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Miracle de Saint Nicolas

DU MEME AUTEUR

Émaux bressans

i vol.

Tous droits réservés

GcA'BT^IEL VICc4I\E

LE

Miracle de S* Nicolas

II était trois petits enfants Qui s'en allaient glaner aux champs. (vieille chanson populaire)

PARIS A L P H O N S E L E M E R R E H D I T E U R

27-3I, PASSAGE CHOISEUL, 27-5 I M DCCC I. XXXVIII

Prélude

«F

PRELUDE

LE jardin délaissé des antiques Légendes Est comme un cimetière, à la fin du Printemps Les œillets, dans la mousse, ont des tons éclatants Et le rossignol chante au milieu des guirlandes.

Ce ii est plus la cité dolente d'autrefois, L'endroit abandonné, si doux à Came tendre, Où, quand la nuit arrive, on s'imagine entendre La plainte d'un enfant qui se meurt dans les bois.

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Parmi les croix, les ifs et les cyprès moroses, L'abeille erre et bourdonne en quête de son miel, Un rayon bleu descend des profondeurs du ciel, Et la maison des morts s'' éveille dans les roses.

Ainsi nos cœurs lassés, nos cœurs endoloris Se reprennent parfois à V ineffable rêve, Et l'arbre désolé regarde encor la sève Monter, comme en Avril, à ses rameaux flétris,

Passé, mélancolique ami du pauvre monde,

O mendiant sublime en ton accoutrement,

D'où vient donc que ta voix nous trouble étrangement,

Qui t'a mis dans les yeux cette pitié profonde}

Ta mission divine est de nous consoler. Comme un petit enfant que sa mère emmaillotte, D'une chanson câline et lente, un peu vieillotte, Tu berces nos douleurs, prêtes à s'envoler.

Qui la fit cependant, ta naïve complainte} Sans doute un humble moine au fond de son couvent, Quelque simple d'esprit, bonhomme et point savant, Qui vécut sans désir et qui mourut sans crainte.

PRELUDE

Comme un agneau docile à l'appel du berger, Suivant la voie étroite et le devoir austère, Il avait dans le cœur la paix du monastère Et le joug du Sauveur lui semblait très léger.

Il ne méprisait rien de l'immense nature ; Aux oisillons perdus dans le firmament bleu Il prêchait la douceur et la crainte de Dieu, Il se sentait l'ami de toute créature.

Quand tintait ï Angélus jet que le jour baissait, Dans le calme enchanté de l'église gothique, Il était pris soudain d'une extase mystique Ojù l'enlevait au monde et qui le ravissait.

O quelle joie intime et quelle paix complète A ses douces brebis garde le bon pasteur ! Délivré des liens de l'univers menteur, Il planait dans l'azur ainsi qu'une alouette.

Sur un fond d'argent pâle et d'or et de carmin, Il voyait les martyrs et les saints en prière ,- La vierge l'appelait du haut d'une verrière, Jésus le caressait de sa petite main.

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Et quelque jour, au son d'une cloche argentine, Saluant Notre-Dame et lui disant : Ave, Vers le clair Paradis qu'elle avait tant rêvé, Son âme s'envolait dans l'hymne de Mâtine.

Ah ! la simplicité du bon religieux, Quand la reverrons-nous, adorable exilée > Comme l'espoir, la foi s'en est bien vite allée, Nous n'osons plus frapper à la porte des deux.

Qu'il était beau pourtant, cet âge d'innocence s'éveillaient en nous les songes de VAvent> Qu'il est triste aujourd'hui sous la neige et le vent, Le sentier défleuri de notre adolescence >

Da?is le désert de sable ou je suis enfermé, J'entends le bruit léger d'une source lointaine, Et comme au temps divin de la Samaritaine, Mon cœur tressaille encore au pas du Bien-aimé.

Le couchant s'illumine et la terre est en fête. Voici le Rédempteur au milieu des élus, Voici le maître l Hélas ! Il ne me connaît plus, Du mauvais serviteur il détourne la tête.

PRÉLUDE

J'ai beau m 'agenouiller , fai beau tendre les bras ; Mes visions du soir, je ne puis les étreindre, Et dans la nuit qui vient je regarde s'éteindre Le royaume d'amour je n entrerai pas.

Le Miracle de Saint Nicolas

TETiSOTsilsL^GES

PREMIER ENFANT.

DEUXIÈME ENFANT.

TROISIÈME ENFANT.

CAGNARD.

LA CAGNARDE, sa femme.

SAINT NICOLAS.

Prologue

Le Miracle de Saint Nicolas

PROLOGUE

La nuit, en pleine forêt. Trois enfants qui allaient accomplir un vau au sanctuaire de Saint-Xicolas ont été surpris par la tempête. La pluie tombe a torrents, le vent hurle, les arbres s'entre-choquen. l'a- une lueur au ciel ; un éclair seulement de temps a autre. Ça et la des fuses, comme des plaintes entrecoupées de maledictu i

PREMIER ENFANT.

Toujours le vent, l'horrible vent :

DEUXIÈME ENFANT.

Toujours l'orage !

14 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

TROISIEME ENFANT.

Quand nous sommes partis pour ce pèlerinage,

Quand nous sommes partis à la grâce de Dieu,

Le soleil était rose et le firmament bleu.

On voyait frissonner les saules et les aulnes ;

De blancs ruisseaux couraient au milieu des lys jaunes,

Et les prés s'émaillaient des mille fleurs d'été.

Puis nous entrâmes en plein bois. Que de gaieté !

Comme on sentait l'odeur des fraises sous la mousse,

Que les sources font un doux bruit, quelle voix douce

Ont les oiseaux !

PREMIER ENFANT.

Le soir tomba ; c'était charmant.

DEUXIÈME ENFANT.

Les nuages de pourpre et d'azur, lentement, Semblaient s'évanouir devant la lune claire.

TROISIÈME ENFANT.

Et maintenant, voyez, le ciel est en colère,

Le rossignol craintif a fini de chanter

Et les arbres, tout noirs, ont l'air de nous guetter.

PROLOGUE iy

Pourquoi tordre vos bras au-dessus de nos têtes, Méchants ?

PREMIER ENFANT.

Oh! cet éclair! j'ai peur.

DEUXIÈME ENFANT.

Et là, ces bêtes, Là, dans cette broussaille... On les entend crier.

TROISIÈME ENFANT.

Si j'avais seulement la force de prier !

Voix au lointain.

Minuit sonne; voici l'heure s'éveille le hibou, L'heure triste, hou, hou, hou, L'heure triste la nuit pleure.

PREMIER ENFANT.

Entendez-vous?

DEUXIÈME ENTANT.

Qui donc gémit dans la foré»:?

10 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

TROISIÈME ENFANT

Un fantôme. Voyez, voyez, il apparaît, Tout blanc, tout pâle.

PREMIER ENFANT.

donc ?

TROISIÈME ENFANT.

Derrière cette roche. 11 se lève à présent, il grandit, il approche. Grâce, pitié, pitié.

// tombe à genoux.

DEUXIEME ENFANT.

Non, frère, ce n'est rien. Rassure-toi. Qui sait? Peut-être un bon chrétien Erre-t-il, comme nous, perdu dans la tourmente.

PREMIER ENFANT.

Ou bien quelque âme en peine est qui se lamente, Au seuil du Paradis implorant un Ave.

PROLOGUE 17

TROISIEME ENFANT.

Ah ! c'était bien plutôt le cri d'un réprouvé.

Mêmes voix au lointain.

Ecoutez ce que chuchotent Les feuilles du bois mouillé. Le hibou s'est éveillé, Les yeux de la Nuit tremblotent.

PREMIER ENFANT.

Chut, chut !

DEUXIEME ENFANT.

Encor ces voix qui vous glacent le cœur ! Qu'ont-elles donc à nous poursuivre?

TROISIEME ENFANT.

Oh! que j'ai peur! Que dit le bois? Pourquoi ces murmures étranges? Quel souffle a passé sur mon front ?

PREMIER ENFANT.

Les mauvais Anges De leurs ailes de mort tout à coup m'ont frôlé.

l8 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

DEUXIÈME ENFANT.

Un oiseau de malheur à ma droite a volé.

Un feu follet apparaît et s éteint presque aussitôt.

TROISIÈME ENFANT.

Une flamme, là-bas, là-bas !

PREMIER ENFANT.

Comme elle est verte ! La maison de Satan cette nuit s'est ouverte Et la troupe d'Enfer galope en liberté. Quel fracas de tonnerre au Ciel ensanglanté ! Les loups hurlent d'effroi, les ravines débordent ! Les arbres foudroyés gémissent et se tordent. Sur la forêt noyée une trombe s'abat. Tout tourne. Est-ce la fin du monde, ou le Sabbat?

DEUXIÈME ENFANT.

C'est la chasse d'Hérode. Entendez-vous le traître? Toujours prêt à meurtrir l'enfant qui vient de naître, Sur son grand cheval rouge il passe éblouissant Et son front cerclé d'or dégoutte encor de sang.

PROLOGUE 19

Sa trompe dans le vent sonne, désespérée, Hop, hop ! Les chiens maudits courent à la curée, Hurlant, les crocs en l'air, la fureur dans les yeux. Hop, hop ! Leurs aboiements éclatent jusqu'aux deux, Et puis plus rien.

TROISIÈME ENFANT.

Comme un éclair dans la tempête,

PREMIER ENFANT.

On n'entend plus rien.

DEUXIÈME ENFANT.

Tout s'éteint.

J'en perds la tête; Nous allons voir sans doute un autre enchantement. Et quelle nuit!

TROISIÈME ENFANT.

Pas une étoile au firmament : Une étoile du moins nous donnerait courage.

PREMIER ENFANT.

Ecoutez : De nouveau la rafale fait rage. Les chênes sur les eaux flottent déracinés !

20 Lb MIRACLE DE SAINT N'ICOLAS

DEUXIEME ENFANT.

Rien ne peut nous sauver, pauvres abandonnés.

TROISIÈME ENFANT.

Que sert d'aller plus loin et de souffrir encore? Couchons-nous et mourons sans nous plaindre. L'Aurore Nous trouvera demain tous les trois enlacés.

PREMIER ENFANT.

Adieu, douce lumière ; adieu, bonheurs passés. Qu'est devenu le joli temps sous les branches, Nous allions moissonner les marguerites blanches, En voyant le soleil se perdre à l'horizon ?

DEUXIÈME ENFANT.

Nous ne reverrons plus notre chère maison Avec sa vigne vierge et son manteau de lierre.

TROISIÈME ENFANT.

Nous ne reverrons plus la source familière Qui chantait au fond du jardin.

PROLOGUE

PREMIER ENFANT,

Ni le verger les papillons bleus s'en venaient voltiger, Le verger plein de sauge et d'avoine fleurie.

DEUXIEME E N F A N T .

Nous n'irons plus jouer dans la grande prairie. Nos mères vont pleurer et s'habiller de noir.

TROISIÈME ENFANT.

Lorsque nous récitions nos prières du soir,

Nos mains entre les leurs, comme elles étaient fières !

Quelle joie on avait à dire ces prières !

PREMIER ENFANT.

O patron des enfants rieurs, saint Nicolas, Bon évêque, voyez combien nous sommes las, Et comme nous mourons de froid et de misère. Nous venons de très loin, d'une ville étrangère; Nous marchons nuit et jour, récitant le psautier, Car nous voulions dès l'aube être à votre moutier. Et, lorsque sonneraient les cloches de matines, Poser sur votre autel un bouquet d'églantines.

22 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Mais les cierges du chœur s'allumeront sans nous ;

Vous ne nous verrez pas, ô maître, à vos genoux.

Hélas, si votre bras puissant nous abandonne,

Si vous n'intercédez auprès de la madone,

Nous serons morts tous trois avant qu'il soit demain.

DEUXIÈME ENFANT.

Saint Nicolas des bois, tendez-nous votre main.

TROISIÈME ENFANT.

Et vous, très douce vierge, acceptez notre offrande. Nous sommes si petits, notre peine est si grande !

DEUXIÈME ENFANT.

Mon père, en m'embrassant, l'autre jour m'a conté Que vous aviez souvent, ô reine de beauté, Sauvé des mariniers près de faire naufrage. Notre frêle bateau sombre aussi dans l'orage. Écoutez-nous.

PREMIER ENFANT.

Oui, c'est l'espoir des matelots, Qui parle à l'ouragan et fait taire les flots,

PROLOGUE 2]

C'est le refuge des pêcheurs, la blanche étoile Du matin, le bon vent qui souffle dans la voile, Le croissant radieux des belles nuits d'été ; C'est la rose idéale et le lvs enchanté, C'est la claire fontaine l'oiselet va boire.

DEUXIÈME ENFANT.

Frère, toi qui sais tout, conte-nous son histoire; Chante, et nous oublierons un peu notre abandon. Il est si doux de parler d'elle.

PREMIER ENFANT.

Écoutez donc.

La vierge Marie, La mère de Dieu, Sort, au matin bleu, De sa métairie,

Et va sous le pont Pour laver ses langes, Tandis que les Anges Cardent le poupon.

LE MIRACLE DE SAINT NI COI AS

Quel plaisir d'entendre Le battoir d'argent ! Joseph, diligent, Se hâte d'étendre,

Ruisselante encor, Parmi les prunelles Et les pimprenelles, La toile aux coins d'or.

Sur la branche claire, L'oiseau curieux, De ses petits yeux Le regarde faire.

Sous les ais tremblants La rivière chante Et sa voix enchante Les peupliers blancs.

L'Aube ensoleillée Éveille les fleurs. On dirait des pleurs Dans l'herbe mouillée.

PROLOGUE

Saint Pierre des cieux, Ouvrez votre porte; Voici qu'on apporte L'enfant gracieux,

Et la Vierge blonde Comme l'Orient, Embrasse, en riant, Le Maître du monde.

DEUXIÈME ENFANT.

Qu'il devait faire bon au bord de ce ruisseau !

TROISIÈME ENFANT.

J'aurais tant voulu voir Jésus dans son berceau !

DEUXIEME ENFANT.

Et notre chère Dame en robe de fermière,

Les pieds dans l'eau, tandis qu'un Ange de lumière

Lui montre le poupon qui vient de s'éveiller!

TROISIÈME ENFANT.

Comme la fraîche Aurore a s'émerveiller !

26 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

DEUXIÈME ENFANT.

Voici les affiquets qui flottent dans la brise,

Saint Joseph, les yeux doux, teint rose et barbe grise,

Avec un rossignol perché sur son manteau.

TROISIÈME ENFANT.

Et puis l'enfant divin qui dormira tantôt.

DEUXIÈME ENFANT.

Et la terre et le ciel ont un chant d'allégressec

PREMIER ENFANT.

Ah ! regardez : Marie a vu notre détresse...

On commence à entrevoir, au milieu des arbres , la lumière de la maison de Cagnard. Le vent la fait tour à tour apparaître et disparaître.

DEUXIÈME ENFANT.

Peut-être est-ce un follet qui nous égare encor, Ou quelque fée au lac mirant ses cheveux d'or.

PROLOGUE 27

TROISIÈME ENFANT.

Ou bien, qui sait, l'esprit malin.

PREMIER ENFANT.

Non, courons vite : C'est l'auberge dont nous rêvions, c'est le bon gîte Où, quand tombe le soir, on dort à poings fermés, La table de nover qui rit aux affamés Avec son linge blanc parfumé de lavande. Allons, du cœur !

DEUXIÈME ENFANT.

Allons, allons !

TROISIEME ENFANT.

Dieu vous entende !

FIN 1)1' PROLOG l'I.

€se£z?s

Acte premier

ACTE PREMIER

La maison de Cagnard au milieu des bois. Intérieur sordide; des toiles d'araignée pendent -au plafond ; un lumignon fumeux tremblote sur le saloir. Cagnard et sa femme sont couches sur un méchant lit. On les entend ronfler légèrement.

LES ENFANTS, ait dellOYS.

Toc, toc, toc, ouvrez, ouvrez A de pauvres égarés

Qui cherchent un gîte. L'orage nous a surpris, Et nous voilà bien marris ;

Toc, toc, ouvrez vite.

32 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Hélas! qu'es-tu devenu, Compère du bois chenu,

Rossignol qui chantes ? La nuit est triste à mourir Et partout on voit courir

Des bêtes méchantes.

Mais voici qu'au firmament A scintillé doucement

La bonne lumière. Oh ! comme on va s'égayer ! Ouvrez, gentil métayer

Et dame fermière.

la cagnarde, s' éveillant en sursaut. Cagnard, Cagnard, n'entends-tu pas?

CAGNARD.

Encor ce vent maudit?

la cagnarde.

Non, non, écoute. Il me semble qu'on frappe en bas.

ACTE 1 }}

CACNARD.

Et qui serait-ce ?

LA CAGNARDE.

Un pèlerin sans doute.

C A G N A R D .

Toujours des pèlerins? Que le peuple s'encroûte

LA CAGNARDE.

Descends bien vite, mon ami. Je vois des ombres sur la route.

CACNARD.

Au diable soit qui vient quand j'ai ma goutte Et que je suis presque endormi !

// va à la fenêtre.

Holà, holà ! quelle racaille Mène céans si vilain bruit?

34 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

LES ENFANTS.

Ouvrez, de grâce.

CACNARD.

Au rien qui vaille. On n'ouvre pas ainsi la nuit.

LES ENFANTS.

Nous avons faim.

C A G N A R D .

Et que m'importe ?

LES ENFANTS.

Nous avons froid.

CAGNARD.

Je n'y peux rien.

LES ENFANTS.

Nous avons peur. Us cherchent à entrer.

ACTE I 3f

CAGNARD.

Maudit vaurien, Oses-tu bien toucher la porte ?

LES ENFANTS.

Pourtant vous êtes bon chrétien. Vous crovez comme nous à la vierge très douce ; Nous ne demandons pas d'ailleurs la charité.

Nous vous paierons.

CAGNARD.

En vérité ! Montrez-moi donc votre frimousse.

CHOEUR.

Les enfants, en chantant, agitent leurs petites bourses qui rendent un son argentin.

Regardez, bon hôte, et riez un peu. Nous avons tous trois la mine très belle. Ecoutez aussi dans notre escarcelle. Écoutez chanter l'argent du bon Dieu.

36 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Nous avons tous trois la mine superbe Et notre fortune est de bon aloi ; Comme des lutins folâtrant dans l'herbe, Ecoutez danser les écus du roi.

Braves écoliers sans peur ni reproches, Pour nous d'ordinaire on est indulgent. Écoutez l'or pur et le bon argent Qui font leur tapage au fond de nos poches.

la CAGNARDE,à/tf fenêtre .

C'est vrai, qu'ils sont gentils. Vois ce petit, là-bas ; Comme il tremble ! Et cet autre avec sa tête blonde. A leur âge, courir le monde ! Les innocents, doivent-ils être las !

Reprise du chœur

Dame à la fenêtre, Au parler si doux, Faites que le maître Ait pitié de nous.

ACTE I 37

Dame charitable Du milieu des bois, Préparez la table, Ecossez les pois.

Vite à la cuisine, Allumez le feu ; Passez la bassine Dans le grand lit bleu.

A travers l'orage Nous allions pleurant, Et notre courage N'était pas bien grand.

La nuit est si noire, Le vent est si fou ! Dieu sait quelle histoire Conte le hibou.

Mais plus de tristesse ; Le coq a chanté. Merci, chère hôtesse, Pour votre bonté.

•} 8 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

CAGNARD.

Allons, je vois bien qui vous êtes, Ma brave femme a sans doute raison

Et ses conseils ne sont point bêtes. Vous sortez, j'en suis sûr, d'excellente maison ; Vous avez de l'argent, vous devez être honnêtes. Et qu'est-ce qu'il me faut à moi ? L'honnêteté. Acceptez, beaux seigneurs, mon hospitalité.

Les enfants entrent dans la maison. La pauvreté du logis ne les frappe pas. Ils sont près de s'endormir et ne remarquent rien.

CAGNARD.

Sans doute il vous faudrait quelque chair délicate, Mais je suis honnête homme et ne sais pas tromper.

Nous n'avons plus rien ; notre chatte, Sans mot dire, a mangé le reste du souper. Quant au lit, voyez-le : simple, large, commode. S'il n'est pas tout à fait à la dernière mode, 11 faut nous excuser; nous sommes du vieux temps.

PREMIER ENFANT.

Cher hôte, assez. Nous voilà très contents.

ACTE I 39

DEUXIEME ENFANT.

Allons-nous bien dormir après un tel vos âge !

TROISIÈME ENFANT.

Au lit, au lit!

C A G N A R D .

Puis le sommeil est de votre âge. Parions que demain vous me remercierez.

LA CAGNARDE

Quels beaux draps nous avons avec des coins dores !

Mais voyez ce qui nous arrive. Ils sont tous d'hier soir partis à la lessive.

LES ENFANTS.

Eh, madame, à quoi bon prendre tant de souci ?

LA CAGNARDE.

N'est-ce pas enrageant ?

LES ENFANTS.

Mais non : je vous assure Que nous serons très bien ainsi.

40 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

CAGNARD.

Ma foi, vous paraissez de benoîte nature

Et n'êtes pas trop exigeants. C'est heureux, nous avons renvoyé tous nos gens. Ils nous volaient.

LA CAGNARDE.

Fi ! Les pendards ! Quel gaspillage ! Si l'on n'eût pas bien vite averti les sergents, La maison était au pillage.

LES ENFANTS.

Bon, bon..

CAGNARD .

C'est vrai : vous êtes fatigués. Bonne nuit, messeigneurs, et soyez toujours gais. Toi folle, assez de babillage.

LES ENFANTS.

Hôte, bonsoir.

LA CAGNARDE.

Qu'un ange du bon Dieu Veille sur vous...

ACTE I 4I

LES ENFANTS.

Merci, madame.

LA CAGNARDE,

Et qu'au matin, un songe rose et bleu Vous réjouisse...

C A G N A R D .

Ah ! sacrebleu ! Quand donc finiras-tu, ma femme?

Ils sortent. Les enfants, restés seuls, se déshabillent el se couchent.

PREMIER ENFANT.

O compagnons, que c'est charmant!

Comme la nuit s'est embellie !

A notre Dame la jolie

J'offre mon cœur en m'endormant.

DEUXIEME ENFANT.

Moi, je veux lui dire un cantique. C'est la reine aux cheveux bouclés.

42 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

En ses doigts longs et fuselés S'alanguit la Rose mystique.

TROISIÈME ENFANT.

Nous portons ses douces couleurs Et sommes de sa confrérie. Adieu donc, ô Vierge Marie, Adieu, Notre-Dame des fleurs !

Ils s'endorment. Cagnarà et sa femme rentrent à pas de

loup.

cacnard, a mi-voix.

Femme, d'où nous vient cette aubaine.

Ces muguets de la marjolaine

Ont belle façon, sur ma foi.

On dirait des enfants de roi.

Ça sonne assez clair dans leurs poches.

Et ces trois bénites sacoches

Qui dorment sous l'oreiller...

LA C A G N A R D E .

Plus bas, tu vas les éveiller.

43

C A GNARD.

Ce sont garçons de brave mine. Robes de gentille étamine, Hoquetons d'hermine fourrés, Bonnets pointus, souliers carrés, Colliers d'or avec les images De Notre-Dame et des trois mages Et linge qui n'est pas vilain ; Serait-ce l'âne du moulin Qu'on voit en pareille défroque? Qu'en dis-tu, vieille?

LAC A GNARDE.

Eh ! que m'importe Assez causé pour aujourd'hui. Être envieux du bien d'autrui N'a jamais enrichi personne, Et voici l'angelus qui sonne. Allons au lit nous reposer.

C A G N A R D .

Non, j'en ai long à dégoiser.

Les deux pieds au feu de l'auberge,

44 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Messire Enguerrand se goberge

A voir tourner en chapelets

Lapins, cannetons et poulets.

Voici le rôt à la moutarde,

Le cuissot de chevreuil que barde

Un sou de lard, la dinde au riz

Avec épices de Paris,

Miel en rayons, croûtes dorées,

Force tartines bien beurrées

Et pour faire couler le tout,

Vin d'Argenteuil ou de Saint-Cloud.

Le bon seigneur a panse pleine,

OEil clair, teint fleuri ; son haleine

Fume ainsi que cidre nouveau,

Et puis il pleure comme un veau

De ne pouvoir manger encore :

Nous cependant, pauvre pécore,

Nous avons douleurs à foison

Et misère en toute saison.

Nos hardes qui montrent la corde

Crient à Jésus miséricorde.

Dans la bourse pas un denier,

Pas un brin de paille au grenier,

Pas une croûte dans la huche,

Au foyer mort pas une bûche.

C'est toujours pour nous Quatre-Temps,

ACTE I 4f

Et les autres sont si contents Autour de la table servie !

LA CAGNARDE.

Ah ! oui, vraiment, la dure vie ! Mais qu'v peut-on ?

CACNARD,

On peut beaucoup.

LA CAGNARDE.

Voudrais-tu faire un mauvais coup? Je vois briller tes veux...

C A G N A R D .

Ça, vieille, Approche un peu de mon oreille. Ecoute : J'ai rêvé tantôt, Que nous héritions d'un château, Flanque de grasses métairies Avec des avoines fleuries Et de joli bois verdovant. Le passage était riant ; J'étais seigneur, toi châtelaine.

46 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Comme l'argent au bas de laine Tout nous arrivait à planté.

LA CAGNARDE.

Oh ! que n'est-ce la vérité !

C A G N A R D .

Comme les chevaliers de l'Oie Nous vivrions toujours en joie ; On nous ferait partout crédit.

LA CAGNARDE.

Cela me semble fort bien dit.

C A G N A R D .

T'en faut-il encor davantage ? Chaque jour, après le potage, Nous aurions bécasse ou faisan.

LA CAGNARDE.

Ce ne serait pas déplaisant.

CAGNARD.

Songe un peu : Ne jamais rien faire.

47

Et boire quoi ? De belle eau claire ? Allons donc ; toujours un vin vieux Et velouté...

LA C A G NARDE.

C'est pour le mieux.

CAGNARD.

Plus d'affronts ni de vilenies. A l'église, aux cérémonies, Nous avons la place d'honneur. Nous éclaboussons Monseigneur Amaurv de la Bourse plate.

LA CAC NARDE

Moi, j'ai corsage d'écarlate Et belles jupes de satin.

CAGNARD.

Tout le pauvre menu fretin En crèvera de jalousie.

LA CAG NARDE.

Les dames de la bourgeoisie,

48 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Ces bégueules, en deviendront Aussi jaunes qu'un potiron.

CAGNARD.

Allons donc...

LA CAGNARDE.

Mais que veux-tu dire?

CAGNARD.

Ton innocence me fait rire Et tant parler ne sert à rien. Crois-tu qu'on amasse du bien Sans mettre la main à la pâte ? Vite, vite; il faut qu'on se hâte.

LA CAGNARDE.

Ces enfants !...

CAGNARD.

Eh bien?

LA CAGNARDE.

Pas si fort.

ACTE I 49

Doivent-ils aller à la mort ?

Le plus vieux des trois est si jeune !

CAGNARD.

Et moi, je suis las de mon jeûne.

Las de souffrir et d'endurer,

Et cela ne peut pas durer.

Ne veux-tu pas que chacun meure?

C'est la règle : Qu'importe l'heure,

Pourvu qu'on ait vécu gaiement?

LA CACNARDE.

Vois comme ils dorment gentiment, Leurs chevelures confondues ! On dirait des brebis perdues. Comme ils se tiennent embrassés, Qu'ils sont mignons!

CAGNARD.

Assez, assez.

LA CACNARDE.

Toute leur âme s'abandonne.

<jO LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

CAGNARD.

Puisqu'ils aiment tant la madone, Ils iront droit en Paradis. Assez, te dis-je.

LA CAGNARDE.

Et moi, je dis Que c'est péché.

CAGNARD.

Non, c'est justice. Faut-il toujours que je pâtisse Pour engraisser quelque paillard? Ces enfants ont volé ma part, J'ai bien le droit de la reprendre. Femme, ôte-toi ; c'est trop attendre.

LA CAGNARDE.

Mais, si l'on sait...

CAGNARD.

Pas de témoin.

s I

LA CAGNARDE.

Et Dieu, mon homme?

CAGNARD.

11 est si loin !

LA CAGNARDE.

Ah ! du moins, permets que je sorte.

CAGNARD.

C'est bien fait aux gens de ta sorte. Va-t'en dire un Miserere, Tandis que je besognerai.

// aiguise sa hachette.

A nous deux, ma petite hache ; Quand nous allions bûcheronnant, Tu n'as jamais vu, que je sache, Bois si feuillu que maintenant.

Laisse en paix le chêne et le hêtre, Pour aujourd'hui fais grâce au loup C'est la race de notre maître Qu'il faut abattre d'un seul coup.

^2 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

A mort, à mort. // se précipite sur les enfants endormis et les frappe.

PREMIER ENFANT.

Adieu, ma mère, adieu, mon père. Nous ne vous verrons plus jamais.

DEUXIÈME ENFANT.

Combien je plains ceux que j'aimais !

TROISIÈME ENFANT.

Tout mon cœur à vous désormais, Douce Marie en qui j'espère.

Ils meurent.

la cagnarde, rentrant, la face décomposée.

Ces cris ! Mon Dieu, je suis folle à moitié. C'est bien raison qu'on se lamente. Tant de jeunesse et si charmante ! Ah ! chien maudit, cœur sans pitié!

CAGNARD.

Eh bien, après, la belle affaire !

A C T E I f }

Vieille corneille, à quoi bon croasser? Mais diable, ces marmots vont bien m'embarrasser. Dis-moi donc ce que j'en vais faire?

LA CAGNARDE.

La pâleur de la mort est déjà sur leur front. C'étaient de beaux enfants, leurs mères pleureront.

CAGNARD.

S'il venait par hasard des hommes de police, les mettre ? Ah ! dans le saloir ; Nul, à coup sûr, n'v viendra voir.

Je fais un pied de nez à toute la justice.

LA CAGNARDE.

Le cadet n'avait pas huit ans. Il était si blond et si rose Qu'on eût dit un bouton de rose Sur l'épine verte au printemps.

CAGNARD.

En poche une toupie, un livre, des pois chiches. Tudieu, je les croyais plus riches Et c'est moi qui suis le vole.

<)4 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

LA CAGNARDE.

Leurs jolis yeux brillaient comme un ciel étoile. Ils avaient l'air si doux, des façons de pucelle.

CAGNARD.

Et pas grand'chose en l'escarcelle ; Le monde devient si trompeur. A qui donc se fier ? Vraiment cela fait peur !

LA CAGNARDE.

Ah ! tais-toi. N'as-tu pas de honte? Tu ferais mieux de te cacher.

CAGNARD.

Femme, tout doux : N'allons pas nous fâcher. Si nous faisons bien notre compte, N'as-tu rien à te reprocher ?

LA CAGNARDE.

Et quoi, méchant?

CAGNARD.

C'est vrai, j'ai fait une sottise.

ACTE I <;<Ç

C'est la faute du Diable. 11 est si beau parleur !

Je l'écoutai pour mon malheur. Avec l'ivrognerie et la fainéantise

En peu de temps on voit bien du chemin. Mais toi, femme d'honneur, qui dis les patenôtres, Qui vas tous les huit jours, un chapelet en main, Aux reliques des saints Apôtres, Parle tout franc; n'as-tu pas de remords ?

LA CAGNARDE.

Pourquoi des remords ?

CAGNARD.

Hvpoerite! Tu le sais bien, c'est pour toi qu'ils sont morts ; C'est pour toi que bout la marmite. Tu me disais toujours, d'un air de chattemite : « Guillaume, je n'ai rien à mettre sur mon corps Qu'une cotte trouée et cette souquenille. Les malandrins du bois me suivent à l'odeur, Et la petite Pétronille Crie en riant : C'est Margot la Guenille. Es-tu tombé si bas qu'un maraudeur

A ton nez me traite de fille ? Prends-tu plaisir à me voir insulter ?

f 6 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Si tu n'es pas un lâche, il te faut m'apporter, Pour la fête qui vient, quelque chose d'honnête, Une jupe bleu ciel, un corsage marron,

Que sais-je? Un amour de cornette, Une croix d'or à la Jeannette, Souliers verts et vert chaperon. » Moi digne époux et bonhomme tout rond, Je t'ai prise au mot sans malice.

LA CAGNARDE.

Ah ! renégat, chien, fils de chien!

CAGNARD.

Dis tout bonnement : cher complice.

Que crois-tu donc valoir si je suis un vaurien?

Pendre le criminel en profitant du crime,

A ce compte on gagne à tout coup, Mais cela sent un peu la frime.

LA CAGNARDE.

Gueux, tu mens, tu mens...

CAGNARD.

Point du tout, Chère épouse.

ACTE I LA CAGNARDE.

Oh ! scélératesse ! cagnard, prenant un bâton .

Ma foi, j'en ai regret pour ta délicatesse ;

Mais pourquoi me pousser à bout? A prêcher comme un moine en vain je m'évertue. Ta ration de coups te manque ce matin.

L'habitude d'être battue ! Tiens donc, tiens donc.

SI

\l la frappe.

LA CAGNARDE, CTiailt .

Au secours, on me tue.

CAGNARD.

Tiens encor, tiens.

LA CAGNARDE.

L'affreux matin !

CAGNARD.

Je vais te rosser d'importance ;

f8

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Tiens, je ne parle plus latin. Encore un peu de ce rotin.

LA CAGNARDE.

Assassin, gibier de potence !

Gueuse !

CAGNARD. LA CAGNARDE.

Monstre !

CAGNARD.

Triple catin !

Us se battent.

FIN DU PREMIER ACTE

r

Entracte

m

ENTR'ACTE

Sept ans ont passe Comme passe un rêve ; Sept ans ont passé, Un rêve effacé.

Et toujours se lève L'Aube aux cheveux blonds Et toujours se lève L'étoile du Rêve.

02 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Chantez, violons,

Sous les vertes branches,

Chantez, violons,

L'Aube aux cheveux blonds.

Anémones blanches, Parure des bois, Anémones blanches, A l'entour des branches,

Ainsi qu'autrefois, Dans le soleil rose, Ainsi qu'autrefois, Fleurissez les bois.

Qu'un rayon se pose, Un rayon des cieux, Qu'un rayon se pose Sur l'épine rose.

L'enfant gracieux Qui riait sans cause, L'enfant gracieux Reviendra des cieux.

Acte deuxième

^3£TO.

ACTE DEUXIEME

Même décor qu'au premier acte. Cest le matin, on entend le réveil des ciseaux.

CHOEUR DE PÈLERINS, Ml lo'lll.

Fraîche comme l'églantine,

L'Aurore apparaît. Un rayon rose illumine

La sombre forêt.

Dans l'azur les alouettes Prennent leur essor,

Et voici les violettes Et les boutons d'or.

66 LE MIRACLE DE SAINT N'ICOLAS

Compère, allume ton cierge,

Allons en chantant ; Nous verrons bientôt la Vierge

Que nous aimons tant.

En avant, Rose et Rosette,

Et ne musez plus ; Vous aurez une risette

De l'enfant Jésus.

Le chant s'éloigne et s'affaiblit peu à peu.

CAGNARD.

Encor des pèlerins et des pèlerinages ! Cela n'en finit plus. Ces pieux personnages, En forêt, dès les chats, commencent à brailler. La basse-cour pourtant suffit à m'éveiller. Peut-on troubler ainsi la paix du pauvre monde?

Fi, le Judas !

LA CACNARDE.

CAGNARD,

Eh bien, eh bien, qu'est-ce qui gronde

A ta cuisine, femme, et tais- toi.

ACTE II 67

LA CACXARDE

Quel païen !

CAGXARD

Quand j'ai parle, j'entends qu'on ne réplique rien. Si tu n'es pas contente et si je te dégoûte On ne te retient pas ; voici la grande route. Rien ne vaut, pour s'instruire, un pavs étranger, Et tous les gens d'esprit aiment à voyager. Décampe.

LA CAGNARDE.

Et des écus? Ou gagner ma pitance?

CAGNARD.

tu voudras ; la chose est de peu d'importance. L'an passé, m'a-t-on dit, l'abbé des moines blancs. Le bon père Onésvme, était de tes galants. C'est un franc papelard et qui fait bonne chère, Comme il plaît au Seigneur. Un bon conseil, ma chère Va le trouver.

68

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

LA CAGNARDE.

Ah ! si je te prenais au mot!

CAGNARD.

Hareng-saur, fine andouille et poiré plein le pot, Grâce à Dieu, rien ne manque à la table des moines ; Aussi leurs nez fleuris ressemblent aux pivoines, Et de la tête au ventre ils vont dodelinant. Mais l'abbé, quel abbé ! Cet homme est étonnant. Toujours prêt... en dehors du saint temps de carême. Comme il sait dire à point aux filles : Je vous aime ! Sois-en sûre, à confesse il te recevra bien.

LA CAGNARDE

Lui conterai-je alors?

CAGNARD.

Quoi donc ?

LA CAGNARDE.

Tu le sais bien. Et rien que d'y penser te fait blanchir la tête.

ACTE II 69

Conterai-je comment une nuit de tempête, Trois garçons égarés vinrent à la maison Demander un asile, et quelle trahison, Pauvres agneaux perdus, les trouva sans défense? Dirai-je qu'ils sortaient à peine de l'enfance? Dirai-je aussi le nom du boucher?

CAGNARD.

Si tu veux. Mais pour donner un peu de sel à tes aveux, Ajoute : sire abbé, j'eus.part à cette tâche. Seulement je n'ai pas frappé, j'étais trop lâche. En mon cœur j'ai voulu la mort de l'innocent ; La robe que je porte est teinte de son sang, Mais j'unis la prudence à la scélératesse...

LA CAGNARD E.

Chut, chut, voici quelqu'un.

Entre saint Nicolas sous la forme d'un riche seigneur, barbe blanche et manteau d'or.

SAINT NICOLAS.

Bonjour, dame l'hôtesse,

70 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Bonjour, hôte. J'arrive et je suis étranger. Puis-je m'asseoir ici? Servez-vous à manger?

CAGNARD.

Mon Dieu, vous n'êtes pas dans une hôtellerie. Mais... avec de l'argent, et quand on nous en prie, Nous faisons pour le mieux, c'est sûr.

LA CAGNARDE.

Vous semblez las. Venez-vous de bien loin?

SAINT NICOLAS.

Au grand saint Nicolas, En son couvent, hier, j'allai rendre visite.

CAGNARD.

Ah ! c'est un fameux saint, et je vous félicite.

SAINT NICOLAS.

Fort bien ; mais, s'il vous plaît, voyons le déjeuner.

CAGNARD.

Vous avez appétit, c'est parfait. Que donner,

ACTE II 71

Femme, à ce bon seigneur? Allons, allons, ma fille, Aux fourneaux, dépêchons.

LA CACNARDE

Voulez-vous une anguille?

SAINT NICOLAS.

Non, ce serpent gluant ne me dit rien de bon.

C A G N A R D .

Vous prendrez bien alors un peu de ce jambon. Dirait-on pas la joue en fleur d'une pucelle ? Qu'en pensez-vous ?

SAINT NICOLAS.

Non, non.

C A G N A R D .

Sans doute une sarcelle Vous sourirait.

SAINT NICOLAS.

Fi donc, mon hôte, un gibier d'eau !

72 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

CAGNARD.

Diable, cela va mal. Peut-être un fricandeau Vous plaîrait-il avec du lard et de l'oseille, Ou quelque lapereau confit à la groseille, Ou des merles...

SAINT NICOLAS.

Non, non, le cœur ne m'en dit pas.

cagnard, impatienté.

J'aimerais à savoir qui vous sert vos repas. S'il fait à votre gré, quel gaillard ce doit être ! Vous n'êtes pas facile à contenter, mon maître.

SAINT NICOLAS.

se peut, j ai mes goûts..,

CAGNARD.

Eh bien, parlez plus haut, Parlez sans barguigner ; dites ce qu'il vous faut, Et vous l'aurez, serait-ce une dinde aux pistaches.

ACTE II 7}

SAINT NICOLAS.

En ce cas, donne-moi la viande que tu caches Dans ce saloir.

cagnard, troublé.

Dans ce saloir? Que voulez-vous Qu'on y cache? 11 est vieux, sale et percé de trous Et ne peut même plus servir au lessivage.

SAINT' NICOLAS.

Ouvre-le.

CAGNARD.

Regardez : le meuble est hors d'usage.

Ouvre toujours.

SAINT NICOLAS.

CAGNARD

Pourquoi ? Vous n'y trouverez rien. Un vrai nid de souris.

74 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

SAINT NICOLAS.

Ouvre, nous verrons bien.

la cagnarde, très exaltée.

N'écoutez pas cet homme. Il ment. C'est un impie. J'ai profité du crime; il faut que je l'expie. Etranger, Dieu le veut. Voyez-les, voyez-les.

Elle ouvre violemment le saloir. Les enfants étroite- ment enlacés semblent endormis.

SAINT NICOLAS.

Toujours leur beau sourire et leurs cheveux bouclés !

La mort n'a pas flétri cette fleur d'innocence.

Ils dorment aussi purs qu'au jour de la naissance,

Le songe de leur vie est à peine achevé

Et sur leur bouche encor flotte un dernier ave.

la cagnarde, se précipitant aux genoux de saint Nicolas. Grâce, grâce!

saint nicolas, avec douceur.

C'est bien : Lève-toi, pécheresse,

ACTE II 7^

Le maître que je sers est un Dieu de tendresse ; A celui qui l'implore il donne son pardon.

LA CAGNARDE.

Je l'implore et je crois en lui.

SAINT NICOLAS.

Lève-toi donc Et redis en tout lieu ce que tu viens d'apprendre.

C A G N A R D

Elle est hors de procès. Moi, je suis bon à pendre. Et je vais de ce pas me noyer dans l'étang.

// cherche à s'enfuir.

SAINT NICOLAS.

Arrête : Dieu là-haut te regarde et t'entend. N'as-tu donc pas souci de la vie éternelle?

C A G N A R D .

Mais comment me sauver?

j6 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

SAINT NICOLAS.

Pauvre âme criminelle, Du mal que tu commis il te faut racheter.

CAGNARD.

Oh ! mes iniquités, qui les pourrait compter ? J'en ai tant sur le cœur, j'en ai de toute sorte, J'ai fait le diable à quatre et pis encor.

SAINT NICOLAS.

Qu'importe ? Repens-toi.

CAGNARD.

J'ai pillé, j'ai violé des filles, Des moutiers les plus saints j'ai fait sauter les grilles, J'ai tué, mais c'était pour la première fois.

SAINT NICOLAS.

Eh bien, du bon Pasteur écoute encor la voix, Cette voix que la terre a jadis entendue. 11 est plein de pitié pour la brebis perdue. A genoux, misérable. Il te relèvera.

ACTE I! 77

C A G N A R D .

Comment le pourrait-il ? Je suis un scélérat. J'ai du sang plein les mains, j'ai du sang plein la face. Il est trop tard, il est trop tard. Quoi que je fasse, C'est fini. Je sens bien que je serai damné.

SAINT NICOLAS.

Non ; si tu te repens, tu seras pardonné. Au nom du Rédempteur je lie et je délie. Meurtrier, à genoux.

cagnard, troublé.

Oh ! je vous en supplie, Laissez-moi dans ma honte et ne me parlez plus.

SAINT NICOLAS.

Ne connais-tu donc pas la bonté de Jésus ?

cagnard. 11 est trop haut pour nous, gens de sac et de corde.

SAINT NICOLAS.

Jésus n'est qu'indulgence et que miséricorde.

78 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

CAGNARD.

Je l'ai tant renié, je l'ai tant blasphémé !

SAINT NICOLAS.

Cependant il est mort pour t'avoir trop aimé.

CAGNARD.

Ah ! s'il m'aimait encor !

SAINT NICOLAS.

Sa grâce est infinie.

CAGNARD.

C'est un si lourd fardeau que mon ignominie!

SAINT NICOLAS.

Souffre patiemment; tu seras délivré.

CAGNARD.

Dites ce qu'il faut faire et je l'accomplirai. Je suis prêt.

// tombe à genoux devant saint Nicolas.

ACTE II 79

SAINT NICOLAS.

Bien, mon fils. Arme-toi de constance. Vingt ans au bois des Baux tu feras pénitence, Tu diras le Pater vingt fois toutes les nuits, Tu n'auras pour manger que l'écorce des buis, Pour boisson rien que la rosée et l'eau de neige. Consens-tu ?

C A G N A R D .

Quel bonheur !

SAINT NICOLAS.

Va, que Dieu te protège, Et qu'il rende la paix à ton esprit troublé.

C A G N A R D .

Père, bénissez-moi; je serai consolé.

S.iint Nicolas le bénit. Il sort.

LA CAGNARDE, S t .'.'." I faite .

Lui, lui, quel changement!

SAINT NICOLAS.

Pourquoi cette surprise r

80 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Quand vient le mois de mai, n'as-tu pas vu la brise D'une haleine, au matin, fondre les durs glaçons? Mais tu pleures ?

LA CAGNARDE.

Je pleure, hélas ! sur ces garçons. Si jeunes, qu'ont-ils pu connaître de la vie ?

SAINT NICOLAS.

Peut-être que leur sort nous devrait faire envie.

LA CAGNARDE.

Au-devant du bonheur ils allaient si joyeux ! Leurs yeux d'enfants étincelaient comme les cieux.

SAINT NICOLAS.

Ma fille, souviens-toi du Dieu de l'Évangile.

Nous sommes dans ses mains comme un vase d'argile

Que le potier façonne et modèle à son gré.

C'est lui qui tous les ans fait reverdir ton pré,

Qui met des iris bleus sur le toit de ta grange

Et de la mousse au fond du nid de la mésange.

C'est lui le protecteur de la biche aux abois.

11 écoute chanter les sources dans les bois,

ACTE II

Il regarde fleurir les genêts sur la lande.

Prions tous deux, ma fille, afin qu'il nous entende.

// étend la main sur les enfants.

Mon Dieu, je ne suis rien qu'un homme en cheveux blancs,

Mais j'ai marché de loin sur vos traces divines.

J'ai porté comme vous la couronne d'épines,

Mes bras à vous servir sont devenus tremblants.

Je sais que vous parlez en maître à la tempête ;

Vous tenez dans vos mains la lune et le soleil.

S'il vous plaisait de faire un signe de la tête,

Les morts s'éveilleraient de l'éternel sommeil.

Après un silence.

Combien ils vous aimaient, Notre-Dame la belle !

Un autre silence.

Enfants, levez-vous.

Les enfants se dressent lentement. Ils se frottent les yeux et regardent avec surprise ce qui les entoure.

PREMIER ENFANT.

Qui nous appelle ?

DEUXIÈME ENFANT.

Cette pauvre maison, ces bois... sommes-nous?

82 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

On entend le vent souffler.

TROISIÈME ENFANT.

Je me souviens, je me souviens. Quelle tempête !

Musique paradisiaque ; harpes et violes d'amour.

PREMIER ENFANT.

L'église de l'azur était en grande fête. Comme pour un divin baptême, allègrement, Les cloches de cristal sonnaient au firmament.

DEUXIÈME ENFANT.

Dans la mousse et le thym murmuraient les fontaines. Le rossignol chantait.

TROISIÈME ENFANT.

Des voix lointaines Disaient : La douce Aurore est près de se lever.

PREMIER ENFANT.

Et, saisis de bonheur, nous vîmes arriver, Belle comme un rayon de lune sur la neige,

Celle qui nous protège Et tient nos cœurs dévots dans sa petite main,

ACTE II 8]

DEUXIEME ENFANT.

Des lvs parfumaient son chemin ; Le bout de son manteau traînait dans la rosée,

Et sa main blanche s'est posée Un instant sur ma joue.

TROISIÈME ENFANT.

Oh ! quel enchantement ! Si ce n'était qu'un rêve, il était bien charmant.

PREMIER ENFANT.

J'avais de grandes ailes A ce qu'il me semblait. Avec les hirondelles Mon âme s'envolait.

DEUXIEME ENFANT.

Moi, je voyais Marie Debout à mon chevet, Dans sa robe fleurie Qu'un page relevait.

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

TROISIÈME ENFANT.

Moi, je croyais entendre Les Anges murmurer Une oraison si tendre Qu'elle m'a fait pleurer.

En chœur.

Oh ! que de belles choses Nous vîmes en dormant! Au Paradis les roses Fleurissent constamment.

Le vent, qui sur les tombes Sème des romarins, Comme un vol de colombes Emporte nos chagrins.

J'ai suivi le cortège Des gens du Saint-Esprit ; Dans sa barbe de neige Le bon Dieu me sourit.

ACTE II 8^

Comme il a bonne grâce Et qu'il est indulgent ! « Viens, me dit-il, et passe Par la porte d'argent. »

Et voici la prairie, Les arbres pleins d'oiseaux Dont le chant se marie Au murmure des eaux.

Voici le bois mystique, Où, quand le soir descend, S'éveille le cantique De l'amour innocent,

Et le château des âmes, Le château merveilleux, Avec ses oriflammes De la couleur des cieux.

La lande, rose et verte, jouent de blancs ravons, Semble une mer couverte De mille papillons.

86 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Sur l'herbe diaprée, Par les sentiers ombreux, Va la troupe dorée Des martyrs bienheureux.

Aux vierges qui devisent Gaiement, sous l'églantier, Les saints évêques lisent Un beau lai du Psautier.

Et, d'une chansonnette, Les plus vieux des. élus, Dans sa barcelonnette Bercent l'enfant Jésus.

SAINT NICOLAS.

Enfants, c'est bien parlé. Ces divines merveilles. Vous les contemplerez un jour, je vous le dis. La musique céleste emplira vos oreilles, Vous verrez l'arbre d'or qui croît en paradis.

ACTE II 87

Vous sentirez bientôt le souffle de l'aurore, Le bon vent matinal passer dans vos cheveux; Le printemps éternel est sur le point d'éelore, L'ineffable printemps qui comblera nos vœux.

Veillez, en attendant, comme la vierge sage Qui reçoit le Sauveur, une lampe à la main. Ce monde misérable est un lieu de passage, L'illusion d'un jour qui finira demain.

Paissez, mes chers agneaux, l'herbe de la prairie; Sous la pluie et la neige, allez, le cœur content; Votre blanche maîtresse est madame Marie, Jésus, le doux berger qui vous garde en chantant.

Cantique général.

O Dieu qui fis les fleurs, l'eau chaste, la nuit claire, Et l'aube frissonnante et le soir triomphant, Dieu que la terre adore et qui daignes te plaire Aux refrains du vieillard et du petit enfant,

88 LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Toi qui fais sous ton porche entrer les hirondelles, Seigneur miraculeux et doux, maître indulgent Qui jettes l'espérance au cœur de tes fidèles Comme une rose pourpre au ruisselet d'argent,

Notre sœur, l'alouette, au lever de l'aurore, Te salue, et son cri plane au-dessus des bois. Quand vient le soir paisible, elle t'appelle encore; Rends-nous simples comme elle et prête-nous sa voix.

Mon Dieu, nous ressemblons à la graine qui vole Dans l'aire ténébreuse l'on bat le froment : Nous sommes le roseau, nous sommes l'herbe folle Que les bœufs de labour écrasent méchamment.

Garde-nous du serpent à la langue dorée ; Berger compatissant, souviens-toi que jadis Tu guidais au bercail la brebis égarée; Permets que les chanteurs aient place au Paradis.

Et vous dont le Printemps en fleurs dit les louanges, Vous qui nous souriez dans les feux de l'été, Reine de l'univers et maîtresse des Anges, O vierge gracieuse, ô dame de beauté,

ACTE II 89

Etoile de la mer, vase pur, tour d'ivoire, Vous qui venez à nous sur les ailes du vent, Vous, la source d'eau vive les âmes vont boire, Vous, la nue éclatante et le soleil levant,

Dans le bleu du matin tourterelle envolée, Lvs de candeur éclos dans le jardin des cieux, Soutien de l'innocent, Marie immaculée, Laissez tomber sur nous un regard de vos yeux.

Vos pieds blancs sont posés sur l'océan qui gronde, Votre front resplendit par delà le couchant. Mais vous prenez pitié des misères du monde Et du rossignolet vous écoutez le chant.

Faites que nous gardions gaiement votre bannière Et que, bons serviteurs fatigués de lutter, Nous entendions encore, à notre heure dernière, Au clocher du village un Angélus tinter.

Cette musique est douce à l'orphelin qui pleure, Douce à la nuit qui tombe et douce au point du jour. Elle nous conduira vers la claire demeure fleurit le rosier de l'éternel Amour.

LE MIRACLE DE SAINT NICOLAS

Heureux si, de bien loin suivant les saints apôtres, Parmi l'or et l'azur du royaume enchanté, Nous pouvons, dans la paix promise à tous les vôtres, Adorer à jamais votre virginité!

FIN

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f BIBLIOTHECA

cAchevê d'imprimer le seize avril mil huit cent quatre-vingt-huit

PAR

ALPHONSE LEMERRE

(Th. Bret, conducteur) 25, RUE DES GRANDS-AUGUSTIXS, 2 S

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