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LE

N'ATURALISTE CANADIEN

BULLETIN DE RECHERCHES, OBSERVATIONS ET DÉCOUVERTES

SE RAPPORTANT A L'HISTOIRE NATURELLE DU CANADA

TOME TRENTE ET UNIÈME

(ONZIÈME DE LA DEUXIÈME SÉRIE)

L'abbé V.-A. Huard, Directeur-Propriétaire

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QUÉBEC

2, RUE PORT-DAUPHIN

1904

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LE

NATURALISTE CANADIEN

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 1

Québec, Fanvier 1904

. Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

Le Naturaliste canadien commence aujourd’hui sa trente-
<t-unième année de publication. Il n’aspire encore qu’à conti-
nuer de vivre le plus longtemps possible ; ilne soupire qu'après
un développement dont il reconnaît de plus en plus la néces-
sité, et qu'il ne désespère pas, au contraire ! de voir se réaliser
dans un avenir plus ou moins rapproché.

« GENERA INSECTORUM »

Nous avons la grande satisfaction de pouvoir annoncer que
la Bibliothèque du Parlement de Québec s’est inserite au nom-
bre des. souscripteurs du grand ouvrage (Genera Insectorum,
en cours de publication. Depuis deux ans nous n'avons pas
épargné les démarches en vue d'obtenir ce résultat, et nous
avons enfin réussi, grâce aux vues éclairées de l'honorable
M. H.-B. Rainville, président de l’Assemblée législative, et de
M. le Dr N.-E. Dionne, bibliothécaire de la Législature. Nous
adressons à ces messieurs nos vifs remerciements, au nom de
tous les entomologistes présents et futurs de la province de

Québec.

I n'y a pas besoin de s'être occupé longtemps d’entomologie
1 — Janvier 1904.

2 LE NATURALISTE CANADIEN

pour avoir constaté que cette science est devenue un parfait.
modèle de confusion. Chacun travaille de son côté et enregis-
tre les résultats de ses études dans l’une ou l’autre des innom-
brables revues scientifiques de tous les pays, dont il faudrait
se procurer la totalité, à part beaucoup d'ouvrages particuliers,
pour faire une étude universelle du monde entomolovique, ou
de l’une seulement de ses divisions. [1 en est de même, quoi-
que en des proportions plus restreintes, si l’on veut étudier seu-
lement l’entomologie générale de l'Amérique du Nord.

Le Genera Insectoruwm vient apporter le remède à une si-
tuation si embrouillée. C’est une sorte d'encyclopédie de la
science entomologique, telle qu’elle est au commencement du
20° siècle. Comme cette publication résume les études faites
sur les insectes du monde entier, elle peut remplacer une bi-
bliothèque entomologique universelle, qu'il serait d’ailleurs
impossible de réunir, et même de consulter — à moins de con-
naître toutes les principales langues de l’univers.

Dans ce grand ouvrage, publié in-4° avec planches nombreu-
ses, chaque famille est traitée à part par l’un ou l’autre des en-
tomolog'istes les plus renommés, en français, en anglais ou en
allemand, suivant celle de ces langues que l’auteur connaît le
mieux. Cette revue de chaque famille est universelle, c’est-à-
dire qu’elle embrasse ce qui est connu de chaque famille dans
toutes les régions de la terre.

Des clefs analytiques permettent d'arriver facilement à cha-
cun des genres. On expose très au long les caractères du genre.
On énumère ensuite toutes les espèces connues, avec le nom du
pays où chacune à été trouvée, la date où elle a été décrite, et
l'indication du titre et de la page de l'ouvrage où cette descrip-
tion a été d'abord publiée. On voit, par ce simple exposé, de
quelle utilité peut être un pareil ouvrage, et combien il est à
peu près indispensable aux travailleurs sérieux de l’entomo-
logie.

Les fascicules de cette publication ont commencé à paraître
depuis une couple d'années. Il faudra encore peut-être sept ou
huit ans pour compléter l'ouvrage. Il faut reconnaître que son

« GENERA INSECTORUM » 3

acquisition n'est guère à la portée des individus, soit à cause
...de la brièveté de la vie, soit en raison du coût élevé de la
souscription. En général les grandes bibliothèques et les asso-
ciations importantes sont seules en mesure de s'assurer la pos-
session de l'ouvrage.

Malheureusement, à part un tirage supplémentaire de 50 à
100 exemplaires de la partie concernant chacun des ordres
d'insectes, exemplaires tous retenus depuis près d'un an, l’ou-
vrage complet n'est tiré qu'à 209 exemplaires, dont il ne res-
tait plus, au milieu de novembre derniergque 8 ou 9 exemplai-
res encore libres. On s'aperçoit maintenant que ce tirage n’est
pas suffisant pour les besoins «le la science. Et comme «les
pierres sont effacées après chaque tirage », il ne pourra y avoir
de nouvelle édition : car l’on ne fera certainement pas de nou-
veau la colossale dépense d’une préparation réitérée de l’ou-
vrage. D'autre part, étant donné qu'il n’y à à peu près que les
grandes institutions de l'univers qui aient souscrit à la publi-
cation, on peut dire qu'il n'y en aura à peu près jamais aucun
exemplaire offert d'occasion. Ne pas souscrire dès maintenant
au Grenera Insectorum, c'était donc s’exposer à ne pouvoir en
aueun temps se le procurer. Aussi avons-nous été bien inquiet
à la pensée qu'il était possible que les_entomologistes de cette
partie du pays fussent à jamais privés d'un ouvrage de cette
importance, d'autant plus qu'il s’écoulera probablement bien
des années, un demi-siècle peut-être, avant que le monde scien-
tifique revoit une entreprise de ce genre. Nous avons donc
toute raison de nous féliciter de ce que les autorités de la Bi-
bliothèque de la Législature de Québec aient si bien compris
de quel intérêt il était d'assurer à cette institution la posses-
sion d'une publication d'aussi grande valeur, et nous leur ex-
primons de nouveau notre sincère reconnaissance pour le
grand service qu’elles viennent de rendre à nos naturalistes.

4 LE NATURALISTE CANADIEN

DE LA MUE DES VOLAILLES

De tous les phénomènes physiologiques qui se rencontrent
dans la vie de l'oiseau, il n’en est probablement pas de plus
important que celui où il quitte sa livrée pour en revêtir une
nouvelle : c'est ce que l’on appelle la mue. En etfet, à l’époque du
changement de plumage, l'oiseau traverse une période plus ou
moins critique. Cette crise ne s'opère pas sans un malaise gé-
néral qui se manifeste toujours par des troubles organiques
plus ou moins sérieux ; et si, à ce moment, l'oiseau souffre de
quelque affection morbide, presque toujours il saccombe ; dans
tous les cas, il y a chez lui dépérissement souvent assez nota-
ble. Les plumes repoussent, mais restent plus ou moins long-
temps enveloppées dans leur étui; c’est surtout à la tête et à
la queue que cette particularité dans le développement des
plunies se remarque.

Il y a chez les volailles deux sortes de mue: celle qui a lieu
lorsque le poulet atteint l’âge de deux ou trois mois, alors qu'il
laisse son duvet pour se recouvrir de plumes proprement dites ;
et celle de la volaille adulte qui, chaque année, d’acût à no-
vembre, renouvelle complètement son plumage.

Sous nos climats, la mue des volailles dure de six semaines
à deux mois. Plus laborieuse que pour les autres oiseaux, elle
peut parfois causer la mort du poulet tardif. On l’a Justement
comparée au travail de la dentition chez les enfants. Elle n’est
pas une maladie proprement dite : c’est plutôt une crise pério-
dique annuelle, qui survient à tous les oiseaux. Ce même phé-
nomène physiologique se remarque dans les espèces animales
sauvages de même que chez les espèces domestiques.

La mue annuelle est toujours totale chez les oiseaux à leur
âge adulte, et à régulièrement lieu en automne. Chez les vo-
lailles, les deux sexes muent à la même époque : après la ponte.
La mue est d'autant plus pénible que le climat est plus froid.

A la veille de la mue, surtout lors de la première, les volail-

DE LA MUE DES VOLAILLES 5

les sont mornes, abattues; leurs plumes sont hérissées et per-
dent leur lustre. Elles sont faibles et languissantes, elles se
secouent souvent de côté et d'autre pour faire tomber les plu-
mes qui se détachent. Elles les tirent avec le bec en se grat-
tant la peau. Pendant la mue les volailles mangent peu et sont
altérées. Cependant l'œil reste bon et les ailes non tombantes.

« Ln mue, chez les volailles, est le criteriuwm de leur force.
Se fait-elle rapidement, sans altérer la santé n1 arrêter com-
plètement la ponte, on peut être certain que ces volailles sont
très fortes et offrent les meilleures garanties pour l'avenir.» (1)

S'opèr2-t-elle, au contraire, avec lenteur et en laissant chez
l'oiseau un état de langueur et de maladie apparente, on aura
là un indice infaillible de vieillesse ou de faiblesse.

Si, à l'automne, on veut choisir de bonnes poules pondeuses
pour l'hiver et les premiers jours du printemps, on gardera les
volailles à mue facile et de courte durée. C’est même l’époque
la plus favorable pour faire le meilleur triage possible des vo-
lailles adultes. Plus cette crise annuelle se fait promptement,
et moins longtemps la ponte est arrêtée, plus les poules sont
vigoureuses et donnent des profits. Ce triage s'impose avec
encore plus de force, s'il s'agit de poulets.

Soins hygiéniques pendant lu mue.— Pendant la mue, il
faut que les volailles se couchent plus tôt et se lèvent plus tard
qu'à l'ordinaire.

A cette fin on les renferme dans le poulailler avant l'heure
accoutumée et on ne les en laisse sortir qu'après l'heure ordi-
naire.

La pluie leur étant très préjudiciable à ce moment, il faut,
lorsqu'elle se produit, avoir soin de les faire rentrer au pou-
lailler et de les y tenir chaudement et sèchement.

Il est bon de ramasser et de brûler, chaque jour, les plumes
tombées, afin de détruire les parasites qui y sont attachés.

Alimentation durant la mue. — « La mue d'automne est

(1) Farmer's Bulletin, N° 41, Fouls : Core and Feeding, by Prof. G. C.
Watson, Washington, D. C., U. $S., 1896.

6 LE NATURALISTE CANADIEN

d'autant plus sensible que, sous l'influence des premiers froids,
la protéine de production a une disposition spéciale à se trans-
former en graisse, pour constituer la provision de combustible
en réserve pour l'hiver. Si à cette saison on n’augmente pas
aussitôt l'intensité de la ration, surtout sa richesse en protéine,
il se manifeste promptement un ra'entissement très prononcé
dans la production: les chevaux sont moins forts, Le lait des
vaches diminue, les bêtes à l’engrais restent stationnaires, la
croissance des jeunes s'arrête, les poules cessent de pondre
C'est ce que les praticiens ont souvent remarqué, quelquefois
sans en deviner la cause». (1)

La nourriture, durant la mue, doit être non pas plus abon-
dante qu'à l'ordinaire, mais plus riche, surtout en protéine, et
quelque peu en graisse digestible, plus riche aussi en phos-
phate de chaux et en soufre assimilables. Le soufre est un des
éléments nécessaires à la poule pour le renouvellement de ses
plumes et la formation de ses œufs.

Or, de tous les aliments, ce sont les légumes qui contiennent
le plus d'éléments sulfureux, et parmi les légumes, c'est le chou
pommé qui en renferme la plus grande quantité : c'est done ce
dernier qui convient le mieux. Mais parce qu'ils sant fortement
nourrissants et par suite engraissants, ces aliments ne doivent
être distribués aux volailles que durant uue couple de mois
environ, après quoi on en revient aux rations ordinaires de
production.

Les poules ainsi nourries et soïsnées ne cessent pas comple-
tement de pondre durant la mue. En outre, cela permet de
raccourcir la période de non production, c'est-à-dire que les
poules recommencent leur ponte normale beaucoup plus tôt,
les coqs sont plus forts, ce qui assure la fécondité des œufs, et-
les poulets tardifs passent l'hiver sans danger.

J.-B. PLANTE.

1) Jules Crevat, A/imentation rationnelle du bétail.

L'ABBÉ PROVANCHER T

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 166.)

La première livraison du Naturaliste canadien porte la
date de «décembre 1868.» Mais avant de publier ce premier
numéro, l'abbé Provancher avait lancé dans toutes les direc-
tions un prospectus de la nouvelle publication. Ce prospectus,
reproduit dans le premier numéro, inlique l'objet de cette re-
vue, qui est en résumé de fournir «à l'amateur le moyen de
s'initier par lui-même à l'étude de la nature », et d’ «offrir en
même temps au savant un bulletin des progrès journaliers de
cette importante science, et un médium pour faire participer
le publie à ses observations et à ses découvertes. » Suivent des
considérations générales sur l’importance et l'intérêt des scien-
ces naturelles, pour arriver à cette conclusion (qu'après un
tiers de siècle j'ai les meilleures raisons d'appuyer à mon tour) :
« Le pasteur, le médecin, l'instituteur, le législateur, l’agricul-
teur, en un mot tous ceux qui savent lire et réfléchir, devront
lire assidûment Le Naturaliste: tous y trouveront profit et
instruction.» Hélis! si je considère quelles ont été les listes
d'abonnés de la revue, je ne puis qu'être épouvanté à la vue
du petit nombre de Canadiens-Français «qui savent lire et
réfléchir», ou bien du grand nombre qui ont failli à leur
devoir de «lire assidûment Le Naturaliste » !

Dès cette première livraison, l’abbé Provancher exprimait
l'intention où 1l était de donner, dans sa revue, une attention
tonte particulière à l'entomologie, entre toutes les branches de
l’histoire naturelle, Cette science, en effet, l'étude des insectes,
lui paraissait, par son importance pratique au point de vue
de l’agriculture, occuper le premier rang.

Le Naturaliste devait paraître une fois le mois, et compter
24 pages in-80 par livraison, le prix d'abonnement étant de
$2 par année, Ce ne fut qu'à sa deuxième année, au mois de
décembre 1869, qu'il revêtit sur sa couverture l'encadrement,

8 LE NATURALISTE CANADIEN

dessiné par J. Walker, qu'il a conservé jusqu'aujourd’hui.

Quel fut, dès les commencements, le succès de l’œuvre nou-
velle? Ce n’est guère facile à découvrir aujourd’hui. Après de
longues recherches dans les collections de journaux, nous trou-
verions sans doute dans toutes les feuilles du temps de flat-
teurs entrefilets; où, à travers mille éloges, l’on souhaite à la
nouvelle publication toute la prospérité possible et une vie
à n'en plus finir. Car la presse canadienne-française, miroir de
notre tempérament national, est toute de bienveillance, et le
compliment ne lui pèse pas aux doigts à l’adresse de tout ef-
fort intéressant. D'ailleurs, l'abbé Provancher a lui-mêire
signalé, dans le premier numéro du Nuturaliste, «avec quelle.
unanimité d'éloges la presse a accueilli» son prospectus. On
pourrait même soutenir qu'il lui aurait suffi de garder à cet.
égard le silence, pour nous permettre de croire qu'aucun jour-
nal n'avait blâmé son entreprise un peu audacieuse. Car lim-
prudent Journaliste qui se serait permis de trouver inopportune
ou seulement inutile la fondation du Naturaliste aurait payé
cher une pareille erreur d'appréciation. Veut-on la preuve de
cette assertion ? La voici.

La Gazette des Campagnes, revue hebdomadaire d’'agricul-
ture rédigée par des professeurs du Collège et de l’Ecole d'a-
griculture de Sainte-Anne de la Pocatière, publia ce qui suit.
dans sa livraison du 17 décembre 1868 : « Nous venons de re-
cevoir le prospectus d’une nouvelle publication dont M. l'abbé.
Provancher, curé de Portneuf, sera le rédacteur, et M. C. Dar-
veau, de Québec, l'éditeur. Elle aura pour titre Le Naturaliste
canadien, et paraîtra tous les mois par livraison de 24 pages.
in-80.» Vous pensez peut-être, naïf lecteur, que ce modeste en-
trefilet,s’il n’est pas d’un vibrant enthousiasme, à tout le moins
est parfaitement inoffensif ? Eh bien, voyez ce que cette façon,
seulement abrégée, d'annoncer la nouvelle revue attira à la
pauvre Gazette des Campagnes ; c’est la fin du premier article
du premier numéro du Naturaliste. «... Devrons-nous cons-
tater ici qu'au milieu de ce concert d’éloges il s’est trouvé un
petit journal qui, en notant simplement l'apparition prochaine:

L'ABBÉ PROVANCHER 9

de notre publication, a paru ne voir en nous qu'un antago-
niste ? Que cette gazette veuille bien se remettre ; elle s'inti-
tule « journal du cultivateur et du colon,» or s'il est un art à
qui les connaissances en histoire naturelle sont nécessaires,
cest bien l’agriculture ; et nous croyons pouvoir démontrer
très prochainement à la petite gazette que, loin de lui nuire,
nous pouvons lui être utile, en relevant les inexactitudes dans
lesquelles elle peut tomber lorsqu'elle parle d'histoire naturelle.»
Ciel! que voilà une humeur peu accommodante ! que voilà un
nouveau-né dont les crocs et les griffes sont menaçants! Il ne
faisait pas bon, à cette époque-là, de marcher sur le pied (si
l'on peut dire ainsi) du VNaturaliste canadien.

Comme on l’imagine bien, la Gazette des Campagnes se dé-
fendit contre cette attaque; et voilà engagée une polémique
qui devint très violente et peu digne, surtout de la part du
Naturaliste, et fut loin d'obtenir les suffrages du publie, si j'en
juge par les pièces que je trouve dans la correspondance con-
servée par l’abbé Provancher. Ainsi, le 8 février 1869, c’est
M. Joly (aujourd’hui lieutenant-gouverneur de la Colombie-
Britannique) qui exprime son vif regret de ce conflit ; le 5 mars,
c'est le Dr P. Larue, député de Portneuf à l'Assemblée législa-
tive, qui fait part à l'abbé Provancher du regret qu'éprouve
le premier ministre, M. Chauveau, de voir le Natiwraliste enga-
gé dans cette lutte; le 8 mars, c’est un ami, l'abbé N.-A. Leclerc‘
qui l'informe du déplaisir d’un ministre, de deux députés et de
quelques ecclésiastiques... Mais laissons là cet incident dés-
agréable, qui survint sans motif plausible. Car la simple ré-
serve que garda la Gazette des Campagnes en annonçant la
prochaine apparition du Naturaliste canadien ne suffit pas à
expliquer l’attitude que prit aussitôt celui-ci; il devait y avoir
autre chose. À mon avis, il faut y voir l'influence du manque
de sympathie qui existait à cette époque entre le clergé formé
au collège de Sainte-Anne et celui du district de Québec: état
d'âme dont heureusement il ne reste plus trace aujourd'hui.

Cependant, au moment où cette digression s’est présentée
d'elle-même, nous en étions à nous demander quel accueil avait

10 LE NATURALISTE CANADIEN

été fait au Naturaliste naissant, et il n’a été question alors que
des appréciations de la presse envers le nouveau confrère.
L'abbé Provancher reçut en outre des félicitations de la part
de beaucoup de personnes, particulièrement de membres du cler-
gé et des professions libérales. Il dut être bien sensible, surtout
à ces mots que lui écrivait, le 28 janvier 1869, Ben]. D. Walsh,
directeur de l'American Entomologist (publié à St. Louis,
Mo.) : (Traduction) « J'ai reçu le Naturaliste canadien, N°1

et J'en suis très content. Nous vous en ferons un bon compte
rendu dans le N°7 de VA. Æ. Je me propose aussi de traduire
votre page 22 pour l’'avantase de nos gens de ce côté des lacs,
dont très peu entendent le français... J'ai ri de grand cœur en
lisant votre badinage nautique, et je veux que les lecteurs de
l'A. Æ. jouissent des mêmesmouvements convulsifs du diaphrag-
me.» — Bon! Voilà une foule de lecteurs du Naturaliste de
1904 en danger de périr, tellement l’eau leur vient à la
bouche à la pensée de cette page 22 qui à tant fait rire le di-
recteur de l'American Entomologist. Sans doute, ceux qui
possèdent la première série du Naturaliste canadien n'ont
qu'à ouvrir le volume 1* pour satisfaire leur curiosité. Mais
beaucoup n’ont pas cette ressource, et ils me sauront gré de re-
produire ici cette curieuse page, l’une des meilleures qu'ait
écrites l'abbé Provancher dans le genre humoristique :

. Il faut regarder pour voir; et,en histoire naturelle plus
A en toute autre matière peut-être, il faut savoir regarder
pour n'être pas trompé dans ses observations. Un jour, un de
nos braves voisins s’en vint nous trouver d’un air tout satisfait.
«Oh! monsieur, dit-il, vousqui aimez les choses rares,je puis vous
montrer un insecte comme vous n’en avez certainement jamais
vu. — Prenez garde, ma collection est considérable! —J’ai vu vos
insectes, vous n'avez rien de semblable ; c'est un papillon qui
a six ailes —Un papillon à six ailes ?— Oui monsieur, six ailes!
À part des quatre ailes aux places ordinaires, il en a encore deux
autres petites à la tête. Il a le corps aussi gros qu'une moyenne
souris, et deux grands yeux dans les ailes de derrière. Tous
ceux à qui Je l’ai montré disent n'avoir jamais rien vu de sem-
blable. Mais le plus extraordinaire, ce sont ces petites aiïles à
la tête; à quoi peuvent-elles lui servir ?» Reconnaïssant sans

PUBLICATIONS RIQUES 11

peine à celte description l’insecte dont il était question, nous
repliquâmes : «Vous savez que les polis sont des voya-
geurs, ou plutôt des navigateurs dans l'air : d'ordinaire ils n ‘ont
que quatre ailes : ce sont si vous le ae z les voiles de misai-
ne et de perroquet de nos marins. Probablement que le vôtre,
ayant une plus longue course à fournir, a trouvé avantageux
d'y ajouter le foc; je ne serais pas du tout surpris si que lqueau-
tre s'avisait un bon jour d'y joindre le tapecu pour être encore
plus au complet ; mais en attendant, allons voir la voilure du
vôtre.» Notre homme, qui avait aceneilli nos railleries d’un air
de satisfaction, parce qu'il croyait sen venger par la stupé-
faction où nous jetterait la vue de sa merveille, fat bien dé-
contenancé lorsqu'au premier coup d'œil sur son insecte, nous
reconnûmes un mâle de notre papillon de nuit, le Folyphême,
Saturnia polyphemnus, Fab., et que nous l’invitâmes à en ve-
nir voir cin({ à six, en tout semblables, dans notre collection.
Il avait pris pour des ailes les antennes plumeuses de ce ma-
gnifique papillon, qui sont surtout très développées dans le
mâle, et qu'il ne s'était pas adonné à remarquer dans ceux de
nos cases. Mais loin de vouloir détourner de ses observations,
par cette expérience malheureuse, notre nouveau naturaliste,
nous l’engageâmes fortement à bien exatuiner tous ces petits
êtres qui “chaque jour s'offrent à ses regards, l’assurant que,
pour ne jamais rencontrer d'insectes avec des ailes à la tête, il
n'en trouverait pas moins d’autres merveilles qui lintéresse-
raient davantage. »

(A suivre.)
V.-A. H.

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12 LE NATURALISTE CANADIEN

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— Annual Report ofthe Smithsonian Institution. 1901.
U. S. National Museum. 1903.

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Smithsonian, ce volume contient, entre autres appendices in-
téressants, un Rapport sur l’exhibit du National Museum à
l'Exposition de Buffalo (1901.)

— Proceedings of the Academy of Natural Sciences of Phila-
delphia. Vol. LV. Part IL. 1903.

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parmi lesquels nous remarquons celui où l’on raconte des expé-
riences qui prouvent que les Etoiles de mer peuvent se recons-
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LE

NATURALISTE CANADIEN

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 2

Québec, février 1904

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

CAUSERIE ORNITHOLOGIQUE

J'ai quelquefois occasion de constater la présence de certains
oiseaux qui, à de rares intervalles, laissent les régions tempé-
rées du sud qu'ils habitent d'ordinaire, pour pousser une pointe
vers le nord jusque sous notre latitude, histoire de visiter le
pays, je suppose, et cela, non pas toujours en été, pendant la
saison des touristes, mais bien quelquefois en hiver, chose qui
peut paraître surprenante pour des oiseaux qui recherchent
plus particulièrement les régions chaudes des Etats-Unis. C’est
ainsi que, le 24 novembre dernier, notre habile chasseur M.
E. Huot, de l'Ange-Gardien, a abattu quatre Gros-Becs à cou-
ronne noire, dont trois mâles et une femelle, les seuls qu'il a vus.

Vers la mi-janvier 1890, mon ami M. R. Lavoie m'a apporté
un de ces oiseaux tué à la Jeune-Lorette. C'était, je erois, le
premier que l’on remarquait dans la Province, et quinze jours
plus tard quelques-uns se faisaient remarquer à Montréal et à
Lachine. Depuis cette époque aucun n’y a été rencontré que
je sache.

Ce Gros-Bec habite les Etats-Unis, surtout vers la partie
sud ; il est généralement considéré comme rare. En décembre
1889, quelques-uns ont été vus dans les Etats de New-York,
Massachusetts et New-Hampshire, et dans le temps une revue

2 — Février 1904.

14 LE NATURALISTE CANADIEN

scientifique l’a mentionné comme accidentel dans ces trois
Etats. j

La livrée de cet oiseau est magnifique ; trois couleurs se la
partagent : le blanc pur, le noir profond et le jaune soufre ; son.
bec, très gros, est d’un jaune verdâtre.

Depuis la publication de mon Catalogue des oïseaux de la
Province, en 1879, voilà déjà dix espèces d'oiseaux que j'ai ob-
servées, qui ne s'étaient pas encore montrées dans nos pare
ou du moins qui n’y avaient point été remarquées jusqu’à cette
époque, à l'exception d’une seule toutefois.

Je crois qu'il ne serait peut-être pas sans intérêt de les faire
connaître aux lecteurs du Naturaliste. Quelques-uns ont été
tués par moi, et les autres m'ont été apportés pour identifica-
tion, à l'exception du Vireo de Philadelphie que le Dr Dwight,
ornithologiste de New-York, m'a dit avoir rencontré sur la
côte nord du fleuve, en 1897.

Voici cette liste avec les noms latin et français: Stwrnella
magna, Etourneau des prés, tué près de Québec en 1889; Mi-
cropulama himantopus, Echasse à longs pieds, tué sur les grèe-
ves de Beauport en septembre 1885 ; Catharista atrata, Vau-
tour noir, tué au même endroit en octobre 1898 ; Sterna ma-
æima, Sterne royale, tuée dans le bas du fleuve; Uria lomvia,
Guillemot de Brunnich, même endroit ; cette espèce, qui est très
commune a été omise de mon Catalogue, par erreur; Ænaico-
netta stelleri, Eider de Steller, tué par M. Comeau à Godbout,
printemps de 1900; Vireo philadelphicus, déjà mentionné;
Helininthophaga celata, Fauvette à couronne orange, tuée près
de Québec, mai 1890 ; Wimus polyglottus, Oiseau moqueur, tué
à l’île d’Anticosti. printemps 1903; un autre spécimen à été
vu par M. N. Comeau à Godbout à la même époque: enfin
Hesperiphona vespertina, Gros-Bec à couronne noire.

Avec les 273 espèces mentionnées dans mon Catalogue, nous
arrivons au chiffre de 283. C'est jusqu’à présent la plus lon-
gue liste de nos oiseaux qui a encore été publiée.

Maintenant, si nous ajoutons à cela les oiseaux que men-
tionne M. Wintle dans sa liste des oiseaux de Montréal,et qui ne

{ Lu
EPA CT AN

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY 15

se trouvent point énumérés par moi, nous arrivons au chiffre
de 288 espèces qui ont été observées dans la Province jusqu'à
présent. Ces oiseaux, qui sont mentionnés comme accidentels,
sont les suivants: Zringa bairdii; Numenius longirostris ;
Megascops asio ; Centurus carolinus ; Polioptila cœrulea et
Procellaria pelagica. Mais ce dernier oiseau est probablement
l'Oceanodroma leucorhoa, car M. Wintle le mentionne comme
eommun dans le golfe Saint-Laurent; or c'est précisément le
Pétrel de Leach, 0. leucorhou, qui se voit fréquemment à cet
endroit, tandis que le premier ne doit sy rencontrer qu'acci-
dentellement, si toutefois il y a été vu.

Le P. pelagica habite, d'après la liste des oiseaux äe l'Amé-
rique du Nord publiée par l'Union des ornithoiogistes améri-
cains, l'océan Atlantique, au sud, sur le côté américain, jus-
qu'aux bancs de Terre-Neuve ; il se rencontre surtout sur les
côtes d'Europe et sur celles de l'Afrique ouest.

Voilà déjà trois fois que je rencontre le Pétrel de Leach sur
nos grèves, et il n’est pas surprenant qu'en suivant le fleuve,
il ait pu se rendre jusqu'à Montréal.

Il n'y aucun doute que, s'il y avait plus d’observateurs de
nos oiseaux, nous pourrions faire encore plusieurs additions à
cette liste.

C.-E. DIONNE.

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE
DU SAGUENAY

(Continué de la page 176 du volume précédent. )
LES RIVIÈRES DU LAC SAINT-JEAN — LEUR FORMATION
CHAMOUCHOUAN, MISTASSINI ET TICOUABÉE

La rivière Mistassini, venant du nord-nord-ouest, est un des
principaux tributaires du lac Saint-Jean, et celui qui permet
à la navigation de pénétrer le plus avant dans l’intérieur et le
plus loin au nord.

En entrant dans sa belle grande avenue qui a plus d’un mil-

16 LE NATURALISTE CANADIEN

le de largeur à son embouchure, ses rivages sont bas et boisés
de jeunes ormes, de frênes, de trembles et de saules, surtout du
côté ouest. de son -cours. On voit aussi, dans cette direction,
plusieurs petits îlots, comme des corbeiïlles de verdure, qui ca-
chent discrètement l'entrée mignonne de la rivière Ticouabée,
venant du nord-ouest, et coulant parallèle à Chamouchouan
et partie aussi à Mistassimi sur une grande distance.

Du côté est de cette dernière, ses rivages sont formés de lon-
gues dunes de sable alluvial, boisées de lisières d’épinettes noï-
res, clairsémées et touffues, servant de bordure à de vastes prai-
ries de foin bleu qui s'étendent à perte de vue vers Péribonca.

Les inondations du printemps tranforment ces dunes en au-
tant d’ilots, et recouvrent entièrement toute l’étendue des praïi-
ries jusqu’au pied du premier coteau qui s'élève à deux milles
du lac le long de Mistassini et qui revient à un quart de mille
près de Péribonca.

Ces prairies naturelles, de plusieurs milliers d’acres, font
partie du canton Racine, et sont exploitées seulement dans
les années de disette par les colons dont la récolte ne promet
pas un rendement suffisant pour l’hivernement de leur bétail.

La largeur de Mistassini diminue de moitié sur les pre-
miers milles; elle se maintient ensuite à cette largeur, plus ou
moins, jusqu'au pied de la première chute, à vingt milles envi-
ron du lac Saint-Jean. Les îles parsemées sur cette distance
sont formées d'excellente terre; quelques-unes, couvertes de
nombreuses essences, pourraient se cultiver facilement s'il n’y
avait crainte que, une fois déboisées, les grands courants du
printemps ne vinssent à les laver et à les détruire sans retour.

Le terrain qui s'étend à l’ouest de la rivière Mistassini, de-
puis Chamouchouan jusqu’à la première chute mentionnée plus
haut, appartient au canton Parent. La paroisse de Saint-Mé-
thode, qui embrasse la vallée de Ticouabée comprise dans ce
canton—la partie centrale et la meilleure —, en laisse les deux
extrémités à ses voisines: à Saint-Félicien la partie sud, et à
Saint-Michel la partie nord.

Les terres le long du rivage souffrent au printemps, elles

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY 17

Slan

DE LA YMLEE DE LARIV TICOUABEZ
ENTRE
CHAMOQUCHOUAN ET MISTASSIN1I

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18 LE NATURALISTE CANADIEN

aussi, des inondations qui empêchent les colons de s'établir sur
les lots du bord de l’eau depuis Ticouabée pour plusieurs milles
en remontant. Maïs du moment que la berge se relève le moin-
drement, on y voit de beaux établissements, d’une culture avan-
cée qui annonce l'aisance, se succéder jusqu’au canton Albanel
au delà de Saint-Michel.

Les communications n’étant pas encore ouvertes sur la par-
tie sud-ouest de Racine, la colonisation n’a pu s'y introduire :
c'est pourquoi cette partie de la grande vallée n’a pas perdu
son aspect sauvage, nous donnant une idée vraie de toute la
région du lac Saint-Jean d'il y a cinquante ans.

Dans l'angle formé par la rivière Mistassini et par son puis-
sant tributaire, la Mistassihi, s'élève le monastère des RR. PP.
Trappistes, fondé il y a déjà plusieurs années par ces bons re-
ligieux pour encourager et favoriser l’œuvre patriotique de la
colonisation et attirer, par leur exemple, dans cette partie en-
core isolée du vaste territoire saguenéen, un fort contingent
de braves défricheurs, de grande énergie, qui ont fait jusqu'à
cette heure leur grosse part pour le progrès et la prospérité de
cette importante région, et qui ne comptent pas s'arrêter de
sitôt dans cette belle voie ouverte par les vaillants Pères avec
si peu de ressources.

Deux ponts tubulaires, d'une grande importance pour cette
Jeune colonie, l’un sur Mistassini et l'autre sur Mistassibi, re-
joignent cet angle dont nous venons de parler, d’un côté au
. canton Parent et de l’autre à celui de Dolbeau, facilitant une
ligne ininterrompue de communications depuis Saint-Méthode-
sur-Ticouabée jusqu'à Honfleur-sur-Péribonca, ouvrant aussi
de vastes espaces à la colonisation qui ne tarderont pas, avec un
bon système en expectative, de se peupler de valeureux pion-
niers.

Depuis Saint-Michel en remontant Mistassini, cette rivière
fait la ligne de division entre le canton Albanel et celui de
Pelletier, laissant à ce dernier tous les cours d’eau qui alimen-
tent la rivière, dont le principal est celui du Rat, renommé
pour la belle contrée de terre qu’il égoutte et pour l’activité

à té

L'ABBÉ PROVANCHER 19

extraordinaire des colons qui habitent cette vallée fertile; tan-
dis qu’Albanel n'a qu'un petit ruisseau qui se déverse dans
Mistassini, contre un nombre considérable qui se jettent dans
Ticouabée, tout à côté.

Les chutes, qui se succèdent à de courts intervalles sur le
parcours d’une dizaine de milles, relèvent le niveau du plateau
à la hauteur de celui que nous avons mesuré à Pemonka,
c'est-à-dire à deux cents pieds au-dessus du lac Saint-Jean.

Nous avons vu que Chamouchouan n'avait pas de vallée pro-
prement dite du côté nord de son cours pour trente milles au
moins; nous devons dire que Mistassini n'en a pas non plus
du côté sud pour la même distance. C’est la petite rivière Ti-
couabée qui a hérité de cette fortune-là, jadis, de ses grands
parents Wassiamiska et Micouachoche : et cela par le même
procédé que la rivière Croche héritait, elle aussi, d’une partie
de l'ancienne Décharge du grand lac silurien lors du cataclys-
me. Le canton Normandin s’égouttant complètement dans la
rivière Ticouabée, et le canton Albanel en faisant autant
de son côté, les rivières Chamouchouan et Mistassini, qui limi-
tent ces cantons au sud et au nord, se trouverent ainsi dépouil-
Jlées pour toujours des revenus qu’elles auraient dû percevoir
de ces milliers d'acres de terre.

(A suivre.)
P.-H. Dumas.

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 11.)

Un trait original du Naturaliste canadien, à ses débuts,
c'était la publication d'observations météorologiques, Ainsi
donc, l'abbé Provancher s'occupait de recueillir des données sur
la température quotidienne, avant même que le gouvernement
du Canada ait fondé son bureau météorologique, dont les cor-
respondants rétribués ou volontaires se recrutent aujourd’hui

20 LE NATURALISTE CANADIEN

dans toutes les parties du Canada. Le tableau publié dans le
premier nurnéro du Waturaliste ne contient que les observa-
tions enregistrées à Portneuf, pour le mois de décembre 1868 ;
mais l'abbé Provancher sut trouver des correspondants de
bonne volonté en plusieurs endroits du Canada; et dans le
dernier numéro du volume I, on voit un tableau d’observa-
tions météorologiques, pour le mois d'octobre 1869, avec les
localités suivantes à l’en-tête: Toronto, Wolfville, Saint-Jean,
N.-B., Montréal, Trois-Rivières, Portneuf, Québec et Rimouski.
Ces tableaux figurèrent dans le Naturaliste canadien durant
tout le cours des troïs premières années. Dans la première li-
vraison du volume IV, l'abbé Provancher annonça qu'il se
voyait «forcé, pour économiser, de supprimer les deux tableaux
météorologiques » qu'il avait coutume de publier chaque mois.
Pourquoi donc fallait-il pousser jusque-là l'esprit de parcimo-
nie ? Ce qui va suivre le fera voir.

J'ai dit plus haut quelques mots du bon accueil qui fut fait.
à la nouvelle publication par la presse et par des personnages
de marque. Mais, après tout, ces appréciations élogieuses, as-
surément très agréables et très encourageantes pour le pro-
priétaire d’une revue, ne valent pas une bonne liste d'abonnés:
«bien payants.» Quel avait donc été, à ce point de vue tout:
pratique, l’'encouragement donné par le public au Naturalrste
canadien ?

Il n’est plus guère possible aujourd’hui de savoir exactement

quel fut le tirage du Naturaliste dès son premier numéro.
Par une lettre de C. Darveau, qui en était l’imprimeur, adres-
sée à l'abbé Provancher et datée du 19 février 1869, on voit
que le journal avait été expédié à 485 adresses. Comme, dans
la même lettre, il est question de la dépense faite pour l’expé-
dition de la livraison de janvier, il est probable que ce nombre
de 485 exemplaires se rapporte bien à cette livraison du mois
de janvier qui était la 2°. Ce fut certainement là le plus haut
degré de circulation qu'atteignit le Naturaliste canadien sous
la direction de l’abbé Provancher. En janvier 1872, c'est-à-
dire au commencement du volume IV, il écrivait que sa liste

o

L'ABBÉ PROVANCHER 21

d'abonnés allait «toujours un peu en diminuant », et qu'à ce
moment elle n’atteignait «pas même le chiffre de 350.» Au
début de l’année suivante, il constatait encore que le nom-
bre de ses abonnés continuait à diminuer. Dans sa livraison
de février 1873, il eut l’idée de publier la liste complète de
ses abonnés, et l’on voit qu'à cette époque la circulation du
Naturaliste était à peine de 250 exemplaires, à part les échan-
ges de revues et de journaux, qui portaient probablement à
300 exemplaires l’état de la circulation de la revue au com-
mencement de son cinquième volume.

On peut donc dire que, durant sa première année, le Natu-
raliste canadien eut une circulation moyenne de 450 exem-
plaires, soit : 400 environ, si l’on soustrait le nombre probable
de 50 journaux et revues servis à titre d'échange. Le prix de
l'abonnement étant à cette époque de $2 par année, l'abbé
Provancher aurait dû compter sur un revenu brut de $ 800.
Mais, en ce temps-là, les propriétaires de journaux avaient
beau inscrire à l'en-tête de leurs publications la formule
« Payable d'avance» il y avait toujours des abonnés qui non seu-
lementne payaient pas leur abonnement d'avance, mais qui ne le
payaient pas même après coup. Ces traditions, il faut l'avouer,
se sont conservées jusqu'à nos jours, et rien n'indique, malheu-
reusement, qu’elles soient en train de disparaître dans un ave-
nir bien prochain. Donc, si l’on tient compte des habitudes
suivies par les abonnés des publications canadiennes, on
peut croire que dans la réalité l'abbé Provancher ne devait
pas s'attendre à recevoir plus que # 600 de ses 400 abonnés.
Soustraction faite des frais d'impression, de gravure et d’'ex-
pédition, les recettes nettes devaient être assez modestes. Ou-
tre que l'avenir s’annonçait assez mal, le nombre des abonnés
diminuant d’une façon régulière, il y avait à considérer que
l'abbé Provancher devait cesser prochainement d'exercer le
ministère curial, et aurait par conséquent à pourvoir à ses
frais de subsistance en moyen de ses ressources personnelles,
Les perspectives étaient donc loin d’être brillantes.

Cette situation peu encourageante, il aurait sans doute fallu

22 LE NATURALISTE CANADIEN

la prévoir avant de commencer l’entreprise ! Il était au con-
traire évident que l'abbé Provancher s’était fait illusion sur
la vogue qu'obtiendrait dans le public lettré la revue scientifi-
que qu'il fondait. Mais qui lui en fera reproche ? Qui peut se
faire gloire de n'avoir jamais agi sous l'empire d'illusions do-
rées ? La vérité, c'est qu'il se ferait peu de choses ici-bas, si
l’on savait d'avance, et de façon précise, quels obstacles il fau-
dra renverser et à quel point les circonstances futures met-
tront en péril de succomber à la fin l’œuvre que l’on projette.
Il faut donc, si l'on veut faire quelque chose de sérieux, se
lancer en avant d’une façon un peu aveugle, quitte à s’en:
tirer du mieux qu'on pourra si les conditions deviennent mau-
vaises.

(A suivre.) VA;

LE CHEVREUIL AU SAGUENAY

Le 26 décembre dernier, on lisait ce qui suit sur le Progrès
du Saguenay, journal publié à Chicoutimi :

«Le Chevreuil nous arrive.

« La semaine dernière, quatre Chevreuils ont été vus le long
de la rivière Cyriac, au sud du lac Kénogami.

«Ce sont les premiers Chevreuils qui sont aperçus dans no-
tre région, à notre connaissance. »

Nous pouvons témoigner, nous aussi, que, durant les 27 an-
nées que nous avons residé au Saguenay, jamais nous n'avons
entendu parler de l'occurrence du Chevreuil dans cette région
du nord-est de la province de Québec. Il est donc très intéres-
sant de constater que ce territoire s’est enrichi depuis peu d’une
nouvelle espèce animale.

Revenant sur le même sujet, dans son numéro du 31 décem-
bre, le Progrès du Saguenay donnait les renseignements addi-
tionnels que voici:

.. (L'été dernier on a commencé à en voir au Lac Saint-
Jean, vers Mistassini. Nous n'avons pas été surpris d’appren-

PUBLICATIONS RICUES 23

dre qu'il y en avait de rendus au sud du lac Kénogami: car
le terrain y est très propice pour le Chevreuil. »

Comme notre confrère en fait ensuite la remarque, 1l fau-
drait s'abstenir durant quelques années de-faire la chasse au
Chevreuil dans la région du Saguenay, afin de lui laisser le
temps de s’y établir solidement, &’est-à-dire en nombre consi-
dérable. Mais quel est le chasseur qui, voyant l’un de ces jolis
quadrupèdes au bout de son fusil, s’abstiendra de tirer, pour
ne pas nuire au développement de la richesse faunique du
pays ! Heureusement, tout coup de fusil d’un chasseur ne si-
gnifie pas la mort d’un animal.

A L'EXPOSITION DE ST. LOUIS, MO.

Nous avons déjà dit'qu’on organise, pour l'exposition univer-
selle de Saint-Louis, une section de la Chasse et de la Pêche,
qui sera en réalité une exhibition de zoologie. D’après une cir-
culaire que nous avons reçue dernièrement, nous comprenons
maintenant que c’est la Commission du Missouri qui organise
cette section scientifique, où le règne animal de l'Etat lui-mé-
me sera principalement représenté, mais sans exclusion des
animaux, morts ou vivants, des régions étrangères. Tl y a donc
tout lieu de croire que cette exposition d'histoire naturelle sera
d'un grand intérêt pour les naturalistes.

Sur invitation spéciale de la Commission du Missouri, nous
adressons régulièrement le Nauturaliste canadien à cette sec-
tion de Chasse et de Pêche, dans laquelle une salle de lecture
contiendra, à l'usage des visiteurs, les principales publications
scientifiques de ce continent.

PUBLICATIONS REÇUES

—_ Actes de la Societé linnéenne de Bordeaux. Vol. LViI.
1902. ”

Volume bien précieux, qui contient des mémoires sur la Bo-
tanique, l'Entomologie, la Géologie, la Zoologie.

24 LE NATURALISTE CANADIEN

— Anales del Museo Nacional de Montevideo. FLora URuU-
GUAYA (Arechavaleta.) Tomo u.

— Pulse and Rhythm. By Mary Hallock-Greenewalt, Phi-
ladelphia, Pa. Sept. 1903.

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suivants :

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cants de vin, 194, rue Saint-Paul, Québec.)

Calendrier de la Puissance du Canada, pour 1904 —
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Vincent, Montréal.)

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missaire des Pêcheries du Dominion. — {I Les installations
frigorifiques à boitte du Canada. IT. Le ere cles passes
migratoires. IT. La pisciculture de l’alose. 1902. Ottawa.

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LE
NATURALISTE CANADIEN

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 3

Québec, Mars 1904

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

ORCHIDÉES VÆRSUS BOMBUS

Pour des fleurs drôles, elles le sont.

Les Orchidées que je viens de voir m'ont plutôt donné l’idée
d'une petite ménagerie, d'un bazar microscopique pour des
bébés.

J'allais décrire, à ma manière, cette fleur vraiment étonnante,
quand me tombe sous la main un secours qui deviendrait une
gêne si Je pouvais avoir ;la prétention de mieux décrire les
Orchidées, où même d'en parler autrement, que ne l’a fait le
Docteur Muller :

« Tantôt la fleur des Orchidées ressemble à la plus mignonne
pantoufle, garnie de rubans et ornée d'émeraudes, de topazes
et d’autres joyaux, à une pantoufle telle que dans ses contes
la fantasque Schekerazade même n’en aurait pas imaginée de
semblable pour son calife : tantôt elle représente un insecte
ailé, paré selon son espèce des couleurs les plus sombres ou
les plus éclatantes.

« Il ne serait même pas étonnant que la main de l’un ou de
l'autre botaniste, s'avançant pour cueillir un épi de fleurs res-
plendissantes de beauté, ait reculé tremblante en croyant
avoir tout à coup à sa portée une grappe magnifique d’abeil-
les, de mouches, de sauterelles et même de petites grenouilles,

3 — Mars 1904.

26 LE NATURALISTE CANADIEN

des têtes de serpents et de bœufs, des singes, des hommes
pendus, des chevaliers armés. Dans d’autres, Flore, cette
déesse propice du monde végétal, paraît avoir formé des épis
entiers au moyen de lampes, de petits paniers, de berceaux,
de gobelets et d’autres bagatelles semblables, revêtant depuis
l'aspect de la plus fragile porcelaine jusqu'à celui du plus.
éblouissant tissu de soie. Ici de magnifiques Colibris aux ailes
étendues semblent se bercer sur les fleurs d’une autre espèce,
et souvent l'œil confond la magnifique fleur de l’Orchidée
avec ün oiseau dont le corps scintille sous les métalliques
reflets de son coloris. Là, il croit voir gazouiller dans la plus.
grande intimité un couple de petits oiseaux, et ce n’est qu’un
seul Colibri attiré par les sécrétions et le miel des fleurs, et
buvant à petites gorgées le nectar que lui sert la nature dans
e plus merveilleux des calices; l’autre est la fleur elle-même.
Dans le fait, si l’on observait attentivement les formes et les
dispositions des fleurs des Orchidées, on y trouverait en abon-
dance des modèles variés pour les configurations artistiques
de divers objets, tels que des calices, des lampes, des girando-
les, des cassolettes; dans nos serres déjà, le monde féerique
des Orchidées que l'on y traite avec tant d’égards nous offre
une foule de formes. Cette fantasque architectonique et cette
richesse de couleurs des fleurs d'Orchidées permirent à l’An-
glais Bateman de composer un bouquet représentant une
bizarre danse de sorcières. Dans l'Amérique méridionale, une
Orchidée, dont la fleur imite une Colombe aux ailes déployées,
Joue dans les solennités religieuses un rôle des plus. impor-
tants, »

Longtemps cette fleur vécut seule, ignorée dans les forêts
sur les montagnes; mais les botanistes de la fin du dix-neu-
vième siècle lui ont tant fait la cour qu'ils ont surpris le mer-
veilleux secret qu’elle cachait dans son sein, depuis des siècles
peut-être.

Linné croyait connaître l’Orchidée, qu'il a probablement
nommée ; il connaissait son existence physique, mais son exis-
tence physiologique, il lignora. Aurait-il pu expliquer pour-

ORCHIDÉES 8 BOMBUS 27

quoi l’Orchidée en serre refuse de monter à graines ? Aurait-il
deviné pourquoi sa fleur y reste fraîche des jours et des semai-
nes entières — plus longtemps peut-être que ses sœurs laissées
dans la montugne, sous les bois solitaires, -— puis se flétrit et

meurt sans livrer son secret ? Connaître l'Orchidée ?..... sans
le moindre soupçon du véritable divorce que cet embauchage
de la fleur comporte ?... Non.

Les naturalistes d'aujourd'hui la connaissent mieux, à me-
sure que son exquise figure s'est laissée étudier davantage. Ce
qu'ils ont appris, c'est que l’Orchidée n’est qu'une moitié d’elle-
même.

Et la fleur a été enlevée de son désert pendant que dormait
l’autre moitié; elle s’est éveillée dans une prison de verre, très
confortable sans doute, sauf l'absence de cet indispensable auxi-
liaire vers lequel elle semble soupirer, et pour qui la conforma-
tion même de sa corolle trahit encore une expression de bien-
venue.

Dans l'attente de ce cher absent, elle a conservé intactes les
splendeurs de ses corolles, espérant contre tout espoir qu'il va
venir, murmurant peut-être comme la pauvre Marguerite :

Mon seigneur ! mon maitre !

S'il allait paraître,

Quelle joie !... Hélas!

Où donc peut-il être ?

Il ne revient pas !... Û

Elle penche sa tête avec des signes — on dirait — de profon-
de désolation, si nos savants ne s’opposaient pas à pareille
sentimentalité chez une fleur qui a le tort de ne point montrer
assez de cervelet et de nerfs dans son anatomie.

Encore une fois, qui peut prétendre connaître cette étrange
fleur, sil ne connaît pas aussi l’insecte dont la vie est mysté-
rieusement enchaînée à la sienne par l'attrait parfumé du
nectar que la fleur recèle ?

Pour ne prendre qu’une espèce sauvage, l’Aréthuse bulbeuse
de Linné: «le pollen, nous disait M. le professeur de botanique,
doit atteindre le stigmate de la fleur pour produire des graines
qui la propageront.» Dans le cas présent, c’est impossible, — le

28 | LE NATURALISTE CANADIEN

pollen est bel et bien enfermé dans une capsule close : il fau-
drait un effort mécanique pour l’arracher hors de ses loges et
le transporter sur le stigmate.

Quelqu'un doit venir à son secours ; sinon, l'espèce va périr.

Voilà le problème qui s’otfrait à Linné, et que mi lui ni ses
contemporains n’ont pu résoudre.

Il y eut bien, vers 1735, un certain savant allemand, Chris-
tian Sprengel, qui, à force d'observations, éclaircit considéra-
blement le mystère dont s’entourait la fteur des Orchidées, et
crut trouver dans les insectes la clef de l'énigme. Attiré par
les vives couleurs et l’odeur spéciale de la fleur qu'il recherche,
par le miel qui en remplit l'éperon, l’insecte visite la fleur, se
couvre de la poussière jaune du pollen, et, en se retirant, ia dé-
pose sur le stigmate de cette méme fleur, dont la surface col-
lante retient à son tour les masses polliniques.

Telle était la croyance de Sprengel, qui écrivit à ce sujet un
épuisant volume.

Mais le brave homme n'avait découvert qu'une partie de la
vérité !

L'insecte était nécessaire pour transporter le pollen, très
bien ! inais la théorie de l’auteur était concentrée sur une seule
et même fleur.

Les faits les plus contraires ne tardèrent point à démolir
l'autorité de son œuvre,faits qui prouvaient clairement l’impos-
sibilité où se trouvait l’insecte de porter le pollen de la façon
décrite plus haut, soit que le stismate de cette fleur ne fût pas
prêt à le recevoir, étant fermé, soit que le temps de la fertilisa-
tion fût passé, le stigmate, dans ce cas, s'étant assurément flétri.

Cette affirmation trop absolue de la fertilisation du même
individu, base de la théorie de Sprengel, reconnue alors comme
fausse, discrédita l’homme et son livre.

Plus tard, les partisans de l’évolution reprirent cette doc-
trine, prouvèrent sa vérité quant à l’insecte, firent voir en plus
que les conditions défavorables de certaines fleurs qui s’oppo-
saient aux théories de Sprengel, au lieu d’avoir pour objet le
transport du pollen sur le stigmate de la même fleur, suppo-

ORCHIDÉES VS BOMBUS 29

saient au contraire ce transport sur le stigmate d'une autre
fleur : le croisement réciproque ayant été acquis et perpétué
par l’évolution.

Cette solution ne devient logique et soutenable qu'autant
que ce croisement réciproque a été avantageux à la fleur dans
la concurrence vitale, et que ces fleurs ainsi fertilisées furent
le résultat final de la sélection naturelle.

Les ancêtres de cette fleur, probablement, se fertilisaient eux-
mêmes. Une jeune plante de leur progéniture, plus aventureuse
que bien d’autres, montra, parmi plusieurs autres particularités,
une disposition singulière à müûrir son stigmate avant l'ovaire,
ou d’autres dispositions tendant au croisement réciproque.

Les rejetons de cette aventureuse, aux idées très américai-
nes, ayant hérité des singularités de leurs parents, produisirent
d’autres fleurs capables de croisement réciproque. Leurs grai-
nes, jetées ça_et là, continuèrent la concurrence sur une échelle
de plus en plus large, croissant en nombre, acquérant toujours
une vigueur nouvelle, étouffant, dans la lutte pour leur existen-
ce, tous les faibles compétiteurs de la même espèce (très amé-
ricaine, encore celle-là), pour devenir enfin les seuls possesseurs
du terrain, les uniques souches de la descendance directe.

C’est ainsi que chaque fleur & pu offrir à nos observations
des développements étonnants, tels que la fertilisation récipro-
que, par le transport de ce pollen d’une fleur au stigmate d’une
autre fleur grâce à l'obligeance des insectes, de l’eau, du vent,
voire même des oiseaux. C’est ce qui arrive pour les Concom-
bres, le Blé d'Inde, dont les fleurs sont monoïques ; c'est ce qui
arrive encore aux Palmivrs, au Saule, dont les fleurs sont dioï-
ques ; enfin, c’est ce qui arrive toujours quand le pollen mûrit
et se dissémine avant l’anthèse du stigmate, ou vice versa,
comme on l'a lu plus baut.

Des formes simples d'une fleur, passons à d’autres plus com-
pliquées, dont le mécanisme, les plans et devis trahissent indu-
bitablement l'intention vers laquelle elles sont dirigées: des
fleurs explosives, attrape-mouches, fleurs pyrotechniques, fleurs
qui lancent le pollen, le roulent en emplâtre, en collier, fleurs

30 LE NATURALISTE CANADIEN

aux étamines embrassantes. Toute cette gesticulation gauloise,
c'est l'étiquette des fleurs pour dire « bonjour » ou «au revoir »
aux insectes.

A présent, des formes compliquées passons aux formes plus
compliquées encore, moins symétriques, telles que la Colombie,
ou de structures tout à fait anormales et exceptionnelles des
Orchidées, si variées ou si différentes, si belles ou si laides, si
parfumées ou si fétides, si gracieuses ou si grotesques, si dange-
reuses, si mimiques, et, jusqu'il y à quarante ans, absolument
inexplicables.

Comment reconnaître si la fleur que je cueiïlle est une Orchi-
dée ? Selon le dicton populaire, c’est une plante aérienne. Des
3000 espèces connues, le plus grand nombre sont épiphytes —
croissant sur les atbres, tirant de l’air leur subsistance, mais
n'étant pas parasites ; des 50 espèces américaines, pas une n'a
ce caractère, toutes croissent sur le sol, comme toute autre
plante. La structure botanique seul fera reconnaître l’Orchidée.

Ordinairement irrégulières, les Orchidées sont divisées en
six parties. L'ovaire unileculaire devient une cosse contenant
une énorme quantité de grains, si ténus, qu'il y en a un million
dans la Vanille, et 1,750,000, soigneusement comptés, dans la
Maxillaire.

Le pollen diffère de celui des autres fleurs; 1l est retenu
dans des masses de cire plus ou moins consistantes, n'occupe
pas toujours le même endroit dans la fleur. Ses grains ‘sont
reliés entre eux par des fils élastiques qui permettent à toute
la masse de s’allonger ou de se raccourcir selon qu'on l’étend ou
la relâche — c’est une des excentricités de l’Orchis spectabilis.
Mais ce pollen se détache aisément de ces masses au contact
de toute surface visqueuse, telle que le stigmate.

Un autre contraste botanique se retrouve dans la réunion
du style et des étamines en un seul organe, appelé colonne :
contrairement à ce qui se passe chez les autres fleurs. Si donc
quelqu'un trouve une fleur dont les anthères sont réunies à
une colonne qui porte le stigmate, il a une Orchidée: qu'il se le
tienne pour dit.

ORCHIDÉES S BOMBUS 31

Sauf quelques exceptions, le groupe entier a besoin du se-
cours des insectes pour se propager : ses fleurs n'ont d’autres
ressources pour se fertiliser. Beaucoup de fleurs sauvages, con-
formées pour le croisement réciproque comme les Orchidées,
conservent cependant la suprême ressource de se fertiliser elles-
mêmes à défaut de pollen étranger ; mais l’'Orchidée a perdu
ce pouvoir et s’est adaptée à un insecte, souvent à une espèce
déterminée.

Il n’est pas nécessaire d'aller sous les tropiques admirer ces
merveilles. Asa Gray assure que les plus communes espèces
des Etats-Unis et du Canada pourraient nous révéler des secrets
aussi renversants que les espèces exotiques.

En examinant la fleur et sa structure il est même possible
de prédire à quel insecte elle a confié

Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance,
si l’on peut parler ainsi.

Voyez-vous cette Aréthuse? disait M. W.-H. Gibson..Je n'ai
Jamais surpris un insecte à l'œuvre, mais le plan de la fleur est
si manifeste, qu'après examen on peut non seulement prévoir
ce qu'il advient quand l’insecte boit dans le nectaire, mais aussi
décrire, avec une égale assurance, l’espèce d’insecte qui y est
invité et attendu.

Les diagrammes des pages suivantes, montrant une section
de la fleur, rendront mieux ce que M. Gibson vient de dire.

Ce que je remarque surtout dans la conformation de l’Aré-
thuse, c'est sa colonne assez allongée, et bifurquée au bout en
forme de fourchette. L'espace compris dans cette bifurcation
est occupé par l’anthère, attachée à l’ardillon supérieur rempli de
pollen et fermé par un couvercle. (Fig. 2, A.) Le stigmate est sur
la paroi extérieure de l’ardillon inférieur, complètement isolé
du pollen. La lèvre, projetée «en un doux sourire», semble
offrir un seuil hospitalier à l’intéressant visiteur qui doit venir.

Et à quel visiteur cette hospitalité, ce banquet, ce rite
mystérieux sont-ils donc réservés ? |

La configuration de la fleur indique à l'avance la coopération
d’un insecte qui, en arrivant, doit se poser sur la lèvre,

932 LE NATURALISTE CANADIEN

plonger sa trompe dans le nectaire (Fig. 2,B), pendant que som
dos ou sa tête vient en contact avec le pollen qu'il enlève,en par-
tant, pour le transporter sur le stigmate d’une autre Aréthuse.

Telles sont les conditions; et comme elles sont admirable-
ment remplies !

Pour s’en convain-
cre,il suffit d'examiner
un groupe d’'Aréthu-
ses,et de constater que
les nectaires sont des-
séchés, les logesde l’an-
there vides, lesstigma-
tes couverts de pous-
sière jaune de pollen.

Le nectar est sécré-
té dans un puits, pas
très profond ; mais cette profondeur a une signification
marquée, puisqu'elle est en raison directe de la longueur

Fig. 2.

de la trompe du convive qui vient s’y gorger.

Un papillon peut boire dans le nectaire de l’Aréthuse sans
qu? son dos touche le stigmate; des insectes plus petits peu-
vent aussi y venir boire, mais sans combler les vœux de la.
fleur ; ce n’est donc pas ces visiteurs qu'elle attend.

Quelles seront enfin les qualités de l'hôte attendu ? Sa trom-
pe doit être de telle longueur que la tête entre dans la gorge
de la fleur et dépasse l’anthère, que le thorax se frotte contre
J’anthère ; or toutes ces conditions ne sont adéquatement rem-
plies que par le Bombus, de son petit nom : le Bourdon. On
peut bien prédire que le Bourdon a une aflinité pour l’Aréthuse.

Voyez le diagramme. En B le Bourdon pompe le nectar.
A ce point il semble presser de son dos le couvercle des anthè-
res. Quand il se retire, en C (Fio. 3), le mouvement de recul
ouvre ledit couverele,et le pollen,en masse solide, lui tombe sur
le dos et y adhère. Il vole maintenant vers une autre Aréthurse,
il yentre, se gorge d'un nouveau nectar, pendant que le pollen
qu'il porte encore sur son dos est retenu en partie par le stig-

ORCHIDÉES ŸS BOMBUS 33

Fig. 3.
mate (D) et effectue ainsi la fécondation (E).

Chaque Orchidée devient done, en de telles conditions, un
problème attrayant, dont la solution ne peut être obtenue
qu’en étudiant l’insecte qui la visite.

Si une Orchidée inconnue possède un éperon de cinq pouces,
effilé comme une broche à tricot, vous supposerez charitable-
ment que la trompe
de l’ivrogne qui fré-
quente cette taverne
a cinq pouces. Qui, en
ce bas monde, peut
avoir la langue aussi
longue ? le Sphinx.
D'où vous déduisez
que le Sphinx seul est
le maître de céans, et
qu'en outre la fleur
ne s’'épanouit que Ja
nuit, car le marot est
un lépidoptère crépus-
culaire.

Fig. 4. — Fleur de l’'Habénaire orbiculaire. Avec la conforma-
tion du Sphinx en mémoire, examinez comme la fleur est
ingénieusement moulée, comme elle semble l'empreinte en
creux de la tête du lépidoptère en question, par la disposition

34 LE NATURALISTE CANADIEN

des stigmates et du pollen. Dans quelques cas, c’est la langue,
dans d’autres ce sont les yeux de l’insecte qui transporteront.
les masses polliniques.

À preuve, ce qui se passe chez l’'Habénaire orbiculaire. La
grammaire des Orchidées, déjà pas mal irrégulière, n’a pas
de plus remarquable exception à ses règles que cet Habénaire
orbiculaire.

Il paraît que la joie du botaniste
qui la trouve, pour la première fois,
dans les montagnes isolées, appro-
che tout simplement du délire, et
il yade quoi! Imaginez deux feuil-
71 les aussi larges que des assiettes,

aussi brillantes que des émerau-
des, couchées à plat (sans calembourg) sur le gazon, surmontées
d’une tige légère et nue terminée par une grappe de fleurs
blanches et vertes. Ne vous avais-je pas dit qu'il y a de quoi
à délirer ?

Approchez, lecteurs du Naturaliste, et fermez un œil: voyez-
vous dans l'illustration précédente l'ouverture du nectaire
exactement située au-dessous du stigmate ? Ce nectaire mesure
deux pouces; le pollen est enfermé dans des massues qui ont

Fig. 5.—I. Le Sphinx à l’entrée de la gorge de l’Habénaire. — IT. Les disques
adhèrent immédiatement à ses yeux.— III. Lorsqu'il s’envole, les massues ont eté
retirées de leur sac par la fissure, et de verticales qu’elles étaient (IV) elles retom-
bent vers l’horizontal, après quelques secondes. — V Dès qu'il entre ailleurs,

ces massues sont portées directement sur le stigmate VI dont la surface poreuse
retient quelques grains.

ORCHIDÉES %S$ BOMBUS 35

l'air de deux bouteilles renversées, et placées de chaque côté du
stigmate, mais terminées, par deux disques en saillie, on
dirait deux larges bouchons de champagne. Les bouteilles
sont cachées dans une membrane à fissure verticale.

Remarquez la position intelligente des deux disques ou bou-
chons. Le nectar est préparé pour l'insecte possédant une
langue de deux pouces: nul autre convive n’y aura accès. Ceci
met hors de concours les Abeilles, les papillons, les mouches.
Quel sera l'élu ? Le Sphinx encore, mais l’un des plus petits. —
Les gros pourraient boire le nectar;inais ni leur tête ni leur
thorax ne pourraient toucher l'ovaire:ce qui est le désidéra-
tum de la fleur qui s'est proportionnée à la langue de l’insecte
dont le concours est nécessaire.

Quant aux petits Sphinx, il yena beaucoup ; tenez, en
voici un à l'entrée de la gorge de l'Habénaire orbiculaire : mais
pour qu'il y plonge sa trompe capillaire, la tête doit s'enfoncer
dans la gorge de la fleur. C’est ici qu'est la merveille. L'espace
compris entre les deux disques ou bouchons de champagne est
exactement mesuré sur le diamètre de la tête du Sphinx, de
façon que les disques adhèrent tout de suite à ses yeux dès
qu'il est entré.

C’est embêtant ! direz-vous. Pas du tout. Pas d’aveuglement
possible avec des yeux composés, pas d'occasion possible pour
le Sphinx de dire à un ami: « Rince-moi l'œil.»

Lorsqu'il s'envole, lesmassues ou bouteilles ont été retirées de
leurs sacs par la fissure verticale, et, de verticales qu’elles étaient
elles-mêmes, retombent vers l’horizontal, après quelques secon-

des. Ceci s'opère pendant que
notre cavalier court boire chez
d'autres Häbénaires. Dès qu’il
‘entre, les massues ne peuvent
pas faire autrement que d’ad-
hérer au stigmate qui surmon-
te le puits merveilleux du nec-

30 LE NATURALISTE CANADIEN

tar, et dont la surface collante retient quelques grains qui atti-

rent les autres, grâce aux fils élastiques qui les retiennent tous.

Dans les conservatoires, on substitue à la tête du Sphinx une

pointe de crayon, (Fiw. 6) à laquelle les massues adhèrent tout

commeaux yeux de l'insecte, pour être portées verticalement d’a-

bord, horizontalement ensuite,sur les fleurs qu’on veut fertiliser.
Em.-B. GAUVREAU, curé de Beardsley, Minnesota.

CONGRÈS INTERNATIONAL DE BOTANIQUE

Nous avons reçu la « 5e Circulaire de la Commission perma-
nente des Congres internationaux de Botanique, concernant la
participation du Bureau permanent à la préparation du 2e Con-
grès international de Botanique à Vienne 1905. »

Avant et après le Congrès de Vienne, il y aura des excur-
sions botaniques dans plusieurs pays d Europe.

L'un des principaux sujets qui occuperont les congressistes,
ce sera l'établissement d'un Code ou d’un projet de Code de
nomenclature botanique.

Le Secrétaire général du Congrès est le Dr A. Zahlbruckner,
Custos, à Vienne (Autriche), Gi Burgring 7. C'est à cette
adresse que l’on doit envoyer toute demande de renseignement.

DANS LA PRESSE

L'Ensergnement primaire a publié, en sa livraison du mois
de février, un bon portrait de l’abbé Provancher.

Nous remercions cette revue et plusieurs autres revues et
journaux de la Province qui, de temps à autre, disent un bon
mot en faveur du Mo uliste ou reproduisent le sommaire de
ses livraisons.

AMERICAN ENTOMOLOGICAL CO.

1040 DeKalb Ave., Brooklyn, N. Y.

Prix-Liste N°5 —_ Supplément au N°4

Aussi Catalogue allustré de fournitures entomologiques,
publié le ler janvier 1904: expédiés pour 5 cts, à retenir sur
le premier achat.

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sectes.

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Nouveau s. — Prix modérés. — Articles soignés.

Geo. Franck, Manager.

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Avril 1904

VOL. XXXI V OL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 4

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A., Huard

LE TOOUTOOU

Le musée ethaographique de l’Université vient de s'enrichir
d’un échantillon très intéressant. C’est un Tooutoou, venant
des montagnes de l’'Ouni-Ouni, Nouvelle-Guinée.

Le Révérend Père G. Colté, M. S.-C., qui a bien voulu en
faire présent, dit que le Tooutoou est un ornement que les
aborigènes introduisent dans la cloison médiane du nez, percée
à cet effet. Il remplace, chez ces intéressants indigènes, les
pendeloques que d’autres peuplades, civilisées ou non, s’accro-
chent aux lobes des oreilles.

Celui dont il est ici question est de grand style et très rare.
Il provient probablement d’un fils de famille. C’est un cylin-
dre blanc, d’albâtre, aminci aux deux bouts et superbement
poli. Long de plus de huit pouces, il a deux lignes de diamètre
et pèse plus d’une once. Les Güuinéens qui n’ont pas les moyens
de se procurer ces pièces de grand luxe et, par suite, dispendi-
euses, les remplacent par de simples dents de cochon, ou par
une aiguille taillée à même la carapace d'un coquillage.

Ce bijou, à cause de son poids et de ses dimensions, est peut-
être plus embarrassant que nos boucles d'oreilles ; mais, à coup

4 —Avril 1904.

38 LE NATURALISTE CANADIEN

sûr, il est bien plus voyant. Qui sait sil ne remplacera pas
un jour ces inêmes boncles d'oreilles qui semblent en train de
disparaître ? C’e-t une affaire de mode, et, quand il s'agit de
mode, il ne faut jurer de rien.

Le Tooutoou est la pièce la plus précieuse de la parure d'un
Canaque, jeune homme ou jeune title A cela rien de surpre-
nant, puisque le reste du costume se limite à une poignée d'herbe,
ou de mousse, quand on y pense.

GE

POISSON-CASTOR
(Amia ocellicaudata, Lacép. )

Au mois de juin dernier (1903), j'étais en excursion à la tête
du lae des Deux-Montagnes. En approchant d’un rivage sablon-
neux, dans une baie aux eaux tranquilles et peu profondes
j'aperçus comme un bouillonnement à la surface de l’eau.—J’a-
vance et je vois une masse de petits poissons tellement serrés
les uns contre les autres que ceux qui se trouvaient sur cette
masse étaient poussés hors de l’eau, et c’est l’effort qu'ils faisaient
pour s’y replonger qui produisait ce mouvement et ce bruit qui,
à quelque distance, ressemblait à un bouillonnenent. Il y avait
certainement plusieurs milliers de petit poissons dans cet amas.

J'étais à les examiner lorsque je vis avec stupéfaction un
grand poisson de 18 à 20 pouces sortir tranquillement du milieu
des petits. Au premier mouvement que Je fis, un violent coup
de queue le lança au large ; il disparut. Les petits restèrent là,
toujours pelotonnés et formant une syhère compacte de 214 à à
piedsde diamètre. Ils se tenaient si pressés que j'en prisune ving-
taine d’un coup avec un gobelet. Ils avaient environ 112 pouce
de longueur, noïrâtres, tête grosse portant deux petits barbillons
au boutdu museau. Leur apparence générale me fit croire tout.
d’abord que c'était de petites Barbues. Mais quand j'en eus mis
quelques-uns dans un aquarium et que je pus les examiner faci-

4 Li fl lé

QUESTIONS SUR L’HISTOIRE NATURELLE DU CARIBOU 39

lement, je fus bientôt convaincu qu’ils n'avaient rien de com-
mun avec les Burbues ni autres poissons de ce genre. En effet,
ils sont couverts de petites écailles, sont de couleur grise avec
nombreuses marbrures noirâtres, ils ont une tache ronde noire
à la base de la queue d’où leur nom spécifique d’ocellicaudata ;
une nageoire dorsale occupe les 74 de leur longueur et se ter-
mine tout près de la caudale. Les petits spécimens portaient
deux lignes noires dans toute l'étendue de cette dorsale. Cette
dernière est toujours agitée de mouvements onduleux allant
tantôt de l'avant en arrière, tantôt en sens contraire, suivant que
l'animal veut avancer ou reculer.

J'ai conservé deux de ces poissons. Ils ont aujourd’hui 6 à 7
pouces de long. Je les nourris de viande crue. Ils sont très vo-
races. Leurs yeux sont petits et leur vue paraît très défectueuse.
Quand je leur jette à manger, ils sentent plutôt qu’ils ne voient
leur nourriture : ils se précipitent dessus à tout hasard, tombant
souvent à côté. Ce défaut peut, peut-être, expliquer qu'on ne
prend presque jamais ces poissons à la ligne, malgré leur
voracité.

L'abbé Provancher a décrit ce poisson dans le vol. VI, p.
104, du N. C.

Le fait de trouver ces petits poissons groupés autour d’un
gros, leur mère apparemment, ne contredit-il pas la croyance
que les poissons ne s'occupent pas du tout de leur progéniture ?2

J.-E. DESROCHERS, C. S.-V.

QUESTIONS SUR L'HISTOIRE NATURELLE
DU CARIBOU

Au commencement du mois dernier, nous recevions la lettre

suivante d’un élève du séminaire de Sherbrooke :
. . ER Qi ?

«Il y à quelques jours une question d'histoire naturelle s’est
soulevée parmi nous, et nous n'avons pas pu trouver dans le
Naturaliste une solution visant directement notre cas. Il s’a-
gisssait de savoir si les Caribous perdent leurs bois chaque an-
née : je m'en suis assuré ; mais les perdent-ils avant le mois de

40 LE NATURALISTE CANADIEN

mars, et à quelle époque ces nouveaux bois atteignent-ils
toute leur force ?

«Nous ne sommes pas certains non plus si les femelles sont
pourvues de cornes (ou bois); à en juger d’après les Rennes qui
sont de la même famille, nous pensons que oui; mais nous
n'avons rien trouvé de bien positif. |

«En parlant du Caribou, le Naturaliste s'occupe plutôt de la
difficulté de la chasse de cet animal et de ses mœurs.

« En espérant, monsieur l'abbé, que vous prendrezen bonne
part nos questions d’écoliers désireux de s’instruire, j'ai l’hon-
neur de me dire

Votre tout dévoué
J.-G.-H.
élève de Rhétorique. »

Nous avons lu cette lettre avec grand plaisir, et nous avons
une égale satisfaction à la reproduire ici, parce qu’elle démon-
tre l'intérêt très vif que prennent ces étudiants de Sherbrooke
aux faits de l’histoire naturelle. Du reste, pour ne pas être
surpris de les voir discuter entre eux de ces sujets scientifiques,
il suffit de savoir que le séminaire de Sherbrooke compte au
nombre de ses professeurs, depuis nombre d'années, un fervent
naturaliste, M. l'abbé Bégin, un ancien collaborateur de notre
publication.

Comme nous ne voulions pas différer de satisfaire la si loua-
ble curiosité de ces jeunes gens, nous n’avons pas attendu de
pouvoir répondre ici-même aux questions qui nous étaient
posées. |

Nous avons donc répondu à notre jeune correspondant que,
s'il n’y a pas de date absolument fixe pour la croissance ou la
chute du panache des Caribous, on peut dire au moins que ce
bois tombe généralement en janvier, repousse vers le mois
d'avril et atteint son développement vers le mois de septembre.
Nous ajoutions que, chez les Rennes, et par conséquent
chez notre Caribou qui est une espèce de Renne, le mâ-
le et la femelle ont également le chef pourvu de ce lourd
ornement du panache. Dans tous les autres genres de la famil-
le des Cervidés, le mâle seulement porte le panache.

Il nous à paru bon de donner ici la substance de notre

LE TÊTE EN BAS al

réponse, en faveur de ceux de nos lecteurs qui n'ont pas eu
encore l’occasion de voir traiter ces détails de l'histoire natu-
relle du Caribou.

Nous sommes toujours heureux de répondre autant que pos-
sible à toutes les questions d'histoire naturelle qui nous sont
posées. Assurémneént, notre science personnelle est courte, et il
nous semble en voir rétrécir encore les limites à mesure que s’ac-
croît le champ de nos études ; mais grâce aux ouvrages auxquels
nous avons accès où que nous possédons, grâce surtout aux re-
lations que nous avons avec les spécialistes d'Europe et d’Amé-
rique, il nous est toujours assez facile d'obtenir la solution des
cas embarrassants.

LA TÊTE EN BAS

Une fois, c'était un ... Alliwm Neupolitanum

Interrompons tout de suite le conte, pour dire aux gens qui
par hasard l’ignoreraient que l’Allium Neapolitanum est l'un
de ces bulbes d'ornement faciles à forcer et qui volontiers fleu-
rissent, dans les mois d'hiver, sur les fenêtres de nos maisons.
Le bulbe est petit, son diamètre n’atteint pas le demi-pouce ;
il produit au bout d’une hampe assez longue de jolies fleurs
blanches, en ombelle simple, d'un etfet très gracieux lorsque
l'on groupe ensemble un certain nombre de ces plantes.

Plusieurs espèces du genre Allium, qui appartient à la famil-
le des Liliacées, jouent un rôle considérable dans l’art culinaire.
Il suffit, pour le démontrer, de nommer la Ciboulette, l'Echalotte,
l'Oignon, l'Ail et le Poireau. L'espèce Neapolitanum vient heu-
reusement mettre ni, peu de grâce et de poésie dans ce groupe
utilitaire et plutôt vulgaire.

Lorsque les 4{lium Neupolitanum quenous avions plantés,en
assez grandnombre, commencèrent au mois de novembre dernier
à pousser leurs feuilles, nous aperçûmes/que l’un des petits bul-
bes, au lieu de faire comme les autres, se soulevait de terre peu à
peu, et finit par s'élever jusqu’à un pouce et demi au-dessus du

42 LE NATURALISLE CANADIEN

sol ! — Le mystère n'était pas difficile à comprendre. Ces petits
bulbes sont à peu près semblables en dessus et en dessous, et ce-
lui-là s'était trouvé mis en terre la tête en bas. Les feuilles, crois-
sant avec beaucoup plus de vigueur et d’ampleur que les raci-
nes, mais ne pouvant s’enfoncer teaucoup dans le sol, forçaient
le bulbe à sortir de terre et à s'élever. Une seule racine le rat-
tachait à la terre ; mais elle offrit à la fin assez de résistance pour
faire contrepoids à la poussée des feuilles. Celles-ci continuèrent
donc à s’enfoncer dans le sol.

Bien entendu, nous nous gardâmes d'intervenir en quoi que
ce fût, curieux de voir comment le phénomène se terminerait.

Il'arriva tout simplement que le faisceau de feuilles se recour-
ba dans le sol et finit par sortir de terre. Toutefois la plante,
qui ne recevait de sucs nourriciers que par une seule racine,
n'eut pas la vigueur nécessaire pour produire des feuilles lon-
gues de plus que cinq ou six pouces, alors que dans les condi-
tions ordinaires les feuilles de l'Alium Neapolitanum attei-
gnent douze ou quinze pouces. Encore moins la plante eut-
elle la force de fleurir : ce qui n’a rien d'étonnant.

A la fin, c’est-à-dire au bout d’une couple de mois, les feuil-
les se flétrirent, et Ja plante mourut. L'examen post mortem
révéla que la partie du faisceau foliacé qui était enfouie dans
le sol avait pourri dans ce milieu si défavorable.

Telles furent les péripéties et l'issue d’une expérience qui
s'est faite toute seule.

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE
DU SAGUENAY

(Continué de la page 19.)
LES RIVIÈRES DU LAC SAINT-JEAN — LEUR FORMATION
CHAMOUCHOUAN. MISTASSINI ET TICOUABÉE
Voilà donc deux rivières qui font exception à la règle généra-
le: toutes deux d’une longueur de plus de deux cents milles
chacune ; coulant à une distance l’une de l’autre de quinze milles

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY

en moyenne sur plus de trente milles de leur cours; et qui,
tout le temps, ne reçoivent pas une seule goutte d’eau, pour ain-
ei dire, des deux cent cinquante mille acres de terre en super-
fieie qu’elles longent en les renfermant du nord au sud dans
cet espace restreint qu'elles limitent.

Tandis qu'entre ces deux puissants cours d’eau, et à égale
distance de l’un comme de l’autre, une autre rivière, toute pe-
tite — un ruisseau comparativement —,se trouve à posséder
toute cette fertile vallée avec ses cent milliers d’acres, qui ne
lui coûte ni labeur ni sueur, etoù elle s’en va en serpentant
capricieusement comme une enfant gâtée qu’elle est, sans sou-
ei et sans bruit, jusqu'au bord du lac, où elle dépose ses rési-
dus.

Il faut dire que c'est grâce à de puissants auxiliaires si la
révolution qui a bouleversé le pays, dans ce temps-là, a été tou-
te au profit de l’humble petite. Plus que cela: si le cataclysme
n'avait ouvert l’abîme sous les méandres mêmes de son lit, elle
n'existerait pas sur la carte du Lac Saint-Jean; ni ses bran-
ches pur centaine, ni ses sources d’eau vive ne fertiliseraient les
deux larges plates-bandes dont les cantons Parent, Normandin,
Albanel et Girard se partagent avec orgueil les riches conces-
sions à l'heure qu'il est. Nos deux rivières, Chamouchouan et
Mistassini, en auraient hérité chacune pour une moitié, moins
les riches allaviums qui les fertilisent : car, à cette époque-là, ils
se seraient couverts de sable amoncelé en dunes par le vent, com-
me on en voit dans la Petite-Afrique et ailleurs ; dunes dont
nous avons ci-devant décrit l'origine et qui, il est vrai,
n'ont pas fort d’attrait pour les colons de bonne foi, mais qui
sont, tout de même, le rendez-vous de nombreuses et joyeuses
compagnies durant la belle saison, quand les bluets sont bleus.

Les rivières Wassiamiska et Micouachache, ces auxiliaires
dont nous avons parlé, la première surtout, qui représente la
fameuse fissure prolongée vers le nord-ouest, nivelèrent, par
leur travail réuni et leurs efforts persévérants, les parois de
l’abîme qui s’ouvraient devant elleset leur traçaient le chemin.

Une fois le fait accompli et l'ouvrage parfait, elles ne jouirent

44 LE NATURALISTE CANADIEN

pas longtemps des fruits de leur réunion. Leur voisine et
rivale en même temps, l’impétueuse Mistassini, émue jus-
qu'au plus profond de ses abîmes des prodiges que faisait
dans son voisinage le génie des deux associées pour leurs
avantages réciproques, prodiges faits à ses dépens et con-
tre ses plus chers intérêts, pourse venger d’une telle spolia-
tion en se voyant frustrée pour jamais d’un patrimoine qui lui
revenait de plein droit, pria les dieux de châtier les cou-
pables.
*
* *

Pendant ce temps-là, un pan de rocher jeté au hasard au
début de la catastrophe, ou renversé par le choc des éléments
qui n'enduraient plus d’entraves, se trouvait à former un point
faible de la rive est de Wassiamiska, dans un détour où le:
courant de la rivière, qui commençait sa carrière, ne se lassait
de frapper fort et de ruiner lentement mais sûrement la base,
et puis, aidé, à la saison froide, de la vertu des gelées et des
glaces qui jouaient leur rôle activement comme jamais, ce pan:
de rocher, qui fermait l'entrée d’un ravin dissimulé là, frappé,
miné sans répit, se désagrégea petit à petit, et si bien qu'au
jour marqué par les décrets,il céda... vaincu... anéanti...

* :
* *

Nous n'entreprendrons pas de décrire le tintamarre épouvan-
table qui éclata cette fois-là sur les rives de Mistassini, au mo-
ment où les eaux fourvoyées, éperdues, de cette malheureuse
Wassiamiska et de son tributaire, charriant à pleins bords la
boue et les cailloux qu’elles enlevaient à leur nouveau lit, dé-
bouchèrent, méconnaissables, sur les limites de cette vallée
éventrée, qui ne ressemblait en rien à la belle Ticouabée, dont,
elles se sentaient, hélas ! pour jamais séparées !

Les échos, éveillés tout à coup de toutes les hauteurs de cette
révion assaillie, se répercutèrent à l'infini eu éclats de tonnerre
de plus en plus forts. C’est alors que la Mistassini, arrivée à
l'apogée de sa délirante équipée, se plongeait avec frénésie-
dans ce gâchis sans nom, mêlant sans remords et comme à plai-
sir ses eaux limpides et pures à ces vases dédordantes que le

UELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY 45

torrent affolé lui lançait à la face. Elle contemplait avec une
joie féroce ces flots impurs qui la maculaient sans merci, sa-
chant bien qu'à son tour elle les dompterait à sa fantaisie et les
purgerait pour toujours de toutes leurs souillures.

' * d *

Cette tranchée profonde que les torrents déchaînés ouvrirent
ainsi en détournant les eaux de Wassiamiska de la vallée de
Ticouabée pour atteindre Mistassini, a une longueur de seize
milles ; le courant y est très fort :’ce qui oblige le touriste et l’a-
mateur de pêche à passer par Pemonka et son portage, au lieu
de le remonter pour atteindre le lac James, où la Ouananiche
abonde. Mais au retour, il éprouve bien toutes les émotions
possibles en sautant, en léger canot, ces seize milles de casca-
des et rapides qu'il n’a pas osé affronter en remontant, et qui
lui font oublier les fatioues du long trajet entrepris dans ce
but.

*
* *

Tout ce remue-ménage a eu l'effet, en premier lieu, de nive-
ler complètement le chaos créé dans cette partie de la vallée du
lac Saint-Jean par la fissure du Saguenay, en faisant remplir
le vide qui existait par lintioduction des eaux débordant de
l'intérieur, chaos qui s’'étendait jusqu’au faîte des hauteurs lau-
rentiennes.

C’est grâce au travail fait par les eaux réunies des deux ri-
vières qui s'étaient formées spontanément dans cette grande
plaine humide et qui s’en sont séparées par accident, si nous de-
vons d'admirer aujourd'hui la florissante vallée de Ticouabée
avec tout ce qu'elle contient de beau et de bon, laquelle n'aurait
Jamais existé sans ce jeu puissant de la nature qui fait et défait
en grand quand Dieu le veut.

En secondilieu.il a eu aussi l’effet de démontrer encore une fois
la vérité vraie de notre théorie, en prouvant que, sans le cata-
ciysme, jamais les rivières Chamouchouan et Mistassini n’au-
raient permis à la petite rivière Ticouabée d’usurper ainsi la
meilleure partie de leurs territoires, en se faufilant, clandesti-
nement, entre les deux comme elle a fait pendant dix grandes

46 LE NATURALISTE CANADIEN

lieues, pour arriver, après tout cela, à deux cents pieds au-des-
sous de leurs lits à cette distance.

Voilà quelque chose dé bien extraordinaire et qui, peut-être,
ne se rencontre pas ailleurs que dans la vallée du lac Saiut-
Jean. (À suivre.)

P.-H. Dumaïs.

UNE CORRECTION

Dans notre livraison du mois de février, au cours du travail
de M. Dumais sur la géologie du Saguenay, se trouve (page 17}
un Plan de la vallée de la rivière Ticouabée, entre les rivières
Chamouchouan et Mistassini.

Pour faire entrer ce plan dans les limites du texte de
nos pages, NOUS avons dû faire réduire ses dimensions par le
photograveur. Seulement, nous avons omis de modifier aussi
l'indication de l'échelle, qui ne se trouve plus exacte. M. Dumais
nous en à fait la remarque, tout à fait justifiée, et nous nous
empressons d'en informer le lecteur.

Cette échelle était bien de 6 milles au pouce sur l'original ;
mais elle n’est plus que de 10 milles au pouce sur la copie. On
voudra donc bien faire à la plume la correction nécessaire, sur
la gravure de la page 17, pour éviter à la postérité de se faire
une fausse idée des distances en cette intéressante région arro-
sée par la Ticouabée.

UN ENNEMI DU PALMA-CHRISTI

Le Ricin ou Palma-Christi, Ricinus communis, Lin. si bien
connu de tout le monde, et dont là graine fournit l'huile de
ricin ou l'huile de castor, est, comme l’on sait, originaire des ré-
gions intertropicales de l'Afrique. Il semble avoir été Jusqu'ici
à l'abri des attaques de la gent articulée, et ses feuilles super-
bes se conservaient intactes durant toute la belle saison.

in dés

[ME ©. æ.C'x À

PUBLICATIONS RI QUES 47

Or, voici qu'il existe une espèce de papillon nocturne dont
la chenille se nourrit volontiers et impunément des feuilles de
cette plante.

Au commencement d'octobre dernier, des dégâts très appré-
ciables causés aux feuilles inférieures detrois gigantesques Pal-
ma-Christi, attirèrent mon attention sur de petites chenilles
villeuses qui grossissaient à vue d'œil, grâce à un appétit de...
chenille. Elles s’allongèrent tant et si vite, que le 15 du même
mois, jugeant le moment venu d'exécuter mon: dessein, j'en re-
cueillis une poignée que j'enfermai dans une boîte eontenant
de la terre humide. Elles ne tardèrent pas à se métamorphoser
en nymphes noires et lisses, enveloppées, pour la plupart, d’une
sorte de grossier cocon fabriqué avec les poils dont la chenille
était couverte.

Après un sommeil de plusieurs semaines, le 16 décembre 1903
le premier papillon sortait de son «tombeau.» Un deuxième
spécimen à éclos le 11 janvier 1904; et, au moment où j'écris
ces lignes, 22 janvier, trois autres petits anges, comme on
les nomme vulgairement, voltigent œaiement dans leur prison.

Les savants nous apprennent que c’est le Spilosoma virgi-
nica, Fabr., bestiole très commune, mais aussi très jolie, aux
ailes d’un blanc immaculé, à l'exception des postérieures qui
sont ornées de quelques petits points bruns. L'abdomen, égale-
ment blanc, est marqué de trois rangées longitudinales de ta-
ches plus grandes et plus foncées.

Le Spilosoma virginica va-t-il devenir ricinivore pour de
bon ? L'avenir nous le dira.

Voilà encore un pauvre petit insecte dans de mauvais draps !
Il sera bientôt l’exécration de tous les fleuristes s’il ne s’amen-
de pas. J0s.-C. OUELLET, C. S.-V.

PUBLICATIONS REÇUES

— Insects afiecting forest trees, by E. P.Feit. Albany, 1908.
Brochure in-4”.

Ce travail de l’entomologiste d'Etat de New-York donne l'his-
toire naturelle des insectes de tous les ordres qui s’attaquent

48 LE NATURALISTE CANADIEN

aux arbres de nos forêts. Un grand nombre de gravures en
noir et plusieurs planches coloriées, d'une merveilleuse exécu-
tion, ajoutent un grand prix à cette publication.

— Nous avons reçu, avec reconnaissance, de la Faculté des
Sciences (Section de Botanique) de Bordeaux, un exemplaire de
la Notice sur la vie et les travaux de A. Millardet (1838-1902),
par U. Gayon et C. Sauvageau. Bordeaux, 1903. C'est une
belle brochure de 43 pages in-8°, avec portrait. Célèbre pro-
fesseur de botanique, M. Millardet s’est principalement occupé
des applications de la botanique, et ses travaux ont rendu de
grands services, surtout à la viticulture de France.

— La Revue du Tiers-Ordre et de la Terre-Sainte, de Mont-
réal, qui gâte non seulement ses abonnés, mais aussi ses « échan-
ges, » nous envoie la Prime qu'elle offre cette année: Sannte
Claire d'Assise, par Mgr Ricard, 2° édition illustrée de 1903.
Nos remerciements.

— Bibliographie scientifique.—Vient de paraître à la Hbraï-
rie J.-B. Baillière et Fils, 19, rue Hautefeuille, à Paris, un
Cataloque général des livres de sciences, comprenant l’annon-
ce détaillée par ordre alphabétique des noms d'auteurs d’envi-
ron cinq mille ouvrages de médecine, histoire naturelle, agri-
culture, art vétérinaire, physique, chimie, technologie, indus-
trie, avec la date de publication, le format, le nombre de pages,
de figures et de planches. Une table méthodique de 17 pages
donne en outre l'indication des principaux auteurs qui ont
écrit sur plus de 1500 sujets se rapportant aux sciences.

— La Dévotion à saint Antoine de Padoue, par l’abbé E.
DeLamarre. Chicoutimi, 1903. (En vente chez les principaux
libraires: 35 cts l’ex. ; $ 3.75 la doz.)

Edition nouvelle, de près de 300 pages, revue et augmentée.

AMERICAN ENTOMOLOGICAL CO.
1040 DeKalb Ave., Brooklyn, N. Y.

Prix-Liste N°5 — Supplément au N° 4:

Aussi Catalogue illustré de fournitures entomologique.
publié le ler janvier 1904: expédiés pour 5 cts, à retenir sur
le premier achat.

Constructeurs de meubles et de tiroirs pour collections d’in-
sectes.

Fabricants des véritables Boîtes Schmitt à insectes.

Nouveautés. — Prix modérés. — Articles soignés.

Geo. Franck, Manager.

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, {Dai 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 5

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

CYPRIPÈDE ET BOMBUS

Qui ne connaît le Sabot de Vénus (Cypripède acaule) ? —
La lèvre de tous les Cypripèdes a l’apparence d’un sac gonflé,
fissuré sur la surface extérieure. Le Sabot possèiie deux anthe-
res et le pollen s’y rencontre en masse cireuse.

C’est le jouet des enfants; et si vous vous souvenez bien,
vous avez dû remarquer que
parfois les souliers de la grande
dées-e étaient outrageusement
percés, déchirés. Des insectes.
sans doute, étaient les coupables

Un botaniste américain qui
voulait savoir la cause de ce bri-
gandauwe se mit à surveiller,
à pendant plusieurs semaines, des
Cypripèdes qui croissaient dans
son jardin; mais les brigands ai-
lés ne vinrent jamais satisfaire
sa curiosité.

A afin, n'y tenant plus, il

5 — Mai 1904.

50 LE NATURALISTE CANADIEN

aima mieux sacrifier l’idylle poétique et employer une méthode
plus prosaïque.

Voici notre ami à sa table de travail: une gerbe de Cypri-
pèdes en face de lui, un Bourdon habilement capturé vont faire
tous les frais de
la démonstration
qu'il attendait en
vain d'un Bombus
de bonne volon-

té.

Voyez le dia-
gramme. Tenant
délicatement le
Bourdon par les
ailes, le natura-
liste l’in troduisit
dans un Sabot de
Vénus par la fis-
sure de la lèvre (A), prison lumineuse qu'il accepta tout
en bourdon-
nant quelque
peu (B); mais
il se tut bien.
tôt, car il avait
trouvé le bol au
punch, le nec-
tar sécrété à la
partie supéri-
eure de la fleur Z°
(C). Repu mais

non assouvi, il

lui passe en té-
te de sortir, ce
qui n'est pas
chose facile :

_mtoddit hits »

CYPRIPÈDE ET BOMBUS 41

Dans cet antre je vois fort bien comme l’on entre,

Et ne vois pas comme l'on en sort.

Ces fissures, ce sont de véritables soupapes. Passe pour en-
trer... mais pour en sortir...D'ailleurs quelqu'un garde les
portes. Il y a bien une lucarne là-haut, près de la colonne :
mais le passage qui y conduit va en se rapetissant de plus en
plus et il faudra se faire bien petit pour y atteindre.

PLAIT.

A

dur don © 6.

Fig. 10.

Décidé, il s'engage dans ce couloir, repliant ses ailes et s’ai-
dant de toutes ses pattes; mais quelle drôle de maison que ce
Sabot! Au moment où la tête du prisonnier émerge enfin dans
la lucarne, un sac de farine lui arrive sur la tête et le dos — il

L

en est tout couvert (D).

Sitôt sorti, sitôt saisi ; et ce petit bloc enfariné fut de nouveau
glissé dans un autre Sabot, où, par reconnaissance pour le sa-
vant, il aurait dû voler de son plein gré. Avec l'expérience
acquise, cette fois il se dirige tout de suite vers l'ouverture d’où
lui vient un rayon de lumière. Pendant qu’il passe sous le stig-
mate, les papilles pointues de ce dernier raclent une partie de
la précieuse poussière fécondante dont son dos est couvert. En
retour de sa courtoisie, une autre avalanche de farine l'attend
à la sortie, en guise d'œuf viedersein (au revoir). Je doute
si de toute sa vie il pourra brosser les traces d’une réception
aussi démonstrative !

Il y aurait un chapitre de faits nouveaux, d'observations

52 LE NATURALISTE CANADIEN

inédites, de descriptions rares pour chaque Orchidée, si la vie
était assez longue pour étudier, observer ces fleurs une à une.

Toutes leurs formes, les plis des pétales, leurs positions, leurs
couleurs, leurs parfums, la longueur, la profondeur du nectaire,
les positions relatives du pollen et du stigmate : tout comporte
une expression sincère de bienvenue à l’insecte dont la vie est
si merveilleusement attachée à leur existence. Parfois cette
affinité est constante pour une espèce d’insecte devenant le
coopérateur indispensable d’une plante qui, faute de ce con-
cours, serait condamnée à s’éteindre.

Tel est le cas du grand Angrec de Madagascar. Quand pa-
rut la Fertilisation des Orchidées, de Darwin, les naturalis-
tes, en général, n’acceptèrent pas toutes les théories de l’auteur.
Un défi partit de l’île même du grand Angrec: « Monsieur,
disait la lettre, selon votre théorie de la sélection naturelle, les
Orchidées sont en raison directe des insectes qui les fertilisent.
Soit. Si donc une Orchidée qui possède un nectaire d’un pouce
de long suppose un insecte ayant une trompe d’un pouce de
long, que dites-vous d’une Orchidée qui croît ici au Mada-
gascar, et dont le nectaire, aussi fin qu’une broche à tricot, a
une longueur de onze pouces ? »

L'auteur du transformisme avait la tête turque et la foi
ferme. Il répondit très simplement: « L'existence d’une Orchi-
dée possédant un nectaire très ténu, d’une longueur de onze
pouces, au fond duquel se sécrète le nectar, est une preuve
manifeste qu’il ‘existe un insecte ayant une trompe de onze
pouces, méme si pareil insecte n'était pas connu.»

Pour une réponse en apparence aussi ridicule, Darwin passa
pour un idiot, les journaux de cette époque’enfont foi; mais
le temps, qui répare tout, donna raison au”bonhomme. Des na-
turalistes explorant, quelques années après cet incident, les
forêts du Madagascar capturèrent parmi les fleurs du grand
Angrec un énorme Sphinx dont la trompe mesurait exactement
onze pouces.

A la vue des fleurs Rs plus belles,

À qui pensez-vous ?

L'ABBÉ PROVANCHER 53

Quand Dieu fit toutes ces merveilles,
Il pensait à nous. |
En.-B. GAUVREAU, ptre.
Beardsley, Minnesota.

L'ABBÉ PROVARCHER

(Continué de la page 22.)

Le Naturaliste canadien était une œuvre intéressante,
utile, et même quasi nécessaire, et il faut louer l'abbé Provan-
cher de l'avoir entreprise. Toutefois, il apparaissait mainte-
nant quilallait être difficile, presque impossible, de la main-
tenir à flot. Eh bien, tout ce qu’il y avait à conclure de la
situation périlleuse, c’est qu'il fallait réduire les dépenses au
minimum, et ensuite appeler au secours. L'abbé Provancher
ne manqua pas de recourir à cette extrémité; il n’attendit
même pas, pour le faire, que les choses fussent au plus mal.
Car, dès le deuxième mois d'existence de sa revue, il s'adreasait
au gouvernement provincial pour obtenir de l’aide en faveur
du Vaturaliste canadien.

Il est très vrai que, en thèse générale, la publication les
journaux et revues est l'affaire des particuliers, et que l'Etat
n’a pas à s’en occuper. Mais il faut reconnaître aussi qu'il peut
y avoir des journaux et des revues qui soient d'utilité vrai-
ment publique, et qui d'autre part, par leur caractère même,
ne peuvent recruter qu'une clientèle restreinte, insuffisante
pour assurer leur existence. C’est le cas de ces publications
dont l'existence est nécessaire, mais dont le caractère plus
ou moins technique est plutôt propre à éloigner les sous-
cripteurs qui leur fourniraient les ressources suffisantes. On
peut dire qu'alors on a parfaitement raison de s'adresser à
l'Etat, et de lui demander, pour raison d'utilité générale, de
contribuer financièrement au soutien de ces œuvres d'inté-
rêt public. Aujourd’hui, par exemple, il n’est personne qui

54 LE NATURALISTE CANADIEN

trouve étrange de voir le gouvernement provincial soute-
nir de ses deniers des publications comme le Journal d’Agri-
culture et l'Enseignement primaire.

Mais je ne sais si, en 1869, les idées étaient bien fixées en ce
sens. En tout cas, c'était probablement la première fois qu'un
particulier demandait au gouvernement de Québec d'aider une
publication quelconque, et l’on dut trouver assez audacieuse la
tentative de l’abbé Provancher. Pourtant, l’entreprise du Na-
turaliste canadien n’est pas, en son genre, moins importante
que celle des publications dont l’on vient de lire le nom. Il
était nécessaire, voilà un tiers de siècle, comme il l’est encore
aujourd'hui, qu'il y eût chez les Canadiens-Français au moins
une revue scientifique pour promouvoir ici le développement
de lu science ; et l'initiative des particuliers étant insuffisante
à maintenir cette œuvre, il est très permis de penser que l’E-
tat avait l'obligation d'y pourvoir. Il y a même des gens qui
seront d'avis que les pouvoirs publics auraient le même devoir
à l'égard d’une revue littéraire canadienne-française, sil était
établi qu'une publication de ce genre ne pourrait pas se soute-
nir toute seule.

Voyons maintenant comment l'abbé Pr ane s'y prit
pour faire aboutir sa demande d’une subvention du gouverne-
ment en faveur du Naturaliste canadien. Car c'est presque
toujours une grosse affaire, en tous les, pays de l’univers et à
toutes les époques, que de faire mouvoir dans le sens que l’on
désire l'énorme machine gouvernementale.

En homme entendu dans la procédure politique, l'abbé Pro-
vancher confia au député de son comté l’entreprise d'obtenir en
faveur du Naturaliste canadien une subvention du gouverne-
ment, et ce fut dès le mois de janvier 1869, c’est-à-dire lorsque
la deuxième livraison de la revue venait à peine de paraître ou
était du moins sur le point d'être publiée. Le moment était
d’ailleurs bien choisi, puisque le parlement de Québec était en
pleine session, et qu’à la tête du gouvernement se trouvait M.
Chauveau, l’un des « D ctndlss » les plus sec que nous
ayons jamais eus en ce pays.

nn.
|

L'ABBÉ PROVANCHER 55

Le député de Portneuf était alors le D° P. LaRue, qui fut
plus tard membre du Conseil législatif. Cet homme politique
mit uu véritable zèle au service du VNuturaliste, et je suis heu-
reux d’avoir ici l’occasion d’en faire honneur à sa mémoire.

On sera peut-être curieux de savoir de quelle façon il fallut s'y
prendre, en 1869, pour amener le gouvernement provincialà prêé-
ter son concours à l’œuvre du Naturaliste canadien. Car, je le
répète, c'est toujours une entreprise absolument gigantesque que
de persuader à un gouvernement, en n'importe quelle contrée de
l'univers, de s'engager dans une voie nouvelle. Les personnages
qui le composent peuvent être — et ils le sont ordinairement —
très éclairés et très ouverts au progrès: cela n'empêche pas que
l'administration qu'ils composent, en sa qualité de groupement,
n'a plus les sentiments qui animent personnellement ses mem-
bres. Il y a l’éme d'un gouvernement, d’une association, d’une
foule; mais aucun de ces ensembles n’a de cœur. Cela explique
bien des choses, sur lesquelles je n'ai pas à appuyer ici. J’ajou-
terai seulement que les pouvoirs publics ont toujours peur de
créer des précédent: qui les engageraient pour l'avenir: tant
d'intérêts divers réclament à tout instant une part des revenus
nationaux, qui sont ordinairement plutôt restreints, qu'il est
nécessaire d’en établir la comparaison rigoureuse et de n’écou-
ter que le: plus importants, Rien ne serait plus curieux que la
situation où aboutirait un gouvernement qui se prêterait à
toutes les demandes qu’on lui ferait et dans la mesure où l'on
appellerait son concours. Il est certain que l'expérience ne
tarderait pas à être désastreuse pour les finances d’un pays.
Mais il n’est pas à craindre qu'il se trouve jamais, en aucun
pays, un gouvernement qui consente à faire complètement un
essai si hasardeux.

J'ai donc supposé que mon lecteur tient à connaître un peu
les détails de cet assaut qui se donna au trésor de la Province
en 1869, dans les intérêts du Naturuliste canadien, et qui
réussit en une certaine mesure.

Eu réponse à la demande que lui avait adressée M. Provan-
cher, M. LaRue, député de Portneuf, lui écrivit le 26 janvier

56 LE NATURALISTE CANADIEN

qu'il avait déjà approché à ce sujet le premier ministre.
M. Chauveau, pour s'entendre dire que le gouvernement n'ac-
corderait pas d'octroi spécial durant la présente session, parce
que le partage de la dette du Haut et du Bas-Canada n’était pas
encore réglé. Malgré cette fin de non recevoir, M. LaRue n'en
fit pas moins son plaidoyer en faveur du Naturaliste, et si
heureusement que M. Chauveau finit pas s'engager à soumettre
la question à ses collègues des leur prochaine réunion. Puis,
comme il a toujours été sage de profiter, pour battre le fer, du
moment où il est chaud, le député conseille au curé de Port-
neuf d'adresser immédiatement, aux trois branches de la Légis-
lature, une requête où il ferait valoir les motifs qui doivent
engager l'Etat à aider le Naturaliste canadien ; et, en même
temps, d'écrire privément au premier ministre, en faisant appel
à ses dispositions si favorables aux choses de l'esprit.

L'abbé Provancher mit tant d'expédition à faire ce qu’on lui
demandait, que deux jours après, le 28 janvier, le Dr LaRue
pouvait présenter sa requête à l’Assemblée législative. «Bien
que ce soit contre l'usage dans la présentation des Pétitions,
écrivait-il le lendemain, j'ai cru devoir, après avoir pris con-
seil, attirer l’attention de la Chambre et du gouvernement sur
le fait que le Naturaliste canadien est une spécialité, une pu-
blication unique dans son genre, et qu’à ce titre il mérite la
protection et l’encouragement de la Législature et de toute la
classe instruite... J'ai à peine besoin de vous dire que je sur-
veillerai l’action du gouvernement pas à pas, et que je ferai
tout ce qui sera possible dans l'intérêt du Maturuliste cana-
dien. »

Ce ne fut que plus d’un mois après que le gouvernement en
vint à une décision en cette matière. Mais dans l'intervalle
l'abbé Provancher avait cru devoir mettre à son arc une secon-
de corde, tant il redoutait de ne pouvoir atteindre le but qu'il
poursuivait.

Il eut donc l’idée de demander à l’Institut canadien de Qué-
bec de prendre le Naturaliste canadien sous son patronage ;
de la sorte, l’Institut s’unirait à lui pour presser le gouverne-

L'ABBÉ PROVANCHER 57

ment d'aider la publication du journal, et les chances de succès
seraient beaucoup plus grandes. Le plan était heureux, quoi-
que aujourd'hui il puisse nous paraître un peu étrange.

Le 8 février 1869, M. D.-J. Montambault, président de l’Ins-
titut canadien, écrit à l'abbé Provancher qu’il a soumis sa pro-
position au comité de régie, qui «consent volontiêrs à ce que
le Naturaliste canadien soit publié sous le patronage de l’Ins-
titut.» Mais comme on a déjà décidé de demander au gouver-
nement une subvention en faveur de l’association, on fera cet-
te démarche dans l'intérêt des deux institutions à la fois; et
si le succès répoud aux efforts, on se partagera la somme d’ar-
gent obtenue, dont le Natura liste aura les deux tiers, et l’Ins-
titut canadien l’autre tiers. Ces conditions étaient faciles à ac-
cepter.

C'est encore à M. LaRue, député de Portneuf, que fut con-
fié le soin de faire aboutir ces nouvelles négociations. Le 24
février, il écrit à l’abbé Provancher qu'il a présenté au gouver-
nement la requête de l’Institut canadien, et qu'il a eu un en-
tretien avec le premier ministre au sujet de cette question. Il
a trouvé M. Chauveau favorable à la demande, et même dis-
posé à plaider la cause devant le conseil des ministres. Toute-
fois il se défie des apparences, et il a peu d'espoir de voir tou-
tes ces démarches arriver au succès, au moins cette année-là.
En tout cas, il a vivement engagé le président et le secrétaire
de l’Institut à faire eux-mêmes des démarches auprès du
gouvernement.

Et quel fut le résultat de tous ces efforts? Ce fut une sub-
vention annuelle de $ 200, que le gouvernement — sous la pres-
sion, paraît-il, de quelques députés — décida d'accorder au Nu-
turaliste canadien, sans aucun partage avec l’Institut cana-
dien. Le gouvernement, en effet, s'était refusé, pour ne pas é-
tablir de précédents, à favoriser la combinaison que l’on avait
proposée dans le but d'être utile à la fois au journal et à l’as-
sociation. Telles étaient les nouvelles que le Dr LaRue put an-
noncer à l’abbé Provancher dans une lettre datée du 5 mars
1869.

58 LE NATURALISTE CANADIEN

Un secours annuel de $ 200, ce n’était pas de nature à faire
vivre le Naturaliste dans une ooulence extraordinaire. Mais,
étant donné le nombre de souscripteurs qu’il avait encore sur
ses listes, un tel secours était loin d’être uné quantité négli-
geable. Sans compter que se trouvait par là même posé le
principe de l’aide de l'Etat en faveur de cette œuvre scientifi-
que ; et ce fait était d'une grande importance. La brèche était
faite dans la muraille gouvernementale ; il n’y aurait plus
qu'à l’élargir. Ce fut bien aussi ce qui arriva. Car, au commen-
cement du volume V°, en janvier 1873, le directeur du Natu-
raliste canadien put annoncer à ses lecteurs que le gouverne-
ment avait doublé le montant de la subvention annuelle qu'il
donnait jusque-là à cette publication. Cette fois, c'était bien le
Pactole qui s'en venait arroser, et pour longtemps, le domaine
péniblement défriché. Il faut avouer aussi que, comme nous
le verrons plus tard, il arriva certaines années où le fleuve
aux ondes d’or cessa de couler dans la direction voulue; il
vint même un temps où sa source parut entièrement et lamen-

tablement tarie... VENTES
(À suivre.)

ECHANGE DEMANDÉ

La rédaction du Journa! d'Agriculture nous transmettait
dernièrement une communication d’un correspondant de Bel-
gique, qui désire obtenir, à titre d'échange, des graines de nos
différentes espèces de Carex (Laïiches). Dans le cas où quel-
qu'un de nos lecteurs voudrait entrer en relations, pour cet
objet, avec le correspondant en question, il devra écrire à
l'adresse suivante: Th. Gerurd, apothivaire-botaniste, Hasselt,
Limbourg, Belgique. :

BRYOLOGIE DU CANADA

Nous avons reçu une petite brochure intitulée Contributo
alla Flora briologica del Canadà, per L. Cufino. (Extrait du

PUBLICATIONS RECÇUES 59

Bullettino della Società botanica italiana, de Florence, 11 oc-
tobre 1903.)

C’est une liste de 33 espèces de Mousses, recueillies ‘dans la
Colombie-Anglaise, en 1902 et 1903, par M. Alb. Hill. De ces
33 espèces, une est nouvelle pour le Canada, l'Hylocomium cal-
vescens Wils.; et les cinq suivantes sont des additions à la flore
de la Colombie: Philonotis alpicola Jur, Mnium ciliare
Grev., Camptothecium Nuttallii Wils., Zsothecium spiculife-
rum Lesq. et James, £urhynchium subcwspitosum Kindb.

PUBLICATIONS REÇUES

— Proceedings of the Academy of Natural Sciences of Phi-
ladelphia. Vol. Lv, P. 3.

— Report of the Commissioner of Education for the year
1902. Vol. 11. Washington. 1903.

— Bulletin of the American Museum of Natural History.
Vol. xix. New York. 19083.

Volume de plus de 700 pages, contenant 31 mémoires sur
les diverses sciences.

— Memoirs of the American Museum of Natural History.
Vol. 1, P. 8. (Diapsida. Synapsida. Diaptosauria.)

— Proceedings of the Indiana Academy of Science. 1902.
Indianopolis. 1903.

— Prof, C. Abbott Davis, Notes on the Mollusca of the Ber-
muda Islands. (From «Nautilus». 1904.)

Idem, The Cicindelidæ of Rhode Island. (From « Entomo-
logical News», 1903.)

— Alfred W. G. Wilson (McGill University), The Lauren-
tian Peneplain. (From «Journal of Geology». 1903.)

Ce travail, illustré de belles photogravures, nous paraît d'un
grand intérêt pour la connaissance physique du Canada.

— James Fletcher, Descriptions of some New Species and
Varieties of Canadian Butterflies. 1903.

Il s'agit de 3 espèces et de 3 variétés de Lépidoptères,

60 LE NATURALISTE CANADIEN

nouvelles pour la faune du Canada, mais qui ne semblent pas
se trouver dans l'Est,

— À. H. MacKay. Botanical Bibliography of Canada. 1901
— Idem, 1902. — Report of the Botanical Club of Canada.

Additions intéressantes à la littérature botanique du Canada.

— J.-C. Chapais, Un Problème d'Economie sociale. L’En-

seignement agricole. Brochure, illustrée, de 32 p. in-8*.

Cette étude de M. Chapais, sur les moyens à prendre pour
retenir les jeunes gens dans la profession agricole, et pour orga-
niser le haut enseignement de l'agriculture, mérite de fixer
l'attention des gens sérieux.

— H. Skinner, Supplement to the Entomologists’ Directory,
Philadelphia. 1904.

— Le Field Columbian Museum, de Chicago, a distribué
dernièrement 2 fascicules de la Série anthropologique, 3 fase.
de la Série géologique, et 3 fasc. de la Série zoologique. Ce
sont des documents de haute valeur scientifique.

— Bibliography of Canadian Entomology for the year
1900 ; Idem for the year 1902. By Rev. C. J. S. Bethune, D.
C. L. Ottawa. 1901 & 1908.

Ces listes de publications canadiennes sur l’entomologie ont
été présentées par l’auteur à la Société royale du Canada, et
sont extraites des Comptes rendus de cette association. Nos
remerciements au Rév. M. Bethune pour les exemplaires reçus.

— À Summary of papers read at different times before the
Royal Society of Canada, the Canadian Association of Civil
Engineers and Architects, and Literary, and Scientific Societies,
or which have appeared occasionally in scientific and other
publications, by C. Baïllargé, M. A. C. E, F. KR. $.C. and
M. Can. A. C. E. being explanations of certain physical phe-
nomena of an apparently paradoxical nature, the solution of
mathematical, physical and engineering problems. Etc., Etc.
{See Table of contents.) Quebec. 1903.

Voilà un titre qui dit assez au lecteur quel est le contenu
de cette Lb ochure, de 74 pages in-8°, publiée il y a quelques
semaines pi M. le chevalier Baillairgé.

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Fuin 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LADEUXIÈME SÉRIE) No 6

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A, Huard

UTILITÉ DES OISEAUX INSECTIVORES

Nous venons de parcourir un bulletin publié par la section

d'Entomologie et d’'Ornithologie de l’université du Nébraska,

et qui contient, de la plume du Prof. L. Bruner, un éloquent
plaidoyer en faveur de la protection des oiseaux. Et nous vou-
lons profiter de l’occasion pour revenir sur ce sujet, et prouver
l'utilité des oiseaux insectivores par des chiffres extraits de
l'écrit de M. Bruner.

Avant tout, rappelons que l’on estime à 400 millions de pias-
tres le dommage causé annuellement à l’agriculture des Etats-
Unis et du Canada par les insectes nuisibles. Dans cette som-
me énorme, on ne fait pas entrer les pertes que’les prairies et
les forêts éprouvent aussi de la part des mêmes ennemis.

Il n’y à pas de doute que si les insectes ne rencontraient pas
d'obstacles dans leur façon de «struggleforlifer », il n’y aurait
bientôt plus de place que pour eux sur la terre, et nous pour-
rions nous en aller ailleurs. Mais le Créateur, dans son infinie
sagesse, à eu soin de disposer les choses, en ce domaine comme
dans les autres, pour que l'équilibre se maintienne dans l’uni-
vers. Ce sont les oiseaux qui, principalement, ont charge de
tenir le peuple des insectes dans de justes limites ; ils sont à

6 — Juin 1904.

62 LE NATURALISTE CANADIEN

coup sûr les meilleurs auxiliaires des agriculteurs, et ils remplis-
sent à l'égard des cultures un rôle indispensable de protection.
Malheureusement c’est nous qui dérangeons l’équilibre disposé-
par la Providence: l'enfant qui trouve un nid d'oiseau n’a rien
de plus pressé que de le détruire : il faut à ces dames des ailes.
d'oiseau pour compléter la décoration des monumentales cons-
tructions qu'elles édifient sur leur tête; quant à ces messieurs,
lorsqu'ils ont un fusil à la main, jamais ils ne s’abstiendront.
de tuer impitoyablement le Merle ou le Pinson qu'ils verront.
à leur portée.

Eh bien, en regard de la facilité avec laquelle nous détrui-
sons le plus d'oiseaux que nous pouvons, voyons par des chif-
fres aussi exacts que possible quelle est l’œuvre utile de ces
petits volatiles que nous traitons en ennemis.

Les calculs que nous allons citer du Prof. Bruner concer-
nent le seul Etat du Nébraska, Etats-Unis; la province de
Québec ayant une superficie bien des fois supérieure à celle de
cet Etat, on pourra soupçonner à quels nombres fantastiques.
on arriverait, si l’on faisait les mêmes calculs pour notre im-
mense territoire provincial.

Si l’on admet, dit M. Bruner, que chaque oiseau se nourrit
de 25 insectes par jour, en moyenne; étant donné, en outre,
que l’on estime à 14 par acre le nombre des oiseaux, soit.
75,000,000 en tout pour le Nébraska: eh bien, pour nourrir
durant un seul jour ce nombre d'oiseaux, il faut 1,875,000,000-
d'insectes !

Pour reprendre le calcul sous une autre forme, on peut esti-
mer qu'il faut 120,000 insectes pour remplir un boisseau. Donc,
pour nourrir les oiseaux du Nébraska, il faut 15,625 boisseaux
d'insectes par jour, c’est-à-dire 937,500 boisseaux pour deux
mois, ou 2,343,750 boisseaux pour cinq mois.

Ces estimations sont d’ailleurs très modestes, si on les com-
pare aux faits bien constatés, dont voici quelques-uns. Les es-
tomacs de 4 Mésanges renfermaient 1028 œufs d'Anisopteryæ,
papillon ennemi de certains arbres fruitiers. Dans 4 autres es-
tornacs de ce genre d'oiseau, on a trouvé environ 600 œufs et.

ent de à nd SL étite.

L

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY 63

105 femelles du même insecte. Dans l'estomac d’une seule Caille,
on a trouvé 101 bétes à patates; et dans un autre plus de 500
Chinch- Bugs, insectes qui ravagent les céréales. Un Coucou
d'Amérique, tué à six heures du matin, contenait 43 chenilles
«à tente». Un Merle avait mangé 175 larves de Bibio, insecte
qui se nourrit aux dépens des racines des herbes.

Il suffit de ces quelques exemples pour juger du dommage
que l’on cause à l’agriculture lorsqu'on tue même un seul
oiseau insectivore ou que l’on détruit son nid.

S'il importe de faire produire le plus possible aux terrains
cultivés, n’importe-t-il pas aussi d'empêcher les insectes de di-
minuer fortement cette production ?

Ce sujet de la protection des oiseaux qui nous aident si effica-
cement à défendre nos cultures, est donc de grande importance,
et s'impose à l’attention de tous. En attendant que les pouvoirs
publics interviennent à leur façon, c’est le devoir de chacun,
suivant sa position, d'empêcher autant qu'il le peut la destruc-
tion des oiseaux utiles.

QUELQUES APERCÇUS SUR LA GÉOLOGIE
DU SAGUENAY

LES RIVIÈRES DU Lac SAINT-JEAN — LEUR FORMATION
CHAMOUCHOUAN, MISTASSINI ET TICOUABÉE

(Continué de la page 46.)

Cependant, il ne faudrait pas un effort extraordinaire de
génie, ni la fortune colossale d’un Carnegie pour refaire cette
partie du pays telle qu’elle était apparue jadis après le cata-
clysme.

En privant Mistassini de son bras droit, de la rivière Was-
siamiska, par une simple chaussée quelconque, celle-ci, aidée
de Micouachache, reprendrait bientôt son bel empire fermé jus-
qu'ici accidentellement, et la petite rivière Ticouabée, sans s'en
douter, envahie, submergée par les cours d’eau qui l'ont for-
mée, se mélerait rapidement à eux.

64 LE NATURALISTE CANADIEN

Adieu, dans ce cas, méandres gracieux, bosquets touffus, îlots
charmants, ponts et moulin, chalets et hameaux sis au bord de
l'eau !

On peut prédire avec certitude que tout ce qui borderait
cette fois-là le cours sinueux de Ticouabée prendrait inconti-
nent, sans billet de retour, le chemin le plus court et le plus
rapide vers le lac Saint-Jean.

Révolution qui pourrait se faire facilement, s’il le fallait,
mais qui ne serait pas bien vue, nous présumons, ni désirée,
chose certaine, par les paisibles riverains du pittoresque cours
d'eau qui égoutte cette intéressante vallée.

*
* *

Dans un autre siècle, évidemment, lorsqu'il s'agira d'amélio-
rer la navigation intérieure de la province de Québec (c'est-à-
Le]
dire de la charmante contrée qui portait ce nom jadis), entre
Je
le Saint-Laurent et la baie d'Hudson, car la baie James sera
probablement à sec ou à la veille de l’être à cette époque-là,
il sera toujours temps d'essayer la chose.

On se convaincra alors du prix minime de l'opération à faire
pour la réouverture toute grande de cette partie importante
de la fissure saguenéenne, qui permettrait de communiquer à

& je
grand’eau du penchant méridional au penchant septentrional
des Laurentides, et aiderait, dans la mesure du possible, les
nombreuses lignes de chemin de fer, à vapeur et électriques,
qui parcourront en tous sens les vastes territoires du nord et
du nord-ouest et qui, coupant court d’un océan à l’autre, for-
meront le vrai trait d'union entre l’Europe et l'Asie. Elles se
partaseront à l’envi l’immense commerce de plus en plus flo-
rissant de nos riches Territoires, et s’alliant aux léviathans
des mers, qui auront les proportions de petites iles dans ce
q

temps-là, elles aideront le commerce à franchir les limites
de notre hémisphère vers ces antipodes à populations immen-
ses, pour les alimenter surabondamment des surplus énormes
de nos produits qui déborderont à flots de toutes les parties de
la Grande Puissance.

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE DU SAGUENAY 65
x" *

Au point où nous en sommes rendu avec la description des
principales rivières du nord-ouest du lac Saint-Jean, il nous
sera bien permis d'opiner à notre manière, tandis que nous y
sommes, sur les avantages que présente cette région sous le rap-
port des communications qui s'imposent #mpérieusement pour
la prompte ouverture de notre grand pays du Nord.

Il n’y a pas de doute possible que le gouvernement de la
Puissance, qui nous a fait cadeau du vaste et riche domaine
qui nous avoisine, possédant tous les rapports intéressant cette
partie nord de la province de Québec, ne balancera pas un
instant dans le choix du tracé du Grand-Tronc-Pacifique par
la région du Lac Saint-Jean.

En améliorant le chemin de fer desservant aujourd'hui cette
vallée qui remplit si bien ses promesses, il aura la certitude
pleine et entière de ne pas manquer son coup pour franchir
avec le plus grand avantage possible les meilleurs terrains agri-
coles, les régions les plus propices à la colonisation qui se trou-
vent au delà des hauteurs laurentiennes pour arriver à notre
nouveau domaine, franchir le nouvel Ontario et atteindre le
Manitoba en parfaite sécurité.

Car la vallée du lac Saint-Jean formant partie jadis du mé-
me penchant septentrional que celui que ces deux derniers ter-
ritoires ont toujours occupé, sa topographie ne diffère que très
peu de la leur. Les niveaux s’harmonisent sur ce vaste espace.
Les rampes sont douces et faciles ; la voie est large et tout in-
diquée. Les terres sont fertiles et profondes ; les forêts inépui-
sables. Les rivières courent dans la bonne direction, elles sont
longues et puissantes. Leurs innombrables pouvoirs hydrauli-
ques représentent une force incalculable prête à se mettre au
service et au profit de toutes les industries. Les mines, encore
inexploitées, sont là enfouies sous les couches géologiques,
soupirant après le moment propice de faire parler d'elles.

Ne s’en suit-il pas, en n'indiquant rien que cela, que le gou-
vernement Laurier a tout de même à sa portée, sous son con-
trôle, sous sa main, les meilleurs éléments de succè< pour lu

66 LE NATURALISTE CANADIEN

permettre de poursuivre jusqu’au bout et avec toutes les chan-
ces possibles cette grande entreprise nationale ?

Voilà done une inquiétude de moins pour pouvoir arriver
hardiment à l'exécution profitable du grand projet transconti-
pental, surtout quand on a la certitude mathématique que le
plus difficile du chemin est fait pour atteindre les montagnes
Rocheuses, si l’on n’a pas peur de se servir de celui de Québec
et Lac Saint-Jean, en l'améliorant par des changements
importants et peu dispendieux, en adoucissant les rampes et
en corrigeant les sinuosités qui s’y prêtent facilement. Ce se-
rait, en toute évidence, un grand pas de fait dans la bonne
direction. Cent quatre-vingt-dix milles dans quatre heures au
plus de marche, cela résoudrait le grand problème à la satis-
faction des plus exigeants.

(A suivre.)
P.-H. Dumaïs.

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 858.)

Avant d'aller plus loin dans l'exposé de l’œuvre scientifique
de l'abbé Provancher, il peut être intéressant de se demander
s'il travaillait dans des conditions d'isolement aussi complètes
qu'elles paraissaient l'être. A l’aide surtout de la volumineuse
correspondance qu'il a conservée, il est facile de se renseigner
à cet égard, et de connaître quelles étaient alors ses relations
dans le monde scientifique.

La pièce qui ouvre sa correspondance scientifique, c’est une
lettre de Joseph Henry, secrétaire de la Smithsonian Institu-
tion de Washington. Dans cette lettre, datée du 20 décembre
1867, il lui est accusé réception d’une boîte d'insectes offerts au
musée de cette institution, et d’envois destinés à MM. LeConte
et Uhler. Le 21 décembre, c’est une lettre de M. Andrew Murray,
de Kingston, qui remercie de l'envoi d’une liste des coléoptères

L'ABBÉ PROVANCHER 67
des environs de Québec: le 10 janvier 1868, c’est M. W. Saun-
ders, de London, Ont., le directeur actuel de la Ferme expéri-
mentale centrale d'Ottawa, qui lui donne les noms d’un certain
nombre d'insectes qu'il lui avait expédiés pour identification.
Le 28 janvier, lettre de M. Uhler, de Baltimore, et, le 14 fé-
vrier, lettre du Dr Horn, de Philadelphie, encore pour le même
objet. Le 1° octobre, M. Edw. Norton, de Farmington, Conn,,
s'engage à lui prêter toute l'assistance possible pour ses études
entomologiques. Le 31 octobre, lettre du Rév. Charles Bethune,
de Credit, Ont. qui dès cette époque s’occupait de la publica-
tion du Canadian Entomologist, dont il est encore aujourd'hui
le directeur. Le 12 décembre, Benj. D. Walsh, directeur de
l'American Entomologist, de Saint-Louis (Missouri), corrige
nombre d'erreurs que l'abbé Provancher a commises dans
l'identitication d'insectes qu'il lui a envoyés en échange. Le 30
avril 1869, c'est LeConte lui-même, le vrand coléoptérologiste,
qui lui donne les noms véritables de petits coléopteres sur les-
quels il l'avait consulté. Plus tard, il correspondra aussi avec
Cresson, le maître en hyménoptérologie.

Comme on le voit, au moment où il fonda le Naturaliste
canadien, notre entomologiste de Portneuf, qui n’était pas
encore grand clerc dans la science des insectes, s'était mis en
rapport avec toutes les sommités de l'entomologie dans Îles
Etats-Unis et l'Ontario. Il échangeait avec eux des spécimens ;
surtout, il les consultait sur l'identification des insectes de sa
collection, et c'était grande sagesse: car il est toujours hasar-
deux de ne s’en rapporter qu'aux descriptious des livres pour
reconnaître les espèces entomologiques, et cela est encore plus
vrai lorsqu'on n’en est qu’à ses débuts dans des études aussi
difficiles. En répondant à ses questions, chacun de ces corres-
pondants ne manquait pas de lui donner des conseils judicieux
sur la manière de procéder. C’est ainsi que l'abbé Provancher
se trouva à s'initier à la science entomologique sous la direction
des principaux spécialistes d'Amérique. |

Il fallait bien aller ainsi chercher des secours au delà des
frontières. Car, à cette époque, il n’y avait chez nous à peu

68 LE NATURALISTE CANADIEN

près personne qui s’occupât sérieusement d’entomologie. C'était
donc alors l’âge d’or pour les «bibites » de toute race dans la
province de Québec ! - Si un jour quelque coléoptère, diptère,
etc., entreprend de rédiger enfin les annales du monde ento-
mologique, il ne pourra s'empêcher de décrire avec enthou-
siasme ces temps heureux où l'on allait sans péril se désaltérer
au nectar des calices embaumés, où l’on rongeait librement
toutes les pommes de chou qu’on voulait, où l'on taquinait en
sûreté les humains par de profitables saignées ! Jours fortunés,
où la Némate ne risquait pas, en dinant d’un coin de feuille de
groseillier, d’avaler quelques grains d’hellébore insecticide
où la gracieuse Libellule pouvait, sans redouter la surprise du
filet de quelque barbare entomologiste, se jouer dans les rayons
de soleil au-dessus des limpides ruisseaux !...

Il y avait bien cependant à cette époque, dans notre Pro-
vince, quelques amis des sciences, et l'abbé Provancher était
lié avec eux. Citons ici les noms de quelques-uns de ces hom-
mes, aujourd'hui presque tous disparus, et qui aidèrent le
fondateur du VMaturaliste canadien de leurs conseils, de leurs
encouragements ou de leur collaboration.

En tête de cette phalange honorable, venait M. LeMoine,que
l’on nomme à présent Sir James M.-LeMoine, et qui, outre de
nombreux travaux d'histoire, a publié aussi plusieurs ouvrages
scientifiques, dont le plus connu, à peu près introuvable au-
jourd’hui, a pour titre l'Ornithologie du Canada (1860). M. Le-
Moine a été un naturaliste vulgarisateur plutôt qu'un écrivain
technologue : mais il n’est pas besoin de démontrer que le vul-
garisateur scientifique a son mérite, et que son influence peut,
être considérable. La table des matières du premier volume du
Naturaliste contient les titres de plusieurs articles de M. Le-
Moine, qui, à diverses reprises durant le cours de la deuxième
série de la revue et après un tiers de siècle, a repris son inté-
ressante collaboration. Il est probablement le doyen d'âge de
tous les naturalistes du Canada.

C’est ensuite l'abbé Ovide Brunet, longtemps professeur de
botanique à l’université Laval, et qui publia plusieurs opuseules

L'ABBÉ PROVANCHER 69

sur la science qui était l'objet de ses études. J'ai mentionné
en un autre endroit les herborisations que l’abbé Provancher
fit avec lui dans le Haut-Canada lorsque la Flore canadienne
était en préparation.

Puis vient le Dr J.-A. Crevier, de Montréal, qui fut peut-être
le plus grand savant que le Canada ait jamais possédé, si l’on
ne tient compte que de la masse de connaissances qu'il avait
acquises sur les beaux-arts et toutes les sciences physiques et
naturelles. La première fois qu'il apparaît dans la correspon-
dance de l'abbé Provancher, c’est le 4 mai 1869, où il accuse
réception de 78 insectes que lui avait envoyés le directeur du
Naturaliste. En effet, le Dr Crevier, astronome, chimiste, pa-
léontologiste, etc., etc., était de plus entomologiste. Sa collec-
tion entomologique, écrivait-il le 4 avril de la même année,
s'était élevée autrefois au chiffre de 956 spécimens, mais n’en
comptait plus que 385. Il mentionne dans sa correspondance la
capture qu'il fit en 1854, à Saint-Hyacinthe, d’un insecte aqua-
tique,ce qui fait voir qu'il y avait longtemps qu'il avait débuté
en entomologie. Dès le premier volume du Naturaliste cana-
dien et durant tout le cours de sa première série, il fut un
collaborateur actif de la revue. Malheureusement, il n’était
guère écrivain; et cela, joint à ce qu'il a dispersé son talent
entre tant de sciences diverses, explique assez qu’il n’ait laissé
<on nom attaché à aucune œuvre scientifique importante (1).

Un autre collaborateur des premiers volumes du Naturalis-
te canadien, c'était le Dr J.-B. Meilleur, qui fut le premier su-
rintendant de l'Education en notre pays (1842-55). M. Meilleur
aimait surtout l'étude de la minéralogie et de la géologie ; mais
il ne put s'occuper longtemps de ces sciences, absorbé qu'il était
par les fonctions publiques qu’il eut à remplir. Il faut toute-
fois compter comme un important service rendu à l’histoire na-
turelle l'influence qu'il exerça pour l'achat de la fameuse

(1) Je ne connais d’imprimé, du Dr Crevier, « médecin naturaliste de Mon-
tréal », qu’un tableau in-folio des roches cristallin-<et stratifiées} dans leur ordre
chronologique.

70 LE NATURALISET CANADIEN

collection Chasseur. Voici ce qu’il écrivit là-dessus à l’abbé Pro-
vancherles 15 et 16 mars 1869: «En 1835, étant membre du
Parlement, j'y proposaï l'achat de la collection de Chasseur,
pour en faire un commencement d'établissement d’un musée
d'histoire naturelle national. Ayant en conséquence été nommé
(du)comité pour faire l’évaluation de cette collection, j'en fis.
en même temps la classification du mieux qu'il me fut possible,
au milieu d’un froid intense dont l'effet fut une maladie assez lon
gueet grave. Le Journal de la Chambre d'Assemblée contient
lerapport que je fis à l'appui de ma proposition, et l'on sait que
la collection de Chasseur fut achetée pour la somme de £ 500,
et déposée au dernier étage des bâtiss.s du Parlement. Mal-
heureusement, ce musée, comme la bibliothèque du Parlement,
est devenu la proie des flammes (1). Cette collection d'objets
de l’histoire naturelle se bornait presque au règne animal. Ces.
objets appartenaient plus spécialement à la zoologie, à l’orni-
thologie et à l’ichtyologie. À peine l’entomologie, la botanique
et la minéralogie y étaient-elles représentées » (2).—— Le Dr
Meilleur publia en 1833 un traité de Chimie ; et, en 1835-36, un
traité de Chimie agricole dans le Glaneur, journal hebdoma-
daire publié à Saint-Charles de la Rivière-Chambly.
(À suivre.) V.-A. H.

COMPOSITION DE LA COQUILLE
DES ŒUFS D'OISEAUX

L’enveloppe solide et dure des œufs d'oiseaux s'appelle co-
quille ou coque.

(1) Ce fut en 1854 qu’eut lieu l'incendie du Parlement, édifice situé sur le ter-
rain qui, à Québec, porte aujourd’hui le nom de Jardin Montmorency.

(2) L'achat du musée Chasseur ne fut décidé par la Chambre qu’au mois de
mars 1836, par une loi intitulée : « Acte pour assurer à Sa Majesté la propriété
du musée d'histoire naturelle de Pierre Chasseur, pour l'avantage du Public. » —
Voir, sur le musée Chasseur: Le Naturaliste canadien, 1, p. 141 ; V, p. 230 ;
Bulletin des Recherches historiques, vol, VIII, p. 251; Journaux de la Chambre
d'Assemblée, Bas-Canada, vol. 45 (1835-36), passim.

COQUILLE DES ŒUFS D'OISEAUX dd :

Elle est formée principalement par du carbonate de chaux,
avec du phosphate de chaux, du carbonate de magnésie, de
l'oxyde de fer et une matière animale sulfurée.

La composition de la coquille de l'œuf n’est pas constante et
varie avec le régime alimentaire, ce qui a été du reste démon-
tré par les expériences de Sacc. Le tableau ci-joint, emprunté
à Wicke, en donnera une nouvelle preuve, les oiseaux dont les
coquilles des œufs ont été analysées Pnce chimiste ayant des
régimes extrêmement variés.

COMPOSITION DE DIVERSES COQUILLES D'ŒUFS

Poule. Oie. Canard. Faisan. Mouette. Héron
Carbonate
de chaux 93.70 95.26 9443 93.33 91.96 94.60
Carbonate
de magnésie 1.30 0.72 0.50 0.66 0.76 0. 69
Phosphate
de chaux 0.75 0.47 0.84 37 0.83 0.32
Matières
organiques 425 3.55 423 464 6.45 439

Totaux 100.00 100.00 100.00 100.00 100.00 100.00

Comme on le voit par les analyses ci-dessus, il y a dans la
coquille de l'œuf des carbonates de chaux et de magnésie, et du
phosphate de chaux. C’est dire que si l’on ne fournit pas aux
poules ces sels minéraux qui servent à former la coque des
œufs, on aura des œufs sans coquille ou à coquille molle, com-
me c’est le cas pour les poules très grasses et qui manquent de
ces sels indispensables,

Il est donc nécessaire de fournir aux poules pondeuses les
aliments qui renferment ces différents sels minéraux.

Or, l'aliment qui contient la plus forte quantité de ces sels,
parfaitement assimilables, tant pour la composition de la co-
quille que pour la formation de l’œuf lui-même, ce sont les 08
broyés. ,

En second lieu vient le trèfle.

J.-B. PLANTE.

72 LE NATURALISTE CANADIEN
UN MYCOLOGISTE PASSIONNÉ

Ce mycologiste enthousiaste, c’est M. C. C. Lloyd, de Cin-
cinnati, O., qui publie la revue mensuelle Mycological Notes.
Nous signalons cette publication à ceux de nos compatriotes
qui voudraient se livrer à l’étude des Champignons.

Dans la livraison du mois de mars dernier, M. Lloyd a ra-
conté un séjour qu'il vient de faire en Europe, où il a visité les
grandes collections de Champignons et rencontré les principales
célébrités de la science mycologique. Il a passé trois mois à Pa-
ris pour s’y perfectionner dans la connaissance du français ;
et l'on peut direqu’il n’a pas perdu son temps, si l’on en juge par

quelques pages écrites en langue française que l’onvoit avec
surprise dans la livraison déjà citée des Mycological Notes.

Tout ce que dit M. Lloyd de son séjour en Europe est extré-
mement agréable à lire, soit parce qu'on entend toujours avec
plaisir exposer des impressions personnelles, soit à cause de
l'originalité caractéristique du style américain. Pour ce qui
est de ce dernier point de vue, qu'on en juge par la note qui
termine la page où il est question de la Suède et dont voici la
traduction :

«Nous n'avons pas rempli au complet le programme de no-
tre excursion en Suède. En passant à Washington, nous
avions été prié, par un amateur de la famille des Mousses, de
nous mettre, en débarquant en Suède, à la poursuite de certain
Suédois qui promène le ravage dans les noms des Mousses en
vertu de nous ne savons quelle jonglerie de nomenclature, et
l'on nous avait pressé de le mettre à mort dans l'intérêt de la
science. Nous regrettons que l’occasion nous ait manqué d’exé-
cuter ce louable dessein. »

AUX AMATEURS DE PAPILLONS

Un «ex»-Jésuite, M. l'abbé Jos. De Joannis, de la rédaction
des Æ£tudes, désire entrer en relations d'échange avec des col-
lectionnenrs de Lépidoptères. S'adresser directement à lui par
l'entremise ‘le la Librairie V. Retaux, à Paris, 82, rue Bona-
parte.

À » dot

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Fuillet 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 7

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

AU MUSÉE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

Au Conseil des ministres tenu à Québec le 23 juin dernier,
j'ai été nommé Conservateur (1) du Musée de l'Instruction pu-
blique, en remplacement de feu le D' L. Larue. J'étais déjà,
depuis près de deux ans, attaché à ce Musée en qualité de na-
turaliste « technique. »

Les amis des sciences félicitent le gouvernement d’avoir
estimé, très justement, qu’il est nécessaire de confier à un na-
turaliste de profession le soin et le développement d’une aussi
importante collection d'histoire naturelle. On peut ajouter que
l'honorable M. Robitaille, secrétaire de la Province, dont relè-
ve le département de l’Instruction publique, a des titres parti-
culiers à cette reconnaissance publique.

Pour moi, personnellement, je remercie le gouvernement, et
surtout encore l’honorable Secrétaire de la Province, de m'avoir
mis en+ mesure d'accomplir l’œuvre scientifique dont j'ai

(1) Le terme « Curateur», traduction de l'anglais Curator, est fréquemment
usité, en notre pays, pour désigner le fonctionnaire préposé à un musée ; mais les
dictionnaires ne lui donnant pas ce sens, il paraît absolument impropre. En
France, on donne toujours le titre de Conservateur ou de Directeur à celui qui a
charge d’un musée.

74 LE NATURALISTE CANADIEN

poursuivi depuis longtemps, en des conditions difficiles, la.
réalisation complète.

Provancher s'était imposé la tâche de scruter tous les domai-
nes de la faune et de la flore de notre province de Québec, et
de préparer sur chacun d’eux des ouvrages qui permettraient
à l'amateur de commencer l'étude de l’une ou de l’autre de ces.
branches vers laquelle se porteraient davantage ses goûts per-
sonnels. La mort est venue interrompre la réalisation de ce
programme. Toutefois une partie considérable était accomplie ;
et, grâce aux travaux de notre Linné canadien, peu de pays
possèdent comme nous des travaux d'ensemble sur leur faune
et leur flore.

Ce qu’il faut maintenant, c’est achever au plus tôt l’entre-
prise de l’abbé Provancher, afin de mettre nos compatriotes en.
mesure d'étudier toutes les principales branches de notre his-
toire naturelle. C’est à quoi, si Dieu me prête vie, je compte
m'employer désormais, grâce aux facilités de travail qui me
sont assurées,

Les Mollusques bivalves, les Lépidoptères et les Diptères de
la Province: tel est le programme qui s’impose de lui-même-
pour les prochaines années. Car il n’est permis qu'aux jeunes
gens d’escompter plus larcement l'avenir incertain. J'aurai
mis dix ans à parfaire ce Traité de Zoologie que le Natura-
liste canadien achève de publier. Il est à espérer que les trois
séries de travaux que je viens d’énumérer pourront s’exécuter
en moins de trente années !

Quant à ce Naturaliste canadien, par la force des choses:
il devient jusqu'à un certain point comme le «Bulletin» du
Musée de l’Instruction publique, en ce sens du moins qu'il en-
registrera les additions intéressantes qui y seront faites, et que:
les études qu'il publiera seront principalement. basées sur ses
collections, qui sont déjà d’une richesse relativement grande
en ce qui concerne les productions naturelles de la province
de Québec.

Qu'on me permette d'ajouter que ce n’est pas sans émotion.
que je me suis vu officiellement chargé de prendre soin des

LA CHASSE AUX LICHENS 75

collections formées par l'abbé Provancher, au milieu desquelles
jadis j'ai tant de fois travaillé sous l’œil et la direction de mon
regretté Maître...

Pour ce qui est de la collection entomologique de Provan-
cher, le Naturaliste a déjà dit que, grâce aux vues éclairées
du département de l’Instruction publique, elle sera absolument
conservée telle qu’elle est, c’est-à-dire telle qu'elle était à la
mort de son auteur. Cette mesure procède soit du désir de gar-
der intact ce monument du travail de notre grand naturaliste,
soit de l'intérêt qu’il y a à posséder, à côté de ses publications
entomologiques, le matériel même, pour ainsi dire, dont il s’est
servi pour les composer. — Je dresse actuellement le catalogue
de cette collection entomologique, et il sera probablement im-
primé quelque jour : tout cela afin d'assurer davantage la con-
servation de cette collection précieuse.

En terminant cet article, j'offre mes remerciements bien
sincères à mes confrères de la presse canadienne-française de
la Province et des Etats-Unis qui ont bien voulu signaler, en
des commentaires par trop bienveillants, la nouvelle de ma no-
mination.

Je profite de l’occasion pour remercier aussi ceux d’entre eux
qui veulent bien publier chaque mois le sommaire des livrai-
sons du VNaturaliste canadien, dans le but d'encourager l'étude,
trop négligée chez nous, des sciences naturelles. Ils savent
très bien, avec leur expérience du journalisme, que le main-
tien d’une publication de ce genre est loin d’être une «affaire. »

V.-A. HUARD, ptre.

LA CHASSE AUX LICHENS

On sait que partout où il y a de l’air et un support, il peut
croître des lichens.

Tout comme l'espèce humaine, cependant, ces étranges petits
végétaux ont leurs goûts, leurs préférences marquées: les uns

76 LE NATURALISTE CANADIEN

se plaisent sur tel point d'appui, pour les autres ce sera un
support différent qu'ils se choisiront.

Mais là où tous sont d’accord, c’est dans leur répulsion pour
les terrains cultivés et les lieux où l’atmosphère est saturée de
fumée — comme par exemple le voisinage des usines.

De façon générale, les lichens se rencontrent de préférence :

1. Sur les écorces rugueuses des vieux arbres. ( Ramalina,
armelia, stictei.)

2. Sur les écorces lisses des jeunes arbres et arbrisseaux.
(Graphideus, lecidea.)

8. Sur les arbres qui hordent les routes (Physcia), ou dans
les grandes forêts. ( Usnea, alectoria.)

4. Sur les troncs des arbres morts debout ou couchés sur le
sol, les vieux piquets, poteaux. ( Calicrus, lecidea, scylographa.)

5. Sur les roches calcaires et crétacées. (Lecanora, lecidea,
verrucer1a.)

6. Sur le mortier des murailles. (Lecanora, lecidea, verra-
caria ).

7. Sur les sols calcaires, tourbeux et argileux, les vases dur-
cies. (Cladonia, lecidea, lecanora, collema, peltidea. )

8. Sur les sables des bords de la mer et les détritus des
hautes montagnes.

9. Sur les mousses et les hépatiques en décomposition.
(Leptogium, gomphillus.)

10. Sur les feuilles persistantes de certains arbres et arbris-
seaux. ( Lecidea, bouteillei, striqula.)

11. Sur les pierres tombales, les vieux cuirs, le fer et le
verre, les os blanchis des grands animaux terrestres et marins,
sur les excréments desséchés des moutons, etc.

12. Enfin, sur certains parasites qui végetent sur d’autres
lichens. (Lecidea, syrenocarpt). J.-W. MILLER.

A SPENCER GRANGE
6 juillet 1904.

. Plusieurs mélodieux amis ont manqué à l’appel ce prin-
temps, à Spencer Grange : cause probable, notre hiver rigou-

ÉD à à à UE TU ENPE" CU
” .

LA TROMBE DU 11 JUILLET, A QUÉBEC FA x

reux. — Mais les Merles ont augmenté en nombre. Je compte
plusieurs nids autour de ma résidence.
Ces jours derniers, trois Chevreuils m'ont rendu visite.
D'où venaient-ils ? Ont-ils traversé le fleuve à la nage ?..
J. M. LEMOINE.

LA TROMBE DU 11 JUILLET, A QUÉBEC

Nous sommes très heureux d’avoir pu être témoin de l’ex-
traordinaire phénomène d’une trombe, à Québec, le 11 juillet.
Il paraît bien qu'on n’a jamais vu ici un météore de ce genre,
au moins depuis trois siècles que notre ville existe. Nous pen-
sions même qu'on pouvait faire la même assertion pour le pays
tout entier ; mais M. l'abbé Lindsay, directeur de la Nouvelle-
France, nous dit qu'il a vu une trombe se produire, voilà en-
viron 33 ans, sur le lac des Deux-Montagnes.

C’est vers trois heures de l’après-midi, le 11 juillet, par
temps calme et très chaud, et alors que des orages se prépa-
raient, que le phénomène s'est produit. Un témoin oculaire,
qui l’a observé durant toute sa durée, nous a dit qu'il a pris
naissance sur le rivage de Beauport, où une sorte de colonne
s’est élevée graduellement jusqu'aux nues. Quand nous avons
pu voir nous-même la trombe, de la façade est du Palais légis-
latif, elle était à peu près vis-à-vis l'extrémité de l’île d'Orléans,
se mouvant avec lenteur vers le sud-est. Elle présentait alors
l'aspect d’une colonne cylindrique presque verticale, d’un dia-
mètre apparent et uniforme d’environ trois pieds, de couleur
grise mais d’une teinte différente de celle des nuages, et pa-
raissant partir de la surface du fleuve. Vers la hauteur des
nuages, la colonne se coudait brusquement, à un angle d’envi-
ron 55° ou 60°; le coude, de même diamètre et de même cou-
leur que celle-là, et du tiers de sa longueur, se rattachait par sa
partie supérieure à un nuage, formant au point de jonction
un grossissement qui paraissait tourmenté.

Au bout d'environ trois minutes, le météore paraissant.

78 LE NATURALISTE CANADIEN

rendu à peu près vis-à-vis l’église de Saint-Joseph de Lévis,
tout disparut soudainement, moins le? quart (à partir d'en bas)
de la colonne principale. En quelques instants, ce tronçon per-
sistant se dilata d'environ le double de son diamètre, prenant
un aspect échevelé, et à son tour disparut brusquement.

Nous croyons que la durée totale du météore a été d'à peu
près 7 minutes. Dans l'espèce de stupéfaction où nous étions à
la vue d’un événement si extraordinaire, nous n'avons pas son-
gé à autre chose qu'à tâcher de ne rien perdre du spectacle
merveilleux.

Les journaux et les particuliers ont donné plusieurs autres
détails, mentionnant par exemple le mouvement giratoire de la
trombe, l'ascension visible de l’eau du fleuve. Mais nous avons
tenu à ne parler que de ce que nous avons vu nous-même ; et
comme nous nous trouvions à environ un mille du météore, il
n’est pas étonnant que les détails nous aient échappé. :

On a dit que le phénomène a été aperçu jusque du port des
Trois-Rivières, à 90 milles de Québec. Nous ne savons jusqu’à
quel point cela peut être vrai.

Bien que le Naturaliste canadien ne se soit pas, depuis
longtemps, occupé de météorologie, nous avons eru devoir y
mentionner le récit et la description d’un événement aussi rare
sous notre latitude. D'ailleurs aucun phénomène d'ordre phy-
sique n’est, en principe, hors du champ d'action de notre
revue.

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 70.)

La première série du Naturaliste conserve encore la mémoi-
re de l’un des plus zélés naturalistes qui aient vécu à Québec :
F.-X. Bélanger, qui mourut en janvier 1882. Après son cours

‘études, M. Bélanger fut instituteur, et ensuite assistant-
rédacteur du Courrier du Canada, où il publia quelques arti-
cles sur nos vers à soie canadiens. Le 1°” mai 1869, il écrivait
à l'abbé Provancher : « Voici la saison de la chasse aux insec-
+es qui va s'ouvrir, et je fais mes préparatifs en conséquence,

mn à il à

L'ABBÉ PROVANCHER 79

plus désireux que jamais d'augmenter mon commencement de
collection. Ah! que n’ai-je plus de temps pour cela ! Au moins,
si j'avais un emploi plus rétribué que celui que j'ai actuelle-
ment: je pourrais me livrer avec plus de liberté à l'étude de
ma science favorite.» Sur la proposition de l'abbé Provancher,
l'Université Laval lui confia la charge de conservateur de ses
musées. M. Bélanger publia quelques articles sur les insectes
dans le Naturaliste canadien. Instruit dans les sciences natu-
relles, taxidermiste fort habile, il était aussi graveur sur bois :
on peut voir, par exemple, un produit de son burin dans la
gravure du Glouton (Carcajou), p. 129 du premier volume du
Naturaliste. Dans la lettre déjà citée, on lit encore l’intéressant
passage que voici: «Je me propose d'essayer de fonder, avec
d’autres amis des sciences naturelles, une société d'histoire na-
turelle en cette ville. J'en ai déjà parlé à quelques-uns qui y
sont très disposés. Je crois que si vous vouliez bien vous met-
tre à notre tête, nous réussirions. » C’est done M. Bélanger qui
provoqua la fondation de la société d'Histoire naturelle de
Québec, dont nous aurons prochainement à esquisser la courte
carrière ; et la page écrite par l'abbé Provancher dans la livrai-
son du même mois de maï,sur l’opportunité de l'établissement
d'une institution de ce genre, n’était évidemment que l’écho
de la lettre de son correspondant.

Il faut bien aussi mentionner ici un autre collaborateur de
l'abbé Provancher, qui lui prêta son concours dans l’œu-
vre du Naturaliste canadien: je veux parler de M. D.-N.
Saint-Cyr. Lui aussi, après son cours d’études classiques, se
livra à l’enseignement, et exerça cette honorable profes-
sion durant un grand nombre d'années. Entre temps, il étudia
le droit et fut reçu notaire. Plus tard, il entra dans le domai-
ne politique et fit partie de l’Assemblée législative. Enfin,
vers 1880, il fut chargé d'organiser le musée d'histoire natu-
relle de l’Instruction publique, dont il fut le conservateur jus-
qu'à sa mort, en 1899. Fort entendu en géologie, en botanique
et en entomologie, M. Saint-Cyr publia dans les premiers volu-
mes du Naturaliste un bon nombre d'articles sur les mammi-

80 LE NATURALISTE CANADIEN

fères du Canada. Il est aussi l’auteur de plusieurs rapports
scientifiques sur le musée dont il avait charge, et qui font par-
tie de la littérature officielle de la Province.

Ces personnes que je viens de mentionner et un petit nombre
d’autres que je pourrais citer aussi ,c'étaient tous ceux qui, voilà
un tiers de siècle, s’occupaient d'histoire naturelle dans la pro-
vince de Québec. Et, comme on le voit assez, l'abbé Provancher
en recevait un concours plus ou moins actif, pour l'aider dans
son entreprise du Naturaliste canadien.

Que si l’on avait la pensée d'instituer une comparaison
entre la faveur dont jouissait l’histoire naturelle parmi les
Canadiens-Français vers 1870 ou 1875, et celle qu'elle obtient
aujourd'hui, il faudrait reconnaître qu'à notre époque les no-
tions générales des sciences naturelles sont plus répandues
qu'autrefois. Mais, si je ne me trompe, il serait en même temps
nécessaire d’avouer que le nombre des amateurs et des natura-
listes de profession n’a guère augmenté depuis vingt-cinq ou
trente années. Ce n’est pas ici, du reste, le moment d'insister
sur cette constatation ni d’en tirer les conclusions qui s’en peu-
vent dégager.

Quoi qu'il en soit de cette question, j'ajouterai que si l'abbé
Provancher avait des rapports personnels avec tous ses colla-
borateurs de la province de Québec, il ne pouvait, à cause des
distances, communiquer que par écrit avec ses correspondants
les naturalistes des Etats-Unis. Aussi accepta-t-1l avec empres-
sement l’occasion qui se présenta de faire connaissance avec la
plupart de ces spécialistes qui l'avaient aidé dans ses débuts
d’entomologiste et avec qui il continuait d'entretenir des rela-
tions.

Cette occasion, elle lui fut offerte par l'invitation qu'il reçut
d'assister au 18° congrès annuel de l'Association américaine
pour l'avancement de la science qui, en cette année 1869, de-
vait se tenir à Salem, Mass. Le récit de ce voyage se trouve
dans les volumes I et II du Vaturaliste canadien, et il est in-
téressant à lire comme tous les récits de l’abbé Provancher, où
l'originalité de la narration fait absolument oublier les imper-

RS Éd. ét » Séihs

DT ?
=

L'ABBÉ PROVANCHER 81

fections littéraires dont ils sont émaillés, Ce congrès, qui dura
plusieurs jours, s'’ouvrit vers le 18 août. Et le directeur du
Naturaliste eut le plaisir d'y voir figurer des conférenciers
comme les professeurs Agassiz, T.-S. Hunt, C.-D. Cope. Dans
une excursion des congressistes sur l'océan, plusieurs natura-
listes se mirent à la recherche de notre abbé et finirent par le
rencontrer : c'étaient Riley, Packard, Osten Sacken, Morris,
Bethune (alors comme aujourd'hui directeur du Canadian
Entomologist, de London, Ont.): tous ces noms sont aujour-
d'hui classiques dans l’entomologie américaine, comme l’est
aussi d’ailleurs celui de Provancher lui-même.

Pourquoi ne mentionnerai-je pas, bien qu'à cette époque je
ne fusse guère du nombre des adeptes de l’histoire naturelle,
pourquoi, dis-je, ne mentionnerai-je pas ici le fait qu'en cette
même année 1869 je fis connaissance pour la première fois
avec l’abbé Provancher ? Certes, je le connaissais déjà de nom,
et je suivais avec passion, ainsi que je l’ai raconté au commen-
cement de cette biographie, le Naturaliste canadien, atten-
dant avec hâte la publication de chacune de ses livraisons ; mais
je n'avais eu encore aucune occasion d’apercevoir seulement
son fondateur et directeur, le curé de Portneuf. Chose étrange,
ce fut à Montréal que je fis cette heureuse rencontre. Le pro-
blème qu'il semble y avoir là est pourtant d'explication facile.
Au mois de juin 1869, les élèves du séminaire de Québec eu-
rent l'extraordinaire fortune d'aller en excursion à Montréal.
L'abbé Provancher fut du voyage, comme invité des MM. du
Séminaire ; moi aussi j'en étais, à titre d'élève de belles-lettres.
Or il arriva que, durant un trajet de la communauté marchant
en rang dans une des rues de Montréal, le petit écolier se trou-
va à avoir l'honneur d’être le compagnon de marche du savant
ecclésiastique. Ce fait, sans importance en lui-même, fit pour-
tant assez d'impression sur moi pour que j'en aie conservé
toujours le souvenir. Mais j'étais loin de soupçonner, à ce
moment, que je deviendrais plus tard le disciple et l'ami du
grand naturaliste.

(A suivre.) V.-A. H.

82 LE NATURALISTE CANADIEN

LA LUTTE CONTRE LES INSECTES NUISIBLES

En 1896, nous avons donné quelques détails sur la guerre
que l’on faisait, dans le Massachusetts, au «Gipsy Moth»
(Ocneria dispar, L.), qui était en train de ruiner les vergers de
cet Etat. Pour montrer qu'on n’y allait pas de main morte,
rappelons que, durant l’année 1894, on avait examiné 7 mil-
lions d'arbres, et détruit à la main plus de 1,000,000 de che-
nilles du Gipsy Moth, 90,000 chrysalides,- 18,000 papillons,
18,000 amas d'œufs éclos, et 94,000 amas d'œufs non éclos.

Par l'American Gardening du mois de janvier dernier, nous
avons eu des nouvelles plus fraîches de cette campagne-entre-
prise contre un insecte.

Ce qui est original, c’est qu'on avait importé d'Europe le
Gipsy Moth, il y a une trentaine d'années, afin d'essayer sur
notre continent la culture de la soie de ses cocons. IL y prit
malheureusement un extraordinaire développement, passa à
l’état de fléau dans le Massachusetts, et se répandit même en
dehors des frontières de cette région. Cela rappelle l’histoire
de nos Moineaux, que l’on amena ici, d'Europe aussi, pour lut-
ter contre nos insectes nuisibles, et qui est devenu lui-même
un hôte si désagréable ; cela rappelle aussi l'affaire des Lapins
d'Australie, qui ont failli tout dévorer là-bas, le pays et les
habitants. La conclusion à tirer de ces faits, c'est qu'il faut y
aller prudemment lorsqu'on se mêle d'intervenir dans l'ordre
de la nature, tel qu'établi sagement par le Créateur. Pour ne
parler aujourd’hui que du Gipsy Moth, cet insecte ne fait guè-
re de ravages en Europe, parce que sa propagation s’y main-
tient en des limites raisonnables, grâce à un parasite qui vit à
ses dépens et l'empêche de s’y multiplier démesurément. In-
troduit en Amérique, ce lépidoptère a trouvé le champ libre et,
débarrassé de tout obstacle, il n’a pas tardé à pulluler.

Et voyez ce qu’il en a coûté au Massachusetts. A part les
énormes dommages causés aux arbres fruitiers, on a dépensé
au-delà d'un million de piastres rien que pour tenter de le dé-

CHEZ LES HYMÉNOPTÈRES ET LES NÉVROPTÉRES 83

truire. Comme on n’a pas réussi dans cette tentative d’exter-
mination, on a trouvé que c'était vraiment perdre trop d'argent
pour rien, et l'on a renoncé à la lutte ou à peu près: ce qui a
eu pour résultat, naturellement, de faire empirer les choses.
Et l'hiver dernier, on demandait à grands cris de recommencer
la guerre contre le Gipsy Moth.

Nous avons sous les yeux une proposition signée par les
membres du comité des finances de l'Association forestière du
Massachusetts, qui recommande de confier à M. A. Kœæbele,
d'Alameda, Cal., l’œuvre non pas d’exterminer entièrement le
Gipsy Moth, mais d’enrayer son développement, et cela de
façon permanente, Ce M. Kæbele est probablement, dit le
Rapport, «the most eminent parasitical entomologist in this
country.» C'est lui qui introduisit en Californie les parasites
destinés à défendre les citronniers contre les « Scale insects »
qui Îles ravageait: en moins d’un an, il réussit à accomplir
cette œuvre qui a sauvé à la Californie bien des millions de
piastres.

Or, pour ce qui est du Gipsy Moth, le même spécialiste
se faisait fort d'importer au Massachusetts les parasites qui le
combattront avec succès. Il y faudra au moins quatre ans, à
une dépense annuelle de $ 15,000. M. Kœæbele exigeait de pou-
voir lui-même diriger les opérations durant deux années, pour
être assuré de leur réussite. :

Nous ignorons encore si les pouvoirs publics du Massachu-
setts ont accepté ces propositions. Notre intention, en traitant
de ce sujet, était de faire voir, encore une fois, quelle est l’im-
portance des ravages causés par les insectes, et combien l’ento-
mologie est de plus en plus capable de rendre les services les

plus précieux, en indiquant les meilleurs moyens de lutter con-

tre les insectes nuisibles.

CHEZ LES HYMÉNOPTÈRES ET LES NÉVROPTÈRES

— Dans l’Entomological News, en son numéro de novem-
bre 1901, pp. 277-278, M. Ashmead a donné la description d’une

84 LE NATURALISTE CANADIEN

espèce nouvelle du genre— «rare ! » dit-il, —_Pammegischia éta-
bli par l'abbé Provancher. Cet hyménoptère nouveau, nommé
P. xiphydriæ par M.'Ashmead, est un parasite du Xiphydria
Provancheri Cresson.

— Dans la même livraison de l’Entomological News,
M.F.-L Harvey, d'Orono, Me, rapportait la capture (1898 et
1899), faite aux Etats-Unis pour la première fois, de plusieurs
spécimens du névroptère Neurocordulia Yamaskanensis Prov.
«Il n’est pas à notre connaissance, disait-il, qu'il y ait dans
les collections d’autres spécimens que ceux capturés, en 1575,
par l'abbé Provancher sur le mont Vamaska, province de
Québec. »

PUBLICATIONS REÇUES

— EDUCATION ET CONSTITUTION, par Boucher de la Brukère,
surintendant de l'Instruction publique de la province de
Québec. Montréal. 1904. Brochure de 100 pages in-8°. (50 cts
l’ex., chez l’auteur, et chez les libraires de Québec et de Mont-
réal.)

Remarquable et solide réfutation des projets Harper, Rod-
dick et Robbins qui, sous diverses formes et à l’encontre de la
constitution du Canada, paraissent des entreprises destinées à
détruire l'autonomie éducationnelle des provinces.

— Travaux scientifiques de l'Université de Rennes. Tomes
I et II, 1902 et 19083.

C’est à la suite des relations qui ont eu lieu, en 1902, entre
l'Université de Rennes et l’Université Laval, que des rapports
d'échanges ont pu s'établir entre l'institution de Rennes et no-
tre Naturaliste.

Ces deux volumes contiennent des mémoires, d’une haute
valeur, sur divers sujets scientifiques.

— Bulletin dela Société des Amis des Sciences naturelles de
Rouen. 1902. 38° année.

— Missouri Botanical Garden. Fifteenth Report. 1904.

À REMPLACER

L'ordre des pages ayant été accidentellement interverti, dans le « Supplément »
du dernier numéro, nous donnons de nouveau, ce mois-ci, ce feuillet du Traité de
Zoologie.

ddnn te |

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Août 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 8

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A., Huard

EF Le directeur du Wafuraliste canadien sera absent de Québec
durant quatre ou cinq semaines à partir du 5 septembre. Il se propo-
se de visiter l’ouest du Canada et des Etats-Unis, et rédigera — pro-
bablement — des notes de voyage à l’intention des lecteurs de cette

TEVUE.

LES RAIES ET LEURS ŒUFS

Il y a quelques mois, nous recevions du R. P. Arnaud, O M.I,
missionnaire des Montagnais depuis au delà d’un demi-siècle
et résidant à Betsiamis, un spécimen très étrange, que l’on avait
trouvé sur le rivage de cette localité de la côte Nord. Les sau-
vages, nous écrivait le révérend Père, donnent à cet être bi-
zarre le nom de Opo pakatshis, ce qui signifie « Plie volante ».

Il ne nous a pas été difficile de reconnaitre ce qu'on appelle
vulgairement un «œuf de Raie » dans l’objet de forme si cu-
rieuse que nous à envoyé le Père Arnaud. Nous en avions déjà
vu un spécimen dans les collections de l'abbé Provancher ; nous
nous rappelions aussi que le Naturaliste canadien eu a pu-
blié jadis la gravure, accompagnée d’une étude complète. C’est
dans le volume VI, pp. 370 - suiv., que se trouve cette étude.

En faveur des personnes qui ne possèdent pas la première sé-
rie du VNuturuliste, nous allons donner ici quelques détails sur
les Raies et leurs œufs.

La Raiïe, qui rappelle la forme d’une raquette, est un poisson
de la classe des Sélaciens, chez qui la bouche est placée en des-

8 — Août 1904.

86 LE NATURALISTE CANADIEN

sous de la tête. Les Requins appartiennent aussi à cette classe.

Les Raies sont des poissons vivant dans la mer, dont la
chair n’est utilisée comme aliment que chez les Chinois.

Au lieu de pondre
des œufs isolés, ces
poissons pondent des
sortes de capsules con-
tenant un ou plusieurs
œufs ou embryons.

Ces capsules ont la
forme de coussins qua-
drangulaires allongés
portant à chaque coin 4
une sorte de corne ter-
minée par un éperon Fig .11.— Raie.
ou une griffe. Chaque corne porte une.petite fente latérale qui
sert à laisser circuler l’eau à l'intérieur de la capsule.

De couleur brun verdâtre, la capsule noireit en vieillissant
(circonstance qui permet de la distinguer facilement du chocolat
Menier.)

Les cornes du côté antérieur sont plus courtes que celles du
bord postérieur. C’est de ce côté-ci qu’au bon moment la cou-
verture supérieure se sépare de la couverture inférieure pour
donner la liberté aux petites Raies prisonnières jusque-là dans
cette habitation flottante qui leur a servi de berceau, et dans
laquelle, après leur éclosion, elles ont grandi paisiblement et
à l'abri de tout danger d’être croquées.

Les côtés de la capsule portent de nombreux filaments au
moyen desquels elle reste fixée aux plantes marines; les
éperons des cornes antérieures servent probablement aussi à la
même fin. Lors des grandes agitations de la mer, les capsules
se détachent de leurs soutiens et sont RE par les flots
sur les rivages.

Le spécimen trouvé à Betsiamis est sans doute d’une autre
espèce que le spécimen représenté dans la gravure du vol. VI
du M. C! Car, si les cornes antérieures et postérieures sont à.

QUELQUES APERÇUS SUR IA GÉOLOGIE- DU SAGUENAY 87

peu près de même longueur dans les deux cas, le corps même
de la capsule est au moins deux fois plus long chez notre spé-
cimen.

QUELQUES APERÇUS SUR LA GÉOLOGIE
ù DU SAGUENAY

LES RIVIÈRES DU LAC SAINT-JEAN — LEUR FORMATION
CHAMOUCHOUAN, MISTASSINI ET TICOUABÉE

(Continué de la page 66.)

La formation géologique de cette région presque inconnue
du Canada n’est pas différente de celle des autres parties de
notre vaste pays que nous connaissons.

Des minéraux se découvriront sur tout le parcours que sui-
vra le Grand Chemin Canadien. D'immenses forêts vierges
ombrageront, la moitié du temps, les remblais uniformes sur
lesquels se succéderont et se croiseront les lourds convois
chargés de voyageurs, de colons impatients d'arriver, et de ri-
ches produits de toutes sortes.

Des champs fertiles ouverts à l’agriculture, à l'élevage du
bétail, sur une vaste échelle, se succéderont sans interruption
d’une province à l’autre, fournissant une large zone de riches
établissements, sans compter les nombreux villages et les cités
florissantes couvrant les plantureuses vallées suivies ou tra-
versées par le Grand Tronc Pacifique dans sa course vertigi-
neuse d’une mer à l’autre.

Des centres industriels s’échelonneront sur tous les cours
d’eau qui ont des pouvoirs hydrauliques à fournir et forme-
ront, aidés de la vapeur et de l'électricité, une chaîne continue
de manufactures, d'usines et de scieries qui ne se perdront pas
de vue sur le parcours des trois mille milles de chemin que
représente l’envergure moyenne du Canada.

Ce fameux chemin, en reliant les grandes plaines du Nord-
Ouest aux sombres forêts du Nord-Est, fera qu'un jour on ne

88 LE NATURALISTE CANADIEN

connaîtra plus de différence entre ces deux vastes territoires
tant sous le rapport de l’agriculture, du commerce et de l'in-
dustrie que sous celui du climat, de la population et de la ri-
chesse. RAS
La lacune qui se trouve dans la vallée abrupte et stérile du
lac Supérieur qui fait une tache sur la carte du pays, sera
compensée au centuple par les belles terres unies et fertiles
qui longent les grands fleuves coulant vers la baie d'Hudson
et la baie James. Même vers l'Atlantique — débouchant au
Saint-Laurent et au Labrador — d’autres grandes rivières
fourniront aussi leur bonne part du commerce qui alimentera
l'Ouest par la voie nouvelle.
(A suivre.)
P.-H. Dumas.

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 70.)

L'année 1869 fut marquée, pour l'abbé Provancher, par
un événement de grande importance : son départ de la paroisse
de Portneuf et sa sortie définitive de la carrière curiale.

Dès le mois de septembre 1864, c’est-à-dire deux ans après
sa nomination à la cure de Portneuf, il avait rappelé à l’arche-
vêque de Québec, à la fin de son rapport annuel, qu'il n'avait
été envoyé là qu’en passant. Et, durant encore cinq années,
cet état de transition s'était maintenu. C’est que les supérieurs
ecclésiastiques, ou autres, ne sont pas toujours capables de réa-
liser toutes leurs intentions ; sans compter que, fussent-ils à la
fin en mesure de les accomplir, des circonstances se présentent
parfois qui rendent inopportun ce qu’ils se proposa io ut d’abord.
Bref, après sept années en tout, l'abbé Provancher etait encore
curé de Portneuf. Il est probable d’ailleurs que le motif qui,
en 1864, l'avait engagé à rappeler à l'archevêque sa promesse,
c'est-à-dire la modicité de ses revenus qui était telle, disait-il,

Qa

L'ABBÉ PROVANCHER 89

qu'il n'avait pu subsister jusque-là qu'au moyen des redevan-
ces qu'il retirait de certains de ses anciens paroissiens de
Saint-Joachimn ; il est probable, dis-je, que ce motif avait per-
du de sa force ou même n'existait plus du tout. Car, dans un
pays nouveau et en activité de développement comme le nôtre,
il ne faut pas tant d'années pour qu'une paroisse voie croître
notablement ses ressources, et donc aussi celles de son pasteur,
dont le sort correspond de près au sien, dans notre système
paroissial: chez nous, en effet, si les paroissiens n'ont que de
maigres revenus, le curé se trouve exactement dans la même
situation, puisque ses ouailles ne lui donnent qu’en proportion
de ce qu'elles ont elles-mêmes. On est donc, chez nous, parois-
siens et curé, pauvres ou riches ensemble. Pour ce qui est de
Portneuf, comme en 1869 l'abbé Provancher ne l’a pas quitté
pour passer à une cure plus riche, mais pour prendre sa retraite,
on peut croire que l’exiguité des revenus, qui y sévissait en
1864, avait fait place, sinon à la richesse, au moins à une
aisance convenable,

Il ne semble pas qu'ily ait eu longtemps d'avance en.
tente entre l'archevêque de Quebec et l'abbé Provancher au
sujet de cette question de retraite. Cela ressort d’une lettre
que Mgr Baillargeon écrivait au curé de Portneuf, le 30 mai,
et qui indique bien que l'archevêque ne prévoyait pas alors
que l'abbé Provancher dût cesser prochainement d’exercer le
saint ministère. La rumeur court, lui disait Mor Baïllargeon,
que vous vous proposez de publier un journal agricole en com-
pagnie de l’abbé N.-A.Leclerc. Gardez-vous-en bien! Un curé
a d'autre chose à faire qu’ à publier des journaux, étant donné
surtout que vous avez déjà à vous occuper de la publication
du Naturaliste canadien. Donc, Quærite primum regnum
cælorum !

L'archevêque n'aurait certainement pas écrit en ce sens à
un prêtre qu'il aurait su devoir se retirer du ministère quel-
ques mois à peine plus tard.

Je trouverai en un autre endroit une meilleure occasion de
parler de l'abbé N.-A.Leclerce. Je puis toutefois dire ici même

90 LE NATURALISTE CANADIEN

que la rumeur suivant laquelle il songeait à la publication
prochaine d’une revue traitant de l’agriculture était tout à fait
juste. Mais, par contre, il n'était pas exact qne M. Provancher
dût prendre part à cette œuvre à titre d'associé. Ainsi que le
démontre sa correspondance du temps, c'était bien M. Leclerc
tout seul qui organisait l’entreprise, et il ne savait pas encore
s'il publierait sa revue projetée à Québec, à Montréal ou à
l'Assomption ; l'Ecole d'agriculture de ce dernier endroit lui
avait fait à cet égard des propositions qui lui semblaient
avantageuses. Toute l'intervention de l'abbé Provancher, en
cette affaire, consistait dans l'intérêt qu'il prenait au dessein
de son ami M. Leclere et dans le concours qu'il devait lui
prêter quand l’œuvre serait en voie d'exécution.

Ce fut le 17 septembre que l'abbé Provancher écrivit à
Mgr Baillargeon pour lui offrir sa démission de la cure de
Portneuf. Je n’ai pu retrouver cette lettre, qui n’a pas été con-
servée dans les archives diocésaines.

L'archevêque de Québec accepta cette démission, et le fit
savoir à l'abbé Provancher en lui écrivant, le 22 septembre,
dans les termes suivants : « Par votre lettre du 17 de ce mois,
vous offrez de me remettre votre cure, pour les raisons qui
vous sont connues et que vous exprimez vous-même.—- Par la
présente, j'accepte votre offre et votre démission de ladite cure
de N.-D. de Portneuf. » Le prélat, après avoir averti M. Provan-
cher que ses pouvoirs de curé expireront le samedi 2 octobre
suivant, ajoute ce qui suit: « Vous pouvez annoncer que vous
m'avez remis vous-même la cure et que c’est de votre propre
mouvement que vous la quittez, afin de poursuivre les travaux
scientifiques que vous avez entrepris. »

Ne faut-il pas voir, dans cette dernière phrase, une charitable
préoccupation du bon archevêque Baillargeon, désireux de mé-
nager la susceptibilité du curé de Portneuf ? Cette autorisation
qu'il lui donnait à dire qu'il abandonnait volontairement
l'exercice du ministère paroissial, n’était-elle pas destinée avant
tout à «sauver la face,» comme on dit en Chine ou ailleurs ?

En tout cas, on ne parle pas ainsi à quelqu'un qui se démet

D.

L'ABBÉ PROVANCHER 91

de sa charge d’une façon absolument libre. Et, de fait, l’un des
anciens paroissiens de l'abbé Provancher m'a témoigné avoir
été de ceux qui s'étaient efforcés d'amener Mgr Baillargeon
à lui demander sa démission de la cure de Portneuf. L'arche-
vêque lui a-til vraiment conseillé cette démarche? Cela
me paraît probable, et il me semble que le soin même pris par
l'archevêque de lui dire qu'il peut très bien, sans enfreindre
les exigences de la vérité, annoncer qu'il a de son propre mou-
vement donné sa démission, indique à mon sens qu'il avait en
effet été invité à résigner son poste. Cette façon de mettre
fin à une situation vraisemblablement difficile avait l'avan
tage d'éviter à l'autorité ecclésiastique la peine de recourir
à un procédé désagréable pour l'intéressé, et de sauvegarder en
même temps aux yeux du public la réputation de celui ci.
Les choses n'avaient done pas toujours marché sur le pied
d'une parfaite harmonie entre le curé et ses paroissiens ?
Quand l'abbé Provancher arriva à Portneuf, en 1862, cette
paroisse était encore peu organisée, et la situation financière
était fort difficile, tant il avait fallu s’endetter pour la cons-
truction de l’église et du presbytère. Comme il a été dit précé-
demment, il réussit à restaurer les finances paroissiales et à
subvenir en même temps aux frais de l'administration, et cela
sans recourir à aucune répartition légale. Non seulement il
pourvut par lui-même à tous les détails du gouvernement re-
ligieux de la localité; mais comme il n'y avaitlà à peu près
personne d'instruit, il s'occupa aussi des affaires de la commis-
sion scolaire, et même de l'administration municipale ; il lutta
contre les vendeurs de liqueurs alcooliques; il organisa la
compagnie du bateau le Portneuf, qui tint une ligne de cabo-
tage entre Québec, Portneuf, et autres endroits jusqu'à Gentil-
ly, et qui avait pour consigne de ne pas approvisionner les
auberges de ces boissons. Bref, durant sept années, M. Provan «
cher présida, au temporel comme au spirituel, à toute la vie
de Portneuf. Comment donc s'étonner que, le long de la route
où il sema des bienfaits, il ait rencontré des ingrats ? Et com-
ment aurait-il pu exercer tant de fonctions et mener à bien

92 LE NATURALISTE CANADIEN

tant d’affaires diverses sans créer ici ou là des mécontentements
même très vifs? Il faudrait, pour le nier ou s'en montrer sur-
pris, ignorer les imperfections de la nature humaine.

Il faut ajouter que l'abbé Provancher fournissait bien, lui
aussi, son contingent d’imperfections humaines. Il était doué
d’une grande activité ; il était très avisé et plein de ressources
pour réaliser ses desseins. Mais son tempérament était vif et
tranchant ; les procédés conciliants étaient peu son fait ; le miel
et le lait n'étaient pas toujours les notes caractéristiques de
son verbe. Manque de docilité ou d'intelligence chez les parois-
siens ; manque de mesure ou de patience de la part du curé: il
n’en faut pas tant pour que la concorde laisse parfois à désirer.

Tout cela est loin d’être nouveau dans l’histoire de l'Eglise,
en la vie de laquelle le divin Fondateur a voulu laisser une
grande part à l'élément humain. Et l’on a raison de dire que
le maintien intésral de l'Église à travers ses deux dizaines de
siècles, en dépit des imperfections, même des fautes et des cri-
mes de ceux qui la composent ici-bas, est l’une des preuves irré-
fragables de son institution divine et de l’assistance continuelle
que lui prête, suivant sa promesse, Celui qui l’a établie.

(À suivre.)
V.-A. H.

LE RADIUM

Au moment où une usine va s'ouvrir, dit-on, aux portes de
Paris pour traiter certains minerais et en extraire le radium.ou
ses sels, il est peut-être opportun de calmer l’ardeur des nom-
breuses personnes que la grande valeur du radium incite à en
rechercher la présence dans les terrains qui les environnent.

Depuis que l'attention a été attirée sur ce nouveau corps, on
l’a trouvé un peu partout en quantités plus ou moins appré-
ciables. Les lecteurs de ces notes, qui ont suivi la question, ne
l'ignorent pas certainement.

"misit ÉbE

LE RADIUM 93

On a reconnu la radium dans la plupart des sources minéra-
les; on le signalait récemment dans la craie d'Oxford, près de
Clayton. Au mois de février dernier, le professeur J.-J. Thom-
son, dans une conférence à la Philosophical Society de Cam-
bridge, disait que l'on avait trouvé du radium dans le sol du
jardin du laboratoire, dans le gault de Cambridge, dans le gra-
vier d’un puits à Chesterton, en assez grande quantité dans le
sable du bord de la mer à Whitby, dans le lias bleu, au même
lieu, et, ce qui est encore plus inattendu, dans du verre en pou-
dre, dans un spécimen de farine et dans de la silice précipitée.

Le tout n’est pas d’avoir du radium dans certains matériaux,
il abonde ; muis son extraction est assez onéreuse pour lui don-
ner la valeur que l’on sait.

Les personnes que la curiosité porte à rechercher sil existe
des matériaux radio-actifs dans certains minéraux peuvent la
satisfaire facilement : elles n’ont qu’à poser le corps sur une pla-
que photographique bien enveloppée de papier impénétrable à la
lumière, et développer après quelques heures; si le corps a déter-
miné une tache noire sur la glace, c'est qu'il contient un corps
radio-actif. Quant à l’isoler, c’est nne autre affaire.

Ajoutons que, pour le moment, nous ne voyons pas l'utilité
d'avoir de grandes quantités de radium. Ses usages pratiques
ne se sont pas encore révélés, et pour les savants qui l’étudient
quelques grammes partagés entre toutes les académies et tous
les laboratoires du monde sont suffisants. — Rappelons en
passant que l'on n’a pas encore obtenu le radium, mais quel-
ques-uns de ses sels seulement.

Nous dirons même plus: une quantité de radium obtenue ren-
drait la vie impossible dans tout le voisinage, sa funeste
influence s’exerçant à travers la plupart des corps. Il rend
l'air conducteur de l'électricité, de telle sorte que tout con-
ducteur d'électricité laisse échapper celle qu'il est chargé de
conduire: télégraphe, téléphone, vulgaires sonnettes électri-
ques sont frappées d'impuissance par sa présence; nous ne
parlons que pour mémoire de ses effets physiologiques qui
sont déplorables. Si vous apprenez que votre voisin a réuni

94 LE NATURALISTE CANADIEN
L 2

un kilogramme de radium, déménagez sans hésitation et au
plus tôt. Mais, par le fait, c'est une éventualité qui semble en-
core lointaine.
._ (De la «Causerie scientifique» de la Croix, de Paris, 5-6
juin 1904.)

LES HERBIERS ET LES INSECTES

Extrait de la Séance du 18 mars 1902 de la Société
botanique de Lyon.

M. P. Prudent présente les remarques suivantes touchant la
destruction des plantes d’herbier.

Ayant fait dernièrement une revision de son herbier qu'il
avait négligée depuis plusieurs années, à cause de ses occupa
tions professionnelles, il a constaté de nombreux dégâts produits
surtout par l’Anobium paniceum et par sa larve. Ces dégâts
étant très variables suivant les familles, M. Prudent a pensé
qu'il serait utile d'indiquer avec plus de précision qu’on ne l’a
fait antérieurement quelles sont les familles dont les plantes
sont le plus fréquemment détruites par le susdit insecte. D’après
l'examen de son herbier, il a noté dans le tableau suivant la
proportion sur cent des espèces détériorées.

Ombellifères :),1, 4128 60 Gentianacées "eee 26
Solanées. :. 11, 42.020 55 Campanulacées "0 25
Cupulifères, Salicacées et Labiacées. .. 44e Res

Bétulacées..... PAR 55 Crucifères RES 22
Euphorbiacées .. :.,...12 50 Papilionatées FR 16
IOBACÉES 22.14 2 PERS 50 ‘Personacées.......,.. 15
Renonculacées., "00e. 40 Borraginacées.. 12
Crassulacées, 1.711126 40 Saxifragacées. ... 7
COMPOSCeN. EPL A SR 34 Caryophyllacées.......... 7
TAliaeéles Nr. ire 0e 28 Primulacées, OR 5

à it

CONTRE LA PIQURE DES ABEILLES ET CCUSINS 95

Sont restées toutes indemnes les plantes des familles sui-
vantes: Joncacées, Cypéracées, Graminacées, Fougères, Viola-
cées et Polygalacées.

Il est digne de remarque que certaines espèces, souvent atta-
quées par les insectes, contiennent des substances qui sont
toxiques pour l’homme et les animaux supérieurs ; telles sont
la Belladone, la Jusquiame, le Stramoine, le Colchique, le Vé-
ratre, les Digitales, plusieurs Renonculacées, Rutacées, Ombel-
lifères et Euphorbiacées.

Les plantes de la famille des Labiacées, qui contiennent des
essences, restent plus longtemps indemnes que celles qui en
sout dépourvues ; toutefois, après un temps plus ou moins
long, elles deviennent aussi la proie des insectes phytophages,
lorsque les essences se sont volatilisées. Pour le même motif,
la préservation n’est que temporaire lorsqu'on met de la naph-
taline à l’intérieur des feuillets de papier de la collection ou
lorsqu'on instille sur les plantes elles-mêmes une solution de
naphtaline dans la benzine. La préservation est encore moins
durable, après le traitement par le sulfure de carbone. C’est
pourquoi les botanistes ne doivent pas hésiter à employer sans
retard le traitement par la solution de bi-chlorure de mercure,
qui seul peut assurer la conservation prolongée des plantes de
leurs collections. J.-G.

(Revue horticole, Marseille.)

REMÈDE CONTRE LA PIQURE DES ABEILLES
ET COUSINS

Beaucoup de remèdes ont été indiqués pour calmer la dou-
leur occasionnée par la piqûre des Abeilles. Un certain nombre
sont efficaces. Cependant, il est bon d’en indiquer de nouveaux,
afin que, étant nombreux et variés, on ait la commodité d'en
avoir toujours un sous la main le cas échéant. En voici deux
qui sont très simples et, dit-on, très actifs. Le premier consiste
à verser quelques gouttes d’eau de Javel sur la piqûre; l'effet

96 LE NATURALISTE CANADIEN

serait des plus rapides. On trouve le second dans tous les po-
tagers : Il suffit de couper un poireau et de frotter à l'endroit
blessé, la douleur disparaît au bout de très peu de temps. On
peut employer ce dernier remède avec le même succès contre
les piqûres des Cousins.

(Revue horticole.)

PUBLICATIONS REÇUES

— Proceedings of the Academy of Natural Sciences of
Philadelphia, vol. LVE, p. 1. 1904.

Parmi les études contenues dans ce volume, nous remar-
quons un travail sur les Arachnides de la Floride, et la des-
cription d’Araignées américaines des familles Zycosidæ et
Pisauridæ.

— Jean Talon, Intendant de la Nouvelle-France( 1665-
1672), par Thomas Chapais. Vol. in-8° de 540 pages, avec
portrait. Prix: $ 1.00; franco $ 1.15. ( Chez l’auteur, 73, rue
Saint-Louis, Québec, et chez les libraires.)

Cet ouvrage a été accueilli avec une faveur marquée par
notre public instruit. Ce succès s'explique très bien quand on
considère l'importance et l'intérêt du sujet qu'il traite, et sur-
tout le talent avec lequel il est traité; car personne n'y a
trouvé les imperfections que M. Chapais a cru voir dans son
œuvre et qu'il a énumérées dans sa Préface — contrairement à
la plupart des écrivains qui sont les seuls à ne pas apercevoir
des défauts que tout le monde reconnaît.

Le livre de M. Chapais est tout désigné pour faire partie
des bibliothèques paroissiales et autres.

— Annuaire du Séminaire de Chicoutimi pour l’année
scolaire 1903-1904.

Très belle brochure de plus de 100 pages, et qui donne une
haute idée de l’organisation du séminaire diocésain de Chicou-
timi.

— ( Smithsonian Institution ) American Hydroids. Part
IT. The Sertuluridæ, with 41 plates. By Chs. Cleveland Nut-
ting. Washington. 1904.

La première partie de cet ouvrage, consacré aux Plumula-
ridcæ, a été publiée en 1900.

— Annual Report of the Smithsonian Institution. 1902.
Washington. 1904.

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Septembre 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 9

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

À PROPOS DE LARVES

Enfin, j'en ai découvert une que je cherchais depuis bien
longtemps.

Le 22 juillet dernier, en compagnie de M. Gustave Chagnon,
notre brillant entomologiste, je m'en allais passer la journée —
une journée que nous nous proposions de bien employer — à
Saint-Martin, sur l’île Jésus, endroit remarquable par ses bois
d’érables et ses marais. Pendant que mon compagnon s’escri-
mait à la capture au filet de ses espèces favorites, diptères,
hyménoptères et Pentatomides, je grattais patiemment sous les
mousses et les immondices d’un marais encore vaseux, à la
recherche de Staphylinides, de Dytiscides et d'Hydrophilides.

La pensée me vient d’arracher une énorme touffe de roseaux-
quenouilles (Typha latifolia L.) afin de voir si quelque larve
n'y vivait pas dans les racines. Je n’y trouvai qu’une nymphe
pouvant mesurer six lignes de long (20 mm.), d’un vert ten-
dre, presque diaphane, que je crus être d’un Hydrophilide, peut-
être Hydrocharis obtusatus Say. Je la deposai précieusement
dans ma boîte 4e fer-blanc, et l’apportai chez moi.

En rendant visite à ma nymphe, le lendemain, quelle ne fut
pas ma surprise de trouver, attachée à son dos, une toute petite

9 — Septembre 1904.

98 LE NATURALISTE CANADIEN

larve de même couleur, mesurant au plus trois lignes (10 mm.) !
La croyant inoffensive, je la laissai en compagnie de la nym-
phe. Le 26 juillet, en ouvrant ma boîte pour me mettre au
courant des progrès de mes élèves, j'eus le regret de constater
que la nymphe avait disparu : la misérable petite larve l’avait
mangée ; 1l n’en restait plus qu’une mince enveloppe jaunâtre
à peine perceptible. Mais l’autre, par exemple, avait, en si peu
de temps, crû dans des proportions étranges : elle mesurait
bien maintenant le double, et sa coloration était, du vert ten-
dre, passée à un jaune-gris, assez difficile à définir. La tête,
petite et ornée de deux gros yeux noirs, était armée de fortes
mandibules brunes, et le corselet, à peine plus large que la tête,
en avant, se développait progressivement de manière à égaler
l'abdomen, renflement énorme comparativement à l’avant-train.

Je ne savais où classer cette étrange larve; je croyais être
en présence de celle du Tropisternus glaber Hbst., si commun
dans nos étangs. Le plus sûr moyen d’en avoir la preuve était
d'attendre ; c’est ce que je fis.

Le 30 juillet, la larve s'était transformée. J'avais mainte-
nant devant moi une jolie nymphe mesurant environ cinq li-
gnes ( 15 mm. ), recourbée sur elle-même, de couleur crème, le
dos parsemé de longs poils blonds. Les yeux étaient jaunes,
à peine perceptibles. Par la position, par la forme, je n’eus
plus de doute: c'était bien le Tropisternus glaber. Mon compa-
gnon de travail, M. Gustave Chagnon, fut de mon avis. Il est
vrai que je ne distinguais pas l’épine thoracique, mais la posi-
tion des pattes ne permettait pas de la voir,et je n’osais tou-
cher à l’insecte.

Souvent, on le conçoit, je rendais visite à cette nymphe- Le
7 août, je remarquai que les yeux devenaient de plus en plus.
foncés ; je me dis : le temps est proche.

Le 9,au matin, la nymphe était éclose ; et j'avais devant moi
non un Hydrophilide, mais bien un Carabique. Et je ne m'en
étonne pas maintenant, car le développement des pattes et des
antennes aurait dû m'y faire penser. Ce Carabique, très bien
venu, esb un Brachynus, probablement B. cordicollis Dej.

INFLUENCE DE LA LUNE EN AGRICULTURE 99

Mais je n'ose l’affirmer : il y a tellement de confusion dans ce
genre, que je bénirais l'entomologiste qui entreprendrait d'y
mettre un peu d'ordre, chose à laquelle j'ai moi-même songé,
jadis, mais dont j'ai dû abandonner le projet, le temps et l’aide
me manquant.

C'est la première fois qu’il m'est donné de suivre ainsi cet
insecte dans toutes ses phases. Mais aussi, il faut dire que le
hasard m'a bien servi.

Mais j'aurais bien voulu savoir ce qu'était l’autre nymphe !

GERMAIN BEAULIEU.

INFLUENCE DE LA LUNE EN AGRICULTURE

Je ne suis pas de ceux qui pensent que la science a tout dé-
couvert et que l’on doit rejeter sans examen ce qu’elle ne peut
expliquer: mais pour qu'une chose inexplicable soit tenue pour
certaine, j'estime qu'elle doit s'appuyer sur des expériences
sérieuses. Aussi, si je suis convaincu de la nullité de l'influen-
ce de la lune au point de vue de la physiologie végétale, ce
n’est pas parce que cette influence serait inexplicable, c'est sur-
tout parce que, pendant vingt-cinq ans de pratique agricole, je
n'ai relevé aucun fait sérieusement établi à l'appui de cette
croyance et que je puis au contraire en citer de très précis qui
sont à l'encontre.

La croyance à l'influence de la lune est loin d’avoir à la cam-
pagne la puissance d’un axiome, témoin cet agriculteur qui me
disait : « Nous savons que la lune ne peut rien faire à nos ré-
coltes, maïs on l’entend tellement dire que cela fait toujours
quelque chose à l'imagination. »

Les faits cités ne sauraient être présentés comme indéniables ;
qu'on en juge:

C’est une croyance répandue que les arbres taillés à la lune
vieille poussent moins vigoureusement que si la taille à été
exécutée à la lune nouvelle, mais, toujours d’après la croyance
populaire, ily a un jour particulièrement néfaste ponr ce
travail, c’est le dernier mercredi de la lune; aussi on admet

100 LE NATURALISTE CANADIEN

qu'un arbre taillé ce jour-là ne repousse pas, au point qu'on
recommande de choisir ce mercredi pour couper les ronces et les
arbres nuisibles. Voici cequi m'a été raconté par un agriculteur :

Une année, très pressé par le travail, je commençais à tailler
six jeunes mûriers sans trop réfléchir au jour ni à la lune. Lors-
que j'en eus taillé trois, je m'aperçus que c'était le dernier mer-
credi de la lune. Je laissai mon travail inachevé, bien persuadé
que j'avais tué mes trois arbres, et je revins tailler à la lune
nouvelle les trois qui étaient restés. Dans la suite, je ne pus
constater la moindre différence entre ceux qui devaient mou-
rir, et ceux qui, selon la croyance populaire, devaient pousser
vigoureusement.

— Voilà, lui répondis-je, une expérience qui devrait bien
vous faire perdre votre belle confiance en la lune.

Voici encore plusieurs faits dont j'ai été témoin :

Un jour nous étions occupés à planter des pommes de terre.
Passe un voisin qui nous interpelle en ces termes :

— Vous voulez donc récolter des chapelets ?

— Comment ça ?

-— La lune ne vaut rien aujourd’hui pour le travail que
vous faites. Vous récolterez des pommes de terre nombreuses
mais très petites ; la lune n’a pas de force.

C'était, on le voit, parler avec assurance.

A la récolte il n’y eut rien d’extraordinaire comme nombre,
mais les tubercules furent superbes de grosseur; ce qui nous
fit dire que si la lune avait eu toute sa force le jour de la
plantation, les pommes de terre auraient sans doute atteint la
grosseur d’une courge,

Un jour j'étais occupé à greffer un abricotier, lorsque je fus
aperçu par un greffeur de profession :

— Comment, tu greffes aujourd’hui ! Mais la lune ?

— Je dois vous dire que je ne l’ai pas consultée.

Notre professionnel eut un sourire de pitié pour mon igno-
rance et me dit charitablement :

— La greffe prendra, mais l'arbre ne portera pas de fruits,
la lune est nouvelle. Ça ne vaut rien pour la greffe !

INFLUENCE DE LA LUNE EN AGRICULTURE 101

Ma greffe réussit bien, mais ce qui fut le plus fort, c’est que
l'année suivante elle me donna six fruits. Vingt ans sont pas-
sés. Depuis, mon abricotier est devenu un bel arbre qui a tou-
jours été très prolifique en dépit de la prophétie qui l'avait
condamné à la stérilité.

Quant à la vermoulure des bois, selon l’état de la lune au
moment de la coupe, je n'en crois rien pour la raison que je
fais toujours couper le bois à la lune décroissante, ce qui n’em-
pêche nullement les vers de l’attaquer.

Quant à un bois qui surnage ou va au fond de l’eau, suivant
que la lune était vieille ou jeune au moment de la coupe, c'est
la premièrefois que je l’entends dire. J'aimerais bien être témoin
de cette expérienceque j'ai bien des raisons pour mettre endoute,

Beaucoup de jardiniers ne tienuent aucun compte des pha-
ses de la lune; ils se contentent de faire leurs semis aux épo-
ques convenables et réussissent tout aussi bien que ceux qui
consultent la lune en toute occasion.

Je pourrais citer encore bien des exemples qui prouvent que
cette croyance sur l'influence de la lune ne repose sur aucune
donnée sérieuse, qu'il y a là uu préjugé populaire; très difficile
à déraciner et qui résulte des connaissances ou plutôt de l’igno-
rance agricole il y a deux cents ans.

Il'me souvient d'avoir lu la Maison rustique du X VIT siè-
ele, un grand in-folio de 1200 pages, où la croyance en la lune
tient la place d'honneur et explique la réussite comme les
échecs. A cette époque, ce n'était pas seulement l'agriculture
qui était tributaire de la lune ; toutes les connaissances déri-
vaient de la science des astres. La médecine, pour ne parler
que de celle-là, avait une lune pour purger, saigner les flegma-
tiques, les sanguins ou les hypocondriaques.

Aujourd'hui, elle est bien débarrassée de ces préjugés.

Souhaitons, pour son plus grand bien, que l'agriculture en
fasse autant. HENRY AYME,

secrétaire du Syndicat agricole à Lagnes (Vaucluse).
(La Croix, 15 juillet 1904.)

102 LE NATURALISTE CANADIEN

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 92.)

Assurément, l’abbé Provancher ne dut pas trouver que des
contradicteurs et des opposants à Portneuf. Il est même à croire
que le grand nombre de ses paroïssiéns lui manifestaient plutôt
de la bienveillance et du respect: c’est sur quoi l'on peut comp-
ter toujours, en nos bonnes paroisses canadiennes, dans les re-
lations entre les paroïssiens et leur curé, quel qu'il soit. Il y eut,
par exemple, cette manifestation de regret et de sympathie, ra-
contée en uu autre endroit de cette biographie, et que la frater-
nité du Tiers-Ordre fit à l’occasion de l’éloignement de son di-
recteur et fondateur, et qui dut consoler un peu l'abbé Provan-
cher de la tristesse de son départ...Car, pourquoi le cacher ?
après tant de travaux et de sollicitude mis au service de la pa-
roisse, personne ne l’accompagna lorsqu'il se rendit du presby-
tère au quai pour s’embarquer sur le Portneuf, et la seule mar-
que de sympathie qu'il recueillit lui fut donnée par un chien qui
frétilla de la queue à son passage ! Ces détails affigeants, je les
tiens d’un ancien paroissien de l’abbé Provancher.. Mais ils n’au-
torisent pas, maloré tout, à penser qu'il n’y avait pas, chez un
grand nombre, de sympathie en sa faveur. J

À part un futile incident qui survint, comme cela arrive par-
tout, entre les chantres et le curé, les archives ne disent rien
des difficultés qui existèrent entre le curé de Portneuf et ses
paroissiens. Ne vaut-il pas mieux que tout cela soit à Jamais
enseveli dans les ombres de l'oubli? D'un autre côté, M. Frovan-
cher ne paraît avoir conservé aucune amertume de ces évé-
nements. Au cours d’une intimité de près de vingt-cinq ans,
jamais il ne m'a laissé même soupçonner quoi que ce soit de ses
chagrins de cette époque. Bien des années après son départ de
Portneuf, je l'ai accompagné dans une visite qu’il fità son ancien-
ne paroisse : et ce voyage parut lui être agréable de tout point.
Cela prouve ou bien qu’il avait depuis longtemps tout pardonné,
en vrai disciple de saint François d’Assise qu'il était, ou bien

L'ABBÉ PROVANCHER 103

que les difficultés qu'il avait rencontrées durant son séjour à
Portneuf n'avaient peut-être pas été si graves qu'on pourrait le
penser. Du reste, lorsqu'on a cru toujours faire son devoir
et agir pour le bien, les ennuis que l’on a rencontrés sur son che-
min portaient avec eux leur baume consolateur ; et il est si cer-
tain que, avec sa droiture d'espritet son dévouement indéfecti-
ble, le curé de Portnenf pouvait se rendre le témoignage d’a-
voir toujours fait ce qui lui paraissait être son devoir !

Et, après tout cela, il ne me semble pas que l’on puisse attri-
buer son départ. de Portneuf uniquement au défaut d'entente
avec ses paroissiens. On a vu, dans le récit de cette démarche
de la fraternité du Tiers-Ordre que je rappelais tout à l'heure,
signaler que des raisons de santé avait engagé le curé de Porneuf
à se retirer de l'exercice du saint ministère. Lui-même, dans la
12° livraison du Naturaliste canadien (Vol. I, p. 270), indique
aussi ce motif pour expliquer son entrée dans la retraite. Il
ne faut pas oublier qu'il exerçait le ministère des âmes depuis
vingt-cinq ans bien comptés; et l'on peut dire que, durant
ce quart de siècle, il ne s'était guère épargné. Quoi d'étonnant,
dès lors, qu’il ait senti le besoin de se reposer à la suite de ces
labeurs incessants ? En outre. il avait contracté, durant cette
période de sa vie, une bronchite qui, pour sommeiller parfois,
n'en devenait pas moins incommode à certaines époques. Cette
infirmité, à elle seule, pouvait lui rendre bien difficile l'exercice
du saint ministère, surtout dans un? paroisse rurale et sans ai-
de d'aucune sorte. Du reste, les autorités ecclésiastiques jugè-
rent elles-mêmes que la santé de l'abbé Provancher était sérieu-
sement atteinte, puisqu'elles autorisèrent la société de secours,
établie parmi le clergé, à lui servir une pension annuelle, qu'il
toucha durant tout le reste de sa vie. Je ne dois pas omettre de
dire par exemple que, certain jour, vraisemblablement à une
époque où l’état de sa santé s'était amélioré davantage et où la
fameuse bronchiteavait dormi plus longtemps que d'habitude, il
eut scrupule de se tenir ainsi éloigné de l'exercice du ministère
sacerdotal et de continuer à percevoir une pension à laquelle il
n'était plus convaincu d’avoir absolument droit. Cette situation

104 LE NATURALISTE CANADIEN

et ces inquiétudes, il les exposa à un théologien qui le rassuræ
tout à fait, et lui démontra, de plus, qu'il n’avait pas sujet de
regarder sa carrière, maintenant consacrée exclusivement aux
études scientifiques, comme étran zère au service de l'Eglise. En
effet, l’une des gloires de l'Eglise catholique, c’est que, à toutes
les époques de son existence, elle a favorisé la science de tout
son pouvoir, et que toujours, dans les assemblées des savants,
elle a compté quelques-uns de ses ministres. Aujourd’hui sur-
tout, malheureusement, qu'en la plupart des pays on demande
à toutes les sciences des armes contre la vérité, il importe que
des fils de l’Église soient au premier rang en ce domaine aussi,
non seulement pour démontrer que la Foi n’est pas l’ennemie
du savoir, mais aussi pour rencontrer victorieusement les

adversaires sur cé même terrain scientifique, qui est en nos

temps le plus habituel champ de bataille où l’erreur cherche à
perdre les hommes.

III: PARTIE
DANS LA RETRAITE (1869-1892)

Durant le dernier tiers de sa vie, c’est-à-dire durant les
vingt-trois années qu’il vécut encore, l'abbé Provancher s'occupa
principalement de l'étude des sciences naturelles. Ce vétéran du
sanctuaire fut donc favorisé d’un bonheur qui n'échoit qu'à un
petit nombre des hommes. Avoir passé vingt-cinq années dans
l'exercice constant de sa profession, en sortir avec une santé re-
lativement satisfaisante et qui n'exclut pas les travaux que l’on
préfère, et pouvoir encore, durant un quart de siècle, se livrer
persévéramment à des études qui ont fait le charme de sa jeu-
nesse et de son âge mûr: cela n’est point ordinaire. Et l’homme
à qui la Providence accorde une pareille bénédiction doit lui
témoigner la plus grande reconnaissance pour un don si rare.

Ces années de retraite paisible, l'abbé Provancher les em-
ploya donc principalement à poursuivre ses travaux scientifi-
ques; mais l’activité infatigable qui avait signalé toute sa vie ne
s’éteignit pas du jour au lendemain, ne s’éteignit même jamais
entièrement; et, comme nous le verrons avec quelque détail,

L'ABBÉ PROVANCHER 105

diverses occupations et maintes entreprises vinrent s'ajouter
aux travaux techniques et mettre de la variété dans la vie de
notre naturaliste.

A QUÉBEC ET AU CaP-ROUGE

En quittant la paroisse de Portneuf, l'abbé Provancher vint
résider à Québec. Il n'avait jamais goûté à la vie des villes, et
réalisait là, probablement, l’un de ses rêves du passé. Il y a cer-
tainement des esprits qui ne mettent rien au-dessus du calme et
de la tranquillité, et qui ne sauraïent se faire au mouvement et
à l'agitation qui caractérisent les grands centres de population,
Mais il n’est pas moins sûr que pour la plupart des gens le sé-
jour des villes a beaucoup d’attraits : ils apprécient les distrac-
tions que l’on y trouve, et la facilité des relations sociales les y
attache tout à fait, sans que le mouvement des affaires ou le
bruit des machines leur soit aucunement désagréable. Quelles
que fussent à cet évcard les préférences de l’abbé Provancher,
l'intérêt de ses études et de ses publications lui parut sans dou-
te exiger qu'il vint fixer sa résidence à Québec. «Retiré dans
la capitale (écrivait-il dans le Naturaliste canadien du mois de
novembre 1869), nous avons à notre disposition, pour nous aider
dans nos recherches, les grandes bibliothèques et les musées de
la métropole des lettres en Canada, et nous sommes tous les jours
en contact avec des érudits, tels que les savants professeurs de
l'Université Laval et autres, dont la bienveillance nous assure
le concours lorsque nos connaissances nous feront défaut. »

Voilà bien, en effet, pour l’homme d’étude et particulière-
ment pour le naturaliste, les avantages du séjour à la ville.
Avoir accès tous les jours à des bibliothèaues bien assorties};
pouvoir étudier, chaque fois qu’on le juge utile, les spécimens
de musées considérables ; pouvoir consulter, sur toute difficulté
que Jon rencontre, des maîtres de la science : quels avantages
incomparables! L'abbé Provancher qui, jusque-là, avait travail-
lé dans l'isolement et réduit aux seules ressources de sa biblio-
thèque particulière et des collections qu'il avait pu réunir lui-
même, dut se féliciter de se voir en des conditions meilleures

106 LE NATURALISTE CANADIEN

pour la poursuite de son œuvre scientifique. Evidemment Qué-
bec, surtout à cette époque, n’offrait pas à l’homme d'étude les
mêmes ressources que Paris ou d’autres grandes villes, dont les
bibliothèques et les musées sont immenses et riches de trésors
de toute nature ; mais la capitale de notre Province offrait pour-
tant dès lors de favorables conditions aux habitués du travail
intellectuel.

V.-ASEH.

(A suivre.)

LE SERPENT DE MER

Puisque le « Serpent de mer » revient sur l’eau, de ce temps-
ci, le Vaturalhste doit au moins en signaler l’événement.
Nous avons, voilà quelques années, fait une sorte d'enquête sur
ses apparitions plus ou moins authentiques, et nous avions fini
par conclure que, sans nier l'existence du monstrueux animal,
la science ne pouvait encore l’admettre sur les dires, plus ou
moins sujets à caution, de témoins souvent inconnus.

On sait que l’histoire du Serpent de mer fut lancée, il y &
une cinquantaine d'années, par un journal parisien, à titre de
pure fantaisie. L'affaire suscita d’abord de l'intérêt chez le
public toujours crédule. Puis on commença à rencontrer le
Serpent de mer sur les divers océans du globe, et jusque dans
notre fleuve Saint-Laurent.

Quant aux zoologistes, ils s’amusèrent d’abord de ces fantai-
sistes récits; ils devinrent ensuite perplexes, à mesure que
se multipliaient ces rapports d’apparitions. Mais voilà qu'au-
jourd’hui, enfin, la science paraît contrainte de prendre le sujet
au sérieux. C’est du moins ce qu’il faut conclure de certains
faits récents dont les journaux de Paris se sont occupés en ces
derniers mois. Nous allons reproduire ici l’article que l'Un1-
vers du 2 juillet a consacré à ces faits récents, dont l’Aca-
démie des Sciences s’est elle-même occupée.

à
.

LE SERPENT DE MER 107

«Le fameux « Serpent de mer » n'est pas mort. Il vient d’être
signalé de nouveau dans la baie d’Along, en Indo-Chine, par
l'équipage d'un de nos navires de guerre.

«Il ressort d'un rapport du lieutenant L'Eost, commandant la
Décidée (1), que le monstre a été signalé le 25 février dernier. Il
fut pris d’abord pour une tortue gigantesque, de la couleur des
rochers de la côte, flottant à la surface des eaux. Bientôt on
vit l'animal se développer sur une longueur d’une trentaine de
mètres , plonger à diverses reprises sous le navire pour reparaî-
tre du côté opposé, remonter à la surface, rejeter de la vapeur
d’eau, enfin disparaître au bout d’une dizaine de minutes, avant
qu'on ait pu le photographier.

«L'équipage tout entier put se rendre compte que sa longueur
atteisnait environ 35 mètres, sur un diamètre de 3 à 4 mètres (2)
dans sa plus grande largeur.

«Sa peau était noire, semée de taches jaunâtres. Sa tête, de
coloration grisâtre et couverte d’écailles, rappelait vaguement
celle d’une tortue. L'animal nageait en ondulant et plongeait
avec une facilité remarquable.

« Ces observations contresignées par l'état-major et l'équipage
de la Décidée concordent avec celles qui ont été faites dans cette
même baie d’Along en 1897 par le commandant Lagrésille,

« En outre, l'amiral de la Bédollière, à l’époque où il com-
mandait le Bayard, a vu dans les parages de cette même baie
d'Along deux de ces animaux.

«M. Vaillant, professeur au Muséum, pense que l’on se trou-
ve en présence des derniers descendants d'animaux de la famil-
le des grands Sauriens de l’époque antédiluvienne, l’Ichtyo-
saure, par exemple.

« On suppose que ces animaux, connus et redoutés des Anna-
mites, doivent avoir fourni l’idée du dragon, emblème national
de l’Annam. C’est l'opinion du lieutenant de vaisseau Lagré-
sille, auteur du premier rapport sur le serpent de mer en 1897.

(1) Le Naturaliste, de Paris, dit : «la Désirée ». (Note du N, C!)
(2) «4 ou 5 mètres, » dit le Naturaliste, de Paris. (Note du N. C!)

108 LE NATURALISTE CANADIEN

«On attend le retour des officiers de la Décidée pour préciser
certains détails de l'apparition, et demander, s’il y a lieu, le dé-
part d’une mission scientifique pour la baïe d’Along. »

PUBLICATIONS REÇUES

/

— Proceedings of the U. S. National Museum, Vol. 27.
1904.

Ce volume contient, entre autres, beaucoup de mémoires
traitant de l’'entomologie et de la malacologie.

— (Rural Studies Series. No. 5.) How to make Notes for
a Rock-Soil Flora. À lecture by the Rev. E. Adrian Wood-
ruffe-Peacock, L Th. F. L. S. F. G. $S., M. C. $.; vicar of

Cadney, Brigg, soil, grass and game specialist. 1904. (From
the Author, or Louth, J. W. Goulding & Son, 20, Mercer-Row.
Price one shilling, Post free.)

Petite brochure de 20 pages, où les botanistes trouveront
des conseils très pratiques pour la tenue de leurs registres.

— Bulletin de la Société des Sciences historiques et natu-
relles de Semur-en-Auxois (Côte d'Cr). Années 1902 et 1908.

— Annales de la Société entomologique de Belgique. Tome
47°. Bruxelles. 1903.

En feuilletant ce volume, nous avons vu annoncée, en séance
du 2 mai 1903, la mort de F. Crépin, directeur honoraire du
Jardin botanique de l'Etat à Bruxelles, et célèbre par sa mo-
nographie des Roses. Nous avons autrefois été en relation
avec M. Crépin.

— Actes de la Société linnéenne de Bordeaux. Volume 58.
Bordeaux. 1903.

Fort volume, contenant de savants travaux sur les diverses
branches de l’histoire naturelle.

— Field Columbian Museum, de Chicago.

Plusieurs volumes des séries zoologique, botanique, anthro-
pologique, etc.

LE

NATURALISTE CANADIEN

Québec, Octobre 1904

=

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 10

Directeur-propriétaire : l'abbé V.-A. Huard

MOUSTIQUES ET PALUDISME (1)

L’entomologie n’est pas ce que pense un vain peuple. — Le moustique, voilà
l'ennemi. — Dans le courant d’une onde pure. — Où prend enfin des ailes et l’on
s’envole. — La vie en deux compartiments. — Guerre au moustique, sur terre
et sur mer, — Nouveau danger d'incendie. — Vénérer désormais l’entomologie
et les entomologistes.

Inutile, une simple affaire d’amusement, l'entomologie ?

Eh bien, c’est ce que nous allons voir.

Que l'étude de l’entomologie soit très attachante, rien de
plus vrai. D'abord, pour peu que l’on s’adonne à la collection
systématique des insectes, l'intérêt que l’on y met devient
bientôt de la passion, et ce feu n’est pas en péril de manquer
jamais d’aliment : car le nombre des objets à collectionner est
immense, au point qu'il n'y à pas dans l'univers une seule col-
lection qui contienne toutes les espèces entomologiques même
d’un seul pays. Une passion de ce genre, toutefois, ne fait
qu'entrer dans la catégorie des instincts de collectionneur,

(1) Nous nous ren lons volontiers au désir que l’on a exprimé de voir reproduit
dans le N. C. cet article que nous avions écrit pour la Vouvelle-France. Cela
nous permet de hâter la publication de la livraison d'octobre, qu’autrement nous
aurions dû retarder par suite du long voyage que nous venons de faire.

10 — Octobre 1904.

110 LE NATURALISTE CANADIEN

qu'il s'agisse de tableaux, d'armes, voire de timbres-poste. Mais,
en plus, le monde des insectes offre à l'observateur d'inépui-
sables ressources de satisfaction. Quoi de plus curieux, en effet,
que ces animaux dont le squelette est tout extérieur, qui res-
pirent par des ouvertures placées tout le long du corps, dont
beaucoup commencent par ramper sur le solou passent dans
l'élément liquide la première période de leur existence, pour ac-
quérir à la fin des ailes et voltiser d’une fleur à l’autre ? À ce
point de vue, encore, l’on n’a pas à craindre de voir manquer
les sujets d'observation, puisque les espèces entomologiques,
sont quasi innombrables et que chacune a ses mœurs parti-
culières.

Il est donc entendu, à ce qu'il semble, que l’étude des insectes
est extrêmement intéressante.

Mais il s’agit pour le quart d'heure de bien autre chose. La
thèse que nous entreprenons d'établir, c’est que l’entomologie
est une science très utile, soit dit au point de vue absolu. Car
nous n'avons aucune intention de la placer au tout premier
rang dans l’ordre des connaissances humaines, et de prétendre,
par exemple, que la philosophie, l’éconoinie politique, le
droit, etc., ne sont au prix d'elle que des sciences de légère va-
leur. Or, pour justifier notre affirmation, nous n’aurons besoin
que d’en appeler au témoiguage des faîts, et de faire compa-
raître sous l'œil du lecteur une seule famille de petits insectes
connus de tous: celle des Culicides, lesquels ne sont autres que
les Moustiques, Cousins où Moucherons, ce que nous appelons
ici « Maringouins. » |

Quiconque à fait quelque séjour à la campagne, au fort de
l'été, a sûrement conservé le souvenir de ces petites mouches
(Diptères) à formes élégantes qui, surtout le soir et la nuit,
voltigent en claironnant, vous décochent en passant un coup
de stylet et s'abreuvent à satiété, si vous les laissez faire, du
sang de vos veines...

Cela se passait ainsi de temps immémorial. Les pauvres hu- :

mains, traqués au coin de tous les bois par quelque nouveau
régiment de moustiques, couverts de blessures cuisantes et

MOUSTIQUES ET PALUDISME 111

voyant fuir le sommeil à l'approche de bataillons toujours re-
nouvelés, n'avaient qu'à gémir et à proclamer que la vie des
champs perdait tous ses charmes si l’on n’en pouvait jouir
qu’au prix de tels maux.

Mais voici que, il y a vingt ou vingt-cinq ans, une terrible
accusation se mit à peser sur la tête des moustiques : ni plus,
ni moins, c’étaient eux qui par leurs piqûres donnaient, sui-
vant les pays, soit la fièvre paludéenne, soit la fièvre jaune.
Par exemple, l'embarras ne fut pas petit quand il s’agit de
prouver l'accusation : on ne savait pas en trouver Ja preuve.
Il y eut des savants qui songèrent alors à faire l'analyse du
sang de moustiques qui venaient justement de piquer des in-
_dividus. Ils y trouvèrent, savez-vous quoi ? De la quinine! Oui,
de la quinine. D'où il constait que mon seulement les
moustiques ne causaient pas la fièvre, mais qu'au contraire
ils étaient susceptibles de guérir les gens qui souffrent de la
fièvre en versant dans leurs veines le véritable remède à leur
mal! -— Et la médecine faillit s'engager dans une voie qui
l'aurait menée je ne sais où.

« Et pourtant elle tourne ! » fait-on, à tort, dire à Galilée
après le jagement du Saint-Office qui condamnait sa manière
de prouver la révolution de la terre.

«Et pourtant ce sont les moustiques qui donnent la fièvre! »
continua à dire le monde savant. La preuve de circonstance
fut accablante pour les accusés, bien que l’on ne comprit pas
tout d’abord par quels procédés ils rendaient ainsi les gens
malades. |

Au «Colonial Office » (comme on dit à....Paris ), revient
la gloire d’avoir démontré la culpabilité des Diptères soupçon-
nés, et la façon dont on s’y prit pour obtenir ce résultat est
vraiment originale, Comme, à notre âve, on ne peut rien résou-
dre sans créer une commission chargée de s’enquérir des cho-
ses, le Bureau colonial envoya en Italie, l'an 1900, une com-
mission qui étudierait la question et reviendrait en Angleterre
avec la clef du problème dans sa poche.

La campagne romaine, pays marécageux où règnent la

112 LE NATURALISTE CANADIEN

chaleur et l'humidité, est fameuse par la malaria, ou fièvre palu-
déenne, qui y sévit pendant Fété. C’est là, en pleine zone péril-
leuse, que nos commissaires anglais s’installèrent et passèrent
les mois de juillet, août et septembre. Le jour, ils s’abstenatent
de toute précaution, remuant la terre des marais, s’'abreuvant
de l’eau d’un canal quelconque, évitant même de prendre de la
quinine pour se protéger. Seulement, le soir et la nuit, alors
que les moustiques sont en campagne, les Anglais et leurs
gens se tenaient rigoureusement cantonnés dans une habita-
tion spécialement ordonnée pour qu'aucun de ces insectes
n'y pût avoir accès, Eh bien, ni les commissaires ni leurs qua-
tre compagnons ou domestiques ne coutracterent la fièvre pa-
ludéenne, pendant que tout autour d’eux les habitants du pays
en furent atteints comme à l'ordinaire chaque année. Done,
la conclusion s'impose, si les moustiques ne vous atteignent
pas,vous êtes à l'abri du paludisme !

Toutefois l'Angleterre fit une autre expérience non moins
probante. Et ce fut à Londres même, pays où le paludisme n’a
jamais existé, si ce n’est peut-être à cette époque des âges géo-
logiques où les îles Britanniques virent régner sur elles le cli-
mat tropical—durant laquelle d’ailleurs cette sorte de fièvre
ne pouvait sévir, faute d'hommes pour la contracter ! -— ce fut
donc à Londres même, disons-nous, que se passa le fait remar-
quable que voici. On y transporta des moustiques vivants,
capturés en Italie, et ayant piqué des malades souffrant de la
fièvre. Sur la promesse d’un cheval de bois, d’une montre ou
d’un chèque de cent louis sterling, l'histoire ne le dit pas, un
jeune Thorburn Manson se laissa piquer par ces moustiques
italiens. Quelques jours après, le jeune homme avait la fièvre
paludéenne ! Et l’année d’après, comme il est d'usage, il subit
une nouvelle attaque de la même affection.

Voilà done qu'il était bien démontré que les moustiques
sont les propagateurs de la fièvre paludéenne.

En présence de ce résultat, l’entomologie n’était pas pour
rester les bras croisés !

Deux questions se présentaient: l’une de science pure, et

MOUSTIQUES ET PALUDISME 113

l'autre de science appliquée. Il fallait savoir d’abord comment
il se fait que les moustiques peuvent de la sorte transmettre
la malaria. En outre, et surtout, :l inportait de trouver le
moyen d'empêcher les moustiques de jouer un rôle si perni-
cieux. À vrai dire, on courut au plus pressé, de même que l’on
agit très sagement lorsque, dans un cas d'incendie, on s'efforce
tout d’abord d’éteindre le feu avant de faire enquête sur la façon
dont il a pris naissance. On chercha donc avant tout et l’on
trouva des moyens excellents de mettre obstacle au zèle intem-
pestif des moustiques, qui se croyaient sans doute chargés d’ap
provisionner de patients les membres de la profession médicale.

Pour nous, que rien ne presse, nous allons commencer par
le côté purement scientifique du sujet, et tâcher d'expliquer de
quelle façon les moustiques peuvent bien être les agents de
transmission du paludisme.

D'abord, par souci d'exactitude et d'équité, il faut, en cette
affaire criminelle mettre hors de cause les Culicides mâles :
ces bons moustiques, en effet, se nourrissent de miel, du suc des
fruits et du nectar des fleurs. On ne saurait rien imaginer de
plus poétique et de plus inoffensif pour le genre humain. Par
conséquent, lorsque retentit autour de nous la chanson du
moustique, nous nous alarmons, la moitié du temps, pour rien
au tout, puisque les mâles ne s'occupent pas de nous. Et ils
sont faciles à reconnaître, aux deux belles antennes plumeuses
qui ornent leur chef. Donc, rien à craindre lorsque voltige
autour de vous quelque moustique à panache.

Quant aux moustiques femelles, voilà bien les ennemies de
notre tranquillité, qui n’aspirent qu'à se désaltérer de notre
sang! Regardez, je vous prie, ce formidable appareil dont leur
bouche est formée. A l'œil nu, on dirait, en les voyant piquer
la peau et sucer le sang, qu’elles ne sont munies pour cela que
d'une trompe simple et très fine. Eh bien, une loupe assez for-
te vous ferait voir que cette trompe se compose en réalité de
sept lames cornées, dont six stylets bien comptés. Ces organes
servent, les uns à percer la peau ; les autres, accolés ensemble
à aspirer le sang par une sorte de tube.

114 LE NATURALISTE CANADIEN

Mais dès là que nous ne nous proposons aujourd'hui que
d'étudier le rôle des moustiques dans la transmission de la
malaria ou fièvre paludéenne, nous devons dire tout de suite
que tous les Culicides ne sont pas à incriminer de ce chef.
Des nombreux genres et espèces qui constituent cette famille
de Diptères, on connait surtout les Culex et les Anopheles. La
plupart des moustiques qui guettent les gens à l’abord de nos
bois sont des Culex ; on n’a guère, en notre pays, constaté la
présence que d’une seule espèce d'Anopheles parmi ces insec-
tes déplaisants. Eh bien, quand il existe dans une contrée de
la fièvre paludéenne, ce sont des Anopheles, et eux seulement,
qui en sont les propagateurs. Toute l'affaire consiste donc, si
vous passez par un pays à malaria, à éviter la piqûre de
l’'Anopheles. Quant aux espèces du genre Culex, il n'y a qu'à
les laisser faire, peur peu que l’on ait besoin ou que l'on éprou-
ve le désir de connaître jusqu’à quelles limites peut s'étendre
la provision de patience dont l’on est doué.

Il est évident que l’on veut maintenant savoir quelles diffé-
rences il y à entre lAnopheles et le Culex ordinaire. Un coup
d'œil rapide sur leur existence, de l’œuf à l'adulte, suffira à
montrer les caractéristiques de l’un et de l’autre.

C’est vers la fin de la nuit que les moustiques déposent leurs
œufs sur les eaux calmes. Le nombre de ces œufs varie de 250
à 400. Mais tandis que l'Anopheles laisse ses œufs s'en aller
isolément suivant le caprice de l'onde, le C'ulex fixe les siens
les uns aux autres, toujours perpendiculairement à la surface
liquide. Lorsqu'il y en a de 40 à 100 réunis de cette façon par
leurs côtés, ils forment une sorte de nacelle, un peu creusée en
son milieu: radeau gracieux qui vogue au courant et que:
bercent doucement les ris des flots lévers.

Au bout de deux ou trois jours, de tous ces œufs, isolés ou
réunis en nacelle, s’échappent de petites larves ou de petits
vers ornés de touffes de poils plus ou moins fournis. Trois ou
quatre fois, à mesure qu’elles grossissent, ces larves se dépouil-
lent de leur peau. Larves de C'ulex et larves d’Anopheles res-
pirent par un tube placé à leur extrémité postérieure : celles-là

MOUSTIQUES ÉT PALUDISME 115

qui peuvent s’accommoder des eaux les moins propres, se
nourrissent des matières végétales qu'elles rencontrent, mais il
leur faut remonter à la surface presque à chaque minute pour
respirer, ce qu’elles font en ne laissant émerger que leur appa-
reil respiratoire, le reste de leur corps occupant une position
oblique ou même perpendiculaire. Quant aux larves d’Anophe-
les, elles recherchent les eaux très pures et se tiennent hori-
zontalement à la surface de l’eau, d'où ne sort cependant que
leur appareil respiratoire, et se nourrissent de spores d'algues
et de tout ce qui passe à leur portée.

Après vingt, trente ou quarante jours de ce genre de vie,
qui après tout ne manque pas de charmes, ces larves passent à
l’état de nymphes, lequel correspond à celui des chrysalides
chez les papillons. A cette période de leur existence, les mous-
tiques ne prennent aucune nourriture, se contentant de respi-
rer et astreints par conséqu-nt à se tenir à la surface de l’eau.
Ce qu'il y a ici de plus remarquable, c’est que l'appareil respi-
ratoire n’est plus alors à l'extrémité de l'abdomen, mais bien
au thorax et assez près de la tête. Au moindre signe d'un dan-
ger quelconque, ces nymphes se précipitent au fond de l'eau.
Cela doit se présenter souvent: car nombreux sont les habi-
tants des eaux qui comptent pour leur subsistance sur cette
multitude de larves et de nymphes qui offrent table toujours
mise. [Il se fait là des festins absolument gargantuesques.
C’est bien fait, du reste; car les larves des Anopheles, pour
leur part, ne se sont guère sênées, en leur temps, et on les
accuse même d'aller jusqu'à manger leur mère, quand l’occa-
sion s'en présente.

Suivant que la température est plus ou moins chaude, cet
état de nymphe se prolonge de cinq à dix jours. Le bon mo-
ment arrivé, la bestiole se tient immobile à la surface de l’eau :
le técument dorsal, exposé à l'air, se dessèche et s’entrouvre,
et l’insecte ailé se dégage peu à peu, se repose de son effort, et
s'envole triomphalement pour accomplir sa carrière de volatile.

La carrière du moustique adulte ! La carrière du moustique
ailé n’a rien de réjouissant pour le genre humain. Sa manifes-

116 LE NATURALISTE CANADIEN

tation la moins grave, c’est Lien encore le larcin souvent répé-
té d’une gouttelette de sang sur l'animal et sur l’homme. Mais
quand il s’agit de l’Anopleles, les effets de sa piqûre peuvent
être bien autrement redoutables.

Voici le moment de décrire le rôle de cet insecte dans la
transmission du paludisme.

La maladie nommée paludisme, malaria ou fièvre paludéen-
ne, a pour cause le développement, dans le liquide sanguin de
l’homme, de parasites nommés Hémamibes ( de l'espèce Aœ-
mamæba malariæ). L'Hémamibe fait partie de l’'embranche-
ment des protozoaires, qui par la simplicité de leur organisation
sont tout au bas de l'échelle zoologique. Presque toujours ces
animalcules consistent en une cellule unique, et ils vivent en
des milieux liquides très divers.

Pour ce qui est de l'Hémamibe de la malaria, son existence
se passe exclusivement dans le sang du moustique Anophele
et dans celui de l’homme. Dans chacun de ces milieux, il subit
l'une des deux phases différentes et nécessaires de son évolu-
tion, et ne peut la subir que là. On peut donc se demander si
le germe du paludisme s’est trouvé d’abord chez l'homme ou
chez le moustique : mais c'est là une qnestion à laquelle on ne
saurait donner une réponse, pas plus qu'à celle de la priorité
de l’œuf ou de la poule. Tout ce que la science peut affirmer,
c’est que, dans l’ordre actuel des choses, l’homme reçoit de
l’'Anopheles le parasite de la malaria, et le moustique à son
tour contracte l'infection en suçant le sang humain.

Lorsque le moustique infecté pique un homme sain, les spo-
res ou germes accumulés dans ses glandes salivaires passent
dans le sang de l’homme, où il va s'attaquer aux globules rou-
ges pour se développer à leurs dépens et finalement les détrui-
re: cette affection du sang, par quoi périssent les globules
rouges, qui sont l’un des éléments corstitutifs du liquide san-
guin, c'est ce qu'on appelle l’état de fièvre paludéenne; l'on
combat cette maladie par la quinine, qui tue les parasites et
amène la guérison, si le mal n’est pas déjà trop grand. Dans
cette période de son existence, l'Hémamibe se reproduit par

MOUSTIQUES ET PALUDISME 117

sewmentation, c'est-à-dire qu'arrivé à un certain degré de dé-
veloppement il se divise en plusieurs nouveaux individus,
dont chacun va à son tour s'attaquer à un globule rouge.

Vienne alors un Anopheles sain s'attaquer à un homme souf-
frant ainsi du paludisme: avec le sang qu'il suce, 1l incorpore
en son organi-me des Hémamibes plus où moins nombreux.
Dans le tube digestif du moustique, et là seulement, se fait la
reproduction sexuée du parasite, dont les germes ou spores
finissent par se rendre dans les glandes salivaires, attendant
que l'Anopheles, qui de temps en temps à besoin de sucer du
sang, les fasse passer par sa trompe dans un organisme hu-
main. Toute cette évolution, dans le corps du moustique, se
fait en dix jours. ,

On voit bien, à présent, comment la fièvre malarienne se
transmet à l'homme par l'intervention de l’Anopheles.

De même il est reconnu aujourd’hui que la fièvre jaune a
pour cause, elle aussi, un parasite particulier, découvert tout
récemment, dont la transmission à l’homme s'opère par la pi-
qûre d’un autré moustique, nommé Siegomyia fasciatu.

Dans ces dernière semaines, on annonçait la découverte du
protozoaire qui produit la dengue, sorte de fièvre épidémique
dont l’on à signalé quelques apparitions dans le sud des Etats-
Unis, au cours du XIX* siècle, et qui règne surtout dans les
climats chauds. Ici encore c’est le moustique qui est l'agent
de la propagation de l'épidémie.

L’ennemi une fois découvert, et les conditions de son déve-
loppement connues aussi, il est devenu possible de le combat-
tre. Le lion, en des temps 1eculés, aflecta de dédaigner le
moucheron. Mais l'homme, roi de la création, ne saurait pren-
dre cette attitude de méprisante fierté, soit parce qu'il ne peut
compter sur la protection d’une fourrure de quatre pouces d’é-
paisseur, soit principalement parce qu’en général il n'a pas
affaire à un seul moucheron, mais à de véritables armées d’as-
saillants. Et, puisque nous ne parlons ici que de l'agent de la
transmission du paludisme, ce n’est pas qu'il serait difficile de
distinguer, entre les autres moustiques, l'Anopheles femelle à

118 LE NATURALISTE CANADIEN

ses antennes filiformes, à ses ailes tachetées, à la note plus
grave de son cri de guerre, et aussi à son maintien à l’état de
repos : car tandis que le Culex a le corps dirigé parallèlement
à la surface sur laquelle il se tient fixé, l’Anopheles lui donne
ordinairement une direction presque perpendiculaire à cette
surface. Mais l’insecte — suivant une tactique que les Japo-
nais lui ont emipruntée avec un succès dont les Russes peu-
vent rendre témoignage —- se garde d'attendre, pour donner
l'assaut, qu'on l'ait toisé des pieds à la tête ! Comme d’ailleurs la
piqûre du moustique, ne fût-elle pas dangereuse, est au moins
toujours douloureuse, on à toute raison en fin de compte d’en-
glober tout ce peuple incommode des moucherons dans une
proscription générale.

Par exemple, comment s’y prendre, dans les pays à mousti-
ques, pour se protéger efficacement contre les entreprises de
cet ennemi qui rachète sa faiblesse individuelle par la force
numérique de ses bataillons ?

La recette élémentaire, évidemment, consiste à ne pas s'ex-
poser à la rencontre des moustiques. Et comme c’est principa-
lement le soir et la nuit qu'ils sont en campagne, il n'y à qu'à
rester chez soi après le coucher du soleil, à s'y barricader et à
n'y laisser entrer personne : outre que, par suite de cette me-
sure, on verrait s'élever joliment le coefficient de moralité chez
tous les peuples de l’univers, ceia suffirait pour amener l’ex-
tinction définitive de toutes les épidémies de malaria, de
fièvre jaune, etc.

Mais cette attidude défensive ne serait après tout qu’une
demi-mesure. Aussi, depuis quelques années, des administra-
tions et des particuliers ont eu soin de porter la guerre jusque
chez l'ennemi ; et des résultats absolument remarquables ont
prouvé la valeur de cette méthode, dont l'application est de la
plus grande simplicité.

On se rappelle que les moustiques passent nécessairement
dans l'élément liquide la première période de leur vie, et que
leurs larves ont besoin de se tenir ou de venir souvent à la
surface de l’eau pour respirer l'air de l’atmosphère. Eh bien

3
cu "js

MOUSTIQUES ET PALUDISME 119

pour faire mourir ces larves et arrêter l'accroissement du
peuple moustique, il n’y a qu'à verser un peu de pétrole sur
l'eau des bassins, des marécages et des lacs. Cette huile se
répand très vite en couche mince sur la surface aqueuse, et
toute larve de C'ulex, d’Anopheles, de Stegomyia, ete. périt aus-
sitôt d'asphyxie.

Voici quelques exemples qui montreront avec quel succès
on a pu lutter de cette façon contre le développement des
moustiques.

En 1894, les habitants du collège agricole du Missouri
étaient fort incommodés par l’affluence des moustiques. L'un
des professeurs couvrit d’une petite quantité de pétrole la
surface d’une dizaine de grands réservoirs que l’on avait éta-
blis pour diverses fins autour des édifices. Dix jours après, il
n’y avait presque plus de moustiques dans l'endroit, et l’on
pouvait dormir sans avoir besoin de recourir à aucune des
mesures de protection dont il avait fallu auparavant s’entourer.

Avant la œuerre hispano-américaine, la fièvre jaune sévis-
sait à la Havane. Or, en moins de trois ans, l’administration
américaine a réussi à la' faire disparaître en détruisant les mous-
tiques. Ce n’est que plus tard, c'est-à-dire depuis peu de mois,
que l’on à pu connaître le microbe qui cause cette maladie ;
mais l’on s'était auparavant convaincu qu'il ne pouvait entrer
dans l'organisme humain que par le moyen du moustique, et
l'extermination de cet insecte a suffi pour supprimer l’épi-
démie.

Quant à la fièvre paludéenne, l'expérience faite à Ismaïlia,
par la compagnie de Suez est tout à fait concluante. D'après
une communication faite à l’Académie des Sciences de Paris,
le 14 mars dernier, par le prince d’Arenberpg, la ville d'Ismaïlia
auparavant infectée par le paludisme, a été assainie en une
seule année par la destruction des Anoplheles, obtenue soit par
la suppression des eaux stagnantes, soit par l'emploi du pétro-
le sur les eaux que l’on ne pouvait supprimer ; si bien que la
proportion annuelle des paludiques a passé du nombre de 2,000
qu'elle était, précédemment, à celui de 200 pour l’année 1903.

120 LE NATURALISTE CANADIEN

On voit done bien ce qu'il y a à faire si l’on désire, en quel-
que endroit de notre pays, se débarrasser du voisinage si désa-
gréable des moustiques. Il suffit pour cela de répandre du
pétrole sur les eaux des bassins, des étangs, des lacs où s’écou-
le leur premier âge. Seulement, l'emploi d’une substance aussi
inflammable exige de la prudence : et,notamment, l’on ne saurait
mettre trop de soin à tenir les « fumeurs » éloignés de ces sur-
faces dangereuses. En effet, les incendies qui ravagent si sou-
vent nos forêts font déjà encourir des pertes assez désastreuses
au domaine public; quel malheur ce serait si nos lacs allaient
aussi se mettre à passer au feu !...

En tout cas, l'étude que l’on vient de lire démontre, par
quelques faits choisis entre un bon nombre, que les études
entomologiques ont obtenu, depuis le peu d'années qu'elles
sont poursuivies sérieusement, d'importants résultats économi-
ques, et qu'elles ne sont pas seulement une occupation très
attrayante pour les esprits curieux de savoir.

PUBLICATIONS REÇUES

— Proceedings of the Acad. of Natural Sciences of Phila-
delphia. Vol. LVI, Part II.

— Roger Williams Park Museum, Providence, R. I.

Cette revue mensuelle, dont le premier numéro à été publié
en septembre dernier, est sous la direction de M. €. Abbott Da-
vis, conservateur du « Roger Williams Park Museum. » La 1%°
livraison contient des conseils sur la chasse et la conservation
des insectes, et une liste des coléoptères du Rhode Island. La
2° renferme une liste des Unionidæ de l'Amérique du Nord.
Le programme des livraisons prochaines indique des sujets
également intéressants pour le naturaliste. Aussi nous faisons
des vœux pour que la publication de ces bulletins du
R. W. Park Museum se continue longtemps.

‘

Ir

NATURALISTE CANADIEN

Québec, fhovembre 1904

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 11

Directeur-propriétaire: l’abbé V.-A, Huard

AU MUSÉE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE

COLLECTION DE BOIS — LAMANTIN

Très prochainement, les visiteurs du Musée de l’Instruction
publique pourront examiner une collection complète des essen-

ces ligneuses de la province de Québec, dont l'acquisition a été

faite durant l'été. Cette collection sera certainement l’une des

plus intéressantes du Musée.

La plus récente addition au Musée est celle d’un « Laman-
tin » et de son squelette, que nous avions vus à l'Exposition

de Saint-Louis, voilà quelques semaines, dans le Village esqui-

En se reportant à
la page 163 de notre
Traité de zoologie(en
coursde publication),
= on verra que le La-
* mantin est un cétacé
Le Lamantin. herbivore, qui se

nourrit de la végétation sous-marine et de l'herbe des rivages,

11 — Novembre 1904,

129 LE NATURALISTE CANADIEN

dans les régions tropicales.- Avec le Dugong de la mer des
Indes, il constitue le groupe des Siréniens, que certains auteurs
détachent de l’ordre des Cétacés. La fameuse «Sirène » des
anciens était probablement le Dugong lui-même.

Il y a au moins deux espèces connues de Lamantin, le Ma-
natus (ou Trichechus) Senegalensis, qui vit le long de la côte
occidentale de l'Afrique, etle M. Americanus, qui se rencontre
aux Antilles et sur la côte orientale de l'Amérique. Mais. des
auteurs distinguent aussi, vraisemblablement comme rappro-
ché de cette dernière espèce, le Manatus latirostris, nommé
vulgairement « Florida Manatee.» Nous croyons que notre spé-
cimen appartient à cette espèce du M. latirostris.

Le manque d'ouvrages techniques sur le sujet nous empêche
actuellement de nous en assurer.

En voyant ce Lamantin exhibé dans le village esquimau,
à l'Exposition, nous avions d’abord espéré qu'il pouvait appar-
tenir au genre Rhytina, éteint depuis plus d’un siècle et qui
vivait dans les alentours du détroit de Behring. Mais les mo-
laires qui garnissent sa mâchoire nous ont promptement désa-
busé.

Notre Lamantin, qui a 10 pieds de longueur, possède deux
nageoires antérieures qui ressemblent plutôt à des bras et qui
lui servent à ramper sur les rivages, aussi bien que pour mani-
puler la nourriture. Sa peau, qui devrait porter des poils,
courts et clairsemés, il est vrai, en est dépourvue totale-
ment.

On peut voir ce spécimen dès maintenant, au Musée de l’Ins-
truction publique. Le squelette, que l’on prépare actuellement,
ne sera exposé qu'un peu plus tard.

On donne au Lamantin le nom vulgaire de « Vache marine »,
On lui fait la chasse pour en faire de l'huile et utiliser comme
aliment sa chair qui a, paraît-il, le goût du veau. Un auteur,
frappé de la douceur de son tempérament et des profits que
l’on pourrait tirer de sa graisse et de sa chair, a été jusqu'à
proposer d'entreprendre l'élevage de cet animal dans des lacs,
par exemple: car il s’accommoderait même des eaux douces,

tete te

LES RAIES COMÉSTIBLES 123

dans les régions tropicales. Mais il ne semble pas que les capi-
talistes se soient encore décidés à courir le risque de l'aventure.
Il est vrai qu'ils ont plus à leur portée beaucoup d’autres ma-
nières de perdre leur argent.

FEU LE RK. P. CARRIER

Nous avons le regret d’avoir à enregistrer dans nos pages la
mort du R. P. J.-C. Carrier, décédé le 12 de ce mois.

Depuis plusieurs mois nous savions que le vénérable reli-
gieux était atteint d’une maladie incurable. Il y à résisté du-
rant même plus de temps que l’on ne prévoyait.

Il nous faut remettre au prochain numéro une étude de
quelque étendue sur la vie du P. Carrier, qui fut l’un de nos
naturalistes les plus zélés.

En attendant, nous demandons à nos lecteurs de se souvenir
de lui dans leurs prières.

LES RAIES COMESTIBLES

Le Prifluvien, du 6 septembre, a publié l’entrefilet suivant

Ce n’est pas sans une grande surprise que j'ai lu dans le Vafura-
liste canadien, les lignes suivantes :

« Les Raies sont des poissons vivant dans la mer, dont la chai
n’est utilisée comme aliment que chez les Chinois. »

Pour ne parler que des pays dont je connais les usages et les cou-
tumes, je dirai qu’en France et en Belgique il se mange chaque
jour de l’année des quantités énormes de Raies. A Bruxelles seul, la
halle aux poissons en débite plusieurs milliers de livres par semaine.

Pour ma part, quand j’habitais cette ville, je tenais à avoir mon
plat de Raïe au moins tous les vendredis. C’est un poisson très fin
que beaucoup d'amateurs préfèrent au turbot, ce « roi de la mer »,
comme l'appellent les gourmets.

Cuit à l’eau et servi avec une sauce au beurre, il est très bon; la

124 LE NATURALISTE CANADIEN

Raie rôtie « au beurre noir » a une réputation universelle. Quant à la
Raie à la daube, c’est une des plus fines conserves que l’on puisse
imaginer.

Rien que d’y penser, l’eau me vient à la bouche.

Et cependant je ne suis pas Chinois.

J'espère que mon savant et vénéré confrère du Vafuraliste ne
prendra pas mes humbles remarques de mauvaise part. La vérité
réclame toujours ses droits, même en fait de Raies. »

C’est dans notre livraison du mois d'août dernier que nous
avons publié l’article qui a donné lieu à cette rectification.

Notre confrère apporte, à l'encontre de notre assertion, son
expérience personnelle, et nous n’avons qu'à lui rendre les ar-
mes, et encore avec remerciement pour son intervention: car,
dans le domaine scientifique, l'exactitude absolue est de
rigueur.

Nous avions lu, dans un article de l’abbé Provancher (NW. C.,
vol. VI, p. 372) la phrase que voici: « Leur chair, tant en Eu-
rope qu'en Amérique, n’a encore guère été utilisée comme ali-
ment, bien que les Chinois l’estiment fort et en fassent une
consommation considérable. » Donnant un peu plus détendue
à l'affirmation de l'abbé Provancher, et sans penser seulement
à consulter d’autres auteurs sur l’utilisation.des Raïes comme
aliment, nous avons cru pouvoir écrire la phrase citée par le
directeur du Trifluvien. Mais, depuis, nous avons trouvé dans
plusiears ouvrages que certaines espèces de Raïes sont en effet
comestibles. Nous le proclamons volontiers pour réparer, dans
la mesure du possible, l’accroc que nous avons fait à la répu-
tation des Raies, et même à celle des peuples d'Europe qui,
sans être le moins du monde des Chinois, se délectent de la

chair de ce poisson.

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST

Au moment de partir pour une excursion dans l'Ouest du
Canada et des Etats-Unis, nous avons donné à entendre aux
lecteurs du Naturaliste canadien que nous rédigerions à leur

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST 125

intention un récit de ce voyage. Nous avons même, dans ce
but, pris chaque jour des notes destinées à servir de base à
cette narration.

Mais la réflexion n’a pas tardé à nous faire regretter cette
promesse indiscrète. Notre revue est en effei d'un format si
restreint, qu'il faudrait plusieurs années pour y publier au long
un récit de ce genre, pour l'intérêt duquel un délai aussi con-
sidérable ne manquerait pas d'être désastreux. Allez done
décrire,dans deux ou trois ans d'ici, l'Exposition de Saint-Louis!
D'ailleurs, nous publions déjà dans le Nuturaliste deux ou-
vrages de longue haleine, et il ne faut pas abuser davantage
de la bienveillance du lecteur. Sans compter qu'il importe de
garder au moins quelques pages libres, chaque mois, soit pour
donner l'hospitalité à des collaborateurs dévoués, soit pour en-
registrer certains faits d'actualité.

Nous avons donc résolu de publier sous une antre forme le
récit de notre dernier voyage. A mesure qu’avancera la rédac-
tion de ce travail, nous pourrons en publier parfois des extraits
dans le Naturaliste.

En attendant, nous allons dire ici quelques mots des musées
et des collections d'histoire naturelle que nous avons pu voir

dans l'Ouest.
BANFF

À Banff, dans les montagnes Rocheuses, nous avons visité un
musée peu considérable encore, mais intéressant. Il est renfermé
dans un joli édifice en bois verni, où se trouve aussi le bureau
du surintendant du Parc national canadien. Outre une collce-
tion ethnologique, contenant des spécimens de l’industrie des
sauvages, On y voit un certain nombre des mammifères, des
oiseaux, des insectes, et de: bois de la Colombie-Anglaise.
Entre autres quadrupèdes, s’y trouvent le Bœuf musqué, le
Bison (adulte et jeune), et des têtes d'Orignal, de Caribou, de
Mouflon, de Chevreuil. Un herbier est là aussi, à la disposition
des gens qui veulent se renseigner sur la flore de la Province.

VICTORIA
Toutefois, c’est à Victoria que l’on peut le plus complètement

126 LE NATURALISTE CANADIEN

faire connaissance avec l’histoire naturelle de la Colombie-An-
glaise. Nous avons été tout à fait surpris et charmé d'y trouver
un musée si considérable. Ce qui fait l'intérêt spécial de ce
musée, c’est que, à l'instar de notre musée de l’Instruction publi-
que de Québec, il est exclusivement, ou à peu prés, consacré à
la faune et à la flore de la Province. Ainsi que nous l’avons
déjà écrit, que chaque Province en fasse autant, comme la chose
est déjà en voie d'exécution, et la connaissance de l’histoire na-
turelle de notre immense Canada se trouvera portée tres loin.

Les « bâtisses parlementaires » de Victoria, de récente cons-
truction, forment un très bel édifice, d’une architecture vrai-
ment gracieuse. Le musée occupe entièrement l’une des deux
annexes latérales, et s'étend sur deux étages, avec galerie au
centre. Le cabinet du conservateur est, à l'extérieur du moins,
tout à fait remarquable par ses riches boiseries, faites des plus
beaux bois de la Colombie-Anglaise.

L’agriculteur et l’horticulteur trouvent dans ce musée des col-
lections d’essences ligneuses, de graines diverses en des bocaux,
de fruits conservés dans l'alcool, et de céréales en pied. Il ny
a pas besoin d'appuyer sur l'intérêt qu'offrent des collections
de ce genre.

Parmi les animaux à fourrure, le musée possède trois espèces
de Mouflon, lont l’une, dite nouvelle, vient du Klondike.

Les oiseaux sont en grand nombre, et quelques-uns disposés
en groupes très intéressants. Les poissons donnent une excel-
lente idée de la richesse ichtyologique de la Province, à qui
sa situation privilégiée sur l'océan Pacifique procure une
grande variété d'espèces marines. Nous remarquous particu-
lièrement le Saumon de la Colombie-Anglaise à ses différents
degrés de croissance.

Belle collection d'insectes, particulièrement de PAPERS
qui sont renfermés dans deux immenses vitrines.

Des cases mobiles tournant sur des charnières contiennent
des Algues et des plantes ordinaires desséchées.

Les collections ethnologiques, relatives aux tribus sauvages
de la Province, sont très considérables.

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST 127

Un détail qui surprend, dans ce musée’ c'est que les animaux
à fourrure ne sont pas renfermés dans des vitrines, et que les
tiroirs contenant des insectes ou des œufs d'oiseaux ne sont
pas fermés à clef. Les visiteurs paraissent donc avoir toute
liberté de manipuler les spécimens. Cette confiance témoignée
au publie nous semble plus admirable que raisonnable.

Ce musée de Victoria est l’un des plus intéressants du Canada,
parce qu'il donne une idée à peu près complète des ressources
naturelles d'une grande région.

SAN FRANCISCO

Nous désirions visiter le musée de l’Académie des Sciences
de San Francisco. Malheureusement, nous nous étions attardé
un peu à examiner les collections artistiques de l'Hopkins Ins-
titute, et lorsque nous nous sommes présenté à l’Académie,
c'était après l'heure réglementaire, et le musée était fermé.
Nous nous reprendrons à notre prochain voyage à la Califor-
nie.

Par contre, le lendemain même, nous sommes tombé sans
nous y attendre dans un superbe musée d'histoire naturelle.

L'une des plus belles excursions à faire à San Francisco,
c’est la promenade du Cliff House. Cela prend environ une
demi-heure de tramway électrique, en dehors de la ville.

Le Cliff House est un casino admirablement situé sur le bord
de la mer, c’est-à-dire de la baie de San Francisco. La plage y est
de beau sable, et il est intéressant de voir les grandes vagues
venir s’y déployer ou se briser sur les rochers qui existent en
certains endroits. En face même du casino, à une couple de
cent pieds du rivage, il y a un de ces groupes de rochers, qui
est habituellement couvert d'Otaries, grands phoques à pelage
brun, à oreilles développées. Si les Otaries ont des oreilles vo-
lumineuses, ils ont aussi des gosiers qui sortent de l'ordinaire
et dont ils ne se font pas faute d’user sans discrétion : ils pous-
sent souvent des cris rauques propres à écorcher bellement les
oreilles des humains. Ces animaux grimpent péniblement sur
les rochers et s’y chauffent au soleil, à la grande joie des tou-
ristes qui les observent des balcons du casino. On les nomme

128 LE NATURALISTE CANADIEN

en anglais « Sea-Lions», et ils sont bien l’une des grandes
attractions dont l’on ne manque pas de faire ressortir l'intérêt.
sur les prospectus de l'établissement, afin d'attirer les pauvres
voyageurs.

Nous n'avons pas besoin de dire que les autorités du lieu,
qui ont la bonne fortune d'avoir à leur portée une «attraction »
naturelle de pareille valeur, veillent à la protection de ces
Otaries. Et nous imaginons que le touriste qui oserait déchar-
ger sa carabine sur ce groupe d'animaux serait pour le moins
lynché sur l'heure.

Outre ce spectacle peu banal des Phoques qni semblent s’ex-
hiber pour le plaisir des vi-iteurs, il y a encore, dans les envi-
rons du Cliff House, un véritable musée du plus grand intérêt.
Il ya là une collection ethnolocique très considérable, puis
des mainnifères, des oiseaux, des reptiles, des poissons en
grand nombre et de toutes les parties du monde. La collection
de mollusques, spécialement, est très riche. Les visiteurs s’arrê-
tent surtout devant un Otarie, un Morse et un Bœuf de pro-
portions vraiment gigantesques

(À suivre.)

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 106.)

L'abbé Provancher, devenu citoyen de Québec, ne crut pas
devoir y acquérir de propriété. Il se contenta de la condition
de locataire, et c'était bien la décision la plus prudente qu'il
pût prendre à cet égard. Car, après tout, il ne faisait pas en
devenant Québecquois le vœu de le rester toujours, et il pou-
vait se présenter un Jour ou l’autre telles ou telles circonstan-
ces qui l’engageassent à s'éloigner de la ville, comme en effet
cela ne tarda pas beaucoup à arriver.

Tout le temps qu'il résida à Québec, l'abbé Frovancher ha-
bita dans la paroïsse de Saint-Roch, d’abord au N° 30, rue

L'ABBÉ PROVANCHER 129

Craig (aujourd'hui du Pont). Plus tar il occupa le second
étage d’une maison (N°31) de la rue Desfossés, côté sud, entre
les rues du Pont et Grant, à une centaine de pieds de l'Ecole
des Frères. C’est là que je me procurai, en 1870 ou 1871, l’oc-
casion de l’approcher une deuxième fois. J'étais alors élève de
rhétorique ou de philosophie. On sait qu'ilest facile aux éco-
liers de trouver des «défaites» pour justifier une démarche
quelconque, et je n’eus pas de peine à inventer une raison pour
me présenter chez le naturaliste. A cette époque-là, insuffisam-
ment absorbé par les charmes de l’étude des préceptes oratoires
et des équations à une ou plusieurs inconnues, je trouvais un
supplément de bonheur parfait dans l'étude de la botanique ;
J'étais même un peu plus que passionné pour cette science
aimable et modeste, joignant la pratique enthousiaste de la
floriculture à l'observation des phénomènes de la vie des plan-
tes. Je n’eus donc qu'à détacher un rameau fleuri d’un Gera-
_mium pour avoir le passeport qui me permettrait d'arriver chez
l'abbé Provancher, sous prétexte de vouloir connaître le véri-
table nom spécifique de la plante. Le moyen réussit à mer-
veille, et je fus accueilli avec une très grande bienveillance par
le savant. A l'aide des clefs analytiques de sa Flore, nous pro-
cédâmes régulièrement à l'identification du végétal, ma part
étant de discerner sur l’échantillon les caractères successive-
ment mentionnés dans le livre. Ce fut là la première leçon
d'histoire naturelle que j'aie jamais reçue, et elle fut suivie
d'une exhortation en règle à cultiver avec une ardeur nouvelle
et les (reraniums et les sciences naturelles. Je n’ai pas besoin
de dire que le feu sacré, qui pétillait déjà joliment chez moi,
prit des allures d'incendie, à la suite d’un encouragement pareil !

L'abbé Provancher ne résida à Québec que durant trois an-
nées. Comme il sera question dans des chapitres distincts de
ses publications et de ses voyages, il ne reste ici que peu d’évé-
nements à signaler durant ce séjour. \

On lit à la page 182 du vol. xx du Naturaliste canadien,
qu'il cessa en 1870 d’être collaborateur régulier à la Minerve,
de Montréal. Il n’y a donc pas beaucoup de choses que n'ait

130 LE NATURALISTE CANADIEN

pas entreprises l'abbé Provancher, puisqu'il a été Jusqu'à faire
du journalisme politique ! Malheureusement, il ne m'a jamais
beaucoup parlé de cette collaboration, et je ne puis même dire
à quelle époque il l'avait commencée et avec quelle activité 1l
l'avait poursuivie. J’ai bien feuilleté la collection de la Miner-
ve, des années 1868, 1869, 1870, mais sans y rien trouver que
je puisse rapporter avec certitude à la plume de M. Provan-
cher. Il écrivait sans doute sous le voile de l’anonyme; il est
même probable que parfois ses écrits, sans aucune signature,
étaient donnés comme des articles de rédaction. Il faut bien
aussi se résigner à ignorer toujours pour quel motif il cessa,
en 1870, d’être rédacteur et correspondant du fameux journal
montréalais.

Une autre œuvre, beaucoup plus importante, dont il s’occu-
pa durant son séjour à Québec, ce fut ia fondation d’une Société
d'histoire naturelle. L'histoire de cet effort destiné à promouvoir
le goût des sciences naturelles, à Québec, se trouve dans la col-
lection du Naturaliste canadien ; mais elle y est dispersée dans
un certain nombre de volumes. Aussi je crois utile de présen:
ter ici un tableau d'ensemble de cette initiative si intéressante,

En mai 1869 (NW. C.,1, 142) l'abbé Provancher exprimait
pour la première fois le souhait de voir s'organiser à Québec
une société, particulièrement française, d'histoire naturelle, et
formulait même un programme abrégé de l organisation qu'elle
pourrait avoir.

Au mois de janvier 1870 (NW. C., 11, p. 34), il revenait a
charge et demandait expressément 4 adhésions. L'Université
Laval, ajoutait-il, accueillerait probablement chez elle la nou-
velle association, et lui accorderait l’usage de sa bibliothèque
et de ses musées. En effet, les personnes favorables à ce mou-
vement se réunirent à l’Université, en janvier ou février;
mais il arriva que l’abbé Provancher y fut presque seul à trou-
ver’opportune et réalisable l’idée d’une association dont l’objet
serait exclusivement l’étude de l’histoire naturelle. On jugea
que les garanties de succès seraient plus grandes si l’on élargis-
sait le champ d’action, de facon à attirer et à retenir un plus

L'ABBÉ PROVANCHER 131

grand nombre de personnes. Et l’on fonda un « Club scientiti-
que, industriel et agronomique.» De la sorte, on s'adressait
aux amateurs des sciences en général, aux industriels et aux
agronomes, et l'on pouvait espérer que l'on recruterait un
bon nombre d’adhérents. Il ne paraît pas, toutefois, que la
réalité ait répondu à ces beaux espoirs, et le « Club scientifique,
industriel et agronomique» ne fournit qu’une carrière d'une
extrême brièveté. Quant à l'abbé Provancher, qui n'avait pu
faire triompher son idée de la fondation d’une société d'histoire
naturelle, il ne voulut prendre aucune part dans l’organisation
du « Club », et se retira paisiblement sous sa tente.

Les intentions étaient sans doute très droites de part et d’au-
tre, et de chaque côté l’on avait des motifs plausibles pour ap-
puyer son point dé vue. L’issue, toutefois, était regrettable :
les amis des sciences étant en si petit nombre, dans notre pays,
toute scission survenant entre eux ne pouvait qu'être funeste
aux desseins que l’on avait. Je suis bien d'avis que l'abbé
Provancher avait raison de soutenir que l’on devait se borner
à l’organisation d’une société d'histoire naturelle et laisser à
d’autres le souci des intérêts industriels et agronomiques. Mais,
d'autre part, il me semble qu'il aurait agi plus sagement s'il se
fût rallié à l'opinion de la majorité des amis qui avaient ré-
poudu à son appel et s’il avait accepté la situation telle qu'elle
se présentait, quitte à en tirer ensuite le meilleur parti, lequel,
assurément, aurait fini par être excellent. Car il n'est pas
douteux que la section d'histoire naturelle du «Club », sous la
direction active et énergique de M. Provancher, n'aurait pas
tardé à devenir la plus importante et même la seule bien vi-
vante, au point que l’industrie et l'agronomie se seraient éli-
minées d’elles-mêmes, pour ne plus laisser en définitive, et sous
le nom persistant peut-être de Club scientifique, que la vérita-
ble société d'histoire naturelle qui était l’objet de ses vœux.
En adoptant cette manière d'agir, il aurait, surtout, conservé
à son projet le concours d’une institution comme l’Université
Laval, si dévouée et si puissante pour tout progrès scientifique
en notre pays.

132 LE NATURALISTE CANADIEN

Quoi qu'il en soit de ce qui aurait pu arriver si, d’un côté ou
de l’autre, on avait procédé autrement, l'abbé Provancher —
retiré sous sa tente -— continua de müûrir son projet. Il faut
croire que ce projet était d'une maturité facile à obtenir, puis-
que dès le 26 avril suivant (1870) le fruit put être cueill. En
d’autres termes, ce jour-là, l'abbé Provancher réussit à fonder
une société d'histoire naturelle telle qu'il la voulait. Profitant
de l'expérience acquise par s1 première tentative, qui avait
tourné contre son gré, il n'avait convoqué qu'un petit nombre
d'amis des sciences, dont six seulement, sur neuf, se rendirent
à l'endroit indiqué. Séance tenante, on adoptA une constitution,
dont le texte est reproduit au long à la page 184 du volume
II du Naturaliste. On procéda ensuite à l'élection des officiers,
avec le résultat que voici: Président, l'abbé Provancher ; Vace-
Président, Dr Meilleur ; Secrétaire, M.J.-B. Gilbert ; Trésorier,
M.J.-B. Cloutier ; Directeurs, MM. F.-X.Bélanger, Eug. L'Heu-
reux.

Le siège social de la nouvelle organisation fut temporaï-
rement fixé à la résidence de l’abbé Provancher. V.-A. H.

(À suivre.)

R PUBLICATIONS REÇUES :

— Ressources du pays de Québec à Winnipeg le long de la
ligne du G. T. P. Ry. Compilé de documents authentiques
par H.-M. Ami, de lu Commission géologique. Ottawa. 1903.

Cette brochure est d’une grande importance scientifique, par
la quantité de renseignements qu’elle contient sur le pays situé
entre Québec et Winnipeg, renseignements de tous les genres :
géographie, géologie, faune, flore, agriculture, ete., et qui ont
été glanés à travers une foule de publications. Comme tous ces
détails sont groupés sous des titres particuliers, il est très fa-
cile d'arriver en un instant à l'information que l'on cherche.
M. le Prof. Ami a done beaucoup de mérite pour avoir fait
ce travail d’une façon si méthodique et si complète.

JS"

LE

NATURALISTE CANADIEN

D EE

Québec, Décembre 1904

EE TS

=

VOL. XXXI (VOL. XI DE LA DEUXIÈME SÉRIE) No 12

mes ee 2e en 9 A

Directeur-propriétaire: l’abbé V.-A. Huard

FEU LS R P.J.C. CARRIER, C. S. C.

C’est une individualité remarquable qui vient de disparaître
en la personne du défunt Père Joseph-Célestin Carrier, en son
vivant membre de la congrégation de Sainte-Croix et profes-
seur au collège Saint-Laurent, près de Montréal.

Durant au delà de cinquante ans, le vénérable religieux a
travaillé sans relâche dans diverses maisoas de sa commu-
nauté, et toujours il fut pour ses confrères et ses élèves un
exemple de vertu et de dévouement.

Ce qui frappait le plus chez le regretté défunt, c'était sa
régnlarité, son amour du travail et son mépris souverain du
bien-être et de la mollesse.

Mais c'est surtout comme homme de science que nous devons
ici nous occuper de lui.

Disons-le tout de suite, le R. P. Carrier fut un savant dans
toute la signification da mot, et ceux-là seuls qui le connurent
intimement peuvent se faire une juste idée de l'étendue et de
la variété de ses connaissances.

Versé dans les auteurs latins et grecs, linguiste et philolo-
gue, naturaliste et mathématicien, il se complaisait dans les

12 — Décembre 1904.

134 LE NATURALISTE CANADIEN

chefs-d'œuvre de la littérature, et s’intéressait aux questions
de philosophie, de théologie, d'histoire et d’'Ecriture sainte, avec
autant d'ardeur sur la fin de sa vie que durant les plus belles
années de sa longue carrière,

Quant à ses ébu les et à ses travaux dans l’histoire nnberele.
la zoologie, la géologie, la
minéralogie et sa science de-
prédilection, c’est-à-dire la
botanique, on n'a qu'à visi-
ter le musée du collève de
Saint-Laurent, dont il fut.
le fondateur, pour juger de
sa grande compétence.

Il était devenu tellement.
familier avec la nomencla-
ture des divers spécimens
des trois règnes, qu'il nous.
citaitles noms latins, anglais
et français de tout objet en
le voyant.

Né le 14 juillet 1833 dans
la Haute-Savoie, d’une mère
italienne et d’un père fran-
cais, il suivit les cours du
collège de’sa ville natale, et.
ayant fini ses études classi-
ques à l’âge de 18 ans, il fut.
nommé professeur de seien-
R. P. CARRIER. ces par les supérieurs de la

mêne muison, dès l’année suivante, quoique uécessairement à.
un âve où l’on ne songe d'ordinaire qu'à écouter les leçons.
d'un maître,

Quand il eut atteint sa vingt-et-unième année, il entra dans
la congrégation de Sainte-Croix, aux Etats-Unis.

Il ÿ fut accueilli par le regretté Père Edouard Sorin, qui ve-
nait de jeter les premiers fondements de l’université de Notre—

FEU LE R. P, J.-C. CARRIER cn)

Dame, Indiana, institution dont les catholiques des Etats-Unis
sont fiers à juste titre aujourd'hui.

Son noviciat terminé ainsi que ses études théologiques, il fut
ordonné prêtre ; et durant vingt années il se livra à l’enseigne-
‘nent des classiques d'abord, puis ensuite, et avec une ardeur
de géant, à celui des sciences physiques et naturelles.

Il dota Notre-Dame d’un musée d’une grande valeur, lequel
malheureusement devint peu après la proie des flammes.

Durant la guerre de Sécession, aux Etats-Unis, il fut chape-
lain de la célèbre armée du Général Sherman et vit maintes fois.
le feu, en particulier à Vicksburg.

Sur l’ordre de ses supérieurs il arriva en Canada le 31 octo-
bre 1877, et fut placé au collèce de Saint-Laurent où il resta
jusqu’à sa mort, qui arriva le 12 du mois de novembre dernier.

Durant plus d’un quart de siècle il se livra encore à l’ensei-
gnement des sciences, et fonda le musée dont le collège de.
Saint-Laurent a raison d'être fier.

Membre de diverses sociétés savantes, tant en Europe qu'en
Amérique, il collabora à plusieurs revues scientifiques et littérai-
res, et entre autres marques de distinction, 1l reçut la médaille
d'honneur de la Société internationale de Botanique, en 1902,
pour un travail remarquable sur la flore de l’île de Montréal.

Un mot maintenant de son œuvre principale. Les connais-
seurs ne tarissent pas d’éloges surtout pour ses collections or-
nithologique, oologique et néossialogique ; sa collection de nu-
mismatique est une des plus belles et des plus complètes de l’A-
mérique, spécialement en ce qui concerne les monnaies papales
et celles des empereurs romains des premiers siècles de l’ère
chrétienne.

Dans les derniers mois de sa vie, le bon Père s’efforçait
d'augmenter et d'enrichir le département d’ostéologie et celui
de la zoologie générale.

Nous allions oublier ses quinze mille spécimens d'insectes,
chacun dans son ordre, avec nom et numéro.

Les notes biographiques que l’on vient de lire ont été rédi-

136 LE NATURALISTE CANADIEN

gées, à notre demande, par un jeune collèvue du R. P. Carrier-

Nous n’avons rencontré le vénérable religieux qu’en de rares
occasions. Il nous a fait l’eff:t d’être une personnalité fort ori-
ginale, d'un commerce agréable, d’une allure très américaine.
De fait, nous nous rappelons avoir été surpris d'apprendre
qu'il était originaire de France, tellement il paraissait être du
type « yankee » le plus pur, cela soit dit, bien entendu, dans
le sens le plus favorable.

Le P. Carrier, qui n'était guère styliste, a peu écrit, du
moins à notre connaissance. Nous n'avons vu, de lui, qu’une
plaquette contenant une conférence sur » l’histoire d’une bou-
chée de pain », croyons-nous, un article sur le musée du collège
Saint Laurent, publié dans la Revue canadienne du mois d’oc-
tobre 1896, et une liste des plantes de l'île de Montréal, publiée
dans le Bulletin de l'Académie de Géographie botunique, du
Mans (France). Il est aussi, sans doute, l’auteur des bulletins
catalogues du musée du collèce Saint-Laurent.

Mais sil laisse peu de pages écrites pour conserver sa
mémoire, le P. Carrier a rendu de grands services à l’histoire
naturelle comme professeur de sciences et par la fondation
de deux grands musées: celui de l'université Notre-Dame de
l’Indiana, qui fut malheureusement détrnit par un incendie, et
celui du collège Saint-Laurent. Nous n'avons pas encore visité
ce musée, que l'on dit très considérable, et qui semble en tout
cas le plus important de tous les musées de la Province qui
existent en dehors de Québec et de Montréal. Lors de sa der-
nière visite à Québec, voilà une année, le P. Carrier se faisait
une fête de nous prouver, quand nous irions à Saint:Laurent,
que lours blanc de son musée était de plus forte taille que le
spécimen du musée de l’Instruction publique. Nous n'avons
pu résoudre la question de son vivant.

Depuis plus de vingt-cinq ans, le P. Carrier s’est employé
presque exclusivement à la création du musée du collège Saint-
Laurent. Car c’est là, à part bien d’autres, un grand avantage
de la vie religieuse : la variété des postes auxquels on a à pour-

voir, fait que l’on peut généralement donner à un homme Île

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST 137

genre d'emploi qui va le mieux à ses dispositions, et c'est bien
la meilieure façon d'utiliser ses talents. Dans le clergé séculier,
il n’est pas si facile de suivre la même ligne de conduite.

Nous espérons que la Congrégation de Sainte-Croix pourra
confier à un autre homme de science la continuation de l’œuvre
du P. Carrier. Si le musée du collège Saint-Laurent a l'impor-
tance que l’on dit, et nous ne doutons pas qu'il ne l'ait, on ne
saurait se désintéresser d’une institution comme celle-là.

Voilà done, dirons-nous en terminant, un vide qui vient de
se faire dans notre petit groupe des naturalistes canadiens-
français ! Aussi, c’est avec un chagrin véritable que le VNatura-
Liste canadien à vu disparaître un de ceux qui s’intéressaient
vivement à son maintien et à sa prospérité.

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST
(Continué de la page 128.)

SAINT-LOUIS

Comme nous sommes depuis longtemps en relation d'échange
de publications avec M.Trelease, le directeur du Jardin botani-
que de Saint-Louis, nous désirions beaucoup visiter cette ins-
titution renommée. Notre ami M. Preuss, directeur de la Àe-
view, de Saint Louis, voulut bien nous y accompagntr, le
7 octobre dernier.

La saison étant déjà un peu avancée, le jardin n'était plus
dans toute sa splendeur, et l’on avait déjà entré dans les serres
un certain nombre des plantes les plus tendres. Cependant les
plates-bandes et les bosquets étaient encore bien garnies, et les
plantes en pleine floraison n’y manquaient pas. Il y avait là,
soit à l'extérieur, soit dans les serres, qui sont immenses, des
végétaux indigènes et exotiques d’une grande variété; quel-
ques-unes de ces plantes, Cactus, Fougères, Palmiers, ete., sont
des raretés, soit en elles-mêmes, soit par la taille qu'elles ont
atteinte. Les espèces diverses d'arbres ou d’autres plantes sont
soigneusement étiquetées, en sorte que l'amateur sait toujours
à l'instant à quel végétal il a affaire. :

138 LE NATURALISTE CANADIEN

Le jardin botanique est entretenu avec le plus grand soin. On
pousse la préoccupation de propreté jusqu'au point d’inter-
dire aux gens d'y apporter une collation. Que disons-nous? Il

est même défendu d’y fumer. Cela semble bien un peu sévère, et .

ne s'explique que par la crainte de voir des bouts de cigares
ou des allumettes gâter la netteté des allées. L’ennni, c’est que
des membres de quelque commission de voirie urbaine pour-
raient emporter d’une visite à ce jardin botanique l'idée de
promulouer certaine mesure analogue pour embarrasser leurs
concitoyens. Oui, nous verrons cela un jour ou l’autre : une
ville où il sera interdit de fumer la cigarette sur les trottoirs.
Il y en à bien déjà où l’on n’y peut cracher sous peine d’être
arrêté par la police !

Revenons toutefois, en attendant, aux collections d'histoire
naturelle.

L'histoire naturelle était abondamment représentée à l'Ex-
position de Saint-Louis, contrairement à notre attente. En effet,

dans les Expositions de Paris et de Buffalo, nous n'avions vu.

que peu de chose, en somme, qui intéressât proprement les
sciences naturelles.

Ce n’est pas à dire qu'il y eût, à Saint-Louis, de véritables
musées. Mais un peu partout, dans les palais à destination
spéciale comme dans ceux des divers pays ou Etats, on trouvait
de nombreux spécimens des trois règnes de la nature. Il serait
bien trop long d’énumérer en détail tous ces articles qui offraient
de l'intérêt au naturaliste. Quelques mots suffiront pour don-
ner une idée des rich:ss23s naturelles qui se trouvaient là.

Le botaniste, par exemple, pouvait étudier dans les exhibits
de beaucoup de pays des plantes desséchées de ces régions, et
eurtout des collections nombreuses de leurs bois, des collections
de grains et de graines, alors que, sur les terrains eux-mêmes
de l'Exposition, il voyait nombre de plantes exotiques pous-
sant et fleurissant en pleine terre. Je citerai notammment des
collections, de Cactées, se maintenant en bonne vigueur grâce à
ce beau climat de Saint-Louis.

Quelques collections d'insectes, surtout de papillons, attiraïent

L'HISTOIRE NATURELLE DANS L'OUEST 159
l'attention de beaucoup de visiteurs, entomologistes ou non.
Nombre de gens s’arrêtaient, particulierement, devant l'exhi-
bit de je ne sais plus quelle maison américaine qui exposait des
cartons vitrés contenant, dans une disposition spéciale, des
groupes des plus brillantes espèces de papillons des divers pays.
Ces cartons peuvent servir soit d'ornement soit à l’étude. Je
signalerai, entre autres, un écran à deux panneaux constitués
par des cadres de ce genre et remplis de beaux papillons. On
demandait une trentaine de piastres pour ce joli meuble, qui
ferait si bel effet dans un salon.

Beaucoup de pays exposent des animaux à fourrures, des
oiseaux, des poissons, des reptiles. Le Canada occupait un beau
rang, en cette matière, par une coliection assez complète de
ses mammifères, buffle, orignaux, caribou, chevreuil, ours,
mouflon, loutre, etc.

Enfin, un peu partout dans les divers édifices, on voyait
beaucoup d'échantillons des minéraux utiles.

Les sujets d'étude, pour le naturaliste comme pour les autres
spécialistes, ne manquaient done pas à cette Exposition de
Saint-Louis. Il est certain que l’on pouvait y voir beaucoup d’ob-
jets des pays étrangers qu’il n’est pas facile de rencontrer dans
les conditions ordinaires. Seulement, il faudrait être doué d’un
véritable héroïsme pour triompher des multiples occasions de
distraction qui s'offrent continuellement dans une: institution
de ce genre, et pour résister à la curiosité qui porte à voir le
plus possible, dût-on ne rien observer sérieusement. Aussi,
après avoir visité trois grandes Expositions, sommés-nous
porté à conclure que ces entreprises servent beaucoup plus
les intérêts de la curiosité que ceux de l'esprit scientifique.

À CHICAGO

Un arrêt de deux jours à Chicago, c’est bien insuffisant pour
visiter une ville aussi étendue. Aussi avons-nous dû laisser de
côté le musée de la «Chicago Academy of Science, » et celui
de l’« Institute of Arts. »

Mais nous tenions beaucoup à visiter le « Field Columbian
Museum », dont nous avons pu suivre depuis le commencement

140 LE NATURALISTE CANADIEN

les grandes publications scientifiques, et il nous a été donné de
réaliser ce désir.

L'édifice où se trouve ce grand musée est tout ce qui reste
de la fameuse Exposition de Chicago, qui eut lieu en 1892. Ce
palais, de belle architecture, avait été bâti en pierre, sans doute
avec le désir de le conserver comme souvenir de la grande
foire universelle. Mais telle est l'inclémence de notre climat
d'Amérique, qu'il est déjà tout noirci et qu'il a pris en si peu
de temps des airs d’antiquité. Il est situé dans le beau pare,
qui longe la rive du lac Michigan, et qui est bien, lui aussi, un
beau souvenir de l'Exposition de 1892.

L'édifice est de vastes proportions, et consacré exclusivement
à l’histoire naturelle. L'institution, qui jouit évidemment de
revenus considérables, envoie souvent des expéditions scienti-
fiques en diverses parties du monde, dans le but d'étudier les
mœurs, la langue et l’industrie de peuplades sauvages encore
peu connues, et de recueillir des spécimens de la faune et de la
flore de diverses régions. Les résultats de ces recherches sont
consignés dans des mémoires de haute valeur scientifique et
divisés par séries correspondant aux branches diverses des
sciences naturelles.

L’ethuologie, la paléontolowie, la botanique, les mammifères :
telles sont les sections les plus riches de cet immense musée.

En entomolovie, les papillons remplissent un grand nombre
de cartons, et ce n’est pas là le moindre sujet d'intérêt pour
les visiteurs.

Pour nous, ce qui nous à intéressé davantage, ç’a été la col-
lection des squelettes des grands animaux des âges géologi-.
ques : Megatherium, Dinosaure, Plésiosaure, Mastodonte, ete.
les uns réels, les autres en moulages. Nous avions vu, en
d’autres musées, l’un ou l’autre de ces fossiles gigantesques,
mais nulle part, croyons-nous, nous ne les avions vus réunis
en un même musée.

Les collections de bois de divers pays, surtout des deux
Amériques, sont considérables, et offrent d’abondants sujets
d’études et de comparaisons.

L'ABBÉ PROVANCHER 141

Le Field Columbian Museum, de Chicago, est le dernier
musée que nous avons visité dans notre voyage de l'Ouest
canadien et américain.

Pour avoir vu la plupart des grands musées de l'univers, il
nous reste encore à visiter ceux de New-York et surtout ceux
de la Smithsonian Institution, à Washington. — Si Dieu nous
prête vie, ce sera l'objet d'un voyage effectué dans un avenir
non trop lointain, espérons-nous.

L'ABBÉ PROVANCHER

(Continué de la page 106.)

D'après les procès-verbaux publiés dans le Naturaliste, la
Société d'Histoire naturelle tint des séances le 2 mai, le 11
juillet, le 1° août, le 10 novembre et le 29 décembre 1870. A
chacune de ces réunions, on enregistrait quelques dons de livres
et de spécimens pour les collections de la Société ; l'abbé Pro-
vancher ou un autre membre traitait de quelque point d’his-
toire naturelle, ou bien l'on causait sur divers sujets scienti-
fiques. La séance du 10 novembre fut particulièrement impor-
tante à cause des graves résolutions que l’on y adopta. Il y
avait bien cinq membres de la Société qui assistaient à cette
séance ! On délibéra toutefois comme si l’on avait été cinquante.
Le Dr Meilleur, secondé par M. J.-E Juneau, proposa la
motion suivante :

« Attendu que depuis plusieurs années le gouvernement
alloue annuellement une somme de $750 à la Société d'Histoire
naturelle de Montréal, ce ne serait que justice qu’une semblable
allocation serait faite à la Société d'Histoire naturelle de
Québec ; en conséquence qu’une requête soit sans délai adressée
au Parlement, au nom de la Société, sollicitant telle allocation. »

De son côté M. Cloutier, alors professeur à l'Ecole normale
Laval, aujourd'hui en retraite et affrontant le vieil âge avec
une vigueur toujours jeune, fit la proposition suivante, secondé

par M. J.-B. Gilbert :

142 LE NATURALISTE CANADIEN

«Que dans le but d’asseoir notre Société sur des bases plus
solides, et d'engager tant le gouvernement que les amateurs
de la science à lui venir en aide, il serait nécessaire qu’elle se-
rait civilement incorporée, en conséquence qu'un comité com-
posé de MM. Provancher, Juneau et Cloutier soit chargé de
prendre les mesures nécessaires pour effectuer telle incorpora-
tion. »

Ces deux motions furent adoptées, et, sans doute, à l’una-
nirmité. Mais, pour ce qui est de la seconde, relative à ce qu'on
appelle ici l’eincorporation» de la Société, il ne semble pas
qu’on se soit occupé, efficacement du moins, de lui donner effet ;
et,aux yeux de la loi, la Société d'Histoire naturelle de Québec
paraît n'être jamais sortie du néant.

Quant à cette demande d’un secours pécuniaire du gouver-
nement de la Province, l’abbé Provancher a raconté (M. C.,
janvier 1875, p. 3) que l’on adressa des pétitions à la Légis-
lature, aux sessions de 1871, 1872 et 1873, pour solliciter l’aide
désirée, mais que le gouvernement ne trouva pas qu'il lui fût
possible d'accorder la faveur demandée.

En attendant, la Société ne menait qu’une vie languissante.
On'ne trouve plus, dans le Naturaliste canadien, après 1870,
que le compte rendu d’une seule séance, celle du 3 juillet 1871.
Le séjour qu’alla faire l'abbé Provancher en Floride, au prin-
temps de cette année, explique assez bien le sommeil apparent
de la Société durant les premiers mois de 1871. L'année sui-
vante, l'abbé Provancher quitta Québec pour le Cap-Rouge ;
plusieurs autres membres s’éloignèrent aussi de la ville. Ces
circonstances, jointes au refus du gouvernement de fournir
quelques ressources, finirent par plonger l'association dans une
léthargie de belle profondeur.

Durant l'été de 1875, se produisit un réveil momentané sous
la poussée « de plusieurs jeunes talents » qui, écrit l'abbé Pro-
vancher, lui offrirent leur adhésion. La Société compta à ce
moment jusqu'à 27 membres inscrits, et l’on tint plusieurs
séances. Il fut même résolu de tenter un nouvel assaut sur le
trésor public, et l’on adressa à la Législature une requête où se

L'ARBÉ PROVANCHER 143

trouvait l'ingénieuse proposition que voici: « Si les ressources
de la Province ne vous permettent pas actuellement de nous
faire une allocation égale à celle de la Société anglaise de
Montréal de même nom, du moins que nous soyons appelés à
partager avec elle son octroi ordinaire. » Le moyen proposé,
assez peu délicat envérs l'association montréalaise, ne fut pas
agréé par le gouvernement. D'ailleurs, en racontant ces efforts,
l'abbé Provancher ajoute très honnêtement que la demande
de la Société de Québec avait été rejetée parce qu’elle n'avait
pas fait de rapport officiel de ses opérations. (1) Voilà bien
ici un détail qui tend à démontrer que l'association avait reçu
l'existence civile de la Législature : car les sociétés ainsi recon-
nues par la loi sont généralement tenues de présenter à l'Etat
un rapport annuel de leurs affaires. Et l’on ne comprendrait
pas que le wouvernement eût fait reproche à une compagnie
non constituée civilement d’avoir manqué de lui faire son
rapport. Pourtant, nulle part le Naturaliste n'indique que la
Société d'Histoire naturelle ait reçu l'existence civile, et les
Statuts de Québec ne contiennent pas davantage l'acte par
laquelle elle l'aurait obtenue. [l y a donc là un problème dont
la solution exigera de nouvelles recherches.

Quels que soient les motifs qui aient empêché le gouver-
nement de l’époque d'accorder le secours que l’on demandait,
on ne saurait s'empêcher de trouver regrettable cette indiffé-
rence de l'Etat envers une institution d'utilité publique comme
celle dont il s'agissait; cette abstention devient même pour le
moins surprenante, quand on songe que, depuis plus de vingt
ans, la Société d'Histoire naturelle de Montréal, institution
surtout anglaise, recevait une allocation annuelle de $750. Il
est certain qu'une partialité de cette sorte, qui voilà trente ans
passait à peu près inaperçne, ne serait plus tolérée aujourd'hui,
tant l'élément franco-canadien a pris conscience, durant ce
tiers de siècle, de sa force et de son droit.

D'autre part, il n’est pas téméraire de penser que si, à

(1) Naturaliste canadien, vol. VIII, p.4.

144 LE NATURALISTE CANADIEN

l'origine, l'abbé Provancher avait manœuvré de façon à ne pas
seséparer del'Université Laval, et à pouvoir profiter à l’occasion
du concours de cette puissante institution, la Société d'Histoire
naturelle de Québec aurait eu autrement plus de chance de se
voir écoutée dans ses démarches auprès du gouvernement.
VERSER
(À suivre.)

PUBLICATIONS REÇUES

— (Central Experimental Farm) Report of the Entomolo-
gist and Botanist. 1903. (Authors Edition, from Annual
Report.)

Le Dr Fletcher a droit aux remerciements des naturalistes
du Canada pour avoir fait un tirage immédiat de son Rapport
de 1903 et pour les mettre ainsi à même d'en tirer parti aussi-
tôt que possible. Car on sait avec quel intérêt les amateurs de
botanique eb d'entomologie accueillent chaque année la revue
d'ensemble de ces deux sciences préparée par le distingué na-
turaliste de la Ferme expérimentale d'Ottawa. Il suffit de par-
courir la table des matières de ce rapport pour juger de lim-
portance très grande de cette publication.

— (N. Y. State Museum) 29 Report of the State Entomolo-
gist on Injurious and other Insects of the State of New
York, 1905.

Publication toujours très intére-sante pour les entomolo-
gist:s.

_ Canada, the Granary of the World. Ottawa. Dec. 1905.

C’est un ‘oli album in 4”, publié par le ministère de l’Inté-
rieur, et composé de chromo- -lithographies très originales, où
l'on dépeint sur le vif l'engouement actuel des Américains
pour les terres de notre Nord-Ouest canadien.

— Index alphabétique des noms de 3400 familles de 12
enfants vivants, reconnues officiellement depuis l’origine de la
Loi Mercier en 1890, jusqu'à inars 1904, inclusivement. 1% vo
lume. Compilé et préparé par A. Dumais, du département de
Terres, Mines et Pêcheries. Québec. 1904.

Nos remerciements à l’auteur, pour l'envoi qu'il nous à fait
d’un exemplaire de son ouvrage, — qui est un véritable monu-
ment élevé en l’honneur du peuple canadien-français.

TABLE DES MATIÈRES
à DÜU'VOLUME XXXI

Pages
HAARIE PE UNIÈME ANNÉE... se. 205 see ee couce same ao rcnecinasr lee I
ET NE I OP UT SE. va ssée nent een den se co rsusasmeco nee ec c nee :
De la mue des volailles (J.-B. Plante)... sense ES el uen rs 4
Hé A PE rovanener (NAME) Re ae ee ot onemepence
Dans le ministère paroissial.…... 7, 19, 53, 66, 78, 88, 102
ANS ARE EAUTE: ce sance eee. ess cent oone 104, 128, TAT
Bibliographie... It, 23, 40, 5064, O0, 108, 120, 122, 144
Causerie ornithologique (C.-E. Dioane).......................... 13
Quelques aperçus sur la géologie du Saguenay (P.-H. Dumais)
Les rivières du Lac Saint-Jean — Leur formation...
ne en ra es de due des est 200 cc ac Dn 42, 017 07
MCE EAN SARRONA y. 202,5 05420 à den Lo une enr co notant e 22
ME nositon der Saint-Louis... sue Me eenanttensutc à 23
Orchidées versus Bombus (Abbé Em.-B. Gauvreau)........….…, 25
Consrésunternational de, Botanique... 36
DRE UP DERSE A eee seness ace ee à Éd: Fe
toutou (Mon Eafarme)..... "088... ns. 37
Étissun-CaStor, (Re PA DESsTOGhers) "2: sesesoesesoeerasonne ne 39
Questions sur l’histoire naturelle du Caribou.................,..... “6
NAS ce home nebanne cd » à» en RS sn miresec ue 41
Un ennemi du Palma-Christi (R. Fr J.-C. Ouellet)..…...........…. 46
Cypripède et Bombus (Abbé Em.-B. Gauvreau).................. 49
RE AAC ANA. ed UE. 22 Se arecsesesmace ot 58
Dtedes oEaux INSeCtIVOTES. :2. 20.2 407088 0 venues etes no avec eo 67
Composition de la coquille des œufs d'oiseaux (J.-B. Plante). Jo
In MYCOlOISTE PASSIONRÉ. 252260 nus 22e 27 MM. ce nur aus eoe se voue le 72
Au musée de l’Instruction publique (Abbé V.-A. Huard).... 73
chasse aux Lichens(J.-W:5Miller).2... énonce cenaesa cos 76
Apencerntranre(}-M.: Lemoine), 02%... er 77
tombe du rrunilet 4 OUÉDeC CR nine secesese :
La lutte contre les Imsectes. nuisibles.:..2.........réscssesscees 8s
Chez les Hyménoptères et les Névroptères................... ..... 83
Les/Raies et leurs ŒUfs..,,1,: coco cet RSR re 85.

146 LE NATURALISTE CANADIEN

De RAI EE RM creme ee ee 92
Les-hérbierstet lesänsectess......s.s:stt.2 tt 94
Remède contre la piqûre des Abeilles et Cousins.....4#.......……. 95
A"propos:de latves (G::Bédulieu)s:.7 2/0 Ro 97
Influence de la lune en‘agriculture- (fl Ayme) 59-22 99
Le Sérpeht de mer... Nes susciter + 106
MouStiques et paludisme... 28e 109
Au musée de l’Instruction publique (Collection de bois. La-
MANTIN):.É cecrececmnetrs sc conne de ase- se ee 121
Feu le ”R: P.: Carriere tn 20e ee EE 1239138
Les: Raiés domestibles::.222.2.....:600 RSR 123
histoire naturelle dans MOuESC RER EE 124, 137

LISTE DES ILLUSTRATIONS

Fig. 1 — Plan de la vallée de la rivière Ticouabée....…........…. 17
2 — Fleur de l'Aréthüse..….:.......0..20002 00 32
» 3 Entrée du Bombus dans la fleur de l’Aréthuse..…....…. 33
» 4 — Fleur de l’Habénaire orbiculaire.......... 4... “
» 5—Le Sphinx dans la gorge de l’'Habénaire.…..... 34
,; 46 — Transport du-pollen de: l'Habénaire 0e 35
» 7 — Fleur du Cypripède acaulé.. ee 49
5» 8, 9, 10 — Le Bombus dans la fleur du Cypripède acaule

PRÉPA EE E Ce OR TT CE D Dh di

UE HR Ales ere DO CORP PR TR PR ee ve 86

Etre =" Pamantint 22408... PASS sanaeve ct RE CREER PAR 121

2013 —'R.. PP Carrier AP. RER RSS 134
ERRATA

Page 17. Au bas du //n, lire: Echelle de 10 milles au pouce.
76. Au lieu de Verruceria et Verracaria, lire : Verrucaria.

TABLE DES MATIÈRES

TABLE ALPHABETIQUE
DES PRINCIPAUX NOMS DE FAMILLES, DE GENRES ET

D'ESPÈCES MENTIONNÉS DANS CE VOLUME

AIGCIOrIL. AT ru ONREecidea.:. er erstsstennns ee re
Allium Neapolitanum.....…. 41 | Leptogium...................…. E
Amia ocellicaudata.......... 38 | Manatus Americanus...... F22
ANISOPLETYX. eu cs sonscnnssse se 62 & latirostris........... “
Anobium paniceum......... 04 ". Senegalensis...... «
Anopheles..…........…....... 114 | Megascops asio…............ 15
Arethusa bulbosa..........…. 27 | Micropalama himantopus.. 14
BARRE MARS Se den dos de choque set 76 | Mimus polyglottus........…. “
PS re les omecseedies 61Blnium ciliate.-:.-7-24 59
POUSSE ANR res 32 | Neurocordulia Yamaska-
Brachynus cordicollis....…. 98 PE à ee CNET PS 84
RANGS re teaser ses 76 | Numenius longirostris...….. 15
Camptothecium Nuttalli..… 59 | Oceanodroma leucorhoa..…
Catharista atrata.…..........…. r4 POcneria dispar..:...... 82
Centurus Carolinus.......…. 15 | Orchis spectabilis..…........ 30
Phadoma rs Re res 76 | Pammegischia xiphydriæ.. 84
DC ONE SRE EE RER NRBeltiden SR een ue 76
ET CS LÉ RNOR SCTE ARE 114 | Philonotis alpicola.........… 59
Évpnpedinnmaeaulé.;:: 140 MPhyscia.:...2etea es 76
Eniconetta Stelleri..…......…. 14 | Polioptila cærulea.........… 15
Eurhynchium subcæspito- Procellaria pelagica......… &
UTP RRE SOS Ramalinds. An... 76
COMARINS 5. euro. 10 hy Unie. Eee: 122
CADRES ME ter ‘ | Ricinus communis.......... 46
H abenaria orbicularis...….. 34 |Seylographa 5... 76
Hæmabæba malariæ........ 116 | Sphinx........................ 52
Helminthophaga celata..... 14 | Spilosoma virginica..…....……. 47
Hesperiphona vespertina..… ‘| Stegomyia fasciata.…......... 117
Hydrocharis obtusatus..... 97 | Sterna maxima.............…. 14
Hylocomium calvescens... 59 | Sticta.............…. rte rs ges 76
Isothecium spiculiferum.….. D loula.sssssemmne L.

Lecanora...................... 76 | Sturnella magna... 14

148 LE NATURALISTE CANADIEN

SYTENOCATPA -.es-cenu roc eeeees 0176 | Uria lomvia...,
Mringa Baird, sucres. MENT S Usneai se "2
= Tropisternus glaber.…....s 98 | Ver:ucaria..................

Typha latifolia.….... ........ 07 | Vireo Philadelphicus.....….

Unionidæ.…........…..… 120 | Xiphydria. Provancheri.….

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