^iAv **u&K ^ ^Harvard Médical Library in the Francis A. Countwav Library of Medicine -Boston VERITATEM PERfiAEDICItfA/A OUyERAMUS LEÇONS DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE APPLIQUÉE A LA MÉDECINE. L'auteur et l'éditeur de cet ouvrage se réservent le droit de le traduire ou de le faire traduire en toutes les langues. Ils poursuivront, en vertu des lois, décrets et traités internationaux, toutes contrefaçons faites au mépris de leurs droits. Le dépôt légal de cet ouvrage a été fait à Paris en juin 1855, et toutes les formalités prescrites par les traités sont remplies dans les divers États avec lesquels la France a conclu des conventions littéraires. OUTRAGE* DE M. CL. BERNARD CHEZ LES MÊMES LIBRAIRES. Nouvelle fonction du foie, considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l'homme et les animaux. Paris, 1853, in-Zf de 9li pages. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine , faites au collège de France. Semestre dTété. 1855. 1 vol. in-8° avec figures intercalées dans le texte. Paris. — Imprimerie de L. Martinet, rue Mignon, 2. LEÇONS DE PHYSIOLOGIE EXPÉRIMENTALE APPLIQUÉE A LA MÉDECINE, FAITES AU COLLÈGE DE FRANCE, PAR M. Claude BERNARD, Membre de l'Institut de France , Professeur suppléant de M. Jlagendie au Collège de France , Professeur de physiologie générale à la Faculté des sciences, Membre des Sociétés de Biologie , philomatique de Paris, Correspondant de l'Académie de médecine de Turin , des Sociétés médicales et des sciences naturelles de Lyon, de Suisse, de Vienne , elc. COURS DU SEMESTRE D'HIVER 18541855. Avec 22 figures intercalées dans le teite. A PARIS, CHEZ J.-B. BAILLIÈRE, LIBRAIRE DE l'aCAD^MIE IMPERIALE DE MÉDECINE, rue Hautefeuille , 19. Londres, New-Yorfc, H. BAILLIÈRE, 2!9, REGENT-STREET. i H. BAILLIERE, 290, BROADWAY. MADRID, C. BAILLY-BAILLIÈRE , CALLE DEL PRINCIPE, H. 1855. L'auteur et l'éditeur se réservent le droit de traduction à l'étranger. AVANT-PROPOS. Aujourd'hui, la physiologie expérimentale est en- traînée dans un mouvement de développement qui , sans contredit, n'a jamais été aussi considérable , ni aussi rapide à aucune autre époque de son histoire. Dans tous les pays , de tous côtés, les travailleurs sont à l'œuvre, et chaque jour l'expérimentation apporte quelque fait nouveau ou quelque découverte impor- tante, soit pour la solution de questions de détail, encore incertaines , soit pour l'établissement de prin- cipes généraux, d'autant plus nécessaires que les ré- sultats particuliers se multiplient davantage. On comprend qu'aux époques de transition les traités dogmatiques soient difficiles, parce qu'un ouvrage est déjà vieux avant d'être achevé, et qu'une doctrine court risque d'être renversée avant d'avoir été entièrement formulée. Dans un certain nombre d'années, lorsque cette sorte de fermentation scienti- fique aura subi son évolution, et que le temps aura VI AVANT-PROPOS. mûri les résultats de l'expérimentation, on pourra seulement réunir les conquêtes modernes de la science et les relier par les principes ou les lois qui découle- ront de leur rapprochement. Mais, en attendant , il m'a paru utile de montrer ce mouvement de la physiologie aux personnes qui s'in- téressent à cette belle science, afin quelles puissent se rendre compte de la tendance de ses progrès , tant par la méthode suivant laquelle elle procède, que par la nature des idées nouvelles qui surgissent et se trou- vent en lutte avec les idées anciennes qui disparaissent. C'est cette considération qui ma déterminé à publier ces leçons, qui ne sont que le début dune série de cours que j'ai l'intention de faire paraître. Je n'ai pas à m'expliquer sur le point de vue qui règne dans ce livre; on trouvera des éclaircissements suffisants à ce sujet dans la première leçon , qui sert en quelque sorte de préface à ce volume. Je désire seulement avertir le lecteur que j'ai voulu conserver ici la forme qu'entraîne l'exposition de travaux de recherches qui sont en voie de se faire. Ces leçons ont été recueillies et rédigées sous mes yeux par un de mes amis et de mes élèves, M. Henri Lefèvre, li- cencié es sciences naturelles, qui était constamment parmi mes assistants, soit dans le laboratoire, quand AVANT-PROPOS. VII j'instituais mes expériences, soit clans l'amphithéâtre, quand j'en exposais les résultats au public. On a de la sorte la simple narration de ce qui se passe dans l'in- térieur du laboratoire et de l'amphithéâtre d'un phy- siologiste qui travaille et discute la science, Une telle manière de faire a des avantages qui me paraissent très réels. Le premier bénéfice qu'on en tirera, sera de voir les expériences physiologiques telles qu'elles sont, avec leurs complications et les dif- ficultés que l'on a quelquefois à surmonter pour en triompher. Un autre avantage que je crois aussi très important, c'est qu'en voyant les recherches expéri- mentales se dérouler, passer d'abord à l'état d'ébauche, et puis se perfectionner successivement , l'esprit sou- vent discerne dans ces notions naissantes et fécondes diverses questions qui peuvent être pour lui la source d'investigations nouvelles , ce qui a rarement lieu quand on lui présente des résultats complets de tra- vaux parfaitement achevés. Maintenant je ne dissimule pas qu'un livre ainsi conçu puisse donner plus facilement prise à la critique stérile de ces parasites scientifiques qui, impuissants à rien créer par eux-mêmes , s'accrochent ordinairement aux découvertes des autres , pour les attaquer et chercher ainsi l'occasion de faire parler d'eux. On comprend VIII AVANT-PROPOS. que cette considération ne mérite pas même de me préoccuper, si j'ai atteint mon but , et si ces leçons peuvent être utiles aux hommes qui cherchent dans les travaux d'autrui ce qu'il y a de bon pour s'en inspi- rer, et faire faire à la science de nouveaux progrès. Paris, mai 1855. Claude BERNARD. LEÇONS DE PHYSIOLOGIE APPLIQUEE A LA MÉDECINE. PREMIÈRE LEÇON. 23 DÉCEMBRE 1854. SOMMAIRE : Nature spéciale de l'enseignement du collège de France comparé à l'enseignement des facultés, — De l'investigation physio- logique.— Des faits et des théories en physiologie. — Des découvertes prévues et imprévues. — De la critique expérimentale. — Des faits con- tradictoires. — De la complexité des phénomènes physiologiques et des difficultés attachées à leur étude. — Applications des sciences physico-chimiques à la physiologie. — Applications de la physiologie à la médecine. Messieurs , L'illustre professeur qui occupe cette chaire , M. Magendie, que jai l'honneur de suppléer en ce moment, a plusieurs fois fixé devant vous (ï) la na- ture de l'enseignement que vous venez chercher ici. Permettez-moi de revenir en quelques mots sur ce sujet, afin que nous puissions mieux comprendre, et (1) Leçons sur les phénomènes physiques de la vie. Paris, 1842, k vol. in-8. 1 "2 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE atteindre d'une manière plus sûre le but que nous poursuivrons dans le cours de ces leçons. Tout le monde sait que l'enseignement du collège de France est d'une autre nature que celui des facultés, qu'il répond à d'autres besoins, qu'il s'adresse à un autre public, que sa manière de procéder est essen- tiellement différente. Ici le professeur, toujours placé au point de vue de l'exploration, doit considérer la science, non dans ce qu'elle a d'acquis et d'établi, mais dans les lacunes qu'elle présente, pour tâcher de les combler par des recherches nouvelles. C'est donc aux questions les plus ardues et les plus obscures qu'il s'attaque de préfé- rence, devant un auditoire déjà préparé à les aborder par des études antérieures. Dans les facultés, au contraire, le professeur, placé au point de vue dogmatique, se propose de réunir, dans un exposé synthétique, l'ensemble des notions positives que possède la science, en les rattachant au moyen de ces liens que l'on nomme des théories, des- tinées à dissimuler autant que possible les points obs- curs et controversés qui troubleraient sans profit l'esprit de l'élève qui débute. Ainsi , ces deux genres d'enseignement sont , pour ainsi dire, opposés dos à dos. Le professeur de faculté voit la science dans son passé; elle est pour lui comme parfaite dans le présent ; il la vulgarise en exposant dogmatiquement son état actuel. Le professeur du collège de France, au contraire, doit avoir les yeux tournés vers l'inconnu, vers l'avenir. AÎJ COLLEGE DE FRAIS CE. 3 Loin d'être achevée, la science de la vie se pré- sentera donc à nous avec ses imperfections; nous nous préoccuperons sans cesse, non de ce qui est fait, mais de ce qui reste à faire; et cette direction progressive est d'autant plus importante, vous le comprenez sans peine, que la science dont nous nous occupons ici est plus éloignée de son entier dévelop- pement. Il était nécessaire, messieurs, de bien fixer notre point de vue pour comprendre l'espèce de liberté dans notre exposition, de variété dans le choix de nos sujets que comporte cet enseignement, où aucun programme ne saurait être rigoureusement suivi, contrairement aux cours des facultés, nécessairement encadrés dans un programme recommencépériodiquementetne dépas- sant pas le niveau des connaissances acquises. On peut changer ici de sujet tous les ans, tous les se- mestres; et même, dans le cours d'un semestre, notre plan pourra se trouver modifié, si, tombant sur un filon de recherches intéressantes, il y a profit pour la science à le poursuivre sans délai. En un mot, nous choisissons nos études sous la seule condition de faire des efforts incessants pour con- courir aux progrès de la physiologie et de la méde- cine, en cherchant à réaliser ces progrès sur tous les points où il nous est permis de les atteindre, et par tous les moyens qui sont en notre pouvoir. Or, messieurs, ces moyens se rapportent à deux directions : Dans la première, on institue des recherches non- Il ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE velles, sources de découvertes. C'est l'investigation ou Y invention. Dans la seconde, on exerce un jugement sévère sur les faits obtenus, de manière à en éloigner les causes d'erreurs et à leur donner une valeur et une signifi- cation précises dans la science. C'est ce que j'appellerai la critique expérimentale. Relativement à Y investigation y les philosophes ont beaucoup disserté sur l'art d'interroger la nature et d'y faire des découvertes. Les uns, avec J. de Maistre, ont soutenu qu'il n'y avait en cela aucune règle à suivre, que celui qui faisait des découvertes possédait quelque chose d'instinctif, un quid proprium, et que le hasard se chargeait du reste. Quelques esprits, allant plus loin , ont même fait de l'ignorance une condition favorable. D'autres philosophes, avec Bacon, annoncent qu'il y a des méthodes sûres pour arriver à réaliser les pro- grès de la science , et en ont théoriquement tracé les règles. Toutefois l'application qu'ils en ont faite serait loin d'avoir prouvé leur efficacité. C'est pourquoi, au lieu de vous donner des principes abstraits sur l'art d'instituer des recherches et de faire des découvertes, je préfère joindre l'exemple au précepte, et vous mon- trer, dans le cours de ces leçons, par la pratique ex- périmentale des choses, comment doit procéder l'es- prit d'investigation pour arriver à la solution des problèmes physiologiques. Je n'entrerai donc pas dans l'exposition ni dans la discussion des opinions philosophiques précédentes, AU COLLEGE DE FRANGE, 5 ce qui nous éloignerait entièrement de notre sujet. Je dirai seulement d'une manière générale qu'on ne réus- sira dans les recherches physiologiques qu'à la condi- tion d'avoir le sentiment exact de la complexité et de la mobilité des phénomènes de la vie, et d'être bien fixé sur l'importance relative qu'on doit accorder, en physiologie, aux faits et aux théories; en se servant, du reste, des moyens logiques ordinaires en vertu desquels on procède et l'on juge dans toute autre science. Je vous demanderai la permission de donner quelques explications à ce sujet. On a raison d'admettre que l'esprit de l'homme ne s'exerce que sur deux ordres de notions : les unes subjectives ou abstraites, les autres objectives ou concrètes. Mais il faut aussi reconnaître que jamais un seul de ces ordres de notions ne peut exister isolément en nous ; de telle sorte que l'un appelle toujours l'autre à sa suite, et qu'en vertu de cette tendance qui nous est naturelle , nous donnons constamment des formes objectives aux notions idéales ou subjectives que nous possédons tous, et que, d'autre part, nous sub- jectivons, c'est-à-dire que nous élevons toujours à l'état de théorie abstraite, l'ensemble des notions objectives qui nous sont transmises par les sens. En physiologie et en médecine, nous n'avons affaire qu'à des réalités objectives, et nous sommes en plein dans ce qu'on appelle les sciences d'observation et d'expérimentation, parce que l'observation et l'expé- rimentation peuvent seules établir les réalités ou les faits sur lesquels ces sciences se fondent. Mais, comme 6 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE je le disais tout à l'heure, ces faits, une fois établis, ne restent jamais isolés clans notre esprit ; nous les com- parons, nous les rapprochons, et nous" y mêlons im- médiatement des notions subjectives en formulant sur eux des lois ou des théories qui ne sont que des re- présentations abstraites que nous nous faisons, rela- tivement aux causes ou au mécanisme de ces faits ou de ces phénomènes. Telle est, eu effet, la marche inévitable que l'homme suit dans l'étude de toutes ces sciences : i° Établir les faits ou les phénomènes par l'observation et l'expérimentation jusqu'à ce qu'il ait épuisé ce que ces moyens peuvent lui fournir; 2° s'éle- ver par induction de ces faits ou phénomènes à leurs rapports généraux qu'il appelle des lois; 3° enfin partir de ces lois pour aller, par un raisonnement logique de déduction, à la recherche d'autres faits particuliers qui puissent à leur tour être compris dans la loi gé- nérale. Rapprocher les faits pour en tirer des lois, c'est la méthode suivant laquelle toute science se constitue; de même que le procédé logique qui consiste à partir de ces lois formulées pour y faire rentrer les recherches nouvelles, est le seul moyen que cette science possède pour avancer réellement. Seulement, ce qu'il faut ne pas perdre de vue, c'est que les faits bien observés sont eux seuls les réalités invariables, indestructibles, tandis que les interprétations que nous appelons des lois et des théories ne sont que des abstractions ou des manières de voir en rapport avec l'étendue de nos connaissances, et conséquemment susceptibles de varier à mesure que AU COLLEGE DE FftANCE. 7 nos connaissances se multiplieront, s'étendront davan- tage en présentant d'autres faces à cette même inter- prétation. Lorsque les phénomènes, ainsi que cela a lieu dans certaines parties des sciences physico-chimiques , se passent dans des conditions simples et faciles à appré- cier, les lois que l'on trouve se rapprochent beaucoup plus de la réalité, sans toutefois que Ton soit jamais autorisé à les considérer comme la représentant com- plètement; le raisonnement peut alors s'appuyer sur ces lois assez sûrement pour conduire par voie de déduction logique à la connaissance de faits nou- veaux. Mais quand il s'agit des sciences biologiques où les phénomènes sont très difficiles à observer et à expérimenter , à cause de leur complication et du grand nombre des éléments qui les constituent, les lois sont alors beaucoup plus difficiles à établir, et elles sont toujours très loin de représenter la réalité. Ce dernier cas est celui des lois que nous posons en physiologie et en médecine , où leur multiplicité même atteste leur imperfection. Cependant c'est toujours exclusivement sur ces abstractions et sur ces lois, bonnes ou mauvaises, que nous basons notre raisonnement pour déduire des résultats nouveaux qui doivent ensuite , comme dans toutes les sciences d'observation , être vérifiés par l'ex- périence. On concevra facilement que la conclusion à laquelle nous arriverons par le raisonnement sera d'autant plus incertaine que la loi sur laquelle nous l'avons établie 8 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE sera elle-même moins sûre; et;à ce sujet, on peut dire que si, dans les sciences purement physiques, l'expé- rience vient le plus ordinairement confirmer ce qu'in- diquait le calcul ou la théorie, en physiologie on voit, dans l'état actuel de cette science , presque toujours le contraire arriver , c'est-à-dire , le raisonnement et l'expérience se trouver le plus souvent en dés- accord. Malgré le peu de valeur réelle que nous devions reconnaître dans ce que nous appelons des lois au- jourd'hui en physiologie, il faut cependant nous en servir, car dans une science quelconque il est impos- sible de passer d'un fait connu à un fait encore in- connu, sans l'intermédiaire d'une idée abstraite ou d'une théorie. Mais, en physiologie, ainsi que nous l'avons déjà dit, les conditions des phénomènes sont si compliquées, et souvent même si mal établies, que nous devons, à cause des difficultés inhérentes à l'expérimentation et l'observation, nous tenir toujours en garde contre les lois que nous formulons , et n'avoir dès lors qu'une confiance très médiocre dans les résultats qu'elles peuvent nous faire prévoir. En un mot, nous devons prendre, pour le moment, ces théories beaucoup plus comme des moyens capables de remuer le terrain de la physiologie en provoquant des expérimentations nou- velles que comme des guides sur lesquels le raison- nement puisse s'appuyer avec certitude. Il résultera de là que pour réussir dans l'investigation physiologique, il ne suffira pas, comme dans des AU COLLEGE DE FRA.NCE. 9 sciences plus avancées;, d'avoir seulement en vue de vérifier le résultat que la théorie indique, mais il faudra en même temps avoir l'esprit et les yeux atten- tifs à tous les phénomènes qui pourront naître inter- curremment, qu'ils soient en faveur delà théorie ou contre elle. En se plaçant à ce point de vue , vous comprenez , messieurs , qu'on pourra faire dans nos sciences deux espèces de découvertes : Les unes prévues par le raisonnement ou indiquées parla théorie; elles se réalisent d autant mieux que les sciences sont plus avancées, que les phénomènes sont plus simples et les lois mieux établies , et c'est dans les sciences physiques qu'on les rencontre le plus souvent. Les autres, imprévues, sont des découvertes qui sur- gissent inopinément dans l'expérimentation, non plus comme corollaire de la théorie, et propres à la confirmer, mais toujours en dehors d'elle, et par con- séquent lui étant contraire. Ces découvertes imprévues doivent être d'autant plus rares que les sciences sont mieux constituées, et d'autant plus fréquentes que les sciences sont moins avancées. En physiologie, tout expérimentateur pourra en faire, pourvu qu'il soit bien pénétré de cette idée , que les théories sont tellement défectueuses dans cette science, qu'il y a, dans l'état actuel des choses, autant de probabilités pour découvrir des faits qui les renversent, qu'il y en a pour en trouver qui les appuient. 10 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE Sil nous a été donné de faire en physiologie quel- ques-unes de ces découvertes imprévues, nous croyons le devoir à ce que nous nous sommes toujours placé dans cette disposition d'esprit qui n'accorde aux théories physiologiques qu'une valeur essentiellement relative et entièrement subjective, tout en appréciant leur importance pour diriger les investigations et solli- citer l'expérimentateur à voir des phénomènes qu'il n'aurait pas vus sans cela, quoique ceux-ci fussent d'ailleurs d'une évidence extrême. Tout le monde s'étonne alors de les avoir, pendant si longtemps, laissés passer inaperçus, ce qui justifie le mot d'un illustre physicien de nos jours (1), que « rien n'est plus clair que ce qu'on a trouvé hier, et rien n'est plus difficile à voir que ce qu'on trouvera demain. » Je désire, messieurs, mettre un exemple sous vos yeux , pour mieux fixer vos idées sur ce que nous ve- nons de dire, et pour attirer votre attention sur cette sorte d'utilité que peut avoir quelquefois une théorie, même mauvaise, pour faire découvrir un fait qu'on, avait depuis longtemps sous les yeux sans le voir. Voici un lapin sur lequel nous mettons à nu et nous coupons le filet nerveux du sympathique qui unit du côté gauche le ganglion cervical supérieur avec le ganglion cervical inférieur. Nous répétons là une expérience que Pourfour du Petit a faite en 1727, et qu'un ptrand nombre d'expérimentateurs ont repro- duite depuis lui, en observant tous le résultat le plus (1) M. Biot , Journal des savants. AU COLLEGE DE FRANCE. il saillant qui avait été annoncé, savoir, un rétrécissement de la pupille que nous pouvons constater ici , et sur lequel on fit ensuite beaucoup d'hypothèses. On sup- posa, par exemple, que le nerf moteur oculaire commun donnait le mouvement aux muscles constricteurs pu- pillaires, et le grand sympathique aux muscles dilata- teurs, etc. Tous les ans, dans mes cours, je faisais cette expérience, dans laquelle je vérifiais comme tout le monde les phénomènes relatifs à cette théorie des mouvements de la pupille , mais sans rien y voir autre chose. Lorsqu'il y a trois ans environ, rassemblant les observations que possède la science sur les effets de la section des nerfs dans les différentes parties du corps, et sur l'influence que cette section exerce sur la chaleur de ces mêmes parties , je trouvai des faits en apparence contradictoires consignés par les expéri- mentateurs, les uns annonçant qu'après la section des nerfs , il y a abaissement de température , les autres disant que cet abaissement n'existait pas. Etant bien pénétré de cette pensée qu'il ne pouvait pas y avoir contradiction dans ces faits bien observés, et que cette diversité des résultats dépendait de conditions parti- culières à l'expérimentation, je résolus de les recher- cher. Je partis pour cela dune loi ou d'une idée, si vous voulez , généralement admise, à savoir, que le grand sympathique est un nerf qui suit les artères , et se rend aux organes glandulaires, pour servir surtout à l'accomplissement des phénomènes chimiques que l'on regarde comme la source de la chaleur animale. Admettant cette théorie comme vraie, le raisonnement 12 ENSEIGNEMENT DE LA. PHYSIOLOGIE logique fut de conclure que le refroidissement dans les organes dont les nerfs avaient été coupés tenait à ce que les filets du nerf sympathique avaient été dé- truits, et à ce que, par suite, les phénomènes chimi- ques, source de la chaleur, se trouvaient diminués ou anéantis. Restait à instituer l'expérience pour vérifier les données de la théorie. Il s'agissait de couper isolément un filet du nerf sympathique afin d'examiner si cette opération amènerait un abaissement de la température des parties. J'ai choisi le lapin, chez lequel cette expé- rience est parfaitement réalisable au cou, parce que le grand sympathique y est séparé du pneumogas- trique; il est d'ailleurs admis que ce filet du grand sympathique, sur lequel nous avons agi, prend nais- sance dans la moelle épinière et monte le long du cou pour se distribuer vers la tête. D'après les prévisions de la théorie, la section du nerf sympathique à gauche, chez notre lapin , a dû pa- ralyser les actes chimiques qui se passent dans les ca- pillaires de la tête, et la température devra se trouver abaissée dans la moitié de la tête correspondant au côté où ce nerf a été coupé. Or l'expérience est faite depuis environ un quart d'heure ; constatons ce qui s'est passé sous le rapport de la modification de tempéra- ture. Nous touchons avec la main les deux côtés de la face et les deux oreilles du lapin , et nous jugeons avec la plus grande évidence, par la simple sensation, que, loin d'être abaissée, la température s'est au con- traire considérablement accrue à gauche, du côté où nous avons coupé le nerf sympathique. En plongeant AU COLLEGE DE FRANGE. 13 un thermomètre dans l'oreille gauche, nous v trouvons quatre degrés de plus que dans l'oreille droite. Vous- même pouvez sentir à la main cette différence de tem- pérature, tant elle est évidente et considérable. L'obser- vation m'a appris, du reste, que cet excès de tempé- rature peut durer plusieurs semaines après la section du nerf sympathique. Voilà, messieurs, ce que j'appelle une découverte imprévue, c'est-à-dire un résultat d'expérience qui, au lieu de confirmer la théorie qui a provoqué à sa recherche, se trouve au contraire complètement en désaccord ou en opposition avec elle. Le phénomène que nous avons découvert est on ne peut plus facile à voir, et il était cependant passé inaperçu sous les yeux de beaucoup d'observateurs éminents, ainsi que sous les nôtres pendant longtemps. Si la théorie n'a pas été confirmée, néanmoins c'est elle qui, en dirigeant l'esprit dans un certain sens, a conduit à la découverte du fait nouveau. C'est ainsi que nous comprenons l'importance purement direc- trice et provisoire des théories. Nous devons les prendre comme des instruments intellectuels, prêts à les abandonner et à les sacrifier à la plus petite vérité, et la science ne peut qu'y gagner. Ici, par exemple, rien n'est perdu pour la physiologie. Ce qu'a décou- vert Pourfour du Petit persiste toujours; il y a seule- ment un autre résultat qui est acquis en plus. Quant à la théorie du nerf grand sympathique, elle changera et se modifiera sans doute, mais peu nous importe. Nous sacrifierons des hypothèses et des théories tant 14 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE qu'il en faudra, pourvu que nous découvrions des faits nouveaux qui seront, ainsi que nous lavons déjà dit , les seules réalités indestructibles sur lesquelles la science positive doit se fonder et s'élever peu à peu. Si nous faisons si bon rnarcbé de nos théories et de nos lois, c est que nous avons conscience de leur im- perfection. Mais il y a des esprits qui, saisis ajuste titre d'admiration pour la simplicité et la généralité, des lois qui régissent les sciences astronomiques et quelques parties des sciences physico-chimiques, voient, dans l'application sûre de ces théories à la découverte des faits nouveaux, l'idéal de la puissance intellectuelle de l'homme sur la nature. Ces esprits se trouvent comme humiliés quand, en physiologie, ils se voient arrêtés à chaque pas dans leur essor imaginaire par la réalité matérielle, par ce qu'on appelle le fait brutal. Alors, il peut se faire qu'au lieu de se résigner et de procéder ainsi que nous le recommandions, ces physiologistes aient l'illusion de croire que leurs théories vaudront mieux que celles des autres. On les voit alors tordant et mutilant les faits pour les faire entrer dans leurs vues, éliminant ceux qui leur sont contraires , arriver à construire des systèmes que leur talent peut faire briller d'un éclat plus ou moins vif, mais dont, la vérité finit toujours par faire justice. Aujourd'hui, en physiologie, cette tendance systématique est des plus malheureuses pour la science, qu'elle retarde ; et quant aux hommes dont je parle, ils ne sauraient faire en ce cas preuve d'une supériorité d'esprit généralisateur, ils prouvent uniquement qu'ils n'ont pas le sentiment de la nature AU COLLEGE DE FRANCK. 15 de la science qu'ils cultivent, ni la conscience de l'état dans lequel elle se trouve. Il faut bien être convaincu, en effet, que dans ces problèmes si complexes de la vie, les esprits même les plus vastes ne peuvent pas faire l'impossible, et faire que des phénomènes com- plexes soient simples, et que des lois ou théories mau- vaises soient bonnes. Les généralisateurs ne manquent pas , mais les grandes généralisations sont encore impossibles en physiologie. L'expérimentateur, guidé par cette lueur provisoire des théories actuelles , doit se considérer comme un aveugle s et n'avan- cer qu'avec circonspection, en donnant toujours la main à l'expérience qui , seule, peut l'empêcher de tomber dans l'erreur et de s'égarer. Sans doute, il faut avoir foi dans l'avenir et croire à un temps meil- leur, où la science physiologique, mieux constituée, permettra à la généralisation un plus libre essor ; mais c'est à la préparation de cet avenir qu'il faut travailler, et nous sommes intimement convaincu qu'il n'y a pas aujourd'hui de moyens plus efficaces d'accélérer les progrès de la physiologie que d'y faire des découvertes. Ce sera, ainsi que nous lavons dit, le but unique de nos efforts dans cet enseignement. Maintenant, messieurs, nous arrivons à ce que nous appelons la critique expérimentale. Elle a un rôle très important à remplir, car elle établit les faits dans leur signification et dans leurs conditions d'existence. Elle dirige donc l'expérimentation en déterminant les circonstances dans lesquelles elle doit être instituée. Avant tout, il importe que les faits soient bien fixés, car 16 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE souvent les débats portent sur des questions de ce genre , les uns soutenant qu'une chose est, les autres qu'elle n'est pas. Relativement à ces contradictions si fré- quentes en médecine et en physiologie, il y a un pre- mier principe dont il ne faut jamais se départir, c'est qu'on ne saurait admettre que, dans des conditions identiques, des phénomènes puissent se passer diffé- remment; ce serait absurde, cela équivaudrait à ad- mettre des effets sans cause. Les mots exception, idiospicrasie, etc., ne sont donc pas des réalités scien- tifiques; ces expressions, à l'aide desquelles nous cou- vrons notre ignorance, prouvent tout simplement que nous ne connaissons pas toutes les données qui entrent dans la production du phénomène. Mais nous n'en sommes pas moins forcés scientifiquement de reconnaître que ces différences que nous ne pouvons expliquer ont leurs causes appréciables , qui resteront comme des desiderata tant qu'elles n'auront pas été trouvées. Ceci revient à dire, en d'autres termes, que les faits ne se contredisent jamais. Permettez-moi encore, messieurs, de vous citer un exemple pris parmi les faits les plus simples, afin que vous soyez bien convaincus de cette vérité. Nous prenons un lapin, de la vessie duquel nous extrayons de l'urine. Celle-ci est trouble, alcaline, fait effervescence quand on y ajoute un acide , elle con- tient fort peu d'urée. Nous avons examiné les urines de cinq ou six autres lapins, et nous les avons trouvées toutes douées des mêmes caractères physiques et chi- AU COLLÈGE DE FRANCE. 17 miques; ce qui est bien d'accord avec ce que Ton admet généralement que l'urine des herbivores est toujours alcaline, et ne contient que peu d'urée et beau- coup de carbonates, tandis que Purine des carnivores est acide, contient beaucoup d'urée et pas de carbo- nates, etc. Mais voici un autre lapin de même taille, de la vessie duquel nous extrayons également l'urine; nous la trouvons cette fois claire, limpide, acide, con- tenant beaucoup d'urée et ne faisant aucunement ef- fervescence par les acides. Est-ce un fait exceptionnel chez ce lapin , qui , ainsi que vous le voyez , offrirait des urines analogues à celles des carnivores? Il y a huit ans que je fis pour la première fois celte ob- servation que les urines peuvent parfois se montrer acides chez les lapins et chez les chevaux. Me confor- mant alors aux principes que je vous ai signalés plus haut, je ne pensai pas que ce fût là une exception, c'est-à-dire un fait n'ayant pas sa raison d'être. J étais convaincu, au contraire, qu'il y avait une circon- stance particulière qui devait expliquer la différence du phénomène, et je cherchai à apprécier cette cir- constance. J'arrivai bientôt à trouver que cela dé- pendait de l'état d'abstinence où se trouvaient les ani- maux herbivores, et que chez tous les lapins, ainsi que chez les chevaux à jeun , les urines sont toujours acides et chargées d'urée, comme cela se voit chez les car- nivores. Cette détermination de la condition du phé- nomène n'a pas détruit le fait que les urines des her- bivores sont généralement alcalines, mais on a su de plus qu'il fallait considérer les animaux herbivores à 2 18 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE jeun comme des carnivores se nourrissant de leur propre substance, qui est le sang. Nous pourrions vous citer encore beaucoup d'exemples analogues pour vous prouver que la circonstance la plus légère suffit quelquefois pour changer les apparences d'un phéno- mène, et lui donner l'aspect d'un fait contradictoire. Mais les cas de ce genre s'offriront très souvent à nous dans le cours de ces leçons, et nous ne manquerons pas d'attirer votre attention sur eux chaque fois que l'oc- casion s'en présentera. Tout ceci prouve, messieurs, qu'il faut redoubler de soin dans les expériences physiologiques, justement à cause de la complexité des phénomènes. Et à ce propos , permettez-moi de vous dire que la plupart de ceux qui font des explorations sur les êtres vivants ne paraissent pas assez se douter de la complication des phénomènes qu'ils veulent observer, ni du soin et de l'exactitude toute particulière qu'il faut apporter dans de semblables recherches. Le physicien et le chimiste s'entourent des précautions les plus minutieuses, des instruments les plus précis pour éviter autant que possible les chances d'erreur, et pour déterminer avec une scrupuleuse exactitude les conditions dans lesquelles ils opèrent. Ils n'abordent leurs recherches délicates, mais relativement bien plus simples que celles de la physiologie, qu'après de longs exercices préalables dans leurs laboratoires. ]N'a-t-on pas dès lors lieu de s'étonner de la légèreté avec laquelle on traite souvent les questions vitales, cependant bien plus difficiles en ce qu elles renferment AU COLLEGE DE FRANCE. J9 non-seulemeut des conditions physiques et chimiques à élucider, mais qu'elles exigent en outre des études anatomiques et physiologiques profondes. L'assurance des ignorants ainsi que la confiance avec laquelle cer- taines personnes se croient , sans études préalables , aptes à faire de la physiologie, amènent dans notre science une foule d'expériences mal faites qui sont le germe de discussions interminables. Toutes ces choses fâcheuses ont du reste le même point de départ com- mun , l'oubli des conditions indispensables à remplir pour aborder la science de la vie. D'autres fois, par suite d'une erreur qui résulte encore d'un défaut du sentiment exact de la nature du terrain vital, on apportera dans les recherches phy- siologiques une espèce de précision beaucoup plus spécieuse que réelle ; on appliquera le calcul mathé- matique à des phénomènes où la complication des données ne comporte nullement l'emploi de pareils procédés, on tentera d'arriver à. des résultats absolus dans des sujets qui n'admettent que des approximations relatives, ou dans lesquels les déterminations quali- tatives sont beaucoup plus importantes que les déter- minations quantitatives. Vous savez, messieurs, que la physique et la chimie sont d'un secours absolument indispensable dans l'étude des phénomènes de la vie ; c'est là une vérité tellement banale aujourd'hui que je me serais dispensé de vous l'énoncer si je n'avais voulu vous prévenir que ces sciences peuvent aussi devenir la source de grandes erreurs quand elles sont mal appliquées. Or, je crois «• 20 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE qu'on appliquera mal ïa physique ou la chimie à la physiologie toutes les fois que les études physiques ou chimiques d'un phénomène précéderont son étude physiologique. On commence alors par où l'on devrait finir, et l'on s'expose ainsi à expliquer les actes vitaux, non tels qu'ils sont, mais tels qu'ils pourraient exister théoriquement, d'après les données physico-chimiques pures. Dans chaque science , le point de vue propre à cette science doit prévaloir et subordonner les autres. En physiologie le point de vue physiologique doit do- miner. La première chose à faire dans l'étude d'une fonction, c'est donc d'étudier le phénomène dans l'or- ganisme vivant, en imaginant et instituant toutes les expériences nécessaires pour l'analyser dans chacun de ses éléments. On appellera ensuite à son secours l'anatomie, la physique, la chimie, etc., qui pourront alors élucider, dans des mesures diverses selon la na- ture de la fonction, les phénomènes dont on aura dé- terminé d'abord les conditions physiologiques ou vi- tales. Souvent , en effet , nous aurons occasion de vous prouver qu'il se passe, pendant la vie, des phé- nomènes physiques et chimiques qu'il aurait été absolument impossible de prévoir par les faits phy- siques ou chimiques connus, parce qu'ils n'ont leurs analogues nulle part en dehors de l'organisme vivant. Enfin je me résumerai en disant que toujours les con- ditions des problèmes vitaux doivent être posées par la physiologie , les sciences physico-chimiques interve- nant seulement après pour les expliquer. AU COLLÈGE DE FRANCE. 21 Le temps ne nous permet pas d'entrer dans les dé- tails, et je ne puis ici que vous signaler quelques-uns des divers genres d'erreurs sur lesquels portera notre critique , qui sera toujours expérimentale. Les discus- sions scolastiques ne sont plus de notre époque, au moins en physiologie. Une expérience mal faite et don- nant des résultats défectueux ne saurait être éclairée que par une expérience mieux instituée ; il faut en un mot une critique expérimentale pour juger des faits d'expérience. Enfin , messieurs , après vous avoir exposé la na- ture de renseignement du collège de France et les méthodes que nous suivons dans les investigations physiologiques, il nous resterait à examiner comme dernière question le but final que nous nous proposons, c'est-à-dire les applications de la physiologie à la pa- thologie. L'utilité de ces applications est hors de contesta- tion pour la plupart des médecins célèbres qui sont aujourd'hui à la tête de la science, et qui considèrent à juste titre la physiologie comme la base de toute médecine scientifique. Cependant, comme toute vé- rité a ses contradicteurs, vous entendrez peut-être ré- péter encore aujourd'hui par d'autres médecins que la physiologie ne peut être d'aucune utilité en médecine, que c'est dans les études médicales une science de luxe dont on pourrait parfaitement se passer, parce qu'il n'y a entre les phénomènes de la santé et ceux de la maladie aucun lien nécessaire, et que ces derniers epustiluent un domaine complètement séparé, dans 0 22 ENSEIGNEMENT DE LA PHYSIOLOGIE lequel agissent d'autres forces et des propriétés toutes nouvelles. Quels que soient les arguments par lesquels cer- taines personnes cherchent à établir cette proposition, ils ne sauraient tenir contre le fait général qu'aux di- verses époques de la médecine, toute explication pa- thologique et toute thérapeutique ont toujours été basées en quelque sorte sur les opinions physiologiques existantes. On a instinctivement senti la relation in- time qui existe entre les actes normaux et les phéno- mènes morbides, au point de manifester constamment la tendance de faire découler les seconds des premiers. Nous pourrions prendre des exemples dans le passé pour vous montrer l'heureuse influence qu'ont toujours exercée sur la pathologie et la médecine , les découvertes physiologiques sérieuses et bien éta- blies; nous préférons puiser ces preuves dans des faits qui datent d'hier, et que nous ferons passer sous vos yeux. Nous désirons donc, messieurs, aborder et examiner avec vous cette question des applications de la phy- siologie à la pathologie. Mais, ainsi que vous le voyez, ce n'est pas seulement par quelques raisonnements et comme en passant que nous voulons la traiter ici ; nous vouions développer les faits qui seront les élé- ments de votre jugement. Nous espérons ainsi vous faire partager notre con- viction que la physiologie est intimement liée aux progrès à venir de la médecine , et qu'elle en constitue la ba^e scientifique. C'est toujours dans l'état sain que AU COLLEGE DE FRANGE. 23 doit être cherchée l'explication du symptôme patholo- gique, car tout phénomène morbide a sa racine dans un trouble de l'état physiologique. (Test d'après ce principe que nous procéderons, et si l'analyse patho- logique ne peut pas encore dans l'état actuel de la science être portée sous cette forme dans les facultés de médecine , il faut que l'enseignement conserve ce caractère scientifique au collège de France. Les mots de médecine expérimentale que M. Magendie a choisis depuis plusieurs années pour titre de ce cours, ont pour but de consacrer cette union indissoluble de la physiologie expérimentale et de la pathologie que nous ne devrons jamais perdre de vue. DEUX1E31E LEÇON. o 26 DÉCEMBRE 1854. SOMMAIRE : Union nécessaire de la physiologie et de la pathologie. — Application des découvertes physiologiques récentes à la pathologie. — Etudes physiologiques sur le diahètc à propos des découvertes sur les fonctions du foie. — Aperçu historique sur les théories du diabète. — Toutes ces théories reposent sur un principe physiologique faux, à savoir qu'il ne se formerait pas de sucre dans l'organisme animal. — Il existe une fonction animale qui produit du sucre, et dont le diabète n'est qu'un état pathologique. — Caractères chimiques des ma- tières sucrées animales et végétales. — Sucres de la première et de la deuxième e-pèce. — Réactifs propres à distinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liquides animaux. — Alcalis caustiques, réactif cupro-potassique, etc. — Fermentation, polarisation. — Moyens propres à enlever la coloration et les matières albuminoïdes aux liquides animaux qui renferment du sucre. Messieurs, Nous avons dit, dans la dernière séance, que l'on n'était point autorisé scientifiquement à regarder la physiologie et la pathologie comme deux domaines distincts où se passent des phénomènes de nature essentiellement différente. Si dans l'application il existe encore une infinité de faits morbides dont nous ne pouvons physiologiquement nous rendre compte, cela indique seulement qu'il reste encore beaucoup à faire dans la physiologie elle-même , mais cela ne saurait en aucune façon prouver que les symptômes patholo- APPLICATION DE LA PHYSIOLOGIE A LA PATHOLOGIE. 25 giques, au lieu d'être les manifestations de troubles physiologiques, soient le résultat de forces ou pro- priétés nouvelles créées par l'état pathologique, et sur lesquels la physiologie ne pourra jamais répandre aucune lumière. L'histoire montre, au contraire, que dans tous les temps les doctrines médicales ont été en rapport avec les idées physiologiques, et qu'à chaque progrès accompli dans la science de la vie à l'état normal a correspondu un progrès équivalent dans la pathologie. Nous trouverions à toutes les époques de la médecine un grand nombre d'exemples pour appuyer cette proposition, mais nous préférons choisir parmi les dé- couvertes nouvelles, et parmi celles faites dans cette chaire. Nous verrons comment des résultats physiolo- giques annonces il y a à peine trois ou quatre ans sur les fonctions du foie, du pancréas, du grand sympa- thique, etc., ont déjà trouvé leur application en sus- citant des observations pathologiques nouvelles ou en éclairant des symptômes morbides dont l'explication était jusqu'alors restée obscure. Cette espèce de revue rétrospective nous permettra d'ailleurs d'ajouter des faits nouveaux que nous avons vus depuis la publication de ces découvertes et de relever en même temps des observations ou desexpériences défectueuses qnise sont produites à cette occasion , ainsi que cela arrive pres- que constamment dans tout sujet nouveau livré à l'appréciation des savants qui s'occupent de physiologie et de médecine, c'est-à-dire des sciences dans lesquelles l'expérimentation et l'observation sont des plus difficiles. 26 APERÇU HISTORIQUE ÉTUDES PHYSIOLOGIQUES SUR LE DIABÈTE. Nous parlerons d'abord du diabète et de la théorie toute nouvelle qu'il faut se faire de cette maladie de- puis les découvertes sur les fonctions du foie. Les anciens considéraient comme diabétique tout individu qui émettait une grande quantité d'urines,, et qui en même temps maigrissait, et présentait le plus souvent un appétit extraordinaire et une soif ardente. On ignorait encore la présence du sucre dans les urines, et l'on plaçait souvent cette affection dans la classe des phthisies, qui comprenait toutes les maladies dans lesquelles l'amaigrissement était considérable. C'est Willis qui, le premier, vers 1674, reconnut que les urines des diabétiques présentaient une saveur douce, sucrée , mais ce ne fut qu'en 1778 que Gowley isola le principe sucré du diabète. A partir de Willis, on divisa la maladie caractérisée toujours parles symptômes précédemment indiqués en deux classes, suivant que les urines étaient ou non sucrées. On eut alors le diabète sacré et le diabète non sacré. Aujourd'hui, tout en reconnaissant l'exactitude des phénomènes généraux indiqués par les anciens, on attache une importance prédominante aux caractères qualitatifs des urines, et l'on a l'esprit immédiatement dirigé vers l'affection diabétique quand on trouve une personne dont les urines sont sucrées. Nous verrons plus tard , en analysant physiologiquement les phéno- SUR LES THÉORIES DU DIABÈTE. 27 mènes du diabète, si ce symptôme unique est suffisant pour caractériser la maladie. Willis n'avait du reste fait aucune théorie sur la présence du sucre dans les urines. Vers la fin du xviif siècle , d'après les opinions physiologiques du temps, on pensait que le suc gas- trique changeait de nature suivant les substances qu'il avait à digérer, qu'il était alcalin dans l'alimen- tation animale, et devenait acide dans l'alimentation végétale, etc. Sons l'influence de ces idées, Rollo, vers 1797? considéra le diabète comme dû à un vice de la digestion , à un dérangement qui avait son siège dans l'estomac, résultant d'une altération particulière des sucs gastriques qui auraient acquis une prétendue propriété morbide de changer eu sucre les matières végétales ingérées. Cette théorie le conduisit naturelle- ment à supprimer les végétaux dans les aliments de ses malades, qu'il soumettait à un régime exclusive- ment animal et graisseux. En i8o3, Nicolas et Gueudeville publièrent des recherches et des expériences sur le diabète qu'ils nommèrent la phtlsurie sucrée. Selon ces auteurs, le siège de cette affection était dans l'intestin. Le chyle , par suite d'une altération des sucs intestinaux, au lieu de se former comme à l'ordinaire, se confectionnait sans azote, et dès lors? au lieu de se trouver constitué par des matières animalisées, il était formé par un principe moins bien élaboré, qui était la matière su- crée impropre à entretenir complètement la nutrition. La thérapeutique de ces auteurs, d'accord avec leur théorie, consistait à donner de l'azote; ils soumettaient, 28 APEftÇL HISTORIQUE comme RolJo, leurs malades à une diète animale, et leur administraient en outre de l'ammoniaque et des phosphates. Mais on ignorait encore quelle était l'espèce de sucre qui existe dans l'urine des diabétiques, lorsque en 18 îô M. Chevreul vint démontrer que ce sucre était chimiquement analogue à celui qui résultait de la transformation de la fécule. Quelques années pins tard, vers 1825, Tiedemann et Gmelin firent voir que dans la digestion de la fécule il se formait normalement du sucre dans l'intestin. On ne pouvait donc plus, dès cette époque, regarder l'existence de cette substance dans le canal intestinal comme provenant d'une alté- ration des fonctions digestives. Toutefois, en i838, M. Bouchardat admettait que le sucre se formait anormalement par la digestion des fécules dans l'estomac sous l'influence d'une diastase spéciale aux diabétiques, pensant qu'à l'état physiolo- gique cette matière devait être changée en acide lactique. Plus tard, le même auteur admit que la for- mation du sucre était un résultat normal de la diges- tion des fécules, mais que chez les diabétiques seule- ment cette substance était surtout absorbée dans l'estomac, et s'en allait parles vasa breviora en suivant un système de circulation assez peu connu. Mais nous devons ajouter que M. Bouchardat lui-même, dans son dernier travail publié en i852 (1), a avoué qu'il ne tenait en aucune façon à ses théories, et qu'il atta- (1) Mémoires de l'Académie de médecine. Paris, 1852, t. XVI. p. 69 el 21*2. Sl;R LES THÉORIES DU DIABÈTE. 29 ehait uniquement de l'importance à son mode de traitement, qui consiste, comme moyen principal, à supprimer dans l'alimentation des malades toute espèce de matière féculente et sucrée. Mais peu à peu, la formation du sucre dans l'in- testin par la digestion normale des féculents était non-seulement établie et généralement admise, mais M. Magendie, et avec lui d'autres observateurs, avaient prouvé que le sucre passe physiologiquement dans le sang pendant l'absorption digestive des féculents. Il n'y avait donc plus moyen de considérer la maladie qui nous occupe comme une altération des fonctions digestives, et force fut alors de faire d'autres théories sur ce sujet. M. Mialhe, en 1 844 (0> P'aÇa ^e siège du diabète dans le sang, en même temps qu'il émit une explication fondée sur un fait chimique vulgaire. Nous verrons en effet bientôt que le sucre de diabète peut se dé- truire en présence d'un alcali. Dès lors, dit M. Mialhe, si le sucre introduit normalement dans l'organisme par l'acte de la digestion du sucre ou des féculents ne trouve pas dans le sang l'alcalinité convenable pour le brûler au contact de l'air, il s'accumulera dans ce sang et sera éliminé par les reins. D'où l'indication thérapeutique, pour cet auteur, de donner des alcalis aux malades. Mais, vous le voyez, messieurs, ces théories sur le diabète, soit qu'elles considèrent le sucre comme une production normale de la digestion, soit qu'elles regar- (1) Comptes rendus del'Acad. des sciences, î. XVII f, p. 707. 30 PROPRIÉTÉS ET CARACTÈKES dent celte substance comme anormalement produite dans l'intestin ou l'estomac, reposent toutes sur la croyance que la matière sucrée qui se trouve dans l'or- ganisme provient exclusivement et toujours de l'ali- mentation féculente ou végétale. C'est là précisément un point de départ qui est physiologiquement faux. Nous avons prouvé que la matière sucrée n'est pas un principe accidentel de l'organisme, qu'elle se ren- contre constamment dans l'économie , et s'y trouve formée par une fonction toute spéciale , quelle que soit, du reste, la nature de l'alimentation. Cette fonc- tion glycogènique, ou productrice de sucre, que nous avons récemment établie existe dans l'homme et chez tous les animaux. Nous devons actuellement vous faire son histoire; ensuite nous examinerons l'état diabé- tique, qui n'est, suivant nous, qu'une déviation de cette fonction physiologique des plus importantes. ïl est d'autant plus nécessaire de bien établir notre base physiologique, que toujours, ainsi que vous venez de le voir, il y a eu la liaison la plus intime entre la théra- peutique proposée pour le diabète et les idées physio- logiques qu'on s'était faites de cette maladie. Ceci prouve combien il est important que les idées phy- siologiques qu'on a soient aussi saines que possible. Mais avant d'établir expérimentalement devant vous la réalité de cette fonction nouvelle, permettez- moi, messieurs, de nous arrêter quelques instants sur le sucre qui sera si souvent en cause dans nos expé- riences. Il importe que vous connaissiez les divers réactifs ou les moyens les plus ordinaires dont nous DES SUCRES ANIMAUX OU VEGETAUX. 31 ferons usage pour constater la présence de cetle ma- tière dans les différents liquides ou tissus animaux. Gela nous permettra ensuite d'aller plus vite dans notre exposition , et d'être mieux compris. On dislingue plusieurs sortes de matières sucrées d'o- rigines variées qui ont entre elles des caractères com- muns et des différences spécifiques de plusieurs ordres. Les sucres fournis par lç règne végétal sont : les sucres de canne, de betterave, d'érable, etc.; les sucres de fruits, de fécule ou d'amidon, etc. Les sucres appartenant au règne animal sont : les sucres de lait ? le sucre normal produit par le foie, le sucre de l'œuf, celui de l'aîlantoïde, etc. Tous ces sucres, quelle que soit leur origine, se divi- sent ensuite en deux espèces, suivant la manière dont ils se comportent en présence des acides et en pré- sence des alcalis. Les sucres dits de la première espèce sont ceux sur lesquels les alcalis n'ont aucune action, tandis que les acides les transforment en sucres intervertis ou sucres de la seconde espèce. Ce sont : les sucres de canne, de betterave, d'érable, etc. Les sucres dits de la seconde espèce , qui compren- nent le sucre de fécule ou glucose, les sucres de fruits, le sucre de diabète, le sucre de lait ou lactose, le sucre normal du foie, celui de l'œuf, de l'aîlantoïde, etc., se distinguent par des caractères opposés , c'est-à-dire que les acides étendus n'agissent aucunement sur eux , tandis que les alcalis caustiques, tels que la potasse, la soude, la cbaux, etc. , les détruisent en les changeant o*2 M07ENS DE RECONNAITRE en des arides bruns particuliers avec une rapidité d'autant plus grande que les alcalis sont plus concen- trés et la température plus élevée. Je vais vous rendre témoins de ces caractères diffé- rentiels des sucres par l'expérience. Je prends dans un tube de verre bouché par un bout un peu d'une disso- lution de sucre de betteraves parfaitement pur, j'y ajoute une dissolution concentrée de potasse caustique à la chaux, je chauffe et vous voyez ce mélange bouillir. 11 ne se produit aucune modification dans le liquide, qui reste parfaitement transparent et incolore, ce qui n'aurait pas lieu si le sucre n'était pas pur et contenait du sucre de la seconde espèce. L'alcali caustique n'a pas coloré la liqueur ni détruit le sucre, car on s'assure- rait, en séparant le principe sucré de la potasse, qu'il a conservé les caractères primitifs. Je mets dans un autre tube un peu d'une dissolution de sucre de fécule, j'y ajoute la même solution de po- tasse caustique, et je fais bouillir; vous voyez la liqueur se colorer en jaune, et prendre successivement une teinte brune de pins en plus foncée. Cette réaction fut indiquée en 1842 (1) par M. Chevallier, qui s'en servit pour reconnaître la richesse des cassonades et la falsification du sucre de canne par le sucre de fécule. Maintenant, pour constater l'action des acides, je prends dans un troisième tube un peu de notre pre- mière dissolution de sucre de betterave, je la chauffe après y avoir ajouté quelques traces d'acide sulfurique; vous voyez la liqueur bouillir. Bien qu'à la première (1) Bulletin de la Société d'encouragement, Paris, 1842, p. 207. LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 33 vue il semble n'y avoir aucune modification dans le mélange, qui reste limpide et transparent, il s'y est fait cependant une transformation importante; car après avoir saturé l'acide sulfurique par de la craie et avoir filtré , si j'ajoute de la dissolution de potasse dans cette liqueur et si je fais bouillir de nouveau, vous voyez le liquide devenir jaune, puis brun, absolument comme pour le sucre de deuxième espèce. Ceci vous prouve que sous l'influence de lébullition avec l'acide , le sucre de betterave appartenant à la première espèce s'est changé en sucre de la seconde espèce, et a offert alors la réaction qui lui est propre en présence de la potasse. Lorsqu'on fait agir ainsi un alcali sur un sucre de la seconde espèce, le sucre s'oxyde en s'emparant de l'oxygène de l'air, et se transforme en partie en un acide brun étudié par M. Peligot, qui lui a donné le nom à" acide mélassique. Si, au lieu de prendre du sucre de raisin ou du sucre de fécule, nous prenons du sucre de diabète, et que nous le chauffions avec un alcali, nous obtiendrons exactement les mêmes phénomènes; la liqueur devien- dra jaune, puis brune, et ce sucre se détruira comme les sucres de la seconde espèce, en se transformant en matière acide brune. C'est de cette réaction que M. Mialhe est parti pour établir sa théorie, en as- similant faussement ce qui se passe au contact du liquide sanguin faiblement alcalin , avec les réactions que nous venons de vous montrer, et dans lesquelles 3 34 MOYENS DE RECONNAITRE nous faisons intervenir pour détruire le sucre l'ébulli- tion et la potasse caustique. Toutes les réactions précédemment citées apparaî- tront avec des caractères un peu différents, mais d'une manière encore plus évidente, si au lieu d'employer la potasse caustique seule, nous y ajoutons un sel de cuivre. Mais il importe de rappeler les conditions dans les- quelles peut se faire un pareil mélange. Si vous mêliez un sel de cuivre à acide minéral avec un alcali comme la potasse, il n'y aurait pas dissolution, le métal serait précipité à l'état d'oxyde. Si au contraire vous avez soin de mettre dans la liqueur une matière organique quelconque acide ou neutre, la dissolution du sel métallique par l'alcali pourra avoir lieu. Trommer avait vu qu'en ajoutant dans de l'urine de diabétique sucrée du sulfate de cuivre et de la potasse, il se produisait par l'ébullition une réduction du sel métallique et une précipitation de l'oxyde de cuivre. M. Becquerel a trouvé que cette réduction ne s'opère qu'avec les sucres de la seconde espèce , et qu'elle n'a pas lieu avec les sucres de la première espèce. Sur ces données, M. Barreswil a composé un liquide dans lequel le sel de cuivre se trouve tenu en dissolution dans la potasse par un acide organique, l'acide tartri- que. Voici la manière de préparer ce réactif. On dissout à chaud 5o grammes de crème de tartre et 4-0 gram- mes de carbonate de soude dans un tiers de litre d'eau. On ajoute ensuite à cette dissolution 3o grammes de sulfate de cuivre réduit en poudre ; après avoir fait LES SUGUliS AMMAUX OU VÉGÉTAUX. 35 bouillir le mélange, ou le laisse refroidir et l'on y ajoute 4o grammes de potasse préalablement disssoute dans un quart de litre d'eau. Enfin on étend tonte la masse avec assez d eau pour en faire un litre. Fehling a donné, après M. Barreswiî , un réactif de même nature composé ainsi qu'il suit. On dis- sout 4» grammes de sulfate de cuivre cristallisé dans 160 grammes d'eau. On mélange avec cette dissolu- tion une autre solution concentrée de 160 grammes de tartrate de potasse et 56o grammes d'une lessive de soude dont Je poids spécifique est de 1 , 1 2 ; et l'on ajoute nne quantité d'eau suffisante pour que le volume total atteigne un litre à la température de ~f- i5 degrés. On pourrait encore préparer le réactif de sucre par un procédé plus simple, seulement un peu moins écono- mique; il suffirait, eu effet, de prendre du tartrate de cuivre et de le dissoudre simplement dans de la po- tasse. Quoi qu'il en soit, vous voyez ici le liquide pré- paré par la formule de M. Barreswiî : c est un liquide d'un beau bleu parfaitement transparent, que nous désignerons désormais sous le nom de réactif cupro- potassique ; car c'est en effet un sel double de potasse et de cuivre. Nous allons l'essayer avec les différents sucres, afin de vous montrer qu'il n'y a réduction du sel de cuivre qu'en présence des sucres qui sont alté- rables par les alcalis. Je mélange, à parties à peu près égales, ce réactif avec une dissolution de sucre de canne bien pur; je fais bouillir. Vous pressentez déjà qu'il ne se pro- duira rien , et vous voyez en effet le liquide rester 36 MOYENS DE RECONiNAITKE parfaitement transparent et la couleur bleue n'a pas varié. J'ajoute au contraire le réactif à une dissolution de sucre de fécule, je fais bouillir; vous voyez la liqueur se colorer, perdre sa transparence, passer par diffé- rentes nuances de jaune, et laisser déposer un précipité rouge qui est du protoxyde de cuivre. Il en est de même si j'opère avec les sucres de fruits, de lait, de fécule , ou avec cette urine provenant d'un diabétique, en un mot avec tous les sucres de deuxième espèce. Vous comprenez qu'au moyen de telles épreuves, il soit possible de suivre dans l'économie les diverses transformations du sucre de canne, et de distinguer les deux espèces de sucres. Quand on essaie par le tartrate cupro-potassique un liquide supposé sucré, deux choses peuvent arriver: ou bien le sel de cuivre est réduit et le liquide change de coloration; ou bien, au contraire, le liquide reste bleu sans offrir de ré- duction. Dans le premier cas, on conclut à la présence du glucose, et dans le second , on peut affirmer que le mélange essayé ne renferme pas de glucose ni aucun sucre de la deuxième espèce. Mais il pourrait se faire qu'il contînt du sucre de canne ou tout autre sucre de la première espèce. Pour le savoir, il faudra préalablement faire bouillir le liquide présumé sucré, après lavoir acidulé très légèrement avec quelques traces d'un acide énergique, d'acide sulfurique, par exemple, pour transformer en glucose le sucre de canne qui pourrait s'y trouver. Après cette opération LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 57 on neutralise le liquide et on l'essaie de nouveau par le tartrate de cuivre. Si à cette deuxième épreuve il n'y a pas de réduction, on en conclura qu'il n'y avait pas de principe sucré, ni à l'état de sucre de deuxième espèce, ni à l'état de sucre de la première espèce. Si, au contraire, il y a réduction, il faudra admettre que le sucre existait à l'état de sucre de la première espèce, puisqu'il n'a opéré la réduction du sel de cuivre qu'après avoir été transformé en sucre de la deuxième espèce par l'action de l'acide sulfurique. Enfin, si l'on avait affaire à un mélange des deux sucres, on com- mencerait par détruire le sucre de la deuxième espèce par l'ébnllition avec le lait de chaux, puis, saturant le liquide refroidi avec de l'acide sulfurique en léger excès, on filtrera pour se débarrasser du sulfate de chaux ; ensuite on fera bouillir de nouveau la liqueur rendue acide pour transformer le sucre de la première espèce en sucre de la seconde, qui réagira à une der- nière épreuve avec le liquide cupro-potassique. Que s'est-il passé dans cette réaction du liquide cupro-potassique sur les sucres de la deuxième espèce? On l'explique en disant que le sucre de raisin , de fé- cule ou de diabète, etc., chauffé en présence de la potasse, s'est oxydé; mais qu'au lieu d'emprunter l'oxygène à l'air, il l'a pris au deutoxyde de cuivre, qui s'est trouvé réduit à l'état de protoxyde insoluble dans l'acide tartrique , et s'est montré alors dans la liqueur sous la forme d'un précipité rouge quand il est anhydre, et d'un précipité jaune quand il est hydraté. Le réactif cupro-potassique a la propriété d'être 38 MOYtiftS DE RU CONNAITRE extrêmement sensible au point de faire reconnaître par sa précipitation les plus petites traces de matières sucrées; car ii suffit, d'après M. Barreswil , qu'un grain de raisin mûr ait été broyé dans un litre d'eau pour qu'on puisse constater que cette eau a acquis la propriété de réduire le sel de enivre. Quand on fait la réaction, on peut avoir tantôt un mélange trop riche en cuivre pour ia quantité de sucre, tantôt un liquide trop chargé de sucre pour la quantité de réactif qu'on emploie. Ces deux circonstances de- viennent la source d'une foule de variétés dans l'aspect de la réaction dont il est bon d'être prévenu. Quand le liquide sucré est très pauvre et que la proportion du réactif est au contraire trop considérable, comme cela a lieu dans ce tube, il n'y a qu'une portion du cuivre réduit par l'ébuliition, et en même temps qu'il se précipite de l'oxyde, vous voyez le mélange rester encore bleu, parce que la petite quantité de cuivre réduit est dans un rapport direct avec la quantité de sucre contenu dans le mélange. Si, au contraire ? nous prenons un liquide sucré très riche et une très faible proportion du réactif, nous aurons non-seulement par l'ébuliition la réduction de tout le cuivre, mais de plus vous voyez la liqueur se colorer en brun et l'oxyde de cuivre se redissoudre , parce que l'excès de sucre a réagi avec la potasse qui se trouve elle-même en oxcès dans le même liquide. Nous avons ici , comme vous le voyez, la réaction du cuivre mêlée à la réac- tion de la potasse pure. Vous pouvez maintenant supposer tous les intermédiaires possibles entre ces LES SUCRAS ANIMAUX; OU VÉGÉTAUX. S9 deux extrêmes, et toutes les variétés de- coloration verte, jaune, rouge, etc., qui peuvent en résulter. Ceci prouve que la coloration en elle-même n'a pas une très grande valeur, mais que cest la réduction de l'oxyde métallique qui est lé caractère important. Nous venons de dire que la quantité d'oxyde réduit était toujours en rapport avec la quantité de sucre contenu dans le mélange. M. Barreswil s'est fondé sur ce caractère pour doser au moyen du réactif cupro* potassique titré les quantités de sucre qu'on peut rencontrer dans différents liquides; nous aurons occa- sion de nous servir de ce procédé plus tard. Maintenant, messieurs, quel est le degré de certitude que présentent les réactifs potassique et cupro -potas- sique, et quelle confiance devons-nous leur accorder? Vous devez toujours considérer ces réactifs comme extrêmement utiles parce qu'ils sont très faciles à em- ployer, et qu'ils donnent des indications très pré- cieuses, mais vous ne devez pas vous en contenter. Leur caractère absolu n'est qu'un caractère négatif , c'est-à-dire que l'on peut affirmer que toute liqueur qui ne produit pas avec eux les réactions indiquées ne contient aucun des sucres de la deuxième espèce. Mais quand cette réaction existe , on n'est pas absolument certain quelle soit due à du sucre, car la glycérine, le tannin, la cellulose (coton), l'acide urique, le chloro- forme peuvent la produire à divers degrés: il faut donc alors s'en référer à d'autres moyens. En outre, vous ne devez pas oublier une autre cause d'erreurs assez fréquente, c'est que dans le liquide 40 MOYENS DE KECOiN NAITRE cupro-potassique préparé depuis un certain temps, la potasse a pu passer à l'état de carbonate de po- tasse, probablement par une modification à l'air de l'acide tartrique , et que dans ce cas le liquide peut précipiter de lui-même sous l'influence de la chaleur sans pour cela qu'il y ait du sucre dans les liquides essayés. 11 est donc toujours bon de faire cette épreuve avant d'employer le réactif, et s'il est un peu ancien, il faudra lui ajouter un peu de potasse caustique fraîche pour lui rendre ses propriétés. On connaît encore d'autres réactifs empiriques propres à déceler la présence du sucre et basés sur des réactions analogues. Tels sont l'étoffe blanche de laine trempée dans le bichlorure d'étain , proposée par M. Maumené,et le chromate de potasse, auquel on ajoute un acide. Nous ne nous arrêterons pas à ces réactifs, parce qu'ils n'ont pas d'avantage sur ceux qui précèdent. Cependant nous dirons quelques mots du chromate de potasse, qui pourra nous être utile pour recon- naître l'alcool quand nous aurons de trop faibles quan- tités de cette substance pour pouvoir en obtenir par la distillation. Ce réactif, dont les proportions ont été détermi- nées ainsi par M. Leconte, se prépare en ajoutant à 100 grammes d'acide sulfurique concentré osr*,^5 de chromate de potasse, de manière que l'acide chromi- que mis en liberté puisse facilement réagir. La liqueur est limpide et d'une couleur jaune bru- nâtre ; quand on ajoute environ un volume égal de ce LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 41 réactif à un liquide renfermant de 1 alcool, de manière à colorer nettement le mélange, il y a échauffement; aussitôt la réaction se manifeste, et le liquide devient d'un beau vert-émeraude, tout en restant transparent. Cette réaction est une oxydation également com- mune au sucre, à la dextrine, à la gomme et à l'alcool; toutes ces substances ne sauraient consé- quemment être distinguées parce réactif. Mais dans le liquide où nous rechercherons l'alcool , le sucre aura été éliminé par la fermentation, ce que nous pourrons du reste vérifier en employant le tartrate cupro-potas- sique. Quant à la dextrine, nous pourrons la recon- naître par l'iode ; la gomme ne se rencontrera pas dans les circonstances où nous opérerons. Du reste, en nous servant de charbon animal pour décolorer le liquide supposé alcoolique, nous précipiterons la dextrine, la gomme et toutes les matières albumineuses, tandis que l'alcool passera avec le liquide filtré. Il est utile d'a- jouter encore que l'acide urique, l'urée et l'albumine peuvent réduire ce réactif. On pourrait employer, au lieu de l'acide sulfurique, l'acide chlorhydrique. Dans tous les cas, il sera toujours préférable d'agir sur des liquides distillés qui se trouveront conséquemment débarrassés des substances fixes ci-dessus indiquées. Nous devons mentionner maintenant des carac- tères beaucoup plus rigoureux pour constater la pré- sence du sucre dans les liquides ou tissus organiques. Indépendamment de l'extraction de la matière sucrée et de son analyse élémentaire qui ne sont pas toujours 4*2 MOYENS DE RECOiNKAITRE praticables quand on a du sucre à reconnaître, on trouve un caractère dune certitude absolue dans la fermentation au contact de la levure de bière , qui produit le dédoublement du sucre en alcool et en acide carbonique. Voici (fig. 1) un petit appareil assez simple que nous employons le plus ordinairement pour opérer cette fermentation , surtout / /'" *\ \ quand nous avons peu de li- quide sucre a notre disposi- tion. Il consiste à prendre, \Qt comme vous le voyez ici, un s*' tube T de i centimètre à 1 cen- timètre et demi de diamètre, fermé à la lampe par Tune de ses extrémités B, On le rem- plit complètement du liquide supposé sucré dans lequel on ajoute de la levure de bière. On le bouche ensuite à sa partie supérieure par un bou- chon C percé d'un trou dans lequel s'introduit à frottement un tube EE', assez mince, ou- vert aux deux bouts, et que l'on enfonce jusqu'au fond du premier tube. On expose l'ap- pareil à une douce chaleur. De cette façon, si une fermentation s'établit, le gaz emplit la partie supérieure du premier tube, chassa É LES SUC il ES ANIMAUX OU VEGETAUX. li'û le liquide par le petit tube ER, sans pouvoir s'échap- per. A la fin de l'opération on peut constater si le gaz qui s'est formé est de l'acide carbonique, et si le liquide qui s est échappé et celui qui reste encore dans le premier tube contiennent de 1 alcool. La propriété de fermenter caractérise la matière sucrée, car on définit le sucre une substance donnant lieu à la fermentation alcoolique. Tous les sucres ne fermentent pas avec la même rapidité; le sucre de fruits et le sucre normal du foie fermentent plus vite que les sucres de fécule, de canne et de bet~ terave. Le sucre de lait est celui qui fermente ie plus difficilement, et seulement après quelques jours de contact avec la levure de bière. H importe toujours de se servir de la levure de bière purifiée, ou bien de contrôler son résultat par une même expérience comparative, qui consiste à mettre de la même levure avec de l'eau seule dans les mêmes conditions de température. Quand la fermentation est terminée, on constate les caractères de l'acide carbonique recueilli, et l'on distille le liquide pour en séparer l'alcool. S'il y en avait de très faibles proportions, on pourrait agir sur le liquide avec le chroma te de potasse et l'acide sul- furique, ainsi qu'il a été dit plus haut. Un autre procédé pour reconnaître si une matière sucrée existe dans un liquide consiste à examiner l'action de ce liquide sur la lumière polarisée. Cette méthode d'analyse optique des liquides qui a été en- tièrement créée par M. Biot, donne les caractères kk MOYENS DE RECONNAITRE d'une délicatesse extrême, car Faction de la lumière polarisée peut faire connaître, par exemple, des dif- férences de composition dans des sucres, où l'on n'en distingue aucune par l'analyse chimique; tous les su- cres de la seconde espèce sur lesquels agissent les alcalis ne sont pas identiques au polarimètre ou au saccharimètre, car les sucres de fruits dévient à gauche le plan de polarisation, tandis que le sucre de fécule et celui de diabète le dévient à droite. Les sucres de la première espèce dévient tous le plan de polarisation à gauche. Toutes ces réactions sont très neltes quand on em- ploie des solutions de sucre dans de l'eau pure; mais lorsqu'on a à agir sur des liquides animaux , il faut préalablement avoir le soin de les débarrasser des matières colorantes et albumineuses. On peut em- ployer différents moyens pour arriver à ce résultat. D'abord on peut traiter la liqueur par un excès d'acétate de plomb et filtrer, puis se débarrasser de l'excès de plomb par l'hydrogène sulfuré, par l'acide sulfurique, par un sulfate soluble, ou enfin par le carbonate de soude. On sépare par une seconde filtration le sulfure de plomb, le sulfate ou le carbonate précipité, puis on soumet la liqueur à l'essai. Si l'on a affaire à du sang ou à quelques liquides très albumineux , il conviendra de les coaguler par la cha- leur. Si le sang est frais, il suffira même d'y ajouter une fois ou deux son poids d'eau acidulée avec un peu d'acide acétique, et de filtrer pour obtenir un liquide limpide et incolore. Mais si le sang est ancien, ou LES SUCRES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. Û5 si, à cause de la petite quantité de sucre dont il est chargé, on ne veut pas y ajouter d'eau, on aura un très bon résultat en ajoutant au sang, comme nous le faisons ici , environ son poids de sulfate de soude cris- tallisé. En faisant bouillir ce mélange, toutes les matières albumineuses sont crispées, et le liquide chargé de sulfate de soude qui se sépare entraîne tout, le sucre. L'excès de sulfate de soude resté dans le liquide ne nuit aucunement aux réactions avec le liquide cupro- potassique ni avec la potasse. Mais j'ai trouvé que le charbon animal est un moyen plus simple pour enlever les matières colorantes et organiques. Voici une urine diabétique, et par consé- quent sucrée, qui a été apportée de la Charité, du service de M. Rayer; nous y ajoutons du sang, de telle sorte que les réactions avec la potasse et le liquide cupro-potassique seraient difficiles à voir et l'épreuve optique impossible. Je fais une bouillie assez épaisse avec le noir animal et cette urine sanguinolente; je jette sur un filtre, et le liquide passe parfaitement lim- pide, entraînant la matière sucrée, qui, comme vous pouvez en juger, présente avec le liquide cupro-potas- sique la réaction caractéristique, très nette, tandis que toute l'albumine, la matière colorante du sang, Pacide urique, etc., ont été retenus complètement sur le filtre avec le charbon animal. Je ne sache pas qu'on ait signalé encore cette action particulière du charbon animal pour précipiter les matières albuminoïdes, mais elle est des plus remar- quables. Ainsi du sang pur peut être complètement Û6 MOYENS DE RECONNAITRE débarrassé de son albumine et de sa matière colo- rante ; du lait peut également être totalement privé de sa caséine et de sa matière grasse par le noir animal; il en est ainsi de beaucoup d'autres liquides animaux. Il faut employer une quantité de charbon eu rap- port avec la quantité de matière animale contenue dans îe liquide que l'on vent purifier. Si, par exemple, on ajoute au sang la moitié ou les deux tiers de son poids d'eau, il suffit d'y ajouter du charbon de manière à obtenir une bouillie épaisse que l'on jette sur le filtre, et le liquide qui passe est incolore et débarrassé de toutes les matières albuminoïdes. Mais si le sang est pur, il faudra non-seulement faire une pâte très épaisse avec le charbon, mais il faudra en outre la battre dans un mortier et y incorporer encore de nouvelles quan- tités de charbon, jusqu'à ce que la masse ait, pour ainsi dire, cessé d'être humide et qu'elle soit redevenue pul- vérulente. Alors, si l'on ajoute de l'eau à ce charbon, toute la matière sucrée est dissoute et passe dans un liquide parfaitement limpide. Les matières fixées parle charbon, telles que l'albu- mine, la matière colorante du sang, la caséine, l'acide urique, etc., paraissaient réellement combinéesavec le charbon et Ion ne peut plus les en séparer parle lavage, même à l'eau tiède. Le sucre, au contraire, qui était dans les liquides animaux, quelle que soit son espèce, n'a été aucunement retenu par le charbon, et il coule avec le liquide qui filtre; on peut même, par des lavages successifs, obtenir toute la quantité du sucre dont le charbon était imprégné, sans craindre, LES SI CH ES ANIMAUX OU VÉGÉTAUX. 47 ainsi que nous venons de le dire, d'entraîner des ma- tières étrangères redissoutes. Je recommande donc le charbon animal comme un moyen très expéditif et indispensable quand on veut essayer quelque liquide animal au réactif cupro-po- tassique. Quand on voudra, par exemple, dans une clinique faire cet essai, il suffira d'ajouter un peu de noir animal à l'urine, on jettera sur un filtre, et l'on recueillera le liquide limpide qu'on essaiera alors au réactif. Si l'on obtient la réduction caractéristique, on sera beaucoup plus certain d'avoir affaire à du sucre de la deuxième espèce, parce que le charbon a aussi la propriété de retenir l'acide urique, la dex- trine, le chloroforme, la cellulose pouvant réduire le réactif cupro-potassique. A l'aide du charbon animal , on peut même extraire le sucre dans des parties ani- males semi-solides ou réduites à l'état de bouillie, ainsi que nous aurons occasion de vous le montrer dans des expériences physiologiques que nous répéte- rons devant vous. Nous aurions encore à nous occuper des caractères de certaines matières très voisines des sucres, telles que l'amidon, la dextrine, la gomme, mais ces substances ne se rencontrent jamais à cet état dans l'organisme; elles pourraient seulement se trouver dans le canal in- testinal, comme intermédiaires de la transformation de l'amidon en glucose. Nous aurons, du reste, à exposer ailleurs les phases de ces transformations, et, à ce pro- pos, nous indiquerons à quels caractères ces substances se reconnaissent. Û8 MOYENS DE RECONNAITRE LES SUCRES ANIMAUX. Tels étaient, messieurs, les principaux moyens que je désirais vous indiquer surla manière de rechercheret de constater le sucre dans les liquides et organes ani- maux avant d entrer dans l'examen de la fonction qui produit cette matière dans l'organisme animal, et dont nous commencerons l'histoire dans la séance prochaine. Dans les expériences très nombreuses que nous répé- terons devant vous, nous aurons souvent occasion de mettre en pratique les procédés que nous ne vous avons indiqués ici que d'une manière abrégée, nous réservant d'ajouter les détails que nous aurions omis ici à propos du cas même auquel ils s'appliquent. TROISIEME LEÇON, 30 DÉCEMBRE 1854. SOMMAIRE : La production du sucre est un phénomène appartenant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux forment de la matière sucrée. — Le foie est chargé de cette fonction glycogénique, qui jusqu'alors était restée inconnue. — Le foie de l'homme et des animaux renferme toujours de fortes proportions de sucre à l'état physiologique. — Observation chez l'homme, expériences sur les ani- maux dans toute l'échelle zoologique. — Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de ce sucre ; son analogie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on rencontre dans le foie est sécrété dans cet organe : il ne vient pas de l'alimentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang a>ant et après le foie chez un Carnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières sucrées, le second en renferme en grande proportion. Messieurs , J'ai à vous prouver aujourd'hui que la production du sucre est un fait commun au règne animal et au règne végétal. J'ai à vous apprendre ensuite quel est, dans les animaux, l'organe qui accomplit cette fonc- tion glycogénique. On avait cru, jusque dans ces derniers temps, que le règne végétal était seul capable de produire du sucre, et que les principes immédiats en général qui se rencontrent dans le règne animal étaient formés exclu- sivement par les végétaux, où les animaux ne faisaient que les puiser pour se les assimiler directement; que les uns produisaient ce que les autres ne faisaient que U 50 ORIGINE DU SUCRE détruire. Sans aucun doute il existe entre le règne vé- gétal et le règne animal une sorte de relation néces- saire, mais cependant, comme la vie est plus élevée chez les animaux, comme les phénomènes y sont plus complexes, il est naturel de penser que ce qui se passe dans le végétal peut avoir lieu dans des êtres présen- tant une vitalité supérieure. Quoi qu'il en soit , quand on trouvait du sucre dans un animal, on croyait que cette matière était constam- ment d'origine végétale et avait été introduite par l'alimentation. On admettait que la quantité de sucre qui existait dans un animal devait varier en raison même de la nature de son alimentation ; que l'on devait en trouver chez les herbivores, qui prennent en abon- dance des matières féculentes aisément transformables en sucre, mais qu'on ne pouvait pas s'attendre à en rencontrer chez les carnassiers, nourris seulement de substances azotées ou graisseuses, qui ne peuvent pas, dans l'intestin, se transformer en sucre par les procédés digestifs connus. L'expérience a démontré qu'il n'en est pas ainsi : le sucre existe normalement dans le sang chez tous les animaux herbivores ou carnivores , et les quantités de sucre qu'on rencontre dans les uns et les autres sont sensiblement égales. Cela tient, messieurs, à ce qu'il y a une fonction qui produit chez tous ces ani- maux de la matière sucrée, indépendamment de 1 es- pèce de nourriture à laquelle ils sont soumis. On a lieu de s'étonner qu'une action organique d'une telle importance et si facile à voir, n'ait pas été dé- DANS L ORGANISME ANIMAL. couverte plus toi. Cela peut tenir à plusieurs causes. D'abord quand on cherche à pénétrer les phénomènes de la vie, on a toujours l'habitude de se tenir à un poiut de vue ou anatomique, ou chimique, ou phy- sique , et l'on ne se place pas assez au point de vue du phénomène vital, qu'il faut cependant surtout consi- dérer, quand on veut faire de la physiologie. Lanatomie, en effet, peut permettre d'expliquer, au moyen de la structure d'un organe, le mécanisme d'une fond ion, mais elle ne saurait en aucune façon la faire découvrir. On a étudié avec le plus grand soin la struc- ture des cellules et des vaisseaux du foie, sans soup- çonner même l'existence de cette fonction glycogé- nique. La chimie elle-même ne dirige pas ses réactifs sur des substances dont elle ignore l'existence. C'est ce qui est arrivé pour le foie, qu'on a analysé bien souvent, sans avoir aperçu cependant qu'il contenait des quan- tités énormes de sucre. Ni lanatomie, ni la chimie ne suffisent donc pour résoudre une question physiologique; il faut surtout l'expérimentation sur les animaux qui, permettant de suivre dans un être vivant le mécanisme d'une fonction, conduit à la découverte de phénomènes quelle seule peut mettre en lumière, et que rien n'aurait pu faire prévoir. Mais il est temps d'aborder les caractères delà fonc- tion qui nous occupe. Il y a dans l'homme et dans tous les animaux un organe qui produit le sucre, c'est le foie; et comme tous les organes qui sécrètent sont imprégnés du pro- 52 PRÉSENCE DU SUCRE duit de leur sécrétion, comme le rein est imprégné d'urine, le testicule de liqueur spermatique, le pan- créas de suc pancréatique, les glandes salivaires de leurs diverses salives, le foie lui-même est imprégné de sucre, et il est le seul organe du corps qui, à l'état normal, présente ce caractère. Pour s'en convaincre, il suffit de prendre le tissu du foie d'un animal quel- conque, récemment tué, de le broyer, de le faire cuire avec un peu d'eau, et de rechercher dans le liquide de la décoction la présence du sucre par les moyens ordinaires. Nous allons faire l'expérience devant vous. Voici un foie de bœuf frais récemment apporté de l'abat- toir, on en prend un morceau, on le broie, après quoi on le fait bouillir avec un peu d'eau ; puis on jette le tout sur un filtre; il passe un liquide opalin légèrement jaunâtre, que l'on décolore parle noir animal et que l'on filtre de nouveau. Le liquide passe alors parfaitement incolore; nous en mettons dans un tube bouché par un bout, nous y ajoutons une quan- tité égale de réactif cupro-potassique, nous chauffons le mélange à la lampe à esprit-de-vin. Vous voyez se former le précipité abondant de protoxyde de cuivre qui est un signe de la présence du sucre de la deuxième espèce; nous faisons bouillir le même liquide avec de la potasse caustique , et nous avons une coloration jaune brune. Mais nous avons dit que ces réactions n'entraînent pas avec elles une certitude aussi absolue que la fer- mentation alcoolique. Pour achever de vous co-n- DANS LE TOIE. 53 vaincre aue celte réaction est bien due à delà matière sucrée, nous plaçons une autre portion de cette même décoction de foie dans le petit appareil à fermentation que je vous ai décrit dans la dernière séance, nous l'exposons, à une chaleur de 4° degrés environ , et vous allez voir dans quelques instants la fermentation s'opérer. On devrait employer dans ces expériences de la levure de bière lavée , afin de la débarrasser des traces de sucre et de fécule qu'elle pourrait contenir. La levure que l'on achète chez les boulangers contient toujours de la fécule, ce qui n'a pas d'inconvénients quand cette levure est fraîche , mais au bout de quelques jours, si la fécule se changeait en sucre, il pourrait peut-être se développer une fermentation. Pour éviter toutes chances d'erreurs, nous faisons une expérience comparative en ajoutant de la même levure de bière avec de l'eau pure, dans un autre tube sem- blable que nous plaçons dans les mêmes conditions de température que le premier. En attendant que cette expérience soit achevée, on va faire bouillir et traiter par le réactif cupro-potas- sique les décoctions de la rate, du rein, du pancréas, du poumon , des muscles, du cerveau , tous organes provenant du Bœuf, c'est-à-dire du même animal dont nous avons trouvé le foie très sucré. Vous voyez qu'au- cun de ces tissus ne présente les réactions caractéris- tiques que nous avons obtenues avec le parenchyme hépatique, c'est-à-dire que leur décoction ne donne lieu ni à la fermentation avec la levure de bière , ni à la 5à SUCHE DANS LE FOIE. coloration par la potasse, ni à la réduction du li- quide cupro-potassique. Or, si ce dernier caractère , ainsi que nous l'avons dit , n'a pas une valeur absolue pour indiquer la présence du sucre, en revanche il fournit un caractère négatif excessivement certain, c'est-à-dire que l'absence de réduction du réactif prouve absolument l'absence de matière sucrée. Nous pouvons donc conclure hardiment qu'aucun organe du corps, si ce n'est le foie, ne renferme du sucre à l'état physiologique. Vous pouvez voir maintenant ce que je vous an- nonçais tout à l'heure : parmi tous les liquides que nous avons mis avec de la levure depuis trente mi- nutes environ, celui qui résulte de la décoction du foie est le seul où la fermentation se soit produite, et déjà le tube est rempli en grande partie par un gaz qui est de l'acide carbonique, ainsi que nous allons vous le démontrer. Pour cela nous débouchons ce tube sous le mercure, et nous y introduisons un petit frag- ment dépotasse; en l'agitant, vous voyez peu à peu le mercure mouler et le gaz disparaître , parce que l'acide carbonique est absorbé par la potasse. On distille ensuite environ le tiers du liquide qui a fermenté, on y ajoute un peu de chaux, on place le mélange dans un tube que l'on chauffe à la lampe; au moment de l'ébullition , en tenant une allumette en- flammée à l'orifice du tube , on aperçoit une petite flamme bleuâtre qui descend dans le tube et est due à la combustion d'une faible quantité d'alcool. Quand la fermentation est complètement terminée, on peut se SON DOSAGE. 55 servir du réactif au chromate de potasse, d'après la manière que nous avons indiquée dans la deuxième leçon. •> * ■ -*...■ Nous n'avons fait l'expérience que sui' un petit frag- ment dû foie; si tfolis avions opéré sur le foie entier, nous eussions obtenu des quantités assez considérables d'alcool. Voici dans ce flacon, environ 3 grammes d'alcool résultant de la fermentation d'un foie de bceuf. Il a été distillé sur la cbaux, et il est concentré de ma* nière à brûler comme vous le voyez ; mais il a tou- jours conservé une odeur animale particulière. Maintenant, si nous voulions savoir combien il y a de sucre dans ce foie de bœuf, il faudrait le doser. Pour cela, nous allons employer devant vous le pro- cédé indiqué par M. Barreswil, qui consiste à calculer la quantité de sucre d'après la réduction et la déco- loration d'une quantité déterminée d'un réactif cupro- potassique titré. Nous avons fait écrire sur le tableau la composition de quelques-uns de ces réactifs ainsi que la quantité de sucre à laquelle ils correspondent. Réactif de M. Barreswil: Crème de tartre 50 grammes. • Carbonate de soude ...... UO — Sulfate de cuivre ........ 30 — Potasse à la chaux 40 — Eau, quantité suffisante pour que le tout fasse un litre. îoo centimètres cubes de ce réactif sont exactement décolorés par î gramme de glucose. 56 DOSAGE DU SLCKE Réactif de Fehling : Sulfate de cuivre. . . . 40 grammes. Solution concentrée de tartrate de potasse. 160 — Lessive de soude ayant un poids spéci- fique = 1,12 560 — Eau , quantité suffisante pour que le total fasse exactement un litre à 15° -j- 0. io centimètres cubes de cette liqueur sont préci- pités complètement par 1 1 ,5 centimètres cubes d'une dissolution contenant 5 pour îoo de glucose. Nous employons ici un liquide dont la richesse est un peu différente. Voici sa composition : Bicarbonate de potasse (crème de lartre). 150 grammes. Carbonate de soude cristallisé 150 — Potasse à la chaux . 100 — Sulfate de cuivre 50 — Eau, quantité suffisante pour que le tout fasse un litre. io centimètres cubes de ce réactif sont décolorés par o,o5 de sucre de diabète. Voici le sucre qui a été ex- trait des urines de diabète et qui nous a servi à titrer notre réactif. Il est blanc et très pur; nous le devons à l'obligeance de M. Quevenne, pharmacien en chef de l'hôpital de la Charité. L'exemple que nous mettons sous vos yeux vous fera comprendre mieux que toutes les descriptions la manière dont on s'y prend pour doser le sucre dans le foie. Nous avons là un foie de bœuf dont le poids total est de 5kil-,3oo; on a pesé 20 grammes de son tissu frais, qui ont été broyés dans un mortier, et Ton a fait une décoc* DANS LE FOIE. 57 tion qui a été jetée dans uue éprouvette graduée, eu y ajoutant l'eau qui avait servi à laver à diverses re- prises les vases, pour ne rien perdre. Après le refroidis- sement, nous lisons actuellement sur l éprouvette le nombre de centimètres cubes que présente son con- tenu : ce nombre est de 169 centimètres cubes, repré- sentant le volume du tissu du foie et du liquide qui l'accompagne. Alors nous jetons le tout sur un filtre, et recueillons, pour le doser, le liquide qui passe lé- gèrement opalin. Mais dans les 169 centimètres cubes de liquide, il faut tenir compte du volume du tissu du foie mêlé au liquide : c'est pourquoi nous ramas- serons avec soin, et sans en perdre, le tissu hépa- tique resté sur le filtre, nous le ferons sécher dans une étuve à 100 degrés, et, après la dessiccation complète, nous en évaluerons le volume en le jetant dans leau mesurée d'un vase gradué. Un grand nombre d'expé- riences faites à ce sujet nous ont appris que nous trou- verions que ce tissu provenant de 20 grammes de foie frais déplace 4 centimètres cubes d'eau. Il faut donc soustraire 4 centimètres cubes des 169 centimètres cubes que nous avions tout à l'heure, ce qui réduit à i65 centimètres cubes la quantité réelle de liquide sucré pour qo grammes de tissu frais du foie. Afin de reconnaître la richesse en sucre de cette décoction hépatique, nous mesurons très exactement 1 o centimètres cubes de notre réactif cupro-potassique, préalablement titré à o^r-,o5 pour 10 centimètres cubes (ou 5 grammes pour 1 00), c'est-à-dire que pour réduire et décolorer 10 centimètres cubes du réactif, il faut 58 DOSAGE DU SUCRE une quantité de liquide renfermant o£r-,o5 de sucre. Les 10 centimètres cubes du réactif titré, que nous avons étendus à volume égal, à peu près, avec une dissolution récente de potasse à la chaux, pour rendre la précipitation de l'oxyde cuivrique plus facile, sont placés dans un petit ballon, sur un feu doux, et lorsque 1 ebullitiou commence à se manifester, nous y ajoutons directement, ainsi que vous le voyez, avec précaution et vers la fin, goutte à goutte, avec une burette graduée, la décoction du foie. Nous agitons le liquide à mesure, en allant lentement, pour laisser la précipitation s'opé- rer, en regardant avec soin pour ne pas dépasser les limites de la décoloration du liquide cupro-potas- sique. Or, dans cette expérience, il nous faut q3 centi- mètres cubes de la décoction du foie, pour réduire et décolorer complètement les 10 centimètres cubes du liquide titré. Pour calculer maintenant le dosage du sucre dans le foie, nous avons donc les éléments suivants : 1° Poids du foie. 5ki*,300 2° Liquide total de décoction . . « . 165 cent. cub. 3° Quantité de tissu de foie analysé. 20 gr. U° Quantité de liquide de décoction hépatique employée pour réduire et décolorer 10 cent, cubes du réactif. 23 cent. cub. 5° Quantité de sucre qui, d'après le titre du réactif, correspond à la décoloration de 10 cent. cub. . 0si-,05 Pour savoir combien il y a de sucre dans les DANS LE FOIE. 59 1 65 centime 1res cubes de décoction hépatique, nous avons la proportion suivante : 165 X 0 05 23 cent. cub. : 165 cent. cub. :: 0gr,05 : x = — ^ 0§r,358. Ainsi les i65 centimètres cubes de la décoction sucrée provenant clés qo grammes de foie analysés, contiennent donc o^r-,358 de sucre. Si nous voulons avoir la quantité de sucre pour îôo grammes de tissu du foie, nous ferons la pro- portion : 0 358 X 100 20 gr. : 0g',358 :: 100 gr. : x = - = ls-,790. A U Ainsi, 100 grammes de tissu du foie frais contien- nent isr-,7go de sueiv. Enfin la quantité de sucre pour la totalité du foie résulte de la proportion suivante: 5300 X 1,790 100 gr. : 5300 gr. :: 18', 790 : x === —— = 41ë',870. & ' 100 Le foie entier contieut donc l\\^-fi^jo de sucre. Il importe surtout, pour ces dosages, d'avoir un réactif cupro -potassique récemment préparé et exac- tement titré. Il faut en outre faire l'opération assez vite, et s'arrêter aussitôt que la décoloration complète du réactif est obtenue, sans attendre davantage. En effet, si l'on continue à faire bouillir le liquide cupro- potassique, ou si on le laisse se refroidir, on le voit au bout de quelques instants reprendre une teinte bleue qui va en augmentant avec le temps. Quand on en est prévenu, cette particularité, due à la réoxyda- tion d'un peu de protoxyde de cuivre dissous sans 60 PRÉSENCE DU SUCRE doute à la faveur de l'acide tartricjue, ne peut pas nuire à l'exactitude de l'analyse, pourvu que l'on arrête l'expérience juste au moment où la décoloration est obtenue. Nous pourrions vous parler d'autres moyens de dosage, mais j'aime mieux y revenir plus tard, si nous le trouvons nécessaire. Je me hâte de poursuivre la partie vraiment physiologique de notre sujet. La présence du sucre dans le foie, à l'exclusion des autres organes du corps, ainsi que nous venons de vous le démontrer chez le Bœuf, est un fait général dans la série animale, que nous avons constaté depuis l'homme jusqu'aux invertébrés. Nous allons vous rap- porter quelques-uns des résultais que nous avons ob- tenus à ce sujet, vous renvoyant pour le détail des expériences au Mémoire que nous avons publié (i). Les expériences faites chez l'homme, pour corres- pondre physiolo^iquement à celles faites sur les ani- maux, devaient être instituées sur des individus sur- pris par la mort en état de santé. Nous avons fait cinq observations sur des suppliciés. Sur ces cinq observations, deux ont eu lien dans la période digestive, et les quatre autres chez des indi- vidus à jeun depuis la veille; néanmoins tous les foies contenaient du sucre. Le tableau suivant donne les résultats des recher- ches que nous avons faites pendant les années i85o et 1 85 1 , à l'Ecole pratique, sur des cadavres de sup- (1) Nouvelle fonction du foie considéré comme organe producteur de matière sucrée chez l'homme et les animaux. Paris, 1853. DANS LE FOIE DE L'jIOMME. 61 pliciés, grâce à l'obligeance de M. le docteur Gosselin, alors chef des travaux anatomiques. DATE POIDS QUANTITÉ DE SUCRE QUANTITÉ DE SUCRE AGE. ALIMENTATION. POUR POUR LA de l'observation. DU FOIE. IOO GR. DE FOIE FRAIS. TOTALITE DU FOIE. 6r- gr. P»- 1.— 22 mai 1850. 43 A jeun. 1,300 1,79 23,27 ( Aymé.;) 2.— 1"fév.185l. 45 A jeun. 1,330 Présence du su- Non dosé. (Bixner). cre const. mais non dosé. ■ A jeun. 1,173 Non dosé. On en retire de (Lafourcade.) l'alcool par fer- mentation 4.- 1831 .... 22 Alimentation 1,200 2,142 23,704. (Vioa.) mixte. S. — 1851 » Alimentation 1,1 7 3 On en retire de (Courtin.) mixte. l'alcool par la fermentation. Une sixième observation a été faite sur le foie d'un homme de trente ans, mort subitement d'un coup de fusil. Cet individu, au moment où il fut tué, était assis à boire chez un marchand de vin. A l'autopsie, qui fut faite judiciairement deux jours après par M. Ain- broise Tardieu, on ne trouva dans l'estomac que du vin avec très peu d aliments. Le foie était dans un état de putréfaction commençante; cependant il contenait encore du sucre dans les parties les moins altérées ; il pesait ikil-,575. La quantité de sucre pour îoo de tissu du foie choisi dans les portions les plus saines était igr,to; le sucre calculé pour la totalité du foie 17^,10. Il est bien entendu que dans toutes les expériences précédentes sur les hommes, on a fait les mêmes épreuves sur les autres organes, et qu'aucun tissu que celui du foie ne renfermait de sucre, ni qu'aucun li- 62 rnrsENCE du sucke quicle contenu dans les réservoirs ordinaires, ni l'urine, ni le sperme, ni la bile extraite delà vésicule aussitôt après la mort ne renfermait de matière sucrée. J'ai poursuivi cette présence du sucre dans le foie, dans la série animale, et j'ai pris, autant qu'il m'a été possible, des exemples dans chaque ordre. Il vous suffira pour juger de la généralité de la fonction glycogénique dans le règne animal, de jeter les yeux sur la liste suivante, que j'ai fait écrire sur le tableau. Le sucre a été constaté dans le foie. Parmi les Mammifères : 1° Dans les Quadrumanes : sur un Singe cynocéphale (grand Papion). T Dans les Carnassiers : sur le Chien, le Chat, le Hérisson, la Taupe, la Chauve-souris. 2° Dans les Rongeurs : sur l'Écureuil, le Cobaye, le Lapin, le Lièvre, le Surmulot. ka Dans les Ruminants : sur la Chèvre, le Mouton, le Porc. 5° Dans le Pachydermes : sur le Cheval, le Porc. Parmi les Oiseaux : 1° Dans les Rapaces : sur la Crécerelle, la Chouette, l'Effraie. 2° Dans les Passereaux : sur le Moineau, l'Hirondelle de cheminée, le Freux, l'Alouette des champs. 3° Dans les Gallinacés : sur le Pigeon domestique, le Coq, le Dindon, la Perdrix. l\° Dans les Èchassiers : chez la Bécassine. 5° Dans les Palmipèdes : chez le Canard, l'Oie, le Goéland à manteau noir, la Mouette à pieds bleus. Parmi les Reptiles: 1° Dans les Chéloniens : chez la Tortue terrestre et la Tortue aqua- tique. 2° Dans les Sauriens : chez le Lézard gris des murailles et chez le Lézard vert. DAIVS LE FOIK DFS AMMAUX. 63 3° Dans les Ophidiens: sur la Couleuvre à collier, chez la Vipère commune et sur l'Orvet. U° Dans les Batraciens : sur la Grenouille verte grise, chez le Crapaud brun et sur la Salamandre aquatique. Parmi les Poissons osseux : 1° Dans les Acanthoptérygiens : sur le Bar commun et chez le Thon commun. 2° Dans les Malacoptérygiens abdominaux : chez le Gardon, l'Ablette, la Carpe, le Chevaine ou Meunier, le Barbeau, la Truite commune. 3° Dans les Malacoptéygiens subbranchiens : sur la Morue, le Turbot. h6 Dans les Malacoptérygiens apodes, sur l'Anguille, le Congre. Parmi les Poissons cartilagineux : 1° Dans les Sturioniens : sur les Esturgeons ordinaires. 2° Dans les Sélaciens : sur la Roussette ou Chien de mer, et la Raie bouclée. Parmi les Mollusques gastéropodes : Sur laLimnée des étangs, le grand Escargot, la Limace rouge et la Limace des caves. Parmi les Mollusques acéphales lamellibranches : Chez l'Huître vulgaire, la Moule commune, l'Anodonte des cygnes, la Moule des peintres. Chez les Articulés, J'ai pu seulement démontrer la présence du sucre dans le foie de quelques Crustacés décapodes, tels que l'Ecrevisse commune, le Homard. Nous avons toujours constaté la présence du sucre par les caractères que nous avons indiqués, la réduc- tion dn réactif cupro-potassique et la fermentation alcoolique. Ainsi voici des tubes contenant de l'alcool prove- nant du foie de certains de ces animaux. Nous avons C4 NATURE DU SUCRE dans ce tube de l'alcool provenant d'un foie d'homme; dans cet autre tube , de lalcool extrait d'un foie de chien nourri pendant huit mois à la viande. Dans ce quatrième tube nous avons de l'alcool qui résulte de la fermentation du sucre contenu dans des foies de Ca- nard. Enfin, nous avons encore ici de l'alcool prove- nant d'un foie de poisson, d'un énorme Bar. Malgré que ces alcools aient été distillés sur de la chaux ou sur de la potasse, ils ont généralement une odeur animale sui generis. L'alcool de poisson a surtout une odeur fort désagréable. Il résulte donc de tout ce qui précède que la pré- sence du sucre dans le foie est un fait général existant dans toute la série animale, et que la fonction qui produit cette substance appartient à toutes les espèces, quelle que soit leur place dans la série. La proportion du sucre dans le foie à l'état physio- logique varie peu; elle ne dépasse généralement pas 4 grammes pour îoodu tissu du foie frais. La moyenne serait encore 1 gramme 1/2 à q grammes pour 100, cbez les mammifères et chez les oiseaux. Dans la classe des Reptiles et des Poissons, la pro- portion est un peu moindre, de même que chez les Mollusques. Maintenant, messieurs, nous arrivons à nous de- mander quelle est la nature du sucre contenu dans le foie de l'homme et des animaux. D'après lei réactions que nous avons mises en usage pour déceler la matière sucrée contenue dans le foie, vous avez pu voir que ce sucre ayant les propriétés de brunir sous l'influence QUI EST DANS LE FOIE. 65 de la potasse, cîe réduire le tartrate cupro-potassi- que, de fermenter sous l'influence de la levure de bière devait appartenir aux sucres de la seconde espèce, et était analogue au sucre de diabète. L'examen au polarisateur établit de même cette similitude en ce que le sucre du foie dévie à droite le rayon lumineux comme le sucre de diabète. Voici comment cette der- nière expérience a été faite. Un foie de bœuf récemment apporté de l'abattoir fut coupé en morceaux très minces. On exprima en- suite dans un petit sac de crin, le tissu du foie préalable- ment chauffé à feu nu dans un vase, pour en contracter légèrement la surface extérieure, ce qui facilite beau- coup l'expression du tissu. On obtint de-cette façon un jus hépatique rougeâtre sanguinolent qui était sucré autant que possible, puisqu'on n'y avait pas ajouté d'eau. On fit ensuite coaguler au bain-marie toutes les matières albumineuses, et l'on filtra. Le liquide qui résulta de ces opérations était brun jaunâtre, opalin et comme laiteux. Il était impossible, dans cet état, de le soumettre à l'appareil de polarisation. C'est pourquoi il fallut le décolorer et le clarifier, en y ajoutant une quantité suffisante de noir animal neutre, bien lavé et en portant le mélange à l'ébullition au bain-marie pendant quelques instants; parla filtration, on eut alors un liquide incolore et parfaitement limpide. Quelquefois cependant, il existe dans le foie une sorte de matière opalescente, qui ne peut pas être complètement enlevée par le charbon animal. ïl faut 5 66 NATURE DU SUCRK alors traiter le liquide par quelques gouttes de sous- acétate de plomb; après quoi on filtre et l'on sépare l'excès de plomb par l'hydrogène sulfuré. C'est dans cette dernière partie de l'opération que l'hydrogène sulfuré, en formant le sulfure de plomb , entraîne complètement la matière opaline, et permet d'ob- tenir, après une dernière filtration,un liquide hépati- que parfaitement transparent et incolore, très propre a permettre alors l'examen de ses caractères optiques. Mais j'ai reconnu, depuis ces premières recherches, qu'on pouvait, dans tous les cas, se passer de sous-acé- tate de plomb. Le charbon animal suffit toujours ; seulement il faut l'ajouter en très grande propor- tion. C'est avec des liqueurs préparées de cette façon que M. Biot a bien voulu constater au moyen de son appareil- la présence du principe sucré dans le foie, et sa propriété de dévier à droite la lumière pola- risée. Parmi plusieurs expériences qui ont été faites, je ne vous en citerai qu'une qui offre un intérêt tout par- ticulier,parce qu'elle a été suivie d'une contre-épreuve qui démontre que dans le liquide hépatique, ainsi que nous l'avions préparé, il n'existait pas de substances capables d'induire en erreur, relativement à la pré- sence ou à la quantité de sucre. Dans cette expérience , le charbon animai seul avait suffi pour clarifier complètement le liquide hépatique qui, à l'examen optique, offrit les résultats suivants : QUI EST DANS LE FOIE. b7 Le liquide observé dans un tube de. . . 515mm,35 a donné une rotation très manifeste à droite se mesurant par une déviation de». ; ». 9°,5 ce qui, évalué approximativement, représente ...... 52§r,316 de sucre par litre de liquide , en supposant le sucre iden- tique avec celui de diabète. Après ce premier examen, on ajouta de la levure de bière au liquide hépatique, et on le plaça à une tem- pérature convenable pour opérer la fermentation. Le lendemain elle était achevée, et le liquide filtré fut soumis de nouveau à l'appareil de polarisation dans un tube de 5o8mm,85. Cette fois il ne manifesta plus aucune trace de pouvoir rotatoire qui fût sensible, même à la plaque à deux rotations. Nous devons donc nécessairement conclure de cette dernière partie de l'expérience que la déviation de + 90, 5, qui avait été trouvée dans le premier examen du liquide, était due tout entière à la présence du sucre, puisque, après avoir fait disparaître le sucre par la fermentation, la déviation a été complètement nulle. Cette contre-épreuve ajoute, ainsi que vous le voyez, une grande rigueur à l'expérience, parce que sans cela on aurait pu objecter que certains principes organiques provenant de la bile pouvaient se trouver là et intervenir pour une part quelconque dans les phénomènes de rotation observés. Cette objection n est plus possible. Tel est l'examen que nous avons fait il y a deux ans ; mais nous avons aujourd'hui obtenu à froid avec le charbon animal et la pulpe du foie frais un liquide sucré bien clair. On a pour cela gratté avec un couteau le 68 ORIGINE DU SUCRE tissu du foie de façon à en obtenir une pulpe demi-fluide et très divisée, puis ensuite on a broyé cette pulpe avec une grande quantité de charbon animal, de manière que toute rhumidité fût absorbée et que le mélange fût redevenu pulvérulent, comme vous le voyez ici. C'est alors qu'on a ajouté de l'eau au mélange pour dis- soudre le sucre. On a jeté sur un filtre et l'on a re- cueilli le liquide filtré parfaitement transparent , in- colore et sucré. On a mélangé ce liquide de première filtration avec une autre portion du mélange de char- bon et de foie de façon à charger de nouveau la pre- mière dissolution d'une nouvelle quantité de sucre, et ainsi de suite, on a répété jusqu'à quatre fois l'opéra- tion pour avoir une liqueur toujours de plus en plus chargée de sucre. On a eu un liquide très clair et in- colore qui a pu facilement être soumis au polarimètre. Nous avons obtenu toujours le même résultat, c'est-à- dire déviation de la lumière polarisée à droite. Ainsi, de tout cela, il résulte clairement que le sucre qui existe dans le foie est de la même nature que celui que les diabétiques rendent dans leurs urines. Mais ce n'est pas assez, messieurs, de vous avoir montré qu'il y a du sucre dans le foie et qu'il est analogue au sucre de diabète; je n'ai encore résolu qu'un des points de la question. Il faut examiner maintenant d'où vient ce sucre. Bien que les obser- vations que je vous ai citées, dans lesquelles on a rencontré le sucre chez des carnassiers en même pro- portion que chez les herbivores, soient déjà une preuve que le sucre se forme là où on le trouve, je veux vous QUI EST DANS LE FOIE. 69 démontrer maintenant par des expériences directe- ment appropriées à ce but, que le sucre ne provient pas de l'alimentation. C'est donc la question d'origine que nous devons nécessairement nous poser et résoudre devant vous, parce que le sucre étant une substance qui entre dans l'alimentation des animaux, on est obligé de se demander si c'est là la source unique du sucre que l'on rencontre dans l'économie. Nous avons donc à démontrer que, indépendamment des substances sucrées ou féculentes fournies parlali mentation, il y a du sucre qui se produit dans l'indi- vidu vivant. Le moyen le plus simple qui se présente à l'esprit, c'est de supprimer les féculents et les matières sucrées dans l'alimentation, et de voir si néanmoins le sucre persiste dans l'économie. Nous avons fait ces expé- riences sur un grand nombre d'animaux ; nous avons choisi des Chiens, et on les a nourris, au Collège de France, exclusivement avec de la viande, pendant six et même huit mois; au bout de ce temps, les animaux ont été sacrifiés, et l'on a trouvé dans leur foie i§r-,go pour ioo? c est-à-dire au moins la même propor- tion que sur des Chiens nourris par l'alimentation mixte. Des Oiseaux de proie, des Chouettes, prises dans leurs nids et nourries exclusivement avec du cœur de bœuf cru pendant trois mois, ont été tuées, et leur foie contenait toujours, seul entre tous les autres tissus du corps, du sucre en quantité normale (i§r-,5o pour 100). Ces expériences prouvent donc que le sucre persiste, 70 FORMATION DU SUCRE malgré l'impossibilité d'introduction de matières fécu- lentes ou sucrées. Il serait absurde de supposer que le sucre ait pu provenir d'une alimentation antérieure, et se localiser dans le foie. D'ailleurs, nous verrons plus loin que le sucre se détruit très rapidement, et qu'au bout de vingt-quatre heures, par exemple, si l'on arrête sa production, il n'en reste plus de traces. Gomment faire une pareille supposition chez les Oiseaux de proie nourris pendant toute leur vie de matières exclusive- vemciit musculaires? Mais la principale démonstration se tire de l'examen du sang avant et après le foie. Un animal qui ne mange ni sucre ni fécule n'en a pas dans le sang de la veine porte venant des intestins, tandis qu'on en trouve des quantités considérables dans le sang qui sort du foie. Cette expérience est trop importante pour que nous ne la répétions pas devant vous. Vous aurez ainsi la preuve expérimentale d'un point qu'il faut fixer d'abord dans Votre esprit avant d'aller plus loin. Voici unGhien que nous avons laissé à jeun pendant trente-six heures, et auquel on a fait prendre, il y a trois heures environ, un repas copieux, composé exclusivement de tête de mouton cuite. L'animal est maintenant en pleine digestion. C'est à cette époque et dans ces conditions qu'il faut le prendre, parce qu'au delà de ce temps, l'expérience réussirait moins bien, par des raisons que nous expliquerons plus tard. Je vais le sacrifier par la section du bulbe rachidien, qui est un procédé plus expéditif et plus expérimentai DANS LE FOIE. 71 que la strangulation ou l'assonimement. Le procédé est extrêmement rapide. De la main gauche, je saisis fortement le nez de l'animal, et je fléchis le museau en has, de manière à le rapprocher du cou, afin de faire saillir la bosse occipitale externe par cette flexion de la tête, et rendre aussi grand que pos- sible lecartement occipito-atloïdien. Alors, avec l'indicateur de la main droite, armée d'un perforateur aplati (fig. 2), je sens la bosse occipitale externe, et, à 1 ou 2 cen- timètres en arrière , je plonge l'instrument acéré, rapidement et obliquement en avant, suivant une ligne dirigée vers le nez de ranimai. Je pénètre ainsi d'emblée dans le crâne, en traversant les parties molles de la nuque, et en passant entre l'occipital et l'atlas. Je fais, avec la pointe de l'instru- ment, un mouvement à droite et à gauche pour dilacérerle bulbe rachidien, et rani- mai est mort. La vie a donc été surprise et arrêtée dans un état pleinement normal. Je pratique alors une incision au-dessous du rebord des fausses côtes, à droite de l'appendice xiphoïde. Par cette incision étroite, pénétrant dans l'abdomen, j'in- troduis le doigt de la main gauche, et, en suivant la face intérieure du foie jusqu'au niveau de l'hiatus de Winslow, pour saisir le paquet des vaisseaux et nerfs biliaires entre le foie et le duo- Fig. 2. 7*2 l-OUMATIOrs DU SLCUE dénum. Dans ce paquet se trouve la veine porte, SUCKK nerveux , que les éléments de ce sang éprouvent des métamorphoses en vertu desquelles ils servent, d'une part, à la production du sucre qui est emporté par les veines hépatiques, et d'autre part à la forma- tion de la bile qui est excrétée par les voies biliaires. Le système afférent est donc formé par la veine porte, et le système efférent par les veines sus-hépa- tiques. Il y a en outre des vaisseaux lymphatiques et l'artère hépatique, mais celle-ci est considérée comme n'ayant aucune influence sur les fonctions de l'organe, parce que la sécrétion de la bile n'éprouve, par suite de la ligature, que très peu de modifications : nous verrons plus tard s'il en est de même pour le sucre. Toutefois l'artère hépatique contribue à la nutrition propre du foie. 11 faut maintenant, pour comprendre la fonction que nous voulons étudier, c'est-à-dire la formation du sucre qui a lieu aux dépens des éléments du sang qui entre dans le foie, que nous nous fassions une idée claire de l'arrangement anatomique des éléments du tissu hépatique et de la manière dont ils peuvent agir pour donner lieu à une matière sucrée. Vous verrez bientôt, messieurs, que cette fonction en vertu de laquelle le sang se modifie dans le foie, constitue une véritable sécrétion, analogue à toutes les autres sécrétions de l'économie, à celle de la bile, par exemple, de sorte qu'il résulte de là que le foie n'est pas un organe simple, mais un organe à fonctions multiples, puisqu'il sécrète d'une part du sucre, de l'autre de la bile. DANS LIS FOUï. 89 On ne connaissait jusqu à présent que cette dernière sécrétion. Mais il paraissait étrange qu'un organe si vo- lumineux, qui apparaît de si bonne heure dans le fœ- tus, qui semble si indispensable à la vie de l'animal, puisqu'on le rencontre depuis les invertébrés jusqu'à l'homme, n'eût d'autre fonction que de sécréter une petite quantité de liquide biliaire évidemment peu en rapport avec son volume. Et encore certains phy- siologistes refusaient-ils à ce liquide toute partici- pation efficace clans lacté de la digestion, si bien que la glande la plus volumineuse de l'économie, et certai- nement l'une des plus constantes dans toute la série animale, se trouvait réduite à un rôle presque nul. Il n'y a plus de cloute aujourd'hui, depuis que nous l'avons établi, que l'on ignorait une des plus impor- tantes fonctions du foie, celle par laquelle il concourt d'une manière puissante à la vie de nutrition au moyen de la production du sucre. Actuellement, messieurs, il s'agit pour nous, s'il est possible, d'étudier séparément ces deux sécrétions, de voir si chacune d'elles se localise ou non dans des éléments anatomiques distincts, et de chercher par l'observation expérimentale aussi bien que par l'ana- tomie comparée, à éclaircir ce point difficile de l'or- ganisme vivant. On s'est fait pendant longtemps une très fausse idée de ce qu'est un organe sécréteur. On pensait que toute sécrétion devait être versée sur une surface interne ou externe, et que tout organe sécrétoire devait néces- sairement être pourvu d'un conduit excréteur des- 90 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE tiné à porter au dehors les produits de la sécrétion. L'histoire du foie établit maintenant d'une manière très nette qu'il y a des sécrétions internes, c'est-à-dire des sécrétions dont le produit, au lieu d'être déversé à l'extérieur, est transmis directement dans le sang. En effet, dans l'état physiologique, ou ne trouve jamais le sucre hépatique en dehors du système circulatoire. Quant à la bile, elle n'eu présente jamais les moindres traces. Voici donc une glande qui donne naissance à deux produits : le sucre qui entre dans le sang, et la bile qui est rejetée au dehors. Quelle relation y a~t-il entre ces deux sécrétions! Sont-ce deux phénomènes conco- mitants, en rapport l'un avec l'autre, ou n'ont-ils en- semble aucune liaison? Peut-on admettre, par exem- ple, que les matières albuminoïdes du sang, en arri- vant au contact des cellules hépatiques, se dédoublent en deux produits, l'un hvdrocarboné qui serait le sucre, l'antre azoté qui serait la bile? S'il en était ainsi, ces deux productions devraient se faire simul- tanément, mais l'expérience semblerait indiquer que le sucre ne se forme pas au même moment que la bile et qu'il y a, en quelque sorte, alternance entre ces deux formations, de telle façon que lune semble s'ar- rêter au moment de la plus grande intensité de l'autre. Et d'abord, quand on veut suivre sur un animal le phénomène de la sécrétion biliaire, il faut pratiquer une fistule comme nous allons faire sur le Chien que vous voyez ici, et pour cela on opère de la manière suivante : DAlNS le foie. 91 L'animal , à jeun depuis vingt-quatre heures, est placé sur le dos : nous faisons une incision de 7 à 8 cen- timètres sur le côté droit de l'appendice xiphoïde, sur le bord interne du muscle droit, et nous divisons suc- cessivement la peau et les muscles, et nous arrivons dans la cavité du péritoine. Nous plongeons le doigt indicateur de la main gauche clans la plaie, et nous allons à la face inférieure du foie accrocher avec le doigt recourbé Pextréulité supérieure du duodénum, que nous amenons dans la plaie ; maintenant sur la face droite de l'intestin, entre cet organe et le pan- créas, nous cherchons le conduit cholédoque qui est contenu dans un paquet commun avec la veine porte, Tarière et les nerfs hépatiques. Nous apercevons le canal cholédoque superficiellement placé dans le point où il vient s'insérer obliquement dans l'intestin, à 3 centimètres environ au-dessous du pylore ; nous reconnaissons ce conduit à son aspect nacré. Nous l'isolons en passant au-dessous de lui une sonde can- nelée sur une longueur de t centimètre à i centi- mètre 1/2, puis nous plaçons autour de lui deux liga- tures, l'une sur le conduit au moment où il pénètre dans la paroi de l'intestin, l'autre aussi haut que pos- sible du côté du foie, et nous réséquons toute la partie du conduit comprise entre ces deux fils. Cette dernière ligature, placée du côté du foie, a pour but d'empêcher l'écoulement ultérieur de la bile; l'autre, celle du côté de l'intestin, pourrait paraître sans utilité : cependant elle sert à empêcher l'écoulement du sang qui résulterait de la division d'une petite ar- 92 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE térioie qui accompagne ordinairement ce conduit. Ce premier temps étant achevé, nous abandonnons l'intestin, qui revient à sa position naturelle, et nous coupons les fils des ligatures ; puis, avec l'index de la main gauche introduit de nouveau dans la plaie, nous allons chercher la vésicule distendue par la bile, et quand nous sentons sa fluctuation particulière, nous la saisissons par son fond avec une pince à pansement introduite avec la main droite, et nous l'attirons vers la plaie. Nous introduisons dans son fond un trocart présentant à l'extrémité de sa canule des rainures trans- versales,sur lequel nous fixons une forte ligature portée au-dessous des mors de la pince à pansement qui maintiennent toujours la vésicule attirée vers la plaie. Maintenant nous tirons le mandrin du trocart, et uous évacuons au dehors la bile contenue dans la vésicule: nous recousons la plaie en réunissant d'abord les mus- cles, et ensuite la peau, en assujettissant la canule du trocart dans l'angle supérieur de la plaie. Nous atti- rons en même temps la vésicule du fiel vers les parois de l'abdomen; un aide la maintient dans cette position en nouant sur un petit morceau de bois les fils qui ont servi à fixer la vésicule sur la canule du trocart, et cela afin qu'il se forme des adhérences entre les parois de l'abdomen et la vésicule. Maintenant l'expérience est terminée. Au bout de trois ou quatre jours, les adhérences seront établies, les fils tomberont, et nous aurons une fistule permanente. L'animal survit en général à cette opération. On DANS LE FOIE. 93 comprend maintenant que la bile ne peut plus être versée dans l'intestin et qu'elle s'échappera de la vési- cule au fur et à mesure quelle se produira. La vési- cule, n'étant plus alors distendue par l'accumulation de la sécrétion biliaire dans l'intervalle des digestions, revient peu à peu sur elle-même ; elle se transforme eu une espèce de canal excréteur qui s'ouvre au dehors par la plaie que l'on a pratiquée et qui reste fistu- leuse sur ce point. Voici alors ce qu'on observe quand on fait manger ranimai. Au moment de l'ingestion des aliments et pendant tout le temps que dure la digestion, la bile n'est sécrétée qu'en très petite quan- tité. Ce n'est qu'environ sept heures après le repas, c'est-à-dire quand le travail digestif est complètement achevé, qu'on voit la bile couler en très grande abon- dance par la fistule. Si l'animal n'avait pas eu la vé- sicule ouverte, cette bile, au lieu de couler dans l'in- testin, se serait accumulée dans la vésicule, et s'y serait mise en réserve pour la digestion suivante, et ce n'est qu'alors qu'elle aurait été évacuée dans l'in- testin. Ainsi, la bile qui arrive dans le duodénum au moment de la digestion n'est pas sécrétée au moment même; elle a été formée antérieurement et mise en réserve dans la vésicule. Chez les animaux qui n'ont pas de vésicule, chez le Cheval, par exemple, le canal cholédoque est pourvu d'un sphincter très résistant à son ouverture duodé- nale; le canal cholédoque se dilate pendant l'accumu- lation de la bile, et fait alors l'office de réservoir. Ces faits avaient déjà été constatés par divers 94 FORMATION DU SUCRE ET DE LA BILE observateurs, et l'on savait très bien que quand on fait jeûner les animaux* on trouve constamment chez eux la vésicule distendue par la bile. Nous verrons plus tard que le sucre, au contraire, se montre en plus forte proportion environ trois ou quatre heures après l'ingestion des aliments, c'est-à- dire au moment où la digestion intestinale est en pleine activité. Mais cette indépendance des deux sécrétions du foie, celle de la bile et celle du sucre, apparaît d'une ma- nière bien plus nette quand on suit les phénomènes de la digestion chez les animaux des classes inférieures, chez des Mollusques par exemple. Nous avons fait de nombreuses expériences sur des Limaces grises {Limax flavd), prises dans les regards des conduits d'eau du Collège de France, et se nourrissant presque exclusivement de cloportes et de larves, par conséquent de matières animales. Nous avons constamment trouvé du sucre dans leur foie. Nous avons de plus suivi, chez ces animaux, l'ordre de succession des phénomènes digestifs. Voici le ré- sultat de nos observations : Quand on examine l'estomac et les intestins des Limaces grises qui sont à jeun depuis longtemps, on y constate la présence d'une certaine quantité de bile très brune, ne renfermant aucune trace de matière sucrée. Si alors ces animaux viennent à introduire dans leur estomac des substances alimentaires, il se fait une sécrétion de suc gastrique aride qui se mé- lange avec les aliments, dans lesquels on ne constate DANS LE FOIE. 95 pas encore les réactions caractéristiques du sucre. Ce n'est qu'au moment où la digestion intestinale s'ef- fectue, et lorsque les aliments sont à peu près com- plètement descendus de l'estomac dans l'intestin, qu'un liquide sucré et incolore arrive dans la cavité stomacale par le conduit cholédoque inséré, près du pylore, vers l'extrémité inférieure de l'estomac. A mesure que l'absorption inlestinale devient plus ac- tive et plus complète, la sécrétion de ce liquide sucré dans le foie devient plus abondante, de telle sorte que bientôt l'estomac s'en trouve rempli et distendu. lia sécrétion du fluide sucré et son déversement dans l'es- tomac succèdent, comme on le voit, à la digestion sto- macale proprement dite, et coïncident avec la période de l'absorption intestinale. Le liquide remplit alors le conduit cholédoque, qui communique largement avec l'estomac, et il se trouve refoulé par la distension de l'estomac jusque dans le foie lui-même, qui subit alors une sorte de dilatation générale très remarquable et très visible. Bientôt la plénitude de l'estomac, du canal cholé- doque et du foie diminue, par suite de l'absorption de ce liquide. Cette absorption paraît se faire spéciale- ment dans l'estomac, où la sécrétion sucrée s'accumule sans qu'il semble en passer des quantités notables dans l'intestin. Lorsque l'absorption de ce liquide sucré incolore est à peu près terminée, on voit apparaître une au,tre sécrétion provenant également du foie, mais offrant des propriétés et des caractères, tout à fait analogues 96 FORMATION Dli SUCRE ET DE \X BILE à ceux du fluide biliaire. En effet, au moment de cette deuxième sécrétion, le liquide qui coule par le conduit cholédoque devient graduellement de moins en moins sucré et de plus en plus coloré , au point de n'être plus, vers la fin de la digestion, qu'un liquide biliaire pur, dépourvu de sucre , et ressemblant à celui que nous avons signalé dans le canal intestinal des Limaces à jeun. Alors la turgescence du foie a dis- paru et son volume diminué. Cette bile noire sécrétée en dernier lieu, ne paraît pas être absorbée sensible- ment ; elle séjourne dans l'intestin, et on l'y retrouve encore plus ou moins épaissie et avec sa couleur brune, à l'époque de la digestion suivante, qui donne lieu de nouveau à la série des phénomènes que je viens de vous indiquer sommairement. Ainsi, messieurs, chez les Limaces, il y a deux sécré- tions hépatiques distinctes, celle du sucre et celle de la bile. Leur production et leur déversement dans l'es- tomac constituent deux phénomènes successifs. Il y a donc là une séparation physiologique des deux fonc- tions du foie. Mais les organes formateurs de chacune d'elles restent encore confondus dans le même tissu. C'est chez les Articulés, et en particulier chez les Insectes, que la distinction anatomique des deux por- tions du foie, l'une destinée à la production de la bile, l'autre servant à la sécrétion du sucre, semble se trouver naturellement instituée de la manière la plus nette. Dans tous les Insectes, soit ailés, soit à l'état de larves (à l'exception des Pucerons et des Kermès), on trouve à la terminaison du ventricule chylifique ou estomac, DANS LE FOIE. 97 un plus ou moins grand nombre de vaisseaux presque toujours simples, fort déliés, capillaires, lisses ou boursouflés, variqueux, tantôt très longs et reployés au milieu des viscères, tantôt courts, mais alors plus multipliés. Ces appendices tabulaires, terminés en cœcums, sont, d'après M. Léon Dufour, des conduits biliaires, ou les représentants du foie chez les Insectes. Suivant cet auteur, ces tubes renferment un liquide vert, ou jaune, ou brun, ou violet, ou blanc, ou inco- lore, d'une saveur amère comme la bile. Bien que les fonctions de ces organes aient été plus ou moins contestées par divers zoologistes, ce qu'il y a de certain, c'est que nous nous sommes assurés qu'ils ne représentent pas l'élément sucré du foie, car en ayant réuni un certain nombre et les ayant fait bouillir avec du liquide cupro-potassique, il ne s est manifesté aucune trace de réduction dans le liquide, à l'œil nu, ni même au microscope. Mais indépendamment de ces organes, on rencontre dans les parois mêmes de l'intestin des insectes, des cellules parfaitement analogues aux cellules du foie des vertébrés, et si l'on prend le liquide qui humecte les parois intestinales, et qu'on le traite par le liquide cupro-potassique, on trouve qu'il le réduit. Il y aurait donc chez les mollusques une séparation physiologique bien évidente des deux fonctions du foie, comme il y aurait chez les insectes une distinc- tion anatomique entre ses éléments. Chez l'homme et les vertébrés, ces deux fonctions sont également physiologiquement distinctes, ainsi que 7 98 FORMATION DU SUCRE je vous l'ai dit, mais la question anatomique qui con- siste à localiser chacune d'elles dans des éléments spéciaux est beaucoup plus obscure, et Ton ne peut guère faire encore à ce sujet que des hypothèses plus ou moins plausibles, motivées sur la structure particu- lière de l'organe et la distribution de ses cellules et de ses vaisseaux, hypothèses qui peuvent seulement gui- der dans les recherches que l'on fera à ce sujet, pour les juger en définitive par des expériences directes. Les parties anatomiques constitutives du foie sont, chez l'homme et les animaux vertébrés, des cellules groupées les unes à côté des autres, de manière à con- stituer par leur masse un lobule parfaitement visible chez certains animaux, tels que chez le cochon, et moins évident chez d'autres, et chez l'homme eu par- ticulier. Dans le centre de cette agglomération de cellules ou de ce lobule, prend naissance la veine hé- patique ; à sa périphérie se distribuent les ramifications de la veine porte ainsi que les conduits biliaires. Ces derniers, par une disposition exceptionnelle, se ter- minent librement à la périphérie des lobules, sans que l'on puisse établir exactement le genre de rapport qui existe entre eux et les cellules hépatiques. Avant qu'on connût la formation du sucre dans le foie, on avait cherché à mettre en harmonie sa struc- ture anatomique uniquement avec la sécrétion et l'ex- crétion de la bile. Kôlliker admettait que la bile commence d'abord à être sécrétée dans le centre du lobule qui contient le plus de sang, et qu'elle était en- suite amenée à sa périphérie vers l'embouchure des DANS LE FOIE. 99 conduits biliaires, en passant successivement par une sorte d'endosmose de cellules en cellules. Si l'on voulait émettre une hypothèse analogue, relativement à la formation du sucre, il faudrait faire marcher ce produit d'une manière inverse à la bile, c'est-à-dire de la périphérie vers le centre du lobule hépatique, pour pouvoir ainsi rester d'ac- cord, avec le fait anatomique qui montre le conduit excréteur de la matière sucrée, la veine hépatique, placée au centre du lobule. Il resterait ensuite à déter- miner Comment les nerfs interviennent pour faire marcher ces deux sécrétions en sens inverse. Toutes ces questions, qui touchent aux phénomènes les plus intimes de la fonction glycogénique, seront examinés dans un autre lieu. Pour aujourd'hui, il nous suffit d'avoir montré qne le foie est un organe com- plexe dans lequel nous reconnaissons déjà deux actes physiologiques et dans lequel il s'en accomplit encore d'autres sans doute que nous ignorons. CINQUIÈME LEÇON. 9 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe , celle de la bile, l'autre interne, celle du sucre. — Le sucre est un produit de sécré- tion et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang, à l'état physiologique» .et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. — Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Dis- tribution de la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence le sang n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre passe dans tout le sang, mais ne sort cependant par aucune sécrétion ou excrétion. — Ce sont les oscillations delà fonction sécrétoire du sucre qui est proportionnelle à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces oscillations physiologiques se retrouvent chez les diabétiques. — Schème représentant ces oscillations à l'état normal et pathologique. — Expériences sur le sang pris dans différents vaisseaux, chez des Chiens à jeun et en digestion , pour prouver cette oscillation de la fonction glycogénique. — Le sang qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est toujours sucré; cathétérisme du cœur droit. Messieurs, Il doit être maintenant bien établi pour vous qu'il y a dans le foie deux fonctions de la nature des sécré- tions. L'une, sécrétion externe, produit la bile qui s'é- coule au dehors, l'autre, sécrétion interne, forme le sucre qui entre immédiatement dans le sang de la cir- culation générale. Nous avons dit aussi que ces deux substances, la bile et le sucre,- ne paraissaient pas être le résultat d'un même dédoublement chimique, de matières contenues dans le sang amené par la veine porte, parce que les formations biliaire et sucrée SECRETIONS DANS LE FOIE. j 01 n'ont pas lien au même moment; et des observations d'anatomie et de physiologie comparées nous ont porté à conclure qu'il devait y avoir dans le foie des animaux vertébrés, comme dans celui des Insectes, où cette séparation semble nettement établie, des cellules organiques distinctes pour la sécrétion de chacun de ces produits, la bile et le sucre. Gomme toutes les sécrétions, celle du sucre ne pré- sente pas une marche uniforme; elle oscille constam- ment entre certaines limites dans l'état physiologique; elle varie suivant les excitations reçues, soit de Texte- rieur, soit de l'intérieur, et nous savons qu'il en est de même de toutes les autres sécrétions, salivaire, gas- trique, biliaire, pancréatique, lacrymale, etc., qui n'ont point une intensité constante, qui peuvent même cesser complètement pendant un cei tain temps, comme la sécrétion gastrique et pancréatique pendant l'absti- nence, pour reprendre ensuite leur cours dans d'autres moments. Nous aurons donc à étudier cette marche de la fonction glycogénique en rapport avec les diverses influences qui peuvent s'exercer sur elle, à déterminer dans quels cas elle augmente et dans quels cas elle di* minue, pour arriver ensuite à montrer comment, sous - certaines conditions morbides , elle peut s'exagérer pour donner naissance à la maladie diabétique que nous avons toujours en vue. Mais auparavant, nous croyons devoir nous occuper du produit sécrété, le sucre, pour chercher ce qu'il devient dans l'organisme, et quel rôle il a à y remplir. Et ce sera là une nouvelle preuve que nous avons réelle- 102 DISTRIBUTION DE LÀ MATIÈRE SUCRÉE ment affaire à un produit de sécrétion dont le carac- tère est d'être formé par une glande, d'avoir un usage dans l'accomplissement d'un acte vital, et de ne jamais sortir au dehors sans avoir été préalablement mo- difié, dédoublé, décomposé par l'exercice même de sa fonction Le sucre, en effet, en tant que produit de sécrétion, ne sort jamais de l'économie en nature dans l'état physiologique. Il n'apparaît ni dans les sécré- lions ni dans les excrétions. Voici de la salive que nous avons recueillie sur ce Chien qui vient d'être sacrifié, elle ne renferme pas de traces de matière sucrée; nous prenons actuellement l'urine dans la vessie ehez ce même animal, nous n'y trouvons pas de sucre. La bile elle-même qui sort du foie rempli de sucre n'en contient jamais. Voici, par exemple, de la bile que nous venons d'extraire de l'animal, auquel nous avons fait une fistule biliaire et que nous vous avons déjà montré dans la dernière séance. Nous la décolorons par les moyens ordinaires, nous la traitons par notre réactif cupro-potassique; vous voyez qu'elle ne le réduit pas. Cependant certains observateurs ont prétendu que la bile contenait du sucre. Voilà donc une assertion contradictoire à l'expérience que nous venons de faire devant vous. Mais nous vous avons déjà dit que deux faits bien observés ne sauraient se contredire, que leur antagonisme ne pouvait jamais être qu'apparent, et que pour les ramener tous deux à leur véritable valeur, il suffisait d'une analyse plus exacte des conditions dans lesquelles on les avait observés. DANS l'OKGAMSME. 103 En effet, messieurs, si sur un animal tué en état de santé, vous examinez la bile contenue dans la vésicule aussitôt après la mort, vous n'y trouverez pas de sucre, pas plus que dans la bile prise sur notre Chien vivant portant une fistule biliaire. Mais si l'on y recherche le sucre un on deux jours après la mort, lorsque la bile est restée dans la vésicule en contact avec le tissu du foie, déjà même le lendemain de la mort de l'animal on y trouvera du sucre en quantité notable. Que s'est-il passé là ? Il y a tout simple- ment eu endosmose du sucre du tissu du foie dans la vésicule de la bile. Et c'est là un fait facile à com- prendre, parce que le sucre est une des substances dont le pouvoir endosmo - tique est considéra- ble et qui passe le plus aisément à tra- vers les membranes. Ainsi que le repré- A. sente la figure l\ , on peut reproduire ce phénomène en pre- nant sur un animal récemment mis à Fis* *• mort la vésicule duffiel R remplie de bile , et en la 104 DISTRIBUTION DE Là MATIERE SUCBJBE plongeant dans du sang ou un autre liquide sucré après avoir lié son col sur un tube de verre et avoir fait ainsi une sorte d'endosmomètre. On constate bien- tôt après le contact qu'il y a eu endosmose: le sucre est passé le premier dans la bile, et le liquide est monté jusqu'en G dans le tube de verre; réciproque- ment la bile passe ensuite au dehors et colore le liquide environnant A. Il est intéressant de remarquer que ce phénomène n'a lieu qu'après la mort. Pendant la vie, il y a des conditions qui , ainsi que nous le verrons plus tard, empêchent de semblables effets de se pro- duire à travers les membranes. Vous voyez donc, messieurs, par ce simple fait, combien il importe, pour répéter des expériences physiologiques, de se placer toujours exactement dans des conditions identiques, et combien la circonstance la plus minime en apparence peut influer sur la cer- titude des résultats. Les observations sur les phéno- mènes vitaux peuvent être aussi concordantes que les expériences les mieux établies que nous présente la physique et la chimie, mais sous la condition d'être répétées dans les mêmes circonstances. Nous aurons encore bien d'autres occasions de vous faire la même remarque. Ainsi aucune sécrétion ne contient du sucre à l'état physiologique, ni la bile, ni la salive, ni l'urine, ni les larmes. La substance sucrée reste dans l'organisme, il faut dès lors qu'elle serve à quelque chose. Et comme, d'un autre côté, elle ne se trouve pas dans le sang de la plupart des vaisseaux en proportion égale? bien qu'il DANS L'oKGANiSME. 105 sen produise des quantités assez considérables, il faut qu'elle se détruise quelque part. Nous connaissons son lieu d'origine qui est le foie, nous devons chercher maintenant le point où elle disparaît, de façon à com- prendre l'ensemble du phénomène en le tenant, pour ainsi dire, parles deux bouts, avant d'étudier les varia- tions intermédiaires. Puisqu'il se forme incessamment du sucre, et que, d'un autre côté, il n'en sort point au dehors, il faut bien que, dans l'état physiologique, il y ait un équilibre parfait entre la formation et la destruction. Car, si cet équilibre était un instant rompu, si la sécrétion prédominait par exemple sur la destruction, ce qui peut avoir lieu de plusieurs ma- nières, l'organisme, rapidement saturé de matière sucrée, s'en débarrasserait par les voies d'excrétion naturelles, phénomène que nous avons dit constituer le diabète. Etudions donc d'abord la marche du sucre, à par- tir de son point d'origine. Sécrété par les cellules du foie, le sucre passe avec le sang des capillaires dans les veines sus-hépatiques, et de là dans la veine cave inférieure. C'est au point d'abouchement dans ce dernier vaisseau que le sang est le plus sucré. Là, il se mélange avec le sang qui arrive des parties inférieures du corps, et est conduit dans l'oreillette droite, où le sucre subit une nouvelle dilution, par suite de son mélange avec le sang vei- neux provenant de la veine cave supérieure. De l'oreil- lette droite, le sang passe dans le ventricule , qui l'envoie au poumon. Dans tout le trajet du foie au 106 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE poumon, le sang est constamment sucré, mais dans des proportions très inégales et d'autant plus faibles qu'il s'éloigne davantage de son point de départ. Arrivé au poumon, le sucre, mis au contact de l'air et mêlé à toute la masse du sang, peut quelquefois dispa- raître complètement. Ces deux organes, le foie et le poumon, semblent donc être alors, vis-à-vis de la matière sucrée, dans un rapport exactement inverse. Chez un animal à jeun, par exemple, le sang qui arrive au foie ne contient aucune trace de sucre, le sang qui en sort en présente des quantités considérables. Inversement, le sang qui arrive au poumon contient du sucre, et celui qui en sort n'en présente plus de traces. Le sucre, dans cet état physiologique, reste entre le foie et le poumon profondément caché, et ne se montre pas à l'extérieur. C'est ce qui fait qu'on a été si longtemps à découvrir l'existence et la formation fonctionnelle de cette ma- tière dans l'animal. L'analyse du sang tiré des veines superficielles, et qu'on a répétée mille fois, ne pouvait donc le déceler dans ces conditions. Cependant , quand on entre plus profondément dans l'analyse du phénomène de la distribution du sucre, et qu'on étudie, d'une manière plus spéciale, les circonstances dans lesquelles il s'opère, on s'aper- çoit qu'il faut apporter une restriction dans l'expres- sion de ce fait général que le sucre ne se trouve jamais qu'entre le foie et le poumon. Quand on prend un animal, carnassier par exem- ple, à jeun, ou dans l'intervalle qui sépare deux diges- DANS L'ORGANISME. 107 lions, on trouve, en général, ce que nous avons dit tout à l'heure, c'est-à-dire jamais de sucre en deçà du foie, ni au delà du poumon. Le sucre se produit dans le pre- mier de ces organes, et il disparaît dans le second. Mais il y a des instants, bien que toujours physiologiques, où les choses ne se passent pas complètement ainsi. Vous savez que toute sécrétion peut augmenter dans certains moments, suivant la quantité de sang qui ar- rive , ou suivant une excitation plus forte du système nerveux. Le foie est soumis également à ces mêmes influences, sa sécrétion continuelle dans l'état physio- logique devient beaucoup plus considérable pendant les digestions; la production du sucre s'augmente dans ces moments , pour s'abaisser dans les intervalles digestifs. Entre les repas, la quantité de sucre qui sort du foie est (elle, que le sang des veines sus-hépatiques en présente environ en nombre rond une proportion de 1 pour 100, mais quand le sang arrive dans l'oreil- lette droite, mélangé avec tout le reste du sang vei- neux du corps, la proportion du sucre est venue beaucoup plus faible. C'est dans cet état de dilution, que le sucre arrive au poumon, et dans ces conditions, il y est complètement détruit, c'est-à-dire qu'il disparaît aux réactifs qui le décelaient avant. Mais au moment de la digestion, le foie, qui se trouve placé entre le système circulatoire intestinal et le système circulatoire général, au lieu de ne recevoir que le sang provenant des artères mésentériques, re- 108 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE coit , en outre , toutes les matières solubles absorbées par les capillaires de la veine porte, c'est-à-dire, en définitive, une quantité de sanpT bien plus considéra- ble, double et même triple chez certains animaux qui ont l'intestin très long comme les herbivores, de ce qu'elle est, lorsque le même individu esta jeun. Le foie, comme une espèce d'épongé, se gorge de sang et devient à ce moment beaucoup pins volumi- neux, il s'y opère une espèce de congestion physio- logique. La circulation, très lente dans l'état ordinaire, est singulièrement activée, et le flot de sang qui arrive alors dans cet organe déplace probablement la plus grande partie du sucre qui s'y était déjà formé, pour le lancer dans la circulation générale. Chez les dia- bétiques, je ne serais pas éloigné de croire que cette apparition si rapide du sucre dans les urines au mo- ment de la digestion ne fût due, en grande partie, à un déplacement de cette espèce, et que, d'un autre côté, le sucre, qu'ils peuvent prendre, ne passât dans les urines que par suite d'une suractivité de la circu- lation hépatique, qui permettrait son expulsion immé- diate du foie. Mais nous reviendrons sur ces questions que nous ne faisons qu'indiquer en passant. Indépendamment de ce surcroît d'activité causé par un afflux plus considérable de sang, le foie est encore stimulé par le système nerveux, sous l'influence des excitations naturelles apportées par la digestion des matières alimentaires. Quoi qui! en soit, cette augmentation delà sécrétion du sucre dans le foie se fait à l'état physiologique d'une DANS L'ORGANISME. 109 manière successive et graduée. Dès le début de l'ab- sorption digestive, lorsque la veine porte commence à charrier une pins grande proportion de sang xlans le foie, la fonction glycogénique qui semblait som- meiller pendant que l'animal était à jeun, se réveille. Peu à peu l'activité fonctionnelle s'accroît, à mesure que la quantité de sang, qui traverse le tissu hépa- tique, devient elle-même plus considérable, et c est environ quatre ou cinq heures après le début de la digestion intestinale, que cette production du sucre dans le foie est parvenue à son summum d'intensité. Après ce temps, la digestion venant à cesser, l'absor- ption intestinale se ralentit, et la formation de sucre dans le foie diminue, pour reprendre de nouveau sa suractivité au premier repas, et pour continuer à décroître d'une manière graduelle à mesure que le sang s'use et diminue dans l'organisme, si l'animal est laissé à l'abstinence. 11 existe donc une espèce d oscillation physiologique dans la fonction productrice du sucre, qui fait que cette fonction, bien que continue, éprouve une sur- activité intermittente à chaque période digestive. Si, par des expériences que nous vous avons déjà mentionnées, il est prouvé que la nature de l'alimen- tation n'exerce pas d'influence sur la production du sucre dans le foie, nous devons reconnaître mainte- nant que la période de la digestion en exerce au con- traire une très évidente. Cette exubérance de matière sucrée qui se produit ainsi dans l'organisme, au moment de la digestion, 110 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE amène à sa suite d'autres phénomènes très importants, et sur lesquels il est nécessaire d'insister. Lorsqu'un certain nombre d'heures se sont écou- lées depuis le dernier repas, et que l'animal est clans cet état qu'on appelle à jeun, la formation du sucre est calmée et arrivée à ce point qu'il existe un rapport équilibré entre la production et la destruction du sucre, c'est-à-dire que la matière sucrée expulsée par les veines hépatiques dans la circulation, étant alors peu considérable, disparaît à peu près eu entier aussitôt après le mélange du sang hépatique avec le sang des veines caves dans le cœur droit, et à son entrée dans les poumons. J'ai constaté, par un grand nombre d'expé- riences, qu'à ce moment le sucre se rencontre dans le tissu hépatique et dans les vaisseaux qui vont du foie au poumon, mais pas au delà. Il n'y en a pas sensiblement dans le sang des artères, ou dans les veines du système général, ni dans celui de la veine porte. C'est pour cette raison que, dans les expé- riences que nous avons faites devant vous, pour vous montrer que chez un Chien on ne trouve pas de sucre dans le sang qui arrive au foie, nous avons eu bien soin de prendre l'animal ajeun ou à une époque assez éloignée de son dernier repas. Lorsque la digestion commence, la quantité de sucre augmente graduelle- ment, ainsi que nous venons de le dire, dans le foie et dans les veines sus-hépatiques; cependant, durant les deux ou trois premières heures qui suivent l'ingestion alimentaire, malgré l'accroissement de la sécrétion sucrée, tout le sucre peut encore être détruit avant DANS L'ORGANISME. 111 d'arriver au système artériel ; c'est après ce laps de temps seulement que la production sucrée, dépassant les limites de la destruction, amène l'excès momen- tané de cette substance dans l'organisme. De telle sorte que la quantité de sucre dans les veines sus-hépati- ques, qui n'était à jeun que i pour 100, pourra de- venir 1 1/2 et même 2 pour 100 au moment de la pleine digestion. Au point de vue de la circulation, les mêmes choses se passent : le sang chargé de ce. sucre arrive comme à l'ordinaire dans le cœur et de là dans le poumon. Mais le sang pulmonaire, qui ne peut faire disparaître qu'une certaine proportion du sucre , laissera passer le reste avec le sang artériel , dans lequel vous pour- rez alors en retrouver. A cette période de la digestion, on rencontre du sucre dans tous les vaisseaux du corps, artériels et veineux; on en trouve même dans les artères rénales, mais en proportion trop peu considérable pour qu'il eu passe dans les urines. Cependant nous verrons que, dans certaines circonstances physiologiques , cette quantité de sucre peut être exagérée au point qu'il en sorte par les urines sans que l'animal soit pour cela diabétique. Quoi qu'il en soit, dans les circonstances ordinaires de la digestion, cette espèce de débordement sucré se manifeste également avec les alimentations animales ou féculentes, et il dure environ trois à quatre heures. Ce n'est que six ou sept heures après le repas que l'excès du sucre dans le sang commence à disparaître, 112 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE et que l'équilibre entre sa production et sa destruc- tion tend à se rétablir comme avant ia digestion. Nous avons dit qu'il était important de connaître les conditions de cette oscillation physiologique de la formation du sucre dans le foie. C'est, en effet, pour ne pas les avoir connues que Schmidt a cru donner des résultats opposés aux miens, et a dit qu'il n'admet- tait pas la production du sucre dans le foie, parce qu'il avait trouvé du sucre dans les veines superfi- cielles du corps et dans la veine porte. Vous compre- nez donc maintenant pourquoi le sang qui entre dans le foie est bien complètement dépourvu de sucre, quand on a soin, comme nous l'avons déjà dit, de ne pas faire l'expérience au delà de deux heures et demie à trois heures après le repas. Si l'on attendait plus tard, l'excès de sucre se serait répandu dans tout le sang, et alors on en trouverait dans la veine porte; ce sucre ne viendrait pas des intestins, mais bien des artères mésentériques. Tous ces exemples sont une preuve à l'appui de la recommandation que je vous ai déjà faite, et que je ne saurais trop répéter à cause de son importance: à savoir que, pour ne pas s'exposer à des erreurs ou à de fausses interprétations, il faut toujours, dans des recherches de ce genre, faire mar- cher de concert la chimie avec la physiologie, et tâcher surtout d'instituer les recherches chimiques d'après des études physiologiques bien faites. Nous voyons, en effet, que là où la chimie seule trouve des résultats contradictoires, la physiologie les explique en mon- trant la filiation des phénomènes. En effet, qu'il y ait DANS L'ORGANTSME. 113 du sucre dans les veines superficielles, dans les ar- tères, ou qu'il n'y en ait pas, la physiologie nous apprend que c'est toujours le foie qui est son point de départ, et que c'est toujours à cet organe qu'il faut remonter pour trouver l'origine de la matière sucrée. Ces diverses circonstances seront très importantes à considérer plus tard, quand nous parlerons de la des- truction du sucre dans l'organisme animal. Il y a cependant un liquide de l'économie dans lequel le sucre passe toujours, lors même qu'il arrive dans la circulation générale en très petite quantité. Ce liquide est le fluide céphalo-rachidien. J'y ai trouvé du sucre d'une manière constante, soit à jeun, soit en digestion, chez les chiens, les chats et les lapins exa- minés dans les conditions ordinaires de santé; cela tient à ce que, pendant 1 intervalle d'un repas à l'autre, le sucre n'a pas le temps de se détruire dans le liquide céphalo-rachidien, avant qu'il en soit apporté une nouvelle quantité par la digestion suivante. Il paraîtra sans doute singulier et intéressant de voir les centres nerveux baignés dans un liquide qui reste constam- ment sucré. Ce fait s'accorde avec une remarque déjà faite par M. Magendie, que le fluide céphalo-rachidien est un des liquides dans lesquels passent le plus faci- lement les substances introduites dans le sang. Le sucre est donc en quelque sorte normal dans le liquide céphalo-rachidien. Cependant , il ne faudrait pas en conclure que le sucre est une de ses parties constituantes. En effet, si l'on soumet l'animal à l'abstinence, de façon à empê- 8 114 DISTRIBUTION DE LA MATIERE SUCRÉE cher pendant quelque temps ce débordement de sucre qui apporte cette substance depuis le foie jusque dans le liquide céphalo-rachidien, on voit qu'au bout de quelque temps ce dernier n'en contient plus, parce que celui qui y était s'est détruit, et qu'il n'en est pas revenu. Ainsi, quel que soit le point de 1 économie dans lequel on constate la présence du sucre, il a tou- jours son origine dans le foie, le seul organe du corps qui ait la propriété d'en fabriquer. Dans le cas où nous trouvons du sucre répandu dans tout l'organisme, il est toujours réparti de telle sorte que sa proportion la plus considérable se trouve dans le foie; puis dans la veine cave inférieure, puis dans l'oreille droite, etc. Quand ensuite la digestion se ralentit, le sucre diminue peu à peu, et au bout de quelques heures tout rentre dans l'état physiologique signalé plus haut. Cette espèce d'oscillation que présente la fonction glycogénique est très importante à connaître , car, dans 1 état pathologique, nous retrouvons exactement ses mêmes phases, avec les exagérations que comporte la maladie. Différents observateurs, M. Rayer, en France, M. Traube, en Allemagne, ont remarqué qu'il y a des diabétiques qui ne rendent du sucre dans leur urine qu'au moment de la digestion, et que dans l'intervalle de leurs repas, leurs urines ne sont plus sucrées. Ce phénomène peut se rattacher, d'une manière toute naturelle, au fait physiologique que je viens de vous signaler. Il n'y a ici rien d'essentiellement différent DANS L*ORGANISMË. 115 entre 1 état normal et le symptôme pathologique, sauf l'intensité du phénomène causé par une déviation de l'activité vitale. Si nous voulions représenter graphiquement les di- vers phénomènes physiologiques d'oscillation glyco- géniques que je viens de vous indiquer en y rattachant les oscillations analogues qui se rencontrent dans le diabète, voici comment nous pourrions y parvenir. Fig. 5. (a) Présence du sucre dans l'urine. (6) Ligne du maximum de la pro- duction du sucre; il n'y en a pas dans l'urine, mais le sucre apparaît dans tout le sang. (c) Ligne du minimum physiolo- gique. (d) Courbe du diabète continu. (e) Courbe du diabète inter- mittent. (/) Courbe de l'état physiolo- gique. Sur la ligne horizontale XY, nous comptons les du- rées à partir du point O, considéré comme le milieu 116 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE de l'intervalle entre deux repas, quatre heures avant une nouvelle ingestion d'aliments. Sur la ligne OZ, ou sur des parallèles à cette ligne, nous prenons des longueurs proportionnelles aux di- verses quantités de sucre qui se rencontrent dans l'or- ganisme aux époques correspondantes que nous consi- dérons. Supposons d'abord l'état normal, quatre heures avant un repas , la longueur O, n représente la quantité de sucre qui sort alors du foie , et qui reste la même jus- qu'au moment où l'animal commence un nouveau re- pas, c'est-à-dire en ri \ à partir de ce moment, les quantités de sucre formées par le foie sont de plus en plus grandes, et représentées par des lignes, qui vont en croissant jusqu'en N, où la digestion a acquis son summum d'activité, et où la quantité de sucre émise par le foie est la plus grande possible; à partir de ce moment, la digestion se ralentissant progressivement, les quantités de sucre vont en diminuant, et sont re- présentées par des lignes de plus en plus courtes jus- qu'en n", où les choses sont revenues au même état qu'elles étaient en zz, et restent dans cet état jus- qu'en ri" , où commence uoe nouvelle digestion, pour suivre la même phase que nous avons décrite à partir de ri . Si maintenant nous relions ensemble tous ces points, nous aurons une ligne ondulée n n'N ri' ri11 N', qui représentera à peu près les oscillations de la fonc- tion glycogénique aux diverses périodes de l'état nor- mal. Tant que cette ligne ne sera pas très éloignée de la droite nri ri' ri" , ligne du minimum, la production BANS L,' ORGANISME. 117 du sucre ne dépassant pas la destruction, on n'en trouve pas dans le système circulatoire général ; mais quand la ligne s'approche de e b, ligne du maximum, la pro- duction devenant supérieure à la destruction, le sucre se généralise dans toute 1 économie, mais cependant il n'apparaît pas dans les urines. La limite de la quantité de sucre qui peut se trou- ver dans l'organisme, sans cependant passer au dehors, est déterminée par la droite e, b. Maintenant en quoi différera l'état diabétique de l'état normal? Il différera en ce que le point de dé- part sera plus élevé. La quantité de sucre corres- pondant à la même époque, sera plus considérable que dans l'état normal. La courbe, au lieu de partir de œ, partira par exemple de M situé au niveau de la droite e b, ou de M' situé au niveau de a d\ elle sera parallèle àla courbe normale, et en reproduira toutes les ondulations, mais en se tenant toujours à une plus grande distance de la ligne X Y; alors deux cas se présentent. Si la courbe représentant un état diabétique part d'un point au- dessous de M, limite maximum de la quantité de sucre qui peut exister dans l'organisme sans paraître au dehors, tant que la courbe ne dépassera pas la ligne e b, on ne trouvera pas de sucre dans les urines, mais cette substance apparaîtra au moment de la digestion, et le diabète sera représenté en durée et en intensité par les portions de courbe m' rri\ etc. Le diabète sera alors discontinu, intermittent et correspondant seule- ment aux périodes digestives. Les urines seront tantôt H 8 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE normales, tantôt sucrées, et la courbe M m' M m" M passera alternativement au-dessus et au-dessous de e b. Si, au contraire, la quantité de sucre sécrétée par l'individu malade est plus grande que le maximum de l'état normal, de façon à correspondre à la longueur O Mr, la courbe, tout en restant toujours parallèle aux courbes précédentes, et en suivant encore leurs sinuo- sités, restera constamment au-dessus de e b ; les urines seront constamment sucrées et le diabèle continu. Il est bien entendu, messieurs, que nous vous re- présentons ici des cas types d'une simplicité purement idéale, afin de vous faire comprendre la liaison de ces phénomènes normaux et pathologiques. Entre les images que nous vous en donnons, vous pouvez con- cevoir tous les intermédiaires possibles. Mais la mar- che de toute fonction vitale ne saurait jamais être indiquée complètement par des lignes aussi simples que celles que nous avons figurées ici , car indépen- damment des grandes oscillations dont nous donnons la direction générale, en creusant plus profondé- ment le phénomène on trouverait des oscillations de deuxième et troisième ordre que nous aurons à exa- miner ultérieurement. Enfin, messieurs, cette marche du sucre à travers l'organisme, ces oscillations physiologiques de sa sé- crétion sous l'influence de la digestion et dans l'inter- valle des digestions, sa diffusion limitée dans un cas, généralisée dans l'autre, sont des faits trop importants pour que nous n'ayons pas à cœur de les reproduire devant vous , et de les fixer dans votre esprit au DANS L'OKGANISME. 119 moyen des expériences qui ont servi à les établir. Voici deux chiens, l'un à jeun, chez lequel, par con- séquent, tout le sucre sorti du foie est détruit avant .d'avoir traversé le poumon; l'autre en pleine digestion, chez lequel la matière sucrée est répandue dans tout l'organisme; nous allons faire sur eux une g série d'expériences comparatives, qui ne sauraient vous laisser aucun doute sur les phénomènes que je vous ai annoncés. Nous prenons le premier animal, c'est-à- dire celui qui est à jeun, et nous allons pui- ser du sang dans différentes parties du corps pour vous montrer qu'il n'y a de sucre qu'entre le foie et le poumon. Pour cela nous prendrons du sang dans le cœur droit d'a- bord. L'animal étant couché sur le flanc gauche, nous faisons une incision longue de 5 à 6 centimètres sur le côté droit du cou, et immédiatement au-dessous de la peau nous trouvons la veine jugulaire externe bien plus volumineuse que l'interne chez les ani- maux , à cause de la prédominance de la face. Nous isolons cette veine des parties voisines au moyen d'une soude cannelée, et nous plaçons sur elle une ligature du côté de la tète, puis, saisissant la veine entre le pouce et l'index de la main gauche, nous y faisons une incision avec des ciseaux. Par l'orifice que nous venons de pratiquer, nous al- lons chercher du sang dans le cœur droit en prati- 120 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE SUCRÉE quant une sorte de cathétérisme cardiaque. Nous nous servons pour cela d'une sonde en métal (Fig. 6) légèrement courbée vers son extrémité ; elle est munie d'un robinet R et offre une ouverture à son bout effilé; les bords de cette ouverture sont soigneusement arrondis pour ne pas couper ou déchirer les vaisseaux. Nous introduisons cette sonde, avec son robinet fermé dans la veine jugulaire , nous l'enfonçons à une pro- fondeur variable suivant la taille de l'animal; ici, pour ce chien de taille moyenne, nous l'enfonçons à 20 cen- timètres. Nous tournons d'abord la concavité de l'in- strument en avant puis vers le sternum, c'est-à-dire en dedans. Nous arrivons ainsi assez facilement dans l'oreillette droite, ce que nous sentons aux mouvements imprimés à la sonde et au jet saccadé du sang qui s'en écoule, synchroniquement avec les battements du cœur. Alors, avec une seringue, dont la canule est ajustée dans le bout évasé E de la sonde, nous aspirons une certaine quantité de sang du cœur droit de l'ani- mal. Nous retirons ensuite la sonde et nous lions le bout cardiaque de la veine jugulaire. Gela fait, nous cherchons l'artère carotide du même côté, nous l'isolons du nerf vague, puis nous plaçons une ligature; au-dessous de celle-ci nous pratiquons piqûre pour extraire une certaine quantité de sang? et nous lions du côté du cœur. Puis, reprenant le bout périphérique de la veine jugulaire, nous délions la ligature et nous laissons couler une certaine quantité de sang. Nous avons donc ainsi : i° du sang venant du cœur DANS L'ORGANISME. 121 droit, c'est-à-dire du sang provenant de la veine cave inférieure et des veines sus-hépatiques, qiû s'est mé- langé dans le cœur avec le sang arrivant de la veine cave supérieure; 2° Du sang artériel venant de passer à travers le poumon ; 3° Du sang veineux descendant des capillaires de la tête. Nous traitons ces trois sangs absolument de la même manière, en y ajoutant une certaine quantité de sul- fate de soude cristallisé, solide, et en chauffant dans des capsules de porcelaine. Sous l'influence de Ja cha- leur, le sang se coagule, les matières albuminoïdes sont crispées et ratatinées, et un liquide entièrement dé- coloré s'en sépare. Nous prenons ces liquides et nous les faisons bouillir avec le réactif cupro-potassique. Vous voyez que le sang provenant du cœur précipite très nettement le sel de cuivre, tandis qu'il n'y a ni décoloration ni réduction avec le sang artériel, ni avec le sang vei- neux provenant des parties périphériques du corps. Le sucre qui se trouvait dans le cœur droit, et qui provenait du foie, n'a donc pas traversé Je poumon, puisqu'on ne le trouve pas dans le sang après cet organe. Il n'est pas non plus dans le système veineux général. Maintenant nous prenons l'autre chien auquel on a fait faire, il y a cinq ou six heures environ , un repas copieux mais composé exclusivement de matières ani- males (tête de mouton cuite). Nous opérons de même que sur le premier; nous prenons d'abord le sang du cœur, puis le sang de l'artère carotide et 122 DISTRIBUTION DE LA MATIÈRE DANS L 'ORGANISME. enfin le sang de la veine jugulaire qui revient de la tête. Nous traitons ces trois sortes de sang de la même manière que nous avons traité ceux du premier ani- mal, en ajoutant à chacun d'eux à peu près leur poids de sulfate de soude, et en chauffant le mélange dans des capsules de porcelaine. Nous recueillons les li- quides très incolores qui se séparent des parties solides contractées et coagulées, nous y ajoutons daus les tubes où nous les versons parties égales du réactif cupro-potassique, nous faisons bouillir ce mélange, et vous voyez dans tous des changements de coloration et la formation de précipités qui vous indiquent la présence du sucre. Vous remarquez cependant que le précipité formé est bien plus considérable dans le liquide provenant du sang du cœur de cet animal, que dans les liquides provenant du sang artériel ou du sang veineux de la circulation générale; il est plus consi- dérable aussi que dans le liquide provenant du sang du cœur du premier chien à jeun. Ces deux expériences comparatives vous prou- vent, messieurs, qu'il y a eu, au moment de la diges- tion, une plus grande proportion de sucre formé dans le foie, qu'une partie de ce sucre a été détruite sans doute , mais qu'il en est passé dans le système ar- tériel , et de là dans le système veineux général une certaine quantité' que nous y retrouvons. Cependant ce sucre, bien que généralisé dans tout l'organisme, ne s'est pas montré dans les sécrétions, car voici de la salive du même chien et de son urine qui ne don- nent aucun signe de la présence de la matière sucrée avec le réactif cupro-potassique. SIXIEME LEÇON. o 13 JANVIER 1855. SOMMAIRE : La destruction comme la production du sucre est un fait commun au règne végétal comme au règne animal. — Circon- stances qui peuvent modifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépatique. — Kystes. — Cancers. — Foies gras. — Influences agissant sur la fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des anim.iux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun. — Influence de l'alimentation. — In- fluence de l'alimentation graisseuse. — Influence de l'alimentation azotée. — Iufluence de l'alimentation féculente et sucrée. Messieurs , Pour arriver à tracer l'histoire physiologique du diabète, il faut continuer l'histoire de la formation du sucre dans l'économie animale. Nous connaissons actuellement deux phénomènes que nous ne devons jamais perdre de vue : savoir, d'une part, la production , d'autre part, la destruction de la matière sucrée qui se rencontrent simultanément dans tous les organismes vivants animaux et végétaux et sont solidairement unies l'une à l'autre. Au milieu du monde extérieur, certains êtres vi- vants ont pu paraître, au point de vue philosophique, faits pour créer les substances destinées à l'alimenta- tion des autres. Mais au point de vue physiologique chaque individu travaille pour soi et vit comme il peut aux dépens de ce qui l'entoure. Si les animaux utilisent pour leur nourriture le sucre qu'ils trouvent 12/j. SÉCRÉTION ET DESTRUCTION DU SUCRE. dans les végétaux, on ne peut pas dire que ce soit là la cause finale physiologique de cette substance, car, de même que l'animal, le végétal produit du sucre pour sa propre consommation, et il le détruit dans les périodes successives de son existence. Si Ion suit, par exemple, la série des phénomènes vitaux dans une betterave, on voit que, pendant la première année, la plante accumule dans sa racine les matières sucrées qui s'y trouvent alors en grande abondance; mais si on la laisse se développer l'année suivante, à mesure que la tige va s'élever et que les bourgeons se forme- ront pour produire des fleurs et des fruits, on verra le sucre monter de la racine dans la tige, s'y changer de sucre de la première espèce en sucre de la seconde espèce, enfin disparaître peu à peu; et à l'époque de la maturité des graines la matière sucrée aura disparu dans toute la plante. Le sucre accumulé la première année aura été détruit dans la seconde pour servir au développement complet du végétal. On rencontre donc dans les végétaux les deux phases de production et de destruction du sucre, sous quel- que forme que cette matière se présente. On voit ainsi que dans ces deux règnes les phénomènes se ressem- blent en ce qu'il y a production et destruction de la matière sucrée. Nous verrons plus tard , en nous occupant plus spécialement de ces deux questions , qu'il y a bien d'autres rapprochements à faire entre les deux règnes des êtres vivants au point de vue des actes nutritifs. Nous avons actuellement à analyser les conditions INFLUENCES QUI MODIFIENT LA PRODUCTION DU SUCRE. 1 25 diverses clans lesquelles se passent ces phénomènes de production et de destruction du sucre, afin d y chercher les éléments de la maladie diabétique dont nous pour- suivons toujours le mécanisme dans ces recherches. Aujourd'hui nous allons étudier toutes les circon- stances qui peuvent influencer la production de la matière sucrée dans l'organisme animal. Ces circonstances sont de trois ordres. En premier lieu, les modifications que peut subir 1 élément glandulaire du foie. Secondement les modifications que peut présenter la circulation de l'organe, soit au point de vue chi- mique de la composition du sang qui le traverse, soit au point de vue des conditions mécaniques de circulation. Troisièmement, enfin, l'influence du système ner- veux sur cette sécrétion. On a encore très peu de données sur l'influence que les altérations de la cellule hépatique peuvent avoir sur la production du sucre. Je n'ai, jusqu'à présent, pu suivre la production du sucre que dans quel- ques-unes des altérations du foie, et en particulier dans la maladie à laquelle on donne le nom de foie gras (i) et que l'on peut produire artificiellement sur des oies et des canards en les soumettant à une cer- taine nourriture. Il était intéressant de savoir quelle pouvait être, dans ces cas de modifications du tissu hépatique, l'in- fluence exercée sur la production du sucre. (1) Voyez le mémoire de M. Lereboullet sur le Foie gras. {Mémoires de l'Académie de médecine. Paris, 1853, t. XVH, p. A77.) 126 INFLUENCES QUI MODIFIENT Vous savez que les cellules du foie contiennent dans leur intérieur des gouttelettes de graisse à l'état nor- mal. Par suite de la maladie qu'on communique aux canards ou aux oies atteints de foie gras, ces goutte- lettes deviennent d'une grosseur considérable et finissent même quelquefois par remplir complète- ment la cellule hépatique. Dans ces cellules si chargées de graisse, il semble- rait que la production du sucre dût avoir diminué. Cependant il n'en est point ainsi, car dans l'ana- lyse que j'ai faite d'un foie gras de canard, j'ai trouvé i,4opour ioo de sucre dans le tissu du foie. Le foie d'un canard ordinaire ne m'a présenté que 1,27 pour 100 de matière sucrée. On observe assez souvent sur les animaux de bou- cherie un épaississement assez considérable des con- duits biliaires, ce que les bouchers appellent des Joies nerveux. Il se forme là du tissu 6bro-plastique en quantité plus ou moins grande, qui atrophie néces- sairement les cellules voisines. Aux environs de cette altération, qui du reste est toujours purement locale, la proportion de sucre est nécessairement moindre que dans les endroits où les conduits ont leur épaisseur normale; mais les fonctions des autres portions du foie n'en sont nullement empêchées, et il n'y aurait que dans le cas où ces indurations occuperaient tout l'organe, que celui-ci alors ne fonctionnant plus, la mort de l'animal devrait s'ensuivre. D'autres altérations locales du foie, des kystes, des hydatides, des tumeurs de diverses natures, n'ont LA PRODUCTION DU SUCRE. 127 d'autre effet que de diminuer la masse de la substance fonctionnante du foie; car à côté de ces lésions on trouve des parties saines présentant du sucre dans les proportions ordinaires. C'est ce que j'ai pu constater chez des moutons, par exemple, chez lesquels ces sortes d'altérations sont excessivement fréquentes, comme on le sait. Le cancer lui-même , tant qu'il n'a pas envahi tout le tissu de l'organe, n'a qu'une action purement locale ; c'est ainsi que je l'ai constaté sur un Surmulot, qui avait la moitié du foie envahi par un cancer encépha- loïde : les parties restées saines fonctionnaient comme d'habitude et étaient parfaitement sucrées. Il est difficile d'établir une relation entre les alté- rations morbides du foie et la disparition de la ma- tière sucrée dans cet organe chez l'homme, parce que, comme on ne peut les observer qu'après la mort, l'agonie, qui la précédée dans la plupart des cas, suffit pour faire disparaître le sucre. Nous arrivons à la question de l'influence que peut avoir la composition du sang. Cette influence est d'au- tant plus importante à considérer, que le foie est tra- versé sans cesse par le sang de la veine porte, et que ses éléments sont nécessairement variables par suite de toutes les substances très diverses, suivant la nature de l'alimentation , qui sont absorbées dans le tube digestif. C'est surtout là que nous pourrons constater ces différences dans la composition du sang, car nous verrons que le fluide, pris dans le système circulatoire général, varie beaucoup moins non-seulement entre iw28 INFLUENCE DE L* ALIMENTATION deux individus de même ordre, mais entre des indi- vidus d'ordre différent, entre les carnassiers et les herbivores, par exemple. Quelle est donc l'influence que ces substances de nature si diverse, introduites dans l'alimentation et la veine porte, peuvent avoir sur la formation du sucre? Ceci, comme vous le voyez, touche de très près à la question du diabète. Depuis Rollo, tous les médecins ont l'esprit fixé sur l'alimentation qui convient dans cette maladie. M. Bouchardat (i) proscrit l'usage des féculents et des matières sucrées. Des faits dont j'ai été témoin dans la pratique de M. Rayer prouvent évidemment l'utilité d'une alimentation azotée. En effet, quoique nous ayons établi qu'il y a dans l'organisme une fonction qui produit du sucre indé- pendamment de la nature de l'alimentation , et que conséquernment cette matière ne saurait provenir exclusivement du dehors, cela n'empêche pas qu'il puisse aussi y avoir une origine extérieure pour la matière sucrée dont nous avons à faire la part. Nous allons pour cette raison examiner l'influence de la nature des diverses substances absorbées dans les voies digestives. Ces substances se ramènent à trois ordres, quelle que soit la variété de l'alimentation, savoir : les matières graisseuses absorbées à l'état de division extrême, les matières albuminoïdes et fécu- lentes absorbées à l'état de dissolution. Mais avant d'étudier le rôle de ces diverses sub- stances dans la production du sucre, c'est-à-dire l'in- (1) Mémoires de l'Académie de médecine.Vms, 1852, t. XVT, p. 69. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 129 fluence des alimentations de diverse nature, il importe de savoir quels sont , au point de vue de la fonction glycogénique, les effets dune alimentation nulle, c'est- à-dire d'une abstinence complète. Nous aurons ainsi un point de comparaison qui nous servira à isoler le phénomène sur lequel doit porter l'expérimentation. Voici comment nous avons institué l'expérience. Nous avons choisi quatre Chiens de même âge et à peu près de même taille : le premier ne recevait que de l'eau pure, le deuxième de l'eau plus de la graisse, le troisième de l'eau plus de la gélatine, le quatrième de l'eau plus de la fécule. Pour apprécier le rôle appartenant à chaque substance alimentaire, nous n'avons eu en quelque sorte qu'à soustraire par la pensée, de chacun des trois derniers Chiens, le Chien à l'eau pure, et la différence était nécessairement due à la substance surajoutée à l'eau. Nous vous avons déjà dit qu'après la privation des aliments, la production du sucre dans le foie con- tinue à avoir lieu uniquement aux dépens des maté- riaux du sang. Mais les oscillations physiologiques qui se manifestent dans l'état normal, où les digestions se succèdent à des intervalles plus ou moins éloignés, cessent nécessairement d'avoir lieu pendant l'absti- nence. La sécrétion sucrée décroît alors progres- sivement , à mesure que le liquide sanguin dimi- nue de quantité, car il ne se répare plus avec les sub- stances que lui fournissait la digestion, et, néanmoins, les sécrétions liquides et gazeuses, par les glandes sa- livaires, les reins et le poumon, se produisent encore 9 130 INFLUENCE DE L* ALIMENTATION pendant un certain temps. La sécrétion du sucre par le foie persiste aussi comme les autres, mais elle va en diminuant, et finit par disparaître complètement trois à quatre jours environ avant la mort de l'animal sou- mis à une diète absolue. Il ne faudrait pas croire que cette diminution et cette disparition du sucre dans le foie, sous l'influence de la privation d'aliments, dépende simplement de ce que l'animal use et détruit progressivement la quan- tité de matière sucrée qu'il avait formée pendant sa dernière digestion. Nous vous avons déjà dit, et nous aurons encore plus d'une fois l'occasion de vous mon- trer qu'il faut à peine quelques heures à un animal pour consommer toute la quantité de sucre qu'il a dans le foie, de sorte que, s il ne s'en formait plus, dès le lendemain déjà, après vingt-quatre heures de jeûne, le tissu hépatique en serait dépourvu. Mais il n'en est point ainsi, parce que, dans l'abstinence, il se refait encore du sucre aux dépens du sang qui traverse in- cessamment le foie. Seulement, à mesure que ce sang s'use et s'appauvrit , par suite de l'absence de nourri- ture, la sécrétion sucrée du foie diminue d'énergie, et finit, avant les dernières périodes de l'abstinence, par s'éteindre comme les autres fonctions. Pendant les premiers jours de l'abstinence, la sécré- tion sucrée se maintient encore assez considérable ; car sur un Chien à jeun depuis trente-six heures, j'ai trouvé encore une proportion de i,2Ô5 de sucre pour 100 du tissu du foie ; et sur un autre Chien à jeun depuis quatre jours, il y avait 0,93 pour 100. Dans les SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. iSÎ jours suivants, la quantité de sucre formé va en dimi- nuant plus rapidement pour ne cesser toutefois d'une manière complète que lorsque l'animal, après avoir perdu les quatre dixièmes de son poids, est désormais voué à une mort inévitable. Sur des Chiens, des Lapins ou des Cochons d'Inde morts d'inanition, je n'ai jamais rencontré de sucre dans le tissu du foie ; mais sur deux Chiens adultes, à l'abstinence complète, l'un depuis quinze jours, l'autre depuis douze jours (ce dernier buvait de l'eau), j'ai trouvé encore très évidemment du sucre dans le foie. Chez les Chiens, la production du sucre ne s'arrête guère, ainsi que nous l'avons dit, que trois jours environ avant la mort; seulement, quand on approche de cette période de l'inanition, la quantité de sucre hépatique est excessivement faible; et pour faire la recherche du sucre dans le foie à ce moment, on devra avoir soin de ne pas sacrifier les animaux par hémorrhagie, mais bien par la section du bulbe rachidien, comme nous le faisons habituel- lement, parce que dans le premier genre de mort, le sang non sucré des organes abdominaux voisins, qui traverse le tissu hépatique pour s'écouler au dehors, lave en quelque sorte l'organe, et lui emporte la petite quantité de sucre qu'il contenait, de sorte qu'on pourrait, dans ces cas, attribuer à l'abstinence l'ab- sence du sucre dans le foie. Du reste, le temps nécessaire pour que la production du sucre dans le foie s'éteigne sous l'influence de l'abs- tinence est variable suivant l'âge et la taille des ani- maux, leur classe, leur espèce, et la faculté de résister ■132 INFLUENCE DE L 'ALIMENTATION plus ou moins longtemps à l'inanition. Parmi les ver- tébrés, les oiseaux sont des animaux chez lesquels, dans des circonstances égales, la privation de nourri- ture éteint le plus rapidement la production du sucre dans le foie. Ainsi, au bout de trente-six ou de qua- rante-huit heures d'abstinence, chez des petits oiseaux, tels que les Moineaux, le foie est déjà complètement dépourvu de matière sucrée. Après les Oiseaux vien- nent les Mammifères, surtout quand ils sont jeunes. J'ai expérimenté à ce point de vue sur des Rats, des Chiens, des Chats et des Chevaux. Chez les Rats et les Lapins, il suffit de quatre à huit jours; chez les Chiens, les Chats et les Chevaux, il faut douze à vingt jours, pour que le sucre disparaisse complètement dans le foie. Ce laps de temps peut devenir moindre, si pen- dant l'abstinence on fait prendre de l'exercice aux ani- maux, ou bien il peut être plus considérable, si, dans les mêmes circonstances, on condamne les animaux au repos, en même temps qu'on leur fournit de l'eau à boire. Les Reptiles et les Poissons se distinguent des ani- maux à sang chaud par une résistance beaucoup plus considérable aux effets de l'abstinence et par une dis- parition plus lente du sucre dans le foie. C'est ainsi que des Crapauds, des Couleuvres et des Carpes pré- sentaient encore, cinq à six semaines après leur dernier repas, du sucre dune manière très évidente dans le tissu du foie. Du reste, l'augmentation de la tempé- rature ambiante active d'une manière évidente cette disparition du sucre hépatique en accélérant sans SUR LA PRODUCTION DU SUCRE; 135 doute les phénomènes nutritifs. L'abaissement de température agit d'une manière inverse. En même temps que le sucre disparaît, on voit d'autres fonctions se modifier. La respiration, par exemple, qui est dans un rapport si intime avec la destruction du sucre, se ralentit. Il y a cependant un cas d'abstinence apparente qu'il est intéressant de considérer ici : c'est celui des animaux hibernants, des marmottes, par exemple, qui s'endorment aux approches de l'hiver, et restent dans cet état, sans manger, pendant un temps considérable. 11 était curieux d'observer les phénomènes de la nu- trition chez ces animaux pendant leur sommeil, et en particulier la sécrétion si importante du sucre. M. le professeur Valentin, de Berne, a fait à ce sujet des expériences très intéressantes dont je vous indiquerai en passant les résultats principaux. Les phénomènes de l'hibernation chez les Mar- mottes s'annoncent cinq ou six jours avant le sommeil réel par une perte complète d'appétit. L'animal refuse tous les aliments qu'on lui présente. La Marmotte mâle qu'observa M. Valentin pesait 2 livres i/3, et n'avait pas mangé depuis quelques jours lorsqu'elle s'endormit. Son premier sommeil dura vingt-cinq jours , au bout desquels elle se réveilla pendant quelques instants, puis se rendormit le jour suivant, et resta onze jours dans un état complet d'hibernation. Elle se réveilla ensuite de nouveau, rendit de l'urine et des selles pour la première fois depuis le commen- cement de son sommeil, et le lendemain elle se ren- 134 INFLUENCE DE l' ALIMENTATION dormit encore pendant trois jours. La Marmotte fut alors tuée par asphyxie. Elle n'avait donc pas mangé depuis environ trente-neuf jours, et l'animal n'avait perdu que 3 onces de son poids. A l'autopsie , on trouva que son foie donnait une décoction claire et neutre, réduisant énergiquement le liquide cupro- potassique , brunissant par la potasse , fermentant très bien par la levure de bière et faisant tourner à droite le plan de polarisation. Par le dosage, on trouva que cette décoction hépatique contenait 2,87 pour 100 de sucre, c'est-à-dire qu'il y en avait autant que chez d'autres Rongeurs à l'état normal. Quand on ouvrit l'estomac, on y trouva une matière neutre d'un blanc grisâtre qui existe habituellement pendant le sommeil hibernal de ces animaux. Voici donc, messieurs, un fait extraordinaire : d'une part, une quantité considérable de sucre dans le foie; d'autre part , une privation de nourriture qui dure trente-neuf jours. Ceci ne ressemble en rien à ce qui a lieu chez un animal non hibernant. Si 1 on cherche à quoi cela peut tenir, on n'a pour s'en rendre compte que la présence de cette matière jaunâtre qui se trouve sécrétée dans l'estomac, et qui, sans doute , est réab- sorbée par la veine porte pour servir à la formation du sucre. Pendant l'hibernation , toutes les fonctions sont, du reste, excessivement ralenties, et la perte par consé- quent beaucoup moins considérable que chez les ani- maux à jeun. Les animaux qui n'hibernent pas ont, au contraire, pendant l'abstinence, l'estomac parfaitement vide. On SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 135 ne peut donc pas comparer un animal à hibernation complète, comme la Marmotte, à un animal à jeun, ni même à un animal dout l'hibernation est incom- plète et qui se réveille de temps en temps pour man- ger, comme les loirs et certains rongeurs et insecti- vores. Ces derniers animaux peuvent mourir de faim et rentrer dans le cas ordinaire des animaux à jeun; ils ne se rendorment plus et meurent réellement d'ina- nition : c'est ce qui est arrivé sur un jeune Hérisson qu'avait observé Valentin, qui mourut au bout de deux mois, ne présentant que des phénomènes d'un sommeil incomplet, et dont le foie n'offrit plus à Pau- topsie aucune trace de sucre. Dans la Marmotte qui a fait le sujet de l'expérience citée plus haut, il est question d'une sorte de diffusion de la matière sucrée dans l'organisme; car on constata qu'outre le tissu du foie, il y avait encore des traces de sucre dans la bile, dans le diaphragme, dans la capsule surrénale droite et dans l'estomac. Cette dif- fusion n'est pas physiologique et doit être considérée comme purement cadavérique, car, ainsi que nous l'avons démontré ailleurs, après la mort il se produit une endosmose de la matière sucrée dans la bile et dans les organes qui environnent le foie. C'est ainsi seulement qu'on peut comprendre que le diaphragme ait été sucré, de même que la capsule droite, la plus rapprochée du foie, tandis que la gauche, en étant plus éloignée, ne présentait pas de traces de sucre. Nous venons de voir le rôle de l'abstinence sur la production du sucre, nous avons distingué le cas des 136 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION animaux hibernant qui ne doivent pas être considérés comme animaux à jeun. Nous avons maintenant à examiner les rôles de chaque alimentation en parti- culier. Voyons d'abord l'influence de l'alimentation grais- seuse. Rollo recommandait de donner de la graisse aux diabétiques. M. Thenard et Dupuytren leur fai- saient manger du lard; il importe donc d'examiner Faction spéciale de cette alimentation. Nous avons nourri des Chiens avec du lard et avec de l'axonge, et nous avons trouvé ce fait très curieux , que sous l'influence de cette alimentation , le sucre diminuait dans le foie absolument de la même manière que si l'animal avait été mis à l'absti- nence absolue. i° Un Chien de taille moyenne fut nourri pen- dant trois jours avec du lard non salé cru et complète- ment privé de parties musculaires. Chaque jour l'ani- mal mangea bien, et même avec appétit, 125 grammes de cette substance grasse coupée en morceaux; le troisième jour, le Chien fut sacrifié par la section du bulbe rachidien trois heures après son dernier repas, c'est-à-dire au moment où la digestion était en pleine activité et la production glycogénique à son summum. Le foie, qui donnait une décoction jaunâtre et lim- pide, contenait 0,88 de sucre pour 100 du tissu. 20 Un autre Chien robuste, de taille moyenne, soumis à l'abstinence absolue pendant huit jours, fut nourri pendant les six jours qui suivirent avec de la graisse de porc (saindoux) fondue et tiède, dont on lui injec- SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 137 tait chaque jour dans l'estomac, au moyen de la sonde œsophagienne, 90 centimètres cubes, et aussitôt après, sans retirer la sonde, 180 grammes d'eau ordinaire. L'animal fut tué au bout de ce temps. A l'autopsie, la quantité de sucre dans le tissu hépa- tique n'était que de 0,57 pour 100. L'alimentation avec la graine a donné sur ces deux Chiens ce résultat identique, savoir, la diminution du sucre dans le tissu du foie. La graisse était cependant parfaitement absorbée et digérée, seulement elle ne servait à rien pour la production du sucre. Car nous avons constaté que, sous le rapport de la quantité de sucre qu'il contient, le foie des animaux soumis à la diète graisseuse est tout à fait comparable à celui des animaux complètement privés d'aliments. Il y a ici une remarque à faire au sujet de la parti- cularité d'absorption que présente la matière grasse. C'est à travers le foie, placé comme une espèce de filtre organique entre le système circulatoire géné- ral et l'intestin, que passent la plupart des substances introduites dans le tube digestif et dissoutes par les sucs intestinaux. Or, quelle que soit la diversité des aliments, leurs principes fondamentaux sont seulement, comme nous l'avons dit, de trois espèces, savoir: les matières azotées ou albuminoïdes, les matières féculentes ou sucrées, et les matières grasses. De ces trois ordres de substances, les dernières seules ne passent pas par le foie, et sont presque exclusivement absorbées par les chylifères, pour arriver directement au poumon, en suivant le 138 INFLUENCE DE l/ALIMENTATION canal thoracique qui les verse dans la circulation vei- neuse générale. On peut donc, au point de vue de leur absorption, diviser les matières alimentaires en deux classes: 1° celles qui traversent le foie en sortant de l'intestin; 2° celles qui, charriées par les chylifères, sont portées directement dans le poumon. C'est ainsi que les choses se passent chez tous les mammifères. Chez les Oiseaux, les Reptiles et les Pois- sons, où il n'y a pas de vaisseaux chylifères propre- ment dits, il y a un autre mécanisme d'absorption de la graisse, ainsi que nous le verrons plus tard. Le passage de la graisse à travers un système de vaisseaux différents de ceux de la veine porte est non- seulement un fait physiologique, mais il est en rapport avec la structure de l'organe hépatique ; car si l'on pousse une injection de graisse dans la veine porte, elle ne passe que très difficilement dans les veines sus- hépatiques, elle se fixe dans le tissu du foie. Les ana- lyses de Lehmann viennent encore confirmer ces faits. Ce chimiste a trouvé que le sang qui arrive dans le foie contient, quoique en faible quantité, de la matière grasse, mais que le sang qui en sort en présente beau- coup moins. Le sang de la veine porte renferme en moyenne, sur des chevaux, o^r-,o4 de graisse, et le sang des veines hépatiques seulement o£r,ooo5. Cette impossibilité où se trouve la graisse de traverser le foie est en rapport avec l'inutilité de cette substance pour former le sucre ; son action à cet égard peut donc être considérée comme nulle. Le régime conseillé par SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 139 Rollo équivalait doue à l'abstinence, et l'on ne doit pas s'étonner qu'il ait obtenu d'heureux résultats avec sa méthode, puisque la formation du sucre est nécessai- rement diminuée par suite de l'alimentation graisseuse, qui n'exerce aucune action sur le foie. Nous arrivons maintenant à l'alimentation azotée. Voici les expériences que nous avons faites à ce sujet. i° Un Chien adulte et de petite taille, pesant 4kl'?91 > fut d'abord soumis à une abstinence absolue pendant quatre jours, afin de laisser les intestins se débarrasser des anciens aliments. (Depuis huit jours, du reste, le chien ne mangeait que de la viande.) Pendant les six jours qui suivirent, on lui ingéra, chaque jour, dans l'estomac, 370 grammes d'eau ordinaire tiède, con- tenant en dissolution 20 grammes de gélatine dite alimentaire . Une heure après son dernier repas, on sacrifia l'animal par strangulation. A l'autopsie, faite avec beaucoup de précautions, j'ai constaté que la décoction du foie, jaunâtre et légè- rement louche, renfermait beaucoup de sucre. Le dosage en donna 1 ,33 pour 100 du tissu hépatique, 2°Unautreanimal, uneChienne, de taille moyenne, fut nourrie, pendant trois jours exclusivement, avec des matières gélatineuses, consistant en pieds de mou- ton , dont on avait enlevé les os, et qu'on avait fait bouillir avec de l'eau pour en séparer la plus grande partie de la graisse, qui venait surnager à la surface du liquide refroidi. Chaque jour, ranimai mangeait quatre pieds de mouton avec la gelée qui les entourait. 140 INFLUENCE DE L 'ALIMENTATION Après trois jours de ce régime, et trois heures après son dernier repas, l'animal fut sacrifié par la section du bulbe rachidien. Je constatai que le tissu de son foie renfermait i ,65 pour 100 de sucre. La décoction hépatique était jaunâtre et légèrement opaline. L'action de la gélatine, que j'ai choisie pour mes expériences comme étant la substance azotée la plus facile à se procurer à l'état de pureté, est donc des plus remarquables. Sous son influence, le sucre s'est maiuteiiii dans sa proportion à peu près normale, malgré une abstinence de quatre jours dans le pre- mier cas. Les chiffres 1 ,33 et i ,65 pour îoo sont des chiffres normaux pour le Chien, et qui ne diffèrent pas de ceux qu'on obtient à la suite d'une alimenta- tion mixte. La singularité de ce résultat a dû me faire redoubler de précautions pour le bien constater, et dans ces deux cas j'ai retiré du tissu du foie, parla fermentation avec la levure de bière, de l'acide car- bonique et de l'alcool, qui ne m'ont laissé aucun doute à ce sujet, soit qualitativement, soit au point de vue quantitatif. C'est donc l'élément azoté qui a servi à faire du sucre : l'expérience chimique a, du reste, confirmé ces données physiologiques. Lehmaun a constaté que le sang de la veine porte, en tra- versant le foie, perd une certaine quantité de ses principes azotés, et que la fibrine y diminue nota- blement. Le sucre se forme donc, non pas aux dépens de la matière grasse, mais aux dépens de la matière azotée, chez les carnivores au moins qui ne se nourrissent que SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 1/jl de substances albuminoïdes, et ce sucre est le résultat de l'action physiologique du foie sur ces principes qui sont dédoublés de manière que leur oxygène, hydro- gène, carbone, se groupent pour former du sucre, tandis que leur azote entre dans d'autres combinai- sons, et probablement dans la constitution des ma- tières azotées de la bile. On ne saurait, en effet, trou- ver une autre origine à cette matière sucrée, qui ne peut pas être produite dans l'intestin par les phéno- mènes digestifs. L'expérience nous a, en effet, montré que, pendant l'alimentation au moyen de ces sub- stances albumineuses, l'intestin et le sang de la veine porte ne renferment jamais de matière sucrée d'au- cune espèce. Ni la gélatine ni la viande ne produi- sent de matière sucrée dans le tube intestinal par les procédés digestifs connus. On sait que Schœrer a signalé dans la chair mus- culaire la présence d'une matière qu'il appelle inosite, et qui présente la formule chimique du sucre G12H12012. M. Bouchardat , pour soutenir encore que la matière sucrée vient du dehors, invoque la pré- sence de linosite dans la chair, pour expliquer la présence du sucre dans le foie des carnivores; mais cette explication ne saurait être prouvée, car si l'ino- site a la formule chimique du sucre, la substance n'a pas les caractères du sucre du foie. Elle ne fermente pas, elle n'est altérée ni par les alcalis ni par les acides, et ne réduit pas les sels de cuivre. Du reste, la proportion extrêmement minime de cette matière, qu'on tire des muscles, en rapport avec la grande 142 INFLUENCE DE L* ALIMENTATION quantité du sucre du foie, suffit pour détruire la moindre idée de relation entre ces deux substances. Arrivons, enfin, au rôle de l'alimentation féculente, qui a un intérêt tout particulier, en raison du soin que prennent tous les médecins d'écarter tonte trace de fécule et de sucre du régime de leurs malades affec- tés de diabète. Nous avons procédé dans nos expériences sur ces substances comme pour les autres, Tous nos animaux ont été mis à jeun, sauf la quantité de fécule oude sucre que nous leur faisions absorber chaque jour. Un premier Gbien adulte, et de petite taille, fut soumis d'abord à une abstinence complète pendant quatrejours; puis pendantles six jours qui suivirent, on ingéra, chaque jour, dans son estomac, 270 grammes d'eau ordinaire légèrement tiède, contenant en sus- pension 20 grammes de fécule incomplètement hy- dratée. On sacrifia l'animal par strangulation , une heure après la dernière injection de fécule. A l'autopsie , très soigneusement faite , il y avait beaucoup de sucre dans le tissu hépatique; le dosage en donna i,2Ô pour 100. Chez ce Chien, la décoction hépatique était opaline, et blanchâtre comme du lait, ce qui dépend d'une matière émulsive sur laquelle nous reviendrons bientôt. Un deuxième Chien, de taille moyenne, reçut pen- dant trois jours une pâtée composée de pommes de terre broyées avec de.ramidou, du sucre et un peu d'eau. Le Chien n'aimait pas beaucoup ce mélange ; cependant, les deux derniers jours, il le mangea bien. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 143 Le troisième jour, et trois heures après son dernier repas, il fut sacrifié par la section du bulbe. A l'au- topsie, je constatai que le foie était très sucré; le do- sage donna 1 ,88 pour 100 du tissu. La décoction était très opaline et laiteuse, comme dans l'expérience pré- cédente. Dans cette alimentation, la matière féculente a été transformée en matière sucrée dans l'intestin, sous l'influence du suc pancréatique. Nous voyons, en effet, ici, le canal intestinal d'un Chien que nous avons nourri avec de la fécule hydratée, et qui a été sacrifié ce matin , une heure après l'ingestion de la fé- cule dans l'œsophage à l'aide d'une sonde. Nous ou- vrons l'estomac, uous y trouvons une bouillie grisâtre, que nous jetons sur un filtre. Le liquide, qui passe parfaitement limpide, est acide, et prend une colora- tion bleue très intense par l'addition d'une goutte de teinture d'iode, ce qui indique la présence de l'amidon. Si nous faisons bouillir ce liquide avec le tartrate de cuivre et de potasse, il n'y a aucune espèce de réduc- tion; par conséquent absence de matière sucrée dans 1 estomac. Dans la partie inférieure du duodénum, nous trou- vons une matière visqueuse jaunâtre, colorée par la bile; nous y ajoutons un peu d'eau et nous jetons le tout sur un filtre. Le liquide transparent qui passe est neutre ou très légèrement alcalin, et ne donne aucune coloration, comme vous le voyez, par la teinture d'iode : ce qui indique la disparition de l'amidon. Mais, par le tartrate cupro-potassique, nous obtenons un préci- 144 INFLUENCE DE L* ALIMENTATION pité très abondant d'oxyde de cuivre : ce qui indique l'apparition du sucre par la transformation de la fécule en cette substance. Ainsi, en définitive, l'animal absorbe du sucre de fé- cule qui s'est produit dans l'intestin, et qui passe dans le sang de la veine porte, où l'on peut le rencontrer dans ces circonstances. Si, au lieu d'ingérer delà fécule, nous avions donné du sucre soluble et directement absorbable, il aurait pu passer dans le sang de la veine porte, et arriver au foie sans aucune modification : c'est ce que j'ai con- staté sur des Chevaux à qui j'avais fait prendre de très grandes quantités de sucre de canne. J'ai retrouvé ce sucre en partie à cet état dans le sang de la veine porte. J'ai également observé qu'au contact du suc pan- créatique, le sucre de lait, qui est très peu fermentes- cible, acquiert la propriété de fermenter facilement. Mais, messieurs, dans ces expériences sur l'alimen- tation féculente ou sucrée, nous devions naturellement nous attendre à trouver une plus grande proportion du sucre dans le foie; au lieu de cela, nous avons trouvé qu'il n'y en a pas une plus grande quantité après l'ingestion de ces substances dans l'intestin. Les chiffres 1 ,2 5 et 1 ,88 pour 1 00 ne diffèrent pas, en réalité, de ceux indiqués pour la gélatine et de ceux que nous avons trouvés ailleurs pour des alimentations mixtes. Mais il y a cependant une différence, et c'est un point qui pourrait passer inaperçu, si je n'y insistais SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. '3 45 pas d'une manière toute particulière, en vous en ren- dant témoins par deux expériences comparatives et bien nettes : c'est le fait que la décoction du tissu hépa- tique d'un animal nourri avec des matières exclusive- ment féculentes et sucrées présente toujours une ap- parence émulsive et laiteuse. Ainsi, voici deux Chiens, l'un que nous avons nourri pendant trois jours exclusivement avec de la chair musculaire de mouton cuit, l'autre que nous avons soumis pendant le même temps à une alimentation exclusivement féculente. Ils ont été tués ce matin l'un et l'autre par la section du bulbe rachidien. L'appareil digestif a été mis à nu : nous prenons un morceau du foie de chacun de ces animaux, et nous le faisons bouillir avec de l'eau ordinaire. Voici maintenant les deux liquides de décoction, ils réduisent tous deux également le réactif cupro-potassique; mais vous voyez que tandis que le premier, celui de l'animal nourri de matières azotées, est à peu près limpide ou au moins très légèrement opalin, l'autre, celui de l'animal nourri avec de la fécule, a, au contraire, tout à fait une apparence laiteuse et émulsive qui fait penser à une matière particulière qui existe en plus dans ce liquide. Nous avons constaté déjà que chez ce dernier Ghien il y a de l'amidon dans l'estomac et du sucre dans l'intestin. Si nous ouvrons actuellement l'estomac et l'intestin de l'autre animal, nous trouvons dans l'estomac une matière grisâtre dans laquelle on re- connaît des fragments de tête de mouton cuite. Nous jetons le tout sur un filtre, et le liquide limpide et 10 146 INFLUENCE DE l' ALIMENTATION acide qui passe ne contient ni sucre ni fécule. L'addi- tion de la teinture diode et lebullition avec le liquide cupro-potassique ne produisent aucun résultat. La matière recuillie à la fin du duodénum , étendue d'un peu d'eau, est jetée sur un filtre; le liquide lé- gèrement jaunâtre qui filtre, et d'une réaction très légèrement acide, ne donne lieu avec les mêmes réac- tifs à aucun des caractères de la matière sucrée; il n'y a donc dans l'intestin ni fécule ni principe sucré de deuxième espèce. Il n'y a pas non plus du sucre de la première espèce, car en faisant bouillir avec un acide et traitant ensuite par la potasse on n'obtient pas la réaction du glucose. Ainsi que vous le voyez, l'alimentation féculente apportant cependant au foie du sucre venu de l'exté- rieur, n'en donne pas davantage dans le tissu de cet organe, mais elle y fait apparaître une matière nou- velle restant en suspension dans la décoction. J'insiste sur ce fait parce qu'il faut bien savoir que dans l'état physiologique, l'ingestion de matières féculentes ou sucrées n'augmente pas la quantité de sucre dans le foie et par suite dans l'économie. Cette source extérieure n'apporte aucun changement dans la sécrétion intérieure du sucre; elle ne saurait donc être aucunement considérée, ainsi que nous verrons, comme son auxiliaire. Il n'en est pas ainsi dans le diabète où , dès qu'on donne des substances sucrées ou féculentes, il appa- raît immédiatement dans l'économie et par suite dans les urines une plus grande quantité de sucre. SUR LA PRODUCTION DU SUCRE. 1/|7 A l'état physiologique, on doit considérer le foie comme étant un organe destiné pour ainsi dire à éta- blir un certain équilibre dans la constitution du sang. En effet, si vous examinez le sang des animaux dont l'ali- mentation est si différente, les uns se nourrissant de matières animales, les autres de matières végétales, et si vous analysez leur sang dans le cœur, par exemple, vous trouverez chez tous une composition à peu près identique de ce liquide vivant. Ces matières alimen- taires n'entrent donc pas dans l'organisme, dans l'état ni dans les proportions où elles se trouvent quand elles sont dans l'intestin, elles subissent de la part du foie, placé comme un laboratoire vital, entre le canal intestinal et le fluide circulatoire général, une pro- fonde élaboration dans laquelle se maintient un certain équilibre nécessaire pour établir la composition sem- blable du sang qui est et doit être doué des mêmes propriétés chez tous les animaux, puisqu'il sert à en- tretenir des phénomènes fonctionnels identiques. C'est à l'examen de ce mécanisme qui est un des points les plus importants de la physiologie du foie au point de vue du diabète que nous consacrerons la prochaine séance. SEPTIEME LEÇON. o 16 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à cet état clans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières féculentes et sucrées. — Il les transforme en une substance émulsive particulière. — Expériences comparatives. — Preuves diverses. — Sang chyleux. — Urines Jaitiuses. — Application au diabète. — Rôle de la circulation dans la production du sucre. — Phe'nomènes méca- niques. — Cas d'apparition accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phénomène. — Critique de quelques expériences. Messieurs, Nous sommes arrivés à un des points les plus déli- cats de la fonction glycogénique. Nous savons que le foie produit du sucre indépendamment de la nature de l'alimentation. Nous savons, d'autre part, que c'est aux dépens des matières albuminoïdes, que ce sucre se forme; car les aliments féculents ou sucrés n'aug- mentent pas la quantité de sucre dans le tissu hépa- tique, et la matière sucrée se produit constamment chez les animaux exclusivement nourris de substances azotées, en aussi grande quantité que chez les her- bivores. Mais il se présente alors une question: que devient le sucre qui est ingéré par l'alimentation? 11 y en a d'absorbé, c'est incontestable, car on en ren- contre dans le sang de la veine porte. Mais cependant on n'en trouve pas davantage au delà du foie que dans une nourriture purement azotée; c'est encore là un fait expérimental démontré. INFLUENCE DE L'ALIMENTATION FÉCULENTE OU SUCRÉE. H9 Comment se comporte ce sucre vis-à-vis du foiePLa fonction glycogénique de cet organe n'est-elle des- tinée qu'à suppléer au défaut de la matière sucrée, quand les aliments n'en fournissent pas? et doit-elle cesser, quand il en vient du dehors une quantité suf- fisante? Tels sont les problèmes qui se dressent devant nous, et que nous avons à aborder. Eh bien, messieurs, la fonction glycogénique du foie est constante, quelle que soit la nature de l'alimenta- tion. Quand l'animal mange exclusivement des ma- tières albuminoïdes, la proportion de sucre contenue dans son foie, comme nous l'avons vu dans la der- nière séance, est de 1 ,35 à i,65 pour 100; quand il se nourrit de matières féculentes ou sucrées, il s'en trouve encore des quantités sensiblement égales , de i,5o à 1 ,88 pour 100. Le sucre venu du dehors ne s'ajoute pas comme tel au sucre hépatique, mais il est changé dans le foie en une autre matière, ainsi que je vous l'ai fait pressentir dans la dernière leçon. Je remets encore sous vos yeux les deux liquides qui résultent, l'un de la décoction du foie d'un Chien nourri exclusivement de matières albuminoïdes, vous voyez que le liquide est parfaitement limpide; l'autre de la décoction du foie d'un Chien nourri avec une bouillie de fécule, et qui est, au contraire, trouble, opalin, ayant une apparence laiteuse. Les deux Chiens ont été sacrifiés en pleine digestion, et ces deux li- quides contiennent également du sucre. Ce n'est donc pas à ce dernier point de vue qu'ils diffèrent, mais seu- 150 INFLUENCE DE L* ALIMENTATION SUCRÉE lement par la matière émulsive tenue en suspension dans le second, et qui n'existe pas dans le premier. Les matières féculentes, entrées comme sucre dans la veine porte et arrivées à cet état dans le foie , sont donc détruites par cet organe et changées en une autre matière qui a toute l'apparence d'une substance graisseuse émulsionnée par une matière protéique spéciale. Nous avons dit que le sucre , introduit dans le tube intestinal, n'augmente pas la quantité de cette matière contenue dans le foie, mais qu'il s'y détruit et détermine l'apparition d'une autre substance émulsive. C'est de cette disparition du sucre alimentaire, que je veux actuellement vous rendre témoins, au moyen de deux expériences comparatives qui vous prouveront que du sucre en solution concentrée (60 part, de sucre pour 100 d'eau), ingéré dans le canal digestif et ab- sorbé par la veine porte, n'entre pas dans la circula- tion générale , n'apparaît pas dans les urines , et se trouve, par conséquent , arrêté et détruit dans le foie, jusqu'auprès duquel on peut le suivre, tandis que dans la même dissolution concentrée le sucre , introduit dans l'organisme par toute autre voie, par l'absorption sous-cutanée, par exemple, entre dans la circulation générale, et est éliminé en partie au moins par les urines. Pour celte expérience nous prenons deux Lapins, en digestion. Au reste, ces animaux, même à jeun , ainsi que vous le savez, ont toujours des aliments dans l'estomac ; ce qui n'empêchera pas le sucre de descendre SUR LA PRODUCTION DU SUCRE DANS LE FOIE. 151 dans l'intestin. Nous extrayons leurs urines assez facilement, en pressant dans le petit bassin sur la vessie avec le pouce, immédiatement au-dessus de la symphyse pubienne. Vous voyez que ces urines sont troubles, alcalines, comme celles de tous les herbi- vores en digestion, et qu'en outre, elles ne contiennent pas de sucre, puisqu'en les faisant bouillir avec le réactif cupro-potassique, après les avoir traitées par le char- bon animal, elles ne donnent lieu à aucun précipité. Nous introduisons chez un de ces Lapins une sonde de gomme élastique dans l'estomac , en ayant soin d'éviter la trachée, et longeant pour cela avec pré- caution le bord dorsal du pharynx et de l'œsophage. Nous sommes parvenu dans l'estomac et nous ingérons par cette sonde, et à l'aide d'une seringue, 3s centi- mètres cubes dune dissolution sucrée contenant 60 grammes pour too de sucre de fécule ; nous avons ajouté une certaine quantité de prussiate jaune à cette dissolution. Nous prenons maintenant l'autre Lapin, et, à laide dune canule acérée, taillée en biseau, comme un tro- cart (fig. 1 3), nous lui injectons, dans le tissu cellulaire sous-cutané, 16 centimètres cubes seulement de la même dissolution de sucre et de prussiate jaune de po- tasse, afin de rendre l'expérience plus concluante. Vous voyez le liquide entrer très facilement sous la peau, à raison de la laxité du tissu cellulaire des Lapins. Une semblable injection réussirait plus difficilement chez des Chiens où le tissu cellulaire est beaucoup plus dense. 152 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE Nous pouvons constater que cette dissolution con- tient bien , d'une part , du sucre de fécule, dont la présence se manifeste par la réduction du tartrate cupro-potassique , et, d'autre part , du prussiate de potasse, car, si nous y versons une goutte de perchlo- rure de fer, nous avons une coloration bleue intense, qui indique la formation du bleu de Prusse, et, par conséquent, l'existence du prussiate jaune dans le li- quide. Je vous dirai dans un instant le but de cette addition de prussiate jaune de potasse. Nous laissons maintenant nos Lapins en repos; l'ab- sorption va se faire, et voici les phénomènes qui vont se passer et les résultats que nous constaterons à la fin de cette séance : Les animaux ont reçu tous deux une dissolution de sucre et de prussiate jaune, l'un dans l'estomac, l'autre sous la peau. Quand nous examinerons , dans une heure, leurs urines, nous verrons que l'urine du premier Lapin ne contiendra pas la moindre trace de sucre , tandis que l'urine du second en offrira des quantités considérables. Mais on pourrait peut-être objecter que si le sucre n'apparaît pas encore dans les urines de l'animal chez lequel cette substance a été in- gérée dans l'estomac, cela dépend d'une différence dans la rapidité avec laquelle l'absorption a lieu dans les différents points de l'organisme, et l'on sait en effet que l'absorption sous-cutanée est plus rapide que l'ab- sorption intestinale. C'est en vue de cette objection et pour y répondre de façon à ne laisser aucun doute dans votre esprit, SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 153 que nous avons eu soin d'ajouter à la dissolution sucrée du prussiate de potasse. Cette substance , à la dose où nous l'introduisons, traverse l'organisme sans y apporter aucun trouble. Or, vous verrez que les urines de l'animal chez lequel l'injection a été faite dans l'estomac ne contiendront pas de sucre, tandis que celles de l'animal chez lequel l'injection a été faite sous la peau en présenteront des quantités notables ; cependant les urines des deux Lapins offriront la même réaction au perchlorure de fer, parce qu'il se trouvera dans l'une et l'autre du prussiate jaune. Ceci prouvera que l'absorption s'est effectuée aussi bien dans l'intestin que sous la peau, mais que dans le pre- mier cas la dissolution a abandonné un de ses élé- ments, le sucre, en traversant le foie, ce qui n'a pas lieu dans le deuxième cas. Nous aurions encore pu faire l'expérience de la manière suivante: Après avoir pratiqué une petite plaie à l'abdomen d'un Lapin, nous aurions pu injecter 2 à 3 centimètres cubes de cette même dissolution dans un des rameaux de la veine porte; et en découvrant sur un autre Lapin la veine jugulaire, injecter dans ce vaisseau la même quantité de la même dissolution qui serait ainsi arrivée au cœur sans avoir passé par le foie. 11 est clair que dans ce mode d'opérer on ne pourrait pas invoquer aucune différence d'absorption, puisque dans les deux cas nous introduisons les sub- stances directement dans le sang. Néanmoins nous aurions obtenu exactement le même résultat, c'est-à- dire que chez le Lapin injecté par la veine jugulaire le 154 INFLUENCE DE l' ALIMENTATION SUCRÉE sucre aurait passé dans les urines avec le prussiate de potasse, et avec une très grande rapidité , tandis que chez le Lapin injecté par la veine porte le prussiate de potasse seul aurait passé dans les urines, où l'on ne retrouverait pas la moindre trace de sucre. Il ne reste donc pas de doute sur ce fait que les ma- tières sucrées arrivant par la veine porte ne traversent pas le foie , mais qu'elles occasionnent dans cet or- gane la production de cette matière nouvelle qui donne au liquide cette apparence blanchâtre et qui paraît être une matière grasse unie avec une substance protéique. Du reste, nous serons confirmés dans cette généra- tion de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées alimentaires, par les faits connus dans l'en- graissement des bestiaux , nous trouverons là une expérimentation faite sur une plus vaste échelle. Vous savez tous que les animaux engraissent surtout par l'effet d'une alimentation où prédomine la fécule; que les Oies et les Canards, dont on rend artificiellement le foie gras, sont nourris jusqu'à l'engorgement avec une pâtée de maïs ou d'autre fécule; que la graisse formée par un animal n'est nullement en proportion avec la quantité de graisse en nature qu'il prend; que, tout au contraire, les animaux qui ne mangent que de la graisse, loin d'engraisser, maigrissent rapidement. D'après tout cela, messieurs, nous voyons donc grandir sous nos yeux le rôle et l'importance du foie dont les fonctions avaient été si longtemps méconnues* Désormais ce n'est plus seulement la sécrétion biliaire SUK LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 155 que nous aurons à envisager dans cet organe, nous y trouverons en outre deux fonctions distinctes d'une importance capitale et qui sont la production du sucre aux dépens des matières albuminoïdes et la production de la graisse aux dépens des matières féculentes et sucrées de l'alimentation. Il faut donc bien comprendre que la proportion très peu invariable de sucre qui se trouve dans le foie et dans le sang, n'est jamais à l'état physiologique conr- plétée parles matières sucrées de l'alimentation venant s'ajouter purement et simplement au sucre hépatique; ce sucre devrait alors être formé par le foie en pro- portion moindre, de manière à établir une sorte de balancement entre la quantité de sucre que le foie reçoit de l'intestin el celle qu'il forme dans son propre tissu , et ce balancement pourrait même aller jusqu'à anéantir la formation du sucre si l'extérieur en donnait assez. A ce point de vue , le foie ne serait plus qu'une espèce de source sucrée d'occasion pour suppléer à l'insuffisance de celle qui proviendrait de l'alimentation. Mais il n'en est point ainsi. Quelle que soit la nature de l'alimentation, le foie fabrique toujours la même quantité de sucre , et c'est ce sucre seulement qui apparaît dans le sang sortant par les veines hépatiques. Des compensations de la nature de celles que nous venons d'indiquer, et telles que pourraient les rêveries partisans des causes finales, ne se voient pas ordinaire- ment dans la nature. Les organes de nutrition, sans conscience de leur rôle, exécutent leurs fonctions pro- pres, quand ils en ont les éléments nécessairesret qu'ils 156 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION SUCRÉE y sont sollicités par une cause excitante; mais on ne saurait placer là aucune intelligence spéciale à l'organe. Ce n'est point parce qu'il reconnaît les aliments que l'estomac sécrète le suc gastrique, c'est en raison seulement d'un phénomène d'excitation qu'il reçoit, car nous savons que cette sécrétion s'opère, quand on ingère à un animal des corps qu'il ne saurait s'assi- miler, tels que des petits cailloux par exemple. Le foie de même produit à l'état physiologique du sucre sous l'influence de toute excitation nerveuse ou sanguine» sans s'inquiéter de savoir s'il lui arrive on non dans l'organisme du sucre par une autre voie. Nous devons ajouter encore que le sucre arrivant du dehors, à l'état de sucre de canne ou de betterave, de sucre de fruits ou de fécule, de sucre de lait, etc., n'a point les mêmes caractères physiologiques que le sucre produit par le foie ; il est bien moins fermentes- cible, bien moins destructible, et ne serait point apte aux usages que nous aurons à vous indiquer plus tard. En résumé, la fonction du foie n'est point une fonc- tion supplémentaire variable suivant la quantité de matière sucrée introduite par l'alimentation; elle est, au contraire, essentiellement fixe, tant que le sang et les matières albuminoïdes, aux dépens desquelles elle se fait exclusivement , lui sont fournies en quantité suffisante. Quant au sucre qui arrive du dehors par l'alimen- tation, il se change dans le foie en une matière lai- teuse, qui passe ensuite dans le sang, accompagne le sucre, et se manifeste également , en communiquant SUR LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 157 au sang un aspect blanchâtre dit chyleux. Vous voyez ici du sang qui a été retiré de la veine jugulaire sur un Lapin nourri exclusivement avec des carottes et des féculents, au moment où l'animal était en pleine digestion. Ce sang s'est coagulé, et le sérum qui s'est séparé est, comme vous voyez, blanchâtre, et a un as- pect laiteux. On dit alors que le sang est chyleux. On avait cru longtemps que cette apparence était néces- sairement due à la matière grasse que l'on faisait prendre à un animal avec ses aliments, mais ce phéno- mène se produit chez des animaux qui ne prennent que des féculents exempts de matières grasses, comme de la fécule de pomme de terre, par exemple, et c'est alors dans le foie que cette substance laiteuse se développe. Je tiens de M. Persoz , qui s'est occupé scientifique- ment de l'engraissement des Oies, que si l'on découvre un vaisseau chez un de ces animaux soumis au régime féculent d'engraissement pour obtenir le foie gras, le sang, qu'on voit circuler, n'est pas rouge, comme dans l'état normal, mais blanchâtre, offrant une teinte rosée et ayant l'apparence d'un sang mêlé à du chyle. C'est surtout au moment de la digestion que ce phé- nomène a sa plus grande intensité. Tous ces faits concourent donc, comme vous le voyez, messieurs, à établir que le sucre, résultant de la digestion des féculents , se change dans le foie en matière chyleuse.Si , maintenant, nous cherchons dans les faits pathologiques, nous pourrons en trouver peut-être qui sont en rapport avec cette nouvelle fonction du foie. \ 58 INFLUENCE DE L'ALIMENTATION FÉCULENTE OU SUCRÉE Il y a une maladie dont un des caractères princi- paux se tire des urines qui sont dites chyleuses, parce qu'elles sont blanchâtres absolument comme si on les avait mélangées avec du lait, et quelles contien- nent en effet des matières grasses émulsionnées. Cette maladie, qui est rare dans nos climats, se rencontre plus fréquemment dans les pays chauds. M. Rayer en a décrit plusieurs cas, et j'ai vu plusieurs fois de ces urines dans le laboratoire de ce médecin célèbre. Je dis donc qu'il serait possible peut-être de rap- procher ce cas de la présence delà matière chyleuse dans les urines de la fonction nouvelle que je viens de vous signaler dans le foie ; de même que nous rattachons le diabète à la fonction glycogénique de ce même organe. Ce serait là un argument de plus à ajouter à cette proposition que nous avons énoncée bien sou- vent, à savoir que les phénomènes morbides ont tou- jours leurs représentants dans les phénomènes normaux. D'un autre côté, quand nous analyserons les sym- ptômes du diabète, nous verrons que cette faculté du foie , de changer normalement le sucre en matière lactescente, paraît manquer complètement dans cette maladie , car aussitôt qu'on donne aux diabétiques du sucre dans l'intestin , cette matière apparaît dans les urines; si alors cette matière grasse résultant de la destruction du sucre alimentaire dans le foie ne se fait pas, on conçoit que ces malades maigrissent avec rapidité , ainsi que l'ont constaté tous les observateurs, évitant de donner des féculents, qui font augmenter le symptôme principal de cette affection. SUR UNE FONCTION NOUVELLE DU FOIE. 159 Relativement aux caractères chimiques de cette matière cbyleuse, voici ce que nous avons constaté : On prend ici la décoction d'un foie de Chien, nourri depuis deux jours avec une pâtée de fécule et de pain. Cette décoction filtrée est très trouble et comme laiteuse. M. Leconte a traité une partie de ce liquide en y ajoutant de l'alcool mêlé de i/5 d ether, jusqu'à ce qu'il se séparât une matière caséeuse, qui est inso- luble dans l'acide acétique cristallisable ; on jette sur un filtre qui laisse passer un liquide limpide et très sucré. La matière caséeuse reste sur le filtre; on des- sèche au bain-marie, on reprend par 1 ether et, en laissant évaporer, on obtient une petite quantité de matière grasse. Il semblerait donc que la matière grasse est intime- ment unie à la matière caséeuse qui la dissimule , car on ne peut pas séparer directement cette graisse par les moyens ordinaires. Dans les foies de Chiens, ou d'animaux qui n'ont pas été nourris avec une alimen- tation fortement sucrée ou féculente, on n'obtient que de faibles proportions de cette substance caséeuse susceptible de céder de la matière grasse. Nous n'entrerons pas dans de plus grands détails relativement aux caractères chimiques de cette sub- stance nouvelle, qui naît dans le foie, sous l'influence de l'alimentation sucrée ou féculente. Nous ne faisons ici que l'indiquer comme sujet d'étude à reprendre plus tard, car nous ne devons pas perdre de vue notre sujet principal d'étude, l'histoire physiologique du diabète, auquel il nous faut actuellement revenir. 160 PHENOMENES DE CIRCULATION Après avoir étudié la part que les différentes sub- stances contenues dans le sang prennent à la pro- duction du sucre dans le foie , nous allons chercher à apprécier i'iufluence qu'exercent sur l'accomplisse- ment de cette fonction les conditions mécaniques de rapidité ou de ralentissement de la circulation du fluide sanguin à travers le foie. 11 ne faudrait pas croire que tout le sang qui traverse un organe soit épuisé de la matière sur laquelle cet or- gane opère pour accomplir sa fonction. 11 n'y en a ja- mais qu'une partie d'employée \ le reste passe sans avoir éprouvé d'altération. 11 y a donc dans le foie, comme dans tous les organes, une circulation mécanique, qui s'accomplit avec la rapidité de la circulation géné- rale, et une circulation chimique beaucoup plus lente pour le travail d'élaboration auquel elle est destinée. Il en est ainsi de tous les organes glandulaires, du poumon, des glandes salivaires, du pancréas, de la rate, etc. C'est de cette partie mécanique de la circulation du foie que nous allons vous dire quelques mots. Quand on fait lanatomie du foie, on trouve des groupes de cellules, qu'on nomme un lobule (Fig. 7). Du centre de ce lobule part la veine sus-hépati- que VH, et autour de cet amas de cellules environné par la capsule de Glisson arrive la veine porte VP, qui circonscrit en quelque sorte le lobule. On voit ainsi que le sang qui est amené par la veine porte à la périphérie du lobule doit, pour parvenir dans la veine hépatique, circuler à travers toute la série de cellules DANS LK LOBULE DU FOIE. 161 hépatiques intermédiaires. Durant ce trajet le sang est en contact avec les cellules hépatiques, à travers des parois vasculaires très minces qui ne sont pas dis- Fig. 7. VU, veine hépatique [.tenant naissance au milieu du lobule hépatique. — VP, VP, VP, terminaison de la veine porte autour du lobule hépatique qui se trouve circonscrit par ces divisions va-culaires. De ces divisions de ht veine porte part un système de vaisseaux capillaires intermédiaire entie la veine porte et la veine hépa tique. C'est dans les mailles de ce réseau capillaire que se trouvent situées les cellules hépatiques C', qui se trou- vent immédiatement en contact avec le sang qui circule de la veine porte à la veine hépatique, c'est-à-dire de la périphérie du lobule hépatique à son centre. — B, B, B, terminaison des conduits biliaires, ou plutôt origine de ces canaux autour des lobules hépatiques ; ils accompagnent les divi- sions périphériques de la veine porte. linctes et ne circonscrivent en quelque sorte que dos lacunes vasculaires. C'est là que se passent les phé- nomènes chimiques donnant naissance aux métamor- 11 — c 162 PHÉNOMÈNES DE CIRCULATION phoses don résultent le sucre et les diverses autres matières nouvelles qui se forment clans le foie aux dé- pens des principes que contient le sang. C'est encore dans ce même lobule que se produit la bile qui est re- cueillie par les canaux biliaires B, B, B, distribués à la périphérie du lobule hépatique, en accompagnant la veine porte, sans qu'où ait pu encore déterminer exac- tement quels rapports auatomiques ces conduits bi- liaires contractent avec les cellules hépatiques. La plu- part des anatomisles pensent qu'ils se terminent par des orihces béants au milieu des espaces interceliulaires du lobule. Mi le docteur Haufield Jones pense è.*W.---. Fig. 8. Cellules du foie du Lapin à jeun et en digestion de fécule. A, cellules du foie d'un Lapin en digestion de carottes et pain ; les cellules, très granuleuses intérieurement, sont très arrondies et comme gonflées, présentant des contours pâles; elles sont comme noyées au mi- lieu de granulations moléculaires D qui les entourent, et sont animées d'un mouvement brownien très aciif O, noyaux de cellules isolées. B, cellules du foie de Lapin à jeun depuis trente-six heures; ces cel- lules sont de forme assez irrégulière, comme aplaties avec des bords très nets, et ne sont pas entourées de granulations moléculaires. — O, noyaux de cellules isolés. DANS LE LOBULE DU FOIE. 163 Or, quand on examine au microscope le foie d'un animal eu digestion de substances féculentes, on voit dans les cellules hépatiques une infinité de petits glo- bules de graisse ; autour de ces cellules sont répandues des myriades de petites molécules, qui offrent égale- ment 1 aspect de la matière graisseuse , et qui sont ani- mées d'uu mouvement brownien excessivement rapide (Fig. 8 À , Fig. 9 B). On observe particulièrement ces faiss chez un animal soumis à l'alimentation féculente, et ce phénomène de production de la matière émulsive est déterminé durant le passage chi sang- de îa veine porte à travers les cellules glandulaires du foie. Fig. 9. Cellules du foie du Chien à jeun et en digestion de féculents. A, cellules du foie d'un Chien à jeun ; ces cellules offrent des bords très nets et ne sont pas entourées de granulation moléculaire. — G, cel- lules hépatiques O, noyau de cellules isole'. B, cellules du foie d'un Chien en digestion de pain et fécule; les cellules Csont très granuleuses à l'intérieur, et entourées de granulations molécu- laires D, douées du mouvement brownien. — O, noyau de ceilule isolé. C'est la circulation chimique qui s'opère ainsi que nous lavons dit (Fig. 7). Mais à côté de-cette circulation très lente , il s'en fait une autre: on voit des rameaux de la veine porte, qui, au lieu de s'enfoncer dans le lobule 1G/| PHÉNOMÈNES GÉralAÀU'î DE CIRCULATION du foie, le circonscrivent, et viennent s'anastomoser avec les veines hépatiques. C'est donc là une voie col- latérale, par laquelle une partie du sang de la veine porte s écoule sans avoir traversé les cellules du foie pour arriver directement dans la grande circulation. Fig. 4 0. Portion d'un foie de Cheval vu par sa face inférieure pour montrer une nouvelle espèce de communications vasculaires directes qui existent entre la veine porte hépatique et la veine cave inférieure, au moment de sa pénétration dans le foie. — VP, tronc de la veine porte hépatique. — V C, tronc de la veine cave inférieure, s'élargissant et présentant une structure musculaire très prononcée dans toute sa portion hépatique. — • A, hranche de la veine porte hépatique se détachant de son tronc et allant se ramifier sur la face externe de la veine cave inférieure, à la manière des vasa vasorum , mais offrant cette singulière disposition que la plupart des rameaux , au lieu de se terminer en capillaires, pénètrent brusque- ment en a, a, a, a dans la cavité de la veine cave inférieure, s'insinuan* entre les fibres musculaires qui constituent sa paroi, et établissant ainsi une communication entre le sang de la Veine cave inférieure et celui de la veine porte hépatique*- DANS LE FOIE. 165 Or, ce système accessoire, qui est très peu visible chez l'homme, acquiert son summum de développe- ment chez le cheval et chez certains animaux cou- reurs où les communications à plein canal entre la veine porte et les veines hépatiques deviennent ex- cessivement larges, et permettent au sang venu de l'intestin de passer facilement dans la veine cave in- férieure. On voit, même chez le cheval (Fig. 10), des vais- seaux qui se détachent de la veine porte VP, à son entrée dans le foie, pour se porter vers le tronc de la veine cave VG, dans les parois de laquelle pénètrent un certain nombre de branches terminales a, a!, d\ qui versent directement le sang dans la veine cave sans qu'il ait passé par aucun système capillaire. Quand on examine la surface interne de la veine cave (Fig. 11) on y voit des orifices £, b, bien nettement circonscrits, qui ne sont autre chose que les orifices de ces communications directes entre la veine porte et la veine cave. Il n'y a pas de valvules dans ces vais- seaux. Il existe également de ces mêmes communica- tions directes dans le foie, entre les vaisseaux de la veine porte et les veines hépatiques. On peut vérifier la réalité des communications que nous venons de signaler, au moyen des injections qui, sur un Cheval ou sur un Chien, passent avec la plus grande facilité de la veine porte dans la veine cave; ce qui offre beaucoup plus de difficulté chez l'homme. On conçoit, en effet, l'importance de telles com- munications entre la veine porte et la veine cave de 166 PHÉNOMÈNES GÉNÉRAUX DE CIRCULATION même qu'avec les veines hépatiques qui ne sont qu'une dépendance de la veine porte. Fig. 11. Portion d'une veine cave inférieure de Cheval (grandeur naturelle) vue par sa face intérieure, pour montrer les orifices d'abouchement des vais- seaux anastomotiques de la veine porte. — a, a, a, a, ouverture de section des vaisseaux anastomotiques provenant de la veine porte, et se ramifiant à la surface externe delà veine cave inférieure. On aperçoit par transparence leur mode de distribution (la pièce est sèche et injectée, elle appartient à un Cheval dont le foie était malade, et par suite ces vaisseaux anasto- motiques se trouvent excessivement développés). — 6, 6, 6, 6, orifices de communication de dimensions variables, par lesquels les vaisseaux anas- tomotiques de la veine porte hépatique s'abouchent dans la veine cave inférieure en-écartant les fibres musculaires et en continuant leur tunique avec la membrane qui tapisse la face interne de la veine cave. Chacun sait que, sous l'influence d'un mouve- ment violent, la circulation est très accélérée , le DANS LE FOIE. 167 sang parcourt plus vite et pins souvent dans un temps donné le système vasculaire. S'il n'y avait pas entre le système porte et le système veineux général ces larges communications à travers le foie, il en résulterait un engorgement de cet organe, comme cela a lieu chez l'homme et chez certains animaux non habitués à la course, où, sous linfluence dune marche rapide, le sang, s'accumulant dans le foie, reflue dans la veine porte, et dans la rate; ce qui produirait, suivant certains auteurs, le point de côté. Il y a donc dans le foie une circulation chimique lente et une circulation mécanique rapide; au moyen de cette dernière une certaine quantité de sang échappe aux transformations que lui ferait subir un contact prolongé avec l'élément glandulaire. Delà résulte que, pour les matières albuminoïdes, par exemple, il n'y en a qu'une certaine quantité qui soit changée en sucre, et que, quant à la matière sucrée qui arrive avec le sang delà veine porte, il y en a toujours également une cer- taine portion qui n'est pas transformée en cette matière émulsive spéciale. La proportion de sucre qui , dans les circonstances ordinaires, passe par le foie sans être modifiée, est trop peu considérable pour apparaître dans les urines, parce que les matières alimentaires féculentes ne don- nent pas lieu à l'absorption de matière sucrée en aussi grande abondance qu'on serait peut-être porté à le croire. Néanmoins, il y a des cas, où, sous l'influence de con- ditions particulières, le sucre peut accidentellement 168 PASSAGE ACCIDENTEL DU SLCRli apparaître dans les urines, sans pour cela constituer une maladie. Ce n'est alors qu'un phénomène passager, qui se manifeste, par exemple, quand, étant à jeun depuis un certain temps , on vient à prendre une grande quantité de sucre. L'absorption inteslinale se faisant alors avec une extrême rapidité , une grande quantité de sucre arrive en masse dans le foie; la cir- culation mécanique l'emporte de beaucoup sur la cir- culation chimique, le sucre est versé dans le système général dans des proportions plus grandes que ne le comporte l'état normal, et il passe alors dans les urines où son apparition passagère peut être constatée pen- dant un certain temps. Il est clair que Ion ne peut pas considérer cela comme un cas de diabète, ni ca- ractériser la maladie par ce seul symptôme. M. Biot a cité déjà ce passage du sucre chez des gens d'ailleurs bien portants. Mais pour le reproduire à vo- lonté il suffit de se rappeler dans quelles conditions particulières l'absorption intestinale devenant très rapide, la circulation hépatique se trouve exagérée, ainsi que nous vous l'exposerons bientôt. Du reste, ce phénomène n'est pas spécial pour le sucre, il a lieu pour toutes les substances que^dans les mêmes circonstances , on ingère en quantités consi- dérables. Je me rappelle qu'un jour, un homme bien portant du reste, mais étant à jeun, avala un assez grand nombre d'oeufs crus. Quelques heures après on con- stata que les urines étaient devenues très albumineuses, et elles ne reprirent qu'an bout d'un certain temps leurs qualités normales. D.YflS LUS URINES. 169 Donc il n'est pas indifférent, lorsqu'on insère une matière naturellement modifiée dans le foie, de l'in- troduire dans l'état d'abstinence ou dans l'état de di- gestion. Il n'est pas indifférent non plus de prendre une. dissolution plus ou moins saturée. Si l'on emploie une dissolution de sucre peu concentrée, 5 pour 100 par exemple, on ne verra jamais le sucre passer dans les urines, même chez l'animal en abstinence, parce que la quantité qui arrivera dans la circulation générale sera nécessairement très faible et n'apparaîtra pas dans les mines. Seulement celte rapidité d'absorption, même pendant l'abstinence, pourra être diminuée par la présence de matières dans l'intestin ; et il y a , sous ce rapport, une différence à établir entre les Chiens dont l'estomac est parfaitement vide, tandis que chez les Lapins, il y a encore des aliments même après une abstinence de plusieurs jouis. Toutes ces circonstances, en apparence accessoires, sont donc très importantes à considérer, quand on veut faire des expériences précises. En » 853, M. le docteur J. de Becker a publié dans le 5e volume du Journal de zoologie scientifique de Siebold et Kœlliker un grand nombre d'expériences rela!ives à l'absorption du sucre dans l'intestin. Ces expériences ont été faites avec un très grand soin, les quantités de sucre dosées très exac- tement, et l'on a dressé des tables statistiques avec une attention toute particulière. Néanmoins l'auteur a obtenu des résultats variables , quoiqu'il eût fait tous ses étions pour se mettre dans des conditions iden- 170 PASSAGE ACCIDENTEL DU SUCRE tiques ; seulement il a pris une précision en dehors des conditions physiologiques de l'organisme. Car en recherchant ces conditions, les variations des résultats obtenus s'expliquent très simplement : c'est ainsi , par exemple, qu'à la page t 33, deux Lapins ont reçu, dans l'estomac, la même quantité d'une solution concentrée et dosée de sucre, et cependant on n'a trouvé le sucre dans les urines que chez un seul animal. L'auteur constate les deux résultats sans rechercher autrement d'où provient la différence, et cependant cette différence s'explique par les circonstances signa- lées, car il constate que chez le Lapin où le sucre a passé dans l'urine, celle-ci était claire et acide, ce qui est le caractère de l'abstinence sur les Lapins. Vous voyez donc, messieurs, que la précision des calculs n'apporterait avec elle qu'une rigueur spé- cieuse, si Ton n'avait soin de diriger son attention sur les conditions physiologiques variables des fonctions qu'on examine. M. J. de Becker a produit aussi un phénomène pu- rement physique, au lieu d'un phénomène physiolo- gique, lia injecté, par exemple, une solution concen- trée de sucre dans une anse d'intestin , et au bout de quelque temps, il a constaté dans l'urine le passage de la matière sucrée. Il n'y a pas eu là , comme dans le cas où la matière sucrée introduite dans l'estomac peut circuler librement, une absorption physiologique par les vaisseaux veineux, qui transportent le sucre au coeur avec le sang, pour qu'il soit ramené ensuite jus- qu'au rein par l'aorte et par l'artère rénale. Il y a DANS LES URINES. 171 eu dans ce cas simplement des phénomènes endos- motiques qui se sont passés entre les parois de l'intes- tin et les parois de la vessie , à cause de la concentra- tion considérable des liquides, et Ton doit reconnaître là un phénomène tout à fait différent de celui qui s'observerait chez un animal vivant dont l'intestin n'aurait point été lié. Ce qui prouve que c'est bien un phénomène purement physique et qui n'a rien de vital, c'est que nous pouvons le reproduire avec les mêmes résultats chez un animal mort. Voici un Lapin, mort depuis hier, dans l'intestin grêle duquel nous avons injecté, il y a trois heures, une dissolution su- crée, contenant 60 grammes de sucre sur 1 00 grammes d'eau et 2 grammes de prussiate de potasse. Nous allons maintenant retirer l'urine restée dans la vessie de ce Lapin, Elle contient, ainsi que vous le voyez, du sucre, puisqu'elle réduit avec le tartrate cupro- potassique et du prussiate jaune, puisqu'elle donne du bleu de Prusse avec le perchlorure de fer. Telles sont donc, messieurs, les erreurs auxquelles on peut être exposé, quand on n'a pas le soin de s'at- tacher avant tout à connaître exactement les conditions physiologiques des phénomènes vitaux. C'est là que se trouve la véritable précision de la physiologie. Tous les moyens de précision, basés en dehors de ces considérations, sont purement illusoires, et il est à regretter que très souvent ou ait à constater de ces tentatives d'exactitude prétendue mathématique qui pèchent par l'oubli des conditions qui devraient leur servir de base. 172 PASSAGE DU SUClUi DANS LliS URINES. Maintenant, messieurs, en terminant la séance, con- statons les résultats qne nous avons annoncés au com- mencement. Voici d'abord le Lapin , auquel nous avons injecté notre dissolution de sucre et de prussiate sous la peau. Nous prenons de ses urines, elles sont toujours trou- bles; j'en prends une portion , à laquelle j'ajoute du perchlorure de fer, et la formation du bleu de Prusse indique que le prussiate de potasse y a passé. Mainte- nant, je traite l'autre portion par le tartrate cupro- potassique ; il est réduit abondamment, comme vous voyez. Donc, le sucre, dans ce Lapin, a passé dans les urines comme le prussiate. Si nous extrayons de même de l'urine de l'autre Lapin, elle est (rouble comme l'autre. Le perchlorure de fer y forme du bleu de Prusse; donc le prussiate a passé. Examinons au réactif cupro- potassiquo; il n'y a aucune réduction. Donc, le prus- siate seul a passé dans les urines de ce Lapin. Le sucre a été détruit dans ce dernier cas parce qu'il a dû traverser le foie. Voici donc la vérification des résultats que nous vous avions annoncés au commen- cement de cette séance. HUITIEME LEÇON. o 20 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Conditions anatomiques qui favorisent ia circulation dans le foie. — Structure comparée de la veine porie il des veines hépati- ques. — Mécanisme de la circulation lirp.it iqnc — Influence des maladies sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aiguës sur l'état diabétique. — Influence de la température sur la sécrétion du sucre. — Influence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de la chaleur. — Age et sexe. — Lactation. Mtcssiiojjïs, Nous savons que clans certaines conditions phy- siologiques la sécrétion gty.c0ge11iqi.1c subit des os- cillations dans lesquelles elle est tour à tour aug- mentée et diminuée. [/activité de la circulation dans le foie est une des conditions qui peut augmenter la sécrétion du sucre, et cette activité elle-même peut être déterminée prin- cipalement par deux ordres de causes purement méca- niques dont les unes sont extérieures au foie et les au- tres intérieures à cet organe, et agissent en vertu de sa constitution anatomique. Le sang qui arrive par la veine porte est soumis d'abord à la pression à peu près constante qui lui est transmise par le sang des artères mésentériques, et en outre, il est poussé vers le foie par la pression des parois abdominales. Si. Ton vient à ouvrir le ventre, la pression est insuffisante pour faire circuler le sang vers le foie, et si l'on ouvre alors le thorax, il y a même 174 PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION reflux du sang de cet organe, qui se mélange avec le sang de la veine porte, à cause de l'absence de val- vules dans ce système veineux. Mais les conditions de circulation que nous venons de signaler, quoique assez énergiques, ne suffiraient certainement pas pour pousser le sang à travers le foie jusqu'au cœur, s'il n'y avait pas dans cet organe lui-même des dispositions particulières pour empêcher son engorgement d'avoir lieu. Je vous ai déjà indiqué, dans la dernière séance, comment il fallait, distinguer deux circulations dans l'organe hépatique, l'une purement chimique, destinée à l'accomplissement des phénomènes de sécrétion; 1 autre, mécanique, destinée à faciliter le renouvelle- ment du sang dont l'excès peut arriver dans les veines hépatiques par des canaux spéciaux qui entourent les lobules du foie, sans traverser les cellules hépati- ques. C'est là une première condition qui empêche dans certains moments , comme pendant la digestion, et pendant la course , où la circulation est très accé- lérée, le foie de se trouver engorgé. Indépendamment de cette circulation collatérale de dégorgement, il y a dans le foie une disposition parti- culière dans la structure même des veines hépati- ques, qui supplée à l'insuffisance d'impulsions du sang qui arrive dans ces vaisseaux , soit qu'il ait traversé des cellules pour accomplir les phénomènes chimi- ques, soit qu'il ait passé par les communications di- rectes qui existent entre la veine porte et les veines hépatiques. DAXS LE FOIE. 175 Le foie, comme vous le savez, possède deux ordres de veines, la veine porte, formant le système afférent, et les veines hépatiques, formant le système efférent. a YPCfl Fig. 12. Foie d'homme disséqué suivant le trajet des vaisseaux pour montrer la disposition respective des rameaux de la veine porte et de cenx des veines hépatiques, ainsi que leur rapport avec le tissu du foie. — VP, tronc de la veine porte coupée au moment de son entrée dans le foie; on voit la portion qui se distribxie dans le lobe gauche. — VP', VP', rameaux de la veine porte qui sout entourés de la capsule de Glisson et n'adhèrent pas intimement au tissu hépatique. Les branches de l'artère hépatique pénètrent dans le foie avec la veine porte et la suivent dans sa distribu- tion. — VH, VH, veines hépatiques, leur paroi adhère au tissu du foie qui les entoure. Quand on examine une coupe du foie, vous savez aussi qu'il est facile de distinguer, à première vue, 176 PHÉNOMÈNES DE LA CIRCULATION auquel de ces deux ordres de veines appartiennent les orifices vasculaires qui s'offrent aux yeux. Les ramifi- cations de la veine porte, entourées par la capsule de Glisson, n'adhèrent pas à la substance hépatique dont elles sont séparées par une couche de tissu cellulaire dans lequel rampent les branches de Tarière hépa- tique,-les conduits biliaires ainsi que les nerfs; il en résulte que , quand on vient couper ces veines, elles se rétractent de manière que le rapprochement de leurs parois obstrué la lumière du vaisseau. Los veines hépatiques Vil, Y H (Fïg". 12) et leurs ramifications r.c sont point entourées par me gaine spéciale, elles sont directement en contact et adhé- rentes, par leur lace externe, avec le tissu même du foie, de sorte qu'au lieu de se rétracter après la section, elles restent béantes. En outre, tandis nue la veine porte VP arrive à peu près au centre au foie pour en- voyer dans tous les sens des rameaux qui s'irra- dient à la manière des rayons d'un cercle, les veines hépatiques partent, au contraire, toutes d'un point de la circonférence de l'organe et envoient leurs rameaux dans le foie, à la manière des branches d'un éventail dont le lieu de convergence se trouve sur la veine cave inférieure VG. Les branches forment deux plans principaux, l'un supérieur, l'autre infé- rieur, entre lesquels se trouve le système porte. Or, à cette disposition spéciale des veines hépatiques par rapport au tissu du foie correspond un rôle phy- siologique particulier résultant de la structure intime de ces vaisseaux. Les veines hépatiques dépendent de la DANS LE FOIE. 177 veine cave inférieure; celle-ci, dans toute la portion qui est logée dans le foie, offre une structure muscu- laire extrêmement prononcée. Son calibre est plus considérable , sa paroi acquiert en ce point uue couche charnue très épaisse. Les fibres musculaires sont surtout longitudinales, et elles forment des faisceaux rougeâtres, placés parallèlement les uns aux autres. Avant d'entrer dans le foie et après en être sorties, les parois de la veine cave sont beaucoup plus minces et offrent une structure tout à fait différente. On voit quelquefois la veine cave présenter des battements en ce point. Ce système musculaire est également propre aux veines hépatiques. Là, comme dans la veine cave, les fibres sont longitudinalement disposées et consti- tuent de petits faisceaux rougeâtres parallèles, très apparents. Les fibres musculaires, examinées au microscope, sont composées de fibres lisses, non striées, analogues à celles du coeur et de l'intestin. C'est surtout chez le Cheval que cette structure musculaire est la plus évidente , elle existe aussi chez l'Homme, le Mouton, le Chien, le Lapin, etc., mais à un degré moins prononcé. Il est remarquable que c'est chez les chevaux coureurs que j'ai toujours trouvé cet appareil à son summum de développement. Les fibres en se contractant raccourcissent la lon- gueur du vaisseau, rapprochent les uns des autres les éléments du tissu hépatique auxquels elles sont inti- mement unies. Les veines hépatiques distribuant leurs rameaux et leurs ramuscules dans toutes les parties du 12 178 PHÉNOMÈNES DK CIRCULATION foie, on conçoit que quand elles viennent à se raccourcir, il en résulte une compression générale de tout l'organe. On comprend maintenant comment peut se faire la circulation sous l'influence de ce système de vaisseaux susceptibles de se contracter. Le sang conduit par la veine porte se répand autour d'un lobule hépatique, et après avoir traversé les cellules ou les communica- tions capillaires directes , il arrive enfin à la veine hépatique, qui occupe le centre de ces lobules, où il stagnerait, parce que la faible impulsion qui Ta amené jusque-là serait impuissante à le conduire plus loin. Mais les veines hépatiques se raccourcissant , ex- priment, pour ainsi dire le foie, à la manière d'une éponge, et le sang, trouvant du côté de la veine cave un débouché plus facile, est chassé dans ce vaisseau qui le conduit au cœur. Nous verrons qu'il y a des cas où l'activité de ce système peut être exagérée ou ralentie de manière à produire des troubles relatifs à l'affection diabétique. Après avoir résumé toutes les conditions mécaniques et chimiques de la circulation du foie , nous devrions passer à l'influence du système nerveux , mais nous avons encore quelques considérations à vous présenter sur des actions extérieures du milieu ambiant. Ce sont les influences que peuvent exercer sur la fonc- tion du foie soit les différentes maladies aiguës, soit le sexe et 1 âge, etc. Relativement aux maladies graves , aiguës ou chro- niques, leur influence est extrêmement remarquable, en ce qu'elle détruit très rapidement les fonctions DANS LE FOIE. 179 du foie et en particulier celle de la formation du sucre. Aussi, messieurs, toutes les fois que vous exa- minerez le tissu hépatique des cadavres amenés dans les amphithéâtres , et morts pour la plupart après un séjour plus ou moins long dans les hôpitaux, vous n'y trouverez pas ordinairement de sucre. Voici, par exemple, un foie d'homme, apporté ce matin du pavillon de l'École pratique, et pris au hasard; nous pouvons dire d'avance, avec beau- coup de probabilité, qu'il ne contient pas de sucre 3 d'ailleurs, pour vous en convaincre, nous* allons le soumettre à nos procédés ordinaires d'analyse. On en coupe un morceau, on le broie et on le fait bouillir avec un peu d'eau. Si nous prenons maintenant le liquide et la décoction, et que nous le traitions par le tartrate cupro-potassique, vous voyez qu'il ne le réduit pas, et par conséquent qu'il ne contient pas de sucre. Aussi, quand nous avons voulu savoir si la fonction dont nous nous occupons existait chez l'Homme, avons- nous dû prendre des foies d'individus morts en état de santé, des foies de suppliciés par exemple, ou d'individus morts subitement par accident. Si l'on rend un animal malade, on fera disparaître, et au bout de très peu de temps , le sucre dans son foie. Voici un Chien auquel on a ouvert hier le canal rachidien et fait la section de quelques racines ner- veuses de la moelle épinière, opération douloureuse et qui exige qu'on pratique des pertes de substance assez graves. L'animal vient d'être tué par la section du bulbe et quoiqu'il soit malade depuis vingt-quatre 180 INFLUENCE DES MALADIES heures à peine, voici le liquide résultant de la décoc- tion de son foie, qui, ainsi que vous le voyez, ne réduit pas le tartrate cupro-potassique. Ainsi, messieurs, sous l'influence d'un état morbide, mais particulièrement sous l'influence d'un état fébrile aigu , le sucre n'est plus sécrété par le foie, et l'on n'en retrouve plus dans son tissu. C'est là, comme vous le sentez bien, un fait très important, et qui doit éclairer la pathologie générale au point de vue des phéno- mènes de nutrition qui ont lieu pendant la maladie. Dans le cas particulier qui nous occupe, lorsqu'un individu diabétique est pris d'une maladie aiguë ou chronique, les choses se passent de même : le sucre n'est plus sécrété du tout, ou bien sa sécrétion diminue considérablement, et le sucre disparaît des urines, à tel point qu'on pourrait croire le malade guéri de sa pre- mière affection; mais c'est tout simplement le sym- ptôme qui a disparu, parce que la fonction du foie s'est arrêtée comme beaucoup d'autres fonctions. Le sucre reparaîtra sitôt que l'affection intercurrente aura disparu. M. Rayer a insisté sur ce fait que, si un diabétique est pris d'une maladie aiguë, d'une pneumonie ou d'une variole, par exemple , il cesse de rendre du sucre dans les urines pendant tout le temps que la maladie suit ses périodes, puis, quand elle a disparu, le diabète revient comme auparavant. J'ai observé moi-même un cas très curieux chez une femme diabétique qui avait en même temps une altération chronique des intestins. De temps en temps SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUti DU FOIE. 181 les phénomènes de cette dernière affection passaient à l'état aigu, la malade avait des coliques et de la diar- rhée. Aussitôt que ces symptômes apparaissaient, le sucre cessait de se montrer dans les urines, mais y revenait dès que l'affection intestinale se calmait. Je vis cinq ou six fois se reproduire ces alternatives. On a donc pu croire souvent que des diabétiques étaient guéris par cela qu'ils contractaient une autre maladie intercurrente. Très souvent dans la dernière période du diabète, quand les individus commencent à devenir phthisiques, et quand les fonctions digestives s'altèrent, on voit le sucre disparaître des urines. Cela indique alors que le malade n'a plus longtemps à vivre. On ne trouve, en effet, de sucre dans le foie des dia- bétiques que quand ceux-ci sont morts rapidement ou par suite d'accident. L'état de maladie aiguë est donc incompatible avec le diabète. Cette affection, en effet, ne se rencontre en général que chez des individus dans lesquels les fonctions nutritives, les fonctions digestives surtout, ont une grande énergie. Quand, dans nos expériences, nous voudrons rendre des animaux diabétiques, ainsi que nous vous le ferons voir bientôt, nous aurons soin de les prendre aussi vigoureux que possible, car nous n'obtiendrions pas de résultats aussi nets sur des ani- maux faibles et maladifs. En résumé, vous voyez donc que, soit chez les in- dividus non diabétiques, soit chez les diabétiques eux- mêmes, une maladie aiguë fait disparaître le sucre du foie, et quand la mort arrive à la suite de ces 182 INFLUENCE DES MALADIES affections , le tissu hépatique ne présente plus trace de matière sucrée. La mort emporte souvent avec elle par conséquent un certain nombre des caractères physiologiques qu'on retrouve dans les organes pris sur des individus morts dans un état de santé ; elle a pour effet, en particulier, d'enlever ou de modifier les caractères de la chimie vitale. On ne peut pas toujours par conséquent con- clure de l'examen d'un organe pris chez un individu mort de maladie à ses propriétés dans leur exercice normal pendant la vie. Les expériences doivent donc être instituées sur l'être vivant et en état de santé pour être concluantes. Quant à la présence du sucre, il est clair que dans le plus grand nombre des cas où on l'eût recherchée sur l'homme, il était impossible quelle fût constatée. Et pour le dire en passant, car nous devons insister sur cette notion pour montrer que la physiologie déduite de lanatomie du cadavre est tout à fait insuffisante, ce n'est pas seulement au point de vue chimique que la mort apporte des modifications dans les organes, niais encore au point de vue purement anatomique; elle produit des déformations dans les tissus orga- niques, elle fait disparaître les éléments anatomiques dune foule de muqueuses, celles de l'intestin, celles de l'utérus, par exemple, qu'on n'a bien connues qu'en les étudiant sur des individus pris en état de santé et au moment où les organes fonctionnaient suivant leur mode normal. Nous arrivons maintenant à considérer l'influence SUR LA FONCTION GLYCOGÉNIQUE 1>U FOIE. 183 des conditions de température extérieure, de chaleur ou de froid sur les fonctions du foie. Quand on expose un animal au froid, le sucre dis- paraît dans son foie. Pour faire cette expérience, on prend de préférence des petits animaux qui, en raison de leur faible masse, sont plus faciles à refroidir, comme le Lapin ou le Cochon dinde, par exemple. Si donc on entoure un Cochon d'Inde de neige ou de glace, ou si on lui maintient le ventre appuyé sur un corps très bon conducteur, comme le mercure, voici ce qui arrive : L'animal se refroidit peu à peu et d'autant plus vite qu'il est plus petit, surtout s'il est mouillé. Sa tempéra- ture, prise dans le rectum, qui est dans les conditions normales de 38° cent, environ, descend successivement à 3o, 25,20 et même 18 degrés. Il ne faut pas plus dune heure et demie à deux heures pour produire cet abais- sement quand l'animal n'est pas mouillé. Une fois arrivé vers 18 ou 20 degrés, l'animal est devenu insen- sible dans les extrémités, a perdu la faculté de se ré- chauffer spontanément, ainsi que l'a déjà vu M. Ma- gendie, et si on l'abandonne à lui-même dans un milieu qui n'a pas plus de 18 à 20 degrés, sa tempé- rature continuera à baisser et il ne tardera pas à mou- rir. Mais si au contraire on le sèche, si on le réchauffe peu à peu, il se rétablira graduellement, reprendra sa chaleur primitive et pourra vivre. Si Ion examine comment s'est comportée pendant ce temps la fonction glycogénique, on trouve que , à mesure que la température s abaisse, le sucre diminue dans le foie, et quand le thermomètre n'indique plus 184 LNFLUSiNCE DE LA TEMPERATURE que 18 à 20 degrés, on n'en trouve plus an tout, de sorte qu'en deux heures tout le sucre du foie peut avoir disparu. La production de la matière sucrée ne recommence que quand l'animal a repris sa tempéra- ture initiale de 38 degrés, ce qui arrive seulement au bout de trois ou quatre heures, où il a recouvré sa cha- leur-, sa sensibilité, sa vivacité et son appétit habituels. Du reste, le temps nécessaire pour faire dispa- raître et revenir la sucre dans le foie peut aussi éprouver quelques variations qui dépendent de la grosseur des animaux et de l'état de digeslion ou d'abs- tinence dans lequel ils se trouvent, quand on les sou- met à l'expérience, ainsi que de la rapidité avec la- quelle la mort survient. Nous allons, pour mieux pré- ciser ces faits dans votre esprit, vous indiquer quel- ques-uns des résultats que nous avons obtenus. Première expérience. — Un petit Cochon d'Inde a été plongé dans de l'eau glacée pendant dix minutes, la tête en dehors ; après quoi on l'en retire et on l'a- bandonne à lui-même; il meurt environ dix minutes après. On en fait l'ouverture, et l'on constate que l'animal est en pleine digestion, et que son foie ren- ferme beaucoup de sucre. On voit, par cette première expérience, qu'il ne suffit pas que l'animal meure par le froid, mais qu'il faut, en outre, que cette action dure un certain temps pour faire disparaître le sucre qui existe dans le foie à l'état normal avant le refroidissement. Il est facile de comprendre qu'il doive en être ainsi, car, si l'ac- tion du froid, portée sur la peau, retentit sur le foie SUR LA FONCTION GLYCOGÉiNIQUE DU FOIE. 185 pour le paralyser en quelque sorte, et arrêter la pro- duction du sucre, le froid ne peut pas faire disparaître par cela même le sucre qui y était préalablement formé. 11 faut donc qu'il s'écoule un certain temps entre le commencement de l'application du froid et la mort de l'animal, temps qui devra être d'autant plus long, que la quantité de sucre existant dans le foie sera plus consi- dérable. Ce temps devra êtreconséquemment plus long chez un animal en digestion que chez un animal à jeun. Deuxième expérience. — ■ Un petit Cochon d'Inde, de la même portée que le précédent, et dans les mêmes conditions d'alimentation, a été mouillé, par simple immersion, à deux ou trois reprises différentes, dans l'eau froide , de manière à faire baisser successive- ment sa température, sans lui donner le temps de se réchauffer dans l'intervalle des immersions. L'animal s'est refroidi assez lentement, et est mort au bout de deux heures; alors on a examiné son foie qui ne conte- nait plus que des traces excessivement faibles de sucre. Troisième expérience. — Un Cochon d'Inde, adulte, dans l'intervalle de deux digestions, a été placé au- dessus d'une cuve à mercure, et maintenu en contact avec le mercure , à l'aide d'une petite planchette , à travers laquelle il pouvait passer la tête. La tempéra- ture ambiante était de 8 degrés. La température de l'animal était primitivement de 38 degrés 1/2; elle était, au bout de une heure un quart, arrivée à 21 de- grés 1/2. On retira alors l'animal, qu'on abandonna à lui-même à la température ambiante, et il mourut en se refroidissant de plus en plus. Un quart d'heure 186 INFLUENCE DE LA TEMPERATURE après, c'est-à-dire une heure et demie après le com- mencement de l'expérience, le foie de l'animal ne contenait pas de traces de sucre. Quatrième expérience. — Un autre Cochon dinde, dans les mêmes conditions d'alimentation, a été placé sur le mercure, comme le précédent. Au bout dune heure, sa température était descendue h 25 degrés; au bout de cinq quarts d'heure à 22 1/2 ; au bout de une heure et demie à 20 degrés. Alors on le retira et on le réchauffa graduellement. Au bout de cinq quarts d'heure, l animal était revenu, quoique grelottant en- core , et la température de son rectum était de 35 de- grés. Le lendemain, l'animal était parfaitement rétabli, et son foie contenait beaucoup de sucre. Dans les expériences précédentes, que nous choi- sissons au milieu duo grand nombre d'autres que nous avons faites, le refroidissement de l'animal est accompagné de la disparition du sucre dans le foie, disparition qui est complète lorsque l'action du froid a été prolongée suffisamment. En même temps il se produit une influence sur la respiration; celle-ci diminue de fréquence, àmesuiecjue la température de l'animal décroît, et elle augmente, à mesure que la chaleur propre de l'animal se relève. Nous allons, du reste, vous rendre témoins de toutes ces particularités en répétant l'expérience devant vous. Nous avons ici trois Cochons d'Inde de la même portée, pesant chacun environ 180 à 200 grammes; nous les avons choisis exprès de petite taille, afin que le refroidissement soit plus facile; car s'ils étaient plus SUR LA FONCTION GLYC0GÉNIQUE DU FOIE. 187 gros, la neige non fondante ne suffirait pas pour les refroidir. Ils sont à jeun depuis hier soir. Nous avons sacrifié un de ces animaux, et nous avons placé les deux autres, sans les mouiller, dans de la neige non fondante , de sorte qu'ils reçoivent actuellement l'impression du froid sans humidité ; on a eu soin de leur laisser une ouverture pour qu'ils puissent respirer. Ces animaux ont été mis en expérience à dix heures et demie. Leur température initiale, prise dans le rectum, était de 38 degrés. A onze heures trois quarts, c'est-à- dire après une heure un quart de refroidissement, les animaux commencent à s'engourdir; on les retire, ils ne présentent plus que 19 degrés; ils sont couchés sur le flanc, insensibles et comme paralysés, leur respiration est faible et rare; alors on en abandonne un à lui- même à la température ambiante de 12 a i3 degrés, et l'autre Cochon dinde est réchauffé auprès du poêle. Depuis ce temps, l'animal, qu'on avait abandonné à lui-même , et que vous voyez sur la table , a continué à se refroidir et est mort, il y a environ un quart d'heure, tandis que l'autre est revenu, quoiqu'il soit encore grelottant ; sa température, qui était à 19 de- grés, est maintenant à 3o degrés environ Nous avons donc ici trois animaux pris dans les mêmes conditions, dont l'un a été tué sans avoir été soumis à l'expérience, pour nous servir de ternie de comparaison, et dont les deux autres ont été soumis à l'action du froid jusqu'à ce que leur température se soit abaissée à 19 degrés, avec cette différence, que l'un de ces animaux a été abandonné à lui-même, et 188 INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE est mort en se refroidissant successivement. Exami- nons ce qu'est devenue la fonction glycogénique dans les trois cas. D'abord, elle existait, quand les animaux ont été soumis à l'expérience, puisque celui que nous avons sacrifié à ce moment présente, ainsi que vous le voyez, du sucre dans son foie, dont la décoction pré- cipite abondamment le tartrate cupro-potassique. Examinons maintenant le foie de l'animal mort parle froid en 1 heure et 1/2. On fait cuire son foie delà même manière, on le soumet au même réactif; vous voyez qu'il n'y a pas de précipité, et, par con- séquent, qu'il n'y a pas de traces de matière sucrée dans le foie de cet animal: vous avez ainsi la preuve la plus nette que le sucre a disparu par le froid dans le temps de l'expérience. Quant au troisième animal que vous voyez revenir par suite du réchauffement, le sucre n'a pas encore reparu dans son foie, parce que si , comme nous l'avons dit, l'action du froid, dès qu'elle commence, enraie la production glycogénique, cette fonction ne doit reprendre son cours que lorsque cette action re- froidissante a complètement cessé ; or cet animal, bien que déjà revenu, n'est pas encore dans l'état normal. Sa température prise dans le rectum n'est que de 3o degrés, il est encore grelottant, mais dans quelques heures, quand cet animal aura repris sa chaleur nor- male, que sa vivacité sera revenue , on trouvera du sucre dans son foie. En voyant ainsi disparaître le sucre en deux ou SLR LA FONCTION GLYGOGÉNIQUE DL FOIE. 189 trois heures et le voyant reparaître si rapidement, on reconnaît bien là les caractères d'une fonction qu'on peut déprimer jusqu'à l'anéantir et ramener à son type normal, en la rétablissant dans les condi- tions ordinaires de son accomplissement. Cette expé- rience suffirait, si cela était nécessaire maintenant pour détruire complètement l'objection qui voudrait que le sucre résultât d'alimentations antérieures et se localisât dans le foie sans que cet organe dût lui-même le former. Nous verrons plus tard que cette influence du froid sur le foie se propage par une sorte d'action réflexe du système nerveux, transmise par les nerfs de la peau. Signalons ici que la peau de l'animal devenant insensible par le froid, ne peut plus réagir convenablement. Quand, au lieu d'agir avec le froid, on soumet un animal à la chaleur, on produit des phénomènes un peu différents. Si l'on met un Cochon d'Inde ou un Lapin dans une étuve d'air chaud dont la température ne soit pas de beaucoup supérieure à celle de l'ani- mal, de 45 degrés par exemple, on voit que les fonctions du foie paraissent exaltées, et en particulier la formation de la bile ; celle du sucre ne paraît pas autant augmentée. Mais cette surexcitation a ses limites, et si l'on pousse la température à 5o ou 60 degrés, l'excitation générale fait place à un effet opposé; le sucre disparaît, et l'animal meurt au bout d'une heure à une heure et demie, sans en présenter la moindre trace dans le tissu hépatique. Il faut noter encore que sous l'influence de la cha- leur les respirations sont accélérées, tandis que le contraire a lieu avec le froid, et cependant, avec ces 190 INFLUENCE DE l'âGE, DU SEXE, ETC., deux états opposés de la respiration , le sucre dispa- raît dans le foie. Il existe encore une autre manière d'arrêter la fonc- tion glycogénique du foie en agissant sur la peau. C'est en enduisant la peau des animaux avec certains vernis, tels que le caoutchouc liquide ou simplement de l'huile. Dans ces cas, les animaux meurent en se re- froidissant, et j'ai constaté souvent que la fonction glycogénique disparaît radicalement , et qu'après ce genre de mort , qui est assez rapide chez les petits animaux, tels que les Cochons d'Inde et les Lapins, la substance du foie ne contient absolument aucune trace de matière sucrée. Quant à l'influence de l 'âge et du sexe, nous n'en dirons que quelques mots: J'ai fait autrefois quelques expériences pour recher- cher quelle pourrait être l'influence de l'âge dans la production du sucre, je n'ai pas obtenu de résultats bien concluants. Du reste, cette question, pour être traitée, devraitnécessairement être instituée sur une très grande échelle et reposer sur un nombre considérable de faits. Les expériences que j'ai faites également sur des animaux de tout sexe, quoique très nombreuses, ne peuvent pas servir pour établir, s'il y a ou non une différence dans la quantité de sucre produit chez les mâles ou les femelles, parce qu'elles n'ont point été faites à ce point de vue. Chez les femelles, l'état de gestation et de lactation ne semble pas modifier sen- siblement la formation du sucre dans le foie. Sur des Vaches et des Lapines à l'état de lactation et qui sécré- taient par conséquent du sucre de lait, j'ai bien sou- SUR LA FONCTION GLYCOGÉN1QUE DU FOIE. 191 vent cherché, mais en vain, la présence du lactose dans le foie. D'où il faudrait admettre que cette der- nière espèce de sucre se sécrète dans la mamelle, or- gane chargé de produire du sucre dans le cas spécial de son fonctionnement; car tandis que le foie forme du glucose dans toute l'échelle animale, depuis avant la naissance jusqu'à la mort, la mamelle n'existe que dans les mammifères, et ne fonctionne que dans une période déterminée de la vie. Il faut encore ajouter que le sucre du foie est le plus fermentescible, tandis que le lactose est le moins fermentescible des sucres animaux, ce qui est du reste en harmonie avec les usages différents de chacune de ces matières sucrées. Il y a toutefois un rapprochement que l'on peut faire entre la formation du sucre qui a lieu dans le foie et celle qui se fait dans la mamelle, c'est que ces deux formations sont également indépendantes de l'alimen- tation ; j'ai bien souvent constaté que le sucre de lait persistait dans le lait des Chiennes, malgré l'alimenta- tion exclusive avec de la viande complètement privée de matière sucrée. L'époque du rut ne m'a pas paru non plus exercer une influence évidente sur la fonction glycogéniquedu foie. Telles sont , en général , messieurs, les conditions extérieures principales sur lesquelles nous avons désiré en finissant fixer votre attention. Actuellement nous devons entrer plus profondément dans la giycogénie et étudier les changements du sang qui coexistent avec l'exercice de cette fonction dans le foie. Nous commencerons cet examen dans la prochaine séance. NEUVIEME LEÇON. o 23 janvier 1855. SOMMAIRE : Examen comparatif du sang île la veine porte et du sang des veines hépatiques. — Globules. — Sérum et caillot. — Eau et matières solides. — Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. Fibrine. — Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modifications. — Température plus élevée du sang qui sort du foie. — Expériences thermométriques à ce sujet. — Distribution de la chaleur dans l'organisme. — Théories anciennes de la calorification. — Examen d'expériences sur la température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites dans les conditions physiologiques. — Procédés opératoires. — Instruments employés. — Résultats de ces expériences : le sang du ventricule droit plus chaud que le sang du ventricule gauche. Messieurs , Nous avons examiné les différentes fonctions orga- niques de nature chimique qui se passent dans le foie et les conditions dans lesquelles elles se produisent. Vous avez vu que le foie doit être considéré comme un vé- ritable laboratoire vital qui change profondément toutes les substances qui lui sont apportées par le sang. Il importe, avant de quitter ce sujet, que vous soyez bien fixés sur les modifications que le sang éprouve en traversant le foie; c'est pourquoi je vais faire rapidement passer sous vos yeux les résultats d'analyses qui ont été instituées à ce point de vue. Tous ces résultats, obtenus sur des Chevaux, sont dus à Lehmann qui a étudié comparativement le sang- dans la veine porte avant son entrée dans le foie, et MODIFICATIONS DU SANG DANS LE FOIE. 193 le sang après sa sortie dans les veines hépatiques. Nous passerons successivement en revue les modifications qu'éprouvent les divers éléments du sang : i° Globules rouges: Quand on examine le sang après sa sortie du foie, on trouve que les globules sont nota- blement plus petits que dans la veine porte. Dans cette veine, ils ont environ de om,oo58 à o,n,oo6o de milli- mètre, tandis que dans les veines hépatiques, leur diamètre n'est plus que de om,oo4^ à om,oo/|5 en moyenne. A quoi tient cette différence? Probable- ment à ce que dans les veines hépatiques les glo- bules se trouvent baignés dans un sang sucré; on sait que dans ces cas les globules du sang se crispent et se ratatinent. Ce serait donc là un phénomène en quelque sorte purement physique et auquel il n'y aurait pas lieu jusqu'à présent d'attribuer une impor- tance quelconque. Sérurn et caillot. Au point de vue de la proportion du sérum et du caillot dans les deux sangs, voici les ré- sultats obtenus par henni ami dans six observations, et résumés dans le tableau suivant : SÉRUM. CAILLOTS. Observations. Veine porte. Veines he'pat. Veine porte. Veines he'pat. 687,8 856,9 646,91 843,43 638,86 843,06 I. 332,2 143,1 II. 353,09 156,57 III. 361, 14 156,94 IV. 333,9 146,8 V. 646,47 230,33 VT. 614,14 218,41 666,1 853,2 353,53 769,67 385,86 781,59 Gomme résultat général de ce tableau, vous voyez 13 194 MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SAXG ÉPROUVE que toujours le sang de la veine porte contient plus de sérum que le sang des veines hépatiques, et que, par conséquent, le caillot du sang des veines hépa- tiques est plus considérable que le caillot du sang de la veine porte; mais vous voyez aussi que dans la veine porte les quantités de sérum varient du simple au double entre les quatre premières expériences et les deux dernières. Il esl évident que cette différence doit tenir à des conditions diverses dans lesquelles se trou- vaient les animaux soumis à l'expérience. En effet, elles correspondent à des périodes digestives particu- lières : les quatre premières expériences ont été faites cinq heures après un repas; les deux dernières au bout de dix heures. Eau et matières solides. — Sur 100 parties de sang, l'analyse a donné, dans les mêmes observations, les ré- sultats consignés dans le tableau suivant : EAU. RÉSIDUS SOLIDES. Observations. Veine porte. Veines hépat. Veine porte. Veines he'pat. I 76,921 68,646 23,079 31,354 ir. 77,745 70,250 22,255 29,750 m. 77,878 70,108 22,122 29,892 IV. 77,305 68,811 22,695 31,189 V. 86,234 74,309 13,766 25,691 VI. 85,998 73,585 14,001 26,415 Les observations que nous avons faites au sujet des résultats précédents sur le sérum et le caillot s'appli- quent évidemment à ceux-ci. On devait s'attendre, en conséquence, â voir le sang de la veine porte, que nous avons déjà trouvé plus riche en sérum, contenir EN TRAVERSANT LE FOIE. |9| plus d'eau que celui des veines hépatiques-, et moins de matières solides. Au point de vue des matières solides que présen- tent le sérum et le caillot de chacun de ces deux san^s, voici les résultats que Lehmann a obtenus : SÉBUM. CAILLOT. Observations, Veine porte. Veines he'pal. Veine poi te. Veines hépat. I. 7,740 10,702 30,709 34,803 II. 8,413 10,487 29,811 33,163 III. 7,931 10,557 30,144 33,491 IV. 8,144 10,712 29,989 34,712 V. 9,829 10,580 23,340 30,213 VI. 7,692 10,664 24,042 30,311 Ici les chiffres ne présentent pas de grandes diffé- rences, mais on aperçoit toujours ce même fait, à sa- voir que le Sang des veines hépatiques, aussi bien dans le sérum que dans le caillot, présente une plus grande proportion d'éléments solides que le sang de la veine porte. Mais les matières qui nous intéressent le plus sont la graisse, la fibrine, l'albumine et le sucre. Quant à la graisse, Lehmann a trouvé, sur trois ob- servations, les résultats suivants: pour too parties du résidu sec du sang, il y avait : DANS Observations, Veine porte. Veines hépatiques. I. 3,225 1,685 II. 3,610 2,570 III. 3,373 1,946 Vous voyez que la graisse est déjà en très faibles proportions dans le sang de la veine porte , et 196 MODIFICATIONS CHIMIQUES QUE LE SANG ÉPROUVE qu'elle diminue encore dans le sang des veines hé- patiques. Nous savons déjà que chez les mammifères cette substance suit une autre voie pour se rendre dans le système circulatoire général ; mais que devient alors cette graisse, dont la plus grande partie disparaît dans le foie? Entrerait-elle dans la constitution des acides de la bile? Il ne s'agit pas ici, bien entendu, de la matière émulsive se rapprochant des matières grasses, dont nous avons constaté la production dans le foie sous l'influence d'une alimentation sucrée : cette substance, à cause de ses caractères spéciaux, n'a pas été signalée dans les analyses de Lehmann. Fibrine. — L'action du foie sur ce principe immé- diat est extrêmement remarquable, et l'analyse chi- mique est parfaitement d'accord avec nos expériences physiologiques à ce sujet. La fibrine disparaît complè- tement dans le foie. On n'en trouve plus trace dans le sang des veines hépatiques. Sur 1000 parties du liquide entier de sang (moins les globules), il y avait en fibrine : DANS Observations. Veine porte. Veines hépatiques. I. 5,010 j> II. 4,2A0 » III. 5,920 » (Lehmann). Si l'on bat le sang sorti du foie avec des verges, il ne s'y attache aucun filament. Cependant, il se coa- gule. La coagulation qu'on avait jusqu'alors attribuée à la fibrine qu'on extrait parle battage, ne saurait donc lui être exclusivement rapportée. EN TRAVERSANT LE FOIE. 197 Nous verrons, du reste, que, d'après des expé- riences sur le grand sympathique, nous sommes auto- risés à émettre cette opinion que la matière coagu- lable n'est pas la fibrine, au moins suivant la défini- tion que T'on donne ordinairement de cette substance. Albumine. — Les expériences de Lebmann mon- trent que l'albumine se trouve dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines sus-hépa- tiques, mais dans des proportions différentes. Sur 1000 parties de sang (moins les globules), il y avait en albumine : DÂRS Observations. Veine porte. Veines he'patiques. I. 24,453 16,703 II. 29,603 19,952 III. 44,340 32,449 (digestion). Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'un tiers envi- ron de l'albumine ait disparu en traversant le foie, ainsi que le montre le tableau précédent. Enfin, indépendamment de ces substances, il y a le sucre, qu'on ne trouve jamais dans le sang de la veine porte, quand on prend un animal à jeun depuis un certain temps, ou nourri exclusivementdematières azo- tées; le sucre existe, toujours au contraire, en notables proportions dans le sang des veines hépatiques. Chez le Cheval, par exemple, pour faire suite aux mêmes analyses précédentes , Lehmann a trouvé ogr,o55 pour îoo dans le sang qui entre dans le foie, et ogr-,7Ç)2 dans le sang des veines hépatiques. Ces résultats d'analyses, faites au point de vue chi- 198 MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE miqoe avec beaucoup de soin, quoiqu'elles n'aient pas été répétées encore dans toutes les conditions physio- logiques où cela serait nécessaire, suffisent pour mon- trer combien est grande l'action que le foie exerce sur les substances qui le traversent, et combien il mo- difie et élabore les divers matériaux du sang. Mais toutes ces transformations de matières, toutes ces en ations de principes immédiats, toutes les sécré- tions qui s'accomplissent dans cet organe, ne sau- raient s'effectuer sans être accompagnées des phéno- mènes physiques de développement de chaleur, aux- quels donnent lieu toutes les actions chimiques. L'élévation de la température est aussi un produit vital, qui a son rôle dans l'organisme, et dont la source a besoin d'être cherchée et connue. Quoique nous ne voulions pas faire ici l'histoire de la chaleur animale, cependant, comme on a toujours relié les phénomènes de calorification avec la production des phénomènes chimiques, nous sommes obligés d'étudier cette ques- tion dans le foie. Ton tes les modifications, dont nous avons précédem- ment tracé le tableau, doivent donc entraîner, comme conséquence, une élévation de température que le sang éprouvera en traversant le foie. Le sang qui sort du foie est, en effet, plus chaud que le sang qui y entre, et l'expérience ne laisse aucun doute à ce sujet. Pour constater ce fait, nous avons opéré de la manière suivante sur les chiens : On fait une grande incision oblique dans le flanc droit , immédiatement au-devant de la masse des QUE LE SANG ÉPROUVE DAl\"S LE FOIE. 199 muscles sacro-lombaires, et remontant aussi haut que possible dans l'angle de la dernière fausse côte. On ar- rive ainsi sur le rein droit, immédiatement au-dessous du foie, et un peu au-dessous des veines rénales. On introduit le thermomètre dans la veine cave, en appli- quant convenablement des ligatures pour empêcher l'écoulement du sang. En même temps, à l'aide dune aiguille de Cooper, on passe un fil au-dessous de la veine cave, immédiatement au-dessus des veines ré- nales ; alors le thermomètre étant introduit, ou dirige sa cuvette en haut et à gauche, jusqu à ce qu'elle se trouve placée à peu près en face des veines hépa- tiques. Alors on serre sur la tige du thermomètre des fils passés au-dessous de la veine cave , de façon à em- pêcher le sang de cette veine de remonter. Puis toujours par la même plaie faite à l'abdomen , on saisit le tronc principal de la veine porte avant son entrée dans le foie, en ayant soin préalablement aussi de passer des fils sous cette veine, de manière à empê- cher le sang de s'écouler après qu'on aura placé le thermomètre. Dans ces expériences, on alterne l'ob- servation de façon à agir tantôt en commençant par la veine porte et finissant par la veine cave , et vice versa. On achève enfin, pour avoir un terme de com- paraison complet, en prenant la température dans l'aorte en pénétrant par l'aorte ventrale, sur laquelle on a préalablement placé des ligatures. Voicil es résultats qu'a donnés une expérience que nous venons de faire sur la température du sang des veines hépatiques comparée à celles des autres vaisseaux : 200 MODIFICATIONS DE TEMPERAT URE Heure des Vaisseaux observe's. Température, observations. 2h 25m, carolide gauche du côté du cœur ?9",03 centig.' 2h 30m, veine jugulaire gauche, bout périphérique. 37°, 80 à 37°, 60 2h Zj0m, veine jugulaire droite, bout périphérique , sans avoir lié d'abord la carotide 38°, U0 2h 41% veine jugulaire jusque dans la veine cave supérieure 39°,20 à 39°,22 2b Zi8m, veine cave supérieure à l'entrée de l'oreil- lette droite 39°,20 à 39°,25 3h 06m, veine porte, bout périphérique 39°,40 3h 16m, veine cave à l'entrée des veines hépatiques. 39°, 80 3h 20m, veine cave jusque auprès du cœur, sans sortir l'instrument 39°,50 à 39°,65 3h 25m, veine rénale gauche 39°,50 3h 28m, veine cave inférieure du côté des membres. 39°,20 3h 32m, artère carolide gauche par en bas, jusquesj dans l'aorte 39°,20 à 39°,26 3t» 36m, veine jugulaire droite du côté de la tête. . 38°,15 3h &5m, veine jugulaire jusque dans la veine cave supérieure 39°,20 3h Z|7m, artère carotide gauche 39°, 20, 3h 50m, artère carotide gauche jusqu'au cœur . . . 39°,30 à 39°, 60 9h 53m, veine jugulaire gauche du côté de la tête (l'artère carolide était liée de ce côté) . . 39°, 80 3h [i'jmi veine cave inférieure dans le foie, à l'entrée des veines hépatiques inférieures 19°, 50 Zih 02m, veine cave inférieure au niveau des veines hépatiques les plus élevées 39°,60 à 39°,80 Uh 05% veine cave inférieure au-dessus du dia- phragme 39°, U0 4b 07m, veine cave à l'entrée des veines hépa- tiques 39%65 à 39°,70 lih 08% veine rénale gauche. 39°,20 à 39°,30 Uh 12m, veine porte bout périphérique 39°,35 à 39°,40 Uh 29m, aorte abdominale 38°,70 Le Chien sur lequel nous avons opéré est de forte QUE LA SAl\G EPUOUVE DAiNS LE FOIE. 201 taille et en digestion. On peut voir que le sang qui sort du foie est de o°,4° plus chaud que le sang qui entre par la veine porte et de o°,6o plus chaud que le sang de l'aorte. La température du sang avant le foie est de 39%4o ; après le foie, elle est de 3g0, 80, et cette température est la plus élevée du corps de l'animal. Le point le plus chaud de tout l'organisme se trouve donc dans la veine cave à l'endroit où débouchent les veines hépatiques. C'est là un des faits les plus intéressants, et si nous en poursuivons les conséquences, nous allons voir combien vont se modifier les idées qu'on se faisait d'après les anciennes théories chimiques sur la répar- tition de la chaleur dans le corps d'un animal. Le sang qui sort du foie avec sa température sera d'autant plus chaud qu'il sera plus près de sa source, et il perdra de sa chaleur à mesure qu'il s'en éloignera d'après les lois physiques qui régissent la déperdition de la chaleur. Sorti des veines hépatiques, il est con- duit par la veine cave inférieure dans le coeur droit, où il se mélange avec le sang moins chaud venant des parties supérieures; de là il se rend au poumon, qu'il traverse, puis revient au cœur gauche, qui l'envoie dans les artères de la grande circulation. Or, le sang arrivé dans le cœur gauche est plus éloigné du foie que le sang du cœur droit; de plus, il s'est mis en con- tact avec l'air froid introduit parla respiration. Il doit donc être moins chaud que ce dernier s'il est vrai que le foie est une des principales sources de la chaleur. Nous arrivons donc à penser d'après cela que le sang 202 MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE des cavités droites du cœur doit être plus chaud que celui des cavités gauches, contrairement à la théorie généralement admise et d'après laquelle le sang arté- riel serait plus chaud que le sang veineux. Mais en physiologie surtout, ce sont les faits qui doivent juger les théories, et jamais le contraire ne doit avoir lieu. D'après la théorie chimique de Lavoisier, on croyait que la respiration était une combustion pulmonaire, accompagnée du dégagement de chaleur qui suit tou- jours la combinaison de l'oxygène et du carbone, cette explication parut d'abord parfaitement fondée, parce que, d'une part, on absorbait de l'oxygène, et que, de l'autre, on rejetait de l'acide carbonique absolument comme une lampe qui brûle dans l'air. Plus tard, l'explication fut changée, lorsqu'on découvrit que cette combustion ne se faisait pas dans le poumon, où n'avait lieu qu'un simple échange entre l'acide carbonique contenu dans le sang et l'oxygène de l'atmosphère, de sorte que la respiration pulmo- naire n'était qu'un simple déplacement de ces deux gaz i'un par Tautre. Bien qu'on n'admît plus alors que ce fût dans le poumon (pie se faisait cette combi- naison entre l'oxygène et le carbone, on avait cepen- dant conservé des expériences qui semblaient établir que le sang artériel est plus chaud que le sang veineux. Mais ces expériences sont défectueuses, non pas au point de vue de l'observation, car les observateurs ne se sont pas trompés sur ce qu'ils ont vu, seulement ils sont tombés souvent dans l'inconvénient de ne pas se placer dans des conditions vraiment physiologiques. QUE LE SANG ÉPROUVE DANS LE FOIE. 203 Mais nous vous avons souvent dit, messieurs, qu'une expérience ne se critique pas par des raisonnements; elle se juge par des faits mieux analysés, et nous nous hâtons d'y arriver. Quand on a observé autrefois que le sang artériel du cœur gauche était plus chaud que le sang veineux du cœur droit, on a souvent opéré sur des animaux récemment morts. On se servait soit de deux thermo- mètres placés simultanément dans les deux ventri- cules , ce qui est déjà une cause d'erreur, car jamais deux instruments ne sont exactement d'accord, soit, ce qui valait mieux, d'un seul thermomètre mis suc- cessivement dans les cavités droite et gauche du cœur. On a généralement observé dans ces conditions que le ventricule gauche avait une température plus élevée que le ventricule droit. Mais il est facile de démontrer que, dans ce cas, où le sang ne circule plus dans le cœur, cette différence tient à un refroidissement plus facile dans le cœur droit que dans le cœur gauche. En effet, si l'on enlève com- plètement le cœur à un animal, qu'on le remplisse d'eau après avoir lié ses diverses ouvertures, qu'on place deux thermomètres bien réglés dans chacun de ses ventricules, qu on mette le tout dans un bain à 4o degrés, on voit la température dans le cœur s équi- librer avec celle de l'eau qui l'entoure. Si l'on vient alors à retirer du bain le cœur muni de ses deux ther- momètres, et qu'on le laisse se refroidir à l'air, on s'a- perçoit que le thermomètre placé dans le ventricule droit s'abaisse plus rapidement que celui qui est placé 204 MODIFICATIONS DE TEMPÉRATURE dans le ventricule gauche. Voilà donc une expérience purement physique qui donne les mêmes résultats qu'une expérience qu'on avait cru physiologique. Vous voyez ici un cœur débarrassé de ses vais- seaux; on a introduit un thermomètre dans chacun de ses ventricules préalablement remplis d'eau. On a placé l'appareil ainsi disposé dans un bain à une tem- pérature de 4o degrés environ. Au bout d'un quart d'heure, les deux thermomètres placés dans le cœur ont marqué sensiblement la même température qu'un autre thermomètre placé dans le bain. On observe alors, le cœur étant sorti du bain, la marche comparative aux thermomètres placés dans les ventricules, et l'on obtient les résultats suivants : Époque des observations. Thermomètre dans le ventricule gauche. Thermomètre dans le ventricule droit. 5h 0m, 35°,1 35°,3 5h 5™, 35 34 5h 6"\ 34 32%8 5h 7™ 33°,1 32 5h 10m, 32 31 5h 13m, 30 29 5^ 16^, 28°,7 28 5*» 18"», 27°,4 27 5* 23m, 25°,8 25°,6 D'autres expérimentateurs, Legallois et Collard de Martigny, M. Magendie surtout, et plus récemment M. G. Liebig, avaient déjà dit que le sang du ventricule gauche leur avait paru moins chaud que celui du ven- tricule droit. Mais on ne s'expliquait pas comment le sang artériel, qui, dans tout le reste du corps, est plus chaud que le sang veineux, devenait moins chaud au QUE LE SANG ÉPROUVE DANS LE FOIE. 205 contraire que ce dernier dans le cœur. Ce qui se passe dans le foie nous rendra compte maintenant de cette particularité. Pour arriver à la réalisation de nos expériences sur la température comparée du sang dans les deux cœurs, nous nous sommes placés dans des conditions aussi voi- sines que possible de l'état physiologique, en prenant la température dans le cœur sur le vivant pendant que le sang continuait à circuler. Mais tous les animaux ne se prêtent pas également bien à ces expériences. Il est presque impossible d introduire un thermomètre dans le cœur d'un Chien, par exemple, à cause de la situation profonde du tronc brachio-céphalique; on produit des désordres très graves qui nuisent à la certitude des résultats. Chez la Chèvre et le Mouton, au contraire, on peut assez facilement introduire par la veine jugulaire droite et le tronc artériel brachio- céphalique un thermomètre dans l'une et l'autre ca- vité du cœur. Voici comment nous opérions sur des Moutons : L'animal étant couché sur le dos, et tenu la tête fortement renversée en arrière , on pratique sur la ligne médiane du cou une incision longitudinale longue de 10 à 12 centimètres; on écarte les muscles, on arrache le thymus, et l'on a sous les yeux la trachée qui a été mise à nu, la veine jugulaire droite qu'on isole jusqu'au bas du cou, ainsi que le tronc brachio- céphalique artériel en passant deux fils sous chacun de ces vaisseaux. Alors on prend la température avec le thermomètre, qu'on commence à introduire soit par l'artère, soit par Ja veine. Pour agir sur le tronc 206 DIFFÉRENCE DE TEMPÉRATURE DU SANG bracbio-céphalique artériel, on commence par faire une ligature au lieu d'origine des deux carotides, avec un fil ciré à plusieurs doubles pour éviter de couper le vaisseau. Puis alors on passe le doigt de la main gauche sous le tronc, on y fait une incision en même temps qu'on empêche l'issue du sang, soit en prenant l'artère , soit en soulevant l'autre fil resté libre. Avec la main droite on place la cuvette du thermomètre dans l'ouverture de l'artère , et l'on pousse l'instrument en le dirigeant un peu de gauche à droite , et d'arrière en avant jusque dans le ventricule; il peut arriver quelquefois qu'on soit arrêté par les valvules sigmoïdes , alors on retire l'instrument pour le replonger, soit qu'on parvienne à éviter ces valvules, soit à les rompre, comme c'est le cas le plus ordinaire. On s'aperçoit que l'on est dans le cœur lorsque le thermomètre transmettes battements du ventricule dans lequel il se trouve. Quand on veut pénétrer dans la veine cave , on y place d'abord une ligature pour empêcher le sang de la tête de redescendre, ensuite on fait une incision au- dessous de cette ligature, en ayant soin de comprimer la veine pour empêcher l'entrée de l'air dans le cœur. Le thermomètre est introduit dans la veine et on le pousse jusque dans le cœur, en le dirigeant un peu de droite à gauche et d'arrière en avant. Si l'on n'avait pas le soin de diriger l'instrument comme nous venons de le dire , il serait conduit en bas dans la veine cave inférieure, au-dessous du cœur. On sent également qu'on est dans cet organe lorsque la tige du thermo- mètre est agitée par les battements cardiaques. DANS LES (H VITES DU COEUR. 207 On comprend que pour des déterminations aussi délicates, car bien qu'il y ait une différence de tempé- rature, cette différence ne saurait être considérable, puisque la cloison intermédiaire est très mince, et que d'ailleurs eu arrivant au cœur le sang- venu du foie s'est déjà refroidi par son mélange avec le sang du reste du corps; on comprend, dis-je, qu'il faille s'en- tourer de précautions minutieuses et d'instruments à la fois très sensibles et dune grande précision. Dans toute recherche thermométrique , il importe de se servir du même instrument, qui est toujours compa- rable à lui-même , tandis que deux instruments diffé- rents, quelque bien faits qu'ils soient pour marcher d'accord , ne vont jamais parfaitement ensemble, et indiquent presque toujours des différences, quoique placés dans des conditions identiques. Dans ces expé- riences nous étions assisté de M. Walferdin , dont la compétence sur toules les questions de détermination de température est si bien établie, et dont les instru- ments ont acquis une si grande précision. Le thermo- mètre qui nous a servi était un thermomètre mè tas to- uque de M. Walferdin, dont l'échelle arbitraire a été en- suite ramenée à l'échelle du thermomètre à graduation centésimale. On trouvera résumés dans le tableau sui- vant les résultats des expériences faites sur les Moutons. Elles montrent que la différence de température, bien qu'elle soit constante, est, comme nous le disions, peu considérable; en effet, elle ne dépasse pas 2 à 3 dixièmes de degré; mais, nous le répétons, l'excès de température est ordinairement à l'avantage du ven- tricule droit. 208 DIFFÉRENCE DE TEMPÉR. DU SANG DANS LE COEUR. Observations faites sur des Moutons avec le thermomètre métastatique à mercure, de M. Walferdin. \ - 1854 I 9 mars. 8. | » *>« 3 — 10.<3 00 — 11. - 12. 3 30 3 45 1 4! \2 — 13. \ 3 \ o u (1 15 sept. 14. j^ - ni 1" 17.'1 30 30 30 30 30 30 30 30 - 18. - accélérée, trouble. Animal très vigoureux. Les battements sont plus accélé- rés pendaut l'observation du cœur droit que pendant l'ob servation du cœur gauche. Mouvements, elïorts de l'ani- mal, pulsations accélérées. L'animal s'agite. L'animal est plus calme. Mouvements, efforts. Calme. Efforts et mouvements. Idem. On est dans l'oreillette. On est dans le ventricule. L'animal est calme. On est dans l'oreillette. On est dans le ventricule. Les expériences suivantes sont faites avec un autre thermo- mètre métastatique. DIXIEME LEÇON. o 27 janvier 1855. SOMMAIRE : Destruction du sucre dans l'organisme. — Destructibilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce sujet. — Limites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats d'expériences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — Influence de la combinaison du sucre avec le sel marin. — Résultats d'expériences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne pénètre qu'en petites quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans les urines à la suite des injections. Messieurs, Nous arrivons maintenant à un antre chapitre de l'histoire du sucre. Jusqu'ici nous vous avons entretenu de sa production et des diverses influences qui agissent sur elle. Nous aurions encore à vous parler de l'action du système nerveux sur cette fonction , mais nous nous réservons de l'étudier plus tard, à propos des diabètes artificiels. Nous devons actuellement examiner les phéno- mènes de destruction du sucre dans l'organisme. Car, comme nous l'avons déjà dit, le sucre, à l'état normal, n'est pas expulsé au dehors, il reste dans le sang pour y remplir certains usages dont nous vous parle- rons bientôt, et sur lesquels nous avons à vous an- noncer des faits entièrement nouveaux qui sont de nature, je crois, à jeter une vive lumière sur les phé- 14 210 CAUSES DE L'APPARITION nomènes chimiques qui se passent dans l'organisme, dans leurs rapports avec les actes purement vitaux. Pour le moment, nous allons donc rechercher les con- ditions physiologiques de la disparition du sucre dans l'animal. Cette étude est d'autant plus importante que les théories du diabète roulent toujours sur ces deux faits nécessairement connexes, production ou destruc- tion du sucre, soit qu'on suppose la production exa- gérée, soit que l'on considère l'amoindrissement de la destruction. Le sucre qui apparaît dans les urines peut résulter en effet ou de ce qu'il se forme en trop grande quantité pour être complètement détruit, ou de ce que se produisant comme d'habitude, la faculté que l'orga- nisme a de le détruire est devenue insuffisante. Il faut donc bien fixer les idées sur ces deux points pour apprécier la valeur des théories basées sur l'une ou sur l'autre des deux phases de la même fonction. Dans l'état physiologique le sucre, incessamment sécrété dans le foie, n'apparaît jamais dans aucune des excrétions naturelles, il est donc détruit dans l'or- ganisme, mais, indépendamment de cette quantité normale qui disparaît à mesure qu'elle se forme, l'in- dividu vivant peut encore en détruire un peu plus; de sorte qu'a l'état sain la puissance de destruction est toujours supérieure à la formation glycogénique. Si l'on ajoute du sucre dans le sang d'un animai, jusqu'à une certaine limite, ce sucre pourra être com- plètement détruit et n'apparaîtra point au dehors. Mais il faut ici distinguer ce qui se passe suivant qu'on a affaire aux différentes espèces de sucres. DU SUCRE DANS LES URINES. 211 Les sucres de première espèce , ies sucres de canne et de betterave, ne sont jamais détruits; ils sont con- stamment éliminés par les urines quand on les injecte directement dans le sang; car vous savez que, mis dans l'intestin, ces mêmes sucres sont, en partie au moins, transformés en sucres de deuxième espèce. Ces der- niers, au contraire , injectés dans le sang, peuvent y être détruits en certaines proportions. Nous allons vous montrer expérimentalement ce fait en injectant dans le sang de ces deux Lapins, qui sont de même taille et dans les mêmes conditions, à l'un, une certaine quantité d'un sucre de la première espèce , à l'autre la même quantité d'un sucre de deuxième espèce. Nous découvrons ici la veine jugulaire droite en faisant une incision dans la région moyenne du cou, suivant une ligne étendue, depuis l'angle de la mâchoire inférieure jusqu'au creux sterno-coracoïdien qui sépare l'extrémité supérieure du sternum de l'épaule. Nous apercevons la veine immédiatement sous la peau, et nous la dénudons et passons au-dessous d'elle une double ligature. On serre en haut une de ces ligatures qui intercepte la circulation dans la veine, puis, au- dessous de cette ligature, nous incisons la veine qui est revenue sur elle-même, en se vidant de son sang. Alors nous introduisons par cette ouverture la canule d'une seringue contenant i5 grammes d'eau, tenant en dis- solution ogr,?5de sucre de canne ou sucre de la première espèce. On pousse l'injection très lentement, et c'est un précepte général pour toutes les injections faites 212 CAUSES DE L'APPARITION sur les animaux vivants. Vous voyez que pendant cette opération l'animal n'est pas troublé, sa respiration reste normale sans s'accélérer, ce qui n'aurait pas lieu si nous injections trop rapidement. Enfin, nous pous- sons l'injection jusqu'à la fin de la seringue, parce que nous avons eu soin de chasser tout l'air de l'instru- ment. Si l'on n'avait pas pris cette précaution, il fau- drait se garder d'injecter les dernières parties du liquide qui pourraient contenir de l'air et causer la mort de l'animal. L'injection étant faite nous plaçons la deuxième liga- ture sur la veine, nous coupons les fils et nous mettons notre animal en liberté. Nous avons pris l'urine avant l'opération, nous en reprendrons encore dans une demi- heure environ, et nous devrons y retrouver du sucre que nous venons d'injecter sans qu'il ait subi aucune modification et étant encore à l'état de sucre de canne. Nous faisons de la même manière sur l'autre Lapin, et dans la veine jugulaire, l'injection de i5 grammes d'eau contenant ogr,,ô de sucre de fécule, c'est-à-dire du sucre de la seconde espèce. L'animal n'éprouve au- cun inconvénient de cette injection ; nous avons pris son urine avant, nous en reprendrons dans une demi- heure, et nous ne devrons pas rencontrer les moindres traces du sucre que nous venons cle lui injecter, parce qu'il aura été détruit dans l'organisme, ce qui vous prouvera que les sucres de la première espèce ne sont pas détruits, tandis que ceux de la deuxième espèce le sont. Maintenant, parmi ces derniers, il y en a qui sont DU SUCiiE DANS LES URINES. 2lo plus destructibles les uns que les autres, et si on les range d'après leur ordre de destructibilité croissante, on aura la série suivante : i° Sucre de lait; 2° Sucre de fécule ou glucose ; 3° Sucre de diabète ; 4° Sucre du foie. Les sucres de canne ou de betterave (sucres de la première espèce) ne se détruisent pas sensiblement dans le sang, ainsi que nous l'avons dit. Du reste, nous avons rassemblé dans 'e tableau suivant quelques résultats, parmi beaucoup d'expériences que nous avons faites sur cette propriété des su- cres. Seulement au lieu d'injecter la so- lution sucrée directement dans le sang, comme vous nous l'avez vu faire tout à l'heure, nous avons toujours poussé cette injection dans le tissu cellulaire sous-cutané, en choisissant pour cette expérience les Lapins, chez lesquels ce tissu est très lâche et se laisse infiltrer facilement par une certaine quantité de liquide. Par cette méthode, le sucre n'entre pas aussi vite dans la circula- lion , il s'absorbe peu à peu dans le tissu cellulaire , de manière qu'il ne s'en trouve jamais à la fois qu'une faible quantité dans l'organisme. Cette injection sous-cutanée se fait , Fig. 13. 214 CAUSES DE L'APPARITION comme vous le savez déjà, au moyen d'une seringue (Fig. i3) dont la tige du piston P est graduée de ma- nière à mesurer la quantité de liquide qu'on injecte. La canule S de la seringue est piquante, ce qui permet de percer directement la peau et de pousser l'injec- tion en même temps. L'extrémité de la canule est acérée en forme de trocart, et l'ouverture S' placée latéralement. Voici les résultats que nous avons obtenus à la suite des injections sous-cutanées des différents sucres. SUCRES INJECTÉS. COMPOS de l'injec Sucre. ITION lion. — — r — ^ Eau. APPARITION du sucre dans les urines. POIDS du Lapin. 1 Sucre de canne. . . S Sucre de lait .... S Sucre de fécule. . . !' Sucre de diabète . . | Sucre de foie. . . . 0,50 0,50 1,00 1,50 2,00 c. cub. 25 25 25 25 25 sucre. 0 0 0 o 865 gr. 810 865 895 1007 , •On peut voir, d'après les chiffres de ce tableau que sur des Lapins, dans les mêmes conditions de digestion, aucun des sucres de deuxième espèce n'est apparu dans les urines, tandis que le sucre de canne seul s'y est montré bien qu'ayant été injecté comparativement à une plus faible close. On voit aussi que le sucre du foie est celui dont on peut injecter les plus grandes quantités sans qu'on le retrouve dans les urines. On se demandera naturel- lement ici comment nous préparons ces dissolutions du sucre du foie. Son extraction directe présente DU SUCllE DANS LES URINES. 215 les plus grandes difficultés à cause du grand nombre de sels et particulièrement de chlorures existant dans le foie d'où résultent des mélasses qui empêchent la séparation de la matière sucrée et, par conséquent, la possibilité de faire de cette façon des dissolutions titrées. Mais nous sommes parvenus au même résultat en prenant du foie et broyant sa pulpe avec du noir animal, en très fortes proportions, ainsi que nous l'avons indiqué dans la deuxième leçon, et en faisant passer les dissolutions sur des parties nouvelles, jus- qu'à ce qu'elles soient arrivées au degré de concen- tration que nous voulons , ce que nous constatons parle dosage au moyen du liquide cupro-potassique. Ce sont ces dissolutions que nous injectons sous la peau. Il résulte encore de tout ce qui précède que les sucres qui sont destructibles ont cependant leurs limites de destructibilité, qui ne sauraient être dépassées sans que, immédiatement, l'excès de cette substance appa- raisse dans les urines. Il était important de fixer cette limite d'une manière précise, au moins pour un des sucres, afin que nous pussions, d'après ce point de départ, faire des études sur les modifications que subit la destructibilité du sucre suivant la taille des animaux, et les diverses circonstances physiologiques dans lesquelles ils se trouvent. Nous avons choisi pour cela le sucre de fécule, qu'il est le plus facile de se procurer, et nous avons fixé les limites de sa destructibilité d'une manière aussi précise que possible dans les tableaux suivants que 216 GAISES DE L'APPARITION nous avons fait mettre sous vos yeux pour abréger le détail des expériences. te •là a, Vi w QUANTITÉ de sucre QUANTITÉ de la solution CE qu'elle repr. en époque et apparition du sucre POIDS du w a pour 100 injectée. sucre sec. dans les urines. Lapin. d'eau. 6r> cent. c. gr- gr- I. 100 25 12,50 après 15' sucre. 1008 II. 10 25 2,50 après Ih. sucre. 1050 III. 8 25 2,00 après Ih. 30' sucre. 1085 IV. 6 25 1,50 après 2 h. sucre. 1087 V. 6 25 1,50 après 2 h. sucre. » VI. 6 25 1,50 après 2 h. traces de sucre. 2050 VII. 4 25 1,00 0 1004 VITT. k 25 1,00 0 1020 IX. k 25 1,00 0 863 X. à 25 1,00 0 11.05 On voit par les expériences consignées dans ce ta- bleau, et qui, pour être comparables, ont été faites sur des animaux de même âge, de même poids, autant que possible dans les mêmes conditions d'alimen- tation et pendant la digestion, que toutes les fois qu'on injecte plus de î gramme de glucose dissous dans 2Ô centimètres cubes d'eau , il en passe dans les urines où il apparaît d'autant plus vite que la liqueur est plus concentrée. Ainsi , pour 20 centimètres cubes d'une liqueur dont la proportion de sucre était de îoo pour ioo, l'apparition a eu lieu au bout d'un quart d'heure , tandis que lorsque la proportion n'était que de 6 pour ioo,le sucre n'apparaissait qu'au bout de deux heures. C'est environ 1 gramme de sucre qui doit être con- sidéré comme la dose limite de la destruction de cette substance chez des Lapins pesant de 1000 à DU SUCRU DANS LUS UlUISLES. 217 1200 grammes. Cette limite variera nécessairement avec la taille des animaux; c'est ainsi que dans le tableau précédent nous voyons qu'un Lapin de 2o5o grammes avait moins de sucre dans les urines que d'autres Lapins plus petits. Il est bien certain que pour un Chien ou pour unCheval,lalimitede destruction se- rait tout à fait différente, seulement nous n'avons pas fait d'expériences assez nombreuses pour savoir si la quantité de 1 gramme de sucre serait toujours corres- pondante à 1200 grammes du poids de l'animal, il serait possible qu'il en fût ainsi. Toutefois nous pouvons dire que la quantité de sucre détruit paraît être en rapport avec la quantité de sang contenue dans l'or- ganisme ; car si l'on prend deux Lapins de même taille et dans des conditions physiologiques semblables, et si après leur avoir injecté la même dose de sucre qui , dans les expériences précédentes, était complètement détruite, on vient à saigner ces animaux, le sucre apparaîtra bientôt dans les urines. Sur des Lapins en pleine digestion, on peut injecter sous la peau une plus grande quantité de sucre sans voir apparaître cette substance dans les urines; cela tient probablement à ce que le sang se trouve alors en plus grande quantité dans l'organisme. Voici, du reste, quelques résultats d'expériences sur ce sujet : Un Lapin, pesant 1660 grammes, est saigné à la veine jugulaire et on lui retire 16 grammes de sang, et aus- sitôt on injecte parla même veine 4 centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre de fécule. 218 CAUSES DE 1,'APPA.ttlTION Sur un autre Lapin, dans l'intervalle de deux repas, comme le précédent, et pesant 1670, on fait l'injection de la même quantité de sucre et d'eau sans saigner le Lapin. On donne ensuite des aliments aux deux ani- maux qui mangent avec appétit. Une heure après on retire de l'urine de la vessie de ces deux Lapins, elles sont troubles et alcalines, mais l'urine de celui qui a été saigné contient seule du sucre, l'autre n'en présente pas la moindre trace. Deux jours après on expérimente de nouveau sur les deux mêmes Lapins, dans les mêmes conditions, mais en retirant préalablement t 6 grammes de sang de la veine jugulaire chez le Lapin qui, dans l'expé- rience précédente, n'avait pas été saigné. Après quoi on fait à tous deux, par la veine jugulaire, l'injection de 4 centimètres cubes d'eau contenant un demi-gramme de sucre. Au bout d'une heure on retire les urines qui, exami- nées avant l'expérience, ne contenaient pas de sucre. L'urine du Lapin saigné contient beaucoup de sucre, celle du Lapin non saigné n'en présente que quelques traces. On a encore fait l'expérience suivante sur deux autres Lapins, à jeun depuis vingt-quatre heures, dont les urines étaient claires et acides. Sur l'un d'eux on enlève préalablement 10 grammes de sang, puis on fait l'injection à tous les deux par la veine jugulaire de l\ centimètres cubes d'eau conte- nant un demi-gramme de sucre de fécule, et on les laisse à jeun. DU SUCRE DANS LES URINES. 219 Le Lapin saigné pèse 1690 grammes; le Lapin non saigné pèse îôoo grammes. On examine chez ces deux animaux les urines de la manière suivante : LAPIN SAIGNÉ. | LAPIN NON SAIGNÉ. Après une demi-heure. Urines toujours acides; elles con- 1 Urines toujours acides; traces de tiennent beaucoup de sucre. | sucre. Après une heure. Urines toujours acides; sucre, mais en proportion un peu moin- dre que précédemment. Urines toujours acides; encore quelques traces de sucre. Après deux heures. Urines toujours acides ; traces de sucre. Urines acides ; absence complète de sucre. Ces expériences prouvent que la quantité de sang dans un animal peut avoir une influence sur l'appari- tion du sucre dans les urines. Il peut se faire encore que, sans rien changer ni du côté des conditions physiologiques de l'animal, ni dans la quantité de sucre injectée, l'apparition de cette sub- stance dans les urines ait lieu par l'influence seule de la proportion d'eau de l'injection. Dans les expériences précédentes, nous avions tou- jours une solution de 1 gramme de sucre pour q5 cen- timètres cubes d'eau. Dans ces circonstances, le sucre n'apparaissait pas au dehors. Si, au lieu de cela, nous prenions 1 gramme de sucre dissous dans 8 centimè- tres cubes d'eau, c'est-à-dire une solution environ trois 220 CAUSAS de l'awaiui'Kln fois plus concentrée, le sucre passerait dans les urines bien qu'on n'en ait injecté sous la peau que 1 gramme seulement, comme dans le premier cas. Toutes les expériences que nous avons faites sur ce point ont donné le même résultat qui se trouve con- signé dans le tableau suivant : « Pi X a 09 H O e QUANTITÉ de sucre pour 100 d'eau. QUANTITÉ de la solution injectée. CE qu'elle repr. en sucre sec. ÉPOQUE et apparition du sucre dans les urines. POIDS du Lapin. I. II. III. IV. 12 12 12 k c. cub. 8,33 4,17 8,33 2,5 1 4/2 4 1 lh. sucre. 0 1/2 h. sucre. 0 1100 1112 1000 1105 Pourquoi le sucre, injecté dans la proportion de 1 sur 8,33 d'eau, apparaît-il dans les urines, tandis que quand il est injecté clans la proportion de î sur 25, il est complètement détruit? Cela tient à la rapidité avec laquelle se fait l'absorption qui est extrêmement prompte dans le premier cas, tandis qu'elle est beau- coup plus lente dans le second. Le pouvoir endosmo- tique d'un liquide augmente avec son degré de con- centration, de sorte qu'il en passe davantage dans le même temps. Ce n'est pas la même chose de faire absorber î gramme de sucre dans une demi-heure, pendant laquelle il peut être entièrement détruit, ou de le faire absorber en un quart d'heure. Par la même raison si l'on injecte la substance directement dans le sang, et en trop grande quantité à la fois, il est clair qu'on la retrouvera dans les urines. DU SUC HE DÀKS LES URTNES. 221 Il y a une autre expérience qu'on peut faire et qui rentre dans la même explication : c'est que la présence de certaines substances, telles que le sel marin, peu- vent changer la limite de destruction du sucre. Si nous prenons un Lapin , et qu'au lieu de lui in- jecter sous la peau 1 gramme de sucre dissous dans q5 grammes d'eau pure, nous ajoutions à la solution 2 grammes de sel marin, dont l'équivalent endosmo- tique est considérable, le sucre ne se détruira plus et apparaîtra dans les urines. Quand on fait ces injections d'eau salée sous la peau, ainsi que nous vous le voyez faire en ce moment, l'animal pousse constamment des cris, ce qui provient sans doute de l'action du sel sur les nerfs. Car on sait que si l'on place dans l'eau salée un bout de nerf de grenouille, récemment tuée, tenant encore à son membre , on voit immédiatement les muscles pris de mouvements tétaniques. Le sulfate de soude, au conlraire, ne donne rien de pareil. Et vous voyez que chez ce Lapin, où nous l'injectons, il ne se produit aucun mouvement ni aucun cri indiquant une sensa- tion douloureuse. S'il était permis de comparer cette action sous la peau à ce qui se passe quand le sel marin se trouve dans le sang, on pourrait conclure que cette substance agit comme excitant général du système nerveux. Nous avons consigné les résultats de nos expé- riences, relatifs à la question qui précède, dans le ta- bleau suivant : 222 CAUSES DE L* APPARITION —^- PL. COMPOSITION , EPOQUE POIDS «5 a d û liquide injecté. et apparition du sucre dans l'urine. du Lapin. ~> s Sucre Sel mar. Eau. gr- gr- c. rub gr. I (glucose). 0,50 1 12,50 apr. 15' sucre. 1000 à 1200 II id. 0,50 1 8,50 apr. 30' sucre. id. III id- 0,50 1 id. apr. 1 h. sucre. id. IV id. 0,50 1 id. apr. 1 h. sucre. id. V id. 1,00 1 8,33 apr. Ih sucre. id. VI id. 0,50 1 12,00 apr. 1/2 h. tr. de sucre. id. VII ( diabète ). 0,50 1 12,50 apr. 1 h. 1/2 pas de sucre. id. VIII id. 0,50 1 8,50 apr. 15' tr. de sucre. id. IX id. 0,50 1 id. apr. 2 h. pas de sucre. id. X id. 0,50 1 id. apr. Ih.pas de sucre. id. XI id. 0,50 1 8,33 apr. 1 h. traces de sucre. id. XII id. 0,50 1 12,50 apr. 4 h. pas de sucre. id. XIII id. 1.00 2 suif. de soude id. apr. 1 h. pas de sucre. id. On voit, d'après les chiffres, que la quantité de sucre détruit diminue quand on y ajoute en même temps du sel marin, et cela a lieu même pour le sucre de diabète dont la limite de destructibilité est beaucoup plus éle- vée. Ce résultat s'est encore manifesté quand on fai- sait une solution plus concentrée du liquide. Dans ces cas encore l'abaissement de la limite de destructibilité dépend de l'absorption plus rapide que le sucre a éprouvée par suite de sa combinaison avec le sel ma- rin, combinaison décrite dans tous les livres de chi- mie et qui a pour formule C24 H24 O24 Na Cl, 2 HO. La faculté endosmotique du sel marin ne se commu- niquerait pas au sucre, s'il y avait simple mélange et s'il n'existait pas une combinaison réelle entre ces deux substances; c'est ce qui résulte d'expériences que nous avons faites avec le sulfate de soude, qui n'en- traîne pas le sucre avec lui, bien que l'équivalent en- DU SUCRE DANS LES URINES. 223 dosmotique soit plus considérable que celui du sel. Ce fait n'est pas sans exemple, car j'ai prouvé ail- leurs, que le fer pouvait être entraîné par l'iode dans certaines sécrétions, telles que la salive où ce métal ne passe pas à létat d'autres combinaisons. Il faut encore noter en passant que l'acidité des urines chez des Lapins à jeun , ou sur des Chiens, semble diminuer sous l'influence d'une injection de glucose. , l'avais pensé d'abord , quand j'observai ces phénomènes pour la première fois, que cela tenait aune action particulière de la matière sucrée , mais il m'a semblé depuis que cette diminution de l'acidité pou- vait tenir à la dilution de l'urine par le liquide injecté. J'ai fait dans ce but des injections d'eau pure dans lesquelles le même fait s'est reproduit. Vous voyez donc, messieurs, combien de semblables phénomènes sont compliqués, puisqu'il faut tenir compte et de la taille de l'animal, de l'état de digestion, de la nature du sucre, de sa quantité, de son degré de concentration et de l'état de combinaisons qu'il peut présenter avec les matières qu'il rencontre. Toutes ces nuances se trouvent représentées dans les tableaux qui précèdent. On comprend alors quelle difficulté présente l'ap- plication des calculs à des phénomènes physiologiques en apparence simples, mais qui dépendent de tant de conditions connues, sans parler de celles sur lesquelles nous n'avons encore aucune donnée. Ces expériences sont plus importantes qu'on ne ne pourrait le supposer au premier abord. Bien que 2W24 APPARITION DU SLCI1E DANS LKS URINlîS. faites en dehors des conditions normales, elles puissent paraître étrangères à l'histoire de la destruction du sucre hépatique dans letre vivant, elles s'y ramènent cependant parce qu'elles nous prouvent qu'il faut, pour que le sucre se détruise dans l'organisme , qu'il soit destructible, ce qui n'a pas lieu pour toutes les espèces de sucre, et en outre qu'il n'arrive pas dans le sang en trop grandes quantités à la fois. Quand nous viendrons à l'analyse des phénomènes du diabète, nous verrons que chacun de ces faits trouvera son application. ONZIEME LEÇON. 30 JANVIER 1855. SOMMAIRE : Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — Application au diabète. — Conditions qui font apparaître le sucre dans le système circulatoire général. — Théorie de la combustion pulmonaire. — Examen de cette théorie. — Objections. — Découverte de la présence du sucre dans l'urine des foetus. — Circonstances de ce phénomène. — Il devient inexplicable dans la théorie de la des- truction du sucre dans le poumon. — Expériences sur les sangs en contact avec différents gaz. — Théorie de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la destruction du sucre par fer- mentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est l'espèce de fermenta- tion qui s'opère ainsi. — Accidents qui suivent la production de l'al- cool dans le système circulatoire. — Vues sur les phénomènes chimi- ques de l'organisme. Messieurs , Nous avons fait passer sous vos yeux, dans la der- nière séance, une série de résultats destinés à vous mon- trer qu'il y a une distinction à établir au point de vue de la destructibilité entre les diverses espèces de sucre : ceux de la deuxième espèce (lactose, glucose, sucre de raisin, de diabète, de foie, etc.), peuvent être détruits dans le sang, ce qui n'a jamais lieu pour le sucre de canne ou de betteraves, qui, placés dans les mêmes conditions, sont constamment éliminés par les urines. Vous avez vu aussi que la quantité de sucre qui se répand dans l'organisme, c'est-à-dire dans le sang après être sortie du foie doit être limitée; car si l'on prend un animal et qu'on lui injecte une solution 15 226 DESTRUCTION DU SUCRE sucrée soit directement dans le sang, soit dans le tissu cellulaire sous-cutané, il ne faudra pas dépasser cer- taines doses, autrement la matière sucrée apparaîtrait dans les urines. Vous savez, en outre, que même dans les limites dans lesquelles le sucre peut être détruit, il faut encore tenir compte du temps que l'absorption met à s'effectuer, car si elle était trop rapide, soit par l'effet dune injection directe dans le sang, soit par suite de la concentration du liquide poussé dans le tissu cellulaire, ou de la combinaison de la matière sucrée avec certaines substances très endosmotiques, comme le sel marin par exemple , le sucre pourrait encore se montrer dans les urines. Il ne faut jamais perdre ces faits de vue, car ils sont la clef d'un certain nombre de phénomènes qui se rattachent au diabète. Le foie est, en effet, un organe qui contient du sucre et qui l'injecte peu à peu dans le sang, Les phénomènes que nous produisons avec une seringue chargée de la matière sucrée, le foie peut naturellement les accomplir ? c'est-à-dire que si dans un temps donné , cet organe lance dans le sang une quantité de sucre pins grande que ne le comporte l'état physiologique, l'excès de cette matière appa- raîtra immédiatement dans les urines, et nous aurons le symptôme du diabète. Lorsqu'un animai est à jeun depuis un certain temps , le sucre qui se produit dans le foie arrive au poumon , où il peut être alors complètement dé- truit ; dans ce moment on ne trouve manifestement du sucre qu'entre ces deux organes. Si l'animal est en DANS LE SANG, 227 digestion, la quantité de sucre versée par le foie est trop considérable pour être détruite tout entière dans le poumon, il en passe alors une partie dans le sang artériel et même dans le système veineux de la grande circulation , où l'on peut le retrouver; mais dans l'état de santé, ce sucre, généralisé dans tout l'appareil circu- latoire, ne se montre cependant pas dans les urines. La sensibilité des reins n'est pas éveillée par une propor- tion très faible de sucre dans le sang , et vous savez, messieurs, que la sensibilité des organes sécréteurs n'est pas la même pour tous vis-à-vis des mêmes substances. Ainsi , les glandes salivaires éliminent de l'organisme les moindres traces diode, tandis qu il en faut des quantités plus considérables pour que cette matière se manifeste dans l'urine. Ainsi l'apparition du sucre dans l'urine n'est donc qu'une affaire de limite , une question de plus ou de moins. Le sucre, à l'état physiologique, peut exis- ter, et existe dans certains cas dans tout le sang , mais sans se montrer au dehors ; si sa quantité aug- mente un peu, l'individu devient diabétique, soit dune façon continue, soit d'une manière intermittente. Lehmann a constaté, chez les chiens et les lapins, que dès que la quantité du sucre dans le sang arrivant au poumon dépasse osr,3o pour 100 le sucre apparaît dans les urines. Supposons maintenant qu'au lieu de verser le sucre dans l'organisme avec une certaine lenteur, de ma- nière à ne pas dépasser les limites de ce que doit en contenir le sang, le foie, sous certaines influences 228 DESTRUCTION DU SUCRE vienne à être pris de contractions, qu'il soit comprimé par exemple, il chassera alors de son tissu une quan- tité de matière sucrée, double ou triple de ce quelle doit être; le sucre pourra apparaître rapidement dans tout ce sang, et même dans l'urine. Le phénomène peut être produit d'une façon tout à fait mécanique au moyen d'une expérience très simple. Nous choisissons un animal, un chien on un lapin, en ayant soin de le prendre dans un moment conve- nable, clans l'intervalle de deux repas, la digestion pré- cédente étant complètement achevée. Dans ces condi- tions, à peu près tout le sucre versé par le foie disparaît dans le poumon et l'on en retrouve à peine des traces dans le système artériel et dans le système veineux gé- néral. Si sur l'animal en repos on tire alors du sang de la veine jugulaire, on n'y trouvera pas sensiblement de traces de matières sucrées. Si, au contraire, on com- prime l'abdomen, de manière à exercer une certaine pression sur le foie, ou bien si l'on provoque des espèces de convulsions, et des contractions violentes des mus- cles abdominaux et du diaphragme, en bouchant her- métiquement le nez de l'animal de façon à l'empêcher de respirer pendant quelques instants, et qu'après on reprenne du sang de la veine jugulaire du même ani- mal , on trouvera qu'il y a du sucre. L'expérience aura cependant duré tout au plus cinq minutes. Gom- ment expliquer cette apparition du sucre? Tout sim- plement parce que sous l'influence des efforts qu'a faits l'animal pour tenter d'échapper à la suffocation, le foie a été comprimé et a, dès lors, versé dans le sang du DANS LE SANG. 229 sucre en excès, qui est alors passé dans tout le système circulatoire. On produira un effet analogue en retirant une grande quantité de sang dans une artère. Les der- nières parties du sang sorti du vaisseau contiendront beaucoup de sucre, tandis que les premières pourront n'en contenir que peu ou même pas du tout. Je vous prie, messieurs, de remarquer cette expé- rience dans laquelle, sous l'influence de mouvements violents produits par l'animal, le sucre a passé dans tout le système circulatoire, sans qu'on puisse suppo- ser que les autres conditions physiologiques, d'accès de l'air dans les poumons ou de composition chi- mique du sang, aient été changées. Le fait que nous venons de vous montrer nous mène à vous parler d'une théorie qui suppose que la destruction du sucre s'opère par une oxydation dans les poumons. S'd était vrai que le sucre se détruisît en traversant les poumons par suite de son contact avec l'oxygène, toutes les fois que l'on trouble la respiration, soit en bouchant les voies aériennes, soit en mêlant à l'air certaines vapeurs comme l'éther ou le chloroforme, soit en appauvrissant l'air d'oxygène, etc., le sucre, n'étant plus alors détruit, passerait dans la grande cir- culation et devrait apparaître dans les urines. M. Rey- noso, ayant vu que sous l'influence de l'éthérisation les urines devenaient momentanément sucrées, a cru pou- voir expliquer ce résultat par un défaut d'oxydation du sucre dans le poumon. Le fait est exact, cependant il ne 230 DESTRUCTION DU SUCRE se manifeste pas toujours, et il m'a paru que c'était surtout chez les animaux en pleine digestion que l'ex- périence réussissait le mieux. Chez les animaux àjeun, je suis parvenu tout au plus par ce moyen à faire passer du sucre dans le sang au delà du poumon. Cependant, messieurs , notre première expérience nous porte à nous demander si ce passage du sucre dans le sang ne résulterait pas de la compression qu'a subie le foie, dans les efforts violents qu'a faits l'animal, plutôt que de l'empêchement delaccès de l'air dans les poumons. Et dans les cas d'éthérisation, il y a de même souvent des efforts et des contractions qui peuvent suffire pour déterminer cette apparition du sucre dans les urines, bien qu'il y ait aussi une action spéciale de l'éther ou du chloroforme, ainsi que nous le verrons plus tard. Quoi qu'il en soit, au début de mes expériences , j'avais pensé moi-même que la destruction du sucre pouvait provenir d'une oxydation. C'est même guidé par cette théorie, et par l'observation que j'avais faite, que la fonction glycogénique commençait aune cer- taine époque de la vie fœtale , que je fus amené à induire que la production du sucre ayant déjà lieu avant la naissance et la respiration n'étant pas établie pour le détruire , les fœtus devaient être diabétiques. J'examinai donc, d'après cette vue théorique, des urines de fœtus de Veau de quatre à cinq mois, et je découvris en effet qu'elles contenaient des quantités notables de sucre. La théorie de l'oxydation paraissait confirmée, DANS LE SAiNG. *2M puisque des conséquences, qui en étaient logiquement déduites, se trouvaient, à posteriori, d'accord avec un fait nouveau. Mais, en étudiant ce phénomène de la présence du sucre dans l'urine des fœtus de différents âges, je trouvai d'autres faits qui ne pouvaient plus s'expliquer de la même façon. La fonction glycogénique du foie ne commence que vers le quatrième mois environ de la vie intra-utérine chez les Veaux. Il était naturel de penser que chez des fœtus, dont le foie ne sécrétait pas encore de sucre, il ne devait pas y en avoir non plus dans les urines. Or, ici l'expérience ne vérifia plus ma déduction. Les urines de très jeunes fœtus sont très sucrées lorsque le tissu de leur foie ne contient encore aucune trace de sucre. D'un autre côté, le foie présente dans son tissu des quantités de sucre de plus en plus grandes, à mesure qu'on approche du terme de la gestation ; il était en- core très logique de penser que les urines devaient être sucrées de plus en plus en approchant de la nais- sance; or, c'est encore ce qui n'a pas lieu. L'urine des fœtus de Veau, dès le sixième ou septième mois, cesse de contenir du sucre, quoiqu'il soit alors sécrété dans l'organisme, et qu'on en trouve beaucoup dans le foie. Je vous donne ces détails, messieurs, parce qu'ils sont importants au point de vue de la méthode expé- rimentale. Vous voyez quelle a été l'utilité de cette théorie pour me faire découvrir le fait nouveau relatif au sucre dans l'urine des fœtus ; mais vous voyez en même temps qu'en présence de ces faits la théorie 282 DESTRUCTION DU SUCRE dut disparaître: car si elle paraissait confirmée dans un des cas, où l'on trouve du sucre dans l'urine, quand il n'y a pas encore de fonction respiratoire, elle ne pouvait plus s'appliquer à l'autre cas, où Ton n'en trouve plus chez les fœtus de sept ou huit mois, bien que chez ces derniers, au point de vue du défaut d'oxy- gène, et de la formation du sucre, les circonstances sont restées les mêmes. Je renonçai donc à la théorie parce qu'elle ne résis- tait pas à l'analyse expérimentale. Il faut; en effet, mes- sieurs, quand on veut édifier une théorie, rechercher non pas ce qui peut la confirmer, mais il faut surtout regarder ce qui peut la détruire, car elle ne sera valable qu'autant que les preuves et les contre-épreuves seront données. D autres faits, d'ailleurs, venaient se grouper autour des précédents, et montrer que la théorie de l'oxy- dation, pour expliquer la disparition du sucre, est plus qu'insuffisante. Des expériences directes nous ont fait voir que la quantité d'oxygène absorbé, comparé avec la quantité d'acide carbonique rendu, est plus grande dans le sang non sucré recueilli dans la veine jugulaire d'un animal à jeun, que dans le sang d'un anima! pris en digestion et contenant du sucre, ce qui veut dire, en d'autres termes, que le sang non sucré absorbe da- vantage d'oxygène et rend relativement moins d'acide carbonique que le sang sucré. Les expériences de MM. Regnault et Reiset faites sur les animaux vivants ont donné un résultat identique; on voit que le rapport DANS LE SANG. 233 de l'oxygène , exhalé sous forme d'acide carbonique avec l'oxygène absorbé, est plus grand pendant la di- gestion que pendant l'abstinence. 11 résulte donc de ces expériences que la quantité d'oxygène introduite n'est pas dans un rapport crois- sant avec la quantité d'acide carbonique qui devrait être formé. De plus, en faisant des expériences spéciales pour nous rendre compte de la destructibilité du sucre au contact de différents gaz, nous avons trouvé que l'oxy- gène ne possède rien de particulier à ce sujet. Du sang normalement sucré, qui avait été retiré des veines hépatiques , fut divisé en deux parties , l'une soumise à un courant d'oxygène, l'autre à un courant d'acide carbonique prolongé pendant cinq ou six heures. Le sang était entretenu rutilant par l'oxygène qui traversait sans cesse ce liquide, et le sang était au contraire très noir au contact de l'acide carbonique. Au bout de cinq ou six heures, le sucre n'était détruit dans aucun des deux liquides, mais au bout de vingt- quatre heures on ne rencontrait plus de sucre dans aucun des deux sangs. Lorsqu'on prend du sang sucré et qu'on le met au contact de différents gaz, on ne voit pas que l'oxygène ait la propriété d'opérer la destruction plus vite que les autres gaz. Voici ce que nous avons vu : i° Sur un Chien en pleine digestion et bien portant on retira de la veine jugulaire, du côté des capillaires, du sang veineux, dans lequel on constata la présence évidente du sucre, mais en petite quantité. Alors à 234 DESTRUCTION DU SUCRE laide dune seringue on aspira i[\ grammes de sang de la veine que Ton poussa dans un flacon renversé sur le mercure et contenant 5oo centimètres cubes d'oxygène. q° Dans une seconde expérience, la même quantité de sang tout chaud est introduite de même dans un flacon de même capacité-contenant de lazote. (Cet azote avait été obtenu par l'action de l'oxyde de cuivre sur l'ammoniaque.) 3° Une même quantité de sang dans les mêmes con- ditions est placée en contact ayec de l'acide carbo- nique. On avait la certitude que dans chacun de ces fla- cons se trouvait, avec des gaz différents, du sang éga- lement sucré, car à la fin de l'expérience, on constata que le sang était sucré comme au commencement. Dans tous les flacons le sang s'étant rapidement coa- gulé, on mêla par agitation le sang avec le gaz, et le mélange avait une couleur très noire avec l'acide car- bonique, très rutilant avec l'oxygène et rouge avec l'azote. Après deux heures environ de contact, on retira un peu de sang de chaque flacon, et l'on vit que le sucre avait disparu complètement dans Fazote, qu'il en restait encore dans l'oxygène, et qu'il n'y en avait pas disparu sensiblement dans l'acide carbonique. Ce résultat singulier pouvait laisser quelques doutes dans l'esprit, et il semblait être expliqué en disant que lazote, au contact duquel le sucre avait complètement disparu, devait être resté alcalin, par suite de sa pré- paration, et que l'action de l'alcali était intervenue dans DANS LE SANG. 235 la disparition du sucre; qui n'avait pas eu lieu dans l'acide carbonique, par suite de l'acidité qui pouvait résulter d'une partie de ce gaz dissous dans le liquide. Nous dûmes répéter d'autres expériences en opé- rant comme dans les circonstances précédentes , et avec du sang pris dans les mêmes conditions, et à la température ambiante avec : t° de l'oxygène pur; 2° de l'hydrogène préparé par le zinc, et purifié en le faisant passer dans le sulfate de cuivre; 3° avec de l'hydrogène arsénié; 4° avec de l'acide carbonique; 5° avec de l'air. Le sang se coagula rapidement dans tous les flacons. On l'agita avec les gaz; il resta rouge en contact avec tous les gaz, excepté avec l'hydrogène arsénié qui l'avait rendu très noir. Au bout de deux heures de contact, le sucre avait complètement disparu dans ce dernier gaz, mais il était parfaitement con- servé dans l'hydrogène pur. On n'examina pas les autres flacons à ce moment. Le lendemain, après vingt heures de contact, on examina tous les sangs et l'on trouva que le sucre avait disparu d'une manière complète dans l'hydrogène arsénié et dans l'hydrogène pur, mais il en restait encore des traces dans tous les autres gaz, oxygène, acide carbonique et air. Ces expériences ont donné des résultats très remar- quables, en ce que Ton voit que l'hydrogène arsénié, par exemple, a une très grande influence sur la des- truction du sucre, et que l'hydrogène pur paraît avoir une action semblable. Ces résultats sont à poursuivre, 236 DESTIiUCTJON DU SUCRE mais pour le moment nous voulons simplement con- clure que l'oxygène ne se distingue pas des autres gaz sous le rapport de la destruction du sucre; on ne sau- rait donc lui attribuer d'influence spécifique dans le phénomène de la disparition de cette substance dans l'organisme. 11 y a encore une autre hypothèse dont nous devons dire quelques mots; c'est celle qui suppose que la destruction du sucre, dans l'économie, est due à une combustion du sucre au contact des alcalis. On sait, en effet, que le sang est toujours alcalin; la vie est incompatible avec l'acidité ou même la neutralité de ce liquide. Si l'on injecte dans le sang un acide quel- conque, même un des acides organiques, qui se ren- contrent, à l'état normal, dans certains points de l'or- ganisme animal, de l'acide lactique, par exemple, en quantités assez considérables pour neutraliser l'alca- linité du sang, l'animal ne tarde pas à mourir, bien longtemps avant qu'on ait rendu le sang acide oit même neutre. Mais, la faible alcalinité du sang n'est pas une raison suffisante pour assimiler à la réaction de la potasse caustique sur le sucre ce qui se passe dans le corps vivant, où les liquides sanguins, bien qu'al- calins, ne le sont cependant qu'à un faible degré. Gela d'ailleurs n'explique pas le cas des diabétiques, car chez eux le sang est alcalin. Voici, à ce sujet, une expérience directe qu'on peut répéter: Si l'on prend du sang sucré des veines hépatiques, et que Ton en fasse deux parts égales, DANS LE SANG. 237 l'une qu'on abandonne à elle-même, l'autre qu'on fait cuire et dont on filtre les liquides qui s'en échappent : dans la première le sucre se détruit, tandis qu'il n'est pas modifié dans le liquide de la seconde qui a filtré, bien que la coction ne lui ait pas enlevé son alcalinité. La matière organique, qui opère cette destruction, comme nous allons le voir, a seule été modifiée. Si, d'ailleurs, on injecte dans la veine jugulaire d'un Lapin un demi-gramme de glucose dissous dans de Peau pure, comparativement avec l'injection d'une même quantité de sucre additionné de 1 gramme de carbonate de soude, on verra que dans les deux cas le glucose apparaît dans les urines, seulement il nous a semblé s'éliminer plus rapidement, quand il y avait l'addition de carbonate de soude. Lehmann et de Becker ont fait des expériences semblables d'injections de sucre avec des alcalis, et sont arrivés à la même conclusion , savoir : que le sucre ne se détruit pas en plus grande quantité dans ces conditions que dans les circonstances ordinaires. Il va sans dire, d'ailleurs, que toutes les objections qu'on peut faire à la théorie de l'oxydation s'adressent, à plus forte raison, à celle qui repose en outre sur le fait chimique de la destruction du sucre par les alcalis. Ainsi, messieurs, les hypothèses qu'on faisait pour expliquer la destruction du sucre dans l'organisme, deviennent aujourd'hui insuffisantes en présence des faits nouveaux que je vous ai exposés. Cependant, je ne dois pas me borner à les renverser, sans vous pro- 238 DESTRUCTION DU SUCRE poser immédiatement une autre théorie qui me paraît rendre mieux compte de l'ensemble des phénomènes observés, en vous rappelant ce que je vous ai dit dans la première séance de ce cours, que toutes nos expli- cations sont relatives à l'état actuel de la science. Les matières organiques peuvent se détruire de deux manières : ou par une oxydation, ou par une fermen- tation. Nous venons de voir que l'oxydation ne rend pas compte des phénomènes; nous devons donc nous rejeter sur la fermentation, qui est un phénomène que nous voyons s'opérer dans une foule de transfor- mations, soit dans le règne végétal, soit dans le règne animal. Pour qu'une fermentation s'accomplisse, vous savez qu'il faut, d'une part, une matière fermentescible, de l'autre un ferment. Vous savez aussi que la nature du ferment a une influence considérable sur la direction qu'il imprime à la fermentation. Ainsi, sous l'influence de la levure de bière intacte, le sucre se transforme en acide carbonique et en alcool. Mais si l'on broie cette levure, qu'on la désorganise, son mode d'action devient tout autre. Au lieu de dédoubler le sucre, dont la formule chimique est C12H12Q12, en acide carbo- nique et alcool, elle le changera en un corps isomère, l'acide lactique, représenté par C12H10O10 -f- 2HO pl2TTl2Q12 Or, dans l'organisme, la fermentation alcoolique ne se produit jamais, parce qu'il n'y a pas le ferment qui lui est propre, la levure de bière; et si l'on cher- chait à la faire naître artificiellement, il en résulterait DANS LE SANG. 239 de graves désordres, qui amèneraient la mort, ainsi que nous i'avons constaté dans l'expérience suivante : Nous avons injecté dans les veines d'un Chien un mélange de sucre et de levure de bière. Rien ne s'oppose ici à l'action que ces deux substances exercent lune sur l'autre; mais, au bout d'un certain temps, l'animal présente les phénomènes d'une maladie grave; il en résulte une espèce de décomposition du sang qui devient noir, visqueux, toutes les muqueuses et, en particulier, celles de l'intestin grêle sont rouges et laissent suinter du sang. 11 survient des diarrhées sanguinolentes qui amènent la mort avec des sym- ptômes plus ou moins analogues aux accidents typhoïques. La destruction du sucre ne s'opère donc pas de cette manière, mais le sucre arrivant au poumon, peut être, sous l'influence de la division extrême du sang, changé en acide lactique, ce qui s'opère par une simple modification moléculaire, dans laquelle l'oxy- gène ne jouerait qu'un rôle secondaire. Vous savez, d'ailleurs, que ce gaz ne fait qu'imprimer à la masse fermentescible un mouvement qui peut ensuite se con- tinuer sans lui. M. le docteur Pavy a fait sur ce mé- canisme de la destruction du sucre dans l'organisme des expériences très intéressantes. Ce ne serait peut-être ensuite que dans le système ca- pillaire général qu'aurait lieu l'oxydation d'où naîtrait l'acide carbonique, rejeté ensuite par les poumons. Mais nous ne pensons pas que cette combinaison, de l'oxygène avec le carbone, se fasse aux dépens des sub- 2/jO DESTRUCTION DU SUCRE DANS LE SANG. stances versées directement dans le sang, soit qu'elles proviennent de la digestion, soit qu'elles aient été éla- borées dans le foie. Nous croyons, au contraire, que ces matières nouvelles qui, pour ainsi dire, n'ont point encore vécu , entrent d'abord dans des combinaisons organiques, et déplacent les matériaux anciens qui sont excrétés sous forme gazeuze, liquide, ou solide. Nous ne pensons pas, en un mot,. qu'aucun des phé- nomènes soit de composition, soit de décomposition, s'opère dans l'organisme d'une manière directe. A mesure que nous avancerons dans nos études, nous verrons de plus en plus que ces fermentations ont dans l'organisme un domaine très étendu. Nous consacrerons la leçon prochaine à vous donner quelques vues générales à ce sujet, à propos dune découverte que nous avons faite récemment sur la production du sucre pendant les premiers temps de la vie embryonnaire. DOUZIEME LEÇON. o 3 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la gé- ne'ration et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Etude des conditions de développement des cellules organiques. ■ — Levure de bière. — Nécessité de la présence d'une matière sucrée. — Expé- riences sur le sérum. — Génération de cellules organiques spéciales. — Production de sucre dans des muscles et les poumons de fœtus en voie de développement — Cette production n'a pas lieu dans les autres tissus. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des fermentations. — Germination animale. — Rapprochement des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de développement. — Phénomènes de fermentation donnant lieu aux principales actions chimiques de l'organisme. Messieurs, Nous saisissons, à mesure qu'elles se présentent, toutes les occasions de vous rendre témoins des faits que nous vous avons annoncés ici. Nous vous avons dit que le foie de l'homme à l'état de santé, ainsi que le foie des animaux, contient des quantités no- tables de sucre, mais qu'on n'en rencontre généra- lement pas dans le foie d'individus morts de maladie. Nous vous avons montré un foie qui était dans ce dernier cas, et qui venait de l'école pratique. Vous avez vu que sa décoction ne réduisait pas le tartraîe cupro-potassique. Pour que les expériences faites sur l'homme soient comparables à celles qui ont été faites sur les animaux, il faut donc qu'elles soient reproduites 16 242 DÉCOUVERTE SUR LES USAGES DE LA MATIÈRE SUCRÉE dans les mêmes conditions, et c'est ce que nous sommes en mesure de vous faire voir maintenant. Voici le foie d'un supplicié, que nous devons à l'obligeance de M. Jarjavay, chef des travaux anato - miques; on va répéter devant vous les expériences que nous avons faites chez les animaux. On prend un morceau du tissu hépatique, on le broie, on le fait bouillir avec de l'eau, la décoction, comme vous voyez, est très faiblement opaline, car cet individu était presque a jenn : il n'avait pris le matin qu'un peu de chocolat et d'eau- de-vie. Nous traitons la décoc- tion par le réactif cupro-potassique, et vous voyez qu'elle le réduit très abondamment. Voici , d'ailleurs, un appareil à fermentation qu'on a rempli avec la même décoction, et dans lequel on a ajouté de la levure de bière, vous verrez dans quelques instants la fermentation s'opérer, et le gaz qui s'en dégagera sera absorbable par la potasse, ce qui prouvera la présence de l'acide carbonique. Le foie de l'homme sain n'échappe donc pas à la loi que nous avons établie sur la présence du sucre dans le tissu hépatique de tous les êtres de l'échelle zoologique. Nous reprenons maintenant l'histoire du sucre au point où nous l'avons laissée; et nous allons vous parler de ses usages dans l'économie animale. Il est difficile, au premier abord, de savoir au juste à quoi peut servir le sucre dans l'organisme. Il s'y pro- duit constamment dans le foie depuis une certaine époque de la vie intra-utérine jusqu'à la mort et il doit dans l'organisme. 243 avoir des usages importants à remplir. On a supposé dans certaines théories qu'il se détruisait en produi- sant la chaleur destinée à entretenir ia température propre de l'anima]. Mais ce n'est là qu'une supposition, qui ne réunit plus aujourd'hui assez de preuves en sa faveur, pour être acceptée comme l'expression com- plète de la réalité, car nous avons vu que c'était au moment surtout de la formation du sucre que la chaleur se produisait dans le foie, et que, par consé- quent, le maintien de la température semblait dé- pendre des phénomènes de formation de matières, dans lesquels le système nerveux intervient toujours, plutôt que de la destruction spontanée de ces matières. Je pense que le sucre a d'autres usages à remplir, d une nature tout à fait différente, et d'une bien plus grande importance. J'ai été amené à cette opinion par des découvertes faites dans une autre voie, que je vous demanderai la permission de vous exposer avec quelques détails, en vous montrant par quelles séries d'idées j'ai dû passer pour arriver aux résultats que j'ai à vous annoncer dans cette séance. Une telle histoire est toujours instructive, surtout au point de vue des méthodes d'investigation. Elle montre que les théories que nous faisons sur les phénomènes réels ne sont jamais que relatives à la masse de nos connaissances^ qu'elles changent de face avec les faits que nous dé- couvrons, qu'elles n'ont jamais qu'une existence tem- poraire, et qu'il faut les envisager, d'abord comme des liens provisoires des notions que nous possédons^ et ensuite comme des moyens puissants pour remuer 24i ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT les idées et faire surgir des découvertes nouvelles. Ainsi, pour rester dans notresujet, les connaissances que l'on avait sur les métamorphoses du sucre avaient pu conduire à faire croire que c'était eu se détruisant, après avoir pris naissance dans le foie, que cette sub- stance remplissait ses principaux usages. Les faits que je vais maintenant vous exposer, et qu'on n'avait pas soupçonnés jusqu'ici, en élargissant le cercle de nos connaissances, ont fait naître dans notre esprit une théorie nouvelle, et nous ont conduits à penser que le rôle le plus important qu'ait à remplir le sucre dans l'économie, s'accomplit bien plutôt au moment de sa formation, qu'au moment où il se détruit. En vous faisant suivre ainsi les variations que subissent nos ma- nières de voir sur les phénomènes physiologiques, à me- sure qu'il s'en présente de nouveaux, vous comprendrez mieux l'espèce de rapport que nous avons voulu établir au commencement de ce cours entre les théories toujours subjectives, et les faits qui sont seuls réels. Après cette digression, qui rentre pleinement, ainsi que nous l'avons annoncé ailleurs, dans la nature de ce cours, abordons directement l'objet de cette leçon. A l'occasion de l'enseignement qui m'a été confié à la Faculté des sciences, j ai été conduit à faire quelques recherches de physiologie générale, qui m'ont amené à la découverte que je vais vous exposer aujourd'hui. Je portais mes études sur les conditions d'existence et de développement des cellules organiques. Vous savez, en effet, et c'est maintenant un fait bien connu, que les êtres vivants commencent par être formés de cel- DES CELLULES ORGANIQUES. 2^5 Iules qui, dans leur évolution ultérieure, produisent les diverses espèces d'organes et de tissus. Or, partout où se manifestent des phénomènes vitaux, il y a deux choses à considérer, l'être ou le tissu qui se développent, et le milieu dans lequel ils opèrent leur développement. Nous n'avons pas à rechercher pourquoi cette cellule primitive produit un être plutôt qu'un autre, un tissu plutôt qu'un autre. Ces questions de cause première ou finale ne sont pas à notre avis du domaine de la science, qui doit sagement se borner à constater les faits , en recherchant non pas pourquoi tel phénomène s'opère, mais de quelle manière, suivant quelle loi, et sous quelles conditions il se passe? 11 nous importe peu de savoir pourquoi tel embryon produit tel être, mais nous sommes très intéressés à connaître , le milieu, le terrain dans lequel il se développe, le mode d'après lequel s'effectue cette évolution , afin que , mis à même de prévoir ce qui doit se passer pour un être sem- blable, nous puissions réaliser les circonstances qui lui sont favorables, ou les modifier à notre gré et à notre profit. C'est ainsi que les applications pratiques déri- vent de la science pure. Je commençai donc par faire des observations sur les conditions d'existence des êtres les plus simples. Je pris pour cela ces végétaux cellulaires microscopiques, appartenant à la classe des champignons, et je choisis la levure de bière. On savait déjà que ces végétaux se développent spontanément quand on abandonne à la putréfaction des liquides contenant des matières albuminoïdes et du sucre en dissolution. Au bout 246 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT d'un certain temps on voit la liqueur se troubler, et il se dépose de petits corps oviformes, qui croissent jusqu'à la grosseur de i/iooede millimètre, et donnent naissance par bourgeonnement à d'autres corps sembla- bles à eux qui, en produisant de nouveaux à leur tour, finissent par former des espèces de chapelets, tantôt simples, tantôt plus ou moins ramifiés, et composés d'un nombre variable de grains. Mais bien qu'on ait indiqué vaguement les conditions générales de cette production de la levure de bière, soit dans les liquides végétaux, soit dans les urines de diabétiques, on n'avait pas une idée nette de la manière dont les choses se passent : on pensait que c'était la matière albuminoïde qui se trans- formait en ferment, sans se rendre bien compte du l'ôle que jouait ici la matière sucrée. Mes expériences me conduisirent d'abord à reconnaître que la présence de cette matière sucrée était indispensable à la pro- duction du ferment, qu'elle formait le milieu néces- saire à son développement. Je prenais de la levure de bière ordinaire que je délayais dans un peu d'eau, je filtrais sur un filtre composé de plusieurs feuilles de papier superposées, afin qu'il ne passât aucun globule , puis je séparais le liquide que j'avais filtré, et qui contenait quelques traces de matières albuminoïdes, en deux parts : l'une que j'abandonnais à elle-même, l'autre à laquelle j'ajoutais un peu d'une dissolution sucrée. Or, dans la première, il ne se développait aucun grain de ferment, tandis que des globules de levure de bière se produisaient dans la seconde, en plus ou moins DES CELLULES ORGANIQUES. 247 grande abondance, en même temps que la fermentation alcoolique s'opérait. Je pouvais étudier ces phéno- mènes en mettant un peu de ces liquides dans un petit godet de verre recouvert dune lamelle sur le porte- objet du microscope. J'ai ensuite fait des expériences sur des liquides animaux. J'ai pris du sérum du sang qui, dans l'état normal, ne contenait pas de sucre, je l'ai laissé à une température de 1 5 à qo degrés; il ne s'y produisait rien, et il se putréfiait au bout de quelques jours ; mais, si je prenais du même sérum et que j'y ajoutasse un peu de matière sucrée, voici ce que j'observais, et vous pourrez facilement répéter ces expériences et constater les mêmes faits. Au bout de quatre on cinq jours, il se développe des cellules, mais ce ne sont plus des cellules de levure de bière, ce sont des cellules blanchâtres qui semblent avoir de l'analogieavec les glo- bules blancs du sang; ces cellules adhèrent les unes avec les autres, prennent naissance en très grande quan- tité dans certaines circonstances, et particulièrement dans le sérum du sang de la veine porte ; ce n'est qu'a- près cette formation de ces cellules particulières que des cellules de levure de bière se produisent à leur tour. Si l'on ajoute alors, sous le microscope, un peu de teinture d'iode , on voit que celles-ci se colorent fortement en jaune brun, tandis que la couleur des premières n'est que peu modifiée. De plus, les cel- lules de levure ne se dissolvent pas dans l'acide acé- tique, tandis que les autres sont complètement dis- soutes, et disparaissent par l'action de ce réactif, 248 ACTION DU SUCRE DANS LE DÉVELOPPEMENT Or, ces caractères chimiques sont justement de ceux qui servent dans beaucoup de cas à distinguer sous le microscope, les éléments animaux des éléments végétaux. Il semblait devoir en résulter que, dans ce milieu composé de sérum et de sucre, il s'était déve- loppé deux espèces de cellules, les unes paraissent d'organisation animale, plus ou moins analogue aux globules blancs du sang, les autres végétales qui for- ment la levure de bière. Mais ces cellules qui ont ainsi pris naissance, ne vont pas plus loin dans leur évolu- tion, au bout d'un temps variable, tout disparaît, et le liquide se putréfie. Ces expériences me prouvaient que la présence d une matière sucrée était nécessaire pour la produc- tion de cellules organiques isolées, dont certaines d'entre elles présentaient quelques-uns des caractères des éléments animaux. J'en vins à me demander alors si le sucre, qui se rencontre dans le végétal partout où il y a un dévelop- pement à accomplir, dans la germination, au moment où l'embryon s'accroît, dans la sève quand les bour- geons grandissent, ne serait pas aussi une condition du développement des tissus animaux, au moment où ce développement s'opère avec la plus grande intensité, c'est-à-dire pendant la vie fœtale; si le milieu sucré, dans lequel j'avais vu prendre naissance une cellule très analogue à un élément animal, mais qui n'avait pas en elle ou en dehors d'elle ce qui lui était néces- saire pour poursuivre cette évolution et former un tissu , si ce milieu , dis-je, albuminoïde et sucré, ne se DES CELLULES ORGANIQUES. 2/j9 retrouverait pas lorsque cette évolution continue dans l'animal, où tout commence encore par une cellule? Je pris donc des fœtus de veau dans les abattoirs de Paris, où ils se trouvent en grande quantité, et je cherchai d'abord dans leurs différents tissus en voie de développement, s'il n'y avait pas de matière sucrée. De quelque manière que je m'y prisse, je n'obtins rien immédiatement; mais j'observai, par exemple, que quand je laissais des muscles ou des poumons dans de l'eau ordinaire, exposée à une température de i5 à 20 degrés, au bout de très peu de temps le liquide devenait très acide, ce qui était dû à un développe- ment considérable d'acide lactique , dont je consta- tais les caractères comme nous le dirons plus loin. Or, vous savez, messieurs, que l'acide lactique dérive ordinairement de la matière sucrée, par suite d'une transformation moléculaire, et qu'il a la même composition élémentaire que le glucose (G12H10O10, 2H0). Il était donc naturel de penser que le sucre avait préexisté là où nous trouvions de l'acide lactique, de même que, lorsque nous trouvons de la dextrine, nous concluons à l'amidon qui lui a donné naissance. Mais il fallait surprendre ie sucre à sa formation, puis- que primitivement on ne le trouve pas dans le muscle, ni dans le poumon. Il fallait arrêter la fermenta- tion , ou du moins la rendre assez lente pour que nous puissions en saisir les diverses périodes, et c'est ce que nous avons obtenu, soit en exposant les macé- rations de tissus de fœtus à des températures basses, soit 250 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES en les traitant par différentes substances, par l'alcool, par exemple, qui arrête la fermentation lactique sans empêcher la fermentation glycosique. Nous avons pu ainsi retirer du sucre du tissu des poumons et des mus- cles; voici cette matière qui en contient énormément, ainsi que vous pouvez le voir à sa réaction sur le tar- trate cupro-potassique, et parce que, d'ailleurs, mise dans un tube avec de la levure de bière , elle donne de l'acide carbonique et de l'alcool, dont voici égale- ment un échantillon. Nous avons donc trouvé ce fait, qui n'avait jamais été soupçonné, c'est que le poumon, c'est quun muscle qui se développe, comme la graine qui germe, con- tient une matière susceptible de se transformer en sucre. Tant que l'être vit, ce sucre, pour ainsi dire à l'état naissant, est sans doute éliminé, transformé aussitôt que produit, et ne peut pas alors être décelé, mais au moment où les fonctions vitales viennent à cesser , l'évolution spontanée de cette sorte de fécule animale, que nous n'avons pu isoler jusqu'à présent, continue néanmoins, mais alors comme un simple phé- nomène chimique. Et ce qui prouve que cette matière sucrée est bien en rapport avec les phénomènes de développement, c'est que cette propriété, que possèdent les poumons et les muscles de produire de la matière sucrée, n'existe que dans l'état embryonnaire , c'est-à-dire au moment où les tissus se forment, car lorsque leur évolution est achevée, les mêmes phénomènes n'ont plus lieu. Une fois que le tissu est développé et, en général, à partir DANS LA VIE FOETALE. 251 du cinquième mois de la vie intra-utérine, cette pro- priété diminue, et environ vers le huitième et neuvième mois , quand le muscle est définitivement constitué dans ses éléments, elle m'a paru cesser complètement. Mais, il y a ici un fait très remarquable, c'est que tous les tissus ne sont pas aptes à donner lieu à cette production glycogénique ; ce qui porte à penser qu'il y en a dont le développement n'a pas besoin, pour s'effectuer, de l'intervention d'un principe sucré. Il est probable qu'il y aura à tirer de ce fait des analogies fonctionnelles encore inconnues entre les tissus, par rapport au milieu organique primitif, qui n'est pas le même pour tous , bien qu'ils procèdent originaire- ment de l'élément cellulaire commun. Ainsi, en essayant les divers tissus, les uns après les autres, nous avons trouvé que le sucre ne se dévelop- pait que dans le poumon, et dans le système muscu- laire; soit de la vie animale, soit de la vie végétative, comme dans le cœur, la tunique de l'intestin, celle de la vessie, etc. Mais tout le système glandulaire, le système nerveux, la peau, les os, ne donnent jamais lieu à une production sucrée; et ce qui est surtout remarquable, c'est de voir que le foie, qui deviendra plus tard l'organe gly- cogénique, quand les fonctions seront localisées, se trouve à cette époque de la vie embryonnaire dans le même cas que toutes les autres glandes, la rate, le rein, le thymus, le pancréas, les glandes salivaires, etc., qui ne donnent jamais de sucre. Je n'ai fait ici, messieurs, que vous esquisser à 252 POUMONS ET MUSCLES GLYCOG UNIQUES grands traits l'histoire de cette découverte, dont nous vous donnerons les preuves expérimentales dans une prochaine séance, quand nous aurons à examiner le mécanisme suivant lequel le sucre apparaît dans l'or- ganisme animal, et vous verrez que nous avons là une preuve de plus, que la matière sucrée appartient hien réellement aux deux règnes des êtres vivants, de telle façon que le foie représenterait la continuation de phénomènes embryonnaires. L'animal a donc en lui tous les matériaux nécessaires pour produire du sucre, et certes on ne dira plus ici que cette matière préexiste à l'état de liberté dans les muscles de fœtus, car après avoir lavé et broyé ces tissus , la matière insoluble dans l'eau donne naissance à du sucre. Bien plus, si vous faites cuire ces mêmes tissus, vous leur ferez perdre la propriété de produire du sucre, parce que vous aurez détruit la matière fermentescible, qui est toujours une substance albuminoïde. Ce sucre ne peut donc provenir, ni de l'amidon insoluble, et qui ne peut être transporté d'un organisme dans l'autre, ni du sucre des végétaux. On ne saurait plus conserver de doute sur l'origine animale du sucre, malgré les tentatives qui se produisent actuellement de la part de quelques personnes, encore au point de vue de certaines doc- trines finalistes, qui ne sont plus de notre époque et qu'il faut reléguer parmi les errements de la métaphy- sique des siècles passés. La théorie d'une séparation tranchée dans les phé- nomènes de nutrition, entre les deux règnes de la nature qui, dans certaines limites, peut avoir sa raison DANS LA VIE FOETALE. 253 d'elle, n'est pas admissible d'une manière générale, et la découverte que nous venons de vous exposer établit entre eux un rapprochement de plus. Il y a dans les uns comme dans les autres une véritable germination s'accomplissant suivant des modes différents sans doute, mais dans des milieux qui ont une analogie de composition. Dans les végétaux, sous l'influence des matières albuminoïdes , l'amidon insoluble se transforme en glucose soluble; il en est de même chez les animaux, bien qu'on n'ait encore constaté que la présence du sucre, mais cela suffit pour en conclure la présence de la matière insoluble qui doit précéder le sucre, matière sans doute différente de l'amidon, mais donnant toujours lieu à la fermentation glyco- sique qui est la condition commune. Il se passe donc dans les poumons et muscles du fœtus deux ordres de fermentations, une fermenta- tion glycosique, c'est-à-dire une formation de sucre aux dépens d'une matière azotée insoluble préexis- tante, et une fermentation lactique qui se produit aux dépens de la matière sucrée elle-même. A l'aide de l'alcool, nous empêchons cette dernière, c'est ce qui fait que nous pouvons accumuler le sucre dans les liquides de fermentation. Mais dans les fœtus pendant la vie intra-utérine , la fermentation glycosique paraît seule avoir lieu, et le sucre qui s'y trouve paraît s'éli- miner à ce moment sans passer à letat d'acide lacti- que. C'est ainsi que nous pouvons comprendre cette découverte que nous avions faite, et que nous ne savions plus comment expliquer dens la théorie de 251 POUMONS ET MUSCLES GLYCOGÉNIQUES l'oxydation, à savoir que l'on trouve du sucre dans l'urine des foetus, dès que la vessie est formée, ainsi que clans les liquides de l'amnios et de l'allantoïde, et cela bien avant que le foie ait acquis sa propriété glycogé- nique. C'est ainsi également qu'on s'explique que, chez lesfcetus arrivés aux dernières périodes de la gestation, le sucre cesse de se rencontrer dans les urines, comme il cesse aussi de se produire dans les muscles et dans les poumons. A cette époque , le liquide de l'amnios subit probablement une espèce de fermen- tation visqueuse, car il devient visqueux en même temps que le sucre disparaît. Maintenant, comment pouvons-nous comprendre l'intervention de la matière sucrée dans la germination soit végétale, soit animale? Nous avons des cellules organiques qui, pour se développer dans le milieu qui les entoure, doivent lui emprunter incessamment des matériaux qui se trouvent facilement assimilables , parce qu'ils sont dans des combinaisons très instables. C'est cette mobilité des éléments qui entretient constamment les phénomènes de la vie, en permettant aux matières de se grouper de mille façons et d'une manière non interrompue. Tous les phénomènes de fermentation introduisent dans les liquides animaux cette mobilité nécessaire pour l'entretien des actes de la vie, et la matière sucrée est une des plus communes soit comme résultats, soit comme source de fermen- tation. En un mot, les cellules organiques animales et végétales doivent donc se développer dans un liquide où se passent des phénomènes de fermentation empê- DANS LA VIE FOETALE. 255 chant les matières de tomber à l'état de produits fixes et d'acquérir une stabilité ou indifférence chimique, qui est le caractère de tout ce qui ne vit plus. On comprend de cette façon que les cellules organiques puissent s'approprier des éléments chimiques qui sont dans un état qu'on peut comparer à ce que les chi- mistes appellent 1 état naissant. La nécessité des faits que nous venons de signaler paraît encore démontrée, par ce qui arrive [quand ou ajoute dans ces liquides des substances capables d'empêcher la fermentation, telles que l'acide cyanhydrique, l'arsenic, etc.; on voit alors tous ces phénomènes de développement s'arrêter aussitôt. Mais, messieurs, comment tout ce que nous venons de dire peut-il s'appliquer aux usages du sucre dans la fonction du foie, et comment cela pourrait-il nous fournir quelques lumières relativement à la théorie du diabète? Nous sommes, sans doute, allés par des déductions, en apparence bien éloignées de notre sujet, chercher des arguments pour lui appliquer les résultats que nous venons de vous exposer. J'aurais pu me dispenser peut-être de vous parler de tous ces développements cellulaires et aborder directement les usages du sucre chez l'adulte, en vous donnant comme des résultats purs et simples tous les faits dont je viens de vous expliquer la génération ? Mais, j'ai voulu, comme cela doit se faire dans cet enseignement dont nous avons retracé le caractère au commencement de ces leçons , vous conduire par toutes les phases de la découverte 256 POUMONS ET MUSCLES G LYCOGÉ* NIQUES que nous devons exposer, afin que vous voyiez par vous-mêmes par quels tâtonnements l'esprit doit passer, à quelle diversité de points de vue il doit se placer dans l'étude de questions aussi compliquées, avant d'arriver à une découverte qui peut ensuite se résumer en quelques mots, et qui change, une fois établie, la théorie qui avait servi de fil conducteur dans la série des recherches. En nous plaçant au point de vue de l'organisme adulte,nous n'aurions pu concevoir le principal rôle du sucre que dans sa destruction, comme on l'avait déjà supposé. Mais, par la théorie du développement, nous arrivons, au contraire, à conclure que les usages les plus importants de cette matière ne sont pas remplis, au moment où elle se détruit dans le sang, mais bien quand elle prend naissance dans le foie. C'est au moment où la matière animale, qu'on n'a pu encore isoler, mais qui préexiste au sucre, se dé- double de manière à donner naissance à ce produit, c'est à ce moment, dis-je, que naissent les éléments organiques qui doivent ultérieurement accomplir leur évolution pour produire la rénovation des tissus de l'individu. Il faut bien remarquer toutefois ce qui a été dit relativement à ces faits de germination, en présence de la matière sucrée, qui n'ont lieu que dans les muscles et dans le poumon. Quant aux autres tissus, ils se développent dans des conditions différentes, et pour le système glandulaire, en particulier, nous sommes portés à croire, par des vues encore incertaines, il est vrai, mais que nous DANS LA VIE FŒTALE. 257 poursuivrons, que ce sont les produits des ganglions lymphatiques qui fournissent les matériaux nécessaires à leur rénovation. Quoi qu'il en soit, nous avons voulu vous donner, dans cette séance, une vue nouvelle sur les usages de la matière sucrée dans l'organisme, sans insister da- vantage sur cette question que nous traiterons plus tard. Nous reprendrons dans la prochaine leçon Yhistoire de la fonction glycogé nique du foie. M TREIZIEME LEÇON. o 6 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Examen de l'ancienne théorie de la production exclusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de cette théorie vis-à- vis des questions physiologiques. — Erreurs de doctrines, de mé- thodes et de faits. — Expérience fondamentale pour la théorie de la pro- duction du sucre dans l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'ancienne théorie n'en tient aucun compte. — De l'intervention de la chimie dans les questions physiologiques. — De la présence du sucre dans le sang. — Epoque de cette découve-'e. — Conditions de la production de ce phénomène. — Théories de la dépuration du sang parle foie. — De la condensation du sucre dans le même orgaue. — Prétendues preuves à l'appui de ces manières de voir, — Contradictions. — Sophismes, — Erreurs. Messieurs , Dans la dernière séance nous avons fait une sorte de digression en vous rendant compte des recherches auxquelles nous nous sommes livré touchant le rôle de la matière sucrée dans l'état embryonnaire. Ceci ne rentrait pas directement dans l'histoire du foie, puisque les faits que nous vous annoncions se passaient en partie avant que cet organe opérât ses fonctions. Nous avons voulu vous donner seulement des idées nouvelles sur les usages de la matière sucrée dans l'or- ganisme, en vous montrant de quelle manière nous sommes arrivé à penser que les principaux usages du sucre s'accomplissaient bien plus au moment où ce produit prend naissance, qu'au moment où il se EXAMEN DE CRITIQUES SIÎI LA GlYCOGKNÎJî ANIMALE. 259 détruit. Nous nous bornons, pour le moment, à établir cette vue que nous reprendrons plus tard, et nous allons continuer l'histoire de la fonction glycogrnique du foie que nous développons devant vous depuis le commencement de ces leçons. Mais, à ce propos, messieurs, je crois qu'il est néces- saire, à cause des attaques récentes dont elle a été l'objet, que nous revenions en quelques mots sur cette fonction toute physiologique de la production du sucre par un organe spécial, et de l'origine intérieure de cette matière chez l'homme et les animaux. Lorsque nous publiâmes, il y a quelques années, les faits qui établissaient la réalité de la fonction glycogénique, ils furent admis par un grand nombre de physiologistes et de chimistes, qui examinèrent les choses de très près. Lehmann, en particulier, fit un travail très étendu sur la composition du sang, avant et après le foie, et il fut frappé de la quantité de sucre qui sortait de cet organe par les veines hépatiques, et qui n'était nullement en rapport avec celle qu'il avait rencontrée dans le sang de la veine porte, et il fut amené, comme nous, à conclure que le sucre se forme dans le foie. Ensuite, comparant cette produc- tion du sucre dans le foie avec la disparition d'une partie des éléments albuminoïdes du sang qui -traverse le tissu hépatique, il en conclut que c'était aux dépens des substances albuminoïdes que la matière sucrée se produisait. Nos expériences physiologiques avaient été répétées; soit en France, soit à l'étranger, par un grand nombre d'observateurs qui sont arrivés , en se plaçant 260 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES dans les conditions physiologiques que nous avions indiquées, aux mêmes résultats et aux mêmes conclu- sions que nous. En présence des faits si nets que nous avions repro- duits devant une commission de l'Académie des scien- ces, devant un grand nombre de savants français et étrangers, que vous avez pu voir vous-mêmes, puisque nous avons refait les expériences devant vous pour prouver le rôle du foie comme producteur de sucre, on avait pu croire que l'ancienne théorie qui considé- rait la matière sucrée comme venant toujours du dehors ne trouverait plus de défenseurs. Mais les théo- ries ne se résignent point ainsi à mourir, elles repa- raissent de temps à autre, toujours avec les mêmes arguments qui avaient servi à les élever autrefois, et sans tenir compte des progrès de la science. Dans la séance de l'Académie des sciences, du 29 janvier dernier, on a lu le résumé d'un Mémoire, qui a été reproduit depuis dans la Gazette hebdoma- daire du si février, que nous avons sous les yeux et dans lequel on revient encore sur cette idée : Que le sucre qu'on rencontre dans l'organisme provient exclusive- ment des végétaux. J'avais cru d'abord ne devoir rien dire de ce travail qui, comme je vous le démontrerai tout à l'heure, n'a rien de physiologique, bien qu'il ait la prétention d'aborder et de juger des questions physiologiques. Mais quelques personnes qui suivent ce cours m'ayant demandé de m' expliquer sur la portée des arguments qu'on y propose, il est de mon devoir d'y répondre. SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 261 En physiologie, en effet, les phénomènes sont telle- ment complexes , et pour décider une question il faut avoir présents à l'esprit une telie masse de faits, que nous comprenons sans peine le trouble et l'hésitation qui saisit l'esprit du public, quand on vient devant lui contester les faits les mieux établis par des raisonne- ments dont il ne saisit pas, au premier abord, le peu de valeur réelle. D'ailleurs, messieurs, c'est dans cette chaire que doivent se débattre les questions à l'ordre du jour. La science militante, qui ne peut pas entrer dans un en- seignement dogmatique, a naturellement sa place au Collège de France, et si je me taisais sur une pareille question, on pourrait peut-être s'autoriser de mon silence pour attribuer à ces attaques plus de portée qu'elles n'en ont réellement. Dans cette discussion, je m'abstiendrai de toute personnalité. Ce ne sont pas des hommes qui sont en présence, ce sont des idées d'une part, et des faits de l'autre. C'est une théorie que nous avons à combattre; elle n'est point l'œuvre des personnes qui la soutiennent en ce moment, ce n'est donc point à celles-ci que nous nous adressons. Si nous prenons leur travail pour texte de discussion, c'est simplement pour fixer les idées sur les arguments qui y sont reproduits, et qui doivent avoir là toute leur force, puisqu'ils sont don- nés dans le but de nous combattre. L'auteur du travail nie d'abord la production exclu- sive du sucre dans les végétaux, par sentiment. Il lui répugne, dit-il, d'admettre que l'économie animale se 262 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES donne la peine de fabriquer une substance pour la détruire aussi tôt. Ces sortes de répugnances, messieurs, n'ont eu rien affaire avec la science; au même titre, je pourrais dire qu'il me répugne, à moi, d'admettre que les animaux, qui ont une vie bien plus complexe que les végétaux, ne puissent produire tout ce que font ces derniers. Mais il est clair qu'un tel point de vue , pu- rement sentimental, ne saurait constituer un argument en pareille matière. Puis vient alors cette confusion entre les faits et les théories. Ainsi, le résultat que nous avons obtenu en localisant la sécrétion du sucre dans le foie, « serait (dit-on) en opposition avec les dé- » couvertes de la chimie organique, et avec ces belles » et simples relations que la science moderne a si lu- » mineusement établies entre les fonctions comparées » des animaux et des plantes. » Or, messieurs, on découvre un fait, et Ton conçoit une théorie. Les faits que nous avons découverts ne contredisent point les découvertes de la chimie organi- que, ils s'ajoutent à la masse des connaissances acquises ; et l'ensemble de tous ces faits ne pouvant plus rentrer alors dans les relations établies entre les animaux et les plantes, si simples et si lumineuses qu'elles soient, celles-ci disparaissent comme désormais insuffisantes. Ce sont les conceptions, les manières de voir, les théories qui changent et se contredisent, ce ne sont jamais les faits. Vous voyez donc, messieurs, dès l'abord, un vice de méthode dans la manière d'attaquer la question, et il va être intéressant d'en suivre le développement. SUR LA GLYCOGÉlME ANIMALE. '266 Ainsi, ou aborde le sujet avec une doctrine préconçue. Il répugne de voir les faits autrement que la théorie ne les conçoit, et Ion vous dira plus tard que, bien qu'on ait constaté la présence bien positive du glucose dans le tissu du foie, on persiste toujours dans l'idée que le sucre ne peut pas provenir d'une sécrétion propre de cet organe , et qu'il a sa source unique dans l'alimentation. Nous pou irions en rester là; de telles déclarations nous suffisent pour juger dans quel esprit seront faits des travaux entrepris sous la pression de telles doctrines, mais nous voulons poursuivre- l'ana- lyse, pour vous montrer combien une idée arrêtée, dans l'étude d'une question, apporte de trouble dans la logique et dissimule, aux yeux de l'observateur prévenu, des contradictions flagrantes pour tout autre, entre ses raisonnements et les faits qu'il con- state, et avec quelle facilité il oubliera les conditions d'une expérimentation sérieuse et vraiment scien- tifique. Ne comprenant pas le point de vue physiologique, qui seul devrait dominer dans ces études, et qui, bien observé, conduirait à la véritable solution, l'auteur en question commet, à ce sujet, les erreurs les plus graves, et avance, par exemple, des propositions de ce genre : « Ces oscillations, ces espèces d'intermittences recon- » nues dans la fonction glyeogénique, nous semblent » un autre argument contre l'existence même de cette » fonction. Une sécrétion qui n'est en jeu qu'à certains » intervalles, qui ne s'éveille, chez les animaux, que » sous l'empire, sous l'excitation de l'acte digestif, 264 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES » qui diminue par le jeûne, et s'éteint par une absti- » nence prolongée ou par les maladies, s'écartait trop » manifestement du mode général des sécrétions phy- » siologiques, pour ne pas élever de doutes sur sa » réalité. » Ainsi, messieurs, l'intermittence de la production du sucre prouverait qu'elle n'est pas le résultat d'une sécrétion, parce que, dit-on, les sécrétions sont conti- nues. Mais s'il est , en physiologie, un point bien établi, c'est certainement celui-ci : que les sécrétions n'ont lieu qu'à certains moments, et qu'elles offrent préci- sément ces oscillations , ces alternatives de repos et de mouvement organique , qui sont le caractère de toute fonction vitale. Chacun sait , en effet , pour prendre quelques exemples , que la sécrétion paro- tidienne, la sécrétion gastrique, la sécrétion pancréa- tique, la sécrétion biliaire, sont essentiellement inter- mittentes. Il n'y a que les excrétions qui peuvent être continues. Aucun physiologiste ne confondra ces choses. Et, toujours pour les besoins de la cause, on dira que le tissu du foie ne renferme de sucre que pendant la digestion, ce qui s'accorde parfaitement avec la théorie, mais ce qui est complètement erroné, ainsi que je vous l'ai prouvé maintes fois^ et comme je vous le montrerai tout à l'heure. Le sucre, en effet, ne disparaît du foie qu'à la suite d'une longue absti- nence, quand la mort est prochaine, et que l'animal a perdu les 4 dixièmes de son poids, et que son retour à la vie est désormais impossible. SU11 LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 265 Ainsi, messieurs, on commence par des erreurs de doctrines, on continue par des erreurs de faits, je vous montrerai bientôt qu'on finit par des vices de logique vraiment incroyables. Avant d'aller plus loin, permettez-moi de remettre sous vos yeux cette expérience qui consiste à montrer que chez un Chien à jeun depuis deux ou trois jours, le sang de la veine porte ne contient pas de traces de sucre, tandis que le sang des veines hépatiques en présente des quantités considérables. Nous tuons ranimai par la section du bulbe rachi- dieu, comme vous lavez déjà vu faire; nous lui ou- vrons le ventre, nous saisissons le paquet des vaisseaux et des nerfs hépatiques, et nous lions le tout en masse pour empêcher le reflux du sang venu du foie dans la veine porte, puis nous prenons alors du sang de cette même veine; nous ouvrons la poitrine et prenons du sang des veines hépatiques. On va trailer ces deux sangs de la même manière, en ajoutant du sulfate de soude et faisant cuire pour en exprimer le liquide. Vous allez voir tout à l'heure que le liquide sorti du sang de la veine porte, ainsi traité, ne réduira pas le tattrate cupro-potassique, tandis que celui des veines hépatiques le précipitera abondamment. C'était donc là, messieurs, l'expérience fondamen- tale, qu'il fallait répéter tout d'abord, et qui devait ouvrir les yeux, et qui aurait empêché de dire que le sucre n'existe dans le tissu du foie que pendant la di- gestion. Mais les théories qui se regardent comme l'expression absolue et définitive de la réalité repu- 266 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES Client à voir les faits qui les contredisent et persistent dans leur aveuglement. Ceci est aussi une vérité phy- siologique dans un autre ordre. Cependant, des expériences ont été instituées, des analyses ont été faites, qui, restant au point de vue chimique pur, sont dès lors exactes, et viennent confirmer les nôtres. Mais, le côté physiologique étant complètement méconnu, on n'a vu qu'une des faces du problème; on a cru faire la découverte de faits établis déjà depuis longtemps, et Ton a pris pour général ce qui n'est qu'un cas particulier, et l'on a cru à une fixité de phénomènes qui ne se rencontrent pas. Il ne faut jamais oublier, en effet, messieurs, que dans la science de la vie les faits bruts ne sont pas des preuves. Sur la même question on peut répondre oui et non , et paraître avoir raison des deux côtés, quand on se place à des points de vue différents et incomplets. Mais la science physiologique permet de fixer dans quel cas il faut dire oui, et dans quel cas non; et voilà jus- tement pourquoi, pour juger une question vitale, il faut être physiologiste. Le chimiste qui instituerait seul une analyse sur un cas particulier, qu'il pren- drait pour un fait général, ignorerait, le plus souvent, qu'on peut, un moment après, lui faire faire, sur un cas qui lui paraîtra complètement identique, une autre analyse tout à fait contradictoire avec la première. Quelle conclusion tirera-t-il delà? Et s'il n'a vu qu'un cas, quelle foi peut-on ajouter à sa conclusion? C'est là cependant la position dans laquelle s'est mis le critique en question pour traiter les questions de physiologie, SUU LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 267 quaod il n'a pas tenu compte avant tout des conditions physiologiques des phénomènes. Ainsi, messieurs, la théorie avait besoin de constater, pour les conclusions qu'elle va en tirer tout à l'heure, qu'il existe du sucre dans le sang des animaux, et en particulier, dans le sang des animaux de boucherie. Le fait était déjà connu et établi. M. Magendie , en 1846, a publié un travail sur ce sujet; Garot en Angleterre, Schmidt àDorpat, Lehmann à Leipzig, etc., ont constaté la même chose; nous avons déterminé nous-mê r es dans quelles conditions on pouvait ren- contrer cette substance dans le système circulatoire général, et il suffit de vous rappeler ce que je vous ai dit dans une des séances précédentes. Nous savons, de plus, qu'il suffit de faire exécuter à un animal des mouvements violents des muscles dia- phragmatiques et abdominaux, en particulier, pour rencontrer le sucre dans le sang de la veine jugulaire. Vous savez aussi que , quand la sécrétion glycogé- nique est à son summum d'activité, le sucre se géné- ralise dans tout l'organisme. Dans le sang de bœuf pris dans les abattoirs, quand il est frais, on en trouve toujours, et voici pourquoi. Pour saigner les bœufs que l'on vient d'assommer, le boucher leur enfonce le couteau jusque dans l'oreil- lette droite; le sang qui s'en écoule vient donc en partie des veines hépatiques. Et si l'on observe, en outre, que pour faire dégorger le sang que con- tient l'animal , on appuie fortement avec le pied jus- tement dans la région du foie, de manière à exprimer 268 EXAMEN DIS QUELQUES CRITIQUES le plus possible cet organe, vous comprendrez alors, d'après ce que nous avons dit dans une précédente leçon, comment il se fait que le sang qui sort par la plaie, mélangé avec celui qui vient des veines hépatiques, contienne des quantités notables de sucre; et toutes les fois que j'ai pris du sang venant de l'abattoir, j'ai constaté le même fait. Il faut noter, en outre,, que ces animaux peuvent être en digestion, ce qui augmente encore la quantité de sucre dans l'or- ganisme ; qu'ils font des efforts violents, si au lieu d'être assommés, ils sont simplement égorgés, etc. Mais, si au lieu de faire l' expérience de cette manière, qui n'est aucunement physiologique, on l'eût répétée comme nous venons de vous la montrer, comme Lehmann ainsi que d'autres expérimentateurs l'ont faite, on n'eût pas trouvé de sucre, ou bien dans les cas où l'on en eût trouvé, cas que nous avons déterminés nous-mêmes, on en eût rencontré des quantités beaucoup plus considérables dans les veines hépatiques que partout aillleurs. Quoi qu'il en soit, les faits purement chimiques ne pouvant être niés, car ils sont trop évidents, on est forcé d'accorder qu'il y a du sucre dans le foie, qu'il y en a toujours, toutes proportions gardées, environ trois fois plus que dans le sang, dans les circonstances où Ton a observé et sur lesquelles nous avons fait nos réserves. Ainsi, on reconnaît qu'il y a environ o,5o pour 100 de sucre dans le sang, et i,5o pour 100 dans le foie. Nous fixons ces chiffres, parce que nous allons ar- river au raisonnement final , et vous verrez alors SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 269 quelle incohérence il y a entre les conclusions et les prémisses. Ne voulant pas faire du foie un organe sécréteur du sucre, la théorie en fait d'abord un organe dépu- rateur, séparant dune part les produits inutiles à la nutrition, de l'autre les matériaux qui peuvent direc- tement servir à l'assimilation. Indépendamment du vague et de l'indéfini que comporte une telle qualifi- cation, on pourrait demander comment il se fait que des matériaux au moins inutiles à la nutrition, comme l'arsenic, le mercure, et un certain nombre d'autres métaux qui se fixent dans le foie d'une manière presque indéfinie, ne soient pas dépurés par cet organe essen- tiellement dépurateur. Puis, quant an rôle du foie vis-à-vis de la matière sucrée, il devient un organe condensateur. Si l'on ne considérait que le cas des animaux herbivores^ on pourrait concevoir que le foie gardât le sucre que lui apporte chaque digestion pour le verser ensuite peu à peu dans le sang; cependant, comme on sait qu'il s'y détruit très vite, on pourrait s'étonner d'en trouver encore presque autant, après trois ou quatre jours de jeûne absolu , que dans l'état normal, qui en apporte incessamment des quantités nouvelles; et la physiologie sait, d'ailleurs, que si Ton prend deux animaux de môme espèce, qu'on les mette à jeun tous les deux, et que l'on empêche dans l'un le sucre de se produire, en lui coupant, par exemple, les pneumogastriques, de ces deux animaux tués au même moment, celui-ci ne présentera pas la moindre trace de sucre dans son 270 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES foie, tandis que l'autre en aura toujours des quantités considérables. Mais on n'en reste pas là, et alors voici le raison- nement pour les animaux qui vivent de chair. Le sucre qui se trouve dans le foie des Carnassiers vient du sucre qui se trouve dans le sang des Herbivores , et celui-ci a sa source dans les végétaux. « La viande des animaux de boucherie, dit-on, ren- » ferme des vaisseaux; ces vaisseaux contiennent du sang \> (ce sang est sucré, o,5o pour 100). Ainsi, la chair de n bœuf et de mouton qui avait servi à nourrir les Chiens » dans les expériences de M. Bernard contenait du » sucre, et l'on administrait, sans s'en douter, le composé » même que l'on voulait ultérieurement rechercher. » En vérité, il faut être égaré par une théorie pour émettre de pareilles assertions, et supposer que nous ayons pu donner, sans nous en douter, sans le re- chercher, du sucre avec les aliments; et celui même qui avance une pareille idée ne recherche pas lui- même, et tout d'abord, s'il y a du sucre dans cette même viande que nous aurions pu donner. J'avoue que, parmi toutes les objections que j'ai pu supposer, je n'aurais jamais pensé à celle-là. D'ailleurs, les expériences qui réduisent à néant de pareilles assertions sont faciles à faire. Voici de la viande de boucherie fraîche, c'est-à-dire dans les con- ditions où l'auteur du travail en question supposait que nous la donnions à nos animaux; on la broie, on la traite par l'eau chaude, et vous verrez qu'elle ne contient aucune trace de sucre. SUR LA GLYCOGÉME ANIMALE. 271 .Mais nous nourrissions le plus souvent les Chiens en expérience avec de la tête de mouton préala- blement bouillie , dont l'eau de lavage enlevait les matières solubles , et par conséquent le sucre. Voici de cette même viande avec laquelle des Chiens ont été nourris pendant des mois entiers 5 on la broie, on la traite par l'eau, le liquide qui s'en échappe ne contient pas la moindre trace de sucre. On ne comprend pas de pareilles objections, quand des expériences aussi simples et aussi faciles à faire n'ont même pas été vérifiées, et certes elles en valaient la peine, quand on se permet d'en tirer de telles con- clusions. Mais ce n'est pas tout encore, et suivez un peu ce raisonnement. On vient de dire que le foie contient i à i ,5o de sucre pour 100; supposez le foie d'un Chien qui pèse 5oo grammes, il contiendra 5 à 6 grammes de sucre au minimum. On admet que le sucre se détruit à me- sure qu'il se forme; par conséquent, on admet qu'une digestion fournit au moins 5 grammes de sucre qui se condensent dans le foie, et l'on ne cherche pas s'il y a 5 grammes de sucre dans un repas que l'on fait faire à l'animal. Quand même on le nourrirait avec de la viande de boucherie saignante, il faudrait, d'après les calculs énoncés dans le Mémoire, quelle contînt un kilogramme de sang ! Et il faudrait de plus que cette viande et ce sang fussent encore chauds, extraits à l'instant même du bœuf qui vient d'être abattu ; car l'auteur a bien soin de faire remarquer quelque part, 272 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES qu'au bout de très peu de temps le sucre se détruit dans le sang , ce qui fait qu'on ne l'avait pas, croyait-il, observé avant lui. Tout cela devient incompréhensible. Ainsi, messieurs, en résumé, on ne nie point les faits, parce qu'ils ne sont pas niables; on ne nie pas que le foie contienne du sucre en proportions considé- rables. Mais on n'a pas voulu faire ces expériences si simples et si nettes que j'ai toutes répétées devant vous, savoir : en premier lieu, prouver que les aliments avec lesquels nous nourrissons des Chiens pendant des mois entiers ne contiennent pas de traces de sucre; que le sang de la veine porte de ces mêmes animaux car- nassiers, soit à jeun, soit en digestion, n'en présente pas de traces quand on fait l'expérience convenablement. On constate, en second lieu, le sucre dans le tissu du foie comme dans les veines hépatiques; ce sucre est versé à chaque instant dans le système circulatoire, où il disparaît peu à peu. Alors, au lieu d'accepter purement et simplement le foie comme un organe sécréteur du sucre, ce qui est prouvé par des considérations de toute nature, on torture pour le besoin de théories l'explication des phénomènes. Maintenant, messieurs, achevons les expériences que nous avons commencées. Voici le liquide provenant du sang de la veine porte, nous y ajoutons du tartrate cupro-potassique, nous chauffons; pas de traces de réduction. Ici il a été mis avec de la levure de bière , il n'y a pas eu de fermentation. Nous en faisons autant avec le liquide provenu SUR LA. GLYGOGENIIÏ ANIMALE. 273 du sang des veines hépatiques; vous voyez dans ce cas une réduction abondante, et ici dans ce tube la fer- mentation a continué sa marche très activement. Enfin, voici du liquide résultant de la décoction du foie; vous voyez qu'il est jaunâtre, transparent, ce qui tient à ce que l'animal est à jeun, car il serait opalin ou laiteux s'il était en digestion de matières féculentes, comme je vous l'ai dit déjà. Il réduit abondamment le réactif cupro-potassique et fermente très vite, car vous voyez qu'il y a déjà une grande quantité d'acide carbonique dans l'appareil à fermentation. Voici également l'eau de décoction de la viande fraîche, et celle de la tête de mouton, aliment dont nous nourrissons les Chiens; nousy ajoutons du tartrate de cuivre : vous voyez qu'il n'y a pas traces de précipité ni aucun indice de fermentation, et, par conséquent, pas de traces de sucre, ce qui réduit à néant l'objec- tion fondamentale qui nous était adressée, objection qui, bien que servant de point de départ à tout cet échafaudage d'arguments qu'on nous opposait, n'avait même pas été vérifiée par l'auteur de ces arguments. 18 QUATORZIEME LEÇON. 10 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Analyse d'un nouveau travail critique sur l'origine du sucre dans l'organisme. — Sa liaison avec le précédent. — Action du système nerveux sur la production du sucre. — Expérience sur la section des pneumogastriques. — Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et h posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l'expérience précédente. Messieurs , Nous vous avons prouvé, clans la dernière séance, que les arguments au moyen desquels on avait espéré faire revivre l'ancienne théorie sur la provenance extérieure du sucre de l'organisme animal sont sans aucune valeur. Parmi les faits invoqués à l'appui, les uns sont exacts, mais ils étaient connus depuis long- temps, et nous en avions déjà tenu compte; les autres ne sont, comme vous lavez vu, que des assertions com- plètement erronées. Rien de ce que nous avions avancé et prouvé ne se trouve contredit; nous avons toujours l'expérience si nette que nous avons produite devant vous, et à laquelle nous nous reportons constamment, à savoir, que chez un animai nourri de matières albu- minoïdes, le sang de la veine porte ne contient pas de sucre, tandis que celui des veines hépatiques et le foie lui-même en présentent des quantités considéra- bles. La conclusion toute naturelle, toute simple, est toujours celle-ci ; que le sucre se forme dans le foie. LXAMEN DE CRITIQUES SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 275 Nous aurons encore, par la suite, à ajouter bien d'autres preuves à celles que nous vous avons déjà données de la réalité de cette (onction glycogénique ihi foie. Puisque nous sommes entré dans cette discussion, et à cause du désir qui nous en a été exprimé, et parce que, au point de vue des méthodes scientifiques, nous y avons vu un enseignement réel, nous devons la poursuivre jusqu'au bout, et en examiner une autre face par laquelle la critique s'est présentée, quoique dune manière beaucoup moins franche. Un autre travail a été lu à l'Académie des sciences le 5 février, et reproduit dans le numéro du g février de la Gazette hebdomadaire. Il règne, dans toute cette nou- velle forme que prend l'argumentation, une insinuation perpétuelle pour essayer d'établir que nous aurions bien pu nous tromper sur la valeur des réactifs dont nous nous sommes servi. Ainsi on prétend que dans le cas où l'on donne à un animal des matières fécu- lentes ou sucrées, le sucre pourrait bien se trouver en grande quantité dans la veine porte, mais qu'il y serait masqué par sa combinaison avec r albiiminose^ et ne serait plus dès lors susceptible d'être décelé par le tartre te cupro-potassique. Ce sucre passerait inaperçu, pour ne reparaître qu'après le foie, qui au- rait dissocié cette combinaison du sucre avec des ma* tières albuminoïdes qui étaient rebelles à notre réactif. Nous reviendrons plus tard sur la question de sa- voir dans quelles conditions l'albuminose peut empê- cher la réduction du sel de cuivre par le glucose. 276 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES Pour le moment, nous dirons que sur des Chiens nourris avec de la viande et du pain, quand nous avons voulu chercher par le tartrate cupro-potassique le glucose dans le sang de la veine porte, nous avons constam- ment constaté sa présence, mais en quantités bien moins considérables que dans le sang des veines hépa- tiques. D'ailleurs nous ne nous sommes jamais con- tenté de cette réaction , nous avons toujours employé comparativement la fermentation , qui ne saurait laisser aucun doute en pareille matière. Lehmann, dont la compétence sur des détermina- tions chimiques est si hautement établie, a trouvé également du sucre dans le sang de la veine porte, chez des Chevaux qui mangeaient de l'avoine, mais il en a trouvé bien davantage dans le sang des veines hépatiques. JMais toutes les objections précédentes se rappor- tent à une alimentation mixte. Nos expériences, au contraire, pour établir la formation du sucre dans le foie, ont toujours été faites sur des animaux à jeun, ou nourris exclusivement avec cle la viande. Cependant la fonction glycogénique du foie est mise enjeu, mais, ainsi que le dit l'auteur lui-même , d'une manière indirecte. Quelque éloigné que puisse vous paraître, au pre- mier abord, ce travail de celui que nous avons analysé dans la précédente séance, vous allez voir cependant que c'est une nouvelle face sous laquelle l'ancienne théorie de la provenance extérieure du sucre de l'or- ganisme présente sa défense. C'est une argumentation SUR LA. GLYCOGÉNIE ANIMALE. 277 en deux points qui se relient l'un à l'autre d'une manière indirecte, et dont la logique pourrait passer inaperçue; je suis donc obligé de remplir les lacunes du raisonnement complet. Les deux prémisses sont : l'une que le sucre existe dans la viande, l'autre que la présence du sucre dans la veine porte est dissimulée par les matières aibuminoïdes digérées par le suc gas- trique ; donc on donne toujours du sucre avec les ali- ments; et comme ce sucre n'est pas décelé dans la veine porte parle tartrate cupro-potassique, il en résulte que notre expérience fondamentale est infirmée. Mais d'abord, messieurs, quant à la présence du sucre dans la viande, c'est une pure assertion, et vous avez vu par expérience ce quelle valait. Quant à la dissimulation du sucre par la peptone ou albuminose dans !a veine porte, cette objection n'a aucune valeur, parce que, en supposant que cette matière existât dans la veine porte, ce qui n'est pas exact, ainsi que nous le dirons plus tard, on s'en serait débarrassé; et d'ail- leurs on a toujours fait usage de la fermentation con- curremment avec le réactif cupro-potassique. De plus, on a oublié de dire à quels caractères on reconnaissait que ce sucre, qui se trouve isolé dans le foie, était bien celui qui avait circulé dans la veine porte avec la peptone, au lieu d'être un sucre de nou- velle formation; évidemment c'est là une assertion pure et simple. On ne sait quelquefois pas au juste ce qu'on prétend établir, dans ce travail; car d'une part on accorde que la fonction gîycogénique n'est pas directement en jeu, 278 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES et l'on crée, d'autre part, un nouvel usage pour le foie, qui devient , dans le cas dune alimentation mixte , un organe fillrateur propre à isoler l'un de l'autre les deux produits ultimes de la digestion des matières albu- minoïdes et saccharines, d'abord confondues et mas- quées lune par l'autre dans le sang de la veine porte. Enfin notons, en terminant, un fait curieux, au point de vue des méthodes, qui s'est produit dans cette dis- cussion. Le travail que nous avons analysé dans la dernière séance était fait par un chimiste qui juge une question physiologique; il a pour but, en effet, de décider s'il y a ou non une fonction pour produire le sucre. Celui-ci est fait par un physiologiste qui juge une question chimique, sur la possibilité de recon- naître comment une matière albuminoide peut mas- quer le sucre. Nous ne voulons pas, messieurs, insister davantage sur ces tentatives impuissantes, pour faire revivre une théorie qui a fait son temps. Nous reprenons notre sujet, un instant interrompu par ces réfutations qu'on nous avait demandées, etnous allons continuer à établir, par des preuves d'une autre nature, cette nouvelle fonction du foie, en nous plaçant sur un terrain où toutes ces objections, qui ne portent en définitive que sur la nature de l'alimentation, ne pourront plus nous atteindre. Nous nous mettrons donc maintenant complètement en dehors de lalimentation, il n'y aura donc plus lieu de discuter si le sucre provient de là. En effet, messieurs, le sucre ne se fait pas aux SUR LA GLYCÛGÉNIE ANIMALE. 279 dépens de l'aliment; il y a toujours entre la nourri- ture et le produit sécrété un intermédiaire inévitable, qui est le fluide sanguin. Quand nous vous avons dit que le sucre du foie se faisait aux dépens des matières albumino'ides, nous n'avons pas prétendu que ce fût aux dépens de celles qui, digérées dans l'intestin, arrivent directement au foie. C'est aux dépens des matières qui ont vécu, que se fait toute sécrétion, car pendant 1 abstinence, la circulation continue dans le foie, et la production du sucre se fait comme à l'or- dinaire, quoique un peu diminuée, et l'on en trouve toujours chez des animaux qui n'ont rien mangé depuis quatre, cinq, six jours et plus. Vous avez été témoins de ce fait chez des Chiens à jeun depuis trois jours. Mais on pourrait faire, car l'expérience nous a montré qu'il fallait tout prévoir désormais, cette objection : que la présence du sucre, constatée après une absti- nence plus ou moins prolougée, provenait de ce que le foie étant un organe condensateur, cette matière s'y localisait indéfiniment. Vous savez déjà que la matière sucrée est très destructible ; mais nous avons une preuve plus directe à vous donner et qui vous convaincra, c'est que, quand on empêche le sucre de se produire, on n'en trouve plus au bout de très peu de temps. Voici deux Chiens à jeun depuis deux jours. Nous avons coupé à l'un d'eux, il y a à peu près vingt heures, les deux nerfs pneumogastriques dans la région moyenne du cou. Vous voyez, contrairement à ce qu'on a dit souvent, que ce dernier animal n'a pas de rhon- chus; sa respiration n'est pas gênée, elle se fait libre- 280 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES ment,seulementelle est très lente. Nous tuons les deux Chiens par la section du bulbe rachidien; nous pre- nons sur l'un et sur l'autre du sang de la veine porte, en ayant soin, comme nous le faisons toujours, de pla- cer une ligature sur le tronc de ce vaisseau avant son entrée dans le foie, pour empêcher le reflux du sang des veines hépatiques; on prend un morceau du foie qu'on va faire cuire dans un peu d'eau, et nous exa- minerons dans un instant cette décoction , ainsi que le sang des veines porte et hépatique. Remarquez, en passant, que l'estomac de ces deux animaux est complètement vide. Voici les poumons de celui qui a eu les pneumogastriques coupés; ils sont parfaitement sains et ne présentent pas de traces de pneumonie : cela tient à ce que l'animal est assez vieux et à jeun; s'il eût été plus jeune, nous aurions trouvé probablement ces organes plus ou moins en- gorgés de sang, et hépalisés, comme on dit. Nous avons fait des expériences nombreuses tou- chant l'influence de la section des pneumogastri- ques sur le foie. Au bout de trois jours , le sucre avait toujours disparu complètement. Ce temps est, sans doute, trop considérable, mais nous ignorons la limite inférieure qu'il faut atteindre pour que le sucre se détruise entièrement. L'expérience que nous ferons devant vous servira à l'établir , et nous en apprendrons ensemble le résultat. Vous voyez ici deux animaux placés exactement dans les mêmes conditions, à peu près de même âge et de même taille, tous deux à jeun depuis le même moment, et SUR LA GLYCOGÉNIE ANIMALE. 281 ne différant qu'en ce que l'un d'eux a les pneumo- gastriques coupés. Chez ce dernier, la sécrétion glyco- génique a cessé, comme cessent toutes les fonctions d'un organe quand on a coupé les nerfs qui s'y rendent, mais le sucre antérieurement formé, et qui existait au moment de l'opération, a continué de se détruire, et si le temps a été suffisant, nous ne devons plus en trouver dans le tissu hépatique. Si nous en trouvons encore, vous verrez qu'il y en a beaucoup moins que chez l'autre Chien, chez lequel, bien qu'il soit à jeun, la glycogénie a continué de s'exercer. Ces deux animaux ne diffèrent donc qu'en ce que l'un fait toujours du sucre, tandis qu'il ne s'en produit plus du tout chez l'autre. Nous constaterons tout à l'heure ce que va nous donner cette expérience qui est en train. En attendant qu'elle s'achève, et puisque l'occasion s'en présente à propos des discussions qui s'élèvent autour de la fonction glycogénique du foie, permettez-moi, mes- sieurs , de vous rappeler en quelques mots la ma- nière dont on raisonne en physiologie comme dans toute autre science expérimentale , et combien le point de vue où l'on est a d'influence sur les résultats obtenus. Nous vous avons déjà parlé, mais d'une manière abstraite et générale, des méthodes d'investigation, mais il est bon d'éclaircir ces notions sur les exemples particuliers qui s'offrent à nous en ce moment. L'un de ces modes de raisonnement constitue ce qu'on nomme la méthode à priori. Dans cette méthode, 282 EXAMEiN DE QUELQUES CRITIQUES on part d'une idée préconçue, sur la manière suivant laquelle doit s'opérer un certain ordre de phénomènes, puis on fait des expériences, non pas pour vérifier cette idée, mais pour la confirmer. Tout ce qu'on voit, tout ce qu'on observe, doit absoiumeut rentrer dans la théorie , et l'on déclare au besoin impossibles et absurdes les faits qui la contredisent. Quelquefois même on niera ces faits, parce que dans la disposition desprit où l'on se trouve, on ne recherchera point à reproduire les conditions dans lesquelles ils se manifes- tent; et quand ils ne se seront pas montrés, parce/pie l'expérience qu'on aura tentée par une espèce de con- descendance n'aura pas été faite comme elle aurait dû l'être, on sera heureux de n'avoir pas vu se pro- duire le phénomène qui contrarie, et l'on déclarera qu'il n'existe pas. Tantôt cette idée à priori reposera sur un certain nombre de faits réels, tantôt sur des conceptions purement métaphysiques. La discussion à laquelle nous nous sommes livré dans la précédente séance nous a offert un exemple de cette double source des idées à p/iori dans l'étude d'un phénomène : car, d'une part, on a fait parler la nature, on lui a prêté ses répugnances et ses préven- tions; de l'autre, on s'est basé sur des faits bien con- statés, correspondants à un état antérieur de la science qui a eu sa raison d'être à une certaine époque, et dans lequel on a voulu rester, sauf à inventer des explications étranges, et même à poser des assertions hasardées pour en faire des arguments contre des découvertes nouvelles. SUR LA GLYCOGÉME ANIMALE. 283 Quelquefois, l'idée à priori est purement métaphy- sique, avons-nous dit, et c'est le cas le plus fatal, qui, heureusement, disparaît de la science de plus en plus. En voici un exemple : il s'agit de la nature intelligente visant partout à l'unité dans ses créations. Un physiologiste , recommandable à beaucoup d'égards, a voulu appuyer à priori cette ancienne idée : que dans l'acte de la digestion il doit y avoir unité de lieu et unité d'agent; que tout se passe dans l'estomac et par la puissance du suc gastrique. Dès lors toutes ses expériences partent de là, et depuis quinze ans il s'évertue à démontrer, sans tenir compte des travaux qui se produisent autour de lui , que la salive, que la bile, que les sucs pancréatiques et intes- tinaux ne servent à rien , qu il n'y a dans tout l'ap- pareil digestif qu'un point, la région pyiorique, où se sécrète le suc gastrique, pour accomplir toutes les modifications que subissent les diverses sortes d'ali-^ ments avant d'être absorbées; que tous les autres organes glandulaires ne jouent qu'un rôle uniquement dépurateur. Et il fait des efforts inouïs de travail et d'imagination , il se crée des agitations qui ne mè- nent à rien, pour vouloir à toute force voir les choses comme il les conçoit, et non comme elles sont. On doit considérer les expérimentateurs qui veulent absolument confirmer une théorie préconçue par des expériences, comme des persécuteurs de la nature. En effet, ayant une théorie posée en avant, dans laquelle ils ont foi, comme dans un axiome, ils veulent lui assujettir les faits; ils tourmentent de toutes les manières les ex- 284 EXAMUN DE QUELQUES CRITIQUES périences cie façon à leur faire dire ce qu'ils ont induit ou imaginé. Si l'expérimentation leur répond autre chose, ils ne veulent pas l'entendre , ils n'y font pas attention, et s'obstinent, avec une opiniâtreté qui fait leur malheur, à multiplier les expériences sans résultais positifs; ou bien s'ils croient saisir quelques faits en rapport avec leurs idées, ils ne voient que ce détail du résultat , et en abandonnent souvent le côté le plus important. Rarement cette voie conduite des dé- couvertes; et si les hommes qui l'emploient ont du ta- lent, elle ne fait que créer des systèmes mensongers avec l'apparence de la vérité. Dans l'autre manière de raisonner, dite méthode a posteriori, l'esprit, part des faits établis, les relie provi- soirement par une théorie qui ne lui sert qu'à le guider pour en découvrir de nouveaux ; cette théorie qu'il mo- difie à chaque pas , il l'abandonne sans regret dès qu'elle ne lui suffit plus. Les lois qu'il établit viennent après les phénomènes constatés, les raisonnements après l'expérience. Dans ces conditions, l'observateur jouit d'une quiétude qu'il ne saurait avoir quand il tient plus à ses conceptions qu'à ses observations. Cette quiétude ne saurait l'abandonner dans les objections que les théoriciens leur suscitent. Car des faits qu'il a vus, et qui, dans de telles dispositions, ne peuvent jamais le contrarier, il a tiré les conclusions les plus simples et donné les explications les plus naturelles. L'imagination, messieurs, doit savoir se borner, en phy- siologie, à instituer un bon mode d'expérimentation, et non pas à inventer des théories qui, quelque artis- SUR LA GLYCOGÉME ANIMALE. 285 t émeut conçues qu'elles puissent être, ne sauraient jamais avoir la valeur d'un fait bien établi. Ceux qui ne veulent pas se contenter de ce rôle , devraient faire tout autre chose que de la physiologie, car ils lui nuisent plus qu'ils ne la servent. Nous suivons, messieurs, cette marche dite à poste- riori; nous interrogeons la nature, mais nous ne la tourmentons pas, nous ne la violentons pas. Sans au- cun doute, il faut d'abord poser la question ; il faut, si l'on veut, que nous ayons une idée préconçue ou à priori quelconque pour instituer une expérience : mais quand l'expérience est une fois bien instituée, nous écoutons avec soin la réponse ; nous cherchons à bien la comprendre, qu'elle soit favorable ou non à notre idée primitive. Nous nous laissons conduire en un mot par les résultats qui surgissent de l'expérimentation, et nous ne prétendons pas régenter et conduire l'expérience. Cette méthode d'investigation est féconde en décou- vertes, et nous pourrions vous prouver que c'est à elle que nous devons celles que nous avons eu le bonheur de faire en physiologie. Après cette digression, messieurs, arrivons à consta- ter les résultats de l'expérience que nous avons com- mencée. Voici d'abord le liquide provenant de la décoction du sang de la veine porte de l'animal qui était sim- plement à jeun et auquel nous n'avions pas coupé les pneumogastriques. Nous ne devons avoir aucune réduction du sel de cuivre, et c'est ce qui a lieu en effet. Le liquide provenant du sang des veines hépa- 286 EXAMEN DE QUELQUES CRITIQUES tiques réduit, au contraire, comme vous le voyez, très abondamment notre réactif. El il en esî de même du liquide provenant de la décoction du tissu du foie, dont le précipité est encore plus abondant que le précédent. Prenons maintenant l'animal qui était à jeun comme le premier, et qui avait, de plus, les nerfs pneumo- gastriques coupés. Dans le liquide de la veine porte, pas de traces de réduction. Dans le liquide des veines hépatiques pas davantage. Dans le tissu du foie, nous voyons une réduction, mais très faible, comparativement à l'autre, car le liquide reste presque complètement bleu, tandis qu'il est, dans le cas précédent, tout à fait décoloré. Gela nous prouve qu'il n'y a pas encore assez longtemps que l'expérience a été commencée, mais dans quelques heures la disparition du sucre eût été complète, el l'on n'en eût pas trouvé de traces. Dans le foie du Chien laissé simplement à jeun, qui n'a pas eu les vagues coupés, vous voyez qu'il y en a des quantités beaucoup plus grandes, ainsi que dans le sang des veines hépa- tiques et dans le tissu du foie. Nous voyons donc que la formation du sucre, comme toutes les autres sécrétions, comme la sécrétion de la salive, des larmes, de l'urine^ des sucs gastrique^ bi- liaire, pancréatique^ etc., est soumise au système nerveux, et qu'elle est complètement indépendante de l'alimentation. Si l'on arrête la formation du sucre, en soustrayant l'organe sécréteur à Faction excitatrice SUR LA GLYC0GÉN1E ANIMALE. 287 des centres nerveux, la destruction seule continuant, tout ce qui s'était produit antérieurement ne tardera pas à disparaître, et au bout d'un certain temps on n'en trouvera plus la moindre trace dans l'organisme. Il y a plus, nous aurions pu, jusqu'au moment de sa mort, nourrir avec des matières féculeutes et sucrées l'animal auquel nous avons coupé les pneumogas- triques , et nous n'aurions pas trouvé davantage de sucre dans son foie, ni dans le sang des veines hé- patiques. Ce n'est donc pas aux dépens du sucre de l'aliment, mais aux dépens du sang lui-même que se forme le sucre, ainsi que tous les produits divers de l'orga- nisme; et ces productions sont sous la dépendance im- médiate du système nerveux, dont nous étudierons le rôle dans la prochaine séance. QUINZIÈME LEÇON. 13 FÉVRIER 1855. SOMMAIRE : Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. — i° Exagération de cette sécrétion par piqûre de la moelle allongée. — Instrument employé, procédé opératoire. — De l'élimination du sucre parles diverses sécrétions. — Elimination par les reins , par la mu- queuse stomacale, — Le sucre ne passe pas dans la salive. — Expé- riences chez les diabétique1--. — Spécialité des différentes substances au point de vue de leur passage dans diverses sécrétions. — Sucre. — Cyanure jaune de potassium et de fer. — Iodure de potassium. — Passage du sucre dans l'estomac des diabétiques. — Limite de la quantité de sucre que peut contenir le sang sans passer dans l'urine. •— Résultat d'une expérience sur la piqûre de la moelle allongée chez un Lapin. Messieurs, Nous avons examiné jusqu'ici l'influence qu'avaient sur la fonction glycogénique du foie les conditions diverses dépendant de l'alimentation et delà circula- tion. Mais vous avez vu, dans la dernière séance, comment la section des nerfs pneumogastriques amenait la dis- parition du sucre dans l'organe hépatique, parce qu'on empêchait ainsi la production d'avoir lieu. Nous avons à poursuivre aujourd'hui l'action du système nerveux sur cette fonction. Il vous est hien démontré actuellement que le foie est un organe sécréteur du sucre; comme toutes les autres glandes, il est dès lors soumis à l'influence du système nerveux, par l'intermédiaire duquel on peut DIABÈTE AKTIFrCTET.. 289 augmenter, diminuer, ou même anéantir complètement sa sécrétion sucrée. Et ce qu'il va de remarquable, c est que ce n'est pas seulement au point de vue de l'intensité fonctionnelle que nous pouvons agir sur le foie, pour lui faire produire plus ou moins de glucose, mais nous pouvons aussi modifier la qualité de la sé- crétion, nous pouvons la pervertir et la modifier pro- fondément, de façon qu'il se produise une matière qui ne sera pas du sucre, mais qui pourra se trans- former en cette substance, quand le foie aura été sous- trait aux influences nerveuses. Ce dernier fait, jus- qu'alors inconnu, est destiné, je crois, à jeter un jour tout nouveau sur les actions chimiques qui se pas- sent d'abord dans le foie et même dans tout l'or- ganisme, et sur l'espèce d'action que le système ner- veux exerce sur ces phénomènes. Nous avons donc à examiner successivement trois genres d'influence du système nerveux : i° exagération; 2° diminution ou anéantissement; 3° modification de la matière sucrée sécrétée par le foie. L'augmentation de la production du sucre dans l'organisme de façon à produire un diabète artificiel, peut s'opérer en agissant sur les centres nerveux ou sur les filets qui en émanent, au moyen d'excitations mécaniques ou galvaniques. Nous allons commencer par examiner l'expérience qui frappa le plus vivement l'esprit des physiologistes, lorsque je la publiai il y a quelques années. Cette expé- rience consiste en ceci : Si l'on pique un certain point de la moelle allongée d'un animal, Carnivore ou Her- 19 290 DIABÈTE ARTIFICIEL. bivore, le sucre, après un certain temps, se répand dans l'organisme en si grande abondance, qu'il en ap- paraît dans les urines. Voici l'instrument dont nous nous servons pour pratiquer cette piqûre (Fig. i4). Il se compose, comme vous le voyez, d'une tige aplatie par une de ses extrémités, amincie et tranchante comme un petit ciseau. Au mi- lieu de îa lame et dans l'axe de 1 instrument, la tige se prolonge par une petite pointe très aiguë, longue de i millimètre environ. Vous comprendrez l'usage de cet instrument, quand je vous aurai indiqué le point où il faut le porter. Ce point se trouve sur la moelle al- longée, au milieu de l'intervalle compris entre les racines des nerfs acoustiques ££(Fig. i5) et elles des n erfs pneumogastriques. Maintenant nous considérerons la moelle allongée comme formée de trois couches : l'une postérieure , une seconde moyenne, et une troisième antérieure. La couche postérieure est en rapport avec les phénomènes de la sensibilité, et sa section ne produit que des troubles de sensibilité au Fig. 14 . * n moment où on îa traverse. La couche anté- rieure, en rapport avec les phénomènes de mouve- ment, n'a aucune espèce d'action sur le foie, mais sa lésion produit des convulsions et des mouvements désordonnés qui viendraient compliquer l'expérience. Il faut donc éviter de couper cette dernière partie de DÏABÈTJî ARTIFICIEL. 291 la moelle allongée. C'est pour cela que linstrument est terminé par une pointe très fine, qui ne peut pas eau- ser de lésions graves clans les parties qu'elle traverse. Quant à la couche moyenne, elle est composée par le Fig. i5. On voit le qua- trième ventricule chez un Lapin; le cervelet a été di- visé, et ses deux lobes a,«, sont déjetés sur les côtés. a, a, lobes du cervelet ; b, 6, tubercules de Wenzel ou origine des nerfs acous- tiques. — c, c, plancher du quatrième ventricule. — rf, bec du calamus scriptorius. — e, origine du nerf pneu- mogastrique. >^ y^< Fig. 15. faisceau innominé du bulbe et les corps olivaires; c'est cette partie dont la lésion produit plus spécialement l'apparition du sucre, et qu'on a pour but d'atteindre. Cet espace peut être limité en haut par une ligne transversale qui unit les deux tubercules de Wenzel bb^ et en bas par une autre ligne qui va d'une origine d'un pneumogastrique à l'autre. La blessure peut aussi quelr quefois porter plus haut ou latéralement, et produire l'apparition du sucre; mais le point que j'ai limité pré- cédemment m'a paru celui où le phénomène s'opère avec le plus d'intensité. Du reste, nous donnerons plus tard l'explication du mode singulier d'action de ces lésions sur l'apparition du sucre dans les urines. Mais constatons d'abord les phénomènes. Vous allez voir comment j'opère. Voici un Lapin très vigoureux : c'est l'animal qui se prête le mieux à cette 292 D1AHÈTE ARTIFiCIRL. expérience. Je saisis fortement, la tête delà main gauche, pendant qu'un aide tient solidement les quatre pattes, pour empêcher 1 animal de faire aucun mouvement; puis, eu passant la main sur le crâne d'avant en arrière, je sens une lubérosité d qui correspond à la bosse occi- pitale supérieure en e. Aussitôt en arrière, je plante l'in- strument dont la pointe entre dans le tissu spongieux de l'os. Je presse d'une manière continue, en faisant exé- cuter de légers mouvements de latéralité pour faire enfoncer les parties tranchantes; je pénètre dans la cavité du crâne, et, dès que j'y suis parvenu, je dirige l'instrument obliquement de haut en bas et d'arrière en avant, de façon à lui faire croiser une ligne qui s'étendrait d'un conduit auriculaire à l'autre. Pen- dant cette opération, le moindre mouvement de l'animal pourrait faire va- rier l'instrument et pro- duire des dilacérations graves, qui amèneraient la mort ou des désordres considérables. C'est pourquoi il faut surtout avoir la précaution de maintenir très soli- dement la tête de la main gauche, au moment où l'on pénètre dans la moelle allongée. Je pousse ainsi jusqu'à ce que j'atteigne l'os basilaire avec la pointe de rinstrument/(Fig. .1 7), puis je le retire avec précaution. Dans cette opération, j'ai percé succes- sivement le crâne, le cervelet, les couches postérieure et moyenne de la moelle allongée. Mais la partie large DIABÈTE ARTIFICIEL. 293 et tranchante n'aura pas lésé d'une manière sen- sible la couche antérieure de la moelle, qui aura seulement été traversée par la pointe de l'instrument, ce qui n'y produit aucun désordre grave. Vous com- prenez maintenant la raison de la présence de cette pointe. Fjg. 17. Coupe d'une tète de Lapin, pour voir la marche de l'instrument à -piqûre. «, cervelet. — b, origine du nerf de la septième paire. — e, moelle épi- nière. — rf, origine du pncumo^astrirpie. — é>, trou d'entrée de l'instrument dans le crâne. — ■ /■", instrument. — si précieuse, car elle démontre avec évidence que le foie est bien, comme nous l'avons dit, un organe dans lequel les produits de la di- gestion viennent séjourner un certain temps, s'y accumuler, s'y réunir, pour être ensuite répandus et distribués dans la circulation générale. Rapprochons , en effet , les résultats de ces deux expériences. Dans la première, quand on recueille le sang deux heures après le repes, le sang qui provient du foie ne renferme encore qu'une quantité insigni- fiante de sucre, bien que cet organe soit rempli de matière sucrée. Dans la seconde expérience, faite quatre heures après le repas, le sang qui s'échappe du foie contient des proportions notables de glucose. Ne voit-on pas là la démonstration évidente de ce fait, que le foie arrête quelque temps dans son tissu les matières qui lui sont apportées de l'intestin ? Par suite de l'extrême lenteur de la circulation dans l'organe hépatique, par la nature même du tissu spongieux de celte glande , le sang est contraint de subir dans le foie une stagnation qui a pour effet d'y retenir ces produits un temps plus ou moins long. Aussi, lorsque, dans la première expérience, nous avons recueilli le sang deux heures seulement après le repas, nous avons saisi le moment précis où le sucre, arrivant du tube intestinal par suite de la digestion , avait pénétré dans le foie, mais n'avait pas eu le temps d'en sortir, et se trouvait encore arrêté dans le réseau vasculaire de cette glande. Et c'était un spectacle remarquable et plein d'enseignements physiologiques que de voir s'échapper d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit! Mais lorsque, dans la seconde expérience, on a recueilli le sang quatre heures après le repas, on a laissé au glucose le temps de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques , et l'analyse a permis de 484 APPENDICE. constater clans le sang de ces vaisseaux l'existence d'une notable pro- portion de matière sucrée. J'ai reproduit textuellement les paroles de l'auteur, parce qu'il faut avoir lu , de ses yeux , de semblables résultats, pour croire qu'on les ait avancés d'après une expérience faite une seule fois. Ou comprend, jusqu'à un certain point, que l'illusion puisse se glisser dans le raisonnement sous l'influence de certaines idées préconçues, mais il est plus difficile de com- prendre que l'on trouve et que l'on dose du sucre dans le sang de la veine porte quand il n'y en a pas, et que l'on n'en voie pas dans le sang des veines hépatiques où il y en a. La possibilité de semblables contradictions doit attrister les hommes qui recherchent la vérité. Le résultat énoncé, à savoir qu'il y a plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques , est tellement opposé à ce que tout le monde a vu , que j'avais cru d'abord à quelque erreur anatomique et à quelque confusion de vaisseaux. On remarque , en effet, de l'ambiguïté dans les désigna- tions anatomiques. On parle, d'une part, du sang re- cueilli dans la veine porte et du sang recueilli dans les veines mésentériques, distinction qui n'a pas sa raison d'être, puisque la veine porte n'est que la réu- nion de toutes les veines mésentériques. D'autre part, on dit qu'on a recueilli du sang au-dessus du foie, et puis, dans le détail de l'expérience, on ajoute que l'on a ouvert la veine cave à son embouchure dans l'oreillette droite du cœur. L auteur n'a sans doute pas voulu désigner par cette expression : sang pris au- APPENDICE. 485 dessus du foie, le sang du cœur droit provenant de tout le système veineux du corps, car il sait bien que c'est dans les veines hépatiques, immédiatement à la sortie du tissu du foie , qu'il faut prendre le sang sus- hépatique pour le comparer au sang de la veine porte qui entre dans l'organe. Du reste, dans ses conclusions, Fauteur s'explique plus clairement quand il s'écrie, dans l'étonnement et l'admiration où il est de ses pro- pres résultats : « Et c'était un spectacle remarquable et plein d'enseignements physiologiques que de voir s'échapper d'un foie gorgé de sucre un sang presque dépourvu de ce produit ! » Or, si l'auteur a vu sur un chien le sang s'échapper du foie, il n'a pu le voir s'échapper que par les veines hépatiques qui s'abouchent dans la veine cave au- dessous du diaphragme, et non à l'entrée de l'oreillette droite du cœur. Enfin, l'auteur ajoute deux lignes plus bas : « On a laissé au glucose le temps de s'échapper par les vaisseaux sus-hépatiques. » D'après tout cela, je crois bien que notre contradicteur a pris du sang des veines hépatiques et du sang de la veine porte; mais ce que je n'admettrai jamais, pas plus que per- sonne, c'est ce qu'on a avancé, à savoir que deux heures après nn repas de viande crue , il y a plus de sucre dans le dernier sang que dans le premier. Sans rechercher la cause des erreurs matérielles qui ont pu se glisser dans les expériences, je ferai seule- ment sur la direction d'idées de l'auteur une remarque générale qui me semble assez explicative. 11 est bien clair que , dans toute cette discussion , 486 APPENDICE. l'auteur en questiou , sans s'en apercevoir, et de très bonne foi sans aucun doute, se place toujours en de- hors du point de vue scientifique, en ce qu'il traite la question comme un avocat qui soutient un plaidoyer, mais non comme un savant qui cherche la vérité. Cette méthode de procéder est surtout dangereuse dans les sciences complexes comme la physiologie, et il est d'autant plus important de la signaler ici, que pour ne pas y être trompé, ii faut être bien au courant des questions dont il s'agit. En effet, une fois le point de départ admis, les raisonnements s'enchaînent logique- ment, et les personnes étrangères aux faits sont sé- duites par cet enchaînement, sans se douter que c'est précisément le point de départ qui pèche, et que c'est là ce qu'il faut déterminer exactement. Or, je dis que dans le travail que nous examinons, l'auteur se préoccupe beaucoup plus de rechercher des appa^- rences d'arguments pour le besoin de sa cause que de s'enquérir si les arguments qui servent de point de départ à ses raisonnements sont solidement établis. Voyons, en effet, ce qui est arrivé. Dans son pre- mier Mémoire, l'auteur se pose en défenseur d'une théorie en vertu de laquelle le sucre trouvé dans le foie des carnivores doit provenir des végétaux. Alors il imagine, pour son explication, qu'il y a du sucre dans la viande des animaux de boucherie, qui sont herbi- vores, et là-dessus il construit tout un échafaudage de considérations pour prouver que l'origine du sucre n'est pas dans le foie. Mais on lui dit que d'abord le fait de la présence du APPENDICE. 487 sucre dans la viande est erroné. Ensuite, pour dé- montrer que le foie ne fait pas de sucre , et que cette substance vient de l'aliment, il faudrait prouver qu'il y a du sucre dans le sang de la veine porte qui entre dans l'organe; et enfin, pour établir que le sucre se condense dans le foie, il faudrait encore montrer qu'il entre plus de sucre dans le foie qu'il n'en sort. L'auteur n'est pas embarrassé pour résoudre ces objections qu'on lui oppose. La présence du sucre dans la viande n'est pas exacte: il n'eu parle plus. Il faudrait, pour prouver ce qu'il a avancé qu'il y eût plus de sucre dans la veine porte que dans le sang des veines hépatiques: immédiatement paraît le Mémoire précédemment rapporté , clans lequel il croit avoir vu ces résultats, qui sans doute peuvent constituer un bon argument, mais qui, malheureusement pour la théorie qu'on soutient, est tout aussi illusoire queia présence du sucre dans la viande. D'après cette dispo- sition d'esprit de fauteur, il est probable que quand on lui aura prouvé qu'il n'y a pas, comme il le croit, du sucre dans le sang de la veine porte en plus grande quantité que dans le sang des veines hépatiques , il abandonnera cet argument pour en imaginer un ou plusieurs autres à la discussion desquels il espérera qu'on puisse s'arrêter. Les discussions dans lesquelles on se laisse conduire par ses idées en dehors de ^examen sérieux des faits ne peuvent avoir aucun résultat scientifique. Pour ces raisons, je me serais abstenu , pour mon compte, de poursuivre cette espèce de procès qu'on a voulu in- ft88 APPENDICE. tenter à la fonction glycogénique du foie; mais je suis ici professeur de physiologie expérimentale, j'ai foi dans la méthode expérimentale et dans l'invariabilité des expériences bien faites. Il est de mon devoir de m élever contre ceux qui, par la manière dont ils trai- tent les questions, peuvent jeter du doute dans les esprits sur la constance des résultats physiologiques, et retarder cette belle science dans son dévelop- pement aujourd'hui si brillant. Je ne dois d'ailleurs laisser échapper aucune source d'instruction pour les élèves. Or, on instruit à la fois en mettant sous les yeux les méthodes d'investigation qui conduisent à la vérité, afin de les suivre, et en signalant celles qui conduisent à l'erreur, afin de les éviter. C'est comme exemple de ce dernier genre que j'ai eu à indiquer la manière de procéder de l'auteur dont nous nous oc- cupons, et c'est pour montrer jusqu'où cette manière de raisonner peut conduire, que j'ai voulu poursuivre la question dans cet appeudice. Au point de vue de la physiologie, il aurait pu y avoir inconvénient à ne pas suivre la discussion jus- qu'au bout. En effet, à voir l'assurance et la facilité avec lesquelles l'auteur explique tout, et rétorque les objections, certaines personnes pouvaient croire à l'exactitude des faits contradictoires avancés, et en tirer cette conclusion, que les expériences de physio- logie sont des expériences incertaines qui donnent des résultats variables et même opposés, et que les conclu- sions qu'on en tire ne doivent conséquemment avoir aucune valeur absolue. Or, cette conclusion serait APPENDICE. 489 essentiellement injuste , comme je l'ai prouvé dans maintes circonstances, et j'ai expliqué dans la première leçon de ce cours que les expériences physiologiques sont aussi certaines et aussi positives que celles de chimie et de physique, pourvu que Ton ait soigneuse- ment étudié les conditions de l'expérience pour repro- duire les phénomènes toujours dans des conditions identiques. Quand on dit, par exemple , que chez un Carnivore il n'y a pas de sucre dans le sang de la veine porte, et qu'il y en a dans le sang des veines hépatiques , ce n'est pas là un résultat moyen fourni par beaucoup d'expériences , dans lesquelles on aurait trouvé quel- quefois des résultats opposés. C'est une expérience constante et absolue, et jamais, quand elle est bien faite et dans les conditions indiquées, il n'y a du sucre dans le sang de la veine porte. C'est à cause de cette foi scientifique que j'ai dans la certitude et l'invaria- bilité des expériences physiologiques, dont les con- ditions sont bien étudiées, que je crois de mon devoir, comme professeur de physiologie expérimentale , de m 'élever non contre les personnes, que je laisse tou- jours en dehors, mais contre les travaux, dont la légè- reté inspire de la défiance à légard de la physiologie expérimentale , en apportant dans une question des résultats qui n'ont pas même été constatés, comme la présence du sucre dans la viande. C'est pour toutes ces raisons, et uniquement dans l'intérêt de la science, que je crus qu'il fallait protester contre les faits avancés dans le Mémoire que nous examinons ; c'est ce que je 490 APPENDICE. fis dans la séance de l'Académie du 2 avril , dans les termes suivants : Dans la séance de l'Académie du 12 mars dernier, j'ai rappelé que M. le professeur Lehmann, de Leipzig, venait encore, avec une aulorité des plus considérables en pareille matière, confirmer une de mes expé- riences fondamentales à l'aide desquelles j'ai établi depuis longtemps que le foie fabrique du sucre. Cette expérience consiste, comme on sait, à montrer que cbez des animaux carnivores à jeun ou en digestion de viande, il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte qui circule des intestins vers le foie, tandis qu'il en existe constamment et en notable proportion dans le sang qui sort du foie par les veines hépa- tiques pour circuler vers le cœur. Dans la dernière séance de l'Académie, on a nié l'exactitude de ces faits constatés et vérifiés par les hommes les plus compétents et les plus habiles. L'auteur quia émis cette négation est arrivé non-seulement à dire que chez les animaux carnivores, à certaines périodes delà digestion, il y a du sucre dans le sang de la veine porte aussi bien que dans celui des veines hépatiques, mais il n'a pas craint d'avancer que deux heures après le repas, on trouve chez un chien qui a mangé de la viande de bœuf crue une plus forte proportion de sucre dans le sang de la veine porte que dans le sang pris au-dessus du foie. L'assurance avec laquelle une pareille assertion a été avancée pour- rait peut-être en imposer à certaines personnes. C'est pourquoi je crois de mon devoir de venir déclarer ici que ces résultats sont entièrement inexacts. Par suite d'expériences très nombreuses faites depuis six années et et que j'ai répétées devant des savants de tous les pays , je ne pouvais avoir aucun doute à cet égard. Je viens même encore cette semaine de refaire mon expérience devant différents physiologistes ou chimistes, en plaçant les animaux dans les diverses conditions de digestion, et spécialement dans celles indiquées par l'auteur du Mémoire, soit relati- vement à la nature de l'alimentation, soit relativement à l'époque de la digestion, soit enfin relativement à la manière dont le sang a été traité, pour y rechercher la matière sucrée. Or, je déclare de nouveau que j'ai toujours obtenu le résultat que j'avais annoncé, à savoir, que chez un chien en digestion de viande cuite ou crue il n'y a pas de sucre dans APPENDICE. 491. la veine porte, ni une heure, ni deux heures, ni trois heures, etc., après le repas, et qu'il y en a au contraire dans les mêmes circonstances , constamment et en notable proportion, dans le sang des veines hépa- tiques. Maintenant, quant à apprécier les causes de Terreur dans laquelle est tombé l'auteur du Mémoire en question, ce rôle appartient à la Com- mission qui, je l'espère, ne tardera pas à faire son rapport. Mais, par un sentiment que l'Académie comprendra , j'ai l'honneur de prier M. le Président de vouloir bien nommer en ma place un autre commissaire pour examiner les Mémoires de M. Figuier. Je n'ai pas à «l'occuper dans cette note de la question de savoir si les causes d'erreur provenaient des moyens employés pour reconnaître le sucre, car il est probable que l'auteur, voulant répéter nos expériences et celles de M. Lehmann , a dû les reproduire clans les mêmes circonstances et avec les mêmes réactifs, car sans cela ce serait d'antres expériences. Quant aux réactifs dont il faut se servir pour recon- naître le sucre, nous nous sommes déjà expliqué suffisamment à ce sujet. On sait que nous ne nous servons comme caractère certain que de la fermenta- tion au contact delà levure de bière, avec production d'acide carbonique et d'alcool. Nous devons ajouter que nous agissons quelquefois en mélangeant directe- ment la levure avec du sang frais sucré , comme cela a lieu dans les veines hépatiques. La fermentation s'établit rapidement au bout de dix minutes, pour peu que la chaleur soit de 3o à 4° degrés, et elle dure généralement cinq ou six heures, tandis que jamais le sang frais de la veine porte, mélangé de même à de la levure de bière, ne fermente dans le même temps. Quand on emploie de la levure de bière 492 APPENDICE. prise chez les boulangers, il importe de De pas laisser la fermentation durer plus de vingt-quatre heures, car alors la fécule pourrait, sous l'influence des ma- tières animales du sang , se transformer en sucre et donner de l'alcool et de l'acide carbonique , comme nous nous en sommes assuré. Au lieu de faire fer- menter directement le sang, on peut le traiter par quatre ou cinq fois son volume d'alcool, et reprendre le résidu par l'eau, qu'on soumet alors à la fermenta- tion. Mais soit qu'on prenne directement le sang des veines portes et des veines hépatiques, soit qu'on le traite par l'alcool préalablement, on voit constamment dans tous les cas la fermentation s'établir avec le sang des veines hépatiques et jamais avec le sang de la veine porte. Nous n'avons pas besoin de répéter ici que, pour ob- tenir ces résultats, il faut recueillir le sang dans des conditions physiologiques. On ne peut avoir le sang qui circule dans des conditions normales dans la veine porte, ou dans les veines hépatiques, qu'en opérant par le procédé que nous avons indiqué, qui consiste à tuer l'animal par la section du bulbe rachidien , et à recueillir immédiatement le sang contenu dans la veine porte et celui contenu dans les veines hépati- ques, après avoir placé des ligatures sur ces vaisseaux. De cette manière, on est bien sûr que le sang recueilli dans la veine porte est celui qui allait entrer dans le foie au moment de la mort de l'animal. Quand, à la suite de la fermentation, on veut obte- nir de l'alcool, ce qui est, suivant nous, une condition APPENDICE. 493 indispensable de l'expérience, il faut se procurer d'assez grandes quantités de sang et sacrifier un cer- tain nombre d'animaux dans les mêmes conditions. On réunit tous les sangs des veines hépatiques et ceux des veines portes qu'on traite comparativement à quan- tités égales. Dans ces circonstances , on recueille les plus grandes quantités de sang possibles, en faisant l'expérience sur l'animal vivant, comme nous l'avons souvent prati- quée, que l'on veuille obtenir le sang de la veine porte ou le sang des veines sus-hépatiques. Pour obtenir le sang de la veine porte, il suffit de faire la ligature du tronc de cette veine , d'ouvrir l'abdomen , et de piquer au-dessous de la ligature. On fait jaillir ainsi du sang circulant dans la veine porte chez l'animal vivant. Mais on comprendra que, pour que ce sang soit dans des conditions physiologiques , il ne faut en prendre qu'une petite quantité; car si l'on fait mourir l'animal d'hémorrhagie en ouvrant la veine porte, par exemple, le sang de toutes les parties du corps se trouvant évacué, le foie comprimé par les convulsions de l'animal, le sucre que contient cet or- gane passe avec les dernières portions de sang, qui alors ne sont plus identiques avec les premières, qu'on peut seules considérer comme recueillies dans des conditions physiologiques. Pour obtenir une grande quantité de sang desveines hépatiques, nous avons employé le même procédé que pour constater la température du sang qui sort du foie. Ce procédé consiste à faire une grande incision 494 APPENDICE. dans le flanc droit, jusque dans l'angle de la dernière côte , e! à placer deux ligatures sur la veine inférieure, au-dessus des veines rénales. Ces ligatures sont desti- nées Tune à arrêter le sang qui vient des parties infé- rieures, l'autre à lier un tube ouvert par les deux bouts, qu'on introduit dans la veine. Ensuite, lorsqu'on a placé ces deux ligatures d'attente dans le ventre, il s'agit de faire la ligature de la veine cave inférieure au-dessus du diaphragme, dans la poitrine. Pour cela, on fait une incision entre la dixième et la onzième côte du côté droit. On incise d'abord la peau, puis, en changeant le parallélisme, on fait une petite inci- sion clans un espace intercostal, de façon à introduire le doigt pour qu'il bouche exactement l'ouverture , et empêche l'entrée de l'air; ensuite on introduit le long du doigt, à l'aide d'un stylet, un fil qu'on passe au- dessous de la veine, on fait la ligature, et de cette façon le sang des parties inférieures ne peut plus re- monter dans le cœur. Pour éviter de faire cette ligature de la veine cave inférieure, qui est souvent assez laborieuse, on peut faire la première partie de l'opération comme nous l'avons décrite, après quoi on introduit dans la veine cave un tube qui est une espèce de sonde au bout de laquelle on peut souffler, au moyen d'un tube latéral , une petite vessie destinée à boucher le calibre de la veine inférieure (Fig. 22). On introduit la sonde par la veine cave inférieure, au-dessous des reins , dans l'abdomen, et l'on pousse l'instrument de façon que son extrémité soit au- APPENDICE, dessus du diaphragme. Alors on souffle de l'air par le tube O. L'air insufflé conduit par le petit tube t va s'ouvrir en /', et dis- tendre la petite vessie de caout- chouc G; alors on ferme le ro- binet /', et la vessie, restant dis- tendue, bouche et obstrue la veine cave au-dessus du dia- phragme, c'est-à-dire au-dessus du lieu d'abouchement des veines hépatiques. Alors ce sang, ne pouvant plus remonter dans le cœur, pénètre dans la sonde par l'ouverture latérale O', et vient s'écouler au dehors , par le pavillon O de la sonde, dont le robinet R a été ouvert. Par l'un ou l'autre des deux procédés précédents, on peut avoir des quantités considéra- bles de sang sucré, parce que la circulation continuant sur l'ani- mal vivant, on recueille du sang qui ne peut s'échapper qu'après avoir traversé le foie. On pos- sède assez de sang pour obtenir de l'alcool par la fermentation en distillant le liquide, ainsi que nous lavons expliqué dans 495 .i Fig. 22, 496 APPENDICE. le cours de ces leçons Or, la fermentation démontre toujours ce que nous avons indiqué, c'est-à-dire une grande quantité de sucre dans le sang des veines hé- patiques, et absence complète ou traces très faibles dans le sang de la veine porte. Par ces raisons , nous ne saurions comprendre comment l'auteur qui nous a contredit a pu arriver à trouver plus de sucre dans le sang de la veine porte que dans celui des veines hépatiques. Nous ferons remarquer seulement qu'il ne mentionne pas la fer- mentation, qui est cependant le seul caractère absolu pour déceler le sucre. Si ce n'est pas là un oubli, et si réellement, c'est ce que l'on saura quand la commis- sion aura fait son rapport , ce moyen n'avait pas été employé , on est en droit de refuser aux expériences de l'auteur toute espèce de valeur. Après notre note du 12 mars, parurent plusieurs Mémoires pour venir corroborer de nouveau nos ex- périences; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, tous les hommes qui ont répété sérieusement les expériences ont retrouvé nos résultats, et aucun observateur n'a pu reproduire ce qu'a dit notre contradicteur. Les Mémoires qui ont paru sont, le premier, de M. Poggiale, professeur de chimie au Val-de- Grâce, communiqué à l'Académie des sciences le 16 avril. Ce mémoire est relatif à la formation du sucre dans le foie et dans la mamelle. Nous ne discu- terons pas ici ce travail, nous n'en rapportons que ce qui se rattache à la formation du sucre dans le foie, et particulièrement à la question que nous examinons, APPENDICE. 497 à savoir, que chez les animaux carnivores il y a du sucre dans le sang des veines hépatiques, qui sort du foie, tandis qu'il n'y en a pas dans le sang- de la veine porte, qui entre dans l'organe. Voici ce travail : La matière sucrée se forme-t-elle par l'action digestive, dans le foie et dans le torrent circulatoire? par M. Poggiale. Première expérience. — Un chien adulte a été nourri pendant huit jours au pain arrosé de bouillon gras. Après deux jours d'une absti- nence complète d'aliments, on lui a donné 1 kilogramme de pain et de l'eau. Trois heures après ce repas, l'abdomen ayant été ouvert et le sang des divers vaisseaux recueilli séparément, j'ai déterminé la quan- tité de sucre dans tous ces produits, et j'ai trouvé dans le sang de la veine porte 0*r,322 de sucre pour 100 de sang ; dans le sang des veines hépatiques, Os',327; dans le sang de la veine cave inférieure, 0§r,03, et dans celui de l'artère carotide, 0sr,052. Les matières contenues dans l'estomac et dans l'intestin renfermaient beaucoup de sucre. J'ai fait trois expériences dans les mêmes conditions, et les résultats généraux n'ont pas varié. Deuxième expérience. — Un chien adulte et de forte taille fut soumis à l'action du chloroforme le troisième jour d'une abstinente absolue, et l'on recueillit du sang de la veine porte, du sang des veines sus-hé- patiques, du sang de la veine cave inférieure et du sang de l'artère crurale. On obtint par l'analyse les résultats suivants : 0sr,025 de sucre dans 100 parties de sang de la veine porte; 0sr,OZ|9 dans le sang des veines hépatiques; 0sr,0Zi2 dans le sang de la veine cave inférieure, et 0§r,023 dans le sang de l'artère crurale. Troisième expérience. — Un chien fut laissé sans nourriture pen- dant huit jours, puis sacrifié. L'examen du sang des différents vais- seaux donna les chiffres suivants : Os',022 de sucre pour 100 de sang des veines hépatiques, et des traces seulement dans la veine cave infé- rieure. Le sang de la veine porte ne contenait pas de sucre. Chez un autre chien à jeun depuis quatre jours, on n'a pas trouvé de sucre dans le sang de la veine porte, tandis qu'on en a rencontré dans le sang des veines hépatiques. Quatrième expérience. — Un chien nourri pendant huit jours avec delà viande cuite, puis, après une abstinence de trente-six heures, ayant reçu un repas copieux de viande cuite, fut sacrifié au moment de 32 Û98 APPENDICE. la digestion. Le sang de la veine porte ne renfermait pas de sucre. Le sang des veines hépatiques en contenait os'»340 pour 100; le sang de la veine cave inférieure, 0sr,083, et celui de l'artère crurale, 0sr,032, On n'a pas constaté la présence du sucre dans les matières alimen- taires. Dans deux autres expériences analogues, on eut les chiffres indiqués dans les deux dernières lignes du tableau suivant, qui offre les résultats des analyses pour les expériences appartenant à la troi- sième série. ALIMENTATION. Pain et bouillon gras Pain et bouillon «ras Abstin. depuis 3 jours Abstin. depuis 8 jours Viande cuite . . Viande ciiite . . Viande cuite . . QUANTITÉ DE SCCRE POUR 100 DE SANG. Sang Sang Sang Sang de la veine des veines de la veine . porte. hépatiques cave, inf. er- gr, gr- gr. 0,32 0,327 0,t03 0,052 0.26 0.267 » 0,132 0,02 0,049 0,042 0,023 s 0.022 » » 0,340 0.083 0,032 • 0.152 » » » 0,139 » 0,060 MATIERES alimentaires. Beaucoup de sucre Conclusions. — Il résulte des expériences consignées dans ce Mé- moire : 1° Que le sucre peut se former daus l'économie aux dépens des ali- ments azotés, et peut-être des corps gras ; 2° Que l'alimentation absolue à la graisse ne semble pas diminuer la proportion du sucre dans l'organisme; 3° Que les aliments amylacés se transforment en sucre par l'action digestive; 4° Que, chez les animaux nourris avec des matières amylacées, le sang de la veine porte contient une proportion considérable de sucre ; 5° Que, chez les animaux nourris avec de la viande, il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte ; qu'on en trouve, au contraire, une quantité notable dans les veines hépatiques, dans la veine cave in- férieure, et même dans le sang artériel; 6° Que le sang de la veine porte des animaux soumis à l'abstinence complète ne contient pas de sucre ; 7° Que, par conséquent, on est bien obligé d'admettre que, chez les animaux nourris avec des matières azotées et de la graisse, la produc- tion du sucre a lieu dans le foie. La deuxième communication -confirma tive de nos APPENDICE. 499 expériences fut faite également dans la séance du 16 avril par M. Leconte, professeur agrégé de chimie à la Faculté de médecine. Voici ce travail, tel qu'il a été présenté à l'Académie. Recherches sur la fonction glucogénique du foie, par M. Leconte. Attaché au Collège de France comme préparateur du cours de M. Magendie, il m'a été donné d'assister M. Cl. Bernard dans la plu- part de ses expériences sur le foie, et de répéter un grand nombre de fois moi-même, soit pour les besoins du cours, soit dans d'autres cir- constances, les recherches qui démontrent qu'il n'existe pas de sucre dans le sang de la veine porte d'animaux nourris de viande , tandis qu'il en existe dans le sang des veines hépatiques. La question étant aujourd'hui controversée, j'ai cru devoir soumettre à l'Académie les résultats de ces recherches. Tous les animaux qui m'ont servi ont été rapidement sacrifiés par la section du bulbe rachidien. Une incision, pratiquée au flanc droit, permettait de lier la veine; l'abdomen était alors ouvert. On liait la veine cave inférieure au-dessous du diaphragme ; puis, faisant une inci- sion à ce muscle, on appliquait une seconde ligature sur la veine cave inférieure, au-dessus du diaphragme. 11 était alors facile de recueillir sans mélange le sang des veines hépatiques en introduisant un tube de verre dans la portion de la veine cave comprise entre les deux liga- tures. En introduisant de même un tube de verre dans la portion de la veine porte comprise entre la ligature et les intestins, on recueillait sans mélange le sang provenant de ces derniers organes. L'expérience m'a démontré qu'en recueillant le sang entre la liga- ture et le foie, ce fluide contenait toujours une quantité notable de sucre, par suite d'un reflux depuis longtemps signalé par M. Cl. Bernard. Le sang, mêlé exactement avec trois fois son poids d'alcool à 36 de- grés, était jeté sur des carrés de toile fine et fortement comprimé. Les liqueurs étaient filtrées ; le contenu des toiles, les vases et le filtre étaient lavés à l'alcool. Toutes les liqueurs étaient évaporées au bain-marie, après avoir été acidulées par l'acide acétique pur. Les extraits alcoo- liques étaient délayés dans l'eau , additionnés de 1 gramme de levure de bière fraîche, introduits dans des cloches graduées pleines de mer- cure, et placés à une douce température. 1 gramme de la même levure délayée dans l'eau distillée était placé dans le tube rempli de mer- 500 APPENDICE. cure, et servait à prouver que la levure seule ne produisait pas de gaz. Après dix-huit à vingt-quatre heures, on mesurait l'acide carbonique, et l'on opérait les corrections relatives à la pression et à la température. Le poids du sucre était calculé d'après la formule ci2 Hi2 012= 4 CO2 + 2 (Cni6 O2). Avant de doser le sucre dans le sang, je fis les deux expériences qua- litatives suivantes : Première expérience. — Un chien de moyenne taille, laissé à jeun pendant vingt-quatre heures, fut sacrifié une heure après un repas composé de 1 kilogramme de viande de bœuf crue. L'extrait alcoolique du sang de la veine porte ne donna rien par la fermentation ni par le cupro-tartrate de potasse; avec celui des veines hépatiques, réduction très notable avec le même réactif. La fermentation donna une quantité assez considérable d'acide carbonique. Deuxième expérience. — Un jeune chien de trois mois fut nourri de viande cuite pendant dix jours; on le sacrifia le onzième, deux heures après un repas composé de viande de bœuf crue. 33 grammes de sang de la veine porte donnèrent un extrait alcoolique qui donna une réduc- tion douteuse avec le cupro-tartrate de potasse, et rien par la fermen- tation, k grammes de sang des veines hépatiques fournirent un extrait alcoolique qui donna une réduction abondante par le cupro-tartrate de potasse, et par la fermentation une quantité appréciable de gaz car- bonique. Troisième expérience. — Un chien de très forte taille fut nourri pendant quinze jours avec de la viande cuite; le seizième jour, on le sacrifia deux heures après un repas composé de 1 kilogramme de viande crue de bœuf. On recueillit : sang de la veine porte, 73 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique repris une seconde fois par l'alcool, 0,60 ; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties: extrait sec de la deuxième solution alcoolique, 8,22. Cet extrait alcoolique ne donna aucune trace de gaz par la fermentation. On obtint de même : sang des veines hépa- tiques, Zi9 grammes, qui donnèrent: extrait alcoolique repris une seconde fois par l'alcool, 0sr,70; ce qui donne, pour sang frais, 1000 parties: extrait sec dé la seconde solution alcoolique, 14,65. Cet extrait sec donna par la fermentation, après dix-huit heures, 21cc,39 d'acide carbonique, qui représentent 0§r,0Zi22 de ce gaz, soit 0s%0863 de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 par- ties: sucre, 1,771, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties: sucre, 123 parties. Le tube ternaire ne donna pas de gaz. APPENDICE. 501 Quatrième expérience. — Un épagneul de forte taille fut mis à la diète pendant vingt-quatre heures, puis nourri cinquante-huit jours à la viande cuite; on le sacrifia deux heures et demie après son dernier repas. On obtint : sang de la veine porte, 1Zi9 grammes, qui donnèrent : extrait alcoolique, 2,059, soit pour sang frais, 1000 parties: extrait alcoolique sec, 13,7Z|. Cet extrait ne donna rien par la ferment a vio Le produit resté dans la toile, séché à 100 degrés, pesait 33 grammes ; en y ajoutant l'extrait alcoolique, 2,056, on obtint 35,055; ce qui donne, pour sang de la veine porte, 1000 parties: eau, 766,26; sub- stances sèches, 233, 7Zt. Le sang des veines hépatiques pesait 54*r,8; il laissa, extrait alccolique sec, 1,096, soit, pour sang frais, 1000 parties: extrait alcoolique sec, 21,82. Cet extrait, ainsi que le précédent, ne fut pas repris une seconde fois par l'alcool; après dix heures de fermen- tation, il fournit 17cc,9 d'acide carbonique, représentant 0sr,0726 de sucre ; ce qui donne, pour sang frais des veines hépatiques, 1000 par- ties : sucre, 1,33A, et pour extrait alcoolique des veines hépatiques, 1000 parties: sucre, 66,2. Les substances restées sur la toile séchées à 100 degrés pesaient 13«r,21; y ajoutant l'extrait alcoolique 1,096, on obtient l/i,306; ce qui donne, pour sang des veines hépatiques, 1000 parties: eau, 737,20; substances sèches, 272,62. Donc, substances sèches des veines hépatiques, 1000 parties, contiennent : sucre, 5,11. Cinquième expérience. — Un chien de très forte taille fut mis à jeun pendant vingt-quatre heures; puis il fit un repas composé de 1250 grammes de viande crue; on prit 61 grammes de sang de la veine porte et 51 grammes de sang d^s veines hépatiques. L'extrait alcoolique du premier ne donna rien par la fermentation ; celui des veines hépatiques, au contraire, donna par la fermentation 67 centi- mètres cubes d'acide carbonique, représentant 0§r,2715 de sucre; ce qui donne la composition suivante : sang frais des veines hépatiques, 1000 parties, sucre, Zi,Zi52. Tableau résumant les quantités de sucre contenues dans 1000 parties de sang frais. De la veine porte. Des veines hépatiques. lre expérience 0 notable, non dosé. 2e — 0 id. 3e — 0 1,771 ke — 0 l,3Ziû 5e — . . , . . 0 4,452 En résumé, il résulte des expériences précédentes ; 502 APPENDICE. 1° Qu'en se plaçant dans les conditions indiquées plus haut, et en opérant rapidement la section du bulbe rachidien et la ligature des vaisseaux, on ne trouve pas de sucre dans le sang de la veine porte d'animaux nourris de viande crue ou cuite; 2° Que, dans les mêmes circonstances, le sang frais des veines hépa- tiques contient d'un à quatre millièmes de son poids de sucre, ce qui prouve que l'intervention des substances amylacées n'est pas néces- saire à la formation du sucre dans le foie ; 3° Que le foie est bien un organe formateur du sucre, et non pas un organe condensateur, comme on l'avait avancé; U° Que le sang des veines hépatiques laisse plus de substances sèches, et fournit plus d'extrait alcoolique que la même quantité de sang de la veine porte. Enfin , dans la séance du 3o avril, M. Moleschott, professeur de physiologie à Heidelberg, m'a prié de communiquer à l'Académie les résultats confirmatifs qui suivent : Sur la sécrétion du sucre et de la bile dans le foie, par M. Moleschott. En lisant vos intéressantes remarques sur la sécrétion du sucre dans le foie, faites à l'occasion d'une communication de M. Lehmann, je me suis rappelé les expériences que j'avais faites en 1852 , et qui ne sont pas connues en France. Comme le résultat de ces recherches vient aussi prouver que le foie qui produit du sucre ne saurait être comparé aux reins qui excrètent l'urée, j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous le communiquer. J'ai, sur un grand nombre de grenouilles, extirpé le foie, qui, comme on le sait depuis vos travaux, contient du sucre tout aussi bien que celui des mammifères, et j'ai réussi à garder ces animaux vivants, pendant deux ou trois semaines après l'opération. Après ce laps de temps assez considérable, j'ai examiné le sang, les muscles, le suegastrique et l'urine de ces grenouilles, sans y pouvoir trouver aucune trace de bile, ni de sucre. Or, c'est un fait avéré en physiologie, qu'après l'extirpation des reins, l'urée s'accumule dans le sang. On devrait donc s'attendre à trouver les acides organiques et la matière colorante de la bile, ainsi que du sucre, dans le sang ou dans ie tissu d'animaux privés du foie, APPENDICE. 503 pendant quinze à vingt et un jours, si le foie n'était pour ees substances qu'un appareil de filtralion. Puisqu'il n'en est rien , j'en conclus que la bile et le sucre sont formés dans Je foie, ce qui vient appuyer un fait dont, pour le sucre, la science est redevable à vous, tandis que, pour la bile, M. J. Millier l'a fait connaître le premier, et MM. Kundc et Lehmann l'ont constaté avant moi; mais, dans les expériences de ces savants, les grenouilles n'avaient survécu que trois ou quatre jours à l'opération, c'est-à-dire pendant un temps qui n'est que la quatrième ou même la cinquième partie de ce que j'ai pu atteindre chez mes animaux. Après avoir rangé la fonction glycogénique du foie parmi les vérités les plus fécondes de la science, en démontrant que le sucre formé dans le foie est détruit parla respiration, vous accorderez peut-être quelque intérêt à ce que j'ai trouvé que le foie ne contribue pas peu à la méta- morphose rétrograde des substances animales. Si l'on a ôlé le foie aux grenouilles, ces animaux exhalent, pour la même unité de poids et de temps, beaucoup moins d'acide carbonique que des animaux intacts. J'ai comparé des grenouilles, chez lesquelles j'avais fait l'excision du foie, à d'autres auxquelles j'avais amputé les deux jambes pour leur faire perdre une quantité plus grande de sang qu'il ne s'en perdait par l'extirpation du foie. D'ailleurs, tous les animaux qui servaient à la comparaison, ceux qui étaient intacts et ceux qui avaient subi les deux genres d'opération, étaient pris le même jour dans les fossés et marais de nos environs; ils étaient gardés dans la même eau, et de plus ils étaient du même sexe, et, autant que possible, du même poids et de la même grandeur. Les expériences, comparées entre elles, étaient exécu- tées le même jour, à peu près à la même température et à la même pression atmosphérique. Le nombre des expériences pour chacune des trois catégories n'est pas inférieur a vingt-six. Eh bien, 100 grammes de grenouilles intactes ont donné en moyenne, pour vingt-quatre heures, 0gr,56G d'acide carbonique ; 100 grammes de grenouilles am- putées en ont exhalé 0s',û57, et 100 grammes de grenouilles sans foie n'en ont produit que 0s',332. On voit donc que l'excision du foie di- minue la quantité d'acide carbonique exhalé par les grenouilles d'une manière plus intense que ne pourrait l'expliquer la perte du sang iné- vitable dans une opération si grande. Le rapport entre ce fait et la fonction glycogénique du foie me paraît assez bien établi pour oser vous prier de communiquer cette lettre à l'Académie des sciences, 504 APPENDICE. Tels sont les travaux qui ont paru depuis la fia de notre cours. Ils confirment tous de la manière la plus complète nos propres expériences. Nous ne dou- tons pas que toutes les recherches sérieuses qui seront faites sur la même question n'aboutissent au même résultat. FIN. ERRATA. Page 62, ligne 18, au lieu de porc, lisez bœuf. — 75, — 10, — isochrones, lisez synchroniques. 25, — avec résultats, lisez avec des résultats, — tissu, lisez tronc. — piqûre, lisez une ouverture. — graine, lisez graisse. — invariable, lisez variable. — refroidissante, lisez réfrigérante. — au-dessous, lisez au-dessus. — dans un, lisez d'un. — décoloration, lisez coloration. — glycogénique, lisez glycosurique. — ~ peut, lisez puisse. — 77, — 11, — 120, — 25, — '37, — 11 — i55, — 6, — 188, — 22, — *99, — 4, — 266, — 3, — 298, — 27, — 3o2, — 25, -— 3i 1, — ii, APPENDICE. 50/l» Nous pensons que les lecteurs de ces Leçons liront avec intérêt le rapport présenté par M. Dumas à l'Aca- démie des sciences, à l'occasion des communications faites par MM. Figuier, Leconte et Poggiale , dont les mémoires se trouvent reproduits dans ce volume. Nous plaçons ici ce rapport comme appendice. J.-B. B. « L'Académie nous a chargés, MM. Pelouze, Rayer et moi, de lui rendre compte des expériences relatives aux vraies fonctions du foie, instituées dans ces derniers temps par MM. Figuier, Poggialeel Leconte. Votre Commission a pensé qnVlle devait, laissant de côté toute préoc- cupation théorique, réduire ia question qui lui était soumise aux sim- ples termes d'une vérification de faits. Elle a donc porté toute son attention sur les moyens à prendre pour donner à cette vérification les garanties de précision dont l'état de la science lui permettait de les entourer. » Un de nos confrères, M. Claude Bernard, avait fait connaî re, con- jointement avec M. Barreswil, l'existence dans le foie d'une quantité considéra!)^ de sucre. Poursuhant les conséquences de celte décou- verte, M. Claude Bernard a prouvé que le sucre existe dans le foie de tous les animaux, que sa présence est co;:séquemment un témoin de la natuie même des fonctions de cet important organe. » Jusque-là, les observations nouvelles dé M. Claude Bernard et ia conséquence qu'il en tire ne sont contestées par personne, elles consti- tuent l'une des plus sérieuses acquisitions de la physiologie moderne. » Mais d'où vient ce sucre qui existe si constamment dans le foie ? Comment disparaît-il de cet organe? Quel est son emploi? » Ici les opinions se montrent divergentes, les difficultés apparaissent et les expériences elles-mêmes ne seraient plus d'accord. » M. Claude Bernard pense que la formation du sucre a lieu dans le foie. Bien entendu que notre savant confrère ne met point en doute la production de sucre qui a lieu par le fait de la digestion dans l'estomac aux dépens des aliments amylacés, moins encore le passage du glucose et de ses analogues de l'estomac ou de l'intestin dans les veines. Mais il admet qu'en dehors de cette source intermittente, par laquelle le glucose peut s'introduire dans le sang, au moment où la digestion s'accomplit, il y 32* 501 b APPENDICE. en aurait une autre permanente et tout à fait spéciale : ce serait la fabricalion du sucre dans le foie même. » Ce qui démontrerait cette fabricalion, c'est l'absence du sucre dans le sang de la veine porte d'un animal soumis au régime de la viande; c'est la présence de ce sucre dans le sang des veines sus-hépatiques de ce même animal. » M. Figuier a élevé contre cette doctrine diverses objections. » Reprenant une opinion déjà émise par M. Mialhe, M. Figuier fait remarquer qu'il serait plus naturel de considérer le foie comme un organe séparateur, à la façon des reins, que d'en faire un organe créa- teur. Dans cette hypothèse, le foie, véritable régulateur de la composi- tion du sang, arrêterait au passage le sucre provenant de la digestion qui se trouverait en excès dans le sang, comme il arrête certains poi- sons métalliques, et le restituerait peu à peu à ce liquide, lorsque celui- ci en serait dépourvu ou que la proportion de sucre y serait descendue au-dessous de la moyenne, pendant les heures de repos de l'estomac. » Comme le rôle attribué au foie par M. Claude Bernard repose sur quatre données, savoir : 1° la présence constante du sucre dans le foie des animaux herbivores ou carnivores; 2° la présence non moins con- stante du sucre dans les veines sus-hépatiques; 3° l'absence du sucre dansle-angdela veine porte chez les animaux nourris avec de la viande; U° l'apparition momentanée du sucre dans le sang de la veine porte sous l'influence de la digestion des matières sucrées ou féculentes, votre Commission devait s'attacher à examiner si ces données étaient contes- tées et si elles l'étaient avec quelque raison. » Or de ces données il en est deux qu'on ne conteste pas, la première vt.la quatrième. Il est admis que le foie contient toujours du sucre, /nême chez les animaux carnivores. Il ne l'est pas moins que, sous l'in- fluence de la digestion des matières féculentes ou sucrées, le sang de la veine porte en contient aussi. » Reste donc à savoir si le sang de la veine porte contient ou non du sucre chez les animaux nourris de viande. A cet égard, les expériences de votre Commission lui ont semblé décisives. Elle n'a pas trouvé trace appréciable de sucre dans le sang de la veine porte d'un chien nourri à la viande crue. » Reste encore à décider si, indépendamment de la digestion des ma- tières végétales, le sang des veiues sus-hépaliques contient du sucre; si, sous l'influence de la digestion de ia viande. le sang de la veine porte APPENDICE. 504e en est dépourvu; si enfin, lorsque le sang de la veine porle n'en con- tient pas, celui des veines sus-hépatiques en contient au contraire. » Il suffît, pour éclairer tous ces points, d'examiner, comme l'a fait M. Claude Bernard, sur le même animal, le sang de la veine porte et celui des veines sus-hépatiques, sous l'influence de la digestion, après un repas uniquement composé de viande, succédant soit à une absti- nence prolongée, soit à quelques journées d'un régime purement animal. » Dans une expérience faite dans cette dernière condition, votre Commission s'est assurée que le sang de la veine porte ne renfermait pas trace de sucre, tandis que celui des veines sus-hépatiques en conte- nait des quantités parfaitement appréciables, ainsi que M. Claude Ber- nard l'avait annoncé. » Comme la difficulté se concentre tout entière sur ce point : — Y a- t-il ou non du sucre dans le sang de la veine porle pendant la digestion après un repas formé de viande, l'animal ayant été convenablement soustrait à l'influence d'une alimentation sucrée? — votre Commission a examiné, a\ ec tout le soin dont elle était capable, les produits extraits par M. Figuier du sang de la veine porte dans un animal sacrifié dans ces conditions, et où l'auteur croyait reconnaître la présence du sucre à l'aide du réactif Frommherz. Votre Commission n'en a pas trouvé en employant, il est vrai, la fermentation. » Ainsi tous les faits annoncés par notre confrère M. Claude Bernard, au sujet de la fonction qu'il attribue au foie, ont été vérifiés par nous, et nous ne pouvons qu'applaudir à la rare habileté du savant physio- logiste qui les a mis le premier en évidence. » Sur la question de doctrine, votre Commission n'avait pas à se prononcer. Le foie fabrique-t-il le sucre? Le fabrique-t-il aux dépens des éléments albumineux du sang? Le sucre serait-il, au contraire, un produit de la digestion des aliments ou de l'élaboration des éléments du sang pendant le cours de la circulation qui resterait masqué par la présence de quelque substance étrangère jusqu'à son arrivée au foie, chargé de le rendre libre? Ces questions méritent assurément d'être débattues, mais c'est à l'expérience seule à les résoudre définitivement, et nous verrions avec plaisir les jeunes savants qui les ont abordées persévérer dans leurs travaux. » Jusqu'ici, la doctrine professée par notre confrère paraît intacte. » Les recherches sur ce sujet important n'ont pourtant pas tout appris sans doute, et nous dirons ici à ceux qui voudront s'en occuper, qu'on 504d APPENDICE. ne doit pas accorder une confiance trop complète à d^s réactions sem- blables à celles qu'on obtient avec la dissolution de tartrate de cuivre dans la potasse. Tons ces phénomènes de coloration, de réduction pro- duits par des matières organiques* sont trompeurs et incertains. Lors- qu'on ne peut pas isoler le sucre en nature, il faut an moins s'assurer de sa présence par l'action du ferment et par le développement d'acide carbonique que la fermentation produit. Il faut, s'il se peut surtout, extraire l'alcool lui-même du résidu de la fermentation, comme l'a fait la Commission de l'Académie qui a examiné les travaux de M Bernard. » Votre Commission, sans entrer plus avant dans l'examen spécial des Notes que l'Académie lui a renvoyées, se borne donc à établir comme conséquence de son travail : » 1" Que le sucre n'a pas été appréciable dans le sang de la veine porte d'un chien nourri de \iande crue; » 2° Que la présence du sucre a été facile à constater, au contraire, dans le sang d«s veines sus-hépatiques recueilli dans le même moment sur le même chien. » Comme les Mémoires de M. Figuier, ceux de MM. Poggiale etLeconte, ont été publiés, l'Académie n'avait plus, d'après les règlements, à se prononcer sur leur mérite respectif; mais votre Commission a cru qu'il était de son devoir néanmoins de lui faire connaître le résultat de ses propres expériences sur le fond même de la question que ces savants ont étudiée. » {Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, 185o, t. XL, n° 25, 18 juin). TABLE DES MATIÈRES. Avant-propos v PREMIÈRE LEÇON. — Nature spéciale de l'enseignement du colle'ge de France comparé à l'enseignement des facultés. — De l'investigation physiologique. — Des faits et des théories en physiologie. — Des décou- vertes prévues et imprévues. — De la critique expérimentale. — Des faits contradictoires. — De la complexité des phénomènes physiolo- giques et des difficultés attachées à leur étude. — Applications des sciences physico-chimiques à la physiologie. ~— Applications de la physiologie à la médecine •. i DEUXIÈME LEÇON. — Union nécessaire de la physiologie et de la pa- thologie. — Application des découvertes physiologiques récentes à la pathologie. — Etudes physiologiques sur le diabète à propos des dé- couvertes sur les fonctions du foie. — Aperçu historique sur les théo- ries du diabète. — Toutes ces théories reposent sur un principe physiologique faux, à savoir, qu'il ne se formerait pas de sucre dans l'organisme animal. — - Il existe une fonction animale qui produit du sucre, et dont le diabète n'est qu'un état pathologique. — Caractères chimiques des matières sucrées animales et végétales. — Sucres de la première et de la deuxième espèce. — Réactifs propres à distinguer les sucres et à les reconnaître dans les divers liquides animaux. — Alcalis caustiques, réactif cupro-potassique , etc. — Fermentation, polarisa- tion. — Moyens propres à enlever la coloration et les matières albu- minoïdes aux liquides animaux qui renferment du sucre i/± TROISIEME LEÇON. — La production du sucre est un phénomène appartenant aux deux règnes des êtres vivants. — Les animaux for- ment de la matière sucrée. — Le foie est chargé de cette fonction glycogénique, qui jusqu'alors était restée inconnue. — Le foie de l'homme et des animaux renferme toujours de fortes proportions de 506 TABLE DES MATIÈRES. sucre à l'état physiologique. — Observation chez l'homme, expériences sur les animaux dans toute l'échelle zoologique. — Quantité de sucre contenu dans le foie. — Nature de ce sucre; son analogie avec le sucre de diabète. — Le sucre qu'on rencontre dans le foie est sécrété dans cet organe; il ne vient pas de l'alimentation. — Expériences à ce sujet. — Examen comparatif du sang avant et après le foie chez un earnivore. — Le premier sang ne contient pas de traces de matières sucrées, le second en renferme en grande proportion 49 QUATRIÈME LEÇON. — L'expérience force à conclure que le sucre se forme dans le foie. — Réfutation d'une prétendue localisation de la matière sucrée. — Le sucre existe dans le foie avant toute espèce d'alimentation. — La fonction glycogénique ne commence qu'à une certaine période de la vie intra-utérine. — Le sucre ne saurait se con- server longtemps dans le foie; cette matière disparaît bientôt quand on empêche le foie d'en produire. — La quantité de sucre ne varie pas dans le foie avec la nature de l'alimentation. — Il y a deux sécrétions dans le foie, la sécrétion biliaire et la sécrétion du sucre. — Ces deux sécrétions ne sont pas isochrones; elles semblent être indépendantes l'une de l'autre. -. — L'anatomie comparée parait appuyer cette vue. — Chez les Limaces, les deux sécrétions sont successives. — Chez les Arti- culés , les éléments anatomiques sécréteurs semblent distincts. — Chez lesMammifères, les éléments anatomiques sont confondus et mélangés. — Idée générale de la structure du foie chez les Mammifères. . . j5 CINQUIEME LEÇON. — Il y a deux sécrétions dans le foie, l'une externe, celle de la bile, l'autre interne, celle du sucre. — Le sucre est un pro- duit de sécrétion et non d'excrétion. — Il ne sort pas du sang, à l'état physiologique, et ne se trouve dans aucun liquide versé au dehors, pas même dans la bile. — Expériences contradictoires à ce sujet, causes d'erreurs. — Distribution de la matière sucrée dans l'organisme par le foie. — Dans l'abstinence, le sang n'est sucré que du foie au poumon; pendant la digestion, le sucre passe dans tout le sang, mais ne soit cependant par aucune sécrétion ou excrétion. — Ce sont les oscil- lations de la fonction sécrétoire du sucre qui est proportionnelle à la quantité de sang qui traverse le foie. — Ces oscillations physiologiques se retrouvent chez les diabétiques. — Schème représentant ces oscil- lations à l'état normal et pathologique. — Expériences sur le sang pris TABLE DES MATIÈRES. 507 dans différents vaisseaux, chez des Chiens à jeun et en digestion , pour prouver cette oscillation de la fonction glycogénique. — Le sang qui arrive par la veine cave inférieure dans le cœur droit est toujours sucré ; cathétérisme du cœur droit 1 oo SIXIÈME LEÇON. — La destruction comme la production du sucre est un fait commun au règne végétal comme au règne animal. — Circon- stances qui peuvent modifier la sécrétion du sucre. — Altérations de la substance hépatique. — Kystes. — Cancers. — Foies gras. — Influencés agissant sur la fonction glycogénique. — Influence de l'abstinence. — Cas des animaux hibernants qui ne doivent pas être considérés comme des animaux à jeun. — Influence de l'alimentation. — ■ In- fluence de l'alimentation graisseuse. — Influence de l'alimentation azotée. — Influence de l'alimentation féculente et sucrée. .... 1*23 SEPTIÈME LEÇON. — Le sucre provenant de l'alimentation ne passe pas à cet état dans la circulation générale. — Rôle du foie vis-à-vis des matières féculentes et sucrées. — Il les transforme en une sub- stance émulsive particulière. — Expériences comparatives. — Preuves diverses. — Sang chyleux. — Urines laiteuses. — Application au dia- bète. — Rôle de la circulation dans la production du sucre. — Phé- nomènes mécaniques. — Cas d'apparition accidentelle du sucre dans les urines. — Production artificielle de ce phénomène. — Critique de quelques expériences i48 HUITIÈME LEÇON. — Conditions anatomiques qui favorisent la circu- lation dans le foie. — Structure comparée de la veine porte et des veines hépatiques. — Mécanisme de la circulation hépatique. — Influence des maladies sur la sécrétion du sucre. — Influence des maladies aimiës sur l'état diabétique. — Influence' de la température sur la sécrétion du sucre. — Influence des enduits. — Influence du froid. — Expériences à ce sujet. — Influence de la chaleur. — Age et sexe. — Lactation 173 NEUVIEME LEÇON. — Examen comparatif du sang de la veine porte et du sang des veines hépatiques. — Globules. — Sérum et caillot. — Eau et matières solides. — Matières solides du sérum et du caillot. — Graisse. — Fibrine. — Albumine. — Sucre. — Conséquences de ces diverses modifications. — Température plus élevée du sang qui sort 508 TABLE DES MATIERES. du foie. — Expériences thermométriques à ce sujet. — Distribution de la chaleur dans l'organisme. — Théories anciennes de la calorifica- tion. — Examen d'expériences sur la température du sang dans les deux ventricules. — Expériences faites dans les conditions physiolo- giques. — Procédés opératoires. — Instruments employés. — Résultats de ces expériences: le sang du ventricule droit plus chaud que le sang du ventricule gauche 192 DIXIÈME LEÇON. — Destruction du sucre dans l'organisme. — Destruc- tibilité des diverses espèces de sucres. — Expériences comparatives à ce sujet. — Limites de la destructibilité du glucose dans l'organisme. — Résultats d'expériences. — Influence du degré de concentration de la dissolution. — Influence de la combinaison du sucre avec le sel marin. — Résultats d'expériences à ce sujet. — Influence de la saignée. — Nécessité que le sucre ne pénètre qu'en petites quantités à la fois dans l'organisme. — Réflexions sur la multiplicité des causes qui peuvent faire apparaître le sucre dans les urines à la suite des injections .'. a 209 ONZIEME LEÇON. — Du déversement du sucre dans le sang par le foie. — implication au diabète. — Conditions qui font apparaître le sucre dans le système circulatoire général. — Théorie de la combustion pulmonaire. ■- — Examen de cette théorie. — Objections. — - Découverte de la présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Circonstances de cephénomène. — Il devient inexplicable dans la théorie de la des- truction du sucre dans le poumon. — Expériences sur les sangs en contact avec différents gaz. — Théorie de la destruction du sucre par les alcalis du sang. — Théorie de la destruction du sucre par fer- mentation. — Preuves à l'appui. — Quelle est l'espèce de fermenta- tion qui s'opère ainsi. — Accidents qui suivent la production de l'al- cool dans le système circulatoire. — Vues sur les phénomènes chimi- ques de l'organisme. 225 DOUZIÈME LEÇON. — Examen du foie d'un supplicié. — Découverte sur la génération et les usages de la matière sucrée dans l'organisme. — Etude des conditions du développement des cellules organiques. — Levure de bière. — Nécessité de la présence d'une matière sucrée. — — Expériences sur le sérum. — Génération de cellules organiques spéciales. — Production de sucre dans des muscles et les poumons de TABLE DES MATIÈRES. 509 fœtus en voie de développement. — Cette production n'a pas lieu dans les autres tissus. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des fer- mentations. — Germination animale. — Rapprochement des animaux et des plantes au point de vue des phénomènes de développement. — Phénomènes de fermentation donnant lieu aux principales actions chimiques de l'organisme 241 TREIZIÈME LEÇON. — Examen de l'ancienne théorie de la production exclusive du sucre par les végétaux. — Point de vue de cette théorie vis-à-vis des questions physiologiques. — Erreurs de doctrines, de mé- thodes et de faits. —Expérience fondamentale pour la théorie de la pro- duction du sucre dans l'organisme animal. — Examen du sang avant et après le foie. — L'ancienne théorie n'en tient aucun compte. — De l'intervention de la chimie dans les questions physiologiques. — De la présence du sucre dans le sang. — Epoque de cette découver o. — - Conditions de la production de ce phénomène. — Théories de la dépuration du sang parle foie. — De la condensation du sucre dans le même organe. — Prétendues preuves à l'appui de ces manières de voir. — Contradictions. — Sophismes. — Erreurs 258 QUATORZIÈME LEÇON. — Analyse d'un nouveau travail critique sur l'origine du sucre dans l'organisme. — Sa liaison avec le précédent. — Action du système nerveux sur la production du sucre.— Expérience sur la section des pneumogastriques. — Des méthodes dans les sciences. — Méthodes à priori et à posteriori. — Exemples actuels. — Examen des résultats de l'expérience précédente 274 QUINZIÈME LEÇON. — Influence du système nerveux sur la sécrétion du foie. — i° Exagération de cette sécrétion par piqûre de la moelle allongée. — Instrument employé, procédé opératoire. — De l'élimina- tion du sucre par les diverses sécrétions. — Elimination par les reins, par la muqueuse stomacale. — Le sucre ne passe pas dans la salive. — Expériences chez les diabétiques. — Spécialité des différentes substances au point de vue de leur passage dans diverses sécrétions. — Sucre. — Cyanure jaune de potassium et de fer. — Iodure de po- tassium. — Passage du sucre dans l'estomac des diabétiques. — Limite de la quantité de sucre que peut contenir le sang sans passer dans l'urine. — ■ Résultat d'une expérience sur la piqiîre de la moelle al- longée chez un Lapin , . 288 510 TABLE DES MATIÈRES. SEIZIÈME LEÇON. — Présence du sucre dans le liquide céphalo-ra- chidien.— Remarques à ce sujet. — Diabète traumatique.— Présence du sucre dans les sérosités chez les diabétiques. — Passage du sucre dans la lymphe. — Conditions dans lesquelles ce passage s'effectue. — Chyle sucré du canal thoracique provenant du foie. — Du mé- canisme de l'action nerveuse sur la production du sucre. — Idées qui ont guidé dans la découverte des faits indiqués. — Expérience. 3o6 DIX-SEPTIÈME LEÇON. — Mécanisme de l'action nerveuse sur la sécré- tion glycogéuique. — Rôle du pneumogastrique. — Rôle du poumon. — Distribution des divers nerfs qui se rendent au foie. — Rôle de chacun d'eux. — Rôle de la moelle épinière. — Expérience sur la section des pneumogastriques entre le foie et le poumon. — Procédé opératoire. — La production du sucre continue. — Durée de l'effet de la piqûre de la moelle allongée. — Influence de la piqûre sur la circulation abdominale. — Rôle du grand sympathique dans la cir- culation d'un organe. — Action de ce nerf dans la région cervicale. — Procédé opératoire. — Résultats. — Distinction de la sécrétion et de l'excrétion 3 1 9 DIX-HUITIÈME LEÇON. — De la polyurie. — Elle est indépendante de la glycosurie. — Observations expérimentales à ce sujet. ■ — Autres procédés de production du diabète artificiel. — Par anéantissement du système nerveux cérébro-spinal: i° au moyen de l'empoisonne- ment par le curare; 2° par apoplexie suite de contusions cérébrales. — Expériences. — Diabète consécutif à l'éthérisation. — Examen des théories sur le diabète spontané et artificiel. — Réflexions sur la complication de ces phénomènes. - — Résultats de l'expérience faite à la leçon précédente 33y DIX-NEUVIÈME LEÇON. — Nouvelle expérience sur l'empoisonnement parle curare, et résultats de la précédente. — Expériences sur des Lapins. — Apparition du sucre dans les urines à la suite de l'intoxica- tion par le curare. — Autres phénomènes. — Réflexions sur la distinc- tion entre l'excitation et l'irritation. — Exemples et applications. — Perversion de la fonction glycogéuique. — Expériences à ce sujet.— Particularités de ces expériences. — Production spontanée du sucre dans le foie d'un animal mort dans certaines conditions. — Manuel opératoire de l'expérience. — Hypothèses sur la production de ce TABLE DES MATIÈRES. 511 phénomène. — Part de l'action nerveuse. — Part de la fermentation. — Résultais de l'expérience sur l'empoisonnement par le curare. 355 VINGTIÈME LEÇON. — Expériences sur des Lapins auxquels on coupe la moelle épinière au-dessus du renflement brachial. — Phénomènes singuliers produits sur le foie. — Hypothèses sur ces phénomènes. — Découverte de la production de la matière sucrée dans les muscles et dans les poumons du fœtus. — Acide lactique. — Moyens d'obtenir ce sucre du fœtus à une température basse. — Procédé pour obtenir l'acide lactique. — Tous les "tissus de l'embryon ne donnent pas du sucre. — Le sucre se forme aux dépens d'une matière albumineuse insoluble. — Preuves physiologiques. — Preuves chimiques. — Dé- couverte de Lehmann, qui transforme l'hématine en sucre 374 VINGT ET UNIÈME LEÇON. — Présence du sucre dans l'urine des fœtus. — Dans l'allantoïde. — Explication de ce phénomène. — Pro- priétés du sucre de muscles. — Transformations du liquide amnio- tique. — Usages du sucre dans la vie intra-utérine pour empêcher l'infiltration des tissus. — Expériences. — L'animal a constamment besoin de matière sucrée. — De la mort à la suite de la cessation des fonctions du foie. — Terminaison de quelques expériences com- mencées dans les séances précédentes. — Suite de l'expérience de la section des pneumogastriques entre le poumon et le foie. — Autopsie de l'animal. — Expérience sur la section des nerfs sympathiques qui se rendent au foie. — Réflexions sur la difficulté des expériences physiologiques 3g3 VINGT-DEUXIÈME LEÇON. — Application de la physiologie à la patho- logie du diabète. — Pathologie comparée. — Cas de diabètes signalés chez les animaux. — Organes malades dans cette affection. — Hyper- trophie des reins. — Hypertrophie des membranes de l'estomac. — De l'état du foie dans le diabète. — Atrophie du pancréas. — Pré- sence du sucre dans tous les organes chez les diabétiques morts subi- tement.— Désordres nerveux. — Les matières féculentes et saccha- roïdes ne sont-elles pas des excitants du foie. — Réaction d'autres organes sur le foie 4*° VINGT-TROISIÈME LEÇON. — Symptômes du diabète. — C'est une maladie apyrétique. — Caractères des urines, — Sucre. — Sucre de 5l!2 TABLE DKS MATIERES. lait, dans l'urine d'une femme récemment accouchée. — La présence du sucre dans l'urine suffit-elle pour caractériser le diabète? — Pré- sence passagère du sucre dans les urines. — Diabètes intermittents. — Aigus. — Alternants. — Continus. — De l'urée dans l'urine des diabétiques. — Acide urique. — Albumine. — Quantités des urines dans le diabète. — Leur rapport avec les boissons ingérées. — Obser- vation. — Boulimie et polydipsie. — Absence de la sueur. — Théories à ce sujet. — Phénomènes nerveux accompagnant le diabète. — Influence des féculents sur le diabète. — Influence des médicaments énergiques sur les symptômes du diabète 424 VINGT-QUATRIÈME LEÇON. — Revue succincte des objections faites à la découverte de la fonction glycogénique du foie. — Théorie de la for- mation du sucre aux dépens des matières grasses. — La formation de la matière sucrée ne serait pas localisée dans un point de l'organisme? — Réfutation de ces opinions. — Mémoire contre la fonction glyco- génique du foie. — Erreurs contenues dans ce travail. — Autre mé- moire dans lequel on a pour but d'établir que le réactif cupro-po- i tassique ne décèle pas toujours la présence du sucre quand cette dernière substance est mélangée avec l'albuminose. — Examen de cette opinion. — Expériences. — Liaison de ces deux travaux. — Le sang de l'artère hépatique ne contient pas de sucre. — Sucre formé par la glande mammaire, etc 442 VINGT-CINQUIEME LEÇON. — Travaux confirmatifs de la fonction glycogénique du foie. — Analyses du sang de la veine porte et des veines hépatiques, par Lehmann , communiquées à l'Académie des sciences. — Remarques à l'occasion de cette communication. — Figure schématique représentant l'ensemble de la production et de la diffusion du sucre dans l'organisme. — Résumé des faits qui établissent la fonction glycogénique du foie 4"1 Appendice » 479 FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES. COUNTWAY LIBRARY OF MEDICINE QP 71 RARE BOOKS DEPARTMENT