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Le Mouvement littéraire
1908
DU MEME AUTEUR
Le Mouvement littéraire — 1904. ';
Préface de M, Paul Hervieu, de rAcadémie française. ^
]
Le Mouvement littéraire — 1905.
Préface de M. Henry Roujon, Secrétaire perpétuel de \ l'Académie des Beaux- Arts. i
\ Le Mouvement littéraire — 1906.
Préface de M. Jules Glaretie, de l'Académie française. i
Le Mouvement littéraire — 1907. ]
Tous droits de reproduction et de traduction réservés
pour tous les pays,
y compris la Suède, la Norvège^ la Hollande et le Danemark.
S'adresser, pour traiter, à la Libraine Paul Ollendorff, «
SO, Chaussée d'Antin, Paris, ^
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PH.-EMMANUEL GLASER
Le Mouvement
Littéraire
(petite chronique des lettres)
- -1908 -
Préface de M. Anatole FRANCE, de l'Académie Française.
PARIS \
SOCIÉTÉ D'ÉDITIONS LITTÉRAIRES ET ARTISTIQUES -
Librairie Paul Ollendorff \
3o, chausséed'antin, 5o 1
1909
IL A ÉTÉ TIRÉ A PART
5 exemplaires sur papier du Japon.
5 exemplaires sur papier de Hollande.
n
PRÉFACE
Il n'y a rien de difficile comme de parler des livres au jour le jour, de présenter au Public le volume encore humide. Il y faut beaucoup de mesure, de raison, de goût ; il y faut un esprit en garde à la fois contre Pen- gouement irréfléchi et contre l'humeur mo- rose. Et ce n'est pas tout : le chroniqueur des lettres doit accomplir une tâche écra- sante d'un air d'aisance et de facilité : car on ne souffre pas que sa plume s'appesantisse un seul instant. Son travail de bénédictin, nous voulons qu'il nous en fasse part avec une rapide élégance. C'est pourquoi nous
M l'TlV.FACE
devons être très reconnaissants à M. Ph.- Emmanuel Glaserde nous faire suivre depuis cinq ans déjà le mouvement littéraire tou- jours grandissant,' divers, confus, démesuré.
Le bien que je pense de M. Glaser, je le dis publiquement très volontiers et sans em- barras, bien que M. Glaser m'ait été plus d'une fois favorable dans sa critique. Mais on ne croira pas que je le loue pour cela. Ceux qui me connaissent penseront au con- traire que de tous ses articles ceux qu'il m'a consacrés ne sont pas ceux que j'ai lus le plus attentivement ni avec le plus d'intérêt. La critique nous apprend à nous connaître nous- mêmes, et je ne tiens pas du tout à me con- naître. J'aime mieux fréquenter les autres et m'oublier dans l'univers.
Les livres nous font sortir de nous-mêmes. C'est leur charme.
Je ne parle pas seulement des chefs-d'œu- vre ; mais aussi des ouvrages qui ne sont pas tout à fait mauvais. Le mérite d'un ouvrage
PREFACE VU
n'est pas absolu ; il dépend de l'heure et du lieu. Tel livre, qu'on serait tenté de dédai- gner, plaît à son moment, mis sous un bon jour.
Voilà ce que M. Glaser sait aussi bien que personne. Il excelle à présenter un livre. Il se débrouille admirablement dans les nou- veautés. C'est très difficile. Une opinion sur Homère ne demande pas d'esprit : tout le monde a la même ; cela s'achète tout fait. Mais une opinion sur ce livre récent de cet inconnu, voilà qui est embarrassant !
En cette matière délicate, M. Glaser se tire très bien d'affaire ; il a l'esprit juste et pon- déré, il sait choisir ; il sait résumer. Ce sont les deux qualités essentielles du chroniqueur littéraire.
Anatole France.
JANVIER
LES ROMANS
RENE BOYLESVE
Mon Amour.
M. René Boylesve nous dit une histoire délicieu- sement simple et délicate et suggestive, Mon Amour, C'est l'amour du héros pour une char- mante jeune femme, madame de Pons, abandon- née par son mari, brutal et volage; elle se donne après une longue attente à l'ami, pour renoncer à lui à la première prière du mari lequel rentre au bercail replantant et désireux dégoûter à nouveau les conjugales félicités.
Vous voyez comme cette histoire est simple,
1
LE iMOUVEMEiNT LITTERAIRE
mais elle prend, par les notations d'une si liiic et si délicate psychologie de M. René Boylesve, une saveur tout à fait particulière ; son héros est un très moderne amoureux : il aime vraiment d'une passion très sincère, très ardente, mais ce n'est pas un héros de tragédie ; il se regarde aimer, analyse ses sentiments, note ses sensations, nous dit Tardeur de son désir, la joie de la possession, la douleur de l'adieu, mais sans perdre jamais le sens de la^ mesure ; la femme qu'il aime ainsi n'est pas moins moderne ni moins mesurée ; elle a souf- fert 1res modérément du départ de son mari, elle aime très tendrement son amant, et elle revient très gentiment à son mari ; tout cela parce qu'il est bon, régulier et normal qu'il en soit ainsi, et que nous ne vivons plus dans des temps héroï- ques ; ces choses sont indiquées, sous-entendues par M. René Boylesve, avec une grâce, une déli- catesse exquises, et c'est un livre tout à fait déli- cieux.
EMILE MOSELLY Le Rouet d'ivoire.
M. Emile Moselly dont l'Académie Goncourt a couronné la Vie lorraine, « -Contes de la route et de l'eau », n'a pas attendu longtemps pour nous offrir une manifestation nouvelle de son jeune
JANVIER — LES ROMANS 6
talent, et à peine était-il honoré do ce laurier pré- cieux, qu'il prétendait le justifier mieux encore, en essayant, selon la formule lancée récemment à propos d'une certaine décoration littéraire, « d'é- crire un beau livre »... Ce livre est intitulé le Rouet cV ivoire, « enfances lorraines ».
Comme on le voit, M. Moselly reste fidèle à sa petite patrie dont il sut peindre si heureusement les paysage? émouvants, l'âme mélancolique, les mœurs touchantes, les traditions pittoresques ; dans son nouveau livre il nous dit ses souvenirs, ses impressions d'enfance au pays lorrain; c'est dans un chant monotone et divers à l'infini, « le rouet du passé qui dévide lentement le fil brillant de sa jeunesse », et c'est une multitude de petits tableaux simples, rapides, charmants, aventures menues, histoires enfantines, visions fugitives, où nous voyons sous le ciel lorrain, dans le vieux village, au milieu des silhouettes caractéristiques et fami- lières, naître et palpiter une âme d'enfant; ces souvenirs, ces histoires de veillées sont dits en des lignes rapides, ramassées, en quelques traits heu- reusement choisis, dans une langue harmonieuse et souple, et qui est souvent — pas toujours — d'une exquise simplicité.
En lisant telles de ces pages, on se prend par- fois à penser à Jules Renard, qui fut justement l'un des juges de M. Moselly, et, je ne crois pas qu'on puisse adresser de plus bel éloge à cet écri- vain dont l'œuvre ne manque pas, d'autre part,
4 LE Mouvement eii ikuaiufî i
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de qualités originales, et possède notamment ce ] goût de terroir qui nous enchante. \
GASTON LEROUX Le Mystère de la Chambre jaune.
Le roman, que M. Gaston Leroux a publié sous le titre le Mystère de la Chambre jaune, a béné- ficié d'une bonne presse, et vraiment il la méri- tait, car l'auteur a fait la part belle aux journa- listes si sacrifiés dans les romans en général et en particulier dans ceux qu'écrivent les journalistes. Ici, au contraire, le jeune reporter, qui est le hé- ros du roman, est un héros tout court, dont l'é- nergie, la vaillance et le délicat désintéressement sont admirables : un peu de la gloire de Joseph Rouletabille rejaillit sur la corporation tout en- tière ; ce serait déjà pour moi une raison excel- lente de louer le livre de M. Gaston Leroux, mais il y en a une autre, meilleure encore, c'est que ce roman policier est un des plus surprenants, des plus extraordinaires, des plus émouvants qu'il m'ait été donné de lire depuis longtemps, et Dieu sait si Sherlock Holmes, Arsène Lupin, et tous les brillants descendants des héros de Gaboriau au- raient pu me blaser sur ce genre d'émotion.
C'est que ce Rouletabille est vraiment un être
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prestigieux, un type inoubliable : ce reporter qui réussit une opération de police inouïe, découvre le criminel le moins soupçonnable et dénoue avec une prestesse merveilleuse une situation tragique et sans issue, n'est pas, et ne veut pas être un po- licier; le flair n'est point son atlaire, il raisonne, voilà tout! Mais avec quelle ingéniosité, avec quelle obstination, avec quelle force de logique : grâce à sa toute-puissante raison, à ses déductions impla- cables, il aboutit aux résultats les plus invraisem- blables, les plus déraisonnables, mais qui sont pour lui des certitudes nécessaires, car la réalité ne peut qu'être conforme au bon sens, et en effet, Rouletabille et la raison triomphent sur toute la ligne, mais quelles péripéties, quelles angoisses et quels mystènis!
Il est beau vraiment de savoir mettre tant de logique, un bon sens si mathématique au service d'une si extraordinaire im igination, et l'odyssée fie ce; Rouletabille qui, au milieu de difficultés et de périls sans nombre, sauve l'innocent, confond le coupable, mais ne le prend pas, d'abord, parce qu'il lui répugnerait de faire œuvre de policier, ensuite et surtout, parce que la fuite du coupable est indispensable au salut définitif de la victime, est vraiment une bien passionnante histoire que M. Gaston Leroux, bon journaliste, nous conte sans phrases, en des pages alertes, vivantes, rapides.
() LE MOUVEMENT LITTï:RAIRE
PAUI.-lIKMil CxVPDEVlIiLLE
Fils de la Terre.
« Roman béarnais » : c'est ainsi que ^l. Paul- IFenri Capdevielle qualifie son roman : roman béar- nais en effet, puisqu'il se déroule dans l'agreste et pittoresque décor de la campagne des Pyrénées, mais aussi roman éternel du sol, de la passion, de l'orgueil dont est rempli le cœur des paysans pour la terre ancestrale et nourricière ; cette pas- sion dont on ne saurait nier la grandeur et la no- blesse, et que M. Capdevielle a su incarner avec Itcaucoup de force et d'éloquence dans la figure du vieux cultivateur de Castell)ieth, domine tous les autres sentiments et les exclut tous ; il en est un pourtant, qui, lorsqu'il se décide à entrer en scène, se cbarge de tout démolir, de tout moderniser, et il s'appelle tout bonnement l'amour I Cette vieille vérité ressort triomphalement de l'aimable et tou- chante histoire, qui se termine d'ailleurs le mieux du monde et qui vous laisse sous une fort agréa- ble impression.
JEAN AJALBERT
Bas de soie et pieds nus.
Voici un livre tout à fait séduisant, varié, ori- ginal, de Jean Ajalbert, dont le titre : Bas de soie
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et Pieds nus, nous dit, de façon pittoresque, la diversité, car l'auteur nous y conduit, sans ordre apparent, au hasard de sa fantaisie et de ses aven- tures, en des notes, en des nouvelles, en des des- sins, même en des chansons, du Moulin-Rouge au Laos, au Siam, au ïonkin. « Bas de soie et Pieds nus », petites femmes de Montmartre sous les ai- ]f'S du moulin, vierges candides et jaunes dans l'ombre des pagodes; c'est d'une saveur tout à fait particulière et d'un très vif agrément; il y a là des souvenirs parisiens, que dis-je ! montmartrois, émouvants, joyeux, pittoresques; des nouvelles, dont Tune notamment, leP'tit, est une chose tout à fait exquise ; des notes de voyage, des histoires de Brousse; des photographies et des images spi- rituelles et jolies de Carrière, de Chéret, de Guys, de Raffaëlli, de Steinlen, illustrent et animent ce livre charmant que l'auteur dédie à Frédéric Mis- tral, en le prévenant gentiment que ces « héroï- nes montmartroises n;î sont guère des connais- sances à faire pour Mireille ». « Vin d'épave, ajoute-t-il, au tonnelet de hasard, dont il vous faut boire sans faire la grimace; collier baroque d.'. coquillages rassemblés d'un peu partout ».
HISTOIRE. SCIENCE, DIVERS \
ARTHUR CIIUQUET
Souvenirs du baron de Frénilly, pair de France • (1768-1828).
Le baron de Frénilly, pair de France, dont la vie s'écoula entre Tan 1768 et l'an 1848, n'a pas, je crois bien, sa place marquée dans la grande bisloire, et je sais bon nombre de gens à qui ce nom sera révélé par le volume publié par M. Ar- thur Chuquet : Souvenirs du baron de Frénilly ^ pair de France {17 68-1 8^8). Cette figure valait la peine d'être révélée et M. Arthur Chuquet a saisi l'occasion de nous crayonner avec cette concision, cette merveilleuse abondance de renseignements et de faits, cette éloquente précision dont il a le secret, un très intéressant et très vivant portrait de son héros; en quelques pages, il nous raconte
JANVIER — MISTOIRE, SCIENCE, DIVERS 9
la vie si tourmentée de cet aristocrate d'instinct qui détesta d'emblée la Révolution et qui eut des convulsions de joie au 9 Thermidor, qui ne put se résigner à l'Empire, « qui faisait de la France une nation esclave au logis et maîtresse au dehors », et accueillit le retour des Bourbons avec enthou- siasme, élucubra en leur honneur une épopée, et quitta la France aux Cent-Jours ; fît, après les Cent- Jours, de la politique active et fort réaction- naire, et, s'étant après la Révolution de 1830 exilé pour rester fidèle au drapeau blanc, mourut à Graetz le 1" août 1848.
C'est dans cette dernière période qu'il écrivit ses souvenirs « non exempts d'erreurs et d'inexacti- tudes, car il est déjà loin de Tépoque qu'il dé- crit », nous dit M. Arthur Chuquet ; en outre, il n'est pas exempt de vanité; il grossit le rùle qu'il a joué et, si on l'en croyait, il serait un des princi- paux acteurs de la Restauration; « il est homme de parti, et ses préventions ont dicté nombre de ses jugements »; « les d'Orléans ne lui inspirentqu'un sentiment d'horreur; il n'aime ni Louis XVI ni Louis XVIII qui est sa bète noire, il a peu de goût pour }le duc et la duchesse d'Angoulème, et ré- serve toutes ses tendresses au seul roi, Charles X. » On voit donc qu'on rechercherait vainement de l'impartialité dans ses souvenirs, mais c'est préci- sément cette injustice et ce parti pris, tout rem- plis d'ailleurs de sincérité, qui font l'intérêt et la valeur documentaire de ces souvenirs singulière-
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10 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ment pittoresques; avec leurs descriptions du Pa- ris d'avant la Révolution, des spectacles, des foi- res,, des bals, des modes, avec les anecdotes en foule, qui peignent au vif la lâcheté humaine, l'é- vocation de scènes curieuses de la vie parisienne sous !e Directoire, la peinture de la société de l'Kmpire, une multitude de johs et piquants por- traits; tout cela est singulièremcînt amusant, va- rié, bariolé d'un agrément très vif et souvent d'un très puissant intérêt historique.
DE LANZAC DE LABORIE
Paris sous Napoléon. — 4*^ volume. La Religion.
Ce volume termine l'œuvre magistrale que M. de Lanzac de Laborie a consacrée à Paris sous Napoléon et à laquelle le grand prix Gobert fut décerné Tan dernier. 11 a pour titre la UeUyion, et l'auteur, qui a toujours eu en vue de consacrer dans son œuvre une étude à l'organisation et à la vie religieuse, ne nous dissimule pas que « c'est la crise actuelle des rapports de l'Eglise et de l'Etat qui l'a porté à ne point différer cotte étude ». Il lui a semblé que pour parler de l'établissement à Paris du régime concordatiire, le moment était propice, où ce régime vient de prendre fin. Le
JANVIER — HISTOIRE, SCIENCE, DIVERS H
sujet est brûlant, et il est terriblement difficile de le traiter avec impartialité. M. deLanzac de Labo- rie s*y efforce cependant, nous dit-il, et il nous déclare que « des convictions dogmatiques n'ap- paraissent nullement comme inconciliables avec la scrupuleuse recherche de la vérité historique ». Pour se contraindre à cette impartialité et à cette froideur d'historien, « il s'astreint à multiplier les citations, au risque d'alourdir le récit » ; le livre reste pourtant singulièrement vivant et atta- chant, en même temps qu'il constitue un docu- ment de premier ordre.
E. A. MARTEL
L'Evolution souterraine.
\/Kcolation souterraine : titre mystérieux et Irouhlant; l'aulcur nous explique ainsi son sens cî sa portée : « par évolution souterraine, il faut entendre, dit-il, au point de vue philosophique : 1" l'exposé et l'explication sommaires des phénomè- nes (passés ou présents) réalisés et parvenus à no- tre connaissance .sous la surface du sol terrestre ; 2" la déduction des conséquences actuellemenl ;i{)j)Iiquées, en vertu de ces phénomènes, aux • livers composants tangibles de la nature terres-
12 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Ire, depuis le minéral jusqu'à Thomme; 3^ la pré- vision ralionnelle des autres manifestations sou- terraines, que l'avenir pourra voir éclore; 4° l'a- perçu hypothétique des plus plausihles change- ments, qui risquent d'en découler encore, au cours des temps futurs, pour la planète, pour ses élé- ments constitutifs et pour ses habitants. »
Lisez attentivement ces lignes où la pensée du savant s'exprime en un langage' volontairement aride et fruste et vous comprendrez l'ampleur du sujet, sa noblesse, son poignant intérêt et sa por- tée philosophique, car « les enseignements fournis par le sous-sol souterrain sont tirés d'observations qui relèvent à la fois de la matière, de l'énergie, de la pensée et du temps. Ils empruntent donc à ce multiple caractère une réelle portée philosophi- que; déjà ils fixent certains repères permettant d'ordonner des découvertes, de proclamer des vé- rités et de construire des hypothèses. » Ces repè- res, l'auteur les examine en étudiant tour à tour : la fissuration de la terre, l'œuvre de l'eau et du feu souterrain, la dessiccation de la planète, la contamination des sources, la faune des cavernes, la préhistoire et l'évolution progressive. Que de choses en ces 400 pages ! que d'attrayants mystè- res pour Pignorant qui las lit sans toujours les comprendre parfaitement et qui s'essaye à suivre l'auteur « par le sentier rude et escarpé jusqu'à la clarté du soleil, vers cette évolution au grand jour, seule capable de réduire progressivement les mi-
JANVIER — HISTOIRE, SCIENCE, DIVERS 13
sères et perversités humaines, de réformer peu à peu les désharmonies aberrantes de notre perfec- tible intellect ».
HEXRI ÏUROT
Amérique latine.
M. Henri ïurot est un de ces écrivains qui sa- vent en voyagea beaucoup voir et beaucoup rete- nir, et il nous a rapporté de sa récente tournée en Amérique latine un superbe livre, amusant, pit- toresque, passionnant, tout rempli de renseigne- ments et de documents, œuvre considérable, dont M. Pierre Baudin a dit excellemment la portée en une courte, éloquente et concise préface, où il con- clut qu'il c( faut savoir gré à l'auteur d'avoir voulu nous faire profiter de ses études et de son expé- rience. Tout le monde trouvera à glaner dans son livre, les uns, des renseignements utiles, d'autres de jolies descriptions, les hommes d'Etat, de pré- cieux avis, et tous, la connaissance des vivantes et chaudes sympathies qu'un jeune continent d'ou- tre-mer garde à la vieille France, toujours écou- tée et toujours aimée des peuples latins. »
14 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MÉIVIENTO DU MOIS DE JANVIER
ROMANS
Aulnoye (Pierre d'). — Le Lieutenant de Trémazan, « un ofli- cier do l'Est. »
Barranx (Serge). — L'Abbé Ramel, t le prêtre de demain ». Préface par M. (lustave Geffroy. Uue œuvre tout à fait intéressante où l'auteur a traité le plus périlleux et le plus délicat des sujets, en «'efforçant de ne point bles- ser les consciences catholiques. L'histoire de l'abbé Rarael n'est celle ni d'un révolté, ni d'un renégat, c'est un prêtre qui, selon l'expression de M. Gustave. Geffroy dans sa préface, « quitte la prêtrise parce qu'il ne peut plus mettre d'accord sa pensée et sa vie, et l'auteur a analysé cette crise de conscience avec une dextérité infinie. »
Bazan (Noël.) — Double visage.
Ghabrier (M'»^ Charlotte). — Gens de bien, « silhouettes pro- testantes ».
Chazournes (Félix de). — Les ïioucles. Nouvelles.
Dalsace (Lionel). — Dette fatale.
Déglantine (Sylvain). — Les Terriens dans la lune, un livi-e in- génieux et troublant.
Démangeât (Maurice). — La Fondrière.
Denoinville (Georges). — Fils d'Annexé, un roman patrioti- que où l'auteur nous dit les douleurs d'un Alsacien forcé d'opter pour l'Allemagne et désireux de faire de ses fils des français de cœur.
Gontier (Ferdinand). — Le procès de M. Pipe, « mœurs judi- ciaires. »
Jleadon Hill. — Sous peine de mort, un très palpitant roman policier adapté de l'anglais par M. F. Delmonl.
JANVIER — HISTOIRE, SCIENCE, DIVERS 15
Herrgot. — U)ie femme de France au xv^ siècle, roman histori- que.
Hudry-Menos. — Un petit monde alsacien, « roman pour les jeunes filles j.
Ibels (André). — Voir Georges de Lys.
Joliclerc (Etienne). — Un testament original.
Kerlys. — C'est faiblesse que d'aimer.
Kipling (Rudyard). — Histoires comme ça.
Lys (Georges de) et André Ibels. — L'Arantelle.
Margarret Bohme. — Le Journal d^une fille perdue par une morte.
Pêne (M^e a. de). — Pantins modernes, une série de petites his- toires spirituellement dialoguées et gentiment illus- trées, où l'auteur s'est diverti à dire en des phrases fleuries les pires rosseries sur les femmes en général, les intellectuelles et les autoresses en particulier : je m'indignerais bien volontiers contre l'injustice et la cruauté de M"» de Pêne, si je ne songeais que son li- vre est un décisif argument contre elle-même, et qu'a- jjrès l'avoir lu on ne peut qu'avoir une opinion excel- lente de la littérature féminine...
Pontsevrez. — Soldat de malheur.
Teilhac (Charles). — La Part du prêtre.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATHK — POESIE POLITIQUE — DIVERS
-^eorges (Joseph). — Le Deuil du Clocher, « Récits berrichons et promenades autour de La Châtre ». Nrnous (P.). — Pierre Legrand : un parlementaire français de 1876 à I895y préfacé par M. Saisset-Schneider. )tz (Baron de) — La Vie et les Conspirations de Jean, Baron de lialz (1754-1793), un très remarquable ouvrage paru dans la série fies « études sur la Contre-Révolution », DÛ l'autour fait revivre de façon saisissante « une des
](i LE MOUVEMENT LITTÉRAIRK
pins importantes et d«'s plus mystérieuses figures de cette période révolutionnaire > ligure qui, à chaque page de cette époque, encore si ignorée, apparaît tan- tôt héroïque, tantôt narquoise, tantôt vengeresse, tantôt provocatrice, mais toujours redoutée, huie et désespérément crainte d'hommes qui se nommaient Ro- liespierre, CoUot d'Herbois, Fouriuier-Tinville et Tal- lifii.
i; vlir (Général L. Uc). — Le Voyage archéologique en Birmanie et en Mésopotamie : Prome et Samara, un livre singuliè- rement émouvant, i)assionnant, ornée de captivantes photogra])hifrs.
Ronnefons (André). — Un Etal neutre sous la Révolution, la Chute de la République de Venise (1789-1797).
Rournaud (Voir Saviae).
Rrisson (Adolphe). — Le Musset des jeunes filles.
Choussy (J. E.). — Vie de Jeanne d'Arc.
Coppée (François). — Une lettre de Chrislmas, un poùme char- mant et émouvant que les amis et les admirateurs du poète saluèrent comme un heureux présage de gué- rison prochaine et qui fut, hélas, une de ses dernières œuvres.
Coquet (L.). — La Politique commerciale et coloniale franco-aile- mande, un volume éloquemment préfacé par M. le sé- nateur Saint-Germain.
David (Gaston), — Bonheur enfui, poèmes de la douleur et du souvenir.
Dayot (Armand). — La Peinture anglaise^ de ses origines à nos' jours. Un splendide ouvrage dont les images sont ad- mirables; on a un plaisir infini à regarder ces 300 il- lustrations et ces 2o gravures en taille-douce, où revi- vent dans toute leur grâce, toute leur beauté, tout leur sourire, les chefs-d'œuvre des Romney, Gainsbo- rough, Raeburn, Turner, Reynolds... Quant au texte, rapide, coloré, savant, sans jamnis être pédant, c'est une véritable histoire critique de l'école de peinture anglaise, très attachante à lire et toute remplie de pré- cieux renseignements, j
belaruerllardrus (Lucie), — La Figure de proue, des vers d'un poète délicieux et charmant.
JANVIER — HISTOIRE, SCIENCE, DIVERS 1/
Delisle (Léopold). — Recherches stir le libraire de Charles V.
Donnay (Maurice). — Théâtre, voici sous la forme définitive du livre, notre chère « Lysistrata » et cette « Educa- tion de prince» destinée à montrera nos petits-neveux ce qu'était, à Paube du vingtième siècle, l'esprit pari- sien, l'esprit français le plus raffiné, le plus délicat; et t Amants », et « la Douloureuse », et l'Affranchie »...
Dostoiewski. — Correspondance. Voyage à l'étranger, traduc- tion de M. Bienstock.
Dumoulin (Maurice). — Précis d^Histoire militaire : Révolution et Empire.
Eberhardt (Isabelle). — Notes de Route, des pages émouvantes d'une jbelle et palpitantes héroïne sur le Maroc, l'Al- gérie, la Tunisie, publiées par M. Barrucand.
Faure (Maurice). — Pour la Terre Natale, des « pages histori- ques et littéraires » publiées par un homme politique qui est en même temps un très délicat écrivain et pré- cédées de quelques mots émus et spirituels de M. Jules Claretie saluant a le patriote et le lettré de race, l'ar- dent initiateur du mouvement provincialiste parisien, qui consacra le meilleur de son âme à la glorification du pays natal et au culte de l'idéal ».
Fèvre (Mgr Justin). — Le Pontifical de Léon XIII.
Félice (Raoul de). — La Basse- Normandie , étude de « géogra- phie Régionale «.
Fouchet (Maurice). — La Vie impérissable. Poésies.
Gallois (Eugène). — En Amérique du Sud : Notes et Impressions .
Gand (Auguste). — Les Cantilènes du bon Pauvres. Poésies.
Gittler. — L'Œuvre de Chardin et Fragonard, un magnifique volume où 213 chefs-d'œuvre des deux grands peintres sont reproduits en de merveilleuses gravures et hélio- gravures. Une intéressante préface de M. Armand Dayot, des commentaires et descriptions de M. L. Vail- lant donnent à cet admirable album, l'intérêt et l'u- tilité pratique d'un document et d'un catalogue.
Gourmont (Remy de), — Saint-Amant. « Collection des plus belles pages ».
Grand-Carteret (John). — Derrière lui, un recueil de littéra- ture et de dessins, de brûlante et scabreuse actualité ou l'auteur nous donne l'iconographie des scandales
18 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
allemands, et Dieu sait s'ils ont inspiré la verve des dessinateurs humoristes!...
Heim (Maurice). — Les Fleurs de rêve. Poésies,
Kritsky (Mademoiselle). — L'Evolution du Syndicalisme en France.
Li Rochefoucauld. — Maximes, suivies de réflexions diverses et précédées d'une copieuse, suggestive et judicieuse préface où M. Thénard explique et défend l'oeuvre do La Rochefou<';nill fiu)\ro ]■, .nnllihi']" de ses détrac- teurs.
Maistre (Lieatenani-t.ij.u.ici;. - >picJteiefi, h août 1870. Un volume d'histoire militaire préf.icé par le général Laii- glois.
Mercier (S.). — Tableau de Paris. Nouvelle Edition.
Michelet (Victor-Emile). — L'Espoir merveilleux. Poésies.
Nougarôde de Fayet. Le Duc d'Enghien : Recherches histori- ques sur son procès et sa condamnation.
Quentin-Bauchart (Pierre). — Lamartine et la Politique étran- gère de la révolution de Février : 24 février, 24 juin 1848.
Régamey (Jemne et Frédéric). — Au Pays des Cigognes, un volume copieusement illustré de jolis, dessins de Frédé- ric Régamey, où les auteurs, pour faire mieux connaî- tre aux enfants de France la province perdue, ont clioisi la forme très heureuse et très attrayante d'un roman juvénile, 'qui se passe à l'école des jeunes filles et au lycée de Colm-ir. c'est émouvant, pittoresque et amusant.
Rozat de Mandres (Général). — Les Régiments de la Division Margueritte et les Charges à Sedan.
Savine et Bournaud. — Le 9 thermidor, un intéressant volume, d'après dos documents et des mémoires.
Schuré (Edouard). — Femmes inspiratrices et Poètes annoncia- teurs, silhouettés en des piges émouvantes et curieuses.
Seillière (Ernest). — Le Mal Romantique, un livre dans le- quel l'auteur poursuit ses études magistrales sur la philosophie de l'impérialisme; l'œuvre est très ingé- nieuse et très forte, elle est d'une valeur philosophique et historique considérable ; je ne crois pas qu'elle soit toujours d'une parfaite équité et que M. Ernest Seil- lière ait tout à fait raison de nous dire que le t rom an-
JANVIER — HISTOIRE, SCIENCE, DIVERS 19
tisme moral dans sa pratique et. dans ses conseils, rem- place l'individualisme normal de l'être vivant par un morbide égotisme et substitue à la raison avisée quel- que mysticisme aveugle et aveuglément écouté». Il y a beaucoup, je crois, à discuter dans cette œuvre consi- dérable; on y trouve, j'en suis sûr, beaucoup à appren- dre et à méditer.
Tiersot (Julien). — Les Fêtes et les Chants de la Révolution française.
Weil (Paul). — Chansons sur l' pouce, de spirituelles chansons qui déchaînèrent les enthousiasmes et les rires du bou- levard de Clichy et amuseront beaucoup les lecteurs du livre que M. Georges Chepfer a préfacé en un aimable et spirituel dialogue.
FEVKlEll
LES ROMANS 1
LEON FRAPIE La Figurante
M. Léon Frapié se complaît dans la compagnie (les humbles, des réprouvés, et il semble décidé- ment vouloir leur consacrer toute son œuvre et tout son talent. Il nous a émus déjà, en des œuvres diverses, aux tristesses des pauvres gosses et aux désespoirs des fdles perdues ; dans sa douloureuse galerie des misères humaines, la Figurante vient aujourd'hui prendre place. La Figurante c'est la bonne à tout faire, c'est selon M. Léon Frapié, la femme qui reste en marge de la famille, qui est
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tout à la fois « la vanité et la punition » des petits bourgeois en toc, ennemie naturelle et légitime des autres, parce que « les circonstances lui font une individualité foncièrement séparée de la leur et rendent ses intérêts différents, inconciliables ». Telle est la thèse que M. Léon Frapié soutient dans son roman et à l'appui de laquelle ils nous conte l'histoire de la petite bonne Sulette, privée de son nom dès son arrivée à Paris et baptisée Marie — car les bonnes, en principe, doivent s'ap- peler Marie. Dans cette histoire il a accumulé tou- tes les manifestations de l'injustice, de la dureté, de l'égoïsme bourgeois à l'égard des bonnes, toutes les misères, toutes les hontes, tous les périls qui les menacent et les coudoient dans la grande ville; c'est ainsi que Sulette apprend à connaître dans toutes les places qu'elle fait à Paris la méchanceté des petits enfants qui tourmentent les bonnes, les tristesses des intérieurs d'officiers pauvres où man- que la nourriture, les visites équivoques dans les « sixièmes étages des belles maisons bourgeoises, qui constituent' en quelque sorte un pays séparé, une région sans mélange avec les autres localités environnantes » : visites de tireuses de caries dont la bonne aventure est le métier le plus honorable, et de chanteurs de cafés-concerts en relation avec la police ; c'est ainsi qu'elle se trouve victime tour à tour des vieux messieurs passionnés et des odieux bourgeois qui recherchent une bonne gentille pour retenir le grand fils à la maison. Après avoir vu
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et vcca toutes ces tristes choses, Sulette, connaît l'horreur de la maternité réprouvée, chassée, hon- nie; et lorsqu'enfm, son enfant mort, elle rentre en place, c'est pour apporter, dans un sentiment inconscient de vengeance, le deuil et le désespoir dans un gentil et innocent ménage.
Comme vous voyez, aucun des malheurs tradi- tionnels de la honiie à tout faire n'est épargné à Sulette, et de cette analyse vous pourriez conclure que le roman de M. Léon Frapié est tout à fait conventionnel; d'où vient cependant que sa lecture intéresse, passionne, émeut? C'est, je crois bien, que l'auteur met dans h) récit de ces aventures convenues une sincérité absolue, une entière con- viction : il semble qu'il n*y ait dans tout cela au- cune habileté, aucun art, et c'est précisément en quoi consiste l'art suprême de l'auteur, dont l'œu- vre est animée d'un grand souffle de poignante et vivante humanité.
CHARLES-HENRY HïRSCH Un Vieux Bougre
Un de ces romans àl'eau-forte où s'affirme âpre- ment, douloureusement même parfois, l'originalité du talent de M. Ch. Henry Hirsch si étrange, si personnel, si brutal et si délicat.
De toute la hauteur de sa silhouette, de tout le
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mystère de son passé, le Vieux Bougre domine le livre : c'est Gaspard Michel, le formidable paysan beauceron, qui, à la suite d'une bohémienne, la belle Mabrouka, quitta le pays, où il laissait le sou- venir de violences, et de voluptés, pour s'en aller à travers le monde, du cap de Bonne-Espérance au détroit de Magellan, d'Irkoutsk aux prairies d'Australie, des solitudes asiatiques aux jardins clairs de la Toscane, « transgresseur des lois, su- jet de ses seules passions, batailleur victorieux, impitoyable », et revenir certain soir, à soixante - quinze ans, au village natal, la ceinture remplie d'or, toujours plein d'une belle vigueur, farouche- ment muet sur ses aventures, autoritaire et despo- tique.
Cet étrange vieillard vit au soir de sa tumul- tueuse existence une aventure étrange, formidable, amoureuse et tragique, entre son petit-fîls, le sol- dat Michel, et deux jeunes personnes, mesdemoi- selles Rubis et Youyou, qui joignent à leur métier peu rémunérateur d'ouvrières en couronnes funé- raires une autre profession plus pénible encore et moins avouable.
L'existence du grand-père, amoureux successi- vement des deux jeunes femmes, dans un hôtel borgne de la banlieue parisienne, son retour au pays, son attentat tragique contre son petit-fîls et son départ de chemineau sanglant, tout cousu de billets de banque, seul, allègre et fort dans la nuit obscure, tels sont les épisodes de cette étrange
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histoire où M. Cliarles-Hcnry llirsch, au gré de sa fantaisie, fait tour à tour trembler et sourire sou lecteur par des spectables d'une grandeur tragique ou des observations d'une acre drôlerie...
HENRY KÎSTEMÂECKERS M. Dupont chauffeur
M. Dupont chauffeur, est un « nouveau roman comique de l'automobilisme », nous dit l'auteur, lequel compte bien par cette indication se conci- lier la sympathie des foules qui s'esclaffèrent à la lecture du premier « roman comique » de ce noble sport, WiU Trimm et C^.
Ils riront encore et copieusement en lisant M. Dupont chauffeur, roman dénué de toute es- pèce de prétention, d'un style plutôt familier et qui abonde en facéties joyeuses, que M. Henry Kistemaeckers a semées à travers toutes les pages en prodigue, sans choisir. Et il a eu bien raison, puisque ces facéties ne ratent pas leur effet et qu'elles font rire toujours et parfois penser ; mais oui ! sous tout cela on trouve une très ingénieuse notation psychologique des désordres que la reine automobile a amenés dans certaines existences et dans certains cerveaux, des transformations qu'elle a apportées, non seulement dans les mœurs, mais
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dans les hommes, changeant par la toute puissante vertu des peaux de bique hirsutes et des lunettes, de paisibles et incolores bourgeois en fougueux Tartarins, éperdus de vitesse et de mécanique.
C'est très ingénieusement et très spirituellement observé, et vous trouverez sûrement dans M. Du- pont chauffeur quelques figures de connaissance : vous y trouverez aussi des « commentaires sur la vie automobile au début du vingtième siècle, mêlés de quelques tartarinades significatives et de conseils dictés par l'expérience autant que par le sens commun », qui sont vraiment d'une fort joyeuse sagesse.
ÏANCREDE MARTEL Blancaflour
JJlancaJlouf est un roman de cape et d'épée, un ro.nan de guerre et d'amour, un roman d'histoire, <'t c'est vraiment dans ce genre très spécial où l'imagination et la fantaisie se mêlent à l'évocation historique, l'une des œuvres les plus ingénieuses, les plus vivantes que j'ai lues depuis longtemps.
Il y a là notamment une reconstitution d'Avignon au quatorzième siècle et de la vie des Papes, qui est d'une couleur, d'une vérité, d'une vie surpre- uantes; c'est tout à fait beau et très amusant. Et
2
^2() LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE ;
le drame d'amour qui se déroule à travers le livre, |
depuis la captivité en Syrie jusqu'au trône ponti- \
fical, entre le bâtard Jean Porcellion de Porcelet, À
devenu le pape Etienne X, et l'orgueilleuse et >
splendide beauté Etiennette, surnommée Blauca \
Flour — Blanche Fleur, — est vraiment émou- ]
vaut, intéressant, et digne, ma foi, de la dédicace I
de M. Tancrède Martel qui ofTre (( humblement ce j
livre, roman de guerre, d'ambition et d'amour, ]
pour mieux dire : conflit d'ames, à la mémoire i
du ,ij;-rand poète et prosateur, Théophile , Gautier, \
à l'un des maîtres qui ont le mieux honoré la lan- ]
gue française, langue éternelle de la civilisation ». j
CAMILLE LEMONNIER Happe-Chair
Happe-Ckaù\ le puissant roman publié jadis par M. Camille Lemonnier a reparu cette année tout de neuf vêtu en une nouvelle édition, illustrée avec beaucoup de talent par M. Lobel-Riche. J'ai relu avec émotion cette étude poignante de mœurs ouvrières, qui suivit, à deux ou trois semaines de distance, Papparition de Germinal, dont certains critiques prétendirent qu'elle s'inspirait.
Absurde hypothèse! que M. Caînille Lemonnier réfutait d'avance en dédiant son œuvre à Emile
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Zola, et qu'une lecture attentive réduit à néant.
En effet, Happe-Chair est bien, comme Germi- nal, la sombre, mélancolique et rude peinture de la vie de l'ouvrier au pays noir, et les héros de M. Camille Lemonnier s'agitent et peinent dans la fournaise, à deux pas des mines où sont enfermés ceux d'Emile Zola, et pourtant rien n'est plus dis- semblable que leur esprit, que leur tempérament, que leur conduite, en face de la commune et sem- blable misère. Ici, c'est la révolte farouche et vio- lente ; là -bas, sous le ciel flamand, c'est la rési- gnation haletante, inquiète et douloureuse.
Ces tristesses, ces peines, ces humbles labeurs, M. Camille Lemonnier les a peints avec cette mi- nutie cruelle, impitoyable, qui est la marque de son talent et qui, par l'amoncellement des détails, arrive à des ensembles grouillants de vie, palpi- tants de réalité, et le livre, avec la rudesse et la disgrâce voulue de son style-peuple, reste (vingt ans après!) aussi vivant, vibrant et actuel qu'au premier jour.
HENRI BARBUSSE
L'Enfer
Ce n'est pas M. Henri Barbusse qui nous ramè- nera dans la jovialité : son roman, V Enfer, est
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lerriblcment pessimiste et douloureux; j'ajoute qu'il est assez raide* car les aventures qu'il dous conte se passent dans une chambre d'hôtel, dont les hôtes successifs sont contemplés par un voisin indiscret, habitant la chambre contiguë où un trou a été ménagé dans la cloison ; ainsi, notre homme aperçoit un série d'intimités, dont je ne saurais vous donner le récit, mais que M. Henri Barbusse nous dit avec beaucoup de talent et d'oii il tire des conclusions philosophiques qui ne sont pas sans audace ni sans ingéniosité.
GEORGE MIÏCHELL Petite Sagesse
Avec une grâce volontairement un peu surannée, avec aussi beaucoup d'esprit et de verve, M. J. Mit- chell évoque en ce gentil ronîan le quartier Latin vers Fan de gràc3 1835, en un temps où il y avait encore des grisettes et où les étudiants n'étaient point, dès l'adolescence, de vieux hommes désa- busés et pratiques.
Dans le cadre pittoresque, joyeux et bigarré de ce quartier Latin, dans le décor de la pension de famille tenue rue Servandoni par madame Lcmpc- reur, aidée de sa hlle Sylvaine, « petite sagesse », une gentille — si gentille — histoire d'amour se
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déroule, qui se conclut le plus aimablement du moude par un mariage infiniment sympathique.
Cette « petite sagesse » est vraiment une ravis- sante figure de jeune fille, jolie, primesautière et franche, et si raisonnable, que tout le monde lui demande des conseils. Inconsciemment, le jeune Pascal Douville, petit-fils, arrière-petit-fils de no- taire, marqué lui-même pour le notariat, se laisse ensorceler par sa grâce rayonnante, et son mariage nous enchante d'autant plus, qu'il permet enfin rhyménée de la tante Volcy avec le général César, son fiancé depuis le grade de lieutenant, fiancé éternellement remis à cause du « petit » sur lequel il fallait veiller.
Tout cela est naïf, aimable et pimpant, et je par- tage le plaisir de M. Adolphe Brisson, qui, dans une cordiale préface, se réjouit en son cœur de voir renaître dans un livre « l'exquise figure de la grisette disparue de la réalité » et avoue genti- ment qu'il est « amoureux de l'héroïne, l'adora- l)lc Sylvaine, qui unit la bonté de Mimi à la iraicté de Musette ».
HENRY BARGY
France d'exil.
Ce roman n'est pas seulement l'histoire, très at- chante en soi, d'un jeune ingénieur français en-
2.
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traîné au Canada, puis en Nouvelle-Ecosse, par son humeur aventureuse, et de sa triste aventure sen- timeutcile; c'est aussi, c'est surtout, uue peinture fidèle de la vie du Français outre- mer, d'où rcs- sortent très nettes des critiques de nos méthodes d'éducation et des leçons précieuses à méditer. En montrant dans ce livre, « dédié à ses compagnons français de la nouvelle Angleterre et do New- York », les déboires qui attendent au loin les émi- grants français, M. Henry Bargy les prémunit dans uue certaine mesure contre ces déceptions; c'est, dans la meilleure acception du mot, un ro- man utile.
LEON DE TINSEAU
Le Port d'attache.
D'une jolie note attendrie, le Port d'attache est un de ces récits intimes et touchants que l'au- teur de Ma Cousine Pot-au-Feu excelle à conter et à situer dans des tableaux de mœurs très ingé- nieusement brossés ; il nous fait assister, en des pé- ripéties fort émouvantes et parfois tragiques, à l'a- venture sentimentale d'Odette Tellières et de Este- ben Armendaritz, un jeune avocat basque, qui, dès la première entrevue, fut pour toujours séduit par la jeune fille et rêva de la conquérir et de la défen-
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(Ire. Mais que d'aventures, que de drames et que de luttes avant la réalisation de ce beau rêve, avant que le frêle esquif de la petite Odette se réfugie pour toujours dans le calme bonheur du « port d'attache » ! Ces péripéties, les luttes que doit sou- tenir l'héroïne du livre, les périls qu'elle côtoie, sont racontés par M. de ïinseau avec beaucoup de délicatesse, d'émotion et d'esprit, et c'est pour lui, chemin faisant, l'occasion de peintures de mœurs mondaines, de croquis de salons et de jour- naux (car, dans sa lutte pour la vie, Odette devient un instant notre confrère), fort spirituels, amu- sants et vivants ; d'ensemble, le roman est un des plus gracieux et des plus agréables que nous ait rlonnés le très fécond et brillant écrivain.
LOUIS DE LA SALLE Le Réactionnaire.
On a beaucoup parlé de ce roman dans les salons bien parisiens où l'on dégusta joyeusement les jtortraits assez malveillants de personnalités con- nues, dont les unes sont nommées on toutes lettres t les autres fort reconnaissables sous le pseudo- nyme dont l'auteur a bien voulu les masquer.
Mais cf3 livre a d'autres prélontions que colle d'être un simple roman à clef : il voudrait nous
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donner une image de la vie de Paris ou plutôt de la vie du « gendelellre » parisien, dont un certain Jacques Dubois est, aux yeux de M. de la Salle, le type accompli; il est joli et/l'une amoralité qui fait honneur à la corporation !
Vrai, tout cela est d'un cynisme un peu bien outrancier ; le reproche, sans doute ne déplaira pas à M. de La Salle qui se plait sans nul doute à nous dire des choses cyniques, mais je le lui fais tout de môme, et je me range volontiers aux cotés du « réactionnaire » en révolte un peu tar- dive contre tous ces faisandagcs, tous ces artifices et tous ces paradoxes.
LOUIS LEÏANG
Grippe-Soleil.
Grippe- Soleil est un roman de cape et d'épée, où se succèdent en de dramatiques péripéties les enlèvements d'enfant, les conspirations, les trahi- sons, les meurtres, où certain chirurgien dénommé Saccard, joue le rôle du traître ténébreux, cepen- dant qu'un jeune peintre appelé du joli nom de « Grippe-Soleil » représente la vertu et l'héroïsme ; à la fin du livre, dont le dernier chapitre s'inti- tule « Le chirurgien parlera-t-il ? », le lecteur reste haletant, car tout n'est pas fini et il ne con-
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naîtra le véritable dénouement que dans un pro- chain volume. Fille de Reine. M. Louis Létang se meut très aisément au milieu de ces noirceurs, de ces complications, et le roman, tout à fait inté- ressant, est très habilement construit.
SAINÏ-CEi\ERY
Au Service de la France.
Est-ce bien là un roman? Hélas, non! car la plus grande partie de l'anecdote ne correspond que trop à de douloureuses et récentes réalités. Le ca- dre choisi par M. Saint-Génery pour son roman militaire est en effet le noir et triste pays minier (lu ]N'ord français pendant les grèves qui le déso- ]; rent il y a deux ans. Le héros du livre, le lieu- tenant Sauveterre, se demande, au début du livre, s'il ne devrait pas quitter cette armée divisée, traquée> en butte à la délation et au décourage- ment ; mais le commandant, d'Hastingues, une belle figure de soldat, lui montre son devoir et lui indique qu'il faut, suivant la parole de Maurice Bar- rés, mise en épigraphe du livre, « subir l'inévi- table et maintenir ce qui ne meurt pas ». Ainsi, il est amené, dans des conditions infiniment péni- I)les, à faire son devoir au pays Noir ; une épreuve ()lus douloureuse et plus pénible encore lui est ré-
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scrvée, celle des invcnlaires, il la subit encore, toujours sous rinfluence de ce commandant sa- crifié à des haines maçonniques et qui, du Sud oranais où il fut expédié, lui écrit encore de res- ter fidèle à sa tache, « quelque ingrate que cette lâche lui apparaisse, se souvenant qu'il travaille j)()ur cette France immortelle qui survit à tous les gouvernements ».
Par cette brève analyse, on devine facilement quelles sont les opinions de l'auteur ; pour moi, qui n'ai J)oint à les juger je me contente de dire que le roman est vibrant et intéressant et que la fiction s'y môle très habilement à la réalité.
HISTOIRE, LITTERATURE, ART,
VOYAGES, DIVERS.
ANATOLE FRANCE
Vie de Jeanne d'Arc.
Voici enfin cotte Vie de Jeanne d\Arc à laquelle M. Anatole France travaillait depuis si longtemps L qui était attendue avec tant d'impatience et de curiosité. Avec quelque inquiétude aussi, car on pouvait se demander si M. Anatole France, en qui on se plaît à saluer l'héritier du génie de Voltaire, ne serait pas tenté de parler un peu légèrement de (( la Pucelle » : mais l'illustre écrivain a déjoué ces craintes — onces espérances — et, sans dépouiller riiomme de parti, enchanté de dire son fait à FE- jlise à propos d'une « fille qu'elle condamne vi- vantcï, durant la puissance anglaise, et réhabilite
3() LE MorVEMENT MTTKRAIRi:
morte,, après la victoire des Français »; sans avoir voulu renoncer à ces déplaisantes formules mé- dico-légales des « hallucinations de l'ouïe, de la vue, du toucher et de Todorat » pour expliquer les sûhliines inspirations de Jeanne, il a conté son histoire avec émotion, ferveur et justice.
Animé d'un désir ardent et passionné de vérité, il énonce plaisamment les légendes et les opinions qui font de Jeanne d'Arc tantôt « la miraculeuse î)rolectricc de la France chrétienne, patronne des officiers et |des sous-ofticiers, modèle inimitahle des élèves de Saint-Cyr », tantôt la « druidesse ro- mantique, la garde nationale inspirée, la canon- nière des patriotes républicains », pour conclure, lui, qu'elle était « plus vaillante, plus constante, plus généreuse que les hommes et digne en cela de les conduire », et que « ce n'est ni sans rai- son, ni sans justice, qu'elle estylevenue le symbole de la patrie armée ».
Après avoir accoutumé ses yeux aux formes qu*ali'ectaient alors les êtres et les choses, étudié le mieux qu'il a pu les images peintes et taillées, il croit avoir découvert la vérité, il croit avoir perçu les traits de la Pucelle « qui fut dès la première heure et pour toujours peut-être, enfermée dans le buisson fleuri des légendes »; ce qui est sûr, c'est qu'il a réussi à nous donner de cette existence héroïque et merveilleuse un récit dont l'érudition se revêt d'une grâce sans seconde, conté sur « un ton simple et familier », dans un style dont rien
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ne saurait ég-aler l'harnionieuse et limpide perfec- tion.
FREDERIC MASSON Le Sacre et le Couronnement de Napoléon.
Avec le Sacre et le Couronnement de Napoléon, M. Frédéric Masson nous donne, si mon compte est exact, le vingtième volume de ces « études napoléoniennes » si captivantes, qui, commencées il y a quelque quinze ans, excitent l'intérêt du lecteur aussi passionnément qu'au premier jour. C'est que le sujet de M. Frédéric Masson est d'une grandeur et d'un intérêt inépuisables, et qu'il y a toujours dans ce héros gigantesque quelque chose de nouveau à découvrir, à révéler, à expliquer.
Ainsi, en étudiant « le sacre et le couronne- ment de l'Empereur », M. Frédéric Masson, qui voulait simplement nous donner un (( texte des- criptif des accessoires de cette cérémonie », a été mené à parler, à ce sujet, « de religion, de poli- tique et de beaucoup d'autres choses, car le sujet nous mène et les documents nous commandent », t^t l'étude d'un acte aussi capital de la vie du lirand Empereur devait nécessairement entraîner l'historien hors du cadre qu'il s'était assigné.
C'est à la fin du livre, aux « pièces justificati- ves », que M. Frédéric Masson a rejeté les docu-
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menls qui devaient à l'origine constituer le livre tout entier, c'est là que nous trouvons une multi- tude de détails d'une piquante précision sur les cu- lottes, les bas de soie blancs, les souliers brodés d'or, les orfèvreries des couronnes impériales, le prix des franges, des broderies, des torsades, des peaux d'astrakan et d'hermine, le métrage del5 ve- lours et des satins employés à la confection des manteaux de Cour, le coût du baudrier romain, de la ganse d'or du chapeau, la description et le devis de la tiare offerte à Sa Sainteté Pie VII, les des- criptions des habits des sénateurs, des hérauts d'armes, des pages, des conseillers d'Etat, des maires, des princes, des princesses, des maréchaux et du cardinal, les factures de la décoration de Notre-Dame, que sais-je encore 1
Ce sont les coulisses où se prépara l'unique re- présentation d'une pièce historique extraordi- naire; on y découvre bien des petits détails un peu comiques, « bien des hésitations, bien des manœu- vres avortées », et pourtant, le héros qui prépara cette féerie, manœuvra tous ces fds, commanda tous ces décors, présida à toutes ces négociations, la prit au sérieux. « Parce qu'il avait été sacré par le Pape, Napoléon a considéré qu'il était revêtu d'un caractère ineffaçable, qu'il était devenu un souverain égal à tous les souverains, qu'il était l'oint du Seigneur. »
Cette impression que le sacre, machiné par le Grand Empereur, fit sur lui-même, le lecteur de
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M. Frédéric Masson la retrouve, lui aussi. Mis au courant par l'éminent historien de tous les détails de la cérémonie, admis à en contempler toutes les petitesses matérielles et morales, il admire néan- moins, prodigieusement impressionné par le spec- tacle lui-même, qui reste à ses yeux tel qu'il fut fixé dans le tableau de David, avec, « dans une ma- gnificence recueillie, somptueuse et immobilisée, le geste arrêté et souverain qui consacre le nouvel Empire et qui y donne à la fois la grâce et la ma- jesté »; cette imago, elle est mieux que la vérité, elle « éternise le couronnement, elle en fixe la lé- gende, elle symbolise Napoléon ». ♦
BARON FAIN
l'REMlER SECRÉTAIRE DE l'eMPEREUR
Mémoires.
Ces mémoires nous donnent des détails infini- ment intéressants et précieux sur cet « homme xtraordinaire », « ce demi- dieu », dont tout à l'heure M. Frédéric Masson nous racontait le sa- cre. « Le baron Fain a voulu faire un traité histo- rique sur les méthodes de travail dont il a été l'instrument. Ce n'est pas le guerrier, ce n'est pas le conquérant qui domine dans ces pages, c'est Napoléon « moine militaire »^ gouvernant et ad-
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ministrant un empire immense du fond d'un Sa- bine l secret. »
Et afin de nous faire comprendre « cette mer- veilleuse organisation pour le travail ))/le baron Fain, dont tous les contemporains se sont plu à reconnaître ^exactitude et la vérité, nous raconte avec une abondance et une précision merveilleuse de détails : le début de la matinée dans la cham- bre à coucher, comment était jeté le premier coup d'œil sur les papiers, comment l'Empereur tra- vaillait avec le secrétaire du cabinet, puis son le- ver, son déjeuner, et la reprise du travail dans le cabinet intérieur. C'est ensuite le travail du cabi- net extérieur avec le prince de Neuchâtel, avec Pintendant général, le Conseil des ministres, les conseils d'administration, le Conseil d'Etat, les entretiens avec MM. Maret et Daru, qui les me- naient à la fin de la matinée. On jugera qu'elle était assez bien remplie.
L'après-midi ne l'était pas moins, et M. Fain nous donne l'emploi du temps complet, pittores- que et saisissant au possible du grand Empe- pereur. Il nous raconte ses voyages dans l'inté- rieur de l'Empire, ses voyages de guerre, et nous trace une image vraiment palpitante de Napo- léon à quarante ans, (( de son caractère, de ses qualités, de ses passions, de ses faiblesses », de ce Napoléon toujours plus passionnant à mesure J que les années s'écoulent, qui immortalise tous ceux qui l'approchèrent et qui « se sauve sur sa
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planche du grand naufrage de l'oubli, car il n'est pas jusqu'à son almanach impérial qui ne de- vienne un livre d'histoire ».
LOUIS TUETEY
Les Officiers sous l'Ancien régime : Nobles et Roturiers.
Cet ouvrage a pour sujet l'officier roturier sous l'ancien régime; c'est là une étude assez neuve et qui n'avait guère encore tenté, je crois, aucun his- torien ; on sait bien que les roturiers n'avaient pas une fort belle part dans Tarmée de l'ancien ré- gime ; on sait que Fabert, Catinat, Chevert, illus- tres représentants de l'élément roturier de l'an- • ienne armée, sont de rares et fameuses excep- tions; mais on ne s'est, jusqu'ici, guère préoccupé (Je la foule obscure d'où ils sortaient. Le livre de M. L. Tuetey, fortement documenté et remarqua- blement intéressant, vient brillamment compléter < tîtte lacune ; l'auteur s'est proposé d'y étudier no- tamment « de quelle façon l'officier du tiers-état devenait officier, comment il avançait, comment il vivait avec les officiers nobles, comment il par- tageait avec eux les emplois », et comment, au moment même où la prépondérance delà noblesse
;mblait le plus définitivement établie dans l'ar-
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mée, la Révolution vint abolir ce monopole et « ou- vrir toute grande la carrière aux roturiers ».
MARCEL POETE L'Enfance de Paris.
Remontant très haut dans l'histoire des siècles, iM. Marcel Poëte nous dit V Enfance de Paris : Tauteur entreprend d'y étudier Paris depuis sa fon- dation jusqu'au temps oîi Philippe-Auguste « par l'établissement d'une enceinte englobant les deux rives, vient consacrer des progt-ès urbains résul- tant de longs siècles ». Et après avoir rappelé d'un mot les temps lointains où la Seine occupait tout l'espace où règne aujourd'hui Paris, après avoir expliqué que la Seine et Paris ont eu à ce point leurs destins associés qu'il est impossible de con- cevoir l'une sans l'autre, il étudie avec beaucoup de science et d'agrément la ville depuis le temps où Lutèce était une espèce de bourg de la peuplade gauloise des Parisiens, sise dans une île de la Seine, jusqu'au jour où Paris sorti de l'enfance sembla revêtir avec l'enceinte de Philippe-Auguste sa forme d'adolescent plein d^avenir.
A travers l'époque gallo-romaine, les âges mé- rovingien et carlovingien, les temps féodaux, les invasions normandes, il suit pas à pas l'évolution
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qiri, de « l'infime bourg gaulois abrité dans une petite île, a fait la ville immense que nous admi- rons, et de l'humble groupement des habitants de l'âge celtique, l'un des centres les plus représen- tatifs du progrès humain qui aient jamais existé ».
D"- ROUIRE
La Rivalité Anglo -russe au XIX" siècle en Asie (Golfe Persique, Frontières de Tlnde).
La convention anglo-russe qui a été signée vers la fin de Tannée 1907 a mis fin à une lutte d'in- fluences qui durait depuis de longues années entre les deux puissances anglaise et russe pour la con- quête de l'hégémonie en Asie. 11 n'en est que plus intéressant de connaître aujourd'hui les détails, les causes et les épisodes de cette lutte qui fut parfois dangereuse pour la paix du monde, et c'est ce que fait M. le docteur Rouire en un volume très clair et très documenté : la Rivalité anglo-russe au dix- neuvième siècle en Asie {golfe Persique, frontiè- res de l'Inde), où Ton retrouve très heureusement distribuée et ordonnée une série de faits et de do- cuments auxquels la rivalité anglo-russe a donné lieu au courant du dix-neuvième siècle, série qui constitue une des pages les plus intéressantes de l'histoire contemporaine, et méritait d'être fixée.
Ai LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
PAUL ADAM Les Impérialismes et la Morale des peuples.
M. Paul Adam est un des esprits les plus curieux, les plus remarquables, les plus complets de ce temps; romancier étrange., fougueux, tumultueux, souvent admirable; auteur dramatique infiniment original et personnel ; voyageur doué merveilleu- sement pour voir, retenir, raconter ; il a produit, en dix ans, une œuvre d'une valeur, d'une va- riété, d'une ampleur extraordinaires.
Et sa prodigieuse activité intellectuelle et litté- raire ne s'en veut pas contenter, elle est désireuse de tout étudier, de tout comprendre, de tout ana- lyser : c'est maintenant de politique mondiale que M. Paul Adam nous entretient en un livre magis- tral, intitulé les Impéfinh's/rfrs et la MnrnJp dos peuples.
A propos d^un temps de l'histoire moderne, temps très limité qui s'écoule entre 1899 et 1907, entre la première et la seconde conférence de La llaye, il entreprend d'examiner certaines des cri- ses morales que subit l'humanité durant ce laps de temps, et surtout « les états d'âme qui se succédè- rent à l'heure où naquit Pimpérialisme anglais, oii se développa l'impérialisme allemand et américain, où surgit l'impérialisme japonais ». Et tout d'a- bord, il expose que ces impérialismes : impéria- lisme économique, impérialisme de race, s'oppo-
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seront longtemps encore à l'établissement de la paix européenne et à la reconnaissance d'une justice internationale. Ce n'est pas une raison pour renoncer à l'espérance, mais c'en est une pour ne pas sacrifier chez nous à la théorie du pacifisme prématuré; de l'étude détaillée de ces deux con- férences de La Haye et des événements qui se suc- cédèrent entre ces deux sessions, on peut conclure qu'il y a beaucoup à espérer, mais beaucoup à craindre : « à commenter ces misères de l'esprit humain on pourra se figurer combien il est diffi- cile d'établir ce qu'on nommerait une morale des peuples. »
Ainsi entré dans le vif de son sujet, l'auteur consacre à la première conférence de La Haye, à l'aventure transvaalienne, à la campagne de Chine, à l'Empereur allemand, à ce qu'on appelle le péril jaune, à l'œuvre de M. Doumer en Indo-Chine, à l'Afrique internationale, au problème espagnol qui lui apparaît pour nous gros de périls et de décep- tions, une série de chapitres bourrés de faits et de renseignements, tout bouillonnants d'idées discu- tables parfois et audacieuses, mais toujours géné- reuses, neuves, fortes qui font réfléchir et qui font, en somme, espérer en un avenir plus beau, plus raisonnable, grâce, encore une fois, à la France, à la « bonne Semeuse, que le sculpteur a gravée sur les monnaies d'or et d'argent, celle qui lança dans le sillon du monde la graine ineffable de la bonté et de l'altruisme universels. »
3.
46 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MARCEL PRÉVOST
Lettres à Françoise mariée.
Quel livre charmant, de saine, de jolie et judi- cieuse morale; comme on a plaisir à penser que, i^Tace à l'autorité spirituelle — c'est le mot — qu'exerce M. Marcel Prévost sur les femmes de ce temps, ces lettres palpitantes de vie, d'émotion et d'intérêt auront une multitude de lectrices.
Vrai, il est temps que les femmes, et même les hommes, entendent parler du mariage autrement que comme de ce « contrat de louage » qui fait tant couler d'encre. Cette « chose sérieuse », M. Marcel Prévost entend la traiter avec plus d'émo- tion et de dignité. Il ne s'ensuit pas qu'il soit réac- tionnaire, Dieu non! Il est même très audacieuse- ment réformateur, mais sagement il voudrait réformer les mœurs avant les lois : « N'attendez pas, dit-il à Françoise, la promulgation officielle d'un code civil revisé pour réformer vous-même le mariage dans votre mariage », et au cours du roman, au cours de la vie plutôt, qui se déroule à travers ces lettres toutes remplies de tendresse pour la femme d'aujourd'hui, d'espoir en la femme de demain, il convie Françoise à « remettre les choses en leur vraie place », à ohtenir tout genti- ment, tout simplement que son mari raye de son programme marital le mot « ohéissànce » appli-
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 47
que à l'épouse, qu'il lui préfère le mot accord, qu'il égale à celui de l'épouse son devoir de fidé- lité, qu'il aime l'intelligence et l'initiative de sa femme devenue vraiment son associée. »
Voilà des réformes autrement utiles et fécondes que celles autour desquelles de vagues législateurs et des féministes maladroits mènent si grand ta- page. J'ajoute qu'elles sont présentées par M. Mar- cel Prévost sous la forme la plus aimable, la plus persuasive, dans un livre qui est un roman déli- cieux et dont nous attendons la suite avec une très sympathique curiosité, car, après nous avoir fait connaître sa correspondance avec Françoise jeune Jille et Françoise mariée, M. Marcel Prévost nous promet les Lettres à Françoise maman.
ALBERT SOREL Pages Normandes.
Un livre exquis du trèJ5 éminent et très regretté Albert Sorel, ces Pages normandes, que son fils, M. A. E. Sorel, a pieusement recueillies pour les concitoyens de son père : « Normands qui veulent garder l'attachement au sol natal, l'amour des an- cêtres, le respect des ruines et le culte indestructi- ble des tombes ».
Un charme pénétrant se détache de ces pages
LL ^lUL'VEMKNT LITTi:i\ AlHE
la lui litres, ôloquoiiles cl jolies, où pour chauler hi i^loire de sa petite patrie, Sorel dit en des traits iuoubliables la grandeur de Corneille, (( Normand (le tout son être, par le contraste de ses traits no- bles et rudes, par la complexité de son âme pro- fonde et repliée, par ses yeux pleins de lumière, que l'on devine facilement humides, par les « coups de tonnerre » qui dénouent ses tragédies et par les labyrinthes où s'enchevêtre la marche de ses pièces » ; et, après Corneille, c'est Flaubert, « la Xormandio artiste et inquiète »; c'est Maupassaut, « plante douloureuse et magnifique née dans cette terre opulente, sous ce ciel inquiet », et c'est Eugène Boudin, le peintre normand « au génie fait de naturel et de sincérité»; c'est Guizot, Normand d'adoption; ce sont des « notes et souvenirs » gra- cieux, héroïques, émouvants, des paysages où sont dites et peintes les b 'autés de la campagne et de la mer normandes.
HENRY ROUJON
La Galerie des bustes.
Sous ce joli titre, notre très cher et très éminent ami a réuni quelques-unes des pages que, journa- liste prodigue, il jette au vent chaque semaine, au Kré de sa fantaisie, de ses souvenirs, de l'actualité.
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGE^, ETC. 40
Et c'est une joie pour le lecteur de retrouver solidement brochées, parées pour l'avenir et sau- vées de l'oubli, ces feuilles, ces « marges », aux- quelles il dut tant d'agrément lors de leur nais- sance et de leur existence éphémère à la première page d'un journal, et qui, fixées pour toujours dans le livre, ont pris un air de gravité sereine et souriante, sans rien perdre de leur grâce famihère et jolie.
Des bustes ? Voici en effet les portraits de Guy de Maupassant, de Leconte de Lisle, de Théodore de Banville, d'Eugène Spuller, d'Henri Gros, etc., qui sont, si j'ose dire, d'un beau statuaire de lettres doué merveilleusement pour « attraper les ressemblances », qui s'abandonne généreuse- ment aux admirations éloquentes et fécondes, ce qui est méritoire pour un homme à sa volonté si spirituellement malicieux. Mais il n'y a pas que des bustes dans cette galerie, il y a des croquis charmants, des souvenirs pittoresques, des pages d'histoire et de critique, d'une note toujours ori- ginale, et, dans son attachante variété, dans la souple et limpide élégance de son style, c'est là un livre d'une rare séduction.
50 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
GEORGES BOURDON Les Journées de Casablanca.
Dans un genre tout diiïérenl, voici un livre encore qui fait honneur à la presse en général, ce sont les Journées de Casablanca, racontées par notre ami Georges Bourdon; un beau livre, vrai- ment! courageux, ardent, et qui vous empoigne dès l'abord par une impression saisissante d'abso- lue sincérité. Dans le récit que Georges Bourdon fait des événements, on sent, on voit littéralement qu'il n'est pas un fait dont il ne soit personnelle- ment convaincu, pas une déduction qu'il n'ait soumise au plus rigoureux examen; et cette vé- rité vécue n'est pas toujours — il s'en faut — en parfait accord avec la vérité officielle, et procla- mée à la tribune du Parlement.
C'est d'abord le drame du 30 juillet 1907 que Georges Bourdon nous raconte, dont il refait l'his- toire et reconstitue la genèse avec une éloquente et précise certitude ; puis il entreprend le récit des journées de Casablanca, des événements drama- tiques, émouvants, pittoresques ou comiques, aux- quels, pendant près de trois mois, il assista chaque jour, auxquels il prit part, car son ardeur à tout voir, tout noter, l'entraîna parfois fort avant dans la mêlée, et ces récits de combats écrits au bruit du canon, ces silhouettes croquées sur le vif, ces
. i^VRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETG. 51
notes sur la ville blanche, sur le camp, prises en pleine émotion, en pleine action, vous laissent une formidable et poignante impression ; ce docu- ment est le plus beau, le plus captivant, le plus lit- téraire des romans d'aventures.
ADOLPHE BOSCHOT
Un romantique sous Louis- Philippe — Hector Berlioz.
M. Adolphe Boschot poursuit la publication de son œuvre magistrale sur Hector Berlioz, en un volume, qu'il intitule : Un Romantique sous Louis-Philippe^' Qi qui conduit son héros de 1831 à 1842. n est bien difficile de donner, dans ce ca- dre restreint, une idée de ce livre d'un si varié, si poignant, si palpitant intérêt. Pour reproduire seulement le sommaire des drames d'amour, des passions d'argent et d'art qui traversèrent cette vie romanesque en dix ans, il me faudrait plu- sieurs pages. J'en suis donc réduit aux épithètes, et je ne puis que dire l'extrême agrément, la pro- digieuse variété, l'émotion de ce livre, où l'auteur
su prendre, dans la réalité, l'un des romans les plus palpitants qui aient jamais été écrits. Les suicides, le mariage, les travaux et les luttes, les douloureuses gestations des chefs-d'œuvre, la pre-
52 u: MOUVEMKNT LITTERAIRI
micre lamentable de Denvenuio Cellinl, lo départ, la fuite dé Berlioz à l'étranger avec le mauvais gé- nie féminin qui s'empare de lui, sont contés dans ce livre, où revit la pittoresque société du temps de Louis-i»hilippe, avec un art très sûr, appuyé sur une documentation merveilleuse.
ONESLME RECLUS
La France à vol d'oiseau
En guise d'introduction à cette étude, l'éminent géographe trace un tableau de « la France dans l'espace et dans le temps » qui, dans sa simplicité, dans sa concision, est un éloquent et magnifique éloge de ce pays, « lambeau le plus favorisé de l'Europe continentale, sans rêtre trop, maritime sans Têtre à l'excès ; assez de soleil, mais pas jus- qu'à l'incendie ; assez de pluie, mais non jusqu'à la moisissure ; pas de jours trop longs, point de nuits trop courtes »; pays favorisé de privilèges sans nombre, mais qui visiblement est menacé dans sa puissance' et dans sa royauté, — qui n'a plus qu'une seule chance de salut : la France afri- caine; si elle avorte, « nous deviendrons un petit peuple, une petite langue, un petit bout de civili- sation, Paris sera Ninive, Babylone, Thèbes, Mem- phis, ou moins encore, car une ville déchue est
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. S3
moins qu'une ville morte ». Et sur ces paroles un peu inquiétantes, Fauteur nous conduit à travers les provinces et pays de France, en des pages vi- vantes, instructives, éloquentes.
RENE HENRY
Des monts de Bohême au golfe Persique.
Un volume d'iiistoire très contemporaine : c'est encore et toujours l'éternelle question d'Orient, dont nous entendons parler depuis tant et tant d'années, qui change de forme, mais sans jamais rien perdre de son menaçant intérêt, et, dans son livre où il étudie tour à tour le suffrage universel en Autriche, la crise hongroise, les Etats yougo- slaves et la Macédoine, l'Asie turque et le chemin <le fer de Bagdad, M. René Henry s'applique sur- tout à étudier le problème posé à l'Europe et à l'Asie par l'impérialisme allemand; « il en a étu- dié, nous dit M. Anatole Leroy-Baulieu dans sa préface, les données avec non moins de science que de conscience ».
54 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ERNST MACH La Connaissance et l'Erreur.
Le nom de M. Mach est bien connu dans le monde savant, où ses études critiques sur la mé- canique et sur la chaleur font autorité. L'œuvre dont on nous offre aujourd'hui la traduction fran- çaise est d'une portée plus générale et plus acces- sible au grand public ; c'est un exposé de ses idées sur la ]>sychologie du savoir : M. Mach estime que, « sans être philosophe le moins du monde, le savant a le besoin impérieux d'examiner les méthodes par lesquelles il acquiert ou étend ses connaissances » ; selon lui, toutes les sciences sont solidaires; il envisage la vie psychique et no- tamment la vie scientifique comme un aspect de la vie organique et il en cherche l'origine profonde dans les exigences biologiques.
Dans un ouvrage bourré de documents et de faits, il entreprend de démontrer l'exactitude de sa théorie, singulièrement séduisante, d'ailleurs, par une série de déductions et de raisonnements très serrés que les ignorants peuvent comprendre pour peu qu'ils y apportent un peu d'attention et de réflexion.
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 55
DOCTEUR ETIENNE BURNET La Lutte contre les microbes.
Austère encore, mais d'un intérêt bien plus immédiat pour nous, car il y est question du sa- lut de notre cbère guenille, voici le livre que le docteur Etienne Burnet, de l'Institut Pasteur, pu- blie, sous le titre : la Lutte contre les microbes. Œuvre d'un savant, ce livre est un modèle de vulgarisation. Il dit, en termes très clairs, très précis, tout ce qu'il faut dire pour être compris de ceux que leurs occupations tiennent éloignés du travail scientifique ; il « explique l'essentiel en des termes que les savants de profession ne désap- prouveraient pas, et laisse dans l'ombre tout ce qui, de la partie technique, ne possède pas une valeur éducatrice ».
Ainsi, il fait connaître au grand public l'état ictuel de la science en face du cancer, de la tuber- < iilose, de la maladie du sommeil, du tétanos, de l'enlérite, et consacre un très curieux chapitre à la découverte de Jeûner, inspiratrice de l'œuvre de Pasteur.
oO LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MADAME LA COMTESSE EUGÉME KAPNIST L'Acropole.
Sous ce litre, madame la comtesse Eugénie • Kapnist a publié un recueil de poèmes très dignes ; d'attirer et de retenir l'attention. Tout d'abord la i personnalité de leur auteur est singulièrement in- ^ téressante : la comtesse Kapnist est une Russe dont ^ la famille, qui a subi fortement l'empreinte de ses \ origines helléniques, compte depuis un siècle plu- ; sieurs poètes renommés et d'une très française cul- ^ ture; son aïeul, notamment, traduisit pour la ' première fois notre Molière en russe; elle-même, ; qui écrit notre langue avec une pureté et une élé- j gance parfaites, et parfois avec une éloquence et t un lyrisme admirables, est une fervente passion- J née du génie grec et de la pensée française, qu'elle \ ne saurait séparer; elle a voué notamment à An- ^ dré Chénier un cujte attendri et pieux (elle a dé- ' couvert au cimetière de Picpus sa tombe et a rap- \ porté d'Athènes une stèle funéraire pour orner et ,? ennoblir cette tombe). L'une des plus belles piè- \ ces de son livre est un hymne au poète, vibrant et pathétique. La tendance générale de l'œuvre est une « protestation contre le positivisme sceptique ; qui règne et qui est si ordinaire à la poésie, c'est , -\ une exaltation des sentiments de sacrifice et d'en- thousiasme qui dominaient pendant le dix-neu- j
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 57
vième siècle »; la comtesse Kapnist a voulu pein- dre « en notes claires la vision lyrique d'une force d'àme à venir, d'une inspiration immortelle de l'humanité après tous les effondrements qui ra- mèneront Tordre, l'harmonie et la beauté ». Telle est la pensée- du poète; elle s'exprime en des vers qui sont toujours d'une très classique et très belle harmonie.
MEMENTO DU MOIS DE FÉVRIER
ROMANS
Aubier (Feruand), —Monseigneur le Bien-Aimé.
Batilliat (Marcel). — La Vendée aux genêts.
Bordoaux (Henry). — Les Yeux qui s'ouvrent.
Bovet (Madame Mario- Anne de). — Après le divorce.
Cahu (Tliôodore). — Son Fils et Son Amant.
Coulomb (Jeanne de). — Ame dormante, un chaste volume.
iireuilhe (J. M.). — Louis et Moi.
l)arbês (Georges d'). — Le Briseur de fers^ un suporbe livre, vibrant d'héroïsme, animé d'un grand souffle épique, où l'éloquent et bel écrivain nous raconte l'invasion du général Humbert en Irlande, une des aventures les plus prodigieuses, les plus extraordinaires, d'un temps fertile pourtant en miracles guerriers, aventure dont ce poète en prose était le barde tout indiqué.
Hugues (Clovis), — Le Temps des Cerises, un délicieux roman posthume.
58 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Landre (Madame Jeanne). — Plaisi7'S d'Amour, un livro dont rien ne vient temi)érer l'aud.ice, et il ne manquera pas sans doute de gens pour s'indigner que ce soit une femme qui dise aussi librement et avec autant d'acri- monie son fait à l'amour.
Laurie (André). — Le Géant de l'Azur, roman d'aventures.
Lespinasse (Madame Clara de). — Le Prince de Kergeley, une émouvante et chaste histoire.
Mary an. — La Villa des Colombes.
Perrin (Jules). — Deux Fantômes. « Les magistrats doivent y regarder à deux fois avant d'envoyer des bandits à l'é- chafiud »: Telle pourrait être la morale de ce livre haletant et formidable, dans lequel l'auteur nous conte la terrible aventure du conseiller Couture, poursuivi, conduit au meurtre, à la débauche, à la folie, à la mort, par le fantôme d'un supplicié; il faut avoir les nerfs solides pour lire jusqu'au bout cette histoire basée, nous dit-on, sur une « hypothèse récemment admise par la science ».
Pert (Madame Camille). — Liaison Coupable.
Rhoïdes (Emmanuel). — La Papesse Jeanne, un roman médié- val, traduit du grec par MM. Jarry et Jean Saltas.
Sigaux (Jean). — Du berceau à la tombe.
Tany (Paul). — Quelques bandits.
Teilhac (Charles). — La Part du Prêtre.
Tonelli (Philippe). — Par le cœur, par l'amour.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE
Barraute du Plessis (Madame). — Le Guignol du PalaiS' Bour- bon, un volume où les discours et les interruptions de quelques-uns de nos parlementaires, de M. Baudry d'Asson à M. Jules Guesde et de M. Clemenceau au ci- toyen Coûtant (d'Ivry), sont pastichés <*t mis en chan- sons avec une verve incisive.
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 59
Baschet (Jacques). — La Peinture française au xviii* et au xix* siècle, deux volumes à la fols très savants et très ac- cessibles, ornés de belles images qui reproduisent en perfection des chefs-d'œuvre.
13ay^t (Jean). — La Société des auteurs et compositeurs drama- tiques, un ouvrage tout à fait remarquable, où sont étudiés avec beaucoup de compétence, de précision, l'histoire de la Société, son organisation, ses cadres, son monopole, le service de perception ; c'est un docu- ment de premier ordre, présenté avec une entière bonne foi et sans l'ombre de parti pris, à tel point que les adversaires de la Société y pourront puiser des argu- ments autant que ses partisans les plus déterminés.
Beauplan (Robert de). — Les Regrets de Joachim du Bellay, {Angevin 1338), une jolie et savante édition.
Bellot (Etienne). — Synthèse d'art social, une Etude sur les « Symboles ».
Bertaut (Jules). — Voir Alphonse Séché.
Bertrand (Louis. Député de Bruxelles). — Histoire de la Démo- cratie et du Socialisme en Belgique depuis 1839.
Bled (Victor du). — La Société Française du xyi^ au xix^ siècle, 6« série consacrée « aux médecins avant et après 1789 et à l'amour au xvm» siècle ».
Blés (Numa). — Eloge de l'Hiver, des vers dont la fantaisie a charmé les spectateurs de « La Lune Rousse » et amuse encore le lecteur.
Bonchamps (G. de). — Vieux Miroirs, poésies.
Bonetti (Pascal). — Les plus belles pages de Clemenceau pieu- sement recueillies et annotées par l'auteur qui nous montre c Clemenceau conteur, philosophe social, jour- naliste et critique, orateur », et il est bien vrai qu'il y a là, chez le journaliste notamment et chez le con- teur, de très belles pages, mnard (L.). — et le D' Percepied. — La Gaule t thermale », e sources et stations thermales et minérales de la Gaule à l'époque Gallo-Romaine », un très savant, très curieux et très attrayant ouvrage.
Bonnefoy (Abbé Jean de). — Le Catholicisme de Demain.
Boutard (Abbé Charles). — - Lamennais, sa vie et ses doctrines^ le Catholicisme libéral {1828-1834).
()() LE mouveme:nt littéraire
Briand (\ristide). — La Séparation, un volume de discours qui constitue incontestablement un document d'une haute importance pour l'histoire de la politique et de réloquence p.irlementaire en notre temps.
Cain (Georges). — Nouvelles Promenades f/ans Paris, des chro- niques ou l'auteur fait revivre le Paris d'autrefois avec tant d'agrément, de verve et d'érudition.
Chaîne (Léon). — Menus propos d'un caUwUque libéral, l'au- teur, dont le grand ouvrage les Catholiques français et leurs difficultés actuelles a fait tant de bruit dans le monde, nous dit ses réflexions, ses espoirs, ses regrets en ce volume rempli d'idées et d'opinions intéressan- tes, livre qui marque « le sillage que le (lot mobile «le quelques événements politiques et religieux du temps présent a laissé dans son esprit, et dans lequel il n'a pas eu d'autre préoccupation que le désir de la vérité et celui de l'union des cœurs ».
Cim (Albert). — Le Livre. 5» et dernier volume. Ainsi se trouve terminée cette œuvre considérable qui porte en épi- grai)he t Ne séparons pas l'amour des livres de l'amour des lettres » et où l'auteur a étudié tour â tour : l'his- torique du livre, de la lecture, les diverses façons de lire, les achats des livres, les bibliolâtres, les biblio- phobes, emprunteurs de livres, etc. ; la question prati- que de la fabrication actuelle du livre, papier, impres- sion, reliure ; puis l'achat des livres, l'aménagement des bibliothèques, l'usage et l'e^ntretien des livres. Le der- nier volume, enfin, contient la liste des abréviations, locutions latines, etc., usitées en bibliographie, une nomenclature des principaux ouvrages relatifs aux bi- bliothèques et un index alphabétique général. Ainsi, ce bel ouvrage a non seulement la valeur d'un monu- ment élevé à la gloire du Livre, mais c'est aussi, et surtout, un admirable instrument de travail dont tous les amis des livres et des lettres remercieront M. Al- bert Cim.
Dreyfus (Robert). — Alexandre Weill ou le prophète du faubourg Saint-Hono7'é. Un \olnme de la collection très joliment intitulée « Vie des hommes obscurs », où l'auteur qui mit Gobineau à la mode étudie et raconte avec beau-
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTÉRA'ITRE, VOYAGES, ETC. 61
coup de finesse et de compréhension, une des plus cu- rieuses figures de ce temps.
Driault (E.). — La Question d^ Extrême -Orient.
Dubreuilh (Louis). — V. Jean Jaurès.
Duval (Georges). — Œuvres dramatiques de William Shakes- peare, une nouvelle traduction où l'auteur a eu « l'es- pérance de donner à ses compatriotes une idée du texte anglais plus complète que n'ont su le faire ses pré- décesseurs » ; tâche terriblement difficile, à la quelle M. Georges Duval s'est voué avec une grande ardeur et qui lui a laissé, dans les cas où il n'a plus su à quel saint se vouer, « la consolation de penser qu'il n'en a pas moins reflété des splendeurs ».
Flammarion (Camille). — Initiation astronomique, un char- mant livre de science et de poésie où l'auteur nous conduit parmi les étoiles, ses amies.
Fonsegrive (Georges). — Ferdinand Bruneïïere, un volume où l'auteur prétend nous présenter « une* synthèse de cette pensée universelle, dispersée dans tant d'ou- vrages d'un caractère si différent >.
Furgeot (Henri). — Le Marquis de Saint-Huruge, généralissime des Sans -Culottes, (1738-1801), un curieux ouvrage his- torique.
lialtier (Octave) — Etienne Dolet, « sa vie, son œuvre, son caractère, ses croyances ».
jd-ston (Abbé Jean). — Saint-llippolyte, « Une Paroisse pari- sienne avant la Révolution s, « Contribution à l'histoire religieuse et artistique de l'ancien Paris ».
'. ffroy (Gustave). — Madrid, un superbe volume paru dans l'admirable c Collection des Musées d'Europe ». Notre Temps, le premier volume d'une série où l'on re- trouvera « des événements et des œuvres de ces vingt dernières années. » Dans ce premier volume, « Scènes d'histoire », « se mêlent des choses vues, notées sur place, des portraits de personnages entrevus dans la réalité ou à travers leurs actes, des drames de la vie publique, des catastrophes sociales, des guerras pro- ches ou lointaines ». Ainsi, nous alloBs de Napoléon aux Bourbons et aux d'Orléans, de l'aventure de Badin- guet à l'affaire Dreyfus, nous voyons les silhouettes de
4
f>2 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE '[
Gambetta, de Jaurès, de Clemenceau, de Stanley, de j
(iladstone, «le Bismarck, de Moltkc ; nous vivons la j
guerre en Mandchourie et la Révolution en Russie, et '
tout cela est très beau, très émouvant, trôs simple, i
noblement pensé et noblement écrit. » *
(iuibal (Georges). — Le Mouvement fédéralistn en Provence en 1793. ■
Guillou (Robert). — Noies de théâtre, où l'auteur présente, I
nous dit-il, un «résumé des notes réunies sans aucun '
esprit de parti, sans aucune amertume, sans aucun ^
dépit ». -
Jaurès (Jean), et Louis Dubreuilh. — Histoire Socialiste. La l
Guerre Franco-Allejuande. La Commune. •■
La Bouêre (Comtesse d»). — Souvenirs de la Guerre de Vendée i
(/7.9^-/79ff). Cessouvenirsqui eurent naguère unsi grand '
retentissement font revivre avec intensité et émotion '
les heures épiques de la guerre de Vendée, où les fem- i
mes, grandes dames ou paysannes, jouèrent un rôle si
héVoique, telle la Langevin, cette Vendéenne terrible •
aux € patauds >. Ce livre n'est pas seulement une œu- \
vre attachante et belle; c'est aussi un document histo- ^
rique de valeur, car, ainsi que l'observe dans sa pré- \
face M. le marquis Costa de Beauregard, « la comtesse-J
de La Bouôre a réuni, coUationné, vérifié les faits, les 1
anecdotes, dont elle avait composé son trésor. *
Laminne (Ernest de). — Les Regrets. Poésies.
Langlois. — La Vie en France au moyen-âge, d'aiprès quelques ]
moralistes du temps. '
Lebey (André). — Louis-Napoléon Bonaparte et la Révolution \
de 1S4S. Tome II.
Lemoine (Jean). — Madame de Montespan et la Légende des j
poisons. I
Letainturier-Fradin. — La Camargo. (1710-1770). '
Lieby (Adolphe). — Ombres et Reflets. Poésies. \
Loisy (Abbé). — Les Evangiles synoptiques, avec une introduc- ■
tion et des commentaires très personnels. •;
Londres (Albert). — L'Ame qui vibre. Poèmes. 1
Lorenzi di Bradi. — IJEternelle Allée, un émouvant poème. ]
Lot (Ferdinand). — Mélanges d'histoire bretonne du vi« au xi« \
siècle. I
Magûe (Emile). •— Madame de La Suze {Henriette de Coligny) ]
FÉVRIER — HISTOIRE, LITTE'RATURE, VOYAGES, ETC. 63
et la Société précieuse, avec des documents et un por- trait inédits d'après Daniel de Moustier.
Malet (A.). — Histoire Contemporaine de 17 89 à 1900, un vo- lume de sept cents pages où sous une forme très ra- massée, très attrayante, l'auteur a réussi à faire tenir tout entière l'histoire sociale, guerrière, littéraire, artistique de ce siècle prodigieux.
Mendès (Catulle). — Œuvres complètes, un volume du Théâtre en prose, où figurent notamment cette exquise et dra- matique « Femme de Tabarin » et ces admirables « Mè- res ennemies » dont à un quart de siècle nous gar- dons encore le vibrant souvenir.
Mercure de France. — Stendhal. « Collection des plus belles pages ».
Nansouty (Max de). — Actualités Scientifiques.
Nègre (Ada). — Maternita. Poésies traduites par madame J. Desmarès de Hill.
Ochsé (Julien). — L'Invisible Concert, des poèmes où se ren- contrent des vers qui sont parfois admirables. Pourpres comme le sang, pâles comme les larmes, Que la vie et la mort, échangeant leurs alarmes, Répandent sur les fleurs de leur triste jardin...
Pélissien (G.). — Anthologie des poètes français du xix« siècle, (1800-1866).
Percepied (D""). — V. Louis Bonnard.
Pfister. — Histoire de Nancy. 3" V.
Reinach de Foussemagiie (Comtesse H. de). — La Marquise de Lage de Volude, 1764-1 842, un volume rédigé d'après des documents inédits et préfacé par le marquis Costa de Beauregard.
Reja (Marcel). — L\irt chez les fous, un livre bien étrange et quelque peu hallucinant où l'auteur nous soumet des dessins, des proses et des poési<*s d'aliénés qui sont parfois de fort belles choses, bien supérieures à telles productions d'artistes en liberté.
Roure (Lucien). — En face du fait religieux.
Salinis (P. A. de). — Le Protectorat français sur la Côte des Esclaves, € la Compagnie de Sané, 1889-1890 ».
bcché (Alphonse). — Les Sonnets d'Amour du xvi' au xx* siè- cle, choisis et annotés très ingénieusement en une
fii LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
plaquette où nous lisons que t les sonnets d'amour sont le pur miroir de l'âmo des poètes et des amants ».
— Les IHits Jolis vers de Vannée 1907, sélection qui dénote une belle audace et contr.^ laquelle, je gage bien qu'un cer- tain nombre de poètes — ceux notamment qui en sont exclus — s'inscriront en faux.
Séché (Alphonse et Jules Bertaut.) — L-Evolution du théâtre Contemporain, une très suggestive et très intéressante étude i)réfacée par M. Emile Faguet.
Section Historique de l'Etat-Major de l'Armée. — L'Investis- sèment de Metz.
Tabet (Jacques. -J.). — Rires et Sanglots. Poésies.
Tiercelin (Louis). — Sous les brumes du temps, de mélodieu- ses poésies.
Toulouse (D'). — Comment former un esprit^ un volume pra- tique, intéressant et utile.
Vega. — L'Ombre des Oliviers. Poésies.
Vollay (Charles). — Œuvres complètes de Sainl-Just, publiées dans une très complète et savante Edition, avec une introduction et des notes.
Waddiugton (Richard). — La Guerre de sept ans, Histoire di- plomatique ft militaire, IVe volume.
MARS
LES ROMANS
GERARD D'HOUVILLE Le Temps d'aimer.
Je m'étais promis certain jour de revenir avec ([uelque détail sur le Temps d'aimer, et — com- l)ion l'on a tort de différer l'accomplissement d'une tâche agréable! — Il fut bien vite trop fard : on avait déjà tant parlé de ce livre; il avait
é analysé de façon si complète et si éloquente que je n'avais plus qu'à me résigner au silence. J'aurais trop de regret cependant à n'avoir pas exprimé d'un mot toute l'émotion complexe, mé- langée, délicieuse, que m'a fait éprouver cette œu-
4.
OC) LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
vre étrange et diverse, toute parfumée de can- deur, de jeunesse et d'amour, toute voilée de mé- lancolie et relevée çà et là de je ne sais quelle perversité, d'un piment d'autant plus savoureux qu'elle est ingénue et semble s'ignorer.
Est-il bien vraisemblable, ce roman? Est-il bien commun qu'une petite personne de la qualité phy- sique et morale de Laurette gâche ainsi, sans ai- mer, le (( temps d'aimer », et se résigne aussi facilement à de pâles et moyennes félicités conju- gales? Tout cela est-il d'une observation psycho- logique bien serrée ? Je l'ignore ! Mais ce qui est certain, c'est que Gérard d'IIouville le raconte avec une grâce exquise, une émotion poignante, et dans une langue dont l'harmonie possède un charme très prenant.
MAXIME FORMONT
Le Risque.
M. Maxime Formont a voulu ici aborder un problème assez scabreux et fort douloureux qu'il nous expose nettement dès les premières pages de son hvre. Ce « risque », c'est celui auquel s'ex- posent tous les jeunes gens qui ont l'âge de l'a- mour et non celui de la raison, le goût des aven- tures et pas encore celui du mariage, le risque
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MARS — LES ROMANS 67
d' « avoir un enfant d'une femme indigne, et, comme la nature est taquine, elle peut leur jouer le tour de le créer à leur image, et sans leur lais- ser le moyen de garder l'anonyme. Ajoutez que ce rejeton ayant poussé dans un terrain un peu spécial ne leur fera vraisemblablement pas grand honneur. Même il se pourrait qu'il les déshonorât en effigie... ))
J'ai tenu à donner celte citation, car on ne sau- rait exposer de façon plus claire et plus précise le sujet du roman. En ces quelques lignes tient toute l'aventure du marquis de Morante et du déplora- ble rejeton, René Duparc, qu'il engendra jadis, et qui, apparaissant brusquement dans l'existence de son père, la bouleverse de la façon la plus doulou- reuse et la plus tragique, non seulement pour M. de Morante, mais pour sa famille légitime, dont il fait le désespoir et la ruine.
Il y avait là un beau sujet de drame palpitant, douloureux et humain dont M. Maxime Formont a su tirer parti avec ses qualités très personnelles, très originales, et dont le progrès apparaît écla- tant à chacun de ses romans nouveaux. Avec la leçon assez banale qui semble en ressortir sur la prudence que les hommes doivent apporter dans leurs amours de jeunesse, et sa constatation des itavismes, c'est une œuvre vraiment émouvante et qui, d'un bout à l'autre, tient le lecteur inté- ressé et haletant.
<;s LE MOUVEMENT LITTERAIRE
KILIEN D'EPINOY
Amour et Dot.
Amour et Dot. Voilà au moins un titre sans obscurité et qui fixe tout de suite le lecteur sur le sujet du roman qu'il aura à déguster. Dans ce livre, M. Kilien d'Epinoy apporte en eiïet sa roma- nesque contribution à Tenquete ouverte univer- sellement sur la question du mariage. Cette ques- tion palpitante déjà pour les hommes est poignante pour les jeunes filles dont, quelque temps encore, le mariage restera la carrière d'élection, et qui', riches ou pauvres, demeurent angoissées devant le conflit redoutable et fatal, entre les aspirations de leur cœur et les modernes nécessités de la vie pratique invoquées par les amateurs de dot. Ces préoccupations, les gentilles héroïnes de M. Kilien d'Epinoy les éprouvent intensément, et elles nous montrent dans leurs diverses situations le pro- blème du mariage contemporain sous toutes ses faces. Devant elles évolue un quadrille masculin ou plutôt un quintette, car Fauteur a joint à ses fiancés un assez vilain type de coureur de dots, pour se donner la satisfaction de le berner et de le châtier au dénouement du livre. Et c'est de ce dénouement que les amateurs de « tranches de vie » pourront faire grief à M. Kilien d'Epinoy, très fin observateur pendant tout le cours de son
MARS — LES ROMANS 69
livre, un peu optimiste peut-être dans sa conclu- sion où il nous montre l'amour vainqueur de la dot. Mais pourquoi le chicaner à ce sujet, puis- qu'il a su nous intéresser et nous divertir, et puis- que aussi bien les romans n'ont pas pour but seu- lement de nous montrer ce qui est, mais parfois aussi ce qui devrait être.
MAURICE LEBLANC
Arsène Lupin contre Herlock Sholmès.
Les « Aventures extraordinaires d'Arsène Lu- pin », le gentilhomme cambrioleur, le voleur na- tional, dont M. Maurice Leblanc a doté la littéra- ture de son pays, se poursuivent pour la plus grande joie de la galerie. L'inspiration est heu- reuse de mettre ainsi en face d'Arsène Lupin un adversaire digne de lui. Si séduisant, si prodi- gieux, en effet, que fût ce délicieux voleur, il pouvait à la longue lasser l'admiration du lecteur trop sur d'avance de sa victoire. Au contraire, le A oici aux prises avec Herlock Sholmès, un poli- cier prodigieux, phénomène d'intuition, d'obser- vation, de clairvoyance et d'ingéniosité, tel qu'on se demande, nous dit M. Leblanc, « si ce n'est pas un personnage légendaire, un héros vivant, sorti du cerveau d'un grand romancier, d'un Conan
70 LE MOUVEMENT LITTIÎHAIHE
Doylc, par exemple ». Ainsi, nous sommes sûrs que ïiUpin aura du fil à retordre et qu'il lui fau- dra déployer toutes les ressources de son subtil et inépuisable génie pour se tirer d'alîaire.
Et de fait, au cours des deux grandes aventu- res qui nous sont contées dans ce volume, celle de « la dame blonde » et celle de « la lampe juive », Arsène Lupin est parfois bien près de la défaite, sa capture savamment méditée, organi- sée, préparée par un policier de génie, semble cer- taine, et tout autre que lui serait pris, mais on ne prend pas Arsène Lupin, et c'est tant mieux! car ce voleur est parfois, — dans l'aventure de la lampe juive notamment, — un redresseur de torts, un champion de l'iiinocence persécutée à qui Her- lock Sholmès lui-même est contraint de rendre justice. Et dans les aventures où il est guidé par des mobiles moins nobles et où tout simplement il exerce sa lucrative profession de voleur, il y met tant de grâce, de générosité, de fantaisie, que l'on est tenté d'applaudir au moment où, par un tour de passe-passe imprévu, il échappe à son po- licier pourtant si sympathique, lui aussi, car Her- lock Sholmès est très sympathique, et aussi Ga- nimard, le policier français dont le rôle est un peu sacrifié, et la dame blonde qui se fait par amour la complice du cambrioleur. Tout le monde est sympathique dans ce livre étourdissant où l'au- teur a accumulé avec une inlassable imagination les aventures les plus extraordinaires, les plus pal-
MARS — LES ROMANS 71
pilantes, les plus invraisemblables, et toujours lo- giques dans leurs invraiseml)lances. Je vous re- commande notamment riiistoirc du diamant bleu, dont vous n'avez certainement pas perdu le sou- venir. Toutes les obscurités, toutes les contradic- tions qui s'accumulèrent dans cette mystérieuse et bruyante aventure s'expliquent de façon mira- culeuse grâce à l'entrée en scène d'Arsène Lupin qui dans l'ombre en manœuvre tous les fds, et pour qui M. et madame de Crozon, les châtelains, et M. B'.eichen, le consul autrichien soupçonné, sont de simples comparses ; c'est vraiment bien amusant, et on ne saurait avec plus d'ingéniosité mettre la réalité au service de l'imagination.
GEORGES OHNEÏ La Route rouge.
M. Georges Ohnet s'est avisé que parmi ces « Ba- 'lilles de la vie », dont il nous oiïre le récit de- jiuis un quart de siècle, il n'en était pas de plus poignante que la mêlée politique et sociale à la- • [uelle nous assistons en ce moment et où se jouent les destinées de notre pays. Il entreprend de nous la faire vivre et juger dans la Route rouge.
Dans ce livre, M. Georges Ohnet, romancier bourgeois, s'est mis courageusement, bravement,
i^Z LE MOUVEMENT LITTERAIRE
du coté de la bourgeoisie. Je dis bravement car, en ce temps de snobisme et de surenchère, il y a quelque courage à afOcher ses opinions et à pro- clamer sa condition de bourgeois, et le romancier a bien raison lorsqu'il entend démontrel* qu'un industriel millionnaire ne saurait être longtemps un socialiste ou môme un radical-socialiste bien sincère et que les événements se chargent de lui montrer combien ces deux situations sont incon- ciliables.
C'est le cas de M. Didelod, le très intéressant hé- ros de la Route rouge, le puissant industriel de Lehrange, qui, au début, essaye avec une entière bonne foi de mener de front ses convictions ra- dicales-socialistes et l'administration de ses mil- lions, et qui, expérience faite, assagi par quel- ques redoutables épreuves, se décide, sans vouloir s'avouer vaincu et sans renoncer publiquement à aucune de ses opinions, à prendre en secret les précautions nécessaires. Par ambition politique, « il reprend sa marche en avant, la main dans la main des révolutionnaires, toutefois il place toute sa fortune mobilière dans des banques anglaises et belges, — et ayant mis une cinquantaine de millions dans des pays plus sages que la France, il se rejette dans le socialisme sans arrière-pen- sée ».
Ce n'est pas très noble, mais cela correspond assez exactement à la vérité moyenne; toutes les indignatioiis du monde n'y feront rien. M. Geor-
MARS — LES ROMANS 78
ges Ohnet, champion de la société, s'expose allè- grement à ces indignations, sûr d'avoir pour lui la foule haljituelle de ses lecteurs, amis des solu- tions moyennes et justes et auxquels il offre, par surcroit, un roman tout à fait attachant, où tous les éléments d'intérêt que peut fournir dans une famille le conflit des passions politiques sont nais en œuvre avec une supérieure habileté et une communicative émotion, si bien que, sans être le moins du monde réactionnaire, le lecteur ne peut s'empêcher de faire des vœux pour les deux fian- cés, Laurenca, fille de Didelod, et le lieutenant de dragons de Berlie, et de partager l'aveugle fu- reur d'Hortense Tourne marie contre son père, le meneur de grèves.
MAX MAUREY et JUBIN
Les Aventures de M. Haps.
il y a quelques années, M. Max Maurey fit re- présenter chez Antoine une pièce intitulée l'Asile dn nuit, où il nous contait, avec une verve très sj)irituelle et très mordante, l'aventure d'un va- gabond nommé Haps qui, 'reçu d'abord comme un chien par le quinteux directeur de l'asile, pas- sait ensuite à ses yeux pour un journaliste, et voyait ce fonctionnaire s'adoucir jusqu'à la plati*
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74 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tude, lui prodiguer les gentillesses et les amabili- tés, le combler de bonnes paroles et de chauds vê- tements, et s'en allait ravi, sans avoir compris la cause de cette bonne fortune. Cette très amusante comédie, qui est une manière de petit chef-d'œu- vre, ayant obtenu un énorme et légitime succès, M. Max Maurey eut l'idée de faire poursuivre à ce vagabond une destinée si heureusement commen- cée ; de là, les Aventures de M. Haps, [le roman qu'il a publié, en collaboration avec M. Jubin. Il est étourdissant, ce roman! et c'est un des livres humoristiques les mieux venus auxquels j'ai eu depuis bien longtemps l'occasion de me divertir : on y voit naître et se déA'elopper l'extraordinaire fortune de M. Haps, qui, avec une bonne grâce cynique, se laisse porter par une suite invraisem- blable d'événements heureux ! Pour ce vagabond, le travail est et reste « la moins rémunératrice de toutes les occupations », et c'est en dormant litté- ralement que lui vient la fortune, car, après boire et manger, son passe-temps favori, c'est le som- meil : il dort éperdument, et son sommeil passe pour du génie. C'est ainsi qu'en dormant il dirige le mieux du monde le grand quotidien Hiej% au- jourd'huL demain, c'est en dormant qu'il triom- phe au théâtre, c'est en dormant qu'il devient homme d'Etat, ministre, que sais-je?...
La série de ses aventures, l'épanouissement de sa fortune nous sont contés avec une fantaisie, une bonne humeur, une gaieté merveilleuses, et non
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MARS — LES ROMANS 73
sans observation ni logique; on rit à gorge dé- ployée et Ton ne peut tout de môme s'empêcher de constater derrière cette gaieté outrancière, derrière cette apparente folie, une très mordante et souvent très exacte satire des mœurs du temps. Les per- sonnages qui s'agitent dans cette aventure, depuis M. Rondin, le directeur de l'asile de nuit, jusqu'à Florison, l'ancien accessit du Conservatoire, « qui avait doublé Taillade », Dutilloy, le louche person- nage chez qui « rien n'est perdu fors l'honneur », et Ma Soupe, élevé des fonctions de domestique volontaire dans l'asile de nuit à celles de secrétaire de la rédaction du journal Hier y aujourcVliui. de- main. Ce sont des fantoches, cela est certain, mais sous le maquillage de ces bonshommes on peut, je crois, sans trop d'efforts, retrouver des figures et des types de Paris. En tous cas, ils sont folle- ment amusants, et qu'il ait ou non l'intention de châtier les mœurs, le livre de MM. Maurey et Jubin poursuivra sa carrière en riant aux éclats; il m'a fait pour mon compte passer quelques heures infi- niment agréables.
RENEE FAUER
Armelle et son Mari.
Une jolie et aimable histoire que celle à' Ar- melle et son Mari que nous conte Renée Fauer.
76 LE MOUVEMENT LITTIÊRAIRE
Le premier roman de cet écrivain, étrange, naïf ] et audacieux, les Ignorantes, avait déjà attiré sur ■ lui l'attention des lettrés ; celui-ci, dans sa grâce j pimpante et dans sa verve attendrie, les con- î querra tout à fait. L'anecdote pourrait être ba- i nale. C'est l'aventure d'un fils à papa qui, dans ; le désir de toucher un acompte sur l'héritage pa- ■ ternel, décide de contracter mariage avec la- gen- 1 tille Armelle que sa bonne grâce avantageuse a : subjuguée. Il veut de l'argent, mais il se soucie ^ peu d'avoir une femme et il est bien résolu à lais- , ser à son mariage une blancheur immaculée et à 1 décamper, lesté de son demi-million, le lende- ; main de ses noces. [Ainsi fait-il, mais le jeune \ étourneau a compté sans ses hôtes : son père, le- | quel, boursier astucieux, ruine en un tour de ] main son fils qui s'est mis à spéculer I sa douce \ femme fiancée, laquelle a trop d'amour pour avoir de l'amour-propre, recueille son pigeon traînant ; de l'aile. Tout cela vous paraît assez naïf? C'est ; qu'en vous le racontant je l'ai dépouillé des mille \ ornements de verve et d'esprit dont l'auteur a j paré ce roman qui est vraiment tout rempli d'à- , grément et de grâce. '■
MARS — LES ROMANS 77
M'^^ LA MARQUISE DE PONTEVÈS-SABRAN
Le curé de Sainte-Agnès.
Dans ce roman, madame la marquise de Pon- tevès-Sabran a voulu, sans doute, nous donner l'image idéale d^un prêtre d'aujourd'hui dont la tâche est si difficile en ce temps de séparation, d'hostillité, d^indifférence. Il lui faut pour rem- plir sa mission le triple airain du poète et une vocation singulièrement haute et vaillante ; tel est le héros du livre, l'abbé Rouvre, pasteur du plus incrédule et du plus impie des villages : le bourg de Sainte-Agnès, où il est contraint à com- battre sans cesse et sans relâche contre tous les ennemis de la religion, ceux du dehors et les au- tres, ceux qui sommeillent tout au fond de lui- môme; il y réussit remarquablement, trouve moyen de se concilier les plus voltairiens, les plus épicuriens de ses paroissiens, et meurt sainte- ment après une existence très mouvementée, très louchante, et qui dans sa noblesse est, selon ma- dame la marquise de Pontevès-Sabran, (( celle que mènent beaucoup de prêtres simples et saints en ce temps où l'Eglise de France subit l'assaut furieux d'une haine sociale suscitée contre elle ».
HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, VOYAGES. DIVERS,
GEOFFROY DE GRANDMAISON
L'Espagne et Napoléon (1804-1809).
— Il y a cent ans, — c'était en 1808, — que Napoléon rencontra sur sa route, dans l'aventure espagnole, le « caillou contre lequel il vint tré- bucher )). L'actualité d'un livre sur L'Espagne et Napoléon est donc dans toute sa force ; mais, ainsi que le dit M. Geoffroy de Grandmaison, « le temps a marché : des deux côtés des Pyrénées les passions ont perdu leur acuité, leur aigreur, leur intransigeance, il ne demeure plus qu'un grand exemple de patriotisme dont chacun peut médi- ter la leçon ». Bel exemple en effet, belle histoire que celle de cette guerre de l'indépendance oii la
HISTOIRE, LITTéRATURE, POLITIQUE, VOYAGES, ETC. 79
première armée du monde et le plus grand capitaine de tous les temps furent non pas vaincus, mais annihilés par cette force obscure et invincible qui est le sentiment de la patrie et de l'indépendance. Leçon mémorable dont le grand empereur, ce vaincu à Madrid ^ien plus qu'à Moscou », eut conscience lui-même, car il disait à Sainte-Hélène : « Cette malheureuse guerre m'a perdu : toutes les cir- constances de mes désastres viennent se rattacher à ce nœud fatal; elle a compliqué mes embarras, divisé mes efforts, détruit ma moralité en Eu- rope; les Espagnols en masse se conduisirent comme des gens d'honneur. »
Et dans ces quelques lignes impériales se trouve résumée toute l'histoire émouvante, héroïque et belle, dont M. Geoffroy de Grandmaison a entre- pris le récit et qui, commencée dans le volume de l'Ambassade française en Espagne pendant la Révolution, se poursuit avec VEspagne et Napo- léon {1S04-1809), qui s'arrête à Charles IV »; le troisième volume qu'il nous annonce se terminera par la conséquence ultime et logique de la guerre d'Espagne : la Déchéance de Napoléon.
Dans le présent volume, toute la guerre d'Es- pagne est racontée en des tableaux mouvementés, tragiques, palpitants, où nous revivons les plus fameux combats des temps modernes. C'est un roman de guerre et de politique, d'une lecture presque enivrante; c'est aussi une œuvre d'his- toire remarquablement composée, où les événe-
SO LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ments sont très bien ordonnés et très logiquement déduits et appuyés sur une science et sur des do- cuments incontestables.
HENRI BREMOND
La Provence mystique au XVII® siècle.
' Sous ce titre la Provence mystique au dix-sep- tième siècle. M. Henri Rrémond nous conte, en ce volume la belle et édifiante bistoire d' « Antoine Yvan et de Madeleine Martin ». L'histoire de cet ermite, graveur, écrivain, mystique, et fondateur d'ordre, et de la Provençale délicieuse qu'il diri- gea, façonna et conduisit à la sainteté, est (les pièces d'archives et les documents justificatifs fournis par l'auteur nous l'afGrment), une fort au- thentique et très réelle histoire.
Tant mieux! car cela nous démontre que la réalité peut avoir parfois le charme et la grâce des plus belles imaginations. C'est vraiment un conte mystique que J'histoire de cet Antoine Yvan, lequel naquit la même année que saint Vincent de Paul, le 10 novembre 1576, en la vigile de saint Martin, à Riajis, petite ville qui dépendait alors de l'archevêché d'Aix, De Cotignac jusqu'au ter- roir de Rians, où il se cloîtra et se mortifia, et à Aix oii, pendant la grande peste de 1629, Antoine
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURl, POLITIQUl, ETC. 81
Yvan se montra héroïque jusqu'au sublime, mena la plus édifiante et la plus mouvementée des exis- tences. Elle nous est contée par M. Henri Bré- mond avec de la ferveur ;et une grâce souriante. J'ajoute qu'elle se déroule au cours d'une « épo- que savoureuse, pittoresque, édifiante entre tou- tes, celle où la France, à la veille de se conver- tir au solennel et au grandiose, prolonge les derniers beaux jours de la libre fantaisie ». Cette époque, Tauteur l'a évoquée en des traits pitto- resques et charmants; ces deux figures provença- les, il les a dessinées avec « autant d'amour que de franchise ». « Les âmes pieuses, dit-il joli- ment, ne tiendront pas rigueur à mon humble prose s'il lui arrive parfois de descendre du ciel sur la terre. Les autres ne contristeront pas mes deux Provençaux en refusant de les suivre de la terre au ciel. »
CHARLES DIEHL
Figures byzantines. — 2^ Série.
On sait la haute valeur historique de ces études, M. Paul Adam a rendu à leur auteur un très pré- cieux hommage au moment où il publia sa fa- meuse Irène et les Eunuques, ce prestigieux ro- man pour lequel l'éminent professeur lui avait donné, nous disait- il, un si utile concours. M. Char-
6.
,S2 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
les Diehl ne fait pas du roman lui, il écrit de l'his- toire, mais cette histoire est si romanesque, si émouvante, si dramatique, il l'écrit de façon si vivante et si pittoresque qu'à l'intérêt d'un docu- ment son livre joint Tagrément du plus émouvant des romans.
Dans le cadre étrange, bigarré, paradoxal de Byzance à l'époque des Croisades, il fait défiler en des épisodes palpitants, en des traits inoubliables : Anne Gomncne, cette princesse « aux grands yeux mobiles qui montraient l'activité de sa pen- sée, la profondeur de ses connaissances philoso- phiques, la supériorité vraiment impériale de son esprit, une princesse telle que si la Grèce l'avait connue, elle eut ajouté une quatrième Grâce aux Grâces, une dixième Muse aux Muses » ; l'impéra- trice Irène Doukas, type intéressant de ces « prin- cesses byzantines du douzième siècle, femmes po- litiques et femmes de lettres à la fois, un peu austères, un peu graves, mais d'une impeccable tenue morale et d'une grâce sérieuse qui n'est point ^ns beauté » ; et aussi cet empereur Andro- nic Comnène, lequel mourut en l'an 1185, après avoir « rempli tout le douzième siècle du bruit de ses aventures, de l'éclat de ses hautes qualités et du scandale de ses vices » ; et le fabuleux poète de Cour, Théodore Prodrome, et les princesses d'Occident à la cour des Comnènes, et les prin- cesses latines à ]a Cour des Paléologues ; c'est en- suite l'histoire des mariages du dernier des Pa»-
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 83
léologues, le roman de Digénis Akrilis, et deux romans de chevalerie byzantine, restitués avec autant d'art que de science historique.
EUGÈNE RIGAL
Molière.
Si copieuse que soit l'œuvre inspirée depuis trois siècles aux historiens et aux critiques par notre grand comique, — et Dieu sait si l'on peut en remplir des bibliothèques, — c'est un sujet vaste et grand comme le monde, sur lequel il restera toujours quelque chose à dire; M. Rigal nous en donne la preuve dans l'œuvre érudite, agréable, judicieuse, où il a voulu surtout « marquer le plus nettement possible la courbe décrite par le génie de Molière, décrire le caractère et le mérite de chaque pièce et le rapport essentiel des pièces entre elles, traiter rapidement les questions géné- rales qui intéressent l'art de Molière et l'art classi- que tout entier ».
84 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
TONNELAT L'Expansion allemande hors d'Europe.
Les ambitions coleniales de l'Allemagne, ses visées de politique mondiale sont pour l'Europe en général et pour la France en particulier un su- jet d'études dont il est inutile, je pense, de dire le poignant intérêt; et le livre de M. Tonnelat est à ce point de vue un ouvrage tout à fait précieux : suivant les Allemands aux Etats-Unis, au Chau- toung et dans l'Afrique du Sud, l'auteur étudie ce que les colons allemands ont apporté de nou- veau à leur pays d'origine et ce qu'ils en ont reçu, et comment ils remplissent cette fonction de défenseurs de l'idéal allemand que leur assigne l'empereur d'Allemagne. Il examine ensuite l'œu- vre persévérante et souvent astucieuse accomplie en Extrême-Orient, l'action brutale et volontaire poursuivie dans l'Afrique- du Sud où les procédés allemands auront peut-être des résultats prati- ques, mais « n'auront à coup sûr pas le caractère colonisateur ».
VICOMTE G. D'AVENEL Aux Etats-Unis.
Il n'est pas, en ce temps, de préoccupation plus actuelle, ni de plus impérieuse que celles qui nous
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 85
viennent d'Amérique et d'Extrême-Orient. Les Etats-Unis et le Japon sont en ce moment parmi les facteurs décisifs de la politique internationale, et il nous est à nous autres Français, dont l'igno- rance géographique a été si durement qualifiée, impérieusement commandé d'apprendre à les con- naître. A cette éducation nécessaire, trois volu- mes parus dans la même semaine contribueront de façon éminente; ces trois volumes, d'origine et de genre très divers, ont en effet pour objet commun l'étude des Etats-Unis.
Le premier a pour auteur M. le vicomte G. d'A- venel, il est intitulé Aux Etats-Unis, et ses sous- titres : « les champs, les affaires, les idées », in- diquent de façon très nette l'ordonnance et les divisions de ces études où, dédaigneux des récits de voyage et des descriptions, il a voulu seule- ment « noter les évolutions des idées et des œu- vres aux Etats-Unis, assez récentes pour n'avoir pas encore eu d'analystes ». Dans des pages d'une documentation très solide et d'une forme très igréable, il étudie tour à tour : l'agriculture et os merveilleux progrès, grâce auxquels la terre iméricaine donne 32 milliards par an de produits agricoles, et définit le rôle agricole du gouverne- ment et de l'Etat, qui n'a rien de bureaucratique ; puis il nous offre une très ingénieuse théorie pour expliquer la crise actuelle, nous raconte Uépopée des créateurs des clieniius de fer, et nous expli- que les trusts; enfin, passant en revue « les idées »,
86 LE MOUVEMENT LITléRAIRE
il nous parle tour à tour : du mariage, de la no- blesse, du travail, de la culture intellectuelle et du goût et de la liberté religieuse, et tout cela est d'une lecture tout à fait captivante et intéressante en même temps que très précieusement instruc- tive.
ARCHIBALD CARY COOLIDGE
Les Etats-Unis, puissance mondiale.
Les ambitions de cette grande nation, ses visées de politique mondiale constituent-elles un danger pour l'Europe? C'est à quoi répond le volume pu- blié par M. Archibald Cary Coolidge, sous le ti- tre : les Etats-Unis, puissance mondiale. L'au- teur de ce livre est un professeur de l'université Harvard, dont le public français connaît l'élo- quence et la grande autorité. Il y étudie le déve- loppement et l'expansion de la puissance des Etats-Unis, « l'irruption de ce qu'on appelle l'im- périalisme américain dans ce qu'on nomme la po- litique mondiale », et il l'étudié « avec le savoir et l'exactitude d'un historien, avec l'ampleur et la lucidité d'un politique, [et, chose qui lui fait peut-être encore plus d'honneur, avec une sincé- rité, une loyauté, avec un tact, et aussi avec un esprit de liberté et un esprit d'impartialité qui rehaussent singulièrement la valeur de ces pro-
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 87
fondes et substantielles études » ; c'est ainsi que s'exprime, dans une éloquente préface, un fort bon juge qui est M. Anatole Leroy-Beaulieu, membre de l'Institut.
LOUIS AUBERT
Américains et Japonais.
Voici enfin un volume où M. Louis Aubert traite la question qui passionne actuellement le vieux monde inquiet et curieux : Américains et Japonais. M. Louis Aubert était particulièrement qualifié pour traiter cette question, et on n'a pas oublié le très important ouvrage publié par lui sous le titre : la Paix japonaise; dans son nou- veau livre, il aborde le redoutable conflit qui semble actuellement diviser l'Amérique et le Ja- pon, il raconte l'émigration japonaise aux Hawaï, en Californie, aux Etats-Unis et dans l'Amérique du Sud, il retrace les phases de conflit social et économique, et il met en présence les Etats-Unis et le Japon et les puissances, pour arriver à cette conclusion menaçante pour les uns, rassurante pour les autres : que « le péril jaune au moment qu'il cesse pour l'Europe commence pour les deux Amériques ».
88 LE MOUVBMBNT LITTÉRAIHB
LiEUT. -Colonel PEROZ
Hors des Chemins battus.
Le ireutenant-colonol Péroz dont on n'a pas ou- l)lié le beau livre Par vocation poursuit le récit de « la vie et aventure** d'un soldat de fortune » en un volume qu'il intitule Hors des chemins battus. Ce livre où ;il nous raconte quatre années de sa vie, de 1896 à 1899, est un fort [émouvant roman vécu, où dans le prestigieux décor de la campagne tonkinoise se déroulent les contes les plus dramatiques et les plus pittoresques, des « coûtes qui sont de l'histoire », l'aventure hé- roïque et belle de Dé-Tham, le dernier défenseur de l'indépendance annamite, celle de Nha-Nam, le dernier grand pirate ; celle encore toute gra- cieuse et jolie de Kydong, l'enfant du miracle, et de terribles histoires de chasses qui laisseraient Louis Boussenard lui-môme incrédule. Tout cela est narré par le lieutenant-colonel Péroz avec beaucoup d'art, d'émotion et de vérité; on peut « le lire à la veillée, lorsque, la nuit venue, por- tes closes, on aime à frissonner » ; et après l'a- voir lu on voit nettement, comme dit l'auteur dans son langage coloré, « à travers les buées sanglantes qui s'élèvent des forêts montagneuses, où rampent les pirates et les tigres, au-dessus des grandes plaines unies où frissonnent les riz verts,
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monter, puis s'étendre sur toute la contrée l'om- bre de la paix consolatrice, bienfaisante et fruc- tueuse ».
^ EMILE BOUTROUX
Science et Religion dans la philosophie contemporaine.
Livre grave et austère. « Austère », ai-je dit? gardez-vous bien de lire ennuyeux! Car rien n'est plus passionnant ni plus émouvant que le conflit exposé par l'éminent philosophe et résolu par lui dans le sens le plus large, le plus libéral et le plus fécond. Après une étude historique tout à fait remarquable sur la religion et la science, de l'an- tiquité grecque à la période contemporaine, M. Emile Boutroux analyse tour à tour : la ten- dance naturaliste avec Auguste Comte et la reli- gion de l'humanité, Herbert Spencer et l'incon- naissable, Haeckel et le monisme, le psycholo- gisme et le sociologisme, la tendance spiritualiste avec Ritschl et le dualisme radical, William Ja- mes et l'expérience religieuse, et il arrive à cette conclusion que la lutte trempe la religion comme la science et que « si la raison prévaut, de leurs principes distincts, devenus à la^fois plus larges, plus forts et plus souples, surgira une forme de vie plus ample, riche, profonde, libre, belle et in-
90 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
telligible. Mais ces deux puissances autonomes ne peuvent que s'acheminer vers la paix, l'accord et rharmonie, sans jamais prétendre toucher le but; car telle est la condition humaine ».
EMILE BOIRAC
La Psychologie inconnue.
C'est d'une science moins précise et moins avan- cée que nous parle M. Emile Boirac, le très émi- nent recteur de l'académie de Dijon, lequel nous offre, en un volume tout à la fois très documenté et très philosophique, une introduction et une contribution à Tétude expérimentale des sciences psychiques : la Psychologie inconnue, M. Boirac, qu'on ne saurait taxer de puérile crédulité, s'est passionné pour tous ces phénomènes qu'on appe- lait autrefois occultes et qui sont : la suggestion, l'hypnotisme, le magnétisme animal, la télépathie, le spiritisme, et regrette qu'ils aient été si long- temps exploités par les charlatans et plus ou moins abandonnés aux empiriques et aux rêveurs; il croit qu'ils pourraient être scientifiquement tirés au clair par une application systématique de la méthode expérimentale telle que l'ont connue les Claude Bernard et les Pasteur.
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 91
LOUIS HOULLEVIGUE
L'Evolution des Sciences.
Dans ce livre d'une haute portée philosophique et scientifique M. Houllevigue expose, en les ap- puyant sur des faits, des documents et des ob- servations, des idées très hautes et très fécondes sur l'unité de la science, « qui se fait peu à peu par la pénétration réciproque des sciences » ; ces idées, il n'est pas d'étudiant qui ne les ait eues confusément alors que sous ses yeux se dérou- laient des expériences de physique ou de chimie qu'avaient prévues ou que vérifiaient des équa- tions mathématiques. M. Houllevigue précise ces idées, les explique avec une éloquente clarté, et après l'avoir suivi dans ses observations sur les tendances de la chimie, la transmutation et les expériences de Ramsey, l'intérieur de la terre, le soleil, les éclipses, la voie lactée, l'organisation de la matière, on reste confondu [devant l'admirable et majestueuse harmonie de la science qui, sous ses formes variées à l'infini, reste une et solidaire, cimentée par les mathématiques et la physique, « véritables humanités scientifiques qui forment la base indispensable de toute étude portant sur une science quelconque ».
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Îl2 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MÉMENTO OU MOIS DE MARS
ROMANS
Avcsnos. — Contes pour lire au crépuscule,
Gorthis (Andrô). — Mademoiselle Arguillis, un roman de l'au- teur de c Gemmes et Moires » dont la Vie Heureuse récompensa naguère les beaux poèmes.
Datin (Henri). — Le Bigame.
Emery (René). — La Vierge >'' i'^»>"r « r..ni n. <).. .)iœurs gau- loises >.
Letang (Louis). — Fille ilr iî'inc, la « ^uiiu «i lin » de ce roman Grippe-Soleil dont j'ai dit naguère les tumul- tueuses péripéties. Nous assistons dans ce volume au châtiment définitif du crime et à la récompense de la vertu et de l'innocence, mais après combien de luttes, de difficultés et de traverses...; heureusement que no- tre ami « Gripi)e-Soleil > est là pour tout arranger au moment le plus pathétique : châtier les assassins, re- trouver les trésors et t bien finir > le plus romanesque dos romans-feuilletons,
Mockel (Albert). — Contes pour les enfants d'hier, un livre ex- quis.
Thiery (Jean). — Lui ou Moi.
Tisseyre-Ananke (Paul). — Ces Messieurs et Dames des Grands Magasins.
Vernyères (André des). — La Maison du Seigneur, « scènes de la vie cléricale contemporaine ».
MABS — HISTOIKE, LITTERATURE, POLITIQUE, ETC. 93
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Arnaud (Raoul). — L'Egérie de Louis-Philippe, Adélaïde d'Or- léans, 1777-1847, un volume d'une lecture agréable et solide, écrit d'après des documents inédits.
Balincourt (Commandant de). — L'Agonie d'un cuirassé, un volume où l'auteur nous restitue « le carnet de notes du commandant Semenoff, de l'Etat-major de l'Amiral Rodjestvensky ».
Barrés (Maurice). — Vingt-cinq années de Vie Littéraire, des c pages choisies j ou nous revoyons dans un raccourci d'une impressionnante synthèse l'œuvre considérable, si diverse et si harmonieuse, édifiée en un quart de siècle par l'un des écrivains les plus originaux et les plus puissamment doués de ce temps ; le choix et l'or- donnance de ces pages sont, à mon sens, quelque peu arbitraires parfois, mais très ingénieux toujours, et le livre, précédé d'une introduction où M. Henri Brémond étudie l'œuvre et l'esprit de Maurice Barrés en des pa- ges très compréhensives, est, d'ensemble, un document littéraire d'une haute portée et d'une grande séduc- tion.
Beauregard (G. de) et L. de Fouchier. — Un Voyage en Por- tugal,
Bernheim (Adrien). — Trente ans de Théâtre, la 4^ série de ces chroniques si vivantes, si amusantes, si pittores- ques où nous est contée d'une plume alerte l'histoire du théâtre d'hier, d'aujourd'hui et de demain.
Bonnard (Abel). — Les Royautés. On se souvient que M. Abel Bonnard avait obtenu l'an dernier le prix de Rome de poésie, je ne sais pas s'il est allé effectivement à Rome, mais je suis sûr qu'il a rapporté de son voyage des vers toujours jolis, originaux, d'une grâce familière, d'un lyrisme généreux, souvent de très beaux vers, et c'est tout ce que pouvaient souhaiter ceux qui l'ont couronné.
04 LE MOtrVEMENT LITTIÈRAIRE
Bournand (François). — Voir Albert Savine.
Bruchard (Henry de). — La France au Soleil, de très belles et très lumineuses e Etudes Algériennes », préfacées par M. Maurice Barrés.
Charpin (Frédéric). — La Question religieuse, t Enquête in- ternationale >.
Cochin (Henry). — Tableaux flamands, un agréable volume où l'auteur a réuni, des t discours d'histoire et de mo- rale, rêveries parlées et paysages médités, et une étude d'histoire appuyée dûment de documents d'archives et flanquée de pièces justificatives > ; tout cela est groupé sous le titre un peu inattendu de Tableaux flamands; mais ce titre, la préface l'explique en nous exposant que, dans tous « ces chapitres qui ne jiaraissent pas à l'abord faits pour être rapprochés » il y a une unité, et que ce que l'auteur offre au public, c'est une part assez complète de sa vie, de son expérience et de ses réflexions : c'est sa vie flamande ». En tous cas, le li- vre est intéressant, et notamment le chapitre intitulé t Une Ténébreuse Affaire > est une page poignante de petite histoire.
Coolus (Romain). — Les Rendez-Vous s Iras bourgeois.., et autres, un volume dans lequel le spirituel, profond et délicat dramaturge a réuni des œuvrettes légères où, pour se reposer de ses grandes batailles dramatiques, il a voulu seulement divertir ses spectateurs; il y a supérieure- ment réussi, et il amusera encore une foule de lec- teurs, que les joyeuses fantaisies des RendeZ' Vous stras- bourgeois et des Pieds qui remuent... plongèrent dans une douce gaieté.
Daullia (Emile). — Souvenirs d'Egypte.
Dimier (Louis). — Les préjugés ennemis de l'Histoire de France.
Dor (Prosper). — Le Golfe bleu. Poèmes.
Flammarion (Editeur). — Le Théâtre d'Aristophane, publié en deux volumes dans l'intéressante « Collection des meil- leurs auteurs classiques français et étrangers » ; édi- tion en tête de laquelle on a fort ingénieusement mis, en guise d'introduction, une exquise page d'Alfred de Musset sur Aristophane : t le plus noble à la fois et le plus grotesque, le plus sérieux et Je plus bouffon.
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 9S
le plus lyrique et le plus satirique de tous les génies de la Grèce antique ».
Focillon (Henri). — Le Demi-Dieu, « Scènes et Dialogues phi- losophiques ».
Forgues (Eugène). — Le Dossier seci^et de Fouché, « Juillet- Septembre 1815 ».
Fouchier (L. de). — Voir G. de Beauregard.
Frère (Etienne). — Louis Bouilhet, « Son milieu, ses hérédi- tés, l'amitié de Flaubert », un très intéressant volume d'après des documents inédits.
Gourmont (Jean de). — Henri de Régnier et son œuvre, paru dans la Collection « Les Hommes et les Idées ».
Lacassagne (D'|. — Peine de Mort et Criminalité, un fort sa- vant ouvrage, où c l'accroissement de la criminalité et l'application de la peine de mort » sont traités avec une méthode et une iîidépendance intellectuelle un peu supérieures à celles de nos jurés et de leurs vœux.
La Vieuville (De). — La Race des Dieux, un « essai de psy- chologie japonaise.
Lemire (Charles). — Jules Verne, « l'homme, l'écrivain, le voyageur, le citoyen, son oeuvre, sa mémoire, ses mo- numents ».
Maurel (André). — Les Petites Villes d'Italie, des excursions dont les premières étapes avaient été accueillies avec faveur; l'auteur, dans ce nouveau volume, nous con- duit en des pages aimables et alertes, en Emilie, dans les Marches et dans l'Ombrie.
Migeon (Gaston). — Au Japon, Promenades au Sanctuaire de VArt.
Millerand. — Travail et Travailleurs, un livre très émouvant et très éloquent où M, Fasquelle a réuni les différentes parties de l'œuvre oratoire de M. Millerand, œuvre f toute de logique, de volonté et de raison qui sert mieux qu'aucune autre les causes du progrès social, des travailleurs et du pays ».
Mitton. — Tortures et Supplices à travers les âges.
Paillarès (Michel). — L'Imbroglio Macédonien, un ouvrage de brûlante actualité.
Reboul (Henry). — Croisières ensoleillées, t en Provence, en Grèce, en Extrême-Orient ».
<)6 LE MOUVEMENT LITléRAIRB
Uovel (Henri). — Le Droit à la vie, un volume où l'auteur expose de très intéressantes et très modernes idées sur les questions d'éducation et d'assistance à l'ordre du jour. ,
Suvine (Albert) et François Bournand. — Fouquet, surintendant général des finances, un très intéressant ouvrage histo- rique.
Serao (M"» Mathilde). — Les Légendes de Naples, des légendes et la réalité ».
Thomas (Albert). — Le Poème du Désir et du Regret, œuvre l)Osthunie d'un poète mort il y a quelques mois à l'âge (le trente-quatre ans à peine.
Vialay (Amédée). — La Vente des biens nationaux pendant la lié- volution Française, t étude législative, économique et sociale ».
Vuillaunie (Maxime). — Cahiers Rouges, un ouvrage d'histoire très contemporaine et très douloureuse, ou cet acteur de la tragédie pO])ulaire de 187i nous restitue Une Jour- née à la Cour martiale du Luxembourg, Un peu de vérité sur la mort des otages, et ses souvenirs Quand nous fai- sions le € Père Duchéne ». Ce n'est pas, vous entendez bien, de la froide histoire! Comment être froid, com- ment être impartial, lorsqu'on parle de la Commune et lorsqu'on en j)arle en des cahiers où, selon l'expres- sion de M. Lucien Descaves, « perce non pas le regret, mais la fierté d'en avoir été ». Aussi bien n'ai-je pas à juger ici l'esprit qui anime ces récits, mais à dire seu- lement l'impression profonde que produisent ces ta- bleaux rapides, heurtés, précis de l'année terrible dont l'obscur souvenir est si poignant pour notre génération ( d'enfants du siège »
Wallier (René). — Le vingtième siècle politique, le volume con- sacré à l'année 1907 de cet ouvrage si documenté et si consciencieux.
Zeys (M°"= Mathilde). — Une Française au Maroc, un livre de voyage dont l'auteur nous conduit sur cette terre nouvelle et nous expose en une « langue claire, simple, brillante, « passante », — comme disait madame de Sévigné, — ce que ses yeux de femme y ont vu ». C'est ainsi que s'exprime M. Gabriel Hanotaux dans la
MARS — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE, ETC. 97
courte préface qu'il donne à ces jolies pages, t Madame M. Zeys mous prépare, ajoute-t-il, au voyage que nous ou nos fils, bon gré mal gré, seront obligés d'entre- prendre et qui pourrait bien être un long voyage ». Zola (Emile). — Correspondance,
AVRIL
LES ROMANS
JEAN LORRAIN
Hélie garçon d'hôtel.
Depuis la mort de Jean Lorrain, deux œuvres posthumes sont venues déjà nous rappeler l'âpre verve, le mordant, le grimaçant et beau talent de l'écrivain ; ce furent tour à tour, V Aryenne, cette poignante histoire qui met aux prises la Juive triomphante, heureuse et bienfaisante et l'Aryenne douloureuse, en proie à un irrésistible désir de se venger des bienfaits qui l'outragent et la dé- sespèrent, et cette incisive et cruelle Maison poui^ dames, où il s'amusa à peindre avec une
' AVRIL -— LES ROMANS ' ^99
Verveuse et injuste outrance les revues féminines et les femmes poètes, journalistes et chroni- queuses.
Avec Hélie garçon d'hôtel, se trouve terminée l'œuvre de Jean Lorrain qui, cette fois, est bien définitivement entré dans la mort. Non sans re- gret, je salue ce dernier livre du bel et détestable écrivain dont l'œuvre aurait pu être si magnifique et reste avec ses scories d'une si haute puissance. Hëlie garçon d'hôtel, sa dernière création, est di- gne des autres : il est ignoble et émouvant avec ses « deux yeux liquoreux et verdâtres qu'un lé- ger strabisme rendait plus hideux encore, sa voix traînarde éculée comme une vieille semelle et sa mémoire, rendez-vous des choses à la fois les plus effroyables, les plus divertissantes et les plus ba- roques ». Effroyables, divertissants et baroques, ils le sont, en effet, singulièrement, les histoires d'hôtel, les souvenirs de bouges, les ragots de arnis dont Hélie fait le récit; il y en a d'odieux, il en est aussi d'un comique extraordinaire, et le garçon d'hôtel, qui en est tout à la fois le héros et le narrateur, y met tout son cynisme, et par- fois aussi une émotion profonde devant des spec- tacles merveilleux, devant des nuits lumineuses de Provence, « où la clarté bleue glissait le long des pentes, à travers les jardins, dans un décor de féerie d'un calme et d'un silence si impres- sionnants qu'il avait envie de crier et de pleurer à la fois ». Ainsi, comme toujours, Jean Lorrain
100 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
se divertit en cette œuvre dernière à faire voisiner les plus laides et les plus belles choses.
MARCELLE TINAYRE L'amour qui pleure.
Sous le titre très joliment et très éloquemment î expressif : L'amour qui pleure, madame Marcelle J Tinayre nous donne quatre nouvelles où l'intérêt i ne le cède en rien à Témotion. La première de ces i nouvelles, la Consolatrice, a l'importance etles di- i mensionsd'un véritable roman. C'est un roman en j effet, plein d'amertume et de douleur, que l'histoire ■ de Georges Clarence, le grand musicien, et de sa = femme, Pauline, en qui il n'a pas — mais là, pas i du tout, — trouvé l'associée; en effet, l'âme de sa ; femme « ne lui renvoyait pas d'écho, esprit con- ' cret et raisonneur, lié au sien et qui sans cesse le ! retenait et le ramenait vers la médiocrité de la ] vie ». Cette bourgeoise pourtant aime son mari, ; elle l'aime à sa façon : « dispose elle-même la ■ lampe, les pantoufles et le fauteuil au coin du J feu »; mais, entouré de toutes ces attentions, l'ar- : tiste mal compris souffre et se désespère, la gloire \ elle-même ne le console pas, car la gloire dont on ! ne peut faire hommage à une femme aimée est | sans saveur et sans joie. i
AVRIL — LES ROMANS 101
Cette femme, il la rencontre sous les traits de Béatrice Albéri, la grande chanteuse qui interprète son œuvre, partage son sentiment, l'aime enfin, d'un cœur qui comprend et vibre à l'unisson. Mais au bout de quelques années une catastrophe terrible vient brusquement briser ce bonheur : la chanteuse périt dans l'incendie d'un théâtre, et la femme de Clarence qui au courant de tout, n'a pas cessé d'aimer son mari, de l'aimer à sa façon et de vivre de sa vie, le recueille et entreprend de le consoler : elle veut être et elle est, en réalité, contre la personnalité de son mari, « la consola- trice », « celle qui a tué la douleur qui était en- core de l'amour, celle par qui il trahit et renie ce qui fut l'orgueil et la beauté de son existence ».
D'une humanité aiguë, d'une amertume ironi- que et douloureuse, d'une passion frémissante, ce roman est, sous sa forme ramassée et concise, une fort belle œuvre, la plus belle peut-être qu'ait produite madame Marcelle Tynayre. Les autres nouvelles qui complètent ce livre sont également fort intéressantes ; Mirame, notamment, que l'au- teur a très justement dédiée à Anatole France, est d'une bien jolie note, tout à la fois sceptique et attendrie, et son héros, André Ghalouette, le pro- fesseur de rhétorique de Limoges, en déplace- rneot à Paris, serait sans doute très sympathique cl notre grand ami M. Bergeret.
6,
102 LE MOUVEMENT LITTÉRAÏRE
JEAN AICARD Maurin des Maures. L'Illustre Maurin.
Pour nos œufs do Pâques, M. Jean Aicard nous offre la suite et fin des aventures de son illustre héros « Maurin des Maures ». C'est là un joli ca- deau à faire aux grands enfants que nous sommes. Il y a dans le récit de ces innombrables aventures « tant joyeuses que dramatiques )),, une mine extraordinaire d'émotion, d'amusement, de ré- flexion! Pour moi, qui ai reçu ensemble li;s deux volumes, Maurin des Maures ai V Illustre Maurin et qui ai dévoré d'une traite ce formidable régal (mille pages environ !), j'en suis encore quelque peu abasourdi.
Que d'aventures, que d'épisodes comiques, at- tendrissants ou dramatiques, et quel plaisir réservé à la foule des lecteurs qui, sans souci d'un devoir professionnel, pourront déguster à petites doses les cent neuf chapitres, les cent neuf histoires vé- cues par le fidèle Pastouré, par Désiré Cabissol, par la perfide petite Farfanettc et par Tonia, la corsoise jalouse et passionnée, et par l'illustre hé- ros du livre : Maurin, le premier chasseur et pié- j geur du pays, le plus 'franc galegeaïre et le plus beau coureur de filles, ce héros provençal qui « a j dans les veines du sang mauresque, ce qui lui] permet de faire rire lés Ligures sans rien perdre
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de sa noble gravité » et qui, comme personne, manie la galégeade de Provence « la moquerie sans fiel, parfois mordante, qui caricature les vi- ces, les tares, les ridicules et qui fait rire loyale- ment sans avoir l'air de trop rire elle-même », cette galégeade qu'il faut bien se garder de con- fondre avec le mensonge et qui est la gouaillerie provençale; celle qui permet et de rire en même temps de soi et des autres. Ajoutez que ce « gale- geaïre » est un de ces « êtres de sympathie que soutiennent à travers toutes les misères de la vie un grand amour instinctif des hommes et une foi irrémédiable en la justice tardive mais assurée de ce monde » I
Ainsi, ce Maurin qui nous divertit pendant tant et tant de chapitres se donne encore le luxe de nous édifier, non seulement par quelques traits de son existence mouvementée, mais aussi, et surtout, par sa mort dont le récit est tout à fait émouvant et beau. La Provence, qui dota — un peu à ses dépens — notre littérature de l'immor- tel Tartarin, se réjouira dans son cœur de la nais- sance de l'illustre Maurin.
104 LE MOUVBMENT LITTERAIRE
G. MARESGHAL DE BIÈVRE Le cœur s'éveille.
Sous un litre frais et juvénile : Le cœur s'é- veille, voici un bien gentil roman. Son auteur cultive le genre du roman qu'on peut, suivant la formule, « laisser entre toutes les mains », et les jeunes filles lui doivent déjà bien des livres agréa- bles, tel ce charmant Mari en loterie dont je par- lais la saison dernière. C'est un genre très louable et qui n'est pas si facile, car on risque fort, en de tels ouvrages, de tomber dans la mièvrerie et de se noyer dans l'eau de rose.
Fort habilement M. G. Mareschal de Bièvre évite ces écueils et, très chaste, très moral, son roman Le cœur s'éveille n'est nullement banal; l'histoire d'Elise qui, pour épouser Pélu de son cœur, réconcilie son père et sa mère en instance de divorce, et lutte contre la séduction et les mil- lions d'une Américaine et contre la cupidité de sa future belle-mère avec les seules armes de sa can- deur, de sa grâce et de son amour, est non seu- lement édifiante, mais tout à fait émouvante et jolie, et contée avec beaucoup d'art.
AVRIL -— LES ROMANS 105
MAURICE MONTÉGUT
Le Roi sans trône,
M. Maurice Montégut reste fidèle à cette for- mule de roman historique où, respectueux de l'histoire, il se laisse tout de même volontiers aller à la fantaisie d'une riche et ardente imagi- nation ; cette heureuse alliance du roman et de l'histoire nous a valu déjà quelques livres tout à fait intéressants et une fort belle œuvre, les Epées de fer-, c'est à elle encore que nous devons au- jourd'hui le Roi sans trône, une palpitante his- toire qui se passe autour de Louis XVII, à qui M. Maurice Montégut assigne, à la faveur de très romanesques circonstances, un rôle inattendu dans l'épopée napoléonienne dont il exalte frénétique- ment le héros légendaire, mêlant dans une aventure toute pénétrée d'héroïsme et de patriotisme « les lis et les Aigles » ; car M. Maurice Montégut n'a pas voulu seulement écrire un roman qui retienne le lecteur et le remue, mais il a voulu aussi faire du prosélytisme patriotique : c'est, nous dit-il, la tâche des poètes « d'exalter le présent morne avec les vibrants rappels du passe légendaire », et c'est pourquoi il évoque dans un roman « l'irradiante figure de l'unique Empereur, du moderne César, bien plus grand que l'ancien ; notre tragédie na- tionale, cette époque sans seconde où la France,
406 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
folle d'elle-même, débordait des frontières, emplis- sait l'univers de sa force étalée ».
JEAN VIOLLIS
Monsieur le Principal.
Monsieur le Principal, est la triste et lamenta- ble histoire du directeur d'un collège de province aux prises avec l'adversité, la rigueur du destin et la méchanceté des hommes. J'ai peine à croire que cette peinture de mœurs universitaires pro- vinciales soit tout à fait exacte et qu'un « prin- cipal » de collège puisse être à ce point abandonné par ses chefs, persécuté par ses professeurs, mo- lesté par ses élèves et torturé jusque dans ses plus chères affections par la haine inventive de toute une société de petite ville. Cela me semble bien poussé au noir; rien cependant ne m'autorise, dans mes souvenirs de lycéen parisien qui ne con- nut ni collège ni principal, à affirmer l'inexacti- tude du tableau brossé par M. Viollis. Véridique ou non, il est d'un art tout à fait remarquable ; une émotion forte s'en dégage et, avec des mots simples, sans images excessives, sans recherche d'effets, M. Viollis a réussi à nous faire vivre cette tragédie intime avec la plus douloureuse intensité. C'est là l'œuvre d'un romancier de race.
AVniL — LES ROMANS iO?
GEORGES RïVOLLEÏ
La Dentelle de Thermidor.
Abandonnant la tragédie antique, l'auteur d'Al- kestis et des Phéniciennes aborde, en un roman, le plus moderne des grands drames historiques : la Révolution. La Dentelle de Thermidor est donc un roman historique, ou plutôt c'est un livre où l'auteur « s'est honnêtement efforcé d'adapter son récit à l'histoire, en dépit d'un penchant bien naturel à faire exactement le contraire ». On ne saurait se défendre plus spirituellement contre la férule menaçante des infaillibles et ombrageux historiens.
Du moins, si elle n'est pas vraie, l'aventure du vicomte Florent du Chardonnais et de la belle du-
hesse de L... est suffisamment vraisemblable; elle est « dans la couleur », elle est surtout palpi- tante de vie et souriante à. travers ses larmes, d'une jolie vaillance et d'une bien gracieuse phi- losophie. Quelle troublante et voluptueuse desti- née que celle de cette dentelle de Thermidor!
'uelle figure aimable et fine, celle de l'abbé Dou- blet d'une si subtile et si vaillante sagesse! quels ' ibleaux! ceux de Coblenfz où s'agitent les émi- -rés incapables de supporter la privation d'un superflu qui leur était si nécessaire, et de la pri-
on de Port-Libre où les ci-devant parent leur
d08 LR MOUVEMENT LITTÉRAIRE
agonie de sourires et de baisers, emportés jus- qu'au seuil du tombeau par ce désir de vivre et d'aimer, que l'abbesse de Jouarre jadis nous ré- véla 1 Tout cela M. Georges Rivollet nous le resti- tue en des pages attendries, humaines, littéraires infiniment, et toutes parfumées de grâce et d'é- motion.
ARMAND DELIVIAS
L'Armoire au linge blanc.
Le roman de M. Armand Delmas appartient à cette école régionalistc — car il y a décidément une école régionalistc — qui fut en la personne de M. Moselly couronnée par l'Académie Con- court. C'est l'honnête et pittoresque Auvergne qu'exalte M. Delmas en un aimable livre oii il nous montre l'avocat Robert Destein, un « déra- ciné », arraché à Paris et à ses fallacieuses séduc- tions par le charme prenant de sa petite patrie et qu'un séjour de quelques mois à Aurillac enracine de nouveau au sol natal et détache décidément de la grand' ville, de ses amitiés à fleur de peau et de ses faciles amoilrs, représentées par une jeune personne du nom de Frou-Frou et un certain Ber- gassou. Le bonheur de Robert est complet, car il découvre en Béatrice de Sarralien, une honnête et jolie provinciale, qui fera une épouse délicieuse.
AVRIL — LES ROMANS 109
Et tout cela est très bien et très édifiant et souvent très amusant.
EDGY La couronne de roses.
Edgy, l'écrivain distingué dont j'ai eu l'occa- sion déjà de signaler des œuvres jolies et fami- lières, telles que la Servante, nous offre avec la Couronne de roses un roman d'un ordre plus élevé où s'affirme et s'affine son remarquable ta- lent. La « Couronne de roses », c'est celle qui
int le front de Gina, la belle jeune fille de Fiesole, couronne d'amour d'abord, couronne de sacrifice (ensuite : Gina aime d'un tendre amour Pietro; ils se sont juré une éternelle fidélité, et môme, cer- tain jour, l'amante couronnée de roses donna à son fiancé le gage définitif de sa tendresse; mais elle a peur, le destin pèse sur elle, les cartes ont exprimé ses décrets : elles ont dit à Gina qu'elle serait infidèle et qu'Andréa, le beau Romain, se- rait son amant. Et les destins s'accomplissent! -Malgré elle, en proie au remords, elle cède à un irrésistible élan, et lorsque, furieux, Pietro se pré- ipite sur son rival le poignard à la main, c'est la ,'oitrine de sa bien-aimée qui s'offre à lui, c'est 'lie qu'il tue, et la couronne de Gina devient celle d'iphigénie. Le roman est très touchant et très
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bien conduit, il se déroule sous le ciel d'Italie, dans des décors de rêve et de féerie, au milieu de per- sonnages aux yeux sombres et aux costumes bi- garrés et charmants, sur lequels plane une fatalité que la superstition de ces âmes simples rend plus implacable encore. Et c'est dans ce roman d'amour et de passion une note très originale, très italienne, que Edgy a bien délicatement exprimée.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS.
ANATOLE FRANCE Vie de Jeanne d'Arc (2^ V.)
La Vie de Jeanne cVArc, de M. Anatole France, est aujourd'hui terminée; Fillustre écrivain, qui avait laissé l'héroïne nationale à Reims, la con- duit, dans le second volume — à Compiègne, à Paris, à La Charité, à Melun, à Beaurevoir, Arras et Rouen, à la condamnation, au supplice, à la réhabilitation, et à l'apothéose. Ainsi se trouve terminé le récit de la plus belle, de la plus légen- daire, et de la plus émouvante des épopées de tous les temps, écrit par le plus parfait des écri- vains de notre siècle.
Et c'est vraiment un très beau et noble monu- ment qui est élevé là à la gloire de la Pucelle par l' écrivain qui, tout en se défendant contre le sen-
ii2 LE MOUVEMENT LITTénAiRE 1
liment et contre la légende, tout en voulant res- \ ter uniquement un froid historien à la recherche ■ de la vérité, a été visiblement entraîné, subjugué ! par la noblesse, par la grandeur et par la grâce \ de son sujet. J'ai entendu reprocher à M. Anatole 1 France d'être resté volontairement en dehors de J son récit et de n'avoir pas, devant les spectacles j admirables et saisissants qu'il a fait revivre devant ^ nous, exprimé une émotion, un sentiment per- ■ sonnel; qu'importe, s'il m'a fait éprouver cette ; émotion à moi lecteur, et si, par exemple, devant i son récit du supplice de la Pucelle, d'une si no- j ble simplicité, où il nous montre Jeanne « qui \ prononça une fois encore le nom de Jésus, inclina i la tête et rendit l'esprit », je suis bouleversé d'an- i goisse, d'émotion et d'attendrissement. N'est-il | pas plus beau de soulever ainsi par la vivante i magie du récit et de l'évocation une si palpitante \ émotion que d'exprimer la sienne sans savoir toujours la faire partager? Et l'historien n'a-t-il pas du mérite à résister au désir d'apparaître dans son récit?
Aussi bien telle avait été la ferme intention de M. Anatole France ; il s'était proposé de faire de cette légendaire histoire un récit objectif — quel vilain mot pour parler d'un si beau livre l — et î on est mal venu à le chicaner à ce sujet, bien que, I comme dans le premier volume, il semble bien \l prendre un plaisir très personnel — et très sub-J jectifl — à mettre en cause l'Eglise et les clercs ir
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS il3
du temps de Jeanne, « tous ces encriers d'E- glise qui avaient instrumenté pour la mort, et firent merveille quand il s'agit de démonter l'ins- trumeût ; autant ils avaient mis de zèle à cons- truire le procès, autant ils en mirent à le défaire ; ils y découvrirent autant de vices qu'on voulut ». D'ensemble, l'œuvre est d'une prodigieuse sé- duction et, sans prendre parti dans les querelles et dans les colères qui ont été soulevées par ce li- vre, il est permis de dire que la gloire de Jeanne, cette enfant contre le cœur de qui « se seraient brisées toutes les raisons et toute l'éloquence du monde », n'y a rien perdu, et que la littérature française y a gagné un pur chef-d'œuvre.
J. K. HUYSMANS
Trois Eglises et Trois Primitifs.
Trois Eglises et Trois Primitifs, Sous ce titre, un pieux éditeur nous donne une œuvre posthume de J. K. Huy^mans où le grand écrivain trouve l'occasion de faire en même temps œuvre de croyant et de critique d'art. En effet, à propos de la première de ces églises qui est Notre-Dame de Paris, il explique la signification réelle de la (Ca- thédrale dont chaque détail architectural, chaque ornement est un acte de foi exprimé de façon évi-
I I i I i: MOUVEMENT LITTÉRAIRE '•
]
dente par la pierre. Dans le môme esprit, avec la; iiirrae éloquence et la même ampleur, il étudie j ensuite : Saint-Germain-rAuxerrois et Saint-Merry. ; Puis passant aux trois primitifs dont nous parle ^ le titre, il étudie les célèbres Grunewalds du mu- • sée de Colmar, — Gruncwald qui, dans sa Gruci- ' fixion, sa Résurrection et son Annonciation est \ « tout en antinomies et en contrastes, et bondit ^ sans cesse d'une outrance dans une autre ». L'œu- . vre mystérieuse du maître de Flémalle, une ; « Vierge serrant dans ses bras Penfant Jésus qui ; tette », et la Florentine, la fleur anonyme du pays ' et du temps des Borgia exilée à Francfort. Tout i cela est très beau, très noble, écrit dans une lan- ; gue superbe et la critique s'y mêle à l'oraison en j des pages d'une haute et forte originalité. 1
PAUL FREMEAUX
Les derniers jours de PEmpereur.
M. Paul Frémeaux, qui publia naguère sous le titre Napoléon prisonnier un excellent ouvrage, poursuit l'histoire de l'Aigle captif « loin derrière l'Afrique » en un volume intitulé les Derniers Jours de V Empereur. Quel drame formidable, ce- lui de ce Titan enchaîné sur son rocherl L'histoire du monde ne nous ofîre pas de spectacle plus
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS H5
grand ni plus douloureux; cent ouvrages diffé- rents l'ont fait revivre à nos yeux et cent autres livres nous le rediront sans lasser notre curiosité ni notre émotion.
Il ne sera guère cependant, je crois, de plus documentés et de plus émouvants que celui où M. Paul Frémeaux nous donne le résultat de dix années de travail pendant lesquelles il a rassem- blé et étudié toutes les publications relatives à la captivité de Napoléon, et parcouru une foule d'ar- chives ignorées. Il a notamment, nous dit-il dans l'introduction, mis à contribution une plaquette de l'aide- major Henry et une brochure du docteur Arnott à qui il emprunte des détails effrayants et dont on ne saurait suspecter la sincérité, car « dans Napoléon désarmé, dans le génie vaincu, bafoué par le vainqueur et torturé par la maladie, toujours il verra l'ancien ennemi de l'Angleterre, et c'est d'un œil prévenu, disposé à l'injustice, qu'il observera son attitude et ses derniers gestes, et le regardera mourir ». Appuyé sur de tels té- moignages, le livre semble bien se rapprocher de la vérité absolue, et il faut accepter ce portrait d'Hudson Lowe qui ne sut pas être le digne geô- lier d'un tel prisonnier et montra une si âpre piè- trerie en face de cette grandeur déchue. Véridi- que aussi le tableau de Sainte-Hélène et de la vie qu'y mena l'Empereur torturé par l'ennui, rongé par la maladie et si grand dans la mort, étendu sur le lit de camp aux quatre aigles d'argent
H6 LT. MOrVEMENT LITTÉRAIRE ■
]
d'Austerlitz etde Marengo. Le récit de cette mort, '
de l'agonie qui la précéda et de Tautopsie qui la <
suivit est vraiment une des choses les plus poi- !
gnantes qu'on puisse imaginer; il y a également ]
dans le livre une multitude de détails pittoresques \ et douloureux sur la vie à Saint-Hélène et sur
l'entourage français de l'Empereur, sur le comte \
deMontholon, sur le général Bertrand et sa femme, j
sur le baron Gourgaud dont le descendant défend i
avec une si ardente piété la mémoire quelque peu \
malmenée. 1
EDOUARD GACnOT Histoire militaire de Masséna.
1
'! J
Le Siège de Gênes (1800). ^
M. Edouard Gachot poursuit sa magistrale « his- \
toire militaire de Masséna » en un volume, le '
Sièfje de Gênes (1800), qu'il divise en trois par- ■
lies : « La Guerre dans l'Apennin. — Journal du 1
Blocus. — Les Opérations de Suchet. » Ce siège ]
de Gênes doit être, nous dit l'auteur, « regardé 1
comme le plus grand drame militaire des guerres ]
d'Italie : il suit Novi, une défaite; il précède Ma- '
rengo, une victoire. L'investissement n'est, d'ail- \
leurs, qu'un second acte, lequel dépasse vérita- \
l)lement en horreurs ce qui s'était déjà joué à \
Mayence et à Mantoue. Quant au premier et au |
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 117
troisième, ce furent des manœuvres suivies d'ac- tions très sanglantes. »
L'histoire de ce grand drame militaire, qui nous a été raconté bien des fois avec bien des inexactitudes, valait d'être reprise complètement. M. Edouard Gachot y a consacré le plus persévé- rant labeur; il est allé aux sources, a exploré les champs d'action militaire, fouillé les archives, étudié les savants liguriens, consulté les cahiers de notes et de dessins de Masséna. Et il a con- densé le résultat de tous ces travaux et de toutes ces recherches en 450 pages tout à fait émouvan- tes et lumineuses, que domine la grande figure de Masséna, dont il nous trace un portrait saisis- sant : « Les épreuves subies à la guerre ont ossifié son masque. Le regard, une fois fixe, est scruta- teur comme celui d'un juge. Dans la voix passent des sons rauques à travers les notes brèves du commandement. La taille moyenne semble se hausser quand le général plaide une cause : celle de l'armée. Les liens de famille, il les a détendus pour n'être plus qu'un soldat. Son unique but, c'est le triomphe de la France, son premier foyer, c'est le camp. Sans ambition, sans fierté, il va où l'entraîne sa destinée, mais d'un pas rapide. Et les grandes adversités ne pourront même faire pen- cher un front derrière lequel bouillonnent souvent des pensées tumultueuses. »
118 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ]
i
ERNEST DAUDET '■
Joseph de Maistre et Blacas. ]
Joseph de Maistre et Blacas, a leur correspon- j
dance inédite et Thistoire de leur amitié (1804- i
1820)». Ce sont, mises en ordre et lumineusement ]
commentées, les lettres dont Téminent historien ;
eut occasion de faire état lors de ses travaux sur ;
rémigration et qui lui ont paru dignes d'une pu- .
blicatîon intégrale. Elles sont vraiment d'un bien j émouvant intérêt, ces lettres à travers lesquelles
passe l'histoire de notre pays pendant quinze an- ;
nées qui furent si fécondes en événements mé- i
morables, commentée par deux correspondants, •
dont l'un fut un écrivain de génie et l'autre un î homme d'Etat au rôle politique prépondérant.
Il y a là des pages admirables, éloquentes, pas- :
sionnées, d'autres qu'on souhaiterait n'avoir point ;
été écrites, celles notamment où Joseph de Mais- j
tre exhale sa haine contre Napoléon et son désir ]
de voir écraser l'Empereur et ses armées, — qui ;
sont celles de la France. Ce sont des documents \
historiques tout à fait précieux, et il faut savoir •
gré à M. Ernest Daudet de nous les avoir restitués i
en un volume où il s'est montré — comme tou- \
jours — commentateur judicieux, historien très :
éloquent et très savant. *
AVRIL — HISTOIRE, LITTERATURE, DIVERS H9
EUGÈNE LLNTILHAG
Histoire du théâtre en France. La Comédie au XVII^ siècle.
M. Eugène Lintilhac poursuit cette « Histoire du théâtre en France » dont j'ai dit déjà l'impor- tance et la haute valeur. Les deux premiers vo- lumes étaient consacrés, on s'en souvient, au « Théâtre sérieux du moyen âge » et à « la Comé- die : moyen âge et Renaissance » ; le troisième volume, qui vient de paraître, nous parle de la Comédie au dix-septième siècle : il conduit, nous dit l'auteur, l'histoire des genres comiques jusqu'à la naissance de la grande comédie de mœurs, vers la fin du dix-septième siècle ». Le héros de ce li- vre c'est Molière, mais au lieu de l'étudier tout seul dans « un splendide isolement », l'auteur groupe autour de lui toute la « menuaille » comi- que qui lui fait, en réalité, cortège dans l'histoire de la comédie en France et nous parle de cette multitude de comédies — il y en a plus de 300 — qui furent écrites de 1626 à 1687; — non seule- ment la méthode est féconde en déductions ingé- nieuses, mais elle nous vaut des chapitres tout à fait intéressants où, en des pages pittoresques et savantes, l'auteur étudie tour à tour : les théâtres de Paris au dix-septième siècle, à l'Hôtel de Bour- gogne et au Petit-Bourhon; les premières comé-
1 -2i) ]. k .1 o y. » i. .1 1. :s , i, i i . .. U AIRE
dies de Corneille et les comédies de Scarrou, puis Molière avec la comédie d'intrigue, la comédie- ballet et la comédie mythologique, la farce, la comédie de mœurs et la comédie de caractère avant Tartufe et après Tartufe ; enfin, les con- temporains de Molière et ses successeurs immé- diats jusqu'à Dancourt. Li\ s'arrête M. Lintilhac, qui se propose dans son prochain volume de pour- suivre la comédie jusqu'au dix-neuvième siècle.
PAUL MARGUEmiïE
Les jours s'allongent.
Les « Souvenirs de jeunesse » de Paul Margue- ritte, d'une si pénétrante émotion, avaient dé- buté, on s'en souvient avec les Pas sur le sable, les souvenirs imprécis et confus, et pourtant si vivants, du petit enfant, et ils s'étaient arrêtés à l'Année terrible et à la Commune; maintenant les Jours s'allongent, l'enfant est devenu un adoles- cent, les souvenirs se rapprochent et se précisent, c'est hier, semble-t-il, que le jeune Paul Margue- ritte fut conduit au prytanée de La Flèche, dans cette prison d'enfants contre laquelle il garde une si vivace rancune. Avec tristesse il évoque ces souvenirs de froide discipline que ne tempèrent et que n'éclairent nulle tendresse, nul effort pour
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE. DIVERS 124
comprendre l'âme d'un enfant, cette instruction morose et morne et mécanique, cette existence d'automate où tout est réglé, prévu, où n'entre pas une parcelle de soleil, de lumière, de liberté. De ces souvenir.-; menus, précis, pénibles, M. Paul Margueritte fait un réquisitoire qui n'atteint pas julementle prytanée militaire de La Flèche, mais l'abominable institution de l'internat tout entière.
Ces dangers apparaissent terribles dans la se- conde partie du livre que M. Paul Margueritte ap- pelle : « la Crise », et dans laquelle il nous mon- tre la foule de ces jeunes gens, qui sont tout près d'être des hommes, exposés par la règle imbécile à laquelle ils sont soumis, aux pires périls. Mais à travers tout cela passent déjà « la femme et son ombre » dans des songes charmants de candeur et de volupté que M. Paul Margueritte évoque vec une délicatesse et une grâce délicieuses, et • est enfin la mise en liberté, la levée d'écrou, l'étape du « bachot », et l'envolement vers la vie,
la poursuite des « deux chimères » éternelles qui enivrent l'homme : la femme et la gloire.
D'un môme cœur, d'un même élan, d'une même fougue généreuse et jeune il s'élance à la con- quête de ces toisons d'or, il aime la vie, il trouve It'S femmes belles, il s'enivre d'espérances glo- rieuses, sans savoir au juste lesquelles, porté tout (le même invinciblement vers les émotions de la littérature, hanté par l'image de Dumas fils en xm peignoir rouge, Dumas fils, le descendant glo-
122 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
rieux du bon géant; celle de Victor Hugo, « le Dieu, rhommc qui avait bravé l'Empereur, l'exilé de rOcéan, le Titan des vers, le Roi des Lettres », séduit et conquis par les œuvres des Baudelaire, des Gautier, des Leconte de Lisle, des Mendès, des Verlaine. Mais la littérature ne constitue pas pour les jeunes gens une carrière de tout repos, il faut une « place », et c'est de nouveau la pri- son : celle du fonctionnariat, mais une prison qu'une protection discrète, une bonté vigilante, tempéreront de mille douceurs pour le c( déplora- ble employé et pour l'écrivain en révolte » qui eut la chance inespérée d'être employé du gou- vernement et d'émarger au budget sous les or- dres d'un fonctionnaire qui était un généreux et charmant ami des lettres et qui s'appelait : Henry Roujon...
PIERRE BAUDIN
La Vie de la Cité.
La Vie de la Cité, est un de ces volumes bour- rés de faits et d'idées auxquels excelle cet homme d'Etat, qui est en même temps un excellent écri- vain et qui, possédant une merveilleuse faculté d'assimilation, sait traiter avec éloquence et com- pétence les sujets les plus divers. Le seul défaut de tels ouvrages, c'est de défier l'analyse! Gom-
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 123
ment pourrais-je, dans le cadre restreint qui est le mien, vous donner même une idée de ce livre où M. Pierre Baudin nous dit la splendeur et la misère de Paris; nous raconte la prestigieuse beauté de la Grand' Ville pendant le Salon de l'Au- tomobile; nous décrit l'activité flamande aux usi- nes du Nord et la misère des faubourgs de Paris; nous démontre la nécessité de la décentralisation; la puissance et la beauté de la mutualité pour la- quelle il voudrait une maison nationale; c'est en- core un examen judicieux et décisif des retraites ouvrières; une critique féconde de la loi sur les aliénés; une vigoureuse campagne enfin contre les dévastateurs des forêts qui, en abattant des arbres, commettent un véritable crime de lèse- patrie...
LE DANTEC
Science et Conscience.
Science et Conscience» un titre impressionnant, un vaste sujet, que commente et qu'amplifie en- core le sous-titre : « Philosophie du vingtième siècli3 ». C'est, en effet, la base de ce que sera la philosophie de notre siècle que M. Le Dantec en- tend nous montrer dans le beau livre qui porte cette épigraphe — résumé de la pensée du savant : « La notion d'équilibre renverse et remplace les
i24 LE MOUVEMENT LITlliUAlMK
vieilles philosophies. » Les travaux de ce savant auront sur la pensée de notre temps une influence considérable; selon Texpression de M. Giard, ce on n'aura plus le droit désormais de philosopher sans tenir compte des théories biologiques de M. Le Dan- tec ». En des pages éloquentes et savantes, d'une science souvent très accessible, M. Le Dantec nous donne tour à tour des lumières sur la tradition et la méthode « mesuriste ))^ étudie la physiologie et la psychologie, la science et la morale, et il conclut avec beaucoup de sagesse et un peu d'iro- nie que la science et la mesure ne nous ont pas tout dit et tout enseigné, que « la science, notam- ment, ne nous assigne pas notre devoir, car l'idée d'un devoir auquel on puisse à volonté obéir ou se soustraire n'est pas une idée scientifique », et que dès lors il faut croire au mensonge social, à ce mensonge dont Alfred de Vigny disait : « Il en faut un pour qu'il y ait une société. »
MÉMENTO DU MOIS D'AVRIL
ROMANS
Bovet (M"» Marie-Anne de). — Veuvage blanc. Conan-Doyle. — Les épées glorieuses, très littérairement tra- duit par M. René Lécuyer.
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 125
tulanglieon (J. A.). — Lettres à deux femmes.
Daurel (Jean). — Le Maitre de la vie, roman d'aventures.
Frejac (Ed. de). — La Fin de Tadmor.
Gourdon (Pierre). — A la dérive, roman social.
Lerou (Mademoiselle Emilie). — Sous le Masque. « Une vie au théâtre ».
London (Jack). — L'Appel de la Forêt, un recueil de nouvelles, qui, suivant l'expression de M. Paul Bourget, est une façon de chef-d'œuvre, et que madame la comtesse de Galard a traduit avec une très littéraire exactitude.
Marabail (Paul). — Le Secret du Sphinx, « roman colonial », une œuvrer très curieuse ou la réalité empiète, je crois bien, sur la fiction.
Ouet (Edouard). — Les Charitables.
Rosenthal (M"" Gabrielle). — L'Eveil.
Rosny (J.-H.). — Vers la Toison d'Or, un roman d'amour et d'argent.
Tissot (Ernest). — Ce qu'il fallait savoir.
Vibert (Paul-Théodore). — Pour lire en traîneau, des nouvel- les « philosophiques et entraînantes ».
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Bas (F. de) et le comte J. de T'serclaes de Woomersoon. — La Campagne de 1815 au Pays-Bas, d'après les rapports officiels néerlandais.
fionald (Vicomte de). — François Chabot, « membre de la Con- vention, 1756-1794 ».
I onnefl (Léon et Maurice). — La Vie tragique des Travailleurs, préface par M. Lucien Descaves.
■ .urnand (François). — Voir Albert Savine.
épet (Jacques). — Œuvres posthumes de Charles Baudelaire, dont la publication a été surveillée par l'écrivain qui nous donnait naguère sur le iaême Baudelaire cette
126 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
forte c Etude biographique > d'Eugène Crépet, revue et mise à jour par lui.
Gros (Guy Charles). — Le Soir et le Silence. Poèmes.
Delhaize (Jules), — La Domination française en Belgique à la fin du dix-huilieme et au commencement du dix-neuvieme .siècle.
Dortzal (Jeanne). — La Source claire, un livre mélodieux de la charmante comédienne qui se donne le luxe d'être un poète de réelle valeur et fait miroiter à nos yeux éblouis : Tout un ruissellement de Meurs et de rayons.
Fouquet (Capitaine). — Les Armées de la France moderne,
Gaultier (Paul). — L'Idéal moderne, t La Question morale, la Question sociale et la Question religieuse, > un remar- quable livre où l'auteur discute en des pages tout à la fois profondes et alertes qnelques-uns des problèmes qui se posent devant notre conscience.
(irand-Carternt (John). — Zola en images, un de ces volumes d'une si précieuse documentation pour l'histoire anec- dotique et iconographique de notre temps, où l'auteur a réuni 280 illustrations, portraits, caricatures, docu- ments divers, qu'il dédie à Henri Céard, e le disciple du maître, dont les collections lui ont été si précieuses pour cette reconstitution ».
Guyot (R.). — Voir Thénard.
Larroche (Julien), — Les voix du tombeau. Poèmes.
Lemaître (Jules). — Jean Racine. Ces conférences ont été si éloquemment et si abondamment analysées et commen- tées que vraiment il est bien difficile d'en parler en- core ; c'est cependant pour moi un agréable devoir de dire combien ces conférences, privées même du prestige de la voix — et la voix de M. Jules Lemaître est admi- rable! — conservent de charme, d'agrément, de séduc- tion. C'est vraiment un livre exquis, digne de son hé- ros, de € sa vie si vraiment humaine, si pleine de fai- blesses, d'héroïsme et de belles larmes », digne de son œuvre qui est c le diamant de notre littérature clas- sique ».
Loisy (Abbé). — Quelques lettres sur les questions actuelles et sur les événements récents.
AVRIL — HISTOIRE, LITTÉRATURE, DIVERS 127
Margneritte (Mademoiselle Lucie Paul).'— Paillettes, un petit livre qui ne manque ni d'éclat ni de grâce. La jeune iîlle qui l'a écrit, et qui porte dignement un très beau nom littéraire, s'est amusée à réunir ses pensées, ses réflexions, ses remarques : elles sont assez mélancoli- ques ces pensées, d'un scepticisme, d'un désenchante- ment qui étonnent un peu chez une jeune fille, et je veux croire que mademoiselle Lucie Paul-Margueritte n'est pas tout à fait sincère lorsqu'elle nous définit , par exemple, « le désir : une désillusion future ». En tout cas, il y a là des pensées jolies, délicates et d'un tour charmant.
Xovarre (Marcel). — Louis XI en pèlerinage, une étude histo- rique.
Praviel (Armand). — Les Routes de Gascogne, « Collection des Ecrivains régionaux «.
Régnier (Henri de). — Les Scrupules de Sganarelle, un bien joli volume dont je voudrais parler plus longuement. C'est le « Théâtre aux chandelles » où l'auteur fait évoluer, dans une aventure où le drame côtoie la co- médie et parfois même la farce, les Géronte, les An- selme, les Léandre, les Angélique et les Dorine ; c'est un jeu et un amusement littéraire tout à fait délicat, et le lecteur y prendra, je crois, un extrême plaisir, et sourira du conseil que lui donne M. Henri de Régnier pour le cas où cette histoire ne le divertirait que mé- diocrement. « Tu n'auras pas même, lui dit-il, comme au théâtre, à quitter ton fauteuil, et il te suffira de t'y endormir, pour que mes gens continuent sans toi, sur la page, à échanger entre eux leurs muettes tira- des et leurs silencieuses répliques ».
Reiset (Vicomte de). — Anne de Caumont La Force, Comtesse de Balbi. L'auteur poursuit sa belle et séduisante série des « Reines de l'Emigration ». Après la comtesse de Polastron, voici maintenant la comtesse de Balbi, dont le ravissant visage sourit à la première page du livre en un portrait où nous la voyons « la lèvre souriante, l'œil moqueur et l'air mutin », et qui, à « Coblentz ou à Versailles, sachant mener de front le plaisir et les af- faires, resta reine par la supériorité de son intelli-
L
i28 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
t'cnce, par le piquaat de son esprit tuinullueux et par sa séduction incomparable ».
Ilolland (Romain). — Les Musiciens d'Aujourd'hui, un livre où Fauteur p iss<; en revue, avec beaucoup d'éloquence et de savoir, les maîtres de la musique, do Berlioz à Claude Debussy, de Wagner à Vincent d'Indy et à Ri- chard Strauss.
Hossfl (Louis). — Mémoires et Correspondance de Louis Hossel, € 1844-1871 », préfacés par M. Victor Margueritte.
l'.oux (Charles). — Histoire du costume en Provence, deux ma- gnifiques volumes ornés de pittoresques images. Que ces femmes sont jolies, que ces costumes sont gracieux sous le soleil de Provence ! et comme on comprend en face de ce beau livre la joie des compatriotes de l'Ar- lésienne, exprimée par le beau sonnet que Mistral a ci- selé à la première page.
Sangnier (Marc). — Aux sources de l'Eloquence.
Savine (Albert) et François Bournand. — Les Jours de Trianon, d'après les documents d'archives et les mémoires.
Seauve (Comte). — Les relations de la France et du Siam (1680- 1907).
Signoret (Emmanuel). — Poésies Complètes.
Thônard et R. Guyot. — Le Conventionnel Goujon, (1766-1793.)
T'serclaes de Woomersoon (J. de). — Voir F. de Bas.
Vararesco (Madame Hélène). — Le Jardin passionné, de vers d'une belle et ardente originalité.
Varenne (Marc). — La Source claire, des poèmes de gracieuse inspiration et de forme très heureuse où l'auteur a mis toute sa jeunesse.
Vasson (Michel). — Le Cri du Néant. Poésies.
XXX. — Les Fiches pontificales, extraites des papiers de Mgr Mon- tagnini, ex-auditeur de l'ancienne nonciature de Paris. Les gens que cela peut encore intéresser — combien en reste-t-il? — y trouveront * le texte des dépêches avec des notes historiques et critiques, les réponses qu'elles ont provoquées, précédées d'une introduction ».
MAI
LES ROMANS
GUSTAVE FLAUBERT
La Tentation de Saint Antoine. Première Version publiée par Louis Bertrand.
La Tentation de saint Antoine que Gustave Flaubert publia en 1874, n'était que la seconde version d'une œuvre conçue et exécutée entière- ment vingt-cinq ans avant ; cette œuvre, la a pre- mière » Tentation de saint Antoine, était restée jusqu'à présent inconnue du public, et sans doute le serait-elle demeurée sans l'intervention de M. Louis Bertrand à qui nous devons la mise au jour de ce document si précieux pour l'histoire littéraire du dix-neuvième siècle.
130 LE MOUYBMENT LITTERAIRE
En effet, cette première Tentation de saint An* toine n'est pas un brouillon condamné et rejeté par Gustave Flaubert qui, mécontent de son pre- mier travail, lui aurait, uu quart de siècle après, donné sa forme définitive; s'il en était ainsi, la publication de M. Louis Bertrand serait une im- piété et une indiscrétion. Mais la vérité est toute différente : s'il ne publia j)as cette première ver- sion, ce n'est pas qu'elle lui parût inférieure, c'est qu'il n'osa pas risquer cette publication après le scandale et le procès de Madame Bovary.
C'est donc sous la pression des circonstances qu'il donna à son œuvre, vingt-cinq ans après, une forme différente, et la première version est celle qui aurait dû paraître, « c'est une œuvre ter- minée, revue avec soin par l'auteur, alors qu'il était dans toute la maturité de son génie », c'est l'œuvre originale dont le livre n'est qu'une répli- que et qui offre l'inappréciable avantage et le haut intérêt littéraire de faire suivre « la pensée du maître à travers ses évolutions^, de faire assister, pour ainsi dire, phrase par phrase, au travail passionné et méticuleux du styliste admirable que fut Gustave Flaubert ».
MAI — tES ROMANS 131
GUY CHANTEPLEURE Le baiser au clair de lune.
Tous les amis des bonnes lettres connaissent l'œuvre et le nom de Guy Chantepleure. La très distinguée romancière qui écrit sous ce pseudo- nyme a fourni, depuis pas mal d'années déjà une fort belle et émouvante carrière et, bien que toute jeune, elle peut passer pour Tune des « précur- seuses » (si j'ose risquer ce féminin) du grand mouvement qui a mis les femmes au premier plan de la littérature contemporaine. Peut-être, dans sa discrétion et sa modestie, a-t-elle été, moins que d^autres, adroite à profiter de ce mouvement : raison de plus pour nous de louer le talent et l'ef- fort de cette femme de lettres, qui n'a laissé qu'à ses seuls livres le soin de plaider sa cause.
Elle recueille aujourd'hui le fruit de ses cons- tants efforts : le nouveau roman qu'elle a publié sous le titre : le Baiser au clair de lune, marque dans son talent un progrès qu'il est impossible de ne pas constater. Sa manière s'est amplifiée, ce roman n'est plus l'œuvre d'une jeune fille, c'est l'œuvre d'une femme capable de comprendre et d'exprimer les angoisses, les incertitudes, les pa- radoxes d'une destinée sentimentale, et c'est vrai- ment une très humaine et très belle histoire que celle de Marie-Blanche, la petite pensionnaire des
•132 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Dames Annonciatrices de DcMe, qui, dès la sortie du couvent, vit les grandes joies et les grandes douleurs du premier amour. Elle est contée dans une langue élégante, avec infiniment de grâce, de fraîcheur et d'émotion, et Guy Chantepleure nous donne là un livre qui fait grand honneur à cette bonne et sincère « ouvrière de lettres ».
RENE BAZIN
Mémoires d'une vieille fille. ^
M. René Bazin est avant tout un écrivain édi- !
liant; l'épithète, j'en suis sûr, ne le désobligera j
point: il a, contrairement à d'autres, le courage \
de sa vertu, et il a bien raison! car ce n'est point j
un mince mérite. Edifiant! il faut à un roman- ;
cier bien du talent pour se permettre ce luxe, '<
pour parvenir au faîte des honneurs littéraires en 'i
obéissant à la seule impulsion de sa conscience, i pour conquérir la foule des lecteurs en ne faisant
appel qu'à ses sentiments élevés, en défendant sans ]
cesse devant elle la cause de la morale, de la re- '■
ligion, des traditions du sol. '
M. René Bazin reste fidèle à son idéal avec les
Mémoires d'une vieille fllle. Sous ce titre, il a j
groupé une trentaine de nouvelles, touchantes et :
rapides aventures auxquelles cette vieille fille au- 1
MAI — LES SOMAÎfS 433
rait assisté ou pris part, et au cours desquelles elle « s'étend plus longuement sur les scènes de la vie populaire et surtout sur celles de la vie de misère dont elle fut le témoin volontaire et tenace ». Ce sont des récits, des croquis de route, et aussi des méthodes! des leçons, des opinions, celle-ci par exemple : « Que le monde des travailleurs ma- nuels a plus encore besoin de noblesse que de pain; que la plus sûre manière et la plus prompte de les émouvoir, de les gagner, de les relever, c'est de leur donner la certitude qu'on les aime uniquement pour leur âme. »
Voilà ce que Ton peut conclure de ces histoires recueillies par une femme qui aimait et fréquen- tait « Pélite religieuse de la France, élite nom- breuse, vivante, incomparable, fondée par la vo- lonté de tous et sur la grâce d'un seul, composée de riches et de pauvres, de clercs et de laïques. »
Ce sont là de belles et louables paroles, mais encore faut- il les faire écouter, et c'est en quoi excelle M. René Bazin qui intéresse, passionne, émeut son public avec des histoires très simples, très douces, qu'il sait conter avec infiniment d'art et d'esprit, grâce à quoi la bonne parole est écou- " avec toute l'attention désirable.
134 LE MOUT^KMEKT LITTiRAiRE
HENRY RABUSSON ]
Frissons dangereux. ^
Il y a «loux laçons de cultiver rhoiiDr?lcté danSj les romans : la première, consiste à ne nous m-] conter jamais que de très chastes aventures vé-j eues par des personna,^es à Tame candide et) droite, aux passions raisonnables et saines; dans^ la seconde, au contraire, le romancier met sousî nos yeux des exemples à ne pas suivre et nous^ dépeint des personnages dont il réprouve les, mœurs, pour avoir le plaisir, au dénouement, de' les chîitier ou de les remettre dans la bonne voie. : Cette seconde manière pourrait bien être la bonne :i la leçon donnée y apparaît plus démonstrative et; le roman y gagne en intérêt; le lecteur aime en^ effet les dangers courus sous ses yeux par des! héros de roman, il se plaît à trembler pour leur J vertu, quitte à se réjouir bien honnêtement, à lai fm du livre, du triomphe de la saine morale. .]
M. Henry Rabusson est de cette école et de sesj romans très captivants et très bien conduits se dé-^' gage toujours une leçon de haute morale donnée* par des gens dont la conduite et les mœurs méri- : tent notre réprobation. C'est aux Frissons dan- \ gereux qu'il s'attaque cette fois, Frissons dange- \ reux ! que voilà bien un titre moderne et adapté j à notre temps ; partout nous les recherchons, ces \
MAI — LES ROMANS 135
frissons : au théâtre et dans la vie, et leur péril menace tous les hommes, toutes les femmes, tou- tes les jeunes fîlbs même, qu'amuse le flirt, mot détestable exprimant une chose plus détestable encore.
Pour nous apprendre le charme de ces dange- reux frissons et nous mettre en garde contre eux, M. Henry Rabusson nous raconte l'histoire de la ravissante Roseline courtisée par Max Maupert, un don Juan marié, aimée éperdument par le ne- veu de ce dernier, le jeune lieutenant Luc Mau- pert; cette aventure qui côtoie un moment la tragédie se termine le mieux du monde dans l'es- pérance d'un heureux et honnête mariage. Mais que de traverses, que de périls avant d'arriver à ce dénouement, et que d'occasidus pour M. Henry Rabusson de faire évoluer sous nos yeux avec in- finiment de tact et de grâce, mais avec aussi, par- fois, un peu de rudesse et d'amertume, une belle jeunesse aux sentiments vraiment un peu compli- qués et inquiétants, même et surtout lorsqu'ils sont iiiirénus.
MARCEL DHANYS
Le Roman du Grand Condé.
Marcel Dlianys est un très délicat écrivain qui s'est appliqué à nous Caire revivre les beaux jours
i36 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
du dix-septième siècle, les « saisons uniques de] fraîcheur et de jeunesse qui se peuvent propre-i ment appeler : le printemps de Louis XIV », en! des volumes où l'histoire se môle avec tant d'in- i géniosité, de grâce et d'habileté à la fiction, et dont.' le style est pastiché avec tant d'art et de talent,' que ces mémoires, ces dialogues, ces aventures,; semblent venir en droite ligne de la cour du" Grand Roi, et qu'on a peine à s'imaginer qu'il; leur ait fallu deux siècles pour arriver jusqu'à: nous. J'ai signalé déjà dans cette jolie série, le.| Journal d'une élève de Port-Roy al, les Souvenirs d'une bleue, élève de Saint-Cyr, les Mémoires] d'une petite mariée; elle s'enrichit d'un charmant; livre qui ne la déparera point : c'est le Roman du\ Grand Condé, ovt Marcel Dhanys nous conte lan très simple et très mélancolique histoire d'amour! du Grand Condé, Louis de Bourbon, duc d'En-i ghien, et de Marthe du Vigean. Cette jolie aven-' ture d'amour passionné et chaste, avec tous ses' épisodes, toutes ses péripéties et le douloureux! épilogue de l'entrée au Carmel de Marthe, la ton- i chante Aurore à qui les Jeux, les Grâces et lesj Amours firent cortège le jour de son départ, Mar- \ cel Dhanys nous la conte en des pages délicieuses,! brillantes de toutes les grâces et de toute la no-; blesse du dix-septième siècle, animées par des vi-i sages fameux, ceux de Balzac, Chapelain, Voiture,] du Grand Cardinal, de la maquise de Rambouillet, S de mademoiselle .de Scudéry, évoqués avec beau- ;
MAI — LES ROMANS 137
coup d'art et une parfaite connaissance de l'his- toire. On ne saurait être instructif avec plus de grâce, d'esprit et d'agrément.
JEAN BLAIZE
Rêve de lumière.
M. Jean Blaize n'est point d'un optimisme très réconfortant, et dans son roman, il nous montre, avec beaucoup de vigueur et d'émotion, combien il peut être périlleux de former en notre temps un Rêve de lumière. « Rêve de lumière », c'est celui que voudrait réaliser Olivier Gerdeuil, un homme riche, jeune, puissant, ayant, suivant la formule, tout ce qu'il faut pour être heureux; mais son âme, éprise d'idéal, de justice et de beauté, perçoit ce qu'il y a de factice, d'inutile, d'outrageant pour l'humanité, dans son bonheur, <ît, par la force de sa conviction et de sa tendresse, il parvient à donner à l'âme bourgeoise de sa femme le même besoin d'idéal et de tendresse su- [)érieure : il se lance courageusement dans une ^orte d'apostolat pour le triomphe des idées de fraternité universelle, d'amour et de lumière. Mais, symbole de la vie, à côté de cette lumière, il y a de la nuit, de la trahison, une haine d'homme, une vengeance de femme, et le pauvre Gerdeuil
8.
138 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
meurt assassiné; heureusement il a un fils, un tout petit qui vient de naître, et qui — Dieu est ^Tandl — réalisera peut-être le rêve paternel. Ainsi, une lueur d'espoir vient éclairer au dénoue- ment cette triste histoire que M. Jean Blaize a con- tée avec heaucoup d'art.
NONCE CASANOVA \
Jean Cass, pauvre diable. i
Le Jean Cass, pauvre diable, de M. Nonce Ca- ! sanova, est un instituteur, ou du moins, un ex- ! instituteur à qui la politique n'a point réussi et j n'a rapporté que la révocation. Prémisse assez in- ; vraisemblable, car les instituteurs victimes de la ^ politique font généralement hors de l'enseig-ne- 1 ment assez bien leur chemin; mais « Jean Cass » i est un homme prédestiné au malheur, la suite de ^ ses aventures nous le démontre ; on ne saurait, i en effet, imaginer pire accumulation de tristes- \ ses, de douleurs, de grandes iniquités et de petites • injustices que celles qui se donnent rendez-vous i dans la destinée de ce malheureux qui, malgré ; une constance et une vigueur admirables dans la j recherche de la vie, du bonheur et de l'amour, se trouve, au dénouement, acculé à la défaite dé- i fmitive et au suicide. Sans méconnaître ce qu'il y i
MAI — LES ROMANS 139
a d'un peu outrancier dans une pareille aventure, on* ne peut se défendre d'une vive émotion à son récit, car M. Nonce Casanova est un romancier tout à fait remarquable et fort, son émotion est communicative et persuasive, et le lecteur emporté par la vie et la vérité de ses récits ne songe point iï discuter leur vraisemblance.
GUSTAVE GUITÏON
Ce que seront les hommes de Tan 3000.
Ce que seront les hommes de Van 3000. M. Gus- tave Guitton, qui est un optimiste, se Fest de- mandé, et pour répondre à cette question il a re- pris, en le modernisant, le procédé classique de Uip. Il a plong-é, par les soins du docteur Belzé- Yor, le jeune sceptique Vernoy dans un sommeil qui durera onze cents ans, — rien que cela! — Vous pensez qu'au réveil du jeune homme un cer- tain changement s'est fait sur notre planète : '•hangement tout à fait heureux, d'ailleurs; on a -iipprimé les villes, on les a remplacées par d'im- menses jardins, des bois et des forêts; les hom- Jiies, devenus des êtres d'élite, d'une intelligence iipérieure, et d'une science immense, ont appris u commander de façon définitive aux saisons et à l'atmosphère ; ils ont renoncé à notre odieux cos-
140 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
tume et se sont vêtus de chlamydes faites en étoffe de verre, ils mangent des confitures bleu azur, voyagent dans les airs et ne parlent plus espé- ranto... mais je m'arrête ! Il me faudrait des pa- ges pour vous énumérer les joies de ces heureu- ses gens ; elles sont contées avec beaucoup de verve et d'agrément par M. Guitton, et l'on éprouve, le livre fermé, une amère déception à rentrer dans notre vingtième siècle poussiéreux.
SAINT-YVES I
La Lumière perdue. ]
Lorsqu'un homme qui ne fait pas profession >.
d'écrire se trouve avoir un tempérament d'écri- j
vain, ses œuvres prennent un charme tout à fait .
original et une saveur très particulière. Elles ont ^
quelque chose de plus spontané, de plus vivant, ,
de plus « nécessaire », si j'ose dire; on sent que '
l'écrivain, que l'homme, a subi une irrésistible «
impulsion, qu'il n'a pas eu seulement l'idée de ^
faire un livre, mais qu'il a ressenti impérieuse- |
ment le besoin de fixer ses souvenirs, ses pensées, j
ses imaginations. \
Peu d'écrivains donnent plus fortement cette [
impression que le très brillant officier qui signe ;
Saint-Yves. Vous connaissez ce pseudonyme : plu- :
MAI — LES ROMANS 141
sieurs livres déjà l'ont rendu célèbre, parmi les- quels la Route s'achève, dont j'ai dit jadis les belles qualités. La lumière perdue, ne m'a pas moins séduit, c'est encore un roman personnel, et je suppose que le lieutenant Jacques Ferrières ressemble comme un frère à M. Jean Saint-Yves. L'aventure de ce béros, enivrante, douloureuse et simple, le roman d'amour qu'il vit avec la belle et charmante miss May, le tragique dénouement de cette idylle passionnée, histoires imaginaires, sans doute : elles sont pourtant si vivantes, qu'on les dirait vécues, aussi réelles, aussi vraies, que les décors où elles se déroulent: « les déserts rou- ges, les petites oasis perdues dans les saules, les collines roses, au pied desquelles Biskra pose la ligne verte de ses palmiers », que l'écrivain dé- crit en des pages magnifiques, avec des mots rayonnants de lumière.
ANDRE DAVERNE
Le Prix du sang*.
Le Prix du sang, est un « conte des temps apostoliques ». Les temps apostoliques tentent beaucoup nos écrivains en ce moment, et c'est — notons-le en passant — un phénomène singu- lièrement intéressant que cette floraison du chris-
I i2 LK MOUVEMENT LITTÉRAIHE !
tianisme dans la littérature, à l'instant précis où !
les lois veulent, sinon le «Irlrnire, <lu moins l'i- -
gnorer. C'est une très belle, très chaste et tragique ':
aventure que celle du diacre Prochore et de My- •
riam, la fille du bourreau de Jésus, victime ex- ]
piatoire du crime paternel, « car les pères ont )
mangé des raisins verts et les dents des enfants '
en sont agacées ». Et le châtiment de l'innocente •;
victime est ti-rrible : séparée violemment de Té- î
poux bien-aimé auquel l'attachent de purs et mys- ]
tiques liens, la douce Myriam, après avoir vu ■
naître sous ses pas les miracles les plus admira- :
blés, soufTre les pires tourments physiques et mo- \
raux ; mais la miséricorde divine s'étend sur elle ^
à ses derniers moments et elle meurt en voyant \
s'entr'ouvrir ])Our elle le ciel, cependant que le î
« Maître vient vers elle entouré de sa Cour glo- !
rieuse » son père, son père sauvé, se tenant à ses I
côtés, cependant aussi que des parfums ineffables i envahissent sa chambre, qu'un rosier desséché
refleurit, que des musiques flottent et qu'on en- ]
tend le chant des anges... «
Notre impiété rend de tels spectacles trop rares ;
pour qu'on n'ait pas plaisir à les revivre en un .
livre d'une haute tenue littéraire et qui nous conte j
ces choses miraculeuses avec un très curieux ac- \
cent de sincérité et de vérité. ;
MAI — LES ROMANS 443
ERNESÏ^DAUDET
Au galop de la Vie.
M. Ernest Daudet se plaît, on le sait, à cultiver
le roman historique, et il a raison, car il est passé
maître en ce genre ^difficile où, pour ne point se
nuire l'un à l'autre, l'historien doit déployer toute
l sa science, et le romancier tout son talent et toute
sa force d'imagination. J'ai signalé naguère dans
; cet ordre d'idées le très beau roman^ le Comte de
\ Chamarande, où les temps de l'Emigration sont
■ évoqués avec autant de force que de vérité. Mais
: c'est le passé, et M. Ernest Daudet s'est avisé que
le temps présent est assez fertile en tragédies po-
l litiques, en drames sociaux, pour tenter la verve
; du romancier et de l'historien, et son livre A(t
Galop de la vie, est tout à la fois, si l'on peut
dire, un roman de mœurs contemporaines et un
roman historique.
Roman de mœurs où M. Ernest Daudet campe avec un art magistral des personnages tout à la fois très vivants et très symboliques, tels que ce ]' irmin Augeard, le syndic de faillites, corrompu, cynique et débauché; sa femme, la courageuse et noble Honorine, décidée à tout supporter pour obéir à sa conscience de chrétienne; le R. P. Sau- vai son neveu, qu'il met aux prises dans une aventure d'amour, de politique et d'argent, —
i44 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
roman historique, car, au cours de cette aven- ture, M. Ernest Daudet évoque la haute figure d'un homme d'Etat qui restera le grand ministre de la troisième République, et fait revivre quelques-uns des épisodes qui marquent l'histoire de notre temps : tel le départ des Carmélites de l'avenue de Tourvillc. Ainsi, le livre de M. Ernest Daudet offre le double attrait d'un roman très émouvant, très bien conduit, fait de main d'ouvrier, et d'une vivante évocation d'histoire contemporaine.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS.
DE MARCERE Histoire de la République, de 1876 à 1879.
M. de Marcère qui en de précédents ouvrages nous raconta l'Assemblée nationale de 1871 , le Seize Mai et la Fin du Septennat^ aborde main- tenant VHistoire de la République, de 1876 à 1879. Le premier volume nous conduit de la fin de l'Assemblée nationale au 16 Mai 1877. M. de Marcère nous raconte là des événements auxquels il prit une part considérable, et il le fait avec
tte conscience rigoureuse d'historien, cette di- gnité personnelle que j'ai admirées déjà dans ses précédents volumes et qui font vraiment honneur 1 l'écrivain et à l'homme; cette dignité, cette ré-
rve, ce souci de rester dans la froide histoire,
9
14G LE MonvEMENT lttti5t\aire
sont d'autant plus remarquables qu'on sent chez ; M. de Marcère des ardeurs, des colères, des indi-i gnations juvéniles, mais il s'applique à les con-; tenir et ne laisse percer qu'un peu de tristesse, ; de désenchantement et d'inquiétude. 1
Cette période « où se fit le premier essai de la ; République », M. de Marcère en a divisé le récit j en cinq grands chapitres, oii il nous raconte touri à tour : l'organisation du gouvernement républi- ; cain; le ministère, l'Elysée et les partis; les con-. flits entre les divers pouvoirs; la lutte contre le j ministère Dufaure: le Seize Mai. Tous ces souve- ^ nirs encore si brûlants, il trouve moyen de les re- muer sans attaquer trop violemment personne, ! sauf cependant la franc-maçonnerie, en qui il ] croit avoir découvert l'auteur de tous nos maux i et de tous nos malheurs; quant au reste, il croit i que les Français, même s'ils ne furent pas de son i avis, « ont obéi à des mobiles très divers, qui n'é- \ talent pas tous indignes de la beauté morale de la j race ». « Il ne sied d'ailleurs à personne, ajoute-t- | il, de se croire autorisé à condamner ses conci- ^ toyens, sauf les traîtres : parce qu'il n'est pas, à ^ ma connaissance, de catégories de Français qui ' n'aient des reproches à se faire à l'égard de la pa- \ trie française. Tous, à mon sens, ont le devoir | d'être modestes. » Sages paroles qu'il convient , d'entendre et de méditer. \
MAI — HISTOIÏft:, LÎTT'ÉBATtîïlE, VOYAGES, ETC. M47
CHARLES NIGOULLAUD
Mémoires de la comtesse de Soigne, née d'Osmond. IV^ Volume.
Le quatrième volume de ces prestigieux « ré- cits d'une Tante », orné à la première page d'un délicieux portrait de la comtesse de Boigne en 1864 — vieille femme à la figure à la fois candide et spirituelle, — nous conduit de l'année 1831 à 1866. Une bonne partie du livre est consacrée à « l'expédition de madame la duchesse de Berry », et ce drame extraordinaire, l'un des plus passion- nants que nous offre l'histoire de notre pays, est rar' conté avec une originalité, une verve, un luxe d'a- necdotes et de détails vraiment prodigieux; vous •pouvez avoir lu tous les récits de ce drame — et Dieu saits'ilen fut rédigés ! — vousapprendrez beaucoup, et vous vous passionnerez en lisant celui-là. Le récit des fêtes à Fontainebleau en 1834, le mariage de -M. le duc d'Orléans en 1837, la mort du prince de Talleyrand en 1838, celle de la princesse Marie d'Orléans duchesse de Wurtemberg en 1839, celle du duc d'Orléans en 1842 et de madame Adélaïde •d'Orléans en 1847, la chute de la monarchie de Juillet en 1848 sont également une mine de ren- seignements curieux, d'anecdotes captivantes, de
iAS LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
détails malicieux donnés sans l'ombre de malice. C'est vraiment un régal.
COMTESSE JEAN DE CASTELLANE ;
Souvenirs de la Duchesse de Dino. i
C'est un livre d'un très vif attrait, que celui oui nous voyons revivre cette fille du dernier duc ré-i gnant de Couriande qui, exilée de sa patrie avant] môme d'avoir vu le jour, naquit à Berlin en 1793, j a grandit pendant qu'on bouleversait l'Europe, et,; mariée au neveu du plus fameux diplomate de sonj temps, devint Française en quelque sorte par voie! de conquête impériale ». Grâce à ses souvenirs, nousj voyons la « répercussion de cette succession inouïe^ d'événements sur une femme que la nature avaitj faite pour en sentir tout le drame et que sa nais-' sance avait placée pour les bien voir et s'y trou-* ver mêlée quelquefois », et, en effet, ses souvenirs^ ont infiniment d'intérêt, de variété, d'agrément,) ils sont écrits, tout à la fois, sans le moindre artifice et avec beaucoup d'art : il y a là, comme le dit excellemment M. Etienne Lamy au courf d'une magistrale et copieuse préface, a un don de trouver l'excellent par rencontres non cher^ chées, un art de ne pas s'appliquer, une façon naturelle de tenir la plume, comme une grandff
I
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 149
dame cause, se vêt et se meut, avec une distinc- tion presque distraite où rien n'est métier et où tout est race ».
MÉMOIRES DU GÉNÉRAL
DÉSIRÉ CHLAPOWSKI, Baron de l'Empire
Les Guerres de Napoléon. 1806-1813.
Dans la riche et impressionnante galerie des mé- moires de l'épopée impériale, les Mémoires du général Désiré Chlapowski, baron de l'Empire, sur les Guerres de Napoléon, 1806-1 81 S, méritent de prendre rang; ils apportent à Phistoire mili- taire de Napoléon une contribution parfois déci- sive, et rectifient plusieurs erreurs de M. Thiers;
— que d'erreurs, Seigneur, on aura rectifiées de- puis un quart de siècle dans l'œuvre de M. Thiers!
— Il faut donc savoir gré à ses fds d'avoir mis au jour ces mémoires dont MM. Jean Chelminski et le commandant A. Malibran ont publié la traduc- tion. Outre cet austère mérite de redresseur d'er- reurs, le livre a pour le lecteur profane un très vif intérêt, c'est que le général Chlapowski vécut (1() grandes choses : il fît la campagne de 1806 et 1807 en Prusse et en Pologne, sous le maréchal Lefèvre; celles de 1808 en Espagne, de 1809 en
Autriche en Allemagne, sous les ordres de l'Em- perour; de 1812 en Russie, de 1813 en Saxe; il fut à Burgos et assista à Wagram, et de tout cela il nous donne un récit émouvant de simplicité, de vérité et de vie.
EMMANUEL DE BROGLIE
Un grand marin : Tour ville (1642-1701).
Avez- vous remarqué que les marins sont, pour l'ordinaire, assez sacrifiés par les historiens, les- quels ne s'intéressent, semhle-t-il, qu'aux soldats de terre? Il y a là vraiment une injustice singu- lière. M. Emmanuel de Broglie la déplore; il es- père que quelque jours on se décidera à évoquer des hommes comme Jean-Bart, et comme Du- quesne; et pour donner le bon exemple, en un volume très précis, très clair, nourri de docu- ments et de renseignements, il nous dit l'histoire dé ïourville, dont il nous fait suivre, pas à pas, l'existence, et qu'il nous montre aussi grand dans la victoire, à Béveziers ou à Lagos, que glorieux dans la défaite, à la Hougue. Tourville fut, sans conteste, « l'un des plus grands hommes de mer de son époque, et ainsi qu'on- l'a écrit : le plus complet du [dix-septième siècle », et vraiment « le hardi marin des galères de Malte, montant, à
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 151
peine âgé de dix-huit-ans, le premier à l'assaut des navires turcs, aussi bien que le prudent amiral du Levant au service du roi de France, sachant vaincre les Anglais, puis supporter la défaite avec un égal courage, est bon à connaître et à admi- rer. »
PIERRE GLERGET
La Suisse au vingtième siècle.
La Suisse au vingtième siècle. L'intérêt |d'une telle étude est considérable; il nous importe en effet de connaître un petit Etat qui témoigne d'une activité industrielle très intense et chez lequel s'expérimentent constamment de nouvelles ré- formes sociales ; les dernières en date s'appel- lent l'impôt sur le revenu, le monopole de l'al- cool, le rachat des chemins de fer, les chèques postaux, les assurances ouvrières. Comme ce sont là précisément les grandes réformes que discute ou que s'apprête à discuter notre Parlement, on conçoit combien il peut être précieux d'étudier les résultats qu'elles ont produits chez nos labo- rieux voisins. Si nos législateurs voulaient bien se livrer à cette étude, peut-être éviteraient-ils quelques trop grossières erreurs et nous épargne- raient-ils à nous quelques trop douloureuses dé- convenues. Le livre de M. Pierre Glerget, d'une
152 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
très forte et très claire documentation, les y ai- dera .
GAUTIER
Le Sahara Algérien.
Dans riiistoirc de l'expansion de la France à travers le monde, celle des missions qui depuis un quart de siècle ont sillonne le monde a droit à la place d'honneur; les hommes qui les ont ac- complies ont été vraiment les bons ouvriers d'une i,^rande cause et rien n'est plus réconfortant, plus instructif, plus nécessaire que le compte rendu de leurs efforts et de leurs travaux. Parmi les plus fécondes, il convient de citer les Missions au Sahara, que nous racontent MM. Gautier et Chu- deau, et à qui la Société de géographie a accordé des récompenses qui témoignent de leur intérêt et de leur importance. Le premier des volumes oii elles sont relatées a paru cette année; il est con- sacré au Sahara algérien et a été rédigé par M. Gautier, qui laisse à M.Chudeaule soin de nous dire dans un prochain volume le Sahara souda- nais. Avec ses figures et ses cartes, avec ses mul- tiples phototypies, ce livre est d'un intérêt abso- lument remarquable et, bien que tout à fait scien- tifique, il passionnera les profanes eux-mêmes qu'il renseignera de la façon la plus complète sur
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 153
la région comprise entre le Figuig et PAhnet par où passe la seule route 'possible entre l'Algérie et le Soudan.
GEORGES PELLISSIER Voltaire philosophe.
« Nous avons, dit l'auteur, pris le mot « phi- losophe » dans la signification où le dix-huitième siècle l'entendait. Métaphysique et physique, re- ligion, morale, politique, tels sont les 'quatre do- maines auxquels Voltaire appliqua sa philosophie : ce sont aussi les quatre chapitres de notre volume ; et nous y avons fait entrer ce que renferme de philosophique la partie proprement littéraire de son œuvre, le théâtre par exemple et l'histoire. »
L'objet de l'auteur est modeste : il ne veut pas faire de la critique transcendante, il veut retra- cer seulement cotte philosophie le plus méthodi- quement possible, avec une entière fidélité, et il s'est acquitté de sa tâche avec un scrupule remar- quable. Sans rien abdiquer de son admiration pour Voltaire, il a voulu ôtre et il a été impar- tial et complet, il n'a rien dissimulé de ce qu'on appelle « les lacunes de l'intelligence de Voltaire ». Tout en concluant que Voltaire accomplit cette œuvre essentielle d'affranchir la raison humaine et qu'il a refait l'éducation de l'esprit humain,
9.
1, ( I.K MOUVEMENT LITTERAIRE
]\f. Georges Pellissier espère que les ennemis de Voltaire reconnaîtront son équité, et il termine par cette boutade, qui est de mise en un temps où personne ne lit plus Voltaire : « Nous avons lu avec soin son œuvre entière. Ce n'est pas un grand mérite. Et ce fut d'ailleurs pour nous un plaisir vif. Mais, comme beaucoup d'écrivains ont parlé de lui sans le bien connaître, on nous saura p(3Ut-etrc gré de n'en parler qu'après nous être donné ce plaisir. »
KARL MANTZIUS
Molière.
L'œuvre et le génie de Molière sont vastes comme le monde, et sans relâche les études pour- ront succéder aux études sans jamais épuiser cet immense sujet ; cependant il peut paraître para- doxal de parler d'une étude entièrement origi- nale et nouvelle sur le grand comique I C'est pourtant le cas d'un livre qui nous vient de Cq- penhague sur Molière, a le Théâtre, le Public, les Comédiens de son temps ». Il a pour auteur M. Karl Mantzius, et M. Maurice Pellisson en pu- blie la traduction française. A tous ceux qui con- naissent le mouvement théâtral contemporain, le nom de M. Karl Mantzius est familier : c'est un grand acteur-directeur danois qui depuis plus de
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 155
vingt ans préside aux destinées du Théâtre royal de Copenhague dont il est l'acteur en vedette; mais il ne se contente pas des triomphes qu'il remporte sur les planches : cet enfant de la balle a voulu étudier son art, écrire son histoire, et il a produit déjà plusieurs ouvrages estimés à ce point de vue ; le dernier paru est justement celui dont la traduction vient d'être publiée ici, et il est vraiment tout à fait intéressant et original. M. Karl Mantzius, homme de théâtre consommé, se borne à étudier Molière « directeur de troupe, metteur en scène, orateur, acteur comique, acteur tragique, créateur d'un système nouveau de dé- clamation » : il n'est pas ici question d'une bio- graphie cent fois faite, d'une étude transcendante sur le poète, le penseur, le philosophe, c'est l'homme de théâtre que nous présente l'auteur, c'est le métier de Molière qu'il analyse devant nous, métier où il fut incomparable, et qui fut la passion de sa vie^ Ainsi envisagée, on conçoit com- bien une étude sur le grand comédien peut être captivante; j'ajoute que le livre est très richement illustré et édité avec beaucoup de goût.
150 JJ, MOUVEMENT LITTÉRAIRE
p
HENRI LAVEDAN
Bon an, mal an.
Les chroniques de iM. Henri Lavedan sont des choses exquises. Chaque semaine, hi- vie senti- mentale, pittoresque, dramatique de Paris et d'ail- leurs, s'y trouve saisie en des notes, en des ta- hleaux, en des croquis d'un art achevé, où l'esprit incisif, l'cmotion attendrie, l'enthousiasme géné- reux, s'expriment en une langue d'une rare sé- duction. Et ce plaisir délicat, que nous offre au jour le jour pour l'éminent académicien chroni- queur, n'estpoint sans lendemain ; je viens d'en faire l'heureuse expérience en relisant ces pages hro- chées en un volume intitulé Bon an, mal an; je vous assure qu'elles ne datent pas et qu'elles pourront rester pour nos neveux comme une briU lante manifestation dé ce qu'il y a de plus char- mant et de plus solide dans l'esprit parisien à l'aurore du vingtième siècle.
Docteur PAUL HARTENBERG
La Psychologie des neurasthéniques.
Un peu 'de science maintenant, mais de la science faite pour intéresser un grand nombre de
MAI — IIISTOIUE, LITTÉRATOllE, VOYAGES, ETC. 157
nos contemporains. C'est le très éminent docteur Paul Hartenberg qui nous donne, en des pages d'une formidable documentation — documents humains, — la Psychologie des neurasthéniques , de ces « âmes tristes qui portent en elles un fond de mélancolie chronique ». Le docteur Paul Har- tenberg trace de ces malades un magistral por- trait que trop de gens pourront regarder comme un miroir. Ils auront du moins la consolation de se trouver en bonne compagnie, car si l'on en croit l'auteur du livre, Schopenhauer fut un neu- rasthénique, et aussi Léopardi et J.-J. Rousseau « chez qui la neurasthénie se compliquait d'arté- rio-scl6rose », aussi Byron, et Guy de Maupas- sant, et Benjamin-Constant, et Chateaubriand. Ainsi, tel malade de M. Paul Hartenberg pourra se dire comme ce personnage d'Alphonse Allais : « Je suis un type dans le genre de Chateaubriand, je suis neurasthénique ! »
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J. B. PAQUIER
L'Enseignement professionnel en France.
Vous savez que nous souffrons d'une crise de l'apprentissage • cette xîrisa.qui se double de celle de l'enseignement' professionnel, a, pour notre pays, une importance considérable au point de
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vue économique, au point de vue social, et même au point de vue politique. Aussi y a-t-il lieu de se féliciter de Tapparition du livre où M. Paquier nous apporte, et apporte aux parlementaires qui vont avoir à légiférer à ce sujet, les résultats de sa minutieuse enquête, ses appréciations et ses jugements étayés sur des faits nombreux et soli- dement établis.
Il nous donne l'histoire de l'enseignement pro- fessionnel en France, puis en des chiffres d'une exacte documentation, il étudie les diverses formes de l'enseignement professionnel de France et ses résultats, compare l'enseignement professionnel de France avec ceux d'Allemagne, d'Angleterre, de Belgique, de Suisse, du Japon, et, dans une conclusion magistrale, il explique comment on ar- rivera à constituer a avec l'artisan des villes et le paysan des campagnes, élevés dans le môme esprit, et comme retrempés par une éducation vi- goureuse, une saine et forte démocratie. Artisan ! paysan I Ce sont là deux des plus beaux mots de la langue française, symbolisant, à vrai dire, dans deux de ses manifestations les plus remarquables, le travail national, qu'il appartiendra à l'ensei- gnement professionnel d'éclairer, de diriger. »
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 459
PAUL ACKER
Œuvres sociales des femmes.
En écrivant ce « livre d'étude » où Pécrivain passe en revue avec autant de conscience et de soin que d'émotion les œuvres relatives à l'éduca- tion sociale de la femme, à l'enfant, à la jeune fille ouvrière, et celles qui concernent tous les membres de la famille, M. Paul Acker a fait, peut- on croire, une infidélité au roman ; il n'en est rien, car à ses yeux, « un romancier ne saurait trop chercher, trop voir, trop regarder ». Tandis qu'il faisait ses explorations à travers les quartiers loin- tains de Plaisance, de Charonne, de Ménilmon- tant, de la Glacière, « tout un monde se révélait à lui ; l'expérience qu'il acquit au cours de cette sombre enquête », nous en retrouverons le fruit dans ses prochains romans : dès aujourd'hui, il a fait, avec ce livre, œuvre utile, féconde et émou- vante.
MADAME GEORGES REGNAL
Comment la femme peut gagner sa vie.
La sympathique et distinguée femme de lettres, que les lecteurs du Figaro connaissent bien sous
160 ' LE MOUVEMENT LITTÉRAIIlE
le pseudonyme de « Parisette », rend, avec ce petit ouvrage, un signalé service aux femmes de ce temps, qui demandent au travail l'indépen- dance, la dignité, la vie. Elle passe en revue tous les métiers qui s'oiïrent aux femmes, depuis celui de doctoresse jusqu'à celui de danseuse; depuis celui d'infirmière jusqu'à celui d'actrice, de cou- turière, de musicienne, de conférencière, d'em- ployée de bureau, et j'en passe ; elle dit les avan- tages, les ressources de toutes ces professions, dénonce leurs inconvénients, met en garde contre les dangers qu'elles présentent, et c'est vraiment, rédigé en toute simplicité, avec une bonne foi et une conscience absolues, le bréviaire de la femme de ce temps, obligée, suivant le mot de madame la duchesse d'Uzès à qui le livre est dédié, « de i sortir des séductions du rêve pour entrer coura- \ gcusement dans la brutale réalité », et c'est aussi ! un hymne généreux au travail qui a libère, con- i sole, ne trahit jamais, à la condition qu'on re- connaisse sa splendide supériorité sur le plaisir décevant ».
JEAN CRUET
La vie du droit et Tlmpuissance des lois.
C'est un bien remarquable et bien suggestif \ ouvrage que 7a Vie du droit et l'Impuissance de$ \
MAI — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 161
lois. J'ai cru trouver exprimées dans ce livre, avec une impressionnante abondance d'arguments scientifiques et philosophiques, des pensées qui se sont souvent agitées obscurément dans mon cer- veau, lequel fut toujours impuissant à concevoir cette majesté absolue qu'on prête à la loi et à comprendre comment un simple projet, discutable naguère et discuté, pouvait par la seule vertu des rites législatifs devenir brusquement une chose intangible, absolue, majestueuse, définitive. Et j'ai éprouvé un véritable plaisir à voir, comme on (lit, remettre les choses au point et les lois à leur place, non pas avec les arguments vulgaires et facilement réfutables que j'imaginais moi-même, mais avec des raisons solides où le droit et la ju- risprudence sont étayés parla philosophie.
En épigraphe, M. Jean Cruet inscrit cette remar- que : « Nous voyons tous les jours la société re- faire la loi, on n'a jamais vu la loi refaire la so- ciété. » Toute la portée du livre apparaît dans ces simples lignes, et aussi toute la fragilité des lois ; pour bien faire comprendre etpourétayer sa doc- trine, M. Cruet étudie tour à tour, en des pages magistrales, savantes et claires : « le droit du juge et le droit du législateur ; « le droit des mœurs et le droit de l'Etat »; puis il met face à face : « le dogmatisme législatif et la législation expérimen- tale », pour aboutir .à cette très sage conclusion où je ne puis me défendre, pour mon compti;, de voir un petit grain d'ironie — « qu'il existe dans
^fi2 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
toute société un coefficient d'illégalité », « que l'il- légalité est un phénomène normal de la vie du droit », « que le droit ne domine pas la société, mais qu'il l'exprime », et qu'enfin « pour faire des lois excellentes, il faudrait d'abord une so- ciété meilleure ».
MAURICE BOUCHOR
Choix de poésies. (1871-1883).
Ce choix ci ceci de tout à fait particulier et ori- ginal, qiie c'est l'auteur lui-môme qui l'a fait, opé- rant à travers cinq volumes de vers une rigou- reuse sélection, où il a réuni tout ce qui lui sem- blait digne de survivre des « Chansons joyeuses », des « Poèmes de l'amour et de la mer », du « Faust moderne », des « Contes parisiens et de « l'Aurore ». Le choix est judicieux, car les poè- mes publiés par M. Bouchor sont presque tous délicats, harmonieux, émouvants ; dans une jolie préface le poète expose sans orgueil et sans humi- lité les raisons de son travail (( qu'il a fait pour obéir à ce que lui suggèrent son goût plus épuré — il l'espère, du moins — et son jugement plus réfléchi », et, tour à tour, ministère public et avo- cat, il plaide la cause de son œuvre et il instruit son procès ; et c'est vraiment une bien amusante et originale page de critique.
MAI — HISTOIJRB, tITTÉRATURE, VOYAGES*, ETC. 163
EMILE BLÉMONT
Théâtre légendaire.
Sous ce titre : Théâtre légendaire, le délicat poète Emile Blémont publie, un volume où il a réuni quatre œuvres dramatiques. « Œuvres dra- matiques » en effet, puisqu'elles sont dialoguées, et même avec beaucoup d'art et d'adresse, puis- qu'elles comportent une exposition, une action et un dénouement, puisqu'enfin les lecteurs s'ima- ginent très bien, évoluant sur une scène, les per- sonnages de ces drames. Tout de même ce n'est pas faire tort à l'auteur dramatique que veut être M. Emile Blémont de dire qu'il est resté dans ce livre, avant tout, un poète épris d'idéal, de beauté, de justice et d'amour, et qu'il a eu surtout en vue d'exprimer en de beaux vers, de généreuses pen- sées. Qu'il s'agisse du « Jugement du roi Salo- mon », 011, d'une façon très pathétique, il renou- velle et humanise la légende, de « Libres Cœurs », un drame lyrique écrit en collaboration avec Da- niel de Venancourt, de « la Couronne de roses » ou de « Roger de Naples », un drame émouvant, farouche et humain, c'est toujours, chantée avec une lyrique émotion, la généreuse chanson d'es- poir, de bonté et de tendresse qu'on retrouve dans l'œuvre de M. Emile Blémont.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
MÉMENTO DU MOIS DE MAI
ROMANS
narre (André). — Gretchen, nn roman gai, parfois un peu vif, que son auteur estime sans doute véridique puis- qu'il le dédie aux c fiancés allemands, à leur famille >, qui accueilleront sans transports l'offre de cette dédi- cace.
Bertheroy (Jean). — Les Bergers de l'Arcadie. Nouvelles.
Bruzon (Paul). — Soleil d'Islam.
Cornut (Samuel). — La Trompette de Marengo. M. Samuel Cornut qui a publié déjà plusieurs volumes, m'était inconnu, et j'ai eu l'heureuse surprise de découvrir dans son livre — roman historique où retentissent les fanfares de l'épopée napoléonienne et leur écho dans un village de Suisse aux environs de 1800 — un véritable tempérament d'écrivain ardent, tumultueux, d'une verve généreuse et fougueuse. C'est là, vraiment, un très beau roman.
Deterroac (Valinx). — La Joie d'être artério-sclereux t roman ironique >.
Dorés (Jean). — Fleur de masques, « roman pour les jeunes illles ».
Gill (Mary). — L'Officine, c mœurs pharmaceutiques ».
Jaloux (Edmond). — Le Démon de la Vie.
Kipling (Rudyard). — Trois troupiers, traduction par Albert Savine.
Le Queux. — Coupable?
Medine (Fernand). — L^Armée qui souffre.
Retté (Adolphe). — Le règne de la bête, c roman catholique ».
Reypolds (P. E.). — Aux lueurs du grand soir vers la cité fu- ture, € roman d'aujourd'hui, et |le demain ».
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MAI — HISTOIEÈ, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 165
Saint-Germain (Addy de). — V Aimant.
Saussay (Victorien du). — Ceinture dorée,, « grand roman pas- sionnel ». Thiéry (Jean). — A grande vitesse.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Baudin (Pierre). — Nous et les autres, un livre plein de va- riété, d'agrément et d'utiles renseignements, où l'au- teur parle avec éloquence et compétence, non pas de omni re scibili, mais tout de même de bien des choses et très diverses.
Beaurieux (Remy). — Les souffles du large, des vers sonores.
Bernard (Alfred). ;— Glanes de souvenirs. Poésies.
Besnard (Paul). — Moblot de Coulmiers, « souvenirs militaires d'un civil », un recueil d'anecdotes que l'auteur dédie « aux moblots morts et survivants du 77" régiment dé mobiles ».
Billard (D"" Max). — Les Maris de Marie-Louise, d'après des do- cuments nouveaux et inédits.
Boislisle (Jean de). — Voir Léon Lecestre.
Calvet. — Notes de littérature et de morale, « les livres au jour le jour ».
Capon (Gaston). — Les Vestris : « le Dieu de la danse et sa famille (1730-1808) », un bien séduisant volume d'his- toire anecdotique rédigé avec beaucoup d'agrément d'après des rapports de police et des documents iné- dits.
Caudriller (G.). — La Trahison de Pichegru et les intrigues roya- listes dans VEst avant Fructidor.
Chevillard (Valbert). — Itinéraire artistique de Paris, un guide érudit, amusant et disert à travers les merveilles d'art de Paris et ses curiosités, depuis le Marais et ses édi- âces« et l'hôtel Carnavalet, jusqu'à Saint-Germain-
i06 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
l'Auxerrois, Saint-Vincent-de-Paul, la Bibliothèque na- tionale, Saint-Eustache, en passant parle Luxembourg, le musée de Cluny et le Louvre, auquel M. Valbert Chevillard a consacré des pages magistrales.
Delbousquet (Emmanuel). — Le Chant de la Race. Poèmes. 1893-1907.
Doumic (R.). — Lettre d^Elvire à Lamartine.
Festy (Octave). — Le mouvement ouvrier au début de la monar- chie de Juillet {1830-1834).
Fleury (René-Albert). — Chansons de la Vie et de la Mort.
Franklin (Alfred). — La Civilité', l'Etiquette, le Bon Ton du une au iix" siècle, un volume consacré aux t femmes » et à t l'Etiquette •, où l'auteur poursuit son amusante et savante étude.
Frêne (Roger). — Les Sèves originales. Poésies suivies de Noc- turnes.
Gourmont (Remy de). — Promenades philosophiques. 2« série.
Grand-Cartcret (John). — Popold II, roi des Belges et des bel- les, un livre fort irrévérencieux, mais d'une bien amu- sante documentation.
Guibier (Charles). — Les Etincelles. Poésies.
Guichen (Vicomte de). — Pierre -le -Grand et le premier traité franco-russe, 1682 à 1717, un livre préfacé par le Baron de Courcel.
Hauvette (Henri). — Ghirlandaio. D'une très élégante préci- sion et en même temps d'une remarquable compétence, cette étude donne des renseignements très complets sur le maître de Michel-Ange, c l'admirable décorateur, portraitiste, qui fut, avec Botticelli, l'expression artis- tique la plus brillante, l'image la plus fidèle de sa gé- nération », et qui était très injustement laissé dans l'ombre. Comme il convient, de très nombreuses repro- ductions de chefs-d'œuvre illustrent, éclairent et com- mentent le texte.
Jacquemin (Michel). — Sous les oliviers, t des études qui s'é- tendent d'Avignon, première ville Italienne, à Gênes, première d'Italie ».
Lecestre (Léon). — Mémoires de Saint-Simon, le vingtième vo- lume de la magistrale édition coUationnée sur le ma- uascrit autographe, augmentée des additions de Saint-
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MAI — HISTOIRE, LiTTëRATURE, VO*^ÂGES, ETC. 467
Simon au Journal de Dangeau et de notes et appendices, dont M. de Boislisle avait entrepris la publication, et que son collaborateur, M. Léon Lecestre, continuera sans interruption et sans modification au plan primitif. Il sera aidé dans cette tâche par M. Jean de Boislisle, digne élève de son regretté père.
Le Gofific (Charles). — Passions celtes.
Leyret (Henry). — Waldeck-Rousseau et la iroisième république.
Longhaye (Le R. P.). — Esquisses littéraires et morales.
Lorde (André de). — Pour jouer la Comédie de salon, un char- mant livre tout rempli de renseignements et de con- seils judicieux.
Lussan (Colonel). — Souvenirs du Mexique, un livre où l'au- teur, jeune capitaine à Pexpédition du Mexique, nous restitue son carnet de route : émouvant, pittoresque, d'une rigoureuse exactitude documentaire et vraiment propre « à captiver l'attention du lecteur avide d'aven- tures extraordinaires et de curiosités inédites ».
•Mercure de France. — Œuvres posthumes de Baudelaire, une curieuse et belle édition où l'éditeur a voulu réaliser c le trust des pièces baudelairiennes, jetant le pont entre le Baudelaire rigoureusement posthume — si on peut dire — et le Baudelaire anthume et inconnu.
Morsier (Edouard de). — Etudes* allemandes, un volume très documenté et très bien pensé où l'auteur analyse tour à tour : t Guillaume Tell et le théâtre allemand au dix-neuvième siècle », Henri Heine et Max Nordau, Her- mann Grimm et Louis Bœrne.
Noailles (Vicomte de). — Bernard de Saxe-Weimar, un volume où l'auteur nous dit des « épisodes de la Guerre de Trente ans ».
OUivier (Madame M. Th.). — Valentine de Lamartine, « Sou- venirs intimes », un très émouvant et très noble livre, véritable monument touchant et durable, élevé à une femme de grand cœur par une amie digne d'elle, et dé- dié par Madame M. Th. Emile Ollivier à ses enfants, f Vous trouverez, dit-elle, dans cette histoire d'un ami de votre père et d'une amie de votre mère, que la vraie grandeur sait allier aux vastes facultés de l'es- prit la boaté et la douce science d'aimer ».
168 LTi MOUVEMENT LITT1$RAIRE
Pilon (Edmond). — Muses et Bourgeoises de jadis, des pages charmantes et originales dédiées par l'auteur t à Maître Germain Pilon, statuaire des dames de mon pays, u ou nous sont restituées e Madame Denis i ou t Maman » Voltaire ; c Madame Greuze » ou « la Cruche cassée », et d'autres encore.
Saint-Point (Madame Valentine de). — Poèmes d^orgueil, des vers où, avec un lyrisme passionné, en des images d'une philosophie et profonde beauté, qu'elle dédie « à la neige, à la mer, au soleil, à toutes les lumières », ma- dame de Saint-Point exalte et chante harmonieusement L'orgueil qui me détruit, l'orgueil que je surpasse.
Savine (Albert). — La Cour galante de Charles II, d'après les documents d'archives et les mémoires.
Séché (Léon). — Alfred de Vigny et son tempSy avec des « do- cuments nouveaux, inédits, des dessins, des portraits et autographes ».
Séverin (Fernand). — Poèmes, < le Don d'enfance », un « Chant dans l'ombre », « les Matins angéliques », < la Solitude heureuse ».
ijpetz (Georges). — Légendes d'Alsace, des poèmes émus.
Spinoza. — Ethique, une traduction très claire et très élé- gante de M. Raoul Lantzenborg qui met à la portée de tous f l'œuvre capitale de Spinoza, celle dans laquelle il a donné à sa doctrine philosophique une forme dé- finitive ».
Vellay (Ch.). — La Correspondance de Marat.
Vilade (Jacques de). — Sur un thème éternel. Poésies.
VoUand (Gabriel). — Le Parc enchanté, poèmes.
JUIN
LES ROMANS
DANIEL LESUEUR.
Nietzschéenne.
Ce roman, est, à mon sens, le plus remarqua- ble, le plus complet, le plus suggestif que Daniel Lesueur nous ait encore donné, bien supérieur à tous ses livres passés, parmi lesquels il en est, pourtant, de si remarquables. Nietzschéenne est un beau et bon livre dont le retentissement sera grand et utile, dont le succès enchantera tous ceux qui ont au cœur le culte de la femme, de la vraie femme.
Et maintenant, me voici bien à l'aise pour dire |que, dans ce livre que j'aime infiniment, ce qui
10
no LE MOUVEMENT LITTI^RAIRE J
me piaille moins, c'est son litre. Madame Daniel ' Lesueur va bondir : « Mais si vous supprimez : mon titre, si vous supprimez Nietzsche, que res- \ tera-t-il de mon livre ?» — Eh non ! je ne veux ; pas supprimer Nietzsche, ce serait vraiment dom- j mage, car il est dans votre roman commenté de \ façon si lumineuse tout à la fois, et si lyrique, que; grâce à vous, nous entendrons peut-être, désor- j mais, dire moins de sottises sur le compte du ^ pauvre et grand philosophe allemand. j
Mais je ne crois pas qu'il faille accepter, les i yeux^fermés, l'inlerprlitation de madame Daniel j Lesueur. Entre les ignorants qui ont fait de Nietz- ' sche un maître ès-muflerie, égoïsmc et brutalité, '\ et madame Daniel Lesueur qui voit dans cet admi- • rable professeur d'énergie et de discipline, un • conseiller de toutes les heures, de toutes les cir- : constances, un tendre consolateur, un inspirateur - de beaux gestes, nobles et désintéressés, il y a j tout de même un juste milieu. Certes, Nietzsche ; est un maître dont la parole est utile et féconde ; < certes, son œuvre bien comprise et bien expliquée j .peut être le bréviaire d'un homme d'action, d'une \ femme courageuse et forte, mais pour que sa doc- trine puisse conduire une destinée, inspirer une àme comme celle de Jocelyne Monestier, l'héroïne de madame Daniel Lesueur, il faut que cette doc- trine ait été un peu humanisée, féminisée par cette âme même, et c'est là que je voulais en venir : Jocelyne Monestier n'est pas une « Nietzschéenne »,
JUIN — LES ROMANS 171
c'est une noble, forte, généreuse et tendre Fran- çaise qui a lu Nietzsche et pris de lui ce qu'elle avait déjà obscurément dans son cœur et dans son cerveau'.
En vérité, je vous le dis, la Nietzschéenne de madame Daniel Lesueur, c'est une vraie Fran- çaise de ce temps, douce et vaillante, qui avec toute sa grâce et tout son courage, sait être dans une ombre discrète, l'inspiratrice généreuse, le récon- fort de notre masculine faiblesse. Cette femme, madame Daniel Lesueur l'a très judicieusement opposée aux fragiles poupées que les romanciers voudraient nous faire prendre pour les femmes de notre temps, et qui sont justement les petites per- sonnes qui parlent à tort et à travers de Nietzsche.
Le roman que vit cette héroïne, roman d'éner- _ie, de douceur et de volonté, jusqu'au dénoue- ment tragique, où s'affirme* dans un geste héroï- nu.* la tendresse d'une femme aimante, est, avec
- personnages merveilleusement campés, son
vocation des milieux industriels, ouvriers et mon-
•iiiins, l'œuvre la plus suggestive et la plus vivante
qu'on puisse imaginer. C'est un beau livre, ai-je
dit, et c'est un roman d'un intérêt qui ne fléchit
172 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE ]
\ i
ROMAIN ROLLAND |
I Jean-Christophe à Paris : Antoinette.
M. Romain Rolland publie un nouvel épisode de i
Jean-Chri stop fie, le premier d'une nouvelle série, ]
Jean-Christophe à Paris : Antoinette. :
Jean-Christophe à vrai dire ne joue ici qu'un rôle ■
très secondaire, c'est à peine si on le voit passer. !
Mais la dernière page de Touvrage nous fait com- \
prendre comment cet épisode se rattache au récit \
principal : c'est un peu comme la géographie d'un i
petit affluent d'un grand fleuve, l'étude d'une i
petite existence — celle d'Olivier à qui Antofr- !
nette, sa sœur, a sacrifié la sienne — depuis ses 1
origines, jusqu'au moment où elle va se jeter dans ' la destinée d'un héros.
Rien de plus simple et de plus touchant que ;
l'histoire de cette jeune fille. Vive, pétulante, |
joyeuse, jadis, au temps du bonheur, lorsqu'elle |
était gamine et qu'elle jouait avec Olivier, très i
rêveur, dans le vaste jardin de la vieille maison ]
de province, qu'elle se sentait jolie, riche, comblée, \
— Antoinette se trouve, à dix-huit ans, seule à \
Paris avec Olivier qui en a quatorze. Le père, ban- j quier, ruiné par une spéculation malheureuse, s'est tué. La mère est morte, épuisée par Pan- goisse, les soucis, la douleur. Et Antoinette n'a plus qu'un but, une idée : la santé, le bonheur
JUIN — LES ROMANS 173
d'Olivier. Et toutes ses forces, en elle, se concen- treront par un sacrifice volontaire, par un perpé- tuel dévouement et deviendront en dehors d'elle, la santé, le bonheur, la force même d'Olivier. Elle donne des leçons, fait de la copie, se prive sans cesse, s'épuise enfin à son tour et meurt. Mais son frère est sauvé, il a dix-huit ans à présent, il vient d'entrer à l'Ecole normale, son avenir est assuré. Et c'est beaucoup, voyez-vous, que de s'en aller en ayant conscience d'avoir rempli son rôle, en se disant que son rêve sera réalisé demain, car l'on goûte ainsi la double joie de l'espérance et de la certitude sans l'amertume toujours décevante des définitifs achèvements.
C'est pour cela sans doute que le récit touchant et simple de M. Romain Rolland ne laisse pas une impression pénible. La tristesse en est douce, si l'émotion en est parfois poignante. Et l'on re- trouve ici les qualités primordiales, la pensée tou- jours à fleur de phrase, la délicate et pure sensi- bilité de M. Romain Rolland. L'œuvre, malgré tout, malgré ses mérites incontestables, malgré sa décision, sa précision, sa rapidité (peut-être un peu sommaire), son éloquente discrétion, me sem- ble moins substantielle, moins essentiellement ori- ginale que les précédentes. Elle est digne tout de même de l'écrivain dont le tort le plus grave est, à tout prendre, d'avoir débuté par un chef-d'œuvre.
10.
ITi Li: .MuUVEMEM LniKllAlllE
TRISTAN BERNARD Deux amateurs de femmes.
En écrivant ce livre Tristan Bernard a eu en vue, je pense, de noter les traits qui constituent le don Juan moderne. Seulement, comme le don Juan de notre temps est bien plus complexe, divers et subtil que celui d'autrefois, il lui a fallu deux hé- ros et deux aventures pour nous faire saisir tou- tes les nuances et toutes les contradictions de ce cœur « innombrable », comme sont les feuilles d'un artichaut. C'est avec la correspondance de Frédéric, le séducteur moderne et déjà vieux jeu, puisqu'il est l'aîné, et de son élève Jérôme, vain- qjueur de son maître comme il convient, qu'il a prétendu nous édifier sur la peu édifiante, immor- telle et toujours nouvelle figure de don Juan.
Au fait, a-t-il eu tant d'intentions et a-t-il désiré nous faire comprendre tant de choses? Je le fais sourire, sans doute, en m'évertuant ainsi à dé- mêler le mobde psychologique et le sens profond d'un livre où il a voulu simplement, dit-il, nous donner la correspondance de deux hommes han- tés par des souvenirs de Laclos et peu embarras- sés de préoccupations morales, deux hommes « qu'il ne donne pas pour des modèles et qu'il ne considère pas non plus comme de très exception- nels scélérats ».
' JUIN — LES ROMANS 175 '
Vous entendez bien, ce sont des personnages très moyens parmi ceux de notre temps qui ont proposé comme but unique à leur existence : la chasse à la femme — cette expression triviale est la seule qui convienne, — et de toute la gaieté de ses petits yeux luisants, qui se dissimule derrière la tristesse de sa sombre barbe, Tristan Bernard se délecte, sans doute, en pensant à l'étonnement et à l'indignation que ressentiront tels de ses lec- teurs devant certaines des aA'entures vécues par Jérôme et par Frédéric et qui sont parfois vrai- ment vilaines et tristes ; mais, à côté de celles-là, \ que de grâce, que d'agrément, que de joie dans la plupart ! quelle profondeur et quelle gaieté dans certaines observations qu'on voudrait pouvoir pi- quer tout au travers du livre comme de brillants papillons diaprés: celles-ci, par exemple "î><«-iie plus sûr moyen de faire éesser la tentation, o^est- d'y succomber »; « ce que nous aimons dans nos amis, c'est le cas qu'ils font de nous »; et tant d'autres où il y a toute la sagesse de Pascal et toute la malice, toute la verve contenue, toute* la mélancolie déguisée de Tristan Bernard...
d76 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
JULES BOIS Le Vaisseau des caresses.
Sous ce beau titre tout plein de promesses, M. Ju- les Bois a écrit un roman palpitant d'émotion et de vie, d'une étrange et originale saveur, et qui sous la somptueuse parure d'un style aux cha- toyantes facettes, possède un charme vraiment enivrant.
L'idée de ce roman s'imposa à M. Jules Bois tandis qu'il voguait sur des mers enchantées, vers les Indes, où il allait tout à la fois emplir ses yeux de visions inoubliables et méditer sur l'au- delà, le monde invisible et intérieur auquel il a consacré de si curieuses pages. Pendant ce voyage, il ne songeait guère aux obscurs et troublants mys- tères de ce monde invisible, il n'avait pas trop de toute son attention et de toute sa pensée pour re- garder ce monde visible rassemblé entre le ciel et l'eau, sur un esquif, et qui représentait avec tous ses types divers, dans toutes ses manifestations, le monde tout entier en raccourci, de même que le voyage était sur l'espace de quelques semaines l'image d'une vie tout entière, avec toutes ses passions, tous ses heurts, toutes ses voluptés, tous ses déchirements.
Rien de plus juste, si Ton y veut bien réfléchir, que cette assimilation d'un vaisseau à l'humanité,
JUIN — LES BOMANS 477
et d'un voyage à l'existence. M. Jules Bois l'a exprimé en un volume où les fictions les plus émouvantes et les plus romanesques se mêlent aux observations les plus vivantes, les plus réelles. Et c'est la vie tout entière qu'il a évoquée dans son roman, « où se superposent les intrigues gracieuses, comiques, violentes, ayant pour res- sort principal : l'amour, l'amour-passion qui, en ces circonstances, revêt un caractère de prompti- tude et d'angoisse, s'accompagne d'une fureur, d'un délire, dont on ne trouve guère l'équivalent nulle part ,», d'abord à cause de « cette griserie spéciale qui monte de la coupe immense où fer- mente la divine liqueur verte et bleue », ensuite parce que dans ce cadre étroit, mouvant, rapide, il faut vivre vite, aimer, souffrir et finir vite, car l'escale dernière marque le nécessaire dénoue- ment. Cette griserie, cet emportement, cette course folle à l'amour, à la vie, au plaisir, à la mort, M. Jules Bois l'a exprimée en des pages vraiment superbes et qu'on voudrait pouvoir citer; l'héroïne de cette romanesque aventure, de ce microcosme, de cette petite vie qui contient toute la vie, est une exquise figure, « Glatic )) — l'alouette de Java — qui est la femme, toute la femme, « avec ses légèretés, ses défaillances, ses hardiesses, qui tente, entraîne, enchante, déçoit, qui tout en ré- jouissant fait souffrir et souffre, et qui mérite d'ê- tre pardonnée pour sa gaieté d'oiselle exotique, pour son cœur sincère d'enfant, et surtout à
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cause des élans 'crune tendresse déchirée ». Sans y j)rendre garde, je me suis laissé aller au plaisir de citer cette jolie prose, mais aussi bien mon lec- teur a tout à y gagner, et il est des cas oii une citation vaut mieux que toutes les louanges, et les contient toutes.
HENRI DUVERNOIS
Crapotte.
M. Henri Duvernois, dont j'ai signalé naguère avec infiniment de sympathie le premier volume Le Roseau de fer, publie sous le titre Crapotte, un roman tout à fait délicieux, jovial, mélancoli- que, attendri et cynique, Crapotte est l'étrange surnom d'une petite personne sans la moindre vertu, mais qui est si gentille, si prime-sautière, si intelligente, qu'on ne saurait une minute lui en vouloir, et puis, comme elle le dit elle-même : « Si l'on savait ce qu'il reste d'enfant dans une femme, la femme serait mieux comprise et plus excusée ». Son ami, M. Georges-Emmanuel Ruiné qui, malgré son nom, est un fort riche monsieur et s'est chargé de pourvoir au luxe nécessaire à cette gentille personne, a pour elle toutes sortes d'indulgences, passe sur bien des choses, lui par- donne sans cesse et sans relâche et se garde d'a- voir des soupçons sur André, sur Claude, sur
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Frédéric, sur d'autres encore que j'oublie et d'au- tres qui suivront, que Grapotte aime tour à tour, pour qui elle souffre et veut mourir ; — mais elle ne meurt pas et se reprend toujours très genti- ment à vivre — et il y a dans tout cela beaucoup de philosophie, d'une philosophie qui pourrait être attristante et pessimiste et immorale, mais qui est exprimée avec tant de bonne humeur, tant de jeunesse et de bonne grâce, dans un mouvement si vif et si gai, avec des coins de l'âme et de la vie de Paris si lestement croqués, que le lecteur n'a pas le temps de penser à la tristesse qui, peut- être, se dissimule sous le sourire de ces choses.
ANDRE LICHÏENBERGER
La Folle Aventure.
On ne saurait manier la langue du grand siècle avec plus d'aisance, plus- de grâce et plus d'agré- ment que ne fait M. André Lichtenberger dans ce roman. Il faudrait, pour lire congrùmcnt cette ^ .belle et amusante histoire, une perruque poudrée, .des, manchettes et des jabots de dentelles. Je ne possède malheureusement aucun de ces accessoi- res de toilette d'une grâce surannée, mais j'ai pris, quoique indigne, un extrême plaisir à la lecture de ce volume aimable et j'ai jugé que la foule des
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hommes de ce temps, coiffés du hideux melon et des femmes qui ont remplacé les atours ma- jestueux de la Montespan par les robes ultra-col- lantes que Ton sait seront ravis en assistant à la Folle aventure vécue par Faîtière et passionnée mademoiselle de la Verchère, le chaste mélancoli- que et brave M. de Salces, et Saint-Félix, en écou- tant les propos des doctes médecins : Pancatelin et Le Bigois, et les sages paroles de M. Saugeon, de retrouver sous le ciel gris de notre vingtième siècle un peu de l'azur et du panache du grand Roi, restitués par M. Lichtenberger en des pages étincelantes de verve et d'agrément.
JULES PRAVIEUX
Mon mari.
M. Jules Pravieux est pour les familles un ro- mancier de tout repos; non seulement il amuse les gens sans les effaroucher le moins du monde, mais il s'avise à l'occasion de leur donner d'ex- cellents et précieux conseils. Mon marii est, sous sa forme aimable, spirituelle et souriante, un vé- ritable réquisitoire contre les idéologues, les poètes et les psychologues qui font tourner la tête aux jeunes filles et peuplent leurs songes de dange- reux et décevants « princes charmants » qui, ou-
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tre tous leurs défauts, possèdent l'inconvénient fort grave de ne point exister, — car il n'y a plus de princes charmants. Ne nous montons pas la tête, ne faisons pas de rêves fous, et disons-nous bien que, pour la plus romanesque des jeunes fdles, le mari rêvé dans notre bourgeoise société, c'est un brave homme de bourgeois. Telle est la leçon, tel le conseil que M. Jules Pra vieux offre aux jeunes filles de notre temps ; et, ma foi, je crois bien que ce pourrait être la vraie sagesse, pourvu que dans la vie, comme dans son roman, le bourgeois ait un peu d'intelligence, et la petite fille romanesque un peu de cœur. Ainsi, tout peut s'arranger très bien, et le grand amour des poè- mes lyriques peut fort gentiment s'installer dans le mobilier confortable d'une honnête et bour- geoise demeure de province.
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ANDRE VERNIERES Camille Frison, ouvrière de la couture.
Roman utile et généreux encore : l'anecdote en ool émouvante : c'est, contée en toute simplicité, l'histoire d'une petite ouvrière de Paris, de son dur labeur, de ses luttes, de ses amours et do ses désespoirs; histoire qui, contre toute espérance, se termine bien par un mariage très sain avec un
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brave homme. Pour sentimentale et touchante qu'elle soit, l'anecdote n'est rien dans cette af- faire; M. André Vernières n'a pas voulu faire œu- vre de romancier, mais, si j'ose dire, d'enquêteur social. Son livre est un document; il établit, avec des faits et des chiffres, la situation de la petite ouvrière en ce temps.
Ainsi que le dit excellemment M. Lucien Des- caves, dans l'éloquente préface qu'il a donnée à ce livn» : « Camille Frison, c'est Jenny l'ouvrière en 1908 »; elle complète et précise les renseigne- ments que nous avait fournis déjà l'exquise Florise Bonheur d'Adolphe Rrisson : ce livre est une en- quête sur l'état réel des ouvrières de l'aiguille, et cette enquête nous révèle des choses formidables et angoissantes : vraiment, il y a quelque chose à réformer dans une société qui permet, qui exige, de telles tristesses, de telles iniquités. M. Lucien Descaves, avec son indiscutable autorité, en si- gnale quelques-unes dans la préface ; tout au long du livre elles s'étalent dans toute leur vérité, et, la « Parisienne » à qui M. Vernières dédie ce li- vre ne pourra pas lire sans trouble le récit des misères auxquelles sont soumises celles qui la pa- rent; — autant qu'il est en elle, ne doutons pas qu'elle essayera d'y remédier. Ainsi le romancier aura fait comme souhaitait naguère M. Paul Acker, œuvre utile, féconde et sociale.
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MADEMOISELLE ODETTE DULAG
Le Droit au plaisir.
Avec un volume qui s'appelle le Droit au plai- sir, mademoiselle Odette Dulac fait ses débuts dans le roman, Odette Dulac, la gentille chanson- nière qui savait mettre tant d'esprit dans ces mots : « Je suis bête » ? C'est cela même — et mademoiselle Odette Dulac n'y va pas de main morte. Elle revendique « le droit au plaisir » — et allez donc! — en nos temps rapides où le « droit au bonheur » est déjà vieux jeu. Pourtant, ne vous arrêtez pas aux menaces ou aux promesses de ce titre ; bien sûr, ce n'est pas une histoire pour les jeunes filles que celle de la chanteuse Prelli et de la marquise de Rouvray, deux amies de couvent qui se content par lettres leurs aven- tures sentimentales ; mais il n'y a pas non plus dans tout cela les audaces sensationnelles que vous pourriez croire et c'est d'un cynisme assez moyen. C'est d'ailleurs infiniment amusant, subtil et gracieux, conté d'une plume très experte aux nuances, et il y a une idée vraiment ingénieuse et suggestive dans cette rencontre inconsciente et imprévue de deux femmes éprises du même homme dont elles se vantent l'une à l'autre les séductions sans se douter que leurs deux héros d'amour ne sont qu'un seul et même personnage.
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Ce sera pour une fois, si vous voulez bien, Péter- nel masculin, opposé par une femme à cet éter- nel féminin dont on parle toujours.
RENÉ BOYLESVE
Sainte-Marie des Fleurs. {Nouvelle édition).
M. René Boylesve publie une nouvelle édition d'un roman qui fut, si j'ai bien compris son pre- mier roman, Sainte-Marie des Fleurs. Il nous dit dans une courte préface qu'il n'a rien cbangé à ce roman, parce qu'il est vraiment son livre de jeunesse parce qu'aucune des qualités de l'âge mûr ne saurait valoir les « gaucheries qui ont pour elles d'avoir été commises aux environs de vingt ans », ensuite « parce que ce livre d'amour a été exécuté dans une sorte d'extase dont l'accent ni l'élan ne sauraient, hélas I se retrouver plus tard ». Conime il a raison ! Son œuvre est vraiment déli- cieuse de fraîcheur, de jeunesse, de passion ar- dente, et j'aime surtout le dénouement volontai- rement banal, gris et mélancolique qu'il a donné à cette superbe et tumultueuse aventure, dénoue- ment fait pour mécontenter la foule éprise des drames qui finissent bien et où les amoureux s'é- pousent et ont beaucoup d'enfants, dénouement
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OÙ se démêlent déjà la sincérité d'observation et la sagacité un peu attendrie de l'auteur de Mon Amour,
ARMAND CHARPENTIER
YeUa^
M. Armand Charpentier, que nous avons connu plus optimiste et plus jovial, broie du noir, terri- blement noir, dans son nouveau volume, Yella, un court et solide roman où nous est contée la triste aventure de M. d'Hautraive et de la petite bohémienne Yella, aventure d'amour ardente et belle, entre un pessimiste désabusé et quelque peu neurasthénique et une nature fruste, tendre et neuve ; cette aventure finit le plus tragiquement du monde par deux suicides successifs. Elle est contée avec beaucoup d'art et d'émotion par M. Armand Charpentier qui fait suivre Yella, d'une série de nouvelles rapides, vigoureuses et très littéraires.
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ANTONIN LAVERGNE Les Frelons.
M. Antoain Lavergne s'est fait connaître, et fort heureusement, d'abord par deux beaux livres, âpres et vigoureux, Jean Coste ou l'instituteur de village et Monsieur le maire, où les misères d'un maître d'école étaient peintes avec une sorte de pitié rageuse, excellente et lamentable; puis, par une histoire d'un caractère très différent, Tan- toune, une histoire fort attendrissante qui témoi- gnait d'une faculté de douceur dont M. Lavergne n'avait pas coutume d'abuser dans ses livres.
Il retourne aujourd'hui à sa pensée première, avec le roman des Frelons, Toutefois, s'il y ma- nie la satire avec l'allégresse d'antan, s'il y 'fla- gelle avec un entrain des plus louables les maris qui usent du travail quotidien de leurs femmes, abeilles laborieuses du foyer, s'il y montre avec une rude sévérité le danger qu'entraîne pour cel- les-ci l'entretien bénévole de Lovelaces pervertis peu à peu par l'oisiveté et proie facile de l'alcoo- lisme, du jeu et de la débauche, — il ne s'est pas interdit les émotions moins véhémentes, mais tout aussi profondes, dont nous le savions capable. Dans ce drame multiple, imaginé pour étaler cette plaie sociale, le talent complexe, divers, harmo- nieux de M. Lavergne s'est déployé tout entier.
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MADAME LUCIE GAUTHEY
L'Inutile Volonté.
Madame Lucie Gauthey ne souhaite pas, sem- ble-t-il, aux femmes les triomphes littéraires et les joies des célébrités l si douées, si courageuses, si intelligentes qu'on les suppose, elles ne sont pas faites pour la mêlée du monde littéraire, avec les périls de toutes sortes qui peuvent y menacer une honnête femme. Il convient qu'elles se réfu- gient bien vite dans le bon mariage que leur of- frit très loyalement et tendrement, un honnête amoureux de leur province. Telle est, je crois bien, la leçon qui ressort de VInutile volonté. Pour surannée qu'elle puisse [paraître, en ce temps d'énergie et de victoires féminines, elle n'est point dénuée de sagesse; en tout cas, elle est développée avec beaucoup de talent et d'ingé- niosité, avec des moyens littéraires qui ne sont point du tout surannés, et le roman, dont on reste libre de n'accepter point la conclusion, est tout à fait intéressant.
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CAMILLE >ÎAUCLAm
L'Amour tragique.
Toutes les nouvelles groupées dans ce livre sont des histoires d'amour, histoires très simples, trr mélancoliques, d'une émotion contenue avec pres- que toujours un fond d'ironie douloureuse, comme par exemple dans « le cœur illogique » d'un illo- gisme si vrai, si légitime sous son apparente o] scurité. Mais, malgré le titre, ces aventures ne sombrent presque jamais dans la fougueuse tra- gédie ; c'est que, nous explique l'auteur : quelle que soit la destinée des amoureux, qu'ils meurent ou assassinent à cause de l'amour, ou qu'ils vivent en apparence paisibles, l'amour est toujours tra- gique; malheur à celui qui ne l'aperçoit pas, qui ne comprend pas « que son sourire le plus heureux, dépasse en gravité, en angoisse, en terreur, le rictus de Melpomène elle-même ». Et comme vous le voyez, M. Camille Mauclair ne badine pas avec l'amour ! Mais il se hâte d'ajouter très philosophi- quement que « la douleur de n'avoir ni donné, ni reçu l'amour, dépasse en cruauté toutes les au- tres». Rien de plus vrai, et il convient de nous ré- signer et de nous soumettre à sa loi. Faut-il ajouter que M. Camille Mauclair a mis dans ce livre tout * talent fait de subtilité, de force et de sensibilité, que nous avons loué tant de fois, et que, jetant
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au milieu de ces histoires d'une grisaille voulue, un formidable « drame d'inceste, de magie, de vengeance et de sacrifice, qui se déroule dans la féerie d'un Orient irréel », il nous a donné une preuve nouvelle de la souplesse et de la variété de son art.
11.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE.
PAUL BOSQ
Souvenirs de l'Assemblée nationale. 1871-1875.
M. Paul Bosq nous donne ses Souvenirs de V As- semblée nationale 1871-1875. De cette tragique assemblée née, suivant un mot historique, (( en un jour de malheur », M. de Marcère nous avait déjà offert l'histoire très complète et très émou- vante : c'était un acteur du drame; avec le livre de M. Paul Bosq, nous avons aujourd'hui le té- moignage d'un spectateur, du spectateur le plus averti, le plus documenté, le plus impartial qui soit. M. Paul Bosq est un des maîtres du journa- lisme parlementaire contemporain; il sait à mer- veille voir, entendre, deviner, et comme il a vu
À
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE 191
de très près le spectacle presque toujours très triste, souvent tragique, parfois comique, des pre- mières années du régime actuel, son livre est le plus vivant, le plus mouvementé, le plus pas- sionnant des documents historiques; en des pages alertes, bourrées d'anecdotes, de renseignements et de souvenirs, il nous conduit à Bordeaux et à Versailles, fait évoluer sous nos yeux en de saisissants portraits : Léon Say, Littré, Mgr Du- panloup, Thiers, Gambetta, Rouher, le duc d'Au- diffret-Pasquier, Challemel-Lacour et tant d'autres; il nous raconte les discussions, les intrigues," les négociations qui aboutirent à la chute inattendue de M. Thiers, à la fondation de la République.
P. A. CHERAMY
Mémoires inédits de mademoiselle George.
Pour nous ramener à un temps moins morose et plus glorieux de notre histoire, voici les Mémoi- res inédits de Mademoiselle George que M. P. A. 'Iheramy a publiés d'après le çianuscrit original. Quel régal que ces pages désordonnées si amu- dutes et si spontanées; si délicieusement négli- gées, et comme il faut savoir gré à M. Cheramy de n'avoir pas gardé pour lui, comme un avare, le trésor dont il était l'heureux possesseur. Les
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lecteurs du supplément du Figaro ont eu, huit jours, avant la publication un avant-goût de ces mémoires par le savoureux récit de l'entrevue de mademoiselle George avec le premier Consul; le livre tout entier est dans cette note si prime-sau- tière, plaisante et verveuse; c'est vraiment un des plus agréables documents de petite histoire que nous ayons eus depuis longtemps. iM. Cheramy a mi^ en tôte du livre une très intéressante et très lit- téraire biographie de cette femme « que sa beauté souveraine, ses conquêtes impériales auraient pu rendre vaniteuse et hautaine, et qui n'a jamais su haïr, ni faire du mal à qui que ce fût. C'est un éloge que n'ont pas toujours su mériter les grands artistes. Il y a parfois un peu de férocité chez les dieux, surtout dans l'âme des déesses ».
S. A. LE PRINCE MURAT
Lettres et documents pour servir à rhistoire de Joachim Murât, 1767-1815.
Une mine nouvelle, d'une richesse inestimable, s'ouvre à la curiosité ardente et passionnée des historiens si nombreux et des spectateurs innom- brables de l'épopée impériale : ce sont les lettres et documents renfermés dans les archives de l;i famille Murât. Ces Lettres et Documents pour ser-
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vir à V histoire de Joachim Murât, 1767 1815, S. A. le prince Murât en entreprend aujourd'hui la publication pour célébrer, semble-t-il, le cen- tième anniversaire de l'accession au trône de son illustre aïeul. Cette publication ne comprendra pas moins de dix volumes ; songez, en effet, que les 27 registres de correspondance du roi de Naples qui en forment la base représentent la copie d'en- viron 10.000 lettres ; « c'est la vie militaire et politique de Murât tout entière, depuis le jour où, devenu le beau-frère de Bonaparte, il fut nommé le 3 août 1800 au commandement d'un camp de grenadiers, jusqu'au 31 décembre 1814. » Ainsi s'exprime M. Paul Lebrethon dans la copieuse et instructive introduction dont il fait précéder le premier volume et qui comprend, « les lettres de jeunesse de Joachim Murât », celles qu'il écrivit pendant la campagne d'Italie (1796-1797), puis lorsqu'il faisait partie de la garde des consuls (1799-1800), au camp d'Amiens (août-novem- bre 1800), enfin, des corps et armées d'observa- tion du Midi. C'est comme le prologue et la pré- face d'une histoire légendaire et merveilleuse, et par l'intérêt extraordinaire et palpitant que pré- sente cette exposition, on peut juger de ce que se- ront les actes suivants de ce drame épique et les prochains volumes où nous verrons, racontée par lui-même, la destinée de ce prodigieux soldat, de eut extraordinaire diplomate.
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J04 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
FRÉDÉRIC MASSON Jadis et Aujourd'hui.
Au cours de ses travaux historiques, M. Frédé- ric Masson, grand explorateur d'archives publi- ques et privées, a été amené souvent à faire des trouvailles, des remarques, des études, qu'il n'a pas cru pouvoir soustraire à la curiosité du pu- blic, même s'il ne les utilisait pas tout de suite dans ses ouvrages. C'est à ce scrupule d'historien que nous devons le régal de ces volumes publiés par lui sous le titre Jadis, où sont groupées tant de choses intéressantes et si diverses, où les ar- chives privées, notamment, ont fourni de 'vérita- bles trésors.
Une nouvelle série de ces feuillets historiques nous est offerte, mais pour se conformer à la vérité, l'éminent académicien a cliangé son titre, et son nouveau livre s'appelle Jadis et Aujourd'hui. C'est que l'auteur, historien par goût, est devenu po- lémiste par nécessité, par indignation; j'avais déjà noté précédemment cette tendance de M. Frédé- ric Masson à sortir de la froide et sereine histoire, pour se jeter, au nom de ses convictions et de ses passions, dans la mêlée moderne; cette évolution de l'histoire vers la vie, du passé vers le présent, M. Frédéric Masson nous l'explique en une vi- brante et virulente préface. « Malgré moi, dit-il.
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et en dépit de moi-même, je me suis trouvé porté de ces régions où mon esprit se plaisait à recher- cher les êtres et les choses du passé, vers celles où s'agitent dans leur bruyante ineptie les êtres qui font et défont les lois, et, comme des enfants stupides et méchants, s'amusent à briser la France pour voir ce qu'il y a dedans. »
L'historien de Napoléon croit, d'ailleurs, en agissant ainsi rester fidèle à la mission qu'il s'est donnée; c'est encore Lui qu'il s'agit de glorifier. Son œuvre et Sa mémoire qu'il faut défendre; M. Frédéric Masson n'a pu contenir son indigna- tion lorsqu'il a vu dévaster une à une les salles que, dans le temple, « Celui par qui nous vivons et nous sommes, avait consacrées à l'Honneur, à la Justice, à la Religion. » Ce sont là de nobles colères qu'on doit admirer, môme si on ne les partage point; il est beau, en effet, en ce temps d'universel scepticisme de voir ainsi un homme qui ne craint pas de prendre feu pour des souve- nirs et contre des idées.
Le livre est d'ailleurs d'un palpitant intérêt dans son intéressant et fiévreux rapprochement du passé et du présent, nous parlant tour à tour du général Jomini, de la bataille de Wagram, de la Vénerie sous Charles X, des orphehnes de la Lé- gion d'honneur, du Cabinet noir d'aujourd'hui et du gouvernement de demain.
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COMTE D'HAUSSONVILLE
La Duchesse de Bourgogne et T Alliance savoyarde sous Louis XIV.
M. le comte d'Haussonville nous donne le qua- trième volume de son grand ouvrage historique : la Duchesse de Bourgogne et l'Alliance savoyarde sous Louis XTV. Ce dernier volume ne le cède pas en intérêt aux précédents, et il y a là notamment un chapitre sur la vie à la Cour de 1709 à 1711 qui fourmille de détails amusants, poignants ou pittoresques, c'est de la petite histoire, maïs si séduisante, et si précieuse pour la compréhension de la grande; d'un intérêt palpitant encore, le récit de la mort et des funérailles du duc de Bour- gogne. Enfin, une table analytique très dévelop- pée, très complète, très minutieuse, donne à ce bel ouvrage le prix d'un très sûr et commode instrument de travail.
FERDINAND BAC
Le Fantôme de Paris.
Après un exil fécond dans les paysages senti- mentaux de la « Vieille Allemagne » M. Ferdi-
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nand Bac revient à Paris, à ce Paris qu'il célébra si longtemps et célèbre encore, dans ses joyeux et pimpants dessins, et auquel il consacre un monu- ment plus sévère, plus grave et plus ému.
On sait toute la sensibilité, toute l'érudition in- telligente et attendrie que M. Ferdinand Bac a dissimulées longtemps sous la blague boulevar- dière de ses frivoles dessins; ces qualités si inat- tendues nous furent révélées lors de l'apparition de son premier livre sur l'Allemagne et elles pro- duisirent une impression profonde sur le public charmé et surpris. Ce public, aujourd'hui prévenu, s'attend sans nul doute, avec Le Fantôme de Pa- ris à de bien intéressantes découvertes, à de bien jolies notations; il ne sera pas déçu : au cours de cette promenade, nous avons l'occasion d'admirer le plus saisissant des tableaux de Paris, peint par un homme qui sait à merveille voir et noter, et à qui une grande érudition et une sensibilité aiguë permettent de faire vivre et palpiter sous le Pa- ris du vingtième siècle l'âme vivante, l'âme ins- tructive du passé. Et ce sont : — promenades fer- tiles en découvertes pour un Parisien ignorant comme il convient de sa ville — des excursions à travers les arènes de Lutèce, vestiges si bien entretenus; le jardin de M. de Buffon; la mon- tagne Sainte-Geneviève ; la petite église de théo- logie au plafond de laquelle pend le chapeau du cardinal de Richelieu ; des promenades sentimen- tales au jardin du Luxembourg, dans ce joli quar-
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lier (le rintelligence, « dans ce jardin fait pour la joie des yeux, pour les nobles flâneries autour des bassins où se mirent des milliers de fleurs » ; et la Butte sacrée et les Invalides crépusculaires, et le Palais-Royal déserté, et le Père-Lachaise; entre temps, c'est, dans un magnifique symbole, la traversée de Paris à New-York, effectuée en une demi-heure par V « Hirondelle » qui va du pont Henri-IV jusqu'à Passy et d'où l'observateur sagace constate au fil de l'eau que « Paris glisse tout doucement vers New-York, que toute la vie, tout l'avenir de Paris aboutit en fia de compte en Amérique », depuis le moyen âge, l'obscurantisme et la tradition de Saint-Jacques de Notre-Dame et de la Conciergerie, jusqu'à la clarté des Tui- leries, le froid et l'américanisme de la gare d'Or- léans, le Trocadéro et enfin la statue de la Liberté éclairant le monde, mainmise de New-York sur Paris.
Cette traversée est peut-être un peu bien rapide, et Paris n'est pas encore aussi près, je crois de l'A- mérique ; mais il y a là cependant un bien spiri- tuel et émouvant symbole; il faut lire ce chapi- tre, tous ces chapitres remplis de pensée, d'his- toire et de poésie, où un artiste, un lettré, un pen- seur a écarté pour un instant de notre vue les fils électriques, les moteurs qui ronflent, les autobus qui fracassent, les maisons modernes qui s'éta- gent, désespérément uniformes et blanches, pour nous montrer, sous tout ce neuf, un peu de l'âme
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éternelle et palpitante du passé, qu'exprime si bien dans sa noblesse l'Arc de Triomplte aperçu la nuit, « surgissant seul, en formes précises, de la buée nocturne, s'élevant du']brouillard tel un fantôme blafard, seul survivant d'une lointaine dévastation de la Ville universelle ».
JULES DELAFOSSE
La France au dehors.
Histoire très contemporaine, voici un volume tout rempli d'enseignements et parfois de tristes- ses : la France au dehors, qui emprunte à l'é- minente personnalité de son auteur, M. Jules De- lafosse, beaucoup d'autorité et d'importance. Après avoir constaté que la politique extérieure fut pendant longtemps le moindre souci de la France républicaine, il note cependant que (( le crédit extérieur de la France s'est un peu relevé en ces dernières années, que notre situation in- ternationale serait incomparable, si la France avait le gouvernement et les institutions qu'il lui faut, c'est-à-dire un état assez solide pour pouvoir faire de la politique à longue échéance, et assez fortement armé pour assurer, en toutes circons- tances, envers et contre tous, l'aboutissement de ses desseins ». Et c'est, dans tous les chapitres de
200 LE MOUVEMENT LITTliBAIRE
son livre, qu*il s'agisse de l'Egypte ou |du Maroc, de la colonisation asiatique, des choses d'Orient ou des massacres d'Arménie, des choses du Maroc ou de la question des alliances étudiés toujours avec beaucoup de compétence, <( un appel à la force organisée, puisqu'il n'est pas de diplomatie qui vaille, si elle n'a pas son instrument dans la main r>.
MÉMENTO DU MOIS DE JUIN
ROMANS
Auriol (George). — Soixante à l'heure, un livre dont je vou- drais parler fort longtemps, mais le joyeux écrivain ne nous conseille-t-il pas lui-même la brièveté, en inscri- vant en épigraphe de son livre : « 60 Contes à lire en 60 minutes »? Proposition d'ailleurs fallacieuse, et conseil impossible à suivre, car les éclats de rire qui l'interrompent à chaque pas retardent singulièrement l'ingestion de cette prose amusante et verveuse.
Bonnel (Alexandre). — Vierges d^outre-mer, roman passionnel.
Burrford-Delaunoy. — L'appartement du Mort, traduit de l'An- glais par la Comtesse de Fitte de Soucy.
Comte. — V Orient de Venise. Traduit de l'Italien.
Coulomb (Madame Jeanne de). — Les Ensoleillés,
Fischer (Max et Alex.) — Camembert-sur-Ourcq, le joyeux nou- veau-né de ces deux mousquetaires de la jeune, de la vieille et de l'éternelle gaieté française, qui est vrai- ment une chose tout à fait amusante et propre à dilater la rate de nos hypocondriaques les plus invétérés.
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE 201
Foley (Charles). — Jean des Brumes, un livre où le brillant écrivain évoque ces tragiques paysages de Vendée qu'il connaît si bien, un roman émouvant et romanesque, que pénètre un grand souffle d'histoire, et qui se passe aux environs de 1801, que^ue temps après la signature du Concordat.
Harland (Henry). — La Tabatière du Cardinal.
Harlor. — Le Triomphe des Vaincus.
Hewlett (Maurice). — Amours charmantes et cruelles, un récit de Quatrocento du célèbre romancier anglais traduit par MM. Davray et W. Kozakiewicz.
Level (Maurice). — L'Epouvante, une terrible histoire où l'au- teur a très ingénieusement renouvelé l'intérêt du ro- man judiciaire et nous a campé un journaliste qui pousse l'amour du métier jusqu'au martyre, ou presque.
Meunier (Madame Stanislas). — L'Amour miséricordieux. C'est un fort beau livre, poignant et tendre, où la distin- guée femme de lettres évoque des personnages tout à fait émouvants, tel cet admirable traducteur d'Homère, au cœur ingénu et d'une miséricorde infinie, dans les décors tour à tour pittoresque et prestigieux de la mon- tagne Sainte-Geneviève et de la Ville éternelle.
Oniot (Richard d') — La Conversion d^une Parisienne, « roman contemporain ».
Ossit. — Cyrène. J'ai plaisir à dire le charme pénétrant, l'é- trange et forte mélancolie de cette histoire d'amour et d'humanité sur laquelle planent le grand mystère des destinées et la menaçante obscurité des prophéties : « contes tristes et gais, où l'on rit, où l'on pleure sur- tout, — comme on fait dans la vie, — où l'on parle d'amour, de larmes et de mort, ces trois mots qui sont synonymes ».
Provins (Michel). — Mariage parisien, un délicieux roman dialogué.
Reepmaker. — Une âme de femme.
Zahn. — Christen Russi. Cette dramatique histoire d'amour et de haine qui tient tout à la fois du roman psycholo- gique par la très ingénieuse observation des caractè- res, et du roman-feuilleton par la formidable accumu- lation de drames, de crimes et de palpitantespéripéties.
202 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
est intéressante non seulement en soi, mais aussi par les renseignements qu'elle nous fournit sur le roman contemporain, et il faut louer madame Boutibonne de nous avoir donné de ce livre une si claire, si exacte et si élégante traduction.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Abram (Paul). — Véoolution du mariage, une étude intéres- sante d'ailleurs où l'auteur traite cette pauvre vieille institution de façon un peu libre — on s'en doute lors- qu'on voit que le livre est préfacé par M. Léon Blum, celui-là même qui nous parla naguère du mariage de si singulière façon — et on s'en persuade lorsqu'on lit, dans la conclusion de M. Abram, que, pour arriver aux réformes nécessaires de l'union matrimoniale, c il fau- dra supprimer du mariage l'idée du lien conjugal > ; pas plus !
Adam (Paul.) — La Morale de la France, un livre plein de pensées, d'images et de vigueur où le puissant écrivain s'adresse avec véhémence à un million de bacheliers pour les engager et les contraindre à penser, à lire, à étudier.
Allard (Roger). — Vertes Saisons^ un recueil de vers d'un beau Ijrisme.
Allart de Meritens (Hortense), — Lettres inédites à Sainte- Beuve, 1841-1849, de très intéressantes pages d'histoire littéraire publiées par M. Léon Séché.
Arbelet (Paul). — Voir Casimir Stryienski.
Basse (Martin). — Le Général Léonard Duphot, (1779-1797).
Berl. — Voir Henri Houssaye.
Bittard des Portes. — Les Emigrés à cocarde noire, en Angle- terre, dans les provinces belges, en Hollande et à Quiberon.
Blin (Henri). — Nos Veillées. Poésies.
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE 203
Bouvelet (Henri). — V Appel au soleil, des poèmes vibrants où l'auteur a « crié son propre espoir, dévoilé son doute particulier, affirmé son orgueil bien à lui ». Brimont (Baronne Antoine de), — L'Essor, au recueil de poé- sies sur lequel je voudrais m'étendre plus longtemps pour dire toute la grâce, toute la noblesse et toute Tbarmonie de ces pièces qu'anime un sentiment mer- veilleux de la nature, œuvre d'un vrai poète qui porte sans faiblir le poids et l'honneur d'une illustre parenté. Davray (Raoul) et Henri Rigal. — Anthologie des poètes du midi, un volume dont les dimensions impressionnantes sont faites pour nous montrer que le Midi, de Toulouse à Marseille, et d'Aix à Carcassonne, n'a pas conquis Pa- ris seulement par son éloquence politique mais aussi par sa verve poétique. Il y a dans cette anthologie des vers qu'on aurait pu se dispenser de recueillir, mais il y en a de fort beaux, et beaucoup. Deschamps. Voir Henri Houssaye. Diehl. — Id.
Docquois (Georges). — Le Petit Dieu tout nu, un joli livre où l'un des poètes de ce temps qui manient le mieux le petit vers, nous dit dans le langage des dieux — des petits dieux, — des histoires fort scabreuses, mais bien amusantes. Donop (Général). — Letti^es sur l'Algérie (1907-1908). Des pages d'histoire très modernes et très vivantes écrites par un patriote, c heureux, nous dit-il, si leur lecture contri- buait, quelque peu, à faire connaître et aimer la belle Algérie que nous ne connaissons ni n'aimons pas assez en France », et, dans une série de chapitres qui sont, tout à la fois, de vivants souvenirs, d'héroïques récits modernes, des évocations d'un passé historique, des études très précises et compréhensives sur la situation algérienne, l'auteur nous donne, en somme, un tableau très clair, très net, de l'état actuel de l'Algérie soixante ans après la conquête. Fauvel (Henri). — Les Ressouvenirs. Poésies. Flandreysy (Jeanne de). — Essai sur la femme et l'Amour dans la littérature française au iix^ siècle, un très ingénieux travail où l'auteur a étudié dans Bernardin de Saint-
204 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Pierre, Balzac, George Sand, Gustave Flaubert, Jules Claretie, Anatole France, Jean Aicard, Paul Bourget, Paul Hervieu, Marcel Prévost, les tendances de la lit- térature contemporaine à l'égard de la femme. Ce livre, avec sa documentation très laborieusement, impartia- lenu-nt, et ingénieusement établie, est, non seulement fort intéressant, mais infiniment utile, et madame Jeanne de Flandreysy a certainement bien mérité de la cause féminine en l'écrivant.
Fleischmann. — La Guillotine en 1793, toute une série de drames obscurs et formidables tirés des archives.
Fougôres. — Voir Henri Houssaye.
Hardy de Perini (Général). — Les Armées sous Cancien régime, 1700 à 1789, où l^autcur poursuit et termine la publi- cation de son grand et savant ouvrage sur « Les Ba- tailles frajiçaises. »
Hourticq (Louis). La Peinture, de ses origines auw'V siècle, un superbe livre magnifiquement illustré, d'une très re- marquable et très accessible érudition.
Uoussaye (Henri;, — Reinacb, Tbéry, beschamps, Diehl, Fou- gères, Psichari, Berl, Paillarôs. — La Gi^'ece, une série d'études vibrantes parue sous les auspices de la Ligue française pour la défense des droits de l'hellénisme — et certes il a besoin d'être défendu ce pauvre hellé- nisme chassé de nos collèges.
Hubert (Paul). — Au cœur ardent de la Cité, de beaux poèmes frustes, ardents et nobles, plus soucieux du culte de la vie que de l'harmonie du rythme.
La chèvre (Frédéric). — Voltaire mourant. Enquête faite en 1778 sur les circonstances de sa dernière maladie, un très in- téressant ouvrage publié sur le manuscrit inédit, et annoté.
La Morinière de La Rochecantin (Comtesse de).. — Les lilas sont en fleurs, des vers toujours charmants et parfois délicieux.
Lenôtre (G.). — Le Tribunal révolutionnaire, un volume publié avec des documents inédits dans la passionnante série des € Mémoires et ^souvenirs sur la Révolution et l'Em- pire ».
Lesdain (Comte de). — Voyage au Thibet, par la Mongolie,' de
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE 205
Pékin aux Indes, le livre le plus formidable et le plus palpitant qu'il soit ; que d'aventures, Seigneur! que de drames, que de périls ! Il y a encore, grâce à Dieu, des professeurs d'énergie autre part que dans le pays de Nietzsche 1 et des professeurs d'énergie qui se ma- nifestent non seulement avec des paroles, mais avec des actions.
Maizeroy (René) et G. de Maizière. — Les Etapes du Vice, que les auteurs nous font parcourir, sans nous en épargner aucune — même les plus rebutantes et les plus sca- breuses — en un volume aggravé encore par des ins- tantanés photographiques ou chacun d'eux déploie un talent digne d'un plus noble sujet.
Mourey (Gabriel). —le Miroir. Le délicat poète des Voix épar- ses et des Flammes mortes, revient pour un instant à sa chère Muse, après de longues promenades dans les jar- dins de la critique et du roman, avec ce recueil de poèmes où figurent beaucoup de choses charmantes et quelques pages très belles, tel le Miroir qui donne son titre au livre.
Novalis. — Henri d'Ofterdingen, l'œuvre capitale de ce Nova- lis que M. Emile Albert qualifie dans sa préface t le plus parfait représentant du romantisme allemand », ce qui est peut-être un peu excessif, mais qui fut, en tous cas, l'un des romantiques allemands les plus in- téressants et les plus significatifs. La traduction de M. Georges Polti et Paul Morisse, très exacte et très littéraire constitue, à ce titre, un travail précieux et utile.
Paillarès. — Voir Henri Houssaye.
Petigny (Xavier de). — Un bataillon de volontaires le 3» Ba- taillon de Maine-et-Loire.
Picard (Hélène). — Les Fresques.
Psichari. — Voir Henri Houssaye.
Raffaëlli (.1. F.). — Les Promenades d'un artiste au musée du Louvre, un livre richement illustré et préfacé avec in- finiment de bonne grâce et d'esprit par M. Maurice Barrés.
Rain (Pierre). — L'Europe et la Restauration des Bourbons. — 1814-1818, d'après des documents inédits.
12
206 LE MOUVEMENT LITîéRAlBE
Reinach (Joseph). La Révision, 6« volume de VHistoire de l'Af- faire Dreyfus.
Rigal (Ueuri). — Voir Raoul Davray.
Rodocanachi. — Boccace poète, conteur, moraliste, homme po- litique. Ce livre qui est, avec ses six planches hors texte, inûuiiuent agréable à manier et à regarder, est en même temps, d'une lecture tout à fait attrayante. M. Rodocanachi y a recueilli, en effet, avec beaucoup d'élégance et d'érudition une foule d'anecdotes savou- reuses sur la vie de ce poète, et il a en outre exprinu' de façon très heureuse le sens j)rofond et la noblessL- de l'œuvre du merveilleux conteur italien.
Sahuqué (Madame Blanche). — Le Chemin solitaire, des i)06- nies pour lesquels l'auteur a choisi cette mélancolique et rageuse épigraphe de Baudelaire : c N'importe où, hors du monde >.
Saint- André (Claude). — Madame du Darry, d'aprCs des docu- ments authentiques.
Séché (Léon). — Hortense Allart de Meritens, une bien capti- vante élude qui parait dans la série des t Muses roman- tiques » et dans laquelle l'auteur nous dit les ra])porls d'Uortensc Allart avec Chateaubriand, Bérangef, La- mennais, George Sand, Sainte-Beuve, Madame d'Agoult.
Ségur (Marquis de). — Esquisses et Récits, un livre d'une haute et noble tenue. On y trouvera notamment des pages délicieuses sur madame du Deffand et sa famille, un très émouvant et très beau portrait de L. Ph. de Ségur et le magnifique éloge de M» Edmond Rousse prononcé par le marquis de Ségur lors de sa réception à l'Académie française.
Servières (Georges). — Cités et Sites, un livre très utile, très pittoresque et très documenté où l'auteur nous fait visiter, en choisissant des sites peu connus, des villes peu exploitées et peu décrites, la Bohême, la Moravie, la Transylvanie, la Galicie, laStyrie, la Croatie; vivan- tes, captivantes, ingénieuses, ces notes de touriste sont complétées par un aperçu d'ensemble tout à fait remar- quable où le problème des nationalités austro-hongroi- ses, si mal connu, est lumineusement exposé. Stryienski (Camille) et Paul Arbelet. — Les Soirées duStendhal
JUIN — HISTOIRE, LITTÉRATURE, POLITIQUE 207
Club. 2e série, un volume où la grande figure d'Henri Beyle est évoquée, étudiée, discutée même, car, con- trairement à ce qu'on a écrit, les membres du Stendhal Club ne sont pas des idolâtres, et il n'est jamais venu à leur pensée « d'établir, autour de la railleuse figure qui se prête mal à la grave attitude d'un Dieu, je ne sais quel culte mystérieux et saugrenu ».
Sully-Prudhomme. — Epaves, les derniers vers du Poète, dont le manuscrit, recueilli et classé par mademoiselle Schnitzler, a été établi définitivement par son ami, M. Léon Bernard-Derosne et ses quatre coUégataires littéraires, MM. Auguste Dorchain, Albert-Emile Sorel, Camille Hémon et Désiré Lemerre.
Tardieu (André). — Notes sur les Etats-Unis, « La Sociétés La Politique^ la diplomatie d.
Tbéry. — Voir Henri Houssaye.
Valléry-Radot (Robert). — In memoriam. Poèmes.
Viillès (Pierre). — L'Archichancelier Cambace'rès, (1753-1824), d'après des documents içiédits.
JUILLET
LES ROMANS
GEORGES LECOMTE L'Espoir.
Ne médisons pas trop de notre temps et de notre pays : La France du vingtième siècle est digne, non seulement de la tendresse, mais de l'admira- tion de ses enfants, car elle a donné au monde un merveilleux exemple de vaillance et de foi, de force dans la douleur et d'énergie pour le relève- ment. Telle est la pensée qui domine et qui illu- mine le roman de M. Georges Lecomte.
Ce roman, c'est l'histoire de la France de 1870, frémissante et blessée d'une si large blessure qu'on
JUILLET — LES ROMANS 209
pouvait croire que la vie tout entière allait couler par cette plaie béante; et qui tout de suite, avec un incroyable courage, s'est reprise à espérer, voulut vivre de nouveau et de nouveau rayonner, consciente de sa mission et de ses destinées.
La France a le droit d'être fîère des hommes de bonne volonté et de volonté, qui accomplirent Tceuvre, fière d'elle-même par la grâce de qui elle fut accomplie; c'est une histoire qu'il importe de nous raconter parce que vraiment nous l'avons trop oubliée, nous affectons trop de l'ignorer, avec nos airs de pessimisme et d'ironie. M. Georges Lecomte était bien l'écrivain qui devait nous redire cette belle histoire et nous donner cette forte leçon ; observateur sagace, aigu, pénétrant, il a gardé cependant le secret des ardeurs généreuses et des enthousiasmes vibrants, et il n'a pas craint, en ce temps de scepticisme, de dire son enthousiasme et ses admirations, d'exalter 1' « espoir », cet es- poir que malgré toute prudence, contre toute sa- gesse, notre vaillant pays garda dans ses destinées, cet espoir qui le sauva et le fit sortir de l'épreuve plus fort et plus grand ; et il a eu raison, car la foule des lecteurs se passionnera pour ce beau livre où, au cours d'une fiction romanesque, très attachante et passionnante, développée avec beau- coup d'art et d'habileté, M. Georges Lecomte trouve l'occasion de nous raconter le travail formidable qui s'accomplit, non seulement dans les milieux politiques, — où les hommes d'Etat surent oublier
12.
210 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
parfois leurs prénoms de bonapartistes, républi- cains ou lég-itimistes, pour se rappeler seulement leur nom de Français, — mais aussi dans l'art, la littérature et dans la science, car de toutes parts ils vinrent les hommes de France, pour répondre à l'éloquent appel que Pasteur leur adressait : «Nous, Français, courbés sous les douleurs de la Patrie mutilée, montrons une fois de plus, que les grandes douleurs peuvent faire surgir les grandes pensées et les grandes actions ». Tout cela, M. Georges Lecomte nous le montre avec éloquence et émo- tion, il nous fait voir que la grande, la vraie Nietzs- chéenne de ce temps, c'est encore la France ; ainsi, il a écrit non seulement un beau roman, mais aussi, mais surtout, un très bon livre.
ABEL HERMANT
Les Affranchis.
Comment, après tant d'enthousiasme et d'émo- tion, vais-je oser parler du livre que M. Abel Her- mant publie sous le titre : Les Affranchis. M. Abel Hermant n'est point pour les enthousiasmes, et nos neveux ne puiseront dans ses « mémoires pour servir à l'histoire de la société » nulle estime pour notre temps ; seulement ils feront comme nous, ils s'amuseront énormément, car ce livre, méchant
JUILLET — LES ROMANS 211
et injuste pour notre pauvre société, est la chose du monde la plus divertissante, la plus spirituelle, la plus délicieuse.
Ses personnages sont — il nous le dit — des « affranchis», oh oui! des affranchis, de toutes les convenances, de toutes les traditions, de tous les respects ; vous les connaissez d'ailleurs ! vous n'i- gnorez certainement pas les aventures de Richard Peaussier, directeur d'un journal à « l'information impudente » et qui s'appelle « Le franc parler », vous n'ignorez pas les histoires du Prince Jean- de-Dieu de la Roche-Beaucourt, marié contre le gré de ses parents à une dame de qualité inférieure et qui sombra dans le bas journalisme ; vous n'i- gnorez, — non certes vous n'ignorez pas, — ce trop fameux satyre du Bois qui surexcita tant d'i- maginations; tels sont quelques-uns des person- nages choisis ingénieusement par M. Abel Her- mant, pour donner à ses mémoires un air de vérité, et pour faire croire que ses mordantes et ironiques observations sont prises sur le vif; je ne veux pas le croire, je veux prétendre que M. Abel Hermant calomnie son temps, mais il le calomnie avec tant d'esprit, tant de grâce nonchalante et détachée, dans une langue si pure, si harmonieuse et si originale, que ma foi il faut lui pardonner et sourire avetî lui, quitte à s'indigner après.
212 LE MOUVEMENT LITTÉBAIRE
MAJ)AME MARIE LAPARCERIE
La Comédie douloureuse.
La Comédie douloureuse, c'est encore celle de Tamour, cet amour tragique, cet amour doulou- reux toujours, môme lorsqu'il n'est donné qu'en comédie. Cette comédie douloureuse, dangereuse aussi, mademoiselle Irène Suze, la jolie et sédui- sante, et cruelle, et inconséquente héroïne, aux blanches mains veinées de bleu, la joue au détri- ment et au profit de Maxime Durieux, le jeune journaliste poitrinaire qui irait très loin si la phti- sie ne l'avait marqué de sa cruelle empreinte, et de Firmin Bauze qui aurait du génie s'il n'était point forcé d'écrire des romans- feuilletons. Entre ces deux hommes, la coquette, coquette terrible parce qu'elle est inconsciente parfois, et désinté- ressée toujours, mène une vie pleine de compli- cations et d'angoisses délicieuses ; elle aime ten- drement le premier et se donne au second, elle joue, de l'un à l'autre, au cours d'un roman fort bien écrit, et d'une haute tenue, la douloureuse co- médie qui se termine avec la mort de Maxime et le lâchage d*Irène par son amant Firmin. Et c'est justice, mais ce n'est pas trop humain, car les coquettes font toujours souffrir les hommes, et ce n'est point elles qu'on abandonne un soir, désem- parées, esseulées, douloureuses ; mais madame
JUILLET — LES ROMANS 213
Marie Laparcerie a le sentiment de la justice, et puisque la vie n'est presque jamais équitable, il convient que les romans le soient parfois. Ses ob- servations psychologiques sont judicieuses, inté- ressantes, audacieuses parfois, au point d'être puériles, mais ses héros sont des neurasthéniques — ils nous le disent souvent — et les neurasthé- niques, chacun le sait, sont des enfants.
VICTOR MARGUERITTE
Jeunes Filles.
M. Victor Margueritte aime les contrastes. Après nous avoir, il y a quelques mois, donné dans un roman un tableau minutieux et complet — trop minutieux et trop complet — de l'existence ré- servée aux malheureuses femmes qui sont les pires réprouvées de la société actuelle, il nous parle dans son nouveau roman de Jeunes Filles. La transition est brusque, et il semble aux lecteurs qu'un grand souffle d'air pur et frais va traverser ainsi l'œuvre de l'écrivain, balayer les miasmes douloureux du livre précédent; — et en effet, il y a là de bien gentilles et bien émouvantes petites personnes : Geneviève Savenay est une délicieuse jeune fille, d'autant plus touchante que sa ten- dresse et sa candeur la destinent trop visiblement
214 LE MOUVBMENT LITTÉRAIRE
à bien des lourraenis, ol Hélène Nayrtal est une belle et noble et courageuse fille bien digne du bonbeur qu'elle trouve au dénouement. Mais tout de même, ce livre n'est pas tous lys et toutes rose il y a une douloureuse et ravissante petite demi- vierge, Martbe Dangé dont les propos sont un peu lestes et dont la destinée est tout à fait mélanco- lique ; il y a surtout les mères de ces demoiselles qui parlent un peu trop, et vilainement, de la question d'argent, déteignant sur les filles dont les doux entretiens sont trop môles d'évaluations ; il y a aussi un certain personnage, Jacques Dorly, pour qui M. Victor Margucritle semble avoir une certaine indulgence, qu'il fait tranquillement triom- pher au dénouement du livre, et qui m'appa- raît, à moi, comme un des types les plus parfaite- ment méprisables de ce temps : le joli garçon, sûr de sa séduction, et désireux de l'exercer sur toutes femmes, depuis, la gentille soubrette de la maison jusqu'à la plus pure jeune fille, en passant par la veuve consolable, sans se soucier des douleurs et des tristesses qu'il sème sur sa route. Tout cela suffit déjà, à mes yeux, à rendre un homme par- faitement odieux, mais quand cette légèreté, cette insouciance se compliquent comme chez Jacques Dorly de basses spéculations, pour s'assurer une vie confortable et large, le héros est tout à fait complet 1 Avec ces personnages, et d'autres encore, dont quelques-uns sont heureusement plus sympa- thiques et d'une humanité plus flatteuse, tels que
JUILLET — LES ROMANS 215
M. Savenay et son fils, M. Victor Margueritte a composé un roman grouillant de vie, tout à fait amusant et divers et qu'on lit avec parfois un peu de mélancolie, et toujours beaucoup de plaisir.
MADAME MYRIAM HARRY Llle de Volupté.
Le roman que madame Myriam Harry vient de publier, sous le titre : Vile de Volupté, est tout à fait différent de ses œuvres précédentes : d'une observation psychologique aussi aiguë, aussi fouillée, aussi minutieuse^ il est d'une vie bien plus prodigue et fiévreuse, et passionnée. Il com- mence à bord d'un navire qui cingle, comme le Vaisseau des caresses, de Jules Bois, vers des ri- vages d'Orient ensoleillés et voluptueux, et, comme M. Jules Bois, bien que dans une langue et sous une forme très différentes, madame Myriam Harry nous donne un tableau frémissant, vigoureux et délicat, de cette vie intense, follement, délicieuse- ment intense, que vit sur cette tille flottante une pauvre petite femme, livrée sans défense à la gri- sante et dangereuse influence d'Amphitrite eni- vrante, voluptueuse et décevante.
Et lorsque vous saurez que cette héroïne bour- geoise, Helyane Reverdun, femme du plus bour-
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geois des notaires qui se soit jamais expatrié, a dans les veines un peu de sang égyptien et dans son enfance des souvenirs ardents de passion tumul- tueuse et d'enivrant mysticisme ; lorsque vous sau- rez encore, que sur le même bâtiment navigue un certain M. de Flossigny, svelte et brillant officier de marine, type de Don Juan qui ne connut pas de cruelles, vous ne vous étonnerez pas que l'iné- vitable s'accomplisse et qu'après une tempête ro- mantique, la femme succombe lors d'une escale à Colombo, dans cette merveilleuse c( île de vo- lupté ».
Mais ce qui pour le Don Juan de la mer fut une agréable, une délicieuse aventure, est pour madame Reverdun une déchirante et divine révélation, un irréparable bouleversement : la vie à Saigon auprès du meilleur, du plus aimant et du plus calme des notaires, devient douloureuse, insupportable à l'amoureuse Hélyane, qui s'étiole, et s'en retourne blessée et dolente à l'île de Volupté où elle trouve une lettre vieille de six mois, de l'amant unique qui depuis, sans doute, l'oublia et à qui, lasse d'attendre, elle adresse un dernier appel où elle met toute sa passion et toute sa vie, un dernier adieu, car elle sent bien que la mort est toute proche.
Telle est cette histoire, où la noble et harmo- nieuse simplicité de l'anecdote se revêt d'une splendide parure de lumière étincelante, de paysa- ges légendaires, où palpite l'âme féerique de
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l'Orient, où sous les descriptions enthousiastes et enivrantes de madame Myriam Harry, le lecteur ravi découvre après elle, avec elle, le pays de rêve, , de splendeur et de mystère où les poètes, qui sont des sages, installèrent le Paradis Terrestre.
MICHEL CORDAY
Mariage de demain.
Le Mariage de demain c'est, selon le vœu de II. Michel Corday, celui qui unira la fille du peu- ple, intelligente et saine, au fils du bourgeois, ins- truit, cultivé, généreux; ainsi, par l'union des cœurs et des personnes, la guerre sauvage, collec- tive, la lutte des classes — pour employer le jargon .de la sociale — seront, sinon abolies, du moins humanisées et adoucies. Pour illustrer cette thèse, M. Michel Corday nous raconte l'histoire de Léon B^^eau, un jeune médecin de marine, qui, obligé, rente ans, d'interrompre sa carrière, et rentré (lins sa famille d'opulents bourgeois industriels, rencontre Jeanne Collet, une belle, jeune et intel- li^'^cnte ouvrière, s'en éprend et l'épouse. L'intruse diversement accueillie par la famille : sabelle- re, une femme noble et fine en qui M. Michel rday a excellemment incarné la bourgeoisie nçaise intelligente et généreuse, l'adopte tout
'2 [H u: MOUVEMENT littéràirî:
do suite sans arrière-pensée, do tout son cœur, mais il n'en est pas de même de Berthe, sœur de Léon lîreilu, qui représente dans le roman la mau- vaise bourgeoisie, revèche, étroite, imbue de pr^ jugés ; pour compléter le tableau, voici avec Gaston et Madeleine, le frère et la belle-sœur de Léon Breau, la bourgeoisie frivole, insouciante, ignorante et gaie; avec Courlemer, l'oncle de Léon, la grande bourgeoisie travailleuse, 'violente, attachée à ses devoirs et un peu trop convaincue de ses droits. La pauvre petite Jeanne a fort à faire à évolu«M dans ce milieu où la tendresse du mari et Texqui- bienveillance de sa belle-mère la défendent conhv les méchancetés et les injustices, mais elle se ré- vèle tout entière dans sa mission sociale et sym- bolique le jour où une grève éclate dans rusiiic (lourtemer, grève sauvage et armée ; elle se dresse entre ce peuple d'où elle sortit et cette bourgeoisie qui raccueillit, et évite le plus terrible des drami par sa courageuse et intelligente intervention. Ainsi, cette histoire émouvante, humaine et simple, se termine dans un symbole des temps futurs, de temps souhaités...
JUILLET — LES BOMANS 219
LUCIEN ALPHONSE-DAUDET Le Chemin mort.
Le Chemin mort est la première œuvre d'un jeune écrivain dont le nom est tout à la fois glo- rieux et lourd à porter ; il le rappelle au seuil de son roman, qu'il offre « à la mémoire vénérée et toujours présente de son père ».
Que dirait Alphonse Daudet s'il pouvait vrai- ment recevoir ce présent filial? Il serait, je pense, assez flatté, car le jeune romancier a un incon- testable talent; mais il serait, j'en suis sûr, épou- vanté par les « mœurs contemporaines » que Lu- cien Alphonse-Daudet se plaît à étaler sous nos yeux. De son héros, Alain Malsort, mal élevé par un père découragé et une mère à la tôte folle et aux mœurs légères, qui se trouve brusquement jeté, sans un sou, sur le pavé de Paris, face à face avec les dures nécessités de l'existence, Al- phonse Daudet avait fait, il y a un quart de siècle, le douloureux, l'honnête, le lamentable « Jack » ; mais nous avons marché depuis, et ce sont là des aventures trop saines et trop simples pour nos mœurs byzantines.
Résolument, M. Lucien Alphonse Daudet engage son héros dans ce que les paysans appellent « le chemin mort», Pimpasse décevante, le chemin qui ne mène à rien, qui déroute et qui perd Pintelli-
LE MOUVEMENT LITT^RAIBE
,:^a'iKe et le cœur. Il serait délicat de raconter ici l'aventure de ce pauvre enfant, devenu si vite un pâle voyou, et de Marcel Charqiiin, qui l'adopli et en fait son ami. L'aventure est scabreuse I Pas autant cependant qu'on pourrait le croire, car, dans ce roman, les héros, pénibles, malsains et mal.i difs, n'ont pas même le triste courage d'un vi(c absolu : ils se contentent d'être étranges, équivo- ques et suspects, comme cette Claire, Duchesse de Mentana, originale créature, « où le mélange du sang anglaisct italien avaitfait un précipité inconnu extra-humain », et qui préfère au triste amour (]( Marcel Charquin la paisible compagnie de la grosse et riche madame Tranchant. Tous ces personna- ges vous donnent la nausée et l'on éprouve un vé- ritable plaisir à découvrir parmi eux une certain) Isabelle, qui est pourtant une fille de vie assez fâcheuse, mais qui a le mérite, au moins, d'ap- paraître à peu près normale, et repose de tous ces faisandages et de tout ce limon. Cette histoire, qui se termine tragiquement par le meurtre de Char- quin, ce « sans-cœur aux sensibleries maladives, sorte de monstre, malheureux partagé entre ses aspirations d'indépendance et ses avatars de plate et mesquine bourgeoisie, est terriblement doulou- reuse et pénible » ; j'ajoute que M. Lucien Al- phonse-Daudet nous l'a contée avec un art digne d'un plus beau sujet.
JUILLET — LES ROMANS 221
MARCEL PRÉVOST La Fausse bourgeoise.
L'œuvre de M. Marcel Prévost est séduisante en- tre toutes ; dominée tout entière par le culte et Té- tude de la femme elle est comme la femme elle- même : délicate, troublante, subtile, profonde, gracieuse, diverse à l'infini. Dans cette œuvre, les livres délicieux abondent, et il en est quelques-uns qui figurent parmi les plus retentissants et les plus légitimes succès de ce temps ; j'ai dit maintes fois combien ces succès m'enchantaient et combien j'aimais le talent de M. Marcel Prévost ; eh bien ! je ne voudrais manquer. de justice ni pour les triomphantes Demi-Vierges ; ni pour ces adorables Lettres à Françoise; ni pour tant d'autres livres dont la compagnie me fut si agréable, mais je crois bien avoir découvert la chose la plus exquise, la plus délicate, la plus parfaite qu'ait écrite le ro- mancier en la personne d'une certaine « Pou- lotte »; une nouvelle, un court roman de quelque ont pages qui figure daos le nouveau volume qu'il a publié sous le titre, La Fausse Bourgeoise.
C'est une histoire bien simple, celle de ce vieux -arçon, Jules Bourdois, dont la vie s'est écoulée, jusqu'aux environs de la cinquantaine, heureuse, tranquille et banale, et qui brusquement [par le hasard d'une rencontre imprévue, voit s'éveiller
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en lui le goût des aventures féminines ; tout de suite, ce goût trouve à se satisfaire car mademoi- selle Poupette, une petite personne de la rue de la Paix, est là, toute prête, bien gentiment, à par- tager quelques heures, quelques jours, quelques semaines de sa vie. D'abord ravi de Tescapade, quoique un peu gôné, comme un homme qui n'a pas l'habitude, Jules Bourdois séduit au plus haut degré par la ravissante silhouette de Poupette, dé- môle peu à peu sous la gaîté et la joie factice qui l'entourent, la tristesse et l'horreur d'une telle aventure, son cœur de vieux garçon se fond au spectacle de cette riante et émouvante jeunesse et doucement il berce, console et endort la jeune fille un peu décontenancée et un peu humiliée aussi de ce respect inattendu. Tel est le squelette de ce conte ravissant, un conte que n'eût pas désavoué Guy de Maupassant, s'il avait eu pour la femme un peu de ce culte, tout à la fois pieux et atten- dri, et clairvoyant, que lui a voué Marcel Prévost. Une multitude de jolis détails d'observation spi- rituelle, d'émotion, tendre, de grâce gamine, vien- nent enjoliver ce petit roman qui . est vraiment une œuvre tout à fait exquise.
Les deux autres nouvelles, la Fausse Bour- geoise, qui donne son nom au livre, et au cours de laquelle nous faisons connaissance avec une bien jolie figure de Parisienne, nerveuse et artiste, de- venue flamande placide et bourgeoise, et la Peur de Venfer, une très amu&ante histoire conjugale
JUILLET — LES ROMANS 223
dont les héros côtoient le pire danger sans y tom- ber, complètent le plus heureusement du monde, un livre d'une très grande séduction.
ALBERT-EMLE SOREL
L'offrande.
D'une émouvante inspiration, le roman que M. Albert-Emile Sorel a publié sous le titre VOffrande nous dit le drame poignant du prêtre livré aux tentations du cœur et de la chair. Ce drame, bien des romanciers déjà nous Font conté, et je les comprends, car il n'en est pas de plus douloureux ni de plus humain. Seulement, les temps ont changé ; autrefois, le prêtre, après une lutte ter- rible, triomphait de la tentation ; aujourd'hui, il y succombe ; et voilà comment l'abbé Rodolphe Dorneville devient l'amant, puis le mari de Marie Le Caureulx. L'histoire de son amour, de ses lut- t(;s et de sa défaite, M. Albert-Emile Sorel nous la dit en des lignes d'une sensibilité aiguë ; il nous trace de ses héros sacrilèges et pieux des portraits tout à fait délicats et jolis, et le dénouement de son roman est vraiment, sinon très humain, du moins tout à fait original et philosophique ; nous y voyons en effet le fils du péché, torturé par le souvenir de la faute paternelle, se jeter dans les bras de TEglise,
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devenir protre h son tour et reprendre la place qui fut abandonnée. C'est une [interprétation au- dacieuse et pas très orthodoxe de l'épigraphe Tu C8 sacerdos in œternum. Le livre est très ini ressaut, composé avec l)eauroup d'art et de goût, écrit dans une lanp^ue ferme, sonore et puro que M. Albert-Emile Sorcl a4)prit à bonne école.
HFXT^T nUVERNOlS Popote.
K^nrr^ htijlj/n((ti duul j'ai dit JJa^licl I-, U: ( ii.iiiue
et la grâce spirituelle, M. Henri Duvcrnois nous donne une Popote qui est tout à fait agréable < i jolie. Bien que leurs titres soient fort scmhlahlcs et riment entre eux le plus richement du monde, il n'y a rien de commun entre ces deux romans ni entre ces deux héroïnes, sinon que les deux romans sont fort spirituels et que les deux héroïnes sont éga- lement, bien que diversement, séduisantes. L'his- toire de « Popote » alias Germaine Thouveniej, In jolie et intelligente petite dactylographe que sa chaste séduction voue aux plus heureuses destinées, est une fort bourgeoise histoire d'amour et d'ar- gent: Germaine est une brave petite fille travailleuse et aimante qui serait, une fois qu'elle a fait la
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conquête de son patron et qu'elle Ta épousé, la plus heureuse des femmes, si elle n'avait pas une famille : — Seigneur, quelle famille ! — un père grand journaliste, prince de la critique, ga- gnant beaucoup d'argent mais ignorant tout à fait les besoins d'un ménage et les échéances ; la mère, une folle coquette, dépensière, et d'une moralité plus que douteuse; le frère enfin, d'une immoralité non douteuse qui lui fait sans cesse côtoyer la correctionnelle. Pour subvenir aux besoins et aux exigences de cette encombrante famille, Germaine — appelée par dérision « Po- pote » — donna autrefois tout son maigre salaire de dactylographe, elle essaye aujourd'hui de prendre sur son budget de femme mariée, elle en est réduite bientôt à de louches combinai- sons, à des rendez- vous chez de tristes usuriers et dans tout cela son bonheur finirait par som- brer s*il n'y avait pas pour les honnêtes ména- ges bourgeois une providence qui, au dénoue- ment, arrange tout le mieux du monde. Cette très simple histoire, M. Henri Duvernois nous l'a con- tée avec beaucoup de grâce, d'émotion et de bonne humeur, et, tout en gardant pour son œuvre pré- cédente une certaine prédilection, j'ai plaisir à louer tout le talent qu'il a dépensé dans celle-ci.
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220 LK MOUVEMENT LITTÉHAIHE
LOUIS GODET
La petite Chiquette.
Très gracieux aussi et tout à fait gentil le roman publié par M. Louis Godet, sous le titre la petite CInqiiette. Go roman se déroule tout entier à Mont- martre, sur la Butte Sacrée, dont M. Louis Godet a évoqué en des tableaux vivants, colorés, amu- sants, les classiques palais, depuis la Vache Enra- gée jusqu'au Moulin de la Galette. Dans ce cadre charmant qui nous séduit et qui, nous avons beau (lire, nous émeut et nous ravit toujours, parce que pour nous tous il représente un peu de la jeu- nesse passée, l'auteur fait vivre sous nos yeux un nommé Gabocheetune petite personne du nom de Ghiquette qui sont — saluez t — le dernier rapin de la bohôme et la dernière grisette, et encore, la grisette finit bien mal, dans une trop grande opu- lence. Très moderne, par le décor et par le style, ce roman donne, avec les sentiments de ses.héro^ je ne sais quelle impression vieillotte et char mante qui vous attendrit. G'est tout à fait joli et aimable.
JUILLET — LES ROMANS 227
COMTE LÉONCE DE LARMANDIE
Aimer et mourir.
Aimer et Mourir. En ces deux mots tient tout un programme d'existence ; c'est celui que le des- tin a assigné aux héros du roman publié sous ce titre par M. le comte de Larmandie. Pourtant, on ne se contente pas dans ce roman d'aimer et de mourir, on y hait aussi et on y conspire, et l'on y fait dans des pays de fiction de très réelles com- l)inaisons politiques. En écrivant ce roman, M. Léonce de Larmandie a voulu, après nous avoir donné d'autres manifestations de son talent, s'es- sayer dans le genre du roman romanesque ou môme « feuilletonnesque », si j'ose dire, et il y a tout à fait réussi; cette histoire ferait très bien au rez-de-chaussée d'un journal populaire, et tout ce que M. de Larmandie a pu accumuler de péripé- ties romanesques dans la province de Thuringe, où le conseiller d'ambassade d'illyric, l'ambassa- deur de Lithuanie, le ministre de Lombardie, le 'secrétaire de la légation d'Aragon et le chef d'état- major général français, baron de Monluel ont en- t repris de briser la puissance thuringienne, est tout bonnement effrayant.
228 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
CiTARLES FOLEY Kowa la Mystérieuse.
La rivalité des blaucs et des jaunes en Amérique est une grave question, elle a failli déchaîner un» guerre formidable ; un peu moins brûlante aujour- d'hui, elle est encore bien loin de son définitif apaisement. En attendant que les bonnes volontés diplomatiques et parlementaires aient réussi à ar- ranger tout cela, M. Charles Foley y a vu le cadre et le sujet tout indiqués d'un grand roman d'a- ventures. Et il a eu bien raison, car tous les élé- ments d'émotion, de terreur, de pittoresque s'y trouvent réunis et un romancier habile et imagi- natif en peut tirer un parti extraordinaire.
M. Charles Foley nous Ta bien montré et Kowa la Mystérieuse, est l'histoire la plus formidable, la plus romanesque, la plus mouvementée qu'on puisse imaginer; Kowa, la rivale de Chicago, si curieuse avec son grouillement de blancs et de jaunes, concurrents, adversaires et ennemis, n'a point paru encore assez pittoresque au romancier, et il a bâti sous cette ville une cité effroyable et obscure, avec des détours, des dédales, toute une existence souterraine où les jaunes perpètrent leurs méfaits, assouvissent leurs vengeances contre le- blancs, c'est (( Kowa la Mystérieuse ». Je renonce à vous raconter toutes les dramatiques aventures
JUILLET — LES ROMANS 229
qui se passent ainsi sous le ciel et sous la terre : elles sont trop ; je me bornerai à dire qu'elles sont vraiment très émouvantes, contées avec beaucoup d'art et de vigueur, et que l'auteur, ayant à nous présenter des héros japonais^ américains et fran- çais, a profité de l'occasion pour nous peindre le « bluff américain », l'astuce et la cruauté japonai- ses, et pour exalter l'intelligence et la générosité françaises, et l'on a beau dire, ça fait toujours plaisir.
EUGENE JOLICLERG L'Eve.
Romanciers et psychologues nous parlent beau- coup, en cette saison littéraire, de l'amour tra- gique, de l'amour nécessaire. Rien n'est plus douloureux que d'aimer, mais il est affreux de n'aimer pas; pauvre humanité, débrouille-toi filins ce dilemme. G'est l'avis de M. Eugène Joli- flerc qui donne à son nouveau roman paru, l'é- pigraphe suivante : « Elles sont vaines, les heu- res sans amour ». Et pourtant bn se demande — le roman une fois lu — si cette épigraphe n'est pas une ironie, car l'amour joue plutôt de vilains tours, des tours tragiques et effroyables aux héros de cette passionnelle et passionnante aventure.
L' c( Eve », de M. Joliclerc, celle qui dans ce
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roman représente notre mère universelle, éternel- lement gracieuse et jolie,, éternellement légère et décevante, éternellement amoureuse, c'est Gilberte, mariée au richissime Julien Ortliis, éprise éper- dument du frère de son mari, le tendre Daniel ; honnête, elle veut étouiïer et ensevelir sa fatale passion, elle réussit du moins à garder pour elle seule son douloureux et enivrant secret jusqu'au jour 011 son mari est tué dans un accident; alors, épouvantée k l'idée qu'elle devra quitter sa belle famille, ne plus voir celui qu'elle aime, elle adopte une bien audacieuse solution : elle se donne à un homme qui depuis longtemps la poursuivait de son amour et qui la rend mère. Dès lors elle deviendra sacrée pour sa belle-mère qui s'imaginera veiller sur son pctit-fîls, et elle restera auprès de celui qu'elle aime, abandonnant son infortuné amou- reux d'une heure au désespoir et à la mort.
Comme vous le voyez, le postulat est un peu vif à admettre, mais M. Joliclerc est coulumier du fait; ses précédents romans, eux aussi, étaient bâtis sur des hypothèses un peu audacieuses, mais on lui pardonne bien volontiers, car, le postulat une fois admis, il en tire un parti remarquable et il a le sens du dramatique et du pathétique ; l'a- venture vécue par cette héroïne d'amour et de passion fatale, son mariage avec son beau-frère, les péripéties qui mettent aux prises ses deux en- fetuts, celui de T « autre » et celui de son mari, sont vraiment tout à fait émouvantes et dramati-
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ques, et Fintérêt, sans avoir faibli un instant, at- teint son maximum d'intensité au tragique dé- nouement du roman.
LOUIS ESTANG ^
L'affaire Nell.
Vaffaire Nell, est un de ces romans meublés dont je fis souvent — pas assez! — l'éloge, romans dans lesquels il se passe vraiment quelque chose et qui en donnent au lecteur pour son argent. C'est une histoire judiciaire, non pas une de ces aven- tures de crime et d'erreur où l'on voit des magis- trats et des policiers s'évertuer à la découverte de la vérité, romans de combinaison dont nous som- mes peut-être un peu fatigués, non, V Affaire NelL c'est une affaire d'argent, un gros héritage dont il s'agit de déposséder celle qui en est la légitime bénéficiaire, et c'est à cette belle besogne que s'em- ploient énergiquement, et sans aucun désintéresse- ment, un certain nombre de magistrats et d'avo- cats véreux ; très lestement croqués en des silhouet- tes suggestives, ces robins font assez triste figure et ils amuseront le public qui a toujours un peu peur d'eux et aime aies voir maltraiter. Il n'y a, d'ailleurs, nulle outrance dans les images de M. Louis Estang, qui a eu soin de représenter copieu-
J ..J LE MOnVBMENT LITTÉRAIRE
sèment dans son roman la magislraluro intègre fi le barreau profondément honnête et désintéres- en face de la concussion et de la perfidie. Ainsi, il est arrivé à une vérité moyeuae, et en tout cas il nous a fort intéressé, avec un 'roman qui est amusant, passionnant, dramatiqueju9([u'au dénou( ment et oii, après nous avoir parlé de beaucoup (1< convoitise, de cupidité, de lucre et d'argent, l'au- teur nous laisse entendre que Phéroïne, tout en ayant perdu les neuf dixièmes de sa fortune, est tout à fait heureuse, parce qu'elle a rencontré sur son chemin un bel et fervent amour; et cela est d'une excellente et louable philosophie.
EDITH WHARTON
Chez les heureux du monde.
M. Charles du Bos publie la traduction du roman d'Edith Wharton, Che^ les heureux du monde, dont Ja fortune fut grande aux Etats-Unis et qui peint, paraît-il, à merveille les mœurs américaines de ce temps; M. Paul Bourgèt, qui pst un bon juge, nous le dit dans une substantielle et éloquente pré- face, où il affirme que les « aristocrates du chèque, dont l'élégance outrancière est l'aboutissement su- prême et déconcertant de cette laborieuse démo- cratie, ont rencontré dans cet écrivain un portrai-
JUILLET — LES ROMANS 233
tiste d'un réalisme de peinture aussi indiscutable que sa vigueur ». Lily Barth, l'héroïne du livre, belle, loyale et sensible, à qui une existence heu- reuse devrait ê|re acquise, vit misérable et dou- loureuse, et meurt victime d'un nouveau sens que lui créa l'éducation américaine : la parade sociale. C'est l'histoire de cette véritable plaie des mœurs américaines qui se déroule dans ce roman émou- vant, rapide et humain qui répond parfaitement, selon M. Paul Bourget, « à la définition même de ce que doit être le roman de mœurs, à la fois col- lectif par son effet d'ensemble et particulier par ses effets de détails ».
PHILIPPE LAUTREY Histoire d'une demoiselle de modes.
Le roman sans péripéties et sans aventures, sim- ple et terne comme la vie — est-il vrai que la vie soit toujours si simple et terne ? — a évidemment son charme. Mais tout de môme l'abus qu'on en fait pourrait lasser à la longue, et les lecteurs éprou- vent, je pense, quelque plaisir lorsqu'ils rencontrent un roman où il se passe vraiment quelque chose.
Ce plaisir, ils l'auront et singulièrement copieux avec VHistoire d'une demoiselle de modes. Il est vraiment meublé ce roman, tout rempli de mou-
234 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
vemenlet dévie, avec ses nombreux personnages, ses paysages si divers, et puis le milieu principal est si amusant, si suggestif I elle est si belle cette rue de la Paix vers qui aboutrfeseut tant d'ef- forts, tant d'énergies, tant de travail, où vient se déverser la fortune du monde qui « coule en lin- gots, en chèques, en billets autour de ces joyaux, de ces parures, de ces chiffons sans prix »; il est si passionnant ce royaume des chapeaux qui, (( dressés sur les champignons, semblent déjà des ébauches de femmes, ou du moins d'àmes de fem- mes, qui tantôt expriment, l'orgueil, presque l'in- solence, et tantôt se parent d'une grâce coquette, s'enguirlandent de fleurs, qui sont tour à tour pu- diques sous des ,voiles, provocants par le caprice et la fantaisie des garnitures, extravagants pour les personnes tumultueuses et exotiques, mièvres et délicats pour les dames précieuses, raideset secs pour les revêches ». La reine de ce royaume c'est la délicieuse Louise Kérouall, une petite fille de rare et ensorcelante beauté que sa tante vint qué- rir au pays de Gascogne, où elle vivait obscur('- ment dans sa famille, pour la conduire dans < cadre digne d'elle où tout de suite sa beauté sou- veraine fut consacrée.
Demoiselle de modes ? si l'on veut I Mais il se- rait difficile de donner la carrière de Louise K<' rouall en exemple aux petites modistes de la rue de la Paix. Ce n'est d'ailleurs pas sa faute si, tour à tour, le baron Epstein, le richissime et gêné-
JUILLET — LES IIOMANS 235
reux financier à la fin tragique, ^et le docteur Le- noel, le savant médecin si aimé de ses clientes! et le comte Kowieski, le Slave généreux et ardent, et Jean Delaistre, le romancier tuberculeux et gé- nial, s'éprennent follement de ses charmes irrésis- tibles ; ce n'est pas faute de vertu qu'elle leur cède tour à tour : c'est parce qu'elle a le cœur généreux et romanesque, c'est parce qu'elle ne veut pas être cause de drames, de suicides et de désastres, car Louise Kérouall est une de ces femmes fatales qu'on ne se contente pas d'admirer, mais qu'on aime éperdument, et sans trop grave accroc à la morale, la carrière de cette modiste, belle à damner les -aints, se poursuit dans la fortune, dans le désin- téressement et dans les larmes, pour se terminer le mieux du monde — dix ans après ! — par un mariage avec le comte de Leuze, qui voulut jadis abuser de l'innocence de la petite Louise. Et cette histoire, dont on ne saurait dire si elle est morale )U immorale, est très émouvante, très humaine, »it prodigieusement intéressante avec toutes les pe- tites anecdotes qui côtoient la grande, et que M. Philippe Lautrey, romancier prodigue, a, sans compter, semées dans son livre.
236 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
AUGUSTE (JKRMAIN
Dames patronnesses.
Notre aimable confrère Auguste Germain, dont on connaît le très verveux talent, publie sous le ti- tre Damés patronnesses un roman tout à la fois très amusant et très pénible. Notons s'il vous plaît, que s'il existe des dames patronnesses telles que les dépeint Auguste Germain, soucieuses surtout de leur propre intérêt et à l'affût de louches combi- na isons masqués sous une fallacieuse philanthropie, il y on a beaucoup d'autres, et c'est la majorité, qui sont des femmes animées d'un passionné désir de faire le bien ; j'avoue que j'aime mieux à enten- dre parler de ces dernières. Cette réserve faite, il me plaît de noter que le roman de M. Auguste Germain, avec toute l'amertunui et tout le scepti- cisme qui se dissimulent sous la verve mousseuse du style et de l'anecdote, est vraiment amusant, et qu'on éprouve à sa lecture un très vif agrément.
CONSTANTIN PHOTIADKS
Les Hauts et les Bas.
Les Hauts et les Bas, tel est le titre du rom;m que publie M. Constantin Photiadès, écrivain de
JUILLET — LES ROMANS 237
mérite dont la première œuvre, le Couvre-Feu, fut accueillie avec sympathie. Il y a surtout des « bas )) dans ce roman et les âmes que nous peint l'auteur sont toutes d'un niveau assez peu élevé ; leur bassesse d'ailleurs n'est point sensationnelle, et Auguste Vallart, le héros, est très simplement un homme comme il y en a beaucoup, à l'esprit étri- qué, dont un travail mécanique et quotidien de comptabilité suffit amplement à occuper l'activité intellectuelle, et qui trouve dans la lecture d'un journal populaire toutes les satisfactions d'idéal et de littérature qui lui sont nécessaires ; entouré de
L femme, assez fâcheuse personne et de sa fille, 'clémence, qui a du moins la grâce de la jeunesse et le charme d'un tendre amour, il mène, dans une morne et grise maison, une piètre et mesquine existence. Mais voilà que tout à coup une espé- rance folle, et pourtant certifiée par les actes les plus authentiques, vient, comme un cyclone, Ijouleverser cette existence : un héritage inattendu
st là, apporté par un notaire, et voici les Vallart
lU comble de la félicité humaine, possédant le Ijienle plus précieux qui soit pour eux : la richesse. Mais ce n'était qu'un rêve ! Un vice de forme rend lu testament sans valeur, et les Vallart sont préci- pités du haut de leurs espérances dans leur ancienne misère. C'en est trop pour l'âme médiocre d'Au- 2-uste Vallart, qui ne peut concevoir la vie avec le
ouvenir d'une telle déception, et 1res simplement, machinalement, sans même le courage d'une dé-
238 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
cision, il va se pendre dans un bois. Telle est Tliis- toire : comme on le voit, elle est plutôt simple, l'autour nous l'a contée simplement, comme il con- venait, en un style tout à fait familier ; il a réussi, par la sincérité et la simplicité de son récit à nous intéresser à des gens qui, en somme, ne sont guère intéressants ni dans leur grande joie, ni dans leur grande douleur.
DANIEL RICHE
Le Cœur de Thellys.
Le livre que M. Daniel Riche publie sous le titre : le Cœur de Thellys, est une belle histoire de fiction, de rêve et de poésie, oii nous sont contés les épreu- ves, les travaux et les triomphes du jeune barde Thellys, le poète audacieux épris d'Anthéa, la fille du riche marchand Cyclon, et qui doit, pour la con- quérir, réaliser des travaux et des prodiges fantas- tiques. Il les réalise, car aucun miracle n'est im- possible au poète; il les réalise, mais, chemin faisant, il s'éprend d'une autre beauté que ses chants merveilleux sauvèrent, par suite de toute une sé- rie de circonstances que mon humble prose se- rait tout à fait inhabile à vous raconter; sachez seulement que M. Daniel Riche y dépensa sans compter les trésors d'une imagination ardente et
JUILLET — LES ROMANS 239
qu'il fît de ce livre un très moderne et très pi- quant conte de fées que les sceptiques du ving- tième siècle prendront un extrême plaisir à lire, plaisir d'autant plus vif que, chemin faisant, un artiste excellent, Raphaël Kirchner, a semé des images tout à fait séduisantes, de belles dames un peu dévêtues, mais si jolies !
M'^^ Marguerite HANKES-DRIELSMA DE KRABBE
Les Ames muettes.
Les Ames muettes, dont nous parle Madame Marguerite Hankes-Drielsma de Krabbé, ce sont les âmes des choses,, car les choses ont une âme : « Les plantes et les fleurs ont une âme facile, (('[Hiio (;t fragile, dans les bois chaque arbre a sa pensée, le lac a un cœur, et le ruisseau ([iii descend entre les collines, bruyant et heu- KMix. .1 une volonté », et toutes ces choses que nous disons inanimées, parce que nous ne compre- nons pas leur âme, jouent un rôle dans les his- toires que nous conte l'auteur, on y trouve un beau lion de pierre, généreux et bienveillant, et des cavales méchantes et hargneuses, et des pe- tites fleurs qui souffrent et comprennent : c'est charmant, profond et puéril, car ce sont les pa- ires des mémoires d'un enfant que nous restitue
1* : I LE MOCVEMENT LITTl^RAIRE
Madame Hankes-Drielsina de Krabbé qui sait à merveille comprendre tout ce que recèle de peu- sée profonde, bien supérieure à celle des « gran- des personnes », la naïveté d'un enfant, et qui l'exprime en un langage tout à fait curieux, d'un charme pittoresque, et où se révèle de façon très séduisante cet embarras fugitif et charmant des étrangers qui, ayant pénétré profondément toutes les délicatesses de notre langue, s'y trouvent par- lois un peu dépaysés.
HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS.
BARON ALBERT VERLY Les Etapes douloureuses.
Le baron] Albert Verly publie sous le titre : les
'ipes douloureuses, un volume de « souve- nirs du second Empire » où l'Empereur, de Metz ' Sedan, est évoqué de façon saisissante. Ecrit à
ide de papiers, de lettres, de notes et de rela- tions inédites laissés par le baron Verly, colonel des Cent-Gardes, ce livre n'est pas seulement un acte de piété très honorable, c'est une contribution
me histoire mal connue, contribution qu'appré- cierout à sa juste valeur tous les hommes impar- tiaux, quelle que soit leur opinion. En effet, la plupart des répits de ces tristes jours ayant été
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:242 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
conçus dans un esprit de haine pour l'Empereur, il est juste de mettre en face pour une confronta- tion, un récit écrit dans l'intimité du souverain par quoiqu'un qui l'a vu et qui a vécu avec lui ses heures d'angoisses, et il n'est pas douteux, comme le dit M. Etienne Charles dans sa préface, que les Etapes douloweuses ne '.doivent être uti- les à l'histoire « qui, elle, doit ignorer le senti- ment dans ses jugements sur les œuvres et sur les hommes, pour ne se laisser déterminer que par le souci de la vérité. ))
ROBERT HÉNARD
La rue Saint-Honoré des origines à la Révolution.
Histoire beaucoup plus calme, voici celle de la Rue Saint-Honoré des origines à la Révolution, que nous restitue, en un livre infiniment amusant, pittoresque et documenté, M. Robert Hénard. J'ai lu ce livje avec le plus vif intérêt et je me suis rendu compte que cette rue Saiut-llonoré était Vraiment Tune des plus émouvantes et des plus passionnantes de Paris ; depuis le temps lointain de ses origines — c'est avec la rue Saint- Jacques et la rue Saint-Denis une des plus anciennes de la capitale' — jusqu'à nos jours, elle a vu passer sur sa chaussée l'histoire de Paris et l'histoire de
JUILLET — HISTOIRE, ART;, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 243
France, dont chaque étape y a laissé sa trace et, comme le dit très justement dans Pavant-propos de son livre M. Robert Hénard, « alternativement jonchée de fleurs, arrosée de sang, pavoisée, hé- rissée de barricades, elle est toute palpitante, toute vibrante de l'âme du passé ».
PH.-EMMANUEL GLASER Le Mouvement littéraire. — 4^ volume (année 1907).
Un remaniement typographique m'amène à faire figurer dans ce recueil de brèves notices, ce nom et ce titre. J'en suis charmé parce que l'exac- titude du volume de cette année y gagnera et qu'ainsi sera réparée une de ces omissions que je ne puis pas toujours éviter, omissions toujours iL'grettables dans un ouvrage qui veut être un instrument de travail et un répertoire utile.
Que d'efforts, que de talent, que de labeur, en- fermés depuis les cinq années de son existence dans ce répertoire où, peut-être, un chercheur de l'avenir sera heureux de retrouver commodé- ment, pour son travail ou pour son plaisir, tel livre autrefois aimé et dont sa mémoire n'aura i;ardé qu'un souvenir imprécis.
Et si, en feuilletant ces catalogues, il est choqué des faiblesses de leur style ou des omissions de
244 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
leur index, il se consolera en lisant les pages ex- quises qui figurent à leur seuil, ces préfaces qu'é- crivirent des hommes comme Paul Hervieu, Henry Roujon, Jules Claretie, Anatole France, donnant à un très modeste journaliste la preuve infiniment précieuse d'une bienveillance dont il leur reste profondément reconnaissant.
^ ^ ¥
Honneur militaire.
— « Trois Etoiles I tel est le pseudonyme assez significatif d'un livre qui a paru, sous le titre Honneur militaire (Italie 1859 — Cochinchine 1862 — France 1870), où sont évoquées, en des pages vibrantes et simples, des légendes d'hé- roïsme, de courage et de vaillance, légendes qui sont de l'histoire et de la vérité, histoire d'une famille exemplaire qui tient dans ces deux mots : honneur r^ilitaire, et qui apparaît vraiment émou- vante et belle, dans une correspondance « où l'on s'entretient si simplement du devoir, de Pamour commun pour la famille, pour la patrie, pour le métier, où aux lettres viriles des soldats répond une plainte attendrie dans celles de deux fem- mes » ; poignée de reliques qu'une main pieuse nous offre timidement, livre qui, selon la belle
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES/ POÉSIE, ETC. 245
expression de M. le vicomte de Vogué, fut posé (( comme une lampe funéraire sur les tombeaux Mil sa lueur discrète glorifie les morts et montre 1(3 chemin aux vivants ».
JULES HURET.
Eu Allemagne. De Hambourg aux Marches de Pologne.
Jules Huret a fait paraître cette année, sous ]<; titre : De Hambourg aux Marches de Polo- gne, le deuxième volume de son œuvre magis- trale En Allemagne, Et pour la seconde fois, je me trouve en proie au même embarras. Comment parler de ce livre où il y a tant de choses, tant de
its, tant de pensées, prodigieux travail d'analyse
de synthèse^ de philosophie, d'observation, et <jiii vraiment défie le compte rendu?
Pourquoi l'essayer ? Et comme il serait plus >imple et plus raisonnable de dire tout bonne- ment : voici un livre admirable qui vous rensei-
lera, qui vous fera penser et qui, entre temps,
»us amusera prodigieusement, comme le plus \ <'cu et le plus divertissant des romans.
Pourtant, et si malaisée .qu'apparaisse la tâche, si disproportionnée qu'elle soit avec ma facuUé «l'expression, il me faut bien (^<<;\vt^r ,le dire les
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raisons qui me font admirer cotte œuvre si com- plexe, si diverse et pourtant d'une si harmonieuse unité; œuvre d'un maître ^journaliste qui sait voir avec minutie, décrire des coins de rues, des for- mes de chapeaux, et quelques pages après, em- brasser d'un vaste coup d'oeil les plus graves questions politiques, économiques ou sociales.
Et c'est ce qu'il y a de tout k fait particulier dans ce livre, qui fait si grand honneur à notre profession : d*un bout à l'autre, c'est l'œuvre d'un journaliste, d'un reporter, qui s'est promené le nez au vent dans les rues de Kiel, dans celles de Hambourg et de Dantzig, qui s'amuse à noter le geste des Allemands, portant sans cesse la main à leur chapeau, poussés par « une politesse sans nuance » ; qui regarde les yeux bleus des bonnes rougeaudes et les jambes torses des enfants ; qui s'amuse infiniment dans la compagnie de M. Ha- genbeck, le marchand qui fournit l'univers de hô- tes féroces. Ce même reporter, homme-protée par définition et par profession, se fera tout à l'heure pédagogue pour étudier et comparer les métho- des d'enseignement et d'éducation en France ot en Allemagne; il se fera ingénieur des mines, pour comprendre et pour faire comprendre l'ex- traction et le travail de l'ambre, qui se font à Kœnigsberg; il se fera historien en foulant le sol moyenâgeux de Dantzig et en notant les terribles souvenirs de l'occupation française que garde cette cité. Il se fera commerçant, marin, pour nous
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peindre Brème, et son activité admirable, qui res- semble à celle « d'une ménagère silencieuse et bourrue », qui lutte avec une ardeur magnifique et offre une leçon vivante et féconde pour toutes les villes commerciales du monde, et sa rivale, Hambourg, la « plus jolie ville d'Allemagne, celle aussi qui a le moins le caractère allemand, ville où l'on est riche et où l'on sait vivre » ; pour nous montrer en des traits saisissants la lutte féconde, utile, ardente, que se livrent ces deux cités pour la suprématie commerciale ; il se fera économiste pour nous expliquer la constitution de ces « kar- tels », ces syndicats de fabricants ou de commer- çants qui s'entendent pour [défendre par tous les moyens leur industrie ou leur négoce ; économiste encore pour nous montrer les raisons du formida- ble développement commercial en Allemagne, cel- les de notre engourdissement, qu'il voudrait pas- sager et que son livre, peut-être, aidera à secouer. Il se fera homme politique, tour à tour polonais et prussien, pour nous exposer cette terrible ques- tion de la Pologne, « cet os que la Prusse glou- tonne ne peut avaler et que cependant elle ne veut pas rendre » ; avec une étonnante impartialité, il trouvera moyen de nous faire entendre les deux cloches, de nous dire sans excès de sentimentalité verbeuse, les douleurs et les souffrances de la Pologne opprimée, de nous faire comprendre les froids, les impérieux, les nécessaires raisonnements de la Prusse dominatrice. Il se fera diplomate enfin,
248 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
pour parler avec M. de Biilow des questions les plus brûlantes, les plus délicates, qui séparent et divisent la France et l'Allemagne, conciliant de façon fort adroite sa curiosité ardente avec le tact et la réserve qui s'imposent en de pareils sujets, avec aussi un grand souci de patriotisme intelli- gent et clairvoyant. Et je suis bien loin d'avoir tout dit, et je n'ai fait, comme à vol d'oiseau, que le résumé succinct d'une table des matières con- tenues dans un livre, qui offre au lecteur une ad- mirable moisson de faits, d'idées, de documents rassemblés dans des pages d'un agrément et d'un intérêt merveilleux.
GUILLAUME DUBUFE La valeur de l'Art.
L'objet que se propose M. Guillaume Dubufe nous le dit en quelques lignes : « l'Art est le grand témoin du monde, le plus sincère, le plus beau, et jusqu'à ce jour le plus véridique. La Science en sera-t-elle le juge définitif et souverain? A cette question, que se posent actuellement avec quelque curiosité le public, avec quelque anxiété les artis- tes, j'essaierai de répondre ici en invoquant les grands chefs-d'œuvre des mains humaines qui sont à travers les siècles les points de repère de la
e^W
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 249
beauté » . Et l'artiste philosophe répond indi- rectement, mais de façon précise et éloquente, lorsqu'il dit que l'art a indiqué, a ouvert le périlleux chemin de la Vérité, où nous com- mençons à peine à découvrir quelques lueurs de certitude. Ce que diront, en mots prophétiques, un Archimède, un Kepler, un Galilée, un Pasteur; ce que tenteront demain de démontrer de purs mathématiciens, les simples artistes du vieux monde l'avaient tranquillement pressenti, deviné, et en œuvres sublimes, donné avec leur cœur, en pâture à la foule inconstante et fugitive. Les artistes sont les meilleurs agents de transmis- sion du perpétuel désir, et devant l'immense va- nité des choses, les grands accumulateurs d'es- poirs. Ils font, bien avant le temps, la preuve de l'infini, étant les seuls témoins véridiques de cette recherche de l'absolu qui est la dignité môme et peut être la seule raison d'être de l'effort hu- main ».
J'aurais voulu citer tout ce discours, il est d'une envolée superbe, il témoigne d'une fervente pas- sion, d'un enthousiasme enivré pour l'Art, d'une magnifique confiance dans le rôle de l'artiste. Ce sont là des sentiments exprimés avec une persua- sive éloquence, mais M. Guillaume Dubufe, tra- vaillant pour la Bibliothèque de Philosophie scien- tifique s'est donné le luxe d'arguments très solides, de documents très péremptoires, et son livre, ivec ses solides études sur les origines de l'art.
250 I^E MOUVEMENT LITTÉRAIRE
sur l'art et son rôle religieux, son rôle politique, son rnle social, est un véritable monument scien- tifique élevé à Tart ; il est de plus, je le répète, écrit dans une langue très précise et très pure, et d'une forme qui rend sa lecture, non seulement accessible, mais tout à fait attrayante pour le grand public.
MARINETTI Les Dieux s'en vont, d'Annunzio reste.
L'auteur fait ici, quoi qu'il en dise, de la cri- tique, et même de la critique terriblement mor- dante. J'ai trop aimé l'enthousiasme que ce poète exprime en des strophes ardentes à d'autres poè- tes, j'ai trop loué sa généreuse faculté d'admira- tion, pour ne pas affirmer aujourd'hui combien je l'aime moins dans le rôle de briseur d'idoles.
Bien qu'il s'en défende, à son insu môme peut- être, son livre a presque les allures d'un pamphlet contre d'Annunzio. Pamphlet amusant, certes, lit- téraire, mordant, incisif, plein de qualités et par- fois de remarques judicieuses, mais outrancier comme tous les pamphlets. .
Au seuil de son livre, qu'il dédie « aux ombres goguenardes de Cagliostro et de Casanova », l'é- crivain adresse un salut aux dieux qui s'en vont, à Giuseppe Verdi, dont « la chétive bière contenait
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 254
la grande âme chantante et généreuse de l'Italie, où était enfermé tout le lyrisme sanglant de son indépendance conquise, toute sa volonté libéra- trice »; et à Giosue Carducci, le vaste, grand et généreux poète. Avec ses enthousiasmes pour ces illustres dépouilles et ses ironies pour les cérémo- nies de leurs funérailles, M. Marinetti a tracé un tableau lumineux, émouvant, éloquent, et dont les vives couleurs font ressortir le second tableau du dyptique, le plus considérable, celui qui est consacré à d'Annunzio « d'Annunzio reste » dans lequel les enthousiasmes ont presque entièrement cédé la place aux ironies.
A certaines pages, M. Marinetti nous dit son , goût pour telle œuvre de d'Annunzio, mais c'est immédiatement pour lui sacrifier toute une série d'autres plus importantes, ou pour découvrir dans celle-là même qu'il a choisie, des défauts, des la- cunes, des faiblesses; et pourtant, il se défend, nous dit-il, contre l'ironie : « Que de fois j'ai pris la plume pour exercer mon ironie sur l'œuvre de Gabriele d'Annunzio, et que de fois la plume a glissé sournoisement entre mes doigts au specta- cle enchanteur et toujours amusant de sa vie ba- riolée de tous les rayons de la fortune î » Vous voyez tout de suite l'intention ; je ne veux retenir Ie que la déclaration du début, d'où il résulterait ^ que M. Marinetti n'a jamais exercé son ironie sur Gabriele d'Annunzio, et je reste confondu, car cette phrase est écrite à la fin du livre où j'ai vu
:Î(j2 lk mouvement littébaire
|)Our mon compte des ironies sans nombre à l'a- dresse de l'écrivain italien.
J'en ai même trouvé, oserai-jc avouer, d'un peu excessives; celles qui concernent la toilette de d'Annunzio — et qui sont d'ailleurs spirituelles — ne devraient pas trouver place, à mon -sens, dans un livre qui reste toujours d'une haute t(!nue littéraire et où, lorsque de temps à autre, l'auteur lâche un peu sa victime, pour parler de certains paysages d'Italie, où de certaines pièces de la littérature italienne, se trouvent des pages dune grande et généreuse beauté. En somme, et malgré toutes les réserves que j'ai cru devoir faire, à cause justement de l'estime littéraire où je tiens M. Marinetli, son livre reste une œuvre tout à la fois très divertissante et très remar- quable, œuvre d'un ciseleur de mots et d'un jon- gleur d'idées.
GEORGES ROULLEAUX-DUGAGE
Paysages et Silhouettes exotiques.
Eu voyage maintenant. Voici des Paysages et Silhouettes exotiques. « Croquis d'un voyage au- tour du monde » par M. Georges Roulleaux-Du- gage. J'ai pris à lire ce livre, un très vif plai- sir, qui provient non seulement de l'art aimable des descriptions, mais encore et surtout, de lu
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POésiE, ETC. 253
sincérité, de la- jeunesse, des enthousiasmes de M* Georges Roulleaux-Dugage. Ce jeune voya- geur a été étonné, surpris, émerveillé par beau- coup de choses, et il n'a pas eu honte de ses surprises ni de ses admirations. Hardiment, iu- génuement, il a « découvert » les Indes et la Birmanie, et Tlndo-Chine, et les côtes chinoises et le Japon — et rien n'est contagieux comme le plaisir de ses découvertes; en out^ç, M. Roulleaux- Dugage a été servi par les circonstances, puisqu'il est arrivé à San-Francisco au moment même où un désastre inoubliable réduisait en ruines la ;inde ville de la Californie; ainsi, il eut l'occa- )n, spectateur presque unique du tragique spéc- ule, d'emplir ses yeux d'une inoubliable vision, t;î de la noter avec une intensité et une émotion prodigieuse.
CLAUDE ANET Notes sur l'Amour.
Tour à tour profondes, passionnées et cyniques, ' ^'s réflexions sur l'amour, sur les hommes et sur
s femmes, sur la beauté, sur la jalousie, sur l'a- mour et la littérature, ont, en tous cas, ce mérite, n'être dénuées de toute prétention; M. Claude Anet a dit sur l'amour des choses parfois auda- cieuses, souvent très justes, toujours judicieuses;
^5
:254 LE MOUVEMENT LITTÉRAII\i;
et il nous prévient spirituellement dans sa pré- face, qu'il ne croit pas avoir écrit sur Pamour un livre définitif, ni même objectif, car on ne sau- rait sur cet éternel, odieux, tragique et gracieux sujet, dire que des choses subjectives, donner que des impressions personnelles ; les impres- sions de M. Claude Anet sont originales, réflé- chies, sincères et exclusives de « cette sentimen- talité fade, poisseuse, universelle, dont on abuse, de cet apitoiement sans mesure, hors de propos, de cette effusion radoteuse, de ce balbutiement imbécile, de ce langage des fleurs et de cetânon- nement des âmes. »
MARINETTI
La Ville charnelle.
Voici un recueil de poèmes : la Ville clmnielU., qui va soulever bien des enthousiasmes et bien des réprobations ; il mérite les uns et les autres, et son auteur, le poète Marinetti, digne très Sou- vent de vive sympathie, a besoin parfois de quel- 'ques excuses. Donnons-les lui tout de suite; ce poète itahen est né sous le soleil d'Egypte : la lu- mière d'Afrique l'a quelque peu ébloui, et ses yeux se sont emplis des voluptueuses visions de l'anti- que Egypte; c'est pourquoi il y a dans ce livre
JUILLET — HISTOIBE, ART, VOYAGES, POésiE, ETC. 255
des pièces dont on ne saurait parler ici; mais il en est d'autres, et beaucoup, dont on peut sans res- triction admirer la force lyrique, la délirante ima- gination, le rythme étrange, harmonieux et nou- veau. N'en doutons pas, il y a dans ce « livre d'amour », que M. Marinetti dédie à ses fossoyeurs, des pages qui sont d'un poète généreux, enthou- siaste, désintéressé, qui aime la Muse, même et l surtout dans le génie des autres; il faut lire, après ; ces « petits drames de lumières », ces dithyram- bes où sont exaltés l'art do Gustave Kahn :
0 Génie africain que le sort exila
Dans le tohu-bohu des foules parisiennes!...
et celui d'Henri de Régnier :
0 rameur nonchalant dont la voix nostalgique Cadence les saccades de l'aviron sonore * Et le mol froissement velouté de la pale,
I et celui de madame de JVoailles dont il dit joli- V ment que :
•a
I C'est elle dont la vuix jaillissante et Juiiuire
I Se balance parfois dans ses poèmes,
\_ Comme la tige même des astres parfumés!
-l^yCï m; .Mor\ i;.mi:.\ i i.n i j.kaihk
WÉIWENTO DU WIOIS DE JUILLET
ROMANS
Aubior (l'eruand). — Képis à trois ponts.
Bcaume (Georges). — Les trois apôtres, un charmant volume, où avec infiniment de verve et d'esprit, avec aussi une pénétrante émotion et une véritable force dramatique, l'écrivain nous conte une très méridionale histoire toute remplie de j^laisantes galégeades qui risquent parfois de tourner trùs mal et sous lesquelles il y a beaucoup de psychologie et une très fine observation.
Behaine (René). — Histoire iVune Société, un très étrange et très intéressant volume oùPauteur fait sous une forme à la fois très symbolique et très vivante, le procès de l'éducation moderne.
Delbousquet (Emmanuel). — Miguette de Cante-Cigale, un ro- man landais, où l'auteur dont j'ai déjà dit le rare ta- lent, évoque, en une prose sonore et somptueuse, le» paysages déserts et magnifiques de son fruste pays.
Geflfroy (Gustave). — L'Idylle de Marie Biré.
Grafflgne (Aimé). La Blessure.
Junka (Paul). — Contes tendres, un volume où les plus nobles sentiments sont exaltés en d'aimables et émouvantes nouvelles.
La Hire (Jean de). — La Roue fulgurante, un très curieux et très scientifique roman d'aventures.
Lapaire (Hugues). — L'Epervier, un très beau roman rural où l'auteur a campé avec une rare maîtrise une terri-, ble figure de Shylock des champs, usurier rapace et cruel, victime à la fin, formidablement, de ses méfaits et ses basses voluptés.
Legrand (Maxence). — La Bataille perdue.
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 2o7
Maizeroy (René). — L'Education amoureuse. Mandelstamm (Valentin). — Un Aviateur, un roman où l'au- teur a très dramatiquement et ingénieusement tiré parti pour une fiction romanesque de ce qu'il y a en- core d'impossible et de mystérieux à nos yeux dans cette science très vivante et très concrète de l'aviation. Martorel (André). — Les deux' Instincts^ un roman de nolDle inspiration, de passion douloureuse et d'une réconfor- tante philosophie, où M. André Martorel a inscrit cette épigraphe : < La lutte constante pour l'être et le bien- être; l'iiarmonie, en soi et autour de soi, possible uni- quement par l'Amour î. Medine (Fernand). — L'Armée qui souffre.
Mon (François de). — La Belle au bois dormant, un charmant livre où l'auteur a, le plus ingénieusement du monde, retourné l'aventure de Rip pour nous faire vivre une galante, sentimentale et touchante histoire du temps de Louis XVI. Pépin (Madame Alice). — L'Enfant, « roman d'actualité ». Rehault (Ludovic). — Le Fils de Monsieur Camille, un roman où l'auteur traite le plus plaisamment et le plus spi- rituellement du monde de graves questions, jiard (Maurice). — Le Docteur Lerme, Sous-Dieu. k1 (Edouard). — Alor/se Valérien, un très beau livre qui mé- riterait une longue analyse, étude passionnelle, d'une magistrale puissance, d'une admirable compréhension, où par la double et tragique aventure d'Aloyse Valé- rien et de sa fille Agnès Bellune, l'auteur nous montre l'inéluctable force des fatalités amoureuses, l'impuis- sance éducatrlce des plus tragiques exemples : c'est, un très beau livre, d'une noble et poignante simplicité, vida (Jean). — Comment on les capte, « roman passionnel ». my (Paul). — Terre fertile, un roman d'une .très haute et
très émouvante portée sociale, ussay (Victorien du). — Une Union libre. iorel (Jean). — La lutte pour l'amour, un livre dont l'au- teur nous « prévient honnêtement que c'est un roman d'analyse présentant cette particularité aggravante que l'analyse porte tout entière sur ce que le.s ama- teurs d'émotions fortes ai)pellent volontiers des poin-
-2oS LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
t<îs d'aiguilles : ea tout cas. roman très émouvant que celui de Henri de Lannier, di- Marthe sa femme, et de leur ami Pascal, dont les intimes soulTrnnces sont faites pour conquérir môme les amatenrs d'émotions fortes. Wells (H. -G.). — La burlesque équipée du cycliste, un délicieux roman humoristique où il y a quelquefois beaucoup mieux que de l'humour/et où H. G. Wells a campé une étonnante flgare de Don Quichotte moderne, entre les jambes duquel Rossinante fut remplacé j)ar une bicy- clette, du genre dit « clou », dont la seule description est un poème. Le roman est très littérairement et très scrupuleusement traduit par MM. Davray et Kozakie- wicz.
HISTOIIIE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Alliés (Paul-Albert). — Une Ville d'Etals, « Pézenas au xvi« et ivii" siècle, Moliô/'e à Pézenas ». Ce livre, i)réfacé par M. Jules Claretie et illustré de nombreuses gravures, nous donne des détails tout à fait intéressants et par- fois inédits, sur cette curieuse ville de Pézenas dont la situation est si belle, dont le rôle politique, artisti- que, économique, fut si important au seizième et dix- septième siècles et dont l'histoire apparaît surtout au- réolée du souvenir de Molière qui s'y essaya en son art de comédien, qui y connut le frisson des premiers succès, constituant par là même, à cette heureuse cil une gloire immortelle.
Barneville (Pierre de). — Les Ombres sur le mur. Poésies.
Uenhazera (Maurice). — Six mois chez les Touaregs du Ahaggar.
Bernard (Tristan). — Théâtre, un jjremier volume où nous retrouvons, avec quelle joie, quel rire et quel sou- rire, la folie de l'Anglais tel qu^on le parle, l'amertume de Monsieur Codomat, les pittoresques joyeusetés du
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 259
Seid bandit du village et cet admirable Daisy, et tons les autres, les Pieds nickelés et l'Aimable lingère et la la Petite femme de I^oth ou Franches Lippées, petits chefs- d'œuvre — petits par la taille seulement — du théâtre contemporain. ' Biez (Jacques de). — Le Jardin aux Ciguës^ un curieux recueil ( de « scènes vivantes de la politique », volume d'étude
de mœurs politiquesplutôt, où M. Gustave Geflfroy trouve des qualités admirables. Biré (Edmond). — Mes Souvenirs 1846-1870, un livre d'histoire anecdotique, politique et littéraire, tout rempli d'anec- dotes spirituellement contées, sans aucun apprêt, avec beaucoup de bonne grâce, de bonne humeur et de sin- cérité, de petits mémoires, nous dit gentiment l'auteur dans sa préface, de ces petits mémoires qu'on aurait tort d'ailleurs ,de mépriser « parce que presque tous présentent de l'intérêt, plusieurs ont une réelle valeur ». Bliard (Pierre). — Fraternité révolutionnaire. Il y a dans ce titre, sous lequel l'auteur publie des études et récits, une bonne dose d'ironie, car M. Pierre Bliard qui, on s'en aperçoit bien vite, n'aime pas beaucoup la Révo- lution, estime que cette grande tourmente ne fut rien moins que fraternelle: et il entreprend de nous le dé- montrer en une série de récits tendancieux, est-il be- soin de le dire, mais généralement très documentés et fort intéressants, parmi lesquels j'ai goiîté surtout l'histoire d'un « Club en province », et le formidable chapitre des « Victimes du Tribunal révolutionnaire ». liunnard (Abel). — Les Histoires, une œuvre où très heureuse- ment inspiré le poète-lauréat nous dit dans un rythme ' fort original : la Sous-Préfète et le Prince persan.
: Caignard (Hilaire). — Sur la Route, des notes de voyage, ver- • veuses, ]iittoresques, amusantes, croquées par M. Hi-
1 laire Caignard, tandis qu'il était au volant de sa voi-
ture, « pendant les longues randonnées dans les plaines de la Beauceou de laLimagne, sur les bords de Ir Loire et du Rhône, tandis que son esprit désintéressé de sa machine dont la conduite se fait en gestes instinctifs, courait au loin ». Il ne faut pas nous plaindre de cet « esprit désintéressé » puisqu'il nous a valu un livre
260 I>E MOUVEMENT LITTéRAlllF.
tout â fait agr(^able, mais je le trouve terriblement dangereux pour le conipignon de '•■mI- ...-.-i.;-i a., y^ llilaire Caignard.
Champion (Pierre). — Charles cVOrléans joueur a rcnrcs. une forte intéressante plaquette.
Charles (Gaston). — La Danseuse nue et la dame à la Licorne, une délicate, intelligente et littéraire étude de psycho- logie et d'art.
Couyba (Charles). — Les Beaux-Arts et la Nation, un livre tout j\ fait intéressant et nourri de faits, d'idées et de do- cuments, où M. Charles Couyba — dont tout le monde connaît la haute compétence et la généreuse passion pour l'art, et qui est l'un des hommes politiques de ce temps â qui notre République doit d'être un peu (si peu !) athénienne — passe en revue les relations de l'art et de l'Etat, la décentralisation artistique, l'art dé- coratif, le Conservatoire, la protection artistique, don- nant sur toutes ces questions de précieux renseigne- ments, indiquant de façon formelle les réformes qu'il faut accomplir sans délai.
Diémer (Louis). — Fontainebleau, t Collection des Villes d'Arl célèbres >.
Fleischmann (Hector). — Les filles publiques sous la Terreur.
Florent-Matter. — L^ Alsace 'Lorraine de nos jours, un livre très émouvant où se trouve démontré que, suivant le mot de M. Maurice Karrès dans la préface, t la protestation pour ne plus retentir en éclats oratoires, n'en est i moins vivante dans le cœur des annexés ».
Ganay (Ernest de). — La Cendre des heures. Poésies.
Gillouin (René). — La Comtesse de Noailles, « Collection ' célébrités d'aujourd'hui ».
Guénin (Eugène). — Dupleix, un très beau livre publié d'a- près des « documents inédits tirés des Archives ])ubli- ques et privées de France et d'Angleterre ».
Gusman (Pierre). — La Villa d'Hadrien, un très savant et 1 1 agréable livre.
Justice (Octive). — Essai sur l'art français dans les monunip
civils, une étude où sous une forme tout à fait agr/.i- ble et littéraire, l'auteur, fait défiler sous nos yeu . « avec leurs caractères essentiels, les six grandes v\
JUILLET — HISTOIRE, ART, VOYAGES, POÉSIE, ETC. 261
ques de l'histoire de notre art national dans l'archi- tecture »,
La visse (Ernest). — Histoire de France depuis les origines jus- qu'à la Révolution, le 8« volume consacré à la fin du règne de Louis XIV.
Legrand-Ghabrier. — La Journée d'Arles, un très gracieux petit volume où l'auteur nous dépeint et nous raconte très joliment la petite ville d'Arles.
Maraval-Berthoin (Madame). — Poèmes Algériens, des vers de forme très classiques, tout vibrants d'un grand amour pour l'Algérie, évocateur de ses éclatantes couleurs et de ses orientales splendeurs.
Montaigne. — Essais, xin^ excellente édition en trois volumes, texte établi sur l'édition de 1388 et où le lecteur trou- vera tout de même toutes les variantes et additions de la version de 1393, qui sont renvoyées en bas de page; ainsi se trouvent nettement reproduites, dans un même cadre, et sans confusion, les deux grandes leçons des Essais.
Xazclle (Marquis de). — Dupleix et la défense de Pondichéry — 1148, d'après des documents inédits et les archives de la famille Dupleix.
Pinon (René). — VEurope et l'Empire ottoman, un très actuel et très intéressant volume.
Rolland (Romain). — Les musiciens d'aujourd'hui, une belle, savante et pittoresque étude.
Rzewuski (Stanilas). — L'Optimisme de Schopenhauer, une étude où l'auteur soutient une thèse qui m'est chère depuis longtemps, en niant le pessimisme du philosophe alle- mand; pour moi, j'ai toujours considéré que les gens qui voient en Schoiienhauer un professeur de tristesse et de désenchantement démontrent tout simplement qu'ils ne comprennent rien à son œuvre; M. Stanislas Rzewuski est de cet avis, il l'étaye sur des arguments tout à fait judicieux et décisifs, et son livre est une œuvre utile, savante et réconfortante.
Sainte-Suzanne (Madame). — Douleurs et voluptés, des poésies d'une très haute et très noble inspiration et parfois d'un charme admirable. Sansrefus (Gaston). — Gaultier Garguille, comédien de l'hôtel
15.
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
de Bourgogne, « farceur et chansonnier normand, t; vie, ses œuvres », un volume d'une très intéressant»', tr^s solide et trO^s joviale documentation, où l'auteur conte l'existence aventureuse d'un bouffon cher à Ri- chelieu, s'estimant heureux s'il a e pu intéresser 1- lecteur à son héros, dont la silhouette capricante el grotesque se dessine sur la toile de fond du Théâtre «le la Foire i.
Savine (Albert). — L'Abdication de liayonne.
Sorel (Georges). — Les illusions du Progrès.
Soubies (Albert). — L'Almanach des spectacles, « année 1907 ».
— Histoire de la musique, une nouvelle édition des deux, joli volumes de format si abordable et de si complote do- (îumentation consacrés par l'auteur aux « Iles Britan- niques ».
Souzey de la Sabretache (Commandant). — Les Allemand sQjts les aigles françaises.
Tchobanian (Archag). — Poèmes, (Aurore, la Caravane de Heures, Angoisse, Visions, Dans la Nuit, Sur la Colline) éloquemment préfacés par M. Pierre Quillard, qui rau- polle ce jugement de M. Anatole France déclarant M. Archag Tchobanian t un très haut poète à l'âme fière et tendre ».
Uzanne (Octave). — L'Esprit de liarbey d'Aurevilly, un diction- naire de pensées, traits, portraits, et jugements tiré de l'œuvre critique du maître.
Vis m (Tancrôde de). —Lettres à VElue, confession d'un intel- lectuel, un livre qu'aime M. Maurice Barrés, parce qu^on « y sent fraîchir la vieille fontaine celtique ».
AOUT-SEPTEMBRE
LES ROMANS
MAURICE VAUGAIRE
Le métier de mademoiselle Pip.
Ce livre est tout à fait aimable et amusant et c'est un compagnon indiqué pour le touriste dont il égayera la rêverie, sans jamais l'obliger à de i)ien douloureux efforts et sans Texposer au dan- irer des émotions fortes, toujours redoutables pen- dant la canicule. Et puis on y parle tout le temps (le milliardaires, on y coudoie des gens heureux t qui réussissent; la compagnie de ces gens est i agréable et Ton a tant de plaisir à. se lier avec ux, ne fut-ce que pendant le court espace d'un roman 1
2G4 LE MOUVEMENT LITTÉRAIUK
Donc mademoiselle Pip est une milliardaire ; son père gagna dans l'entretien des chaussures une colossale fortune : il est aujourd'hui « le roi du cirage » ; mademoiselle Pip, malgré ses mil- lards, n'a pas voulu rester inactive, et comme elle est Américaine, elle n'y est point allée de main morte; elle est championne dans tous les sports, lauréate de tous les concours, qu'il s'agisse de littérature, de musique ou de chant. Munie d'un tel hagage et d'un peu d'énergie, 'une jeune fdle doit pouvoir se tirer d'aiïaire dans la vie; c'est l'opinion de mademoiselle Pip, ce n'est pas celle de son père, et sur un défi de ce dernier, elle laisse là le 'palais jnalernel et s'en va librement et sans un sou à la conquête de l'existence. Tout de suite, elle a la chance d'être prise comme femme de chambre par la princesse Torricelli — chance relative, car tout de même une jeune fille ainsi armée pouvait trouver mieux — mais n'ayez crainte, tout cela tournera très bien. En compa- gnie de sa patronne, mademoiselle Pip a l'occa- sion de déployer tous ses talents. Elle entre en relation avec les plus fameux compositeurs, ! enchante par sa voix admirable et devient une grande cantatrice. Entre temps, et c'est ce qu'il y , a de plus heureux dans son histoire, elle fait la ' connaissance d'un jeune homme qui s'appelle Fré- déric Puget, un jeune homme pauvre, mais que Fauteur a doué de toutes les vertus, de loyauté,*' de franchise et d'honneur. C'est en outre un gar-
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 265
çon fort ingénieux qui a inventé un certain pro- cédé pour emmagasiner dans des boîtes et vendre au public les faniôuses pommes de terres frites qu'on appelle les « pommes Chip ». Et cet heureux homme trouve du même coup une femme déli- cieuse et un précieux commanditaire dans la per- sonne de son beau-père, le milliardaire Pip, grâce à qui nous aurons sans doute quelque jour la gloire nationale de posséder en Amérique un nouveau roi, « le roi de la pomme de terre ». Comme vous voyez, ce roman qui commence bien finit mieux encore; il se tient d'un bout à l'autre dans une note d'aimable gaieté, et M. Maurice Vaucaire, qui n'y a pas mis l'ombre de prétention, nous offre avec lui un très gentil et très agréable camarade de vacances.
HENRY ARDEL
L'Eté de Guillemette.
VEté de Guillemette, est une œuvre tout à fait gracieuse et jolie où le romancier, dont j'ai eu maintes fois l'occasion de louer" le talent, montre le plus agréablement du monde que l'on peut émouvoir et passionner les lecteurs en leur par- lant de sentiments généreux, en leur montrant des âmes virginales et saines, et qu'un roman
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peut ôtre fait pour les jeunes filles sans ennuyer les hommes.
Une ravissante figure de jeune fille domine ce livre, c'est Guillemctte Seyntis, une opulente hé- ritière, qui se donne le luxe d'ôtre une âme géné- reuse et forte et qui a, avec toutes les curiosités, toutes les ardeurs d'Eve, la parfaite cand(iur d'une vierge innocente et l'énergie d'une honne et vail- lante petite Française.
Comment, au cours d'un été, cette petite fille trouve le moyen d'éviter un divorce, de rappro- cher un ménage désuni et de faire son propre bonheur sans presque y avoir pensé, c'est ce que M. Henry Ardel nous raconte en une suite de scè- nes tout à la fois plaisantes et gracieuses, contées en toute simplicité, et qui constituent le plas char- mant des romans que les jeunes filles puissent, en cette saison estivale, prêter, après l'avoir lu, à leurs parents qui eu seront également ravis.
NONCE CASANOVA
La Symphonie Arabe.
Nonce Casanova fait figurer son roman dans la série qu'il intitule : VHistoire des hommes, série dans laquelle il nous donna récemment la très réaliste et très triste histoire de Jean Ca6S, pau-
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROMANS 267
vre diable. Et il a eu raison, car son nouveau livre nous redit dans ^a forme étrange et qui étonne un peu, en ces versets au rythme majes- tueux et grave comme ceux d'un cantique, une histoire qui est humaine éternellement, celle de l'amour, de la passion, de la jalousie et de la haine. Ses héros ont des noms bizarres : l'homme s'appelle Thaieb, la femme s'appelle Baada; mais sous ces noms inaccoutumés, c'est l'âme de l'homme et de la femme, des deux adversaires de toujours, qui palpite et qui souffre. Leur aven- ture : la trahison de Baada, la douleur et la ven- eance sauvage de Thaieb, a beau nous être con- tée en une prose étrange, elle a beau être décou- pée en des versets mystiques, c'est tout de môme la vieille histoire de l'amour et de la souffrance, la vieille histoire toujours nouvelle que souffrirent les adeptes de Mahomet, comme ceux du Christ, que souffrent et que souffriront les mécréants d'au- jourd'hui et de demain. A cette éternelle histoire, Nonce Casanova a donné un cadre d'une couleur et d'un éclat extraordinaires ; il y a là un sens de l'Orient tout à fait remarquable. C'est toujours très pittoresque et c'est parfois très beau. Et ce livre arabe qui fut écrit « en l'an 1314 de l'IIé- gire, sous la protection d'Allah, du 8 de Moharem au 14 Genhad-et-Thani », est fait, je vous assure, pour intéresser très vivement les hommes qui le liront au mois d'août de l'an 1908 de l'ère chré- tienne.
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268 . LiTTÉRAir.t
GUSTAVE KAHN
Contes hollandais.
Ils sont délicieux, ces « contes du beau pays (le Hollande et aussi du beau pays de la jeunesse et des féeries » que l'auteur dédie à sa lille, Lu- cienne Kabn. On retrouve dans ces bistoires tou- tes les vivantes et belles qualités de ce poète cjui débuta dans les lettres, voilà quelque vingt ans, avec une œuvre retentissante, et qui, depuis, a fourni une si belle carrière, si noble et si probe. Dans ses Contes hollandais^ c*est tout à la fois le poète qui parle, ce poète « inventeur de rythmes, de timbres et de métaphores », et le romancier si habile à doser savour^'usement le lyrisme et l'observation, et c'est, tour à tour, Taveuture de la petite Margareth et de la princesse Si ta qui la protège, aventure qui se passe au creux des as- siettes peintes, en une farandole étonnante de nains, do fées et de gnomes, et qui se termine le plus heureusement du monde par les épousailles de la petite Margareth, et l'Héritage^ une amu- sante histoire où nous faisons connaissance avec M. Van Peterskerke et son gendre, Cyprien Bar- dalle, que nous retrouvons dans le conte suivant : rAge d'or, qui m'apparaît, celui-là, tout à fait supérieur, d'un sens philosophique très profond, sous sa forme ironique et plaisante.
AOUT-SEPTEMBRE — LES ROxMANS 269
Le beau-père et le gendre ont été invités par un certain M. Klumpkerl à venir contempler ]es mer- veilles de l'Age d'or qu'il retrouva et fît renaître dans son village. Et ils s'attendent à contempler un tableau « où il y avait au fond la mer bleue, de petits moutons bien blancs y paissaient sur les vagues, les tritons les surveillaient en faisant de la musique pour leur plaisir, en toute liberté, sans chef d'orchestre », dans cette époque admi- rable « où dans les champs, des tigres veillaient pour en écarter avec douceur les lapins qui eus- sent abîmé les récoltes ».
Mais ce n'est pas cela qu'ils trouvèrent, nos deux voyageurs. Ce n'est pas cela qu'inventa M. Kumpkerl pour rendre l'humanité heureuse. Non! Simplement, dans sa sagesse, il s'est aperçu que nous avions tous notre violon d'Ingres et que nous aimions toujours à nous occuper d'autre chose que de notre métier. Aussi dans son village on ne rencontre que « des gens qui s'occupent avec ardeur de ce qui ne les regarde pas et de ce pour quoi ils n'ont aucune aptitude, de ce à quoi ils n'entendent rien. Et, de là, le bonheur, le contentement de soi, l'admiration de soi-même qui en est la base. Car le bonheur naît de l'erreur et de l'illusion, de la méprise orgueilleuse ». Et, chez M. Klumpkerl, c'est le bourrelier qui fait les chaussures, le cordonnier qui sonne la cloche, le charpentier qui joue de l'orgue, le serrurier qui chante, etc.
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Mais il faut lire en entier cette jolie histoire, (jui est bien la plus originale et la plus spirituelle leçon de sagesse qui soit. Et il faut lire toutes les autres remplies de pittoresque, de narquoise bon- homie et de poésie ailée.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES,
THÉÂTRE.
EUGENE DEPREZ
Les Volontaires nationaux, 1791-1793.
Sous les- auspices de la section historique de l'état-major de l'armée, M. Eugène Deprez vient de publier, sous le titre : les Volontaires natio- naux, 1791-1793, une forte étude sur « la for- mation et l'organisation des bataillons d'après les archives communales et départementales ». Dans son avant-propos, l'auteur nous explique l'inté- rêt de son œuvre : « Il n'y a pas, nous dit-il, de question qui semble, au premier abord, mieux connue que celle des volontaires nationaux de 1791- 1792; il n'en est pas, à vrai dire, qui soit moins étudiée dans son ensemble. » Une légende s'est formée autour de ceux qui ont défendu la Patrie en danger, légende double d'un enthousiasme
I MOUVEMENT LITTERAIRE
sans bornes ou d'une sévérité farouche, parfois injuste. Aussi éloigné de l'un et de l'autre, l'auteur s'est appuyé sur des faits et sur des documents, |)our rechercher et pour trouver la vérité. Et il .1 écrit ainsi un livre d'un i.'-rand intérêt sur un< des périofh^s los plu^? jntéro^'^inilo do notre liistoire militaire.
IIK.XHI amk; Kl i/.VuTEru 1)' « Ainitié amoureuse ».
Jours passés.
La littérature et l'art dramatique de notre temps revivent à nos yeux charmés dans ce livre, où les auteurs nous offrent une gerbe de souvenijs sur des morts illustres ou charmants, de Guy de Maup:issant à Jeanne Samary et Madeleine Bro- han, dont l'esprit légendaire pétille en des traits et des épîtres qu'on relit avec un plaisir teinté de quelque mélancolie.
Mais dans ce livre, que j'aime presque tout en- tier, je déplore tout à fait le dernier chapitre con- sacré, à la vieille, à réternelle querelle que se li- vrent — sur leurs tombeaux — les partisans de George Sand et ceux d'Alfred de Musset. Non cer- tes que les auteurs n'aient point parlé de ces morts illustres avec tout le tact et tout le respect
AOUT-SEPTEMBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 273
qui convenaient ; mais je ne me lasserai point de dire qu'on devrait laisser ces ombres en paix, ces ombres qui depuis si longtemps ont dû se pardon- ner mutuellement, cependant que des admirateurs fervents s'obstinent à les ruer l'une contre Pau- tre. Oui, je prétends que c'est mal aimer George Sand que de s'obstiner à défendre sa mémoire en attaquant celle d'Alfred de Musset. M. Henri Amie et l'auteur d'Amitié amoureuse estiment que dans le drame de Venise c'est elle qui d'un bout à l'au- tre eut le beau rôle, et, pour le démontrer, ils reproduisent des lettres admirables de ferveur, de passion, ils nous montrent la noblesse, la gran- deur, la teudresse infinie de la châtelaine de Nohant, et tout cela est très bien. Mais ils tien- nent — en nous rappelant, pour l'écouter, 'le fe- grettable épisode Pagello — à nous redire l'al- coolisme, la brutalité du malheureux et génial Alfred de Musset, et cela est tout à fait fâcheux! George Sand et Alfred de Musset furent deux êtres de génie qui s'aimèrent passionnément et se firent cruellement souffrir, comme, hélas! ont fait et feront la plupart des amants. Laissons-les donc une bonne fois tranquilles. Aimons-les, ad- mirons-les sans commentaires. Partisans ou ad- versaires des deux amants, réconcilions-nous dans le silence comme ils se sont réconciliés eux-mê- mes depuis si longtemps dans la mort!
LE M'OUVEMENT LITTÉRAIRE
MAURICE MAGRE La Conquête des femmes.
11 est clianiiaut ce livre! d'uue loririe 1res sa- voureuse, plein d'esprit, de grâce et de légèreté; je Tai lu avec infiniment d'agrément, et pourtant je ne saurais dire combien je regrette qu'il ait été écrit, et i[U(i le gracieux poète de les Lèvres et le Secret se soit ainsi abandonné au plaisir du cynisme et de l'ironie. Le litre indique assez le sujet et la portée du livre; comme M. Cunissct- Carnot offre aux disciples novices de Nemrod un nianuel de la cbasse au gibier, M. Maurice Magre donne aux jeunes hommes en quôte d'amour, des conseils pour la conquête des femmes. Il y met, sans doute, moins de conviction, mais tout de môme cette assimilation qui s'impose à moi me choque et me froisse plus que je ne saurais dire. Bien sûr, je suis un esprit rétrograde, attardé dans un respect suranné de la femme et de l'a- mour; mais je tiens à ces sentiments vieux jeu. M. Maurice Magre m'objectera que ce sont là de bien grands airs et de bien grands mots pour ju- ger un badinage où il a voulu seulement se di- vertir et divertir ses lecteurs. Je le sais bienl Mais je ne puis m'empècher de prendre au sérieux son badinage et de m'en indigner un peu.
Il y a d'ailleurs, dans ses observations et ses
AOUT-SEPTEMBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 275
conseils, autour de quelques vérités spirituelle- ment observées, tant de sophismes, non moins spirituels d'ailleurs, mais sophismes tout de même, et tant d'inexactitudes. M. Maurice Magre n'offre point ses conseils à « ceux que la nature a faits, par un don aimable, grands de taille, beaux de visage, et doués d'un esprit entreprenant » ; qu'en feraient-ils? Les femmes sont à eux d'avance! C'est pour les autres qu'il a institué cet attirail de chasse, cet arsenal de ruses, car il faut à ceux-là un talent considérable pour conquérir les femmes, « un immense génie ne compense pas des taches de rousseur, ou des yeux chassieux, les beaux triomphent des laids, comme le jour triomphe de la nuit. » Quelle erreur initiale ! Quelle méconnaissance de la femme^, et quel mé- pris de l'expérience quotidienne, éclatent dans ces déclarations liminaires ! le reste est à l'ave- nant. C'est spirituel et amusant au possible, il y a là des trouvailles délicieuses d'humour, mais cela est faux, et l'humanité — l'humanité amoureuse — vaut mieux que cela.
Non î jeune homme^ n'écoutez pas les conseils de M. Maurice Magre. ne soyez pas à ce point cy- nique, prudent et averti, ne vous proposez pas par avance d'utiles et profitables comparaisons, car ainsi, vous ne connaîtrez, votre vie durant, que des ombres d'amour, des semblants de con- quêtes ; soyez naïfs, naïfs éperdûment : la naïveté est la grande sagesse en amour.
I! MOIÎVEMKNT LITTKKAinE
.^TEPllAISE LALZAiNAK
Instantanés d'Amérique.
C'est de l'hisloire très moderne, ces Instanta- nés (VAniériquCf que M. Stéphane Lauzannc, ex- cellent journaliste, croqua sur les bords deTHud- son et qu'il rrunit en un volume plein de vie et d'agrément, (c \\r^\, nous dit Pauteur, ni « la dissertation d un philosophe, ni l'étude d'un psy- chologue, ni le récit d'un explorateur, ni le livre d'un diplomate, c'est la série d'instantanés d'un journaliste ». M. Stéphane Lauzanne s'excuse à l'avance des défauts que peut présenter son ou- vrage, défauts imputables à la méthode complexe du journaliste contemporain. J'avoue, pour ma part, n'avoir point remarqué ces défauts. Mais j'ai trouvé de multiples qualités dans cette œuvre vivante, rapide, sincère, écrite sans nulle préten- tion et qui renseigne très coiAplètement le lecteur sans jamais l'importuner ni le fatiguer.
PACL BOURGET et ANDRE CURY Un Divorce.
Voici en librairie : Un Divorce, la pièce qu< MM. Paul Bourget et André Cury ont tirée du
AOUT-SEPTEMBBE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 277
beau roman de M. Paul Bourget, et qui obtint Tannée dernière un succès si considérable, suc- cès dont l'ampleur surprit un grand nombre de gens, étonnés qu'on pût, au vingtième siècle, in- téresser pendant cent vingt représentations les Parisiens sceptiques et blagueurs de notre temps avec un simple drame de conscience, une pure question de doctrine religieuse et sociale : nous valons décidément mieux que nous ne croyons, puisque nous sommes encore capables de nous passionner pour des principes. Gela, en somme, nous fait honneur à nous et à MM. Bourget et Cury, qui ont su le démontrer victorieusement. La pièce paraît en librairie avec une belle pré- face de M. Paul Bourget, où Téminent académicien expose ses idées avec beaucoup d'éloquence et où il conclut avec une conviction qui mérite le respect de ceux mêmes qui la trouveront un peu trop ab- [• solue, « que nous voyons se dessiner ces deux Frances, dont l'une doit tuer l'autre, ou plutôt [ dont 1 une, celle, de la Révolution, est la mort, ^. et l'autre, celle de la tradition, est la vie, parce \ que la vie, c'est l'obéissance à la loi, et la loi c'est ^•^ qui est de tous les temps ».
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278 I,E MOTTVKMENT LITTÉRAIRE
MÉMENTO DES MOIS D'AOUT ET SEPTEMBRE
ROMANS
Albertini (Qullicus). — Graziosa. J'avais nagm re signal<i un très int(^ressint volume de cet écrivain. Le Prix d'un baiser. Dans celui-ci, qui est un roman d'amour passion- nel, d' « amours corses », l'autour a voulu nous offrir c une rapide esquisse de son |tays natal, où il crayonna en trembl.iut, lui un jeune miniaturiste, le pastel <l(i sa mère, ».
Houtet (Frédéric). — Les hi.sluire.s viainCénblahLes, un livre d'u i note tout à fait intéressante d'une rare et forte ori;j nalité.
lîovet (Madame Marie-Anne de). — La jolie Princesse, une tou- chante héroïne dont l'auteur nous convie à écouter la triste et douloureuse aventure ; douloureuse vraiment, l'histoire de la princesse jolie, Éva, dont un mariage malencontreux lit une sensationnelle déclassée et qui meurt poétiquement de phtisie et de consomption. Son aventure nous est contée avec une émotion peut-être un peu larmoyante, mais très communicative. Lesautres nouvelles qui complètent le livre sont également inté- ressantes; j'ai goûté notamment, parmi elles, la char- mante et scabreuse aventure d'un Saint-Cyrien qui fai' brusquement, à vingt ans, la connaissance de sa jol; maman.
Dor (Prosper). — Au bord de VIdylle.
Essebac (Achille). — De'dé.
Galopin (Arnould). — L^Espionne du Cardinal, un roman de caj)e et d'épée.
Jlugh Benson (Robert). — Le Maître de la terre, un roman traduit de l'anglais par M. de Wyzewa.
AOUT-SEPTEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 279
Kipling (Rudyard). — Autres troupiers, des héros dont les aventures romanesques, formidables, extraordinaires, se déroulent dans les paysages de l'Inde et sont con- tées avec cette émotion, cette emphase, cet humour que l'écrivain anglais sait mêler et doser avec tant de talent. La traduction française a été faite avec beau- coup de soin par M. Albert Savine.
Toudouze (Gustave). — Le Reboutou, un roman présenté avec cette épigraphe de Victor Hugo : « Le paysan breton croyant à la Sainte Vierge et à la Dame Blanche, dévot à l'autel et aussi à la haute pierre mystérieuse debout au milieu de la lande ».
Willy. — Pimprenette, un « roman sensationnel » qui a toutes les qualités de verve spirituelle et d'invention, tous les défauts aussi, de l'incorrigible Henri Maugis, dé- fauts dont le moindre n'est pas de faire toujours, et sans bienveillance, des personnalités dans ses romans.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Afioun-Effendi. — Les Paradoxes sur la Turquie.
Ardouin-Dumazet. — Voyages en France, nouvelle série.
Bernard (Capitaine breveté). — Petite Guerre coloniale, un t récit de campagnes dans le haut Tonkin ». (Janvier à mai 1896).
Claretie (Jules). — La Vie de Paris, le volume où M. Jules Claretie réunit ses chroniques tant attendues chaque semaine, modèles de journalisme tout à la fois incisif et résolument bienveillant où, aux caprices de Tactua- lité, cet écrivain, si bien placé pour voir les choses d'un passé récent encore, et pourtant si lointain, nous donne ses impressions, ses observations indulgentes et narquoises, sur les choses d'aujourd'hui, et les con- fronte avec celles d'hier, en des pages charmantes où
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perce discrùtenient un peu d'émotion et un peu de regret.
Cunisset-Carnot. — Pour les chasseurs, un livre que l'auteur, maître ôs sciences cynégétiques écrivit avec les re- command'itions précieuses : « Faites bien vos cartou- ches! Calmez vos nerfs! •
Dagher (J.-B.). — Les Profils et Paysages; Le Baiser de la Muse.
llinzelin (Emile). — Première moisson duw^ siècle. Poômes.
I, R. G. — Les Fardeaux chéris. Poésies.
La Chesnais (P. G.). — La Révolulion russe et ses Résultats (1904-1908), publi(' dans la sérif (r Les Hommes et l-- Idées >.
Lesse (A. de). — Pour sauver la chasse en France.
Michel (Louis). — La Science de Dieu, e Explication de tout », des sonnets tirés des livres « Clé de la Vie \ et i Vie Universelle » : Ces i)Oètes ne doutent de rien !...
Pica (Vittorio). — Gli Impressionisti Francesi. Je sais assez l'italien j)0ur deviner que ce titre signifie t les Im- pressionnistes français >, mais ma science s'arrête là, et je ne saurais apprécier, comme il convient, le texte de l'ouvrage, qu'on ra'.ifilrme tout à fait éloquent, ren- seigné et savant; je le répète de confiance ; mais je l)eux donner raono])inion personnelle sur les deux cent cinquante gravures dans le texte et les dix hors-texte où le meilleur de l'art des Monet, des Manet, des Renoir, des Degas, des Forain, des Boudin, des Cézanne, des Fantin-Latour, des Raffaelli, des Sisley, de tant d'au- tres, a été magistralement interprété : c'est tout à fait délicieux et c'est là un bien bel album d'art moderne.
Pimodan (Comte de). — Simples souvenirs, (1859-1907), un livre très vibrant et très vivant.
Rèau (Louis). — Cologne, ])aru dans la collection e Les Villes d'Art célèbres. >
Robinet de Cléry, — Les deux fusions (1800-1873), le livre d'un monarchiste qui combat, dit-il, avec des faits, le « tra- vail de falsification historique accompli par la famille d'Orléans et les orléanistes ».
Scotus Viator. — La Persécution Politique en Hongrie, Appel à Vopinion publique.
Séché (Alphonse). — Les Muses françaises, une t Anthologi e
AOUT-SEPTEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 281
des femmes poètes » à travers les siècles, de 1200 à 1891, très pieusement et judicieusement édifiée.
Sorb (Capitaine). — Six études sur la Défense nationale : « Ar- mée, Marine, Colonies ».
Turquan (Joseph). — Napoléon amoureux, un ouvrage docu- menté qui est bien le centième qu'on ait écrit sur ce sujet; mais le héros est si grand et si passionnant 1
i6.
OCTOBRE
LES ROMANS
ANATOLE FRANCE
L'Ile des Pingouins.
Au moment de vous dire mon mot sur Vile des Pingouins, je me fais un peu l'efTet d'un élépliaiit qui va, pendant quelques instants, cheminer parmi des porcelaines — et quelles porcelaines ! — ]•- plus jolies et les plus précieuses, mais aussi les plus frap^iles qui soient. Comment cueillir, san^ les faner, ces fleurs délicates, subtiles et grave- Il faudrait, pour parler de ce conte philosophique — où il y a tant de fantaisie et tant de philoso- phie — il faudrait beaucoup de grâce avec beau-
OCTOBRE — LES ROMANS ^83
coup de sagesse, une langue harmonieuse et ailée, et pour tout dire, c'est M. Anatole France, seul, qui saurait présenter dignement Vile des Pingouins.
A son défaut, laissons la parole à son ami, Jac- quot le Philosophe, qui, nous dit-il, (( composa une sorte de récit moral dans lequel il représentait d'une façon comique et forte, les actions diverses des hommes, et qui y mêla plusieurs traits de l'his- toire de son propre pays. Quelques personnes lui demandèrent pourquoi il avait écrit cette histoire contrefaite et quel avantage, selon lui, en recueil lerait sa patrie. « Un très grand, répondit le phi- losophe : lorsqu'ils verront leurs actions ainsi tra- vesties et dépouillées de tout ce qui les flattait, les Pingouins en jugeront mieux et, peut-être, en deviendront-ils plus sages. »
Et voilà pourquoi M. Anatole France entreprit de nous dire à grands traits l'histoire de la Pingouinie et de ses habitants depuis les temps des origines où les Pingouins « debout, dans la majesté de leur gros ventre blanc », reçurent de saint Maël le sa- crement du baptême, et furent, par la grâce do Dieu, admis à la dignité d'hommes jusqu'aux temps modernes, jusqu'aux temps futurs. Ainsi il a pu, sans éveiller aucune susceptibilité dans notre pays — puisque, rappelons-nous bien, il s'agit de Pin- gouins — donner sa pensée sur l'origine de la pro- priété chez ces hommes qui établirent les droits do possession en s'assommant les uns les autres avec des bêches et des pioches, « les guerres et les con-
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quêtes étant les foûdemcQts sacrés des empire^, source de toutes les vertus et de toutes les gran- deurs humaiues » ; il a ])u évoquer les temps an- ciens, où le bandit Krakcn fonda du mémo coup la dynastie desDraconides et le culte de sainte Orln - rose ; les guerres séculaires des Pingouins et des Marsouins qui, par patriotisme, doivent être enne- mis puisqu'ils sont voisins; — et, dans les temps modernes, le libre examen qui amena en Pingoui- nie la réforme religieuse grâce à quoi « les catlio- liques massacrèrent les réformés, les réformés massacrèrent les catholiques, tels furent les pn iniers progrès de la liberté de pensée ». Puis, fran- chissant d'un bond quelques siècles de Thistoire pingouine, M. Anatole France fait surgir la grande figure d'un soldat génial, qu'il appelle ïrinco, <t qui, durant trente ans de guerres, conquit à la Pin- gouinie la moitié du monde connu et la reperdit, car, « aussi grand dans ses défaites que dans ses victoires, il a rendu tout ce qu'il avait conquis. » Et enfin, il arrive au temps actuel, à ce temps où fut établi le gouvernement des Pingouins par eux-mêmes, avec, à leur tête, des magistrats qui ne faisaient point la guerre « parce qu'ils n'avaient point d'habits pour cela » ; de cette période très ac- tuelle, le philosophe rappelle deux grands événe- ments qui mirent en péril la République Pingouine : c'est l'aventure de Pémiral Ghatillon, — sur les pas de qui se pressait la Pingouinie tout entière, — c( qui était beau, qui était heureux, qui ne pensait à
OCTOBRE — LES ROMANS 285
rien » et qui était monté sur un admirable cheval blanc. Cet événement et la chute linale de l'amiral, l'historien les place sous le principat dfun certain président Théodore Formose, lequel « se montrait favorable aux royaUstes dont il admirait et imitait les manières » ; c'est sous ce Principat aussi que se développa le second événement, particulière- ment connu de M. Anatole France, la terrible «af- faire » des quatre-vingt mille bottes de foin, pré- tendument vendues à une puissance ennemie par un juif du nom de Pyrot et qui, accablé par la Pingouinie toute entière, fut défendu par un pe- tit (( homme myope, renfrogné, tout en poils », du nom de Golomban, dont l'effort continu retourna l'opinion pingouine et par-vint à faire reviser le procès fameux. Après ce grand drame évoqué, M. Anatole France nous raconte quelques comédies de la vie pingouine, où les affaires de femmes ont une forte influence politique, et peuvent déchaîner des catastrophes et amener les plus graves événe- ments. Et il arrive à l'apogée de la civilisation pin- gouine, en un temps où le « grand peuple pingouin n'avait plus ni traditions, ni culture intellectuelle, ni arts, où sa capitale revêtait, comme toutes les grandes villes d'alors, un caractère cosmopolite et financier : il y régnait une laideur immense et régulière ». Le pays jouissait d'une tranquillité par- faite, mais elle n'était qu'apparente, car dans les temps futurs de formidables catastrophes sociales menaçaient la Pingouinie : elles éclatèrent, boule-
28ft LE MOUVEMENT LITTÉRAIRK
versèrent de fond en comble la ville et la terri puis tout se calma et tout recommença : de nou- veau, « la capitale s'enrichit et s'accrut démesu- rément, de nouveau on ne trouva plus les maisims assez hautes ; et sans cesse on les suréleva ».
Telli' est cette troublante et merveilleuse hisloir de la Pingouinie, racontée en une langue enchanU resse par un philosophe qui, après avoir été, au cours d'une mêlée historique, le plus passionné des hommes d'action, reprend aujourd'hui sa sé- rénit4? de philosophe avec, tout de môme, un lé- ger frémissement d'une colère qui est devenu( de Tironie au souvenir des temps héroïques...
CHARLES-HENRI HIRSCH
Nini Godache.
Avec Nini Godache, M. Charles-Henry Hirscli nous offre une peinture de la vie faubourienn âpre, cruelle et grouillante comme une image de Callot. C'eU très fort et très douloureux, cela vous prend à la gorge âcrement : c'est du vitriol. Et pourtant, c'est autre chose aussi : à travers la brutalité de cette histoire, il passe un graftd souffle d'humanité, de tendresse, de sensibilité, l'air pur se mêle à ces miasmes de faubourg, et l'on
OCTOBRE — LES ROMANS 287
voit entre les maisons pressées et noires un peu de l'azur du ciel.
Et c'est cela qui fait le prix du nouveau livre de M. Charles -Henry Hirsch ; l'écrivain est resté lui- môme,, avec sa forte personnalité, son intense ori- ginalité, et pourtant il a évolué : son horizon s'est élargi, sa vision, toujours aussi rude, aussi aiguë, est devenue plus humaine, plus capable d'attendris- sement ; ainsi ce beau talent que j'ai loué tant de fois avec tant de plaisir, s'affirme, s'élargit, ga- gne en délicatesse et en douceur sans rien perdre de sa force. Et, après nous avoir peint en des traits vigoureux la morne et active existence du ménage Godache, après nous avoir conté les aventures pa- rallèles et scabreuses de Nini Godache et de son frère, Nénesse, trop tôt, et de façon trop brutale et pénible, initiés au douloureux et noble mystère de l'amour, après nous avoir fait frémir au récit de l'amoureuse et tragique aventure de la vieille ma- î dame Giaffa, éprise d'un beau monsieur qui l'as- ' sassine, M. Charles-IIenry Hirsch jette au milieu de celte tragédie et de cette vilenie, un peu de lu- mière; il fait entrer jiar la fenêtre ouverte un peu , de printemps pour nous montrer « du soleil sur les étoffes souples et claires qui chatoient » pour nous faire admirer « le matin lyrique et pur, le blond matin sous le ciel pale où l'astre semble un éclatement de miel, et celle-là môme qui dans cette tourmente aurait pu être à jamais flétrie et meur- trie : la petite Nini, tel l'oiselet qu'elle avait ra-
28S' LE MOUVEMENT LITTKRAIBK
massé, l'aile malade, et qui, guéri, s'est envolé un matin, à la conquête du ciel, se reprend, elle aussi <'t, comme le tournesol croît vers le soleil, aspire à l'amour sans le savoir. Elle s'est remise à coudre, en rêvant; et elle prépare ainsi sa destinée... »
PAUL BOURGET
Les Détours du cœur.
A propos des nouvelles réunies sous ce titre, nous allons sans doute rcentendre, les lamentations classiques sur l'injuste abandon où est laissé ce genre excellent et si français de la nouvelle. Rien de moins fondé que ces lamentations. La nou- velle n'a jamais ces^é d'être en vogue et il n'est pas d'époque à laquelle elle convienne mieux que la nôtre, si avide de sensations rapides, et où les spectateurs des drames veulent, dès l'exposi- tion, courir au dénouement. Seulement, la nou- velle est un genre difficile, où il n'est pas per- mis d'être médiocre, et c'est sans doute pour cela que les écrivains le cultivent moins et que les lecteurs s'en méfient davantage.
Avec M. Paul Bourget ils n'auront pas deméfianr car l'éminent académicien excelle en ce genre dil licile. Il sait à merveille ramasser et resserrer pour ce cadre étroit les belles qualités d'analyse cL
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d'observation psychologiques qui ont fait sa^ re- nommée.
Chacune de ses nouvelles est un véritable roman mené avec tout son art de composition et de gra- dation, les héros en sont fixés en des traits déci- sifs, leurs âmes sont fouillées avec cette minutie presque douloureuse qui est la marque de son ana- lyse. Ces douze romans que M. PaulBourget a réu- nis en trois cents pages, ont les sujets les plus di- vers : drames rapides et formidables qui feraient frissonner les spectateurs du Grand Guignol comme: « l'Indicatrice » et l'Expert » ; cas de conscience douloureux, comme « la Parole donnée », « Com- plicité )) ou « l'Eventail de dentelle » d'une ex- quise sensibilité ; études de mœurs et de carac- tères, comme : « le Brutus » ou « l'Epreuve ». Si divers que soient ces romans, leur ensemble est pourtant d'une parfaite unité et ce n'est point une fantaisie arbitraire qui les a groupés sous ce titre : les Détours du cœur ; par les chemins les plus (liiïérents, chacun d'eux en effet, nous fait assis- tu .1 un de ces revirements commandés par le cœur, revirements qui nous paraissent si brusques dans la vie et dont au cours de ces nouvelles, M. Paul Bourget nous fait comprendre les raisons pro- fondes, et nous offre la leçon de morale supé- rieure.
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âOè LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
CLAUDE FERVAL
Ciel rouge.
Sous le titre, CteZ /?ow{7e, prometteur d'émotions de meurtre et d'incendie, Claude Ferval publie un roman très poignant où la vieille histoire de la femme tendre, sensible et délicate, mariée à un époux brutal et sensuel et aimée par un poète ar- dent et charmant, qui paye de sa vie un amour par- tagé, est contée d'une façon très originale et pre- nante. C'est que l'auteur a su traiter ce sujet de- venu banal — mais qui peut se vanter de traiter un sujet original ? — comme un véritable drama- turge, avec une science supérieure des effets tra- giques, des préparations angoissantes, avec aussi une observation des caractères très ingénieuse et très forte. Et puis son héroïne, Laurence, appa- raît d'autant plus belle et d'autant plus émou- vante qu'elle reste pure et que la sanglante sanc- tion du mari est profondémenl injuste ; or le pu- blic a toujours aimé particulièrement les héroïnes dont l'amour ne fut point couronné, et depuis la Laure de Pétrarque et la Juliette de Roméo, son goût n'a point changé : il aime passionnément les amoureuses chastes... en littérature.
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PIERRE MAEL
L'Enigme du Transtévère.
M. Pierre Maël, dont j'ai tant de fois loué la fé- condité devenue plus intensive encore depuis que les gazettes nous ont annoncé sa mort, publie un nouveau roman : V Enigme du Transtévère. Et l'occasion est bonne pour moi de mettre fin, une bonne fois, aux plaisanteries faciles auxquelles j'ai pu me livrer sur ce mort parlant : Pierre Maël était le pseudonyme commun de deux écrivains dont l'un seulement est mort, il y a deux ans ; le 'survivant a gardé, comme c'était son droit, le pseudonyme commun et il continue d'écrire, en quoi il a bien raison, car ses romans intéressent toujours une foule de lecteurs avides d'émotions fortes et copieuses. Ils ne seront point déçus avec V Enigme du Transtévère où, sur des données bis- toriques, l'auteur a bâti la plus formidable aven- ture qu'on puisse imaginer, tissu de drames d'a- mour, d'ambition, de meurtre et d'assassinat ; il est vrai qu'il avait beau jeu, car cette aventure se déroule en Italie vers la fm du quinzième siècle, au temps de César et de Lucrèce Borgia. Vous jugez ce qu'un romancier à l'imagination ardente et fer- tile a pu tirer d'un sujet où la simple histoire lui fournissait déjà tant de drames et d'émotions I C'est tout bonnement effrayant. Et les nombreux lec-
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leurs de Pierre Maël seront angoissés délicieuse- ment pendant de longues heures.
MATHILDE ALANIC La Romance de Joconde.
La Romance de Joconde est une de ces œuvres où sont exaltées des choses infiniment nobles : l'honnêteté supérieure, Tabnégation, le sacrifice au devoir, choses toutes fort excellentes mais qui ne sont hélas! pas très courantes; ainsi, tel Cor- neille, madame Mathilde Alanic nous peint l'hu- manité comme elle devrait être plutôt que comme elle est.
Le refrain de la romance de Joconde :
Et Ton revient toujours A ses premières amours...
peut servir d'épigraphe au roman, mais ce n'est [• lui qu'on chante au dénouement, car, si Claudo. Morgat, la généreuse et forte artiste, qui fut trahie jadis par Pascal Jousselin, se trouve au moment où elle le revoit ramenée par une force irrésistible à ses « premières amours », elle trouve cependant l'énergie nécessaire pour résister et pour se sacri- fier! Pascal est aimé en effet éperdument d'une frêle jeune fille avec qui il doit se marier et qui mour-
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rait de son abandon. Cette gentille et passionnelle histoire se déroule dans le cadre d'un couvent installé dans une petite ville de Belgique par des religieuses expulsées de France, et cela donne à ce calme roman d'une très bonne tenue littéraire un petit air d'actualité combative.
L'Auteur d' « Amitié Amoureuse y> ET JEAN DE FOSSENDAL
L'Amour guette...
Les drames de l'adultère ne sont pas nécessai- rement parisiens, et quoi qu'en semblent penser nos romanciers contemporains, les angoisses des épouses infidèles, les souffrances des maris trom- pés, ne sont pas moins émouvantes dans le vaste cadre de la campagne et de la mer que dans le décor .raffiné des boudoirs, où ils situent, par une sorte de tradition nécessaire, les cinq à sept amou- reux; « Tamour guette » partout, il est partout dramatique, douloureux, passionnant.
C'est pour avoir compris cette vérité assez uni- versellement connue, que l'auteur d'Amitié amou- reuse et M. Jean de Fossendal ont réussi avec L'A- mour guette..., à tirer un fort original roman d'un sujet tant et tant de fois traité. C'est l'aven- ture de Jacques Férouetde sa femme Marine, mé-
294 LR MOUVEMENT LITTÉRAIRE
nage modèle, qu'aucun nuage n'a troublé depuis douze ans, et que le retour de Firmin Vaudry, au- trefois fianœ Ji Marine, va bouleverser et désoler; la tempête passionuelle qui dévaste ce ménage est d'autant plus terrible et meurtrière qu'elle est inattendue: Marine ne croyait pas aimer Vaudry, et celui-ci, autrefois fiancé à elle, se croyait bien guéri. Mais l'amour, sournoisement, les guettait; après des luttes inutiles, il les jette aux bras l'un de l'autre. Et c'est le drame habituel de l'adultère qui commence, avec ses dissimulations, ses an- goisses, ses dangers : peu à peu l'opinion publi- que mise au courant — car à Saint-Jouin comme à Paris, « tout le monde le sait, sauf le mari », — et enfin, l'inévitable catastrophe : l'amant congé- dié, qui, fou de douleur, se jette du haut d'un ro- cher, bientôt suivi par sa maîtresse. Et seul, dé- sespéré, le pauvre mari apprend tout à la fois son deuil et son malheur, de la bouche d'une jeune fille qui aimait, elle aussi, Firmin Vaudry; et de ces deux douleurs unies, peut-être — beaucoup plus tard — un peu d'apaisement et de bonheur renaîtront.
C'est une assez simple aventure, mais elle tra- verse des existences agrestes que nous connais- sons mal et dont la peinture nous intéresse, elle émeut des âmes frustes dont les souffrances oiif quelque chose de pittoresque, de naïf, de sincèr' et un peu dilTérentes de ce que nous révèlent ]• psychologies parisiennes. Différence d'ailleurs bien
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superficielle, car la douleur et l'amour a'ont pas de patrie ni de province, et c'est justement de l'a- voir compris, d'avoir renoncé au cadre tradition- nel, séduisant et facile, que nous devons louer l'auteur d'Amitié amoureuse, et M. Jean de Fos- sendal, qui ont su être à la fois très humains et très couleur, locale, un peu trop même parfois, ir leurs héros souffrent et aiment en un patois, amusant au début, mais dont on se lasse à la lon- gue et qui finit par devenir un peu irritant...
RENE THIRY
Monsieur Gendron va au peuple.
D'une bien jolie note satirique, le roman sous le titre Monsieur Gendron va au peuple, mérite- rait une longue analyse que la folle abondance dos livres m'empêche de lui consacrer. J'ignorais jusqu'ici le nom de son auteur, M. René Thiry ; soyez assurés que c'est là un écrivain doué des plus intéressantes qualités de verve, d'esprit et d'ob- servation; son récit de l'aventure de M. Gendron, piqué, vers la soixantaine, de la tarentule socia- liste, les déboires auxquels l'expose son loyal essai et son sauvetage opéré au bon moment par un jeune poète décadent, doué heureusement d'un ■nsplus pratique que le sociologue, tout cela est
206 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
conté par M. René Thiry de façon très amusant, très observée, avec une pointe d'attendrissement, avec aussi un sens parfait de la mesure qui le dé- fend contre les écarts de langage et contre des plaisanteries trop faciles en un pareil sujet.
PAUL LECLERCQ
Les Aventures de Bécot.
l'ii • harraant livre, les Aventures de Bécof . uous ramène vers des pays de fantaisie; c'est un véritable conte de fées, paré de toute la naïveté qu'il faut pour séduire des enfants, mais d'u.K naïveté si spirituelle, si verveuse, si narquoise, où tant de vérité et de philosophie, se dissimulent sous la fantaisie des imaginations que les hommes y prendront le plus vif plaisir, ils se divertiront au récit des aventures extraordinaires de Bécot et lorsque, en compagnie de cet aimable géant, ils arriveront devant la cage du Jardin d'Acclimata- tion où ils verront des singes ressemblant éton- namment à nos plus notoires politiciens, leur joie malicieuse ne connaîtra plus de bornes.
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HENRI DORIS La Grande Déesse.
Ce roman est excellent, d'abord, parce qu'il est intéressant, bien xîonduit, émouvant, ensuite et surtout,, parce que sa tendance est des plus loua- bles : il célèbre, en effet, la noblesse, l'utilité, la grandeur féconde de la pauvreté, et porte en épi- graphe ces fortes paroles d'Emile Augier : « La pauvreté, c'est la grande déesse ! Elle est le tra- vail, le courage, le génie, la fécondité. » Et c'est ]ii une chose bonne à dire à la jeunesse pauvre et laborieuse, qui puise dans ces considérations un utile amour de la pauvreté et l'énergie nécessaire . pour en sortir. Ajoutons que ce n'est pas loin d'ê- . tre conforme à la vérité, et que la sainte pauvreté est une école salutaire, quoique bien dure parfois. j: Tout de même, M. Henri Boris s'est peut-être laissé emporter un peu loin par le désir d'appuyer p sa thèse généreuse, sur un exemple frappant; et f- il y a quelque outrance dans le double symbole V-, de la pauvreté, qui conduit le marquis d'Argen- |; tel au génie, à la gloire, au bonheur, et de la ri- t chesse, source de tous les maux et de toutes les 1, misères qui fondent sur le comte de Morteu et sur ' sa famille. Mais comment faire du symbole sans un peu d'outrance I Et celui de M. Henri Boris est sans danger, il n'inquiétera pas les riches, et il risque d'encourager les pauvres...
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298 LE MOUVEMEUT LITTÉRAIRE
PIERRE VILLETARD La Montée.
M. Pierre Villetard, le jeune romancier dont j'avais jadis tant aimé l'œuvre de début Monsieur et Madame Bille, poursuit très heureusement une intéressante carrière d'écrivain, il a publié cette année un roman très attachant qui s'appelle La Montée et qui appartient à ce genre du roman « meublé » où Panecdote copieuse, les personna- ges nombreux, donnent au public ravi Pimpression qu'il en a pour son argent : il prendra un vif in- térêt à l'épopée bourgeoise, à la « montée » de Catherine Pelvilain et de son fils, qui poursuivent âprement, et atteignent au dénouement, Punique but de faire fortune. L'un de nos plus brillants au- teurs dramatiques remarquait naguère devant moi que le public du théâtre aime infiniment les spec- tacles oii le^ héros, apparus au premier aC dans une mansarde, terminent le cinquième da un palais ; il en est de même des lecteurs de r^ mans : ils se plaisent dans la société des person- nages qui font fortune, tous les éloges de la pau- vreté ne feront rien à ce goût inné.
Cette réussite finale leur donnera quelque in- dulgence pour Catherine Pelvilain et son fils — qui en ont besoin, ce dernier surtout, car il n'est vraiment pas « très chic » et se plie un peu trop
OCTOBRE — LBS ROMANS 299
docilement aux pratiques volontés de sa mère : àme médiocre, incapable d'un ^rand crime, sans défense contre les petit3s infamies que lui dicte son intérêt bien entendu ; c'est une figure très heureusement observée, peinte avec beaucoup de « nature » et un sens délicat des nuances et qui évolue dans un milieu de bourgeoisie très curieu- sement évoqué avec peut-être un peu de pessi- misme, tout de même.
GASTON RAGEOT
Un grand homme.
En un roman tout à fait dramatique, M. Gas- ton Rageot nous raconte l'histoire d'Un Grand Homme, qui est un faux grand homme, qui a édi- lié sa gloire et sa fortune sur un crime. Duroc, le patron, ayant eu connaissance de la géniale in- vention du contremaître Bcrthier (voilà des noms bien napoléoniens i), assassine son contremaître et Jipplique son invention. De ce fait divers, assez l);inal et qui pourrait aisément donner lieu à des développements emphatiques et mélodramatiques, M. Gaston Rageot a tiré un roman d'une belle al- lure tragique et simple : il a mis face à face le fils (l(î l'assassin, découvrant vingt ans après — avec quelle horreur I — l'indignité paternelle, et la fille
LE modvemp:n'T littehaire
(le la victime qui, bien avant, avait deviné le crime.
Le choc de ces deux ôtres d élection, l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, leur séparation douloureuse, sont vraiment très dramatiques, et retracés avec une sobriété qu'il faut louer, M. Gas- ton Rageot a cru, nous dit-il, que « ce sujet, où le temps et Jes années tiennent un rôle si considé- rable, prendrait d'autant plus de force qu'il serait plus ramassé », il a eu raison et il a réussi à faire de la concision synthétique la qualité maî- tresse de son roman.
Par exemple, il nous met en garde dans sa pré- face contre les interprétations politiques qu'on pourrait donner à ce roman, parce qu'on y voit un patron voleur, et un autre patron — son fil — qui offre son usine à ses ouvriers : j'avoue que, pour moi, la précaution est tout à fait inutile et que je n'imagine pas qu'on puisse voir dans ce roman une conférence sociale ou une thèse politi- que.
CHEKRI GAMEN
Da'ad.
Avec M. Chékri Gamen nous nous en allons bien loin de Paris, jusque dans l'Orient lumineux <( troublant dont la poésie arabe exprime si bien 1<
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charme inquiétant, mystérieux et passionné ; le roman de M. Chékri Gamen s'appelle : Da'ad, ce n'est pas un titre bien alléchant, mais ne vous arrêtez pas à ce détail, ce nom qui n'est pas eu- phonique est celui d'une bien jolie, bien doulou- reuse petite danseuse virginale à la grâce toute- puissante et dont l'aventure est bien poignante : harmonieuse victime des passions qu'elle inspire et de la fatalité qui pèse sur elle aussi lourdement que sur Œdipe, elle est sans force pour supporter ses malheurs et sa raison sombre en cette aven- ture où nous voyons, comme dit le poète arabe : « L'oiseau égorgé qui danse aussi... de douleur. »
JEAN DRAULT
Le Barbier Gracchus.
Roman historique, voici le Barbier Gracchus, « épisode de la Terreur lyonnaise », par M. Jean Drault. Il est très" amusant, ce roman plein de verve, de mouvement et de vie, et j'ai pris, à le lire, un vif plaisir, que partageront, je crois, les très nombreux amateurs de ces grandes évocations romanesques de l'histoire. i\ï. Chavanon, dans sa préface, prétend que, non contents de s'amuser, ils s'instruiront aussi, car c'est une page d'iiistoire qu'on lui offre, « c'est le tableau fidèle de cette
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302 LB MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Vendée du Midi qui répoadit courageusomcut aux atrocités ordounées par Dautoa qui avait dit: « Si- gnifions à coups do canon la constitution de 1793 à Lyon. » Et en effet, cti roman pourra instruire ses lecteurs; tout de même le fait seul que Ton désire, avec lui, a rectifier le jugement de bien des gens induits en erreur par M. Aulard et son groupe qui font, eux, et sans prévenir le public, du roman bien plus que de l'histoire », m'inspire quelques doutes sur la sereine et historique impar- tialité de Tauteur...
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES,
DIVERS.
GILBERT STENGER
Le Retour des Bourbons.
M. Gilbert Stenger, qui vient de terminer une œuvre magistrale dont j'ai eu maintes fois Tocca- sion de parler ici : F « Histoire de la Société fran- çaise pendant le Consulat », publie un volume : le Retour des Bourbons, « d'Hartwell à Gand, le règne des émigrés (181i-1815) ». Ainsi, venant à peine de terminer Fexamen de Pœuvre du pre- mier Consul, il nous fait assister aujourd'hui à la chute de TEmpereur. La transition est brusque et émouvante. Ce moment de l'histoire de France qu'évoque .M. Stenger est, je crois bien, le plus palpitant, le plus poignant, de ce temps, si fertile
.30t LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
cependant en émotions et de tous les temps. Bien des écrivains nous Pont raconté, depuis Chateau- briand jusqu'à M. Henri Houssaye, et cependant M. Gilbert Stenger a trouvé le moyen d'y appor- ter une documentation nouvelle, de l'évoquer d'une façon inédite. C'est que, jusqu'ici, c'est surtout aux côtés de l'Empereur que se tenaient les his- toriens, c'est de chez lui qu'ils contemplaient le spectacle. M. Gilbert Stenger, lui, est passé do l'autre coté, il est allé chez les Bourbons retour d'exil; et c'est une étude pleine d'intérêt, « car le contraste fut grand entre les princes qui s'é- taient installés aux Tuileries, entre leur manière de vivre et de penser et celle du grand capitaine que l'Europe coalisée avait combattu ».
Ces Bourbons, M. Gilbert Stenger, a voulu les étudier sans partialité; il les juge sans indulgence; «leur égoïsme fut patent, détestable; leur appétit de pouvoir immense. Ils pouvaient être grands, généreux, réconcilier sous leur égide les amis et les ennemis de la Révolution. Ils se montrèrent d'esprit étroit et rancunier. Et la Nation se prit à regretter le monarque qui, tout despote qu'il fût, au milieu d'une gloire éblouissante, savait prendre à cœur les plus petits intérêts de ses sujets ». Et dans des pages d'une riche documentation et d'une vie intense, l'auteur évoque : les Bour- bons errants; la résidence d'IIartwell, et nous raconte le roi Louis XVIII et le règne des Emigrés • n 1811; la fuite du Roi au retour de l'île d'Ell)o,
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 305
et enfin, le retour de Gand, et l'installation hypo- crite des « ultras » et de la Terreur blanche.
PAUL GAUTIER
Mathieu de Montmorency et Madame de Staël.
C'est un fort captivant volume à la première page duquel sourit en miniature le ravissant et fin vi- sage de madame Necker de Saussure. En ce livre sont évoqués, en des traits touchants et parfois inédits, le visage de M. de«Montmorency qui « livre toute son âme pure, généreuse et naïve, dans cette correspondance », et celui de madame de Staël (( qui revit là avec ses puissantes facultés, cet amour de la gloire, cette fascination extraordinaire qu'elle exerçait sur ses amis et sur ses proches, mais aussi avec ses passions, sa tristesse, sa mélancolie, cet étrange pouvoir de créer de la souffrance et de la peine ».
GEORGES BOULOT
Le Général Duphot (1769-1797).
Tout le monde connaît le nom du Général Du- phot, mais beaucoup ne connaissent que son nom
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et ignorent la carrière magnifique de ce général, né en 1769, mort en 1797 à vingt-huit ans, après s'être fait, suivant le mot de Joseph Bonaparte, '(( renommer comme un prodige de valeur dans une armée dont chaque soldat était un héros » ; carrière hrusquement interrompue par la mort tragique du général français venu à Rome retrouver sa fiancée, Désirée Clary, et qui, lors d'une émeute, emporté par son ardeur républicaine, fut tué par les soldats pontificaux à quelques pas de l'ambas- sade, sous les yeux de sa fiancée. L'arrière-neveu du général Duphot, M. Georges Boulot, avocat à la Cour d'appel, a publié une étude complète et très inédite sur son glorieux aïeul, étude appuyée sur un grand nombre de pièces justificatives, parmi lesquelles les opinions réunies de ses chefs — et quels chefs ! — sur Duphot, constituent pour ce beau soldat un dossier sans pareil.
JEAN HANOTEAU
Lettres du Prince de Metternich à la Comtesse de Lieven. 1818-1819
L'intérêt de ce livre est double : romanesque et historique. Il nous initie de la façon la plus complète à la Uaîson du fondateur de la Sainte Alliance avec l'ambassadrice de Russie à Londres,
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liaison que Chateaubriand ne s'était pas fait faute de dénoncer : c'est l^intérêt sentimental du livre ; au point de vue historique, il a également son mérite, car Metternich dans sa correspondance se montre, en politique, fort bavard et parfois fort indiscret, et comme, d'autre part, M. Jean Hanoteau a expliqué toutes les allusions au passé de Metternich, « identifié tous les diplomates et tous les hommes politiques mentionnés dans les lettres et désignés par de simples initiales, comme il a consacré à chacup d'eux une note substantielle, son œuvre très consciencieuse té- moigne d'un fort grand soin, d'une lecture étendue, d'un vaste savoir, ce petit roman épistolaire enca- dré de si bonne façon, éclaire d'un jour nouveau la vie de deux personnages remarquables du siècle dernier ». Ainsi s'exprime dans sa préface M. Ar- thur Ghuquet, lequel est un bon juge.
FREDERIC MASSON
Autour de Sainte-Hélène.
La véritable histoire ne saurait être souriante et détachée: c'est l'avis de M. Frédéric Masson qui nous apporte un livni d'histoire passionnée, ar- dente et combative. Ce livre, k pour titre : Autour de Sainte-Hélène. Il s'agit de démêler quelques-
;JOS LE MOUVEMENT LITTi5RAIBE
unes (les aventures obscures, des intrigues, des iiiiibitions qui s'agitèrent autour de l'aigle blessé, enchaîné sur son rocher où Ta suivi M. Frédéric Masson, plus ardent que jamais à défendre sa gloire, et plus enflammé contre ses ennemis ou contre ceux qui Tentourèrent et ne surent point l'aimer comme il fallait, contre ceux aussi qui auraient du venir le rejoindre et ne sont point venus. Parmi ceux qui, du moins, eurent le dé- vouement d'être là, de partager la captivité et les douleurs de leur Empereur, le général Gourgaud et le chirurgien Antommarchi ont été, pour diverses raisons très discutés, très attaqués. On n'a pas oub^é les polémiques douloureuses qui, l'an der- nier, s'élevèrent entre des historiens et le descen- dant du général Gourgaud, — celles aussi qui fu- rent soulevées sur le cas « Antommarchi ». Le public, et particulièrement les lecteurs du Figaro, connaissent le débat et aussi le sentiment de M. Fré- déric Masson qui prétend l'appuyer sur des pièces et des documents très bien ordonnés et présentés, avec cet ordre, cette conscience et aussi cet art d'exposition qui font l'intérêt merveilleux de ses ouvrages; c'est de l'histoire sincère et profondé- ment honnête; ce n'est point de l'histoire impar- tiale, M. Frédéric Masson, d'ailleurs, n'en veut point faire, il veut être un juge, et en possession de la vérité, ou de ce qu'il croit être la vérité, il sent que celle-ci ne lui appartient point ; il ne l'a point reçue pour la cacher; à tout risque, il doit
OCTOBRE — HISTOIRE, tITTéBATURE, VOYAGES, ETC. "809
la produire, sa conscience le lui commande; en l'enfouissant il croirait commettre une mauvaise action.
Cela n'est point commode, cela offre même des inconvénients pour la tranquillité personnelle, M. Frédéric Masson le sait et il en a pris son parti ; ajoutons que cette passion pour la vérité n'est point seule dans le cœur de l'historien, il y a à côté une autre passion toute puissante : le culte qu'il a voué à son héros.
Il éprouve une vraie douleur en songeant au grand empereur (( reclus en cette misérable ca- bane, vêtu de ses vieux habits de chasse rape- tassés, retournés, avec la place plus foncée des ga- lons décousus tranchant sur le vert passé, chaussé de souliers de paysan anglais qui blessent ses pieds, cependant qu'il remâche sans cesse son empire détruit ; » tout disparaît pour l'historien devant cette misère immense et l'on sent bien qu'il ne peut trouver en son cœur nulle compassion, nulle indulgence; en son esprit, nulle sérénité pour juger ceux qui, à son sens, ne surent point mettre exactement leur dévouement à la hauteur de cette infortune.
310 LE MOUVEMENT LITTERAIRE
G. FERRERO
Grandeur et Décadence de Rome : Auguste et le grand Empire.
Il m'est bien difficile, dans ce cadre trop étroit pour une analyse complète, de parler pour la sixième fois de Tceuvre de M. Ferrero. N'ai-je point épuisé toutes les épithètLîS de la louange et de l'admiration pour cette Qîuvre où l'écrivain ita- lien, à force de science, d'art et de vie, a révolu- tionné et renouvelé l'histoire classique, et fran- chissant les siècles, a rattaché l'histoire de Rome à notre propre histoire, non plus avec des phra- ses et des déclamations, mais avec des faits, plus éloquents que tous les discours.
Nulle part, dans cett(3 œuvre magistrale, cette faculté de synthèse historique n'apparaît plus bril- lante que dans ce volume consacré à Auguste elle Grand Empire, Auguste qui, volontairement — parfois inconsciemment — , a travaillé pour l'his- toire contemporaine, car « la force politique de l'Eu- rope moderne, en face de l'Orient, vient.en grande partie de cette idée romaine de l'Etat indivisible, idée qu'Auguste et Tibère ont tant contribué à sauver dans un des moments les plus critiques de l'évolution universelle. »
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 311
Lieutenant-Colonel ROUSSET
Le Haut Commandement des Armées Allemandes en 1870.
Dans ce livre la stratégie est singulièrement émouvante, car l'auteur y étudie « Le Haut Com- mandement des Armées Allemandes en 1870 ». Selon le colonel Roussel, la relation officielle de l'état-major allemand sur la guerre de 1870, œu- vre remarquable, puissante, à peu près impartiale et d'une vérité frappante, a néanmoins faussé notre optique, contribué pour une grande part à « au- réoler l'organisme militaire sous lequel nous avons succombé d'un renom de perfection et d'impecca- bilité » qui n'est point exact ; sur des faits et des documents, il prétend rétablir la physionomie véritable d'un monde sur lequel on se fait encore, dans beaucoup de milieux, des illusions considé- rabl(3S, et il ajoute — avec une logique trop évi- dente — qu'il « est bon de bien connaître ses ad- versaires, et que ce n'est point les diminuer que de les montrer tels qu'ils sont ».
'312 LE MOUVEMENT LITTÉRAIBE
FORTUNAÏ SÏROWSKI
Pascal et son temps. T. III. Les Provinciales et les Pensées.
J'ai (lit naguère le grand intérêt historique et sentimental que présente l'œuvre publiée par M. Forlunat Strowski sur Pascal et son temps. Cette œuvre considérable, qui fait partie de « l'histoire du sentiment religieux en France au dix-septième siècle », se termine avec le troi- sième volume, \u\,\i\x\ôi les Provinciales et les Pen- sées, Toute la portée, la signification morale du livre se trouvent résumées dans ces deux titres : (( les Provinciales », « les Pensées »; et avec cette maîtrise dont il nous a déjà donné la preuve, avec cette connaissance profonde, tout à la fois des hommes du dix-septième siècle et de l'âme et du génie de son héros, M. Fortunat Strowski nous retrace en des pages émouvantes le grand drame psychologique qui a conduit ce génie « qui déborde toute définition et déjoue toute prévision, des mon- danités banales au tourment de l'infini ».
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, VOYAGES, ETC. 313
LOUIS BERTRAND La Grèce du soleil et des paysages.
Le livre de M. Louis Bertrand a tout à fait ré- pondu à mon attente. Je comptais bien qu'il nous parlerait de la Grèce d'une façon assez nouvelle, et bousculerait quelque peu les traditions établies ; je ne voyais pas cet écrivain si passionnément la- tin et vivant, si épris de couleur et de force, errant pensif et sentimental, parmi des ruines, des sou- venirs et des morts immortels; et en effet, ce n'est pas cela que M. Louis Bertrand a admiré, ce n'est pas cela qu'il a voulu voir — et peut-être tout de môme s'est-il privé de quelques joies, de quelques sensations — mais ce qu'il a vu, en Grèce, la splendeur lumineuse dont il a réjoui ses yeux, il nous le rapporte en des pages vraiment belles et que j'ai beaucoup admirées, ce qui ne m'empê- chera pas quelque jour de relire avec un plaisir tout différent — mais bien vif tout de même — les
rs d'André Chénieretles proses de Pierre Louys ^iir la Grèce...
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MA . LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ABEL REY
La Philosophie Moderne.
Jm l'Uilosopluc ModcrnCf sous sotf allure de calme discussion, de sagesse sereine et de savante élude, est un livre de combat — de bon combat, à mon sens. Selon Tauteur, le vrai titre de son li- vre serait, si la couverture se prêtait à un pareil allongement, « l'exposé sommaire de la forme sous laquelle les grands problèmes de la philosophie posent à Theure actuelle ». Ces grands problèmes qui sont toujours les mêmes : problème de la matière, problème de la vie, problème de Tespril. problème de la connaissance, problème de l'ii lion et de la conduite, diiïérent suivant les tenij- par la façon dont ils sont posés, par les tcruK^ dans lesquels on les énonce parce que ces ter- mes ont toujours reflété les préoccupations parti- culièrement dominantes du moment ; or, en < • temps, on voit aux prises deux groupes de phil sophes : ceux qui ne « pouvant se résoudre ignorer ce sur quoi on ne sait encore rien, d l'avouer avec modestie, dédaignent un peu ce: science qui avance si péniblement et si lent ment, avec tant d'avatars et de détours, à la con- quête de la vérité. Cette vérité, ils la veulent tout de suite, et toute entière, et comme ils trouv» que les méthodes scientifiques ne nous apprennent
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES^ ETC. 315
rien d'assez absolu, leur dogmatisme cherche les fondements de la vérité et de la morale, un sys- tème définitif et intéo:ral des chose
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Les autres, au contraire, accordent une très grande attention, une très grande importance à la science, et la connaissent très bien, ils cher- chent à Putiliser pour des fins qui sont en dehors d'elle et parfois contre elle : ce sont les scientistes contre les pragmaiistes.
M. Abel Rey est un scientiste, mais comme il a voulu faire œuvre d'étude et d'impartialité, il a essayé de tout dire, de faire à ses adversaires la part légitime qui leur revient et de se neutraliser autant qu'il a pu. Il n'a pas pu complètement, il le sait, et c'est très heureux, car cette passion pour ce qu'il croit être la vérité donne à son livre de science, delà vie, de la force, de la générosité. Les chapitres très ordonnés où il prétend établir sa théo- rie, qui a du moins le mérite d'être infiniment fé- conde.sont consacrés tour à tour, au problème du nombre, delà matière, de la vie, de l'esprit, au pro- blème moral, et à celui de la connaissance de la vérité, et il aboutit à une conclusion très nette, très évidente, en faveur de la philosophie de l'expé- rience, l'expérience qui a besoin d'être expliquée, mais (( qui étant toute la réalité n'a pas besoin d'être justifiée : car elle est. »
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.'H6 LE MOUVEMENT LITTÉRAIBE
EDMOND PICARD
Le droit pur.
Ce livre du grand jurisconsulte belge, est une œuvre de science profonde et de vaste pensée qui est comme son testament juridique et le résultat de quarante années de voyages et de vie « dans le pays du droit où, botaniste, entomologiste obstiné, M. Edmond Picard a recueilli patiemment et sou- mis à l'analyse des notions par milliers ». Son but, dans cette œuvre considérable, écrite en un 6tyle clair, original et attrayant, a été, nous dit-il, de fixer l'ensemble des « permanences abstraites du droit, sa partie immuable dégagée de toute végétation concrète et changeante, ses premiers principes, ses fondements, sa philosophie, son es- prit, en un mot ce qui constitue le droit pur, ce qui appartient à tous les systèmes juridiques, aussi bien aux systèmes rudimentaires et primitifs des sociétés peu civilisées, qu'aux systèmes plus avancés et plus développés de celles parvenues ii une culture raffinée ». Et il l'a fait en un livn magistral, qui se termine par une sorte d'acte d» foi très impressionnant oii l'auteur nous dit s. confiance dans T utilité de son œuvre, et son res- pect pour le Droit « qu'il voit très beau »,
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 317
MÉMENTO DU MOIS D'OCTOBRE
ROMANS
Achalme (Madame Lucy). — Le Maître du pain.
Assire (Simon et Marie). — Le frisson des Lys, une gentille histoire.
Borys (Daniel). — Le Royaume de l'oubli, « pathologie et psy- chologie des fumeurs d'opium ».
Claretie (Léo). — Les Héros de la Yellowstone, roman d'aven- tures tout à fait dramatique et palpitant.
Conan Doyle. — Le Parasite, traduit de l'anglais par MM. Albert Savine et Georges Michel.
Constant (Jacques). — Rosine se range.
iziôre (Alphonse). — L'Ecole des piques-assiettes, « roman gai >.
Golsworthy. — Un cri dans la nuit, traduit de l'anglais par M. Henri Huart.
Ueer (J.-C). — Le Roi de la Bernina, un roman suisse plein de couleur, de force et de saveur qui obtint chez nos voisins un très grand et très légitime succès. Le doc- teur Arnold Rossel vient de publier à Lausanne une fort littéraire traduction française de ce beau livre qui méritait d'être connu en France et qui, « tout im- prégné de l'air pur des hautes cimes, initiera à la vie, aux mœurs et au caractère à la fois calme et passionné de la population des Grisons et spécialement des habi- tants de l'Engadine, tout en f;jisant apprécier le talent littéraire et la poésie idéale d'un des écrivains suisses les plus estimés ».
Ilippeau (Jean-Paul). — René Rousselier.
Lorris (Claude). — Les nuages s'' amoncellent, un roman d'a- mour et de passion.
18.
318 LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Margueritte (Paul). — Ma Grande, un gracieux, frais et dra- matique roman.
— La Princesse noire, un roman d'aventures où l'auteur a accumulé les épisodes tragiques et les péripéties poi- gnantes, nous offrant le régal d'un roman-feuilleton palpitant composé par un écrivain de race.
iNayral (Jacques). — Le miracle de Courteville, un très vivant et parfois trôs violent roman de mœurs politiques qui se déroule en une petite ville.
Osmond (Madame Anne). — Le Sequiîi d^or.
Poutier (Cclestin). — Les Pourpres.
Thélem (Madame Myriam). — Les Aventures d'une bourgeoise de Paris. Ceita bourgeoise, qui s'aj^pelle dame Maliault, est une sujette du bon roi Louis IX. et les circonstan- ces l'amènent à jouer un rôle tout à fait particulier dans la croisade. Héroïne et victime, elle y déploie beaucoup de vaillance et de dévouement, et cette his- toire où il y a eu beaucoup de combats, de trahison de douleurs et d'amour, se termine, le mieux du^mondc, dans la paix, le pardon et le sourire.
Zapolska (Madame Gabriellc). — L-Oraison dominicale, un ro- man traduit du polonais par M. Paul Cazin.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Avray (Maurice d'). — Le Procès du Chevalier de La Barre.
Brémont (Léon). — UArt de dire et le Théâtre, une œuvre tout à fait remarquable, où M. Léon Brémont étudie, tour à tour, avec infiniment de compétence : la diction, la correction, l'expression, le lyrisme, l'art du comédien, et donne sur tout cela de précieuses et précises indi- cations, précédée d'une ])réface combative où l'auteur conclut que « les professeurs <lu Conservatoire étant dignes d'être appelés des maîtres, il serait fâcheux
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, ETC. 319
qu'on en fît des régisseurs pour ])réparer des repré- sentations mondaines ! »
Brenct (Michel). — Haydn, une étude parue dans la série des c Maître de la Musique ».
Brisson (Adolphe). — Le Théâtre, la troisième série des cri- tiques dramatiques de M. Adolphe Brisson, ces chroni- ques si vivantes, si incisives, d'un style si alerte, d'une note si juste et si ingénieuse, que les lecteurs du Temps attendent chaque lundi avec tant d'impatience, et qui, sorties du journal, pour la rigidité du livre, gardent tout leur agrément, tout leur intérêt, toute leur sa- veur, ibrol (Dom Fernand). — L'Angleterre chrétienne avant les Normands.
dadel (Madame Judith). — Auguste Rodin, l'œuvre etl'homme, un splendide volume dont le texte apparaît tout à fait original et intéressant, vivifié par les causeries de Ro- din ; quant aux images, elles sont vraiment admirables, et dans ces 90 planches hors-texte, tirées en hélio- gravure et en héliotyi^ie, sur un superbe pai)ier de Hollande, il y a vraimentune interprétation supérieure du génie de Rodin qu'on retrouve là dans toute sa puissance et toute sa noblesse. »ulevain (Pierre de). — Au cœur de la vie, un volume orné de cette épigraphe de Platon : t Dans la Vie, tout con- court et tout sert », où sont réunis des notes ingé- nieuses, ijiquantes et fortes, sur Baden-Baden, Saint- Germain, Lauzanne et Paris, écrites par une femme de lettres à qui nous devons des œuvres si remarquables, telles : Vile Inconnue.
I) ludet (Ernest). — RéciL<t des temps révolutionnaires, un vo- lume dont l'intérêt sera d'aut int plus vif pour le pu- blic que l'éminent historien usant, comme il fait ion- jours, de documents inédits, a réussi à nous donner un beau livre de grave et sereine hi>>toire, qui est aussi nouveau, aussi imprévu qu'un roman. Pour mon compte, j'ai é;»rouvé au récit, notamment, du complot Coigny- Hyde de Neuville, l'émotion la plus palpitante, et je l'avoue, à mi honte, j'avais tout, ou à peu près, à ap- prendre de cette t''"''—''';-'^ histoire de chouan- et
.'^-20 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
<luiiiigrés ligués contre le Premier Consul et aux pri- ses avec la police deFouché.
l»onnay (Maurice). — Théâtre, le troisic-me volume où sont réunies trois des œuvres maîtresses de l'académicien : Georrjette Lemeunier, Le Torrent, la Bascule, œuvres tou» à la fois si charmantes et si fortes, où il y a tant d'es- prit, tant de pensée, tant de cœur, où jiasse si humai- nement ce « frisson de Paris » dont parle un des per- sonnages.
Douxménil. — Mémoires pour servir à V histoire de la vie de mademoiselle de Lenclos.
itnv:.) Mîeorges) et Xavier Roux. — Le chant du Cygne, la si mouvante et si jolie comédie qui triompha si longtem]' à l'Athénée.
Fehrai (Youssof). — Histoire de la Turquie, une (euvre tout i la fois trCs complète et très concise, d'une lecture fa- cile, et qui permettra de documenter nos contempo- rains — lesquels en ont grand besoin — sur l'histoire des Turcs depuis les temps d'Osman, fondateur de l'em- pire des Turcs Osmanlis, jusques et y compris Abdul- Hamid II.
Fiat (Paul). — Nos femmes de lettres '. Madames de Noailles, Lucie Delarue-Mardrus, Marcelle Tinayre, Renée Vi- vien.
Gast (Madame du). — Le Maroc agricole, un très intéressant et savant rapport rédigé par madame du Gast qui, chargée de mission au Maroc, s'est acquittée de sa tâ- che avec une conscience et une intelligence remar- quable.
Goyau (Georges). — L'Allemagne religieuse, le Catholicisme {i 800- i 870.)
Hélys (Marc). — Le Jardin fermé, l'œuvre d'une femme de lettres de beaucoup de talent qui nous dit avec sensi- bilité, agrément et pittoresque les e scènes de la vie féminine en Turquie « et qui nous révèle notamment que les femmes turques n'avaient point attendu la ré- volution de la .leune-Turquie pour tout doucement et très adroitement réformer leur sort et les mœurs de leurs époux.
Jullien (Adolphe). — Les Amours d'Ope'ra au xviii* siècle.
OCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYACtES, ETC. 321
Kaeppelin (Paul). — Les Origines de VInde française, la Com- pagnie des Indes orientales et François Martin, « étude sur l'histoire du commerce et des établissements français dans l'Inde sous Louis XIV (1664-1719)». Kaplan (Horace). — Faust, une adaptation en sept tableaux et un prologue. J'ai tremblé en lisant ce mot « adap- tation » : la grande œuvre de Goethe a subi déjà tant d'outrages de la part des traducteurs, adapteurs et au- tres « traditori », que la méfiance est de rigueur. Cette fois elle était injustifiée, le travail de M. Kaplan té- moigne d'une très belle et très profonde connaissance de la langue allemande et de l'œuvre de Gœthe, et j'ai eu un vif plaisir à constater que son adaptation est plus fidèle et plus pieuse que bien des traductions. Lafond (Emile). — La Politique religieuse et la Révolution fran- çaise. Lehaucourt (Pierre). — Histoire de la guerre de 1870-4874, Le
Tome VII consacré à t la Capitulation de Metz ». Lonlay (Dick de). — A travers la Bulgarie, des souvenirs de
guerre et de voyage. Macquet (Paul F.). — L'Evasion et la Surviedu fils de Louis XVL Mattoso (Ernesto). — IJEtat du Para, un intéressant ouvrage copieusement illustré et très remarquablement docu- menté, publié en trois langues : Anglais, Français et Portugais. Peladan. — Rapport au public sur les Beaux-Arts. Pisani (P.). — L'Eglise de Paris et la Révolution. PoUio (Général Albert). — Waterloo, 4815, une traduction du
général Goiran. Pons. — Aperçus historiques sur les Voies de terre, un volume
utile, curieux et savant. Porto-Riche (Georges de). — Bonheur manqué, « carnet d'un amoureux » une édition nouvelle de cette œuvre poé- tique exquise, d'un parfait artiste qui, dans ces quel- ques vers, a mis toute une vie de passion, de sensibi- lité douloureuse, ardente et tendre. Reclus (Onésime). ■— Le Manuel de l'eau, un album publié par la très grande et utile association qu'est le Tou- ring-Glub de France et qui fait pendant au délicieux Manuel de Varhre, publié l'an dernier ; le Manuel de
:>22 LK MOUVEMENT LITTIÎRAIRE
/>au,qvi a été rédigé par M. Onésime Reclus, pour ser- vir h l'enseignement sylvo-pastoral dans les écoles, esl aussi séduisant, pittores(iue et reniarciuable que le pré- cédent.
Hegamey (Jeanne et Frédéric). — Nos frères de Bohême, évo- qués en un volume léger, aimable, sensible, tout rem- pli de descriptions pittoresques, d'anecdotes, d'images, et d'où ressort une utile et intéressante leçon d'his- toire.
Hoca (Emil- -rand Siècle intime — de Hichelieu à Ma-
zarin /6' /;'/6" H : I<'S Et;ipesde Mazariu ; les Mécontents Louis XIII roi, sa mort; la Comédie politique; la Cou quête do la Reine ; la Bonne régence; le Tout-Pari avant la régence. Il est trôs amusant, ce livre, il aj»- l)lique, avec infiniment d'adresse, à l'étude du grand siôclf, les procédés du reportage contemporain, nous fait pénétrer dans l'intimité du Cardinal de Mazarin < dans celle de ses ennemis ; avec lui, nous circulon comme chez nous autour du lit de Louis XIII et non sommes des familiers du Tout-Paris de 1644 ; il ne man- que vraiment à cet amusant ouvrage que des i)hoto- graphies, mais il ne faut pas demander l'impossible.
Koux (Xavier). — Voir Georges Duval.
Ruskin. — Pages choisies, présentées de façon très intéres- sante et très ingénieuse par M. Robert de la Sizeranne.
— Le Repos de Saint-Marc, t histoire de Venise pour les rart- voyageurs qui se soucient encore de ses monuments une très littéraire et très scrupuleuse traduction, ]jar madame Johnston, du plus i)arfait chef-d'œuvre du maî- tre écrivain.
Savine (A.). — La Vie à la Bastille. Souvenirs d^ un prisonnier.
Tencin (Madame de). — Mémoires du Comte de Comminr/e.
Trimoulier. — Un missionnaire de 93, Marc- Antoine Baudot.
Vaissiêre (Pierre de). — Saint-Domingue : la société et la vie créole sous l'ancien régime (1629-1789).
Vernet (Nancy). — Dix ans de Coulisses, un livre de la tr( intéressante artiste qui découvrit Madagascar et la co- lonisa dramatiquement — si j'ose dire — bien avant nos soldats et nos politiques, et qui, après avoir ra- conté avec infiniment d'intelligence, d'esprit et d'hu-
jCTOBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES. ETC. 323
mour les Howas de la Grande Ile, nous parle aussi des Leconte de Lisle, des Gambetta, des Glovis Hugues, des Antoine, des Réjane et de tant d'autres qu'elle eut dans son intéressante carrière l'occasion de connaître.
Vever (Henri). — La Bijouterie française au xix^ siècle, un ou- vrage dont l'auteur, bijoutier-joaillier, avait commencé la publication l'an dernier et qui se termine par deux très beaux volumes : t le Second Empire » et t la Troi- sième République ï, d'un vif intérêt et tout remplis de documents graphiques supérieurement reproduits.
Vlymen (Général van). — Vei'S la Bérésina, — 4812 —, d'après des documents nouveaux.
Vogt (William). — Sexe faible, un volume de polémique an- tiféministe, où l'auteur prétend traiter la femme comme elle le mérite, et je vous prie de croire qu'il n'y va pas de main-morte; même, son ardeur l'entraîne un peu loin : à force de vouloir trop prouver contre le Sexe faible, je crains bien qu'il ne prouve pas grand'- .chose, et que « sa riposte aux exagérations du fémi- nisme » ne soit pas très démonstrative.
Voltaire, — Histoire de Charles XII. — une excellente édition précédée d'une concise et intéressante notice sur Vol- taire et parue dans la « Bibliothèque des meilleurs au- teurs classiques français et étrangers ».
Z... (Major). —La Guerre de la Succession d'Autriche {1740-1748.)
NOVEMBRE
LES ROMANS
JULES RENARD
Ragotte.
Jules Renard en ce livre, nous dit l'àme et la vie de « nos Frères farouches » des hommes et des femmes qui se sont épanouis, puis très vite ratatinés, en pleine nature, sous le ciel et dans les champs, très loin de nous. Ces « frères farou- ches », M. Jules Renard, grand chasseur d'images à travers la helle nature, les a longtemps contem- plés, et il a appris à les peindre en des traits carac- téristiques, d'une concision, d'une pureté, d'une, éloquence admirables : c'est un prodigieux im-
NOVEMBRE — LES ROMANS 325
pressionniste littéraire, et l'on éprouve devant ses
* peintures les sensations les plus fortes, les plus poignantes.
J'ai lu ce livre avec un véritable ravissement et l'admire profondément, mais j'éprouve une dif- ticulté singulière à en parler : il est peu de talents plus rebelles à l'analyse que celui de M. Jules Re- ' nard, et son livre ne <te raconte pas ; les person- nages y surgissent pans jamais être annoncés ni présentés; un moî, un bout de dialogue les peint avec une couleur extraordinaire, et je m'aperçois
• au moment où je voudrais vous parler de Ragotte et de son mari Philippe, et de ses enfants : le pau- vre petit Joseph, le méchant Paul et la Lucienne,
aussi de la vieille Honorine, et de la Chalude ; que, pour caractériser ces personnages, pour vous donner une idée, même lointaine, de leurs figures, il me faudrait, à moi qui suis chargé de vous ré- sumer l'œuvre, plus de mots que Jules Renard n'en usa pour dire toutes leurs aventures, leurs humbles joies, leurs deuils poignants. Avec des mots, presque avec des points et des espaces, M. Jules Renard trouve moyen de nous faire parcou- rir toute la gamme des impressions et des sensi- bilités humaines, et c'est d'un art très grand, très
au, qui devient presque égal à cette nature sur iiiquelle l'écrivain s'est pi^nché en regardant la campagne et les hommes, et aussi les hôtes : les chats, les taureaux, les serpents, les chèvres et le ver luisant, « cette goutte de lune dans l'herbe ».
19
«i-0 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
JEAN-LOUIS VAUDOYER
L'Amour Masqué.
Dans cet Amour masqué, M. Jean-Louis Vai (loyer développe une thèse qui peut paraître au pre- mier abord bien paradoxale et bien subtile, mais qui ne manque cependant ni de vérité ni môme, ce qui est mieux, de vraisemblance. Elle n'est point nou- velle d^ailleurs et Fauteur le proclame lui-même en donnant pour épigraphe à son livre une pen- sée de Pascal, qui connut assez bien l'àme humain et dont la philosophie n'a pas vieilli depuis deux cent cinquante ans : « Un plaisir, dit-il, vrai ou faux, peut également remplir l'esprit. Car qu'im- porte qu'il soit faux, pourvu que l'on soit per- suadé qu'il est vrai. » Telle est, réduite en une phrase lapidaire, la morale de l'histoire du peintre François Feubrise, lequel eut la double chance d( vivre une admirable aventure d'amour avec Eva Declos sans la connaître et sans être connu d'elle : puis, quelques années après, ayant retrouvé cetl< femme d'élection, d'avoir les joies de la possession réelle après celles de l'idéal et anonyme amour. 11 vit là des sensations et des sentiments très pré- cieux et très heureux; mais, orgueil masculin sans doute, il commet la faute de révéler à Eva qu'elle se trompe en croyant avoir aimé deux hommes dans sa vie et qu'il est ces deux hommes-là. Ainsi
NOVEMBRE — LES ROMANS 327
il rompt le charme, et de sa propre main brise son idylle et son bonheur...
TANCREDE MARTEL
Loin des Autres.
Il était vain de dire aux «lecteurs du Figaro l'intérêt très vif du roman de M. ïancrède Martel, ils avaient eu en effet, la primeur de ce « roman parisien » dont les dramatiques et émouvantes pé- ripéties les tinrent pendant des semaines haletants i;L charmés.. C'est une œuvre vraiment attachante qui témoigne chez son auteur d'une rare souplesse ; il y a, en effet, dans cette histoire toutes les res- sources dramatiques et mélodramatiques propres à faire la fortune d'un roman-feuilleton, et M. Tan- crède Martel, qui a l'imagination féconde, ne nous pas marchandé les émotions; l'un des héros de iii livre, le comte Amaury, est un traître d'une noirceur achevée et que nous verrons, j'espère bien, quelque jour, sur la scène de l'Ambigu. Mais l'auteur est un romancier trop délicat, un lettré trop fin pour s'être contenté de ces effets surs et un peu faciles; il s'est mis en frais de psychologie <'t d'observation : les portraits de Julien Sorbier el de la douloureuse comtesse Valentine sont tra- cés avec beaucoup de délicatesse ; leur aventure .
'A2H L\: Mo»;VEME>j i.i i 1 ii-ilAiiih
sentimentale est très finement observée ; ainsi, ce roman écrit pour tenir en haleine, feuilleton par feuilleton, une foule émue, ^^arde dans le livre tout son attrait et prend une valeur nouvelle digne du talent de son auteur.
BRADA
L'Ame libre.
VAnie libre n'était pas moins connue des lec- teurs du Figaro; c'est à eux, en eflet, que Brada réserva tout d'abord ce joli roman. J'ai dit maintes fois combien le talent de Brada m'était sympathique ; cette femme de lettres sait à mer- veille, dans ses œuvres, exalter les sentiments d'honneur et de dignité : elle le fait avec une grâce et une émotion très féminines et sans nulle miè- vrerie; elle y évite aussi cette apparence de bana- lité à laquelle sont toujours exposés les romanciers moraux. 11 y a enfin dans ses récits une telle sim- plicité, dans ses observatione et dans ses peintures une telle vérité, qu'on est tenté d'admettre le noble désintéressement d'une Nicolle d'Orcières, si in- vraisemblable en notre temps, et d'accepter l'ex- i traordinaire aventure grâce à laquelle son désin- téressement et sa grandeur d'âme sont finalement récompensés.
NOVEMBRE — LES ROMANS 329
GASTON ROUYIER Les Toits Rouges.
Ce roman est d'une note tout à fait intéressante et originale. Vous l'ouvrez, et vous avez tout de suite l'impression que vous allez passer une heure agréable en compagnie d'un humoriste en veine d'observation aiguë ; d'un ton simple, familier, enjoué, Fauteur vous présente les personnages de I comédie, puis les met en action, et vous assis- tez à l'ascension de M. Siffre, grand acheteur, re- vendeur, tripoteur de villas dans une villégiature créée en Seine-et-Oise, et à la déchéance hautaine et douloureuse de madame Delarche, propriétaire ruinée du château qui domine cette petite ville. Vous prenez un vif plaisir à ces histoires spiri- tuellement observées et contées, et sans vous en douter, insensiblement, par les moyens les plus simples, vous êtes emportés vers le drame, un drame poignant, de vie intense, drame d'ar-
nt et de sang, et puis, tout cela se termine le plus bourgeoisement du monde , — et c'est là vraiment de la vie, non pas de la vie de roman, mais de la vie réelle, où l'on est tragique sans le
voir, où les drames les plus poignants se nouent,
dénouent et s'oublient. >^ar)s phrase et sans délai.
.'^30 Ï^E MOUVEMENT LITTéRAIRE
ABEL HERMANT . Trains de Luxe.
M. M»el Ilermant, qui a pris dans la littérature contemporaine une place si considérable., a dû, on s'en souvient, ses premiers grands succès h des histoires dialoguées où s'exerçaient sa fantai- sie verveuse, son observation incisive et quelque peu cruelle, histoires que reliait une trame bien légère, suffisante cependant pour qu'elles consti- tuassent, réunies en volume, un véritable roman. Depuis, il nous a donné des œuvres plus fortes, sans doute, plus ramassées, et qui ont établi de fa- çon définitive sa réputation ; ces œuvres, j'en ai ressenti très vivement le charme et la séductiop; mais tout de môme, je n'ai pu m'empècher parfois de songer avec un peu de regret, que M. Abel Harmant abandonnait pour elles le genre de « la carrière » et dés « transatlantiques » qui m'a- vaient procuré de si agréables moments.
Ce plaisir très particulier, si frivole et si déli- cat, je l'ai retrouvé avec son nouveau volume Trains de luxe, volume qui procède de cette heu- reuse veine ; ils sont amusants au possible, ces dialogues, et scabreux !... Tl faut voir avec quelle liabileté et quelle grâce l'auteur s'y tient toujours au bord de l'abîme ; ils sont cruels aussi, de cette cruauté nonchalante que M. Abel Hermant manie
NOVEMBRE — LES ROMANS 331
si joliment : il y découvre et y peint une classe nouvelle de la société contemporaine, et il com- mence par la baptiser d'un nom qui aura la for- tune de ses « transatlantiques » ; ce sont, les « trains de luxe », ces gens de la colonie étrangère, qui ne sont pas tous les étrangers, — car, par exemple, les Anglais n'en font point partie, — ces gens, qui passent, qui n'ont point de patrie à eux, et pas même la seconde patrie de tout le monde : la France, bien qu'ils y résident plus volontiers, à Paris, à Biarritz ou sur la côte d'Azur ; ils ne sont vraiment chez eux que dans les grands express qui les emportent, les remportent, les transportent et les distribuent ; ce sont vraiment les « trains de luxe )), d'origines si diverses et qui cependant ont tous un air de famille, « en marge de tous les codes, ayant renoncé à leurs Dieux qui ne démé- nagent pas, condamnés à la fête, déclassés enfin, quel que soit leur rang, bohèmes, quelle que soit leur fortune ». J'ai tenu à citer ce couplet qui est charmant, d'une observation si juste et si pro- fonde, et qui donne en même temps la note et le ujet du livre, où régnent une vie, un mouvement extraordinaires, qui vous amuse, vous charme, vous séduit, et vous laisse je ne sais quel goût d'a- mertume et de mélancolie, car il y a du poivre au milieu de cette savoureuse dragée...
JEAN DE BOURGOGNE
La Chanoinesse Rouge.
Sous le litre la Chanoinesse rouge, une femme de lettres qui signe : Jean de Bourgogne, nous ra- conte avec adresse et émotion une dramatique et passionnelle aventure que domine une belle et douloureuse figure de femme, Zita Lambruzi, la- quelle doit à l'aristocratie de son attitude ce titre de chanoinesse, et au libéralisme de ses convic- tions celle nuance écarlale ; l'histoire de s amours avec Robert Champox, le député monai - chiste qui bientôt la délaisse et rabandonnc, de sa mugnanimité à l'égard de son heureuse rivale dont elle pourrait tirer une vengeance éclatante et de son ret(nir à la foi et au couvent, est tout à fait dramatique, et Jean de Bourgogne en a su tirer tous les effets d'émotion qu'elle comportait sans tomber dans l'emphase ni dans la sensiblerie.
JULES PERRIN
La Terreur des images.
M. Jules Perrin, qui nous fit trembler nagucir avec son dramatique roman des Deux Fantômes,
NOVEMBRE — LES ROMANS 333
aurait-il conçu le dessein de nous affoler tout à fait ? Je le croirais volontiers après avoir lu le nouveau roman qu'il a publié sous le titre : la Terreur des images ; j'en suis encore tout abasourdi et je sup- plie la science moderne et la science à venir de nous épargner la découverte de ce sens nouveau dont M. Jules Perrin a doté les liéros de son livre et qui est quelque chose comme la double vue de nos pères, mais la double vue devenue normale, scientifique, incontestable ; et cela compliquerait bien la vie, celle des hommes et celle des peuples, de pouvoir ainsi percevoir les choses à d'énormes distances ; si vous en doutez et si vous n'avez pas peur des cauchemars, lisez le livre de M. Jules Perrin, lequel a su exprimer de la façon la plus angoissante les conséquences romanesques, mais qui ne sont pas tout à fait invraisemblables, d'un tel développement de notre sens visuel. Et main- tenant, retournons bien vite à notre heureuse myopie.
EMILE BAUMANN
L'Immolé.
Dans rimmolé, M. Emile Baumann nous offre une émouvante apologie de la souffrance, de cette c( bonne souffrance » dont nous parla jadis le doux François Coppée, qui meurtrit le corps et Tâme,
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.^rt/f LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
maiN qui par un dur et laborieux chemin conduit l'homme vers un but inefîable et le rapproche du ciel. Telle est bien, je crois, la haute leçon qui se dégage de la douloureuse histoire de Daniel Ro- vère, le fils du caissier infidèle, meurtri dès l'a- dolescence par la faute du père, et ramené par une douloureuse aventure passionnelle au refuge de la foi à laquelle il se dévoue tout entier, surtout après que sa mère fut guérie miraculeusement ; pour cette foi, encore, il expose sa vie en défen- dant une église contre des énergumènes, et sa ré- compense, après tant de souffrances et sans nulle espérance ici-bas, est « de respirer et de marcher dans la mansuétude de Dieu ».
D'une forme littéraire très intéressante, ce ro- man, noblement pensé, est d'une observation très curieuse et très aiguë, et il y a là le plus singu- lier et le plus attrayant mélange de mysticisme et de réalisme.
ADOLPHE ADERER
Le Drapeau ou la Foi ?
En lisant ce titre : le Drapeau ou la Foi ? sur la couverture du roman de M. Adolphe Aderer, j'ai éprouvé une minute de contrariété : notre distin- gué confrère se serait-il laissé, lui aussi, tenter par cette fâchL'use exploitation fie l'actualité poli
NOVEMBRE — LES ROMANS 335
tique qui sévit un peu trop dans la littérature, et allait-il nous parler encore des inventaires ? Mais non I La foi dont il est question ici est celle des pro- lestants, et le drapeau qu'ils abandonnèrent est bien celui de la France, mais de la France du dix-sep- tième siècle. La chose n'est pas moins doulou- reuse, mais elle est plus lointaine, et cela vaut mieux. Avec beaucoup de talent et d'ingéniosité, >L Adolphe Aderer a trouvé moyen de rendre, à deux siècles de distance, ce drame historique aussi palpitant, aussi poignant que la plus moderne aventure : il a mis face à face une jeune Française et son cousin, descendant de protestants émigrés lors de la révocation de l'édit de Nantes, et de- venu officier prussien ; de cett(3 rencontre en Fan 1867, dans le cadre éblouissant et charmant de Versailles, une amitié naît bientôt, très tendre, en- tre le cousin allemand et la cousine française, épouse charmante et fort délaissée d'un beau sol- dat, déplorablement infidèle. Mais le drame de 1870 /•date et vient mettre un sanglant abîme entre la f;ousine française et le cousin allemand entré triom- phant à Versailles, cependant que l'officter fran- çais trouve en Allemagne une mort sans gloire, non pas celle du soldat tué à l'ennemi, mais celle d'un galant condamné par un mari jaloux ; et, la- mentable, la veuve s'en va en Allemagne réclamer le corps de son infidèle époux...
COMTE LÉONCE DE LARMANDIE
Un coup d'Etat au vingtième siècle.
En une « alTabulalion fantaisiste, et môme un peu fantasque », qu'il a intitulée Un coup d^Etat au vingtième sièclCy M. Léonce de Larmandienous raconte avec une verve rapide — ses héros mar- chent en quatrième vitesse et à 120 à l'heure ! — deux épisodes de conspiration très modernes con- tre la République qu'il qualifie de (( franc-mou- charde » et où nous voyons les politiciens les plus notoires de notre temps débaptisés à peine . et sommairement houspillés. On pourrait croire ' que l'auleur a voulu se donner simplement le plai- sir toujours agréable du jeu de massacre sur des , létes connues et sur un régime existant ; il n'en est rien, paraît-il, et ces deux épisodes n'ont pas seulement pour but d'amuser le lecteur et l'au- teur, mais aussi « d'attirer — à ce qu'il nous dit , — Taltciition des hommes qui pensent sur un cer- tain nombre de points », parmi lesquels je choisis au hasard : «le peu de solidité d'un gouvernement qui n'a pas de racines dans l'ùme de la nation ; la promptitude de la foule à passer de l'enthou- siasme à l'indiiïérence puis à la haine, et vi* versa ; les motifs souvent inavouables desgrando actions ; l'obligation même pour les coups d'Etal
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de s'adapter aux conditions de l'industrialisme contemporain »...
MICHEL PROVINS
Le Cœur double.
M. Michel Provins n'aura pas une bonne presse féminine avec le Cœur double. Il y développe une aventure qui est très plausible pour un grand nombre d'hommes, mais qu'une femme aimante aura quelque peine à accepter. Les femmes, en elîet, sont exclusives en amour, et le « cœur dou- ble » du héros de M. Michel Provins, le beau doc- teur Ryvals, leur fera horreur : ce cœur qui se partage le plus ingénument du monde entre sa chaste et tendre épouse Jeannie, et Frédérique, la noble femme dont il eut jadis un enfant. Mais où les lectrices de ce roman ne contiendront plus leur indignation, c'est lorsqu'elles verront l'épouse accepter délibérément cette cohabitation, non seulement dans le cœur du mari, mais dans sa maison, et admettre « l'autre » à son foyer. La grande raison de tout cela, c'est que les joies de la maternité furent refusées à l'épouse légitime et que l'époux désire passionnément un enfant. C'est tout de même un peu vif, mais >L Michel Provins met dans ce scabreux récit tant de me-
^^^ LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
-ii.. . ..iut de tact ot tant de tendresse, il s'y mon- tre romancier si ingénieux, si habile à ménager les susceptibilités de ses lectrices, les scènes y sont filées avec tant d*art — vous ai-je dit que c'était un roman dialogué ? — que les spectatrices, aussi indignées qu'elles soient, seront, à la fin, sinon conquises, du moins désarmées par Tintérôl et l'émotion.
HISTOIRE, LITTÉRATURE, VOYAGES, POÉSIE, DIVERS.
FREDERIC MASSON
Autour de Sainte-Hélène.
M. Frédéric Masson nous donne la deuxième sé- rie de ses captivantes études sur les personnages qui s'agitèrent Autour de Sainte- Hélène et dont les aventures sont liées à l'agonie de l'Aigle blessé. Avec la môme verdeur, la môme passion, la môme sincérité dont il usa envers certains des compagnons de l'Empereur, l'historien s'en prend aujourd'hui à des personnages que la grande histoire avait un peu négligés. Combien k tort, mon Dieu 1 et qu'il eût été dommage d'ignorer la mentalité et les exploits du marquis de Montchenu, commissaire de Sa Majesté Très Chrétienne envoyé auprès de l'Empereur pour
y rcni[)lir les fonctions d' « observateur », — c'est là un eupliéuiisnn', mais (jui indique assez claire- ment la mission dont s'était chargé cet ancien émi- gré. Si peu noble qu'elle fut, il en était très fier ; il l'avait souhaitée pendant toute sa vie et s'était écrié vers 1811 : « Quand cet homme sera tombé, je supplierai le roi mon maître de me rendre son geôlier. » Toutes les vocations sont dans la nature ! et l'on conçoit que M. Frédéric Masson n'ait point grande estime pour celle-là ; il fait pourtant eu faveur du tourmenteur de son héros un louable eiïort d'impartialité en disant qu'il fut malgr(' tout « d'une moyenne honorable et n'eut point <l vices s'il eut tous les ridicules ». Dans cet amusanl savoureux et émouvant volume on trouvera en- core l'histoire du colonel comte Piontkowski, his- toire vraiment fabuleuse d'un aventurier qui joua dans ce grand drame le r<Me nécessaire du comique et du fantaisiste, et celle de son amie, la comtesse de Rohan-Miniac de Jersey, et aussi l'odyssée des lettres de souverains à Napoléon, ces lettres que l'Empereur déchu demanda à O'Méara de publier pour « couvrir de honte les souverains et faire voir au monde l'hommage abject que ces vassaux ren- daient lorsqu'ils lui demandaient des faveurs ou le suppliaient de leur laisser leur trône ^), lettres qui providentiellement disparurent en grande par- tie et dont M. Frédéric Masson souhaite la restitu- tion, maintenant qu'il n'est plus de souverains qu'elles puissent « couvrir de honte ». Il y a bien
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d'autres choses encore dans ce livre : notam- ment un chapitre sur les cuisiniers de Napoléon à Sainte-Hélène, qui donne vraiment une fâcheuse idée du régime alimentaire auquel fut soumis l'Em- pereur...
DE LANZAC DE LABORIE
Paris sous Napoléon, Assistance et bienfaisance. Approvisionnement .
M. de Lanzac de Lahorie poursuit son œuvre considérable, Paris sous Napoléon, en un vo- lume intitulé : Assistance et Bienfaisance^ Ap- provisionnement. Sous son apparence d'étude pu- rement économique et sociale, l'œuvre présente un remarquable intérêt d'histoire et de politique : en effet, l'auteur a su, au cours de ses études sur l'assistance publique et la bienfaisance privée, sur les halles et sur les marchés, faire ressortir la « constante application de Napoléon à ménager sa popularité auprès des Parisiens » : il ne se trompe pas en cro3^ant que les interviîntions fréquentes du sou- verain « sont un des éléments d'intérêt de cet ex- posé ». En effet la présence du grand Empereur suffit à passionner tous les récits et lorsqu'il se rnele d'économie politique, l'économie politique devient une chose vivante et poignante. En outre, c'est vraiment un chapitre tout à fait particulier
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et assez inédit de l'histoire napoléonienne que cette intervention dans les connils économiques et dans l'établissement de la vie au meilleur marché pos- sible, en ce qui concerne la vente du pain, de la viande et des denrées de première nécessité », où l'Empereur fut — pas moins ! — précurseur de nos socialistes. Avec ses documents sur l'administra- tion hospitalière en général, les hospices, leurs fonctionnaires et leur personnel, les hôpitaux, les secours aux indigents, le bureau de bienfaisance, les écoles gratuites, le Mont-de-Piété, le livre de M. de Lanzac de Laborie est un document du plus haut intérêt. .
RENE GONNARD
La Hongrie au vingtième siècle.
Histoire très moderne et même très actuelle, cette étude économique et sociale publiée par M. René Gonnard, à qui un 'ministre hongrois décerne le titre de a Hongrois honoraire » ce qui indique assez sa compétence en ces matières et tout à la fois sa symphatie pour (( notre peuple magyar ». Selon l'auteur, les Hongrois se plaignent ajuste ti- tre d'être mal connus en Europe et notamment en France où l'on n'a qu'une idée très vague de ce qu'est leur pays au point de vue général, et surtout au point de vue économique, personne ne nous
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ayant jamais parlé de la vie « intérieure et quo- tidienne des habitants, de leurs labeurs, de leurs tentatives pratiques, de leurs réussites et de leurs espoirs dans la sphère de la production ; » cette ignorance est d'autant plus regrettable que c'est en réalité, aujourd'hui, parmi les conditions et les circonstances de Tordre économique qu'il faut cher- cher l'explication des grands faits politiques. L'é- volution économique que subit en ce moment la Hongrie est, sans nul doute, la préface de grands changements dans la politique hongroise, et M. René Gonnard l'établit en des chapitres qui, mal- gré leurs titres rébarbatifs : « Caractères généraux et Institutions centrales, les Producteurs, les Pro- duits », présentent le plus vif attrait.
MAURICE LECLERCQ et E. GIROD
Ces Messieurs de la C. G. T.
Ces Messieurs de la C. G. T. Vous connaissez leurs noms — ils se sont imposés à nos terreurs ou à nosgouailleries bourgeoises par tant de hauts faits dans ces dernières années ! — vous connais- sez aussi leurs figures, car il n'ont point dédaigné de livrer leurs effigies à la postérité sociale par l'entremise des feuilles de la réaction. Mais vous ignorez tout, ou à peu^cèg^ de leur origine, de leur
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existence quotidienne et de leur orgîinisation ma- t«'riclle : c'est cela que MM. Maurice Leclercq et K. Girod de Fléaux ont entrepris de nous conter en un volume sur la couverture duquel on voit des gentlemen d'assez mauvaise mine en train déjouer à la manille. Cette couverture donnerait une assez fausse idée du livre, caries auteurs qui n'éprouvent pour ces mauvais bergers que d'assez médiocres sympathies ont cependant fait en leur faveur un grand effort d'impartialité, ils se sont abstenus de déclamations et de gros mots, — ce dont je les loue ; simplement, familièrement, ils sofat entrés dans Tarclie sainte de la rue Grange- aux-Belles, ce qui n'est point commode, et en bons journalistes ils nous rapportent ce qu'ils ont vu. S'il y a dans leurs notations beaucoup de cho- ses grotesques, ridicules ou odieuses, il en est d'émouvantes qu'ils n'ont point cru nécessaire de cachL'r; ils n'ont point voulu douter a priori de la sincérité des grands chefs ni des lieu- tenants, et c'est très bien, car il faut de la bonne foi môme à l'égard des adversaires les plus injus- tes. Grâce à cette impartialité, les auteurs de ce livre ont pu nous donner des documents assez in- contestables sur les Pougôt, les Griffuelhes, les Yvetot, les Lévy, les Pataud, etc. Et il faut bien avouer que contre la plupart de ces messieurs les documents suffisent et sont bien plus démonstratifs que les ahathèmes.
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EUGÈNE AUBIN
La Perse d aujourd'hui. Iran. Mésopotamie.
Du socialisme à la réTolution la transition est facile ; ainsi nous pouvons, sans être trop dépaysés, passer de France en Perse sous la conduite de M. Eugène Aubin qui, ayant assisté sur place à la révolution perse, est en mesure de nous donner d'utiles lumières sur la façon un peu rude dont ce pays fut initié aux bienfaits du régime constitu- tionnel. Ce livre est intitulé la Perse d'aujourd'hui — Iran. Mésopotamie : elles sont tout à fait pitto- resques et intéressantes ces promenades sur le chemin de Tauris, autour du lac d'Ourraiah, chez les Kurdes, et à la Caspienne : ce sont des récits de voyage passionnants, semés de remarques les- tement croquées et de descriptions éloquentes ; mais voici que la politique s'en môle, et l'auteur nous raconte les événements qui marquèrent le changement de règne à la mort de Mouzalîer-ed- ilin, nous initie au mystère du « schiisme », nous raconte cette révolution persane au sujet de la- quelle on a dit tant d'inexactitudes, et étudie le fameux accord anglo-russe du 31 août 1907 ; puis ce sont de nouveau des notes sur les coutumes persanes : la musique, la danse, les derviches, la chasse au faucon, puis encore des promenades à
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travers ces pays de rêve et de légende qui «ont : Téhéran, Ispahan, rirak-Adjémi, les portes du Zagros, les villes saintes et l'Irak-Arabi, et tout cela est d'un intérêt très vif,, d'autant plus que ces notes sont prises à un moment émouvant de l'his- toire de la Perse, alors que la « vieille Perse achève de mourir et qu'une nouvelle est en train de naître ».
JOSEPH ANGLADE
Les Troubadours
Les Troubadours, leurs vies, leurs œuvres, leurs influence. C'est un bien joli sujet, et ma foi assez inconnu du grand public, car il fut généralement traité sous une forme trop savante. Il a semblé à l'auteur qu' « il était temps de faire sortir la poésie des troubadours des nécropoles scientifiques que sont trop souvent nos revues, nos collections et nos dissertations, pour la produire au grand jour. L'histoire de cette poésie qu'il retrace à grands traits est brève; « sa vie, nous dit-il, est courte, et elle meurt jeune, comme ceux qui sont aimés des dieux »; mais cette courte histoire, depuis Rigaut de Barbezieux, Marcabrun, Bernard de Ventadour, Folquet de Marseille jusqu'à Guiraut Riquier, de Narbonne, le dernier troubadour, et Clémence Isaure, est pleine de gloire et de grâce.
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et il faut savoir gré à M. Joseph Anglade de l'avoir, de façon aussi complète et aussi agréable, révélée aux profanes.
GUSTAVE REYNIER Le Roman sentimental avant u L'Astrée ».
Dans le domaine des littératures charmantes et surannées, voici un bien intéressant volume sur le Roman sentimental avant « VAstrèe », où l'au- teur, M. Gustave Reynier, maître de conférences à l'université de Paris, a voulu remettre en lumière une série d'ouvrages fort ignorés et dont les plus célèbres ne sont connus que de quelques érudits et de quelques bibliophiles. Cette littérature, cepen- dant, a eu son histoire et son rôle dans l'histoire du roman français, et, si inférieure qu'elle nous apparaisse, si oubliée qu'elle soit, elle a nettement l>réparé VAstrée : l'auteur appuie cette conclu-
jn sur une étude très profonde, très savante très délicate, consacrée à toute une série de vieux romans dont on ne retrouve pas sans émotion les titres obscurs, les sujets naïfs, l'ins- piration noble et grave, la forme galante et dont les exemplaires — de plus en plus rares — ne 'lorment plus dans les boites des quais, depuis que les bibliophiles, renseignés, se les disputent au poids de l'or.
34S LE MOUVEMENT LITTlîRAinE
Al.BERT DAUZAT
La langue française d'aujourd'hui.
Sous soQ allure paisible avec son titre savant « de l'évolution de la langue et des problèmes qu'elle soulève », le livre de M. Dauzatest un formidable et dangereux plaidoyer pour le détestable projet de la réforme de l'ortograpbe... Mais ce n'est pas ici le lieu de polémiquer, et je me contente d'exposer de façon concise, impartiale Je plan du livre. L'auteur constate, dans son introduction, que les questions du langage ne passionnent pas les foules, profon- déaient indiilerentes à la carrière fournie par la linguistique et aux maîtres qui ont rénové cette brandie des connaissances humaines. Cette indif- férence est tout à fait fâcheuse, mais la responsa- bilité en incombe aux linguistes eux-mêmes qui sont restés inaccessibles au public et enfermés dans leur tour d'ivoire; M. Albert Dauzat a résolu d'en sortir, de vulgariser les principes de la science du langage et de faire apprécier quelques- uns de ses résultats, — c'est à quoi tend son livre, qu'il a divisé en quatre parties : « la Langue qui se fait », « Prononciation et Orthographe : lo fond et la forme », « les Luttes du français », « l'Etude et l'Enseignement de la langue », et où il convie les linguistes et les littérateurs à s'unir dans un culte commun de la langue, tout en rc-
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nonçant, les premiers à donner des conseils litté- raires, les seconds à s'occuper de grammaire, pour collaborer utilement dans les questions où leur accord est nécessaire, comme celle de la réforme de l'orthographe.
HENRY ROUJON En marge du temps.
Notre éminent et cher ami Henry Roujon a pu- blié un livre auquel il a donné un bien joli titre : En marge du temps. Ce titre, d'ailleurs, n'est pas seulement joli, il est rigoureusement exact et s'ap- plique à merveille à ces mille sujets imposés par l'actualité et à l'occasion desquels cet érudit, char- mant et délicat écrivain a donné au jour le jour ses souvenirs personnels, ses opinions esthétiques, ses observations dont la sagacité se revêt si aima- blement de fantaisie souriante et verveuse.
Ce sont vraiment des notes marginales crayon- nées sans nulle prétention au coin de la feuille où s'inscrit sous nos yeux l'histoire de la vie con- temporaine. Bien qu'elles aient été écrites comme si lepenseur s'en fut fait un jeu, sans aucune arrière- pensée livresque, ces notes croquées au hasard, ces souvenirs, ces remarques, ces « marges », pour tout dire, apparaissent avec toute leur séduction, la grâce si personnelle de leur écriture, comme des
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350 LE MOUVEMENT LITTéRAIRE
œuvres délicieuses par elles-mêmes, en dehors des événements ou des occasions qui les firent naître, et très dignes de leur survivre; ces marges ! vous n'avez qu'à les détacher des feuilles dont elles firent partie et vous vous apercevez qu'elles sont des pages tout entières, des pages véritahles, d'un écrivain de race; j'ajoute qu'elles ont une. harmo- nie, une unité parfaites et qu'elles constituent bien, quoi qu'en pfétende la modestie de M. Henry Rou- jon dans sa dédicace à M. Paul Hervieu, non pas seulement un volume, mais un livre vraiment, et un livre tout à fait exquis.
YVONNE SARCEY
La Route du Bonheur.
La Route du bonheur. Voici un bon livre dont le titre est plein de promesses et qui les tient toutes. En le lisant, on éprouvera cette joie dont parlait Pascal lorsqu'il disait ou à peu prîs : « On s'attendait à voir un auteur et on trouve... ui femme », et quelle femme? Yvonne Sarcey, cou- sine Yvonne, ainsi qu'on l'appelle avec une fami- liarité gentille. Elle est délicieuse cette femm* avec toute sa grâce et toute sa bonne grâce, tout son rayonnement d'énergie heureuse, d'enthou- siasme fécond, de 'maternelle tendresse, et c'est,
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dans son labeur admirable et souriant, l'image même de la bonne et saine Française qui passe. Telle est la femme ! Je vous ai dit tout à Pheure qu'elle s'incarnait littéralement dans son livre, et vous savez maintenant ce qu'il peut y avoir de conseils précieux dans ce volume où elle a versé, nous dit-elle, le meilleur de son cœur, où, dans un langage familier d'où sont bannis toute recherche et tout pédantisme, elle cause gentiment avec ses cent mille petites cousines françaises, leur parle de leurs devoirs et de leur destinée, leur montre toute droite, toute simple et toute saine la route du bonheur, d'un bonheur « loyal, honnête, fait de tendresse, de travail, de raison, et de poésie, d'un bonheur qu'il faut reconnaître au passage, aimer dévotement, et cultiver comme une plante rare ». Combien tout cela est judicieux, réconfor- tant, agréablement exprimé, et que voilà de bon féminisme, du féminisme féminin qui, malgré les
xigences de la mode, consent encore à la parure et à la décence du jupon ! Ce livre se répandra, n'en doutez pas, car la cousine Yvonne a le don (lu rayonnement, et paisiblement, sans grandes j)lirases, comme une parfaite et attentive maî- tresse de maison au centre d'une immense famille,
lie aura — pas moins I — accompli une véritable nuvre sociale en formant et en révélant à elle- même la jeune fille française en face de la poupée qu'on voudrait parfois nous faire prendre pour
lie.
Ii52 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
EMILE POUVILLON
Terre d'Oc.
— Une œuvre posthume vient nous rappeler aujourd'hui le nom d'un charmant et grand écri- vain : Emile Pouvillon ; et c'est encore la Terre d'Oc qu'il a tant aimée et si délicieusement chan- tée, qu'Emile Pouvillon vient exalter dans ce livre d'outre-tombe recueilli en des feuilles éparses par la piété de son fils ; ce sont tout d'abord, des « portraits de villes », de ces villes dont les figu- res changent comme celles des hommes, de Mon- tauban à Toulouse, de Cahors à Perpignan, de Nîmes à Périgueux, puis ce sont des excursions à Notre-Dame de Nuria, « un carré de bâtisses, grange ou forteresse, sévère, dans un décor d' grâce pastorale », et au pic du Midi d'Ossau « cr» vaut le ciel de sa fourche tragique »; c'est un journée au Sidobre, « le paradis des chasseurs » ; des promenades dans le « parc Toulousain », dans ' des (( maisons abandonnées », et une page exquis sur les violettes, les violettes qui sentent si bon : c( consolons-nous de vivre en respirant les violet- tes ».
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 353
HENRI POINCARÉ
Science et Méthode.
M. Henri Poincaré donne à la Bibliothèque de Philosophie scientifique une œuvre considérable, intitulée Science et Méthode. C'est le premier ou- vrage que cet éminent savant publie depuis que lAcadémie française l'a appelé à elle. Il est d'une grande éloquence et d'une haute portée, et dans la mesure où le raisonnement et la vaste science le permettent il déchire un coin du voile qui nous masque l'avenir. Après un chapitre « le Savant et la Science », chapitre de généralités qui s'appli- quent à toutes les sciences, Fauteur aborde des questions qui se rapportent plus particulièrement à certaines sciences spéciales, au raisonnement mathématique, à la mécanique nouvelle, à la science astronomique; ce sont là, pour les mathé- matiques notamment, des sujets un peu abstraits; Fauteur a fait un louable effort pour les rendre accessibles aux profanes ou aux demi-profanes ; pour moi, je l'avoue, ce que j'ai vraiment compris dans cette œuvre, c'est sa portée générale et son but lumineusement exposés en ces termes : « Ce que j'ai cherché à expliquer, nous dit l'auteur, c'est comment le savant doit s'y prendre pour clioisir entre les faits innombrables qui s'offrent I sa curiosité, puisque aussi bien la naturelle in-
20.
LE MOUVEMENT LITTERAIUE
lîrmité, de son esprit l'oblige à faire un choix, et ce choix doit désigner ceux qui sont, à grand ren- dement, porteurs d'une loi nouvelle, pour négliger ceux qui sont sans portée et ne nous enseignent rien, qu'eux- mômes.
BERNARD BRUNHES
La Dégradation de l'énergie.
Ce titre avait alléché mon ignorance et je me réjouissais d'avoir à fouailler au nom de la science la veulerie de mes contemporains. Mais dès que j'ai eu ouvert le volume il m'a fallu déchanter : Pénergie est un terme purement scientiGque et la dégradation étudiée ici n'a rien de moral ou de sentimental, et me voici forcé une fois encore d'admirer de confiance une œuvre, dont je perçois tout de même — ne soyons pas trop modeste I — la haute valeur scientifique et philosophique, et dans laquelle l'auteur, après avoir lumineusement redressé le contresens commis universellement sur le mot « énergie », s'applique à la classification des diverses formes d'énergie, au sens des trans- formations spontanées, à l'histoire du principe de Carnot et du mot « énergie », à la dégradation et au mécanisme, à la portée du principe de la dé- gradation d'énergie, pour conclure à la condamna-
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 355
tion de ce mot scientifique sur lequel nous avons si longtemps vécu : « Rien ne se perd », mot qui deviendra douloureusement contiique quand « le torrent créé par la dénudation des pentes aura re- joint d'autres torrents et formé un fleuve capri- cieux qui dévastera les villages et ensablera les plaines ».
MARINETTI
La Conquête -des Etoiles.
Le très curieux et très vibrant poète Mari- netti, dont j'ai eu maintes fois l'occasion de pro- noncer le nom et qui a déjà conquis une sorte de popularité, a publié une nouvelle édition sa première œuvre poétique la Conquête des Etoiles. Dès son apparition elle fit grand bruit, et les sym- bolistes français la saluèrent avec enthousiasme, sans d'ailleurs la revendiquer et en proclamant l'originalité profonde et l'intense personnalité de son auteur. Six ans ont passé, et l'auteur, qui avait alors vingt-trois ans, a fourni depuis une belle et laborieuse carrière dont nous avons noté les étapes. H croit aujourd'hui le moment venu de remettre sous nos yeux l'œuvre qui attira l'atten- tion dos lettrés : ainsi;, nous pouvons juger mieux le chemin parcouru par le poète ; pour l'œuvre elle-même, elle supporte vaillamment la périlleuse
;{-)(i LK MOUVEMENT LITTKHAIRE
épreuve de la réédition, ses qualités d'éclat, de force, d'imagination débordante et de lumineuse vision nous apparaissent aussi séduisantes qu'aux premiers jours, et nous aimons aussi ses défauts, — rares et précieux défauts de pétulance, de fou- gue désordonnée et délirante, fautes de goût aussi, qui nous sont chères, car il faut se méfier des poètes qui ont toujours du goût; quant à la forme, si hardie, si subversive, elle m'a, comme au pre- mier jour, souvent séduit, parfois un peu décon- certé, et j'y ai retrouvé avec joie quelques-uns de ces beaux alexandrins d'une frappe excellente et que l'auteur a jetés, comme par mégarde, au mi- lieu de ses vers au rythme si personnel si nou- veau, si surprenant...
MÉIVIENTO DU MOIS DE NOVEMBRE
ROMANS
Bailly (Edmond). — La Légende de Diamant, e sept récits du monde celtique ».
Crawford (Marion). — Haine de Femme.
Deledda (Gr;jzia). — Le Fatitôme du passe', traduit de l'italien I^ar M. Hérelle.
Erlande (Albert). — Le Défaut de l'armure, mœurs contempo- raines.
Fraudet (René). — Les Fatidiques.
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Giffard (Pierre). — Retiré des Affaires. L'auteur de ce roman est si bon journaliste que même lorsqu'il écrit un roman, il trouve le moyen de devancer l'actualité. En effet, ce livre qui parut en feuilleton, il y a un an déjà, dans le Petit Journal, se passe pour une bonne partie .dans ces paysages et dans ces villes bulgares qui sollicitent si impérieusement aujourd'hui l'attention de l'Europe ; mais cette actualité préventive n'est que le moindre mérite du roman de Pierre Giffard, qui est très pas- sionnant, fertile en dramatiques péripéties et en judi- cieuses observations.
Kipling (Rudyard). — Le Chat Maltais, traduit par Louis Fa- bulet et Augustin Arthur Jackson.
Le Guet (Marc). — Les Contes du Par/s Noir.
Lorrain (Jean). — Le crime des Riches, une très intéressante édition populaire de cette œuvre.
Martin (Rodolphe). — La Guerre aérienne.
Ramuz. — Jean Luc persécuté.
Regis-Lamotte (Roger). — La femme passa...
Rouquès (Amédée). — Le Jeune Rouvre.
L'Iraôs (Tony d'). — La Vie de Monique.
Willy (Colette). — Les Vrilles de la Vigne.
FflSTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Adam (Madame Juliette). — Nos Amitiés politiques avant l'a- bandon de la revanche, un livre de souvenirs et de pen- sées qui est un document d'histoire et une source d'é- motion profonde.
Adam (Paul). — Nouveau Catéchisme, un livre d'une rare et puissante originalité, avec ce commentaire en une li- gne : € le Progrès des races ».
Barbey d'Aurevilly. — Voyageurs et Rbmanciers, un délicieux
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et admirable livre de critiiiue paru dans l'édition du centenaire.
liarratin (Madame). — Les Heures de lirume, des i)oés)es, t fleurs qui parfumeront, épis qui germeront », ainsi que dit M. Auguste Dorchain dans une enthousiaste et jolie préface.
Bertrand (Adrien). -— Catulle Mendès, une Ingénieuse pla- quette sur l'admirable poète mort depuis si tragique- ment.
Bouchor (Maurice). — // faut mourir, un poôme dramatique profond et noble où le i)oôtc a donné t lo testament de sa pensée et comme l'expression symbolique de sa foi humaine et sociale »,
Chavagne (René de). — Voir Henri Coulon.
Coulon (Fleuri) et René de Chavagne. — Le Mariage et le Di- vorce de demain. Ce volume est selon le désir de ses au- teurs, une f œuvre utile, d'une utilité durable et gé- nérale ». Après avoir établi, en guise do préface, la t faillite de la démagogie » et la nécessité absolue de l'accession au jjouvoir d'une élite, ils entrent dans le vif du sujet, proclamant l'obligation où l'on est de ré former le mariage, et formulent ce que doivent être désormais le mariage des deux « époux munis de droits et de devoirs égaux », et leur divorce, t élargi et dé- barrassé de ses hypocrisies »; les auteurs, on le voit, ne partagent point du tout les idées de M. Paul Bour- get sur le mariage et ils le lui disent d'ailleurs en un langage plein de véhémence.
Darcy (Jean). — La France et l'Angleterre, Cent ans de rivalité coloniale, « l'AflFaire de Madagascar », une histoire qui nous paraît rétrospective bien que très récente encore.
Dcfontaine (Henri). — Du costume civil officiel et de l'uniforme militaire, « des officiers à la Cour ou auprès des chefs d'Etat français depuis 1804 jusqu'à nos jours », une curieuse monographie très bien documentée et très richement illustrée.
Dclcour. — Dix années d'' éducation congréganiste , un livre sans tendresse «'t sans bienveillance qu'on accusera peut- être, dit l'auteur, d'être un coup de pied de l'âne.
Demnia (G.). — Le Voyd^e d'Afrique. Poésies.
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTERATURE, ETC. 359
amie (René). — Etudes sur la littérature française, un vo- lume d'un intérêt très varié, qui va de Saint François de Sales à M. Anatole France, en passant par Racine et par Lamartine.
Fontaine (André). — Les Doctrines d'art en France, peintres, amateurs, critiques de Poussin à Diderot.
Forthuny (Pascal). — Voir Paul Hacquard.
Gazier. — Abrér/é de l'histoire de Port- Royal.
Gregh (Fernand). — Prélude féerique, un conte bleu en vers que le délicat poète publie « pour son fils quand il aura sept ans » et, qui, si j'en juge par les impressions que j'ai ressenties, réjouira et séduira bien des hommes avant de divertir un petit enfant. C'est d'une grâce ex- quise, et les propos échangés entre les fées, les gre- nouilles et les crapauds de la forêt de Brocéliande, au son d'une musique « facultative jouée par un orchestre imaginaire », sont vraiment les choses les plus délica- tes, les plus gracieuses et les plus poétiquement ailées qui soient, exprimées dans ce verbe si harmonieux, si classique et si profondément original qui est celui de Fernand Gregh.
Hacquard (Paul) et Pascal Forthuny. — Lettres inédites de Dé- ranger à Dupont de l'Eure. (Correspondance intime et politique, 1820-1854), un volume très pieusement com- posé et judicieusement annoté qui contient des pages bien émouvantes et bien curieuses où revit le grand chansonnier dont la populaire figure, peinte par Cou- ture, sourit en tête du livre.
Hervé de Rauvillo. — L^Ile de Finance contemporaine, « étude sur la résistance de la race française à l'île Maurice sur la domination anglaise ».
Jaubert (Ernest). — Cent Ballades.
Jeanjean. — Armand Barbes, sa vie, son action politique, sa correspondance.
JuUien (Adolphe), — Fantin-Latour, t Sa vie et ses amitiés », des lettres inédites et des souvenirs personnels.
Kolney (Fernand), — L^ Amour dans cinq mille ans, une fan- taisie philosophique et pessimiste que l'auteur dédie aux Mânes de Henri Heine et. qu'il situe aux environs de l'an 6905.
3i;() , U: MOUVEMENT LITTERAIRE
I,;i( l()s (Choderlos do). — Les liaisons dangereuses, une superbe 'dition litthlit-e d'après le texte original avec une étud. *ur Choderlos de Laclos et une bibliographie des Liai- sons dangereuses, par M. Van Bever; le nom de Pérudi ••crivain est un sûr garant de la valeur littéraire du l'édition, c'est en outre une belle œuvre de bibliophi- lie et d'art illustrée de vingt superbes eaux-fortes originales de Martin Van Maelc, et qui fait vraiment honneur aux éditeurs. Lambeau (Lucien). Les Richesses d'Art de la Ville de Paris, dont l'auteur commence la revue en un beau livre, rt- marquablcmcnt illustré et d'une forte documentation sur € THûtel de Ville de Paris ». L:\ Mesangère. — Les Petits Mémoires de Paris, un ravissani l»etit volume, d'une allure très xviii» siôcle, illustr. d'exquise façon par Henri Boutet et dont l'auteur .se réclame du bon Sébastien Mercier. Lefebvre (Alphonse). — La Célèbre inconnue de Prosper Méri- mée, t sa vie et ses œuvres authentiques avec docu- ments, j'ortraits et dessins inédits », une intéressante étude littéraire et anecdotique. Le Goffic. — L^Ame bretonne, des i»ages émues et fortes où revivent les mœurs, les traditions, les croyances, la littérature de la noble et vieille Armorique. Letalle (Abel). — Les fresques de Floroice, racontées et repro- duites en un beau livre. Limet (Charles). — Un Vétéran du barreau parisien, un livr( charmant de sérénité et de bonne grâce, où le doyen de l'ordre des avocats nous conte « quatre-vingts ans de souvenirs 1827-1907 ». Lorin (Henri). — L'Afrique du Nord : Tunisie, Algérie, Maroc, volume consacré à la géographie régionale, économi- que et politique de cet immense domaine de l'influence française — c'est un livre qui traite scientifiquement des questions brûlantes; en outre, il comble une la- cune en réunissant en un volume accessible, clair et concis la substance d'une étude complète et générale >ur l'Afrique du Nord, si « profondément marquée j^ar 1 nature des traits qui déterminejit une région natu- relle »; je vous laisse le soin de tirer la conclusion de
NOVEMBRE — HISTOIRE, LITTÉRATURE, ETC. 364
cette simple phrase de géographie une portée bien plus haute et plus émouvante qui ne comporte pour l'ordi- naire un manuel de géographie.
Malo (Henri). — Les Corsaires, un travail établi presque en- tièrement sur des documents inédits et où l'auteur s'est attaché à « restituer la physionomie de la guerre de courses aux époques où elle s'est nettement diffé- renciée de la piraterie »; c'est un livre propre à ins- truire les hommes, à faire trembler les petits enfants et à passionner les uns et les autres.
Michel (Emile). — Nouvelles études sur l'art, si précieuses et si émouvantes.
Pineau (Léon). — VEvolution du roman en Allemagne au xix« siècle, un ouvrage très savant et très serré.
Roger-Miles. Comment discerner les styles du viii« au xixe siècle, « architecture et décoration — caractères et manifes- tations des formes m, une édition nouvelle d'un très précieux et très beau volume. C'est, iious dit modeste- ment l'auteur, une sorte de manuel d'éducation de l'œil à l'usage des promeneurs et des touristes, mais un manuel documentaire, qui a la prétention d'ins- truire sans pédanterie et d'être feuilleté et compris sans effort », et j'ajouterai, avec infiniment d'agrément, car l'œuvre est d'une rare séduction artistique et lit- téraire,
Ruffin (Alfred). — Le livre des Chats, un recueil de vers char- mants dédiés par l'auteur a « Nini, la belle chatte blan- che et gris-perle qui venait le i^éveiller tous les ma- tins dans son petit lit d'enfant ».
Shakespeare (William). — Œuvres dramatiques, le 7" volume de la très intéressante traduction publiée par M. Georges Duval et où figurent notamment Le Songe d'une nuit d^été, le Conte d'hiver et les Deux Gentilhomi/ies de Vé- rone^ line. — Pages Choisies, commeuLécs et uuuuLùc.-> ir, mrii- cieusement par M. Victor Guiraud.
1 >utain (J.). — Etudes de mythologie et d'histoire df.> itfji'jns antiques.
Lrsu (J.). — La Politique orientale de François i" (1515-1547). — une page d'histoire savante et pittoresque.
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3^2 Ll! MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Vernon (Eugène). — L'Homme divin ou la Nouvelle Religioyi, un livre un peu bien surprenant où l'auteur a la pré- tention, nous dit-il, t de substituer une nouvelle re- ligion aux religions existantes, religion sans révéla- tion, mais de i)lu8 de mystère, de plus de grâce, de plus d'adoration >. Dans ce livre étrange, et qui parfois paraîtra obscur, il y a des pages bien profondes et Jo- lies; il est animé tout du long d'un noble culte et d'un amour fer.vent de la beauté.
Weil (Commandant). — Joachim Murât, roi de Naples, une cu- rieuse monographie très bien documentée et très ri- chement illustrée.
Wcissen-Szumlanska (Madame Marcelle), — Hors du Harem, « histoire vraie », de curieux et émouvants souvenirs d'où l'on peut tirer cette mélancolique conclusion qu le désenchantement des libérées est le plus pénible i le plus complet qui soit et que le t rôle des recluse- s'il est obscur et même douloureux, est encore le meil- leur, le plus digne, le plus grand, parce qu'elles sont à leur place et suivent leur devoir ».
Zévaès (Alexandre). — Le socialisme en France depuis 1871, un livre très vivant et très documenté.
DECEMBRE
LES ROMANS
ANATOLE FRANGE
Les Contes de Jacques Tournebroche.
Aux approches de la fin de l'année, en cette saison où la littérature doit abandonner toute gra- vité et se consacrer à l'édification et à la récréa- tion de Penfance, M. Anatole France a voulu, lui aussi, s'offrir la fantaisie cl'un livre à naïves images, et il nous apporte, dans un sourire, les Contes de Jacques Torunebroche. Quel plaisir j'ai eu à retrouver sur la couverture d'un livre le nom de notre ami Tournebroche, tous ceux qui passèrent dans la rôtisserie de la reine Pé-
364 LK MOUVEMENT LITTÉRAIRK
dauque le concevront aisément; je pensais bien en lisant son nom que je retrouverais aussi quel- que part soîi bon maître Jéi'ôme Coignard, et mon attente ne fut pas déçue. Ces noms évoqués vous disent sans doute la nature de ces contes, et que Jacques Tourncbroche u'écrit point pour les petits enfants; même lorsqu'il est tout à fait naïf, touchant et chaste, comme dans « le Miracle de la pie », son esprit est toujours animé d'une bien fâcheuse irrévérence pour les plus respectables choses ; dans d'autres, comme « le Gab d'Olivier » et l'his- toire de « une horrible paincture », M. Anatole France, qui tiont la plume de Tournebroche, ne se contente plus d'être le fds de Voltaire, il est manifestement l'arrièrc-petit-ucvcu de Rabelais. Il reste surtout, et c'est heureux pour son lec- teur, Anatole France, un incomparable écrivain dont la langue restera comme un modèle de grâce, de perfection et de pureté, et qui sait, quand il le veut, appuyer sa fantaisie sur une profonde éru- dition et une connaissance merveilleuse de notre moyen âge.
A ce divertissement d'un philosophe, l'éditeur a donné la parure légère et somptueuse qui convc nait : sur de belles pages aux vastes marges, les contes se déroulent en une belle et luxueuse typo- graphie, avec de-ci de-là de gracieuses images aux couleurs naïves et des lettres enluminées et dorées avec beaucoup de talent par M. Léon Ij bègue.
DÉCEMBRE — LES ROMANS 365
ALBERT BOISSIÈRE
Un crime a été commis.
M. Albert Boissière a publié, sous le titre Un crime a été commis , une de ces histoires de mys- tère et d'assassinat dont la vogue est si grande en ce moment; sur la couverture, deux têtes grima- cent, qui semblent secliounées près du col et l'on a tout de suite l'impression que de terribles cho- ses vont se passer. Et c'est en effet une bien an- goissante aventure que celle d'Otto et de Franz, les deux frères jumeaux, si semblables Pun à l'au- tre que, le crime une fois commis, on ne sait plus, non plus jamais, qui fut le meurtrier et qui fut la victime. De son postulat, qui est bien un peu vif — mais Plaute et Molière, et tant d'autres, s'en sont servis, — M. Albert Boissière a tiré un parti remarquable : la curiosité, Pangoisse, Pé- moi de son lecteur sont jusqu'à la dernière page tonus en haleine, et ce résultat est obtenu sans que Pauteur ait cru nécessaire d'appeler à son aide Phorrible et le tragique; ainsi, il intéresse et passionne son lecteur sans le troubler, sans lui procurer Pagrément discutable des sueurs froides, des nuits agitées par des songes affolants. C'est par là qu'il se distingue d'un grand nombre de nos <( romanciers-mystère » et qu'il mérite un très particulier éloge.
'M)() LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
LUCIE DELARUE-MARDRUS
Marie fille-mère.
Le titre vous dit le. sujet du livre et comi)ien il serait délicat d'en tenter Panalyse dans une chaste chronique. La romancière est animée d'in- tentions généreuses et nobles, mais comme elle désire nous indigner très fort, elle n'a point essayé d'épargner nos sensibilités, et il y a dans ses peintures une brutalité un peu pénible parfois. L'indignation qu'on éprouve contre le mâle dont l'égoïsme passionné jette la femme aux trisj^esses de la rue a été exploitée maintes fois et on risque un peu de tomber dans la banalité en proclamant l'injustice et l'horreur de la condition féminine; il est juste de dire que madamiî Lucie Delarue- Mardrus a évité ^ce défaut ; qu'elle a su, dans ce sujet si douloureusement banal, rester profondé- ment originale et donner une allure tout à fait particulière à cette aventure de la « créature sans défense contre la fatalité physiologique qui pèse sur la femme, — qui meurt comme elle a vécu, victime du désir masculin ».
DÉCEMBRE — LES ROMANS 367
CHARLES DERENNES La Gruenille.
M. Charles Derennes, le jeune écrivain dont j'ai eu naguère un très vif plaisir à saluer les remar- quables débuts, nous donne avec la Guenille une œuvre nouvelle où il y a du meilleur et du pire : c'est un livre plein de talent, d'une forte tenue littéraire et d'une belle originalité; mais pourquoi avoir mis toutes ces qualités au service de choses si douloureuses, si pénibles, sinistres à ce point?
La guenille dont il nous parle c'est l'àme du héros, et c'est aussi le symbole de la destinée humaine palpitante et vaine dont cette âme n'est qu'un lambeau, l'un des plus misérables. Trop misérable tout de même et trop cruellement pour- suivi par le destin. M. Charles Derennes est assez doué pour pouvoir donner de l'intérêt, de la vie et de la passion à un roman sans accumuler sur la tête de ses héros les hérédités de folie, de neu- rasthénie ou d'épilepsie, et sans donner à leurs amours le ragoût de l'inceste. Non vraiment, tout cela est trop dur, trop douloureux, trop amer, et c'est pourtant d'une très curieuse conception et d'une très remarquable exécution.
308 LE MOUVSMENT LITTÉRAIRE
TRISTAN BERNARD
Secrets d'Etat.
Notre ami Tristan Bernard, qui fut applaudi dans le morne mois à « l'Œuvre », et au théâtre Michel, ne se repose pas longtemps sur ses lau- riers : dès aujourd'hui, en eiïet, il nous apporte un roman, et ce n'est pas Uni, paraît-il... Voilà, je pense, un hel exemple d'activité littéraire donné par ce délicieux humoriste dont la légen- daire nonchalance n'est plus qu'une légende. Ce roman s'appelle Secrets (VEtat et ce n'est pas un « livre gai », Tauteur prend soin de nous en pré- venir dans une élincelante préface où il s'excuse auprès de son lecteur d'être obligé de mentir « à la triste réputation qu'il a d'être un écrivain gai ». Néanmoins, ne vous alarmez pas trop vite, Tristan Bernard, attelé à un roman oii l'on ne rit pas tou- jours, où l'on souffre parfois, où l'on aime, où l'on fait de la politique et de la diplomatie, où l'on conspire et où l'on meurt, a pris son rôle de romancier au sérieux, mais point au tragique, ni, si j'ose dire, au mélancolique : pour ne « pas s'ennuyer pendant trois cents pages, il a résolu de s'amuser le plus qu'il pourrait » et il a réussi supérieurement à amuser son lecteur, ravi de trouver, dissimulés aux coins des pages, des traits charmants d'observation narquoise qui sont du
DéCEMBRE — LES ROMANS 369
meilleur Tristan Bernard, et de découvrir aussi chez cet « auteur gai » une note d'émotion pro- fonde et attendrie qu'il ne voulait point soupçon- ner; ainsi, ce roman très captivant et très origi- nal, oii l'auteur a trouvé moyen de mettre une extraordinaire vérité dans la peinture d'un royaume de fantaisie, atteste la prodigieuse sou- plesse, la variété, la diversité du délicieux talent de M. Tristan Bernard, qu'on « n'enferme pas dans un genre » et qui n'est pas l'esclave de sa gaieté.
EDMOND HARAUGOURT
Trumaille et Pélisson.
Sous le titre Trumaille et Pélisson, M. Edmond Haraucourt a publié un livre où sont réunis deux courts romans qui attestent brillamment la va- riété, la souplesse du talent de ce remarquable écrivain. Le sens du premier de ces romans, « Pélisson », nous est donné dans la dédicace du livre que M. Edmond Haraucourt offre « à son vieil ami Henri Lav( dan, en commun amour du passé et de ses reliques ». L'histoire si simple et si touchante de Nicolas Pélisson est, en effet, un hymne émouvant en l'honneur des reliques du passé qu'il faut garder jalousement, pieusement, car « ce produit de l'âme commune est un trésor
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370 LE MOUVK.MK.N I I-l l 1 KilA I liE
commun », et les pierres des monuments, des châteaux, des maisons, « c'est de Thistoire survi- vante, la floraison lapidaire des siècles, la formule des générations qui pétrifièrent leur pensée, poiir que nous en gardions mémoire ». Tout cela, M. Nicolas Pélisson, homme très calme et tout petit, bienveillant receveur des contributions in- directes, ne s'en doutait pas, lorsque brusque- ment, l'acquisition d'un petit crucifix d'émail champlevé le lui révéla; la compagnie de ce pieux bibelot acquis par hasard, lui devint si chère, le consola si bien des tristesses quotidiennes aux- quelles le condamnait sa mégère de femme, que cet homme ignorant s'instruisit, s'éleva et devint un extraordinaire collectionneur. Et, quoi qu'en puis- sent penser les esprits subalternes et les âmes basses, c'est une chose admirable et touchante qu'une collection ; un collectionneur digne de ce nom est un homme utile et nécessaire à son pays et peut-être un héros; c'est le cas de Nicolas Pé- lisson, apôtre et martyr de la collection; et le lecteur le plus profane partage ses émotions, ses joies et ses douleurs, que M. Edmond Haraucourt sait faire comprendre et exprimer avec un art <'' une émotion admirables.
D'un genre tout différent, le second roman con- tenu dans ce livre nous dit la douloureuse aven- ture d'un certain « Trumaille », un fermier en butte à la haine des pavsans, ses voisins, qui, mécontents de l'avoir parmi eux, déploient, pour
DÉCEMBRE — LES ROMANS 371
le rebuter et le faire fuir, une prodigieuse ingé- niosité dans la méchanceté et la perfidie; il y a là une peinture vraiment extraordinaire de ce que peut être la férocité paysanne.
lJi:^lUiiŒy ART.
Chronique. — 1831-1862.
Mu un volume d'un très vif intérêt et d'une grande et émouvante séduction, madame la prin- cesse de Radziwill née Castellane commence la publication de la Chronique dont son aïeule la du- chesse de Dino, devenue depuis duchesse de Tal- leyrand et de Sagan, lui a confié le précieux dépôt ; eetle Chronique emhrasse trente années de l'his- toire de France et d'Europe, de 1831 à 18G2, — trente années pendant lesquelles cette femme accomplie joua un rôle considérable et rendit à la France les phis discrets et les plus éminents ser- vices. Le premier volume va de 1831 à 1835; il présente beaucoup de variété, d'intérêt et d'agré- ment; c'est un journal rédigé au jour le jour, familièrement, mais avec tout de même un grand
DÉCEMBRE — HISTOIRE, ART 373
souci de la forme et de la tenue : celk a vraiment de la race; c'est, en outre, d'une sincérité évi- dente, et avec les pièces et les lettres qui émaillènt le texte, avec aussi la délicieuse miniature de la duchesse de Dino par Agricola, qui sourit à la première page du livre, c'est un document d'his- toire de premier ordre où revit intensément une femme qui occupa dans la société européenne de la première partie du dix-neuvième siècle une place si considérable, « dont les attraits, comme les dons, furent rarement égalés et qui exerça sur tous ceux qui l'approchèrent une incomparable séduction morale ».
EMILE MALE
L'Art religieux à la fin du moyen-âge en France.
C'est un superbe livre d'une somptueuse et riche documentation sur l'Art religieux de la fin du moyen âge en Frçince. On n'a pas oublié l'œu- vre précédente de ce très érudit écriA^ain sur rA/i religieux du treizième siècle en France, œuvre à laquelle J. K. lluysmans donnait sa précieuse approbation en saluant en elle le premier travail complet qui eût été fait sur l'iconographie des cathédrales; M. Emile xMâlc a suivi dans ce nou- veau volume un plan tout différent de celui qu'il
LE MOUVEMENT MTTEHAIRK
avait adopté dans le précédent, car il y a uik diiïérence fondamentale entre Tart religieux du treizième siècle et celui de la lin du moyen âge; le premier est plus encyclopédique, le second est plus pathétique, plus tendre, plus humain, <'t l'auteur fait très lumineusement ressortir ce con- trasti;; mais s'il a changé son plan il est reste fidèle à cette méthode si féconde qui consiste situer l'histoire de l'art dans la grande histoire el à ne l'en pas séparer, à étudier, en même tenij»^ que les manifestations artistiques, les raisons, le événements, les mœurs qui l'influencèrent. Ainsi. l'œuvre n'apparaît pas seulement comme une étude séduisante et spéciale, mais comme un cha- pitre particulièrement émouvant de notre his- toire ; le livre est présenté avec heaucoup d'art et de goût et richement illn*ifré de nomhreuses et belles gravures.
MÉMENTO DU MOIS DE DÉCEMBRE
ROMANS
Brenn. — Les Rebelles.
f^kiretie (Léo). — Cadet- la-Perle, un roman de cape et d'épéc amusant au possible, passionnant, tout remj»li do péri-
DÊCEMBKE — I,IVRES DIVERS 375
pôties héroïques et belles qui constitue en outre une très brillante leçon d'histoire, car Cadet-la-Perle, sur- nommé ainsi à cause de la perle unique qu'il portait à l'oreille, ne fut autre que le comte d'Harcourt, d'Ar- magnac et de Brionne. Henri de Lorraine, grand écuyer de France, gouverneur de Guyenne ; et ses aventures réelles sont tout à fait prestigieuses. M. Léo Claretie, historien érudit, romancier habile, les a présentées dans son livre avec beaucoup de verve et de vie, sous une forme très littéraire, mettant très heureusement l'imagination au service de l'histoire.
Grasset (Pierre). — Un conte bleu.
Luguet (Marcel). — Voir Maurice Vaucaire. .Rue (Gustave). — Le Petit Faune.
Tiercelin (Louis). — Le Cloarec, une œuvre où l'auteur évo- que sa chère Bretagne mystique et pittoresque, en des pages émouvantes et d'une vie intense et profonde.
Vaucaire (Maurice) et Marcel Luguet. — Mademoiselle X, sou- ris d'Hôtel, un très amusant volume où les auteurs exaltent une fort sympathique, passionnée et ingé- nieuse cambrioleuse que nous pourrons marier, lors- que Saint-Lazare lui ouvrira ses portes, à notre glo- rieux Arsène Lupin.
HISTOIRE — LITTERATURE — THEATRE — POESIE POLITIQUE — DIVERS
Adam (Paul). — L'Icône et Le Croissant, une double étude, dé- bordante d'idées, de- véhémence et de passion sur la Russie et l'Egypte, portraits d'hommes d'Etat, descrip- tions lumineuses de villes et de paysages, ré/lexions philosophiques, visions de révolution; nous trouvons tout cela dans un pêle-mêle harmonieux, et c'est un livre étourdissant et utile, livre d'historien, de poète et de philosophe.
376 LE MOUVEMENT LITTÉÏUIRK
Ancey (Georges). — Athènes couronnée de violettes.
liatifTol. — Le Siècle de la Renaissance, un bon livre paru dans la série de « IMIistoire de France riicontôe à tous » publiée sous la direction de M. Funck-Brcntano.
BaufTremont (Princesse de). — De VAube au crépuscule, des vers charmants délicieusement présentés on une artis- tique typographie.
Unin (Pierre). — Savinîen de Cyrano de Bergerac, genlilhomi/ie parisien, * l'Histoire et la légende de Lebret à Ed. Ros- tand *.
CauzoQs (de). — Histoire de l'Inquisition en France, un ouvrage
*€ synthétique, basé à la fois sur l'étude directe des
sources et sur les résultats do l'érudition moderne »;
le premier volume de cet ouvrage qui en comprendra
trois, est consacré aux origines de l'Inquisition.
Chorenne (Paul). — Mes prisons en Prusse.
Dauchot (Gabriel). — Immortelle Pologne, une œuvre émou- vante précédée d'une préface d'un mysticisme et d'un patriotisme enflammés de M. Théodor de Wyzewa.
Debidour (A.). — L'Eglise Catholique et PEtat sous la troisième République — 1870-1906 — suite et fln.
Defrance (Eugène). — Vieilles façades parisiennes, — la maison de madame Gourdan, documents inédits sur l'histoire des mœurs à la fln du xvm» siècle.
Delacour (André). — Le Don de soi, des poèmes d'une inspi- ration généreuse et noble, et d'un rythme souvent heureux,
Floc (Tym). — M. VAbhé Loisy, M. Le Dantec et M. Clemenceau font leur prière.
Hermitte (Jean). — Horizons, études sur les idées qui préb rent l'avènement d'un régime nouveau.
Lafond (Paul). — La Sculpture espagnole^ une étude très do- cumentée et brillamment illustrée.
Lanson (Gustave). — L'Art de la Prose.
Leblond (Marius-Ary). — L'Idéal au xix= siècle, un fort beau livre tout rempli de choses contestables et d'idées gé- néreuses où les auteurs essayent de dégager notre idéal, car en une époque « où on n'écoute plus le clergé, où on lit peu les poètes et les romanciers utopistes qui Les exaltent, il apjiartient à l.i littérature critique #
DÉCEMBRE — LIVRES DIVERS 377
en exposant leurs rêveries et en les associant, de pré- senter l'œuvre synthétique de morale nécessaire à no- tre âge ». X
Mauclère (Jean). — Au Caprice des heures, poésies.
Millandry (Georges). — Les Frêles chansons, des poésies mélo- dieuses dont quelques-wies sont agrémentées de notes musicales.
Moret (A.). — Au Tempsdes Pharaons : l'auteur, conservateur adjoint du musée Guimet, nous ramène, en un volume de 300 pages tout rempli de faits et de documents, à ce temps tout environné de prestige et de mystère où les pyramides élevèrent leurs pointes altières vers le ciel d'azur de l'Egypte ; en des chapitres très clairs, très intéressants, très précis, semés d'images où les temples et les pyramides apparaissent dans leur ma- jestueux délabrement, M. xMoret nous dit la restaura- tion des temples égyptiens, nous raconte avec infini- ment de pittoresque la diplomatie égyptienne et nous dit cejqu'était t la carrière » au temps dtes Pharaons; étudie la naissance et la destinée des Pyramides et nou^s donne, enfin, des renseignements tout à fait cap- tivants sur la magie de l'ancienne Egypte.
Moulins (Amédée). — Voir Louis Tarsot.
Péladan. — Les Idées et les Formes dans Pantiquité orientale.
Portes de La Fosse (Des). — Quelques vers, œuvre d'un diplo- mate qui s'excuse de faire des vers, en quoi il a tort, car il est un ])Oète excellent.
Semenoff (Commandant). — L'Expiation, un livre où l'auteur nous fait assister aux derniers jours de l'escadre de Port-Arthur.
Stoullig (Edmond). — Annales du Théâtre et de la Musique, le trente-troisième volume de cette œuvre précédée d'une très mordante préface de M. Noziôre,
Strindberg (Auguste). — Bohême suédoise, « peintures de la vie artistique, littéraire suédoise ».
Tarsot (Louis) et Amédée Moulins. — L'Histoire de France dans ses monuments, scènes et vestiges du temps passé, de Fran- çois l" à la Réifolution.
Thureau-Dangin (Paul). — Le Catholicisme en Angleterre au xix« siècle, un volume où l'auteur a réuni les conféren-
.'■> LK MOUVEMENT LITTERAIRi
ces liuiiuées par lui cette année sur cetie (luesiiou. un sait que l'académicien a consacré à la renaissance ca- tholique en Angleterre un ouvrage considérable ; le présent volume nous donne comme un raccourci de cette œuvre, et l'auteur a voulu nous présenter ainsi les événements sous une forme plus concentrée, plus rapide, c faire pénétrer plus avant dans le j)ublic la connaissance d'une histoire à la fois instructive et consolante ».
Vellay (Charles). — Discours et rapports de Robespierre, un volume paru dans la si curieuse et si précieuse colh tion de c L'Elite de la Révolution ».
Vitrac (Maurice). — Journal du comte Rœderer, Ministre et Conseiller d'Etat, des notes intimes et politiques d'un familier des Tuileries publiées avec une introduction et des notes.
Waleffe (Maurice d ' l*aradis de l'Amérique cnnlralr.
un livre où l'auti^ur se pose cette grave questioi < Les Etats-Unismangeront-ils l'Amériquo espagnole grave question qu'il résoud par l'affirmative au cou d'une enquête qui pourrait être torribloment sérien et qu'il a su rendre vivante, pittoresque et amusani
QUELQUES DISPARUS
QUELQUES DISPARUS
EMMANUEL ARENE
Lorsqu'il est mort, le 15 août 1908, en pleine force (le l'âge et du talent, — il avait à peine 52 ans — Emmanuel Arène régnait sur Paris depuis quelque trente ans par la toute-puis- sance de sa grâce conquérante et de son étin- celant esprit. Dans ces notes brèves où sont réunis chaque année quelques documents sur les disparus de la littérature, on ne trouvera pas, ou presque pas, de renseignements bibliographi- ques, à peine un titre de nouvelle : « Le Dernier Bandit », et pourtant c'est un véritable écrivain, un écrivain de race, doué des qualités les plus fortes et les plus brillantes, qui a disparu. Mais pendant les trente années de son labeur, la folle activité avec laquelle il dispersa aux quatre vents de la Presse l'or pur de son esprit
382 Li. MUUNKMENT LITTJÉRAIBE
et do son talent, ne lui laissa pas le temps de se consacrer à une œuvre. C'est grand dommage vraiment, Ton ne peut s'ompèchor de regretter que le ravissement de cet incomparable esprit soit perdu pour la postérité.
Du moins, ceux de notre temps garderont le souvenir de ces pages étincolantes qu'il jeta au vent avec une incroyable prodigalité sans pren dre le souci d'en fixer quelques-unes sous la forme durable du livre; ils relirofit dans les collections de journaux ces chroniques incomparables, d'une langue si pure, si souple, si alerte, où parfois l'éclat de son merveilleux esprit se tempérait volontairement, s'atténuait d'une émotion sou- riante, profonde et légère tout à la fois, comni^ dans cette description du petit cimetière cors»' où il repose aujourd'hui, véritable joyau littc raire, digne de survivre, et qui survivra.
QUELQUES DISPARUE 383
ARVEDE BARINE
Le pseudonyme de la femme de lettres qui mourut le 15 novembre 1908, après une très belle et très noble carrière, était connu dans le monde entier par les lettrés, les délicats ; son nom, madame Charles Vincens, et sa personne étaient ignorés de presque tous : c'est qu'Arvède Barine au cours d'une longue existence de labeur et de production ne s'occupa jamais de soigner, comme on dit, sa réclame et sa renommée. Elle était à l'origine de ce grand mouvement qui a fait entrer les femmes en triomphantes dans la littérature, elle ne voulut point être à sa tête et, sans l'ombre de jalousie, elle vit grandir auprès d'elle des gloires féminines bien moins jus- tifiées que n'aurait pu être la sienne, cependant qu'elle-même, dans Pombre et la tranquillité, poursuivait paisiblement ses travaux.
L'avenir, sans doute, dira qu'elle a choisi la bonne part, et bien des renommées brillantes d'aujourd'hui seront disparues et oubliées qu'on lira encore les ouvrages d'Arvède Barine, où une érudition profonde et sûre se dissimule sous la grâce aimable d'un style alerte et simple, ces œuvres où en 300 pages concises Técrivain nous ofîre le fruit de longues recherches dans les bi- bliothèques.
^^^' LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Parmi les meilleurs do ses ouvrages, qu'on ne saurait songer à citer tous, il convient de nom- mer d'abord « la Jeunesse de la Grande Mademoi- selle » et « Louis XIV et la Grande Mademoiselle » puis « Portraits de Femmes », « Princesse et Grande Dame p), « Bourgeois et Gens de peu ». « Poètes et Névrosés »., « Saint François d'As- sise », et, deux petits volumes de critique et d'histoire littéraire infiniment remarquables sur « Bernardin de Saint-Pierre » et « Alfred de Mus- set ».
QUELQUES DISt>ARUS SîSo
GASTON BOISSIER
Né en 1823, Gaston Boissier était, on peut lô dire vraiment, chargé d'ans et de gloire lorsque, le
10 juin 1908, il mourut dans la 86® année de son âge après une superbe et souriante carrière.
11 fut l'honneur de l'Université Française où 'toute sa vie se déroula depuis l'Ecole Normale
jusqu'au Collège de France dans une émouvante et harmonieuse unité. Les honneurs lui vinrent l'un après l'autre sans qu'il en eut jamais solli- cité aucun et il était depuis longtemps déjà au sommet, secrétaire perpétuel de l'Académie Française, lorsque la mort vint le prendre : c'é- tait le soir d'une belle journée consacrée tout entière à la plus noble des tâches, celle de former des cerveaux.
Sans se laisser distraire de cette tâche, Gas- ton Boissier sut pourtant trouver le loisir de pro- duire une œuvre considérable, d'une érudition admirable et d'une forme délicieuse. Dans sa bi- bliographie nous citerons cette prestigieuse étude sur la société romaine du temps de César qu'il intitula : Cicéron et ses amis, (186o), véritable chef-d'œuvre d'évocation, et aussi : le Poète At- dus, étude sur la tragédie latine pendant la Répu- blique ; l'Opposition sous les Césars (1875) ; la Re- ligion romaine d'Auguste aux Antonins (1874);
ASVt LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Promc/iadc^ uj chéologiques, — Rome et Pom- péi (1880), et les Nouvelles Promenades archéo- logiques, — Horace et Virgile (1886); Madame de Séoùjnc (1887); la Fin du paganisme (1891); Saint-Simon (1892); V Afrique romaine (1895); Catalina (1904) ; etc.
QUELQUES DISPARUS 387
FRANÇOIS COPPÉE
Le 23 mai 1908, la mort, enfin secourable et clémente, mit un terme à la long'ue et effroyable agonie que souffrit, sans se plaindre, pieux et résig-né, le doux poète des « Humbles ». 11 était âgé de 66 ans ; sa carrière heureuse et féconde s'était écoulée paisiblement jusqu'au jour oij il se jeta avec une ardeur inattendue, dans la plus formidable mêlée politique et sociale de ce temps ; il n'était pas fait pour ces luttes de place pu- blique et sans doute aurait-il souffert de la vio- lence et de l'âpreté des paroles échangées, s'il n'eut puisé dans cette foi que lui révéla, comme à Huysmans, la a bonne souffrance », cette rési- gnation qui Paida à supporter vaillamment le plus terrible des maux.
Le poète, ainsi transformé en tribun, ne fut pas ménagé par'ses adversaires, on cribla d'é- pigrammes sa Muse familière et Ton détacha malicieusement de ses pièces quelques vers à l'allure peut-être un peu prosaïque. On fut injuste ; sans doute la Muse de François Coppée n'escalada point des cimes lointaines; sans doute son vers ne fut-il point d'une virtuosité sans égale, mais tout de même, « Le Passant », « Le Reliquaire » avec cet « Horoscope » qu'il dédia à Emmanuel Glaser pour le remercier de lui avoir acquis le
38S LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
précieux parrainage de Catulle Mandés, suffi- raient à établir la renommée d'un bon poète. Et dans l'œuvre du poète, où je note au passage : « Les Humbles », « Le Cahier Rouge », « Olivier ». « L'exilée » ; dans celle du dramaturge où figu- rent : « Severo Torelli ». « les Jacobites », « Pour la Couronne » ; dans l'œuvre du conteur d' « Hen- riette », et de « Toute une Jeunesse » il se trou- vera suffisamment de belles pages pour défendre, devant la postérité le nom de François Coppée.
QUELQUES DISPARUS 389
EMILE GEBHART
Un bon écrivain à l'œuvre considérable et utile, à la vie limpide et droite, un de ces hommes qui, comme Boissier, font honneur à l'Université Française où ils passent leur existence toute en- tière, à laquelle ils doivent leur culture et leur joie, à laquelle ils rapportent leur succès et ren- dent d'utiles et précieuses leçons.
Emile Gebhart mort le 21 avril 1908 était né en 1839: petit neveu du général Drouot, descen- dant d'une vieille famille lorraine, il était animé d'un ardent patriotisme et ses amis racontent qu'il souffrit cruellement en ces dernières années de la naissance et du développement des idées antipatriotiques et antimilitaristes. Mais au con- traire de tant d'autres, il en souffrit en silence, n'ayant aucun goût pour les bagarres ou les manifestations, retenu dans son paisible bureau du Luxembourg par ses livres et ses travaux. Ils sont nombreux, d'une haute qualité, et par- r lis, d'une très vive séduction; car cet écrivain qui voulut (Hre, et fut, par-dessus tout un pro- fesseur et un savant apprit à parer ses leçons et son érudition d'agréables et séduisants atours, il sut, comme dans ces ravissants « Jardins de l'Histoire » rajeunir et vivifier, avec une verve très littéraire, les documents poussiéreux qu'il
22.
LE M u r V i: M L NI 1,1 1 1 L l\ A 1 1\ M
> . I I i, T» I M
•uinis à sa rigoureuse et patient»^ unalyx . La liste de ses ouvrages serait longue, il i'aul signaler particulièrement son « Italie mystique* remarquable essai d'histoire religieuse ; ses « Es- sai sur la peinture de genre dans l'antiquité ». « Rabelais, la Renaissance et la R(^forme », h a Origines de la Renaissance en Italie », « Au- tour d'une tiare », « Moines et Papes » et « d'I- lysse à Panurge ».
QUELQUES DISPARUS 301
LUDOVIC HALEVY
L'étincelant écrivain qui mourut le 7 mai d908 dans la 75® année de son âge est, pour bien des années, gardé contre Toubli par ce monument joyeux, délicat, admirable, universel, qui s'ap- pelle : « Le Théâtre deMeilhac et Halévy ». Cette œuvre considérable et multiforme est déjà en- trée dans la postérité et dans la gloire et il serait bien présomptueux de prétendre apporter dans ces notes hâtives un jugement sur elle au- trement que pour l'admirer en bloc et sans com- mentaire.
Aussi bien, n'avons-nous pas à parler ici do la moitié de Meilhac et Halévy, mais de Ludovic Halévy tout seul, dont l'œuvre personnelle d'é- crivain suffirait amplement à perpétuer le sou- venir et qui aurait su — et a su — gagner à lui tout seul une belle renommée. «M. Cardinal » suffit à la gloire d'un conteur, et quand on a créé un type comme celui-là, dont la place est marquée entre « Joseph Prudhomme » et « Ga- vroche », on peut compter sur une sorte d'im- mortalité. Les deux romans où figure cet ad- mirable type sont d'ailleurs de délicieux chefs- d'œuvre dont se délecteront nos petits-neveux et où les historiens du siècle prochain iront chercher de savoureux documents sur les mœurs
392 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
(lu second Empire et de la troisième République. Ils ne seront pas moins séduits, mais peut-être plus édifiés par les autres volumes que publi.i Ludovic ITalévy « Notes et Souvenirs », « Kari- kari », « l'Abbé Constantin », deux chefs-d'œuvre de grâce attendrie après lesquels l'écrivain posa sa plume en souriant. Pendant les quinze der- nières années de sa vie, il cessa volontairement d'écrire, se reposant avec bonne humeur sur ses g"lorieux lauriers, bienveillant aux efforts des jeunes entrés après lui dans la carrière.
QUELQUES DISPARUS 393
JANE DE LA VAUDERE
La femme de lettres qui mourut le 26 juil- let 1908, à peine âgée de 46 ans, n'eût point l'hon- neur de grandes oraisons funèbres, quelques lignes nécrologiques, une date, une heure, pa- rurent suffisantes aux feuilles littéraires qui n'imprimèrent même pas un titre de volume. Et pourtant, elles n'avaient que l'embarras du choix, embarras trop grand, choix trop copieux, car, au cours de sa carrière littéraire qui dura 20 ans, Jane de la Vaudère avait publié une moyenne de quatre volumes par année : c'est beaucoup, c'est trop. Il n'est pas douteux que la quantité était ici au détriment de la qualité; et pourtant, il y a eu quoique chose d'excessif dans ce dédain pour un labeur — sinon une œuvre — si consi- dérable, et cette femme de lettres qui écrivit trop et chercha trop souvent à allécher ses lec- teurs par des moyens non exclusivement litté- raires eût incontestablement des dons très réels d'imagination et de verve romanesque.
Dans ces romans qui nous promènent aux quatre coins du monde et qui sont parfois aggra- vés d'images propres à monter les imaginations, il y eut souvent des pages intéressantes. Des titres? Il faudrait plusieurs pages' pour les citer tous, songez que dans la dernière année de sa
394 TK MOUVEMENT LITTERAIRE
vie, elle produisit un roman parisien « Le pein- tre des frissons » et quatre autres romans de mœurs antiques et d'amour : « Le rêve de My- sès », « Prétresses de Mylitta », « La sorcière d'EcLatanc » et c< La vierge d'Israël » I
QUELQUES DISPARUS 395
LOUIS LEGENDRE
Le bon et charmant poète, le dramaturge in- génieux et délicat qui mourut le 21 août 1908, aurait pu être un écrivain célèbre, mais sa mo- destie, sa discrétion, le tinrent toujours à l'écart des grandes renommées et des grands tapages, il lui parut suffisant de gagner l'estime et le suf- frage d'un cercle restreint de délicats et de let- trés. Cette discrétion que l'homme apportait à sa vie, l'écrivain l'imposait à son œuvre qu'il tint dans une note grise, et dont volontairement il atténuait l'éclat. Ses jolies qualités trouveront cependant leur récompense, et les bibliothèques réserveront une petite place humble et discrète, à deux volumes de vers « Ce que disent les fleurs » et « Le son d'une âme » et à sa ravissante et poétique adaptation de « Beaucoup de bruit pour rien ».
3% LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
ACHILLE LUCHAIRE
La mort d'Achille Luchaire survenue le 14 no- vembre 1908 — il avait 62 ans — fut un nou- veau deuil pour l'Université et la Sorbonnc, si cruellement frappées au cours de cette année. Titulaire depuis vingt ans de la chaire d'histoire du moyen âge à la Sorhonne, il s'était acquis dans cet enseignement une renommée univer- selle et il était considéré dans le monde entier comme une des plus hautes autorités des études de l'histoire médiévale. Son œuvre capitale, les « Institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens » est un monument dont l'érudition française peut à bon droit s'enor- gueillir et dont la place est marquée à côté de certaines œuvres de Fustel de Coulanges, son maître, dans la bibliothèque de tous les savant qui étudient le moyen âge. Parmi ses autres œuvres, il faut citer son « Manuel des institu- tions françaises » ses monographies de « Louis VI » et de « Louis VU » qui nous apportent des ren- seignements les plus précieux sur nos origines nationales, et cette œuvre considérable sur « Innocent III » dont le sixième et dernier vo- lume est signalé dans cet ouvrage et qui fut honoré cette année même à l'Académie par le prix Jean Reynaud, lequel récompense le « tra- vail le plus méritant qui se sera produit pen- dant une période de cinq années ».
QUELQUES DISPARUS 397
LE CARDINAL ^LVTHIEU
Le nom du Cardinal Mathieu, mort le 26 octo- bre 1908, à râg"e de 69 ans, a sa place marquée dans ces brèves notices nécrologiques de la lit- térature, mais ce n'est point faire injure à sa mémoire de dire qu'il siéga dans l'illustre com- pagnie plutôt comme Cardinal que comme écri- vain ; il n'est pas inutile de le noter ici, ne fut- ce que pour faire excuser la déplorable indigence de renseignements bibliographiques que nous devons fournir. En effet, quand on aura signalé (( l'Ancien Régime » et le travail sur le « Con- cordat de 1802 » on aura à peu près tout dit sur la caffière littéraire de cet aimable prélat. Il faut ajouter cependant l'article retentissant pu- blié, il y a quelques années par la « Revue des Deux Mondes)) sur « Le Conclave de 1903 » ; cet article n'était point signé, mais on sut, à n'en point douter, que le Cardinal Mathieu en était fauteur, cela lui valut de graves ennuis à Rome, mais ce sera excellent pour sa réputation litté- raire, car ces pages sont d'un intérêt très vif et files ont quelque chance de survivre à ses deux autres ouvrages. -
23
^^^ LE MOUVRAIENT LITTÉRAIRE
VICTORIEN SARDOU
Il nous est permis d'écrire ici le nom de l'illus- tre auteur dramatique qui mourut le 8 novembre 1908 à l'âge do 77 ans et qui restera comme Tune des gloires du génie français, et l'une des plus prodigieuses forces de la nature. Car, Victorien Sardou, au cours de son extraordinaire carrière, de son règne d'un demi-siècle sur le tliéâtre français, trouva moyen d'écrire quelques ou- vrages qui n'étaient point du théâtre. Et ce fut un écrivain délicieux : telles de ses pages sur le Paris d'autrefois, qu'il connaissait mieux que personne au monde, telles de ses chroniques sur des controverses d'histoire, dont il était informé mieux que bien des maîtres — car, avant d'évo- quer l'histoire sur la scène il l'étudiait avec fer- veur, — sont de véritables bijoux littéraires.
En outre. Sardou publia en 1862 un roman très émouvant intitulé « La Perle Noire », un livre d'histoire anecdotique et pittoresque sur la maison de Robespierre, et enfin, un volumn de défense personnelle qu'il intitula « Mes PI i giats » et qui restera comme un modèle de p lémique émouvante, nerveuse et spirituelle : < volume qui doit figurer comme un complément «l comme un commentaire des œuvres complètes de Sardou est une réponse péremptoire aux con-
QUELQUES DISPARUS 399
frères malheureux qui pendant longtemps ne purent voir triompher Sardou sur une scène sans Paccuser immédiatement de leur avoir pris une idée ou un sujet; ce petit jeu puéril et qui durait depuis assez longtemps cessa après la publication du livre.
CONCOURS & PRIX LITTERAIRES
CONCOURS ET PRIX LITTERAIRES
LE PRIX GONCOURT
Le 3 décembre 1908 les membres de l'Aca- démie Goncourt, réunis sous la présidence de M. Léon Hennique, ont décerné le prix Goncourt à M. Francis de Miomandre.
Deux des académiciens étaient absents, MM. Oc- tave Mirbeau et Paul Margueritte, mais ils avaient délégué leurs votes et les huit académiciens pré- sents : MM. Léon Hennique, Gustave Geil'roy, les frères Rosny, Elémir Bourges, Lucien Descaves, Léon Daudet, Jules Renard représentaient bien l'académie entière.
Comme chaque année, la lutte fut chaude, et c'est après un nombre respectable de tours do scrutin, et par 6 voix contre 4 que fut désigné le vainqueur de cette année.
En le couronnant, Px\cadémie Goncourt n'a
404 LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
certainement pas failli à sa tâche d'encouragin une jeune carrière et de révéler un nom, car M. de Miomandre n'a que 27 ans et son nom était jus(ji)'.-i n'''^ent totalement ignoré du grand pu- plir.
L'œuvre couronnée n'est pourtant pas son dé- but et le « Mouvement littéraire » de l'année der- nière signalait déjà les qualités curieuses et personnelles du volume publié par lui sous le titre (( Visages ». Cet cruvre qui s'inscrit sur le livre d'honneur après celles de MM. Nau, Lé(M> Frapié, Claude Karrère, Tharaud frères et M( selly, a pour titre : « Ecrit sur de l'eau ».
CONCOUBS ET PRIX LITTÉRAIBES 405
LE PRIX DE LA c< VIE HEUREUSE »
Le prix de la « Vie Heureuse », dont la valeur matérielle est égale à celle du prix Goncourt, doit être attribué chaque année, par un jury composé de femmes de lettres, au meilleur ou- vrage de l'année, imprimé en langue française, que l'auteur soit un homme ou une femme, qu'il soit écrit en vers, ou en prose, qu'il soit roman, mémoires, drame, etc..
Le 4 décembre 1908, le jury de la « Vie Heu- reuse », présidé par Madame Marcelle Tinayre, avec Madame Claude Ferval comme vice-prési- dente, accorda le trophée envié à M. Estaunié, auteur de « La Vie Secrète ».
Pour la seconde fois depuis sa création, ce jury de femmes accorde la récompense suprême à un homme, belle leçon d'éclectisme et d'indé- pendance pour les jurys d'hommes qui ignorent assez généralement les mérites féminins.
Le choix du comité de la « Vie Heureuse » doit être approuvé sans réserve : M. Estaunié déjà apprécié des délicats et des lettrés n'est point encore assez connu par le grand' public et c'est — à n'en pas douter — Puii des écrivains les mieux doués, les plus originaux de ce temps. Comme Marcel Prévost, il est entré dans la lit- térature par la science et c'est en dessinant des
400 LE MOUVEMENT LITTÉRAIHE
épures à l'école polytechnique qu'il s'est entraîné à observer le cœur humain et à l'analyser. Il faut croire que la méthode a du bon...
En tous cas, M. Estaunié, a gardé, dans ses œuvres d'imagination, ou plutôt d'observation, une forte empreinte de cette origine et de cette culture scientifique : il y a quelque chose de né- cessaire, de mathématique, de fatal, dans ses con- ceptions romanesques, et cela en redouble l'in- térêt, l'angoisae, l'émotion. « La Vie Secrète », l'œuvre couronnée, est sans doute la plus poi- gnante et la plus belle qu'il aitproduite « chacun de nous, dit un des personnages de son livre, a pour règle de dissimuler ce qui lui tient le plus au cœur ». Combien cette remarque est juste et vraie, combien les plus francs et les plus sin- cères d'entre nous s'appliquent au cours de leur vie extérieure, professionnelle — si j'ose dire — à dissimuler cette existence intime dont le cours se poursuit pour eux seuls, cette vie se- crète dont ils souffrent et dont ils jouissent et dont ils gardent jalousement le mystère. Avec une ri- gueur impitoyable, une émotion profonde aussi, M. Estaunié a percé ce mystère pour les héros de son roman, il a mis au jour, à côté de leur vie extérieure, leur vie secrète, et son roman est un fort beau livre d'une vaste et profonde pensée.
CONCOURS ET PKIX LITTÉUAIRES 407
LE PRIX DE ROME
Le prix national de littérature (bourse de voyage de 3.000 fr.) ayant été attribué l'an der- nier à un prosateur revenait cette année, par l'é- quitable alternance établie, à un poète. Après une longue et laborieuse délibération le comité a décerné ce prix, en 1908, à M. Gabriel Volland, auteur du « Parc enchanté ». L'œuvre de M. Ga- briel Volland est donc la meilleure de celles qui ont été lues par le jury, il n'est pas établi que ce soit la meilleure de celles qui lui furent présen- tées, puisque, par une décision arbitraire, ce jury refusa de prendre connaissance d'une des pièces soumises à son appréciation sous le prétexte que son auteur avait déjà bénéficié deux ans aupa- ravant d'un prix de poésie : le prix de SuUy- Prudhomme. Ce détail d'assez minime impor- tance valait cependant la peine d'être noté car l'ignorance où le public des lettres est resté de cette décision était de nature à porter préjudice, au délicat, charmant et profond poète qui fut exclu.
Il n'y a rien d'ailleurâ qui puisse diminuer le mérite de M. Gabriel Volland : ce jeune poète di; 21 à 28 ans eut l'honneur d'être remarqué par José Maria de Hérédia et de recevoir du maître des conseils et des encouragements également précieux, c'est à cette illustre mémoire que sont
I,E MOUVEMENT LITTERAIRE
dédiés, avec une respectueuse et reconnaissant* admiration les poèmes du « Parc enchanté ».
La manière de M. Gabriel Volland se ressent as- sez fortement de cette fréquentation féconde, mais il subit surtout deux influences immédiates : il «'st un disciple direct d*Albort Samain et de M. Henri de Régnier, la forme et le nombre de ses sonnets attestent à quelle école il fut d'abord, c'est bien au poète de « Au jardin de Tlnfante » au poète surtout de « La cité des eaux » et di c( La sandale nilro » qu'il fait songer le plus souvent.
i> n*est pas à dire que les poèmes de M. Ga- briel Volland ne soient que des échos dociles. Oui, le décor de ce « Parc enchanté » avec ses dieux, ses nymphes, ses faunes, son peuple de statue^ de marbre blanc et de bronze vert, est un peu suranné. Mais il a de la grâce et de rharmonie et c'est une âme bien vivante, délicate et un peu sombre, vibrante et pure, et véridique, qui s'y promène. Ajoutez, que M. Gabriel Volland avec son mètre tout à fait classique et rigoureux est un excellent et naturel ouvrier en vers.
INDEX ALPHABÉTIQUE
Abdul-Hamid II 320
Abram (Paul) 202
Achalme (Mme Lucy) 317
Acker (Paul) 159, 182
Adam (Mme Juliette) 357
Adam (Paul) 44, 81, 202,
357, 375
Aderer (Adolphe) 334
Afioun-Effendi 279
Ageorges (Joseph) 15
Agoult (Mme d') 206
Agricola 373
Aicard (Jean) 102, 204
Ajalbert (Jean) 6, 7
Akritis (Digénis) 83
Alanic (Mathilde) 292
Albert (Emile) 205
Albertini (Quilicus) 278
Allais (Alphonse) 157
Allard (Roger) 202
Allart de Méritons (Hor-
tense) 202,206
Alliés (Paul-Albert) 258
Amie 272
Ancey (Georges) 376
Anet (Claude) 253
Anglade (Joseph) 346
Angouléme (duc d') 9
Angoulême (duchesse d') 9
Annunzio (Gabriel d') 250
Antoine 73, 323
Antommarchi 308
Arbelet (Paul) 202, 206
Arc (Jeanne d').. . 16,35,111
Archiméde 249
Ardel (Henri) 265
Ardouin-Dumazel 279
Arène (Emmanuel) 381
Aristophane !I4
Arnaud (Raoul) 93
Arnott (Docteur) 1 l.'i
Arnous (P.) 15
Assiro (Simon et Marie), 317
Attius ii-s.)
Aubert (Louis) 87
Aubier (Fernandi . _'.;fi
Aubin (Eugène) :Wi">
Audiffret - Pasquier (duc
d'). l!il
Aiigier (Emile).. 297
410
I I MoDVEMENT LITTERAIRE
Auguste 10 |
385 |
Batilliat (Marcel) |
57 |
Aulard |
:;02 |
liatz (Baron de) |
15 |
Aulnoye (Pierre d ^ |
li |
Batz (Jean baron de). . . , |
1". |
Aurevilly (Barbey d') 262 |
, 357 |
liaudelaire (Charle.s) 122, |
|
Auriol (George) |
200 |
425, 167, |
20 (, |
Auteur d' t Amitié amou- |
llaudin (Pierre).. 13,122, |
165 |
|
reuse » i72, 293 |
295 |
liaudot (Marc-Antoine).. |
322 |
A vend (V^icomte G. d'|.. . |
84 |
Baudry d'Asson |
58 |
Avesncs |
:;18 |
BautTremont ( Princesse de) |
|
Avray (Maurice d |
376 |
||
P>auniann (Emile) |
333 |
||
n |
Bavet (Jean) |
59 |
|
P>azan (Nord) |
U |
||
liac (Ferdinan i |
196 |
Bazin (Itené) |
132 |
Riiillv (t^dniondi |
356 |
lieaume ((leorges) Beauplan (Hobert de) |
->56 |
Halincourt /( o.ipmnnlMnt |
59 |
||
de).... |
93 |
Beaurogard (Mis Closta |
|
136 |
cJel |
a<9 |
|
Balzac (Honoré de) |
204 |
Beauregard (G. de) 93. 95 |
|
Banville (Théodore de) . . |
49 |
lieauricux (Réray) |
lt)5 |
Barbés (Armand) |
359 |
Behaiue (Bené) |
256 |
Barbusse (Henrii |
il |
Bellay (Joacliim du) |
59 |
lîargy (Henry) Barine (Arvède) |
29 |
Bellot (Etienne) |
59 |
383 |
Benhazera (Maurice) lîéranger 200, |
"58 |
|
Barneville (Pierre de). . . |
258 |
359 |
|
Barranx (Serge) |
14 |
Borl 202. |
204 |
Barratin l^lmei |
358 |
Berlioz (Hector) 51, |
128 |
Barrautedu Plessis (Ma- |
Bernard (Alfred) |
1G5 |
|
dame) . . |
58 |
Bernard (Glaude) BernaçJ (Capitaine) Bernard (Tristan) 174, 258 |
90 |
Barre (André) • |
1G4 |
279 |
|
Barrés (Maurice) 93, -20^. |
308 |
||
:J60 |
202 |
Bernard. Derosne (J.éon). |
203 |
Barrucand |
17 |
Bernard de Saxe-Weimar |
107 |
Barry (Mme du) |
i06 |
Bernhardt (Sarah) |
243 |
Bart (Jean) |
150 |
Bernheim (Adrien) |
93 |
liartet (Mlle) |
2i3 |
Borrv (Duchesse de) |
147 |
Bas (F. de) |
125 |
Bertaut (Jules) 5< |
», 04 |
Baschet (Jacques) |
59 |
Bertheroy (Jean) |
tr,4 |
Basse (Martin) |
2i)2 |
Bertrand (Adrien) |
|
Batiffol |
376 |
Bertrand (Général) |
11- |
INDEX ALPHABÉTIQUE
411
Bertrand (Louis) 129, 313
Bertrand (Louis, député
de Bruxelles) 59
Besnard (Paul) 16o
Bever (Van) 360
Beyle (Henri) 207
Beylié (Général L. de).. . 16
Bienstock 17
Biez (Jacques de) .... 2.^J9
Billard (Docteur Max)... 16o
Biré (Edmond) 239
Bismarck 02
Bittard des Portes 202
Blacas 118
Blaize (Jean) 137
Bled (Victor du) o9
Blémont (Emile) 163
Blés (Numa) 59
Bliard (Pierre) 259
Blin (Henri) 202
Blum (Léon) 202
Boccace 206
Bœrne (Louis) 167
Boigne (Comtesse de, née
d'Osmond) 147
Boirac (Emile) 90
Bois (Jules) 176,215
Boislisle (de) 167
Boislisle (Jean de). . . 16.-), 167 Boissier (Gaston) .... 3S5. 389
Boissiére- 363
Bonald (Vicomte de) 123
Bonaparte 192, 193
Bonaparte (Joseph) 306
Bonchamps ((i. do) 39
Bonelti (Pascal) 39
Bonnard (Abeli 93, 239
Bonnard (L.) 59, 63
Bonneff (Léon et Mau- rice) 123
Bonnefons (André) 16
Bonnefoy (Abbé Jean de) 59
Bonnel (Alexandre) 200
Bordeaux (Henry) 37
Borgia (César) 291
Borgia (Lucrèce) 291
Borys (Daniel) 317
Bos (Charles du) 232
Boschot (Adolphe) 51
Bosq (Paul) 190
Botticelli 166
Bouchor (Maurice).. 162, 358
Boudin (Eugène) 48,280
Bouilhet (Louis) 95
Boulot (Georges) 303, 306
Bourdon (Georges) 50
Bourges (P^lémir). .' 403
Bourget (Paul). 125, 204,
232, 276, 288, 358 Bourgogne (Duc et Du- chesse de) 196
Bourgogne (Jean de) 332
Bournand (François) 94,
96, 123, 128
Bournauil 16, 18
Boussenard (Louis) 88
Boutard (Abbé Charles). 59
Boutet (Frédéric) 278
Boutet (Henri)
Boutibonne (Mmf i lioutroux (Emile) Bouvelet (Henri) . Bovet (Mmo Mari. -;^..... de).'....., 57,124,
Boylosve (René) . '
Brada..
Brémond (Henri)... «'». «1
Brémont (Léon) 318
Brenet (Michel) '19
Brenu '"*
360
J()2 S!»
278 184 ;2S , 93
\\2
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
r.riand (Aristide) 60
Brimont(Baronne Antoine
de) 203
Brisson ( Adolphe)i6,29, 182, 319
Broglie (Emmanuel de). . loO
Brohan (Madeleine) 272
iîrucliard (Henry de) 94
Brun (Pierre) 316
Brunetière (Ferdinand).. 61
Brunhes (Bernard) 354
Bruzon (Paul 164
Butron(de).. .. 197
Biilow (de) 247
Burnet (Etienne) 55
Burrford-Delaunoy 200
Byron lo7
Cabrol (Dom Fernandi.. 319
Gagliostro '11)0
Gahu (Théodore) 57
Gaignard (Hilaire) 259
Gain (Georges) 60
Gallot 286
Galvet 165
Gambacerés 207
Gapdevielle (Paul-Henri) 6
Gapon* (Gaston) 165
Garducci (Giosue) 251
Garriére 7
Casanova 250
Gasanova (Nonce) .. 138, 266 Gastellane (Comtesse Jean
de) 148
Gatilina 386
Gatinat H
Gaudriller (G.) 165
Gaumont-La-Force (Anne
de, Comtesse de Balbi) 127
Gauzons (de) 376
Gazin (Paul) 318
Géard (Henri) 126
César 385
Cézanne 280
Chabot (François) 125
Challemel-Lacour 191
Chabrier (Madame Char- lotte) li
Chaîne (Léon) 60
Champion (Pierre) 260
Chantepleure ((iuy) 131
Chapelain 136
Chardin 17
Charles II 168
Charles IV 79
Charles V.". 17
Charles X 9, 195
Charles XII 323
Charles (Etienne) 242
Charles (Gaston) 260
Charpentier (Armand).. . 185
Charpin (Frédéric) 94
Chateaubriand 157, 206,
304, 307
Ghavagne (René de) 358
Chavanon 301
Chazournes (F'élix de). . . 1 î
Ghekri Gamen 300, :^n i
Chelminski (Jean) '
Ghénier (André) 56,
Chepfer (Georges)
Cheramy (P. A.)
Gheret 7
Ghevert > '
Ghevillard (Valbert)
Chlapowski (Général Dé- siré)
Chorenne (Paul)
Ghougsy (J. E.) ,-
INDEX ALPHABÉTIQUE
413
Ghudeau 152
Chuquet (Arthur) 8, 307
Gicéron 385
Gim (Albert) 60
Gladel (Madame Judith) . 319 Glaretie (Jules). 17, 204,
258, 279
Glaretie (Léoi 317, 374
<;lary (Désirée) 300
Glemenceau (G.) 58, 59, G2, 376
Glerget (Pierre) 151
Gochin (Henry) 94
Godet (Louis) 226
:oigny 319
( lollot d'Herbois 16
Gommène (Andronic) 82
' ;ommène (Anne) 82
( :omminge (Gomtesse de) 322
Gomte 200
Gomte (Auguste) 89
Gonan Doyle. 09, 70, 124, 317
Gonstant (Benjamin) 157
( lonstant (Jacques) 317
Goolidge (Archibald Ga- ry) 86
( ".oolus (Romain) 94
(Joppée (François) 16, 354, 387
Goquet (L.) 16
Gorday (Michel) 217
< ;orneille (Pierre) 48, 120, 292
( :ornut (Samuel) 164
«lorthis (André) 92
< '.oulangheon (J. A.) 125
(^^ulevain (Pierre de) . . . 319 <;oulomb (Madame Jean- ne de) .7, 200
Goulon (Henri) 358
< lourcel (Baron de) 166
' iourlande (Duc de) 148
loutant (d'Ivry) 59
Gouture (T.) 359
Gouyba (Gharles) 260
Grawford (Marion) 356
Grépet (Eugène) 120
Grépet (Jacques) \-21
G roisette (Sophie) 243
Gros (Guy-Gharles) 126
Gros (Henïi) 49
Grozière (Alphonse) 317
Gruet (Jean) 160
Gunisset-Garnot 274, 280
Gury (André).. 276
Gyrano de Bergerac (Sa-
^ vinien de) 376
Dagher (J. B.) 280
Dalsace (Lionel) 14
Dancourt 120
Dangeau I(i7
Danton i'.Oii
Darcy (Jean) 358
Daru 40
Datin (Henri) 92
Dauchot (Gabriel) 37(1
Daudet (Alphonse) 219
Daudet (Lucien-Alphon- se). 219,220
Daudet (Ernest i tis, \y.i, :U!»
Daudet (Léon) 4ii;}
Daullia (Binilc/. 9>
Daurel (J«;an).. I- •
Dauzat ( Albert i ^^
Daverne (Andf»;- 1*1
David (Gaston) 16
Du vray (Henry D.) 258
Davray (Haoul) 203,206
Dayot (Armand) I'»
Debidour (A.)
4J4
LE MOUVEMENT LITTERAIRE
Debussy (Claude) 128
Defifand (Madame du; 206
Defontaine (Henri) 3;)8
Defrance (Eugèn» 176
Degas -'80
Déglantine (Sylvain) 14
Delacour (André). 'MC>
Delafosse (Jules) . m Delarue-Mardrus (l>ui'it!j
16, 320, 3(iG Dclbousquet (Emmanuel)
IBfi, 256
Delcour ! 18
Deledda (Grazia). ..6
Delhaize (Jules)... l->6
Delisle (Léopold). 17
Delmas (Armand i lo8
Delmont (F.) 14
Démangeât (Maurice) ... 14
Dcmnia (G.) 3oS
Denoinville (Georges) ... 14
Deprez (Eugène) i>71
Derennes (Charles) 3G7
Descaves (Lucien) 96, 12o,
182, i03
Deschamps 203, 204
Desmarés de Hill (Mada- me J.) fi3
Deterroac (Valinx) 104
Dé-Tham 88
Dhanys (Marcel) 135, 136
Diderot (J. B.) 359
Diehl (Charles). . 81, 203, 204
Diémer (Louis) 260
Dimier (Louis) 94
Dino (Duchesse de). 148,
372, 373
Docquois (Georges) 203
Dolet (Etienne), 61
Donnay (Maurice) 17, 320
Donop (Général) 203
Dor (Prosper) 94,278
Dorchain (Auguste). 207, 358
Dorés (Jean) 164
Doris (Henri) 297
Dortzal (Jeanne) 126
Dostoiewski 17
Doukas (Irène) 82
Doumer 45
Doumic (René) 166, 359
Douxménil 320
Drault (Jean) 301
Dreuilhe (J. M.) :.7
Dreyfus (Robert) 60
Driault (E.) 'il
Drouot (Général). . i89
Dubreuilh (Louis) 61, 62
Dubufe (Guillaume). 248,249
Dufaure 146
Dulac (Mademoiselle
Odette) 183
Dumas (fils) 121
Dumoulin (Maurice) 17
Dupa n loup ( Monsei -
gneur) l'M
Duphot (Général Léonard)
202, 30;,
Dupleiî 260, 261
Dupont de l'Eure 359
Duquesne l'JO
Duval (Georges) . 61, 320, 361 Duvernois (Henri).. 178,224
Eberhardt (Isabelb) 17
Edgy 1""
Emery (René)
Enghien (duc d') 18
Epinoy (Kilien d') 68
INDEX ALPHABÉTIQUE
415
Erlande (Albert) 3o6
Esparbès (Georges d') . . . 57
Essebac (Achille) 278
Estang (Loiiis) 231
EstauDié ' 405
F
Fabert 41
Fabulât (Louis) 357
Faguet (Emile) 64
Fain (Baron) 39, 40
Fantin-Latour 280, 359
Farrère (Claude) 404
Fasquelle 95
Fauer (Renée) 75
Faure (Maurice) 17
Fauvel (Henri) 203
Fèbre (Monseigneur Jus- tin) 17
Fehmi (Youssof) 320
Félice (Raoul de) 17
Ferrero (G.).... 310
Ferval (Claude) 290, 405
Festy (Octave) IGO
Fischer (Max et Alex). . . 200 Fitte de Soucy (Comtesse
de) 200
Flammarion (Camille) ... (il Flammarion (Editeur). . . 94 Flandreysy (Jeanne de).. 203
Fiat (Paul) 32Ô
Flaubert (Gustave) 48, 95,
d29, 204 Flcischmann (Hector) 204, 260 Fleury (René-Albert) .... 166
Florent-Matter 260
Focillon (Henri) 95
Foley (Charles) 201, 228
Folq\iet de Marseille .... 346
Fonsegrive (Georges) |
. . . . |
61 |
Fontaine (André) |
359 |
|
Forain |
^80 |
|
Forgues (Eugène) . . . |
. . . . |
95 |
Forment (Maxime)... |
. 66, 67 |
|
Forthuny (Pascal)... |
. . . . |
359 |
Fossendal (Jean de) |
293, |
|
Fouché |
. 95 |
,320 |
Fouchet (Maurice). . . |
. . . . |
17 |
Fouchier (L. de) |
. 93, 95 |
|
Fougères |
^04 |
|
Fouquet |
96 |
|
Fouquet (Capitaine). |
126 |
|
Fouquier-Tinville . . . |
16 |
|
Fragonard |
|
17 |
France (Anatole) 35, |
101, |
|
111, 204, 262, 282 |
359, |
363 |
François I"' |
361, |
377 |
Franklin (Alfred) |
. . . |
166 |
Frapié (Léon) |
20, |
404 |
Fraudet (René) |
. . . . |
356 |
Fréjac (Ed. de) |
|
125 |
Fremeaux (Paul) .... |
114 |
|
Frènp /Roceri. |
166 |
|
Frenilly (Baron de),. |
. . . . |
H |
Frère (Etienne) |
0"i |
|
Funck-Brentano |
376 |
|
Furgeot (Henri) |
61 |
|
Fusleldc Coulanges. |
396 |
Gaboriau 4
Gachot (Edouard) 1 16
Gainsborough 16
Galard (Comtesse de) 125
Galilée 249
Gallois (Eugène) 17
Galopin (ArnouMi 27S
Galtier (Octave) 61
\ l 'J
I.i: MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Gambetta... .191 |
?,-2\ |
GaTiay (Krnobi |
2(10 |
Gargpille (Gaultier) |
2(;i |
Gast (Madame du) |
.320 |
Gaston (AJ)bé Jean» |
r,i |
Gaud (Auguste).. |
17 |
Gaultier (Puuli |
\ti\ |
Gauthey (Madame Lucie). |
KS7 |
Gautier |
\'d |
Gautier fPauli... |
:iO:i |
Gautier .'ri,;.,.,,i.iv |
\tt |
Gazier. |
:i:.9 |
Gehhart (imiui.i. |
:;80 |
Geffioy (Gustave. |
|
■ :ijO, -lyj, |
403 |
George (MademoiselloK. . |
lîil |
Germain (August- |
l'M\ |
Ghirlandaio |
\m |
Giard |
;i:.7 |
GiCFard (Pierr- |
|
Gill(Mary).. |
UA |
Gillouin (Reri' |
_'(;o |
Girod (E.) |
;;4:; |
Gittlcr |
17 |
Gladtstone |
6i |
Glaser (Ph. Emmanuel).. |
-Ik'à |
Gobineau |
f;0 |
Goethe |
0 3| |
Goiran (Général) |
:ii>l |
Golsworthy |
317 |
Gonnard (Piené) |
'\\=> |
Gontier (Ferdinand) |
14 |
Gourdan (Madame) |
376 |
Gourdon (Pierre) |
123 |
Gourgaud (Baron).. . 116, |
308 |
Gourmont (Jean de) |
95 |
Gourmont (Rémy de). 17, |
106 |
Goyau (Georges) |
320 |
Graffigne (Aimé) |
256 |
Grand-Garteret (John)
Grandmaison (Geoffroy
de)
Grasset (Pierre)
Gregh (Fernand)
Griffuelhes
Grimm (Ilermann)
Grunewald
Guénin (Eugène)
Guesde (Jules)
Guibal (Georges)
Guibier (Charles)
Guichen (Vicomte de)
Guillou (Robert)
Guiraud (Victor)
Guitton (Gustave)
Guizot
Gusman (Pierre)
Guyot (R.) 126,
Guy<
78 375 359 344 107 114 200
58
02 166 166
62 361 J39
48
200
128
7
Hacquard (Paul) |
359 |
Hadrien (Empereur) |
260 |
Il£eckel |
89 |
Hagen])eck |
246 |
iïalévy (Ludovic) |
391 |
Hankès-Drielsma de |
|
Krabbé (Madame Mar- |
|
guerite) |
|
Hanotaux (Gabriel).... |
|
Hanoteau (Jean) |
30G |
Ilaraucourt (Edmond)... |
300 |
Harcourt ((lomto d') |
|
Hardy de Périni (Général) |
|
Harland (Henry) . |
:m| |
Harlor. |
M 1 |
Harry (Madame Myriam) |
INDEX ALPHABÉTIQUE
417
Hartenberg (Docteur Paul)
156, 137 Haussonville (Comte d') . 196'
Hauvette (Henri) 166
Haydn 319
Headon Hill 14
Heer(J. G.) 317
Heim (Maurice) 18
Heine (Henri) 167,359
Hélys (Marc) 320
Hèmon (Camille) 207
Hénard (Robert) 242
Hennique (Léon) 403
Henry (Aide-Major) 115
Henry (René) 53
Hérédia (José Maria de). . 407
Hérelle 356
Hermant (Abel)..... 210, 330
Hermitte (Jean) 376
Herrgot 15
Hervieu (Paul) 204, 350
Hewlett (Maurice) 201
Hinzelin (Emile) 280
Hippeau (Jean-Paul) 317
Hirsck (Charles -Henry)
22, 286
Homère 201
Horace 386
Houllevigue (Louis) 91
Hourticq ( F.ouis) 204
Houssaye (Henri).. 202,
204, 304 Jiouville (Gérard d') . . 65, 66
Huart (Henri) 317
Hubert (Paul) 204
Hudry-Ménos 1£>
Hudson-Lowe 115
Hugh Benson (Robert). . . 278
Hugo (Victor) 122, 279
Hugues (Glovis) 57, 323
Humbert (Général) 57
Huret (Jules) 245
Huysmans (J. K.) 113,373, 387
I
Ibels (André)
Indy (Vincent d').
Innocent IH
L R. G
Isaure (Clémence)
15 128 396 2S0 ;! 56
Jackson ( Augustin |
-Ar- |
thur) |
.... 357 |
Jacquemin (Michel). |
.... 166 |
Jaloux (Edmond) . . . |
.... 164 |
James (William) . . . |
.... S!t |
Jaubert (Ernest) |
.... 359 |
Jaurès (Jean) |
. . 61, 62 |
Jeanjean |
.... 359 |
Jenner |
.... 55 |
Johnston (Madame). |
.... 322 |
Joliclerc (Etienne).. |
.... 15 |
Joliclerc (Eugène).. |
.... 229 |
Jomini (Général)...- |
195 |
Jubin |
73 |
Jullien (Adolphe) . . . |
320, 359 |
Junka (Paul) |
256 |
Justice (Octave) |
260 |
Kaeppelin (Paul) --1
Kahn (Gustave) 255,268
Kahn (Lucienne) 268
Kaplan (Horace) 821
Kapnist (Comtesse Eugé- nie). 56, 57
418
LE MOUVEMENT LIïTEHAIRE
Kepler... |
JiV» |
Lanzac de Laborie (de) 10 |
3; |
|
Kerlys |
i:; |
Lapaire (Hugues) |
- |
|
Kipling (Rudyard).. 15, |
■'.57 |
Lapurcerio (Madame rini |
M |
|
Kirchner(Haphaël |
Larmandio (Comte Léon- |
|||
Kisleinaeckers |
-'4 |
ce de) |
227 |
, 3o.. |
Kolney (Fernand) . Kosakiewicz (B.) |
;-,<J |
La Rochefoucauld. . . . |
i8 |
|
2o8 |
Larroche (Julien) |
126 |
||
Kritsky (Mademoiselle).. |
18 |
La Salle (Louis de).. |
. 31.32 |
|
La Sizeranne (Robert |
de) |
32i |
||
L |
La Suze (Madame de, Hen- |
|||
riette do Coligny)... |
62 |
|||
La Barre (Chevalier de). |
318 |
Laurie (André) |
58 |
|
La Bouére (Comtesse de) |
62 |
Lautroy (Philippe) . .. |
233 |
|
La Camargo |
62 |
Lauzanne (Stéphane). |
... |
276 |
Lacassagne (Docteur) |
95 |
I^a Vaudcre (Jane de) |
393 |
|
La Ghesnais (P. G.) Lachévre (Frédéric) |
280 |
J avedan (Henri) |
156 |
|
204 |
Lavergne (Antonin) . . |
. . . |
186 |
|
Laclos (Choderlos ' ' Lafond (Emile)... |
:^fiO |
La Vieuville (de) |
9:> |
|
Ji |
Lavisse (Ernest) |
261 |
||
Lafond (Paul) |
.j76 |
Lebégue (Léon) |
.%4 |
|
Lage de Volude (Marqui- |
Lebey (André) |
(;2 |
||
se de) |
G3 |
Leblanc (Maurice) |
69 |
|
La Ilire (Jean de). . |
Ja6 |
Leblond (Marius-Ary) |
376 |
|
Lamartine (Alphonse Uc) |
Lebret |
376 |
||
18, 166 |
359 |
1 ebrethon (Paull .... |
1^3 |
|
Lamartine (Valentine de) Lambeau (Luci<n) |
167 |
166 |
||
360 |
Leclercq (Maurice) . .. |
343 |
||
Lamennais . . o'J, |
206 |
Leclercq (Paul) |
296 |
|
La Mesangèru Laminne (Ernest de) |
360 |
I^ecomte (Gcorces) . . • |
208 |
|
62 |
Leconte de Lisle. 49, |
122, |
323 |
|
La Morinière de la Ro- |
Lecuyer (René) |
1?' |
||
checantin (Comtesse de) Lamy (Etienne) |
204 |
T e Dantec .... ... |
l'^B |
t 3 |
148 |
Lefebvre (Alphonse).. Lefévre (Maréchal)... |
3biJ |
||
Landre (Madame Jeanne) |
58 |
149 |
||
Langevin (La; Langlois |
62 |
J etrendre H^ouisi .... |
395 |
|
02 |
Le Goffic (Charles). . Legrand (Maxencc |
167 |
360 |
|
Langlois (Général) |
18 |
|||
Lanson (Gustave) |
376 |
Legrand (Pierre) . . |
||
Lantzenberg (Raoul) — |
168 |
Legrand-Chabrier. . . . |
INDEX ALPHABÉTIQUE
419
Le Guet (Marc) 357
Lehautcourt (Pierre) 321
Lemaître (Jules) 126
Lemerre (Désiré) 207
Lemire (Charles) 95
Lemoine (Jean) 62
Lemonnier (Camille) 26
Lenclos (Mademoiselle de) 320
Lenôtre (G.) 204
Léon XIII 17
Léopardi 137
Le Queux 164
Lerou (Mademoiselle
Emilie) 125
Leroux (Gaston) 4
Leroy-Beaulieu (Anatole)
53, 87
Lesdain (Comte de) 204
Lespinasse (Madame Cla- ra de) 58
Lesse (A. de) 280
Lesueur (Daniel) 169
Letainturier-Fradin 62
Letalle (Abel) 360
Létang (Louis) 32, 92
Level (Maurice) 201
Lévy 344
Leyret (Henry) 167
Lichtenberger (André). . . 179
Liéby (Adolphe) 62
Lieven (Comtesse de) " 306
Limet (Charles) 360
Lintilhac (Eugène) 119
Littré.... 191
Loisy (Abbé) 62, 126, 376
London (Jack). 125
Londres (Albert) 62
Longhaye (Le R. P.) 167
Lonlay (Dick de), 321
Lorde (André de) 167
Lorenzi di Bradi 62
Lorin (Henri) 360
Lorrain (Jean) 98, 357
Lorris (Claude) 317
Lot (Ferdinand) 62
Louis VI 396
Louis VII 396
Louis XI 127
Louis XIII 322
Louis XIV. 136, 196, 261, 321
Louis XVI 9, 257, 321
Louis XVII 105
Louis XVIII 9,304
Louis-Philippe 51,93
Louys (Pierre) 313
Luchaire (Achille) . ..... 396
Luguet (Marcel) 375
Lussan (Colonel) 167
Lys (Georges de) 15
M
Mach (Ernst) 54
Macquet (Paul-F.) 321
Maël (Pierre) s... 291
Maele (Martin Van) 360
Magne (Emile) ! 62
Magre (Maurice) 274
Maistre (Joseph de) 118
Maistre ( Lieutenant-Co- lonel).... . 18
Maitre de Fremalle (Le). 114
Maizeroy (René) 205-257
Maiziére (G. de).. 205
Mâle (Emile) :i73
Malet (A.) 63
Malibran (Commandant)
A.) 149
Mallet (Félicia) 243
Malo (Henri) 361
420
LE MOUVEMENT LITTIÎRAIRE
Mandelstamm (Valen |
lin) |
257 |
Médine (Fernandl... Ifi4, |
2:i |
Manct ..." |
•^80 |
Meilhac Mendès (Catulle) 63, 122 |
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|
Mantzlus (Karl).. |
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Marabail '" -' |
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Mercier (Sébastien). . /18, |
3i. |
|
Marais.. |
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Mercure de France. . 03, |
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|
Alarat |
108 |
Mérimée (Prosper) Metternich (Prince de)... |
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|
Maraval-Berthcin i Ma - |
306 |
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Meunier (Madame Stanis- |
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Marcére (de; |
Michel (Emile) |
361 |
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Mareschal de Biévrc |
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104 |
Michel (Georges) |
317 |
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Michel (Louis) Michel-Ange • . |
280 |
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Margarret Bobme. |
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160 |
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Margueritle ((Jénéral) |
18 |
Michelet (Victor-Emile) . |
18 |
|
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Migeon (Gaston) |
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|
318, |
403 |
Millandry (Georges) |
3: |
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Millerand |
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||
selle Lucie-Paul).. . |
127 |
Miomandre (Francis de). |
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|
Margueritle (Victor) |
128, |
213 |
Mirbeau (Octave) |
4u:; |
Marie-Louise |
105 |
Mistral (Frédéric) 7, Mitchell (Georges) 2 |
1-^8 |
|
Marinetti 2oO, |
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355 |
i, J' |
|
Martel (E. A.| |
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, 12 |
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Martel (Tancréde/. 21 |
i,i6, |
327 |
Mockel (Albert) |
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Martin (François) |
321 |
Molière, or,. 8:5, 119, 12U. |
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Martin (Madeleine) . . |
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), 81 |
i:.4, 258, |
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Martin (llodolphei Martorel (André).. |
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Moltke (di |
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280 |
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Marj'an |
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Montagnini (Monsei- gneur) Montaigne |
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Masséna |
11(i |
117 |
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|
Masson (Frédéric) 37, 194, |
39 |
|||
307, |
340 |
Montchenu (Marquis de). |
:;. |
|
Alathieu (Cardinal). |
397 |
Montégut (Maurice) Montespan (Madame de) 02 |
]! |
|
Alattoso (Ernesto) .. |
321 |
|||
Mauclair (Camille; . . . |
188 |
h |
||
Mauclére (Jean) |
377 |
Montholon (Comte de) . . . Montmorency (Mathieu |
1 |
|
Maupassant (Guy de) |
48, |
|||
49, |
\ni |
, 243 |
de) |
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9"> |
Moret ^A 1 |
|||
Maurey (Max) |
73 |
Morisse (Paul) |
-1 |
|
Mazarin |
... |
322 |
Morsier (Edouard de) |
]> |
INDEX ALPHABETIQUE
421
Moselly (Emile). . . 2, 108, 404
Moulins (Amédée) 377
Mourey (Gabriel) 205
Moustier (Daniel de) 63
Mouzaffer-ed-Din 345
Murat (Joachim) 192, 362
Murât (S. A. le Prince) 192, 193 Musset (Alfred de) 16. 94,
272, 384 N
Nansouty (Max de).. |
63 |
|
Napoléon 1er,, lo, 37, |
39, |
|
61, 78, 114, 118, 149, |
195, |
|
281, 308 |
,339 |
,341 |
Napoléon III |
02 |
,241 |
Nau (J. A.) |
404 |
|
Nayral (.lacques) |
318 |
|
Nazelle (Marquis de) |
261 |
|
Necker de Saussure (Ma- |
||
dame) |
30o |
|
Nègre (Ada) |
63 |
|
Neuchàtel (Prince de). |
... |
40 |
Neuville (Hyde de) . . . |
319 |
|
Nba-Nam |
88 |
|
Nicoullaud (Charles) . |
147 |
|
Nietzsche |
170, |
20 0 |
Nion (François de) . . . |
257 |
|
Noailles (Madame |
de) |
|
255, |
260, |
320 |
Noailles (Vicomte de). |
167 |
|
Nordau (Max) |
167 |
|
Nougarêde de Fayet.. |
. . . |
18 |
Novalis |
205 |
|
Novarre (Marcel) |
127 |
|
Noziére |
377 |
Ochsé (Julien)'. 63
Ohnet (Georges) 71
Ollivier (Madame M. Th). 167
Oniot (Richard d') 201
Orléans (Adélaïde d'). 93, 147
Orléans (Charles d') 2G0
Orléans (Duc d') 147
Orléans (Marie d'. Du- chesse de Wurtemberg) 147
Osman 320
Osmond (Madame Anne). 318
Ossit 201
Pagello (Docteur)
Paillarès (Michel) 95, 204,
Paquier (J. B.)
Pascal (Biaise) . 175, 312,
Pasteur 55, 90,
Pataud
Peladan 321,
Pelissien (G.)
Pelissier (Georges)
Pellisson (Maurice)
Pêne (Madame A. de). . . . Pépin (Madame Alice)... Percepied (Docteur)... 59 Peroz (Lieutenant - colo- nel)
Perrin (Jules) 58,
Port (Madame Camille)..
Petigny (Xavier de)
Pétrarque
Pfister
Philippe-Auguste
Photiadés (Constantin)...
Pica,(Vittorio)
Picard (Edmond).. Picard (Hélène) . Pichegru
273 205 157 326 249 344 377
63 153 154
15 257 , 63
88 332
58 205 -"JO
63
42 23G 280 316 -'05 iOa
422
LE MOnVRMENT MTTÉRAIRF
Pie VII |
38 |
Picrre-Ie-oraim. . |
1()G |
Pilon (Edmond) . . |
KiS |
Pilon ((ïermain) |
WIS |
Pimodan (Comte de) |
280 |
Pineau (Léon |
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Pinon (René) |
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Piontkowski (Colonel. |
|
Comte |
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Pisani (T. |
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Plaute |
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Poëte (Marcel) |
42 |
Poincaré (Henri) |
:'.:y.i |
Polastron (Comtesse de). |
127 |
Pollio (Général Albert) .. |
321 |
Polti (Georges) |
205 |
Pons |
321 |
Pontevés-Sabran (Ma- |
|
dame la Marquise de).. |
77 |
Pontier (Célestin) |
318 |
Pontsevrez |
in |
Portes de La Fosse (des) |
377 |
Porto-Riche (Georges de) |
321 |
I^ouget |
344 |
Poussin |
359 |
Pouvillon |
3o2 |
Praviel (Armand) |
127 |
Pravieux (Jules) |
180 |
Prévost (Marcel) 46,204, |
|
221. |
405 |
Prodrome (Théodore) |
82 |
Provins (Michel).... 201 |
337 |
Psichari 204 |
205 |
Q
Quentin-Bauchart (Pier- re) 18
Quet (Edouard) 125
Quillard (Pierre) 262
Rabelais 364
Rabusson (Henry) 134
Racine (J.) 126, 359
Radziwill (Princesse de). 372
Raeburn 16
Raffarlli (J. F.)... 7, 205, 280
Rageot (Gaston) 299
Rain (Pierre) 205
Rambouillet (Marquise
de) 136
Ramsey 91
Ramuz 357
Rauville (Hervé de) ... 359
Réau (Louis) 280
Reboul (Henry). 95
Reclus (Onésime) 52, 321
Reepmaker 201
Regamey (Jeanne et Fré- déric) 18, 322
Regis-Lamotte (Roger). . . 357 Régnai (Madame Georges)
159, 160 Régnier (Henri de).. 95,
127, 255, 408
Rehault (Ludovic) 257
Reinach (Joseph). . . . 204, 206 Reinach-Fo u ssemagne
(Comtesse H . de) 63
Reiset (Vicomte de) 127
Réja (Marcel) 63
Réjane . 323
Renard (Jules).... 3, 324, 4'
Renard (Maurice) -'
Renoir 280
Retté (Adolphe) 164
Rey (Abel) -
Reynaud (Jean)
Reynier (Gustave)
I^SDEX ALPHABÉTIQUE
423
Reynolds. , 16
Reynolds (P. E.) 164
Rhoïdès (Emmanuel) 58
Riche (Daniel) 238
Richelieu. . . 136, 197, 262, 322
Rigal (Eugène) 83
Rigal (Henri) 203, 206
Rigaut de Barbezieux ... 346
Riquier (Guiraut) 346
Ritschl 89
RivoUet (Georges) 107
Robespierre 16,378
Robinet de Gléry 280
Roca (Emile) 322
Rod (Edouard) 257
Rodin (Auguste) 319
Rodjestvensky (Amiral).. 93
Rodocanachi 206
Rœderer (Comte) 378
Roger-Miles 361
Rohan-Miniac de Jersey
(Gpmtesse) 340
iiolland (Romain) 128, 172, 261
Romney 16
Rosenthal (Madame Ga -
brielle) 125
Rosny (J. H.) 125,403
Rossel (Docteur Arnold). 317
Rossel (Louis) 128
Rostand (Ed.) 376
Rouher 191
Roaire (Docteur) 43
Roujon (Henry) 48, 122,
349, 350 lioulleàux-Dugage (Geor- ges) 252
Rouqués (Amédée) 357
Roure (Lucien) 63
Rousse (Edmond) 206
Rousseau (J. J.) 157
Rousset (Lieutenant-colo- nel 311
Rouvier (Gaston) 329
Roux (Charles) 128
Roux (Xavier) 320, 322
Rovel (Henri) 96
Rovida (Jean) 257
Rozat de Mandres (Géné- ral) 18
Rue (Gustave) 375
Ruffin (Alfred) 361
Ruskin.,.. 322
Rzewuski (Stanislas) 261
S
Sahuqué (Mme Blanche). 206
Saint-Amant 17
Saint-André 206
Saint-Génery 33
Sainte-Beuve 202, 206
Sainte-Suzanne (Mme de) 261
Saint François d'Asçise. 384
Saint François de Sales.. 359
Saint Germain j,Q
Saint-Germain (Addy de) 165 Saint -Huruge (Marquis
de) 61
Saint-Just 64
Saint-Pierre (Bernardin
de) 203,384
Saint-Point (Valcntine de) 168
Saint-Simon. 386
Saint Vincent de Paul... 80
Saint-Yves (Jean) 140
Saisset-Schneider 15
Salinis (P. A. d^i f,3
Sainain (Albert) . i08
Samary (Jeanne) 272
Samy (Paul) 257
424
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Sand ((ieorge).. 204, 206, 272
Sangnier (Marc) 128
Sansrefus ((iaston _'61
Sarcey (Yvonne) X\0
Sardou (V^ictorieni 398
Saussay 'V'i-»--; ■ Ug
KiS, 257
Savine l Aux ru 10,
18, 94, 96. 125, 128, 164,
168, 262,279,317, 322
Say (Léon) 101
Scarron 120
Schnitzler (Mlle) . . J07
Schopenhauer 157,261
Schuré (Edouard) 18
Scotus Viator _'80
Scudéry (Mlle doi 136
Seauve (Comte) . . li*8
Séché (Alphonse)., .j-, o^. J80 Sèche (Léon) . . . 168, 202, 206 Section Historique de l'E- tat Major de l'Armée.. 04
Ségur (Marquis de) 206
Ségur (L. Ph. de) 206
Seillière (Ernest) 18
SemenolT (Commandant)
93, 377 Serao (Mme Mathilde). . . 96
Serviéres (Georges) 206
Séverin (Fernand) 168
Sévigné (Marquise de). 96, 386 Shakespeare (William) 61, 361
Sigaux (Jean) 58
Signoret (Emmanuel) 128
Sisley 280
Sorb (Capitaine).
281
Sorel (Albert) 47
Sorel (Albert-Emile)... 47
207, 223 Sorel (Georges) 262
Soubies (Albert) 262
Souzey delà Sabrot;«"iw.
(Commandant).. . J(i2
Spencer (Herbert) «9
Spetz (Georges) 168
Spinoza 168
Spuller (Eugène) 49
Staël (Mme de) 305
Stanley 62
Steinlen 7
Stendhal 03, 207
Stengor (( iilbert) 303
Stoullig (Edmond) 377
Strauss (Richard) 128
Strindberg (Auguste) 377
Strowski (Fortunat) 312
Stryienski (Camille). 202,200
Sully-Prudhommo 207
Tabet (Jacqucs-J.)
Taine (H.) 301
Talleyrand (Prince de) . . 147
Tallien 16
Tany (Paul) 58
Tardieu (André) 207
Tarsot (Louis) 377
Tchobanian (Archag) 202
Teilhac (Charles) 15, 58
Tencin (Mme de) 322
Tharaud in ':
Thelem (Mme Myriam). .
Thénard 18, 120, U'«
Théry 204, 207
Thiers 149, 191
Thiéry (Jean) 92, 165
Thiron 243
Thiry (René) 205
Thomas (Albert)
INDEX - ALPHABETIQUE
425
Thorel (Jean) 257
Thureau-Dangin (Paul).. 377
Tibère 310
Tiercelin (Louis) 64-373
Tiersot (Julien)
Tinayre (Marcelle).
19
100,
320, 403
Tinseau (Léon de) 30
Tisseyre-Ananké (Paul) . 92
Tissot (Ernest) 123
ïonnelat 84
Tonelli (Philippe) 58
Tony d'Ulmés 357
Toudouze (Gustave) 279
Toulouse (Docteur) 64
Tourville 150
Toutain (J.) 361
Trimoulier 322
T'serclaes de Woomersoon
(Comte J. de) 125, 128
Tuetey (Louis) 41
Turner 16
Turot (Henri) 13
Turquan (Joseph) 281
Tym Floc 376
U
Ursu(J.) 361
Uzanne (Octave) 262
Uzés (Duchesse d') 160
Vaillant (L.) 17
Vaissière (Pierre de) 322
Valléry-Radot (Ptobert).. 207
Vararesco (Mme Hélène). 128
Varenne (Marc) 128
Vasson (Michel) 128
Vaucaire (Maurice). 263,375 Vaudoyer (Jean-Louis).. 326
Vega 64
Vellay (Charles), 64, 168, 378 Venancourt (Daniel de).. 163 Ventadour (Bernard de).. 346
Verdi (Gi;iseppe) 230
Verlaine 122
Verly (Baron Albert) 241
Verly (Colonel) 241
Verne (Jules) 95
Vernet (Nancy) 322
Vernières (André) 181
Vernon (Eugène) 362
Vernyères (André des) ... 92
Vever (Henri) 323
Vialay (Amédée) 96
Viallès (Pierre) 207
Vibert (Paul-Théodore). . 125 Vigny (Alfred de)... 124,168
Vilade (Jacques de) 168
Villetard (Pierre) :1^8
Viollis (Jean) 106
Virgile 386
Visan (Tancréde de) 262
Vitrac (Maurice) 378
Vivien (Ptonée) :{20
Vlymen (Général Van).. . 323
Vogt (William) 323
Vogue (Vicomte de) 244
Voiture 136
VoUand (Gabriel) . . . 108, 407 Voltaire 33, 133, 168, 204
323, 364 Vuillaume (Maxime) 96
W
Waddington (lUchard).. . 64 Wagner i28
426
LK MOUVEMENT LITTÉRAIRE
Waldeck-Rousscau Waleffe (Maurice de)...
Wallier (I{enc|....
Weil (Commandant)
Weil (Paul)
Weill (Alexandre)
Weissen'Szumlanska
(Mme Marcelle)
Wells (H. G.)
Wharton (Edith)
Willy
Willy (Golett. Wyzôwa(Théodûrdu) 27i>,
XXX
378 %
362 10
r.i
302 258 232
■ iT 376
i2S
Y van (Antoine) Yvetot
Z... (Major) :{2;;
Zahn 201
Zapol8ka(MmeGabrielle) 31S
Zévaôs (Alexandre) 302
ZeysjMme :Mathilde).... 90 Zola (Emile) !»7, 126
TABLE
Préface ' v
Janvier 1
Février 20
Mars 65
Avril 98
Mai 129
Juin 169
Juillet 208
Août-septembre 263
Octobre 282
Novembre 324
Décembre 303
Quelques disparus 379
Concours et prix littéraires 'fOl
Index alphabétique 409
Imprimeri» Générale de Cbâliilon-sar-Seine. — A. Pichat.
^.r^
1
i.>
V p..
PQ 12
G5 t. 5
Glaser, Ph, Emmanuel
Le mouvement littéraire
1
PLEASE DO NOT REMOVE OVRDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
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