UNIVERSITÉ DE PARIS. — FACULTE DE DROIT L'ENGAGEMENT DES MARINS POUR LA GRANDE PÊCHE THÈSE POUR LE DOCTORAT PRÉSENTÉE ET SOUTENUE Le mardi 15 janvier 1907, à 2 heures 1/2 PAR Isaac TUAL Diplômé de l'Ecole libre des Sciences Politiques Président : M. JAY, professeur, ( MM. THALLER, professeur. Suffraganls : j Gn)E professeur. PARIS LIBRAIRIE DES FACULTÉS A. MICHALON «O, Tlvto Monsieur-le-Prince, «a 1907 THÈSE POUR LE DOCTORAT La Faculté n entend donner aucune approbation m improbation aux opinions émises dans les thèses; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs. UNIVERSITÉ DE PARIS. — FACULTÉ DE DROIT L'ENGAGEMENT DES MARINS POUR LA GRANDE PÊCHE THÈSE POUR LE DOCTORAT PRÉSENTÉE ET SOUTENUE Le mardi 15 janvier 1907, à 2 heures 1/2 PAR Isaac TUAL • M Diplômé de l'Ecole libre des Sciences Politiques Président : M. JAY, professeur. ( MM. THALLER, professeur. Suffraganls : j GmE> professeur. PARIS LIBRAIRIE DES FACULTES A. MICHALON «Ô, Bue Monsieur-le-Prince, *^6 1907 BIBLIOGRAPHIE Valin. — Commentaire sur l'Ordonnance de la Marine. Hautefeuille. — Code de la pêche maritime. Paris, 1844. Filleau. — Traité de l'engagement des équipages. Paris, 1862. Fournier et Neveu. — Traité d'administration de la marine. Paris, 1887. Desjardins (Arthur). — Traité de droit commercial mari- time. Paris, 1891. De Seiliiac. — Marins pêcheurs. Paris, 1899. Romet. — Étude sur la situation économique et sociale des marins pêcheurs. Thèse Caen, 1901. Schlacther. — La grande pêche maritime Thèse Paris, 1902. Bulletin officiel de la Marine, INTRODUCTION La question de l'engagement des marins pour la pèche de la morue présente de l'intérêt à un double point de vue. Pour rémunérer le travail du pêcheur et en même temps l'encourager toujours à mieux faire, l'armement s'est ingénié à combiner les modes d'enga- gement les plus divers : salaires fixes avec ou sans primes, salaires à la tache, paiement à la part. Tous ces systèmes ont varié suivant les époques et diffèrent encore d'un port d'armement à un autre. Voilà un champ d'observation très riche dans lequel on peut puiser pour profiter de l'expérience acquise au point de vue général de la question du salariat. Mais, indépendamment de cette raison, il faut voir que la grande pêche occupe annuellement 12.000 pê- cheurs et fait vivre au minimum 20.000 familles. Il y a donc là un intérêt social que l'on doit prendre en con- sidération, d'autant plus que cette population, malgré le rude et périlleux travail qu'elle pratique et qu'elle aime, est très pauvre et sans défense. - B — Comme il nous était impossible de passer en revue toutes les conventions usitées dans chaque port d'ar- mementj dous avons dû nous limiter aux types d'enga- gement les plus intéressants et nous avons choisi un centre principal d'étude, 1«' port de Saint-Malo. Saint Malo, avec la région qui l'environne, est. en t. le lieu d'armement le plus important pour la pèche de la morue ; les chiffres suivants permettent la com- paraison avec les autres ports métropolitains. En 1906 : Armement pour Terre Neuve. int-Malo, Saint- S er van, Cancale, 121 navires pè- cheurs. Fécamp, 55. Grançille, o5. Dahoaët, 2. Armement pour l'Islande. Dunkerque, 57 navires pêcheurs. Paimool, .*>V. Graçelines, 30. Binic, I ». Dahouét, \. Le Légat . 2. 9 os compter les navires chasseurs qui rapportent premières pèches. — 9 — Le nombre d'hommes d'équipage embarqués pour la grande pèche a été en 1906 : Saiut-Malo. Saint-Servan, Cancale, 3.051. Fécamp, 1.944. Paimpol, 1.375. Dunkerque, 1.057. Granville, 987. Outre l'armement métropolitain pour la pèche à Terre- Neuve, il y a l'armement saint-pierrais qui est en grande diminution, mais comprend encore un nombre impor- tant de goélettes. Armement colonial à Saint-Pierre : en 1902. 206 na- vires ; en 1903, 180; en 1904, 147 ; en 1905, 105 ; en 1906, 105. Les équipages de ces goélettes sont recrutés en France, principalement à Saint-Malo, Cancale, Dinan, Gian- ville et sont transportés jusqu'à Saint-Pierre, en qualité de passagers. Passagers quittant Saint-Malo : en 1902, 3.567 ; en 1903, 3.109; en 1904, 2.652 ; en 1905, 1749 ; en 1906, 1.963. Gomme rengagement de ces équipages a lieu avant le départ, c'est dans la métropole qu'il faut l'étudier. Enfin la question de rengagement des marins inté- resse plus particulièrement la Bretagne, surtout les dé- partements de l'Ille-et- Vilaine et des Côtes-du-Nord qui sont une vraie pépinière de pécheurs de morue ; les armateurs de Fécamp et même de Granville y viennent - 10 - de plus en plus recruter leurs équipages. On remar- que, en effet, une tendance dos Normands à délaisser la pèche; tandis que la Bretagne conserve ces ramilles de pécheurs qui, par tradition, ne veulent pas quitter leur pénible métier. Nous avons ainsi exposé les raisons de notre choix du port de Saint-Malo comme lieu de nos recherches. El tout de suite nous nous empressons d'adresser nos remerciements aux personnes particulièrement compé- tentes qui ont bien voulu nous procurer des renseigne- ments, nous rapporter les faits sur lesquels cette étude e»t surtout basée. Il nous arrivera fréquemment de citer dans notre travail telle convention passée entre armateur et équi- page, telle clause d'un contrat d'engagement ; mais, pour respecter la liberté de l'industrie, nous éviterons toujours de nommer les parties intéressées. CHAPITRE PREMIER LA PÊCHE DE LA MORUE Armement. Modes de pêche. Composition des équipages. Section I. — La pêche en Islande. L'armement pour la grande pêche n'est pas uniforme; il faut des navires appropriés à des modes de pêche différents et à des lieux de pêche où l'état de la mer et des vents ne coïncide aucunement. Pour l'Islande, Dunkerque et les autres ports du Nord arment des sloops ou dundees de faible tonnage, 60 à 100 tonneaux ; ces bateaux sont montés par un équipage de 16 à 20 hommes comprenant : 1 capitaine, 1 second, 1 lieutenant, 1 tonnelier, 1 saleur, un nom- bre variable de matelots 10 à 14, 1 ou 2 mousses. Paimpol, Binic, Dahouët ont un armement sensible- ment différent : ils envoient en Islande des goélettes ou des sloops de 100 à 150 tonneaux qui peuvent coû- ter en moyenne 80.000 francs. Les équipages plus — 12 — nombreux compl mi de 16 à 25 hommes. Sur les 51 navires pécheurs partis de Paimpol en 190(5 il y avait : ~1~ équipages ude ils jettent leur ligne le long du navire et pèchenl à la traîne pendant que le navire reste en cape sons la grand' voile : chaque ligne a une longueur de 150 ou 200 mètres, à l'extrémité se trouve un plomb d'environ \ kilos traversé par une tige de de s » centimètres qui porte à chaque bout un avan- d avec un hameçon. A côté de ebaque pécheur se trouve une manne dans laquelle il jette les langues de morues qu'il a prises, ce qui constitue une comp- tabilité très facile. ( m comprend aisément que des bateaux de faible tonnage conviennent mieux à cette [>• lie, des navire- plus grands seraient moins com- modes à cause de l'élévation de leur coque et feraient perdre h' poison au moment où on le haie à bord. Le genre de pèche pratiqué en Islande est moins illeux, puisque les marins ne s'éloignent pas du n ivire : mais il comporte de bien dures épreuves, telles sih-<-n faites aux: marins par ces longues lignes qu'il faut saa »se jeter ou relever. Tou- tes ces raiv>ns font que beaucoup de personnes consi- dèrent la pèche d'Islande, comme plus pénible que — 13 — celle de Terre-Neuve : nous verrons cependant que celle-ci ne ménage pas les fatigues. Section II. — La pêche à Terre-Neuve. L'armement pour Terre-Neuve comprend des navires, goélettes, bricks et bricks-goélettes de 200 à 300 ton- neaux; depuis quelques années on construit de grands trois-màts qui jaugent jusqu'à 425 tonneaux et coûtent 175.000 francs. Fécamp possède beaucoup de ces navi- res importants auxquels il faut un équipage moyen de 36 hommes ; 55 navires fécampois ont fait la campagne de Terre-Neuve en 1906 dont : 2 à 40 hommes d'équi- page, 5 à 39, 8 à 38, 11 à 37, 10 à 36, 5 à 35, 5 à 34, 4 à 33, 1 à 31, 2 à 30, 2 à 28. Saint-Malo, Saint-Servan et Cancale arment à la fois des trois mâts et des navires de moins fort tonnage. Les goélettes saint-pierraises jaugent en moyenne 150 ton- neaux et sont montées par une vingtaine d'hommes. Un équipage pour la pèche des bancs comprend : un capitaine, quelquefois 1 patron de pêche ou 1 subrécar- gue, 1 second, 1 maître d'équipage, 1 saleur, un nom- bre variable de patrons et d'avants de doris,l ou 2 no- vices, 1 ou 2 mousses, rarement 1 cuisinier. Il arrive souvent qu'un capitaine n'est pas bon pê- cheur, il n'est alors chargé que de la conduite du navire et on le désigne sous le nom de « capitaine porteur ». Mais on lui adjoint un subrécargue ou un - 14 — patron de pêche qui, une lois le navire rendu sur les lieui les obligations de l'armement envers les marins sont corrélatives des premières et leur inexécu- tion peut influer sur celles ci, il importe donc que le commissaire connaisse tout le contrat ; de plus le com- missaire est représentant de la Caisse des Invalides et de la Caisse de Prévoyance et à ce titre doit connaître toutes les obligations financières de l'armement envers l'équipage pour exercer les retenues ; enfin le commis- saire est gardien de l'ordre public, il est à présumer que les conditions soustraites à sa connaissance ne pourraient avoir pour but que de frauder l'ordre public, elles devraient par conséquent être considérées comme nulles. L'article 250 doit être interprété dans ce sens que les conditions d'engagement sont en principe consta- tées par le rôle d'équipage et ce n'est qu'à défaut de celui ci, c'est-à-dire avant que la revue ne soit passée, qu'il peut y être suppléé par des conventions particu- lières (1). Ainsi donc revue d'armement, lecture des clauses du 1. Cependant l'Administration tolère les arrangements entre le capitaine et l'armateur (Circulaire du M juin 1 880). — 26 — contrat par le commissaire, insertion de ces clauses au rôle d'équipage, telles sont les conditions légales du ntiat d'engagement maritime. Mais le rôle de l'Inscription maritime n'est pas ter- mine une fois le contrat valablement conclu entre arma- teurs et équipages ; il s'exerce pendant l'exécution du dit contr.it et surtout lorsqu'il prend fin, pour la liqui- dation des droits des parties. C'est ainsi que pendant te cours de l'engagement si des difficultés d'ordre civil - produisent entre le capitaine et les hommes, le corn- missaire arbitre naturellement indiqué Les aplanit; mais sa décision n'est pas acceptée le différend va devant le tribunal de commerce, seul juge légal des parties(l). A un autre point de vue, le commissaire prononce les peines de discipline encourues par les marins du commerce et préside le tribunal maritime commercial, lors-pic le navire à bord duquel la faute ou le délit a été commis se trouve dans un port ou une rade de France ou dans un port d'une colonie française (loi du 13 avril 1898). Enfin au desarmement des bAliments de commerce les commissaires font la Liquidation des salaires ou parts revenant à L'équipage et règlent les sommes à paver ,i la Caisse des Invalides et à la Caisse de Pré- voyan <•. Tout paiement l'ait à un matelot même en 1. En Angleterre, les « shipping masters » peuvent décider des contestations qui leur sont soumises en matière de Loyers. Art. 173 du Merchant Sbipping Act. — 27 — acompte doit l'être eu présence du commissaire qui peut ainsi vérifier si le montant exact est bien payé et si l'on ne fait pas de retenues irrégulières (1). (Ord. du 3loct. 1781. Titre XIV.) Il ne faut pas se dissimuler que notre régime de l'Ins- cription maritime ait certaines exigences : c'est ainsi qu'il astreint l'armement à des formalités parfois coû- teuses et occasionnant des pertes de temps ; nous n'en- tendons pas dire que de ce côté il n'y ait point d'amé- liorations possibles. Mais on combat surtout les mesures tutélaires prises dans l'intérêt des marins comme attentatoires à la liberté individuelle et vexatoires pour l'industrie de l'armement par le contrôle permanent qu'elles occa- sionnent. On dit encore que si le matelot est trop sou- vent insouciant et imprévoyant c'est bien parce qu'il a le sentiment d'être protégé. Ces griefs nous semblent mal établis et après une étude des faits aussi exacte que possible nous conclu- rons à la réforme de l'engagement des gens de mer dans un sens plus protecteur. 1. En Angleterre le payement des loyers doit être fait sous pjine de 10 pounds d'amende en présence du « shipping mas- ter ». Art. 170 du Merchant Shipping Act. CHAPITRE III Comment se font les engagements Le recrutement des équipages pour Terre-Neuve commence dès les premiers jours de décembre, près de deux mois avant la revue ; les meilleurs pécheurs sont même parfois retenus dès le retour de la campa- gne précédente. La constitution d'un équipage doit se faire méthodi- quement. L'essentiel pour un armateur est de mettre la main sur un capitaine ou un patron de pèche habile et expérimenté. Celui-ci s'assurera le concours d'un ou deux officiers, d'un bon saleur, de sept à huit patrons de doris connaissant leur métier ; après quoi il sera toujours facile de trouver des avants, des novices et des mousses. L'armateur délègue le plus souvent au capitaine ou au patron de pêche le soin de former son équipage et représentant, outre qu'il possède de nombreuses relations dans le monde des pécheurs, sait parfaitement — 29 - comment diriger ses recherches s'il connaît quelque peu les habitudes du pays (1). Chaque année, le premier lundi de décembre, se tient une foire importante dans un endroit des environs de Saint-Malo appelé Vieux-Bourg ; ce village est situé au croisement des routes allant de Saint-Malo à Rennes et de Dol à Dinan. C'est là que se rendent de nombreux «gars » cherchant à s'engager ; ils viennent des cam- pagnes voisines : Chàteauneuf, Plerguer, Saint-Pierre-de- Plesguen, Plesder, Saint-Domineuc et sont pour cela appelés « terriens >. La plupart de ces hommes mi-ma- rins, mi-paysans, sont destinés aux goélettes de Saint- Pierre. Dans le courant de janvier les capitaines vont aussi faire une tournée dans les auberges de la côte ; ils par- courent Cancale, Saint-Benoit, Hirel, Cherrueix, autant de pépinières où Ton rencontre les vrais mathurins portant la chemise de laine et le béret traditionnels. Enfin quand le départ approche, les pécheurs qui n'ont pas encore trouvé d'embarquement vont à Saint-Malo et à Saint-Servan ; ils longent les quais ou, de préfé- rence, les jours de marché, le mardi et le vendredi, se tiennent près de la Grand'Porte. Là ils s'abouchent 1. A Saint-Malo cinq ou six personnes s'occupent des mate- lots en quête d'embarquement ; mais les pêcheurs de morue savent s'adresser directement aux armateurs ou capitaines et des intermédiaires, tels que des bureaux de placement, seraient complètement inutiles. _ 30 - aisément avec les capitaines el presque toujours se font epter. Les pourparlers s'entameni dehors, le plus souvenl à l'aube mais ils se terminenl toujours là. L'accord est i onclu après une série de micks à l'eau-de-vie el de bolées de cidre qui ne sonl pas faits pour développer la lucidité d'esprit des contractants, Autrefois, suivanl une coutume usitée pour la course el pour la grande poche, les engagements étaient pas- 3 chez les notaire s; - •lie règle, qui s'était accréditée pour cette raison que beaucoup de marins ne savaient pas signer, a été peu à peu délaissée mais a néanmoins guj>sisté jusqu'en 1885. Voici d'ailleurs un type d'engagement de ce genre datant du 16 lévrier 1830 : < Par-devant maître X.... notaire à Saint-Malo, sous- signé, lurent présentés les ci-après nommés officiers, « majors, mariniers, matelots, novices, mousses et au- < 1res marins, lesquels déclarent se louer et engager volontairement par ces présentes envers M. Y...,de- «c meurant à Saint-Malo, propriétaire du navire..., gréé « en brick et jaugeant environ 2i0 tonneaux, lequel « doit être commandé par L..., capitaine. » Suivent les conditions générales d'engagement, puis les conditions particulières à chacun accompagnées de la signature de l'intéressé ou de la mention qu'il ne -ait signer, toujours après lecture faite. Les jours de marché, le capitaine amenait sespùcheurs — 31 — en aussi grand nombre que possible pour les faire « passer au notaire »; l'acte contenant le préambule et les conditions générales était alors ouvert ; après quoi l'insertion des conditions particulières à chaque engagé se faisait le jour de sa comparution. < hiand tout l'équipage s'était présenté l'acte était ainsi clos : « Les ci-après nommés et ci-devant engagés « aux conditions sus-énoncées reconnaissent avoir reçu « les sommes ci-après savoir..., dont ils consentent « quittance due interpellés après lecture. « Conclu le présent engagement non sujet à l'enre- « gistrement ce jour cinq avril mil huit cent trente sous « le seign de sieur.... (l'armateur) et ceux de nous, no- « taire, après lecture faite. » Ces engagements offraient certainement des garan- ties. D'abord le marin connaissait toujours les condi- tions générales de son contrat et ceci est extrêmement important. De plus, le notaire pouvait refuser la signa- ture d'un individu pris de boisson ; le capitaine lui- même n'aurait pas osé présenter à l'étude du notaire un de ses hommes en état d'ébriété. Le notaire délivrait à l'armateur une grosse de cet acte pour être remise à l'Administration le jour de la revue, car malgré son caractère authentique l'acte ne valait que comme engagement civil. Aujourd'hui les choses se passent plus simplement : c'est au cabaret que le marin donne sa signature. L'écrit consigné sur une feuille timbrée de 60 centimes — 32 — ou même but une fouille de papier libre revêtue d'un timbre de quittance, est ainsi conçu : \... s'engage à faire la campagne de pêche à Terrc- « Neuve pour l'année 1906 sur le uavire comme i patron de dorifl et aux conditions suivantes: 1 part « dans le cinquième, 25 francs par 1.000 morues prises « dans son (l<»ii<, 500 francs d'avances el 25 francs de « denier à Dieu. Signatures : « Le représentant de l'armateur, L'engagé, Deux exemplaires sont dressés, l'un est pour l'arma- teur, l'autre reste entre les mains de l'engagé ; c'est ce que 1<" marin appelle son «double »,Le représentant de l'armateur exige en même temps de la part du pêcheur la remise de son « permis vert », ee qui constitue la preuve qu'il peut s'engager et qu'il n'a pas d'autre enga- gement (1). Il faut bien remarquer qu'en signant jamais le ma- rin ne prend connaissance de la charte-partie conte- nant les conditions générales du contrat ; s'il la demande 1. Le marin restant BOumia à tout instant à la réquisition pour le service de l'État doit se munir d'une permission pour -enter de son quartier ; l'usage du permis d'embarquement iaJ .iu\ grandes pêches B*est maintenu depuis 1781. îtte pièce est délivrée par l'Administration BUT la demande de l'intéresi - 33 — au capitaine, celui-ci répond évasivement qu'il ne Ta pas, que « c'est toujours la même chose », et ce vague est conservé jusqu'au jour de la revue. Aussitôt l'équipage entièrement formé l'armateur réunit les feuilles d'engagement accompagnées des per- mis et c'est d'après elles qu'il rédige le projet de rôle d'équipage. Ce projet est déposé avec la charte-partie au bureau de l'Inscription maritime du port d'arme- ment quelques jours avant la présentation des engagés. En principe, la revue d'armement doit avoir lieu en même temps que l'ouverture du rôle d'équipage, le jour de « l'expédition du navire » et cette règle est observée pour le long cours et le cabotage ; mais il y a un tempérament spécial à la grande pêche nécessité par les circonstances. Les départs des navires ayant lieu presque au même moment il serait impossible de passer toutes les revues. Aussi permet-on aux armateurs de présenter leurs équipages longtemps à Favance. A Saint-Malo les revues ont lieu principalement du 15 février au 5 mars, alors que les navires ne font voile qu'un mois après. Avec ce délai, les administrateurs sont moins pressés pour lire et expliquer aux marins les conditions de leur engagement et ces derniers ayant reçu leurs avances ont plus de temps pour faire leurs achats. Les rôles des équipages passés en revue ne sont pas ouverts immédiatement : il y a là un travail maté- Tual 3 — 34 — rie! assez considérable, 300 à 100 marins comparaissant le même jour. Néanmoins l'engagement est considéré comme parfait dès que la revue esi passée. \iu février 1888 prescrit de considérer comme déserteurs les marins des goélet- tes coloniales qui manquent volontairement le navire transporteur, bien que le rôle du bâtiment à bord duquel ils doivent effectivement servir ne soit ouvert qu'à L'arrivée à Saint-Pierre. C'est donc seulement le jour de leur présentation au bureau de la Marine que les engagés connaissent les conditions générales du contrat. Beaucoup écoutent distraitement la lecture qui leur est faite, ne songeant qu'aux avances qu'ils vont bientôt toucher ; et les plus avisés soulèvent-ils des objections, ils sont vaincus d'avance, car, mis dans l'alternative d'accepter les clauses ou de résilier leur engagement, ils se résignent à la première solution, sans quoi ils ne pourraient plus s'embarquer, tous les équipages étant déjà formés. Citons ce fait assez significatif : Au bureau de la Marine de Saint-Malo, le 3 mars 190..., eut lieu la présentation des équipages des goé- lettes de la maison Les hommes, surpris par les conditions très désavantageuses de la charte-partie I 1,73 ') 0 d'intérêt et d'assurance, et 2 k. 200 par morue comme poids moyen) refusèrent d'accepter malgré leurs engagements souscrits ; ils se plaignirent d'avoir été trompés. Le capitaine de la goélette... déclara qu'il — 35 — avait, en effet, engagé ses hommes sans leur faire con- naître les conditions de la charte-partie et sans les connaître lui-même ; ses collègues présents reconnu- rent l'exactitude de son affirmation. Et cependant ils avaient fait signer aux hommes un engagement portant ces mots : « réductions suivant la charte-partie ». Après ces récriminations très justifiées d'ailleurs, les équipages ne trouvant plus d'engage- ments à cette époque de l'aunée furent contraints d'en passer par où a voulu la maison d'armement. N'y a-t-il pas d'améliorations possibles à cette manière très critiquable de réaliser les engagements ? C'est une déplorable habitude que de prendre le marin au cabaret, profitant souvent de son ivresse pour saisir son adhésion ; le contrat signé dans ces conditions peut être entaché de dol et, par suite, annu- lable, mais les pêcheurs ne connaissent guère le tri- bunal de commerce. Nous avouons qu'ici il est bien difficile de réagir : il faudrait pouvoir compter sur la bonne volonté du représentant de l'armateur et sur la résistance du marin à son funeste penchant. Hélas ! nous n'en sommes pas encore là. Quant à la forme même de l'engagement, on pourrait la simplifier tout en satisfaisant les engagés : l'arma- teur n'aurait qu'à se servir de son projet de rôle sur lequel les marins émargeraient au fur et à mesure. Ils pourraient ainsi avant de signer voir quels sont leurs compagnons de pèche et quelles conditions leur ont _ 36 - été consenties: la grande pêehe réunit pour une cam- _ne de huit mois des hommes qui devront vivre et travailler ensemble, il est bon qu'ils sachent avec qui Us s'embarquent (1). Il serait même à souhaiter que l'avant de doris fut de préférence choisi d'accord avec le patron sous les ordres duquel il péchera. De plu-, celle utilisation du projet de rôle réaliserait un bénéfi e à L'armateur puisqu'elle lui éviterait l'achat (!«■ papier timbré. D'autre part, il est inadmissible que l'armement laisse L'engagé dans l'ignorance des clauses générales de la charte jusqu'au moment de la revue : l'un des contrac- tante seul connaît l'étendue de ses obligations, l'autre reste dan- une imprécision absolue. Que dirait-on d'un propriétaire en pourparlers avec unfutur locataire inex- périmenté qui ne voudrait lui faire connaître certaines conditions onéreuses, certaines servitudes que juste au moment de la signature du bail, sans lui laisser en quel- que -oite le temps de la réflexion ? On considérerait sans doute cette façon d'agir comme abusive quoique strictement légale : cependant cette situation est compa- rable à celle des pècheursau moment de leur engagement. Pour remédier à ces inconvénients M. Lecointe, maire de Plouër (2), propose de remettre un exemplaire 1. Déjà certains ;irmateurs usent de feuilles timbrées cousues mhle ce qui procure cet avantage. Plouër, commune des Côtes-du-Nord où se recrutent beaucoup de pêcheurs. — 37 — de la charte à chaque engagé avant qu'il donne sa signature : on ne peut que s'associer à ce vœu. Sa réa- lisation ne mettrait pas absolument un terme aux abus qui se produisent, la rédaction de certaines chartes- parties étant telle que bien des pêcheurs ne sont pas capables de se rendre compte seuls des conditions qui y sont portées. Ce serait néanmoins un progrès énorme, susceptible d'ouvrir les idées des marins et de les inciter à discu- ter et à défendre eux-mêmes leurs intérêts. Mais alors comment obtenir de l'armateur cette remise de la charte qui occasionnerait pour lui une nouvelle dépense, minime il est vrai, une vingtaine de francs environ ? Les engagements préparatoires entre capitaines et hommes d'équipage se passent absolument en dehors de l'administration dont le rôle ne commence qu'avec la revue. On peut sans doute agir au moyen de con- seils, mais l'engagé, en refusant de se lier à l'aveuglette, peut seul exiger qu'il soit mis entre ses mains les moyens de connaître les termes de son contrat. CHAPITRE IV Des avances. Les avances sont les sommes payées par l'armateur au marin lorsque celui-ci est définitivement engagé ; elle- existent dans toutes espèces d'engagements et sont communes à tous les pays. Elles sont nécessaires pour deux raisons: d'abord le marin, quittant sa famille pour un temps assez long, doit lui laisser de quoi subvenir aux premiers besoins pendant son absence; d'autre part, le marin dans le rude métier qu'il exerce, exposé sans -se aux coups de mer et aux intempéries, a besoin d'être bien vêtu; les avances lui permettent de « se gréer » convenablement. Les frais de ^réementd'un pôcbeur sont assez élevés: 200 francs la première année, 120 à 150 francs les an- nées Clivantes. Voici 1 enuméralion des effets stricte- menl nécessaires : Un surouët(l),l paire de bottes ou de sabots -bottes, l. Chapeau ciré ainsi appelé parce qu'il est destiné a ppol • tre la pluie qui tombe le plus souvent par des vents de sud- ouest ; les marins disent* sur-ou<;t ». — 39 — 2 cirages (1), 2 chemises de laine de dessus, 2 chemi- ses de laine de dessous, 2 caleçons de laine, 3 paires de bas ou chaussons pour mettre dans les bottes, 3 paires de mitaines, 1 complet (paletot ou vareuse et panta - Ion) que le marin mettra s'il débarque quelque part pendant la campagne et lors du retour en France (2), 1 grosse couverture de laine, 1 paillasse et quelque- fois 1 matelas, 1 coffre ou 1 sac (3). Il importe que les avances ne soient pas détournées de leur double but; nous verrons cependant que trop souvent elles sont dissipées, sans aucun résultat utile. Il y a différentes sortes d'avances: Le denier à Dieu est versé au moment de la signature de la promesse d'engagement ; son montant est habituellement peu élevé. Le pur don, depuis longtemps usité à Fécamp, a été introduit ces dernières années à Saint-Malo. Il consiste en une somme d'argent assez importante remise après que l'engagement est parfait, c'est-à-dire après la revue au bureau de la Marine ; il augmente donc d'autant le salaire du pêcheur. Purs dons et deniers à Dieu ne 1. Le cirage est un complet ciré imperméable. 2. En général nos pêcheurs prennent soin de leurs vêtements civils, si l'on peut ainsi dire, et tiennent à être bien habillés quand ils descendent à terre. 3. L'armateur exige parfois que les marina se munissent de sacs au lieu de coffres, car le poste d'équipage est moins encom- bré. — 40 — subissent pas 1rs retenues pour la Caisse des Invalides etla Caisse de Prévoyance, puisqu'ils sont censément ignorés de L'administration et payés en dehors d'elle ; si d'ailleurs pour cette raison que les armateurs élè- vent leur taux outre mesure, sauf à diminuer le cliif- des a\ ances proprement dites. Les avances proprement dites sont portées au rôle de L'équipage : elles doivent être versées en présence de L'administration de L'Inscription maritime, c'est une conséquence de la soumission insérée au dos du rôle. D'ailleurs l'armateur est le premier intéressé à ren- forcer le lien qui attache à lui son équipage en procé- dant au paiement des dites avances au bureau de la Marine, ce qui ajoute à l'authenticité de rengagement et augmente la gravité de la désertion (1). Les avan- i es proprement rt, aussi est-il le plus ordinairement usité tant au long cours qu'au cabotage. Mais il y a des expéditions, telles que la pèche maritime, qui exigent que L'équipage <<>it le plus directement possi- ble intéressé à leur succès, afin qu'il y consacre des soins qui seuls peuvent les cendre fructueuses. A ce point d ! vue les salaires fixes sont absolument insuffisants : ils ne sont pratiqués qu'exceptionnelle- ment pour la pèche de la morue. On engag • toujours les graviers au voyage ; ce sont des jeunes gens, des enfants de 14 à 18 ans, occupés spécialement à sécher et nettoyer la morue sur les grèves ou graves d * Saint-Pierre, d'où leur nom de « graviers >. Ils ne reçoivent que 150 francs pour la campagne ; ils sont expédiés tant bien que mal par la maison qui les occupe et, partis dès les premiers jours de mars, ils ne reviennent parfois qu'au mois de décembre. Ces pauvres graviers sont d'habitude très maltraités et sont soumis à un travail de quinze ou seize heures par jour, sous un climat rigoureux exigeant de bons vêtements qu'ils ne peuvent se procurer avec leurs maigres salaires. Les salaires fixes ont subsisté jusqu'à ces dernières années pour la pèche à la cote de Terre-Neuve. Cette pèche faite au moyen de chaloupes traînant [es seines <>u relevant les lignes était moins pénible que la pèche sur les bancs ; les quelques maisons — 49 — d'armement l'exerçant y employaient souvent de vieux pécheurs. Les conditions d'engagement de la maison,., de Saint-Malo pour pèche à la côte en 190... étaient les suivantes : ENGAGEMENTS A SALAIRES FIXES Capitaine : 120 francs par mois ; Second : 110 francs par mois; Matelots : 420 à 480 francs pour la campagne; Novices et mousses : 130 à 165 francs pour la cam- pagne. En dehors de ces salaires seuls signalés à l'adminis- tration existaient quelques gratifications peu élevées suivant la quantité de poisson péché (1). Cette année même un armateur de Saint-Malo ayant obtenu une concession à Terre-Neuve y a envoyé un navire ; l'équi- page a été engagé d'après ces conditions assez curieu- ses : tant par mois, soit le capitaine 150 francs, le maî- tre 120, les matelots 70 à 80; mais en sus le capitaine pouvant exiger en vertu du contrat le travail des enga- 1 . La pêche du homard pratiquée aumoyen de doris qui allaient tendre les casiers et les relever tous les matins a cessé depuis l'accord franco-anglais du 8 avril 1904. Saint-Malo était le seu[ port armant pour cette pêche. Un patron de doris engagé à un salaire de 400 à 450 francs recevait en outre 4 à 5 francs par 1.000 homards; un avant de doris avait 300 à 350 francs plus 1 fr. 50 à 2 francs par 1.000 homards. Tuai 4 — 50 — - depuis :> heures du matin à (.) heures du soir, ceux- ci ont reçu 1 franc avant c> heures du matin et 0 IV. 50 après 6 heures du soir par heure supplémentaire. Le matelots ont ainsi touché 100 francs par mois environ. Jusqu'ici sur Les chalutiers à vapeur on a payé les marins au mois. Nous relevons sur le rôle d'équipage d'un chalutier armé à Boulogne en 1906 pour Terre- Neuve : • apitaine, à la part : second, 110 francs par mois ; Chef-mécanicien, 200 francs par mois; second mé- canicien, 1 10 francs; Chauffeur, 120 francs plus 1G francs de nourriture; Matelots, 80 francs plus 1G francs de nourriture; Mousses 35 à 55 francs plus 16 francs de nourriture; Outre cela il y a des profits accordés aux marins et consistant en une somme de 1 franc pour 1.000 francs de produit brut. \<>ici les seules applications du salaire fixe pour la pêche de la morue, et encore la fixité n'y est pas ab- solue puisqu'elle est souvent modifiée par un système de primes. Si le clialutage donnait de bons résultats, il est probable que les armateurs intéresseraient plus directement leurs équipages à la pèche. Il arrive souvent qu'un navire rapportant sa poche touche a un port français puis va décharger dans un autre port; alors une partie de l'équipage est débar- quée et le reste « passe au mois ». Voici les salaires payés et, pour permettre la compa- — 51 - raison, les salaires moyens au long cours et au cabo- tage : Long cours Cabotage Navire pêcheur Voilier de Voilier de 1000 tonneaux 300 tonneaux Capitaine. . 150 fr. 300 fr. 150 fr. Second. . . 80 fr. 150 fr. 100 fr. Maître. . . 00 fr. 125 fr. 70 fr. Matelots . . 50 fr. 60 fr. 55 fr. Novices . . 30 fr. 45 fr. 30 fr. Mousses . . 20 fr. 30 fr. 25 fr. Mais dans le cas que nous examinons, il n'est plus question de pêche ; le navire pêcheur dont l'équipage est passé au mois fait du transport au cabotage. Section IL — Engagements à la part. L'engagement à la part est celui dans lequel la rémunération du pêcheur est une portion du bénéfice total de l'opération. Cet engagement a donc pour effet de créer entre l'armateur et l'équipage une véritable société en participation et, théoriquement au moins, l'armateur d'une part, les engagés de l'autre, sont des associés apportant l'un ses capitaux et son navire, les autres leur industrie et leur travail (1). Cette sorte 1. L'engagement à la part crée-t-il une société en participa- tion ou procure-t-il simplement une participation aux bénéfices? La question est vivement discutée et les opinions les plus auto" — 58 — d'engagement est de beaucoup la plus répandue dans la pèche à Terre-Neuve, aussi devons-nous L'étudier en détail. Deux types d'engagement à la pari sont prati- ques .- l'engagement au cinquième et L'engagement au tiers. L\ ngagemeni on cinquième* — Il consiste <'u ceci : du produit brut de La pêche Bont déduits les frais géné- raux ; Le produit net est divisé eu cinq parties, les quatre cinquièmes vont à l'armateur et le dernier cin- quième reste à l'équipage. Ce cinquième est lui-même divisé en un certain nombre de parts et chacun prend La part ou les parts qui lui reviennent. La répartition n'est pas absolument égale entre les divers membres de L'équipage et cela se comprend. Si nous prenons Le rôle d'un équipage engagé à Fécamp en 1906 nous y lisons : Capitaine, 2 ou même 3 parts si la pêche atteint certain chilFre ; second et saleur, chacun 1 part 1 ± ; patron de doris, 1 part et 100 francs de patro- nage; avant de doris, 1 part; novice, 3/4 départ ; mousse l i part. En plus les officiers reçoivent des pratiques et les meilleurs pêcheurs ont des primes. Sî le marin n'avait que sa part du cinquième son tra- vail serait bien mal payé, aussi reçoit-il toujours des avances perdues. Ces avances dont nous avons déjà ?s se partagent. Ne pouvant entreprendre ici l'examen de ce point important, nous adoptons la thèse généralement admise par la jurisprudence. — 53 — parlé augmentent considérablement le gain total ou plutôt elles constituent la recette principale du marin se montant à 600 ou 700 francs tandis que la part n'at- teint pas toujours 200 francs. Les avances perdues sont donc un trait caractéristique de rengagement au cin- quième. Le mode d'engagement que nous venons d'in- diquer est seul pratiqué depuis longtemps à Fécamp ; on peut le dénommer le cinquième pur. A Saint-Malo l'usage de l'engagement au cinquième ne date que de 1893, mais depuis il s'est considérable- ment répandu et maintenant c'est l'engagement le plus important, du moins pour l'armement métropolitain. Mais le cinquième pratiqué à Saint-Malo n'est pas celui de Fécamp : c'est le cinquième mitigé. En effet, si les avances perdues et les parts existent, en dehors d'elles il y a des gratifications qui bouleversent tout le système. Ces gratifications, improprement nommées, sont de véritables salaires à la tâche puisqu'elles sont prises sur le cinquième revenant à l'équipage. Elles dimi- nuent les parts d'autant ; souvent même elles absorbent tout le cinquième, si bien que les parts n'existent plus ou n'ont qu'une valeur négative, ce qui donne lieu à une réduction proportionnelle du montant des gratifications. Les gratifications sont accordées suivant le grade et les qualités de chacun; sur le rôle d'équipage d'un navire armé en 1906 à Saint-Malo nous relevons : Capitaine, 3 parts et 50 0 sur le montant brut de la vente; second, 1 part 1/2 et 4 fr. 50 par mille de - 51 — mornes sur le total; saleur, 1 pari 1 2. 4 francs par mille de morues sur le total e! 10 francs par barri- que d'huile; patrou de doris, 1 part el 25 francs par mille «le morues prises dans sou doris; avant de doris, 1 pari ei 20 francs par mille dans sou doris. Ordinai- rement les novices el mousses n'ont pas de gratifica- tions; cependant quelquefois on leur accorde o fr. ;50 par mille sur le total. Ce sont là Les gratifications habituelles, mais les arma- leurs n'hésitent pas à consentir des prix plus élevés pour conserver les bons pécheurs : certains patrons ont 28 francs, :>0 francs et même 35 francs par mille dans leur doi i-. Donc un cinquième à l'équipage, des avances perdues, des -ratifications prises sur le cinquième, tels sont les caractères principaux de ce mode d'engagement. L engagement au tiers. — Cet autre type d'engage- ment à la part peut se résumer ainsi : les frais géné- raux étant retirés du produit brut de la pèche, le produit net est divisé en trois lots : deux vont à l'ar- mateur, le troisième reste à l'équipage et donne lieu aux parts. Il semble donc à première vue que l'enga- _ ment au tiers doive toujours être préféré à l'engage- ment au cinquième puisque l'équipage reçoit un lot global plus fort. Mais un autre facteur vient rétablir L'équilibre: tan- dis que le cinquième existe avec avances perdues, le tiers est pratiqué ave* avances à valoir, c'est la diffé- — 55 — rence capitale entre les deux engagements. Dès lors on comprend très bien que, le salaire fixe constitué par les avances perdues étant supprimé dans l'engage- ment au tiers, on reporte sur la partie aléatoire, c'est- à-dire sur les parts revenant à l'équipage, le complé- ment du salaire total. Le tiers ainsi présenté apparaît comme une société plus parfaite que le cinquième, la rémunération des associés consistant seulement en une fraction du béné- fice social. Cependant il faut encore signaler cette corn plication: le tiers est habituellement mitigé par des gratifications. Celles-ci ne sont pas, comme dans le cinquième, prises sur le lot de l'équipage, mais elles sont considérées comme frais généraux; donc l'équipage n'y contribue plus que pour un tiers. Néanmoins l'arma- teur stipule souvent que ses deux tiers ne subiront aucune réduction pour les gratifications accordées aux avants de doris, elles restent donc à la charge de l'équipage. Le taux des gratifications dans le tiers est à peu près le môme que dans le cinquième ; ces gratifications di- minuent un peu la part, elles ne la suppriment jamais : une part moyenne au tiers se monte à 400,500 francs, elle atteint même 600 francs dans les bonnes années. Résumons -nous : un tiers à l'équipage, mais avec avauces à valoir, des gratifications décomptées comme frais généraux, voilà les traits saillants de l'engagement au tiers. _ 56 - Gel engagement est très ancien ; Valin en parle dans son Commentaire sur l'Ordonnance de la Marine, tome I. page 677 : « Dans l'engagement à la part du profit de la pêche de la morue L'usage est aussi de par- tager le profil de manière qu'il y en a les deux tiers pour Le propriétaire du navire et l'autre tiers pour le maître et le reste de L'équipage. » Tandis que le cin- quième est pratiqué pour les plus grands navires rap- portant leur pèche en France, le tiers est usité de pré- férence pour les navires de moins fort tonnage ; il est le seul employé sur les goélettes saint pierraises. Voici un tableau comparatif des navires armés dans - dernières années à Saint-Malo et à Saint-Servan. Armement au tiers Armement au cinquième Armement au voyage ou au mois 1898 . . . . 53 15 6 1899 38 30 6 1900 _ 30 16 6 1901 22 50 6 1902 # 16 67 5 1903 g 12 87 5 1904 7 86 5 1905 g 6 91 » 1906 • • 9 91 1 I >n observe donc un développement progressif de L'engagement au cinquième et un déclin proportionnel de L'engagement au tiers. Pour les armements coloniaux de Saint-Pierre la — 57 — proportion est renversée : en 190o, 73 goélettes étaient armées au tiers et 4 seulement au cinquième. Le reste des équipages, une trentaine environ, recrutés parmi les habitants de la colonie étaient engagés à salaires fixes. Quels avantages, quels inconvénients présente l'en- gagement à la part ? Cet engagement entraîne, nous l'avons dit, la constitution d'une société dans laquelle employeur et employés, armateur et équipage, ont théo- riquement des droits identiques à l'actif social. Ce mode d'engagement est donc, au point de vue social, supérieur aux autres, qui ne laissent au pêcheur vis-à- vis de l'armateur que la qualité de salarié, puisqu'il lui confère le titre d'associé. Mais à quoi bon se leurrer de mots ; qu'importe l'étiquette sociale du marin s'il n'en retire pas d'avantage pécuniaire ! Nous croyons que le bon fonctionnement d'une société entre armateur et marins se heurte à de gros- ses difficultés : en effet, toute société doit être organi- sée entre gens d'intellectualité sensiblement égale, capables de défendre leurs intérêts respectifs, sans quoi elle risque de devenir léonine. Or, en face de l'armateur qui représente une force, qui a l'intelligence, les capi- taux, l'esprit d'organisation (1), nous trouvons les 1. Des syndicats d'armateurs à la grande pêche existent à Saint-Malo, Saint-Servan, Gancale, Fécamp, Granville,Paimpol, Saint-Pierre et Miquelon. Le Comité central des armateurs de France a son siège à Paris, 16, rue de Chauveau-Lagarde. - 53 — pécheurs peu instruits, insouciants, imprévoyants, incapables d'aucune entente. El les principaux de l'équipage, [e capitaine surtout, ceux qui d'uii niveau intellectuel plus élevé pourraient exercer an contrôle des opérations et agir pour leurs camarades, - gardent bien de le faire car, comme nous le montrerons plus loin. ils sont les «hommes de l'arma- teur ». Nous critiquons donc Tidée même d'une société entre armateur et équipage, du moins tant que le marin icstera ce qu'il est aujourd'hui. Mais prenons les engagements eux-mêmes : l'engage- ment à la part, tel que le cinquième pur de Fécamp, a l'inconvénient de mettre tous les pécheurs sur le même pied, bien (pie la pêche de chacun d'eux ait été parfois très différente In patron de doris peut pren- dre deux fois plus de poisson qu'un autre et cependant chacun aura une part. C'est précisément pour corriger cette égalité de traitement et intéresser davantage le marin a la pêche que Ton a imaginé le procédé des gratifications. Dansle tiers et le cinquième pur la part est un élément important du gain total ; mais dans le cinquième mitigé, que reste t-il au pécheur quiluivaille le titre d'associé ? De par ses avan *es perdues, les deux tiers au moins de ce qu'il touchera, il est seulement un salarié et ses gratifications lui conservent la même qualité en le fai- sant participer aux bénéfi es. La part n'est plus qu'in- signifiante lorsqu'elle ne se solde pas par un déficit ; — 59 — c'est ce que comprenait un pêcheur plein de bon sens répondant à l'offre d'engagement qui lui était faite : « Mais je n'ai pas besoin de part, je me contente de gratifications! » A un point de vue cependant le marin reste pleinement associé ; c'est pour le paiement des frais généraux. Quel est, demandera-t-on peut-être, le mode d'enga- gement le plus avantageux au pêcheur ? Le tiers don- nant à l'équipage une part plus importante du bénéfice social doit être plus rémunérateur dans les années de bonne pêche ; le cinquième laissant toujours au marin ses avances perdues quel que soit le résultat de la cam- pagne semble préférable dans les années médiocres. C'est d'ailleurs là une simple tendance. La société telle qu'elle est créée entre armateur et équipage est critiquable pour d'autres raisons ; nous les examinerons en étudiant avec détails la charte-par- tie de l'engagement au cinquième. Section III. — Engagements à la tâche. Dans l'engagement à la tache le marin est payé sui- vant la pèche par lui faite, cette pêche étant évaluée soit au nombre, soit au poids. L'engagement au last et l'engagement au mille sont deux types intéressants qu'il nous faut voir successive- ment. L'engagement au last. — Il existe à Dunkerque, à Gra- velines et à Paimpol pour la pêche en Islande. - 60 - Les salaires dos équipages de Dunkerque sont réglés au la\ renne Le la^i est payé pour un sloop de 00 à n I tonneaux : au capitaine, 33 à 10 francs ; au second, 25 francs; au lieutenant, 24 francs ; an saleur, 2!ï francs; aux matelots, 18 à 22 francs; aux mousses, 10 à 12 francs. Le prix du lasl varie d'ailleurs ; il augmente quand let Dnnage du navire est plus faible et l'équipage moins nombreux. C'est donc un paiement à la tâche, mais basé sur la pêche de l'équipage entier. On n'y tient pas compte suffisamment du travail etdes aptitudes de cha- cun, si bien que la rémunération à un même taux peut ne pas être équitable. Un bateau moyen rapporte 18 fà 20 lasts, ce qui donne au matelot : 20 x 18 = 300 francs. En plus de cela il reçoit une avance perdue, 50 à 60 francs et parfois au moment de l'engagement une gratification n'excédant pas 100 francs (1). D'après les chartes-parties en usage à Paimpol et dans les ports de la baie de Saint-Brieuc le last se compte de 2.200 kilos de morues. Los principaux de l'équipage sont payés au last, par exemple : capitaine, 35 francs ; second, 25 francs ; maître, 22 francs ; saleur, 20 francs. A cela s'ajoutent 1. A.u cours des dernière» année- les armateurs flimkerquois ont élevé le montant dea ;i\;mces à valoir ; ils ont ainsi rendu à la pêche le plu> mauvais service que l'on puisse imaginer. - 61 — des gratifications quand la pèche dépasse un certain chiure ; ainsi le capitaine aura 500 francs à 30 lasts, 050 francs à 35 lasts. Quant aux matelots péchant du bateau à l'aide de lignes à la traîne ils sont réglés tant par morue pèchée, soit d'ordinaire 0 fr. 20, mais avec réduction variable. Ce système est certainement plus logique et a l'avan- tage d'être très simple ; chaque soir le pécheur comp- tant les langues de morues de son panier établit le bilan de sa journée. Enfin des primes sont accordées aux meilleurs pécheurs et les avances perdues existent comme à Dunkerque. L 'engagement au mille ou au grand mille. — Gel engagement est pratiqué pour la pèche à Terre-Neuve, il tend à se raréfier. On ne trouve plus guère d'équipa- ges entiers engagés de cette façon ; ce sont seulement quelques hommes, les meilleurs pêcheurs qui, embarqués sur des navires armés à la part, exigent des armateurs qu'ils leur concèdent ces conditions. I/engagé au mille est payé exclusivement tant par 1.000 morues prises dans son doris ; le prix du mille varie suivant que Tengagé a reçu des avances perdues ou des avances à valoir, il varie aussi suivant les qualités du pêcheur. Avec avances perdues, un patron de doris a en moyenne 50 francs du mille, un avant de 35 à 40 francs; avec avances à valoir le patron touche jusqu'à 80 francs du mille, l'avant 65 à 70 francs. Le nombre de mille de morues qui peuvent être pri- — 62 — ses dans un doris est très variable: 6 à 7 mille dans les années médiocres; S à 10 mille dans les années moyen- nes, on a vu de bons pécheurs rapporter 12 et même 15 mille dans leur doris. Le règlement au mille est donc basé sur le nombre, niais ce n'est pas à dire que toutes les morues, grosses ou petites, seront comptées dans le mille ; l'armateur stipule un minimum de poids du mille 30, 35, voire, même ïo quintaux (le quintal de 55 kilos) et si ce minimum n'est pas atteint on procède aune réduction. Voilà donc une complication qui, dans la pratique, soulève de la part des marins des réclamations ; il est certain que 40 quintaux au mille donnent 2 k. 200 comme poids moyen d'une morue et ceci est exagéré puisque le poids moyen d'un poisson pris sur les bancs, est de 1 k. 800 environ. L'engagement au mille avec avances à valoir laisse trop d'aléa ; en cas de mauvaise pèche le marin voit réduire à rien son salaire. Aussi ce type, essayé au cours des dernières années qui ont été médiocres, n'a pas réussi; on lui a préféré l'engagement au mille avec avances perdues. Projet d'engagement au quintal.— Ce nouveau mode <1" -ngagement préconisé par M. Lecointe en décembre 1903 est très intéressant; voici en quoi il consiste : Le quintal de morues (55 k.) étant l'étalon usité pour la vente et la livraison de la pèche, on ie conserve comme base pour le règlement du salaire du pêcheur. — 63 — Chaque marin est payé tant par quintal péché par lui. M. Lecointe demandait 4 fr. 75 comme prix mini- mum du quintal. Mais la question délicate est de savoir le nombre de quintaux revenant à chaque homme : on ne peut, en effet, procéder à une pesée du poisson quand on le débarque des doris. En somme, l'opération se fait facilement : Les pêcheurs rapportant leurs morues les comptent en rentrant à bord, ils notent chaque jour le chiffre obtenu ; à la fin de la campagne cela donne pour l'é- quipage un total en nombre qui représente un poids déterminé ; ce poids de tant de quintaux de morue ven- due est constaté officiellement lors de la livraison à quai. Dès lors, avec les deux termes de cette propor- tion et connaissant le nombre de poissons revenant à chaque doris, il est facile de savoir le poids payable à chacun. Ce système a sur l'engagement au mille de notables avantages ; la grosseur de la morue est varia- ble de telle année à la suivante, d'un lieu de pêche à un autre, du début de la saison à la fin ; en stipulant à l'avance un rendement minimum on spécule sur l'arbitraire. La morue est-elle petite, les pêcheurs peu- vent prendre beaucoup de mille et l'armateur vendant proportionnellement peu de quintaux subit un préju- dice; si, au contraire, l'année fournit de la grosse mo- rue, Tarmateur réalisera beaucoup de quintaux tandis que les pêcheurs ayant peu de mille seront lésés. Le paie- ment au quintal de morue vendue supprime toutes ces — 64 - difficultés et la base de sa répartition est équitable puisque, L'équipage ayant opéré simultanément et sur les mêmes Lieux dépêche, les différents (loris ont dû prendre sensiblement la même proportion de morues grosses, moyennes, petites. Après cette étude comparative des différentes sortes d'engagement, il nous est permis de tirer des conclu- sions et d'exprimer notre opinion. L'engagement à la tâche est, croyons-nous, le meil- leur tant pour le marin que pour l'armateur. Il incite suffisamment le pécheur au travail et ne lui crée pas cette situation délicate d'associé qui n'est pas toujours à son profit ; quant à l'armement, il ne paie que d'a- près la pèche rapportée. Suivant nous, le gain du marin devrait se diviser ainsi: 1° unsalaire lixe constitué par 400 franesenviron d'avances perdues, ce minimum étant considéré comme nécessaire au marin pour se gréer et à la famille pour parer aux premiers besoins ; 2° un salaire variable à la tâche, alloué en parlant de ce principe que tout tra- vail doit être rémunéré, ce qui suppose non seulement tant par quantité de poisson péché, mais encore tant pour porter ou rapporter du fret, tant pour aller cher- cher du sel à Saint-Pierre ou au Canada. Et pour que la participation du marin aux bénéfices fût complète, il faudrait encore dans son paiement tenir compte du prix de vente du poisson, de façon que l'armateur ne soit pas seul à profiter des cours élevés quand lamorue — 65 — est peu abondante. Il serait désirable que l'armement établisse à l'avance dans la charte-partie une proportion entre le prix du quintal payable au pêcheur et le prix de vente dudit quintal, par exemple : Le quintal vendu de 15 fr. à 20 fr. sera payé 4 fr. 75 de 20 fr. à 25 fr. — 5 fr. de 25 fr. à 30 ir. — 5 fr. 25 au-dessus de 30fr. — 5fr.50 Et en citant ces chiffres nous n'entendons pas leur donner une valeur absolue ; de telles conditions ne peuvent être introduites que d'un commun accord en- tre les contractants. Les marins doivent surtout comp- ter sur eux-mêmes pour faire prévaloir le mode de salaire que l'expérience leur aura démontré le plus équi- table ; et le principe du salaire à la tâche étant admis, le taux par quintal restera à discuter avec l'armateur. Enfin pour faciliter le contrôle des opérations on devrait répandre la pratique du carnet de pèche sur le- quel le patron de doris porterait le résultat de chaque journée. Le carnet de pèche n'est pas une innovation; il existe depuis longtemps et quelques engagés au mille le tiennent scrupuleusement, ce qui leur permet de vérifier approximativement le calcul de leur dû au jour du règlement. Mais nous reconnaissons que dans la généralisation de cette mesure on se heurte à l'igno- rance d'un grand nombre de pécheurs. On pourrait encore appliquer à la pêche delà morue la mesure prise à l'égard des navires cachalotiers par — 66 — les articles '» et S de l'ordonnance du 10 août 1841, en rendant obligatoire pour le capitaine la tenue d'un journal de p$che. On atteindrait ainsi un double but : les bommes y trouveraient un compte correspondant au leur, ci les fraudes envers l'Etat, si nombreuses pour l'obtention des priâtes, seraient rendues presque im- possibles. La pêche de la morue étant une industrie subventionnée par l'Etat, le gouvernement a le droit de la réglementer même dans ses détails ; l'armateur qui voudrait se soulraire à cette réglementation pour- rait cire privé de l'appui du gouvernement et, par con- fient, des primes sans lesquelles la grande pècbe n'est pas assez rémunératrice pour les Français. Section IV. — (Conditions d'engagement du capitaine et du patron de pêche. L«*s conditions d'engagement du capitaine portées au pôle d'équipage sont seules connues de l'Administration et la perception des droits pour la Caisse des Invalides et la Caisse de Prévoyance se fait sur le salaire établi d'après ces conditions. Elles semblent avantageuses puisqu'elles consistent par exemple dans l'engagement à la part en: trois parts, 6 0 0 sur le montant brut de la vente et quelquefois des gratifications par mille de morues sur le total, le tout à prélever sur le lot revenant a L'équipag . pendant ces conditions ne sont que fictives et le — 67 — capitaine est payé d'après un arrangement spécial avec l'armateur, tant par quintal ou tant sur le prix de vente. C'est ainsi qu'un capitaine, qui d'après les stipulations du rôle gagne 3.000 ou 4.000 francs, arrive à se faire dans les bonnes années 10.000 et 12.000 francs; la dif- férence échappe donc aux retenues. Si le capitaine n'est que porteur, ses conditions d'après le rôle sont bien réelles : mais en ce cas ce sont les conditions d'engagement du patron de pèche ou du subrécargue qui restent fictives. Avec un pareil système le capitaine ou le patron de pèche se trouve avoir à ménager des intérêts particu- liers, distincts de ceux de l'équipage ; dès lors il n'est guère disposé en faveur des marins et incline plutôt du côté de l'armateur puisqu'il doit en retirer un plus grand bénéfice. D'ailleurs, un capitaine avisé fait ses affaires en spéculant et sur l'équipage et sur l'arma- teur. Il est donc juste de critiquer ces arrangements, il vaudrait mieux une situation plus nette : ou bien le capitaine considéré comme représentant de l'armateur et alors payé exclusivement par lui sans contribution de l'équipage; ou bien le capitaine considéré seulement comme principal de l'équipage et en raison de cela rémunéré suivant des conditions toutes portées au rôle: alors le capiLaine prendrait volontiers la défense des intérêts de l'équipage entier. CHAPITRE VI Des chartes-parties. Val in écrit sans son Commentaire sur V Ordonnance dr lu Marine, tome I, page G17 : « Charte-partie est un < terme qu'on a adopté particulièrement à la marine « pour désigner le contrat de louage d'un navire, quoi- < (jue anciennement ce fût un terme commun à tous * les contrats non translatifs de propriété dont il était < lait «triture. Comme on ne délivrait point alors d'ex- « péditions de ces actes aux parties à raison du peu * de durée des engagements qu'elles y contractaient, « l'usage était d'en couper les originaux en long du « haut en bas et de les remettre aux parties qui gar- € daient chacune leur moitié ; et quand il s'agissait de « vérifier si la convention avait été fidèlement exécu- « tée, ou rassemblait les deux moitiés pour en juger. » L'expression « charte-parlie » est encore communé- ment employée dans nos ports pour désigner l'acte il contenant les clauses générales du contrat d'enga- gement d>s marins; c'est à l'examen de ces chartes- parties que nous allons maintenant nous consacrer. — 69 — Les chartes sont différentes suivant le mode d'enga- gement adopté ; d'ailleurs chaque armateur rédige sa charte comme il l'entend. Il en résulte que ces actes sont extrêmement touffus: les dispositions juxtaposées sans aucun ordre traitent en un même article de sujets complètement différents. Ils sont habituellement impri- més suivant le modèle fourni par l'armateur, ce qui n'empêche pas les additions manuscrites, les ratures d'interprétation délicate qui réservent parfois aux ma- rins de désagréables surprises. La charte est signée par l'armateur; elle doit être soumise à l'administrateur de l'Inscription maritime qui la revêt de son visa. D'ordi- naire les marins ne la signent pas; ils sont présumés en avoir accepté les clauses lors de la lecture et de l'ex- plication qui leur ont été faites au bureau de l'adminis- tration. Nous croyons qu'il est utile d'étudier de près une charte-partie ; on jugera ainsi combien les actes de ce genre pèchent au point de vue de la forme, étant rédigés sans plan et dans un style que les marins dépourvus même d'une instruction primaire ne peuvent compren- dre ; et en même temps, comme nous choisirons la charte de l'engagement au cinquième la plus usitée à Saint-Malo, on se rendra mieux compte des vices de l'engagement à la part, des difficultés d'une société entre armateur et équipage. La charte du cinquième nous semble la plus inté- ressante pour deux raisons : Premièrement elle tend à — 70 — ^ répandre par suite de l'importance croissante de L'engagement au cinquième; secondemenl elle présente, un 4 réelle supériorité par rapport aux autres. Elaborée par le Syndical des armateurs de Saint-Malo, cette charte esl jugée avec raison comme une des plus avan- euses pour les pécheurs. Cependant nous verrons combien elle est encore critiquable ; « c'est une bouteille à l'encre > nous disait l'un des représentants de la ville de Gancale très dévoué à la eausedes marins. Nous constaterons que cette parole n'a rien d'exagéré. Étude critique d'une charte au cinquième Port de Saint-Malo. Conditions d'engagement pour la campagne de pêche 1906 Armement au cinquième. « Les marins désignés au projet de rôle ci-joint dé- « clarent s'être volontairement engagés à faire, pen- < dant la saison de pèche mil neuf cent six, la pèche à •■ la morue sur les bancs de Terre-Neuve ainsi que la i pêche de la boette, s'il est nécessaire, à tels lieux * qui leur seront désignés et aux conditions suivantes, qui annulent toutes conventions particulières con- . — En ras de pénurie de sel à Saint-Pierre, les engagés devront aller chercher leur sel à la cote anglaise, de même que pour la boette. Les engagés - ibligenl à faire la pêche sur quelque point de la cote de Terre-Neuve qui leur sera désigné par lesdits arma- teurs et chaque fois qu'ils le jugeront convenable, ainsi que sur les bancs. Les frais de cette opération seront supportés par les cinq cinquièmes. Comme par le passe, les armateurs auront la faculté, le cas échéant, d'acheter de qui que ce soit la boette qui pourrait être nécessaire, à telles époques et conditions qu'ils juge- ront opportunes. L'équipage en paiera le cinquième, et, s'il est fourni des filets ou autres engins pour la pèche de la boette, leur coût sera compté comme coût d'achat d'appât. Le cinquième à l'équipage ne participera dans aucune perte, sauf dans celles des chaînes, câbles et ancres, consta- tées par rapport du capitaine. » Voici un article bien complexe qui parle successive- ment du sel. (le la boette et des frais généraux. L'armateur doit approvisionner le navire en sel avant son départ, car le sel rentre dans les dépenses de l'armement. La quantité de sel emportée par chaque navire varie: — 77 — 200,250, même 300 tonneaux. Il peut arriver que le sel vienne à faire défaut pour l'une des deux raisons sui- vantes : on n'en a pas embarqué une quantité suffi- sante, ou bien les résultats de la pêche ont dépassé les prévisions. Dans le premier cas, il y a négligence de l'armateur et il est regrettable que l'équipage en souf- fre, car, si le navire est obligé d'aller à Saint-Pierre ou à la côte anglaise, pendant ce temps la pêche est suspen- due. Dans le second cas, l'inconvénient est moins grave : l'équipage est dédommagé par les résultats très satisfaisants de la pèche et on ne peut rien reprocher à l'armateur. D'autres chartes stipulent que le sel pris à Saint- Pierre ou à la côte anglaise sera compris parmi les frais généraux, donc restera pour un cinquième à la charge de l'équipage, ainsi : « Le sel qui sera pris à Saint- « Pierre pour les besoins du navire sera payé par les « cinq cinquièmes au prix de 35 francs du tonneau « pour tenir compte du fret. » Saint-Malo, 1906. Ou même : « Le sel qui sera pris à Saint-Pierre pour « les besoins du navire sera payé par les cinq cinquiè- « mes au prix de 55 francs du tonneau pour tenir « compte du fret. » Granville, 1906. Ici l'armateur compte 55 francs le tonneau de sel à Féquipage alors qu'il le paie en moyenne 35 francs; il réalise donc un bénéfice absolument abusif. Les dispositions suivantes de l'article 5 stipulent que l'achat de la boëlte, des filets et engins pour la pêcher — 78 — rentre dans les Trais généraux. Cela est très normal et existe dans toutes les chartes-parties. La dernière phrase de cet article S es! relative aux avaries communes dont l'équipage doit payer les irais proportionnellement à sa part. Cette nouvelle rédac- tion est un progrès, l'équipage m* contribue qu'à la perte des chaînes, câbles et ancres. L'armement tient à cette réserve et peut-être à juste titre : il serait, parait- il. souvent difficile de faire lever l'équipage pour effec- tuer une manœuvre de mouillage si les hommes n'étaient pas intéressés pécuniairement à la conservation du ma- tériel affecté à ce genre d'opération, matériel très coû- teux pour l'armement. Vit. 6. — Le navire, après avoir été expédié sur les lieux de pèche, fera son retour à Saint-Pierre, où, sui- vant l'ordre de l'armateur, il gardera à bord ou débar- quera sa première pèche pour la livrer au représentant de l'armateur. La livraison ne sera parfaite que quand l'allège de morue aura été amarrée à destination ou quand les morues auront été transbordées à bord d'un autre navire. « Si la première pèche n'est pas débarquée ou si elle ne l'est qu'en partie, L'estimation de ce qu'il y aura à bord «lu navire sera donnée par le capitaine à la date du 25 juin. « Débarquée ou non, il est d'ores et déjà convenu qu'elle sera payée à l'équipage à raison de 10 francs — 79 — les 55 kilogrammes, suivant les usages de la place. » La première pèche est la pèche faite depuis le début de la campagne ; mais dans la plupart des chartes la date à laquelle elle prend fin n'était pas fixée absolu- ment. Le 2e alinéa de l'article 6 fixe cette date au 25 juin: cette stipulation a son importance puisque toute la morue pèchée jusqu'à ce jour entrera en compte, d'après la présente charte, pour un prix convenu et non pour son prix réel de vente. Cette dernière clause provoque les réflexions suivan- tes : en décidant à l'avance que la morue provenant de la première pèche sera payée un prix convenu, on en arrive à ce résultat que dans la société constituée par l'armement et l'équipage, tous les associés ne sont pas traités de la même façon. En effet, pour cette première partie de la pêche les chances de gain de l'équipage ne sont pas identiques à celles de l'armement; le gain éventuel des pécheurs ne peut résulter que de la quantité de morue pèchée, tan- dis que le gain éventuel de l'armateur provient tant de la quantité pèchée que du prix réel de vente. Il serait logique pour ces raisons que la première pèche fût prise en compte pour sa valeur réelle. En l'espèce, le prix fixé est de 10 francs ; ce prix rai- sonnable il y a quelques années quand la pèche était abondante ne l'est plus maintenant, le prix moyen de la morue à Saint-Pierre étant 25 francs.Enfinquantà l'esti- mation par le capitaine du montant de cette première - 80 — pèche! elle n'esl pas toujours scrupuleusement faite, si l'on on croit les réclamations sans cesse élevées par Les marins. « Art. 7. — L'armateur se réserve le droit de faire débarquer les autres pèches à Saint-Pierre et Miquelon; mais, dans ce cas. leur livraison en sérail faite au prix courant moyen de la colonie. S'il es! donné ordre au capitaine de relever des bancs ou de Saint Pierre pour porter en France les produits de ses dernières pèches, l'équipage sera réglé de son cinquième sur le prix net obtenu en France. » La teneur de cet article semble dénoter un désir de complication. Pourquoi faire entrer en compte au prix moyen de la colonie la morue débarquée à Saint-Pierre et au prix net obtenu en France celle qui y est rappor- te. / Pourquoi ce mode de calcul différent au lieu d'une stipulation uniforme? < Art. 8. — De retour de la pèche, lorsque le navire sera arrive dan^ un porl de France, l'armateur pourra, dans L'intérêt de la vente, lui donner telle destination qu'il jugera convenable et mettre sa cargaison en maga- sin ou en sécherie. Dans ce cas, l'armateur se réserve le droit de débarquer une partie de l'équipage. Quant à ceux qui resteront à bord, si un tiers des hommes a été débarqué, ils seront payés au mois, selon les prix — 81 — suivants: le capitaine, 150 francs; le second, 80 francs; le maître d'équipage, 00 francs; les matelots, 50 francs; les novices 30 francs, et le mousse, 20 francs. « Leurs gages seront prélevés sur le cinquième jus- qu'au complet déchargement de la morue. « Si le navire faisait un fret de retour, soit du port de débarquement au port de désarmement, soit qu'il rele- vât pour aller en chercher un à l'étranger, les gages de l'équipage seraient entièrement au compte de l'ar- mateur. S'il ne faisait pas de fret de retour, les gages continueraient d'être à la charge du cinquième. « Dans le cas de retour des bancs à Saint-Pierre, si l'ar- mateur congédiait une partie de l'équipage, les frais de conduite seraient à la charge de l'armateur; et, à par- tir du moment où le navire serait arrivé en France à destination ou dans un port d'Europe, les hommes res- tant à bord passeraient au mois dans les conditions ci- dessus. » L'armateur considéré comme gérant de la société a le droit de prendre toutes dispositions utiles dans l'in- térêt de la dite société ; il pourra donc expédier la morue vers le marché le plus avantageux, il pourra aussi diminuer les frais en débarquant la partie de l'équipage jugée inutile. Il est naturel que ces hommes débarqués dont le travail est fait par les camarades restant à bord supportent leur part des frais de déchar- gement : les gages des marins devraient donc être pré- levés sur les cinq cinquièmes et non exclusivement sur Tuai 5 — te — le cinquième de L'équipage ; il y a encore là pour lui une charge nuis équivalent pour L'armateur, Une charte beaucoup plus raisonnable à ce point de vue stipule : « Sont considérés comme avaries com- mune- les gages cl vivres consommes depuis la mise du navire au cabotage jusqu'au complet déchar- gemenl de- produits de pèche. L'alinéa I de L'article S met les frais de conduite à la charge de l'armateur dans le cas de congédiement dune partie de l'équipage à Saint-Pierre. L'expression « conduite » est ici mal employée ; il _it d'un rapatriement qui est obligatoire pour l'arma- teur. Nous examinerons ultérieurement la question si importante du rapatriement et de la conduite dans un chapitre spécial. \ RT. 9. — a Saint-Pierre, les armateurs auront le droit de faire charger à bord, par l'équipage, telle quantité de morues et ou autres marchandises qu'il leur con- viendrapour compléterle chargement, sans indemnité.» ( >n peut faire la même observation que pour l'arti- cle 4 : Pourquoi l'un des associés, l'équipage, ne béné- fice-t-il pas du transport d'un fret au retour de Saint- Pierre alors que le transport l'oblige à prendre soin des marchandises pendant le trajet, à travailler à leur i mbarquement et débarquement ? < Art. 10. — La morue devra être tranchée au plat et — 83 — salée comme pour France, lavée et énoctée ; celle qui ne remplira pas ces conditions sera mise au rebut et payée moitié prix. En cas de contestation entre les armateurs et les engagés sur la qualité de la morue livrée à Saint-Pierre, il en sera référé à des experts qui prononceront en dernier ressort. * Cet article prévoit des contestations entre armateurs et engagés sur la qualité de la morue livrée à Saint- Pierre. Mais des contestations pourraient s'élever et s'élèvent en fait sur la qualité de la morue livrée en France. Pourquoi ne pas s'en rapporter aussi dans ce deuxième cas à la décision d'arbitres ? « Art. 11. — Tout homme qui ne remplira pas rem- ploi pour lequel il aura été engagé, perdra de droit ses gratifications, qui seront attribuées à celui qui aura fait le service à sa place. » Aucune observation à faire à cette stipulation très juste. « Art. 12. — Tout engagé qui, par suite de maladie contractée avant l'embarquement, serait dans l'impos- sibilité de travailler à bord, sera tenu de rembourser ses avances et deniers à Dieu ; si, de ce fait, il était dû des journées d'hôpital et autres frais, le montant de ces frais serait dû par lui et déduit de la part pouvant reve- nir à l'engagé. » On ne voit pas bien la raison d'être de cet article 12. — 84 — Ed effet,si l'homme esl tombé malade avant la revue, L'article 3 cité pins haut donne à l'armateur les moyens de Be libérer de tonte obligation à L'égard de l'engagé; et si, an contraire, La maladie esl survenue après la revue, l'article 262 «lu ("ode de commerce lait naître à la charge de l'armement l'obligation, à laquelle il ne peut soustraire, de payer les loyers et de traiter le matelot tombé malade ou blessé au service du navire. « Art. 13. — Pour le règlement en fin de campagne « t afin d'arriver à un partage équitable de la part de pêche revenant à l'équipage, il sera, pour chacun des engage - au mille avec avances perdues, porté au rôle des conditions fictives qui serviront seulement au par- tage du cinquième de l'équipage et au calcul des mille de morues qui devront être payés sur la totalité de la pèche. Ces conditions sont : une part et 25 francs du mille pris dans son doris pour les patrons ; une part 20 francs du mille pris dans son doris pour les avant <. » L'article 13 concerne une opération qui a pour but de partager d'une manière équitable le cinquième de l'équipage, lorsque sur un même navire il y a des engagés à la part et des engagés au mille. En ce cas les engagés au mille sont payés par l'armateur sur un compte spécial ; mais à leur nom sont en même temps portées au compte du cinquième des conditions ficti- ves qui ne servent qu'au calcul des parts. Il est utile — 85 — que les conditions attribuées fictivement aux engagés au mille soient insérées au rôle, car les autres engagés doivent les connaître, leur part devant en être dimi- nuée d'autant. « Art. 14. — Le cinquième revenant à l'équipage sera divisé en autant de lots qu'il en sera porté au rôle d'é- quipage. Si le lot était négatif, l'excédent de charges incombant au cinquième serait repris sur les mille, au prorata des lots attribués. t« Les gratifications, commissions et mille de morues accordées à l'équipage seront supportées par le cin- quième. La morue sera comptée à 30 quintaux le mille, et il ne pourra être porté au rôle, comme conditions particulières du capitaine, que trois parts et une somme de 6 0 0 sur le montant des produits de pêche. Ceux des engagés que le capitaine se réserve le droit de dési- gner pour faire la pèche des coucous seront réglés pour les mille sur les trois plus riches doris. L'équipage devra pêcher l'appât sans rétribution. » Cet article est relatif à l'établissement du compte de pêche. Le premier alinéa vise le cas de lot négatif, cas trop fréquent malheureusement ; le produit net de la pèche diminué du montant des gratifications donne lieu à un déficit, donc réduction au prorata des gratifications accordées. Il faut bien remarquer que le cinquième seul, c'est-à-dire la part de l'équipage supporte les gra- tifications, commissions et mille de morues. Ces récom- — $6 — penses destinées à stimuler le zèle (1rs engagés et par suite à accroître le bénéfice de la société formée par L'armement et l'équipage devraient être normalement prélevées sur l'actif social entier. Et comme elles ne pèsent que sur le cinquième de L'équipage, elles cons- tituent un trompe-l'œilpour le marin et deviennent des salaires à La tâche réduits à un taux très bas. En spécifiant que la morue sera comptée à 30 quin- taux le mille on fixe un minimum de poids. Le quin- tal de morues étant 58 kilos cela fait 1.650 kilos, le poids du mille et l k. 650 le poids moyen d'une morue. Si ce poids n'est pas atteint, on procédera à une réduc- tion en tenant compte du poids et non plus du nombre. L'article 14 fixe le maximum des avantages particu- liers consentis au capitaine : trois parts et 6 0 0 sur le montant des produits de pèche. Ces conditions sont encore très onéreuses pour l'équipage, car le capitaine est avant tout l'agent de l'armateur; la fixation de ce maximum constitue néanmoins une garantie. Enfin pour encourager la pèche de la boette il est décidé, dans le dernier alinéa de l'article 14, que les gratifications seront accordées auxdoris « coucoutiers » d'après la pèche des trois plus riches doris. \nt. 15. — Dans le cas où, par suite de maladies, (t.- décès, de disparitions en mer ou d'autres circons- tances, l'effectif de l'équipage se trouvera réduit, l'ar- mateur se réserve le droit de le reconstituer ou de — 87 — l'augmenter sans avoir besoin de l'assentiment de l'équipage, mais ces dépenses seront supportées par les cinq cinquièmes ». Que l'armateur se réserve de reconstituer l'équipage réduit par suite de maladies, décès, disparitions et autres circonstances et cela sans l'assentiment dudit équi- page, il n'y a rien à dire puisque nous avons considéré l'armateur comme gérant de la société; mais qu'il puisse augmenter l'équipage de sa propre autorité et sans con- trôle cela semble exagéré, bien que les dépenses doi- vent être supportées par les cinq cinquièmes. « ARt. 16. — Dans le cas où une ou plusieurs pèches seraient vendues aux armateurs, et qu'avant la livrai- son en France, celle-ci deviendrait en guerre avec une puissance maritime, le marché serait résilié de plein droit et l'équipage courrait le risque de son cinquième.» Pourquoi encore ici un privilège pour l'armateur au détriment de l'équipage? La résiliation de plein droit en cas de guerre maritime des ventes faites aux arma- teurs ne s'explique pas rationnellement. Pourquoi les armateurs ne seraient-ils pas considérés comme des acheteurs quelconques, ils n'ont pas traité en l'espèce avec la qualité d'associés de l'équipage ? Un acheteur peut dans un contrat de vente stipuler telles conditions qu'il juge convenables, mais une stipulation de ce genre n'est pas à sa place dans la charte-partie. En tous cas s'il y avait perte, le cinquième de l'équipage ne devrait — 88 - pas être seul compromis mais bien tout l'actif social. • \kt. 17. — si, par suite d'événements politiques quelconques <»u par suite de cas fortuits ou de force majeure, cas d'innavigabilité du navire ou autre, le voyage qui fait l'objet du présent acte ne pouvait être entrepris, les engagés n'auraient droit à aucune indem- nité et seraient dans L'obligation de restituer les som- me^ qu'ils auraient pu recevoir à quelque titre que ce -Mit. dérogeant formellement à cet égard à toutes lois et règlements contraires. » 1 >n reste un peu étonné après lecture de cet article: Les rédacteurs déclarent sans hésitation qu'il sera dérogé à toutes lois et règlements contraires. Ons'étonne dément que depuis de longues années sans doute l'administration ait laissé une telle phrase figurer dans un contrat soumis à sa sanction. Il serait urgent »!<• modifier ainsi cette fin de L'article: « tant que ladite clause ne sera pas en contradiction avec les lois et rè- glements en vigueur. > « Art. 18. — Si, avant le voyage ou dans le cours du voyage, le navire se trouvait éveux ou faisait nau- frage, les engagés seraient tenus de s'embarquer ensem- ble mi séparément sur tel navire qui leur sera indi- qué, pour le cas où L'armateur jugerait convenable de continuer la campagne, sans que pour cela il leur soit dû d'autres -alaires. Cependant, s'ils avaient perdu — 89 — leurs effets dans le naufrage, il leur en serait dû de nouveaux, remboursables, toutefois, sur leur retour de pèche. Les marins qui, dans le cours de la campagne, se trouveraient, par suite de s'être égarés sur le banc, rapatriés à Saint-Pierre, devront s'embarquer à la vo- lonté du gérant ou représentant des armateurs sur telle goélette on navire qui leur sera indiqué, afin de rejoindre leur navire si possible. Ils devront alors aider l'équipage à pécher jusqu'à ce qu'ils aient retrouvé leur bâtiment ; les gratifications par mille leur seront accor- dées sur les quantités qu'ils auront pochées. Si l'arma- teur jugeait préférable de les garder à terre en atten- dant le retour de leur navire dans la colonie, ils seront tenus de travailler dans l'intérêt de l'armement suivant les ordres qui leur seront donnés par l'armateur ou son fondé de pouvoirs. En cas de refus, ils au- ront à supporter sur leurs salaires une retenue en faveur de l'armement de 5 francs par jour. Il en sera de mème,après la guérison, pour l'engagé laissé provisoirement à terre pour cause de maladie. » Pas d'observations, sinon pour signaler qu'il serait peut-être utile d'expliquer ce que l'on entend par un navire « éveux ». Nous avons en vain cherché à nous renseigner sur le sens exact de cette expression. « Art. 19. — Pendant tout le cours du voyage et dans un cas de relâche dans un port quelconque, même celui d'armement, les engagés feront sans indemnité — 90 - tous le< travaux qui leur seront commandés dans i'inté* iv t de L'armement, jusqu'à la lin de La campagne au retour à Saint -Mal >. où L'équipage devra amarrer le navire au poste de désarmement; il sera pris des gens de corvée aux frais de ceux qui ne se conformeront pas I cette condition. Tout homme qui sera puni aura de droit ses grati6 nations réduites,et dans un cas grave, pourra Les perdre entièrement. » En ce qui concerne la réduction ou la suppression complète des gratifications, il serait désirable qu'on précise à qui il appartient de prononcer cette pénalité. ce ne peut être à l'armateur, il serait en même temps juge et partie, les gratifications devant logiquement être prélevées sur les cinq cinquièmes ; il semble donc que dans ce cas la décision devrait être prise par l'ad- ministration. » « Art. 20, — Aucun des engagés ne pourra, sans le consentement des armateurs, embarquer pour son compte, ou pour celui d'autrui, aucune marchandise ; et si, dans le cours du voyage, il se trouvait à bord des marchandises prohibées ou sujettes aux droits qui n'auraient pas être déclarées, les engagés seraient pas- siblea des peines et amendes qui pourraient résulter de cette Infraction. » Il sera rationnel d'empêcher les engagés d'embar- quer aucune marchandise pour leur compte ou celui d'autrui, lorsque, comme nous le signalions plus haut à — 91 — l'article 9,1e fret fait par le navire tombera dans l'actif social. Jusque-là la défense faite à l'équipage, si elle se justifie par des considérations de police et de bon ordre, n'en constitue pas moins une inégalité de trai- tement entre les associés. Enfin la phrase finale de l'article est à supprimer ; la disposition qu'elle contient, développée à Farticle 71 du décret-loi disciplinaire et pénal du 25 mars 1852, modifié par la loi du 15 avril 1898,est d'ordre public. « Art. 21. — Celui qui attentera à la cargaison, tou- chera aux vivres et aux provisions de pêche, ou qui excitera à la rébellion à bord; celui qui désertera, sera non seulement privé de son lot et de ses gratifications, mais pourra être actionné en dommages et intérêts, et ce indépendamment des peines portées par la loi. » La première phrase prévoit des délits qui rentrent dans Ténumération de l'article 60 du décret-loi de 1852. En ce qui concerne les déserteurs la deuxième phrase est à supprimer car la répartition de leur solde a été prévue par Farticle 69 du décret-loi modifié. «Art. 22. — Les engagés sont tenus de se conformer aux ordres du capitaine comme étant donnés par l'ar- mateur ou par son représentant. » Cet article est également à supprimer, l'obéissance absolue de l'équipage aux ordres du capitaine étant d'ordre public. — 92 — « Art. 23. — L'armateur el les engagés, chacun en ce qui le concerne observeront exactement toutes les conditions ci-dessus, el quant à eclles non prévues, ainsi que pour terminer toutes contestations qui pourraient Lever entre eux, ils se conformeront de part et d'au- tre aux Lois, règlements et usages de Saint-Malo. «Chaque engagé, quel que soit le genre de son enga- gement, Bera soumis aux conditions qui précèdent. » Voici une disposition tinale bien imprécise. Outre Les conditions ci-dessus on parle de conditions non prévues ; c'est encore une porte de sortie qui facilite les abus. Et qu'est-ce que les usages de Saint-Malo ? Ils n'ont jamais été rédigés par écrit et publiés.; en cas de contestation l'article ne diminuera pas l'em- barras des parties. Ne vaudrait-il pas mieux le corriger en soumettant les litiges à l'arbitrage ? Enfin cette dernière phrase est encore faite pour annuler les conditions particulières en présence des conditions générales contraires. Nous avons dit dès le début que cela est inacceptable et constitue un piège pour les malheureux sans défiance. Qu'onnous excuse d'avoir exposé avec tous ces détails la charte du cinquième qui, nous l'avons suffisamment démontré, peut être sérieusement critiquée. Au point de vue de La rédaction, elle n'est qu'un fouillis inextricable au milieu duquel l'Administration elle-même a peine à s'y reconnaître, étant donné qu'elle dispose de fort — 93 — peu de temps pour l'examiner. Faut-il s'étonner que les engagés s'y laissent prendre ? Le contraire serait surprenant. Ils n'ont jamais la charte en main et ce n'est pas à la lecture plus ou moins rapide de ces textes arides qu'ils peuvent en saisir la portée. Mais de plus on peut reprocher à ce document d'être dépourvu de toute logique : des dispositions d'ordre public y sont insérées inutilement, tandis que des dérogations aux textes obligatoires y figurent. Et partant de ce prin- cipe que l'engagement au cinquième a pour effet de constituer une société, on devrait tirer ces conséquen- ces : droits égaux des associés à l'actif social, partici- pation de chacun aux dépenses en proportion de sa part etc.. Nous avons constaté combien de fois ces idées sont battues en brèche ; aussi peut-on qualifier le cinquième actuel de « société boiteuse ». Et cependant le type de charte que nous avons étudié est un grand progrès comparé aux précédents ; il est pour cette raison préféré par les marins et on doit savoir gré au Syndicat des armateurs d'en avoir pris l'initiative. La question urgente est donc la suivante : Comment remédier à cet état de choses, comment réformer les chartes-parties? Plusieurs solutions se présentent à l'esprit. L'une, et c'est l'opinion d'un armateur malouin dont nous nous plaisons à citer les bonnes dispositions à l'égard des marins, consisterait à extraire des chartes toutes les — 9Î — clauses passées en usage dans on port d'armement et à Les codifier en les publiant : de oette façon les chartes elles-mêmes seraient beaucoup simplifiées. Malgré toute L'autorité qui s'attache à cette opinion nous ne L'adop- tons pas car nous la jugeons incomplète. Les usages d'un port Boni très changeants, pins encore à notre époque de transformation économique; les codifier serait vouloir s'immobiliser sur place. D'ailleurs à qui serait confiée cette codification? Nous doutons que les armateurs consentiraient à se mettre d'accord sur une rédaction uniforme. Une autre solution très radicale serait d'imposer à l'armement au moyen d'une loi ou d'un règlement l'em- ploi d'une ou plusieurs chartes types dont il ne pour- rait s'écarter ; nous repoussons encore ce projet parce qu'il viole absolument la liberté du commerce et de l'industrie. Voici ce que nous proposons : les chartes imprimées exclusivement par les soins de l'Administration en plu- sieurs modèles et suivant les desiderata des intéressés. On aurait ainsi une rédaction claire, les articles se suc- cédant toujours dans un même ordre et chaque article étant consacré à tel sujet déterminé. Les chartes se r s- semblant toutes au point de vue de la forme les marins auraient vite fait de les connaître, d'autant qu'ils pour- raient s'en procurer des exemplaires aux bureaux de l'Administration. D'ailleurs les modèles imprimés que nous préconisons ne seraient pas des cadres rigides — 95 — dont il serait impossible de s'écarter : pour respecter la liberté des conventions nous admettons les ratures ou les additions manuscrites, mais celles-ci ne pour- raient être faites que par l'administrateur, le jour de la revue et après accord des parties. De cette façon il y aurait moins de surprises pour les marins qui saisi- raient mieux la portée des modifications alors seule- ment demandées. Suivant nous il est presque naturel d'imposer aux armateurs l'adoption de modèles imprimés par l'Admi- nistration parce que les chartes-parties ne sont qu'an- nexes des rôles d'équipage, qui sont eux-mêmes des piè- ces administratives. La réforme que nous proposons semble donc facile- ment réalisable et donnerait, croyons-nous, d'excel- lents résultats ; grâce à elle l'Administration procéderait à une véritable épuration des chartes-parties, à une simplification de ces textes embrouillés à plaisir, rem- plis de dispositions inutiles ou même contraires aux lois. Pu ( i: an m :\k. — Texte d'une charte au tiers. La charte ci-dessous est usitée à Saint-Malo pour L'engagemenl des équipages des goélettes de Saint- Pierre). Port de conditions d'engagement pour la campagne de pê- che 190 Goélette Armateur M « Les marins désignés au projet de rôle ci-joint décla- rent s'être volontairement engagés à faire pendant la saison de pèche, mil neuf cent. . . .la pèche à la morue sur les bancs et banquereaux de Terre Neuve, ainsi que la pèche de la boette, s'il est nécessaire à tels lie îx qu'il leur sera indiqué et aux conditions sui- vantes : Article premier. — Il sera avancé à chaque engagé, après la revue passée par le commissaire de l'Inscrip- — 97 — tion maritime, à une somme d'argent qui devra figurer au rôle d'équipage de la goélette ; ces avances seront à valoir et remboursables sur les lots, gratifications et toutes autres sommes en fin de campagne ; il sera retenu en les versant 8 0/0 à titre d'intérêt et d'assurance comme il est d'usage (1), plus 3 0 0 pour les Invalides et 1 1/2 0/0 pour la Caisse de Prévoyance. Les marins qui, par leur âge, ne donneront pas droit à la prime d'armement seront tenus d'en indemniser l'armateur. Cette somme leur sera retenue sur leurs avances. Art. 2. — Les engagés devront se rendre à Saint- Pierre et Miquelon sous la conduite de leur patron et il est convenu qu'ils se tiendront prêts à s'embarquer à première réquisition, sur le navire qui leur sera dési- gné par l'armateur ; de même au retour, ils s'embar- 1. Les frais d'intérêt et d'assurance des avances faites aux pêcheurs restent d'ordinaire à la charge de l'armateur ; ce n'est qu'un petit dédommagement de la peine qu'ils ont pour conduire le navire jusqu'aux bancs. Les équipages destinés aux goélettes saint-pierraises sont déchargés de ce travail, puisqu'ils sont transportés comme passagers ; si ces derniers viennent à décé- der en route par suite de maladie ou de naufrage, il y a perte sèche pour l'armateur. Comme compensation de cette perte éventuelle l'armateur retient 8 00 qui représentent le> frais d'assurance et d'intérêt de l'argent déboursé ou emprunté à un banquier. Tuai ? — 98 — queronl sur le bfttimenl qui leur sera indiqué ; ceux qui ici, lient défaut supporteront le prix de leur passage par un autre na\ ire, \ki. :i. — Arrivés à Saint-Pierre et Miquelon, les eiu. :_ - auronl à se présenter devant le commissaire de l'Inscription maritime pour être inscrits au rôle de leur goélette. Us devront, tant sous les ordres de l'armateur que du patron, prendre les dispositions nécessaires pour mettre leur bâtiment à la mer et en faire l'armement en vue «le l'opération de la pèche qui sera prolongée autant de temps et aussi longtemps qu'il plaira à l'ar- mateur de l'ordonner, s'engageant à se conformer en tout et pour tout aux ordres de l'armateur ou du patron pour tous services ou intérêts du navire et de la pèche, bous peine de perdre leurs droits aux gratifications,, sans préjudice des poursuites prévues par la loi pour désobéissance ou mauvaise volonté à bord. Ai:t. I. — L'achat de la boette, attendu la part la plus forte qui lui incombe, se fera au choix et par les ins de l'armateur, à telles époques et conditions qu'il croira opportunes ; l'équipage paiera le tiers des débours que cet achat occasionnera. L iquipag • supportera en outre une commission de 0 sur V montant des produits de pèche, ainsi que les frais de remorquage à Saint-Pierre. S'il est fourni — 99 — des filets pour la pèche de la boette, leur coût sera compté comme prix d'achat d'appât, ainsi que sur les mannes à coucous et tous autres engins. Art. 5. — L'équipage s'oblige par le présent à livrer sa part de pèche à l'armateur et il est entendu que cette part lui sera payée au prix moyen de la Colonie pour les morues de qualité loyale et marchande au quin- tal de 55 kilogrammes (1). Si le prix moyen était moins de 15 francs, le prix du mille pour les engagés au grand mille sera diminué proportionnellement. La morue de rebut sera payée moitié du prix de celle de bonne qualité ; les gratifications pour les mille seront réglées à raison de 40 quintaux les mille morues sans avoir égard aux provenances. Pour être admise de qualité loyale et marchande, la morue devra être bien tranchée au plat, bien lavée, bien énoctée et convenablement salée, comme pour France. Art. 6. — Les gratifications de toutes sortes seront prélevées sur la totalité de la pêche ; toutefois la part 1. Dans l'armement au cinquième il y a une première pêche prise en compte à un prix fixé d'avance, 10 francs le quintal, et une deuxième pêche évaluée à son prix de vente; dans l'armement au tiers la part de pèche de l'équipage est toujours payée au prix moyen dans la colonie et pour la pêche rapportée en France l'armateur accorde quelques francs de plus par quintal. de l'armateur ne subira aucune réduction pour ce qui sera accordé hors loi aux avants de doris ni sur les deniers à Dieu e1 sur les frais d'engagement alloués au patron pour la formation de son équipage. \Kl. y. — L'équipage aura pour sa part le tiers des produits péchés, déductions faites comme il est dit ci-dessus ; ce tiers sera partagé en autant de lots plus un qu'il en sera porté au rôle d'équipage (1). \ i . s — Aucun engagement n'est pris par l'arma- teur de limiter à un chiffre quelconque le nombre d'hommes devant composer l'équipage et il lui sera tou- jours facultatif de l'augmenter s'il le juge à propos dans L'intérêt de l'opération. A ht. 9. — Si par suite d'événements politiques à L'intérieur ou à L'extérieur, cas fortuit ou de force majeure, innavigabilité du bâtiment ou autres cas qui ne peuvent être prévus actuellement, le voyage qui fait L'objet du présent engagement ne pouvait être entre- pi is, tes engagés ne pourront prétendre à aucune indem- nité et seront dans l'obligation de restituer les som- mes qu'ils auront reçues, à quelque titre que ce soit, dérogeant formellement à cet égard à toutes lois et règlements contraire-. 1 . Le lot supplémentaire mentionné à cet article 7 est réservé à l'armateur ; c'e-t là une habitude qui se justifie peu. — 101 - En cas de perte de la goélette les engagés seront tenus ensemble ou séparément, de s'embarquer sur tout autre navire désigné par l'armateur pour faire ou achever la campagne. Si l'armateur ne pouvait trouver d'embarquement à tous les engagés et que ceux-ci s'en procureraient un par ailleurs, il reste entendu que, par privilège sur leurs gains ou profits, ils devront rembour- ser à l'armateur les avances qu'ils en auraient reçues. Art. 10. — Après la pèche terminée, les engagés s'obligent à désarmer leur navire, le haler, l'échouer ou l'afFourcher à l'endroit que fixera l'armateur comme poste d'hivernage, faute de quoi il sera pris des gens de corvée aux frais de ceux qui ne travailleront pas à cette opération. Les engagés renoncent à la conduite dans tous les cas depuis le port de débarquement en France. Art. 11. — Tout engagé qui, par suite de maladie contractée avant l'embarquement, serait dans l'impos- sibilité de travailler à bord sera tenu de rembourser ses avances à l'armateur ; si de ce fait, il était dû des journées d'hôpital, le montant de ces frais d'hôpital sera réduit de la part pouvant revenir à l'engagé. Art. 12. Toutes contestations sur la qualité du pois- son et généralement sur l'exécution du présent seront jugées par voie d'arbitres nommés, l'un par l'armateur, - 102 — L'autre par Le patron de La goél< tte ; en cas de désac- cord, Les arbitres choisiront un surarbitre qui pronon- cera en dernier ressorl . Vur. 13. — l\>us les engagés devront se conformer aux conditions de Ladite charte-partie, Dont acte t'ait en triple expédition et passé. . . ce. . mil neuf cent par-devant M. le Commissaire de L'Inscription mari- time à L'Armateur, CHAPITRE VII Règlement de comptes. — Comptes de pêche, - Lorsque les marins sont engagés à salaires fixes, ils sont payés le jour du débarquement, sauf stipulation contraire ; d'ailleurs leur compte est facile à faire, soit par exemple : X engagé à 80 francs par mois ; 8 mois 12 jours de navigation donnent G72 francs. Il n'en est pas de même pour les engagés à profits éventuels ; le calcul de leur du ne peut être fait qu'a- près le compte de pèche régulièrement établi et véri- fié par l'Administration. Pour cela l'armateur est invité à produire son compte généralement dans le mois qui suit le désarmement ; il doit l'accompagner des pièces justificatives tant pour la vente des produits qu3 pour les dépenses laites au nom de la société. Il y fait une répartition entre les hommes d'équipage, puis pour cha- cun une déduction des avances et fournitures ainsi que - 101 — des retenues pour la (laisse des Invalides et la Caisse de Prévoyance, L'armateur tarde quelquefois à présenter ce compte ;i L'administration : on a vu des équipages attendre quatre, cinq mois leur règlement. A la suite d'un abus de ce genre signalé au département de la Marine, la dé- pêche suivante tut adressée aux chefs de serviec de L'Inscription maritime : Dépêche ministérielle du 18 mai 1904. — « Mon attention a été récemment appelée sur la situa- tion de l'équipage d'un navire armé pour la pèche à Terre-Neuve qui, débarqué en (in de campagne au mois d'octobre 1903, n'a pu encore obtenir le règle" ment de ses parts de pèche. Ce retard provient de ce que l'armateur usant delà liberté qui lui est reconnue pour la vente des produits de pèche dans une clause insérée à la charte partie a conservé sa morue en ma- gasin en attendant une oc asion de vente favorable. La clause visée n'étant contraire à aucune disposition légale et, d'autre part, l'armateur n'ayant fait preuve dans l'espèce ni d'impéritie, ni de mauvaise foi, le dé- partement se trouve dans l'impossibilité de remédier à la situation des marins. Mais il y a lieu de se deman- der si cVs! bien <-;i toute connaissance de cause (pu- ces derniers avaient - oiscril la clause dont il s'agit et s'ils s'étaient rendu un compte exact des conséquences auxquelles il- s'exposaient. Afin de prévenir le retour de semblable situation, je — 105 — vous prie de donner des instructions aux administra- teurs placés sous vos ordres, pour que toutes les fois qu'ils rencontreront dans les chartes-parties ou les con- ditions d'engagement pour la grande pèche la clause sus visée, ils en signalent la portée aux marins inté- ressés de manière que ces derniers, lorsqu'ils la souscri- vent, ne puissent ignorer les conséquences pécuniai- res qui peuvent résulter pour eux-mêmes de leur ac- ceptation ». Souvent les administrateurs exigent dans les chartes- parties la fixation d'une date extrême pour le règlement: c'est une sage précaution. Supposons le compte vérifié par l'administration ; les marins sont alors convoqués par les soins de l'ar- mateur au bureau de l'Inscription maritime, le résultat des opérations leur est présenté et ils sont admis à faire valoir leurs réclamations. Mais les marins ne sont guère à même de discuter séance tenante les chif- fres qu'on leur soumet, puisqu'ils n'en prennent con- naissance qu'à ce moment. Aussi hasardent-ils rare- ment de timides observations. Les objections des marins ne portent pas sur les prix de vente qui sont connus, mais plutôt sur l'achat des applets de pèche, le montant des frais généraux, l'estimation de la pre- mière pèche quand le navire l'a conservée à bord. C'est dans le but de corriger cet état de choses que M. Lecointe a préconisé la remise aux marins d'un compte de pèche individuel ; nous approuvons pleine- - LOfi — ment cotte idée. Ed effet, les hommes mis en posses- sion de ce bordereau explicatif pourraient, au moyen de la charte-partie reçue au momenl de l'engagement et de leurs conditions particulières qu'ils connaissent bien, refaire eus mêmes leur liquidation ci présenter en parfaite connaissance de cause leurs réclamations au moment du règlement au bureau de l'administra- tion. Leurs intérêts seraient ainsi mieux sauvegardés et ce serait pour eux une nouvelle occasion de s'occu- per de leurs affaires, au lieu de s'en référer toujours à la tutelle du département de la Marine. Comment l'ar- mateur consentira-t il à l'augmentation de charges qui dtera pour lui de l'obligation d'établir ces comptes particuliers? La solution semble possible: il suffira que l'engagé exige dans la charte une clause en vertu de laquelle un compte particulier devra lui être remis tant de jours avant le règlement définitif et la convention faisant la loi des parties, le vœu sera réalisé. Le compte étant apuré, il est procédé au paiement en présence de l'administrateur et les marins sont réputés réglés de leurs salaire sans qu'il soit besoin de donner quittance. Le paiement des équipages métro- politains a lieu en moyenne lin décembre ou commen- cement de janvier. Quant aux équipages des goélettes saint-pierraisegj ils reeoivenl avanl leur départ de la colonie des billets payables à au ou deux mois. Mais, dès leur arrivée en France, les marins n'ont pas la patience d'attendre l'échéance ; ils acceptent les pro- — 107 — positions d'escompte qui leurs sont faites par n'importe qui, commerçants, débitants, spéculateurs quelconques, qui leur prennent le plus souvent un taux usuraire. Après avoir vu comment se fait le règlement, nous allons passer en revue les divers éléments d'un compte de pèche. A. — Produits de pêche) prix de vente. — Les quan- tités pèchées sont naturellement très variables : en 1901, 1902, des pèches de 2000 quintaux pour goélettes de 18 hommes et de 3500 pour trois-màts de 30 hom- mes d'équipage n'étaient pas rares. Depuis 1903 la moyenne a beaucoup tombé: 1500 à 1800 quintaux pour une goélette, 2000 à 2500 quintaux pour un trois- màts. Cette année il y a des pèches malheureuses qui ne dépassent pas 1000 quintaux. Le prix de la morue dépend des bons ou mauvais résultats de la campagne : si la campagne a été satis- faisante, les prix sont bas ; ils s'élèvent dans le cas contraire. Voici les prix moyens du quintal de morues (55 ki- logs) pendant les 6 dernières années : A Saint-Pierre A Saint-Malo (1900. . . 16 fr. 21 fr. 50 Années moyennes]l901. . . 17 fr. 22 fr. (1902. . . 17 fr. 50 23 fr. ,1903. . . 25 fr. 32 fr. Années médiocres<1904. . . 25 fr. 50 34 fr. 50 '1905. . . 25 fr. 33 fr. — 108 — I Kn L906, lea prix haussent encore, le quintal est payé couramment 35 francs à Saint-Malo. Dans les grands ports comme Bordeaux où l'on sèche la morue pour L'exportation, le quintal vaut ordinaire- ment 1 ou ~1 francs de plus. Il serait toujours avantageux pour l'équipage engagé à la pari que la pêche fut rapportée en France, car elle v est payée 5, 6, 8 francs |>!us cher qu'à Saint-Pierre ; mais parfois l'armateur préfère vendre une partie de la pêche dans la colonie lorsqu'il trouve un fret de retour, en marchandises ou passagers, or L'équipage n'en pro- lite pas (Art. 9 de la charte-partie du cinquième). Le gros bénéfice de l'armateur dans les années où la morue est rare provient surtout de la vente de la pre- mière pêche qu'il paie 10 francs à l'équipage (Art. mnes : les morues rouges valent '.] ou I francs de moins quant au rebul il est payé moitié prix. Outre cela, entre encore dans le calcul du montant brut de la pêche le produit de vente des huiles et rogues. La — 109 — barrique d'huile de foie de morue est achetée 70à 80fr. en supposant une vingtaine de barriques pour une an- née médiocre cela fait encore un élément assez impor- tant de l'actif. Enfin les rogues sont vendues 50 francs les 100 kilos et servent d'appât pour la pèche de la sardine. B. — Frais généraux. — Us forment sans aucun doute le chapitre le plus élastique d'un compte de pê- che : c'est la porte de sortie par laquelle les armateurs peu consciencieux réduisent la part de l'équipage pour réserver la leur. Mais voyons quels sont les frais généraux dans les différents engagements, au cinquième, au tiers, au mille. Il semble qu'étant donné un même mode d'engage- ment la nomenclature des frais généraux devrait être sensiblement la même dans les diverses chartes-parties; il n'en est rien. Nous avons vu que d'après la charte du Syndicat des armateurs de Saint-Malo, sont seuls décomptés comme frais généraux : Les frais de pêche et d'achat de la boette. Les pertes de chaînes, cables et ancres constatées par rapport du capitaine. Les frais de reconstitution et d'augmentation de l'é- quipage. L'escompte à 4 0 0 et la commission de vente à l'arma- teur 2 0/0. Mais ceci est un minimum que l'on rencontre rare- ment ; voici une énumération plus copieuse prise dans une charte au cinquième de Saint-Malo, 1906 : - 110 - « Seront supporté» par les cinq cinquièmes, le sel prisa Saint Pierre à 38 francs le tonneau, les frais d'a- chat et d»' pêche de la boette, les commissions de vente d'usage à l'armateur, les commissions au cosignataire, les frais «le rentrée de fonds, les frais de négociation, de vente,de pilotage, «le courtage, le< droits de sauve- tage, «'i de tonnage, les frais d'intérêts de tond sur l'ar- gent déboursé, toutes les avaries et pertes concernant l'armement, embarcations, câbles, lignes, seines, tilets etc..., les deniers à Dieu et frais d'engagement, les frais d'augmentation et de reconstitution de l'équipage, les primes accordées aux plus riches doris. » Citons encore cet extrait d'une charte de Granville 1906: « Feront partie des frais généraux et seront prélevés sur les cinq cinquièmes : les commissions de vente d'usage, S <> 0 à l'armateur, 3 0 0 au capitaine, ± 0 0 au consignataire, Les Irais de vente, de rentrée de fonds, de négociation, d'intérêts de fonds sur l'argent dé- boursé, les frais de pilotage, de courtage, de tonnage et de sauvetage, toutes les avaries, pertes et usures con- cernant L'armement, telles que embarcations, câbles, chaînes, ancres, lignes, filets etc , les frais d'achat <»u de pèche de La boette <-t en général tous les frais faits .i l'oi Mr pêche. Dès lors il n'y a pas Lieu de s'étonner que, de deux navires ayant même nombre d'hommes d'équipage et rapportant une pé le- - (lisiblement égale, l'un avec peu — 111 — de frais généraux donne une part à l'équipage, tandis que les frais généraux de l'autre absorbent tout . Voici à titre de comparaison les relevés exacts des frais géné- raux pour la campagne 190... de deux trois -mats de Saint-Malo ayant chacun une trentaine d'hommes d'é- quipage et rapportant 1950 quintaux environ. Navire 1 Escompte à 4 0 0 Commission à 2 0/0 . Achat de boette et engins pour la pécher Total 1.955,75 977,87 1.595,00 4.528,02 Navire 2 Escompte et commission à la livraison Engins pour la boette Remorquage à Saint-Servan . . . Courtage et pilotage à Saint-Servan. Feuilles d'armement et timbres . . Deniers à Dieu, frais d'engagement Sel pris à Saint-Pierre 37 à 35 francs Pertes pendant la campagne . Pilotage à La Rochelle . . . Courtage à Bordeaux. . . . Intérêts de fonds Commission à l'armateur 5 0/0 2.220,95 2.195,00 150,00 240,00 9,75 1.535,00 1.295,00 3.171,00 100,90 2.109,00 2.500,00 2.194.80 Total 17.721,40 Donc le cinquième de l'équipage supporte pour le navire 1 : 905 fr. 72, pour le navire 2 : 3.544 fr. 28 ce — il 2 — qui l'ail une différence de 2.638 fr.56; cette somme étant payée par L'équipage du navire :>, c'esl autant de gagné pour son armateur. Un autre trois-mâts de tonnage un peu plus fort que Les précédents el rapportant 2.300 quintaux décompte Les fi ais généraux suivants: Navire 3 Escompte à 3 1 2 p. () 0 2.250,25 2 0 0 au consignataire 1.234,82 Droits de sel 1.022,90 Bonification pour non valeur 300,80 Remorquage, feuilles de rôle et timbres. 104,40 Note du courtier à Saint-Servan. . . . 531,55 Boette et engins pour la pécher .... 3.890,00 Note du courtier à Bclle-Isle 74,02 — à La Rochelle. . . . 600,75 Pertes diverses s'élevant à 2.752,50 Commission de vente 5 0 0 3.014,25 Intérêts sur fonds déboursés et frais de rentrée 2.500,00 Deniers à Dieu el frais d'engagement. . 4.365,00 Salaires du capitaine... embarqué au re- tour 150,00 1 2 conduite des hommes débarqués à la Rochelle 45,00 Total 23.496,24 dont 1 5 incombant à l'équipage, soit 4.699,25. Le cinquième ou acquis net revenant à l'équipage s'élève alors à 8.334.50, somme qui, diminuée du mon- — 113 — tant des gratifications, 10.373 francs, donne un déticil et à chacun une part négative de 52 francs. Et l'administration est obligée de reconnaître l'exac- titude de ces comptes, puisqu'ils sont conformes aux stipulations de la charte-partie ; les marins devraient donc ouvrir les yeux et bien voir la portée de telles clauses avant de les admettre. Dans l'engagement au tiers les frais généraux sont plus limités ; une charte de Saint-Malo 1900 contient ceci : « L'équipage paiera le tiers de Tachât de la boette, de toutes les sommes portées hors lot sur le rôle (gratifications et primes) ainsi que de la commis- sion de 3 0 0 pour l'armateur. » Une autre charte comprend les frais généraux sui- vants : « Achat de la boette et des engins pour la pêcher, frais de remorquage à Saint-Pierre, gratifications sauf celles des avants de doris prélevées sur le 13 reve- nant à l'équipage, retenue de 3 0/0 sur le montant des produits de pêche ». Il semble à première vue que l'engagé au mille ne devrait pas supporter de frais généraux puisqu'il n'est pas associé ; cependant le plus souvent l'armateur lui fait payer sa part d'achat de boette et de commission de vente et comme compensation lui accorde quelques francs de plus par mille. Des difficultés se sont élevées pour le règlement de comptes de la goélette de Saint-Pierre à la fin de 1902 : l'armateur voulait appli- quer aux engagés au mille une clause de la charte- Tual 8 - 114 - partie qui semblait ne devoir concerner que les enga- g au tiers ei en vertu de Laquelle les gratifications étaient comprises dans les frais généraux. L'administration de la Marine à Saint Malo répondit que l'armateur agissait contrairement à L'usage en fai- sant subir aux engagés au mille une retenue pour par- ticiper aux gratifications, puisque celles-ci constituent leur seul salaire. Néanmoins en cas de clause non équivoque de la charte et malgré l'illogisme du pro- ie L'administration aurait du s'incliner. Avant de quitter cet examen rapide des frais géné- raux, citons une manière de faire qui n'est pas très louable. Nous avons vu que d'après beaucoup de char- te- l'achat des engins et filets est compris dans les frais généraux. Or, au retour de Terre-Neuve un cer- tain nombre de ces objets embarqués au départ sont restés sans emploi durant la campagne et rentrent à L'état de neuf. L'on devrait donc créditer le compte des frais généraux de ce qui n'a pas été utilisé, puisque le tout a été débité au départ. Il n'en est rien ; de sorte que ces engins dont l'équi- page a payé le cinquième ou le tiers pourront lui être à nouveau comptés dans les frais généraux lors de la prochaine campagne : on voit le bénéfice de l'opéra- tion. C. Retenues. — L'acquis brut de chaque engagé est soumis à diverses retenues. Et d'abord pour la caisse des Invalides, retenue de 3 pour 0 0 sur toutes sommes — 115 — payées aux marins (Loi du 11 avril 1881) ; pour la caisse de Prévoyance, retenue de 1 pour 0/0 sur les salaires portés au rôle d'équipage du personnel offi- cier ou assimilé, retenue de 0.75 p. 0/0 sur les salaires du personnel non officier. (Loi du 21 avril 1898. Loi du 29 décembre 1905, article 3.) Outre cela l'engagé est souvent redevable à l'arma- teur de sommes plus ou moins élevées à comprendre sous les rubriques suivantes : fournitures pendant la campagne consistant en tabac, café, savon, bitter, ver- mouth (1) ; repas pris à la chambre; argent avancé par le capitaine. Cette petite note s'élève parfois à un chiffre impor- tant, 100 voire même 120 francs ; les marins formulent d'ailleurs des protestations à ce sujet. A Saint-Pierre existe encore la pratique du livret : quand le marin a besoin de quelque chose, il le prend chez l'armateur qui débitera le compte du pécheur et réglera le tout à la fin de la saison. On se plaint des abus commis ; il est certain qu'à Saint-Pierre on voit vendre plus cher qu'en France des objets qui ne payent aucuns droits. • Appendice. — Assurance des produits de pêche ; indemnité en cas de perte. — Les produits de pèche 1. Ces boissons sont embarqués en fraude de la douane comme provisions du capitaine ; on emporte ainsi une centaine de litres d'apéritifs variés. — 1 10 — Boni rarement assurés, du moins dans l'armement de Saint-Malo; néanmoins cette assurance soulève un pro blème qu'il est intéressant de poser. Disons d'abord que pour être susceptible d'une assu- rance le poisson doit cire péché el l'armateur doit en connaître la quantité approximative, soii par nouvel- le'- directes du capitaine, soii par signal fait à un navire rencontré qui l'a transmis en Fiance. C'est à ce mo- ment seulement Si bien qu'après leur débar- quement, se voyant, faute d'argent, dans l'impossibilité de regagner leur domicile, ils vont de l'armateur à l'ad- ministratiOD réclamant mais en vain contre un article du contrat auquel ils n'ont pas voulu accorder atten- tion. IK savaient cependant bien que, la pèche fut-elle excellente, le règlement de comptes n'aurait pas lieu immédiatement. El Les administrateurs de l'Inscription — 121 — maritime peuvent bien accorder des secours de route (Circulaire du 8 janvier 1883), mais ils doivent se mon- trer circonspects et ne secourir que les cas urgents. La situation des marins au retour est surtout pénible lors- que par suite de mauvaise pêche ils n'ont pu rapporter une « mannce » : il est d'usage, en etlet, de laisser au marin la faculté de remplir une manne de poissons divers, morues, flétans, capelans, etc.. Cette « mannée », quand le pécheur la garde, cons- titue une réserve précieuse pour la nourriture de la famille pendant l'hiver ; malheureusement au retour le marin a besoin d'argent aussi l'abandonne-t-il pour un prix dérisoire à des acheteurs qui abusent de sa situa- tion. Et s'il n'a même pas cette ressource, il est jeté sur le pavé sans un sou. Il est lamentable de voir au retour d'une campagne ces victimes du travail errant en quête de gîte et de nourriture jusqu'à ce qu'on veuille bien les ramener au foyer où les attend une famille anxieuse. Et nous terminerons en formulant le vœu qu'un règle- ment vienne à nouveau consacrer le droit du marin à la conduite jusqu'à son domicile: ce serait une réforme prudente autant que juste. CONCLUSION Nous croyons avoir suffisamment démontré que tout n'esl pas pour le mieux dans l'engagement des marins de la grande pêche ; il y a là une situation souvent pénible à constater et, tandis que dans nos villes cer- taines revendications ouvrières moins urgentes sont prises en considération, on ne doit pas se désintéresser du sort de cette catégorie sociale trop timide, trop peu instruite pour parler haut. Quel est le rôle des pouvoirs publics ? Au cours de notre étude nous avons signalé plusieurs réformes im- portantes qui peuvent être établies par lois ou règle- ments, telles que la tenue obligatoire du journal de p clic, l'emploi de chartes modelés rédigées par l'ad- ministration , la consécration du droit du marin à la conduite jusqu'à son domicile. Mais la ne se borne pas l'action possible de l'Etat : .1 l'égard de <•<•> travailleurs qui sonl dans une situation d'infériorité vis-à-vis de leurs employeurs, le législa- teur ne peut rester Impassible et indifférent. Impuissant à se substituer aux amodiations ouvrières inexistantes pour régler, comme elles pourraient le faire elles-mêmes — 123 — les conditions et la rémunération du travail, il peut cependant empêcher certains abus, introduire dans la loi, comme on l'a fait en Angleterre, à côté des dispo- sitions interprétatives de la volonté des parties, des dispositions prohibitives destinées à assurer l'exécution loyale du contrat, à interdire certaines conventions gravement nuisibles aux intérêts des travailleurs, visi- blement acceptées par eux sous l'empire dune vérita- ble contrainte morale ou d'une intelligence insuffisante de leurs intérêts. Nous posons donc là le principe d'un interventionnisme modéré, admis récemment parla Commission de réforme du contrat de travail de la Société d'études législatives (1). Et dans une matière aussi spéciale que celle qui nous occupe, ce n'est pas une réglementation générale qui peut suffire ; il faut une série de mesures prises d'accord avec l'Administration qui, étant en rapports constants avec les intéressés, connaît mieux leurs besoins que l'organe légistatif. Néanmoins pour le relèvement social des pêcheurs, l'action la plus importante reste à l'initiative privée. Les armateurs peuvent beaucoup et nous sommes heureux de reconnaître que la majorité d'entre eux a pris de bonnes résolutions et s'est efforcée d'imposer ses inno- vations au moyen des Syndicats d'armateurs- Ces ten- 1. Bulletin de la Société d'études législatives 1906. Question n°9 : Rapport Brocard, Discussion générale et Art. 11 du pro- jet de codification - 124 - tatives ont été contrai îéea j»lns d'une fois par une mino- rité blâmable ne voyant que le lucre et exploitait de pauvres travailleurs peu aptes à se défendre. Qu'on nous permette de croire cependant que les Syndicats d'armateurs, soutenus au besoin par L'Administration, arriveront à triompher des mauvaises volontés. Et quant aux marins eux-mêmes, que laissent-ils es- pérer? Embarqués dès L'enfance ils ne soni revenus à terre que pour «les intervalles très courts, aussi l'igno. rance est-elle leur principal défaut ; mais ils ne sont pas dépourvus de ce gros bon sens qui parfois guide si sû- rement dans La vie. Le devoir de la société est de déve- lopper chez <'u\ l'instruction par tous les moyens pos- sible, cours pratiques dans les écoles primaires, confé- rences aux adultes pendant l'hiver. On reproche encore aux marins Leur manque d'en- tente: jusqu'à nos jours des syndicats n'ont pu se cons- titu< i . et cep ndant eux seuls agiraient efficacement dans bien des cas, notamment pour obtenir un mode d'en- :men1 plus simple et permettant un contrôle facile. Nous reconnaissons que l'organisation syndicale des pêcheurs de morue rencontre de sérieuses difficultés. Un équipage est souvent formé d'hommes recrutés un peu partout, qui n^ se connaissent donc pas et se ren- contrent pour La première fois au moment de La revue, alors qu'il est déjà tard pour s'entendre et présenter des revendications. Isolés qu'ils sont pendant l'hiver dan^ les villages ou Les campagnes, les pêcheurs n'entre- — Ï25 — tiennent pas cet esprit de solidarité qui fait la force des groupements ouvriers dans les grandes villes ; chez eux persiste un égoïsme défiant qui les fait consi- dérer leurs intérêts comme contraires à ceux de leurs camarades ; cette mentalité se manifeste souvent au moment du règlement de comptes, chacun tire à soi et une fois « réglé », se désintéresse complètement du sort fait aux autres. D'ailleurs avouons que nos marins manquent d'éner- gie et de volonté lorsqu'ils sont en présence de l'arma- teur ou de ses représentants. En décembre 1903 une tentative très intéressante de constitution d'un syndicat eut lieu dans les Côtes-du- Nord. Aux réunions provoquées, les pêcheurs se ren- dirent nombreux, ils reconnurent le bien fondé du pro- jet d'engagement au quintal qui leur fut exposé par M. Lecointe et les adhésions au futur syndicat atteigni- rent 200 environ. Peine inutile ! Dès le lendemain la plupart de ces signataires s'engageaient à toutes sortes de conditions anciennes et sous des formes autres que celles conve- nues la veille. L'armateur fait donc un peu ce qu'il veut ; et si le recrutement de l'équipage présente quel- ques difficultés, si les hommes du métier veulent raison- ner un peu trop sérieusement, les capitaines vont au fond des terres embaucher de jeunes paysans inexpé- rimentés, n'ayant jamais mis le pied sur un bateau et même n'en ayant jamais vu ; ils en font des avants de - 126 — doris. Quel remède à cette situation toute spéciale ? La cons Ltution de syndicats ue scia possible el n'aura d'efficacité que Lorsque L'éducation économique des pécheurs Bera plus développée, lorsqu'ils auronl vrai- ment conscience de leurs intérêts, lorsque sera vaincue • otto indifférence qui paralyse les meilleures initiatives. Mais il esl un vice qui menace la population mari- time tant dans son existence physique que dans son émancipation intellectuelle: c'est l'éternel fléau de notre civilisation, L'alcoolisme. Ah ! il sévit dans le monde des pécheurs plus peut- être que partout ailleurs et nous en avons vu les résul- tats effrayants dans nos villages bretons : c'est le dé- sordre dans la famille, l'abrutissement complet de L'individu, la dégénérescence de la race. L'ennemi con- tre lequel il faut lutler, c'est l'affreux boujaron d'eau- de-vie à six sous le litre qui constitue trop souvent « le meilleur appât du pécheur ». Et qu'on ne nous dise pas que de ce côté il n'y a rien à faire puisque les Anglais et les Américains, qui n'ont pas un moindre penchant pour la boisson, y ont réussi. Malgré tous leurs défauts, les pêcheurs de morue sont dignes d'intérêt parce qu'ils sont des pionniers du tra- vail courageux entre tous, ne craignant ni les priva- tions, ni les dangers. Ils savent que leurs parents ont souffert jusqu'au jour où ils ont disparu dans les flots, mais ils partent quand même, la mer conserve pour eux un attrait irrésistible l — 127 — On nous reprochera peut-être d'avoir édifié cette étude uniquement au point de vue de la défense des marins et sans sauvegarder les intérêts de l'armement : nous repoussons cela énergiquement. Nous nous ren- dons parfaitement compte de l'aléa, des difficultés de cette industrie, de la crise qu'elle traverse à la suite de plusieurs campagnes médiocres. Aussi la plupart des réformes que nous avons pré- conisées sont profitables tant aux armateurs qu'aux marins ; et si nous n'avons pas craint de signaler des abus, c'est que nous en avons constaté la pratique. Mais en ce faisant n'avons-nous pas encore travaillé pour les armateurs consciencieux qui se trouvent dans une situation désavantageuse vis-à-vis de leurs collè- gues moins scrupuleux ? D'ailleurs, peut-on nous faire grief d'avoir plaidé la cause des pêcheurs; n'est-ce pas un devoir de prendre en main les intérêts des faibles lorsqu'ils ne savent les faire valoir eux-mêmes? Nous nous sommes acquittés de notre mieux de cette tâche si captivante, heureux si nous avons pu apporter ainsi notre humble contribution àl'amélioration du sort de notre population maritime. Vu : le Doyen, LYON-GAEN Vu : le Président de la thèse, JAY Vu et permis d'imprimer : Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris, L. LIARD fÀBLE Introduction 7 Chapitre I. -- l-;t pêche de la m >rue : armement, modes pêche, composition des équipages .... 11 S nos I. — Pêche en Islande 11 S >i"N II. — Pêche à Terre-Neuve 13 iiun III. — Le chalutage à vapeur 17 Chapitre II. — l>u contrat d'engagement. Rôle de l'Ins- cription maritime '2 1 Chapitre III. — Comment se font les engagements. . '2& Chapitre IV. — Des avances 38 Chapitre V. — Des différentes sortes d'engagements . 17 noN I. — Engagements à salaires fixes. ... i7 S :tion [I. — Engagements à la part 51 S noN III. — Engagements à la tâche 59 Sbction IV '. — Conditions d'engagement du capitaine et du patron de pêche 66 Chapitre VI. — Des chartes-parties. Étude critique d'une charte au cinquième 68 \nl\i:. — Texte d'une charte au tiers .... 96 Chapitre VIL — Règlement de comptes. Comptes de pèche 103 A. — Produits de pèche, prix de vente. . . 107 B. — Frais généraux 109 . — //'-/- nues 111 Appendice. — Assurance des produits de pêche; indem- nité eu perte 115 Chapitre VIII. — Rapatriement et conduite .... 118 Conclusion 122 I.-np. des Facul'.è>. A. MICHALOX. 26, Rue Monsieur-le-Princc, Paris* /