pilote et moi nous portions I\I. \\ oiston dans une char- rette, où nous le confiâmes aux soins de sa femme. Le dîner fut court; car nous voulions aller avant la fin du jour à Falkenhorst, et d'ail- leurs aucun d'entre nous n'avait l'esprit assez en repos pour se livrer aux plaisirs de la table. Ce ne fut (|ue le soir, et au retour de Fal- kenhorst, qu'un peu de tranquillité commença ii régner parmi nous. iMistl■ess\^'olslon saisit cette occasion pour exprimer le désir de rester dans l'île jusqu'il ce que la santé de son mari fût enlièrcmcnl rétablie, et de garder avec elle sa fille aînée, cjui n'était pas non plus très-forte, tandis que la cadette irait au cap de Bonne-Espérance retrouver son frère qui y élait établi, et i[u'clle ramènerait auprès de nous, si nous voulions le permettre. Je répondis que cet arrangement comblerait tous mes vœux, et je crus l'occasion favorable pour faire connaîlre l'intention que ma femme et moi nous avions prise de ne plus quitter la Nouvelle-Suisse. A ces mots un cri général s'éleva de : \'\\'c la Nouvelle-Suisse ! auquel Ernest ajouta : « Et vivent tous ceux qui y veulent rester ii jamais ! • La glace était rompue, cl le capitaine ayant annoncé que le méca- nicien \^'olston, en quittant son navire avec sa femme et sa fille, y laissait trois places libres, tout s'arrangea bientôt. H fut décidé que I'"ritz, François et Jeiiuy partiraient pour l'Europe, et qu'Ernest et Jack, ijui ne demandaient jias mieux, reslcraienl avec nous. (Combien d'émotions diverses agitaient tous les cœurs! Aussi chacun s'cmpressa- t-il de se retirer dans la chambre que ma femme lui avait assignée, pour s'y livrer en repos ii ses réflexions; car il était impossible it l;i pliipart'd'cutrc nous, de ne pas sentir «[u'ils se trouvaient ii la veille d'événements (|ui allaient changer totaleiueiit leur existence. Q)iiant ii moi, je m'étais délivré d'un poids énorme, et je remerciais le ciel d'iivoir dénoué avec tant de facilité un embarras qui m'avait causé tant d'in(|uiétiide. Dès le lendeniain comiuciiii'ient les luéparalifs de départ, et je laisse il penser si tout prit chez nous un air de presse et d'occupalion. Ma femme préparait le trousseau des jeunes voyageurs, tandis ipi'uii combat di" ijénérosité s'éleva, entre ceux (|ui parlaient et ceux qui restaient, pour le partage des divers objets qui jusipi'alors avaient été possédés en commun, i^liss .leniiy emporta, comme de raison, tout ce qu'elle avait apporté de la lioclic fumante, et je remis ii l''rilz et à l'ranrois leur part des perles, du (-orail, des noiv muscades, de la vanille, des curiosités naturelles; en un mol, de tout ce ipii pou- vait avoir i|uel(|ue ]irix dans les pays oii ils allaient. Je leur donnai, en outre, une partie de ce qui nous restait, afin (|u'ils en disposassent pour notre compte, et qu'ils nous envoyassent en retour les produc- tions de rl'.uriqie dont nous pourrions avoir besoin. Je fis aussi quel- ques échanges avec le capitaine Litllestiuie , à qui je remis tous les objets précieux que nous avions recueillis sur le bâtiment luiufragé, en le priant de s'informer s'il existait encore des parents de ceux ;i qui ces objets avaient appartenu, et, dans ce cas, de les leur faire tenir. I,a veille de la pénible séparation, personne ne voulut monlrer de l'aihlessc; nous invitâmes le ca|)itaine et tous les ofliciers du yacht à un souper d'adieux. Au dessert , je fis ]ilaccr sur l;i table, dans une corbeille de fleurs, le journal de nos aventures sur les côtes de la Ii2 LE ROBINSON SUISSE. Nouvelle-Suisse, et je le recommandai k mon honnête Fritz, à mon prudent François, à tous les assistants, en les priant de le faire im- primer à leur arrivée en Europe, en supprimant tout ce qui leur paraîtrait inutile ou trop long. o J'espère, dis- je, que ma vie avec celle des miens sur ces rivages lointains ne sera pas sans utilité pour le monde. Ouoiiiue je ne l'aie écrite que pour l'usage de mes enfants, elle peut offrir ([uelifue in- struction à ceux des autres. Les enfants se ressemblent plus ou moins partout, ei mes quatre fils offrent certainement les portraits d'une foule d'autres qui se rencontrent en tous lieux. Je me croirai heu- reux si mon récit peut démontrer au\ jeunes gens les suites heu- reuses de la justice et de l'humanité, les résultats avantageux de la réflexion, des connaissances acquises, d'un travail assidu, de l'union domestique, de l'obéissance filiale, de l'amour paternel. 11 est vrai que notre situation a été si étrange, qu'elle ne peut guère servir d'exemple à suivre pour les autres hommes. 11 me semble toutefois qu'ils peuvent en conclure que trois choses nous ont surtout été utiles dans nos plus pénibles embarras : d'abord une confiance saas l)ornes dans le Père de tous les hommes, puis une activité qui ne s'est jamais ralentie, et enfin quelques connaissances, quoique pour la ]ilupart acquises par hasard, ce qui prouve qu'il ne faut jamais dire : A (|uoi cela peut-il être utile ? « Mais la nuit avance. Demain matin, je remettrai encore à mon fils aillé ce chapitre que j'achève; puisse Dieu l'accompagner et nous protéger tous! Salut, Europe! salut, vieille Suisse! puisse la nou- velle être un jour florissante comme je t'ai vue dans ma jeunesse! puisse-t-eUe posséder, comme toi, la piété, le bonheur et l'indépen- dance ! Le capitaine nous reçut avec la franchise d'un marin. FIN DU HOIUNSON SUISSE. Paiis. Ty()o(;raphie Pion frcrcs, imprimeurs de rEnqn.r(nr, nie de Vougiraru, 36. ^ /' '^i^^^i^. Cl'STAVE BARBA, EUITELR- TIM DURWARD. DFST ET HOIELIX , 'f.RâV10 *. CHAPITRE 1. Le Contraste. La deniif're partie du quinzième siècle prépara une suite d'événements aux- quels la France dut la puis- sance foruiidablcquia excité depuis à diverses reprises la jalousie des autres nations européennes. Avant cette époque, elle défendait son existence même contre les Anglais; ils s'étaient déjà emparés de ses plus belles provinces, et les efforts du roi, la hravOLire du ]>euplc avaient peine à tjarantir du joug étraui;er le reste du territoire, (je n'était pas là son seul danger: les grands feudataires, et notamment les ducs de Bourgogne et de Bretagne, avaient tellement relâché leurs liens féodaux , qu'à la moindre occasion ils levaient sans sciii|miU's leur bannière coulie leur sei- gneur iigc le roi de Franco. Pendant la paix, ils régnaient en maîtres abso]usremière femme, Marguerite d'Ecosse, était morte de cha- grin il la suite de calomnies qu'on ne se serait pas ])ermises sans les encouragements de son injuste époux. Fils ingrat et rebelle, il avait conspiré contre son père, ce ([ui l'avait fait consigner dans son apa- nage du Dauphiné , c|u'il gouverna avec une rare sagesse. Exilé plus tard pour avoir déclaré la guerre i» Charles Vil, forcé d'aller men- dier un asile auprès du duc de Bourgogne, il en reçut jusqu'en 1461 une hospitalité dont il ne se montra guère reconnaissant. Dès le début de son règne, Louis faillit succomber ii une ligue formée par les grands vassaux, ayant ii leur tête le duc de Bour- gogne, ou plutôt son fils, le comte de Charolais. Ils levèrent une puissante armée , bloquèrent Paris, livrèrent sous ses murs une ba- taille dont le succès iut contesté, et mirent en péril la monarchie française. 11 arrive souvent en pareil cas que le plus judicieux des deux généraux recueille sinon la gloire militaire, du moins les véri- tables avantages du combat. Louis, qui avait l'ait preuve d'une grande bravoure personnelle ii la bataille de Montlhéry, sut en tourner à son profit les résultats incertains, comme s'il eût remporté la victoire. Il temporisa jusqu'il ce que la coalition de ses ennemis fût détruite; il sema la discorde entre eux avec tant d'art, que leur ligue du bien public, dont le but réel était l'abaissement de la royauté, se rompit d'elle-même, et ne parvint jamais ii se reconstituer. Depuis ce succès, Louis, n'ayant rien ii craindre de l'Angleterre, que ravageait la guerre civile des deux roses, s'adonna tout entier aux soins du gou- vernement. Comme un médecin capable, mais insensible, il s'occupa de guérir les blessures du Cûrj/s ])olitique. Il employa tantôt les re- mèdes anodins, tantôt le feu et l'acier, pour arrêter les ])rogrès de la gangrène mortelle dont ce corps était infecté. Dans l'impossibilité où il se trouvait de mettre un terme au brigandage des compagnies franches et aux exactions impunies de la noblesse , il essaya de les réprimer. A force de persévérance, il accrut par degrés son autorité royale, et diminua les puissances rivales qui la contre-balançaient. Cependant le roi de France était encore mal affermi sur un trône entouré de dangers. Les éléments de la ligue du bien public, quoiijiie divisés comme les tronçons d'un serpent, pouvaient encore se rap- procher. Louis avait surtout ii redouter le duc de Bourgogne, qui était alors un des plus graiuls princes de l'Europe, bien qu'il reconnût pour la forme la supériorité du roi de France. Charles, surnommé le Téméraire, car il élait d'une intrépidité aveugle, portait la couronne ducale de Bourgogne, (|u'il brûlait de convertir en couronne royale cl indépenilanle. Son caractère formait un parfait contraste avec celui de Louis XL Ce dernier, calme et cireonspect, ne poursuivait jamais une entreprise désespérée, et ne renonçait jamais ii uu projet c|ui offrait des chances de succès, même dans un avenir lointain. Le duc, au contraire, courait au-devant des dangers, ]iaree qu'il les aimait, cl ne reculait |)oint devant les obsta- cles, parce qu'il les dédaignait. Louis se serait bien gardé de sacri- fier ses intérêts ii ses passions; (^harles ne sacrifiait ii aucune consi- dération ses fiassions ou même ses fantaisies. Malgré leur |)arenlé, malgré les services que le duc et son pire avaient rendus au Dauphin en exil, ils avaient l'un pour l'autre une haine et un mépris réci- proipies. Le duc de itoiirgogne faisait peu de cas de In politique cauteleuse du roi; il l'accusait de )uisillanimité en le voyant clier- cher il obtenir par l'intrigue, la corruption et autres moyens in- directs, des avantages (|ue Charh's aurait con(|uis les armes à la main. Il reprochait au roi l'ingratiliiile dont celui-ci avait payé ses bieul.iits, et il se rappelait encore a\ec amertume les insultes person- nelles ([ue les ambassadeurs de Louis ne lui avaient pas épargnées lorsi|ue le l'eu due de Hoiirgogne vivait encore. Il le di'testait surtout il cause de l'appui secret i|u'il accordait aux méciuilents de (innd, de l.ii'ge et autres grandes villes des Flandres. Ces cités turbulentes, jalouses de leurs privilèges et fières de leur opulence, étaient sou- vent eu insurrection contre leur seigneur, i'.lles étaient sûres de trouvei- une priileclion clandestine ii la cour de Louis, ipii saisissait toutes les occasions de fomenter des troubles dans les domaines do son outrecuidant vassal. Louis rendait au duc avec énergie scui mépris et sa haine, mais il couvrait ses sentiments d'un voile plus épais. Il élait impossible a un homme d'une sagai^ité aussi profoinle de ne pas di'daiguer celle opi- niàlrelé inconsidérée qui allait il son but sans tenir eomple des fà- eheiises eonsé(|Uences, celte impétuosité qui marchait toujours en QUENTIN DURWARD. avant sans s'inquiéter un seul instant des obstacles qu'elle aurait à vaincre. Toutefois le roi avait pour Charles plus de liaine que de mépris, et ces deux sentiments étaient d'autant plus vils qu'il s'y mêlait de la crainte. 11 savait ([ue l'attaque d'un taureau en fureur, au(|iiel il comparait le duc de lSour!;o(;ne, était toujours formidable, quoi<|ue l'animal courût à l'ennemi les yeux fermés. Il redoutait non-seule- ment les ressources des provinces bourguiijnoniies, la discipline de ses belliqueux habitants, la masse de leur population, mais encore les qualités personnelles de leur duc. Poussant le courai;e au delà des bornes de l'audace, fastueux dans ses dépenses , déployant a sa cour, sur sa personne, dans toutes ses habitudes, la maipiilicence hérédi- taire de la maison de Koun;0|;ne, Charles le Téméraire attirait à son service tous les hommes entreprenants et fouiçueux, assions des grands, leurs querelles, leurs réconciliations, influent sur la des- tinée de ceux qui les approchent. Ln poursuivant le cours de notre histoire, on verra (|uc ce chapitre préliminaire est nécessaire à l'iu- telligcnce des aventures de l'individu dont nous sommes sur le point de nous occuper. CHAPITRE II. Le Voyageur. Par une délicieuse matinée d'été, à l'heure où la rosée rafraîchissait encore l'atmosphère embaumée, et avant (|ue le soleil eût toute sa force, un jeune homme, venant du ]N'ord-(^uest , s'approcha du gue d'une petite rivière, ou plutôt d'un ruisseau tributaire du Cher. 11 était il ])cu de distance du château royal de Plessis-lez-'Lours, dont les sombres créneaux s'élevaient, dans le lointain, au-dessus des ar- bres d'une vaste forêt. Ces terrains, consacrés il la chasse, étaient ceux d'un parc entouré d'une clôture appelée pli\r'ith(m dans le latin du moyen âge. Les enclos de ce genre ont donné leur nom à un grand nombre de villages français; celui de Plessis-lez- Tours était bâti à environ deux milles de la belle capitale de l'ancienne Touraine, dont les riches plaines ont été surnommées le jardin de la hrance. Deux hommes placés sur la rive opposée, et qui semblaient enga- gés dans une grave conversation, s'interrompaient de temps en temps pour obserxer le jeune voyageur. L'élévation du point oii ils se trou- vaient leur avait permis de l'.ipercevoir à inie grande distance. Le nouveau xenu avait de dix-neuf à vingt ans. Sou extérieur était prévenant et indi(|uait un étranger. Il portail un manteau court et des hauts-de-cliausses à la moile flamande; sa toque bleue, sur- montée d'une branche de houx et d'une plume d'aigle, était une coif- fure écossaise. Il avait un costume propre, à l'arrangement duquel il avait apporté les soins d'un jeune homme convaincu de ses avantages ])hysiques. Il avait sur le dos un bissac qui paraissait contenir qiiel- (|ui'S bardes, il tenait à la main droite un épieu de chasseur, et sa main gauche était enveloppée d'un gantelet de fauconnier, quoiqu'il ne portât pas d'oiseau. I)e son épaule iiendaif une écharpe brodée, au bout de laquelle était une gibecière de velours écarlale. C'était dans des sacs de ce i;enre que les fauconniers de ilislinctinn mettaient la unurrituie de leurs faucons, et ((uehiucs objets servant à cette chasse tant prisée. L'écharpe brodée était croisée par un autre bau- ilrier auquel pendait le couteau de chasse. Le jeune homme avait, au lieu de bottes, des brodequins de peau de daim ijrossièrcment cha- nioisée. Ouoique sa taille n'eût pas atteint tout son développement, il était grand et vigoureux; son allure légère prouvait que le voyage il pied était pour lui un plaisir pliilôl qn'iiiie fatigue. Il avait le teint blanc; mais une nuance un ])eu plus loneée était répandue sur son visage, soit qu'il eût été hàlé par le soleil de la terre élrangi're, soit i|u'ileûtété souvent exposé au !;raiid air dans siui pays natal. .Sa ligure, sans être d'une régularité parl'aile, était franche, ouverte cl agréable. La joie intérieure que donncnl la for'ce et la santé se traduisait sur ses lèvres par de légers sourires, qui laissaienl voir ses (lents bien rangées et aussi blanches que l'ivoire. .Ses yeux bleus, oii rayonnait la même gaieté, avaient un regard |iai1ieulier pour tous les objets qui s'oflraienl à lui. Ils exprimaient la bonne humeur, l'insou- ciance et la résolution. Il recevait, rendait avec .à-propos le salut des rares voyageurs qu'il rencontrait. L'homme d'armes errant, moitié soldat, moitié brigand, le mesurait des yeux, comme pour mettre en balance la perspective du butin avec les chances d'une résistance désespérée; mais l'atti- tude intrépide de l'étranger lui laissait ])rcssentir un tel accueil , qu'il renonçait à ses projets d'agression. — Honjonr, camarade, disait-il d'un ton maussade, et le jeune Ecossais répondait d'un airaussi mar- tial, mais avec moins de brusquerie. Le pèlerin et le moine mendiant lui donnaient leur bénédiction paternelle en échange d'un salut respectueux. La jeune paysanne aux yeux noirs se retournait à ])lusieiirs reprises pour le regarder, et ils se disaient bonjour en riant. Ilref , il y avait dans toute sa personne un charme qu'un reiiiai'i|uait involontairement, et qui provenait d'une heureuse combinaison de franchise, de hardiesse et de vivacité avec de beaux traits et une bonne tournure. Son maintien annonçait un hommi" qui entrait dans la vie sans se préoccuper des misères dont elle est semée, et qui n'avait à opposer aux dangers (|u'un esprit actif et un coeur courageux, IJe semblables caractères inspirent une ardente sympathie aux jeunes gens, et un intérêt afl'ectiieuv aux vieillards ex- périmentés, Li'ndividu que nous venons de décrire ét:iit depuis longtemps en vue des deux personnes qui erraient sur la rive opposée Au mo- ment oii il descendait la berge escarpée, avec la légèreté d'un che- vreuil qui va boire ii une fontaine, le plus jeune des promeneurs dit à l'autre : — C'est notre homme, c'est le bohémien! s'il essaye de traverser le gué, il est ])erdu; l'eau est haute, et le gué impraticable. — Laissons lui faire seul cette découverte, compère, dit le plus âgé, il est possible que cela évite une corde et démente un proverbe. — Je le reconnais à sa toque bleue , reprit l'autre, car je ne puis voir son visage. Écoutez, messirc ! il nous appelle pour nous deman- der si l'eau est profonde. — lîien ne vaut l'expérience en ce monde , qu'il essaye! Cependant , le jeune homme ne recevant point d'avis contraire, et prenant pour une preuve d'adhésion le silence de ceux ((u'il interro- geait , ôta ses brodequins , et entra dans l'eau sans plus d'hésitation. Au même instant, le plus âgé des promeneurs lui cria de prendre garde; et il ajouta à voix basse en s'adressant à son compagnon: — ÎMordieu ! compère, tu as commis une méprise; ce n'est pas le bohémien. Le jeune homme n'entendit point l'avertissement tardif qu'on lui donnait, et d'ailleurs il n'était plus ii même d'en ]irofiter. l^n nageur moins exercé et moins agile aurait inévitablement trouvé la mort dans ces eaux rapides et impétueuses. Par sainte Aune ! c'est un brave jeune homme , reprit le plus âgé : hâte-loi, compère, et répare la bévue en lui prêtant assistance , si tu en es capable. 11 est des gens de ton espèce ; si les vieux dictons sont vrais, l'eau ne le noiera pas. En effet, le jeune voyageur fendait les v.agues avec tant d'énergie, ([uc, malgré la force du courant, il ne fut emporté qu'à une faillie dis- lance du lieu ordinaire du débar(|uemcnt. Pendant ce temps le plus jeune des deux étrangers descendait sur la rive, et son compagnon le suivait en se disant à lui-même : — Je savais bien c]ue ce jeune gars ne se noierait pas. Sur ma part de saint! le voilà qui met pied à terre et (|ui brandit son épieu! si je ne me dé- pêche, il va battre mon compère pour la seule action charitable i|u'il ait accomplie ou tenté d'accomplir dans le cours de son existence! Il y avait quch|ues motifs pour prédire ce dénoûmeut, car l'Ecos- sais apostrophait en ces termes le Samaritain ([ui volait à son secours : — Chien rliscourtois ! pourquoi ne répondez-vous pas (]u;mil je vous demande si l'on peut passer ? Le diable m'emporte si je ne vous ap- prends pas à avoir à l'avenir plus d'égards pour les étran;;ers! Ces mots furent accompagiiés «le cet exercice significatif qu'on ap- pelle le mo»//)i(;/, jiarce que l'artiste, len:inl le bâton par le milieu, en fait jouer les deux bouts en divers sens comme les ailes d'un moulin. Son antagoniste, se voyant ainsi menacé, porta la main à son épée, car il était de ceux qui sont toujours ]ilus disposés à l'action qu'à la parole. Mais son camarade, plus circonspect, lui enjoignit de se mo- dérer; puis, se tournant vers le jeune homme, il lui reprocha de s'être imprudemment lancé dans un torrent, et de s'emporter contre un homme (|ui avait xoulii le secourir. En s'enleiidani ainsi blâmer par un homme d'un âge avancé et d'un extérieur qui commandait le respect, le jeune voyageur baissa immé- diatement son épieu. — Je suis fâché, dit-il, «le vous mal juger , mais, eu réalité, il me semble que, faute de m'averlir à temps, vous m'avez exposé à périr. Est-ce le fait d'honnêtes gens, de bons chré- tiens, de respectables bourgeois comme vous sembicz l'èlre :' — lieau his, dit l'homme âgé, ii votre accent et à votre physiono- mie, j'ai lieu devons croire élianger. ^ous devriez vous rappeler que nous ne saurions comprendre voire dialecte aussi facilement que vous l'employez. — l'Ii bien , mon père , répondit plus posément le jeune homme, je m'iiu|uiète peu du bain que j'ai pris, et je vous pardonnerai volon- tiers d'en èlri' en ]iartie la cause, pourvu (|ue vous vouliez m'ensei- gner un endroit pour me sécher. J'ai sur le dos mon uniipie vêle- ment, et il faut ((ne je Tcntretienne en bon état. 1. QUENTIN DUnWARD. — Pour qui nous prenez vous, beau fils? demanda le plus âgé en réponse à cette question. — Pour de riches bourgeois, c'est incontestable. Attendez '. vous, maître, vous devez être un prêteur d'arjjent ou un marchand de blé ; et cet homme est un boucher ou un herbager. — \ous devinez à merveille, répondit le vieillard en souriant. Je tâche en effet de gagner le plus d'argent ])ossible, et les occupations de mon compère ont quelques rapports avec celles d'un bouclier. Nous sommes prêts à vous servir; mais il importo d'abord de savoir qui vous êtes et oii vous allez Dans ces temps critiques, les routes sont encombrées de voyageurs à pied ou à cheval qui ont toute autre chose en tête que la piété et la crainte de Dieu. Le jeune Ecossais jeta un regard pénétrant sur son interlocuteur et son compagnon silencieux. Il semblait se demander s'ils méritaient la confiance qu'ils réclamaient, et voici quel l'ut le résultat de ses observations. Le plus vieux et le plus remarquable de ces personnages avait l'air d'un négociant ou d'un boutiquier. Son pourpoint , son haut-de- chausses et son manteau étaient d'une couleur noire uniforme, el si râpés que le subtil Écossais en conclut que l'Iiomme devait être très- riche ou très-pauvre. Tous ses vêtements étaient justes et courts, ce qui n'était pas dans les habitudes de la noblesse ou même de la haute bourgeoisie, dont les robes flotl.mtes descendaient au-dessous du genou. La physionomie de cet homme était attrayante et repoussante à la fois. Ses traits accentués, ses joues creuses , ses yeux enfoncés avaient pourtant une expression de finesse et de bonne humeur qui provo- quait la sympathie du jeune aventurier; mais il y avait dans ces mêmes yeux, couverts de gros sourcils, quelque chose d'imposant et de sinistre. Peut-être leur effet était-il augmenté par un bonnet de fourrure, rabattu sur le front, et qui épaississait l'ombre au milieu de laquelle ils étincelaicnt; mais il est certain que le jeune Écossais ne savait comment concilier la fierté de leurs regards avec la mesquine- rie du costume de l'individu. Au lieu d'être enjolivé d'un galon d'or ou d'argent, comme la coiffure de tous les gens de qualité, son bon- net n'était orné que d'une bonne Vierge de plomb, comme les plus pauvre pèlerins en apportaient de l.orette. Sou camarade était un homme de moyenne taille, de forte carrure, et plus jeune de dix ans. Il avait l'air eu dessous; et si par hasard il souriait pour répondre aux signes secrets d'intelligence qu'il échan- geait avec son compagnon, son sourire était loin d'être gracieux. Cet homme était armé d'une épée et d'un poignard; et l'on remari|uait sous son habit un jazeran, ou cotte de mailles flexibles, comme eu portaient en ces jours de danger ceux que leurs occupations obli- geaient à courir la campagne. L'Écossais en conclut que ses conjec- tures étaient fondées, etque l'individu devait être boucher, marchand de fourrages, enfin exercer un métier qui exigeait de fréquentes tournées. Le jeune étranger embrassa d'un coup d'œil les détails dont l'énii- mcration nous a pris ([uel((ue temps. Après un moment de silence, il répondit en s'inclinant légèrement : — J'ignore à (|ui jai l'honneur de m'adresser, mais je puis dire à tous que je suis un cadet d'Ecosse, et que je vais chercher fortune en France ou ailleurs, suivant la coutume de mes compatriotes. — Pâques-Dieu! c'est une iouaidi' coutume, s'écria le vieillard ; vous sembicz être un gaillard alerte, et vous êtes dans l'âge de réus- sir auprès des hommes et des femmes. Je suis marchand^ et j'ai be- soin d'un jeune homme jiour m'aider dans mes opérations commer- ciales; peut-être êtes-vous trop bon gentilhomme pour vous en mêler: mais que dites-vous de ma proposition? — Beau sire, si elle est faite sérieusement, ce dont je doute, je vous dois des reiiiercîments, et je vous prie de les accepter; mais je crains bien d'être complètement incapable de vous .servir. — En effet, je parie que tu t'entends mieux à tirer l'arc qu'une lettre de change, et (|iie tu manies mieu\ l'i-iu'e (|ue la plume. ^— Maître, répondit l'Ecossais, je suis un hoiiiiiie des montagnes, et par consé(|ueiit un archer; ce i|ui ne m'empêche pas d'avoir été élevé dans un couvent, oii les bons pères m'ont appris a lire, à écrire, et même à compter. — Pà(|iies-I)ieu! dit le marchand, c'est magnifique! Par Notre- Dame d'Embrun, tu es un prodige, l'ami! — Trêve de railleries, iiioii maître! repartit le jeune homme mé- diocrement charmé de l'huiueur joviale de sa nouvelle connaissance. J'ai hâte d'aller me sécher, au lieu de rester là tout mouillé à ré- pondre ;i vos questions. Le marchand ne fit ([uc rire davantage en répondant : — l'à(|ues- Dieu! le proverbe a bien raison <\v dire fier comme un lÀ-ossais. Mais, allons, jeune homme, vous êtes d'un pays (|ue j'estime; j'ai fait aulrefois des affaires avec l'Ecosse et j'y ai trouvé des gens lion- nêtes, quoi qu'ils ne soient ])as riches. Si vous voulez venir avec nousjiisqu'aii village, je vous donnerai un verre de vin chaud et un bon déjeuner pour vous faire oublier votre mésaventure. Mais, tête- blcii! (l'oii vient que vous portez un gantelet de chasse? Savez-vous qu'il n'est pas permis de chasser au vol dans un ))arc royal ^ — Je le sais trop; j'avais apporté d'Ecosse un faucon avec lequel j'espérais me faire remarquer, je l'ai lâché sur un héron auprès de Péronne, et un misérable forestier du duc de Bourgogne a percé mon oiseau d'une flèche. — Et qu'en est-il résulté? demanda le marchand. — J'ai battu l'agresseur autant qu'un chrétien peut en battre un autre lois([u'il n'a pas envie de le tuer. Je ne voulais pas avoir sa mort à me reprocher. — Savez-vous que si vous étiez tombé entre les mains du duc de Hoiirgogne, il vous aurait fait pendre comme une châtaigne? — Oui; on dit (|ue dans ces sortes d'affaires il n'est pas moins cx- ]iéililif (jue le roi de France; mais comme je touchais il la frontière, je lai franchie, et j'ai bravé le duc. S'il n'avait pas été aussi vif, j'aurais pu m'attaclier li son service. — 11 regrettera l'absence d'un paladin tel que vous si la trêve est rompue, dit le marchand. Et il jeta un coup d'œil ;• son compagnon. Celui-ci lui répondit par un de ces sourires équivoques qui animaient sa physionomie, comme un météore (jiii passe égaie un ciel d'hiver. L'Ecossais s'arrêta brusquement, et mit sa toque sur son sourcil droit en disant avec fermeté : — Mes maîtres, et vous surtout, messire, qui êtes le plus vieux, et qui devriez être le plus sage, vous courez risque d'apprendre qu'on ne se moque pas de moi impunément. ^ otre ton me déplaît. De la part des hommes d'âge, j'accepte les plaisanteries, et même les re- proches, quand ils sont mérités; mais je n'aime pas à être berné comme un enfant quand je me sens de force à vous étriller tous les deux si vous abusez de ma patience. Le vieux marchand faillit étouffer de rire en voyant raltiliide du jeune homme. Son coiiipagnon fit un geste pour tirer son épée; mais l'Ecossais lui donna sur le poing un coup qui le mit dans l'impossi- bilité de saisir la garde. Cet incident redoubla l'hilarité du négociant. — Arrête, vaillant Ecossais, s'écria-t-il, arrête, au nom de ta pa- trie! Et toi, compère, épargne-nous ces regards provocants. Pà(|iies- Dieu! il faut être loyal en affaires, et un bain complet éipiivaiil liien à ce coup appliqué avec tant de grâces et de vivacité. Puis, s'adressant au jeune homme avec une gravité qui le décon- certa malg'ié lui, le marchand ajouta : — (Juant à vous, mou jeune ami, abstcnez-x'oiis de toutes violences, je ne les souffrirais pas, el mon compère, comme vous le voyez, est siiftisamiiienl puni; veuillez me dire votre nom? — Ouaiul on m'interroge poliment, je réponds de même, et j'aurai pour votre âge les égards qui lui sont dus si vous ne me harcelez pas de vos railleries. Depuis que je voyage dans les Flandres et eu France, on m'appelle le varlet au sac de velours, à cause de la gibecière <|ue je porte au côté; mais mon vrai nom est Quentin Durward. — Durward! est-ce un nom noble? — Depuis ([uinze générations, dit le jeune homme; ce i|iii fait (|ue j'ai de la répugnance à suivre une autre profession (|ue celle des armes. — Tu es un véritable Ecossais! beaucoup de noblesse, beaucoup d'orgueil, et peu de ducats, je le sou]i(oniie... Eh bien! compère, prends les devants, et fais-nous préparer ;i déjeuner la-l>as, au Hos- qiiet de Mûriers. Ce jeune hoiiiiue fera aulaiil d'Iioniieur ;iu festin qu'une souris affamée au fromage d'une ménagère... Quant au bohé- mien... un mot il l'oreille!... Le prétendu boucher répondit p;ir un sourire sombre, mais ex- pressif, el il s'éloigna d'un pas rapide. — Nous allons clicminer traii(|uillemeut ensemble, dit le m;ircliand à Durward. En traversant la forêt, nous ciileiidroiis la messe ii la chapelle de Saint-Hubert, car il ne faut pas s'occuper de la iliair avant il'avoir pourvu ;iux besoins spirituels. Durward était trop bon calliidi(|ue pour ne pas adhérer à 1 1 jiro- position, ({uoi<|u'il eût probablement mieux aimé coiiimeiicer par se reposer et sécher ses vêleiiienls. Ils perilirenl bientôt île vue leur si- nistre compagnon ; mais ils suivirent le sentier qu'il avait pris. Ce chemin les conduisit à une futaie sous les arbres de la(|uclle crois- saient des taillis et des brouss;iilles. Au bout des longues avenues ipii la traversaient, on voyait des daims trotter par escouades avec la sécurité de bêtes qui se sentaient efficacement protégées. — \ ous me demandiez si j'étais bon archer, dit l'iOcossiiis; donnez- moi un arc avec une couple de flèches, et dans un instant vous aurez du gibier. — Pâques-Dieu! mon jeune ami, abstenez-vous de montrer votre adresse; mon compère exerce une surveillance spéciale sur les daims, ils sont confiés ii ses soins, et il fait lionne garde. — Il a plutôt l'air d'un lioucher (|iie d'un gai forestier, répondit Durward; je ne puis me figurer (pie sa mine jiatibulaire soit celle d'un lioiiiiiie inilié au bel art de la vénerie. — Ahl mon jeune ami, mou (Mimpère n'a rien d'agréable de prime abord ; mais on n'a jamais entendu se plaindre de lui ceux ipii ont fait sa connaissance. Quentin Diirwfard trouva ipiehpie chose de singulier dans le ton dont ces mots furent prononcés. Le vieillard les accompagna d'un léger sourire el d'un clignement de ses yeux noirs et penanls, ce qui justifia l'impression fâcheuse que l'Ecossais avait éprouvée. QUENTIN DURWARD. — J'ai entcnHii, se dit-il, parler de voleurs et de rusés coquins, qui coii|ient la ijoiije aux voyageurs; l'iiomnie qui vient de nous quit- ter ne serait-il pas un assassin, et ce vieux fripon son pourvoyeur? soyons sur nos gardes, et tenons-nous prêt à frapper. l'endant qu'il réfléchissait ainsi, ils arrivèrent à une clairière dont les arbres étaient moins rapprochés les uns des autres. Le sol qu'ils ombrageaient, débarrassé des buissons et des ronces, était tapissé d'un gazon, <|ui, poussant à l'abri des rayons du soleil, avait une ver- dure plus riche et plus fraîche (pie celle qu'on remai(|iie ordinaire- ment eu France; les arbres de ce lieu solitaire étaient principale- ment des bouleaux et des ormes, (|ui formaient des montaijues de feuillage. Au milieu de ces magnifu|ues enlaiits de la terre, s'élevait une chapelle près de laquelle murmurait un ruisseau. L'architecture de ce petit édifice était des plus simples et des plus grossières. On y avait annexé une cellule, destinée au logement de l'ermite ou du prêtre solitaire qui était chargé d'y célébrer régulii'rement les offices de l'Église. Dans une niche, au-dessus de l'aiceaii de la porte, on avait placé une image en pierre de saint Hubert, ayant un cor de chasse en bandoulière et une couple de lévriers à ses pieds. Il était naturel qu'on eût dédié au pieux chasseur une chapelle située au milieu d'un parc si abondamment pourvu de gibier. Le vieillard, suivi de Durward, se dirigea vers la petite église, et, au moment oii ils en approchaient, le prêtre parut, revêtu de ses ha- bits sacerddtauv : il se rendait de sa cellule à la clia]ielle pour y célé- brer la messe. Durward s'inclina respectueusement devant lui. Son compagnon, avec les dehors d'une dévotion plus profonde, mit un genou en terre pour recevoir la béuédictiou du saint hoiniue, qu'il suivit à l'église d'un air qui indiquait l'humilité et la contrition la plus parfaite. L'intéiieiir de la chapelle était orné de manière à rappeler les exercices (|ue le saint patron avait allectioniiés sur la terre. Les four- rures des bêtes fauves de différentes contrées tenaient lieu de len- tufcs et de tapisseries. Les murs étaient garnis de trophées, oii des cors, des carquois, des arcs, et autres armes de chasse, se mêlaient à des têtes de loups, de daims et de cerfs. L'onieiiientation ijénérale était empruntée i> la vénerie; et la messe elle -même, considérable- ment abrégée, fut de l'espèce de celles (pi'on noiuinait messes de chasse, parce qu'on les célébrait devant les grands seigneurs, qui, tout en y assistant, avaient hâte de se livrer à leur plaisir favori. l'endant cette courte cérémonie, le vieillard parut tout entier à la dévotion; moins occupé de pensées religieuses, Durward ne put s'empêcher de s'accuser d'avoir conçu des soupçons injurieux sur le compte d'un homme aussi pieux. Loin de le regarder comme faisant jiartie d'une bande de voleurs, il fut presque tenté de le vénérer comme un saint. La messe finie, ils sortirent ensemble; et le vieux marchand dit à l'Ecossais : ^ Nous sommes à deux pas du village , vous pouvez main- tenant rompre votre jcirne sans remords de conscience; suivez moi !... Il tourna à droite, et, prenant un sentier qui montait toujours, il recommanda à (_)iientin de ne pas s'écarter, de se tenir autant que possible au milieu de la roule. — Pourquoi cela? demanda l'Écossais. — Vous approchez de la cour, jeune homme, et, Pâques-Dieu! on ne marche pas dans ce pays comme sur les bruyères de vos monta- gnes; les deux côtés de la route sont hérissés de tra(|iieiiards, de pièges armés de faux qui enlèvent un membre au passant léméiaire aussi facilement qu'une serpette coupe une pousse d'aubépine. 11 y a là des chausse- trapes <|ui vous perceraient les jiieds, des fosses assez pro- fondes pour vous engloutir à jamais. C'est que vous êtes dans les limites de la résidence royale, et nous allons voir tout à l'heure la façade du château. — Si j'étais le roi de France, dit le jeune Ecossais, je ne voudrais pas m'eutourer de pièges et d'engins, j'essayerais plutôt de i;()iiverner si bien, que personne n'oserait approcher de ma demeure avec des intentions perverses ; quant .à ceux qui s'y présenteraient en de bonnes dispositions, plus ils seraient nombreux, plus nous eu aurions de joie. Le vieillard promena les yeux autniir de lui , et feignit d'être in- quiet. — Silence! dit-il, silence! varlet au sac de velours! j'ai oublié de vous dire (|ue, dans ces paraijes, les feuilles mêmes des arbres sont cdiunie autant d'oreilles qui transmettent les moindres paroles au cabinet du roi. — .le m'en inquiète peu ; j'ai une lani;ue écossaise, assez hardie pour s'expliipier eu face du roi Louis, (gluant aux oreilles dont vous parlez, si je pouvais les voir sur une tète humaine, mon bon cinilcau de chasse ne les y laisserait pas longtemps. CHAPITUE m. Le Chlteau. En ce moment ils arrivèrent devant le château de Plessis-lez- Tours, qui même en ces temps de dangers, où les grands seigneurs étaient condamnés à demeurer dans des forteresses, se distinguait entre tous par les précautions extrêmes qu'on avait prises pour sa garde et pour sa défense. A partir de la lisière du bnis nii Durward avait fait halte avec son guide s'élevait en pente douce une esplanade dépouillée de toute espèce orte, ou était obligé de s'écarter encore île la ligne droite pour arriver au |)ied de la dernière enceinte. On longeait ces défilés étroits et dangereux sous le feu de l'artillerie, et l'on avait à franchir trois portes munies de tous les moyens de défense connus à celte époipie. Quentin Durxvard venait d'un pays désolé par les guerres civiles ou étrangères, et dont la superficie montueuse, coupée de torrents et de précipices, oITre luainles positions presque iuex|iiignables. Il connaissait donc les diverses précautions (|ue les hommes prenaient, dans cet âi'C de fer, pour assurer l'inviolabilité de leur domicile. Cependant 'il avoua francliemeiit à sou guide qu'il n'aurait pas cru l'art des hommes capable de suppléer si complètement ii la nature, car la citadelle était bâtie sur une eniiueiice dont la iiente était presque insensible. Pour aceroitre sa surprise, le vieux marchand lui dit que les envi- rons du château, à l'exception d'un sentier tortueux, étaient, comme les taillis, garnis de toute espèce de chausse-trapes, de pièges, de trébiichets,'oii devaient toiuber les malheureux qui tenteraient d'ap- procher sans guide; Oiie sur les remparts étaient placées des ea(;es de 1er, dites nuls iV hirondelle, d'oii les sentinelles, étant elles-mêmes parlaitemenl à l'abri, visaient ,i coup sûr (luiconque essayait d'entrer sans mot d'ordre; Que les archers de la garde royale occupaient ces portes jour et nuit, et que le roi Louis leur assurait, en échange de leurs services, une haute paye, de riches habits, beaucoup dhonneur et de prolit. — Eh bien jeune homme, ajouta le vieillard, avez-vous jamais vu une citadelle "aussi forte, et croyez-vous qu'il y ait des hommes assez hardis pour l'assiéger? . . L'Ecossais, avec l'avide curiosité de la jeunesse, rcgaidail fixement la place dont la vue l'intéressait au point de lui faire oublier ses vêtements mouillés; ses yeux étincelèrent, ses joues se colorèrent, et sa physionomie s'anima de la noble ardeur d'un homme entreprenant qui médite nue action honorable. le château, répliqiia-l-il , est fort et fortement gardé; mais il n'y a rien d'impossible à de braves gins. Fst-ce ipi'il y a di' vos compatriotes caiiablcs d'emporter la place? dit le vieillard d'un ton dédaigneux. QUENTIN UURWARU. — Je ne l'afl'irmerais pas ; niiiis il y a cliez nous des milliers d'hom- mes (jui, pour une bonne cause, tenleraient l'avcnUire. — ]!ah! e( vous vous Datiez d'èlre du nombre? — Ce serait un péché ([uc de me vanter quand je ne cours aucun risfjue; mais mou père s'est lancé dans des entreprises aussi hasar- deuses, et je crois que je ne suis point bâtard. — Eh bien, reprit le vieux marchand en souriant, vous auriez af- faire à forte partie ; vous auriez ii comliattre des gens de connais- sance, car les archers écossais de la garde du corps du roi sont en faction sur ces murailles : ce sont trois cents gentilshommes des meilleures familles de votre patrie. — Si j'étais le roi Louis, ie]iartit le jeune homme, je confierais le soin de ma sûreté aux trois cents gentilshommes écossais, je comble- rais ces fossés avec les débris de ces remparts, je manderais mes pairs et mes paladins, et je mènerais royale vie, brisant des lances dans les tournois, donnant des festins aux nobles, dansant le soir avec les dames, et ne craignant pas plus un ennemi (|u'une mouche. Le vieux marchand sourit de nouveau , et tournant le dos au châ- teau, dont ils s'étaient, dil-il , trop approchés, il rentra dans le bois par un chemin plus large et plus battu que celui qu'ils avaient déjà suivi. — Cette route, reprit-il, conduit au village du Plessis, où vous trouverez ii vous loger convenalilement et ii peu de frais. Environ deux milles plus loin est située la belle ville de Tours, qui donne son nom à ce riche comté. Mais vous arriverez plus vile, et vous serez aussi bien traité, au village de Plessis ou l'lessis-le-1'arc, comme on l'appelle, parce qu'il est près de la résidence royale et du parc dont elle est entourée. — Merci de vos renseignements, bon maître, dit l'Ecossais; mais pourvu qu'à ce Plessis, parc ou marais, je trouve un morceau de viande et une boisson un peu meilleure que de l'eau, j'y aurai bientôt terminé mes affaires. — Je croyais (pie vous aviez (|uel(|ue ami à voir ici. — En effet, le pro|)re frère de ma mère, répondit Durward , avant de ([uilter les montagnes d'Angus c'était le plus bel homme dont le pied eût jamais foulé les bruyi'res. — Comment s'appelle-t- il y Nous le ferons demander; car il ne faut pas monter au château, où l'on pourrait vous preinlre pour un espion. — Par la main de mon père! me prendre pour un espion! Sur mon âme , celui (jui me flétrirait d'une telle épithèle sentirait le froid de ma l.inee!... Au reste, je n'ai ]ias de raisons pour cacher le nom de mon oncle. Le nom de Lesly est honorable et noble. — Je n'en doute pas; mais il y a trois Lesly dans la garde écos- saise. — Mon oncle s'appelle Ludovic Lesly. — Sur les trois Lesly, il y en a deux qui s'appellent Ludovic. — Mon parent, dit Quentin, est Ludovic à la cicatrice. Il y a tant de gens du même nom dans les maisons écossaises, que lorsqu'ils n'ont point de terre pour se distinguer nous leur donnons toujours tin surnom. — Je crois connaître l'individu dont vous parlez; nous l'appelons le lialafri', a cause de la cicatrice qu'il a sur la figure. C'est un homme estimable, nu bon soldat. Je tâcherai de vous ménager une entrevue avec lui. La nature de son service l'astreint à une disci- pline sévi're , et il ne sort guère i|ue pour accompagner la personne du roi... Maintenant, jeune homme, répondez-moi. .le parie (|ue vous avez envie de servir avec votre oncle dans la garde écossaise. Si tel est voire projet, vous aurez de la peine à laceomplir. Vous êtes bien jeune, et il faut un long apprentissage pour se rendre digne des fonc- tions que vous ambitionnez. — J'y ai bien songé, dit Durward avec indifférence ; mais la fan- taisie m'en est passée. -- Qu'est-ce à dire, jeune homme!' dit le vieux l'rançais d'un ton sévère : méprisez-vous un honneur que briguent les plus nobles de vos compatriotes:' — Je souhaite qu'ils en jouissent, dit tranquillement Quentin, Pour vous parler avec franchise, le service du roi de l'rance m'au- rait parfaitement convenu; seulement, fussé-je nourri des mets les plus evipiis, velu des draps les plus fins, j'aime mieux courir au grand air que d'être enfermé dans ces poivrières que vous nommez nids d'hirotulclle... Et puis, .ijouti-t-il à voix basse, je ne me soucie gui're d'inie habitation dont les chênes portent des glands comme ceux ([ue j<' vois là-bas. — Je devine ce que vous voulez dire; mais pirlcz plus clai- rement. — Regardez ce beau chêne, ijui croît à une portée de perche du château. \ ce chêne est pendu un homme en pourpoint gris, comme celui que je porte. — l!n effet, dit le vieux Français. PAques-])ieu ! ce que c'est que d'avoir les yeux jeunes! Je voyais bien (|uel(|ue chose, mais il me semblait que c'était un corlicaii perdu'' entre les braiiches. Cette vue " " 'i''" d'étrange, jeune homme; lorsque l'aiitomiie succédera à 1 été, que les nuits seront plus longues cl les muus moins sûres, vous verrez des groupes de dix et même de vingt glands de cette espèce suspendus à ce vieux chêne chancelant. Qu'est-ce r(ue cela fait? ce sont autant de bannières déployées pour épouvanter les coquins. Plus les honnêtes gens voient de drôles ainsi traités, moins ils comp- tent de x'oleurs, de traîtres, île pillards, d'oppresseurs du peuple, sur les grandes routes de France. Ce sont, mon jeune ami, des preuves de la justice du souverain. — Quoi qu'il en soit, si j'étais le roi Louis, je ferais pendre les bandits plus loin de mon palais. Dans mon pays, nous mettons des corbeaux morts aux endroits que hantent les corbeaux vivants, et non dans nos jardins ou nos colombiers. Pouah! l'odeur de ce cadavre me monte au nez, malgré la distance ! — Si vous vivez pour servir loyalement votre prince, mon bon jeune homme, vous reconnaîtrez qu'aucun parfum ne vaut l'odeur d'un traître mort. — Il me faudrait pour cela perdre l'odorat et la vue, s'écria l'Écos- sais. Montrez-moi un traître vivant, et je lèverai le bras pour le frap])cr; mais ma haine s'éteint avec sa vie... Ah! ah ! nous arrivons au village, oii j'espère vous prouver que mon bain et mon dégoût ne m'ont point ôté l'appétit. Ainsi , mon brave ami, à l'auberge, et le |)lus vite possible ! Cependant, avant d'accepter votre hospitalité, je xoudrais bien savoir votre nom. — ( )ii m'appelle maître Pierre; je n'ai pas de titres; je suis un riche bourgeois, vivant de ses revenus. — Eh bien, maître Pierre, je m'estime heureux que le hasard nous ait réunis. J'ai besoin d'un bon accueil, et je saurai en tenir compte. Cependant le clocher de l'église et le grand crucifix de bois, (|ui s'élevaient au-dessus des arbres, annonçaient l'entrée du village. Maître Pierre s'écarla du sentier, qui aboutissait dans cet endroit à une voie publi(|ue, en dis.mt à son compagnon qu'il voulait le conduire dans une auberge isolée, exclusivement fréi|uentée par les voyageurs de distinction. — Entendez-vous par là ceux qui ont la bourse bien garnie? dit l'Ecossais : je ne suis pas du nombre, et je crains moins les écorcheurs des grands chemins que ceux des auberges. — Pà(|ues-I)ieu ! s'écria maître Pierre, comme les Ecossais sont jirudents! Lin Anglais se jette tète baissée dans la première hôtellerie ijui se présente; il mange et boit du meilleur, et ne songe à compter que lorsi|u'il a le ventre plein. ^ ous oubliez , niailre Q)uentin, puis- que ainsi l'on vous nomme, que je vous dois un déjeuner. Si vous vous êtes mouillé, c'est un peu de ma faute; n'cst-il pas juste que je vous iiidemnise ? — Ma foi, dit l'insouciant jeune homme, j'ai oublié mon bain, vos torts et leur réparation. IMes vêtements se sont séchés pendant la marche, ou à ])eu près; pourtant je ne refuserai pas votre offre obli- geante, car j'ai diné légèrement hier, cl je n'ai point soupe. Vous semblez être un vieux et respectable bourgeois, et je ne sais pas pour- quoi je ne répondrais pas à voire politesse. Le l'rançais sourit à la dérobée. Il voyait clairement que le jeune hommi', malgré sa faim canine, hésitait à se rassjisier aux dépens d'un étranijer. Pour faire taire sa fierté révoltée, l'I'.cossais se disait sans doute (|u'cn coiilractaiil des obligations aussi légères on ne mon- trait pas moins de eomidaisance que riiomme iluut on acceptait les services. Ils descendirent uii étroit sentier, ombragé de grands ormes, au bas duquel ils pénétrèrent par une porte xoùlée dans la cour d'une hôtellerie de dimensions inusitées, où logeaient les nobles et les sol- liciteurs qui avaient affaire au château. Louis XI, (|uand il ne pou- vait l'éviter, permettait aux g!'ns de sa cour d'y prendre des ajjpartc- menls. Un écussoii fleurdelisé était sculpté au-dessus de la princijiale porte de ce vaste bâtiment régulier, mais on n'y remarquait point un mouvement proportionné au grand nombre de serviteurs qu'on en- tretenait en ce temps-là dans toutes les maisons, pulilicjues ou parti- culières; rien n'indiquait ni l'activité des affaires, ni l'importance de la clientèle. La demeure royale semblait avoir conimuni(|ué une parlie île son caractère sombre et inhospitalier, même à un élablisse- ment qu'on aurait ])u croire l'asile de la cordialité, de la joie et de la bonne chère. Sans appeler personne, sans même s'approcher de l'entrée princi- ]iale, maître Pierre lev.i le loquet d'une ]iortc latérale, et introduisit Quenliu dans une grande salle. Un fagot pétillait dans l'âtre , et l'on avait fait tous les préparatifs d'un déjeuner substantiel. — Mon compère a bien exécuté mes ordres! dit le Français à l'Ecossais. Vous devez avoir froid, et j'ai commandé du feu; vous devez avoir f.iim, cl vous pouvez vous mettre à table. Il sillla; l'hôte jiarut, répondit par une révérence au bonjour de maître Pierre, et ne manilesla iioint celle humeur babillarde qui caractérise depuis des siècles l'aubergiste français. — Celui que j'avais envoyé est donc venu? dit maître Pierre. Pour toute réponse, l'hôte s'inclina ; et en rangeant divers plats sur la taille, il s'alisliiit d'eu prôner les qualités, (^epeudaut le ripas mé- ritait les éloges que les aubergistes de France accordent habituelle- ment aux festins qu'ils préparent. Le lecteur en jugera dans le cha- pitre suivant. QUENTIN l)URVVAI\D. i CHAPITRE IV. Le Déjeuner. Januiii- le jeune étrani;cr ne s'était troiivc dans une position meil- leure depuis (|u'il avait mis le pied sur le territoire de l'ancienne Gaule. Ainsi (|ue nous l'avons donné à entendre, le déjeuner était ad- mirahle. On y voyait un pâté de i'érijjucux. qui aurait (ait oublier à un gastronome, comme !<■ lotus dont parle Homère, ses parents, sa patrie, enfin toutes les ol)li|;ations sociales. La r rciùte de cette magni- fique pièce ressemblait aux remparts d'une riclie capitale, indices des trésors (pi'ils sont destinés à défendre. Sur la table figurait encore un ragoût délicat, assaisonné de cette petite (loinle d'ail que les Gas- cons aiment et que les Ecossais ne délestent pas; puis un jambon, qui avait jadis soutenu le corps d'un beau sanglier dans les bois voi- sins de ;\loiit-Tricliard. I.e pain, de la plus pure blanclieur, était arrondi et formait de petites boules, qui ont valu aux talmeliers de France le nom de boulangers; la croûte en était si dorée, que même avec de l'eau, elle aurait passé pour un mets délicat. iMais l'eau n'était pas la seule boisson servie : un flacon de cuir appelé boltriiie contenait en\iron nu quart.iut de délicieux vin de licaune. Tant de bonnes choses auraient donné de l'appétit à un mort; quel effet devaient-elles produire sur un jeune homme de vingt ans à peine, qui, il faut le dire, n'avait guère mangé depuis deu\ jours qu'une quantité modérée de pain d'orge et les fruits mûrs que le hasard plaçait il sa portée ! Il se jeta sur le ragoût, qu'il fit disparaître en un clin d'œil; il atta([ua ensuite l'énorme pAté, en creusa profon- démeiil les entrailles, et revint plusieurs fois «i la charge en se ver- sant d'aiiiplis rasades de vin de Beaune , ce qui étonna l'aubergiste et divertit maître Pierre. Ce dernier, s'apercevant probablement qu'il avait fait une bonne action sans s'en douter, parut enchanté de l'appétit du jeune ICcos- sais. (,)iian(l il le vit enfin se ralentir, il essaya de le stimuler en fai- sant venir des confitures, des darioles et autres friandises. Pendant que Durward se livrait à ces occupations [(astronomiques, la physio- nomie de maître Pierre exprimait pres((ue de la bienveillance; elle était empreinte d'une satisfaction qui paraissait s'éloigner de son ca- ractère habituel, si caustique et si sévère. Les vieillards prennent assez généralement part aux plaisirs de la jeunesse quand leur prédisposi- tion naturelle n'est pas contrariée par une secrète envie ou par un sentiment de folle rivalité. (.hieiitlii Durward avait au premier abord trouvé peu de charme ;i la figure de son nouvel ami. Sous l'influence du vin de Beaune, il découvrit qu'elle avait quelque chose de prévenant; et ce fut d'un ton enjoué qu'il reprocha à maître Pierre de s'amuser de son appétit sans vouloir inanijer lui-même. — Je fais pénitence, dit maître Pierre, et je ne puis prendre avant midi que des contiturcs et un verre d'eau. Dites à cett« dame de venir me trouver, dit-il en se loiun.int vers l'hôtelier. Celui-ci quitta la salle, et maître Pierre poursuivit : — Eh bien ! je vous avais jiromis un bon di'jeuner; vous ai-je tenu parole ? — C'est le meilleur repas que j'aie fait depuis uion départ de Glen- Houlakin. — (;ien,(|iioi;' dem.ind:. maître Pierre. Avez-vous l'intention d'évo- quer le diable avec vos mots barbares? — -Glen-lloiilakin, répéta Ouentin d'un ton jovial. Ce nom, qui signilie en français la vallée des moucherons, est celui de notre an- cien patrimoine. Vous avez acquis le droit d'en rire, s'il vous en prend fantaisie. — .le ne veux point vous offenser, le ciel m'en préserve! Mais, puis(|ue vous êtes content de votre repas, apprenez que les archers de la garde écossaise en font tous les jours un aussi bon, et même meilleur. — le ne m'en étonne pas; s'ils passent la nuit dans les nids d'hi- rondelle, ils doiveiil avoir le matin un fameux appétit. — -Kt ils ont de quoi le s.itisfaire, reprit maître Pierre; ils n'ont pas besoin, comme les Bourguignons, de dévaliser les ecns pour se remplir la panse. Ils s'habillent comme des comtes, et se régalent comme des abbés. — Tant mieux pour eux! dit Durward. ,, T "^,"',^'"""' '■nip^'^liciail d'entrer dans la garde, jeune homme.' Ijrare a l'appui de votre oncle, vous pouvez vous meltre sur les raïq'S pour la première vacance, ,1e vous dirai à l'oreille ipie j'ai moi-mém'e quelqu,. crédit, et je l'euiploierais volonfiers en votre faveur. Vous êtes sans doute aussi habile ii mouler à cheval qu'à tirer de l'arc? — Dans notre famille, niiiis soiilenons la comparaison avec les meilleurs cavaliers qui aient jamais mis une chaussure de fer sur un etrier d'acier, et je suis assez lenlé d'accepter vos offres de service, loiirtant, voyez vous, sans déprécier les avanta,;es de la nourriture et ois-tu , mon neveu, il ne faut pas se fier aux moines; ils deviennent soldats el pères au momenl oii on s'y attend le moins. Mais continue ton récit. — J'ai peu de chose à ajouter. Comme ma pauvre mère s'était por- tée caution pour moi, je me résignai à prendre l'habit de novice; je me conformai aux règles claustrales, el j'.qqiris même à lire cl à écrire. — \ lire el à écrire! s'écria le Balafré, qui, comme tant d'autres, trouvait miraculeuses les connaissances (pi'il n'avait pas. Est-ce bien possible!' Jamais un Durward, jamais un Lesly n'a su signer son nom; en ce qui me concerne, je suis aussi incapable d'écrire ipie de voler dans l'air. M.iis , au nom de saint Louis , comment t'a l-on appris cela? — Assez diflicileîuenl d'abord; mais je m'y suis fait peu à peu. J'étais affaibli par mes blessures el la perle de mon sang; je voulais témoigner m.i gralilude à mon sauveur, le père Pierre, el je me suis montré docile en consé(|uence. J'avais langui plusieurs mois, quand ma bonne mi're mourut. Omme ma santé était eomplétemenl réta- blie, j'avouai à mon bienfaiteur, qui était sous-iirieiir du couvent, qu'il me répugnait de prononcer mes vœux. Il fut convenu entre nous que, puisipie je n'avais point de vocation pour le cloître, j'irais cher- chei fortune par le monde, et qu'on donnerait l'air d'une fuite il mon départ, pour préserver le sous-prieur de la colère des Ogilvies. On crut que je m'étais sauvé eu cn.portant le faucon de l'abbé; mais, 12 QUENTIN DURWARD. en rOalité, j'obtins un congé en bonne forme, revêtu de la siijnature et du sceau de l'abbé. — C'est à merveille, reprit le Balafré. Notre roi s'inquiétera peu des larcins que tu peux avoir commis; mais il a horreur des échappés de couvent... Et ta bourse, est-elle bien garnie? — De ijuel<|ucs pièces d'argent seulement, s'il faut vous l'avouer. — C'est triste, repartit le Balafré. Pour moi, je ne garde guère ma solde; car en ces temps jiérilleux on doit éviter d'avoir trop d'argent sur soi; mais, et je le conseillerai de suivre mon exemple, je porte toujours quelque bijou, bracelet, chaîne d'or ou collier, qui me pare, et dont je détache au besoin un anneau, une pierre superflue. Tu me demanderas sans doute, beau neveu, comment tu pourras te procurer de pareilles bagatelles, — et il secoua sa chaîne avec complaisance; — on ne les trouve pas dans les buissons, elles ne poussent pas dans les champs comme ces fruits rouges dont les enfants font des colliers. Oii donc les prendre? Où je les ai prises, au service du bon roi de France! c'est là qu'on trouve la fortune, quand on a le courage de la chercher au péril de sa vie. Quentin ne voulait pas se décider sans mûres réflexions. — On m'a certifié, dit-il évasivemcnt , que le duc de lîourgogne menait plus grand train (jue le roi de France, qu'il y avait plus d'honneur à acquérir sous la bannière du duc, qu'on avait l'occasion de se signaler ])ar des faits d'armes, tandis que -le Uoi Très-Chrétien gagnait des batailles avec la langue de ses ambassadeurs. — Tu parles en jeune fou , beau neveu! et pourtant je me souviens d'avoir été presque aussi simple. A mon arrivée ici, je me représen- tais le roi assis sous un dais, la tète couronnée, donnant des festins à ses grands vassaux et à ses paladins , se régalant de blanc-manger, ou chargeant à la tête de ses troupes, comme Charlemagne dans les romans, et lîobert liruce ou Wallace dans nos véridiques histoires. Mais, écoute, mon ami ! tout cela, c'est un reflet de la lune dansl'eau. La politique seule est ])uissante. Qu'est-ce que la politique? me diras- tu. C'est un art que notre roi de France a découvert : l'art de com- battre avec l'épée d'autrui, de payer ses gens d'armes avec l'arijent des autres. Ah ! c'est le prince le plus sage qui ail jamais porté la pourpre, quoiqu'il n'en use guère , et qu'il ait souvent des habits dont je ne voudrais pas pour moi. — Mais vous ne répondez pas à mon objection, bel oncle; puisque je dois prendre du service à l'étranger, je voudrais être à même de me faire un nom par une action d'éclat. — Je comprends assez bien ce désir, mon neveu, mais il t'est difl'icile de le satisfaire. Leduc de bourgogne est ardent, impétueux, prêt à tout, d'une constitution de fer; il charge à la tête des nobles et des chevaliers de son pays, de ses hommes liges de l'Artois et du Hainault. Si tu étais là, si je m'y trouvais moi-même, crois-tu (|ue nous irions en avant plus loin que ces braves gentilshommes du pays? Serions-nous derrière eux, on pourrait nous punir de notre lenteur en nous livrant au grand prévôt. Serions-nous sur la même ligne, on dirait simplement que nous gagnons bien' notre paye. J'admets que je fusse en avant de la lon(;ueur d'une demi-pique, ce qui est difficile et dangereux dans une mêlée oii chacun s'évertue, eh bien, monsei- gneur le duc se contenterait de dire en flamand •, « Gut (letroffen! voilà une bonne lance! un vaillant Ecossais! Qu'on lui donne un florin pour boire à notre santé. « .Mais l'étranger ne peut espérer ni rang, ni terres, ni trésors, tout est réservé aux enfants du sol! — .Mais qui donc les mérite mieux? — Celui (|ui protège les enfants du sol , reprit le Balafré en se re- dressant de toute la hauteur de sa taille (;ii;antes(|ue. « Mon honnête Jacques lionhommc, dit le roi Louis au paysan français, vaquez à vos travaux, labourez., bêchez, sarcle/, et émondez; voici mes braves Ecossais qui se battront pour vous, et vous n'aurez (|ue la peine de les payer. Et vous, dit-il aux nobles, duc sérénissime, illustre comte, puissant marquis, modérez votre bouillant courage jusqu'à ce qu'on en ait besoin; il pourrait se fourvoyer et vous nuire. \ oici mes compagnies d'ordonnance; voici mes gardes françaises; voici surtout mes archers écossais et mon honnête Ludovic le Balafré; ils se bat- tront aussi bien et même mieux que vous , malgré la valeur indisci- plinée ijui fil perdre à vos pères les batailles d'Azincourt et de Crécy. » Juge maintenant si c'est en F'rance ou en Bourgogne qu'un cavalier de fortune tient le rang le plus honorable et a le plus de chances de parvenir. — Je crois vous comprendre, bel oncle; mais, selon moi, il n'y a point d'honneur sans péril. Quelle vie, — excusez ma franchise, — quelle vie d'indolence (jue celle qu'on passe à garder un vieillard dont les jours ne sont point menacés ! Quelle existence que celle d'un homme en faction là-bas sur les remparts pendant les jours d'été, enfermé pendant les nuits d'hiver dans une cage de fer, de peur de désertion! Mon oncle, mon oncle, c'est le faucon sur le perchoir, l'oiseau de chasse auquel on ne donne jamais la volée! — l'ar saint Martin de Tours! l'enfant a du cœur! il y a en lui du I.csly; c'est tout mon portrait, plus un grain de folie! l'.coute, mon ami, crions vive le roi de l'rance ! il a toujours prêle pour ses parti- sans (|uel<|ue commission qui leur |irocure honneur et profit. Ne t'imagine pas c|uc les plus dangereux exploits s'accomplissent en plein jour. Je pourrais citer quelqu'un de ma connaissance qui à l'esca- lade des châteaux, dans les surprises, dans les embuscades s'est plus exposé, plus mis en évidence que tous les forcenés de Charles de Bourgogne. Si pendant l'action il plait à Sa Majesté de se tenir à l'écart, il n'en a (pie plus de loisir pour admirer, plus de libéralité pour récompenser les hommes aventureux qui le servent. Peut-être jugerait-il moins bien leurs dani[ers, leurs faits d'armes, s'il y pre- nait part en personne, ph ! c'est un monarque plein de sens, un grand politique! Après un moment de réflexion , Quentin reprit à voix basse, mais d'un ton expressif : — Le bon père Pierre m'a souvent répété qu'en bravant beaucoup de dangers on acquérait parfois peu de gloire. Je suppose, bel oncle, i|u'on peut sans forfaire à l'honneur se charger des commissions secrètes dont vous avez parlé? — Pour qui me prenez-vous, beau neveu? dit sévèrement le Ba- lafré; je n'ai pas été élevé dans un cloître; je ne sais ni lire ni écrire; mais je suis le frère de votre mère, je suis un loyal Lesly. Me croyez- vous capable de vous conseiller une indignité? Le meilleur chevalier de France, Duguesclin lui-même, s'il vivait encore, serait fier de compter mes actions au nombre des siennes. — Je m'en rapporte à vous, bel oncle; vous êtes le seul tuteur que la fortune m'ait laissé; mais est-il vrai que ce roi tienne maigre chère dans son château du Plessis? S'il faut en croire le bruit pu- blic, les nobles, les i;raiids feudataires ne s'y présentent point; les grands officiers de la couronne en sont absents. Les plaisirs du sou- ver.iin sont partagés uniiiiiement par les domesti(|ues de sa maison; d'obscurs roturiers sont seuls admis aux conseils secrets; la noblesse avilie, des hommes de la ]dus basse extraction investis de la faveur royale; voilà ce qui me semble irrégulicr! Ce ne sont pas là les allures du défunt roi Charles VII, qui arracha des griffes du léopard anglais le royaume de France à moitié conquis. — Tu parles en étourdi, repartit le Balafré; tu chantes toujours la même chanson sur différents airs. Yois-tu, si le roi emploie Oli- vier le Dain , son barbier, à faire ce (|u'aucun pair de France ne fe- rait mieux que lui, le royaume n'en profite-t-il pas? S'il commande à son grand prévôt Tristan d'arrêter un bourgeois rebelle, de faire disparaître un noble turbulent, l'ordre s'accom])lit, et on n'en parle plus; mais s'il le donnait à un duc, à un pair de France, peut-être y répondrait-on par un refus insultant. S'il plaît encore au roi de charger Ludovic le Balafré d'une commission qui sera exécutée, au lieu de la confier au grand connétable, qui le trahirait peut-être, n'est-ce pas une preuve de sagesse? Un monarque de cette humeur ne convient-il pas à tout le monde, principalement aux aventuriers, qui vont partout où une juste récompense attend leurs services? Crois-moi, enfant, Louis s;iit choisir ses confidents et répartir à cha- cun sa lâche. Il n'a rien du roi de Castille, qui mourut de soif parce que son grand échanson n'était pas là pour lui présenter la cou])e... Mais j'entends la cloche de Saint-Martin, il faut que je retourne au château. Adieu, porte-toi bien; viens demain matin à huit heures devant le pont-levis, et demande-moi à la sentinelle. Prends bien garde de t'ccartcr du sentier battu en approchant du portail, tu pourrais laisser dans les trappes et les lra(|uenards des environs un membre dont tu regretterais la perte. Tu verras le roi , et tu le juge- ras par toi-même... Adieu! A ces mots , il sortit oubliant dans sa précipitation de payer le vin qu'il avait fait venir; mais l'hôte, intimidé sans doute par la vue de la loque empanachée et de la lourde épée à deux mains, ne crut pas devoir relexer un défaut de mémoire assez ordinaire chez les hommes de cette nature. On aurait pu croire que Durward, as être troublées par le moindre iiiou- vemenl dv curiosité, comme le sont les eau\ caliiics d'un étang par le moindre caillou qu'on y laisse toiuher. Queiiliii h.ita le pas, gravit la côte, et arriva à temps par assister à l'aiïrcux sprctaile (|ui ea|ili- vait l'altention des paysans, (^'étail celui d'un liomiue siis|ii'udii à une branche, et se tordant dans les dernières cinivulsions de l'agiiiiie. — Pounpioi ne coii]iez-vous pas la corde:' dit le jeune ICeossais tou- jours aussi prompt à secourir l'infortune (pi'à défenilrc son honneur. Lu des paysans, pâle comme un mort, le regardant avec îles yeux oii la terreur régnait sans |iartai;e , lui montra une fleur de lis gros- sièrement lailli'c dans l'écorcedii ehàlaigiiier. Salis examiner l'impor- tance de ces\iul)ole, le jeune Diirwaril monta sur l'arbre avec la légèreté d'une once, tira de sa gibecii're siui couteau écossais sans chariiii're , son hdèle skeiiedii. — Tendez les bras pour receveur le corps! cria t-il , et il coupa la corde moins d'une luiuiite aiuis avoir compris (|ii'il y avait ur- gence. Les assistants secondi'rent mal son humanité. Loin de lui prêter leur concours, ils parurent épouvantés de son audace , et prirent la fuite d'un commun accord, craignant d'être considérés comme coni- H QUENTIN DURWARD. plices d'une pareille témérité. Le corps, que personne ne reçut, tomba lourdement à terre, et Quentin, descendu de son arbre, re- connut avec douleur '|uc la dernière étincelle de vie s'était éteinte. Il n'en prodiijua pas moins ses soins «u pendu; il lui ôta du cou la corde fatale, lui déboutonna son pourpoint, lui jeta de l'eau sur la ligure, et eut recours à tous les remèdes usités en cas d'asphyxie. Tandis qu'il se livrait à celte pieuse occupation, des voix sauvages qui parlaient une langue inconnue se tirent entendre autour de lui. 11 avait a peine eu le temps de se retourner, ([uand il se vit environné de plusieurs lioiumes et femmes d'un aspect bizarre. L'n de ces étran- gers le saisit rudement ]iar les bras ; un autre lui mit un couteau sur la ijorge, en disant en mauvais français: — l'aie esclave d'Eblis! tu dépouilles donc celui que lu as tué? Mais nous te tuerons, et tu nous le payeras! A ces mots, des couteaux se levèrent de toutes parts sur Quentin; et les hommes de la bande, semblables ii des loups prêts à fondre sur leur proie, lui montrèrent des ligures grimaçantes et convulsivement agitées. La présence d'esprit et le courage du jeune Ecossais ne furent pas ébranlés. — Que voulez- vous dire, mes maîtres? s'écria-t-il. Si ce malheu- reux était votre ami, vous devriez me savoir gré de l'avoir dépendu par piire charité, et vous feriez mieux d'essayer de le rendre ;i la vie que de malmener un étranger qui n'a eu que de bonnes intentions. Cependant les femmes s'étaient emparées du cadavre, et conti- nuaient les essais de résurrection que Durward avait commencés ; mais avec aussi peu de succès. Henonçanl à d'infructueux efforts, elles s'abandonnèrent à toutes les démonstrations de douleur en usage parmi les Orientaux. Elles poussèrent des gémissements ]dainlifs en arrachant leurs longs cheveux noirs. En même temps , les hommes déchiraient leurs habits et se couvraient la tète de poussière. Ils furent tellement absorbés par leurs rites funéraires, qu'ils ne firent plu's attention à Durxiard, dont ils avaient probablement reconnu l'inno- cence. 11 eût agi prudemment iiel délire! dit l'exécuteur. Hélas! comme nos meilleures réso- lutions passent vite ! 11 n'y a qu'un instant il était disposé à une pieuse hn, et le voilà (|iii outrai;e les autorités! — A oyons, reprit l'archer, qu'a fait ce jeune homme? — -Il a osé dépendre le cadavre d'un criminel, lorsque j'avais de ma propre main gravé sur l'arbre une fleur de lis. — Qu'est-ce ii dire, jeune homme :' Comment se fait-il que vous ayez commis un jiareil délit? — Je désire votre protection, répondit Durward, et je vais vous faire un aveu ;iussi sinci'ie ([uc si j'étais à confesse. J'ai vu un homme qui se débattait eu haut de l'arlire, et je l'ai dépendu iiar pure huma- nité; je ne me suis pas plus occupé de fleur de lis que de fleur de giroflée, et je n'ai pas jiliis eu l'intention d'offenser le roi de France que notre saint-père le p:ipe ! — Eh! dit l'archer, pourquoi vous êtes-vous inquiété de ce corps? Partout oii p.isse monsieur, vous verrez des gens pendre par grappes a tous les arbres, et vous aurez une rude besogne en ce Jiays si vous allez glaner après le bourreau, (juoi (|ii'il en soit, je n'abandonnerai pas la cause d'un compatriote... Ecoutez, maître des hautes œuvres, vous voyez qu'il y a là un malentendu. 11 faut avoir pitié d'un aussi jeune voyageur; il n'a pas été habitué en Ecosse aux allures un peu vives de votre maitre et aux vôtres. — Elles sont ce qu'elles doivent être, seigneur archer, dit Petit- André, qui revenait en ce moment. Tiens bon. Trois- Echelles! Voici le grand prévôt; nous allons voir s'il sera content qu'on lui ôte sa besogne des mains avant qu'elle soit achevée. — Et voici quelques-uns de mes camarades qui arrivent à pro]ios, dit l'archer. En effet, pendant que le prévôt Tristan gravissait avec son escorte un côté de l'éminence, quatre ou cinci archers écossais venaient de l'autre, ayant à leur tète le halafré. En cette circonstance critique, Lesly ne montra pas pour son neveu l'indilTérence dont celui-ci l'accusait au fond du cœur. En voyant son camarade et Durviard sur la défensive, il s'écria : — -Merci, Cunningham ! Alessieurs mes camarades, prêtez -moi main-forte; il s'agit de mon neveu, d'un gentilhomme écossais! Lindsay, (julhrie, Tyrie, flambcrge au vent ! Tout présageait un combat sanglant entre les deux partis. Les gens du prévôt avaient l'avantage du nombre; mais la siipérioriti' des armes des Ecossais égalisait les chances de succès. Tristan, redou- tant l'issue de la lutte, et prévoyant qu'elle déplairait au roi, fit signe à ses satellites de s'abstenir de toute violence, et s'adressant ail Balafré : — l'ouic|ii()i, dit-il, vous qui êtes de la garde du roi, vous opposez- vous à l'exécutiiui d'un (•riiiiinel ' — Je le nie! répliiiua le lîalafré. Par saint Martin ! il y a, je crois, quelque dilfércnce entre l'exécution d'un criminel et le meurtre de mon neveu. — Notre neveu peut être criminel comme un autre, messire; tout étranger (|ui vient en France est soumis aux lois françaises. — Sans doute; mais nous avons nos privilèges, nous autres archers écossais. N'est-ce pas, mes amis? — Oui, nui, nos privilèges! s'écrièrent tous les archers ,'i la fois. Vive le roi Louis! vive le brave lialafré! vive la garde écossaise! mort à ipii voudrait enfreindre nos privilèges! — Ecoulez la raison, messieurs, dit le grand prévôt, songez îi ma qualité! — Nous n'avons rien a démêler avec vous, dit Cunningham. N'ous n'écouteriins (pie nos nfliciers. Nous serons jugés par le roi ou par notre caiiitaine en l'absence de monseigneur le grand connétable. — El nous ne serons pendus par pers(uine, ajouta Lindsay, excepté par Sandie \\ ilsoii, le vii'ux maitre des liantes (cuvres de notre corps. — Tolérer d'autres manii'ies d'agir, dit Lesly, ce serait positive- ment friister .Sandie, le plus honnête lionimc ipii ait jamais dressé une piitenee. l'cuir ma part, si je devais être pendu, lui seul me ser- rerait le silllet. — Mais, reprit Tristan, ce jeune gars n'appartient pas a votre corps, et ne saurait i>artager ce ([ne vous appelez vos privilèges. 16 QUENTIN DURWARD. — Ce que nous appelons nos privilèges mérite ce nom, dit Cun- ninpjliam. — Nous ne souffrirons pas qu'on les mette en question! s'écrièrent tous les archers. — Vous êtes fous, mes maîtres, ilit Tristan, personne ne songe à vous disputer vos privilèges; mais ce jeune homme n'est pas des vôtres. — C'est mon neveu, dit le Balafré d'un air triomphant. — Mais il n'est pas archer de la garde, à ce qu'il me semble? re- partit Tristan l'Ermite. Les archers se regardèrent avec irrésolution. Le grand prévôt a souri en nous quittant, et c'est signe qu'il pensait à mal. — Je le brave, dit Cunningham, auquel ces derniers mots s'adres- saient, nous ne sommes pas du gibier pour ses lacs. IMais lu devrais compter l'afl'aire à Olivier le Diable, cpii s'est toujours montré favo- rable à la garde écossaise et qui verra le père Louis demain matin, en le rasant, avant le grand prévôt. — Par malheur, dit le lialafré, on ne doit jamais se présenter à Olivier les mains vides, et je suis à nu comme le bouleau en dé- cembre. — Nous le sommes tous; mais pour une fois Olivier se contentera de notre parole. Au prochain jour de paye, nous aurons une somme ronde à toucher; et si Olivier compte en avoir sa part, le jour de paye n'en arrivera que plus tôt. — Et', maintenant, au château! dit le Balafré. Pendant la roule mon neveu nous racontera comment il s'est mis à dos le grand pré- vôt, afin que nous posions les bases de notre rapport à Crawford et à Olivier. CHAPITRE VII. L'Eniùlcment. (,)nentin prit le cheval d'un varlet, et s'avança d'un bon pas vers le cliàleau du l'iessis eu compagnie de ses belliqueux compatriotes. 11 était donc, (|uoi(|ue malgré lui, sur le point de devenir habitant de cette sombre forteresse dont les dehors l'avaient frappé de sur- prise dans la matinée. En réponse aux questions réitérées de son oncle, il fit un récit cir- constancié de sa périlleuse aventure; el bien (|u'il n'y vit rien que de dramali(|ue, elle excita une hilarité générale. — Pourlaiil, dit son oncle, ce n'est pas une bonne plaisanterie. Pourquoi diable cet étourdi s'occupait-il du corps d'un mécréant, d'un juif, d'un maure, d'un païen? — Tendez les bras pour recevoir le cor[ s cria t il , et il coupa la corde moins d'une minute après avoir compris qu'il y avait urgence. — Courage, camarades !. murmura Cunningham ; dites qu'il est en- rôlé! — Par saint Martin, vous avez raison! répondit Lesly; puis, éle- vant la voix, il assura (|u'il avait le matin même enrôlé sou neveu. L'effet de cette déclaration fut décisif. — 11 suffit, messieurs, dit Tristan, ([ui savait combien le roi ap- préhenilait de voir la désaffection se glisser dans sa garilc; comme vous le dites, vous connaissez vos |)riviléges, et il est (le mou devoir d'éviter autant (|ue possible toute discussion avec vous. Mais je por- terai cctti' affaii<' devant le roi; et je vous prie de remarquer qu'en prenant ce parti, je me relâche trop peut-être de la sévérité que mes fonctions lu'inipiiseiit. A ces mots, il donna à sa troupe le signal du départ pendant (|ue les archers, se fornianl eu conseil, examinaient ce qu'ils avaient à faire. — Il faut d'abord rendre compte à lord (j-awford, notre capi- taine, et faire mettre sur nos rôles le nom du jeune hoiiiiiie. — Mais, dit (^)uentiii avec liésilaliiui, je lie suis ]ias encore décidé, mes dignes amis et sauveurs, à prendre du service |)ariiii vous. — Alors décide-toi à être luiidii! dit le Balafré. Tu as beau être mon neveu, je te promets (juc ton enrôlement est le seul moyen d'éviter la potence. C'était un argument irréfutable. (,)iicnliii n'avait qu'à adhérer à une proposition qu'en d'autres conjoiictuies il n'aurait pas trouvée très-agréalile; mais coiiiiiii^ il venait d'avoir la corde au cou, il aurait lirobableiueiil accepté des conditions beaucoup plus dures. • — Il faut le conduire :i la caserne, rlit ( jiniiini;liaiii ; il n'y a pas de sûreté pour lui hors de nos limites quand ces chasseurs d'hommes sont aux eliainps. — Bel oncle, ne puis-je coucher à l'Iiôtellerie oii j'ai déjeuné? de- manda (Quentin pensant peut-être, comme tant d'autres recrues, qu'il était bon de gagner une nuit de liberté. — Avise-toi de ça, répliqua l.esly d'un ton ironique, et nous au- rons le plaisir de te pêcher dans iiii élani;, un canal, un bras de la Loire, oii l'on t'aura jeté cousu dans un sac, afin de l'aider ;i nager... Caris Typagraphic Hlon frèrci , rue de Vaiigirnd, 36 Trois-Ecbelles et Pelil-André. — Au moins, dit Cunningham , si , comme !Michel de MolTat , il s'était i|ueiellé avec les gens du prévôt iiour une jolie lille , il eût fait preuve de bon sens. — (Jn porte atteinte à notre honneur, dit Lindsay, en confondant nos biinnets écossais avec les toques et les turbans de ces pillards. SI Tristan el sa sé(|iirlle n'ont pas d'assez bons jeux pour apercevoir la différeiue , il faut la leur apprendre les ariiies à la main; mais je suis convaincu (|iie si le iirévôt feint de s'y méprendre, c'est pour happer au |iassage les lionnêles Ecossais (|ui vicnuenl voir leurs parents. — Pourriez-vous me dire, mon oncle, quels sont ces pillards coiffés de turbans? QDENTIN DDRWARD. 17 — Ma foi, je n'en sais rien, mon neveu, il y a près parmi ces coquines de paii'iiues .' — Il plaisantait, dit le Balafré. iS'e nous disputons pas entre camarades. — Ne faisons donc pas de telles plaisanteries, mur- mura Cunningham dans sa barbe. — Ces vagabonds ne pa- raissent-ils qu'en France? demanda Lindsay. — Il y en a en Allema- gne, en Espagne, en Angle- terre , répondit le Balafré. Grâce à la protection de saint André, l'Ecosse en est encore exempte. — L'Ecosse, dit Cunning- ham, est un pays trop froid pour les sauterelles et trop pauvre pour les voleurs. — Peut-être aussi, dit Guthrie, que Jean le "Mon- tagnard ne veut pas tolérer d'autres voleurs (]ue lui dans ses domaines. — Je vous rapjielle à tous, s'écria Ludovic Lesly, que je viens des montagnes d'Aii- gus, que j'y ai des parents, et que je ne souffrirai pas qu'on insulte les monta- gnards. - — ■ Vous ne contesterez pas, reprit Gulhrie, qu'ils enlèvent les bestiaux;' — Marauder n'est pas vo- ler, je le soutiendrai (|uaiul et comme vous voudrez. — Fi donc, camarade! dit Ciinningliam. (Jiii vous cherche querelle ' I.e jeune Guthrie n'a point l'inten- tion de vous blesser. Allons, nous voici dîner ensemble , je mets un baril de vin boirons amicalement à l'Ecosse, plaine et montagne. — Adopté, adopté! s'écria le Balafré. .l'otïre un second bari noyer nos dissensions et fêter la bienvenue de mon neveu. On ouvrit le guichet, le pont levis s'abaissa, et les archers entrè- rent un à un. !\lais lorsque (Quentin parut, les sentinelles croisèrent leurs piques, en lui défendant d'avancer, tandis (|iie du haut des mu- railles des arcs et des ar(|uebuses le coucliaient en joue; et pourtant le jeune étranger se présentait sous la conduite de soldats de la gar- nison. (|ui appartenaient même au corps oii avaient été pris les fac- tionnaires ! Le Balafré avait eu soin de rester il côté de son neveu pour donner les explications nécessaires. Après beaucoup d'hésitation, de délais et de pourparlers, un fort piijuet mena le jeune homme en présence de lord Crawfcird. (;e noble Ecossais était un des derniers débris des seigneurs et chevaliers d'Ecosse (pii avaient si fidèlement servi Charles \ II dans les guerres sanglantes dont le résultai fut l'expulsion des .Vnglais. Au sortir de l'enfance, il avait combattu à côté de l)ou|;las et de Buchaii; il avait chevauché sous la bannière de Jeanne d'Arc, tou- jours prêt à tirer l'épée ]iour les fleurs de lis contre leurs vieux ennemis les léopards d' Angleterre. Acclimaté en France, familiarisé «n. Ce fut derrière ce meuble que Daiward fut mis en seiilinelle. AU château. Si vous voulez votre disposition, et nous pou plulôl (|Mc l'ardeur farouche d'un soldat mercenaire. Il était enveloppé d'une aiiiple robe de chambre serrée sur ses lianes par une ceinture de buffle à laiiuelle était sus- pendu un poignard riche- ment orné. Il portait au cou le collier de l'ordre de Saiiit- Micliel. Assis sur un lit de repos couvert de peau de daim, ayant sur le nez des lunettes (invenlion récente), il s'appliquait il lire un volu- mineux manuscrit, intitulé le Rosier des guerres, code de politiiine civile et mili- taire, que Louis \1 avait ré- digé pour le dauphin, et sur leijuel il désirait avoir l'avis du vieux guerrier écossais. Lord Crawford, assez mé content de cette visite im- prévue , mit son livre de côté, et dit en écossais : — Que diable me voulez-vous? Ses deux subordonnés, si peu respectueux en général, lui témoignèrent une défé- rence qu'ils n'auraient peut- être pas accordée au roi lui-niènic. Le Balafré exposj l'aflaire, et sollicita humble- ment l'intervention de Sa Seigneurie. Lord Crawford écouta avec une attention soutenue : il ne put s'empê- cher de sourire de la sim- plicité avec laquelle le jeune homme avait pris la défense du pendu; mais il secoua la tète en entendant parler de l'échaulVouree survenue en- tre les archers écossais et les [;ardes de la prévôté. -Faudra-t-il donc, dit-il, que vous m'apportiez toujours des écheveaux i. démêler? Combien de fois ne vous ai-je pas répète a vous Ludovic Lesly, i. vous aussi, Archy Cunningham, que le soldat ' j, ,. „al,|cment, à l'égard des gens du tous les chiens de la ville ' navs sous Tieiiie uaimci «i a»^ i,v,i..:-.^v.. v»-'»' ,, ., , , . TÔ'iiîefois, puisque vous avez eu une querelle, j'a.me autant que :_■.,.,...:• .:,,: i„ «,••.•, ,1 i.i-évôt . et cette escap Ludovic, ((ue eut. Il ne faut pas que ce étranger devait se conduire couve "sous peine d'attirer à ses trousses bis, puisque vous avez eu une (luerelle, j votre advi^r^aire'ait été le grand pivvôt et c..t. e^^U- •' me pa.i moins grave que les précédentes. 11 est tout naturil vous sovez venu au secours d'un proche pan . ; I^Houffre de sa naïveté; ainsi, prenez -'■ '■Xi;':;;£::::t de la compagnie, et nous y inscrirons son nom, afin qu il jouisse des privilèges du corps. ii„„,....„,i ' _ Si \ olre Seigneurie veut le perm.'t re... , dit D"--"; •''l _ As-tu perdu la tète? s'écria Lesly. Oses-tu bien pailer a Sa Se.- p-npiirie s;tiis miiV'IIo t iiiterroj>e: « , » . t-i ^ -l),U patience, Ludovic, reprit lord CraA^'ford , écoulons ce qu .1 Il (*iï\ ie (le nous dire. , .. » i-, r In mot seulement, si Votre Seigneurie veut le permettre' dit O.ienlin. J'avais avoué i, mon oncle ip.e j'hesita.s a entrer dans la ;., de- j'ai maintenant;, déclarer que mon incer.itude a cesse depuis ;;,„. j;,i vu le chef noble et expérimenté sous les ordres duquel je dois servir. — Bien diti mon enfant! s'écna Je vieux lord sensible à ce com- 18 QUEWTIN DURWARD. pliniciit; nous avons été à même d'acquérir de l'expéiicnce, et, giàce à Dieu, nous avonsprol'ité des occasions. Vous voilà, Quentin, attaché à riionoiablc corps de la garde écossaise comme ccujer de votre oncle, et servant sous sa lance; j'espère que vous vous comporterez ))icii. tii tout ce qui vient de haut est bon, étant issu d'une famille distinguée vous devez être un vaillant homme de guerre... Ludovic, vous veillerez à ce que votre neveu assiste régulièrement aux exer- cices ; car nous aurons des lances à rompre un de ces jours. —^ Par ma dague! j'en suis ravi, nulord; cette paix nous abâ- tardit, il me semble (jue mon courage se rouille dans ce maudit château. — Eh bien, ajouta lord Crawford, un oiseau m'a sifflé à l'oreille que la vieille bannière allait bientôt flotter sur le champ de bataille. — Je boirai ce soir un coup de iilus à l'honneur de celte nouvelle dit le Balafré. — Ah! Ludovic, reprit lord Crawford, ton penchant à boire un coup de plus finira par le jouer un mauvais tour. . — 11 y ■■' longtemps qu'il ne m'est arrivé de faire un excès , ré- pliqua Lesly un peu confus ; mais Votre Seigneurie sait qu'il est d'usage chez nous de fêter par un banquet l'enrôlement d'une recrue. — C'est vrai, je l'avais oubUé. Pour contribuer au régal, je vous enverrai quelipies cruches de vin. Jlais qu'on se retire au coucher du soleil; que les soldats de garde soient choisis, et ne piennent au- cune part à la débauche. — On se conformera à vos ordres, niilord, et l'on n'oubliera pas votre santé. — Peut-être ferai-je bien d'aller donner un coup d'œil au festin, afin que tout se passe convenablement. — \otre Seigneurie sera la bienvenue, dit Ludovic; et il se retira avec ses compai;nons pour veiller aux préparatifs du dîner, au([uel il avait invité une vingtaine de camarades qui vivaient habituellement à la même table. Lu repas militaire est en général improvisé, et il suft'it aux convives qu'ils aient de (|uoi boire et manger à discrétion; mais, dans la cir- constance actuelle, Ludovic se démena pour se procurer du vin meilleur qu'à l'ordinaire. — Savez-vous, dit-il, mes camarades, que le vieux lord nous tiendra tête à tous? Il nous prêche la sobriété; mais après avoir bu à la table du maître autant de vin qu'il en peut raisonnablement porter, il ne manque jamais l'occasion de passer la soirée le verre eu main. Apprêtez- vous à entendre raconter ])our la centième fois les batailles de Verneuil et de lieaugé. On disposa à la hâte l'appartement gothique oii les archers se réu- nissaient ordinairement. Les domestiques allèrent cueillir des joncs verts pour les étendre sur le plancher. Les murs et le plafond fureni garnis, en guise de tapisseries, des bannières sous lesquelles avait combattu la garde écossaise, ou de celles qu'elle avait enlevées à l'ennemi. On eut soin(le donner au nouvel enrôlé le costume et les armes de la garde, afin qu'il eiit sous tous les rapports l'air de participer aux importantes prérogatives qui lui permettaient de braver la for- midable puissance et la persévérante animosité du grand prévôt. Le baïuiuet fut plein de gaieté. Les convives donnèrent un libre cours à leurs seiilimcnls ])atriotiiiues en recevant dans leurs ranps une recrue qui venait de la terre natale. On clianla de vieilles bal- lades écossaises; ou raconta de vieilles légendes d'Ecosse; on se rap- pela les exploits des aïeux, les sites ((ue leurs actions avaient illustrés; et, pendant c|iielqiie temps, les riches jilaines de la Touraine furent oubliées pour les montagnes stériles de la Calédoiiie. L'enthousiasme avait atteint un haut degré, quand I arrivée de lord Crawford l'accrut encore. Ainsi que Iv. lialafré l'avait prédit , il était resté comme sur des épines à la table royale et s'était éclipsé au ])iemicr moment fa- vorable pour venir se diverlir avec ses coinpalriucnlin auprès de lui , et l'accabla de questions sur l'état de 1 Ecosse et les grandes familles du pays. Par intervalles, pendant le cours de son interrogatoire, il caressait son verre ; et en manière de parenthèse, il recommanda à Quentin de conserver, mais sans excès, l'esprit de sociabilité qui devait caractériser les gentilshommes écos- sais. Il dit là-dessus d'excellentes choses , et sa langue , iiuoique occu- ])ée à faire l'éloge de la tempérance, finit par devenir plus épaisse que de coutume. Au moment où l'ardeur militaire des convives augmentait en pro- portion des flacons vidés, Cunningham les invita à boire au prochain déploiement de l'oriflamme. — Et à une brise de Bourgogne pour l'agiter! s'écria Lindsay. — J'accepte la proposition avec toute l'énergie que l'âge a laissée dans ce corps usé, dit lord Crawford; tout vieux que je suis, j'espère être encore à même de voir flotter la bannière de saint Denis. Ecou- tez, mes enfants, vous êtes tous de fidèles serviteurs de la couronne: ]>our([uoi ne vous dirais-je pas qu'il y a ici un envoyé du duc Charles de Bourgogne, avec un message qui sent la colère ! — J'ai vu, dit un convive, là-bas, au bosipiet de mûriers, l'équi- page, les chevaux et la suite du comte de Crèvccœur; on assure que le roi ne le recevra pas au château. — Que le ciel dicte au roi une réponse irritante! dit Guthrie; mais de quoi se plaint le duc? — De ce que ses frontières sont sans cesse menacées; de ce que Louis \I a pris dernièrement sous sa protection une dame de ses domaines, une jeune comtesse, qui s'est enfuie de Dijon parce que le duc , dont elle est pupille, voulait la marier à Campo-Basso, son favori... — Est-ce qu'elle est venue seule ici, milord? demanda Lindsay. — Pas tout à fait; elle est avec la vieille comtesse sa tante, qui a consenti à l'accompagner. — En sa qualité de suzerain, dit Cunningham, le roi intervicndra- l-il entre le duc et sa pupille, sur laquelle Charles a des droits ana- logues à ceux que, s'il venait lui-même à mourir, le roi Louis aurait sur l'héritière de Bourgogne ' — Le roi suivra comme toujours les règles de la politique. Vous savez déjà qu'il n'a pas reçu publiquement ces dames, qu'il ne les a point mises sous le patronage de ses filles, la dame de Beaujeu ou la princesse Jeanne; il est évident (|u'il attend les circonstances pour en prendre conseil. C'est notre maître, mais on peut dire sans lèse- majesté qu'il est capable de suivre la chasse et de courre le lièvre avec n'importe quel prince de la chrétienté. — ' Mais, dit Cunningham, le duc de Bourgogne ne s'accommode pas des faux-fuyants qu'emploie le roi. — Raison de plus pour qu'il y ait maille à partir entre eux. — Eh bien, saint André en avant! s'écria le Balafré; on m'a pré- dit, voilà dix ou vingt ans, que je ferais la fortune de ma maison par un mariage. Qui sait ce qui peut arriver, si, comme dans les vieux romans, nous venons à combattre pour l'honneur et l'amour des dames? ■ — Oses-tu bien, dit Guthrie, parler de l'amour des dames avec une pareille entaille au visage? — Mieux vaut ne pas aimer que d'aimer une païenne ou une bohé- mienne, repartit le lialafré. — Halle là , camarades! dit lord Crawford, ne joutons qu'avec des armes émoussées, ne plaisantons poiiil avec aifjreur; nous sommes tous amis. Quant à la dame, elle est trop riche pour échoir à un pauvre lord écossais; autrement je me serais mis sur les rangs, quoi- (pieje touche à mes quatre-vingts ans; j'y dois renoncer; néanmoins je |iorte sa santé, car on dit (lue c'est un astre de beauté. — Je crois l'avoir vue ce matin, dit un archer, iiendaut que j'étais de garde; mais elle resseiublail moins à un astre (pi'à une lanterne sourde , ayant été condiiilc au château avec sa tante dans des litières fermées. — Ei donc, Aruot! repril lord Crawford, une seutinelle ne doit rien dire de ce (lu'elle a vu. D'ailleurs, ajouta-l-il après un moiueut d(! silence, car sa curiosité tri(iiu])liail de son respect pour la disci- pline, est-il bien sur ipi'iine de ces litières rcufermàt la comtesse Isabelle de Croye? — Je l'ignore, répliqua \ruol; mais S.ninders Steed , mon coute- lier, promenant mes chevaux sur la roule du Plessis, a rencontre Doguin, le muletier, (|iii ramenait les deux liliiu'cs à l'auberge de la l'Ieur-de Lis, là-bas, auprès des mûriers. Doguiu a pnqiosé à Saunders de boire un verre de vin, ce cpie le coutelier s'est bien gardé de refuser... — Je n'en doute pas. Interrompit le vieux loni ; c'est un abus fu- neste, en temps de guerre surtout, et que je voudrais voir dispa- raîlie. .Messieurs, vos varlets, vos éciiyeis soiil trop disposés à prendre un verre de vin avec n importe (|ui. Tun histoire est longue, André Arnot, il faut la couper par une rasade, comme le couseille l'adage gallique: i>7.coo/i iloch nan Skuul. A la comtesse Isabelle de Croye! QUENTIN DURWARD. 1» Puisse-t-elle épouser mieux que CampoBusso, vil aventurier d'Ita- lie!... Maintenant, André Arnnt, conliiine ; qu'a dit le muletier à Sauuders ? — Il lui a révélé que les deus dames (pi'il venait de conduire au château, en litières l'cnnées, étaient de iji-andes dame», qui demeu- raient en secret chez son maître depuis quelques jours; (|ue le roi leur avait rendu jilusieurs visites et leur témoignait de i;rands égards; qu'elles s'étaient réfugiées au cliàtcau par crainte de l'ambassadeur l)Ourj;uii;non , le comte de Crèvecœur, dont un courrier avait annoncé l'approciie... — Ali! c'est comme cal dit Guthrie; alors, je parierais que c'est la comtesse qui tout à l'heure, quand j'ai trav<'rsé la cour, chantait en s'accompagnant du luth. Jamais on n'avait entendu pareille mé- lodie au cliâleau du Plessis-k-Parc. Sur ma loi, il m'a semblé enten- dre la fée IMélusine; je savais que le couvert était mis, que l'on m'attendait, et pourtant je suis resté là comme — Comme un âne, Joîniny Guthrie ! dit lord Crawford; ton nez flairait le diner, tes longues oreilles savouraient la niusi(iue , et tu n'avais pas assez de jugement pour te prononcer entre les deux... Silence! n'est-ce pas la cloche de la cathédrale ijui soinie les vêpres ?... Il ne peut être si tard, ce vieux fou de sacristain entonne sa chanson du soir une heure trop tôt. — ■ l^a cloche n'est que trop exacte, dit Cunninghani : voilà le soleil qui descend à l'ouest de la plaine. — Kst-il possible! Eh bien, mes enfants, il faut écouter les pro- verbes : « <^)ui va doucement va longtemps; Un feu lent fait la bonne braise; l'Iaisir n'exclut pas sagesse. >i Eiu'ore un toast à la prospérité de la vieille Ecosse, et puis chacun à son poste ! La coupe du départ fut vidée, la séance levée, et le vieux et uui- jcstuenx baron prit le bras du Balafré, sous prétexte de lui dcuiner des instructions relati\ement à son neveu, mais en réalité [leiit-ètre pour euipècher les assistants de remarquer (pie ses pas n'avaient pas la fermeté (pi'exigeail sa haute position. 11 prit un air sérieux en tra- versant les deux cours qui séparaient son logement de la salle du festin; et ce fut avec une gravité solennelle qu'il jiria I^udovic de surveiller la conduite de sou neveu, surtout en ce qui concernait les femmes et le vin. I.e jeune Durward n'avait pas perdu un mot de ce qu'on avait dit de la charmante comtesse Isabelle. Conduit dans un cabinet qu'il de- vait partager avec le page de son oncle, il donna dans cette humble retraite asile aux plus magnifiques rêveries. On devine qu'il identi- fiait la chanteuse de la tourelle, la belle sommelière de maître Pierre, avec une riche et puissante comtesse, fuyant les poursuites d'un pré- tendant abhorré, favori d'un tuteur qui abusait de son autorité féodale. A la vision de (jueiilin se mêlait aussi nuiitre Pierre, dont le pouvoir semblait .s'étendre mêjue sur le redoutable prévôt, des ULains dLU|uel le jeune Ecossais s'était tiré si dillicilement. Les réflexions de notre héros furent respectées jiar \^'ill llarpcr, son camarade de chambre; mais elles furent interrompues par son oncle, qui vint lui recommander de se coucher, pcmr être prêt à le suivre le lendemain dans l'antichambre de Sa Majesté, oii son service l'appelait avec ein(| de ses camarades. CHAPITRE VllT. L'Envoyé. Si Durward avait été enclin à la paresse, le bruit qui retentit dans la caserne aux premiers tintements de la cloche des matines aurait as- surément banni la sirène de sa couche ; mais il avait contracté, tant au donjon paternel (|u'au couvent d'Aberbrothick, 1 habitude de se lever avec l'aurore. 11 s'habilla gaiement au son des cors, au elic|uelis des armes, i|ui annonçaient qu'on relevait la garde. Les sentinelles al- laient se reposer des fatigues de la nuit , d'autres archers se mettaient en faction à leur place; (l'autres encore, parmi lesipiels était le l!a- lafré, s'armaient ])Our servir d'escorte à la personne royale. ( )uenlin endossa avec une satisfaction bien naturelle à son à];e le brillant costume ([u'il avait désormais le droit de porter. Son oncle s'assura par un examen ujinutieiiv (pie son équipement était eom]ilet, et re- maripia avec satisfaction (|ue l'uniforme rehaussait la bonne mine du jeune homme. — Sois aussi fidèle et aussi brave (pie tu es bien tourné, mon ne- veu, etj'aurai ru toi un des plus beaux et meilleurs écujers de la garde, ce ipii ne peut (pi'èlre honorable pour la famille de ta uière. Suis-moi dans la salle d'audience, et prends soin de te tenir aupri's de moi. Là-dessus il jirit une lourde pcriuisane richement ornée, il en donna une plus lé];i'ie à son neveu, et tous deux desceiidirciit dans la cour intérieure du palais, oii se rassemblaient déjà les ;irchers ipii étaient de garde dans les apparlemenis. Les éciiyers, placés derrière leurs nuiitres, formaient le second rang. Dans la même cour, des pi- ipieurs gardaient des chevaux pleins d'ardeur, des chiens de belle race, (lueiiliu conic mpla ces aniinaiix avec tant d'attention, (pie son (uicle fut obligé de lui rappeler à plusieurs reprises ipi'ils étaient là non pcuir son plaisir, mais pour celui du roi. Louis ,\l aimait pas- sioiiuéiiient la chasse; c'était un des rares exercices au\(piel8 il se livrait, même au milieu des préoccupations politiipies. Il proti-geait avec tant de rigueur le gibier des forêts royales, qu'on pouvail , sui- vant un (Licton [lopulaire, tuer un homme plus impunément qu'un cerf. Après quelques manœuvres militaires, Ludovic, cpii commandait le peloton, le cmiduisit dans la salle d'audience, oîi le roi était at- tendu d'un moment à l'autre. Le spectacle nouveau qui s'oft'rit à Quentin ne répondit guère à l'idée qu'il se formait des magnificences des cours. A la vérité les dignitaires de la maison royale étaient richement vêtus, les gardes bien armés, les domesliipies nombreux, mais il n'entendit prononcer aucun de ces noms ([ui retentissaient alors dans la chevalerie; il ne vit point d'anciens conseillers du royaume, point de grands officiers de la couronne , point de ces chefs ipii dans toute la vigueur de l'âge mûr étaient la force de la France, ou de ces gentilshommes plus jeunes et plus ardents (jui en étaient l'orgueil. La jalousie, les mœurs réser- vées, la politiipie artificieuse et profonde de Louis X[, avaient éloigné du trône ce cercle splendide. Lorsipi'à l'occasion de solennités prévues les grands étaient appelés à la cour, ils s'en approchaient avec répu- gnance, et en sortaient avec joie, comme les animaux de la fable mandés dans l'antre du lion. Les individus en petit nombre (jui semblaient jouer le rôle de con- seillers avaient des dehors vulgaires; et si leur visage exprimait par- fois rintelligcnce , leurs manières prouvaient que leur éducation première n'avait pas été en rapport avec leur position acquise. Ce- pendant Quentin distingua (pielipics personnes (pii avaient meilleure fai;on ipie les autres, l't les exigences du service n'empêchèrent pas son oncle de les lui nommer. Nous connaissons déjà lord Cravford, qui, paré d'un éclatant cos- tume, tenait à la main un bàloii d'argent, insigne de commandement. Parmi ceux (pii semblaient encore d'un rang relevé le plus remar- quable était le comte de Dunois, fils de ce célèbre bâtard d'Orléans qui sous la bannière de Jeanne d'Arc s'était signalé en délivrant la France des Anglais. Le fils était digne du père. Allié à la famille royale, aimé du peuple et des nobles, il avait néanmoins, à force de franchise et de loyauté, échappé aux soupçons de Louis, qui le voyait avec plaisir et l'admettait même à ses conseils. Quoique d'une habileté coiisoiumée dans tous les exercices de la chevalerie, Dunois n'était nullement un type de beauté ehevalercsipic. Il était solidement bâti , mais d'une taille au-dessous de la moyenne; la conformation de ses jambes, tournées en dehors, lui rendait l'éipii- tation plus facile que la marche. Il avait les épaules larges, les che- veux noirs, le teint basané, les bras musculeux et d'une longueur singulière. Ses traits étaient irréguliers jusqu'à la laideur; mais, comme il avait conscience de ce (pi'il valait , ses sentiments nobles et élevi'S imprimaient à sa figure le caractère distinctif de l'homme de haute naissance et de l'intrépide guerrier. Un front de lion, un rigard d'aigle tempéraient la iliireté de sa physionomie. Il marchait la tête haute, indépendant et fier. Il portait un costume de chasse moins élé- gant que somplueiiv; car s'il n'avait pas le titre de grand veneur, il en exerçait presque toujours les fonctions. Appuyé sur le bras de son parent Dunois, dont il semblait cher- cher l'assistance, marchait à pas lents Louis, duc d'Orléans, qui fut plus tard roi sous le nom de Louis XII. C'était le premier prince de sang royal, et les assistants lui rendirent hommage en cette ([ualité. Objet de la méfiance de Louis XI, ce prince, aiuiucl revenait la cou- ronne à défaut d'héritier direct, n'avait pas la permission de s'ab- senter de la cour, oii cependant il n'avait ni crédit ni emploi. Il vivait tristement, dans un état d'humiliation et pour ainsi dire de captivité, (.'e (pii augmeutail encore sou abaltenicnt, c'est ipi'il savait que le roi méditait à son égard une des .ictions les plus cruelles et les plus injustes (pi'un tyran |iùt commettre, en le forçant à épouser la princesse Jcaiiiie. Le malheureux dui! d'Orléans avait été fiancé dès son enfance à cette fille cadelle de Louis; mais, vu la difformité de la princesse, c'était une ri|;ueur abominable que d'exiger l'exécu- tion du contrat. Au physique, le duc n'avait rien de prévenant; au moral, il était doux, humain, bienveillant, et l'abjectiiui dans laipielle il était plongé, en altérant son car.ictère, n'empêchait pas ses ipralités de se mani- fester par intervalles. (^)ucntin remaripia que le duc, en rendant aux gardes le salut mili- taire, tint les jeux baissés, comme s'il eût a|qiréheiidé qu'on vit dans un acte de simple politesse l'intention de gagner ces hommes ii ses intérêts personnels. Ce ne fut pas ainsi (pie se présenta le fier Jean de la lialiie, car- dinal et prélat. (]'élait à cette époipie le ministre en faveur; son caractère avait de l'analogie avec celui de \\olsey, en tenant compte de la ditïérence qui existait entre l'astucieux Louis XI et le téméraire Henri VIII d'Angleterre. Louis avait élevé son ministre de la condition la plus infime à la dignité (le grand aumônier de l'iMuce; du moins il lui en avait donné les éiuidunients, l'avait comblé de bénéfices, et avait obtenu pour lui le chapeau de cardinal. Il était trop prudent pour accordera l'ambi- tieux la llalue la confiance et l'autorité illimitées dont Ueiui \lll 20 QUENTIN DDRWARD. avait investi Wolsej ; néaiimoiiis il se laissait influencer par lui plus que par ses autres conseillers intimes. Le cardinal n'avait donc pas échappi- à l'erreur ordinaire de ceui qui passent suliitement d'un rani; obscur aux ijrandeurs. Ebloui par sa brusque élévation, il s'ima- ginait qu'il était propre à tout, même aux affaires les plus étrangères à ses fonctions et à ses études. Grand et disgracieux de sa personne, il affectait de la galanterie; il courtisait les dames, et montrait des prétentions absurdes par rapport à ses manières, inconvenantes au point de vue de sa profession. Des flatteurs de l'un ou de l'autre sexe lui avaient, dans une heure fatale, inspiré une haute opinion des contours de ses grosses jambes, qui devaient ressembler à celles de son père, charretier de Limoges, ou meunier de Verdun, suivant d'autres autorités. Infatué de cette idée, il tenait toujours relevée sa robe de cardinal, afin de ne pas dérober aux regards les proportions de ses membres solides. Vêtu d'une chape magnifique et d'une soutane de velours cra- moisi, Jean de la Balue, en traversant la vaste salle, s'arrêta à plu- sieurs reprises pour regarder les armes et l'équipement des cavaliers de garde. Il les interrogea d'un ton impérieux, et se permit d'en blâmer quelques-uns de ce iju'il appelait des infractions à la disci- pline. 11 était évident ijue ces vieux soldats l'écoutaieut avec autant d'impatience que de mépris, mais ils n'osaient lui répliquer. — Le roi sait-il que l'envoyé de Bourgogne sollicite une audience immédiate ? demanda Dunois au cardinal. — Oui, messire; voici Olivier le Dain, qui, toujours bien informé, va nous faire connaître le bon plaisir du roi. En ce moment, l'étrange personnage i(ui partai;eait la faveur de Louis \I avec l'arrogant cardinal sortit des ap])artcmcnts intérieurs. Il n'affichait point les airs d'importance que se donnait le prélat. C'était un petit homme pâle et maigre; il n'avait ni manteau ni ca- saque; son pourpoint et son h.iut-de-chausses de soie noire n'étaient pas faits ])Our pallier la vulgarité de son extérieur; il avait à la main un bassin d'argent, et une serviette posée sur son bras indi(piait l'emploi qu'il exerçait dans la maison royale. Il avait l'air vif et pé- nétrant; mais il s'efforçait d'ôter à ses traits leur expression en tenant les yeux constamment fixés sur le sol. Il glissait plutôt (|u'il ne mar- chait, du pas furtif et silencieux d'un chat. Mais si la modestie jette aisément un voile sur le mérite, il lui serait diflicile de cacher la fa- veur. On ne pouvait laisser passer inaperçu, malgré ses vains efforts, l'homme qui était maître de l'oreille du roi, le célèbre valet de chambre et barbier Olivier le Dain, appelé tantôt t)livicr le Mauvais, tantôt Olivier le Diable, parce qu'il secondait avec peu de scrupule et beaucoup de duplicité la politi(iue tortueuse de Louis XI. Après s'être entretenu quelques instants avec le comte de Dunois, qui sortit aussitôt de la salle, le barbier rentra tranquillement dans la chambre d'oir il sortait. Chacun s'empressa de lui faire place; il ne répondit à la plupart de ces politesses qu'en inclinant la tète de la manière la plus humble; il murmura seulement quel(|ues mots à l'o- reille de deux ou trois personnes, dont tous les autres courtisans fu- rent jaloux; puis, alléguant les obligations de son état, il esquiva les réponses (|u'on lui adressait, et les sollicitations de ceux qui dési- raient attirer son attention. Ludovic Lcsly eut le bonheur d'être au nombre des privilégiés; Olivier le Dain lui annonça tout bas que son affaire était heureuse- ment terminée. Immédiatement après, cette bonne nouvelle lui fut confirmée par Tristan l'Ermite en personne. Le formidable grand prévôt parut, ha- billé d'un costume dont la splendeur ne servait (ju'à faire ressortir sa physionomie sinistre, et se dirigea tout droit vers le Balafré. Il l'a- postropha il'un ton (|u'il essayait de reiulre conciliant, et qui ressem- blait au grognement d'un ours; mais ses paroles étaient plus agréa- bles que sa voix : — Je regrette , dit-il , le malentendu qui a eu lieu hier entre nous; mais aussi, jjourquoi votre neveu ne portait-il pas l'uniforme des gardes, ou ne di'clarait-il pas qu'il en faisait partie;' il m'aurait épargné l'erreur que je vous prie d'oublier. Ludovic Lcsly fit une réponse convenable, et dit à son neveu dès que Tristan eut le dos touriu':: — A partir d'aujourd'hui, nous avons l'honneur d'avoir un ennemi mortel dans la persiuine du grand pré- vôt dmite, en les (piillant, leur lança ce regard de fureur el de défi (|Nr l'ours jette sur le chasseur ilont l'épieu l'a blessé. Même en des momenis plus tranquilles, les yeux caves du prévôt ('xpri- maienl îles inlenlions si malveillantes, que leur regard faisait frisson- ner les plus hardis. L<' jeune Ecossais en fut d'autant plus vivement impressionné, ipi'il croyait sentir encore sur ses épaules l'élreinte fatale des deux acolytes de l'ordonnateur des supplices. Cep<'ndant Olivier venait de disparaître, acciildé mahjré lui d'at- tentions cérémonieuses jiar les plus grands dignitaires, lorsrpie la porte s'ouvrit à deux ballanls (lour livrer passage au roi Louis. Comme tous les assistants, Quentin tourna les yeux vers lui; et ipicl fut son élonnement en recoiniaissanl dans le roi de France le marchand de soieries, maître Pierre, qui avait été le matin son com- pagnon ,é de demander, il restera là jusi|u'ii minicit. Il abor- dera Votre Majesté toutes les fois i|u'elle vmidra sortir du château ]i()ur affaires, plaisirs ou dévotions ; aucune considéralion ne l'arrê- tera, il ne cédera (|u'à la force. — Il est fou, dit tranquillement le roi. Ce brouillon du Hainaut rroit-il un homme de sens incapable de passer vingt-quatre heures entre les murs de son château c|uaiid il a pcuir s'occuper les affaires il'iin royaume? Ces écervelés s'imaginent qu'a leur exemple, on n'est lu'iireiu qu'en selle et le picil dans l'étrier. (>u'on enferme les chiens; nous tiendrons aiijourd hui conseil, au lieu de chasser. — Monseigneur, répondit Diniois, vous ue vous débarrasserez pas ainsi de (Irèvecceur; les instructions de son maître portent que s'il n'obtient pas audience, il doit clouer sou gantelet aux palissades du château en gage de défi mortel, renoncer au nom du duc à la suze- r.iincté de la France, et déclarer immédiatement la guerre. — Fn vérité! dit Louis, dont la voix n'éprouva pas d'altération sensible, mais dont les sourcils froncés vinrent assombrir les yeux noirs. ^ oilà donc la soumission de notre .incicn vassal, les attentions de notre cher cousin! Allons, Dunois, je vois qu'il faudra déployer l'orillamme et crier Montjoie Saint-Denis! — Ainsi soil-il ! s'écria le belliqueux Dunois; et les gardes, inca- paldes de résister à l'entrainement , s'agitèrent à leur poste de ma- nière à produire un bruit d'armes sourd, mais distinct. I.e roi pro- mena fièremeiil les yeux autour de lui , el pendant un instant il eut l'air et les pensées de son lu'roique père. Mais cette ardeur passagère lit bientôt place à la réflexion. Une foule de considérations politi<|iies rendaient très- danijercuse une rupture ouverte avec la lioiirgogiie. Le roi d'Angleterre l-'alouard lA , brave et victorieux iiionan|ue, qui avait pris part à trente batailles, était fri're (le la duchesse de Bourgoijne, et il n'attendait sans doute ([u'uiie guerre entre les deux jiays pour entrer eu France par Ca- l.iis, cette porte toujours ouverte! y porter ses armes triomphantes dans les di.iiDides civiles, et faire oublier aux Anijlais leurs dis- cussions intestines en les occupant d'une invasi(ui toujours popu- laire. D'un autre côté, la foi du duc de Krelagne était bien incer- taine ; vingt autres raisons puissantes militaient en faveur du maintien de la paix. Après une méditation profonde, Louis reprit la parole sans chan- ger de ton, mais avec de nouvelles idées. — Mais Dieu nous préserve, dit-il, nous, le l\oi 'rri's-Chrélien, de provoquer sans nécessité l'effusion du sang chrétien, s'il est possilile (le rempècher sans déshonneur! Le salut de nos sujets nous touche plus que l'atteinte que notre dignité peut recevoir d'un ambassadeur malappris, (|ui excède probablement ses pouvoirs. Ou'cui introduise l'emoyé dt' lîourgogne! — Ueali /«H7/»i/ dit le cardinal la Balue. — \ ous ave/, raison, ajouta le roi, el Notre Eminencc sait que ceux (|iii s'humilient seront élevés. — Amen! reprit le cardinal. L'auditoire n'adhéra pas à ce vœu. Lesjoiies pâles du duc d'Orléans rougirent de houle, et le Balafré iiidigiu' laissa lomlier loordeiiient la hampe de sa pertuisane. Ce mouvement d'impatience lui attira, de la part du cardinal, une vive remontrance, et une dissertation sur la manière de tenir les armes en présence du souverain. Le roi lui-même était emharrassé. — Vous êtes pensif, Dunois, dit-il , vous nous blâmez de céder à cet extravagant. — Pas du tout, répondit Dunois; je ne me mêle pas de ce qui est au-dessus de ma sphère. Je songeais seulement à demander une grâce à Votre .Majesté. — Une grâce! et lai|uelle? Vous sollicitez rarement, et vous pou- vez compter sur nos b(Uincs dispositions. — Je voudrais donc xous prier de m'envoyer à Fvrenx pour régler la conduite du clergé, dit Dunois avec une franchise toute militaire. — Mais ce serait au-dessus de ta sphère, répondit Louis XI en souriant. — Je suis aussi capable de réformer des prêtres que monseigneur révê(iue d'Fvreux, ou monseigneur le cardinal, s'il préfère ce titre, est capable de faire manœuvrer les gardes de \ otre Âlajesté. Le roi sourit encore el murmura d iiu ton mystérieux : — Un jour viendra ])eiil-êlre oii vous et moi nous réformerons ensemble le clergé; mais, pour le moment, laissons dire cette bonne bêle d'évê- que. Ah! Dunois! c'est Home qui nous l'impose, ainsi que bien d'au- tres fardeaux ! Mais jiatience, mon cousin; mêlons les cartes, jusqu'à ce que la veine soit pour nous. Des fanfares annoncèrent l'arrivée du gentilhomme bourgui|;non. Tous ceux (|ui se trouvaient dans la salle d'audience se rangèrenl à la hâte, suivant l'ordre de préséance. Le roi et ses filles restèrent au centre de l'assemblée. Le comte de Crèvecœur entra. Il avait la tête nue; mais, contrai- rement aux usages des envoyés des puissances amies, il était revêui d'une iuaj;iiih(|ue armure de Milan , ornée d'incrustations et d'ara- bes([ues (l'or. Sur l'acier de sa cuirasse pendait le collier de la Toison d'or, un des ordres les (ilus célèbres de la chevalerie. Un page portait le heaume du noble comte ; devant lui marchait un hé- raut, qui, mettant un genou en terre, ]Hésenta au roi les lettres de créance. L'amliassadeur s'arrêta au milieu de la salle, comme pour laisser à tous les assistants le temps d'admirer sa mine hautaine , sa stature imposante, son assurance imperturbable. Le reste de ses serviteurs attendit dans l'antichambre ou dans la cour. — Approchez, seigneur comte de Crèvecœur, dit Louis après avoir jeté un coup d'oeil sur la coiumission, nous n'avons pas besoin des lettres qui vous a'créditent auprès de nous pour bien accueillir un guerrier aussi renommé ou pour être sûr que vous êtes digne de la confiance de votre maître. Nous aimons à croire que votre belle com- pagne, (|ui nous est un ]i(mi jiarente, jouit d'une excellente santé. Si vous nous l'aviez présentée, seigneur comte, nous aurions pensé que vous vous étiez armé pour soutenir la supériorité de ses charmes contre tous les chevaliers fran(;ais ; mais, dans la circonstance ac- tuelle, nous ne devinons guère la raison de cet attirail belliqueux. — Sire, dit l'ambassadeur, le comte de Crèvecteur éprouve le re- gret de ne pouvoir répondre avec une humble déférence a la cour- toisie dont Votre Majesté l'honore, il doit implorer votre ])ardou ; mais par la voix de Philippe Crèvec(enr de Cordés, c'est sou gracieux seigneur, le duc de liourgogne, (|ui parle. — nu'est-ce que Crèvecœur a donc à nous dire au nom de la Bourgogne? reprit Louis d'un air de dignité, tju'il s'expli(|ue; mais qu'il n'oublie pas (|u'il s'adresse au souverain de son souverain. Crèvecœur s'inclina. — . Uoi de France, dit-il, le puissant duc de Bourgogne vous envoie une note détaillée des déprédations commises sur ses frontières par les garnisons de \ otre Majesté. H désire d'abord savoir si vous êtes dans rinteulion de lui faire réparation de ces insultes ? — Celle affaire a dé'jii été soumise à notre conseil, dit le roi après avoir regardé le mémoire (|ne lui remit le héraut. Des vexations dont on se plaint, les unes sont des représailles, les autres sont aflirmécs sans |)reuves, d'autres ont été punies par les troupes du duc; s'il s'en trouve qui ne soient pas comprises dans ces trois catégories, nous ne sommes pas éloigne d'en donner satisfaction : quoiqu'elles aient été commises non-seulement sans notre aiilorisalion , mais encore malgré notre ordre formel. — Je transmellrai à mon très-gracieux maître la nqionse de Votre Alajesté; cependant souffrez (pie je vous dise (pi'elle ne diffère pas essenliellemcnl des réponses évasives (pii ont accueilli ses justes ré- clamations, .le ne crois donc |)as (pi'elle puisse eontribiier à rétablir la bonne intelligence entre la Fiance et la Bourgogne. — Ou'il soit fait selon la volonté de Dieu! dit le roi. C'est par anKHir pour la paix, et non par crainte des armes de ton maître, que je réponds en termes aussi modérés à d'injurieuses accusations. Con- tinue, maintenant. — Mon maître demande ensuite (|ue A otre Majesté cesse d'entre- tenir des relations clandestines avec les villes detiand, Liège et Malines. Il vous prie de rappeler les agents secrets (|ui finnentent le niccciiileiilement des liiiurgcoisnainauds; d'expulserde votre royaume, ou plutôt (le livrer à la justice de leur suzerain, ces traîtres qui, 22 yUEJNTlN DOHWARU. après avoir quitté le théâtre de leurs machinations, ont trouvé un refuge à P^iris, Tours, Orléans et autres villes françaises. — Dites au duc de Bounjofjne que je suis étranger aux menées dont il me soupçonne injustement; que si mes sujets ont de fré(|uontes relations avec les Itonnes villes de Flandre, c'est pour s'enrichir mu- tuellement par le commerce libre, et qu'il serait contraire à ses in- térêts comme aux miens d'y porter ohstacle ; que lieaucoup de Fla- mands résident dans mon royaume, sous la proleclion des lois, jjour le besoin de leurs affaires, mais aucun d'eux, à ce que nous sachions, pour cause de révolte ou de trahison. Poursuivez votre mcssarjc; vous avez entendu ma réponse. — Avec charjrin, comme la première, sire; elle n'est pas assez complète, assez explicite, pour satisfaire mon maître offensé par des manœuvres secrètes qui sont mallieureusemcnt trop réelles, quoicjuc actuellement désavouées par Votre Majesté. Mais je termine ma mis- sion. Le duc de Houryoyne demaiulc encore au roi de France de lui renvoyer sans délai, sous bonne (;arde, Isabelle , comtesse de Croye, avec sa parente et tutrice, la comtesse Hameline. Par la loi du pays, par la teuiire féodale de ses domaines, ladite comtesse est pupille dudit(lue de Bouri;ogne. Elle s'est dérobée à la surveillance qu'il voulait exercer sur elle. Le roi de France la garde secrèlemenl, la soutient dans sa rébellion contre son seigneur et tuteur naturel, contrairement aux lois de Oieu et des hommes, telles qu'elles ont toujours été reconnues dans l'Europe civilisée. Je m'arrête de nou- veau pour attendre la réponse de Votre Majesté — Comte de Crèvccœur, dit Louis M d'un Ion dédaigneux, vous avez bien fait de commencer de bonne bcure votre ambassade; car, SI vous voulez me demander comjile de tous les vassaux que les em- portements de votre maître chassent de ses domaines, la nomencla- ture en peut durer jusqu'au coucher du soleil. Qui ose affirmer que ces dames sont sur mes terres, que j'ai protégé leur fuite, que je leur ai offert ma protection? Si elles sont en France, qui est ù même d'af- firmer que je connais le lieu de leur retraite? — Sire , n'en déjilaise à ^ otre Majesté, je me suis lu-ocuré un té- moin (pii a vu ces dames fugitiv<'s à l'auberge de la Fleur-de-Lis, ;i peu de distance de ce chàleau. Il a reconnu Votre Majesté dans leur compagnie, quoique vous fussiez sous l'indigne déguisement d'un bourgeois de Tours. Il a reçu d'elles, en votre royale présence, des messages et des lettres pour leurs amis de Flandre, et il a tout révélé au duc de liourgogne. — Produisez ce témoin, dit le roi; mettez en face de moi l'hommi' (jui ose soutenir ces mensonges. — Vous triomiihez, sire, car vous savez bien que ce témoin n'existe plus. De son vivant il s'appelait Z,amet Maugrabin , et faisait partie de la bande (les bohémiens. Les gens du grand pré\ôt de voire hôtel l'ont exécuté hier, sans doute |)our l'empêcher de venir confirmer ici ce qu'il a raconté au duc de liourgogne, devant son conseil, devant moi, Philippe Crèvecœiir de Cordés. . — ''■"" Notre-Dame d'Embrun! s'écria le roi, ces accusations sont SI grossières et si peu méritées, que j'en ris au lieu de m'en indigner. Ma garde prévôtale met cha((ue jour à mort, comme c'est son devoir, des voleurs et «les vagabonds. Faut-il m'accabler de toutes les ca- lomnies qu'il plaît à ces voleurs et à ces vagabonds de conter a notre cousin de liourgogne et à ses sages conseillers? Dites, je vous prie, ii votre maille que s'il affectionne de pareils mécréants, il fera bien de les garder dans ses Etats, car ils sont sûrs de ne trouver ici que la potence. — Alon maître n'a pas besoin de pareils sujets, répondit le comte Jierdant le respect dont il avait fait preuve jusqu'alors. Le noble duc na pas coutume di> ipiestionner sur la destinée de ses voisins des sorciers et des bohémiens errants. — Aous avons eu trop rendre un secret dans ses lilc^ls, il en rcnidutrerait à saint l'ierre. i'oiirtant il a trouvé plus flirt que lui. Le cardinal n'entendit point ces paroles, mais il en devina le sens à l'air de mépris dont le roi les accompai;na. On assure que le diable profite pour tenter les hommes d'occasions analop.iies à celle que lui offrait la lialue. La frayeur du prélat s'était calmée dès (ju'il s'était aperçu (|u'il était sain et sauf; mais sa vanité, offensée par le dédain (|iie lui témoii;uait Louis \1 , lui inspirait des idées uentin , j'ai vu donner à Son Eminence un cheval sur lequel elle est sortie du bois. — Le ciel veille sur les siens, repartit le roi. Hcndez-vous au châ- teau, messieurs; nous ne chasserons .pas davanlage. Ecuyer, allez ramasser mon couteau de chasse, ()ue j'ai laissé tomber là-bas. Mar- chez en avant, Dunois; je vous suis à l'instant. Louis, dont les moindres actions étaient souvent combiiu'cs comme des stratagèmes, trouva moyen d'interroger secrètement ( )ucntin : — Miui brave Ecossais, tu as de bons yeux, à ce (|u'il me semble, l'eux-tii lue dire qui a donné un palefroi au cardinal ' c'est sans doute uu étranger; comme j'ai passé devant lui sans m'arrêter, les courtisans n'ont pas dû s'empresser de lui rendre service. — Sire, répondit (Quentin , j'étais tombé de cheval, et je galopais ])our réparer le temps perdu, .le n'ai donc fait qu'entrevoir ceux qui secouraient Sou Eminence; mais je crois que c'étaient l'aïubassiKU iir de Bourgogne et ses gens. — Ah! ah! dit Louis. Eh bien, soit! la France est encore capable de leur tenir tète. Il ne se passa point d'autre incident rcmaniuable avant le retour du roi au château. CHAPITRE X. I.a Senliiicllc. t^niculin était à peine rentré dans sa chambre pour faire sa toilette, quand siui ilign< parent vint lui demander des détails sur ce qui lui était arrivé pciRlant la chasse. Le jeune homme ne pouvait s'empêcher de penser (pie son oncle valait mieux par le bras que par rinlelligcuce. En conséquence, il eut soin de laisser le roi en pleine possession de la victoire que celui- ci avait eu la fantaisie de s'approprier. Le"Balafré, dans sa réponse, donna des explications sur la conduite bien plus convenable qu'il aurait tenue lui-même eu pareil cas; il reprocha en même temps à son neveu d'avoir secouru mollement le roi en danger. Durward eut le bon sens de ne pas se justiber; il dit seulement que, d'après les règles de la vénerie, il ne fallait pas toucher à l'ani- mal attaqué par un autre chasseur, à moins d'être appelé spéciale- ment à l'aide. Au moment où celte discussion finissait, Quentin eut lieu de se féliciter de sa réserve. L'n léger coup donné à la porte annonça une visite, et l'on vit paraître Olivier le Dain, le Mauvais, ou le Diable, car il était connu sous tous ces noms. Nous avons déjà décrit au physi(|ue cet homme capable, mais sans principes. Ses allures pouvaient être exactement comparées à celles d'un chat domestique, qui, marchant à pas lents ou feignant de dor- mir, guette en même temps une malheureuse souris; ou qui, après s'être frotté avec une affection apparente contre celui dont il sollicite les caresses, l'égratignc brusiiucment s'il ne le quitte pour sauter sur sa proie. Olivier entra d'un air humble, le dos voûté et les yeux modeste- ment fixés sur le sol. En saluant le Balafré, il se montra si cérémo- nieux, qu'on aurait pu croire (|u'il venait lui demander une faveur. Il félicita Lesly sur l'excellente coniliiile de son neveu pendant la chasse, conduite qui avait attiré l'allention du roi. Là-dessus, il s'ar- rêta pour recevoir nue réponse, les yeux toujours baissés, et se con- tentant de jeter parfois un regard fnrtif sur (^/iienlin. — Ah! s'écria le li.ilafré. Sa ^Lijesté a eu du malheur de ne jias lu'avoir eu auprès d ClIe à la place de mon neveu; d'après ce qu'il me raconte, je vois qu'il a laissé tout faire au roi, tandis que j'au- rais passé mon épieii au travers du corps de la bête. Ce sera une 11 ù a l éiioiuic tluf ei la mu a sa cciiilurc. leçon pour Sa M.ijcsh' , qui (liuincra désormais uu iiicilleur cheval ,'i un homme de ma taille. Ma grande rosse llamaiide aurait-elle ])u suivre les counurs normands du roi, malgré les coups d'éperon que je lui prodii;nais? (j'est mal ordonné, maitre Olivier, et vous devriez faire là-dessus des représentations à Sa Majesté. iMaitre Olivier ne répondit qu'eu adressant au censeur téméraire un regard éipiivoiiue, accompagné d'un léger signe de la main et de la tclè. (^ettc pantomime pouvait iuiplicpier également une adhésion aux observations iirécédenlcs , ou une invitation à ne pas les con- tinuer. Le barbier jeta sur Quentin un coup d'œil plus perçant , en lui di- sant avec un étranijc sourire : — Ainsi donc, jeune homme, dans les circonstances pareilles à celles d'aujcund'hui, les Ecossais ont l'habitude de laisser leur prince en d.ini;er :' Oiientin était décidé à ue pas éclaircir l'aflairc. u QUENTIN DURWAHD. — Notre iis.iije, dit-il, est de ne pas les iinpoiliiiiei- de nos olïrcs de service, au milieu de passe-temps honorables, quand ils peuvent se passer «le nous. Un prinee qui va à la chasse doit, s;,•, ilii barbier, qui, sans traverser les ]uiiiiipales cours, le conduisit tantôt par des p.issagcs à ciel découvert, tantôt par un la- byrinthe d'escaliers, de galeries, de corridors voûtés que reliaient entre eux des portes secrètes. Tous deux arrix'èrent enfin dans une vaste galerie ornée de tapis- series plus anciennes que belles, et de quelques peintures froides et guindées appartenant à cette aurore des beaux-arts qui en précéda les magnifiques clartés. Elles ax-aient la prétention de représenter les palailins de Charlemagne, si célèbres dans l'histoire romanesque de la France; et comme la gigantesque figure du fameux Roland domi- nait toutes les autres, celte grande pièce avait reçu le nom de salle de Roland, ou galerie de Roland. — C'est ici que vous monterez la garde, dit Olivier à voix basse, comme s'il eût craint de déplaire aux images de tant de preux illustres, ou de réveiller les échos endormis entre les nervures et les clefs pendantes de ces voîîtes sinistres, — Quelle est ma consigne? murmura Quentin. — Votre arquebuse est-elle chargée? dit Olivier sans répondre à la question. — C'est bientôt fait, reprit Quentin; et après avoir chargé son arme, il en alluma la mèche aux tisons d'un feu de bois qui s'étei- gnait dans une cheminée tellement énorme (jii'ellc pouvait passer pour un cabinet gothique ou pour une chapelle attenante à la galerie. — \ous ignorez, lui dit ensuite Olivier, qu'une des principales prérogatives de votre corps, c'est de ne recevoir de consigne que du roi ou du grand connétable de France; vous êtes ici par l'ordre de Sa Majesté, et vous saurez avant peu pourquoi vous y avez été placé. En attendant, promenez-vous de long en large dans cette galerie II vous est permis de rester tranquille, si vous le préférez, mais non de vous assoir, ou de quitter votre urine. Vous ne devez , sous aucun prétexte, ni siffler, ni clianter à haute voix; mais vous êtes autorisé à murmurer des prières, ou n'importe quelles paroles, pourvu qu'elles n'aient rien de répréhcnsible. Adieu! et faites brave garde. Et, s'é- loignant à pas silencieux, suivant son habitude, le barbier disparut par une porte que masquait la tapisserie. — Bonne garde! se dit le jeune soldat; mais sur qui? Contre qui? Je n'ai d'autres adversaires que les chauves-souris et les rats, à moins que ces vieux héros du temps passé ne s'animent pour troubler ma faction. Enfin, c'est mon devoir, et je m'y conformerai. Dans cette ferme intention , il essaya de tuer le temps en répétant à voix basse les hymnes qu'il avait apprises au coux'ent oii il avait été recueilli après la mort de son père. Quoiqu'il eût édiangc le froc de novice contre un riche uniforme, il trouvait une grande ana- logie entre sa marche militaire dans la galerie du château royal et les tristes promenades qu'il avait faites dans le cloître d'Aberbrolhick. Comme pour se convaincre qu'il avait définitivement quitté le couvent pour le monde, il fredonna, sans élever la voix au delà du diapason qui lui était prescrit, quel(|ucs-unes de anciennes ballades que le vieux ménestrel de sa famille lui avait apprises. Il chanta la défaite des Danois à Forres et Aberlemno, le meurtre du roi Dufl'us à Forl'ar, et autres aventures dont le souvenir avait été conservé par des lais nationaux. 11 s'occupa ainsi assez longtemps, et il était plus de deux heures après midi quand son appétit lui rappela que si les bons pères d' Aberbiothick exigeaient qu'on fût exact aux ollïces, ils voulaient qu'on se rendît au réfectoire avec la même ponctualité. Dans le château royal, au contraire, après une matinée de fati:;ues et jilusicurs heures de faction, il était abandonné, sans que personne songeât qu'il avait besoin de dîner. Il y a ]>(iurtant des sons dont l'harmonie est capable de calmer même une impatience naturelle du genre de celle qu'éprouvait alors (,)uentin. Aux extrémiti's opposées de la galerie étaient deux grandes portes, surmontées de lourdes anhitraves, donnant probablement dans une suite d'appartements dont la galerie centralisait les commu- nications. Pendant que le factionnaire poursuivait sa ]iiomenaile so- litaire entre ces deux entrées, il entendit auprès d'une des portes des accords qu'il crut reconnaître. Il lui sembla qu'ils étaient produits par la voix et le luth qui l'avaient charmé la veille. Ses rêves, dissi- pés par les émotions diamnti(|ues de la matinée, se réveillèrent avec une vivacité nouvelle. Il resta cloué à la place d'oii il pouvait le mieux entendre, l'arquebuse sur l'épaule, la bouche entr'ouverte, l'âme, les oreilles et les yeux dirigés du même côté, sans autre idée que de recueillirau passage les iiu)iiiilres son» de cette suave mélodie. Ils ne se succédaient pas iriiiie manière continue; tantôt ils s'alTai- blissaient, tantôt ils eessaieni complètement pour recommencer à des intervalles irrégiilieis. 'Mais la musique, comme la beauté, a souvent d'autant plus de rliariiiis, qu'elle ne fr.ippe qu'impar(aitiuient les sens, et que l'ima- ginatioii est obligée de combler les lacunes que laisse la distance. Quand la fascination de Durward était inlerniiupue , il avait encore lie quoi occuper ses rêveries. D'apri's les r.ipports de ses cauiaradcs, et la scène qui s'était jiassée dans la salle d'audience, il était per- suadé- que la silène enchanteresse, au lieu d'être la fille d'un laba- relier, romme il avait eu l'infauiie de le supposer, était la comtesse fugitive jiour laquelli; des rois et des princes allaient mettre la lance en arrêt. Les songes les plus romanesques que l'esprit d'un jeune homme pût enfanter dans ce siècle d'aventures lui firent oublier sa situation. 11 ressemblait moins à un être vivant qu'à une statue, et QUENTIN DURWAIAD. 57 les illusions l'assiégeaient en foule, fiiuind mie iii:iiu rude étioigiiil son arquebuse. — IM(|uos-l)ieu ! sire écuyer, il me semble que vous dormez sous les armes. La voix sourde, mais expressive et ironique, qui retentissait ainsi à ses oreilles ('•lait celle de muitrc Pierre. Quentin, brusquement rap- pelé à lui-mcrnc, s'aperçut avec autant de crainte que de confusion, qu'il avait laissé Louis XI, en personne, entrer par quelque porte secrète, et arriver assez près de lui pour s'emparer de son arme. Son premier mouvement fut de la déyaijer avec vivacité, ce (|ui fit recu- ler le roi. Le jeune factionnaire était mù par cet instinct pour ainsi dire animal qui porte tout homme brave à repousser les tentatives qu'on fait pour le désarmer; mais, en ai;issaiil ainsi, il craignit d'a- voir aiif;nienlé le mécontentement ([ue son attitude négliijente avait inspiré. Il remit machinalement son arquebuse sur son épaule, et se tint immidiile devant le monarque, qu'il avait lieu de croire mortel- lement ofTensé. Louis n'était pas naturellement cruel; une froiile politique et un Cdraclère soupçonneux le prédisposaient seuls à la tyrannie; mais il avait une causticité impitoyable, cl semblait toujours jouir de l'em- barras qu'il causait dans des occasions pareilles , à la présente, 'i'oute- fois, il ne prohta pas trop de ses avantages, et se contenta de dire : — Tu es un jeune soldat, et en faveur du service que tu m'as rendu ce matin, je puis bien excuser un nioniciit de négligence... As-tu dîné? restige que lui donnaient son voile et son luth, cl connue île Durxvard pour être l'Iiéritière d'un riche comté, clic produisit sur lui dix fois plus d'impression que lors(|u'elle passait pour la fille d'un misérable hôte- lier, occupée à satisfaire les caprices d'un vieux bourgeois parvenu. Il se demanda comment il avait pu la méconnaître un seul instant; et poiirtaut elle avait à peine changé de costume : elle était en grand deuil, sans aucun ornement, et son voile de crêpe noir, rejeté en arrière, laissait sou visage à découvert, instruit désormais lus au vieux >Iichaud, le changeur de (land , qu'au successeur de Charlemagne. — Arrêlez! dit sévèrement la princesse ; souvenez-vous ijuc vous parlez de mon ))ère. — De votre père ! s'écria la dame étonnée. — De mon iière, réjiéla la princesse avec dignité ; je suis Jeanne de France. Mais ni' crai|;nez rien, madame, ajoiila-1-elle du ton de dou- ceur (|ui lui était ualiirel , voiri' inleuliiin n'élait pas de m'olVenscr, et je ne suis pas olVensée. Usez de votre influenie pour ri'iidic plus supportable voire exil et celui de votre intércssanle iiii'ce. Hélas! mon pouvoir ne s'étend pas loin , mais je le mcis ;i votre disposition. La comtesse llameline de Croyc (c'était ainsi (ju'on aiipelait la dame âgée) reçut celte oft'rc en s'inclinant avec une soumission pro- fonde. Élevée dans les cours, elle en possédait les manières; elle avait piur principe, comme les conriisans de tons les temps, qu'on pouvait eu particulier se plaindre des grands et critii[uer leurs folies , mais (|u'il fallait se taire en présence du souverain ou des membres de sa lamille. Elle fut par conséquent désolée de la bévue qu'elle venait de commettre. Elle se serait confondue en excuses , en expressions de regret, si la princesse ne lui avait imposé silence par des paroles bienveillantes, mais qui, venant d'une fille de France, avaient toute la force d'nii ordre. La princesse s'assit, et fit asseoir les deux étrangères à ses côtés. Isabelle prit son siège avec une timidité naïve cl respectueuse; la comtesse llameline affectait, au contraire, une humilité trop étudiée pour être réelle. Les trois dames caiiscreut ensemble, mais si bas qu'il fut impossible au factionnaire de les entendre. Il remarqua seulement (pie la princesse témoignait beaucoup d'égards à la jeune fille, qui la channail par ses réponses brèves et modestes, mais ([u'elle était peu sensible aux compliments et aux interminables discours de la comtesse llameline. La conversation n'avait pas duré un (piart d'heure, lorsqu'un homme, enveloppé d'un manteau de voyage , parut à l'une des portes de la galerie. Se rappelant les recommandations du roi , et décidé à ne pas s'attirer de nouveaux reproches, (.hientin marcha droit à l'in- trus, et se plaçant entre lui et les daines, il lui enjoignit de se retirer à l'instant même. — Par ordre de (jui? demanda l'étranger d'un ton de dédaigneuse surprise. — Par ordre du roi, dit Quentin avec fermelé : je suis ici pour le faire respecter. — 11 ne concerne pas Louis d'Orléans, dit le duc en se dégageant des plis de son manteau. Le jeune homme hésita; mais coiiiiuent appliquer sa consigne au premier prince du sang, ipii, si l'on en croyait le bruit public, allait épouser une fille du roi :' — Je ne saurais résister ii Votre Altesse, dit (,)uentin; j'espère du moins (|ue vous voudrez bien attester (juc j ai fait mon devoir, autant que votre volonté me l'a permis. — Allez, on ne vous blâmera pas, jeune soldat, dil le duc; et s'a- vançant dans la galerie, il offrit ses hommages à la princesse Jeanne avec l'air de cuulraiute qu'il avait toujours aujui's d'elle. — J'ai diiié avec Dunois, dit-il , cl apprenant ipi'il y avait de la société dans la [galerie de Uoland , j'ai pris la liberté de m'y pré- senter. La rou|;ei\r qui monta aux joues pâles de Jeanne, et qui donna momenlanénient ii ses traits une apparence de beauté, proux'a que cette visite ne lui élail pas iudifféii-ule. Elle s'empressa de présenter le prince aux dames de Croye, qui lui témoigui'rciit le respect dû ,'i son rang ; |uiis elle l'invita à s'asseoir. Le duc déclara ipi'il ne se permeltrait pas de prendre une chaise en présence des dames, et ôtant nu coussin d'un lil de repos, il le dé- posa aux ])icds d'Isabelle. H s'y installa de telle sorle que, sans pa- raître négliger la princesse, il pouvait donnera sa belle voisine la plus grande part de son atlenlion. La fiancée sembla d'abord plus satisfaite que blessée de cet arrange- ment. Elle encouragea, comme si elles eussent élé pour son propre compte, les galanteries que le duc d'Orléans débilail à l'aimable étrangère; mais, (|uoi(|iie soumis au joug sévèii' de son oncle, le duc avait assez d'indépendance pour s'abauclonner ii ses iucliiialions lors- qu'il élail alVianchi de la présence du roi. Son rang élevé lui |iermet- lant lie dédaigner les céiéiiicuiies et d'agir familièrement, il huia avec emphase les charmes d'Isabelle. Peiil-êlrc ses Iransporls etaicnt-ils dus en partie au viu qu'il avait bu avec Dunois, qui n'élait pas en- nemi du culte de Bacchus. Ils devinrent si vifs, que c'était à peine s'il semblait s'apercevoir de la |)résciice de Jeanne. La comtesse llameline gcu'ita seule celle profusion de compliments. Elle voyait déjii ce premier prince du sang s'allier avec une héri- tière digne de lui par sa naissance, sa beauté, et retendue de ses domaines; et la réalisation de ce rêve ambitieux n'aurait eu rien d'im- possible , sans les projets bien arrêtés de Louis M. Isabelle écouta avec embarras les tendres propos du duc. De temps en temps elle jetait sur.leanne de France un rejiard suppliant, eomiiie )iour lui de- mander assistance; mais, blessée dans ses affections, et naluicllement timide, la princesse était iina|ialile d'aucun effori iinnr rendre la con- versation |ilus générale, llaiiicliiie pla(;ait ditficilcmeut (|ucl(|ues mots; le du(' parlait seul, et proiligu.iit toules les ressources de son élo(|uence pour exalter les allraits de la jeune comtesse de Croye. Il ne faut pas oublier le faelionuaire , dont personne ne s'occupait, ctinii voyait ses belles visions fcuidre comme la cire an soli'il, à me- sure ipie le duc développait ses scnlimcnls d'admiraliiui passionnée, l'.iiliii la comlesse Isabelle de ( :roye fit une leiilali\e désespérée piHir couper court a des propos (|ui lui devenaient intolérables, sur- tout il cause du chagiiu i|u'eu ressentait la princesse. — Madame, lui dil-ellc d'un ton ferme et modeste ii la fois. Votre .Mtesse a bien voulu me promettre sa protection , et le piemier effet iiue j'en réclame, c'est d'intervenir actuellement, 'lâchez de convain- cre !•• duc d'Orléans que, si les dames de liourgogne ont moins d'cs- QUKNTIN DURWARD. prit et d'usage que celles de France, elles ne sont pas assez folles pour n'aimer en fait île conversation que les flatteries extravagantes. — Eli quoi! s'i'cria le duc picvonant la rcponse de Jeanne, pré- tendez-vous dcpiccier à la fois la lieautt' des dames de Houryogne et lu sincérité des clicvalicrs français! Si nous mettons de l'extravagance dans l'expression de nos sentiments, c'est que nous aimons comme nous combattons, sans délibérer longuement; si nous allons vite en amour, c'est (|ue nous nous rendons aux belles aussi facilement que nous soumettons les braves. — La beauté de nos compatriotes , dit fièrement la jeune comtesse, ne prétend pas à de scniblables tiiiimplies, et la valeur des liourgui- gnons ne cède pas si prom|itement. — Je respecte votre patriotisme, dit le duc, et pour réfuter votre dernière assertion , j':;ttendrai qu'un clievalier bourguignon la sou- tienne la lance en arrêt. Quant à la première, elle me semble injuste, et j'en appelle à vous-même. Uegardez-vuus dans cette glace, et dites- moi quel est le cœur capable de résister aux charmes qui s'y réflé- eliisseut. ]1 lui désignait en même temps un grand miroir, présent de la république de Venise, et qui éti.it alors une rareté du plus baiil prix. Incapal)lc de supporter plus longtemps l'abandon de son amant, la princesse se renversa en soupirant sur sa chaise; ce qui rappela le duc du pays des chimères romanesques. — \ otre Altesse se trouve-t-elle indisposée ? demanda dame Ila- meline. — J'ai éprouvé une douleur subite à la tèlc, répondit Jeanne avec un sourire forcé; mais ce ne sera rien. Sa pâleur toujours croissante était en contradiction avec ses paroles. Craignant que la princesse ne tombât en défaillance, liameliue ap- pela du secours, l.e duc, mauiliss:int son iucouséijuencc, courut cher- cher les suivantes qui veillaient dans la chambre voisine; et pendant qu'elles prodiguaient leurs soins ;i Jeanne, il ne put, en galant cava- lier, se dispenser de les seconder. Sa voix, que la compassion et le repentir rendaient presque tendre, contribua efficacement à ranimer la princesse. Au moment oii elle revenait à elle, le roi entra dans la galerie de Roland. CHAPITRE XII. Le Politique. Louis fronça ses épais sourcils comme il en avait l'habitude. Ses yeux parurent se rapetisser, et s'animèrent d'une expression si fa- rouche et si pénétrante, qu'ils ressemblaient à ceux d'un serpent qui regarde sa proie. — \ ous ici, mon beau cousin ;'... dit-il au duc d'Orléans; puis, se tournant vers Quentin, il ajouta d'un Ion sévère : — • M'aviez-vous pas votre consiijue .' — Pardonnez à ce jeune homme, sire, répondit le duc , il n'a pas négligé son devoir; mais j'avais appris que la princesse était dans cette galerie... — Kt X'ous n'auriez pas soud'erl qu'on vous barrât le passage i|uan(l vous venez lui faire voire cour. ^ oilà donc comme vous débauchez les sentinelles de nui garde! IMais i|ue ne pardonne-ton (las à un ga- lant chevalier <|ui ne vit (|ue pour l amour! Le roi persistait avec une déphuablc hypocrisie il représenter le duc comme répondant à la passion de sa malheureuse fille. Le duc d'Orléans leva la tête, et se disposa à expliquer sa conduite; mais sa langue fut cnrliaiiiée par le respect et la crainte que Louis XI lui ins|)jrait depuis ses plus jeunes années. — .leanue a été indisposée, reprit le roi, qui avait tout deviné d'un coup d'ieil, mais ne vous ini|uiclez pas, Louis, cela se passera vile. ConiluiseZ'la elie/. elle iiemlanl que je vais ofl'rir le bras à ces dami s... (l'était un ordre, cl pour l'accomplir d'Orléans siulit avec Jeanne Jiar une des portes de la giilerie. La porte opposée fui ouverle par le roi, qui, ayant déganté sa main droite, la préseiila poliment à la com- tesse Isabelle cl à sa lanle. 11 leur fit une profonde révérence au moment oii elles fruncliirenl le seuil, attendit qu'elles eusseul dis- paru, et ferma la porte derrière elles. 11 ôta l'énorme clef et la mit à sa ceinture, ce <|ui acheva de lui donner l'air d'un vieil avare trop inquiet pour se séparer un seul instant de la clef de son coirre-foit. l'ensil cl les yeux baissés Louis revint linlement vers Quinlin Durward, qui, prévoyant que l'orage allait fondre sur lui, était en proie il de vives alarmes. — Tu as eu tort, dit le roi eu le re|;ardaul fiveiuent; tu as eu le plus grand tort, et tu mérites de nuiurir. Ae dis pas un mol pour ta défense!... I)evais-lu l'occuper de ducs, de princesses, de n'imporle quoi enfin, excepté de mes ordres i' — Sire, que pouvais-je faire ' — Tu me le demandes!... repartit Louis \l d'un ton dédaigneux. A <|uiur mon âme! dit Olivier, vous êtes moins exii;eanl cpie je ne le supposais! Cuillaiime, surnommé à juste tilre le Sanglier «les A r- dennes, n'est il pas signalé partout comme voleur cl comme assassin? Ses crinu'S ne lui ont-ils pas attire l'cMommunicalion du pape? — Aous la ferons lever, ami Olivier; la sainte Eglise est miséri- cordieuse. -^ Il a été mis au bau de l'Empire par ordonnance de la diète de Halislxunie. — Ou reviendra sur ce décret. — El eu admetlaiit (|u'il soit de noble naissance, il a les habitudes, la tournure et les sentiments d'un boucher de Flandre; Isabelle ne l'acceplera j.imais. — Si je le connais bien, dit Louis, il s'iiiiposira de manière à rendre un refus impossible. — En vérité, reprit le confident, j'avais tort d'accuser Votre Ma-- jesté de scrupules exagérés. Les crimes d'Adolphe sont des vertus comp;ir,itivement à ceux de Guillaume!... Jlais oii rencontrera-t-il sa fiancée? vous savez qu'il n'ose sortir de la forêt des Ardennes? — JNous y aviserons, répli(|ua le roi. D'abord il faut secrètement avertir les deux dames «(u'elles ne peuvent rester plus longtemps à la cour sans faire éclater la guerre entre la France et la Bourgogne, et que, ne voulant p;is les livrer au duc Charles, je vais favoriser leur départ clandestin. — Elles demanderont à être conduites en Angleterre, et nous les verrons revenir en Flandre avec un lord insulaire accompagné de trois mille archers. — Non, non! ce serait, comprenez-moi bien, offenser notre beau cousin de Bourgogne que de les laisser passer en Angleterre; autant vaudrait les garder ici. C'est à la protection de l'Eglise que je con- fierai llamcliue et Isabelle de Croye; elles partiront à la faveur d'un déguisement, avec une faible suite, et iront demander asile à l'évê- que de Liège, qui enfermera la jeune fille dans un couvent. — Je doulc (|ue ce couvent la protège contre Guillaume de la ^larck, pour peu r|u'il connaisse les intentions de A^otre Alajesté. — C'est vrai, répondit le roi; grâce à nos secrets subsides, Guil- laume de la MarcU a réuni assez de bandits pour se maintenir dans ses bois et se rendre aussi formidable au duc de Bourgogne qu'il l'é- vêque de Liège. Il ne lui mamiue (|ue dos domaines, et s'il trouve l'occasion d'en acquérir par un mariage, Pâ(iucs-Dieu! il trouvera moyen de le consommer sans avoir besoin de nos conseils. Le duc de Bourgogne aura donc au pied une épine que les chirurgiens lui tire- ront ditiicilemeiit. Le Sanglier des Ardennes, qu'il a déjà mis hors 1,1 loi, fortifié par la possession des terres, châteaux et seigneuries de la belle dame, se meUra ii la tête des Liégeois, qui s'empresseront de l'acccpler pour chef; et loin « cle V.Mq|ir«r''. , W. QUENTIN DLRWARD. S 3 La dignité ecclésiastique de l'évèque de Liège lui fournissait les moyens de protéger les fugitives contre tous les princes chrétiens; d'autre part, ses forces teinporclles, sans être imposantes, paraissaient suffisantes pour défendre de tonte violence les personnes ([U il pre- nait sous sa sauvegarde : la difficulté était d'arriver à sa petite cour. Pour empêcher les dames d'être arrêtées en route, Louis promit de répandre le bruit que. dans la crainte d'être livrées à l'envoyé de Hoiirgogiic, elles s'étaient sauvées nuitamment de 'Lours et s'étaient dirigées ilu coté de la liretagne. 11 s'engagea encore à leur donner une escorte, peu nombreuse, mais dévouée, et dc'S lettres de recom- mandation pour les capitaines de toutes les villes et forteresses qui se trouvaient sur leur chemin. Les dames de Croye, bien que mécontentes de la manière discour- toise dont Louis \[ les éconduisait, ne cherchèrent pas à prolonger leur séjour au l'iessis; elles sollicitèrent même la permission de par- tir le soir même. Dame Hameline était lasse d'une résidence où il n'y avait ni fêtes ni cour- tisans. Dame Isabelle pré- voyait que, non content de les expulser de sa cour, Louis XI pouvait, d'un mo- ment à l'autre, avoir l'idée de les abandonner à la fu- reur vengeresse d'un suze- rain irrité. Finalement, le roi consentit volontiers à leur éloignemenl immédiat. Il craignait (jue leur pré- sence n'amenât une rupture avec le duc Charles, et ()ue la beauté d'Isabelle ne fût un obstacle à l'accomplisse- ment de l'union qu'il médi- tait entre sa fdle Jeanne et son cousin d'tjrléans. CHAPITRE Xin. Galeotti llartlvalle. Les occupations et les aventures se succédaient pour notre héros avec la force des vaijues d'une ma- rée d'été. liientôt il fut mandé chez son capitaine, qu'il trouva, à sa grande sur- prise, en compagnie du roi. Aux premières paroles qui lui annoncèrent qu'on allait lui confier une mission im- portante, Quentin craignit d'avoir encore à faire le guet, comme pendant le dîner donné au comte de (Jrève- cœur, ou d'être chargé de quelque fonction plus dés- agréable et plus répugnante. Quel fut sou ravissement quand il apprit qu'il était désigné pour escorter les il inies de Ooye jusi[u'à la cour de leur parent révê(|ue de Liège! Trois archers et un guide étaient placés sous ses ordres. Le plus grand secret lui était recommandé; une note qui lui fut remise lui indii|uait pour étapes îles villages peu connus, des monastères isolés, et II lui fallait redoubler de précautions en approchant des frontières de liourgogui'. Les dames île (^roye devaient passer jiour dcu\ Vn- glaises de qualité , qui , après être allées en pèlerinage à Saint- [Martin de Tours, voulaient visiter la sainte cité de (Pologne et honorer les reliques des trois Mages. Quentin Durxvard était censé leur maître d'holel. Sans bien définir la cause de son ivresse, Quentin Diirward sentit battre son cu'ur à l'idée de se rapprocher de la beaiilc de la tourelle, d'acquérir des droits à sa confiance, de la protéger dans un long voyage, il se promit de réussir; il ne iloiila pas nièiiie du succès. La jeunesse songe rarement aux dangers, et Durward , élevé dans une indépendance compli'te, liabitiié ii compter sur ses propres forces, ne s'occupait des périls que pour les braver. Il lui tardait il être aflranclii de la présence royale pour goûter la joie que lui causaient ces nouvelles inattendues, et s'abandonner ii des transports qui aiiriient éli' d'une liaiile inconvenance devant .Sa M.ijesté Irès-Chré- tieiine. Mais Louis n'avait pas fini avec lui. Le prévoyant iiioiiari|ue avait à consulter un conlident d'une autre espèce qu'Olivier le Diable, et il-2. Ouenlin Dursvard accompagDait Isabelle et Hami'hne. qui passait pour recevoir ses inspirations des astres, comme Olivier de Satan en personne, car on jugeait de la cause par l'eftet. Suivi de l'impatienl Quentin, louis s'achemina vers une tour iso- lée , où était maijiiifiquemenl installé l'illustre astroloi;ue, poète et philosophe, Galeotti M.irti, Marlias ou Martivalle, natif de ^arni en Italie. Auteur du fameux traité Ue vuliji) iniiiiiuilis , il était l'objet de l'admiration de son siècle et des panégyriques de Paul Jove. Il avait longtemps tleiiri à la cour du célèbre Malliias Corvin, roi de Hon- grie, auquel l'avait enlevé Louis Xî, qui lui enviait un sage si habile à lire les décrets des cieux. Alartivalle n'était pas de ces savants frêles et décharnés qui s'u- saient la vue auprès de leurs fourneaux ardents, et se fatiijuaient à observer l'Ourse polaire. Il s'abandonnait à tous les plaisirs de la cour; avant de devenir obèse, il avait excellé dans les jeux et les exercices militaires. Il triompha un jour, en présence du roi de Hongrie, d'un lutteur renommé, et sa victoire fui chantie par Jaiius Pannonius dans une épigraiiime laline qui est parvenue jusqu'à nous. Les appartements dr cet astrologue mondain étaient meubles avec un faste c|Ur Duruard n'avait pas encore remarqué dans le château royal. Les boiseries sculp- tées de la bibliothèque , les tapisseries , exécutées avec art, attestaient les goûts élé- gants du savant italien l ne portede son cabinet donnait sur sa chambre ii coucher; une autre conduisait à la tourelle qui lui serv.iit d'ob servatoire. La grande table de chêne sur laquelle il étu- diait était couverte d'un ri- che lapis de Turquie pris dans la tente d'un pacha après la grande bataille de Jaiza, où l'astrologue a\ail combattu à côté de Mathias Corvin pour la défense de la chrétienté. Cette table était couverte d'une multi- tude d'instruments de ma- thématiiiues et d'astrologie, lemarquables parla richesse de la matière et la beauté du travail. Son astrolabe d'argent lui avait été donné parTempereurd' Allemagne, et son bâton de .lacob eu ébène, enrichi d'or ciselé, était un témoignage d'es- time du pape .Sixte VS . Divers autres objets étaient étalés sur la table ou sus- pendus à la muraille. On y distinguait deux armures complètes. Tune de mailles, l'autre deplates.qui, vu leur dimension , ne pouvaient guère appartenir qu'au gigantesque astrologue; puis un poignard de 'Tolède, un cimeterre turc, une claviuore écossaise, des arcs, des lle- ches, et autres armes. On y voyait encore dilTéreiites espèces d'inslru ments de musique, un crucifix d'argent, une unie sépulcrale antique, de petits pénates en bronze; enfin des curiosités lenominées, qui , d'après les idées superstitieuses de l'époque, étaient consacrées ii des pratiques de sorcellerie. La bibliollièqiie. en harmonie avec le mobi- lier, contenait des manuscrits antiques, des ouvrages de théologie, des traités de chimie et de philosophie hermétique, composés par ces hommes laborieux qui avaient la préleiitioii de dévoiler les plus im- pénétrables secrets de la nature. Quclqms-uns de ces volumes étaient écrits en caractères oriiulaiiv; d'autres étaient couverts d'hiéroglyphes et d'images cabalistiques qui en cachaient le sens ou Tabsurdilc. I.'ap- parlenuùl tout entier frappait d'autant plus vivement Timaginatioii. que lursonne au quinzième siècle ne révoquait en doute la vérité des sciences occultes. I.'eflel qu'il produisait était augnienlé par l'extérieur et les ma nières de (;aleolti Martivalle, qui, enfoncé dans uii large fauteuil, examinait avec curiosité un spécimen de l'art de l'imprimerie qui était encore tout nouveau. L'astrologue était de haute taille, et iruiie tournure imposante, malgré sa corpulence. Il avait depuis loni;tenips dépassé Tàge mûr. Les 'exercices violents auxquels il s'était livré dans sa jeunesse, cl 3 51 QDE^TIN DURWARD. (|u'il repimait encore par intervalles, n'avaient pu combattre une lendanc:' à l'embonpoint, aujiinenlée par lies travaux sédentaires et par les plaisirs de la table. Ses traits, quoique fortement accentues, avaient de la dignité et de la noblesse, et un santon aurait envié la lonj;ue barbe noire qui lui descendait jusqu'à la poitrine. Il était vêtu d'une robe de chambre de velours de Gènes, à manclies à bombarde, attachée avec des aifrafes d'or, et bordée de martre zibeline. Les signes du zodiaque étaient peints en rouge sur sa ceinture de par- chemin vir- sonne que j'ai vue à l'hôtel où je servais le roi? Baissant la voix, peut-être par un même scntimeul de timidité, Quentin répondit ;ilïirmativemciit. — En ce cas, matante, reprit la jeune comtesse, lions pouvons nous croire en sûreté sous la s:iuve!;arde de ce gentilhomme. H ne semble pas disposé a prêter les mains il des projets de trahison contre deux femmes sans défense. — Sur mon honneur, madame, par la gloire de ma maison, par les ossements de mes aïeux, quand même (ui lu'offrirail la France et TE- cosse à la fois, je ne conimeltrais pas de Irahisoii envers vous. — Vous parlez bien , jeune homme, dit Haïueline , mais nous som- mes accoutumées aux beaux discours du roi Louis XI et de ses agents. C'est ainsi (|u'on nous a décidées à venir chercher un asile en l'rance, quand il nous aurait été si facile de nous mcllre soiisla iiroleclion de Tévêque de l.iéive , de \Vineeslas d'Allcmai;nc , ou d'Edouard d'An- glelerre. Et (|uél a été le résullal des promesses du roi? On nous a cachées iKuiteuscment comme des marchandises prohibées! On nous a reçues dans une misérable hôlellerie smis des noms plébéiens ! Nous qui, Marton est là pour le dire, n'avions jam;iis Oiil notre toilette que sur nue cstr;ide élevée de trois degrés, nous avons élc forcées de nous habiller sur le panpiet comme de simples laitières. Manon déclara (|iie sa maîtresse dis:iil une triste vérité. — Ma ehire tante, dil dame Isabelle, j':iurais voulu que ce fitt Ml notre plus grand sujet de chai;rin, je me dispense volontiers d'ap- parat. — Oui, mais pas de société? repartit la conUcsse Hameline. Je me serais passée de tout si j'avais trouvé une retraite liono- rable et assurée. Je n'ai jamais désiré exciter hi guerre entre la EiMure cl mon pays n:ital. Tout ce que je dcinandai.s, c élail de me relirer au couvent de Marmoiitiers. — \ oiis ne parlez pas ctance pour charger. Quentin se pen- cha sur sa selle, et implora du regard un signe d'encouragement, que QUENTIN DURWAHD. :!7 les dames lui donneront en agit;inl leurs mourlioirs. Après avoir re- commandé au Gascon de se comporter Inavemint, il partit au i;"'"P> et les quatre cli.mipions se rencontri'rent juste au milieu de l'espace ([ui les séparait. I.e choc fut fatal au pauvre Bertrand (iiiyot, dont le casque n'avait pas de visière : la lance de son antagoniste l'atteignit à Tceil, traversa la cervelle, et il lomb;i mort. Quentin n'était pas mieux garanti; mais il s'inclina avec tant d'a- dresse, que la lance ennemie, lui ellleurant IcgèremenI la joue, passa par-dcssuE son épaule droite : au contraire sa lance frappa son ad- versaire en pleine poitrine, et le renversa sur le sol. Quentin sauta à terre pour lever la visière du vaincu; mais l'autre chevalier, qui n'a- vait pas encore parlé, était déjà descendu de cheval et s'était placé devant son ami, qui gisait inanimé. — Au nom de Dieu et de saint iMartin, s'écria-t-il , remonte à cheval, et va-t'en avec ta cari;aison de femmes 1 Ventre-saint-gris! elles ont fait déjit assez de mal ce matin ! — Sire chevalier, dit Quentin sans s'effrayer du ton menaçant dont on lui donnait ce conseil, je tiens à savoir d'abord à qui j'ai affaire et qui doit repondre de la mort de mon camarade. — Tu ne le sauras jamaisi Retire-toi en paix, mon brave. Si nous avons eu la folie de t'arrèter en route, nous en sommes punis, car tu as fait plus de mal que ne pourraient en réparer ta vie et celle de toute ta bande... Comment! tu dégaines! Tiens donc! voilà pour toi ! En disant ces mots, il assena un coup si terrible, que, bien qu'il fùl d'un pays fameux par ses horions, l'Ecossais n'avait rien vu de semblable que dans les romans. I.'épée de l'inconnu descendit comme la foudre, abattit la garde de celle que Durxvard avait levée pour parer, et ne s'arrêta <|u'après avoir fendu le morion jusqu'aux che- veux, mais sans toucher le crâne. Étourdi, n'y voyant plus, (^)uentin tomba un genou en terre, et fut un moment à la merci du chevalier, mais celui-ci n'usa pas de ses avaiitai;es, soit (pi'il eût de la compassion pour la jeunesse de l'archer ou de l'admiration pour son courage , soit qu'en homme généreux il dédaignât un combat iiu'i;al. Revenu à lui, Quentin se releva et attaqua son adversaire avec l'énergie d'un homme d( cidé à vaincre ou à mourir; et en même temps, avec toute sa présence d'esprit. Il ne voulait plus s'exposer à des coups comme celui qu'il avait reçu; il profita de son agilité pour harasser son antagoniste, moins leste et plus lourdement armé. Il l'inquiéta de tous les cotés, et lui rendit la défense pénible par la brusquerie et la rapidité des atta([ucs. — Calme-toi donc! lui criait le généreux chevalier; il n'y a plus de sujet de querelle entre nous, et je ne voudrais pas être forcé de te faire du mal ! Mais Quentin ne songeait qu'à racheter la honte d'une défaite mo- mentanée ; il ne cessait de harceler le chevalier, le menaçant tantôt du tranchant, tantôt de la pointe de sa lame. Comme il avait eu une preuve terrible de la force supérieure de l'ennemi , il ne le perdait pas de vue un seul moment, toujours prêt à s.iuler en arrièr<' ou de côté pour éviter les couiis de son arme formidable. — Que le diable t'emporte, jeune entêté! murmura le chevalier; il faut donc te casser la tête pour te faire tenir tranquille! A ces mots, il changea son mode de combat, cl, se tenant sur la défensive, il se contenta de parer les coups dont Quentin l'accablait, mais avec la résolution d'en finir des (|u'un faux pas ou la fatigue du jeune archer lui eu fournirait l'occasion. Cette tactique lui aurait vraisemblablement réussi; mais un détachement de cavalerie parut tout à coup sur la route en criant ; — .Arrêtez! au nom du roi ! Les deux chanipions cessi'rcnl le combat , et (Juentin reconnut avec surprise à la tête de la trou|)c son capitaine, lord Crawford. Il aperçut aussi Tristan l'Ermite et (|uelqucs gardes de la prévôté. CHAPITRE XV. Le Guide. 1,'arrivée de ces cavaliers, (|ui étaient au nombre d'une vingtaine, mit un terme aux hostilités. Le chevalier, levant sa visière, remit sou épée au vieux lord écossais en disant: — Cra\\lord,je tue rends; mais approchez, (|ue je vous dis<' un mot à l'oreille. \u nom du ciel, sauvez le suis chargé de vous conduire dans un gite oii j'aimerais à ne pas vous faire entrer. — Milord, demanda le duc d'Orléans, ne puis je dire un nuit aux belles daines qui sont là-bas? — Pas un seul; je suis trop ami de \ otre Altesse pour lui per- mettre un pareil acte de folie... Pour vous, jeune Durward, vous avez fait votre devoir, continuez maintenant votre route. — Salifie bon plaisir de Notre Seigneurie, dit Tristan avec sa brus(|iierie habituelle, il faut ([ue le jeune homme se procure un autre guide. Je ne saurais me passer de Petit-André dans un moment oii il peut avoir à s'occuper. — Le jeune homiiie, ajouta Petit-André, na qu'à marcher droit devant lui , et il rcnconlrera Tindividii qui iientin, offrait des risques presque aussi réels que ceux qu'on affrontait eu la recevant Nous avons déjà dit .,iie ri'xossais était d'une beauté remar- quable. Ses cheveux tombaient en boucles abondantes aulour .le sa ligure, qu'animait la rougeur de la modestie et du plaisir Pend , m que la tante cherchait quelque vulnéraire ilans les bar-a.'es la nièce lut forcée de tenir le mouchoir sur la plaie, et elle ressentit alors un pudique embarras, une compassion et une gratitude pour le blessé qui e hrenl envisager sous un aspect des plus favorables. La di'stinéè semblait avoir amené cet incident pour compléter la communication mystérieuse qu elle avait établi., entre deux personnes ,1c con.iition liHerente, mais qui avaient tant d'analogie par leur jeunesse leur beauté, leur caractère sensible et romanesque J^""e.''Se, Aussi, a partir de ce moment, la pensée de la comtesse Isabelle remplit-elle en entier le cœur de Quentin; et la jeune fille, sans bien se renilre compte de ses sentiments, en songeant à celui qu'elle venait de secourir, éprouva une émotion que ne lui avait inspirée aucun de ses nobles adorateurs. Parmi ceux qui, depuis deux ans, l'avaient importunée de leurs hommages, .'lie se rappelait surtout l'indicne favori du duc (!harles, le vil Campo-Hasso aux regards louches, au col tors, il la physionomie hypocrite; elle s'en faisait un portrait plus hideux que jamais, et jurait qu'aucune tyrannie ne pourrait la con- traindre à épouser cet odieux personnage. Cependant le blessé commen<;aità trouver grâce aux yeuxd'Uame- line de Croye. Si les mémoires de celte noble maison sont exacts, la bonne dame avait au moins .juarante ans; mais elle se connaissait encore en beaulé masculine, et puis elle sentait qu'elle avait injuste- ment méconnu les services de son jeune protecteur. — ^la nièce, lui dit-elle, vous a fait présent d'un mouchoir, je vais vous en donner un autre pour honorer votre bravoure et encou- rager vos progrès en chevalerie. A ces mots, elle lui remit un riche mouchoir brodé, bleu et argent, en lui faisant remarquer (|ue ces couleurs étaient les mêmes que celles de la housse de son palefroi et des plumes de son chapeau de voyage. Les coutumes du .(uinzièmi' siècle déterminaienl la manière inva- riable dont on devait recevoir une telle faveur. (^)uentin se conforma à l'usage en nouant le mouchoir autour de son bras; mais il mit dans cette action plus de maladresse et moins de galanterie .|u'il n'en aurait montré peut être en d'autres conjonctures, l'orler les faveurs d'une ilame, c'était à cette époque un hommage qui n'avait aucune signifi- cation, et pourtant Durward aurait préféré étaler à son bras l'appa- reil qui avait été mis sur sa blessure. f.Hiand on se fut remis en route, il chevaucha à côte des dames, dans la société des([uelles il semblait être tacitement admis. 11 n'es- saya pas de causer; plein d'un bonheur intime, il craignait de le lais- ser deviner. La comtesse Isabelle parla moins encore; mais dame Hameline n'était pas disposée à laisser tomber la conversation. Pour initier le jeune archer aux principes et à la pralii[ue de la chevalerie, elle lui r.iconta en détail le pas d'armes d'ilaflinghem , où elle avait distribué les prix anx vainqueurs; elle n'oublia ni la décoration des lices, ni les noms des chevaliers de Flandre et d'Allemagne, dont elle blasonna les armoiries avec une impitoyable exactitude. Cette description, nous sommes fâché de le dire, intéressa mé- diocrement Quentin. Il craignait d'avoir passé la place oii son guide devait le rejoindre : incident qui aurait pu amener les plus fâcheuses conséquences. Pendant qu'il se demandait s'il ne devait pas envoyer un de ses comjiagnous ii la découverte , il entendit la fanfare d'un cor, et tournant la tête du côté d'où parlaient les sons, il vit arriver de loin un cavalier. La p.'tite taille, le poil hérissé, l'allure sauvage ihi coursier, rappelèrent à l'Ecossais les chevaux de ses montagnes nata- les; mais celui de rinconnii, avec la même apparence de vigueur, avait les jambes beaucoup mieux projiorlioiinées cl les moiiveiiieiits plus rapides. La tète, qui, chez le ponex d'Ecoss.', est souvent lourde e dilïorme, était petite et bien plantée sur le cou de l'autre animal. Il .'lait encore remar(|nable par sa bouche fine, ses yeux élincelants et ses naseaux dilatés. anach.' fané, atta- ché par nue agrafe d'arijent. 11 portail une tiini(|ue verte galonnée d'or, pareille à l'uniforme des estrailiotes, soldats .lue les \ énitiens li'xaienl alors sur la côle orientale de leur golfe. Son large haut-de- cliausses blanc, mais d'une propreté doiit.'iis.', lui tombait au-dessous du genou. Ses jambes basanées auraient été enlièreni.'iit nii.'s, sans les bandelettes entrelacées qui retenaient ses sau. laies. Les pointes acén'es de ses granils étri.'rs lui servaieni , ii défaut d'éiierons, à sti- muler l'ardeur île sa mnntur.'. Ce singulier personnage portait à sa ceinture cramoisie un poignard et un yalaijan, et d'un vieux baudrier pendait le cor à l'aide .liiqiiel il s'était annoncé. Il avait le visage hâlé, la barbe rare, les yeux noirs cl per.ants, la bouche et le nez r.'guliers. On aurait pu le trouver beau, sans ses cheveux noirs, son extrême maigreur, et son air de sauvagerie, qui n'annoni'aieiit en rien un homme civilisé. — En.!Ore un bohémien! se .lirenl les deux dames. Sainte Marie! le roi accordera-t-il toujours sa confiance à ces mécréants? — Si vous le voulez, mesdames, je vais interroger cet homme, et m'assurcr autant .lue possible de sa fidélité. De même que les comtesses deOoyc, Durward venait de recon- naître un de ces vagabonds au nombre «lesquels il avait failli être confondu par le zi'le expéditif de Trois-Echelles et de Pelil-Andrc. Il appréhenilait naturellement le danger de se fier à un in.lividu de cette race nomade. — Est-ce noiisijue tu cherches? lui demanda-t-il. L'étranger fit un signe d'assentiment. — Dans i|uel but ? — Pour vous mener au palais de celui de Liège. QUËWTIN UURWARD. A9 — De l'cvêque? Le boliéiiiien fit un nouveau si^ne d'assentiment. — Quelle preuve me clonneras-tu de ta véracité? — Ce vieux refrain de l)alladc : Le sanglier fut tué par le page, El le seigneur En eut rbonneur. — Il suffit. Marche devant, mon camarade; je vais causer plus longuement avec toi. Puis, se retournant vers les dames, il .ijouta : — ^ Cet Iiomme est bien le i;uide i[ue nous attendons; il m'a donné un mot de passe qui n'est connu ijue du roi et de moi. Je vais l'in- terroger, et je tâcherai de savoir jusqu'à quel point il mérite notre confiance. CHAPITRE XVI. Le Dohémien. Tandis que Quentin adressait ces paroles aiiv dames de Ooje, il s'aperçut que le nouveau guide, avec une agilité qui tenait plutôt du singe que de l'homme, pivotait sur sa selle, et se plaçait de trois quarts, afin d'être à même de mieux examiner ses compagnons de voyage. Il reprit sa position primitive en voyant Quentin s'approcher de lui. — Ami, lui cria celui-ci, il me semble que vous nous conduisez en aveugle, si vous regardez la queue de votre cheval et non ses oreilles. — Quand nicine je serais aveugle, repartit le bohémien, je me chargerais de vous guider dans toute la France et les contrées voisines. — \ ous n'êtes ])ourt3nt pas Français? — Non, répondit le guide. — De quel pays êtes- vous ' — Je ne suis d'aucun pays. — Comment! d'aucun pays? — Non; je suis ce que les Européens appellent un zingaro, un bohémien, un égyptien, mais je n'ai point de patrie. — Etes-vous chrétien? Le bohémien secoua la tête. — Chien! s'écria (hienlin, carit celte époque le catholicisme était peu tolérant, adnres-lu Mahomet;' — ■ Non, répliqua laconiquement le guide, qui ne parut ni surpris ni offensé de l'emportement du jeune homme. — Tu es donc païen? Je n'ai point de religion. Durward fut stupéfait; il avait entendu parler de Sarrasins et d'i- dolâtres, mais il ne lui était jamais venu à l'idée qu'il existât des hommes absolument dépourvus de culte. — Oii demeurez-vous ? reprit-il après s'être remis de son étonne- ment. — Partout où je me trouve; je n'ai pas d'habitation. — (jorament conservez-vous ce que vous possédez? — Je ne possède que mes habits et mon cheval. — ^ ous èlcs mis avec une certaine recherche, et vous avez un bon cheval. Quels sont vos moyens d'existence ' — Je m.inge quand j'ai faim, je bois quand j'ai soif, et je n'ai d'autres mojens d'existence que ceux qui me sont fournis jiar le hasard. — Sous quelles lois vivez-vous' — Je n'obéis aux lois ([u'aiitant qu'elles s'accordent avec ma vo- lonté et mes besoins. — Quel est votre chef? Le père de notre tribu, quand il me plaît de me soumettre à lui; autrement, je n'ai pas de chef. — l'as de lois, pas de chef, pas d'asile, pas d'existence assurée! s'écria l'interrogateur étonné. Vous êtes donc étranger à loules les règles des sociétés liiimaines, vous n'avez pas nu'iue de patrie, et, que le ciel vous iiardonne cl vous écliirc! vous n'avez pas de Dieu. Sans gouvernement, sans bonheur domestique, sans religion, qu'est-ce donc qui vous reste? — La liberté, dit le bohémien. Je ne m'incline devant personne; je ne resi)i>cle personne. Je vais où je veux ; je vis comme je puis, et je suis prêt à mourir quand mon heure viendra. — ,^lais vous pouvez d'un mouunt à l'autre être condamné et cxéculé. — SoitI en ce cas, je mourrai seulement un peu plus tôt. — On ju'ut vous mettre en prison ; et que deviendra alors cette liberté dont vous êtes si fier? — Elle sera dans mes pensées, qu'on ne peut enchaîner; les vôtres, mêiiM' (piand vos membres sont libres, sont soumises aux entr.ivcs de vos lois, (le vos superstitions, de vos rêves d'altaclienieut lo('al , de vos cirimcrcs piiliti(|ues. Je suis libre d'esprit quand mon corps est chargé de fers; votre esprit est en prison même quand vos mem- bres ont toute leur liberté. — Mais la liberté de vos pensées ne vous empêche pas de senlir l'étreinte des carcans. — Ou peut l'endurer pendant quelque temps; s'il m'était diflicilc de m'en délivrer, si mes camarades ne venaient pas à mon secours, je saurais mourir, et la mort est la plus parfaite des libertés. Ici la conversation fut interrompue, et ce ne fut qu'au bout de quelques instants que Quenlin reprit le cours de seï questions. — Votre race nomade est inconnue aux nations européennes. D'où tiie-t-elle son origine ? — Je ne saurais le dire. — Quand déliarrassera-t-elle ce royaume de sa présence pour re- tourner dans le pays d'où elle est venue ? — Quand le temps de son pèlerinage sera accompli. — N'est-elle pas sortie de ces tribus d'IsraiM qu'on emmena en captivité au delà de l'Euplir.ite' demanda Quentin, (|ui n'avait pas oublié l'inslruction qu'il avait reçue au eouveiit d'Abcrbrolliiek. — S'il en était ainsi, nous aurions suivi leur foi et pratiqué leurs rites. — Comment t'appelles-tu? — Mon vrai nom n'est connu que de mes frères. Les hommes qui ne campent pas sous nos tenles me nomment llayraddin le Maugra- bin, c'est-à-dire llayraddin le Maure d'Afrique. — A la manière dont tu t'exprimes, on dirait que tu n'as pas tou- jours vécu au milieu de ta horde dégradée. — J'ai appris un peu des sciences de ce pays. Quand j'étais pelil, ma tribu fut poursuivie par les chasseurs de chair humaine. Ma mère eut la lèle Iraversée d'une flèche, et mourul. J'étais sur ses épaules, enveloppé dans une couverture, et les archers du piévôl s'emparèrent de moi. Ils me cédèrent à un prêtre, qui me donna l'éducation Iran- que pendant deux ou trois ans. — (jomment l'as-tii (|uitté .' — Je lui avais volé de l'argent , et même le Dieu qu'il adorait, ré- pondit llayraddin avec le plus grand sang-froid, il s'en aperçut, et me battit. Je le tuai d'un coup de couteau, et m'enfuis dans les bois, où je retrouvai mon peuple. — Misérable! tu as assassiné ton bienfaiteur! — Pour(|iioi m'accablail-il de ses bienfaits? L'enfant zingaro n'é- tait pas un chien domesli(iue, toujours prêt à lécher les pieds de son uiaitre, à ramper sous les coups, pour avoir les miettes de sa lable. C'était le louveteau attaché; à la première occasion, il a rompu sa chaîne , a déchiré son niaitre, et est retourné dans ses déserts. Il y eut encore un moment de silence; puis le jeune Ecossais, pour achever de sonder les intentions de ce guide suspect, reprit en ces ternies r — Est-il vrai que ton peuple, malgré son ignorance, prétende connaître l'avenir, ce qui n'est donné qu'aux sages, aux philosophes et aux prêtres d'une société plus policée? — Nous le prétendons, et c'est avec justice. — Comment un don d'une nature supérieure aurait-il été accordé à une race aussi abjecte? — Puis-jc vous le dire? répoiulil llayraddin. Pouvez-vous m'espli- (|iier vous-même pourquoi le chien suit riioiume à la piste, tandisc|ue l'homme, animal plus noble, n'est pas capable de suivre les pas du chien? (!cs facultés, qui vous seiiiblent si merveilleuses, sont instineli ves parmi nous. D'après les lignes du visage ou de la main, nous prédisons l'avenir de ceux qm nous consiillenl. Nous l'annonçons avec autant de cerlitiide que vous attendez le fruit en automne quand vous avez vu la fleur de l'arbre au printemps. — Je doute de votre savoir, et je vous défie de m'en donner la preuve. — Ne me défiez pas, sire éciiyer. Quelle (|iie soit la religion dont vous faites profession, je ])iiis vous dire que la Divinité que vous adorez clievauche auprès de nous. — Silence! s'écria Quentin étonné. Sur la vie! pas un mot de plus, si ce n'est pour répondre à mes iiuestions! Es-tu capable d'être fidèle? — Comme tout le monde. — Mais, seras-tu fidi'lc? — Me croirais -tu davantage si je l'en faisais le serment ' répondit Hayraddin d'un Ion ironique. — Ta vie est entre mes mains. — Frappe , et tu verras .si je crains la mort. — L'argent fcra-t-il de toi un guide sûr? — Non , si je ne le suis pas sans cela. — Comment donc te lier? — Par la bonté, n'pnndil le bohémien. — Dois-je te promettre d'en avoir pour toi, si lu nous conduis fidèlement au terme de ce voyage ? — Non, ce serait prodiguer en pure perle une précieuse denrée. Je te suis déjà dévoué. — (.'omment! s'écria Durward plus surpris (jue jamais. — l'appelle-toi les châlaigniers des bonis du Cher. La victime dont lu as détaché le corps était mon frère /.aiiiet le .Alaugrabin. — Et pourtant tu as des relations avec les gens qui l'ont lue. C'est 40 (^UEINTIN DURWARD. par lin d'tiis que j'ai su (|iie je te tiouvci'ais ici; et c'est sans doute le même i(iii t'a donne pour guide à ces dames. — Que pouvons-nous? répondit Hayraddin d'un air sombre. Ces liommes-l.i agissent avec nous comme les chiens de heiper avec les moutons; ils nous protègent un moment, nous mènent de côté et d'autre à leur guise, et tinissent toujours par nous conduire à la boucherie. Quentin eut plus tard l'occasion d'apprendre que le bohémien disait vrai; que la garde piévôtale, employée à faire disparaître les bandes dont le royaume était infesté, se mettait en rapport avec elles, les tolérait momentanément, et finissait toujours par envoyer ses alliés au gibet. Cette espèce de compromis politique entre le voleur et le gendarme, pour l'exercice avantageux de leurs professions res- pectives, est d'usage dans tous les pays, et n'est pas même inconnue dans le nôtre. DurwdrJ uul beau decUier q.e ta blcssuie Clai; I gtrc; il fui forcé de descendre de cheval , de s'asseoir sur un talus , et de se découvrir la tête. Durward n'était guère satisfait du caractère d'IIayraddin, el dou- tait de la sincérité des protestations de dévoiiemciit qui lui avaient été personnellement adressées. Eu le ipiittant, il crut indispensable de sonder ses deux autres compagnons, et il reconnut avec douleur qu'ils étaient aussi incapables de l'aider de leurs conseils (|iie de le soutenir à main armée. Ils l'avaient d'ailleurs prouvé dans la précé- dente rencontre. — Eh bien, tant mieux! se dit Quentin , dont l'esprit s'élevait en raison des difficultés : cette aimable jeune dame me devra tout. Je compte sur ma tète et sur mon bras. J'ai vu la maison de mou père incendiée, ma famille espiraiil dans les flammes... Loin de reculer, j'ai combattu juscpTau dernier moment. J'ai maintenant deu\ ans de plus, et je défenils la plus belle cause qui ait jamais e\cil(' l'aideur d'un brave. (.'es réflexions l'auiiiic'rent au point i|u',-i partir de cet instant, (Ui aurait dit (|ii'il avait les avantages de rubi(|uilé. Son poste favori était naturellemeul à côté des dames. Sensibles a ses atlcnlions, elles s'en- tretenaient avec lui sur le ton dune amitié i)res(|ue familière, et prenaient un vrai plaisir à ses observations fuies et naïves ;i la fois; mais le charme de ces entretiens ne faisait pas oublier à Quentin la vigilance el l'activité qui lui étaient imposées. S'il se rapprochait sou- vent des eonitesses pour l.iclier de faire lomprendre aux habilaiiles d'un pays plat la beauté d<'S monts (1 r.inipians , el surtout de (ileii- lloulakin, il n'était pas moins fréqiiiiuiiient à l'avant ou à l'arrière- garde. 'iantot il demandait a llayr.iddin des détails sur la roule et sur les étapes, pour savoir si le boliéiiiieii ne se couperait pas dans ses réponses; tantôt il essayait de se concilier les deux cavaliers par des paroles bienveillantes, des ]nTscnts et des promesses de récom- pense. Ce fut ainsi que nos voyageurs maicherenl pendanl plus d'une se- maine, en suivant des chemins de traverse pour éviter les rrandes villes. Il ne leur arriva rien de remarquable, quoiqu'ils rencontras- sent des bohémiens, des soldats errants, et des serpents de la maré- chaussée. Les bohémiens les respectèrent en les voyant sous la conduite d'un homme de leur tribu. Les soldats, qui avaient parfois beaucoup d'analogie avec des ban- dits, n'osèrent atta(|uer une petite troupe aussi bien armée. Les sergents à cheval, dont Louis Al, appliquant le fer et le feu aux blessures du pays, employait les compagnies à réprimer les dé or- dres des bandes d'aventuriers, laissèrent nos voyageurs tranquilles, grâce au mot de passe que le roi lui-même avait donné à Quentin Durward. Comme les comtesses de Croye passaient pour des pèlerines , elles s'arrêtaient presijue toujours dans les monastères obligés par les règles de leur fondation à recevoir ceux qui voyageaient dans une intention pieuse. On ne les interrogeait ni sur leur rang, ni sur leur condition , car les personnes distinguées gardaient ordinairement l'incognito quand elles accomplissaient des vœux. Les deux dames, alléguant la fatigue, se retiraient immédiatement dans leurs cham- bres. Quentin, en ([ualité de majordome, pourvoyait à leurs besoins avec une prévoyance (|ui ne leur laissait rien à désirer, et une acti- vité dont celles (|u'il servait si assidûment ne pouvaient s'empêcher de lui savoir gré. Le caractère et la nationalité du guide causaient à Quentin des embarras tout particuliers. Les habitants des saintes retraites oit ils se logeaient voyaient avec répugnance un païen nomade adonné aux sciences occultes, et ils hésitaient même à l'admettre dans la pre- mière enceinte, (j'était une grande dilTiculté : d'un côté, il était né- cessaire d'entretenir les bonnes dispositions d'un homme qui possédait le secret du voyage; de l'autre, il était indispensable d'exercer sur lui une surveillance secrète afin qu'il ne communiquât avec per- sonne. Cette surveillance devenait impossible s'il n'était pas logé dans l'intérieur des couvents, et on aurait dit qu'il voulait s'en faire exclure: car, au lieu de se tenir tranquille, il amusait les novices el les jeunes frères par ses saillies, ses ijambades el ses chansons. Plus d'une fois Quentin fut obligé de le menacer pour mettre un terme à des plaisanteries inopportunes, et d'employer tout son crédit auprès des supérieurs scandalisés qui voulaient mettre à la porte le misé- rable infidèle. En excusant tant d'inconvenance, le jeune Ecossais insinuait adroitement c[ue le voisinage des saintes reliques, le séjour des lieux consacrés, et la présence d'hommes voués au culte, ramène- raient infailliblement le coupable à des sentiments meilleurs. Mais le dixième ou douzième jour du voyage, tous les efforts de Quentin furent inutiles pour faire pardonner au guide le scandale qu'il causait. (!'étail aux environs de Wamiir, dans un couvent de Franciscains d'un ordre austère et réformé, el dont le ]uieur mou- rut plus tard en odeur de sainteté. Après avoir surmonté plus de scrupules que de coutume, l'Ecossais avait obtenu (|u'oii admit le bohémien dans une cabane habitée par un frère lai, (|ui remplissait les fonctions de jardinier. Les daines, suivant leur habitude, s'étaient retirées dans leur appartement. Le prieur, qui se trouvait avoir des parents éloignés en Ecosse, et qui aimait entendre les étrangers parler de leur pays natal , invita Quentin, dont la physionomie lui plaisait, à venir prendre un léger repas dans sa ])r(ipre cellule. Depuis deux jours, (_)ueiilin avait appris des nouvelles iii(|uiélanles. On lui représentait le pays de Liège comme livré à une telle agita- tion, (|u'il se demandait s'il pourrait achever en paix son voyage, et si révèi|iie serait eu jiosilion de protéger ses parentes, rrouvanl dans le prieur un homme d'intelligence, il ne iiéglig'ea pas l'occasion de s'enquérir du véritable état des choses. Les réponses du moine furent peu satisfaisantes. — Les Liégeois, dit-il , sont de riches bourgeois qui , à l'exemple de Jéliu , siuit devenus impies dans la prospérité. Fiers de leurs pri- vilèges el de leur opulence , ils ont cherché querelle il leur seigneur lige, le duc . Mais... Le prieur s'interrompit pour pousser un profond soupir. — Diijne et révérend père, «lit modestement (_»ueuliii, vous com- prenez qu'il est de l.i plus liante imporlaiice pour les dames que j'accoiiipagne d'avoir des rensciviicmeiils exacts sur l'i'tal du pays. Nous fere/. acte de charité chrélienne si vous consentez ii les leur donner. — C'est un sujet qu'on n'aborde pas volontiers, reprit le prieur; QUE-MIIN DLRWARD. 41 ceux qui mëdisenl des puissants, incinc dans lintimitc, i-tiaiii in cit- biculo, ont à cniindic (|ue louis paroles ne iireniient des ailes pour arriver jusqu'à eux. Néanmoins, comme vous me paraissez un jeune homme de bien, et que vos dames accomplissent un saint pèlerina|;e, je ne vous refuserai pas mes faibles services, et je vais ni'expliquer franchement. Il promena autour de lui des yeux inquiets, et baissa la voix, comme s'il eût craint d'être entendu. — Les I.iépeois, reprit-il, ont pour instiiçateurs secrets de leurs mutineries des hommes de Bélial; ils se disent, à tort, je l'espère, agents de Sa Majesté Louis XI , qui mérite trop le titre de Moi Très- Chrétien pour troubler ainsi la pai\ de nos contrées. Le fait est que ceux qui excitent les méconlenis de Liéije ne cessent de mettre son nom en avant. Il y a en outre prés d'ici un seii;ncur de race illustre, Hciyraddin le Maugrabin. renommé par ses exploits, mais qui est une pierre d'achoppement pour la Hourr;o|;ne et la Flandre, /op/s o//'ens/o»/.s et iie.lra scandait. 11 s'appelle (Guillaume de la Marck. — Autrement dit, Guillaume à la Barbe, ou le Sanglier des Ar- dennes. — Et c'est lin nom qu'il justifie bien, mon fils; il ressemble au sanglier de la forêt, dont les pieds écrasent, dont les défenses déchi- rent. Il s'est fait une b.iiide de plus de mille hommes tout prêts à braver comme lui l'autorité de l'Kglise et des lois, et s'est rendu in- dépendant du due de Bourgogne. Lui et les siens vivent de rapines, aux dépens du clergé et des laïques. Iniposu/'l maniis in rhrislos D(iini»i , il a étendu les mains sur les oints du Seigneur, sans respect pour ce qui est écrit : « INe louchez pas à mes oints, et ne maltraitez pas mes prophètes. » Il a même exigé de notre ])aiivre maison, pour rançon de notre vie, de fortes sommes d'or et d'argent. Nous lui avons répondu par une siipplicpie en latin, dans huiuelle, après avoir démontré (|u'il nous était impossible de pa\er, nous citions ces pa- roles de I Apôtre : .Ye iiinliaris amico twi inaluin, cum hahfl iii te. /iduciam. Mais ce (iulieliiiiis Hiirlialus, ce (jiiillaiiine de la iMarek, aussi étranger aux liiimanités cpi'à l'humanité, a répTujué dans son ridicule jargon : Si mm iiinjatis. Iirnlulm tuanasli-riuiii iH'alrain. — C'était du latin barbare, mon bon père; mais vous en avez fa- cilement compris le sens. — Hélas! mon fils, la peur et la nécessité sont il'liabiles inter- prètes. Nous avons été obligés de fondre les vases d'anjent de notre autel pour satisfaire la rapacité de ce chef de brigands, l'uisse le ciel le lui faire rendre au sextuple! Pereat improliKs! aiiieii, amen! ana- thema esta '. — Je m'étonne , dit (^)iientin, (|ue le duc de Bourgogne , c|ui est si fort et si puissant, ne mette p.is aux abois ce Sanglier, dont on m'a déjà si souvent dépeint les ravages. — Hélas! mon fils, reprit le prieur, le duc Charles est actuelle- ment à Péronne, où il rassemble le ban et l'arrière-ban pour faire la guerre à la l'rance. Ainsi, parce (|ue le ciel a mis la désunion entre deux grands princes, le pays est dévasté par des oppresseurs subal- ternes. (]'est à tort (|iie le duc négliije d'arrêter les progrès de cette gangrène intérieure; car (iuillaume de la Alarck entrelient des com- munications patentes avec liaiislaer et Pavillon, chefs des mécontents de Liège, et il est à craindre «[u'il les pousse prochainement à quelque entreprise désespérée. — (,)uoi! s'écria Ouentin , l'évèque de Liège n'a-t-il plus assez de pouvoir pour contenir cet esprit turbulent ' Il est important pour moi, mon bon père, d'être éclairé là-dessus. — L'évèipie , mon hls, tient l'épée de saint Pierre comme il en a les clefs. Prince séculier, protégé par la puissante maison de Bour- gogne, il est aussi, comme prélat, investi de rautorltc spirituelle; et pour se faire respecter il a des gens d'armes et des soiidoyers en assez j;rand nombre. C'est dans sa maison qu'a été élevé e<' (iiiillaume de la Marck, (|ui devrait lui être attaché par de nombreux bienfaits. Mais à la cour même de révc(|ue 11 a donné des preuves de son ca- ractère violent et sanguinaire ; il en a été chassé pour un homicide commis sur un d<'s principaux domestiques du bon prélat. Depuis ce temps, c'est l'ennemi irréconciliable de celui (|ui l'a chassé; et à pré- sent, je le dis à regret, il a ceint audacieiisement ses reins et poussé son cri de guerre pour marcher contre Louis de Bourbon. — Croyez-vous c|iie ce bon prélat soit en danger ' demanda (^)ucnlin avec une vive inquiétude. — Hélas ! mon fils, ipii n'est pas en danger dans ce monde de mi- sères ? Mais Dieu me garde de vous représenter le révérend prélat comme en péril imminent! 11 a des trésors, de fidèles conseillers, de braves défenseurs; nous avons en outre appris hier, par un courrier qui s'en allait à l'Est, qu'à la demande de l'évèque, Charles lui en- voyait un secours de cent hommes d'armes. Ce renfort, avec la suite attachée à cha(|iie lance, sullit pour tenir en échec Ciiillaume de la Marck, dont le nom soit maudit! Amen! L'cvéque de Liège. En ce moment la conversation fut interrompue par le sacristain, qui vint, d'une voix étouffée par la colère, accuser le bohémien d'avoir employé contre les jeunes frères les plus abominables manceuvres. llayraJldiii avait mêlé à leur boisson du soir un élixir enivrant, dix lois plus capiteux (|ue le vin le plus fort, et plusieurs moines en avaieiil subi l'inlluence. Le sacristain y avait résisté; mais sa langue épaisse et sa ligure empourprée attestaient <|iie le (léiioncialeiir lui- même n'avait pu se dérober complètement à l'action de ce breuvage néfaste. De plus, le bohémien avait chanté les vanités monouvaient espérer d'asile ni en iîour- gogne, d'où elles avaient fui, ni en Fr;ince, d'où elles avaient été pour ainsi dire expulsées. La violence du duc Charles était peut-être moins à craindre pour elles que la politiipie froide et lyrannicpie du roi Louis. Après une longue méditation, Durward prit le parti de se reiulre à Liège par la rive gauche de la iVieuse, et de mettre les daines sous la protection de l'évèque, conformément àses instructions. Ilélaitcer- taiii (|ue le prélat ;iurait la volonté de les juoteijcr, et probable qu'il en aurait le pouvoir s'il avait reçu le renfort liourijuignon. En ad- mettant (|u'il fût menacé par (iuillaume de la !\Iarck et les insurgés de Liège, il était encore en état d'envoyer ses parentes en Allemagne avec une bonne escorte après les avoir gardées quel(|iie temps. Il ne saurait y avoir de méditation coinplétcnunt exempte de sanl de sang- froid à la mort ou à la captivité, le roi Louis l'avait dégagé de ses serments. L'archer de la garde écossaise était Japes d'Orient, noiiimi'S par l'Eglise catholique Gaspar, Mclchior et lîal- thasar, s'étaient arrêtées à la (^roix-des-'l'rois-Hois pendant leur translation à Cologne; el de bonnes pèlerines ne pouvaient se dis- penser de visiter ce lieu consacré par de nombreux miracles. — Ces dames, lui répondit Quentin, se garderont bien de man- quer aucune des saintes station-i, elles se rendront certainement h celle de la Croix; mais on leur a dit que les hommes d'armes du fé- roce Guillaume rôdaient sur la rive droite de la Meuse. — \ Dieu ne plaise, s'écria le jière François, que le Sanglier des Ardcnnes établisse déjà sou bouge si près de nous!... Au reste, quand cela serait, le fleuve met une barrière entre nous et lui. — • Mais, si nous le traversons, reprit l'Ecossais, il ne mettra point de b;irrière entre mes dames et les pillards. — Le ciel protégera les siens, jeune homme! Les Rois de la bien- heureuse Cologne, qui n'y soiiiVrent aucun juif, aucun infidèle, pour- raient-ils mettre en oubli des pèlerins amenés à leur châsse pour de pieuses intentions ' Les laisseraient-ils piller par ce misérable Sanglier des Ardcnnes, ]ilus cruel à lui seul ([ue tous les Sarrasins du désert? Catholique fervent, Quentin était tenu de croire à la protection spéciale de Gaspar, Melchior et Halthasar; mais il fut frappé de l'idée qu'Isabelle et lui ne pouvaient gui're compter sur l'appui des Mages, liuisqu'en prenant le rôle de pèlerines les dames avaient obéi à des considérations mondaines. Il résolut donc d'éviter, autant que pos- sible, de les mettre dans le cas d'avoir besoin d'une intervention mi- raculeuse. Kn même temps, dans la simplicité de s;i foi, il fit vœu d'aller lui-même en pèlerinage à la châsse des trois liois. pourvu ([u'exeusanl la supercherie de celles qu'il protégeait, ces saints per- sonnages en assurassent le succès. Afin de contracter une obligation solennelle, il pria le père Fran- çois de lui indiquer une des chapelles placées sur les bas côtés de l'éiïlise conventuelle. Là il ratifia avec une dévotion sincère le vœu qu'il avait fait intérieurement. Le son lointain des hymnes, les ténè- bres de la nuit, la faible lueur d'une lam|ie cpii brûlait dans le sanc- tuaire, tout contribua à placer i ;uentin dans les conditions où l'esprit reconnaît le plus facilement sa faiblesse, et recherche cette assistance surnaturelle que dans tous les cultes obtiennent exi liisixemciit le re- pentir et les bonnes résolutions. (!e n'était pas la faute de Quentin si sou vicu s'adressait à des reli(|ues équivocpies; mais son but étant louable, ses prières furent sans (loiite agréables au vrai Dieu, qui tient compte des intentions plutôt que des rites, el aux yeux duquel la piété réelle d'un païen a plus de prix que l'hypocrisie d un pharisien. 44 ()UEINT1]\ DURWARD. Après s'êtie recommandé, ainsi que ses compap,ncs, aux sainls et ii la Providence, (^)uentin regagna sa chambre, laissant le moine édifié de sa ferveur. CHAPITRE XVIII. La Chiromancie. A la pointe du jour, Quentin Durward éveilla ses serviteurs, et s'occupa des préparatifs du départ avec une sollicitude toute particu- lière. Pour prévenir les petits accidents rjui causent souvent de grands retards, il inspecta lui-même les lirides, les mors et harnais. 11 fit donner à manger aux chevaux, afin de les mettre en état de sou- tenir les fatigues d'une longue marche, ou, au besoin, d'une fuite précipitée; puis, retournant i> sa cellule, il laça avec soin toutes les pièces de son armure, et ceignit son épée en homme qui prévoit le danger et qui a pris la résolution de le repousser énergi(|uement. Ces sentiments généreux donnèrent à ses manières une dignité que les dames de Croye n'avaient pas encore remarquée en lui. Ce qui les avait charmées chez le jeune Ecossais, c'était la grâce, la naïveté, la finesse unie à la simplicité qu il devait à son éducation solitaire; mais jamais elles ne lui avaient trouvé l'allure si fière et si hautaine. 11 leur donna à entendre ([u'il était essentiel uur sortir de son abalk'menl. Cédant;» des sentimeuls (|u'il ne pouvait étoulYer, il s'assit dans l'embrasure d'une des fenê- tres qui éclairaient la grande s;.lle gothique de Schoiiwaldt. Là, il rêva à sa mauvaise fortune qui ne lui avait pus accordé un rang assez élevé pour lui permettre de donner suite à ses téméraires aspi- rations. Il essaya de se distraire en écrivant des dépèches (|ui annonçaient l'arrivée des dames de Croye ;i Liège. Il fit nn paquet, qu'il chargea Chariot, un de ses compagnons, de jiorterà la cour de Louis XI; puis il retomba dans sa mélancolie. Il en fut enfin lire par la vue d'un livre déposé sur la tablette de la fenêtre, (tétait un vieux roman , récemment imprimé à Stras- bourg, et intitulé : Comment un s/w/j/c écuijer aima la fille dti rai de Ilemyrie. 11 avait commencé la lei ture d'nr.e histoire si analogue ii la sienne, quand on lui frappa sur l'épaule. En levant les yeux, il vit le bohé- mien debout près de lui. La présence d'iiayraddin ne lui avait jamais été agréable, elle lui était devenue odieuse depuis la trahison iju'il avait découverte ; aussi dit-il d'un ton sésère : — Pourquoi oscs-lu prendre la liberté de toucher un gentilhomme et ui>. chrétien ? — Uni(|uemeut, répliqua le bohémien, parce que je voulais savoir si le gentilhomme chrétien avait perdu la vue, l'ouïe et le sentiment. Je vous parle depuis cinq minutes, et vous restez en conteruplalion devant ce papier jaune, comme si c'était un charme pour vous chan- ger en statue, et qu'il eût déjà à moitié opéré. — Eh bien, que veux-tu? Larle , et va-t'en ! — Je viienlin se fit répéter deux fois cet avertissement avant d'en com- prendre le sens; puis, sortani de sa rêverie, il se mil en devoir de s'éloigner. Le vieillard le suivit en s'excusant d'être obliijé de faire observer la consigne. Il craignait tant d'avoir oITensé l'élrangcr, qu'il lui proposa de lui tenir compagnie pour contribuer à le distraire. Quentin, maudissant en son cti'ur cet excès d'obséquiosité, ne trouva moyen de s'y dérober ([n'en feignant d'avoir envie de visiter lii ville voisine, et il accéléra sa marche à tel point, (|ue le vieux ser- viteur, malgré sa iHunie volonté, ne put le suivre au ilelà du pont- levis. Quil(|ues minules ;ipr('S, (Juenlin entrait à Liège, qui était alors une des villes les plus riches de la l'"landre et du monde entier. La mélancolie , mêuie quand elle est inspirée par l'amour, dure peu chez les hommes impressionnables, l'.lle cède à l'elTel d'un chan- gement de lieu, d'un nouveau spectacle, des liées ipi'éveille l'aspect de l'agil.ition humaine. Dans les rues populeuses de Liège, (^)iienlin oublia bientôt l(! zingaro et la comlesse Isabelle. Les maisons élevées, les rues sombres et étroites mais imposantes; les riches marchan- dises, les ariuures éclatantes étalées dans les l)Oiilit|ues; la foule tu- multueuse et active, les lourds chariots (|ui transporlaient au dehors desj( ts de luve onde première nécessité |)Our la eonsommalion de la ville opulente , tout cela formait un tableau de magnificence et d'iinimatioii tel que IT!(Ossais n'en avait jamais eu sinis les yeux. Il admira également les canaux au moyen desquels tous les quailiers communii|uaient avec la Meuse; et il ne nninqiia pas d'entendre la messe dans la vénérable QUENTIN DUr.WARD. ■57 église de Saint-Lambert, dont on fait remonter la conslruction au huitième siècle. Ce lut en sortant du lieu saint ([u'il s'uiicrçut que, pendant qu'il était en coulemplalion devant les merveilles de la ville, il attirait lui-nu'nie l'attention ijénérale. Ues bourjjeois dont l'extérieur annon- çait l'aisance s'étaient arrêtés pour le reijarder sous le porclie de Saint-Lambert, et des cliuchoteiuents confus circulaient parmi eux. Les groupes grossirent avec rapidilé; les yeu\ ([iii se fixaient avide- ment sur Om iilin exprimaient un vif intérêt cl une curiosité tem- pérée par un scntinicnl de resjiect. Il finit par fiiriiicr seul le noyau d'un attroupement considérable, qui s'ouvrait toutefois devant lui pour ne pas interrompre sa marche, (jeux <|ui le suivaient, loin de chercher à le devancer, évitaient avec soin de le pêncr dans ses mouvements. INéanmoins, sa position était trop embarrassante pour être supportable ; il fallait qu'il s'en tirât et qu'il demandât des explications. En jetant les yeux autour de lui, il les arrêta sur un individu à la mine joviale, ii la carrure solide, (|u'ii son manteau de velours et à sa chainc d'or il prit pour un bourgeois de distinction, peut-être même pour un magistrat. — Messire, lui demanda-t-il , ma personne a-t-elle quelque chose de particulier, pour captiver ainsi l'allention publicjue:' ou bien les Liégeois sont-ils dans l'usage de s'ameuter autour des étrangers qui visitent leur ville ' — I^on, certes, mon bon seigneur, les Liégeois ne sont pas assez badauds pour avoir une telle habitude; et tout ie soiit-ee pas les archers écossais de la garde du roi Louis (|ui portent seuls au bonnet la fleur de lis et la croix de saint André? — Et en supposant ([ue je sois de la garde écossaise, est-il éton- nant que j'en porte les insignes? — Il l'a avoué, il l'a avoué! s'écrièrent lîouslaer et Pavillon en se tournaiil vers les bourgeois attroupés; il est convenu qu'il faisait partie de la garde de Louis défenseur des libertés de Liège. En disant ces mots ils gesli(-ulaient av( c force, et leuis grosses ligures rondes s'étaient épanouies. L'n cri général s'éleva dans la multitude; on y distinguait ces mois: — \ivc Louis de France! \ ive la garde é'cossaise! vive le vaillant archer! Nos libertés, nos privilèges, ou la mort! A bas les taille;,! V'ive le brave Sanglier des Ardeniies! .\ bas Charles de Bour- gogne! (Confusion h Hourbon et à son évèché! Ces clameurs diverses recommençaient d'un côté quand elles ces- saient de l'autre. Elles moulaient et descendaient comme les vagues de la mer, et mille voix les répétaient en chœur dans les rues et sur les places voisines. Assourdi par le tumulte, (Jiientin eut toutefois le temps de s'en rendre compte el d'arrêter un plan de conduite. Il avait oublié (|u'apiès sa rencontre avec Dunois, lord Crawford lui avait fait donner, .à la place de son moricni brisé, un des bonnets doublés d'acier qui faisaient partie de l'uniforme bien connu de la garde écossaise. En voyant paraître un archer de ce corps dans les rues d'une ville oii les agents de Louis fomentaient la iliseorde, les bourgeois avaieul naturellement supposé que le roi se décidait à sou- tenir ouverlement leur cause. La présence d'un de ces archers, qui se tenaient toujours si près de la jiersonne royale, avait été consi- dérée comme le gage d une intervention immédiate. On allait même jusqu'à dire ipie les troupes auxiliaires envoyées par la E"ranee en- traient en ce moment par une des portes de Liège, mais sans pouvoir préciser laquelle. (Jucnlin pensa (ju'il serait inutile de chcrelier à dé- truire une conviction si universelle, et qu'il s'exposerait même en voulant déirompcrdes hommes si obstinés dans leur erreur. 11 résolut donc de t<'mporiser, et d'attendre patiemment le moment de sa déli- vrance. Pendinl (ju'il prenait celte décision, les noialiles de Liège s'assem- blaient à la hâte à l'hôlel de ville pour recevoir communication des nouvelles (|u'il élait censé avoir apportées, et pour lui ofl'rir un ban- quet splendide. Malgré sa résistance, qu'on nîtriliuait à la modestie, notre héros était environné par les distributeurs de la popularité, dont le flot l'enveloppait de tous côtés. Ses deux amis, <|ui étaient schoppen , ou syndics de la commune, le tenaient chacun par un bras. Devant lui, ISikKcl 151ok, chef de la corporation des bouchers, sorti précipilam- luent de son alialtoir, portait sa hache encore ensanglantée; il la brandissait avec une ardeur et une grâce (|ue l'eau-de-vie seule pou- vait inspirer. Derrière venait l'illuslre patriote Claus Hammerlein, grand, maigre, osseux, el dans un état d'ivresse très-prononcé; pré- sident de la corporation des forgerons, il était escorté d'un millier au moins de ses noirs colli'gues. LJes tisserands, des cloutiers, des eordiers, des artisans de tous les corps de métiers quittaient en foule leurs sombres demeures pour se joindre à la procession. Comment songer à leur échapper? Dans sa perp'exilé, Quentin s adressa ii lîouslaer et à Pavillon, qui présidaient à l'ovation iiupiévue qu'on lui décernait. Il leur expliqua sommairement qu'ayant eu le malheur de briser son heaume, il l'a- v.iit remplacé sans réflexion par le bonnet de la garde écossaise, et qu'il regretlait de s'èlre ainsi fait connaître par inadverlance. — L esprit pénélrant des Liégeois, ajo;ita-l-il , a deviné le but de ma visite, et j'en suis fâché. A oilà ma mission rendue publii|ue; et si l'on me conduit à l'hôtel de ville, je vais iiciit-êlre me trouver forcé de révéler aux notables assemblés certains détails que le roi m'a re- commandé de garder exclusivement pour ses excellents compères meinhecrs Rouslaer et Pavillon de Liège. Celle insinuation produisit un elTel magique sur les deux chefs de 1 insurrection, qui, comme tous les démagogues du même genre, voulaient s'assurer, autant que possible, la direction suprême des affaires. Ils convinrent donc sur-le-champ que Quentin quitterait momenlanément la ville, y reviendrait pendant la nuit, el aurait avec eux une conférence secrète dans la maison de Piouslaer, près de la ]iorîe (|ui faisait face \i Sehonwaldt. Quentin n'hésita pas à leur dire qu'il était descendu au palais épiscopal, sous prétexte d'ajiporter des dépèches de la cour de France; mais que sa véritable mission, comme ils l'avaient deviné, élait de s'enlendre avec les citoyens de Liège. Ces détours, le choix r[ii'on avait fait d'un genlilliomme de la garde pour ambassadeur, ces voies de communicalion lorlueiises et elan- desliness'accordaient trop bien avec le caraclère de Louis pour exci- ter la surprise ou inspirer des doutes. Au moment où ces explicalions venaient d'avoir lien, le rassem- blement arrivait devant la maison de Pavillon; elle était située dans une des principales riuH, mais elle avait pour annexes un jardin, une tannerie considérable, cl des ateliers pour préparer les cuirs : car le bourgeois patriote élait tanneur et corroyeur. Toutes ces iir de Kraiiie avec un messagi' (|iii annonce sans «loiite «[u'ellcs ont l'intiuition de chi'i'cher uii^asilc plus sûr. CIIAPITUK XX. Le Hillet. <^>uaii«l on eut desservi, le chapelain, (|ui semblait se complaire dans la société «le Quentin Durward, ou (|ui désirait peut-être obli'iiir «l«' plus amples renseigiiemciils sur les incidents de la matinée, le mena rcs, rue de Vuugirard, 3tj. QUENTIN DURWARD. 49 dans un cabinet dont les fenêtres donnaient sur le jardin. S'apcrce- vant que le jeune homme tournait sans cesse les yeux de ce côté, il lui proposa de descendre, et d'examiner les plantes exotiques dont Louis de Bourlton avait enricbi les parterres. Quentin le remercia en disant qu'il craignait d'être indiscret, et raconta ccimment il avait été éconduit le matin. — En effet, répondit le chapelain en souriant, le jardin de l'évêqiie était autrefois interdit au public; mais alors notre révérend père n'avait pas plus de trente ans, et de belles dames venaient chercher au château des consolations spirituelles. Ici le chapelain baissa les yeux, et il ajouta d'un air un peu narquois : — Nécessairement ces dames, qui habitaient dans le corps de loi;is actuellement occupé par la chanoinesse de Trêves, devaient avoir un lieu réservé pour prendre l'air et s'y livrer à de pieuses méditations sans être importunées par les profanes. Depuis (luehiucs années, la défense d'entrer au jardin n'a plus force de loi; elle n'existe qu'à l'état de su- perstition dans le cerveau fêlé d'un vieil huissier. Si vous le voulez bien, nous allons descendre et vérifier le fait par nous-mêmes. Aucune proposition ne pouvait être plus agréable il Quentin. Jusiju'à ce jour, d'heureux hasards avaient constamment favorisé sa pas- sion; et il espérait ou com- muniijuer avec l'objet de sa tendresse, ou du moins l'en- trevoir à <|uelque fenêtre, comme à l'auberge de la Fleur-de-l.is et à la tour du Dauphin, au château du l'Iessis. l'arlout oii elle rési- dait, Isabelle semblait des- tinée à être la dame de la tourelle. En se promenant dans les allées, le chapi'laiu avait l'air d'un philosophe matérialiste, cntièremeut occupé des cho- ses de la terre; Durward, au contraire, sans observer les astres comme un astro- logue, promenait ses yeux sur li'S fenêtres, les balcons, les tourelles en eucorbelle- nient, afin de découvrir oii pouvait être son étoile po- laire. Occupé de cette re- cherc lie , il eutendil à peine la description des plantes et herbes que son cireroiie lui ilésignait. I.'unc l'Iait d'un grand usage eu uu'deeine, l'autre entrait comme con- ilinient dans les ragoûts; une troisième n'avaittrautre mé- Lo duc mit un genou en terre pour petit palefroi. rite que son excessive rareté. ( !es détails étaient sans intérêt pour le jeune amant; et, oblig,é de leur prêter un semhiaiit d'attention, il trouvait sa tâche si dilfieile, qu'il aurait volontiers envoyé au diable l'ojiséquieux naturaliste et tout le règne végétal. Il fut enfin délivré grâce au liiitcinent d'une cloche qui appelait le chapelain ii l'église. Avant de quitter son nouvel ami, le révérend se confondit eu excuses. — C'est k regret que je vous laisse, dit-il en terminant ; vous pou- vez, vous promener dans le jardin jus(|u'au souper, sans crainte d'être dér.ing.é. Les étrangers y viennent tri's-raremeiit; aussi je choisis toujours ce lieu ]iiuir y étiulier mes homélies, .l'eu ai terminé une que je vais prononcer :i la chapelle; s'il vous plaisait de l'entendre? On m'accorde quelipie talent; mais gloire soit rendue à qui de droit! Quentin refus.i poliment, en prétextant un mal de tête, dont le grand air serait le plus sfir remède, et le jnêtre otïicieux finit par déguerpir. On se fiijiire aisément que dans le cours de son inspection notre héros n'avait pas oublié les baies, croisées et ouvertures qui avoisi- naieut la polerne par laquelle >Lirton avait inlrodnil llavraddiu; mais aucun indice ne prouvait que cette petite porte conduisit réelle- ment ii rapparlciuent des comtesses. Le jour déclinait, la présence prolongée d'un étranger dans le jar- ■2i:i. din épiscopal ne pouvait-elle paraître singulière? Voilà ce que se demanda notre héros, et il songea à la retraite. Préalablement, il lit un dernier tour sous les fenêtres qui avaient tant d'attrait pour lui. A l'une d'elles, il avait eiilenilu tousser légè- rement comme pour attirer son attention en évitant celle des autres. Quelles furent sa surprise et sa joie! un volet venait de s'ouvrir, une main de femme avait laissé tomber un billet! Quentin le ramassa sur une toiilTe de romarin qui croissait au pied du mur. Les précautions (|i.'on avait prises pour le lui trans- mettre lui prescrivaient une prudence e< une discrétion proportion- nées. De nombreuses fenêtres donnaient sur le jardin; mais une grotte de rocher, que le chapelain lui avait fait remarquer avec complai- sance, offrait une retraite à l'abri des regards curieux. S'emparer du papier, le mettre dans son sein, se cacher au fond de la grotte, ce fut pour Durward l'affaire d'une minute. Il déplia le précieux billet en bénissant la mémoire des moines d'Aberbrotliick, qui l'avaient mis à même d'en déchiffrer le contenu. La première ligne était ainsi conçue : « Lisez en secret. » Voici quel était le texte du billet ; o Ce que vos yeux m'ont exprimé avec trop d'audace, les miens l'ont peut-être compris trop vite. Mais une persécution injuste enhardit ses victimes, et il vaut mieux m'abandonne r au bon vou- loir d'un seul ami ([u'aux poursuites de mes nombreux ennemis. La fortune a son trône sur un rocher; mais les braves ne craignent pas de le gravir. Si vous voulez risi|iier (|uel(|ue chose pmir une personne qui hasarde tant pour vous, passez dans ce jardin uel(|U(s hdcics serviteurs se rassemblèrent autour de l'évêqne, dans le donjon oii il s'était réfugié; d'antres, n'espérant aucun quar- tier, et animés par le coura|;c du desespoir, conservèrent (|uelqucs points isolés de ces vastes bâtiments ; mais les Liégeois restèrent maîtres des cuurs et de tout le rez-de-chaussée, oii ils s'occupèrent, ainsi que leurs alliés, de poursuivre les vaincus et de chercher du butin. Au milieu des fuyards, des morts et des mourants, un seul homme essayait de se rapprocher de ce théâtre de désordre et d'iiorrenr. Quiconque eût vu (,/ueiitin Durxvard dans cette nuit fatale, l'aurait pris pour un fou fiiricu?. ; mais pour qui connaissait les motifs de sa conduite, il n'était pas au-dessous d'un héros de roman. Les n'alités (|ui frap|)aieut sa vue et ses sens n'étaient rien pour lui; son iinagi- nation était tourmentée d'appréhensions plus horribles encore. ]"u arrivant au bord du fossé, il rencontra des fugitifs (pii l'évi- tèrent comme un ennemi, parce (ju'il venait dans une dircelion op- posée à celle (|u'ils avaient prise. 11 entrevit des hommes (|ui tombaient à l'eau du haut de la luur.iille, ]U'ccipilés sans doute ]iar les vain- queurs. Sa résolution ne fut pas ébranlée un seul instant. 11 n'avait pas le temps de chercher la nacelle; d'ailleurs il était impossible de s'en servir et de pénétrer par la poterne du jardin : une foule com- pacte l'encombrait ; et par intervalles les |iremiers rangs, poussés par les derniers, tombaient dans le fossé, qu'ils n'avaient pas le moyen do traverser, (Juentin évita ce point, et se jeta ii la nage en face de la petite porte du château, dont le pont - Icvis n'avait pas élé abaissé. Il (■■chappa, non sans |ieinc, à l'étreinte de (|ucl(|ues malheureux (jui ae noyaient, saisit une des chaincs (pii pendaient jusipi'à la surface de l'eau, et, après de i;rands efforts, gagna la plate forme à huiuelle te- nait le pont-levis. Il travaillait des mains cl des genoux à atteindre le plancher, quand un lansquenet leva sur lui son épée ensanglantée. ■ — (^(u'est-ce à dire? s'écria (Quentin d'un ton d'autorité. Eat-ce ainsi que vous assistez un camarade ! Donnez-moi la main. Le soudard hésita; cependant il allongea le bras, et aida Quentin à monter sur la plate -forme. Sans lui laisser le temps de l.i rcllevion, l'Écossais ajouta du même ton impérieux : — ^ A la tour de l'Ouest, si vous voulez vous enrichir ! Le trésor du prêtre est dans la tour île l'Ouest. — A la tour de l'Ouest! répétèrent plusieurs voix. Le trésor est dans la tour de l'Ouest ! El les traînards, (pii étaient à même d'entendre ce cri, coniuie une liande de loups furieux, iirircnt la direction opposée à celle que Dur- ward voulait suivre. Se présentant comme un des xainqueurs, il se dirigea vers le jai^- (lin; sa marche rencontra peu d'obstacles. Un grand nombre d'assalU lauls se dirigeaient vers la tour de l'Ouest; d'autres, r.illiés par la cri de guerre et le son des trompettes, se rangeaient en balaille pour repousser une vi!;oureusc sortie des défenseurs du donjon, qui ten- taient de sortir du château en emmenant l'évêcpie avec eux. (^)uenlin, le e(Viir ]ialpitant , poursuivit sa roule d'un pas rapide en se recom- mandant aux puissances célestes, dont lu protection ne lui avait jamais maïupic. 11 avait la ferme détermination de réussir ou de rester sur la ]ilaee. Au moment ou il entrait dans le jardin, trois hoiuuies, la lance en arrêt, l'abordèrent en criant : — Liège! Liéi;e ! — France! France! ami de Liège ! répondit-il en se mettant sur la défensive mais sans frapper. — \ ive la l'rance! s'écrièrent les bourgeois, et ils passèrent outre. La même réponse lui servit de talisman pour détourner les coups de ([iiatre ou ciii(| i;cns d'armes de Cuillaume, qui l'abordèrent en criant : — Sanglier ! liref, il se llatta de n'être pas in(|uiélé, grâce à son r(')le d'émissaire (lu roi Louis, (pii soutenait secreicment (juillaume de la ^Llrck et fo- mentait les troubles de Liège. Il frémit en voyant plusieurs cadavres devant la petite porte par laipu'lle Marton et la comtesse llameline venaient de sortir. Il en enleva deux et en enjambait un tridsième, (pi.md le ))rèlen(lu mort le tira par s(Ui m mtcau en le conjurant de l'.iiiler a se relever, (•uentin était sur le point de le repousser brutalement, lorsipie l'homme i» terre s'écria : — J'étouffe dans mon armure! .le suis l'avillon, syndic de Liège. Si vous êtes pour niuis, je voua enrichirai; si vous ête» contre nous, je vous protégerai ; mais no me laissez pas mourir comme un )H)urc('aii. Au uiilieu de celte scène de désordre et de snng, la présence d'es- prit de Durvvard lui sug)',éra l'idée (pie ee foneticuinnire (louvait as- surer sa relr.iite. Il 1« roluvH, et lui demanda s'il était blessé. i. 52 QUENTIN DURWARD. — Je ne crois pas^ répondit le bourgeois; mais je suis hors d'ha- leine. — Asseyez-vous sur cette pierre, et remettez-vous; je vous rejoins tout à l'heure. — l'ourqui êtes-vous? demanda le syndic en retenant Quentin. — Pour hi France, pour la France! Mais laissez-moi. ~- Eh ! c'est mon jeune archer! Ma foi, puisque ma bonne étoile me fait trouver un ami dans cette nuit terrible, je ne le quitterai pas, je vous le promets. Allez oii vous voudrez, je vous suis; et si je parviens à rassembler quelques membres de notre corporation, je pourrai vous aider à mon tour; mais ils sont tous dispersés com'me des fous... Oh ! quelle épouvantable nuit ! En parlant ainsi, il se traînait à la suite de Quentin. Celui-ci com- prit combien il était important de s'assurer l'appui d'un aussi notable personnage, et il consentit à ralentir ses pas, tout en maudissant in- térieurement celui qui le retardait. Dans l'antichambre , à laquelle aboutissait l'escalier, se trouvaient des malles et des coffres qui avaient été forcés, et une partie de leur contenu était éparpillée sur le parquet. Une lampe mourante sur la cheminée jetait une faible lueur sur un homme mort ou inanimé qui gisait en travers du foyer. Comme un lévrier qui rompt sa laisse, Uurward se débarrassa de Pavillon, au risque de le renverser, et parcourut successivement deux pièces, dont la dernière semblait Être la chambre ;» eouclier des dames de Croye. On n'y voyait pas un être vivant. Il murmura d'abord le nom d'Isabelle ; il l'appela ensui e plus haut, puis avec l'énenjie du désespoir; mais personne ne répondit. Il trépigna, se tordit les mains, s'arracha les cheveux. Entin, une vai;ue clarté, qui brillait par une fente de la boiserie, lui lit .soup- çonner l'existence d'une cachette derrière la tapisserie. Il découvrit en effet une porte secrète, mais il essaya inutilement de l'ouvrir. Sans crainte de se blesser, il se lança de toute sa force contre la porte; et telle fut l'impétuosité de cette tentative inspirée par une dernière espérance, que des ijonds beaucoup plus solides n'y auraient point résisté. Il pénétra ainsi dans un oratoire, où une femme était agenouillée devant un crucifix. En proie à de nouvelles angoisses, elle tomba sans connaissance. 11 la releva préci])itamnieut. Ol'i! bon- heur! c'était celle (|u'il clierchait à sauver, la comtesse Isabelle! Il la pressa contre son cuuir, et lui prodigua de ferventes consolations en lui disant qu'elle avait désormais pour protecteur un homme prêt à la défendre contre des aimées. — Est-ce vous, Diirward? dit-elle quand elle ouvrit les yeux. Il me reste donc quelque espoir! Je croyais n'avoir plus d'amis sur la terre. Ne m'abandonnez pas. — Jamais, jamais ! Quoi qu'il arrive, que je perde le fruit de la Rédemption, dont voici le symbole, si je ne partage pas votre sort jusqu'à ce que vous soyez en sûreté ! Paroles touchantes et pathétiques, dit Pavillon, qui arrivait tout essoiilllé. C'est une affaire d'amour, à ce que je vois. Je plains de toute mon âme cette douce créature, autant que si c'était ma Trudelien. Il ne faut pas seulement la plaindre! repartit Quentin, il faut la secourir, monsieur Pavillon. Cette dame m'a été confiée par votre allié le roi de France, et si vous ne me loiunissez pas les moyens de la mettre à l'abri de toute violence, Liège ne doit ])lus compter sur Louis de \ alois. Il faut surtout l'empèclier de tomber entre les mains du sanijlier des Ardennes. — Ce n'est pas facile, dit Pavillon; ces coijuins de lans(|uenets sont des enragés pour dépister les fillettes; mais je ferai de mon mieux. Passons dans l'autre pièce, et tenons cousimI... L'escalier est étroit, et vous pouvez garder la porte avec une pique, pendant que, me met- tant a la fenêtre, j'a|)pelieiai mes bous amis de la corporation des tan- neurs de Liège. Ils sont aussi solides (|ue les couteaux qu'ils portent à la ceinture, l'iéalablemeiil , délacbez ces agrafes; je n'ai pas porté mon corselet depuis la bataille de Sainl-Tion , et je pèse au moins trente livres de plus qu'a cette époque, si les balances de Flandre sont exactes. Lorsque l'bonnête bourgeois se trouva délivré de son enveloppe de fer, il éprouva un véritable bien-être, l'.n la révélant, il avait plutôt consulté son zèle patriotiipie (|ue son a|itltii(le a porter les armes. On apprit plus lard que, poussé ilivoldiitairement en avant par les lioiii- nies de sa compagnie, le magistrat niiinieipal avait été hissé sur les murs de la place assiégée. Le lliiv et le retliix des comballanls ra- valent emporté au hasard, sans qu'il fût en élat de s'y soustraire Liilin, comme un tronc d'arbre jeté par la mer dans une anse, il était venu tomber il l'entrée de l'appartemenl des dames de Croye. Là, le poids de son annrire, et celui de deri\ hommes triés près de lui, l'au- raient pu retenir assez bingtemps, sans l'assistance de Oiienlin.' L'ardeur i|rii faisait d'Ilenirann Pavillon on énergrimène en politi- que rehaussait dans la vie privée les <|ualilés de son cœur. C'était rin homme un peu enclin à la vanité, mais bienve, liant et toujours prêt a rendre service. Il recommanda à Quentin de |.reiidre un soin lorrl parlirulrer de la pauvre ,/u»y \vaM , et après cette exhortation super- llue il .se mit a crier de la fenêtre : — Liège ! Liège ! ii moi, les compagnons tanneurs ! Il accompagna ces mots d'un sifflement particulier , car chaque corps de mélier avait son signal; (|uelques-uns des hommes placés sous ses ordres répondirent successivement à son appel, et montèrent la garde sous la fenêtre du haut de laquelle s'égosillait leur chef. Sclionwaldt reprenait une apparence de tranquillité. Toute résis- tance avait cessé ; les différents chefs de bande prenaient des mesures pour réprimer les pillards. La grande cloche tintait pour convoquer un conseil militaire; sa langue de fer annonçait à Liège la prise de la citadelle par les insurgés; et truites les cloches de la ville, mises en branle pour répondre à celle du château , semblaient crier en cluerrr dans le lointain : — Salut au\ vaini[uciirs ! Il eût été naturel que meinlierr Pavillon sortit en ce moment de sa forteresse ; mais , soit par attention pour ceux qu'il protégeait, soit par un reste d'appréhension personnelle, il se contenta d'envoyer message sur message à son lieutenant, Peterkin Geislaer, pour le prier de venir le trouver tout de suite. Peterkin vint enfin. Dieu merci ! car c'était rhonime dans lequel Pavillon mettait sa confiance absolue, qu'il fr'rt question de guerre, de politiqrre, ou de commerce. Le lieutenant était solidement bâti, mais ramassé. 11 avait la ligure carrée, la physionomie expressive, et de grands sourcils noirs qui annonçaient lieaiicoup d'opiniâtreté dans la discussion. 11 portait un pourpoint de peau de buffle, une hallebarde, et un coutelas suspendu à un large ceinturon. — Mon cher Peterkin, dit le capitaine, voici une glorieuse journée, ou plutôt une glorieuse nuit. J'espère (|ue vous êtes content. — Je suis content que vous le soyez, répondit le lieutenant; pour- tant, si c'est une victoire , je n'aurais jamais eu l'idée de la célébrer comme vous dans ce grenier, quand vous êtes mandé au conseil. — A-t-on vraiment besoin de moi ' dit le syndic. — Sans doute, pour soutenir les droits de Liège, qui sont plus com- promis (]iie jamais. — liah! bah! Peterkin; tu es toujours de mauvaise humeur. — Moi! je suis toujours, au contraire, de l'avis des autres. Seule- ment je ne veux pas avoir pour monar([iie une grue à la place d'un soliveau, comme dans le fabliau que le clerc de Saint-Lambert a tra- duit du livre d'Esope. — Je ne devine pas ce (|iie tu veux dire, mon cher lieutenant. — Apprenez donc, maître Pavillon, ipie le Sanglier a l'air de x'Oii- loir établir sa bauge à Schonwaldt, et iiiie ce sera un voisin plus in- supportable encore que le vieux prélat. 11 accapare tous les fruits de la victoire, et se demande audacieiisement s'il doit se faire appeler prince ou évèque. (^'est une honte de voir la manière dont ses satel- lites traitent le pauvre vieillard. — Je ne le souffrirai pas! s'écria Pavillon en se rengorgeant. J'avais de l'antipathie pour la mitre, mais non pour la tète qu'elle couvrait. Nous sommes dix contre un, Peterkin, et nous ne devons pas tolérer une pareille conduite. — Oui, nous sommes dix contre un en campagne, mais homme contre homme dans ce château. D'ailleurs Nickel lilock le bouclier cl toute la populace des faubourgs ont pris parti pour le Sanglier des Ardennes, tant parce qu'il leur a distribué de la bière et du vin en abondance que parce qu'ils sont jaloux des privilèges de nos corpo- rations. — Peterkin, il faut retourner immédiatement à Liège; je ne veux pas rester à Schonwaldt. — Mais les ponts sont levés, repartit le lieutenant; les jiortes sont fermées et gardées par des lansquenets. Si nous voulions forcer le passage, ces gaillards, qui sont tous les jours en guerre, nous taille- raient un peu trop de croupières, à nous qui ne prenons les armes (|ue les jours de fête. — Mais pourquoi a-t-on fermé les portes? dit le bourgeois in(|iiiet, est-il juste de retenir d'honnêtes gens prisonniers? — .le ne puis vous donner d'explications, dit (leislaer; le bruit court que les dames de Croye se sont échappées pendant l'assaut. Otie nouvelle a mis l'homme à longue barbe hors de lui, et des libations prolongées ont augmenté sa colère. Le syndic jeta un regard désolé sur Quentin, et parut irrésolu. Diirward n'avait pas perdu rrn mot d'une conversation (|iii était de nature à l'inquiéter. 11 sentit (|riri(|uel, il essayait de dissi- muler la difformité qui le lui avait viilu : c'était le développement inusité de sa mâchoire supérieure. Sa lèvre épaisse laissait voir icUcl lilock, iloiit les iiiaiielies re- troussées laissaiciil voir des bras teints de sang, coiniue le couperet ipi'il avait déposé devant lui sur la table. .\ riniil.ilioii de leur chef, la plupart des homincs d armes portaient loule leur barbe, el leurs cheveux étaient hérissés de iiianiiTe ii rendre plus farouche leur mine nilurelleiiuiit sauvage. Enivrés par leur Irioiniihe et jiar des liba- tions piidoiigees, ils préseiilaieiil un ignoble s]ii'claele; ils ehaiilaieiil lies ehansons licencieuses et blaspliémaloires, sans daigner prendie la piiiie de s'écouter les uns les autres, el leurs propos étaient si révol- tants que Durwaid remercia Dieu de ce (|ue l'excès du tumulte les eiupêehail de parvenir à l'oreille de sa compagne. fi4 QUENTIN DURWARD. Les boui-jjcois notables qui prenaient part à ce lianquet avaient l'ùr inquiet et la ligure décomposée; il était évident qu'ils se trouvaient là mal(;ré eu\, et qu'ils craiijnaieul leurs conipaijnons. Les artisans d'une condition inférieure ou d'une nature plus brutale admiraient comme des exploits les excès de la soldatesque. Ils essayaient de les imiter; et cédant à un pencliant trop commun dans les Pays-lias, ils absorbaient d'immenses (piantilés de vin et de bière brune. Le désordre avait présidé aux jtréparatifs du festin comme à la composition de la société. La vaisselle plate de l'évèque, les vases sacrés même, car le Sanijlier bravait l'accusation de sacriléije, étaient confondus avec les dames-jeannes, les outres de cuir et les cornes à boire de l'espèce la plus vulgaire. Il nous reste à mentionner un liorrilïïc incident, puis nous laisse- rons à l'imaijination de nos lecleurs le soin de compléter le tableau. Les liomnies d'armes de (Guillaume aflTcctaienl de se soustraire aux lois de la discipline. Un lansipienet, qui s'était sijjnalé pendant l'as- saut, ne put trouver place à table; il eut l'audace d'enlever un grand gobelet d'ari;ent, en déclarant qu'il le garderait pour s'indemniser de n'être pas de la fêle. Guillaume rit a\i\ éclats de ce trait d'impu- dence; mais voyant un autre soldat de moindre valeur se permettre la même liberté, il lit cesser une plaisanterie qui aurait bicnl.il dé- pouillé la table de tousses orncmenis précieux! — Tonnerre! s'écria-t-il, ceux qui ne sont pas des liommes en face de l'ennemi n'ont pas le droit de voler leurs eauuirades. (^iuoi! inso- lent, pendant que ( !onrad llorst escaladait la muraille, lu as attendu pour entrer que la porte fût ouverte et le pont baissé , el tu oses faire comme lui !... Qu'on l'accroche aux barreaux de la fenêtre! il battra la mesure avec ses pieds pétulant (]ue nous boirons un coup à son heuifuse arrivée cliez le diable. L'arrêt, à peine prononcé, reçut son exécution, et quel(|ucs minutes après le mallieureux, pendu aux traverses de fer, se tordait dans les dernières convulsions. Au moment où Quentin et ses compagnons entraient dans la salle, le corps (lu suppluié, interceptant les pâles rayons de la lune, pro- jelait sur le p.inpict une ombre indécise, aux formes de lai|uelle il était impossible de se m*|)rendre. Le nom de Pavillon passa de bouebe en bouche, elle puissant syndic essaya de se donner l'air d'im|)or- taucc i|ui convenait à son rang; mais l'aspect effrayant du supplicié, celui de l'orgie lui inspiraient une émotion involontaire. Il ne pou- vait la mailriser, malgré les exhortations de l'elcrkin , ipii lui disait tout bas, non sans trouble : — Du courage, mon maître, ou nous sommes perdus! Toutefois, le syndic eut la force de prononcer une allocution dans laquelle il célébrait la grande victoire remportée par les soldats de Guillaume et les bons citoyens de Liège. — Oui, rcparlit de la iMarck d'un ton railleur, le roquet dit au limier : « Nous avons forcé la bête. » Mais, ho ! ho ! sire bourgmestre, vous arrive?, comme le dieu Mars, ayant \ énus à vos côtés. Quelle est cette dame? Qu'elle se dévoile! Aucune femme n'est ce soir mai- Iresse de sa beauté. — C'est ma fille, noble chef, répondit Pavillon, et je vous prie de lui permettre de garder son voile ; elle en a fait le vœu aux Trois-Uois de Cologne. — Je l'en relèverai tout il l'heure! D'un coup de couperet je vais me consacrer évèquc de Liège, cl je crois qu'un évèque vivant vaut bien trois rois morts. Un murmure d'indignation circula dans l'assemblée. Les Trois- Hois mages étaient vénérés par les Liégeois, et même par quelques hommes d'armes, (pli n'avaient de respect que pour ces rcli<|ues. — .le ne veux pas manquer d'égards à Leurs xMajestcs défuntes, reprit le vSanglier. Seulement je suis décidé à être évè(iue. Un prince spirituel el temporel, qui a le pouvoir de lier et de délier, est le chef (pi'il faut il une bande de réprouvés comme vous, auxipiels tout aulre refuserait rabsoliition. Mais approche/., noble bourgmeslre; asseyez- Vous à mes (('ités, et vous allez me voir faire une vacance que je rem- plirai... Qu'on introduise notre prédécesseur! On se rangeait pour laisser passer Pavillon; ni.iis, refusant la (ilace d'honneur, il se mit à rcxtrt'mili'' (qqiosée. Ses serx'ileurs se groupè- rent autour de lui, coiiime on voit des moutons, à 1 as|)ccl d'un chien étranger, si' presser autour d'un vieux bélier (pi'en raison de ses longs RCM'vices ils croient doui' d'un courage fpii leur mampie. INiui loin de Pavillon clail assis un beau jeune liomme, nomme (jarl Kberson, bis naturel de (luillaume, qui lui témoignait parfois une sorte de tendresse. Sa nii'rc était morte d'un coup que qu'on ne nous provoque |)ar de mauvais propos. — (Jui es-tu, au nom du diable! s'écria (iuillaume étonné, qui t'a permis de venir jus(pie dans notre tanière poser des conditions et prendre des otages? Nous exigeons des garanties, mais nous n'en accordons jamais. — ÎMessire, dit hardiment()ucntin, je suis un serviteur de Louis XI, roi de France, ,1e fais partie de la garde écossaise, comme mon ac- cent et mon costume ont dû vous en instruire Je suis ici pour rendre comjtte ^le ce qui s*' passe, et je vois avec surprise ipie vous agissez en paien plutôt (|u'en chrétien, en insensé plutôt qu'en homme doué de raison. Les armées de (Charles de Hourgogne vont bienlôt niaiiher contre vous, et, si vous désirez l'appui de la France, il faut vous comporter dilVéremmcnt. l'our vous. Liégeois, je vous conseille de retourner innuédialcment dans vos foyers; si l'on met obstacle à votre départ, je déclare (|u'on encourra le ressentiment de mon maître Sa très-i;racicuse ALijesté le roi de France. — France et Liège! France et Liège! s'écrièrent les tanneurs et plusieurs autres citoyens dont le couraije était ranimé par l'exemple de l'Ecossais. France et Liège! et longue vie au brave archer! Nous sommes ])rêls il vivre et :i mourir avec lui! Les yeux de Guillaume étincelèrenl, et il saisit son poignard comiue pour le lancer au C(Cur de l'audacieux orateur; mais après avoir ob- servé le maintien des assistants, il sentit la nécessité de se contenir. Jl complaît dans sa bande plusieurs Franc ais (|ui savaient qu'il rece- vait de leur ]iatrie des secours en hommes et en ari;eiil. (Juelipies- uns lilàmaient l'acte de violence sacrilège qui venait d'être coiiiiiiis; et comme ( iliarles de Uourgogiie pouvait en être mèconlenl, celait avec iiii|iii('lude que l'on pn>noni'ait son nom. Les laiis(|ueiiels, mal- gré le désordre de leurs esprits, comprenaient qu'il était iiupolili(|ue de rompre avec les Liégeois et d'irriler le roi de France, le San- glier reconnut c|ue les hommes de sa troupe ne le soutiendraient jias; sa ligure se dérida, et il dit d'un ton radouci : — Je le déclare, je ne médite rien <:ontri' mes bons amis de Liéi;e. J'avais espéré <[u'ils passeraient la nuil à boire avec moi en réjouis- sance de la victoire, mais ils sont libres de cpiitler Sihonw aldl si bon leur semble. (^)uand ils le voudront , demain ou un autre jour, j'en- trerai en négociation avec eux pour le partage du butin, et les me- sures que nécessite la défense commune. En allenilant, j'espère que le gcntilliomine écossais me fera l'honneur de finir la nuit avec moi ' — M\\\r. renii'rcimeiils, répondit Durward, mais je règle ma con- duite sur celle de M. l'avillon , aiujuel j'ai ordre de m'altaclier spé- cialement. Je ne manquerai pas de le suivre la prciiiière fois (|u'il reviendra visiter le vaillant Guill.iunie de la "NLirck. — .^Li foi, dit précipitamiiicnt l'avillon, si votre conduite se rèj;le sur la mienne , il est probable que vous sortirez d'ici sans dc'Iai ; et si vous ne rcvciK-/ ii .Silionw aldt qu'avec moi, il est non moins probable que vous n'y reparaîtrez pas de sitol. L'Uouuèlc syndic acheva sa phrase à voix basse, craignant d'expri- mer d'une manière trop intelligible des sentiments qu'il était inca- pable de garder pour lui. — Allons, mes braves chamoiseiirs, reprit-il en s'adressant ii ses gardes du corps, groupez-vous autour éle moi, et éloignons-nous au ])lus vite de cette caverne de voleurs. Les |)lus honor.ibles citoyens de Liège partageaient l'avis du syndic; l'espoir de sortir sains et saufs leur causa autant de joie que la prise du chàtiNui. On ne mit aucun» entrave à leur marche, et Quentin put enhn tourner le dos a ces formidables murailles. l'our la première fois depuis qu'ils étaient entrés dans la salle du festin, l'archer demanda à la jeune comtesse comment elle se trouvait. — Bien, bien, répondit-elle avec une précipitation tiévreuse, mais ne m'adressez pas de questions, ne perdons pas le temps eu paroles, fuyons! fuyons! Kn giarlant ainsi, elle essayait d'avancer, mais avec si peu de suc- cès, ((u'ellc serait tombée d'épuiseoient si Durward ne l'avait soute- nue. Avec la tendresse d'une mère (|ui dérobe son enfant au danger, Durward la prit dans ses bras. Tout entière au désir d'assurer son salut, elle lui passa un bras autour du cou; et il ne regretta .lucun des périls qu'il avait affrontés, puisque telle en était la conclusion. De son côté, l'honnèlc bourgmestre était soutenu par son fidèle conseiller Geislaer et un de ses amis. Vprès une course rapide, ils atteignirent les bords de la Meuse. De temps en temps ils rencon- traient des bandes sorties de la ville pour obtenir des renseignements sur la prise de Schonwaldt, et sur la querelle qui, siiivant un bruit déjà répandu, avait éclaté entre les vainqueurs. Les fugitifs évitaient de leur mieux les questions, et se procurèrent un bateau où ils ])u- rent enfin jouir d'un peu de repos. Isabelle continua de rester presque évanouie dans les liras de son libérateur. (Juanl au bourgmestre, après avoir adressé (luelipies remerclmcnls à Quentin, qui avait l'es- prit trop préocciijK' pour lui répondre, il entama la conversation avec son lieutenant, l'.lle roula sur son courage, sur son humanité, et sur les dangers auxi|iiels ces vertus l'avaient iniintcs fois exposé. — Peterkin, dit-il reprenant ses doléances de 1 1 soirée , si je n'a- vais pas eu tant d'audace, je ne me serais pas opposé à l'acquittement du droit de vingtième que tout le monde consentait à payer. Si j'a- vais eu moins de courage, je n'aurais pas assisté à la bataille de Saiiil-Tron, pendant laquelle un homme d'armes du Hainaut me jeta d'un coup de lance dans un fossé bourbeux, d'où il me fut im- possible de sortir avant la fin de la bataille. (Test encore mon cou- rage qui m'a décidé cette nuit à endosser ce corselet trop étroit, ijui m'aurait été mortel sans l'assistance de ce brave jeune homme, dont le métier est de se battre, en quoi je lui souhaite beaucoup de plai- sir, t^/uant à mon humanité, Peterkin, elle m'aurait réduit au dénù- ment, si je n'avais pas été suffi.sammciit pourvu des biens du monde; et Dieu sait ce qu'elle m'attirera, maintciiaiit (|iie j'ai sur les bras des d.niies, des comtesses, des secrets qui peuvent me coûter la moitié de ma fortune et peut-être ma peau par-dessus le marché! ( ïuentin ne ]iouvait se taire plus longtemps. — Si, |)ar hasard , dit- il, vous couriez queli|ue danger, si vous éprouviez (piel([ue ]>erte, à cause de cette jeune dame, soyez sûr que vous en serez amplement dédommagé. — • .Alcrci, seigneur archer; mais est-ce que je réclame des indem- nités pour avoir lait le devoir d'un honnête liomine' Je rcfjiettais seulement qu'il pût m'en coûter ça et ça ; et j'espère qu'il m'est per- mis d'en parlera mon lieutenant sans avoir l'air de me plaindre. Durward conclut de ces paroles que son nouvel aiui était de ceux qui se payent de leurs bienfaits en grommelant, et dont les lamen- tations sont dictées par le désir de faire valoir leurs services. Il garda doinr un silence prudent, et laissa le syndic éniimérer il son lieutenant les risques et les pertes qu'il avait eneouriis par suite de son désintéressement et de son zèle pour le bien |)ubli<'. La vérité, c'était que l'honorable magistrat sentait i[u'il avait perdu un peu de son importance en laissant le jeune étranger jouer le preiniir rôle dans la salle du château. Il avait clé charmé tout d'a- liord de l'effet de cette inlervenlion opportune; mais, après de plus amples réllexions, il s'était trouvé amoindri. Il essayait de se relever en exagérant les titres cpiil avait .i la reconnaissance de son pays «-n général, de ses amis en particulier, et plus spécialement encore de la comtesse de (iroye et de scui jeune protecteur. i\Iais la barque s'arrêta : l'avillon, aidé de Peterkin, mit pied « terre dans son jardin; et dès qu'il eut touché le seuil de sa maison le démagogue jaloux et blessé' dans son amour-propre redevint un hôte al'l'eclueux et bienveillant. Il appela ii haute voix Triidchen, qui parut aussitôt ; car, dans cette nuit féconde en événements, peu d'iia- bilaiitsdc Liège avaient jm se livrer au sommeil. Elle fut ch.irgée de doniu'r des soins à l'étrangère exténuée, rriidelien, dont le véritable nom était Gertrude, admirant les charines et plaignant le malheur de l'inconnue, s'acquitta avec l'aftcclion d'une .sœur des devoirs de l'hospitalité. Il était tard, cl le syndic paraissait fatigué; néanmoins il x^oulul cilfrira (Quentin un flacon d'un \in précieux, qui datait de la bataille d' \/inidurl. L'ICeossais aurait été fjiicè d'en ]irendie sa part sans l'appirition de la ménagère, ([ui sortit de sa chambre il coucher en entendant Pavillon demaiulcr ii grands cris les clefs de la cave. 56 QUENTIN DURWARD. Celait une petite femme rondelette, qui avait été jolie, mais (|iii depuis trois ou quatre ans se distinguait par un nez rouge, une voix criarde, et la ferme résolution de soumettre le syndic à une discipline intérieure des plus sévères , en le laissant libre d'exercer au dehors toute son autorité. Dès qu'elle eut compris ce dont il s'agissait, elle déclara formelle- ment que son époux, loin d'avoir besoin de boire encore, avait déjà beaucoup trop bu. Elle refusa de se servir, pour le satisfaire, des clefs de l'énorme trousseau qu'elle portait à sa ceinture, suspendu par une chaîne d'argent. Elle lui tourna le dos sans cérémonie , et conduisit Durward dans la chambre oii il devait passer la nuit. C'était une pièce meublée avec un luxe dont il n'avait aucune idée; tous les riches Flamands l'emportaient alors, en ce qui concernait le bien-être domestique, non-seulement sur les pauvres Ecossais, mais encore sur les Français eux-mêmes. En elM , lo Flamand, faisant pour les autres ce qu'il aurait voulu qu'un fit pour lui , s'était éloigné dès que Quentin s'était rapproché do la dame. CHAPITRE XXIII. La Fuite. Malgré l'Influence combinée de la joie, de l'anxiété, et de tant d'autres passions, les fatigues accablantes de la journée suflirent pour plonger l'Ecossais dans un sommeil qui dura jusciu'à une heure avan- cée de la matinée. Au moment oii il ouvrait les jeux, son hôte en- trait le front soucieux. Pavillon s'assit auprès du lit, et commença une longue harangue sur les devoirs de la vie conjugale. Il insista sur l'imposante supré- matie que les maris devaient maintenir toutes les fois qu'ils étaient d'un avis contraire ii celui de leurs femmes. ()e préambule in(|uiéta (^>uentin. Il savait qu'à l'instar des autres puissances belligérantes, les maiis entonnaient |iarlois un Te Driiiii pour cacher une défaite plutôt que pour c'élébrer une victoire. Afin d'éclaircir ses doutes, il se hâta de dire : — .l'espi^re i|ue noire arri- vée n'a point causé d embarras à la maîtresse fie la maison ? ^ — Non, certes, ré|i(iÈidit le biuuv.nu'slre, jamais la mère ^labcl n'est prise au dépourvu. Elle s'estime toujours heureuse de recevoir des amis, de leur ii(iitin satita it bas du lit, et commença iirécipitamment sa toilette. _ — En somme, dit-il, notre séjour ici lui est désagréable. Si j'étais sur que dame Isabelle fût capable de se mettre en roule après les horreurs d'une pareille nuit, nous n'ajouterions pas à nos torts de rester une minute de jjIus. — C'est précisément ce quc.la jeune dame a dil à la mère Mabel, et j aurais voulu que vous vissiez comme elle rougissait en parlant. Une laitune qui a fait cinq mlHrs en patinant contre le vent n'est qu'un lis en comparaison; je ne m'étonne pas que la mère Mabel en soit un peu jalouse, la pauvre clière femme 1 — Dame Isabelle a donc quitte sa chambre? demanda le jeune homme en continuant sa toilette avec plus de précipitation que jamais. — Oui ; et elle vous attend impatiemment pour décider avec vous quelle route il faut prendre, puisque vous êtes tous deux déterminés à partir. Mais j'espère que vous resterez à déjeuner. — 11 fallait me dire cela plus tôt, s'écria Quentin. — Doucement, doucement; je me suis expliqué trop tôt, ce me semble, puisque vous voilà tout bouleversé. J'ai encore autre chose à vous communiquer; mais aurez-vous la patience de m'entendre? — Parlez, messire , aussi vite que vous le pourrez, je suis tout oreilles. — Je n'ai qu'un mot à dire, reprit le bourgmestre; c'est que Trudchen, qui va regretter cette jeune dame comme sa sœur, vous engage à prendre un autre déguisement. Le bruit court dans la ville que les dames de Croye voyagent en habit de pèlerines sous la con- duite d'un archer de la garde écossaise. Une d'elles a été amenée, dit-on, au château de Schonwaldl par un bohémien quelque temps après votre départ. Ce bohémien a assuré à Guillaume de la Marck que vous n'aviez de message ni pour lui ni pour le bon peuple de Liège; (]ue vous aviez enlevé la jeune comtesse , et (|ue vous la sui- viez par amour. Ces nouvelles sont arrivées ce matin du château; elles ont été communiquées aux conseillers de la commune, qui ne savent (|uel parti prendre. Notre opinion est bien que ce Guillaume de la Marck a été cruel à l'égard de l'éxêque, et injuste envers nous; pourtant, nous sommes persuadés qu'au fond il a un bon caractère quand il est à jeun. D'ailleurs, c'est le seul chef qui puisse nous sou- tenir contre le duc de Bourgogne; et, dans l'état des choses, je suis assez d'avis de rester bien avec lui , car nous sommes trop avances pour reculer. Quentin Durward pensa que les reproches et les exhortations n'é- branleraient pas la résolution d'un magistrat qui obéissait aux inspi- rations de sa femme et de son varlet. — Votre bile est de bon conseil, dit-il; il faut nous déguiser immédiatement. Nous pouvons espérer sans doute que vous nous garderez le secret indispensable, et que vous favoriserez notre fuite. — De tout mon cœur, de tout mon cœur, répondit le syndic, qui cherchait à atténuer ce que sa conduite avait d'inhospitalier. Je ne puis oublier que je vous ai dû deux fois la vie : vous avez dégrafé ce maudit pourpoint d'acier et vous m'avez tiré des mains du San- glier et de ses marcassins, qui sont pires que des diables. Aussi vous serai-je hdèle comme la lame au manche : suivant l'expression de nos couteliers, qui sont les meilleurs du monde entier. ^ ous voilà prêt, venez par ici; vous allez voir jusqu'à quel point j'ai confiance en vous. Le syndic mena Quentin dans son comptoir, en verrouilla la porte, et, après avoir promené des yeux scrutateurs autour de lui, il ouvrit un caveau caché derrière la tapisserie. Il y avait deur aller oii vous voudrez. — Nous réfléchirons, dit Isabelle. Un couvent me conviendrait, mais peut-être ne me garantirait-il pas suftisammenl de mes persé- cuteurs. — Hem! hem! dit le syndic, je ne vous conseille pas de vous in- staller dans un couvent des environs de Liège : le Sanglier des Ai- QUENTIN DURWARD. 57 demies, quoique ce soit en somme un fidèle auxiliaire, plein de bonnes inleulious pour notre ville, respecte peu les monastères; on prétend ([u'il a toujours auprès de lui une vingtaine de nonnes enle- vées à leurs cloîtres. — Hàtez-vous, seigneur Durward , interrompit Isabelle, puisque c'est à vous seul qu'est confié mon salut. Quentin sortit avec Pavillon; et la comtesse adressa à Gertrude diverses questions avec tant de calme et de lucidité, cjue la jeune fille ne juit s'empêcher de s'écrier : — En vérité, madame, vous m'étonnez! On parle de la fermeté des hommes, mais la vôtre me paraît au-dessus de l'humanité. Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. — I,a nécessité, mon amie, est la mère du courage comme de l'in- vention. 11 y a peu de temps, je me trouvais mal en voyant une j;outte de sang s'échapper d'une légère coupure. Depuis, j'ai vu cou- ler des flots de sang autour de moi sans perdre ma présence d'esprit. Ne croyez pas que cette tâche m'ait été facile, ajouta-t-elle d'un Ion ferme, quoi(|u'elle posât sur le bras de Gertrude une main trem- blante : je suis comine une garnison assiégée par des milliers d'en- nemis que la résolution la plus énergi(|uc peut seule repousser. Si ma situation était moins périlleuse, si je ne sentais pas qu'il faut absolu- ment être maîtresse de moi pour échapper à un destin pire que la mort, je me jetterais dans vos bras, Gertrude, et je soulagerais mon cœur, <|ui se gonfle, par des cris de désespoir, par des sanglots, par des larmes telles que vous n'en auriez jamais vu couler. — N'en faites rien, madame, dit la compatissante l'iamaude , dites votre chapelet, abandonnez-vous aux soins de la Providence, et soyez sûre que si elle a jamais envoyé un sauveur à nue personne en dan- ger, cet audacieux jeune homme est destiné à être le vôtre. 11 y a aussi quelqu'un, ajoula-t-elle en roui;issanl, sur lequel j'ai une cer- taine inllnence. i\'eu dites rien à mon père; mais j'ai donné l'ordre à mon prétendu, llans Glover, de vous attendre à la porte de l'I'.sl, et de ne jamais reparaître devant moi s'il ne vous conduisait saine et sauve hors de notre territoire. La jeune comtesse ne put exprimer ses remereinients à la lionne Gertrude que par un baiser, (|ue celle-ci lui remlit avec alIV^clion en disant : — Si deux jeunes filles et leurs amanis dévoués ne peuvent réussir dans un projet d'évasion, le monde n'est plus ce (ju'on m'a toujours dit qu'il était. t^es mois rappelèrent sur les joues pâles de la comtesse de vives couleurs, que ne diminua point la sul)ile apparition île thientin. 11 était habillé comme un riche pa\san flamanil, avec les vèleiuenls des dimanches de l'clersUin , qui s'était empressé de les lui prêter en lui jurant de ne jamais le trahir, dùl-on le tanner comme une peau de bu'uf. Deux elievain avaient été préparés par les soins de la mi're iMabel, qiii ne voulait point de mal à la comtesse et à l'archer, pourN ii.(|M'elle épargnât k sa famille les dangers qu'elle courait en leur douuant asile. Elle leur recommanda de suivre des yeux Gcislaer, qui, sans communiquer ostensibleiueiit avec eux, allait prendre la route de la porte de l'Est. Elle les vit partir avec la plus vive satisfaction ; et dès qu'ils furent loin, elle profita de l'occasion pour faire à 'rrudclien un long sermon sur la folie de lire des romans. C'étaient ces ou- vrages dangereux qui reiulaient les dames de la cour si hardies : au lieu de s'occuper des soins du ménage, elles chevauchaient à travers champs, n'emmenant avec elles (pi'un écuyer fainéant, un page dé- bauché ou un archer d'outre-mer, au grand péril de leur santé, de leur fortune et de leur réputation, (jcrlrude écouta cette liarani;ue en silence ; mais il est à eriiire ([u'elle n'était pas d'humeur à en tirer les conclusions prati(|ues (|ue sa mère s'était proposées. Cependant les voyageurs traversaient des groupes qui étaient heu- reusement trop occupés des nouvelles politiques pour remarquer un couple dont l'extérieur attirait l'attention. Le poste de la porte de l'Est les laissa passer en vertu d'une permission (|ue Pavillon avait obtenue pour eux, mais au nom de son collègue Kaiislaer. Après un court échange de civilités, ils prirent congé de Peterskiu , et furent presque aussitôt rejoints par un cavalier monté sur un cheval rris : c'était llans Glover, l'amoureux de Gertrude" Pavillon. O jeune homme était de haute taille ; sa physionomie flamande annonçait plus de gaieté que d'esprit, plus de bonne humeur que d'intelligence ; et la comtesse ne put s'empêcher de penser (|u'il ne justifiait guère la prédilection de la généreuse Trudclieii; loiilelins il semblait plein de zèle pour l'exécution des ordres (|u'il en avait reçus. Après avoir salué respectueusement les voyageurs, il dit en flamand à la comtesse: — Quel chemin désirez-vous prendre? — Conduisez -moi, dit-elle, vers la ville la plus proche des fron- tières du lirabant. — Le but de votre voyage est donc fixé? dit Quentin en français, langue ([ue leur guide ne comprenait pas. — Sans doute, répliqua la jeune dame; dans ma |)Ositioti l'essen- tiel est d'abréger ce voyage, dùt-il avoir pour terme la plus afl'reuse prison. Le Glorieux. — Une prison! s'écria Quentin. — Oui, iiiiiu ami ; mais je prendrai des mesures pour cpie vous ne la partii|;icz pas. — ISe vous occupez pas de moi; ([u'imporle ce qui me concerne, lioiirvii (pie je vous laisse en sûreté! — Ne parlez pas si haut, reprit Isabelle ; vous allez attirer l'atten- tion (le notre guide, c|ui a pris les devaiils. 1,11 effet, le l'iainand, faisant pour les autres ce qu'il-«Tirait voulu i|u'(in fit pour lui, s'était secrètement éloigné dès (flie Quentin s'était rapproché de la dame. — Oui, reprit-elle, mon devoir est de tout vous dire, à vous, mon ami, mon protecteur. Pourquoi rougirais-jc de vous donner les noms 58 QUENÏliN DUaWAUD, que vous iiu'ritcz ? Sachez donc i|uc je suis décidée à retourner dans mon l'iiys natal, a nie niellie a lu mcici du duc de liourgognc. Celaient des conseils funestes, (|uoique dictés par les meilleures in- tculions, qui m'avaient déterminée à solliciter l'appui de l'astucieux Louis de France. — Ainsi vous conseutez à devenir la femme du comte de Campo- liasso, de l'indijine favori de Charles.' En parlant ainsi (^)ueutin alïectait le ton de l'indillérencc ; mais ses loiinneuts intérieurs se manireslaient mali;ré lui, coiunie ceux du condamné qui demande avec un calme forcé si l'ordre de son exécu- tion est venu. . — Non, Durward, non, dit Isabelle en se redressant sur sa selle : toute la puissance de la liourgogne ne saurait imposer celle union détestée à une tille de la maison de Croye. On peut confisquer mes terres et mes fiels, m'enlermer dans un couvent; mais je n'ai rien à reilouter de plus, et je braverais bien plus encore plutôt que d'épou- ser ( Àimpo-ltasso. — Oh! qu'y a-t-il de pis (|ue la ruine et la captivité? Peuscz-y tandis que vous respirez encore l'air libre de Dieu et que vous avez auprès de vous un homme qui ris(|ucra sa vie pour vous conduire en Angleterre, eu Allemagne, en Kcosse même, où vous trouverez de généreux défenseurs. Oh ! ne renoncez pas imprudemment à la li- berté, le meilleur dou du ciel! Happelez-vous ce qu'a dit un poète de mon pays : Ah\ c est la liberté qui seule, aux pas liuraains, D'une rude exi'.tonro aplanit les chemins; Elle èmailie de llruis le lieu le plus sauvage. On est riche et puissant avec la liberté; Soucis toujours amers, tristesse, pauvreté, Tous les maux sont compris sous le nom d'escbvagcl Isabelle écouta avec un sourire mélancolique celle tirade eu l'hon- neur lie la liberté, et elle répomlit après uu moment de silence : — La liberté n'existe que pour l'homiiie; incapable de se protéger elli-mèmc, la femme doit toujours chercher un |nolecleur. Et oii en trouverais-je un:' Sera-ce le voluptueux Edouard d' \nglctcrre ou l'ivrogne ^Vinceslas d'Alleniagiic.' Vous parlez de I Ecosse : ah! Dur- xvard , si j'étais votre sceur, si vous pouviez me promellre un abri dans ces vallons que vous aimez à décrire, sous la g.irde de quelque honorable dame, de ipielipie loyal baron ; si avec les secours de la charité, ou avec le peu de bijoux que j'ai conservés, je pouvais m'as- surer une vie tranquille et oublier le rang pour lequel j'étais née, ce serait une perspective qui me déciderait i» faire un long voyage, au risque d'encourir la censure de tous! La comtesse Isabelle prononça ces mots avec lant d'émotion et de tendresse, (|ue Durward fut rempli de joie et profondément touché. Il examina a la liàte la possibilité de procurer à sa compagne uu refuge en Ecosse; mais il fut obligé de s'avouer qu'il ne pouvait, sans se dégrader, l'entraîner ii une démarche dont l'issue était si in- certaine. — Madame, dit-il après avoir rêvé un moment, je manquerais h l'honneiir et .i mes vœux de chex'alerie si je xous laissais croire que j'ai à vous offrir eu Ecosse d'autres proteclions que celle de mou faible bras; je ne suis pas même sûr d'y avoir encore uu seul pareiil. Le chevalier d'Inucnpihoritz a ])ris d'assaut notre chàti'au pendant la nuit, et a massacré tous ceux qui portaient mon nom. Si je rentrais dans ma patrie, je m'y trouverais seul contre des ennemis puissants; et i|Mand même le roi aurait envie de me rendre justice, il n'oserait pas, pour venger un homme dépossédé, irriter un chef qui mène avec lui cinq cents chevaux. — ■ Hélas! dit la comtesse, il n'y a donc pas un coin du monde à l'abri de rop]iression, puisqu'elle s'exerce au milieu des collines sté- riles comme dans nos iilaiues riches et fécondes! Pourtant vos mon- tagnes iloivent ofl'rir peu d'objets i|ui excitent la convoitise. — C'est une triste vérité, madame; la soif du sang, l'amour de la vengeance, voilà les seules liassions qui mettent nos clans aux prises! Les Ogilvis et leurs pareils jouent en Ecosse le même rôle (|ue Cuii- laume et sa bande dans les Klamlres. — Ne parlons plus de l'Ecosse; je ne l'avais nommée qu'en plai- santant, pour voir si vous me présenteriez comme un séjour paisible le royaume le |ilns agité de l'Europe. J'éprouvais ainsi votre sincé- rité, et je reconnais avec plaisir ([u'cllc ne se dément pas, même lorsiju'il s'agit du sol natal. Encore une fois, je ne veux demander assistance ipi'ii un fcudataire du duc Charles, auquel j'ai la ferme intenliou de me rendre. — Mais poui(|uoi ne pas vous renfermer dans votre château, comme vous en aviez l'intention en Toiiraine? Pour(|uoi ne pas convoquer les vassaux de votre |)ère, et traiter avec le liourguiguoii an lieu de vous rendre ii lui:' Certes, bien des braves doivent être prêts à com- battre pour vous; et je sais un homme qui se sacrifierait volontiers pour leur donner l'exemple. — Hélas! ce projet m'avait été suggéré par le roi Louis, ilaiis son intérêt plutôt ipie (b.ns le mien ; mais Z;imet :Maugrabin , ce double traître, ;i tout révélé :iu due Charles. On a mis des garnisims dans lues châteaux, et la uioindre tentative de ma part expuserait mes vas- saux à une vengeance teri-ihle. A quoi bon faire couler encore le sang pour une cause qui en a déjà trop coûté? Non ; je me soiimel- trai à mon suzerain, à la seule condition qu'il me laissera lihre de choisir uu époux. Je présume que ma tante, la comtesse liameline, qui a été la première à me conseiller la fuite, a déjà pris le p:irli le jilus s.ige et le plus honorable. — ^ otre tante? répéta Ouenlin assailli par des souvenirs que tant d'événements nipides avaient bannis de son esprit. — Oui, la comtesse Hameline de Croye... Avez-vous de ses nou- velles? J'espère maintenant qu'elle est sous la protection de la ban- nière de liourgognc? \ ous xous taisez! (|u'esl-elle devenue ? Cette question, faite avec l'accent de la plus vive inquiétude, obli- gea Quentin à raconter ce qu'il s:ivait. 11 dit comment il avait aidé la comtesse Hameline à quitter Schonwaldt, et pourquoi il y était retourné; mais il s'abstint par délicatesse de la moindre allusion aux projets de mariage concertés avec le bohéinien. Afin de ménager la sensibilité de sa compagne dans un moment oii elle avait besoin de toutes ses forces, il ne voulut pas non plus lui faire part du bruit qui courait que sa tante avait été livrée à (iuillaunie de la Marek. Quoique dépouillé de ces parlicularilés importantes, ce récit im- , pressionna fortement la comtesse Isahelle. Après quelques instants de silence , elle dit avec une froideur qui décelait son mécontente- ment : — Ainsi vous avez abandonné ma malheureuse tante dans un bois, à la merci d'un vil bohémien et d'une perfide femme de chambre!... Pauvre Hameline ! tu avais toujours à la bouche l'éloge de ce jeune homme ! Durward fut assez justement offensé de l'interprétation qu'on don- nait à sa ciiuduile. — .Madame, dit-il, si je n'avais pas agi de la sorte, quel eût été le sort d'une personne au service de laipielle je m'étais consacré ? Si je n'avais pas laissé la comtesse Hameline de Croye aux soins de ceux qu'elle avait choisis pour conseillers, la comtesse Isa- belle serait mainteuaiit la fiancée du Sanglier des Ardennes. — Vous avez raison, dit Isabelle reprenant son ton habituel; et moi, qui ai profilé de votre dévouement, je me suis montrée injuste et ingrate... Malheureuse tante! misérable Marton !... comme elle méritait peu la confiance aveugle (|u'on lui accordait! Ce fut par elle que nous furent présentés Zamet et Ibiyraddin, dont les prélendnes connaissances eu divination et en astroingie obtinrent tant d'ascen- dant sur l'esprit de ma tante, (^e fut M:irton (|oi, renchérissant sur leurs prédictions, lui inspira je ne sais (piellcs folles idées d'amour et de mariage. Ces imposteurs, j'en suis sûr, ont été placés auprès de nous par Louis de E'rance. Il cherchait à nous attirer à sa cour, il voulait nous déterminer à nous mettre en son pouvoir; et quand nous avons eu l'imprudence de céder, vous êtes témoin, Quentin Durward, de la manière iijiuible dont il s'est conduit envers nous. Mais, hélas! que va-t-il arriver à ma tante? Durward s'elTorçait de lui inspirer des espérances ([u'il ne conce- vait guère. — La passion dominante de ces bohémiens, dit-il, est la cupiilité. Ils trouveront a la satisfaire en traitant bien la comtesse Hameline. Quel intérêt auraient-ils à l'assassiner, au lieu d'exiger d'elle une rançon? Cela est si vrai, que, lorsciue je les ai quittés, Marton semblait se poser en proteelrice. Pour distraire Isabelle de ce triste sujet, Quentin lui raconta la trahisiMi un Maugrahin, (|ii'il croyait avoir été concertée entre le roi de France cl Guillaume de la MarcU. La jeune comtesse frémit d'Iiorieur; mais se remettant aussitôt, elle s'écria : — Je me repens il'avoir douté de la |irotcctioii di'S saints; d'avoir cru un moment qu'un plan aussi barbare, aussi lâche, ]ioiirrait réussir, qinind il y a des regards ([ni s'abaissent du haut des cieux sur les misères hu- maines. Lu tel projet ne doit pas seuli'iiient exciter de l'horreur; il faut le repousser comme une impraticable infamie, au succès de la- quelle on ne pouvait croire sans athéisme. Je vois maintenant |iooi- qnoi l'hjpocrite iMarton fomentait de petites discussions entre ma tante et moi; pourquoi elle llaltait celle de nous qui était présente, et lui disait du mal de l'autre : ponrtaul, je ne l'aurais |ias supposée capable de décider une |)arente alfcctionnéc à s'enfuir sans moi de Schonwaldt. — Dame Hameline ne vous avait donc pas inslruile de ses inten- tions? ■ — Non, elle s'était contentée de me parler xaguement d'une com- munication que Marton aurait à me faire. A vrai dire, ma pauvre tante avait l:i tête tournée par le mystérieux janjon d'ilayraddin ; au- (|url elle avait, le jour même, accorde une longue cl secrète audieuce. Elle se livrait à de telles rêveries, ipie... que... Enfin, je ne me sou- ciais pas de lui deiuauder des expiiiations. Quid qu'il en soit,c'ét:ùt une cruauté de me hiisser au château. — Je dois l'en justifier, marlame : le trouble du moment était si grand, et l'obscurité si épaisse, que je pense qu'elle a dû s'imaginer qu'elle était accom|iiiguée de sa nièce. Moi-même, trompé |iar le eostiiine de Marton, je croyais être avec les deux dames de Croye, surtout avec celle sans laquelle tous les trésors du miuidc n':iur:iiciil pu me décider à quitter Sihonw.ildl. Is:d)ille pi'uclia la lèle, et leignil de n'avoir pas ieniari|ué re\:illa- lioii que Durward avait mise dans ses paroles. Elle tourna du uou- QUENTIN DURWARD. &9 veau les yeux vers lui, (|iiaml il eiil ramciu' la conversation sur la ]iolili(|ue de Louis \l. Après quelcpies exiilicalions tous deux de- meurèrent couvaineus (jue .^laiton et les l'rères liolii'inieiis avaient été les agents «lu rusé monarque, ((Uoi([ue Zamet l'aine eût été puni pour avoir essayé de jouer un double jeu. Pleins d'une confiance niuluelle, ouldianl les périls de la route et la singularité de leur situation, les voyageurs poursuivirent leur marelle pendant plusieurs heures, lli ne s'arrêtèrent que dans un lia- meaii écarté (lii ils lurent conduits par llans Glover, qui ne <:essa de montrer la discrétion et la sagacité dont il avait fait preuve en évitant de troubler leur entretien. Les distinctions artificielles qui séparaient les deux amants, car nous pouvons maintenant leur donner ce nom, semblaient diminuer graduellement, grâce aux cireonstanees. Isabelle était d'un rang plus élevé et posst'dait une immense fortune héréditaire, tandis (|ue le jeune iioinme n'avait que son épée ; mais en ce moiiieut elle se trou- vait aussi pauvre que lui, et c'était exclusiveiiiciit à la présence d'es- prit et à la valeur de IJnrward «(u'elle devait rhonneur et la vie. Le cœur plein de confiance et de gratitude, elle aurait pu pardonner une déclaration : et pourtant il ne parlait pas d'amour. La timidité naturelle, les senliinents elievaleresipies s'unissaient pour retenir Quentin; il se serait reproché comme une indignité d'abuser de la situation d'Isabelle et des avantages (pie le hasard lui iifl'rail. Mais, s'ils ne parlaient pas, ils ne pouvaient s'empêcher de donner un libre cours à leurs pensées. Dans les relations du genre de celles qui s'étaient établies entre eux, les sentiments d'affection mutuelle se devinent au lieu de se manifester. La familiarité c|u'elles amènent, les conséquences incertaines qu'elles doivent avoir leur prêtent un charme particulier; mais, si elles procurent les heures les ]dus déli- cieuses de l'cvisteuce humaine, elles aboutissent souvent à des jours assombris par le désappointement, rinconstanec et tontes les dou- leurs d'une tendresse qui n'est pas payée de retour. Il était deux heures de relevée quand le guide, paie de terreur, vint leur annoncer (pi'ils étaient poursuivis par un détachement de schwarz-reiters , ou cavaliers noirs de Guillaume de la Marck. C'é- taieiil des bandits levés dans les cercles de la basse \llemagne, et semblables en tout point aux lans(|uenets; seulement ils tenaient lieu de cavalerie légère, l'oiir justifier leur dénomination, et inspirer plus de terreur ii leurs ennemis, ils montaient ordinairement des chevaux noirs, et couvraient leurs armes d'un enduit noir qui laissait souvent des traces sur leurs mains et sur leur visage. Sous le rapport des mœurs et de la férocité, les cavaliers noirs rivalisaient avec leurs frères de l'infanlerie. A l'extrémité de la grande route que les voyageurs venaient de suivre, s'élevait un nuage de poussière sur lequel se détachaient quelques cavaliers d'avaiit-garde. — Chère Isabelle, dit <,>ucnlin après les avoir re(;ardés, je n'ai pour arme que mon épée; mais, si je ne puis combattre pour vous avec succès, je puis fuir avec vous. 'làclions de ijagncr le bois (pie voilà, et nous éviterons peut-être ces liuinmes d'armes. — \ olontiers, mon unique ami ! dit Isabelle en mettant son cheval au galop... Va toi, mon brave garçon, prends une antre route, et ne partage pas nos dangers. — iNein, neinl dosi;ehlnichts, répondit llans (jloxer en secouant la tête; et il continua de les suivre. Idiis trois se dirigèrent vers le bois di' toute la vitesse de leurs chevaux fatigués. L])a la poitrine de ses deux mains, dont les gantelets d'acier firent résonner son corselet. Enfin, levant les bras au ciel, il ajouta d'un ton solennel : — Si personne ne tirait vengeance de l'homicide, moi, moi, Phi- lippe de Crèvecœur de Cordés, je fais vœu à Dieu, à saint Lambert et aux trois Bois de (iologue de ne m'occuper d'aucune afl'aire ter- restre avant d'avoir puni les meurtriers du bon Louis de Bourbon, que je les trouve à la ville ou à la campagne, en plaine ou sur les monts, dans les bois ou sur le champ de bataille, à la cour du roi ou dans l'église de Dieu! J'engage pour cela mes terres, ma fortune, mes amis et mes vassaux, ma vie et mon honneur! Ainsi me soient en aide Dieu, saint Lambert de Liège et les trois Bois de (Pologne! (^)uand le comte de Crèvecœur eut fait ce vœu, il parut tiré de la surprise et de l'accablement dans lesquels il avait été plongé et il demanda à Quentin des détails sur les tragiques événements de Schonwaldt. L'Ecossais, qui n'avait nulle envie de calmer l'irritation du comte, lui en lit un récit complet. — Est-il possible, s'écria Crèvecœur, que ces Liégeois ax'euglcs et sans foi se soient ligués avec un bandit pour mettre à mort leur prince légitime? — Ils ne sont pas complices de l'assassinat, reprit Durward; quoi- que rebelles à leur évê((ue, il m'a semblé qu'ils n'avaient point l'in- tention de favoriser l'exécrable crime de Guillaume. Loin de là, ils l'ont vu avec horreur et l'auraient empêché s'ils en avaient eu les moyens. - — Ne me parlez point de ces plébéiens inconstants et ingrats! quand ils ont pris les armes contre un prince dont le seul défaut était trop de bonté pour eux, quand ils ont assailli sa paisible demeure, pou- vaient-ils ne pas songer à l'homicide? Quand ils se sont ligués avec le Sanglier des Ardenues, pouvaient-ils avoir en vue a\itre chose que le meurtre qui est son seul métier, son moyen d'existence? De ton projirc aveu, n'est-ce pas un homme de cette vile populace qui a tué l'évêque? J'espère voir le sang ruisseler dans leurs canaux, à la lueur de leurs maisons embrasées. Oh! quel noble maître ils ont massacré! D'autres vassaux ont été poussés à la révolte par la misère et l'excès des impôts; mais c'est au milieu de l'opulciice que les Lié- geois lèvent la tête. Crèvecœur abandonna de nouveau les rênes de son destrier, et se tordit les mains autant que le lui permettaient ses gantelets de mailles. Quentin vit aisément que la douleur du comte était augnu'n- ti'C par le souvenir des relations amii-ales (|u'il avait eues avec la victime, liespeclanl des chagrins (pi'il ne voulait (las aggraver et qu'il croyait iui possible d'adoucir, il garda le silence. Mais le comte revint à la charge, et l'iulerrogea sur les uu)indres circonstances de la sur- prise de Schonwaldt. 'Pont à coup, comme s'il eût été frappé d'une chose qu'il avait oubliée, il demanda ce ((u'était devenue dame lla- meline, cl poun|uoi elle n'était pas axée sa nièce. — Ce n'est pas, dit-il d'un ton dédaigneux, que son absence ait de grands inconvénients. (Tétait en sonuiu». une feuiiue bien iulention- née, mais jamais la cour de Cocagne n'a proiluit de folle aussi fan- lascpie. Je ])aric (pie sa nièce, qui m'a toujours sciublé une jeune fille modeste et sensée, a été entraînée à fuir de Bourgogne en l'raucc par cette vieille radoteuse, qui ne rêve (jue de mariage. , (,>uel discours pour un amant romanesi(ue! Il se serait couvert de | ridicule en essayant de convaincre le comte par la force des armes qu'il insultait la comtesse Isabelle, uiodile incomparable d'esprit et de beauté, en la trailant de fille modesie et sensée; mais C(uume il souffrait de cet éloge applicable à une iKuivii're, à la fille d'un ma- nant! Et puis, qu'il lui était pénible de lui entendre siipiioser (|ue sa belle compagne île voyage se laissait aveuglément diriger par iinr tante insensée! ("élail une calomnie qu'il eût voulu faire reiiliir dans la gorge du calomniateur; mais le comte lui en imposait par sa physionomie ouverte el sévère, par le profond mépris qu'il QUENTIN DURWARD. 61 semblait avoir pour les tendres émotions. La réputation qu'il avait acquise dans les armes aurait été un motif ilc plus pour que le tier Uurward lui proposât un cartel, sans la crainte du ridicule, celte arme si redoutable aux enthousiastes de toute espèce, qui peut les empêclier également de se montrer trop absurdes ou trop ma(;nanimes. Durward se contenta de répondre vaijiiemenl que dame llameline s'était échappée deSchonwaldt avant Tassant. S'il s'était e\pli(inéda- vantajjc, il Taïuait exposée aux railleries, et lui-même n'en aurait pas été à l'abri, comme ayant été l'objet de ses folles tendresses. Il ter- mina sa narration embarrassée en disant (|ue, d'après le bruit public, dame llameline était retombée entre les mains de Guillaume de la Marck. — Que saint Lambert fasse qu'il l'épouse! dit Crcvecnnir; le San- glier est capable de la prendre à cause de son arjjent, et non moins capable de l'assommer quand il aura les sacs sous la main, ou plus tard,i|uand ils seront vides. Le comte ])oursuivit ensuite son interrogatoire sur la conduite des dames pendant le voyaije, sur l'intimité qui avait réijné entre elles et Quentin, et autres particularités épineuses. L'archer, confus et irrité, finit par perdre patience, et son trouble ne put échapper à la perspi- cacité d'un homme de ijuerre et de cour. — Allons, dit-il, c'est ce que je prévoyais, d'un côté du moins; j'espère trouver plus de raison de l'autre. Piquez des deux, sire écuyer, et prenez les devants, pendant que je vais conférer avec dame rsabello; vous m'avez fourni assez de rensei|;nements pour que je paisse lui parler de ces tristes événements sans blesser sa délica- tesse , quoique j'aie un peu choqué la vôtre... Encore un nuit, nuui jeune ijalant! Nous avez, je me l'imaifine, fait un heureu\ voy:ij;e dans la terre des fées; vous avez erré dans les jardins de la fée Mor- i;anc, au milieu des exploits héroïques, des hautes es[iérances, des poétiques illusions. Oubliez cela, mon brave! — et il lui frappa sur l'épaule : — oubliez l'aventurière, la damoiselle fnijilive; rappelez- vous scMilement l'honorable comtesse de (Jroye. Ses amis, et il en est un dont je ré|)Oiuls , se souviendront de leur côté des services (jue vous lui avez rendus; ils oublieront la récompense déraisonnable que vous avez eu l'audace d'ambitionner. Furieux de n'avoir pu dissimuler des sentiments que le comte ne regardait que comme ridicules, l)ur«ard répondit avec indi(;nation : — Seiijncur comte, (|uand j'aurai besoin de vos conseils, je vous les demanderai; quand je solliciterai votre protection, il sera temps de l'accorder ou de la refuser; quand j'allacherai du prixii INqiinionque vous pouvez avoir de moi, ce sera le nu)menl de l'exprimer. — llolii! s'écria Oèvecieur; j'interviens entre \madis cl Oriane, et je dois m'attend re à une provocation. — Nous la croyez impossible, dit (^tuenlln; mais en rompant une lance avec le duc d'( )rléans, j'avais un adversaire de |ilns noble mai son que Crèvecicur ; en croisant le fer avec IJunois, je coniballais un plus vaillant ijuerrier. — Que le ciel te conserve le bon sens, mon jeune ami! s'écria Crèx'ecn'ur sans cesser de rire. Si tu dis vrai, tu as eu du bonheur en ce monde! En vérité, puisque la Providence t'expose à de pareilles épreuves quand tu n'as pas encore de moustaches, tu seras fou de va- nité avant d'être un homme. Tu peux exciter mon hilarité, mais non ma colère. (]rois-moi, tu as été l'adversaire des princes et le cham- pion des comtesses par un caprice de la forlune; mais tu ne saurais être l'égal de ceux dont tu as été accidentellement l'anlagoniste ou le conipai;non. .le le permets de faire de beaux rêves, comme un jeune homme i;àté par la lecture des romans; mais ne t'emporte pas si un ami bienveillant te pousse un peu rudement par les épaules pour te réveiller. — Sire de Crèvecœur, ma famille... — Lli ! il n'est pas f|uestion de X'Otre famille. Le rani;, la fortune, la liaule position élaliiissent des distani'cs entre les div(n's de(;rés et les classes. Sous le rapport de la naissance, tous les hommes des- cendent d'Adam et Kve. — Seiijneur comte, mes a'ïeux , les Durward de ( ileri-lloul.ikin... — Ah! si vous prétendez remonter au delà d'Adam, je me lais. <,)ue Dieu vous ijarde! Il arrêta son cheval, et rejoip,nit l.i comtesse pour lui doiuier îles innseils. Ses intentions étaient excellentes; mais il fut aussi mal reçu par Isabelle que par < )Menlin, (|ui murmurait : -—Le fat! TimpertinenI ! l'outrecuidant personnage! Puisse l'archer écossais qui diri;;era sur lui son arquebuse ne pas le maïupier h la prochaine occasion ! Dans la soirée on arriva ii Cliarleroi, sur la .Sambre, oii le comte de Crèvccfcur avait résolu de laisser Isabelle , qui élait incapable d' aller |)lus loin après tant de journées lus grandes précaull(Mis an gouver- neur boun;uii;non qui occupait la ville avec une faible ijarnison. 11 le pria aussi de faire mouler uiu' (jarde d'Inuincur ;i l.i porte du couvent cpiallait habiter Isabi'lle de (^royc. Celte mesure avait pour but ostensible la sûreté de la jeune personne; mais elle était destinée peut-être à empêcher une évasion. Crèvecœur enjoignit aux soldats de se tenir en éveil à cause des troubles de l'évèché de Liéije, dont il avait, disait-il, vaguement entendu parler. 11 voulait être le premier à porter au duc Charles la nouvelle de l'insurrection et du meurtre de Tévèque. V'.n conséquence, s'étant procuré des chevaux frais, il se mit en route dans l'inli'uticui d'aller d'une seule traite à Péronne. — Vous aurez la complaisance de me suivre, dit-il ironiciuement à Durward. Je vous clemande jiardon de vous séparer de xotre belle compagne, et de vous faire entreprendre un voyage si pénible; mais un éciiyer dévoué des dames doil trouver plus agréable de courir au clair de la lune (|ue de s'abandonner au sommeil, comme le commun des martyrs. Déjà suffisamment affligé de quitter Isabelle, Quentin brûlait de répondre ,'i ces sarcasmes par un défi; mais, sachant que sa colère se- rait tournée en dérision, il jiril le parti d'attendre un moment plus favorable pour obtenir réparation de ce comte arrogant, qui lui était devenu presque aussi odieux que le Sanglier des Ardennes : il ne nt donc aucune objection .i une proposition qu'il était forcé d'accepter, et prit à la suite de Crèvecœur la route de Cliarleroi à Péronne. CHAPITRE XXV. I,'Hôte inallcndu. An début de ce voyage, Quentin eut à combattre les douleurs anières ([u'éproiive un jeune homme quand il est séparé, pridiable- ment pour toujours, de celle (|u'il aime. L'impatience de Crèvecœur précijiita la marche du détachement, qui traversa rapidement les plaines féconne, cl je nie cliarp,erai de votre avancement. Tout eu expri- mant sa reconnaissance, Quentin refusa provisoirement ces proposi- tions; il voulait d'abord, disait-il, savoir jus(|u';i (|uel i)oint il avait H se plaindre de son premier maître. Ce refus ne diminua point les bonnes dispositions du comte en sa faveur. Ses idées enlliousiastcs, son accent élran|;er, ses idiotismes, amenaient souvent un sourire sur l'austère lijjure du Bour!;iiii;non; mais ce sourire, dépourvu de toute amertume sarcastique, ne blessait en rien les convenances. Ils arrivèrent ainsi en bonne inteHi|;ence .i deux milles de la fameuse ville forte de Péronne, près de laquelle le duc liouri;0!;ne, auquel on supposait le projet d'envahir la France, campait avec son armée. Louis \l, de son côté, avait assemblé des forces considérables aux environs de Pont-Sainte-Maxcnee, pour mettre à la raison son vasàal trop puissant. Située sur la rivière de Somme, dans un pays plat, entourée de foss('s prof(uiils et iVe solides remparts, la ville de l'éronne pas- sait alors comme aujourd'hui pour une des plus fortes ])laces de France. Le comte de Crèvecœur, ses gens et ses prisonniers ap])rochèrent de la citadelle vers trois heures de l'après-midi. Ils traversaient les riantes eliiirières d'une grande forêt qui couvrait alors la i>lace du côté de l'est, (|uand ils rencontrèrent deux ]iersonniif;es de distinction comme on le reconnaissait à rimporlance de leur suite et aux habits qu'ils portaient. Les épagneuls et les lévriers qu ils menaient ;ivec eux, les faucons qu'ils tenaient sur le poing annonçaient qu'ils se li- vraient au plaisir de la chasse au vol. Lu apercevant (^rèvecunir ils renoncèrent il la poursuite d'un héron sur les rives d'un long canal, et se dirigèrent en galopant vers le nouveau venu. — Des nouvelles! comte de Crèvecœur, s'écricrent-ils h la fois. Voulez-vous en donner ou en recevoir? J'en échangerais volontiers avec vous, mes seigneurs, dit Crève- cœur après les avoir salués courtoisement, si je croyais les vôtres aussi iniport;intes que les miennes. — Crèvecieur vient du lirabant, pays de commerce; et si nous traitiiuis avec lui, tous les avantages seraient de son C('ité. Celui qui parlait ainsi était le baron d'ilymbercourt; il avait des traits nobles et ré(>uliers, empreints de celle espèce de tristesse que les iihysionomistes attribuent à un tempérament iiiélancoli(|ue, et dans lequel ils voient le (irésage d'une mort funeste, comme le sculpteur italien (|ui observa la figure de Charles 1'^''. — Messei];neurs, dit (à'èvecœur, puis([ue le seigneur prélève le ton- lieu avant l'iiuverlure du marché, le due Charles doit en bonne justice avoir les prémices de ce que j apporte. Mais, dites-moi, vos nouvelles sont-elles tristes ou gaies? L'individu auquel il s'adressait était un liomme d'une physionomie intelligente, dont la vivacité était tempérée Jiar un air de réflexi(ui et de i;ravité. A le juger par sou extérieur, il devait voir rapidement, mais mettre une sage lenteur à donner son avis ou à prendre une ré- solution. C;'était le fameux chevalier de llaiuaul, lils de Collart ou Nicolas de l'Flitc , connu dans l'histoire et parmi les historiens sous le vénérable nom de Philippe île (domines. C'était à cette épo(|ue un des jilus intimes conseillers de Charles le Téméraire. — Nos nouvelles, dit-il, ont diverses couleurs, suivant le ])oint d'oii on les envisage, suivant qu'on a devant soi le nuai;e noir ou -le ciel |)ur. Jamais en France ou en Flandre on n'a vu pareil arc-eii-eicl depuis l'arche de Noé. — i\les nouvelles, repartit Crèvecœur, ressemblent exactement . à la couii'le; sombres et terribles en elles-mêmes, elles ;iunoncent encore (le plus aIVreux malheurs. — Déballons, dit Comincs ii son compagnon; sans cela, comme nos nouvelles sont publi(|ues, nous pourrions être devancés. Crèvecœur, écoute?, et soyez surpris; le roi Louis est à l'éronne! — Quoi! s'écria le comte, (Jharles s'esl-il retiré sans combat? vous amusez-vous ii chasser quand la ville est assiégée par les I' rancais? car je ne suppose pas ipi'elle soit prise ? — Non, certes, dit d'ilymbcrcourt , les bmnii'res de liourgogne n'ont pas reculé d'une semelle, et pourtant le roi l^ouis est ici. — Alors, dit le comte, Ldouard d'Aujjletcrre a passé la Manche avec ses archers, et gagné une seconde b.ilaillc de Poitiers. — Pas du tout, répliipia Comines : les pcnnons français llottciit toujours; pas uiu^ seule voile n'est partie d'Angleterre, oii ildouard est trop occupé des femmes de ses bourgeois de Londres pour songer il jouer le rôle du Prince-Noir. Voici l'étonnante vérité ! quand vous nous avez quittés, vous savez que la conférence était rompue entre les commissaires de France et de Piourgogne , .sans probabilités de réconciliation... — C'est vrai, et nous ne rêvions ([u'i« la guerre. — Ma foi, reprit Caimines, ce qui est arrivé ressemble tellement à un lève, que je m'attends d'un moment ii l'autre ii être réveillé. Avant-hier, après une furieuse sortie du duc, le conseil avait décidé qu'on enverniit sans retard un défi au roi, et qu'on envahirait le ter- ritoire français. Kn consé([uencc, Toison-d'Or, revêtu de son costume olliciel, avait déjà le pied dans l'étrier, lorsque Montjoie , le héraut français, est entré dans notre camp. Notre première idée a été que Louis nous axait prévenus, et nous avons craint que le duc s'empor- tât contre ceux qui l'avaient empêché de prendre l'initiative de la guerre. Un conseil a été assemblé il la luile ; mais (|uel a été notre- étonnemeiit ([uand Montjoie nous a appris que Louis, roi de France, était il peine ;i une heure de marche; qu'il venait, ax'ec une faible es- corte, rendre visite ii (iharles, duc de liourgogne, afin de régler leurs dilïéreuds dans une entrevue personnelle ! — \ ous me surprenez, messeigneurs, mais moins que vous ne l'a- viez espéré. Pendant ma dernière ambassade au Plessis, le cardinal la Balue, Hourguignon de cieur et mécontent de son maître, m'a donné à entendre qu'en exploitant habilement les faiblesses de Louis .\I, il le placeniit dans une position telle c]uc le duc de liourijogne dicte- rait il son gré les conditions d'un traité. Mais je n'aurais jamais cru qu'un vieux renard comme Louis XI tombât si facilement dans le piège. Quel a été l'avis des conseillers de liourgogne? — (joinme vous le devinez, répondit d'ilymhercourt, il a été ques- lion de la loyauté qu'imposait une pareille visite, et des avantages qu'on pouvait en tirer; mais il était évident que la plupart des con- seillers s'occupaient exclusivement des avantages, et ne s'inquié- taient de la loyauté qu'autant qu'il le fallait pour sauver les ap- pari liées. — Et qu'a dit le duc? demanda Crèvecœur. — 11 a parlé peu et avec énergie comme de coutume, répondit (lomines. n Vous souvenez - vous , a-t-il dit, qu'aprcs la bataille de Montlhéry j'ai eu l'imprudence d'accompagner nuin cousin Louis aux retranchements de l'aris, et de me mettre de la sorte ii sa merci ? Qui de vous était présent à cette entrevue? " J'ai répondu que la plu- part de nous y avaient assisté, et que nous n'avions pas oublié l'in- quiétude (|u'il nous avait causée. « Eh bien, a repris le due, vous avez blâme ma folie , et j'ai reconnu que j'ax'ais agi étourdiiuent. Je sais aussi ([ue, mon père, d'heureuse mémoire, étant alors vivant, Louis XI aurait eu moins d'intérêt à s'emparer de ma ]iersoniie que je n'en ai maintenant à m'assurer de la sienne. Néanmoins, si mon cousin se présente avec la franchise que je montrais en ce tcmps-lii, il sera royalement accueilli. S'il compte m'ahuser par ce semblant de confiance pour mieux accomiilir quelques-uns de ses projets tortueux, ]iar saint Georges de liourgogne! qu'il ]>renne garde a lui ! » Et, après ax'oir retroussé ses moustaches, et frappé du pied, le due nous a or- donné de miuiler à cheval pour recevoir un hôte si extraordinaire. — Et vous êtes allés au-devant du roi! repartit le comte de ('rè- vceœur, les miracles n'ont pas cessé : comment était-il accompagné ? — De la manière la plus mesquine, répondit d'ilymbcrcourt : par une vingtaine il'archers de la garde écossaise, quelques chevaliers et gentilshommes de sa maison ; au milieu desquels son astrologue (ia- leotli fait la plus étrange figure. — ^ Cet homme, dit (Crèvecœur, a des obligations au cardinal In lialue, et je ne serais pas surpris qu'il eût contribué à décider le roi il cette démarche hasardeuse. Y avait-il quelques dignitaires d'un ordre (dus élevé ? — Monsieur d'Orléans et Duiiois , répondit Comines. — Ah ! s'écria le comte , quoi qu'il arrive , j'aurai une querelle avec Diinois. Mais nous avions appris (|uc le due et lui étaient dis- graciés et en prison. — Ils étaient au château de Loches, ce cliarmant lieu de retraite de la noblesse française, dit le baron d'ilymbercourt, mais Louis les a délivrés pour les amener avec lui; ne se souciant peut - être pas de laisser d'Orléans derrière. Parmi ses autres compagnons les ]dns con- sidérables sont , je crois, le bourreau en ciief son compère et le har- liicr (Jlivier. Tiuite la haiidc est si misérablement acciuitréc, que, sur mon honneur, le roi ressemble il un vieil usurier qui mène des re- eors jiour le recouvrement de mauvaises créances. — l'.t oii est-il logé ? demanda (Irèvccœur. — Voilii le plus merveilleux, s'écria Comines. Notre duc offrait de laisser aux archers écossais la garde d'une porte de Péronne et d'un iiont de bateaux sur la Siuume; il aurait installé Louis \l dans une maison voisine appartenant il un riche bourgeois, Ciillcs Orlheii. Alais, en rôdant de i-c côté, le roi a remarqué les bannières de deux gentilshommes exilés de l>'rance, de Lan et l'oncet de la Rivière; il pa- r.iit (|u'il a été effrayé ;i l'idée de loger si près de réfugiés méconteiils cl il a demandé ii habiter le château de Péronne, où il se trouve ac- litcnement. — Miséricorde! s'écria Crèveco'ur. Ce n'est pas seulement s'a- venturer dans l'antre du lion, c'est se mettre la tête dans sa gueule. (!e vieux politique rusé ne pourrait eu sortir que par un li'oii lic souris. QUENTIN DUKWARD. 6S — D'IlymlieicoiiiI, «liinamln Ooniiiics, ne vous a pas ivpi'K'' le mot du Glorieux ' c'est ce ([u'oii a ilil de mieux sur la silualiou. — ^ oyons! dit (Iréxccii'iir. — Leduc, repill C^omiiies, faisait assembler à la hâte îles pièces d'ar()enlerie pour les olVrir au roi et à sa suite. " Ne te taralmstepas rcnlciideMient, mou ami (lliarles, a dit le (ilorieuv, je réserve à Ion cousin Louis un présent qui lui convient mieuv : c'est mon bonnet de fou en litre d'otlice, avec mes grelots et ma marotte; car, par la messe ! il est bien plus fou i|ue moi, pour s'être mis ainsi en ton pou- voir.— I\Iais, drôle! dit le duc, si je ne lui donne pas sujet de s'en repentir? — Alors, le bonnet et la marotte seront pour toi, mon ami Charles, car tu seras le plus grand fou des trois. » Je vous assure que cette audacieuse saillie pi([ua au vif notre prince. Je le vis chan- ger de couleur et se mordre les lèvres... Et maintenant que nous avons conté vos nouvelles , noble Crèvccicur , à quoi trouvez-vous qu'elles ressemblent? — A une mine bourrée de poudre; et je crains bien d'être destiné à allumer la mèche. Vos nouvelles et les miennes sont comme les étoupes et le feu, qui ne peuvent se rapprocher sans produire de la flamme, ou comme certaines substances chimic|ues, qui ne peuvent se mêler sans explosion. Mes amis, (daeez-vous à mes côtés; et quand je vous aurai dit ce qui s'est passe dans l'évèché de Liège, vous penserez sans doute comme moi qu'en venant mal à propos à Péronne le roi Louis a peut-être entrepris un pèlerinage en enfer. Les deux noblesse ra|q)rochèrent du comte et écoutèrent son récit avec un profond intérêt, en exprimimt leur surprise par des gestes et des exclamations. On manda Oucntin ; on l'aceabla de questions sur l'insurrection de l.iége, la prise de Schonxvaldt, la mort de l'évêquc. 11 se i)rêta d'aboni à cet interrogatoire; mais il huit par s'y refuser, ignorant ])ourquoi on le lui faisait subir et quel usage on voulait faire de ses réponses. Ils étaient arrivés sur les rives de la Somme, sous les anti(|ucs mu- railles de Péronne la l'ucelle. Les prairies d'un vert foncé (jne baignait le fl(^uve étaient couvertes des tentes blanches de l'armée bourguignonne, dont l'elVectif était d'envinui quin/.e mille hommes. CHAPITRE XXVI. L'Entrevue. On ne peut dire si c'est un privilège ou un inconvénient attaché à la qualité des princes que l'étiquette sévère qu'ils sont tenus d'ob- server dans leurs relations mutuelles. Elle leur détend d'étaler en public leurs sentiments, d'exprimer leurs pensées, et pourrait passer il juste litre pour une dissimulation profonde si le monde entier ne savait que c'est une simple affaire de forme. Toutefois, quand ils franchissent les bornes du cérémonial ])our s'abandonner à la vio- lence (le leurs passions, leur dignité est compromise, comme le fut celle de P'raneois U'i" et de Charles-(,)uint , qui se donnèrent un dé- menli, et manifestèrent le désir dévider leurs différends dans un combat singulier. Charles de liourgogne, le plus impatient, le plus inconsidéré (le> princes de son temps, se trouva cepeiulant enfermé dans li' cercle magii|ue de l'étiiiuelle. Il était dans la nécessité de lémoigner la dé- férence la plus absidue à Louis son su7,erain et seigneur lige, (|ui daignait accorder à son vassal l'honneur de le visiter eu personne. Paré de son manteau ducal , suivi de ses grands officiers, de ses prin- cipaux chevaliers et gentilshommes, il alla an-ilevant du roi à la lète d'uiu' brillante cavalcade. Sa suite étineelail d'or cl d'argent; car, les guerres des deux roses ayant épuisé les trésors de l'Angleterre, cl Léeouomie du mnnarqu(; restreint les dé|ienscs de la Lrance, la cour de liourgogiu' était la plus magnifi(|uc de l'IJurope. Le cortège de Louis, au contraire, était peu nombreux et d'un aspect comparativement misérable. L'extérieur du roi, avec son man- teau râpé, son vieux chapeau à coiffe haute garni d'images, rendail le contraste plus frappant encore. L'effet en fut presipie grotcsr|ue quand le duc, en manteau d'apparat, la couronne sur la tête, saula à bas de son noble coursier et mit un i;('nou en terre ]iour tenir l'é'lrier de Louis, (|ui montait un (letit palefroi. Les eomplimcnls (|uc Ions deux échangèrent furent aussi affec- tueux en apparenc<' (|u'ils étaient au fond dépourvus de sincérité, ftlais le duc avait peine à se contenir, il n'était maitre ni de sa voix ni de son maintien; tandis que le roi, exercé h toute espèce de dis- simulation, jouait si bien son rôle, cpic ses serviteurs les plus intimes ne pouvaient distinguer ce qui était feint de ce (jui était naturel. Qu'on nous permette une coniparaison exacte, (|uoi(|ue indigne de deux |)rinces aussi illustres. Le roi était comme un homme qui con- naît ii merveille les habitudes de la race canine, et qui, pour des motifs à lui connus, désire se concilier un gros mâtin hargneux. L'.inimal se tient sur la défensive, gronde sourdement , hérisse ses poifs et montre les deuls; cepeiulant il aurait honte de se jeter sur un étranger conhant et pacifique : il supporte d(uic di's avances qui sont loin de l'apaiser; mais en même temps il attend le plus léger prétexte pour sauter ii la gorge de son ami. Aux gestes brusques d" duc , à sa voix altérée, ;i ses manières con- traintes, le roi comprit qu'il avait à jouer une partie difficile; et il se repentit peut-être plus d'une fois de l'avoir entamée; mais il était trop tard pour reculer, cl il n'avait d'autre ressource que l'inimitable adresse (|u'il possédait. Il eut l'air d'un hoiiime qui épanche son ennir en se réconciliant avec un ami éprouvé dont il a été séparé par des circonstances passagères et promptemcnt oubliées. Il s'accusa de n'avoir pas fait plus tôt cette démarche décisive, pour convaincre son beau cousin (|ue les dissidents qui avaient éclaté entre eux n'a- vaient pas effacé le souvenir de l'aveiieil bienveillant ipi'il avait reçu en Bourgogne (|uand (Jiarles ^ Il l'avait exilé. Il ])arla des vertus cl de la tendresse paternelle de Philip|>e le lion. — Je crois, dit-il, mou cousin, (lui^ votre père me portait jnesque autant d'affection (pi'ii vous-même. Je me souviens que m'étant égaré dans une partie de chasse, je retrouvai le bon duc en train de vous reprocher de m'avoir laissé au milieu des bois comme si vous aviez négligé la sûreté d'un frère aine... Les traits de Charles étaient durs et sévères; et lorsqu'il essaya de sourire de l'anecdote que lui rappelait le roi, il lit une ijrimaee vrai- ment diaboliciue : — Poli des fourbes, se disait-il, (|ue ne puis-je vous demander comment vous avez reconnu les bienfaits dont notre mai- son vcuis avait comblé! ■ — El l'uis, ajouta le roi, si les liens du sang et de la gratitude ne suffisent pas pour nous unir, nous avons encore ceux d'une ])arcnlé spirituelle. Je suis parrain de votre jolie fille i\Iarie, (|iie j'aime comme mon propre enfant. Quand les saints, dont le nom soit béni, m'envoyèrent un lils (|ui mourut trois mois après, ce fut votre digne père qui le tint sur les fonts, et il donna ii la cérémonie du baptême une splendi'ur (|u'elle n'aurait jias eue ii Paris. L'impression que sa [[énérosité e'. la vôtre produisirent sur le cœur du pauvre exilé y res- tera à jamais gravée. Le due s'efforça de formuler une réponse : — Votre Majesté, dit- il, a reconnu ce léger service en ternies qui dédommageaient ample- ment mon père du faste qu'il avait déployé. — Je ne les ai pas oubliés, beau cousin ! reprit le roi en souriant. J'ai dit à votre père, le jour du baptême, qu'en échange de la gr.àce (|iril me faisait je n'avais, pauvre fugitif, à lui offrir que ma per- sonne, ma femme et mon enfant. 11 me semble que j'ai assez bien rempli mes engagements. — Je ne prétends pas contester les assertions de Votre Majesté; mais — Slais, interrompit Louis XI, vous allez me demander comment ? rien de plus simple. Le corps de mon lils Joaehim repose en terre bourguignonne. Ce matin même, je vous ai livré ma personne sans réserve. Quant k ma femme, comme il s'est passé quelque temps de- puis que j'avais offert de la remettre entre vos mains, vous n'exigerez pas sans doute que je tienne ma parole. l'Jle est née il y a cimpiante ans, le jour de la bienheureuse Annonciation. — 11 se signa en murmurant : Ora pro nobis. — Mais elle est ii Keinis; et si vous exiijez (|ue j'accomplisse mes promesses à la lettre, je la ferai bien vite venir. Quoi([ue irrité de l'effronterie avec laquelle le roi essayait de pren- dre un ton d'inlimité Charles ne put s'empêcher de rire de la bi/.arre réponse de ce singulier inonar(|ue, et son éclat de rire fut aussi dis- conlant que l'eùl été l'accent de sa coli'rc. Après s'être livré à sa jjaieté plus longtemps que ne le coin|iortaieiit les convenances, il re- fusa net l'honneur de la société de la reine; mais il ajouta qu'il ac- cepterait volontiers celle di; la bile .lince du roi, dont les charmes étaient célèbres. — ,1e suis heureux, répondit Louis XI, que votre bon jilaisir ne se soit pas bxé sur Jeanne, ma cadette; il vous aurait fallu rompre des lances avec mon cousin d'Orléans, et des deux côtés je risipiais de perdre un ami dévoué. — Sire, (lit Charles le Téméraire, Dieu me garde de troubler les amours du duc d'OrléansI Si j'entre en lice contre lui, ce sera pour une cause plus belle et plus droite. Louis ne prit pas en mauvaise ])art cette allusion brutale aux dif- formité!^ (le la princesse Jeanne; au contraire il vit avec plaisir le due se lancer dans les plaisîinleries grossières (|ue lui-même affec- tionnait tant, et (pii le dis]iciisaiciil de tant d'hypocrisie sentimentale. Il mil donc la conversation sur un tel ton, ipic Charles, (|ui ne pou- vait feindre l'amilié envers un monarque dont il avait triqi a se ]ilaiii(lre, n'éprouva aucune difficulté |iour accueillir cordialement un hôte facétieux. A défaut d'affection récipro(|ue, il s'établil entre eux la camaraderie i|ui existe entre deux joyeux compères. La fran- chise et l'on peut dire aussi la grossièreté de (Charles lui rendaient ce ton naturel; Louis, quoique capable de traiter tous les sujets, préférait les conversations joviales et caustiques. Un baïKiiiel fut servi à l'hôtel de ville de Péronne, les deux princes y continiièreut .i s'entretenir de la même maiiii're; c'était pour ainsi dire un terrain neutre sur lequel le duc de liourgogne se niainleiiait ])liis aisément dans cet état de calme que le roi jugeait nécessaire à sa sûreté. — Louis remanpia avec in(|uiétndc auprès de son rival nuinsei- gneur de Lau, d'Urfé, Poucet de la Rivière, cl autres gcnlilshonimes français qu'il avail injusleinenl exilés. Ce fut, comme nous l'avons 64 QUENTIN DURWARD. (lit, pour se dérober à leur venn/eance, qu'il demanda à loger au châ- teau de Péronne plutôt fjiie dans la ville même. Le duc Charles le lui accorda imméiliatcmeiU avec un sourire équivoque. Mais quand le roi, ménageant ses expressions, de manière à n'é- veiller aucun soupçon, demandii si l'on ne pouvait conl'ier aux archers écossais la garde du cliàteau de Péronne, Charles répondit avec sa brusquerie ordinaire, que rendait plus alarmante l'habitude de re- trousser SCS moustaches, ou de faire sortir ou rentrer alternativement son poignard dans le fourreau : — Non, sire! vous êtes dans le camp de votre vassal; mon château et ma ville sont à vous; mes sujets vous appartiennent; il est donc peu important que ce soient mes hommes d'armes ou vos archers qui gardent les remparts du château. Non, par saint Georges! Pé- ronne est une forteresse vierge, et elle ne perdra pas sa réputation par ma négligence. On doit veiller sur les filles, mon royal cousin, si on veut les empêcher de faillir. Louis XI prisonnier à l'éromie. — .le suis parfailcment d'accord avec vous; et je suis même plus intéressé que vous à l'honneur de cejtc bonne petite ville. Co e vous le savez, beau cousin, l'éiTiniie est une des ]?laces de la Somme qui ont été eni;agées ii votre père, et (|ue je puis racheter en m'ac- (|uittarit. S'il faut tout vous dire, venant ici comme un lioiinête dé- biteur disposé à remplir ses obligations de toute espi'ce , j'ai amené ((iicli|ues mules chargées d'argent pour faire ce rachat. Il y a de quoi subvenir aux dépenses de voire maison pendant trois ans. — ,1e ne recevrai |)as un sou, s'écria le due en tas moins sans doute à maintenir le bon ordre dans la ville de Liège? demanda le favori. — Il y tient plus encore, repartit le roi : aussi, après m'être décidé à venir à Péronne, j'ai expédié à Liège des messagers chargés de susiiendre tout mouvement insurrectionnel; mes bouillants amis, Rousiaer et Pavillon, ont ordre de se tenir cois comme des souris en attendant la fin de mon entrevue avec mon cousin. — D'après les explicaticuis de Votre Majesté, dit sèchement le barbier, l'issue la plus heureuse qu'on en puisse attendre, c'est que vous en sortiez sans autre encombre. C'est être comme la cigogne dans la gueule du loii]i, et l'on doit s'applaudir d'en échapper sans être mordu. Cependant Votre Majesté semblait tout à l'heure pleine de reconnaissance pour le sage philosophe qui lui a conseillé cette partie. Elle n'est pas désespérée, et je ne m'attends pas à la perdre. Au contraire, je compte sur la victoire, si rien ne vient exciter la rage de ce fou vindicatif. Certes, j'ai de grandes obligations à celui qni a désigné, pour conduire les daines de Croye, un jeune homme dont l'horoscope s'accordait si bien avec le mien, qu'il m'a tiré d'affaire en me désobéissant, et en évitant de tomber dans l'embuscade de Guillaume. — Sire, vous ne manquerez jamais d'agents pour vous servir, à la conditiiui de suivre leur volonté plutôt iiue vos instructions. — 'J'u as tort, Olivier! dit Louis avec impatience. Le poète païen parle de vota diis e.vaudila mali!jnis,de vœux que les dieux exaucent dans leur colère. Les miens auraient été de ce nombre, si les trames de la .Marck avaient réussi pendant que je suis au ]iouvoir du duc de Bourgogne. Mon art, fortifié par celui de Martivalle, sans s'occu- per de ce qui arriverait au San|;lier, a prévu l'exiiédition du jeune Ecossais. En effet, la pro|)liétie s'est réalisée. Les astres ne présagent que les résultats généraux, et se taisent sur les moyens d'y atteindre. Mais, il quoi bon te parler de ces mystères, Olivier, toi qui es pire que ton parrain le diable!... Lui, du moins, croit et tremble; mais tu es un incrédule en religion et en science, et tu resteras ainsi jusqu'à ce que ta destinée s'accomplisse, comme me l'assure ton horoscope, par l'intervention de la potence. — S'il faut qu'il en soit ainsi, dit Olivier d'un ton résigné, ce sera parce que je n aurai jamais hésité à exécuter les ordres de mon royal maître. — Tu viens de me porter une botte! s'écria Louis avec un rire sardonique; tu as bien fait, car je t'avais défié. Mais parlons raison; as-lu découvert quelque chose qui le fasse supposer (|u'on songe à me malmener? — Monseigneur, répmidit Olivier, Votre Majesté et son astrologue cliercbent des augures dans les étoiles; moi , qui ne suis qu'un rep- tile terrestre, je m'en tiens aux choses vulgaires. Or il me semble qu'iMi montre peu d'égards pour un hôte d'un rang si élevé. Le duc vous a reconduit jus(|u'à la porte de la rue, et a laissé aux oUieiersde sa maison le soin de vous mener dans voire résidence; ces salles ont été mi'ubléesa la hâte; les lentures sont sens dessus dessous; comme vous pouvez le voir, les |)ersonn:iges des tapisseries ont la tête en bas, et les arbres les racines en l'air... — Bah! c'est l'effet de la préci])itation ; quand m'avez-vous vu m'inipiiéler de pareilles bagatelles? — Elles sont imlifférentes en elles-mêmes, repartit Olivier; mais elles indiquent le degré de respect qu'ont pour Votre Majesté les oHiciers de la maison ducale. (Croyez- moi , si Charles avait en sincè- rement l'envie de vous bien accueillir, ses gens auraient fait en ([uelqiies minutes la besogne de |ilusieiirs jours. Regardez ce bassin et cette aiguière : deiuiis quand la toilette de Notre Majesté a-t-elle été garnie d'un antre métal que l'argent ? — On reconnaît le barbier à cette dernière observation, dit le roi avec un sourire forcé; aussi je ne veux pas la relever. Il est vrai que lorsque j'étais simple réfugié, on me servait en vaissidie d'or pur les ordres de ce même Charles, qui trouvait l'argenl indigne du Dau- phin, et ipii le Iriiiive mainlenant trop beau pour le roi de France... l'.h bien, Olivier, allons-nous coucher. Notre résolution a été prise et ixécutée; il ne nous resltf plus ipi'a jouer serré, puisipic la partie est eni;agée. Je sais i|ue mon cousin de Bouri;ogiie, coiiiine les au- tres laureaux sauvages, ferme les yeux eu entrant dans la lice, il nie suflit d'épier le moineiit, comme les picadors que nous avons vus ii Biirgos, et son impétuosité le mettra h ma merci. QUENTIN DURWARD. CHAPITRE XXVII. L'Explosion. Le cliapitic précédent avait un Imt rétrospectif : nous voulions mettre le lecteur à même de juger la position relative du roi de France et du duc de liourgoijnc. Le premier, déterminé par sa foi dans l'astroloijie ([ui lui promettait le succès, et par le sentiment de sa supériorité intellectuelle, avait pris la résolution extraordinaire de se confier à un ennemi farouche et exaspéré. Ce parti était d'autant plus inexplicable, que dans ces temps d'oraije les sauf-conduits re- vêtus des formes les plus solennelles n'avaient pas toujours protégé les personnes qui en étaient munies. Dans une entrevue où l'on s'é- tait eni^apé à poser les bases de la paix, Jean Sans-peur, aïeul de Charles le Téméraire, avait été assassiné sur le ponl de Montereau en présence du père de Louis. C'était un horrible précédent si le du<' était tenté de l'invoquer. Mais le caractère de (Iharles, quoique opiniâtre et intraitable, ne perdait sa bonne foi et sa générosité naturelle que dans les accès de colère. Il ne cherchait pas :t montrer au roi plus de courtoisie que n'en exigeaient les lois strictes de l'hospitalité, mais il ne songeait pas non plus à en franchir les limites sacrées. Le lendemain de l'arrivée du roi, il y eut une montre générale des troupes du duc de Bourgogne; elles étaient si nombreuses et si ad- mirablement tenues, qu'il n'était i)as fâché peut-être d'avoir une oc- casion de les passer en revue devant son formidable rival. 11 eut soin de lui dire , comme il le devait, que ces troupes étaient au suzerain plutôt ([u'au vassal ; mais ce n'était qu'un vain compliment. La fierté brillait dans ses yeux et renflait sa lèvre suiiérieure; malgré ses pro- testations, on voyait que sa belle armée, entièrement à sa discrétion, était prête à marcher sur Varis comme sur toute autre capitale. Ce qui dut augmenter la mortification de Louis \l, ce fut de recon- naître dans les rangs bourguignons les bannières de plusieurs gentils- hommes français, non-seulement de Normandie et de liretagne, mais encore de provinces plus immédiatement soumises à son autorité. Par divers motifs de mécontentement, ils faisaient cause commune avec le duc de Bourgogne. Louis ne démentit pas son caractère, il feignit de regarder à peine ces rebelles, mais il examina mentalement les moyens de les délaclier de la Bourgogne, et résolut de les faire sonder par Olivier et d'au- tres agents. 11 s'occupa lui-même, avec tous les ménagements néces- saires, de se concilier les principaux officiers de Charles ; il employa les flatteries adroites, les témoignai;es d'estime, les prodigalités : — Je ne veux nullement, leur disait-il, vous ilétoiiriier du service de votre noble maître, mais j'ai lieu d'espérer que vous m'aiderez à conserver la paix entre la France et la Bourgogne. (]'est un but au- quel vous devez tous concourir, car il tend au bien-être des deux contrées et de leurs soux'erains. La moindre attention d'un si grand roi était en elle-même une fa- veur; les promesses, les présents que les usages du temps jiermcl- taient aux courtisans bourgui|;nons d'acceiiter sans scrupule, produi- sirent encore plus d'elTet. l'endant une chasse au sanglier dans la forêt, tandis que le duc, tout entier aux plaisirs comme aux afl'aires, n'écoulait que son ardeur, Louis XI cherchait et trouvait les moyens de parler en secret à chacun des conseillers intimes de (Charles, dont la présence ne le gênait point. O'ilymbercourl et Comines ne furent pas oubliés; il ne manqua j)as de mêler aux avances qu'il fit à ces deux hommes distinijués réloije de la valeur du premier et des talents littéraires du second, futur historien de l'épociue. Capt(M", ou, si l'on veut, corrompre les ministres de ("harles le Téméraire, s'il était impossible de li' séduire lui-même, tel était peut-être le véritable but du voyage à l'éroiine. Les deux pays étaient si rapprochés , ([ue la phijiart des nobles de Bourgogne avaient en France des intérêts (|ui |iouvaient être garantis par la faveur du roi. ou mis en péril par son déplaisir, l'aionné à toute espèce d'intri gués, libéral au besoin, habile k colorer de prétextes plausibles ses pm|iosilioi]s et ses cadeaux, le roi parvint à faire entrevoir aux am- bitieux des avantages, aux patriotes vrais ou supposés la prospérité des deux contrées. Ces derniers firent semblant de le croire, mais ils obéissaient comme les autres à l'intérêt personnel, (jui, pareil à la roue cachée d'une machine, n'agissait pas moins puissammi'ut, parce (|iie l'action en était invisible. Louis avait pour rhai|ue homme une amorce apiuopriée cl une manière spéciale de l.i présenter. Il glissait ses dcuis dans la manche de ceux (|ui étaient trop liers ])0Mr tendre la main. Il était persuadé i|ii<> ses bienfaits, quoii|Me descendant doucement et sans bruit comme la rosée, ne maii(|uer:ii(iit |)as de lui r.i|>porter une ample récolte de bonne volonté, et peut-être de bons olfices. Knfin, quoiqu'il eût depuis longtemps préparé les voies, éclairé par les renseigncmc'nts (]iril s'était antérieurement procurés, Louis XI s'assura en r|uel(|ues heures plus de crédit à la cour de Bourgogne que ses agents n'en avaient obtenu en plusieurs années de nii'ocialion. Il mancpiaitau roi un homme qu'il eut \oi\lu s'.iltacher; c'était le comte de (Irèvecreur, dont la conduite ferme pendant son ambassade, loin d'exciter le ressentiment de Louis, lui avait inspiré le désir d'avoir à lui ce précieux serviteur. 11 apprit avec quchiue peine que le comte, à la tête de cent lances, marchait v<'rs les frontières du Brabant pour soutenir au besoin révêi|ue contre Guillaume et les Liégeois insui^gés; mais il se consola à l'idée que l'apparition de ce renfort, venant ii rajipui de ses injonctions secri'tes, empêcherait momentanément des troubles dont l'explosion prématurée pouvait rendre très-précaire sa situation actuelle. A midi, comme dans toutes lis grandes chasses, la cour dîna en forêt. Le duc se conforma volontiers à l'usage, car il désirait se dis- penser autant que possible de tout appareil cérémonieux. Kn réalité, malgré toute sa connaissance du creur humain, le roi s'était abusé en pensant que le duc serait excessivement flatté de la preuve de confiance et de condescendance que lui donnait son seigneur liije. Tl avait oublié que la suzeraineté de la couronne de France sur ce du- ché était humiliante pour un prince aussi riche, aussi puissant et aussi fier (pie ( iharles, (|iii tendait certainement à fonder un royaume indépendant. La présence du roi à la cour ducale imposait au Bour- guignon l'obligation de se soumettre au rôle de vassal, d'accomplir diverses formalités féodales, et de (léro;;er à ce caractrre de souve- rain dont il aimait à faire parade. Il pouvait encore éviter les céré- monies en dii.îint sur l'herbe, au son des cors, entre des tonneaux mis en perce; mais une solennité extraordinaire devait signaler le repf^s du soir. Des ordres avaient été donnes en conséquence; et à son retour de la chasse le roi Louis trouva préparé un banquet dont la profusion et la splendeur étaient en liaruionie avec l'opulence du formipuyant sur le pronom, nous n'avons point de secrets dans ce pays. Ce que nous y faisons, nous sommes prêt à le proclamer devant le monde entier. (hielques-uns des convives auraient volontiers fait observer que le moment n'était pas convenable ])our recevoir une nouvelle et en dé- libérer; mais on s'aperçut que le vin avait irrité le caractère impé- tueux et opiniâtre de Charles, et ou le connaissait trop bien pnur s'opposer à sa volonté. Il y eut un moment de silence : le duc iuipatient tenait les yeux fixés sur la porte; les convives baissaient la tète comme pour dissi- muler leu]' in([uiétudc ou leur curiosité. Louis seul conservait nn calme parfait, et s'entretenait alleruativemeut avec le houllon et rc'cuycr tranchant. Knfin Crèvecœur parut. — Qiu'lles nouvelles de Liège et de lirabaut, sire comte? demanda précipitinnrnent le due. Le seul bruit de votre retour a chassé la joie de nos l'eslius; mais nous espérons i|ue votre présence va la ramener. — Monseigneur et maître, répondit le comte d'un ton (iriiic, les nouvelles que j'ap|iortc conviendraient mieux ii la table du conseil qu'à la table du bani|uet. — Lh' donne-les, ijuand mcine elles auraient rapport à l'Anté- christ! Mais je les devine; les Liégeois sont encore révoltés? — Oui, monseigneur. — Voyez-vous comme j'ai vite découvert ce ipie vous aviez si grand'- peiir de me dire! Les bourgeois ont repris les armes! Celte révolte lie pouvait arriver plus à propos, puisque nous pouvons demander conseil à notre suzerain sur la manii're de réduire les uiulins. En disant ces mots, le duc salua Louis \l, qu'il regarda avec l'expression mal déguisée du plus amer ressentiment; puis il ajouta : —- Est-ce là tout ce que tu as dans ton sac? Défile ton chapelet, et dis nous ensuite poiiri|uoi tu n'es pas allé au secours de l'évêque, — Monseigneur, ce (pie je vais ajouter e^l aussi pénible à dire (|u'à «■iitcndn-. "Mon assistance, hélas! ne pouvait ètri' utile il l'exeellent prélat Guillaume de la Marck, allié aux rebelles, a pris le château de Schonwaldt, et assassiné Louis de Bourbon dans ses propres foyers. — Assassiné ! répéta le duc d'une voix sourde qui retentit pour- tant dans toute la salle : tu as été abusé par de faux rapports, Crève- cœur; c'est impossible! — Hélas! monseigneur, je tiens le fait d'un témoin oculaire, d'un archer de la garde du roi de Fiance ! Il était présent quand le meurtre a été commis par l'ordre de Guillaume. — Et il a pris part sans doute à l'horrible sacrilège! s'écria le due en se levant. Et il frappa du pied avec tant de fureur qu'il mit en pièces son tabouret. — "Messieurs, fermez les portes de cette salle; gardez les fenêtres! Qu'aucun étranger ne bouge sous peine de mort immédiate ! Gentils- liommes de ma chambre, l'épéc à la main! A ces mots, il porta avec lenteur, mais résolument, la main sur la garde de son épée, et se tourna vers le roi. Celui-ci ne se mit pas sur la défensive; il ne témoigna même aucune in(|uiétude, et se contenta de dire : — Ces nouvelles, beau cousin, ont ébranlé votre raison. — Non! repartit le duc d'une voix terrible; mais elles ont réveillé un juste ressentiment qui a trop longtemps cédé à de vulgaires con- sidérations, à de vaines convenances. Assassin de ton frère, fils re- belle, tyran de tes sujets, perfide allié, roi parjure, gentilhomme sans honneur, tu es eu mon pouvoir, et j'en rends grâce à Dieu! — Uemercicz-en plutôt ma folie, dit le roi; quand nous étions face à face à Montlhéry, dans des conditions égales, je crois me rappeler <|ue vous auriez voulu être plus loin de moi que vous ne l'êtes au- jourd'hui. Cependant un grand désordre régnait dans la salle. Les portes étaient fermées et gardées; mais plusieurs gentilshommes français, malgré leur infériorité numérique , se disposaient à défendre leur souverain. Louis n'avait pas dit un mot à d'Orléans ou à Dunois de- puis qu'ils étaient sortis du château de Loches pour être traînés à sa suite; ils étaient toujours suspects. Néanmoins ce fut la voix de Du- nois qui domina la première le tumulte. — Sire duc, dit-il, vous avez oublié (|ue vous étiez vassal de la France, et que nous, vos hôtes, étions Français. Si vous levez la main sur notre roi, préparez-vous à rencontrer une résistance déses- pérée. Croyez-moi, nous nous abreuverons du sang de la Bourgogne, comuie nous nous sommes abreuvés de son vin. Courage, monsei- i;iieur d'Orléans!... Et vous, gentilshommes de France, rangez-vous autour de Dunois, et imitez-le. C'était un de ces moments oii un roi reconnaît ceux sur lesquels il peut compter. Les nobles et chevaliers indépendants, dont la plupart étaient vus par Louis de mauvais œil, sans s'effrayer des forces de leurs adversaires, sans reculer devant la perspective d'une mort cer- taine, se groupèrent autour de Dunois, et se dirigèrent sous sa con- duite vers le bout de la table où se tenaient les deux princes. Au contraire les agents que Louis avait tirés de l'obscurité pour leur donner des fonctions dont ils étaient indignes, iiiontrèrcnt leur lâcheté et leur sécheresse de cœur; ils restèrent tranquillement à leurs places, ne voulant pas se couipiomettrc, en intervenant, quel que fût le sort de leur bienfaiteur. Le vénérable lord Crawford fut au premier rang des serviteurs dévoués. Avec une agilité incroyable pour son âge, il renversa tous les obstacles, et se plaça hardiment entre le roi et le duc. Il faut dire, à la vérité, que la plu|iart di-s liourgiiignons lui livrircnt passage, soit par un sentiiiieiit d'honneur, soit par un secret désir de prévenir une catastrophe dont Louis aurait été victime. Crawfoid mit de côté son bonnet écossais, d'où ses cheveux blancs s'échappaient en désordre; le sani; était rcmiuité à ses joues pâles et a son front ridé ; le feu d'une résolution énergique étincelait dans ses yeux; de la main gauche il rejeta son luauleau sur ses épaules, de la main droite il tira sou cpce. — J'ai combattu pour son pire et son grand-père, s'écria-t-il , et, par saint André! ad\ ieni.c que pourra, je ne raliaïKloiincrui pas dans cette extrémité. (.]cs faits, dont le n'-cit nous a deinandé ([iiclqiic temps , s'accom- plirent avec la vitesse de la liimii'rc; cardes ipie le iluc eut pris une attitude lueuacante, (irawford se jeta entre lui cl l'objet de sa veu- gci.ncc, et les gentilshommes français le lejoignirent à la liâle. (Charles le réméraire avait toujours la main sur le poiriineau de son épée, et semblait prêta donner le signal d'unie mèlcc qui aurait fini iurailliblcnient ])ar le massacre du parti le plus faible; mais Cri've- cœiir s'avança, et s'écria d'une voix retentissante : — Monseijjnciir le duc de BorgO|;iie, prenez-garde à ce i|ue vous faites! Nous êtes ici chez vous; vous êtes le vassal du roi ! ne ver.sez pas le .sang de votre hôte sur votre foyer, le sang de votre souverain sur le trône- que vous lui avez préparé, et où il est venu s'asseoira l'abri de votre sauvegarde. Pour l'honneur de votre maison, ne cherchez pas à ven- ger un meurtre horrible par un meurtre plus horrible encore. — Place, Crèvccd'ur! répondit le duc : laisse passer ma vengeance! place, te dis-je! La fureur des rois est aussi rciloiilable que celle du ciel. — Seulement quand elle est juste comme celle du ('ici, répondit Cri'vecœur avec fermeté. .Souffre/, que je vous jjrie, monseigneur, de QUEWÏIN DURWARD. 89 modérer la violence de votre caractère , quoique vous soyez juste- ment offensé. Quant à vous, seigneurs de France, puisque la résis- tance est inutile , abstenez -vous de tout ce qui pourrait provoquer l'effusion du sanr;. — Il a raison, dit Louis, que son sang-froid n'abandonnait pas, et qui comprenait la nécessite de maintenir la paix pour éviter de ter- ribles excès. Mon cousin d'Orléans, mon bon Danois, et vous, mon fidèle Crawford, ne compromettez rien par trop de précipitation. INous déplorons comme notre cousin l'assassinat du vénérable évèque de Liège; nous comprenons la colère du duc. D'anciens et de nou- veaux sujets de discorde le portent malheureusement à nous soup- çonner d'avoir favorisé ce crime que notre co-ur abhorre. Quand même, avec l'idée que nous en sommes complice , noire hôte nous tuerait sur la place, nous, son roi et son parent, votre intervention serait plus préjudiciable qu'utile. I\etirez-vous donc, Crawford. Fus- sent-ce mes dernières paroles, je parle comme un roi à son olïu-ier, et j'exige obéissance. Retire/.-vous, et s'il le faut, rendez votre épée. Je vous l'ordonne, et votre serment vous oblige à obéir. — C'est vrai, sire, répondit Oawford en remettant son épée dans le fourreau; mais, sur mon lionneur, si j'étais à la tète de soixante- quinze de mes braves, au lieu d'être chargé du même nombre d'an- nées, j'aurais raison de ces frelu([uets, malgré leurs chaînes d'or, leurs bonnets déchiquetés et leurs galants einl)lcmes. Pendant plusieurs minutes, le duc resta les yeux baissés, et il re- prit enfin avec une amère ironie : — Vous dites bien, Crèvecœur; il est de notre honneur de ne pas nous acquitter aveuglément envers ce grand roi, notre hôte affec- tionné. Sans écouter un premier mouvement de colère, nous agirons de telle sorte que l'Europe entière se déclarera pour nous. Messei- gneurs de France, rendez les armes à mes officiers. Votre niaitre a rompu la trêve, et n'a plus le droit de l'invoquer. Toutefois, pour ménager vos sentiments d'iinnneur, par respect pour la haute dignité qu'il a dégradée, et pour l'illustre race dont il a dégénéré, nous ne demanderons pas l'épée de notre cousin Louis. — Pas un de nous, dit Dunois, ne rendra les armes ou ne quittera cette salle avant d'être certain que le roi est en sûreté. — Pas un homme de la garde écossaise, s'écria t^axvl'ord, ne met- tra bas les armes sans un ordre du roi ou du grand connétable. — Mesféaux, dit Louis XI, voire zèle est hors de saison. Je compte sur la justice de ma cause plutôt que sur une vaine résistance, qui coûterait la vie à mes plus braves serviteurs. Rendez vos épées! les nobles Bourguignons qui accepteront de tels gages vous protégeront plus efficacement, vous et moi, que x'ous ne pourriez le faire vous- mêmes. Rendez vos épées, c'est moi qui vous l'ordonne. — Ce fut ainsi que, dans cette terrible circonstance, Louis montra la lucidité de jugement et la promptitude de résolution qui pouvaient seules lui sauver la vie. Il savait qu'avant d'en venir aux mains, la plupart (les ISourgiiignons l'aideraient à calmer la fureur de Charles; mais que si l'action s'engageait , les Français et leur roi seraient ini- ircdiatemenl égorgés. De l'aveu de ses plus mortels ennemis, il ne fit voir ni bassesse ni lâcheté, il évita de changer en frénésie la iu- renr du duc, mais sans paraître le craindre, sans chercher ;i la désarmer. 11 Cwiitinua ii le contempler avec l'attention calme d'un homme courageux (|ui a devant les yeux un insensé, et qui connaît la puissante inlluence de la fermeté sur la folie furieuse. Crawford se soumit, et jeta son épée ;i Crèvecirur en disant : — l'renez-Ia , et <|iie le diable vous en donne de la joie '. Celui qui vous la livre ne se l'roit pas déshonoré, car la partie n'était pas égale. — .Arrêtez, tnessieurs ! dit le duc d'une voix entrecoupée. Garilez vos armes; il suffit (|ue vous promettiez de ne pas vous en servir. Et vous, Louis de \ alois, vous devez vous considérer comme prisonnier, jusqu'à ce ([ue vous vous soyez disculpé d'avoir pris part au meurtre et au sacrilég<'. Qu'on le conduise à la tour du comte Herbert, avec six personnes de sa suite , à son choix. Lord Crawford, votre g.irde quittera le château et sera hononiblement logée ailleurs. Qu'on lè\e tous les ponts-levis, qu'on baisse toutes les herses , et qu'on triple lu garde des portes de la ville el les sentinelles de tous les postes. Que le pont de baleauv soit amené sur la rive droite de la Sdiiiine, cl ma compagnie de xvallons noirs ilistribiiée aiitcuir du cluiteau. I )'l I yiu- bercourl, faites faire des patrouilles à pied el it cheval anlnur de l'é- ronne; que les rondes se succèdeiil toutes les demi-heures (lendaiitla nuit, el toutes les heures pendant le jour. Dans le cas oii cette affaire ne serait pas finie demain, veillez sur la personne de Louis, votre vie m'en répond ! Il (|uitta hrus(|uement la table, lança au roi un reganl farouche, et sorti! a pas pn'cipités. — ^lessieurs , dit Louis en promenant les yeux autour de lui avec dii;nilé, le chagrin d'avoir perdu un ami Iroiible l'esprit de voire pnni-e. J'esjière que vous connaissez assez vos devoirs de chevaliers et de gcniilshoiniues, pour ne point parlieiper à des violences déloyales contre son suzerain. l'jn ce moment ou i-ntiuidil dans la rui' le son des cors el le r(nile- nient des tambours c|ui appelaient ar des ineurl lières qui coiresponilaienl avec des lopcmenls pratiqués dans les voûtes el dans. l'épaisseur des murs. Au bout de ce passage était un escalier formé d'énoiines blocs de iilerre grossièrement lailli's au marteau et de dlnieiisirnis Inégales, ÎO QUKNTIN UURWARD. Après l'avoir gravi, l'escorte arriva par une porte de fer dans la grande salle du donjon. Elle était à peine éclairée, même en plein jour, car les ouvertures, rétrécies par l'excessive épaisseur des mu- railles, ressemblaient k des lézardes plutôt qu'à des fenêtres. Quel- ques cliauves-souris et autres oiseaux de mauvais augure, réveillés par une clarté inaccoutumée , se jetèrent sur les torches et faillirent les éteindre. — Sire, dit le sénéchal d'un ton respectueux, vous m'excuserez si la grande salle n'est jias mieux en ordre; j'ai été averti trop tard, et cet appartement aurait eu besoin de longues réparations. On ne l'ha- bite plus depuis vingt ans; et, d'après ce que l'on m'a rapporté, on y logeait même rarement autrefois, depuis le temps de Charles le Simple. ^ 7- IJe Charles le Simple! réjiéta Louis; je me ra])pelle maintenant l'histoire de la tour. C'est ici qu'il fut tué par son perfide vassal, ïlerbert, comte de Yermandois. Je savais bien qu'un souvenir se at- tachait dans mon esprit au château de Péronne, mais je ne pou- vais rien préciser. C'est donc ici qu'un de mes prédécesseur a été assassiné! — Pas ici, dit le vieux sénéchal avec l'empressement d'un cicérone !c ces fossés, tire-moi de ce danger pressant, en me ;;uidant par la main , comme une mère conduit son enfant. J ai donné en hef ;i la snur le comté de Bou- lo|;ne, mais n'ai -je pas le moyen de te prouver aussi ma dévotion? tu auras la vaste et riche pro\ ince de (Jliain]ia(;ne, dont les \ii;nobles verseront l'abondance dans ton monastère. Je l'avais promise à mon frère Charles; mais, tu le sais, il est mort empoisonné par ce méchant abbé de S.iint-Jcan-d'Ani;ely , que je punirai, si j'ai la vie sauve. Je m'y étais déjà enijagé ; mais cette fois je tiendrai ma parole. Si j'ai eu quelque connaissance du crime, crois bien, ma chère patronne, que je lai toléré jiarce que c'était le seul moyen d'apaiser les mé- contents de mon royaume. iNe porte pas aujourd'hui cette vieille dette à mon compte ; mais sois comme toujours bienveillante et ac- cessible aux supplications, lionne iJame, obtiens de ton fils qu'il me pardonne mes péchés d'autrefois, et un seul, i|iie je vais commettre aujourd'hui .. ]Son, ce n'est pas un péché, très-chère Dame de (..léry, c'est un acte de justice accompli secrètement, car le coupable est le plus grand imposteur qui ait jamais abusé un monarque, et en outre il incline vers l'odieuse hérésie des Grecs. Il ne mérite pas ta pro- tection ; abaiulonne-le- moi, et songe que je rendrai service au monde en le délivrant de cet indigne nécromancien. Sa vie ne saurait avoir d'importance à les yeux; on peut le tuer comme on écrase le lumignon qui tombe d'une lampe, ou le charbon qui saule du feu. Ne songe pas à cette petite afi'aire, ma très-chère IJaiue; ne pense qu'aux moyens de m'assister dans mes tribulations. Je te donne mon sceau royal comme gage de ma parole , sois convaincue que la Cham- pagne aiiparlieiidra a ton couvent, et i|ue ce sera la dernière fois que je t'iiiiportunerai pour des alïaires de sang, connaissant toute la bonté et la tendresse de ton cœur. Après avoir passé ce contrat extraordinaire avec l'objet de son adoration, Louis récita les sept psaiiiiies de la pénitence en latin, et plusieurs prières empruntées à l'otiice de la ^ icrge; il se releva con- vaincu qu'il s'était assuré l'intercession de la sainte mère. — D'ail- leurs, se dit-il, la plu]iart des péchés pour lesquels j'ai requis sa mé- diation él. lient d'un autre i;enre. La bonne Dame de Cléry ne peut donc me regarder comme un homme qui verse habituellement le sang; tandis que les autres saints pouvaient bien avoir di- moi cette opinion. Lorsqu'il eut ainsi purge sa conscience, ou plutôt qu'il l'eut blanchie comme un sépulcre, Louis XI entre-biiilla la porte de la grande salle, et manda le Balafré. — iMon brave , lui dit-il, il y a long'tenips (|ue tu me sers, et tu as eu peu d'avancement. Dans ta situation oii je me trouve, je suis entre la vie et la mori ; mais je ne voudrais pas mourir en ingrat, et laisser un ami ou un ennemi sans récompense. J'ai un ami dont je dois re- connaître le zèle, et c'est toi. J'ai un ennemi a punir comme il le mérite, et c'est ce traître de Galeotti, (|ui, par ses impostures m'a mis au pouvoir d'un adversaire furieux. Je suis sûr qu'il a eu aussi bien l'intention de me perdre ([ue le boucher a celle de tuer l'animal qu'il conduit à l'abattoir. — Je le pr()Voi|uerai au combat, dit le Balafré, puisqu'on prétend que c'est un ferrailleur, malgré son air gauche. Le duc de Bourgogne aime trop les gens d'épée pour ne pas nous accorder un beau cliamp avec de l'espace; et si Notre Alajesté est encore de ce monde, et jouit d'assez de liberté , elli' me verra siuiteiiir ses droits, et tirer du philosophe une vengeance dont elle sera satisfaite. — Je loue ta bravoure et tiui dévoiuinent , mais ce scélérat est un rude jouteur, et je ne voiidr.iis pas risquer ta vie, mon brave. — Je ne le serais pas, n'en déplaise a \ otro Al.ijesié, si je n'osais alTroiiler un homme de cette trempe ou uièiiie meilleur. Il ser.'iit beau vraiment que moi, qui ne sais ni lire ni écrire , j'eusse peur d'un gros butor ipii a passé sa vie il s'instruire! — .Néanmoins, dit le roi, ce n'est pas notre plaisir d'exposer tes jours. Balafré. Ce traitre est mandé ici par nos ordres. Nous désirons qu'aussitôt (|iie l'occasion s'en offrira tu l'attaques, it i|iii' tu le frap- pes sous la ciii<|iiièine côte. Tu m'entends? — Sans doute ; mais, n'en déplaise i> \ otre Majesté, c'est une ad'aire qui sort complètement de mes habitiiiles. Kn ileliors d'une bataille, d'une poursuite, d'une escariunui he, je ne tuerais pas même un chien. — lu n'as pas cepend.mt le cieur sensible ? dit le roi. On t'a vu le premier à l'assaut, et tu semblais prendre plaisir ii frapper sans pitié, à tremper les mains dans le sang. — iMousi'igneur, je n'ai jamais craint ni épargné vos ennemis l'é- pée a la m. un. D.iiis un comb.it ii ouliance, les dangers écliauf- icnt si bien le sang, ((u'il mit pliisiriirs heures à se rcIVoidir, ce qui ex]iliqiie coiiimeiit on jiille apri's la vicloire '. (lue Dieu ait ])itié de nous, pauvres soldats, (|ui avons l'esprit troublé par la bataille et plus encore parle succès. Il y a, dit-on, une légion entièrement composée de saints: il me semble qu'ils devraient intercéder pour le reste de l'armée, pour tous ceux ([iii portent le corselet et le pourpoint de biiHle. J'aurais besoin moi-même de leurs prières, car je n'ai jias tou- jours agi avec ménagement ; mais ce que Votre ^Majesté me inopose ne rentre pas dans mes attributions. Si l'astrologue est un traitre, (pTil meure de la mort des traîtres, je n'ai pas il m'en mêler. ^ ous avez ici le prévôt et deux de ses gens, qui sont plus propres ;i cette expédition qu'un gentilhomme écossais au service de France. — 'lu dis \iai; mais , au moins , il est de ton devoir d'empêcher qu'on entrave l'exéculioii de ma juste senlence. — Je combattrai s'il le faut tout l'éronnc. Votre Majesté peut compter sur moi en tout ce (|ui peut s'accorder avec ma conscience, qui est assez large quand il s'agit de la servir. J'aurais mieux aimé avaler l.i lame de mon poignard c|ue de faire pour un autre certaines choses (|ue j'ai faites pour vous. — Laissez cela, dit le roi, et écoutez-moi Quand on aura refermé la porte sur Galeotti, tirez l'épée, et gardez l'entrée de la salle. Ecar- tez-en tout le monde; voila ce (|ue je vous demande, et rien de plus. IMaintenant envoyez-moi le grand prévôt. Le Balafré sortit, et une minute après Tristan l'Hermite parut dans la chambre à coucher. — Sois le bienvenu, mon compère! lui dit le roi. Que penses-tu de notre situation ? — C'est celle d'hommes condamnés à mort, k moins que le duc ne nous envoie un sursis. — Avec ou sans sursis, celui (['li nous a attirés dans le piège par- tira avant nous pour l'autre monde, oii il sera notre fourrier. Tristan, tu as accompli plus d'un acte de justice; //;i(s\ je devrais dire filtiis, ciiruiiat o/ii(S. Il faut me soutenir jusqu'à la bn. Le roi prononça ces mots avec un sourire sombre et farouche. • — Sire, dit Tristan, je ne suis qu'un homme simple, mais j'ai de la reconnaissance. Je ferai mon devoir ici ou partout ailleurs. 1 anl (|iic je vivrai. Votre Majesté dictera ses arrêts avec une puissance toujours égale, et ils seront exécutés comme si vous étiez assis sur votre trône. Qu'on fasse de moi ce qu'on voudra l'instant d'après, peu m'importe! — Je n'attendais pas moins de loi, mon cher compère; mais as-tu de bons auxiliaires? Le traître est robuste, bien bâti, et criera sans doute au secours. L'Ecossais restera en faction ii la porte; j'ai su le décider par de douces paroles. Olivier n'est bon qu'à mentir, qu'à flatter, ,'i suggérer des conseils dangereux, et, ventre-saint-Dieii ! je crois qu'il aura un jour la corde au cou plutôt que de l'attacher au cou d'un autre. As-tu des hommes expéditifs et des moyens à l'ave- nant?... — J'ai Trois-Echelles et Petit-André; ils sont si experts dans leur métier, que sur trois hommes ils en pendent un avant que ses deux compagnons s'en aperçoivent. INous avons tous résolu de vivre ou de mourir avec \ otre Majesté, sachant qu'.iprès votre lré]ias on ne nous laissera pas plus de temps pour respirer que nous n'en accordons à nos patients. Mais quel est le condamné, s'il vous plaît ? J'aime ii èlre sûr de mon homme; comme Votre iMajesté me le rappelle i|uch|iie- fois, je me suis mépris de temps en tem|)S sur l'identité du criminel, et j'ai dépèciié à sa place un honnête laboureur, qui ne vous avait point offensé. — En effet, dit le roi. Apprends donc, Tristan, (|iic le condamné est Martius Galeotti. Cela t'étonne, mais c'est la vérité. (À' miser. ible, par de iierlides insinuations, nous a entraînés à Péronnc et livrés au duc sans défense. — Mais non sans vengeance! s'écria le grand ]irévôt; je m'atta- cherai à lui comme une guêpe expirante, quand même on devrait m'écrascr sur la place. — Je sais le plaisir que tu éprouves, comme tous les braves gens, dans raccoinplissemenl de tes devoirs. La vertu, disent les moralistes, Irouve sa récompense ape; les gens de la prévôté doivent être aux ordres de leur maître, et celui-ci aux or la personne royale. La victime est cet hérétique grec, ce sorcier mahométan. qu'on appelle Galeolti. — Galeotti! reprit Petit-André; cela devient tout simple. Tous ces saltimbanques ipii passent leur vie, on peut le dire, ii danser sur la corde roide, finissent toujours par cabrioler au bout. — Chut! tout ce qui m'inquiète, dit Trois-Echelles en levant les yeux au ciel, c'est que la jiauvre créature doive mourir sans con- iession. — liali! bah! répli(jua le grand prévôt; c'est un schismatique, un magicien; tout un chapitre de chanoines ne suflirait pas pour l'ab- soudre de ses crimes. D'ailleurs, s'il a envie de se confesser, tu es capable, Trois-Echelles, de lui servir de père spirituel. Ce qui me préoccupe davantaije, c'est la crainte d'être obligé d'employer le poi- gnard; vous n'avez pas ici ce qu'il faut pour l'exercice de votre pro- fession. — Par T\olre-Dame de Paris! dit Trois-Echelles, jamais je ne me sépare de mes instruments. Je porte en quatre doubles, autour de la ceinture, le cordon de saint François, terminé par un beau nœud coulant; car je suis de la confrérie de Saint-François, et j'en pourrai porter le capuchon in extremis grâce à Dieu et aux bons pères de Saumur. — Pour moi, dit Petit-André, j'ai toujours dans mon escarcelle une poulie et un fort piton ])0ur prévenir le cas oii les arbres sont rares et les branches trop hautes. J'ai reconnu l'utilité de ces pré- cautions. — C'est à merveille, reprit le grand prévôt. Fixez votre poulie à cette solive au-dessus de la porte, et passez la corde par-dessus. J'a- muserai notre homme par de vains propos pendant que vous lui ajus- terez le nceud sous le menton, et ensuite... — Nous hisserons la'corde, dit Petit- \ndré, et... tchick ! notre astrologue sera si près du ciel, (|u'il n'aura plus le pied sur terre. Trois-Echelles jeta un coup d'reil du côté de la cheminée. — Mais ces messieurs, dit-il, est-ce qu'ils ne nous aideront pas, pour leur apprentissage? — Non, répondit Tristan. Le barbier médite le mal, et le laisse faire à d'autres; l'Écossais gardera la porte, n'ayant ni assez de réso- lution ni assez d'adresse jiour nous assister plus cfticacement. Cha- cun son métier. Les dignes satellites du pnvdt placèrent la poulie et la corde avec une rare dextérité. Le plaisir que leurcausa ce travail fit diversion à leur in((uiélude, et ils semblèrent se féliciter de ce que la dernière action de leur vie était en si parfaite harmonie avec leur passé. Tristan 1 llermite suivit l'opération d'un œil satisfait, Olivier n'y fit pas attention ; si Ludovic Lesly, un moment réveillé, tourna la tète du côté des bourreaux, il les considéra comme occupés d'affaires étrangères à son service, et dont il n'était nullement responsable. CHAPITRE XXIX. Récrimination. Pour obéir à l'ordre ou plutôt à la requête du roi, qui n'était guère à même de commander malgré son titre, le (jlorieux s'était misa la recherche de Martius Galeotti. Le boufl'on n'eut pas de peine à s'acquitter de sa commission , il se dirigea vers la meilleure taverne de Péronne; taverne oii il ne venait pas seulement par hasard, a\ant un goût prononié pour les boissons (|ui mettaient le cerveau des autres hommes au niveau du sien. L'astrologue était dans nu coin de la grande salle qu'en Flandri' et en \IIemagne on ,ip])cllc le poêle, ;i cause de son meuble prin- cipal. Il causait avec une femme dont les vêtements bizarres se r.ip- procliaienl du cosluuie mauresque ou oriental. Au moment oli le Clorieux s'avança, elle se levait pour sortir. — (!e sont, dit-elle, des nouvelles que vous pouvez regarder comme certaines. Et elle disparut au milieu des groupes attablés. — -Cousin philosophe, dit le bouffon en se présentant; dès que le ciel lelève une sentinelle, il s'en présente une autre » la place. En xoilii une qui s'en va, et une seconde (|ui vient pour vous mander auprès de Louis W. — C'est toi qui es le messager? dit Caleolti reconnaissant le boufl'on à divers indices extérieurs, (|ui, comme nous l'avons lait ob- server, étaient e."peicdant peu visibles. — Oui, messire, pour vous servir, répondit le Glorieux. Le pou- voir dans l'embarras a i lioisi la l'"olie pour appeler auprès de lui la Sagesse. — Et si je refusais de me rendre à celle somiuation ipii m'est (aile si lard et ])ar un tel ainbass ideiir? — En ce cas, je vous enlèverais, dit le (ilorieuv, j'ai prévu vos refus; et pour les vaincre Crèvecreur m'a fait escorter par une ilizaine de solides lSouii;uignons. \ oyez-vous, mon ami (Jharles de Ifoiirgogne et moi nous n'avons pas ôté ii notre cousin Louis la con- roiine qu'il a eu la sottise de nous livrer; nous l'avons seuliunent écornée et rognée : (pioiqu'elle soit en feuilles, elle est toujours d'or pur. Pour parler plus «lairement, il règne encore sur ses gens, dont vous faites partie; il est Koi Très-Chrétien dii donjon du château de Péronne, oii il faut vous rendre, vu votre litre de vassal. QUE>TIN DURWARD. 73 — Je vous suis, messire, dit Galeotti; et juijeant sans doute (|iic la fuite était impossible, il accompagna le messager. — \ous faites bien, lui dit celui-ci chemin faisant; nous traitons notre cousin comme un vieuv lion en cage. Pour exercer ses m.î- clioires, on lui donne par intervalles un os a ronger. — Est-ce à dire, reprit Martivalle, que le roi veut me maltraiter!' — ^ ous le devinez mieux que moi, car, maigre les nuages qui cou- vrent le ciel, vous voyez encore les étoiles. Je ne sais rien des pro- jets de Louis; seulement ma mère m'a toujours dit ([u'il fallait s'ap- procher avec précaution d'un rat pris au piège, car jamais il n'est si disposé à mordre. L'astrologue n'adressa jilus de questions; et le fou, suivant l'usage des hommes de sa condition, continua à mêler des sarcasmes h ses divagations, jusqu'à ce qu'il eût remis l'astrologue aux gardes de la porte du château. Galeotti passa de poste en poste, et huit par entrer dans la tour d'Herbert. Gertrude. Les insinuations du fou n'avaient pas été perdues pour le savant. Elles furent cnnt'irmées ])ar l'air sombre et lup.ubrc rpie jirit Tristan en l'introduisant dans la chambre à couclier. Observateur attentif des phénomènes terrestres comm<' des merveilles du firmament, Galeotti remarqua la poulie, la corde, dont les vibrations étaient encore sen- sibles, et il devina que les travailleurs employés à mettre ces objets en place avaient suspendu leur tâche à son arri\ée. Il comjirit le danger et résolut de le prévenir à force de sublilité, ou de se dé- feiulre jus([u'au dernier soupir si on ratla(|uait. Il se présenta au roi avec un maintien en harmonie axec celte déleriuination, sans (la- raître craindre les etfels de la colère du monarque et s'étonner de ce que l'événement avait démenti ses pronostics. — Que toutes les plauèlcs (iropices secondent les vcein de Votre Majesté! dit-il en s'inclinant d'une manière presque orientale, (|ue toutes les constellations funestes vous épargnent liiir iullnencc désas- treuse! — Regardez oii je suis, répondit le roi; vo\ez comme je suis garde, et vous reconnaîtrez, ee me semble, que toutes les bonnes étoiles m'ont été inbdèles, et que les conjonctions fatales ont accom- pli leur œuvre de destruction. I\'es-tu pas honteux, Galeotti, de me trouver ici prisonnier, si tu songes aux promesses trompeuses (jui m'ont amené à l'éronue? — El vous, sire, (|ui avez fait tant de progiès dans la science, vous, dont la persévérance ne se lasse jamais, n'èles-vous pas honteux de chanceler au premier revers de fiirluue, comme un novice (|ui tremble au premier cliquetis des armes? \ ous vouliez participer aux niyslires qui élèvent les hommes au-dessus des passions, des mésa- X'enlures, des chagrins de la vie; vous aspiriez ;i un état qui exige une fermeté pareille à celle des philosophes stoï(|ues, et vous reculez devant les premières atteintes de l'adversité, vous renoncez au prix glorieux que vous ambitionniez! Comme un courrier effrayé par une ombre, vous avez piurde maux imaginaires! — Quelle effronterie! s'écria le roi. Ce donjon est-il imaginaire? Sont-ee des ombres vaines que ces gardes bourguignons qui veillent à la porte? Où sont (buic les maux réels si tu n'y comprends pas l'emprisonnement, la perle d'une couronne, et le danger de mort? — Mon frère, repartit le sage avec assurance, l'ignorance et les préjugés sont les seuls maux véritables. Croyez-moi, les rois, dans toute la pléuituile de leur puissance, lorsque l'ignorance les aveuele, sont UKiius libres que les pliilosoplies en prison chargés de cliaînes malérielles. C'est à moi ([u'il esl réserve de vous faire connaître le vrai bonheur; c'est à vous d'écouter mes instructions. — \ oilà donc la liberté pliiloso|ihique h laquelle tu voulais me réduire? dit le roi avec amerluiue. Il fallait me dire au Plessis que l'empire (|ui m'était promis par toi s'exercerait uniquement sur mes passions; que les succès qui m'étaient annoncés s'accompliraient en philosophie, et que j'arriverais au savoir et à la sagesse des charla- tans italiens. J'aurais pu sans doute atteindre à cette supériorité mo- rale à meilleur marché, sans exposer la plus belle couronne de la chrétienté, sans avoir un donjon pour résidence. Ya-t'en, mais n'es- père pas échapper au châtiment que tu as mérité : il y a un ciel au- dessus de nous ! — Je ne puis vous abandonner à votre destinée avant de m'ètre disculpé, répondit (ialeotti. Ma réputation doit être sans tache; c'est un joyiiu plus précieux que les perles de votre couronne, et elle étonnera encore le monde quand les derniers descendants des Capets pourriront obscurément dans les charniers de Saint Denis. — Parle donc! ton impudence ne peut me faire changer d'avis ni de résolution. Toutefois, comme il est possible que ce soit ma der- nière sentence, je ne veux point la prononcer sans l'avoir entendu. Parle, et dis la vérité; c'est ce ([ue tu peux faire de mieux. Avoue que je suis la dupe, que lu es un imposteur; que ta prétendue science est un rêve, que les planètes n'ont pas plus d'influence sur notre destinée que leur lumière ne change le cours des fleuves en s'y re- flétant. — Je reconnais ce cœur fendul c'est la bannière du comte de Crèvecœur; c'est à lui que je me rendrai. — El comment savez-vous cela? repartit hardiment l'aslrologue. ^ ous allirmez ([ue les étoiles n'ont aucune action sur les eaux; mais la lune, le plus faible des astres, ])arce qu'il est près de notre misé- rable terre, tient sous sa domination, non pas d'étroits cours d'eau comme la Somme, mais les m.irées de l'immense Océan. Il lui obéit comme l'esclave à la sultaru', et ses eaux montent ou descendent selon qu'elle décroît ou s'arrondit. Maintenant, Louis de \alois, ré- pondez à votre tour; avouez (|ue vous ressembb'z ;iu passager incon- séquent qui s'euiporte eonirc son pilote parce qu'il ne peut arriver au port sans éprouver i)ar intervalles la force contraire des vents ou des coiyants. Il m'était permis di.' vous garantir l'heureuse issue de 74- QUEWTIft DURWARD. votre entreprise, mais le ciel seul avait le pouvoir de vous y taire arriver; s'il vous conduit par des sentiers escarpés et danijereiu, que puis-je faire pour les aplanir!' Qu'est devenue votre saijesse d'hier, qui vous faisait voir si judicieusement que les voies de la destinée tournent souvent à notre avanla!;e sans être conformes à nos désirs? — Encore un de tes menson(;es ! dit te roi précipitamment. Tu m'avais prédit (|ue le voyage de ce jeune Ecossais serait honorable et avantageux pour moi; tu sais, au contraire, le tort que m'a fait cette eutreprise en exaspérant le taureau furieux de liourgogne. Ta faus- seté est évidente, tu n'as pas ici de réponse évasive à me faire; tu ne saurais me présager un retovir favorable du flot, et me le faire attendre , comme l'idiot , qui attend sur la rive que la rivière se soit écoulée. Tes calculs cabalisti(|ues t'ont abusé; lu as eu la faiblesse de formuler une prédiction positive, et elle est entièrement dénuée de fondement. — Elle se réalisera, sire, et contribuera plus que toute autre au triomphe de l'art sur l'ignorance. Je vous ai dit que l'Ecossais serait lidèle en tout ce que sa commission avait d'honorable; n'est-ce pas ce qui est arrivé? Je vous ai dit qu'il se ferait un scrupule de se rendre complice d'une mauvaise action; ne l'a-t-il pas prouvé? Si vous doutez, demandez au bohémien Hayraddin le Blaugrabin. ■ Le roi rougit de honte et de colère. — Je vous ai dit, continua l'astrologue, que la conjonction de planètes sous laquelle il partait lui annonçait des dangers personnels; n'en a-t-il jias rencontré? qu'elle présageait des avantages pour celui qui envoyait l'expédition, et vous les recueillerez bientôt. — Des avantages! s'écria le roi; n'ai-je pas déjà ceux de l'humi- liation et de la captivité? — Attendons la fin, dit l'astrologue; vous serez forcé de recon- naître que la manière. dont le messager s'est acquitté de sa mission est utile à vos intérêts. — C'est trop d'insolence ! Tromper et insulter à la fois! Sors d'ici, et ne crois pas i(ue mes offenses restent sans vengeance : il y a un ciel au-dessus de nous. Galeotti se disposa à partir. — Encore un mot, dit le roi; tu soutiens ton imposture avec au- dace , je vais t'adresscr une question : réfléchis avant de répondre. Tes connaissances vont-elles jus(|u'à te révéler l'heure de ta mort ' — Oui, mais seulement en la mettant en pi.rallèle avec celle d'un autre. — Je ne te comprends pas. — () roi, dit Galeotti, tout ce que je puis annoncer avec ceititiulc Hu sujet de ma mort, c'est qu'elle aura lieu exactement vingt-quatre heures avant celle de Votre Majesté. — Ilein! que dis-tu? reprit Louis changeant brusquement de vi- sage. ISe t'éloigne pas encore; attends un peu. Tu préteiuls donc (]ue ma mort suivra la ticinic? — Au bout de vingt-quatre heures, répéta Galeotti d'un ton ferme; j'en suis sûr, s'il y a la moindre source de divination dans les célestes in'clligences qui vous parlent un langiige mystérieux Je souhaite un bon sommeil à \otre [Majesté, Le roi prit le brus de l'astrologue et l'éloigna de la porte : — Ne l'en va pas si vite, dil-il. 'Marlius Galeotti, j'ai élé pour toi un maître bienfaisant; je t'ai enrichi, ailmis dans nuiu intimité, choisi pdur guide d.ms mes études. Sois franc avec moi, je t'en conjure. Ta science a-t-elle quelques bases positives? La mission de rÉcnssu^ finira-t-elle vraiment bien pour moi? Mon existence est elle si élroi- temeut unie à la tienne? Confesse, mon bon .Mavtivalle, que c'est encore un tour de Ion métier... Parle sincèrcjueut , et lu n'auras rien à craindre. Je suis vieux, captif, sur li' point d'être dépossédé de ma couronne) dans une condition pareille la vérité vaut des royaumes, et c'est de toi, n cher Galeotti, (|ue j'alleuds (cllc inestimable faveur, — La vérité, sire! je vous l'ai déjà fait enteiulre, au risque d'être victime de votre re.ssentiment. — Que tu me connais mal! rep;irtit le roi avec douceur; ne suis- je pas prisonnier? Ne dois-je pas être d'autant plus patient, (lue la colère ne servirait qu'à prouver juou impuissance.' Dis-le-moi m'as- tu induit en erreur ou ta science prédit-elle à coup sûr? — ^ otre Majesté me pardonnera si je lui réponds (|ue le temps et les événements convaincront seuls l'incrédulité! \ près avoir siéi'é à la able du conseil de Matthias (;<)rvin de Hongrie, ce fameux conqué- rant; après avoir occupé un poste de confiance dans le cabinet ilc l'empereur inèuK', je ne puis sans me dégrader réitérer l'assurance de ce (|ue j'ai avancé eoiiime vrai. Si vous ne me croyez pas, je ne puis (ju'eii ap|ieler au cours des éviinerueiils. Eneiire un ou deux jours lie p.iliciice, et mes prédictions rehilives au jeune Écossais se- ront justifiées ou démenties ; et je consens à être attaché sur la roue à avoir les membres rompus un à un, si l'intrépide conduile de ce Quentin Durward ne vous procure pas des avantages considérables. SculeuHuit, si je meurs dans les tortures, \'otre Majesté fera bien de chercher un confesseur, car à partir du moment oii j'aurai rendu le dernier soupir il ne vous restera que vingt-quatre heures pour faire péuitcucc. Louis, tenant toujours Galeotti par la robe, le mena vers la porte, qu'il ouxrit en disant à haute \oi\ : — >ous reparlerons de tout cela demain. Allez en paix, mon docte père! allez en paix! allez en paixl Il répéta ces mots trois fois, et, pour que ses intentions ne fussent pas méconnues par le grand prévôt, il reconduisit l'astrologue. A la manière dont il le tenait, on aurait dit qu'il avait peur qu'on ne le lui arrachât pour le mettre à mort sous ses yeux. Il ne le lâcha qu'après avoir redit à plusieurs reprises la phrase de miséricorde : Allez en jiaij-! Il fit même un signal secret au grand prévôt, pour lui enjoin- dre d'ajourner toute violence contre l'astrologue. Ainsi, à l'aide de quelques renseignements secrets, de son courage et de sa présence d'esprit, Galeotti se tira d'un imminent danger. Le plus vindicatif des rois se laissa désarmer; le plus intelligent céda à rinfliience de la superstition sur un caractère égoïste, et sur une àme tro]) chargée de crimes pour ne pas craindre la mort. (!e ne lut pas toutefois sans une profonde mortification qu'il re- nonça à sa vengeance; et les satellites aux(|uels l'exécution devait être confiée semblèrent partager son désappointement. Le Balafré seul conserva une parfaite indilïérence; dès qu'il y eut contre-ordre, il ((iiitta la porte oii il s'était mis en faction, et ne tarda pas à dormir. Le roi rentra dans sa chambre. Le grand prévôt s'accota dans un coin pour se reposer; mais il contemplait Martivalle de l'air dont un matin regarde le quartier de viande que le cuisinier vient de lui re- tirer d'entre les mâchoires. (Cependant les deux valets se communiquaient leurs sentiments ca- ractéristiques. — Quel dommage! dit Trois-Echelles avec onction: ce pauvre nécromancien a perdu une occasion unique d'expier ses sortilèges en luourant par le cordon de saint François! j'étais même décidé à le lui laisser au cou, pour éloigner les démons de sa malheureuse carcasse. — Et moi, dit Petit-André, j'ai manqué une occasion magnifique de connaître la tension qu'un poids de cent cinquante livres fait subir à une corde à trois brins. C'eût été pour nous une belle e\|>é- ricnce; et puis ce joyeux compère serait mort si facilement! Pendant ce dialogue, Martius, qui avait pris place à l'autre coin de l'immense cheminée, regardait à la dérobée les causeurs. Leur soiijHonnant de mauvaises intentions, il s'assura d'abord (pi'il pou- vait saisir sans peine le poignard acéré qu'il portait toujours sur lui; car, comme nous l'avons fait reniaripier, un peu de gaucherie ne l'enipêchait pas d'être un homme athlétique, habile et jirompl dans le maniement des armes. Après avoir ]tlacé convenablement son poi- gnard, il tira de son sein un rouleau de parchemin couvert de carac- tères grecs et de signes cabalistiques. Puis il réunit les tisons du foyer, afin de produire une clarté i|ui lui permît d'observer ses com- pignons. I,e soudard écossais, plongé dans un lourd sommeil, était aussi immobile qu'une statue. Olivier, pâle et inquiet, tantôt s'as- soupissait, tantôt rouvrait les yeux et relevait jirécipilammeut la tète, réveillé par une souffrance interne ou par i|uelqiie bruit loir.- taiii. La physionomie du prévôt exprimait un mécoutenteinent farou- che. L'hypocrite Trois-Echelles, les regards tournés vers le ciel, murmurait ses prières du soir, et Petit-André s'amusait à parodier les gestes et les grimaces ue votre témoin se licnne prêt, nous serons au château à onze heures. Nous allons rédiger quelques arti- cles, aux(]uels il devra souscrire; sinon malheur a lui| ! le reste dépendra des dépositions. Séparez-vous, la séance est levée. Je vais changer de costume, car je ne suis pas dans une tenue convenable pour rendre visite à mon 1res gracieux souverain. Le duc ap|iuva sur ces (icniicrs mois avec une profonde amertume, se leva, et sortit à pas |)récipités. — .^lessieurs, dit d'ilymbercourt à Crèvecn'ur et à Comines, la sûreté de Louis, et, (pii [dus est, 1 lionneurde la liourj;ogne, dépendent d'un coup de dés. (ainrs au château, Comines, loi qui as la langue mieux allilée (pie la ni'itre. Préviens Louis de l'orage (pii s'approclie, il saura mieux comment se ijouverner. Je crois que CCI archer de la ;;ardc écossaise ne dira rien de compromettant; mais sait-on pour- tant de (pielle mission secrète il était chargé? — ■ C'est un jeune homme hardi, dit Crèvec(eiir, mais d'une pru- dence au-dessus de son âge. Dans la conversation qu'il a eue avec moi, il a constaninienl ménagé le prince (pi'il servait. Je suppose (pi'il se conduira de même en présence du duc. Je vais le chercher, ainsi ipie la jeune comtesse de Croye. — La comtesse! vous nous aviez dit (pie vous l'iiviez laissée au couvent de Sainte-Brigitte. — Oui ; mais par les ordres exprès du duc je l'ai fait venir à Pé- ronne. On l'a amenée celle nuit dans une litière; elle était profondé- ment abattue, in(piièle sur son propre sort, cl sur celui de sa tante liameline. I.n se dérobant à la tulelle de son seigneur lige, elle s'est rendue coupable de délit féodal ; et le duc est moins disposé que personne à souffrir ipi'on :ittenle à ses droits seigneuriaux. La iKMivelle (pie ia jeune comtesse était entre les nuiiiis deCharles fui pour Louis une épine de plus. Il savait (pi'en e\pli(|uant les ma- nœuvres (pii l'avaient attirée en l'rance avec sa tante, elle pouvait suppléer au témoignage de /.aiiiet le Mangrabin, dont il s'était dé- barrassé. Si la part ipi'il avait eue aux démarches des deux comtesses était une fois constatée, (Iharles, lésé dans ses droits, ne se servirait- il pas de ce prétexte pour devenir iilus exigeant? Le roi comîiiuni(pia ses craintes à Philippe de (!omines , dont la finesse cl les l.ilenls poliliipies lui convenaient mieux ipie la brusipie- rie militaire de Crèvecieur ou la hauteur féodale de d'ilymbercourt. — .Mon bon ami Comines, dil-il à son futur hislorien, ces hommes d'armes, couveris de fer, ne devraient jamais entrer dans le cabinet d'un roi; il faudrait les laisser d.iiis l'antichiimbre avec leurs lialle- I>;irdes et leurs perluisanes. On peut utiliser leurs bras, mais leurs têtes ne sont lionnes ipi'à servir d'enclumes aux masses d'armes de l'ennemi. Le roi ipii voudrait en faire un autre usage esl comme le fou (pu offrait à sa maîtresse un licou de (lien en guise de collier. Ce sont des hommes eoninie vous, Philippe, doni les yeux pénétrants xoiil au fond des affaires , qu'un prince doit adinellre a son conseil, dans son cabinet ; (pie dis-je' dans les plus secrets replis de son âme. Comines élail flatté de l'ajiprobation du monarque le plus judi- 76 (QUENTIN DURWARD. cieux de l'Europe, et il no put lui dissimuler complètement l:i satis- faction qu'il éprouvait. — Je voudrais, reprit Louis, avoir un pareil serviteur, être dijjnc de le posséder. Je ne serais pas dans cette fâcheuse position; mais ce serait une compensation pour moi dans mon malheur si je parvenais à m'assurer les services d'un homme d'Ktat aussi expérimenté. — Sire, mes facultés, quelles ((u'rlles soient, sont au service de Sa Majesté Très-Chrétienne, sous la réserve de la fidélité que je dois à mon légitime seigneurie duc (Charles de Hourgogne. — Voudrais-je xous en détourner? s'écria le roi d'un ton pathétique. Hélas! ne suis-je pas en danger pour avoir accordé trop de confiance à mon vassal ? La cause de la bonne foi féodale peut-elle être plus sacrée pour un autre que pour moi, puisque je ne saurais me tirer d'embarras (ju'cn l'invoquant ' (lontinue/. à servir Charles de Bour- gogne, et prouvez-lui votre zèle en le décidant à s'entendre à l'amiable avec Louis de France; de cette manière vous nous servirez tous deux, et l'un de nous du moins vous témoignera de la reconnaissance. On m'a dit que vos appointements égalaient à peine ceux du grand fauconnier, et qu'on mettait ainsi les talents du plus sage conseiller de l'Europe au niveau du métier d'un éleveur d'oiseaux. La France a de vastes territoires, son roi est riche: permettez-moi, mon ami, de rectifier l'erreur d'une choquante assimilation. J'en ai les moyens à ma portée, souffrez que je les emploie. Le roi mit sur la table un gros sac d'argent; mais, avec une déli- catesse rare chez les courtisans de celte époque, Comines le refusa. — Je suis, dit-il, satisfait de la générosité de mon prince légitime; et quand même j'accepterais les bienfaits de Notre Jlajesté, ils n'ajou- teraient rien au désir que j'ai de lui être utile. — Singulier homme! s'écria le roi : souffrez que j'embrasse le seul courtisan qui soit à la fois capable et incorruptible. La sagesse est préférable à l'or; et, croyez-moi, Phili])pe, je compte plus sur votre bon vouloir que sur le concours vénal de ceux qui ont reçu mes dons. Je sais (|ue vous ne conseillerez pas à votre maître d'abuser de l'occasion qu'il doit à la fortune, et, s'il faut le dire, à ma folie. — IJ'en abuser, non, répondit l'Iiistorien, mais très-certainement d'en user. — Comment! jusqu'à (juel point? Je n'ai pas la prétention stupide d'en être quitte sans rançon; mais qu'elle soit raisonnable. A Paris, au Plessis ou à Péronne, j'écoute volontiers la raison. — Sans doute, repartit Comines; mais, à Paris ou au Plessis, elle parlait si bas et si doucement, qu'elle ne parvenait pas toujours à se faire entendre. A Péronne, elle emprunte le porte-voix de la néces- sité, et sa parole devient impérieuse et hautaine. — Vous aimez les figures, dit Louis avec une mauvaise humeur qu'il fut incapable de réprimer. J'ai l'esprit simple et obtus, sire de Comines; laissez donc là vos tropes, et venez au fait. Ou'est-cc que le duc attend de moi ? — Je ne vous apporte pas de propositions, monseigneur, dit Co- mines, le duc vous fera connaître bientôt son bon plaisir. Alais il me vient à l'esprit certaines conditions aux([uelles Votre !\lajesté doit se préparer. Par exemple, la cession définitive des villes de la Somme. — Je l'avais prévu. — On vous invitera à désavouer les Liégeois et Guillaume de la Marck. — Je les désavoueiai aussi volontiers que l'enfer et Satan. — On vous demandera des otages, des places de sûreté, comme garantie que la France s'abstiendra à l'avenir d'evciter la rébellion parmi les J'Iamands. — Qu'un vassal demande des gages à son souverain, voilà (|uel.|u< chose de nouveau ; mais passons. — On demandera pour voire illustre frère, l'allié et l'ami de mou maître, un apanage convenable et indépendant, comme !a Norman- die ou la Champagne. Le duc aime la maison de Notre i\Lijeslé. — Il l'aime tant qu'il voudrait faire des rois de tous ses meiubres, mort-nieu ! F.h bien ! voiri' provision de demandes est-elle épuisée? — Pas tout à fait: on invitera certainement Voire Majesté à ni' plus molester le duc de Bretagne, à ne plus lui contester, à lui comme aux autres feudataires, le droit de battre monnaie, et de s'in- tituler duc et prince par la grâce de Dieu. — En un mot, à faire de mes vassaux autant de rois. Sire de Co- mines, vous vonlez donc me rendre fratricide! Vous vous ra|ipelez bien mon frère (Charles; il ne fut pas plutôt duc de (Juienne, qu'il mourut .. Et, après avoir abandonné ces riches provinces , (|ue res- lera-t-il au successeur de Clovis, sauf l'onction sainte de lleims et l'honneur de dîner seul sous un balda(|uin? — Que Votre Majesté ne s'inquieli> pas de son isolement, dit Phi- lippe de (domines; nous comptons lui donner un com|iagnon. Sans ri (Jamer présentement le litre de roi, le duc de Bourgogne désire s'afl'rauchir à l'avenir des marques de sujétion abjectes qu exigeait de lui la couronne de France. Il veut fermer sa couronne ducale d'un cercle impérial et la surmonter d'un globe, comme emblème de son indépendance. A ces mots, Louis se leva en proie à une agitation iniisilée. — Et comment, s'écria-t-il, le duc de Bourgogne, qui a fait hom- mage à la France, ose-t-il proposer à son suzerain des conditions qui, d'après toutes les lois européennes, entraîneraient la forfaiture de son fief? — La sentence ne serait pas facile à exécuter, répondit Comines ! avec calme. Votre Majesté sait que les lois féodales tombent en désuétude, même en Allemagne; que les suzerains et les feudataires s'efforcent d'améliorer leur situation respective, selon qu'ils en ont le pouvoir et l'occasion. Les démarches de Votre !Majesté auprès des Flamands excuseront la conduite de mon maître; il dira que, s'il dé- sire se rendre indépendant, c'est afin que la France n'ait aucun pré- texte pour intervenir dans ses domaines. — Comines, (domines! dit le roi en se levant de nouveau et en se promenant d'un air pensif, voilà un terrible commentaire de ce texte : IVr victis! Les exigences du duc vont-elles réellement à ce point? Insistera-t-il sur des conditions aussi dures? — Je l'ignore; mais j'engage \ otre Majesté à se tenir prête à les discuter. — Mais la modération dans le succès, Comines, est nécessaire à la réalisation de tous les avantages qu'il promet. — N'en déplaise à Votre Majesté, j'ai remarqué que c'était tou- jours le perdant qui vantait le mérite de la modération. Celui ijui gagne fait plus de cas de la prudence qui l'invite à ne pas laisser échapper une occasion favorable. — C'est possible; mais au moins j'espère que vous êtes arrivé au bout de votre kyrielle : le duc ne saurait avoir d'autres prétentions, à moins qu'il n'aspire à ma couronne. Ma foi , si je lui cède, elle ne vaudra guère la peine d'être disputée. — Monseigneur, reprit Comines, il est encore une demande que le duc compte vous adresser, et dont l'objet vous touche de près. — Pâques-Dieu! s'écria le roi avec impatience : de quoi s'agit-il? Expliquez- vous, sire sire de Comines. Faut-il lui envoyer ma fille pour concubine? Quel déshonneur veut-il m'infliger? — (^e n'est pas un déshonneur, sire; le cousin de Votre Majesté, l'illustre duc d'Orléans... — Ah! ah! s'écria le roi; mais Comines continua sans prendre garde à cette interruption. — Le duc a donné sa tendresse à la jeune comtesse Isabelle de Croye; mon maître espère que vous consentirez comme lui à ce ma- riage, et que x'ous vous joindrez à lui jiour doter le noble couple d'un apanage (|ui, avec les domaines de la comtesse, mette un fils de France en étal de soutenir son rang. — Jamais, jamais! s'écria le roi perdant son sang-froid et mar- chant à grands pas dans la chambre. (,>u'on apporte des ciseaux, qu'on me rase la tête, comme celle d'un fou auquel je ressemble malheureusement; qu'on ouvre pour moi les portes d'un monastère ou de la tombe; qu'on me cautérise les yeux avec un fer chaud; mais d'Orléans ne rompra pas l'engagement (ju'il a contracté envers ma fille, et n'aura pas d'autre femme tant qu'elle vivra! — Avant de vous prononcer si énergiquement contre cette propo- sition, Votre Majesté doit réfléchir qu'elle ne saurait s'y opposer. Un homme sage qui voit tomber un rocher ne cherche pas à eu arrêter la chute. — Mais un brave trouve la mort sous la pierre qui tombe. Ne voyez- vous pas, Comines, qu'un pareil mariage serait la |icrte de mon royaume? Rappelez-vous que je n'ai qu'un fils débile, et que ce d'Orléans est, après lui, mon héritier; que son union avec Jeanne a l'asseutiiuent de l'Eglise; qu'elle associe heureusement les iiilérèls des deux branches de ma famille. Songez que ce mariage a élé le rêve de toute ma vie; que, pour y parvenir, j'ai couibatlu, veillé, prié, péché au besoin. Je n'y renoncerai pas! Philippe de Comines, prends pilié de moi dans ce moment criti<|iie! 'Ion esprit vif doit le suggérer un sacrifice équivalent (|ui me dispenserait de celui-ci. Trouve un bélier (|ue je puisse oflVir ii la |ilace de ce projet, i[ui m'est plus cher que ne l'élait au palriarclie son fils Isaac. Philippe, ju-euds pilié de moi! 'lu dois couipreudre ce (|ue ccu'ite aux hommes pn'VDyants la ruiiu' d'un plan qu'ils ont lou;;lemps nu'dilé, et pour l'accomplisse- ment dui|uel ils ont fait de longs cIVorts; tu sais ipi'elle esl plus pé- nible ]i(iur eux que ne le serait pour un homme vulgaire l'insuccès d'un dessein mal conçu et sans portée, l'u es capable de compatir aux poignantes douleurs du sage dont les calculs sont déjoués... Ne feras- tu rien pour moi ? — Mon seigneur et roi, répond il Comines, je prends pari ii vos peines, autant ipie mes devoirs envers mon maître... — Ne m'en parlez pas! dit Louis agissant ou feignant il'agir sous l'empire d'un emportement irrésistible (|ui le laissait sortir de sa ré- serve habituelle; Charles de Hourgogne est indigne de votre attache- ment, lui qui frappe, insulte ses conseillers; lui (|ui désigne le plus sage et le plus fidèle par le sobriiiuet injurieux de Têle-Bollie! La sagesse tic Philippe de Coiuines ne l'eiTipèchait pas d'avoir une haute idée de son importance. Il fui frappé des jiaroles que le roi avait prononcées comme ])ar még'arde, et répondit prcsiiue involon- tairement : — Tèle-Bottée! Il est impossible qu'en présence d'un nuinar(|ue étran(;er le duc ait nommé ainsi un homme qui le sert depuis qu'il monte à cheval. Louis s'aperçut de l'impression qu'il avait produite; il évita d(j QUENTIN DUHWARD. prendre un ton de sympathie affectée ou de condoléance injurieuse, et dit avec une noble simplicité : — Mes malheurs me font oublier ma courtoisie; sans cela, je ne vous aurais pas parle de ce qui doit vous être désagréable à entendre, liais vous m'avez accusé d'avoir avancé un tait impossible; mou hon- neur est en jeu, et il resterait compromis si je ne vous répétais l'his- toire que le duc m'a racontée en riant au\ éclats. > ous chassiez avec lui, m'a-t-il voix basse , lentement et d'un ton pénétré; il semblait avoir besoin de précautions, vouloir prouver sa sincérité, et faire sentir au roi que chacune de ses paroles a\ait un sens spécial et déterminé. — Les propositions que j'ai soumises à Votre Majesté, dit-il, ont ar des voies détournées. — Je le sais; je l'ai vu se jeter à l'eau, au risc|ue de se noyer, quand il y avait un pont trois cents pas plus loin. — Sire, celui qui sacrifierait sa vie ii la satisfaction d'une fan- taisie songera moins i> consolider son pouvoir qu'il suivre l'impul- sion du nu>ment. — C'est vrai; Charles de Bourgogne est comme ces fous qui lais- t^eut la proie pour l'omlire. 11 lient plus aux apparences de l'autorité qu'a l'autorité elle-uM'uie. Mais, mon cher ami de Comines, que concluez-vous de ces prémisses? — \ oici les conséquences que j'en tire , répondit le Bourguignon. Le ])èclieur habile s'empare d'un gros poisson, et l'amène à terre avec un crin, en lui cédant au li<'u de s'opposer à ses secousses; et pour- laut, si la ligne avait été brus(nu'uient teiulue, ce |)oissou aurait eu la force de romjire une corde deux fois plus solide. A l'exemple du pécheur, (|ue N otre Majesté satisfasse le duc sur les détails qui, selon lui, intéresseni son hoinicur et sa vengeance. Elle évitera ainsi les pnqiosilions malsonnantes que j'ai indiquées, et i)rincipalenient celhs ijui tendraient ;i affaiblir la France. Elles sortiront de la mé- nuiire de (;harles; et il sutVira d'en renvoyer la discussion à uin- pro- rliaiue conférence pour les éluder complélemenl. — Je vous comprends, nujn bon Philippe; mais quelle est la demande it laquelle le duc lient assez pour que la contradiction le rende intraitable ? — Je n'en connais aucune en particulier. Il sera intraitable pour peu qu'on le contrarii' , et c'est précisément ce que \ olre .ALijesté doit éluder. Pour suivre ma jtremière comparaison, vous devez rester sur vos gardes, prêt à lâcher la ligne, toutes les fois que le duc s'a- bandonnera à ses mouvements désordonnés. Sa fureur, déjit diminuée, s'éteindra si elle ne renconlre pas d'obstacles , et vous finirez par le trouver plus accommodant. — Pourtant , la portée de ceux qui reulréprennenl avec courage. Tenez-vous prêt, sire, car le duc va venir conférer avec vous. Quand Philippe de Comines fut sorti , le roi resta lone.lemps les yeux fixés sur la porte, et il finit par éclater de rire. — Il a parlé de pêche! dit-il avec une amère ironie; le voilà comme une truite attirée jiar l'appât 1 II se croit vertueux parce qu'il ne veut pas de mes dons, parce qu'il se eonlenle de flatteries, de promesses, et du plaisir de viuiger l'affront fait à sa vanité. Il esl plus pauvre après avoir refusé de l'argent, mais il n'est pas plus hou nêtc. Pourtant , il faut ([ii'il soit à moi ; car c'est le ])lus intelligeal de la bande... Passons maintenant à un plus noble gibier !... Je vais me trouver en face de ce léviathan de Charles, i|ui arrivera ici en fendant les flots. Imitons le marin eflrayé; jetons à la mer une épave pour l'aniuser, en attendant i|iic l'ociasion s'offre à moi de lui |dan- ter un harpon dans les entrailles:' CHAPITRE XXXI. L'Entrevue. Pendant l'importante matinée i|ui précéda la conférence des deux princes , Olivier le Daiii se conduisit en agent actif cl habile. .\ force de présents et de promesses, il assura à siui maître des partisans qui se trouvaient intéressés à étonlVer l'incendie |ilutôl ipi'a l'activer, si le ressentiment de Charles se rallumait Olivier se glissa, semblable à la nuit, de lente en tente, as un seul mot, au liréjudicc du roi Louis, de ce que j'ai appris pendant ipie j'étais à son service. Mes serments m'inquisent le silence; mais je ne resterai pas dans un corps où , indépendanimenl des périls d'une bataille rangée contre mes ennemis, j'aiïronle les dangers des embuscades que dres- sent mes amis. — C'en est fait de lui s'il a|ipiéhende les embuscades! dit avec douleur le Balafré, qui avait l'esprit lent à concevoir. Les embuscades sont la manière de combattre (|ue notre roi afl'cclionne le plus. J'ai donné moi-même dans jilus de trente embuscades, et pris part à plus d'uiic soixantaine. — Je ne le conteste jias, répoinlil lord (Craxvford; néanmoins, tenez- vous en repos : je crois comprendre celte affaire mieux (|ue vous. — Je le souhaite, milord, répondit Ludovic, mais j'ai le frisson en pensant que le.frère de ma sccur a peur d'une eiubiiscade. — Jeune homme, dit Craxv'ord , je devine en partie ce que vous voulez dire. Dans le voyage que vous avez entrepris par l'ordre du roi, vous avez rencontré la trahison et vous crojez pouvoir accuser le roi d'en être l'auteur. • — Oui , répondit Quenliii , j'ai failli être victime d'une perfidie ; mais j'ai eu le bonheur de la déjouer. (^)ue Sa Majesté soit innocente ou coupable, cela ne regarde que Dieu et sa conscience. 11 m'a nourri quand j'avais faim, il m'a reçu (pianil j'étais sans asile :je ne le char- gerai jamais dans l'adversité d'impiilalioiis qui peuvent être immé- ritées, puisque je ne les liens i|iie ilcs hmichcs les plus viles. — Mon cher enfaiil ! mou fils! dit Craxvford en serrant Q)iientin dans SCS bras, vous pensez en véritable l'.cossais ! en voyant un ami au pied du mur, vous oubliez ses ofl'cnses, jiour ne vous souvenir que de ses bienfaits. — Puisque milord (Craxvford a embrassé mon neveu, dit Ludovic Lesly, je puis bien rciiibrasscr aussi; mais, qu'il le sache bien, il est aussi indispensable à un soldat de s'accoutumer aux embuscades qu'à un prêtre de lire son bréviaire. — Taisez-vous, Ludovic! repartit Craxvford : vous êtes un âne, mon ami ; xous n'apiuéciez pas la i;râce que le ciel vous a faite en vous donnaiil ce brave neveu... Diles-moi, maintenant , Quentin , le roi est-il instruit de votre héroïque et chrétieune résolution? Le pauvre homme, dans sa position critique, a besoin de savoir siirqiioi <'oinpter. .S'il avail amené avec lui toute la garde écossaise... Mais que la volonté de Diiii soit faite!... Croyez-vous qu'il eouiiaisse vos intentions.' — .le ne saurais trop le dire; mais j'ai déclaré à sou asirologiie , Marliustialeotti, ipie je garderais le silence sur sont ce <|iii pourrait nuire au roi dans l'esprit du duc de Bourgogne Soit dit sans vous nll'ciiser, je ne coiumuni(|iierais pas même à \ otre Seigneurie les par- iiciilarités qui ont excité mes soupçons ; à plus forle raison n'avais-je pas cmic de m'ouvrir au )ihilosnphc, — Olivier, reprit lor Souplejaw , doué de seconde vue, était meilleur proplii'lc (|ue liallolli, ('■allipotli, quel que soit son nom, Saundcrs m'a jjrédit que tous les cnl'anls de ma sd'ur mourraient un jour, et c'était le jour de la naissance du plus jcuui', de (juentin , qui mourra sans doute un jour iiour réaliser la prophétie. Hélas! il reste seul de toute la couvée. Saunders m'a l)rédit que je m'enrichirais par un mariage, ce<|ui arrivera sans doute, je ne sais trop comment, puisque j'ai peu de ijoùt pour le ménarje, et que (Quentin n'est qu'un enfant. Saunders m'a encore prédit... — Halte la! dit lord Craxvford, à moins <(uc la prédiction ne se rapporte au sujet qui nous oceu]ie, permets que je l'interrompe, mon hon Ludovic. 11 faut que nous laissions ton neveu , en priant Aotre- IJanu' de le fortifier dans ses bonnes résolutions, (i'esl un cas où une parole imprudente peut causer plus de mal que tout le i)arlement de Paris n'eu saurait réparer... Recevez mes bénédictions, mon enfant; et ne vous pressez pas de quitter notre corps. 11 y aura de bons coups il donner prochainement, et pas d'embuscades. — Je te bénis aussi, mon neveu, dit Ludovic Lesly : puisque mon liès-noble capitaine est content de toi, je dois l'être aussi. — Arrêtez, niilord, dit Quentin en prenant à part lord Craxvford. Je ne dois pas né|;lir;er de vous avertir (|u'il y a de par le monde une personne qui a appris de moi les détails (|u'il importe maintenant au salut du roi de ne pas divulguer. 'Mon serx ice , les bienfaits que j'ai reçus, m'astieii;nent au silence, mais celle dame peut ne pas se croire oblii;ée ii le i;arder comme moi... — Cette dame! répondit Craxvford : ah! s'il y a une femme dans le secret, nous sommes perdus! — Ne le supposez pas, milord; seulement, employez votre crédit auprès du comte de Crèvecœur pour qu'il me facilite une entrevue avec la comtesse Isabelle de Croye, qui est maîtresse de mon secret . et je suis convaincu que je la déciderai ii taire comme moi toiil ce qui pourrait irriter le duc contre le roi Louis. Le vieux capitaine rêva quelque temps, rcfjarda le plafond, jiuis le [larquct, secoua la tète, et dit enfin : — Sur mon honneur! je n'y comprends rien. La eomicsse Isabelle de Croye ! une entrevue avec une dame d'une famille aussi illustre, d'un rani; aussi élevé !... El loi, pauvre avenlurier écossais, tu es convaincu i|ue tu la décideras!... lu as une étrani;e ciuifiancc , mou jeune ami , ou lu as bien employé le temps île ton voyaije ! Mais, par la croix de saint André! je parle- rai il Crèvecu'ur en ta faveur; et, comme il cniinl qu'on ne pousse le duc (Charles à quelque honteuse tentative contre le roi, il est vraisem- blable ([u'il accédera à la demande, quoi([ue, sur mon honneur! elle soit comique ! Kn disant ces mots, le vieux lord so.lit . suivi de Ludovic Leslj. Ce dernier ne comprenait rien ii ce qui se passait; mais, réglant tou- jours sa conduite sur celle de son chef, il s'efforça d'imiter l'air d'iin- porlancc et de mystère que prenait Craxvford. (^tiielques minutes après, le comiuandant écossais revint seul. H était d'une humeur bizarre, ses traits anguleux et sévères ëtaieiil con- tractés par des rires presque convulsifs ; mais en mcine temps il re- muait la tête, comme s'il eùl blâmé la chose ipii lui scmbl.iit si plai- sante. — Mon compatriote, dit-il, votre audace a réussi. Crèvecieur a a\alé votre proposition en (jrimaçant, comme un verre de vinai;;re; il m'a juré par tous les saints de Hour(;o|;nc que s'il ne s aijissiit pas de l'hoiiiieiir des princes et de la paix des rnyaiimcs, vous n'auriez jamais vu même rempreiiile des pieds de la cimitesse sur le sol. Il esl marié a une femme charmante; sans cela, je crois qu'il aurait eu envie de riimpre une lance pour conquérir Isabelle, l'eut-èlrc pense t-il à établir son neveu le comte Klieiine. Une comlesse ! quelle préicnlion ! Mais partons! A olre entrevue doit être courte. Au reste, je me liijurc que vous savez mettre à prohl les moindres instants. Oh! oh! xotre présomption me fait tant rire que je ne puis ijiière vous i;ronder. Durward , oflVnsé et décontenancé par les saillies du vieux soldat, sentit le rouijc lui monter au visa(;c. 11 voyait avec peine sa passion condamnée par tous les hommes d'expérience. U suivit en silence lord (,r.:\vfnrd au couvent des Ursulines, où lo|;eail la comtesse, et dans le parloir duquel il trouva le comte de Crèvecœur. — .\insi, mon jeune ijalant, dit celui-ci d'un ton sévère, vous dé- sirez voir encore une fois la belle conipai;ne de votre expédilion ro- manesque ? — Oui, monseigneur, répondit Quentin avec fermeté, cl, qui plus esl, je désire la voir sans témoins. — C'est impossible, reprit Crèvecœur. Je vous en fais juge, lord Craxvford. Cette jeune dame, bile de mon ancien compagnon d'armes, la plus riche liérilii'ie de Itoiiigogne, a avoué une espèce de... qu'al- lais-je dire:' bref, elle est folle, et votre homme d'armes est un fat présoinplueux. Ils ne se verront pas sans témoins. I — Alors je ne dirai pas un seul mol à la comtesse en votre pré- sence, repartit (hientin ravi de ce qu'il venait d'entendre. ÎMalgré ma présomption, vous m'avez appris beaucoup plus que je n'aurais osé espérer. — C'est vrai, mon ami, dit Craxvford, vous avez été imprudent dans vos révélalions. l'iiisque vous vous en rapportez à moi , je vous conseillerai de vous lier ,i la bonne grille qui coupe en deux le par- loir. (Ju'ils éiliangeiit des paroles à leur aise. La xie d'un roi et de plusieurs milliers d'hommes peut-elle être mise en balance avec les inconvénients d'un tète-a-tcte entre deux jeune gens :' Là-dessus, il entrain i Crèvecœur, qui le suivit avec répugnance en jetant des regards courroucés sur le jeune archer. Lin moment après, la comtese Isabelle |)arut de l'autre côté de la grille. ( Juand elle s'ajieriiit que Quentin élail seul, elle s'arrêta, et resta les yeux baissés pendant une dcmi-iiiinutc. — l'ourqiioi serais-je ingrate, dit-elle ensuite; parce que les autres ont d'injustes soupions? Vous êtes mon ami, mon sauveur; et apri's toutes les trahisons dont j'ai été entourée, vous êtes presque le seul fidèle et le seul eoiislani de mes amis... Lu lui parlant ainsi, elle lui tendit la main à trax'ers la grille; il s'empara de cette main, qu'il couvrit de baisers et de hirines. Sans chercher à la retirer, elle se eontenla de dire : — l)ur\v;ird, si nous devions nous revoir, je ne vous permettrais pas cette folie. Si l'on considère ((ue Quentin ;iViiit été en réalité l'unique pro- tecleiir d'Isabelle, qu'il l'iivait préservée des plus grands dangers, on lui pardonnera d'avoir en cette circonstance dérogé à sa dignité. Mes belles lectrices l'excuseront peut-être, ((iianil même elles seraient au nombre des comtesses et des riches héritières. Eiihn elle dégage;i sa main; et s'éloignanl de la grille, elle dit d'un ton d'extrême einl>;irras ; — Qu'avez vous à me demander? Le vieux lord écossais était ici tout il l'heinc ;ivce mon cousin de Crèvecieur, et j'ai su par eux que vous aviez une requête à me présenter. Si elle esl niisonnable, si la piiuvre Isabelle peut vous l'accorder sans ni.in- quer à ses devoirs, vous ne sauriez trop attendre de moi. IMais, de grâce, ne prononcez point de paroles ([iii puissent nous compromelire si on les entendait. Elle jetait autour d'elle des regards timides. — INc craignez nin, noble dame, lui dit <,)ueiitin, ce n'est piis ici que je puis oublier la distance (|ue le sort a placée entre nous, ou vous exposer au blâme de vos fiers parents, comme élant l'objet de l'amour dévoué d'un homme plus pauvre et moins puissant, mais peut-êlre aussi noble qu'eux-mêmes. Que ce rêve s'évanouisse pour tout le monde; qu'il ne reste plus que dans le cœur, oii, tout rêve qu'il est, il tiendra la place des plus belles réalités. — Silence! dit Isabelle; pour vous comme pour moi, cessez ce discours. Dites-moi plutôt ce que vous avez à me demander. — Le pardon pour un homme , qui , par égoïsme , s'est conduit en- x'ers vous comme un ennemi. ■ — Je suii dis|)Osée à pardonner a tous mes ennemis; mais, ô Durward! à travers quelles scènes d'horreur voire ])résence et voire courai;e m'ont soutenue ! Cette s;ille ensanglantée... Ce bon évèque... Je n'ai su qu'hier les forfaits auxquels j'avais assisté à tuim insu. La rougeur passagère qui avilit animé les joues d'Isabelle ht place n la plus mortelle pâleur. — Ne revenez pas là-dessus, lui dit Q)uentin; au lieu de regarder en arrière, jetez les yeux en avant avec la fermeti' nécessaire dans un voyage difficile. Ecoutez-moi : le roi Louis mériterait d'être jiro- clamé par vous un vil cl astucieux politique, comme il l'est réelle- ment; m;iis peut-être perdrait-il la couronne ou la vie si vous l'ac- cusiez d'iivoir favorisé votre fuite et conçu le projet de vous livrer à ('.uillauine de bi Marck. En tout cas, cette dénonciation ferait éclater enlre la France et la Bourgogne la guerre la plus sanglante qui ait j.unais désolé les deux p;iys. — Ces malheurs n'arriveront pas à cause de moi , si je puis les prévenir. Quand même je ser;iis disposée à la vengeance, j'y renonce- rais à votre considération. M'est-il possible de me souvenir des mé- chancetés du roi Louis plutôt que de vos iiiesliinables services.' Mais que faire :' (hiand je vais comparaiire deviint mon souverain le due de Bourgoijne, il me faudra (;arder le silence ou dire la vérité. Si je me tais, ce sera un acte de forfaiture; et vous ne voulez pas m'en - gager à mentir. — Non certes, mais que voire témoignage , à l'égard de Louis, se réduise à ce que vous savez par voiis-mêine être positivement la vé- rité. Quand vous p;irlercz des faits que vous .iver appris par des rap- ports, quelle que soil leur vraisemblance , mentionnez-les seulement comme des bruits. Prenez g;irde d'attester ce dont vous êles convain- cue sans l'avoir vu de vos propres yeux. Le grand conseil de Bour- gogne ne peut refuser à un moinrqiie la justice que dans mon pays on !iceoide iiiix moindres prévenus. Il doit être considéré comme innocent, tant que des preuves évidentes n'auront pas établi sa cnl- 80 QDENTIJN DURWARD, pabilité. Il faudra des dépositions positives pour justifier les charges uniquement basées sur des ouï-dire. — Je crois vous comprendre. — Je vais m'expliquer davantiiije, dit Quentin; et il allait déve- lopper sa pensée, lorsque la cloche du couvent sonna. — C'est le signal de notre séparation , de notre séparation éter- nelle; mais ne m'oubliez pas, Durward. Je ne vous oublierai jamais... Votre dévouement... Elle ne put achever; mais elle lui tendit sa main, qu'il baisa de nouveau. Nous ignorons comment il se fit qu'en essayant de la retirer, la comtesse s'approcha tellement de la grille , que Durward se crut permis d'imprimer un adieu sur ses lèvres. Elle ne s'en formalisa pas; peul-être n'en eut-elle pas le temps. Crèvecœur etCrawford, témoins cachés de cette scène, se précipi- tèrent dans le parloir; le premier furieux, le second riant, et retenant son compagnon. Olivier le Dain. — Dans votre chambre ! dil le comte à Isalurlie, (|iii baissa son voile et s'enfuit, dans votre chambre! et ce devrait être une cellule où vous seriez mise au pain cl à l'eau! Kt vous, beau sire, qui êtes si malavisé, vous n'aurez pas toujours à vous mêler des intérêts des rois et des royaumes, et vous apprendrez quel chàtiiueiit mérite un va- galiond — La, la, calmez-vous, s'écria le vieux lorJ... Ktvous, (/uenliu, je vous l'ordonne , ne répondez pas, et retirez-vous... Maintenant qu'il est parti , comte de Crèvecteur, je puis vous dire que votre dédain est hors de saison. <^)ni'ntiu Durward est aussi bon genlilliomme que le roi, seulement, comiue disent les Espagnols, il n'est pas aussi riche. Il est aussi noble (|ue moi , ({ui suis \f chef de mon nom. (!e n'est pas il nous, mon ami, <|u'on parle de châtiment. — AIiloriiis(pie, dans ce cas, la conduite de \ otre ^Lijesté n'eût gut'ie été d'accord avec celle qu'on devait attendre d'un roi, d'un chevalier et d'un gentilhomme. En disant ces mots, la comtesse lança au roi un regard de repro- che; mais le c(eur de Louis était ii l'épreuve de pareils traits. Loin de s'en offenser, il étenilil les mains, qu'il agita Iciilement, et, pro- menant les yeux sur les assistants, il eut I air de les |)rcndie a té- Uioiii c|ue son iniioeence était établie par les paroles de la comlesse. Un lisait sur la |ihysioiioiiiie du BourgMijjnon (|iie,s'il était jus- qu'à un certain point réduit au silence, il n'était pas encore satislail. — Ma belle dame, dit-il briisi|iieineiit à la comtesse, il me semble que, dans le récit de vos promenades, vous avez négligé de faire mention de certaines affaires d'amour... Eh quoi! vous rougisse déjà !... Si j'en crois les bruits qui sont parvenus à notre oreille, des chevaliers errants ont un moment troublé votre repos; et nous pou- vons aujourd'hui tirer parti de cette aventure... Dites-moi, roi Louis, de peur que cette Hélène de Troye ou de Croye sème la discorde entre les princes, ne serait-il pas convenable de lui trouver un bon parti ? Louis devina l'odieuse proposition dont ces mots étaient le préam- bule; néanmoins il ht en silence un geste d'adhésion. jNLiis Isabelle , deuil le courage s'animait en proportion du péril, quitta le bras de la comtesse de Crèvecœur, sur lequel elle s'était jusqu'alors appuyée. Elle s'avança d'un air de réserve et de dignité, et, s'agcnouillant de- vant le trône de Charles, elle s'exprima en ces termes : — Noble duc, mon seigneur lige, je reconnais la faute que j'ai commise en quittant vos Etats sans votre gracieuse permission, et je me soumellrai humblement à tous les châtiments qu'il vous plaira de m'imposer. Je mets à votre tUsposilion mes terres et mes châteaux. Seulement, pour la mémoire de mon pire, je vous supplie de laisser au dernier rejeton de la maison de Croye, sur ses vastes propriétés, de quoi se faire admettre dans un couvent pour y passer ses jours. — Que pensez-vous, sire, de la requête que nous adresse la jeune personne? dit Charles le 1 éméraire ii Louis. — Elle annonce, dit le roi, d'humbles et pieux desseins, qui vien- nent sans doute de celte grâce à laquelle on ne saurait ni résister ni se soustraire. — Les humbles et les faibles seront exaltés, dit Charles. Relevez- vous, comtesse Isabelle! Nous avons pour vous de meilleures inten- tions que vous-même. Nous ne voulons ni eonlis([uer vos biens ni diminuer vos honneurs; nous y ajouterons, au contraire! — llelas! monseigneur, reprit Isabelle toujours agenouillée, c'est cette bonne volonté même que je redoute plus encore que le déplaisir de Votre Grâce, puisqu'elle me force... — Par saint Georges de Bourgogne! s'écria le duc Charles, faut-il qu'à chaque instant nos ordres soient discutés et nos volontés contra- riées? Debout, vous dis-je, ma mignonne, et retirez-vous! Quand nous aurons le temps de songer à vous, tète-saint-gris ! nous nous arran- gerons de manière à vous faire obéir ou trembler. Malgré cette apostrophe sévère, la comlesse restait toujours à ge- noux; et sa persistance lui aurait peut-être attiré DURWARD. 83 pendre par une chaîne de fer au beffroi de la halle, et vous appelle- rez loii(;tciiips lu mort avant qu'elle vienne vous délivrer. Il y l'Ut un profond silence. Enfin, après avoir laissé à Durward le temps de se recueillir, le duc lui demanda : — Quel était voire i;uide ? — Un bohémien, Hayraddin le Maugrabin. — Par qui vous avait-il été recommandé? — Par Tristan l'ilermite. — D'oii vient que vous avez conçu des soupçons contre lui? Quentin répondit en racontant coiumcnt le bohémien s'était fait chasser du couvent des Franciscains. — Trouvant sa conduite équi- voque, ajouta-t-il, je l'ai suivi , et j'ai assisté à un rendez-vous qu'il avait avec un lansquenet de Guillaume de la '\Iarck. Caché pour les écouter, j'ai appris qu'ils avaient machiné un ]ilan pour eiilever les dames qui étaient sous ma protection. — Maintenant, écoute bien, reprit le duc, et rappelh'-toi encore que ta vie dépend de ta véracité. Ces coquins ont-ils dit que le roi Louis de France, qui est devant les jeux, les avait autorisés à sur- prendre l'escorte et à enlever les dames ? — Si d'aussi infâmes scélérats avaient fait une déclaratuui pareille, je ne sais comment j'aurais pu les croire ayant la parole du roi à leur opposer. Louis, qui avait écouté ju3(|u'alors avec l'attention la plus soute- nue, ne put s'empêcher de soulager sa poitrine par un profond sou- pir quanil il entendit la réponse de Quentin. Leduc parut contrarié et déconcerté; puis, revenant à la charge, il demanda ii l'archer de nouvelles explications. — L'entretien secret de ces hommes vous a-t-il fait comprendre ((ue leurs projets eussent la sanction du roi Louis.? — Je le répète, je n'ai rien entendu qui me donne le droit d'avan- cer un fait semblable ; et je répète aussi que je n'aurais attaché aucun prix au témoignage de ces homuies, puisqu il se serait trouvé en con- tradiction avec les instructions Ies seigneurs et maîtres, ceci vous représente un chat qui met le nez à la fenêtre d'un garde- manger. Cette saillie occasionna une hilarité qui fut avantageuse à Sanglier Rouge, car Toison-d'Or, indigné de l'interprétation de son dessin, expliqua qu'il reproduisait les armoiries adoptées par Childebert, roi dfe France, après avoir été fait prisonnier par Gondemar, roi de Bourgogne. — Ce chat-tigre placé derrière une grille, ajouta-t-il, est l'emblème du monari[ue captif, et l'écu se blasonne ainsi : De sable, à ioiice passant d'or . (jrillagé d'un treillis de (jueules, chiué d'or. — Par ma marotte, s'écria le Glorieux, si le chat a quel(|ue rap- port avec la Bourgogne, elle est actuellement du bon côté de la grille. Tous les assistants, et Charles lui-même, semblèrent contrariés d'une plaisanterie aussi directe; mais Louis dit en rianl au boufton : — Tu as raison, l'ami, et je te dois une pièce d'or pour avoir égayé une séance qui avait commencé tristement et menaçait de linir de même. — Silence, le Glorieux! dit le duc; et vous, Toison-d'Or, qui avez trop de science pour être intelliijible, retirez-vous, et cédez la place à ce misérable... Approche, drôle! je crois que tu ne connais la différence entre l'or ou l'argent (ju'en les voyant sous forme de monnaie. — Par pitié, seigneur, soyez humain pour moil... Noble roi Louis, intercédez en ma faveur! — Parle pour toi-même, dit Charles; es-tu héraut, ou non ? — Pour cette fois seulement, dit le fourbe démas(|ué. — Par saint Georges! reprit le duc en regardant Louis de côté, nous ne connaissons pas de roi, pas de gentilhomme, capable de prostituer ainsi la noble science sur la(|uelle sont basées la royauté et la noblesse! 11 n'en est qu'un seul : c'est celui ([ui envoya à Edouard d'Angleterre un domestique déguisé eu héraut. — Un pareii stratagème, dit Louis en affectant de rire, pouvait être excusable dans une cour où l'on n'avait pas alors de hérauts, et dans une circonstance urgente. 11 a pu tromper de grossiers insu- laires, mais un Sanglier seul avait assez peu de cervelle pour s'ima- giner qu'un semblable tour réussirait à la cour policée de Bourgogne. — Celui qui l'a envoyé, dit Charles furieux, le reverra dans un triste état. Menez-le à la place des Halles! Frappez-le avec des san- gles et des fouets à chien jusqu'à ce que son tabard soit déchiqueté! Sus au Sanglier Uouge! Cà, cà!... Taïaut! taïaut! (Quatre ou cinq gros limiers, pareils à ceux i|ue Rubens et Sney- dei-s ont représentés dans leurs tableaux de chasse, entendirent les cris bien connus par lesquels le duc termina. Ils se mirent à aboyer comme si un sanglier eût été dépisté de sa bauge. — Par le crucifix! dit Louis attentif à flatter les caprices de son redoutable cousin; puistiue l'âne a pris la jieau du sanglier, m'est avis qu'il faudrait lancer les chiens sur lui pour la lui ôter. Cette idée concordait avec les dispositions présentes de Charles le Téméraire. — A merveille! s'ècria-t-il ; mettons le projet à exécution! Décou- piez les chiens! Holà,Talbot! holà, lieaunioiit! nous allons courir le héraut depuis l'entrée du cliâleaii jusqu'à la porte de l'Est. — J'espère que \ otie Grâce ne va pas me traiter comme une bête fauve, et ciu'elle observera les règles de la chasse, dit l'envoyé es- sayant de tourner la chose en plaisanterie. — Tu n'es (|u'une bêle puante; il n'y a point de règles pour toi aux termes du livre de vénerie. Néanmoins, ne fût-ce qu'en raison de ton impudence sans pareille, on l'accordera une avance de deux cents pas Partons, messieurs, partons! nous allons voir cette chasse!... La séance fui levée tumultueusement; et tous, à la suite des deux princes, siirliniit à la hâte pour jouir du divertissement humain que Louis avait imaginé. Sanglier l\ouge était un escelleni sujet de chasse. La terreur lui donnaït des ailes; une dizaine de cliiens le serraient de près ; les cors retentissaient; les i)i(|ueiMs cri.iieiil : aussi fuyait il eoiiime le vent. S'il n'eût été gêné par son lialiil de héraut, le iiire des costumes pour un coureur, iî aurait pu échapper aux chiens. Plusieurs fois il revint sur ses pas pour les dépister, avec une adresse qui lui valut I appro- bation des spectateurti QUENTIN DURWARD. 85 Personne, pas même Charles le Téméraire, ne fut aussi cliarmé de cet exercice que le roi Louis. 11 riait aux larmes, soit par des consi- dérations politiques, soit parce qu'il se complaisait à l'aspect des souffrances humaines quand elles se présentaient sous un point de vue grotesque. Dans ses transports d'hifarité, il saisit comme pour se soutenir le manteau d'hermine du duc. Non moins ravi, Charles posa le hras sur les épaules du roi. Et ils se témoi|;nèrent ainsi une confiance et une familiarité que n'auraient nullement fait présager les conjonctures antérieures. La course rapide du faux héraut ne put le préserver longtemps des crocs de ses ennemis; ils se jetèrent sur lui, le renversèrent, et l'au- raieiit prohablement étranglé si le duc n'eût crié : — Quartier! quar- tier! rappelez les chiens! 11 n'a pas soutenu les abois, mais il s'est si bien défendu d'ailleurs, que nous voulons ([u'il soit épargné. Conformément à ces ordres, plusieurs oilieiers s'occupèrent à ras- sembler la meute. Les uns accouplèrent les chiens, les autres pour- suivirent ceux qui se sauvaient dans les rues, et emportaient en triomphe les lambeaux du tabard brodé dont l'envoyé avait eu le malheur de se revêtir. Pendant que le duc, occupé de cette scène, ne songeait jias à ce qui se passait derrière lui, Olivier le Dain se glissa' derrière son maître. — Sire, lui dit-il tout bas, c'est le bohémien, Hayraddin le Mau- grabiii; il ne serait pas bon qu'il parlât au duc. — 11 faut qu'il meure , répondit Louis : les morts ne parlent pas. Un instant après, Tristan l'Hermite, averti par Olivier, s'approcha des deux princes et dit avec sa brusquerie accoutumée : — Sauf le bon plaisir de Votre Majesté, et de Votre fJràce, ce gibier m'appar- tient, et je le réclame. Comme tout le monde peut le voir, il porte mon estampille; il a une fleur de lis marquée au feu sur l'épaule : c'est un scélérat connu qui a tué les sujets du roi, dépouillé des églises, défloré des vierges , braconné dans les parcs de Sa IMajesté... — 11 sutlit, dit le duc Charles; à plus d'un titre, il revient à mon royal cousin en toute propriété... Qu'est-ce <[uc\ otre Majesté compte en faire? — Si on le laisse ii ma disposition, je lui donnerai une leçon d'art héraldique. On lui expliquera pratiquement ce que c'est qu'une croix potencée avec un nteud coulanl. — ^on pour iju'il la porte, mais pour qu'elle lui serve de support. Je consens à ce qu'il prenne ses degrés sous votre compère Tristan, qui possède ;i fond le blason du gibet. Le duc, enchanté de cette saillie, fit entendre un éclat de rire dis- cordant, et Louis fit chorus avec tant de bonne volonté, que son rival ne put s'empêcher de le regarder affectueusement en disant : — Ah! Louis! que n'êtes-vous un monarque aussi fidèle que vous êtes un joyeux compagnon! Je ne puis m'empèeher de penser sou- vent aux bons jours (jue nous avons passés ensemble. — ^^lls reviendront quand vous voudrez., dit le roi; je vous accor- derai toutes les conditions que vous pouvez exiger actuellement de moi sans vous compromettre , sans vous rendre la fable de la cliré- tienlé. Je jurerai de les observer sur un fragment de la vraie croix sainte relique qui ne me (|uitle jamais. A ces mots, il prit un petit reliquaire d'or (ju'il portait au cou, sous la chemise, suspendu à une chaîne de même métal. — Jamais, reprit-il, un faux serment n'a été prêté sur cette reli- que sacrée sans avoir été puni dans l'année. Et il la baisa dévotement. — Cependant, dit Charles, c'est la même sur la(|»clle vous m'avez juré amitié en quittant la Bourgogne; et quelque temps a]uès vous avez dépêché le bjîlard de Rubempié pour m'assassiner ou me faire prisonnier. — firacieux cousin, vous réveillez d'anciens griefs; mais je vous assure que vous vous trompez dans cette circonstance; et puis, la re- liiliie sur laquelle j'ai juré n'était pas celle-ci; c'était un autre mor- ceau de la vraie croix que le Grand Seigneur m'avait donné , et qui avait sans doute perdu sa vertu en séjournant parmi les infidèles. En aduiellantqiieje n'aie pas tenu mon serment, n'eu ai-je pas été puni' IN'est ce pas dans l'année que s'est formée la ligue du bien publie;' l.'armée bourguii;nonne , renforcée de tous les grands vassaux de France, n'est-elle pas venue camper à Saint-Denis? ]\'ai-jc pas été obligé de céder la Normandie ii mon frère:'... Crand Dieu, gardez- nous de nous parjurer devant un témoin aussi res])cctaldè', aussi saint que cette reli(jue ! — Allons, mon cousin, reparti! Charles le Téméraire, je crois que vous avez reçu une assez bonne leçon pour tenir désormais vos ser- ments. Expliciuez vous donc sans ambages et sans finesse : comme vous me l'avez fait espérer, inarcberez-vous avec moi contre la Marck et les Liégeois? — Oui, avec le ban et l'arrière ban de Eiance, l'orillamme en tête. — Tant de forces ne sont lias nécessaires. La présence de votre garde écossaise et de deux cents lances d'élite suffira pour prouver que vous agissez en tonte liberté. Des troupes plus nombreuses... — Pourraient me rendre rilu-e en réalité, dit li' roi; telle est votre idée : eh bien, vous fixerez l'effectif de mon armée. — Et pour écarter encore un sujet de discorde, vous consentirez à l'union de la comtesse Isabelle de Croye avec le duc d'Orléans? — Ah! beau cousin, voulez-vous abuser de ma courtoisie? Le duc est fiancé à ma fille Jeanne. Soyez généreux; cédez-nous sur ce point, et causons plutôt des villes de là Somme. -—Mon conseil en causera avec Votre Majesté; pour moi, j'ai moins à cœur l'accroissement de mon territoire que le redressement de nies injures. ^ ous avez détourné mes vassaux de leur devoir, et médité de disposer de la main d'une pupille de la Bourgogne. Puisque vous avez rêvé cette union, ^ olie !Majesté doit la réaliser au sein de sa propre famille. Autrement , notre conférence est rompue. — Si je disais que j'y consens volontiers, personne ne me croirait; jugez donc, mon beau cousin, du désir que j'ai de vous être agréable. Je vous le déclare ;i mon vif regret : si les conjoints sont d'accord et obtiennent une dispense du pape, je n'apporterai aucun obstacle au mariage que vous me proposez. ■— Le reste de nos clIIVérends, dit Charles, peut être réglé sans peine par l'entremise de nos ministres, et nous voici encore une fois cousins et amis. — Le ciel en soit loué! Tenant en main le cœur des princes, il les dispose à la paix, à la miséricorde, ii la clémence, et prévient l'effusion du sang humain! Après avoir achevé cette phrase, le roi prit .'i part son barbier, qui marchait près de lui comme un esprit familier à côté d'un magicien. — Ecoute, Olivier, niurmura-l-il , recommande à Tristan d'expé- dier dans le plus bref délai ce misérable bohémien. CHAPITRE XXXIV. L'ExécutiOD. — Honte à quiconque méprise le métier de fou! Dieu soit loué de nous avoir donné le pouvoir de rire et de faire rire les autres! Je me suis permis une plaisanterie qui n'était pas des meilleures, quoi- qu'elle ait amusé deux princes; et elle a été plus efficace que mille raisons d'Etat pour empêcher une guerre entre la France et la Bour- gogne. Telles furent les réflexions du ("ilnrieux quand, à la suite delà ré- concilialion dont nous venons de rapporter les détails, les gardes bourguignons fuient retirés du château de Péronne. Louis'' cessa d'habiter la sinistre tour du comte Herbert, et, à la grande satisfac- tion de tous, les dehors de la confiance et de l'amitié furent rétablis entre le duc Charles cl son suzerain. Toutefois, quoique traité avec respect, le roi savait qu'il était toujours en hutte aux soupçons; mais il feignait piudemmenl de ne pas en tenir compte, et de se regarder comme entièrement libre. Comme il arrive souvent en pareil cas, tandis que les deux parties principales s'arrangeaient à l'amiable un des agents subalternes de li'uis intrigues sentait auièrcnicnt la vérité de celle maxime politi- que : que si les grands ont souvent besoin de vils instruments , ils font amende honorable en les abandonnant dès (ju'ils ne les croient plus utiles. Cet agent était Hayraddin le Maugrabin. Livré par les officiers du iluc au grand prévôt du roi, il avait été remis aux mains de ses deux fidèles aides de camp, Trois-Echelles et Petit-André, pour être pendu .sans autre forme de procès. Il était placé enlre eux, pour employer une comparaison moderne, comme Carrick entre la tragédie et la comédie; l'un jouait l'allégro, l'autre le penseroso. (^îiielques gardes marchaient par derrii're avec une foule de curieux de la cl.isse la plus vulgaire. Le corléije s'acheminait vers la foièl voisine, où, pour se dispenser d'élever un giliel en règle, les arbitres de la destinée du condamné se pioiiosaieni de rallaclier au premier arbre convenable. On ne tarda pas à trouver un chêne propre à soutenir un pareil gland, comme le fit observer le face-lieux Petit-André. Les deu\ bourreaux laissèreiil donc leur victime assise au bord d'un fossé avec une garde suffisante, et improvisi'reiit rapidement les préparatifs du supplice. Pendanl ce temps, Hayraddin apeiciit dans la foule (Jiientiii Durward, i|ui, croyanl reconnaître son guide infidèle, l'avait suivi pour s'assurer de l'identité cl assister au supplice. Quand les exécuteurs vinrent avertir le malheureux i|ue loni élait prêt, il demanda avec le jilus grand calme ((u'uiie seule faveur lui fût accordée. — Tout ce que vous voudrez, mon fils, dit Trois-Echelles, pourvu que la chose se concilie avec notre devoir. — C'est-à-dire tout, e\ceplé la vie. — Préeisénienl : nous ferons plus encore; puisque vous semblez disposé .'i nous fain^ honneur, et à mourir sans grimaces, nous ne tiendrons pas ,"i dix minutes de plus ou de moins, quoique nous ayons ordre de nous ])resser. — C'est trop de bonté, répondit Hayraddin. — On nous en blâmera peul-ètre, dit Petit-André; mais, liali! inie m'importe? je donnerais presque ma vie pour un gaillard lel crue vous, alerte et solide, qui lient il figurer avec giàee au gibet comme devrait le faire tout lionnète garçon. — Ainsi, dit Trois-Echelles, si vous voulez un confesseur.,. 86 QUEMliN DURWARD. — Ou une cbopine devin, dit son joyeux compagnon. — Ou un psaume, dit la Tiai}cdie. — Ou une chiinson, dit la Comédie. — Rien de tout cela, mes bons et tiès-cxpéditifs amis, iéplit[ua le bohémien , je désire seulement causer pendant quelques minutes avec cet archer de la garde écossaise. Les bourreaux hésitèrent un moment; mais Trois-Echelles crut se rappeler que certaines circonstances avaient mis Quentin Durward en faveur auprès du roi : ils résolurent d'autoriser l'entrevue. L'Écossais trouvait juste la sentence d'IIayraddin ; mais, en s'ap- prochant de lui, il éprouva presque involontairement un sentiment de commisération. La dent des chiens, les griffes des bipèdes qui avaient sauvé le criminel des abois pour le mener à la potence, lui avaient laissé quelques débris de sa parure héraldii|ue. Il offrait un aspect à la fois lamentable et plaisant; sa figure avait perdu sa pein- ture factice et la moitié d'une fausse barbe qui avait fait partie de son travestissement. La pâleur régnait sur ses joues et sur ses lèvres; cependant il était soutenu par le courage passif qui caractérise les hommes de sa tribu. Le sourire de sa bouche contractée, ses yeux étincelants et hagards semblaient braver le supplice. Saisi d'horreur et de pitié, Quentin demeurait immobile, lorsque Petit-André lui cria : — Un peu plus vite, mon aimable archer! vous marchez comme si les cailloux étaient des œufs, on dirait que vous avez peur de les casser; mais cet homme n'a pas le loisir de vous attendre. — 11 faut que je lui parle en particulier, dit le criminel d'une voix que le désespoir rendait discordante et rauque. — .le ne sais trop si nous pouvons le permettre, ami Monte-à- l'Échelle , dit Petit-André, nous savons d'ancienne date que vous glissez entre les doigts comme une anguille. — J'ai les mains et les pieds liés avec des sangles; vous pouvez monter la garde autour de moi, à une distance qui ne vous permettra pas d'entendre l'entretien. L'archer est au service de votre roi , et si l'on vous donne dix guilders... Employée en messes, dit Trois-Echelles, cette somme peut contri- buer au salut de sa pauvre âme. — Employée en vin ou en hypocras, ajouta Petit-André, elle ré- confortera mon pauvre corps. Voyons, mon ami, où est le quibus? — Payez ces coquins, dit Hayraddin à Durward; quand ils se sont emparés de moi, ils m'ont complètement dévalisé. Donnez-leur de l'argent, vous n'en serez pas fâché. Quentin s'exécuta; et les bourreaux, en hommes de parole, s'éloi- gnèrent à qucl(|ue distance, sans cesser de surveiller le criminel. Quentin attendit un instant que le malheureux parlât, et, le voyant silencieux, il finit par entamer la conversation. — Tu es donc enfin arrivé au but que tu cherchais? — Oui, répondit Hayraddin; sans être ni astrologue ni chiro- mancien, on pouvait prédire que je partagerais ia destinée de ma famille. — Tu as été conduit à cette fin prématurée par une longue car- rière de crimes et de trahisons. — Non, par l'étoile Aldeharan et ses brillantes sœurs! J'ai été amené là par ma propre folie. J ai cru que la cruauté d'un Franc pouvait être tempérée par les choses que les chrétiens regardent comme sacrées; et pourtant, malgré leur dévotion et leur chevalerie, l'étole d'un prêtre ne m'aurait pas mieux protégé que le tabard d'un héraut. — Un imposteur démasque n'a pas le droit de réclamer les privi- lèges de l'habit qu'il a usurpé. — Dém:is(|ué! dit le bohémien, mon jargon valait bien celui de ce vieux fou de Toison-d'Or; mais laissons cela : autant vaut aujourd'hui que plus tard. — Vous gaspillez le temps; si vous avez quelque chose à me dire, faites vite et prenez soin de votre âme. — De mon âme! répéta le boliémien avec un ricanement hideux; pensez-vous qu'une lèpre de vingt ans puisse être i;uérie en une mi- nute? Si j'ai une âme, elle a pris une telle route depuis ma dixième année au moins, ([u'il me faudrait un mois pour n\e souvenir de tous mes crimes, et un autre mois pour les conter à un prêtre; et si l'on m'accordait ce temps, il y a cinq à parier contre un que j'en ferais un autre usage. — -Misérable endurci, ne blasphème pas! dis-moi ce que lu as à me dire, et je t'abandonne à ton sort. — J'ai une grâce à vous demander, mais d'abord je veux la méri ter, car malgré toutes ses protestations de bienfaisance, votre race ne fait rien pour rien. — Si lu n'étais sur la limite de l'élcrnilé, je te dirais : Périssent les dons avec loi ! mais demande le service que tu espères, et ne me donne rien en échange; je n'attends aucun bien de loi, je me rappelle assez les bons offices que lu as prétendu me rendre. — Je vous aimais, dit Hayraddin, pour ce que vous aviez fail sur les bords du Cher. Je voulais vous marier à une puissante dame; vous portiez sonécharpe, qui m'a inLirlon. Il parail qu'elle n'a pu réussir à parler qu'à l'astrologue, auquel elle a raconté votre voyage et la prise du Schonwaldt. Si par hasard ces nouvelles arri- vent aux oreilles de Louis, elles ne lui seront révélées que sous forme de prophéties. Au reste, mon secret vaut tout ce que Marton a pu dire. Guillaume de la Marck a réuni des forces nombreuses dans la ville de Liège et il les augmente tous les jours, grâce aux trésors du vieil évêque; mais il ne compte pas risquer une bataille contre les chevaliers de Bourgogne, il songe encore moins à soutenir un siège dans une place démantelée. Voici ce qu'il fera. H laissera cette tête chaude de Chades s'établir tranquillement sous les remparts, et il sortira pendant la nuit à la tête de toutes ses troupes. Un grand nombre de ses liommcsd'armes auront des armures françaises, et crie- ront : France! Mont-joie Saint-Denis! comme si c'étaient des auxi- liaires envoyés de France aux Liégeois. Le désordre ne jieut manquer de se répandre parmi les Bourguignons; et si le roi Louis , avec ses gardes et les gens de sa suite, veut seconder les efforts du Sanglier, la défaite des assiégeants est certaine. A oilà mon secret, et je vous le lègue. Favorisez ou empêchez l'entreprise, vendez la nouvelle au roi Louis ou au duc Charles, sauvez ou perdez qui vous voudrez, peu m'imiiorte! mon seul regret est de ne jiouvoir faire éclater ce secret comme une mine pour la destruction de tous! — Il est important en effet, dit Quentin comprenant immédia- tement combien il était facile d'éveiller la jalousie nationale dans un camp mi-parti de Français et de Bourguignons. — Oui, il est important, reprit le bohémien, cl maintenant que vous le possédez vous voudriez être loin d ici et me quitter sans m'accorder la faveur (|uc je vous ai payée d'avance... — Présenté ta reiiuête, j'y souscrirai si je le puis. — Bien ne vous est plus facile, il s'agit du pauvre RIepper, mou cheval, seul être vivant qui puisse me reiïietter. A un mille au sud, vous le trouverez broutant près de la hutte abandonnée d'un char- bonnier. Sifflez ainsi, — et il silUa d'une façon particulière; —appe- lez-le par son nom, Klepper, et il viendra h vous. Voici sa bride, que j'avais cachée sous mes habits; il est heureux qu'on ne me l'ail pas ôtée, car c'est la seule à laquelle il obéisse. Prenez-le, et faites-en grand cas. Soignez-le, sinon pour l'amour de son maitre, au moins parce que j'ai mis à votre disposition un renseignement dont peut dépendre l'issue de la guerre. Il ne vous man(|uera jamais au besoin; la nuit et le jour, la plaine ou la montajinc, la terre raboteuse ou la douce litière, les chaudes étables ou le ciel d'hiver, tout est indifférent à Klepper. Si j'étais sorti des portes de Péronne, si j'avais pu le re- trouver, je ne serais pas oii je suis. Aurcz-vous de bons soins pour Klepper? — Je vous le jure, répondit Quentin touché par cette preuve de tendresse chez un homme aussi insensible. — Adieu donc! dit le condamné. Encore un mot, pourtant: je ne voudrais pas mourir sans m'acquitler de la commission d'une dame. Voici un billet de la très-gracieuse et très-folle compagne du San- glier des Ardennes pour sa nièce aux yeux noirs... Je vois à vos re- gards que c'est un message dont vous vous chargerez volontiers. Ah. j'oubliais de vous dire <|iic vous trouverez dans la bourre de ma selle un gros sac de pièces d'or. Elles m'ont décidé k tenter l'aventure i|ui me coûte si cher. Prenez-les, elles remplaceront au centuple les guilders (|ue vous avez donnés à ces esclaves avides. Je vous lais mon héritier. l'emploierai cet argent en bonnes œuvres, en messes pour le salut de ton âme. — Me prononce plus ce mot, dit Hayraddin, dont la ligure prit QUENTIN ÛURWAKD. S7 une expression terrible , il n'y a point d'âme, il ne peut y en avoir, c'est un rêve de la prêtraille. — Malheureux! reviens à des sentiments meilleurs! laisse-moi courir chercher un prêtre I Ces honiuios attendront encore si je les paye. Sur quoi peux -lu compter, mourant dans l'inipénitence et avec de telles idées? — Je me confondrai avec les éléments, dit l'inflexible athée en croisant sur son sein ses bras enohainés. O que je crois, ce que j'es- père, ce que j'attends, c'est que ma forme humaine se fondra mysté- rieusement dans la masse universelle , pour se recomposer sous les autres formes par lesquelles la nature remplace chaque jour celles qui chacjuc jour disparaissent. Les parcelles d'eau iront grossir les ruisseaux et les pluies ; les parties terrestres enrichiront la terre notre mère; celles qui viennent de l'air s'envoleront avec les brises; celles qui sont de feu alimenteront l'éclat d'Aldeharan et des étoiles ses sœurs. C'est dans celte foi (|iie j'ai vécu et que je meurs' Eloi- gne-toi 1 ne me trouble pas plus lon|;temps! j'ai dit le dernier mot que des oreilles mortelles entendront sortir de mes lèvres ! Quoiijue profondément touché, Qumtin Durward reconnut qu'il chercherait en vain à faire sentir au coupable les formidables dan- gers de sa situation. 11 lui fit ses adieux. Morne et plonf;é dans ses rêveries, ilayraddin ne répondit que par un signe de tète; il sem- blait avoir hâte d'être délivré de l'importun qui le troublait dans ses pensées. Quenlin se dirigea vers le sud , et trouva facilement l'endroit oii paissait Kleppcr. La pauvre bète répondit à son ap|)el, sans vouloir d'abord se laisser prendre. Elle hennissait et se cmbrait ((uand l'étran- ger s'approchait d'elle. Heureusement, (,»iientin avait une connais- sance générale des habitudes du cheval; et il avait étudié en parti- culier celles de Klepper, qu il avait souvent admire en voyageant avec le bohémien. Avec de l'adresse et de la persévérance, il parvint à se mettre en possession du legs du mourant. Longtemps avant le retour de Quentin à Péronne, Ilayraddin était allé dans un monde où la vanité de ses croyances devait lui être dé- montrée! Terrible épreuve pour un homme qui n'avait exprimé ni remords dupasse, ni crainte de l'avenir. CHAPITRE XXXV. Au plus vaillaDt. Quand Durward rentra à Péronne, on tenait un conseil dont l'issue le concernait beaucoup plus qu'il ne l'aurait supposé. On aurait cru difficile que les meml)res de l'assemblée eussent des intérêts communs avec les siens, et pourtant leur décision allait exercer sur sa destinée une influence extraordinaire. Après l'intermède du héraut, Louis XI n'avait néglige aucune occasion de consolider le crédit renaissant qu'il avait obtenu dans l'esprit de Charles. 11 avait déliliéré avec le due, aux avis duquel il s'était toujours rendu, sur le nombre d'hommes (l'armes qui devaient marcher contre Liég'e. Il voyait clairement que l'intention de Charles était de réunir dans son camp quel(|iies Français d élite considérés comme otages plutôt (|ue comme auxiliaires; mais, d'après le conseil deComines, il adhéra aux propositions du duc aussi promptement que s'il eût cédé à une impulsion spontanée. 11 ne manqua pas toutefois de s'indemniser de cette contrainte en assouvissant sa vengeance sur le cardinal la lialue, dont les avis l'avaient engagé à accorder au duc de Bourgogne une confiance si exagérée. Tristan, chargé de rassem- bler li's troupes auxiliaires, reçut l'ordre de conduire le cardinal au château de Loches, et de l'enfermer dans une de ces cages de fer dont on attribuait l'invention à Son Eminence. — Qu'il fasse l'épreuve des fruits de son génie, dit le roi. Sa qua- lité d'homme d'église nous interdit de verser son sang; mais, l'.îques- Dieu ! il aura pour évèché pendant dix ans un territoire de peu d'éten- due, mais entouré de remparts imprenaldcs... Veillez à ce que les troupes arrivent le plus tôt possihie. Louis espérait peut-être éluder par celte prompte condeseendanee la rondilion plus désagréable que le duc avait mise à leur réconci- liation. En cela, il s'aliusait sur le i araelèrc de son cousin; car jamais il n'y eut d'honiiue plus tenaupir, et fit ensuite une légère observation sur la néces- sité de consulter le duc lui-même. — On n'y a pas man(|iié , dit (Jharles; Crèvecoeur a conféré avec Monsieur d'Orléans, et, chose étrange à dire! le duc est si peu sen- sible à l'honneur d'épouser la fille d'un roi, qu'il a accepté la main delà comtesse comme le plus beau présent (|u'un père eût pu lui faire. — Il n'en est (pic [ilus ingrat, répliqua Louis; mais enfin votre volonté sera faite, mon cousin, si vous avez le consentement des parties. — .l'en suis sûr, dit le due, et je puis vous en répondre. En conséquence, quelques minutes après les futurs conjoints furent mandés en présence des princes. Isabelle de Croye parut, comme précédemment, entre la comtesse de Crèvccceur et l'abbesse des Ur- sulines. Charles annonça à la jeune fille et au duc d'Orléans que leur union avait été résolue afin de sceller la perpétuelle alliance (jui allait s'étahlir entre la France et la liourgognc. Louis XI confirma cette déclaration par son silence; il était rêveur, et avait l'air de sentir vivement (pic sou iuiporlanee était amoindrie. Le duc d'Orléans eut peine à réprimer une joie qui aurait été in- convenante en présence de Louis, l'oiir ne pas la laisser éclater, il fallut toute la crainte respectueuse i|iie lui inspirait le monarque. Il se contenta de répondre : — Mon devoir est de remettre mon choix à la dis]>osition de mon souverain, — Heau cousin d'Orléans, dit Louis avec une gravité sombre, obligé de parler dans une aussi fâcheuse circonstance, il est inutile de vous rappeler (|ue je vous avais estimé assez, pour vous offrir une femme de ma propre famille; mais puis(|ue mon cousin de Bourgogne croit assurer notre alliance en disposant autrement de votre main, je suis trop dévoué aux intérêts des deux pays pour ne pas leur sacri- fier mes vœux et mes espérances. Le duc d'Orléans se jeta aux genoux du roi, qui lui tendit la main en détournant la tète ; car, bien qu'il fût consommé dans l'art de dis- simuler, il avait laissé percer sa répugnance, peut-être pour prouver à tous qu'il ne cédait qu'à regret. Le duc lui baisa la main pour la première fois avec une sincère affection. Comme la plupart des assis- tants, il était touché du spectacle d'un roi qui, abandonnant un projet favori, immolait les sentiments |iaternels am raisons d'Etal et aux intérêts de son pays. Charles lui-même fut ému , et le ftuncC- se re- procha la satisfaction involontaire qu'il éprouvait d'être délivré (le ses engagements envers la princesse .leanne. S'il avait su les malé- dictions dont Louis XI l'accablait au fond de l'âme, les pensées d(; vengeance qui l'animaient, il n'aurait pas sans doute poussé aussi loin la di licatesse. Se tournant ensuite vers la jeune comtesse, Charles le Téméraire lui fit part du mariage projeté comme d'une affaire qui n'admettait ni délai ni hésitation. — C'est, ajoula-l-il, une conséquence trop avantageuse de l'obstination que vous avez montrée en refusant un premier parti. — Monseigneur, dit Isabelle en rassemblant toutes ses forces , j'ai égard aux ordres de Votre Grâce, et je m'y soumets. — C'est bien, c'est bien, interrompit le dur, nous réglerons les derniers arrangements... Sire, Votre Majesté a pris ce malin le di- vertissement d'une chasse au sanglier; voulez-vous courir le loup ce soir? La jeune comtesse sentit qu'elle avait besoin de résolution, elle prit la parole timidement, mais assez haut et d'un ton assez ferme pour forcer le duc à lui accorder une attention qu'il lui aurait vo- lontiers refusée, peut-être par une sorte de remords. — Votre Grâce ne m'a pas comprise; ma soumission ne concerne que les terres et fiefs (|uc les ancêtres de N otre Grâce ont donnés aux miens, et que je résigne à l;i ntaison de Bourgogne si mon suze- rain pense que ma désobéissance dans le cas actuel me rende indigne de les posséder. — Ah! par saint Georges! s'écria le duc en frappant du pied le plancher, la folle sait-elle en présence de qui elle se trouve et à qui elle parle ! — Monseigneur, répondit Isabelle sans se déconcerter, je suis de- vant mon suzerain, et je crois à sa justice. !Me priver de mes do- maines c'est reprendre tout ce (pie la générosité de vos a'ieux m'avait donné, cl rompre les seuls liens (jui nous attachent l'un à l'autre. Mais vous ne m'avez donné ni ce corps (pii souffre, ni l'esprit qui I anime, je désire les consacrer au ciel dans le monastère des Ursu- lines, sous la direction de cette sainte mère abbesse. 11 serait difficile de concevoir la rage et rélonnemenl du duc : qu'on se figure un faucon surpris de voir une colombe redresser ses plumes ])our le défier. — La sainte mère vous recevra-l-elle sans apanage? dit-il d'un ton de sarcasme. — Ce sera contr.iirc aux inlérêts de son couvent, répondit Isabelle; mais j'espère qu'il y a encore assez de charité parmi les nobles amis de m.i maison pour venir en aide à l'orpheline de Croye. — C'est faux! s'écria Charles; vous vous servez d'un prétexte i)our couvrir quelque indigne et secrète passion. Monseigneur d'Orléans, elle sera à vous, dussé-je la traîner à l'autel de mes propres mains? La comtesse de Crèvecoeur, femme d'un grand courage, enhardie par la haute position de son époux et la faveur dont il jouissait, ne put garder plus longtemps le silence. — Monseigneur, dit-elle, la colère vous fait tenir un langage com- plètement indigne de vous, on ne saurait disposer par force de la main d'une noble dame. — Un prince chrétien, ajouta l'abbesse, ne doit pas contrarier les vœux d'une âme pieuse qui, lasse des soucis et des persécutions du monde, désire se fiancer au .Seigneur. — Et mon cousin d'Orléans, dit Ounois, ne peut honorablement accepter la main d'une personne qui l'a si puMiquement refusé. 88 QUENTIN DURWARD. — S'il m'était permis, dit le duc d'Orléans, sur l'esprit facile du- quel la beauté d'Isabelle avait fait une impression profonde, d'essayer de me faire agréer par la comtesse , s'il m'était donné du temps pour justifier mes prétentions... — Jlonseigneur, dit Isabelle, dont la fermeté était soutenue par les encouragements qu'elle recevait de toutes parts, ce serait complè- tement inutile; je suis décidée à refuser cette alliance, quoiqu'elle soit au-dessus de ce que je mérite. — Je ne saurais attendre, reprit Charles, que les caprices de cette enfant changent avec la nouvelle lune. Monseigneur d'Orléans, elle apprendra d'ici à une heure que l'obéissance est une nécessité. — Je n'en profiterai pas, répondit le prince, qui croyait ne pou- voir abuser sans déshonneur de la tyrannie du duc , avoir été re- pousse formellement, devant tous, c'est assez pour un fils de France. 11 lui est impossible de persister. l.a chasse au héraut Sanglier-Uouge. Charles lança un regard de fureur à d'Orléans, puis à Louis; et lisant sur les traits de ce dernier une expression de triomphe mal déguisée, il éclata en propos outrageants. — Ecrivez, dit-il à son secrétaire; nous prononçons une sentence de forfaiture et d'emprisonnement contre cette fille insolente et re- belle! elle ira rejoindre dans la maison de correction les femmes déliontées avec les(|uelles elle rivalise d'effronteri<'. Il y eut un murmure général de réprobation. — Monseigneur, dit le comte de Crèvecœur au nom de ses collè- gues, il faut réfléchir ]ilus niùremcnt sur cette affaire. Nous , vos fidi'Ies vassaux, ne saurions so\ifl'rir qu'on avilisse ainsi la noblesse et la chevalerie de {{oiinjoijnc. Si la comtesse a commis des fautes, ([u'ellc en subisse le châtiment; mais (|u'il soit convenable ii son rang, et au rang de ceux qui sont unis à sa maison par le sang et par les alliances. I.e due regarda en face son conseiller. Il avait l'air d'un taureau que le bouvier force \\ se détourner de sa roule, et (|ui se demande s'il doit obéir ou éventrer son importun conducteur. 'l'oulefois la prudence prévalut sur la fureur ; Charles reconnut (|ue le conseil était unanime; il appréhenda l Une idée qu'Isabelle avait repoussée jusqu'alors comme d'une réa - lisation impossible s'offrit à elle avec une nouvelle force. L'esprit d'une femme manque rarement de moyens pour accomplir ses volon- tés. Elle s'y prit de telle sorte ([u'avant que les troupes fussent en pleine marche, Quentin reçut d'une main inconnue la lettre de dame Hameline. Trois croix étaient tracées en marge du post - scriptum , et précéilaient les lignes suivantes : « Celui (pii n'a pas craint d'affronter les armes d'Orléans qiiani elles couvraient la poitrine de leur légitime possesseur, ne peut les redouter quand elles seront portées par un tyran et un meurtrier. >- Le jeune Ecossais baisa mille et mille fois ce billet; il le pressa conire son cœur, car il connaissait maintenant la roule au bout de laquelle l'honneur et rainour lui réservaient une récompense. H s,i- vail comment il distinguerait celui dont la mort seule pouvait don- ner la vie k ses espérances; maître d'un secret inconnu à tous, il ré- solut prudemment de le renfermer dans son sein. Toutefois Durward crut nécessaire de ne pas garder pour lui les renseignements qu'il tenait ilu bohémien. I.a sortie que méditait Guillaume de la Marck, si elle n'était habilcnieiit prévenue, exposait les assiégeants à une défaite terrible, tant il élail diflicile, dans ces temps de luttes irrégiilières, de se remcltre des suites d'une surprise nocturne. Après de mûres rétlexions, il prit le parti de ne révéler le stratagème conçu par Guillaume qu'en |iersonne et aux deux ])rinces réunis, l'.n instruisant le roi seul d'un projet si bien couiliiné, il crai- gnait (l'exposera une trop forte tentati(ui la probité cliaiicelaiite du monanpie et de lui inspirer la pensée d'appuyer la sortie au lieu de la repousser. Il prit donc le parti d'épier l'occasion oii Louis et Charles se trouveraient ensemble pour leur révéler son secret; mais elle pouvait tarder à se ])résenter, car ils éprouvaient dans la société l'un de l'autre une contrainte qui rendait leurs réunions assez rares. Cependant la marche continuait, et les coiilédérés entrèrent bien- tôt sur le territoire de Liège. Là , sous prétexte de veni;er la mort de l'évêque, les gens (l'armes bourguignons, ou du moins ceux qu'on avait surnommés les écorcheurs, justifièrent ce titre eu maltraitant les habitants. Leurs déprédations compromirent la cause de Charles; des paysans (jui s'étaient proposé de rester neutres prirent les armes pour se défendre;, ils harcelèrent les flancs de l'armée, enveloppèrent des détachements; et se repliant enfin sur la ville, ils allèrent accroitre le nombre et l'énergie de ceux qui avaient résolu de la défendre. Les Français, en petit nombre, et choisis parmi les meilleurs guer- riers du pays, se conformèrent aux ordres du roi en se maintenant sous leurs drapeaux respectifs, et eu observant la plus stricte disci- pline : ce contraste excita les soupçons de Charles; il lui semblait que les soldats de Louis se comportaient en amis des Liégeois plutôt qu'en alliés des Bourguignons. Enfin, sans avoir rencontré d'opposition sérieuse, l'armée arrixa dans la riche vallée de la Meuse, devant la grande et populeuse ville de Liège. Elle trouva le château de Sthonwaldt complètement rasé. Guillauiiie de la Marck, qui avait des talents militaires, avait con- centré toutes ses forces dans la place, et résolu d'éviter de se mesurer en bataille rangée contre la chtvalcrie de France et de Bourgogne. Les assiégeants reconnurent bieiUcjt jiar expérience le danger que l'on court en attaquant une grande ville dont les lutbitauls veulent se défendre en désespérés. Quand l'avaut-garde bourguignonne vit le délabrement des murailles et la largeur des anciennes brèches, elle crut qu'elle n'avait plus qu'à entrer tranquillement dans Liège. La tête s'engagea dans un des fauliourgs en criant : — ^Tue! tue! tout est à nous ! vengeons Louis de Bourbon ! Mais pendant que les pil- lards couraient en désordre dans les rues étroites, un corps de bour- geois considérable sortit brusquement de la ville, fondit sur eux, et en ht un grand carnage. De la Marck profita même des brèches qui permettaient aux assiégés de sortir sur difl'érents points; il atta(|ua l'avant-garde bourguignonne de front, en flanc et à l'arrière. Et les agresseurs étourdis par la résistance furieuse et multiple qu'ils ren- contraient, battirent confusément en retraite. Les ténèbres naissantes augmentèrent le désordre. Quand le duc apprit cette nouvelle , il fut saisi d'une colère que redoubla l'offre du roi Louis d'envoyer les Français dans les fau- bourgs à la rescousse de l'avant-garde bourguignonne. 11 refusa net- tement; et il allait se mettre à la tète des gardes wallons, lorsque d'ilymbercourt et Crèveca'iir le supplièrent de leur laisser le soin de dégager leurs compagnons. Ces deux célèbres capitaines se dirigèrent vers le théâtre de l'action par deux routes différentes, mais de ma- nière à se prêter un mutuel secours : ils réussirent à repousser les Liégeois et à rallier l'avant- garde, qui n'avait pas perdu moins de huit cents hommes dont une centaine étaient des hommes d'armes. Les prisonniers étaient peu nombreux comparativement, d'Ilymber- court eu délivra la plus grande partie; puis il procéda à l'occupation du faubourg en établissant des postes en face de la ville, dont il était séparé par une esplanade large d'environ douze cents pieds. Pour faciliter la défense, on avait abattu tous les édifices qui s'élevaient sur cet espace ; le sol étant rocailleux de ce côté, on n'avait pu creu- ser de fossé entre le faubourg et la ville. Dans la muraille s'ouvraient une porte et trois brèches ouvertes après la bataille de Saint -Trou, qui avaient été barricadées à la hâte avec des madriers. D'ilymber- court fit pointer deux coiileuvriucs sur la porte et en mit deux autres en batterie devant la brèche principale, pour prévenir toute tentative de sortie. H retourna ensuite au camp, qu'il trouva dans un grand désordre. Eu effet, le centre et l'arrière-garde de l'armée avaient continué leur marche pendant que l'avant-garde dispersée battait en retraite. Il s'en était suivi une collision désastreuse, iju'avait augmentée l'ab- sence d'Ilymbercnurt, qui remplissait les fonctions de maréchal de camp, ou, comme nous le dirions aujourd'hui, de chef d'état-major général. Pour comble de inalheu'', la nuit était aussi noire que la gueule d'un loup, il tombait une pluie abondante, et le sol sur lequel les assiégeants devaient (ircndrc position était fangeux et coupé |iar des caiiauv. On se formerait à iieiue une idée du désordre (|ui régnait dans l'année bourguignonne : les chefs étaient séparés de leurs sol- dats; les soldats cherchaient en vain leur drajieau. Tous, depuis le premier jus(|u'au dernier, ne s'occupaient (|ue de trouver individuel- lement un gitc. Les blessés et les hommes accablés de fatigue qui re- venaient du combat imploraient inutilement des secours; tandis que ceux qui igiior. lient le désastre se pressaient en avant pour participer au pillage, qu'ils croyaient déjà coiumeiicé. Quand d'll\ mbercoiirt revint du fauliiiiirg, il eut à accomplir une lâche excessivement dilficile, et à soutenir de plus les reproches de son maitre, ipii refusa d'alléguer pour excuse l'œuvre importante a la(|uelle le brave capitaine s'était employé. — Monseigneur, dit enfin celui-ci incapable de supporter plus longtemps d'injustes accusations, je me suis rendu aux faubourgs par vos ordres, laissant le principal corps d'armée sous la direction de Notre Grâce; à mon retour je trouve nos rangs tellement boule- versés, que les premiers sont confondus avec l'aniere-garde... — Nous sommes comme un baril de harengs, dit le Glorieux, et cette comparaison convient merveilleusement à une armée flamande. La pl.iisantcrie du fou excita l'hilarité du duc, et empêcha peut- être toute disciissinii ultérieure avec d'Ilymbercourt. A force de recherches on découvrit une Iml-lmus ou maison de plaisance appartenant à quehpie riche habitant de Liège, et qui pou- vait scrxir au logement de (Charles le 1 éméraire et de ses principaux serviteurs. Crèvecœur et d'Ilymbercourt établirent dans les environs (^UE^TIN DUKWARD. une garde de (iiiardiite hommes d'armes, qui démolirent les dépen- dances et en employèrent le bois à entretenir de p.rduds feux. Entre cette maison de plaisance et le faubourij était une autre lia bitation à laquelle attenaient une cour, un jardin et quelques enclos. Ce fut là que le roi de France établit son quartier fiénéral. Il install i une partie de sa garde écossaise dans la cour, où des hangars la , mettaient à l'abri de l'intempérie des saisons; le reste campa dans le jardin. Les autres hommes d'armes français furent logés dans les prin- cipaux bâtiments, et, dans la prévision d'une alta<|ue, on établit des | postes avancés. Louis XI n'avait pas la prétention d'être guerrier; mais j il avait toujours soin de mcllre k profit les talents des hommes les pins j habiles du métier, et d'accorder exclusivement sa confiance à ceux qui la méritaient. En outre, il avait une indifférence naturelle pour le danger et savait parer aux circonstances imprévues. Pour établir des coniminnnicalions faciles entre les divers déta- chements, on abattit des murs, on combla des fossés, on fit des ou- vertures aux haies. Ce travail fut dirigé par Dunois et Crawford assistés de plusieurs vieux soldats parmi lesquels le Balafré se signala par son zèle. Après s'être assuré d'un asile, le roi jugea convenable de se ren- dre sans cérémonie au quartier général de Charles le Téméraire pour lui demander (|uellc coopéraliou l'on attendait de lui. Son apparition décida les lîourguignons à tenir un conseil de guerre auquel il ne songeait pas. Ce fut alors que Durward sollicita iiislamment l'hon- neur d'être admis auprès des princes, en disant qu'il avait quelqne chose de très-important à leur communiquer. Il fut reçu non sans peine, et, au grand étonnement de Louis, il exposa avec autant de calme que de clarté le projet qu'avait conçu Guillaume de l:i,Marck de faire une sortie avec les costumes cl les bannières des Français. Louis aurait mieux aimé sans doute apprendre ces nouvelles en par- ticulier; mais comme elles avaient été révélées publiquement en pré- sence du duc de Bourgogne, il se contenta de dire : — \ rai ou faux, ce rapport mérite réflexion. — Je ne suis pas de cet avis, répondit avec insouciance Charles le Téméraire. Si de jiareils projets avaient quelque fondement, ils ne nous seraient pas communiqués par un archer de la garde écossaise. — <^)uoi qu'il en soit, reprit Louis \I, j'ai une prière à vous faire, à vous, mon beau cousin, et à vos capitaines. Si une attaque est tentée dans les conditions indiquées par ce jeune homme, il importe d'en prévenir les conséquences fâcheuses. J'ordonnerai à mes gens de porter des écharpes blanches sur leurs armures... Occupez-vous-en, Dunois! Bien entendu ([ue cet ordre ne sera exécuté qu'avec l'asseii- timent de notre frère. — Je ne m'y oppose nullement, répondit le duc, si les chevaliers français veulent courir le risque de recevoir à l'avenir le sobriquet de chevaliers de la manche de chemise. — Ce serait un titre convenable, dit le Glorieux, puisqu'une femme doit être la récompense du plus vaillant. — Bien dit, sire de la Sagesse!... Mon cousin de Bourgogne, je vais m'armer, et vous souhaite le bonsoir... A propos, qu'arrivera-t-il si je gagne moi-même la comtesse ? — Alors, répondit le duc d'une voix altérée, il faudra que Votre Majesté devienne un vrai Flamand. — Je ne saurais l'être davantage, dit Louis du ton de la plus en- tière confiance. Seulement, mon cher cousin, je voudrais vous en convaincre. Le duc ne répondit (|u'en souhaitant le bonsoir au roi. Ses accents ressemblaient aux hennissements d'un cheval ombrageux, <|ui se re- fuse aux caresses du cavalier quand celui-ci essaye de l'apaiser avant de se mettre en selle. — Je pourrais lui pardonner sa duplicité, dit le duc it Crèvecœur; mais je ne puis souffrir qu'il me croie assez bête pour être dupe de ses protestations. Louis, rentré dans son logement, faisait aussi des confidences. — En vérité, dit-il k Olivier le Dain, cet Ecossais est un tel mé- lange de finesse et de simplicité, que c'est une énigme pour moi. Pàipies-IJieu ! n'est-ce pas une folie impardonnable ([ue d(î divulguer le plan de rhonncte Guillaume devant tous les Bouri;uignons, an lieu de me le glisser à l'oreille pour me laisser le choix du blâme ou de l'approbation ? — Sire, répondit Olivier, il vaut mieux (|ue la chose se soit ainsi passée; un grand nombre de vos serviteurs se feraient un scrupule d'attaquer les Bourguignons à l'improviste, ou de se rallier à de la Marck. — Tu as raison, Olivier; il y a de tels fous dans le monde, et nous n'avons pas le temps de guérir leurs scrupules avec une petite dose d'intérêt personnel. Pour cette nuit du moins, il faut no;is montrer sincères amis de la Bourgogne; un temps viendra où nous aurons moins mauvais jeu. Va dire à nos gens de ne point se désarmer, et de charger, s'il le faut, ceux qui crieront Fr.mre et Saint -Denis! comme s'ils criaient Enfer et Satan! Je me loucherai moi-même tout habillé. Que Crawford place (,)ueiitin Durxvard k l'exlrèine limite de notre ligne de sentinelles, auprès des remparts. (Jn'il profite le pre- mier de la sortie <|u'il nous a annoncée; s'il a la cliauart de leurs alliés, résistaient avec mollesse. Le duc éeumait, jurait, maudissait son seigneur suzerain, et faisant allusion aux cchar- pes que portaient les soldats de Louis il criait aux siens de faire feu sur tous les Français noirs ou blancs. La confiance renaquit quand on vit arriver le roi accompagné seulement du Halafré, de (Quentin, et d'une deini-douzainc d'archers. Crèvecœur, d'ilyuibercourt , et autres illustres chefs bourguignons volèrent au combat. Tandis que les uns ralliaient des troupes plus éloignées, aux(|uelles la panique s'était communiquée, d'autres inter- venaient au milieu du tumulte et rétablissaient la discipline. Le due était au premier rang, criant et frappant comme un simple homme d'armes, pendant t\uc ses capitaines organisaient un ordre ar un autre côté, à l'arrière de ceux (|ui défendaient la brèche. A ces bruits sinistres, de la Marck, appelant au son de la voix et du cor les soldats les plus dévoués ii sa fortune, abondonna la brèche pour battre en retraite vers la jiartie de la ville d'oii il pcuivait ga- gner l'autre rive de la Meuse. Ceux i|ui l'accompagnaicnl , hommes soumis à une discipline sévère, ne rompirent point leurs raii|;s dans celte heure de désespoir. IN'ayanl jamais accordé de quartier, el ré- solus il ne pas en demander, ils s'avancèrent d'un pas ferme sur une ligne c|iii occupait toute la largeur de la rue. Par intervalles ils se retournaient pour tenir en échec ceux qui les poursuivaient, et dont QUENTIN DURWARD. 93 la plupart commençaient à cliercliei' une occupation moins dange- reuse en forçant les maisons pour piller. Le (Icjjuisement (|cii' portait la Marck le dérobait i» la poursuite des compétiteurs, qui faisaient reposer sur sa tète leurs espérances de ijloirc et de grandeur; et il est vraisemblable qu'il aurait accompli son évasion sans la poursuite acharnée de Quentin, du Balafré et de leurs camarades. A cliaque balte des lansquenets, un combat furieux s'engageait entre eux er les arcliers. Dans toutes les mêlées, Quentin cluTcliail la Marck; mais celui-ci, dont le but était d'assurer sa re- traite, éludait toutes les tentatives du jeune Écossais pour l'amener à un combat singulier. Un tumulte épouvantable ré;;nait de toutes parts. Les lamentations des femmes, les cris des habitants, livrés aux insultes d'une soldates- que eflVénéc, se mêlaient aux bruits du ciimbat. La voix de la misère et du désespoir rivalisait de force avec celle de la violence et de la fureur. La Marck, fuyant la ville saccagée, venait de passer devant la porte d'une'petite chapelle en réputation parmi les dévots, quand les cris de France! France'. Bourgogne! Bourgogne! lui apprirent qu'une partie des assiégeants occupait l'autre bout de la rue et lui coupait la retraite. — Conrad, dit-il, prenez avec vous tous nos hommes, chargez ces marauds, et dispersez-les si vous pouvez. Pour moi, tout est fini : le .Sanglier est aux abois; mais il lui reste encore assez de force pour se faire précéder en enfer par quelques-uns de ces misérables Ecos- sais... Le lieutenant obéit, rassembla les débris de sa troupe, et courut il la rencontre des Bourguignons iiour se frayer un passage à travers leurs rangs. .Six hommes d'armes de Guillaume voulurent partager le sort de leur maitre et faire face aux archers, qui n'étaient guère plus nombreux. — Sanglier! Sanglier! s'écria le brigand intrépide en brandissant sa masse. Holà! gentilshommes écossais, qui veut frapper le Sanglier des Ardennes? (|ui veut gagner une couronne de comte? ^ ous sem- blez en avoir envie, jeune homme; mais il faut la conr|uérir avant de la porter. Quentin n'entendit qu'à moitié ces paroles, (|ui se perdirent sous la visière du heaume; mais il en comprit le sens, et invita son oncle et ses camarades à se tenir en arrière s'ils étaient gentilshommes. De la ^larck s'élança sur lui comme un tigre, de manière à frap- per au moment oii ses pieds toucheraient le sol; mais Durward avait le coup d'œil sûr et l'allure légère. Il fit un saut de côté, et évita le coup de masse qui aurait pu lui être fatal. Ils se prirent corps à corps comme le loup et le dogue. Les deux partis demeurèrent spectateurs de cette lutte, car le Balafré ne ces- sait de crier : — Franc jeu! franc jeu 1 Je parierais pour mon ne- veu, ijuand même il aurait à combattre un ennemi aussi fort que \Vallace. L'attente du guerrier expérimenté ne fut pas déçue. Les coups du bandit, réduit au désespoir, tombaient comme l,e marteau sur l'en- clume; pourtant le jeune archer, prompt dans ses mouvements et habile en escrime, escjuivait l'arme formidable, et ripostait avec moins de bruit, mais plus sûrement. 11 réitéra ses bottes avec tant de succès, <|uc la force de son adversaire finit par s'épuiser. Le Sanglier des Ardennes perdait du sang en abondance; une mare rougeàlre se for- mait à ses pieds. Cependant sa colère et son courage ne l'abandon- naient point, et la victoire était encore douteuse, lorsqu'une voix de femme fit entendre ces mots: — A l'aide, à l'aide, messire Quentin Durxvard! secourez-moi, au nom de la sainte Vierge ! Il tourna la tête et reconnut Gertrude Pavillon, dont la mantille était déchirée, et (|u'un soldat français entraînait loin de la chapelle, où elle s'était réfugiée avec quelques-unes de ses compagnes. — Attendez-moi un moment, dit Quentin à de la Marck. Et il courut délivrer sa bienfaitrice d'un danger imminent. — Je n'attends personne, répondit (Guillaume eu faisant tournoyer sa masse d'armes. Et il battit en retraite, enchanté d'être délivré d'un aussi formidable agresseur. — Yous m'attendrez pourtant , avec votre permission, dit le Ba- lafré , je veux achever ce que mon neveu a commencé. En disant ces mots, il attacpia Guillaume avec son épée à deux mains. Cependant Quentin s'aperçut qu'il n'était pas facile d'assurer le salut de Gertrude. Son ravisseur, soutenu par ses camarades, refu- sait d'ab.inilonner sa proie. Pour l'y forcer, Durward fut (d)lig'é de réclamer le concours de (|uelqucs-uns de ses compatriotes. Pendant ce temps, il vit s'évanouir la chance de bonheur et d'élévation que la for- tune avait mise à sa portée. Quand il eut enfin tlélivré Gertrude, tous deux étaient seuls dans la rue. Ius<-nsible a la d lui en criant : — A u nom de votre mère, ne me quittez pas! KanuMiez-moi chez mon père, sous le toit (|ui vous a servi d'asile à vous et à la comtesse! Pour l'amour d'Isalielle de Croye, ne m'abandonnez pas! 11 était impossible de résister à ce malencontreux appel. Il fallait renoncer, non sans une inexprimable douleur, à toutes les espérances ([ui avaient soutenu (,)uentin Durward pendant cette journée de car- nage, et dont il avait entrevu la réalisation. Comme un génie qui obéit involontairement à un talisman d'une puissance supérieure, il accompagna Gertrude jus(|u'à la maison de son père, et arriva à propos pour protéger le syndic et ses biens de la fureur des pillards. Cependant le roi de France et le duc de Bourgogne entraient à cheval dans la ville par une des brèches. Tous deux étaient armés de pied en cap; mais Charles, couvert de sang depuis le cimier jus- qu'aux éperons, poussa son coursier à travers les décombres. Louis, au contraire , gravit la brèche du pas majestueux d'un homme ([ui marche à la tête d'une procession. Les princes expédièrent des ordres pour arrêter le sac de la ville et pour rassembler les troupes disper- sées. Ils s'acheminèrent ensuite vers l'église de Saint-Lambert, afin de protéger les citoyens notables qui s'y étaient réfugié», et de tenir conseil après avoir entendu la grand'raesse. Occupé comme les autres otiiciers à rallier ses soldats épars , lord Crawford rencontra le Balafré au coin d'une des rues qui aboutis- saient à la Meuse. Avec l'indilïérence d'un chasseur qui porte une carnassière, Ludovic tenait à la main une tète humaine dont les che- veux étaient maculés de sang. — Qu'est-ce donc? dit le commandant. Qu'allez-vous faire de cette charogne ? — C'est tout ce qui reste d'une œuvre que mon neveu a presque achevée, et à laquelle j'ai mis la dernière main. Un brave homme que j'ai expédié là-bas m'a prié d'aller jeter sa tête dans la Meuse. Il y a des gens qui ont d'étranges fantaisies ([uand la mort met la main sur eux, ce (|ui ne l'empêche pas de nous faire danser tous les uns après les autres. — Et vous allez jeter rette tête dans la lieuse? reprit Crawford en examinant avec plus d'attention ce hideux trophée. — Comme vous le dites, répli(|ua l.esly. <,)uand on refuse d'accor- der à un mourant sa dernière demande, son ombre vous persécute, et j'aime à dormir la nuit (l'un bon somme. — i\Ion ami, vous courrez la chance de voir l'ombre; car, sur mon àmc! cette dépouille mortelle a plus d'importance ijue vous ne l'ima- ginez. Pas un mot de plus, et venez avec moi. — Au fait, dit le Balafré, je ne suis lié par aucune promesse. Sa langue n'avait pas achevé quaiul je lui ai tranché la tète; et puis(|ue je n'ai pas eu peur de lui de son vivant, par saint ^Martin de Tours! je ne dois pas le craindre qu.md il est mort. D'ailleurs, mon com- père, le joyeux moine de Saint-Martin, me donnera un pot d'eau bénite. Lorsque l'office divin eut été célébré dans la cathédrale de Liège, e (|ue le calme fui à ])eu (irès rétabli, Louis et (Charles, environnés de leurs pairs, écoutèrent les récils de ceux qui prétendaient s'être distingués pendant la bataille. On manda en première ligne les pré- tendants à la possession de la main d'Isabelle et de son comté; mais plusieurs des comi)étileurs furent étrangement ilésappointés. Le mys- tère et l'incertitude empêchaient les juges du camji de décerner le prix : Crèvecœur montrait une peau de sanglier pareille a celle (|ue (ruillaume portait habituellement; Dunois présentait un bouclier orné des armoiries de la M.irck; d'autres, se vantant également d'avoir lue l'assassin de l'évêque, en produisaient des preuves analogues. La riche mise à prix de la tête du Sanglier avait causé la perte de tous ceux dont l'armure ressemblait à la sienne. Au milieu des contestations, Charles regrettait intérieurement d'avoir laissé au hasard le soin de disposer de la main et des domaines de sa jeune vassale. Ne sachant comment concilier tant de réclamations contradictoires, il allait les repousser toutes, lorsque lord Crawford fendit la foule, entrainant avec lui le Balafré. (À'Iui-ci s'avança timidement, il'un air gauche, comme un matin mené en laisse, et son capitaine s'écria : — lîelirez-vous tous avec vos cuirs et vos écus coloriés! Personne, excepté celui qui a tué le S.inglier, ne peut en montrer les défenses! En disant ces mots il jeta sur les dalles la tête sanglante, dont l'identité n'était ])as contestable. Les mâchoires, singulièrement con- formées, offraient une certaine analogie avec celles d'un sanglier, et tous les guerriers (|ui avaient eu occasion de voir la !Marck le recon- nurent immédiatement. Surpris et mécontent, Charles garda un morne silence. — Crawford, dit Louis \l, j'espère que c'est un de mes fidèles Écos- sais qui a remporté le prix ' — Sire, c'est Ludovic Lesly, que- nous appelons le Balafré. — ^lais est-il noble :' demanda le duc; est-il de bonne maison? Autrement notre promesse serait sans elTct. — Je conviens ipi'il est assez mal dégrossi, dit Crawford en jetant un coup d'ieil sur l'archer, dont l'embarras était indicible, mais sa famille forme une branche de celle des Uothes. Le premier du nom a tué en combat singulier un fameux chevalii'r hongrois, et depuis ce temps la maison est aussi noble ([ue les meilleures de France ou de l!ouri;iigne. — En ce cas, dit le due, c'est une afl'aire finie : la plus belle et la plus riche héritière de nos Etals doit épouser un grossier mercenaire ou s'ensevelir dans uu couvent! El c'est la fille uni(|ue de notre féal Keinold , comte de Croye! J'.ii commis une grande imprudence. 94 QUENTIN DURWARD. Un nuage passa sur le front de Charles à la grande surprise de ses courtisans, qui ne l'avaient jamais vu regretter les conséquences d'une résolution qu'il avait adoptée. — Encore MU instant, dit lord Crawford, et ^ otre Grâce recon- naîtra que tout va mieux qu'elle ne le conjeeturc. Ecoutez seulement ce que ce cavalier a l'intention de vous déclarer... Parle donc ! ajouta- t-il en pienant à part le Balafré, ou que la peste t'étouffe! Le soudard, dont riutelliijcnce était peu développée, parvenait toutefois il se faire comprendre du roi Louis, avec lequel il avait coutume de s'entretenir familièrement; mais il se trouva dans l'im- possibilité de s exprimer devant une assemblée aussi illustre. Il re- garda tour a tour les princes, préluda par un ricanement grossier, lit deux ou trois grimaces, et murmura ces mots : — Saunders Souplejaw... Ce furent les seuls (|u'il parvint it prononcer. — IN 'en dépl.iise à Notre .Majesté et ît Votre Grâce, reprit lord Crawford, il faut que je parle pour mon compatriote et vieux cama- rade. ^ ous saurez qu'un devin écossais lui a prédit que la fortune de sa maison se ferait par un mariage; mais il est, comme moi, un peu suranné. Il préfère la taverne au salon d'une dame; il a certains goûts de caserne que gênerait la grandeur. Après avoir écouté mes conseils, il renonce aux prétentions que peut lui donner la mort de Guillaume de la iMarck en faveur de son neveu, du fils de sa sœur, de celui qui a réellement mis aux abois le Sanglier des Ar- dennes. Louis vit avec joie (|ue le vain(|ueur était un liomme sur lequel il pouvait avoir quelque influence. — Je nie porte garant, dit-il, des services et de la prudence de ce jeune Ecossais. Sans sa vigilance, nous aurions été battus. C'est lui qui nous a révélé le projet de sortie. — S'il en est aiifsi, dit Charles, je lui dois une réparation, car j'ai douté de sa véracité. — Je puis attester sa bravoure comme homme d'armes, s'écria Dunois. — Mais, interrompit Crèvecœur, quoique l'oncle soit un gentillàtre écossais, rien ne prouve que son neveu le soit aussi. — 11 est de la maison de Durward, dit lord Cravford; il descend de cet Allan-Durward qui fut grand sénéchal d'Ecosse. — Ah ! i)uis([ue c'est le jeune IJiirw ard , je n'ai plus qu'à me taire. La fortune s'est déclarée trop ouvertement en sa faveur pour c|ue je songe il lutter plus longteiiips contre cette dame capricieuse; mais je suis étonné de la manière dont ces Ecossais se soutiennent tous, de- puis le lord jusqu'au varlet. — ÎMontagiiards, soutenez-vous toujours ! dit lord Crawford riant en lui-iiième du dépit du fier Bourguignon. — H nous reste à examiner, reprit Charles, quels sont les senti- ments de la comtesse à l'égard de l'heureux aventurier. — Par la messe! dit Crèvecœur, je n'ai que trop de raisons de croire (|ue Votre Altesse la trouvera jiliis soumise ([ue dans les oc- casions précédentes. Mais pourquoi envierais-je la bonne fortune de le jeune homme? Après tout, c'est le bon sens, la résolution et la bravoure qui l'ont mis en possession de la richesse, du rang et de la beauté. CHAPITRE XXXVIII. Conclusion. La conclusion de cet ouvrage est, je le crois, de nature li encou- rager les émigrants de mon pays natal aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux longues jambes, au cccur intrépide, pour peu qu'ils soient tentés d'embrasser dans ces temps difliciles la profession de coureurs d'aventures. J'avais déjà confié ces pages à la presse; mais j'ai pour conseil un ami dévoué , un de ces hommes qui aiment autant que le meilleur souchong le morceau de sucre qu'on trouve au fond d'une lasse de thé. Il m'a adressé de sévères remontrances; il exige que je donne des détails précis sur les noces du jeune héritier de Glcn- Houlakin et de l'aimable comtesse bourguignonne ; (|ue je rende compte des tournois qui les signalèrent, des lances qu'on y rompit; enfin que je fasse connaître aux curieux le nombre de garçons qui héritèrent du courage de Quentin Durward, et de filles auxquelles Isabelle de Croye transmit ses charmes. J'ai répondu courrier pour courrier que les temps étaient changés, et que les épousailles publiques étaient entièrement passées de mode. A une époque que je me rappelle encore, les amis de l'heureux couple, même au ((uinziènie degré, étaient conviés à la cérémonie, et les musiciens prolongeaient leurs accords jusqu'à l'aube du jour. On mangeait la rôtie dans la chambre nuptiale; on se disputait la jarretière de la mariée. Les auteurs du temps ne manquaient pas d'être minutieux dans leurs descriptions : ils n'oubliaient ni la rou- geur pudique de la fiancée ni les transports de l'époux; ils comp- taient les diamants mêlés aux cheveux de la belle, les boutons qui fermaient le gilet brodé du jeune homme, et conduisaient leurs per- sonnages jusqu'à la chambre à coucher. Que ces détails sont peu con- formes à la réserve de nos modernes épousées, douces et timides créa- tures, qui fuient le luxe et l'admiration, l'éclat et les flatteries! Certes, elles ne goûteraient nullement le récit d'un mariage célébré nu quinzième siècle. Raconter celui d'Isabelle de Croye, ce serait la ravaler à leurs yeux au niveau d'une servante de ferme; car celle-ci refuserait la main du cordonnier son prétendu, même aux portes de l'église, s'il lui proposait de faire nopcfis et fe>ilinf:, comme disent les enseignes de Paris, au lieu de monter sur l'impériale d'une diligence pour aller passer la lune de miel à Deptford ou à Greenwich. Je me tairai donc à ce sujet; je glisserai sur ces noces, comme l'Ariostesur celles d'Angélique, laissant au lecteur la faculté de se les figurer au gré de son imagination. D'autres bardes diront avec plus de succès Comment de Braoquemont s'ouvrit la grande porte, Et commf nt les vassaux composèrent l'escorte De l'aimoble héritière et du bel Écossais. E corne a rilornare in sua contrada Trovasse e buon iiaiiçjlio e viiylior tempo E deW India a Medor dense lo scellro Forse altri contera con miijlior plettro. OiiLANDO Flriosù, canto X.XX, stanza 1B. NOTES DE QUE\TIN DURWARD. CHAPITRE PREMIER. L'amour de Louis XI pour les anecdotes comiques et singulières est attesté par un recueil qui fut composé à la cour de Bourgogne, t au((uel il collabora. La première édition de cet ouvrage, rare et recherchée des bibliograiilies, a été imprimée à Paris, sans date, chez Antoine Vérard, en un gros volume in-folio. Elle a pour titre : les Cent Nouvelles nouvelles; contenant cent histoires nouveaux, qui sont moult plaisans à raconter en toutes bonnes compagnies , par ma- nière de joyeuseté. CHAPITRE VL On sait que les bohémiens existent dans pres(|ue toute l'Europe, et (|ue tout en se conformant à certains égards aux mœurs des na- tions (ju'ils fré(|uentent , ils en restent cependant séparés. Leur pre- mière apparition en Occident date du commencement du ipiinzièmc siècle, et corres|)iind à l'éijoque oit Tamerlan, après .ivoir envahi l'Uindoustan, donna aux indigènes le choix entre le Koran el la mort. Il est vraisemblable que ces tribus nomades étaient composées d'In- diens qui fuyaient le joug des mahométans. L'arrivée des bohémiens à Paris est racontée en ces termes dans un vieux journal publié par le savant Etienne Pasqiiier : (I Le dimanche d'après la m\ aoust, qui fut le dix-septième jour d'aoust 1 'l'i' , vinrent à Paris un duc, un comte et dix hommes, tous achevai, et lesipiels sc> disoient très-bons chrestiens. Ils esloicnt de la basse Egypte, et encore disoienl (|ue n'avoil pas grand temps que les chrestiens les avoient subjuguez et tout leur pays, et tous fait chrestienner, ou mourir ceux qui ne vouloieiil eslre. Cleiix ({iii furent baptisez furent seigneurs du pays, comme devant, et promirent d'cstre bons et loyaux; ils avoient roy et rejne en leur pays (|ui demeiiroienl en leur seigneurie. Item vrai est, comme ils disent, c|u'après aucun temps ([ii'ils eurent pris la foy chrestienne, les Sarrazins les vinrent assaillir lisse rendirent à leurs ennemis, et devinrent Sarrazins comme devant, et renoncèrent à Jésus-Christ. H advint après (|ue l'emiiereiir d'Allemagne, le roi de Poulaine, et autres sieurs, quand ils secourent (|u'ils orent ainsi lausseuient laissé nostre foy, leur cou- rurent sus, el les vaim|uirenl. (Jeulx-ci cuidoient qu'on les laissasl en leur l)ays, comme l'autre fois i)Oiir devenir chrestiens. IMais l'empe reur et les aiitrc^s seigneurs dirent que jamais ne tenroient terre en leur iiiys, si le pape ne le conseuloit, et ([u'il convenoilque là allas- sent au saint-père k i\ome, et lit allèrent tous, petits el grands, à yUEWTlW DURWAHU. 95 moult grand'peiiie pour les enfants. Quand le pape eut ouye leur con- fession, leur ordonna d'aller en pénitence sept ans ensuivants parmy le monde sans couclurcn lit. • Ils furent autant ein<( ans par le monde qu'ils vinssent.! Paris... l.cs douze susdits devant, et le jour saint Jean Dccolacc vint le commun; lequel on ne laissa pas entrer dans l'aris, mais par jus- tice furent laijcz ;i la Chapelle Saint-IJinys, et n'estoient point plus eu tout d'Iiommes, de femmes et d'enfants, que cent ou six vinijts ou environ, et quand ils partirent de leur pays, ils estoient mille ou douze cents. • Presque tous avoient les oreilles percées, et en cliarune oreille un annel d'argent ou deux : et disoient que c'estoit r;entillesse en leur pays. Item les hommes estoient tous noirs, les cheveux coupez; les plus laides femmes ([ue l'on peut voir, et les plus noires; toutes avoii nt le visaije déplayé, cheveux noirs comme la queue d'un che- val; pour toutes rohbes une vieille llossnye, très-jjrosse, d'un lien de drap ou de corde lié sur l'épaule, et dessus un pauvre roquet, ou chemise, pour parements, liref, c'estoient Jes plus pauvres créatures que l'on vit onc(|ues venir en France, d'âge d'hommes; et néantmoins leur pauvreté en la compagnie avoit sorciers qui regardoient es mains, et disoient ce qu'advenu leur estoit ou l'advenir et (|ui pis estoit, en parlant aux créatures par art magi(|uc ou autrement, par l'ennemy d'enfer ou par intrije et d'habileté, laisoient vuider les bourses aux gens et les mettoient eu leurs bourses, comme on disoit. • CHAPITRE XIII. Galcotti îMartius était né h Narni , dans l'Ombrie. H enseigna d'a- bord les belles lettres à Bologne; mais l'inquisition le persécuta pour avoir soutenu que la foi n'était pas nécessaire, et cpi'on (louvail être sauvé uniquement par les bonnes a'uvres. Incarcéré à ^ cuise, il fut rendu à la liberté par les ordres du pape Sixte iV, à la condition expresse qu'il abjurerait son hérésie. 11 se relira en Hongrie, oii il devint secrétaire du roi Matbias Corviu. Après la mort de ce prince, Galcotti passa en France : il mourut en l'iTO, suivant quelques au- torités; et suivant d'autres, en I iOl. Gabriel JNaudé a dit de lui, dans l'Addilionà l'histoire de Louis A7 (Paris, Ifj;i0, in-S") : « Quant à Galeottus Martius, qui estoit natif de la ville de INarui en Italie, c'estoit un homme consommé dans les bonnes lettres, grand critique, pliilosoidie, médecin, astrologue , humaniste et orateur, comme en font foy ses livres de Doctrimi promiscua , de Hiimine , de Dictis Malhiœ riujis, de Censura operum philelphi et de Wilgo inco- f/nilis, desijuels combien je n'en aye veu que les trois premiers im- primez, il faut néantmoins croire (pie lequatricsme l'a aussi été, veu ((ue Marsile et quelques autres autheurs et bibliothécaires le citent fort souvent, et le dernier remply de fort doctes et curieuses maximes, ilesquelles ou ])eut voir quelques échantillons d;iiis Vadianus et la P()|)elinière, est maintenant gardé eu la bibliothèque du lioy, où le docte et révérend père Marsenus m'a asscuré de l'avoir plusieurs fois veu et feuilleté. Oiilre ce, il estoit fort addroil au maniement de toutes sortes d'ariiu's, et quoyqu'il fust de corpulence assez grosse, pesante et incommode, il surmonta néantmoins en un deffy solennel et par combat réglé le plus habile luicteur de son temps, comme Jauus Pannonius, évesque de cinq églises, a remarqué dans une épigramme. » C'est pourtpioi l.ouys onze, ayant entendu parler d'un tel ])ro- dige de sravoir, devint comme envieux de Mathias Corvinus, (|ui l'avoit choisi pour maistre et compagnon de ses études, et par une honeste émulation liiy lil pro]inser de si grands avantages, qu'il se délibéra enfin de quitter la Hongrie pour mieux et plus pleinement savourer l'honneurel la répul.ition qu'il s'esloit ac([uis parsc'smérites, et respirer avec toute commodité l'air de la France soult la faveur et libéralité d'un si puissant roy. Mais, ô malheur estrange! comme il fut arrivé à I.yon, où le roy estoit, l'an 1 m, il se trouva si surpris là par la soudaine rencontre (ju'il en lit, (|ue se précipitant de mettre pied il terre pour le saluer, il tomba de dessus son cheval avec telle violence, qu'il se rompit le col et mourut sur la place. (?est du docte .loannes Pu;rius N aleriaims i|ue nous apprenons cette histoire, lequel en fait le récit au livre de IJtteratiiruin iiifeliritale , en quoi néant- moins il ne s'accorde pas avec Paul Lone et Sc^irdeon, qui décrivent sa mort comme estant arrivée en une petite ville proche ili' Padoue, où il demeura estoulfé soult la iiraisse et embonpoint. » CHAPlIliK \\]. Les liohéiiiiens onl de grands rapports avec les juifs, mais ils ne professent jias comme eux de religion parliculii're. I)ans l'Inde orien- tale, ils n'adoraient ni liramali ni Mahomet; ce (|iii les a fait consi- dérer comme parias. Diverses superstitions leur tiennent lieu de croyance, et les plus instruits d'entre eux font, comme Hayraddin, parade de m:ilérialisiiie. Hien de plus pénible, pour celte ra<-e indolente cl voluptueuse, qu'une profession régulière. l,orsr[ue l'aris était occupé |)ar les alliés eu 1815, l'auteur se promenais avec un oliicier anglais près d'un poste gardé par les troupes prussiennes. Il fumait un cigare, et, pour se conformer à une règle établie, il allait l'ôter de sa bouche en pas- sant devant le factionnaire; mais celui-ci s'écria en allemand : « F"uuiez, et que le diable emporte le service prussien ! » C'était un bohémien (|ui exprimait ainsi son antipathie, au risque de recevoir la schiaguc si un caporal l'avait entendu. CllAPlTI'.l-: MX. On peut trouver étrange l'aventure de Quentin à l.iégc; et pour- tant, dans les momenls de doute, les plus légères circonstances ]>ei\^ vent avoir sur l'esprit public une influence inexplicable. A l'époque oii les Hollandais se jjrép. iraient a secouer le joug de la France, le débarquement d'un individu revêtu de l'uniforine des volontaires anglais fut accueilli coniriie le gage d'une intervention britannique. CHAPri'RE \\\. Philippe de Comines, né en 1 1 i.') au ch;\teau de Comines en France, passa ses premières années à la cour de IJourgogue, et s'attacha à Louis XI, qui le nomma chambellan et sénéchal de Poitiers. Il mourut en 16l)'J. Ses Mémoires sur l'histoire de Louis \l et île (Charles VIH, depuis 14(>i jusqu'en 111)8, sont un précieux monument historique et philologique. \ oici comment il a tracé le portrait de Louis XI : Il Entre tous les princes que j'ay jamais connus, le plus sage pour soy tirer d'un mauvais pas, en temps d'adversité, c'estoit le roy Louis -\1, nostre maitre : le plus humble en paroles et en habits : et qui plus travailloit ii gagner un homme qui le pouvoit servir ou qui luy pouvoit nuire, et ne s'ennuyoit point d'estre refusé une fois d'un homme qu'il prélendoit gagner : mais y contiuuoit, en luy promeltant largement et donnant par etl'et argent et estats (|u'il connoissoil qui lui plaisoicut, et ceux qu'il avoit chassez et déboulez en temps de paix et de pros)>érité, il les r.ichetoit bien cher quand il en avoit be- soin et s'en servoit et ne les avoit point en nulle haine pour les choses passées. Il estoit naturellement ami des gens de moyen estât, et ennemy de tous grands (|iii se pouvoicnt passer de luy. JN ul homme ne presta jamais tant 1 oreille aux gens, ny ne s'eni|uist de tant de choses, comme il faisoit, ne qui voulust jamais connoistre tant de gens : car aussi véritablement il connoissoit toutes gens d'authorité et de valeur, qui estoient eu Anijleterre, en Espagne, en Portugal, en Italie, êtes seigneuries du duc de Hourgogne et eu Bretagne, comme il faisoit ses sujets. Et ces termes et façons qu'il tenoit, dont j'ay parlé ci-dessus, luy ont sauvé la couronne, veu les ennemis qu'il s'estoit luy-mème acquis ii son advenement ou royaume; mais surtout luy a servi sa grande largesse : car ainsi comme sagement il conduisoit l'adversité, à l'opposite dès ce qu'il cuidoit estre asseurou seulement en une trêve, se mestant a mescontenter les ijens, par petits moyens, (|ui peu luy servoient, et à giand'peine pouvoit endurer paix. Il estoit léger à parler des gens, et aussi tost en leur présence qu'en leur ab- sence, sauf de ceux qu'il craiguoit, qui estoit beaucoup : car il estoit assez craintif de sa propre nature. Et ([uand pour parler il avoit receu quelque dommage, ou en avoit suspicion, et le vouloit réparer, il usoit de cette parole au personnage propre : « Je sçay bien que ma >i langue m'a porté grand dommage, aussi m'a-t-elle fait quelquefois » du plaisir beaucoup : toutes fois c'est raison (jue je répare l'a- » mende. » Et u'usoit point de ces privées paroles, qu'il ne fist quel- (|ue bien au personnage i» qui il parloit, et n'en faisoit nuls petits. ;\lais fait Dieu grand'gràcc à un i)riuce quand il sçail le bien et le mal, et jiar espécial ipiand le bien précède, comme au roy nostre maistre dessusdit. !\Iais ;i mon advis, que le travail ([u'il eust en sa jeunesse r|uand il fut fugitif de son père, et fuit sous le duc Philippe de hourgogne où il fut six ans, lui valut beaucoup, car il fut conlrainl de complaire à ceux dont il avoit besoin : et ce bien, (|ui n'est pas petit, lui apprit adversité, u Philippe de Comines dit île (Charles le Téméraire : CI Je l'.iy veu grand et honorable prince, et autant estime et requis de ses voisins; un temps a esté que nul ])rince qui fust eu la chres- tienté, ou par aventure plus, .le n'ai veu nulle occasion pourqiioy plus tôt il peust avoir eiiciMiru l'ire de Dieu, que de ce (|iie toutes les grâces et honneurs qu'il avoit reçus en ce monde, il les estimoit tous estre procédez de son sens et de sa vertu, sans les attribuer à Dieu , comme il devoil; car à la vérité il avoit de bonnes cl vertueuses par- ties en luy. Nul prince ne le jiassa jamais de désirer nourrir i;randes gens , et les tenir bien réglez. Ses bienfiits n'estoient point fort grands ; pour ce ipi'il vouloit que chacun s'en resseiitist. .lamais nul ne donna plus libéralemenl audience ii ses serviteurs et sujets. Pour le temps (pie je l'ai connu, il n'estoit point cruel, mais le devint peu avant sa morl, (|iii estoit mauvais signe de longue durée. Il estoit fort poiiipiu\ en liabillemeiits , et en toutes autres choses un peu trop. 11 porloit fort i;rand honneur aux ambassadeurs et gens étrangers. Ils estoient lort bien festoyez et recueillis chez luy. 11 désiroit grande gloire, (|ui estoit ce i|ui plus le lueltoit en ses guerres que nulle autre 96 QUENTIN DURWARD. chose : et eût bien voulu ressembler à ces anciens princes, dont il a esté tant parlé après leur mort, et estoit autant hardy qu'homme qui ait régné de son temps, jj CHAPITRE XXVIII. La prière de Louis XI n'est pas de pure invention. On lit dans les Mémoires de Brantôme : « Entre plusieurs des dissimulations, feintes et finesses que fit ce bon roy en son temps, ce fut celuy, lorscpie par gentille industrie , il fit mourir son frère le duc de Guyenne, quand il y pcnsoit le moins, et lui f.iisoit le plus beau semblant de l'aimer hiy vivant et de le regretter après sa mort, si bien que personne ne s'en apperceut qu'il eust fait faire le coup, sinon par le moyen de son fol, qui avoit esté au dit duc son frère, et il l'avoit retiré avec luy après sa mort, car il estoit plaisant. " Estant donc un jour en ses bonnes prières et oraisons à Cléry , devant Notre-Dame qu'il appeloit sa bonne patronne, et n'ayant per- sonne près de lui, sinon ce fol qui eu estoit un peu esloigué, et duquel il ne se doutoit qu'il fust si sot qu'il ne pust rien rapporter, il l'en- tendit comme il disoit : « Ah ! ma bonne dame, ma petite maistresse, ma grande amie, en qui j'ay eu tousjours mon reconfort, je te prie de supplier Dieu pour moy et estre mon advocate envers luy, qu'il me pardonne la mort de mon frère, que j'ay empoisonné par ce mé- chant abbé de Saint-Jean. Je m'en confesse à toi comme à ma bonne patronne et maistresse ; mais aussi qu'eussé-je sceu faire ? il ne me faisoit que troubler mon royaume : fay-moi doncques pardonner , et je scay ce que je te donneray. » Avec l'indin'iMence d'un chasseur qui perle une carnassière, Ludovic tenait à la main une t(île humaine dont les cheveux étaient maculés de sang. FIN DE (QUENTIN 1)URW.\RD. l'ari». Tjiiographic Plon FiiÈnES, rue de Vaugirard , 36. Gi:ST-)VE UAlïlU, MUTtlJR. AI5D-EL-K/\DER NOS SOLDATS, NOS GÉNÉRAUX ET LA GUERRE D'AFRRIUE. CIIAPITHI': ]. CKST ET HOTELI\, CBAVELUS. .'.•^Viit '' -^Am Description sommaire de l'Algé- rie. — Sa géographie, ses pro- ductions, ses divisions politi- ques , ses habitanis. — Autres détails préliminaires. — Ta- bleau chronologique de la con- quête. Avant (rabonicr la bril- laiit<' histoire ilc la ijiit'rre i|ii(,' la Franco a laite pen- dant vin];t-dcii\ ans sur le scil de l'Afrique, el (pii nous .a valu la possi'ssion ilésor- III. lis incontestée d'un (lays iiii vécut un si ijnind passé, iiii se développe en ce nio- iiient même un si reiuar- i|ual)lc avenir, il est néics- saire de jeter un coup d'œil sur le tliéàtre di's événe- ments. I.e lecteur a besoin d'être initié tout d'abord ii ipiebpics détails prineipanv, sans lestpuds il sciait peut- être réilnit il errer au mi- lieu des noms, des eho.ses et des laits, coniinc dans un \érilable dédale. \i)us pro- léderons aussi biicveiuciit que piissible. Matliéniatiqueineiil, l' Al- i;éric est siliiée entre le troi- sii-iiie dei;ié de liniijitude oi'cidenliile et le sivièiue de- i;ré de lonijilude orientale. Sa latitude est enlie le ■Jl.. A l'aspcci da JL-uiif cavalier, elles se voilurciii pr MLKlinK'Ml. Irente-lriiisiéuie et le trente- sivièiiie deijré noril. I.a dis- tance léijale de sa capitale, Ali;er, il l'aris, est de cent soixante myriamètres ou de seize cents kiloiuètiM's , suit quatre cents lieu<'s. Histori- quement et fféuijrapliique- ment , la nouvelle cou(|uète de la France l'ait partie île ce que l'on a]qielail autre- lois les l'étais barbar<'Sf[ues iiii la Itarbarie. I^a Méditer- ranée, au\ Ilots plus Iran- (juilb's d'ordinaire, mais plus Iraities que ceiiv de l'Océan, la borne au nord, sur un dévcdoppcinent acei- deiilé el d<' plus de mille kiloini'lres. Au sud le Sa- liara cl-l'alal on désert ; à l'est le be\ lieli de Tunis , à l'iuiest reiiipirc du Maroc sont les autres limilcs de r Alijéric. On évalue sa vaste siipcrricie an\ deu\ tiers de celle de la l'rauee, c'est-à- dire à environ trois cent mille kilomètres eanés.j La tenipéraliire est il peu |irès la inêine i|ue celle des parties nnuidionales de lu l'rovence et de l'Italie, l.'hi- \er y consiste surtoni en jduies tiiinbaut par ondées é-Ioiî;iM'es, mais considéra- bles. Ces pluies raiiiini'nt en un instant la véjjélation, que les chaleurs estivales sein- 1 ABD-EL-KaDER. Iileiit ai'i'èlor. Ces chaleurs sont aussi eoiiil)altiies ])ar des nuits très- IVaiclu's et par de fortes rosées. Aussi rAlf;érie réiinil-ellc les espèces les plus variées. L'oranj;er, le citronnier, i'aniauclier, le l'ipuier, l'oli- vier, le grenadier, le ])islacliier y produisent, sans compter, des fruits savoureux et dont une ijraude partie est convertie en essences, en luiiles, en conserves ou en spiritueux. La vii;ne y vient sur les eo teaux, et donne une liqueur comparable à celle de IMailère et de Ma- lai;a. La canne ;i sucre, suivant la Iradilion, y .a prospéré autrefois; le coton réussit; le lioublon se naturalise. Le jasmin, la rose, le lau- rier n'ont besoin d'aucune culture pour parer le sol. Mais ce qui fait la vraie fortune d'un pays, ces plantes modestes, ces fécondes cé- réales dont l'homme forme sa principale notirriture, voilà ee que l'on y rencontre en plus p.rande abondance , depuis la patate et le to])inambour jusqu'à l'auberijinc et à la tomate, depuis le froment, rori;e, le seiijle et le maïs jusqu'au sarrasin, aux fèves, au millet et au sorgho. Les fourrages naturels et arlit'iciels, les plantes qui ser- vent aux arts de l'industrie ne manquent pas non plus, et l'indigo, le safran, les arachides, le colza, le sésame, le lin et le chanvre sont cultivés avec succès. Les richesses sylvicoles sont considérables. Les explorations offi- cielles ont fait reconnaître environ huit cent mille hectares de forêls de tniiUs sortes d'essences iscdées ou nu'dées : chêne vert, clièiu' liège, chêne zéen , cèdres, tamarins, micocouliers, pins, azédarac, robinier, noyer noir, févier, lenlisque, orme, frêne, ])la(niemi- niei', platine , \ préau , olivier, lcnlisi|ue , thuya, cyprès. Tout cela est quelquefois magnifique. Le Djebel-Amour contient des lérébintlies au feuillage assez étendu pour aliriter jusqu'à trente cavaliers. Le sous-siil n'est pas nniins riche (|ne la su])erlicie. On exploite déjà des )uines de cuivre, de fer, de plomb, d'anlimoine. Jus(|u'iei ce sont les premiers de ces métaux que l'on a trouvés en plus grande abonilance. ])cs sources thermales, dont ([uehiues-unes furent connues des Ro- mains, sont i-épandnesçà et l;i ; plusieurs ont été analysées dans leurs principes ; on les a reue, et la pôelii^ séculaire du corail occupe cha(|ue année de ceni einquanle à cent quaire-vingts bateaux, dont elia(|uc patron paje à l'Llal une redevance de huit cents francs. A côté de ces espèces utiles s'en ))résenlent d'aulres, qui allestcnl que la civilisation n'est pas encore toute-puissaute dans ces coiilrées. Mais ces esjièces, ennemies de l'Iiomme ou des troupeaux , comiiic le lion, le chacal, la iiantlière, l'hyène, vont en diminuant de jour en jour. Lu Français a acquis, en taisant seul, à ses momenis perdus, la chasse au roi du déserl , cl eu débarrassant plusieurs tribus du voisina(;e de cet hôte terrible, une renommée jiopiilaire (|ui ne h' cède à celle de personne. Ses Iriomphes ont frapiié l'imaginalioii des Arabes, cl quand d<'s siècb's aiiroiil passé, le nom de Cérard, le lueur de lions, rappellera aux liabilaiils de la contrée (pichpie chose de grand et de puissant comme les c\ploils d'Hercule uémécn. On se coulera, on embellira la légende de Gérard; mais son traité de la chasse au lion, l'un des ouvrai;es les plus extraordinaires (pie nous connaissions, restera pour atleslcr rpie le soldai de nos armées dé- passe souvent en courage léméiair,- et froid les héros di' ranti(|uité, et peut rivali.ser avec Appien ou l'Iiilarque pour le nerf, l'abondance précise et le piltoresque de la narralion. Le Français, en présence de cho.ses (jrandcs, est toujours grand. ' Le g(ïn<-ral Daumas, CIteiau.r ilu Sahara. Si nous jetons les yeux sur la configuration du lerrain, nous ver- rons qu'il en est peu qu4 soient aussi variés dans leurs formes que celui de l'Algérie. Elle fait, hydrographiqucment parlant, partie du bassin méditerranéen. La cliaiue de l'Atlas la sillonne dans le sens de sa longueur, et de l'est à l'ouest, en jetant, soit du cijlé de la mer, soit du côté du désert, des contre-forts sé|)aréspar des vallées très- différentes d'aspect, les unes d'un sauvage indomplablc, les autres riantes et gracieuses; celles-ci rocheuses cl arides, celles-là cou- vertes d'une végétation admirable. L'A lias lui-même se divise en moyen, jielit et grand. L'Atlas moyen ou ])roprement dit s'étend du golfe de Tunis au détroit de Gibraltar, tantôt se rapprochant de la mer jusqu'à cinq lieues, tantôt s'en éloignant justpra vingt-cinq. Le petit Atlas, plus voisin de la côte, est souvent parallèle au premier, et s'étend des rives de l'Adouze, près de liougie, à celles du Chélif, près de Mostaganem. Le grand Atlas court derrière le moyen et le petit. On l'a souvent comparé à un mur ipii protégerait l'Algérie con- tre reuvahissemcnt des sables du Sahara-el-Falat. Aliu que nos lecteurs puissent se reconnaître dans les récits que nous allons avoir à coordonner, nous indicpierons (piclques-uns des noms les plus célèbres parmi ceux que ])ortent ses (Ijebel ou monta- gnes. Ainsi, le grand Atlas, à partir du Maroc, prend successive- ment les appellations de Djebcl-Labeb, El-Mergueb, Djebel-Tayloul, Djcbel-Zeroiialen, Djebel-Ulaa, Djebel-Tazenga, Djebel-Sba, Djcbel- Mcuela, Dier-cl-Kaf , Djebcl-IVador, DjebeLBcn-Ammade, etc. Le Sahara algérien s'étend entre ces monts et le Djebel-Amour, elle Se- nalba. Le moyen Allas porte, à partir du Maroc, les noms de Djebel- el-Col , Djebel-liou-Aïct, Djebel-Tcnira, Djeliel-Ghessoul, Ouaren- senis, Djebel-cl-Ghessii, Djebel-Dalaca, Djebel-Dira, Djebcl-Mecknin, Djebel -Afroun , Djebel-Serra , Djebel-Ouled , Hou-Thaleb, Djebel- Aures. Du Djebel-Mekniu part le Djcbcl-Ouanniuigah; puis vien- nent les Djebel-ISabourah, IJjebel-Arhes, Djebel-Mouila , et en redescendant vers Constantine, le Djebel-Ouach, qui se rattache au Djebcl-llamra , enfin tout à fait à l'est le Djcbel-Sedjeras. Le petit Atlas s'appelle dans une cerlaine partie Djemcl-Soumatha , et ailleurs Jurjura ou Djerdjera. Il est joint au moyen Allas par le liihen, ([ui renferme les fameuses Portes-de-Fcr, Les pies les plus hauts (le ces dix'crses inontagues sont l'F.dough, près (le Bone ; le Grand-Baboiir, entre Bougie 01 Djidgcii; le l)ira, cuire Dellys et Boiisada; le Sidi-Moiissa, entre Tcnès et Mostaganem; la Medjouna, entre Orau et la rivière de Talfna, elc., etc., ele. D'autres, comme VOuareiisenis , le Moiizuia . doivent leur célébrité à de grandes actions de guerre. Ces nuuitagnes divisent naturellcmenl le ]>a\s en deux versants. Celui (]ui est incliné au nord vers la mer s'aïqu'lle le Tell ou 'Pcull : c'est la région des céréales. L'autre, incliné vers le désert ou le sud, forme le Sahara algérien : c'est la région des jialmiers. On nomme Kabylie toute la région du moyen Alias et du petit fleuve Adouze, qui , nous le verrons plus tard , porte dans les diverses parlies de sou cours, comme les autres rivii'rcs de l'Algérie, des noms dilVérenls. f>a Mitidja et la ÎMedjana sont, avec les plaines de Boue, du Chélif cl d'Oran, les surfaces planes les ]ilus élendues de la contrée. Ce nom d'Adouze nous amène à parler des cinirs d'eau (pii sîllon- leiil l'Abjéric, et dont un si grand nombre oui dû leur célébrité à nos victoires. Les plus importaiils sinil de Test à l'ouest : l'Oued-cl- Kebyr, à l'est, ipii se jelle dans le golfe de lione; l'Oued-.Seybous, ipii allliie au même golfe; l'Oucd-el-Kcikc, cl TOucd-Safsé, (pii se rendent au golfe de .Slora; l't )iic(l-i!ou-Arbia, dont remboiichure est ])rès de C(dlo; le grand Oiicd-cl-kebir, (|ui débourhe à l'ouest du Bas- Atlyali, el recroît l'( )iie(l-Uiimmcl ; l't )ucd-Bou-Messaoud ou Adouze, qui se rend à la mer |ires de Bougie; l'Oucd-Isser, (pii déboiiclK^ près (lu caji Djiiiel; TOiied-Khamiz , qui a son embouchure ]ir('S d'Alger; rOucd-( ilielif le ]iliis grand fleuve de la l'iégcnce, el cpii après avoir longleiujis coulé de Ti'st à l'ouest, et reçu nue foule de rivières, a son emboMchure non loin de Mostaganem; l'Oued-lMacla, qui, grossie du SIg el de la Ilabia, se jette dans le golfe d'Arzew ; l'Oiied-Tafiia qui débouche vis-à-vis Uaschgoun, la Miniloiiia. Presipic Ions ces fleuves, sauf le Chélif, (pii a un cours de pris de cinii cenis kilomèlrcs, siuit peu (•(uisidérables. L'Ah;érie, depuis l'origine de la coiupicle, a eu seize gouver- neurs (Hi commandants généraux, dont voici la liste : i;oMMA\n.\XT.S ou GouvunNni'BS oiÎnkiiaux df. l'algÉbiiî. 1'''. IS:i() .') jiiillcl. Le comte de liourmonl, depuis maréchal de l''r.iiiic. î"" — 2 septembre. Le général Claii/el , depuis maréchal de France. 3°. I8:il février. Le général l'.eilhczi'MC. 1". — ?.") décembre. Le duc de lîovigo (inlérim du général Avizard;. .')". lfi;!:i avril. Le lieiilcuanl général \ oirol (iiilérim). (i'^. IS-il 2(1 septembre. Le liculenaiil général Drouet d'Krlon. 7". \K'-\h a(M'il. Le maréchal (Maiizel. H''. is;i7 12 février. Le général DamrciiHuil. !)'. — n oclobrc. Le iiciilcnanl général \ allée , depuis ma- réchal de l'ianee. ABD-EL-KAnER, 10°. 1839 31 (léceinbie. Le litMitenaiit i^tiiéial Bujjeaud , depuis marécliiil de FniiUL'. — Douldc intérim du PjL'iirnil JucliauU de la Muricière: le 1'' au li iioveiul)i(' isii; le second au 54 août 18 ').'>. — Autres intérims moins importants. 11 sepleinlfre. M. le due d'x\umale. 2 1 lévrier. Le général Luijine Cavaiijnae, depuis pré- sident du conseil des ministres et eliei" du pouvoir exécutif de la liépulili(pie. Le lieutenant j;énéral Clianijarnier. Le lieutenant l'jï'-néi'al t-iliarron. Le lieutenant général d'Ilautpcnil, ministre de la ijuerre. Le lieulenant ijénéral Randon. — Intérims du j;éuéral l'clissier. 18 i7 1818 ISIS 181K 1860 21) avril. 2i) juin. 22 octobre. IS.il l(i déeemlue. Alxl-el-Kadcr, dont nous nous proposons de résumer en particu- lier la résistance merveilleuse, ne s'est révélé qu'après les premières années de notre oceupalion. Il a été sans le vouloir l'instrument de notre e(iu(|uèle, en nous enlx'alnant iiartcml à sa suite, et en nous i'orcanl ;i tnni ])i'endre poui' le dompter. 11 a tenu tète à liuil des j;ou- verneurs ijénérauv i(ue nous avons nommés. \ oiei , en i|uel(|ues dates principales, la clironolo|iie de la conquête; elle sera compléléc par une table pins explicite. I8:t0 5 juillet. novembre, décembre. 1831 2.'. juin. 18 août. septembi'c 1832 5 mars. 10 avril. 1833 2G septembre 1831 20 février. 183.^ 28 juin. 28 octobre. 5 décembre. 183(> i;, avril, mai. juillet, novembre. 1837 27 avril. 30 mal 13 octobre. 1838 3 mai. juin, •'i juillet. 7 octobre. IS.'.O 27 avril. 2!) avril. 16 mai. 20 mai. juin 28 octobre. 10 novembre 21 novembre, 16 décembre. 31 dé'ccmbre. 1810 février, mai. 8 juin. l!l scplembri 1811 njai 30 mai. 13 juillet. 30 octobre. 18 12 11 avril. 18 13 Ui mai. I t iinvi-mltri 1 8 1 1 mars. Capitulalion entre le ijénéral Ronrunuil et le dey d'..\l!;cr l'remii're expédition de Médéab. l'remic're occupation d'Oran. Deuvième expédition de Médéali. Deuvième (U'cupation d'Oran. l'elalions établies avec les garnisons de 'riemcen, lAlostaganem et Arzew. l'Apédilion de iione. Destruction de la tribu d'El-Ouflia. Occupation de lioui;ie. J'railé du ijénéral Desniicliels avec Abd - el- Kadcr. Coriibal de la Slaeta. Occupation de l'ile de l\ascli];oun. Prise d(^ Mascara. Expédition de 'l'Iemcen. Ktablissenu'ut d'un camp sur la Talna. Occui)alion de la Calle. Combat de la Sicka. l'remiiue expédition contre Conslantine. Nouvelle reconnaissance de Ulidali et de Koléali. I raité de la lafna. l'rise de Conslantine iNouvclle occupation de Blidali. Elablissemcnl du eam]i de Koléali. Modilieations au traité de la Talna. Occupaliini de la rade de Stora-I'liilippcville. Combat (le l'Afroun. Combal de r(.)ued-(jer. Oceupalion de Djiijcili. (jombat ;ne du maréclial l(u|;('and dans la Kabylie. ISH dans l'Auress. mai. Guerre avec le Maroc, 12 mai. Combal de l'aonrijlia. 17 mai. Combat d'Ouarez-l'.ddin. 0 août. Bombardcmcul de l'anijer. 1 1 ,i(u'it. Hataille d'Islj. 16 août lîombardemenl de Motjador mai. Expédilion du général liedcau Expéditii n contre liou-^laïa. juin. Expédition du Dalira. J'errible destruclion des Oulcd-Hiaii par le colonel l'élissier. septembre. Expédition du général Cavaignac contre les ISeni-Ouersous. Abd-el- Kader reparait en Algérie. 'Lrabison et massacre de Sidi-lira- liim (13 octobre), oclobre. Expédilion des généraux la Moricière el Cavai- gnac contre Abd-el-Kadcr, ((ui a insurgé les j raras, les Grosscis et les Bcni-Amar-Garabas. décembre. Combat de Teinda. I SIC janvier. Prise de la tribu des Ouled-lUah par le général Cavaignac. avril. Expédition du Djcbel-Lazereg à la poursuite il'Abd-el-Kader. Nouvelle opération dans l'Ouarensenis. juin. Dispersion de la deïra d'AI)(l-el-K.ider. Combat de Djemmà-Gba/.ouat. juillet Intérim du général de l!ar. a Sou mission (les Oulcd-Na il, des Onled-el-Rhouini, décembre. des Kabyles de la Mezzaia, des llarrars, des Blaknas, des llamyancs-Gharagas, des Djaf- fras , etc., etc. 1817 avril et mai. Expédilion du général Cavaignac dans le Saliara algérien, (i mai. Expédilion dans la Kab\lie. 29 décembre. Abd-el-Kader se icnd ou est livré au général la Morieière. mars. Reddition du eliérif Mouley-Mohammcl. juillet. Expédition dans la Kabylie. imvembre. Combat des Oulcd - iNail. Siège de l'oasis de '/.aatclia par le général l'élissier. E.xpèdilion dans l'Auress. mai. Comlial de Trouua. mai. Expéditi(Ui dans la (irande-Kabjlie iiar le gé- néral Saint-Arnaud. Prise de Lagliouat. 1818 1811) 1860 1861 1862 21 déecnibre. ^l()us (Partagerons, pour ]ilus de clarté, la série de ces événements en (plusieurs [lériodes, i(ue les phases de la guerre nous serviront à établir. Il est nécessaire maintenant d'entrer dans ((iiel((ues détails sur l'organisation (ioliti((ue. Au[iaravanl, voici quel([nes cliilïrcs qui feront ("om[)rcndi'e les difliculU's de la con([nèt(- cl le iji'and nombre de forces militaires ((u'il a fallu em(iloycr [)ciur raecom()lir. On a mis en regard de cIkkiiic année relïeclif des trou[ics de l'armée d'uccu- ()atioii. Armée ex|iédLliounaire de 1S30. (Noir [dus loin le détail.) 1S31 — 17,100 hommes. 1832 — 21,611 1 83.3 — 20,081 1834 — 20,868 * 183.S — 20,4 86 183fi — 29,897 1837 — 40,117 1838 — 4 8,167 183!) — 60,307 1840 — 01,231 18 11 — 7 2,000 1812 — 7 0,863 1843 — 7 6,03 1 1841 — 83,037 1845 — 96,000 1846 — 96,000 18 47 — 97,7 00 1848 — 87,701 1849 — 7 6,017 1860 — 70,7"'l Total (icndaul vingl ans. 1,100,700 hommes employés. Dans ce chiffre ne sont (las com[iris les coulin ;enK indigènes, dont nous (larleriuis [ilus lard. L'.XIgérie csl divisé(; en trois |>rovinces : celle (l'()ran, qui contins .1 rem(>ire (l(^ Maroc, elijue l'on («nit regarder comme la [dus arabe; celle d'AI|;er, au milieu; et eidle de Conslanline , (|ui est bornée [)ar le liexlieh de Tunis. Ciiacune dornait au nord et le désert au midi. Sa capitale était Médéah, siège du bcy. La pro- vince de Tittery ne reniermait pas moins de vingt et un soutlians, diint le plus important, celui de Diza, avait provisoirement pour kaid un fils du liey. Elle n'e\iste plus maintenant que dans l'histoire. Les départements formés par les trois provinces actuelles sont ceux d'Alger, dont le dicf-lieu est Alger, siège du gouvernement général, et qui a pour sous-prélecture Blidali. Cinijcommissarials civils et trois niunicipHlités relèvent de ce département : ce sont les commissariats de Cliercliel, de IMéiléali, de Miliana , de Ténès et d'Orléansville, et les municipalités de Boularik, Douera et Koléali. Le fs-licu\ de S()us-i>rére(turc liiuie cl Pliilip- peville, pour commissariats la Galle, Bougie, Guclma et Sétif. A chaque dé|)arlcment correspond une division militaire, qui re- lève du ijouvcriienu'nt général, et <|ui se parlai;e en subdivisions, lesquelles forment à leur tour des ccieles dont il est nécessaire de con- naitre les noms, et au\(|uels sont attachés des liureauv arabes. Ainsi la division d'jMger contient six subdivisions : celle de Blidah, réunie au commandement divisionnaire; celle d'Alger, divisée en cercles d'Alger et de Deihys ; celle d'Aumale ; celle de Médéah, divisée en cercles de Médéah et de Boghar ; celle de Miliana, formant les cer- cles de Miliana, Chercheir et Teniet-el-Ahd , et enlin celle d'Or- léansville, oii se trouvent les cercles d'Orléansville et de Ténes. — Diins la division d'Oran, iin(| subdivisions sont formées, savoir : Oran, réunie au commandement divisionnaire ; Mostagaïu'm, divi- sée en cercles de Mostaganem et d'Ammi-Moussa ; Sidi-bel-l'.bbès, non partagée; Mascara, divisée eu cercles de Mascara, Saïda et 'J'ia- ret; enlin TIemcen, constituant les cercles de Tlcmçen, JNcmours, Sebdou et Lalla-Maghnia. — La :i est l'année l'iTO du calendrier arabe. La semaine de ce caleiiilrier est de sept jours iomme la nôtre. Diinanche est Jiiiiiii-fl-lliiil : lundi Joum-el-Eiiiin: mardi Jniun-rt-Tlntii ; mercredi yn»/yi-i'/-.l;7n«/ ,' jeudi Joum-cl-lùimis ; vendredi Juuin-i'l-IJjciiiii , et samedi Jintm-el-Si'lit. Quant aux mois, il faut distinj;uer les mois olliciels, (pii servent aux (;cns lettrés, et les mois vulgaires. Les premiers sont : Mnharrciii . mois sacré ; Safer ou Hafar, mois du départ ; Ikhia-d-Auud ou liebi 1", premier mois du printemps; Hebia-el-Tsani om Rebi 2, se- cond mois du printemps; Djemad-el-Aouel ou Djoumada , premier mois de la sécheresse ; Ùjouinada-el-Tspant notre consul au visaijc, nous y frappa tous; car telle est la solidarité (|ui unit les nations à leurs représentants au dehors, que toute insulte faite à l'un d'entre eu\ est une insulte à son pays entier. Il fallait une réparation éclatante ou du sani;. I,a France demanda d'abord la réparation. Le capitaine ('ollet, avec une majestueuse es- cadre de treize bâtiments, apporta au dey ce mai;iiifK|ue ull ivuiluiil , qui prouve que, toute rovalc qu'elle fut, la France avait alors un haut sentiment de sa dii;nité : it Tous les grands de la rci;encc, à l'exception du dey, se rendront à bord du vaisseau commandant, pour faire, au nom du prince offen- seur, des excuses au consul de France. » A nn siifual convenu, le palais du dey et tous les forts devront arborer le ]iavillon français, et le saluer par cent un coups de canon. « Suivaient à la suite de ces articles d'honniuir des clauses d'alVaires reijardant l'avenir. Le chef des corsaires ali;éricns ne considéra j;uère ces clauses. C'était un ancien topji de Constantinople , et qui devait ]>récisémcnt sa fortune à un outraije qu'il n'avait pas voulu supporter. Il ne vit dans notre iiltiiuatuni que les eveuses à pré- senter non à un ;;rand peuple, mais à un homme appelé Deval et méprisé de lui. ]| répondit au capitaine C(dlet en faisant détruire nos établissements de la côte d'Afri(|ue et jeter bas in)lrc tort de la (^alle. Aussitôt nos vaisseaux formèrent, aux ap|)lan(lissemcnts de tout le convmercc européen, le blocus de ce port d'Aljjcr, d'oii depuis plusieurs siècles tant d'audacieux pirates étaient sortis pour la déso- lati(Mi de la Méditerranée et de certains parai;csde l'Océan, llussein- Paeha n'ax'ait i>oiut de forces suflisanlcs pour romju'c le blocus; mais son trésor était |dein. Il pouvait nous braver; il nous brava deux ans. Enhardis par l'impunité, ses oOicicrs firent biciil(W plus rjuc se renfermer dans une résistance passixc : ils défièrent nos marins. I.c capitaine de la lirctonnière, ayant été cliari;é de porter de nouvelles et dernières paroles au dey, n'eut à se plaindre que de son opiniâ- treté; mais comme il se relirait sur le vaisseau In Proi'eiice,([m \mv- lait le |;uidon de commandement au (;rand mât, le |)avilloii blanc à la corne et le iiavillon de parlementaiic au mât de misaine, il fut assailli par le feu des forts, et des boulets atteii;uirciit son navire '. C'était mettre la France en demeure de convertir son blocus en une attaque décisive. lliissein-l)ey eut beau destituer ceux qui avaient donné l'ordre de tirer, il eut beau écrire à M. de la Kretonnièrc qu'il n'était pour rien dans ce nouvel outrafje, on ne voulut pas croire à ses déclarations, qui ne furent d'ailleurs ni asscx explicites ni assez solennelles, et la grande expédition d'Aller se |uépara. C'était une chose immense et bii'ii prcque à frapper des iiiiai;ina- tions françaises ([ue celte expédition, (iiiand il s'aijit t\v faire la îjiicrre en Europe, la Franc*' c^t in(|uièle, non pas île la x'ictoire, mais des principes |)our lesquels elle combat. Ici point de telles in- (piiétudcs : l'entreprise avait tous les carai-tères d'une croisade en faveur de la civilisation. I.a tradition la représentait comme pleine de périls; mais de si ]>uissants soux'ciiirs, des émotions si palpitantes se rattachaient à ces noms d'Afrique et d'.Vhji'r, ipic les danijcrs dis- paraissaient devant la ijrandeur de la tentative. Pour comprendre ces souvenirs et ces émotions, il faut absolument jeter un reijard sur l'histoiri' des contrées vers Icsipicllcs la j'orlune nous poussait, pour ainsi dire mali;ré nous, à travers les oulraijcs et les insultes de pirates sans foi ni loi. Auparavant rassurons nos lec- teurs sur les ditliciiltés même de la eouquètc, non de l'Afriipic, mais (le la capitale de ces pirates. Elle n'était point aussi périlleuse que le jtassé la repri'scntait. I,;i puissance ali;é'riciinc au fond consistait dans un épouxantai] moral st'culairc. 'Né-anmoius, (|uaiid les dexs ou les bcy^, dans leur i;ouveiiieiuent aliscdu , proclamaient la ijucrrc ijéiié- ralc, toute la po]nilation x'irile de la réfjcncc l'tait tenue de prendre les armes. .Mais tel est le caractère des .Arabes, que ceux-ci C(Uisultaieiit toujours un peu les éxénements avant de se décider. (Iiiani à Al(;er mciiic, sa princi]>ale force consistait en t\rn\ corps : l'un de mirn'e tur- que, aul rcl'ois de janissaires; le second de KouIou[;lis, c'était l'armée pcniiancnti'. I.a marine était loin d'être aussi formidable (|iie la ter- reur universelle aurait pu le faire croire. 1. 'audace de ceux qui la iiunitaii-nt , leur or(»*:inisalioii la rendaient plus ii craindre tjiie son maléricl même. I. ors de l'cxpédiliini d'I'Amoiitli, elle se ecniiposail de cinq fré|;ales île quarante 11 cinqiiantir cainnis, de quatre corvettes de xiiii;! il trente bouches à feu, et d'une douzaine de léijcrs bricks on lie lines i;oèlettcs. Quand notre flotte entra victorieuse dans le port, il contenait trois grandes fréj;ates dont une sur le chantier, deux corvettes, dix bâtiments moindres i;oclcllcs ou bricks, plusieurs clic- liecs,et Ircnic-dciix chaloupes jiortant cliaciine un canon a la |iroue. \ oilà |iourlant ;i (|ucllc puissance maritiiiie l'I'.iiropc entic're avait consenti durant des sii'cics ii payer tribut! I.a France n'était pas tarifée; mais elle envoyait un présent à ravéncmenl ilc chaipie con- sul pour faire ajjrécr celui-ci. I.'.A iiejctcrre , pour le même motif, payait (loi) livres stcrlini; ; r.\utriclic, l,> llolhiiidc, l'I'.spanne, le Ha- ' 30 juillet 182'J. novre, la Toscane, Rome, la Sardaiffne, les villes libres d'Allemaiine n'envoyaient éf;alemeiit leurs consuls qii'aceompai;nés d'une riche rançon. I.a Siii'de et le Danemark ne racliclaicul jias toujours leurs navires par un tribut aiinnel de i,000 piastres en munitions de lyiierre et par un tribut déci al île i' 1,(100 piastres en numéraire. Il en était de iiiêiiie du l'orlUi;al et des Deiix-Siciles, qui versaient cepen- dant au trésor du dcx nue rançon annuelle de '^1,0(10 piastres et un pré.sent consulaire d'à peu près même somme. Aussi ce trésor était- il bien certainement l'un des plus riches parmi ceux du ijlobe; car, après avoir été privé de toutes ses recclles de mer, par suite de notre blocus, durant trois ans; apri'S avoir sulVi à nue levée en masse de la réi;encc, il un arincmcut cxtiaordiiiairc des forts de la ville et des l)oits, il resta encore assez considérable pour payer les fiais de notre expédition. CHAPITRE m. Le passé de l'Afrique. — Carthage, les Romains, les Numides, les Maures, les Vandales, les Arabes — Les dynasties du Maghreb. — Histoire sommaire des deys d'Alger. Nous écrivons pour le peuple, et nous ne cherchons pas à faire de la science; nous laisserons donc en paix l'rocopc, Léon l'.M'ricain et les inities historiens de l'Afrique débrouiller la (iiiestion confuse de roriijine de ses premières populations. Parmi les peuples du monde classique, les Phéniciens abordèrent les premiers sur les côtes médi- terranéennes des contrées qui nous occupent. Ils y fondèrent, qiiinz.e cent viiii;t ans avant .lésus-Clirist, la célèbre ville d'Utiqiic, I.a com- merçante et enlicprenanteCartha;;c ne s'établit ipic plusieurs siècles après, et sema bientôt de ses coionii'S, de ses forteresses ou de ses comptoirs toute la côte depuis les Syrthes jusqu'aux colonnes d'Her- cule. Onfait remonterjiisqii'à elle Al!;cr, Roii];ie, Cherchell, Djidéli, lione, sous les noms d'Iomniiim, Sililae, loi, lnr;ilp,ilis et Cbo. On appelait alors le pays Eibye. Les habitants se nommaient Alaurusicns et Aumides. Ils formaient un ijiand noiiibrc de petits Etats sur les- quels Cartha(;e exerça toujours beaucoup d'ascendant ou d'op\ires- sioii. Les Romains, ;ivec leur merveilleuse habileté jiolitiqiic, se lui- rent entre les Numides et Cartliai;e pour venir il bout de celle-ci , et entre les A'umidcs et les .Mauritaniens pour dompter les uns et les autres. Ils réussirent à force de mauvaise foi, de patience, de trésors répandus, de san;> versé. Leur succès fut l'œuvre de plusieurs héros et de plusieurs siècles. Poljbe nous a conservé le récit de l'invasion des Siipionselde la rivalité de Massinissa, (|iii régnait iiConstaiitinc, alors Cirtha, et de Syphax, dont on croit avoir retrouvé le tombeau. Salliisle, dans un récit plus admirable encore, a immortalisé la f;iande blessure que .liii;urllia ht il Rome par la corruption, et la i;raiidc i;uerie que Métclliis, Marins et Sylla firent à leur tour au neveu de ^lassinissa. I.a soumission des Aiimidcs sortit de cette ijuerre; il restait ii dompter les Maures. Ce fut l'alfaire de plusieurs siècles. On leur conserva d'abord leurs princes, comme les Juba et l'toléniée, ;i eonilitioii que ces princes régneraient pour le compte de Rome. Mais cet état de choses lassa bientôt ces populations iiidé- peiidanlcs et courai;ciises. Elles IrouviTcnt un représciilaiit de leur nationalité dans Tac-Fariiias. On a souvent comparé Abd-cl-Kadcr à Jiii;urtlia; il n'est pas sans (piclque rapport avec 'l'ac-Fariiias. Celui-ci fut eoiiime lui élu chef par une tribu insurijéc; de même qii'Abd -cl-Kader fatiijiia nos troiiiies , il fatigua les troupes romaines. 11 alla comme lui, étant vaincu, chercher des forces dans le désert. Pendant plusieurs an- nées, il fut, eoiiimc l'émir, insaisissable, se jirécipilant toujours sur rendroit d'oii on le croyait le plus éloiiiiié, opérant des razias sur les colons roiii;iiiis et sur les tribus (|ui ne se ranijeaient pas de son parti, l'jihu un procoiiMil chaij;é de pleins pouvoirs employa contre lui le systi'Uie qu'adopta contre Abd-cl-Kadcr le maréchal liiii;eaiid. Il or- eaiiisa un certain nombre de colonnes mobiles, qui de chasse en clnisse, de retraite en retraite, acculèrent le lion d'.\fri(|iie aux ruines du fort d'Auzea, que l'on croit avoir été situé pri's des lieux oii s'élève lionlj-cl - llaiiiza. Mais Tae-Farinas ne se rendit pas, comme Abd-cl-Kadcr; il se battit vaillamment le dernier jour comme le pieiiiicr, et lut tué' les armes .'i la main. .\pns lui, un es- clave alfranchi iioiuiiu' Ol'.dciiioii ralluma la i;ucrie,fut poursuivi par I.ueiiis Pauliiiiis au dclii de l'.Vllas, et se vit délinilixciueiil ré- duit par llasidins Cela. On était sous le rè(;iie de Claude. I.a liberté (\i- l'Afrique ci'da alors complètement la place ;i la civilisation ro- maine. (Iclle-ci lleurit pendant trois sii'cles ilaiis les contrées oii la nôtre commence à se répandre. I.'arcliéolonue en trouve à chaque pas de curieuses traces. Avec elle se développa aussi le christianisme. I, 'Afrique fut la terre classiqiii' des martyrs et des Pères de l'Eglise. Cela dura jusc|u'cn 12 1 après ,I.-C. l'.n ce temps viiic rivalité de miuislrcs appela la nation entière des N'andalcs en Afrique. I.es co- lonies de Saie l't de 'l'oije , Saijata; et Toi;at!e, furent aussitôt dé- truites. Les barbares poui'suivirent avec une haine indicible tout ce qui rappelait l'.iime. Ils réiinèrenl cent ans sur le désert qu'ils avaient fait. Itélisaire les chassa des côtes, mais non des moiitai;nes. I, '.Afri- que scptcntri(Uiale appartint alors pliitiit endroit qn'iu lait aux Ciees ABD-EL-KADER. (le Constunlriioplo ; l;i civilisation y voDciuil ((uclcjiic peu, mais non l)Our lonijltinps. lliiiionicl païul; ses iiciili'nanis et sos successeurs se rciiaudircnt sur le monde; l'Ei;y])le lui d'alioiil enlevée; puis tout Je pays, à partir d'Alexandrie jusqu'au détroit de (jibraltar, passa sous leurs lois successivement , et la période arabe commeuea. Celte période n'est lonf;tenips qu'une série de révolutions, sans intérêt pour nous, el nous ne signalons les principales de ces révo- Jutious que |)our mémoire. Elles ont toutes le même caractère. Un inspiré, un saint, un mar;d)out parait, i)rédicaleiir et guerrier à la fois, couime Maliomet et coimèuc Ahd-cl-Kader. Les tribus le suivent, croyant toujours avoir sous les jeu\ celui c|ui doit accomplir les ju-o- l)liéties du Koran , et il l;iit dynastie jusipi'à ce qu'un nouveaii saint surijisse. C'est ainsi que se lornu'ut les Edrissites a Fez, les Méquinez à Miknasa, les Alidoiiloiiales à 'Jlemscn , les liadissiles ii Tripoli, les Beni-l!amm;ul à liuuijie , les Almoravides à "'ilaroc, juiis les Ahiio- hades ou 'Maliiddins, puis les l5eni-'/,i,us ii 'l'Ieuisen, les Abou-liafs, les Mérinides, el tani d'autres dynasties ici et là, dans le Maylireb' dynasties qui sont ii l;i lin du (|uinziéme siècle remplacées par les Etats barbarcstiues de Tlcniseu, d'Alijcr, Tunis, Tenez, fliijcri, liou- yie el Tripoli. A celle épo(iue tout le monde se mêlait d'être corsaire, cl l'ilspa- p,ne, qui venait de con(|ucrir une partie de l'Amérique, en rapportait des richesses considérables, et avait ii se défendre' sur tous les points. Pour maintenir la piralcrie, elle s'établit a Orau, à Mers-el-kcbir, el bâtit le fondu l'enon a l'endroit du phare il'Alj'er, sur les iles Beni- Mczei;rena. I.cijouvern.ur d'Abjcr, ainsi serré «le près, appela l'Iiommc de nuM- le plus rciloutabic de ce temps, Arcjutlj ouHoruc-Harbcrousse qui disposait d'uiu- flollilb' «l'avinturicrs tunsel de rcnéiïals. Aroudj n'eut pas de peine ii eiioii. Puis, pour en finir avec eux, il réunit les iles lieni-Mczeercna i, la terre ferme C'esl après ces succès qu'il pril le commandcmenl des flottes ollo nianes, laissanl le célèbre renép,at sanle Jlassan-Ai;a à la carde d'Abjer. Celui-ci lit pour ainsi dire encore mieux que son mailrc el les pirates sous ses ordres ravaijèreni si soiiviuit et avec taiilde cruauté les côtes européennes de la !\Iédilerranée, que les eéniisse- ments des populations .lécidèrenl Charlcs-Quinl i, enireprendre une troisième expédition Celle fois l'empereur voulut commander lui- même les lrou|ies. André Dnria conduisit la flolle. Les eommencemenis de l'enl reprise furent d'abord heureux. Charles avait des lieulenanls si habiles! (Jue ne pouvaieul LVrdin I d.' (.onzaftne, le due d'Mbe el llii,;ues Colonna ! Mais une tempête comme celle qui avait brisé les ,l,.ux premières expéditions s'éleva encore une fois. Les Turcs en prohièrent pour attaquer l'armée ,1e sie!;e. Ils ne réussirent qu'il moitié. Ln Français, Ponce de Halai'iier pnrlanl atlaque dans la .lélcnse, les repoussa jusque près desVnnrs .le la vil e 11 allait eiilrer dans celle-ci, .piand Hassan, sacrirtani les I lo,; 'V""'' ^ l""!'V ''"'"•'■ 'I'' '«■•'"••'f;'"'- ne pmivail espérer de rne -en / ';"l.'"";-', I"' "■;issé. Le passé reeom- iiicih;;! blenlùt. A la (aveur des i;uerres (|iii occupèrent l'Europe, les Turcs ili' l'odjé'ak pureiil étendre leur empire sur presque loiitc l'Alîîi'ric. Ils arr;iclièreiit aux l\s|»;ii;uols b'S dernières possessions qu'ils y eussent gardées, il incendièrent plusieurs lois les élablisse- mcnls de Collo el de la C;ille, qu'ils nous avaient concédés dès les premiers temps de nos rapports Enfin r.An(;lelcrre, apri's avoir lonj;- tein|)s soufferl leurs injures, envoya contre eux, eu l8i(i,lord E\- moulh, qui fil lucltre en liberté les cschives chrétiens. C'était nu i;i'.nid pas d'accompli dans la voie de l'all'iMiieliisseiiieiit. liiisseiu- khoilja ou Hussein-Dey, qui réijnail depuis isn, l'avait compris, et en dixerscs circonslances il avait, à l'aiilc de s;i jjarde maure, .irrèlé retTervesceiice des raïs, i;ar;iianl du eôlé de la terre ce qu'il penlait du cùlé de la 51cditerr;iiiée. Eiilcrmé dans la Casbah, il défiait le poi|;iianl des Turcs. Il fallut son opiniàlrelé pour le ])rccipiler du Irône el faire tomber avec lui raiicleiine odjéak. C'était cepeiidanl un homme de i;raiids moyens, parti de Iris-bas coiiime la plupart des héros des annales liir(|ues. Car si l'Orieiil n'est p;is le pays des driuls pidiliqiies, il est, quoi (|ue l'on dise, celui de rcj;alilé. Prcsipic tous les lionimes qui s'y sont illiislrés sorlaieiil des classes iiilérieu- res. iIussein-P;u'ha , iié en l'Iiîl, cinume Soiill el W elliii!;ton , av;iit commencé p:ir être simple lopji à Ciuislaiiliuoplc; puis il s'clail élevé de i;rade l'U ijradc ilii|iLe et pas assez, en lappurl avec le eoura];e ardent de nos jeunes olilciers, Siius les luihcs du nénéral Huunuont se Irouxaient un i;rand nonilire de lieulenanls dislin|;ucs, eoninie i\IM. liertliezène , l'oret de Morvau , Aeliard , Clouel , Daiiréniont , de l.overdo, d'Uzès. On renian|uait parmi les coloiuls il\l. ix ])lus étranijcs conjec- tures. Les oflieiers s'imaisinèrent un instant que l'expédition était contremandéc. Il n'y avait rien de fondé dans nue pareille crainte. On va voir cependant ii quoi tiennent les destinées des Liais et commeiil il s'en fallul de peu (|ue la réi;cn<'e d'Alijcr ne fût sauvée. Sur les instii;alioiis lie l'AncIclerre, (pii, par nu pressenlimcnt j.iionx, voulait em])écher le sueci's de nos armes, la l'orte Otlomaiie, usant de son ilroit de suzcraiiu'lé , changea secrèlcment un cerlain Tahir- Pacha lie tâcher de débarquer il Alijer, de déposer Hussein, et de donner ensuite ii la l'"raiice loiiles les salisfaclions qu'elle demande- rail, 'l'ahir, monté sur nue fréj;ale anr;laise, se présenta bienlùl de- vant Alf^cr. Ce liàliuMMil, avant l'Ii' aperçu par un ]ielil croiseur i(ue commandait renscii;nc Diibrcnil, voulut un instant Ibrccr l'entrée. S'il eùl réussi, la réjicnec evisterail pcul-ctre encore; mais, quoique vinijt fois inférieur en forces, le navire français se mit audacicuse- nicnl eu travers de la fré|;ale ani;laise. Le capitaine de celle-ci re- rula devant la rupliire d'un blocus déclaré. Il eut peur des suites que pouvail avoir nu combat; il vira de boril,el conduisit sur sa demande Tahir-l'aelia il Toulon. L'amiral le rencontra le lendemain du jour ni) il ipiill.'iil ce ])nr1. Dans son mouvemeul rélroiji'adc, notre llolle fui assaillie aussi par un diminulif de ces leniiièlcs qui avaient, si a propos pour les cor- saires barbarcsqucs, dispersé les navires de l'Espaipie. 11 lui falliil relàcherii l'aima. Elle rciuil ii la xoile le lOjuin, et le |:l se trouva en vue d'Aller. On avait, d'a|iri'S des travaux de rei onnaissance , don rorii;iue reinonlail ;i liila(C qui IfS assiégeait. Ea coui' du divan oii je ius conduit était icniplir de janissaires. Hussein était à sa ])laee accou- tuuiée. Il avait dehnut autour de lui ses ministres et quelques consuls étrangers; l'irritai ion était violente. Le dey seul nie ])arut calme, mais triste. Il ini]>osa le silence de la main, et toiil aussitôt me fit signe d'approcher avec une expression très-prononcée d'anxiété et d'impatience. Il avait à la main les conditions écrites sons la dictée de M. de Bourmont. Après avoir salué le dey et lui avoir adressé quelques mots respectueux sur la mission dont j'étais cliargé, je lus en arahe les articles suivants a\ ce un ton de voix (|iic je lu'eiïoiçai de rendre le plus assuré possililc : « 1" L'armée française prendra possession de la ville d'Alger, de la » Casbah et de tous les forts qui eu dépenilcnt, ainsi que de toutes » les propriétés piildi(|ues, demain, .'> juillet IS^ÎO, à dix heures du » matin, heure française. » Les premiers mois de cet article excitè- rent une rumeur sourde, (|ui augiiienta quand je prononçai les mots : à dix heures du matin. Le dey réprima ce mouvement; je continuai : Passage du luiiia, au cul de iloiiZaïa. — ^ovcmlire. cun militaire de rariuée ne pourra entier dans les mosc|uées. » Cet article excita une satisfaclioii générale. Le dey regarda tinites les per- sonnes qui rentoii raient, comme ]HHir jouir de leur appridialion , et me fil signe de ci \lgcr dans le plus bref délai. i> A ces mots, un cri de rai;c retentit de loiilcs p;irls. Le dey pâlit, se leva, et jeta autour de lui des re- gards inipiiets. On n'entendait que ces mots, réiiélés avec fureur par les janissaires : « El inaul! el maul ! » (La mort I la mort !)Je me retournai au Inuit des yatagans et des poignards ipi'on tirait des fourreaux , et je vis leurs lames briller au-dessus de ma tète, ,1e m'ef- forçai < de cliuisir lo liru de leur retraite. » Ces mois, si nous en croyons ce brave iuierpri'le, avaient élé bien Il ihilemcnl calculés jpar les chefs de noire expédition. Ils apaisèrent comiiie par enchautemeul le lumiille. Iji clfel, les 'J'urcs n'étaient <|iie ir. Puis, quand le jeune néi;iieiateur eut |iris eoiniaissanee de l'élat des elioses, il obtint «pi'une petite expédi- tion fût envoyée pour aider le vieil Hassan : e'était le nom du bey. iMais à peine eelle expédition mouillait-elle eu rade d'Orau , (|n'cdle recevait l'ordre de rei;aj;ner Ahjer. Il en était de nu'nic d'une autre expédition envoyée eonlr<' lione et dirii;ée par le ];énéral DanrénM)Ut. Ce jjénéral, à peiiu' installé dans la ville, (|ui le re(;nl amicalement, ax'ait été assailli par les Arabes. Il les avait repoussés dans plusieurs assauts, mali;ié l'audace et l'béroïsme diuit ils avaient fait preuve. Sans aucun d(Mitc son courai;!' , son inlcllif;cncc, nous eussent assurt'' cette importante com[uètc; mais iM. de lîoni'intnit venait de recevoir la nouvelle des événements arrivés en Franrtcllc eampai;ne de 1814 en Franc*', désijjué par ]\apoléon counne un «le ses j^lus pi'ochains ma- réchaux, a])puyé de presi|ne tout le parti libéral , Clauzcl arrivait en Afrique précédé de la plus éclatante réputation. (Cependant, avant de chercher à la justifier par des succès de ijiierre, il voulut se met- tre ;i l'alti'i des reproches (]ui avaient assailli M. de Hourmnnt, et s'oc- ciip.-i tout d'aliord de rorj;auisalion de la con(|ucle. 11 lit rcconiiaitre par l'armée le t;ou\'crncnicul qui l'envoyait; puis, souijcant à tirer |i.irti des ressources militaires ipic p(Mivail offrir la ré|jeiice , il forma ces deux balailhuis de zouaouas (ui /.onaves, aux ordres des capitaines Maiimcl cl Duvivier, bataiihuis ipii ilevinrcnt le noyau de riinc des plus brillantes troujies que nous ayons jamais eues. Il s'occupa en- suite d'iulroduiie un peu d'ordre dans les rexenus que la France pouvait cspéiei' de la ville d'Ali;cr cl de ses environs, régularisa l'ac- tion des trilmnaiix, s'oi-cupa des intérêts commerciaux des industriels qui coinmencaicnt à allluer dans la colonie, établit des postes sur les roules aux aleulours du elief-licu, réinaui^ura la ferme modèle i'Lbjri^ucaitjuL des Fran(,ais eu .\I^ene. avait !;aî;nc dans la eampaijne un bâton de maréchal et ])eidii un lils chéri, s'éloifjna en étrani;er, sur un bàtimeni élrani;er. Les adminis- trateurs, (|ui un mois auparavant eussent adoré ses épauletles, lui refusèrent le passade sur un navire français. Oh! combien il dut soiiIVrir, si, comme on le disait, il avait en tSl.'j trahi sa patrie! mais combien il dot mépriser son pays et le plaindre, si sa con- science ne lui reprochait r|ue de l'avoir bien servi! A Marseille, un l'inpbné dlcs les viniciil assaillir, priifilanl de tous les aceiilcnts tie terrain et surtout des positions qu'loi>l< d'Uzcr ii la garde du ])assagc, cl l'on conliniie ii s'avancer sur Alédéah. La brigade Achard est toujours eu avant, coinballant toujours; elle a surtout à riqious. ser les liraillciirs arabes, postés avec avantage dans un bois d'oliviers. Elle les en déloge, et ii une lieue de là recueille un pauvre malheu- reux (|iii se lient caché el (|ui lui apporte la caiiilulatiou des habitants e\lieli. Ceu\ des Aralies (|ui sont entrés en li< e ont eoniliallu sans ordre, anaielii- (jueiiM'nl. A oici venir la période oii l'ordre se nuMIra dans leur ré- sislanee, uii les clicls les plus distingués, les Sidi-Eiuliarek, les Alxl- i'l-Kaoiir biil (pio de les oorrompre après s'être défait des officiers. Il dovail à leur aide se oréer une position indépendante. Ses projets, aussitôt après l'arrivée du eoiumand.int lloudcr, fiua lit évcuté's iiar un certain Ibrahim, aueieii boy de Couslanlino , leipiel soneea à en prohicr pcmr lui 11101110. Il dénonça Ahmet aux Français et avec l'ar- jvenl ipi'il reçut pour sa trahison, corrompit la ijarni.son de la Casbah, ipii se déclara pour lui. Le eomiiiandaiit Houdor et le capilaino Rieol, repousses i\c la forleresso , se mainlinrenl un inslant dans la ville, où, do son côlé Ahmel souleva ses partisans contre eux ; mais ils fu- rent bient()t obli|;és de soii;;or ii la retraite. Ils all.iioni oIToctuer la leur on se rcliranl à bord do doux bàlimouts, la Crroh; et l'Ailonif:, qui ôlaiont en rade de Boue, (pi.ind les Arabes fondent sur la ville inondent les rues, se préeipiloni sur nos olVieiers. Nainomenl ceiix-ei font bonne conlonance. l'orcés de céder au nombre, ils (bTondcnl le teriain pied à pied. Le capitaine Bii;ot osl ii;orj;o. Houdor le.stc bra- voHient à l'arrliMe-ijardo do sa petite troupe; et comiiie lui dernier il posait le pied sur nue embarcation i|ue la rr.'u/c lui envovait, il reçut le coup de mort. Au même moment deux bricks arrivaient d'AI- îïor ; ils ])ortaiont un nouveau bataillon de ziniavos eommandé par Duvivier. Celui-ci voulut venjjor Houdor et Riijol (lar une allaiiiio sur la Casbah. Los capitaines de la marine, u'axanl iioint d'in.-,lruc- lions, rofusèrenl de lui prêter le secours de leur artillerie et do leurs inalehds. Il rentra à \li;er, le cinir plein d'une douleur facile il con- oevoir. Dans la cidoiiie ce fut à qui aceusorail le jjénér.il Berlliozène d'avoir envoyé nos malheureux ollieiers à la mort , en les onvoyaiil avec si pou i{r forces cl seulenicnl avec dos forces indieviies dan.s'iine ville oiinemie. L'infliionee du boy de Couslanlino ijr'andit d'aulaiil. La seule proviiire où nous ani;nienIàmos à cette é|)o(pio notre do- minati>ui tut celle d'Oran. Le llcutouant du bcy Imiisivn, accouina- 12 ABD-EL-KADER. fjnc d'un ri'i; i iiirii I commande par k- colonel Lefol , s'était cmjiarc d'Oran ; mais on y avait à peu près onlilic nos soldats. y\ la fin, le f;oiivcrncment , voyant que Tunis lui laissait toute la clian;c de l'oc- cupation, crut qu'il valait mieux conquérir pour soi-niciue. 11 en- voya directement le lieutenant fjénéral lioyer pour prendre le com- mandement du lieyiicli. Celui-ci le prit en efl'et , et s'occu])a immédiatement de l'orijanisation administrative. Sa domination ferme, mais troji cruelle, fut plutôt faite pour épouvanter les triUus que pour les rallier; aussi la résistance ne larda-l-elle pas à s'y or- .p.aniser. Elle y était facile. Cent cinquante tribus populeuses habi- taient la province; nous n'y avions d'amis qu'il Arzew, et, outre Oran, le seul ]ioste que nous occupions était ^losla|;anein. Les autres villes. Mascara, Alilianali, Tlcniccn, etc., quoi(|iie partaijécs, nous étaient hostiles. Des clicfs très-inOuents, et qui, ii la faveur de la faiblesse de l'ancien bey, avaient acquis une véritable jirépondé- rance , attiraient autour d'eux des partis puissants. De ce nombre était Mahi-Kddin, dont le fils, Sidi-1 ladj-Abd-el-Kadei-ben-Malii- Eddin, allait |iarailre sur la scène de la ijuerre. On ne connaissait encore !\lalii-Eildin que dans un horizon restreint, ((iiaiid le f;éiiéial Berthezène fut rappelé , et céda la place de i;ou\eniiur général à l'iin des anciens administrateurs de l'Empire, au célèbre Savary , duc de Roviao. CHAPITRE VIII. Commandement général du duc de Roviso. — Établissement de camps fortifies. — Actes administratifs. — Massacre des OuCRas. — Jusuf et d'Armandy à Boiie. — Ben-Aïssa. Le lieutenant (;cnéral Savary, duc de Rovij;o, ancien aide de camp de Napoléon et son ministre de la police, réunissait ii une capacité incontestable la connaissance des traditions adiuiiiistralives ap]ili- quées aux pays conquis. Sa renommée emiinie homme d'affaires était ;;rande; la tâche qu'il avait à accomplir était plus ijrandc encore. Il fallait répondre ii l'attente de la l'rancc , laver nos armes des aflronls qu'elles venaient de recevoir, consolider notre occupation et l'éten- dre. Les forces données aux céh'brc duc n'avaient rien (|ui fût en rapport avec les difficultés de sa mission. L'armée algérienne se com- posait de trois réijimenls d'infanterie réijulière , de (leu\ bataillons de zouaves et de deux réijimeiils de chasseurs d'Afrique, récemment formés. M. de Hoviijo, aussitôt son arrivée , juj;ea qu'il n'avait que faire de ces forces dans Aljjer même, tant cette ville acceptait notre adminislraliiui. Le séjour des cités ne vaut d'ailleurs rien pour des soldats qui peuvent il chaque instant être appelés n combattre un ennemi dangereux. Le nouveau (jonverneur choisit en conséquence les emplacements les plus favarables jiour la fondation de ([ualre camps destinés ii protéi;er la colonisation et ii tenir les troupes en haleine. Ces postes, véritables petites forteresses, furent établis à Kouba , liirUadeiu, Ti\craïn et Dely-lbrahim. On traça des mutes pour les relier ii la métropole et au\ points ]>riiii'ipau\ de la coloni- sation. .'Malheureusement ces roules durent traverser des cimclicTcs musulmans; les indi];('iies criiNcut au sacrilé];e. lisse plaii;riireiil aussi vivement d'une contribuliiui en nature créée pour le coucher des soldats. On leur donna raison ;i Paris; ils apprirent par hi cpie les r;ouverncurs jïénéraux n'étaient point les maitres, et qu'en s'y prenant d'une certaine façon l'on ]iouvait lutter avec eux. Ce fut une circonstance lrès-j;rave , et qui retarda loiii;leinps la conquête. En liant des iiitrii;ues en France, les indijjèncs étaient sûrs d'entra- ver en Alijéri(> l'action des ijénéraiix. Ils y eurent souvent recours; et bien que l'aris ne fût pas, comme lîome au teiii])s de ,lui;urtlia, une ville ii xeiidie, ils y réussirent ])lus d'une fois. 1-c duc de lioviijo n'était pas homme ii se lus graves. Abd-el-Kader surgissait. CHAPITRE IX. La plaine des Ghris. — Abd-el-Kader et Mahi-ed-Din. — Naissance, amours et commencenu'Mls de l'émir. — Il est reconnu sultun. — Assembléo d'KrséIjia. — Portrait du nouveju chef des Arabes. Au moment oii tout ceci enllammait la proviine de l'est, dans celle de l'ouest, la fertile plaine des Ghris, où s'élèvent habitiicllcnunt sept douairs considérables des llachem, et (|ui s'étend ii (|uclques lieues de .Mascara, voyait se fornu'r peu à peu le noyau d'une j)uis- sance qui allait tenir tète à nos armées. Uaus cette plaine des Ghris, sur les bords de l'Oued-el-llaman, s'agitait déjà depuis longlemps u la recherche de l'intluencc un de ces apôtres remuants de la religion de Mahonicl, que les Arabes vénèrent sous le nom de marabouts. Sidi-cl-lladj-\lalii-ed-Din c'est ainsi (|ue s';i])|iclail cet apôtre, était fils de Sidi-.Mustapba-bcn-Moctar et i)elit- lils de Sidi-kada-bcu-,M()Ctar, l'un et l'autre marabouts, et s'enor- gnciUissant d'uiu' origiîu' (|u'ils faisaient ambitieuscuicut remonter jus(|u'au priqilicle. Selon eux, leur famille avait autrefois régné sur la contrée, et notamment sur Tékédcmpta, ou Tagdcmpt, qui figurera Jibis tard dans cette histoire. Sidi-el-lladj-.Malii-ed-Din était déjii bien connu d'une partie de la province d'Orau pour son patriolisuu'. Il avait dans le temps mani- festé sa haine contre les Turcs; et quand les F'ran<*ais parurent, il ne fil (pie changer d'euiiemis. jVlïranchir son pays élail le rêve de sa vie et de sou ambition. Ses o|)iiiioiis et ses lentalives l'avaient fait surveiller avec soin par les bejs d'Orau, et s'il ne s'était point ré- volté contre eux, c'est que l'occasion lui avait manqué. L'une de ses arlie ]uéparé les (dans. L'expédition de Bougie allait mettre les Français en ra]>port avec une popiilalion nouvelle pour eux, celle des Kabyles. Si elle réussis- sait, c'élail un grand coup de frappé en Algérie. Outre (pie limigie est par sa piisilion un point imporlauf, elle empruntait précisément il la réputation des tribus environnantes une haute renommée de force, (jii n'évaluait pas ii moins de vingt mille liommes la puissance armée (|ue ces tribus pouvaient mellre sur jiied. Parmi ces tribus se dislinguaient celle de Me/.zaïa, les lieui-Messaoud, les lieni-Mimour, les Beni-Aiurous, les Onled-Aly, les Bcni-Mobammed , les Ueni- llassem, les Beni-Segrouel , les lieni-Amram , lieui-Kersilia , Beni- liidel, les Onled-Abd-el-l)jebaar , les Senadja , les lieui-lmmel, lieni-Oiirgli , les Toudja , les L'enaya , les iNedjamen, les Oiilad- Aiiieriou, les Ibuii-Barbaches, Beui-Soliman , Beui-(rralib , lieui- Djelleb, l!iiii-(;iiebana, Bcni-Oiidjan , les Kifser, les Msisna, les Adjessa, et surtout les céli'bres Beui-Abbès et les Greboiila. Ces tri- bus sont (lislribuées sur le long du lilloral ou sur les bords de l'Adouze, (|ui prend les noms de Siimman et (rOued-bnu-Messaoud , et (|iii traverse le pays du sud au nord, ou dans l'iiiléricur des terres. billes ont une cerlaiue indusirie et (pichpies villes comme Kela et \krib. La passion de la liberté renioule che/, elles ;i l'auliiinilé la plus haute, l'.lles se goiivernaieiil pres(|uc loules d'une iiiauiiu'e pu- rcmeul républicaine. D'ailleurs se conlenlant de peu, cl laborieuses absolumciil comme nos nnuilagiiards de rAuvergne, mais gaierrii'res au dernier poiiil , cl incapables de céder sur l'article de l'inili'pen- daiiee, L(^ capitaine la i\[ori(M(.'re s'était chargé de reconuaitre la place même de Bou|;ie. Le chef du port de celte ville, Moucella , l'y intro- duisit; mais il peine y sut-on son arrivée, (prune sorled'éuicule se pro- duisit. La iiopularmii mille feu il la maison de Boucella, cl le jeune officier des /.ouaves courut les plus grands daiigeis. On lui a repro- ché d'avoir exagéré les facilités de l'ainupie. Il est permis de croire (pi'il les exagéra de très-bonne foi. Certains esprits regardent comme faciles les choses les plus ardues parce (|u'ils ont l'babilude ou la prescience du succès. L'cxpédiliiui lui préparée ii l'oulon. Le général Trézel eu cul le comiuauileuienl. Il opéra sou débanpicmeul le 2!) sepliunbre; mais ABn-EL-KADER, lieu lie ee qui avait élé prévu et écrit ne fut iwécuté. Les Kabyles, par leurs attaques impétueuses, (léraiij;èreul tous les plans. Les loris (|ue l'on n'espérail pas eniporler, si ee n'est avec de ijrandes (lerles, lurent enlevés des les premiers jours; mais les Kaliyles lirenl de elia- que maison, de eliaipu' mur, une autre forteresse. Il fallut Inenliilso retranehcr soi-nu'me et attendre des secours d'Alijer. Ce ne fui qu'au bout d'un mois {|ue IJonisie se trouva complélement avec ses dépen- dances au iiDUVuirdes Français. Le jïénéral 'iié/cl en biissa le com- iiiaiidemenl à cet licroique commandant Duvivier, (|ue nous aviuis admiré déjà dans plusieurs combats, cl qui, avec le capitaine la Mii- rieière, avait élé l'un des liéros de re\|)éditic)n. Duvivier n'eut ])our défendre la nouvelle euniiuèlc de la l'"rance eonirc les tribus kabyles entièrement soulevées, (|ue Irois lialaillons d'infanleric et un esca- dron de cavalerie léijère. L'oecupaliou de Bnu|;ie fut le |u-inciiial incident mililaire du com- mandcnicnl ijénéral de \L \ oirous ne saurions raconter la foule de pclils fails admiiLislratifs ou i;uerriers (|ui sii;iialèrent ce i;(iuver- nenn'ul. Ou le regarde ijénéralcioent comme l'un de ccu\ ipii appor- tèrenl le plus de profil a luilre influence. Dans la province d'Aii;er, iiin; série d'evpédilious partielles, les pro|;rcs du bureau arabe, une administration conciliautc et douée, quelques raz/.ias bien eoiuluiles et dont nos alliés eurent leur pari , ameiièreul la soumission d'un grand nombre de tribus. Suivant la pensée du capitaine la iMuriciére, on se vit, on se mêla, on alla les uns elie?. les autres. Les deux civi- lisations se tendirent ])lusieiirs fois la main. (Citant ain événements militaires, les priiieipaiiv sont dans les autres provinces, et cela se conçoit; ee n'est jamais dans le voisinajje d'un ijiand centre d'occu- pation que se Iroiive le plus forl d'une ijuerre d'cnvabissenient , c'est toujours aux extrémités. Aussi nous faiil-il retournera Oran, oii nous allons trouver le ijénéral Dcsmicliels eompromeltaul l'o'uvre enlicre de la coiiquèle. CHAPITRE XI. Le général Desmichels à Oran — Expédition de Mostaganem. — Accrois?ement d'Atd-el-Kader. — Premier traité avec lui. — L'gue contre son aatoiité dans la province. — Fautes du général Desmichels. Nos plus jjrands mallieiirs en Ali;érie remonlciit au commande- ment du i;éuéral Dcsmicliels à Oran. Ce i;énéral commit deux failles qui ciircnl des conséquences Icrribics. Il refusa de traiter ;ivec Aiiis- l.iplia-ben-Ismail , clief des doiiairs, et traita avec Abd-el-Kader. C.f n'est point que ce général manquât ni île eaiiacitc ni de eouraije, mais il vit mal les choses. 11 crut qu'il valait mieux pour la France avoir affaire à une puissance régulière qu'à plusieurs petits cliel's. Après avoir essayé inutilement d'arrèler les profjrès de l'émir, fasciné pour ainsi dire par ses grandes qiialilés, il traita avec lui, espérant (|u'il ne troiibicrail pas l'occiiiialinn française du littoral. Les é\éiic- niciils démonlrèieiil la faussclé de celle espérance. Aux premiers coups que le général Dcsmicliels, arrivé à Oran le 2-î avril IS^i^i, frajipa au dehors, on aurait pu cependant s'alteiidrc aux actes les jilus brillants. Dès le commencement de mai, il sorl di' la place avec deux mille hommes, cl tombe au jioint du jour sur la puissante tribus des Garabas, dont l'émir tire son orii;ine. H la dis- perse et la pille. Aussitôt toutes les populalioiis des doiiairs environ- iianls se soulèvent. La eolonne est assaillie à son retour pardes nuées d'eiiiicmis. I.lle fait bonne contenance, ramène intaeles ses riches prises, et Oran est ravitaillé. Les (iarabas ne iiouvaicut point ne pas èlii' vciii;és )iar \liil-cl Kadcr. Celui-ci et son jière ,\Lilii-el- l)in montent à cheval. A leur voix tout, dans un rayon immense, se trouve debout en un inslaul. Ils viennent à la tète de ee monde s'établir au l'iipiier, à trois lii iics d'Oian. Desmichels, n'écoutant que son désir de frapiier un noiivi au ;;raiiil coup, sorl comme précédemment de nuit pour surprciidic Ir iaiii|i ciiiicmi. .Mais, soit défaut de l'Onhance , soit renseiijuemeiils plus positifs sur la force des Arabes, il se laisse aricler, et se eoii lente de préseiiler la bataille à l'émir en avant de la place. L'émir ne l'ac- ccpli' pas. Desmichels établit nu blockhaus pou r lui moiilrcrqu'il ne doit pas s'attendre à voir les l''raiiçais reculer. L'émir se décide alms a ratlac[ue. Notre j;ciiéral appelle toutes ses troupes, et repousse les Arabes dans leur camp du l''i];uier, après leur avoir fait subir de i;randes perles. Il fallait poursuivre ce succès, et la puissance naissante d'Abd el- Kader s'écroulait. Alais on le laissa repnuidre roffensivc; il vint at- laipier le blockhaus, et ne se retira qu'aiirès avoir <-oiislal( que les Français se relraiieliaiciit dans la place. Luc autre expédition du ([éiicral Desmichels, enlreprise contre Mustaplia-ben-lsmaïl, chef des douairs cl ennemi d' \ hd-cl-kader, fut énalemenl sans résultats. L<' eommaiidaiil de la province se rejeta alors sur Arzew, dont il s'empara ])resi|ue sans dilViciilté. De son côté, Abd-el-isadcr ne s'ciidormil ]ias dans l'oisiMMé. 11 réussit à faire considérer plusieurs aciesde clémence du général Desniiiliels comme autant d'ailes de faiblesse. Il enleva jusque dans Ar/.ew nu de ses ennemis, iiomiiié Itéloiiua, et le fil exéciiler. Prolitiinl des divisions des habitants de 'riéijieeen, il y lit reconnailre son autorité. Il n'y eul ([ue les Turcs et les l\oulou];lis, cantonnés dans le Alceliouar, qui refusèrent de se donner à lui. 'l'oiilelois, il réussit encore dans celle enlreprise à se débarrasser d'un ennemi dangereux nommé licn- Noiina, chef de la ville, et (|ui se réfui;ia près de l'empereur de Maroc. La morl du marabout Mahiddin vint d'ailleurs confirmer en ce moment solennel pour lui les prédictions faites à l'assemblée d'Erscbia. I''llc le laissa de plus maître absolu de ses actions, qui de- vinrent peu à peu plus téméraires et plus entreprenantes. Le général Desmichels ne s'était pas eontciilé de prendre Arzew ou plutôt la MiM-sa : il s'était emparé de Mosla;;anem, oii le kaid Sidi- Ibrahim avait alors la priiieipah' influence. Les Arabes du parli de l'émir voiiliircnl s'opposer ii ces diverses conqnèles; mais ils n'agirent que lièilciuciil, et furent facilement repoussés. Le commaiidaiit fran- çais, après avoir laissé i;;irnison dans les iioiivclles places iroccupalion, reviiil à ()ran,(pii contiiiuail à être le point de mire des allaqiies parliclles des tribus. Ayant à se plaindre des Snicla, il lit partir le Icudcmaiii même de son relonr, le .'i août, une petite colonne aux ordres de M. de l'iùani; pour punir celte tribu. La colonne accomplit heurciisemcnl son expédition ; mais les Arabes se rallient aussitôt qu'ils la voient eommcueer son mouvcinenl pour reiilrer dans la ville. L'ne partie d'entre eux, profitant de la lenteur avec laquelle marcheni nos fantassins accablés de chaleur et p.iilani leurs blessés, ])rennent les devanls cl inceiulicnt tout sur le ehemiii que nos troupes doivent traverser. Celles-ci s'elfrayent, se découra- reiit. Quelques soldais jettent leurs armes et se préparent à mourir sans lutter; mais la cavalerie, moins faliguée, fait la meilleure con- leiiance. Kllc se range autour des fantassins, décidée à les sauver ou à périr, l'ciidant qu'elle comb.it si hérn'iquemenl et avec une si noble solidarité, un officier d'ordoniiaiice, M. Desforges, a l'audace de reii- Irer seul à Oran pour prévenir le général eu chef; il réussit. Des troupes fraîches arrivent. Les Arabes s'cnfiiieiil. La eolonne est sauvée. Alul-cl-Kader commençait dès lors à jouer ee fameux et diflicile jeu des barres qui lui a réussi pendant tant d'années. On le voyait p;irloiil oii nos généraux n'élaient pas. 11 vint attaquer Moslaganciii aussitôt que Desmichels fut à Oran, et l'assiégea durant |ilii:,ieurs jours. Le canon d'un brick français, alors au mouillage, et l'héroïsme d'une compagnie cantonnée dans un marabout, qui fut le principal objet des ell'orts de l'émir, firent justice de ses attaques. Cependant ses Arabes faillirent s'introduire par surprise dans le corjis de la place. Le liciitenanl Giraudou évcnla cette surprise, et les repoussa au moment oii ils allaient faire sauter nue partie des murs. Ahil-el- Ixadcr se retira. Dans l'esprit d'un toul aulrc peuidc que les Arabes, ces rclraites coiiliiiiiellcs lui eiisseiil causé un lort des plus graves. Dans la pensée des populations de la province, (dies alleslaicnt sa priidence. Il bat- lail d'ailleurs conliiiiicllemciil la campagne, forçant les hommes des tribus à le suivre, empêchant toul ciimmerce avec nous, punissant d'une manière terrible les relations plus suivies. Nos troupes avaient pu supporter dans les iiremicrs temps les désavantages de cet isole- mciil; mais ces désavantages dcveiiaienl de jour en jour |ilus sensi- bles. Les tribus s'étaicnl retirées de la portée de nos attaques. La ca- pitale de nos possession oranaises ne recevait plus de vivres que |iar mer. Au lieu de sortir de celte situalion par un grand effort en atti- rant, ])ar exemple, l'émir à un combat eu règle et en le ballant, le général Dcsmicliels prêta l'oreille à des propositions (|uc des Juifs, )irivés des gains de leur commerce, attribuèrciil ii Adb-cl-Kadcr. (^es Juifs rapportèrent, d'un autre côté, à l'émir ipic le général ne serait pas éloigné de traiter. Abd-el-Kader était Irop habile pour ne ])as saisir l'occasion de se faire reconnaître par la France comme il était déjà reconnu par les Arabes de la province. 11 envoya nu de ses offi- ciers, Miloiiil-liL'ii-II(irtii-Ii . ]iour demander sur (luelles l'onditinns on liailerail avec lui. On l'aecueillil favorabicmeni, Iriqi fa\ or.iblenieut. Le général Desmichels ne sentit pas la portée de ce ipi'il allait faire. Il lie comprit pas qu'il créait un représentant par excellence de la libellé cl de la iiariiuialité arabes dans la proviiici- d'Oran, qu'il don- iiail un ceiilie aux tribus , et la convention ci-dessous fut conclue ; ne CÔTÉ iiF.s ARAniî.s. r< Les Arabes auront la liberté de vendre et acheter de la poudre, des armes, du soufre, enfin tout ce (|ui concerne la guerre. u Le commerce de la Mersa (Arzew) sera sous le gouvernement du piincc des crojanis, eomme par le passé et pour loiiles les alVaires. Les cargaisons ne se feront (las autre pari ipie dans ee port. (^)uanl à Vloslagiinem et Oran, ils ne reeevronl que les niarchaiulises néces- saires aux besoins de leurs habitants, et personne ne pourra s'y op- poser. Ceux ipii désirent charger des marchandises devront se rendre à la Mersa. » Le fénéral nous rendra tous les déserteurs et les fera cncliaîner. 11 ne rcccx ra |)as non plus les criminels. Le général comiuaudant à Ali'cr n'aura pas de pouvoir sur les musulmans (|ui viiuidronl auprès de lui avec le c(Uisenlemeiil de leurs ebefs. 1. ( )ii lie pourra cmpêclier un iiiusiilmaii de reliuiiner ihez lui quand il voiid ra. u ABD-EL-KADER. DE LA PART DES FRANÇAIS. o A compter (ranjoiiid'liiii , les licislilités cesseniiit ontrc les Fran- çais et les \È-alii's. » La r Douers; Kadour-bcn-el-MorI j , chef di' la tribu des lioidjla, cl plu sieurs autres mécontents de mar(|ue. D'une autre pari, les Itcui- \iiur déclarirent (|u'ils ne voulaient ]ias siibsliliier un lyraii ii un autre. Ils refusèrent l'aehour ii l'émir. Celui-ci, (pii innorait la lijjue des P;iris. Typographie Plon fh trois chefs, ordonna aux Douers et aux Sinélas de les attaquer. Ceux- ci curent alors une raison de se tenir en armes Mais que ht !Musta- plia-licn-lsiiiaïl ? Au lieu de marcher contre les Beni-Amer, il surprit, pendant la nuit du 12 avril 183-4, le camp d'Abd-el-Kader. L'émir n'eut ([lie le temps de monter ii cheval. Entouré, jeté bas de sou cour- sier, il était presque déjii prisonnier de ^Iusta]ilia (piand un de ses cousins, et en même temps le mari de sa sœur, Mouloud-ben-Sidi- lioutalcl, espèce d'ilercnle arabe, l'enlève dans ses bras, le jette sur un cheval frais et s'échappe avec lui. L'instant était favorable jioiir les Français, car aussitôt les tribus se déclarent contre le vaincu; les Aribs et les Bordjia se réunissent il Mustapha, et celui-ci demande ra])pui du commandant il'Oran. Mais, par une aberration politic|iie inconcevable, le i;éuéral fran- çais s'imajjine qu'Abd-el-Kader est devenu odieux aux tribus parce qu'il a traité avec la France. Au lieu d'aider ;i sa défaite, il lui fait passer quatre cents fusils et de la ])Oudre. Il va plus loin : ayant ap- pris que Mustapha, ne réussissant pas près de lui, s'était adressé au général ^ oirol, il fait savoir à Abd-el-Kader de ne point se décou- rager, et, joignant l'action aux paroles, va prendre ii Miscri;hein une liosilion hostile :i Mustapha. Celui-ci, menacé ii la fois par deux en- nemis, perd son premier élan; ses alliés ont peur, et au premier choc d'Abd-el-Kadcr, «[ni l'attaque près du Sii; avec de nouvelles forces, il x'oit SCS troupes se disperser. Alors il n'a plus (|n'ii implorer la clémence de l'émir. C'est ce qu'il fait, ([uilte ;i se vciiijcr plus tard. Abd-el-Kader, ne se sentant pas assez, fort pour le frap|ier, feiijnit de le recevoir comme auxiliaire et de lui pardonner. Mustaiiha ne fut ])as dupe de sa cléiucuce, et chercha un asile plus sûr dans ta citadelle de TIemcen. L'émir ne com|ita jdiis dès lors dans la province d'Oran d'autres ennemis que les Fiançais et les Turcs du méelioiiar de Tleiueen. 11 demanda du canon à M. Desmicliels pour les réduire. Sur sou refus, il refusa ,'i sou tour d'avoir une entrevue avec lui; jmis, n'apercevant ]ilus de bornes ii son aijraiidisscmcnt, iiiaitrc de la province oranaise depuis le Cliélif jusqu'au désert, il commença ii lier des relations avec V\ 0 s'enfuit en lui jetant un buuiiiet de la part de sa maîtresse. les \rabesdes autres provinces, leur demandant de le reconnaître, cl leur proiiicllant en rcloiir de chasser les l''i aiicais. .Sou principal a|;ciil lut le ma la bout de Miliaiia, Sidi- Ali cl-lvalali. ( !c ma rai I ne ciaii;nll pas de rcmcllrc au i;éiiéral Noirol une lettre de l'émir, dans laqiiclli' celui-ci, s'aiiiioniaiil i-omiiie le sauveur île l'ordre ilans les tribus de rtliicsl, proposait au l'oiiiiiiandaiil eénéral franiMis de venir rétablir aussi la traii<|uillité parmi les tribus de la province d'Mi',er cl du bc\licli de Titlerv. Sidi- Mi-el-Kalati , poussant même l'audace au dclii de tonte limite, ajouta que désormais les l'rani'ais n'aiiiaieiit pour oblenir le respect des tribus d'autre mojen que de recourir à i'intcrvenlion du chef des croyants. Le |;éiiéral Noirol se conleiila d'enjoindre ;i Abd cl-Kadcr d'avoir ii passer le Cliélif. Ouant ii l'ordre qu'il avait rétabli, il le félicitait de cet ouvrage. î'.iiKS, rue de Vaugirard , 36. ABD-EL-KADER. ir Sicli-d-Kalali , ainsi repousse', revint à Mascara, et ne trouva rien (le mieux à répandre si ee n'est que le eoniniandant d'Aliter voyait avec jalousie que le i;cnéral Dcsmicliels eût ])acirié la jirovinee d'Orau. Il ajouta qu'il était ])ourtant fort l\eureu\ (|ue ce i;énéral et l'émir fussent bien ensemhle. Autrement, disait-il, toutes les tribus de l'Al- gérie se soulèveraient; elles n'attendaient (pi'un ordre de Mascara. Le i;énéral Dcsmicliels le crut d'autant mieuv qu'il avait d'AI)d-el- Kader la plus liante opinion, et, dans les meilleures intentions qui soient, il continua ses relations avec l'émir. Celui-ci, de son côté, le maintint liahilcnnuil dans de bonnes dispositions, et parut ne s'occu- per que d'orijaniser les tribus ([u'on lui laissait ijouverner depuis le cliélif jus([u'au désert. Mais ses aj;cnts se répandaient avec activité dans toute la réjjcnce, popularisaient sou nom, aui;nientaient en paroles l'éclat de ses c\, ÉOits, et préparaient le terrain pour (pi'il fût bien reçu quaiiil il aurait assez avancé les choses de façon à pouvoir jiéné- trer sur la province d'Al(;er. On en était lii quand le comte d'Erlou, envoyé comme gouverneur général pour remplacer le général Voirol, obtint du ministère le raïqiel du gé- néral Desmichels. Ce géné- ral eut pour successeur un moins heureux encore que lui! CHAPITRE XII. Ordonnance constilutive des pos- sessions a'géiiennes. — Guu- vernement géucral du comie d'Erlon. — Abd-el-Kader dans les provinces d Alger et de Titlery. — Soulèvement des Douers et des Smélas dans la province d'Oran. — Défaite de la Macta. En France, depuis le dé- part du duc de l^ovigo, les ministères et l'opinion pu- bliipie étaient en travail il'uue organisation de l'Al- gérie. Cette organisation fut fixée par l'ordonuancc du 22 juillet 18-34. Les princi- paux éléments consistèrent dans un gouverneur général relevant «lu ministre de la guerre et dans un conseil institué près de ce gouver- neur, et comprenant un of- ficier général commandant les troupes, un iut<'ndant civil, un otficier général eonuuaiulant la mariiu', un procureur général , un in- teiulant militaire cl un di- recteur des finances. C'était un conseil des ministres au petit pied près d'un roi constitutionnel et responsa- ble. Le comte d'Eihui reçut le titre de gouverneur mè- nerai. C'était un vieillard r|ui avait fait ses preuves autrefois, que le ministère avait s Isabjles. Si cet aventurier, '" '• <»'roin«'Sscs. Ce fut le plus beau temps peut-être il«^ la puissance d'Ab«l-«d-Ka«lcr ; si l«'s limites «le son empire étaient encore restreintes, tout le monde, dans ces limites, le respectait. La plupart des tribus, n'aiipréciant que les bienfaits de l'onlri', oubliaient leur esprit d'iii«lép«Midance pour le saluer sultan. Il répond.iit a biir conlianee en veillant à la sûreté «les mutes et des manliés. 11 réformait la jiistiie «'t h's impôts. En même temps, |)révoyaiil le momeul oii il aurait besoin d'une force organiséi', il faisait r«'«lierch«'r par ses agents les ouvriers les meil- h'urs, fmnlait ib'S l'abiiipies d'ariiws à feu, et s'entourait «l'une mi- li«'e periiiaueule et régiilii're, «lont une i);irtie l'accompagnait dans toutes s«'S cxpé«lilioiis. Ccpiuidaut tous les .\ rabi's n«' voyaient |>as «lu même O'il sa puis- sance croissante. S«'s monopoles lui taisaient «les ennemis au sein des tribus comnuMcanlcs , les Douers et les Smélas étaient de ce nom- bre; elles voulu reul eommcrcer avec l«'S Français sans subir ses exi- gences. Il leur ordonna de quitter l«'s «'uvirons d'Oran, oii s'élevaient leurs tentes, et leur assigiui une autre demeure dans la montagne. I^llcs refusèrent «l'obtempérer à un onire «pii l«'s ruinait; il les fit atla«|iier par son aglia El-M/.ary. l'.lb's irciiniil plus alors «l'autre i«ssoiir««' «pie «le se mettre sous la iirot«'«ti«)n de la l''rancc; c'eut été uii«' l.iilulé «pic d«' la leur refuser : l«' général Tré/el en était inca- 2 RKXaAITE DE CO^STA^TI.■SE. Entre six mille Bédouins et trois cents Français la partie doit ôtre égale... CMANGARMEn. 18 ABD-ELKADEH. piililp; il Kcirlil (rOi-uii, If I 1 juin, l'cpoussu l'iinlia l'^l-M/.ai'j ; le SIU'- li'iiilrmaiii il i('i;iit au eamp ilu Fijjiiier les Doiicrs et les Sniélas dans rallianio (raueaisc; enfin, ](nnssanl pins loin, il vint camper sur les linrJs (lu ruisseau de Tlélat, d'iiii il enviiya sommer Abd-el-Kader de renoncer ii iiii|uiéter nos alliés. C)elui-ci répondit avec haulenr qu'il aurait raison des tribus passées sons le drapeau français, et (|n'il les reprendrait, lussent-elles ahrilées sons les murailles d'Oran. l'uis, joignant les faits aux déclarations, il ajipela toute la province ii se réunir sur le Sii;. La guerre éclatait donc de nouveau; le traité Des- niichels était rompu. Dans ces circonstances, le général Trézel commit une i;randc fanle : au lieu de marcher tout de suite sur le Si;;, il laissa a l'émir le temps de réunir des forces deux fois plus nombreuses que les siennes. Il ne sortit à sa rencontre que le 26 ; à jieine avait-il avec lui 2, .son liomines, et ses vivres étaient presque épuisés. L'ordre de marche ne fut pas habile : le général , qui disposait d'un régiment de cavalerie, le morcela en trois parties, deux escadrons formant l'avant-garde , deux escadrons flanquant le convoi, et un es- cadron formant i'arrièrc-gardc ; l'infanterie fut également morcelée, et Trézel n'en plaça pas assez pour soutenir sa tète de colonne. Vers le malin du 2(i , à peine cette tète dit colonne a-t-clle débou- ché du bois taillis de Muley-Tsinaël , que des niasses arabes, cavaliers cl tirailleurs, se précipitent sur elle. L'attaciue est si vive, les forces sont si nombreuses, (|ue l'avant-gardc plie et se rejette sur le con- voi. Les Arabes la pousseul , atla(|uent le convoi, et parviennent à isoler un des bataillons d'infanterie qui flanciucnt sa droite. Encore un peu et c'en est fait du corps entier; mais 'l'rézel, s'inspirant du danger, parvient il enlever une partie de son arrière-garde, et à la faire passer en avant du convoi. Une compa;;nie d'Afri(|ne, entre antres, se précipite avec un élan irrésistible ; aussitôt chacun reprend courage : ceux (|ui avaient ]ilié l'es premiers sont les premiers ii char- ger. L'ennemi cède ii son tour, et nous laisse ramasser nos blessés et nos morts ; parmi ces derniers est le colonel Oudinot. On était vain- queur; il fiillail prendre nn [larli ; poursuivre son succès, on profiter ilu répit liiissé par les Arabes ])our faire une orgueilleuse retraite, 'l'rézel adopte d'abord la première pensée ; après avoir laissé prendre il ses soldais un repos qui dégénéra, dit-(ni, en orgie, il pousse au Sig, cly arrive vers la fin de l'après-midi. Les forces arabes campciit il une certaine distance, Trézel, voulant effrayer l'émir, l'envoie boinmer de nouveau d'avoir ii désavouer ses attaques, et à reconnaî- tre l'autorité de la France. >lais Abd-el-l\adcr connaît aussi bien (jne le général lui-même la faiblesse nnméri(|nc des Français et les perles qu'ils ont faites. 11 refuse fièrement, comme à la première sommation. C'est peut-être le cas de lentcr la fortune en appuyant les négo- ciations par une attacpie ; niais tout il cou|) Trézel , qui n'a d'ailleurs pas la main assez ferme pour maîtriser des soldats dont la coii- iiancc n'est pas complète, Trézel change d'avis : il campe toute la journée du 27 sur le Sig, et le lendemain se met en marclie pour gagner Arzew. L'émir, qui cette fois aussi manqua de courage, puis- qu'il n'osa pas venir offrir le combat à cette petite colonne fran- çaise égarée loin d'Oran, l'émir, en voyant ce mouvement rétro- grade, monte aussitôt à cheval, suivi d'une dizaine de mille cava- liers, qui ne tardent pas ii tourbillonner autour de nos troupes et à les envelopper; mais elles finit bonne conleiiancc et gagnent du terrain ii travers la ])laine de (à'ïrat, sans rompre nn iiis ant leur ordre de marche. A l'issue de celte plaine, il y a deux routes pour se rendre ii Ar- zexv : l'une par les collines des llamian, l'autre par la gorge de l'Ila- bra. La première offre moins de dangers, en ce qu'elle est découverte; mais, il raison des diliiciiltés du terrain, Trézel craintque son convoi ne puisse la franchir. Il ne rélléchit pas que si la seconde est plus facile, l'ennemi, eu occupant les hauteurs qui dominent la gorge, peut écraser les tnnipes qui s'engngeront dans celle-ci. l'.u ellel, à son mouvement oblique, Abd-el-Kader juge qu'il ne traversera p;is les collines des llamian; il fait parlir ii lonil de train nn millier de cavaliers portant des fantassins en cnniiie. Cette force se déploie au- dessus du défilé an moment oii la colonne française s'y présente, a l'endroit oii le llabra, <[uitt.iut Us marais, prend le nom sinistre de Macta. Lii, un chef habile )inurrail encore lutter. Il faudrait, par exem- ple, sans ralentir sa marche, envoyer sur les hantenrs des forces suffisantes pour contenir l'ennemi. Mais Trézel ne veut pas dégarnir son ordre de l'ctraite; deux compagnies seulement sont envoyées pour balayer les collines. Les Arabes en force les repoussent lacile- ment, et, nywiit l'avantage du terrain, conlraignent les Français ii rester dans la vallée; ]iiiis ils attendent le passage du convoi. Au momeiil oii la longue file des voilures chargées de blessés et de matériel s'engage dans la gorge, ils se précipitent ; notre arrii're- garile voit ce inonvemenl : elle craint d'être coupée, et, an lien de dérendre le convoi, elle court ii droite pour se réunir il la tète de cdioinie. l'Insienrs voitures sont alors pillées on prises, les blessés qu'elles portent sont égorgés et ib'capilés ; d'autres sont entraînées dans les marais par leurs condnili urs épouvantés, il faut arrêter ceux-ci le pistolet au poing poi|i' Icfi forcer ii ne point fuir. C'est ainsi que le maréchal des logis Fournicr sauve vingt blessés : les seuls, hélas ! Cette attaque sur le convoi est (|uelque chose d'affreux dans les an- nales de la guerre, (iepeudant elle est^le salut de la colonne. Tandis que les Arabes pillent , couiient des tètes ou s'enivrent, une partie des Français se rallie pèle-mèle sur un mamelon, autour d'une pièce d'artillerie qui tonne eu désespérée. Abd-el-Kader les fait attaquer par ses principales forces; mais ces braves se forment en carré, et, entonnant l'hymne de la république, cette Martieillaise qui a le don de transporter les âmes, ils résistent il toutes les atta- ques. IV'iidant leur résistance, la seconde partie des troupes et ce qui a (m échapper du convoi cherche la route d'Arzew et au milieu du désordre ne parvient qu'avec peine à la trouver. Les défenseurs du mamelon se trouvent tout il coup eompléteme: t isolés. Ils xeulent tous mourir, (^/uelques chefs parvieuneul enfin à les ^'écider ii suivre la retraite. Abd-el-Kader n'a point su leur couper le chemin. Ils re- joignent, avec leur pièce d'artillerie prise et reprise deux fois, le gros de nos fuyards. On vit alors un spectacle véritablement héroïque. Trois ou quatre officiers, ficrnard, Allaud, Pastoret, îMaussion, ont lormé une ]ietite arrière-garde composée de quarante chasseurs, de cinquante soldais de toute arme, et sontennc par de l'artillerie. Celle arrière-garde suffit il contenir les masses arabes. Kllc tiraille, charge , tiraille et charge encore. Décimée, elle n'abandonne le terrain que pour mieux résister. Les Arabes ne savent d'ailleurs ]Holitcr ni de la jmsilion ni du moment critique, l'eu ii peu leurs furieuses charges se ralentis- sent, leurs cris deviennent moins menaçants. D'une autre pari, la X'oix lie nos officiers recommence à reprendre son autorité; l'ordre se rétablit, le courage et le sang-lroid rcvieuneulà tous, et l'on arrive il Arzew le soir, apri'S avoir marché seize heures et combattu quatorze. On avait perdu trois ci'nts hommes; deux cents autres étaient blessés. C'était peu pour une pareille déroule; mais la reinnumée iiuiltiplia bientôt ce nombre. Le revers de la Macta, qui, dans une grande guerre i-égulièie, eût passé inaperçu, fut bientôt appelé à Alger et en France un désastre. *^>iielques-iiiis allèrent jusqu'il traiter le liravc mais inhabile Trézel de nouveau A ariis. (jiiant il lui, d'Arzew, il fit ramener une partie de ses troupes par mer il Oran. Mais coninie il trouva dans la première ville nn renforl aux ordres de la Moricière, alors commandant, et ayant avec lui les capitaines Cavaignac ctMonlauban, il rentra avec l'autre partie dans Oran par la même porte (pii l'avait vu sortir. Le comli' d'KrIon ne larda pas ii le remidaeer par le général d'Arlanges. Abd-el-Kader ne sut pas d'abord poursuivre son sncci's, et nous gardâmes les Doners et li's Smélas dans notre alliance. Cependant en France, l'ojiinion publique, surexcitée iiar les évé- nements de la Maela, forçait le ministère il donner de nouveau le maréchal (jlansel pour goiivernenr i;énéral il l'Algérie; il y arriva le Kl août 1835. CHAPITRE XIII, Gouvernement génér.il du maréchal Clavisol. — Le prinro royal. — Mascara. — Le Sig. — Le Méchouar. — Lo capilaini' Eugène Cavaignan. — Expèiliiions diverses dans la province d'Oran, CiiKj ans s'élaienl écoulés depuis la prise d'Alger, et, ii la grande honte de la royauté de jiiillel, la France n'était i;nère (dus avancée dans la régence (|iie le premier jour. L'opinion publii|iie se (innion- cait avec une énergie croissante contre la manière tii'de et embar- rassée dont on conduisait une conquête qui , en raison même de ses difficultés, acquérait une ]iopnlarité ii lai|uclle il fallail céder. Le maréchal Claiizcl était une concession faite il celle popularité. Mais pour que le nouveau gouverneur lui il la luiulciir de le que l'iui alleii- dail de lui, il fallait qu'il frappât de très-grands eiiiips; ceux (|iril Icnla on ne furent ]ias assez éclatants ou ne furent pas heureux. On croyait il celle époque encore pouvoir gouverner les .Arabes ]iar les Arabes on par les Iradilions turques. Le maréchal nomma nu îiey pour 'J'ilcry et nu antre pmir Milianah et Cherchell. (détail une fanle s'il n'étail pas décidé ii les faire recounailrc. Le général H.ipalel reçut l'ordre d'aller installer le bey dcTili'ry, Mohammed-beii-llus- sei'ii. ('elui-ci avait promis (|ue l'on viendrait de iMédéah au-devant de lui. On trouva en ell'et des Arabes au col de Moiizaïa, mais in armes et disposés il nous repousser. Le général Uapatel ne se crut pas assez fort pour enlever le passage; il revint à liou-Farik. .Le bey nommé résolut alors de se passer de notre appui. Il franchit l'Atlas par des cliemins détournés, mais on ne voiilul pas de lui ii Médéali. (Juanl au bey de Cherchell, il ralliil l'cmbari|ner de force avec, ses gens. Il criait qu'on le coiiiliiisail ii la boucherie. Les habilanls de Cherchell n'en voulurent pas non plus. On le ramena à Alger, et les soldats, loujoiirs disposés ii voir le côté plaisant des idioses, firent des chansons sur les grandes victoires du maréchal. Celui-ci, arrêté jiisque-lii jiar les ravages du choléra, résolut d'agir en personne. \ous avons vu, sous l'administration du duc de Hovigo, se disliii- [;uer l'aglia Sidi-ll.idj-'Malii-Kildin-el-Sgher , chef de la l.iiiiille des lOmbareks. (]e chef avait été obligé de se soustraire aii\ perscciitions ABD-EL-KADER. 19 lausel combina contre lui une expédition <|ui devait en même Icmjis servir à punir les Iladjoutcs. dont nos coliuis avaient continuellcmcul à se |ilaiudre. (-"etic c\|icclilion ne réussit (|u'im]iarrailement; à l'approiUe de nos colonnes Sidi-lladj-Malii-riddiii se mit en devoir dv rej;ar;ner les nionlaijiu's. Ou ne sut pas lui Icrnn'r la reiraite. ]l échappa après avoir ])erclu assez peu de monde. Les hailjoulcs éprouvèrent une plus rude délaile; mais il était évident (|uc l'incendie se proparjeail. I.e nom d' Ahd-cl-Kader rcleiitissait jusque dans Alijcr, et, traversant celte piovince nn''nu', débordait au delà dans le bejiik de Constan- Inie, oii des intrii'ucs étaient noué<'s par l'émir, il la fois contre nous el contre Aehmcl, dernier représentant de la puissance turipu'. Ouant à la province d'Orun, il y eût été le maître absolu sans les postes fortifiés qiK^ nous y conservions, et sans la constante inimitié des Douers el îles Smélas. Le désastre de la Macta n'avait ])oiiit intimidé ces tribus. Elles faisaient de continuelles ev]iéditions sur les terres des alliés de l'i'niir, et venaient ensuite se réfui;ier sous le caniui d'Oran. Il était honlcnv pinir nous ipie des A rabcs nous donnassenl rcvcmple. On le comprit à l'aris, et il fut arrêté ipie l'on irait détruire la puis- sance de l'émir dans sa capitale même. On ne savait pas ([lie cette puissance n'avait rien d'assis, rien de saisissable, qu'elle était partout sans être nulle part. I.e maréchal Olaiisel s'orifanisa néanmoins pour porter la plus rude atteinte ii cette puissance. Jl ne s'aijissait de rien moins que de pren- dre et détruire lUascara. Le jirince royal, l'erdinand-l'liilippc, duc d'Orléans, arriva |)niir |)renilre ])art ii l'cvpéilition, que l'on rci;arilail comme devant avoir un |;rand relcntissenieiit. Jamais prince ne fui plus cliarmant et plus aimé que le duc d'Or- léans. Klevé démocratiquement , il possédait néanmoins une exquise ilisliiiction. Oiioique lils de roi, il ne dédaignait pas le |)éril. Déjà habile ollieier sur le champ de manœuvre, il voulait ev])érimenter ce qu'il savait. L'impopularité de son père rallliip'ait ; il es])érait lui concilier l'opinion en prenant part aux fatii;nes et aux danjjcrs de nos soldats. (Jomme tons les hommes ipii doivent mourir jeunes, il avait avant l'àip' une i;ranile maturité d'esprit. ]1 voyait juste, sans ])ré\'en- tioiis. Si la l'rovidence lui eût réservé le trône, il s'y serait certai- nement montré avec avantage. Il eût été patriote, libéral, exempt de toute pensée de résistance s\stéinali(|iie , ami des arts et ami du peii- jile ; et la dynastie d'Orléans aurait pu, |;ràce ii lui, se flatter de vivre. Il ne trouva pas en Afriqin^ ce qu'il pouvait raisonnablement atten- dre. L'c\|iédili(?ii de Alascara ne présenta rien d'héroïque ni de ehe- valcresipie. Elle fut tout bonneiiient une ex|)édition sainement con- duite, mais sans résultats. Le maréchal Claiiscl, avant de rien enlreprendre , lit ociiqier l'ile (l'Haàreh-tloon il l'embouchure de laTafna, afin d'en imposer aux tribus par la crainte conlinnelle de l'arrivée de nouvelles forces. H partit ensuite d'Oran, emmenant avec lui environ onze mille hommes lorm.Mil quatre bri|(ades et une réserve (pie commandaient les r;éné- raiix Ouiliiiot, l'errcijaux, d'.Vrlanip's , ihérimpie colonel Ocnnbesct le licuteiiant-eolonel de lieaufort. Ou était au 27 novembre; Abd-el- Kader, prévoyant rnrajje ipii allait fondre sur lui, avait réuni des masses assez considérables. Il s'était pourvu (l'armes et de munitions. 11 lui en était venu de l'Angleterre et du Maroc. iMais ses forces ne pouvaient pas rivaliser avec celles des l''raiieais; aussi ne chercha-t-il jamais le combat durant l'cxpédilion. Il se contenta de lirailler et d'impiiétcr rarrièr(--f;arile, maniciivrant assez habileuienl |iour n'(''lre pas saisissable. On vil plusieurs fois, durant la cam])a|;ne , li>s deux années marcher sur deux liiïiies paralli-les s'obscrvant et ne s'atta(|uaiit pas. [ n seul combat important eut lieu le :i décembre, ipiand nous eûmes passé- leSii;. Les Arahes furent facilement enfoncés malijré les priiilcnles disimsilions de buir chef, et se rejeti'rcnt dans les mon- ta|;nes. Le maréchal Claiisel, après avoir déployé un (;rand luxe de manœuvres, força alors sa marche sur !\Liseara, que l'émir cherchait de son côlé à !;a;;ncr par d'autres chemins. Dans son impatience, il finit par iireiidrc les devants avec !(■ duc d'Orléans et arriva le (; dans la capitale de l'émir. La ville était déserte, mais aboiidamment appro- visioniii'c. l'ar nue aberration inexplicable dans un tel homme, le chef (le l'expédilion ne crut pas ib'voir oecu|ier ii demeure la caiiitale (pie l'on était venu conipiérir. Au bout de deux ou trois jours l'armée reprit le chemin d'Oran (•her('liaiil vainement à s'expliquer le but de sa course, ipii n'était pas app.iremmcnt une simple proi ladc ii Mas- cara. L'émir put ii son aise rentrer dans sa capitale. On n'en pro- ( lama jias moins (|iic la province élaif soumise, et le vaimpieiir la divisa sur le papier en beyliks de Tlcnu-cn, du Chélilï et de Mns- la(;anem. Ouant à Abd-el-Kader, il se soucia lort peu de cette division. Aus- sil()t le retour ii Oran de l'expédition, il vint attaquer les Douers cl les Smélas jus(pie sous le (•.•iniiii de la place, l'uis il dissipa plusieurs petites coalitions de ses ennemis, ipii relevaient la tète chaipie fois que nous paraissions disposi^sii les protéger. Enfin, ayant ajipris (pie le maréchal projetait une mandie sur 'l'iemeen pour porter secours aux Turcs (lu Mi'chonar, il résolut de s'en emparer avant iKJiis. Mais, (pioi(pie vaimpienr des ];ens d'Aiiuad, (|ui étaient venus prêter ap])iii aux Turcs, il ne put pénétrer dans la citadelle. Le maréchal, ii la tête de sept mille ciu(| cents hommes, s'élaiit a son tour mis en marche, vint enfin délivrer les défenseurs du Méchoiiar. Ces hommes héroï- (pies, (pii ilevaicnl avoir des successeurs jilus hénmpics encore, étaient au nombre de sept cent eimpiaïue, dont la moitié désarmés. Ils te- naient tête aux Arabes depuis cinq ans. Abd-el-Kader oublia alors sa pruilenee liabiliiclle. Il resta dans les environs de 'l'Iemccii, esi>é- raiil (pic, comme ii Mascara, les Français ne feraient que passer. On avait résolu, au contraire, de s'établir dans la nouvelle C(niquêle. Une |)arlic de rexpcdition, ayant dans ses raiiijs i\Iustapba-bcii-lsiiiaïl et son ancien aijlia i;i-.M/ari, sortit contre lui et faillit l'envelopiier. 11 s'enfuit, laissant une portion de son bai;aj;c aux mains de nos siddats. On croyait lui avoir coupé la retraite sur Mascara; il passa entre les briijades, et l'on ]ierdit bientôt l'espoir de l'atleindre. (À'tte expédition, plus heureuse que celle de Mascara, nous v:ilut de nombreuses soumissions de tribus. Le maréchal ne commit pas la même faute que in-éccdcmmeiit. 11 fil mettre le Mcchouar en nouvel état de défense. Mais comme ses instructions s'opiiosaienl il ce ([lie l'on occupât le l>ays, il se contenta de nous assurer la cita- delle. On forma dans les brie.adcs un bataillon de volonhiires jiour bi déicniire. Le comiiiandcment en lut donne au capitaine Euj;èiic (]avaii;n;ic de l'arme du i;éiiie. C'était une pénible et périlleuse mission qu'acceptait le capitaine f:avaii;nac. 11 allait avec sa petite troupe se trouver entoure d'enne- mis, ne pouvant espérer ipie des eomuiunieations lointaines avec les corps de roecupation d'Oran. i\Liis le capitaine (^ivaiijinic était sûr de lui-même. Il savait (pie jamais une faildcsse ne lui traverserait le cœur. Sa solidité sur le champ de bataille, sa Icniic militaire, la ])lus diijiie (pii fût dans toute l'armée , ses connaissances spéciales inspi- raient il ses compafjnons une eonhancc sans bornes. Avec un tel chef, la fptriiison du Méchouar n'était pas seulement assurée d'être toujours coiiverte. Elle savait que rien n'était étraiii;er ;i Tinitialivi! de son comiuandaiit. t;ette initiative lui prometlait des ressources variées. Elle y comptait. Elle y comptait, elelle avait raison. Déjii sur le front médilatif et sévère du simple olVicier du !;énic, planait ce siipie (pii annonce les grands hommes. Le capitaine pensait beaucinip et par- lait peu. Jamais son esprit ne resliiil oisif, l'eu soucieux de plaisir, mais avide d'héroïsme, c'était le devoir fait homme. (Jet amour du devoir, accompa;;né d'un dcsinlércssemcn iioussé ii rcxtrcme, d'une modestie ((ni lui a fait du tort ipiaiid il est arrivé au pouvoir, lui don- nait un côté autiipie saisissant. Ses lecliires cultivaient cette jjrandc saillie de siui caractère, l'iutanpie, voilii le livre ipii se trouvait ii son chevet. Il le lisait encore dernièrement dans sa ]irison de llaïu. Aionlez il c(da que la sévérité de ses réflexions liabiliiclles ne lui enlevait rien de cette affabilité ipii rend le chef si cher aux inlérieurs. Au bivouac, au cam|i, partout, il s'occupait d'abord des soldats, et ne scuipcait ii lui ipi'aiiri's. Oiioiipie faisant un doijine de l'obéissance, il comprimait une contradiction mesurée, et ne refusa jamais de s'é- clairer des avis d'un inférieur. Sobre, d'ailleurs, facile ii vivre, dur il la fati(;uc , il ne regardait pas comme une nécessité d'imposer ses rjoïits aux autres. Niil ne fut jamais plus tolérant que lui, ipioi qui' l'on en ait dit. Mais doux comiiie un entant dans les relations li;ibi- liiellcs, le liiMi se révélait chez lui au moindre éclair de la poudre, il la moindre apparence d'un daiii;er ;i dom|iler, d'une victoire ii obte- nir. Alors avait lieu une vérilabii^ Iransloriimlion. Ses yeux s'aiii- m;iient, son nez, orijueillensement recourbé comme celui de l'aiiile, aspirait la fumée du combat. .\ la façon dont il posait le i>ic(l sur le sol, on sentait ipic cet liommiMle fer ne reculerait ])as de la lonijiieiir d'un j;rain de sable. A la maiiii're dont sou rci'ard planait sur l'eii- semlili', on comprenait ipi'il ne né!;iii;erait aiu'un détail, et qu'il eût élé, l'occasion échéant, aussi bien Kléber ou AJoieau ([uc le premier l!(Mi;iparle en Italie. Le capitaine Eiiip'ne Cavaiipiae avait alors trente-deux ans envi- ron. De nombreux services le recommaiidaient dé'ja. Ce siu'a néan- moins l'un (lesijrands honneurs du maréchal Claiiscl dcvaiil l'histoire de l'avoir dislinipié. l'uisqu'il laissait une ipirnison dans le Mcchouar, le maréchal Glau- s(d devait chercher ii assurer les commiiiiicaliiuis enlrc 'riemcen et Oran. 11 résolut en eonséipicnee de reconnaître le cours de la Tafnn, et d'asseoir ii son embouchure un poste militaire qui fïit en relalion avec cidui d'IiaArch-C.oon. Celle cxpéditimi eut nu Imil autre carac- tère (pie les |irécé(lciitcs. Les amis d' \bd-cl-Kadcr lui reprochaient ami'rciueiil de n'avoir rien lait pour empccher la prise de .Mascara cl celle de 'riemcen. C'était une injiislicc : cette injustice le piijua d'honneur. A|n-ès sa disparition des iircmiers jinirs, il revint sur la 'l'allia avec |>liis de forces (pi'il n'en avait encore eu. Il espérait, (fi'àcc il sa supériorité nnmériipie, cl vu ralVaiblissemeiit du maréchal, qui laissait ii 'l'iemeen nue partie de ses troupes, trouver l'occasion d'une nouvelle Macla. Il se trompa; ipioiipie trois ou ([ualre fois inférieur en nombre, le maréchal Claiiscl le repoussa dans loiilcs ses allaipics el lui lil épriill- 50 ABD-EL-KADER. ver (le grandes pertes. Mais il ne put établir les eommunications qu'il tlcsirail. 11 rentra dans Tlenicen sans autres résultats (|ii'uiie p,loire peu fruetueuse; et après avoir achevé rorr;anisation do la défense du Méchouar, il reprit le chemin d'Oran lé 7 février. Ahd-el-Kader essaya vainement de s'opposer à sa marche. A force de tactique et d'lial)ilcs manœuvres, le maréchal le repoussa encore sans iicrdre de inonde, et atleiijnit heureusement Oran, où il laissa le !;cnéral d'Ar- lanj;es pour commander la province avec le général l'erregaux comme lieutenant. ]l <[uitta les pays de l'ouest à là tin de février, et revint h Alger. Ces deux généraux s'occupèrent, suivant ses instruc- tions, d'assurer les communications entre les diverses places occu- pées pas nos troupes, et de protéger les tribus qui étaient passées de notre côté. Le général Perregaux fit la promenade la jilus heureuse le long du ChélilT. Mais, en avril 18:iG, le général d'Arlanges, ayant voulu obéir aux instructions du maréchal, quitta Oran avec une assez petite division ; à peine fut-il arrivé à l'embouchure de la Tafna, où il établit un camp retranché, qu'il y fut bloqué par Abri- el-Kader, tandis qu'autour de 'ricmccu les tribus se soulevaient de nouveau hostilcnu-n! , et ([u'Oran et :\I()stagaucni avaient aussi à re- ])ousser des attaques dirigées contre leurs abords. Cette situation appela do la manière la plus scricuso l'attention de la France entière. Un comprit que le défaut d'une force suffisante compromettait la conquête, lin attendant que l'on fit d'autres efl'orts, on envoya le général liugeaud avec le 2:i», le 21'' et le (i2« de ligne, pour débloquer le camp de la ïafua et assurer l'existence de l'héroï- ([ue garnison du .Méchouar. CHAPITRE XIV. Le général Bugcaud. — Ravitaillement de Tlemcen. — Combat de la Snkak. Le général Bugeaud inspirait au roi Louis-Pliilippe la plus grande confiance. Il avait ]ironiis de vaincre Abd-el-Kadcr ; il devait tenir sa promesse. Il débarqua à la Tafna le fl juin. Avant de raconter son expédition, le lecteur nous permettra d'esquisser le curieux portrait do cet homme si romarqiiaiile. Maintenant que 'i'hoiiias-lîobert Rugeaiul apparlionl à l'hisldire, on lient dire de lui la vérité. tl'était vraiment un type à jiart dans la galerie mililairo de son teni])s. (Quoique né à Limoges, il avait riiumeiir et le sang gascons, mais gascons avec une étonnante bonhomie. Sans le duel (|u'il eut avec riufortiiué Dulong, sans la part qu'il fut accusé d'avoir prise aux évéucmoiits do la rue 'J'ransiioiiaiu , sans le rôle (pie l'on supposa <|u'il avait accepté près de la duchesse de llorry, il n'y eût ])as eu d'homme ]iliis populaire que lui on l''rance, tant, par ses saillies, sou entrain et sa mauiiuc de ne douter de rien, il savait trouver le che- min si difficile (|ui conduit au creur des masses. (^>uoi qu'il fit, sur le champ de bataille ou dans ses terres de la l)ordogne,en face des Arabes comme en face de l'opposition libérale, c'était toujours le mémo vainqueur, sûr do lui, professant la théorie i\v la victoire, ne reculant jamais. <.)n a prétendu qu'il rcpi'csonlait à un merveilleux degré le soldat laboureur, ou s'est li'ompé. Il s'enlcmlait sans doute fort bien en économie agric(de; mais il n'avait rien do la résignation mélancolique du l) po iPo]>ulaire ([lie nous venons de nommer, c'était la dcmonstratiou incarnée. Il réfléchissait sans doute, et beaucoup, mais jiour rien au monde il n'eût dévoré ses réflexions. jNapoléon et les généraux do son école cachaient avec soin leurs plans; Hiigcaud les (lisait tout haut. Avant la bataille d'isly, par oxeiii))le, il réunit SCS officiers autour de (|uarante gaiiiollesde punch. Sa hgiiro noble et épanouie ;i la fois, mélange de sévérité et do bonhomie, i(s|)ectal)le (Iuoi([ue attirante, sa ligure rayonnait : « \oilà ce ipic nous ferons, disait-il, et nous serons vainqueurs. Vous péiiélrerez au milieu de cette multitude', vous la fendrez coiiimo un vaisseau fond les ondes, sans vous en embarrasser; vous frapperez, allant toujours en avant, sûrs (|ue rien ne se reformera derrière vous; et tout ce inonde, (pii croit di'ja nous envelopper, disparaîtra avec une facilité doni vous vous étonnerez vous-mêmes. » (jommo si ce n'eût pas été assez (|iie cet engagcmeut de vaincre pris si haut et avec tant d'assurance, voici c(^ rpi'il écrivait au miiiistro de la guerre : « .l'ai environ huit mille cin([ cents lioiumos d'infanterie, quatorze cents clicvanv régu- liers, ([iiatrc cents irrégnliers, et seize bouches à feu, dont (piatro de campagne. C'est avec- cette petite force nuiiiérii|iic (pic nous allons atta([ucr cette multitude ipii, selon tous les dires, compte trente mille chevaux, dix mille hommes d'infanterie et onze bouches ii feu; mais son armée est pleine do oonliance et d'ardeur, elle compte sur la victoire tout comme son général. Si nous l'obtenons, ce sera un exemple (|ue le succi's n'est pas toujours du côté des gros bataillons, et l'on ne sera ]ilus autorisé ii dire (pie l.i giiorro est un jeu de hasard. » Tout le caractère de l'homme est, selon nous, dans ces mots. (Juaiid 1111 général fait preuve d'une telle couliance avant le triomphe, on d'iit s'attendre à un orgueil exagéré, (àt orgueil n'existait pas chez Bugeaud. ]| se bornait seulement à constater par points et circon- stances qu'il avait eu raison d'agir comme il avait agi. Aussi était-ce un excellent professeur de guerre. Si tant d'officiers distingués se sont formés dans nos camiiagncs d'Afri(|ue, c'est ipie le général en chef ne gardait ni sa science ni son cxjiérionce pour lui. il dcnion- trait la guerre sur le champ de bataille, comme il démontrait l'agri- culture au conseil général de la Dordogue. Louis-I'lûlippo le savait, et c'est pour cola qu'il lui confiait si volontiers ses fils, liugeaud avait encore une autre qualité précieuse : il ne voulait pas, comme cer- tains supérieurs, tout faire par lui-môme; il laissait volontiers gagner de la gloire à ses lieutenants et n'en était pas jaloux. H leur parilou- nait plus volontiers une victoire éclatante qu'une simple critique contre ses opérations. Un grand esprit de justice le guidait ordinai- rement. Cependant il eut quelques anti]iatliies. Il ne sut |ias mettre en action certains caractères héroû|ues. Il ne reconnut que fort tard les précieuses ([ualités du général Caxaignac. Au iihysiquo, Hugoaud était ce qu'il était au moral, un homme complet, grand, robuste, le regard vif, le front haut, l'allure dégagée. 11 supportait les fatigues sans les rechorchor, et les éiiargnait autant (|uo possible au soldat, dont il s'occupait beaucoup, l'interrogeant, l'encourageant, le liarauguant , lui parlant do son iière, de sa mère, du Jiays. Le soldat le réiomponsait ]iar lioancoiip do respect et de con- liauce. Oiiand on marchait dans la colonne du général Bugeaud, on était sûr (|ue rien ne niau(|ucrait , et l'on marcbait gaiement, sans souci, certain de n'être exjiosé ([u'à bon escient. Si ces mots : père du soldat, n'avaient pas été si prodigués, nous les appliiiuerions au vain- queur de la Sikkah. J'ai xoyagé tout un jour avec un gendarme de l,a- nouaille, en Périgord, et (jui l'avait servi. Ce brave homme, nommé Astre, ne pouvait parler sans pleurer de son ancien chef et maitre. Il m'en racontait naïvenu'iit mille traits de boute, de malicieuse gaieté, ou de x'éritable enfantillage. Un jour, par cveniiilc, qu'étant gouver- neur, le général traitait sous la tente noire illustre Arago, qui venait s'assurer par lui-même de l'état de la colonisation cl de la |;uerre, il détourna la conversation et la mit sur le cha]iitre de l'aslronomie. " \ oiis connaissez, dit-il ii notre cher savant, toute la carte du ciel? — Presque aussi bien que vous la carte d'Algérie, maréchal. — ICIi bien! parions que je vous fais voir un astre que \diis ne connaissez pas. — Ce serait fort. — Tenez-vous la gageure:' — .le la tiens.» Alors le maréchal ap]icla sou domestique. « (.ommont t'appolles-tu ? lui denianda-l-il. — Astre, mou g, uéral. — ■ J'ai ]ierdu, s'écri.i Arago, je no connaissais pas celui-là. — l'.h bien ! repartit le maréchal, moi non pins je ne connais pas tout en Algérie; et si clia([uc poste de l'armée n'était p;is à cha(|uc heure du jour, en ipiel(|uo endroit ipie ce soit, sur ses gardes les |iliis coiuplites, Abd-el-Kader nous ferait souvent voir des étoiles en (ilein midi. — Je vous comprends, repartit l'Iiôle du général, x'oiis voulez avoir ma voix ii la chambre pour une augmonlation d'clïcclif? — Oui, reprit vivement liugeaud, il me faut cent mille hommes pour hnir la guerre ; sur ci s cent mille hommes il n'y en aura peiit-èlre ([lie deux ou trois mille qui auront li comhattre. — A ((uoi serviront donc les autres? — A faire seutinellc ; ici il faut des vedettes partout, et chaque vedette ne doit pas compter moins d'une brigade bien com- mandée , faisant faction sur un espace de vingt -cinq lieues carrées, et ne souffrant dans son horizon aucun ennemi. » I )ans cotte couversalion , qui dura ainsi longtemps sur un ton tantôt enjoué, tantôt sérieux, riuimmo do guerre expliquait tout bonnement à nu savant digne de le comprendre son plan de campai;ne. C'était d'or- î;aniser un certain nombre de corps de troupes assez forts pour ne craindre aucune surprise et qui seraient chargés chacun d'opérer dans un rayon donné, puis d'envelopper, s'il y avait lieu , l'ennenii par des marches concentriiiuos. ^ous verrons plus lard comment ce plan réussit ; encore deux ou trois détails sur Itiigcaiid, et nous re- prendrons notre narration. I.e futur gouverneur général avait passé par tous les grades de la hiérarchie ; né en IIKI , soldat dans les vi'- iites en ISOi, ca]Mtaiue au IKi" en 18()S), lieutenant colonel com- mandant sons .Suchet , en Espagne, vers 1 8 [ :5 , colonel en 1811, licencié en 181,'), il avait, après (piinze ans d'interruption, repris du service en 18:t(),avcc le titre de maréchal do camp, et ses eonoi toyens de Périi;ueux renvojaioiit depuis lors à la chanilire des dépu- tés. La presse, qu'il avait souvent insultée sans aucune justice, le haïssait de même, mais celle haine lui plaisait. Il ne dédaignait pas de répoiidro aux attaques, et se ré'jonissait naiveiiiont de trouver hors i\v la !;neriv l'occasion d'oceuiu'r de lui le juiblic. Arrivé le G juin ii la 'i'alfua , il ni' perdit |ias de temps, se mil en marche dos le 13, il minuit; et apri's avoir nue promii're fois re- poussé lesforcesqui s'opposiurut à son passage, il arriva à Oran le l(i, puis alla de lii tout aussitôt s'assurer do l'état de la ijarnison du Mé'- eliouar. (^)iioi(pi'eii parfaite siliiatioii morale sous les auspices du capitaine Cavaiguac, que le général Itngeaud félicita tout haut de ses rares (|iialilés, elle avait besoin d'être ravitaillée, liugeaud retourna de nouveau au camp de la Talfiia , et eu ramena un convoi d'envirou trois cent linqii.iiilo chameaux chargés de vivres et de miiiiitioiis tant pour le ^liilioiiar (pie pour la petite année cvpéililioiiiiaii'o. Arrivé, le (i jiiillol, sur les bords i\v l'Isser, près de son coiiniioiit avec le Saf-Saf, qui s'appelle aussi Siokaek ou Sikoli , il cul cnliii avec Abd-ol-lsador le combat qu'il avait chcrelié dans ses iioiii- breuses allées et venues. Le récit ipi'il a fait do ce eoinhat poignaiit à la fois les choses et rhonimo, nous ilonnorons ta ]iarolc a celui ci. ABD-EL-KADER. 21 Voici le rapport qu'il adressa au maréchal Clausel. sur la journée de la Sickack. « Monsieur le miuéclial, » Ma dcpèclie téli'];raplii(Hic vous a fait connaîtir en abréijé notre succès du (i. ^liciix (pi'im aiilic , ])iiis(|iic vous avez trioinplu' souvent, vous juijcroz du boidirur (|iii' j'ai à vous retracer un coiiil>al Ici (|uc je l'anibitionuais, ii cela près (|u'Aliil-<'l-Ka(lcr n'a ctc ni tue ni pris; son clicval seul est reste sur le cliaiiip de liataille. Il L'alViiire de la Sickack |)0urrait, sans liyperlmle , s'ap|icler une biLlaillc , pnis([ue loutes les forces dont pouvait disposer mou adver- saii'c s'y trouvaient. • Il avait appelé du secours de partout pour m'enipcclier de ravi- tailler 'ricniceu , et depuis (piatre jours il était posté au Tcluoat, près de la Tafna ; une reconnaissance ipie j'y avais poussée dans le but de reconnaître la route pour l'avenir, et de lui donner le clianp,e, lui avait fait penser ([ue je voulais passer par là, tanilis (pic je n'eu eus jamais l'occasion. » Mon convoi devait être l'olijct de sou envie, et je complais là- dessus pour avoir avec lui un enijaijenu'ut sérieux, (|ue j'aurais peut- être cherihé vainement jiar d'autres manieuvrcs. Se faire attaquer est le meilleur moyen avec un tel eniu'uii et sur un tel terrain; mais il fallait coinliatlrc dans un lieu favorable : ce fut là l'objet de toute ma sollicilude. »,le ])arlis de lîaclinouu (llaàrch-Goon) le i à (piatrc heures du soir. ,Ie poussai trois balaillons, aux ordi'cs du colonel (tombes, sur la route du 'reli;oal, et je vins camper avec mon convoi de oin(| ciMits chann'aux cl trois cents mulets ii (pic hpic distance derrière lui. A deux heures dvi matin. Combes ijuitla son camp sans bniil cl par un sciilicr .1 |;auchc ; il fut occuper à deux lieues et demie de l;i le c(d de Sab-Cliioiilé. Une heure après, le convoi et le reste de la division s'y dirijjèreut. I.e col n'était pas ijardé ; mais quatre ou cin(| cents hommes des Ifeni-lla- mcr y arrivaient par l'autre versant. 11 était trop tard ; à sept heures tout mon convoi avait ]iassé et nous descendions sur l'isser. Abd-el- Kadcr était trop loin [lonr s'opposer à notre marche. La rivière fut franchie tranipiillcment, et je campai sur la rive |;auche, l'oit satisfait d'avoir franchi sa cliaine do montaijnes sans combat. >' Abd-el-kader, instruit enfin de ma marche, se rapprocha de moi. A trois heures après midi , (|uin7,e cents à deux mille ehexaux , aux ordres de son lieutenant lieii-Koume , déhicrent en vue de mon camp sur la rive droite de l'isser, et vinrent campera demi-lieue sur ma (;auche. Le !;ios des forces rcmonla la rive ijauclie de l'isser, et vint camper à une lieue sur ma droite. Je juijcai que cette mauo'uvre avait pour but de m'cnfcnner le lendemain matin dans le profond ravin de la Sickack ipic je devais passer deux fois iiour me rendre à Tlcmcen. .le hs une reconnaissance pour chercher une autre route; mais toutes présentaient des dilticultés, soit pour le combat, soit pour le convoi. Je me décidai à franchir la Sickack , et je quiltai mon camp à trois heures du matin , dans le double objet de jiasser le premier ravin et d'être plus près de J'Iemceu avant d'être attacpié , afin d'y jeter mon convoi et de reprendre l'olTcnsivc dès i|ue je serais débar- rassé ' Stnipconnant (pie la cohuine d'Ab(l-(d-l\ader ne tarderait ]tas à )iaraitie sur les plateaux de la rive i;auclie, je me suis empressé d'y ar- river avec la tête de la colonne du centre et ma colonne de i;.iiiclie. " Abd-el-Kader y touchait avec environ trois mille chevaux, trois mille Kabjles à pied et son bataillon régulier de mille à onze cents hommes. J'ai déployé le 02" et un demi-balaillou d'Afriipie, paralii'- lenient à la .Sickack , mais eu arrière de la crête, de manii'ie à n'être pas vus de l'ennemi qui nous suivait. J'ai mis en bataille le 'i'-\' et un demi-bataillon d'Afriipie perpendiculairement à la ijanche du (i2'. Vax ax'antdu 2.i'^ et |)arall(lcment , j'ai formé en colonnes (bniblcs, éche- lonnées sur le bataillon du cenlre , les trois balaillons du eoloncl ('ombes, el j'ai jeté en avant, sur le flanc i;aiiclie du (;2'', deux coin- paijnies d'élilc eu tir.iilleurs et les s])aliis du 2'' chasseurs. I.t' 2'' chas- seurs a élé rai)|U'lé en ciilicr et [ilact' en colonne par encadrons vis-à- vis l'un d('s inicrvallcs des balaillons de (tombes. I.e convoi a élé placé dans l'anijle rentrant formé par la liijiie parallèle et la li];nc perpen- diculaire à la .Sickack. Il était i;aidé par deux cents hommes du ba- taillon de Tlcmcen et les Kmilonijlis. Je rappelai les douairs et les tirailleurs qui conlenaiciil les \rabcs de la rive droite de la Sickack ahii de leur donner la conhauce de passer sur l;i rix'c l'auche. Les douairs furent lents à se réunir, et ne purent prendre place dans l'ordre de bataille parce que les éx'énements marchèrent trop vite. Je ne connais d'autres défauts à celle inirépidc cavalerie, que de se lan- cer dans le combat avec un tel abaïubni , qu'on ne peut presque plus disposer d'elle pour les événements siibséipicnts ; mais dès qu'elle recoiiiiait que sa présence est nécessaire sur un point où le combat devient sérieux, elle \ accourt d'ellc-inêinc. C'est ce qu'elle a fait avec succès duianl celle j(Mirnée. » On voit par les dispositions indiquées que je vais livrer un com- bat dinible seuls la fifjurc d'une éipierrc. )i Contre des armées européennes, cette disposition pourrait pa- raître vicieuse. On peut croire faible le sommet de l'anijle qui peut être enveloppé et écrasé ; mais ici cet incmivéuient était racheté par ces circonstances (pie l'une des lijjnes était couverte par le ravin, et que .l'autre appuyait sa droite au même obstacle. D'ailleurs avec les Ara- bes il n'y a pas de mauvais ordre, pourvu que l'on ait de la fermeté et de la résolution. Je n'aurais (lU, du reste, choisir dans tout le pays un champ de bataille pins heureux (pic celui (pie m'oIVrail la i'oiiuue. Abd-el-kader avait derrière lui un plateau facile pour la cavalerie, de deux à trois lieues d'étendue, et entouré sur trois c(")lés par la Sickack, l'isser et la Tafna; de sorlc que j'étais presque assuré, en le inellant en fuite, de l'acculera un ravin où il devait éiuouverdes perles, pourvu (pie la ]i(nirsuite fût vii;oiircuse. » .l'avais besoin de dix ininiiles de plus pour finir mes dispositions el dislribuer les n'ilcs avec juécision. Il làllait aussi donner le temps à rcnncmi de la Sickack de la ]iasser, ahii de l'y précipiter. Abd-el- Kader n'a ]ias voulu me donner ces dix minules; il a jeté su r moi mes tirailleurs el mes spahis, et s'est avancé en ijrosses inas.ses informes poussant des cris aiVreux. J'ai jui;é que c'était l'instant de prendre l'olTensive à iiimi tour, et (pi'uii iiiouxcmeul rélroijrade pouvait tout compromettre. Après .ivinr lancé des obus cl de la milraillc snrcclle vasle c(iiil'usioii , loules les troupes à la fois se sont ébranlées à mon eonimandcmenl et ont abordé rennemi avec une i;rande francliise. » Le ciunbat du plateau était le plus considérable; les trois batail- lonsdu colonel Combes un du 'i7", deux du 1 7^ léijer} ont af;i avec une résolution et une vitesse rcmaripiablcs ixinr des troupes si fatieuées par les marches et par la chaleur. Les cavaliers arabes étaient si nom- breux , que l.i fusillade avec laipielle ils nous oui accueillis ressem- blait à un feu de deux rani; de notre inlanterie. Ils ont [ilié, mais avec lenlcur. J'ai cru le inomenl favorable ])oiir lancer sur eux le 'i' chasseurs. J'ordonnai à ce ivijimeut une cliari;e à fond, qui eut d'abord un plein succès. Les Arabes qui se Irouvi'rent en face l'urcut culbutés, et un ])arli d'inranleric kabyle fui sabré; mais l'aile ilroile des Arabes ;ixanl attaipu' le liane i;auclic des chasseurs, pendani ipie d'autre inl'anleric sortie du ravin les fusillait par le liane droit, ils se sont retirés avec (piclqiie perle, et siuit rentrés sous la priilecliou des bataillons (pie je menais à leur secours prcs(pic à la coiiise. L'artille- rie, aux ordres du brave colonel roiinieminc , suivait ces mouve- ments ra])ides, bien que cela parût impossible auparavant avec le matériel des montaipics. Les Arabes ont plié une seconde fois; une seconde fois aussi je leur ai lancé ma cavalerie. Alais alors quatre cents douairs m'avaient rejoint. iMalheureusement leur ai;a ^lusl.iplia venait d'être blessé d'une balle à la main. Mali;ré la privation de cet excellent chef, ils m'ont rendu de (jrands services; eux et les chas- seurs se sont eonverls de ijloire. Tout a été culbulé, et la cavalerii^ arabe, embarrassée par son nombre même, a perdu beaucoup d'hom- mes, d'armes cl de chevaux : ses morts et ses blessés sont restés en notre pouvoir. Alors Abd-el-Kader lui-même, dont nous avions aperçu le drapeau en arrière, au milieu de son infanlcric réjpilièrc, s'est ,ivaneé .ivec celle réserve el la cavalerie (pi'il a pu ramener, (^'est la première fois, dil-011, ipi'ou a vu les Arabes employer une réserve ou reni;ai;er avec tant d'à-pnqios. Ce dernier elVort n'a pu nous arrêter un momcnl ; umis nous sommes je té's sur celle Iroupe, qui, malijré 1111 l'eu bien nourri, a été riimpiie et préeipilée falale- inciit sur le point le plus (lillicilc du ravin de l'isser. l ue penle assez rapide aboutit à un rocher taillé presque à pie de Irenle ou (piaranic pieds au dessus de la plai;e. C'est là (pi'uii carnai;c horrible commence et se ]ioursuit malijré mes elVorlsl Pour échapper à nue mort cer- taine, ces malheureux se précipitent en bas du rocher, s'assomment ou se mutilenl d'une manière alïreuse. liienbU cette triste ressource leur est enlevée; des chasseurs et des voltigeurs trouvent un passajje et ])éni''trcnt dans le lit de la rivière; les ennemis sont cernés (le tontes parts, et les douairs peuvent assouvir leur horrible passion de couper les têtes. (Àpendant à force de cris et de coups de plats de sabre, je parviens à sauver cent Irenle hommes de l'infanterie réiju- lière. .le vais les envoyer en Fr.inee. Je crins (pie c'est entrer dans une bonne voie. L'humanité et la p(dili(pie en seront éijaicmcnl s;i- lisfailes. Ces .\rabes prciidront eu Kranec des idées ipii pourront fructifier en Afriipic. sliraïul nombre de fusils donnés ;i Abd-cl-Kader au lemi>« oii il était noire allié sont restés eu notre pouvoir. Indépendamment des armes des tués el des blessés, beaucoup de soldats axaient jeté leurs fusils pour se i;lisscr dans les rochers oii ils avaient besoin de leurs deux mains. INos ibniairs étaient poriciiis chaeiin de deux on trois têtes el de trois ou ipiatre liisils. .le leur ai donné tout l'aiocnl ([iie 23 ABD-EL-KADER, je possédais; iiiiiis je leur ai dit que c'était pour les prisonniers, et non pas pour les tètes, qu'à l'avenir je n'en ])ayerais aueune. » La cavalerie aralie avait làcUeincnl abandonné son infanterie, et s'était enluie vers la Taina. Je l'aperçus faisant mine de se rallier au bord du plateau avant de descendre sur la rivière. Je niareliai sur elle avec les 17" lé|;er, le il", le '2-J', l'artillerie, laissant à la cavalerie le soin de poursuivre les restes de l'iiifanlcrie et les Kabjles. Cette ca- valerie (celle de l'émir) ne lu'alleudit pas; elle passa îa 'J'afna, et je m'arrêtai sur la rive (Iroile, mes troupes élanl Irès-fatiijuées et la cbaleur excessive. » Revenons sur le premier cliamp de bataille, oii le 02" cl un demi- bataillon d'xVfrique ont dû cliariier l'ennemi, (|ui avait attaqué le convoi, et dont parlic seulement avait pa.ssé la Sickack a,u moment où j'ai été forcé de ])rendre l'ollcnsive. Cette portion fut précipitée dans le ravin et fusillée île très-près; elle éprouva des [jcrtes énor- mes en honimes et en clievaus lues. Après cette charije victorieuse, le (Ji", débarrassé de l'ennemi (|u'il avait en face, vint appuver nuui nionveuunt victorieux. » Dès que la victoire avait été à peu près décidée, j'avais l'ail filer le convoi sur 'J'icmcen. (^Juoique ])rivé de mon parc à bœufs et de toute espèce de ressources ])our les officiers, j'ai tenu à couclier sur le cliamp lie bataille ])our mieux conslaler ma victoire. » A])rcs ce bulletin Iriompluil, qui selon nous est la meilleure pein- ture de l'iiomme, le (;énéral liuijeaud siipialail aux récompenses les nombreux olliciers qui , dans cette circonstance comme eu tant d'au- tres, avaient noblement fait leur devoir. C'est ainsi (|ue TIemccn fut ravitaillé iim,- première fois. Notre garnison du .^iécliouar avait eu de nombreuses attaques à repousser; mais son plus jjrand ennemi avait été l'ennui, l'eunni accompaf;né d'une foule de ]>rivalions. l.e caititaine Cavaii;nae, toujours diijne des postes (|u'il a remplis, humbles ou élevés, fut complinunté par le vainqueur de laSiekack. « Je demanderai pour vous le ijrade de chef de bataillon, lui dit l!ui;eaud. « Mais c< cet oliicier, pour nous servir des expressions il'un livre écrit en is:i(i, cet officier, d'une vertu et d'un désintéressement sloi. 11 fallait mainlenant porter les principales forces sur ce plateau, et cela en présence de l'enncnii el par les plus grandci difficultés de teriain. On le fil néanmoins avec une grande dciision, el le général de Ri,;n> s'élablil à Coudial-.\tj , t.uulis que Clauscl lai- ABDtEL-KADER. 38 sait canonuer le Bab-el-Cantara, espérant renverser cette porte. Alors une partie des l>ri|>,a(les se seraient précipitées clans la ville et rauraieiit eiuporlée par un coup de main. Alais ni celle canonnade, ni des tcntalives plus directes du ijcnie , ne réussirent, l'endanl ce temps, le ijénéral de Ri|jny ripiuissail les alUuiues des cavaliers d'Acli- tme-Bey, el sous ses ordres Duvivier, alors lieuUnant-colonel , es- sayait aussi de iairc sauter le llab-el-Oued ou porte de la lliviére. Mais celle tenlalive iu)us coûta des pertes luncsles, comme celle du brave commandant liiclicpansc et du savani capitaini' Grand, et n'a- mena aucun résultai. Une allatpK' de nuil du côté du pont ne réussit pas mieux. Le mallieureu.v Tré/.el y lut blessé. Or, on était au 2i. Les vivres, mal épargnés, commençaient ii man- quer. Le Iroid sévissait avec inlensilé. Ou se plaii;Uait du miiiu|ue de munilions. S'enlcler avec le peu de forces (|ue l'on avait amenées il un succi's impossible, |)ouvail devenir d'un extrême danf><'r. (Jlausel vit ce dan|;cr, et il eut la ijrajuleur d'àiuc de le reconnaître, il ordonna la rclrailc. Ou évacua d'aliord Coudiat-Aty pour repartir du plateau de "Man- sourali. Cette évacuation est accomplie par les troupes de M. de Iii|;ny avec une vitesse que mus les soldats ne peuvenl pas suivre. Dixers petits postes sont ouldiés. ('luMi!;aruicr , à la tète de son bataillon du 17" lé(;er, se cliarj;e d'aller les rallier 11 accomplit sa làcbe de la manière la plus rapide et la plus heureuse. Mais (|uand il est de re- tour, toute l'armée se trouve en pleine retraite. Son bataillon forme alors l'extrême arrière-|;arde. De leur côté, les Arabes, voyant, du haut des murs de la ville, nos briijades opérer en désordre leur mouvement rélroijrade , sortent par nuées de la place. Ils se contentcnl d'abord de tirailler eux-mêmes en désordre; puis peu à Jieu, voyant la faiblesse de l'arricre-iiarde, ils cnncenlrent leurs attaques, (ihangarnier fait comme eux, et con- centre la défense. Il ordonne ii sa petite troupe de se former eh ba- taillon carré. " Mes enfants , s'écric-t-il , reijardez ces drôles en face, entre six mille Kédouins et trois cents Français la partie doit être égale. Vous ne ferez feu i|ue (piand ils seroul à portée de pistolet. • Le bataillon obéit. L'enncini, qui charge, est repoussé avec des pertes énormes; il renonce alors aux attaques par masse, et nous suit en tirailleurs. 11 était temps; sans celle résistance, venue si à point el si énergiqucmeul di'ployée, les Arabes débordaient sur nos colonnes de marche, oîi régna un instant le plus affreux désordre, et des mal- beurs terribles eussent été peut-être à déplorer. Clausel d'ailleurs se multiplie: il relève les courages, et supplée autant que possible à l'insuflisancc de ses moyens de transport pour les blessés et les ma- lades. D'un autre côté, le ciel se déclare pour la France. Le soleil re- parait ; les chemins se sèchent. On a, malgré cela, de nombreuses infortunes individuelles à déplorer. Des soldats, glacés par le froid, sont abandonnés; des blessés ne peuvent être sauvés. Un général ne craint pas de laisser échapper des paroles imprudentes contre le chef de l'expédition. La démoralisation se glisse çà et là. ]\Liis Clausel domine toutes les difficultés par une habileté digne d'un meilleur sort. Il sauve enfin une armée qu'un ennemi plus courageux et plus décidé qu'Achmet-liey aurait bien cerlainemcnl mise en jjrave péril. Le l"' décembre, elle était rentrée à lione. La perle totale qu'elle essuya, soit par le feu cl le fer arabes, soit par le froid, les fatigues, la faim el les maladies, est évaluée ii deux mille hommes. Exemple terrible des suites funestes de la précipitation et de l'imprudence 1 Clausel savait pourtant mieux que personne que le chef répond devant la patrie du sort de ses soldats. Mais il y a des illusions glorieuses. La sienne fut de c<^tte nature. Il l'expia cruellement. L'opinion pu- blique,si cbangeanlc, se retira de lui. Il n'eut pas même la satisfaction de venger son échec. A quelques mois de là on lui donnait un suc- cesseur dans le général Damréuionl. Pendant son absence d'Alger, Abd-el-Kader avait lancé sur la pro- vinc<^ le neveu d'Iladi-el-Shgir, Sidi-l'.mbarek, qui, après avoir vécu quel(|ue temps dans l'intimité de nos jeunes (dViciers , s'était rallié à lui comme son oncle. Sidi-Embarek envahit à deux reprises la Mitidja, et battil un petit corps de spliahis. Il avait dans sa Iroupe plusieurs déserteurs français. L'un d'eux, cpii croyait avoir a se ])laindre des sphaliis, dans les rangs desquels il avait servi, écrivit avec uu |)oignard son nom sur le cadavre de l'un des olhciers tués en cette reiicuuire. Le général llapalel répondit à l'expédition de Sidi-l'.mbarek par une contre-expédition sur lilida. IMais celte contre expédition ne fut guère suivie de residtats, puisqu'un autre parent de Uadj-el-Sgliir, uonnué Sidi-el-llacbi, ramena prts(pM' aussllùl uu nouveau parti d'Arabes dans la Mitidja. De |iarl eld'aulre, ou prenait l'habitiulc d'incendier. Nous faisions des ra/.zias accompagnées de feu chez les tribus cnue- mics , elles en faisaient sur nos alliés. .Sidi-el-llaclri ne mauipia pas .à la couluHie , et le ijénéral de lirossard essaya vainement de le joindre. Peu de temps après, cegéiuTal partit pourOran, dont le rayon s'agi- tait de nouveau sous les excitations d'Abd-el-Kad<'r. Celui-ci venait, coniHie par encbanleiuent, d'y rétablir sa puissance. Le désastre de Constautine donnait à ses prédications un retentissement tout nou- veau. Plus cpu' j.iHiais ses émissaires se répandaient dans les villes el dans les tribus. On annonçait sa venue à Alger. 11 est nécessaire que nous nous occupions de lui encore une fois. CHAPITRE XVI. Le camp d'Abd-pl-Karler. — Ca|illvilé (le M. do France. — Tcntalivo ilo l'cniir poiu' établir sa capiliilo a Tikoilem|i(. — Missions du général Damrémonl et du général Bugoaad. — Truiié de la Tjffna. — Ses désaslronses r.inséc|uences. L'émir essayait alors, mais en vain, de diminuer les horreurs de la guerre ([ue se faisaient les deux Mations. Son plan était de lujus ap- paraiUe à nous-mêmes comme un missionnaire de la civilisation avec le(|uel la l'rance ue pouvait (pie gagner ii s'ciilendre. iVLilheureuse- meiit sou peuple déliail l'action (pi'il chcrihail à exercer. Il se déro- bait à son iulluence loules les iois qu'il s'agissait d'une vengeance. Rien ne peut mieux faire connaître les iiueurs des Arabes, la haine qu'ils axaient pour nous, l'intérieur el le génie jiarliculier d'Abd-el Isailer, (pie l'hisloire de la captivité de i\L de b'rance cl de quelques- uns de ses c> De France osa lui ré])ondre qu'il était fou de nourrir de telles espé- rances, et que s'il reprenait même Alger, on l'en chasserait comme on en avait jadis chassé les deys. Abd-el-Kader dès cette époijue parlait un peu le français et com- prenait cette langue; niais il eût cru déroger que de s'en servir de- vant un chrétien. Il entendait aussi quelque peu la langue italienne. M. de France n'était pas, au reste, le seul prisonnier (|ui fût dans son camp : axec lui se trouvaient quelques compagnons de souffrance et de captivité, entre autres un malheureux colon, dont la femme, la fille et la gouvernante avaient été de la part des nègres de l'émir les objets du plus horrible viol (pii soit dans les annales de la guerre et du brigandage, attentat demeuré impuni. Mais reprenons le fil des événements accomplis dans la province depuis la défaite de la Sickack. Le général de Létang succéda au général I5ugeaud : il fit en oc- tobre une expédition (|ui aboutit à des dévastations nombreuses; puis, ayant été obligé de se dégarnir pour envoyer des troupes à l'expédi- tion de Constantine, il se vil forcé de garder le repos. Les garnisons du Méchouar, de TIemcen et du camp de la TalTna furent alors de nouveau blo(|uées par les populations hostiles. Il n'y eut pas jusqu'à nos fidèles alliés, les Douers et les Smélas, qui ne manquassent de tout. On en était là quand le général de lirossard fut envoyé à Oran pour remplacer le général de Létang. C'était un homme de grandes ressources, et (|ui a été plus nutlheureux que coupable. Il comprit immédiatement la situation; mais, au lieu d'agir énergicpiement pour la faire cesser, il eut recours aux mêmes expédients que ses prédéces- seurs. Il traita avec les agents commerciaux de l'émir. Ceux-ci four- nirent des grains et des troupeaux. On leur donna eu retour du soufre, du fer et de l'acier. C'est ainsi que l'héroïque garnison du Méchouar fut ravitaillée par les propres richesses d'Abd-el-Kader. Celui-ci, en autorisant ses agents à fournir aux besoins de celle gar- nison, avait aussi un but plus noble que celui de se procurer (|uel- ques munitions. .Ses agents lui faisaient eiilendre (|ue l'on délivrerait les prisonniers laits à la Sickack par le général liugeaiid , et dont les lettres, au rapport de M. de l'iaiice, péiiélraieiit de joie li' camp arabe. Des prisonniers épargnés, des prisonniers (|ui reviendraient, cette double pensée |iro(luisait dans les tentes un elTet indicible! I>e Méchouar venait d'être ravitaillé par les soins de l'émir, et notre garnison avait partagé ses ressources avec les habilants pauvres, (piand le vainiiucur de la Sickack revint en Algérie avec une mission spéciale, iiidéiiendante pour la province d'Oran. Damrémonl était cependant nommé gouverneur général en rcm|ilacemeiit d<' Clausel. L'iiisuflisance du général de Létang et de M. de lirossard avaient donné à Abd-el-Kader le temps de respirer. S'ét.int fortifié dans l'in- tervalle, surtout par suite de l'insuccès de Constantine, il n'apprit pas sans un vif déplaisir le retour de sou vainqueur; mais toul en l'amu- sant par des semblants de dispositions à la paix, il se jirépara à prendre sa revanche. Pour cela, il lui fallait de grandes forci's; il résolut d'en aller chercher, et accomplit sa résolution avec un bon- heur ('Xtraordiuaire. Ou était eu avril ix:!". Descendre avec ses réguliers sur lesbor septembre IS^iT, et les deux autres de deux mois en deux mois. » Art. ^ il — L'émir achètera en France la poudre, le soufre et les armes dont il aura besoin. » Art. VllI. — Les Koulouglis qui voudront rester à Tlemcen ou ailleurs y posséderont librement leurs propriétés et y seront traités comme les Iladurs. Ceux qui voudront se retirer sur le terriloire français pourront vendre ou affermer librement leurs propriétés. » Art. IX. — La France cède ii l'émir : llarscbgoun, riemcen, le Méchiiuar et les canons qui étaient anciennement dans cette cita- delle. L'émir s'engage ii faire transporter à Oran tous le.s effels, ainsi que les munitions de guerre et de bouche de la garnison'de Tlemcen. » Aur. \. — Le commerce ser;i libre entre les Arabes et les Fran- çais, qui pourront s'établir réciproquement sur l'un ou sur l'autre terriloire. f¥ Cavaiiinac. )> Art. \I. — Les Français seront respectés chez les Arabes, comme les Arabes chez les l'rançais. Les fermes et les propriétés que les sujets français auront ac(|uises ou acquerront sur le terriloire arabe leur seront garanlies; ils en jouiront librement; et l'émir s'o- blige à leur rembourser les dommages que les Arabes leur feraient éprouver. » Art. XII. — Les criminels des deux territoires seronl récipro- quement rendus. X Art. Xlll. — L'iinir s'engage ii ne concéder aucun point du lit- toral il >ine puissance quelconque sans l'autorisation de la France. » Art. XIV. — Le commerce de la régence ne pourra se faire que dans les poris occupés par la (''rance. • Art. XV. — La France pourra enlrelenir des agents auprès de l'émir et dans les villes soumises à son administration pour servir d'inlerinédiaircs près de lui, aux sujets français, pour les conlesta- tions commerciales ou autres cpi'ils pourraient avoir avec les Arabes. L'émir jouira de la même faculté dans les villes et [lorls français. » :!6 ABD-EL-KADER. Il n'y eut qu'un cii uisse imaginer. Ils arrivaient, se prélassant majestueu- sement dans leur blanc haïk, comme les compagnons de Saladin. Le yatagan pendait au quartier ];auche de leur selle. Sous leur burnous ajiparaissait une veste de couleur éclatante, et leurs botlijics de ma- roquin rouge armées de l'éperon du moyen âge pressaient le flanc de chevaux bondissant d'ardeur. Le fils de Mahi-Eddin les précédait ; son regard si fin et si élincelant semblait dévorer cette poignée de Français repliée sur elle-même dans un silence ([u'il pouvait prendre pour de la peur. Cependant quand il fut près du général , il lui ten- dit la main et descendit comme lui de son cheval. Tous deux s'assi- rent. Mais dès les premiers mots (|ui suivirent les compliments et les promesses, l'émir demanda avant toute chose la ratification du traité par le roi des Français. Aussitôt le général se leva. Abd-el-Kader , alïectanl de rester assis, liugcauil le prit par la main et le força à se lever en lui disant : Quand un ijt'nè.ral français se lève, tu peux bien en faire autant. o .le pensais un instant, dit dans la suite le géiH'ral, ([ue l'émir, sur cette action de ma part, allait ordonner à ses troupes de nous charger; mais malgré les faibles forces que j'avais avec moi , je ne le craignais pas. » Pui»i Si la patrie appelle tous ses enfants, vous parlirez comme soldats; vous gagnerez tons vos grades à la pointe de l'épée. Dans l'espace d'une campagne, vous assisterez à ciiic| batailles et à soixanle com- bats; vous obliendrez la reddition de plusieurs \illes, eu ensei|;iiant par 011 et eommeiil on peiil les prendre. Après avoir apporlé au pou- voir cent drapeaux pris à l'ennemi, dont <)iieh|ues-uns l'ont été de votre fait, vous reruserez le grade de général, pour reloiirner là oii l'on peut combattre ; vous irez faire la guerre partout oii on vous ABU-ia-KADER. iT apiiollcia ; vous serez chargé de l'abdicalioii iruii roi ; el quand ce roi >ous donne un tableau dont un empereur vous offre un million, vous donnerci', ce tableau au .Aluséc national. Vous ncjjocicre/. la réunion d'un royaume à la France, et vous arriverez au but'; vous i;anlere/. des villes avec des i;arnisuns inférieures; vous sauverez les restes d'um' armée en combattant, prcsiiue seul el durant tout un jour, il la tête d'un pont; vous assisterez à tous les combats, et vous y ferez distinguer les troupes (jui vous seront conliées. (^)uand les dangers fuient la France, vous irez les clierclier au loin ; là vous combattrez et vous vaincrez; vous pacilierez les populations, vous rétablirez l'ordre; vous vous ferez bénir par les ennemis. (^)uaiid on vous aura éloignés de cette noble mission, on vous donnera une pro- vince il gouverner; vous la ferez sillonner de roules, el vous fonde- rez des établissements (|ui vivront longtemps. Si voire souverain vous appelle ]iour prendre part il une bataille, vous lui amènerez votre corps d'armée à travers deux cents lieues de pays, el vous arriverez à jour fixe comme un régiment parti d'une caserne (|ui va ii un champ de revue; vous irez prendre le commandement en second d'une ar- mée, et lorsque le chef qui en répondait avant vous, blessé, mis hors de combat, vous la laissera cernée de toutes paris, presi|ue perdue, blessés vous-mêmes, vous la rétablirez, vous la sauverez, vous la ra- mènerez intacte et forte devant une armée plus que double en sol- dats; chargés d'un commandemenl en chef, vous combaltrcz inces- samment un ennemi vainqueur, et vous retarderez sa marche de manière à mériter ses éloges et son estime, l'uis, parce que vous serez du parti de la gloire française, on vous fera condamner à mort, el vous vivrez dans l'exil ; de retour dans votre patrie, vous vous associerez à la résistance de l'opinion contre le pouvoir; ]>lus lard, et sous un nouveau gouvernement, vous serez chargés du soin d'une colonie nouvelle ; lit , vous ferez partout votre devoir, plus que votre devoir ; vous enseignerez aux soldats à combattre , vous donne- rez'tous vos soins à la grandeur et à la puissance de ce pays; cl au bout de loul cela, qu'atlendez-vous .^ • Une brutale destitution pour un non-succès que le pouvoir a amené autant qu il l'a pu. Hestés pauvres, vous serez accusés de concussion el de vol ; on vous dira riches de déprédations, tandis (|ue vous serez obligés de vendre le patrimoine reçu de votre père, pour payer des dettes contractées pendant que vous doiuiiez des ser- vices à l'Ftat. On demandera votre tète par journaux et par péti- tions; on vous insultera en paroles el en écrits, ou vous avilira sous tous les rapports. » Allez donc, jeunes générauv, allez! risquez votre vie! Consu- mez toutes vos belles années dans les fatigues et les privations ! Don- nez votre sang, sans calcul et sans mesure; espérez la gloire, le nom, la fortune ! Allez, allez ! voilà ce qui vous attend; car voilà ce qu'on m'a donné ! )i (Jh ! je l'avoue, quand je suis revenu en France d'Alger, j'ai été alfreusemeul blessé de tout ce que j'ai appris. \oir i|u'on n'a reculé devant aucune calomnie ; que personne n'a attendu ma présence pour commencer ralta(|ue ; sentir que j'avais vainement derrière moi (juaraule -quatre ans de service, et (|ue cela n'avail pas un moment arrêté ceuv qui m'accusaient; comprendre qu'une vie irréprochable ne me valait pas mieux qu'une vie de irahis(ui; qu'une ]iauvreté pa- tente me comptait moins qu'une fortune volée ; regarder autour de moi et n'y trou\er personne (|ui m'ait défendu, personne qui ail seu- lement dit : \tt(iuiez 1 (|ui ait crié ; « Douiez! oh ! c'a été pour moi une épouvantable désolation. » J'ai été triste, mais je n'élais pas désespéré. » J'avais encore mon épée ; on me l'a otée, autant Le parlementaire qui se chargea de porter celle proclaiiialion fut d'abord retenu. Au bout d'un jour, il revint avec celle réponse ver- bale de lien-Aissa : «Si les Français inani|iieiit de nniiiitions ou île vivres, niuis leur en enverrons, car Cousiantine en a plus qu'il ne lui en faut; m. lis nous ne savons pas ce que c'est que de capituler: ou vous nous égorgerez tous jusqu'au dernier, ou nous serons vain- queurs. » Achmel-lky fui moins conhanl, et voici ce qu'il écrivit au général en chef. Il De la pari du Irès-puissant, notre seigneur el luiiilre, l'^l-SiiFel- liadjy, Arhmel-I'aeha : » ]\ous avons appris que vous aviez envoyé un mes!iai bataillon d'Afrique , centhommes de la légion étrangère, et trois cents hommes du iî'' de ligne. La troisième colonne forme une sorte de réserve , comprenant deux bataillons de troupes mêlées prises dans les diverses brigades. A sept heures l'assaut commence; aussitôt le signal donné par le duc de Nemours, sur l'ordre de Valée, la Moricière , escorté d'une héroïque petite troupe d'ofliciers de génie et de zouaves, s'élance hors de l'en- ceinte. Les soldats des premières compagnies d'atta(|ue le suivent au pas de course , frémissant de se voir ainsi devancés par leurs jeunes chefs. On arrive au pied de la brèche; là il faut gravir, en s'aidanl des mains, une pente des plus roides, sur laquelle, au milieu des dé- combres, la marche glisse et se dérobe à chacjue instant. Cette iieule est rapidement escaladée sous le feu général de l'ennemi; car, dit un témoin oculaire , dès que les premières têtes des Français s'élancant de la batterie s'étaient montrées hors de l'épaulennuil , le couronne- ment des remparts avait comme pris feu , une fusillade continue s'é- tait allumée le long de celle ligne, et tout l'espace que nos sohlats axaient à parcourir île la batterie à la brèche était couvert d'une pluie de balles. (Cependant quelques minutes venaient à peine de s'écouler, que déjàledrapeau tricolore, abrité du vieux coq desGaules, flottait fièrement sur le haut de la bri'che. Le capitaine de Garderens, des zouaves, l'avait planté. I.'.irméc le voyait et applaudissait. Mais là commencent des obstacles bien plus sérieux. Oii aller? On se trouve en présence de conslructions ineomi>rélieusibles, dit le même témoin, d'enfoncements <|ui prometteni des passages et ([ui n'aboutis- sent pas, d'apparences d'entrée qui n'amènent aucune issue. C'est une ligne continue de maisons qui forme ciimiue une seconde enceinte paral- lèle au rempart et (|ue les assiégés ont fortihée. Mais l'instinct de nos soldats ne les trompe pas. Ils se portent là oii le feu de l'ennemi est le ])lus vif , car c'est là aussi que doivent être les postes importants, et par consé(|uent les vrais passages. Alors commence un terrible combat d(t détail; on attaipu' les maisons les mieux défendues; on monte sur les toits, on fait des percées dans les murs; on court à toutes les barricades que l'on aperçoit, et on les enlevé. La Moricière, dont le sang-froid et l'audace, jointe au courage des olTiciers i|ui le suivent, entraine les compagnies à mesure qu'elles arrivent; les dirige, prend part à leurs atta(|ues , brise?, escalade, comme un sim- Iilesoldat,et (-hacpie fois la balle frappe la place qu'il vient de quitter. C'est ainsi i|ue le brave capitaine San/.aï est tué sur la terrasse d'une maison ou le colonel a placé lui-même des tirailleurs, disposant , dit le capitaine de la Toiir-du-Piii, au-dessus des combats de terre ferme, comme une couche de combats aériens. D'autres braves aussi sont frappés, comme Leblanc du génie, comnu? Dcsmoyen des zouaves. Des ac<-idenls terribles nous font encore plus de mal rpie les balles enneiuu's. Un passage étroit se trouvait engorgé d'uiu' foule de sol- dats. Lu puu entier des murailles (pii lornu jit ce [lassagc s'écroule sur les hommes du 2" léger. Leur chef de bataillon est pris sous les décombres. H implore vainement du secours, vainement, comme En- celade, il soulève les masses qui l'oppriment et qui retombent toujours; il meurt dans une agonie désespérée, car on ne peut venir à son aide : un autre événement a bouleversé la face du combat. A oyez tous ces hommes qui se choquent en tumulte, tombant les uns sur les autres, ceux-ci brûlés, ceux-là frappés de cécité; ceux-ci ayant perdu l'usage de leurs jambes ou de leurs bras, ceux-là se dé- ballant vainement contre la flamme qui les enveloppe. Une explosion vient d'avoir lieu dans un magasin à poudre de l'ennemi. Tout s'est embrasé. Le feu a gagné de proche en proche chaipie carlouchière. Jamais scène plus épouvantable n'eut lieu. La iMoricière tombe blessé et momentanément privé île la vue. LTne foule de soldais se tordent sous le feu. L'ennemi profite de leur agonie pour revenir dans des positions qu'il a quittées; il tire à mitraille sur les mourants, et les voyant incapables de défense, vient les charger à coups de barres, de haches el de yatagans. iMais il ne faut ])as oublier que la brèche est ouverte , et que par celle porte glorieuse entrent à cha([ue instant et deux par deux , de nouvelles compagnies. Or, à peine l'explosion (|ui a décimé le batail- lon d'Afrique vient-elle d'avoir lieu, que Combes succède à la Mori- ciire; il prend le eommandemcul. A son cri : \ la baïonnette! à la baïonnette ! le courage revient à tous ceux qui peuvent encore mar- cher. Les compagnies fraîches du 'iT léger et de la légion étrangère soulicnnent ce mouxemenl, enlivent les barricades intérieures. Tout va nous apparlenir. Mais à son tour Combes est frappé de deux balles. 11 résiste dans les premiers moments à sa blessure , promène sur le tliéàlre du combat un coup d'œil satisfait. Puis, ramassant toutes ses forces, il quitte la ville, et vient annoncer au général en chef qu'il n'y a plus qu'a tenter un dernier effort. « Ce sera, dit-il, un beau succès, et dont jouinuil ceux qui ne seront pas blessés mortellement. «Ces mots prononcés, il s'affaisse sur lui-même; on l'emporte. Deux jours ajirès il n'était plus, mais il avait conquis une gloire éternelle. i'endant i[ue cet homme, digne par sa belle mort des plus beaux jours de l'antiquité , se trouvait forcé d'abandonner le champ de ba- taille, les compagnies d'attaque, privées de chefs, s'engageaient dans les rues de la ville et chassaient de poste en poste ceux des ennemis qui résistaient encore. M. Valée, pour leur donner une direction qui centralisât tous les efforts, charge le général Uulliières de prendre le commandement des troupes qui sont dans la place. Ce général exé- cute son ord re. Il ordonne les mesures que lui commande la circon- stance, reconnaît le terrain, et fait occuper les principaux édifices, cherchant à chasser les défenseurs de la ville vers les remparts op- posés au côté de rattat]ue. Mais ces mesures deviennent bientôt inu- tiles. Un parlementaire se présente au nom des notables de Constan- tine, et demandegràce. « Les habitants, dit-il, ne sont pas coupables; ce sont les Turcs et les Kabyles (|ui ont organisé et soutenu l'énergi- que et presque sauvage défense dont les Français ont à se plaindre. On promet au reste la soumission la plus enlière. » M. ^ alée n'é- coute plus alors que la voix de l'humanité. 11 ordonne qu'on cesse le feu. Il était temps, et la ville avait chèrement ex]iié sa résistance. Saisie d'épouvante au bruit de l'assaut, uneparlie des habitants avait cherché a s'enfuir en descendant au milieu des précipices qui entourent la Casbah du côté extérieur. Mais chacun x'oulanl passer le ]ueniier, les lugïtifs avaient roulé presque en masse dans les abîmes au fond des- quels on apercevait leurs corps amoncelés. Une autre |iarlie avait choisi des chemins moins périlleux pour se rendre au camp d'Ach- mct-Bey. IN'os obus les forcèrent d'abord à ralentir leur fuite. Puis on eut pitié de ces malheureux et on les laissa s'échapper. Ben-Aïssa fut du nombre de ceux qui parvinrent jusqu'à Achinet. Le général Valée, apris avoir pris possession de la ville, y main- tint l'adiuinislration arabe , et assura la nouvelle conquête de la France jiar nue forte g.iriiison confiée au gi'iiéral Bernelle. Les restes mortels de Damiémont furent r.ipportés en l'iance, oii ils eiiicnt ks honneurs du glorieux mausolée des Invalides. Perre- gaiix, blessé grièvement, mourut au retour, et la Saiilaigne reçut ses dépouilles. La IMoricière ilev.iit vivre )ioiir d'autres lombals et pour d'aiilres événements. Parmi ceux qui s'étaient disliiigiiés avec lui, le !;énéral \ alée cita, dans son rajiport olhcici , le chef de bataillon Bedeau île la légion étranijère, les capitaines Mariilaz, de Garderens, Canrobert, et beaucoup d'autres braves moins connus. CHAPITRE XVIIl. Développement do la puissance d'Abd-el-Kader. — Annexes au traité de la TulTna. — Guerres de l'cmlr contre les tribus. — Ses menées dans la [irovinco do Conslanlino. — Gouvornement général du maréchal Valée. — Expédition des Dibans. — Lo duc d'Orléans. Du temps où AchmetBey était encore sur le trône de Constantine, nous avions deux ennemis, mais qui se neiilralisaient l'un |iai l'autre. Mainlenant telle esl l'audace d' Abd-el-kader, que la défaite du pa- cha lie l'Est va lui sembler un véritable coup d'/Vllali opéré dans l'iulércl des Arabes, o Les l'raïuais ont lait l'auivre de Dieu, val il ABD-EL-KADER. 29 l'ciire aux tribus, ils ont reiivcrso les derniers Turcs. Allah s'est servi (les infiili-les pnur chasser les tyrans, il faut maintenant se réunir contre les inliilck-s. » Ces paroles ne seront que trop entendues. En attendant, ce fut un spectacle curieux (|ue de voir l'rniir orga- niser les provinces i|ue nous lui avions ilonnées. Les trilius s'assou- plissaient sous sa main; il leur faisait sentir les avantarjes de l'ordre et de la centralisation. Le commerce et les roules se remplissaient de sécurité. Les Arabes devenaient un peuple, tout en conservant leurs mœurs et leur antique orijanisation fondée sur la famille et sur la tribu. i\Iais adieu l'indépendance d'autrefois! La tribu n'était même plus libre dans ses propres affaires; les officiers de l'émir y interve- naient à chaque instant. Sauf cette intervention, tolérée avec peine, les Arabes bénissaient un gouvernement qui les rendait tous égaux, sinon en civilisation, du moins en droits. Les tribus de la province d'Alger, sans cesse agitées, troublées, menacées, soupiraient après le moment oii elles pourraient jouir des mêmes bienfaits (|ue leurs sœurs de l'Ouest. L'émir entretenait avec soin ces aspirations. Quand on venait se plaindre à lui : « l'assez de mon côté, » disait-il. Lors- que les agents du gouvernement français l'accusaient de ne rien faire ]>oiir engager nos sujets à la paix : « liestez dans Alger, répondait-il, el laissez-moi gouverner les Arabes; je vous réponds d eux. » Il maïuiua cependant une belle occasion. Durant la campagne de Constantine, le choléra décimait nos troupes. Le général ISégricr, resté à Alger, n'aurait pas pu mettre sur pied deux mille hommes valides. Abd-el-Kader se contenta de s'alTrancbir à petit bruit des limites du traité de la Talïna. Après avoir organisé la province de Tittery sous les ordres du kalifat El-lierkani, il ])arut dans les mon- tagnes (|ui séparaient cette province de celle d'Alger. Nous dûmes songer ii arrêter cette espèce d'invasion sur notre territoire. Il argua du traité signé par le général Bugeaud. Nos agents l'expliquèrent autrement. On finit par conclure, le 4 juillet 1S3S, une contre- convention ou annexe dont voici le texte : 0 Ariici.k pbesmer. — Dans la province d'Alger, les limites du ter- ritoire que la France s'est réservé au delà de rOued-l\allti(|ui' il pollli(|ue. Par ses ordres, on se mil par- tout avec les chefs arabes inlluenls; on cliert ha a leur faire com- prendre que la France ne voulail que le ièi;ue de la civilisation el de l'ordre, qii'Abd-el-Kader était un maître bien plus dur et bien lilus dangereux, (à'tle polilicpic eut un grand succès dans l.i province de Coiislanline. Les kaïds trouvèrent bienlol entre la domination de la France et celle des Turcs une ditVérence immense. Ouel(|ucs-iins réprimi'rent il'eux-mèmes des meurtres commis sur des Français. I.'excelleiil général ^égrier ayant été chargé de rechercher la meil- leure cl la plus courte voie pour se rendre de (Constantine à la nier, fil sur Slora, et par une région non encore jiarcoiiriie et réputée terrible, une reeonnaissanee (pii fui à peine troublée. La route de (.'mistaiitine à ranclenue lîussieada fut alors projeli'c, et une ville fia'nçaise, l'iiilippevillc, prit la (ilace de la vieille cilé romaine, l'hi- lippcville devint proniptemciil le pori d'Mger. Le maréchal \ alée fit aussi occuper Djigelli, et fortifia notre gar- nison lie Djiiuil.ih, qui pendant sept jours venait de résister à une attaque générale des Kabyles de la contrée; il résolut enfin de lier par terre des communications entre les provinces de Constantine et d'Alger en franchissanl les Ihbans par le célèbre passage des Portes de Fer. Pendant ce temps, .\bd-el-Kader faisait de son côté de grandes choses. C'était peu pour lui ipie d'étendre sa domination au détri- ment de la France. Presi|ue toutes les tribus du désert dans lequel va se perdre la province d'Oran lui étaient hostiles. S'il tolérait cette hostilité, il pouvait se tnuivcr jiris à un jour donné entre ces tribus et la France mailresse des principaux points du littoral. D'une autre part, tant que ces tribus ne lui seraient pas soumises, il lui était im- possible de pousser à fond de train la guerre contre les Français. Il résolut d'agir en conséiiuenee; mais avant de se porter sur le désert, il eut à s'occuper de Médéah. Un inspiré, Sidi-Jahia-el-Churgi, avait paru dans celle ville. Lui seul, disait ce prophète, était l'envoyé de Dieu, et Abd-el-Kader n'était qu'un imposteur. Comme preuve de sa mission, Sidi-Jahia- el-Cliurgi affirmait que si l'émir marchait contre lui, sa pouiire ne liartirdit ;)i/s. Le fils de ^Lilii-Edditi ne liiit pas compte de la pro- phétie. 11 fut en outre servi à point. Un renéi;at italien, qui exerçait un coinmaudeiuent dans sa petite artillerie, ayant reçu les proposi- tions de Sidi-Jaliia, demanda la faveur de charger lui-même la pre- mière pièce el d'y mettre lui-même le feu. Sidi-Jahia, comptant l'avoir gagne, se présenta audacieuseiuent avec les tribus qu'il avait rassem- blées. La poudre ayant pris feu, il s'enfuit. Abd-el-Kader profila de cette circonstance pour augmenter son influence dans la province de Titlery, et, ne craignant plus de rival au Nord, se porta vers le Midi. Son principal adversaire sur ce point était le clieik Tedjini , chef oudjouat des Ouled-Moklan, dont la famille commandait à Lagliouat et à 1 adjmoul, et qui lui-même concenirail ses forces à Ain-.Mahdi. Tedjini, habitué à vivre dans l'indépendance, ne voulait payer à l'é- mir que ce qu'il payait autrefois aux Turcs, c'est-à-dire un droit d'investiture. 11 envoya le montant de ce ([u'il se croyait obligé de solder. Abd-el-Kaiter lui retourna ses jiréscnts, exigeant une soumis- sion absolue, et exigeant qu'il le vint joindre avec ses cavaliers dis- ponibles. Tedjini refusa. L'émir le lit d'abord investir par son frère Sidi-Mustajilia; puis il marcha lui-iiièmc à la lêle de ses forces prin- cipales. Tedjini, assiégé par un ennemi nombreux, résista avec cou- rage. Il fil plusieurs sorlics; mais il lui fallut enfin abandonner sa ville patrimoniale. 11 se réfugia plus au midi, armant ciuitre l'émirles tribus du Sud; mais Abd-el-Kader ne se fatigua pointa le poursuivre. Ce ne fut qu'après longtemps menacé qu'il regagna Tédikempl, (|ui devint le principal marché du ^lidi. ()ii le vit bienlùl se présenter de sa personne, sous prétexte d'accomplir des actes religieux, jusque dans la grande Kabylie, el jusqu'à Bougie, puis lier des relations suivies dans la province de Constantine. Tel était l'état des choses quand le maréchal \ alée tenta l'expédition des Bibaiis. Deux divisions, l'une sous les ordres du duc d'Orléans, auquel on n'avait pas voulu accorder la gloire de l'expédilion de Constanliue, l'autre commandée par le général Oalbois, furent chargées de fran- chir ces redoutables montagnes, devant lesquelles s'était arrêtée l'au- dace romaine. Ces divisions, parties de Djimilah, s'avanci'reni par Ain-Turc, l'Oued-Bou-Selam el le plateau de l)ar-clllammar, gui- dées par notre kalifa Mokraiii; de la, elles se portèrent sur l'Oued- liou-Kheleun. Ici, la division de ( ialbois recul l'ordre de renlrcr dans la Medjanah , où sa présence était nécessaire pour arrêter les progrès des partisans de l'émir. Elle obéit en frémissant d'une dou- loureuse impatience. Les régiments aux ordres du duc d Orléans continuèrent seuls la route. C'étaient le 2'^ et le IT' légers, le 1"'' et le :!•■ iliasseurs; (|iielqucs spahis, du génie et de l'arlillerie les accom- pagnaient. Le génie cul fort à faire quand on se fut engagé dans la vallée de l'Oued Bou-Khetcun. A mesure que l'on s'avança, la vallée devint |dus étroite, les moulées el les descenles furent plus rapides. Enfin on se trouva dans le voisinage des Portes de l'er, chacun cherchant vainement à pénétrer des yeux dans ces célèbres passages, à travers les masses perpendiculaires ([ui se dressèrent tout à coup en face de l'armée. Ces portes sont au nombre de quatre; elles consistent en des ou- vertures naturelles qui donncnl successivement passage entre des rochers gigantesques sur lesipicls croissent, défi.inl la main de l'homme, les plus lielles fleurs de la flore niédilerranéinne el des palmiers séculaires. La première se trouve à la suite d'une sorte d'immense entonnoir dans lequel on descend par une pente abru)ile. Celle porte franchie, la roule s'élargit un peu, puis, loiijoiirs sur- plombée par des rochers dont la vue n'aperçoit point le l'aile, elle se rétrécit proinptcmenl jusqu'à un second, puisa un troisii'iue passage fort rapprochés. La dernière de ces portes donne accès dans un défilé obscur, mais moins étroit, au bout duquel est la qiiatriinie, à travers lai|uelle on aperçoit, comme le paradis au bout de l'enfer, une vallée dans larpielle continue ii couler rOucd-Bou Khelhciin, mais celle fois sous le nom d'Oued Biban , el ciiibcllissanl ses rives de perspec- tives (|ui, à l'œil f.itigué et terrifié par les obscurilés des portes, semblent vérilalileiiicnt délicieuses. (ie fut un moment magiipie quanrl 1 1 division déboucha dans celle 30 ABD-ELKADER. riante campagne aii\ sons iTlenlissants d'une nuisif(iie joyeuse. Mais cette nia|;ic dura peu. On était au VS d'(>ito))re. Le tonnerre coni- menea à jjronder comme si le ciel eût vu d'un mauvais regard une armée française franchir ces portes infraneliissables. Il fallut faire halle à El-nia-lsalou. Dire ce (|ue nos soldats soulïrireiit alors serait difficile. On comprendra une partie de ce qu'ils sn|)porlèrcnt (juand on saura (|oe le chemin qu'ils parcouraient est appelé le chemin île la soif, l'énihle el cruel eheniin en ellct, car I Oued-lJenSellam, main- Icnant appelé Oued-M.ileh, comme il s'appelait toul à l'henrc Oued- Bihan , y coule dans un lit tout inipré|jnc de sels de magnésie ijui en rendent les eaux insupporlahles. Après la soif, le combat! A peine s'est-on remis en marche le 29, que l'on saisit des éelaireurs arahes, par les(H!cls on apprend que le commandant arabe de Sebaou , le bey ou kalifa lien-Salem , s'est levé pour le compter d'Abd-el-Kader, et que celui-ci invile toutes les tribus des Bibans à se mettre en armes. Ben-Salein lui-même, à la tête de ses forces, campe sur l'Oued-Nava, et s'avance jiour nous barrer la roule du fort de lianiza, qui est le but de l'expédition. I.e rapport des éelaireurs se vérilie. I.e ■!() oe.lobre, on aperçoit le Ualifa b'avançant eoiunu' ils l'avaient annoncé; mais le duc d'tJrléans, rpii conduit une iorle colonne d'avant-gaide composée de troupes légères, les lance avec rapidité au-devant de l'eniuimi, sans rien négliger néanmoins pour s'assurer des positions qui dominent les passages. Ben-Salem ne juge jias à propos de les attendre; il se relire vers Mé- déali. Le fort d'Ilaniza, (pii eumuiande aux trois routes d'AlgiM', de Bougie et des l'ortes-de-Kir, et i|ui dale des liomains, est en consé- (|uence occupé sans coup férir, puis détruit. Il ne resie plus alors ipi'ii franchir les contre finis du Djebel-llammal , pour alleiiidre le camp du l'^oudouek, nii le géiu'ral liulhièrcs a ses positions sur rOued- Kaddar.di. iJe la on rentrera à Alger, dite nouvelle cl ilillicile mar- che s'exécute encore avec bonheur, malgré l'opposition de quelques partis arabes. Le 2 novembre, ou est à la Alaison-Carrée , cl bientôt après la division est reçue dans la capitale de nos possessions au mi- lieu des acclamations d'un peuple enthousiaste. Ce fut assurément le plus beau moment de la vie du duc d'Or- léans. Le courage dont il avait donné l'exemple, la décision et la ra- pidité de ses mouvements, la facilité de ses relations, le rendaient, dans toute la force du mot, l'idole do l'armée d'Afrique. Prime et soldais s'unissaient dans une même [lenséc, le premier promettant solennellement que désormais toute cette terre que l'on venait de ])arci)urir resterait française, les seconds jurant de verser leur sang pour la conserver. Prince et soldats devaient tenir parole; seulement l'exécution de la promesse du duc d'Orléans allait êlre bientôt inter- rompue par la mort et léguée ii ses frères. Personne ne songeait îi une mort si ])rénialurée lors des brillants discours de l'hérilier de la couronne à la i^Liison-Carréc, lors de son magnifique loast à l'armée d'Afrique, quand il s'écriait : « Au nom du roi, messieurs, a cette armée, qui a conquis à la France un vaste et bel empire, ouvert un champ illimité à la civili- sation dont elle est l'avant-garde, ii la colonisation dont elle est la première garantie! » A celte armée, qui, maniant tour il tour la pioche et le fusil, combattant allernalivement les Arabes et la fièvre, a su ailVonler avec une résignation sloïqiie la mort sans gloire de riiôpital, et dont Ja boiiillanle valeur conserve la tradition de nos légions les plus célèbres! • A cette armée, compagne d'élite de la grande armée française, qui sur le seul champ de bataille réservé il nos armes doit devenir la ]iépinièi'e des chefs futurs de l'armée française, et qui s'enorjueillil jusiement de ceux qui ont percé h travers ses rangs! i> A celle armée, qui loin de la patrie a le bonheur de ne coiiiiiùlre les divisions intestines de la France que pour les maudire, cl qui, servant d'asile ii cvii\ qui les fiiieul, ne leur diuiue ii combatlrc pour les intérêts généraux de la l'rance que contre la nature, les Arabes et le climat! » Au chef illustre qui a pris Constantinc, donné à l'Afrique fran- naisc un cachet inefl'aeable de iierinanence et de stabilité, et fait flotter nos drapeaux là oii les Uomains avaient évité de porler Ifurs aigles ! » C'est au nom du roi, qui a voulu que quatre fois ses fils vinssent prendre leur rang de bataille dans l'armée d' 'vfrique, que je porle ce loasi ! 11 C'est au nom de deux frères dont je suis jusiement lier, dont l'un vous a commandés dans le plus beau fait irarmes que vous ayez, ac- compli, et dont l'autre s'est vengé au Mexique d'être arrivé trop lard il Ciinstanliue, que je porte celle santé ! 11 C'est aussi, permetlez-moi de vous le dire, enmmo lié d'une ma- nière indissoluble ;i l'armée d'Afrique, dans le» rang's de la(|uelle je m'honore d'avoir marché sous les ordres de deux maréchaux illus- tres, que je porte celle santé. A la i;loire de l'armée d'Afrique et au maréchal \alée, i;ouverneur gi'néial ! » Celle noble iiupmvisalion conlenait loule l'hisloire de la colonie, loule l'hisloire du règne. Chaque mol iiortait et annonçait une ère nouvelle pour le jour oii le prince qui le disait si'rait le chef d'un fjouvernement vraiment français, libéral et populaire. Le destin allait se jouer de lant d'heureux présages! Cependant le duc d'Orléans avait encore de la gloire à recueillir en Afrique. CHAPITRE XIX. Rupture des traités «nlre la France et Abl-cl-Kader. — Proclamation de la guerre sainte. — Nouveau passage du col ilo Mouzaïa. — Mazagran. — Fin ilu gou- vernement du maréchal Valée. On a vu que, d'après la convenlion annexe au trailé de la TalTna, le lorl de ilaniza devait nous apparlenir. Mais, sous prétexte qu'il n'avait pas ralilié la eonvenlion, l'émir déclara considérer la destruc- tion de ce poste comme une atleinle il la paix signée par le général Bugeaud. Il écrivit au maréihal \ alée d'avoii- à se pri'parer, car la guerre sainte allait soole\er d'un bout il l'aulre de l'Algérie toutes les tribus arabes. Le véritable motif d'Abd-el-kader en ]irenant un rôle ouverte- ment hoslile était tiré de ses véritables inlérêts. Ln elTet, le maré- chal Valée avait donné force et xigueiir en Afrique ii deux politiques nouvelles: la première, c'était celle de l'aduiiiiislration des Arabes ji.ir les Arabes sous le gouvernement de la France; la seconde, sui- vant le mot du duc d'Orléans, c'était celle de la permanence de noire occupation. S'il laissait ces deux politiques, par lesquelles on eût dû commencer, prendre ilécidéiiient pied, l'émir devait se résigner ii perdii' son inniiinec et son renom dans l'universalité de rAI|;éric. Au ]ilus languirail-il quelque temps encore dans ses iiossessions de ïillery et d'Oran jusqu'il ce que les l'rançais l'écrasasseiil comme ils avaient fait d'Achmet. iSiin avenir lui faisait donc une loi de re- prendre rolfensive. 11 s'y était préparé de loii|;ue main. Par les soins de SCS espions et de ses envoyés, une vaste coiispiralion embrassait de son réseau délié toute la surface des quatre provinces. Au jour convenu d'avance, elle éclata sur cent points il la fois. Ans petits postes furent surpris jusque dims les environs d'Alger, nos colons massacrés, nos camps assaillis. En présence de ce soulèvement aux cent tètes, le maréchal Valée, quoique homme de décision, ne se crut pas assez fort. Il demanda des secours eu France. Les petits postes se replièrent sur les grands, et, en attendant l'arrivée de nouvelles troupes, on se borna ii faire bonne contenance. Mais comme on se bornait il garder ses positions, li'S Arabes s'enhardirent. Le» tribus fidèles furent enlrainées. La situalion devint critique, elle exalta au plus haut degré l'opinion )iiibli<|iie en France; et l'opinion ]iulilii|iie se montr^'.iit avec une in- descriptible énergie, il fallut lui obéir. L'armée d'A.friqiie fut ren- forcée, et le maréchal Valée tint immédialemcnt la campagne. Ou était aux premiers jours de décembre is:>ll. INos colonnes rcin- jiorlent coup sur coup trois j;raiids avantages. Une d'entre elles, composée du (îï'^ de ligne el du P'' chasseurs, attcini eiilrc le camp de l'Arba el l'Arrouch un millier de cavaliers h.uijoiiles, qu'elle dis- perse. Une autre colonne, coiiiliiisanl un convoi de Boii-Farik ii Bli- dah,est allaquée par les bataillons réguliers de l'émir. File les repousse avec de grandes perles. Fnlin, le maréchal \ alée lui-même attaque entre lilidali et la (ihilfah, sur le ravin de l'Oued el-Kebir, les forces réunies des Ualilats de Milianali et de ^léiléah siMileiiues par plusieurs bataillons de réguliers et par cinq ou six mille cavaliers de divers coiitingeuls. ALilgré la puissance naturelle de la position el l'enlhou- siasme des combatlants arabes, le maréchal culbute loule celte armée el lui ]irend cinq ccnls fusils, ipiatre drapeaux el une pièce de ca- non. C'est ])liis qu'il n'en faut pour redonner rascendant il notre in- lliience. Le maréchal profile de l'indécision que celle viiioirc jclle dans le mouvcmeiil des tribus, el orgiinise un [ilan général d'expéditions par- licllis. Il s'agit d'eu finir avec les liailjoiiles, et de dominer le littoral par la possession de <]hcrchcH ; il s'agit di' repreiiilie Médéah el ;Mi- lianali, el de les iiicUrc en lommunicalion directe avec Alger par une roule ciindiiisaut de la .Mélidjiih ii la vallée du (Ihélif ; il s'agit, celle grande opération une fois faite, de se mettre en rapimrt avec les trioipes qui gardent Oran el JMoslagancm ; eiihii, quand on aura ac- comiili CCS quatre choses si considéraliles, on opérera direiieiiicnt c.iutrc l'émir en délriiisant ses élablisscmenls et en le poursuivaiil à outrance. Ce iilan, qui demande plusieurs années ])our être mené il bonne lin, reçoit .lussitôt un commencemeul d'cxéciilioii; mais avant de nous occuper de ce (pii est l'ait |iour cela, disons les évcnemiuls dont les deux provinces de l'F.st et de l'Ouest sont le théâtre. Dans celle de Conslantine, loule la partie méridionale est en in- siirreclion. Les Kabyles assiègent nos garnisons de Bougie et de Dji- gcUi. Dans celle d'iiran, les Doiiers el les Smélas sont de nouveau pressés par l'émir. Jls ne se délendent qu'avec la plus grande peine. Oran et Moslaganem repoussent plusieurs attaques; mais la priuci- |)ale attaque est dirijïéc contre Ma/.agran, petit fort dépendant de celte dernière place. Cent vingl-Irois hommes de la 10" compagnie du 1"' bataillon léiïcr d' \friq lie, aux ordres du capilaincLelii'vrcoccupaienl ce poste. Ilssiinl investis le 2 février parles forces de lien-Tliami, kalifa de Maskarali. A combien s'élevaient ces forces, nous ne saurions le dire. L'histoire AHD-EI--KADE1Î. 31 a accusé le capitaine Lelièvre d'avoir trompd la religion de son pays en exagérant le cliilYre des assaillants et les faits de la défense. 'roii- jours est-il (jiie la faible f;arnison de iMaziiijran se maintint dans son poste, et pendant plusieius années nul n'a contesté la vérité des faits. \o\c\ la teneur dans lafiiiclle ils ont été transmis à la connaissance du public : Hen-Tliami fit d'abord reconnaître les abords de la place par une multitude d'éclaireurs. I.e 2 janvier, il investit le fort avec environ quinze mille liomnies appartenant à quatre-vin[;l-denx tribus. Avant d'y donner l'assaut , il le canonna et eut bientôt opéré une brèclie dans sa faible enceinte. Les Arabes se précipitèrent aussitôt par cette brè- che; toutes leurs attaques furent repoussées, ils les recommencèrent le 3 février, se portant à la fois sur la brèclie et contre la porte du fort. Celle-ci , défendue seulement par quinze liomiiies aux ordres du lieutenant Durand, résista. A la brèche, on ne se défendit pas avec moins d'héroisnie; mais les soldats commencèrent à perdre courage on voyant que la garnison de Mostagancm ne faisait rien pour les secourir. Pendant la nuit, le capitaine Lelièvre leur inspira cepen- dant la résolution de mettre le leu aux poudres, et de sauter avec le fort plutôt que de se rendre. On n'eut pas besoin (re\éeuter cette résolution extrême. Après une nouvelle journée d'assauts inutiles, Hen-1'liami se retira au matin du cinquième jour, comptant un mil- lier de morts ou de blessés, (juand la garnison de Mostagancm arriva enfin sur le cliamii du combat, elle trouva la petite troupe du capi- taine Lelièvre plus que décimée, mais prête à combattre encore. Cependant tous ces faits d'armes n'avançaient que bien peu la pa- cification. Abd-el-Kader avait adopté un système de guerre ipii de- vait rendre penilant longtemps les efl'orts de nos troupes impuissants. Reconnaissant que l'armée française ne pouvait sans s'éparpiller à l'infini occuper que certains jinstes considérables, il tenait le pays en haleine. Les clicfsqui reconnaissaient son autorité, ceux qui étaient ses partisans ou seulement les ennemis de la France, ax'aient pour instruction d'entretenir l'insurrection sans la compromettre par des combats importants. En conséquence, lors(|ue nos soldats sortaient des postes pour une expédition, il était rare qu'on les attendit, à moins que l'on ne fût très en force. On fuyait devant eux, leur aban- donnant la campagne; mais à peine reprenaient-ils le chemin des garnisons, que l'on se reformait sur leurs derrières, et nos coups por- taient ainsi dans le ville. Il fallait pourtant obtenir quelque chose de décisif. Comme les principales forces d'Abd-el-Kader sillonnaient la province de rillery, le maréchal \ ali'c résolut une expédition qui, si elle ne les dissipai! pas, les contiendrait du moins. 11 s'agissait d'occuper de niuivcau la capitale du licylich et de ne plus la quitter, et d'en faire autant pour Cherchell et pour Milianali. Le duc d'()rléans s'était rendu si populaire h la suite de l'expé- dition des Bibans, que les soldats le demandaient cette fois encore pour chef. Le jeune due d'Aumale voulut aussi faire ses premières armes sous son frère, i^e corps expéditionnaire partit do HoulTarik le •2'i avril ISin. Il fallait, comme nos lecteurs le savent, jinur gagner iMédéah, tra- verser de nouveau le fameux col de Mouzaia, Les Arabes avaient ré- solu de ne point nous y lulsaer arriver. Nos troupes, après un jour de marche, venaient à peine de s'établir autour de ce i'ameux tom- beau de la chrétienne qui a donné lieu à tant de légendes, et qui s'élève à la pointe orientale du lac Kiilloulah, quand tout ii coup les ravins et les bailleurs se couvrirent d'ennemis dont rien n'avait an- nonci' la \cniie. lladji-el-Sghir-Lmbaracli cl licn-Salem commandent ces contingents, qui, se réunissant soiidainemeiil en l'ilea cerrées, fon- dent au galop de leurs chevaux sur la petite armée francHise à moitié surprise. Mais des chefs solides sont là : Duvivier, 1h Moricière, .Siliramiii, Changarnier, d'iloudelot, Cavaignac secoiidenl l'erdiiiand Philippe. Nos trini|ics alleriiiies par eux tiennent bon, gagnent du terrain, puis se précipitent à leur tour, et les eontingciils arabes fuient au loin, poursuivis par le jeune due d'Ainuiile, qui gagne ses éperons. Cette attaque, au commenreiueut de l'expéditiiui , .iiinniicait (pie l'ennemi ne céder.iit pas facilement le passage du l'ol de Moiizaïa. l'Jn elïet, les eontiiigenls chassés de l'.Afroiim se réunissent à la colonne ciimniandée par l'"l-licrUani et qui gardi^ le défilé. I.à sont rassemblées en armes plii-iiciirs tribus considérables se rallachanl toutes à la grande tribu des Mouzaia. Abd-cl-Kadcr a pourvu liii-mciiie ;i la défense du col. lue folle redoute est construite dans l'endroit le plus propice sur la pointe il'iin iiitoii. Des batteries sont établies sur les points qui commandent ii la roule. De plus, de grandes récompenses ont été promises tant aux tribus qu'aux troupes régulières. Les Mouzaia en partiiiilier ont reçu des privilèges importants. 'l'ous les Arabes comp- tent sur une défaite des l'"rancais. (.'(■pendant ceux-ci s'avancent au matin du 12 mal. Le plan d'alta- i|ue est simple, il ressemble ii tous les jdans par lesipiels on veut ciiiporter des défilés. Trois colonnes ont été formées. L'une, conduite par la Moricière, doit se porter par 1 1 droite sur les retranchements ennemis et les |irendie )i revers; tandis (pie la seconde cidonne, aux ordres de Duvivier, se portant sur la gauche, attaipier.i directement ces mêmes retraiieliemeiits. La troisième colonne, formant une sorte de réserve, observera un instant, et aussitôt qu'elle verra l'ennemi faiblir elle se portera de front sur le col. Ceux (pii ont la passion des armes auraient pu entrevoir alors l'un des plus magiiihipies cnmb.its qui nous aient assuré la terre d'Afri- (pie; nous disons entrevoir, car à iieine la première colonne française s'est-elle, par un élan rapide, présentée au pied de la redoiile, ([uo tous les iiitons du col s'allument, vinift mille fusils s'embrasent à la fois, puis la fumée enveloppe les montagnes, et c'est ii travers ce iiiiag-e que l'on s'attaque, que l'on se poursuit de ravin en ravin, do pic en pic. Celte lutte dure sans résultats pendant plusieurs heures. Enfin vers midi, le clairon fait entendre, au milieu de la fusillade, sa voix aii;uë. Sa fanfare joyeuse annonce (|iic la colonne i|iii a été lancée la i)remière a compiis une véritable position, et (|u'il est temps d'agir avec ensemble pour la seconder. Aussitôt les deux autres co- lonnes envahissent à leur tour les hauteurs. Celle (|ui marche de front sur le col est attaiiuée par une masse d'Arabes retranchés dans un ravin; elle lutte corps ;i corps, olïiciers et soldats. Le général Schraiiim lui-même est blessé. In moiiient d'indécision a lieu; mais un batain-on du brave iV, tournant ce formidable ravin, charge par derrière les Arabes à la baïonnette; ils fuient dans toutes les direc- tions, et le chemin de la redoute cl des derniers retranchcinents est balayé. Mais il reste ii enlever les oiivraijes eux-mêmes; et, depuis trois heures du matin (pi'elles marchent et combatlenl , nos troupes sont il jeun. Elles meurent littéralement de soif et de faim. Elles vou- draient se reposer; mais ralentir l'attaipie, ce serait faire croire aux Arabes que l'on hésite. Les généraux le comprennent. L'un d'eux, Changarnier, qui s'est mis à' la tète du 'r léger , par un de ces mou- vements dont le succès est lonjours certain, appelle ii lui les olïiciers de ce corps, et, iiiellanl froidement son épée sous son bras, comme si l'entreprise n'eût présenté aucun (léril : — Isiiles marcher vos liom- nies, leur dit-il; — en avant! — A sa voix sonore les soldats retrou- vent leur énergie, on se précipite sur la redoute, on l'investit, on l'assaille; rejioussé , on revient ii l'assaut; enfin un soldat plante le drapeau tricolore sur les retraiichemenls; il n'en faut pas davantage pour donner ;i tous une nouvelle ardeur. La colonne de Duvivier, celle de d'Hoiidelot, pressent leur marche; et tandis (pie la colonne de la Moricière ejuissc devant elle les défenseurs de la redoute, les ],oursiiit jusqu'au bois des Oliviers, le col est occupé, le passage est franchi. Cinq jours après on arrivait à Mcdéali, et c'était Cavaignac ipie l'on choisissait pour commander la garnison. Avec lui, on était sûr de ne pas perdre un pouce df terrain. 11 ftt mesurer ce terrain dès le premier jour. Ayant poiiilé lui-même un canon, il lit (diservcrà ses officiers la place oit le boulet allait au loin frapper: — ^■oila nos li- mites, s'éeria-t-il, — Les Arabes ne franchirent l'as cette frontière d'un nouveau genre, mais lui la dépassa dans plusieurs expéditions (|ue nous aurons lieu de sij;iialer. Médéah emporté, on s'établit il Milianah, dont Changarnier prit le comniaiidcment. Ce fut l'objet d'une autre expéditiini , qui ne pré- senta point les mcmes péripéties. On croyait (pi'Abdel-Kader défen- drait cette place, oii il avait ses principaux magasins. Mais une telle défense n'entrait ])oint dans sesjilaiis, il abaniloiina la \ille après qu'elle eut été coiiiplétciiieul ruinée par lui même. (^.es succès furent les derniers du gouvernement du maréchal A a- lée. Un successeur venait de lui être donné sur sa demande. CHAPITRE XX. Gouviirnoinent du général B igcauJ. — PremiCK! période do ce gouvernement. — Cavaignac à Mcdéah. — Uavilaillfiineiit de celle ville. — Combat du 3 mai 18H. — Défcuso do Coléah. — Expédiiion do Tck'denipt. — Le général Ch.ingar- nicr et Cavaisnoc sur l'Oued- "oddah. — Le général Négrier dans la province de Constantino — Le rolonel NoUl Nul n'a iam;i!s contesté les rares talents militaires du maréchal Valée. A \ine erande expérience il joi!;nait des coiiiiaissanees pro- fondes en matière de stratégie. Mais (•(Miiment utiliser ces connais- sauces avec un ennemi insaisissable? Le maréchal Valée se dép,oùla trop tôt peut être. Au lieu d'exiger qu'on lui fournit assez de troupes pour aeir contre Abd-el-Kadcr de manière à l'enfermer dans une miirailii' de fer ou il le rejeter hors de l' Miïérie, il se borna à de- mander un successeur. Ce successeur, ce fut le général Iliii;eaud , avec lequel nous avons déj.i lié conniiissanee. Le vaimnieur de la Sickah arrivait en Algérie dans les meilleurea conditions. Les deux expéditionsdiii;;éespar le duc d'Orléans avaient eu le retentissement le ])liis grand en \fri(pie et en Europe. D'un autre côté, la parole de celui ipie l'on appelait alors l'héritier du trône était eneagée. Ou ne devait plus abandonner la eon(piête, cela avait été dit. Le's \rabes le savaient, et, malgré tous les elVorts d' \bd-el- Kadcr, commcnç.iient ii le croire. Il ne faut pas perdre de vue non plus que le général Bu;;eaiid avait ii creur de faire oublier par tous les mnveiis possibles son funeste traité de la 'l'aflna. ICiihn c goiivcrne- iii'nt français, dont il avait la confiance, faisait pour lui ce qu'il n'avait encore consenti eu faveur d'aucun i;énéral. Non-seuleiiieiit ou lui 32 ABD-EL-KADER. accordait «le pleins pouvoirs, mais on mettait à sa disposition l'cfTeclif le plus considi'r.ililc. Soi\>inle-treize milli' hommes d'inliiiilerie et treize mille hommes de cavalerie, voilà de quoi se composait l'armée qui allait agir sous les ordres du nouveau gouverneur. Avec de telles forces, si l'on n'arrivait à aucun résultat, c'est qu'évidemment il n'y en avait pas à obtenir. Le général Bugeaud ne doutait pas du succès. Dans son gasconage héroïque, il devançait de i|U(lques années la lïn de la guerre. Sa pro- clamation aux troupes atteste toute sa conliance en lui-même, \oici cet acte officiel. «Soldats de l'armée d'Afrique, » Le roi m'appelle à votre tète. L'n pareil honneur ne se brigue pas, car on n'ose y prétendre; mais si ou l'accepte avec enthousiasme Bugeaud. pour la gloire que promettent des hommes comme vous, la crainte de rester au-dessous de cette immense làelie modère l'orgueil de vous commander. Vous ave/, souvent vaincu les Arabes, vous les vaincrez encore; mais c'est peu de les faire fuir, il faut les soumettre. Pour la plupart, vous êtes accoutumés aux marches ]iénibles, aux ]>rivations inséparahles de la guerre; vous les avez supportées avec courage et persévérance dans un pays de nomades, qui, eu fuyant, ne l.iissent rien au vaiiu|ueur. La campagne prochaine vous appelle de luuiveau à montrer à la France ces vertus guerrières dont elle s'enorgueillit. Je demanderai à votre arrleur, à votre dévouement au pays, au roi, tout ce c|u'il faut jjour atteindre le but : rien au delà. » Soldats! à d'autres époques, j'avais su con(|uérir la <'ouriance de plusieurs corps de l'armée d'Africpu-; j'ai l'orgueil de croire que ce senlimenl sera bientôt ijénéral, parée (|ue je suis bien résolu à tout faire pour la mériter. Sans la conliance dans les chefs, la force morale, qui est le premier élément du succès, ne saurait exister. Ayez donc confiance en moi, comme la France et votre géiural ont conhauee eu vous. » Les premiers événements i'é|i(uidireul à la certitude de vaincre dont celte proclamation est tout imprégnée. Nous avons parlé déjà du système aui|uei le (jénéral ltui',eaud s'ar- rêta. C'était de poursuivre l'émir dans tous ses alliés; de le chasser lui-même de position en position; de l'.ittircr, si l'on pouvait, à des engagements déeisiis ; de ne l;iisser ni a lui ni aux siens aucun ri''[)it. l'our mellre ce systi'iue en leiivre, le général voulait être el'abord siir de la province d'Aljjcr et d'une partie de celle de Tiltery. A])rès avoir ciuicenUé ses forces dans ces deux provinces, il voulait procé- der dans b's autres par voie de rayonnement. En consé|iliaiiali. liienlôt les Arabes passèrent le ravin et commencèrent à gravir la position, l'our mieux faire croire à une retraite, j'éloignai mon(lrap(au et mon état-major, oii leur feu Irès-vif avait déjii blessé plusieurs chevauv. u Lu même temps le général fit sonner la retraite par ses tirailleurs; mais les Kabyles prirent cette sonnerie pour celle de la charge, et rétrogradèrent, liugeaud onlouna alors (|iie tous les (■ommandeiueiits se lissent il la voix. Le silence des cl.iirons et des tambours enhardit l'enneiiii, mais pas assez pour qu'il osât une atta(|ue décisive. Cependant Mxl-el-Kadcr avait, lui aussi, son ])laii , (pi'igiiorait le général. Taudis (jue les colonnes dont nous avons parlé Icii.iiciit les nôtres en échec, une autre colonne Iri'S forte hiait à couvert par un ravin de manière ii tourner la gauche des !•' ramais. L'n faux mou- vement la mit bientôt face ;i faie avec celte gaiiclie et avec le <-entre, que cmiiiiiaïKlait le duc de Nemours. Ce jeune général n'avait point reçu l'ordre (l(,> céder le terrain par la meilleure des raisons, savoir rpie liugeaud ne prévoyait point qu'il pût cire attaqué. l',n consé- quence, voyant les Arabes venir a lui, il ordonne de les charger. Ceux-ci s'enfuient. On les poursuit, l'élan gagne quel(|ues bataillons de la cidnnue du général en chef lui-même, et voilà tout son ordre de bataille compromis; car entendant les cris de ceux de leurs amis (|ui s'enfuient, et voyant les réguliers de la colonne du ravin se dis- ais. — Tenez, lui dit-il (Changarnier), mon cher colonel (Cavaignac), après de si glorieuses fatgues, vous de/ej avoir besoin de vous rafraîchir. perser, les Kabyles ([ui faisaient tête au général n'osent plus s'engager. Us lâchent ]iied à leur tour, et les bataillons embusqués dans Milianah ne réussissent (|u'à en couper plusieurs centaines. Abd-el-Kailer, désespéré, voulut en vain retenir ses troupes : il fut entraîné à son tour. Le célèbre commandant de spahis, Joussouf, le reconnut, et se mit à sa ]ioursuite. Comme il était très-bien monté, il se trouva bientôt seul derrière l'émir, qui criait aux siens : o Lâ- ches! retournez-vous donc! il n'y a ([u'un homme derrière vous, u L'homme ne ralentit pas pour cela son ardeur; mais son cheval, fa- tigué d'un élan trop rapide, refusa de le servir, et l'émir ne fut pas ]iris. 1! revint à la clian;e i|uel(|iics jours après, en attaquant le corps expéditionnaire, au retour de Milianah. 11 fut encore battu. Le général liugeaud poursuivit alors avec énergie son plan de cam- pagne. 11 donna ordre au général liaraguay-d'llilliers d'opérer sur le bas Chélilï, et de ramener les tribus à l'obéissance par la terreur. Pendant ce temps-là, lui-même irait ruiner et détruire pour jamais les dépôts d'armes et les places fortes qui restaient encore à l'émir. Parmi ces places figurait surtout cette Degedempta ou Tagdempt, qu' Abd-el-Kader avait re- levée quand il avait vu que Mascara était trop exposée aux coups des Français. Nous allons laisser le géné- ral Rugcaud raconter lui- même comment il détruisit la capitale de l'émir. Son rapport sur l'expédition est ainsi conçu : ■ Je suis parti le 18 mai de .Mostaganem, ainsi que j'avais eu l'honneur de xous l'aiMioncer. » Les prolonges de l'artil- lerie et du génie étaient chargées de munitions, d'ou- tils et autre matériel , pour le siège présumé de J'ag- dempt. » Les moyens de transport qui étaient à ma disposition ont été employés pour l'or- ganisation de ce service et pour celui des ambulances; j'ai ajouté à ces moyens tout ce (|ue mes ressources me permettaient de faire : cha- que soldat portait des vivres pour huit jours, et les che- vaux de la cavalerie étaient chargés d'un sac de soixante kilos de riz. )) Le dévouement de ma cavalerie a rendu un service signalé à l'armée. Des ca- valiers ont porté leurs sacs jusqu'à Alascara, tour à tour soldats du train et des équi- pages et cavaliers quand il fallait combattre. n Après plusieurs ]>etits combaisjd'arrii're-garde'iel de flanc , |nous sommes arrivés devant Tagdempt le ■-'.') in.ii, et nous en avons pris |iossession pendant un engagement très-vif entre les zouaves et la cavalerie ennemie qui était sur les hauteurs voisines, (^e combat fait beaucoup d'honneur aux zouaves, corps vraiment d'élite. » La ville et le fort étaient évacués par les habitants, qui avaient tout enlevé; quel([iies maisons couvertes en chaume brûlaient incen- diées par les Arabes eux-mêmes, (^"elles en maçonnerie, recouvertes en tuiles, étaient intactes, ainsi que la fabrique d'armes, une scierie et des magasins. L'armée a travaillé immédiatement à la démolilion, et les soldats du génie à pétanler le fort. Le lendemain à huit heures nous avons pris la route île Masiara, et des hauteurs voisines Abd- el-Kader a \u sauter la citadelle qui lui avait coiité tant d'efforts et d'argent à édifier, et dans laquelle il plaçait ses principauv dépôts d'armes et de munitions de tout genre. "Comme je présumais que les cavaliers arabes ne mani|ueraii'iit pas de venir à l'inslaiil de notre retraite examiner la destruction ipie nous avions accoiuplie, j'cmliiis(|uai derrière les dccombies du fort les zoua\es , et dans les ruines des maisons de la ville un bataillon du il'^ de ligne. A peine la colonne élait-elle à une portée île <:anon, que sept à huit cents cavaliers inonilèrenl la jilace et les rues. Le b.ilaillondu 1 1'' sortit brusquement de son embuscade, et leur ht une 34 ABD-EL-KADER. fusillade qui en mit quinze sur le carreau et qui leur lua plusieurs chevaux. Les zouaves n'eurent pas la même occasion. » Le même jour et les jours suivants, jusqu'à Mascara, Abd-cl- Kader nous a toujours flanqués par deux grosses colojines de cavalerie, pendant qu'un millier de chevaux tiraillaient sur notre arrière-garde. Ses principales forces se tenaient à une distance et dans des positions telles, qu'il était impossible de les engager au combat contre leur volonté. J'ai tenté vainement plusieurs moyens qu'il serait trop long d'expliquer. A Fortassa, l'ennemi réunit toutes ses forces sur les hauteurs que nous devions franchir. Ce lieu était célèbre dans l'iiis- toire des Arabes, puisqu'ils y ont défait, il y a quarante ans, le bey Bou-Cabous. Je crus qu'ils avaient choisi ce lieu pour me livrer ba- taille; je massai aussitôt mon convoi; la cavalerie déposa ses sacs il côté, et sans pres<)ue aucun retard dans notre marche, nous nous portâmes vivement vers l'ennemi, heureux de trouver enfin l'occasion d'obtenir un succès qui pût décider de quelque chose. Nos espé- rances furent encore déçues. Dès que nos bataillons, échelonnés par les deux ailes et couvrant la cavalerie, furent à portée du canon, l'ennemi se retira au galop et alla prendre position sur de hautes montagnes à environ deux lieues. Je renonçai à le poursuivre, pour ne pas fatiguer inutilement les troupes, et je revins coucher au lieu oii j'avais laissé le convoi sous la garde de quatre hataillous. 11 y avail de l'eau, du fourrage et du bois. » ^>ous retrouvâmes Ahd-el-Kader le :îO sur les hauteurs qui en- vironnent ^lascara; il était renforcé par quatre mille chevaux i|ue lui amenait liou-llamedi, kaliia de Tlemcem. Tout annonçait qu'il voulait défendre les approches de la ville. ]Nous finies la même ma- nœuvre (ju'à Fortassa; elle n'eut pas de beaucoup meilleurs résultats. Cependant on nous attendit d'un peu plus près, et nos tirailleurs et nos obus tuèrent (juelques hommes et quelques chevaux. IVous primes alors possession de Mascara, et je fus agréablement surpris quand je vis ([u'on s'était borné à briser les portes et les meubles en bois. » Grand nombre de maisons sont en ruines depuis longtemps; mais comme la ville est très^jrande , car elle a contenu autrefois vingt à vingt-cinq mille habitants, il nous a été facile de trouver des locaux pour l'hôpital, les magasins et le casernement de la garnison. » Le général Bugeaud raconte ensuite son retour à Mostaganem. Ceci fut plus difficile que l'expédition elle-même , car on prit pour abré- ger la route le défilé d'Akket-kredda. Notre arrière-garde y fut at- taquée par six mille Arabes. Telles étaient les difficultés du terrain, que le général en chef ne put lui porter aucun secours. Quoiqu'elle ne fût forte que de trois bataillons, elle se suffit à elle-même. Le gé- néral Levavasseur la commandait. Les Zouaves étaient aux ordres de Cavaignac, que Bugeaud cita à l'ordre de l'armée avec ÎMM. Dau- mas, Esterhazy, Berthois, Charron, liizot, Saint-Arnaud, de Barrai, Baudens, Berlin, Chard, Travot, N crgé, de Clonard, etc., etc., etc. L'expédition de Borar et de Thaza ne fut pas moins heureuse. ]| s'agissait de ravitailler iMédéab et de détruire plusieurs établisse- ments importants de l'émir. Le général Baraguay-d'llilliers dirigea cette expédition avec intelligence. Sous ses ordres, Changarnier, usant de la rapidité qui le distingue, tomba sur les Mouzaia, occupa le col, et permit ainsi au corps d'armée de franchir l'Atlas sans coup férir. Apris avoir jeté des vivres dans Médéah et avoir emprunté à sa gar- nison quel<|ues compagnies d'élite, on occupa successivement Borar, Cassar-Boreri, ancienne station romaine, et Thaza, fort oii Abd-el- Kader avait renfermé plusieurs prisonniers, et qui fut entièrement rasé. De là on revint par Milianah, oii l'on ravitailla aussi la garnison; et après avoir touché de nouveau à Médéah, oit furent réintégrées les compagnies du 25", on rentra le 2 juin à Blidah, (jue l'on avail quitté le 18 mai. Celte expédition si rapide eut cela de remarquable que toujours les Arabes luirent devant nos troupes. (Jn aperçut des réguliers de l'émir à Thaza et au Téniah ; mais ils n'osèrent entrer en lice. A ce propos, le général Baraguay-d'llilliers s'exprimait ainsi : « Les Arabes, cette fureur désordonnée. » Heureusement, ajoute le même auteur, les tribus de l'Est ne prenaient point part a la lutte, et l'on n'eut à se défendre (|ue sur la droite. Toutefois la colonne n'avançaitqu'avee peine, (juand on arriva à l'un de ces passages qu'il était nécessaire d'occuper. Des escarpe- ments rocheux surplombaient le lit de la rivière en avant d'un mara- bout entouré de lentisques; la compagnie de carabiniers des chasseurs d'Orléans fut chargée d'enlever ces rochers; pleins d'ardeur, ils s'é- lancèrent; mais les pentes étaient afl'reuses, et huit jours de vivres sont une rude charge. Aussi, M. Ricot leur lieutenant, (|ui s'était jeté en avant, sans s'inquiéter s'il était suivi, arriva le premier sur le haut du plateau. Deux balles le frappent à la poitrine; le lieutenant Alartin et deux carabiniers se précipitent pour le dégager, ils tom- bent morts; M. Koulîiat, le dernier oflicier cpii reste ,"' vole à leur secours; une blessure affreuse l'arrête; la compagnie n'a plus d'offi- ciers, plus de sergent-major; une avalanche de i.alles s'abattait sur elle, sans guide, sans chef; les carabiniers furent ramenés, emportant avec peine 31. Martin, qui vivait encore. Tour les autres, ils sont déchirés à la vue de la colonne au milieu des cris féroces des Kabyles.» Il s'agit de les venger. Les zouaves et les chasseurs d'Orléans sont chargés de celte périlleuse mission, qui ne pourra être accom])lie que si la position est emportée. Le général et ses deux colonels n'hé- sitent pas il se mettre ii la tète de cette charge «lui doit avoir lieu en même temps que la cavah^rie refoulera, si Il faut lire, dans M. de Castellane, le récit de la nuit (|ui succéda à cette journée ; nuit ([ui l'ut remjiliede l'héroïsme des blesses, comme le jour avait élé reiu]ili de l'Iiéroïsme des eomballauls. A deux heures du malin, le général (iliaiigariiier fit occuper sans bruit diverses positions (|u'il avait reconnues la veille; puis la diane batlit, et la colonne se mit en marche. Les Kabjles ne s'attendaient pas à tant de promptitude. Ils s'appelaient les uns les autres pour recommencer le combat de la veille; mais le terrain n'était plus le inêrne. Les positiiwis étaieni ])rises , cl l'insouciance de nos soldats commença à narguer rennemi. On traversait des vignes magnifiques; ce fut il (|ui se désaltérerait aux dépens des Kabyles. Le l'énéral (.'haiigarnier ne dédaigna pas de faire coiiime les chasseurs et les zouaves. (;avai|;iiac ayant passé auprès de lui , il lui lendit une des plus belles grajqies : « Tenez, lui dil-il, mon cher colonel, après de si glorieuses falii;ues, vous devez avoir besoin de viiiis rafraîchir, u Ce ne fut pas tout ([ue les glorieuses luttes de l'Oued - Foddali : à peine nos troupes venaient-elles d'y être victorieuses, (|ue Chanear- uicr, iiour bien constater sa victoire, eut l'audace d'iqtérer une razzia sur les tribus (|ui l'avaient attaipié. Cette ciilreprise eut un plein succès, comme toutes celles que, dans niic campagne de idusicurs mois, le même général fit dans rOiiar-Senis. A la même époque, la Moricière poursuivait les smalas d'.\bd-el- Kader et de ses Ualifas, el les rejetait sur le désert. En un seul et brillant combat, il prit à l'émir plus de cent <'iiiquaiil(^ chevaux. Cependant, il (allait tirer vengeance de ikn-Saleiii. Le gouverneur général se chargea lui-même de cette mission. Il rasa les forts de l'xl-kheroiib et d'EI-.\rib, où ce chef avait concentré ses forces. Le gouvernement île Ileii-Salciii fui ainsi à peu près dissous. Mais A bd-el-Kailer restait debout. Il se rejeta dans rOiiar-Senis et sa ])osilion dans ces montagnes pouvait devenir menaçante, I\I. le maréchal liugcaud conduisit de ce côté ses forces disponibles en prescrivant au général la Moricii're des maïueuvres propres à faire diversion dans la division d'Oran. Trois colonnes ra^onnaiit aiiluiir de Miliaiiah soumirent et fraiipcrenl d'evécution div tribus voisines 3. 36 ABD-EL-KADER. D'un :i(ilre cok-, la i;Lifrre contre U's Kaliyles amena la soumission lie la villo de ^Matinata et de celles de Meknés et de Besnès. Les po- pulations envaliies se rélugièicnt dans les hautes montagnes des Beni- Ouraijli. Klles y furent l'orcées. Les tribus des deux rives du Cliéliff tinrit alors leur soumission. Cependant tous ces succès semblaient (iinanimcr le zèle des amis de l'émir au lieu de le réprimer. Dans la province de Constantine, Ben-Amar, kalil'a d'Abd-el-Kader, atta- (|ua ^Isilali et échoua. Bougie fut assaillie deux fois par les Kabjles, (ju'excitait Sy-Zei;hdoud , et deux fois heureusement et brillamment dégagée. Le camj) de l'Arrouch repoussa aussi par les mains du co- lonel Lchreton et de ses soldats de nombreux assaillants. Le camp de l'Ain- Roumel se vit également menacé par l'ancien bey de Constan- tine Achniet. Le général Sillègue sortit le IG septembre contre ce chef, qui se retira sans faire énergiquement tête. Mais le plus fort de la guerre était oii se trouvait Abd-el-Kader. Une petite révolution venait de s'accomplir sur les bords de laTafna. Le marabout Ould-Sidi-Cheikh ayant repoussé l'autorité de l'émir, celui-ci le mi'naça. Aussitôt le gouverneur général et le colonel Teui- poure marchèrent pour le défendre. Nos troupes entrèrent à Tlem- cem , s'emparèrent du fort Sebdon, et en trois semaines soumirent tout l'Ouest depuis le llabra jus(|u'à la frontière du Maroc. Abd-el- Kader, (le son côté, ne resta pas inaclif. Suivi d'un corps de cin(| à six mille hommes, il parvint deux fois à envahir les environs de 'J'iemcen. Deux fois le général l'.edeau le battit. ]\e pouvant plus tenir la campagne, privé des secours du Maroc, l'émir regagna par le désert sa triste capitale de Tedekempt, où il avait laissé sa famille et ce qui lui restait de réguliers. Ses fidèles Hachem continuèrent seuls la guerre, sur la rive droite de la Mina. Le général la IMoricière soumit ceux de l'Ouest. Quelques-uns des llachem de l'Est suivirent la fortune de l'émir au delà de TedekempI , puis l'abandonnèrent. 11 en fut de même quant ii l'abandon des Ouled-Sidi-el-Arabi, qui en- traînèrent dans leur défection les tribus de la basse Mina. Le chef des Ouled-Sidi-el-Arabi avait été mis à mort par ordre d'Abd-el- Kader. Cependant il fallait en finir avec les tribus de l'Atlas entre Milia- nah et Médéah. Un grand mouvement fut combiné pour les enve- lopper. Ce mouvement réussit à merveille, le gouverneur général remonta le Chéliff pendant que le général Changarnier pénétrait dans l'Atlas jiar l'ouest des Beni-Manasser. Toutes les tribus à l'Est et à l'Ouest hrent leur soumission. Quant à la province de Constantiiie, des faits considérables y avaient lieu. Le principal fut l'expédition du général Négrier i> Tc- liessa. Elle eut lieu dans le courant de mai et de juin IS'tl'. Nous ne l'avons réservée jus(]u'ici que pour ne pas la mêler aux autres évé- nements. Les tribus de l'Est, situées à l'extrémité de nos possessions, du côté de la régence de Tunis, ayant manifesté l'intention de se soumettre, le général Négrier résolut de les visiter avec sa colonne mobile, et de frapper aussi un grand coup sur les esprits. Il fut déterminé d'ailleurs à son entreprise par une députation des principaux de la tribu des Nmammchas, des Ouled-Jahya-ben-Thalel et de ceux de la ville de Tebessa, ([ui vinrent lui demander de rétablir l'ordre dans leur pays, lui jurant d'accepter d'avance toutes les conditions des Français. Le'géiiéral partit le 2" mai d'Aïn-Bbouch; il traversa le 30 l'Oued- Tourouch, franchit le Djebel-llammamah, passa ensuite au col de Grechiouu, el arriva le 31 à Tebessa, sans avoir eu à repousser aucun ennemi. Sept coups de canon tirés à l'avant-garde annoncèrent à toute la colonne que le drapeau français flottait sur la vieille forte- resse romaine. Les populations qui avaient quitté la ville y revinrent quand elles virent (|ue les Français n'apportaient avec eux ni le pillage ni l'in- cendie. Nég'rier les organisa, investit plusieurs chefs de fonctions importantes, reconnut (piehiues places des environs, entre autres Beccuria, et ne (|uitta Tebessa ([ue le 3 juin. Selon leur habitude, les Arabes l'attendaient au retour. C'est là leur grande tactique. Ils croient en se portant sur une colonne (|ui vient de faire une expédition, couvrir l'échec (ju'ils mit reçu et changer leur défaite en triomphe. La colonne française venait de (|uiller Tebessa et se portail sur la Meskiana, suivant la rive droite de lOurd-Chabro. Llli' allait passer cette rivière et s'établir sur la gauihe, (piand on vit plusieurs cen- taines de cavaliers descendre du Djebel-Krailiil et déboucher des ra- vins qui avoisinent le Bordj de liasaoud-el-Keber. Ces cavaliers, après avoir d'abord échangé avec nous des paroles de j)aix , prirent bientôt une attitude hostile, el, aux coups de fusil (|u'ils tirèrent, trois cents fantassins environ se joignirent à eux. Négrier n'était pas homme à s'occuper d'une Imupc aussi misé- rable. Enhardi par son dédain, le contingent arabe cominença à se rapproiher et à devenir fatigant. Le brillant colmu'l des chasseurs du 3" d'Afri(|ue, Noi'l, qui venait d'être récemment placé à la tête du corps et qui voulait lui prouver ce qu'il sav.iil fairi', demande alors au général la permission de les charger. Il ne lui laul, dit-il, (|ue trois petits pelotons de vingt-cini| hommes chacun, l'.n elTel, il s'élance, arrive le premier à la charjïe, porte le premier cou]) d<- sabre, et en un seul instant frappe cinq ou six Arabes. L'infanterie de la colonne s'était arrêtée et avait formé les faisceaux pour jouir du spectacle de ces soixante-quinze braves chassant, poursuivant un ennemi huit fois plus fort en nombre. Ce fut un des plus curieux épisodes de la guerre d'Afrique. Après cette rude leçon, l'ennemi ne reparut plus dans la plaine. Négrier revint ensuite par le Djebel-el-Marrah sur la Meskania, et se trouva à bivouaquer le !> juin sur l'Oued-Tourouch. Un autre rassemblement d'Arabes, mais bien plus considérable que le pre- mier, l'y attendait. Ce rassemblement obéissait à El-llasnaoud, cheik des Nemenchas, lequel avait prêché la guerre sainte et su réunir à lui lesGuersa, les Aehach, les Beni-Oudjena, lesSodrata, les Oulad- Sy-Ralifa, les Oulad-Daoud, les Sallaoua, les El-Arbaa et les Oulad- d'Ilann. La cavalerie de ces tribus était véritablement formidable. Elle atla(|ua la colonne le 7 au matin, sans que celle-ci ralentit sa marche. Le colonel Noël, avec ses chasseurs, fut chargé de tenir tète à l'ennemi. 11 le fit avec son audace et son aplomb accoutumés. Son régiment, entraîné par lui, eut les honneurs de la journée. Un ba- taillon du 31' de ligne, aux ordres de Damesine, se distingua beau- coup aussi, de même que le goum arabe, conduit par le kaïd Aly, et qui combattait sous nos drapeaux. Le général Négrier prit ensuite position sur l'Oued-Meknès pour continuer d'autres opérations oii il réussit également. CHAPITRE XXI. Evénements de 1843. — Efforts de l'émir. — Le général la Moricière dans la province d'Oran. — Prise de la smala d'Abd-el-Kader. — Le duc d'Aumale. On s'est demandé souvent pouripioi Abd-el-Kader avait choisi la province d'Oran comme théâtre principal de sa lutte contre la do- mination française. Un étranger qui a suivi avec intérêt nos opéra- tions militaires en Afri(]ue, M. le général major de Decker, a ré- pondu avec simplicité à cette question : « Les causes de la préférence d'Vbd-el-Kader pour la province d'Oran sont, dit-il, faciles à péné- trer. D'abord, cette contrée étant son pays natal, il pouvait espérer avec raison d'y rencontrer plus de sympathie, ainsi que cela eut lieu effectivement. Les autres considérations sont toutes locales; la pro- vince d'Oran étant beaucoup moins montagneuse i|ue les autres, son terrain se prêtait ainsi plus favorablement à l'exécution de la grande guerre ([ue l'émir projetait de faire en premier lieu. Plus riche i|ue les autres parties de 1' \fri(|ue septentrionale, plus fertile, surtout dans la vallée du Chélilï et dans les vallées adjacentes, ce pays oITrait aussi plus de ressources pour la guerre, il y existe en outre plus d' \ral)es (jue de Kabyles; la population est plus nombreuse, plus |)uissante, plus guerrière, el surtout plus fanati(|ue; de là provient (|ue la guerre y porte un caractère tout particulier d'excessive vio- lence et même de cruauté. Quoi(|UC l'époque de la domination de l'Espagne fût déjà bien éloignée, la haine ([ue cette nation avait fait naître subsiste encore toujours dans l'esprit des habitants. l.,es idées religieuses y sont égalemeul plus vivaces, el presque toutes les familles se trouvent en lien de parenté avec quelque marabout de distinction, u Cependant la position n'était plus guère tenable dans la province d'Oran pour Abd-el-Kader. Si nous faisions une biographie particu- lière du général la Moricière , nous dirions avec (|uelle ténacité, avec ([uelle continuité ce général, qui commandait la province, avait poursuivi l'émir, ne lui laissant aucune position, et malgré le petit nombre de troupes (pi'il avait à sa disposilion , se faisant fort vis-à- vis du gouvernement général de sulTire à t(Mites ces circonstances. Ce résultat est d'autant plus remarquable, que dans la province d'Oran Abd-el-Kader lu' disposait p,is seulement des ressources locales; il se tenait là en communication avec le Maroc, qui, comme nous le ver- rons plus lard, lui fournissait depuis longtemps déjà de l'argent, des munitions, des armes el des hommes. Dans toutes ses rencontres avec l'émir, la Moricii're fut habile et heureux, et, si nous ne les racontons pas, c'est pour ne [loinl fatiguer le lecteur des mêmes vic- toires. Le combat di' Sidi-.lousef, livré ((uitre l'émir le 'l'i septembre IH43, est surtout ci'-lèbre, grâce à l'acte ln'-roi(|UC d'un simple scddat. Un de nos meilleurs olliciers, le capitiiiu' adjudant-major de Colle, venait d'avoir son cheval tué en :d)or: (■'était de porter ralta(|ue dans la délense; el sortant de la province (I ( )ran cl de rclétnenl arabe, d';iller ri'-volutionuer r(''lément kabyle aux froiilicrcs iiièuic de la province d'Alger, et de changer à la fois ABD-EL KADER. o7 le théâtre et les moyens de la lutte. Les tribus ne se soumettaient la plupart du temps que pour éviter des désastres. Abd-el-kader avait, dès le principe des soumissions, entretenu des inlclligenccs actives avec les tribus soumises. La contrée la mieux disposée pour ses vues était, sans nul doute, cette partie de l'Atlas qui s'étend dcClherehell jusqu'auprès de Tesscy, et qui est bornée au nord par la mer et au sud par la valli'e du Cliéliff Là surtout les soumissions n'avaient pas eu un grand caractère de franchise. D'après les rapports mêmes du i;énéral Buijeaud, l'émir connaissait parfaitement cette situation. Il résolut donc de faire du pays que nous venons d'indiquer le foyer de l'insurrection. Arrivé du Sud à la tète d'un millier de chevaux réguliers et irréguliers, il grossit bientôt cetli' troupe en entraînant après lui, de tribu en tribu, tous les mécontents. Ses partisans devinrent bien ])lus nombreux ipiand il eut porté la terreur clie/. nos alliés les Ataff et les Kcisseir. 11 les augmenta encore en allant taualiser les kabyles des hautes moiilagnes des Zatima, des Beni-'/.ioui, des Larhall, des Agliebel et desliouraya. Avec les forces imposantes qu'il réunit ainsi, il se présenta au milieu des grandes tribus des Heni-Menacer, dont ceux de l'Ouest se joigni- rent à lui. Un simple lieutenant-colonel, M. l'Admirault, (pii com- mandait à Clierchell, dissipa un rassemblement de ces tribus, celle que l'on nomme Heni-^Ienarer-Gbarabas. l,e général de Bar étant xenu le soutenir avec plusieurs bataillons, ils se portèrent ensemble sur l'Ouest. Abd-el-Kader n'hésita pas à les attaquer le :i janvier 1 8 i^i. Mal soutenu, il fut obligé de céder ce terrain. Le général de Bar l'attaqua à son tour et le refoula dans les montagnes de Gourayas; mais il en sortit bientôt, et, redoublant d'audace, vint camper dans l'est des Beni-Menacer, inquiétant jusqu'à la plaine de la Mitidjah. Le khalifa Sidi-EmbareU l'y vint joindre avec l'aglia des lladjoules Ben-Tiphour et le kaïd des Chenouas. Tous nos généraux se mirent aussitôt en mouvement. Le général Changarnier se porla avec un renfort sur Alilianah, et couvrit contre les courses de Sidi-l'.mbarek les aghalicks des l!eui-/.ui;-Z,ug et des Ouled-Ayad. D'un autre côté, le duc d'Aumale eut ordre de maintenir les environs de IMédéah dans le plus large rayiui i>ossilile. Il sortit avec le colonel Jusuf, tomba sur les tribus (|ui donnaient des signes d'hostilités, et se maintint constamment de façon à mena- cer les derrières ilemcnt déguisée, les liliamaii se virent enveloppés; on leur prit douze mille moutons et cin([ cents <'hameaux. Les lemmes, les vieillards et les enfants n'eurent point le temps de fuir. On leur rendit aussitôt la liberté. La pacification de la province de Médéah parut alors com- plète. La province d'Alger était penilant ce temps-lii le théâtre d'événe- ments Irès-iinporlants. Le général de Bar, pour établir les communi- cations entre les deux établissements que l'on venait de Ibiuler à Tenez et à )',I-Esnam, entreprit de dompter la tribu des Sbihh, (pii, par sa puissance et son esprit belliqueux, dominait tout le Dahara. i.a tribu, avertie à temps, émigra en masse. On l'atteignit après une rapide mais rude ])o\irsuite, et on lui fit dix-neuf cents prisonniers. D'un autre côté, le général (Changarnier rentra dans l'Ouarenscnis, pacifiant les (haines de l'Ouest. Trois petites colonnes sous ses ordres opérèrent heureusement. Le kalifa Sidi-Embarek tint tète avec beau- coup d'ardeur à celle d<^ droite. Il engagea par trois fois son bataillon de réguliers. Les compaj;nies du (ji" le mirent en fuite. Quanta \bd-el-ka(ler, sa position devenait des plus critiques; mais il redoublait de courage et d'audace avec le mallieur. Embarek et El-Berkani l'imitaient. Après les événements que nous avons résumés et dans les([uels l'émir avait couru de si grands dangers, il se rejeta dans la province d'Oran. Un coup de main tenté par lui sur (pielques tribus des en- virons de ^lascara ne lui réussit point. Il se porta alors sur les Sé- damas; mais au moment oli il allait les enlever, notre colonne se montra dans le lointain. Les Sédamas prirent aussitôt l'offensive, et tuèrent à leur ancien sultan cinquante cavaliers. Poursuivi alors de très-près par le général la iMoricière, \bd-cl- kader réussit à passer sur les derrières de nos troupes, et pénétra dans le pays des Flillas par l'Oued-Menalsa. Son intention était de se xeneer de la trahison de Djelloul, chef des Ouled-Belaya , que nous avons récemment vu se déclarer pour nous. Djelloul échappa comme les Sédamas; ayant appris que le convoi de Mascara était dans ses environs, il partit à sa recherche. Abd-el-Kader ne lui 1. lissa pas le temps de le joindre, et l'investit avec sa rapidité ordi- naire. Heureusement le commandant du convoi était averti. Avec cinq cents hommes, il parvient à couvrir la masse inolïensive de la tribu qui s'enfuit. Djelloul, voyant les enfants, les femmes et les troupeaux des lielaya protégés par les Français, attaipie avec fureur les cavaliers de l'émir, les pousse dans un terrain ditlicilc, et en tue une trentaine. Cet échec fut suivi de plusieurs autres, parmi lesquels il faut dis- tinguer ceux qui' le général licdeau fit éprouver aux Djaffras, tribu des plus importantes, et qui venait d'accepter d' Abd-el-kader un kalifa nommé Sidi-Seitoun-Oulid-bou-tCharcb. On les surprit dans le plus complet repos. Ils laissèrent ([uarante morts sur la place. Dans la province de Constantine, les succès continuaient, ('epen- ilant cette province :ivait pour ainsi dire trouvé, elle aussi, son Abd- el-kader dans la personne de Sy-/.egdoud. Le génér.d liaraguay- d'Hilliers fut chargé de mettre un terme aux entreprises de ce prédi- cateur de guerre; il y réussit cninplétement. ,Sy-Zrghdoud , atteint p.ir nos troupes, se réfuç.ia vainement dans le marabout d' \ckeicha. Il s'y défendit vaillamment, et fut tué. D'autres exiiéditions i-onlre les /icrdczas et les tribus des environs de Collo achevèrent la pacifi- cation. Nous trouvons dans un rapport du lieutenant-colonel Daumas, alors directeur îles affaires arabes, des paroles (pii attestent à (|uel |ioint on en était arrivé. « On peut dire, écrivait cet intelligent olfi- cier, dont nous aurons bientôt occasion de p.irler eu dét.iil , ipi'en laissant de côté les liibans et en passant chez les Ounoiighas, les communications d'-\lger avec Constantine sont presque sûres. i< Sur les autres points, la niêuie trancpiillité régnait. Cependant l'émir ne se tenait pas pour vaincu. Sans doute, il ne lui restait plus de villes, plus de camps fortifiés, plus de tribus (|ui pussent di'vcnir pour lui un centie de résistance sérieuse; mais il lui restait son csjiril supérieur à l'adversité, il lui restait l'espérance ((u'avec une meilleure fortune, l'esprit changeant dis \iabes revien- drait à lui. Ce qu'il avait de mieux ii faire jusque-là, c'était de pro- ' .M. l'iat. 38 AHU-EL-KADEH. léger contre la rapidité des colonnes acharnées à sa poursuite ce noyau mourant de sa puissance, si connu sous le nom de smala. La smala se composait de la famille du chef, des principaux lieu- tenants ou marabouts assez compromis dans son parti pour ne le pouvoir quitter; elle avait pour défense la partie des réguliers que le fer des Français n'avait pas détruite, ou qui n'était pas soit avec Sidi-Embarek , soit avec El-Herkani. Il fallait joindre à cette force les gounis de plusieurs tribus, qui, par habitude autant que par fidé- lité, suivaient la fortune de l'émir, t^ous cette protection erraient à l'aventure de la p,uerre sept à huit mille personnes, femmes, enfants, vieillards, serviteurs, réfugiés, transfuges, n'ayant d'autre ligne de conduite que d'échapper aux poursuites de nos colonnes, et de dé- ployer leurs tentes là où le drapeau de la France ne flottait pas. Ce qui donnait à l'e.iistence nomade de cette smala quel(|uc sécurité, c'est (|ue rarement Abd-cl-Kader se trouvait avec elle. Comme la perdrix qui, pour sauver sa couvée, entraîne au loin le chasseur, l'émir, en se montrant sur un point, était sur d'entraîner avec lui les poursuites, et, par ce seul l'ait, famille et amis se trouvaient en sûreté. Cependant un coup tcrril)le allait lui être porté. Le 9 mai, le général Bugeaud apprend par des éclaireurs attachés aux bureaux aralies qu'Abd-el-Kader est revenu dans l'Ouarenseris. On lui a signalé son cam]iement à i|uelque vingt lieues de lioghar. Aussitôt le gouverneur donne ordre à la IMoricière et au jeune duc d'Aumale de combiner leurs mouvements entre eux et avec ceux de la tribu des Arars, sur laquelle ils devaient rejeter l'émir. L'opéra- tion était dilhcile. Il fallait alïronler les plus grandes fatigues, par courir à marches forcées des contrées où l'eau man(|ue souvent, et sur lesquelles, malgré les excellcnls travaux des bureaux arabes, les données n'étaient pas toujours complètes. (Juant au succès, rien n'é- tait moins certain. Il y avait, selon toute ap|iarenee, à craindre les efforts les |)lus terribles d'un ennemi tel qu' Abd-el-l\ader, s'il se voyait acculé aux dernières extrémités. Un général expérimenté n'au- rait peut-être pas réussi; un coup de fortune livra les dernières espé- rances de l'émir aux mains d'un général de viiigt ans qui sut se rendre digne de la rencontre. Le jeune duc d'Aumale était parti de lioghar avec treize cents baïonnettes et six cents chevaux. On était au 10 mai. 11 apprit bien- tôt par l'agha des Ouled-Aiad que la smala devait se trouver dans les environs du village de Gougilat. On surprit de nuit ce villaije, et l'on y sut la véritable position des tentes de l'émir; elles s'élevaient à quinze lieues à l'ouest à Oussek-ou-llekai. Le jeune duc précipita sa marche de ce côté; mais en même temps la Moricière opérait dans une aïitre direction, et serrait de juès Abd-el-Kader, si bien (|ue celui-ci d'Oiiessek-on-Hekaï se jeta vers Taguin, pour de là gagner le Djebel- Amour, où des grains déjà mûrs lui promettaient la nourri- ture des siens. Le due d'Aumale apprit cette nouvelle, et sans hési- ter se porta vers Taguin avec la partie la plus mobib' de sa petite troupe. Un coup de fortune, comme je l'ai dit, lui était réservé. Le IG mai, après une matinée passée en recherches inutiles, on se trouva tout à coup, sans le savoir, pri's de la smala. Sur une étendue de plus de deux cents kilomètres, trois cent soixante-huit douars de quinze à vingt tentes chacun se déi)loyaient au loin. L'aga des Ouled-Aïad , Ahmar-Beii-Ferratli les vit le premier II rebroussa aussitôt chemin avec ses cavaliers qui formaient l'avant- j;ardc,et vint avertir le jeune général, en le suppliant d'attendre ses zouaves, qui ne pouvaient t.irder. Mais on était trop avancé; il fallait boire le vin tiré , e'esl-à-dire vaincre. « Jamais nul de ma race n'a reculé », s'écrie héroïquement le prince; et il donne l'ordre à Jusuf de commencer l'atlacpie avec ses spahis. Lui-même, ii la tète des chasseurs, se prépare à charger. .lusuf part comme une flèche sur la- quelle cent autres flèches seraient lancées. On nous avait vus de la smala , et le cri de terreur : Er rounii! cr rmimi! éhranlail les échos. Les femmes, qui commeiu'aienl à faire cuire les aliments d • la journée, fuient les |iremières. Mais déjii les spahis sont au milieu des tentes d'où s'élancent les réguliers. Ils sa- brent tout dcv.int eux. (Jiqniidant il est évident que leur petit nouibre ne pourra liuiglemps vaiiure un si grand nombre d'iuinemis. Le prince le comprend, et s'ébraide alors avec s<'s chasseurs, divisés en trois groupes, l'un à gauche, commandé par le lieutenant Dehige, le second au eenire, enirainé par le lieuliuiant-eolonel Morris, l'I le dernier à (lroil<>, sous les ordres du capitaine d'I'-spin.iy. Les llaehem essayent vainement de les arrêter. Toute résistance cèile à l'impétuo- sité de nos cavaliers, à la fougue de leurs chefs. Alors ont lieu inille épisodes saisissants. C'esl une nu'-re ipii, portant ses enfants dans ses bras, demande et oblienl le passage à travers nos soldats; ce sont les lemmes et les filles des clicïks <[ui fuient emportées par des droma- daires rajiides, tan')« de ligne et des zouaves, six cents chevaux tant s|ialiis que chas- seurs et gendarmes, une section de montagne et un approvisionne- ment de vingt jours en vivres et en orge porté par un convoi de huit cents chameaux et mulets. Je l.iissai à lîoghar des vivres ]iour ravitailler au besoin la colonne, et une petite garnison de deux cent eiii(piaiit<' hommes, commandée par le caiiitaine du génie Matlet, officier plein de ressources et d'inlelligence. Le but que vous m'aviez indiqué était d'atteindre la smala d'.Mid-el-kader , soit en agissant de concert avec M. de la i\Ioricière, soit en opérant seul, si des cir- constances politiques retenaient cet officier général dans la province de IMaseara. Des renseignements dignes de foi, fournis par l'agha des Ouled-Aïad, plaçaient la smala dans les environs de (ioudjilat, sans déterminer sa |)osition d'une façon exacte. Il importait donc, avant tout, d'atteindre ce point le plus prcnuptement possible, en tâchant de dissimuler à l'ennemi la direction (|ue nous suivions; nous ne pouvions pas esiicrer (|u'il ignorerait notre sortie. Cràce à d'excel- lents guides, nous pûmes, en suivant une vallée étroite et parallèle à cvWc lie \arh-()uassel, arriver à (ioudjilal sans qu'on y fût i)révenu de notre approche; et le li n\ai , à la suite d'une marche de nuit, ce petit village fut cerne. nGoudjilal est peuplé de gens de métier, que leur profession met- tail eu rapports eontiiuiels avec la smala : on en arrêta quelques-uns. Nous sûmes par eux que la smala était à Oiiessck-on-Hekaï, à envi- ron quatorze lieues au sud-ouest. « Dans la nuit du tl au l.'>, la colonne se remit en route vers ce point. Ouclques individus surpris dans les bois nous apprirent que l'ennemi avait levé son camp la veille au soir, et s'était dirigé vers Taguin, pour de là i>agner le Djebel - Amour. Cette mcmlagno rcn ferme des grains déjà mûrs dans celte saison, et qui devaient nourrir pendant quelque lemiis les nombreuses populations qu'Abd-el-kailer Irainail à la suite de son douar, .le rusinlormé, en même lemps,qu« le général de la Moricière élail à quelques lieues dans le sud-ouest , et que sa présence avait décidé ce brusque mouvement. L'émir l'ob- servait avec vingt-cinq chevaux, ahn ilc> pouvoir mettre sa smala a couvert; mais il ne craignait rien de la colonne de l'I'st , qu'il crojait ' ynnoires il'AtexanJre Ihimai, troisième partie. ABO-EL-KAI)EK. «9 rentrée à Bop,U«r. Celte nouvelle ne me laissait (|n'nn parti à prendre, c'était (le Rai^ner aussitôt Tannin , soit pour atlcimlre la smala , si elle y était eneoip , soil pour lui fermer la roule de l'Kst , et la rejeter forcénieni sur Ir Djebel-Amour, où, prise eulrc les deux colonnes de Mascara et de >lédéah, il lui était diliicile d'ccliapper ; car, dans ces vastes plaines, l'eau est si rare, que les roules sont toutes tracées par les sources si précieuses qu'on y rencontre. » Ce )>laii était simple; mais il fallait, pour l'exécuter, une grande confiance dans le dévouement des soldats et des olïiciers. Il fallait franchir d'une seule traite un esjiace de plus de vin;;t lieues, où l'on ne devait pas rencontrer une rjoutle d'eau. i\lais je comptais sur l'é- neiPjie des Iroupcs; l'expérience a montré que je ne m'étais pas trompé. » .le subdivisai la colonne en deux : l'une, essentiellement mobile, composée de la cavalerie, de l'artillerie et des zouaves, auxquels j'a- vais attaché cent cinquante mulets pour porter les sacs et les hommes fatiPjUés; l'autre, formée de deux bataillons d'infanterie et de cin- quante chevausL, devait escorter le convoi sous les ordres du lieute- nant-colonel Cliadeysson. I.e tfi, à la pointe du jour, nous avions déjà rencontré quelques traînards de la smala. ïfur des renseiijne- nienls inexacts qu'ils donnèrent, je fis, avec la cavalerie, une recon- naissance de quatre lieues, droit au sud, qui n'aboutit il rien. Crai- gnant de fatifjuer inutilement les chevaux , je persistai dans mon premier projet; et je repris la direction de Taeiiin, où toute la co- lonne devait se réunir. Nous n'espérions plus rencontrer l'enncinidc cette journée, lorsipie, vers onze lieun's, l'aijha des Ouled-Aïda, en- voyé en avant pour reconnaître l'emplacement de l'eau, revint au galop me pn'venir que la smala tout entière (environ trois cents douars) était établie sur la source même de Taç,uin. » iNous en étions tout au plus à mille mètres; c'est à peine si elle s'était dcji* aperçue de notre approche. 11 n'y avait pas à hésiter; les ïouaves , que le liciil-Miant-colonel Chasscloup amenait rapidement avec l'ambulance du docteur lieuret et l'artillerie du capitaine Au- bac, ne pouvaient pas, malsjré toute leur énerijie, ;irriver avant deux heures, et une demi-heure de plus, les femmes et les troupeaux étaient hors de notre portée; les nombreux combattants de cette ville de lentes auraient eu le temps de se rallier et de s'entendre; le suc- cès devenait improbable, et notre situation très-criti<|iie. Aussi, mal- gré les prières des Arabes, qui , frappés d<' notre petit nombre et de la grande quantité de nos ennemis, me suppliaient d'attendre l'in- fanterie , je me décidai à attaquer immédiatement. » La cavalerie se déploie et se lance à la charge avec cette impé- tuosité qui est le trait distinctif de notre caractère national, et qui ne permit pas un instant de douter du succès, » A [[aiiche, les spahis, entraînés par leurs braves ofticicrs, atta- quent le douar d'Abd-el-Kader, et culbutent l'infanterie régulière, qui se défend avec le courage du désespoir. Sur la droite, les ch;is- seurs traversent tcuitcs les tentes sous une vix'c fusillade, renversent tout ce qu'ils rencontrent et vont arrêter la tète des fuyards, que de braves et nombreux cavaliers cherchent vainement à dégager. Ici, mon général, ma lâche devient plus diflicile. Il faudrait vous raconter mille traits de courave, mille épisodes brillants de ce combat indivi- duel, qui dura plus d'une heure. Officiers et soldats rivalisèrent et se multiplièrent pour dissiper un ennemi si supérieur en nombre. INous n'étions que cinq cents hommes, et il y avait cinq mille fusils dans la smala. On ne tua que des combattants, cl il resta trois cents ca- davres sur le terrain. >i Quand les populations prisonnières virent nos escadrons qui avaient poursuivi au loin les cavaliers ennemis, elles demandaient à voir leurs vainqueurs et ne pouvaient croiitî que cette poignée d'hommes eût dissipé cette force immense dont le prestige moral et réel était si grand jMrmi les tribus. » INous avons eu neuf hommes tués et douze blessés. » A la suite de ce modeste estposé, le duc d'Aumale citait ceux de ses compagnons d'armes qui, comme .lusnf cl le liculenant-colonel Morris, l'avaient le mieux secondé. Son espril de justice n'oubliait personne, ni les officiers ni les soldats'. Mais ce (|ui lui fait encore plus il'honueur, c'est la manière prudente dont il met à couvert les fruits de sa victoire. Ce n'était pas une petite afl'aire que de ramener prisonnières les premières familles de la suite de l'cniir et de celles de ses kalilas. On y réussit cependant sans lirùler une seule amorce. ' Le prince citait dans l'état-major : le commandant Jamin , son aide de camp ; les capitaines de Beaufort, Diirrieux et de Marguenat; l'intorpreie de première classe Urbain. Dans le i'i', le capitaine I)U|'in, de l'etat-major. Dans la gendar- merie, M. Gros-Jean, lieutenant; le maréchal des logis Chambert, le brigadier Murel, le gendarme Fermeau, blessé. Dans le i" de chasseurs, le lieutenant Litchelin, blessé; les maréihaux des logis d'Orvinsy et Pobcguin. Dans le 4' de chasseurs, les capitaines d'Kspinay, Granvalet et Cadix; le lieutenant Paulze- dlvoy, les sDus-lieutenants Marchand, Draix, Caudaux et de Layc ; les maréchaux des logis Dreux , CarrpI, Laroche, Combriel, Monphoux; les brigadiers Masson, Bertrand, Boissonay, Brioul; les chasseurs Magnin, Morel, Delacour, l'erray, Lemoino et Desprez; le trompette ArJouin. Dans les spahis, le chef d'escadron d'Allonville; les capitaines OITroy et l'iat, les lieutenants Ficury, Jacq^iet, Frontville et Legrand; les sous-licutenaiits Du- barrail, Gauireau . Bréautés, de Bteleuil, Plat, Saïil; les sous-ollicicrs Olivier, Mesmer, et d'autres do noms arabes. Le coup moral fut immense. On s'en aperçut aux soumissions des tribus. Parmi ces tribus, il faut distinguer celles (|ui habitaient au sud de Tliaza et de Bogbar. JNous copions, comme donnant une excellente idée du caractère arabe, la lettre de lljelid, chef des Ouled-Chaïl. « A l'Exeellenee (|uc Dieu a préposée au gouvernement des peu- ples, et dont il a étendu l'autorité sur les nations! » A Son Altesse le lils du roi de France! etc., etc., etc. » \ ous n'ignorez pas que nous sommes des Arabes, et que nous servions celui qui était sultan antérieurement. » Vous savez aussi que la crainte seule nous avait forcés ii nous soumettre k lui, car nous étions exposés à ses coups; et il pouvait nous traiter comme il a traité les tribus qui ont demandé la paix et se sont soumises. » jUa/s pi(/.<(/i(c Dieu fous a doiuic lu puuroir, nous devenons rox serviteurs et les serviteurs du gouvernement français. » Je vous envoie le lils de mon frère, que je regarde comme un autre moi-même. .le vous prie de m'accorder l'aman, et de me cou- vrir de votre protection. » Pour le fils de mon frère, je mus demande une diiinité qui soit aux yeux de tous la preuve de la protection que vous lui accorde- rez. Je vous l'envoie avec l'espérance que mon attente ne sera pas trompée. » La naïveté de l'intérêt cl de la personnalité qui présidaient aux soumissions arabes éclate trop dans celle pièce pour que je la fasse ressortir. La victoire du duc d'Aumale fut d'ailleurs complétée par le géné- ral de la Moricière. Nous avons vu que CC général opérait de son côté pour surprendre la smala. Moins heureux que son jeune rival, malgré l'iiabilelc de ses manœuvres, il n'avait pu la joindre. 11 apprit le 19 n son bivouac de Tiaret le glorieux coup de fortune du commandant de l'ittcry. Sans en éprouver la moindre jalousie, il ne songea qu'à seconder les mou- vements de l'antre colonne. Il fit pix-sser le pas dans la direction i|ui lui était indi(|uée comme étant celle qu'avaient dit suivre les tribus de la smala. Bientôt des spahis lui ramenèrent des prisonniers; puis, un peu plus tard, il rencontra toute la tribu fugitive. Abd-el-K;uler, avec ses réguliers, couvrait la fuite; mais tel était le découragement des Hachem , qu'ils se rendirent dès qu'ils virent nos soldais. Ceux de l'émir tirèrent sur eux au dernier moment, comme pour les punir de leur lâcheté. Alors commença pour le général de la Moricière une œuvre de gé- nérosité. Une population de deui mille cinq cents âmes était entre ses mains. Qu';illait-il en faire? Laissons-le parler lui-même, son cœur est tout entier dans ces lignes que l'on va lire : II A deux heures du soir, après une course de huit à neuf lieues, nos cavaliers, écrivit-il au gouverneur général , ranienèrent vers le camp une ])opiilKlion d'environ deux mille cinq cents ;iines, avec ses troupeaux, ses chevaux, et ce qu'elle a pu sauver de deux cala- strophes. » Je ramène à ma suite toute cette population ruinée, et je vais la faire reconduire > 11 n'y a rien à ajouter à une page aussi magnifique; rien, si ce n'csl que, sans nul doute, la guerre conlre les Arabes n'eût ]ioint aut.int duré avec un pareil système de générosité. Pendant (|ue ces succès étaient remportes dans le Sud, les géné- raux de Bar, f;iiani;arnier, (muiIH, Bedeau, et le colonel (^avaignac , obtenaient sur d'autres points de brillants avantages, notamiucnl contre les Flitl.is et dans l'Ouarenseris. Le général Changarnier, en particulier, enferma dans les gorges de la pointe est de ces montagnes plusieurs milliers de Kabyles ([u'il força de se rendre, et qu'il épargna comme le géiicr;il la Moricière avait épargné les llachem. Le colo- nel Cavaignac en fit autant de diiix fractions des Sendjass. Une perle sensibb' diminua toutefois la joie que rcpandit parmi nos troupes l'ensemble de ces nouvelles. ISous voulons parler de la mort du vieux Miislapha-Ben-Ismaïl. Un mot sur ce compagnon l'idclc de nos armes ne sera pas déplacé ici. CHAPITRE XXII. Mustapha ben-Ismael. — Sidi-Enibarok; sa mort. Le général Tempouro. — Le colonel Tortas. ■ Mustapha-ben-îsmail , bien (|u'Arabc, puisqu'il appartenait à l'an- cieiinc laiiiillc des llacleia, originaire du Maroc, est, à p;irt le gcnc rai Jiisuf, le [dus brill.int reprcsentanl de celle race chevaleresque - I.a nalionalitfrarabo. — Le brigadier Gérard. 40 ABD EL-KADER. de nens de guerre que l'on qualifie de Turcs, comme ayant été au service des Leys de la régence. Il était né à Aïn-el-Amriali, sur le Rio-Salado, et l'on n'a jamais bien su comment il était arrivé aux fonctions d'agha des tribus de commandomcnt, c'est-à-dire des tri- bus guerrières formant le magbzen ou réserve des beys d'Oran. Ce fut le bey Mustapha-el-Manzali qui lui confia ces fonctions à la mort de son frère Kaddour-ben-Ismaïl. Jl se distingua particulièrement sous le successeur de Mustapha-el-Manzali. 11 aida ce successeur, nommé Mohammed-el-IMukallcch, à chasser de sa province la secte des derkaoua qui s'en était emparée. Il joua aussi un rôle glorieux sous le dernier bey Hassan. C'est lui, dit-on, qui détermina. ce prince à épargner Mabi-Eddin, père d'Abd-el-Kader, lors de ses premières entreprises. C'est lui aussi qui reprit aux tribus insurgées par Moham- mcd-Tedjini, père du chef du même nom, devenu depuis notre allié, la ville de Mascara. Duvivier, général de division, mort à Paris le 8 juillet 1848. A la chute des beys, ^Iiistapha-Ben-Ismaïl , ralliant autour de lui les Douers et les Smélas, repoussa les cnirepriscs de l'empereur de Maroc sur la province d'Oran. Il s'ojiposa de même à celles de iMabi- Eddin et d'Abd-el-Kader. ]\oiis l'avons vu se réfugier dans le mé- chouar de Tleracen , et s'y soutenir des années entières contre les attaques incessantes de l'émir. Si les généraux, chargés du comman- dement de la province avaient su l'apiirécier et l'investir d'un titre réel, il aurait, sans nul doute, neutralisé la puissance du jeune sultan d'Eghris, eul l'être une troupe arabe. Au hloeus de la Tafna, à la Sickab, dans loiilis les occasions, il se munira coiume nous venons de le dcpeiiHlrc, plein de prudence et plein (l'élan. On ('rnl devoir, a|u('s la victoire de la SieUali, lui donner le litre de maréchal de camp. Il prouva (|u'il ét.iit à la hauteur du grarilure, souverains absolus, sans palais et sans trône, cjui, Di! la Morii'iùrc, général de division. semblables aux fleuves dont le lit va sans cesse eu grandissant, n'é- taient jamais plus majestueux ni plus respectés qu'au déclin de leur vie. A son approche, on ne pouvait se défendre d'une profonilc vé- nération. Sa stature était imposanle, et l'âge n'a\ail iioint eiuirhe sa haute taille. Il avait le visage Irès-iivale, peu phiii et d'un exirême relief, le front haut, les yeux noirs, le ne/, fièrement an|né, la bouche fine et dédaigneuse. Une barbe lilanche comme la neige encadrait sa noble figure, dont l'expression habituelle était d'une gravité hau- taine. « Son neveu et son émule, lladj-cl-Mezari, lui succéda dans le com- luandemenl du magh/cn. Mais Abd-el-Kadcr n'eut pas lieu de s'ajiiilaudir longtemps de la mort de Miistapha-hcn-lsmaïl. La fortune lui réservait la conlre- parti(> de cette mort. Il allait perdre un aller eyu, un homme qui , ' avait ABD-EL-KADER. il été k lui ce que Mustapha avait été ii la France, nous voulons parler de Sidi-Emliaiek. lulerronipons-nous un instant pour résumer ici l'histoire de ce chef émineut, (pie les accidents multiples de la yuerre nous ont fait perdre de vue. Sidi-Mohamed-lien-llamlam, vul!;aircnient lien-Allal, neveu de ce El-lladj-Mahi-Kddin-el-Siïher (jue nous avons vu commander les tribus dans la province d'Alfter, puis passer du côté de l'émir après la destruction des Ouftias, descendait des Iieni-/ian, anciens rois de 'l'iemcen. 11 demeura quehiue temps en otage à Alficr, où il se livrait dans la société de nos jeunes oft'iciers à des cvcès que ses compatriotes lui ont reprochés. Une (pierello de femmes le rejeta hors de notre |iarti. A la mort de son oncle lU-lladj-Mahi-Eddin-el-.Sijher, Abd- el-Kader le nomma kalifa de Milianah. L'émir voulait alors se dé- barrasser de l'espèce de tyrannie ([ue les Uachem faisaient peser sur lui comme étant, pour ainsi dire, les premiers instruments de son élévation. 11 leur ôta la garde de sa famille, et la donna pendant son expédition contre Tedjiny, chef d'Aïn-i\Iadhy, au kalifa .\voiis-iious besoin de dire (pie rien ne nous autorise à regarder ce récit comme basé sur des faits réels, malgré l'incontestable bonne foi de son auteur, (pii .ijoule (|ue l'émir fil lomber sa colère sur le iii'gre et la négresse (huit il est parlé plus haut:' Ces malheureux, .ipprenanl le relinir de leur maître, s'élaient enfuis à Alger. Abd-el- Kader deiiiaiiila et obtint leur exiradilion , à propos de Uipielle le eon. mandant l'élissier, directeur des alVaires arabes, aurait donné sa di'inissioii. Ils lurent mis à mort par l'émir. (_)iiant à Sidi Embarek, nous le voyons au mieux avec son luailre dès la rupture de la paix en is:i',). C'est lui ([ui se jette sur la MItulja; c'est lui (|ui est battu à l'Oiied-el-Aley avec El-Herkani; c'est lui (|ui jdus lard est chargé par l'émir d'échanger cent vingt- (piatic prisonniers fran(;ais contre les familles arabes (|ue lui ramena le célèbre évè(|ue d' \lger. M. Antoine Dupiich. \ la suite de cet échange, Sidi-1'.mbarek li.i plusieurs négociations avec nos généraux. 11 deniaiulait trop; on ne lui accorda rien. Nous a ABD-EL-KADEH. l'avons vu, dans d'aiities cha]iilies, attaqué par les troupes du duc d'Auniale, laisser tomber sa khazna aux mains du colonel Jusuf. Un peu plus tard, malheureux dans toutes ses entreprises, il fut en- core battu par le colonel Saint-Arnaud et par le i;énéral (Jhangarnier. Enfin sa famille tomba avec la smala d'Abd-el-Rader aux mains du duc d'Aumale. On a de lui la remarquable lettre qu'il écrivit à ses parents prisonniers en réponse à des supplications de leurjiart. IVous transcrivons cette lettre comme étant de nature à faire connaître quelle puissante résistance l'armée d'Afrique a eue à dompter, l'arnii ses parents se trouvaient les femmes, le fils, le frère et les tantes du kalifa. « Moliammed-ben-Hauilam-Oulid-SiJi-Emharek (que Dieu le traite avec bonté dans ce monde et dans l'autre, lui, ainsi (|ue tous les mu- sulmans!) à ses frères prisonniers, capturés sous le drapeau du l'ro- phète. » J'ai reçu vos lettres et en ai compris le contenu. J'ai rendu grâce (t Uieu du bon état de santé dans le([uel vous paraissez être, car la santé est le plus précieux de tous les biens; je l'ai remercié aussi de la manifestation de sa haute puissance qui a amené votre captivité. » Oui, ce qui est arrivé n'est que l'accomplissement de sa suprême volonté. C'est ainsi que sa toute-puissance s'est manifestée lorsque, sans le concours de personne, il a créé le ciel et la terre par la seule force de sa volonté et de son pouvoir. Dieu est uuiqu»; il n'a point d'aides; il n'a pour alliés ni les Français ni aucun autre peuple de l'univers. Votre cajitivité est aussi le résultat de ses immuables dé- crets, l'iein de cette idée, je vous engage à n'occuper votre àme que de lui. C'est lui qui fait vivre, c'est lui qui fait mourir : il réduit en esclavage, il rend la liberté, il abaisse, il élève; la mort et la vie, la pauvreté et la richesse, le bien et le mal, la tristesse et la joie, en un mot tout ce qui compose l'existence de l'homme sur la terre dépend uni(jucment de lui. » Je n'ai pas le jiouvoir de vous accorder ce que vous me deniau- dez; notre auguste prophète a seul ce privilège. Invoquez-le donc, car c'est lui qui intercède pour les hommes. Dites : O Dieu! e'esl par l'eutreniise de notre bien-aiuu' prophète que nous vous conju- rons. QjMohammed! veuilles supplier pour nous l'Éternel; ô le plus pur des envoyés ! employez, Votre influence près de Dieu pour obtenir notre délivrance! » Faites une foi» cette lliVôcatiotl dans VOS pfièl'es, et n'oubliez pas que le saint prophète a dit ! Que Ceux qui désirent des faveurs prient, car c'est k l'aide des prières que l'on atteint le but de ses vœux. )> Ainsi priez sait» cesse Cl surtout le Vendredi. Choisissez K tel effet un iman que vous déslguere?, parmi vous. » Je vous conseille aussi d'<*tre très-réservi's dans vos discours. N'adressez la parole aux étrangers que rarement et dans le cas do nécessité absolue. Ne tenes pas de ]iropos indignes d'un malioluél.iu ; c'est ainsi que vous conserverez vos noms purs de toule souillure. (,)ue la concorde et l'harmonie régnent entre vous; sojez bons le» uns pour les autres ; consolez-vous réciproquement, et ne désespère?, pas de la bonté de Dieu, car l'impie seul doit renoncer « l'espérance. Ne foruiez enlre-voUB tous qu'une seule Cl môme personne, «fin cpie votre désunion ne fournisse pas à l'ennemi un iirétextc de se railler de vous. » Je vous adjure également de vous armer de patience. Le prophète a dit : C'est par la jiatiencc que notre peuple échappera à la jiersé- cution. Dieu lui-même vous a prescrit la patience dans toutes les pages du Korau. Ali a dit : La patience est inséparable de la loi; elle est à la religion ce que la tête est au corps. Omar a dit : J'ai patienté, et les décrets de la Providence se sont accomplis. Ils doi- vent nécessairement recevoir leur exécution. » Au reste, comme je vous l'ai dit, votre ca))tivité et notre sépara- tion, qui en est le résultat, sont des décrets providentiels. Hésip.nez- vous, souliK'ttez-vous à la volonté de Dieu, et vous aurez en paîlagc toutes les félicités promises. Ce Dieu a dit : Ceux (jui ciuittcront leiîr pays pour marcher contre les infidèles, je les introduirai au sein du paradis. » Que les maux dont vous êtes atteints ne vous allligent pas. Cmi- sidérez ce qu'ont souffert Joseph et Jacob, et cela durant tant d'an- nées. Eux aussi ont eu à pâlir de la captivité et ;i vider la coupe de l'absence. Ah! reinlez grâce à Dieu , qui, en sévissant sur vous, vous a traités encore avec |ilus de bouté que les pharisiens ces rois d'L- gypte. « Prenez evemple sur les Sohabas. Qnr u'out-ils |)as eu .■< soulïrir! Ils ont cependaul palieulé, et tous leurs maux ont eu un terme. » liiiilez jusipi'au boni leur fermeté et soyez inébranlables comme l'un d'entre eux, fJen-Kedama-el-Soliabi , qiii fut ainsi que \ous pri- sonnier, sous le kalilatde .'^idi-Amer. Les ihrétieiis, voulant faire île lui un prosélyte, firent bouillir beaucoup d'huile dans une chaudière puis lui dirent : .Sois ciirélieu, ou nous le précipitons dans celle huile, bu r son refus, ils se saisireut d'un aulie prisonnier musulman et le jelerenl dans la chaudii're, oii il fut brûlé jusqu'aux os. Ils renouve- lerchl alors leur pro|«)siliou it kedama, qui les rejeta, et l'instant d'a- près expira .MAKTÏH DE SA iul. » Faites bien attention aux conseils que je vous donne et suivez- les, car Liieu saura vos actions, » Pour ce qui est de me rendre près de vous chez les iulidiles, afin de mettre un terme à votre captivité, n'y songez pas! Vous m'avez dit d'aller à vous, et moi je vous réponds : Oui , sans doute , rien ne nous est plus cher ici-bas que les auteurs de nos jours , nos frères , nos proches, nos enfants. S'il s'agissait de vous racheter avec de l'ar- gent au prix de ma vie, je le ferais; mais me rendre près de vous, parmi les chrétiens, est une démarche que réprouve la loi de Dieu et de son prophète; ce serait les quitter tous les deux pour aller aux impies. J'espère que je ne ferai pareille chose, je ne mourrai, s'il jd.iil à Dieu, que musulman. Je ne suis pas disposé à renier Dieu pour l'amour de vous, et je souhaite que ces sentiuieuls soient les vôtres. On retrouve toujours les parents dont on a été séparé ; la vraie foi et le Très-Haut, jamais. • Le mieux est donc de vous en tenir à la patience. Priez, lisez le Korau, suivez tous mes conseils. Il est probable que je ne recevrai plus de vos lettres; j'ai récite sur vous l'oraison des morts. Deunin- dez grâce à Dieu, qui fait ici-bas ce qu'il veut, et dites avec Job : O Dieu ! vous êtes le seul savant, le seul médecin capable de guérir nos maux. 11 Je vous informe que j'ai pris en mariage la fille de Ben-Aïssa- el-lierkani, kalifah. J'ai formé une smala plus considérable que celle dont vous faisiez partie. » Abd-el-Kader notre seigneur se porte bien; il est victorieux et s'esl emparé de Hcnaïch, d'Aziz et d'Abran. Il a avec lui plus de sat- dals (ju'auparavatit. Si Dieu continue à favoriser ses armes, vous en- tendrez bientôt parler de lui. fussiez-vous à Paris. » Il suflit de lire cette lettre, de peser les expressions qu'elle contient, pour voir à quels hommes de fer notre armée d'Afrique livra dix- huit ans de bataille. Vaincus , jamais domptés , confiants dans leur cause, ingénieux en ressource, incapables de se laisser aller au dé- couragement , tentant de grandes entreprises au moment oii on les croit isolés, méprisant les pertes personnelles, instruits dans leur religion, fiers d'imiter les grands exemples de la Bible, tels cette lettre nous révèle les patriotes arabes qui soutinrent Abd-el- Kader. Voilà pourtant l'homme dont le commandant Saint-Arnaud, trompé sans doute par de faux rapports, écrivait qu'après sa défaite dans i'Ouarensenis, il pleurait toutes les nuits. Ue tels caraclères rompent, mais ne ploient pas. Leur cœur n'a point de larmes. Si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise! la France était envahie, que ses déleltseurs prennent exemple sur les Arabes! qu'ils disputent le terrain pied à pied! qu'ils meurent Français , mais qu'ils ne se rendent pas! On \'a voir, au reste, colnment mouraient les chefs de ces patriotes arabes que nous ne saurions trop admirer, tout en déplorant une ré- sislance qui a fait tant de mal à notre pays, qui nous à coulé tant de sang et tant d'or. Le général Tempoure, mil Venaitde se distinguer en obtenant l'al- liance du fameux schcik Molianiined-Ouled-Sidi-Chiqr, régnant sur le territoire compris entre le désert d'Angad et les monlagnes de Trara, opérait alors dans le rayon de Mascara, dont il cominandail la subdivision. Il apprit par un déserteur espagnol (pie .Sidi-EuiliareU axail 111 eflel rcforuié sa smala. Ce chef avait axec lui huil ou neuf cents hommes d'infanterie régulière que l'on disait être la dernière ressource de l'émir; chose fausse d'après la lettre ci - dessus trans- crite. (Quoiqu'il en soit, le général Tempoure, guidé par les indications du déserleur, espère en finir avec la puissance de l'émir. Il part de ,Alascara le fi novembre , ne tarde pas à apercevoir au loin les tentes des rég'uliers. Il les suit malijré toutes leurs feiules et leurs niarehes dérobées, et les atteint le 1 1 près de l'Oiied-Malah. Le coloucl Parlas commandait la cavalerie de la colonne française. Les réguliers de Sidi-Kmbarek l'altendirent celle fois de pied ferme. t^Hialre eenis laissèrent leurs cadavres sur le cham]i de bataille. Les porte -dra- peaux ue livrèrent leurs étendards qu'avec la vie. Le combat tirait à sa fin. Lu cavalier de haule taille parmi les Arabes avait combattu avec une xigiieur remari|iiable. Le sabre des Français l'avail jus(|ui'-là respecte ^ oyanl tous ses coiiipagnons ou toiubés autour de lui ou faits prisonniers, ce cavalier se dé( ide enfin à fuir. Ln capitaine de spahis, nommé Cassagiudes, le poursuit. Il est accompagné du brigadier (iérard et de ileux autres sous-olficiers , Labossay et Sicot. Tout à coup le fuyard , arrivé sur une colline nommée Kef , se retourne dans une allilude suppliante. Il teiul la crosse de sou fusil connue pour indiquer qu'il se rend à discrétion. Labossay a l'imprudeuee de croire à ee mouvement, il leml la uiain jioiir recevoir l'arme de l'Arabe; celui-ci l'abat roiile mort à ses pieds. Aussitôt le capitaine (jassagnoles enlevé sou cheval avec un jurement terrible. En une seconde il est proche du meurtrier; il va lui fendre la tête. (Mais le musulman a tiré de ses limles deux pisto- lets. Des balles de l'un il brise la tète du cheval de son adversaire. Le capitaine (iassaguoli's tombe avec son coursier. Sicot se présenlc en ee moment et réussit à blesser l'Arabe. IMais lelui-ei d'une nuire balle le met hors de combat. 11 n'a plus alors all'aire qu'au brigadier ABD-EL-KAUEK. 4;) Gi'rard. Il s'attaque à lui corps à coips. Géraril résiste, rëussit à jetor à bas de soiiclievai son adversaire, ((ui l'entraine avec lui. Ils se roii- leiil alors l'un sur l'autre. Mais le luiisulnum perd son sau;; par la blessure que .Sicol lui a l'aile; (iérard réussit à poser son ijenou sur sa poitrine et ii le tuer. » En ce moment le capitaine Cassagnoles se relevait tout meurtri de sa cluite. — Est-il a vous? crie-t-il a Gérard. — Je le crois, ca- pitaine. — Re(;arde/. s'il est bor|;ue. — 11 l'est, capitaine. — Alors, mon brave, réjouissez-vous; vous voilii clievalier de la Légion d'Iion- neur, car vous ave: tué le grand kalifa Sidi-Einbarek. A cette époque, beaucoup de nos spabis avaient encore les niceurs arabes. 11 en arriva sur le lieu du combat (|ui trancbèrenl la tète du lieutenant île l'émir. Elle fut envoyée au général llugeaud, et d'Al- ger reportée à Jlilianab, oii, après avoir été exposée pendant trois jours aux regards elTrajcs des nius\ilmans, elle reçut les honneurs militaires de la part des Français et sur l'ordre rormci du gouverneur. Q>uel(|ucs jours après la mort du kalifa, Abd-el-l\ader vint de sa personne, lui aussi, sur la colline de Z,ef. Le tronc mutilé de son kalifa y gisait, abandonné aux oiseaux de proie. L'émir s'agenouilla devant ces restes du patriote arabe, et après les avoir embrassés, les lit transporter à laijdempt. Ses proclamations, adressées à ses parti- sans, n'en démentirent pas moins la mort de Sidi-Embarek , et en- core atijourd'hui beaucoup de tribus croient que le i;rand kalifa, caché dans quelque retraite, n'attend qu'un moment favorable pour lever de nouveau le drapeau de la nationalité. ■ Cependant le gouvernement français a agi à son tour avec une habileté (]ui devait dissiper toutes les illusions à cet égard. Pour honorer, selon la parole du général Ibigeaud, un ennemi ([ui avait su mourir en ennemi, il fit mettre eu liberté la malheureuse famille de Sidi-EmbareU, dans les premiers mois de l'année lK'i4. Et cependant le kalifa, de son vivant, avait commandé la décapitation de qualorne de ses coreligionnaires, accusés d'avoir vendu des ceufs ii une colonne française. La cruauté de la résistance arabe dépassa toujours celle de l'attHciue française. CHAPITRE XXIII. Le duc d'Aumale dans la provincfi de Constantinc. — Ahmet-Bey. — Combat du mont Aurès. — Première expédition dans la Kabjiie par le général Bugcauil. — Ben-Salem. — Les deux manières de conquérir. — Le colonel Daumas. — Progrès de la conquête. On regarde unanimement la campagne multiple de 1813 comme ayant eu des résultats décisifs pour l'avenir de l'Algérie. La coloni- sation marchait alors également d'un pas rapide, et néanmoins ])lus sûr (|ue précédemment. Elle suivait les progrès de nos soldats, et là où ceux-ci plantaient nuire dr.ipeau, elle ne reculait plus. Gependanl les ennemis de la Fiance ne perdaient pas courage. Abd-el-Kader, comme autrefois Jugurtha, se préparait à aller chercher des auxi- liaires en Mauritanie. D'un autre côté, des résistances considérables se manifestaient. Lue partie de la province de Constanline était en rébellion sous la double iniluence d'Ahmct-Iiey et des partisans de l'émir, ayant à leur tête Mohammed-cl-Sghe'r. La Kabylic grondait sourdement. Le duc d'Aumale, qui venait d'accomplir de si brillantes choses dans son commandement de Tittery, venait de recevoir le générahil supérieur de la province de l'F.st. Il s'agissait d'en finir avec la dou- ble innueiue dont nous avons parlé. iNlohammed-Sgher, k.dif.i (Kuir Abd-el-kader, régnait sur le Zab, c'est-à-dire sur cet ensemble de campagnes et de villages situés sur la limite du Sahara, et dont Itiskara est la capitale. (Jiiaiit à Ahmet-liey, il était rentré dans les montagnes entre le Z.ab et le 'l'ell, et plusieurs tribus soulevées par lui élaieiit en insurreclion. On ne jiouvait arrêter leurs progrès par des coups Inqi rapides. La colonne destinée ii cette expédition, une des plus laborieuses qui se soient faites en Algérie, se mit en marche vers la bn de lé- vrier. Elle atteignit proinptement ISiskara, établit une petile garnison française et indigi'ue dans cet important marché des tribus du dé'serl, et après avoir successivement visité Sidi-Okba , 'l'ebessa et liouçaia, elle se ])orta sur les Oulcd-Sultan , autour desquels , dans d'âpres moiit.igiies , s'étaient réfugiés une foule de mécunteiits , (|ui eoinp- laicnl , scliMi l'expression du dm' d'Aumale, sur la vireinilé des monts \incs. Ou était au '.'1 avril, la colonne venait de s'engager à traxers les aceidenis d'un pays tourmenté, boisé, difficile. Le i;énéral avait par faiteinent dis]>iise son monde. Sur les deux ailes, un bataillon d'in- f.interie naiii|uait le convoi, ipii était en outre protégé, il droite, par un escadron de chasseurs et de spahis, et ii gauche ])ar les dilïércnts goums alliés. Tout il coup une brume épaisse se fait; la colonne con- tinue néanmoins sa inarclic; elle aborde une gorge profonde. A peine y a-l-elle jiéiiétré, (|u'une vive fusillade éclate sur la gauche. Saisis d'une terreur ini'xplicable, les gouins alliés, qui ne eoiiibattaienl que malgré eux les Ouled-.Sultan , regardés coiniue invincibles , au lien de marcher ii rcnnemi se replient au galop sur le convoi , le coupent, cl ne se rallient ipi'ii la droite près des chasseurs cl des spahis. Leur kalifa seul ne lâche pas pied; avec une poignée de tirailleurs fran- çais, il contient un instant les assaillants. Cependant l'ennemi (|iii nous attaquait si inopinément à la faveur de la brume était des plus nombreux. Les Oulcd-ben-Aour, les Ouled-(i'lielili, et plusieurs autres tribus, avaient réuni leurs contin- gents il ceux des Ouled-.Sultan. l ne partie de ce monde court en poussant des cris sauvages au convoi (|uc la retraite des giiums allié» a laissé découvert ;i gauche; une autre partie attaque la tête de la colonne, tandis qu'une troisième masse presse notre arrière garde. Un brave chef d'escadron, nommé Gallias, meurt en sauvant ce con- voi. D'un autre côté, le colonel de chasseurs INoël, que nous axons vu se distinguer si vaillamment lors de l'expédition de Tebessa, fait sur l'ennemi, qui arrête la marche de la colonne, une de ces charges qui l'ont fait surnommé le Mural de (ionstantine. Avec lui, se préci- pilent le duc d'Aumale, ses aides de camp, la plupart des olVicicrs. L'ennemi laisse une cinquantaine de morts sur la place, et, frappé il son tour de la même panii|iie (jui a débandé les goums, il ne se montre plus qu'il distance. Le prince va poursuivre son suciès; une pluie terrible l'arrête. Ses guides déclarent ipTils ne savent plus la roule. Il retourne sur ses ]ias eu bon ordre. Telle est la frayeur des Ouled- Sultan, (|u'ils n'osent |ias inquiéter la marche rétrograde de la colonne sur le bivouac qu'elle a quitté le matin. Après avoir fait évacuer ses blessés sur Sétif, et tiré des vivres de celte place, le prince rentre dans la montagne le l'^'' mai. Les Ouled- Sullan avaient à venger la mort de cent des leurs, parmi lesquels dix-sept marabouts ou tolbas, prédicateurs de la guerre sainte. Jls étaient en force comme la première fois. ALiis ce jour-lii, selon l'ex- pression du due d'Aumale, le ciel était clair, il vit la prcunptc dé- faite des Kabyles. Pour la constater, la colonne alla faire son bivouac de nuit ii liir, position inexpugnable, oii n'avaient jamais ose se pré- senter les troupes turques. Kien n'était bui. A quinze lieues de là s'élevait le camp de Batna, sous le commandement du colonel Lebrclon. Le due d'Aumale est informé que, pour faire une diversion en faveur des OuleiUSultan, toutes les tribus non soumises de l'Aurès vont attaipier cette posi- tion. Aussitôt il lève son bivouac, el, dans le soir du jour(|ui suit, il arrive à Batna avec sa cavalerie. L'énorme rassemblement ennemi se dissipe. — Après être reste à Batna quelques jours pour éviter qu'il ne se reformât, le jeune commandant de la province reprit encore une fois le chemin de l'Aurès. L'ancien bcy de Constantinc, Achniet, était parmi les tribus. Mai» après deux échecs, n'espérant plus de victoire, il dirigeait leur fuile. Elles se sauvaient vers les grottes, qui p.issaicnl, comme le puits de Bir, ]iour être inaccessibles. La colonne atteignit, le 8 mai, vers le soir, la queue de l'émigration. Les lenles d'Alimet-lSey étaient en- core déployées. .Ses bagages restèrent entre nos mains. Deux petites colonnes mobiles, aux ordres du colonel Noël et du commandant Bouscarins, furent alors chargées de poursuivre les tribus dans leur retraite. Elles le firent avec succès, aidées par les conlingcnts arabes alliés ([ui, voyant nos succès, accouraient maintenant en foule. Un peu plus tard, les soumissions se firenl. Pendant que ces événements avaient lien, la petite garnison fran- çaise de Biskara, trahie par une partie de la garnison indigène, était pres(|uc entièreinent massacrée, et le kalifa d'Abd-el-l\iuler en avait repris possession. Le sciijent Pelisse réussissait seul à s'échapper, Averti ii lemps, le duc d'Aumale revint à marches forcées sur Biskara. ^lais imimidé par le sergent, (|ui rassemblait du monde dans les tribus fidèles pour reprendre la place, le kalifa d'Alid-el Kader avait déjà abandonné celle-ci. On y mit une garnison capable rie se maintenir contre toutes les entreprises. La rapidité de ces événemenls acheva de terrifier les montagnards. Ahmet-Bey, malade, abandonné de ses servileiirs, déniu' de tout, disparut dans le Djebcl-Aurès, oii il fui impossible de le poursuivre. i\Liis quanta la partie des miuilagiies cpie l'on noiuiu.iii le Itelezmn, et ipii est séparée du Djcbel-Aurès proiucmeiit dit par le défilé de liatna, elle fut entièrement soumise. En quelques jinirs, les tribus versèrenl aux mains du colonel Lebretun une riche contribution de guerre. (Quatre kaïds , nommés par la France, furent en outre acceptés par elles. En luêmc lemps, on opérait également avec succès dans l'ouest de la province. Les chefs des montagnes de Bougie, et autres, innni- feslaient leur envie de se sounieltre à la France. Le général Hnudoii pacifiait 11 subdivision de Boue, et couvrait notre frontière du eôlé (le Tunis, qui, bien que noire allié, devait être observé; il apaisait des dillVrends entre les tribus, et faisait aimer le nom français. A la même époque, Bugeaud , devenu maréchal de l'rance, son- geait à achever la co!ii|iiête de la i>ro\ince d'Alger. Il n'y avait pas, selon lui, à compter sur lelle eouquêle tant ipie la Kabylie ne serait pas réduite. i\Liis l'expéditimi c|u'il projetait Ironvait en l'iaiice In ]ilus grande opposition. Bciiieniip de gens craignaient (pi'iine guerre eoiilre les Kabyles ne remit tout eu question. Ils disaient que ces iiuuil ignards nous respecteraient tiinl (|ue nous n'irions pas les cher- clier dans leurs montugnes. la chose n'était ipi'à moitié vraie. Oéjà, à plusieurs reprises, Abd cl Kader était venu de sa personne au mi- ABD-EL-KADER. lieu des Kabyles. Il y avait trouvé foules sortes de rcssourees. D'un instant à l'autre, on pouvait craindre qu'il n'y soufflât le feu delà guerre sainte, et (|ue les populations, descendant des niontai;nes, où on ne les était point allé chercher, ne se ruassent sur les environs d'Alijer. Les Kabyles de l'Est surtout manifestaient de fâcheuses dispositions. Les marabouts y colportaient des lettres de Ben-Salem, ainsi conçues : « Fils des montagnes, vous aviez un chef qui a longtemps combattu les chrétiens et qui s'est vendu à eux. 11 voudrait vous livrer à l'en- nemi comme des bêtes de somme, en vous disant qu'Abd-el-Kader n'attend que le jour de la grande lutte pour reparaître plus grand et plus terrible que jamais. Eu attendant, moi, son kalifa, j'ai été choisi pendant les jours de la poudre pour défendre votre nationalité qui n'a jamais fléchi sous aucun maître : avec vous, je combattrai pour le tombeau de vos pères, et le champ nourricier de vos enfants. Je le jure au nom du prophète : je m'ensevelirai avec vous sous les ruines de vos villages incendiés, plutôt que de vous voir lâchement soumis à des chrétiens, à des ennemis de vos frères et de votre religion. « N'ayant point ses préparatifs achevés, et le ministère français mani- festant de la répugnance pour l'eiipédilion , avant de répondre par les armes, Bugeaud crut pouvoir faire à Ben-Salem une petite guerre de proclamations, attribuant à sa parole une influence qu'elle n'avait pas. Il lança la lettre suivante : «Habitants du Djerjerah, » Beaucoup de vous ont été séduits pas de fausses promesses et en- traînés , malgré eux, dans une guerre (|ui leur devient de jour en jour plus préjudiciable, et dont ils attendent impatiemment le terme. Je serai indulgent et bon envers ceux qui se repentiront avec fran- chise et sincérité; mais je me montrerai intraitable et sans pitié pour ceux qui persévéreront dans la malveillance et la rébellion. » Abd-el-Kadcr a fait preuve de mauvaise foi et de trahison : je ne prendrai de repos qu'il ne soit ruiné et anéanti, diissé-je le pour- suivre jusque dans les sables du désert. ^ ous avez eu à snuffriide ses exactions et de ses cruautés; plusieurs de vos tribus ont même refusé de reconnaître son autorité. \ oici le moment de secouer le joug (|u'il a prétendu vous imposer. Il a rompu vos relations com- merciales; il a exigé de vous des amendes considérables. Et à quel droit et à quel titre? • Cultivez en paix vos terres, échangez vos produits; cette der- nière situation ne vous senible-t-elle pas préférable à une guerre contre un peuple grand et puissant, qui n'aurait qu'à vouloir pour vous détruire ? " Il ne me serait pas difficile de parcourir vos plaines et de pénétrer dans vos montagnes si vous m'y contraigniez par des démonstrations hostiles. Les défilés des Béni - Aïcha et les sentiers de Cherob ne sont pas inconnus aux Français. Rappelez-vous le combat de Drane ; in- terrogez les Beni-Uijounad , ils vous en donneront des nouvelles. J'irai bien plus loin quand j'en prendrai la résolution. Malheur alors à vos troupeaux, -i vos arbres, à vos champs, à vos habilaliniis, f[ui ont été préservés depuis trois ans! Mais, s'il plaît à Dieu, il n'en sera pas ainsi : vous ne me réduirez pas à cette extrémité. » J'ai d'autres intentions (|ue Dieu m'a inspirées dans l'intérêt de tous, je vais en commencer l'exécution ; j'ai déjà donné l'ordre à mes soldats de quitter le camp du Fondouk; je ne veux pas vous révéler encore tous mes projets, l'avenir vous les fera connaître : c'est à vous de ne pas leur donner une fausse interprétation. » Gardez-vous donc d'écouler des insinuations perfides, et de con- cevoir des espérances dont le passé doit vous faire comprendre toute l'illusion. Vous voyez bien qn'Abd-el-Kadcr lui-même n'a pu résister davantage. Songez donc à vos véritables intérêts; cessez de vous con- fier aux vaines ])aroles de Beii-Salem, (|ui vous conduit, comme des aveugles, à une ruine inévitable, et qui vous abandonnera quand il aura accumulé sur vous les maux de la guerre. » Ainsi, ne soyez plus insensés, et reconnaissez enfin le doigt de Dieu , qui nous protège et nous a choisis entre toutes les nations pour vous délivrer du des])0tisme et de l'anarchie et vous rendre heureux. Que son nom suit glorihé et béni! Adieu ! » La principale des tribus ii laquelle s'adressait cette proclamation si peu jiropie à la toucher était celle des flissiis. Cette tribu , com- posée de dix-sept fractions, pouvait mettre sui- pied de huit à dix mille fanta.ssiiis. Autour d'elle se groupaient d'autres tribus fort im- portantes, comme la confédération desGuetchoiila, et celle des Nez- liouna, ou comme les Aiiiaroiia, les ^laatka, les Beni-kalfoiiu, elc. Toutes ces tribus, habituées depuis des siècles à être menacées |iai' les ïurcs et à n'en être ]ioiiit attaquées , regardèrent comme non avenues les menaces du ijouverneur général. Cependant lUigeaud avait conreutré à la Maison-Carrée une force d'environ huit mille hoiuines, laquelle devait marcher, divisée en trois colonnes, sous les ordres des gi-néranx (jeiilil el Corle et du colonel Sehmilt. Le ])ays dans lc(|uel la I'' rame allait faire invasion élait inconnu aux !• ramais, l'iais les chefs des bureaux arabes, et (larliculiiirement le liiutenant- coloiiel Daunias, avaient recueilli sur les routes ii suivre, sur la force réelle des tribus, une foule de renseigiiemeiils précis. Ou quitta la Maison-Carrte le 21 avril. Le 2'.) on camjia sur les bords de l'Oued-Cebro, oii l'on fut rejoint par quelques centaines de cavaliers indigènes appartenant aux Beni-!)jaad, aux Beni-Selyman , et aux Aribs-llamza , qui ne rapportèrent rien de favorable sur les intentions des montagnards. Ce ne fut que le :!0 que l'on s'eneaeea dansles premières gorges qui mènent au Djurjurah; on traversa sans coup férir le col difficile des Beni-Aicha , oti souvent les soldats furent forcés de marcher un à un, et l'on campa sur les bords de l'isser. Là , les chefs kabyles des Guechtoulas, des Nezliouna et des Beni-Kalfoun , x'inrent demander à rester neutres. Nous ne répéterons pas les descriptions emphatiques (|ui ont été faites du passage de l'isser. Nous faisons peu de cas de ces triomphes où il n'y a jias d'ennemi. Le pauvre soldat qui lutte contre les élé- ments est alors le seul héros. Pendant que l'isser débordé arrêtait nos troupes, les Kabyles du Djurjura, et principalement les Flissas, s'étaient mutuellement con- voqués en djema.i. Ils tenaient leur assemblée générale à Tinie-Zerit. Jamais réunion ne fut plus orageuse. Deux partis s'y manifestèrent dès l'ouverture. Le premier se composait de l'aristocratie, qui, plus instruite et mieux renseignée sur les forces de la France, craignait qu'en définitive tout le fardeau de la guerre ne portât sur ceux qui possédaient. En effet, Bugeaud, adoptant un système de guerre que nous ne saurions assez condamner, avait menacé de couper les oli- viers et d'incendier les villages. Il ne devait que trop tenir cette odieuse promesse. Le peuple kabyle, ayant moins à perdre, formait le second parti. 11 avait à sa tête Ben-Salem, l'artisan de toutes ces guer- res, et s'élevait avec fureur contre les chels. 11 demandait le combat à grands cris. Les femmes se montraient surtout acharnées; elles s'ar- maient et armaient de force ceux qui paraissaient vouloir céder aux exhortations des chefs. Cependant on demeurait indécis, <|uaiid l'in- tervention delà religion entraîna l'assemblée. Sid-el-Djoudi, le plus inlluent des marabout de la montagne, lança l'anathème sur les lâches qui préféreraient au paradis de Mahomet l'alliance avec les infidèles. Il n'y eut plus alors à reculer. On se dispersa pour mettre ce que l'on avait de plus précieux en sûreté, et, ce soin accompli, de toutes parts on se prépara à combattre. Outre une multitude de petits délachcmenls indisciplinés, trois grands corps se formèrent ])OiLr tenir tête aux colonnes françaises, ils étaient aux ordres de Ben-Salem , de Ben- Kassem et de Sid-el-Djoudi. Malheureu.sement pour eux aucun de ces chels n'était expérimenté. S'il y eût eu là Abd-el-Kader ou Sidi-Eiubarek, les choses eussent d'autant plus changé de face que les éléments étaient contre nous. 11 fallait agir avec une jirudence extrême. Ou n'évaluait pas à moins de vingt mille le nombre de gens en armes (pie contenaient les montagnes. l'our montrer leur décision les Kabyles épargnaient au général français la peine de mettre à exécution les termes de ses lettres. Ils brûlaient çà et là ce (|u'ils ne pouvaient cacher. Bugeaud établit à Bordj-Henaiel, non loin de l'isser, dans une po- sition autrefois occupée par les ïurcs, un très-fort camp retranché qu'il fit soigneusement garder; puis il alla se ravitailler à Del lys, qu'il avait fait préalablemeiil iiccu)ier pour en imposer aux tribus dont cette ville était le |)riiicipal marché. De Dcllys, il revint sur ses pas, remontant l'Oued-Nissa pour s'établir au camp de Bordj, et attendre là que la première ftiriC des enueuiis fût tombée. Les Kabyles ne lui laissèrent pas le temps d'accomplir son projet. Ils se mirent en mesure de l'attaquer au passage de la rivière dont nous venons de parler. Ses habiles dispositions paralysèrent bien vite leur élan. On les débusqua en détail de toutes leurs positions. Ils se rejetèrent alors dans la vallée de Taourgha, au nombre de huit ou dix mille, et se fortifièrent dans quatre villages appartenant aux \m- raouas. (Jini] bataillons et le gouiii des Arabes alliés (|ue commandait le lieutenant-colonel Damnas furent lancés sur eux. Llne couipagnie de voltigeurs, embarrassée dans un chemin diflicile, laillit périr. Le plus fort du combat s'eiigatiea autour d'elle. 11 fut proniplement funeste aux Kabyles. En ipielques heures le rassemblenienl était dis- persé sans que nous eussions perdu plus de trois hommes L'ennemi en laissait près de cinq cents dans les ravins et dans les villages où il s'élait défendu. (7esl à ce propos que le général Bui;eaud écrix-ait ce principe mili- taire digne d'être retenu, il disait : \ oilii une preuve de plus, que p.issé un certain (hilïri' relatif, il ne faut pas se laisser arrêter par la force numéri(pie de masses sans orgaiiisalion l't sans disiipliiie, ([uel- que braves <|ue soient les hommes qui les composent iudiviiluelleiucnl. i>es tribus ipii avaient donné dans l'afl'aire de Taourgha étaient étrangères aux Flissahs. Ceux-ci essayèrent d'arrêter par des négo- ciations le général prêt ii pénétrer sur leur territoire; mais ces négo- ciatiiius n'avaient p(iur but que de donner le temps à Sidi-el-Djoudi de réunir ses coutingints. De son côlé, Bugeaud attendait le général Gentil avec une colonne. (^)uaiid celui-ci l'eut rejoint, il se mit en mesure pour frapper un coup i|ui déridât la souiuission du pays. Les tribus lui prêtircut pour ainsi dire le tl.me en se rassemblant dans des pnqiorlions tout à fait démesurées. Dès (|iTil eut vu les uand ils sont à la portée de la biiionuette, le cri: l:n avant! retentiL de notre côté. Aussitôt la masse kabjle, chargée avec furie, se débande de nouveau. Ou la poursuit, on l'écrase en détail. .Mais il y a déjà bien des heures que ce va-et-vient d'attaques con- tinue. Le général rappelle ses troupes pour aller camper en arrière, près de la fontaine de Sidi-Ali. Au même nu)ment , un contingent de Kabyles sur lequel on ne compte pas, et (|ui vient d'arriver par le nord, rengage le combat tandis i]ue tinis les montagnards (|ui ont pu se rallier tentent sur notre droite un assaut désespéré. C'est comme une nouvelle bataille qui recommenie. Elle est encore heu- reuse ])Our nous. Notrearlillerie qui tonne achève la victoire, et balaye au loin les plateaux et les crêtes. 11 est cinq heures du soir. Depuis (|ualorze heures, personne n'a pris de repos; mais (|ui pourrait en lériamer? Le i;énéral lui-même donne l'exemple. « Debmit sur un petit plateau découvert, il dirigeait lui-même le combat, dit un té- moin oculaire ', et animait du geste et de la voix l'ardeur des soldats. Lue grêle de balles tourbillonnait autour de lui , sans i|u'il |)arùt s'en apercevoir. Les pentes et les ravins étaient jon<'hés d(' débris d'hommes; nos obusiers faisaient d'affreuses trouéc's s'apaisa. Les Kabyles se retirèrent , emportant leurs morts l!'apportes-tu la soumission des tribus ([ui combattaient? — Elles demanilent la paix. — Elles ne robtiendront (|u'a la condition d'une soumission com- plète et sans délai, l'ounpioi , ajirès ma victoire de Taourgha, vous êtes-vous obstinés à lutter contre moi? Je vous avais invités, dans votre intérêt, à chasser de votre pays Ben-Salem , le partisan d'Abd- el-Kader, (|ue j'ai juré de poursuivre jusqu'à la dernière extrémité. Je vous offrais l'alliance et la juotection de la France, pour prix d'une loyale souiuissinn à son autorité; iiourquoi avez-\ous préféré les maux de la guerre à mes bonnes intentions? — La paix, répoiulit Ben-Z.anioun , était pour vous et pour nous le parti le i)lus avantageux, et je la désirais moi-même sincèrement; car la victoire est partout avec toi, et nous savions que rien ne peut le résister. Mais il y a, dans les montagnes, des marabouts, dont l'in- fluence domine plus sûrement le peuple que la voix de ses chefs. Nos alliés du Djerdjerali sont aussi des hommes sauvages qui ne con- naissent que la guerre et ([ui méprisent la mort; ils nous menaçaient du pillage si nous laissions les Français jiénétrer sur notre territoire. Nos femmes elles-mêmes nous reprochaient la faiblesse de nous sou- mettre avant d'avoir été vaincus. Aujourd'hui même, après la grande journée de la poudre, qui nous a coûté tant de pertes, nous ne som- mes pas sans ressources contre toi. Toutes les montagnes d'alentour sont remplies de guerriers, (|ui ne se rendraient pas si je les appelais à verser tout le sang qui nous reste pour le salut de notre indépen- dance. Mais Ben-Salem, (|ui nous avait fait croire qu'Abd-el-Kader viendrait à notre secours avec une grande année, Ben-Salem nous a lâchement abandonnés au commencement de la bataille. Ouaiid il a su que tu conduisais toi-même les Français à l'assaut de nos crêtes, que nous jugions inaccessibles , il a fui avec ses trésors. Maintenant les Flissahs le méprisent et le maudissent; il ne trouvera plus d'asile dans leur pays. Tu es le plus fort; Dieu l'a voulu ainsi ; accepte donc notre soumission. — Je suis le plus fort, mais vous êtes tous de nobles et courageux adversaires, répondit le maréchal, et celle journée de poudre doit ci- lucnter entre nous une estime réciproque : la paix n'en sera que plus solide. Voici mes conditions : 'Lu renverras sur-le-champ tous les alliés dans leur pays ; tu recevras de moi rinvesliture en qualité lie kali a de la France; tu l'engageras à faire payer régulièrement l'impôt; lu ouvriras ton territoire aux échanges du commerce, et tu en protégeras la sécurité. — Je ferai tout cela, u reprit Ben-Xamoun... D'autres historiens alfirinent, au contraire, que ce ne fut pas le ma- réchal, très-mauvais iié|;ocialcur, qui lit ses conditions. Ben-Zamouu lui aurait demandé avant tout ipie les razzias cessassent, (|ue les in- cendies s'éteignissent, et (|ue les troupes françaises redescendissent dans la plaine. A ce prix, il promit la soumission de sa tribu, dont il représentait déjà cin([ fractions considérables. Bugeaud était pressé d'en hnir. On recevait île la ])rovince d'Oran des nouvelles qui prou- vaient (|ue le génie d'.Vbd-el-Kader, toujours actif, survivait à tons les échecs. D'un autre côté , nos troupes ne pouvaient poursuivre leurssuccîsdans la Kabylie cpi'cn pénétrant de jdus en plus dans les montagnes. D'autres tribus que les Flissahs seraient entrées en lice. Le général se décida à investir Ben-Zamoun au milieu île la |)ompe ordinaire. Le HO mai il rentra à Alger. Fier de son expédition, voici re qu'il en écrivait au ministre français : « Les résultats de cctli' courte campagne, disait-il , sont d'avoir étendu de plus di' vingt lieues le rayon d'Alger dans l'Est; d'avoir ajouté à notre doniination un territoire fertile et très-peuplé qui sera un nouvel aliment pour noire commerce cl pour les revenus colo- niaux; d'y avoir i'oni|uis île vastes et bonnes terres pour la colonisa- tion européenne; enfin, d'y avoir détruit l'influence d'un lieutenant d'Abd cl-lsader. » Inutile d'ajouter que, selon sa coutume, Bugeaud nommait tous les braves dont il avait eu le plus à se louer, soit à 'raourijha , soit à .Ouarez-Eddin. 'J'els étaient les généraux Gentil, Korte; les cohun-ls (Miarron , de Sclimilt, l'ugnaiit elGacliot; les lieutenants-colonels Daumas, l'élissier, ileChasseloup-Laubat, Forey, et une foule d'autres olficiers, de sous-offuiers cl de soldats, comme l'ellé, Corréard , Jac- (|uin, Bess, Féry, I.éautey. de la Noue, Ducassc, Paër, Fraîche, Banipoii, Merlet, Marion, Guiehard, Kolian, etc., etc., etc. Il y a certes bcaui oui) ''"^ '<'* noms qui mériteraient une étude particulière. IVoiis ne nous arrêterons qu'à un seul, lci|iiel est inli- memenl lie à l'histoire de l'armée d' \frique; c'est celui de Daumas. P. Christian, Souvenirs du marcvluil llii;ienuJ. 4G ABD-EL-KADER. Il y II deux manièies de coii((ui'rir, l'uiic par les armes, l'autre par radiiiiiiistralioii ; il y en a luèine une troisième, par lu plume. Cer- tains écrivains font quelquefois plus pour la popularité d'une con- quête que les meilleurs soldats, (^uand ces trois manières de conqué- rir se résument a un degré quelconque dans uu homme, qu'il soit ou non votre ennemi politique, il lui faut rendre hommaije. C'est ce que nous faisons pour M. Daumas, quoique la proscription n'ait point frappe sur lui. A lire ses brillants ouvrages sur les clievaux du Sahara , sur la Kahylie, on serait tenté de croire que Daumas est sorti le premier de quelque savante école. 11 n'en est rien. Fils de général , il s'enrôle en 1822 au 2"^ chasseurs, passe laborieusement par tous les grades sans exception. ]Nous le trouvons sous- lieutenant en 1S2T. Son élévation comme officier n'est pas moins laborieuse; en 18;i.>, il commence à rendre des services à l'armée d'Afrique. 11 est capitaine instructeur au 2*^ de chasseurs. Comme tel il prend parla diverses campagnes im- portantes; chef d'escadron , lieutenant-colonel au corps de cavalerie indii;ène, il commence alors ses études de mœurs, de langue arabe et des intérêts spéciaux de l'armée et de la colonie d'Africiue. Imitant la ÏMoricière , Pélissier l'annaliste et quelques autres, il se met eu mesure d'être doublement utile à son jiays en devenant l'intermé- diaire de nos relations avec les indigènes. De IS^iî à ISi'J, pendant la paix qui suivit le traité de la Tafna, on lui confia les fonctions déli- cates et difficiles de consul au]irès d'Abd-cl-Kader à Mascara. A la rupture du traité, il est directeur des afl'aires arabes dans la province d'Oran. Le général liugeaud, en 18 H , le choisit comme direcleur central de ces mêmes affaires pour toute la conquête. C'est alors qu'il organise de nouveau les bureaux arabes, dont l'institution avait été trop négligée. Travailleur infatigable, il recueille les renseignements nécessaires à une foule d'expéditions; il dresse des itinéraires que le général Hugeaud proclame admirables. Il fonde l'administration de la provini'e de Tittery contée au duc d'Aumale. 11 recueille une foule de renseignements précieux pour l'avenir de notre conquête , et (|ui serviront plus tard à la populariser, lînhn, malgré tant de labeurs, il prend part il toutes les campagnes (|ui sont il sa portée. Ou voit que nous aurions manqué à nos devoirs d'historien en ne rendant point, en passant, hommage ii une vie si bien employée. Nous retrouverons plus tard et dans de plus hautes position l'écrivain brillant, l'administrateur habile, sous les aus])ices duquel le régime économi(|ue de l'Algérie a été assimilé en partie à celui de la France. Il nous suffira de n'avoir ])as été arrêté, pour être juste envers lui , par l'homme politique. Nous revenons aux événements. De ijrandes rumeurs, comme nous l'avons dit, se faisaient alors à l'extrémité de la province d'Oran. La guerre avec le .^laroc allait s'en- gager par le fait d'Abd-el-Kader. En attendant, nous étendions notre conquête et notre iniluencc sur tous les points. Une colonne dirii'ée par le général Alarey faisait reconnaître la France par les tribus du petit désert. Le célèbre marabout, le grand ennemi d'Abd-el-Kader, Tedjini, chef d'Aïn-Maadhi , nous envoyait sa soumission. Puis avait lieu la première e\péditioii de Lai;houat ou El-Aghouat. Le kalifa Ahmet-ben Salem y recevait de nous l'investiture. Quand le général IVlarey revint sur ses pas, il s'était avancé jusqu'à cent vingt liCues au sud d'Alger. On nous permettra maintenant de nous interrompre quelques mi- nutes pour ]iarler plus spécialement de nos soldats; la guerre d'A- frique allait entrer dans une nouvelle phase. CHAPITRE XXIV. Nos soldats. Aujourd'hui que l'Afrique est conquise, il est de mode de dimi- nuer les difficultés de l'entreprise et de rapetisser les services de l'armée d'Afriiiuc, On n'esl pas seuleineiit oublieux pour les gc'né- raiix, on est injuste aussi pour les -oldats. Certains publicisles, ciim- modémenl assis au coin de leur feu, dcclareiit la guerre ii la guerre. Ils voudraient, et nous voudrions aussi de grand co'iir, (|u'uue civi- lisation pût conipié'rir une autre civilisition sans qu'il y eût une goutte de sang versé. Un soldat pour eux est une sorte d'être aiiti- pliilosophi(|ue, réprouvé par le progrès, et qui n'est bon qu'il tuer par- tout la liherté. Sans doute, le rôle des armées dans la politique intérieure' des Etats modernes a été souvent fatal aux institutions libres. Mais c'est lii le sort de toutes les choses humaines. Elles ont toutes leur côté mauvais. Les armées ont le leur. Mais, quand je songe à ces bandes héroïques qui sauvèrent vingt fois la Fr.ince, soit sous Henri IV, Louis Mil et Liuiis M V, soit sous l'immortelle républiiiiie issue de 17 SU; (juand je songe ii l'abnégation i|u'il faut pour être un digne soldat, je ne sais pas médire de l'armée, de mon pays. Le voici (|ui part, le pauvre enfant. Sa vingt et unième année vient a peine d'aller rejoindre d'aulies années de jiaisible bonheur, il vivait de celte vie de laiiiillc iloiil nu n'apprécie bien la douceur que quand on ne l'a plus. Au deliors de la famille, son co'ur cher- chait déjà peut-être et s'était déjà peut-être fait une idole. Il va quitter tout cela. Que de fois son âme sera brisée soit par l'acre nos- talgie, soit par la fatigue morale d'une discipline inaccoutumée ! Mais ce n'est rien encore, ou plutôt c'est encore le ])aradis du jeune sol- dat. Tout à l'heure, du sol de la France, il sera vomi avec un flocon de vapeur sur la terre d'Afri([ue. Les privations commencent : le chaud, le froid, la soif, la faim, la hèvre se disputent tour à tour cette proie qui leur arrive. Tout homme (|ui n'est pas d'un tempérament robuste meurt ainsi tiré à cinq ennemis contraires. S'il survit, voici la balle arabe qui siffle dans l'ombre, voici le yatagan qui sépare la tête du tronc, voici le croc qui traîne les corps! 11 n'y a souvent pas de sépulture pour celui au(|uel le pied a glissé sur la pente d'un ravin. D'ailleurs, (|u'il y ail sépulture ou non, pour qui tant de sacrifices accomplis, pour qui tant de dangers méprisés, pour qui cette violente séparation du milieu oii l'homme se développe normalement ? Pour une patrie qui ne saura pas même votre nom. On sait que l'on va mourir, on meurt. Pourquoi? Pour l'honneur d'un pays qui ignore jusqu'à votre existence! Et il n'y aurait pas là quelque chose de profondément admirable ! J'ajipellerais ce soldat une machine parce qu'il se résigne ainsi, ou bien je l'appellerais un brigand parce qu'il a réiiondu à la balle arabe par une balle française, au yatagan par la baïonnette! Non, je ne m'y résous pas. Je déplore que Dieu permette la guerre; mais je ne puis m'cmpêcher de reconnaître que si elle nourrit de mauvais instincts, elle fait surgir aussi les plus nobles et les plus retentissantes qualités. Je dis plus, j'affirme que les seules nations qui sachent faire la guerre sont les nations vraiment ca])ablcs de liberté. La France l'a prouvé, comme la Grèce, comme Home, comme l'Amérique unie. Parlons maintenant de nos soldats. A l'Oucd-Foddah Changarnier n'avait pas d'artillerie; mais, lançant à travers les ravins, les fu- taies, les gorges et les mamelons, sans qu'ils rencontrassent jamais une difficulté de terrain insurmontable pour eux, les zouaves du régiment de Cavaignac, alors sous ses ordres, il disait en les mon- trant : ]'oilà mes houlels. Ce mot n'était ]ias seulement héroïque, il était juste. Lancez le soldat français, lancez-le après ax'oir habilement pointé, et il fera la trouée que vous aurez voulue. Si votre commande- ment contient une dose suffisante d'élan et de poudre, ayez confiance ; le boulet arrivera. Parfois il n'arrivera qu'en ricochant: patience en- core, le but n'en sera pas moins frappé. Mais c'est surtout quand à l'énergie, au sang-froid et à l'élan du commandement se joint la force toute-puissante de l'exemple du chef ([lie l'action du soldat français est certaine. 11 ne regarde pas seule- ment au drapeau, il regarde à l'officier. Oii va l'officier, le soldat va aussi sans se demander s'il en reviendra. Les fatigues que l'officier su])porte lui sont légères; il oublie ses privations en voyant celles de ses chefs, et les oublie bien mieux encore quand il est en face de l'enneiui. La bonne condition du soldat français est donc le bon commande- ment. Dans la guerre d'Afrique, guerre de marches et de contre- marches, de campements de nuit, de surprises, le bon commande- ment a toujours fait le bon soldat. Ce n'est pas ipie ni le simple cavalier ni le simple fantassin de nos recrues maïuiueul d'iniliative. fiien loin de là : l'un et l'autre en ont trop. Chez le soldat anglais, il faut soulenir le flegme et l'esprit de résistance; chez le soldat russe ou .illemand, il faut exciter l'attaque; chez l'Espagnol et l'Italien, il faut précipiter le dénoùment, et pour enlrelenir la confiance laisser la jiorte ouverte à la retraite. Chez le Français, il faut conlenir, mater et diriger l'exubérance des ([ualités personnelles. Laissez-le à lui- même : il va parler, discuter, diriger, commander. (!hacun, dans les rangs ou hors des rangs, aura son ])lan, son idée, et x'ouilra aller ici ou là, frapper ainsi ou autrement. Mille tracés de bataille ou de com- bats surgiront à la fois. Si, dans des circonstances données, ci's qua- lités ont leur prix, si elles sauvent qiiel(|uefois l'iiiilividii , elles sont en généial pleines de danger en face de l'enuemi. Mais rien n'eût été plus dangereux en Afrique; car l'Arabe a précisément dis côtés analogues. Appelé à chaiiiie instant à défendre ses troupeaux, son douair, sa tenle, il est habitué à s'inspirer du péril et à ne pas at- tendre la voix du chef. Oii en serail-il si à toute heure il ne comp- tait pas sur la force et la rapidité individuelles, si à toute lieiire il n'était prêt à ne prendre d'avis que du salut? Le l'rançais, qui est l'assaillant, ne vit pas comme l'Arabe dans l'isideiuent du douair. De son côté, il y a une sentinelle commune toujours attentive, constamment éveillée, (^ette sentinelle, ipii ne doit jias dormir une seule seconde siuis ])eine de mort, non point seulement pour un seul, mais quelquefois pour tous; cette senlinelle, c'est la discipline. Elle faisait la force îles légions romaines; elle fait celle de nos régiments, j'.nlindez dans celle colonne en marche, alors que l'ennemi est loin, les propos, lis critiques, les saillies, les rires qui éclatent sur toute une ligne. Il y a là une foule d'iiilelligences d'élite, capables d'apprécier les ordres, d'en avoir leur sentimenl, de le produire. Eh bien! le tambour a battu, le clairon a sonné', l'eu- iieiiii est présent. Aussitôt plus de iiarolcs, plus de eriliques : les plus iiidépenilants tout à l'heure dans leur langage sont les plus obiussants. Le cher est tout; bons ou iii;iuvais, ses ordres sont exéculés. Personne ne conteste, et encore moins ne recule. On murmurera peut-être ABD EL-KADER. 47 après le combat, surtout si l'on n'est pas vainqueur, mais jamais pen- dant l'action. Maintenant, (pic le chef disparaisse, que Vinlerieiir soit abandonué à lui-même, (|ue le soldat ait a clierclier son salut dans ses propres inspirations, n'en soyez pas en peine. Il se tiicra de toutes les diffi- cultés; il s'en tirera dans le combat comme il s'en tire dans la gar- nison , en roule et au bivouac. Là, qu'il ait appris un métier ou (ju'il n'en ai', pas, il les sait tous. Tl est, selon la nécessité, terrassier, bûcheron, iliarpcntier, tisseur, l'ilateur, tailleur, cordonnier même. Hien ne l'enDarrasse. A Médéah, les vieux zouaves se tirent des matelas, du lil, préparèrent des peaux pour leurs chaussures. A TIemcen, ils se fahriouèrent jusqu'à du tabac. Et que de bon esprit comptant nu milieu de loites les privations! que de saillies! que de peintures pi(|uanleset faiies en un seul mol ou en une seule phrase! Lorsipie le général Hufjeiiud, avec ses idées romaines, eut imaijiné de l'aire porter aux troues me partie de leurs vivres, si bien ([u'il était à peu près imposible de comballre sans déposer les sacs, le soldat d'infanterie pesami|ent cliargé se donnait à lui-même le surnom de soldat-chameau. Si flcore, disait-il, on vous laissait les avantajjes i/c la chof^o : mais le sdial-eliameau doit avoir des jarrets de cerf, un cceur de lion et... uieslomac de foiiruii ! — Pauvre soldat! c'était tout bonnement le so|at-phéni\ qu'il définis- sait ainsi, et souvent on trouva celte merveill sur le sol de la 1-rance algérienne. 1 Toutes les qualités militaires mises de cq, on ferait un lonf; cl touchant recueil des actions dévouées (jui it été faites au seiii de l'armée d'Afrique. (^>uelqiies-unes sculemei sont devenues popu- laires, comme celle du trompette Eseolïicr, cjime celle de Giiichard sauvant son capitaine. Ces dévouements n'oïkias été isolés. iMalheii- reusement ce ne sont pas les bonnes actions le l'un redit. On parle plus volontiers des mauvaises. Nous ne nous^i plaignons pas ; c'est l'honneur de la t^rance que le mal soit de la rie stigmatisé; mais il faudrait aussi tenir compte du bien ; et ii côté>s massacres de Hlidah et d'Ouarez-Eddin, à côté des exécutions teitiles du général Félis- sier, on ne devrait pas se permettre d'oublieh générosité déployée par nos troupes en tant d'occasions. Après laise de la smala, elles partagèrent leur biscuit avec les prisonniers, usieurs fois, souvent même il y eut des enfants recueillis et adopté On a surtout reproché à l'armée d'Afriquei système que la rai- son et l'humanité réprouvent, c'est celui deszzias. La razzia n'est pas une invention françaisc.es Arabes l'ont em- ployée de tout temps, même du temps de la 15e. ]ls en firent usace contre les premières tribus ([ui se soumircix nous. On les leur reporta en représailles. 't Le fait le plus fréquent et presque quolidlde la vie arabe, dit le général Daumas dans un livre que nous avj déjà cité, c'est la razzia. La gloire est une belle chose sans do, ajoute le célèbre écrivain, et à laquelle on a le cœur sensible cl le Sahara comme partout ailleurs. Mais là on met sa gloire à fai(n niai à l'ennemi, à détruire ses ressources en augmentant les sien jiroprcs. La eloire n'est pas de la fumée, c'est du butin. Le désir la venijeance est aussi un mobile; mais est-il plus belle vengeanfjue celle de s'en- richir des dépouilles de l'ennemi? j » Ce triple besoin de gloire, de vengeance etj butin ne pouvait trouver pour se satisfaire un plus expéditif ni s eliicace procédé que la raina (incursion), envahissement par li»ce ou la ruse du lieu occupé par l'ennemi, du dépôt de tout ce qui est cher, famille et fortune. » Les razzias sont de trois sortes : 1) Il y a d'abord la ti'liha (pioiircmenl le lumheit, : du verbetahh, il est l'ombéj; elle s(' fait au point du jour (/'ci/ja Dans une téliha, on n'est pas venu pour piller, on s'est rué po^iassacrer; on ne s'enrichit pas, on se venge. » Puis la khrotvfa, ipii a lieu à {el âasseur) den trois heures de 1 après-midi. (!'est la rapine. » Et enfin la lerbifiui' ; ce n'i-st pas la guerre, dest pas un coup de bandit ni de brigand, ce n'est guère qu'un ton voleur tout au plus. La lerbifiw. se fait à nous el leH , à minuit, i Avons-nous besoin de dire que jamais nos trtx ne firent des razzias d'aucune de ces trois sortes? Ce n'a janiai'. dans une vue de butin ou de massacre ([u'elles en ont entrepri dans des cir- constances exceptioniiilles elles se sont nourries iH'>|iens de l'en- nemi, la plupart du temps, presijui^ toujours, cUmt abandonné aux coiitinp.ents alliés le butin fait sur leurs concijs. Ce (pie l'on c'est forcer l'A à a voulu de notre ci'dé pai- la razzia, c esi lurct-i i ^v a soumission ; c'a été une sorte de loi martiale, très- mauvaise asnent; mais ce n'a jamais été que cela. 1 I )'ailleurs il ne faut pas croire ipi'au sein même jrmée d' \fri- (pic le système de la razzia n'ait pas soulevé les pives protesta- tions. Eugène Cav.ùijnac, dans ses observations sur ri-uce. d' Mper en l.S'i;!, écrivait ce (pii suit : k Ce n'est point par ((paritions pé- riodi(pics au milieu des Arabes que l'on peut es| les réduire. Ces épisodes de guerre ne sont bons, tout au plutien ne leur succède, ipi'à entretenir la haine de ce peuple et à ter ses appé- tits belliqueux. Ce serait nous présenter à eux cuinine les plagiaires de leurs précédents maîtres, avec moins de résolution et de force. L'hostilité iieriiianeute est un acte d'un autre siicle ; et puisque nous avons rendu la i;uerrc nécessaire, elle doit perdre au moins ce caractère agressif ipii l'éterniscrait. Eu usant de nos armes, nous ne devons avoir pour luit que de prévenir, par un déploiement de forces imposant, une guerre de détail (pii ne produit que des massacres et ne promet aux Arabes (jue des malheurs, au lieu d'être l'appui d'une politique pacifiipie et protectrice du travail, u Ce cpie disait Eugène Cavaignac était répété par les meilleurs es- prits de l'année. Des officiers de la plus haute distinction signalèrent souvent comme monstrueux le système des razzias. Dans tous les cas, la faute doit remonter ii ceux ipii en ordonnè- icnt l'apidicatioii; et non au soldat, leipiel dut obéir. (,)uand il fut bien coiuiiiandé, le soldat en Afriipie ne recourut jamais au pillage. 11 se mainlint exacleiiiciil d.ins les liens les plus étroits de la disci-^ pline. Ce fait n'échappa point aux Arabes, et partout oii il se pro- duisit nous eûmes des allies fidèles. Nous citerons la longue et labo- rieuse expédition (|ue dirigea le général Marey; le soldat y fut exemplaire. « H n'a pas été, dit le j;énéral dans son rapport, porté une seule plainte contre nos soldats; leur discipline a fait l'admiralion de tout le pays, qui avait toujours vu les camps du bey et d'Alid-el-Kader piller les maisons, les jardins, cl tous les gens qui ne pouvaient se délçiidre. A Aouta, notre bivouac était jilaiù' contre les murs délabrés de jardins oii se trouvaient de beaux arbres, des légumes, de l'orge et des blés mûr ; on manquait de bois el de vert : cependant les pro- priétés furent complètement respectées. L'impression laissée dans le pays par notre opération a été certainement celle d'une organisation sociale et militaire supérieure, ayant une grande puissance d'ordre el de discipline envers nos sujets, devant être fort à craindre pour nos ennemis... A Tedjemont, oii nous parûmes d'abord, tout le monde voulut s'éloigner; il fallut toute l'autorité du kalifa pour rassurer. Mais quand on vit que les propriétés étaient respectées, ipie nul n'était maltraité, que tout était payé exactement, que nous avions une mission non de destruction, mais d'ordre, personne ne sonrea à fuir, u " Mais, pourquoi ne pas s'exprimer avec franchise? l'armée d'.Vfri- (fue, comme toute notre armée, a éprouvé un grand malheur : elle a été mêlée à nos luttes politiques; elle a été un instrument social. Elle a sauvé, puis elle a servi à détruire une république. Si d'aven- ture elle eût pu rester neutre, personne ne contesterait ses services. Jl faut aussi, pour juger nos soldats combattant sur le sol algérien, tenir compte des éléments dont furent composés quelques ccjqis de l'armée d'Afrique. Lorsqu'au dehors d'une grande nation il se fait une guerre longue el considérable, les aventuriers y courent; et il ne faut pas se le dissimuler, en général l'aventurier est brave. Il sert bien , mais il faut pour le dompter une discipline de fer; pour l'en- trainer, il faut être encore plus brave que lui. Le colonel Noèl, au retour de l'expédition de Tébessa, n'eut d'autre moyen de se rendre inaitie de ses chasseurs que de charger hors de son tour, et pour ainsi dire hors de son grade, avec eux. Mais de tels hommes se retiennent difficilement après la victoire. Toutefois, nous en sommes persuadé, avec un autre système dé guerre il en eût été partout de nos soldats comme de ceux de la colonne du général Marey. La cruauté n'est pas dans leurs âmes; elle ne passera pas dans les mœurs militaires. Les laboureurs de la douce Lourainc, les vignerons de la Bourgogne, les iiietons, dont le re- gard est toujours tourné vers le pays; les cultivateurs de I' \lsace les laborieux enfants de l'Auvergne el du Limousin, toutes les re- crues de France en un mot, sont d'une origine bonne et civilisée. Les excès ne sont chez eux (pic les aci-idents d'un mauvais coniman- (lement. Ainsi que l'éerivail Diivivier dans sa Solulim de la question a Alfiérie. les bulletins officiels, les rapports qui ont tiré vanité des récoltes détruites, des arbres coupés, des villages incendiés, res- teront à toutjamais comme pii'ces accusatrices. Mais seulement, ajou- l(uis-nous, contre ceux ipii les ont rédigés. Maiiitcnaiil , un autre système etait-il possible avec des ennemis ipii n'en avaient |ias d'autre? (Jraiid problème! problème à faire détester la civilisation, si vrai- ment elle ne peut être répandue au sein d'un peuple déjà formé nue par le fer et le feu! N'essayons pas de le résoudre, el rciiortons plutôt nos rei;ards sur les rangs inférieurs de notre ariiK'C d'Afriiiue. Une des plus belles (-hoses descriptives ipii aient jamais été écrites est le Traité di; la citasse au lion, par. lu les Céranl. Poésie grandiose, style à la fois concis et large, iniaj;cspiltoies(pies, saisissantes, tout ce' qui constitue l'écrivain de génie, est là renfermé en lîuehiues pages. ' L'n simple sergent du gi'nie. Henri Lardy, ipii n'a pas eu comme Gérard le bonheur de franchir les premiers degrés de la hiérarchie et (pii commande aujourd'hui, ciiiiime sergeiil d'infanterie de marine' le poste (11- la Trinité dans les Antilles, a relevé les ruines de Té- bessa, suivant les expressions du savant l.etronne, de façon à déses- pérer nos meilleurs irchiteeles et à rendre tiers nos officiers les plus instruits. 48 Nns adminisliations publi-iues, celles des cliemii.s de fer sont , dansTes S subalternes, veuplées d'unciens sous-oil.c.ers d Afr„iue. ^^rll'h^r^s r;::;;?«!lue d-ar..stes dist^n^u^s onUajt U^s «ronièrcs armes dans les zouaves ou dans les spali s! Que d liono- ?al,l" chef d'entreprises, que de di,;nes chefs d'ateher ont appris a cette école de discipline Tordre , le travail et l'économie ! Puisque nous parions de zouaves et de spahis, disons un mot de ces corps ce èbres, qui f-^^nt d'autant plus utiles à la conquête, que les irTle mêlés plrmi eux annonçaient par leur seule présence que ,0 U la conquête n'était pas à faire. Le S-'^" . «T dev^'on 1 s solde de la France une partie des anciens cavalier, du dey. Un les appela le mameluks. Les mameluks augmentèrent prompement en Sre et après l'expédition de Médéah ils formèrent deux esca- dZqi'ie l'on nomma chasseurs algériens. Un peu vlus tard a Bone, le Pénéàl Monck d'Uzer organisa un autre escadron d'ind.genes aux- quels on donna le nom à'otages. Pareille institution eut lieu dan. la ''Tresiu^quë' notre conquête se fortifia, le nombre des indigènes .luVvôulùreul servir sous 'nos drapeaux alla en devenant chaque ABDEL KADER. capitaine inclusivement, le grade supérieur après deux ans de service en Afrique. On ne tint pas cette promesse, mais les chasseurs tinrent tout ce (jue l'on s'était promis d'eux. ISous aurions encore i parler ici des bataillons d'infanterie légère d'Afri(|ue, de la légio» étrangère. Leurs services, peut-être moins brillants que ceux des corps indigènes, n'en furent pas moins réels. On comprendra l'utilité de ces derniers quand on aura le secret de la pensée qui piéàila à leur formation. (( Si l'on avait voau, disait un liomme spécial, si l'on avait voulu seulement de bravei soldats , nul doute que les régiments français n'eussent parfaitenuiit et préférablement rempli cette mission. Mais on s'était de plus proposé, en instituant les zouaves et les spahis, de faire servir à la coiquêtt une partie de cet élément arabe qui déjà, avant nous, vivait le la puerre. On voulait de plus y mêler des Fran- çais (lui, vivant avtc lesArabes, s'instruisant dans leurs mœurs, dans leur lani'ue, découvran tous leurs petits secrets, deviendraient une véritable pépinièred'inL'iprètcs, d'administrateurs, d'hommes essen- tiellement utiles à \a cuse française en Algérie. Il n'était pas mal non plus d'imiter les Umains, en s'assirailant les armes et la manière de combattre des enneiis. Prise de U smala d'Abd-el-Kader. — 1 fi mai 1- "^ ^ -^ /f jour plus considérable. (Jn songea à leur donner une organisation Cil.ère et le 10 août iSlîi , le lieutenant-colonel Marey reçut a M.'.er le commandement de quatre escadrons de spahis. Deux autres i.sc;,drons furent mis à Bone sous les ordres du chet d escadron Jusuf. On en constitua bientôt .|uatre autres k Oran. Les escadrons d Alger furent ensuite portés a six, et ceux de Bone «quatre. Lu IS- .J, le ..ôuvernemcnt ordonna qu'un de ces escadr.nis fut attache a chaque 'l'épiment de chasseurs d'Afri.iue. Celte ordonnance ne fut pas exé- cutée. Une autre onlonnanee répartit en vingt escadrons toute la cavalerie dite indigène. Dix-huit de ces escadrons formèrent en IS... trois réi'iments distincts. 1 es zouaves sont les contemporains des spahis. Ils datent comme eux dels:;o. En ce len.ps-la, le général Clan.el chargea le comman- dant Maumel de recueillir cl d'organiser un premier bataillon d ,n- ■'mleric in.ligene. Ou appela les soldats .le ce bataillon les zouaves du nom de la célèbre tribu montagnarde des /.ouaouas, que leui n.uvrelé lonait à fournir des fantassins aux troupes du dey. Duvivier orpanisa un second bat.iilloi. qui reçut le même nom. Les deux ba- iVillous lurent, en 1H:!2, réunis eu un seul, sous le commandcmeni de cet hoM.».ereman,uable,qui légua bientôt les zouaves au eomnnn- dantKall, puis au capitaine de la Moriciere. D aulres bataillons d, zouaves furent ensuit,' créés; nous citerons particulier.-niei.t chu nui se composa des volontaires, défenseurs du mccliouarde J lemeei, sous Cavaignac. Les zouaves formèrent ensuite des regimenls , comme les spahis. , .• . - -,/. ,i,. i,.„r.i I es chasseurs d'Afrique ne doivent pas être oublies a coté de leurs compagnons de combat. On les forma en novembre 1831. Us ne pou- vaient se recruter que parmi les Français. L'or.bn.nance du 1 , no- vembre ...aranlissail auK olViciiMS (|ui j eiilreraicul, jusm. Mais Bazin n'avait |)lus depuis longtemps ses jambes de vii'us, le fourrier le devança bientôt. — Ah çà ! lui crie Bazin, et' que le conscrit aurait la prétention de passer de- vant son anci ais place, et vivement! Le fourrier se rangea; mais à peine fiil-i''''î'''i' i qu'une balle frappa le sergent. — Me voilà devant mon re vieux ! lui dit en passant lefourrier; mais il tombe à son tour. U^ zouaves voulut le relever. — Occupe-toi de Bazin, lui dit-il, jesauverai bien seul, le zouave relève son sergent, et au même iiiscst, comme lui, frappé à mort. Le fourrier rampe alors sur seins, détache la croix du vieux brave, et, laissant un lone sillc sang dans les broussailles, il vient remettre au coin- mandai'il la ■ ^! Faut- Il", le .')(>" de ligne, le il nommer encore le 23", le iS"', le U'', le l^i' léger, le :>S«, le 2G« de ligne, le 19" léger, le i;>», leia^leâSSle:^^^^ il'de ligne, le (:« léger, et tant d'autres qui sont successi- vement désignés aux bulle- tins de l'armée ! C'est au 2';' et au 4« de chasseurs d'Afrique qu'ap- partenait cette poignée de soldais qui combattit entre Bou-Farick et Bcni-'\Iered contre une nuée d'Arabes, et dont le gouvernement a perpétué le souvenir par un obélisque portant cette in- scriittion : Aux ringt-deux bruvea il,' Beni-Mcml. Là se trouvaient Leclair, Giraud, Elie, lieal , Lecomte, Lau- rent, Boursier, Michel, La- ricout, liire, Girard, Estai, Marchand, Alonuot, tous soldats (lu 2C', sous le commandement du sergent Blandan. N'oublions pas non plus de mentionner ici les ser- vices obscurs peut - être , mais que l'on ne prisera ja- mais assez, ceux du génie, ceux du corps médical mili- taire, ceux de l'artillerie. Mais reprenons le récit général de notre conquête de vingt ans. CHAPITRE XXV. Le Maroc. — Abd-el-Kader et Abd-er-Rhaman. — La politi- que anglaise. Abd-el Oa ne saurait trop admi- rer, on n'a peut-être pas su assez craindre le génie d'Abdel-Kader. Le fils de Lalla-Zohra n'a plus temporairement de ressources en Algérie. Nos colonnes mobiles lui ont tout pris, villes et tentes, ressources et influence. Les chefs nationaux, fati- gués de ses continuelles défaites , ne veuliuit plus agir, ou n'agis- sent plus que lanijiiissamment en sa faveur. Beaucoup si' sont tournés du côté de la Frani'e. En vain il a cherché à se refaire une force aux extrémités du côté du désert. On l'y a poursuivi, on l'y a détruit. Il n'esl plus rieu qu'un j;rand nom. Alais tout cela peut changer si l'émir en a la vohuilé, et si le dieu de sa croyance vieul en aide à son patiiotisme et ii son ambition. En elVet, rien de plus mobile (|ue le caracti're arabe. Un événe- ment hciireiLX peut le soulever de nouveau contre la France. Par exemple la provime d't )ran conhne à un empire immense, en élat de mettre sur ])ied cent luille soldats; que ccl empire, au nom de la re- ligion, au nom de la politique, se déclare pour la cause arabe en Algérie, ou (|ue cet empire prenne seulement, d'une manière décidée, une altitude hostile u la l'rance : aussitôt les tribus oranaises, celles de Titlery, celles des Kabylies, celles de Constantiue même, remuent, s'agiteni , se soulèvent peul-être. (^)ui atlirmerait ce (|u'il adviendra j de l'c nouveau soul('venias grand! Sa puissance s'étend au loin. ,Sis alliés ne l'abandonnent pas. » Ailleurs, le captif d'Abd-cl-kader dit encore que toutes les fois que les Arabes voyaient arriver au camp un convoi du Maroc, ils laissaient éclater leur allégresse, et rendaient au chef de la caravane les iiiêuies honneurs (pi'à l'émir. Celui-ci pouvait donc, avec raison, espérer (|ue cette bonne alliance pourrait dcvciiir plus étroite , et se changer en un appui plus consi- dérable et plus décisif. 11 ne se trompait pas. Il se trompait d'autant moins, (|ue la politi(pie anglaise était fort opposée alors à celle de la France. Les Anglais, (|ui vendent des fusils à tout le monde, ne se coiitcul. lient pas d'en avoir vendu à l'émir. Il est positif ([ue leurs intrigues excitaient alors le Maroc à se mêler de la guerre des Arabes avec la France. La coii(|iiêtc était devenue nationale chez nous; l'Angleterre l'avait nécessairement prise eu haine. Appuyé par le cabinet de Saint-James, le Maroc n'était pas une puissance à dédaigner. l'Iai oiis ici i|uel([iies détails sur cet empire. Les musulmans ira|)pellent pas, comme nous, .Maroc l'empire ([ui ' Second volume, page 13). /U>ud^^^ Kader. 50 ABD-EL-KADER. s'i'tcml sur la C()tc nord-ouest do l'Afrique; ils lui donnent le nom de liei,ul-moMla-Abd-ci-Rliaiiuin, c'est-à-dire pays du seii;neur Ab- derame. Cet empire se divise plutôt historiquement que politiciuement en deux royaumes , ceux de Fez et de Maroc. Le premier a pour capitale Fez, et pour villes principales Tanger, Tétouan, Larach, les deux Saleh, etc., etc. Les premières cites du second sont Maroc ou Maracli , Mop,ador, Agliader, Tarou-I)an, Tafileli, Dralia , Akkalia et ïartali. Moijador est la propriété personnelle de l'empereur, qui tire ses plus gros revenus des monopoles commerciaux et des douanes Celte ville, dans cette seule spécialité, rapporte "0(1,000 piastres à elle seule, et Tanger 400,000. L'Atlas, que l'on y appelle Djebel-Dyris, avec ses ramifications, parcourt le Maroc du nord-est au sud-ouest. Ses coursd'eau les plus renommés sont la Malouia, qui se rend ii la Méditerranée après avoir reçu la Taffna et l'isly, le Sebou, la Morbeja , le Tensilï, qui aflluent à l'Océan; la Dralia, le Siz, qui se perdent l'un dans les sables, l'autre dans le lac du Siz. Sous le rapport i;éo(;rapliii|ue , le Maroc se partage en trois régions, celle de l'Atlas, le i'iitïou massif méditerranéen. C'est là que s'élèvent Mcknès, Fez, Maroc, Ouezzan, Souïra ou Mogador, Mazagaii, Slà ou Saleh , et Rbàt ou Rabat. La troisième région est la région transat- Ianti([ue ou de Gezoula , (|ui comprend le pays des Sous , celui de l'Oued -JN'oun et le pays des Oasis. Historiquement le L^Iaroc correspond à la Mauritanie Tingilane. La dynastie actuelle est une branche de la dynastie des sclieriffs, fondée par Mohammed-ben-Alimet au commencement du seizième siècle , et affermie en 167 8 par la bataille d'Al - Kasar, où périt Sébastien de Portugal. Si cette puissance ne s'était pas montrée aussi terrible sur la mer que les corsaires d'Alger, elle n'en avait pas moins, comme ceux-ci , forcé l'Europe à un tribut. Tous les Etats européens, sauf la France, la Russie et la Prusse, lui payaient des présents annuels. L'Espagne payait 1,000 douros chaque année, et 12,000 aux changements de consul; l'Autriche donnait 10,000 sequins par an; la llollande, le Danemark , la Suède versaient au trésor du scherift' qui 15,000, qui 25,000, qui 20,000 douros annuels. Les Etats-Unis envoyaient en- viron pour 15,001) dollars de présents. La fière Angleterre avait à elle seule enrichi le Maroc de 2 millions en vingt ans. Seule, elle a, dit- on, continué à verser le tribut déguisé sous le nom de cadeaux minis- tériels. Seize mille hommes soldés formaient la force régulière ou le magh- zen de l'empereur de Maroc i|iiand Abd-el-Kader se tourna vers lui. ('c maghzen comprenait d'abord la garde des scherilïs, composée de quinze cents Omlaias ou Arabes choisis du désert, de quinze cents Abid-Rokaris, nègres renommés pour leur haute stature et leur force herculéenne, et combattant à pied , et deux mille cavaliers choisis avec soin ]iarmi les meilleures tribus nègres combattant à cheval. A cette garde s'agrégeait quatre mille réguliers de cavalerie et neuf mille réguliers d'infanterie. Les tribus fournissaient en outre au premier appel de nombreux contingents. Les places fortes, sur- tout les places maritimes, étaient abondamment pourvues d'une assez puissante artillerie et servies par des Tnpchis constamment exercés. On n'évaluait pas le nombre de ccux-ii à moins de deux mille. Telle était la puissance du côté de la(|uclle l'ancien sultan de iMas- cara tournait maintenant ses esiurances. Pour que ce dernier espoir ne le trompât point, il agit avec une suprême habileté. S'adresser au divan du Maroc n'eût peut-être pas été prudent. Abd- el-Kader n'était pas sans savoir (|u'iiii traité • fort imi)ortant liait les sclieriffs et la France. En elïet, il y en avait un qui disait : « En cas de rupture entre lempereur de l'rance et les régences d'Alger, Tunis cl Trijioli, l'empereur de Maroc ne donnera aucune aide ni assistance auxdiles régences en aiiniiie façon, et il ne permettra à aucun de ses sujets de sortir ni d'armer sous aucun pavillon, pour courir sur les Français; et si quel(|u'un desdits sujets venait à y manquer, l'em- pereur le châtiera et répondra des dlaines de Mascara et de Tlcmcen. Alors, il n'y au- rait plus ni p:iiv, ni trêve pour l'islamisme; les cliréliens le chasse- raient de l'Afrique. Ces discours cnnaiumèrcnt bientôt les sauvages RilTains. Us nourrirent l'émir, l'accablèrent de présents, s'offrirent eu foule pour marcher sous ses ordres. ' Celui de 17C7. Les voyant ainsi disposés, Abd-el-Kader écrivit à Abd-er-Rliaman. Il lui représenta ijue les habitants du Riff n'avaient jamais bien été souinis aux empereurs; ([u'ils étaient les Kabyles du Maroc. 11 s'ofi'rit pour les dompter et pour les civiliser. Quant à lui, il promettait la plus entière docilité aux ordres du scheriff, et ne demandait pour ré- compense que le titre de kalifa. Une circonstance particulière donnait à Abd-er-Rhaman lu droit de s'occuper des affaires d'Abd-el-Kader. L'empereur de Maroc, que l'on nous pardonne la comparaison, est le pape de l'Afrique musul- mane, et dans l'islamisme la ])oliti(|ue et la religion sont intimement unies. La dynastie du sultan puise une autorité exclusive en son titre de scheriff ou de descendant de Mahomet. Ce n'est pas tout; dans les cérémonies annuelles du pèlerinage de la Mecque, c'est l'empereu* de Maroc qui représente l'Afrique. Ses drapeaux y sont portés comme étant ceux de l'islamisme africain. La demande si habile de l'émir fut appuyée à Jlaroc par les agents de l'Angleterre. Abd-er-Rhaman s'y refusa longtenijis. 11 craignait de rompre avec la France ; il redoutait aussi , vu l'état des esprits dans son empire, d'y introduire un homme comme Abd-el- Kader, qui déjà, lors de la chute des beys, l'avait, par le fait, empêché de s'étendre sur la ])rovince d'Oran. Enfin les instances de l'Angle- terre l'emportèrent. Il investit l'émir par les armes et les drapeaux d'usage. IMais Abd-el-Kader n'avait pas attendu. 11 s'était mis en pos- session du kalifat, il en exerçait toute l'autorité, et de là, il entre- tenait des correspondances avec ce qui lui restait de partisans en Algérie; il leur promettait une armée du Maroc. Cette armée était annoncée dans la Kabylie quand Bugeaud attaqua les Flissahs. La situation, comme on voit, devenait grave pour la France. Le traité de IIC* était rompu. Nos envoyés réclamèrent près d'Abd-er- Rhaman. Mais la diplomatie maure, turque ou arabe, a toujours été la première diplomatie du monde. On répondit par des protestations d'amitié très-vive. On se rejeta sur la force des choses. On objecta en particulier que ce n'était pas le !\Iaroc qui avait le premier trans- gressé les x'icux arrangements. C'était la France qui , en s'avançant chaque jour davantage dans la province d'Oran, avait foulé la pre- mière sous ses pieds un territoire relevant de l'autorité des scheriffs. Lin nouveau traité devenait donc nécessaire, et pour conclure avec fruit ce traité nouveau , il fallait commencer par décider ce qui dans la province d'Oran devait appartenir au Maroc, et ce qui devait ap])artenir à la France. Abi ! tant de brillants lils n'ont pu retarder d'une heure la chute d'une dynastie! (,)uoi I tant de gloire acipiise, tant de services rendus jiar eux n'ont pas même sauvé de l'exil ces jeunes princes qui voulurent mêler leur sang au sani; plébéien île nos soldats; ces jeunes généraux i|ui, nés d'un roi , s'ideiitiliaicnl si bien avec la nation, (|ue l'armée caressait comme des idoles, et auxi|uels un si magniliqiie avi'iiir semblait réservé! Après le duc d'Orléans, dont la mort fut le triste présage de la chute paternelle, après raristocrali(|uc conimandanl des troupes d'at- tai|ue de (^onslanlinc, après le rapide vainqueur d'.VÏu- Taggiiin, voici venir maintenant une autre figure princière, c'est celle du prince «le Joinville. (!clui-là aussi se montra à la hauteur de son rang. Rrave de sa personne comme ses frères, populaire coiniiu' eux depuis surtout ((u'il avait ramené en Fr Cet ultimatum n'était pas habile; on y posait trop l'émir en cause de la guerre , en objet du litige. Pendant ce temps Alid-el-kader ne restait pas inactif. Ne voulant pas sembler être un embarras pour les généraux marocains, il en- traîna avec lui ce iju'il put de contingents, et courut la campagne sur la frontière, châtiant cette tribu, soulevant celle-là, faisant parler de lui au loin. D'un autre côté, Gennaoui ne répondit pas à l'ultimatum du ma- réchal. Celui-ci marcha sur Ondula, s'en empara sans brûler une amorce, tandis que le général la Moricière se mettait en mesure de maintenir Abd-el-Kader, et de l'empêcher de pénétrer dans l'inté- rieur de la province d'Oran, où tous les postes étaient sous les armes. L'émir, ainsi maintenu, se replia sur les forces marocaines, qui s'étaient reformées pendant les négociations. Gennaoui venait d'être remi)lacc par un ami personnel d'Ad-el-Kader, le kaïd Sidi-Uamida, sous les ordres supérieurs de Sidi-el-Mahmoun. L'ayant apjiris, Bu- geaud marcha sur la haute Mouila, tant pour se rapprocher de l'armée ennemie que pour offrir un point d'ajipui à des tribus que l'emir avait entraînées, et ([ui demandaient ii revenir en Algérie. Les con- tingents du :\laroc répondirent à ce mouvement par un autre mou- vement en avant. Bientôt les deux armées furent à la distance de deux portées de canon. Bugeaud n'était pas venu dans l'intention d'attaquer le premier, il attendit les tribus. Celles-ci venaient d'être arrêtées par ordre de Sidi-el-Mahmoun; le général fran(:ais, jugeant dès lors inutile d'aller en avant, se retira. 11 y avait dans cette contre-marche un double piège: un piege po- liti(|uc et un piège militaire. Le piège politiipie était de mi;ttre pour la troisième fois' les Marocains dans leur tort en leur (ifirant une atta(pie facile. Le piège militaire consistait à les attirer à une affaire sérieuse par la facilité de cette attaque. Us ne mamiuèrent pas de tomber dans l'un et dans l'autre. De même (|u'après la eontérence avec Bedeau ils suivirent le maréchal , entourant son arrière-garde d'un long arc de cercle. Les !■' tançais faisaient-ils figure de se retourner, les'troupes de Sidi-Mahmoi'in en faisaient autant. Abd-el-Isader marchait parmi elU>s, les animant de la voix et de l'exemple. (^)uan(l il lis vit en bonne position, Bugeaud ordonna la volle-tace i|ui lui avait déjà réussi. F.n un instant tout fut balayé. Le maréchal arrêta la poursuite. La frontière oranaise n'était pas alors le seul théâtre de la guerre et des négociations avec le Maroc, et c'est ici que nous retrouvons h'rancois de Joinville. Il fallait avant tout arrivera une satisfaction, l'honneur de la I- rancc y était intéressé. On ne pouvait guère espérer forcer l'empereur à la donner si l'on n'employait que des troupes de terre. Le duc de Joui- ville fut envoyé avec une escadre pour appuyer i>ar sa présence, et au besoin par ses canons, les réclamations finales, ipie notre envoyé, M. de ^vons, était chargé de présenter à Abd-er-Uhaman. La position de celui-ci devenait extrêmement dillicile. La plus grande fermentation ri'gnait dans les ports. Les populations voiilau-nt la (.lierre; elles insultaient les Kuropéens en attendant ipi elles les attaquassent. Pour gagner au moins du temps, Abd er-llliaman pro- mit la punition des chefs de la frontière si la France, de son cote, voulait punir le maréchal Bujjeaud. La condition riait inadmissilile. Le prince de Joinville veut en conséquence jeter l'ancre devant I aii- ger. Il ne pouvait rien entreineiidre contre cette place tant que les Français qui habitaient la ville s'y trouveraienl. Le gouverneur vou- lait s'en taire des otages. On eut toutes Us |uiiies du monde a Il'S lui enlever. Les consuls étrangers quitlèrent également Tanuçr. Ceux 4. 52 ABD-EL-KADER. qui sif'geaieiit dans les autres ports furent aussi recueillis par le prince. Celte précaution prise contre le fanatisme musulman, notre envoyé, M. de Nyons, transmit au paclia de Laracli, pour être porté à l'empe- reur, l'ultimatum de la France. La réponse ne se lit pas attendre; elle était conçue dans les mêmes termes vaijues (|ue le^ précédentes, et demandait toujours, en retour de la punition des kaïds de la fron- tière, celle du ijénéral Bup,eaud. (juant à Abd-el-Kader, elle ne s'opposait pas à ce que les F"rançais le prissent, s'ils pouvaient; mais elle ne promettait rien. On apprit en même temps que les troupes de la fronlièrs oranaise allaient toujours en augmentant. Le fils de l'empereur lui - même était parti pour aller les encourager. De plus, l'attitude de l'Angleterre n'avait aucune franchise. Il était urgent de se décider. On était au 4 aoîit, et la première attaque des Marocains datait du 0 mai. Le duc de JoinviUe avait assez fait preuve de prudence, il fit preuve de décision, et, comme le général Bugeaud, il n'attendit pas l'insulte pour y répondre. Tanger est l'ancienne Tingis des Romains, elle est peu peuplée, mais bien fortifiée , et c'est là que résident les consuls européens. Quant à la force de ses ouvrages de défense, les >larocains apprirent bientôt ce qu'ils valaient. ()ue l'on se figure, sur le pencliant d'une montagne nue, une enceinte flanq\iée de tours rondes et carrées, soutenue par des ouvrages de dilTérents temps et de différents systè- mes. Ces ouvrages sont surtout accumulés du côté du port. Là s'é- lèvent deux étages de batteries composées de soixante pièces de gros calibre et de huit mortiers battant sur le port. D'autres batteries flan(|Ment à droite et à gauche le débarcadère. La baie est battue par six batteries rasantes en maçonnerie et fermées à la gorge. En tout, cent cinquante bouches à feu forment l'artillerie maritime de la place. Le prince de Joinville vint, le fi août, mouiller dans la rade, qui est aussi vaste et aisée que le port est étroit, peu profond et incom- mode. A deux heures du matin, le branU -bas de combat retentit dans le silence des flots encore endormis. Une heure après, l'escadre se ran- gea dans l'ordre qui lui avait été assigné. Le Sulfren, qui portait le jeuiu' amiral, était au poste le plus rapproché des batteries ennemies. Le Jcrniiuipes, sur la même ligne, faisait également face. En arrière, le Trilon devait battre les portes de la ville. La Belle Poule et Us bricks le Cassard et l'Argus étaient opposés aux forts de la côte. Derrière cette belle ligne de bâtiments à voiles, s'étendait la ligiu' des bâtiments à vapeur, comme le Véloce et le G«.s'send(, prêts à por- ter secours à la première ou à l'aider dans ses mouvements. Hors de la portée du feu, dans la rade, une division espagnole, un vaisseau anglais, de petits bâtiments de guerre suédois, sardes, américains, se disposèrent en même temps de façon à bien voir. Joinville fit les choses comme à Fontenoy. Il attendit ([ue les Ma- rocains tirassent les premiers, et pour les y exciter, (|uand tout fut bien prêt, à neuf heures, par ses ordres, un coup de canon d'hon- neur éclata majestueusement. En même temps, à la tête de tous les mâts, le pavillon français fut hissé, et tous les vaisseaux lâchèrent leurs tonnantes bordées. Les canonniers-bombardicrs marocains étaient à leurs pièces; ils ripostèrent avec vivacité et avec adresse. Le feu dura une heure. Un nuage épais de fumée enveloppait le port et la rade; mais il était facile, aux éclairs qui traversaient cette nuit, de voir que progressive- ment le feu des Français prenait le dessus. Bientôt celui dés Maro- cains eut moins d'ensemble et moins d'éclat, puis ne retentit plus que sur qiKhpie points. L'amiral fit alors taire momentanément ses canons. Le niia!;e de fumée et de poudre devint moins considérable. On put rectifier le tir, et s'assurer du mal fait à l'ennemi; ce mal était immense. Des forts et des batteries de l'enceinte et des ou- vrages^ (|ui bordent la ville, il ne restait plus (|ue des décombres, liientôt ce <|iii demeurait des batteries de la côte, fit ce silence qui annonce la défaite ou demande la grâce. Les vaisseaux français se turent à leur tour. Alors la population croit à un débar(|iicment. Des replis du terrain sortent des nuées de Kabyles (jui se massent sur le rivage. On les balaye avec de la mitraille. (^ette terrible besogne de guerre ncenmplie, nos vaisseaux, comme s'ils eussent assisté à un simple exercice, se rallient avec autant de majesté que je matin ils s'étaient mis en ligne, et reprennent leur mouillag'c. F.spagnols, Sardes, Américains, Suédois, battaient des inaiiis à riialiileté de nos maineuvres, au sang-froid de nos ofliciers. Les marins du vaisseau anglais avaieni, au contraire, dissimulé jusqu'à leur curiosité. On eût dit ([u'ils ne donnaient aiiciiiie attention au lioriibanlriuent du principal port de leiirallii'. Nos pertes étaient peu coiiMiiciables; cependant le vaisseau amiral, le plus exposé de tous, avait reçu qiiaranle-neuf boulets dans sa co(|ue. Le prince se dirigea aussitôt ajires sur un autre point de l'empire de Maroc, Mogador devait subir le sort de langer; mais, avant que nous racontions la destruclion de ses ouvraf;es (le guerre, il est né- cessaire, pour se maintenir dans la chronoiôgic , de rcMiiir sur les frontières marocaines. Yoici assurément, sur les rives de l'Oued-Derfou, la plus char- mante illumination qui se soit jamais vue dans ces contrées sauvages. De riants jardins anglais, faits du matin, s'étendent sur les deux rives du pittoresque ruisseau. Dans les allées, ce ne sont que bril- lants uniformes et vives causeries de combats. Aux branches des arbres sont suspendus tous les feux que l'artifice du soldat a pu s'ima- giner. Sur des tables, le punch à la flamme bleue vacille, se rallume colore tout autour de lui d'une façon étrange. C'est la fête avant le combat. Mêlé à ses officiers, les animant, les éclairant de sa parole , Bugeaud est là qui explique à tous son plan du lendemain. On l'entoure, on l'applaudit, on lui jure de vaincre. Au loin, le camp français, composé d'une multitude de petites tentes, après avoir longtemps contemplé cette fête, commence à s'en- dormir. Puis bientôt les feux et les flammes des jardins s'éteignent. Il ne reste plus d'éveillé i[ue les grand'gardes et le général, qui écrit en France pour y annoncer d'avance la victoire. En eflet, une grande victoire allait consacrer notre conquête de l'Algérie, et en imposer pour longtemps à toutes les jalousies. Cette victoire était bien désirable. Jusqu'ici, dans les diverses rencontres, les Marocains ne se regardaient pas comme battus, parce qu'ils avaient fui à temps, et liis avantageuse qu'un carré, parce que, (l.ins un tel ordre, cha(|ue batail- lon est indépendant de son voisin , (|ii'il proté'ijc , et dont il reçoit protection ))ar le croisement des feux. De plus, en cas d'échec éprouvé par un bataillon, l'autre n'est ]).is nécessairement compromis. Il a sa force en lui-même. Enfin la cavalerie lient sortir et rentrer par intervalles sans rien rlian!;er au sysli'iiie. Le poini 011 l'on voyait l'élal major impérial, fut celui (pie Bugeaud donna à son bataillon de ilirci lion. \rri\é là on devait conversera droite et se porter sur les camps. Le général de la Moricière commaii- (lail en second sous les ordres du luaréclial. L'avant-garde, ou tête de culmine (lu centre, était aux ordres de (!avaigiiae; le général Bedeau commandait la droite, le colonel Pélissier la gauche, le colonel ABD-EL-KADER. Gachot l'arrière i;arde. Le colonel Tartas coiiiinaiulait en chef la cavalerie, composée de dix-neuf escadrons, et av.iil avec lui les co- lonels Jusuf et Morris. In simple mais forl intellitjcnl capitaine, M. Bonamy, dirigeait seize pièces d'artillerie. Après cinq ou six minutes de halte, les ordres our ri'pondre ([ue chacun eut pris son posle. A (|ualre heures et demie le feu a eommi'iieé à se ralentir. Les bricks /<• Vas- mrd, le Vulaije et l'Anjus sont alors entrés dans le port, et se sont embossés pri's des batteries de l'île, avec les(|uelles ils ont eii|;agé nue lulle animi'c. » Enfin, à cinq heures et demie, les bateaux ,\ vapeur, portant ciuii cents hommes de débarquement, ont donné dans la passe, soiil venus ])rendre posle dans les créneaux de la ligne des bricks, cl le débai- i|ueiuenl sur l'île s'est immédiatemenl elïectué. » L'île a élé défendue avec le courage du désespoir p.ir trois cent vingt hommes, I\Liures ou Kabyles, (pii eu faisaient la g.irnison. In grand nombre a été tué. Cent vingt (l'entre eux, renfermés dans une mosquée, oui fini par se rendre. 1) L'île prise, il ne nous restait plus i|u'à détruire li's batteries de la côle qui regardeiil la ville. INotie canon les avait déjà bien en- dommagées; il fallait les mettre coiupU'teînent hoi's de service. I )> Hier donc, sous les feux croisés de trois bateaux à vapeur et d(' ■ deux bricks, cini| cents hommes ont débarqué. Ils n'ont point ren- l'aris. Ces drapeaux , la tenle et le parasol du fils de l'empereur furent envoyés il 54 ABD-KL-KADEH. contré de résistiince. Nous avons encloué et jetd à la merles canons; nous en avons emporté quelques-uns. Les map,asins à poudre ont été noyés; enfin nous avons emmené et défoncé toutes les barques qui se trouvaient dans le port. » Je crois que nous aurions pu, à ce moment, pénétrer sans dan- ger dans l'intérieur de la ville; mais ce n'aurait été qu'une promenade sans but et sans autre résultat qu'un inutile pillaye. Je m'en suis donc abstenu, et j'ai ramené les Iroujies sur l'île et les équipages à bord de leurs navires. 1 Je m'occupe d'installer sur l'ile une garnison de cinq cents hommes. » L'occupation de l'île sans le blocus du port serait une mesure incomplète. » Je me conforme donc à vos ordres en fermant le port de Mogador. » La ville est, au moment où je vous écris, en feu, pillée et dé- vastée par les Kabyles de l'intérieur, (|ui , après avoir chassé la gar- nison impériale, en ont pris possession. » Nous venons de recueillir le consul anglais, sa famille, et quel- ques Européens. » Je ne veux pas terminer sans vous dire combien j ai à me louer de tous ceux que j'ai eus sous mes ordres dans la campagne que nous venons de faire. )> J'out le monde a servi avec un zèle qui ne se puise que dans l'amour ardent du pays, de son honneur et de ses intérêts, et dans un dévouement absolu au service du roi. » François d'Orléass. » Certes, on ne peut pas parler plus modestement d'un grand avan- tage remporté; mais ce que le jeune amiral ne dit point, c'est la part personnelle qu'il prit à plusieurs épisodesdu combat. Il avait, comme général, les grandes traditions. 11 eût rougi de frapper un ennemi. — A l'attaque de l'ile on le vit marcher sans armes 'n la tète des co- lonnes, tandis qu'à ses côtés tombaient, blessés ou tués, les marins de l'escadre. Voilà bien de l'honneur, et cependant nous touchons à l'une des pages les moins heureuses du règne de Louis-Philippe. Après la gloire , vient la faiblesse. Sans doute, à la suite de victoires si promptes, si rapprochées, si retentissantes, on était en droit de croire que le Maroc allait céder à toutes nos demandes, qu'il viendrait de lui-même au-devant de nos injonctions, et qu'il prendrait l'engagement, par tous les moyens, d'empêcher Abd-el-kader de nous nuire. On serait promptement arrivé à un résultat semblable en laissant la négociation aux mains du prince de Joinville et du maréchal Bu- geaud , que la malencontreuse expérience de son traité de la Tafiiia avait corrigé des deuii-mesures diplomatiques. Déj.à même on était en voie d'oblenir une satisfaction des jilus complètes; sous l'intimidation du canon français, l'empereur de Maroc faisait les premiers pas; presse d'en hnir, il précipitait les né- gociations ((u'il av.iit si longtemps relardées; mais, tout à coup, les diplomates de cabinet succédèrent aux diplomates armés. Le duc de Gliicksberg et ^L de Nyons furent chargés de terminer l'œuvre com- mencée. Le secret de ce changement était que l'Angleterre, profondément jalouse de nos succès, vivement intéressée à les diminuer, avait ob- tenu du ministère d'alors rengagement de ne faire sur aucun point de l'i'mpire de i\Iaroc rien qui resseuTbIàt à une occupation ou a un conimenccnient de conquête. Conséqiiemment , le premier moment de terreur passé, les Marocains devaient considérer leurs défaites comme de simples accidents. Nos négociateurs se trouvaient, d'autre part, (bqiourvNs de toute espèce de point d'apjmi , puis(|u<: Abd-cr- l'ihamaM n'était saisissable que par ses possessions. Ainsi désarmés d'avance, MM. de (jliicksberg et (l-el Kader ne troublerait point ses Etats. Il le remercia de ce (|ui avait été fail pour lui, et l'assura qu'il saurait se suffire à lui- même. En ell'et, le vaincu de tant de combats Irtuiva encore sur les limites du désert des tribus qui lui fournirent des secours cl des hommes. Les llamian-Oharabas, en particulier, le suivirent jus(|ue dans les Chotly on aiipelle ainsi les dépressions de territoire qui s'étendent au sud de la ]irovince d'Oran. De là , il nouait des relations avec les tribus de l'intérieur, et formait les plans les plus gigantes(|ues. Nous verrons bieulôt commeiit il essaya de les réaliser. La rapidité avec laquelle les événeiuent^ du ,'Maroc avaient forcé le maréchal liugeaud à i|uitter la kahjlie était cause que la ]iacifica- tinn opérée à la suite du combal d'Oiiarcz-Eddin ne présenta, au bout de quelques mois, rien de sérieux. Les chefs de la [irécédente insurrection, Hcl-Kassem et lien-Salem, reconimcneèrent leurs agita- tions dès ([U'ils virent les Français occupés sur la frontière de l'ouest. ABU EL-KADEH. && D'importantes tribus de la côte, entre autres les Fliça ou Flissas-el- Haliar, tinrent des djemniaà', dans lescpiels la ([uestion de la résistance fut controversée comme avant 1 1 journée de l'Iiaourjja. Le maréchal avait laissé à Dellys un tros-liravc f;énéral, qui, après avoir vainement sommé les rassemblements de se dissiper, crut devoir agir contre eux, afin de ne pas donner à une insurrection le temps de se former dans un moment où, par suite des événements du Maroc, la situation des Français était si difficile. Il sortit donc avec décision de Dellys avec une colonne assez faible mais décidée comme lui. Le général Comman, en poussant ainsi dans le pays des Flissas-cl- Baliar, ne croyait y rencontrer que les forces mêmes de la tribu; mais six mille kabyles de plusieurs autres tribus s'étaient retranchés dans une position formidable. (^)iioi(|u'il n'eût avec lui (pu; quinze cents hommes, le général Comman n'hésita pas à les faire allaqucr de front par deux bataillons du .Vi" de ligne, tandis que deux bataillons du .^S" tourneraient la position. Les premiers réussirenl, grâce à leur audacieuse énergie. Ils emportèrent les positions kabyles; mais ceux- ci revinrent les y attaquer. La colonne, chargée de tourner l'ennemi, ayant été arrêtée par des obstacles de terrain, eut h faire un long cir- cuit pendant lequel il lui fallut combattre pied à pied. Elle arriva enfin au point de ralliement à temps pour secourir les bataillons d'attaque, qui, depuis plusieurs heures, luttaient contre des assail- lants dix fois supérieurs en nombre. (.'e combat fut un des |)lus sanglants de la guerre d' \frique. Nous y eûmes cent cinquante blessés dont dix-sept ofliciers, ce qui annonce un engagement véritablement sérieux. !Nos morts s'élevèrent au nom- bre de vingt-six. Les Kabyles eurent une perte douze fois aussi con- sidérable. .Alalgré la grandeur de ce succès, le maréchal-gouverneur, qui arri- vait en ce moment de l'Isly, ne voulut jias croire à sa durée. Il pensa qu'il fallait frapper un nouveau coup, et en effet il y avait à cela <(uel(|uc nécessité. Les rassemblements kabyles s'étaient de nouveau fortifiés, non loin du lieu oii le général Coiuman les avait b.ittus, sur es crêtes rocheuses et boisées qui dominent le village d'Abizar, dans l'aghalick de Taourgha. Ils étaient moins consid('r,ibles que la pre- mière fois; mais les positions dans leijquelles ils avaient résolu de tenir tête aux Français rçprésentaieul une sorte de chaos au sein duquel il était impossible de conduire stralégiqucmeul une attaque régulière. Mais si quelque chose distingue le maréchal liugcaud, c'est la facilité avec la(|uelle il trouvait des combinaisons nouvelles pour tous les terrains. Les Kabyles furent débusqués cette fois encore. Le combat dura deux heuresavecde telles péripéties et sur une si grande étendue, qu'il fallut toute la journée pour rallier les vainqueurs. A la suite de cette défaite, les Flissas-el-Itahar elles lieni-Djenail, qui comptaient, les uns douze cents fusils, les autres quinze cents, firent leur soumission, et une insurrection qui aurait pu s'étendre fut écrasée dans son germe. Mais les Kabyles n'eu montrèrent pas moins de trcs-profoiuls res- sentiments, et dont l'expression vint jusqu'aux oreilles de l'émir. 11 résolut de se rendre en Kabylie; mais ([uelle route suivre? En se rendant des Chott à Aïn-Madhy, cl en remontant de là vers le Nord, on échappait il la surveillance des Français, et une fois arrivé au grand Atlas, on pouvait espérer, de montagne en montagne, ganner le bassin de l'Adouze. Pour accomplir ce projet, l'émir demanda vai- nement l'alliance de Tcdjeny, chef d'Aïn-Mailhj. l'Iusicurs scheiks des montagnes de l'Atlas, entre autres Djelhoul-ben- Thayeub, eiief des Djebel-el-Amoun , lui firent également dire qu'ils s'opposeraient h son passage. Il se trouva donc forcé d'ajourner ses projets. D'autre part, l'attitude de notre armée ne permettait guère d'en- treprises sérieuses .1 ses piirtisans. Cependant, ils en tentèrent plu- sieurs. A Tenez, un camp de travailleurs fut pris et pillé. Le colonel Saint-Arnaud vengea cette attaque par une expédition sur les Beni- Mcnna, qui furent en partie désarnu's. l!en-,Salem et El-I\assem ou Kassi essuyèrent aussi de nouvelles agitations. Le général Gentil les maintint en s'élablissant ii Ain-el-A rbah. Une secte religieuse dont nous avons déjà parlé , les Derkaoua , répandue sur l(uile la province d'Oran, et affiliée aux sectes du Maroc, alta(pia le poste de Sidi-bel-Alil>és. Le général île la Moricière, ipii venait d'avoir une sorte de triomphe ii Oran, s'établit dans le pays attaqué, làilin, à l'extrémité sud de la province d'Oran, entre les Chott et hs pays habités, une colonne mobile, conduite par le cmuniaiulant Charras, en finit avec les khallafas de la .lacouhi.i. Cette popuhilion formait une espèce de smalah aux chefs ennemis des Flitlas. I.e commandant Charras, un de ces hommi'S cpii ont tout ii coup surgi de nos guerres d'Afri(|ue, par uiu' marche aussi audacieuse ipiliabile jiarvinl à les surprendre et à les désarmer. Pendant C(> temps, dans la province de Constantine, eut lieu une éclatante eipédition du géiu'ral lieileau dans les monts Aurès. La pa cificatiou de ces montagnes fut alors achevée. Tout annonçait au loin la quiétude el la IraïujuiUilé, {[uaud de ter- ribles évcnemenls de (jucrrc éclatèrcnl encore une fois. ' Assemblées politiques. CHAPITRE XXVIII. El-Bou-Maza. — Insurrection du Dahara. — Exécution des Oiiled-Itiah. — Le colonel Pélissier. L'Afrique a toujours été la terre des prophètes. Abd-el-Kader, nous l'avons vu, avait fait aux ]i:ophètes une guerre terrible. Main ■ tenant que l'Algérie lui refuse la terre et l'eau, d'autres vont essayer de remplir la i>lace qu'il a forcément ([uittée. Au moment où l'on croit que l'on va respirer, voici que retentit soudainement parmi les tribus de la côte ce cri singulier : Le Bou- Maza ! Les chefs abandonnaient la UiMioualité après quinze ans de lutte, La démocratie arabe ne s'abandonnait pas. Le iieuple lui-même ve- nait à son propre secours, et c'était de ses entrailles (pic sortait cet inspiré, dont les troupeaux eux-mêmes, disait-on, reconnaissaient la ]uiissance, et qui avait eu d'abord pour toute servante une simple chèvre, dont le lait intarissable aurait suffi à nourrir des tribus en- tières et des milliers de guerriers. On racontait (|ue le père de la chèvre, jeune, beau, brillant, mar- (|uéau front d'une étoile, élo(pient, avait d'abord paru chez les Ouled- Jouness. 11 s'était fait reconnaître d'abord de ses voisins les plus pro- ches; puis, en i|uel(pies semaines, il avait eu une nombreuse suite avec des ny.uliers et des irréguliers, un chaoueli, un secrétaire, un kasnadar. Son drapeau était rouge. Sa main avait le pouvoir d'écap- ter les balles, et dans la bataille, tandis que les fusils de ses ennemis le rafraîehissaieiil d'une eau limjjide, lui jiossédait une forteresse vivante dans son cheval, dont tous les crins lançaient la mort comme ceux des coursiers prophétiipies. Ce qu'il y avait de certain, c'est ([ue ce nouvel aventurier était hardi, entreprenant, et, moitié terreur, moitié persuasion, entraînait beaucoup de monde avec lui. La crédulité de» Arabes le favorisait partout où il n'était pas, et son courage le servait, ainsi que la fortune, partout où il se montrait. Le Hou-.AIaza savait du reste choisir son terrain. Il souleva d'abord une partie des tribus de l'Ouarenseris, ((ui avaient tant de vieux griefs à venger; puis celles du Dahra, c'est-à-dire du Nord. On don- nait particulièrement ce nom à celte autre Kabylie, qui s'étend entre la Méditerranée et le Chelifl', depuis 'l'enez jus(|u'à l'embouchure du fleuve, sur une largeur d'environ ein(|uante lieues et sur une pro- fondeur de vingt au plus. Habité par des Kabyles moitié cultivateurs, moitié vivant d'excursions au dehors, ou faisant le commerce d'ob- jets volés, ce pays est un des plus riches delà province d'Alger et de la province d'Oran, sur lesquelles il est comme k cheval. Si's mon- tagnes, ([iioique moins difficiles que celles de la Kabylie [iroprement dite, ont aussi leurs labyrinthes; mais, grâce à la position des trois villes de Tenez, ."Mostaganem et Oriéansville, on est plus à portée d'y combiner de fructueuses opérations. Dès c(ue l'on eut annoncé l'apparition du liou-Maza dans le Dalira, Uois colonnes y débouchèrent sous les ordres des colonels Pélissier, Saint-Arnaud et Ladmiraiit. Elles reçurent de iiroiuples soumissions. Il est vrai qu'elles sévissaient avec une rigueur souvent bien cruelle. L'infortunée tribu des Ouled-Hiah en est une de ces preuves si tristes, ([ue la pluuic de l'écrivain a peine à en retracer les doulou- reux épisodes. Les Oiiled-i'iiah , au moment oii les eolouiies françaises, suivant une éncrgii|ue expression du temps, travaillent dans k' D.ilira, habi- tent la partie la plus tourmentée du pays (ils sont maintenant à peu près rayés de la carte des tribus). De leurs hahitatiinis , situées dans de véritables labyrinthes où jamais l'enneuii n'est parvenu, ils bravent les l'rançais. Ceux-ci pénétreraient-ils chez eux, qu'une ressource leur reste : ils ont cet asile iiu|iénélrable (|ue l'on iiomiue les grottes d'I'.LKantara, et auxquelles s'attache, dans toute l'Algérie, le renom d'inipenétraliilité. Le kantara, dont le nom signifie le pont, est un vaste massif qui joint deux mamelons situés sur les bords de l'Oued-Kreschich. Là siuit les vastes grottes ipie l'on appelle l)har-el-l'resehieh. LesOiileil- Uiali y croyaient avoir mis eu sûreté leurs femmes, leurs enranls et leurs richesses. Serrés de près par le colonel Pélissier, qui arrivait de faire une razzia sur les liciii-'/.enlés, et avec lecpiel devait se joindre le colonel Saint-Arnaud, accourant par l'est, ils vinrent aussi se mas- ser dans ces grottes. Soixante d'entre eux s'étaient postés en a\aut pour les avertir de l'jirrivée des Français. Di's (|ue eeux-ci furent en \ ue , les Kabyles vinrent avec résolution tirailler eonlre notre avant-garde. Leur l'eu éclata si vif, si aiiilacieiix , (pi'iine partie du goiiiu arabe qui suivait la colonne rabaudiuina avec terreur. Cependant , après les premières iialles échangées, les guerriers Ouled-IUiia s'enfiiiniil pciiir rejoindre leurs frères en défense et en martyre. Il n'y avait aux grottes ipie deux enirécs sll|lerpo^ées oii conduit un sentier encaissé. I ne eoiupagiiie de grenadiers reçut ordre de suivre cette route diflieile, el d'arrivi'r ic plus pri^s possible delà iitiaili' (les Kabyles; mais ceux-ci fusillaient, avec certitude de les 56 ABD-EL-KADER. tuer, les liommes ciii;ap,cs dans celte espèce de ravin. 11 fallut renon- cer à une attaque de front. On songea à un investissement La famine aurait peut-être con- traint les Oulcd-Rliia de faire leur soumission; mais le colonel Pé- lissier était pressé d'aller joindre son collèi^ue. D'un autre côté, il n'avait pas assez de monde pour camper a demeure dans ces monta- gnes, oii une insurrection ])0uvait anéantir sa colonne; enfin un siéije n'était pas conforme à ses instructions. Il avait ordre, à tout prix, de détruire le ])reslii;e attaché aux retraites du Kanlara. Une idée infernale, imilée, mallieureusement, au choix, ou de nos guerres civiles ou des guerres des Espagnols en Amérique, avait été indiquée comme moyen extrême par le gouverneur général. On devait effrayer les Kabyles en les menaçant de les étouffer dans leurs grottes par la fumée et par le feu. On pensait que devant une pareille menace toute résistance cesserait. — Ah çà : lui cria Bazin , est-ce que le conscrit aurait la prétention de passer devant son ancien 1 fais place, et vivement 1 Après avoir, non sans heaucou]» de peine, réussi à se mettre en communication avec les défenseurs des cavernes, ou leur fil eu effet la menace conseillée par le maréchal Bugeaud. Ils la dédaiguèiciil; un de nos parlementaires fut même tué jiar eux. On jpassa aussitiil à un coiiimcncement d'exécution, pensant que leur dédain ne |irovenail ([lie de la certitude oii ils étaient du peu de fondement d'une menace ]iareillc. IJes amas de liois, de jiailic sèche, furent jetés du haut du Kantara au-devant des grottes. Les Kahyles les enlevaient à mesure (|u'ils étaient lancés; mais la fusillade de nos tirailleurs les ayant refoulés dans les grottes, les fascines jinircut ]iar faire un vaste monceau, auquel il n'y avait plus qu'à mettre le feu. De quels événements les cavernes du Dahr furent-elles alors le théâtre, personne ne l'a su jamais. Sans doute les marahouts et les chefs s'ojiposèrent à main année à la sortie de la masse, et la forcè- rent à attendre rixécution d<' la ineuace faite par le colonel fraiii ais. l'cut-ètre un affreux comhat s'cngagea-l-il au sein de ces antres mystérieux. Quoi qu'il en soit, la plus grande iiKlécision régnait parmi nos officiers et nos sous-officiers. (>ela n'est ])as possible, disait-on. Il laul qu'ils aient (|iielque part une issue (|ue nous ne connaissons pas. Ce raisonnement, dont nous garantissons l'aiillicnticilé , provoqua cette réponse : S'il existe une issue autre que celles ijui sont inves- ties, on le verra bien. Aussitcit des matières enriammées sont lancées sur les monceaux de bois et de paille entassés. Comme s'il n'eût point voulu s'associer aux horreurs de ce bûchir hiiiiiain (|ue la conquête française, con- quête essentiellement civilisatrice, élevait à la i.alinnalilé arabe, le feu refusa longtemps d'embraser les ma.sses combusliblcs jetées ])ar nos soldats il l'entrée des cavernes. (,)uelques Arabes s'échappèrent, et allèrent non loin de lii puiser de l'eau. On espéra que d'autres les suivraient, que la soumission aurait lieu. Espérance vaine. Au moment oii le soleil commençait à quitter son zénith, un vent s'éleva, qui porta directement sur les ouvertures du Dhar. La flamme com- mença à tourbillonner, à s'élever, à lécher les parois du massif, puis à s'engoutïrer dans les cavernes avec des masses de fumée poussées par le vent. Alors nos soldats descendirent. lieaucoiip croyaient que les Arabes avaient fui par quelque issue secrète, ou que du moins ils avaient trouvé un réduit où la flamme ne pouvait arriver. Ce qui encouragea cette dernière idée, c'est que vers minuit le bruit des coups de feu arriva distinctement à l'oreille des troupes. Alors on jeta de nouveau des matières combustibles dans l'ouverture des grottes. Les détonations cessèrent, et il y eut parmi nos soldats un moment d'eff'roi dont aucune langue ne saurait rendre la triste pro- fondeur. Les Ouled-liiah ne s'étaient-ils donc point enfuis, s'étaient-ils héroïquement laissé brûler ou asphyxier! Cette angoisse dura jus- qu'au matin. Aux premières lueurs du jour , une compagnie formée moitié d'hommes du génie, moitié d'artilleurs, eut ordre de pénétrer dans les grottes. Un silence lugubre, entrecoupé de râlements lointains, y régnait. A l'entrée, des animaux, dont on avait enveloppé la tête pour les empêcher de voir et de mugir, étaient étendus à moitié calcinés. Puis, c'étaient des groupes effrayants (pie la mort avait saisis. Ici une mère avait été asphyxiée au moment où elle défendait son enfant contre la rage d'un taureau dont elle tenait encore les cornes, et (|ue l'incendie avait étouffé en même temps. Ailleurs des cadavres nus rendaient le sang par la bouche , et par leurs attitudes témoignaient des convulsions des vivants. Ici deux époux ou deux amants se tenaient corps a corps, et l'asphyxie avait resserré les liens formés par leurs bras enlacés. Des nouveau-nés gisaient parmi les caisses et les provisions; d'autres étaient cachés dans les vêtements de leurs mères. Enfin , ç,à et la, des masses de chair informes, piéti- nées durant les luttes intérieures, formaient comme une sorte de bouillie hiiiuaine. (^)uand on vint redire au colonel toutes les horreurs de ce spectacle, il n'en voulut rien croire. Il envoya son état major s'assurer des faits. Ce fut bien plus affreux alors, car on vida les cavernes des cadavres et du butin qu'elles contenaient. Il y avait plus de six cents morts. La consternation la plus grande régna alors dans la colonne; on a dit que des soldats ne rougirent pas de profiter des dépouilles des martyrs du Darh-el-Freschich , nous ne le croyons i>as. Quoi qu'il en soit, il en demeura au colonel Pélissier un surnom terrible. Il est certain cependant qu'il était loin de s'attendre en ordonnant l'incendie à un aussi affreux résultat. Avec un héroïsme inouï, le gouverneur général prit sur lui , de- vant l'opinion publique soulevée , la responsabilité du commande- ment. CHAPITRE XXIX. Les deux systèmes de colonisatiOD. — Intérim du général de la Moricièrc. — Le général Cavaipn.ir dans les subdivisions de Tlemccn. — Surprise du lieutenant Marin. — Sidi-Brahim. — Le colonel Montognac. — Le capitaine Duteitrc. — Le capitaine Géraud. — Le lieutenant Chappedelaine. Apris les Oiiled l!iah, Sidi-Iirahim ! — Ou dit qu'il y a pour les nations et pour les individus des crimes heureux; nous ne le croyons pas, et ('onfiicius a bien raison dans son proverbe : Le châtiment suit la faute comme l'oiubri' suit le corps. D'un bout à l'autre de l'Algérie, l'affreux bûcher du Dalir-el- Freschicli fut bientôt connu. Si cet épouvantable loisodc avait sou- levé en l'^raiice Ions les cceurs, parmi les Arabes il u^-'ait indigner tous les courages. Aussi la guerre change-l-ellc subitement d'aspect ; pendant i,'el- i|ue temps ce ne va plus être ipic surprises, que massacres. Les mu^ siilmans ne respecteront plus mêmes les prisonniers, et par la tolé- rance \ bd-el~Kader, manquant cette fois de vues politiqucs,s'associera à cette cniaiilé. iMais, avant d'aborder la nouvelle ph.ise oii va entrer la lutte (|ue nous résumons, un mot sur une autre lutte, à la suite de la(|uelle le maréchal Bugeaud abaiidoiiiia moiiu'ntaïu'ment le gouvernement gé- ni'ial. L'opinion publique en h'rance est généreuse. L'exécution des Oulicl liiali donna naissance auv plus fâcheuses exagérations. Les razzias faites par ordre du i;énéral l>iij;eaiid, ce système de guerre liermancnt, cette course continuilie de nos soldats a travers le pays, le ])eu de résultats apparents qui eu ])rovenait, formèrent insensible- ment contre le vaini|iieur d'Isly une véritable coalition de ijriefs dont beaucoup étaient fondes. Le gouvirnement lui-même prit parti. Il pensa ipie tout le jiouvoir ne devait pas être ixchisivcmriit con- centré entre des mains militaires. Pressé par l'iqiinioii, il rendit rordoiiiianre du I.') a\ ril IS'ib pour la reconslihilion de l'admi- nistration civile eu AI ;érie. Le maréchal exécuta l'ordonnance, mais sans dissimuler suu luécuutentement. ABO-EL KADEH. S7 D'un aulrc côté , l'on avait tant de fois écrit dans les bulletins qno la conquête était faite, qu'elle était achevée, qu'Abd-el-Kadcr était impuissant, on avait tant de fois proclamé la soumission des Arabes, i|ue l'on se préoccupait fort de tous les moyens de profiter des avan- t.T[;cs remporlés. iSur un seul point, tout le monde éuit d'accord: il fallait coloniser; mais comment :' J'elle étnit la grande (|uestion, pour ainsi dire una- nimement controversée, tant les systèmes maïKpuiitnt peu. Le ma- réchal liuijeaud avait le sien. 11 voulait que la colonisation militaire précédât la colonisation civile. Il établissait de petites fermes qu'il doiniait à des soldats ou ii des sous-oflicicrs, avec un petit capital fourni par l'Ktat. Ces fermes, groupées les unes près des autres, for- maient autant de postes qui soulageaient d'autant l'armée, et, en les Le général Bedeau. multipliant, le maréchal ne désespérait pas de rendre un jour la défense < Et il leur montrait le marabout de Sidi-Brahim. Mais l'héroKiue carré veut mourir autour de son chef. Trois longues heures il repousse les charges des Arabes. Les mains s'engourdissent, les cartouches commencent à manquer. La cavalerie de l'émir préci- pite ses attaques, l'.iifiii, encouragée par le silence de ces soldats dont les fusils deviennent inutiles, elle s'avance à bout portant, et la petite forteresse vivante s'écroule, ensevelissant encore plus d'un musul- man sous ses débris. l'endaiil ce temps, le commandant Fromcnt-Cosle, qui est sorti au premier avis, emmenant la 12* conipai;nie el une section de carabi- niers de son bataillon, a été, lui aussi, entouré par les troiijics de l'émir. Elles l'ont empêché de faire sa jonction avec le carré du colonel, et, ainsi isolé, il a été littéralement haché par l'ennemi. A quoi lient le destin des hommes! Si l'ordre du général Cavai- gnac eût été exécuté, Fromenl-Cosle el son bataillon auraient échappé au massacre. De la colonne de M. de Montagnae il ne demeurait plus à la fin que qiiatre-vingl-lrois hommes , eomiuandés par le capitaine de Gé- raux el par le lieiiliuiaiil Chappcdelaine. De Géraux exécute la dernière volonté du colonel , il bat en retraite vers le marabout de Sidi-Brahim. Sa retraite s'accomplit en bel ordre, mais il perd cinq soldats. L ne fois retranchés dans le maraboiil, un espoir reste à nos braves. La colonne de M. de Barrai opi're à qiielc|iies lieues : elle a peut-être entendu la fusillade. On iniprovis<> un drapeau, (|iie l'on plante au haut de l'édifice malgré une grêle de balles; puis on se range de maniire à soutenir un assaut, car pour un siéije il n'y faiil pas son- ger. On ii'a plus (|iic quatre paquets de earlouehes. Les vivres sont resli'S aux bagages. D'un autre côté, .Abd-el-Kader a perdu beaucoup de monde. On miiimure auloiir de lui. Il a promis une facile victoire, el depuis le malin les Fiançais disputent le triomphe. L'émir, pour en finir, offre une eapllulatiiin, Di' (iéraiix la refuse, n Niuis sommes décidés à faire comme le colonel, ré])on(l-il à l'envoyé di' l'émir. Nous attendons lassaiil. Faites vile, el faites bien, car ])as un de nous ne se rendra." .\bd-el-Kader insiste. Pour vaincre cette résistance qui l'arrête et ([ui eomi>romet son prestige, <|ui peut cciin)iidnietli'e aussi le succea de sa réiiiqiarition , il conçoit une idée dont la barbarie pèsera lonj}- AbU-EL-KADER. 69 temps sur sa mémoire. Avisant parmi les Français qui n'ont pas réussi à se fiiirc tiur, et que les Arabes tioiinoiit prisonniers, un ca- pitaine à la mine haute et lière, Il l'inlerpelle, el le charge d'ohtenii- la reddition du marabout. • Tu mourras , lui dil-il, s'ils ne se ren- dent pas. >> Dulerlre, c'est le nom de ce brave, s'avance près du marabout. « Ayez soin de ne pas vous rendre, vous autres, cric-t-il héroïque- ment à Géraux , vous voyez le métier que l'on fait faire aux prison- niers, n — (,>ue leur as-tu dit? Oue t'ont-ils répondu;' lui demande l'émir à son retour. — Je leur ai dit de coinl>atlre, et ils combattront. » A toutes les époques, chez les peuples les plus barbares, on eût pardonné à un tel héroïsme. Abd-el-Kadcr, poussé peut-èlie par les siens, ne pardonna pas. Dutertre paya de sa tète une action sublime. Cependant les Arabes se pressent et tourbillonnent autour du marabout. Ils l'attaquent par deux fois avec une sorte de ra(;e. Deux fois ils échouent contre le courage et le sang-froid de cette petite troupe qui leur fait face sur les (juatre côtés de l'édilïce. La nuit vient donner (pielque répit à nos braves, ils en profitent pour faire des préparatifs de défense. Ils creusent aux murs des meurtrières, et cou- pent en (|uatre, et même en six, leurs dernières balles. Dès le ma- tin du lendemain , nouvelle attacpie de la ]iart des Arabes, nouvel insuccès. Pendant trente-six heures, les baïonnettes françaises font merveille. L'émir renonce alors à l'emploi de la force. Après avoir pnco.sidtour du marabout trois corps, chacun de cent cinquante ca- valiers environ, il se retire avec sa ])etite armée. La sanglante aurore du troisième jour se levail. Uien ne semblait plus imiiossible ii ces hommes (|ui, (lepuis trois jours, luttaient un contre cpiarante. Ils avaient repoussé une armée; ils avaient résiste à la faim , a la soif: que no feraient-ils pas encore? Sur l'ordre de Géraux : les voilà qui s'élancent inopinément liors de leur glorieuse ' citadelle, qui eidèvent un des postes d's, les communications avec Djemnià-fiiiazouat avaient cessé. Le capitaine Kolïyn atteinlait vainement des ordres, et vainement aussi envoyait chercher des renseignements. Les rumeurs les plus tristes commençaient à circuler. Ce (pli était resté de garni- son demandail à sortir; mais l'étal de la contrée et la faiblesse nu- méricjue du corps ne pouvaient le permettre. La plus cruelle incerti- tude régnait; les récits des habitants du pays augmentaient à chaipie instant les douleurs du doute affreux qui commençait à saisir tous les cœurs. Dans la soirée du 21 enhn, l'on vit arriver un hussard du 2', mourant de fatigue et de faim, la tète égarée, les habits eu lam- beaux, les (jenoux meurtris. Il raconta une partie du désastre. Le lendemain au matin, un carabinier, nommé iiapin, se niontra.il avait assisté à la surprise, au massacre, el avait réussi à regagner la garnison en marchani de nuit. Sa narration fut confirmée par un Kabyle, du nom d'KI-Dervich , ipii annonça <|ue l'émir, vaiiupicur, s'approchait pour attaquer la ville. On se mit en élal de défense, prêt à faire comme à Sidi-lirahim. le '2I'> au matin une vive fusillade se fait entendre. On aperçoit au loin des hommes qui fuient vers Ghazouat. Le capitaine Corsy, du 'i" chasseurs, sort de la place. 11 voit déboucher, près du village de l'Ouled- Ziri, plusieurs hommes sans armes, poursuivis par des Ka- byles, il se liàte de leur porter secours, et arrive assez à temps pour en sauver douze , et ramasser huit cadavres. C'était tout ce qui restait de la colonne de M. de Montagnac. \insi, à cette grandi' mais liéiiïïiiiie, mais sublime cataslro|)he , il n'y avait que quatorze survivants; leurs noms méritent d'être connus. C'étaient les hussards Davanne et ISatalie; le caporal de chasseurs Lavaissière ; les carabiniers Léger, l'Apparat, iMichel Siel, Siès lilaiic, Antoine, Armand, Dellïeu, lïapiii, et les chasseurs I.ani'iois et Uaimond. Tous les officiers, de Montagnac, Froment-Coste, Gcntil-Saint- ' S8 septembre. Alphonse, Klein, nutertrc, Ghargèrc, Burgard, de Raymond, Tho- mas, de Géraud, (Miappcdelaine, étaient tués. Un seul, de Cognord, était fait prisonnier. L'incertitude régnait sur le sort du lieutenant Larrazé. l.e docteur Uozai;uctte et l'interprèle Lévy devaient subir la même mort que les chefs. CHAPITRE XXX. Insurrection dans la province d'Oran. — Le colonel Walsin-Esthorazy. — Ex- pédition du général de la Moriciére pour venger les braves de S di-Hiahini. — Combat d'Aïn-Kebira. — Èrhei-s du Bou-Maza. — Retour du maréchjl Bu- geaud. On rapporte qu'après ses inutiles assauts de Sidi-Krahim, Abd-el- Kader fut saisi d'un découragement profond. Quelle esjiérance y avait-il pour lui de chasser les FraïuNiis de tant de places si bien for- tifiées, dans lesquelles ils tenaient garnison, lorsque leur courage transformait en forteresse iin|)renable un vieux marabout défendu par une poignée d'hommes? iMais le prophète a dit : « l'ii ne t'arrê- teras (|u'avec la victoire. » Abd-el-Kader était encore une fois lancé dans les attaques, il ne pouvait reculer. D'un autre céilé.les tribus se déclaraient peu à peu pour lui. On les voyait sur les frontières ma- rocaines plier leurs tentes, ramasser leurs bagages, pousser devant elles leurs troupeaux, et se diriger vers l'ouest, disant sur leur pas- saj;e (fu'elles allaient chercher une terre libre, oii les femmes et les enfants ne fussenl jias exposés au massacre. Cette émiijralion avait r[uelque chose de sombre el d'eiïrayant. Llle gagnait avec une étrange rapidité. L'émir protégeait ce mouvement avec une petite armée d'environ mille cavaliers et douze cents fantassins. Les plus braves venaient le joindre souvent de très-loin, et de nouveaiiv lieutenants allaient jioiir lui prêcher la guerre souvent à la portée même du feu de nos colonnes. Des aumônes abondantes lui arrivaient du !\!aroc et de l'Algérie. Ses soldats vivaient pour ainsi dire de rien. Sa doua, campée au loin, à Sebka , se grossissait chaque jour : elle jiouvait alors contenir ciii([ ou six mille àines. De l'ouest, le mouvement gagnait avec rapidité. Il fallait l'arrêter, ou se voir aux prises avec une insurreelion générale. Tous les chefs de colonne montrèrent en ce moment une énergie à la hauteur des circonstances. Cavaignac, en attendant de nouvelles forces pour prendre largement l'offensive, maintint toutes les tribus autour de TIeineen. Le colonel \Valsin-Eslerhazy, successeur de .Mustapha-ben-Isinai'l , à la tète du niagzen d'Oran, se dislingua eu arrêtant par un cou]) hardi l'émigration des (^nled-Kalla et des Ouled- /.air. Il se rendit jiaiiui eux, suivi d'une jietite troupe de Douairs et de Smélas. Les chefs des tribus reliisant d'obéir à ses injonctions, il en tua deux de sa main. Les tribus rétrogradèrent. D'un autre côté, avec une intelli|;ence et une activité remarqua- bles, Bou-\Liza opérait dans la subdivision de -Most.igaiiem. Là, le gi'iiéial le Pays de liourjolly s'élanl porté chez les Flittas, pour y jiunir quelques brigandages, trouva celle populeuse tribu en pleine insurrection. Dès le 21 septembre, date piobablement fixée [lour l'insurrection ginérale, il fut attaqué, serré de près, et obligé de li- vrer les plus rudes combats d'arrièie-[;.irdc. A Touïza, par exemiile, chez les Béni Dargouïa, le lieulenaiil-colonel Berthierun de ces offi- ciers d'élite qui ne se remplacent pas et que tout le monde pleure, trouva la mort dans la plus chaude affaire de celle campagne p.irti- ciilière. Autour de son corps, une lulle acharnée s'engagea. Les Ka- byles y eurent le dessous; et la colonne put gagner Bel-Acel, où clic se fortifia. Là, une audace irréfléchie, mais heureuse, fit tout changer de face. Le colonel 'Parlas, commaiidanl la cavalerie de l.i brigade, bat- lait la rive gauche de la Mina pour y maintenir l'ordre. Il apprend qiK^ Bou-Maza est dans le voisinage. Ce rapide chef d'avenliires, avec son drapeau rouge, ses douze cents cavaliers et une iiombieuse in- fanterie, s'est précipité sur une tribu à nous, celle d'I'.l Laribi. Il l'a pillée; il a incendié les maisons de ses chefs. On avertit le colonel l'artas (|iie la petite année du seliériiVsc retire ployant sous le bulin. Aussitôt le cohuiel, qui n'a avec lui que deux cent cin(|u.inte chas- seurs, se met à In poursuile de l'ennemi, l'atleint, le charge, comme s'il eût en derrière lui deux mille hommes. Les cavaliers du Bou- Maza, malgn- les imprécations de leurs chefs, se débandent pour sauver le fruit de leur razzia. Ils laissent les fantassins aux prises avec nos cavaliers, qui en ont bon marché. Dans le raxnn de Mascara, le général Géry comprima aussi avec énergie l'insurrection. Tous les malheurs étaient réservés à la subdivision de Tlemcen, (pii, nous le répétons, ;ivait été beaucoup trop peu garnie de troupes. A son extrémilé sud se trouve le poste de Sebdou. Ce poste a pour chef le coinmandani Billot, (^e brave soldat se laisse, avec le lieute- nant Dombasie, et iiualrc ordonnances, attirer dans un guet-apens dressé par un nouveau kalif.i d' \ lui cl-kader, nommé Bou-Giierrcra. iMais l'assassinat de nos malheureux olliciers ne ])rodiiit pas au lieu- tenant de l'émir le gain (|u'il en attendait. La garnison de Sebdou, enflammée d'indignation, ivre de vengeance, résiste à toutes les attaques ; mais les tribus des environs émigrent vers le Maroc. co ABDEL KADER. Tout cela, qu'on le remarque bien, se passait presque à la fois. L'insurrection débordait même jusque sur la province d'Alijer, où le colonel Saint- Arnaud, qui commandait à Orlcansvillc, délit, avec peu de troupes, les lieni-Ouraghr révoltés au nombre d'environ trois mille. A la rapidité des Arabes, le ijouverneur ijénéral par intérim, de la Moricière, répondit par une rapidité presque sans exemple dans les annales de la guerre. En quelques jours, il se porte au secours de la subdivision de Tlemcen, rejoint le ijéncral Cavai;;uac au défilé de lîab-ïaza entre le district de Lalla-Magliiiia et celui de Djcmmà- Ghazouat, ravitaille, relève des postes, en débloque d'autres, et, le 6 octobre, se trouve en force devant Abd-el-Kader. Une semaine s'était à peine écoulée depuis les derniers événements. L'émir campait alors de sa personne à Ain-Kebira avec environ trois mille cavaliers. Il activait les mouvements insurrectionnels des Ghossels et des Traras et appelait à lui les populations pour la dé- fense du col d'AVn-kebira, par lequel il fallait nécessairement passer pour attaquer et forcer à la soumission les tribus réfuijiées dans le système montaijneux compris entre Lalla-iMaijlinia, Djemmâ Ghazouat et remboiicliure de la Tafna. Le général la Aloricièie avait avec lui quatre mille cinq cents fantassins, quel(|iies escadrons de cavalerie et dix pièces de canon. Il se trouva dans les environs du col, a l'Oued-Talala, le l-i octobre, et reconnut la position de l'ennemi. Elle était formidable. Des mil- liers de Kabyles couvraient toutes les hauteurs. I.a cavalerie d'Abd- el-kader se déployait à gauche du col. Toutefois on pouvait aborder la position, à droite par un sentier couvert, à gauche par des pentes escarpées, et exposées au feu de l'ennemi; mais, si l'on se divisait ainsi, en deux colonnes, on laissait entre soi un mamelon garni de nombreux fantassins. Le général ) Il vous enflamme au nom de la religion; mais en quoi, oii , et comment avez-vous été troublés par nous dans votre culte' » Avons-nous essayé de xous le faire abandonner? Won. Partout, au contraire , nous avons relevé et restauré vos mosquées et vos marabouts, et nous vous avons protégés d.ins la pratique de vos croyances. 1) Jusque dans nos camps, le canon annonçait tous les jours, pen- dant le rhamadan, la cessation du jeûne. » Comment nous avons-vous traités après la victoire? Ne vous avons- nous pas rendu vos femmes, vos enfants, vos vieillards, et souvent une partie de vos troupeaux? • N'avez-vous pas reçu de nous des grains pour ensemencer vos terres ou pour vivre, quand, par suite des maux de la guerre, vous étiez dans un dénûmeut absolu ? o IMus tard, nous vous avons administrés avec autant de bonté et de douceur que nous administrons les Français. Si vous ne le recon- naissez pas, si vous préférez à ce gouvernement paternel le gouver- nement tyrannique et cruel d'Abd-cl-Kader, c'est la lumière de Dieu qui vous a abandonnés. Vous ne pourrez vous plaindre qu'a vous- mêmes des maux ([uc vous aurez provoqués... J'arrive avec une se- conde armée. Je ne laisserai pas le plus petit coin des contrées rebelles sans le parcourir; je poursuivrai partout les tribus révoltées, et si elles persistent à ne pas revenir soumises sur le territoire, je les bannirai pour toujours de l'Algérie , et je mettrai d'autres popula- tions à leur [ilace. " Ce langage était habile et ferme. L'exécution ne fut point ii la même hauteur. L'amour- propre du gouverneur général paraît eu avoir été la cause. En effet, ])our terrifier l'insurrection, pour forcer l'émir, pour arrêter l'émigralion , il y avait un plan bien simple à suivre, c'était de se porter imniédiateiucut avec des forces suflisantes dans la subdi- vision de Tlemcen, et d'achever là l'œuvre du général de l.amo- ricière. Bugeaud ne put se résoudre à suivre la ligne si bien tracée par son lieutenant. Sous prétexte de ne laisser dans l'intérieur aucune prise à l'insuireclion , il néi;lige eomplélement l'ouest, et au lieu de se transporter pour en finir aux frontières du Maroc, il laisse la guerre se développer de ce côté. (,)iiaut à lui, il ne réunira toutes ses forces contre Ab-cl-Kader que lorsi|u'il n'aura plus rien à craindre des tribus. Ce plan ne répondait en rien à la hardiesse accoutumie des mou vements du gouverneur général. Il cachait ou la pensée de ménager l'émir ou la jalousie d'un chef qui veut faire autrement que son su- balterne. I.a guerre en fut piolongé<> de plus d'un an , el tout languit. Nous n'avons plus, en effet, » signaler pour la lin de l'année IS'ii que les deux expéditions du maréchal contre les l' lillas cl dans l'Oua- rensenis. Elles n'eurent aucun résultat bien reiuarc|iial)le. l.es l'TiKas échappiTent en partie cl ])urcnl joindre leurs forces à celles de l'e- mir. Alors seulement le maréchal se mit 11 la pcnirsuite de notre inla- tigable ennemi. On était eu décembre. La province de Constantine, pendant que Bugeaud opérait maintenant sans éclat dans l'ouest, eut aussi sa ca- tastr.iphc. ABD-EL-KADER. 61 Cette province recevait tous les contre-coups des succès et des insuccès de nos troupes dans la province du centre et dans celle de l'ouest. Une révolte y t'clate dans le Hodna. Prèchée par le fanatique et courageux Si-Saad, elle ne tarda pas à i;ai;ner une partie de ce licleznia où nous avons vu naijuères opérer le duc d'Auniale. Le gé- néral Lev.isstur commandait par intérim; il prend avec lui deux mille baïonnettes et deux cent cinquante chevaux, et le voilà parti. Il a d'abord de grands succès, comme toujours, avec les colonels llerbillon et de Bouscarens et le clicf de bataillon de Liniers; il bat les insurgés dans le Djebel-P'ougal, et enlève aux Oiiled-lienacem et aux Oulcd-Abd-el-lN'our du blé de <|uoi charger deux mille mulets. Mais bientôt la fortune change sous l'empire des éléments. Le cénéral I.evasseur avait au cœur la pensée de ne rentrer à Constantine qu'avec les soumissions des principales tribus du massif et qu'après une victoire complète sur Si-Saad. H reiut , en eflèt, les assurances pacifiques des Saharis, des Ouled-Saanoun et des llal- Bou-Thaleb. Il battit deux fois SiSaad à Koum-liou- Thaleb et à Ras-oued-Sisly, où il lui prit son drapeau. Les Monassa et les Ouled- Adjaïz vinrent aussi lui demander l'aman. .lusque-lii, malgré la saison, le ciel s'était maintenu assez beau. Mais, le 2 janvier, une tempête neigeuse se développa dans les mon- tagnes. La neige tomba tout le jour et toute la nuit. Le général I.e- vasseur profita d'une bonace pour quitter la montagne et redescendre dans la plaine. Il n'avait pour gagner celle-ci qu'un défilé de 1,500 mètres à traverser. Il se mit en marche dès sept heures du matin. Déjà la moitié du convoi , la cavalerie et le bataillon d'avant-garde était hors du défilé, quand vers dix heures des rafales de neige, poussées par lyi vent glacial, obscurcirent l'horizon. On n'y voyait plus à une distance de vingt-cinq pas. Rétrograder ou s'arrêter était également impossible; le général fit continuer le passage et se dirigea vers Sétif, dont il n'était séparé (|ue par une distance de quinze lieues. Alors commença une véritable petite retraite de Moscou, moins les ennemis. Les soldats, français et indigènes, tombaient engourdis par le froid. Nos fantassins surtout jonchaient la roule de leurs cada- vres; ils s'asseyaient, disaient-ils, pour prendre quel(|ue repos; les elTorts des officiers étaient impuissants à les ranimer. .Après l'engour- dissement, la mort les saisissait. ,Si une troupe ennemie les eût sui- vis, peut être l'action du combcit les eût-elle soutenus. Mais, émus de liitié à la vue de ces soldats dont les corps marquaient sur la neige le chemin de la colonne, les Arabes cherchaient à leur porter des secours. Ceci dura neuf longues heures, au bout desquelles le général Levasseur toucha enfin Sétif. Les habitants sortirent au-devant des débris qu'il ramenait. Ln ofl'icier, suivi d'un détachement, fut envoyé pour relever les morts. On en compta soixante-quatorze. Heaucoup des hommes (|ui avaient pu gagner la ville ou de ceux que l'on avait rap))ortés à moitié gelés, moururent à l'hôpital. (^)uel(iues relations estiment à ciiKj cents le nombre des soldats de la colonne (|ue les médecins curent à traiter. Cette catastropbe acheva de jeter une teinte lugulire sur les évé- nements de 1845 en Algérie. Jamais il n'y eut plus de dégoût de la colonisation qu'en ce temps-là. Cependant l'adresse des députés au commencement de 181G félicita le gouvernement de ses succès en Afrique. CHAPITRE XXXII. 1810. Persévérance d'Abd-el-Kader. — Ses entr<;prisps précipitées sur tous les points de l'Algérie. — AsseniHi'e kabyle défavorable ù ses prétention". — Combat de Ben-Ndhar. — Succès des généraux la Moricière et Cavaignacdans l'oiiest. — Prise des Ouled-Kiah — Le faux sultan Sidi-Fadel — Défection des Ha- clieni. La faute (lu'avait commise le général Biigeaud se fit ressentir à toute l'annéequi suivit les événements de Suli-Brahim. D'autre part, jamais Abd-el-Kader ne montra |)lus d'activité, plus d'esprit d'en- treprise et plus d'audace. Il semblait ([u'il ne connût ni les obsta- cles ni les distances. Nous le voyons , chassé du Tell , traverser comme une flèche le pays des Flittas, et aller chercher des forces et des subsistances dans le siid-iiuest de la province d'Oran. Défait de ce côté, il continue à entretenir des intelliginres avec les tribus insoumises, et cel.i jusque dans la province i Je suis l'image de Notre-Seigneur Jésus, je suis Jésus ressuscité, ainsi que tout le monde le sait, croyant à Dieu et à son prophète. Si vous ne croyez pas les paroles (jue je vous annonce en son nom, vous vous repentirez, aussi sûr qu'il y a un Dieu au ciel, qui a le pou- voir de tout faire. » Le général Cavaignac ne se repentit nullement d'avoir traité comme elle le méritait celte invitation à la soumission. Sidi-el-l'"adel , entraînant les Ouled-Belaghr, les Fîeni-Metliar et beaucoup de cavaliers angads du Maroc, marcha sur Tlemcen , oii il avait promis d'entrer sans coup férir. Le général sortit au-devant de lui (le 21 mars) avec ses trois cents chevaux soutenus par trois ba- taillons d'infanterie que commandait le colonel Giignon. Arrivé au plateau de Terny, il se trouva face à face avec huit cents cavaliers et environ douze cents fantassins. Celte force lit d'abord bonne conte- nance. Elle était fanatisée et comptait sur la victoire, Mais Cavaignac, après s'être rendu compte du terrain, ])rend les dispositions les plus rapides. Le ciilonel Gagnon aborde l'ennemi avec un tel entr.iine- ment, ((ue, séparé de sa troupe, il est d'abord entouré, lui, cinq ou sixième. La cavalerie le dégage, et laridis qu'un détachement manœuvre de manière à couper la retraite aux Arabes, la cavalerie charge par trois fois la masse ennemie et la disperse. Quant à nos fan- tassins, ils viennent facilement à bout des cavaliers de Sidi-Fadel, dont ils repoussent toutes les attaques, et qu'ils forcent ii fuir en désordre. Sept drapeaux restent entre leurs mains, et l'on compte sur le terrain jusqu'à cent cadavres revêtus du haïk. L'insurrection est dissipée. Mais arrêtée à Tlemcen, elle reparaît dans la Kabylie. Les kabyles ont repoussé Abd-el-Kader à Bordj-el-Iioghni ; ils se soulèvent, main tenant qu'il n'est plus lii , sous la conduite de leurs propres schérifs. Un instant le pays entre Collo et Philippeville est presque tout entier soulevé; mais ce soulèvement tourbillonne sur place, et nos établis- sements ne sont pas atta([ués. Il n'en est point de même dans le Dalua, oii Bou-Maza résiste, par ses manieuvre? rapides, aux mouvements combinés des troupes des subdivisions de Mostagancm et d'Orléansville. Cependant, atteint au e.ommencemenl d'avril, cet autre Abd-el-Kadcr est blessé au b:as et perd son principal lieutenant. Un autre partisan de l'émir, Iladj-el-Sghir, successeur d . ilifa Sidi-Embarek, se tenait en armes dans l'Ouarensenis. 11 n^ i liait comi)ter sur aucune tranquillité tant (]ue lui et Bou-Maza ne -i .iient pas réduits. Le duc d'An maie fut chargé de conduire contre . i- chef une opération d'ensemble, tandis que des efforts comhinés ser.i . iit di- rigés dans le Dalira. L'une et l'autre de ces expéditions réussirent. Cependant le général Bugeaud jugea ii propos de revenir après le duc d'Aumale. Cette fois les montagnards, ainsi que ceux du Dahra , li- vrèrent leurs armes. Un grand malheur frappait en ce temps-là Abd-el-Kader : non- seulement nous lui enlevions en le poursuivant à outrance tout appui de la part des Ouled-Naïl, mais encore nous les faisions ren- trer dans la soumission, ainsi (|ue la ville de Boiiçada. Ce n'était pas tout, les principales tribus parmi celles i|ui composaient la deïra de l'émir, les lieni-.\mer et les llachem, faisaient défection : elles quit- taient les drapeaux d'Abd-el-Kader, et de la MoulouVa, oii elles cam- paient, elles allaient s'établir, sous les auspices de l'empereur de Maroc, dans les environs de Fez. Le bruit de cette défection se ré- pandit promptement dans toute l'Algérie. Les llachem étaient depuis seize ans attachés à la fortune de l'émir. Leur abandon le condam- nait aux yeux des Arabes. A partir de ce moment on peut le regarder comme vaincu dans leur esprit. CHAPITRE XXXIII. .SUITE niî 1816. Désespoir des Arabes et U'Ab-el-Kadcr. — Massacre dos prisonniers de la delra. — Massacre do Bathna. — Des Tunisiens. — Séparation entre Uou-Ma^u et l'émir. — Délivrance des officiers de Sidi-Urahim. A mesure que nous avançons dans l'hisloin? des mouvements mi- litaires de ISKi, la guerre se colore d'une teinte sombre. Il n'y a plus d'actions d'éclat. L'ennemi se cache, fuit et massacre (piand il peut. C'est comme la dernière convulsion d'une nationalité blessée à mort. Abd-el-Kader était à bout de ressources. ]l avait donné ordre aux llachem et aux Beni-Amer de le rejoindre vers le sud, et ceux-ci, comme nous l'avons vu, avaient émigré au Maroc. Cependant la deira subsistait toujours, gardée ])ar linéique» centaines de réguliers, et se tenant en rapport par les rives de la MoulouVa d'un côté avec les secours marocains, de l'autre avec les émissaires de celles des tribus qui, en Algérie , nous étaient encore hostiles. Mais d'un côté comme de l'autre l'assistance n'arrivait guère. Pressés peut-être par la pénurie de vivres, fanatisés par l'esprit de vengeance, ses chefs conçurent un projet dont l'exécution fut une tache sanglante à l'his- toire de l'émir. La deïra était alors campée à environ trois lieues de la Moulouïa. Les prisonniers établis sur le bord de la rivière occupaient une vingtaine de gourbis au milieu du camp des fantassins réguliers. Ceux-ci étaient au nombre de cinq cents environ, répartis aussi dans des gourbis par bandes de cinq ou six; le camp était clos par une enceinte de broussailles fort élevées, dans laquelle on avait ménagé deux passages pour rendre la garde plus facile. Le 2' avril, vers deux ou trois heures de l'après-midi, il arriva une lettre d'Abd-el-Kader. Aussitôt trois cavaliers vinrent au camp cher- cher les ofiiciers de la part de Mustapha-ben-Thami ; celui-ci les invitait à nue fête. .MM. de (îognord, Larazet, Marin, Hillerain, Cabasse, Thomas et ((uelqucs autres se rendirent à cette invitation. Les autres prisonniers furent commandés jiour une sorte de revue de leurs effets. Les fantassins réguliers, après les avoir inspectés, les séparèrent par escouades de sept ou huit, et mirent chaque escouade dans une même gourbi sous la garde de vingt-quatre hommes armés. Quelques-uns de nos soldats furent saisis d'un affreux pressentiment, et veillèrent, prêts à se défendre par tous les moyens. Qiiel(|ues-uns avaient réussi à cacher des couteaux ou de simples morceaux de fer. Vers minuit, les réguliers d'Abd-el-Kader et les autres hommes de la Deïra pousssèrent un grand cri, c'était le signal du massacre. Une horrihie lutte s'engagea alors. Les Arabes, ne pouvant l'empor- ter malgré leur nombre, mirent le feu aux gourbis, et à mesure que les prisonniers cherchaient à échapper aux flammes, ils les fusillaient à bout portant, (.'cite lâche fusillade dura plus d'une heure. Parmi ceux des nôtres ([ui s'échappèrent, le clairon Rolland fil sur- tout preuve d'audace et de courage. Au signal des Arabes, il sort de sa gourbi, rencontre un régulier, le frappe d'un coup de couteau dans la poitrine, et saute dans un buisson, oii il compte trouver un abri. Des ennemis l'aperçoivent, le saisissent.il réussit à s'en débar- rasser, et après avoir essuyé plusieurs coups de fusil, il a la douleur d'assister de loin au massacre de ses camarades. Le silence étant fait, il quitte les abords du camp, et se met en marche, à l'aventure, se cachant le jour, voyageant la nuit. Après trente-six heures de fati- gues, à bout de forces, il pénètre dans un village marocain, et y est fait prisonnier. Les habitants le vendent pour deux douros à un pro- priétaire des environs de Lalla-Jlaghnia, qui le ramène au camp fran- çais, oii il confirme l'affreuse nouvelle du massacre du 12" avril. On était alors au 17 mai. Les tortures que cet liomme avait supportées ne l'avaient point al'attu. Maintenant, sur (jucl ordre le massacre des prisonniers de la deïra avait-il été exécuté ? Cet ordre venait-il de l'émir ? Ses partisans l'ont nié, et ont fait peser toute la responsabilité de la nuit du 2" avril sur Mustaplia-lieii-Tliami. Mais telle ne fut pas l'opinion (|iii se ma- nifesta tout d'abord en Aliyérie; telle ne fut pas non jiliis ni l'opinion des membres du gouvernement d'alors ni celle du maréchal Bugeaud. L'émir fut hautement accusé. Le Monilcar du il mai ISiC est à cet égard une ]>ièce trop importante pour que nous ne le citions pas ici. Voici en quels termes il porta à la France la connaissance du mas- sacre de la Moulouïa : • Le gouvernement ' n'a encore reçu aucune nouvelle officielle sur un événement douloureux dont plusieurs journaux s'occupent ce ma- tin. Koiis nous bornons à reproduire l'extrait suivant de la France Algérienne. On lit dans ce journal : » Le patron d'une balancelle partie de Djemmà-frhazoual le 9 mai nous a annoncé une nouvelle lerrihle, le massacre à la deira d'Abd- el-Kader de tous les prisonniers français! M. le général de la Mori- cière donna immédiatement au vaiienr h- Grégeois l'ordre de se rendre d'urgence à l)jemmà-(;hazoiiat ]>oiir y transporter M. de Marlimprey, colonel d'étal-major, chargé de vérifier ce hruit si alariiiant, d'en constater raiilhentieité, et de recueillir lous les détails de ce fait d'o- dieuse barbarie dont on se plaisait à douter, mais (|ui n'i'st malheu- reusement que trop ceitain. I.'iiat de la mer a pendant trois jours mis obstacle à raccomplissement de la mission de M. de M.ulimprey. Enfin le (IréjieuiK est rentré cette nuit même, et de tous les hriiits recueillis sur ce fatal évi'iiement, il résulte qu'Alnl-el-hatlcr a ejfec- ticeiiieiit duttné l'urdre de j/in.'î.sncri'r (los jirisotinient , et que cet ordre a été exécuté, ilàlons-noiis de dire que jusqu'à présent cet ordre ne concernait pas les offiriers, (|ui ont échappé ;i celte épiiiivaiilable bou- cherie. \ oici les faits ipii (Uit amené l'émir à prendre une résolution si impitoyable. » Dans le courant du mois dernier, Ahd-il-Kader avait ordonné à Bou-llamedi de remettre le commandement de la deira à iMiistapha- lien-'l'hami, et de venir aussitôt le rejoindre avec les BenijVmers. Eliriiilé dans le Sud, où il a pass(' pour être exécuté, cet ordre ne le fut pas, car les Beni-.\mers el Beii-llamedi refusèrent de parlir. I..i tribu, de l'aveu même du kalifa , entama avec Bou-'/.ian Ouled- ' Moniteur du II! mai )S46. ABD-EL-KADER. 63 Cbaoui des négociations dans le but d'obtenir son assistance pour se séparer de la doïia. » 11 fut convenu entre eux que les Beni-Aïuers ne dépasseraient pas Taza, et que Bou-Amedi se poserait en intermédiaire de la tribu auprès de l'émir, et qu'il obtiendrait son retour à la doira sous la condition (|ue le commandement en clief lui serait donné. l!ou-IIa- medi tint parole, mais les lieni-Amers manquant à la loi donnée, pas- sèrent par I ouest sans s'occuper du kalifa, qui, redoutant les suites de son intrigue avortée, prit la fuite afin de rejoindre Uuu-Z.ian- Ouled-Chaoui. " A la suite de ces événements, (|ui eurent lieu dans les derniers jours du mois d'avril, Mustapha-Den-TUami, ilemeuré seul avec les Ila- chems et quelques émiijrés des diverses tribus, ne put exécuter l'ordre que l'émir, son beau-frère, lui lit tiansmeltre d'amener vers le sud tout ce qui lui restait de monde. « l-a deira, réduite des trois quarts, écrivit-il à Abd-el-Kader, ne pourrait résister à une tentative probable des tribus marocaines pour s'emparer des prisonniers français, dont la garde et l'entretien devenaient cbaque jour jilus difficiles. » » Abil-et-Iùuh-r rqtondit par l'ordre liarhare, d'éi/ori/er ccf: tnallie:t- reu.e. Afin de rendre plus facile l'exécution de cet ordre, on répandit le bruit dans la deira que tous les prisonniers musulmans avaient été mis à mort en France. C'est avec de semblables nouvelles que les agitateurs stimulent la haine cruelle et i|jnorante des Arabes. 1) 11 n'y a ])lus a douter de la consommation du meurtre de nos malheureux frères d'armes nous avons vu les cadavres de plu- sieurs; (|uelques-uns, échappés à la mort, ont réussi à s'enfuir, bien que poursuivis, et à gagner les douairsdes Bcui-Snassen. Des hommes de cette tribu ont sauvé la vie à l'un d'eux, et fait la promesse de nous en ramener d'autres qui sont à présent en siireté. » On voit d'après cette pièce que l'opinion du gouvernement fran- çais était (|ue la responsabilité du massacre devait remonter jusqu'à Àbd-eM\ader. Le maréchal Bugeaud , qui avait peut-être quelques reproches à se faire pour n'avoir pas accepté des propositions que l'on dit lui avoir été faites pour l'échange des prisonniers, se laissa en- traîner beaucoup plus loin dans l'accusation. X'oici quelques phrases de la proclamation que l'événement du 27 avril lui inspira ; « Ababes et Kabyles, » Vous aurez peut-être appris l'acte barbare exécuté sur trois cents prisonniers français par le bis de Mahiddin, que vous appeliez au- trefois votre sultan. Voyant que ces prisonniers étaient réclamés par rem])ereur du Maroc, ou qu'ils allaient être délivrés i)ar notre année, ou bien enfin qu'ils étaient incommodes ii nourrir ou à garder, il a on/o/i/ié ili' les éyarger, et ils ont été èijorijéa. » Cinq mille prisonniers musulmans étaient alors entre les mains des Français. Abd-el-l\ader les exposait ii notre vengeance. Cette idée aurait dû l'arrêter; mais, ajoutait le général Buijeaud dans sa proclamation, n notrt tnnemi est devenu aussi féroce que les lioits et les patitlwres. » Le maréchal terminait en invitant les Arabes à comparer la cruauté de l'émir à la générosité de la France. Quoi (|u'il en soit de la complicité d'Abd-el-Kader dans le mas- sacre de nos prisonniers, ce massacre ne lui donna aucune force. En effet, dès iju'il eut été commis, l'union qui maintenait les habitants de la deira fut brisée. Ils se séjiarèrenl dans toutes les directions. L'émir parvint néanmoins à en rejoindre et à en rassembler le noyau, avec lequel il se porta dans le pays des jNItalsa à Ain '/-ohra. Là, son kalifa Hadjel-Sgliir et Hou-i\Lr/.a se réunirent à lui avec leurs par- tisans, et après un ]ieu de temps il se retrouva encore en force. îlais il ne sut pas ou ne put pas profiter des divers troubles (pil agitèrent le |)ayspour faire à temps une nouvelle invasion. Ces troubles furent cependant considérables. Ainsi, d'une part les Kabyles allèrent jusqu'à insulter la garnison de Bougie, (|ui fut con- trainte de repousser en armes la tribu des IMezaïa. D'autre part la province de (Jonstantine fut exposée à une invasioli qui rappela en diminutif celle des Marocains à Oiichda. Un cheik nommé Kl-llassenaoui parvint à fanatiser les tribus des environs de Tebessa. Le général Bainlon sortit de Boue pour dissiper les rassemblements (|uc l'on disait s'être formés autour de cette an- cienne ville romiiine. Il n'eut à traverser (|u'uii pays en apparence ami; mais la température étant fort élevée, la troupe eut beaucoup à souffrir. Avant que de s'engager dans les montagnes, le général Jlan- don, encombré de malades, jugea à propos de les dirigersur duelma, où ils trouveraient les soins désirables. On en forma un convoi qui s'achemina sous la garde du kaVd Ben-Jéar, dont on avait éprouvé plus d'une fois la fidilité. Ce convoi s'avança d'abord en pleine quié- tude; mais le lendemain de son départ un coup de feu retentit sur sa gauche. C'était le signal d'un nouveau massacre. En (jiiel>|ues minutes des masses de Kabyles entourent nos malheunuix blessés, et pas un n'échappe. Là se trouvaient d'execllenls ofliciers, le capi- taine JNoël, le sous-lieutenant llamerroui, l'aide-niajor Castelll. On avait fait croire aux massacreurs ipi'ils vengeaient le pillage -de Tebessa. Aussitôt (pi'il apprit cet événement, le général Randon, bien ([u'il n'eût avec lui que peu de forces, revint sur ses pas et, sans craindre de soulever tout le pays par une punition exemplaire, envahit avec rapidité le pays des Ouled Sidi-Jahia-bou-Thaleb dans le territoire desquels le meiirlre de nos mal.ides avait été commis. Toutes les richesses de la tribu furent saisies; elle livra les instigateurs du massacre. Mais El-IIasseiiaoui profita du retour du général Randon pour ob- tenir des habilanls de la frontière de l'unis d'envahir le territoire français. Des bandes considérables et i|ueli|ues chefs im|)ortants le suivirent. Il pouvait compter cinq ou six mille couibaltants, la plu- part cavaliers. Ce r.issemblement formidable vint présenter la bataille à la colonne expéditionnaire, qui camiiait alors près de la I routière tunisienne chez, les Ouled-Cliiar. Le général, sans attendre les l'uni- siens, lança sur eux sa f.iible cavalerie. Saisis d'une terreur panl([ue, ils fuirent à toute bride. On les poursuivit durant vingt - ipiatre kilomètres. Cette victoire ne nous coûta pas un seul soldat. Le gou- vernement de Tunis désavoua la tentative, et fut contraint de [iren- dre des mesures pour empêelier i|u'elle ne se renouvelât. Sur d'autres points il y eut également des soulèvements partiels. Il fallut conduire une expédition dans le sablel de Sétil. Trois de nos caïds de la subdivision de Bone furent successivement assassinés. Dans le Dahra, un nègre nommé El-(iuerib se donna pour prophète. Un autre prophète, travaillant pour Bou-Maza, se leva parmi les tri- bus de Chekala et de Meslem. Toutes ces tentatives montraient un pays mal soumis. Cependant, comme nous l'avons dit, soit inca]iacité, soit impuissance, Abd-el- Kader n'en profita imint. Son attitude le fit même accuser de trahi- son par Bou-Maza. Celui-ci, d'une nature beaucoup plus bouillante et impétueuse, ne voulait pas que l'esprit des Arabes reposât un seul instant. Sa lutte pied à pied contre nos troupes dans le Dahra, et par- ticulièrement contre le colonel Saint- Arnaud et le lieutenant-colonel Canrobert, lui avait donné une gr.inde réputation. Si l'émir repré- sentait le génie arabe dans sa plus haute expression, Bou-Maza le re- présentait par ses côtés populaires. Ardent, infatigable, violent, plein d'expédients et de ruses, éloi|ueiit, mais dans un langage plus vul- gaire, plus excitateur et plus fanatique, il s'accommodait mal des découragements (|ui s'emparaient ipielquefois de l'émir, et que celui- ci dissimulait sous les enveloppes de la politique et de la prudence. A son retour après le massacre du 27 avril, Abd-el-Kader était dans un de ces moments d'abattement. BouAlaza, après avoir essayé de l'entraîner à une nouvelle invasion, le (piitta une première fois pour fanatiser les tribus des environs d'Ain-Zorah. Il marcha même assez avant sur notre territoire. Mais ses tentatives furent sans succès. 11 en accusa Abd-el-Kader. L'émir, disait-il, ne voulait travailler (|ue dans un intérêt égoïste. 11 jalousait tous ceux qui s'élevaient à côté de lui. Ces paroles, rapportées à l'émir, aigrirent ce dernier. La deira se divisa en deux partis. Celui de Bou-Maza ne fut pas le plus nom- breux; ce que voyant, ce hardi chef d'aventures réunit qiiaranle ca- valiers seulement, et quittant la frontière du Maroc, rentra résolu- ment sur notre territoire. On apprit bientôt sa présence à Szitten, puis chez les Ouled-Nail, à l'extrémité sud-est, desipiels il s'arrêta, défiant là nos armes, qui ne s'étaient pas encore avancées si loin. L'abandon de Bou-Maza, comme celui des Beni-Amers , porta uti nouveau coup à l'autorité de l'émir. Un autre événement, arrivé vers cette époque, contribua à lui faire perdre de l'influence qui lui res- tait encore. On se rappelle que plusieurs de nos officiers, prisonniers à la deira, avaient été épargnés dans l'alTreiise exécution de la Moulaia. Octobre finissait, ([uand on apprit, par le gouverneur espagnol de Melilla, qu'il ne serait pas impossible , si l'on voulait y mettre un certain prix, d'obtenir la délivrance de ces officiers et de ce (|ui leur restait de compagnons. Le commandant Coiirby de Cognord, disait-on, avait écrit lui-même à ce sujet. Eu effet, voici ce (|ui se passa : Le 2 novembre, le gouverneur de Melilla reçut une lettre de ce brave officier, et la transmit au général iTArbouville, qui comman- dait alors la province d Oraii. Les chefs arabes, cliargi'S de la garde des prisonniers, exii;caient une somme de quarante mille francs. Le général d'Aibouville envoya aussilùt un enseigne de marine des plus distingués, M. Diirande, à Melilla, avec la somme demandée. Comme on ignorait alors la connivence des chefs avec l'émir lui même, l'en- seigne prit les plus grandes précautions. 11 parvint à communiquer par un inleruudiaire avec M. de Cognord , et à lui faire savoir que l'argent de la rançon ét.iità Melilla, et que si les commandants de la deira se trouvaient toujours d.iiis les mêmes dispositions, une balan- cclle, croisant le long de la côte , serait toujours prête à recevoir les malbeureux captifs. ()ii fut [dus de quinze jours sans recevoir aucune réponse. Enfin, le 2 i novembre, deux coureurs se présentèrent dans les fossés de la place de Melilla , et annoncèrent que les prisonniers étaient à (|uelqiies lieues de la pointt^ de Bermiza et que l'on pouvait les y aller prendre. Ce pouvait être une embuscade. Les Arabes vou- laient peiil-êire faire un nouveau Sidi-Rrahim. !Mais Durande n'hésita pas. • .le ne rentrerai pas à Oraii, s'écria-t-il , si je dois rentrer sans eux. 11 'Toutefois, comme le courage n'exclut pas la prudence, il fit accomiiagner sa balancelle par un canot du port de Melilla ipie mon- tait don LuizCoppa, major de la jibice. Arrivé à la pointe dr Ber- miza, on trouve (|ucli[ues cavaliers qui attendaient; puis bientôt les 64 ABD-LL-KADEU. prisonniers arrivent , conduits au galop par un grand nombre de ré- ijuliers. Le brave enseigne avait eu la précaution de faire disposer l'argent dans le canot espagnol. Un chef arabe consent à passer sur celui-ci, tandis que M. Durande restera à terre, et l'échange se fait. Douze heures après, nos olliciers touchaient à Djenimâ-Ghazouat le sol français. De là on les transportait à Mostaganem , où la garni- son, l'illustre général de la Moricière en tête, les recevait avec tous les honneurs de la guerre, honneurs qui furent renouvelés par le ma- réchal Bugcaud lui-même. Leurs fatigues, leur courage, les en ren- daient en effet bien dignes. Le massacre de Sidi-lirahim était d'ailleurs alors vengé depuis peu. Au mois de juin , des Arabes, appartenant la plupart aux tribus qui s'étaient le plus odieusement distinguées dans cette boucherie, avaient profité de l'cloignement momentané du général Cavaignac pour atta- quer les troupes occupées à tracer la route de Djemmâ-Ghazouat à la frontière. Ces troupes cessèrent aussitôt leurs travaux, et se concen- trèrent. D'autre part le général accourut. Une fraction de sa colonne tomba bientôt sur les Msirdas. Les soldats trouvèrent dans les gourbis de cette tribu des armes et des dépouilles provenant du massacre du 23 septembre. Exaspérés parcelle vue, ils ne firent aucun quartier à précipiter vers le dénoùment. Abd-el-Kader va perdre une à une ses dernières espérances, et réduit à lui-même, il sera forcé de subir la loi de sa destinée. Ce sont d'abord les Kabyles des environs de Bougie et ceux du Djiirjurali (jui font leur soumission. Les Mezaïa, les Beni-bou-Messaoud se rendirent les premiers. On en forma un cercle qui releva directement du commandant supérieur de Bougie, et l'on se prépara à combattre vigoureusement les autres. Treize tribus prévinrent la conciuêle en envoyant demander l'amitié des Français, convaincues, disaient-elles, que l'heure indiquée par Dieu pour la soumission de leur pays et de leur race était arrivée. Ces tribus avaient été primitivement soulevées et maintenues dans la résistance par un chef nommé .Alohammed-ou-Amezian. Mohammed députa ses propres parents vers les autorités françaises. Les Ouled- Amriou, les Ouled- Abd-el-Djebar , les Barbacha, les Guifsar, les Beni-Mohali, les Mehalla, les Beni-bou-Beker, les Adjissa du Sahel, les Senadja , les Beni-Djellil , les Beni-Himmel, les Beni-Ouglis, les Messisnas, les deux puissantes tribus des Fenaia et des Toudja, s'as- socièrent à sa démarche. On les organisa en caïdats ; la place de Bougie cessa d'être bloquée et prit aussitôt une face nouvelle. Depuis Bataille d'isly. l'ennemi, dont une partie se hâta de se soumettre. Une autre portion essaya de se réfugier chez les Beni-Snassen. Le général leur coupa le chemin, et les accula à la mer; là il leur fallut se rendre et périr. On porta à cinq cents le nombre de ceux qui trouvèrent la mort dans les flots. Depuis ce moment, les affaires de l'émir ne cessèrent d'aller en décadence. Le colmiel Renaud poursuivit ses partisans jusi|u'aux Cliotts. Dans la province de Coiistantiiie, les agitateurs furent de même punis. La trihu des IN'émcnchas en particulier fut rudement châtiée par la garnison de Biskara, aux ordres du colonel Saint-Ger- main. Knfin les derniers jours de l'année ISiO virent la soumission des fractions dis-iilenles des llarrars, des Maknas, des llamyans Clie- ragas et des DjalVras, (|ui, réfuijiés sur la frontière, se renilirent soit au chef de bataillon di' Contèves, commandant de 'i'iaret, soit au chef de bataillon Cliarras, (|ui se fit remarquer alors par les services les plus siijnalés. A la même époque, douze cents tentes des Ouled-Ba- lag'r, sorties des environs de Daya, rentrèrent sur notre territoire. F.nfin Abd-el-Kader se vil réduit à ne plus avoir, pour ainsi dire, aucun partisan avoué, cl sa deïra se composa tout au plus de trois cents chevaux mal montés et de deux cents cinquante fantassins sans solde. CHAPITRE XXXIV. Soumissic.n des Kiibyles du Jurjura. — Le colonel Saint-Arnaud. — llcddition de liou-Maza. — Expédition des généraux Cavaignac et Renaud dans lo Sahara algérien. — Fin du gouvernement du maréchal Bugeaud. Vminamu^ ad evenlum, comme dit le proverbe latin. Dans cette période qui s'ouvre en 18 il, nous allons voir toutes les choses se Paris. Tv(nif,r;i|)Iii<' l'Iim fn treize ans elle n'avait pas vu un seul indigène dans ses murs. Ses marchés furent tout à coup approvisionnés, 11 y eut là, sous une petite apparence, un gros événement. Une soumission encore plus importante (|ue celle de Mohammed- ou-Ainezian fut celle de Ben -Salem. Ce chef s'était rencontré dans toutes les insurrections des Kabyles du Djurjurah. 11 avait été l'un des kalifas d'Abd-el-Kader. Beaucoup de tribus el la renommée publi(|ue le considéraient encore comme tel. l'ar une démarche si- gnificative, il (juitla pour toujours le parti de l'émir. Le gouverneur reçut ses engagements. Avec lui et a])rès lui vinrent plusieurs amis marquants d'Abd-el-Kader, (|ui avaient trouvé un refuge dans la Kabylie. l'.nsuite se présentèrent les chefs notables des tribus de la vallée de Sebaou et des revers sud-ouest et sud du Djurjurah. Bel- Kassem ou Kassi lui-même, (|ui, comme Ben -Salem, et avec un fa- natisme beaucoup jilus sauvage, prenait part depuis dix ans à la résistance des Kabyles ses compatriotes, imita l'exemple, il se soumit. Une reddition encore plus importante, ce fut celle île Bou-Vlaza. Nous avons vu ce rapide et brillant avenlurier quitter la deïra et entrer résolument sur le territoire de l'Algérie. Il pénétra ainsi jus- que dans la subdivision d'Orléansville , ancien théâtre principal roche. Nous verrons dans un chapitre qui traitera de la colonisation et des colonisateurs quel fut le résultat de ses tra- vaux administratifs. En attendant nous poursuivons le cours de notre parration, CHAPITRE XXXV. Intérim gouvernemental du général Bedeau. — Massacre des Hachcnis et des Beni-Hamers par les Marocains. — Gouvernement du duc d'Aumale. — Préli- minaires de la reddition d'Ahd-el-hader. Après un intérim d'un temps peu considérable et qui ne donn^ pis au général liedeau les occasions de montrer ses talents adminis- tratifs et de déployer ses solides qualités militaires, le jeune duc d'Aumale prit, en septembre 18 S 7 , le gouvernement de la colonie. Il débuta par une proclamation dans laquelle , tout en rendant justice au maréchal liugeaud, il reportait au roi Louis-l'hilippe l'honneur principal de ce qiii s'était fait en Algérie. C'était plus filial que vrai. Yoici le langage ((u'il tint aux Arabes : « Ue la part du duc d'Aumale , le fils du roi des Français, gouver- neur général de l'Algérie, à tous les Arabes et Kabyles, ijrands et petits, salut. » Le roi des Français, que Dieu bénisse ses desseins et lui donne la victoire, m'a confié le gouvernement du royaume d'Alger, depuis les frontières du Maroc jusqu'il celles de Tunis. » Vous ave/, compris, ô musulmans, combien le bras de la France était puissant et redoutable et combien son gouvernement était juste et clément. Nous avez obéi à l'immuable volonté de Dieu, qui donne les emiiires à qui bon lui semble sur la terre. )) Yous ave/, fait votre soumission au maréchal, et vous avez éprouvé la bonté de son gouvernement; vous vous souviendrez tou- jours qu'il honora les grands, qu'il protégea les faibles et qu'il fut équitable envers tous. Hien ne sera changé à ce qu'il avait fait et ce qu'il avait établi sera maintenu : car jamais il n'a fait que le bien et il n'a agi que par la volonté du roi des Français. C'est le roi des P'rançais qui lui s ordonné de se montrer grand et généreux après la victoire; c'est le roi qui a \ mlu que vos biens et votre religion fussent respectés et que vous fussiez gouvernés par les jirincipaux d'entre vous sous l'autorité bienfaisante de la France; c'est le roi, dont la bonté est inépuisable, qui a pardonné tant de fois aux insen- sés qui, poussés par de perfides conseils, ont trahi la parole qu'ils nous avaient jurée. Les insensés ont reconnu l'inanité de leurs eiforts et la main de Dieu les a frappés jusqui; sur la terre étrangère ou ils avaient cherché un refuge. Keiuerciez Dieu de ce ciu'il vous a donné les richesses et les jouissances de la paix en échange des maux insé- parables de la guerre. » Après cet éloge du maréchal Bugeaud et du roi, le jeune gouver- neur jiarlait de lui-iiiêiue. Il C'est, disait-il , pour vous donner encore un gage plus éclatant de ses bonnes intentions ii votre égard (jue le roi des Français m'a envoyé au milieu de vous, comme son représentant sur celte terre qu'il aime à l'n/al de. la Frann. .l'ai déjii vécu parmi vous, je con- nais vos lois et vos usages et tous mes actes tendront à augmenter votre prospérité et celle du pays. f \ ous savez, que notre jiarôlc est aussi ferme que notre force est irrésistible; vous avez éprouvé la puissance terrible de nos armes; vous avez apprécié et vous apprécierez chaque jour davantage les bienfaits de notre amitié; ceux d'entre vous qui sont restés fidèles à leurs serments ont jirospéré; ceux qui ont été parjures ont souffert tant de malheurs que le cœur en est profondément accablé. Vous connaissez la seule voie qui peut vous conduire au bonheur et UieU vous inspirera de la sagesse pour y persévérer. Salut! u Il y avait beaucoup de vrai dans ce langage, mais si nous le retra- çons, ce n'est pas à cause de sa valeur intrinsèque, c'est parce qu'il révélait aux Arabes un grand acte, un acte irrévocable delà France; la prise de possession de l'Algérie par la dynastie même qui régnait de l'autre côté de la Méditerranée. Cet acte eut sur les Arabes une influence décisive. Il les releva à leurs propres yeux; il leur fit ac- cepter la conquête. Le fils du sultan des Français venant lui-même les gouverner, c'était bien autre chose que ce petit homme de Zaouïa, comme les indigènes de notre parti appelaient Abd-el-Kader. Cependant, jamais celui-ci n'avait été plus prodigieux dans ses efforts. Son quartier général était toujours à Aïn-Zolira. Trouvant des obstacles infranchissables du côté de l'Algérie que nos troupes gar- daient avec un soin de tous les instants, il en revint aux projets qu'il avait nourris avant la bataille d'Isly et le Maroc fut de nouveau le but de son ambition. Cette ambition devait hâter sa perte. D'une part, ses incursions continuelles sur le territoire des tribus marocaines força Abd-er-Rhaman à fortifier son camp de Thaza et à mettre plus de franchise dans le concours qu'il était tenu de prêter à la France ; d'un autre côté, le grand nombre des mécontents qui le rejoignaient contraignit les autorités françaises à arrêter complète- ment toute émigration. Il en résulta des mesures qui l'isolèrent de plus en plus. Enfin ses intrigues déterminèrent un événement dont la fatalité domina décidément sa fortune. La fatalité, on le sait, a sur les Arabes un ascendant irrésistible. Nos lecteurs se rappellent comment l'émir, en 18i5, avait entraîné avec lui sur les bords de la Moulouia les deux grandes tribus des 11a- chem et des Bcui-Amer. Là, après avoir, pendant de longs mois de misères, suivi la fortune du chef, ces tribus l'abandonnèrent et se mirent sous la protection de l'empereur de Maroc , qui les établit dans la province de Fez. Elles y étaient depuis un an, quand la nouvelle des succès d' Abd- el-Kader sur les frontières du Maroc leur parvint. On leur représen- tait le fils de Mahiddin comme étant de nouveau à la tête de forces considérables. 11 n'attendait, ajoutait-on, qu'une occasion favorable pour se venger d'une manière sanglante de ceux qui l'avaient aban- donné. L'ancien prestige aidant, les tribus émigrées crurent à ces récits. Elles écrivirent à l'émir qu'elles ne l'avaient quitté que sous le coup pressant de la famine et de la misère , mais qu'elles le considéraient toujours comme leur sultan, et que s'il voulait les admettre de nou- veau dans sa deîra, elles étaient prêtes à le rejoindre. En même temps elles lui proposaient un plan d'attaque contre les Marocains. Elles se jetteraient sur ceux-ci en venant de Fez, tandis qu'Abd-el- Kadcr les investirait en venant de Thaza. L'émir ne pouvait point ne pas accepter. Il donna rendez-vous aux émigrés dans une vallée entre Fez et Thaza. Ceux-ci lui firent dire de les attendre. Mais leur messager rencontra en route un cavalier abid-bokari qui désertait. Ces deux hommes lièrent connaissance, et l'émissaire des liai hem, voyant les mauvaises dispositions du déserteur contre le gouvernement d'Abd-er-Rhaman , fut assez imprudent pour lui conter sa mission. Aussitôt celui-ci conçoit le projet de tirer ])rofit de celle confi- dence. 11 attend la [nochaine halle et feint de s'endormir. Son eom- jiagnon s'endort effeclivemciit, quant à lui, sans défiance. Aussitôt le Marocain le garrotte, appelle des gens d'un douair voisin, et sous la |)roincsse d'une riche récompense, le fait porter pieds et poings liés à Abd-er-Uhaman. Là on le met à nu, et l'on trouve sur lui la lettre des llachem et des Beni-Ainer. Le fils de l'empereur est inimé.lialeinent averti. Il ordonne au kaïd Ferradj de se détacher du camp de Thaza avec trois mille hommes de ses meilleures troupes, d'arrêter l'émiijralion des tribus si elle était commencée, et de l'empêcher si elle devait efl'ectivemcnt avoir lieu. Ferradj arrive sur les Beni-Amer au moment même oii, avec leurs troupeaux et leurs femmes, ils se mettaient eu marche. Il leur enjoint de rétrograder. Ils fondent sur lui en désespérés, et parviennent à se frayer un passage. Mais l'erradj , qui craint la vengeance d'Abd-er- Rhaman, dé](èclie aussitôt à franc étrier des coureurs aux diverses tribus marocaines, dont les malheureux émigrés ont à traverser le territoire. Il leur ordonne de courir sus aux Beni-Amer, et promet une grosse somme pour chaque tète qui sera rapportée. Aussitôt, iiarlout sur le jiassagc des anciens amis d'Ab-el-Kader, c'est à ((ui se soulèvera. De leur côté, les Beni-Amers se défendonl et atta(|uenl au besoin. On les presse, on les cerne. Plus de (piiiize mille hommes de conliiigeiits divers sont réunis autour d'eux. Il s'engage à chaque marche un combat entre ces infortunés cl les Ma- AKD-EL-KADER. Ùl rocains. A cha(|iif marche aussi ils espèiciit voir tourbillonner au loin la cavalerie d'Abii-el-Kader venant au-devant d'eux. Mais l'émir n'arrive point, car au même moment Sidi-Mohammcd fait attaquer sa deïra. Alors les hommes, les femmes, les enfants, poussés au désespoir, finissent par se jeter à corps perdu au milieu de leurs ennemis. Ceux qui n'ont pas d'armes se battent avec leurs ongles et leurs dents; mais chaque heure voit grossir le nombre des assaillants. Les Beni- Amers succombent; leurs ;;uerriers sontjiresque tous tués, et ce que les iMarocains saisissent de femmes, de vieillards et d'enfants, est par- tagé entre les vainqueurs comme un vil butin. Pendant que Ferradj livrait ainsi la malheureuse tribu aux ven- geances et à la cupidité des contingents marocains, il recevait de nombreuses troupes pour opérer contre les Hachem. Ceux-ci, moins considérables en forces que les Beni-Amer, avaient été avertis à temps. Kspérant échapper au lieutenant d'Abd-er-Rhaman,ils s'étaient réfugiés près d'une antique zaouïa qui jouissait du privilège d'asile. Mais Ferradj les investit malgré la sainteté du lieu, massacre les hommes , et distribue à ses troupes , comme esclaves, les femmes et les enfants, ainsi que l'on a fait des Béni -Amers. Durant celte lutte d'une population à l'agonie, Abd-el-kader avait fait ce qu'il avait pu pour être au rendez-vous. Inquiet de ne pas re- cevoir de réponse, il était parti avec quinze cents cavaliers cliez les Ghiesta, qui lui donnèrent du renfort. De là il pénétra dans le Rif, mais des forces extrêmement considérables s'opposèrent à son pas- sage. Il se replia alors de nouveau sur Aïn-Zohra. Ensuite il tenta plusieurs routes pour tourner la position de Taza et joindre ainsi les tribus en marche. Il ne réussit pas davantage. La nouvelle du mas- sacre le trouva au milieu de ses tentatives. On rapporte que, malgré sa soumission à la Providence, son désespoir d'alors fut sans bornes. Il resta plusieurs jours dans sa tente, la tète couverte de son manteau, et refusant de parler à ses meilleurs amis. En effet, cette catastrophe terrible, qui montre combien les peu- ples peuvent être le jouet de l'ambition des princes et jusqu'à quel point ils expient leurs folies, devait peser douloureusement sur son âme. Il était né chez les Hachcms; Allah , en abandonnant cette tribu, en la précipitant sous les coups de ses bourreaux, l'abandonnait donc aussi : il l'abandonnait d'une façon éclatante. Il le laissait comme un chef sans troupes, comme un patriarche sans famille. Toutes les tri- bus en jugèrent ainsi. Nous verrons que, le premier moment de dou- leur passé, l'émir se releva encore une fois. Cependant les Marocains saisirent l'occasion qui se présentait d'en finir avec ses partisans. On promena par toutes les frontières et bien avant dans les terres des tètes sanglantes et des prisonniers chargés de chaînes, et ceux qui les conduisaient criaient tout haut : « ^ oyez ce qui arrive aux amis de cet insensé qui voudrait détrôner le schérilï des schériffs, le magnifique soleil de Fez, le tout-puissant Abder- Rhaman ! » Les tribus émigrées, au moment de la destruction , comptaient en- core deux mille deux cents tentes, c'est-à-dire environ quinze mille âmes. Cinquante de leurs guerriers seulement parvinrent sur notre territoire. Etant là, ils voulurent revoir la plaine d'Eghris. On les établit avec magnanimité aux environs d'Oran. CHAPITRE XXXVI. Le général Thierry. — Gouvernement du duc d'Aumale. — Le général la Mori- cière sur les frontières du Maroc. — Nuit du 1t au 12 novembre. — Reddi- tion des frères d'Ahd-el-Kader. — Reddition de l'émir lui-même. Avant d'aller plus loin, nous devons nous arrêter pour tracer en quelques lignes les contours d'une figure militaire, qui a son expres- sion a part au milieu de tant d'intéressantes physionomies. Aucune des grandes choses (|ui furent faites dans la province d'O- ran n'aurait été possible sans l'activité sûre, prompte, secrète, fidèle et toujours éveillée du général Thierry, second modeste, mais essen- tiel, du brillant de la Moricière. Les services de \'ictor Thierry datent de I80G. Il entra à celte époque à l'école militaire : en I S07 , nous le trouvons sous-lieutenant. En 1811), il est capitaine. En 18 il', au Kremlin, le plus étonnant des soldats du siècle le décore de sa propre main. Eu 1815, il est licencié comme tant d'autres. 11 reprend du service en 181!), et avance assez peu rapidement a cause de ses opinions. Il est chef de bataillon le 22 aoiit I8'i:i, et colonel seulement eu 18;i8. Mais, en I 8 1 1 , envoyé en Afrique, il révèle toutes ces (jualités, qui en font un militaire t\- ceplionnel. 11 prend part avec gloire aiu expéditions de Mascara et de 'l'agdeinpt, mais c est Comme commandant de la subdivision d'O- ran qu'il rend les plus signalés services. Pour coiiiprcndre ces der- niers, il faut songer a la grande étendue de la province et au caractère du général en chef. Excellent pour l'ailion cl leiisenible, M. de la Aloricière ne s'occupe des détails que quand il y est forcé, et alors seulement, il y est vraiment supérieur. \ ictor Thierry fut son suppléant chacjue fois (|u'il s'éloigna .Mais (pie AL de la Moricière fût présent ou non, le général Thierry dirigeait le service de l'ap- provisionnemenl en vivres et en munitions. On était st'ir avec lui que les postes les plus éloignés seraient approvisionnés en temps et lieu, (|u'une colonne si égarée qu'elle fût recevrait à l'heure utile son ravitaillement. ()r sur une étendue aussi vaste que celle de la province d'Oran, et oii la guerre se faisait par des colonnes déta- chées, souvent pour des mois entiers, rien n'était plus précieux. Ja- mais un seul instant \ . Thierry ne fut en défaut à cet égard. Il fit réellement des choses impossibles, et Bugeaud l'en complimenta en revenant de la bataille d'isly. Ajoutez à cela (|ue son administration, dans la subdivision d'Oran, fut toujours paternelle et éclairée. Jamais un acte de dureté, jamais un acte de prodigalité. On put, avec les économies faites sur les services qu'il dirigea, prendre de quoi bâtir des villages entiers. Les services du général Thierry ne se bornèrent pasà l'Algérie: nommé, en 1818, au commandement de Versailles, il fournil aux généraux de Paris les premiers secours en artillerie contre l'insurrection. Une autre circonstance le rendit précieux ii Oran, c'est le sang- froid qui le distingua lors des nombreuses crises par lesquelles celte province fut bouleversée. Souvent on désespérait autour de lui. Mais, d'un calme inaltérable qui l'avait fait surnommer Face de Fer par le» Arabes, il envoyait des secours partout oii il en fallait, et, grâce a lui, jamais un échec ne devint un sinistre. C'est là un mérite tout à fait hors ligne et qu'apprécieront tous les connaisseurs. Mais arrivons au gouvernement du duc d'Aumale. Le jeune duc d'Aumale était arrivé sur le sol africain avec l'intention, la volonté et les moyens d'accomjilir des actes dignes de lui. 11 fallait l'aire à jamais de ce sol une terre française. Pour commencer, réduire l'émir était la chose indispensable. Par une abnéj;.Uion dont son pré- décesseur n'eût pas été capable, il chargea de ce soin le général de la Moricière, auquel déjà une fois la gloire du succès avait été enlevée. Quant au duc, il se tint dans son rôle de gouverneur en s'occupant de la colonisation et du développement de la prospérité générale. Les chefs de plusieurs tribus, comme Ahmet-Tahar, l'un des héros de la grande kabylie, tinrent à lui faire leur soumission. Il la reçut et vi- sita les divers points essentiels des possessions- Pendant ce temps-là , le général de la Moricière , après avoir mûri son plan, partit d'Oran le 19 novembre avec cinq mille âmes. H se proposait de renforcer avec ses troupes les garnisons de la frontière; puis, rendu sur les bords de la Moulouïa , il se promettait d'observer les mouvements des Marocains contre l'émir. D'après les prévisions de la Moricière, celui-ci devait trouver dans le fanatisme et la haine des Marocains un obstacle infranchissable. Alors il se rejet- terait encore une fois sur notre territoire. Le général de la Mori- cière se proposait de disposer son monde de façon à ne pas lui per- mettre de gagner, comme à son habitude, le désert. Il le rejetterait, au contraire, vers la mer, et là, il n'aurait d'autre ressource que de périr ou de se rendre. De son coté, Abdel-kader, jugeant la partie perdue, tenta les grands moyens. Il remit à d'autres temps sa vengeance, sur ceux qui avaient détruit les Hachem, et envoya à Abd-er-Uhaman son meilleur partisan, le dernier de ses kalifats, Bou-llamedi. Celui-ci partit le cœur serré, désespérant d'avance de sa mission. En effet, à peine fut-il en présence du schérilT, que, malgré la protection des marabouts marocains avec lesquels il était affilié de secte, il se vit jeté dans une obscure et étroite captivité. Alors l'émir ne ménagea plus rien. Il résolut de se frayer par le fer et par la flamme un passage à travers les camps marocains, de frapper des coups terribles, de se manifester aux yeux des populations par des entreprises retentissantes. H avait alors avec lui cinq cents cavaliers et quinze cents fantassins et, de position en position , il était revenu à 7,ais près de la ÏMoulonïa. Les contingents du -Alaroc le pressaient de plus en plus, et il con- naissait la détermination des généraux français. Il réunit les siens, leur explique la situation, permet à ceux qui ont peur de l'abandon- ner. Tous se serrent autour de lui. .'^ùr de son monde, sa pensée con- çoit un projet qui, s'il réussit, doit le sauver. Deux camps marocains sont en face de lui. Il les surprendra, les détruira, voici comment. Il ordonne aux siens de réunir le plus de chameaux et de bœufs qu'ils pourront. Ces animaux sont en luits de poix et chargés de fas- cines auxquelles on met le feu. Ces animaux, excités parla flamme et parla douleur, sont, durant une nuit aIVreuse, précipités sur les camps marocains ; et les soldats d'Abd-el-kadc r s'avancent derrière eux, prêts à massacrer les troupes d'Abd-er-liliamiin , qui, dans leur pensée, doivent s'enfuir en proie au plus inexprimable désordre. Mais les préparatifs de l'émir ont été dénoncés par des traîtres. Prévenus à temps, les fils de l'empereur ont fait évacuer les deux camps, n'y laissant que très-peu de monde, avec l'ordre de jouer la surprise et l'elfroi. En etlet, quan je les ai pris, et j'ai le ferme espoir que Votre Altesse Royale et le gouvernement les ratilieront , si l'émir se confie à ma parole. • Bou-krauïa et ses deux compagnons sont reparti* ce soir; les quatre spahis étaient restés avec l'émir, qui avait été bien aise de garder ce renfort pour la sûreté de sa famille chez les [ieni-Snassen. J'ai donné à IJou-Krauia quatre autres spahis choisis, et avec ces huit hommes il sera aussi fort que tome l'escorle de celui contre lequel l'empire de Maroc se ruait avant-hier avec ses 38,000 hommes. » Les principaux compagnons d infortune de l'émir sont aujour- d'hui : iMustapha-ben-Tami, kalifi de Hlascara, son beau-frère; Abd- el-Kader-bou-Klika, caïd de Tagdempt; Caddour-bel-Allal, neveu de Sidi-Enibarak. J'ai fait écrire aux deux premiers par leurs proches qui sont ici. Eutin, Si-Ahmedi-ï-akhal , caïd de Tlemcen , qui m'a beaucoup servi dans toutes ces affaires, a écrit à l'émir pour l'enga- ger à avoir confiance dans la parole que je lui ai donnée au nom du gouvernement. » Demain ou après-demain au plus tard, nous saurons à quoi nous en tenir. i> J'ai oublié de dire que je ne déciderai rien, que provisoirement, relativement aux familles importantes de la deïra et aux chefs des troupes régulières, non plus qu'à leurs soldats. u ^ cuillez excuser, monseigneur, le décousu de cette dépêche. Je ne veux pas retarder son départ, et je vous l'envoie telle qu'elle est. » On voit par celte narration que toutes les précautions du général étaient prises. Ses négociateurs et ses émissaires suivaient l'émir de manière qu'il n'échappât en aucune façon. Mais ce que M. de la Moricière ne pouvait pas dire dans son rapport et ce qui se passa, nous allons le îaire connaître. Voyant la position de l'émir, des juifs qui étaient depuis longtemps en relations avec lui résolurent d'en profiler. Us vinrent trouver le général, et offrirent de lui amener Abd-el-Kader pieds et poings liés. Le général, qui, dans une si suprême occurrence, ne devait rien né- gliger, sans accepter ni refuser, écouta leurs demandes et leurs con- ditions, et les remit à un autre jour. Les juifs prirent cette conduite pour un acquiescement, et se mirent en devoir de trahir Abd-el- Kador. Celui-ci, averti de leurs intrigues, ne voulut pas être livré comme une marchandise par d'ignobles trafiquants. 11 écrivit au gé- néral qu'il était prêt à se remettre en ses mains s'il voulait lui ga- rantir la vie sauve et une retraite en Orient. De la !\Ioricière avait le choix, ou de prendre l'émir sans conditions à prix d'argent, ou de le recevoir volontairement. 11 lui parut plus grand de ne pas se servir des juifi et de siipuler au nom de la France. C'est alors qu'il adressa au duc d'Aumale le pusl-scriptum qui suit: o Le 23, à neuf heures du matin. » P. S. Je monte à cheval à l'instant pour me rendre, comme je vous l'annonçais, à la deïra. Le temps me manque pour joindre ici les copies de la lettre que j'ai reçue dr l'émir et de celle (|nc je lui ai répondiie. Il me sull.t de vous indi<|uer (|ue j'ai unii|iicnioiil pro- mis et stipulé que l'cmir et sa famille seraient tous portés à Alexan- drie ou a Siiiit-Jcaii-d'Acre. Ce sont les deux seuls IJeui que j'aie indiqués. C'étaient cenx qu'il désignait dans sa demande, que j'ai acceptée. > Df. l.A MoRIClÈRG. » Du moment oii il cul reçu l'assurance du général, Abd-cl-Kadcr, de son côté, n'eut plus aucune tergiversation; il se mit en marche, et trouva bientôt le colonel Moutauhan, qui bivouaquait à Sidi-Iîrahim. C'est dans ce heu, sur le théâtre même du massacre de septembre ISi.j, qu'il se rendit aux Français. 11 renouvela sa soumission entre lus mains de la i\loricière assisté de Caxaignac el tous les généraux et oflioieii sujiérieurs présents, puis entre celles du duc d'Aumale, qui rendit compte en France de ce grand événement de la manière q je nous transcrivons : > MuNSiEin i.u. MiMsxr.E, )j Un grand événement vient de s'accomplir : Abd-el-Kader est «}.in« noire camp; batlu par les Kabyles du Maroc, chassé de la plaine de la Monloiiia par les troupes de Mouley Abd-er-Uhaman , aban- donné p.r la plus grande partie des siens (|ui s'étaient réfugiés sur ii'itre t--rrilolre, il s était jeté d.iiis le pays des Ileni-Siiassen et cher- chait il iirendre la route du Sud, que l'empereur du Maroc avait lais- .sée libre; mais, cerné de ce cote par notre cavalerie, il s'est conhé il la générosité de la France, et s'est rendu sous la condition d'être en- voyé à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Ace. i> Ainsi que je l'ai déjà mandé à Votre Excellence, l'émir avait, grâce à un siratagènie aussi hardi qu'ingénieux, surpris, dans la nuit du 1 1 au 13, les camps marocain-!. Cette attaque, qui a coûté les plus grandes pertes au inaghzen de l'empereur, paraît avoir eu un succès complet; mais Abd-el Kader avait affaire à un rniiemi si nombreux, qu'il dut s'arrèler devant la multitude et la niasse compaite de ses adversaires plutôt que devant une défense qui parait avoir été à peu près nulle. Il rallia donc sa deïra et concentra toutes ses forces et tout son monde vers l'embouchure de la Moulouïa, entre la rive gauche de celle rivière et la mer. » Les camps marocains continuèrent de resserrer le cercle qui l'enveloppait; le général de la Moricière avait envoyé au kaïd d'Oiichda trente mulets de cartouches, qui furent disiribuées aux Beni-Snassen; même envoi ax'ait été fait de Nemours par une balan- celle au kaïd du llif ; des conlingenls kabyles grossissaient de toutes parts et constituaient pour l'émir un danger plus redoutable que tous les autres. o Le mauvais temps retarda l'engagement de quelques jours, de même qu'il était à la deïra toute liberté d'action. Le 2 I , l.i Moulouïa était guéable ; les bagages et les familles des compagnons de l'émir commemèrent à la passer pour venir dans la plaine de Tnffi ; l'in- tention d'Abd-el-Kader était de les conduire jusque sur notre terri- toire, puis de se retirer xers le Sud avec ceux qui voudraient le suivre. La route avait été laissée libre par les Marocains ; cl les lieni- ben-Zigzou, les llamyu Gharabas, toujours en relation avec lui, lui promettaient de faciliter l'exécution de ce projet. » Le commencement du passage de la rix'ière est le signal du com- bat, ([uc les Kabyles marocains, excités par l'appât du bulin, enga- gent avec furie ; mais les fantassins et les cavaliers réguliers de l'émir soutiennent jusqu'au bout leur vieille réputation , ils résistent tout le jour, pas un mulet, pas un bagage n'est enlexé. Le soir, ils ont perJu la moitié des leurs; le reste se disperse; la deïra tout entière a gHgné le territoire français; les Marocains cessent la poursuite. o Abd-el-Kader, après avoir conduit lui-même l'émigration sur notre territoire, et l'avoir engagée dans le pays des Msirdas, la quille : un petit nombre des siens se décide à le suivre. II vivait chez une fraction des CeniSnassen, qui est restée fidèle à sa cause; c'est par là qu'il espère gagner le Sud. Mais le général de la IMori- cière, informé de ce qui se passait, a deviné son projet. Il Vingt saphis, commandés par un officier intelligent el sûr, le lieutenant Bou-Krauïa , avaient été le 21 au soir, dès les premières nouvelles, envoyés en observation au col de Kerbous; bientôt des coups de fusil signalent un engagement de ce côté : c'est Abd-el- Kader, qui rencontre nos saphis. Le général de la Moricière, qui dans la nuit avait fait prendre les armes à sa colonne, s'avance ripidement avec sa cavalerie. L'émir a pour lui l'obscurité, un paysd iVnile sil- lonné de sentiers inconnus de nos éclaireurs; la fuite lui était encore facile. Mais bientôt deux de ses cavaliers, amenés par Bou-K'"auïa lui-même, viennent annoncer au général qu'il est décidé à se rendre, el qu'il demande seulement à être conduit à Alexandrie ou h Saint- Jean-d'.^cre. La convention, immédiatement conclue de vive voix, est bientôt ratifiée par écrit par le général de la Moricière. Votre Excellence trouvera, dans le rapport de cet officier général , ([ne je lui envoie en entier, les détails dramati(|ncs de cette néjjocialiiui. » Aiijoiird'lmi même, dans l'après-micli , Abd-el-Kader a été reçu au marabout de Sldi-Brahim par le colonel de iMontaiiban, ijui fut rejoint peu après par le général de la Moricière el par le général Cavaignac; Sidi Brihim, théâtre du dernier succès de l'éniir, et que la Providence semble avoir désigné pour être le tliàtre du dernier et du plus éclatant de ses revers, comme une sorte d'expiation du massacre de nos infortunés camarades. )i Une heure après, Abd-el-Kader me fut amené à Nemours, oii j'étais arrivé le matin même, et je ratifiai la parole donnée par le général de la Moricière; j'ai le ferme espoir que le gouvernement du roi lui donnera sa sanction. J'annonçai à l'émir (|ue je le ferais em- l>ai(|ner dès demain pour Oraii avec sa famille; il s'y est soumis, non sans émotion et sans quelque répugnance. C'est la dernière goutte du calice ! Il y restera (iiielqiies jours sous bonne garde pour y être rallié par quel(|ues-uns des siens et entre autres par ses frères, dont l'un, Sidi-Muslapha , à ([iii j'av lis envoyé l'aman, s'est rendu le 18 à la colonne Je laisse ici le général Cavaignac, qui reprend le commandement de la subdivision de Tiemcen; il sera chargé de l'exécution de ces mesures, qui sera prochainement suivie par le renvoi à leurs garni- sons de la plus grande partie des troupes. Il observera également les prochains mouvements des camps marocains, qui auront sans doute été licenciés, \otre Excellence aura sans doute déjà remarqué qu'ils avaient cessé toute poursuite de la deïra dès qu'elle eut passé notre frontière. )) Dû, sans nouveaux combats de notre part, à la puissance morale de la France, le résultat que nous avons obtenu aujourd'hui est im- mense; il était gcnérniement inespéré. Il est impossible de décrire la sensation profonde qu'il a produite chez les indigènes de cette ré- gion, et l'effet sera le même dans toute l'Algérie. C'est une véritable révolution. » Je ne saurais trop féliciter M. le général de la Moricière de la part qu'il a prise à ce grave événement, e ne saurais trop louer la sagacité , la prudence et la décision dont il a fait preuve et qui ont tant influé sur l'heureuse issue de cette grave affaire. )> J'appellerai aussi la bienveillance particulière de Votre Excel- lence et du gouvernement du roi sur les troupes et sur les officiers qui depuis deux ans font un si rude métier sur la frontière. Je solli- citerai quelques faveurs bien méritées pour cette colonne qui vient de supporter, dans ces derniers temps, avec une rare ardeur, de grandes fatigues et de cruelles privations; c'est à si présence que nous devons ce qu'il y a eu de décisif dans les opérations des Maro- cains. Sans elle, Abd-el~Kader serait aujourd'hui ou vainqueur dans le Rif ou éloigné, mais encore puissant dans le Sud, et prêt à nous y susciter de nouveaux et graves embarras. » Agréez, monsieur le ministre, l'assurance de mon respectueux attachement. » Le lieutenant général gouverneur général de l'Algérie, » H. d'Orléans. » Post-scriptum du 2 i au malin. — Je crois devoir mentionner ici une circonstance en apparence peu importante, mais très-significative aux yeux des indigènes. Abd-el-Kader vient de me remettre un che- val de soumission : c'est un acte de vasselage vis-à-vis de la France, c'est la consécration publique de son abdication. » En effet, selon la parole du duc d'Aumale, le fils de Mahiddin avait abdiqué- Abandonné des siens, trahi par la fortune au moment d'être vendu, si le général la Moricière eût voulu l'acheter, il n'implorait plus main- tenant que la générosité de celte France dont il avait été quinze ans le plus rude adversaire! Comme le disait le duc d'Aumale avec un rare bon sens politique, il y avait dans ce fait une révolution. Cette révolution devait consister dans la soumission de la nationa- lité arabe. Nous allons voir celte nationalité imiter l'exemple de l'émir. Désor- mais elle ne jctleia plus ([ue de rares éclairs. L'Algérie sera bien à nous. Cependant l'histoire d'Abd-sl-Kader, celle de l'armée d'Afrique ne sont pas finies. CHAPITRE XXXVII. Chute de la dynastie d'Orléans — Tranquillité du pays. — La république en Algérie. — Départ des princes. — Changarnier et Cavaignac gouverneurs temporaires. Il semble que les succès en Afrique aient porté malheur aux dy- nasties. Charles X prend Alger par la main du comte de Bourniont, et tombe; Louis-Philippe reçoit des mains de la Moricière Abd-el- Kader prisonnier, et voit son tronc s'évanouir en quelques heures aussi passagères qu'un songe! Mystère étrange, et qui dans d'autres temps eîlt frappé les peuples; rapprochement extraordinaire, et qui prouve que la grandeur de la France est indépendante de ses gouver- nements! Après la chute de la dynastie de Bourbon, la conquête de l'Algérie succède à la jirisc d'Alger. Après le renversement de la dyn:istie d'Orléans, la vraie colonisation succède à la conquête. La domination française ne rétrograde pas, quelles que soient les révo- lutions de la métropole. Il n'est pas de notre sujet de raconter les événements qui amenè- rent la révolution de ISiS. Un obstacle maladroitement mis au droit de réunion fut le prétexte; la crédulité de la nation exagéra la j cause, qiii avait malheureusement une réalité considérable en bien des I points. On accusait la royauté de juillet de sacrifier la France à ses l intérêts, de tout laisser aller en corruption et en décadence, de ne rien vouloir faire pour l'émancipation du peuple; on la rendait soli- ! daire des résistances aveugles d'un ministère composé d'hommes ou I fort éloquents, ou fort habiles en petite administration, mais entiè- rement étrangers au grand esprit ]iolitiquc <|ui sauve et consolide les trônes. Il y eut une défection universelle. Personne ne prit le parti du malheureux roi. La majorité de la chambre des députés, les pairs' les hauts administrateurs, les généraux, l'armée laissèrent faire. La réjublique s'établit après une lutte oîi des forces très-peu considé- rables furent engagées. Tout le monde la salua , les uns par enthou- siasme, les autres par entraînement, beaucoup par effroi, et les dif- ficultés ne commencèrent pour les républicains qu'après la victoire. Elles se montrèrent aussitôt partout, excepté en Afrique. Ce pays fut privilégié. Depuis la soumission d' Abd-el-Kader, qui avait été transféré en France au château de Pau , tout prospérait en Algérie. Le duc d'Au- male se préoccupait exclusivement de l'administration et de la colo- nisation, et pas le plus petit événement de guerre ne troubla ses ctr.irts. Il venait de recevoir son frère de Joinville, exilé ou éloigné, di- sait-on, par le ministère, dont il n'approuvait pas les résistances, quand la nouvelle de la révolution, de la fuite du roi, de l'installa- t'on d'un gouvernement provisoire éclata dans Alger comme un coup de foudre en un ciel serein. La situation de l'armée d'Afrique était difficile; celle de France ?vait accepté le nouveau gouvernement. Néanmoinsau premier moment les généraux présents à Alger et les officiers supérieurs se pressèrent autour des princes, leur offrant contre la révolution l'appui de leurs épées. Mais ces jeunes gens, que frappait une catastrophe si grande, si imprévue et pour eux mêmes si peu méritée, refusèrent avec no- blesse, en répondant qu'avant d'être princes ils étaient citoyens, et que le premier devoir du citoyen est de ne pas se mettre en révolte contre le vœu de son pays. Us s'attachèrent à maintenir la tranquillité autour d'eux et à prévenir les effets fâcheux de toute effervescence. Ils ne cachèrent cependant rien de ce qui se passait en France. Mais telle était la soumission du pays, que nul parmi les Arabes ne son- gea à profiter du changement qui s'opérait dans la métropole pour renouveler la guerre. Bientôt arriva un acte du gouvernement provisoire de Paris qui remplaçait le fils de Louis-Philippe comme gouverneur général. Pour présider à la direction de la conquête, les membres du gouverne- ment suscitaient le héros du méchouar de Tiemcen, alors simple gé- néral de brigade , et voici les termes dans lesquels ils l'annonçaient à l'Afrique : « Soldats de l'armée d'Afrique! Il Le gouvernement que la France vient de se donner porta, il y a un demi-siècle, sur la terre d'Afrique les couleurs sous lesquelles vous avez combattu il y a dix-huit ans. • Vos luttes héroïques, vos travaux, votre infatigable persévé- rance, cette vertu militaire, en un mot, dont vous avez donné tant de preuves, le gouvernement républicain sait les apprécier, il saura les récompenser. » Soldats ! la gloire que vous avez acquise en conquérant à la France la plus belle de ses propriétés nationales est un titre impé- rissable à la reconnaissance de la république. » Le digne chef que le gouvernement provisoire a placé à votre tête a son entière confiance comme il a la vôtre. i> C'est dans vos rangs (ju'il s'est illustré. En le suivant au chemin de l'honneur, vous vous montrerez fidèles à ce sentiment de la disci- pline qui n'a jamais abandonné le soldat français. )i Les Membres du Gouvernement provisoire. » Cet acte si vrai dans ses affirmations étant reçu, il n'y avait plus pour les princes de raison de prolonger leur séjour en Algérie. Après avoir pourvu à l'administration intérimaire en remettant son com- mandement au général Changarnier jusqu'à l'arrivée du général Ca- vaignac, le duc d'Aumale fit ses adieux à cette terre où la politique lui avait fait une royauté si courte. 11 invita tout le monde à la con- corde. Ses derniers actes furent empreints du plus pur patriotisme et du désintéressement le plus noble. « En présence des événements qui s'accomplissent en France et de leur influence possible sur la paix du monde, nous devons, dit-il à ceux qui l'entouraient, nous tenir prêts avant tout à assurer l'inté- grité du territoire français en Afrique et à défendre un sol qui est aujourd'hui le sol national. « 11 engagea, en conséquence, les miliciens à s'exercer au tir, à chercher à se suffire à eux-mêmes. Il leur recommandait surtout de s'abstenir de toute dissension. « La population, ajouta-t-il, et l'ar- mée doivent rester dans la plus étroite union pour sauvegarder les in- térêts de la France. » Enfin il prit congé de l'armée et des habitants de l'Algérie par une proclamation qui mérite un souvenir. La voici : (( Habitants de l'Algérie ! » Fidèle à mes devoirs de citoyen et de soldat, je suis resté i mon poste tant que. j'ai pu croire ma présence utile au pays. » (^ette situation n'existe plus. M. le général Cavaignac est nommé gouverneur général de l'Algérie. Jusqu'à son arrivée à Alger, les fonctions de gouverneur général par intérim seront remplies par M. le général Changarnier. > Soumis à la volonté nationale, je m'éloigne; mais, du fond de ABD-EL-KADEIÎ. 71 l'eiil, tous mes vœux seront pour votre prospéritt) et pour la gloire de la France, que j'aurais voulu servir plus longtemps. » A la suite de cette proclamation les princes s'acheminèrent, sui- vis de ceux des officiers qui avaient le courage de l'amitié, vers le port, oii les attendait le vaisseau qui devait les conduire eu eïil. Sur leur passage, les colons se découvraient et criaient Vii^enl les prin- ces ! — « Criez ]'we la France! » leur dit d'Aumale. Ce fut son souhait suprême à un pays auquel lui et son frère n'a- vaient donné que du dévouement, et qui, les enveloppant dans le mallieur de la royauté , les rejetait pour obéir aux révolutions de la métropole. Si nous racontons ces détails, c'est que, dans notre pensée, ils ont quelque chose de naïf et d'anti([ue. Sur cette terre lointaine , à quel- ques cents lieues de la France, nul ne se préoccupait d'intérêts ou d'ambitions; chacun se sacrifiait ou voulait se sacrifier à sa patrie. On a beaucoup raillé la lettre que le général intérimaire Changar- nier écrivit an gouvernement provisoire , je n'y vois, quant à moi, que l'élan d'un cœur emporté trop loin par la passion de l'éclat; et si j'enregistre cette lettre, c'est pour l'admirer, et non pour en flétrir l'orgueil, certain que sur les champs de bataille Changarnier eût tenu ces promesses superbes ou fût mort héroïquement. Voici ce qu'il écrivit après le départ du duc d'Aumale : « Je prie le gouvernement républicain d'utiliser mon dévouement à la France. i> Je sollicite le commandement de la frontière la plus menacée. L'habitude de manier les troupes, la confiance qu'elles m'accordent, une expérience éclairée par des études sérieuses, l'amour passionné de la gloire, la volonté et l'habitude de vaincre me permettront sans doute de remplir avec succès tous les devoirs qui pourront m'être imposés. • Dans ce que j'ose dire de moi ne cherchez pas l'expression d'une vanité puérile, mais l'expression du désir ardent de dévouer toutes mes forces au salut de la république. » CllANGAKMER. » Quant au général Cavaignac, infiniment plus modeste, il ne fut pas moins antique. Nous avons déjà transcrit trop de pièces dans ce chapitre pour en transcrire encore, nous ne répéterons donc pas la proclamation du nouveau gouverneur. On y remarquait des phrases comme celles-ci : • Ma pensée est droite , mon intention est pure : ce que je crois bon, je vous le dirai ; ce que je croirai mauvais n'aura pas mon ap- pui. La nation seule est puissante ; c'est à elle qu'on obéit, c'est » elle (|u'il est glorieux et doux d'obéir. » Aux soldats il disait : « La nation veut que vous soyez commandés avec fermeté, avec justice. A ceux à qui elle confie son pouvoir sur vous, elle ordonne de ne pas oublier que vous êtes ses enfants. Elle veut que vos chefs méritent votre confiance , elle leur défend de l'obtenir par la fai- blesse et l'oubli des devoirs. Vous me trouverez tel que beaucoup de vous me connaissent , car je ne suis pas nouveau parmi vous. Quant à vous, vos devoirs se résument en un mot : Vohi'iss.ance ; l'obéissance non à la volonté d'un homme , mais à la loi militaire telle que la loi l'a faite. « Chacune de ces phrases, chacun de ces mots peint l'homme. Du reste, à l'en croire, ce n'était pas à lui le général que l'on dé- férait l'honneur de commander l'armée d'Afrique , c'était à l'ombre de son frère, le grand publiciste républicain (îodefroy Cavaignac. C'était cette ombre si chère qui l'avait désigné au choix de la répu- blique. Le héros de Tlemcen se trompait. Le doigt de la Providence, qui allait avoir à sauver notre pays, s'étendait sur lui. Elle avait trouvé en lui l'homme du sacrifice, le Décius du gouffre. CHAPITRE XXXVIII. Les généraux d'Afrique à Paris. — Bataille de juin. — Mort de Négrier, de Duvivier, de Damesme, de Bourgond, de Bréa. — Cavaignac chef du pouvoir exécutif. Quand, en 1792, la France, pour la première fois, s'érigea en ré- jmblique, elle eut à combattre rpjuro|ie entière. On pouvait croire qu'en 1818 les coalitions de l'Europe se renouvelleraient contre ce que les souverains n'avaient pas voulu souffrir dans d'autres temi)s. D'un autre coté on pouvait regarder l'Algérie comme pacifiée, et croire qu'il n'y avait plus de gloire à y acquérir. Les hommes que nous avons vus à Constantine, à Oran, à Tlemcen, cherchent en consé- quence à se rapprocher du théâtre probable des événements. ]'"atalité cruelle ! celte ambition de bien faire ni' doit les rajqirocher (|uc de la tombe ou de la chute. Il ne leur est donné de servir leur pays que contre leur ])ays lui-même. Quoique habitant l'Afrique depuis quinze ans, le général Cavai- gnac comprit le premier la portée des événements intérieurs de la France. Il pensa (|ii'il n'y avait nul avenir pour la nouvelle républi- que .si le peuple et l'armée, sortie du peuple, n'étaient pas intime- ment unis. -Or un parti considérable à Paris après 1818 se défiait de l'armée. L'attitude des soldats, pendant et après les journées de février, ne dissipait point ces défiances. Heaucoup de généraux furent frappés, malgré leur soumission, dans le cours de leur carrière. Une sorte de proscriiition malentendue pesa sur les troupes. Elles furent un in- stant comme exilées de l'aris. De l'Afrique, le général Cavaignac comprit la faute. Il la repré- senta au gouvernement provisoire, dont plusieurs des membres furent froissés de celle franchise. On s'étonna de ce (|u'un homme que la république venait de tirer d'une sorte d'obscurité pour le mettre a la tête de l'Algérie osât blâmer le gouvernement auquel il devait sa nouvelle positi 'n. 11 lui fut répondu avec dureté (jue l'on bornait ses services au gouvernement de l'Algérie, dont il menaçait de quitter la direction si justice n'était rendue à ses collègues. Celle attitude du général Cavaignac, qui a été qualifiée de hau- taine par beaucoup d'historiens, était une prévision de l'avenir. Elle frappa d'ailleurs la partie modérée du gouvernement provi- soire, et, après quelques semaines de disgrâce, le défenseur officieux de l'armée fut appelé au ministère de la guerre. Tous ses compagnons d'armes reparurent avec lui. Comme lui aussi, la bataille de juin les trouva à leur poste. On a accusé le général Cavaignac d'avoir provoqué cette bataille, ou du moins de l'avoir laissée s'engager afin d'y être vainqueur et d'y recueillir le pouvoir avec le succès. Jamais calomnie ne fut plus démentie par la vie entière d'un homme. Chercher et ramasser dans le sang une dignité suprême ! mais c'eût été là un crime odieux, irré- missible. La lutte de juin s'explique d'ailleurs naturellement par les faits. Bien qu'elle se fût élevée sans résistance, la république n'avait satisfait qu'un petit nombre de gens convaincus. Personne en juin n'était content, ni la bourgeoisie, ni le peuple : la bourgeoisie, à cause des agitations inséparables d'un ordre de choses qui commence; le peuple, à cause du manque de travail. On s'accusait mutuellement. Les systèmes socialistes entretenaient la désunion. On avait été vingt fois sur le point d'en venir aux mains, la dissolution des ateliers natio- naux fut la goutte amère qui fit déborder le vase déjà jempli de res- sentiments. Les partis monarchiques ne furent pas non plus étrangers à la prise d'armes. L'histoire le sait et le dira dans un temps où les esprits seront plus calmes. Quoi qu'il en soit, dans celte lutte terrible, l'armée d'Afri([ue montra tout son patriotisme. Elle n'avait que conquis l'Afrique, elle conquit l'estime du monde entier en se mettant entre la républi<]ue qui fut sauvée par elle et une insurrection qui n'avait ni but ni guides. Son sang le plus pur coula dans cette bataille de trois jours, la plus importante et la plus disputée des temps modernes. Nous la résumerons brièvement comme rentrant dans notre sujet. Dès les préliminaires de la lutte , l'Assemblée nationale et la Com- mission executive, qui formaient alors le gouvernement, reconnurent Eugène Cavaignac comme l'homme de la situation; et la résolution suivante fut prise. « Par ordre du président de l'Assemblée nationale et de la Com- mission du pouvoir executif, le général Cavaignac, ministre de la guerre, prend le commandement de toutes les troupes, garde natio- nale, garde mobile et armée. » Unité de commandement! » (obéissance! » Là sera la force, comme là est le droit. » SK^AI>D, président de l'Assemblée nationale ; » Araco, Marie, Garnikr-Pagès, Lamartise, Ledrl-Koi.lin. • Comme ministre de la guerre, le général avait déjà avec ses col- lègues pourvu au plus pressé. Il ne recula ni devant la responsabi- lité du pouvoir suprême, ni devant celle d'un combat gigantesque. L'insurrection s'étendait sur la rive droite depuis le fauboun; Pois- sonnière jusqu'à la Seine, embrassant ainsi le faubourg Saint-Martin, le faubourg du Temple et le faubourg Saint- Antoine; sur la rive gauche, elle occupait le faubourg Saint-Marceau, Sanit-\ ictor et le bas du quartier Saint-Jacques; ces deux positions étaient reliées en- tre elles par l'occupation de ]ilusieurs points, tels ([ue l'église Saint- Gervais, une partie du (|uarlicr du Temple, les abords de Notre- Dame et le pont Saint-Michel. L'église Saint-Séverin servait de quartier général elle faubourg Sainl-Anloine de place d'armes. Par- tout oii ils avaient pu, les insurgés, pour se tenir en eoiumuiiication avec le dehors, s'étaient emparés des barrières, d'oii ils avaient des positions dominantes et véritablement formidables. L'insurrection était ainsi à peu près mnitressc de l'immense demi-cercle est, et sud et sud-ouest qui forme la moitié de l'aris L'ordre d'alla([ue de la ré- volte était d'avancer vers le centre en faisant de chaque maison une forteresse, et d'entourer, s'il se pouvait, l'hùtel de ville, où l'on crée- rait un nouveau gouvernement. Des milliers de barricades s'élevaient sur tous les points occupés. Il y en avait qui, construilcs dans leS' règles de l'art, formaient de véritables ouvrages militaires. Les ar- mes, les munitions, le courage ne manijuaient nulle part. On était d'autant plus sûr de vaincre que toutes les insurrections depuis 17 89 avaient été victorieuses. Le plan du général dictateur fut aussi habilement conçu (|ue le- 1î ABD-EL-KADER. iiacement et vigoureusement exécuté. 11 consistait à attaquer corps à corps l'insurieclion au centre et de l'arrêter aux deux extrémités pour l'empèclier de s'étendre. Trois généraux, Bedeau, la Moricière et Damesme furent chargés de diriger les trois principales attaques. La Moricière eut promptement arrêté l'insurrection à son extré- mité nord en l'empêchant de s'étendre du faubourg Saint-Denis sur les boulevards, et il s'efforça, toujours luttant, de la comprimer de- puis ce point jusqu'au faubourg Saint-Antoine. Le général liedeau prit le centre corps à corps, il eut bientôt dégagé les quais Saint-Michel, du Petit-Pont et l'entrée des rues Saint-Jac- ques et de la Harpe. Appuyant ses opérations, le général Damesme attaquait l'aile sud de l'insurrection ; il cherchait à la détacher du centre en emportant les barricades de la place Cambrai et les abords du Panthéon. Le général Bedeau paya le premier sa dette. Il fut blessé et rem- placé par le général Duvivier. Celui-ci, quoique pressé par les prin- cipales forces des insurgés, réussit, à force de courage, de persévé- rance, à faire un peu de vide autour de l'hôtel de ville. 11 venait d'emporter de nombreuses barricades, de repousser de nombreuses attaques, quand il fut frappé d'une balle en allant faire une reconnais- sance. Le général Pcrrot le remplaça, et, poussant de grands coups vers le nord, parvint à opérer sa jonction avec le général de la Mori- cière, qui avait emporté successivement le faubourg du Temple, les boulevards de la Bastille et commençait à assiéger le faubourg Saint- Antoine. Malheureusement, par défaut de soins, la blessure de Du- vivier devint mortelle. Un mot sur ce brave général, et nous retour- nerons au combat de juin. Depuis sept ans Duvivier n'était plus en Afrique, où nous l'avons vu si héroïque lors de la retraite de 1831 , si administrateur à Bougie et à Guelma, si hardi à Constantine, à Blidah et à IMédéah. Un in- stant on l'avait désigné pour commander en chef une expédition à Madagascar. Mais il fit une condition de combattre seul et sans l'An- gleterre. L'expédition n'eut pas lieu. Alors toute sa vie devint une vie de travail studieux. Il se remit à l'étude de l'arjbe et du grec, fréquenta la société de nos plus célèbres érudits. 11 avait conçu le projet de parcourir le Maroc, où il suppo- sait avec beaucoup de savants qu'il serait possible de retrouver, dans d'antiques mosquées, les manuscrits perdus d'Aristote et d'autres écrivains du monde ancien. Rien n'égalait la pureté et la sobrié(é de ses mœurs. Que de fois il passa les nuits couché sur une simple peau de tigre! 'Joule son existence répondait à cette dureté pour lui- même. Ce studieux anachorète des camps vivait comme au désert, dit M. \'illemain dans ses notes sur Montesquieu, de dattes et de riz. A l'apparition de la République, son imagination s'enflamma. Il offrit ses services au gouvernement provisoire; se rappelant le parti qu'il avait tiré des enfants de Paris dans les gorges de l'Aoura, il proposa d'organiser en bataillons de volontaires toute la jeunesse disponible de la capitale, sous le nom de gardes mobiles. Celte or- ganisation , faite en une seule nuit , réussit au delà de toute espérance. La place fut désencombrée comme par enchantement d'une foule de jeunes gens oisifs ou sans travail, et les gardes mobiles furent le Jtrincipal instrument du salut de la républi(|ue. On les vit jiartout aux premiers rangs, aux postes dilTicile* pendant l'insurrection. Ils attaquaient les barricades comme s'ils n'eussent pas connu le danrer d'un tel assaut; ils allaient au feu comme ils étaient allés au jeu au- trefois. L)uvivier, (pii les avait oivjanisés, ne les commandait cependant pas alors. Cent quatre-vingt-neuf mille suffrages l'avaient appelé à repré- senter le déparlement de la Seine. Mais au premier mot il courut à l'hôtel de ville, oit il devait trouver le coup mortel. Duvivier était, sous beaucoup de rapports, un des hommes les plus coiuplets de larmée d'Afrique. Il n'avait pas seulement les qualités du soldat, il possédait celles du général et de l'administrateur. Son esprit ne s'occupait que de grandes choses, soit dans l'ordre militaire, soit dans l'ordre pratique, ou dans la science. Son Essai sur la défense des Etals, publii- en 18:!(i, est iileiii d'observations qui eu font un écrit tout à frtit hors ligne. Tout lui juésageait un grand avenir quand il mourut. Il était âgé de cinquante-cin(| ans. Il appartenait à l'armée depuis I8IV; épo(|uc de son entrée à l'Ecole polytechnique, oii on l'avait admis à l'âge de seize ans. Sa première arme fut le génie, qu'il quitti pour organiser les zouaves en 1S3I. Au physique, Duvivier était le guerrier dans toute la force du terme, front haut et large, yeux brillants et lançant l'éclair, tous les traits marqués au sceau du commandement. Il ne lui manqua que l'occasion jiour être un vrai grand homme. L'Assemblée constituante, quelques jours après sa mort, déclara, à l'unanimité, qu'il avait bien mérité de la patrie '. Pendant que Duvivier mettait le sceau à ses services, Damesme pouiiuivait les siens. Il révélait tout à coup les plus héroïiiucs qua- lités. Il était aux prises avec d'indomptables ouvrages de défense et descrpurs jilus indompt ibles encore, et n'avançait qu'a pas lents. 11 fut blessé a l'altatiuc de Siint-Sévcrin, et laissa le conim.indcment au lieutenant-colonel Thomas. Sa blessure aussi devait être mortelle. ' Sur la iiroposition Ue M. Dcgousée. Le décret comprenait aussi lo colonel tl.aiboniicl. Damesme avait conquis ses principaux grades en Afrique, où il se distingua surtout comme chef de bataillon à l'Ouarenseris. Homme à la fois énergique et bienveillant, il était, à la tête de la garde mobile, le digne successeur de Duvivier. On ne peut pas en faire de plus bel éloge. IMais, il faut être juste , tout le monde alors était héroïque , il n'y avait pas que les généraux et les soldats qui combattaient. Une foule de représentants du peuple animaient les troupes de leur présence. Arago, Recurt, Bixio, qui fut blessé ; Dornès, qui fut frappé à mort ; Duclerc , Havin, si conciliant et si courageux; Lasteyrie, Louis Fer- rée, Larabit , E. Lenglet , F. Degeorges , et cent autres , étaient aux points les plus menacés. Un martyr de la religion , le vénérable ar- chevêque de Paris, tombait en voulant réconcilier ce peuple qui s'en- tr'égorgeait. 11 y avait partout une grandeur triste et solennelle. Per- sonne ne marchandait sa vie, ni là ni ici. On mourait pour sa cause avec un dévouement inouï; mais nous ne faisons que l'histoire de l'armée d'Afrique. Le général de Bourgon , qui fut frappé h la barricade de la Cha- pelle-Saint-Denis, était aussi un soldat d'Algérie : mais, avant d'a- voir servi là, il avait défendu la France comme volontaire à Reims et à Montmirail; il s'était distingué, en qualité de capitaine de dra- gons, à Ligny. En Afrique, il prit part, comme colonel, à toute la gloire que conquit le 4" régiment de chasseurs, et mérita d'être promu au grade de général de brigade en 1815. La révolution le mit en disponibilité; mais le !0 juin il prit lui-même le fusil pour dé- fendre l'ordre. Un représentant le rencontra portant le mousquet, et lui demanda où il allait ainsi : n Vous le voyez, lui répondit de Bourgon, on m'a ôté l'épée du commandement , j'ai pris le fusil du soldat. » Le lendemain on lui rendait son épée de général , et le sur- lendemain il était frappé à mort. C'était aussi un des meilleurs généraux d'Afrique, ce Négrier au- quel on ne peut reprocher que la dureté de son gouvernement à Constantine. Lui aussi fut frappé à mort en faisant son devoir à la fois comme général et comme questeur de l'Assemblée nationale. Nommerons -nous aussi le brave Regnault, tombé également vic- time de cet affreux malentendu de trois jours, et cet infortuné général de Bréa, dont raconter la mort coûterait trop à notre patriotisme, et les généraux Lafontaiiie, Korte et tant d'autres qui furent blessés? C'est grâce à leur héroïsme et à celui de la représentation natio- nale que la paix se fit enfin au bout de trois grands jours par la reddition du faubourg Saint-Antoine. Grand, prévoyant, impassible durant la lutte, ayant juré de mou- rir ou de sauver la république, Cavaignac laissa déborder son cœur après la victoire. Il avait supplié les insurgés de revenir à la voix de la raison. Il ordonna après la victoire qu'ils fussent épargnés. Nous n'en voulons pour témoignage que cette proclamation : « CiToreNs , Soldats , ï La cause sacrée de la république a triomphé. Votre dévoue- ment, votre courage inébranlable ont déjoué de coupables projets, fait justice de funestes erreurs. Au nom de la patrie, au nom de l'humanité tout entière, soyez remerciés de vos efforts , soyez bénis pour ce triomphe nécessaire. » Ce matin encore l'émotion de la lutte était légitime, inévitable. Maintenant, soyez aussi grands dans le calme que vous venez de l'être dans le combat. Dans Paris, je vois des vainqueurs, des vain- cus, que mon nom reste maudit si je consentais à y voir des victimes ! La justice aura son cours, qu'elle agisse; c'est votre pensée, c'est la mienne. » Prêt k rentrer au rang de simple citoyen, je reporterai autour de vous ce souvenir civique : de n'avoir, dans ces graves épreuves, re- pris à la liberté que ce que le salut de la république lui demandait lui-même, et de léguer un exemple à quiconque pourra être à son tour appelé à remplir d'aussi grands devoirs. » On a dit qu'il ne tint pas les promesses de cette proclamation. Oi^ s'est trompé et l'on a trompé. Toutes les mesures qui adoucirent la position des vaincus lui furent dues. Il a dédaigné de se défendre à cet égard, et il a bien fait. Certains secrets du cœur n'ont pas besoin d'être dévoilés. L'Assemblée constituante le récompensa en déclarant qu'il avait bien mérité de la patrie. Il eût pu alors prendre le pouvoir suprême. On lui offrait de détacher le litre de la Constitution qui traitait du pouvoir exécutif. Il refusa. Il ne voulut rien devoir qu'à la France. La France ingrate courut à d'autres destinées qu'à celles d'une répu- blique; mais, au moment où elle se détachait de son sauveur, à .^n.i voix contre 31, l'Assemblée nationale décida qu'elle persévérait dans son décret du 28 juin, ainsi conçu : n Le général Cavaignac, clit'f du pouvoir exécutif, a bien mérité de la patrie '. » Nous croyons qiK^ l'histoire aura la même persévérance que la représentation ré- |>iil>licaiiie de 18 18, et r|ii'cn dernier ressort elle prononcera aussi en faveur d'un homme chez lecpiel tout fut antique, l'élévation, l'abné- gation, les services et les disgrâces. Nous reprenons maintenant l'histoire de l'année d'Afrique, en Afrique même. ' K'aiici» (Ui 25 no\cniliro. ABD-ELKADER. CHAPITRE XXXIX. La coloni-ation en Afrique. — Résumé de SOD histoire depuis 1830; — Les colonisateurs. — L'abbé Dupuch, les écrivains, les cnidits. L'un (les j)nncipaux actes parmi ceux qui honorèrent le gouverne- ment de la Constituante et celui du général Cavaignac fut l'essai de colonisîtion algérienne au moyen duquel on se proposait à la fois de solidifier la conquête et de procurer à de nombreuses familles fran- çaises un avenir que la patrie leur refusait. Cet essai nous amène à résumer ici en peu de mots l'histoire de la colonisation africaine. Notre petit livre ne serait pas complet s'il ne renfermait pas un chapitre consacré à lu toge au milieu de tant de lignes remplies du bruit des armes. :\i 1830 ni 1S31 ne virent de véritables tentatives de coloni- sation. C'était assez de combattre. Cependant les armées entrai- , nent toujours à leur suite un certain commerce. Le commerce français des vivres, des boissons et des habillements commença quel- ques maisons qui ont survécu aux diverses crises de la conquôlc. Quelques rares émigrants vinrent aussi chercher du travail sur la terre d'Afrique. En 1832 seulement la science se demanda quel parti on pouvait tirer du sol algérien. Un jirdin d'essai , qui devait acquérir une grande célébrité et une utilité encore plus grande, fut fondé à Al- ger. En même temps, les premiers colons furent établis autour de la ville à Kouha et à Dely-lbrahim. Mais la culture les dégoûta bientôt. Ils se firent la plupart cabaretiers ou gens de peine. En 1833, l'administration militaire se livra à de grands travaux qui donnèrent autour des places oii ils eurent lieu un certain essor in- dustriel. Le dessèchement des marais de Bone, celui de la plaine de la Mitidja furent entrepris. Eu 1831, Bouffarik prit son origine dans le camp d'IIaouch- Chaoucb. Le jardin d'essai fut considérablement agrandi. Quelques colons arrivèrent, mais en petite quantité. Et il ne faut pas accuser la France de ce petit nombre. Les histo- riens font souvent des parallèles entre les peuples en ce qui touche l'art de coloniser. Ils se trompent presque tous. L'art de colonisera besoin d'être soutenu par la nécessité. Car, on ne doit pas l'oublier, il faut pour être colon plus de courage que pour être soldat. Le sol- dat marche en troupe. Des officiers, des généraux veillent sur lui. Le colon est souvent isolé et abandonné à ses propres forces. Lui aussi se trouve dans l'implacable situation d'avoir à quitter sa patrie, et ce n'est pas seulement la mort qu'il affrontera sur la terre étrangère, il lui faudra endurer toutes sortes de privations, les fatigues, la ma- ladie, la famine peut-être; il sera à lui-même son intendant et l'in- tendant de sa famille. Pour se défendre, pour défendre les siens, il faudra qu'il ait à la fois les qualités du soldat et celles du comman- dant. Il a planté sa moisson, elle sourit au soleil ; l'Arabe la va venir menacer, il menacera également la femme et la fille. Que d'héroïsme alors ! Chaque ferme devient une citadelle, une petite Saragosse uii l'on meurt, mais que l'on ne rend pas. Pour se décider à affronter tant de périls, il faut véritablement être pressé par la iinssion des aventures ou par la nécessité. Or c'est la nécessité (|ui chasse de leur sol, oii ils ne trouvent que misère, l'en- fant de l'Irlande et celui des montagnes allemandes. C'est elle qui pousse le mendiant et le vagabond de Londres sur les rivages de l'Australie. Mais la belle France est une terre clémente : elle a des blés superbes, un soleil ni trop chaud ni trop gris; elle a des vignes m.igiques au midi, des vergers ruisselants de fruits au nord : elle c.>>l difficile à quitter, une telle mère patrie ! les brumes d'Albion , la pauvreté d'Erin , l'oppression des gouvernements d'Allemagne n'y aident pas à l'émigration. Mais (|uand le colon français se décide à se rendre quehiue part, il y est bien décidé, quoique la poésie soit toujours pour ([uelque chose dans sa décision. Il rêve sans doute beaucoup de chasse, de pêche, d'aventures; mais, quand la première fièvre du décourage- ment ne l'a pas tué, espérez tout de lui. .Son activité, son initiative sont merveilleuses. Q)ui a vu l'Afrique en 1831 la reconnaîtrait à peine aujourd'hui, et cependant la population française y est encore presque à l'état d'exception. Et puis ce que colonisent les autres nations, c'est surtout la terre vierge, la terre d'Amérique, celle d'Australie, celle où la propriété prend pour maître le premier ijui vient. Mais en Afrique tout était peuplé, sinon cultivé. La propriété avait des possesseurs. De longs rouleaux de parchemins arabes, transmis de générations en générations, attestaient une séculaire transmission d'héritages. On venait troubler tout cela, liien ne disait que les concessions accordées fussent vala- bles, et la preuve, c'est que souvent en Algérie le fisc reprit ce qu'il donna. En 1 835 , l'administration et quelques hommes de cœur rivalisèrent X'our attirer autour d'Alger un plus grand nombre d'émigrants. Qua- torze communes rurales furent fondées, comme nous l'avons vu ail- leurs, à Pointe-Pescadc, Bouzaréah, Dely-ibrahim , Mustapha, El- Biar, Birmandréis, Birkadem, Kadoiis, kouba, Hussein-Dey, liirtouta, Dcchioua , Douera et Mazafran. De hardis colons, comme le prince de Bir et M. de Guilhem , qui s'établiront à la Pvassauta et près du marché de l'Arba, montrèrent qu'il suffisait d'un peu de confiance pour réussir. D'autre part, de grandes relations d'aft'aires s'établirent d'Alger avec la métropole. L'Algérie vendit à la France et à l'étran- ger pour près de deux millions cinq cent raille francs, et à la fin de l'année, la ])opulation civile fut de 11,121 têtes, dont 1,888 Français seulement. On peut considérer cette poignée d'hommes comme le premier noyau de la colonisation. En 183G, ce noyau grossit, et la population civile européenne forma un chiffre de l'i,.S6i habitants, dont 6, 185 Français; cepen- dant le total du commerce diminua un peu. Mais la colonisation s'é- tendit, aux environs d'Alger, oii MM. Mercier et Saussine, Mon- taigu et de Tonnac s'établirent, les premiers à la Régaya, le troisième à l'IIaouch-ben-Chenouf, sur le territoire des Beni-Moussa, et le quatrième à Ain-Kadra, — et aux environs de Bone, oii l'on fonda le camp de Dréan, dans la plaine de la Seybouse. En 1837, le traité de la Tafl'na permit un développement tempo- raire de la colonisation. On mit en culture une assez grande quantité de terres. Des colonies militaires furent établies à Miserghin et aux Figuiers, et l'on comptait autour d'Alger (i, 1)3 5 hectares cultivés, 50" autour de Bone et 695 autour d'Oran. La population civile eu- ropéenne s'était élevée à 1C,770 habitants, dont (j,5'.l2 d'origine fran- çaise. Les importations n'augmentèrent pas. On s'occupa par contre de remplacer par des plantations les destructions opérées dans les razzias : près de 100,000 pieds d'arbres furent plantés et G5,000 oli- viers greffés. L'année 1838 vit la colonisation s'étendre dans toutes les sphères. Tous les villages déjà fondés augmentèrent en population. Ainsi, on compta à Bouffarick cinq cents habitants et soixante maisons, et à Dely-lbrahim quatre . cents habitants et quatre-vingt dix maisons. D'autres points, comme la plaine de l'Outhan des Beni-Mouça, reçu- rent de hardis colons. Les postes du Fondouck , sur le Khamis , et de Kara-Mustapha, sur l'Oued-Kadarah, furent installés pour la protec- tion de la Mitidja. On fonda ailleurs ceux de Maelma , de Mered, et beaucoup d'autres qui devinrent des villages. Des cultivateurs s'éta- blirent également à la Calle. Les camps retranchés de Koleah et de Blidah devinrent l'origine d'une certaine culture européenne. Cepen- dant la population civile continua à arriver lentement. A la fin de l'année on ne comptait encore que deux mille soixante-dix-huit ha- bitants européens non soldats, dont huit mille trente-quatre Fran- çais. L'augmentation du commerce était beaucoup plus vive. L'Algé- rie exporta en cette année pour près de 4,000,000 de francs. Mais un fait considérable se produisit que nous ne saurions omettre. La religion chrétienne prit officiellement possession de la conquête. Il y eut un diocèse d'Alger, comme du temps de saint Augustin il y avait un diocèse d'ilippone. Circonstance remarquable , le gouvernement français choisit pour évèque d'Alger l'homme qui était le plus complètement convenable à cette mission. Aventureux, quelque peu poète, d'un abord facile, extrêmement politique, conciliant, l'abbé Dupuch était en outre un esprit fort large et fort élevé. Il n'avait rien de l'ascète ni du fana- tique. Dans ce pays, un dévot de l'école ultramontaine , un héritier lointain de ïorquemada, ou un élève des dominateurs du Paraguay, eût tout perdu. L'abbé Dupuch fit, dès l'abord, connaître sa religion en Algérie par des services. 11 la rendit aimable, obligeante, bien- faisante. Il s'éleva même avec beaucoup de gr.indeur au-dessus des préjugés de sa caste et de son culte. Il honora la religion des Arabes partout oii il la trouva sincère. Aucune persécution n'eut lieu par son fait. Bien loin de là, l'Arabe, le Kabyle, (|uand ils le voulurent, trou- vèrent en lui un pasteur aussi bien disposé que le Français même. Que de relations n'établit- il pas avec les marabouts, avec les chefs vénérés des tribus ! Que de concessions n'obtinl-il pas d'Abd-el-Kader lui-même, dont il fut l'ami peut-être le plus dévoué! car seul, il ne l'oublia pas dans sa captivité. En 18 li) déjà, il demanda la mise en liberté de l'émir et fit de lui un panég\ri(|ue i|ui, sincère sans doute dans la pensée de révè(|uc d'Alger, sinon conlbrme à la vérité abso- lue, ne fut pas sans influence sur la destinée du captif'. Quand on se rcporle aux alVieux massacres qui furent faits en Améri((ue par les Espagnols sous le prétexte religieux, (|uaiid on se souvient des croisades, on ne saurait trop admirer cet excellent esprit du premier pasteur de noire con(|uêlc d'Afrii|ue. (Irâcc à lui, la lutte ne sortit pas de la politiiiue. Si elle se compluiua de fanatisme, ce ne fut ((ue du côté des Arabes. Parlerons-nous, apris cela, du désintéressement d'Antoine Dupuch, de sa générosité, qui le fit à la longue si pauvre, et qui, après l'avoir jeté dans le cloître, nécessita l'intervention de l'Etat? Au Dieu de paix ne plaise que nous fassions un crime à l'évêque d'Alger de s'être mis (|uelquefois à l'unisson de nos généraux! On n'a aucun mérite à être grand quand il n'en coûte rien auv ]iassions. A la suite de l'abbé Dupuch, vinrent les steurs de Saint-Joseph, puis d'autres congrégations religieuses. Elles montrèrent toutes jc sentiment de leur mission. En 1831), année de l'insurrection générale, les colons curent fort ' Abd-cl-Kailer au châlcau d'Amhoisc , par .M. J.-.\nloinc Dupuch, ancien cvèqiic d'Alger, publié à BordcaU)». ABD-EL-KADER. à souffrir. Il leur fallut se défendre pied à pied, corps à corps. Dans cette lutte contre les postes arabes, se distinguc'rent les de ^ ialar, de Tonnac, de iMontaigu, de Saint-Guilhem, les colons du hameau de Ben-Hoirlouse. Mais que de pertes pour tant d'héroïsme! Cependant, cette année-là, il y eut un certain essor de la popula- tion civile. On compta vingt-six mille vingt-trois habitants européens, non soldats, dont environ dou2e mille Français. D'autre part, à Alger, à Bons , à Constantine , le négoce se développa. Il fallut créer nn tribunal de commerce dans la capitale des possessions. L'année 1810 fut aussi une année de guerre. Les exportations dimi- nuèrent. La population n'augmenta que d'un millier d'âmes (vingt- sept mille deux cent (|uatre habitants civils, dont douze mille cent quatre-vingt-treize français). Les succès de 1841 ranimèrent la colonisation. De i^rands travaux se firent dans les villes, qui prenaient peu à peu un aspect européen. Des cités entières, comme celle de PhilippeviUe, fondée en 18-58, sortirent comme de terre. D'un autre côté, on comprit que le meil- leur moyen de lutter avec l'élément arabe était d'amener en Algérie une population capable de lui résister autant par les forces que par les arts et la civilisation. L'arrêté du 13 avril détermine les règles des à 50,000,000 de francs la valeur des constructions et propriétés eu- ropéennes. La population civile est de 59,186 habitants, dont 28,169 Français. Ajoutons qu'alors la femme se montre comme élément de coloni- sation. Le recensement de cette année atteste la présence en Algérie, de 14,569 femmes européennes, dont 9,062 mariées. Ce nombre augmente énormément en 1845, ainsi que celui des ha- bitants non militaires. Le chiffre de ceux-ci est de 75,420, dont envi- ron 38,000 Français. La culture se développe. De nombreux centres de population sont fondés à Djemmâ -Ghazouat , à El-Arouch, la Calle ; on établit les villages de Vallée, Damrémont, Saint-Antoine; on récolte dans les prairies appartenant à l'Etat pour 2,500,000 francs de fourrages ; de riches plantations réparent les ravages des razzias. En 1815, ce qui dénote le plus la marche ascendante de la coloni- sation , c'est la valeur des exi)ortations commerciales. Elles se mon- tent à près de 7,000,000 de francs. La population civile croît dans une proportion analogue. Elle est de 90,649 personnes , dont plus de 44,000 Français. L'année 1846 vit s'accroître ce dernier chiffre, qui monta à 109,400. Les chemins, les routes, les écoles attirèrent plus que jamais l'at- .Slfgo cl prise do Ziatcha. — 26 novcmbio 1819. concessions, fixe les centres autour desquels elles se forment. On essaye aussi de la colonisation par les soldats libérés, mais il y a tou- jours un peu de contrainte dans la colonisation militaire. Le soldat libéré en Algérie a depuis trop longtemps quitté sa patrie pour ne pas désirer la revoir. Les villages militaires sont aujourd'hui des vil- laj;es complètement civils. Néanmoins tous les efforts réunis donnè- rent un grand essora l'ensemble du mouvement algérien. La soie, le colon, se cultivèrent; les forêts furent parcourues et étudiées. La (loiiulalion curopéeiuiC non militaire grandit tout à coup jusqu'au chiffre de trente cinq mille sept cent vingt-sept habitants, dont(|innze mille neuf cent quarante-sept Français. Mais c'est de 18 li' (|uc date la vraie prospérité de la colonie. Les villages de Drariah, de Douerah , de l'Achour, d'Ouled -Fayet , de Clieragas et d'autres, sont fondés. On achève de grands défrichements, les villes nouvellement conquises se peuplent, deviennent commer- çantes. On trouve le Françiis partout. La population européenne civile est de quarante-six mille cinq cents habitants, dont vingt et un mille Français. En '1843, création de villages à Saoula. Bjba-IIassen, Crescia, Saint-Ferdinand, Sainte-Amélie, Daouàda, Montpensicr, .loinville, Mercd , Saint-Jules, etc., dans la province d'Alger! Concession aux trappistes de .Siaouëli ; fondation des jiépinières de Guelma, de iMis- serghin, de PhilippeviUe! Travaux de la Senia , de la Mina, du Sig; institution du service spécial de dessèchement; amélioration des ports d'Alger, de Clierchell, d'Oran , Mer.sel-Kébir, Moslaganem, Pliilippeville, Bon(' , la Calle; fonds considérables et instruments de culture distribués, voilà les principaux faits de la colonisation! Aussi des capitaux énormes s'engagent en Algérie. On estime alors tention. Tous les centres de population se développèrent ; on créa les communes de Saint-Louis, Nemours, Joinville, Sainte-Adélaïde, Saint-Eugène, Sainl-Leu , Sainte-Barbe ; les villages de Saint-Hippo- lyte, Saint-André, de Stidia, de Sainte-Léonie; les agglomérations des Toumictles, d£ Kantours, de Smendou. Les richesses naturelles furent mieux connues, les richesses agricoles augmentèrent consi- dérablement. En isn, an de crise commerciale pour la France, la colonisation se ressentit du malaise général. La population diminua; elle tomba à 103,893 habitants. Cependant la fameuse ordonnance du 28 septembre institua en Algérie le régime municipal. On créa aussi de nouveau! centres à la Mouzaïa, sur la Cliiffa ; on fonda les villages de Bugeaud, de Condé, de Saint-Charles; les communes espagnoles de Christine, San-Fernando, Isabelle. L'année 1818, décisive pour la France, fut aussi décisive pour l'Al- gérie. Le système de l'assimilation domina , puisque le territoire fut divisé, comme celui de li métrojiole, en départements. D'un autre côté, pour donner, comme nous l'avons dit, quelque soulagement aux classes peu aisées , un appel solennel fut fait aux colons. . La loi du 19 septembre leur ])romit un avenir que tous ne trouvèrent pas où ils l'allèrent chercher. Par une combinaison habile des meilleurs travaux sur la colonisa- tion, soit ceux des généraux de la Moricière, Duvivier, Bugeaud, soit ceux de l'administration de la guerre, quarante-deux centres de po- pulation furent créés aux endroits les plus convenables pour la cul- ture et les mieux placés pour le commerce et jiour la défense. On les distribua, dans la province d'Alger, à l'Afroun , Keii-Hoiimi, Marcngo et Zurich, sur la route de Blidah à Cherchell ; à Casii- ABD-EL-KADER. /,^: \ glione et Teferchoone, sur la route d'Alger à Cherchell ; k Lodi . sur la route de Médéah à Milianah; k Damiolte, près de Médéali; k Novi, près de Cherchell; k Monlenotte, sur la route de Tenès k Orléans- ville ; k la Ferme et k Ponteba , près de cette ville. Il y en eut neuf dans la province de Constantine, savoir : Jemmapes, (lastonville et Robertville, dans le cercle de Philippeville; Héliopolis, (iuelma, Millésimo et Petit, dans le cercle de Guelma; Mondovi n" 1 et Mon- dovi n» 2 , depuis De Barrai, dans le cercle de Bone. Enfin il y en eut vingt et un dans la province d'Oran, savoir : Flcurus, Assis- Ameur, Assi-ben-Fcrruh, Saint-Louis, Vssi-bcn-Okba, Assi-ben- Nef et Mangin, aux environs d'Oran ; Saint-Leu, Damesme, \rzew, Muley-Magnin, Kléber, !\lefessour et Saint-dloud , autour d'Arzcw; et Aboukir, Rivoli, Aïn-IN'ouissi, Tounin, Karouba, Aïn-Tideles et Sourkel-Metin, autour de Mostagancm. Plus de 13,0(10 colons, par- tagés en un grand nombre de convois, partirent pour peupler ces contrées. Une somme de ;>0,000,000 de francs fut votée pour leur éta- blissement. Tout cela se lit sans préjudice de plusieurs créations de villages, comme ceux d'AlTreville, d'Arcole, de Vaimy. — 1 15,000 habi- tants civils formaient k la fin de l'année la population européenne de l'Algérie. Nous devrions nous arrê- ter ici, pour ne pas antici- per sur les événements; mais, afin de ne pas scinder ce résumé de l'histoire de notre colonisation , nous consignerons en pou de mots les créations des an- nées suivantes. Ce sont, en ISin, les vil- lages de Négrier et de Bréa, les centres d'Ameur-el-Aïn, la Bouikika, AuiiMenian, le marabout d'Abd-el-Ka- der, Bou-Mefda et Aïn-Me- nian dans la province d'Al- ger; d'Ahmer-ben-Ali et Sidi-Nassar dans le dépar- tement de Constantine ; de Bled - Touaria , Aïn-iSidi- Chéri, Aïn-Boudinar, Pont- du-Cheliff et Bou-Tlieles dans la province d'Oran. Mais cette année-là même on renonce k la colonisation par l'Etat. On quitte le sys- tème de la colonisation sub- ventionnée pour celui de la colonisation encouragée. La population civile diminue ; elle tombe au chiffre de 112,000 habitants. Mais le commerce de l'Algériesedé- veloppe ; il est de 7,700,000 francs pour les productions exportées- En 1860, on établit le vil- lage mahonnais du fort de Dean , le pénitencier de Lambessa , les groupes d'habitations rurales de Sidi-Mabrouck, Oued-Yakoub, Characat-Bouazeu, Ilanima, Ain- Turc, Mansourah-la-Saysaf. Les routes deviennent sûres, des au- berges s'établissent aux points fréiiuenlés. La justice, le commerce, l'instruction, la civilisation entière, marchent d'un pas rapide. Enfin même élan eu IS.'il et 1862, malgré l'arrivée de ces malheu- reuses victimes de nos révolutions (|ue l'on nomme les transportés. Barrages, canaux d'irrigation, châteaux d'eau, acijueducs, routes stratégiques, camps, hôpitaux, hospices, orpliclinats , administration civile et militaire, culture, monts-de-piété, milices, exploilation des forêts, des carrières, des mines, tout, en un mot, est dans un grand proijris. La population européenne, k la fin de 1851, est de |:il,22:i habitants, l'.lle était en IH.iO de 126,7 is. Une loi abolit la législation douanière <|ui s'oppose k la libre entrée des produits .ilgériens dans les ports de France. Presque tous ces produits sont a'^simiUs .'s ceux du soi français lui-même. Est-il nécessaire de dire que cette amélioration annuelle ne se fit pas sans de grands efforts? h'aut-il nommer tous les hommes qui at- tachèrent leur nom k quelque progrès ' I'"ant-il répéter ici en quoi consistaient les plans de Clausel , ceux de iîugeaud , ceux de Du- vivier, ceux de Cavaignac , de la Moricii're, de Bedeau? l'aut-il répéter aussi les noms de tant d'officiers supérieurs (|ui , comme Charron, Daumas, l'andon, Saint-Germain, V. Thierry, Marey- 75 f! I' 1 ( y 1 1 Il i;ii'  1 : tf ,1 ' ' Abd-cl-Kader et Napoléon III au château d'Amboiso. Monge, comprirent que la conquête n'était qu'au prix d'un bon dé- veloppement administratif? Faut-il citer les ingénieurs qui, comme les Poirel, travaillèrent k l'amélioration des ports; les marins qui, comme E. Pacini, émirent de bonnes idées sur les travaux de défense maritime ; les architectes militaires qui construisirent les routes, les aqueducs, qui dirigèrent les dessèchements? iSous le voudrions, qu'il nous serait impossible de le faire. Ce ne sont pas toujours les hommes les plus utiles qui laissent le plus de renommée. Il y a aussi dans l'ordre civil ^es noms inséparables de l'histoire de la colonisation algérienne. Tels sont ceux de l'annaliste Pélissier, de l'entraînant historien Galibert, de l'érudit Berbrugger, de l'habile praticien et professeur de culture Hardy, de l'ingénieur des mines FourncI, de cet autre ingénieur célèbre que l'on nomme Enfantin, du savant sériciculteur Guérin-Menneville , des cultivateurs de tabac Gros, Lebescheu et autres, des apiculteurs Claude et Lavieille. TS'ous ne saurions oublier non plus toute cette cohorte de publicistes ou d'historiens convaincus et spéciaux qui , comme les Cohen , les Bardy, les Ur- bain, lesWarnier, les Louis Jourdan, les Robe, les Opi- gc?. , les Foley, les Guyon, les Cauvain, les Bouvy, les E. Alby , les Mornand , les Fél. Jacquot, les de Bau- dicourt, ont rendu tant de services k la cause de l'Al- gérie. Il ne faut pas omettre surtout celui du continua- teurde Pélissier, de M. Hipp. Peut, courageux écrivain qui a consacré sa fortune et sa vie k la colonisation, et aux excellentes Annales duquel nous avons puisé la plupart des détails de ce chapitre. Ues étrangers distingués ont aussi contribué k l'ex- leusion de notre colonie. Parmi eux se place au pre- mier rang le publiciste belge Houry, i|ui, voué k l'extinc- tion du paupérisme, a po- pularisé notre colonie en Belgique, et dont les plans de toute sorle ont été main- tes fois approuvés par nos généraux. C'est k son imi- tation que l'on a proposé depuis la création d'une série de villages qui cor- respondraient à nos dépar- tements. Cela soit dit sans diminuer en rien les louan- ges dues k ceux qui, comme MM. H. Peut, Ducuing et d'autres écrivains des plus honorables , ont propagé cette dernière idée, dont la réalisation paraît domi- ner aujourd'hui parmi les projets de colonisation. CHAPITRE XL. Années 18i8, 18't'.> et 18SU. — Reddition do l'ancien bey de Constantine. — Période des aventuriers. — El-)Iaclj-IIaniet, Sidi-Abd-ol-Afidh, le faux Bou- Maza. — Bou-Zian. — Siège de Zjatcha. — Prise de Dou-SoAda. — Prise de Nahra. — Le général Herbillon. — Les colonels Canrobert et Carbucoia. — Mort du généralde Barrai. — Rapport du gouverneur général d'Hautpoul. Les années 1818 et de 181!) sont de celles (|ui font dire aux ad- versaires du système militaire en Algérie que si l'on avait suivi le système de l'excellent gouverneur général Charron et tourmenté par moins d'expéditions les tribus africaines, il n'y eut point eu lieu k tant de combats et k une si longue guerre. En effet, nous n'avons d'abord presf|ue rien k signaler en 1818, si ce n'est l'aiiparition et la reddition d'un schériff nommé Muley-Mohammed, et une expédition peu importante dans cette Kabylie toujours mal soumise. La période héroïque est passée, du moins du coté des .Vrabes. De notre côté, c'est le second ban de l'armée d'Afrique qui s'élève, tandis que Ics plus illustres représentants du premier, après avoir em- brassé la vie politique, trouvent l'exil ou l'abandon au bout de leur carrière, et cela au moment même où les représentants du second ban les remplacent dans les dignités. Quant k la nationalité arabe, 76 ABD-EL-KADER. cl)e ne trouve plus désormais pour la défendre que de véritables aven- turiers. La chute délinilive d'Abd-el-Kader, sa captivité , la soumis- sion de l'ancien bey de Constantinc , Achmet, qui, depuis ses revers, menait une vie d'aventures et d'abandon ; l'envoi réitéré des convois de colons la découragent si bien, qu'elle ne tente plus que des entre- prises aussitôt étouffées par nos armes que commencées par le fana- tisme uni à la crédulité. C'est ainsi que les derniers jours de 184S furent signalés par l'ap- parition d'un faux sultan, du nom d'IIadj-Hamet , dont la seigneurie éphémère n'eut qu'un jour. El-Hadj-lIamet, après avoir essayé des prédications chez les Ouled- Sabens, vint s'établir chez les Medjouna, et là il recommença ses menées, f|ui lui procurèrent bientôt des adhérents. Encouragé par le grand nombre de ceu\ dont il était journellement entouré , il prit le titre de sultan du Dahra; mais, par malheur pour lui, il se lit un ennemi personnel dans la personne d'un chef influent du pays, nommé El-Hadj-Lekhal. Celui-ci, ayant entendu dire qu'il tenait un conci- liabule armé dans la contrée boisée qui s'étend entre les territoires des Ouled-Rhiah et des Ouled-khelauff, marcha de ce côté avec tons les cavaliers du parti de la France. Il cacha si bien sa marche, qu'il surprit le faux sultan et ses principaux auxiliaires, et l'envoya pri- sonnier à Mostaganem sous forte conduite. Mais durant le trajet, Hamet profila d'un passage à travers les broussailles pour s'enfuir, accompagné d'un nègre qui lui servait de chaouch. Son escorte le poursuivit, et, craignant de ne pouvoir le reprendre, le tua de loin à coups de fusil. En 1R19, la province de Constantine et le pays entre Bougie et Sélif furent le théâtre de ces sortes d'aventures sur lesquelles nous passeront rapidement, et qui donnèrent aux généraux Herbillon et de Salles et à d'autres hardis capitaines l'occasion de se distinguer. Des rébellions soulevées sur d'autres points nécessitèrent des opérations hardies que le général Pélissicr conduisit avec son succès et sa vigueur accoutumés. Dans la province d'Alger, le colonel Daumas reçut l'ordre d'apai- ser une révolte des Beni-Silem, des Haàta et des l5cni-(^)uetoun. Il partit de lilidah le 10 avril avec le colonel ^ ergi. En quelques jours, malgré les difiicultés du terrain, il s'acquitta de sa mission de ma- nière à mériter les félicitations du gouverneur général Charron. Un instant les Kabyles crarent le surprendre par des assurances de paix. Ce fut lui qui les battit à Souk-el-!\ebour-Sidi-Abd-el-l\haman , où il défit les populations de vingt-cinq villages. Ses perles furent pres- que insignifiantes. Un peu plus d'une semaine lut suffit pour apaiser une insurrection qui menaçait toute la contrée. Parmi les événements qui eurent lieu dans la province de Constan- tine, nous distinguerons ceux qui nécessitèrent le siège de /^atcha. De tout temps l'Aurès avait clé mal soumise, et des velléités d'in- dépendance ne cessaient de se manifester parmi les trihus des sub- divisions de Batna et de Biskara. Elles étaient entretenues par divers chefs, entre autres par le schériff de Zaatcha, Bou-Zian, qui, se liant à l'inacccssibilité de sa retraite, finit par prendre tout 'a fait une at- titude hostile à notre domination. Il lia des intelligences avec les principaux chefs des tribus, notamment avec ceux des Ouled Djellel et Sidi-!\loktar, et parvint à soulever les populations qui s'étendent sur les rives de l'Oucd-Sidi-Salah. Un marabout célèbre de cette contrée, nommé Sidi-Abd-el-Atidh, avait d'abord résisté aux sollicitations de Bou-Zian ; mais, pressé par le; instances des Sidi-Moktar et des Oulcd-Djellel, il prit une attitude hostile. Il descendit jusqu'au village de Séri ana , à la tête de (jiiatre mille fantassins ou cavaliers de l'Aurès et du Zab-Chergui. Le kaid des Ouled-Saoula, qui avait nom Si-el-Picy-hen-Cheiiaouf , prévint le commandant du cercle, M. de Saint-Germain. Celui-ci était un de ces hommes qui n'ont jamais marchandé leur vie. Il prit à peine le temps de rassi'mbler cent ([uatie-vingts chevaux cl trois cents fan- tassins, et dès (|u'il eul joint l'arniéc de Sidi-Alul-el-Afidh , il l'atta- qua sans désemparer et avec des dispositions aussi habiles qu'auda- cieuses, l/étendard du marabout fut enlevé, ses troupes défaites. Mais Saint (iermaiii reçut à bout portant une balle dans la tète. C'était un oflirier qui avait déjà donné plus que des espérances. Il appartenait à l'école de la colonisation et de l'assimilation. On lui devait l'état florissant du cercle de Biskara, à l'adminislralion du- quel il présidait de]uiis cinq ans. Bou-'/ian , qui était attendu par les populations réunies autour de Sidi-Abd el Alidh, n'arma ]ias a Icmjis pour les secourir. Ayant ap- pris leur défaite , il se renferma dans Zaatcha, oii nos troupes, sous la conduite du général Herbillon ', devaient bientôt aller l'investir. Mais avant de les y suivre, nous avons à parler d'un faux Bou-Maza qui parut dans la Kabylie, et d'un petit différend élevé entre le Maroc et la France. I.a Kahylic, oii les Zaouaouas s'étaient soulevés et avaient été battus en juillet par le colonel Canrobert, semblait toujours destinée aux trouilles. Le nom de Bou-Maza y était exlrènicinent célèbre et po- pulaire parmi les tribus. Un certain Si-Boucif imagina de répandre ' Une transposition de ligne dans le tableau contenu en notre premier chapitre fait attriljuer au général Pélissier le siège de Zaatdia. Il faut redescendre lo nom Ua général Pélissicr trois lignes plus bas ou siège de Logtiouat. que Bou-JMaza avait réussi à s'enfuir de sa captivité et à regagner le sol africain. Trouvant créance à ce bruit, il alla plus loin, et s'af- lirma lui-même comme étant Bou-Maza. On le crut d'autant mieux que dans le Djerjurah la figure et les traits de l'ancien schérifl' étaient peu connus. Il eut en peu de temps autour de lui quatre ou cinq mille Kabyles. Après avoir noué des intelligences avec les tri- bus des pentes de la montagne, il se regarda comme assez fort pour descendre dans l'Oued-Sahel. Mais il trouva là un simple sous-lieu- tenant de zouaves, M. Beauprêtre, qui, bien que n'ayant à sa suite qu'un millier de cavaliers , et encore cavaliers indigènes, intimidés par les prédictions du schériff, ne réussit pas moins à battre le faux Bou-Maza, qui'fut tué dans la déroute. (Octobre.) Quant au différend entre le Maroc et la France , il fut aussitôt apaisé que soulevé. Notre consul, expulsé de Tanger, y fut rétabli avec tous les honneurs militaires et civils par le contre-amiral le Bar- bier de ïinan. Ce fut encore le célèbre Bou-Sélam qui présida à cette réintégration. Cependant la réhellion menaçait de gagner tout le sud de la pro- vince de Constantine. Le général Herbillon alla mettre le siège de- vant la place qui était le centre d'oii soufflait le vent de la révolte. Zaatcha s'élève à l'extrémité sud de la province de Constantine, dans l'espèce de désert qui s'étend au sud du kaïdat des Ouled-Zian et de celui de Biskra. I^n petit village appelé Zaouia ou Mosquée la borne au nord. Elle semble ne former qu'une seule masse avec les oasis de Lichena et de Farfar. A son est s'étend l'oasis de Bouchugroun, que trois kilomètres à peine en séparent. A l'ouest, l'oasis de Tolga est plus éloignée. Au sud s'étendent les oasis de Bigou, Ben-Thious, Mnala, Maile. Tous les hommes de ces ksours étaient en armes. 0 L'oasis de Zaatcha elle-même , dit M. le général Herbillon , pré- sente l'aspect d'une haute futaie de palmiers, s'élevant comme par enchantement d'un sable aride. Elle est aux pieds de deux sources et peut contenir soixante-dix mille palmiers. Le sol est coupé de canaux d'irrigation, de murs de jardins d'autant plus élevés qu'on a plu; abaissé le niveau du terrain pour améliorer l'irrigation ; ([uelques rues étroites et la base des murs sont restées au niveau du sol na- turel. Des figuiers, des abricotiers peu élevés, s'ajoutent à des plantes rampantes pour arrêter la marche. C'est un dédale inextricable. Cha- que jardin à enlever à l'ennemi nécessite une affaire. 1) Zaatcha, ajoute le général Herbillon, ressemblait à une petite place construite au moyen âge. Des tours carrées s'élevaient de dis- tance en distance el étaient reliées entre elles, sans intervalle, par des maisons toutes crénelées. Un chemin de ronde, abrité des coups du dehors par un mur, bordait le fossé. Les défenseurs pouvaient d'ailleurs circuler facilement, à la partie supérieure par des ter- rasses , à l'intérieur par des communications ouvertes exprès de maison en maison. » Mais aucun des éclaireurs que l'on avait envoyés à Zaatcha n'avait apprécié la force de cette place et signalé les difficultés de l'attaque. Un très-petit nombre de troupes, comparativement à la force de la résistance qu'on devait éprouver, fut dirigé sur ce point. Le général Herbillon n'arriva le i octobre devant Zaatcha qu'avec quatre mille hommes de toutes armes. On enleva bien vite , sous la direction du colonel Carbuccia, les premiers jardins et le village ou Zaouia; mais il fallut s'arrêter sous un feu meurtrier (]ui en peu de temps nous valut des pertes considérables. Le général fil alors construire des ouvrages en vue d'un siège. Cette construction nous coula encore un grand nombre de soldats et seize officiers. Chaque jour, pendant longtemps, ce furent de nouveaux sacrifices. On ne pou- vait s'approcher de la place qu'en s'emparant des jardins. C'était pour chaque jardin une affaire dangereuse. L'ennemi ménageait son feu et, admirablement posté, ne tirait qu'à coup sûr. Ainsi, le 0 octobre, le colonel du génie Petit, en se faisant donner des indications sur la place par le sous-lieutenanl Siroka, allaclié aux affaires arabes, s'oublie un instant à découvert : il a l'épaule fracassée el M. Siroka le cou traversé. M. le caiiitaine d'artillerie lîesse rec- tifie le tir d'une pièce, il reçoit une balle au front. C'est au moment où nos artilleurs démasi]uent leur canon pour lirer qu'arrivent les coups les mieux ajustés. Un boulet fait-il un trou dans un mur de la place, ce trou vomit aussitôt la mort sur nos troupes. Nos ouvrages sont attaqués avec un héroïsme effrayant. Les sapeurs du génie sont décimés. Des Arabes viennent enlever les gabions qu'ils posent. La nuit, quand la lune ne brille pas, les défenseurs de la place allument de grands feux, au moyen desquels ils éclairent tout à coup nos tra- vaux et fusillent nos travailleurs surpris. Cependant on fiuil par faire deux brèches cl par combler le fossé devant la brèche de gauche. Mais penilaiil (|iie le général Herbillon est ainsi arrêté, de tous côtés dans la suhdivision de Batna éclatent des symptômes d'insur- rection. Jl faut en finir. Le '20 octobre on tente un assaut... 'i'oute l'audace de nos meilleurs soldats y échoue. On jierd une foule d hommes de tous les grades, et il faut se résoudre à prolonger un siège qui devient de plus en plus pénihle. En vain le général imagine, pour attaquer les intérêts des habi- tants, de coujier les palmiers des jardins. Les défenseurs de l'oasis engagent des combats partiels autour de chaque arbre. En même ABD-EL-KADER. •,1 temps, du Tell et du désert on vient à leur secours. Le général est obligé de dissiper par la force plusieurs rassemblements de nomades. A Dirmecli même il est repoussé et contraint de se retrancher dans son camp. Mais, rejoint successivement par les colonels de liarral et Caurobert et le commandant du génie Lebrettevillois, il reprend proniplenient l'offensive, marche contre les nomades, les surprend à l'oasis d'Ourlel, et leur inflige une si rude leçon, qu'ils se soumet- tent. H peut alors ne s'occuper que du siège, et tenter l'assaut défi- nitif le m novembre. Depuis ce temps, les deux brèches par les([uelles on avait tenté l'assaut du '.Ml octobre avaient été améliorées par l'artillerie et par le génie. La nouvelle brèche était large , le fossé avait été comblé aux trois points du passage. Le 2C novembre dès sept heures et demie du matin, trois colonnes étaient formées dans les tranchées sous le commandement de M. le colonel de Barrai au centre, par !\L le lieutenant-colonel de I.ourniel à gauche, et M. le colonel Canrobcrt à droite. Mais laissons parler le général lui-même, et raconter la dernière journée de ce nouveau siège de Saragossc. « Le signal est donné. — l.a charge sonne. — Les trois colonnes précédées de leurs chefs s'élancent avec enthousiasme; à droite, le colonel Canrobert est fusillé des terrasses; quatre officiers, quinze soldats de bonne volonté l'accompagnent en tête de la colonne; il n'en revient que deux oft'iciers et. deux soldats, encore sont ils blessés ou touchés. Hien n'arrête les zouaves, et bientôt le drapeau français flotte sur une des terrasses les plus élevées. » Au centre, le colonel de Karral rencontre de tels obstacles, qu'il est obligé d'appuyer à droite , et bientôt il s'élance dans une des rues et traverse la place. • A gauche, le lieutenant-colonel de l.ourmel franchit rapidement les premiers décombres et, malgré la vivacité du feu, il se trouve à quatre mètres au-dessus du niveau d'une autre rue; il s'y précipite, et peu après donne la main aux autres colonnes. » A huit heures et demie la plupart des terrasses et des rues sont occupées, mais pas un défenseur n'a fui. Le feu de l'ennemi se sou- tient, il part des décombres et des étages supérieurs ; il faut entamer le siège de chaque maison ; de la terrasse on ne descend au premier étage qu'après un combat; on essuie à bout portant le feu d'un en- nemi décidé frinchement à sacrifier sa vie. » Du premier étage pour descendre au rez-de-chaussée on ne trouve qu'un seul trou étroit placé au milieu de la maison. Il éclaire à peine le rez-de-cbaussée. C'est dans ce réduit obscur que sont réu- nis tous ceux ([iii ont été chassés des étages supérieurs. I,:i pièce est grande. Celui qui s'y aventure reçoit immédiatement une balle et ne sait à qui répondre; la porte intérieure est murée, et l'on ne voit d'autres ouvertures ([ue des créneaux d'où partent de nouveaux coups de feu. C'est un autre siège jilus meurtrier que l'assaut. Si l'on fait un trou à la pioche, les travailleurs, les assaillants sont immédiate- ment criblés de balles. La mine devient le seul moyen de réduire ces fanati(|ues, qui tirent encore de dessous les décombres où ils sont entassés. « Bou-Zian lient le dernier. Le 2"^ bataillon des zouaves, commandé par I\L de Lavarande, est sur ses traces. L'héroïque défenseur de la liberté des nomades se réfugie dans une maison solide que l'on ébranle k coups de canon et que l'on renverse avec la mine. Bou-Zian, accablé par le nombre, succombe alors avec tous les siens; mais dans le seul et suprême assaut, il a mis cinquante zouaves hors de combat. 11 fallut plus de quatre heures pour réduire les autres maisons, et l'on y fit comme dans celle de Bou-Zi^n. A la fin de la journée, un aveugle et quelques femmes étaient seuls épargnés. Ce que la ville contenait de cadavres, nul ne l'a jamais su au juste. Pendant que tout ceci se passait, une expédition des plus pénihles et en même temps des plus honorables avait lieu sur un autre point. Le colonel Diunias, qui commandait, comme nous l'avons vu, à Bli- dah, en eut l'honneur. La ville de Bou-Saâda et ses environs étant en pleine révolte, cet officier reçut l'ordre de dompter cette insurrection nouvelle. Il ijuitta Blidah le 'ifi octobre, et à peine en route il fut attaqué par un en- nemi plus terrible que l'Arabe; par le choléra. Ses troupes furent décimées. Il lui fallut une énergie surhumaine pour retenir son goum. Plus d'une fois des cadavres entourèrent sa tente. A force de persévérance, il arriva enfin le 13 novembre à Bou-Saàda après avoir battu en route les Oulad-Fereudj. Là, son attitude et les mesures qu'il prit dèiùdèrent promptement les Arabes à se soumettre. Ils lui fournirent même du renfort pour poursuivre dans leurs montagnes les Onlad-Kayls et les Oui id-Aineiir-Iieni-Fereiidj. Quoi(|ue encom- bré de malades, sans moyens de transport, il atteint les rebelles, les bal, leur fait des prises considérables, et domine sur les crèles in- accessibles du Djebel-Messàd, oii il reçoit la soumission des tribus. A la fin (le novembre il était de retour à l'.lidali après avoir étoulTé une insurrection qui , victorieuse, se fût certainement étendue dans l'ouest de nos possessions, et rattaché à notre cause les populations les plus vigoureuses. D'un autre côté , la prise de />aatcha n'avail pas mis fin au soulè- vement dn sud de la province de Constantine; il restait en armes les montagnes de 1' \urcs, et principalement le pays de Nahra. Le co- lonel Canrobert et le colonel Carbuccia furent chargés d'en finir avec les insurgés ipii avaient celte ville pour place principale. Comme l'a écrit le colon<'l Canrobert ', le nœud de la question de l'Aurès était dans IN'arali. Cette ville est composée des trois villages de Sidi-Abdullah, Dar-ben Labarah et 'reniat-Ojenimàa. Ces villages occupent un ravin profond dans Us montagnes à cinq cents mètres au-dessus de l'Oued-el-Abdi. Pour y arriver, il faut gravir les pentes les plus difficiles et emporter des tours en pierre solidement con- struites et qui commandent les positions. De là il faut redescendre dans une sorte d'entonnoir à pic sur lequel le feu des maisons de IVahra porte à vif. Trois chemins frayés mènent seuls à cette ville : l'un longe la rive droite d'un torrent nommé Oued-\ahra , qui se jette dans l'Oued- ! el-Abdi ; les deux autres contournent les contre-forts de la rive gauche. Le colonel ("anrobcrt forma trois colonnes. L'une eut à suivie les chemins de la rive gauche. Elle était aux ordres du commandant La- varande. L'autre, dirigée par le colonel même, et en sous-ordre par le commandant Bras-de-Fer, dût marcher parles escarpements de la rive droite. Une troisième, commandée par le colonel Carbuccia, devait, loin de lout chemin frayé, tourner la position de Nahra et tomber sur les derrières de cette ville à l'improviste, quand les défen- seurs de la place seraient aux prises avec les deux colonnes directes. Si cette attaque, si bien combinée, ne réussissait pas, le colonel Can- robert avait un habile en cas : c'était de se jeter vers le col de Tizinto- 'Zoughal, où l'Oued-Nahra a sa tète, et derrière lequel les gens de JN'ah'ra avaient mis en sûreté leurs femmes, leurs enfants et leurs ri- chesses dans les villages de Tanganiout et de Guelfen. D'un autre côté, le colonel Canrobert avait établi un camp près de I\lenna, camp très-bien fortifié, et dont le commandant devait aussi, par une fausse attaque, divertir les forces de l'ennemi. Cette audacieuse combinaison, qui avait le tort de diviser beau- coup trop les moyens dont disposait M. Canrobert, ne pouvait réussir qu'à force d'enirain et d'ardeur. 11 fjllait que chacun arrivât à point nommé et qu'aucun obstacle n'arrêtât les colonnes. Tout cela eut lieu. Les trois colonnes arrivèrent à heure précise à leur point d'as- saut et se rejetèrent, pour ainsi dire, de l'une à l'autre les Kabyles, qui se défendirent avec un courage digne d'un meilleur sort. Inves- tie à six heures et demie, la ville était à nous à huit heures un quart. Les troupes étaient animées de façon ii ne pouvoir être retenues. Tout ce qui se trouvait dans Aahra fut ou passé par les armes ou écrasé par la chute des maisons et des terrasses, et avant la fiir du jour il ne restait de ce repaire du patriotisme et des entreprises des Kabyles absolument rien debout. La mine avait tout fait sauter. Tel fut l'effroi inspiré par cette expédition, qu'au retour nos soldats n'eu- rent pas à essuyer un seul coup de fusil. Le reste de l'année 1S50 fut signalé par des expéditions peu impor- tantes soit dans la Kabylie, soit dans l'Aurès. Parmi celles de la Kabylic, nous devons détacher l'action qui coûta la vie au brave de Barrai fait général après Zaatcha. Cet officier opérait entre Sélif et Bougie. Son but était surtout de chàtierlesBeni-lmniel révoltés. Ceux-ci l'attendirent dans une position qui leur semblait inexpugnable, sur des crêtes auxquelleson ne peut ar- river que par des ravins. Ils étaient environ trois mille. De Barrai venait à peine de lancer son avant-garde. Il marchait à la tête des troupes en ordre de combat, quand une balle le frappe en pleine poitrine. Soutenu par le sentiment du devoir, il a la force de se contenir, fait appeler le colonel de Lourmel qui commande sous ses ordres, lui remet son épée et lui indique les moyens de vaincre. Cette blessure était mortelle. Un si triste événement était fait iiour ralentir l'ardeur des soldats. D'un autre côté, un convoi considérable embarrassait la marche de la colonne. Le colonel de Lourmel s'arrêta jiour le mettre à l'abri. Les lUni-lmmel s'imaginèrent <|ue l'on reculait devant eux. Ils des- cendirent de leur position et vinrent attiquer. Ce fut un coup de fortune. I"n ((uelqucs minutes on les charge, on les hache, on les poursuit, et le Icmlemain (.'.' mai ce (|ui en reste demande l'aman. Un village fut élevé en l'honneur de l'infortuné de Banal. Pendant ce temps, le général Saint-Arnaud achevait la pacification de l'Aurès, et rétablissait l'ordre troublé à Tebessa, dans la province de Constantine. Dans la province d'Oran, toutes les frontières marocaines étaient encore une fois en agitation. On put craindre un instant que quel- ques tribus algériennes prissent part à ces troubles. 'Mais un événe- ment, sur lequel la vérité n'est pas encore faite, acheva de détacher la cause arabe de celle du Maroc. lîou-llamedi, l'habile kalifa d'Abd- el-Kader, réfugié aux environs de Fez,d'oii on le représentait comme devant un jour sortir pour proclamer de nouveau son ancien maître, mourut subitement, (in accusa les Marocains de l'avoir empoisonné, et la plupart des réfugiés algériens dans le IMaroc i|iiitlèrent pour toujours ce pays. Une visite armée du général Mac-I\lalion aux fron- tières acheva de dissiper les craintes de ce côté. A la fin de iSàO, ])resque tout semblait h jamais soumis, et voici comment s'exprimait le gouverneur général, M. d'Hautpoul : n Celte ' 7 janvier 1850. 1» ABDEL KADEU. situation, disait-il, doit inspirer la plus grande confiance pour l'ave- nir. (Certes, tout 7)'est pas fini : il faudra s'attendre encore à des trou- bles, à des insurrections, à des combats, qui pourront nous coûter des pertes aussi regrettables que celle du génëral de Barrai. — Mais, ajoutait M. d'ilautpoul, en voyant à quelle armée, à quels chefs, à ijuels agents la sécurité de l'Algérie est confiée, l'on peut être tran- quille. 0 CHAPITRE XLI. Année 1 851 . — Moula-Ibrahim. — Bou-Bagla. — Le général Saint-Arnaud. — Expédition dans la Kabylie. — Défection des Flissas. — Opérations du gou- verneur général. Les agitations de l'Algérie, n'importe oîi elles ont lieu, se font tou- jours ressentir dans la Kabylie. L'année 1861 fut inaugurée par l'insurrection du shérif Moula- Ibrahim, qui fit diverses razzias sur nos alliés les Ouled-Ali-ben- Themiou, les Beni-Ouelban, lesSaridj et les Bcni-Mekilleiih. 11 fallut réprimer de la manière la plus sévère cette sauvage prise d'armes. Les Djouara, les Ouagenoun , les BeniOuakour payèrent pour les insurgés. Mais la rébellion n'en gagna pas moins de proche en proche, et elle se déclara tout à coup dans ce groupe fédératif des Zaaouas, les plus pauvres, mais les meilleurs soldats de la race kabyle. Nous avons eu Bou-Maza, voici venir parmi eux Bou-Baghla, l'homme à la mule, non moins entreprenant et non moins tenace que l'homme à la chèvre. Le Bou-Baghla, après avoir prêché la guerre sainte contre les marabouts eux-mêmes, qu'il accusait de trahison, se jette, le 1 n mars, sur la zaonïa de Si-ben-Ali-Shérif , marabout de Chellata. Il en at- taque ïazib, et enlève des troupeaux immenses. La garnison d'Au- male sort contre ce hardi aventurier; mais avant qu'elle soit arrivée sur ses traces, il est battu par les gens d'Illoula et forcé de se réfu- gier chez les Mzeldja. Mais là il se refait un parti. Toute la Kabylie se remue et lui envoie des contingents. Une partie de la garnison de Sétif a juste le temps de se porter aux Bibans pour empêcher la ré- bellion de passer dans la province de Constantine. IViidaiit ce temps le shérif, suivi de forces considérables, vient camper à Selioum sur la rive gauche de l'Oued-Sahel; la garnison d'Aumale l'y .itlacjtie le !) avril, et fait un carnage affreux de ses soldats. Bou-Baghla rentre chez les /.aoua, qu'il réussit à fanatiser malgré son échec. Il se trouve même bientôt assez fort pour aller à la tête des Beni-Aidel, des Ou- led-Djelhl, des Ben-Immel, des Senadlulja et autres tribus, essayer d'emporter le col de Thizy pour de là s'emparer de Bougie. Mais la garnison de cette place, composée de neuf cents hommes d'infant trie et de quelques chasseurs d'Afrique, se porte rapidement au-devant de lui, le bat, le repousse sur le col qu'il a franchi, et oii les Mzaïa lui tuent une grande quantité d'adhérents. I>ou-Bji;hla , (| li avait promis aux siens une victoire complète, perd pour un instant son prestige. Cependant les tribus des montagnes de la rive droite de rOued-Sahcl lui fournissent un asile, d'oii il va continuer à défier nos efforts. Cependant cette insurrection de la Kabylie pouvait devenir dan- gereuse. On songea à frapper un grand coup. Celle fois l'attaque de- vait venir par l'est. Ce fut le général Saint-Arnaud, le plus heu- reux jusqu'à présent des généraux du second^ban de l'armée d'Afrique, alors commandant la province de Constantine, qui en fut charfé. Lorsque M. Leroy-Saint-Arnaud fut nommé au commandement de l'expédition de Kabylie, il n'était guère connu que de l'armée d'Afrique. Arrivé en Algérie après .avoir été l'un des seconds du gé- néral Bugeaud à Blaye, il n'en était, pour ainsi dire, plus sorti. Les bulletins de la conquête le nomment comme s'élant disliiicué à l'Oued-Ger (en is:î0j, où il n'était encore (]ue capitaine de la légion étrangère; au combat de Milianah, où il était chef de bataillon des zouaves sous les ordres du lieutenant colonel Cavaignac; dans l'expé dition des Flissas, en ISi.l, comme colonel du :,V de ligne, et dans toutes les expéditions contre Bou-Maza. Malgré ces attestations officielles, le nom de M. Leroy-Saint- Ar- naud s'était peu répandu en l>ance. L'auteur de ce résumé, en sa qualité de journaliste, avait besoin d'en connaître la signification, et, se trouvant dans le cabinet du très-honorable général C.u.iignae, il prit la liberté de demander à l'ancien chef du pouvoir exécutif ce qu'il pensait de M. Saint- .\rnaud. Voici ce que répondit cet homme de Plutarque : —-Saint-Arnaud, Saint-Arnaud, on lui donne l'expédition de Ka- liylie pour le faire général de division, et quand il sera général de division on le fera ministre de la guerre. — Et quand il sera ministre, général ? — Ouand il sera ministre de la guerre, vous pouvez vous attendre au coup d'Etat. A quelques mois de là, le général Saint-Arnaud, devenu général de division, était fait ministre, et pour la première fois nous le vî- mes à cette place du champ de bataille politique qu'on appelle la tribune. On discutait la proposition des questeurs pour remettre à 1 Assemblée législative le commandement des troupes. Un général d'Afrique, M. Bedeau, demanda à M. Saint-Arnaud s'il était vrai qu'il eût fait enlever des casernes le texte de la constitution qui met- tait la force armée à la disposition de l'Assemblée. Sans balhutier, sans chercher d'ambages, M. Saint-Arnaud répondit que très-certai- nement il avait fait enlever le texte en question. Je compris tout aussitôt que le général Cavaignac avait dit vrai , et que si le coup d'Etat ne se faisait pas le jour même, il se ferait très-prochainement, et que M. Saint -Arnaud en serait l'instrument principal. Je n'ajouterai rien à cet épisode. Tout le portrait de M. .Saint-Ar- naud est là. Quant à l'expédition de Kabylie, il est certain que ce général était tout à fait propre à la bien conduire. Cette expédition devait visiter les tribus contenues dans le triangle montagneux compris entre Philippeville, Djidjelli et Milah. M. Saint- Arnaud réunit dans cette dernière place les troupes qui devaient la former, ^ oici le journal de ses opérations et des opérations corol- laires d'après les documents ' mêmes du ministère de la guerre. Nous les publions textuellement afin de n'être accusé par personne d'avoir apporté dans l'histoire les passions de la politique. On remarquera que dans ces documents, mis au jour sous le ministère de M. Saint- Arnaud , son nom seul est prononcé. o Deux brigades , commandées par les généraux Bosquet et de Luzy, ayant avec eux les colonels Espinasse, Marulaz, Jamin et d'au- tres, étaient organisées. Elles comprenaient douze bataillons (environ neuf mille cinq cents hommes) et huit pièces de campagne. Elles commencèrent leur mouvement le 8 mai et bivoua(juèrent le 10 sur rOued-Dja; le 1 1, elles atteignirent le Fedj-Beïnem, et descendirent jusqu'au fond du ravin où coule l'Oued-Dja. Cinq à six mille Ka- byles les attendent à la sortie de ce ravin. L'ennemi s'est fortement retranché dans les villages qui dominent le pays. Mais bientôt la po- sition de Kazen est enlevée à la baïonnette par trois colonnes d'at- taque qui s'élancent avec ardeur, renversent tout ce qu'elles rencon- trent sur leur passage, et occupent les trois cols des Ouled-Askar. Les pertes de l'ennemi sont attestées par les nombreux cadavres qui couvrent le champ de bataille. • Le lendemain 12, tandis que le reste de la division prend le re- pos qu'elle a bien gagné, quatre bataillons sans sacs et la cavalerie partent pour aller brûler les villages des Beni-Mimoun et des Ouled- Askar. Nos pertes sont minimes comparativement à celles éprouvées par les l\abyles, qui cherchent en vain à défendre leurs habitations. » La journée du 13 fut meurtrière : le pays à parcourir était d'une extrême difiiculté ; le sentier étroit dans lequel le convoi dut être en- gagé serpentait au milieu de taillis épais, dominés de tous côtés par des positions que l'infanterie devait successivement occuper et éva- cuer en marchant. Des engagements très-vifs, où nos troupes conser- vaient, comme toujours, leur supériorité, avaient lieu en tète, en queue et sur les flancs. » Le 14 mai, la division soutint, comme la veille, des engage- ments très-vifs, tout en continuant à descendre, au milieu de sen- tiers impraticables, vers l'embouchure de l'Oued-el-Kébir. Partout l'ennemi fut forcé de nous livrer passage. Bientôt, le pays s'élargissant, on sortit du massif montagneux pour entrer dans la plaine. Le 15, avant de quitter le bivouac de Djenaah, une attaque fut dirigée contre les plus beaux villages des deux rives de l'Oued-el-Kébir; mais déjà l'ennemi n'opposait plus qu'une faible résistance. » Le Ifi , M. le général Saint-Arnaud établissait le bivouac sous les murs de Djidjelli , où M. le gouverneur général était arrivé dans la nuit du 1 1 afin de juger par lui-même de la situation et aviser aux moyens de parer à toutes les éventualités. » D'après ses ordres, une colonne de troupes fournie parla division d'Alger se porta en avant de Sélif, sur la route de Bougie, de ma- nière à rétablir les communications entre ces deux villes et châtier les tribus qui s'étaient laissé entraîner par Bou-Baghla. » Deux jours de repos furent donnés aux troupes du général Saint- Arnaud avant de reprendre leur marche victorieuse. M. le gouver- neur général continua, le 17 au soir, sa route pour Philippeville. » Dans la matinée du I 0 la division quitte Djidjelli et va établir son campa Dar-el (juidjali , au centre des lieni-Aniran. Dix bataillons sans sacs se forment en trois colonnes et s'élancent avec la cavalerie et l'artillerie sur les hauteurs que les masses kabyles occupent à gau- che du camp, l'iien ne |ieul résister à l'élan de nos soldats; en ]ieu d'instants, toutes les positions sont enlevées à la baïonnette, et l'en- nemi, poursuivi pendant plus de deux heures, éprouve de grandes pertes. La cavalerie salue bon nombre de fuyards : plus de cin(|uante villages, entourés de vergers et de jardins, sont ravagés; en outre, les Beni-Amran, Beiii-Klietab et Beiii-1' ouglial , principales tribus du cercle de Djidjelli, comptent une centaine de morts et se retirent avec un très-grand nombre de blessés. » Le lendemain .'O, la division obtient un succès plus important et ])lus décisif. Les Kabyles couronnent une ciète boisée- à quatre kilomètres du camp ; leur gauche s'appuie à un ravin profond et es- ' Tableau des établissements français en Algérie (l8o1-1852). ABD-EL-KADER. '9 carpe, tandis que leur droiie tourtie a une plaine peu accidenlée et terminée iiar un pUleni qui, s'aliaissant p,ir iiiameUins l'taijés, permet de tournei' la position et d'arriver par derrière ju-qii'au ravin de gauche. I,es mouvements de nos troupes s'exécutent avec une célé- ritc admirable : la cavalerie sabre tout ce qu'elle rencontre dans la plaine, et arrive bientôt au seul passage de retraite des Kabjles; mais déjà l'infanterie, lancée au pas de course, occupe lis princi- pales hjuleurs; l'ennemi est précipité dans le ravin, fusillé à bout portcint par nos soldais à travers Its broussailles et les rochers. 11 laisse sur le terrain trois ou quatre cenls hommes, sans autre perte de noire côte que trois tués et six blesses. Le général Saint-Arnaud reçoit le lendemain la soumission des Beni-Ahmed, des Heni-Klictab et des trois grandes fractions des lieni-Amran, les Achaïch, les Ou- led-Bouïra et Ouled ben-Acliaïr. • Le '2i , la division arrive à Tibaïren, dans le Ferdjiouali; le 25, deux bataillons et deux obusiers de montagne se séparent de la co- lonne pour aller rallier les troupes opérant dans le cercle de Bougie. i> A peine arrivé au milieu de Beni-Fougbal, le général Saint Ar- naud attaque les rassemblements qui voulaient lui disputer le pas- sage : il les culbute pendant les journées des 2C et 27, leur tue beaucoup de monde et incendie leurs villages, sans perte de notre côté A partir de ce moment, la division s'avance sans avoir à tirer un seul coup de fusil. Les lieni-Foughal viennent faire leur soumis- sion et nous livrer des otages ; la plupart des tribus situées à l'ouest suivent le même exemple en déclarant qu'elles renoncent à faire la moindre résistance. La colonne retourne se ravitailler à Djidjelli. » Pendant ces glorieuses et pénibles opérations, la colonne qui surveillait le pays compris entre Bougie et Sétif avait à soutenir plu- sieurs engagements avec les contingents que Bou-Baghia avait réunis. » Le 23, un rassemblement kabyle se montre sur les hauteurs qui dominent le camp établi à Elina-ou-Aklou. Le commandant de la co- lonne prévient l'attaque de Bou-Baghla. Trois bataillons sans sacs s'élancent sur l'ennemi et le forcent à abandonner le terrain, oit il laisse une cinquantaine de tués. Les Kabyles sont poursuivis au loin; six de leurs villages sont brûlés. Cette affaire ne nous coûte qu'un blessé. Le lendemain 24, une colonne légère sort du camp pour cn- 'i lever le village assez important d'Elmaïca, chez les Ouled-Khalifa. ! Les Kabyles, disper,-.és la veille, se rassemblent au plus tôt et veu- ' lent défendre la position; mais la colonne tient bon jusqu'à l'arrivée du reste de la brigade qui s'avance à son secours. Les Kabyles, vi- goureusement chargés par nos cavaliers, lâchent bientôt pied, et la colonne rentre au camp sans coup férir. » La jonction des troupes détachées de la division du général Saint-Arnaud avec la colonne du cercle de Bougie s'effectue à Elma- ou-Aklou dans la journée du 30. « Dans la subdivision de Médéah , les dispositions des Ouled-Nayl nécessitent, dans les premiers jours de mai, l'envoi dans le sud d'une colonne forte de quinze cenls hommes d'infanterie et de cava- lerie : elle s'établit ii el-Hammam, rétablit le calme dans le pays et assure la rentrée des impôts. » De son côté , le général commandant la subdivision de Tleincen parcourt, avec la cavalerie disponible, les tribus qui avoisinent notre frontière du Maroc. Il saisit cette occasion pour demander aux Beni- Draïr un compte sévère de leurs incursions continuelles sur notre territoire. Dans les journées des 8 et 10 mai, il se porte au milieu de leurs récoltes , qu'il détruit en partie. Les Beni-Draïr se dispersent après une fusillade insignifiante. Au nombre des hommes tués par nous se trouve un shérif qui cherchait à les pousser à la guerre sainte. Au bout de quelques jours, la colonne rentre à Tlemccn. » Un aventurier, auquel Bou -Bighla avait confié la mission d'in- surger le pays arabe de la division d'Alger, parcourait depuis quel- que temps les cercles de Boghar, Tenïelel-Ahil et Alilianah. Il avait pris le nom de Bou-Maza, et répandait le trouble sur son passage; mais bientôt, poursuivi avec vigueur par quelques cavaliers que di- rigent les officiers chargés des affaires arabes, cet agitateur est surpris dans la journée du ^ juin chez les Ouled-Kosseir-dharaba (subdivi- sion d'Orléansville). Il est immédiatement mis à mort, et sa tète en- voyée il Slilianah. » Mdis revenons aux opérations plus importantes qui se poursui- vent dans les cercles de Sétif, Bougie, Djidjelli et Collo. )) Ralliée, le :îO mai, par deux bataillons de la division du général Saint-Arnaud, la colonne destinée à opérer dans le cercle de Bougie se met en mouvement le 1" juin, et forme son camp de l'autre côté de l'Oued-bou-Sellam, en se rapprochant de la montagne des Ghe- lioula occupée par le shérif Bou-Haghia. La fusillade s'engage bientôt entre les cavaliers kabyles et le goum de Sétif. Quatre bataillons sont dirigés sur les pentes escarpées au haut desquelles se déploient les drapeaux du shérif. Le feu de l'ennemi ne peut ralentir l'élan de nos troupes. Poussés par les zouaves qui gagnent leur gauche, les kabyles dégarnissent les hauteurs, et descendent par leur droite le long de la vallée de Bou-Sellam. Cette retraite leur est coupée, cl la déroute devient complète. Les pertes de l'ennemi se montent à plusieurs cen- taines de morts et de blessés, la musique du shérif, sa tente, ses bagages tombent en notre pouvoir; |)lusieiirs villages sont brûlés. Bou-Baghla découragé cherche un refug„ chez les Beui-\ala. Dès le soir de ce glorieux combat, les Gheboula et les tribus voisines vien- nent au camp faire des offres de soumission. i> Reprenant le cours de ses opérations aux environs de Djidjelli, le général de Saint-Arnaud quitte de nouveau cette ville, le 5, à la tête de sa colonne, qu'il dirige vers l'ouest, au milieu des tribus qui, quelques jours auparavant, s'étaient contentées de faire des promesses qu'elles n'avaient nulle intention de tenir. 1) Le 9, le général atteint les Beni-Aïssa, dont il brûle les villages. Cet engagement suffit pour décider les rebelles ii faire leur soumis- sion. Le lO, la colonne bivouaque chez les Buni - Maad , tribu consi- dérable où se trouvaient réunis tous les contingents des Ouled-lNabet, Ouled-Ali et Beni-Marmi. Pendant deux jours, nos troupes curent. à enlever les positions occupées et défendues avec acharnement parles Kabyles. L'ennemi , poursuivi sur tous les points , perd beaucoup de monde dans ces combats; les Beni-Maad et les Beni-Marmi n'ont d'autre parti à prendre que d'accepter nos conditions. » La division marche, le 1 2 , surZiama, et rencontre les contin- gents des Ouled-lN'abet et des Beni-Segoual prêts à lui disputer le passage du col qui sépare les bassins de l'Oued-Mansouria et de l'Oued- Ziami. Les Kabyles ne pouvant résister à l'ardeur de nos troupes, lâchent bientôt pied et nous abandonnent la position. Le soir même, le général voit arriver au camp les Ouled-Nabet et les Beni-Segoual, qui demandent l'aman. 1) Cet exemple était suivi le lendemain par les Beni-Bou-Youcef du cercle de Bougie. » La soumission des tribus placées i> l'ouest se trouvant ainsi com- plétée, le général de Saint-Arnaud put rentrer le IG à Djidjelli, et se préparer a visiter le massif de Collo. )i Pendant ce temps, nous continuions nos opérations contre le shérif Bou-Baghla et poursuivions notre marche sur Bougie sans ren- contrer de résistance sérieuse. Le shérif, suivi d'un petit nombre de cavaliers, reculait devant la colonne, qui, le I .') juin, arrivait sous Bougie, après avoir obtenu la soumission de toutes les tribus placées sur son passage. » Rallié par deux bataillons qui étaient dans la place , le général se remet en marche le 17, par la vallée de l'Oued-Saliel, en suivant les traces de Bou-Baghla, qui s'efforce de pousser les Beni-Iminel à nous faire une vigoureuse résistance; le 18, une reconnaissance de cava- lerie sort de notre bivouac sur l'Oued-Amacin , et va incendier les moissons sous les yeux du shérif; celui-ci refuse le combat, cl juge prudent d'abandonner les Beni-lmmel, et de se réfugier chez les Ouzellaguen, sur la rive gauche de l'Oued-Sahel. Au bout de quatre jours, les Beni-Itnmel se décident à faire leur soumission. L'exemple porte bientôt ses fruits, et la terreur devient générale. Les Beni- Mansour, les Tifras et les Beni-Our;;lilis s'empressent de demander l'aman, tandis que les Messisna, MeLaha et Beni-Aïdel entrent en pourparlers. 1) Le 24 juin, la colonne bivouaque chez les Ouzellaguen, cl, le 25, elle se trouve en présence des contingents kabyles entourant le village d'IrilINetara. Trois colonnes sont aussitôt formées et lancées sur l'en- nemi. Malgré les difficultés sans nombre que présente le terrain, nos braves soldats enlèvent en quelques instants le village d'iril JNelara, chassent les Kabyles qui s'y éliient retranchés, et poursuivent le shérif jusiju'au col d'Akladou. Après avoir incendié plusieurs villages des Ouzellaguen, nos troupes regagnent leur camp sans que leur ar- rière-garde soit inqiiiélée dans sa marche. Les perles des Kabyles, dans celle journée, avaient été considérables, et nos colonnes quittè- rent les villages en feu iiar des sentiers jonchés de cadavres d'hom- mes et de chevaux tués à l'ennemi. 11 Deux jours après, les Ouzellaguen, dont nous voulions la com- plète soumission, se décident a rompre les iiéi;ociations qu'ils avaient entamées, cl à courir de nouveau aux armes; les Zonaoïia conduits par Bou-Baghla jurent de les défendre. Le 27, le combat s'engage; mais bientôt nos soldats gravissent au pas de course les pentes des crêtes occupées et défendues par les Kabylis; ceux-ci lâchent pied, et regagnent en toute hâte le col des lieni-Mjer, d'oii le shérif regar- dait prudemiiienl la déroule de ses partisans. La leçon avait été rude; le soir, tous les Ouzellaguen, sans exception, se rendent à merci. u Pendant que ces événements s'accomplissaient dans la vallée de l'Oued-S ihel , le général de Saint-.Vrnaul continuait à soumettre les tribus à l'est de Djidjelli. Parti de cette ville le 13 juin, il allait cam- per sur l'Oued iMencliar, et gagnait le lendemain le jiays de> Beni- Ider, qui tentèrent vainement de lui disputer le passage, et durent s'éloigner en désordre après avoir laissé une quarantaine de cadavres sur le terrain. Trois des cinq fractions dont se compose la tribu viennent, le 20, demander l'aman; mais les deux aiitics relurent toute soumission, et essayent, |)ar une allique de nuit, de siirprondie notre bivouac; celle folle tentative écli me devant U bravoure et le sang -froid de nos soldais. i> Le 21, la colonne arrive au sommet du TaUar, position militaire qui domine le territoire des Ouled-Askar, la vallée de l'Oucd-el- Kebir et une grande étendue du pays. Culbutés par ip el([ues batail ' Ions lancéa sans sacs, les Beni-Ider savent ce que leur coûte leur velléité de résistance; le même jour, toutes les fractions se soumet- tent sans condition. 80 ABD-EL-KADER. » La journce du 22 est employée à donner la chasse aux contin- gents qui se montrent sur les crêtes en vue du camp; le soir, les Béni Marner et les Beni-Ftah arrivent auprès du général, et, le len- demain, les Ouled-Asker implorent également l'aman. » Arrivée le ï4 sur le territoire des Beni-llabilii , la colonne est accueillie à coups de fusil; mais les Kabyles payent cher cet acte d'hostilité. Leurs villages sont enlevés de vive force par nos batail- lons, dont l'élan e^t irrésistible. L'ennemi laisse sur le terrain plus de 200 cadavres. A partir de ce moment la soumission des Beni- Ilabibi est complète. » Le général de Saint-Arnaud quitte le 20 la position de ïabenna et descend à kounar, sur le bord de la mer, pour se ravitailler; pen- dant cette marche, l'arrière-garde se voit tout à coup assaillie avec acharnement par trois mille Kabyles. Le terrain est disputé pied à pied; on se mêle, on lutte corps à corps avec ces inlré()ides monta- gnards qui ne battent en retraite qu'après plusieurs retours oITensifs vigoureusement soutenus par l'arrière-garde; cent vingt Kabyles sont étendus sur le terrain; deui cent cinquante sont bles;>és. Les contingents de quatorze tribus avaient pris part à cette sanglante affaire, (|ui compléta pour nous les résultats obtenus par les combats précédents. Les Ledjeuuah et les lieui-Sjlah nous livrent immédiate- ment des otages et demandent grâce. » En ce moment, sur un autre point de l'Algérie, éclatait une in- surrcciion qui aurait pu devenir sérieuse si des mesures énergiques n'avaient pas été prises pour l'étouffer. Deui; colonnes parties d'Or- léansville et de Mostaganem durent se mettre eu campagne pour faire rentrer dans le devoir la grande tribu des Achacha qui refusaient le payement de l'impôt et voulaient prendre les armes. Arrivées le 28 juin dans le Dahara, sur le territoire des rebelles, les deux colonnes eurent bientôt raison de celte tenlalive insensée. Un rude châtiment fut infligé aux Achacha; de nombreux troupeaux et beaucoup de pri- sonniers leur furent enlevés; nos troupes ne regagnèrent leurs gar- nisons qu'après l'acquittement des impôts cl le désarment de la tribu entière. » La complète soumission des Ouzellaguen, après la journée du 27 juin, avait permis à la colonne de Bougie de se diriger sur Akbou le :in, et d y séjourner les l'^"' et 2 juillet. Réunis sur ce point, les gens d Illoula, Ouzellaguen, Béni Ourglilis , lîcni-Aïlel et Beni- Abbès, jurent, entre les mains de notre marabout de Chellala, Si- bcn-Ali-Sliérif, une alliance pour le mainlien de la piix du pays contre les lenlitives de Bou-B|ué p.ir des " onl'.iigents des Ouled-Aï.loun , Ouled-Auia, Onlird-Aoïihal. L'en- nemi, allcii lu à dix pas avec le plus grand sarg-froiil par nos trou- pes, est iiroiiipti-iiieul ciilljulé cl se retire en désordre laissant entre l;os ma'iis une douainc de cadavres. » Le 1 , la division arrive sur le territoire des Djebala, qui occu- pent les crêtes et paraissent disposés à défendre leurs villages; deux colonnes légères enlèvent les positions au pas de course, brûlent les trois villages, et s'élancent dans toutes les directions à la poursuite des fuyards. Celte action vigoureuse décide la soumission immédiate des Djebala et des Beni-Fergan. » Le général de Saint-Arnaud se porte, le 0, chez les Mechat, où il trouve également sous les armes de nombreux rassemblements. Le succès de noire attaque est complet, elle soir la division établit son bivouac chez les Ouled-Aïdoun. » Avant de pénétrer dans le massif de Collo, le général fit venir des vivres de Milah, sous la protection de cinq cents homme? d'in- fanterie et des goums, et évacua sur cette ville ses blessas et ses ma- lades. Ce temps de repos donné à la colonne est employé à peser sur les t'ibus des environs de manière à les dégoûter de la résistance. Au bout de quelipies jours, les Ouled-Aïdoun, les Ouled-Ali, les Ouled-Aouhat, les lieni-Aïcha, les Beni-Khi-tab-Chéraga el les Ouled- Askar, une des plus puissantes tribus du Zouagha, renoncent à la lutte et reconnaissent notre autorité. )) Chaque jour de marche de la colonne se dirigeant sur Collo est signalé par de nouveaux succès. Le général quille , le I 2 juillet, son bivouac d'El-!Milia, et fait incendier les villages de la seule fraction des Ouled-Aïdoun restée insoumise. Les pertes des Kabyles sont con- sidérables; les nôtres, au contraire, insignifiantes. "Le 13, les Ouled-AïJoun insoumis , les Beni-Toufout de la mon- tagne, les Ouled -Allia, les Beni-Ishak, les Achach, attendent la colonne dans le lit de l'Oued-Yzotigar, dans l'espérance qu'ils pour- ront lui disputer le passage. Une fusillade de flanc amuse l'ennemi, tandis que le général engage le gros de sa colonne sur les crêus el vient établir sou bivouac sur l'Oued-Driouat , affluent de l'Oued- Guebli. » Le lendemain, la colonne arrive à el-IIammum, el, le 15, elle bivouaque sous Collo. ■■> La terreur était grande dsns cette ville, car, avant l'arrivée de nos troupes, le kaïd des Beni-Mchenna avait voulu rassurer les Col- liolles en tentant un coup de main sur les Achach insoumis; malheu- reusement il avait échoué, et les Achach, à leur tour, soutenus par les Beni-lshak, vinrent menacer la ville. Elle n'évita leur attaque que par suite de la présence de la corvette à vapeur /e Tiliin qui, embossée dans la rade à une petite portée de canon, suffit pour tenir les Kabyles en respect. > Le iC, les villages des Achach sont brûlés par deux colonnes lé- gères qui tuent en outre il 1 ennemi une trentaine d'hommes. )) La division enlève, le 17, les quatorze villages des Beni-Iakhs, el met en déroute un rassemblement de sept cents fusils environ des Ouled- Attia, Beni-lshak , Aïchaoua , qui, établi dans une bonne po- sition, semble en mesure de faire une vigoureuse résistance. Ataqués de front par nos soldats, les Kabyles cherchent leur salut dans un ravin profond; mais bientôt une charge de cavalerie leur coupe la retraite, tandis que l'infanterie les poursuit la baïonnette dans les reins; plus de cent cadavres ennemis restent sur le terrain. » Le lendemain, les Achach dernand.iient grâce en ramemnt au camp les chevaux enlevés par eux au commencement de la cam|)gne aux cavaliers de l'escorte qui suivaient à Collo le commandant supé- rieur de Philippeville. u La soumission de toutes les tribus du cercle de Co'lo se trouvait complétée par les résultats obtenus dans les deux dernières journées. Les Aïchaoua étaient neutralisés jiar l'influence du kaïd pris dans leur sein et placé à la tête des Colliottes ; les Achach avaient reconnu notre autorité; les Beni-lshak étaient réduits ii l'impuissance par l'in- cendie de leurs villages et la perte de la plupart de leurs défenseurs; les Ouled-Auia, rudement châtiés, avaient regagné eu toute hâte le sommet de la monlague d'El-(jouffi. Le temps étiit venu pour nos troupes de prendre dans leurs garnisons un repos nécessaire après une série d'opérations pendant lesquelles elles avaient, malgré les difficultés du terrain, tenu la campagne durant quatre-vingts jours, parcouru six cciil quar.inte kilomi-tres, vaincu les Kabjlesdans vingt- six rencontres dillércnles. La colonne se sépare; trois bataillons se reiulenl à l'hilippevi le ; sept bataillons sont dirigés par la vallée de l'Oued-Ciuebli, afin que leur pissge imprime une ciainle salutaire aux tribus voisines de nos colonies agricoles. • Le général Sainl-Aruaud fut |ieii de temps après appelé en Frince, oii il eut aux événeuicnls de décembre I S j i la pari que tout le monde sait. Pcnd.ant ce temps, les troupe» de la suMivision de Bone repous- saient une fausse alta(|uc de contingents tunisiens commandés par le kaïa du Kef. D'un autre côté, Bou-15 iglila, qui s'elail rcingié chez les lieni-Sedka, in()uiéla les populations de l'agbalik de Sebaou. Il fut encore chassé de la et forcé de se retirer jilus avant dans les nionta- fjnes. Il réussit de sa retraite ii soulever les Flissahs, contre lesquels il talliit conduire une expédition dans laquelle le gouverneur général intérimaire fil preuve d'un grand talent, tn (|iielqiies jours il dispersa tons les principaux al iés de liou-1! iglila , repoussa ou prévinl les atla(|iies de celui-ci, el oblint la soumission des l'iissahs. Une trahison sauglanle des Larbaâ dans le sud de la province d'Al- ABD-ELKADER. 81 ger eut lieu à la même époque. Elle motiva une vengeance à laquelle nous assisterons bientôt. CHAPITRE XLII. Événements militaires de 1852. — Encore Bou-Baghia. — Mise en liberté d'Abd- el-Kdder. — L'émir à Paris. — Son envoi à Brousse. Les é-vénements accomplis en France en décembre 1851 ne pro- duisirent aucun effet en Afrique. Leur seul résultat fut d'y cuvoyei de nouveaux colons temporaires sous le nom de transportés. Les in- dipt'ues ne parurent pas se douter du cbangemcnt de gouvernement. Cependant l'homme à la mule , entêté comme son nom , ne se tenait pas pour battu. Les Kabyles attendaient un chef des chefs, un vain- ; queur par excellence, un mouta-sad qui devait nous chasser de l'Afri- i que. Déjà beaucoup de tribus rei;ardaient Hou-IJaijhla comme étant ce chef promis. Il eut en effet de nouveaux succès aussitôt que les colonnes expéditionnaires furent rentrées. Mais nos alliés les Heni- Ourglis lui infligèrent une défaite sanglante le 27 janvier, et le for- cèrent à se retirer derrière les Meni-Idjer. Un autre bien plus grand échec pour lui, ce fut la soumission du chef politique et religieux de la grande confédération des Zaouas, Sidi-el-î)joudi. A la même époque, des troubles eurent lieu du côté des Larbaà et du côté de Tadijcmour et de Laghouat. 11 devint également néces- saire de mettre un terme aux entreprises des maraudeurs du Maroc, qui formaient une véritable petite armée composée des lieni-Drar, des Mzaoucr et des Ouled-Sgher. Ils furent taillés en pièces. On prit leurs troupeaux et l'on détruisit leurs douairs. On jugeait aussi nécessaire de recommencer une expédition de Kabylie, dont le but devait être de mettre une garnison française à CoUo. Lit, un certain Bou-Seba avait remplacé liou-liaghla. Ses con- tingents furent battus le '21 avril. D'un autre côté, le shérif d'Ouar- gla, dans le cercle de Biskra, entrait en révolte ouverte et poussait jusqu'au Ziban. 11 fut également battu à Lalifia près de Mili. Mais la diversion produite par lui et par diverses insurrections dans la province de Constantine, notamment par celle des Ouled-Dlian, força la colonne expéditionnaire de Kabylie à rentrer vers le sud-est pour contenir le pays, où tout était en mouvement. Des attaques, dirigées contre les Beni-Salah, les llanenchas et les Ouled-Dhan, mirent seules un terme momentané .i l'insurrection. Elle recommença bientôt chez les Ouled-Mahlioub, qui, cernés par trois colonnes, perdirent en une seule journée douze mille têtes de bétail (17 octobre). Vers cette époque avait lieu en France un grand éx'énement. Louis-Napoléon Bonaparte, président de la républic]ue, au retour d'un voyage dans le midi de la France, rendait tout ii coup la liberté à Abd-el-Kader. Nous allons laisser parler le Moniteur au sujet de cet événement considérable, dont nous abandonnons l'appréciation à l'avenir. « Paris, 17 octobre. » Le prince a marqué la fin de son voyage par un grand acte de justice et de générosité nationale; il a rendu la liberté à l'ex-émir Abd-el-Kader. Depuis longtemps cet acte était arrêté dans sa pensée; il a voulu l'accomplir aussitôt ([ue les circonstances lui ont permis de suivre sans aucun danger pour le pays les inspirations de son cœur. Aujourd'hui la France a dans sa force et ses droits une trop légitime confiance pour ne pas se montrer grande envers un ennemi vaincu. i> Au retour de son voyage, le prince s'est arrêté au château d'Am- boise. Il s'y est fait présenter Abd-el-Kader, et lui a appris en ces termes la fin de sa captivité ; « Abd-el-Kader, » Je viens vous annoncer votre mise en liberté. Tous serez conduit )> à Brousse, dans les Etats du sultan, dès que les préparatifs néces- » saires seront laits, et vous y recevrez du gouvernement français un i. traitement digne de votre ancien rang. u Depuis longtemps, vous le savez, votre captivité me causait une Il peine véritable, car elle me rappelait sans cesse que le gouverne- u ruent (pii m'a précédé n'avait pas tenu les en];.i|;ciuents pris envers Il un ennemi niallieureux, et rien à mes yeux de plus humiliant pour u le gouvcrneiuent d'une grande nalinii (pie de méconuaitre s,i force •I au point de manipier à sa promesse. La générosité est toujours la Il meilleure conseillère, el je suis convaincu (|ue votre séjour en » Turquie ne nuira pas à la trancpiillité de nos possessions d'Afrique. » Votre reli(;iou, comme la nôtre, apprend à se soumettre aux dé- » erets de la Providence. Or, si la l''rance est maîtresse de l'Algérie, 11 c'est que Dieu l'a voulu, et la nation ne renoncera jamais à cette .1 conquête. >i Nous avez été l'ennemi de la l'rance, mais je n'en rends pas )i moins justice à votre courage, à votre caractère, à votre résigna- 11 tion dans le mallicur; c'est pourcpioi je tiens à honneur de faire )) cesser votre captivité, ayant pleine foi dans votre parole. » » Ces nobles paroles out vivement ému l'ex-émir. Après avoir exprimé à Son Altesse sa resi)cclueuse et éternelle reconnaissance, il a juré, sur le livre sacré du Koran, qu'il ne leuterait jamais de troubler notre domination en Afrique, et qu'il se soumettait, sans arrière-pensée, aux volontés de la France. Abd-el-Kader a ajouté que ce serait bien mal connaître l'esprit et la lettre de la loi du pro- phète, que de penser qu'elle permet de violer les engagements pris envers les chrétiens, et il a montré au prince un verset du Koran qui condamne formellement, sans ejception ni réserve aucune, qui- conque viole la foi jurée, même aux injkUles. » Aux yeux de tous les Arabes intelligents, la conquête de l'Afri- que est aujourd'hui un fait accompli; ils voient dans la constante supériorité de nos armes l'éclatante manifestation de la volonté de Dieu. » La politique loyale et généreuse est la seule qui convienne à une grande nation; la France saura gré au prince de l'avoir suivie. » Abd-el-Kader restera au château d'Amboise jusqu'à ce que toutes les mesures soient prises pour assurer sa translation et sa résidence à Brousse. » Maintenant, quelle était la véritable pensée de Louis-Napoléon Bo- naparte eu mettant Abd-el-Kader en liberté? Etait-elle seulement le résultat d'une conviction relative aux engagements du gouvernement de Louis-Philippe? Etait-elle une représaille à l'adresse des géné- raux d'Afrique qui avaient été opposés à la politii|ue du président de la république? Etait-elle le résultat du souvenir de la conduite des Anglais à la suite de la confiance mise en eux par Napoléon vaincu à Waterloo? S'il nous est permis de dire notre opinion, la voici. Déjà les symptômes des troubles qui agitent aujourd'hui l'Orient sur- gissaient. Il pouvait être un jour avantageux à la France d'avoir dans l'Asie-Mineure un allié aussi entreprenant et aussi célèbre qu'Abd- el Kader, lequel pouvait, de quelque côté qu'il se déclarât, mettre un grand poids dans la balance. Nous croyons que ce fut là une des prévisions du président de la république, habitué, comme on le sait, à garder secrètes ses pensées d'avenir. Quoiqu'il en soit, la promesse faite à Abd-el-Kader fut prompte- ment tenue. (Quelques jours après l'entrevue d'Amboise, il obtenait l'autorisation de se rendre à Paris, oii la légèreté de notre caractère national l'accueillit en héros. Laissons parler encore ici le journal du gouvernement. « Paris , 30 octobre. I M. le ministre de la guerre a présenté aujourd'hui à S. A. le prince président, au château de Saint-Cloud, Abd el-Kader. !\L le général Saint-Arnaud était accompagné de M. le général Daumas, directeur des affaires de l'Algérie, et l'émir de M. le chef d'escadron d'artillerie Boissonnet, commandant du château d'Amboise; de M. iiellemare, attaché au ministère de la guerre; et enfin de Sy- AUah et de Kara-!Mohammed : le premier, cousin du fameux kalifa Ben-Allah ; le second, ancien agha de la cavalerie régulière de l'émir, aujourd'hui son intendant. u Pour la première fois peut-être aujourd'hui le palais de Saint- Cloud a entendu la prière d'un musulman. En attendant l'arrivée du prince, Abd-el-Kader a voulu accomplir ses devoirs religieux, et sans doute en s'adressant à Dieu il n'a pas oublié le généreux bien- faiteur qui lui a rendu la liberté. » Abd-el-Kader a été accueilli par Son Altesse avec une bienveil- lance marquée. Le prince, qui était entouré de tous les membres du cabinet et de la plupart de ses aides de camp, a relevé Abd-el-Kader qui s'inclinait pour lui baiser la main, et l'a serré dans ses bras avec effusion. II Après ces salutations , Son Altesse a offert à Abd-el-Kader de lui faire visiter le palais; mais l'émir a voulu auparaxant renouveler solennellement le serment (|u'il avait fait à Amboise, et il a demandé au prince la permission de lui adresser quelques paroles dont voici le résumé : a Monseigneur, » Vous avez été bon, généreux pour moi; je vous dois la liberté 11 que d'autres m'avaient promiiie, que vous ne m'aviez pas promise, u et que cependant vous m'avez accordée. .le vous jure de ne jamais » violer le sermenl ipie je vous ai fait. » Je sais qu'on vous dit i|ii<' je manquer.ii à mes promesses, mais • ne le croyez pas; je suis lié par la reconnaissance et i)ar ma parole; «'soyez assun- (pie je n'oublierai pas ce que l'une et l'autre imposent 11 à un desenid.int du prophète et à un homme de ma race. » Puis l'émir a ajouté : « Je ne x'eux ]ias vous le dire seulement de vive x'oix, je veux en- » core laisser entre vos mains un écrit cjui soit pour tous un témoi- » enaee du serment que je viens de renouveler. Je vous remets donc » cette lettre; elle est la reproduction fidi'le de ma pensée. i> » Le prince a répondu à Abd-el kader qu'il était d'autant plus tou- ché de cette démarelie qu'il n'avait exigé de lui aucune promesse, qu'il avait eu confiance en lui et qu'il avait trouvé une suflisante parantie dans la connaissance de son caractère. w 11 a ajouté que cette démarche spontanée de l'émir était une preuve qu'il avait eu raison de croire en lui. Il Voici la traduction de l'acte remis par Abd-cI-Kader à son Al- tesse : Cl Louange au Dieu unique ! 11 (Jue Dieu continue à donner la victoire à Napoléon, à notre 82 ABD-EL-KADER. seigneur, le seigneur des rois! Que Dieu lui vienne en aide cl dirige ses actions! » Celui qui est actuellement devant vous est l'aucien prisonnier que votre jjéncrosité a délivré, et qui vient vous remercier de vos bienfaits, Abd-el-Kader, lils de Mablil-cd-Din. » Il s'est rendu près de Votre Altesse pour lui rendre grâce du bien qu'elle lui a fait et pour se réjouir de sa vue ; car, j'en jure par J)ieu, le raaitre du monde, vous êtes, monseigneur, plus clier à mon cœur qu'aucun de ceux que j'aime. Vous avez fait pour moi une chose dont je suis impuissant à vous remercier, mais qui n'était pas au-dessus de votre grand cœur et de la noblesse de votre origine. Vous n'êtes point de ceu\ qu'on loue par le mensonge et que l'on trompe par l'imposture. » Vous avez cru en moi , vous n'avez pas ajouté foi aux paroles de ceux (jui doutaient de moi; vous m'avez mis en liberté, et moi je vous ai juré solennellement, par le pacte de Dieu, par ses prophètes et ses envoyés ■, que je ne ferai rien de contraire à la confiance que vous avez mise en moi, que je ne manquerai jamais à mes promesses, que je n'oublierai jamais vos bienfaits, que jamais je ne remettrai le pied en Algérie. Lorsque Dieu a voulu que je lisse la guerre aux Français, je l'ai faite ; j'ai fait parler la poudre autant que je l'ai pu; et quand il a voulu que je cessasse de combattre, je me suis soumis à ses décisions et je me suis retiré. Ma religion et ma noble origine me font une loi de tenir mes serments et de repousser toute fraude. Je suis f/u'c//' (descendant du prophète), et je ne veux pas que l'on puisse m'accuser d'imposture. Comment cela serait-il possible quand votre bonté s'est exercée sur moi d'une manière si éclatante :' Les bienfaits sont un lien passé au cou des gens de cœur. » Je suis le témoin de la grandeur de votre empire, de la force de vos troupes, de l'immensité des richesses de la France, de l'équité de ses chefs et de la droiture de leurs actions. Il n'est pas possible de croire que personne puisse vous vaincre et s'opposer à votre volonté, si ce n'est le Dieu tout-puissant. » J'espère de votre bienveillance et de votre bonté que vous me conserverez une place dans votre cœur, car j'étais loin, et vous m'a- vez placé dans le cercle de vos intimes ; si je ne les égale pas par mes services, je les égale du moins par l'amitié que je vous porte. • Que Dieu augmente l'amour dans le cœur de vos amis et la ter- reur dans le cœur de vos ennemis ! » Je n'ai plus rien à ajouter, sinon que je me confie à votre ami- tié. Je vous adresse mes vœux et vous renouvelle mon serment. » (Ecrit par Abd-el-Kader-ben-Mahhi-ed-Din. 30 octobre 1852.) » » Après le discours de l'émir, le prince lui a fait visiter le palais. Dans la conversation , quelques paroles heureuses ont été prononcées par Abd el-Kadcr. » On le présentait à M. le ministre de la justice, qui lui faisait re- marquer combien peu de rapports il y avait entre ses attributions et celles du ministre de la guerre : « Un bon empire, a dit l'émir, s'appuie sur la justice et sur l'ar- mée. » )) A plusieurs reprises, Abd-el-Kader a insisté sur l'erreur généra- lement accréditée qu'un musulman n'était pas tenu par le serment fait à un chrétien ; il a protesté énergiquement contre celte croyance. • L'émir, en parlant au prince de sa reconnaissance, lui a dit : n Mes os sont vieux ; (|uant au reste de mon corps, il a été renou- velé par vos bieiifiiits. « Il Son Altesse a bien voulu conduire lui-même \bd el-Kader dans sa visite aux écuries. 11 lui a montré ses chevaux de prédilection, que l'ëmir a beaucoup admirés. Il a été étonné de la beauté des écu- ries : « C'est un petit palais, » a-t-il dit. » Son Altesse a annoncé ii Abd-el-Kader qu'il le ferait assister pro- chainement à une grande revue de cavalerie et que pour cette revue il lui prêterait un cheval arabe. Le prince a ajouté i|ue, comme de- I)ui3 longtemps l'émir n'avait pas monté à cheval , il l'invitait à venir essayer lundi celui qu'il lui destine. » Cette bienveillance, ces attentions de la part de Son Altesse ont profondément ému Abd-el-kader. L'émir a (|uilté Saint-Cloud à deux heures. Sa visite, qui a duré près d'une heure et demie, a vi- vement impressionné tous les assistants : ils ont tous été frappés de la noblesse et de la dignité de ses manières, u Le lendemain, le ton était donné. Abd-el-Kader, jusqu'il son dé- part, fut l'objet de l'empressement de tout le monde ofliciel et d'une partie du public. Des directeurs de théâtre annoncèrent mèuie sa venue sur leurs atliches. Son audience d'adieu eut lieu le 8 novem- bre. Voici encore comment le Moniteur la raconta : « Paris, 8 novembre. » M. le ministre de la guerre a présenté aujourd'hui à S. A. le prince Louis-Napoléon Abd-el-Kader, qui doit quitter demain Paris pour retourner à Amboise. » Le prince a accueilli l'émir avec sa bonté accoutumée, et lui a annoncé ([u'il allait lui envoyer h Amboise un sabre arabe : • Ce sa- » bre, a dit Son Altesse, je vous le tant que le niveau des mers, et puissiez-vous accomplir tous vos » désirs ! 1) Je retourne à Amboise, car je sais que vous êtes occupé d'affai- » res considérables (que Dieu vous soit en aide!) ; mais je suis cer- » tain que vous ne m'oublierez pas plus si j'habite Amboise que si u j'habitais Paris. )> Je sais que la France demande que vous soyez nommé empe- » reur; vous méritez ce titre à cause de tout ce que j'ai vu, de tout u ce que j'ai appris. » J'espère que vous me donnerez la permission de venir à celle oc- u casion me réjouir à Paris avec tous ceux qui vous aiment, et, je n VOUS le jure, à moi seul je prendrai la moitié de la joie ; je n'en > laisserai que l'autre moitié à partager entre tous vos autres amis. ') Le salut de la part de celui qui vous remercie de vos bienfaits ! » ABD-EL-KADER-IiBN-MAIllll-ED-DlN. » (Ecrit cinq jours avant la tin de Moharren 12G9 de l'hégire.)» Voici enfin comment l'émir récompensa l'auteur de sa mise en liberté, toujours selon le Moniteur. « Paris , 22 novembre. » L'émir Abd-el-Kader a voulu donner une nouvelle preuve de sa reconnaissance et de son dévouement pour le prince. » Il a demandé à prendre part au scrutin pour le rétablissement de l'empire, et a adressé au maire d'Amboise la lettre suivante : «Louanges infimes a Dieu roua ses grâces infinies! » A monsieur le premier magistrat de la ville, Trouvé, maire » d'Amboise, salut ! » (L'émir) Sid-el-Hadj Abd-el-Kader a l'honneur de vous deman- » der à exercer le droit des citoyens de France pour la nomination » du sultan, car nous devons aujourd'hui nous regarder comme Fran- » çais par l'amilié et l'affection qu'on nous témoigne et par les bons 1. procédés qu'on a pour nous. )' Nos enfants ont vu le jour en France, vos filles les ont allaités ; )i nos compagnons morts dans votre pays reposent parmi vous, et » S. A. I. le sultan , juste entre les justes, généreux entre les géné- » reux, nous a rangés au nombre de ses enfants, de ses soldats en « daignant me remettre un sabre de ses mains impériales. Dieu soit )> propice au prince ! Qu'il perpétue sa puissance, sa grandeur et sa » gloire ! Amen! « «(Ecrit par El-Aadj-Mustaplia-ben-Ahmed-ben-El , le 9 de Sa- 11 far 1269. Thami (khalifa), par ordre de Sid-el Hadj Abd-el-Kader )) (20 novembre 1852). Dieu soit en aide à tous, et nous dirige dans » la voie du bien (pour traduction) par sa grâce et sa protection! » Amen ! » » Le maire de la ville d'Amboise a cru devoir obtempérer au vœu exprimé par l'émir, et a reçu son vote et celui de ses oflicieris dans une urne spéciale. >■ Après cet acte , Abd-el-Kader revint encore une fois à Paris, où il fut présenté au chef de l'Etat le 3 décembre. A un mois de là , le journal officiel annonçait successivement son arrivée à Messine sur la frégate le Labrador, sa visite a l'Etna, sa présentation au sultan de Constanlinople, et enfin son arrivée à Brousse le 17 janvier 1863. CHAPITRE XLIII. Derniers événements do l'Afrique. — Siège et prise de Laghouat. — Apprécia- lion générale. Les Arabes sont presque aussi oublieux que nou?. Le nom d'Abd- el-Kader était jiresque déjà oublié d'eux quand la ])oliti(|ue du gou- vernement français envoya libre sur les rives de l'A.îie celui qui avait si longtemps tenu nos armes en échec. Aucun trouble ne se nuinifesla. Les troubles (|ui eurent lieu furent la suite des événements immé- diatement précédents. Les principaux eurent lieu à Laghouat, dont le général Pélissier fut obligé d'entreprendre le siège. Laghouat ou El-Aghoiiat , chef-lieu de l'aghalik de ce nom, est si- tué à l'extrémité sud de la province d'Alprer, vers la région des sables. Nous avions été l'aiini-e précédente obligés d'y remplacer un agha vieux et incapable, nommé IJen-Salem. L'officier indigène laissé au- ABDEL-KADER. 83 près du fils de ce chef fut obligé de quitter la ville et de se retirer à Djelfa. Les troubles qui le forçaient à abandouner l.aijhouat étaient causés par le sliéiif de Oiiarj;la , quartier ou klialifalik (|iii s'étend au sud de Lagbouat au delà même des sables. Ce shérif, déjà plusieurs fois battu par nos troupes, menaçait de révolter toutes les frontières du midi. Une colonne mobile partie de Djelfa tomba tout à coup sur ses gens, qui étaient campés à Aïn-Ueig, leur tua deux cents liommes et leur prit deux mille cliameaui. Après ce désastre, iMoliamed-ben- Abdallah, c'était le nom du shérif de Ouargla, s'enfuit du côté d'EI- Aghoiiat. Les habitants l'y reçurent, et il jura de s'ensevelir avec eux sous les décombres de la ville, vers laquelle le général Pélissier arriva en toute hâte. Il y était le 3 décembre avec des forces sufli- sanles. La place qu'il avait a assiéger et à prendre est dominée par le ma- rabout de Sidi-el-IIadj-Aïssa. De là ou peut foudroyer Kl-Aghouat dont la défense consiste en trois grandes tours reliées par des cour- tines. Le général Pélissier fait enlever le marabout par le capitaine du génie Brunou et le brave Morand. Aussitôt, malgré le feu des assié- gés, une batterie est établie sur ce point culminant pour ouvrir la brèche par laquelle on entrera le lendemain. Durant ces opérations, le général Jusuf, qui commandait sous le général Pélissier, prit position à l'est de la ville, avec ordre de tenter une escalade de ce côté dès qu'un signal lui apprendrait l'attaque par la brèche. Enfin, la cavalerie, disposée en pelotons, cerna l'oasis de manière à n'en rien laisser échapper. Dès le matin, la batterie de Sidi-el-Hadj-Aïssa fait merveille. Mal- heureusement le général Bouscaren y est frappé d'un coup qui doit être mortel. Ce triste incident n'arrête pas l'acllvité du feu, qui, dirigé par le lieutenant Caremel, ne tarde pas à ouvrir la brèche. Aussitôt qu'on a reconnu celle-ci comme praticable, deux colonnes d'attaipie, aux ordres des commandants Barroisel Malafosse, appuyées d'une réserve que dirige Slorand, y pénètrent avec un entrain indes- criptible. Le général en chef et son état-major les y suivent. Une ar- deur à laquelle rien ne résiste entraine tout le monde. On se porte sur la maison du schériff, que le colonel Deligny fait enfoncer. C'est en courant à cet assaut que Morand est frappé d'une halle, qui, coinme le coup reçu par Bouscaren, sera mortelle. Le commandant Morand était l'ainé des trois fils du comte Mo- rand , l'un des meilleurs généraux de l'empire. Il aurait voulu entrer le premier à Lhsgouat, comme son père était entré le premier à Mos- cou. Son cœur bouillant ne le jeta qu'au-devant de la mort. Ses frères, dont l'un servait avec lui, dont l'autre, Alphonse Morand, est un de nos marins les plus distingués, ne déméritent pas d'un si beau nom. Cependant l'attaque continue. Tandis que l'on entre parla brèche, Jusuf exécute du côté est l'escalade qui lui a été commandée. Il le fait avec sa rapidité accoutumée et bientôt son guidon de comman- dement flotte avec celui du général en chef sur la Kasbah d'El- Agbouat. Mais malgré ces succès rien n'est fini, il faut prendre chaque mai- son. Une foule de combats particuliers s'engagent comme en 18 i7 à Zaatcha. Partout les soldats du schériff et les habitants, malgré leur courage, ont le dessous. Les cours de quelques maisons sont inondées de sang, et, suivant l'expression littérale du général Pélissier, pavées de cadavres. Quelques cavaliers seulement s'échappèrent par stratagème. Pres- que toute la population fut détruite. Comme bravoure, chacun, du côté de la France, avait fait son de- voir. Aussi jamais on ne cita dans uu bulletin plus de braves que n'en cita le général Pélissier '. La prise de Lagliouat termina l'insurrection sur le point sud de l'Algérie. Toutes les populations que l'on appelle saharrennes paru- rent soumises, et la bordure du midi de nos provinces rentra dans le devoir comme la bordure ouest et la bordure sud-est. Ce fut le dernier fait d'armes considérable de l'armée d'Afrique, L'année lS.'i:i n'a vu que des expéditions peu importantes. Ainsi que nous le disions ailleurs, l'œuvre de la conquête paraît finie. Quelques écrivains voudraient engager la France à la continuer du côté du Maroc. Nous espérons qu'elle résistera à cet entraînement. Elle a désormais autant de territoire qu'elle en peut garder et colo- niser sans sacrifices trop pénibles. L'epée a accompli son rôle. Elle l'a accompli dignement, en peu d'années comparativement aux dif- ficultés de l'entreprise. La gloire a été grande, les Arabes ont suc- combé en gens qui méritaient la liberté. Nous leur devons mainte- nant notre civilisation, et , nous le répétons, cette partie de la con- quête ne sera pas la moins dilhcile et la moins honorable, .lamais le cédant arma togœ n'aura nécessité des précautions plus habiles. 11 faut garder et coloniser : garder sans vexations, coloniser avec grandeur. Quant à nous, si, dans cette rapide esquisse, nous avons pu dis- siper (|uelques-uns des préjugés répandus sur notre armée d'Afrique, si nous avons restitué à des généraux fr.ippés depuis par nos révolu- tions une partie de leur véritable illustration, si nous avons résumé leur histoire de vingt-trois ans en termes qui ne seront pas trop au- dessous de l'entreprise, cela nous sufiira. L'avenir fera le reste. Mais que, dans tous les cas et ([uelles que soient les destinées de noire patrie, que la France n'oublie pas tout le sang qu'a coûté l'Al- gérie. Traîtres i[ui parleraient jamais d'elle autrement que d'une se- conde France ! ' Dans l'état-tnajor, les commandants Cassaigne et Joinville, les capitaines Henson , Faure, Beoudoin, le lieutenant Perseval ; parmi les officiers détachés aux affaires arabes, le lieutenant-colonel Deligny, le capitaine Gruord , les lieu- tenants Signol et RiUler, l'oga Si-Ahmet-Ould-Kader et le chaouch Ahmed-ben- Ahdallah ; dans l'artillerie, le lieutenant Caremel, les maréchaux des logis Millot et Lombard, les brigadiers Laulagnet et Giey, les canonniers Everard, Charles et Ueitz ; l'adjudant Betulle ; dans le génie, les capitaines Brunon et Schvennagel et le caporal Bonnet; dans le 50' de ligne, le lieutenant Brandt, le grenadier Page!, le voltigeur Ilein; dans le 60", le colonel Liniéres, le comman- dant Danget, le capitaine Lafond , les lieutenants Aussillous et Fay, les grena- diers Carbonnel, Marland et Vern.s*, dans le 1*^' régiment de zouaves, le capitaine Bessiéres, les lieutenants Hoquet et Romieu, le clururgien major Molard, le sous- lieutenant Romieu , l'adjudant 'Vincenti , le sergent Escolasse; au 2" des zouaves, les commandants Morand et Malafosse, les capitaines Defresne, Abatucci, Fer- mer, Ziegowiti, le lieutenant KIcber, le porte-drapeau Guyon, l'adjudant Castan, les sergents Vanderbach, Girardot, Vernard , Déjeune, les lieutenants Louis Morand, Lemontanier, de Norvins , le fourrier Bosc, les zouaves Giboteau, Ni- vicres, Dier, Hardas, Labalme , le clairon Hitz; au 1" bataillon d'Afrique, lo commandant Liebert, le sous-heutenant Viardot, le sergent Meyer ; au 10« de ligne, le comniamlant Pein ; au 2' bataillon d'Afrique, le capitaine Girard, les lieutenants Eniz et Lafond; aux tirailleurs indigènes d'Alger, le commandant Rose, le capitaine Giacobbe, le sous-lieutenant Chazolte, le lieutenant Chibbli, le sergent Mohammcd-Abd-cl-Kader; aux tirailleurs indigènes de Constantine, Mohammed-ben-Tliayeb ; au 1" de spahis, le commandant Frank, le capitaine Dubarrail , l'adjudjnt .Sève; au 2" do chasseurs d'Afrique, le lieutenant Gran- geneuve, le trompette Grumbacb; au 2» de spab;s, le fourrier Vasse, le spahis Mohammed Ou\d-el-Akersch ; au 1" de chasseurs, le lieutenant colonel Lichlin, le capitaine de Staël , le maréchal des logis Carcasson , le chasseur Dusy. TABLE DES GHAIUTRES. CinpirnK pnF..Miiîn. — Description sommaire de l'Algérie. — Sa géogra- phie, ses productions, ses divisions politiques, ses habitants. — Autres détails préliminaires. — Tableau chronologique de la conquête. 1 CiiAP. IL — Origine de la guerre entre la France et l'Algérie. — La créance Busnach et Bacri. — Le consul Deval et lo dey. — Ultimatum du gouver- nement français. i CiiAP. IIL — Le passé de l'Afrique. — Caithage, les Romains, les Numi- des, les Maures, les Vandales, les Arabes — Les dynasties du Maghreb. — Histoire sommaire des deys d'Alger. !'j Cii.iP. IV. — Prise d'Alger. — Forces de l'expédition. — Débarquement, combats. — Prise du fort l'Empereur. — Capitulation et départ du dey. 0 Ciup. V. — Commandement général de M. do Bourmont. — Expédition de lilidah. — La guerre n'est plus avec les Turcs , mais avec les Arabe». 8 Chapitre VI. — Comman Icment général de Clauzel. — Commencement do colonisation. — Expédition de Mcdcah. — Los França'S franchissent l'Atlas. — Fin du beyiich de Tittery. — Relations avec Oran et Con- stanline. 9 CiiAP. VII. — Commaniement du général Berthezène. — Nouvelle expé- dition de Médéah. — Le commandant Duvivier. — Les Arabes bloquent l'arméi' expéditionnaire. — Première expédition de Bono. — Le comman- di'int llouder. — Le général Boyer à Oran. 1 1 CuAP. VllI. — Commandement général du due de Rovigo. — Établissement de camps fortifiés. — Actes administratifs. — Massacre des OulTias. — Jusuf et d'Armandy à Boue. — Ben-Aïssa. ij Cii/\P. IX. — La plaine des Ghris. — Ahd-el-Kader et Mahi-ed-Din. — Naissance, amours et commencements de l'émir. — 11 est reconnu sultan. — Assemblée d'Ersébia — Portrait du nouveau chef des Arabes. t3 CiiAP. X. — Commandement du général Voirol. — Création du bureau arabe. — Lo capitaine la Moricière. — Expédition de Bougie. — Les Kabyles. 14 CuAP. XI. — Le général Desmichels a Oran. — Expédition de .Mostaganem. Accroissement d'Abd-el-Kader. — Premier traité avec lui. — Ligue contre son autorité dans la province. — Fautes du général Desmichels. t.") CilAP. XII. — Ordonnance constitutive dos possessions algériennes. — Gou- vernement général du comte d'Erloii. — Abd-el-Kader dans les provinces d'Alger et do Tittery. — Soulèvement des Douera et des Sniélas dans la province d'Oran. — Défaite do la Macla. 17 CiiAP. XllI — Gouvernement général du maréchal Clausol. — Le prince royal. — Mascara. — Le Sig. — Le Méchouar. — Le capitaine Eugène Cavaignac. — Expéditions diverses dans la province d'Oran. (g CiiAP. XIV. — Le général Bugeaud. — Ravitaillement de Tlemcon. — Com- bat do la Sickak. 30 CiiAP. XV. — La conquête générale de l'Algérie est décidée. — E»pédi- 81 ABD-EL-KADER. tiens dans la province d'Alger. — Première expédilion de Constantine. Revers. — Le duc de Nemours. — Le commandant Cliangarnier. — Remplacement du maréchal Claudel. — Sidi-Embarek. Chai>. XVI. — Le camp d'Abd-el-Kader. — Captivité de M. de France. — Tentative de l'émir pour établir sa capitale a Tékédempt. — Missions du général Damréniont et du général Bugeaud. — Traité de la Taffna. — Ses désastreuses conséquences. Chap- XVII. — Le général Damrémont dans la province d'Alger. — Ben- Zamoun. — Combat de Boudouaou. — Philippique de Clausel. — Seconde expédition de Conslanline. — Prise de cette ville. — Encore la Moricière. . — Le colonel Combes. — Le général Valée. Ciup. XVIII. — Développement de la puissance d'Abd-el-Kader. — Annexes au traité de la TalTna. — Guerres de l'émir contre les tribus. — Ses me- nées dans la province de Constantine. — Gouvernement général du ma- réchal Valée. — Expédition des Bibans. — Le duc d'Orléans. CuAP. XIX. — Rupture des traités entre la France et Abd-el-Kader. — Pro- clamation de la guerre sainte. — Nouveau passage du col de Mouzaïa. — Mazagran. — Fin du gouvernement du maréchal Valée. Chap. XX. — Gouvernement du général Bugeaud. — Première période de ce gouvernement. — Cavaignac à Médéah. — Ravitaillement de cette ville. — Combat du 3 mai 1841. — Défense de Coléah. — Expédition de Té- kédempt. — Le général Changarnier et Cavaignac sur l'Oued-Foddah. — Le général Négrier dans la province de Constantine. — Le colonel Noël. Chap. XXI. — Evénements de 1843. — Efforts de l'émir. — Le général la Moricière dans la province d'Oran. — Prise de la smala d'Abd-el- Kader. — Le duc d'Aumale. CiiAP. XXII. — Mustapha-ben-Ismael. — Sidi-Embarek; sa mort. — La nationalité arabe. — Le général Tempoure. — Le colonel Tartas. — Le brigadier Gérard. Chap. XXIII. — Le duc d'Aumale dans la province de Constantine. — Ahmet-Bey. — Combat du mont Aurès. — Première expédition dans la Kabylie parle général Bugeaud. — Ben-Salem. — Les deux manières de conquérir. — Le colonel Daumas. — Progrès de la conquête. CiiAP. XXIV. — Nos soldats. Chap. XXV. — Le Maroc. — Abd-el-Kader et Abd-er-Rhaman. — La poli- tique anglaise. Chap. XXVI. — Négociations armées du généril la Moricière et du général Bedeau. — Ouchda, Tanger, Mogador, Isly. — Le prince de Joinville. Chap. XXVII. — Continuation de la guerre. — Plans d'Abd-el-Kader. — Expéditions partielles de Kabylie. — Le général Gomnian. — Le comman- dant Charras. — Expédition du général Bedeau dans l'Aurès. CcAP. XXVIII. — El-Bou-Maza. — Insurrection du Dahara. — Exécution des Ouled-Riah. — Le colonel Pélissier. CiiAP. XXIX. — Les deux systèmes de colonisation. — Intérim du général delà Moricière. — Le général Cavaignac dans les subdivisions deTlemccn. — Surprise du lieutenant Marin. — Sidi-Brahim. — Le colonel Monta- gnac. — Le capitaine Dutertre. — Le capitaine Géraiid, — Le lieutenant Chappedelaine. 23 20 28 30 31 36 39 S 4 65 5G CiiAP. XXX. — Insurrection dans la province d'Oran. — Le colonel Walsin- Eslherazy. — Expédition du général de la Moricière pour venger les braves de Sidi-Brahim. — Combat d'Ain-Kebira. — Échecs de Bou-Maza. — Ketour du maréchal Bugeaud. 59 Chap. XXXI. — Fin de 1845. — Hésitations du maréchal Bugeaud ; désastre de Sélif. 60 Chap. XXXII. — 1846. — Persévérance d'Abd-el-Kader. — Ses entreprises précipitées sur tous les points de l'Algérie. — Assemblée kabyle défavo- rable à ses prétentions. — Combat de Ben-Nahar. — Succès des généraux la .Moricière et Cavaignac dans l'ouest. — Prise des Ouled-Riab. — Le faux sultan Sidi-Fadel. — Défection des Hachem. 61 CiiAP. XX.XIII. — Suite de 1846. — Désespoir des Arabes et d'Abd-el- Kader. — Massacre des prisonniers de la dcïra. — Massacre de Batna. — Des Tunisiens. — Séparation entre Bou-Maza et l'émir. — Délivrance des officiers de Sidi-Brahim. 62 Chap. XXXIV. — Soumission des Kabyles du Jurjura. — Le colonel Saint- Arnaud. — Reddition de Bou-.Maza. — Expédition des généraux Cavai- gnac et Renaud dans le Sahara algérien. — Fin du gouvernement du maréchal Bugeaud. 64 Chap. XXXV. — Intérim gouvernemental du général Bedeau. — Massacre des Hachems et des Beni-Hamers par les Marocains. — Gouvernement du duc d'Aumale. — Préliminaires de la reddition d'Abd-el-Kader. 06 Chap. XXXVI. — Le général Thierry. — Gouvernement du duc d'Aumale. — Le général la Moricière sur les frontières du .Maroc. — Nuit du 1 1 au 12 novembre. — Reddition des frères d'Abd-el-Kader. — Reddition de l'émir lui-même. 67 Chap. XXXVII. — Chute de la dynastie d'Orléans. — Tranquillité du pays. — La république en Algérie. — Départ des princes. — Changar- nier et Cavaignac gouverneurs temporaires. 70 CiiAP. XXXVIII. — Les généraux d'Afrique à Paris. — Bataille de juin. — Mort de Négrier, de Duvivier, de Damesme, de Bourgond, de Bréa. — Cavaignac chef du pouvoir exécutif. '71 Chap. XXXIX. — La colonisation en Afrique. — Résumé de son histoire depuis 1S30. — Les colonisateurs. — L'abbé Dupuch, les écrivains, les érudits. Ti Chap. XL. —- Années 1848, 1849, 1850. — Reddition de l'ancien bey de Constantine. — Période des aventuriers. — EI-HadjHamet, Sidi-Abd-el- Afidh, le faux Bou-.Maza. — Bou-Zian. — Siège de Zaatcha. — Prise de Bou-Saùda. — Prise de Nahra. — Le général Herbillon. — Les colonels Canrobert et Carbuccia. — Mort du général de Barrai. — Rapport du gou- verneur général d'Hautpoul. 75 Chap. XLI. — Année 1 851 . — Moula-Ibrahim. — Bou-Baghla. — Le général Saint-Arnaud. — Expédition dans la Kabylie. — Défection des Flissas. Opérations du gouverneur général. 78 Chap. XLII. — Événements militaires de 1852. — Encore Bou-Baghla. — .Mise on liberté d'Abd-el-Kader. — L'émir àP.iris. — Son envoi à Brousse. 81 Chap. XLIII. — Derniers événements de l'.^frique. — Siège et prise de Laghouat — Appiécialion générale. 82 Aisaut et prise d'EI-Agliuut. FI.N n'AUD-EL- h AIIKR. Parla. Typographie Pion frères, rus do Yaugir»rJ, 30.