..•- * "^ v -4* n -1-7 ^ * ** '** ' > • . *♦ • f » ¥p^ \r -g t., ' \ '^XÂ^r^ ÂMV S ' jï, ftsJj LEÇONS DE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE TRAVAUX DU MEME AUTEUR Cours de médecine du Collège de France. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Paris, 1854-1855, 2 vol. in-8° avec figures 14 fr. Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Paris, 1857, 1 vol. in-8° avec figures 7 fr. Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-8° avec figures 14 fr. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations patho- logiques des liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in- 8° avec 22 figures 14 fr. Leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8° de 600 pages 7 fr. Leçons sur les anesthésies et sur l'asphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in-8° de 600 pages avec figures 7 fr. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fièvre. Pari-, 1876, 1 vol. in-8° de 472 pages avec figures. ... 7 fr. Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale. Paris, 1877, 1 vol. in-8°, VIII, 576 pages avec figures , 7 fr. Cours de physiologie générale du Muséum d'Histoire naturelle. Leçons sur les phénomènes de la vie, communs aux animaux et aux végétaux. Paris, 1878, 1 vol. in-8° de 450 pages avec 1 pi. colo- riée et 44 figures 7 fr. Tome II, 1 vol. in-8 de 500 pages avec 3 pi. gravées et 25 figures, sous presse. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 1855, 1 vol. in-8° de 400 pages. . . . . 7 fr. La science expérimentale, Paris, 1878, in-18 de 450 pages. 4 fr. Table des matières. — Discours de M. J. A. Dumas. — Notice par M. P. Bert. — Du progrès des sciences physiologiques. — Problèmes de physiologie générale. — Définition de la vie, les théories anciennes et la science moderne. — La chaleur animale. — La sensibilité. — Le curare. — Le cœur. — Le cerveau. — Discours de réception à l'Académie française. — Discours d'ouverture de la séance publique annuelle des cinq Académies. Précis iconographique de médecine opératoire et d'anatomïe chi- rurgicale, par Claude Bernard et Huette. Paris, 1873, 1 vol. in-18 jésus de 495 pages, avec 113 pi. fig. noires. Cartonné ....... 24 fr. Le même, fig. coloriées 48 fr. Fr. Magendie. Paris, 1856, in-8°. , 1 fr. COURS DE MEDECINE DU COLLÈGE DE FRANCE .ECONS DE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE PAR CLAUDE BERNARD Membre de l'Institut (Académie des sciences et Acade'mie française), Professeur au Colle'gc de France et au Muséum d'histoire naturelle. AVEC 116 FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÉRE et FIES Rue Hautefeuille , 19, près le boulevard Saint-Germain. Londres Baillière, Tindall and Cox. Madrid G. Bailly-Baillière. 1879 Tous droits réservés. / PRÉFACE Depuis près de vingt années (i) Claude Bernard avait conçu le plan d'un ouvrage dogmatique de Physiologie opératoire. Voici ce qu'il en dit dans les notes retrouvées par son préparateur, M. d'Arsonval. « Cet ouvrage sera disposé en trois parties : » La première partie renfermera les procédés opéra- toires pour arriver à la localisation des divers phéno- mènes fonctionnels de l'organisme. Ici le cadre du sujet sera essentiellement anatomique : ce sera de la physiologie descriptive. Je donnerai des types d'expé- riences dans lesquels seront exposés les principes du déterminisme expérimental. » La deuxième partie contiendra les moyens d'étude propres à rechercher X explication des phénomènes. Ici (1) Environ depuis 1858 (voy. la préface aux leçons de pathologie expé rimentale., p. vi). VI PRÉFACE. le cadre ne sera plus anatomique à proprement parler; il s'agira des propriétés des éléments et des liquides organiques, des phénomènes physico-chimiques de l'organisme, dans lesquels l'anatomie ne dit ordinai- rement rien. » La troisième partie comprendra les études relatives à Y expérimentation pathologique et thérapeutique ou toxicologique . » Ce vaste projet avait depuis longtemps reçu un commencement d'exécution, par ce fait qu'une partie des leçons professées chaque année au Collège de France étaient consacrées à des études de technique expérimentale. Mais ce n'est qu'en 1873 que Claude Bernard s'at- tacha à réaliser son projet sous une forme définitive, c'est-à-dire à publier cet enseignement technique; il voulut bien nous confier à cet effet la rédaction de ses leçons, ainsi que la direction des artistes chargés d'exécuter les dessins représentant soit des appareils, soit des préparations anatomiques , soit même des installations complètes d'expériences. C'est ainsi que furent rédigées, sous les yeux du maître, revues et corrigées par lui les vingt pre- mières leçons que renferme ce volume, et qui onttrait aux généralités sur la physiologie opératoire, à la PRÉFACE. VII préhension et à la contention des animaux, aux opé- rations d'un usage général dans les vivisections, et enfin aux vivisections qui portent en particulier sur l'appareil circulatoire. — Le manuscrit de cette série de leçons nous reste comme un précieux modèle, car chaque page porte les marques du soin avec lequel l'illustre physiologiste avait voulu veiller aux plus petits détails, aux moindres indications pratiques, modifiant lui-même la place et l'explication des figures , retouchant la description d'un appareil , précisant le maniement d'un instrument. Bien souvent la rédaction de tel chapitre fut inter- rompue, parce qu'il fallait revoir les expériences, chercher à les simplifier, à les condenser, pour ainsi dire, dans une forme définitive, plus pratique et plus apte à devenir pour telle ou telle question de physio- logie un type classique de démonstration. Ainsi, notam- ment, furent reprises dans ces dernières années les expériences sur la température du sang, à l'aide des sondes thermo-électriques du docteur d'Arsonval, et l'étude de ces derniers perfectionnements était à peine achevée lorsque Claude Bernard fut si brusquement enlevé à la science. C'est grâce aux notes qu'a bien voulu nous communiquer M. d'Arsonval à ce sujet que nous avons pu donner à cette importante question VIII PRÉFACE. de la topographie calorifique les développements qu'elle devait comporter. Dans la pensée de Claude Bernard, après l'étude de l'appareil circulatoire devait venir celle de l'appareil de la digestion, et les leçons de l'année 1877-1878 devaient être consacrées à ce sujet : on sait que cette série de leçons fut à peine commencée, et qu'après avoir donné dans quelques séances les considérations générales et historiques du sujet, notre regretté maître dut interrompre son Cours pour ne plus le reprendre. Mais dans une série de leçons précédentes, recueillies et publiées en anglais dans le Médical Times and Gazette par M. le professeur Benjamin Bail, Claude Bernard avait déjà traité de la technique opératoire spéciale aux recherches sur la physiologie du tube digestif; ces cours, publiés d'abord à l'étranger, se composaient en effet de deux ordres de leçons alternatives et distinctes : les unes, de pathologie expérimentale, ont depuis été publiées en français sous ce titre; les autres, consa- crées à la physiologie opératoire des glandes salivaires, de l'œsophage, de l'estomac et du pancréas, n'étaient connues que des lecteurs du journal anglais. M. Gaston Decaisne, interne distingué des hôpitaux de Paris, en a fait la traduction avec un soin qui sera apprécié. En les reproduisant aujourd'hui, nous complétons heu- PHÉFACE. IX reusement ce volume, dans l'ordre et avec les maté- riaux dont Claude Bernard se proposait de le remplir. Quelque différent que soit ce volume de ce qu'il devait être s'il nous eût été donné de l'achever sous la dictée du maître, nous nous sommes fait un devoir de le publier, composé des éléments que nous venons d'indiquer. En effet, ce traité de Physiologie opératoire était l'une des œuvres projetées sur lesquelles Claude Bernard reportait le plus constamment sa pensée : il en avait, à notre connaissance, refait quatre ou cinq fois le plan; il avait écrit pour lui un nombre égal d'intro- ductions et de préfaces, laissées incomplètes, jetées par fragments épars ; l'une de ces introductions nous a cependant paru assez complète pour être conservée et servir d'introduction à ces leçons ; sans doute les considérations générales, qui sont indiquées sous forme de notes concises bien plutôt que développées dans ces pages rapides, ces considérations, par la hauteur de vue à laquelle elles s'élèvent, paraîtront singulièrement en disproportion avec les sujets techniques traités dans ce volume; mais n'oublions pas qu'en réalité cette introduction était destinée à un ouvrage en trois par- ties, dont les deux dernières devaient entrer dans les questions les plus délicates de l'analyse de la vie. X PRÉFACE. Sans ajouter à la gloire de Claude Bernard, ce volume contribuera à propager les principes de cri- tique et de discipline expérimentale dont depuis long- temps il se préoccupait dans son enseignement; aussi le sentiment d'avoir contribué à la vulgarisation des idées de l'illustre physiologiste sera-t-il toujours le plus glorieux et le plus cher souvenir de son élève. Paris, le 15 décembre 1878. Mathias DUVAL. L'expérimentation est indispensable pour connaître les phénomènes de la vie; l'observation ne saurait suf- fire. L'observation et l'expérimentation ne se distinguent pas en réalité; elles se succèdent : l'observation com- mence et l'expérimentation pousse plus loin l'étude du phénomène jusqu'à la connaissance de ses causes immé- diates ou de son déterminisme. L'observation comme l'expérimentation a un double but : 1° Localiser les phénomènes de la vie (géographie des fonctions) ; 2° Les expliquer. C'est comme dans l'histoire : il faut décrire la scène, le théâtre des événements (géographie), puis exposer les événements et le rôle des acteurs qui s'y meuvent. A. — Les anciens physiologistes semblaient croire que la localisation des fonctions était tout. Quand on avait localisé anatomiquement une fonction ou une maladie, on croyait avoir atteint le but suprême. La fonction s'expliquait ensuite par une entité, force vitale, propriété vitale, etc.. B. — La science moderne a montré qu'il n'en est XII INTRODUCTION. point ainsi. Quand on a localisé la fonction, il faut descendre dans son explication qui est d'ordre physico- chimique spécial, C'est là, pour ainsi dire, que la physiologie commence réellement et que la physiologie générale a son domaine. Ici l'histologie est une science nécessaire, car il s'agit de la physiologie des éléments, de leurs phénomènes de nutrition, etc. L'expérimentation appliquée aux sciences biologiques présente à considérer plusieurs principes fondamentaux. 1° Le déterminisme existe dans tous les phénomènes de la vie comme dans ceux dont les corps bruts sont le théâtre. Par conséquent, la méthode expérimentale qui sert à l'investigation physiologique repose sur les mêmes principes que celle qui sert à l'investigation des phéno- mènes physico-chimiques. 2° Le but de l'expérimentation biologique est de loca- liser, décrire et expliquer les phénomènes de l'orga- nisme vivant. Les localisations sont des nécessités des mécanismes organiques : mais elles ne sauraient être absolues. En effet, dans les organismes inférieurs, où il n'y a pas de mécanismes organiques, rien n'est localisé, tout se ré- duit aux propriétés nutritives générales. Dans les orga- nismes supérieurs, il n'en est plus de même; mais encore là il y a des vicariats. Ainsi le rein expulse l'urine, mais l'intestin pourrait le suppléer ; d'autre part, les organes se régénèrent, c'est-à-dire que l'orga- nisme tend toujours à reconstituer son unité. Dans les INTRODUCTION. XIII systèmes vasculaire, nerveux, les localisations sont par- fois très-difficiles. C'est là une question importante en médecine et en physiologie. Les localisations sont le but poursuivi, parce qu'on croit à la relation entre la forme et la fonction, ce qui n'est pas absolu. U explication des phénomènes vivants doit toujours être ramenée à des lois, à des propriétés, à des condi- tions, à des phénomènes physico- chimiques. Seulement ces phénomènes physico-chimiques sont de nature spé- ciale. Ils ont des organes spéciaux, quoiqu'ils rentrent dans les lois physico-chimiques générales. Ce sont des ferments, des noyaux de cellules, etc., en un mot des instruments chimiques qui n'existent que dans les êtres vivants. Pour les phénomènes organiques ou histologiques, il il n'y a pas nécessairement relation entre la morphologie et laphénoménalité. De même que la vie reste identique dans toutes les formes d'organismes, de même les pro- priétés de la vie sont identiques dans des éléments orga- niques de forme différente, ce qui prouverait que ce n'est pas à la morphologie, mais à la fonction chimique que la propriété se trouve liée. La forme, en effet, ne saurait rien dire pour caractériser les ferments, les agents les plus importants de l'économie vivante. Le protoplasma, qui paraît être la substance vitale par excellence, n'a aucune forme déterminée. Je pense même que les liquides organiques sont vivants, à moins qu'il n'y ait des granulations moléculaires d'une ténuité extrême. XIV INTRODUCTION. Il y a dans les organismes deux côtés essentiels à con- sidérer, au point de vue des phénomènes dont ils sont le siège. 1° Il y a une force atavique, vitale, comme on voudra l'appeler, en vertu de laquelle les organismes se suc- cèdent, se répètent, vivent sans que nous puissions saisir l'origine de cette force première. Le Darwinisme, en admettant que les mécanismes vitaux peuvent avoir une évolution qui les fasse tous procéder les uns des autres, n'explique rien et ne dit rien relativement à cette force première, qui reste tout aussi incompréhen- sible pour nous. Le Darwinisme, c'est la théorie cellu- laire appliquée aux organismes. Tous les tissus pro- viennent d'une cellule ; on voudrait que tous les organismes procédassent d'un proto-type. Il ne s'agit que de le prouver. On ne peut échapper à l'idée que cette force ata- vique, vitale inconnue est la cause cachée de tous les phénomènes de la vie. Mais c'est là une cause ft ordre métaphysique qui n'a aucune action par elle-même. Elle pourrait à la rigueur être regardée comme une résultante; mais elle ne possède aucun etfet rétroactif sur l'organisme qui l'aurait engendrée. 2° Toutes les causes ou toutes les conditions actives sur l'organisme sont d'ordre physico-chimique. Sans ces conditions matérielles, la condition atavique d'ordre métaphysique reste inerte, cachée et comme si elle n'existait pas : c'est une force dormante. Dans la méde- cine, il y a une foule d'entités métaphysiques, fièvre, génie morbide, etc. ; on ne peut pas agir sur ces entités, INTRODUCTION. XV on ne peut agir que sur le physique et par le phy- sique. On peut dire, en un mot, qu'il y a dans les orga- nismes deux forces : La force législative, métaphysique ; la force executive, physico-chimique. Or, nous ne pouvons saisir dans nos études que les forces executives physiques, les autres étant purement subjectives, en dehors de notre portée et sans effet rétroactif. On peut dire comme conséquence de la proposition précédente : La physique agit sur la métaphysique, mais jamais la métaphysique n'agit sur la physique. Critique expérimentale. — C'est en vertu des prin- cipes indiqués ci-dessus qu'on peut essayer de fonder aujourd'hui la critique expérimentale qui repose : 1° sur le déterminisme, comme principe scientifique absolu, tandis que les théories sont relatives. 2° La critique repose également sur un autre principe fonda- mental : la spécialité des agents physico-chimiques dans l'organisme. C'est le principe que j'appellerai : principe du vitalisme physico-chimique. 3° Un troisième principe est celui de la mobilité excessive des phéno- mènesvitaux, qu'il faut distinguer en phénomènes syn- thétiques ei eu phénomènes analytiques ou fonctionnels. Cette mobilité des phénomènes exige l'instantanéité et la simultanéité dans les expériences comparatives, qui sont toujours le critérium le plus sûr. 4° Il faut savoir aussi que, lorsque l'organisme est disloqué, troublé par une maladie ou autrement, les phénomènes synthétiques XVI INTRODUCTION. s'arrêtent, tandis que les phénomènes analytiques ou de décomposition continuent et même s'accélèrent. Il en est de même après la mort : les phénomènes syn- thétiques s'arrêtent, mais les phénomènes de désassi- milation continuent. Ex. : foie, ferments digestifs, etc. ; c'est là un principe important. 5° Il y a autonomie des tissus et des éléments, mais in situ, ce qui prouve qu'il y a des territoires spéciaux dans l'organisme. Là-dessus sont fondées des méthodes expérimentales : circulations artificielles, empoisonnements partiels, etc. Conclusion. — Aujourd'hui il faut fonder la critique expérimentale pour débarrasser la physiologie des expé- riences qui l'encombrent et qui retardent sa marche. Magendie a été l'initiateur de l'expérimentation sur les êtres vivants ; aujourd'hui il faut créer la discipline, la méthode. Elle repose sur les principes que nous avons exposés et qu'on pourrait développer beaucoup plus. Ce livre ne sera que le développement des idées contenues dans cette Introduction. Claude BERNARD. LEÇONS DE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE PREMIÈRE PARTIE LA PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET LES VIVISECTIONS EN GÉNÉRAL PREMIÈRE LEÇON Sommaire : Nécessité d'établir une technique opératoire en physiologie. — Plan de ces Leçons. — De la plujsiologie et de ses rapports avec la méde- cine.— De l'expérimentation en physiologie. — Difficultés des expériences. — De l'empirisme. — Des sciences pures et des sciences appliquées. La médecine est une science appliquée. — Des progrès de la physiologie. — De son caractère scientifique. Messieurs, Les leçons dont nous reprenons et poursuivons aujourd'hui la série doivent avoir un caractère essen- tiellement pratique. Nous avons, en effet, l'intention de répéter devant vous, dans un ordre déterminé, toutes les expériences physiologiques acquises définitivement à la science, atin de vous expliquer les principes de la méthode expérimentale. Les motifs qui m'ont engagé à suivre cette voie dans mon enseignement dérivent de la nature même de la science expérimentale. Il est CL. BERNARD. — PHYS. OPÉR. 1 2 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. impossible, en effet, d'enseigner convenablement cette science sans avoir recours aux expériences. Or, c'est là une condition qui ne peut jamais être complètement réalisée dans un ensemble de leçons ordinaires. Et ce n'est qu'en consacrant des leçons spéciales à cet objet qu'on est à même d'initier l'étudiant aux principes de l'investigation expérimentale. Pour devenir un physio- logiste, comme pour devenir un chimiste ou un phy- sicien, il faut vivre dans le laboratoire. Malheureu- sement nous sommes trop peu pourvus en France de ce genre d'établissements, si communs en Allemagne, où Ton forme réellement de jeunes observateurs. Notre intention est actuellement de suppléer à ce desideratum. La liberté absolue dont nous jouissons au Collège de France nous a permis d'entreprendre cette tâche. En biologie, l'expérimentation rencontre des diffi- cultés beaucoup plus grandes que celles qui peuvent entraver le physicien ou le chimiste. Il suffit pour ces derniers de se placer dans des conditions déterminées à l'avance, toujours identiques, pour obtenir les mêmes résultats. Le physiologiste, au contraire , obligé de lutter contre les embarras créés par les expériences elles-mêmes, ne réussit pas toujours à surmonter toutes les difficultés qui entourent une opération pratiquée dans un milieu vivant. Le seul moyen d'obvier à ces difficultés consiste à donner une définition exacte du modus faciendi. Sans cette précaution, on n'arriverait jamais à des résultats propres à établir des comparaisons et des rapproche- ments. C'est pourquoi nous pouvons donner aux études DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 3 qui vont suivre le titre de Leçons de physiologie opératoire . Après les quelques indications qui précèdent, l'intro- duction à l'étude de la physiologie opératoire ne com- porte pas des généralités très-étendues : il est cependant indispensable de préciser encore plus nettement l'impor- tance du sujet et les raisons qui nous l'ont fait choisir. La physiologie est la science de la vie : elle doit servir de base à toutes les autres sciences biologiques, et en particulier à la médecine. Mais la physiologie est-elle en effet arrivée à un point de développement, à un état de fixité, qui lui permette de servir de point de départ aux sciences qui doivent en dériver? C'est ce que nous allons examiner. Toutes les sciences ont commencé par l'observation. Pour ce qui est de l'étude des êtres vivants, on a cherché d'abord à se faire sur la nature des phéno- mènes de la vie des idées entièrement hypothétiques, qui ont successivement disparu devant l'observation directe, à laquelle on est revenu de plus en plus tous les jours. On s'est d'abord demandé si les êtres vivants sont de même nature que les corps bruts ; on croyait volontiers à l'existence d'un principe qui se trouverait en eux et nulle part ailleurs; c'était la vie. On retrouve encore dans la Physiologie de Burdach (1 ) le reflet de ces tendances. Après avoir étudié les fonctions des organes, Burdach se demande si les données acquises nous mettent en état de résoudre le problème de la vie. — Buffon lui-même était porté à croire que dans la com- (1) Burdach, Traité de physiologie considérée comme science d'observation, trad. par A. J. L. Jourdan. Paris, 1837-1841. 4 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. position des corps vivants entre un principe chimique, qui leur serait particulier et qu'on ne trouverait pas dans les corps bruts. Mais la chimie moderne a démontré, par la balance, qu'en dehors des principes minéraux on ne trouve rien de particulier comme élément consti- tuant des organismes vivants. Reconnaître ce fait, c'est reconnaître que la méthode expérimentale s'applique aussi bien aux corps vivants qu'aux corps bruts ; c'est reconnaître que les phéno- mènes de la vie sont soumis à des lois comme les phé- nomènes de la physique et de la chimie; c'est recon- naître que la physiologie constitue réellement une science, une science rigoureuse. Nous nous occuperons donc cette année de technique expérimentale. En même temps, les études différentes que nous entreprendrons successivement à ce point de vue nous amèneront, par la diversité des faits passés en revue, à des notions plus précises de physiologie générale; nous verrons que les phénomènes de la vie se prêtent à la méthode expérimentale tout aussi bien que les phénomènes qui font l'objet des autres sciences, telles que la physique, -la chimie, etc.; nous verrons, en un mot, et c'est là une notion générale qui domine toutes les autres, nous verrons que, par cette méthode, il nous est possible de pénétrer dans l'analyse de la w"#, et qu'il n'est pas vrai de considérer l'expérimentation, ainsi que le disait Cuvier, comme troublant les phéno- mènes vitaux, au point d'en dénaturer les manifestations et d'égarer celui qui cherche à en saisir l'essence. Du reste, nous devons le déclarer dès maintenant, l'expéri- DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 5 mentation ne nous révélera nullement l'essence de ces phénomènes : elle nous permettra de préciser les condi- tions dans lesquelles ils se produisent, de déterminer leurs causes médiates; mais quant aux causes immé- diates, quant à leur nature intime même, nous ne saurions espérer de nous en rendre compte, pas plus que la chimie ou la physique ne pénètrent la nature intime des phénomènes, dont elles savent cependant définir les causes et les conditions déterminantes. Cette importance de la méthode expérimentale dans l'étude des phénomènes de la vie est aujourd'hui géné- ralement reconnue; en voyant combien cette méthode est maintenant l'objet d'applications constantes, on a même peine à se rendre compte des obstacles qu'elle a rencontrés dès le début. Mais ces efforts généraux, dans la voie expérimentale, portent en eux-mêmes leur dan- ger : si tout le monde est aujourd'hui d'accord sur le principe, il s'en faut de beaucoup que les applications particulières soient aussi bien comprises. On fait des expériences : on en fait beaucoup, sur toutes les ques- tions et dans tous les sens. Mais ces expériences sont- elles conduites d'après des règles rationnelles? Les résultats obtenus sont-ils rigoureusement interprétés d'après une détermination exacte des conditions expé- rimentales réalisées? Nous croyons que trop souvent il n'en est pas ainsi. C'est pourquoi, après avoir longtemps lutté pour l'introduction de la méthode expérimentale dans l'étude des phénomènes vitaux, et après avoir vu le succès couronner nos efforts dans ce sens, nous croyons qu'il nous reste encore plus à faire : après avoir 6 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. contribué à établir le principe, nous devons chercher à en régler les applications par des préceptes propres à établir la critique des diverses expériences et à fixer les procédés à suivre dans un certain nombre de recherches prises comme types. — Tel sera l'objet de ce cours. Ce qu'il faut aujourd'hui, ce n'est plus établir la nécessité des expériences, c'est constituer une disci- pline expérimentale qui précise et les circonstances et les conditions de toute bonne recherche. L'étude de ces moyens est plus importante qu'on ne le croirait à priori. Ils sont une des conditions indispen- sables pour arriver à cette physiologie expérimentale scientifique qui est l'objet de tous nos efforts. Les incer- titudes actuelles de la physiologie ont découragé bien des expérimentateurs. Eschricht, qui s'était d'abord livré à la physiologie expérimentale avec succès, l'a abandon- née pour se livrer à l'anatomie comparée, qui, par sa méthode rigoureuse et ses résultats positifs, lui semblait plus propre à satisfaire son esprit. Jean Muller était arrivé au même résultat vers la fin de sa carrière scien- tifique : frappé de l'incohérence des résultats fournis par les expériences, il finit par s'adonner uniquement à la dissection des animaux inférieurs. Nous pourrions encore citer l'exemple de Tiedemann. Hâtons-nous de dire que nous ne sommes pas de ceux qui se laisseraient encore décourager par les incertitudes actuelles de la science. S'il y a eu, s'il y a encore tant de fluctuations, elles tiennent au défaut de méthode, à l'absence complète de discipline dans l'expérimentation. Il faut donc poser les règles qui serviront à faire de DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 7 bonnes expériences, et, dans ce but, aucun détail pra- tique ne doit nous paraître insignifiant ou d'une trop mince importance. Nous ne craignons pas de le dire, rien n'est plus difficile que les expériences de physiolo- gie ; aussi, par manque de méthode et d'études prépa- ratoires, nous voyons des expérimentateurs improvisés arriver à des résultats en apparence contradictoires. Il faut bien le dire aussi, ce défaut de méthode remonte, jusqu'à un certain point, à Magendie. Ce grand expéri- mentateur était essentiellement empirique; il ne voulait , même pas qu'une idée mère dirigeât les expériences ; celles-ci devaient venir s'entasser, sans vues précon- çues, et, une fois accumulées, elles devaient pour ainsi dire parler d'elles-mêmes. C'est ainsi que toute une école médicale entassait les observations cliniques, sans idée à priori, sans but entrevu d'avance, avec l'espoir que la vérité sortirait d'elle-même de ces richesses scientifiques laborieusement et patiemment acquises. Magendie a été lui-même victime de cette méthode, ou plutôt de ce manque de méthode ; il est arrivé parfois à des résultats en apparence contradictoires. Ce n'est pas à dire qu'il faille s'abandonner à la véri- fication obstinée d'une idée préconçue ; entre ces deux extrêmes se trouve un milieu légitime, c'est le domaine de X expérimentation rationnelle. Peut-être se deniandera-t-on comment cette étude de technique et de critique expérimentale se rattache au titre de l'enseignement de cette chaire? Car, vous le savez, le programme de notre enseignement com- porte un cours de médecine , et, quoique la nature 8 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. môme de l'institution du Collège de France donne au professeur la latitude la plus large dans le choix de son sujet, il nous faut faire ici de la médecine, puisque c'est là le titre de notre chaire. Eh bien! messieurs, j'espère vous faire facilement comprendre que ces études de technique et de critique expérimentale se rapportent directement à la médecine, et qu'elles représentent même la seule forme sous laquelle, dans l'état actuel de nos connaissances, la médecine puisse être professée au Collège de France. Qu'est-ce donc que la médecine? Cette question vous étonne par sa simplicité ; mais en consultant les diverses définitions qui ont été données de la médecine, vous verrez qu'il n'est pas inutile de chercher tout d'abord à bien s'entendre sur ce sujet : en effet, les uns en font une science, d'autres un art, d'autres la regardent comme une demi-science, tenant à la fois de la science pure et de l'art (Trousseau) ; d'autres en font une science conjecturale (Cabanis), associant ainsi deux mots qui sont incompatibles l'un avec l'autre. Si ceux qui ont cherché à définir la médecine par une formule ne par- viennent pas à s'accorder, tâchons du moins de nous entendre, et, renonçant pour le moment à toute défini- tion, examinons simplement l'état des choses. Nous dirons d'abord que la médecine n'est, à nos yeux, ni une science, ni un art. Ce n'est pas un art, car l'art suppose une œuvre. Où est l'œuvre du médecin? Est-ce le malade? Sans doute, le médecin le réclamera comme son œuvre quand il guérit, mais que sera-ce quand le malade DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 9 meurt? Du reste, même quand le malade guérit, le plus habile praticien n'avoue-t-il pas qu'il n'a été le plus souvent que le collaborateur de la nature? Aussi beau- coup d'auteurs ont-ils défini la médecine en disant non pas que c'est Y art de guérir , mais simplement que c'est la curation des maladies, laissant ainsi indéterminée la part qui revient au médecin et la part qui revient à la nature. Le mot d'Ambroise Paré est bien connu : « Je le pansai, Dieu le guarit.» — D'autre part, si nous nous en rapportons à ce qu'en général on désigne sous le nom A' art, nous voyons que l'art consiste en des créations de l'esprit dont les procédés peuvent arriver très-primitivement à un degré de perfection qui défie tout progrès, et que l'art diffère ainsi de la science, laquelle a pour nature même un progrès inces- sant. Ainsi les sciences modernes ont laissé bien loin derrière elles la science grecque; mais l'art grec, de l'aveu de tous, n'a pas été dépassé par l'art moderne. A ce point de vue, la médecine ne saurait être un art, car elle a fait bien des progrès depuis le Grec qui a reçu le nom de père de la médecine, et il est permis d'affirmer que ces progrès ne sont encore rien, à côté de ceux qu'elle est appelée à faire. Ce n'est pas non plus une science, du moins à son état actuel d'évolution et dans le sens qu'on donne généralement au mot science. La médecine est une application de diverses sciences : c'est une profession qui met en pratique des données théoriques réellement scientifiques. Mais il ne faut pas confondre la pratique . et la théorie. Sous ce rapport, l'École où est enseignée 10 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. la médecine diffère complètement des autres Facultés, et, en précisant cette différence, il sera facile de com- prendre la distinction sus-indiquée. A la Faculté de droit, par exemple, on enseigne le droit, c'est-à-dire la théorie ; mais on n'enseigne pas l'art de plaider, c'est-à-dire la pratique ; à la Faculté des sciences il est des cours de chi- mie, de physique, mais aucun enseignement n'est consa- cré aux diverses applications industrielles de ces sciences pures. — Au contraire, l'École de médecine donne un enseignement qui comprend à la fois les notions pure- ment scientifiques, en même temps qu'il prépare aux né- cessités de la pratique, aux applications de ces notions; c'est même par ce côté pratique qu'on définit le plus généralement la médecine en l'intitulant fart ou la science de guérir. Or, définir une science par ses appli- cations, c'est méconnaître absolument le caractère des sciences et la règle absolument générale qui fait qu'on les caractérise précisément par leur côté théorique pur; on définit la géométrie, la science qui nous apprend à connaître l'étendue considérée comme ligne, surface et corps, et on ne la définit pas comme l'art de mesurer les surfaces et les lignes; ceci est Tarpenta^e, qui n'est qu'une application de la géométrie. On définit la physique et la chimie, la science qui nous apprend à connaître les propriétés des corps, et non la science de construire tel appareil thermométrique ou de produire tel composé chimique industriel. En un mot, je le répète, on ne définit jamais les sciences par leurs applications pra- tiques, mais par leurs données théoriques. Mais la médecine a eu une origine éminemment pra- DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE 11 tique : s'il n'y avait jamais eu de malades, il n'y aurait jamais eu de médecin ; celui-ci n'a existé tout d'abord que pour répondre à la nécessité pratique, et par suite la médecine n'a été jusqu'à présent définie que par cette pratique même. Mais ce n'est pas à dire que ce côté pratique doive toujours exister seul ; nous le disons hardiment, et les explications dans -lesquelles nous allons entrer vous le feront comprendre, la médecine théorique devra prendre à son tour son existence, existence indépendante et réelle ; ce sera la médecine scientifique, la médecine sans malades, c'est-à-dire au- dessus de toutes les considérations pratiques. Pour le moment la médecine, telle qu'elle existe, est une profession qui applique les données théoriques d'une série de sciences diverses; c'est ainsi que l'agriculture consiste dans l'application des données théoriques de la botanique, de la physiologie végétale, de la chimie, de la géologie, mais il n'y a pas une science qui soit l'agri- culture. De même, si vous parcourez le programme des cours de la Faculté de médecine, vous verrez qu'il n'est pas une chaire dont l'enseignement soit consacré à une entité scientifique répondant au mot abstrait de méde- cine: ici on enseigne l'anatomie, ailleurs la physiologie, ailleurs la chimie, la physique, l'anatomie pathologique, la pathologie, etc., etc., et c'est seulement l'application des notions puisées à ces diverses sources scientifiques qui constituent la médecine tout entière. On s'étonnait, dans un rapport officiel, que les diffé- rentes parties que contient l'enseignement de la méde- cine fussent distribuées à l'École de médecine en plus 12 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. de trente cours différents, et que le Collège de France, dans sa seule chaire, intitulée simplement Cours de médecine, semblât appelé à donner par un seul homme l'enseignement que se partageaient ailleurs tant de pro- fesseurs spéciaux. C'est au contraire que le titre de Cours de médecine indique ici que le professeur est appelé à choisir parmi les nombreuses sciences qui toutes contribuent à l'enseignement médical ; et, en effet, la chaire de médecine, l'une des premières créées lors de la fondation du Collège de France, a été suc- cessivement consacrée à l'étude de toutes les branches qui constituent le faisceau des connaissances médicales: elle a été occupée par des anatomistes, comme Ferrein; par des hygiénistes, comme Halle ; par des botanistes, comme Tournefort; par des anatomo-pathologistes, comme Laennec; par des physiologistes, comme Magendie. On a donc trouvé ici toutes ces branches, anatomie, physiologie, histoire naturelle, etc., repré- sentées successivement, comme elles le sont simultané- ment à l'École de médecine. Seulement ces choix suc- cessifs de telle ou telle branche n'ont pas été faits au hasard ; ils ont porté à chaque époque sur les sciences dont les progrès étaient dans le rapport le plus intime avec ceux des connaissances médicales. C'est ainsi qu'aux purs anatomistes ont succédé les anatomo- pathologistes, qui, comme Laennec, ont fait faire un pas immense à la connaissance des maladies et aux procédés de diagnostic. Si depuis Magendie nous choisissons la physiologie comme objet de notre enseignement, c'est que cette DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 13 science est aujourd'hui celle qui porte les plus vives lumières dans les connaissances médicales ; c'est elle qui est appelée à faire sortir la médecine de l'empirisme pur et à en faire une véritable science. Voyons donc ce qu'a été la médecine depuis ses débuts et ce qu'on peut espérer qu'elle sera un jour. La médecine a été et devait fatalement être, à ses débuts, purement empirique; tels ont, du reste, été les débuts de toutes les sciences les plus nettement consti- tuées aujourd'hui. L'art de faire du verre existait avant qu'on connût ce que c'est que les silicates, avant que la chimie scientifique eût pris naissance ; de même pour la métallurgie, qui constituait une des industries les plus avancées bien des siècles avant que la chimie des métaux fût constituée ; on avait construit des instruments d'optique grossissant et des télescopes, avant de con- naître les plus simples lois de la réfraction de la lumière, avant que la science physique fût constituée. De môme il a fallu que l'homme, en présence des maladies, aiguil- lonné par le danger, cherchât des moyens d'éviter ces maladies, et des agents plus ou moins heureux pour les combattre, avant de se rendre compte soit de la nature de ces agents, soit de la nature des phénomènes contre lesquels ils étaient employés. Mais cet état empirique, commun à toutes les sciences à leur début, s'est pro- longé pour la médecine plus longtemps que pour toutes les autres sciences ; cet état est encore en grande partie aujourd'hui celui de la médecine, tant sont complexes les connaissances diverses appelées à la constituer. Cependant, il est bien reconnu aujourd'hui que la 14 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. médecine, outre son côté pratique, a aussi son côté théorique; que cette théorie est en voie de formation, c'est-à-dire que la médecine tend à devenir une véri- table science. La médecine pratique ayant pris naissance par la nécessité de secourir le malade, on a été natu- rellement porté à faire du malade et de la maladie des choses tout à fait spéciales, dont l'étude appartenait au médecin seul; quant à l'étude de l'homme sain, de ses fonctions, des propriétés de ses tissus et de ses organes, quant à la physiologie, en un mot, c'était une chose tout à fait à part, dont les médecins consentaient bien à acquérir quelques notions; c'était une étude consi- dérée plutôt comme agréable que comme réellement utile : la "physiologie était le roman de la médecine. Il faut, dureste, reconnaître qu'en effet, pendantlongtemps, la médecine, ayant, si nous pouvons ainsi dire, à pour- voir au plus pressé, agissait sagement en se cantonnant dans l'empirisme, et que la physiologie n'était nulle- ment en mesure de lui fournir des connaissances suffi- santes pour que la pratique se déduisît de la théorie. Mais l'étude de l'organisme sain, l'anatomie et la physiologie ont marché, et le résultat le plus général de ces progrès a été de faire tomber cette barrière élevée entre les phénomènes de l'organisme sain et les phéno- mènes de l'organisme malade. Il y a peu d'années, on admettait que certains tissus malades n'avaient pas leurs analogues clans les tissus normaux ; on croyait à des produits hétéro lognes ; on a reconnu aujourd'hui que les formes anatomiques (histologiques) des tissus patho- logiques ne diffèrent réellement pas de celles des tissus DE IA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 15 sains. On reconnaît aussi qu'il n'y a pas non plus de phénomènes hétérologues ; les processus morbides, regardés comme des entités, ne sont que des formes exagérées ou diversement modifiées des processus nor- maux, physiologiques. L'étude de la fièvre devient un chapitre de l'étude des phénomènes de calorification, considérés à l'état normal et à l'état morbide. La physio- logie pathologique du diabète a pour base la physiologie de la fonction glycogénique et de la nutrition. Ces deux exemples suffisent pour montrer que l'étude des trou- bles morbides a pour base celle des fonctions normales, et il est en effet facile de comprendre qu'il doit en être de la machine animale comme de toute machine, dont il serait difficile d'apprécier les dérangements et d'y porter remède, sans la connaissance théorique de ia disposition de ses rouages et de leur fonctionnement. Trop souvent, les médecins se plaisent à constater que la physiologie n'explique pas tel phénomène mor- bide ; mais la physiologie expérimentale date d'une époque si récente, qu'il n'est pas étonnant de ne la voir donner l'explication que d'un nombre très-restreint de phénomènes. Il n'est pas permis de dire, en parlant de n'importe quel symptôme morbide, que la physiologie est impuissante à l'expliquer ; on peut seulement dire qu'elle ne l'explique pas encore aujourd'hui. Lorsque la physiologie aura donné tout ce qu'on lui demande, tout ce qu'on est en droit d'attendre d'elle, il n'y aura plus deux sciences, comprenant l'une la con- naissance de l'organisme sain, l'autre la connaissance de l'organisme malade: il n'y aura plus une médecine 16 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. et une physiologie. La physiologie, devenue la science complète de la vie, embrassera aussi bien les phéno- mènes normaux que les phénomènes anormaux, ces der- niers dérivant des premiers. La physiologie sera la médecine devenue science théorique, et de cette théorie se déduira, comme pour toutes les autres sciences, les applications nécessaires, c'est-à-dire la pratique médi- cale. Déjà dans quelques pays nous voyons se réaliser cette tendance à établir une médecine théorique, c'est-à-dire scientifique, bien distincte de la médecine profession- nelle. Nous faisons allusion à certains usages établis d'une manière plus ou moins nette dans quelques écoles allemandes : après leurs études à l'université, les jeunes gens qui ont étudié l'anatomie et la physiologie normales et pathologiques, reçoivent le titre de docteurs en méde- cine ; mais ce titre, purement scientifique, ne leur donne aucun droit à la pratique ; s'ils veulent exercer la méde- cine, il leur faut s'attacher à des praticiens, les suivre dans leurs visites cliniques, et enfin subir ce qu'on appelle Y examen cfélat, destiné à constater qu'après les connaissances théoriques le candidat a su acquérir l'habitude pratique, le manuel opératoire, le tact cli- nique nécessaires à une bonne application de ces con- naissances. Chez nous, vous le savez, quoique certains examens aient un caractère plus spécialement théo- rique ou pratique, l'ensemble des épreuves réunit ces deux caractères, et le titre de docteur en méde- cine est le couronnement commun des connaissances théoriques et des aptitudes pratiques confondues en DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 17 un tout, comme elles sont confondues dans l'enseigne- ment. Ici, dans la chaire de médecine du Collège de France, c'est la médecine théorique seule, c'est-à-dire la mé- decine scientifique, qui doit trouver place : cette science que nous devons étudier, c'est la physiologie, laquelle est unique. L'expression de physiologie nor- male et de physiologie pathologique n'a qu'une valeur provisoire : l'organisme malade ne saurait obéir à d'autres lois que l'organisme sain ; il n'y a pas une mécanique normale et une mécanique anormale, pour expliquer d'une part la marche régulière et d'autre part les dérangements d'une machine ; les masses d'une construction qui s'élève, comme celles d'un monument qui s'écroule, obéissent aux mêmes lois de pesanteur et d'équilibre : les conditions seules sont changées, mais non la nature des phénomènes. De même pour les organismes vivants, l'anatomie normale et patho- logique, la physiologie normale et pathologique, obéis- sent aux mômes lois, dont l'étude représente la partie scientifique, théorique, de la médecine : la clinique en est l'application. Mais il ne faudrait pas même conclure de cette divi- sion qu'il y a dans la médecine deux sciences : l'une théorique, l'autre pratique, et croire qu'en général il y a, à côté des sciences théoriques, de véritables sciences appliquées. Y a-t-il deuxchimies, l'une théorique, l'autre pratique? Y a-t-il deux physiques ? Non, sans doute. Il en est de même pour la médecine : il n'y a qu'une science, la science des phénomènes des êtres vivants, la CL. BERNARD. — PRYS. OPER. 18 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. physiologie, et ici, comme pour les exemples précédents, le praticien, le clinicien, ne fait qu'appliquer ce que lui apprend la science pure. Cependant, direz-vous, le praticien interprète, il est vrai, les phénomènes anormaux d'après les lois de la physiologie qui les rattache aux phénomènes normaux; mais, d'autre part, il agit sur ces phénomènes, il cherche à s'en rendre maître ; il s'occupe de théra- peutique, et n'est-ce pas là une science pratique dis- tincte ? Non, certainement. La thérapeutique, ou étude de l'action des médicaments, est de la physio- logie au premier titre ; elle relève directement de la théorie et n'en est qu'une application. Sans les don- nées de la physiologie, la thérapeutique est réduite à cet empirisme grossier qui était seul possible dans les premiers temps, mais dans lequel il serait honteux de vouloir cantonner aujourd'hui la pratique médicale. Sans doute la thérapeutique, comme application à des cas particuliers des lois de l'action physiologique des substances actives, la thérapeutique, à cause de la complexité de ces cas divers, demande un tact par- ticulier, un art tout spécial, pour saisir, comme par intuition, les mille indications et contre-indications qu'il est encore impossible de fixer par des lois. C'est ce sen- timent des nuances qui donne à la pratique médicale quelque chose du caractère d'un art, et en fait une œuvre marquée d'un cachet personnel. Mais ce besoin d'un certain génie particulier, d'un tact individuel, ce besoin résulte précisément de ce que la science théo- rique est loin d'être faite, toutes les lois qui régissent DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 19 l'organisme n'étant pas encore fixées. En suppléant à l'ignorance par une certaine intuition qu'on peut appeler artistique, le praticien ne fait pas une science : il applique la science courante avec plus ou moins d'habi- tude et de bonheur. Nous dirons donc que la physiologie est la science des phénomènes de la vie, c'est-à-dire de ces phénomènes dans leurs différentes manifestations normales et patho- logiques, et selon les modifications qu'elles subissent par l'intervention de divers agents. La physiologie comprend donc la médecine scientifique, puisqu'elle comprend toute la science de la vie, puisque, en étudiant la vie et ses conditions, elle analyse les rapports de l'organisme vivant avec les milieux ambiants et l'influence de ces mi- lieux selon leurs modifications physiques, chimiques, etc. Or, les modifications physiques de ces milieux nous donnent la clef de certains phénomènes morbides, tels que ceux que produit l'excès de chaleur, et nous étu- dions par exemple la mort par excès de chaleur. Ou bien ce milieu met l'organisme en contact avec des substances nuisibles qui n'entrent pas d'ordinaire dans sa com- position, et nous sommes ainsi amenés à l'étude des miasmes, des poisons, etc., et des troubles morbides qu'ils produisent. Mais en étudiant ces troubles et les substances qui les occasionnent, nous trouvons que l'ac- tion de telle substance se fait dans un sens tel, qu'en employant cette substance à une certaine dose nous pouvons nous en faire un moyen d'arrêter ou même de supprimer tel phénomène fâcheux, tel trouble morbide, dont cette substance devient alors le remède, et nous 20 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. sommes ainsi amenés à poser les bases de la thérapeu- tique. On voit donc que tout se tient dans cette étude de la vie, et que la physiologie, ou médecine scientifique, com- prend à la fois ce qu'on a artificiellement séparé sous les noms de physiologie normale, de physiologie patho- logique et de thérapeutique. Au point de vue pratique, c'est certainement la thérapeutique qui intéresse au plus haut degré le médecin; or, c'est précisément la théra- peutique qui doit le plus de progrès à la physiologie expérimentale. Au lieu de composer des remèdes qui, comme la classique thériaque, renfermaient une infinité de composés d'origines les plus diverses et que la vieille pharmacopée semble n'avoir si bizarrement assortis qu'afin que chaque maladie y trouve son antidote spécial, mais inconnu, nous employons aujourd'hui des princi- pes purs, exactement dosables et à action parfaitement connue ; nous savons non-seulement quelle est cette action, mais nous avons pu encore préciser sur quels éléments anatomiques elle porte, et tout cela, grâce à la physiologie expérimentale, qui, même dans l'opium, nous a permis de reconnaître des alcaloïdes à actions diverses ou opposées. Ainsi , au lieu d'administrer l'opium, qui renferme des alcaloïdes hypnotisants et des alcaloïdes convulsivants, et qui, par suite, selon les sus- ceptibilités individuelles, produit de l'excitation chez l'un et de l'anesthésie chez l'autre, nous employons les alcaloïdes de l'opium, c'est-à-dire les principes actifs isolés et purifiés, nous permettant de produire exacte- ment à un degré voulu le résultat cherché. En faisant DE LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE. 21 ces recherches expérimentales sur l'action des alcaloïdes de l'opium, ne faisions-nous pas réellement de la belle et bonne médecine, puisque les faits ainsi établis sont aujourd'hui d'une application journalière dans la pra- tique ? Mais nous faisions de la médecine en dehors du malade, sans idée des applications qui devaient fatale- ment en être déduites ; nous faisions de la médecine théorique, c'est-à-dire scientifique, c'est-à-dire de la physiologie. Du reste, permettez-moi cette remarque générale, c'est toujours ainsi que procèdent les sciences. Ce n'est pas en cherchant une application que se font les décou- vertes; c'est en cherchant les faits, les lois scientifiques, la science pure, en un mot ; la théorie une fois faite, la pratique en dérive nécessairement, fatalement. Chevreul cherchait-il une application industrielle en étudiant la composition des corps gras? Préoccupé de problèmes de chimie pure, il dédouble les graisses en glycérine et acides gras, et cette découverte, qui fait faire un pas immense à la théorie de la constitution de toute une classe de corps, a aussitôt, comme conséquence impré- vue, une des plus grandes applications industrielles de nos jours, la fabrication des bougies stéariques. Quand Arago, étudiant pour la première fois les phénomènes singuliers de l'aimantation d'une barre de fer doux par le passage d'un courant électrique, se livrait à des recherches présentant au plus haut degré le caractère spéculatif de la science pure et théorique, le fait de physique dont il établissait les lois devait avoir pour application l'invention du télégraphe. 22 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. Je ne multiplierai pas ces exemples : lascience moderne en offre mille semblables et qui vous sont familiers. C'est pourquoi uous nous attacherons, Messieurs, à l'étude de la physiologie pure, dégagés de toute idée de pratique, mais sachant par avance que nous faisons ainsi de la médecine scientifique, car de chaque découverte en physiologie résultera nécessairement une application médicale pratique. Nous ferons donc de la physiologie expérimentale. Le principe de l'application de l'expérimentation à l'étude des phénomènes de la vie étant aujourd'hui universelle- ment admis, nous entrerons dans le détail de la mise en œuvre de ce principe ; nous le développerons en pré- ceptes applicables à chaque ordre de recherches; quant à ces divers ordres de recherches, je crois vous les avoir suffisamment indiqués clans les considérations précédentes; nous étudierons les phénomènes de l'orga- nisme normal et les modifications qu'ils présentent pour constituer ce que l'on nomme Fétat pathologique ; nous étudierons l'action des substances toxiques, et nous verrons de même comment elles peuvent modifier les phénomènes vitaux aussi bien dans leurs formes nor- males que dans leurs formes pathologiques. Ceci sera conforme à la définition de la médecine telle que nous l'avonsdonnée précédemment : La médecine est la science qui nous apprend à connaître les phénomènes de la vie, aussi bien dans leurs formes normales et anormales, ainsi que les modifications que ces phénomènes su- bissent de la part de divers agents. DEUXIÈME LEÇON Sommaire : De la méthode expérimentale. — Observation et expérience. — L'expérience est une observation provoquée. — Il n'y a pas de distinction absolue entre l'observation et l'expérience. — Induction et déduction. — Complexité des phénomènes à étudier chez les êtres vivants. — De l'usage des hypothèses en physiologie expérimentale. — État d'esprit nécessaire à l'institution de bonnes expériences. Messieurs , Dans toutes les sciences expérimentales, on a établi et fixé les procédés expérimentaux reconnus les meilleurs pour arriver à constater tel fait ou à instituer des recherches dans tel ordre de choses : pour telle analyse chimique destinée à nous éclairer sur l'existence de tel corps simple dans un composé quelconque, il est des règles à suivre et dont l'investigateur ne saurait s'écarter sous peine de voir infirmer ses résultats par défaut de rigueur dans l'institution de son expérience. Il n'en est malheureusement pas ainsi en physiologie expérimen- tale. L'enthousiasme pour la méthode expérimentale s'est ici répandu si subitement, si universellement, et on s'est si peu rendu compte de la complexité des phénomènes à étudier, que chacun a cru pouvoir aborder l'expérimentation sans s'être livré au moindre apprentissage ; aussi les résultats obtenus et annoncés ne doivent-ils être acceptés qu'avec une extrême réserve, 24 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. après examen sérieux des procédés employés, après une critique exacte de l'expérience. Il serait donc on ne peut plus utile de fixer ces procédés ; et c'est, vous le savez, à l'établissement d'expériences typiques que nous devons consacrer ces leçons ; nous ferons donc de la technique et de la critique expérimentales. Qu'est-ce donc que l'expérimentation ? Telle est la question que nous devons ici nous poser tout d'abord. Il est d'autant plus nécessaire d'y répondre, que beau- coup de médecins discutent encore sur les avantages comparés de l'expérience et de l'observation : les uns préfèrent l'observation, qui, disent-ils, est le véritable procédé des sciences médicales, cliniques; les autres, tout en accordant, à l'expérience la valeur qu'on ne saurait lui refuser, distinguent deux méthodes : la mé- thode expérimentale et la méthode d'observation ; de là à admettre deux médecines, la médecine d'observa- tion et la médecine d'expérimentation, il n'y a qu'un pas, que plusieurs, même parmi nos contemporains des plus éminents, n'hésitent point à franchir. Vous voyez donc que la question est d'une importance pri- mordiale. Or, j'espère vous démontrer que ces préférences sont injustes, que ces distinctions sont mal fondées, que ni les unes ni les autres n'ont de raison d'être ; qu'expé- rience et observation ne sont essentiellement qu'une seule et même chose. Cette manière de voir n'est pas nouvelle. Déjà Bacon ne distinguait pas l'observation de l'expérience : c'était pour lui deux moyens égaux d'amasser, au même titre, OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 25 les faits que l'esprit élabore ensuite pour en tirer les conclusions générales. Mais Zimmerman, qui a écrit trois volumes sur l'expérience, pose en principe la dis- tinction sus-indiquée : pour lui, l'observation diffère de l'expérimentation en ce que, dans la première, le phé- nomène se présente naturellement à l'observateur, tandis que, dans la seconde, il y a intervention de la part de l'investigateur, qui fait effort pour obtenir un résultat dans un sens donné. Cuvier, qui admettait une sem- blable distinction, l'exprimait très-nettement en ces termes : « L'observateur écoute la nature, l'expérimen- tateur l'interroge. » Chevreul donne à l'expérience le nom de méthode expérimentale à posteriori; c'est que, dit-il, l'observation nous montre un phénomène, puis, pour reproduire ce phénomène qui s'est spontanément présenté, pour vérifier l'idée que nous nous en faisons, nous instituons une expérience. C'est à ce travail de vérification qu'il donne le nom d'expérience. Si nous quittons les définitions pour nous en rappor- ter aux faits , si nous considérons ce que font l'expéri- mentateur et l'observateur, nous allons voir que toutes ces distinctions s'évanouissent. L'observateur, dit-on, est passif et l'expérimentateur actif au contraire. Mais prenons un exemple. Nous nous trouvons en face d'un homme ou d'un animal pris de vomissements : nous constatons l'état des matières rejetées, nous observons le mécanisme visible de ce vomissement ; c'est là pour tout le monde de l'obser- vation. D'un autre côté, nous prenons un animal 26 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. intact, et, en lui pratiquant une fistule gastrique, nous allons directement étudier ce qui se passe dans l'esto- mac pendant la digestion ou au moment du vomisse- ment; cette fois, c'est bien de l'expérience. Mais voici que le médecin américain Beau mont se trouve en pré- sence d'un chasseur canadien auquel un coup de feu a accidentellement ouvert l'estomac , avec production consécutive d'une fistule gastrique, telle que nous en faisons sur les animaux; par cette fistule, il étudie ce que nous étudions sur les animaux en expérience , et il l'étudié exactement comme nous le faisons chez les animaux. Est-ce de l'observation pure et simple ? n'est- ce pas plutôt de l'expérimentation, et refusera-t-on ce caractère à cette série de recherches, parce que la fis- tule qui les a permises a été le résultat d'un accident et non le fait d'une intervention volontaire de la part de l'expérimentateur ? Ainsi l'état passif ou actif de l'investigateur ne saurait nous servira établir une véritable distinction entre ce qu'on veut appeler observation pure, et ce qu'on veut désigner sous le nom d'expérience. On ne peut pas non plus établir ce caractère distinctif en disant que l'expé- rience est destinée à contrôler les résultats de l'observa- tion. En effet, d'une part, l'observation peut être con- trôlée purement et simplement par une nouvelle obser- vation; c'est ce qui a lieu tous les jours : lorsque, par exemple, une épidémie se produisant clans un certain milieu, l'observation tend à en attribuer la cause à l'un des éléments particuliers de ce milieu, si, dans une autre contrée, avec la même condition de milieu, on observe OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 27 la même épidémie, cette nouvelle observation est le con- trôle de l'hypothèse émise, lors de la première, sur les rapports de cause à effet relativement à l'épidémie. D'autre part, on fait souvent des expériences sans idée de contrôle, parce qu'il n'y a rien à contrôler : lorsque, par exemple, on se trouve en présence d'une substance nouvelle, sur les propriétés physiologiques de laquelle on n'a aucune donnée, on fait alors, comme disait Ma- gendie, des expériences pour voir; puis les résultats obtenus par les premières expériences sont alors con- trôlés par de nouvelles expériences. Dira-t-on, avecMagendieet Laplace, que l'observateur étudie des phénomènes naturels, et que l'expérimen- tateur étudie des phénomènes troublés par son interven- tion ? Mais alors les vivisections les plus considérables, celles, par exemple, dans lesquelles on ouvre un animal pour observer les mouvements du cœur et de la circu- lation, ces vivisections ne seront que des observations tant qu'on ne troublera pas le jeu des appareils circula- toires; et faudra-t-il admettre que du moment où on lie une artère, du moment où on coupe un vais- seau, faudra-t-il admettre, en un mot, que du mo- ment où on entrave d'une manière quelconque la circulation, l'observation se change aussitôt en expé- rience? Du reste, l'observation porte souvent sur des phénomènes troublés d'une manière plus ou moins directe par l'observateur : un accident, un oubli, ont souvent été l'occasion d'une découverte en présentant à l'observateur des phénomènes nouveaux et inatten- dus, dont la manifestation n'était ni spontanée, ni 28 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. volontairement provoquée. Qui nous dira si dans ce cas l'investigateur a dû ses résultats à une expérience ou à une observation ? Nous concluons en disant qu'à nos yeux il n'y a pas de distinction réelle à établir entre l'observation et l'ex- périence ; ce sont, à titres égaux, des moyens de re- cueillir des matériaux, c'est-à-dire des faits. D'ordinaire on commence par observer simplement les faits qui se présentent. Mais cette ressource est bientôt épuisée; on s'aperçoit qu'elle ne nous montre qu'un côté des choses, qu'elle ne nous révèle que l'extérieur des phénomènes. Alors on cherche à aller plus profondément. Les diffé- rentes périodes de l'histoire de la médecine nous mon- trent bien ces phases successives. On a commencé par observer des malades ; mais l'analyse exacte des mani- festations extérieures symptomatiques a été plus tard trouvée insuffisante : alors on a voulu regarder dans l'intérieur des cadavres de ceux qui avaient succombé aux affections dont les symptômes avaient été soigneu- sement notés, et enfin on a voulu encore pénétrer dans l'intérieur de l'organisme vivant lui-même, et, ne se contentant plus de l'anatomie pathologique, on a fait de la physiologie pathologique. Or, cette recherche ne peut se faire sur l'organisme humain : on a donc recours aux animaux; on provoque artificiellement chez eux des maladies; on fait en un mot de l'expérimentation au premier chef. Nous voyons donc qu'on a recours à l'expérience lorsque l'observation est épuisée ; mais alors, aux phé- nomènes qu'on provoque, on applique purement et OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 29 simplement l'observation. Ce que fait l'expérimentateur, c'est élargir le cbamp de l'observation : l'expérience est une observation provoquée, dont on détermine d'avance les circonstances. L'observation pure et simple ayant donné les caractères extérieurs des phénomènes, l'in- vestigateur pénètre plus profondément et va au-devant de phénomènes cachés qu'il force à se produire en plein jour. Ainsi, en passant de ce qu'on appelle l'observation à ce qu'on appelle l'expérience, nous ne faisons qu'é- tendre et creuser le terrain de nos recherches, et c'est toujours l'observation, dans des conditions nouvelles, qui nous sert à recueillir les faits. Il n'y a donc pas à distinguer entre l'observation et l'expérimentation, si ce n'est que cette dernière, par son caractère d'obser- vation provoquée, est infiniment plus délicate et plus difficile que l'observation simple, car, en créant de nouvelles conditions à la manifestation des phénomènes, elle nous place dans un milieu infiniment plus com- plexe; mais il serait même inexact de faire de ces dif- ficultés un caractère de l'expérimentation, car pour bien des cas l'observation pure et simple n'est pas moins délicate, et Von se trompe aussi bien en recueillant des observations qu'en instituant des expériences. Qu'ils soient le résultat de l'observation ou de l'expé- M. rience, les faits, une fois amassés n'importe par quelle méthode, doivent être interprétés, comme disait Bacon: ils doivent subir, de la part de notre esprit, une élabo- ration qui nous conduit aux formules générales, but ultérieur de nos recherches. 30 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. Cette élaboration se fait, dit-on, par induction ou par déduction. Or voilà deux expressions sur lesquelles, au point de vue de nos recherches spéciales, nous sommes encore tenu de nous expliquer : il nous faut chercher quelle différence il y a entre l'induction et la déduction, quelles sont les sciences inductives et déductives, et à laquelle de ces sciences appartient la physiologie. Par la déduction, dit-on, nous allons du général au particulier : partant d'un principe, on en fait des ap-* plications à des cas particuliers. Telle est la méthode des sciences mathématiques, qui, dans tous leurs déve- loppements, se réduisent toujours à partir d'un prin- cipe pour en déduire toutes les conséquences possibles. Au contraire, dans l'induction, nous partons des faits eux-mêmes, c'est-à-dire des cas particuliers, et de l'étude de ces cas nous recherchons à remonter vers une loi générale, vers un principe. C'est une marche absolument inverse de la précédente. Dans la déduction, l'esprit part donc d'un principe, et ce qui est caractéristique de cette méthode, c'est que ce principe n'est pas discuté ; il est posé comme abso- lument exact : le mathématicien part ainsi de formules qu'il pose lui-même comme évidentes par elles-mêmes ; ce qu'il en déduit est obtenu par les procédés rigoureux du raisonnement, et du moment que le principe est in- discuté, les conséquences le sont également : elles n'ont pas besoin de vérification matérielle. Ce caractère n'appartient qu'aux mathématiques pures dans lesquelles, nous le répétons, on pose, on fait soi-même le principe qui sert de point de départ. Mais OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 31 dès qu'on n'a pas fait soi-même les choses, on a beau procéder par des méthodes empruntées aux mathéma- tiques, on n'arrive pas à des résultats indiscutables et qui puissent se passer absolument de vérification. Voyez, par exemple, ce qu'il en est de l'astronomie. Quand, par le calcul, l'astronome a découvert l'existence d'un corps céleste, il n'est pas aussi sûr de son résultat que le mathématicien qui, en partant de l'axiome que la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre, arrive à démontrer une propriété d'un triangle : le mathéma- ticien n'a pas besoin d'aller, par des mensurations sur un triangle réel, vérifier la conclusion de son théorème. L'astronome, au contraire, a recours à sa lunette, et cherche à constater si l'astre découvert par le calcul existe bien à la place indiquée par ce calcul; il est obligé d'en venir à l'observation directe et de vérifier ainsi le résultat de son raisonnement. Donc, dans ce cas, la déduction n'est pas suffisante : ce contrôle, emprunté à l'observation, enlève à la déduc- tion le caractère spécial et absolu qu'elle présente dans les sciences mathématiques pures. Du moment que la vérification est nécessaire, nous sommes aussi bien en présence d'une induction que d'une déduction. Nous pensons donc que toutes les fois qu'on peut procéder en disant : « tel principe général étant vrai, telle conséquence particulière en résulte, d'une ma- nière absolue, incontestable, en dehors de toute véri- fication », dans ces cas on procède par déduction. Mais que du moment qu'on peut seulement dire : « si tel principe est vrai, telle chose se produira très-vraisem- 32 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. blablement », du moment qu'on admet que l'observa- tion, prise comme moyen de contrôle, pourra donner une confirmation ou un démenti à cette prétendue dé- duction, on procède réellement non plus par déduction, mais par induction. Du moment qu'on est obligé d'ac- cepter l'observation ou l'expérience comme moyen de vérification, on fait de l'induction : car toute déduction dubitative ne mérite plus le nom de déduction, elle reprend, par le fait du contrôle auquel elle est soumise, le véritable caractère de l'induction. Il est, par suite, bien évident qu'en médecine la phy- siologie est une science inductive. Mais il faut être bien prévenu que, de toutes les sciences inductives, la méde- cine est la plus délicate, la plus difficile, en raison de notre ignorance actuelle des lois des phénomènes des organismes vivants. Les astronomes, grâce aux caractères de précision que les mathématiques donnent à leurs recherches, font presque toujours des hypothèses vraies et que l'obser- vation vient confirmer ; cependant l'expérience pure est quelquefois appelée à entrer ici en jeu, car nous pouvons donner le nom d'expérience aux analyses spec- trales par lesquelles l'astronomie cherche à confirmer ses hypothèses sur la constitution des corps célestes et du soleil en particulier. En chimie, en physique, des lois générales ont enfin été trouvées, et l'on a assez de principes et de véritables axiomes pour pouvoir facilement établir des hypothèses vraies. Mais il n'enj est plus de même dans l'étude des corps OBSERVATION ET EXPERIENCE. 33 vivants : ici, les circonstances particulières sont si com- plexes, les lois générales sont encore si rares, qu'il est difficile de tenter des hypothèses heureuses. Il faut donc, avant tout, que l'investigateur soit bien pénétré de celte complexité des phénomènes qu'il étudie; il faut qu'il se mette bien en garde contre la tentation d'établir trop rapidement des principes trop simples; il faut qu'il s'attende à recevoir de l'expérience les dé- mentis les plus complets. Alors même qu'un principe est vrai au point de vue physico-chimique, alors que son application à l'organisme vivant paraît chose natu- rellement indiquée, et que les conclusions qu'on en déduit concordent avec les fait réels, il ne faudra pas se contenter d'une concordance dont tous les détails ne sont pas vérifiés. Il faudra chercher s'il ne s'agirait pas d'une simple coïncidence ; si, le principe et les faits ul- times étant exacts, il n'y a pas toute une série de faits intermédiaires qui en réalité ne sont nullement d'ac- cord avec ceux qu'établit le raisonnement. Combien d'exemples de ce genre nous sont offerts par l'histoire de la physiologie ! Galien constate , contrairement à Érasistrate, que les artères contiennent non de l'air, mais du sang comme les veines; ce sang a dû passer des veines dans les artères; donc, dit Galien, la cloison interventriculaire du cœur est perforée. Partant d'un fait vrai, la présence du sang dans les deux ordres de vaisseaux, Galien arrive à un fait vrai, le passage du sang des veines dans les artères; mais ce passage il l'ex- plique par une hypothèse qui, si bien encadrée d'élé- ments de vérité, lui paraît inutile à vérifier; et pendant CL. BERNARD. — PHYS. OPÉR. 34 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. des siècles l'hypothèse est acceptée, jusqu'au jour où Vésale démontre qu'elle ne repose sur aucun fait ana- tomique; et dès lors, en cherchant le véritable méca- nisme de ce passage du sang, Michel Servet, puis Harvey, arrivent à l'immortelle découverte de la circu- lation. Plus tard, nous voyons Lavoisier, après avoir décou- vert la chimie des phénomènes de combustion, appli- quer sa théorie à l'étude des organismes vivants et ra- mener, par une hypothèse hardie, la vie à une série continue d'actes de combustion. Comme conception générale, cette théorie est vraie, elle rend bien compte de l'ensemble et du résultat définitif des actes chimi- ques de l'être vivant; mais combien les choses sont moins simples en réalité quand on pénètre dans l'inti- mité des actes complexes du corps vivant. Cependant Dulong etDespretz, séduits par la conception de Lavoi- sier, mesurent la chaleur que produit un être vivant dans un temps donné, ainsi que les quantités de car- bone et d'hydrogène que cet être rend sous la forme d'eau et d'acide carbonique pendant le même temps. Il se trouve que leurs chiffres donnent une équation par- faite, montrant que la chaleur produite correspond exactement à celle qui peut prendre naissance par la combustion directe de l'hydrogène et du carbone exha- lés sous forme de produits excrémentitiels. Pouvait-on, avec la confiance qu'on avait alors dans l'application des lois les plus simples de la chimie à l'organisme vivant, pouvait-on désirer une plus rigoureuse démonstration de l'hypothèse qui assimile l'être vivant à un fourneau OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 35 à combustion simple? Et cependant les chiffres obtenus par Dulonget Despretz n'étaient siconfîrmatifs que par le fait d'une simple coïncidence. Ces recherches reprises par Regnault ont montré que dans l'organisme il n'y a pas seulement des combustions, mais qu'il se produit une infinité d'autres phénomènes qui, en dehors des oxydations, sont des sources de calorique ou bien s'ac- compagnent d'absorption de chaleur : il y a les substan- ces liquides qui passent à l'état gazeux, il y a par contre des vapeurs qui se condensent; il y a des phénomènes d'hydratation ; enfin il y a, comme nous l'avons démon- tré à propos de la formation de la substance glycogène, il y a des actes véritables de réduction. De ces phéno- mènes complexes et incomplètement connus, les uns dégagent du calorique, les autres en absorbent, et il peut se faire que dégagement et absorption arrivent à s'équilibrer, et qu'en définitive la quantité de chaleur dégagée par l'animal pendant un temps donné se trouve égale à la quantité déterminée par le calcul, en prenant pour base le poids d'oxygène absorbé pendant ce temps, et en supposant que les oxydations sont les seules sour- ces de chaleur de l'organisme. Mais ce ne sera là qu'une simple coïncidence, qu'il serait fâcheux de regarder comme démonstrative d'une loi aussi simple que celle posée par Dulong et Despretz ; des coïncidences bien plus frappantes se produisent parfois, et si, par la nature même des faits, nous n'étions mis en garde contre la tendance de notre esprit à généraliser, elles nous amè- neraient à de bien singulières conclusions. Il en est de même des calculs qui ont fait croire 36 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. qu'avec la simple équation de l'oxygène absorbé et de l'acide carbonique exhalé, on pouvait se rendre compte de la chaleur produite par un animal dans un temps donné. Non-seulement, je vous l'ai dit, les phénomènes sont bien plus complexes que ceux d'une combustion directe, mais même, pour ce qui est des combustions elles-mêmes, elles peuvent se produire par le moyen d' une provision d'oxygène emmagasinée par l'organisme , de sorte que la chaleur produite ne correspond plus du tout à la quantité d'oxygène absorbé pendant la période même de cette production. C'est ce qu'on observe quand on réveille un animal hibernant, un loir par exemple : sa température monte aussi très-rapidement, et cepen- dant si l'on a disposé l'expérience de manière à appré- cier la quantité d'oxygène absorbé, on constate que l'absorption de ce gaz n'a pas été en proportion de ce rapide réchauffement. Mais nous savons que les animaux sujets au sommeil hivernal absorbent dans cet état plus d'oxygène qu'ils n'en utilisent, c'est-à-dire qu'ils em- magasinent de ce gaz dans leurs tissus. Nous dirons donc que, s'il est vrai que les phéno- mènes de la vie puissent, selon la belle conception de Lavoisier, être ramenés à des actes physico-chimiques, c'est par une exacte analyse expérimentale qu'il faut arriver à préciser les détails intimes et les mille formes de ces actes, et ne pas se laisser séduire par la simplicité de quelques formules chimiques qui, pour être souvent exactes quant aux résultats généraux qu'elles indiquent, s'écartent, par leur simplicité même, des processus complexes et si peu connus de l'organisme vivant. OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 37 Comme conclusion générale, nous dirons que le méde- cin, le physiologiste, est à la fois observateur et expéri- mentateur, ou qu'en tout cas du moins, en faisant de l'expérience, il fait nécessairement de l'observation. L'ex- périence étant instituée en vue d'une idée, il faut en effet, une fois l'expérience en train, oublier cette idée et redevenir simplement observateur. C'est leseul moyen de ne pas se laisser entraîner à forcer l'interprétation des phénomènes, en voulant quand même trouver la véri- fication de l'idée directrice. 11 faut, en un mot, que l'ex- périmentateur interroge la nature, mais il faut qu'aus- sitôt il la laisse parler en redevenant observateur. La plupart des erreurs viennent de la tendance à considé- rer une hypothèse une fois émise comme une thèse en faveur de laquelle il faut chercher des arguments, comme une cause qu'il faut plaider et gagner. Tel in- vestigateur se sent humilié si l'expérience lui démontre brutalement que son hypothèse est fausse. L'expéri- mentateur doit avoir des dispositions contraires. Il ne doit pas s'attacher aux hypothèses qu'il a été amené à faire; en ne considérant ces hypothèses que comme un moyen et non un but, l'esprit sera dans les dispositions les plus heureuses pour arriver à la vérité, car il sera accessible aussi bien aux phénomènes contraires à l'idée préconçue et à ceux qui lui sont favorables. En négli- geant ce précepte, en oubliant cette sorte de résigna- tion avec laquelle il faut écouter les réponses de l'expé- rience, l'investigateur perd les plus belles occasions de faire des découvertes, car il se rend volontairement aveugle pour les phénomènes nouveaux, imprévus. 38 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. C'est en effet le plus souvent par le fait des démentis donnés par l'expérience à une hypothèse, point de départ de celte expérience, c'est par un hasard heureux que les voies les plus nouvelles ont été ouvertes à l'investigation, quand l'observateur, renonçant aussitôt à son idée pré- conçue, s'est décidé à chercher dans le sens des phéno- mènes inattendus, au lieu de chercher à forcer l'inter- prétation de ces phénomènes pour les plier à sa théorie. Si vous me permettez de prendre un exemple per- sonnel, je vous rappellerai comment j'ai été amené à la découverte des nerfs vaso-moteurs. Partant de cette observation clinique, relativement ancienne, que> dans les membres paralysés, on constate tantôt un refroidis- sement et tantôt un échauffement, je pensais pouvoir expliquer ces observations contradictoires en supposant que, à côté du système nerveux de relation, le grand sympathique devait avoir pour fonction de présider à la production de chaleur, c'est-à-dire que, dans le cas où le membre paralysé était refroidi, je supposais qu'à la paralysie des nerfs du mouvement se joignait celle du sympathique, tandis que ce dernier nerf au- rait conservé ses fonctions dans les membres paralysés non refroidis, le système nerveux moteur étant ici seul atteint. C'était une hypothèse, c'est-à-dire une idée propre à amener l'institution d'expériences dans lesquelles il s'agissait de trouver un filet sympathique volumineux, se rendant à un organe facile à observer, et de couper ce filet pour voir ce qui se produirait dans la calorifica- tion de cet organe. Vous savez que l'oreille du lapin et le OBSERVATION ET EXPÉRIENCE. 39 filet sympathique cervical de cet animal nous présen- taient ces conditions requises. Je coupai donc ce filet et aussitôt l'expérience donna à mon hypothèse le plus éclatant démenti: j'avais pensé que la section du nerf, en supprimant la fonction de nutrition, de calorification, à laquelle était supposé présider activement le sympa- thique, amènerait le refroidissement du pavillon de l'oreille, et je me trouvai au contraire en présence d'une oreille très-chaude, avec des vaisseaux très-dilatés. Je n'ai pas besoin de vous rappeler avec quel empres- sement, abandonnant ma première hypothèse, je me livrai à l'étude du nouveau phénomène, et vous savez que tel fut le point de départ de toutes mes recherches sur le système vaso-moteur et thermique, dont l'étude est devenue l'un des sujets les plus riches de la physiolo- gie expérimentale. Cet exemple vous montre que l'hy- pothèse est toujours utile, en ce que, si elle n'est pas confirmée par l'expérience, les faits mêmes qui la dé- mentent deviennent aussitôt le point de-départ d'une nouvelle ère de recherches. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre. Il me suffira de vous faire remarquer que tous nous con- duisent à la même conclusion générale, à savoir, qu'il n'y a- pas à distinguer l'observation de l'expérience, en ce sens que l'expérience ne deviendra fructueuse que si l'investigateur y apporte le même état d'esprit et, si l'on peut ainsi dire, le même désintéressement que dans l'observation pure et simple. TROISIÈME LEÇON Sommaire ; Qu'est-ce qu'un fait? — Distinction du fait et du jugement auquel il donne lieu. — Exemples empruntés à l'histoire de la physiologie pour montrer la différence du fait et de son interprétation. — Nécessité d'instituer une critique expérimentale. — Du déterminisme. — De la mé- thode numérique. — Perfectionnements des procédés d'observation. — Méthode graphique. — Des conditions ou causes des phénomènes. Messieurs, Nous sommes arrivés à cette conclusion générale que l'observation et l'expérimentation ne constituaient pas deux méthodes distinctes et séparables, mais un en- semble de moyens propres à nous permettre de recueillir les faits que l'esprit doit ensuite élaborer ; je tiens a bien marquer cet ordre de succession dans les opéra- tions de nos sens et de notre esprit : recueillir les faits et s'astreindre à ne les interpréter qu'ensuite est la condi- tion indispensable pour arrivera la vérité; si l'on se laisse aller à interpréter les faits au fur et à mesure qu'on les observe, on s'expose trop souvent à mal obser- ver, à forcer la nature, à prendre pour un fait ce qui est une élaboration de notre esprit. Il s'agit donc de nous demander dès maintenant ce que c'est qu'un fait, question que peu de personnes se posenl, tant ce mot paraît répondre à une notion sur laquelle personne n'hésite. Cependant des esprits philo- sophiques éminents ont donné une importance toute LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 41 particulière à la définition du moi fait, et nous devons citer en première ligne M. Chevreul, qui, autrefois dans ses Lettres à Yillemain (sur la définition du fait) et ré- cemment encore dans une série de communications à l'Académie des sciences, s'est attaché à établir ce qu'on doit entendre par le mot fait. D'après M. Chevreul, nous ne connaissons les choses que par leurs qualités : cette qualité connue, ne fût-ce que X étendue limitée et Y impénétrabilité, suffit pour nous donner la conscience de l'existence des substantifs propres auxquels elle se rapporte ; c'est pourquoi le substantif propre ne dit rien à l'esprit, ne rappelle rien aux sens, si on le dégage de toutes les qualités, de tous les attributs par lesquels il nous a été rendu sensible et par lesquels il s'est fixé dans l'esprit. C'est pourquoi, dit M. Chevreul, ce sont ces qualités qui constituent le fait. Et, en effet, lorsque pour une cause ou pour une autre on perd le souvenir des choses, lorsque la mé- moire s'en va, ce sont d'abord les noms des choses ou des personnes qui nous échappent, tandis que nous con- servons encore celui de leurs qualités, de leurs proprié- tés, de leurs attributs. Mais cette définition du fait nous amène, en y réflé- chissant bien, à considérer, avec M. Chevreul, le fait comme une pure abstraction. Ainsi, lorsque nous disons d'une personne qu'elle est bonne, nous résumons une idée générale résultant des actes que nous avons vu accomplir à cette personne : tout ce que nous connais- sons de ses actions, de ses projets, nous la montre bonne, et, lorsque nous lui donnons cet attribut, nous le faisons 42. PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. par une abstraction, une conception générale de son caractère. Les actions de la personne sont des faits maté- riels, des faits physiques; la qualité que, d'après ces actes matériels, nous attribuons à la personne, est une sortecle conception métaphysique. Si l'on veut appeler cela un fait, il faut reconnaître que ce prétendu fait existe plutôt dans notre esprit et n'est pas une chose tangible, accessible aux sens en dehors des actes particuliers, points de départ de notre jugement. Aussi M. Chevreul n'hésite-t-il pas à dire que le fait est une abstraction : n Les attributs comprenant propriétés, qualités, défauts, sont des faits, et ces faits deviennent des abstractions lorsque l'esprit considère chacun d'eux en particulier. » Nous ne pouvions chercher à fixer la signification du mot fait sans rappeler la manière de voir de M. Che- vreul. Mais nous ne la discuterons pas ici. Ce serait là une étude de philosophie dans laquelle nous n'avons pas à entrer. Il nous suffira de rappeler que nous cherchons à définir le mot fait au point de vue spécial de nos recherches physiologiques, et que dès lors il nous est impossible de le définir une abstraction. Pour nous, c'est au contraire Y acte matériel* sans aucune élaboration de notre esprit, qui est le fait ; c'est l'acte qui frappe nos sens. Nous avons cité tantôt l'exemple d'une personne dont on dit qu'elle est bonne. Cette qualité de bonté ne saurait être pour nous un fait : elle exprime un jugement que nous portons sur cette personne d'après ses actes; ces actes, qui la font juger bonne, constituent seuls, nous l'avons dit, les faits proprement dits. Nous devons donc bien distinguer \e fait et le juge- LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 43 ment(\we nous portons d'après ce ou ces faits : c'est que rien n'est plus facile à confondre, et que les esprits même les plus éminents prennent souvent pour un fait un jugement basé sur ce fait, mais en dépassant singu- lièrement la portée. Ainsi Magendie, qui posait en prin- cipe qu'il ne faut jamais sortir du fait, en était sorti une fois cependant dans une petite discussion que nous eûmes au sujet du liquide pancréatique : il avait dit que ce liquide est albumweux ; j'avais avancé le con- traire, et pour prouver à mon illustre maître qu'il s'était, non pas trompé sur un fait, mais seulement sur le juge- ment porté avec ce fait pour point de départ, je n'eus qu'à lui faire remarquer que le fait observé par lui se réduisait à ceci : le suc pancréatique est coagulé par la chaleur. Comme l'albumine est coagulée par la chaleur, il en avait conclu que le suc pancréatique est albumi- neux. Maisl'albumine est encore caractérisée pard'autres réactions que je n'avais pas trouvées dans le liquide pancréatique. Magendie serait resté dans le fait vrai en disant que le suc pancréatique est coagulé par la cha- leur; il était sorti du fait et avait porté un jugement inexact en en inférant que ce suc est albumineux. En physiologie, nous appellerons donc fait le phéno- mène matériel, acte mécanique, physique, réaction chimique, etc., et nous aurons toujours soin de distin- guer le fait du jugement que nous en inférons. Lorsque je dis que le sang renferme du sucre, vous pensez peut-être encore que j'énonce un fait; il n'en est rien : le fait, c'est que le sang extrait des vaisseaux a donné, par des traitements successifs, un liquide incolore qui a 44 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. précipité la liqueur cupro-potassique; \efait, c'est que cet extrait du sang a fermenté en présence de la levure de bière, c'est qu'il a dévié la lumière polarisée d'un certain nombre de degrés. Voilà les faits, et d'après eux je forme ce jugement que le sang contient du sucre; mais les faits étant vrais, le jugement ne sera exact que si pendant les opérations expérimentales je n'ai pas introduit dans nos produits des substances capables de donner des réactions semblables à celles du sucre. Si donc vous vouliez faire la critique du jugement que j'énonce en disant qu'il y a du sucre dans le sang, il faudrait chercher les éléments de cette critique dans chacune des séries d'opérations qui nous ont amenés à la constatation des faits. Autrefois on discutait en s'opposant des arguments ; on paraît aujourd'hui discuter le plus souvent en s'op- posant des faits ; et cependant, si vous y regardez de bien près, vous verrez que ce sont réellement des juge- ments et non des faits que s'opposent les adversaires. L'un dit, par exemple, qu'il a trouvé du sucre dans le sang, l'autre qu'il n'en a pas trouvé; mais trouver du sucre dans le sang n'est pas un fait, je le répète, du moment qu'on n'isole pas ce sucre en nature : c'est un jugement basé sur des réactions chimiques; ces réac- tions chimiques ont pu donner des résultats opposés à deux expérimentateurs et se contredire ainsi en ap- parence ; c'est que tous deux n'auront pas opéré exac- tement dans les mêmes circonstances, avec des réac- tifs également purs, etc. Opposer à ce prétendu fait que l'un a trouvé du sucre, cet autre prétendu fait que le LE FAIT ET SON INTERPRÉTATION. 45 second n'en a pas trouvé , c'est , en se réduisant a cet énoncé, combattre en l'air avec des arguments abstraits. Ce qu'il faut dire, dans une discussion de ce genre, c'est que le premier observateur ayant traité le sang de telle ou telle manière, a ensuite obtenu une réduction du liquide cupro-potassique, et que le second, après avoir opéré dans telles et telles circon- stances, après avoir soumis le sang à telle série de réactions, n'a obtenu aucune action sur le liquide cupro-potassique. Pour montrer la différence qu'il y a entre le fait et son interprétation , je vous citerai encore la discussion qui s'éleva à propos des mouvements de rotation pro- duits par la piqûre des pédoncules du cervelet : Ma- gendie avait observé une rotation se faisant du côté opposé au côté lésé ; Longet répète l'expérience et ob- serve que la rotation a lieu du côté de la lésion. Evi- demment ni l'un ni l'autre des expérimentateurs ne pouvait avoir pris le côté gauche pour le côté droit ; c'était cependant à cela que se réduisait la discussion si l'on s'en tenait au résultat brut de l'expérience, sans s'inquiéter des conditions différentes dans lesquelles elle pouvait avoir été faite. Et en effet, comme SchitF et moi l'avons démontré en même temps, le pédoncule en question étant large, aucun des deux expérimen- tateurs n'avait fait porter la lésion sur sa totalité : Ma- gendie en lésait les parties antérieures contenant des fibres déjà entre-croisées; Longet faisait porter ses sections sur la moitié postérieure où les fibres n'ont encore subi aucune décussation : de là, mouvements 46 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. vers le côté opposé dans un cas, vers le côté même de la lésion dans l'autre cas. Il faut donc, non-seulement bien déterminer les con- ditions de l'expérience, mais se fixer d'avance sur ces conditions. Il faut, en un mot, que les expériences soient telles que Ton n'ait à discuter que sur leur interpré- tation ; mais il faut que le fait reste toujours immua- ble. En effet, les expériences ne sont pas faites pour servir à étayer telle ou telle théorie conçue de toute pièce ; elles sont faites pour constituer la base solide et indiscutable de la théorie, qui est elle-même discutable et perfectible à l'infini; elles doivent en être le point de départ, et non un secours que l'on appelle à un mo- ment donné à son aide. C'est ce que M. Chevreul ex- primait d'une façon en apparence paradoxale, en disant qu'il faut faire des expériences à posteriori. C'est ainsi qu'ont procédé les sciences physiques et chimiques. La critique expérimentale ne sera possible qu'à par- tir du moment où l'on cessera de confondre les faits et leur théorie. Les faits doivent rester fixes et indiscuta- bles en eux-mêmes; leurs interprétations ou leurs ex- plications seront discutables et susceptibles de changer tant qu'il y aura des progrès à faire en science. Ce que nous voulons arrêter ici, ce sont les condi- tions des faits, mais non leurs explications. Lofait est donc, si nous pouvons ainsi nous expri- mer, ce pour quoi l'investigateur n'a besoin que de ses yeux, ou, d'une manière plus générale, de ses sens : les conditions dans lesquelles il a opéré, les phénomè- nes qui se sont présentés à lui, tels sont les faits ; mais LE FAIT ET SON DÉTERMINISME. 47 dès qu'il sort de la relation désintéressée de ces phéno- mènes, dès qu'il cesse de dire, par exemple, « tel liquide a été coagulé par la chaleur », pour dire « ce liquide est albumineux » , il n'exprime plus le fait pur et sim- ple, il exprime un jugement. Or, on entend souvent, et notamment en médecine, employer les expressions de fait ordinaire, fait singu- lier, fait exceptionnel, rare, commun, etc. Ces expres- sions n'ont pas de raison d'être. Un fait n'est pas excep- tionnel , car, étant données les circonstances de sa production, il doit toujours se produire. Un fait ne prend le caractère étonnant, extraordinaire, que parce que nous ne connaissons pas les causes déterminantes de ce fait et que ces causes se trouvent réunies à notre insu. Un fait est toujours un fait pur et simple ; c'est à nous d'en connaître et d'en apprécier les causes, et alors sa manifestation nous apparaîtra toujours comme une chose naturelle, ordinaire et régulière; et, quand nous aurons déterminé ces conditions, si nous pouvons les réunir dans une expérience, nous verrons le fait se re- produire d'une manière constante, nécessaire, et nous aurons peine alors à comprendre ce qu'on pourrait vouloir encore désigner sous le nom de fait singulier, extraordinaire, etc. : un fait n'est extraordinaire que parce qu'il est indéterminé; ces deux expressions sont synonymes, en ce sens qu'elles expriment également notre ignorance relativement à la nature et aux condi- tions des faits auxquels on les applique. Le tout est donc d'établir ce que j'ai appelé le déter- minisme des faits, c'est-à-dire l'ensemble des conditions 48 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. de ces faits. Malheureusement ce déterminisme est sou- vent très- difficile à établir, surtout lorsque, se bornant à la simple observation, on est, volontairement ou par la nature même des choses, mis dans l'impossibilité de changer les conditions du phénomène, afin de recher- cher quelles conditions sont étrangères et quelles con- ditions sont intimement liées à sa manifestation. Dans ces circonstances on a eu recours à une méthode indi- recte; on a noté combien de fois tel fait coïncide avec telles conditions plus ou moins complexes; on a fait de la statistique. Or ce n'est pas là de la science, c'est de l'empirisme pur : du moment qu'on n'a pas ramené le fait à ses conditions simples, il est impossible d'établir des lois; on n'arrive qu'à des probabilités, on peut dire que telle chose arrive quatre fois sur cinq, qu'il y a, dans tel cas, tant de chances pour que tel phénomène se produise; mais ce ne sont pas là des bases sur les- quelles puisse se bâtir une science. La chimie en serait- elle arrivée où elle est aujourd'hui, si les chimistes n'a- vaient pu parvenir à des généralités plus précises que celle qui consisterait à dire que neuf fois sur dix la combinaison de l'oxygène et de l'hydrogène donne naissance à de l'eau. En médecine on fait souvent de la statistique ; mais on n'en fait ou du moins on ne devrait absolument en faire que quand on ne peut pas faire autre chose. Et en tout cas il est inadmissible de considérer cette manière de procéder comme une véritable méthode, intitulée méthode numérique. Sans doute des esprits éminents, comme par exemple le médecin Louis, ont DU DÉTERMINISME. 49 prétendu que cette sorte de méthode était celle que devaient essentiellement employer les recherches médi- cales ; sans doute cette manière de faire permet à la pratique d'arriver à quelques indications prognostiques probables. Mais qui parle de sciences expérimentales ne parle pas de probabilités. Quand un fait est bien déterminé dans toutes ses cir- constances, il devient, si ces circonstances sont réunies, non pas probable, mais certain, c'est-à-dire qu'il ne se produit pas huit ou neuf fois sur dix, mais exactement autant de t'ois que se produisent ces circonstances déter- minantes elles-mêmes, et cela aussi bien dans la série des faits médicaux et thérapeutiques que dans celle des faits physiques ou chimiques. Prenez par exemple l'his- toire de la gale : avant que la nature parasitaire de cette affection fût connue, on soumettait les malades à divers traitements internes et externes, et l'on reconnaissait que tel traitement était plus ou moins couronné de succès: sur trente malades, vingt-cinq étaient guéris dans un cas; par un autre procédé, on n'obtenait que vingt gué- risons sur trente sujets. On sait aujourd'hui que la gale est due à la présence d'un parasite que l'histoire natu- relle étudie, dont elle nous trace les mœurs, nous ex- pliquant ainsi plusieurs particularités des symptômes et du mode de contagion; nous savons de même par quels agents on peut détruire ce parasite. Toutes les condi- tions de la maladie et de sa curation étant connues, ce n'est plus par une proportion de cinq sur dix ou de vingt sur trente qu'on énonce les succès du traitement parasiticide : sur cent galeux qui entrent à l'hôpital CL. BERNARD. — PHYS. OPÈR. 50 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. Saint-Louis, cent sortent guéris après avoir subi le trai- tement. La médecine peut donc, comme le montre cet exem- ple, devenir une véritable science, à la condition de dé- terminer exactement tout ce qui a rapport aux faits qui lui sont soumis. Mais ces faits sont d'ordinaire très- complexes : il faudra donc les analyser, les décomposer et les ramener à une série de faits simples, dont le dé- terminisme pourra être rigoureusement établi. Dès lors il n'y aura plus lieu de faire de la statistique, laquelle n'a de raison d'être que par la nature indéterminée des faits auxquels on l'applique. Dans ces circonstances nous ne saurions, cela va sans dire, admettre des faits contradictoires. C'est là une ex- pression souvent employée et qui doit disparaître, du moins si Ton voulait lui donner toute sa rigueur, car un fait ne peut pas être contradictoire d'un autre fait ; cha- cun d'eux existe dans ses conditions déterminées, et l'affirmation de l'un ne saurait être la négation de l'au- tre. La nature ne se contredit pas; c'est l'observateur qui se trompe, soit qu'il ne détermine pas exactement les conditions du fait, soit qu'il substitue au fait un juge- ment qui alors pourra être en contradiction avec un autre jugement. Admettre des faits contradictoires, ce serait par cela même nier absolument toute science. Pour l'étude des phénomènes delà vie, on a longtemps pensé, et des esprits éminents partageaient cette opinion il n'y a pas plus d'une vingtaine d'années, on a longtemps pensé que les phénomènes vitaux n'obéissaient pas à des lois absolument rigoureuses; que le principe de la vie DU DÉTERMINISME. 51 était pour ainsi dire capricieux dans ses manifestations, lesquelles auraient pu être absolument différentes dans des circonstances identiques : en un mot, on faisait de l'absence de loi rigoureuse la règle générale de la vie ; telle était la manière de voir des vitalistes en général. Il n'en est pas ainsi : les phénomènes des corps organi- sés sont soumis à des lois aussi bien que les phénomènes physiques et chimiques. Mais ces lois sont très-com- plexes; nous ne pouvons arriver à les saisir qu'en cher- chant à déterminer exactement toutes les conditions des phénomènes; c'est à cette recherche, vous le savez, que j'ai donné le nom de déterminisme. Grâce au déterminisme, qui doit être la base de la physiologie et de toute science expérimentale , nous pourrons dire que tel phénomène, dans telle circon- stance, se produira toujours, et non pas trois fois sur cinq ou neuf fois sur dix. Un phénomène dont le dé- terminisme est entièrement établi devient une chose immuable, dont on peut prédire rigoureusement l'ap- parition dans tous les cas où se trouveront réalisées les circonstances de sa production : il comporte une certi- tude absolue. Nous ne nous arrêterons pas à l'objection d'après la- quelle on pourrait nous répondre qu'il n'y a pas de cer- titude absolue; que, par exemple, parce que le soleil s'est levé hier et aujourd'hui, nous ne pouvons pas assu- rer qu'il se lèvera demain. Même dans ce cas, dira-t-on, cette certitude dépend de causes déterminées, et nous pouvons seulement dire que, si rien n'est changé dans l'ordre de l'univers, le soleil continuera à se lever demain 52 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. comme il s'est levé la veille. Mais cette certitude, tenant à des causes déterminées, est précisément celle que nous attribuons aux phénomènes des êtres vivants, et nous ne saurions aspirer à quelque chose de plus : nous nous contentons de pouvoir dire que, si rien n'est changé dans l'économie de l'univers, tel phénomène qui s'est produit dans telles circonstances déterminées se repro- duira si ces circonstances se trouvent de nouveau réali- sées : telle est la certitude que nous donne le détermi- nisme. Si donc nous récapitulons l'ordre de mise en jeu de nos facultés pour l'acquisition de la science, nous pou- vons dire qu'à l'aide des sens nous recueillons et amas- sons des faits, qu'avec les sens encore nous reconnais- sons les conditions de ces faits, mais qu'ensuite, par le jugement, nous rattachons ces faits à ces conditions dites déterminantes et nous en tirons une notion géné- rale. Ce sont donc les constatations faites par nos sens qui sont la source première de nos connaissances, et l'obser- vation simple ou expérimentale est d'autant plus rigou- reuse, que nous avons simplement recueilli les impres- sions faites sur nos sens, et non cherché à voir ce que des jugements antérieurs, des hypothèses préconçues, nous présentaient comme plus ou moins vraisem- blable. Pour réaliser cette observation désintéressée et ce- pendant précise, que nous considérons comme la con- dition essentielle de toute étude vraiment scientifique, l'idéal consisterait à substituer à nos sens eux-mêmes des modes de constatation pour ainsi dire automatiques, DU DÉTERMINISME. 53 grâce auxquels les phénomènes traduiraient creux- mêmes leurs manifestations. Quelques procédés d'investigation réalisent déjà ce desideratum; nous avons la méthode graphique, mise en usage aussi bien pour les recherches de physiologie que pour celles de physique ; nous avons de même la photo- graphie. Pour vous montrer combien ces procédés de consta- tation suppléent avec avantage à la simple observation à l'aide des sens, il me suffira de vous citer l'exemple suivant qui s'est produit lors d'une discussion à l'Aca- démie des sciences sur la constitution des comètes. On avait pris des photographies de comètes, lorsque, quelque temps après, la discussion sur ces astres étant revenue à l'ordre du jour, on fut amené à émettre sur leur constitution des vues nouvelles, lesquelles deman- daient, comme vérification, des constatations que l'on n'avait pas songé à faire antérieurement. Mais si l'observateur, dont l'attention n'était pas éveillée sur ces points nouveaux, n'avait pas songé à faire cette constatation, la photographie, qui reproduit indifférem- ment ce qui est recherché et ce qui n'attire que médio- crement l'attention, la photographie devait avoir repro- duit les détails demandés s'ils existaient réellement; on pensa donc à recourir aux photographies prises précé- demment, et l'on y constata en effet les aspects dont la nouvelle hypothèse rendait la recherche nécessaire : la photographie, substituée ici à l'observation simple, avait donné à la fois plus et mieux que cette observation. Aujourd'hui, des procédés semblables ou analogues 54 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. ont pris largement place dans la méthode expérimen- tale. En rectifiant, en fixant ainsi les impressions do nos sens, nous parvenons plus rigoureusement à éviter les nombreuses causes d'erreur dans des observations aussi complexes que celles qui s'adressent aux phéno- mènes de la vie. Il nous est ainsi possible de constater les faits et leurs conditions et de rattacher les uns aux autres. Conditions ou causes des phénomènes sont pour nous des expressions à peu près synonymes ; nous savons bien que, comme le disent les philosophes, nous n'arri- vons pas réellement à reconnaître les causes premières, absolues, des phénomènes, c'est-à-dire leur essence in- time ; nous ne pouvons remonter si haut, et il doit nous suffire d'arriver aux causes immédiates, c'est-à-dire aux conditions matérielles de l'existence des phénomènes : c'est pourquoi nous ne parlons jamais que de ces causes secondes que nous désignons généralement sous le nom de conditions déterminantes. Même dans la détermination de ces conditions, il s'en faut de beaucoup que la science des organismes vivants soit arrivée aujourd'hui à des acquisitions qui lui permettent de se considérer comme constituée ; mais les progrès qu'elle a accomplis sur quelques points par- ticuliers permettent de préjuger ce qu'elle deviendra dans l'avenir. Comme science, surtout comme science active appelée à connaître les phénomènes, à les arrêter ou à les reproduire volontairement, la physiologie, si elle sait se défendre des vaines spéculations sur les causes premières et concentrer ses efforts sur un déter- DU DÉTERMINISME. 55 minisme précis et fécond, la physiologie, tout en se reconnaissant loin encore du but à atteindre, est dès maintenant en droit d'afficher hautement sa confiance dans les conquêtes de l'avenir : par la méthode expéri- mentale elle établira la matérialité des phénomènes; elle analysera les éléments de cette matérialité, et de- viendra ainsi maîtresse des phénomènes eux-mêmes, car, libre de favoriser ou d'empêcher la réunion des causes déterminantes matérielles, elle sera par cela même en état de provoquer ou d'arrêter la manifesta- tion de ces phénomènes ou actes matériels. QUATRIÈME LEÇON Sommaire : La nosologie aux temps anciens. — Union actuelle de la médecine et de la physiologie expérimentale. — Cette union intime est déjà indi- quée dans le frontispice du livre de Régnier de Graaf. — Des emprunts que la physiologie doit faire à la physique et à la chimie. — Des labora- toires de physiologie expérimentale. — Histoire des laboratoires. — Des vivisections. — Histoire des vivisections. — Choix des animaux sur les- quels portent les vivisections. — Les résultats des vivisections pratiquées sur les animaux sont applicables à la physiologie de l'homme. — Dans quelles limites peuvent se faire ces applications. — Réfutation des attaques dont les vivisections ont été l'objet. Messieurs, La médecine, au temps cTHippocrate et bien long- temps après lui, se réduisait à la recherche d'un pro- nostic plus ou moins net : tel symptôme, dans telle affection, est le présage d'une fin prochaine ou l'augure d'une amélioration probable ; telle était la formule générale qui semblait comme le but suprême de la mé- decine. On comprend que, dans ces conditions, les médecins avaient cru pouvoir se borner à l'observation pure et simple, par laquelle ils pouvaient acquérir cette habitude et ce tact particulier nécessaires pour poser un pronostic. On comprend aussi que cette manière de voir a fait prendre aux études médicales une tournure spéciale, bien différente des tendances actuelles, c'est- à-dire qu'on en était arrivé, en définitive, à étudier les maladies comme des objets d'histoire naturelle, que l'on classe et dont on établit la nomenclature; la noso- logie n'était autre chose que cette mise en série des types DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 57 morbides considérés comme des entités, et naguère Pinel définissait ainsi la médecine : une maladie étant donnée, trouver sa place dans le cadre nosologique. Ces études nosologiques sont, pensons-nous, desti- nées à disparaître, parce que, ainsi que je vous l'ai dit, elles sont basées sur cette croyance erronée d'une dis- tinction absolue entre les phénomènes de l'homme sain el ceux de l'homme malade. Or, du moment que nous arrivons à établir que les états morbides ne sont qu'une forme dérivée, qu'un état troublé des fonctions nor- males, la classification nosologique doit disparaître et être remplacée par la nomenclature physiologique des fonctions étudiées à leur état normal et dans leurs formes pathologiques. C'est ainsi que le diabète ne saurait représenter une entité nosologique, pas plus qu'il ne saurait figurer dans les affections de l'appareil urinaire. La physiologie nous révèle l'existence d'une fonction glycogénique normale, formant l'une des phases des actes complexes de la nutrition ; le diabète est un trouble de cette fonction ; c'est, dans sa forme la plus simple, une exagération de la glycogénèse normale; mais comme les actes de nutrition sont encore impar- faitement connus, ce trouble morbide ne saurait être encore parfaitement expliqué dans toutes ses formes : la théorie pathologique va aussi loin et s'arrête là où s'arrête la théorie physiologique. Si l'on nous objecte qu'il est bien des maladies qu'on ne peut ramener à des phénomènes physiologiques, comme la rougeole, la variole, etc., nous répondrons que cette objection est une erreur de fait, en ce qu'elle 58 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. ne tient pas compte de l'état actuel de la physiologie ; on raisonne comme si la physiologie était une science faite, achevée, tandis qu'elle n'est encore qu'à ses débuts. De ce qu'un grand nombre de maladies parais- sent aujourd'hui ne présenter aucun lien avec les phé- nomènes que nous a révélés l'analyse physiologique expérimentale, et semblent par cela même constituer ce. qu'on a appelé des entités nosologiques, ce n'est pas à dire que ces prétendues entités ne viendront pas se fondre un jour avec les phénomènes physiologiques ; mais il faut pour cela que ces derniers soient plus com- plètement connus et interprétés. Certes, nous ne sommes pas encore assez avancés dans cette étude pour espérer d'en faire dès maintenant jaillir une lumière propre à convaincre les nosologistes les plus ardents ; bien des médecins se succéderont encore avec l'idée de l'entité nosologique, comme Priestley est mort croyant encore &x\phlogistique, alors que Lavoisier avait démontré que la combustion se fait simplement par l'oxygène de Pair. Quoi qu'il en soit, l'union intime de la physiologie expérimentale et delà médecine, aujourd'hui générale- ment reconnue, avait déjà été très-nettement entrevue par quelques esprits éminents des siècles passés. Galien n'avait-il pas fait des vivisections sur le singe et sur di- vers animaux ? Régnier de Graaf, dans le frontispice de son Traité sur le suc pancréatique (1), n'a-t-il pas eu soin de marquer, d'une manière pour ainsi dire symbolique, les rapports de l'anatomie, de la physiologie expérimen- tale et de la médecine? On voit en effet, dans cette (1) Régnier de Graaf, De succipancreatici naturel et usu. Lugduni-Balavorum, 1671, in-12. DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 59 première page de son livre (fig. 1), une salle où sont IMM Fig. 1. — Frontispice du livre de Régnier de Graaf. réunis des sujets en expérience pour les vivisections, un 60 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. chien avec une fistule, des oiseaux, des poissons, et au milieu de laquelle est une table où se pratiquent des dissec- tions, en même temps que au fond on aperçoit une salle de malades. Régnier de Graafindiquaitainsique, des recher- ches expérimentales entreprises dans le laboratoire de vivisection, résultent les notions scientifiques, lesquelles trouvent ensuite leurs applications dans la pratique cli- nique. Mais, il faut le reconnaître, ces tentatives pour adjoindre l'expérimentation à la pratique médicale, ces tentatives sont rares à cette époque et sont comme le fait d'esprits en avance sur leur siècle. Dans les intervalles de ces tentatives isolées, la grande masse des médecins trouvait plusjsimple de recourir à des théories, à des sys- tèmes construits de toute pièce, et il se produisait alors une éclipse totale de toute tentative expérimentale. C'est seulement depuis le commencement de ce siècle que l'expérimentation a été introduite en médecine d'une manière définitive, telle qu'il n'y aura plus, on peut l'affirmer, d'interruption dans la marche de ces études expérimentales, telle, en un mot, qu'il ne se pro- duira plus de systèmes comme ceux qui ont passionné un certain temps nos pères, pour se perdre ensuite dans un rapide oubli. L'honneur d'avoir définitivement intro- duit la méthode expérimentale en médecine revient à Magendie. Mais il faut dire que cet illustre maître reçut l'impulsion de Laplace et de Lavoisier, et qu'il a trouvé le terrain heureusement préparé, en ce sens que les sciences physiques et chimiques étaient parvenues, lorsqu'il est lui-même apparu, au degré de développe- ment qui rendait la physiologie expérimentale possible. DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 61 Il est en effet évident qu'alors que les lois physiques et chimiques étaient encore perdues dans un chaos de faits indéterminés, il était impossible d'entreprendre avec succès l'analyse des phénomènes de la vie, d'une part parce que ces phénomènes relèvent des lois de la chi- mie et de la physique, et d'autre part parce que leur étude ne peut être faite sans les appareils, les instru- ments et, en un mot, tous les moyens d'analyse dont nous sommes redevables aux laboratoires des chimistes et des physiciens. Nous devons en effet, permettez -moi d'insister en passant sur ce point, nous devons beaucoup emprunter à la physique et à la chimie, et le physiologiste doit, pour ainsi dire, combiner en lui-même toutes les sciences nécessaires pour lui permettre d'apprécier complète- ment la valeur des faits qu'il observe. Mais, dira-t-on, il y aurait bien peu de physiologistes si, pour mériter ce titre, il fallait posséder toutes les branches de la science humaine. Cela est incontestablement vrai! Mais nous avons, dans chaque cas particulier, la ressource de recourir à l'aide d'un spécialiste. C'est de cette manière que nous arrivons à constituer un jury complet pour l'appréciation des faits. Seulement il ne faut jamais oublier que, lorsque deux observateurs appartenant à deux départements différents de la science se réunissent pour pratiquer une expérience, souvent les rôles res- pectifs sont renversés, ce qui fait dévier leurs travaux de leur objet primitif. Il est, par suite, nécessaire que, dans toute expérience exécutée sur les animaux vivants, le physiologiste se constitue le maître absolu. C'est à lui 62 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. seul qu'il appartient de déterminer les conditions de T expérience. Nous disions donc qu'aujourd'hui la physique et la chimie, ces sciences auxquelles nous devons tant em- prunter, sont en état de nous fournir des moyens d'étude : il n'est donc plus permis à la médecine de s'en tenir, comme autrefois, à la clinique seule ; les expé- riences au laboratoire doivent occuper autant de place que les observations au lit du malade. Cette nécessité est si bien sentie, que chaque clinique s'adjoint aujourd'hui, dans nos grands hôpitaux, un laboratoire, où non-seulement on procède aux analyses chimiques et autres compléments nécessaires de l'obser- vation du malade, mais où l'on étend encore cette observation en provoquant des troubles morbides sur des animaux en expérience. Ces laboratoires, adjoints aux cliniques, ne sauraient être l'expression entière des tendances actuelles ; le laboratoire d'expérience, source de nos connaissances théoriques, doit avoir par cela même son existence propre, son indépendance ; et c'est ainsi que vous voyez, comme ici, au Collège de France, le laboratoire de médecine expérimentale fonctionner isolément, c'est-à-dire en dehors de toute attache clinique, prenant pour point de départ à ses recherches médicales non les faits observés sur le malade, mais bien l'étude des phénomènes physiologiques dont les faits pathologiques sont des formes dérivées. Que doit donc être un laboratoire de physiologie? quel est son but? quels sont ses moyens? Certes, en regardant vers le passé, quelques personnes DE LA MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 63 ont pu dire qu'en général les laboratoires ne sont pas indispensables, que Lavoisier a fait ses immortelles découvertes sans avoir de laboratoire, que le labora- toire ne donne pas le génie des découvertes, et que celui qui sait chercher trouvera sans disposer d'une installation spéciale; sans doute, mais avec quelles difficultés, avec quelles pertes de temps ! Or, il faut que la science marche le plus vite possible; il faut que, une expérience étant conçue, nous puissions la réaliser rapidement. C'est à cela que sert le labora- toire, en nous mettant sous la main et les sujets et les conditions expérimentales nécessaires; il facilite aux jeunes l'entrée dans la voie expérimentale : il permet aux maîtres de marcher plus rapidement et plus vite dans cette voie ; il ne donne pas le génie, mais il en facilite singulièrement les manifestations. Autrefois, et je parle seulement d'une trentaine d'années, lorsque l'idée d'une expérience était conçue, il fallait en attendre parfois bien longtemps la réali- sation ; nous n'avions ni locaux, ni appareils, ni animaux à notre disposition ; il fallait un heureux hasard et une grande ténacité pour arriver à réunir les conditions nécessaires à une tentative expérimentale. On expéri- mentait dans sa chambre, sur un animal conquis par surprise, sans aide et presque sans instruments. Quand, en 1830, Magendie fut nommé au Collège de France, il n'obtint pour faire ses vivisections qu'une toute petite salle, ou plutôt une sorte de petit cabinet, où nous pouvions à peine nous tenir à deux ; c'est là cependant, et aux prix des plus patients efforts, que se sont faites 64 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. ses plus immortelles recherches, car c'est seulement dix ans plus tard, en 1840, qu'il obtint un véritable laboratoire, celui où nous sommes aujourd'hui. En comparaison de la première installation de Magendie, notre laboratoire d'aujourd'hui est une chose splendide, et cependant les étrangers qui viennent nous y visiter ne peuvent cacher leur étonnement à la vue de son exiguïté, de sa pauvreté, de ses faibles ressources. C'est que le signal donné par Magendie fut bientôt suivi de tous côtés. Le laboratoire du Collège de France fut, dans le monde entier, le premier laboratoire de physio- logie et de médecine expérimentales; mais, depuis lors, on a fondé de nombreux laboratoires à l'étranger, et ces installations ont grandement dépassé, par leur munificence, surtout en Allemagne, la nôtre demeurée en partie à son état de simplicité primitive. Quoi qu'il en soit de ces installations plus ou moins parfaites, elles nous montrent toutes qu'on reconnaît aujourd'hui la nécessité de lire directement dans le grand livre de la nature, et de ne plus se contenter, comme on l'a fait pendant tant de siècles, de commenter les anciens écrits. Pour pénétrer dans les phénomènes de la nature, on a dû s'outiller autrement qu'autrefois, on a dû s'en- tourer de tous les moyens qui viennent à l'aide de nos sens et qui économisent le temps ; ce besoin d'établir, si je puis ainsi dire, la bonne administration scientifique de l'emploi de nos facultés, a présidé à la création et à l'installation des laboratoires. Cela étant donné, quelles dispositions doit présenter un laboratoire ? Je vous l'ai dit, c'est celui du Collège DES LABORATOIRES. 65 de France qui a été le premier créé ; c'est lui qui a d'abord servi, sinon de modèle, au moins d'exemple pour les créations faites à l'étranger ; mais aujourd'hui notre laboratoire, vu son exiguïté, ne saurait plus être présenté comme type. Ces modèles, il faut, aller les chercher dans les pays où des installations de ce genre ont été faites sur le pied le plus large et avec une véri- table munificence ; il faut les chercher en Allemagne, et notamment à Leipzig (laboratoire de Luclwig), à Pesth en Hongrie , à Leyde en Hollande , en Suisse, etc., etc. Là tout est disposé pour que l'expé- rimentateur trouve sous sa main tout ce qui est néces- saire, animaux, appareils physiques et chimiques, forces motrices, etc., etc. A l'époque où nous faisions des recherches sur le sang, et qu'il nous fallait absolument mettre à profit certaines propriétés du sang du cheval, nous étions forcés de nous transporter à de grandes distances pour aller chez les équarrisseurs, dans les abattoirs, nous procurer les matériaux nécessaires aux recherches. Je ne cite là qu'un exemple; il en est mille autres propres à vous montrer comment on peut être réduit, pour courir pour ainsi dire après les sujets d'expérience, à perdre des journées entières, heureux encore si ces longues dépenses de temps donnent un véritable résultat. Ce sont ces pertes inutiles qu'un laboratoire doit éviter; aussi le laboratoire de Pesth, que je vous citais comme exemple, possède-t-il comme annexe des écuries, des basses-cours, de véri- tables parcs, où l'on nourrit, entretient et même élève CL. BERNARD. — PHYS. OPÉR. 5 66 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. les différents animaux sur lesquels doivent porter les vivisections. Mais si nos ressources ne nous permettent pas pour le moment de songer à des installations semblables, nous devons du moins nous efforcer, même avec un étroit local, de satisfaire aux bonnes conditions instrumen- tales de nos recherches. Pour cela, il faut que chaque ordre de recherches ait sa place consacrée à cet effet, avec disposition toujours toute prête des appareils à ce destinés : ici les microscopes ; là les appareils de phy- sique, polarimètre, densimètre^ etc., etc. ; ici les piles et tout ce qui se rapporte à l'électricité, etc., etc. Il faut qu'en un mot l'expérimentateur, en entrant dans le laboratoire avec l'idée d'une expérience, trouve aussitôt sous la main tout ce qu'il faut pour la réa- liser et pour en analyser tous les éléments avec les appareils physiques aussi bien qu'avec les procédés chimiques. Je n'insisterai pas davantage sur cette question, qui recevra un complément de développement lorsque je vous exposerai la méthode à suivre pour faire les autop- sies des animaux mis en expérience. Parlons maintenant de ces animaux eux-mêmes. Notre but spécial, ainsi que l'indique du reste le titre de ce cours, c'est l'étude des vivisections, étude qui nous présentera un champ très-étendu pour établir les règles de l'expérimentation rationnelle, car, outre l'exactitude et la méthode qu'il faut apporter aux expé- riences en général, il y a encore des conditions particu- lières d'exactitude à remplir quand on opère sur les LABORATOIRES ET VIVISECTIONS. 67 corps vivants, qui, vu leurs métamorphoses, leurs chan- gements incessants, nous forcent à redoubler de mé- thode; il faut que nous cherchions à fixer momenta- nément l'instabilité des phénomènes qu'ils présentent, alin de les étudier toujours dans les mêmes circonstances. Tel est le but des vivisections entreprises d'une manière rationnelle. Galien faisait déjà des dissections sur des animaux vivants, et des expériences plus ou moins systématiques pour démontrer devant le public les propositions qu'il avait avancées. C'est ainsi qu'il a expérimenté sur la moelle épinière, sur les nerfs laryngés ; il avait même observé les phénomènes qui se rapportent à la blessure du fameux nœud vital de Flourens ; il savait que c'est ainsi que le taureau est foudroyé, mais il attribuait cette mort subite à la lésion de la dure-mère, à laquelle il accordait un rôle immense dans les fonctions de l'organisme. Déjà du temps de Galien on s'inquiétait des meilleures conditions pour faire de bonnes expériences. La grande question était alors et a été longtemps encore de savoirs'il faut opérer sur les animaux les plus voisins de l'homme; c'est ce que pensait Galien, et c'était là à ses yeux la con- dition nécessaire pour rendre applicable à la médecine le résultat de ses vivisections. Aussi quelques expérimen- tateurs ont-ils, du temps des Ptolémées, porté leurs vivisections jusque sur des condamnés. Galien se con- tentait d'agir sur des singes, et même, par la suite, révolté par la ressemblance douloureuse des gestes du singe et de l'homme qui se débat, il se contenta d'agir sur des animaux qui, sans présenter aucune ressem- 68 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. blance extérieure avec l'homme, offrent cependant la plus grande conformité d'organisation intérieure; il agit sur des porcs, et particulièrement sur de jeunes porcs. Commerhommeestomnivore,Vésale. de son côté, avait cru devoir choisir un animal également omnivore, et c'est pourquoi il expérimentait sur le porc. Dans les temps modernes, Ch. Bell a pratiqué de nombreuses vivisec- tions sur les singes. Beaucoup de médecins penseraient encore volontiers qu'il faut, pour obtenir des résultats utilisables, agir sur des animaux très-voisins de l'homme. C'est là une erreur. Sans doute cette recherche serait nécessaire s'il s'agissait d'expériences ayant pour objet des applications chirurgicales ou médicales directes ; mais il s'agit de lois générales, de phénomènes largement compris, et dans ce cas, non-seulement la recherche d'animaux voisins de l'homme n'est pas utile, mais on peut dire que l'homme lui-même serait moins avantageux la plupart du temps que des animaux qui en sont très- éloignés. L'oreille du lapin est mille fois plus avanta- geuse que ne le serait l'oreille de l'homme pour étudier les phénomènes de l'innervation vaso-motrice. Sous le rapport des lois générales de la physiologie, la grenouille a rendu bien plus de services que n'aurait pu jamais le faire l'homme lui-même. Ce n'est pas à dire que la recherche du singe soit entièrement inutile pour certains cas particuliers; nous avons déjà rappelé l'exemple de Ch. Bell qui s'en servit pour étudier l'innervation de la face, mais ces cas sont rares ; l'animal lui-même n'est pas facile à se procurer ; DES VIVISECTIONS. 69 ses mains, ses gestes, ses regards douloureux inspirent toujours une certaine répugnance à le torturer. Nous nous servons donc en général des animaux domestiques les plus communs qui nous entourent : à ce point de vue, la grenouille est le plus précieux de nos sujets d'expérimentation. Mais, dira-t-on, il existe certaines différences que l'expérimentation directe a fait découvrir entre les phé- nomènes présentés par certains animaux et ceux que l'on observe chez l'homme. Chez la grenouille, par exemple, on a remarqué que lacontractilité musculaire persistait plus de vingt-quatre heures après la mort ; chez les mammifères, cette contractilité disparaît beau- coup plus tôt ; chez les oiseaux, elle dure moins encore. On a dit de même que les courants électriques observés dans les nerfs et les muscles de la Grenouille ne se ren- contrent plus chez les animaux d'un type plus élevé. Je soutiens, au contraire, qu'il faut admettre l'exis- tence de toutes ces propriétés dans les espèces animales supérieures : il n'y a là qu'une simple question d'inten- sité; en changeant les conditions ordinaires de la vie, nous pouvons modifier à volonté les propriétés physio- logiques. Chez les animaux à sang froid, les phénomènes ont un caractère de lenteur qui permet de les observer facilement ; au contraire, chez les animaux à sang chaud, nous les voyons se succéder avec une telle rapidité, qu'il devient impossible de les saisir dans leur ordre d'appa- rition. Lorsque, par la section de la moelle épinière, ainsi que nous vous le montrerons plus tard, nous transfor- 70 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. irions un mammifère en un animal à sang froid, nous découvrons chez lui les mêmes phénomènes électriques que chez la grenouille ; par contre, nous voyons ces phénomènes disparaître chez les batraciens plongés dans un milieu dont la température est plus élevée que leur- température propre. Dans ces circonstances, les batra- ciens se comportent comme les animaux à sang chaud. Nous avons donc le droit, dans nos expériences, de comparer les résultats obtenus chez un animal avec ceux que nous observons chez un autre, en dépit des diffé- rences d'organisation qu'ils présentent, quelque frap- pantes qu'elles soient. Cela ne doit pas cependant nous empêcher de donner la préférence, dans nos études, aux animaux dont l'organisation se rapproche le plus près possible de la nôtre. îl n'est plus que peu de personnes qui répètent les objections auxquelles je viens de faire allusion. On est revenu maintenant de ces idées étroites : dès que la vie existe, on peut étudier ses phénomènes sur n'importe quel organisme, et laphysiologie générale emprunte ses objets d'étude à tous les échelons de la série des êtres vivants, depuis le champignon et l'infusoire jusqu'à l'homme. D'une manière générale, les résultats obtenus avec des sujets si divers peuvent légitimement être généralisés et appliqués, c'est-à-dire qu'à notre point de vue parti- culier il nous est permis de conclure des animaux à l'homme. Cependant il faut distinguer. 1° Les phénomènes vitaux proprement dits, qui sont les manifestations des propriétés des tissus; ceux-là peuvent être étudiés sur n'importe quels animaux, et ils DES VIVISECTIONS. 71 doivent l'être de préférence sur les animaux à sang froid, dont les tissus conservent leurs propriétés longtemps après la mort générale de l'animal; c'est ainsi, je le répète, que les expériences sur les muscles et les nerfs de la grenouille ont été le point de départ de nos prin- cipales connaissances en physiologie générale : la nutri- tion des éléments anatomiques, leur reproduction, leur respiration, d'une manière générale leurs échanges ayec les milieux ambiants, et enfin leur mort, tous ces phé- nomènes élémentaires s'observent dans les tissus de la grenouille aussi bien que dans ceux des animaux à sang chaud les plus supérieurs et dans ceux de l'homme; ils s'y observent seulement avec plus de facilité, parce qu'ils sont plus lents et par cela même plus saisissables ; aussi pourrait-on faire un livre rien qu'en relatant les découvertes que la physiologie a faites sur la grenouille, cet animal qu'on a appelé le Job de la physiologie; du reste, ce livre, cette histoire de l'emploi de la grenouille dans les expériences, C. Duméril l'a esquissée déjà en 4840.(1). 2° Mais quant à l'étude de la manière dont sont coor- données en un ensemble les fonctions élémentaires des tissus, c'est-à-dire les mécanismes divers par lesquels ces fonctions s'enchaînent les unes aux autres, cette étude n'est valable que pour l'animai sur lequel elle a été faite, parce que, si les tissus ont chez tous les mêmes propriétés, ils sont associés chez les divers animaux d'une (1) C. Dumeril, Notice historique sur les découvertes faites dans les sciences d'observation par V étude de V organisation des grenouilles. (Bulletin de l'Aca- démie de médecine. Paris, 1840, t. IV). ..'.../ 72 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. manière différente et constituent des organes et des appa- reils très-divers. Ainsi les tissus des poissons, des oiseaux, des mammifères, respirent de même, mais il s'en faut de beaucoup que le mécanisme respiratoire soit le même chez tous ; de même qu'une série de machines peuvent avoir le même agent moteur, la vapeur, et cependant se composer de mécanismes tout à fait différents, comme ceux d'un moulin ou ceux d'une locomotive. Chez les mammifères même les plus voisins, on s'ex- poserait, à ce point de vue, à de singulières erreurs si l'on voulait conclure d'un animal à l'autre. Ainsi la section bilatérale du nerf facial amène l'asphyxie chez le cheval : en concluerons-nous que ce nerf est essentiel à la respi- ration? Mais cette même paralysie faciale ne produit aucun accident de ce genre chez le chien, le chat, ni chez l'homme, etc.; c'est que le cheval ne peut respirer que par les narines, et que la paralysie des muscles nasaux, détruisant la dilatation active des narines, met obstacle à l'entrée de l'air. Il n'y a donc entre le facial du cheval et celui des animaux voisins qu'une différence dans le mécanisme selon lequel sont associés à la respiration certains muscles qu'il anime ; chez tous, comme chez l'homme, ce nerf est moteur: chez tous, il se distribue aux muscles de la face; mais ces muscles ne jouent pas chez tous un rôle également important dans le méca- nisme de l'inspiration. Nous emprunterons donc à l'expérience sur n'importe quels animaux les notions de physiologie générale ; celles de physiologie spéciale devront, pour devenir applica- bles à la pratique médicale, être le résultat de recherches DES VIVISECTIONS. 73 faites sur les mammifères supérieurs et sur l'homme lui- même. En interrogeant l'histoire de la médecine, on trouve quelques exemples fameux d'expériences faites sur l'homme lui-même. Il me suffira de vous rappeler l'his- toire bien connue de l'opération de la taille, faite pour la première fois sur un condamné qui y gagna à la fois la vie et la guérison de son infirmité. De nos jours, l'évolution des taenias a été étudiée soit par des expé- riences faites sur des condamnés, soit par des expé- riences dont l'expérimentateur s'est fait lui-même l'ob- jet.Enfin les médicaments nouveaux, après une première épreuve sur les animaux, sont le plus souvent soumis à des épreuves définitives que leur auteur n'hésite pas à faire sur lui-même. Mais, en somme, à part ces quelques cas exception- nels ou spéciaux, toutes nos idées morales se refusent à admettre l'expérimentation sur l'homme; c'est aux ver- tébrés supérieurs, aux mammifères, et principalement aux animaux domestiques, que nous avons recours. Il nous reste à dire quelques mots sur une considéra- tion générale qui ne mérite pas de nous arrêter long- temps. On peut se demander si nos vivisections, si les supplices et la mort imposés à ces divers animaux sont légitimes. De nombreuses protestations se sont élevées à ce sujet, moins en France que dans les pays voisins, et toujours, il faut le dire, de la part de personnes étrangères à la science. Il ne sera donc pas déplacé de vous dire ici en quelques mots notre opinion à ce sujet. 74 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. Certes, ceux qui s'apitoient sur le sort des animaux soumis aux expériences obéissent à un sentiment naturel, légitime, et que nous éprouvons aussi bien qu'eux ; seu- lement ils ne voient que les souffrances imposées aux animaux, tandis que nous, nous voyons avant tout le but à atteindre. Si, obéissant à l'idée de chercher à diminuer partout la souffrance, on voulait être logique, il faudrait renoncer aux pratiques les plus usuelles, il faudrait renon- cer à notre mode d'alimentation, et, comme le quaker qui venait reprocher à Magendie ses vivisections, repous- ser à tout jamais la viande de boucherie, le gibier, et en revenir à une nourriture exclusivement herbivore et frugivore. Mais, dira-t-on, l'abattoir se borne à donner aux animaux qui font notre nourriture une mort brusque, violente, sans prolonger leur supplice. Sans cloute; mais, si nous voulions plaider ici une cause en faveur de laquelle nous nous contenterons d'invoquer le simple bon sens, nous pourrions répondre que, pour obtenir cette dégénérescence particulière que le gourmet savoure sous le nom de foie gras, on soumet des milliers d'animaux à un supplice infiniment plus long et plus pénible que ceux dont sont témoins nos laboratoires ; nous pourrions répondre que, pour satisfaire à des goûts de mode, on mutile les animaux, on coupe capricieusement aux chiens la queue et les oreilles, etc. ; enfin nous dirions qu'aujourd'hui les animaux sur lesquels nous opérons sont le plus souvent anesthésiés, et que par ce fait même nous supprimons la douleur. Mais la véritable, la seule raison que nous ayons à donner, c'est que les vivisections font marcher la science, DES VIVISECTIONS . 75 que la science a des applications, et que par ces applica- tions, les unes déjà réalisées, les autres encore incon- nues, mais non moins certaines, la médecine pratique arrive à soulager des milliers d'êtres humains, pour quelques animaux auxquels nous avons imposé un in- stant de souffrance. Ces vues, qui résultent de tout ce que je vous ai pré- cédemment exposé sur la méthode des sciences expéri- mentales, et sur les applications qui s'en déduisent nécessairement et souvent de la manière la moins attendue, ces vues ne sont malheureusement pas fami- lières aux gens du monde, à ceux qui se sont, dans ces derniers temps, si violemment insurgés contre les vivi- sections. Tout en maintenant bien haut notre droit, ou, pour mieux dire, notre devoir d'expérimenter, nous devons cependant éviter de blesser la sensibilité des per- sonnes qui s'émeuvent des vivisections. Pour cela, il faut simplement nous garder de pratiquer les expé- riences ailleurs que dans les lieux consacrés à ce genre de recherches, c'est-à-dire ailleurs que dans les labora- toires. On conçoit que les cris d'animaux soumis à des vivisections dans les appartements d'une maison habitée, puissent émouvoir les voisins; mais nous n'en sommes plus au temps où nul abri spécial n'était offert à l'expéri- mentateur; nos laboratoires sont modestes, sans doute, mais enfin ils existent, et c'est là que la vivisection doit savoir se cantonner. Ceux qui viennent assister à nos expériences en connaissent la portée, et, partageant notre foi dans la science, ils partageront notre apparente indif- férence à la souffrance des animaux ; ceux qui ne voient 76 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. que cette souffrance, sans penser aux recherches qui motivent et justifient nos tentatives, n'ont qu'à se retirer si leurs sens sont trop vivement affectés. Pour vous montrer combien est fausse, du moins quant à ses conséquences, cette exagération cle sensibi- lité, dont trop de personnes croient devoir se parer, je vous citerai ce qui se pratique dans les écoles vétéri- naires, et notamment à Alfort. Tandis que, pour se fa- miliariser avec la pratique chirurgicale, les étudiants en médecine répètent des opérations sur le cadavre hu- main, les étudiants vétérinaires sont exercés sur des chevaux vivants, destinés, du reste, à l'équarrisseur. Cette image de tortures infligées à des animaux mou- rants révolte l'esprit de bien des gens. En réfléchissant cependant, ils verraient bientôt qu'au point de vue même de l'humanité, cette pratique est légitime, et qu'au prix de quelques souffrances infligées aux animaux, elle a pour but d'éviter de plus grands malheurs. Dans l'exer- cice de son art, le vétérinaire est exposé à de grands dangers : il faut qu'il sache se défendre contre les violentes réactions des sujets sur lesquels il opère; il faut donc que, pendant ses études, il s'exerce non-seu- lement à la pratique des opérations, comme le fait sur le cadavre l'étudiant en médecine, mais qu'il s'habitue encore à se mettre en garde contre les mouvements de défense de l'animal qu'il opère; il faut qu'il s'exerce à opérer sur le vivant; la vivisection est ici la condition de sa sécurité ultérieure, et celui qui s'apitoie avec exa- gération sur les souffrances de l'animal opéré, oublie évidemment que, si ces exercices n'avaient pas lieu, il DES VIVISECTIONS. 77 aurait malheureusement à s'affliger à bien plus juste titre des accidents terribles dont seraient victimes les vétérinaires pendant leurs opérations. Toutes ces considérations nous ramènent à l'objet principal de cette leçon, c'est-à-dire à l'importance des laboratoires. Je vous ai montré que ces installations sont indispensables afin de permettre ce que nous avons ap- pelé une bonne administration de nos moyens de recher- ches; vous voyez que les laboratoires sont non moins précieux pour nous mettre à l'abri des personnes trop impressionnables, de même que pour éviter à celles-ci des spectacles qui leur sont fatalement odieux, du mo- ment que l'esprit, insensible aux résultats scientifiques et pratiques ultérieurs, ne voit que les détails présents, ne s'arrête que sur l'opération de vivisection elle-même, et la laisse apprécier par le sentiment seul. CINQUIÈME LEÇON Sommaire. — Nécessité des expériences de contrôle. — Détermination du rôle des vivisections en physiologie expérimentale. — Des inductions anatomiques. — Comment on localise les phénomènes de la vie. — Com- ment on les explique. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des actes physico-chimiques. — Impulsion donnée à la physiologie générale par les découvertes de Lavoisier. — De l'emploi des poisons pour porter l'analyse expérimentale jusque sur les éléments anatomiques. — De la vie. — Théories anciennes sur la vie. — La vie réside dans les éléments anatomiques. — La vie totale de l'individu est la somme des vies partielles des éléments de tissus. — Objet de la physiologie expérimentale. Messieurs, Nous venons de voir que la vivisection est, par excel- lence, le procédé d'investigation physiologique, et nous avons défendu les vivisections contre les attaques di- verses dont elles ont été l'objet, en même temps que nous avons montré à ce sujet la nécessité des labora- toires. Pour en revenir aux principes généraux que nous cherchons à établir, insistons sur ce point qu'il est in- dispensable, dans toute vivisection, d'avoir recours aux contre-épreuves. La grande méthode adoptée en phy- siologie consiste à supprimer un organe et à comparer ce qui se passe alors avec la marche naturelle et ordi- naire des phénomènes de la vie; mais nous devons faire abstraction, dans ce cas, de toutes les conséquences immédiates de la vivisection, en un mot des accidents chirurgicaux. DES EXPÉRIENCES DE CONTROLE. 79 Si, par exemple, nous sectionnons un nerf chez un animal, nous devons faire en même temps une contre- épreuve sur un autre; pour cela, nous mettons chez celui-ci le nerf à découvert, sans le diviser, et nous sommes alors à même de distinguer les troubles qui résultent de la section du cordon nerveux des acci- dents qui ne sont que la conséquence de l'opération préliminaire. On ne saurait s'imaginer le nombre de services inespérés que cette méthode a rendus à la science. C'est par elle que j'ai réussi moi-même à décou- vrir la fonction glyeogénique. Avant cette découverte, adoptant les opinions courantes du jour, je croyais que le sucre ne se formait jamais au sein de l'économie, mais que les animaux détruisaient, d'une manière ou d'une autre, la glycose qu'ils absorbaient par l'inter- médiaire de leurs aliments. Pour démontrer ce fait, je me mis à rechercher le sucre dans tous les organes d'un chien nourri d'aliments renfermant cette substance ; mais, en examinant en même temps les organes d'un autre chien soumis exclusivement au régime animal, je m'aperçus, non sans étonnement, que le résultat de l'analyse était le même dans les deux cas. Ce résultat inattendu me conduisit à une nouvelle série d'expé- riences qui m'amenèrent à la découverte de la fonction glyeogénique. Nous devons donc toujours étudier la marche des phénomènes chez un sujet sain, parallèlement à ce que nous observons chez l'animal en expérience. Mais il est quelquefois impossible d'obtenir, chez des animaux dif- férents, des résultats susceptibles d'être comparés : c'est 80 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. ainsi que, voulant m'assurer par moi-même de la na- ture des aliments capables de produire la plus grande quantité de matière glycogène dans le foie, j'examinai en même temps deux animaux soumis antérieurement à des modes d'alimentation différents; or, les résultats obtenus ont varié avec l'âge et l'état de santé des deux animaux. J'eus ensuite recours à la manière de procé- der suivante : j'enlevai un petit morceau du foie d'un animal qui avait été pendant longtemps privé de nour- riture , après quoi j'injectai dans son estomac un ali- ment d'une composition particulière, puis je le sacrifiai, afin de pouvoir comparer les résultats de l'analyse avant et après l'ingestion de l'aliment. Mais la vivisection, dans le sens classique du mot, n'est qu'un moyen assez grossier de recherches; nous connaissons aujourd'hui quelle est la complexité des phé- nomènes vitaux, et nous ne saurions nous contenter, pour en faire l'analyse, des antiques procédés de vivi- section, tels que les pratiquaient Galien et Vésale; jus- qu'à la fin du siècle dernier, si l'on avait eu à installer un laboratoire de physiologie expérimentale, il eût suffi de le pourvoir des instruments de vivisection, c'est-à-dire de dissection, tels que Vésale lui-même les a représen- tés à la fin de son Anatomie. Une pareille installation serait aujourd'hui dérisoire : les divers instruments tranchants propres aux vivisections nous permettent seu- lement d'aller pénétrer dans l'organisme vivant , mais alors, c'est-à-dire une fois que nous sommes arrivés sur le lieu même où se produisent les phénomènes les plus intimes, nous empruntons à la physique et à la chimie DES VIVISECTIONS. 81 tous leurs appareils les plus délicats pour analyser ces phénomènes. Nous allons donc essayer de définir avec précision le rôle des vivisections en physiologie expérimentale, de montrer jusqu'à quel point elles nous laissent pénétrer dans l'étude de l'organisme, et à quel moment elles doivent être supplées et remplacées par l'emploi des moyens d'analyse physico-chimique. L'anatomie descriptive, étudiée sur le cadavre, nous permet de reconnaître des parties distinctes, des orga- nes : la vivisection, c'est-à-dire l'anatomie faite sur l'être vivant, nous permet de constater les usages de ces parties, et complète des notions que l'anatomie cadavé- rique serait toujours restée impuissante à nous donner. Un exemple, entre mille, suffira pour rendre la chose évidente : sur le cadavre on trouve toujours les artères vides ou remplies de gaz, et celui qui, comme Erasis- trate, s'en serait toujours tenu à l'inspection des artères sur le cadavre, n'aurait jamais soupçonné le rôle de ces vaisseaux dans la circulation du sang ; aussi Erasistrate regardait-il les artères comme des canaux aériens, en communication avec le conduit aérien du poumon, avec la trachée-artère. Mais Galien dissèque des animaux vivants; il voit les artères pleines de sang; et ainsi la vivisection lui montre l'usage réel de ces canaux, dont l'anatomie avait seulement révélé l'existence, et amené les premiers anatomistes à des idées fausses sur leur rôle. On peut donc dire que la vivisection anime l'anato- mie : la physiologie établie à l'aide des vivisections est CL. BERNARD. — PHYS. OPER. 82 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. une anafomia animata, ainsi que la définissait Halier lui-môme. Pour arriver à cette anatomia animata , la vivisection, dans sa forme la plus primitive, se contente d'observer les faits sur le sujet ouvert, comme lorsque Galien constate la présence du sang dans les artères , ou bien elle a recours à des procédés plus complexes : on en- lève l'organe dont on veut étudier les usages, et, des troubles produits par son absence, on conclut à ses fonc- tions et à leur importance. Cette manière de faire a souvent été la source de grosses erreurs, les expérimen- tateurs n'ayant pas toujours parfaitement établi le dé- terminisme des phénomènes observés, c'est-à-dire n'ayant pas tenu compte des lésions qui accompagnent l'ablation de l'organe, et des troubles consécutifs à ces lésions indépendamment de l'absence des fonctions de l'organe enlevé. Nous reviendrons ultérieurement sur cette question de critique expérimentale. C'est à la vivisection, pratiquée sous les deux formes sus-indiquées, que nous devons en définitive les plus importantes découvertes sur les fonctions des parties, sur les mécanismes des fonctions ; c'est ainsi qu'Harvey a découvert le mécanisme de la circulation. Ce sont en- core les vivisections de ce genre qui ont permis à Halier de faire ses belles études sur les parties sensibles et les parties insensibles, sur les parties immobiles et sur les parties mobiles ou irritables. C'est-à-dire, que, pour rendre ces expressions par leurs équivalents modernes, Halier, à l'aide de la vivisection, a distingué les nerfs d'avec les muscles, en montrant que les nerfs sont sen- DES VIVISECTIONS. 83 sibles et les muscles irritables (contractiles); et cette distinction, qui nous paraît aujourd'hui chose évidente, élait à cette époque un progrès considérable, progrès que Haller a poussé très-loin, car il a démontré l'auto- nomie du. nerf et du muscle, c'est-à-dire montré que le muscle, par exemple, possède ses propriétés contrac- tiles indépendamment du nerf : le nom ft irritabilité hallérienne, donné à l'irritabilité du muscle, a consacré cette importante découverte. Les vivisections, comme moyen de localiser chaque fonction dans chaque organe, les vivisections ont donné encore des résultats plus importants, car, si Haller a dis- tingué les nerfs des muscles, Magenclie a distingué, par la même méthode, deux espèces de nerfs à fonctions distinctes, les nerfs sensitifs et les nerfs moteurs, et vous savez que les seules sections, portées successive- ment sur les deux ordres de racines des nerfs rachi- diens, ont établi cette distinction capitale, point de départ de toute la physiologie du système nerveux. Tous ces résultats des vivisections, quelque considé- rables qu'ils soient, ne nous donnent de renseigne- ments que sur le mécanisme des fonctions, sur l'usage des organes, sur les propriétés des vaisseaux, des nerfs, des muscles, etc.; mais la vivisection ne va pas au delà; la nature de ces propriétés qu'elle révèle, les condi- tions intimes de ces phénomènes qu'elle localise, la lorce qui meut ces instruments qu'elle nous fait con- naître, tout cela échappe à son investigation. Elle s'ar- rête, de même que s'arrêterait un mécanicien qui nous expliquerait le rôle de chacune des pièces d'une loco- 84 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. motive, d'une machine quelconque, mais resterait muet sur la vapeur, sur la force motrice qui met en jeu toutes ces pièces. A l'époque où j'ai commencé mes études, on croyait être arrivé à tout ce que peut donner la physiologie expérimentale quand on avait localisé tel 'phénomène dans tel organe ; on ne croyait pas devoir chercher rien au delà de celte localisation, de cette anatomia animata. On avait reconnu que le muscle est l'agent mécanique des mouvements , qu'il déplace les leviers osseux en se contractant, c'est-à-dire en se raccourcis- sant, et l'on ne pensait pas à rechercher le mécanisme intime de cette contraction, à étudier les conditions qui la modifient. On se bornait, en un mot, à établir l'usage des parties. Aujourd'hui on est allé et on va tous les jours plus loin dans l'analyse des phénomènes des êtres vivants : après avoir localisé, on explique. Pour répondre aux besoins de ce nouvel ordre de recherches, ce n'est plus la vivisection pure et simple qui est mise en pratique, ce sont les procédés de l'analyse physique et chimique. Sans doute l'anatomie vient encore à notre aide; grâce aux instruments grossissants nous parvenons à aperce- voir les éléments anatomiques qui sont le sujet des pro- priétés des tissus ; les études histologiques, si largement et si fructueusement cultivées aujourd'hui, donnent aux recherches de physiologie générale une base ana- tomique ; mais l'anatomie microscopique ne peut nous servir qu'à localiser les phénomènes, les propriétés élé- mentaires : c'est l'expérimentation, c'est la physiolo- DES VIVISECTIONS. 85 gie générale qui les explique, c'est-à-dire qui en ana- lyse la nature physico-chimique. Les grands promoteurs de ces nouvelles études, ceux qui les premiers ouvrirent la voie à cette analyse phy- sico-chimique des phénomènes de la vie, furent La- place et Lavoisier. Nous ne saurions tenir compte ici des tentatives antérieures faites, par exemple, par Van Helrnont, tentatives prématurées et basées sur de pures hypothèses, car la chimie n'était pas constituée encore, et il était par suite impossible d'emprunter des explica- tions valables à une science qui n'existait pas. En créant la chimie, Lavoisier rendit du même coup possibles les tentatives durables de physiologie générale, et ces tentatives, il les réalisa lui-même avec Laplace, dans le grand travail que ces auteurs publièrent sur la chaleur animale. En montrant que la chaleur dégagée par les êtres vivants ne diffère pas de la chaleur pro- duite par les combustions ou par d'autres phénomènes chimiques; en établissant qu'il n'y a qu'une seule et même physique, qu'une seule et même chimie, de même qu'une seule mécanique, pour les corps orga- niques et pour les corps inorganiques, Lavoisier et Laplace jetèrent les premières bases de la physiologie générale; la physiologie des fonctions, l'étude de l'usage des parties, établie d'après les vivisections, allait donc être complétée par des recherches plus intimes, par l'analyse physico-chimique des phénomènes élémen- taires. C'est Magendie qui donna pour la première fois à un livre de physiologie le titre de Leçons sur les phéno- 86 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. mènes physiques de la vie, marquant bien ainsi le prin- cipe de la nouvelle méthode dont il a été l'un des plus actifs initiateurs. Nous verrons longuement et dans tous leurs détails, au cours de ces leçons, les progrès accomplis grâce à ces modes d'investigation. Permettez- moi, pour le moment, de vous signaler quelques-uns de ses dangers, ou, pour mieux dire, de vous mettre en garde contre quelques excès qui résultent non pas de la méthode elle-même, mais de la manière défectueuse, hâtive et incomplète dont elle est parfois appliquée. Je veux parler ici des cas où, pour expliquer par la chimie et la physique des phénomènes dont la nature est certainement physique et chimique, on se contente de les concevoir tels qu'ils pourraient être sans rechercher ce qu'ils sont réellement. Quelques exemples vous fe- ront mieux comprendre ma pensée. Ainsi les matières amylacées sont transformées, par l'action des sucs digestifs, en dextrine, puis en glycose; le chimiste, in vitro, produit ces mêmes transforma- tions soit par l'action des acides, soit par celle de la chaleur. Cela suffit-il pour nous autoriser à conclure que les sucs digestifs agissent par acidité, ou qu'il faut faire jouer un grand rôle à une sorte de cuisson, de coction digestive? L'hypothèse a été émise ; elle a été donnée et adoptée comme une explication. Cependant, l'étude directe du phénomène organique a montré que l'économie vivante produisait bien de la glycose et de la glycose identique à celle que produit le chimiste, mais qu'elle agissait par un procédé différent, par une véritable fermentation, et nous isolons aujourd'hui DES VIVISECTIONS. 87 les ferments, qui sont les agents actifs de ces transfor- mations. De même pour la saponification des corps gras : les chimistes l'obtiennent par l'action des acides, par celle des alcalis forts, par celle de la vapeur d'eau surchauf- fée; conclure par analogie à des actions semblables se produisant dans l'organisme, ce serait tomber volon- tairement dans une grossière erreur, car l'étude directe du phénomène même nous montre qu'ici encore l'orga- nisme agit par le moyen d'un ferment contenu clans le suc pancréatique. Ainsi, de l'identité des résultats produits, il n'est pas légitime de conclure à l'identité des procédés : nous produisons de l'électricité par des piles, par des électro- aimants, par des actions capillaires, etc., etc.; dans tous ces cas, l'électricité produite est toujours de même nature, mais les moyens de production sont totalement différents. Les êtres vivants produisent aussi de l' élec- tricité, et certains poissons possèdentdes organes quileur permettent de fournir des décharges aussi fortes et aussi dangereuses que celles données par des appareils puis- sants. De ce qu'on obtient le plus souvent l'électricité avec une pile composée de cuivre et de zinc, en con- clurons-nous que l'appareil électrique de ces poissons renferme une électrode cuivre et une électrode zinc, ou bien y chercherons-nous un électro-aimant? Ces suppo- sitions, dans cet exemple particulier, vous frappent par leur absurdité même: l'appareil organique de ces ani- maux produit cependant de l'électricité identique à celle que donnent nos divers appareils physiques et chi- 88 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. miques, électricité qu'on peut recueillir et condenser dans une bouteille de Leyde, comme les décharges de la ma- chine électrique, électricité à laquelle on peut faire parcourir un circuit métallique, comme on le fait pour celle de nos piles. Cependant, malgré cette identité des résultats, vous ne sauriez penser à l'identité des procédés qui les produisent. Il en est de même pour une infinité d'autres phéno- mènes organiques, et ce n'est pas, je le répète, les ex- pliquer réellement que les identifier à priori à ce que le chimiste produit in vitro dans son laboratoire. La chimie et la physique ont mieux à faire que de nous fournir des hypothèses : elles nous offrent les moyens d'analyser les actes intimes des phénomènes élémen- taires, et ce sont seulement les résultats de ces analyses qui nous permettront d'établir sur des bases sérieuses les notions essentielles de physiologie générale. Mais les vivisections d'une part, les analyses physico- chimiques d'autre part, ne sont pas les seuls moyens d'investigation que nous ayons à notre disposition. Nous savons aujourd'hui, grâce aux progrès de l'anatomie générale, qu'il faut chercher les éléments de la vie dans les éléments anatomiques eux-mêmes. Comment péné- trer par l'expérimentation jusqu'à ces éléments anato- miques, de manière à agir isolément sur chacun d'eux, ou, pour mieux dire, sur chaque classe particulière? Eh bien ! nous trouvons dans l'emploi des poisons les réactifs qui nous permettent ces actions expérimentales élémentaires par lesquelles nous dissocions les fonctions des éléments anatomiques eux-mêmes. de l'emploi DES POISONS. 89 Depuis que nous avons abordé à ce point de vue l'étude de la physiologie générale, nous pensons être parvenu à démontrer que tout ce qui agit sur la vie d'un organisme, pour l'entretenir, la modifier, la détruire, n'agit pas en réalité sur cette entité abstraite qu'on ap- pelle la vie, mais porte son action spécialement sur un des nombreux éléments anatomiques qui, par l'ensemble de leur vie partielle, constituent la vie générale de l'or- ganisme total : ainsi, dire que la strychnine agit sur la vie du chien, de l'oiseau, du poisson, c'est exprimer, au point où en est aujourd'hui la physiologie, une idée absolument fausse ; dire que ce poison agit sur la moelle épinière de ces animaux, c'est déjà se rapprocher delà vérité, mais sans l'atteindre cependant, car de même que l'animal se compose d'une réunion d'organes, de même chaque organe, et la moelle épinière en particu- lier, se compose d'un ensemble complexe d'éléments anatomiques, et en réalité l'action du poison se porte sur un seul de ces éléments anatomiques. Si, par exemple, la strychnine agit uniquement sur les cellules nerveuses excito-motrices de la moelle, c'en est assez pour que le trouble apporté dans le fonction- nement de ces cellules interrompe le fonctionnement de la moelle, car, dans un organe, les propriétés des éléments anatomiques sont, dans leurs manifestations, si intimement liées les unes aux autres, que la suppres- sion de l'une amène l'arrêt de l'autre, comme la sup- pression d'un rouage arrête le jeu entier d'une machine. Mais la même solidarité qui existe dans un organe entre ses éléments anatomiques, existe également dans l'être 90 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. entier entre ses divers organes, et c'est ainsi que le trouble des fonctions de la moelle épinière amène, dans l'exemple choisi, la mort de l'organisme total, la mort du chien, de l'oiseau, du poisson. Un exemple frappant de cette solidarité des éléments auatomiques, dont les vies partielles constituent la vie totale, nous est fourni par l'étude de l'empoisonnement que produit l'oxyde de carbone, ou bien par celui qu'occasionne le curare. Dans le premier cas, les glo- bules rouges du sang sont seuls atteints ; dans le second, ce sont les nerfs moteurs; et cependant la mort n'en arrive pas moins fatalement dans l'un comme dans l'autre cas, parce que, d'une part, la fonction des glo- bules rouges, qui sont chargés du transport de l'oxygène dans les tissus, étant supprimée, il en résulte une asphyxie générale; parce que, d'autre part, la cessation de fonc- tion des nerfs moteurs a pour conséquence l'arrêt de toutes les contractions musculaires qui président aux mécanismes les plus importants de l'organisme, à la res- piration, à la circulation. Cette action des poisons nous permet donc de réa- liser en quelque sorte des vivisections d'une délicatesse infinie, puisqu'elle nous permet, ce qui est le caractère de la vivisection proprement dite, délocaliser les phé- nomènes de la vie ; mais ici cette localisation, au lieu de se faire sur des organes, se fait sur des éléments an atomiques. Une fois cette localisation réalisée, c'est encore, pour les éléments anatomiques comme précédemment pour les organes, par les procédés d'analyse physico-chimi- DE LEMPLOI DES POISONS. 91 que que nous parvenons à l'explication des phénomè- nes élémentaires. Parmi les exemples précédemment donnés, il en est un où cette analyse est aujourd'hui parvenue très-loin : je veux parler de l'empoisonnement par l'oxyde de carbone. Nous savons aujourd'hui que le globule sanguin renferme une substance particulière, l'hémoglobine, qui se combine chimiquement avec l'oxygène, et que c'est grâce à cette combinaison, dite oxyhémoglobine, que cet élément anatomique se charge d'oxvsène et en devient le véhicule dans l'intimité des tissus. Nous savons aussi que cette hémoglobine jouit d'une grande affinité pour l'oxyde de carbone, et que la combinaison qu'elle forme avec ce gaz est plus stable que celle qu'elle forme avec l'oxygène. Nous concevons donc bien comment, en présence d'un milieu renfer- mant de l'oxyde de carbone, les globules rouges se char- gent de ce gaz, et, devenant impropres à transporter l'oxygène, ne le fournissent plus à la respiration des tissus, d'où résulte la mort de l'organisme tolal par asphyxie. Vous voyez combien ici nous avons pénétré profon- dément dans la localisation du phénomène et dans son mécanisme chimique; pour faire plus encore il nous faudrait parvenir à connaître les réactions à l'aide des- quelles nous pourrions déplacer l'oxyde de carbone fixé sur le globule; nous serions alors en complète possession du phénomène, maître de le provoquer, de l'empêcher et même de le supprimer, c'est-à-dire de détruire la combinaison chimique, et vous concevez facilement que cette connaissance entière du phénomène, cette notion 92 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. scientifique expérimentale, est la seule condition d'une application médicale rationnelle. Les considérations que je vous ai exposées sur les vi- visections, sur l'analyse physico-chimique des fonctions des organes, et enfin sur l'emploi des poisons comme agents de recherches physiologiques, nous permettant de localiser les phénomènes vitaux dans les éléments anatomiques, ces considérations ont dû vous faire voir que la vie de l'organisme n'est pas une entité telle que la concevaient les anciens, c'est-à-dire une force unique ayant un siège unique plus ou moins localisable. Gomme les phénomènes que nous devons étudier sont les phénomènes de la vie, il importe que nous nous fas- sions dès maintenant une idée bien nette de la vie, et que nous sachions ce que nous recherchons en en fai- sant l'étude. Certes je ne me propose pas de vous rappeler ici com- bien ont été diverses les idées que les philosophes et les naturalistes se sont faites de la vie. Je vous dirai seule- ment qu'aujourd'hui nous la définissons ï ensemble des phénomènes qui existent chez les êtres vivants. Ces phé- nomènes obéissent à des lois qui ne sont nullement pro- pres à l'être vivant, qui sont en dehors de lui, puisque ce sont les lois de la physique, de la chimie, delà méca- nique ; mais les conditions dans lesquelles se manifes- tent ces lois sont propres à l'organisme ; ces conditions constituent les mécanismes particuliers de ce qu'on ap- pelle les fonctions. Au commencement de ce siècle, on cherchait à re- connaître, dans les parties diverses de ces mécanismes, DÉFINITION DE LÀ VIE. 93 des pièces principales, des organes privilégiés, présidant au jeu des autres parties : telle était la conception con- nue sous le nom de trépied vital de Bichat, d'après la- quelle trois organes principaux étaient comme les trois rouages essentiels de la vie, et amenaient la mort par l'arrêt de leur fonction : on meurt, disait Bichat, par le cerveau, par le poumon ou par le cœur. Cette manière de s'exprimer est exacte quand on parle de l'homme et des animaux supérieurs, mais il ne faut pas comprendre par là que le cerveau, le cœur, le poumon soient le siège d'un principe spécial de la vie. La vie est indépen- dante, d'une manière absolue, de l'existence d'un cœur, d'un poumon, d'un cerveau : une infinité d'animaux in- férieurs vivent sans poumon, sans cerveau, sans cœur ; mais chez les animaux supérieurs les échanges des di- vers tissus avec le milieu extérieur se font par le jeu de l'appareil pulmonaire et cardiaque, et la suppression de ces organes amène la mort des éléments de tissu, parce qu'elle détruit leurs conditions d'existence. La vie n'est donc pas dans le poumon ni dans le cœur ; elle est dans les cellules, dans les éléments anatomiques de l'être vivant. Pas plus que nous n'admettons le tré- pied de Bichat, nous ne saurions admettre le point vital ou nœud vital de Flourens. Par une blessure d'une ré- gion bien circonscrite de la moelle allongée, ce physiolo- giste produisait la mort subite des animaux ; celte expé- rience était du reste connue depuis Galien et avait été plus récemment répétée par Legallois. Galien expliquait la mort subite par la lésion de la dure-mère, hypothèse en rapport avec la haute importance que les anciens 94 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. attachaient aux prétendues fonctions des méninges, et dans l'histoire desquelles nous n'avons pas à entrer ici. Flourens semble vouloir faire de cette région du bulbe le centre de la vie ; or nous savons aujourd'hui que cette partie de substance grise de la moelle allongée est le centre d'origine des nerfs de la respiration et de l'innerva- tion cardiaque : en détruisant ce centre, on supprime les fonctions du cœur et des poumons ; on arrête la vie, non pas parce qu'on atteint cette entité métaphysique dans son siège unique et central, mais parce qu'on supprime deux des fonctions ou, comme nous avons dit, des mé- canismes qui, chez les animaux supérieurs, sont indispen- sables aux échanges entre le milieu extérieur et les élé- ments anatomiques, c'est-à-dire indispensables à la vie des innombrables éléments anatomiques dont la somme constitue la vie de l'organisme entier. La physiologie cherche donc aujourd'hui la vie dans les cellules mêmes des tissus, ou dans les éléments déri- vés plus ou moins directement de la forme cellulaire (fibres musculaires, nerveuses, etc.). La pathologie suit la même direction ; elle ne se contente plus de l'inspec- tion des organes ; l'examen microscopique est appelé à fournir de précieux renseignements sur l'état des élé- ments anatomiques des tissus malades. . Tous les organes, tous les tissus, ne sont en somme qu'une réunion d'éléments anatomiques, et la vie de l'organe est la somme des phénomènes vitaux propres à chaque espèce de ces éléments. Ceux-ci ne vivent pas, comme l'organisme entier, dans le milieu extérieur; ils n'ont aucun rapport direct avec ce milieu ; ils vivent dans DÉFINITION DE LA VIE, 95 un milieu intérieur, qui est le liquide sanguin, par l'in- termédiaire duquel ils reçoivent des substances néces- saires à la manifestation de leur propriété et rejettent les résidus des actes chimiques dont ils sont le siège, c'est-à-dire les substances devenues impropres à entre- tenir leur vie. Ainsi, quand on distingue des animaux terrestres, aériens ou aquatiques, cette distinction ne s'applique qu'aux mécanismes des fonctions, c'est-à-dire que, par exemple, l'appareil destiné à mettre le sang, ou milieu intérieur, en contact d'échanges avec l'air, cet appareil est disposé différemment chez les animaux qui vivent plongés dans cet air et chez ceux qui, vivant dans l'eau, empruntent l'air que celle-ci contient en dissolution; mais chez les uns comme chez les autres, la vie générale, celle des éléments anatomiques , se fait de la même manière. Ces éléments vivent dans un milieu liquide, dans le sang qui les baigne; il n'existe pas d'élément anatomique vivant dans l'air, et lorsqu'on descend aux degrés les plus inférieurs de l'échelle des êtres, jusqu'à ces organismes qui ne sont formés que d'une cellule, que d'une petite masse de protaplasma, on voit que ces animaux ou végétaux monocellulaires vivent toujours dans l'eau ou dans un milieu liquide. Pour pénétrer dans l'analyse de la vie des éléments anatomiques, l'étude du sang sera donc de première importance, car aucune substance ne peut arriver jusqu'à ces éléments, pour en modifier la vie, sans pas- ser par l'intermédiaire du sang; c'est par ce milieu in- térieur que se fout toutes les actions nutritives, exci- 96 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. tantes, modératrices, destructives, etc. Il est vrai que le système nerveux vient agir directement sur certains éléments, comme sur la fibre musculaire dont il pro- voque la contraction ; mais dans bien des cas l'action du système nerveux ne se produit que par l'intermédiaire du sang, soit qu'il y ait modification dans l'afflux du sang, soit qu'il y ait même changement dans sa com- position, carie système nerveux agit tout aussi bien sur le phénomène mécanique de la circulation que sur la constitution chimique du milieu intérieur : ce sont là des questions que nous développerons ultérieurement, en vous rendant témoins des expériences qui s'y rap- portent. Je vous ferai ici seulement remarquer à ce point de vue que, s'il est des animaux qui s'engourdissent pen- dant l'hiver, tandis que les autres conservent la même activité que dans les autres saisons, c'est que le sys- tème nerveux présente chez ces derniers des propriétés telles qu'il règle la température du sang et la main- tient à peu près constante, c'est-à-dire indépendante des variations extérieures : grâce à ce mécanisme, les éléments anatomiques vivent alors dans le milieu inté- rieur comme des plantes en serre chaude, et n'ont pas à subir l'influence de l'abaissement de température du milieu où est plongé l'organisme entier. Les animaux qui sont dépourvus de ce mécanisme régulateur sont dits animaux à sang froid, et subissent sous ce rapport l'influence des variations du milieu ambiant. Mais il faut ajouter que plus les organismes possèdent des fonctions complexes, plus ils sont exposés à un grand DÉFINITION DE IA VIE. 97 nombre de maladies, de même qu'une machine est d'autant plus exposée à des accidents qu'elle se com- pose de pièces plus nombreuses et plus compliquées. De ce que les animaux à sang chaud ont de plus que les animaux à sans; froid un mécanisme régulateur de la température du milieu intérieur, il s'ensuit qu'ils peu- vent être frappés dans ce mécanisme même ; et en effet, l'un des processus morbides les plus fréquents, la fièvre, n'est autre chose qu'une altération de la fonction de calorifîcation : les animaux à sang froid étant dépour- vus de cette fonction, sont en même temps exempts de la fièvre. Puisque nous avons parlé de la fièvre, je vous rap- pelerai que le danger de ce processus morbide vient précisément de ce que l'augmentation de température du milieu intérieur place les éléments anatomiques dans des conditions anormales, l'excès de chaleur auquel ils sont soumis pouvant alors amener leur mort. Nous avons étudié précédemment les conditions de la mort par la chaleur, et les notions que nous avons acquises à ce sujet sont devenues, d'une manière générale, assez classiques pour qu'il me suffise de vous rappeler que les fonctions des. éléments musculaires, comme celles des nerfs, sont arrêtées lorsque la température du mi- lieu intérieur monte de quatre à cinq degrés au-dessus de la normale. En cherchant à faire l'analyse de la vie par l'étude de la vie partielle des différentes espèces d'éléments ana- tomiques, il nous faudra éviter de tomber dans une er- CL. BERNARD. — Physiol. opél\ 7 98 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. reur trop facile, et qui consisterait à conclure de la na- ture, de la forme et des besoins de la vie totale de l'in- dividu, à la nature, à la forme et aux besoins de la vie des éléments anatomiques. Ainsi on sait que l'oxygène est indispensable à la vie des animaux; c'est là une des notions les premières acquises depuis la découverte de F oxygène, notion fondamentale aujourd'hui de toutes nos connaissances sur la respiration et de toutes nos pra- tiques d'hygiène. Mais de ce que l'organisme entier doit vivre au contact de l'oxygène, soit dans l'air, soit clans l'eau, s'ensuit-il que des conditions semblables soient nécessaires aux éléments anatomiques? Au premier abord, par le simple raisonnement, en vertu de fortes analogies, on n'hésiterait pas à répondre par l'affirma- tive, mais la réponse devient très-douteuse lorsqu'on s'en rapporte aux résultats de l'expérimentation, c'est- à-dire à la réalité des choses. En effet on voit, d'une part, que les phénomènes orga- niques, qui se traduisent en définitive par des oxydations, ne se produisent réellement pas par de simples combus- tions, mais par des dédoublements infiniment plus complexes : nous avons, dans la leçon précédente, in- sisté sur cette question. D'autre part, nous voyons que les éléments anatomiques vivent non pas directement au contact du sang chargé d'oxygène, mais au contact du liquide interstitiel, de la lymphe, c'est-à-dire qu'ils sont plongés non dans le sang rouge, mais dans le sang blanc, et de même pour les invertébrés et les vertébrés. Or, dans cette lymphe, les éléments de tissus sont dans un milieu chargé d'acide carbonique et pauvre en oxy- FONCTIONS DES ÉLÉMENTS ANATOMIQUES. 99 gène, comme le démontrent tous les travaux récents sur les gaz de la lymphe. Bien plus, il semble que lorsqu'on fait arriver l'oxy- gène jusqu'au niveau des cellules des tissus, en satu- rant l'organisme de ce gaz, on provoque dans ces cellu- les des troubles qui sont incompatibles avec la vie : tels sont les résultats des expériences de P. Bert sur la res- piration de l'oxygène pur et de l'air comprime's à de hautes tensions. Toutes ces questions sont encore fort obscures au point de vue de la physiologie générale ; en y faisant allusion ici, nous n'avons d'autre but que de vous montrer, je le répète, combien il faut se garder de conclure des conditions d'existence de l'organisme entier aux conditions d'existence de ses éléments ana- tomiques constituants, et nous devions insister sur ce fait, en apparence paradoxal, que l'oxygène, indis- pensable à la vie de l'organisme entier, est peut-être moins directement utile, et même, dans certaines cir- constances, devient nuisible à la vie des éléments ana- tomiques. Nous dirons donc, pour résumer toutes les vues pré- cédentes, nous dirons que la physiologie expérimentale doit porter son investigation jusque dans la profondeur intime, microscopique, de l'organisme, jusqu'aux élé- ments anatomiques ; que dans cette étude de physio- logie générale il faut procéder comme dans celle des fonctions des organes, c'est-à-dire localiser d'abord et expliquer ensuite; et qu'enfin, pour établir ces explica- tions, il ne faut pas se contenter de conclure par ana- logie des fonctions et propriétés de l'organisme aux 100 PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET VIVISECTIONS. fonctions et propriétés de ses éléments de tissus, mais toujours rechercher directement, c'est-à-dire par le procédé expérimental, quelle est la réalité des phéno- mènes, et quels sont les processus qui, tout en obéissant aux lois de la physique et de la chimie, sont, quant à leurs formes, spéciaux aux éléments anatomiques vivants. Avec un semblable programme tout sentiment d'im- patience serait absolument fatal. Quand on a bien com- pris la complexité et l'étendue des phénomènes à ana- lyser, on est nécessairement pénétré de la nécessité de marcher lentement, mais sûrement, de se contenter du peu qu'on trouve, pourvu que ce peu constitue définiti- vement une pierre, si petite soit-elle, pour l'édifice scientifique qu'il s'agit d'élever sur des bases solides. Tel est le but de la physiologie, de la médecine expé- rimentale. Malheureusement il est difficile au médecin de se pénétrer de ce besoin de patience: il lui faut attendre les lentes conquêtes de la science, et cependant le malade est là, dans un état dont on 'veut au plus vite se rendre compte et auquel plus vite encore on désire porter remède. Pour répondre à ce double desideratum, la médecine a eu depuis longtemps recours à l'empirisme, et sur bien des points c'est encore à l'empirisme qu'elle devra longtemps encore s'adresser ; mais cet empirisme aura, même au point de vue scientifique, ses résultats incontestables : il fait surgir des questions que l'étude expérimentale aborde et dont elle fournit la solution, remplaçant alors les notions vagues et indéterminées par les données d'un déterminisme exact. Et c'est ainsi que, MÉDECINE EXPÉRIMENTALE. 101 la science expliquant l'empirisme, l'empirisme offrant à la science des points de vue nouveaux, médecine et physiologie iront simultanément s'entr'aidant et se fusionnant de plus en plus en une seule et véritable science, la médecine expérimentale ou physiologie expé- rimentale, car les phénomènes de 1 organisme malade seront expliqués par les phénomènes de l'organisme sain, et la physiologie, dans le sens le plus large, dans le sens vrai du mot, comprendra nécessairement, en une seule et même étude, les fonctions de l'organisme sous leurs formes diverses diles physiologiques et patholo- giques. Si nous avons confiance clans cet avenir de nos études expérimentales, nous devons, en raison même de la grandeur du but, donner tous nos soins aux moindres détails des efforts qui nous permettront de l'atteindre; nous devons, en un mot, nous préoccuper avant tout d'une bonne discipline expérimentale, et préciser à cet effet les conditions rigoureuses d'une technique etd'une critique expérimentale qui, eu fixant les procédés propres à contrôler les résultats déjà obtenus, nous permettent de marcher plus loin dans l'analyse des phénomènes de la vie. Dans une étude de ce genre, aucun détail ne saurait être insignifiant : c'est pourquoi nous commen- cerons, dans la prochaine leçon, cet exposé de technique expérimentale par l'indication rapide des moyens de préhension, de fixation, d'anesthésie, etc., des animaux mis en expérience. DEUXIÈME PARTIE PRÉHENSION ET CONTENTION DES ANIMAUX. INSTRUMENTS , APPAREILS ET OPÉRATIONS D'UN USAGE GÉNÉRAL DANS LES VIVISECTIONS. SIXIÈME LEÇON Sommaire : Opérations préliminaires à toutes les vivisections. — Choix des animaux destinés aux vivisections. — Préhension clés animaux. — Chiens : manière de les saisir (pince à collier, nœuds coulants, etc.); manière de les museler. — Chats ; manière de les saisir (emploi du chloroforme); manière de les museler. — Lapins et autres animaux de petite taille. — Oiseaux. Messieurs, Nos études devant porter sur des animaux vivants, notre premier soin doit être de nous procurer ces sujets d'expérience. A cet effet, la meilleure manière défaire serait d'élever des animaux, ainsi que cela se fait dans les annexes des somptueux laboratoires établis dans quelques pays étrangers, car le déterminisme expéri- mental porte non-seulement sur les conditions mêmes de l'expérience, mais encore sur les conditions antérieures des animaux, et souvent, pour faire parallèlement des recherches de contrôle, des contre-épreuves, nous de- vons agir, par exemple, sur des chiens d'une même CHOIX DES ANIMAUX. 103 portée, alia d'avoir des sujets exactement comparables. D'autre part, il est des animaux] qu'on perdrait beau- coup de temps à rechercher, si des installations parti- culières ne les mettaient constamment à notre disposi- tion ; tels sont les animaux marins. Aussi avons-nous en France des laboratoires établis aux bords de la mer, à Concarneau, à Roscoff par exemple, où les poissons, les mollusques, leséchinodermes, etc., etc., sont élevés dans d'immenses aquariums et peuvent être étudiés aux diverses époques de leur développement. A Naples, une institution de ce genre a été fondée sur un pied infini- ment grandiose et est devenue le rendez-vous d'expéri- mentateurs qui y accourent de tous les points de l'Eu- rope. Mais en somme, pour les besoins de la médecine expé- rimentale, nous n'avons que très-rarement recours aux animaux marins; les animaux domestiques, chien, chat, lapin, cheval, nous suffisent la plupart du temps, et comme notre installation ne nous permet pas d'élever ces animaux, nous nous les procurons, on le devine, soit en achetant ceux qui se trouvent clans le commerce, soit en nous faisant céder ceux qui, par mesure de police ou pour toute autre cause, sont destinés à être abattus. Ainsi les chiens errants sont ramassés pour être mis en fourrière et détruits par pendaison si leurs pro- priétaires ne les ont pas réclamés au bout de vingt- quatre heures. C'est donc à la fourrière que nous cherchons les chiens nécessaires à nos expériences. Pour agir sur ces animaux, il faut que le physiolo- giste, au point de vue de sa propre sécurité, ait recours 104 PRÉHENSION DES ANIMAUX. à certaines mesures de prudence, absolument comme le chimiste prend les précautions nécessaires pour éviter des explosions ou autres accidents dangereux. Quoi- que, la plupart du temps, les chiens venus de la four- rière soient très- abattus et par suite'très-doux, il en est cependant qui résistent, qui ne se laissent pas saisir; en tout cas, ils se défendent violemment pendant les ex- périences. Les chats sont, cela va sans dire, plus dif- ficiles encore à saisir et à maîtriser. Nous devons donc vous indiquer en deux mots les moyens de préhension et de contention des animaux. Les préceptes d'expérimentation relatifs au choix et à la disposition des animaux suivant le but spécial que l'on se propose d'atteindre se trouveront plus utilement pla- cés à propos de chaque expérience particulière. Il n'en est pas de même des préliminaires opératoires qui vont suivre, et qui se rapportent à la préhension et à la con- tention des animaux, aux dispositions générales de l'in- strumentation. Ces movens, s'étendant à l'ensemble des vivisections, doivent être exposés ici, une fois pour toutes, dans leur généralité. PRÉHENSION DES ANIMAUX. Les animaux sont toujours plus ou moins indociles quand on pratique sur eux des opérations douloureuses. Il arrive alors que l'opérateur ou ses aides, s'ils n'ont pas pris les précautions nécessaires, sont exposés à être blessés par ces animaux qui usent de leurs moyens naturels de défense. La condition principale de sécurité que je ne cesse de recommander aux élèves qui servent PRÉHEXS10X DES ANIMAUX. 105 d'aides ou qui expérimentent, c'est le sang-froid, qui permet de considérer toutes les précautions à prendre et fait qu'on n'en néglige aucune. Quand on reste calme et qu'on a tout calculé pour éviter le danger, on a le courage réfléchi fondé sur la confiance, et dans cet état d'esprit on peut aborder hardiment les opérations les plus périlleuses; tandis que je tremble toutes les fois que je vois des expérimentateurs emportés par ce cou- rage irréfléchi qui consiste à ne pas avoir peur de braver le danger, et qui, dans leur imprévoyance, courent risque d'être blessés même dans les opérations les plus simples. Chien. — A raison de leur docilité, les chiens se laissent généralement prendre sans résistance. Mais, comme les chiens sur lesquels on expérimente dans les laboratoires n'ont plus de maîtres, en ce sens que ce sont souvent des chiens errants pris et amenés dans un labo- ratoire où ils sont dépaysés, il arrive que ces animaux sont ou intimidés, comme cela a lieu chez les races de chiens de chasse, ou bien qu'ils sont irrités, défiants, et se tiennent toujours sur la défensive, ainsi que cela se voit chez certaines races de bouledogues. Il faut, dans ce dernier cas, prendre certaines précautions pour se rendre maître de ces animaux. Il n'arrive pas ordinairement que le chien se jette sur l'homme qui ne lui dit rien; ce n'est qu'au moment d'être saisi que l'animal cherche à mordre la main qui veut le prendre. Si l'animal est simplement un peu effa- rouché, on peut souvent, par des moyens de douceur et en caressant l'animal de la voix, arriver à l'approcher 106 PRÉHENSION DES ANIMAUX. suffisamment pour le saisir rapidement et solidement par la peau du cou. 11 ne faut jamais dans ces cas essayer de saisir le chien par une autre partie du corps, parce que l'on serait inévitablement mordu. Dans toutes ces manœuvres, il ne faut pas avoir Pair d'être hésitant, et il ne faut pas, ce qui effraye le chien et l'irrite encore, faire de mouvements inutiles. Enfin, si l'animal, trop féroce, gronde, montre les dents et ne se laisse pas approcher, on en vient à l'em- ploi de moyens qui permettent de saisir l'animal sans être exposé à être mordu. Uu des moyens les plus connus est une pince à collier, qui sert à se rendre maître des chiens enragés. Ce n'est autre chose qu'une longue pince en fer, dont les mors, disposés eu croissant, for- ment par leur rapprochement un collier dans lequel on étreint le cou de l'animal, sans excès, mais suffisam- ment pour qu'il ne lui soit pas possible de se dégager. L'animal ainsi saisi doit être maintenu solidement, pendant qu'une autre personne s'occupe à le museler, en ayant soin de ne pas trop approcher les doigts de la gueule et en se tenant en garde contre les griffes des pattes antérieures. Quand on n'a pas de pince à collier, on peut y sup- pléer par deux longs bâtons portant l'un et l'autre un nœud coulant. Ces nœuds étant jetés avec habileté et serrés autour du cou de l'animal, les bâtons servent à le maintenir à distance, immobile entre deux aides. Enfin si l'animal, à raison de sa force et de sa fu- reur, ne peut pas être maîtrisé on en vient à un moyen extrême qui réussit toujours. Ce moyen consiste à jeter PRÉHENSION DES ANIMAUX. 107 autour du cou du chien, soit directement, soit au moyen d'un long bâton, une corde avec un nœud coulant; alors on serre le nœud coulant, soit en s'arc-boutant contre le pied d'une table, soit en suspendant l'animal contre une porte. On étrangle ainsi l'animal; et le chien, bientôt à demi asphyxié , tombe clans une résolution et une insensibilité complètes. On profite de cet instant pour le museler rapidement, pour lui lier les pattes de devant, avec lesquelles il chercherait ensuite à se démuseler, et aussitôt après on desserre le nœud coulant; après quel- ques minutes le chien revient à la vie, muselé et garrotté de façon qu'on en soit complètement maître. Musèlement du chien. — On pourrait faire usage de muselières semblables à celles que l'on mettait jadis aux Fig. 2. — Musèlement du chien à l'aide d'une simple corde rattachée sur la nuque. chiens pendant les grandes chaleurs de l'été; mais pour les usages physiologiques ces moyens sont souvent incommodes et trop compliqués, car il faudrait avoir des muselières à la taille de tous les chiens. — Le pro- 108 PRÉHENSION DES ANIMAUX. cédé de musèlement physiologique le plus simple con- siste à faire d'abord sur le museau un ou deux tours avec un ruban de fil, ou même une petite corde, que l'on noue solidement sous la mâchoire et dont on vient en- suite (voy. fig. 2) attacher les deux chefs sur la nuque, en arrière des oreilles, pour empêcher la ligature anté- rieure de glisser. Ou bien l'on fait d'abord passer la corde dans la gueule de l'animal, puis on entoure le museau et on lie sur celui-ci : les dents canines empê- chent ainsi laligature de glisser en avant. Ou bien en- core on place un morceau de bois derrière les dents canines, et l'on empêche ainsi le glissement de la ficelle dont on entoure le museau comme précédemment. En se rapportant à la figure empruntée à Régnier de Graaf (^. 5 ci-après), on voit que cet opérateur agissait un peu différemment : il faisait un tour de ficelle derrière le cou, puis il en entourait le museau, et venait enfin fixer la ficelle à un clou fiché dans la table. Chat, — Les chats sont plus terribles que les chiens, en ce qu'ils sont armés de griffes et de dents, et que leur souplesse et leur agilité les rendent difficiles à contenir. Aussi serait-il à peu près impossible de se rendre maître d'un chat furieux : il fait des bonds comme un tisrre et déchire ce qui se trouve sous ses griffes. On peut facile- ment approcher les chats domestiques et on les adoucit parles caresses; mais aussitôt que l'animal se sent saisi et qu'il voit qu'on veut s'en rendre maître, sa férocité se réveille instantanément, et ses griffes et ses dents font des blessures cruelles qui forcent de le lâcher. Il s'agit donc de saisir le chat subitement, de manière à être à PRÉHENSION DES ANIMAUX. 109 l'abri de ses griffes et de ses dents. Autrefois, avant l'emploi des anesthésiques? je faisais usage de procédés plus ou moins compliqués et difficiles que je ne décrirai pas. Aujourd'hui que les anesthésiques sont connus, le moyen le plus simple de se rendre maître d'un chat consiste à prendre l'animal par les caresses et à le jeter brusquement dans une boîte ordinaire ou clans une boître vitrée à éthérisation (voy. plus loin l'appareil à éthérisations) que l'on referme immédiatement. On in- troduit une éponge imbibée de chloroforme et bientôt le chat tombe anesthésié. On profite de cet instant pour s'en rendre maître, c'est-à-dire pour lui attacher les pattes et le museler. Musèlement du chat. — Le musèlement du chat est loin d'être facile, parce que ces animaux ont le nez très- Fig. 3. — Chat muselé. Le corps de l'animal est placé dans la gouttière (voy. plus loin fig\ 16) dont on n'aperçoit ici que l'extrémité; dans la bouche se trouve le mors en fer annexé à cette même gout- tière dont on trouvera plus loin la description. court et que la corde tend à glisser, ou bien suffoque le chat en aplatissant les cartilages nasaux. Aussi Walter faisait-il une suture aux lèvres, de sorte que la bouche 110 PRÉHENSION DES ANIMAUX. était cousue. Mais il est plus convenable de museler le chat en liant la mâchoire inférieure, qui n'échappe pas si l'on place un bâillon qui sert de mors (voy. fig. 3). Lapins et autres animaux rongeurs. — Les rongeurs ne sont pas, comme les carnassiers, féroces de leur naturel; cependant il est certaines précautions qu'il con- vient de prendre quand on doit opérer sur eux. Les lapins sont faciles à saisir par les oreilles, et leur nature, en général inoffensive, paraît devoir dispenser de toute précaution. Cependant il arrive souvent que les lapins mordent ou cherchent à se débarrasser avec leurs griffes aiguës des mains qui les contiennent. Il faudra donc en tout cas saisir un lapin de manière à avoir la main en dehors des atteintes des dents et des griffes. De plus, il faudra se tenir pour averti que le lapin fait des mouvements extrêmement subits et vio- lents qui le font échapper et exposent alors les opéra- teurs à manquer les expériences et à être blessés. Les cobayes ou cochons et Inde §q servent quelquefois aussi de leurs dents ; mais il suffit de les saisir et de les maintenir par la peau du cou pour être en dehors de leurs atteintes. Les < marmottes , hors l'état d'hibernation, si elles ne sont pas apprivoisées, sont des animaux très-difficiles à saisir en se mettant à l'abri de leurs griffes, Elles font des morsures qui sont très- profondes. Le meilleur moyen consiste à les faire passer dans une boîte ou dans un sac, et à les éthériser comme les chats. Les rats blancs apprivoisés sont très-doux ; mais les surmulots non apprivoisés sont redoutables par leurs PRÉHENSION DES ANIMAUX, 111 dents; pour les museler, il faut les éthériser ou les sai- sir par la peau du cou avec de longues pinces ana- logues aux anciennes pinces des chimistes. On les musèle avec un mors et on les fixe comme les chiens et les chats. Animaux divers. — Le chevreau, Y agneau, le mou- ton, sur lesquels le physiologiste a parfois l'occasion d'expérimenter, sont des animaux doux et inoffensifs qui n'offrent en général aucune difficulté dans leur mode de préhension. En France, on opère assez rarement sur les singes. Je n'ai eu qu'une fois l'occasion d'expérimenter sur cet animal. Quand il est irrité, il est redoutable par ses dents et par ses mains. Les dents font des morsures profondes, et les mains, armées d'ongles aigus quand le singe est grand, saisissent celles de l'opérateur avec une vigueur telle qu'on a de la peine à s'en débarras- ser. Cependant, avec les précautions convenables, on parvient assez facilement à maîtriser cet animal. Il est certains animaux qui présentent quelques particularités, tel le hérisson, qui se roule en boule et ne peut être saisi dans cet état. Il suffit de l'éthériser pour le faire dérouler. Quant à beaucoup d'autres petits animaux mammifères, tels que les chauves-souris, sur lesquels on peut encore opérer, pourvu qu'on connaisse leurs mœurs il sera facile de s'en rendre maître, d'après tout ce qui a été dit précédemment. Oiseaux. — Les oiseaux sur lequels on opère le plus ordinairement sont les gallinacés de basse-cour, puis le dindon, le canard, le pigeon, etc. Leur préhension 112 PRÉHENSION DES ANIMAUX. n'offre aucune difficulté. Cependant les oies et les din- dons font quelquefois des morsures assez profondes, si Ton n'y prend garde. Quant aux oiseaux de proie , tels que la chouette, l'effraie, etc., il faut se garer de leur bec et de leurs serres. Le meilleur moyen est de se garantir les mains avec des gants très-épais. Du reste, quand on leur a couvert ou enveloppé la tête de manière à leur enlever toute perception lumineuse, il devient assez facile de les maintenir et de les fixer de façon à s'en rendre m ai Ire. SEPTIÈME LEÇON Sommaire : De la contention des animaux. — Contention mécanique et con- tention physiologique. — Appareils de contention mécanique employés par Vésale, par Régnier de Graaf. — Ligature des membres. — Diverses tables ,à vivisection. — Gouttières diverses de Schwann, de Pirogoff, de Blondlot. — Table à vivisection de Cl. Bernard. — Figures montrant la disposition de divers animaux sur cette table. — Transformation de cette table en diverses formes de gouttières. — Installations des animaux sur ces gout- tières (figures). — Nouvelle gouttière brisée de Cl. Bernard. — Dispositions des animaux sur la gouttière brisée. — Détails sur les mors employés pour le chien. — Contention du lapin. — Appareil de Czermak. — Préhension et contention des grands animaux : cheval (morilles, bricole, entravons, etc.) : bœuf (travail). Messieurs, Lorsqu'on s'est rendu maître de l'animal sur lequel on veut expérimenter, il s'agit de le maintenir plus ou moins longtemps dans une situation convenable et ap- propriée au genre d'expérience que Ton veut pratiquer. On peut arriver à ce résultat au moyen d'un nombre suffisant d'aides; mais on n'a pas toujours autant d'aides que l'on veut, et quand les animaux sont petits, cela devient quelquefois gênant. C'est pourquoi on fixe l'animal avec des liens, sur des tables ou divers appa- reils, qui ont été imaginés depuis longtemps par les expé- rimentateurs. Les moyens de contention des animaux sont de deux ordres : les moyens mécaniques et les moyens anesthé- CL. BERNARD. — Physiol. opél\ 8 114 CONTENTION DES ANIMAUX. signes, qu'on peut appeler d'une manière plus générale les moyens de contention physiologique. MOYENS DE CONTENTION MÉCANIQUE I HISTORIQUE. Les anciens expérimentateurs s'étaient déjà soigneu- sement pourvus de moyens propres à immobiliser les animaux. C'est une revue curieuse que celle des appa- reils plus ou moins primitifs qu'ils avaient mis en usage dans ce but. Nous trouvons dans Vésale une figure représentant l'appareil de contention destiné à l'expérimentation sur FiG. 4. — Appareil de contention du porc, d'après Ve'sale. bb, table de vivisection ; d, anneaux, et c, trous pour fixer les membres de l'animal; e, chaîne qui fixe la tôtc en passant dans la gueule. . le porc (fig. 4). — Yoici la légende de celte figure telle que la donne Vésale : « Hac figura suem asseri quem vivis sectionibus administrandis parare solemus. » b, b, asser vivis seclionibus administrandis idoneus. » c, c, varia foramina quibus laqueos pro animalis mole adhibemus, quum femora et brachia vincimus. CONTENTION MÉCANIQUE. 115 » d, d, ejus modi anuli summis manibus pedibusqùe ligandis adaptantur. » *, huic anulo maxilla superior, libéra inferiori, catenula alligatur, ut caput immotum servatur, ac inté- rim neque vox neque respiratio vinculorum occasione prepediantur (1) . » Un des procédés les plus simples pour la contention du chien se trouve représenté dans l'ouvrage de Régnier de Graaf sur le pancréas (2). Fig. 5. — Contention du chien, d'après Régnier de Graaf. Dans cette figure, l'animal est fixé sur une table, couché sur le dos et les quatre membres maintenus par des liens qui sont attachés à quatre clous plantés à des distances plus ou moins grandes, suivant la taille du chien. La tête et le museau sont également maintenus (1) Andréas Vesalii Bruxellensis Suorum de humain corporis fabriea libro- rum epitome. London, 1545. (2) Tractatus anatomo-medicus de succi pancreatici natura et usu, authore Regnero de Graaf. 1671, p. 47. 116 CONTENTION DES ANIMAUX. à l'aide d'un clou auquel est fixée une muselière en corde qui forme une anse derrière la tête et vient se nouer sur le museau. Pour empêcher les cris de l'animal, sans gêner la res- piration, la trachée-artère a été mise à nu, puis ouverte en a et soulevée sur un clou passé en dessous en travers, afin que les liquides sanguinolents ne coulent pas dans les voies respiratoires. Beaucoup d'autres physiologistes ont eu, comme de Graaf, la pensée d'éteindre les cris des animaux pour éviter les plaintes des voisins du laboratoire. Dupuytren faisait la section des nerfs récurrents pour les rendre aphones. Nous-même avons souvent prati- qué la même opération dans un but semblable ; seule- ment nous opérons par la méthode sous-cutanée, suivant un autre procédé que nous décrirons ailleurs. Au lieu de fixer les quatre membres de l'animal à l'aide de clous enfoncés dans la table, selon la méthode de de Graaf, on peut les attacher à des liens de cordes préalablement passés et arrêtés dans des trous pratiqués dans une table. Magendiese servait pour les vivisections d'une simple table de chêne solide sur ses bases et munie de liens nombreux préalablement fixés à des distances variées et pouvant ainsi s'adapter à des ani- maux de taille variée. Un autre procédé, peut-être le plus simple de tous, consiste à étendre l'animal sur une petite table et à fixer ses quatre membres aux angles montants de la table à l'aide d'une corde attachée à chacun d'eux. Dans ces procédés, où l'animal est ainsi garrotté sur CONTENTION MÉCANIQUE. 117 une planche, en quelque sorte écartelé, et où le tronc est posé à plat sur une table, il y a des mouvements du corps qui peuvent beaucoup gêner l'opérateur et exiger des aides. C'est pour cela que d'autres expérimentateurs ont imaginé des tables mieux disposées, ou des espèces de gouttières dans lesquelles le corps de l'animal peut se loger et être maintenu latéralement, en même temps que les membres sont fixés convenablement. Il existe un grand nombre de ces appareils à vivisec- tion, nous n'en citerons ici que quelques-uns. Haller avait imaginé une table à vivisection pou- vant s'élever et s'incliner dans des sens divers, suivant les opérations que l'on avait à pratiquer. Il existe encore des tables de ce genre en Allemagne, mais tous ces appareils sont plus ou moins compliqués. M. Schwann (de Liège) a imaginé une gouttière spé- cialement destinée aux chiens (l'animal y est maintenu couché sur le dos), pour les opérations que l'on a à pra- tiquer sur le ventre. Je dois la description de cette gouttière à l'obligeance du professeur Schwann lui-même, qui me la transmit FlG. 6. — Gouttière de Schwann. B,B, gouttière ; E, E. pieds ou supports; D, D, trous pour fixer l'animal; F, boîte à chloroformer (o, ouverture pour l'entrée de l'air ; r, couvercle qui permet d'introduire l'ouate imbibée de chloro forme). en 1860, lorsque je faisais un cours de physiologie opé- ratoire au Collège de France, et que je m'occupais déjà 118 CONTENTION DES ANIMAUX. de fixer les procédés d'expérimentation. Voici le dessin de cette gouttière (fig. 6). L'appareil se compose de deux planches D, D, réunies sous un angle d'environ 80 degrés. La gouttière qu'elles forment repose sur deux planches verticales E, E, qui servent de pied , de manière qu'elle penche en arrière et que l'urine s'écoule de ce côté. La longueur totale des planches est de 70 centimètres, leur largeur de 20 centimètres. En avant, cette largeur est diminuée sur une étendue de 19 centimètres. Les planches sont tra- versées de trous nombreux (D, D). Pour fixer les chiens, on leur met dans la gueule, derrière les dents canines, une tige de fer ou de laiton qui se termine aux deux bouts par un anneau dans Fig. 7. — Musèlement du chien avec une forte ficelle placée en arrière d'un mors de fer. lequel on passe une corde. On serre les mâchoires par une corde qui est placée en arrière de la tige de fei\ autour du museau (voy. fig. 7). CONTENTION MÉCANIQUE. 119 Quand le chien est couché dans la gouttière, le ventre en haut, on fixe la tête au moyen des cordes qui sont passées dans les extrémités de la tige de fer. On fixe ensuite les membres au moyen de cordes qu'on passe parles trous pratiqués dans les planches. Cet appareil est de plus muni d'une boîte en cuivre, F, destinée à chloroformer l'animal. Cette boîte pris- matique est longue de 18 centimètres, et s'adapte à l'appareil en bois au moyen d'une glissière qui permet de la retirer ou de l'enfoncer, de manière à la mettre à volonté en rapport avec le museau du chien par son ouverture postérieure. En ce point, c'est-à-dire en arrière, la paroi supérieure de la boîte est évasée et dépasse les autres parois, de façon à recouvrir le mu- seau du chien, afin de l'empêcher de respirer au dehors. Il aspire donc, de l'intérieur de la boîte en cuivre, l'air qui sort, par la partie postérieure de la boîte, chargé de chloroforme, après être entré par une ouverture 0 pratiquée à la partie antérieure. L'air se charge de chloroforme à l'intérieur delà boîte en cuivre, parce qu'il traverse une couche d'ouate arrosée de chlo- roforme et placée entre deux cylindres métalliques. On introduit l'ouate imbibée de chloroforme par la partie supérieure de la boîte en cuivre, qui est munie d'une porte à coulisse. M. Pirogoff a imaginé une gouttière dont un modèle réduit m'a été transmis de la part de M. Pirogoff lui- même. Voici la forme de cette gouttière qui est égale- ment destinée à pratiquer des opérations sur le ventre et sur la partie antérieure de l'animal (fig. 8). 120 CONTENTION DES ANIMAUX. Elle se compose d'une table A A, sur laquelle est fixée la gouttière B, élevée sur deux montants triangulaires E,E. A l'une de ses extrémités, en C, la gouttière pré- sente une échancrure sur laquelle repose le cou de d Fig. 8. — Gouttière de Pirogoff. A, A, table; B, gouttière soutenue par les montants E, E; C, extrémité éehancrée pour recevoir le cou de l'animal ; d, d, trous pour le fixer. l'animal. Celui-ci est couché sur le dos et ses membres sont maintenus par des liens fixés aux parois de la gout- tière, en passant dans divers trous ovales dont celle-ci est percée. Blondlot a décrit une gouttière mobile et non fixée à une table comme la précédente. Il en a fait usage pour pratiquer les fistules biliaires; mais elle peut aussi être utilisée pour les diverses opérations que l'on pratique sur la partie antérieure du corps. Voici (fig. 9) cette gouttière, que j'ai fait exécuter d'après la description qu'en donne Blondlot : B,B, planches d'un mètre et demi delongueur, réunies à peu près à angle droit et ayant 18 à 20 centimètres de largeur. d,d,d, mortaises et trous pour donner passage à des CONTENTION MÉCANIQUE. 121 courroies ou à des cordes destinées à fixer l'animal. E,E, patins ou chevalets convenablement échancrés sur lesquels sont clouées les planches qui forment la gouttière (1). _z? & Fig. 9. — Gouttière de Bloncllot. (Pour l'explication, voyez le texte.) Table à vivisection. — Tous les appareils de contention qui consistent en une gouttière fixe sont très-commodes quand ils sont construits en vue d'une seule expérience, c'est-à-dire quand il s'agit d'opérer toujours sur des animaux à peu près de même taille et placés sur le dos, de manière à rendre le cou, la poitrine et le ventre par- ticulièrement accessibles à l'opérateur. Mais quand il s'agit de pouvoir opérer sur des animaux de taille et d'espèce très-diverses et placés dans toutes les positions que peut exiger la physiologie expérimentale, alors une simple table percée de trous serait préférable. Cependant celle-ci offre encore beaucoup d'inconvénients ; elle ne maintient pas suffisamment le tronc des animaux, ou (1) Voy. Blondlot, Essai sur les fonctions du foie et de ses annexes. 1846, p. 49. 122 CONTENTION DES ANIMAUX. bien exige un trop grand nombre d'aides qui souvent gênent plus qu'ils ne servent. C'est pourquoi j'ai cherché à rassembler dans un même appareil à contention les avantages d'une table percée de trous, comme celle de Magendie, et d'une ou plusieurs gouttières mobiles. Le principal avantage est qu'alors les animaux peuvent être disposés d'une manière très-convenable pour opérer sur le dos et sur la colonne vertébrale. Yoici comment se compose cet appareil, que j'appelle table à vivisection et dont je me sers depuis plusieurs années au Collège de France avec beaucoup d'avantages. L'appareil représenté figure 10 se compose de deux parties distinctes : La première est une table à vivisection (E) qui est percée de trous {g, g) dans toute son étendue, et qui, comme on le voit dans le dessin, est formée par quatre panneaux (e, e, e, e) réunis entre eux par des charnières (/,/, /), dont trois sont visibles en dessus et les six autres placées en dessous. Les charnières, ainsi disposées, permettent aux panneaux de s'étendre comme une table (fig. 10) ou de se replier en forme de gouttière, comme nous le verrons plus loin (fig. 15 à 19). La deuxième partie de l'appareil est une forte table en chêne montée sur quatre pieds solides (0,0,0). Cette table est bordée latéralement par un liteau D et munie à ses deux extrémités de deux rebords mobiles R. Ces rebords tiennent à la table chacun par deux charnières visibles en dessus, ce qui permet de pouvoir les relever ou les abaisser à volonté. Dans la figure 10, les rebords sont relevés et maintenus dans cette position par des CONTENTION MÉCANIQUE. 123 tasseaux à tiroir C, C. A l'extrémité libre de chacun de Fig. 10. — Table â vivisection. — Ici la table à vivisection n'est pas repliée en gout- tières (voy. ci-après fig. 15, 16, 17, 18 et 19), mais simplement établie en table plane : g, (j, trous de la table ; e, e, e, ses panneaux; f, f, charnières de ces panneaux ; o, o, pieds de la table proprement dite, avec son liteau D et ses rebords mobiles R, que main- tiennent les tasseaux C,C. 124 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. ces rebords se trouve une feuillure b, b, destinée à encastrer à ses deux bouts la table à vivisection, qui est retenue latéralement par la continuation du liteau latéral de la table (d, d). On peut donc enlever la table à dissection proprement dite, et alors, en repous- sant les deux tasseaux à tiroir C, C, les rebords s'a- baissent et la table de support devient une table ordi- naire. — Cet appareil, tel qu'il est représenté dans la figure 10, est dans ce que j'appellerai la première position . Voici les dimensions que j'ai choisies pour chaque partie de l'appareil, comme étant celles qui conviennent à peu près dans tous les cas : La longueur de la table gouttière est de im,30 (fig. 10) ; sa largeur est de 0m,85, qui se divisent ainsi : 0m,21 pour chaque panneau extrême et 0nyl9 pour chaque panneau moyen. — Longueur: lm,45 ; hauteur delà table: 0m, 87. On peut, avec la table à vivisection disposée comme dans la figure 10, avoir tous les avantages d'une table ordinaire ; seulement la multiplicité des trous permet de fixer des animaux de toute taille inférieure aux dimen- sions de la table. Fixation des membres sur la table à vivisection. — Pour attacher les pattes de l'animal et les fixer à l'appa- reil, on glisse autour d'elles un nœud coulant et l'on passe les deux chefs de la corde dans les ouvertures pratiquées à la table, de manière à attacher le membre dans la posi. tion la plus convenable, suivant l'opération quel'on veut pratiquer (voy. fig. 11). TABLE A VIVISECTION. 125 Fig. 11. — Nœud coulant pour fixer les membres. Dans la usure 12 un chien, dans la figure 13 un Fig. 42. — Chieu fixe' sur la table à vivisection. Fia. 43. — Lapin fixé sur la table à vivisection. 126 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. lapin sont fixés par les extrémités des membres au moyen de cordes qui sont nouées dans les trous de la tablec Dans la figure 14, on voit un pigeon fixé de la même manière par les deuxjamôes et par les deux ailes. Fig. 14. — Pigeon fixé sur la table à vivisection. Mais quand l'expérience que l'on a à exécuter exige que le tronc de l'animal soit maintenu dans une gout- Fig. 15. — Table à vivisection dont les quatre panneaux sont resserrés de manière à former une gouttière (par ses deux panneaux médians, A, A). tière, on peut immédiatement transformer la table à vivi- section en un appareil à gouttière. Il suffit, comme le TABLE A VIVISECTION. 127 montre la figure 15, de resserrer les quatre panneaux en repliant en bas les deux panneaux externes B,B, qui servent ainsi de support à la gouttière formée par les deux paneaux médians A À. L'appareil a pris alors la forme de la lettre M, dont les deux jambages externes, représentant les panneaux externes, sont portés dans la feuillure b des rebords R, maintenus relevés par les tasseaux à coulisse c qui sont tirés. On peut faire promener, attirer à soi ou repousser tout l'appareil ainsi disposé, sans crainte qu'il tombe, parce qu'il est retenu latéralement par le fragment de liteau d qui tient au rebord relevé. L'animal est donc facilement placé dans cette gout- tière, aussi commodément que dans tous les autres appa- reils à gouttière fixe. Même s'il est utile que la tête de l'animal soit élevée, on passe par les trous transversaux une règle très-épaisse «, sur laquelle on appuie le cou de l'animal pour lui soulever la tête. L'appareil tel qu'il est représenté dans la figure 15 est dans ce que j'appelle la deuxième position. On peut rétrécir ou élargir à volonté la gouttière en FlG- 16. — Profil de la table à vivisection, dans sa deuxième position (fig. 15), pour montrer les ferrures ou tirants (T, T", T") avec leurs clous à pivot (s), leurs articula- tions (r) et leurs clous à tête (p) ; B, B, panneaux externes ; A, A, panneaux internes (formant la gouttière). écartant plus ou moins les panneaux. Ces panneaux sont 428 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. maintenus solidement fixés dans leur position par un système de ferrure qu'on voit de profil dans la figure 10, dessinée au dixième de la grandeur naturelle. Les deux panneaux internes A A sont relevés en forme de gouttière par un tirant, aplati, en fer (T), fixé sur un clou à pivot en s, articulé en r, et percé de trous qu'on peut fixer à distance dans un autre clou à tête en p. Ces trous ont une gorge qui entre dans le collet du clou, où elle est solidement retenue par un ressort q. Celui-ci se relève pour empêcher le tirant de tomber spontanément, et il faut appuyer sur lui si l'on veut dégager le tirant. Les deux panneaux externes B, B sont reliés chacun aux panneaux médians correspondants par le même système de tirant (T', T'). Ce mécanisme en fer est très-solide ; mais il pourrait peut-être être remplacé par la simple règle en bois épais a (fig. 15), en en passant une aux deux extrémités de l'appareil. Si au lieu d'une gouttière on veut en avoir deux côte à côte, pour pratiquer quelques expériences qui réclament deux animaux, comme la transfusion par exemple, on les obtient immédiatement en retournant l'appareil et le plaçant tel qu'il est disposé figure 17. Il prend alors la forme de la lettre M renversée (jvj. Les panneaux internes A, A forment une arête médiane, intermédiaire, des gouttières, dont les pan- neaux B B forment les côtés externes. Tout est d'ailleurs disposé sur la table F comme dans la figure 15. La position de l'appareil en double gouttière, comme CONTENTION MÉGANIQUE. 129 il est représenté dans la figure 17, est ce que j'appellerai en troisième position. Enfin, si au lieu d'avoir à opérer sur la face inférieure du corps des chiens, on veut opérer sur le dos, comme cela a lieu particulièrement dans les expériences sur la moelle épinière et sur les racines rachidiennes, on -JZZéCZZKSdffiïï , FlG. 17. — Table à vivisection disposée de manière à donner une double gouttière ; c'est la gouttière de la ligure 15 renversée. (Lettres comme dans les figures 10 et 15.) — [Troisième position.) obtient très-facilement une sorte de gouttière culmi- nante dans laquelle se loge le thorax de l'animal, tandis que ses membres peuvent être fixés en bas très-solide- ment, et que la tète peut également être maintenue solidement au moyen d'un mors ou d'une tige en fer. Il suffit, pour obtenir ce résultat, la table à vivisection étant dans la troisième position (fîg. 17), de rappro- cher les deux panneaux externes B, B, qui, étant plus longs que les panneaux internes, dépassent l'arête de ces derniers. Lorsque le rapprochement est suffisant cl. Bernard. — Physiol. opér. 9 130 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. pour recevoir le thorax du chien suivant sa taille, on fixe les panneaux externes avec le système de tirant déjà décrit. On voit dans la figure 18 le profil de la dispo- Fig. 18. Table à vivisection en quatrième jyosition : les deux panneaux externes de la figure 17 sont ici rapproches des panneaux internes, et forment ainsi une étroite gout- tière. (Lettres comme dans les figures 10, 15 et 16.) sitiôn du tirant dans ce que j'appelle la quatrième posi- tion de l'appareil à vivisection. Le tirant T, qui retient les deux panneaux moyens A, À, est toujours dans la même situation. Quant aux deux autres tirants, c'est- à-dire les externes, il y en a un, le droit, qui ne peut pas servir et qui doit rester relevé et collé contre l'extrémité du panneau externe ; au contraire le tirant gauche T', qui fixe les panneaux externes B, est accroché en a. On aperçoit à l'autre extrémité de l'appareil le tirant droit V, qui sert ici à son tour pour maintenir le panneau externe droit qui ne l'était pas encore. Dans la figure 19, la tahle à vivisection est tout entière représentée dans cette quatrième position. Un chien (H) est fixé de manière à présenter le dos. A l'aide de la corde / qui sert de muselière, et au moyen du mors (voy. ci-dessus fi^. 2) , la tête est également fixée à l'appareil ; les membres sont attachés, sur le plan incliné formé par les panneaux externes, à l'aide de CONTENTION MÉCANIQUE. 131 cordes /, i, passées dans les trous. On voit sur le même Fig. 19.— Ensemble do la table proprement dite et de la table à vivisection, celle-ci étant dispose'e en gouttière dans sa quatrième position, et servant à maintenir, à gauche, un chien (H) place sur le ventre , et, à droite, un lapin (K). — 1, corde qui sert à museler le chien (rattachée derrière la tête) ; i, i, liens fixateurs des membres du chien; m, m, même disposition pour. Je lapin K; F, table proprement dite sur laquelle sont posés les instruments". (Pour les autres lettres, voy. fig-. 10 et 15.) appareil un lapin (K) couché sur le dos et les quatre 132 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. membres fixés par des cordes ??i, m, m. En effet, pour les petits animaux comme les lapins, si l'on trouve les gouttières de la deuxième et de la troisième position trop profondes, on peut se servir de la gouttière culmi- nante de la quatrième position. On voit les instru- ments sur la table F de support, qui est ici disposée comme dans toutes les autres positions de l'appareil, ce dont on peut facilement se rendre compte, parce que dans toutes les figures les principales lettres se correspondent, en ce sens qu'elles désignent toujours les mêmes objets. En résumé, cet appareil à vivisection peut être em- ployé dans les positions suivantes : lre position» Étendu, les trois charnières du milieu en haut (fig. 10, 1:2, 13j. 2e — Relevé en M à gouttière médiane : les patiences ou ferrements au cinquième ou sixième trou, à partir de la base. Tra- verses pour soutenir la tête du chien (fig. 15, 16). 3e — En iç à deux gouttières latérales ; patiences icL : c'est la deuxième renversée (fig. 17). 4e — En W : c'est la troisième dont les deux panneaux externes sont rabattus en dedans ; ils sont fixés chacun par une pa- tience (au dernierr tou), l'une des patiences appartenant à une extrémité, l'autre à l'autre extrémité fig. 18 et 19 Gouttière brisée. — Nous avons dit dans. nos leçons d'introduction qu'un moyen de perfectionner l'expéri- mentation consistait à chercher toujours à simplifier les instruments ou les appareils opératoires. Depuis 1860 nous nous sommes servi des appareils précédemment décrits; si nous avons reconnu qu'ils ont de grands avantages par les indications nombreuses et variées qu'ils remplissent, nous avons reconnu, d'autre part, qu'ils sont un peu compliqués, assez coûteux, et CONTENTION MÉCANIQUE. 133 qu'ils demandent une certaine attention pour qu'on puisse s'en servir convenablement. C'est pourquoi nous avons cherché à résumer dans une seule gouttière très- simple, un grand nombre des avantages de notre table à vivisection. Cette gouttière est une gouttière simple, mais dont les ailes sont divisées en deux parties de manière à .V£RMt)m:i::N 3f Fig 20 (A). Fig. 20 (B,. pouvoir se rabattre de côté, c'est-à-dire en dehors, et à donner ainsi une gouttière plus ou moins profonde. C'est ce que nous avons appelé la gouttière brisée (1). (1) Fig. 20 A et 20 B. (Gouttière brisée.) — 1° Fig. 20 A. — A, B, base de la gouttière : de cette base s'élèvent les deux ailes (G, C) de la gouttière ; ces deux ailes sont brisées, c'est-à-dire formées de deux moitiés, dont la supérieure est mobile sur l'inférieure par les charnières e, e'. Sur les côtés un support D, composé de plusieurs pièces (a, b, c), est formé de manière 134 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. En laissant ouvertes et élevées les deux ailes, on a la gouttière -ordinaire pour les vivisections à pratiquer sur LEYESLLE.DEL. F,G. i\ un chien couché sur le dos (fig. 21) (1). En rabattant à pouvoir soutenir les ailes brisées dans les diverses positions latérales qu'elles doivent prendre. Ici les ailes sont relevées de façon à former une gouttière profonde, et le support se trouve constitué par les pièces a et fe; nous verrons qu'il en est autrement pour les autres positions. A l'extrémité A de la gouttière se trouve le mors : il se compose du mors proprement dit (m), petite barre de fer qui se place dans la gueule de l'animal ; par ses extrémités ce mors glisse dans deux montants verticaux (n,n'), qui eux-mêmes peuvent glisser ou être fixés en bas dans les trous d'une forte plaque de fer horizontale (P, P). Cette plaque porte à sa partie inférieure (en 0) un court cylindre de métal qui glisse dans une forte verge de fer (S) laquelle relie cet appareil à la gouttière. Grâce à la disposition figurée en 0, tout l'ensemble du mors peut s'incliner à gauche ou à droite, selon les positions latérales que l'on veut donner à la tète du chien. 2° Fig. 20 B. — Coupe de la gouttière. Les lettres comme dans l'explication précédente. (1) Fig. 21.— Gouttière disposée exactement comme dans la figure 20 A; mais elle contient un chien couché sur le dos. Morne explication des lettres de renvoi. On voit que les pattes du chien sont fixées dans les trous dont sont percées les ailes de la gouttière. La tète est fixée par le mors, lequel est maintenu derrière les dents canines par la ligature du museau. A cet effet une forte ficelle a été passée sous le museau, puis, après avoir entouré la mâchoire inférieure, a été croisée sur elle-même dans la gueule, derrière les dents canines, et enfin amenée sur CONTENTION MÉCANIQUE. 135 seulement l'une des ailes, on a un appareil (fi g. 22) pour coucher l'animal sur le côté, position inclispen- E.VSZMû.'-C/.Cll.. Fig. 22. sable aux opérations qui doivent avoir pour siège les parties latérales du corps (1). Enfin, en rabattant les deux ailes, on se trouve (fig. 23) en possession d'un appareil très-commode pour maintenir des animaux placés sur le ventre, de manière à pouvoir agir sur leur région dorsale (fig. 23). la partie supérieure du museau. Alors on a fortement serré la ficelle, puis on a fait avec elle un ou plusieurs tours sur tout le museau, toujours derrière le mors, et finalement on l'a liée sous le menton ; on pourrait aussi aller la lier encore derrière la tète. (i) Fig. 22. — Gouttière brisée de façon à coucher sur le flanc droit l'animal que l'on veut opérer. (Les lettres comme précédemment ) On voit que, des deux ailes de la gouttière, l'aile C est restée tout entière relevée, tandis que la portion supérieure de l'aile 0 a été rabattue, soutenue par les portions a et c des supports (la partie b étant renversée) ; celte demi- aile, ainsi rabattue, forme un plan horizontal sur lequel sont fixés les quatre membres de l'animal, tandis que son corps repose dans le fond de la gout- tière, le dos appuyé contre l'aile entièrement dressée. On voit de plus que l'appareil qui sert de frein a pu subir autour de l'axe S un mouvement de rotation d'un quart de cercle, de telle sorte que le frein proprement dit (m) est devenu vertical, et a pu suivre le changement de position opéré clans la direction de l'ouverture de la gueule. Notre gouttière brisée est donc propre à maintenir l'animal dans toutes les positions possibles, pour toutes les 136 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. opérations que l'on peut avoir à pratiquer. Cet appareil, simple, peu coûteux, d'un maniement facile, se répan- dra, nous l'espérons, dans l'usage des laboratoires de vivisections. Ses dimensions sont les suivantes : lon- gueur lm,30; hauteur des panneaux 0ml 7, dont 0m ,08 pour chaque moitié. Cette gouttière sert aussi bien pour le lapin que pour le chien ; pour le lapin, on rabat les deux ailes latérales LEVEILLE.DEL £.l/£HKC[tCK£H-S FlG. 23. — Gouttière disposée de façon à coucher l'animal sur le vent.e. (Mêmes lettres que dans la figure 20 A et B.) Même disposition du mors; mais on voit que la moi;ié supérieure des deux ailes est rabattue de côté et en dehors : à cet effet les deux pièces b et c des supports latéraux sout rabattues, et ces supports ne sont plus formés que par leur portion fixe a. et l'on a une gouttière peu profonde, parfaitement apte à recevoir l'animal. Nous savons que lorsqu'il s'agit d'opérer sur le cou d'un animal, il ne suffît pas de le museler, il faut en- core fixer solidement la tête. A cet effet nous avons adapté à notre gouttière brisée un mors en fer, formé d'une branche horizontale (/w, fig. 20 A) de 17 cen- timètres de longueur, soutenue par deux branches verticales le long desquelles la première peut se mouvoir de façon à être élevée ou abaissée. On fait pénétrer ce CONTENTION MÉCANIQUE. 137 mors dans la gueule de l'animal jusque derrière les ca- nines, puis on entoure le museau d'une ficelle que l'on arrête sur le mors, comme nous l'avons indiqué précé- demment. De plus, les branches verticales du mors pas- FlG. 2i. — Disposition du mors à double branche transversale (A, A et B,B) permettant de maintenir ouverte la gueule de l'animal installé sur la gouttière brisée, comme dans la fisrure 23. sent dans une pièce métallique (P, fig. 20 A) qui peut pivoter à droite ou à gauche sur un axe longitudinal (S, fig. 20) placé sur le prolongement de l'arête de la gouttière. On peut ainsi incliner la tête de l'animal à 138 CONTliNTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. droite ou à gauche, selon que l'on veut, agir sur les par- ties latérales du cou ou de la face (voy. fig. 22 et Pour les vivisections qui doivent porter dans l'inté- rieur de la gueule de l'animal (section du nerf lingual, fistules salivaires, etc.), nous employons un mors qui diffère du précédent seulement en ce que sa branche horizontale est double, c'est-à-dire formée de deux barres (A et B, fig. 24) qui peuvent être placées à des écartements variables, maintenant l'une la mâchoire supérieure, l'autre la mâchoire inférieure, comme le montre la figure 24. La fixation des pattes se fait simplement au moyen d'une ganse ou nœud coulant que l'on vient attacher ensuite sur les ouvertures que présente la gouttière. Le chat se fixe sur cet appareil absolument comme le chien ; seulement on rabat la partie supérieure des \-v*^V liite . l.EV.DtL. Fig. 25. — Chat musclé et placé dans la gouttière brisée ; on a seulement représenté la partie antérieure de l'animal, pour montrer comment la tête peut être fixée par le moyen de mors (???) et d'un lien circulaire qui va passer finalement derrière le cou. deux ailes de façon à obtenir, comme pour le lapin, une gouttière peu profonde. Le mors est appliqué comme CONTENTION MÉCANIQUE. 139 pour le chien. Il va sans dire que Ton musèle aussi l'animal tandis qu'il est sous l'influence du chloro- forme; rien n'est alors plus facile que déplacer le mors (fig. 25, m) derrière les dents, et d'entourer le museau d'une 'ficelle que l'on noue sous la mâchoire infé- rieure, et que l'on ramène ensuite derrière le cou pour l'y nouer de nouveau. On évite ainsi que le lien ne glisse sur le museau, accident qui arriverait facilement sans cette précaution, vu la brièveté du museau chez le chat. Contention du lapin. — Quand on opère sur le lapin, on peut souvent se contenter d'un seul aide pour main- FlG. 26. — Contention simple du lapin par les deux mains d'un seul aide. tenir cet animal, surtout si la vivisection porte sur la ré- gion du cou. A cet effet l'aide saisit fortement la tête de 140 CONTENTION MÉCANIQUE DES ANIMAUX. l'animal avec la main droite, le pouce appuyé sur la mâchoire inférieure (fîg. 26), tandis que les qualre doigts s'appliquent sur la voûte crânienne. De la main gauche il assujettit à la fois les quatre membres en les portant en arrière : il suffit pour cela de saisir les pattes de derrière et l'une des pattes de devant entre le pouce et les trois derniers doigts, tandis que l'autre patte anté- rieure est maintenue entre l'index fortement serré contre le médius. La figure 26 fait bien comprendre cette disposition et montre que sur un lapin ainsi maîtrisé il est facile d'agir sur le cou et sur la région supérieure du thorax. Mais il est en général plus commode de se servir de FlG. 27. — Appareil de Gzcrmak. — La figure inférieure représente un lapin dont les membres sont liés sur la planche 0, 0, et la tête fixée par l'appareil (A, B) de Czcrmak. — La figure supérieure donne L-s détails de cet appareil : A, tige verticale ; B, tige hori- zontale mobi'e, supportant à son extrémité C un mors en fer, en forme de fourchette, avec une pièce mobile (sorte de mâchoire E), articulée en D, mue et fixée par la vis H. Y appareil de Czermak, lequel immobilise d'une façon CONTENTION MÉCANIQUE. 141 parfaite tout le lapin et maintient surtout très-bien la tête. Cet appareil se compose d'une planche (0, 0) garnie de trous pour attacher les membres de l'animal (fig. 27) ; à une extrémité de cette planche s'élève une tige verticale de fer (À), sur laquelle glisse, de manière à pouvoir être arrêtée à différents niveaux, une tige horizontale dont l'extrémité libre porte l'appareil des- tiné à fixer la tête de l'animal et qui mérite spéciale- ment le nom d'appareil de Czermak. Ce n'est autre chose qu'un mors en fer placé entre deux sortes de mâchoires métalliques : on introduit le mors derrière les incisives du lapin, puisa l'aide de la vis H on rapproche les deux mâchoires de fer, qui serrent étroitement la tête et le museau, en s'appliquant l'une sur le crâne, l'autre (E/, fig. 27) sur le maxillaire inférieur jusque vers son angle postérieur et au delà; la tête est ainsi parfaitement fixée, et l'appareil qui la maintient pou- vant osciller sur son axe transversal, on peut incliner le cou de l'animal vers la droite ou vers lagauche, selon les nécessités de l'opération. Animaux divers de petite taille. — Il y a une foule d'autres animaux de petite taille sur lesquels on opère. Les moyens de contention sont alors si faciles qu'il n'est pas nécessaire d'en parler : tels sont la grenouille, les petits oiseaux, les écureuils. On se conduira suivant les instincts des animaux. Dans tous les cas, ces moyens de contention ne peuvent donner lieu à aucune géné- ralité; ils seront donc indiqués à propos des opéra- tions spéciales dont nous aurons à traiter ultérieure- ment. 142 PRÉHENSION ET CONTENTION. PRÉHENSION ET CONTENTION DES GRAINDS ANIMAUX. A l'aide de l'appareil à vivisection que j'ai précé- demment décrit dans toutes ses positions, on peut maintenir dans toutes les attitudes les animaux sur lesquels on veut opérer, en réduisant considérablement le besoin d'aides. Mais on conçoit qu'on ne puisse plus maintenir les animaux dont la taille excède les dimen- sions de l'appareil. Ainsi j'ai souvent contenu avec cet appareil des jeu- nes moutons ou des chevreaux, peut-être mêmedse porcs, tandis qu'on ne peut plus s'en servir pour les très-gros moutons. D'ailleurs, quand les animaux sont grands, la force de leurs membres ne peut plus être maîtrisée par l'homme, et il faut alors en venir à des moyens d'une autre nature que nous allons examiner. Les physiologistes n'ont généralement à leur dispo- sition, pour expérimenter, que des chevaux épuisés et usés qui sont livrés à l'équarrisseur pour être abattus. Dans ces conditions, ces animaux sont ordinairement plus faciles à maintenir et endurent plus patiemment les expériences qu'on pratique sur eux. Les vétérinaires, au contraire, ayant affaire à des chevaux fringants et vigoureux, sont plus exposés aux blessures causées par les emportements de l'animal. Le cheval, par exemple, peut blesser par des morsures ou par la projection en avant des membres antérieurs, soit isolément , soil simultanément, quand l'animal se cabre. Nous emprun- terons donc aux vétérinaires les appareils nécessaires CONTENTION MÉCANIQUE. 143 à maintenir et à maîtriser les grands animaux. Du reste, nous n'indiquerons ici que les dispositions les plus simples, renvoyant pour plus de détails aux ouvrages spéciaux de chirurgie vétérinaire (1). Un premier moyen d'assujettir l'animal consiste à produire ce qu'on appelle une dérivation de la douleur, c'est-à-dire à produire en un point très- sensible une douleur vive et qui impressionne l'animal au point de lui faire oublier la douleur de l'opération qu'il subit. L'appareil le plus simple employé à cet effet est le tord- nez (ou improprement torche-nez) : ce n'est autre chose qu'une anse de corde fixée au bout d'un bâton et dans laquelle on saisit le bout du nez et la lèvre supérieure du cheval (voy. fig. 29). En tournant alors le bâton sur lui-même, on étreint ces parties très-sensibles, et on les serre jusqu'au degré qu'on juge con- venable. On se sert encore de mor ailles. On désigne sous ce nom une sorte de pince en fer, for- mant un compas dont les deux branches ser- rées l'une contre l'autre peuvent produire uue compression plus ou moins violente sur une partie du corps saisie entre elles (fig. 28). Pour que cet appareil soit maintenu solidement Morailles- fserré, l'une des branches est pourvue à son extrémité d'une crémaillière sur laquelle vient se fixer un anneau ovale porté par l'extrémité de l'autre branche. La figure 28 fait comprendre cette disposition. (1) Voyez notamment J. Gourdon, Eléments de chirurgie vétérinaire Paris, 1855. 144 PREHENSION ET CONTENTION. Ces deux exemples suffisent pour nous faire com- prendre ce que sont les autres appareils du même genre, désignés, par exemple, sous les noms de serre-oreilles, serre-côtes, etc. , et dont on trouvera la description dans les ouvrages spéciaux. Une seconde série de moyens consiste à mettre le cheval clans l'impossibilité de ruer : à cet effet il suffit de fixer l'un des pieds levé au-dessus de terre. Un aide vigoureux, embrassant d'une main le paturon du cheval, peut soulever le pied en s'attachanl de l'autre FlG. 29. — Cheval auquel on a appliqué le tord-nez (p. 143) et la bricole. main à la crinière ou en prenant point d'appui sur la hanche de ranimai. Mais il est bien plus simple, et plus prudent à la fois, d'avoir recours à un système de cor- dages que les vétérinaires désignent sous les noms de plate-longe, d'entraves, de bricole. La figure 29 donne parfaitement l'idée d'un appareil de ce genre, réduit à CONTENTION MÉCANIQUE. 145 sa plus simple expression. On voit qu'il se compose sim- plement d'une corde (d) portant à son extrémité une ganse qui saisit le paturon du cheval (au pied posté- rieur gauche); l'extrémité libre de la corde va d'abord passer entre les deux avant-bras, puis remonte le long de la base de l'encolure, du côté opposé au pied entravé, et, après avoir croisé sur le garrot, descend le long de l'épaule pour venir croiser sur elle-même. La main de l'aide tire alors et soulève ainsi le membre jusqu'à ce qu'il ait perdu toute possibilité d'appui sur le sol. Cette même figure représente l'application du tord- nez {a) ; elle montre aussi le procédé mis en pratique par les vétérinaires pour atta- cher solidement à la racine de la queue (e) une forte corde dont l'extrémité libre peut ser- vir à attacher et à lever un des pieds postérieurs. Si ces moyens ne suffisent pas, il faut alors abattre l'ani- mal pour le fixer et lui faire prendre la position la plus com- mode à l'opération. Il n'est pas facile de renverser un cheval, et il faut absolument pour cela avoir recours à l'un des appareils mis en usage par les vétérinaires; le plus simple est celui qui porte le nom à" entravons. Use compose (fig. 30) de fortes courroies de cuir souple que l'on peut boucler à chaque paturon du FlG. 30. — Entravons pour abattre le cheval. cl. Bernard. — Physiol. opér. 10 446 PRÉHENSION ET CONTENTION. cheval. Vers le milieu du bracelet ainsi formé, et à sa face externe, est fixé un anneau. A l'un de ces anneaux, et de préférence à celui du bracelet (ou entravon) d'un membre antérieur, on fixe une corde, dont le bout est ensuite passé dans l'anneau du pied postérieur du même côté, puis dans l'autre pied postérieur, puis enfin dans le pied antérieur resté libre. Les quatre pieds se trou- vent ainsi pris, et en tirant sur la corde on les rapproche à volonté, de manière à faire tomber l'animal. On pro- duit cette traction avec certains ménagements de façon à ne pas dérober trop brusquement les pieds du cheval, et afin que la chute se fasse sans une trop brusque secousse. Ce que nous venons de dire des grands animaux s'applique en général au cheval; mais les moyens de contention applicables aux grands ruminants ne diffè- rent que peu des précédents. Ainsi le tord-nez du cheval a ici comme équivalent les boucles et \es pinces des bou- viers italiens, sortes d'anneaux qui passent dans les narines des taureaux et des vaches. Quant aux moyens de contention plus solides, on les applique d'ordinaire sur l'animal resté debout; les vétérinaires eux-mêmes n'abattent que rarement les animaux de l'espèce bovine. On a recours de préférence à un appareil auquel on donne le nom de travail, et dont la figure 31 représente l'une des formes les plus simples. On voit que ce travail (fig. 31) a pour parties princi- pales quatre poteaux (ci, b, c, d) droits à leurs parties inférieure et supérieure, mais concaves en dedans à leur partie moyenne, de manière à comprendre, entre CONTENTION MÉCANIQUE. 147 les deux poteaux en regard l'un de l'autre, un intervalle suffisant pour que le corps d'un bœuf puisse s'y placer. De plus, les poteaux d'un côté sont immobiles, d'une seule pièce, tandis que ceux du côté opposé peuvent se mouvoir autour d'une charnière qui leur permet de se rabattre sur le sol afin de laisser entrer ranimai et de Fig. 31. — Travail pour contenir le bœuf. l'enfermer ensuite étroitement. La tête est maintenue à un poteau (e) par clés cordes qui vont des cornes aux chevilles de ce poteau. Quant aux autres poteaux, ils sont maintenus fermés par des cordes, ou mieux encore par des chevilles, comme le représente la figure 31 (en b, d, et a, c). Gomme détail particulier de la contention du cheval, nous donnons ici une figure d'un appareil qui permet de maintenir ouverte la bouche de cet animal; cet appa- reil (fig. 32) est pour le cheval l'analogue du double mors que nous avons décrit précédemment pour le chien (voy. ci-dessus fig. 24). 148 PRÉHENSION ET CONTENTION. Nous n'insisterons pas davantage sur les moyens de contention des grands animaux; ce que nous avons dit suffira pour donner une idée des difficultés à surmonter Fig. 32. — Appareil pour écarter les mâchoires du cheval. et des procédés mis en œuvre pour s'en rendre maître. Les détails dans lesquels nous sommes entré relative- ment à la contention des chiens et des animaux d'un usage expérimental plus journalier, montrent assez l'im- portance que nous attachons à ce sujet : c'est là, en effet, un des moyens indispensables pour arriver à con- stituer la physiologie expérimentale scientifique. Quant à l'influence, très-minime d'ordinaire, que l'état de contention exerce sur l'organisme animal, nous l'exa- minerons et en préciserons la valeur après avoir fait l'étude d'un nouveau système de moyens de contention T nous voulons parler de la contention physiologique, ainsi nommée par opposition à la contention mécanique que nous venons d'étudier. HUITIÈME LEÇON Sommaire : Contention physiologique des animaux. — Emploi des alcaloïdes de l'opium. — Comment il faut tenir compte, dans l'interprétation des expériences, des effets propres aux agents de contention. — Emploi de l'éther et du chloroforme. — Du chloral. — Muselières pour Taneslhésie jo jz ta, 13 s4 zJ' i& Jï.e&Z. FiG. 42. — Seringue avec ses diverses canules. 1, ensemble de la seringue, avec coupe théorique ; 2, disposition du piston et du pas de vis de sa tige ; 3, armature de la seringue ; 5, calibre et graduation du tube de verre qui forme le corps de la seringue; 5 à 10, canules à bouts mousses ; il et 12, canules piquantes; 13 et 14, canules piquantes à ouverture latérale; 15 et 16, petites canules minces. CL. BERNARD-, — PhvSÎol. OpélV 13 194 INSTRUMENTATION GÉNÉRALE. introduit dans la cavité où doit pénétrer l'injection, on retire le mandrin, on visse la seringue sur la canule et Ton procède lentement à l'injection. Nous avons, pour notre usage, substitué à la canule, ou plutôt au trocart de Pravaz, une simple canule d'acier analogue à celle de Magendie : on abrège ainsi les manœuvres. Nous nous servons aussi de canules percées sur le côté (fig. 42, en 11, 12, 13). DIXIÈME LEÇON Sommaire : Opérations d'un usage général dans les vivisections. — Des inci- sions (maniement du scalpel, des ciseaux, etc.). — Des sutures. — Manuel opératoire des injections. — Injections hypodermiques. — Injections sous- cutanées de gaz. — Quelques considérations générales sur les résultats obtenus par les injections sous-cutanées. ___ Messieurs, Connaissant les instruments que nous aurons à mettre en usage clans la plupart des vivisections, nous nous proposons de donner dans cette leçon quelques indica- tions générales sur la manière de s'en servir. C'est ainsi que nous indiquerons rapidement les différentes ma- nières de tenir le scalpel : ces détails, en apparence insi- gnifiants, ne sont pas sans importance, car s'il s'agit de faire une légère incision à un organe délicat, par exemple à un vaisseau dans lequel on doit introduire une canule, et que l'on manie le scalpel comme s'il s'agissait de développer plus de force que d'adresse, on s'expose presque à coup sûr à dépasser le but que Ton se propose, et par suite à manquer l'opération, à sacri- fier inutilement l'animal. Il est bon de connaître ces règles et de s'habituer à agir régulièrement. Nous indi- querons ensuite rapidement les différentes espèces d'in- cisions que l'on peut pratiquer, incisions qui sont toutes 196 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. justifiées d'une manière générale par le but que l'on se propose d'atteindre. Après avoir coupé, il faut souvent recoudre, réunir les parties; nous dirons donc quelques mots des sutures. Enfin nous préciserons les manœuvres opératoires applicables aux injections les plus générales, c'est-à-dire aux injections sous-cutanées. Nous compléterons ces études par quelques règles générales relatives à des questions opératoires qui sont du ressort d'un grand nombre de vivisections ou d'expé- riences ; c'est ainsi que nous indiquerons les procédés les plus avantageux pour sacrifier un animal chez lequel on a à rechercher les modiO cation s des organes internes ; nous nous arrêterons quelques instants sur ces autopsies pratiquées sur l'animal sacrifié, et dont les éléments anatomiques sont encore vivants. Toute une série d'ap- pareils est nécessaire pour étudier les modifications dynamiques que présentent ces tissus; c'est surtout l'électricité qui sert de réactif dans ces circonstances, de sorte que nous indiquerons les appareils électriques qui nous sont les plus usuels. Enfin, chez un animal réduit à l'état de cadavre apparent, soit par la section du bulbe, soit par l'ab- sorption du curare, on peut encore entretenir la vie en rétablissant artificiellement les mouvements respira- toires, et par suite l'hématose, puisque la circulation persiste dans ces cas. L'élude de la respiration artifi- cielle devra donc suivre et terminer ces détails sur les manœuvres opératoires d'un usage général. A. Maniement du scalpel. — Sans insister ici sur le maniement de ces instruments classiques, nous ne pou- INCISIONS. 197 vous cependant nous dispenser d'indiquer comment il faut tenir le scalpel : inutile de dire que cet instrument doit être tenu solidement, ici encore plus que dans les dissections simples, puisque nous avons affaire à des sujets qui peuvent remuer et nous déranger brusque- ment; mais, de quelque manière qu'on manie le scalpel, ses positions peuvent se réduire à trois. 1° On le tient comme un couteau à découper (fig. 43), c'est-à-dire le manche en plein dans la paume de la Fig. 43. — Scalpel tenu comme un couteau à découper. main, l'index appliqué sur la partie dorsale de la lame. C'est la position prise pour développer beaucoup de force , pour appuyer avec énergie. On peut varier cette position en tournant le tranchant en haut; alors l'index vient appuyer un peu plus en arrière, vers la jonction du manche et de la lame : c'est ainsi qu'on 198 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. tient l'instrument pour couper un pli fait à la peau (fig. 44). FlG. 44. — Autre position du scalpel tenu comme un couteau à découper. Incision de dedans en dehors. 2° On le tient comme une plume à écrire (fig. 45). Celte position présente encore une certaine solidité; Fig. 45. — Scalpel tenu comme une plume à écrire. mais elle est surtout utile par sa légèreté : c'est ainsi que l'on dissèque une artère, un nerf, et en général les INCISIONS . 199 organes délicats. On varie cette position en tournant en haut le tranchant de la lame, et c'est ainsi qu'on opère pour percer une cavité, pour traverser la paroi d'un viscère, d'un réservoir ou d'un canal (fig. 46). Fig. 46. — Autre position du scalpel tenu comme une plume à écrire 3° Enfin on le tient comme un archet (fig. 47) : c'est Fig. 47. — Scalpel tenu comme un archet. la position qui donne le plus de légèreté et de délicatesse 200 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. au mouvement. C'est ainsi que l'on coupe des parties délicates sur un organe à ménager; c'est ainsi que Ton sectionne un reste d'aponévrose sur un organe déjà dénudé. On peut porter la lame en avant ou en arrière, de façon à inciser en ramenant vers soi (fig. 48). Fig. 48. — Autre position du scalpel tenu comme un archet. Incision (a) sur la sonde cannelée d'une aponévrose (b), B. Incisions. — Nous ne nous arrêterons pas longue- ment sur les incisions et les différentes formes que l'on peut leur donner : les chirurgiens, dans leurs traités de médecine opératoire, décrivent des incisions simples et des incisions composées en T, en V, en croix, en crois- sant, en quadrilatère. Nous insisterons seulement sur la distinction des incisions selon qu'elles se pratiquent de dehors en dedans ou de dedans en dehors. Les incisions de dehors en dedans se pratiquent de préférence avec les scalpels à tranchant plus ou moins convexe : c'est d'ordinaire le tégument externe, ou l'enveloppe, ou les membranes superficielles que l'on incise ainsi; à cet effet, la peau, par exemple, est INCISIONS. 201 tendue entre les indicateurs et les autres domts, ou bien on la fait soulever par les deux mains d'un aide en un pli que l'on divise perpendiculairement (%• 49). Les incisions de dedans en dehors se pratiquent avec ou sans conducteur. Si l'on ne se sert point d'un con- ducteur, on se contente (fig. 46) d'enfoncer plus ou moins perpendiculairement le scalpel au travers des téguments, puis on l'in- cline sous un angle d'en- viron 45 degrés; pressant alors sur l'instrument en le ramenant à soi, on donne à l'incision la lon- gueur voulue et on la ter- mine nettement en rele- vant la lame à ançle droit. On peut encore enfoncer , comme le montre la figure 44, la lame de part en part au travers d'un pli cutané, et faire ensuite agir le tranchant soit de manière à tailler un lambeau, soit de façon à pratiquer un trajet analogue à celui que .les chirurgiens ou les vétérinaires mettent en usage pour passer un séton. Si l'on se sert d'un conducteur, c'est-à-dire de la sonde cannelée (fig. 37, n° 10), on introduit l'extrémité de celle-ci (ci, fig. 48) au-dessous de la portion de tégu- ment ou de la lamelle aponévrotique que l'on veut diviser (b, fig. 48), puis on porte la pointe du bistouri sur la cannelure, et, après avoir incliné la lame en la Fig. 49. — Incision de dehors en dedans. <202 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. rapprochant de la sonde, on la fait glisser sur celle-ci, de telle sorte qu'elle divise les parties qu'elle soulève. C. Sutures. — Les su- tures ne méritent guère de fixer longtemps notre attention : nous em- ployons généralement la suture à surjeton à points entrecoupés. Mais nous devons déclarer tout de suite qu'il est rare que les sutures réussissent, en physiologie opératoire, pour obtenir une réu- nion par première inten- tion; nous n'avons, du reste, que rarement oc- casion de désirer une réunion de ce genre. L'instrumentation né- cessaire pour faire une suture quelconque se compose : 1° de fils de lin, de soie, ou de fils métalliques ; 2° d'ai- guilles de formes diverses, les unes droites, les autres courbes (fig. 50, 3), mais toujours bien effilées et tranchantes à leur extrémité, car les téguments des animaux, encore plus que ceux de Fig. 50. — Aiguilles et porte-aiguille. 1, porte-aiguille (ou pinces à manche) droit ; 2, porte-aiguille à bec ; 2' détails de la face interne des mors du porte-aiguille ; 3, aiguilles droites et courbées. SUTURES. 203 l'homme, sont très-difficiles à traverser. Aussi se sert- on parfois, pour diriger les aiguilles avec force et préci- sion, d'un instrument appelé porte-aiguille, c'est-à-dire d'une sorte de pince à manche (fig. 50). L'extrémité des mors de la pince porte à sa face interne (fig. 50, n° %) des rainures qui permettent d'y fixer une aiguille ou une épingle dans diverses positions ; les mors sont tenus rapprochés par un coulant cpje l'on voit dans les nos J et 2 de la figure 50. Nous n'avons pas besoin d'indiquer ici les petites ma- nœuvres élémentaires qui servent à affronter les lèvres d'une solution de continuité et à les transpercer avec l'aiguille; nous parlerons seulement de la disposition définitive des fils. On divise sous ce rapport les sutures en plusieurs espèces : 1° Dans la suture entortillée on se sert d'aiguilles (■illii::j.... -- FlG. 51. — Suture entortillée. FlG. 52. — Suture entortillée (avec ao de chiffre. droites ou de fortes épingles qu'on laisse en place , après en avoir transpercé les deux lèvres de la plaie; un fil est alors jeté en anse sur les deux extré- 204 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. mités libres de chaque épingle : on fait faire un cer- tain nombre cle tours à cette anse, et l'on fait même passer le fil d'une épingle à l'autre, en croisant ses deux chefs, comme le représente la figure 51. On peut en- core, au lieu d'une anse simple, faire décrire au fil une anse double, c'est- à-dire un oo de chiffre , comme le montre la figure 52. 2° La suture à points séparés est formée de fils distincts et noués isolé- ment (fi g. 53) ; c'est la forme la plus simple et d'où dérivent les suivantes. 3° La suture enchevillée se fait comme la précédente ; mais chaque fil est double, de manière qu'on engage un petit rouleau de diachylon dans l'anse qu'il forme FlG. 53. Suture à points séparés. .■Mirai! rJil FlG. 54. — Suture enchevillée. Fig. 55. — Suture en surjet. sur l'un des côtés de l'incision ; on noue de même les extrémités libres de chaque fil sur un petit rouleau semblable. La figure 54 montre la disposition qui résulte SUTURES. 205 de cet arrangement, et fait comprendre comment la présence de ces petits rouleaux de diachylon ou de bois permet d'affronter exactement les bords de la plaie dans toute son étendue. La suture à point continu ou en surjet se fait avec un seul fil passé dans une seule aiguille, au moyen de laquelle on traverse à des intervalles égaux les deux bords de la plaie, de manière à faire décrire au fil une sorte de spirale autour de l'incision (voy. fig. 55). On noue le fil à chacune des extrémités de la suture. La suture à points passés ou en zigzag diffère peu de la précédente; seulement, au lieu de se contenter d'un Ml 'ij:,^ Fig. 56. — Suture à points passés. FlG. 57. — Suture à points passés (pour une incision cruciale). point fait alternativement de chaque côté de la solution de continuité, après avoir traversé une des lèvres de la plaie, on reporte l'aiguille à quelques millimètres de distance du point où elle vient de sortir et du même côté, puis on fait un nouveau point de suture, mais en sens inverse du précédent, c'est-à-dire de gauche à droite , si celui-ci avait été de droite à gauche (voy. fig. 56). 206 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. Enfin on peut disposer, comme le montre la figure 57, la suture à points passés de manière à rapprocher à la fois les quatre lèvres d'une double incision, d'une inci- sion cruciale. Manuel opératoire des injections sous-cutanées. — Les mêmes instruments servent aussi bien pour les injec- tions sous-cutanées que pour les injections dans les veines. Nous ne dirons ici que quelques mots des injections sous-cutanées, qui constituent une méthode générale pour introduire des substances dans l'orga- nisme. L'étude des injections intraveineuses demande des détails spéciaux qui seront donnés dans le chapitre consacré à l'appareil circulatoire. La seule raison qui nous fait étudier ici les injections sous-cutanées se trouve dans leur emploi plus général ; car, du reste, les injections sous-culanées, comme les injections intravasculaires, font pénétrer dans le sang les substances que le torrent circulatoire va ensuite porter vers les éléments anatomiques sur lesquels elles exercent leur action. En effet, hâtons-nous de le dire, rien n'agit sur l'homme, sur le chat, sur tel ou tel animal. Mais telle substance agit sur tel élément anatomique de L'homme ou du chat, et cette action peut produire consécutive- ment un trouble plus ou moins général, mais toujours secondaire, de l'organisme. Le curare agit sur le nerf moteur; l'oxyde de carbone agit sur le globule rouge. C'est toujours le sang qui nous sert de véhicule pour aller atteindre l'élément qui est du ressort de l'agent mis en expérience; mais, en dernière analyse, c'est sur cet élément particulier que nous expérimentons. Aussi INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 207 avons-nous depuis longtemps distingué pour les ani- maux deux milieux, auxquels ils empruntent leurs con- ditions d'existence : un milieu extérieur et un milieu intérieur (le sang). Le premier est celui où vit l'être total ; le second est celui où vivent les éléments anato- miques. C'est par l'intermédiaire de ce milieu que nous faisons arriver vers ces éléments les substances dont nous voulons déterminer l'action. Les opérations par lesquelles nous injectons ces sub- stances au niveau de la peau, c'est-à-dire au niveau des fines racines de l'appareil circulatoire, peuvent se diviser en trois classes, formant trois méthodes bien distinctes : la méthode épidermique, Yendermique et Y hypodermique. 4° Méthode épidermique. — La méthode épider- mique, par laquelle on cherche à faire pénétrer des substances en les déposant simplement à la surface de la peau, ne nous offre que peu de considérations inté- ressantes à notre point de vue. On pourrait croire que c'est un mode de pénétration normal, physiologique; mais en réalité cette pénétration n'a rien de physiolo- gique, puisque l'absorption pure et simple par la peau, pendant un bain par exemple, est des plus contestables: elle est en tout cas si faible, qu'elle demeure toujours insignifiante. On sait seulement qu'on peut arriver à ce mode d'absorption, soit en dégraissant préalablement la peau, soit au contraire en incorporant les substances à absorber avec des matières grasses dont on enduit le tégument ; encore dans ce cas, pour obtenir un résultat satisfaisant, doit-on avoir recours à des frictions, c'est- 208 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. à-dire à une action mécanique. Chez les grenouilles, l'absorption cutanée (épidermique) est très-active. 2° Méthode endermique. — Par ce procédé on porte en réalité les substances dans les couches profondes de l'épiderme. C'est ce que l'on connaît sous le nom ÏÏ inocu- lation. On applique, par exemple, la substance en ques- tion sur le corps muqueux de l'épiderme, mis à nu par un vésicatoire; ou bien on va la porter jusque sous l'épiderme, au contact des papilles dermiques, comme dans l'inoculation proprement dite. C'est le procédé employé en médecine pour la vaccination et même par- fois pour l'introduction de médicaments. Quelques mé- decins ont même tenté d'ériger ce procédé en méthode générale : on scarifiait la peau et appliquait sur ces légères blessures la substance médicamenteuse incor- porée clans une pâte. En thérapeutique, ce procédé est infidèle et a dû être abandonné ; mais pour la vaccine et Y inoculation de divers virus., c'est la méthode ender- mique qui est essentiellement mise en usage. II instrumentation de la méthode endermique est fort simple : elle se réduit à la lancette à vaccin (fig. 58), munie, on le sait, d'une petite rainure [ \ destinée à recevoir le virus. Mais on peut aussi se servir avec avantage d'une fine ^c " ■—- ^ seringue avec laquelle on peut pousser fig. 58. exactement et complètement une goutte Lancette à vaccin. du virus, ou même une fraction de goutte. C'est avec une fine seringue que Chauveau a fait ses expériences si précises et si délicates sur l'inocu- lation du vaccin. INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 209 Au point de vue des résultats expérimentaux, la mé- thode endermique est très-intéressante, surtout d'après les observations fournies par les expériences de Chau- veau. Ce physiologiste a montré qu'il y a dans ces cir- constances à la fois absorption et action locale. Nous avons déjà insisté sur ce fait que chaque substance agit sur un élément anatomique vers lequel elle est portée par le sang ; mais si on l'injecte directement au contact de cet élément anatomique, il y aura nécessairement action immédiate sur celui-ci, action locale; puis la partie absorbée, portée vers les éléments du même genre dans les différentes parties du corps, amènera une action générale. C'est ce qui arrive en effet : quand on iuocule le vaccin, il se produit d'abord, comme effet local, une pustule unique dans le point où a été déposé le virus ; si l'on introduit directement celui-ci dans le sang, on n'a pas d'effet local, mais une éruption générale magni- fique. Ces faits ont permis à Chauveau d'expliquer comment une action locale, après inoculation, rend tout l'organisme réfractaire et lui donne finalement l'inno- cuité recherchée dans la vaccination : c'est que par la méthode hypodermique, en introduisant le virus au contact de l'épiderme et du derme, on obtient à la fois les effets locaux et les effets généraux; la pustule locale se développe la première et se montre en pleine évolu- tion dès le cinquième jour; l'infection générale suit son cours, et devrait donner naissance à une éruption géné- rale vers le dixième jour ; mais à ce moment le sujet y est rendu réfractaire par l'évolution de la pustule locale. Mais si l'on a arrêté le travail de celle-ci; si, par cl. Bernard. — Physiol. opér. 14 210 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. exemple, on Fa cautérisée vers le troisième jour, rien n'empêche la marche de l'infection générale, qui alors parvient à se manifester, vers le dixième jour, par une éruption de toute la surface cutanée. Cet exemple nous montre une fois de plus combien il est important de bien déterminer sur quel élément agit telle ou telle substance, afin d'être à même de disposer des circon- stances qui nous permettront de provoquer plus rapi- dement cette action, en la portant directement sur l'élé- ment en question. Méthode hypodermique . — La méthode hypoder- mique, ou sous-cutanée proprement dite, est pour nous la plus importante : elle est pour ainsi dire connue de toute antiquité par les physiologistes; ce n'est qu'en médecine que son application générale est toute ré- cente, et constitue un précieux progrès, qui demande- rait d'être encore plus étendu; car la thérapeutique, dis- posant de médicaments parfaitement purs, serait assurée alors d'obtenir l'absorption avec une régularité constante et absolue. Ces injections se font dans le tissu cellulaire sous- cutané. Nous ne pouvons aller plus loin sans nous demander ce que c'est que ce tissu cellulaire sous-cutané. Comme on l'avait depuis longtemps soupçonné, et comme les recherches récentes de l'histologie tendent à le dé- montrer, ce tissu peut être identifié aux cavités séreuses : injecter dans les mailles du tissu cellulaire, c'est faire identiquement ce que faisait Magendie quand il injectait dans la cavité pleurale (voy. p. 191). Chez la grenouille même (fig. 59), le tissu cellulaire sous-cutané forme INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 211 de vastes cavités séreuses (dites sacs lymphatiques) ; du reste, Ranviera démontré la parenté des cavités séreuses et des mailles du tissu cellulaire, qui communiquent avec les origines des lymphatiques. Aussi ce tissu absorbe-t-il FlG. 59. — Disposition des sacs lymphatiques de la grenouille. (Cette figure montre en même temps la disposition à donner au mésentère de la grenouille pour y observer au microscope la circulation capillaire.) A, A, lame de lie'ge percée de l'ouverture 0 ; B, morceau de liège placé sur le côté de cette ouverture opposé au corps de la grenouille, pour établir le niveau; p, épingle fixant dans ce liège l'anse intestinale sortie de l'abdomen de l'animal ; a, a', sacs lym- phatiques (dorsal et ventral) ; b, b', idem (latéraux) ; c, c, c, cloisons incomplètes qui séparent ces sacs. — 1, colonne vertébrale et muscles ; 2, masse intestinale. très-facilement les liquides, comme les gaz, surtout lorsqu'il est très-lâche, très-souple, comme celui du lapin. Car le tissu cellulaire n'est pas partout le même chez un même animal, ni identique chez les animaux les plus voisins : il est très-serré chez le chieu. Dupuylren, frappé de la forme serrée du tissu cellulaire du périnée de l'homme, disait familièrement que c'était là du tissu cellulaire du chien. Chez le porc et chez les animaux pourvus de lard, c'est-à-dire d'un pannicule adipeux très-épais, l'absorption sous-cutanée est très-difficile à obtenir : c'est ce qui explique que ces animaux, comme par exemple le hérisson, aient été considérés comme 212 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. réfractaires à certains virus, à la morsure clés animaux venimeux, à l'acide prussique, etc. Us n'y sont pas plus réfractaires que le chien; mais ces agents, introduits sous la peau, sont trop lentement absorbés pour par- venir à produire des effets toxiques, car ils sont éliminés à mesure. Il faut donc ici, de même que pour toutes les autres opérations, tenir compte des particularités propres aux animaux en expérience : il faut savoir choisir les sujets favorables, et, sur un même sujet, les régions les plus avantageuses ; savoir tantôt porter sa préférence sur le tissu cellulaire, tantôt sur la plèvre, tantôt sur la cavité périlonéale; savoir que, de même que pour la peau, un péritoine très-chargé de graisse est fort peu propre k l'absorption, etc. Nous devons de plus ne pas oublier que les animaux présentent une aptitude bien différente à l'absorption selon qu'ils sont à jeun ou en digestion : cela se conçoit facilement, puisque, en dernière analyse, l'absorption se réduit à un phénomène d'osmose, et qu'après une copieuse digestion l'organisme, loin d'être favorable à l'osmose, présente plutôt des phénomènes généraux d'exosmose : les plèvres et les cavités séreuses, d'ordi- naire sèches ou à peine humides, présentent toujours en ce moment une certaine quantité de liquide ; toutes les exsudations, toutes les sécrétions, se font plus abon- damment. Nous faisons donc en général nos injections : sur le lapin, dans une région quelconque du tégument, mais de préférence sur le ventre, où la peau présente la plus INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 213 grande laxiié ; sur le chien, nous choisissons le pli de l'aine ou de Faisselle ; sur la grenouille, nous nous adressons aux sacs lymphatiques sous-cutanés, etc., etc. Malgré les rapports intimes des mailles du tissu cel- lulaire avec le système lymphatique, c'est surtout par les fines ramifications d'origine des veines que se fait l'absorption des substances injectées : on sait que Ma- gendie s'est attaché à démontrer le rôle prépondérant du système veineux dans l'absorption des substances toxiques; la rapidité de l'empoisonnement rendrait du reste la plupart du temps inadmissible l'hypothèse de la pénétration du poison par les voies lymphatiques, où la circulation est si lente. Du reste, nous pouvons pratiquer nos injections dans d'autres tissus cellulaires que celui qui double la peau, par exemple dans celui qui remplit les interstices des organes, dans celui qui sépare les éléments anatomiques d'un tissu plus complexe. Quand, par exemple, nous taisons une injection dans un muscle, comme nous l'avons dit plus haut pour le curare (voy. p. 174), ce n'est pas la fibre musculaire qui absorbe, mais le tissu cellulaire interfibrillaire. Dans ces cas, nous pouvons avoir à la fois, comme pour le vaccin, une action locale et une action générale. Ainsi le curare injecté dans un muscle produit une action locale très-rapide et très- énergique sur le nerf moteur de ce muscle ; puis, porté vers les autres éléments moteurs par le torrent circu- latoire, il produit plus lentement, et à un degré moins prononcé, son action générale. Dans l'absorption hypodermique, il y a deux actes : 214 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. celui par lequel la substance pénètre dans le sang, et celui par lequel elle est entraînée clans le torrent circu- latoire. Ce double travail nous permet de régulariser artificiellement l'absorption. Si, par exemple, une dose trop forte de poison a été injectée sous la peau d'un membre, nous pouvons arrêter sa trop rapide diffusion dans l'organisme en liant la racine du membre de façon à comprimer les veines; le poison passe alors très- lentement dans le reste du corps, et en serrant et relâ- chant alternativement la ligature, nous pouvons mo- dérer l'absorption de manière à sauver l'animal, en lui permettant d'éliminer au fur et à mesure une quantité de substance toxique qui, si elle avait brutalement envahi tout le système circulatoire, aurait amené fata- lement la mort. Nous avons surtout montré ce fait à propos de l'absorption du curare. \J instrumentation nécessaire aux injections hypoder- miques, et dont nous avons déjà dit quelques mots d'une manière générale, se compose essentiellement d'une seringue graduée. Dès longtemps nous nous servions d'une seringue avec graduations marquées sur la tige du piston; aujourd'hui nous préférons la se- ringue à vis, parce que le mouvement qu'elle présente esl une chose qui se gradue tout à fait mathématique- ment (voy. fig. 42). Du reste, au moyen d'une petite pièce intermédiaire, d'un écrou que l'on visse ou dé- visse, on peut rendre au piston sa liberté, et pousser alors une injection tout d'un trait et plus ou moins vite, si les circonstances exigent moins de précision que de rapidité. INJECTIONS SOUS-CUTANÉES. 215 11 est difficile de tenir toujours ses seringues en état ; les pistons se sèchent et ne fonctionnent bientôt plus. On a donc songé à remplacer le corps de la seringue par une forte vessie ou poire de caoutchouc, et à construire ainsi un appareil qui représente en grand ce que tout le monde connaît sous le nom de compte- gouttes : c'est ce qu'on a appelé la seringue de Bourguignon. Mais il ne faut pas se faire illusion à ce sujet : la poire de caoutchouc, par un long repos, se sèche, se durcit et s'abîme comme le cuir des pistons. Ici la perfection est pour ainsi dire impossible ; il faut y suppléer par une surveillance attentive, une revue fréquente des instru- ments. Fig. 60. — Injection hypodermique {manuel opératoire). b, canule enfoncée à moitié dans un tissu cellulaire lâche ; cl, canule enfoncée profondement dans un tissu cellulaire serré. Le manuel opératoire d'une injection hypodermique n'est pas très-compliqué. On commence par saisir la 216 OPÉRATIONS GÉNÉRALES. peau en y formant un gros pli, afin de l'écarter des parties profondes sous-jacentes (fig. 60) ; puis, tenant l'instrument comme une plume à écrire, on l'intro- duit dans le tissu cellulaire, où l'on peut dès lors faire mouvoir son extrémité libre comme dans une cavité séreuse (fig. 60, b). Cette manœuvre est très-facile chez le lapin, dont la peau est si lâche; elle l'est moins chez le chien, et nous en avons déjà dit la raison. On peut alors enfoncer plus ou moins la canule (fig. 60, d). Les substances que l'on injecte peuvent être des gaz^ des liquides, ou même des solides (finement divisés et en suspension dans l'eau). Supposons qu'on veuille injecter un gaz, par exemple simplement de Y air, et c'est là une expérience qui ne manque pas d'intérêt. On fait à la peau une piqûre très- oblique, afin qu'en retirant la canule, l'air ne puisse pas s'échapper, et afin aussi que le tissu cellulaire soit tra- versé obliquement, ce qui permet une plus grande dif- fusion du gaz (fig. 60, b). A mesure que l'on injecte l'air, on voit l'animal se distendre : il se forme, par exemple sur le dos, une grande poche, circonscrite vers la racine des membres, car à ce niveau se trouvent des cloisons qui empêchent la communication entre les espaces sous-cutanés, absolument comme pour les sacs lymphatiques de la grenouille. L'animal n'est nullement gêné par ce ballonnement : il paraît plus volumineux, plus fort, et l'on sait du reste que des artifices de ce genre sont parfois mis frauduleusement en pratique pour donner aux animaux l'apparence factice de l'em- INJECTIONS SOUS-CUTANÉËS. 217 bonpoint. Si l'injection est faite sur un lapin (fîg. 61), il suffira de se servir de la seringue ou de la vessie; pour le chien, vu la résistance du tissu cellulaire, nous serons obligé d'avoir recours à un soufflet. i; o .s = _Q i?"^l=Éf?'' •r 15 P \y=%(f{- o ~ ~-> S- o 3 o "" ' s 's &. o p. 0 -— es 1 m c, '— ■ S o O V5 S "^ N ~" ce a s* ^ S î FlG. 64. — Appareil de Schwann pour la respiration artificielle. 1, vue générale de l'appareil ; 2, coupe horizontale de la caisse A, montrant les détails du mécanisme moteur : — a, barillet du ressort ; l'axe du ressort traverse d'un côté le fond de la boîte (en m) et de l'autre côté une plaque en laiton formant la moitié d'un dia- phragme (c), au milieu de la caisse. Ce ressort agit au moyen d'une chaîne articulée en acier (d), sur la fusée (b) ; celle-ci communique le mouvement à son axe (e), et successivement, par des rouages engrenés, aux autres axes f, g, h, i; — k est un petit levier servant à arrêter le mouvement ; l est un appareil pour monter le ressort par la fusée; m sert à lui donner la tension. — Un volant [n, fig. 1) est appliqué sur le dernier mobile (i). 228 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. Un tube en T (C, %. 64, n° 1) renferme les deux soupapes d'entrée et de sortie. L'air entre par le robi- net F. Celui-ci a trois ouvertures : une antérieure qui s'ouvre librement à l'extérieur, une postérieure garnie d'un flacon tubulé pour recevoir du chloroforme sur de l'étoupe, et une troisième traversant l'axe du cône du robinet, ouverture qui conduit l'air, par un tuyau en gomme élastique, dans le tube C. Le cône du robinet est traversé d'avant en arrière, de manière qu'on peut aspirer l'air libre ou l'air chloroformé. D est un tube en argent destiné à être lié, par son bout antérieur ou droit, dans la trachée de l'animal ; il en faut donc de divers calibres ; les deux extrémités postérieures ou gauches (dans la figure) communiquent par de longs tubes en caoutchouc, entre lesquels se trouve la tête de l'animal, avec le tube G et le robinet E ; la quatrième ouverture (la verticale) du tube mul- tiple D sert à permettre la respiration naturelle de l'animal avant le jeu du soufflet. Le robinet E sert pour la sortie de l'air expiré. On l'ouvre assez pour que l'air vicié soit sorti des poumons quand le nouvel air arrive. Cet appareil fonctionne avec régularité pendant en- viron un quart d'heure. Nous nous sommes servis, pendant quelque temps, au laboratoire du Collège de France, d'un appareil analogue : le ressort était remplacé jpar un poids; la chaîne et la fusée étaient donc superflues, mais il fallait une table-support toute particulière et une installation gênante pour donner une course suffisante au poids moteur. RESPIRATION ARTIFICIELLE. 229 L'insuffisance de sa force motrice et le peu de durée de son mouvement nous l'ont fait bientôt abandonner. Nous préférons faire usage de la pression très-considé- rable de l'eau fournie par le robinet du laboratoire ; cette pression vient agir, comme la force d'expansion de la vapeur d'eau, sur une petite machine qui fonc- tionne exactement comme une machine à vapeur. Nous avons ainsi un mouvement de force suffisante et d'une durée indéfinie, de telle sorte que nous ne sommes plus interrompus dans une expérience par la nécessité de remonter l'appareil. Les laboratoires d'Allemagne ont en général à leur disposition une machine à vapeur qui leur fournit la force motrice nécessaire pour une foule de travaux, et entre autres pour opérer une ou plusieurs respirations artificielles à la fois. Appareils divers. — Nous terminerons en citant seu- lement quelques appareils et quelques réactifs qui sont d'un usage trop général pour que le physiologiste ne les ait pas toujours tout prêts sous la main. Telle est la balance qui servira à peser les animaux mis en expérience. A une époque où les recherches tendent à se faire avec tant de précision, où l'on expé- rimente avec des doses exactes de poisons ou de médi- caments, où l'on rapporte même nombre de données, par exemple le résidu solide de certaines excrétions, à l'unité de poids de l'animal, il est important de trouver immédiatement dans l'exposé d'une expérience des renseignements précis sur la force, la taille, les con- ditions particulières de l'animal ; de tous ces rensei- 230 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. gnements, celui qui se rapporte au poids est le plus précieux. Nous n'avons pas besoin de dire qu'il faut noter également si l'animal est à jeun ou en digestion. En un mot, avant tout, après avoir fait tous ses efforts pour obtenir une grande précision dans la dose des agents chimiques , dans la force des agents méca- niques, etc., que l'on applique au sujet en expérience, il faut s'attacher à déterminer avec une égale précision toutes les conditions que présente ce sujet. Est-il besoin d'insister sur la nécessité d'avoir tou- jours sous la main les réactifs chimiques les plus utiles en physiologie? N'a-t-on pas à chaque instant à recher- cher la réaction acide ou alcaline d'un liquide ou d'un tissu (muscle, par exemple) ? Les réactifs qui nous décèlent la présence du sucre ne sont pas moins indispensables, car on sait de quelle importance est la recherche de ce principe dans le sang ou dans l'urine. Enfin, le microscope doit toujours être sous la main du physiologiste, et, aujourd'hui que nous portons si attentivement nos recherches sur les phénomènes que présentent les éléments anatomiques eux-mêmes, il ne suffît pas du microscope, mais il faut y joindre les appa- reils qui nous permettent d'étudier avec lui les éléments anatomiques dans leur état de vie, c'est-à-dire le plus souvent dans leur état de mouvement (cils vibra- tiles, etc.) ; nous voulons parler des chambres chaudes et chambres humides (fig. 65). Une lame de verre un peu grande et polie (d) porte l'objet à la manière ordinaire. Un anneau en verre également poli entoure, à une certaine distance, l'objet, POMPE A MERCURE. 231 et son bord inférieur [a] repose sur la lame qui sup- porte la préparation. On attache aussi solidement que possible une espèce de bourse (è) en caoutchouc très- mince à la partie supérieure de l'anneau. L'ouverture de cette bourse (c), entourée d'un petit cordon en / _ _ _ ,_ f\ FiG. 65. — Chambre humide. caoutchouc, contient l'anneau ou le tube du microscope. Pour maintenir saturé d'humidité l'intérieur de cette chambre ainsi isolée, on place en dedans de l'anneau en verre deux bandelettes de moelle de sureau ou de papier buvard imprégnées d'eau; on enveloppe, en outre, extérieurement le bord inférieur de l'anneau avec des bourrelets de papier buvard préalablement mouillés. Pompe à mercure. — La pompe ou machine pneuma- tique à mercure est un appareil d'un usage général pour l'extraction des gaz ; elle est indispensable pour toutes les recherches sur les çaz du sans:. Cette ma- chine est construite d'après le même principe que le baromètre. Elle se compose en effet d'un tube de verre (fig. 66) d'environ 1 mètre de hauteur, placé verticalement contre une planche ou support; le tube se continue à sa partie inférieure avec un fort tube de caoutchouc (I, fig. 66), lequel aboutit d'autre part au 232 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. fond d'une cuvette (B) de forme sphérique qui s'ouvre à l'air libre. Cette cuvette peut être élevée ou abaissée à différents niveaux le long de la planche qui supporte le tube barométrique. L'autre extrémité de ce tube (l'extrémité supérieure) présente un renflement (A) qui forme une chambre barométrique assez considérable. Enfin le sommet de cette chambre barométrique est muni d'un robinet à trois voies (D), qui permet d'éta- blir en ce point une fermeture complète, ou de faire communiquer la chambre barométrique avec un tube horizontal ou avec un tube vertical. Ce dernier tube est entouré d'un entonnoir de verre. Cette partie de l'appareil porte une petite cuve à mercure (R) qui sert à recueillir les gaz dégagés par le vide qu'on a pro- duit. A la partie inférieure du tube barométrique on a fixé un long tube de caoutchouc (I) à parois épaisses, qui s'attache d'autre part à la partie inférieure de la cuvette B pleine de mercure. Ce tube de caoutchouc rend la cuvette mobile et permet de l'élever jusqu'au niveau de la cuve R. Cette courte description, que complète la figure 66, suffit pour nous faire comprendre la manœuvre de cet appareil. Supposons la cuvette placée à un niveau infé- rieur et remplie de mercure. Si on élève cette cuvette, le mercure monte dans le tube barométrique, et si le robinet est tourné de façon à permettre à l'air de s'é- chapper par le tube vertical, le mercure monte jusqu'au niveau où a été élevée la cuvette, en vertu du principe des vases communicants ; on peut ainsi chasser tout l'air, et si alors on ferme le robinet à trois voies, on se POMPE A MERCURE» 233 trouve en présence d'un véritable baromètre, c'est- à-dire qu'en abaissant la cuvette on produit le vide FlG. 66. — Pompe à mercure. barométrique dans la chambre supérieure du tube. Si alors on met, par le jeu du robinet à trois voies et par 234 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. le tube horizontal, la chambre barométrique en com- munication avec un ballon contenant le liquide dont on veut extraire les gaz, il est évident que ces gaz seront aspirés avec une grande force dans la chambre baro- métrique. On fermera alors le robinet à trois voies, et, en remontant la cuvette, on comprimera fortement dans cette chambre les gaz qui y ont été introduits; mais en tournant le robinet de manière à laisser passer ces gaz par le tube vertical (E), il sera facile de les recueillir dans une éprouvelte pleine de mercure et renversée sur l'extrémité de ce tube, dans l'entonnoir (R) également rempli de mercure. En renouvelant un certain nombre de fois cette série de manœuvres, on arrivera bientôt à extraire tous les gaz dissous dans le liquide en ques- tion et à les recueillir dans l'éprouvette disposée à cet effet. Appareil enregistreur. — L'appareil enregistreur (fig. 67) se compose en principe d'une surface enduite de noir de fumée et mue d'un mouvement uniforme. Un léger levier ou style écrivant, qui est mis en mouvement par l'acte mécanique que l'on veut étudier (contraction d'un muscle, pulsation d'une artère, etc.), vient par son extrémité effilée frôler contre cette surface et y laisser un sillon dont les élévations et les abaissements marquent les différentes phases du phénomène enregistré. Marey, qui a répandu et porté à un si haut degré de perfection l'usage de la méthode graphique, a tracé l'histoire des premiers essais suivis dans cette voie. On s'est successivement servi de disques tournants ou d'une plaque de verre qu'un petit chariot faisait cheminer sur APPAREILS ENREGISTREURS. 235 une voie horizontale. L'appareil le plus usité et le plus commode est le cylindre enregistreur (ÀE, fig. 67) avec lequel on inscrit des courbes sur un papier de façon à pouvoir conserver ensuite ces tracés. Le cylindre enregistreur est un cylindre métallique monté sur un appareil: d'horlogerie muni d'un régula- teur Foucault. Ce cylindre peut recevoir différentes FlG. 67. — Appareil enregistreur. L'appareil représente' ici comme type est disposé de manière à enregistrer simultanément les contractions de l'oreillette, celles du ventricule, et enfin le choc du coeur. lo, levier traçant les mouvements de l'oreillette ; Iv, levier traçant les mouvements du ventricule; le, levier enregistrant le choc du cœur; to, tv, te, tubes de l'oreillette, du ventricule, du choc. vitesses, selon l'axe auquel il emprunte son mouvement. Dans tous les cas il tourne avec une uniformité à peu près parfaite. Dans les expériences sur la circulation, par exemple, on choisit d'ordinaire l'axe qui donne un tour par minute. 236 APPAREILS D UN USAGE GÉNÉRAL. Pour préparer le cylindre à recevoir le graphique, on l'entoure d'une feuille de papier glacé, sur laquelle on dépose ensuite une couche uniforme de noir de fumée. A cet effet, on place l'appareil de telle sorte que le cylindre soit horizontal, puis on le fait tourner tandis que l'on promène au-dessous de lui la flamme d'une bougie fumeuse ou d'une petite lampe à huile. Avec un peu d'habitude, on arrive facilement à accomplir cette opération d'une manière régulière et sans brûler le papier; la conductibilité du métal dont est fait le cy- lindre est une condition qui permet en effet au papier de ne pas s'échauffer assez pour se carboniser. Il en résulte que le moindre frottement détachera le noir de fumée et laissera à nu le papier blanc. On place alors la pointe du levier en contact avec la surface du cylindre que l'on met en mouvement. Quant au levier, il est fait de bois léger et flexible; il est mis en mouvement de diverses manières : soit directement par l'acte mécanique que l'on étudie, soit indirectement. Comme exemple du premier mode, nous pouvons citer le cas où l'on étudie le raccourcissement, les secousses, d'un muscle qui se contracte : on se con- tente alors de rattacher avec un fil le tendon du muscle à un point du levier voisin de sa base. Dans le second cas, on transmet le mouvement à distance au moyen de tubes à air (to, tv9 te, fig. 67). Le principe de cette trans- mission est fort simple : « Soit (fig. 68) deux ampoules de caoutchouc A et B pleines d'air et reliées entre elles par un long tube de caoutchouc. Si l'on comprime l'am- poule B , une partie de l'air qu'elle renferme est expulsée APPAREILS ENREGISTREURS. 237 par le tube et passe dans l'ampoule A qui se gonfle. Si la pression cesse, l'air repasse en B et l'ampoule A se dégonfle. Admettons que l'ampoule B soit introduite, par exemple, dans un ventricule du cœur, et que l'ampoule A soit placée sous le levier écrivant : les contractions (sys- toles) de la poche musculaire cardiaque seront signalées par l'élévation du levier, et les repos du cœur, les dia- stoles, par l'abaissement du même levier. » (Marey.) Fig. 68. — Tube avec ses deux ampoules. Des deux ampoules A et B, l'une, celle qui, dans l'exemple précédent, était introduite clans le cœur, peut recevoir le nom à' ampoule exploratrice : selon la diver- sité des phénomènes qu'elle est appelée à explorer, cette ampoule reçoit diverses dispositions que nous signale- rons en temps et lieu ; mais l'autre ampoule, celle qui doit soulever le levier, ou ampoule terminale, peut Fig. 69. — Tambour à levier. recevoir une disposition définitive et constante , que Marey a réalisée sous la forme de tambour à levier. Cet appareil est constitué « par une caisse métallique plate T w 238 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. (fig. 69) que ferme supérieurement une membrane élastique. Dans la caisse s'ouvre un tube qui la relie à l'ampoule initiale (ou exploratrice). Un disque repose sur la membrane et supporte une arête sur laquelle est posé le levier. Chaque fois que l'air est foulé dans la caisse, la membrane se soulève et communique son mouvement au levier /, /, dont l'extrémité p, disposée en plume, écrit sur le papier. Toutes les pièces de ce petit appareil sont mobiles et peuvent être déplacées à l'aide des écrousou vis de rappel (E, e, r), ce qui permet de régler à volonté l'amplitude des mouvements du levier ainsi que la position de la plume. » (Marey.) Ajoutons enfin que, lorsqu'on a obtenu sur le papier qui recouvre le cylindre un tracé ou une série de tracés, rien n'est plus facile que de conserver indéfiniment ces graphiques. A cet effet, on détache le papier et on le plonge dans une cuvette de photographe contenant un bain de vernis blanc étendu de trois fois son poids d'al- cool. Le papier retiré sèche en quelques minutes : le graphique esXftxé et demeure indélébile. Appareils électriques. — Comme sources d'électricité, nous employons le plus ordinairement des piles dont le courant vient agir dans un appareil à induction. Ce sont donc les courants d induction qui nous servent de pré- férence. Les piles les plus utiles dans un laboratoire de phy- siologie sont la pile de Grenei et la pile au bisulfate de mercure (qui fait partie de l'appareil bien connu de Gaiffe). La pile de Grenet (fig. 70) se compose d'un grand APPAREILS ÉLECTRIQUES. 239 flacon (B, fîg. 70) rempli d'une dissolution de bichro- mate de potasse dans l'acide sulfurique et dans l'eau (100 d'eau, 5 de bichromate et 10 d'acide sulfurique monohydraté). On ne remplit de qe liquide que la moitié inférieure, la plus large du flacon. Du couvercle du flacon partent deux lames de charbon de cornue qui plon- gent dans le liquide d'une façon permanente. D'autre part, une lame de zinc amalgamé est soutenue par une tige de cuivre qui traverse le couvercle et peut être abaissée ou élevée à volonté. On peut donc im- merger la lame de zinc seule- ment au moment où l'on veut que la pile fonctionne. Cet ap- pareil a l'avantage de ne pas produire de vapeurs nitreuses et de pouvoir suffire pour un grand nombre d'expériences; mais le courant qu'il fournit est loin d'être parfaitement constant. L'appareil d'induction qui nous sert habituellement est celui de Du Bois-Reymond (fîg. 71). Il n'y a pas lieu de nous arrêter ici sur la disposition que présentent dans cet appareil la bobine inductrice (B) et la bobine in- duite (B'). Ce sont là des notions que vous trouverez dans tous les traités de physique. Je vous ferai seule- ment remarquer que la bobine induite est portée par un chariot qu'on peut à volonté rapprocher ou éloigner de la bobine inductrice, en le faisant glisser dans une FlG. 70. — Pile de Grenet. 240 APPAREILS D'UN USAGE GÉNÉRAL. coulisse pratiquée clans l'épaisseur de la planche (H H) qui supporte tout l'appareil ; de chaque côté de la cou- Fig. 71. — Appareil volta-faradique de Du Bois-RcymoiuL A, A', bornes destinées à recevoir les fils de la pile et en communication avec les extré- ™ mités du circuit inducteur; B, bobine recouverte du lil inducteur; C, faisceau de fil de fer remplissant l'axe évidé de la bobine B ; B', bobine recouverte du circuit induit; D, petit électro-aimant en fer à cheval, autour duquel est enroulée une partie du fil inducteur; E, marteau du trembleur de Neef; I, borne de dérivation placée sur le trajet du circuit inducteur et permettant avec sa congénère, située vis-à-vis, de recueillir l'extra-courant; v, vis dont la pointe est en contact avec le manche du trembleur et sert à fermer le circuit inducteur, en même temps qu'elle permet de régler la rapidité des intermittences. lisse, une échelle divisée permet de mesurer la distance du circuit induit au circuit inducteur, c'est-à-dire qu'elle permet, dans des expériences différentes, d'agir à peu près dans les mêmes conditions d'intensité du courant. TROISIÈME PARTIE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE SANGUIN ET LYMPHATIQUE. — SYSTÈME CAPILLAIRE. — ABSORPTION DES POISONS COMME MOYENS D'ANALYSE PHYSIOLOGIQUE. DOUZIÈME LEÇON Sommaire : Physiologie opératoire de Yappareil de la circulation. — Topo- graphie générale du système vasculaire sanguin et lymphatique. — Dispo- sition des gros vaisseaux chez le chien, chez le lapin. — Divers modes d'origine des branches de la crosse de l'aorte. — Système lymphatique. — Anatomie topographique des vaisseaux du cou et du pli de l'aine chez le chien et le lapin. — Manuel opératoire général des vivisections portant sur ces vaisseaux. — Manuel opératoire des injections à pratiquer sur ces vaisseaux. — Injections intra-artérielles et intra-veineuses. — Importance de l'étude des sangs veineux. — Cathétérisme du cœur et des gros vais- seaux. — Classification des phénomènes de la vie en phénomènes phy- siques, phénomènes chimiques et phénomènes dits physiologiques. — Yaleur de cette dernière catégorie. — Problèmes que se posent la physiologie et la pathologie générales. — Importance de l'étude du sang à ce point de vue. Messieurs , Nous commencerons par l'appareil circulatoire l'étude des opérations spécialement applicables à la physiologie des divers systèmes. Ce choix n'est pas indifférent. Dans l'exposé de presque toutes les sciences, on suit un ordre ■ régulier et nécessaire, imposé. par la nature même des choses, et c'est ainsi qu'en chimie on commence par les cl. bernard. — Physiol. opér. 16 242 APPAREIL CIRCULATOIRE. corps simples, par l'oxygène qui entre dans le plus grand nombre des combinaisons, pour étudier ensuite des corps de plus en plus composés, des acides, des bases, des sels. Il semblerait peut-être au premier abord qu'il n'en est pas de même de la physiologie ; que les fonctions de l'organisme s'enchaînent les unes aux autres de façon à former une sorte de cercle qu'il faut artificiellement briser pour commencer l'étude par un point que l'on pourrait croire indifférent. Mais il n'en est pas ainsi, ou du moins il ne peut plus en être ainsi dans l'état actuel de nos connaissances. Nous avons en effet aujourd'hui la notion non-seule- ment des organes et des tissus, mais encore celle des éléments anatomiques , et nous savons que, de même que l'organisme entier vit dans un milieu extérieur qui est l'air ou l'eau, de même les éléments anato- miques vivent dans un milieu intérieur qui est le sang. La physiologie , la pathologie , la thérapeutique elle- même sont dominées par cette notion. C'est dans le sang que la médecine moderne cherche et doit chercher l'explication de la plupart des phénomènes qu'elle ob- serve. C'est donc par le sang que nous commencerons le plus légitimement nos recherches, d'autant plus que cette étude, par ses divisions naturelles, nous présentera comme un type de l'ordre que nous devrons suivre à propos de tous les autres systèmes. Nous trouverons en effet d'abord dans l'anatomie les données nécessaires pour localiser les phénomènes que nous avons à étudier; puis la physique et la chimie NOTIONS ANÀTOMIQUES. M3 nous serviront à expliquer ces phénomènes, tels que les différences de température que présente le sang d'une région à une autre, ou les modifications qu'il subit dans sa composition en traversant tel ou tel viscère* Enfin, l'histologie nous amènera à porter ces localisa*? tions anatomiques et ces explications physico-chimiques jusque sur certains éléments même du sang, jusqu'aux globules rouges, et nous trouverons dans l'hérnatine qui les compose des propriétés qui nous rendront compte des phénomènes les plus intimes de l'absorp- tion de l'oxygène et du mécanisme de certaines intoxi- cations. Nous étudierons donc, parmi les opérations qui se pratiquent sur l'appareil circulatoire, celles qui sont indiquées par les dispositions anatomiques de cet appa- reil : telles sont les injections intra- veineuses ou intra- artérielles; telles sont les applications de sondes qui nous permettent d'aller puiser le sang à te ou tel niveau, et de déterminer, par un cathétérisme particulier, la température des diverses régions de l'arbre artériel ou veineux. On peut établir ainsi une sorte de climatologie du milieu dans lequel vivent les éléments anatomiques. Les notions anatomiques nous seront également très- précieuses pour arriver, par le cathétérisme, jusqu'à l'organe central de la circulation, jusqu'au cœur. D'une manière toute spéciale, nous traiterons de la circulation capillaire, des circulations locales, ce qui nous amènera à nous occuper des expériences relatives à l'absorption en général, car c'est un phénomène qui a son siège dans le réseau capillaire des organes, et parti- <244 APPAREIL CIRCULATOIRE. culièrement dans le tissu cellulaire qui les sépare et les unit en même temps. TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE DU SYSTÈME VASCULAIRE SANGUIN ET LYMPHATIQUE. Il ne peut entrer dans notre plan de donner une description, même sommaire, de l'appareil circula- toire. Nous rappellerons seulement son type général, pour nous borner ensuite à quelques indications spé- ciales sur les dispositions particulières qu'il présente chez les animaux qui sont le plus souvent l'objet de nos vivisections. Rappelons donc que, chez l'homme, le ventricule droit donne naissance à un gros vaisseau (aorte), dont les ramifications (artères) s'étendent dans toutes les parties du corps pour y porter le sang rouge, ou sang artériel. Que, d'autre part, l'oreillette droite reçoit deux reines, les veines caves, qui apportent tout le sang qui sservi à la nutrition [sang veineux ou sang noir). Cet ensemble (artères et veines), réuni par les capil- laires généraux, forme ce que l'on appelle le cercle de la grande circulation : c'est sur ce cercle, généralement accessible à nos investigations directes, que portent le plus souvent nos expériences, tant sur les artères que sur les veines ou les capillaires. Mais pour aller de l'oreillette droite vers le ventricule gauche, le sang parcourt un cercle analogue au précé- dent : car il est formé d'une artère (artère pulmonaire) TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 245 qui le conduit vers le poumon, d'un système de capil- laires (capillaires pulmonaires) qui le met à même d'ac- complir ses échanges avec l'air extérieur, et enfin d'un ensemble de veines (veines pulmonaires) qui le rap- portent à l'oreillette et par suite au ventricule gauche. Ce second cercle est moins accessible à nos moyens d'expérience ; mais il est très-important d'insister ici sur son interposition entre les veines et les artères du système général, car nous serons ainsi bien fixés sur ce fait capital que toute substance, introduite dans une veine, va passer par les capillaires pulmonaires avant de pénétrer dans le sang artériel, dans le véritable mi- lieu intérieur. Nous comprendrons ainsi que si cette substance est un gaz, elle pourra s'éliminer au niveau du poumon, et par suite n'exercer en définitive aucune action sur les éléments anatomiques, puisqu'elle ne sera pas parvenue jusqu'à eux. Les modes de division des artères, les modes de con- vergence des veines sont tout à fait analogues chez l'homme et chez les mammifères sur lesquels portent nos expériences. Les figures 72-73 et 78-79 montrent la disposition générale des gros troncs veineux et artériels chez le chien et chez le lapin. Les particularités que présentent ces animaux seront indiquées avec soin à propos d'opérations particulières pour lesquelles leur connaissance est indispensable; nous nous contenterons de fixer ici quelques notions d'un usage plus général, qui ne pourraient trouver place à propos de telle ou telle expérience, et qui nous permettront enfin d'é- tendre, avec connaissance de cause, nos investigations LEVEILLE .OCL. E. VERfitOncKCIJ. iC FlG. — Disposition de l'ensemble des gros vaisseaux chez le chien. G, le cœur; I, V, veine cave inférieure; c, r, vaisseaux cruraux; b, b, vaisseaux axillaires; J, veine jugulaire (externe); S, veine cave supérieure ; A, crosse de l'aorte ; A', aorte abdominale ; R, les reins ; C, C, artères carotides de chaque côté de la trachée. Fig. 73. — Parties centrales des gros troncs artériels et veineux du chien. 0 et v, oreillette et ventri- cule droits ; V, veine cave inférieure ; S , veine cave supérieure ; Z, grande veine azygos ; m , veines mam- maires ; b, veines sous- clavières; JetJ', jugulaires externes ; 0' et v', oreil- lette et ventricule gauches A, crosse de l'aorte ; A', aorte abdominale; 1, sous- clavière gauche; 2, caro- tide gauche ; 3 , carotide droite ; 4, sous-clavièiv droite. TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 247 sur un plus grand nombre d'animaux : nous voulons parler de la disposition des gros troncs artériels qui partent de la crosse de l'aorte pour se distribuer aux membres antérieurs, au cou et à la tête (fig.^S). Il était nécessaire de rapprocher les descriptions de ces parties chez les divers animaux, car les différents types qu'elles offrent présentent entre eux des analogies et des transitions faciles à saisir. Ainsi, chez quelques animaux peu nombreux, tels que la taupe et la chauve-souris, on voit se détacher de la crosse de l'aorte deux troncs brachio-céphaliques symé- triques, qui se divisent bientôt symétriquement en sous- clavières et carotides (fig. 74). c FîG. 74. — Taupe. Charne-souris. Flfi, 75. — Homme Castor. Chez l'homme, on voit le tronc brachio-céphalique droit se conserver; mais le gauche se dédouble de telle sorte que la sous-clavière et la carotide de ce côté naissent isolément, c'est-à-dire directement, de l'aorte (fig. 75). 24.8 APPAREIL CIRCULATOIRE. Si nous examinons les mêmes vaisseaux sur le chat ou le chien (flg. 76), nous trouvons que la carotide gauche est venue prendre naissance sur le tronc brachio- céphalique droit, qui devient ainsi générateur de trois grosses artères, tandis que la sous-clavière gauche est seule à naître directement de l'aorte. Enfin, comme dernier terme de cette tendance à la fusion en un seul tronc, nous trouvons la disposition que représente la figure 77 et qui est celle du cheval Cv ,0.' FlG. 76. — Chien et Chat. Porc. Fie. 77. — Cheval. Mouton (1). et du mouton. Ici la sous-clavière gauche elle-même naît d'un tronc commun à toutes les artères de la région antérieure du corps. Ce tronc porte le nom à' aorte anté- rieure : il se divise en deux branches qui constituent (1) Dans toutes ces figures, A, A, désigne la crosse de l'aorte ; S, la sous- clavière droite; S', la sous-clavière gauche ; C et C, les carotides primitives droite et gauche ; B ou B, B, le ou les troncs brachio-céphaliques ; A", l'aorte antérieure, quand elle existe (cheval). TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 249 les troncs brachiaux ou artères axillaires : le tronc bra- chial droit est un peu plus fort que le gauche, parce qu'il fournit les artères de la tête. Celles-ci naissent, en effet, à très-peu de distance de son origine, par un tronc commun, le tronc céphalique, qui, vers l'entrée de la poitrine, se bifurque en deux carotides primitives. Les oiseaux présentent un type particulier dans la disposition de cet appareil aortique. L'aorte, presque aussitôt après sa naissance, se divise en trois grosses branches. Celle de droite se recourbe pour former la véritable aorte postérieure ou descendante ; la branche moyenne constitue la sous-clavière droite et la branche gauche la sous-clavière gauche. De chacune de ces deux sous-clavières part une grosse branche qui se divise plus tard en carotide primitive et en vertébrale. Notons encore que les axillaires, comme les sous-clavières auxquelles elles succèdent -, présentent chez les oiseaux un volume relativement très-considérable, disposition en rapport avec le développement et l'importance des membres thoraciques, c'est-à-dire des ailes, appareil capital pour la locomotion de l'oiseau. Les particularités importantes à connaître dans la disposition des gros troncs veineux seront indiquées à propos de l'étude plus spéciale de certaines régions. Cependant nous devons indiquer en deux mots, ren- voyant pour plus de détails aux figures 72-73 et 78-79, la disposition des gros troncs veineux du cœur droit chez le chien et chez le lapin. Chez le chien il y a une veine cave supérieure et une veine cave inférieure ; comme chez l'homme, cette 250 APPAREIL CIRCULATOIRE. dernière résulte de la confluence de deux troncs brachio- céphaliques. Chez le lapin, au contraire, les deux troncs brâchio- céphaliques veineux ne se réunissent pas en une veine cave supérieure unique , ils vont seulement s'aboucher simultanément dans l'oreillette droite; de sorte qu'on peut dire que le lapin présente deux veines caves supé- rieures (fig. 78 et 79). Le système lymphatique est très-important, non-seu- lement par lui-même, mais par ses rapports avec le système sanguin. S'il est difficile de résoudre, au point de vue anatomique, la question de savoir si les vais- seaux lymphatiques communiquent, à leur origine, avec les vaisseaux sanguins, il n'en est pas moins vrai qu'au point de vue physiologique, c'est-à-dire au point de vue de la pénétration et du transport des substances, les vaisseaux lymphatiques peuvent être considérés comme faisant suite au système artériel, aussi bien que les vais- seaux veineux. Tout porte cependant à croire que ce passage ne se fait pas directement, mais succède à une extravasation de la partie liquide du sang dans les la- cunes interorganiques, dans lesquelles ce liquide serait ensuite pompé par les radicules lymphatiques. Chez les mammifères, le système lymphatique a été divisé, au point de vue physiologique, en deux parties : d'une part, les vaisseaux lymphatiques généraux, qui ramènent vers le cœur la lymphe des diverses parties du corps; d'autre part, les lymphatiques de l'intestin grêle, dont le contenu est, à certaine période de la di- TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 254 gestion, formé par un liquide blanc et laiteux, le chyle : FlG. 78. — Parties centrales des gros troncs artériels et veineux du lapin. 0 et v, oreillette et ventri- cule droits ; I, veine cave inférieure ; S , veine cave supérieure droite; a, grande veine azygos ; J et J', vei- nes jugulaires droite et gauche : cette dernière, après avoir reçu la sous- clavière correspondante, va se jeter directement dans l'oreillette. ( Il y a donc deux longs troncs brachio- céphaliques veineux, et, à proprement parler, pas de veine cave supérieure.) A, crosse de l'aorte ; A', aorte abdominale ; C , C, carotides ; b , b', artères sous-clavières. Fig. 79. — Disposition de l'ensemble des gros troncs arté- riels et veineux chez le lapin. (Lettres comme dans la figure 72 ci-dessus, page 246). d'où le nom de chylifères ou vaisseaux lactés donné à ces 252 APPPÀREIL CIRCULATOIRE. canaux. Or, les chylif'ères n'existent pas chez les oiseaux, même chez ceux qui sont exclusivement carnassiers ; il en est de même pour les batraciens, les reptiles. Nous tenons à rappeler ces faits anatomiques, et nous y insis- tons, après avoir mis en œuvre tous les moyens possi- bles pour faire apparaître des chylifères chez les oi- seaux sans jamais y réussir. Nous avions, par exemple, observé que del'éther tenant de la graisse en dissolution, et injecté dans le tube digestif, est un moyen excellent de faire presque instantanément apparaître des chyli- fères pleins de leur contenu blanc et laiteux caractéris- tique ; or ce procédé, qui nous a toujours réussi chez le chien, le chat, et même chez le lapin, ne nous a jamais donné aucun résultat chez les oiseaux. Il est encore quelques dispositions particulières aux vertébrés à sang froid que nous devons signaler ici. De même que chez l'anguille on observe un cœur acces- soire placé sur le trajet delà veine caudale, de même chez les batraciens on trouve de nombreux cœurs lym- phatiques périphériques. Chez la grenouille il en existe deux paires : l'une est située dans la région pelvienne dorsale, de chaque côté de la pointe de l'os sacrum ; l'autre est placée vers la partie dorsale de l'origine des membres antérieurs. Ces cœurs accessoires sont très- intéressants à étudier : ce sont de petites cavités con- tractiles, pourvues de fibres musculaires striées, et qui, grâce aux nombreux éléments élastiques qu'elles ren- ferment, agissent alternativement comme pompe aspi- rante et foulante. Ces cœurs battent sans aucune espèce de synchronisme ni entre eux ni avec le cœur sanguin, TOPOGRAPHIE GÉNÉRALE. 253 organe principal de la circulation. Ils ne réagissent pas de la même manière que ce dernier aux agents toxiques: ainsi le curare, qui n'arrête pas le cœur sanguin thora- cique, paralyse rapidement les cœurs lymphatiques. Nous reviendrons ultérieurement sur ces particularités dont nous ne saurions développer ici l'étude. Quant à l'appareil lymphatique des mammifères sur lesquels portent le plus souvent nos expériences, il rap- pelle, par ses dispositions générales, celui de l'homme. Un canal thoracique et une grande veine lymphatique en sont les deux troncs principaux. Chez le chien, le ré- servoir de Pecquet est considérable, de forme ovoïde, et remonte jusque entre les piliers du diaphragme. Le canal thoracique, qui lui fait suite va s'ouvrir, dans la sous-clavière ou à l'extrémité de la jugulaire gauche, après avoir reçu les afférents de la moitié gauche de la tête et du membre thoracique correspondant; mais dans ce trajet, et surtout vers sa terminaison, il se di- vise souvent en plusieurs branches, qui se réunissent de nouveau : ces branches s'anastomosent plusieurs fois entre elles de manière à former des plexus. Parfois il vient aboutir au système veineux par des insertions multiples diversement disposées.— Ces irrégularités dans l'insertion du canal thoracique sont encore plus fré- quentes chez le bœuf: on voit souvent chez cet animal le canal, simple à son origine et dans la plus grande par- tie de son étendue, se bifurquer dans le tiers supérieur du thorax; de ces deux branches, l'une passe alors à droite de l'œsophage et de la trachée, tandis que l'autre se porte à gauche de ces parties, en suivant la direction 254 APPAREIL CIRCULATOIRE. ordinaire, et, à l'entrée du thorax, elles se terminent, soit séparément, chacune dans l'angle de réunion de la jugulaire et de l'axillaire correspondante, soit ensem- ble au même point, c'est-à-dire au golfe des deux jugu- laires (Colin). — Le canal thoracique présente des va- riétés du même genre chez le cheval et chez les solipèdes en général. La grande veine lymphatique reçoit les vaisseaux lymphatiques de la moitié droite de la poitrine, du membre antérieur droit, et de la moitié droite de la tête et du cou. Ce tronc va s'ouvrir dans la sous-clavière droite ; quelquefois une ou deux des branches qui con- courent à le former, décrivent des circonvolutions au- tour du tronc veineux sous-clavier avant de rejoindre les autres. Enfin, chez le cheval, il n'est pas rare de voir ce tronc lymphatique s'anastomoser avec le canal thoracique par des branches collatérales volumineuses, puis se réunir avec lui, de telle sorte que les deux vais- seaux s'insèrent ensemble par un orifice simple au- dessus du confluent des jugulaires (Colin). Vaisseaux du cou et du pli de Faine. — Opérations qu'on y pratique. — Il est deux régions que nous devons plus particulièrement étudier :1e cou et le pli de Faine. C'est là en effet que nous agissons le plus souvent sur les parties périphériques de l'appareil circulatoire, soit pour puiser du sang dans une artère, soit pour injecter un poison dans une artère ou dans une veine, soit enfin pour appliquer sur ces vaisseaux les divers instruments que la physiologie emprunte à la physique afin de déter- miner les conditions mécaniques de la circulation. INJECTIONS INTR A- VEINEUSES. 255 Nous nous occuperons ici du procédé opératoire né- cessaire pour découvrir des vaisseaux, pour y pratiquer des injections, et plus spécialement des injections intra- veineuses. Nous compléterons donc ainsi l'étude des moyens les plus efficaces d'introduction de substances étrangères dans l'organisme, puisque nous avons pré- cédemment étudié les injections faites sous la peau ou dans les cavités séreuses (voy. ci-dessus, p. 215). L'injection intra-veineuse supprime toute question d'absorption ; par cette méthode, nous pénétrons direc- tement dans le système sanguin, dans le milieu inté- rieur, qui va aussitôt porter les substances actives sur les tissus, c'est-à-dire sur les éléments anatomiques. L'injection intra-veineuse a été pratiquée même chez l'homme : Magendie injecta de l'eau dans les veines d'un sujet atteint d' hydrophobie; le malade fut calmé, mais n'en succomba pas moins bientôt après. Depuis lors plusieurs médecins, et entre autres Lorain, ont in- jecté de l'eau à des cholériques, et le succès a couronné cette tentative. Lorain a réussi en faisant cette injection dans la dernière période du choléra, alors que le cœur bat à vide, les veines étant pleines d'un sang poisseux et épais, tandis que les artères ne contiennent plus rien. Les injections intra-veineuses, au point de vue des expériences physiologiques, se font dans un grand nom- bre de circonstances : elles peuvent du reste se prati- quer dans toutes les veines des animaux; mais on choisit d'ordinaire les veines les plus faciles à atteindre, c'est- à-dire les veines du cou et les veines du membre posté- rieur. 256 APPAREIL CIRCULATOIRE. Il nous faut donc donner ici quelques rapides indica- tions sur la disposition anatomique du système veineux, NiCOLET FiG. 80. — Veines du cou chez le chien. C, cœur (oreillette droite) ; T, T, trachée ; A, aorte (la crosse de l'aorte est vue par son bord droit, de sorte qu'on n'aperçoit pas l'ensemble de sa courbe) ; S, S, artères sous- clavières ; C, C, artères carotides. V, veine cave supérieure; 1, 1', veines sous-clavières ; 2, 3, et 2', 3, veines jugulaires externes (en dedans desquelles on aperçoit les jugulaires internes, sous forme d'un vaisseau très-grêle; on voit notamment la jugulaire interne gauche se jeter en 2 dans la jugulaire externe). afin de bien savoir dans quelles conditions nous nous plaçons en agissant sur tel ou tel vaisseau, et d'être à même de retrouver et de découvrir en toute sûreté le vaisseau auquel nous voulons nous adresser. Chez le chien, comme chez l'homme, le système vei- INJECTIONS INTRA- VEINEUSES. 257 neux du cou se compose do veines superficielles et de veines profondes; mais ces vaisseaux présentent chez le chien, quant à leur volume, une disposition inverse : tandis que la veine profonde, la jugulaire interne, est la plus volumineuse chez l'homme, c'est la jugulaire FiG. 81. — Cavité crânienne du chien ouverte par le côté droit pour montrer la disposi- tion des sinus veineux (a, b, c) et leur confluence vers le pressoir d'Hérophile, en c, au niveau duquel doivent être faites les ouvertures pour puiser le sang veineux céré- bral, comme le montre la figure suivante. externe qui, chez le chien, présente le volume le plus considérable, l'interne étant réduite à un mince filet veineux qui accompagne la carotide. Cette différence s'explique facilement si l'on tient compte des régions d'où viennent ces vaisseaux. Chez le chien, la face est très-développée relativement au cerveau : de là la pré- dominance de la veine qui résume la circulation externe de la tête. Le volume considérable de la masse encépha- lique, chez l'homme, nous rend compte des dimensions CL. BERNARD. — Physiol. Opél\ 17 258 APPAREIL CIRCULATOIRE. delà veine qui en ramène presque tout le sang, des di- mensions de la jugulaire interne qui, chez le chien, ne vient pas même du cerveau et ne remonte pas plus loin que la base du crâne. Ce fait est intéressant à connaître en physiologie; car il nous montre que tout le sang veineux des organes cérébraux revient au cœur par le système des veines rachidiennes (fig. 81), et que LaBP'BEUT VEB&L.SS Fig. 82. — Instrumentation et manuel opératoire pour puiser le sang veineux cérébral. a, trocart tenu solidement et de manière à en diriger sûrement la pointe selon une ligne qui, passant par la protubérance occipitale externe, irait ressortir un peu au-dessus du niveau des deux yeux ; b, canule mise en place, et par laquelle le sang s'écoule dans le vase c. Le chien est ici maintenu ainsi qu'il a été indiqué précédemment (page 222) pour la section du bulbe, opération dont le manuel opératoire est très-analogue à celle dont il s'aarit ici. ce serait une grande erreur, voulant analyser le sang veineux qui a baigné la masse encéphalique, que de s'adresser au contenu de la veine jugulaire interne. C'est au niveau du torcular, ou pressoir d'Hérophile, qu'il faudrait, dansce cas, puiser le sang (fig. 81 et 82). INJECTIONS INTR A- VEINEUSES. 259 Ainsi, lorsque nous parlerons de la jugulaire du chien, il sera bien entendu que nous parlons de la ju- gulaire externe, la veine d'élection pour les injections faites au niveau du cou. Les jugulaires de chaque côté viennent se réunir, comme chez l'homme, pour former une seule veine cave supérieure (voy. fig. 80), qui, chez les animaux, prend plus ordinairement le nom de veine cave anté- rieure. Telle est la disposition que présentent le chien, le cheval, la vache, etc. Mais il n'en est pas de même chez le lapin, ainsi que je vous l'ai déjà indiqué (fîg. 78 et 79). Ici il n'y a pas une, mais deux veines caves antérieures : les veines des deux moitiés latérales de la partie antérieure du corps ne se fusionnant pas en un tronc unique, on trouve deux troncs brachio-céphaliques (fig. 78), dont le droit re- présente la veine cave antérieure des autres animaux, et offre en effet la même disposition, tandis que le gauche présente ceci de remarquable qu'il descend à gauche du cœur, contourne sa face postérieure pour venir s'ouvrir isolément dans l'oreillette. Ainsi, chez le lapin, si l'on injecte deux substances différentes dans chacune des jugulaires droite et gauche, ces deux sub- stances ne se trouveront en présence l'une de l'autre qu'au niveau du cœur. Pour découvrir la jugulaire externe du chien (fîg. 83) on n'a qu'à inciser la peau et le peaucier. Cette veine naît par deux branches principales entre lesquelles se trouve la glande sous-maxillaire ; elle descend ensuite en croisant très-obliquement le sterno-mastoïdien : on pra- 260 APPAREIL CIRCULATOIRE. tique donc l'incision sur une ligne qui de l'angle de la Fig. 83. — Manuel opératoire de la mise à nu de la veine jugulaire externe. La figure placée à gauche montre un chien fixé dans la gouttière à opération : le trajet et l'origine de la jugulaire externe sont indiqués par des lignes ponctuées. — La ligure placée à droite montre les couches successivement divisées pour arriver sur la veine : a, peau; b, libres du muscle peaucier ; c, lamelles de tissu cellulo-adipeux ; d, la vei ne jugulaire externe. mâchoire descend vers le milieu de l'espace qui sépare INJECTIONS INTRA- VEINEUSES. 261 le sternum d'avec l'articulation de l'épaule. Il suffît sou- vent d'un seul coup de scalpel pour inciser tous les tissus qui se séparent de la veine, mais en règle] générale il vaut mieux agir avec précaution et diviser successivement toutes les couches dont la figure 83 montre la superpo- sition, c'est-à-dire la peau (a), le muscle peaussier (b), et une légère lamelle de tissu celluîo-adipeux (c). Si l'on veut être très-prudent, on peut diviser cette dernière couche avec des ciseaux, après l'avoir soulevée en un pli conique à l'aide de pinces, comme le montre la figure 84. Dans ce cas on est parfaitement sûr de ne pa.c ig. Si. — Section de la lamelle de tissu cellulo-adipeux qui recouvre le vaisseau. léser le vaisseau ; c'est là, disons-le une fois pour toutes, une précaution qui doit surtout être observée quand on met à nu une artère. Quand la veine jugulaire est mise à nu, on l'isole du tissu cellulaire, et l'on passe au-dessous d'elle un double 262 APPAREIL CIRCULATOIRE. fil (fig. 85) : le fil supérieur sert à lier la partie périphé- rique de la veine afin d'empêcber l'afflux du sang ; le fil inférieur sert à lier la veine sur la canule avec laquelle on pratique l'injection. A cet effet, on place d'abord sur la partie inférieure de la veine une serre-fine qui fait office de ligature provisoire et empêche l'introduction de l'air. Les figures 85 et 86 montrent comment s'accom- Fig. 85. — Isolement i!u vaisseau et passage d'un double fil. e, e, érignes écartant les deux [lèvres de la lamelle cellulo-graisseuse précédemment divisée (a, a) ; v, vaisseau ; p, pince courbe pour passer le fil f. plissent ces diverses opérations. Dans la figure 85, une pince courbe est passée sous le vaisseau pendant que deux érignes ( 1 C3 g U a is = """•S1 .5 .2 o g, « c: 5 53 > St. rr -— -. <^ *< N3 o s-e * 5" — ~ T *s = lèvr Il V o se 3 o Ci- ? S s ty; ^ 3 - C C - --$ O X — c£ J^ — cz s >• rî O « £ 'ST _ -5 o' '•? y; — io S _Aj c- ~ - «s o = o o _r ■? - a S .2 ,jj a *-£ Z " 1 a ■S: 1 ^ i- — 5ï5s. ffl ^» Q, vN O -r «2 s -y: <— "S a — » - c X > cî es S r_ «a — • - ca rf. O o va O -ÇB co 1 c S cfi S cr 03 05 Cl il o -ô — 2 S « S . .3 z 55 11 s'agit alors de pratiquer l'injection dans cette veine ; on y introduit à cet effet une canule. Pour cela on sou- 264 APPAREIL CIRCULATOIRE. lève sur l'index de la main gauche la portion de veine qui est vide, et avec de fins ciseaux on pratique sur la paroi vasculaire une incision oblique (fig. 86, n° 2). Introduisant alors dans la lumière du vaisseau l'une des pointes des ciseaux, pointe qui est boutonnée précisément pour pouvoir être introduite sans éraillure des tuniques vasculaires, on incise de nouveau la paroi vasculaire parallèlement à l'axe du vaisseau (fig. 86, n° 2'): il en résulte une incision à trois branches, ayant la forme d'un fer de flèche et très-propre à laisser pénétrer avec facilité l'extrémité d'une canule, comme le montre le numéro 3 de la figure 86. C'est alors que l'anse de fil restée libre est utilisée (A, h) pour fixer fortement en i la paroi vasculaire sur la canule qui y est engagée. Si l'injection était faite avec une petite seringue à ca- FlG. 87, — Injection inlra-vcineuse avec une seringue à petite canule ace'rée (a). nule acérée, comme celles que nous avons décrites à INJECTIONS INTRA-YEINEUSES. 265 propos des injections sous-cutanées (p. 215), on pourrait simplifier beaucoup ces diverses opérations. Alors, après avoir mis la veine à nu, on se contente delà comprimer en un point avec un doigt (le médius par exemple, fig. 87), afin de la faire se gonfler au-dessus de ce point; com- primant alors avec l'index un peu au-dessus de l'endroit où est appliqué le médius, on fait saillir une portion (a) de vaisseau, portion très-gonflée de sang et dans laquelle il est très-facile d'introduire par ponction directe la ca- nule acérée (fig. 87). C'est ainsi que l'on peut pratiquer les injections les plus variées, sur lesquelles nous aurons à nous expliquer longuement par la suite. Si, par exemple, nous choisis- sons comme expérience type une injection d'hydrogène sulfuré, après les manœuvres précédentes, nous injec- terons une solution de gaz avec une grande lenteur; poussée trop vite, une injection, ne fût-elle composée que d'eau pure, pourrait tuer subitement l'animal. Si la len- teur de l'injection est suffisante, on voit à peine noircir le papier d'acétate de plomb placé sous le nez de l'animal au contact de l'air expiré ; si l'on pousse un peu plus rapidement, le papier noircit très-vite et très-fort. C'est que l'hydrogène sulfuré, pénétrant très-lentement, est détruit avant d'arriver au poumon ; mais s'il pénètre en plus grande abondance, il arrive jusqu'à la surface pulmonaire où il est exhalé ; enfin, s'il y en a un grand excès, l'air du poumon en est saturé, l'animal le respire, et il meurt cette fois empoisonné par ce gaz, ou du moins il présente dans tous les cas les symptômes de l'empoi- sonnement. Ainsi cet exemple est excellent pour montrer %66 APPAREIL CIRCULATOIRE. que, dans les expériences de ce genre, tout, même la mort de l'animal, dépend de la vitesse et de la régularité avec laquelle est pratiquée l'injection. On peut aussi expérimenter en injectant dans le sang veineux un gaz à l'état de gaz libre, pourvu que ce gaz soit soluble dans le sang: ainsi on n'injectera ni de l'azote, ni de l'air ordinaire ; mais on pourra injecter des quantités énormes ft hydrogène sulfuré ou d'acide carbonique à l'état de gaz. Nous avons pris comme type l'opération pratiquée sur la veine jugulaire d'un chien, elle se fait de même sur le lapin. La figure 88 montre que chez cet animal la FlG. 88. — Veine jugulaire du lapin : direction de l'incision (a, b) par laquelle "on arrive sur cette veine. direction de la veine est la même, et que, par suite, celle de l'incision doit être semblable. Les opérations faites sur la veine jugulaire doivent être rapprochées ici de celles que nous faisons sur le vaisseau artériel du cou, sur la carotide. Cette artère est INJECTIONS INTR A- VEINEUSES. 267 profondément située sur les côtés de la trachée, accom- pagnée par le pneumogastrique, avec lequel le grand sympathique se trouve confondu (chez le chien) ; nous avons déjà dit que sa veine satellite, la jugulaire interne, est très- petite. Les carotides naissent de la crosse de l'aorte, mais cette origine ne présente pas chez le chien les mômes dispositions que chez l'homme. Rappelons que chez le chien, ainsi que nous l'avons déjà vu page 248, on trouve à droite un tronc unique pour la sous-clavière droite, la carotide droite et la carotide gauche; puis à gauche, un tronc isolé qui est la sous-clavière gauche. Cette artère (la carotide) a pour direction celle d'une ligne qui de l'angle de la mâchoire se porterait vers la partie externe du sternum. Elle forme donc, avec la direction précé- demment indiquée de la jugulaire externe, les deux côtés d'un triangle qui aurait pour base la moitié de l'espace qui sépare le sternum de l'articulation de l'épaule. On peut mettre l'artère à nu en pratiquant une incision d'après la direction que nous venons d'indiquer; mais ce procédé est assez délicat, car il nous force de contourner ou de couper le sterno-mastoïdien ; il est aussi très-peu avantageux, car il ne nous donne accès que sur un seul vaisseau, sur la carotide elle-même. Il est un autre procédé d'incision qui nous permet d'atteindre à la fois tous les organes importants du cou, y compris la carotide : il consiste à couper verticalement sur la ligne médiane, sur le raphé du cou, en prenant la saillie de la trachée comme guide. Une fois la trachée à nu, on n'a qu'à détacher le tissu cellulaire qui se trouve 268 APMREIL CIRCULATOIRE. sur ses côtés, et Ton arrive aussitôt sur tous les organes importants de la région cervicale antéro-latérale. C'est ainsi qu'on arrive sur la carotide. On agit alors sur ce vaisseau à peu près comme sur la veine: on l'isole, on place une serre-fine sur sa partie centrale, on saisit le vaisseau sur le doigt, on l'incise avec des ciseaux, d'abord en bec de flûte, puis parallèlement à l'axe du canal, et enfin on y introduit un petit tube ou une canule sur laquelle on le lie "avec les fils préalablement passés au- dessous de lui. On peut alors pratiquer une injection, mais le plus souvent l'opération que nous venons de décrire a un autre but : c'est de tirer du sang que l'on veut analyser; ou plus souvent encore d'étudier certains phénomènes mécaniques de la circulation. Ainsi, par l'incision que nous avons pratiquée, nous pouvons introduire tous les instruments employés pour expérimenter sur la pres- sion, sur la vitesse, sur les pulsations de la colonne san- guine artérielle. Quand ces expériences sont terminées, on retire les instruments et l'on fait une ligature sur le vaisseau. Nous l'avons dit, on préfère généralement les veines aux artères pour pratiquer les injections vasculaires. Cependant nous savons que les substances injectées n'a- gissent que lorsqu'elles sont parvenues dans le système artériel, pour être portées par lui vers les éléments anatomiques. Il n'est donc, en somme, rien de plus ra- tionnel que de pratiquer des injections dans les vaisseaux à sang rouge; et c'est ce que l'on fait, en effet, dans certains buts spéciaux. Ainsi, nous avons déjà dit que le INJECTIONS INTRA- VEINEUSES. 269 prussiate de potasse est éliminé par les reins et par l'es- tomac, mais peu ou pas par la salive. Il est cependant à supposer qu'il passerait par la salive si l'on en injec- tait beaucoup plus; mais on ne peut forcer la dose dans le sang veineux, car une injection de plus de 1 gramme tuerait l'animal. Est-ce à dire que nous ne puissions faire arriver une grande quantité de cette substance au niveau de la glande sans empoisonner tout l'organisme? Nullement; et c'est ce que nous obtenons précisément en dirigeant spécialement l'injection vers un département sanguin, vers celui de la glande sous-maxillaire, en injectant dans l'artère cle cette glande une quantité de prussiate très-considérable pour cet organe, mais re- lativement insignifiante lorsqu'elle est répandue dans tout l'organisme. Nous obtenons les mêmes résultats pour le curare. Certains nerfs, par exemple ceux de la glande sous- maxillaire, résistent fort longtemps à l'action de ce poison ; mais en faisant directement l'injection dans les artères de cette région, nous portons une dose relative- ment énorme de curare sur les parties périphériques cle ces nerfs, et nous les frappons directement. Nous voyons donc que les injections dans le système artériel sont un précieux moyen d'agir dans des circon- stances particulières. Il va sans dire que dans ce cas on pousse toujours l'injection vers la périphérie. Cependant, dans des circonstances spéciales et sur lesquelles nous reviendrons plus tard, on pousse même l'injection arté- rielle de la périphérie au centre. Nous ne voulons indiquer ici que les grandes précautions qu'il faut 270 APPAREIL CIRCULATOIRE. prendre, dans ces cas, de pousser l'injectiou avec lenteur, si Ton ne veut voir l'animal succomber subitement par apoplexie du cœur. C'est que l'injection trop brusque et trop considérable produit un reflux qui tient les valvules sigmoïdes baissées, et amène dans les artères coronaires une pression qui produit des ruptures et des hémorrha- gies au milieu des fibres musculaires du cœur. Vaisseaux du pli de Vaine. — Les vaisseaux nous présentent, au pli de l'aine, exactement les mêmes dis- positions chez l'homme et les animaux. Nous ne nous arrêterons donc pas sur l'anatomie de cette région (voy. fig. 89), ni sur les procédés opératoires employés pour aller à la recherche des vaisseaux. On pratique, comme pour le cou, une incision longitudinale; on dé- nude les vaisseaux, on les isole avec une sonde cannelée, et Ton passe au-dessous d'eux une double anse de fil. On peut alors pratiquer sur la veine crurale les mêmes injections que sur la jugulaire. Ici on n'a plus à craindre l'introduction de l'air dans les veines. Nous avons ainsi maintes fois injecté diverses substances dans la veine, chez des animaux immobilisés par le curare, afin de pouvoir placer plus commodément des canules dans les canaux des glandes (sous -maxillaire, rein, pancréas, etc.) au niveau desquelles nous voulions étudier l'élimination du poison, du prussiate de potasse par exemple. Si l'injection de ce sel est trop concentrée, l'animal succombe ; mais même les cas de ce genre sont très-instructifs. Ils nous permettent de voir que le sang jaillit encore de l'artère, quoique le cœur soit arrêté : c'est que la respiration artificielle, les mouvements du INJECTIONS INTRA- VEINEUSES. 271 poumon, entretiennent encore un très-léger degré de circulation, vu les compressions et les dilatations suc- cessives de la cage thoracique. Ils nous montrent, de FlG. 89. — Pli de l'aine chez le chien. a, veine crurale ; b, artère crurale ; c, nerf crural ; d, peau et lèvres de l'incision , e, aponévrose crurale et 'gaine des vaisseaux incisés ; f, f, muscles adducteurs ; g, le couturier; h, h, fil passé au-dessous de la partie supérieure (centrale) de la veine ; h', h', fil passé au-dessous de sa partie périphérique. plus, que ce sang sortant des artères est encore rouge, et que celui des veines est noir ; tandis que, en général, chez tous les animaux qui viennent de succomber, le sang est noir dans tous les vaisseaux et dans toutes les 272 APPAREIL CIRCULATOIRE. cavités du cœur. Ici, au contraire, nous trouvons du sang noir dans le cœur droit et du rouge dans le gauche. C'est qu'ici la mort est arrivée par un mécanisme parti- culier, par l'arrêt du cœur, et que les mouvements du poumon se sont continués après cet arrêt. Nous avons autrefois indiqué cette présence d'un sang noir dans le cœur droit et rouge dans le cœur gauche, comme le caractère le plus frappant de la mort par les poisons du cœur; c'est alors le cœur qui meurt le premier, et la respiration continue encore quelques instants. L'artère crurale, mise à nu parla même opération que la veine, peut nous servir à des expériences analogues à celles dont nous avons parlé pour la carotide : on peut y puiser du sang ou y diriger des injections qui seront poussées vers le bout périphérique. Ces injections dans le bout périphérique se font ici plus fréquemment ; elles ont un but particulier : c'est de faire pénétrer dans l'ar- tère des substances solidifîables ou de petits corps (poudre de lycopode) qui iront oblitérer toutes les arté- rioles. On pourra alors étudier parfaitement quels sont, sur les muscles, sur les nerfs du membre, les effets de la suppression complète de la circulation ; une ligature sur le tronc principal ne donnerait pas une suppression absolue de la circulation, qui dans ce cas se rétablit très- vite et très-complètement par les vaisseaux collatéraux. On peut aussi injecter de l'air pour obtenir cet effet : l'oblitération est si bien effectuée alors, que dans des cas semblables Magendie a souvent produit la gangrène du membre; mais nous avons déjà parlé des expériences récentes qui ont montré que parfois l'air peut franchir les SANG VEINEUX. 273 capillaires et arriver sans obstacle jusque dans les veines ; il passe alors, sans doute, par les capillaires qui ontle plus gros calibre. En tout cas, l'air n'est pas un moyen bien sûr d'arrêter la circulation . Si nous considérons d'une manière plus générale les expériences que nous pouvons entreprendre sur le sys- tème vascuïaire, nous voyons qu'elles sont propres à l'étude des phénomènes physiques, chimiques et phy- siologiques, dont le sang est le siège. L'étude des phé- nomènes chimiques est destinée à nous donner une con- naissance parfaite du sang. Si l'on se pénètre bien de la difficulté et de l'importance de cette étude, des procédés qu'elle exige, on verra qu'elle est très-complexe : on verra d'abord qu'il ne faudrait pas dire le sang, comme si ce liquide était toujours le môme, mais les sangs; car, outre que l'on confondait autrefois le sang artériel et le sang veineux que nous distinguons, on sait de plus au- jourd'hui qu'il faut distinguer tous les sangs veineux les uns des autres, car celui qui vient du rein ne ressemble à celui de la rate, pas plus que ce dernier ne ressemble à celui du foie. C'est donc le sang veineux qui nous présente le plus grand intérêt au point de vue de l'analyse chimique, et sa composition sera le principal point de départ de toute étude sur les phénomènes qui se passent dans les or- ganes qu'il vient de traverser, sur les fonctions du foie, de la rate, etc. A ce point de vue le sang artériel n'est que le sang veineux du poumon, et nous présente le ré- sultat de l'acte d'hématose accompli dans ce viscère. — Il faudra donc étudier le sang qui revient de tous leb CL. BERNARD. — Physiol. Opéf. 18 274 APPAREIL CIRCULATOIRE. viscères, car nous nous trouverons ainsi souvent en face de phénomènes tout à fait inattendus. Qui aurait pu prévoir, par exemple, que le sang de la veine rénale ne contiendrait pas de fibrine? — Et non-seulement il nous faudra étudier le sang veineux de tous les organes, mais il nous faudra encore l'étudier aux divers mo- ments de l'organe, lors de son activité et lors de son repos. Les procédés qui nous permettent cette étude sont ceux qui nous mettent à même d'aller prendre le sang qui sort des organes, soit en mettant ceux-ci à nu, soit en pénétrant dans leurs veines par un véritable cathé- térisme : ce dernier procédé est de beaucoup préférable, puisqu'il ne change en rien les conditions ordinaires des organes. Il faut donc arriver, en partant du cou ou du pli de l'aine, à aller faire le cathétérisme de tout le système veineux. Ce sont les expériences de ce genre que nous allons passer en revue. On voit qu'elles s'a- dressent surtout aux parties les plus internes : telles sont les expériences qui ont pour but les phénomènes chi- miques. Nous verrons que celles qui s'adressent aux phénomènes physiques et mécaniques portent sur des parties bien plus superficielles de l'appareil circula- toire. Indication générale des opérations qui se pratiquent sur le cœur. — Le rôle prépondérant du cœur dans la circulation a porté naturellement sur lui les efforts des expérimentateurs. On a cherché à le voir en fonction; mais la chose n'est pas facile : situé dans la poitrine, entre les deux poumons, il ne peut être mis à nu sans CATHÉTÉRISME DU COEUR. 275 que cette opération cause immédiatement la mort, si elle n'est faite dans des circonstances spéciales et sur des sujets particuliers. Ainsi, en usant de la respiration artificielle, des commissions de savants ont pu porter leur examen sur le cœur à découvert. C'est qu'il s'agit en effet, avant tout, de ne pas troubler la respiration : chez les oiseaux, la chose est relativement facile, car le rôle des poumons et celui de la cavité thoracique ne sont pas tels que chez les mammifères, et l'on peut ou- vrir avec moins de danger cette dernière ; mais la petite taille des oiseaux, la petitesse de leur cœur, sont au- tant de conditions qui rendent ces expériences peu pro- fitables. On a donc cherché d'autres procédés pour étudier ce viscère chez les mammifères; ici, comme dans presque toutes les recherches de ce genre, ces procédés sont calqués sur des cas accidentellement produits. C'est ainsi que la fistule gastrique qui était restée à un Ca- nadien après une blessure produite par un coup de feu, et qui fut si bien étudiée par Williams Beaumont, a donné l'idée des fistules gastriques chez les animaux. C'est précisément ainsi que l'idée de mettre le cœur à nu a été inspirée, entre autres, parles observations que Hering a pu faire sur un jeune veau qui était né avec une ectopie du cœur: le sternum était absent; le cœur, dé- pourvu de péricarde, battait à nu sous une mince mem- brane transparente qui fermait seule à ce niveau la cavité pectorale , ou plutôt l'espace médiastin anté- rieur. On a donc cherché à réaliser artificiellement des cas 276 APPAREIL CIRCULATOIRE. de ce genre. À cet effet on ne peut pas s'adresser indif- féremment à tous les animaux. Ainsi le chien est très- peu favorable : son cœur est mobile dans la poitrine et très-difficile à atteindre ; de plus, il n'y a pas chez lui de véritable cavité médiasline, de sorte qu'il est impos- sible de mettre le cœur à nu sans ouvrir les cavités pleu- rales. — îl n'en est pas de même pour le lapin. Ici la cavité médiastine est parfaitement indépendante : on peut donc, en enlevant avec soin une partie du sternum, en liant au fur et à mesure les artérioles qui donnent, on peut pénétrer dans cette cavité , en respectant les deux plèvres. On voit alors, à travers la plèvre, le pou- mon s'avancer en se dilatant à chaque inspiration ; si Ton coupe les pneumogastriques, on peut assister à la production de l'emphysème que l'on observe dans ces cas. Mais cette fenêtre permet surtout de bien observer le cœur : on peut voir comment fonctionnent les valvules sigmoïdes, et combien sont erronées les idées théoriques que l'on se forme à priori à ce sujet. On voit en effet que l'origine de l'aorte, au niveau de ces valvules, pré- sente trois renflements ou sinus ; de telle sorte que les valvules, lorsqu'elles se redressent, ne viennent jamais s'accoler exactement aux parois artérielles : elles ne peuvent donc pas empêcher à ce moment (systole ven- triculaire) le sang de pénétrer dans les artères coro- naires ou cardiaques qui naissent à ce niveau. Si l'on injecte un liquide dans l'artère carotide de la périphé- rie au centre, c'est-à-dire vers le cœur, on voit le ven- tricule, impuissant à se vider, se distendre considé- rablement ; en même temps les artères coronaires se CATHÊTÈRISME DU COEUR. ï277 gonflent, et la pression y devient si forte qu'il s'y pro- duit des ruptures et des hémorrhagies. Mais le point de vue qui nous intéresse le plus est l'étude du cœur par le cathêtèrisme , c'est-à-dire par l'introduction, dans les gros vaisseaux, de sondes que l'on fait pénétrer jusque vers l'organe central de la circulation. Tout le monde connaît les belles expériences par lesquelles Chauveau et Marey ont pu déterminer, en introduisant des sondes dans les oreillettes et les ventricules , les pressions que développent ces cavités lors de leur contraction, et établir avec précision le synchronisme de ces contractions. Ce sont là des types d'opérations de cathêtèrisme du cœur. Cathêtèrisme du cœur. — Pour arriver au cœur nous avons plusieurs routes : d'abord nous pouvons aller dans le cœur droit ou dans le cœur gauche. Il est très-facile d'arriver dans le cœur droit (fîg. 90, J, K) . A cet effet, on fait pénétrer une sonde dans la veine jugulaire, et l'on arrive directement au cœur, puisque la veine cave supérieure n'a pas de valvule. Du reste, la valvule de la cave inférieure n'est pas un obstacle sérieux, et en poussant un peu plus loin la sonde, on peut aller dans la veine cave inférieure. Il est plus difficile de pénétrer dans le cœur gauche. On s'adresse à cet effet à la carotide, et l'on pénètre par elle jusqu'à l'origine de l'aorte ; mais ici on rencontre les valvules sigmoïdes qui ne sont jamais complètement ou- vertes, même au milieu de la systole, ainsi que nous le disions précédemment. Il faut donc quelques tâtonne- ments et un hasard favorable pour franchir cet obstacle 278 APPAREIL CIRCULATOIRE. FlG. 90. — Ensemble des voies par lesquelles on peut pratiquer le eathétérisme du cœur et des gros vaisseaux (du cou). Le thorax du chien est ouvert pour montrer le co?ur et les vaisseaux. V, ventricule droit; 0 D, oreillette droite; D, diaphragme; C I, veine cave inférieure; K, valvule d'Eustaehe; D V veine cave supérieure; J, J, les veines jugulaires; A 0, aorte : en 1 sous-clavière gauche; 2, carotide gauche; 3, carotide droite; T, trachée. Cathétérisme du cœur droit. — La sonde, introduite dans la jugulaire droite, est représentée par un double trait pointillé. Gathétérisme du cœur gauche. — La sonde, S B, introduite dans la carotide gauche (C), suit ce vaisseau (voy. en 2) jusque dans la partie ascendante de la crosse de l'aorte, et jusque dans le ventricule gauche. Gathétérisme de l'aorte. — La sonde, S A, introduite dans la carotide droite (C), suit ce vaisseau (voy. en 3) jusque dans l'aorte thoracique et abdominale (AO, A 0). CATHÉTÉRISME DU COEUR. 279 sans le déchirer. Dans ce cas il faut s'adresser de préfé- rence à la carotide gauche (6g. 90, en C et 2), et cou- cher le chien du côté droit (nous avons toujours en vue le cathétérisme du cœur sur cet animal). Nous insisterons surtout sur le cathétérisme du cœur droit, et nous prendrons comme type de procédé opéra- toire l'exécution de cette expérience sur le chien. Chez cet animal le cœur est très-mobile. Si l'on couche le chien sur le dos, le cœur se place trop en arrière, ou plutôt en bas vers la colonne vertébrale, pour qu'il soit facile de l'atteindre ; il faut donc coucher l'animal sur le flanc, et de préférence sur le côté gauche (fig. 92). On introduit dans la jugulaire une bougie ou bien une sonde de plomb, instrument auquel on peut donner la courbure que l'on veut, et qui ne déchire jamais les vais- seaux. On choisit celte sonde à peu près du calibre de la veine, afin qu'elle y entre à frottement doux, et pour éviter encore mieux les pertes de sang, on serre très-légèrement avec une ligature les parois de la veine sur la sonde. On pousse alors doucement cet instrument vers le cœur, en le dirigeant en avant et à gauche, de façon à ne pas faire fausse route dans les veines mammaires ou dans l'azygos (voy. fig. 92) . On a eu soin de courber légèrement le bec de la sonde, Fig. 91. Mise à nu de la veine jugulaire 280 APPAREIL CIRCULATOIRE. et quand on arrive au niveau du cœur, en dirigeant ce bec en dedans, c'est-à-dire vers la ligne médiane, on pénètre aussitôt dans l'oreillette. Caihétêrisme des gros vaisseaux. — tl est important non-seulement de pénétrer dans le cœur, mais encore d'aller puiser du sang dans les différents points des gros CATHÉTÉRISME DES VAISSEAUX. 281 troncs artériels ei veineux: à cet effet, il est peu pratique d'ouvrir l'animal pour faire directement une saignée sur ces points de l'arbre circulatoire, ce procédé trouble trop l'organisme, et serait du reste sans valeur pour l'étude de la température dans les divers segments de l'appareil de la circulation. Il vaut donc infiniment mieux faire pénétrer dans cet appareil des sondes diverses, de nature variée, selon le but que l'on se propose (recherches chi- miques ou thermométriques), et parvenir à se promener pour ainsi dire et à stationner avec ces appareils dans tel ou tel point précis de la cavité vasculaire. Les procédés mis en pratique à cet effet dérivent directement de ceux que nous venons de décrire à propos ducathétérismeducœur.Eueffet, on introduit la sonde par la veine jugulaire, comme pour le cathétérisme de l'oreillette droite; au lieu de tourner le bec de la sonde en dedans, on le dirige en dehors ou directement en bas, et l'on pénètre dans la veine cave inférieure. Ce trajet est parfois très-utile à parcourir: il nous permet ainsi de descendre dans la veine cave inférieure jusqu'au niveau des veines rénales, et même jusqu'au niveau des iliaques. C'est ainsi que nous parvenons à nous procurer le sang veineux qui sort des organes correspondants, et nousavons déjà dit combien étaient précieuses les recherches de ce genre. On peut aussi remplacer la sonde par des aiguilles thermo -électriques, et aller ainsi prendre la tempéra- ture du sang sur les divers points du tronc veineux, au niveau de l'abouchement des principales veines viscérales (voy. fig. 93). On peut encore, pour opérer ces divers cathétérismes, 282 APPAREIL CIRCULATOIRE. prendre une voie directement inverse, c'est-à-dire re- monter de bas en haut ou d'arrière en avant des veines iliaques dans la veine cave inférieure, et de là dans le sO © © '" ~P = JE c © O 'Ji ' — va> S 5 o 5 3 .2 -^ o •— ■" PLi.S .— U3 Î3< CE œ jj3 sj .£ • — r>" C eS v© ^s .-S ~©~ 2 «g 2 | A = ft.Jf & » 8 © * o g .S ■a a > 2 .s ■— r fcj; r 0 p> _ ia , -ri . — — S fcJ3 P — * S « t. « = § ^ œ c ^ _ \n « 15 S "* "S "I, S «S Ç S o -S 5= © _z ^ -a ® i _> o c si. « 5 « M cœur et même dans la veine cave supérieure, jusqu'au niveau des veines jugulaires, où l'on peut sentir le bec de la sonde venir faire saillie. À cet effet, on pénètre par CATHÉTÉRISME DES VAISSEAUX. 283 a veine crurale droite (fîg. 94) ou gauche. On s'a- FlG. 94. — Cathétérisme simultané des gros vaisseaux artériels et veineux (veines caves et aorte), par la veine et l'artère crurale droite, au moyen de sondes ren- fermant de longues aiguilles thermo-électriques. — Dispositions générales de l'expé- rience— A gauche de l'animal fixé dans la gouttière sont représentés le commutateur électrique et le galvanomètre, dont les déviations indiquent les différences de tem- pérature des milieux (sang artériel et sang veineux) dans lesquels sont plongées les deux sondes thermo-électriques. dresse en général de préférence à la veine crurale 284 APPAREIL CIRCULATOIRE. gauche, de manière qu'en suivant l'iliaque on arrive dans la veine cave inférieure sans avoir de courbure trop prononcée à décrire. Arrivé dans la veine cave, on peut pousser la sonde plus ou moins loin, et puiser du sang, par exemple, au-dessus ou au-dessous de la veine rénale, de façon à constater les différences du sang vei- neux avant et après l'abouchement de ces veines. — ■ On peut enfin pousser jusque vers le cœur. — Dans cette opération du cathétérisme des veines caves de bas en haut, on est souvent arrêté dans les ampoules placées sur la cave inférieure, au niveau de l'abouchement des sus-hépatiques. Mais comme ces ampoules sont situées sur la paroi gauche de la veine, on les évite plus sûre- ment en pénétrant dans le système veineux par la veine crurale du côté gauche. Au contraire, lorsqu'on veut pénétrer par en bas (artère crurale) dans le tronc artériel (aorte), il est pré- férable de s'adresser à l'artère crurale droite (fig. 92) . Il est facile de comprendre, d'après la disposition géné- rale des vaisseaux, que la sonde pénétrant par ce côté a une courbure moins prononcée à décrire pour arriver dans l'aorte et la parcourir. Nous avons donc deux voies pour arriver jusqu'au cœur et pour tirer du sang des oreillettes. Quand la sonde est arrivée clans le cœur droit, et que l'on ouvre son extrémité libre, le sang jaillit avec pulsations sous l'influence des contractions cardiaques. Si la sonde a été introduite par la jugulaire, elle jouit de plus de liberté de mouvement, et on la voit, dès qu'on est arrivé dans le cœur, battre comme l'aiguille munie d'un petit drapeau CATHÉTÉRISME DES VAISSEAUX. 285 que l'on enfonce souvent à travers les parois thoraciques jusque dans le cœur pour en montrer les battements, Mais à mesure que l'on tire du sang du cœur, on voit FlG. C5. — Embouchures des veines caves dans le cœur. (Lettres comme dans les figures 90 et 92.) celui-ci précipiter ses battements; c'est que le cœur a le sentiment qu'il se vide, et nous connaissons parfaite- ment aujourd'hui les nerfs sensibles du cœur. En somme, toutes les expériences que nous venons d'étudier sur l'arbre circulatoire sont essentiellement propres à fixer nos notions topographiques sur la dis- position de cet arbre. Nous avons appris à le parcourir dans tous les sens; à y injecter des substances de façon à les répandre dans tout l'organisme , ou à les faire parvenir plus particulièrement dans tel ou tel départe- 286 APPAREIL CIRCULATOIRE. ment. Nous avons appris à aller, par contre, puiser le sang veineux au niveau de tel organe, ou à prendre le sang veineux général au niveau du cœur droit. Mais ces expériences sont loin de nous suffire ; elles ne donne- raient qu'une faible idée de ce que l'on peut entrepren- dre sur le système circulatoire. Nous ne saurions ce- pendant, pour le moment, entrer dans le détail de ces nombreux procédés expérimentaux, souvent d'une im- portance secondaire. En étudiant l'état du sang au point de vue de sa teneur en sucre (1) ; en étudiant, à propos de la chaleur animale, la température du sang des diverses veines et artères, nous avons donné des expériences qui montreront combien, dans certaines limites, nous savons nous rendre maîtres des phénomènes qui se pas- sent dans les corps vivants, pour diriger sur eux nos investigations, comme nous le faisons en physique et en chimie à l'égard des corps minéraux et des phénomènes auxquels ils donnent lieu. Tous les phénomènes de la vie peuvent se grouper sous trois chefs : les phénomènes physiques, les phéno- mènes chimiques, et enfin ceux que nous appelons phé- nomènes physiologiques. Mais il ne faut pas nous trom- per sur la valeur de ce mot : il ne fait en réalité que cacher notre ignorance, et nous sommes persuadé que petit à petit on parviendra à faire rentrer les phéno- mènes dits physiologiques (ou vitaux) dans la classe des phénomènes physiques ou des phénomènes chimiques. (1) Voy. Le diabète et la ghjcogenèse. Paris, 1877, p. 13t. CONTRACTILITÉ DES VAISSEAUX. 287 Quoi qu'il en soit, iguorant les phénomènes physiologi- ques quant à leur essence, nous devons nous attacher d'autant plus à les étudier dans leurs manifestations. C'est pour répondre d'une manière précise aux plus importantes des questions qui se posent relativement à ces divers ordres de phénomènes, que nous allons es- sayer de poser quelques expériences types, notamment sur la circulation capillaire et sur les poisons. Il est, par exemple , à propos de l'appareil circula- toire, une question capitale et longtemps controversée : on sait que le cœur se contracte et préside ainsi à la circulation; mais qu'en est-il des vaisseaux? sont-ils de purs tuyaux remplissant le rôle uniquement mécanique de conduits, ou bien jouissent-ils aussi de la propriété de modifier leur calibre, de se contracter et de réagir ainsi sur leur contenu? On a bien longtemps discuté cette question ; chacun apportait des arguments et non des démonstrations, et l'opinion des physiologistes oscil- lait tous les jours vers les argumentations les plus bril- lantes qui se produisaient. Magendie et Poiseuille ne voyaient dans les vaisseaux que de simples tubes iden- tiques à ceux dont on ferait usage dans un appareil de physique. Mais aujourd'hui nous avons une expérience qui tranche la question, et ne permettra plus désormais aucune discussion à ce sujet. Nous voulons parler de la section du grand sympathique. Vous savez en effet que si Ton prend un lapin, que l'on découvre le cordon cervical du sympathique et qu'on le sectionne, on voit immédiatement se dilater les vaisseaux de l'oreille du même côté : cette hyperhémie 288 APPAREIL CIRCULATOIRE. est accompagnée d'une augmentation très-sensible de température ; en même temps on voit que les petits vais- seaux sont tellement dilatés, que le sang passe dans les veines en conservant la couleur du sang artériel. — Si maintenant nous prenons le bout périphérique de ce sympathique sectionné et que nous le galvanisions, nous voyons aussitôt les vaisseaux diminuer de volume, l'oreille pâlir, la température diminuer. Si l'on coupe le bout de l'oreille du lapin, le sang coule par gouttes nombreuses après la section du sympathique ; dès que l'on galvanise le filet nerveux, les gouttes deviennent plus rares et l'hémorrhagie finit même par s'arrêter complètement. Il y a donc des nerfs qui président au resserrement et à la dilatation des parois vasculaires; il y a des vaso-moteurs : les parois des artères sont con- tractiles. Mais c'est surtout l'étude de la circulation capillaire qui nous amènera à discuter les questions les plus essen- tielles, celles qui ont trait au problème intime de la physiologie générale, à la vie des tissus et des éléments anatomiques. Vous le savez, Messieurs, de même que la chimie ne s'arrête pas à préciser les propriétés d'un corps plus ou moins complexe , et qu'elle décompose ce corps en ses éléments ou corps simples, de même la physiologie ne s'arrête pas aux propriétés des organes ou des tissus ; elle pousse plus loin l'analyse physiologique et descend dans la profondeur des tissus jusqu'à X élément anato- mique. De plus, chose très-importante, elli étudie cet élément non-seulement à l'état achevé, parfait, adulte, EMPLOI DES POISONS. 289 si nous pouvons ainsi nous exprimer, mais elle veut en- core en connaître l'évolution. Pour ne citer qu'un exem- ple de l'importance de ce dernier point de vue, je vous rappellerai que la connaissance plus précise de l'évolution des éléments anatomiques a permis d'abandonner en pathologie la théorie de l'hétéromorphisme, en mon- trant que les tissus normaux et anormaux ne sont que des modalités d'une même loi. Le problème de la physiologie et de la pathologie gé- nérales est ainsi posé ; il a pour objet les parties les plus intimes et les plus essentielles des organes, les éléments des tissus. Le jour où tous les éléments anatomiques seront par- faitement connus, et dans leur évolution, et dans leurs formes, et dans leurs propriétés physiologiques, et enfin dans les actions que peuvent avoir sur eux les différents agents physiques, toxiques, médicamenteux, etc., ce jour-là, et ce jour-là seulement, la médecine scienti- fique sera fondée. En effet, dans tout état pathologique, c'est toujours spécialement l'un des éléments anatomiques du corps qui est atteint : c'est le trouble de cet élément particu- lier qui amène consécutivement le trouble général de l'organisme. Dans tout empoisonnement, par exemple, et j'ai rendu la chose évidente, surtout par l'étude de l'action du curare et de l'oxyde de carbone, ce n'est pas l'organisme entier, ce n'est pas le sujet, l'individu qui est empoi- sonné, c'est tel élément anatomique : ici le globule rouge du sang, là le nerf moteur, qui est primitivement at- cl. BERNARD. — Physiol. opér. 19 APPAREIL CIRCULATOIRE. teint, et la suppression de la fonction spéciale dévolue en propre à cet élément amène le trouble ou l'arrêt de la vie de l'ensemble. Il en est de même pour les actions thérapeutiques; car les agents thérapeutiques ne sont en définitive que des agents toxiques employés à des doses différentes. Or la circulation est au premier titre la fonction qui s'exerce pour tous les éléments anatomiques vraiment actifs, qui est commune à eux tous ; qui, par des mé- canismes divers et en apparence opposés, établit à la ibis leur indépendance et leur solidarité. Le sang ou le plasma sanguin > que nous avons appelé le milieu inté- rieur, est à la fois la source et le résultat des phéno- mènes vitaux; il est indispensable à tous les éléments anatomiques, auxquels il est porté par le mécanisme de ia circulation. C'est lui qui amène au contact de ces éléments anatomiques les matériaux fournis par l'ali- mentation, et tous les éléments empruntés à l'extérieur, aussi bien les principes utiles que ceux qui sont nuisi- bles, aussi bien les aliments que les substances toxiques. En un mot, c'est l'étude du sang et de la circulation qui nous permettra d'aborder les notions les plus gé- nérales relativement aux conditions de milieu dans les- quelles s'exerce la vie des cellules et des éléments ana- tomiques « Nous aborderons cette étude au point de vue critique que je vous ai précédemment indiqué : nous aurons donc à la fois à faire l'histoire de la science, à répéter de nombreuses expériences et à en instituer de nou- velles. TREIZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Anatomie et physiologie. — Les analogies anatomiques ne peuvent suppléer à l'expéri- mentation physiologique. — Revue historique des faits et des théories relatives à la circulation. — Nouvelles lumières apportées par la chimie moderne. — Les phénomènes chimiques, comme les phénomènes méca- niques de l'organisme, doivent être étudiés directement par l'expérimen- tation, et non déduits par analogie des faits semblables empruntés à la mécanique pure. — En chimie , comme en mécanique , les procédés de l'organisme lui sont particuliers. Messieurs, Nous sommes arrivés, dans la dernière leçon, en vous indiquant incidemment le point de vue auquel la phy- siologie doit se placer aujourd'hui, à cette conclusion que nos études devaient, pour revêtir définitivement un caractère scientifique, descendre jusque dans les élé- ments anatomiques des organes et des tissus. Nous avons insisté sur l'importance des investigations histo- logiques. Mais il nous faut compléter notre pensée et en écar- ter une interprétation trop étroite : si les progrès de la physiologie ne sont désormais possibles qu'avec la con- naissance des éléments anatomiques, ce n'est pas à dire qu'il suffise d'étudier la forme, la disposition, la structure de ces éléments; il faut encore leur appliquer directe- ment la méthode expérimentale pour en étudier les pro- 292 APPAREIL CIRCULATOIRE. priétés ; il faut, comme pour les organes, non-seulement étudier les phénomènes dont ils sont spécialement le siège, mais encore provoquer ces phénomènes, modi- fier les conditions d'observation ; en un mot, expéri- menter. Se contenter d'étudier les caractères morphologiques d'un élément, ce serait faire de l'anatomie pure; et attendre de cette observation des renseignements sur les propriétés de ces mêmes éléments, ce serait se bercer d'une illusion qui a du reste longtemps régné dans la science, alors que l'on pensait trouver dans la structure d'un organe des notions suffisantes pour eu déduire les fonctions. Beaucoup d'anatomistes, etCuvier lui-même, ont cru que les notions anatomiques pouvaient suppléer à l'ex- périmentation physiologique, et que de l'analogie de structure on pouvait conclure à la similitude de fonction. Cependant rien n'est moins exact, et les exemples abondent pour vous montrer les nombreuses erreurs auxquelles peut donner lieu une semblable doctrine. Nous prendrons des exemples au hasard, en quelque sorte, parmi les travaux physiologiques exécutés dans mon laboratoire par mes aides et collaborateurs ou par moi-même. Depuis Borelli, on dit que la vessie natatoire des pois- sons sert à permettre au poisson de changer de volume et de densité, suivant les diverses profondeurs où il se trouve. Or, comme la vessie natatoire de certains pois- sons est un organe dont les parois renferment des fibres musculaires, rien de plus logique que de supposer à HISTORIQUE ET CRITIQUE. 293 priori que cet organe se contractera pour agir sur les gaz qu'il renferme, et qu'ainsi l'animal pourra par lui- même régler les conditions hydrostatiques de son équi- libre dans l'eau. C'est à cette opinion déduite de l'ana- tomie que se sont arrêtés Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier et d'autres non moins illustres. Et cependant la physio- logie expérimentale est venue contredire cette hypothèse. M. A. Moreau, qui a entrepris des expériences d'une grande rigueur sur le rôle de la vessie natatoire, a mon- tré que le poisson est muscnlairement passif quant à la pression qui modifie le volume de sa vessie natatoire, et qu'il en change le volume par un mécanisme tout à fait différent de celui qu'on avait supposé : par une exhalation ou une absorption de gaz, et non par un phé- nomène de contraction musculaire. L'anatomie n'eût certes jamais fait soupçonner cette exhalation de gaz qui change de volume et de nature dans la vessie natatoire suivant des lois qu'on peut fixer et déterminer d'avance. Ce sont là des faits du plus haut intérêt pour la physio- logie et qui sont dus exclusivement aux investigations expérimentales directes. L'histologie elle-même, aussi bien que l'anatomie, doit être subordonnée à l'expérimentation ; elle doit de- venir expérimentale, sans quoi les notions qu'elle fournit sont Fatalement condamnées à demeurer stériles et erro- nées. Je vous rappellerai, à ce propos, l'exemple des glandes salivaires et du pancréas. Est-il deux organes qui présentent plus d'analogie au point de vue de leur structure et de la morphologie des éléments qui les constituent? On en avait conclu que les liquides sécrétés 294 APPAREIL CIRCULATOIRE. étaient identiques. Mes expériences sont venues prouver que c'était là une erreur profonde. Vous savez combien diffèrent les propriétés des liquides sécrétés par les glandes buccales et par la glande abdominale, et com- bien la physiologie serait en retard si, se contentant des données anatomiques, elle n'avait pas cherché à en vé- rifier les conclusions par des expériences qui ont donné le plus éclatant démenti à la prétendue identité de fonctions. Supposons maintenant un organe sur les fonctions duquel la physiologie expérimentale n'aura encore donné aucune notion : dans ce cas l'anatomie, quelque précises que soient ses connaissances, sera impuissante à nous fournir le moindre renseignement sur les usages de l'organe en question. Cette supposition n'est pas une assertion gratuite. Dans l'état actuel de la science, il n'est encore que trop d'or- ganes pour lesquels elle se vérifie. L'anatomie des- criptive, l'histologie du corps thyroïde, la connaissance de ses vaisseaux sanguins et lymphatiques ne sont-elles pas aussi complètes que pour d'autres organes? N'en est-il pas de même pour le thymus, pour les capsules surrénales? Et cependant nous ne savons absolument rien sur les usages de ces organes; nous n'avons pas même idée de l'utilité et de l'importance qu'ils peuvent avoir, parce que l'expérimentation ne nous a rien dit à leur égard et que l'anatomie à elle seule reste absolu- ment muette. Jamais l'anatomie des cellules du foie n'aurait fait HISTORIQUE ET CRITIQUE. 295 soupçonner que cet organe fabrique incessamment du sucre qu'il déverse dans le sang. De même la rate a été longtemps étudiée en vain par les anatomistes, quoique la structure en soit réel- lement aussi bien connue que celle d'une glande quelconque. Quant aux usages, l'expérimentation seule pouvait les faire connaître. L'extirpation n'avait pu démontrer qu'un fait : que la rate peut être suppri- mée sans amener nécessairement la mort. Toutefois cela ne prouverait pas que sa fonction est nulle. Il y a quelques années, je fis l'observation que le sang des veines de la rate présente des alternatives de couleur comme celui des glandes qui sécrètent. Tout récemment, M. Picard a ici trouvé un fait important, c'est que, dans des conditions données, la rate est l'organe de tout le corps qui renferme les proportions les plus considé- rables de fer dans son tissu. Ce fait n'aurait jamais pu être découvert par l'anatomie. D'autre part, abordant directement l'étude de la rate par la méthode expéri- mentale, MM. Picard et Malassez sont entrés dans la voie véritable qui pourra fournir des faits positifs relati- vement au rôle de ce viscère considéré comme organe formateur des globules sanguins. C'est doncseulement quand l'expérimentation aura précisé le sens du phéno- mène que l'histologie interviendra à son tour pour en préciser le siège et contribuer à élucider le mécanisme de la fonction. Il est tout un ordre de faits des plus importants sur lesquels l'anatomie et l'histologie ne sauraient rien nous apprendre : je veux parler des actions toxiques et médi- 296 APPAREIL CIRCULATOIRE. camenteuses, qui sont au fond toute la médecine. Com- ment pourrions-nous, par exemple, déduire l'action de la strychnine de Tanatomie de la moelle épinière, celle du curare de la structure des nerfs, celle de l'oxyde de carbone de l'histologie du globule sanguin? L'expéri- mentation seule nous a appris tous ces faits, et sans elle nous ne les aurions jamais connus. En résumé, c'est la physiologie expérimentale ou l'ex- périmentation qui nous permet d'observer les phéno- mènes de la vie et qui détermine la nature des fonctions; l'anatomie en localise le siège. De même dans les études microscopiques une part égale doit revenir à l'expéri- mentation dans l'observation des propriétés des tissus et de leurs éléments. L'histologie proprement dite nous donne les notions indispensables sur la localisation de ces propriétés. En un mot, l'expérimentation ouvre tou- jours la voie, elle indique la nature des phénomènes ; puis l'histologie vient en montrer le substratum figuré, l'élément anatomique avec son évolution et ses altéra- tions, dont l'étude est si importante au point de vue pathologique. Cette marche est la marche naturelle ; on doit toujours débuter par l'étude expérimentale sur le vivant, et non anatomiquement par le cadavre. C'est ainsi que, sans s'en rendre compte, l'esprit humain a procédé. L'étude de la circulation, dont nous allons nous occu- per, nous en présentera précisément un des exemples les plus éclatants. Tout ce que nous savons de cette fonction nous a été appris par l'observation et par l'expérimentation, qui n'est que celle-ci poussée plus HISTORIQUE ET CRITIQUE. 297 loin. Nous verrons en outre combien l'erreur est facile quand on veut déduire les fonctions d'un organe d'après les simples faits anatomiques constatés sur les cadavres. Nous voyons en effet Érasistrate ouvrir pour la pre- mière fois un cadavre. Il trouve de gros canaux, les artères, parcourant tout le corps ; il les ouvre et les trouve vides; les veines au contraire sont pleines de sang : il en conclut que ce liquide n'est contenu que dans ces der- niers vaisseaux et que les artères ne conduisent que de l'air. Que d'hypothèses alors pour se rendre compte de l'arrivée de l'air dans ces vaisseaux ! Que de dépenses d'imagination pour construire un système d'après lequel l'air des artères vient de l'arbre respiratoire, d'où le nom de trachée-artère donné au conduit principal du poumon ! Et cependant il eût suffi d'opérer sur un animal vivant pour voir un torrent cle sang rouge couler dans les artères, qui ne se vicient qu'après la mort en vertu de leur élasticité. Cette expérience si simple, si élémentaire, il faut arriver jusqu'à Galien pour la voir réalisée. Mais Galien ne se contenta pas non plus d'observer un fait, il voulut établir tout un système; et alors il suppléa par des hypo- thèses et par des déductions anatomiques à ce qu'il n'avait pas pu demander à l'expérimentation. 11 arriva ainsi à construire un système qui n'était que le fruit de son imagination, au lieu d'être l'expression de l'expé- rience qu'il avait abandonnée bien vite. Pour lui, le sang des artères est un sang particulier, très-subtil, émi- nemment propre à exciter la vie des organes auxquels il porte les esprits vitaux: c'est un sang qui provient, par 298 APPAREIL CIRCULATOIRE. filtration à travers la paroi ventriculaire, du sang plus grossier destiné simplement à la nutrition des organes, et qui, se formant au niveau du foie, se répand de là, par les veines caves supérieure et inférieure, vers les parties correspondantes du corps. Gette doctrine ou ce système, fruit de mille hypo- thèses, reposait sur un fait que rien ne venait confirmer. Galien supposait, avons-nous dit, la filtration du sang veineux à travers la paroi ventriculaire: il y aurait donc eu des trous dans cette paroi. Galien n'avait pu les voir, mais il les supposait. Pendant des siècles on les chercha en vain; mais si Ton ne put les apercevoir, la confiance dans la parole du maître était si grande, que nul n'osa les nier. Du 11e siècle, époque où vécut Galien, jusqu'au xvie siècle, époque de Vésale, la paroi inter ventriculaire fut perforée, mais de trous invisibles. Vésale le premier nia cette disposition: c'était rendre inadmissible le sys- tème de Galien; on aima donc mieux croire à une supposition contraire à toute vérification anatomique que d'abandonner une théorie si ancienne, consacrée partant de maîtres. Mais bientôt les travaux de Césalpin, de Colombo, de Fabrice d'Acquapendente qui découvrit les valvules des veines, enfin ceux de Michel Servet et de Harvey, vinrent établir des faits expérimentaux posi- tifs, devant lesquels le système de Galien ne pouvait plus tenir : la circulation, le grand mécanisme du transport du sang dans le poumon d'une part, et dans le reste de l'économie, en un mot la grande et la petite circulation étaient désormais connues. De faits en faits on était parvenu à renverser toutes les hypothèses et à les rem- HISTORIQUE ET CRITIQUE. 299 placer par des notions tirées directement de l'observa- tion sur l'animal vivant. Pour achever cette rapide esquisse historique, que je ne vous ai retracée que pour en dégager, à notre point de vue, l'enseignement philosophique qu'elle renferme, je vous rappellerai la découverte des vaisseaux chyli- fères, puis des lymphatiques généraux : Aselli et Pecquet, en montrant que les matériaux absorbés dans l'intestin passent par le canal thoracique sans entrer dans le foie, dépossédèrent définitivement ce dernier organe du rôle supérieur que lui avait attribué Galien dans la forma- tion du sang. La découverte de la circulation tant lymphatique que sanguine faisait faire un pas immense à la physiologie. Et cependant aujourd'hui ce progrès paraît peu de choses quand on a égard à ce que la science de l'orga- nisme animal devait faire pour entrer dans sa véritable voie, pour arriver à découvrir et à étudier, dans le sang ses éléments essentiels, les globules, et clans les tissus qu'il va baigner les éléments anatomiques autour des- quels il circule. Et ce n'était encore rien que la décou- verte de ces divers éléments anatomiques du sang et des tissus : leur connaissance nous permettait d'y localiser bientôt les phénomènes de la vie; mais ces phénomènes il les fallait connaître, et pour cela il fallait que les sciences accessoires, la physique, la chimie, fussent prêtes à nous fournir et les notions et les instrumenta- tions indispensables aux recherches de ce genre : il fallait que la physique et la chimie fussent en état de nous expliquer ces phénomènes. 300 APPAREIL CIRCULATOIRE. Cette lumière indispensable à la physiologie, c'est à Lavoisier que nous la devons ; devant ses découvertes s'évanouirent les derniers restes des théories vitalistes : plus de chaleur innée, plus d'hypothèses vagues, plus de pétitions de principes, mais des notions exactes sur les forces physiques et chimiques, sur les phénomènes de la combustion, et par suite sur les combustions orga- niques, sources de la chaleur et du mouvement. Mais la chimie minérale cadavérique, si j'ose ainsi dire, ne peut pas non plus être appliquée directement à la physiologie; il ne suffit pas de savoir que telle trans- formation passe par telles et telles phases, dans les expé- riences de chimie hors du corps vivant, pour en pouvoir induire qu'une transformation, identique du reste quant aux résultats, se fait au sein de l'organisme. C'est dans ce sens qu'on peut dire que toute grande découverte, lors- qu'on en pousse trop loin les applications, lorsqu'on veut en étendre d'une manière trop absolue les consé- quences, porte en elle une source d'erreur. L'œuvre de Lavoisier et de ses successeurs n'échappa point à cette loi fatale, quoique, hâtons-nous de le dire, dans une faible proportion. Après avoir montré l'identité des phé- nomènes physiques et chimiques de la matière inorga- nique et des phénomènes qui se passent dans les êtres vivants; après avoir montré que dans les deux cas les résultats sont les mêmes, qu'il s'agisse de production de chaleur, de forces, de décomposition ou de formation, les chimistes voulurent conclure à Yidentitê des pro- cédés. C'est dans cette hypothèse que l'école de Lavoisier HISTORIQUE ET CRITIQUE. 301 dépassa ce que permettait de conclure logiquement l'ob- servation des faits : elle substitua à des notions absentes des théories que l'expérimentation devait de nos jours renverser. En effet, il me serait facile de vous montrer par de nombreux exemples que, si les résultats chimiques sont les mêmes, les procédés diffèrent complètement pour les actions qui se passent au sein de l'organisme et pour celles que le chimiste provoque artificiellement, in vitro, dans son laboratoire. Je pourrais dire même qu'on ne connaît pas aujourd'hui un seul cas où les choses se passent d'une manière identique. Sans doute l'amidon est transformé par l'organisme et par le chimiste en un dérivé qui est absolument le même dans les deux cas; mais de ce que le chimiste se sert pour arriver à ce ré- sultat de l'ébullition dans les acides, en peut-on con- clure que l'appareil digestif procède de même? Nulle- ment; car l'organisme emploie à cet effet des ferments particuliers dont nous n'avons pu avoir idée qu'en allant directement étudier le fait physiologique à l'aide des expériences et des vivisections. Cet exemple choisi entre mille nous montre la diffé- rence des procédés chimiques. Il en est de même pour les procédés physiques ou mécaniques, et ici nous n'au- rons pas à sortir du sujet que nous devons traiter spé- cialement, de la circulation. Sans doute le mouvement du sang est produit par un appareil mécanique dont les effets sont en tout analogues à ceux d'une pompe aspi- rante et foulante. Mais avant qu'ils se fassent sentir au niveau des tissus et de leurs éléments anatomiques, ces 302 APPAREIL CIRCULATOIRE. effets sont singulièrement modifiés par des conditions nouvelles, dont l'organisme seul offre l'exemple. Nous voulons parler des conditions qui, sous l'influence ner- veuse, font varier du simple au double la quantité de sang qui parcourt un organe, selon que celui-ci est à l'état de repos ou de fonctionnement. Aussi les expériences qui ont porté sur les vaisseaux sanguins, en ne voyant dans ceux-ci que des tubes inertes, comparables à des tubes de verre, ces expé- riences sont-elles à peu près non avenues aujourd'hui, car elles ont complètement laissé de côté le point de vue le plus intéressant de la question, le procédé particulier de l'organisme. Le caractère particulier de ces procédés est essentiellement marqué par leurs rapports avec le système nerveux, tant pour l'exemple emprunté plus haut aux phénomènes de transformations digestives que pour l'exemple actuel de la circulation, car c'est le sys- tème nerveux qui fait sécréter les glandes comme il fait se contracter les petits vaisseaux. Je m'arrête dans ces généralités. Nous reviendrons sur ce sujet dans la prochaine leçon, et nous entrerons ainsi directement dans l'étude critique de la physiologie expérimentale de la circulation. QUATORZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Un appareil circulatoire n'est qu'un appareil de perfectionnement. — Apparition de cet appareil chez l'embryon. — Sa forme chez les animaux supérieurs. — Différentes parties dont il se compose chez les animaux supérieurs. — Importance des vaisseaux capillaires. — Diverses expériences pour montrer que tous les phénomènes essentiels de la nutrition se passent au niveau des capillaires. Étude du système capillaire. — Système lacunaire des animaux inférieurs. — Sphincters prélacunaires de quelques articulés ; leur analogie avec l'en- semble formé par les parois musculaires des artérioles des animaux supé- rieurs. — Capillaires sanguins et capillaires lymphatiques. — Développe- ment et disposition des réseaux capillaires ; ils sont indépendants du reste de l'appareil circulatoire, aussi bien au point de vue de leur genèse qu'au point de vue de leurs fonctions. Messieurs, La vie réside exclusivement dans les éléments orga- niques du corps; tout le reste n'est que mécanisme. Les organes réunis ne sont que des appareils construits en vue de la conservation des propriétés vitales élémen- taires. Avant d'aborder l'étude de l'appareil de la circula- tion, nous devons donc nous demander quels sont les rapports généraux des divers appareils de l'organisme avec les éléments des tissus, avec les cellules organiques. Ces ensembles d'organes, qu'on appelle des appareils anatomiques, sont indispensables au jeu de l'organisme, mais non à la vie elle-même. Ils ne représentent que 304 APPAREIL CIRCULATOIRE. de simples mécanismes de perfectionnement, rendus nécessaires par la complication des amas considérables d'éléments anatomiques qui constituent un organisme plus ou moins supérieur. Ces appareils d'organes, disons-nous, sont utiles, mais non indispensables à la vie des cellules. En effet, on conçoit et l'on observe des cellules vivant isolément dans le milieu extérieur, par exemple les animaux mono- cellulaires. La cellule reçoit ainsi directement les exci- tations cosmiques, qui la font agir, car cette cellule, inerte elle-même en tant que matière, ne jouit d'au- cune spontanéité et ne manifeste ses propriétés que sous l'influence d'une excitation extérieure. Cette néces- sité pour l'élément anatomique de recevoir du milieu dans lequel il vit les excitations qui mettent en jeu ses propriétés, cette nécessité est un fait fondamental en physiologie et en pathologie. Mais dès que d'une simple cellule, comme celle qui compose à elle seule le corps d'une amibe, d'un infu- soire, nous passons à un organisme composé d'une réu- nion d'innombrables cellules ou éléments anatomiques, nous comprenons qu'un système circulatoire, un système nerveux, etc., deviennent nécessaires; car comment les éléments placés dans la profondeur, loin du milieu exté- rieur, pourraient-ils en recevoir les excitations? il faut des appareils qui se chargent de recueillir ces excitations et de les leur transmettre, C'est ainsi que l'appareil circulatoire devient néces- saire, et c'est lui, c'est-à-dire le sang, qui, se chargeant des principes nutritifs ou respiratoires, va les porter vers SON' PERFECTIONNEMENT DANS L'ÉCHELLE ANIMALE. 305 les éléments anatomiques, pour lesquels il devient, je le répète , le véritable milieu intérieur. Pour constater cette apparition graduelle des divers systèmes, et notam- ment du système circulatoire, à mesure que l'organisme se complique et représente un agrégat plus considérable de cellules, nous n'avons pas besoin de parcourir l'échelle animale ; il nous suffit de nous adresser à un même individu, mais en le considérant dès les premières périodes, au début de son développement. Si nous obser- vons ce qui se passe lors de la formation du blasto- derme du poulet, par exemple, nous voyons que dès que cette membrane, cet amas formé de cellules primi- tivement identiques, a atteint un développement assez considérable pour que les éléments situés loin de la sur- face ne puissent plus que difficilement se mettre en rap- port avec les milieux nutritifs, nous voyons qu'aussitôt se forme un système d'irrigation destiné à rendre ces échanges possibles. Aussi l'appareil circulatoire, qui en somme n'est qu'un système d'irrigation, présente-t-il , chez les di- verses classes du règne animal, tous les degrés de per- fectionnement les plus variés, correspondant aux degrés de complication de ces organismes dans l'échelle zoo- logique. Chez quelques animaux inférieurs, par exemple chez les acalèphes, l'appareil digestif et l'appareil circulatoire ne semblent former qu'un seul et même système gastro- vasculaire. Chez les sertulariens, une cavité cylindrique occupe toute la longueur du corps et communique libre- ment au dehors par la bouche : l'eau de mer pénètre CL. BERNARD. — Physiol. opér. 20 306 APPAREIL CIRCULATOIRE. dans cette cavité et y porte les gaz de la respiration en même temps que des matières alimentaires qui parais- sent y être digérées, car elles s'y réduisent en particules plus ténues, et le liquide nourricier ainsi constitué est agité par des mouvements rapides. Dans un type ani- mal un peu plus élevé, chez les acalèphes, ce système cavitaire présente déjà une division du travail quant aux fonctions digestives et irrigatoires. Une portion ves- tibulaire et centrale de l'appareil devient plus spéciale- ment chargée de l'élaboration des matières alimentaires et constitue un estomac bien délimité, tandis que la portion périphérique devient inapte à recevoir des ma- tières solides d'un volume un peu considérable et ne laisse passer que les liquides plus ou moins nourriciers qui ont été préparés dans la cavité digestive. Quelque grandes que soient les complications et les divisions du travail que nous offrent ensuite les appa- reils digestifs et circulatoires chez les êtres placés au sommet de l'échelle animale, ces appareils ne nous représentent toujours qu'un mécanisme desliné à servir d'intermédiaire entre les éléments anatomiques et le milieu extérieur, mécanisme dont le fonctionnement, en raison même de son perfectionnement, devient indis- pensable, mais qui néanmoins, nous le répétons, ne pré- sente rien d'essentiel dans les phénomènes de la vie : les éléments anatomiques, par leurs propriétés, sont seuls le siège de ces phénomènes essentiels. Il est donc facile de comprendre que, lorsque par exemple un individu meurt à la suite d'une maladie présentant une lésion localisée dans le tube digestif ou SON RÔLE GÉNÉRAL. 307 dans le cœur, organe central de la circulation, ce n'est pas, en dernière analyse, la maladie du cœur ou de l'intestin qui a constitué la mort ; mais c'est que le trouble de ces fonctions, en dérangeant le mécanisme vital, a enlevé aux éléments des tissus de l'organisme les seuls moyens réguliers par lesquels ils pussent com- muniquer avec l'extérieur et en recevoir les excitants, par suite ces éléments se sont trouvés dans l'impossibi- lité de manifester leurs propriétés , et bientôt ils ont succombé : en réalité, c'est seulement la mort de ces parties élémentaires, de ces cellules, qui constitue la mort de l'organisme général. Au point où en est arrivé aujourd'hui la science, il n'est pas inutile de bien fixer les idées à ce sujet et de montrer combien nous sommes loin des idées anciennes qui plaçaient par exemple l'âme, ou un principe spécial de la vie, dans le sang, et qui, clans un animal qui meurt par hémorrhagie, ne voulaient voir qu'un corps d'où le principe de la vie s'était échappé en même temps que le liquide sanguin. Non : de même qu'il n'y a que les éléments anato- miques qui vivent dans l'organisme de tout animal, de même il n'y a que les éléments anatomiques qui meu- rent. Mais les vies partielles des diverses espèces de cel- lules qui constituent un organisme sont si intimement liées les unes aux autres et tellement solidaires entre elles, qu'il suffit qu'une de ces espèces succombe pour disloquer le mécanisme vital et pour qu'aussitôt dispa- raisse l'admirable harmonie qui constituait la vie de l'animal entier. 308 APPAREIL CIRCULATOIRE. Ces considérations générales nous dispenseront d'en- trer dans le détail des divers mécanismes circulatoires que nous présentent les différentes classes d'animaux. Elles nous permettent d'aborder directement la circu- lation chez les vertébrés et chez l'homme, dont nous devons plus particulièrement nous occuper, car nous ne saurions oublier le but spécial de ces leçons. Si nous jetons un premier coup d'œil sur l'appareil circulatoire de ces animaux supérieurs, nous le voyons composé de parties diverses, que l'on peut ranger en quatre divisions distinctes : 1° Le cœur. Organe central, il joue le rôle d'une pompe aspirante et foulante ; il représente essentielle- ment l'appareil moteur du système d'irrigation. 2° Les artères. Parties du cœur, et se distribuant dans toutes les portions du corps, elles représentent des canaux de distribution. 3° Les veines et les lymphatiques. Nous pouvons rap- procher l'un de l'autre ces deux ordres de canaux, puisque tous deux ils servent à ramener vers le cœur les liquides qui ont baigné les tissus. k° Les capillaires. C'est au niveau de ceux-ci que le sang arrive jusqu'au contact plus ou moins immédiat des éléments anatomiques. Si l'on se demande par lequel de ces organes ou de ces ensembles de vaisseaux on doit commencer l'étude de l'appareil circulatoire, le choix paraît au premier abord assez embarrassant. Nous pourrions légitimement, ainsi que le font la plupart des traités de physiologie, débuter par l'étude des fonctions du cœur, puisque cet CAPILLAIRES. 309 organe est comme le centre, duquel rayonnent toutes les autres parties. D'autre part, les artères, par la sim- plicité de leurs fonctions au point de vue purement mécanique , nous offriraient certains avantages pour pénétrer ensuite dans l'analyse de fonctionnements plus compliqués. Enfin, si nous prenions pour base de notre plan l'ordre du développements c'est par les veines que nous commencerions, car ces vaisseaux sont les pre- miers à apparaître dans l'aire vasculaire de l'embryon; mais il faut remarquer qu'alors ces canaux veineux ne sont encore que de purs canalicules capillaires, de sorte que l'on peut dire que les capillaires sont les premiers à se montrer dans l'organisme en voie de formation. Nous commencerons donc par l'étude du système capillaire, et cela non-seulement en raison du fait em- bryologique que nous venons d'invoquer, mais encore et surtout parce que cet ordre concorde parfaitement avec le point de vue auquel nous nous sommes placés, avec les idées générales sur lesquelles nous nous sommes arrêtés précédemment : c'est qu'en effet le système ca- pillaire est le seul qui présente des rapports immédiats avec les éléments des tissus, le seul qui nous amène à assister aux phénomènes intimes de la vie des cellules. Si vous me permettez une comparaison vulgaire, mais bien propre à rendre ma pensée, je dirai que les gros vaisseaux, les artères, les veines, ne sont que les rues qui nous permettent de parcourir une ville, mais qu'avec les capillaires nous pénétrons dans les maisons, où nous pouvons observer directement la vie, les occupations, les mœurs des habitants. 310 APPAREIL CIRCULATOIRE. Ainsi, quand on introduit une substance toxique ou médicamenteuse dans l'arbre circulatoire, cette sub- stance restera sans effet tant qu'elle ne circulera que dans les veines ou les artères ; elle ne commencera à manifester son action que lorsqu'elle arrivera dans les capillaires, et dans les capillaires baignant les éléments anatomiques sur lesquels elle agit spécialement : les capillaires des masses nerveuses grises centrales, par exemple, pour la strychnine; les capillaires du muscle ou des terminaisons périphériques des nerfs moteurs pour le curare. Ce ne sont pas là de pures vues de l'esprit, de pures abstractions théoriques, car il est telle condition anato- mique grâce à laquelle la substance toxique en question peut, après avoir parcouru des artères et des veines? rencontrer sur son chemin, avant d'arriver aux capil- laires au niveau desquels elle doit spécialement agir, rencontrer comme une porte d'échappement par la- quelle elle sera éliminée. Dans ce cas elle aura traversé une partie plus ou moins grande de l'organisme, par- couru une étendue plus ou moins considérable du cercle de la circulation, sans avoir produit le moindre trouble. J'ai bien souvent montré danslecoursde nos expériences qu'un cas tout semblable se présentait pour le gaz hy- drogène sulfuré, lorsque ce poison était absorbé par les veines : après avoir passé par le système veineux, avoir traversé le cœur droit, puis suivi les artères pulmonaires, ce gaz, arrivé au niveau des capillaires du poumon, s'échappe, et l'on peut constater son exhalation en voyant noircir un papier à l'acétate de plomb placé au CAPILLAIRES. 311 devant du nez et de la bouche de l'animal. Or, si l'ab- sorption n'a pas été très-considérable, si tout le gaz ab- sorbé a le temps de s'exhaler au niveau de la surface pulmonaire sans être entraîné dans les veines pulmo- naires, l'organisme n'éprouve aucun effet du poison, car celui-ci n'est pas parvenu jusqu'aux capillaires de la grande circulation, c'est-à-dire jusqu'aux éléments des tissus. Cette nécessité que le poison arrive, pour produire son action, au niveau même des capillaires qui baignent les éléments organiques d'un tissu particulier, cette né- cessité d'une localisation parfaite est surtout évidente pour le curare par exemple ; car il faut ici que cet agent vienne au contact non pas des nerfs moteurs en général, mais uniquement de leur extrémité terminale dans les muscles. Au contact des tubes nerveux moteurs, ou des tubes sensitifs, ou des cellules nerveuses centrales, cet agent reste comme non avenu et sans action. Mais, au niveau des terminaisons périphériques motrices, il agit de quelque manière qu'il y soit porté, soit par les capil- laires sanguins, soit par une injection directe dans l'épaisseur des muscles; alors l'action est purement locale et ne se fait sentir que sur les nerfs du muscle en question, à moins qu'on n'y ait fait pénétrer une quan- tité de substance assez considérable pour se diffuser dans l'organisme, être entraînée par les veines et finale- ment amenée dans les capillaires qui baignent les extré- mités des autres nerfs moteurs. Je tenais à vous rappeler ces faits de localisation de l'action d'une substance qu'on injecte directement sur 312 APPAREIL CIRCULATOIRE. le point où elle doit agir, parce que ces résultats ont une grande importance en thérapeutique. Tous ces faits font ressortir l'importance et le rôle prépondérant que jouent les capillaires comparé au simple rôle de tubes de conduction dévolu aux artères et aux veines. En constatant l'uniformité de la circula- tion clans ces gros vaisseaux, en voyant que les substances qu'ils peuvent contenir sont sans effet, tant qu'elles ne parviennent pas au niveau des capillaires, on comprend l'influence relativement restreinte que la découverte de Harvey a exercée sur la médecine; car cette découverte ne nous a fait connaître que les phénomènes qui se passent dans les gros vaisseaux, c'est-à-dire la circu- lation générale, et non la circulation capillaire, qui est la seule efficace et importante. Mais l'étude des capillaires, l'étude expérimentale des différences d'activité de leur circulation, selon que l'or- gane qu'ils baignent est en fonction ou au repos, nous montre que la circulation générale n'est que la source d'une série de circulations locales bien plus importantes à connaître et bien plus délicates à étudier. Jusque dans ces derniers temps, ces modes de circu- lations locales ont été ignorés ; ils n'étaient même pas soupçonnés, et les physiologistes s'éloignaient de plus en plus du chemin qui devait mener à cette découverte, car ils s'obstinaient à identifier tous les conduits san- guins, les capillaires comme les veines et les artères, à des canaux toujours semblables à eux-mêmes, à des tubes inertes, comme des tubes de verre ou de caout- chouc. CAPILLAIRES. 313 Nous avons déjà fait prévoir qu'il n'en est rien. Je vous ai déjà dit qu'à côté et au delà de la circu- lation générale , qui se produit, selon les procédés mécaniques ordinaires , il y a des circulations locales auxquelles l'influence du système nerveux imprime un cachet tout particulier , en modifiant singulière- ment les procédés mécaniques , en produisant des variations énormes, comme celles qu'on observe dans une glande, selon qu'elle est à l'état de fonction ou de repos. C'est donc dans le système capillaire que se trouve pour nous tout l'intérêt de l'élude physiologique de la circulation : c'est en étudiant ce système que nous ver- rons chaque espèce de cellule vivre à sa manière, em- prunter au sang ses aliments et les transformer pour donner naissance à ses produits chimiques, à ses résultats mécaniques spéciaux ; c'est là que nous verrons le muscle produire la chaleur et l'effet mécanique connu sous le nom de contraction, la glande salivaire donner naissance à sa sécrétion spéciale, et, en un mot, chaque élément anatomique, tout en empruntant ses matériaux à un mi- lieu commun à tous, le sang, donner naissance à des produits spéciaux et caractéristiques. C'est donc par le système capillaire que nous commencerons l'étude de l'appareil de la circulation. Nous devons chercher d'abord comment le système capillaire est constitué au point de vue anatomique ; car, si j'ai insisté précédemment sur ce fait, que l'anatomie est insuffisante à nous révéler les phénomènes physiolo- giques, je n'ai pas moins insisté sur cet autre point, 314 APPAREIL CIRCULATOIRE. qu'elle est indispensable et qu'elle doit prêtera la phy- siologie un constant appui. Harvey, parla découverte de la circulation générale, nous a fait connaître l'appareil centripète et centrifuge, le mécanisme qui apporte le sang artériel vers les capil- laires, et qui ramène au cœur et au poumon le sang vei- neux; mais l'appareil intermédiaire, le système capil- laire, n'a été connu que plus tard, lorsque les injections fines et l'usage du microscope permirent de suivre les fines ramifications des vaisseaux jusque dans l'intimité des tissus, et encore la véritable signification du système capillaire n'a-t-elle été bien comprise que lorsque les notions fournies par Vanatomie comparée et par l'expé- rimentation ont permis de se rendre compte de ses fonc- tions, en les analysant dans les formes les plus simples et les plus élémentaires. C'est qu'en effet ce système circulatoire intermédiaire, considéré comme système formé par de véritables vais- seaux bien délimités, n'existe que chez les animaux supé- rieurs, chez les vertébrés. Dans la plus grande partie des invertébrés, par exemple chez les insectes, au lieu de véritables capillaires, nous ne trouvons que des espaces interorganiques. Un grand vaisseau dorsal représente la partie centrale, seule bien localisée de l'appareil circu- latoire; c'est une sorte de cœur dont les contractions lancent le sang dans les lacunes interstitielles. Une disposition bien intéressante nous est présentée par certains crustacés : elle a été observée par M. Gerbe sur les phyttosomes ou larves de langoustes. Chez ces animaux, le système circulatoire est constitué comme ARTÉRIOLES ET CAPILLAIRES. 315 chez les insectes : le vaisseau dorsal représente à la fois le cœur et l'aorte, ou vaisseau général de distribution; mais aux points où ce vaisseau général s'ouvre par quel- ques courtes ramifications dans les espaces lacunaires, on trouve de petits anneaux musculaires, de véritables sphincters vasculaires qui, circonscrivant ces bouches béantes, pourraient, selon leur état de contraction ou de relâchement, intercepter ou permettre l'afflux du liquide sanguin dans les lacunes interorganiques. Cette disposition si simple nous représente, sous une forme pour ainsi dire schématique, ce que nous rencon- trons chez les animaux supérieurs, où les parois presque uniquement musculaires des petites artères forment au niveau de la zone de transition, entre le système artériel et le système capillaire proprement dit, une sorte de sphincter diffus, permettez-moi cette expression ; sphinc- ter qui règle l'apport du sang des artères dans les capil- laires. Cet appareil régulateur est soumis à l'influence du système nerveux, et c'est là précisément ce qui fait que la circulation, envisagée au point de vue de ses rap- ports avec les éléments des tissus au niveau des capil- laires, échappe à une analyse mécanique simple, et pré- sente ces procédés particuliers que nous avons regardés précédemment comme caractéristiques des actes essen- tiellement organiques. Si les animaux supérieurs, les vertébrés en particu- lier, présentent de vrais capillaires, ce n'est pas à dire qu'on ne puisse constater chez eux des systèmes lacu- naires comparables à ceux des invertébrés: le cœur de la grenouille, de la tortue, par exemple, d'après les re- 316 APPAREIL CIRCULATOIRE. cherches de Hyrtl, ne présente pas de vaisseaux coro- naires sanguins; la nutrition de ses éléments musculaires se fait par une véritable imbibition interstitielle, et le liquide sanguin les baigne sans être contenu dans des canaux à parois spéciales. Quant aux vrais capillaires sanguins, tels que nous les rencontrons dans les tissus de l'homme, ils font toujours suite aux artères, dont ils constituent la continuation fort modifiée du reste. En effet, si l'on observe la structure des vaisseaux sanguins depuis leur origine au niveau du cœur jusqu'à leurs fines ramifications dans les tissus, on voit que ces canaux, au point de vue de la nature de leurs parois, peuvent se diviser en trois grandes catégories qui se succèdent régulièrement depuis le centre jusqu'à la périphérie. Nous avons en premier lieu l'aorte et les grosses artères, qui sont caractérisées par l'abondance du tissu élastique contenu dans leur tunique moyenne : ce tissu est ici à son summum de développement; aussi ces vaisseaux sont-ils tout à fait comparables à des tubes de caoutchouc : l'élasticité est leur propriété dominante, ou pour ainsi dire leur seule propriété. Viennent ensuite les petites artères, dans lesquelles le tissu élastique est remplacé par le tissu musculaire à fibres lisses (ou fibres-cellules); dans les artérioles des organes, on peut considérer le canal vasculaire comme creusé dans un cylindre musculaire : la contracta ité est la propriété dominante de ces vaisseaux. Enfin, arrivé au niveau des capillaires proprement ARTÉRIOLES ET CAPILLAIRES. 317 dits, on voit que tous les éléments précédents dispa- raissent : plus de tunique élastique, plus de tunique mus- culaire ; car les tuniques moyenne et externe du vais- seau ont en quelque sorte cessé d'exister. Il ne reste plus pour constituer le capillaire que la tunique interne de l'artère, membrane formée de minces cellules épithé- liales juxtaposées. Aussi ces petits vaisseaux ont- ils pour propriété essentielle de permettre le contact entre le sang et les éléments anatomiques. C'est pour cela que, par leurs nombreuses anastomoses, ils forment des mailles dans lesquelles sont placés ces éléments anatomiques. Nous voyons que, par exemple, dans le foie, chaque maille ne contient que deux ou trois cellules hépatiques; que, dans le muscle, chaque fibre musculaire est placée dans une sorte de cage ou treillis formé par des capil- laires sanguins anastomosés, etc. Chose bien remarquable et qui ne doit déjà plus vous surprendre après ce que nous avons vu précédemment, la forme de ces réseaux capillaires varie selon chaque organe, chaque tissu, et présente dans chacun d'eux un aspect caractéristique. On peut, sur une préparation microscopique qui n'a conservé de visible que les mailles des capillaires d'une région, reconnaître si ces mailles entouraient des muscles, des culs-de-sac glandulaires, des papilles dermiques, des cellules pulmonaires, etc. Un aspect aussi caractéristique doit évidemment être en rapport avec les propriétés mêmes des éléments de tissu, et c'est en effet ce que je vous ai déjà fait prévoir dans la série des considérations exposées dans la dernière leçon. 318 APPAREIL CIRCULATOIRE. Les capillaires des vertébrés contiennent du sang rouge ; les lacunes des invertébrés contiennent et don- nent passage à du sang blanc. D'après ces différences du contenu, quelle compa- raison, quelle analogie pouvons-nous chercher à établir entre ces deux systèmes de circulation élémentaire? Dirons-nous que les lacunes des invertébrés corres- pondent aux espaces lymphatiques des vertébrés, de sorte que les premiers n'auraient en réalité qu'un sys- tème lymphatique et pas de véritable système sanguin ? Considérerons-nous les vertébrés comme possédant seuls des capillaires ou espaces sanguins, quelle qu'en soit, du reste, la nature au point de vue des parois? Si, comme nous devons le faire, en effet, nous ne nous attachons qu'au contenu de ces vaisseaux ou espaces, nous n'avons pas à nous inquiéter de ces diverses ques- tions ni à établir ces distinctions artificielles. Pour nous, la lymphe et le sang sont une seule et même chose: la lymphe est du sang moins les globules rouges; mais au point de vue de la nutrition, au point de vue du milieu intérieur, nous n'avons à tenir compte que du plasma : le globule rouge n'est lui-même qu'un élément anato- mique particulier qui vit dans ce plasma, avec cette seule particularité qu'il s'y meut, qu'il y circule pour remplir des fonctions spéciales. Ainsi, puisque le plasma est le véritable milieu inté- rieur, et que ce plasma circule aussi bien dans les lym- phatiques que dans les vaisseaux sanguins, et dans les lacunes des invertébrés aussi bien que clans les capil- laires de l'homme, nous n'avons pas à nous demander CAPILLAIRES ET LACUNES INTERORGAXIQUES. 319 si les invertébrés ne possèdent qu'un système lympha- tique. A ce compte, il faudrait, d'autre part, dire que toute une classe nombreuse de vertébrés possède a peine un système lymphatique, puisque, chez les oiseaux, les vaisseaux de ce genre sont extrêmement rares ou ne sont représentés que par dés canaux très-courts et dif- ficiles à constater. Le plasma et les globules blancs qu'il renferme, aussi bien le plasma sanguin que le plasma lymphatique, traversent très-facilement, comme l'ont démontré les recherches récentes, les parois des capillaires pour se répandre dans les interstices des éléments organiques. Nous voyons donc combien il serait artificiel, au point de vue physiologique, de vouloir chercher une distinc- tion absolue entre le contenu des capillaires sanguins et celui des capillaires lymphatiques, aussi bien qu'entre les divers capillaires des vertébrés et les lacunes des invertébrés. Ce sont les espaces organiques situés entre les élé- ments anatomiques qui, ainsi imbibés par le plasma, sont le siège des phénomènes de la nutrition : c'est dans ces espaces que le système lymphatique vient puiser son contenu, ainsi que Font démontré les recherches de M. Ranvier sur le tissu conjonctif et l'origine des lym- phatiques. Ces rapports restent les mêmes, quelles que soient les dimensions de ces espaces lacunaires, qu'ils soient représentés par des gaines lymphatiques, par les mailles du tissu conjonctif ou par les grandes cavités séreuses. En effet, les recherches récentes ont démontré à la fois, et la communication directe des capillaires 320 APPAREIL CIRCULATOIRE. lymphatiques avec les cavités, telles que celles du péri- toine, de la plèvre, et le fait que ces cavités, en raison même de leur mode de production, n'étaient, en somme, que de vastes mailles du tissu conjonctif très-dilatées et fusionnées. J'ai montré et nous verrons, en effet, qu'en injectant un gaz peu soluble (azote, hydrogène) dans le tissu cellulaire sous-cutané, chez un lapin par exemple, nous déterminons dans ce tissu la formation d'une vaste cavité qui présente bientôt tous les caractères d'une véritable séreuse. Après avoir établi ces rapports intimes entre les ca- pillaires et les lacunes interorganiques, revenons aux capillaires sanguins proprement dits. Eu les examinant au fur et à mesure de leur formation, nous voyons que cet appareil se constitue successivement dans les régions où son rôle devient indispensable, vu l'activité des échanges nutritifs qui se produisent en ces régions. Ainsi, si l'on observe un embryon de poisson, dont le corps est assez transparent pour se prêter à toutes les études de ce genre, on voit que les capillaires sanguins se développent d'abord sur la vésicule ombilicale, dont le contenu doit être résorbé pour fournir les matériaux de nutrition à l'embryon. Dans le corps, il n'y a en ce moment aucune formation de circulation capillaire. Plus tard, lorsque les échanges respiratoires vont se localiser, au niveau des branchies, on voit les vaisseaux branchiaux se modifier : ils représentaient d'abord des troncs sanguins relativement volumineux, conduisant directement le sang, venu du cœur, jusque dans l'aorte, où la pulsation cardiaque se transmettait visiblement. capillaires; leur formation. 321 Mais lorsque va commencer la fonction branchiale, on voit des capillaires se développer sur le trajet des vais- seaux branchiaux, se substituer à eux, de telle sorte que le sang, parti du cœur, traversant, avant d'arriver dans les artères à sang rouge, un réseau capillaire, ne pré- sente plus dans l'aorte les pulsations que l'on pouvait observer chez l'embryon. Les capillaires se forment donc là où leur présence est devenue nécessaire pour les échanges nutritifs ou respiratoires, et leur présence amène les plus grands changements dans les conditions purement mécaniques de la circulation générale. Quant au mode même de formation des vaisseaux capillaires, il a été mis en lumière, notamment par des recherches de M. Ranvier ; ces recherches ont appris que les capillaires, dont nous venons de faire ressortir l'indépendance relative au point de vue fonc- tionnel, se forment également d'une manière tout à fait indépendante. Chaque organe forme sa circulation capillaire, car cette circulation doit lui être propre, doit être constituée d'après un type qui n'appartient qu'à lui. Observant, en effet, le développement des capil- laires dans le grand épiploon du jeune lapin, M. Ranvier a remarqué, sur les points qui vont se vasculariser, un aspect qui leur a fait donner le nom de taches lai- teuses. Ces taches renferment des cellules particulières nommées cellules vaso- formatrices, qui présentent des ramifications anastomosées et canaliculées, dont l'en- semble représente parfaitement un réseau capillaire, cl. Bernard. — Physiol. opér. 21 322 APPAREIL CIRCULATOIRE. mais vide, sans aucun contenu sanguin (1). Une arté- riole voisine, par les progrès de son développement, lequel se fait selon un mode que nous n'avons pas à préciser ici, arrive-t-elle jusqu'à la tache laiteuse, elle s'abouche dans le réseau des cellules vaso-formatrices, et dès lors le réseau capillaire existe avec son contenu sanguin. Vous voyez donc que les systèmes capillaires se forment indépendamment des artérioles dont ils doivent ensuite recevoir le sang, et cela aux dépens de cellules à ramifications nombreuses et anastomosées , cellules dont une seule peut souvent, par ses expansions, con- stituer un réseau capillaire d'une assez grande étendue. Je n'insisterai pas davantage sur ces faits délicats d'embryologie et d'histologie; il me suffit, et ce sera pour aujourd'hui notre conclusion, de vous avoir mon- tré que l'étude de la formation des capillaires nous fait voir dans ce système une indépendance et une auto- génie qui confirment l'indépendance et l'autogénie que nous avons constatées en lui au point de vue fonction- nel ; il est donc bien évident que la partie la plus im- portante de l'appareil circulatoire est représentée par les réseaux capillaires, et nous aurons d'autant plus d'intérêt à insister sur son étude, que c'est, ainsi que je vous l'ai déjà dit, de toutes les parties celle dont la physiologie a été connue le plus tardivement, et celle dont la connaissance est la plus importante, non-seule- ment pour la physiologie, mais encore pour la médecine proprement dite. (1) Ranvier, Du développement et de l'accroissement des vaisseaux sanguin* (Arch. de physiol, 1874, p. 429). QUINZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Importance des expériences faites sur le système capillaire. — Les capillaires sont par excellence les agents de l'absorption. — Absorption par les surfaces externes et internes. — Des injections locales à effets locaux. — Expériences prou- vant qu'on peut produire à part l'effet local et l'effet général. — Différentes phases à considérer dans l'absorption. Capillaires sanguins et lymphatiques. — Idées anciennes sur les voies de l'absorption. — Découverte des vaisseaux lymphatiques. — Expériences de Magendie. — Expériences nouvelles. — Les veines sont les organes les plus essentiels de l'absorption. Messieurs, D'après ce que nous avons vu précédemment sur les origines et les fonctions du système capillaire, il est facile de comprendre que ce système est le siège essentiel des phénomènes de nutrition, d'absorption, de sécrétion, etc. C'est donc à ce niveau qu'il faut chercher à étudier les actes intimes de la vie. Parmi ces actes, celui qui doit nous arrêter tout d'a- bord est celui de X absorption, par lequel les matériaux tle la nutrition, les substances toxiques aussi bien que les substances médicamenteuses, sont introduites dans l'organisme. C'est au contact des capillaires pulmo- naires qu'est absorbé l'oxygène destiné à aller entretenir les combustions dans tous les tissus; c'est au niveau des capillaires du canal intestinal que sont absorbées les 324 APPAREIL CIRCULATOIRE. substances alimentaires, principaux matériaux de ces combustions. Mais ces exemples ne nous donnent qu'une faible idée de l'étendue de l'absorption, que nous devons diviser, dès maintenant, en absorption externe et absorption interne. \J absorption externe est celle qui s'exerce sur les sur- faces communiquant librement avec l'extérieur: le type serait fourni par la surface cutanée. Mais si, chez cer- tains animaux, la peau est très- absorbante, chez d'autres animaux et chez l'homme, la texture de son épithélium atténue ou éteint celte fonction; l'absorption quia lieu sur les membranes muqueuses digestive, pulmonaire et autres surfaces muqueuses, rentre également dans la classe des absorptions externes. h1 absorption interne a lieu par les surfaces des cavités closes, telles que celles des grandes séreuses péritonéales, pleurales, etc. ; dans cette classe rentre l'absorption qui se produit dans le tissu cellulaire sous-cutané et inter- stitiel, car nous avons vu que les mailles de ce tissu peuvent être, au point de vue anatomique, regardées comme les analogues des cavités séreuses. Des expé- riences physiologiques, que nous reproduirons bientôt devant vous, vous démontreront également les ressem- blances entre l'absorption par les surfaces péritonéales et pleurales et l'absorption par les mailles du tissu cellu- laire sous-cutané ou interstitiel. Nous verrons en outre que l'absorption qui a lieu dans les cellules pulmonaires ou dans les culs-de-sac glandu- laires se rapproche par beaucoup de caractères de l'ab- capillaires; absorption. 325 sorption interne. Mageudie (1) considérait le poumon ou plutôt chaque lobule pulmonaire comme une sorte de masse spongieuse formée par du tissu cellulaire, dans laquelle chaque bronche s'ouvrait et se terminait brus- quement sans qu'il fût possible de suivre au delà la mem- brane muqueuse qui la tapissait. M. Àlph. Milne Edwards a suivi la continuation des sacs pulmonaires des oiseaux avec le tissu cellulaire sous- cutané. M. Ranvier a con- staté la naissance de lymphatiques dans les alvéoles pul- monaires. Autrefois, j'ai vu, de mon côté, que les sub- stances injectées dans les conduits glandulaires sont rapidement absorbées et passent facilement dans les vaisseaux et jusque dans les ganglions lymphatiques. Dans les diverses régions du corps, l'absorption, qu'elle soit interne ou externe, varie quant à sa rapidité, selon des conditions qu'il faudra préciser. Mais la première condition à remplir, celle dont la réalisation assure seule une absorption rapide et par suite efficace, c'est que la substance dont on veut produire l'absorption soit placée dans un contact aussi immédiat que possible avec les vaisseaux capillaires. Cette seule donnée suffît pour nous rendre compte de la lenteur ou même de l'absence presque complète d'ab- sorption au niveau de certaines surfaces, quand cette condition ne peut pas être remplie. Ainsi la peau pré- sente, entre le réseau capillaire et les substances qui peuvent être déposées à sa surface, une épaisse couche de cellules, dont les plus superficielles sont cornées et (l) Magendie, Journal de physiologie, 1821, t. î, p. 78. 326 APPAREIL CIRCULATOIRE. pénétrées d'un enduit graisseux. Aussi discute-t-on en- core aujourd'hui sur la question de savoir si la peau de l'homme absorbe; et si cette absorption a lieu, elle est si peu considérable, si peu efficace au point de vue thérapeutique, que dès longtemps les médecins ont pris l'habitude de se débarrasser de la couche cornée épider- mique, pour mettre les substances actives plus directe- ment en contact avec les capillaires qui constituent une surface absorbante. Telle est la méthode endermique, que nous voyons mettre en usage lorsque, par exemple, on soulève l'épiderme à l'aine d'un vésicatoire, dans l'in- tention de déposer des substances médicamenteuses sur la surface ainsi mise à nu. Si le rôle de la couche épidermique est important à considérer au point de vue de l'absorption par la peau, celui des couches épithéliales ne Test pas moins au point de vue de l'absorption par la surface intestinale ou par d'autres membranes muqueuses. Dans l'estomac, l'in- testin grêle et le gros intestin, l'absorption présente des différences qui tiennent à la diversité dans les épithé— liums dont ces surfaces sont recouvertes. Ainsi le recou- vrement épithélial, par ce fait même qu'il est placé entre la surface extérieure et les réseaux capillaires, est la cause, selon sa nature, de la plus ou moins grande rapidité de l'absorption. Parmi les surfaces extérieures où l'absorption se pro- duit avec le plus d'activité, je vous ai cité la surface pul- monaire et les surfaces des conduits glandulaires: j'ai souvent expérimenté en injectant de l'iodure de potas- sium dans un conduit salivaire du côté gauche, je re- capillaires; absorption. 327 trouvais presque immédiatement ce sel dans la salive du côté droit. Au niveau des surfaces séreuses, l'absorption est très- rapide: frappé de ce fait, Magendie avait choisi la cavité pleurale, et y injectait les solutions toxiques au moyen d'une petite canule, qu'il nommait perce-plèvre, et qui n'est autre chose qu'une canule à extrémité tranchante et plus ou moins oblique (voy. ci-dessus, p. 191, fig. 41). On a reconnu également au tissu cellulaire la propriété d absorber tout aussi sûrement et aussi rapidement que la surface séreuse de la plèvre ou du péritoine : aussi la médecine a-t-elle pu largement mettre à profit cette voie d'introduction des substances médicamenteuses, et vous savez avec quel succès la méthode des injections hypodermiques est appliquée et tend aujourd'hui à se généraliser. En physiologie expérimentale, le tissu cellulaire est devenu notre lieu d'élection pour les injections de sub- stances toxiques. Si l'on a soin, de plus, de n'employer que des substances très-pures, cristallisables, des alca- loïdes ou plutôt des sels de ces alcaloïdes, au lieu de se servir de ces préparations mal définies, impures, et dif- ficilement dosables, que l'on désigne sous le nom d'ex- traits, de teintures, on peut considérer qu'on a réalisé les conditions les plus indispensables pour une absorption sûre, rapide, telle qu'on en puisse exactement com- parer tous les cas dans des séries d'expériences. Nous venons de parler du tissu cellulaire sous-cutané; mais les injections peuvent se pratiquer dans tous les tissus cellulaires, quels que soient les éléments anato- 328 APPAREIL CIRCULATOIRE. miques auxquels ce tissu est interposé. Il y a déjà long- temps que Fontana avait remarqué la régularité des effets obtenus par l'injection du curare dans la masse d'un muscle. Or, en injectant un liquide dans un muscle, on l'injecte en réalité dans le tissu cellulaire qui sépare les éléments contratiles proprement dits. C'est toujours un réseau capillaire identique qui absorbe; il n'est donc pas étonnant que les expériences soient exactement com- parables dans tous ces cas, car le réseau capillaire du même tissu cellulaire a toujours la même disposition: c'est toujours aux mêmes racines de l'arbre vasculaire que l'on s'adresse. Sous ce rapport, le réseau capillaire du muscle étant un de ceux qui se présentent comme le plus identique à lui-même dans les diverses régions du corps, c'est aux injections dans l'épaisseur d'un muscle donné que nous devrions accorder la préférence, lorsque nous voudrons réunir toutes les conditions possibles d'exactitude. En résumé, nous pouvons, d'une manière générale, injecter dans tous les organes, dans tous les tissus, puis- que tous renferment du tissu cellulaire et des réseaux capillaires interposés à leurs éléments propres. Dans toutes ces formes d'injection, il y a toujours deux effets bien distincts à observer: l'un local, se pro- duisant dans l'organe, dans le tissu même où la sub- stance injectée s'est trouvée par cela même en contact avec les éléments anatomiques sur lesquels elle peut agir ; l'autre général, qui se produit lorsque la substance, puisée par le sang dans le lieu de l'injection, a été por- tée par lui vers d'autres éléments anatomiques de même capillaires; absorption, 3w29 nature ou de nature différente. Toute substance est susceptible de donner ces deux effets, d'une manière plus ou moins distincte, c'est-à-dire avec plus ou moins d'intervalle entre les deux, selon la rapidité de son ab- sorption et selon son mode particulier d'action. Les deux effets peuvent donc être simultanés ou successifs. Du reste, l'action générale elle-même n'est que le résultat d'un ensemble d'actions locales portant toujours sur une espèce particulière d'éléments anatomiques. Ainsi les convulsions générales que produit la strychnine résultent de l'action de ce poison sur une seule espèce d'éléments, sur les cellules nerveuses de la substance grise centrale. Je vous ai déjà montré que l'action du curare se localise au contraire sur les extrémités péri- phériques des nerfs moteurs. C'est précisément avec le curare qu'il nous est possible de réaliser la localisation exacte de l'action toxique sur un certain département, sur un certain groupe pris dans l'ensemble des éléments sur lesquels il peut agir, par exemple sur les nerfs moteurs d'un seul muscle. Il faut pour cela injecter dans ce muscle une quantité de curare suffisante pour agir sur place sur les extrémités ner- veuses motrices avec lesquelles il est aussitôt en contact, mais insuffisante pour pouvoir, une fois absorbée et di- luée dans le sang, aller agir sur les autres nerfs moteurs de l'ensemble de l'organisme. Dans ce cas, par un calcul exact de la dose, nous avons pu produire l'effet local, sans donner lieu à l'effet général ; mais ce n'est pas là, vous le voyez bien, une exception à la règle que nous venons de poser ; ce n'est qu'une question de dose. 330 APPAREIL CIRCULATOIRE. Il y aurait donc, au point de vue des applications pa- thologiques, un grand avantage à bien connaître les actions élémentaires des substances toxiques et médica- menteuses, car nous pourrions ainsi porter directement ces agents sur les éléments qu'ils doivent influencer : l'effet cherché serait obtenu d'une manière bien plus certaine, bien plus précise, et nous pourrions ainsi uti- liser localement, en médecine, des poisons qui ne sont redoutables que lorsqu'ils agissent sur l'ensemble de l'économie. Pour nous en tenir à la physiologie expérimentale, nous trouvons dans cette méthode les moyens de résou- dre des questions qui semblent au premier abord inso- lubles. Je ne vous en citerai qu'un exemple démonstra- tif, dans lequel vous verrez qu'on peut agir sur un seul organe par un empoisonnement forcé, sans agir sur le reste de l'organisme. Quand on injecte du cyanoferrure de potassium, par exemple, dans le sang d'un animal, on ne peut parve- nir à voir ce sel s'éliminer par la salive; et si l'on cherche à introduire ce composé en quantité notable, de manière à forcer l'élimination, l'animal meurt, car le cyanoferrure de potassium devient alors toxique. Que conclure de cette expérience négative? L'explication qui vient le plus naturellement à l'esprit, c'est que le cyanoferrure n'a pas été introduit dans l'organisme en quantité suffisante pour apparaître dans la salive : cette idée est très-plausible; mais comment en démontrer la réalité, puisque l'animal meurt si l'on force la dose, et qu'ici l'effet général, par la rapidité de son apparition, capillaires; absorption. 331 nous met dans l'impossibilité d'observer l'effet local que nous recherchons ? Eh bien ! nous allons supprimer l'effet général. Nous allons injecter, dans un rameau de l'artère même d'une glande salivaire, une forte solution de ferrocyanure de potassium : la glande sera abondamment baignée par ce sel, mais celui-ci, pompé et dilué ensuite dans la masse totale du sang, sera en trop faible proportion pour agir sur l'organisme entier, pour tuer l'animal. Nous suppri- merons donc l'effet général pour exagérer l'effet local, et nous verrons celui-ci se produire aussitôt, c'est-à-dire que le sel en question apparaîtra dans le produit de la sécrétion de la glande mise en expérience. Aucun doute ne sera plus possible sur le rôle éliminateur de la salive relativement au ferrocyanure de potasse. Ne pensez-vous pas que cet exemple, emprunté à nos expériences de laboratoire, peut être bien instructif pour le médecin ? Ne pourra-t-on pas agir de même sur l'homme avec le curare, par exemple? En introduisant directement ce poison dans un muscle convulsionné, on ramènera celui-ci au repos, sans produire aucun acci- dent d'empoisonnement, puisque la close, suffisante pour le lieu de l'injection, sera comme nulle pour toute ac- tion générale, pour toute action toxique sur l'organisme entier. Nous devons maintenant pénétrer plus profondément dans l'analyse des actes intimes de l'absorption. En con- sidérant la substance depuis le moment où elle est dé- posée au contact des capillaires, jusqu'au moment où elle agit sur les éléments des tissus, nous voyons qu'il 332 APPAREIL CIRCULATOIRE. y a trois faits essentiels à étudier dans ces phénomènes de transport et surtout de pénétration. D'abord la substance pénètre dans le sang; puis elle est transportée par celui-ci dans tous les points de l'éco- nomie; et enfin elle est reçue par ce transport au contact de l'élément sur lequel elle peut agir, pénètre celui-ci et fait sentir son action. Il est facile de comprendre qu'entre ces trois actes, termes successifs de l'absorption, c'est-à-clire entre le fait de pénétration dans le sang et le fait de la pénétra- tion dans les éléments anatomiques, il peut et doit se passer un certain temps. Cet intervalle est dû non-seu- lement au temps consacré au transport de la substance par le torrent circulatoire, mais encore à ce que la substance, pour arriver au contact immédiat des élé- ments des tissus, doit sortir des capillaires et se mêler au liquide interstitiel, au plasma qui baigne plus immé- diatement ces éléments. Or, l'analyse exacte de ces diverses phases du phénomène nous révèle une série de faits dont il faut savoir tenir rigoureusement compte. Ces divers actes sont successifs; mais quand l'un a cessé, l'autre continue encore : ainsi on peut arrêter la pénétration de la substance dans le sang sans arrêter im- médiatement son action. En effet, si à ce moment le transport dans le sang a eu lieu, si la pénétration dans l'élément a commencé, et si l'effet toxique s'est déjà montré, on le voit continuer en augmentant pendant quelques instants. Il ne suffît donc pas, pour borner à un certain degré une action toxique, d'arrêter la péné- tration du poison dans le sang au moment même où se VOIES DE L ABSORPTION. 333 montrent les symptômes qu'on ne voudrait pas dépasser. Dans ce cas on irait au delà du but que l'on veut at- teindre, parce qu'en supprimant la pénétration dans le sang, on n'arrête pas la pénétration dans l'élément ana- tomique ; il y a continuation d'action de toute la dose de poison que le sang contient et qui n'est pas encore arrivée au niveau des capillaires dans l'intimité des tissus. ïl est encore toute une série de questions, relativement secondaires, qui ont été plus spécialement étudiées par les physiciens: telles que la nature chimique de la sub- stance et son influence sur la rapidité de l'absorption, de la circulation, de l'endosmose et de Texosmose. La question de savoir si l'absorption se fait par les voies sanguines ou lymphatiques a passionné les anciens physiologistes, et aujourd'hui encore cette discussion semble réveiller les controverses qui se produisirent à l'époque des découvertes de Harvey, d'Aselli et de Pecquet. Galien et ses disciples, c'est-à-dire tous les médecins et tous les physiologistes des siècles antérieurs à la décou- verte du système vasculaire lymphatique, ne pouvaient concevoir l'absorption que par le système veineux, puis- qu'ils ne connaissaient pas d'autres vaisseaux à circu- lation centripète, c'est-à-dire capables de puiser les liquides interstitiels et de les ramener vers le cœur. Aussi, notamment à propos de l'absorption intestinale, Galien avait-il fait de l'appareil veineux, c'est-à-dire de la veine porte, la voie essentielle d'introduction des substances dans l'organisme. Tous les produits de l'absorption arri- vaient ainsi au niveau du foie, où se faisait une coction. 334 APPAREIL CIRCULATOIRE. ou, pour nous servir des expressions modernes, une transformation, qui donnait naissance au liquide san- guin apte à aller entretenir la vie et la nutrition des di- verses parties du corps. Il ne faut pas oublier, en effet, qu'aux yeux de Galien, si la veine porte était un vais- seau afférent au foie, toutes les autres veines rayonnaient de cet organe central. Le foie était le grand fabricateur du sang. Ces idées furent professées jusqu'à l'époque de la dé- monstration de la circulation du sang par Harvey; encore faut-il ajouter que, si la découverte de Harvey renversa les idées galéniques au point de vue de la circulation veineuse, et enleva au foie le rôle de centre d'irradiation du torrent sanguin, pour placer ce centre dans le cœur, cette découverte ne changea en rieu les idées reçues sur le rôle du parenchyme hépa- tique comme organe formateur du sang, à l'aide des matériaux premiers qui lui étaient amenés par la veine porte. Bien plus, la découverte des vais- seaux chylifères par Aselli parut pour un instant confir- mer les vues hypothétiques de la vieille école, puisque ces vaisseaux n'avaient pas été poursuivis au delà du niveau du foie, dans lequel ils semblaient aboutir. Les chylifères d'Àselli ne représentaient encore, aux yeux des physiologistes de l'époque, qu'une seconde voie, ap- portant, parallèlement à la veine porte, les matériaux de la digestion dans la glande hépatique. Mais la découverte de Pecquet, qui fît connaître le canal thoracique, changea complètement la face des choses: dès lors on vit qu'une grande partie des sub- voies de l'absorption. 335 stances transformées par la digestion étaient absorbées par des vaisseaux tout différents des veines et arrivaient jusqu'au cœur sans traverser le foie. Dès ce jour, le rôle du foie devint secondaire, et l'étude de l'absorption dut porter et sur les veines et sur les lymphatiques; dès ce jour, la question qui doit actuellement nous occuper était nettement posée: auquel des deux systèmes, veineux ou lymphatique, sont dus plus spécialement les phénomènes d'absorption? Dans le premier enthousiasme qui suivit la décou- verte du système lymphatique, le problème fut brusque- ment et catégoriquement tranché : on déposséda entière- ment le système veineux pour ne plus considérer que le système lymphatique; et Bichat, plus tard, prit comme synonymes les expressions de système lymphatique et de système absorbant. Mais jusque-là, en dehors des simples faits anato- uiiques connus avec précision, la recherche physiolo- gique, l'expérimentation, n'était pas venue fournir ses données à la solution du problème. Dès qu'elle aborda la question, il fallut compter avec des faits exactement déterminés, et la question subit de nouveau un renver- sement complet. C'est à Magendie que sont dues les premières recherches sur ce sujet, et ses expériences, aujourd'hui encore, ont conservé toute leur importance. S'adressant d'abord à l'absorption intestinale, Ma- gendie montra qu'en détruisant tous les vaisseaux chyli- fères, l'absorption continuait cependant, et que dans ce cas elle ne pouvait être due qu'aux veines, aux rameaux d'origine de la veine porte. Portant ensuite l'expérience 336 APPAREIL CIRCULATOIRE sur l'absorption interstitielle, sur celle qui se produit clans le tissu cellulaire du membred' un chien par exemple, il opéra de la manière suivante: toutes les parties molles du membre postérieur furent coupées au niveau de sa racine, moins l'artère et la veine crurales, qui furent conservées avec soin ; de l'extrait alcoolique de noix vo- mique dissous dans l'eau fut ensuite injecté dans la patte, qui n'avait plus conservé de rapport avec l'orga- nisme de l'animal que par les troncs artériel et veineux; au bout de trois ou quatre minutes, les convulsions écla- taient clans tout le corps, et l'animal succombait à l'em- poisonnement. On objecta à Magendie que les parois artérielles et veineuses pouvaient contenir des vaisseaux lymphatiques absorbants. Magendie répondit en répétant son expé- rience, avec cette modification que les vaisseaux eux- mêmes furent coupés et remplacés, sur une certaine étendue, par des tuyaux de plume d'oie: clans ce cas la colonne sanguine représentait le seul moyen de connexion entre le membre isolé et l'organisme entier. Cependant le résultat de l'expérience fut le même que dans le pre- mier cas, et l'animal succombait à l'empoisonnement trois ou quatre minutes après que la noix vomique avait été déposée sous la peau de la patte. La veine avait donc bien été le chemin d'absorption et de transport. Nous allons répéter cette expérience en perfection- nant le procédé opératoire (fig. 96). Sur ce chien, insensibilisé par la morphine et le chloroforme, nous découvrons au pli de l'aine, du côté droit, les vaisseaux cruraux ; nous les isolons en passant au-dessous d'eux VOIES DE L ABSORPTION. un fil qui nous permet de les tirer légèrement au dehors de la plaie. Cela fait, nous allons couper toutes les m F [G. 96. — Disposition de l'expérience pour l'étude des voies de l'absorption (expé- rience de Magendie modifiée). — La forte pince double figurée à part sert à fixer le fémur qui est sectionné perpendiculairement. parties molles avec Yécraseur : la chaîne de l'écrasent €st passée, au moyen d'une grosse aiguille, entre l'os et les muscles de la masse interne de la cuisse; ces muscles CL. Bernard. — Physiol. opér. 22 3S8 APPAREIL CIRCULATOIRE. sont compris dans l'anse de l'instrument; la peau est sectionnée au scalpel, car elle briserait la chaîne sans cédera la compression ; nous arrivons ainsi, en serrant lentement l'anse du constricteur, à sectionner les par- ties molles sans produire d'hémorrhagie sensible. Nous opérons de même sur les masses musculaires posté- rieures, puis sur les masses externes : il ne reste plus, en dehors du paquet de la veine et de l'artère, que l'os. Il est sectionné, en dernier lieu, entre les deux branches d'une forte pince double (fig. 96) destinée à maintenir fixes les deux bouts de l'os divisé, afin d'éviter le tiraillement des vaisseaux. Alors nous introduisons sous la peau de la patte 1 centigramme de chlorhydrate de strychnine dissous dans 2 centimètres cubes d'eau: au bout de quatre minutes les convulsions éclatent, l'animal roidit ses quatre membres, il est mort. En relisant ces jours derniers le mémoire dans lequel Magendie rapporte dans tous leurs détails ses expériences mémorables, j'ai été frappé d'un fait qu'il signale sans en donner l'explication, et dont l'étude rentre précisé- ment dans les considérations de l'ordre de celles que nous avons entreprises et que je vous ai exposées parti- culièrement. En opérant son ajutage de plume d'oie, et au moment où l'animal avait ressenti les effets de l'empoisonne- ment, Magendie eut l'idée de mettre le bout périphé- rique de la veine en communication, non plus avec le botît correspondant de la veine de l'animal opéré, mais de la faire se déverser dans la veine d'un autre animal. Or, clans ces conditions, le sang portant le voies de l'absorption, 339* poison était introduit, en apparence, comme chez le premier chien, et cependant le second animal ne fut pas empoisonné. A quoi tient ce résultat? Dans le premier cas, Ma- gendie avait vu l'empoisonnement se produire, et, n'ob- servant rien de semblable dans le second au moment où le sang empoisonné était transfusé, en inféra l'absence de l'empoisonnement, sans chercher davantage. Or, dans ee cas, l'empoisonnement était absent (4), parce qu'on n'avait pas assez attendu. Qu'indique en effet cet inter- valle de quatre minutes, auquel, d'après ses première? recherches, Magendie semblait pouvoir se tenir pour apprécier le temps de l'absorption? Il indique non pas seulement le temps nécessaire à l'absorption du poison, à sa pénétration dans le sang, pénétration qui est presque immédiate, mais aussi le temps nécessaire pour que le sang se soit chargé de matière toxique en quantité suffisante pour agir sur les éléments nerveux centraux, pour les pénétrer et produire en eux l'excitabilité extrême qui est le propre de l'intoxication strychnique. Or, pour que cette saturation eût été obtenue sur le second animal, dont la quantité de sang est augmentée par un nouvel apport, et qui, du reste, n'a rien ou peu perdu parhémorrhagie, ilauraitfallu attendre uncertain temps. Magendie pensait que dès que le sang du premier chien empoisonné arrivait dans les vaisseaux du second, celui-ci devait présenter les symptômes de l'empoisonnement; mais je vous ai dit qu'il fallait bien distinguer l'intro- (1) Voy. Magendie, Mémoire sur les organes de Vabsorption chez, h& mammifères (Journal de Magendie, 1821, t. I, p. '19). 340 APPAREIL CIRCULATOIRE. duction du toxique dans le sang, son transport au capil- laire, son accumulation, et enfin sa pénétration jus- qu'aux éléments anatomiques: or, ce sont ces dernières phases du phénomène qui sont la condition indispen- sable de l'empoisonnement. Ainsi, quoique nous jugions le plus souvent de la réalité de l'absorption d'une substance toxique en voyant éclater les symptômes de l'empoisonnement, il ne faut pas confondre les diverses phases bien distinctes du phénomène: quand l'empoi- sonnement a lieu, l'absorption s'est produite déjà depuis longtemps, et elle s'est continuée jusqu'à amener la saturation du sang. Cette distinction est rendue bien évidente par nos expériences sur l'action de l'oxyde de carbone: lorsqu'un animal respire le gaz toxique du charbon en combustion, ce n'est d'ordinaire qu'au bout de huit minutes que se manifeste l'empoisonnement; et cependant, après îa première inspiration d'air chargé de vapeurs méphi- tiques, le sang contient déjà de l'oxyde de carbone: l'examen spectroscopique permet de l'y constater. Pour juger de l'absorption et de sa rapidité, il faut donc renoncer à prendre pour critérium la manifesta- tion des symptômes d'empoisonnement. Il vaut mieux, au lieu de substances toxiques, employer des substances chimiques dont la présence dans le sang sera révélée par des réactions délicates et certaines: tel est l'iodure de potassium, ou le prussiate dépotasse, avec lequel on peut démontrer qu'il suffit de vingt à vingt-cinq secondes chez un cheval pour que la substance introduite en un point de la peau se retrouve dans le sang veineux général. Il voies de l'absorption. 341 n donc fallu ce laps de temps presque infiniment c<*urt pour que la substance pénétrât dans le sang et par- courût le double cercle de la circulation pulmonaire et de la circulation générale. Mais l'empoisonnement ne survient que plus tard, parce qu'il faut que la substance s'accumule dans le sang en quantité suffisante, Magendie, avons-nous dit, répéta sur l'intestin l'ex- périence qu'il avait faite sur un membre. Après avoir compris une anse intestinale entre deux ligatures, il dé- truisit tous les lymphatiques, c'est-à-dire tous les chyli- fères qui partaient de cette anse. De l'extrait de noix vornique fut injecté dans l'anse intestinale, et l'animal, réduit aux vaisseaux veineux comme moyen d'absorp- tion et de transport, ne tarda pas cependant à succom- ber à l'empoisonnement. Une expérience faite comme contre épreuve donna un résultat qui parlait dans le même sens: toutes les veines d'une anse intestinale ayant été liées et les lymphatiques réservés, l'injection d'ex- trait de noix vornique dans cette anse ne donna lieu à aucun phénomène d'empoisonnement. Nous ne voulons pas dire qu'il n'y ait pas eu absorption par les chyli- fères, mais elle n'avait pas amené une quantité suffi- sante de toxique pour empoisonner : on peut voir, en effet, que du prussiate de potasse injecté dans l'intestin se retrouve dans leschylifères. Nous voilà bien loin de l'opinion qui, à l'époque de Bichat, faisait des lymphatiques les voies essentielles, indispensables, exclusives, de l'absorption. Pour l'ab- sorption intestinale, leschylifères eux-mêmes nous pa- raissent d'une importance secondaire. Autrefois, on re- 342 APPAREIL CIRCULATOIRE. gardait le liquide blanc et laiteux qu'ils renferment comme le produit essentiel de la digestion, et l'on n'hésitait pas à définir la digestion : la fontion qui fait le chyle. Or, ce chyle, sous l'aspect qu'il nous présente chez les mam- mifères, est une chose si peu importante en réalité, qu'il existe ou n'existe pas, selon les animaux que l'on consi- vdère. Rien n'est plus facile que de l'observer chez le chien ou le chat; il existe également chez l'homme, ainsi que j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de m'en convaincre sur des cadavres d'individus qui s'étaient sui- cidés en pleine digestion. Chez le lapin on n'aperçoit «de vaisseaux blancs lactés, c'est-à-dire de chyle, que lorsqu'on fait digérer de la graisse à l'animal. Mais chez les oiseaux on ne voit jamais rien de semblable, même chez ceux qui sont exclusivement carnassiers; il en est de même pour les batraciens, les reptiles. J'insiste sur ce dernier fait, car j'ai mis en œuvre tous les moyens pos- sibles pour faire apparaître des chylifères chez les oiseaux, sans jamais y réussir. J'avais, comme je vous l'ai déjà dit, observé que de l'éther, tenant de la graisse en dis- solution et injecté dans le tube digestif, est un moyen excellent de faire presque instantanément apparaître des chylifères pleins de leur contenu blanc et laiteux ^caractéristique : ce procédé, qui m'a toujours réussi chez le chien, le chat et même chez le lapin, ne m'a jamais donné aucun résultat chez les oiseaux. Nous voyons donc que si les chylifères, que si les lym- phatiques absorbent, et le fait est incontestable, cette absorption n'a rien d'essentiel, ce rôle n'a rien d'indis- pensable. Le rôle essentiel revient aux veines; et du reste voies de l'absorption. 843 ia rapidité même de l'absorption nous prouve qu'elle se fait surtout par le torrent sanguin, et que le cours de la lymphe est trop lent pour nous expliquer cette rapidité des intoxications dont je vous parlais précédemment, rapidité qui, ainsi que je vous l'ai démontré, est plus grande encore que ce que pourrait faire penser l'appari- tion des symptômes de l'empoisonnement. On n'a jamais eu l'idée d'attribuer un rôle important aux vaisseaux lymphatiques dans l'absorption des gaz au niveau de la surface pulmonaire. Ici les veines sont bien les vaisseaux essentiels à l'absorption et au trans- port. Nous verrons qu'il en est de même pour les absorp- tions qui se font dans les autres régions du corps. SEIZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de F appareil de la circulation. — Du sys- tème capillaire. — Rapports des vaisseaux lymphatiques avec les capillaires sanguins. — Nerfs vaso-moteurs. — Par les capillaires sanguins, les agents toxiques portent leur action sur les éléments des tissus. I)e l'absorption : absorption interne; absorption externe. — Des divers actes de l'absorption : elle comprend trois phases. — Nouvelles expériences pour déterminer la durée relative de chacune de ces trois phases. — Expé- riences sur l'absorption des gaz. — Expériences sur l'absorption du curare. Messieurs, Les vaisseaux lymphatiques communiquent-ils, à leur origine, avec les vaisseaux sanguins? Cette question a été longtemps controversée, et, aujourd'hui encore, elle est l'objet des recherches constantes des anatomistes. Autrefois on n'hésitait pas à répondre affirmative- ment, et Ton se rendait très-simplement compte de cette communication. Les vaisseaux artériels, disait-on, au niveau de leurs capillaires, se continuent en deux ordres de vaisseaux : les uns, assez larges pour laisser passer les globules rouges du sang, ne sont autre chose que les capillaires veineux, les origines des veines ; les autres, infiniment plus minces, ne pouvant laisser passer les globules rouges du sang, ne contiennent que du plasma sanguin: ce sont les vaisseaux séreux ; ce sont les ori- gines des lymphatiques. Mais, ajoutait-on, ces vaisseaux étroits peuvent se dilater, dans l'inflammation par exemple : ils admettent alors des globules rouges; ils ORIGINES DES LYMPHATIQUES. 345 deviennent de vrais vaisseaux à sang rouge, et c'est ainsi que l'on s'expliquait la rougeur et la vascularisa- tion inflammatoire. Ce n'était là qu'une hypothèse qu'aucun fait anato- mique, rigoureusement observé, ne venait démontrer. Cependant, l'expérimentation physiologique n'était pas contraire à cette hypothèse : au point de vue expéri- mental, les choses se passent, en effet, absolument comme si les lymphatiques communiquaient avec le sys- tème artériel. Que l'on injecte du prussiate dépotasse clans le cœur, ou directement dans une artère, on re- trouvera ce sel avec la même rapidité, c'est-à-dire au bout de vingt à vingt-trois secondes, aussi bien dans les lymphatiques que dans les veines de la région où se distribue l'artère sur laquelle on a opéré. Avec l'iodure de potassium, le même fait se constate et se produit même avec plus de rapidité encore. Quels que soient les résultats que donneront les recherches anatomiques, nous pouvons considérer, au point de vue des substances chimiques en dissolution introduites dans le sang, le sys- tème artériel comme se continuant à son extrémité pé- riphérique, pour donner simultanément naissance aux lymphatiques et aux veines. A l'époque où je commençais mes études anatomi- ques, la mode était aux injections par double décom- position, c'est-à-dire que, pour faire des préparations anatomiques des vaisseaux d'un tissu, on injectait suc- cessivement ou simultanément, par deux vaisseaux diffé- rents, deux substances en dissolution ; ces substances, sur les points où elles se rencontrent, c'est-à-dire au 346 APPAREIL CIRCULATOIRE. niveau des capillaires, subissent une double décompo- sition, d'où résulte un précipité coloré qui remplit et rend évidents les petits vaisseaux. C'est ce que l'on obtient en injectant, par exemple, du prùssiate ou du chromate de potasse d'une part, et un sel de fer ou de plomb de l'autre : les petits vaisseaux sont alors remplis de bleu de Prusse ou de chromate de plomb. Or, dans ce cas, on obtient une injection semblable et des vaisseaux veineux et des vaisseaux lymphatiques. Seulement, ces préparations ne sont pas ordinairement transparentes et ne peuvent être étudiées que par la lumière réfléchie. Ces données, qui nous montrent qu'au point de vue physiologique, c'est-à-dire au point de vue de la péné- tration et du transport des substances, les vaisseaux lymphatiques peuvent être considérés comme faisant suite au système artériel aussi bien que les vaisseaux veineux, ces données sont cependant insuffisantes à nous éclairer sur le fait anatomique. Le passage des artérioles aux lymphatiques est évident ; mais comment a-t-il lieu? Se fait-il directement ou succède-t-il à une extravasa- tion de la partie liquide du sang dans les lacunes inter- organiques , dans lesquelles ce liquide serait ensuite pompé par les radicules lymphatiques? Cette dernière manière de voir paraît aujourd'hui s'appuyer sur des faits anatomiques d'une grande valeur. On a pu, en plusieurs régions, constater que les lympha- tiques naissent directement par des ouvertures compa- rables à ce qu'on désignait sous le nom de bouches ab- sorbantes. Sans invoquer les anciennes recherches de ORIGINES DES LYMPHATIQUES. 347 Gruby et de Deîafond sur les bouches absorbantes que ces ailleurs avaient cru observer au sommet des villosilés intestinales, nous avons les recherches plus positives de Recklingshausensur les pores ou bouches béantes qui se montrent sur les séreuses, notamment sur la lame péri- tonéale de diaphragme, et qui sont le point de départ de capillaires lymphatiques. Par ces ouvertures peuvent pénétrer dans le système lymphatique des particules solides, telles que les fines sphères graisseuses d'une émulsion de graisse, des particules de vermillon et d'autres matières colorées. Les recherches de M. Ran- vier ont confirmé sur plusieurs points les résultats obtenus par Recklingshausen. On pourrait donc être porté à admettre que les rap- ports du système lymphatique et des mailles du tissu cellulaire sont les mêmes que ceux que nous venons de voir pour les cavités séreuses. Cette opinion est d'autant plus probable, que tout tend à démontrer l'analogie la plus complète entre les cavités séreuses et les mailles du tissu conjonctif. Nous avons déjà dit qu'en injectant de l'air ou de l'azote sous la peau du dos des lapins, nous formions de véritables cavités séreuses. Nous nous pro- posons d'étudier bientôt l'absorption sur ces surfaces séreuses artificielles, afin de voir si nous confirmerons ainsi les analogies que nous signalons. En un mot, quelles que soient les probabilités, le fait anatomique n'a pas encore reçu de solution péremptoire. C'est là une question qui est en ce moment l'objet d'études sérieuses, nous nous garderons de la trancher d'une façon hasardée. 348 APPAREIL CIRCULATOIRE. Mais, ainsi que je vous l'ai déjà fait comprendre, quelle que soit la solution analomique, elle ne changera rien à nos idées relativement aux phénomènes physio- logiques de l'absorption: il est bien établi par l'expéri- mentation que la circulation veineuse et la circulation lymphatique sont dans un rapport intime; que les deux systèmes communiquent ensemble et succèdent égale- ment, et à peu près au même titre, au système artériel. Ces rapports sont si intimes, que si la circulation vei- neuse varie dans un sens, la circulation lymphatique variera dans le sens opposé, et vice versa; en un mot, les deux systèmes sont étroitement solidaires. Ainsi. «y lorsque nous mettons à nu, sur un cheval par exemple, un lymphatique et une veine provenant de la même région, toutes les fois que nous gênerons le retour du sang veineux, nous verrons augmenter le cours de la lymphe ; dès que nous laisserons abondamment couler le sang veineux, nous verrons diminuer la lymphe. Il y a donc véritablement, au point de vue .physiolo- gique, deux circulations absorbantes ou centripètes : la circulation veineuse et la circulation lymphatique. Mais, de plus, ces deux circulations sont dans un équilibre sans cesse mobile : les liquides peuvent passer inces- samment du sang clans les lymphatiques et des lympha- tiques dans le sang", et nous verrons plus tard que les systèmes nerveux vaso-moteur sanguin et vaso-moteur lymphatique ont une grande influence sur ces phéno- mènes (1). (1) Nous savons aujourd'hui qu'il faut distinguer deux espèces de nerfs vaso-moteurs : les uns vaso-constricteurs, les autres vaso-dilatateurs. Dans ABSORPTION PAR LES VEINES. 349 Les théories qui veulent clouer l'un de ces systèmes à l'exclusion de l'autre du pouvoir absorbant se trouvent en complet désaccord avec les faits. Mais si nous cher- chons à trouver une différence, non de degré absolu, mais de nature et de mode, entre ces deux voies d'absorp- tion, je crois que nous la trouverons plus facilement en considérant les rapports du sang avec le milieu inté- rieur et avec les liquides intraorganiques, c'est-à-dire avec les sérosités répandues dans les mailles des tissus. Les absorptions par lesquelles le sang puise ses élé- ments, soit liquides, soit gazeux, dans le milieu exté- rieur, ces absorptions sont essentiellement le fait des vaisseaux veineux : c'est ainsi que sont introduits dans l'organisme les gaz de la respiration, les matériaux de la digestion. Par contre, les matériaux qui sont sortis du sang, qui ont baigné les tissus, qui ont servi à la nutrition des éléments anatomiques, les liquides inter- stitiels, en un mot, qui sont l'objet de ce que nous pou- vons appeler une absorption interne, ceux-là sont puisés parles lymphatiques et ramenés par eux dans le torrent circulatoire. Les lymphatiques, à leur origine, forment un réseau interorganique continu; ils président, quelles que soient, du reste, leurs dispositions anatomiques, aux phénomènes par lesquels le liquide circulant sort des capillaires sanguins, se met en contact avec les élé- ments anatomiques, et enfin retourne faire partie de la l'empoisonnement par le curare, l'action des nerfs vaso-dilatateurs persiste souvent la dernière, comme celle des nerfs oculo-pupillaires, dont il faut les rapprocher sous divers rapports. Les nerfs vaso-constricteurs ont des carac- tères opposés. Nous étudierons avec soin ces phénomènes nerveux qui règlent la circulation capillaire sanguine et lymphaûque, et que nous ne faisons que signaler ici (voy. nos leçons sur le Diabète. 350 APPAREIL CIRCULATOIRE. masse sanguine. A côté de la circulation proprement dite du sang, nous avons donc à considérer une circu- lation interstitielle ou lymphatique, qui se trouve en rapport intime avec les phénomènes essentiels de la vie propre à chaque élément anatomique. Je crois avoir, le premier, énoncé cette proposition, que les actions toxiques médicamenteuses ou autres se portent sur des éléments histologiques spéciaux et non sur des tissus, des organes, ou sur des appareils. J'ai donné pour exemple l'action du curare sur les nerfs moteurs, de l'oxyde de carbone sur les globules rouges du sang, etc. (1). Cette idée s'est confirmée par beau- coup d'observations nouvelles, et elle devient le point fondamental de nos recherches actuelles. Il ne suftit pas, en effet, qu'une substance active soit absorbée, il faut qu'elle parvienne aux éléments sur lesquels elle est capable d'exercer son action. Il pourra donc arriver des cas où la substance, quoique absorbée, n'agira pas sur l'organisme parce qu'elle ne sera pas parvenue à son élément spécial. C'est là un premier fait que nous allons établir devant vous en remontant ensuite graduellement dans le cours du problème de l'absorption. Parmi les substances solubles, exerçant une action sur l'organisme, celles qui peuvent se dégager à l'état de vapeur de leurs solutionssont beaucoup moins actives, ou ne le sont môme pas du tout, quand on les fait absorber par toute autre surface que la surface pulmo- (1) Voyez mes Expériences sur le curare, 1844 (C. h. de V Académie des sciences, t. XL1II, p. 825). — Voyez mes leçons sur les Substances toxiques et médicamenteuses, Paris. 1857, et la Science expérimentale., 2e édition, 4878, p. 237. ABSORPTION PAR LES VEINES, 354 imire. Toutes ces substances, dissoutes dans des liquides injectés sous la peau, subissent le premier acte de l'ab- sorption, c'est-à-dire qu'elles pénètrent dans les veines, mais elles tendent à s'échapper du milieu intérieur dès qu'elles sont arrivées, avec le sang veineux, au niveau de la surface pulmonaire. Pour l'alcool, pour les agents aoesthésiques tels que l'éther et le chloroforme, il en est ainsi, comme vous allez vous en convaincre. Voici^ par exemple, un lapin sous la peau duquel nous injec- tons 2 centimètres cubes d'éther : l'animal n'en éprouve aucun effet; nous pouvons facilement constater que l'air qu'il expire exhale sensiblement l'odeur de l'éther. C'est qu'en effet, à la dose de 2 centimètres cubes, l'agent anesthésique est éliminé à peu près complètement au moment de son passage dans les capillaires pulmonaires, ou bien il n'en est passé dans le sang artériel, qui est porté dans les capillaires généraux, qu'une dose insuf- fisante pour agir sur les éléments de tissus et notam- ment sur ceux des centres nerveux. Si nous injectons, au contraire, chez un autre lapin, une dose de 4 centi- mètres cubes d'éther sous la peau du dos, vous voyez l'animal ressentir bientôt tous les signes de l'anesthé- sie ; 1 élimination, dans ce cas, a été incomplète ou telle que les vapeurs d'éther, saturant l'air des alvéoles pul- monaires, ont été de nouveau puisées à ce niveau par le sang artériel dans lequel, dès lors, elles se sont trouvées en quantité suffisante pour arriver au niveau des capil- laires des centres nerveux, se répandre au contact des éléments analomiques, et nous révéier la production de la dernière phase de l'absorption, en amenant la 352 APPAREIL CIRCULATOIRE. cessation des fonctions de ces éléments, c'est-à-dire l'anesthésie. Vous comprenez combien cette distinction des deux étapes de l'absorplion est importante à connaître, puisque le fait de l'interposition d'une porte d'échappement entre ces deux actes peut supprimer le dernier, celui qui se manifeste par les signes les plus sensibles. Et cette dis- tinction est d'autant plus utile que l'efficacité de l'éli- mination, dont nous venons de vous donner un exemple au niveau de la surface pulmonaire, varie avec la dose de substance active soumise à la première phase de l'absorption. Nous pouvons reproduire des expériences du même ordre avec de l'hydrogène sulfuré. Vous savez, par exemple, que l'hydrogène sulfuré, quand on le respire, est très-toxique, même à assez faible dose; cependant on peut boire des eaux sulfureuses sans éprouver aucun effet d'empoisonnement. C'est que, dans ce dernier cas, l'absorption par la surface intestinale est assez lente pour que les faibles doses de gaz sulfhydrique intro- duites dans le sang veineux en soient totalement élimi- nées au niveau des capillaires pulmonaires. Il en est de même pour l'éther, le chloroforme. Absorbées directe- ment en vapeur par le poumon, ces substances agissent énergiquement ; absorbées par la surface intestinale, elles sont éliminées par le poumon et restent sans effets sur l'organisme. L'acide prussique serait sans doute dans le même cas que les substances que nous venons de citer. Dans une leçon antérieure, je vous ai rendus témoins INJECTIONS INTRAVEINEUSES. 353 de l'élimination de l'hydrogène sulfuré en vous montrant que du papier à l'acétate de plomb noircissait dès qu'on le plaçait humide dans le courant d'air expiré par un lapin, sous la peau duquel nous avions injecté une faible dose de solution d'hydrogène sulfuré. Dans ce cas, le lapin n'était nullement empoisonné ; mais si la dose injectée était plus considérable, nous voyions, comme tantôt avec l'éther, la substance mani- fester son action ; l'absorption par le tissu cellulaire était très-rapide et portait dans le sang une quantité de gaz toxique trop considérable pour que tout s'éliminât au niveau du poumon. Nous avons fait, dans un cas, l'expérience avec une solution concentrée d'hydrogène sulfuré injecté sous la peau ; mais nous avons aussi injecté l'acide sulfhydrique à l'état de gaz, et nous avons obtenu des résultats ana- logues. En résumé, toutes les circonstances qui, pendant le transport d'un agent toxique ou médicamenteux par le torrent sanguin, peuvent amener l'élimination de cet agent avant qu'il parvienne au niveau des capillaires généraux, suppriment par ce fait même l'action qu'on s'attendait à observer. Il y a encore plus : il ne suffît pas que la substance arrive jusqu'aux capillaires du tissu sur lequel elle doit porter son action, il faut encore qu'elle sorte de ces capillaires pour aller baigner direc- tement les éléments anatomiques dans le plasma lym- phatique au milieu duquel ils vivent. Ce que nous disons ici des poisons peut également s'appliquer aux substances nécessaires à la vie. à l'oxygène par exemple, cl, Bernard. — Physiol. opér. . 23 354 APPAREIL CIRCULATOIRE. qui n'arrive pas directement aux éléments. 11 semblerait même que l'action directe de l'oxygène est nuisible aux éléments organiques, et que ceux-ci doivent être con- stamment plongés dans un milieu chargé d'une forte proportion d'acide carbonique. C'est ce que semblent du moins montrer les analyses de la lymphe. Quoi qu'il en soit, pour le moment, nous allons mettre en évidence, par des expériences, les diverses phases de l'absorption. En opérant avec le poison des nerfs mo- teurs, avec le curare, il nous est facile de démontrer qu'il y a, au point de vue de l'effet définitif, interne, de l'absorption du poison, deux actes bien distincts, deux absorptions : l'une par laquelle la substance en expérience pénètre et est transportée dans le torrent sanguin ; l'autre par laquelle cette même substance, contenue dans le sang, sort des capillaires et agit sur l'élément anatomique. Voici, par exemple, un lapin sous la patte duquel nous injectons 3 centimètres cubes d'une dissolution de curare à 2 pour 100, c'est-à-dire que nous déposons sous la peau 6 centigrammes de curare ; cette dose est plus considérable qu'il ne faut pour produire la mort de ranimai. Lorsque les premiers symptômes de l'empoi- sonnement se manifestent, nous amputons rapidement le membre qui a reçu l'injection. Au moment de cette amputation, qui arrête toute nouvelle introduction du poison dans le sang, les muscles de la respiration n'é- taient pas encore paralysés ; il semblait donc que l'ac- tion toxique devait s'arrêter et que l'animal devait con- tinuer à vivre. Point du tout ; vous voyez les symptômes PHASES SUCCESSIVES DE h ABSORPTION. 355 de l'empoisonnement se continuer, se généraliser de plus en plus, la respiration devenir difficile, puis s'arrêter et l'animal succomber. C'est qu'en effet, au moment où nous supprimons par l'amputation du membre l'entrée du poison, une quantité considérable de curare avait déjà pénétré dans le sang : de cette quantité, une partie seulement avait agi sur les nerfs moteurs les plus sensibles à cette action, respectant les nerfs de la respiration ; mais le reste a pu encore venir, après l'amputation, agir sur ces derniers nerfs. Nous avons donc, en amputant le membre, arrêté la pénétration dans le sang, mais non la pénétration dans les éléments anatomiques, du poison déjà contenu dans le milieu intérieur. Des deux phases de l'absorption, nous n'avons interrompu que la première, laissant la seconde se manifester dans toute son évidence et dans toute son étendue. Au lieu d'amputer le membre, nous pouvons, par une ligature fortement serrée appliquée au niveau de sa racine, supprimer également la source d'introduction du poison dans le sang. Nous observons, dans ce cas, le même phénomène. Ainsi, d'après l'expérience qui précède, nous voyons que la substance toxique n'agit qu'un certain temps après avoir pénétré dans le sang. Nous voyons de plus qu'au moment où les premières atteintes du poison apparaissent, il y en a déjà une dose mortelle qui a pénétré dans le sang. Toutefois, ici encore, il faut pré- ciser les expériences. Si la dose de poison est moins forte, avec la même quantité de liquide, l'absorption de 356 APPAREIL CIRCULATOIRE. la substance toxique sera proportionnellement dimi- nuée, et, au moment où les premiers accidents toxiques apparaîtront, on pourra les arrêter parce que la quan- tité de substance toxique absorbée ne sera pas suffi- sante pour amener nécessairement la mort. Ce fait sera mis en évidence par les expériences suivantes dans lesquelles on a substitué la ligature du membre à l'am- putation. Sur ce lapin nous injectons, sous la patte postérieure, une dose moindre de poison, 3 centimètres cubes d'une solution de curare de 1 sur 200 d'eau (soit 1 centi- gramme 1/2 de poison). Dès que les symptômes se manifestent, dès que l'animal, impuissant à se tenir sur ses membres, va tomber sur le flanc, nous lions fortement la cuisse à sa partie inférieure, de manière à y supprimer la circulation, et par suite toute nou- velle entrée du poison dans le sang. Cependant l'em- poisonnement continue encore : l'animal tombe sur le flanc; mais, vu la dose plus faible de poison, la respira- tion n'est pas atteinte ; il ne succombe pas. Ainsi, rien de plus net que cette succession des deux phénomènes de l'absorption : l'un par lequel le sang puise le poison introduit dans le tissu cellulaire; l'autre par lequel les éléments anatomiques puisent le poison dans le sang. Pour ce second acte, il faut que le poison arrive au niveau des capillaires et que de ceux-ci il pénètre dans le liquide interstitiel qui baigne immédiatement les élé- ments anatomiques. Voici un autre fait qui semble bien démontrer la nécessité de cette extravasation ou trans- PHASES SUCCESSIVES DE l' ABSORPTION. 357 sudation, pour que cette seconde phase de l'absorption se produise : il suffit d'ouvrir largement la veine qui vient d'un muscle, et de laisser couler le sang veineux : si alors on injecte du curare dans un rameau collatéral de l'artère de ce muscle, on n'observe pas, ou très-lente- ment, l'empoisonnement local du muscle, dont les vais- seaux charrient cependant du sang intoxiqué. C'est que l'ouverture de la veine et l'écoulement du sang ont sup- primé la pression rétrograde et collatérale qui était nécessaire à l'exsudation du plasma, et par suite à la mise en contact du poison avec l'élément de tissu. Mais dès que nous comprimons la veine, nous voyons l'em- poisonnement se manifester, parce que les conditions mécaniques dont je viens de vous montrer l'importance ont été rétablies. Ce que nous venons de signaler ici pour l'ouverture d'une veine est ce qui se produit, jusqu'à un certain point, lors de l'absorption des liquides qui se réduisent facilement en vapeur. On pourrait dire que le liquide toxique se divise en deux parties : une qui passe son chemin ou s'exhale, l'autre qui pénètre dans l'élément. Suivant la dose du poison, suivant les conditions de pression sanguine, les deux quantités de substances changent de rapports et amènent conséquemment des effets différents. Vous voyez ainsi qu'il ne faut pas confondre le fait de pénétration dans le sang avec celui de l'empoisonne- ment proprement dit. Vous voyez de plus que, dans l'étude des phénomènes de l'organisme vivant, rien ne doit être négligé : il n'y a pas de conditions d'impor- 358 APPAREIL CIRCULATOIRE. tance minime ; toutes ont une influence dont il faut savoir tenir exactement compte. Que de variétés, que de résultats divers, en apparence capricieux, nous a pré- sentésr il y a un instant, ce seul exemple d'une injection de curare, selon les circonstances diverses où elle est pratiquée! Mais l'analyse exacte des faits nous montre que ces manifestations n'ont rien de variable, ni de capricieux; que tout dépend de conditions délicates à déterminer, il est vrai, mais toujours dans un rap- port exact, fatal, immuable, avec les résultats obtenus. Comme les lois des phénomènes physiques, celles des phénomènes de la vie sont exactement déterminables ; mais les conditions sont infiniment plus délicates à préciser. Revenons à notre lapin. Nous avions fortement lié son membre postérieur dès les premiers symptômes de l'em- poisonnement curarique; cependant cet empoisonne- ment malgré l'obstacle mis à toute nouvelle introduc- tion d'agent toxique dans le sang, cet empoisonnement a continué à augmenter un peu : l'animal est tombé sur le flanc. C'est que le curare contenu dans la masse san- guine arrivait de plus en plus au contact des éléments anatomiques, des extrémités périphériques des nerfs moteurs. Mais cette action est bientôt arrivée à son summum, qui n'est pas allé jusqu'à paralyser les muscles de la respiration. Aussi l'animal a-t-il pu éliminer len- tement le poison; et, tandis que je vous exposais d'autres expériences et les réflexions générales qu'elles doivent nous inspirer, l'animal revenait complètement à lui. Vous voyez maintenant ce lapin présenter tout à fait PHASES SUCCESSIVES DE l' ABSORPTION. 359 1 "aspect normal : il a recouvré ses mouvements volon- taires, il circule spontanément sur la table. Mais il porte dans son membre postérieur une source de poison dont nous n'avons fait qu'arrêter l'introduction dans le sang : enlevons maintenant l'obstacle que nous avions opposé à cette première phase de la série des actes de l'absorp- tion, délions la ligature. Vous voyez bientôt l'empoisonnement se reproduire et les mouvements volontaires disparaître d'autant plus vite que nous attendons moins. Si au lieu de délier la ligature en ce moment, pour voir encore se reproduire les phénomènes d'empoison- nement, nous la laissions jusqu'à demain, qu'arriverait-il alors? Nous avons fait souvent cette expérience dans le laboratoire, et nous avons observé que, si on laisse la ligature pendant vingt-quatre heures, l'empoisonnement ne se reproduit souvent plus au bout de ce temps, quand, on enlève les liens. Qu'est-il donc arrivé dans ce laps de temps? Le poison introduit sous la patte s'y est-il altéré? s'y est-il détruit? Gela n'est pas probable : il a sans doute été absorbé, introduit dans le sang, mais d'une manière très-lente, et transporté dans l'organisme par un reste de circulation que notre ligature n'avait peut-être point arrêtée, par la circulation de la moelle des os, sans doute. Cette absorption a dû être si lente, que jamais le poi- son ne s'est trouvé clans l'organisme en quantité suffi- sante pour manifester sa présence ; étant éliminé au furet à mesure, il n'a pu s'accumuler jusqu'au degré nécessaire pour agir sur aucune exirémité nerveuse. 360 APPAREIL CIRCULATOIRE. Quand on laisse la ligature pendant vingt-quatre ou trente-six heures, il ne faut pas trop serrer, parce qu'alors il y a sphacèle du membre, et dans ce cas les conditions d'absorption sont nécessairement changées. C'est pourquoi nous faisons construire en ce moment un petit appareil pour serrer graduellement le membre, de manière à graduer également l'absorption et à régler les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Voici un autre lapin. Nous injectons sous la patte postérieure 2 centimètres cubes d'une solution de curare à 2 pour 100, c'est-à-dire que nous injectons 4 centi- grammes de curare. A peine les premiers symptômes se manifestent-ils, qu'une forte ligature est appliquée sur la cuisse; après avoir légèrement augmenté, les signes de l'empoisonnement se dissipent : voici l'animal revenu à lui. Nous ouvrons de nouveau la porte au poison , c'est-à-dire que nous enlevons la ligature, et les choses se passent comme précédemment, mais avec plus de rapidité, la dose injectée étant double. Aussi faut-il nous hâter d'appliquer les liens pour arrêter encore une fois l'intoxication ; nous éprouvons un léger retard dans l'application de ces liens, ce retard peut être fatal à l'animal. Vous voyez, en effet, que l'extension de la paralysie, telle que nous l'observons toujours quelques instants après l'application de la ligature, va cette fois jusqu'à frapper les muscles du thorax : la respiration s'arrête; nous ne sommes pas en mesure de pratiquer immédiatement la respiration artificielle ; l'animal suc- combe. Vous voyez qu'il faut tenir compte des moindres ABSORPTION DES GAZ. 361 variations dans les données de l'expérience. Nous avons encore à perfectionner, dans ce sens, quelques parties de notre instrumentation. Il nous faudra, comme je vous l'ai dit, réaliser un mode de ligature suffisamment rapide pour interrompre d'une manière instantanée toute communication entre l'organisme entier et le membre qui a reçu l'injection. D'autre part, nous aurons à reproduire les mêmes expériences en injectant le poison, non plus dans le tissu cellulaire, mais directe- ment dans le sang, dans les veines. Enfin, le choix du poison avec lequel on agit ne saurait être indifférent : le curare paralyse les vaso-moteurs, comme il paralyse les nerfs moteurs ordinaires; il agit donc sur la circula- tion au niveau des petits vaisseaux ; de telle sorte qu'il peut modifier les deux phases extrêmes du phénomène d'absorption, c'est-à-dire le passage de la substance toxique dans le sang et sa pénétration au niveau des éléments des tissus. L'absorption s'exerce sur trois ordres de substances : les gaz, les liquides et les solides. Vous avez vu comment nous injectons les gaz sous la peau. A cet effet, nous nous servons, comme pour toutes les injections gazeuses dont vous avez été témoins, d'une petite pompe dite pompe de Gay-Lussac (fig. 97). Elle communique d'une part, soit avec une vessie, soit avec la partie supérieure d'une cloche à robinet renversée sur l'eau et contenant le gaz toxique, et d'autre part avec un tube de caoutchouc (D) dont l'extrémité libre est munie d'une canule (E) à pointe tranchante, destinée à être introduite sous la peau de l'animal. Par les 35^ APPAREIL CIRCULATOIRE. mouvements alternatifs du piston, nous puisons le gaz toxique dans la cloche et le faisons pénétrer sous la peau de l'animal, d'où nous pouvons le retirer après g o un certain temps par un mécanisme d'aspiration à l'aide du môme appareil. L'étude de l'absorption des gaz injectés sous la peau ABSORPTION DES GAZ. 363 nous a montré que la nature du gaz influait puissamment sur la rapidité avec laquelle disparaissait la masse gazeuse répandue dans le tissu cellulaire ; mais nous avons vu en même temps que la plus ou moins grande solubilité du gaz n'était pas la seule condition qui dût, sous ce rapport, entrer en ligne de compte. Si l'hydrogène sul- furé et l'acide carbonique sont très-vile absorbés dans les mailles du tissu cellulaire, ce fait peut facilement s'expliquer par la grande solubilité de ces gaz, qui se dissolvent dans le sang des capillaires avec lesquels ils sont en contact. Si l'azote, par contre, résiste longtemps à l'absorption, nous pouvons invoquer comme explica- tion le peu de solubilité de ce gaz. Mais pour l'oxygène, nous observons une absorption trop rapide pour que le degré de solubilité suffise à nous en donner l'explica- tion : cela tient, nous le savons aujourd'hui, à ce qu'il ne s'agit pas ici seulement d'une simple solution de ce gaz dans le liquide du sang, mais encore et surtout d'une véritable combinaison avec les éléments figurés du sang, avec les globules rouges : un phénomène par- ticulier d'affinité nous rend comple de ce que ne pouvait nous expliquer la solubilité seule. Mais en expérimentant avec l'hydrogène, nous nous sommes trouvés en face de phénomènes imprévus : ce gaz que les chimistes considèrent avec juste raison comme un des plus diffusibles; ce gaz qu'il est si diffi- cile d'enfermer dans des ballons, dans des poches membraneuses, s'est au contraire conservé très-long- temps dans les mailles du tissu cellulaire; et lorsqu'il a disparu, la masse gazeuse qu'il formait primitivement 364 APPAREIL CIRCULATOIRE. subsistait encore en grande partie sous la peau des animaux mis en expérience. En poursuivant, en effet, dans le laboratoire les recherches que nous avions com- mencées ici sous vos yeux, dans nos leçons expérimen- tales, nous avons constaté qu'au bout de quatre jours le volume d'hydrogène injecté sous la peau d'un lapin avait été remplacé par un volume presque égal d'azote. Ce phénomène particulier de diffusion est très-remar- quable. Où était allé l'hydrogène? D'où était venu l'azote? Ce sont là des questions que nous chercherons à résoudre, mais que nous ne pouvons que poser pour le moment. L'étude de l'absorption des liquides nous a présenté deux cas bien distincts. D'abord l'absorption des liquides susceptibles de se transformer facilement en vapeur (éther, chloroforme), ou contenant leur prin- cipe actif sous la forme de gaz en solution, nous a per- mis de constater comment ces substances actives peuvent sortir de l'organisme, au niveau de la surface pulmo- naire, après avoir été transportées par le courant vei- neux, sans entrer dans le sang artériel en quantité suffi- sante pour aller agir sur les éléments des tissus. Nous avons déjà particulièrement insisté sur ces questions intéressantes dans le cours de cette leçon . Les autres liquides, les liquides proprement dits, nous ont fourni l'occasion de discuter l'importance rela- tive du système veineux et du système lymphatique dans l'absorption. Nous avons été amené à accorder aux veines un rôle sinon exclusif, du moins très-prépon- dérant. ABSORPTION DES LIQUIDES. 365 Nous avons vu que certaines substances salines mé- talliques, injectées dans le tissu cellulaire, s'y fixent et semblent ne pas être absorbées. Tels sont les sels de fer. Si nous injectons, par exemple, du lactate de fer sous la peau, nous constatons que le lendemain il est encore à la place où nous l'avions déposé; car en touchant le lieu de l'injection avec une baguette de verre trempée dans le prussiate de potasse, et en rendant la réaction légèrement acide, nous voyons aussitôt apparaître la couleur du bleu de Prusse. Si nous injectons, dans le tissu cellulaire d'une région éloignée , du prussiate de potasse sous la peau, nous voyons la combinaison du bleu de Prusse se faire dans le point où le fer a été déposé, mais non au lieu d'injection du prussiate. Nous avons constaté encore que certaines substances dissoutes, appartenant à la classe des ferments solubles, présentent des particularités intéressantes dans leur absorption. En injectant séparément dans des points distincts de l'émuîsine et de l'amygdaline dans le tissu cellulaire sous-cutané, la réaction des deux substances n'a pas été apparente en donnant naissance à de l'acide prussique, comme cela a lieu dans le sang; mais de l'émuîsine pa- raissait se retrouver dans le foie, comme si certaines substances organiques de cet ordre étaient capables de s'emmagasiner dans le foie à la façon des substances métalliques. Quant aux substances solides, nous vou- lons parler seulement des solides divisés en particules très-lines, nous ne nous sommes pas arrêté longuement à l'étude de leur absorption ; pour ces corps, il y a non pas absorption proprement dite , mais pénétration 366 APPAREIL CIRCULATOIRE. mécanique, plus ou moins lente, selon des conditions difficiles à préciser. Mais de nos études sur l'absorption il est résulté ce fait général et de première importance en physiologie expérimentale, à savoir, qu'il ne suffît pas, pour qu'une substance manifeste son action sur l'organisme, qu'elle ait pénétré dans le sang; il faut encore qu'elle ait été portée par celui-ci aux capillaires des tissus, et enfin qu'elle soit arrivée au contact immédiat des éléments anatomiques sur lesquels elle manifeste son action. Il y a donc trois actes qui se passent depuis le mo- ment où une substance est déposée par exemple sous la peau, jusqu'à celui où elle manifeste sa présence par des troubles généraux; ces trois actes sont : 1° la péné- tration dans le sang des capillaires avec lesquels le con- tact est établi; 2° le transport par le sang de la sub- stance absorbée; 3° enfin, l'exsudation ou la pénétration de la substance au niveau des capillaires généraux. Eu termes plus physiologiques et plus précis, nous avons pu nommer ces trois actes par les désignations sui- vantes : absorption externe; transport; absorption interne. Nous voudrions aujourd'hui, après avoir bien fixé dans nos expériences précédentes la réalité et l'indépen- dance de chacun de ces actes, en apprécier la durée relative . Déjà des faits de connaissance presque vulgaire nous montrent que certaines circonstances peuvent modifier ces durées : ainsi nous savons que le curare n'atteint pas l'animal aussitôt qu'il a été pris : il faut le plus souvent DURÉE RELATIVE DES PHASES DE L ABSORPTION. 367 près de quatre minutes pour que la paralysie se pro- duise et que l'animal succombe. Mais certaines condi- tions peuvent raccourcir cet espace de temps : ainsi nous possédons des récits de chasse qui nous montrent que les animaux d'une certaine taille, les sangliers par exemple, succombent d'autant plus vite que leur bles- sure a excité en eux un état prononcé de fureur. C'est que dans ce cas la circulation est devenue chez eux plus active et plus précipitée, et que par suite la durée totale des trois phases de l'absorption a été considérablement restreinte par la diminution de l'une d'elles, par la dimi- nution de la durée de la phase intermédiaire ou de transport; de plus, le poison absorbé sur la flèche est absorbé à l'état de concentration aussi grande que pos- sible, ce qui accélère l'empoisonnement, parce que la quantité maximum du poison dissous est directement introduite. Occupons-nous d'abord de la première phase que nous avons désignée sous le nom d'absorption externe : c'est elle qui prend le plus de temps, ou dont la durée égale au moins celle des deux phases suivantes : il nous sera facile de le démontrer. Vous avez vu comment nous pouvions, en liant forte- ment la cuisse d'un lapin qui avait reçu une injection de curare sous la patte correspondante, arrêter les phé- nomènes d'empoisonnement, en mettant obstacle au transport de l'agent toxique par le courant sanguin. Nous avons modifié Texpérieuce de la manière sui- vante, pour répondre au problème spécial que nous avons en vue. 368 APPAREIL CIRCULATOIRE. Voici un lapin dont la cuisse a été liée très-fortement il y a trois quarts d'heure; aussitôt après une solutiou de curare a été introduite sous la peau de la patte cor- respondante (3 centimètres cubes d'une dissolution à 4 pour 100). La ligature ayant été placée avant l'injec- tion, nous avions opposé une barrière à tout phéno- mène de transport dans l'organisme général. Depuis trois quarts d'heure il n'a pu se produire que la péné- tration dans le sang de la patte isolée de fait du reste de l'animal. Nous enlevons à l'instant la ligature et nous observons le temps qui s'écoule jusqu'à ce que se mani- festent les symptômes de l'empoisonnement. Lorsque l'on fait cette observation sur un animal dont le mem- bre n'a reçu aucune ligature, il s'écoule quatre mi- nutes entre le moment où l'injection est déposée sous la peau de la palte et celui où la paralysie se manifeste : ces quatre minutes représentent le temps nécessaire à l'absorption externe, au transport et à l'absorption in- terne; mais dans le cas actuel, l'absorption externe est déjà effectuée en partie; lorsque nous enlevons le lien, il n'y a presque plus à compter qu'avec le transport et l'absorption interne pour voir se produire les signes de paralysie ; nous aurons donc moins à attendre que pré- cédemment, et la différence de temps nous indiquera à peu près la durée qui doit être attribuée à la phase que nous avons supprimée ici , c'est-à-dire à l'absorption externe. Cette expérience démontre donc qu'en l'absence de la circulation, le liquide toxique s'est infiltré dans le tissu cellulaire et a pénétré dans les vaisseaux capillaires par imbibition. C'est donc un fait qui vient à l'appui DURÉE DE L'ABSORPTION EXTERNE. 369 de l'idée de Mageudie que l'absorption se fait par imbi- bition. Vous le voyez, en effet, messieurs, l'animal est bien vite pris; ses muscles se paralysent; il y a à peine deux minutes que la ligature a été enlevée. Ainsi, dans la durée de quatre minutes que demande l'ensemble des trois phases de l'absorption pour le cas particulier du curare, deux minutes sont consacrées au transport et à l'absorption interne; un égal espace de temps, c'est-à-dire deux minutes, est donc nécessaire au seul acte de l'absorption externe : cette première phase dure à elle seule aussi longtemps que les deux sui- vantes. Il nous reste à cherchera distinguer la durée relative de ces deux dernières. Nous pouvons aborder directement l'étude de la du- rée du transport par le sang : cette recherche a été faite par plusieurs physiologistes qui ont déterminé la durée totale d'un double cercle circulatoire , la rapidité de la circulation, ou, pour le dire plus nettement, le temps que met une substance introduite dans le bout central d'une veine pour arriver au cœur droit, traverser le poumon, et, du cœur gauche, parcourir les artères, les capillaires et revenir par le bout périphérique de la veine mise en expérience. Cette durée est très-courte, plus courte qu'on ne pourrait le concevoir à priori, puis- qu'elle se compte non pas par minutes, mais par se- condes et n'a jamais été trouvée supérieure à vingt-cinq ou trente secondes. Elle dépend du reste de la taille de l'animal, c'est-à-dire du chemin à parcourir; et il est évident qu'elle doit être infiniment plus courte chez un cl. bernàrd. — Physiol. opér. 24 370 APPAREIL CIRCULATOIRE. animal de petite taille, chez un rat, par exemple, que chez un quadrupède relativement énorme, comme le cheval ou l'éléphant. Pour agir dans des circonstances bien déterminées, nous prenons ici un chien dont la taille est de 1 mètre depuis l'extrémité du museau jusqu'à la racine de la queue. Nous découvrons largement la veine jugulaire du côté gauche et nous plaçons une pince à pression continue sur la partie supérieure de cette veine; après avoir exprimé vers le cœur le sang qui remplit la partie inférieure de la veine, nous plaçons une seconde pince à pression à environ un décimètre au-dessous de la pre- mière (fîg. 98). Nous avons donc ainsi un segment de veine entièrement vide et compris entre deux ligatures très-faciles à enlever, puisqu'elles ne sont dues qu'à la pression de nos pinces. Dans cette portion de veine, nous injectons 2 centimètres et demi d'eau contenant en dissolution 1 gramme de prussiate de potasse. La piqûre de la canule à injection a été faite très-obli- quement dans la paroi de la veine, et la canule une fois enlevée, le vaisseau demeure plein et distendu par l'in- jection, dont il ne laisse rien écouler. Nous découvrons alors la jugulaire du côté opposé et nous faisons à ce vaisseau une légère incision par la- quelle s'écoule d'une façon continue un mince filet de sang (fîg. 98). Quelques grammes de ce sang sont recueillis, soumis à une rapide coction avec du char- bon, et dans le liquide incolore que nous obtenons après filtration nous ajoutons quelques gouttes d'un sel de fer : le liquide demeure incolore. Le sang ne renferme RAPIDITÉ DE LA CIRCULATION. 371 pas de prussiate de potasse, dont les moindres traces nous auraient donné la coloration si caractéristique du bleu de Prusse. Maintenant, nous allons enlever la pince à pression, qui, placée sur la partie inférieure de la jugulaire gau- che, empêche le prussiate de potasse de pénétrer dans le torrent circulatoire. Un métronome battant la seconde nous sert à mesurer le temps. Nous présentons succes- sivement à la veine jugulaire droite des verres destinés à recueillir le sang qui s'en écoule; l'un y est placé 7 secondes, l'autre 14 secondes, le troisième 24 secondes après l'ablation de la pince. Dans le premier verre, qui contient le sang recueilli au bout de 7 secondes, nous voyons déjà se former au contact d'un sel de fer la cou- leur bleue caractéristique. Ainsi, au bout de 7 secondes après son entrée dans le bout central de la jugulaire gauche, le prussiate de potasse avait déjà fait le tour complet des cercles de la grande et de la petite circulation pour revenir par la veine jugulaire du côté droit. Pour le prussiate de po- tasse, le phénomène de transport demande donc moins de 7 secondes; car, pour arriver aux capillaires géné- raux, le trajet à parcourir est moins long de toute la distance qui sépare ces capillaires des gros troncs vei- neux ramenant le sang vers le cœur. D'ailleurs, ce chiffre de 7 secondes n'est pas même un minimum pour la durée d'un trajet circulatoire complet. Nous allons maintenant sur ce même animal répéter la même expérience, mais avec une substance toxique, et nous chercherons à constater, non plus l'apparition 372 APPAREIL CIRCULATOIRE. de cette substance clans le sang veineux revenant des capillaires généraux, mais l'apparition des symptômes d'empoisonnement. 5^ps et, permettez-moi l'expression, bien plus élégante que la section au moyen du scalpel. L'état de la grenouille curarisée persiste assez cle temps pour que nous puissions répéter sur elle l'expé- rience un nombre presque indéterminé de fois. Vous voyez que nous pouvons ici, sur le même animal qui nous a servi il y a un instant, mettre de nouveau enjeu la contractilité musculaire en agissant sur le muscle lui-même, tandis que l'excitation portée sur le nerf reste 408 DES POISONS DANS LE SANG. comme précédemment sans effet. Ce ne sont donc pas là des phénomènes fugaces; ils se prêtent longuement à l'analyse, et par eux la question de l'excitabilité hallé- rienne est bien définitivement tranchée. Mais ce poison qui vient de nous servir à distinguer si délicatement et à isoler les propriétés du muscle et du nerf va nous permettre de distinguer les nerfs entre eux, et, grâce à lui, nous pourrons pousser l'analyse bien plus loin qu'on ne le croirait possible à priori. Nous savons, par le résultat des mémorables vivisec- tions de Magendie, qu'il y a tout d'abord à distinguer deux espèces de nerfs à fonctions tout à fait opposées : les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs. Mais même pour établir cette distinction, la vivisection pure et simple ne saurait aller aussi loin que l'expérimentation instituée avec le curare comme instrument. Voici une grenouille intacte, mais empoisonnée par le curare ; l'animal est complètement immobile, inerte, parce qu'il est complètement paralysé. Cette gre- nouille paraît au premier abord ne pas sentir, mais nous ne pourrions juger du fait d'une sensation perçue par elle que par les mouvements réactionnels que pro- voquerait cette sensation ; or tout mouvement lui est impossible. Il semble donc difficile de constater quel est l'état des nerfs sensitifsc Cependant nous avons des récits d'individus qui, ayant été inoculés avec du curare, mais à un degré qui n'avait pas arrêté la respiration et avait, par suite, permis à l'individu de revenir à la vie, je veux dire au mouvement, ont pu raconter que pendant CURARE. 409 leur période de paralysie , ils avaient eu cependant conscience de leur existence et de toutes les impressions qui venaient exciter leurs sens. Il nous est facile de mettre une grenouille en état de nous révéler la per- sistance de sa sensibilité malgré l'empoisonnement curarique ; il nous suffit pour cela de placer un certain nombre de nerfs moteurs à l'abri du contact du poison, qui, ainsi que je l'ai montré, ne peut empoisonner les nerfs que par l'extrémité périphérique. Lorsque des excitations seront portées sur des parties paralysées, si les muscles dont les nerfs fonctionnent encore se con- tractent, il sera bien évident que les nerfs sensitifs des parties paralysées ont transmis à la moelle les impres- sions reçues par leurs extrémités périphériques. L'expérience que j'ai instituée à cet effet est deve- nue aujourd'hui classique : je vous en rends témoins afin de vous faire bien comprendre les précieux avan- tages que nous pouvons tirer de l'usage du curare comme instrument de vivisection. Nous plaçons sur une grenouille, au niveau du bassin, une ligature qui serre étroitement toutes les parties, moins les nerfs lombaires. Nous injectons alors quelques gouttes de curare sous la peau du train antérieur de l'animal; vous voyez bientôt cette partie immobile et que l'on croirait en apparence privée de sensibilité aussi bien que de mouvement. Cependant, dès que nous pinçons l'une des pattes antérieures, nous voyons le train pos- térieur, qui n'a conservé que par des nerfs ses con- nexions avec le reste de l'animal, nous voyons ces pattes postérieures s'agiter, l'animal sauter et s'efforcer d'ac- 410 DES POISONS DANS LE SANG. complir des mouvements de fuite. Il y a là un acte réflexe dont l'existence implique l'intégrité aussi bien des nerfs sensitifs du segment antérieur que des nerfs moteurs du segment postérieur. Nous avons donc pu avec le curare établir la distinction aussi délicate que possible des nerfs moteurs et des nerfs sensitifs. Mais nous pouvons faire bien plus encore ; nous pouvons, soit en employant des doses différentes de ce poison, soit en suivant attentivement les périodes suc- cessives d'un empoisonnement complet, distinguer les nerfs moteurs entre eux ; nous pouvons produire un degré d'empoisonnement dans lequel les nerfs volon- taires seuls sont atteints; à un degré plus élevé, nous paralyserons de plus les nerfs qui président aux mouve- ments réflexes involontaires de la respiration ; mais toute une série de nerfs moteurs aura encore conservé ses fonctions, comme nous pourrons nous en assurer en prolongeant la vie de l'animal par la respiration artifi- cielle. Ces nerfs sont les vaso-moteurs. Parmi les vaso- moteurs, les uns président à la dilatation, les autres au resserrement des vaisseaux. Eh bien ! c'est encore le curare qui nous permettra d'isoler chacun de ces ordres de nerfs vasculaires, car nous le verrons paralyser, c'est- à-dire supprimer les uns, avant d'entraver en rien la fonction des autres. Il est évident que la vivisection à l'aide de l'instru- ment tranchant serait impuissante à réaliser avec une telle précision des distinctions aussi nettes, des délimi- tations physiologiques aussi délicates. Ajoutons encore que l'action du curare se porte non-seulement sur les CL RARE. 411 vaso-moteurs proprement dits , mais que ce poison agit encore sur les nerfs de l'organe central de la circulation, sur les pneumogastriques et sur les nerfs du cœur. Tout ici est une question de dose : il en est, dans cette étude, de la dose de poison comme du degré de tempé- rature employé par les chimistes dans les distillations successives des substances complexes pour isoler divers corps volatiles confusément inclus dans un même mé- lange : à telle température, la distillation donne un tel produit; à une température plus élevée, tel autre produit. Vous savez que l'excitation du pneumogastrique a pour effet d'arrêter les mouvements du cœur. Le curare, qui abolit les fonctions des nerfs centrifuges, agit-il de même sur le pneumogastrique : les premières expé- riences tentées dans ce sens ont répondu tantôt par l'affirmative, tantôt par la négative. C'est qu'en effet il s'agit surtout de savoir quelle dose de poison a reçue l'animal. Voici une grenouille faiblement curarisée; son cœur bat régulièrement. Nous galvanisons les pneumo- gastriques à leur origine à la moelle allongée ; vous voyez le cœur s'arrêter : c'est ce que j'avais observé dès mes premières expériences sur l'action du curare. Voici d'autre part une seconde grenouille très-fortement curarisée ; son cœur bat régulièrement. Nous excitons les pneumogastriques : le cœur continue à battre. En faut-il conclure que l'expérimentation n'a rien de défini; que l'un peut observer la conservation de l'action des pneumogastriques, et l'autre l'abolition de cette action 412 DES POISONS DANS LE SANG, sous l'influence du curare ? Non, certes. Il en faut con- clure qu'à faible dose, ainsi que je l'avais fait dans mes premières expériences, le curare n'atteint pas encore le pneumogastrique; mais qu'à forte dose, ce poison se fait sentir jusque sur ces nerfs, dont dès lors l'exci- tation ne produit plus l'arrêt du cœur. Ainsi c'est en graduant rigoureusement les doses de poison que nous arriverons à cette forme presque idéale de vivisections, grâce auxquelles nous pourrons distin- guer, parmi les nerfs centrifuges et moteurs, des groupes divers dont les sections nous auraient à peine permis de soupçonner l'existence. Grâce au curare, nous distinguons donc aujourd'hui, dans l'intimité des tissus, les nerfs sensitifs des nerfs moteurs; dans les muscles, nous distinguons les nerfs vaso-moteurs des nerfs musculaires proprement dits. Parmi les nerfs vaso-moteurs, nous reconnaissons des nerfs vaso-moteurs constricteurs, des vaso-moteurs dila- tateurs. Le curare paralyse successivement tous les nerfs moteurs en commençant par les nerfs moteurs volontaires, et en finissant par les nerfs vaso-moteurs. La vivisection ordinaire, d'ailleurs, vérifie toutes ces distinctions que le curare établit à son tour d'une façon plus subtile. J'ai pu arriver dans mon expérience du grand sympathique à démontrer la propriété des nerfs vaso-moteurs de constriction, dans mon expérience de la corde du tympan, j'ai démontré la propriété des nerfs dilatateurs. Mais, ainsi que je l'ai déjà dit, ce ne sont pas là des exemples isolés de faits particuliers, ce sont des faits généraux. Dans toutes les parties de l'écono- CURARE. 413 mie, dans tous les organes, dans tous les tissus, il y a des nerfs constricteurs et des nerfs dilatateurs des vais- seaux; j'ai émis cette opinion et je la démontrerai quand je reprendrai ces expériences dont j'ai donné les premiers résultats il y a plus de vingt ans. Tels sont en résumé les résultats des analyses expé- rimentales que j'ai pu réaliser à l'aide du curare. Les faits sont faciles à voir et à constater ; leur exactitude n'a jamais été contestée par aucun expérimentateur, et il doit toujours en être ainsi, parce que les faits restent immuables quand ils sont bien observés ; seulement on peut varier sur les interprétations à leur donner et discuter sur les explications. C'est ce qui est en effet arrivé. J'ai déjà examiné ces diverses objections , et j'y reviendrai, s'il est nécessaire, dans le cours de nos études de critique expérimentale ; mais quelque divergence qu'il puisse exister entre les explications, il n'en reste pas moins prouvé, comme je l'ai établi : 1° Que le curare détruit l'action des nerfs moteurs sur les muscles et conserve celle des nerfs sensitifs sur la moelle épinière pour produire des actions réflexes comme à l'état normal. 2° Que le curare paralyse d'abord les nerfs de la vie animale, puis les nerfs vaso-moteurs, etc. , et c'est le seul point qu'il nous importe de bien fixer aujourd'hui. Nous avons dit qu'indépendamment des nerfs vaso- moteurs de deux ordres, nous avons encore à distinguer les nerfs musculaires proprement dits. J'ai établi ce fait pour les muscles des membres (1). J'ai établi aussi que (1) Voyez Claude Bernard, Recherches sur les nerfs vaso-moteurs et calo- rifiques {Compt. rend, de l'Académie des sciences, 1862). 414 DES POISONS DANS LE SiNG. pour la glande sous-maxillaire, il y a des nerfs vaso- constricteurs venant des ganglions sympathiques et des nerfs vaso-dilatateurs venant de l'axe spinal. C'est un fait général que je démontrerai pour tous les organes du corps à l'aide d'expériences encore inédites; mais y a-t-il dans les glandes salivaires, outre les deux ordres de nerfs vaso-moteurs, un nerf glandulaire ou sécréteur proprement dit? On pourrait croire qu'il en est ainsi. Heidenhain a injecté sur un chien une dose d'atropine suffisante pour paralyser tout à fait les filets du nerf sécréteur. L'excitation de la corde du tympan n'aurait plus déterminé alors la moindre sécrétion ; il y avait cependant alors une accélération du courant sanguin veineux qui ne différait pas essentiellement de celle qu'on observait avant l'empoisonnement par l'atropine. Ce fait fournirait la preuve la plus concluante que la sécrétion produite par l'excitation de la corde du tympan est entièrement indépendante des modifications qui ont lieu dans la circulation de la glande, et que, par suite, des fibres nerveuses seraient affectées d'une manière distincte à la sécrétion et à la circulation de cet organe . Ces faits ont trop d'importance pour que nous les admet- tions sans contrôle. Mais avant même de répéter sous vos yeux ces expériences délicates, je tenais à vous citer ces travaux comme un nouvel exemple de tout le parti qu'une expérimentation délicate est appelée à tirer de l'usage des poisons. Aux considérations générales pré- cédentes j'ajouterai encore une simple remarque, c'est que l'action du curare n'est au fond elle-même qu'une action physiologique. Les nerfs meurent par le curare ACIDE CYANHYDRIQUE. 415 comme ils meurent naturellement par simple soustrac- tion du sang à leur extrémité périphérique. A la suite du curare, je désire vous entretenir, d'une manière incidente, d'un autre poison qui peut faire l'étonnement des physiologistes, non-seulement par l'énergie de son action, mais aussi par la diversité que cette action offre chez des animaux différents. Nous aurons, à ce sujet, à écarter des croyances à une action merveilleuse, inexplicable, auxquelles pour- rait amener au premier abord la constatation de ces effets rapides et singuliers : je veux parler de l'acide prussique ou acide cyanhydrique. Ce poison est le plus violent, le plus dangereux que le physiologiste ait à manier : il suffit de déposer une goutte d'acide cyanhydrique anhydre sur la membrane conjonctive d'un cheval, pour voir en quelques secondes l'animal tomber comme foudroyé. Il suffît de faire une inspiration un peu vive sur un flacon contenant ce poison, pour en sentir aussitôt les terribles effets. Au- trefois j'ai failli être empoisonné pour avoir respiré trop énergiquement sur un verre qui contenait un cyanure dans lequel on avait ajouté un acide. Les pharmaciens et les chimistes ont parfois été victi mes de ce poison manié avec trop peu de précaution. Scheele serait mort, dit-on, pour avoir respiré accidentellement de l'acide cyanhydrique (1). L'acide cyanhydrique que uous allons employer aujourd'hui n'est pas tout à fait aussi dange- (l) Voyez A. N. Gendrin, Note sur l'empoisonnement de sept malades par l'acide hydrocyanique, et remarques sur les préparations ojaniques (Journ. génér. de méd. et de pharm., 1828, chap. m, p. 367). 416 DES POISONS DANS LE SANG. reux : c'est une solution aqueuse qui ne contient que 4/7e de substance toxique; néanmoins vous allez être témoins de ses effets foudroyants sur certains animaux. Voici un oiseau (verclier) dans le bec duquel nous laissons tomber une seule goutte de cet acide prussique : l'animal tombe, quelques convulsions se produisent; il est mort. Voici une grenouille sous la peau de laquelle nous injectons un demi-centimètre cube du même acide prusf sique, c'est-à-dire au moins 40 fois plus de poison que ce qui nous a suffi pour foudroyer un oiseau. Cepen- dant la grenouille continue à se mouvoir, elle saute; elle reprend sa pose naturelle; au bout de cinq minutes, elle paraît aussi vivante qu'il y a un instant. Dans quelques heures elle sera encore dans le même état. Que devons-nous dire en présence de deux résultats si différents en apparence? Penserons-nous qu'avec les animaux les effets des poisons sont complètement dis- semblables, et en conclurons-nous (ce qui, à mon sens, serait une hérésie physiologique) que d'une action obser- vée sur une grenouille nous ne pouvons rien conclure à ce qui pourra arriver sur un animal à sang chaud? Nous joindrons-nous enfin à ceux qui condamnent la physio- logie expérimentale et lui refusent toute portée dans la médecine, parce que, disent-ils, nous expérimentons sur des animaux, et qu'il n'est pas légitime de conclure des animaux à l'homme? Non, messieurs; nous analyserons plus exactement les phénomènes, et alors, sous une différence apparente, nous constaterons une similitude complète d'action ; ACIDE CYANHYDRIQUE. 417 mais les mécanismes ne sont pas atteints de môme. La grenouille, surtout pendant l'hiver, présente, lorsque la respiration ou la circulation sont interrompues par l'extirpation du cœur, par exemple, pendant longtemps encore les apparences de la vie, non-seulement par la conservation des propriétés de ses tissus, mais aussi par la conservation des mouvements harmoniques de sa sensibilité, de sa volonté. Un oiseau ou un mammifère, au contraire, meurent dès que la respiration ou la cir- culation s'est arrêtée, et c'est certainement sur l'un de ces deux appareils essentiels que l'acide prussique porte son action, comme nous le dirons bientôt. La rapidité foudroyante avec laquelle l'acide eyan- hydrique agit sur les animaux à sang chaud est assez difficile à comprendre. Nous savons, par les expériences dont vous avez été témoins dans les leçons précédentes, combien sont rapides les phénomènes de transport, mais cette rapidité semble encore insuffisante pour expliquer les effets foudroyants du poison. A une époque où les hypothèses ingénieuses tenaient, en physiologie, plus de place que les expériences, nous voyions ces effels expli- qués par un reflux du sang veineux, comme si un cou- rant en retour était capable de revenir vers les éléments anatomiques plus rapidement que le torrent sanguin suivant sa direction normale. « J'ai enfin découvert, disait P. Bérard (1), en parlant des animaux foudroyés par une goutte d'acide prussique portée sur la conjonc- tive, j'ai enfin découvert l'explication de ce phénomène (1) P. Bérard, Cours de pliysiologie. Paris, 1819, t. Iî, p. 661. CL. Bernard. — Physiol. opér. 27 418 DES POISONS DANS LE SANG. nouveau. Le sang de la conjonctive ne revient qu'en très-petite partie par la veine faciale ; il entre à plein canal, par la veine ophthalmique, dans le sinus caver- neux. Admettez le plus petit mouvement de reflux et le sang chargé de principes délétères va pénétrer les parties les plus importantes du centre nerveux. » Il suffit, pour juger l'hypothèse, de montrer l'extension exagérée et inadmissible que lui donne son auteur. « Ce reflux, continue plus loin P. Bérard, que je vous ai montré borné aux veines afférentes aux sinus inférieurs du crâne, se fait certainement sur une plus grande échelle. De l'acide prussique anhydre est instillé dans la veine jugulaire d'un animal. Il est tué comme s'il eût été frappé d'un boulet de canon. Reconnaissez le reflux du sang chargé de poison, ou renoncez à la théorie de l'empoisonnement. Une goutte d'acide prussique con- centrée est mise sur la langue d'un chien ; il fait rapi- dement trois inspirations et tombe mort. C'est dans les veines jugulaires que l'absorption a d'abord porté une partie du poison, et tout s'est passé ensuite comme dans les cas précédents. » Nous devons avouer que, dans l'état actuel de nos connaissances, la rapidité de cette action a quelque chose d'embarrassant. Sans doute le poison agit d'une manière complexe : il fait sentir ses effets sur le bulbe, comme du reste sur tout l'axe gris de la moelle ; c'est ce que tendent à démontrer les nombreuses recherches de Preyer (1). Peut-être l'acide cyanhydrique agit-il (1) Voyez W. Preyer, Die Blausaure, phijsiologisch. Untersuch. Bonn, 1870, II(; part., p. 145. ACIDE CYANHYDRIQUE. 449 sur les centres réflexes par l'intermédiaire direct des nerfs sensitifs ; j'examinerai d'une manière particulière cette question. Mais il est des expériences montrant qu'en même temps il agit sur le sang, sur le globule rouge, et cette action serait jusqu'à un certain point à com- parer à celle de l'oxyde de carbone. C'est ce que mon- trerait l'analyse spectrale : l'hémoglobine formerait avec l'acide prussique une combinaison cristallisant sous la même forme que l'hémoglobine oxygénée, et dont le spectre serait tout à fait semblable à celui que donne cette dernière. Cette combinaison est modifiée par les agents réducteurs. Nous devons dire que nous n'avons pas réussi à vérifier ces résultats publiés par quelques auteurs. Dans tous les cas, cette action de l'acide prussique sur le sang ne nous paraîtrait pas de nature à expliquer la mort dans le cas où l'animal est foudroyé par une goutte d'acide anhydre placée sur la conjonctive. Nous n'insisterons pas sur ces différentes questions qui demandent de nouvelles recherches : toujours est-il que l'acide prussique est toxique pour tous les êtres de l'échelle organique ; il tue même les végétaux : la sen- sitive perd son irritabilité par son contact. Parmi les animaux, ce sont ceux à sang chaud qui en ressentent le plus vivement les atteintes. Chez eux, la mort est instantanée. Lorsqu'on fait respirer l'acide anhydre ou qu'on le dépose sur la conjonctive ou dans la bouche, après quatre ou six secondes l'animal fait quelques inspirations larges et profondes, pousse des cris vio- lents, se roidit et meurt. La circulation et la respiration 420 DES POISONS DANS LE SANG. s'arrêtent, la sensibilité paraît être atteinte, et les ani- maux périssent comme s'ils étaient tués par l'excès de la douleur, qui épuiserait la sensibilité et arrêterait dans le bulbe les facultés respiratoires ou circulatoires, et cela d'autant plus énergiquement que l'animal est plus sensible. Nous pouvons prouver notre proposition ou notre hypothèse par une expérience très-curieuse. Nous chloroformisons un anima! (chien ou lapin), et lorsque l'anesthésie est complète, si l'on fait respirer ou si l'on injecte sous la peau, ou même dans les veines, de l'acide prussique en quantité suffisante pour tuer l'animal, il en ressent beaucoup moins les effets appa- rents tant qu'il est sous l'influence de l'anesthésie com- plète; car si l'anesthésie est incomplète, il éprouvera, à des degrés divers, les effets toxiques qui ne sont pas neutralisés d'une façon absolue. Quant à l'action intérieure du poison, ses effets sont masqués au moins dans leur manifestation extérieure relativement à la sensibilité et à la douleur; si le poison aie temps de s'évaporer, alors l'animal peut n'en ressentir aucune- ment les effets. L'animal anesthésié à sansr chaud est alors devenu plus ou moins semblable à l'animal à sang froid. Toutefois nous avons vu l'acide prussique anhydre déposé sur la conjonctive chez un animal anesthésié pro- duire la mort rapidement, tandis que l'action du poison était bien moins énergique ou nulle quand l'acide était déposé sous la peau du dos, par exemple. Ainsi ce n'est pas en étudiant l'effet général des poi- sons que nous pourrons acquérir des notions exactes sur ACIDE CYANHYDRIQUE. 42 leur mode d'action ; que le poison tue ou ne tue pas l'animal, qu'il le laisse survivre quelques secondes ou quelques heures, ce sont là des faits pour ainsi dire accessoires. Cette proposition pourrait paraître au moins singulière; elle est cependant exacte, car c'est seule- ment en pénétrant plus avant que nous pourrons com- prendre ces anomalies suivant certains animaux, et les expliquer et nous en rendre maîtres. Permettez- moi de vous citer encore un exemple de ces diversités d'effets de mêmes lésions chez les animaux différents. Si l'on coupe, par exemple, le nerf moteur de la face des deux côtés, chez un chien ou chez un lapin, Tanimal a la face paralysée, mais il n'en résulte rien de fâcheux pour sa vie. Si au contraire on pratique la même opération chez le cheval, il meurt très-rapidement après la section des deux nerfs. Pourquoi cette différence? Parce que les naseaux membraneux du cheval, étant paralysés, ne peuvent plus laisser passer l'air, et que le cheval, ne pouvant respirer que par les narines et non par la bouche, asphyxie après cette opération. Cepen- dant il serait absurde de dire que la section du facial produit des effets différents. C'est toujours une paralysie et pas autre chose. Seulement chez le cheval l'appareil respiratoire présente une disposition spéciale qui donne à cette section un résultat différent et bien plus grave. Mais dès que l'on comprend le mécanisme de ce phéno- mène, on peut y remédier en mettant des tubes rigides dans les naseaux de l'animal, et alors la suffocation n'a plus lieu, et le cheval survit comme le chien etle lapin à la section des deux nerfs faciaux. 422 DES POISONS DANS LE SANG. Ainsi la simple observation empirique ne nous apprend rien ou nous trompe, si nous ne cherchons pas à pénétrer plus avant. Il faut chercher sur quel tissu, sur quel organe a agi le toxique, et l'on verra que dans tous les cas, chez tous les animaux, cette action élémentaire est la même, qu'elle diffère seulement, quant à ses effets sur l'organisme général, selon quelques circonstances accidentelles ou selon que l'élément ou l'organe atteint arrête, par sa suppression même, l'har- monie du jeu général de la vie de l'être animé. A propos de l'action spéciale du poison sur les élé- ments ou les organes, je dois vous mettre en garde contre des tendances qui frapperaient le plus souvent de stérilité nos recherches pour déterminer le lieu où le poison a porté ses effets mortels. On s'imagine à priori que, dans le mécanisme organique qui constitue la vie de l'animal, il doit y avoir, toutes les fois que la mort arrive par l'effet d'un poison ou de toute autre cause, il doit y avoir une lésion matérielle visible, une désorga- nisation tangible; on cherche avec ardeur, permettez- moi l'expression, le rouage cassé. Telle est la tendance actuelle des études d'anatomie pathologique; mais cette science porte trop souvent à faux, même dans les cas où elle constate des lésions. Dans un grand nombre de cas, les lésions tangibles observées ne sont que des lésions concomitantes dans lesquelles on ne peut qu'artificiel- lement placer le mécanisme de la mort. En effet, les causes delà mort ne laissent le plus sou- vent aucune trace anatomique, puisque nous pouvons, par des artifices expérimentaux, faire revenir à la vie ACIDE CYANHYDRIQUE. 423 un animal qui vient de succomber à l'empoisonne- ment. Pour le curare, par exemple, il est bien évident que par l'action mortelle de ce poison il n'y a rien eu d'anatomiquement détruit. Quand nous tuons un animal par la section du bulbe au contraire, l'autopsie nous révèle ensuite nettement le traumatisme subi par la partie supérieure de la moelle ; mais aussi il nous est impossible, du moment que le bulbe est sectionné, de sauver la vie de l'animal et de faire disparaître la lésion que nous avons produite. Au contraire, lorsqu'un ani- mal succombe à l'action d'un poison, du moment que nous pouvons, au plus fort de cette action, le mettre en état, comme vous l'avez vu à plusieurs reprises pour le curare, de survivre à cette action et d'éliminer le poi- son, il est évident qu'il n'y a pas eu de lésion anato- mique, car du moment qu'une lésion de ce genre existe, elle est irréparable. Il n'y a eu qu'un arrêt de fonction : c'est ainsi que, par exemple, nous pouvons arrêter un mécanisme d'horlogerie en arrêtant le balancier, sans rien léser dans la série des ressorts et des engrenages; mais si nous brisons une pièce quelconque, par le fait même de la destruction de cette partie, le mouvement est définitivement arrêté dans toute la machine sans que nous puissions la remettre en jeu. Je n'insiste pas sur ces idées que j'ai développées déjà bien souvent devant vous en vous parlant de l'in- suffisance de l'anatomie pathologique pour expliquer les maladies, et je vous répéterai ici un mot que je vous ai déjà dit : que l'anatomie n'est, par rapport aux phéno- mènes de la vie, que ce que serait la géographie par 424 DES PGISOISS DANS LE SANG. rapport à l'histoire. En effet, nos connaissances anato- miques ne sont que de la topographie appliquée à l'his- toire des fonctions ou des maladies, ou en d'autres termes, si l'anatomie localise le phénomène, elle est insuffisante à l'expliquer. Ces considérations me sont suggérées par l'étude même de l'action de l'acide prussique. Sous l'influence des idées anatomo-pathologiques, on a voulu trouver des lésions anatomiques pour tous les empoisonnements ; on en a même décrit pour celui qui nous arrête en ce mo- ment : on aurait trouvé les cellules des centres nerveux dilacérées, et par cela même incapables de remplir désormais leurs fonctions. Mais ce sont là de pures vues de l'esprit, ou plutôt encore les résultats des méthodes défectueuses mises en usage pour étudier les éléments anatomiques des centres nerveux, et vous savez com- bien cette étude microscopique est délicate. Mais une recherche attentive et faite avec les précautions voulues ne devra révéler aucune lésion visible dans les cellules nerveuses d'un animal venant de succomber à l'empoi- sonnement par l'acide cyanhydrique, puisque nous pou- vons, si nous voulons, ramener l'animal à la vie. Aussi la médecine légale, qui a tant d'intérêt à révéler la cause et le mécanisme de la mort, n'a-t-elle, dans les cas de ce genre, d'autre moyen de parvenir à son but que de retrouver le poison lui-même, et non la. lésion anatomique. En réalité, beaucoup d'empoisonnements n'ont pas d'anatomie pathologique. L'acide prussique est dans ce cas: car, nous le répétons, nous avons pu faire fréquem- ACIDE CYANHYDRIQUE. 425 ment revenir à la vie des chiens qui avaient été empoi- sonnés par l'acide prussique, dont la respiration était arrêtée, non par une lésion anatomique réelle, mais par une sorte d'inertie survenue dans le jeu du mécanisme. Nous nous sommes servis pour cela d'un courant élec- trique que nous faisions passer de la bouche à l'anus. Sous cette influence, les battements du cœur se réveil- laient, les mouvements respiratoires finissaient par se rétablir, et l'animal, revenu, ne présentait plus rien de son état antérieur; il mangeait et était clans un état parfait de santé. Nous avons fait revenir trois fois, de cette manière, un gros chien qui avait été empoisonné par des doses considérables d'acide prussique. Donc, chez ce chien, on ne pouvait pas admettre des éléments brisés ou des lésions anatomiques profondes; sans cela il ne serait pas revenu. Toutefois nous ajouterons qu'il faut avoir affaire à des animaux vigoureux, car des animaux affai- blis n'offrent pas les mômes ressources. En effet, j'ai prouvé autrefois que toutes les douleurs, même légères, retentissent sur le cœur et ont pour premier effet de l'arrêter. Il y a clone toujours en réalité tendance à la production d'une syncope. Seulement cet arrêt du cœur chez un animal vigoureux est aussi lot suivi de la reprise et de la continuation des battements du cœur, et la cir- culation n'en souffre pas sensiblement; mais si l'animal est affaibli, l'arrêt du cœur peut être définitif et pro- duire une syncope mortelle. C'est ainsi que Chossat pro- duisait la mort subite en pinçant la patte chez des tour- terelles très-affaiblies par l'abstinence. Dernièrement, 426 DES POISONS DANS LE SANG. M. Tarchanoff a montré que chez des grenouilles dont le mésentère avait été irrité au contact de l'air on pro- duisait cet arrêt du cœur en excitant très-légèrement la surface du mésentère enflammé et devenu plus sensible. C'est dans ce même ordre d'idées qu'il faut examiner la question si importante des contre-poisons. Lorsque l'on voit deux agents toxiques neutraliser, en apparence, leurs effets, si l'on suppose que ces effets ont pour cause une lésion anatomique, on est forcément amené à pen- ser que, par le fait même de l'administration simul- tanée des deux agents, les lésions anatomiques ne se sont pas produites, les deux agents s'étant neutralisés dans le milieu intérieur, absolument comme une base neutralise un acide. Cette manière de voir est partagée par plus d'un médecin ; mais ce n'est pas ainsi que se passent les choses dans la plupart des cas. Nous n'ad- mettons pas cette prétendue neutralisation, cet anta- gonisme des poisons, parce qu'aucun fait expérimental ne nous l'a démontré. Tout ce que nous avons vu nous a fait penser que les poisons ne se neutralisent pas, que chacun produit son effet propre, et que ces effets se superposent. Il peut résulter de cette superposition d'ef- fets des conditions nouvelles pour l'organisme, condi- tions qui lui permettront d'éliminer les poisons, et, par suite, de survivre à l'intoxication. En effet, nous ne connaissons jusqu'à présent qu'une manière de neutraliser un poison, c'est de le chasser de l'organisme. Vous l'avez vu pour le curare. 11 en est de même pour la strychnine. On a beaucoup insisté, à l'ap- CURARE ET STRYCHNINE. 427 pui cle la théorie de la neutralisation des poisons les uns par les autres, sur ce fait : que le curare peut empêcher la mort des animaux empoisonnés par la strychnine. Si nous examinons exactement les faits, c'est-à-dire les propriétés de chacun des poisons, nous voyons que le curare, en produisant un degré plus ou moins prononcé de paralysie des muscles dans lesquels la strychnine, par son action médullaire, tendrait à faire éclater des convulsions, permet à l'organisme de gagner du temps, et, par suite, à l'élimination cle la strychnine de se pro- duire avant qu'elle ait pu amener la mort. En outre, le curare, en activant la circulation, favorise à un haut degré cette élimination. Puisque dans ce cas, sous l'influence du curare, l'ani- mal revient d'un empoisonnement strychnique auquel il aurait succombé dans toute autre circonstance, il est bien évident que la strychnine n'a rien détruit, n'a rien brisé dans la structure des éléments anatomiques sur lesquels elle fait sentir son action. Nous en revenons donc à ce fait d'une double importance, à savoir, que les poisons, et par leurs actions isolées, et par leurs actions combinées, nous présentent des moyens de vivisection infiniment plus délicats que ceux réalisés par les instru- ments tranchants et par les autres moyens de destruc- tion, puisque, avec les premiers seulement, nous pouvons tour à tour, à notre gré, supprimer et faire réappa- raître les fonctions des organes et des éléments que nous devons étudier. A ce propos, j'ajouterai encore quelques mots relative- ment à l'action comparée du curare et de la strychnine. 428 DES POISONS DANS LE SANG. Le curare agit sur le nerf moteur en atteignant sa périphérie, et il l'épuisé de façon à faire mourir le nerf, selon sa mort naturelle, du centre à la périphérie. Le nerf sensitif reste au contraire parfaitement intact, comme je vous l'ai montré dans une expérience aujourd'hui clas- sique. Cette action du curare surle nerf moteur, et non sur le nerf sensitif, nous montre, comme je vous l'ai déjà dit, que ces deux nerfs sont distincts, puisqu'un poison arrête les fonctions de l'un et pas celles de l'autre. Mais, pour nous rendre compte de cette action du curare, qui tou- che le nerf par la périphérie et le rend inactif à son centre, nous sommes porté à admettre que les fonctions du nerf moteur sont le résullat de vibrations dont le centre vibratoire est à la périphérie et qui s'étend, dans l'état fonctionnel, du muscle à la moelle épinière. Ces vibrations, ayant leur centre ou leur point de départ dans l'extrémité nerveuse musculaire (plaque motrice?), s'éteignent graduellement quand le curare touche cette extrémité, en commençant tout naturellement à dispa- raître dans les points les plus éloignés de leur centre d'irradiation, c'est-à-dire dans la moelle épinière. C'est ce qui a lieu en effet : quoique le curare rende le nerf d'abord inactif à son extrémité centrale, il n'agit pas pour cela sur la moelle épinière. La strychnine, au contraire, agit essentiellement sur la moelle épinière, ainsi que tout le monde le sait de- puis Magendie. Cette action du poison excite des con- vulsions et épuise rapidement les propriétés de réaction réflexe des nerfs de sensibilité et de mouvement. Le nerf moteur peut être épuisé; mais alors il est atteint CURARE ET STRYCHNINE. 429 par l'action de la moelle épinière sur lui, et, chose re- marquable, j'ai trouvé qu'on peut, dans certains cas, faire revenir les propriétés du nerf en le séparant de la moelle épinière. Ainsi, vous le voyez, l'action de la strychnine est toute différente de celle du curare, et elle pourra aussi nous servir d'instrument d'investigation dans l'étude du système nerveux. Je borne là, messieurs, les considérations que j'avais à vous donner sur cette question des poisons considérés comme instruments d'investigation physiologique; c'est un des sujets les plus intéressants pour la physiologie et pour la médecine. Il y a vingt ans, j'ai fait ici mes cours sur les substances toxiques et médicamenteuses, dans les- quels j'ai développé les mêmes idées que je vous expose encore aujourd'hui. Je crois que ces principes ont ou- vert une voie féconde ; mais je n'ai pas eu la prétention d'avoir fermé le sujet et arrêté la science sur ce point. J'ai l'intention de revenir plus tard sur ce sujet, et je reprendrai ces mêmes études avec l'expérience que m'auront donnée des recherches encore inédites, ainsi que les travaux d'autres expérimentateurs. DIX-NEUVIÈME LEÇON SOMMAIRE : De la respiration artificielle comme moyen d'analyse physiolo- gique. — , Effets mécaniques de l'insufflation pulmonaire. — De l'apnée produite par la respiration artificielle. — De l'oxyde de carbone comme moyen d'analyse physiologique. — Recherche du mode d'élimination do l'oxyde de carbone. — Nouvelles expériences. Messieurs, Parmi les moyens qui nous permettent de réaliser ce que nous pouvons appeler une sorte de dissection des phénomènes physiologiques, je dois attirer particulière- ment votre attention sur un moyen que nous employons très-souvent, et dont un laboratoire bien installé doit avoir les appareils prêts à entrer en jeu au premier besoin : je veux parler de la respiration artificielle . Vous savez que lorsque nous disons qu'un animal est mort, cela signifie le plus souvent que cet animal se trouve dans un état de rupture d'équilibre entre ses diverses fonctions, tel que, cet état persistant, la vie s'éteindra successivement dans les divers éléments ana- tomiques : l'animal ne reviendra plus à la vie, si Ton n'aide pas artificiellement au rétablissement de l'équi- libre; mais la mort n'est pas tout de suite absolue et complète. Tel animal dont la respiration est arrêtée présente en apparence tous les symptômes de la mort, RESPIRATION ARTIFICIELLE. 431 et cependant ses éléments de tissus vivent encore, et il suffira de ramener les échanges gazeux, supprimés par la cessation de la respiration, pour que cette vie latente se manifeste par ses phénomènes extérieurs. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'expression de rappeler à la vie, de ranimer un animal mort eu apparence, et qui de fait ne recouvrerait pas spontanément l'équilibre physiolo- gique rompu; c'est ainsi que de tout temps on s'est efforcé de rappeler à la vie les individus noyés ou as- phyxiés. Mais, pourque ces moyens puissent réussir, il faut avant tout que les dernières actions réflexes ne soient pas éteintes ; sans cela, le retour à la vie serait im- possible. Or, de tous les moyens dont se sert le médecin dans les circonstances indiquées, aussi bien que le physiolo- giste clans les circonstances nouvelles créées par l'expé- rimentation, de tous les moyens employés pour rappeler les animaux à la vie, le plus précieux et le plus employé est sans contredit la respiration artificielle. Vous nous l'avez vu appliquer sur les animaux curarisés, et nous avons pu ainsi mettre ces animaux dans des conditions où s'est effectuée l'élimination du poison, de sorte que nous les avons vus revenir à la vie. Nous avons pu alors établir que les animaux curarisés sont tués non par le curare, mais par l'asphyxie : le poison n'est pas l'agent immédiat de la mort; en supprimant le jeu de tous les muscles, et par suite celui des muscles de la respiration, il arrête l'une des fonctions les plus indispensables, et l'asphyxie devient la cause immédiate delà cessation de la vie. Mais que l'on s'oppose à l'asphyxie, que la respi- 432 DES GAZ DANS LE SANG. ration artificielle soit pratiquée aussi longtemps que l'animal ne peut lui-même dilater et resserrer son thorax, et vous verrez la vie se continuer, pour repren- dre bientôt toute son intégrité et toutes ses apparences extérieures par le retour de la respiration spontanée. Dans ce cas, le curare n'aura donc pas tué l'animal, et si l'on a affaire à des animaux inférieurs, dont la respi- ration se fait à l'air par toute la surface du corps, le curare ne les tue pas non plus. Il est une infinité de cas identiques avec l'exemple que je viens de vous citer, et dans lesquels la respira- tion artificielle nous est très-précieuse en nous permet- tant de distinguer la subordination de certains phéno- mènes, d'étudier isolément certaines propriétés de tissus ou d'organes, de faire, en un mot, l'analyse physiolo- gique. Ce retour à la vie des animaux empoisonnés, par la respiration artificielle, prouve, ainsi que je vous l'ai déjà fait remarquer, que les lésions produites n'étaient que passagères et fugaces, que par conséquent l'anatomie pathologique, quoique perfectionnée par le microscope, est bien loin de saisir dans les tissus les causes immé- diates de la mort. Dans les Leçons préliminaires (ci-dessus, page 224) sur les appareils qui constituent l'arsenal du labora- toire, je vous ai donné la description détaillée des appareils employés pour pratiquer la respiration arti- ficielle ; je vous en rappellerai donc simplement le principe général. La respiration artificielle peut se pratiquer de plusieurs manières : sur des noyés, en l'absence de toute instru- RESPIRATION ARTIFICIELLE. 433 mentation spéciale, on a pu la pratiquer simplement de bouche à bouche: l'air ainsi insufflé clans le thorax con- tient encore assez d'oxygène pour suffire à un commen- cement d'hématose. Je n'ai pas besoin d'insister sur l'imperfection de ce procédé primitif. En physiologie, nous faisons pénétrer l'air par le mécanisme d'un soufflet, plus ou moins modifié, qui aspire l'air extérieur, puis le chasse dans le poumon de l'animal (voy. ci-dessus les fig. 63 et 64, p. 225 et 227) . Le mécanisme de cette respiration artificielle est précisément l'inverse de ce qui se passe dans la res- piration naturelle; les conditions de pression sont inter- verties : dans la phase de pénétration, l'air, au lieu d'être aspiré par le jeu de la cage thoracique, vient, en vertu de la tension propre qui lui est communiquée par le soufflet, dilater activement le poumon et le thorax. Quant à l'expiration, elle se fait toujours par la réac- tion élastique du thorax et clu poumon, qui reviennent à leurs dimensions premières et expulsent l'air introduit. Il serait certainement préférable de réaliser une res- piration artificielle dont les conditions mécaniques se rapprocheraient davantage de ce qui se passe normale- ment. Par des pressions exercées méthodiquement et à intervalles égaux sur le thorax, on a bien essayé de simuler le jeu normal de la respiration, de même que par le soulèvement des bras. Mais les résultats ainsi ob- tenus sont insuffisants et ne produiraient, surtout au point de vue de nos expériences de longue durée, qu'une aération imparfaite du poumon. On a également essayé de reproduire les mouvements inspiratoires par la gai- cl. Bernard. — Physiol. opér. 28 434 DES GAZ DANS LE SANG. vanisation des nerfs, et notamment du nerf phré- nique; mais ici encore nous ne saurions nous contenter de ce moyen, lorsque nous avons à reproduire sur un animal, non pas quelques inspirations, mais le jeu complet du thorax pendant douze ou même vingt-quatre heures. Nous devons donc accepter la respiration artificielle par insufflation, quoiqu'elle renverse certaines condi- tions mécaniques très-importantes au point de vue des pressions alternatives supportées par les organes et les liquides du thorax. Il nous suffira de savoir faire exacte- ment, dans nos expériences, la part de ces conditions nouvelles. Et nous allons d'abord examiner, au point de vue de la vie de l'animal, quels sont les dangers que présente la respiration artificielle ainsi pratiquée. Ces dangers sont des résultats purement mécaniques de conditions nouvelles introduites dans le jeu du poumon. Ainsi on a dès longtemps remarqué qu'en cher- chant à conserver la vie d'un homme ou d'un animal par la respiration artificielle, on n'était arrivé trop sou- vent à d'autre résultat qu'à produire plus rapidement la mort. Il y a donc là certains accidents à prévenir, certaines conditions à observer. En effet, une insufflation trop brusque et trop vio- lente peut amener une rupture des vésicules pulmo- naires, et par suite un emphysème interstitiel. Tous les animaux ne sont pas également exposés à ces déchirures, et les conditions d'âge ne sont pas sans importance. Plus l'animal est jeune, plus l'accident est facile. Chez le lapin, le poumon est plus friable que chez le chien : RESPIRATION ARTIFICIELLE. 435 rien n'est plus délicat, à ce point de vue, qu'un jeune lapin ; un chien âgé est au contraire l'animal chez lequel l'insufflation peut être le plus hardiment pratiquée. Ces considérations ne s'appliquent pas seulement à la simple question de l'étendue et de l'énergie que l'on pourra donner à la respiration artificielle dans nos ma- nœuvres de laboratoire ; elles nous permettent de nous rendre compte d'une question qui a longtemps divisé les expérimentateurs, et dont la solution n'a été retardée que parce qu'on ne s'était pas attaché à bien déterminer les susceptibilités particulières que peuvent présenter les animaux précisément au point de vue de la friabilité, de la vulnérabilité de leur, tissu pulmonaire. Vous savez que les animaux, chien ou lapin, succombent fatalement à la section bilatérale des pneumogastriques : dans ces conditions, on trouve toujours, à l'autopsie des jeunes lapins, une hépatisation considérable du tissu pulmo- naire; il en est de même si l'on a expérimenté sur de jeunes chiens. Cette lésion pulmonaire est-elle la cause de la mort? Oui, sans doute, pour ces animaux en particulier; mais il n'est pas permis cependant de conclure que l'hépa- tisation pulmonaire soit le mécanisme général de la mort après section des nerfs vagues. Les jeunes ani- maux soumis à cette opération ont les poumons d'une friabilité telle, que les circonstances mécaniques nou- velles et les accidents amenés par la section nerveuse ont bientôt produit des désordres pulmonaires mortels; mais ce sont là des conditions spéciales. Chez les ani- maux âgés, et surtout chez les vieux chiens, ces clésor- 436 DES GAZ DANS LE SANG. dres sont bien plus lents à se produire, et chez ces ani- maux ayant subi la section des pneumogastriques, avant que ces désordres aient atteint une intensité mortelle, la mort se produit, même parfois sans aucune lésion pul- monaire, par un mécanisme que j'ai étudié autrefois et dont les éléments sont du reste complexes. Indépendamment des accidents mécaniques que peut produire la respiration artificielle, on peut observer des phénomènes singuliers qui se rattachent au fait de l'introduction d'une quantité relativement considérable d'oxygène dans le sang. La respiration artificielle, fai- sant pénétrer l'air avec plus de force dans le poumon, dépasse pour ainsi dire les besoins de l'hématose nor- male : l'échange gazeux devient très-considérable entre le sang et l'air des alvéoles, surtout si cet air est rapi- dement renouvelé; le sang se trouve par suite bientôt très-riche en oxygène et très-pauvre en acide carbo- nique. C'est alors que se produit le phénomène singu- lier désigné sous le nom d'apnée, ou sensation du besoin de respirer. Il arrive en effet que, sur des animaux intacts, c'est- à-dire normaux et respirant spontanément, si l'on pra- tique la respiration artificielle, après avoir vu les mou- vements normaux et les mouvements artificiels de la respiration se mêler et se contrarier pendant un certain temps, on assiste en définitive à une cessation complète des mouvements spontanés. Dans la respiration artifi- cielle pratiquée chez un animal curarisé, nous avons observé quelquefois ce phénomène; mais nous n'avons pas pu l'observer chez des chiens empoisonnés par RESPIRATION ARTIFICIELLE : APNÉE. 437 l'oxyde de carbone ou par la strychnine; nous n'avons pas vu les convulsions cesser d'une manière constante. Pour expliquer ce singulier phénomène d'apnée, on admet que le centre nerveux qui préside aux mouve ments respiratoires, placé dans le bulbe, entre en action, soit d'une manière réflexe, par les impressions que lui apportent les nerfs sensitifs, soit d'une manière directe, par des excitations qui portent immédiatement sur lui. C'est le sang qui, selon son contenu de gaz (oxygène et acide carbonique), produit sur le centre respiratoire celte excitation directe. Mais les discussions les plus complexes se sont élevées, et les expériences en appa- rence les plus contradictoires ont été mises en avant, lorsqu'il s'est agi de déterminer exactement les condi- tions qui donnent au sang ses propriétés excitantes sur le centre bulbaire. S'il arrive, dit-on, une grande quantité d'oxygène dans le sang, la respiration se ralentit : un animal auquel on fait une respiration artificielle active (plus de seize à vingt fois par minute, ce qui est le chiffre normal des mouvements respiratoires chez le chien), soit avec de l'air, soit, mieux encore, avec de l'oxygène, suspend bientôt toute tentative de respiration spontanée (apnée). D'autre part, si l'on fait respirer à un chien un air fortement chargé d'acide carbonique, il se manifeste des mouvements respiratoires violents; le centre respi- ratoire bulbaire est fortement excité : il y a dyspnée. Il semble donc, d'après ces premières données, que l'acide carbonique du sang est, par le fait de son con- tact avec les cellules du centre respiratoire, l'agent 438 DES GAZ DANS LE SANG. même de leur excitation. Mais dans le fait de la respi- ration d'un air ordinaire fortement chargé d'acide car- bonique, il y a deux éléments à distinguer : 1° excès d'acide carbonique; 2° diminution relative et toujours croissante d'oxygène. Est-ce à l'excès d'acide carbonique ou au manque d'oxygène qu'est due, dans la dyspnée, l'excitation des centres respiratoires? La solution de cette question, si elle est possible, nous permettrait, en invoquant le mécanisme inverse, de nous expliquer le phénomène inverse, c'est-à-dire l'apnée, qui peut résul- ter de la respiration artificielle. Les premières expériences faites dans ce sens sont celles de M. Wilh. Muller. Ce physiologiste a observé qu'un chien peut respirer une atmosphère très-chargée d'acide carbonique sans présenter de dyspnée, pourvu que cette atmosphère soit en même temps plus riche en oxygène que l'air ordinaire. Cela n'est pas absolu, car j'ai vu, il y a longtemps, qu'un animal succombe dans une atmosphère composée à parties égales d'oxygène et d'acide carbonique. Ce serait donc moins la présence de l'acide carbonique que l'absence ou l'insuffisance d'oxy- gène qui produit la dyspnée. Quant à l'état contraire, l'apnée, il serait produit, conclut le même physiologiste, non par l'absence d'acide carbonique, mais par l'excès d'oxygène. L'acide carbonique et l'oxygène devraient jouer dans le sang des rôles bien différents. D'après des expériences que je n'ai point encore publiées et qui ne peuvent trouver place ici, je pense que l'oxygène serait au contraire un gaz excitateur fonctionnel des organes, tandis que l'acide carbonique est un excitateur de la RESPIRATION ARTIFICIELLE : APNÉE. 439 nutrition organique. Quoi qu'il en soit, il fallait, pour éclaircir cette question complexe, étudier séparé- ment l'influence de l'absence d'oxygène, d'une part, et, d'autre part, l'influence de l'absence de l'acide carbonique. C'est ce qu'a essayé de faire Rosen thaï; nous verrons s'il y a réussi, et si ces deux éléments du problème peu- vent en effet être ainsi expérimentalement isolés, ou s'ils ne sont pas, par la nature même des choses, liés l'un à l'autre, comme corrélatifs d'un seul et même phé- nomène chimique. Rosenthal fît respirer des chiens dans de l'hydrogène pur (Arch. de Reichert et de Rois-Reymond, années 1864 et 1865), et observa que, dans ces circonstances, la mort, qui arrive fatalement si l'expérience est continuée, est précédée, non des symptômes à' apnée, mais bien de ceux de dyspnée. Donc, disait-il, la dyspnée est produite parle manque d'oxygène; l'apnée est inversement la consé- quence d'une suroxygénation du sang. L'acide carbo- nique ne serait, en aucune manière, fadeur dans les symptômes d'apnée et de dyspnée. En effet, Rosenthal pensait avoir réalisé par la respiration artificielle dans l'hydrogène des circonstances telles que le sang ne con- tenait pas d'oxygène, en même temps que l'acide car- bonique, vu l'aération du poumon par l'hydrogène, pou- vait être rejeté au dehors. C'est précisément dans cette dernière partie de son raisonnement que Rosenthal paraît s'être laissé induire en erreur. Est-il vrai qu'il se soit mis à l'abri de toute accumulation d'acide carbonique dans le sang en aérant 440 DES GAZ DANS LE SANG. le poumon avec un gaz neutre, tel que l'hydrogène ou î'azote? Non, et en voici la raison. On sait, en effet, que l'élimination de l'acide carbo- nique du sang n'est pas un simple phénomène de dif- fusion gazeuse au niveau du poumon : il y a là une action chimique qui chasse activement l'acide carbonique; et l'on sait aujourd'hui que l'oxygène, au moment où il se combine avec l'hémoglobine, agit en même temps pour amener ce dégagement de l'acide carbonique. Or, quand on met un animal à respirer dans l'hydrogène, cet ani- mal continue, pendant les premiers instants de l'expé- rience, à former de l'acide carbonique avec l'oxygène que contenait son sang; cet acide carbonique reste en grande partie dans le sang, parce qu'il n'est pas éliminé comme dans la respiration à l'air libre ; parce que, répé- tons-nous, la respiration d'hydrogène ne chasse pas l'acide carbonique au même degré que la respiration d'air (Thiry, Travaux de la Société médico-allemande de Paris, 1865). Aujourd'hui, les physiologistes allemands (Wundt, ïïermann, etc.) adoptent une opinion mixte : ils admet- tent, avec Dohmen (Dohmen, Arbeiten des Bonner physiol. Instituts, 1865), que le manque d'O et l'excès de CO2 sont à la fois excitants du centre respiratoire; que l'apnée produite par la respiration artificielle tient à la fois au manque de CO'2 et à l'excès d'O; mais ils attribuent cependant plus d'importance au manque de CO2, l'oxygène agissant surtout en favorisant l'élimina- tion de CO2. Vous voyez que la solution de cette ques- tion est plus complexe qu'on ne saurait le croire au RESPIRATION ARTIFICIELLE. 441 premier abord. En attendant que de nouvelles expé- riences nous permettent de mieux préciser les éléments du problème, j'ai voulu vous faire entrevoir par cet exposé combien sont étendues les études physiologiques auxquelles peut donner naissance la seule question de la respiration artificielle. Que serait-ce si, étendant ce domaine, nous exami- nions les cas dans lesquels l'introduction d'oxygène dans le sang est augmentée très au delà des limites phy- siologiques ? Vous connaissez tous les expériences de M. P. Bert à ce sujet : vous savez que l'oxygène, ce pabulum vitœ, devient un poison général de tout orga- nisme, de toute cellule vivante, lorsqu'il est en contact avec elle sous une très-forte pression; de sorte que l'on peut dire qu'il faut de l'oxygène, mais qu'il n'en faut pas un excès, pour entretenir les phénomènes de la vie. Enfin, pour terminer la question des accidents que peut produire la respiration artificielle, je dois vous indiquer certains troubles qu'elle apporte dans le fonc- tionnement des organes, et les réactions pathologiques auxquelles elle peut donner lieu. La respiration artificielle, quelque précaution que l'on mette à la pratiquer, est forcément brutale et soumet l'arbre aérien à une violence inusitée; aussi voit-on presque toujours des troubles pulmonaires se produire chez les animaux qui y ont été soumis et qui ont sur- vécu. Je ne fais pas allusion ici aux ruptures alvéolaires et à l'emphysème qui se produisent mécaniquement; mais aux réactions morbides qui, telles que la bronchite ou certaines formes de pneumonie, se montrent peu de 442 DES GAZ DANS LE SANG. temps après que l'animal, le chien par exemple, a subi une respiration pulmonaire d'une certaine durée. Ce fait a été noté des premiers expérimentateurs qui ont pratiqué la respiration artificielle. Vous savez que l'Anglais Brodie, étudiant l'action de divers poisons, fut le premier qui fit revivre un animal curarisé en lui faisant l'insufflation pulmonaire. L'animal (c'était une ânesse) qui survécut à cette mémorable expérience fut conservé et devint un objet de curiosité; parmi les faits qui frappèrent ses visiteurs, nous trouvons notée une affection pulmonaire, pneumonie ou bronchite, qui, pendant plus d'un an, mit l'animal en danger de mort. Les lapins sont si sensibles à ces lésions pulmonaires, qu'il est rare de voir un de ces animaux survivre à une insufflation artificielle longtemps continuée; s'ils ne succombent pas rapidement aux ruptures pulmonaires et à l'emphysème dont je vous ai signalé la fréquence chez eux, ils meurent quelques jours plus tard de catarrhe, d'inflammation aiguë des voies respiratoires. Du reste, ce n'est pas seulement sur le poumon que la respiration artificielle exerce cette action perturba- trice. Vous savez combien l'aspiration pulmonaire est utile à la circulation veineuse, et notamment à la circu- lation veineuse du foie; aussi, à la suite de la respira- tion artificielle, qui remplace l'aspiration thoracique par un reflux ou tout au moins par une stase dans les veines sus-hépatiques, trouve-t-on tous les signes de conges- tion du côté du foie et du système de la veine porte. Quand, chez un chien soumis à la respiration arti- ficielle, on découvre la veine jugulaire externe à la OXYDE DE CARBONE. 443 partie inférieure du cou, à son entrée dans la poitrine, on voit à chaque insufflation d'air (ce qui répond à l'in- spiration) un reflux considérable avoir lieu dans la veine, et, si Ton vient à l'ouvrir, un jet de sang est lancé au dehors. C'est qu'en effet la dilatation du poumon par compression de l'air agit en sens inverse de la dilatation du poumon par dépression de l'air. Ce reflux du sang veineux se manifeste aussi dans les veines rachidiennes et cérébrales, et peut amener certainement des modifi- cations dans la circulation des centres nerveux. Nous vous avons parlé, dans les leçons précédentes, des agents toxiques comme moyen d'étude et d'investi- gation physiologique. A propos de la respiration, je désire vous dire quelques mots d'un agent très-intéres- sant, en ce qu'il peut nous faire pénétrer plus profondé- ment dans l'étude des propriétés respiratoires du glo- bule sanguin : je veux parler de l'oxyde de carbone. L'empoisonnement par l'oxyde de carbone a été depuis longtemps, de notre part, l'objet de nombreuses recherches; parmi les lacunes que laisse encore cette étude, l'une des plus intéressantes et des plus difficiles à combler est celle du mécanisme par lequel les animaux incomplètement intoxiqués peuvent revenir à la vie en éliminant le poison. Nous terminerons cette leçon par l'exposé de quelques recherches que nous avons faites à ce sujet dans le laboratoire, et, en répétant devant vous les principales expériences, nous chercherons à pousser encore un peu plus loin l'analyse physiologique des propriétés du globule sanguin. 444 DES GAZ DANS LE SANG. Mais rappelons d'abord très-rapidement les faits déjà établis relativement à l'action de l'oxyde de carbone. Ce gaz, qui est essentiellement l'agent toxique de la vapeur de charbon, exerce son action en se portant sur le globule sanguin; il a pour cet élément anatomique une affinité très-grande : nous pouvons dire affinité, car il s'agit là d'une véritable combinaison chimique. Yous savez que l 'hémoglobine, qui constitue essentiellement le globule sanguin au point de vue de la respiration, c'est-à-dire de la fixation et du transport de l'oxygène, forme avec ce gaz une combinaison, l'oxyhémoglobine, ou hémoglobine oxygénée. Mais j'ai démontré que cette môme substance forme une combinaison analogue avec l'oxyde de carbone, combinaison plus stable, et qui prend naissance toutes les fois que le sang se trouve en présence de ce gaz; alors l'oxygène n'est plus fixé, il est même chassé du globule rouge sur lequel se fixe l'oxyde de carbone. Tel est le mécanisme si simple de l'intoxication, mécanisme qui nous offre un des exem- ples les mieux définis de l'analyse physiologique pour- suivie jusque dans les éléments anatomiques; au dernier terme de cette analyse, nous nous trouvons en présence d'un simple phénomène chimique : le déplacement par affinité chimique de l'oxygène par l'oxyde de carbone. Je dois encore vous rappeler le procédé que l'on emploie le plus souvent pour constater la présence de l'oxyde de carbone dans le sang : je veux parler de la spectroscopie. — Quand on examine au spectroscope une dissolution de sang artériel, on voit apparaître dans le spectre deux bandes d'absorption situées a peu près OXYDE DE CARBONE. 445 aux deux extrémités de la partie jaune du spectre : c'est là le spectre du sang oxygéné, caractérisé en outre par ce fait, que si l'on agite cette dissolution sanguine avec un agent réducteur (sulfhydrate d'ammoniaque), on voit les deux bandes précédentes disparaître et être remplacées par une seule bande noire plus large placée à peu près au milieu de la région jaune. On a ainsi le spectre du sang réduit. Ainsi la présence de l'oxygène est caractérisée par l'observation du spectre de l'hé- moglobine oxygénée, et par la possibilité de substituer immédiatement à ce spectre celui de l'hémoglobine réduite. Or, si l'on examine de même une solution de sang oxycarboné, on observe, comme précédemment, deux bandes d'absorption. Ces deux bandes diffèrent à peine de celles de l'hémoglobine oxygénée, et il serait diffi- cile, au premier abord, de distinguer si l'on a affaire au spectre de la combinaison oxygénée ou oxycarbonée ; mais on est fixé aussitôt que l'on emploie un agent réducteur. Malgré l'addition de sulfhydrate d'ammo- niaque, les deux bandes persistent lorsqu'on est en pré- sence du sang intoxiqué par l'oxyde de carbone : la combinaison de l'hémoglobine avec l'oxyde de carbone n'est pas réductible, et présente toujours deux raies au spectroscope. Ainsi il ne nous est pas possible, avec les agents réducteurs ordinaires, de chasser l'oxyde de carbone qui s'est fixé sur le globule sanguin ; même sur le sang déjà putréfié d'un animal ayant succombé à cette intoxi- cation, nous retrouvons encore au spectroscope les deux 446 DES GAZ DANS LE SANG. raies produites par l'oxyde de carbone : la combinaison de ce gaz avec l'hémoglobine a résisté à la décomposi- tion du sang. Nous allons vous rendre témoins d'expériences rela- tives à cette question. Voici un chien auquel nous faisons respirer de l'oxyde de carbone. Vous voyez d'abord se produire de grandes inspirations, et l'animal ne tarde pas à succomber. Aussitôt que les mouvements respiratoires ont cessé, nous prenons de son sang artériel : ce sang est encore poussé par le cœur, dont les mouvements ne sont pas tout à fait éteints. Nous en extrayons les gaz par la pompe à mercure que vous voyez ici, et nous trouvons : 50 centimètres cubes de sang artériel contiennent : ,n n > , l S '50C,6 de CO2 19cc,3 de gaz, dont > ^ de Q L'acide carbonique est à peu près en même quantité qu'à l'état normal (30 pour 100) ; mais, vous le voyez, l'oxygène est en très- faible proportion; il y en a 4,4 pour 100, tandis qu'à l'état normal on en trouve de 20 à 24 pour 100. C'est que l'oxyde de carbone a pris la place de l'oxygène. Nous devons cependant nous arrêter sur ce fait que nous trouvons encore cette légère proportion d'oxygène dans le sang de cet animal asphyxié. Nous verrons plus loin que cette proportion peut être encore bien plus faible. D'après les expériences de Setschenow, on ne trouve plus trace de ce gaz dans le sang d'un animal asphyxié par strangulation : ce résultat n'a rien de OXYDE DE CARBONE. 447 contradictoire ; il tient seulement aux conditions nou- velles créées par la présence de l'oxyde de carbone. Vous savez en effet que, dans les conditions ordi- naires, l'oxygène se détruit très-vite dans le sang en se transformant en acide carbonique : pour peu que les manœuvres d'extraction des gaz présentent une certaine durée, tout l'oxygène du sang peut dispa- raître. C'est ainsi qu'il faut expliquer les résultats singuliers obtenus autrefois par Magnus, et qui furent l'objet des justes critiques de Gay-Lussac. Magnus em- ployait en effet vingt-quatre heures à laisser tomber l'écume produite à mesure de l'extraction, et pendant ce temps presque tout l'oxygène disparaît. Quoique les expériences de Setschenow aient été faites dans d'autres conditions de rapidité (1), il est possible que le court espace de temps consacré à l'extraction des gaz ait suffi pour amener la destruction des très-faibles quantités d'oxygène que renfermait encore le sang de l'animal au moment de la mort. — Mais dans notre expérience les conditions sont différentes : du moment que l'oxyde de carbone a imprégné le sang, il y arrête toute espèce d'oxydation, et la composition gazeuse du liquide reste assez fixe pour que nous y puissions retrouver par l'analyse les faibles proportions d'oxygène qui restaient encore au moment où l'animal a succombé. Cet exemple vous montre tout le parti que nous pou- vons tirer de l'oxyde de carbone au point de vue de l'analyse des gaz du sang. J'ai dès longtemps insisté (1) Setschenow, Beltrdge zur Pneumatologie des Blutes (Zeitschr. fur ration. Medic, 1861). 448 DES GAZ DANS LE SANG. sur ces avantages : il me suffit de vous en avoir rendu témoins par l'expérience précédente ; revenons à notre sujet. Je vous ai dit que l'oxyde de carbone restait fixé dans le sang de l'animal qui a succombé à l'intoxication, et qu'il pouvait y être retrouvé même après que ce sang a subi un commencement de putréfaction. Cependant, quoique ce fait nous montre combien est stable la combinaison de l'hémoglobine avec l'oxyde de carbone, nous savons que des animaux incomplètement intoxi- qués peuvent revenir à la vie : ils se débarrassent donc de loxyde de carbone contenu dans leur sang. C'est ce que va nous montrer l'expérience. Nous faisons à un chien la trachéotomie, et le faisons respirer par un tube dans une cloche pleine d'oxyde de carbone ; le tube est en rapport avec cette cloche par un robinet à trois voies qui nous permet de substituer instantanément à la respiration dans le gaz toxique la respiration libre clans l'air ou la respiration artificielle. Après que l'animal a fait un certain nombre d'inspira- tions dans la cloche, alors qu'il paraît mort, vu la cessation des mouvements spontanés du thorax, nous recueillons rapidement 50 centimètres cubes de son sang artériel, et nous pratiquons aussitôt la respiration artifi- cielle. Le sang recueilli nous donne (après correction de température et de pression) : 50 centimètres cubes de sans: artériel contiennent : ( CO2 14,2 Gaz total : 17c%6 dont ! 0 2,0 ( (Az+CO) .. 1,4 ÉLIMINATION DE L'OXYDE DE CARBONE. 449 Cependant, après dix minutes de respiration artifi- cielle, on voit reparaître les mouvements spontanés du thorax; l'animal est revenu à la vie; nous extrayons de nouveau de son sang artériel et nous trouvons : 50 centimètres cubes de sang artériel contiennent : ( CO2 9,56 Gaz total : 16cc,21 dont \ 0 5,79 ( (Az+CO) . . 0,86 Une^expérience semblable, faite au laboratoire avant la leçon, nous avait donné des résultats identiques : 1° 50 centimètres cubes de sang artériel, au moment de l'intoxication, contiennent : SCO2 20,99 0 0,09 (Az+CO) . . 2,00 2° 50 centimètres cubes de sang artériel de l'animal respirant librement depuis quelque temps : ( CO2 4,09 Gaz total :;12cc,6 dont ] 0 6,05 ( (Az+CO).. -1,19 Ainsi le sang de l'animal est redevenu capable de fixer l'oxygène : la combinaison oxygénée s'est substituée à la combinaison oxycarbonée. Remarquons en passant un fait intéressant : en com- parant les chiffres de l'acide carbonique contenu dans le sang de l'animal lorsqu'il est sous le coup de l'intoxi- cation et lorsqu'il revient à la vie, c'est-à-dire lorsqu'il est en train d'éliminer l'oxyde de carbone, vous voyez que dans ce dernier cas la proportion d'acide carbonique cl. Bernard. — Physiol. opér. 29 450 DES GAZ DANS LE SANG. diminue; il est donc impossible d'admettre que l'oxyde de carbone s'élimine en se transformant en acide carbo- nique, ainsi qu'on l'avait pensé et que l'avait formulé d'abord M. Chenot, dans une théorie purement chi- mique. Nous trouvons dans les analyses que je viens de vous donner un nouvel argument contre cette opinion, argument à ajouter à ceux que j'avais déjà tirés de l'étude comparative de la température chez l'animal qui succombe à l'intoxication. Si l'oxyde de carbone disparaissait en s'oxydant, en se transformant en acide carbonique, il y aurait à ce moment production d'une quantité relativement énorme de chaleur; or, dans ces circonstances, on ne voit pas augmenter la température de l'animal; sans doute elle remonte un peu au-dessus de ce qu'elle était au moment où l'animal allait suc- comber à l'asphyxie, mais elle atteint à peine le degré normal et ne s'élève jamais au-dessus. Aujourd'hui nous devons examiner si l'oxyde de car- bone est éliminé en nature ou s'il est transformé en d'autres produits. Quelques analogies semblent plaider en faveur cle la première manière de voir; mais nous voudrions des faits positifs et des expériences probantes; c'est dans ce but que nous avons institué les recherches suivantes : Pour éviter l'objection que l'oxyde de carbone éli- miné par le poumon provient du gaz inspiré préala- blement, il faut absolument faire pénétrer l'oxyde de carbone par une autre voie. Expérience. — Nous prenons à un chien normal 250 grammes de sang, qu'on agite aussitôt avec de ÉLIMINATION DE L OXYDE DE CARBONE. 451 l'oxyde de carbone. On filtre ce sang à travers de la flanelle et on injecte alors dans une veine de l'animal ce sang saturé de gaz toxique, et en même temps on recueille les produits de l'expiration. Pour constater la présence de l'oxyde de carbone dans ces produits, nous nous servons du réactif le plus sensible que nous possédions à cet effet, c'est-à-dire du sang lui-même; nous faisons en un mot barboter dans du sang le gaz aspiré par l'animal en expérience. Vous savez en effet que l'organisme vivant, c'est-à-dire le sang, est notre meilleur moyen de constater des traces de gaz oxyde de carbone, et, lorsque nous faisions des recherches sur les gaz que dégagent les poêles de fonte ou de fer, alors que les réactifs chimiques demeuraient impuissants à nous révéler la présence du gaz toxique, nous nous ser- vions du lapin comme du réactif le plus sensible, car, en examinant au spectroscope quelques gouttes de sang extrait en piquant l'oreille de cet animal, nous pou- vions aussitôt constater si le milieu dans lequel il était placé renfermait de l'oxyde de carbone. — Or, dans l'expérience actuelle, nous n'avons pas constaté la pré- sence d'oxyde de carbone dans le sang où avaient bar- boté les produits de l'expiration du chien mis en expérience. Bien plus, ayant cherché si le spectroscope révélait l'agent toxique dans le sang de l'animal lui- même, nous n'avons également obtenu que des résultats négatifs. Pensant que ces résultats pouvaient tenir à ce que la proportion du sang intoxiqué au sang normal auquel nous l'avions mêlé par l'injection intraveineuse était 452 DES GAZ DANS LE SANG. trop faible, nous avons alors cherché jusqu'à quelle limite on peut constater la présence de l'oxyde de car- bone dans un mélange de ce genre. Quelques essais faits dans ce sens nous ont montré qu'on peut, in vitro, caractériser au spectroscope le mélange de 1 de sang intoxiqué pour 2 de sang normal. Serait-ce donc à dire que 250 grammes ne représentent pas le tiers de la masse totale du sang d'un chien de taille moyenne? Cette conclusion est vraisemblable ; mais il est probable aussi que par le fait de l'imbibition au milieu des tissus nous nous trouvons dans des conditions de mélange bien différentes de celles que nous réalisons in vitro. Nous avons encore injecté de l'oxyde de carbone à l'état de gaz dans le sang, sans le retrouver non plus ni dans le sang ni dans les gaz expirés. Nous l'avons insufflé sous la peau chez le lapin ; le spectroscope montrait l'oxyde de carbone dans le sang, mais jamais dans les gaz expirés. En présence de ces expériences, nous nous deman- dions par quelle voie l'oxyde de carbone pouvait être éliminé. Ne pouvant le saisir dans les gaz expirés, nous avions interrogé les autres voies d'excrétion, et nous avions cru un moment que l'intestin pourrait nous repré- senter cette voie de sortie. Je tiens à vous relater toutes ces hésitations expérimentales, afin de vous faire com- prendre combien doit être rigoureuse la critique des conditions opératoires dans lesquelles sont faites les recherches. Sur un chien revenant à la vie après intoxi- cation oxycarbonique, nous avions trouvé les intestins distendus par une grande quantité de gaz au milieu ÉLIMINATION DE l' OXYDE DE CARBONE. 453 desquels la présence de l'oxyde carbonique était facile à constater. Mais, avant de conclure à une élimination par la surface intestinale, nous nous sommes demandé s'il n'y avait pas quelque cause d'erreur, et en exami- nant les conditions expérimentales il nous a été facile de retrouver l'origine de cet oxyde de carbone contenu dans le tube digestif. L'animal avait respiré l'oxyde de carbone non par une canule introduite dans la trachée, mais par une muselière enveloppant tout le museau ; de sorte qu'en même temps qu'il inspirait le gaz il avait pu en déglutir une certaine quantité. — L'expérience fut répétée sur un animal trachéotomisé, et cette fois, lorsqu'il élimina le gaz toxique, nous ne pûmes en trouver dans le tube digestif. Nous en revenions donc à notre point de départ, c'est-à-dire que la manière et la voie par laquelle s'éli- mine l'oxyde de carbone nous échappait complètement; mais mieux valait cette constatation de notre ignorance, qu'une solution erronée qui nous donnerait une satis- faction vaine en arrêtant nos recherches. En continuant les tentatives dans cette voie, nous avons réalisé une série d'expériences dont nous allons répéter les principales devant vous, et qui, tout en ne nous donnant pas encore la clef du phénomène, nous ont permis de comprendre les résultats en apparence négatifs donnés par les recherches dont je viens de vous rendre compte. Vous vous rappelez qu'en injectant dans les veines d'un chien du sang saturé d'oxyde de carbone, nous n'avons pu, aussitôt après, constater la présence de ce gaz 454 DES GAZ DANS LE SANG. dans le sang général de l'animal. — D'autre part, pour varier les formes de cette expérience, nous avons in- jecté lentement du gaz oxyde de carbone dans la veine crurale d'un chien ; nous en avons injecté 140 centi- mètres cubes, assez lentement pour qu'il pût se combiner avec le sang au contact duquel il arrivait. Et cependant, en examinant aussitôt le sang général de l'animal, c'est encore en vain que nous avons cherché les réactions spectroscopiques caractéristiques de la présence de ce gaz dans le sang. Ainsi, nous arrivions à ces résultats singulièrement contradictoires: 1° Lorsqu'un animal est complètement intoxiqué par l'oxyde de carbone, ce gaz demeure si bien fixé sur l'hémoglobine du sang qu'il y demeure malgré la décomposition et la putréfaction du sang ; 2° si l'intoxica- tion est incomplète, l'animal élimine le gaz toxique, et si l'on se contente d'injecter dans les vaisseaux de l'ani- mal une quantité relativement faible d'oxyde de carbone, soit pur, soit combiné avec du sang, il est impossible de retrouver l'agent toxique dans le sang général, même aussitôt après l'injection. Ces deux ordres de faits, en apparence si contradic- toires, pourraient devenir compréhensibles par l'hypo- thèse brutale, pour ainsi dire empirique: le sang in- toxiqué se trouve désintoxiqué par le contact du sang normal. Ainsi, voici deux capsules: l'une contient du sang normal pris sur un chien; l'autre, du sang pris sur ce même animal, quelques instants plus tard, au moment où il venait de succombera une intoxication complète ÉLIMINATION DE L OXYDE DE CARBONE. 455 par l'oxyde de carbone. Ce dernier sang resterait dans cette capsule jusqu'à putréfaction, qu'alors encore le spectroscope nous permettrait d'y constater la présence de l'oxyde de carbone. Or, si nous mêlons ces deux sangs par parties égales, et que nous examinions aussitôt le mélange au spectroscope, nous voyons que les caractères spectroscopiques de l'oxyde de carbone ont disparu : même in vitro, le sang normal a-t-il donc agi sur le sang oxycarboné pour le désintoxiquer ? Ce fait nous expliquerait donc tous nos insuccès pré- cédents dans certains cas de recherche de l'oxyde de carbone. Quand nous injections dans les veines d'un chien du sang oxycarboné, ce sang était porté par la circulation au contact du sang normal, et alors se pro- duisait l'action dont je viens de vous rendre témoins. Lorsque nous injections lentement de l'oxyde de carbone dans la veine crurale, le sang qui recevait immédiate- ment ce gaz était saturé d'agent toxique, mais arrivait bientôt au contact du sang normal et se trouvait alors, comme clans le cas précédent, également ramené à l'état normal. Il est facile de conclure de là qu'il est impossible d'être empoisonné par l'oxyde de carbone tant que ce gaz n'est pas introduit au contact du sang au niveau de la surface pulmonaire, car nulle part ailleurs il n'arri- vera assez rapidement et n'agira sur une assez grande masse de sang pour que le phénomène de désintoxica- tion, dont nous venons d'être témoins, ne puisse pas se produire. Nous comprendrions, toujours parla même hypothèse, 456 DES GAZ DANS LE SANG. comment peut revenir à la vie un animal qui vient de succomber, en apparence, à l'intoxication par l'oxyde de carbone. Le système veineux de cet animal contient encore dans ses plexus et ses nombreux réseaux des réserves de sang qui n'est pas venu au niveau du pou- mon au contact du gaz toxique. Si ce sang, encore normal, arrive au contact du sang intoxiqué, et s'il est en quantité suffisante, il produira par sa présence l'action que nous avons expérimentalement réalisée in vitro. Mais, si la respiration de gaz toxique a été prolongée au point qu'aucune partie du sang n'ait pu échapper au contact de l'oxyde de carbone, alors la mort sera bien définitive, et, en effet, chez les animaux complètement tués par ce gaz, nous avons analysé le sang veineux et nous avons trouvé qu'il ne contenait que des traces d'oxygène. Enfin, nous comprendrions aussi, de cette manière, toute l'importance de la transfusion chez les animaux ou chez l'homme, pour chercher à rappeler à la vie après intoxication par les vapeurs de charbon. En transfusant du sang normal, non-seulement on donne- rait au sujet un élément qui lui manquait, les globules du sang, mais, par la présence de ces globules normaux, on permet à ceux qui étaient fonctionnellement suppri- més par la présence de l'oxyde de carbone, on leur permet de se débarrasser de ce gaz et de revenir eux- mêmes à l'état normal. Ainsi, notre hypothèse, si elle est démontrée par l'expérience, nous explique pourquoi quelques-unes de nos précédentes expériences avaient été et devaient être en apparence négatives. Elle deviendrait en même ÉLIMINATION DE l' OXYDE DE CARBONE. 457 temps le point de départ de toute une série nouvelle d'investigations. Cette hypothèse, qui doit ouvrir la voie à nos recher- ches, c'est que, dans un mélange de sang normal et de sang oxycarboné, il pourrait y avoir de l'oxygène cédé par le premier au second, en quantité suffisante pour transformer l'oxyde de carbone en acide carbonique. Voyons si l'expérience confirmera cette hypothèse. Nous prenons sur un chien normal une certaine quantité de sang, dont un échantillon est soumis à l'ana- lyse des gaz et nous donne : 1° Sang A, 50 centimètres cubes contiennent : / CO2 17,5 Gaz total : 29cc,00 dont j 0 10,2 ( Az 1,2 L'animal est alors empoisonné par l'oxyde de car- bone. On fait une nouvelle prise de sang, dont un échan- tillon analysé nous donne : 2° Sang B, 50 centimètres cubes contiennent : ( CO2 11,2 Gaz total : 16cc,00 dont ] 0 3,8 ( Az 1,3 Alors nous mélangeons par parties égales les deux sang (A et B). L'opération se fait dans une seringue avec toutes les précautions nécessaires pour se placer parfaitement à l'abri du contact de l'air. Nous examinons un peu de ce mélange au spectroscope et nous n'y trouvons plus trace d'oxyde de carbone. Nous analysons alors le con- tenu gazeux de ce sang et nous trouvons : 458 DES GAZ DANS LE SANG. 3° 50 centimètres cubes de sang, mélange à parties égales (A + B), contiennent : f CO2 15,1 Gaz total : 23°y2 dont ] 0 6,6 ( (CO+Az)... 1,0 Or, si nous rapportons ces chiffres au volume total du mélange, c'est-à-dire à 400 cent, cubes, nous trouvons pour l'acide carbonique 30,2, ce qui est à peu près la somme (17 +11) des quantités d'acide carbonique con- tenues dans chacun des deux éléments (sang A et sang B) du mélange; et pour l'oxygène 13,2, ce qui est également à peu près la somme des quantités d'oxygène déjà con- statées dans chacun des sangs considéré isolément. Vous voyez donc qu'il nous est difficile de dire ce qui s'est passé dans l'espace clos où les deux sangs se sont trouvés en présence : l'oxyde de carbone n'a bientôt plus été constatable par ses caractères spectroscopiques ; cependant il ne s'est pas oxydé, car, dans ce cas, nous devrions trouver dans le mélange une augmentation d'acide carbonique et une diminution d'oxygène. Or, l'analyse des gaz du mélange ne nous a rien donné de semblable (voy. du reste ci-dessus, p. 449-450). Le sang oxycarboné aurait clone été simplement masqué par le sang normal ; mais il faudra voir si ce mélange, où le spectroscope n'indique plus la présence de l'oxyde de carbone, absorbe de l'oxygène comme un mélange de sang normal et de sang oxycarboné, ou bien s'il se comporterait comme du sang devenu physiolo- gique dans sa masse totale. Ce sont là des caractères physiologiques qui ont plus de valeur que le caractère ÉLIMINATION DE 1/ OXYDE DE CARBONE. 459 spectroscopique, qui, au fond, n'est qu'un caractère empirique. Nous arrivons donc sans cesse, dans ce problème de l'étude de l'élimination de l'oxyde de carbone, nous arrivons à nous heurter contre une inconnue dont la découverte domine toute cette question ; mais du moins nos résultats négatifs nous montrent que certaines hypo- thèses ne sont plus soutenables, et que d'autres direc- tions doivent être suivies pour arriver à l'explication de ce phénomène. N'oublions pas que Foxyde de carbone disparaît et s'élimine chez l'animal intoxiqué. Rappelons que nous avons constaté autrefois que l'oxyde de carbone dispa- raît in vitro dans le sang quand on y fait passer un courant d'air à une température voisine de celle du corps. Quand on expose du sang oxycarboné étendu d'eau, en couche mince, au contact de l'air, l'oxyde de carbone disparaît aussi , et, chose singulière, avec une rapidité beaucoup plus grande, comme si l'eau intervenait d'une manière active dans le phénomène. La présence de l'air et de l'eau serait donc nécessaire pour produire la disparition de l'oxyde de carbone, car il subsiste dans les profondeurs de l'organisme et des issus chez l'animal mort, tandis que, nous le savons, il disparaît rapidement chez un animal vivant, où le sang circule. Mais, dans ces divers cas, après sa disparition, que devient l'oxyde de carbone? Tel est le problème que nous avons toujours à poursuivre. C'est dans les voies qui noussontindiquéespar lesexpé- riencesprécédentesquenousnousengageronsdésormais. VINGTIÈME LEÇON Sommaire : Système circulatoire. — Du sang étudié en lui-même au point de vue de ses conditions physiques (température) et chimiques (glycémie normale). — Topographie calorifique du système sanguin. — Coup d'œil historique. — Critique expérimentale. — Appareils de M. d'Àrsonval. — Aiguilles thermo-électriques. — Dispositions et construction des sondes ; sondes eng aînées ; sondes nues (de d'Arsonval). — Aiguilles thermo- électriques. — Graduation de ces appareils. — Résultats des expériences. — Appareil de d'Arsonval à température constante. — Derniers perfection- nements de l'appareil pour le dosage du sucre dans le sang. Messieurs, Après vous avoir donné la description anatomique du système circulatoire, après avoir faitl'étude de ce système au point de. vue de l'absorption, et les expériences qui se rapportent à l'emploi des poisons en physiologie, nous allons nous occuper aujourd'hui de l'étude du liquide sanguin lui-même. Nous commencerons par étudier sa température, ou, plus exactement, nous déterminerons la topographie calorifique du système sanguin. Quelques mots touchant l'historique de la question vous feront mieux comprendre l'importance capitale de cette étude au point de vue de la chaleur déve- loppée par les êtres vivants. Lavoisier est le créateur de la théorie actuelle de la chaleur animale. C'est grâce à ses impérissables travaux que cette question, qui avait donné lieu jusque-là à tant dq discussions stériles, a pu quitter le domaine de l'hy- TEMPÉRATURE DU SANG. 461 pothèse et de la controverse pour entrer clans la voie plus calme et plus probante de l'expérience. La théorie de Lavoisier est restée inébranlable clans ses principes ; mais la science moderne a dû modifier beaucoup de détails, et, entre autres, rejeter la locali- sation qu'on a fait découler des travaux de l'illustre chimiste. Voyant que dans le poumon il entrait de l'oxygène et qu'il en ressortait de l'eau et de l'acide carbonique, Lavoisier conclut que la respiration n'était qu'une com- bustion et que la chaleur animale était engendrée par les actes chimiques qu'entraînait cette combustion. C'est cette idée de génie que le temps n'a fait que con- sacrer, qui appartient à Lavoisier. Cette idée étant donnée, on en tira tout naturelle- ment la conclusion que le sang qui 'sortait du poumon devait être plus chaud que le sang qui y entrait. Le poumon était ainsi accepté comme étant le foyer calorifique, et par conséquent le sang artériel devait nécessairement offrir un excès de température sur le sang veineux. Cette conclusion paraissait si légitime qu'on ne se donna pas la peine de la vérifier expérimentalement. La théorie de Lavoisier eut bientôt à se défendre contre une objection des plus graves ; le physiologiste Magnus (de Berlin) reconnut que le sang artériel con- tient plus d'oxygène que le sang veineux et que ce dernier, au contraire, est beaucoup plus riche en acide carbonique. En un mot, le sang veineux est plus brûlé que le sang artériel, ce qui ne pourrait avoir lieu d'après 462 DU SANG. la théorie qui veut que la combustion s'opère dans le poumon. Si au contraire cette combustion s'opère dans les tissus, on comprend que le sang veineux soit plus brûlé que le sang artériel, mais alors aussi il doit être plus chaud. La question de la localisation du foyer calorifique pouvait être tranchée par cette simple expérience : quel est celui des deux sangs artériel ou veineux qui est le plus chaud? Eh bien, rien de plus difficile que de trancher cette question. Après plus d'un demi-siècle d'expériences, les physiologistes n'ont pu se mettre d'accord. J'ai exposé dans mes leçons sur la chaleur animale l'histoire et la critique de toutes ces expériences. Je me bornerai à dire qu'on a pu soutenir toutes les opinions. Les uns ont dit que le sang artériel était plus chaud que le sang veineux; les autres, au contraire, et je suis de ceux-là, ont trouvé le sang veineux plus chaud que le sang artériel. Enfin, une troisième catégorie d'expérimentateurs, qui ne croient pas à la fixité des phénomènes dont l'orga- nisme vivant est le siège, ont soutenu que le sang artériel était tantôt plus chaud, tantôt plus froid que le sang veineux. Quant à moi, je vous ai déjà à plusieurs reprises, dans les leçons précédentes, indiqué ce que je pense des expériences contradictoires. J'ai toujours cherché à prouver que les phénomènes de la vie ont leur déter- minisme tout aussi rigoureux que ceux dont les corps inorganiques sont le siège. Les contradictions que Ton trouve parmi les physiologistes ne sont pas dans la TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 463 nature particulière des phénomènes qu'ils observent, mais bien dans l'imperfection des procédés qu'ils em- ploient ou dans l'application défectueuse des méthodes d'investigation. En un mot, il ne peut pas y avoir de résultats contradictoires dans les expériences bien faites ; c'est ce que j'espère vous démontrer dans cette étude. Le physiologiste, appelant à son aide les sciences physico-chimiques, doit nécessairement connaître ces sciences. Il doit poursuivre deux objets distincts : 1° L'exactitude physico-chimique; 2° L'exactitude physiologique, qui consiste dans la détermination précise des conditions physiologiques où se trouve l'animal au moment de l'expérience, et dans la description minutieuse des procédés opératoires em- ployés. Ces deux conditions sont absolument nécessaires pour une bonne expérience. Nous verrons que c'est presque toujours pour avoir méconnu l'importance de ce pré- cepte que les expérimentateurs les plus habiles sont tombés dans Terreur. INSTRUMENTATION. Pour les recherches dont je vais vous parler, j'ai chargé mon chef de laboratoire, M. le docteur d'Ar- sonval, de réaliser l'exactitude physico-chimique. Les instruments qu'il a perfectionnés ou imaginés dans ce but ont été longuement étudiés. Leur fonctionnement a paru irréprochable aux physiciens éminents, mes confrères de l'Académie, qui ont bien voulu assister à nos expériences. 4(54 DU SANG. J'ai depuis longtemps, dans ces recherches, aban- donné le thermomètre dont je m'étais servi dans mes premières expériences avec Walferdin, pour adopter les aiguilles thermo-électriques, qui sont aujourd'hui d'un usage courant en physiologie. Je vous rappelle que la méthode thermo- électrique a été imaginée et appliquée à la physiologie pour la première fois par M. Becquerel, qui en fit usage dans ses recherches avec Breschet sur la chaleur animale, en 1837 (1). Je crois inutile de vous donner la théorie physique bien connue des instruments thermo-électriques • je me bornerai à indiquer les changements qu'ils doivent subir lorsqu'on les introduit dans les recherches physiologi- ques. Ces appareils doivent être modifiés, eu égard au peu de durée des phénomènes thermiques qu'ils doi- vent rendre apparents et à la nature des parties orga- niques dans lesquelles on doit les constater. Ces modifi- cations porteront sur le galvanomètre, sur les soudures et, enfin, sur le milieu dans lequel on a avantage à placer l'une d'elles dans des cas déterminés. Galvanomètre. — Le galvanomètre doit être à fil gros et court. Il doit présenter fort peu de résistance, vu la faible tension des courants thermo-électriques. Le système astatique qui constitue les aiguilles doit être le plus léger possible, la sensibilité et surtout la rapidité des indications dépendant en grande partie de la masse à mouvoir. €e système porte un miroir plan très-léger. M. cl'Arsonval recommande, pour ne pas le déformer, (4) Becquerel et Breschet, Chaleur animale {Archive du Muséum. Paris, 1840). TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 465 de le coller non avec de la colle, mais simplement avec un peu de caoutchouc fondu à la flamme. Ce corps reste toujours pâteux et déprimable et n'exerce pas de trac- lion tendant à déformer le miroir. Une petite boulette de cire à modeler remplirait le môme office. En un mot, la meilleure forme à donner au galvanomètre serait la forme Thomson, pour avoir à la fois légèreté et rapidité dans les indications. Un cylindre de cuivre offrant une ouverture garnie d'un verre plan recouvre l'appareil et permet de voir le miroir pour faire les lectures. L'instrument est installé comme d'habitude sur un bloc solide ou contre un mur qui le soustrait aux trépi- dations. Lecture. — Pour ne pas influencer l'appareil par son voisinage, l'opérateur fait les lectures à distance, parla méthode dite de Poggendorff. En face du miroir, à la même hauteur que lui, et à une distance que l'on peut faire varier, se trouve une lunette (11, fig. 100) placée sur un pied bien stable dont on peut faire varier la hauteur. Le pied, dit Râte- lier, dont se servent les photographes est celui que nous avons adopté. La lunette porte en dessous une règle divisée dont les deux moitiés sont de couleurs différentes. Les divisions de cette règle, réfléchies par le miroir du galvanomètre, reviennent à la lunette où un fil vertical (réticule) permet le pointage exact d'une division. Gomme la vitesse angulaire de l'image est double de celle du miroir, on peut considérer le rayon lumineux cl. Bernard. — Physiol. opér. 30 466 DU SANG. renvoyé par celui-ci comme représentant une aiguille sans poids dont le rayon serait le double de la distance qui sépare le miroir de la règle. On peut donc, par cette précieuse méthode, augmenter presque indéfiniment la sensibilité de l'appareil. Barreau directeur. — Pour éviter l'influence des variations d'intensité du magnétisme terrestre, il con- vient d'avoir un système d'aiguilles aussi astatique que possible. On dirige le système par un barreau aimanté placé en dessus, qui constitue delasorteun méridien ma- gnétique artificiel absolument fixe. La ligne polaire de cet aimant étant invariable, le système des aiguilles et, par suite, le miroir restent donc invariablement dans la même position tant qu'il ne passe pas de courant par l'ap- pareil ou que le courant qui le traverse reste constant. Ce barreau (8; fig. 100) mobile autour d'un axe verti- cal, comme pivot, permet de diriger le miroir du côté de la lunette pour prendre un zéro relatif, ce qui est utile dans bon nombre de circonstances. De plus, en le faisant mouvoir verticalement le long de cet axe, c'est- à-dire en l'éloignant ou en le rapprochant du système astatique, on fait varier l'influence directrice et, par suite, la sensibilité de l'appareil. Ainsi disposé, l'appareil est aussi sensible qu'on le désire, et l'aiguille se trouve ramenée rapidement à sa position d'équilibre. Cet emploi du barreau ai- manté est un point essentiel dans l'appareil qu'on peut en quelque sorte maîtriser dans sa sensibilité et garantir des influences perturbatrices extérieures. Connexions du galvanomètre avec les soudures t/iermo- TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 467 électriques. — Deux gros fils de cuivre recouverts de gutta-percha partent des bornes du galvanomètre; l'un va s'attacher directement à une des bornes qui por- tent les sondes thermo-électriques et qu'on place au voisinage de la table d'opération. Le second fil passe auparavant par une manette interruptrice à un seul contact (voy. en 4, fig. 100) qui se trouve sous la lunette, à portée cle la main de l'observateur, lequel peut ainsi, sans cesser de regarder, rompre ou rétablir le circuit. Nous avons renoncé au commutateur dont nous avions d'abord fait usage, et qui peut être utile néanmoins dans certains cas : 1° parce que parla multiplicité de ses con- tacts, cet appareil peut produire des courants, et 2° parce qu'il faut prendre garde de ne pas, par distraction, ren- verser la direction du courant dans les interruptions successives que l'on produit. Avec la manette à simple contact, l'interruption est tout automatique, etl'on sup- prime les causes d'erreur dépendant de l'inattention de l'observateur. C'est aux deux bornes (1 bis et 2 bis, fîg. 100), voisines de la table d'expérience, qu'arrivent enfin les conducteurs, et après lesquelles on attache également les fils portant les soudures thermo-électriques. Ces bornes doivent être protégées par un écran contre tout rayonnement extérieur. Afin d'éviter les tâtonnements, on peint en rouge ia borne qui correspond à la sonde artérielle et à la partie rouge de la règle, et en bleu, celle qui doit correspondre au système veineux. Les choses sont alors arrangées 468 DU SANG. Fig. 100. — Installation des expériences thermo-électriques. 1, 2, sondes thermo-électriques dans les vaisseaux cruraux; ?., Gl unique qui les accouple; 1 bis, 2 bis, bornes de la table où se rendent les Dis des sondes; 1 ter, 20, TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 469 de telle sorte que, lorsque la déviation a lieu dans la moitié rouge de l'échelle, c'est le sang artériel qui est le plus chaud. C'est au contraire le sang veineux qui offre un excès de température si la partie bleue de l'échelle se présente sous le réticule de la lunette. On y arrive une fois pour toutes expérimentalement, en chauffant une des soudures et en regardant le sens de la déviation. Sondes thermo- électriques. — Les modifications les plus importantes ont porté surtout sur les sondes thermo- électriques qui doivent être introduites dans les tissus vivants. M. d'Arsonval les a modifiées complètement de façon à supprimer toute cause d'erreur et à être assuré que la déviation du galvanomètre ne peut provenir que de la variation de température d'une des deux soudures thermo-électriques. Nous avons deux espèces de sondes thermo-électri- ques, les unes nues, les autres en gainées (fîg. 101). Sondes eng aînées. — Les sondes engaînées sont com- posées de deux fils métalliques (maillechort- fer) recou- verts de soie et soudés par leur extrémité qui est seule à nu. Ces deux fils sont introduits dans une sonde en gomme élastique semblable à celle dont se servent les chirurgiens pour le cathétérisme des voies urinaires. Nous avons fait construire, par M. Aubry, des sondes spéciales qui sont fermées au bout et présentent une bornes du galvanomètre; 2 ter, manette de l'interrupteur; 4, interrupteur; 5, cage du galvanomètre ; 6, aiguilles asiatiques; 7, verre plan ; 8, barreau directeur; 9, tige qui les supporte; 10, lil de cocon suspenseur; 10 bis, miroir plan; 14, lunette du viseur; 12, échelle divisée ; D, gouttière ; C, Chien servant à l'expérience. Le courant partant de 1 va à 1 bis, puis à 1 ter, traverse le galvanomètre, revient à 2 ter, où on peut l'interrompre en levant la manette dans la position pointillée, va à la borne 2 bis, puis à la sonde 2, et revient au point de départ par le fil de jonction 3. 470 DU SANG. B 5- 1 ■ ^ jf Fig. 101. — Sondes thermo-cleetriques de d'Arsonval. S, soudure thermo-électrique; C, tube métallique; D, enveloppe de gomme. TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 471 longueur de 60 centimètres sur un diamètre de S milli- mètres. De plus, nous avons fait graduer ces sondes extérieurement en centimètres, afin de déterminer la profondeur à laquelle on a pénétré dans les vaisseaux et de pouvoir vérifier, à l'autopsie de l'animal, le point précis où l'on a fait l'observation thermo-électrique. Il est bon, en engainant les fils, de ne pas pousser la soudure jusqu'au fond de la sonde; il vaut mieux laisser quelques millimètres d'intervalle, on ne s'expose pas ainsi à percer la sonde lorsqu'on pousse les fils. Les deux fils maillechort-fer doivent ensuite être accouplés à un système tout semblable, dont l'ensemble constitue un thermomètre différentiel. Nous avons ap- porté daus cet accouplement un perfectionnement des plus importants. Au lieu de nous servir de bornes pour opérer cette jonction, comme nous le faisions autrefois, nous avons supprimé tout intermédiaire. Le fil de fer est unique et passe sans discontinuité d'une soudure à l'autre; les fils de maillechort sont assez longs pour aller s'attacher directement aux bornes que porte la table d'expérience. Par cet artifice tout est homogène dans la partie du système que l'opérateur doit tenir entre les mains, sauf les soudures qui sont plongées dans le milieu qu'on veut explorer. On est donc bien sûr, en évitant tout raccord intermédiaire, que les oscillations du galvanomètre sont dues exclusivement aux influences qui s'exercent sur les soudures thermo-électriques, les seules que l'on veuille étudier. L'expérience a prouvé que Y enveloppe de gomme conduit très-bien la chaleur, et que quatre à cinq se- 472 DU SANG. coudes suffisent pour que les soudures s'équilibrent avec le milieu où elles sont plongées. Nous conseillons aux physiologistes d'avoir sous la main une bobine de lil de rnaillechort recouvert de soie et une seconde de fil de fer. On. achète également une collection de bougies de différentes grosseurs, et rien de plus facile alors que de confectionner soi-même une paire de sondes thermo-électriques ayant la grosseur voulue. Sondes nues. — M. d'Arsonval a inventé un très- ingénieux système de sondes thermo-électriques qui peu- vent rendre les plus grands services : ce sont les sondes nues à soudure cylindrique dont il me reste à vous parler. Ces sondes peuvent être beaucoup plus fines que les précédentes. Celles que nous avions employées jusqu'à ce jour se composaient de deux fils accolés l'un à l'autre et recouverts d'un vernis empêchant tout contact entre les métaux composant la soudure et les liquides orga- niques. Il était presque impossible d'obtenir cet isole- ment indispensable pour éviter les courants hydro-élec- triques, parce que le vernis s'écaillait toujours, et alors au lieu d'une soudure thermo- électrique, on n'avait plus qu'une véritable pile hydro-électrique exposant à des erreurs sans fin. La difficulté a été tournée très-sim- plement dans les soudures concentriques. L'auteur a remplacé l'un des fils par un tube métal- lique très-fin dans l'axe duquel s'engage le second fil qui vient se souder à l'extrémité fermée du tube. C'est en général le fil de fer qui est remplacé par le tube; TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 473 mais on peut faire l'inverse et mettre le maillechort en dehors. Nous devons à l'obligeance de M. Sainte-Claire Deville d'avoir pu faire des sondes avec des tubes de platine qui fonctionnent parfaitement et sont inalté- rables. Par cet artifice, il n'y a à l'extérieur qu'un seul métal, ce qui met à l'abri des courants hydro-électriques. Pour plus de sûreté, on peut d'ailleurs engaîner la sonde, dont la température ne doit pas varier, ou la recouvrir avec de la glu marine, qui constitue le meilleur et le plus adhérent des vernis. On peut faire varier la lon- gueur et le diamètre des sondes nues. Elles doivent d'ailleurs être accouplées comme les sondes en gainées. Nous avons adopté exclusivement ce système pour faire les aiguilles piquantes (fîg. 102) destinées à pénétrer dans les tissus. On peut armer leur extrémité d'un hameçon, comme l'a fait M. Béclahl. mais il n'y a toujours qu'un métal (C, fîg. 102) à l'extérieur. M. Gaiffe construit des aiguilles do cette espèce, qui sont d'une finesse excessive. Graduation des sondes et des ai- guilles. — L'évaluation de la sensibi- lité de l'appareil, c'est-à-dire du rap- port qui existe entre les divisions de la règle du galvanomètre et le degré du thermomètre centigrade, s'obtient expérimentalement, et dépend à titre égal des condi- tions qui suivent : ±.RO£E&T Fîg. 102. — Aisuillcs 474 DU SANG. 1° Sensibilité des soudures. Les soudures maillechort- fer sont les plus actives; 2° Éloignement plus ou moins grand de l'aimant directeur; 3° Distance de la règle divisée au miroir; 4° Enfin, de la torsion du fil qui supporte le système astatique. Cette condition intervient lorsqu'on prend un zéro relatif, les deux soudures étant à des tempéra- tures différentes; aussi le courant qui tend à ramener les aiguilles à leur position de repos diminue la torsion et détermine la plus forte déviation, le courant inverse ayant à lutter contre la torsion qu'il augmente. Détermination du zéro. — Après avoir plongé les deux soudures dans un vase plein d'eau ou mieux de mercure, on ferme le circuit et on fait coïncider le réti- cule de la lunette (en la déplaçant) avec le zéro de la règle divisée, vu par réflexion dans le miroir. Cette pré- caution est essentielle, les deux soudures n'étant presque jamais de la même force et donnant toujours une dévia- tion, même lorsqu'elles sont à la même température. On annuité cette cause d'erreur en prenant le zéro, le circuit étant fermé. Evaluation du rapport de la déviation galvanomé- trique avec la température, — Le zéro une fois déter- miné, on prend la température du milieu où sont plon- gées les aiguilles avec un thermomètre donnant le vingtième de degré. Puis on échauffe avec la main une autre éprouvette pleine de liquide, jusqu'à ce que le même thermomètre marque 3 ou 4 dixièmes de degré en plus. On plonge alors une des aiguilles dans ce TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 475 milieu, l'autre restant dans la première éprouvette, c'est-à-dire à 3 ou 4 dixièmes de degré au-dessous. Alors une forte déviation se produit, et il suffit de diviser la différence réelle de température au thermomètre parle nombre des divisions de la règle pour avoir le rapport T cherché R = ~^, T étant la température différentielle des deux soudures, et Dn le nombre des divisions de l'échelle. Soit la différence entre les deux soudures égale à 0°,5, et la déviation correspondante à 200 divisions de la règle. Le rapport cherché sera 0,5 : 200 = l/400e; chaque division de la règle vaut donc un quatre-cen- tième de degré centigrade. Nous pouvons aller au delà et jusqu'à 1 millième de degré, en ayant toujours une égale confiance dans les résultats obtenus. Telle est sommairement la disposition de l'appareil thermo-électrique dont nous nous servons pour nos recherches physiologiques. Nous compléterons ce qui manque à la description de cet appareil, en donnant les procédés de vivisection qu'il convient d'employer pour le mettre en usage sur l'animal vivant. Toutefois, nous ajouterons encore quelques indications pratiques. Nous dirons d'une manière générale qu'il faut faire rapidement les observations thermo-électriques pour obtenir des résultats aussi près de l'état normal que pos- sible, et dégagés des oscillations incessantes que pré- sentent les phénomènes calorifiques sous des influences diverses. Quand on fait la lecture de la déviation galvanomé- trique, il importe donc que les oscillations de l'aiguille 476 DU SANG. ne soient pas de trop longue durée. On peut atteindre ce but en rapprochant l'aiguille très-près du plateau de cuivre rouge, au-dessus duquel elle oscille, ou bien en se bornant à prendre seulement l'arc d'impulsion de l'aiguille. Cette lenteur dans le retour nu repos de l'aiguille du galvanomètre n'a pas d'ailleurs de grands inconvénients lorsque, ce qui est le cas le plus général, nous faisons des observations comparatives et simul- tanées, pour avoir seulement les différences de tempé- rature des vaisseaux ou des organes. Mais il n'en serait pas de même si nous voulions avoir la température absolue d'une partie du corps, en pre- nant un point fixe au dehors. Il n'est nécessaire d'agir ainsi que dans des cas spéciaux, que nous indique- rons ailleurs en décrivant l'appareil à température constante du docteur d'Àrsonval, qu'il convient d'em- ployer. Nous ajouterons seulement que, si l'on désire avoir la température absolue du sang, en même temps que la température différentielle de deux vaisseaux, par exemple, il suffira de plonger un thermomètre dans l'un d'eux immédiatement avant ou après le moment où l'on fait les observations thermo-électriques. Rien n'est plus facile alors que de rapprocher les nombres diffé- rentiels thermo-électriques de la valeur thermométrique qu'on a observée directement. PROCÉDÉS OPÉRATOIRES. Quant à la méthode de vivisection propre aux études sur la température du sang, il importe avant tout de TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 477 fixer un procédé opératoire régulier, qui permette de prendre la température du sang dans les diverses parties du système sanguin sur un animal vivant, non mutilé, et dont la circulation reste aussi normale que possible. Sans cela, toutes les observations sont néces- sairement entachées de toutes les causes d'erreur que peuvent y introduire les troubles divers de la fonction circulatoire. Mes aides ou moi avons fait une centaine d'expé- riences toutes concordantes, et que nous avons réunies dans les tableaux graphiques que je ferai passer sous vos yeux. Ju ne vous fatiguerai pas de leurs détails. Je me contenterai de faire devant vous l'expérience type qui résulte de tous ces essais. Le procédé opératoire que je vais vous montrer ne doit pas seulement être établi dans de bonnes conditions anatomiques et physiologiques; il doit en outre être conçu de manière cà nous donner par ses résultats une démonstration complète et décisive au sujet de la ques- tion de savoir quel est celui des deux sangs, artériel et veineux, qui l'emporte en température sur l'autre. C'est pourquoi je dois ajouter que le nouveau procédé opératoire est institué de telle façon que tous les résul- tats énoncés dans mes anciennes recherches sur la cha- leur animale se trouvent réunis et concentrés en une seule expérience, si facile à exécuter qu'aucune cause d'erreur sérieuse ne peut plus s'y rencontrer. Je donne donc cette expérience nouvelle comme une expérience type, résumant et résolvant à elle seule toute la ques- 478 DU SANG. lion de la topographie calorifique des sangs artériel et veineux. Voici en quoi elle consiste. L'animal étant étendu sur le dos dans la gouttière convenablement disposée, je pratique le cathétérisme simultané (voy. ci-dessus, p. 283) de l'aorte et de la veine cave clans toute leur étendue jusqu'au cœur, à l'aide de nos longues sondes thermo-électriques décrites ci-dessus. On peut pénétrer dans le système circulatoire de deux manières : soit d'avant en arrière par les vaisseaux du cou (fig. 282), soit d'arrière en avant, par les vaisseaux de la cuisse (voy. p. 283 et fig. 94). Pénétration par les vaisseaux de la cuisse, — Dans ce premier cas (fig. 100, p. 468), la veine et l'artère crurales étant mises à nu, on introduit les sondes dans leur intérieur, la communication avec le galvanomètre étant interrompue durant cette opération. On pousse les sondes jusqu'à la bifurcation de l'aorte abdominale et de la veine cave inférieure ; à ce moment on rétablit la communication galvanométrique, et l'on observe un excès de température d'environ 1/2 degré en faveur du sang artériel. Donc, première conclusion : ■ 1° A son entrée dans le bassin, le sang artériel est plus chaud que le sang veineux. Laissant la sonde veineuse en place, on promène la sonde artérielle tout le long de l'aorte, jusqu'au niveau du cœur, sans avoir d'oscillations sensibles dans le galvanomètre et sans qu'il survienne de différences notables dans les résultats déjà observés. Donc : TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 479 2° La température du sang artériel reste sensiblement constante dans toute ï étendue de ï aorte. Il en est tout autrement pour le sang de la veine cave inférieure, ce que l'on constate de la façon suivante. Laissant en place la sonde artérielle dans un point quel- conque de l'aorte, mais où cependant le vaisseau soit assez large pour que la sonde baigne bien dans le sang, on fait varier la position de la sonde veineuse en l'en- fonçant graduellement dans la veine cave. On voit alors le sang de la veine s'échauffer de plus en plus à mesure qu'on monte vers le cœur. Lorsqu'on arrive au niveau des veines rénales, la température des deux sondes est à peu près la même. Ainsi : 3° Au niveau de F embouchure des veines rénales, la température du sang veineux est sensiblement égale à celle du sang artériel. En continuant à pousser la sonde veineuse, on arrive au-dessus des veines sus-hépatiques. Là, la température du sang de la veine cave dépasse d'environ 1/2 degré la température du sang de l'artère : 4° Au-dessus du diaphragme , la température du sang veineux est supérieure d'environ 1/2 degré à celle du sang de ï artère. Ce qui indique que depuis le bassin jusqu'au dia- phragme, la température du sang de la veine cave s'est accrue d'environ 1 degré. Cet excès de température en faveur du sang veineux persiste jusqu'à l'entrée dans l'oreille droite du cœur. En continuant à pousser la sonde, on peut lui faire fran- chir le cœur et porter la soudure thermo-électrique 480 DU SANG. dans la veine cave supérieure. Aussitôt le phénomène se renverse, et le sang veineux redevient plus froid que le sang artériel. 5° Le sang de la veine cave supérieure est plus froid que le sang artériel. On reproduit cette expérience autant de fois qu'on le veut, soit sur le môme animal, soit sur des animaux différents, en obtenant toujours les mêmes résultats. Les tableaux que nous vous faisons passer, et qui ne contiennent pas moins de cent expériences vous le prou- vent. Cela démontre en même temps que les sangs vei- neux des organes abdominaux, foie, reins, intestins, en se déversant dans la veine cave inférieure, réchauffent le sang veineux de la périphérie avant son entrée dans le cœur, et lui donnent dans ce point une température supérieure à celle du sang artériel. Un des grands avantages de cette méthode, surtout lorsqu'il s'agit de constater sur un animal vivant, dont tous les actes sont si mobiles, de faibles variations de température, c'est de pouvoir constater simultanément à la même seconde, entre les sangs artériel et veineux, des différences de température qui nous donnent en réalité des relations absolues, parce qu'elles ont été observées dans des conditions d'identité les plus rigou- reuses. Lorsqu'on veut obtenir les températures absolues, il suffit d'introduire un thermomètre à la place d'une des sondes, si l'on ne veut pas faire usage de l'appareil donnant un point fixe. On obtient une contre-épreuve et une confirmation TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 481 complète des résultats ci-dessus énoncés en pratiquant l'expérience en sens inverse, c'est-à-dire en pénétrant par les vaisseaux du cou. Dans ce second procédé on introduit une des sondes par X artère carotide droite >, et l'autre dans la veine cave supérieure, par la veine jugulaire externe droite. En poussant les sondes, on constate, mais d'une manière inverse, les mêmes résultats qu'au moyen du cathété- risme par les vaisseaux cruraux. Ce cathétérisme simul- tané de l'aorte et de la veine cave, tel que nous l'avons décrit, résout à lui seul tout le problème de la topogra- phie calorifique clu système sanguin. Il nous montre : 1° Que le sang artériel offre une température sensible- ment constante durant tout son parcours dans F aorte et les grosses branches artérielles; 2° Que le sang veineux, à la périphérie du corps, se refroidit et présente une température constamment infé- rieure à celle du sang artériel; 3° Que le sang veineux périphérique qui s est refroidi en circulant dans les veines superficielles du corps, se réchauffe et compense au delà sa déperdition de chaleur dès quil reçoit le sang des organes splanchniques abdo- minaux, profondément situés et protégés contre tout refroidissement extérieur . 4° Enfin cette expérience, en nous démontrant, sans quil soit besoin de recourir à aucune autre épreuve plus compliquée, que la masse du sang artériel est plus froide à sa sortie du cœur gauche que la masse du sang veineux à son entrée dans le cœur droit, nous prouve clairement qu'en circulant dans le poumon, le sang CL. BERNARD. — Physiol. opér. 31 482 DU SANG. ne se réchauffe pas, comme le croyait Lavoisier, mais quils'y refroidit au contraire, ainsi que cela a lieu quand il circule au contact de F air à la surface du corps. Ces résultats sont absolument constants, et nous pou- vons les représenter par le tracé graphique (fig. 103), qui les rend saisissables au premier coup d'œil. La température de l'aorte étant fixe peut servir d'abscisse, tandis que les températures de la veine cave servent d'ordonnées. FlG. 103. — Graphique;. Fig. 104. — Schéma. Fig. 103. — ko, aorte; S S, surface à l'air; a, rein; b, foie; CD, cœur droit; G G. cœur gauche; P, poumon.— Toute la partie au-dessus de l'aorte est plus chaude qu'elle ; celle au-dessous, plus froide. Le schéma (fig. 104) traduit en degrés ces différences. Un dessin schématique (fig. 104) peut traduire le Graphique en le rapportant topographiquement aux divers territoires du système sanguin. La légende qui accompagne ces deux figures leur sert d'explication. En résumé, nous arrivons à conclure, d'après ce qui précède, que la question si longtemps controversée de TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 483 ia température du sang avant et après le poumon est aujourd'hui résolue. Il reste expérimentalement dé- montré que le poumon n'est pas le foyer de la chaleur animale; mais existe-t-il d'autres foyers? et dirons-nous, parce que nous avons trouvé le sang veineux plus •chaud que le sang artériel au sortir des reins, des intestins et du foie, dirons-nous que ce sont là les vrais foyers de la chaleur animale? Évidemment non. Il se fait de la chaleur en réalité dans tous les organes; seulement les organes abdominaux sont mieux protégés que les autres contre la déperdition de la chaleur. De cette inégalité des parties profondes et des parties super- ficielles du corps, résulte une sorte de compensation harmonique de la chaleur qui est réglée par l'influence du système nerveux. En définitive, il faut renoncer aujourd'hui à l'idée émise par Lavoisier d'une localisation dans le poumon ou ailleurs d'un foyer quelconque de chaleur. La chaleur animale ne saurait pas plus se localiser que la nutrition, dont elle est une conséquence directe. Tous les organes, tous les tissus, tous les éléments se nourrissent, fonc- tionnent et engendrent de la chaleur. C'est ce que nous allons vous montrer d'abord pour le tissu musculaire. Depuis longtemps déjà on sait que le travail muscu- laire développe de la chaleur. Becquerel et Breschet l'ont démontré sur l'homme lui-même, dès 1835. De- puis, un nombre considérable d'expérimentateurs ont mis le fait hors de doute. C'est donc un fait acquis à la science, et l'expérience que nous allons faire devant 484 DU SANG. vous ne fait que réaliser des conditions de simplicité et de facilité pour cette démonstration. On prépare un train postérieur de grenouille à la ma- nière de Galvani (voy. ci-dessus, fîg. 99, p. 405) , et on sépare les deux cuisses sur la ligne médiane en laissant intacts, de chaque côté, les nerfs qui s'y rendent. On a ainsi deux pattes qui sont exactement dans les mêmes conditions de température. La circulation étant sup- primée, on n'a pas à redouter que des effets vaso- moteurs viennent troubler l'expérience, comme lors- qu'on agit sur un animal dont la circulation n'est pas interrompue. Fig. 105. — Expérience sur la contraction musculaire avec les aiguilles thermo-électriques. Vov. la figure 102 ci-dessus, p. 472, pour les détails de la construction de ces aiguilles à soudure centrale (G, tube externe en fer; S, sa soudure avcc'le tube interne en caoutchouc). — On voit ici ces sondes (a, a) introduites dans deux trains postérieurs (I et I') de grenouilles, dont l'un (1) est mis en contraction par l'excitation électrique (appliquée en n). On plante alors (fig. 105) dans chaque cuisse un TOPOGRAPHIE CALORIFIQUE. 485 aiguille thermo-électrique à soudure cylindrique, et on électrise une des pattes par l'intermédiaire du nerf. Les muscles entrent en contraction, et aussitôt on voit le galvanomètre indiquer un échauffe nient qui peut aller à un demi-degré et plus. Pour avoir la contre-épreuve, on électrise la seconde patte, et vous voyez alors que la déviation change de sens. Enfin, pour montrer que la déviation n'est pas due à une dérivation du courant produisant l'excitation, nous avons attendu que les muscles eussent perdu leur exci- tabilité, et alors on a beau électriser, le galvanomètre n'indique rien, quelle que soit l'intensité du courant. Il reste donc bien démontré que la chaleur produite est le résultat de la contraction musculaire. Je vous ai parlé déjà de l'appareil à température fixe de M. d'Àrsonval. Je vais vous donner la description sommaire de l'étuve qui a servi à nos recherches et dont les dimensions ont été réduites pour cet usage. Cette étuve se compose de deux vases cylindro- coniques concentriques limitant deux cavités : l'une centrale qui est l'enceinte qu'on veut maintenir con- stante, l'autre annulaire que l'on remplit par la douille et qui constitue le matelas liquide soumis à l'action du foyer. Ce matelas d'eau distribue régulièrement la cha- leur autour de l'enceinte et l'empêche de subir de brusques variations de température; il mérite donc bien le nom de volant de chaleur que lui a donné M. Schlœ- sing. M. d'Arsonval a eu l'idée d'utiliser les variations de 486 DU SANG. volume de cette masse énorme de liquide pour régler le passage du gaz allant au brûleur. C'est là ce qui con- stitue l'originalité de ses appareils en même temps que leur exquise sensibilité. Pour cela, la paroi externe de l'étuve porte une tubu- lure latérale qui, communiquant avec l'espace annu- laire (2, fig. 106), se trouve fermée à l'extérieur par FlG. 106. — Appareil de d'Arsonval pour obtenir une température constante. une membrane verticale de caoutchouc; cette mem- brane constitue, une fois la douille du haut (3, fig. 106) DOSAGE DU SUCRE. 487 bouchée, la seule portion de paroi qui puisse traduire à l'extérieur les variations de volume du matelas d'eau en les totalisant. Or le gaz qui doit aller au brûleur est amené par un tube (4, lîg. 106) qui débouche norma- lement au centre de cette membrane et à une faible distance de sa surface externe dans l'intérieur d'une boîte métallique, d'où il ressort par un autre orifice (5, fig. 106) qui le conduit au brûleur. Tube et mem- brane constituent de la sorte un robinet très-sensible dont le degré d'ouverture est sous la dépendance des variations de volume du matelas d'eau, et qui ne laisse aller au brûleur que la quantité de gaz strictement nécessaire pour compenser les causes de refroidisse- ment. Dans cette combinaison, le combustible chauffe direc- tement le régulateur qui à son tour réagit directement sur le combustible; ainsi se trouve justifiée l'épithète appliquée à ces régulateurs qui, de la sorte, ne peuvent être paresseux à régler. L'étude de la température du sang se rapporte aux conditions physiques de ce milieu intérieur ; parmi les conditions chimiques, une des plus importantes et des plus délicates à étudier est celle de sa teneur en sucre (état glycèmiqué). Cette question a été de notre part, depuis nombre d'années, l'objet de recherches spéciales, publiées dans un volume consacré tout entier à ce sujet. C'est pourquoi, renvoyant à ces leçons antérieures, nous vous donnerons seulement ici les derniers perfec- tionnements que nous avons apportés, avec mon prépa- rateur, aux procédés de dosage du sucre dans le sang : 488 DU SANG. nous avons à indiquer les détails de l'instrumentation et ceux du manuel opératoire. Instrumentation. — Cette opération exige les objets suivants : 1° Six capsules de porcelaine de 20 grammes avec leur tare ; 2° Un support avec une lampe à alcool pour la cuisson ; 3° Une petite balance Roberval ; 4° Une petite presse de forme spéciale pour presser le caillot ; 5° Une burette divisée de forme spéciale qui repré- sente la figure ci-jointe; 6° Du sulfate de soude ordinaire en petits cristaux, un flacon de liqueur bleue et un flacon de potasse caustique en pastilles. Manuel opératoire. — On pèse préalablement 20 gr. de sulfate de soude dans chacune des capsules ; cela fait, on prend le sang dont on veut doser le sucre, soit au moyen d'une seringue, soit directement par une saignée au vaisseau, et on pèse 20 grammes que l'on mélange exactement aux 20 grammes de sul- fate de soude. On porte alors la capsule sur le petit support, et on fait cuire le mélange. On connaît que l'opération est terminée lorsque la mousse qui surmonte "le caillot est parfaitement blanche et que ce dernier ne présente plus de points rougeâtres. On retire alors du feu et on rétablit sur la balance le poids primitif, en ajoutant de l'eau pour compenser la L./Josf/ir FlG. 107. — Ballon et burette pour le dosage du sucre. 1, burette; 3, son orifice inférieur fermé par uue pince à pression; 2, ballon chauffé par le bec de gaz (6) et dans lequel s'opère la réaction; 4, tube pour le dégagement de la vapeur, et dont l'ajutage en caoutchouc est pincé ensuite par une pince à pres- sion pour empêcher la rentrée de l'air. 490 DU SANG. perte due à l'évaporation et à la vaporisation. Le tout est jeté dans la petite presse dont on tourne lentement lavis. Le liquide passe au-dessus du plateau compresseur, et on le verse sur un filtre qui surmonte la burette. Pendant que le liquide filtre, on verse dans le petit ballon (2, fîg. 107) qui est au-dessous de la burette (4-3, fîg. 107) 1 centimètre cube de la liqueur bleue; on ajoute 10 à 12 pastilles de potasse et environ 20 gr. d'eau distillée. On purge ensuite la burette, dont on serre la pince inférieure pour empêcher tout écoulement. On met sur le ballon le bouchon de caoutchouc qui donne passage au tube qui termine la burette et à un second tube coudé ayant un caoutchouc muni d'une pince à pression continue (4, fîg. 107). C'est ce tube qui sert de dégagement pour la vapeur lorsqu'on chauffe le liquide du ballon après avoir retiré la pince. Si on cesse de chauffer, on empêche la ren- trée de l'air en pinçant le caoutchouc. On porte le liquide à l'ébullition à l'aide d'une lampe à alcool ou d'un bec de gaz ; on laisse alors tomber le liquide contenu dans la burette, d'abord rapidement, puis goutte à goutte. On voit alors le liquide bleu du ballon se décolorer de plus en plus et devenir parfaite- ment limpide, ce que l'on reconnaît surtout en obser- vant les bulles de vapeur qui se dégagent. Le dosage est alors terminé, et on lit sur la burette la quantité du liquide écoulé, soit n centimètres cubes. La formule s = 8- n DOSAGE DU SUCRE. 491 fait connaître en grammes le poids de sucre contenu dans 1 kilogramme du sang qu'on vient d'ana- lyser. Si, par exemple, il a fallu 4 centimètres cubes de liquide pour la décoloration, ce qui est la moyenne, la formule donne 2 grammes de sucre pour 1000 de sang, etc. (1). (1) Pour le détail et l'explication de cette formule, voyez les Leçons sur le diabète et la glycogénèse. Paris, 1877, p. 203. QUATRIÈME PARTIE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL DIGESTIF VINGT ET UNIÈME LEÇON Sommaire : Physiologie opératoire de l'appareil digestif. — Historique de la question. — Actes mécaniques et actes chimiques de la digestion. — Digestions artificielles in vitro. — Liquides digestifs. — Fistules pour se procurer les liquides digestifs, et notamment le suc gastrique. — Tentatives de de Graaf. Étude de la salive. — ' Salive mixte. — Il y a trois espèces de salives bien distinctes. — Expériences sur les carnivores et les herbivores. Messieurs, Pour comprendre la portée des expériences propres à nous fixer sur la physiologie de l'appareil digestif, il est indispensable de jeter un rapide coup d'œil sur l'histoire de cette question. L'étude vraiment expérimentale de la digestion est de date relativement récente : les anciens se contentaient à ce sujet, pour toute explication, de comparaisons plus ou moins heureuses avec des phénomènes vulgairement connus: ainsi, la digestion était pour Hippocrate une coction; pour Galien, une fermentation comme celle du vin dans la cuve; plus tard van Helmont reproduisait ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 493 cette comparaison; pour lui, la digestion était une fer- mentation analogue à celle de la pâte du pain; de même que la ménagère, après avoir pétri le pain, garde un peu de pâte pour l'utiliser comme levain clans une prochaine opération de pétrissage, de même, disait van Helmont, le tube intestinal ne se vide jamais complètement, et le résidu qu'il conserve après chaque digestion devient le levain qui servira à la digestion suivante. Les premières recherches expérimentales sur la di- gestion datent de la fin du xvne siècle, alors que l'Aca- démie de Florence retentit d'une célèbre et longue controverse entre Borelli et Valisnieri (1). Le premier ne voulait voir dans la digestion qu'un acte purement mécanique, un travail d'attrition par lequel les substances ingérées étaient finement divisées et comme pulvérisées; et Borelli invoquait, à l'appui de cette opinion, les faits qu'il avait observés relativement à l'estomac (jabot) des oiseaux ; on sait que ce réservoir à parois musculaires très-épaisses peut exercer sur son contenu une pression telle qu'il brise les corps les plus résistants. Identifiant l'estomac de l'homme au jabot de l'oiseau, Borelli était amené à attribuer aux parois de ce viscère une force énorme, évaluée à plus de mille livres, et dont la mise en jeu constituait, disait-il, l'essence même des phéno- mènes digestifs. — Valisnieri, au contraire, ayant eu occasion d'ouvrir un estomac d'autruche, y avait trouvé un liquide paraissant agir sur les corps qui y étaient plongés; ce liquide, disait-il, est l'agent actif de la (1) Accademia ciel Cimento. — Laggi di naturali expérience faite nelVAc- cademia del Cimento. 1667. 494 APPAREIL DIGESTIF. digestion ; c'est une espèce d'eau forte qui dissout les matières alimentaires. Ces deux opinions opposées, résultant bien plus d'ob- servations que d'expériences régulièrement instituées, furent le point de départ des recherches expérimen- tales entreprises par Réaumur en 1752. Pour résoudre le problème posé parBorelliet Yalisnieri, Réaumur fait avaler à des oiseaux des matières alimentaires renfer- mées dans des tubes creux et percés à jour, de telle sorte que ces substances, soustraites à l'action mécani- que des parois de l'estomac, fussent cependant soumises encore à l'action du liquide stomacal. Les premiers tubes (verre, fer-blanc, etc.) mis en usage furent broyés, plies, aplatis par l'action des parois du jabot, et Réau- mur ne parvint à opposer à cet effort mécanique une résistance suffisante qu'en employant des tubes deplomb assez épais pour n'être point aplatis par un poids de 484 livres : telle était, en effet, la force développée par les parois contractiles du jabot des dindons, canards et coqs mis en expériences. Ces tubes de plomb, remplis des graines dont ces oiseaux se nourrissent, et bouchés seulement d'un grillage permettant la pénétration des sucs stomacaux, ces tubes, après un long séjour dans l'estomac, renfermaient encore ces graines parfaitement intactes, si celles-ci n'avaient pas été préalablement broyées; s'ils avaient été remplis de viande, celle-ci élait retrouvée corrompue mais non digérée. Réau- mur fut donc amené tout d'abord à considérer la diges- tion, chez les gallinacés, comme une pure et simple trituration. Mais, répétant ces expériences sur des ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 495 oiseaux de proie (faucon, buse, etc.), il observa cette fois qu'ici la digestion consiste essentiellement en une dissolution, sans acte mécanique important, et qu'il en est de même, chez tous les animaux à estomac mem- braneux, pour la digestion de la viande. Pour se procurer le liquide, agent de cette dissolu- tion, Réaumur fit avaler à ces oiseaux des éponges retenues par un fil; retirant ces éponges au bout d'un certain temps, il en exprimait le liquide dans un verre et recherchait l'action de ce liquide sur la viande. Telles sont les premières tentatives de digestions artificielles in vitro ; Réaumur ne poussa pas très-loin ces dernières investigations et n'en obtint pas des résultats très-dé- cisifs; mais il n'en doit pas moins être considéré comme l'inventeur des digestions artificielles. Les expériences de Réaumur furent reprises en 1777 par Spallanzoni, qu'on cite généralement comme ayant le premier fait entrer l'étude de ia digestion dans la voie expérimentale, quoique cette gloire appartienne en réalité à Réaumur, ainsi que nous l'avons dit. Spallanzani se refusant à croire que la digestion chez les gallinacés ne fut qu'un simple acte d'attrition mécanique, recommença les expériences de Réaumur sur ces oiseaux; et, en laissant séjourner plus longtemps dans leur estomac les tubes remplis de graines, il observa que ces graines pouvaient être digérées par le suc de l'esto- mac sans subir l'action mécanique des parois viscérales, ïl conclut donc en disant que la digestion se compose d'actes mécaniques et d'actes de dissolution chimique; que ces deux ordres d'actes existent également chez tous 496 APPAREIL DIGESTIF. les oiseaux, mais peuvent, selon les espèces, être plus ou moins intenses; les actes mécaniques, presque nuls chez les oiseaux de proie, acquièrent une grande importance chez les gallinacés ; mais on ne saurait les considérer comme constituant uniquement la digestion; ils sont nécessaires et presque indispensables pour la trituration des graines, et cette trituration n'est qu'un acte prépa- ratoire ; un sac de blé moulu n'est pas du blé digéré, mais mieux préparé à subir l'action des liquides digestifs. Déplus, Spallanzoni étendit ses expériences à un plus grand nombre d'animaux : il opéra sur des gallinacés, des corbeaux, des hérons, des poissons, des serpents, des chats, des chiens. Il constata que dans l'estomac d'un animal qu'on vient de sacrifier, les actes chimiques de la digestion se continuent encore après la mort, et que l'estomac finit par se digérer lui-même, c'est-à-dire que les liquides digestifs qu'il renferme en attaquent et en ramollissent les parois, si le cadavre est maintenu à une température égale à celle de l'animal vivant. Cette digestion artificielle, en dehors de tout acte vital, Spal- lanzoni la réalisa, comme Réaumur, in vitro, avec les liquides extraits de l'estomac d'un animal. Dès ce moment, l'étude expérimentale avait tranché la question théoriquement débattue par Borelli et Valisnieri: la digestion ne pouvait plus être considérée que comme une dissolution des aliments par le liquide de l'estomac, par le suc gastrique. Mais il restait à connaître ce suc gastrique et à déter- miner sa nature et son mode d'action. Les opinions étaient on ne peut plus contradictoires à ce sujet. ACTES MÉCANIQUES ET CHIMIQUES. 497 Chaussier et Dumas, de Montpellier, regardaient le suc gastrique comme de composition très- variable, tantôt alcalin, tantôt acide, selon les aliments ingérés. A côté de ces opinions entièrement hypothétiques, quelques ré- sultats expérimentaux avaient conduit à des conceptions tout aussi erronées, faute d'une critique expérimentale rigoureuse : c'est ainsi que Montègre niait l'existence du suc gastrique comme liquide particulier; ce qu'on pre- nait, disait-il, pour du suc gastrique, n'était, pour lni, que de la salive arrivée dans l'estomac et devenue acide, Il faisait, pour le démontrer, l'expérience suivante : il mâchait un morceau de pain, puis le déposait sur une assiette; cette bouillie était d'abord alcaline, puis, au bout de quelque temps, elle devenait acide. A cette époque (1813), cette expérience était en effet assez em- barrassante pour les partisans de l'existence d'un suc gastrique propre ; nous n'avons pas aujourd'hui besoin de la réfuter. Ces quelques exemples suffisent pour montrer com- bien les physiologistes étaient peu fixés sur la nature et sur les propriétés du suc gastrique. C'est alors (1823) que l'Académie eut l'heureuse initiative de proposer la digestion comme question de prix. Tiedemann etGmelin en Allemagne, Leuret et Lassaigne en France, répon- dirent à cet appel par des travaux d'un égal mérite, et l'Académie partagea le prix entre eux. Le travail de Tiedemann etGmelin nous intéresse pi us particulièrement par le grand nombre d'expériences entreprises par ces auteurs, et desquelles résultèrent et la démonstration absolue de l'existence du suc gastrique et l'étude de la CL. Bernard. — Physiol. opér. 32 498 APPAREIL DIGESTIF. transformation de la fécule en glycose. Ainsi la théorie de la digestion entrait dans une nouvelle phase ; il était reconnu enfin, du moins pour certaines substances, qu'il n'y a pas simplement dissolution, mais bien trans- formation chimique. En même temps, les observations que W. Beaumont fit sur un chasseur canadien dont l'estomac était resté ouvert à la suite d'une blessure par arme à feu, ces obser- vations venaient confirmer l'existence du suc gastrique et nous éclairer sur sasécrétion, sur son action. Par cette large fistule, qui mettait au jour la surface muqueuse de l'estomac, W. Beaumont put voir le suc gastrique, sous l'influence de la présence des aliments, suinter en gout- telettes et ruisseler sur la surface muqueuse, comme la sueur suinte et ruisselle sur la peau ; l'origine du suc gastrique était donc évidente, et il n'y avait plus à tenir compte de l'expérience de Montègre. Un nouveau et important progrès fut accompli en 1834 par Éberle, qui s'occupa surtout des digestions artificielles, c'est-à-dire des digestions effectuées in vitro avec les sucs digestifs empruntés à un animal, et de la fabrication de liquides digestifs artificiels. Éberle montra eu effet qu'en faisant macérer un morceau des parois stomacales on obtient un liquide qui jouit des mêmes propriétés que le suc gastrique : le principe actif est donc formé par le tissu de la muqueuse stomacale, et il peut en être entraîné par macération. Aujourd'hui nous ap- pliquons ce procédé de préparation de liquides digestifs artificiels à toutes les glandes annexées au tube digestif, et nous pouvons ainsi obtenir chimiquement purs les SÉCRÉTIONS DIGESTÏVES. 499 principes actifs de la salive , du suc gastrique, du suc pancréatique; c'était donc un progrès notable que réalisait Ëberle en montrant la possibilité de semblables opérations. D'autre part, le fait de W. Beaumont et de son Cana- dien devait naturellement faire penser à réaliser artifi- ciellement chez les animaux des fistules donnant un accès plus ou moins libre dans la cavité stomacale. Blon- dlot, de Nancy, en 1842, fit des expériences dans ce sens avec un plein succès, et depuis cette époque les fistules gastriques chez les chiens sont devenues une opération classique en physiologie expérimentale. C'est vers cette époque que nous entreprîmes sur la digestion une série de recherches, publiées ultérieure- ment dans les Leçons du Collège de France; les procédés opératoires que nous avons mis en usage, que nous avons perfectionnés depuis, et parmi lesquels nous choisirons les expériences types, seront décrits dans les chapitres suivants. Mais nous devons d'abord indiquer dans quel esprit nous ferons ce choix, et quels sont, parmi les appareils de la digestion, ceux dont l'étude a le pius d'importance au point de vue de la physiologie en général. Ces appa- reils se divisent naturellement en deux classes : 1° Les uns sont des appareils mécaniques, destinés à la pré- hension, la division, la trituration des aliments et à leur cheminement dans le tube digestif. Ces appareils sont très-variables selon l'espèce animale considérée, selon que Panimal est herbivore ou Carnivore, en un mot selon les variétés infinie des propriétés physiques des 500 APPAREIL DIGESTIF. aliments. — 2° Les autres sont des appareils chimiques destinés à dissoudre et à modifier (transformer) les sub- stances alimentaires. Or, quelles que soient leurs variétés de consistance, de forme, de propriétés physiques en un mot, ces substances sont toujours les mêmes au point de vue chimique, que l'animal soit herbivore ou Carni- vore ; aussi les appareils chimiques sont-ils les mêmes pour tous les animaux, ou du moins trouvons-nous les mêmes glandes annexées à l'appareil, les mêmes liquides versés dans le tube digestif, chez l'homme, chez le chien, chez le lapin/chez les ruminants; à part des différences anatomiques qui rendent souvent difficile d'établir l'ho- mologie des organes sécréteurs, on peut dire que ces liquides sont les mêmes jusque chez les insectes. C'est] en vue de ces actes chimiques, actes les plus généraux et les plus essentiels, que nous nous efforce- rons d'établir les procédés opératoires les plus propres à nous permetire d'isoler les liquides digestifs et d'en étudier l'action sur les substances alimentaires. Nous commencerons donc cette nouvelle série de nos études de technique expérimentales par l'examen suc- cessif, des liquides du tube digestif, à savoir, de la salive, de la bile, du suc gastrique et de toutes les sécrétions du tube intestinal. Pour se rendre un compte exact de leurs propriétés, il est indispensable de les obtenir tous à l'état de pureté parfaite ; nous nous efforcerons donc, par-dessus tout, de décrire, avec le soin le plus scru- puleux, les procédés opératoires qui nous permettent d'atteindre ce résultat. ÉTUDE DE LA SALIVE. 501 La salive est, de tous ces liquides, celui que nous nous proposons d'examiner d'abord. A première vue, rien ne paraît plus facile que d'en obtenir de grandes quan- tités par simple expuition. Mais la salive obtenue par ce moyen est un liquide complexe, provenant d'un grand nombre de sources différentes. Aussi , pour prendre une connaissance complète de ses propriétés et de ses origines, faut-il examiner successivement chacune des glandes salivaires. De Graaf, qui, de tous les physiologistes du dix- septième siècle, paraît avoir pratiqué le plus grand nombre de vivisections, a publié un ouvrage, renfermant plusieurs planches (1), dans lequel il rapporte les expériences entreprises par lui pour obtenir du suc pan- créatique. Sur l'une de ces planches représentant un chien en expérience, on voit un tube introduit dans le canal de Sténon et en rapport avec un petit réservoir en verre. Il semble d'après cela que cet auteur avait cherché à obtenir de la salive parotidienne pure, bien que cette expérience ne soit pas mentionnée dans le texte. En 1784, H. de Lachenay, professeur à l'École vété- rinaire de Paris (actuellement l'École d'Alfort), décou- vrit le conduit parotidien chez le cheval et l'ouvrit pour recueillir le liquide sécrété par la glande. Il éta- blit facilement toutes ses propriétés, et trouva qu'elles différaient entièrement de celles du liquide complexe qui s'échappe de la bouche de l'animal. Depuis cette (1) Voy. ci-dessus, p. 59, le Frontispice du livre de Régnier de Graaf (fi* 1). ' 502 APPPAREIL DIGESTIF. époque, on a observé dans la pratique plusieurs cas qui ont permis aux médecins de recueillir la salive paro- tidienne pure chez l'homme. Or, on a admis universel- lement qu'il existait deux variétés de salive : l'une pro- duite par la parotide, et qu'on supposait être la salive pure ; l'autre, constituée par le liquide complexe obtenu par l'expuition. Cette distinction a été reconnue par Tie- demann etGmelin, et l'on a cru longtemps que toutes les autres glandes salivaires sécrétaient un liquide iden- tique à celui de la parotide. Ce n'est qu'en 1847 que je pus, par des expériences directes, me convaincre que la sécrétion de la glande sous-maxillaire était totale- ment différente ; depuis cette époque, des expériences variées ont mis en lumière les différentes propriétés de chaque espèce de salive. Nous avons actuellement recours, à propos de chaque glande, à un procédé opératoire spécial, dans le but de recueillir les produits de sa sécrétion. Quant à la salive complexe, dont les caractères ont également la plus haute importance pour le physiolo- giste, on l'obtient facilement par expuition. Mais il faut que l'observateur se soit soumis au jeûne depuis un cer- tain temps. Magendie et Rayer en ont recueilli de grandes quantités chez le cheval, en faisant mâcher à l'animal du son préalablement plongé dans l'eau bouillante afin de le débarrasser de toutes ses parties solubles. La salive humaine a été, bien entendu, le principal objet de nos recherches ; nous avons examiné ensuite celle du chien, du cheval, du mouton, du bœuf, du lapin et de presque tous les animaux domestiques. ÉTUDE DE LA SALIVE. 503 Nous nous contenterons de faire devant vous l'expé- rience sur un Carnivore et sur un herbivore, afin de vous convaincre de l'énorme différence qui existe entre les salives des diverses espèces. Mais nous ne nous bor- nerons pas à étudier les propriétés chimiques de ce liquide, et nous déroulerons complètement devant vous toute l'histoire expérimentale de sa sécrétion. Quels sont les agents qui provoquent sa production? Quelles sont les substances éliminées par les glandes sali vaires? Quelles sont celles qu'elles absorbent par leur surface interne? Telles sont quelques-unes des questions que nous avons l'intention de traiter. VINGT-DEUXIÈME LEÇON Sommaire : Propriétés de la salive parolidienne. — Comment il faut s'y prendre pour introduire des tubes dans le conduit parotidien. — Disposi- tion anatomique des parties chez le cheval et le chien. — Propriétés des salives ainsi obtenues. — Elles diffèrent avec les diverses espèces et quel- quefois chez divers individus de la même espèce. — Explication de cette contradiction apparente. — Caractère intermittent de la sécrétion. — Des différentes manières de l'exciter. — L'affinité élective des glandes sali— vaires démontrée par différentes expériences. — Toutes les substances peuvent passer dans la salive lorsqu'elles ont été introduites en suffisante quantité dans le sang. — Du pouvoir absorbant de la surface interne des glandes. — Sa disparition pendant le cours de la sécrétion. Messieurs, Ainsi que nous l'avons dit dans la dernière leçon, les glandes salivaires sont le premier objet sur lequel nous allons attirer votre attention en commençant la partie expérimentale de ce cours relative à l'appareil digestif. La salive est sécrétée par trois glandes principales, dont les fonctions réclament une étude spéciale dans chaque cas particulier. Chacune d'elles, en effet, a son usage propre et, lorsque son action vient à être inter- rompue, elle ne peut être suppléée par les autres. Comme pour chaque glande une opération chirur- gicale spéciale est nécessaire à l'effet d'obtenir à Tétat de pureté parfaite le liquide qu'elle produit, il est selon moi indispensable que je vous expose les notions anato- FISTULES SALIVAIRES. 505 iniques précises, qui vous permettront de répéter vous- mêmes l'expérience. Chez le cheval, la glande parotide est située en partie au-dessous, en partie en avant de l'oreille externe (voy. fig. 108 : les contours de la glande sont indiqués par une ligne pointillée). Les nombreux conduits qui émanent de ses lobules s'anastomosent successivement entre eux, de manière à constituer un tronc considé- rable, lequel, après s'être dirigé pendant un certain temps en bas, se relève de nouveau vers la bouche et Fig. 108. — Canal excréteur de la parotide chez le cheval ;• trajet de ce canal; ses rapports avec les nerfs et vaisseaux faciaux. pénètre dans la cavité buccale au niveau delà deuxième molaire. Il décrit ainsi une courbe (fig. 108) dont la concavité embrasse la branche montante de la mâchoire inférieure. Lorsqu'on ouvre ce tronc, il faut avoir bien soin d'éviter les vaisseaux et nerf faciaux qui le croisent. 506 APPAREIL DIGESTIF. o G c Pour ne pas léser ces organes importants, il faut se guider pendant l'opération sur le bord antérieur du masséter. Faites l'incision le long de son tiers infé- rieur, et vous arriverez immédia- tement sur le conduit parotidien, précisément au point où il change de direction pour se porter vers la bouche (fig. 108). On peut impu- nément le diviser en ce point, pour y introduire un petit tube. Celui dont nous allons nous servir ici est en argent et renferme un stylet (fig. 109), qui sert à le net- toyer lorsqu'il vient à s'obstruer, et qui rend son introduction plus facile. Le conduit excréteur est ensuite lié sur le tube, immédia- tement au-dessus du point où il a été introduit. Nous pratiquons ici l'expérience sur un animal vivant. Vous voyez qu'il ne s'échappe pas une seule goutte de salive au moment où le tube est introduit dans le canal de Sténon. Le même procédé est applicable à la plupart des herbivores. Chez le lapin cependant les parties sont disposées tout différemment ; mais le canal de Sténon présente les mêmes rapports que JB U Fig. 109. — Sondes avec sty- let central (mandrin) pour les fistules salivaires. Ces sondes (A, B, C) sont de divers calibres, pour servir aux divers animaux (chien, cheval, etc.) et aux diverses glandes ; les petits cercles a, b, c représentent la coupe (le calibre) de ces glandes ou canules. FISTULES SALIVÂIRES. 507 chez le chien. 11 faut donc opérer comme chez ce dernier. Le canal parotidien du chien traverse les fibres mus- culaires du masséter et, suivant un trajet direct, vient FlG. 110. — Canal parotidien du chien ; ses rapports avec l'artère faciale et le nerf facial. s'ouvrir dans la bouche au niveau de la deuxième molaire. Pour faire la même opération que tout à l'heure, il faut sentir le bord inférieur de l'arcade zygo- matique et le suivre de son extrémité postérieure à son extrémité antérieure. On découvrira ainsi une petite dépression qui correspond au point où le conduit pénètre clans la bouche. Faites une incision transversale en ce point, et vous le trouverez facilement; mais auparavant il faut disséquer avec soin les vaisseaux et nerf faciaux qui passent en avant, et les écarter ensuite avec une sonde courbe. Le conduit apparaît immédiatement au-dessous : il ne reste plus qu'à l'ouvrir et à y plonger un tube. 508 APPAREIL DIGESTIF. Nous pratiquons ici l'expérience sur un chien de moyenne taille. Au moment où le conduit est ouvert, l'animal pousse quelques cris plaintifs. Cela prouve que ie conduit parotidien est quelquefois doué de sensibilité, bien que le contraire ait lieu le plus souvent. Vous voyez, Messieurs, qu'il ne sort pas en ce moment une seule goutte de salive du tube; c'est qu'en effet ce liquide n'est généralement sécrété que pendant la mas- tication et la déglutition, ou bien sous l'impression d'une vive douleur ou d'une saveur énergique. Vous savez parfaitement que certaines influences morales peuvent aussi exciter cette sécrétion; le fait est bien établi pour l'homme et peut être également vérifié chez les ani- maux inférieurs. Le cheval sur lequel je viens d'opérer devant vous n'a pas mangé depuis plusieurs heures. La simple vue des aliments va provoquer immédiate- ment une abondante sécrétion. Nous faisons apporter une botte de foin : l'animal témoigne une grande exci- tation, et un jet de salive s'écoule du tube. Les acides toutefois sont, de tous les agents, les plus puissants à exciter les glandes salivaires. Berzelius avait déjà remarqué, il y a quelques années, que les sécrétions alcalines étaient excitées par les substances acides, et vice versa; or, la salive étant une sécrétion alcaline peut être produite par l'action des acides sur les nerfs gustatifs, tandis que les alcalins demeurent relativement sans action sur elle. Nous pratiquons l'expérience sur un chien, dans le conduit parotidien duquel on a préalablement introduit un tube. On verse quelques gouttes de vinaigre dans la FISTULES SALIVAIRES. 509 bouche de l'animal, et l'on voit aussitôt la salive s'écouler goutte à goutte par le tube. On remplace ensuite le vinaigre par une solution alcaline, et l'on n'obtient aucun résultat appréciable. Examinons maintenant la salive que nous avons recueillie chez ces deux animaux. Chez le chien, comme vous le voyez, c'est un liquide limpide, incolore, d'une réaction fortement alcaline. Mais il n'en est pas toujours ainsi. Nous trouvons, en effet, dans le grand ouvrage de Tiedemann et Gmelinr sur les liquides digestifs, qu'après avoir divisé le conduit parotidien d'un chien et avoir plongé son extrémité dans un petit flacon de verre, ils ont recueilli dix grammes d'un liquide visqueux, ressemblant beaucoup à première vue à l'albumine. Telles seraient, suivant ces observateurs, les propriétés caractéristiques de la sécré- tion parotidienne. Leur conclusion , vous le voyez, diffère absolument de celle à laquelle nous venons d'ar- river, et si vous répétiez l'expérience sur dix ou douze animaux, vous auriez probablement une ou deux fois le même résultat. Comment expliquer cette contradiction apparente? La raison en est dans une disposition anatomique spé- ciale. Il arrive quelquefois qu'avant de s'ouvrir dans la bouche, le canal de Sténon reçoit l'anastomose des canaux excréteurs de deux ou trois petites glandes mu- cipares (a!, fîg. 111), qui mélangent ainsi leur propre sécrétion au liquide parotidien. Rien n'est plus facile à démontrer que cela. Il suffit , chez les animaux qui présentent cette conformation, d'ouvrir le canal 510 APPAREIL DIGESTIF. au-dessus du point où il est rejoint par ces conduits accessoires, et vous obtiendrez la sécrétion normale et pure de la glande, telle que nous venons de vous la Fig. 111. — Glande parotidienne (a, a) du chien, et glandes mucipares {a', a") qui s'abouchent parfois dans le canal parotidien (b, b). montrer. Cette disposition anatomique, qui est excep- tionnelle chez le chien, est au contraire normale chez l'homme. Notre salive parotidienne , au moment qu'elle se déverse dans la bouche, jouit donc toujours d'un cer- tain degré de viscosité. De tous les animaux, c'est le chien qui, sous ce rapport, se rapproche le plus de notre propre organisation. Quant à la salive recueillie chez le cheval, vous voyez qu'elle offre au contraire une apparence visqueuse; comme celle du chien, elle a une réaction fortement alcaline; mais la chaleur et l'acide nitrique en préci- pitent une substance albumineuse, laquelle paraît spé- ciale à la race chevaline, bien que sa composition chi- mique n'ait pas encore été exactement reconnue. FISTULES SALIV AIRES. 511 Examinons maintenant quelques-uns des caractères les plus importants de la sécrétion en elle-même, en dehors de la nature du liquide sécrété. Lorsqu'on a introduit un tube dans le conduit paro- tidien sur un animal vivant (fig. 112 et 113) , on constate facilement que la salive ne s'écoule que par Fig. 112. — Fistule parotidienne chez le cheval, avec canule et petit sac pour recueillir la, salive. a, canal de Sténon dans lequel est engagé le tube e; b, branche du nerf facial ; c, artère faciale; f, g, h, détails du robinet et de l'ajutage du petit sac qui reçoit la salive du tube e. intervalles. Chez le cheval, qui en émet des quantités prodigieuses pendant la mastication , la sécrétion cesse brusquement de temps à autre , et cela alors même que la mastica- tion continue. La raison de ce singulier phéno- mène est longtemps de- meurée incertaine : nous SaVOnS maintenant que Fig. 113.- Fistule parotidienne chez le chien. (Lettres comme dans la figure 112.) la glande placée du cote de la bouche où a lieu la mastication suffit presque tftfi-ta 512 APPAREIL DIGESTIF. entièrement à l'insalivation des aliments; quand donc, ainsi que cela a été pratiqué sur l'animal que vous avez sous les yeux, on a placé un tube dans les deux con- duits, il est clair que, pendant la mastication, les deux parotides entrent alternativement en action; pendant que l'une sécrète, l'autre est au repos. Le cheval sur lequel nous avons opéré est en train en ce moment de satisfaire sa faim; et vous voyez que la salive, bien qu'abondante, ne s'écoule que d'un seul côté à la fois. A l'état normal, la composition chimique de la salive, pour une même glande, demeure invariablement la même : elle peut cependant renfermer accidentellement des substances étrangères, Nous saisissons avec empres- sement cette occasion de vous montrer, dans tout son jour, l'action élective des glandes : la sécrétion que nous étudions en ce moment offre un exemple remarquable de cette singulière propriété. Parmi les différentes substances introduites dans le sang, nous en trouvons qui passent presque instantanément dans la salive; l'iode et ses divers composés jouissent de cette propriété. D'autres substances n'y pénètrent qu'avec la plus grande difficulté : les sels de fer appartiennent pour la plupart à cette dernière classe. Une expérience directe va vous permettre d'en juger par vous-mêmes. Nous ouvrons la veine crurale d'un chien et nous introduisons dans le vaisseau l'extrémité d'une petite seringue. Par cette seringue, nous injectons une certaine quantité (cinq centimètres cubes) d'une solution au centième de prus- siate jaune de potasse, en même temps qu'une quan- tité égale d'une solution semblable d'ioclure de po- GLANDES SALIVALRES. 513 tassium; cette dernière substance apparaît presque instantanément dans la salive de l'animal, alors qu'aucun des réactifs habituels ne décèle la plus petite trace de ferrocyanure. Dans l'urine au contraire, nous allons le trouver en quantité considérable; ce qui démontre sur- abondamment la pénétration de cette substance dans l'économie, bien que les glandes salivaires se refusent à l'éliminer. Il est nécessaire, avant d'employer les réactifs habi- tuels, de neutraliser, par l'addition de quelques gouttes d'acide acétique, la réaction alcaline normale de la salive; autrement, les résultats pourraient être em- pêchés. Vous voyez donc, messieurs, que l'iode et ses com- posés passent rapidement dans la salive, tandis que les principaux sels de fer ne s'y retrouvent pas dans les circonstances ordinaires. Nous possédons pourtant divers moyens de triompher, pour ainsi dire, de cette résistance des glandes salivaires. Tout d'abord, si nous combinons une de ces substances réfractaires avec une autre qui jouit de la propriété de passer dans la salive, la diffi- culté est vaincue : l'iodure de fer, par exemple, se retrouve rapidement dans la salive à cause de l'iode qu'il renferme. En second lieu, si nous avons recours à une injection directe, les glandes salivaires pourront être, pour ainsi dire, forcées d'éliminer la substance étrangère. Nous pouvons, par exemple, introduire de grandes quantités de prussiate de potasse dans les veines d'un animal, sans que les réactifs les plus sensibles nous montrent cl. Bernard. — Physiol. opér. x 33 514 APPAREIL DIGESTIF. le moindre vestige de sa présence dans la salive. Mais si, au moyen d'une injection dans la carotide primitive, nous créons une sorte de pléthore locale dans l'atmos- phère des glandes salivaires, nous parvenons au résultat désiré, ce qui, dans d'autres circonstances, ne serait jamais arrivé. Il reste donc établi que ce qu'on a appelé Y affinité des glandes pour certains corps exprime seulement la facilité plus grande avec laquelle ces corps pénètrent dans le liquide sécrété. Toutes les substances peuvent passer par les sécrétions, à la condition qu'elles aient été introduites en quantité suffisante dans le sang qui four- nit les éléments de ces diverses sécrétions. L'affinité des glandes salivaires en particulier est toutefois le point de départ d'un grand nombre de phé- nomènes singuliers. Si Ton administre, par exemple, de l'iodure de potassium à un chien, on en retrouvera des traces dans la salive pendant des semaines entières. L'iode se meut ici en effet comme dans un cercle : il passe dans la salive en vertu de l'affinité élective des glandes; mais ranimai, continuant à avaler sa salive imprégnée qu'elle est de ce corps, en absorbe de nouvelles quantités. Cela pourrait durer indéfini- ment; mais qu'on purge fortement l'animal, et alors l'iode sera évacué en bloc par l'intestin et disparaîtra de la salive. Il nous reste maintenant à faire l'expérience inverse. La surface interne des glandes est douée d'un pouvoir absorbant considérable, à la condition que les substances injectées dans leur cavité appartiennent à une classe de GLANDES SALIV AIRES. 515 corps pour lesquels elles ont une certaine affinité élec- tive. Mais quand la sécrétion est en pleine activité, l'absorption est presque entièrement suspendue. Si, par exemple, ainsi que nous vous l'avons déjà dit, on injecte une forte solution de strychnine dans le canal parotidien d'un chien, l'animal est empoisonné presque instanta- nément quand la glande est au repos ; mais si la sécré- tion a été préalablement mise en jeu, le chien résiste pendant assez longtemps. Pour vous convaincre de la rapidité avec laquelle l'absorption a lieu dans les glandes, nous allons injecter dans le conduit parotidien du cheval qui vient de nous servir dans l'expérience précédente, une solution au centième d'iodure de potassium. Nous pratiquerons la ligature du conduit au-dessus de la canule, et nous découvrirons presque immédiatement l'iode dans la sé- crétion de la parotide du côté opposé. Cela prouve qu'après avoir traversé toute l'étendue du système cir- culatoire, la substance injectée a été éliminée de nou- veau par les glandes clans un espace de temps incroya- blement court. Nous venons de faire cette injection; nous recueillons une série d'échantillons de salive de la glande opposée : vous voyez que la réaction de l'iode apparaît bien nette- ment quelques secondes après l'injection. Vous voyez cependant que, bien que rapide, l'élimi- nation n'a pas été absolument instantanée. Cela tient à ce que chez le cheval la circulation est particulièrement lente. En injectant du prussiate de potasse dans la veine jugulaire, et en examinant du sang tiré d'un autre point, 516 APPAREIL DIGESTIF. Hering a démontré que chez cet animal le sang n'ac- complitjpas son circuit complet en moins de vingt-cinq secondes. Cela nous rend suffisamment compte de la lenteur relative de l'élimination. Chez le chien, les résul- tats s'obtiendraient beaucoup plus rapidement. Il nous reste maintenant à examiner la part qui revient au système nerveux dans le mécanisme de la sécrétion parotidienne : tel sera le principal objet de notre pro- chaine leçon de physiologie opératoire. VINGT-TROISIEME LEÇON Sommaïre : Influence du système nerveux sur la sécrétion parotidienne. — Les glandes sont pourvues de trois ordres distincts de nerfs : moteurs, sensitifs et ganglionnaires. — Différence entre les glandes sous-maxillaire et parotide, au point de vue de l'influence ganglionnaire. — De la galva- nisation du grand sympathique pendant la mastication. — Ses résultats. — L'innervation des glandes parotides a évidemment sa source dans les nerfs moteurs. — Influence de la septième paire sur la sécrétion paroti- dienne. — Résultats de la section du nerf facial : 1° au-dessous du trou stylo-mastoïdien ; 2° dans l'intérieur du rocher. — On a supposé que c'é- tait du petit pétreux qu'émanait le nerf moteur de la parotide. — Décou- verte de ce nerf. — Description de l'expérience par laquelle on est arrivé à ce résultat. — Le nerf moteur de la parotide est une branche de l'auri- culo-temporal. — Il accompagne la maxillaire interne. — Il semble être le congénère de la corde du tympan. — Différence entre l'action du système ganglionnaire sur les glandes et celle qu'exercent les nerfs moteurs. — Explication des raisons pour lesquelles le grand sympathique n'exerce aucune action sur les parotides. Messieurs , Les principales questions qui se rattachent à l'histoire de la sécrétion parotidienne ayant été, au point de vue opératoire, à peu près entièrement discutées dans nos précédentes leçons, il nous reste maintenant à recher- cher la part qui revient au système nerveux dans cet acte physiologique. C'est un fait bien connu que toutes les glandes dépen- dent du système nerveux pour l'accomplissement de leurs fonctions, et que l'impulsion émanée des grands centres nerveux est, dans tous les cas, le premier facteur de la 518 APPAREIL DIGESTIF. sécrétion. Sans faire allusion pour le moment à d'autres sécrétions, n'avez-vous pas eu sous les yeux une démon- stration expérimentale de ce grand principe, du moins en ce qui touche les glandes salivaires? N'avons-nous pas vu les impressions variées produites sur les organes du goût, l'action des acides, et même la simple excita- tion résultant de l'aspect des aliments, provoquer in- stantanément l'apparition d'un flot abondant de salive? Vous avez assisté déjà plus d'une fois à ces expériences: aussi, considérant le fait comme pleinement établi, allons-nous essayer de l'expliquer. Toutes les glandes sont invariablement pourvues de trois ordres distincts de nerfs : moteurs, sensitifs et gan- glionnaires. Or, il est impossible de supposer que la sécrétion puisse être le résultat de l'action des nerfs sensitifs ; c'est donc dans les deux autres classes de nerfs qu'il nous faut chercher l'interprétation de son mécanisme. Dans les glandes sous-maxillaires, le système ganglion- naire exerce une influence indéniable sur la sécrétion salivaire. En ce qui concerne la parotide, c'est l'inverse qui paraît avoir lieu. Lorsqu'on galvanise ou qu'on excite, par un moyen quelconque, les ramifications du sympathique qui s'étendent à cette dernière glande, loin d'être augmentée, la sécrétion est presque constamment diminuée. Afin de vous en convaincre, nous allons pra- tiquer devant vous une expérience toute nouvelle ; vous serez dès lors à même de juger par vous-mêmes. Après avoir coupé le sympathique, nous galvaniserons le bout qui reste en rapport avec la glande, et cela pendant que INNERVATION DE LA PAROTIDE. 519 l'animal sera en train de mâcher des aliments. Vous verrez alors que, loin de communiquer une nouvelle im- pulsion à l'action physiologique de la glande, l'excitation du système ganglionnaire vient au contraire l'entraver. Voici un cheval chez lequel on a ouvert des deux côtés le canal de Sténon pour y placer un tube. Je coupe le sympathique d'un seul côté seulement. Une botte de foin est alors placée devant l'animal qui se met à man- ger avec une grande avidité. L'écoulement salivaîre paraît être parfaitement égal des deux côtés. Vous voyez que la glande qui vient d'être soustraite à l'influence du système ganglionnaire continue à rem- plir ses fonctions avec une régularité parfaite. Galvani- sons maintenant le bout périphérique du nerf divisé, sans interrompre la mastication de l'animal. Je pratique l'expérience au moyen d'un fort appa- reil galvanique. On voit l'écoulement de la salive dimi- nuer légèrement; il est même complètement suspendu pendant un moment, au début de l'expérience. Du côté opposé, la quantité de salive produite paraît avoir légèrement augmenté. Vous voyez donc que l'influence du système gan- glionnaire, loin d'augmenter la sécrétion parotidienne, agit au contraire en opposition directe avec elle. Il n'y a d'ailleurs pas à s'étonner de cela : vous savez, en effet, que l'excitation du sympathique produit la contraction des artères, et par suite diminue l'afflux du sang vers les tissus. C'est donc aux nerfs moteurs qu'est exclusivement dévolu le pouvoir de stimuler l'action de ces glandes 520 APPAREIL DIGESTIF. Mais de quelle branche nerveuse spéciale la parotide est-elle dépendante ? Pour la glande sous-maxillaire, nous savons que c'est la corde du tympan qui remplit le rôle en question : l'analogie nous porte à admettre l'existence de quelque branche semblable en rapport avec la parotide. Mais jusqu'ici aucun physiologiste n'avait pu déterminer le nerf régulateur de cet appareil glandulaire, ni agir directement sur lui par l'élec- tricité. Après une longue et laborieuse série d'expériences, nous avons eu la satisfaction de découvrir le nerf moteur des glandes parotides, et bientôt nous répéte- rons devant vous l'expérience décisive. Le nerf facial, autant qu'on peut s'en rapporter aux analogies, semblerait être la source naturelle de la branche motrice en relation avec la sécrétion paroti- dienne : les anatomistes ont décrit, vous le savez, un grand nombre de ramifications de ce tronc nerveux, dont quelques-unes ne font que traverser la glande, landis que les autres viennent s'épuiser dans son inté- rieur. Nous avons été conduits, d'après cela, à supposer que le pouvoir excitateur de cette sécrétion glandulaire appartenait à quelques-unes des divisions de ce nerf. Cependant, il y a deux ans, après avoir sectionné le nerf facial immédiatement après sa sortie du trou stylo- mastoïdien, nous n'avons constaté aucune modification dans les propriétés de la glande : chez les animaux sur lesquels nous avions opéré, en plaçant un tube dans le canal de Sténon, l'application de vinaigre sur la langue était constamment suivie de l'apparition d'un jet de INNERVATION DE LA PAROTIDE. 521 salive. Il devenait dès lors évident que, si l'influence nerveuse qui préside à cette sécrétion provenait réelle- ment de la septième paire, la branche particulière à laquelle était dévolue cette fonction spéciale devait se séparer du tronc commun avant sa sortie du canal de Fallope. Partant de ce point de vue, nous pratiquâmes la section du nerf facial dans l'intérieur même du rocher, en nous rapprochant autant que possible de son origine cérébrale : bien entendu, le nerf auditif était intéressé en même temps. Après cette opération, la glande de- meurait toujours entièrement paralysée. Aussi fûmes- nous conduits naturellement à supposer que la branche motrice de la parotide devait se détacher de la septième paire pendant son passage dans le canal de Fallope. Mais tous les efforts que nous fîmes pour isoler cette branche restèrent absolument infructueux. Un grand nombre de ramifications se détachent du nerf facial avant son passage à travers le trou stylo- mastoïdien. Trois d'entre elles seulement pourraient paraître, à première vue, exercer une influence sur la sécrétion salivaire. Ce sont: le grand nerfpétreux, qui va se jeter dans le ganglion de Meckel ; le petit pétreux, qui aboutit au ganglion otique ; enfin, la corde du tympan, qui s'anastomose avec la cinquième paire. Cette dernière branche, vous le savez, préside aux fonctions de la glande sous-maxillaire ; par suite, elle n'a aucun rapport avec la sécrétion parotidienne. Nous avons été ainsi logiquement conduits à supposer que l'un des deux nerfs pétreux était la branche motrice de la parotide. 522 APPAREIL DIGESTIF. Nous pratiquâmes la section du plus volumineux de ces nerfs : la sécrétion ne fut nullement modifiée. Nous fûmes dès lors amenés à penser que la fonction physio- logique spéciale qui faisait l'objet de nos recherches était dévolue au petit pétreux. L'analogie confirmait entiè- rement notre hypothèse : en effet, nous savons qu'un ganglion spécial est affecté à la sécrétion sous-maxil- laire; pourquoi n'y aurait-il pas un ganglion semblable attaché à la sécrétion parotidienne? Et si le petit pé- treux était en réalité la voie par laquelle l'influence nerveuse est transmise à la parotide, le ganglion otique remplirait vis-à-vis de celle-ci les fonctions que son congénère remplit vis-à-vis de la sous-maxillaire. Mais le physiologiste doit se défier des analogies ; les imper- fections de nos théories font que l'observation directe est le seul guide qui puisse nous diriger sûrement dans la pratique. L'exiguïté du nerf qui préside, ainsi que vous le savez, aux fonctions de la glande sous-maxillaire, nous autorise à supposer que, pour la parotide, le nerf mo- teur est également de petite dimension. C'est ce qui nous a déterminé, quelque laborieuse et ingrate que cette tâche puisse paraître, à disséquer la parotide sur un animal vivant, en ayant soin de ne pas intéresser les gros vaisseaux qui rattachent cette glande à l'éco- nomie. En effet, tant que ces vaisseaux restent intacts, les fonctions de la glande ne sont pas troublées. Dans le cours de cette opération, nous sectionnions séparé- ment toutes les ramifications nerveuses que nous met- tions à découvert, afin de déterminer si les fonctions de INNERVATION DE LA PAROTIDE. 523 la glande étaient modifiées d'une façon ou d'une autre par cette mutilation ; après la section de chaque petit rameau nerveux, nous versions quelques gouttes de vinaigre dans la bouche de l'animal, de manière à pro- voquer l'écoulement de la salive, ainsi que cela a tou- jours lieu à l'état normal par cet agent. Nos premières expériences n'ayant pas été heureuses, nous modifiâmes notre procédé opératoire. Nous avions d'abord disséqué la glande en avant ; nous résolûmes maintenant de l'attaquer par derrière. De cette manière on met plus facilement les nerfs à découvert. Cette dernière tentative fut enfin couronnée de succès : l'o- pération avait duré cinq heures. Nous commençâmes par faire une incision derrière l'oreille externe. Après que les téguments eurent été disséqués, nous découvrîmes immédiatement le nerf facial, à sa sortie du trou stylo-mastoïdien. Attirant ensuite la glande en avant, nous pûmes diviser séparé- ment toutes les ramifications du nerf et les soumettre ensuite au courant électrique. Les résultats ayant tou- jours été négatifs, nous arrivâmes à la fin, après avoir sectionné toutes les branches du facial, sur un rameau de la cinquième paire, qui n'était autre que le nerf auriculo-temporal superficiel. Plusieurs de ses branches furent coupées sans qu'il en résultât aucun effet sur la sécrétion. L'animal accusait seulement une vive souf- france, ce qui s'explique aisément par le caractère émi- nemment sensitif de ce nerf. Enfin, au moment où nous allions terminer l'expérience, ayant à lier une petite artère, nous comprimâmes en même temps un 524 APPAREIL DIGESTIF. mince filet nerveux, et nous nous aperçûmes que la sécrétion glandulaire s'était momentanément suspendue. Nous coupâmes alors ce petit filet, et la glande fut im- médiatement frappée de paralysie : les acides versés dans la bouche de l'animal ne provoquaient plus d'écou- lement salivaire. Au contraire, la galvanisation du bout périphérique du nerf divisé amenait instantanément une sécrétion abondante. Nous avions donc enfin découvert le nerf moteur de la parotide. Ce nerf, qui provient du nerf maxillaire inférieur, paraît constitué par quatre ou cinq ramus- cules parallèles, mais bien distincts. Ses dimensions sont insignifiantes. Il se détache de l'auriculo-temporal, et peut être facilement mis en évidence par la dissection, îl est en rapport intime avec l'artère maxillaire interne, dout il suit exactement le trajet, mais en sens inverse du cours du sang. La disposition anatomique précise de ce petit nerf sera l'objet de nos recherches ulté- rieures. Vous voyez, messieurs, qu'il existe une importante différence entre les glandes sous-maxillaires et paro- tides, en ce qui concerne l'influence du système nerveux ganglionnaire. Dans le premier cas, l'action du grand sympathique favorise l'action physiologique ; elle l'en- trave dans le second. Ou plutôt, pour définir avec plus de précision les phénomènes auxquels nous faisons allu- sion, le grand sympathique, lorsqu'il est excité, diminue légèrement la sécrétion des glandes sous-maxillaires, mais en augmentant sa viscosité. En ce qui touche la parotide, le seul résultat de cette excitation consiste en INNERVATION DE LA PAROTIDE. 525 une diminution notable de la sécrétion dont la nature reste exactement la même. On sait, au contraire, que la galvanisation de la corde du tympan produit une sécré- tion aqueuse abondante. L'action du nerf moteur de la parotide étant entièrement semblable, nous pouvons en conclure que ces deux branches nerveuses appartien- nent à la même classe de nerfs spéciaux, et exercent une influence directe sur les sécrétions normales des glandes salivaires. Il semble, d'après cela, que chaque glande est pourvue de deux ordres distincts de nerfs : les premiers ont pour propriété de stimuler la sécrétion proprement dite, c'est-à-dire la production d'une sub- stance particulière à la glande; aux seconds appartient le pouvoir de faire transsuder les principes aqueux con- tenus dans le sang. En etfet, l'eau renfermée dans les différentes sécrétions dérive, ainsi que nous l'avons démontré ailleurs, entièrement du sang. Si l'on excite l'action d'une glande, et que l'on analyse le sang des veines correspondantes, on trouvera qu'il contient moins d'eau que le sang artériel : la différence représente exac- tement la quantité d'eau renfermée dans la sécrétion elle-même. Si donc le grand sympathique ne communique pas de propriétés spéciales à la salive parotidienne, nous sommes en droit d'en conclure que la nature n'a pas destiné la parotide à produire une substance caracté- ristique, et que l'unique fonction de cette glande est de soustraire au sang une certaine quantité d'eau. Il nous reste maintenant à examiner les résultats de notre récente découverte, aussi bien dans leurs rapports 526 APPAREIL DIGESTIF. directs avec la sécrétion salivaire, que clans leurs con- nexions avec les sécrétions en général. Tel sera, mes- sieurs, le sujet de notre prochaine leçon sur la physio logie opératoire. VINGT-QUATRIÈME LEÇON Sommaire : Expériences nouvelles démontrant que le nerf moteur de la parotide est fourni par le facial au nerf auriculo-temporal superficiel. — Son trajet et sa distribution. — Résultats importants de la découverte de ce nerf. — Différence de coloration du sang veineux de la parotide à l'état de repos et à l'état d'activité. — La sécrétion salivaire peut être provo- quée par la piqûre de certains centres nerveux. — Influence du trijumeau. — Influence des poisons. — Comparaison entre le nerf moteur de la paro- tide et celui de la sous-maxillaire. — Cette dernière est infiniment plus sensible à l'action des agents extérieurs que la parotide. — Estimation de cette différence par l'appareil de Du Bois-Reymoml. — Moyens divers de modifier, d'augmenter ou de diminuer à volonté cette; sensibilité relative. — La section du grand sympathique augmente la sensibilité de la glande du côté correspondant. — Exemples de phénomènes analogues qui se passent en d'autres points du corps . — Inflammation de la conjonctive consécutive à une opération analogue. — Le grand sympathique fait contracter les vaisseaux, tandis que les nerfs moteurs de la sécrétion les dilatent. — Démonstration expérimentale de la sensibilité relative des glandes et des effets de la section du sympathique. Messieurs, Nous avons poursuivi la série des expériences que nous avions commencées sur le nerf moteur de la parotide. Nous n'avons pas rencontré trop de difficultés dans nos observations nouvelles : cela tient à ce que notre pre- mière expérience nous avait déjà fait connaître que le nerf dont il s'agit est une branche de l'auriculo-tem- poral. Or, vous savez très-bien que cette dernière divi- sion de la cinquième paire présente des anastomoses innombrables avec les rameaux du facial. Il est dès lors évident que, loin de contredire les résultats de nos expé- riences sur la section du facial dans l'intérieur du 528 APPAREIL DIGESTIF. crâne, nos dernières recherches ne tendent qu'à les con- firmer. Le nerf qui anime la parotide et qui préside à sa sécrétion doit, par suite, n'être autre chose qu'une des branches anastomotiques entre le facial et le nerf auriculo-temporal superficiel. Au niveau du condyle de la mâchoire, ce nerf fournit une petite branche qui suit le trajet de la maxillaire interne, en sens inverse du cours du sang, elle pénètre enfin dans la glande parotide où elle se répand en abondantes ramifications. C'est à ce petit plexus que nous devons attribuer le pouvoir moteur de la glande. Si nous voulons arrêter la sécré- tion, c'est lui que nous devons extirper complètement par la dissection. Ce résultat, nous l'avons obtenu sur deux nouveaux chiens. La découverte des propriétés de ce faisceau nerveux offre beaucoup d'intérêt à différents points de vue. Rap- pelez-vous les opinions qui avaient cours encore tout récemment au sujet de la parotide : on la considérait comme absolument passive dans l'acte de l'insalivation; tous les physiologistes la regardaient comme une sorte d'épongé qui se trouvait comprimée par les mouvements de mastication de l'animal. C'est à ces mouvements donc qu'était attribué l'écoulement salivaire. Il est bien vrai que la glande devient active pendant la trituration des substances alimentaires, et jusqu'à présent on n'a- vait découvert aucun filament nerveux dont l'excitation directe parût stimuler la sécrétion. Les conclusions que l'on déduisait de là paraissaient dès lors tout à fait légitimes. Aujourd'hui une telle opinion n'est plus admissible. INNERVATION DE LA PAROTIDE. 529 Pendant la galvanisation de ce nerf, de ce filament qui n'a plus d'action du moment qu'il est coupé, vous n'observez aucune douleur, aucun mouvement. Les mâchoires sont immobiles. Ce n'est donc pas à la mas- tication qu'il convient d'attribuer le jet de salive qui apparaît après la galvanisation. C'est là un point impor- tant acquis aujourd'hui à la science. La glande parotide ne joue pas un rôle absolument passif dans l'insalivation des aliments. Mais cette découverte peut être utilisée à un point de vue plus général dans l'étude de la circulation des glandes. Le mécanisme de la sécrétion était autrefois expliqué par une hypothèse fondée sur des données pure- ment mécaniques. On pensait que la tension du sang dans les vaisseaux des glandes déterminait à travers leurs parois une transsudation qui avait pour effet de verser dans les acini un produit particulier pour chacun des organes sécréteurs. Ludwig a clairement démontré combien cette hypothèse était inadmissible ; il a prouvé qu'on pouvait soumettre les glandes à une pression beau- coup plus considérable que celle qui résulte de la circu- lation du sang, sans entraver le moins du monde l'activité de leur sécrétion. Pour cela il adapte un manomètre au conduit excréteur de la glande sous-maxillaire ; il lie ensuite ce conduit de manière à empêcher complètement l'issue des produits de sécrétion. Cela fait, il excite, au moyen de la galvanisation, le nerf moteur de la glande, c'est-à-dire la corde du tympan. En opérant de cette manière, on obtient, par l'accumulation de la salive, une pression de trente ou même quarante centimètres. Cette cl. Bernard. — Physiol. opér. 34 530 APPAREIL DIGESTIF. pression agit évidemment en sens inverse de celle du sang; malgré cela, la sécrétion continue sans interrup- tion. La sécrétion des glandes n'est donc pas due à une cause purement mécanique : cela est démontré par l'étude rationnelle de la circulation dans les petits vais- seaux qui communiquent et correspondent avec les or- ganes de sécrétion. Tant que la glande est à l'état de repos, son sang vei- neux est noir; mais à peine commence-t-elle à entrer en activité, que le sang devient rouge, semblable à celui des artères ; et si l'on coupe alors la veine, le sang sort par saccades, comme si l'on venait de couper une artère. Il semble dès lors, à première vue, que la circulation de la glande est accélérée et que la sécrétion est le résultat de cette nouvelle modification. Mais de telles conditions ne sauraient suffire, à elles seules , à déterminer le phénomène physiologique ; il faut encore que l'action nerveuse entre en jeu. Lorsque nous excitons la sécrétion au moyen des sen- sations produites par les substances sapides, il devient très-difficile de faire la part du rôle de la circulation clans l'intérieur de la glande et la part des phéno- mènes qui se passent dans les parties voisines. L'ani- mal exécute des mouvements de déglutition, remue ses mâchoires et fait affluer ainsi le sang de tous côtés vers les vaisseaux de la glande. Rien de semblable n'a lieu lorsque nous avons recours à la galvanisation di- recte du nerf moteur sécrétoire. L'animal n'éprouve pas alors la moindre sensation ; il reste immobile, et la circu- lation s'effectue avec la régularité la plus parfaite. C'est INNERVATION DE LA PAROTIDE. 531 alors que l'observateur se trouve placé dans des condi- tions excellentes pour l'étudier. Nous avons déjà adopté, pour la glande sous-maxillaire, un procédé propre à élucider ce point de la science; mais il nous a été jus- qu'ici impossible de répéter l'expérience sur la parotide, et c'est principalement en vue de cet objet que nous avons entrepris la recherche du filet moteur de cette dernière glande. En effet, si l'on arrivait à pouvoir comparer, loupe et scalpel en main, les sécrétions de deux glandes diffé- rentes, telles que la parotide et la sous-maxillaire ; si l'on pouvait saisir d'un seul regard les différences et les analogies qui existent entre elles, on aurait fait un pas immense vers la découverte de l'essence même de celte importante fonction physiologique. L'étude des propriétés du filet nerveux qui nous occupe, est pleine d'intérêt sous d'autres rapports. Nous savons, par exemple, qu'en injectant dans le torrent circulatoire certaines substances, on détermine une puissante excitation de la sécrétion salivaire. C'est une question que nous nous proposons d'examiner, dans le but principal de nous rendre compte de l'action ner- veuse qui entre ici en jeu. J'ai démontré autrefois, dans le cours de mes recher- ches sur la production du diabète par la lésion de cer- taines parties de l'encéphale, qu'une salivation abon- dante survenait chez les animaux lorsqu'on piquait certains points limités. La blessure qui détermine ces accidents doit être faite sur le plancher du quatrième ventricule. Si l'instrument tranchant dévie à droite ou 532 APPAREIL DIGESTIF. à gauche, au lieu de porter directement sur la ligne médiane, on observe une diminution de l'écoulement salivaire de la glande dujuême côté ; mais quand la piqûre siège exactement sur la ligne médiane, l'écou- lement est le même pour les deux glandes. Nous avons aussi remarqué que la glande sous- maxillaire fournit plus de salive que la parotide. A quoi faut-il attribuer cette différence? On pique le plan- cher du quatrième ventricule, mais la salivation ne se produit que lorsque la pointe de l'instrument tran- chant, dirigée en avant, vient intéresser les parties voi- sines de l'origine de la cinquième paire. Il semblerait, d'après cela, qu'une blessure intéressant directement le centre nerveux, qui préside aux fonctions salivaires, doit immédiatement provoquer la sécrétion à laquelle il est attaché. En fait, nous savons que c'est par l'inter- médiaire de la cinquième paire que se produisent la plupart des actions réflexes qui exercent sur les glandes salivaires une influence si considérable. On peut dire que c'est à ce nerf que vient aboutir la plus grande partie des impressions gustatives, qui sont la source ordinaire de l'écoulement salivaire. Nous avons souvent rejeté une expérience qui vient confirmer la vérité de ce que nous venons d'exposer. Coupez le nerf lingual et galvanisez son extrémité péri- phérique : vous n'obtiendrez aucun résultat. Donnez du \inaigre à l'animal en expérience : vous ne noterez encore aucun effet, puisque vous avez divisé le nerf chargé de transmettre l'impression. Mais si vous galva- nisez l'autre bout du nerf, en agissant ainsi directe- SÉCRÉTION SAL1VAIRE. 533 ment sur le centre nerveux, vous produisez une sécré- tion semblable à celle que l'on observe dans les circonstances ordinaires. Si, au lieu d'agir sur le cen- tre nerveux par la galvanisation du lingual, vous irritez directement ce centre lui-même, vous déterminerez alors un diabète salivaire, si je puis m'exprimer ainsi. En outre, il existe certains poisons qui agissent direc- tement snr les glandes salivaires. Le curare, par exem pie, qui, ainsi que vous le savez, amène rapidement la mort en déterminant des phénomènes de paralysie géné- ralisée, provoque en même temps un écoulement abon- dant de salive. Ce phénomène peut s'expliquer par le relâchement complet que cette substance détermine dans la totalité du tissu glandulaire. On pourrait objecter à cela que l'asphyxie, qui est la conséquence de l'administration de ce poison, suffit à expliquer le phénomène dont nous nous occupons. Afin de trancher définitivement la question, j'ai injecté du curare dans l'une des artérioles qui s'anastomosent avec l'artère de la glande, en ayant soin en même temps d'ouvrir toutes les veines. J'ai ainsi empoisonné les acini de la glande, sans empoisonner l'animal. Or, j'ai obtenu un écoulement de salive qu'il était impossible d'attri- buer à une autre cause qu'à l'action locale du curare. Le curare agit donc sur les glandes salivaires comme sur les autres glandes de l'économie. Nous savons main- tenant que cet agent toxique exerce spécialement son influence sur les extrémités des nerfs moteurs. Comment cette action peut-elle retentir sur les corps glandulaires eux-mêmes? C'est là une question difficile que nous 534 APPAREIL DIGESTIF. essayerons de résoudre plus tard. Actuellement, nous avons simplement voulu vous montrer qu'il existe un centre nerveux qui préside à la fonction salivaire. Vous avez vu qu'on peut déterminer chez les animaux une salivation permanente par des moyens artificiels. Il en résulte qu'il existe un nerf spécial chargé de présider à l'action de chacune des glandes. La découverte que nous avons faite récemment complète la série des preuves sur lesquelles repose cette doctrine générale. Les filets moteurs de la glande parotide ont leur origine, ainsi que vous le savez déjà, dans une branche du nerf auriculo-temporal. Ce que nous désirions sur- tout vérifier, c'est si la section de ce dernier tronc amenait une suspension complète de la sécrétion de la glande. Or, c'est ce qui a lieu en effet. De même qu'après la section du facial dans l'intérieur du crâne, tous les stimulants mis en contact avec la muqueuse buccale sont impuissants à provoquer la sécrétion paro- tidienne, de même, quand le nerf auriculo-temporal a été divisé, le vinaigre, les substances sapides et tous les autres excitants de cette sécrétion, demeurent sans aucun effet sur les animaux en expérience. Le vinaigre donne bien naissance à des impressions gustatives, suivies par un mouvement des mâchoires, mais aucune sécrétion n'a lieu. Si l'on voit apparaître à peine une ou deux gouttes à l'extrémité du tube, c'est qu'elles étaient restées dans le conduit excréteur à la suite d'une galvanisation antérieure du bout périphérique du nerf. C'est là une cause d'erreur contre laquelle le physiolo- giste doit se tenir en garde. INNERVATION DES GLANDES SALIVAIRES. 535 Après avoir isolé avec soin le nerf sur un animal vivant, nous l'avons divisé dans le but de constater les effets de la galvanisation de son bout périphérique. Les résultats que nous avons obtenus ainsi sont frappants; on voit survenir une sécrétion abondante, et le sang veineux devient d'un rouge vif, phénomène que l'on observe invariablement quand les glandes sont à l'état d'activité, et que nous retrouverons en étudiant l'his- toire de la sécrétion sous-maxillaire. Les nerfs qui pré- sident à cette dernière sécrétion possèdent un degré de sensibilité beaucoup plus grand que les filets moteurs de la parotide. L'action d'un courant électrique donné exerce une influence beaucoup plus considérable sur la corde du tympan que sur son congénère. Il est facile de démontrer cette différence remarquable au moyen de l'appareil de DuBois-Reymond, qui permet de me- surer l'intensité des courants galvaniques. En fait, pour produire des effets égaux sur les deux glandes, il faut agir sur le nerf de la parotide avec un courant dont la force est représentée par dix-sept divisions de l'instru- ment, tandis que la force du courant nécessaire pour agir sur la corde du tympan serait représentée par vingt-sept divisious. La différence est ainsi bien mar- quée. On obtient des résultats tout à fait analogues en- versant de l'eau vinaigrée sur la langue d'un animal, après avoir placé des tubes dans les deux conduits excré- teurs. On voit alors la sécrétion sous-maxillaire com- mencer sous une influence qui ne produit pas le moindre effet sur la parotide. Il ne faudrait pas cependant 536 APPAREIL DIGESTIF. supposer que la corde du tympan est douée, si je puis în'exprimer ainsi, d'une affinité élective pour le fluide électrique. Non, tous les excitants possèdent, à un égal degré, le pouvoir d'impressionner davantage ce nerf que son congénère. Un phénomène analogue s'observe dans les différents groupes musculaires qui servent à la locomotion. Et vous savez qu'en règle générale, en ce qui concerne l'influence des agents extérieurs, les organes diffèrent considérablement les uns des autres. L'action des agents thérapeutiques et des poisons nous en donne chaque jour de nouvelles preuves. Mais nous sommes en possession d'une série de moyens propres à modifier, augmenter ou diminuer à volonté cette sensibilité relative. Si, par exemple, après avoir divisé le grand sympathique d'un seul côté, nous galvanisons la corde du tympan, nous constaterons que la glande soustraite à l'influence nerveuse du grand sympathique devient beaucoup plus sensible à l'action du fluide galvanique que celle du côté opposé. A l'appui de ces expériences, nous pourrions nous reporter à un grand nombre de faits bien connus qui prouvent com- bien la sensibilité est accrue par la section du sympa- thique, comme le démontre l'élévation de la tempéra- ture dans les organes qui ont été soumis à ce genre de mutilation. Si vous divisez, d'un côté, les filets sympa- thiques qui vont se distribuer au globe oculaire, vous constaterez bientôt une notable hyperesthésie de la con- jonctive correspondante. Pourquoi donc serions-nous surpris de l'antagonisme qui existe entre le grand sym- pathique et les nerfs moteurs qui président à la sécrétion ? INNERVATION DES GLANDES SAL1VA1RES 537 Ne savons-nous pas que le sympathique fait contracter les vaisseaux, tandis que les nerfs attachés à la sécrétion ont précisément un effet contraire? Tel est le cas de la glande parotide. Les effets qui résultent de la section du grand sympa- thique ne contredisent en aucune manière ce que nous vous avons dit de la sensibilité des deux glandes paro- tide et sous-maxillaire. Nous allons vous en donner la preuve expérimentale. Voici un chien : ainsi que vous le voyez, nous avons placé un tube dans le canal de Sténon et un autre dans le canal de Wharton ; nous avons isolé le nerf moteur de la parotide, et aussi la corde du tympan qui préside à la sécrétion sous-maxil- laire. Après avoir divisé ces deux nerfs, nous allons main- tenant procéder à la galvanisation de leurs bouts péri- phériques. Comme l'appareil que nous employons nous permet de comparer les différents degrés de la force employée dans chaque expérience, il ne nous sera pas difficile de nous rendre compte de la somme relative de sensibilité qui appartient aux deux glandes. Nous pratiquons l'expérience dans les conditions sus- indiquées. Vous voyez qu'on emploie d'abord un cou- rant très-faible : presque immédiatement un écoule- ment salivaire a lieu par le tube fixé au canal de Wharton, tandis que la parotide n'est, à aucun degré, influencée. Ce n'est qu'après avoir graduellement et considérablement accru la force du courant, que l'on voit quelques gouttes sortir du tube fixé au canal de Sténon. Nous allons maintenant, messieurs, vous montrer les effets de la section du grand sympathique. 538 APPAREIL DIGESTIF. Après avoir divisé ce nerf sur le même animal, nous galvaniserons de nouveau la corde du tympan. Un cou- rant beaucoup plus faible que ceux employés dans les expériences précédentes détermine presque instantané- ment un écoulement de salive. Nous en arrivons donc encore à la conclusion précé- demment formulée, mais cette fois par la méthode expé- rimentale. Cette conclusion la voici : Il existe deux classes de nerfs destinés aux glandes. Les uns viennent du grand sympathique, qui préside à la contraction de leurs vaisseaux et diminue leurs sécré- tions. Les autres tirent leur origine des principales branches motrices qui se ramifient dans leur voisinage immédiat; ils sont destinés à dilater les vaisseaux, et pro- duisent un écoulement abondant d'un liquide aqueux plus ou moins chargé des matériaux ordinaires qui ca- ractérisent les sécrétions dans chaque cas particulier. VINGT-CINQUIÈME LEÇON Sommaire : La disposition anatomique des glandes sous-maxillaires est abso- lument la même chez le chien que chez l'homme. — Canal de Wharton. — Il est complètement indépendant de celui de la sublinguale — La glande sous-maxillaire est pourvue de deux ordres de nerfs : les uns dérivent du système ganglionnaire ; les autres, du nerf facial, par l'inter- médiaire de la corde du tympan. — De l'influence du nerf lingual sur la sécrétion sous-maxillaire. — Elle appartient à la classe des actions réflexes. — Preuve expérimentale de cette hypothèse. — Effets de la galvanisation de la corde du tympan. Disposition anatomique de la glande sublinguale. — Chez l'homme et chez la plupart des animaux, ce n'est pas une glande en grappe. — Chez le chien cependant, elle ne présente qu'un seul conduit excréteur. — Les expériences relatives à cette glande ne peuvent être faites que sur le chien. — Propriétés spéciales de la salive sublinguale. — Elle n'appa- raît que lentement, lorsqu'on excite la glande. — Elle sert surtout à la déglutition. — La corde du tympan est le nerf moteur de la glande sub- linguale. Messieurs, Ayant terminé clans notre dernière leçon l'histoire de la sécrétion parotidienne, nous allons maintenant exa- miner successivement les propriétés physiologiques des deux autres principales glandes qui concourent à la pro- duction delà salive. Car, ainsi que nous l'avons déjàfait remarquer, chacun de ces petits organes sécréteurs a ses fonctions spéciales à remplir, et il ne peut être sup- pléé par aucun de ses congénères. La glande sous-maxillaire, dont les propriétés vont d'abord fixer aujourd'hui notre attention, offre chez le 540 APPAREIL DIGESTIF. chien une disposition anatomique presque entièrement semblable à celle qui existe dans l'espèce humaine. Dans les deux cas, elle est représentée par une grosse glande en grappe pourvue d'un conduit excréteur dis- tinct assez gros pour permettre' l'introduction d'un tube dans les recherches expérimentales. Ce conduit a reçu le nom de canal de Wharton. 11 n'y en a qu'un de chaque côté. Autrefois les anatomistes affirmaient à tort que la glande sublinguale se déversait dans le conduit excré- teur de la glande sous-maxillaire. Cette assertion est en opposition complète avec les faits. Chacune des deux glandes est pourvue d'un conduit spécial; et les deux conduits restent parfaitement distincts l'un de l'autre pendant tout leur parcours, bien que leurs orifices buc- caux soient assez rapprochés l'un de l'autre pour s'ou- vrir sous la même papille. On a dit aussi que, dans l'espèce humaine, il existait une communication directe entre les glandes sublin- guale et sous-maxillaire ; on supposait que quelques-uns des conduits de Rivinus allaient se jeter dans le canal de Wharton. L'existence réelle d'une semblable disposition est encore à démontrer. La glande sous-maxillaire reçoit du sang de deux sources : son artère principale (g), après avoir atteint le hile de la glande, pénètre dans son intérieur, tandis que l'artère la plus petite se distribue seulement à sa partie postérieure (*, fig. 114). Deux ordres de nerfs différents président à ses fonc- tions physiologiques. C'est d'abord le sympathique qui GLANDE SOUS-MAXILLAIRE. 541 fournit plusieurs rameaux au plexus sous- maxillaire. Fig. 114. — Glandes sous-maxillaire et sublinguale. a, glande sous-maxillaire; c, c, son canal excréteur (canal de Wharton) ; i, h, g, ra- meaux artériels qui se rendent à cette glande; b, glande sublinguale; d, d, son canal excréteur. I, i, nerf lingual; 2, 2, rameaux (suite de la corde du tympan) que ce nerf fournit à la glande sous-maxillaire. Vient ensuite une petite branche qui se sépare du nerf 542 APPAREIL DIGESTIF. lingual (1, 1, fîg. 114), dans le voisinage immédiat de la glande, pour aller se jeter (2, 2, fig. 114) dans le plexus ci-dessus mentionné, d'où partent les nerfs glandulaires. Ce dernier nerf, par quelques-unes de ses fibres est > sans aucun doute, en connexion avec la branche d'où il paraît tirer son origine. Mais la plus grande partie de ce petit filet provient d'une division du facial qui s'unit au nerf lingual sans s'anastomoser réellement avec lui : car, après l'avoir accompagné pendant un court trajet, elle s'en sépare presque entiè- rement, et va rejoindre le plexus sous-maxillaire. Ce nerf moteur s'appelle la corde du tympan. Tl se détache du facial à quelques millimètres au-dessus du trou stylo-mastoïdien, se dirige en haut, pénètre dans l'oreille moyenne, et chemine pendant un court trajet dans l'é- paisseur même de la [membrane du tympan, entre l'en- clume et le marteau. Il descend alors vers la scissure de Glaser, et sort du rocher près de l'épine du sphénoïde. C'est après avoir décrit cette courbe qu'il se réunit au facial pour suivre ensuite la marche que nous avons déjà décrite. Comment pouvons-nous supposer que la glande soit influencée par ce filet nerveux ? Nous sommes ici en pré- sence d'une de ces réactions des fibres sensitives sur les fibres motrices que Ton décrit généralement sous le nom factions réflexes. Les impressions gustatives sont trans- mises au centre nerveux par le lingual, et c'est alors que le facial agit sur la glande sous-maxillaire. La réa- lité de cette hypothèse peut être aisément démontrée par une expérience directe. Coupez le lingual : aussitôt GLANDE SOUS-MAXILLAIRE. 543 toutes les sensations sapides disparaissent ; on peut alors verser du vinaigre dans la bouche de l'animal sans provoquer l'issue d'une seule goutte de salive. Mais si vous galvanisez le bout central du nerf divisé, une sé- crétion abondante se produit à l'instant. Si, d'autre part, vous sectionnez le facial, toute action réflexe est immédiatement supprimée. Mais, comme vous allez le voir, si l'on soumet au courant galvanique le bout péri- phérique du nerf moteur de la glande, un abondant écoulement de salive apparaît aussitôt. Mais, pour pratiquer ces différentes expériences, il est indispensable de mettre à découvert la région qui renferme les organes sur lesquels on est appelé néces- sairement à opérer. Voici le modus operandi qui permettra au physiolo- giste de réaliser toutes les conditions désirables : Faites une incision le long du côté interne du bord inférieur du maxillaire. Écartez le digastrique, ou mieux encore coupez ce muscle, et détachez sa moitié postérieure de ses insertions. Alors vous apercevrez presque tous les organes intéressés dans l'expérience. Il faut avoir bien soin, dans cette opération, de ne pas léser les organes importants immédiatement sous-jacents aux muscles. Après avoir écarté les lèvres de la plaie, on découvre une cavité qui renferme la glande sous-maxil- laire. On énuclée la glande au moyen d'une érigne, de manière à découvrir sa faoe interne ou profonde, au centre de laquelle est situé le hile : c'est par ce hile que pénètre l'artère principale, la corde du tympan, ou nerf moteur, et plusieurs rameaux du système ganglionnaire. 544 APPAREIL DIGESTIF. La paroi interne de la cavité elle-même contient la ca- rotide externe, les artères linguale et faciale, et le nerf hypoglosse. En avant, la paroi inférieure de la cavité est constituée par les mylo- hyoïdiens que l'on divise à leur FlG. 115. — Incision pratiquée pour découvrir le canal excréteur de la glande sous-maxillaire (chez le chien). a, muscle digastrique sectionné et écarté; b, muscle mylo-hyo*dien coupé et écarté; c, e, canal de Wharton; d, canal excréteur de la sublinguale; 1, nerf lingual. tour perpendiculairement et qu'on soulève ensuite avec des érignes (è, fîg. 115 et 116). On voit alors les conduits excréteurs des glandes sous-maxillaire et sub- linguale croisés par le nerf lingual. En suivant en arrière le trajet de ce dernier, on voit la corde] du INNERVATION DE LA SOUS-MAXILLAIRE. 545 tympan (2, fîg. 116) se détacher de lui et former, par son anastomose avec les rameaux sympathiques, le plexus gangliforme , d'où émergent les nerfs qui pénètrent dans la substance pro- pre de la glande. L'opération que je viens de décrire a été pratiquée à l'avance sur le chien que Ton vient d'apporter. Nous allons mainte- nant ouvrir le canal de Wharton, placer un tube dans sa cavité et exciter la sécrétion au moyen du vinai- gre. Vous verrez tout de suite que la glande sous-maxillaire est douée d'une sensibi- lité beaucoup plus grande que la paro- tide, fait que nous avons déjà essayé de démontrer dans notre dernière leçon. Vous voyez que l'expérience est pratiquée avec un plein succès. Plusieurs gouttes de liquide s'échappent immédiatement du tube et sont recueillies dans un verre. cl. Bernard. — Physiol opér. 35 FlGa 116. — Analomie de la région des glandes sous-maxillaire et sublinguale. a , a , muscle digastrique ; b, b, mylo-hyoïdien ; c, c', glande sublinguale ; d, son canal excré- teur ; e, canal excréteur de la sous-maxillaire (f, g) ; 1 , nerf lingual; 2, rameau nerveux (suite de la corde du tympan) pour les glandes salivaires. 546 APPAREIL DIGESTIF. Yous voyez, messieurs, que la salive sous-maxillaire est épaisse et visqueuse. Ces propriétés varient consi- dérablement suivant les individus. 11 est tout à fait impossible de prédire à l'avance le degré de viscosité de ce liquide chez un sujet donné. Mais, par l'intermé- diaire du système nerveux, ces propriétés peuvent être augmentées ou diminuées à volonté. Nous allons main- tenant couper la corde du tympan après sa séparation du lingual, et appliquer un courant galvanique à son bout périphérique. La salive ainsi obtenue est, vous le voyez, moins visqueuse que celle qui a été le résultat des impressions gustatives. Il nous reste maintenant une autre expérience à faire. Nous allons galvaniser le grand sympathique. La corde du tympan étant entièrement paralysée par l'opé- ration précédente, la salive que nous obtiendrons sera évidemment produite sous l'influence exclusive du sys- tème ganglionnaire. Cette expérience prouve que le sympathique, abandonné à lui-même, est capable d'agir sur la glande. Combien, sous ce rapport, la sous- maxillaire diffère-t-elle de la parotide ! Yous voyez ici l'expérience : Le liquide est plus visqueux que tout à l'heure; mais sa quantité paraît insignifiante, en comparaison de la quantité produite par l'excitation du nerf moteur. Ces expériences ont dû vous convaincre, messieurs, que la glande sous-maxillaire est pourvue d'un double appareil nerveux , et que deux ordres distincts de nerfs président à ses fonctions physiologiques. Les nerfs émanés du facial augmentent l'abondance et diminuent INNERVATION DE LA SOUS-MAXILLAIRE. 547 la viscosité de sa sécrétion ; les nerfs ganglionnaires agissent précisément dans le sens contraire. Ces résul- tats vous les connaissez déjà dans une certaine mesure, après la longue étude que nous avons consacrée au nerf moteur de la parotide. L'influence exercée par le système ganglionnaire sur la glande sous-maxillaire explique l'action produite sur elle par différentes causes d'excitation qui portent sur des points éloignés du canal alimentaire. C'est ainsi que l'introduction directe des aliments dans l'estomac déter- mine généralement un écoulement de salive sous-maxil- laire. On peut constater facilement ce fait chez les ani- maux porteurs d'une fistule gastrique. Nous allons appeler maintenant votre attention sur les propriétés physiologiques de l'appareil sublingual, afin de vous donner une idée aussi complète que pos- sible de la sécrétion salivaire. Dans l'espèce humaine, la glande sublinguale n'est pas une glande en une seule grappe. Complètement diffé- rente, sous ce rapport, de ses congénères, elle n'a pas de canal excréteur de dimension suffisante pour permettre l'introduction d'un tube. Ses produits se déversent dans la cavité buccale par six ou sept petits orifices, qui cor- respondent à autant de portions distinctes de la glande. La même disposition anatomique règne chez la plupart des animaux qui servent habituellement à nos expé- riences. Il paraît donc impossible, au premier abord, de recueillir le liquide sécrété par ce petit appareil, en quantité suffisante pour déterminer ses propriétés physico- chimiques et le rôle qu'il est appelé à jouer 548 APPAREIL DIGESTIF. dans la mastication. Heureusement pour la physiologie expérimentale, le chien (flg. 115 et 116) possède une glande sublinguale volumineuse et conglomérée, pour- vue d'un seul canal excréteur dans lequel on peut facilement passer des tubes. Aussi est-ce sur cet animal que nous avons pratiqué toutes nos expériences rela- tives au sujet qui nous occupe aujourd'hui. Le chien que nous plaçons en ce moment sous vos yeux vient de subir l'opération préliminaire. Une canule a été intro- duite clans le canal sublingual, et de son orifice on voit s'écouler lentement un liquide visqueux et demi-trans- parent. La difficulté avec laquelle il s'écoule témoigne suffisamment de ses propriétés adhésives. 11 est, sous ce rapport, très-différent de la salive aqueuse de la parotide. La sécrétion sous-maxillaire paraît établir, au point de vue chimique, une transition entre les deux autres. Toutefois, il n'existe pas d'analyse satisfaisante de la salive sublinguale : tout ce que nous savons, c'est qu'elle contient une proportion énorme de matière lubrifiante. La quantité de cette salive est faible; et elle est lente à se former, lorsqu'on excite la sécrétion. C'est ainsi que lorsqu'on verse du vinaigre dans la bouche d'un animal, après avoir préalablement placé des tubes clans les conduits excréteurs des trois glandes salivaires , on voit la salive sous - maxillaire couler immédiatement ; la sécrétion parotidienne apparaît bientôt après; la salive sublinguale se montre la der- nière. On pourrait en conclure que la glande sous- maxillaire est en rapport avec le sens du goût, la INNERVATION DE LA SUBLINGUALE. 549 parotide avec ia mastication, et la sublinguale avec la déglutition. Les observations cliniques chez l'homme ten- dent à confirmer ces déductions tirées de la physiologie. Comme pour la glande sous-maxillaire, les nerfs qui président à la sécrétion sublinguale proviennent de cette branche particulière du facial qui est connue sous le nom de corde du tympan et qui, après sa séparation du lingual, pourrait être justement appelée nerf tympa- nico-linguaL Du moment, en effet, où elle s'unit au lingual, elle devient en réalité un nerf mixte, conte- nant des fibres sensitives aussi bien que des fibres mo- trices. Les minces filets destinés spécialement à la glande sublinguale (fîg. 114) pourraient peut-être être considérés comme d'une nature différente des autres; ils sont infiniment moins sensibles à l'excitation gal- vanique que ceux qui vont se jeter dans le plexus sous-maxillaire. Mais, d'autre part, on pourrait soutenir que ce n'est pas dans les nerfs, mais bien dans le tissu glandulaire lui-même, que gît la cause d'une si notable différence. Nous allons maintenant répéter les expériences sur lesquelles repose notre connaissance de la source de l'excitant nerveux des deux glandes. Lorsqu'on coupe la corde du tympan dans l'épaisseur de la membrane de ce nom (oreille moyenne), la sécrétion sublinguale est immédiatement paralysée, comme dans le cas de la glande sous-maxillaire. Le nerf moteur ne provient donc pas des branches qui réunissent le ganglion otique au facial. D'autre part, si l'on coupe le nerf après sa séparation du lingual, et qu'on le galvanise 550 APPAREIL DIGESTIF. SALIVE. ensuite, un écoulement de salive se produit immédia- tement par les deux glandes; ce qui prouve bien que cette branche nerveuse n'emprunte pas ses propriétés spéciales au lingual. Il y a pourtant encore un desi- deratum : en effet, le nerf de Jacobson envoie une anastomose à la corde du tympan, au-dessus du point où nous allons la sectionner. Pour savoir si la neuvième paire exerce une influence sur la sécrétion, il faudrait faire la section tout près de l'origine cérébrale du nerf. Cette expérience offre de telles difficultés, qu'aucun physiologiste ne l'a tentée jusqu'ici. Ces deux expériences sont ici pratiquées sous vos yeux. Le nerf est d'abord divisé à sa partie supérieureT et la sécrétion s'arrête. Il est ensuite galvanisé en dehors du lingual, et immédiatement la sécrétion réapparaît. Vous voyez donc, messieurs, que chacune des glandes salivaires est destinée à un usage spécial et fournit une sécrétion propre, sous l'influence d'un nerf particulier. La récente découverte de la branche motrice de la parotide est le trait final qui complète le tableau. Nous en avons fini, messieurs, avec l'étude expéri- mentale de la sécrétion salivaire. Il conviendrait main- tenant d'expliquer les usages de ce liquide et le rôle qu'il joue dans la digestion ; mais nous faisons ici un cours de physiologie opératoire. Comme cette partie de notre sujet relative aux propriétés chimiques des liquides, peut être étudiée sans avoir recours aux vivisections, nous la passerons sous silence, et aborderons immé- diatement d'autres portions de l'appareil digestif. VINGT-SIXIÈME LEÇON Sommaire : Expériences sur les fonctions de l'œsophage. — Effets de la sec- tion du pneumogastrique sur cette partie du tube digestif. — Conclusions erronées que l'on a tirées de ces résultats. — L'opération n'abolit aucune des sensations en rapport avec le travail de la digestion. — Explications rationnelles des effets produits par une constriction du cardia. — Facilité de la démonstration chez les animaux porteurs d'une fistule gastrique. — La constriction disparait après un court espace de temps. — Expériences sur le bol alimentaire. — De la quantité de salive qui imprègne les ali- ments. — Expériences sur la déglutition. — Effets produits par la division complète du nerf œsophagien. De l'estomac. — Des fistules gastriques. — Des animaux qui conviennent à l'opération. — Diverses manières de procéder. — Description de la méthode de M. Blondlot. — Modifications introduites par M. Cl. Bernard. — Modifications apportées plus récemment par M. Blondlot lui-même. — Démonstrations expérimentales. Messieurs, Après avoir terminé maintenant la série des expé- riences qui se rapportent à la sécrétion salivaire, nous allons poursuivre l'étude des fonctions cligestives, en nous plaçant, nous l'avons dit, au point de vue de la physiologie pratique. Si, ainsi que cela est notre intention, nous suivons un ordre strictement anatomique, la première portion du tube digestif que nous rencontrons après la bouche, c'est l'œsophage. Les fonctions de cette partie du canal alimentaire ne présentent pas un champ très-étendu aux investigations, et n'ont pas été l'objet d'un grand 552 APPAREIL DIGESTIF. nombre d'expériences. Nous verrons cependant que cette question n'est pas absolument stérile. Les relations anatomiques intimes des pneumogas- triques avec l'œsophage ont naturellement suggéré l'idée d'examiner les effets physiologiques que la sec- tion de ces nerfs pouvait produire sur les fonctions digestives. On a dit que cette opération abolissait entiè- rement les sensations de faim et de satiété, de vacuité et de réplétion de l'estomac. En fait, les animaux témoignent en général de la répugnance pour les aliments dans ces circonstances, et quand ils consentent à prendre de la nourriture, on voit apparaître presque immédiatement des symptômes de suffocation. On a soutenu alors qu'étant également incapables de percevoir les effets du jeûne, et de sentir que les besoins de la nature étaient satisfaits, leur indif- férence d'une part, leur voracité de l'autre étaient les causes réelles des accidents observés. Mais l'expérience, sous plusieurs rapports, n'a pas été convenablement contrôlée. Après avoir pratiqué une fistule stomacale chez un chien, en vue d'examiner la sécrétion du suc gastrique, j'ai été amené à sectionner les pneumogastriques, dans le but de déterminer si l'ingestion des aliments produi- sait ses effets stimulants ordinaires sur les glandes de l'estomac, alors que celles-ci sont en partie dépourvues de l'influence nerveuse. Après avoir introduit les ali- ments par la bouche, je fus fortement surpris de ne pas les voir apparaître dans l'estomac : ils s'accumulaient au-dessus du cardia, et, après avoir rempli peu à peu EXPÉRIENCES SUR L OESOPHAGE. 553 la totalité de l'œsophage, ils finissaient par atteindre l'orifice supérieur du larynx : leur présence à ce niveau provoquait nécessairement des accès de suffocation. Ce résultat paraît singulier, à première vue. En effet, bien qu'à l'état normal les contractions de l'œsophage contribuent à chasser les aliments vers l'estomac, com- ment se fait-il que, lorsque sa tunique musculeuse est paralysée par la section de ses nerfs moteurs, les contrac- tions du pharynx ne communiquent pas une impulsion suffisante à la masse alimentaire, qui tend, par son propre poids, à descendre dans la cavité gastrique? La raison, c'est qu'une contraction spasmodique de l'ori- fice stomacal de l'œsophage s'oppose au passage des aliments dans la cavité gastrique, et fait équilibre aux contractions du pharynx. Mais, au bout d'un jour ou deux, cet état particulier de contracture cesse, et l'ani- mal est généralement capable de manger au bout de trente-six heures après l'opération. Il est dès lors évi- dent que la section des pneumogastriques n'exerce aucune influence, quelle qu'elle soit, sur les sensations qui se rapportent à l'état de vacuité ou de plénitude de l'estomac. Nous allons faire l'expérience devant vous, et l'animal va présenter les phénomènes que je viens de vous décrire. Nous coupons ici les deux pneumogastriques d'un très-gros lapin à jeun depuis vingt-quatre heures. On lui présente alors des aliments qu'il avale avec la plus grande voracité. Des symptômes de suffocation appa- raissent rapidement. L'animal se remet bientôt et essaye de nouveau de manger, ce qui amène un autre accès. 554 APPAREIL DIGESTIF. A la fin de la leçon, on le tue et on l'ouvre. L'oeso- phage est entièrement rempli d'aliments non digérés, du cardia au pharynx, tandis que l'estomac ne ren- ferme que quelques traces du repas précédent. Chez les rongeurs en effet, même lorsqu'on les a fait jeûner pendant un certain temps, l'estomac n'est jamais com- plètement vide. Ces expériences, messieurs, ne sont pas les seule* que l'on ait tentées sur l'œsophage. On a ouvert ce canal pour en extraire le bol alimentaire dans l'état où il se trouve en quittant la cavité buccale. Cette expérience permet de déterminer la quantité de salive qui imprègne les aliments pendant la mastication. Cette quantité est facile à calculer, en donnant à l'animal un aliment sec que l'on pèse avant et après l'opération.. Ainsi, si l'on donne à un cheval 10 grammes de fourrage que Ton a eu soin de faire sécher avec soin, la masse extraite de l'œsophage pèse 100 grammes. Il en résulte que l'animal ajoute neuf cents parties de salive à cent parties de matière alimentaire. Cette proportion varie toutefois avec la nature de l'aliment. Lorsqu'on ouvre les deux conduits parotidiens, le produit de la sécrétion n'étant plus déversé dans la bouche, la mastication est plus dif- ficile et dure beaucoup plus longtemps : la soif est aussi augmentée. Tous ces résultats sont faciles à expliquer par la nature des fonctions de ces glandes, que nous avons étudiées dans la précédente leçon. Le mécanisme de la déglutition a été également étudié au moyen d'expériences semblables. Si l'on ouvre l'œso- phage d'un cheval, et si l'on applique une ligature au- EXPÉRIENCES SUR LOESOPHAGE. 555 dessous de l'ouverture, on voit les aliments s'échapper sous forme de petites masses séparées. Si au contraire on coupe l'œsophage, les aliments ingérés apparaissent sous la forme d'une masse continue dont les portions inférieures sont poussées par les portions supérieures. En d'autres termes, la contraction œsophagienne s'exerce clans le premier cas, tandis que dans le second l'impul- sion dérive uniquement du pharynx. La conclusion naturelle à tirer de là, c'est que les contractions œso- phagiennes ne peuvent plus se produire quand il n'y a plus de points fixes d'insertion aux deux extrémités du conduit membraneux. En effet, sous tous les autres rap- ports, les conditions de la seconde expérience sont exac- tement les mêmes que celles de la première, et les nerfs de l'extrémité supérieure du conduit n'ont pas été inté- ressés. Nous allons maintenant commencer une étude des plus importantes et des plus intéressantes. Les expé- riences pratiquées dans ces dernières années sur l'es- tomac doivent être rangées parmi les plus remarquables qui figurent dans les annales de la science. Leurs résul- tats ont fait faire un progrès extraordinaire à la phy- siologie. Le succès qui a, sous ce rapport, couronné les efforts des observateurs, est dû principalement à l'idée éminemment ingénieuse de pratiquer des ouvertures artificielles à l'estomac. C'est ainsi que nous avons pu constater les propriétés réelles du suc gastrique, et con- templer de visu la marche naturelle de la digestion stomacale. 556 APPARHIL DIGESTiF. On a produit des fistules gastriques chez un grand nombre d'animaux appartenant à différentes espèces. Cependant il en est quelques-uns qui sont tout à fait impropres à cette opération, et cela pour diverses rai- sons. Pour pratiquer l'expérience dans les circonstances les plus favorables, on doit choisir un animal dont l'estomac est large, facilement dilatable, et en même temps assez rapproché de la paroi abdominale. C'est pour cela que l'opération devient tout à fait impossible chez certains animaux. Le cheval, par exemple, a l'es- tomac petit et profondément situé, outre que l'organi- sation particulière de l'espèce chevaline donne relati- vement peu d'importance aux fonctions de cet organe. Non-seulement ses dimensions sont insignifiantes, mais les glandes gastriques n'occupent qu'une très-petite portion de sa surface, sa partie gauche étant entière- ment recouverte par des couches épaisses d'un épi— thélium dur, qui se continue avec celui de l'œsophage. Il est également difficile, et pour les mêmes causes, de produire des fistules gastriques chez les oiseaux pourvus d'un gésier. Mais l'expérience réussit admirablement chez ceux d'entre eux qui sont munis d'un estomac mus- culeux, le corbeau, par exemple, et tous les oiseaux de proie. ïl serait inutile de pratiquer l'opération chez le lapin, dont l'estomac n'est jamais vide, alors même que cet animal meurt de faim : on ne pourrait jamais obtenir chez lui du suc gastrique pur, non mélangé. Beaucoup d'autres animaux domestiques doivent être éliminés pour des raisons à peu près identiques. Pour que l'opé- ration s'effectue avec un plein succès, il faut que l'ani- FISTULES GASTRIQUES, 557 mal choisi offre les plus grandes facilités à la partie chirurgicale de l'expérience, et qu'il soit doué d'une sécrétion abondante de suc gastrique pur. Par suite, le chien est l'animal qui remplit le mieux les conditions requises : c'est lui que l'on emploie généralement. C'est à M. Blondlot que revient l'honneur d'avoir conçu la première idée de cette opération. Yoici le procédé imaginé par cet habile observateur : L'animal étant couché sur le dos et solidement attaché, on fait sur la ligne blanche une incision s'étendant de l'appendice xiphoïde à la symphyse pubienne. On saisit alors l'estomac avec une pince et on l'attire en avant. On passe ensuite à travers les parois de l'estomac un fil d'argent que l'on enroule autour d'un obturateur de bois placé en dehors de l'abdomen. Cette première partiede l'opération une fois terminée, on laisse l'animal en repos pendant quelques jours. Lorsqu'au bout d'un temps suffisant les parois stomacales ont contracté des adhérences avec l'ouverture abdominale, on ouvre la face antérieure de cet organe avec le bistouri, et l'on y introduit une canule. Dans mes propres expériences, j'ai trouvé plus com- mode de modifier le manuel opératoire de la manière suivante : On provoque d'abord une dilatation de l'esto- mac, en laissant l'animal manger copieusement une heure ou deux avant l'opération. On fait alors une inci- sion qui comprend à la fois la paroi abdominale et la face antérieure de l'estomac distendu qui est venu s'ac- coler à elle. On introduit sur-le-champ la canule et, par quelques points de suture, on réunit la plaie abdominale 558 APPAREIL DIGESTIF. à l'ouverture gastrique. L'opération réussit presque toujours, et au bout de deux jours on peut commencer sans crainte les expériences sur la digestion. M. Blondlot a publié récemment une modification de son procédé, qui permet à l'opérateur de se passer de canule. Il arrive parfois que les lèvres de la plaie s'en- flamment et que la présence de l'instrument occasionne une irritation douloureuse qui rend son ablation néces- saire : si on ne le retire pas, les parties voisines peuvent se gangrener. Dans mes expériences, je me suis mis à l'abri de cet inconvénient en me servant d'une canule double, ce qui me permet d'en substituer une plus petite à la première, lorsqu'elle est trop grosse. M. Biondlot a adopté une méthode différente. Après avoir ouvert l'abdomen, il provoque une inflammation adhésive qui réunit la face antérieure de l'estomac aux lèvres de la plaie. Il fait alors avaler à l'animal une mèche de fîl à emballage, dont l'une des extrémités reste pendante en dehors delà bouche. Avec une pince, il saisit l'autre extrémité dans la cavité gastrique préa- lablement ouverte. Il attache alors un obturateur à l'ex- trémité supérieure; puis, tirant la mèche à travers la plaie, il fait passer cet obturateur par l'œsophage, jusque dans l'estomac, dont il ferme complètement l'ouverture. De cette manière on peut, à volonté, fermer la fistule en tirant à soi l'obturateur, ou la rouvrir en le repous- sant en arrière. Pratiquement, cette méthode paraît offrir des diffi- cultés considérables. Nous continuerons donc, de préférence à ce nouveau FISTULES GASTRIQUES. 559 procédé de M. Blondlot, à nous servir, comme d'ha- bitude, de la double canule. Nous allons faire l'expérience sous vos yeux. A notre prochaine leçon, l'animal sur lequel nous allons opérer sera sans doute en assez bon état pour nous fournir une abondante quantité de suc gastrique. Nous examinerons nlors successivement ses intéressantes propriétés, ainsi que la digestion stomacale. L'expérience est pratiquée, vous le voyez, sur un très-beau et gros lévrier. L'animal, ayant mangé en- viron une heure auparavant, est naturellement en plein travail de digestion. À peine l'estomac est-il ouvert qu'on voit s'échapper de la plaie une grande quantité de suc gastrique. VINGT-SEPTIEME LEÇON Sommaire : L'opération de la gastrotomie chez le chien ne présente généra- lement pas d'inconvénients sérieux. — Propriétés particulières du suc gas- trique. — ■ Sa réaction acide. — Celte propriété se retrouve dans toute l'échelle animale. — Les glandes en tube de la muqueuse stomacale sont la source réelle de ce liquide. — Preuves expérimentales de ce fait. — Expériences de Prévost et Leroyer. — Résultats identiques chez les herbivores. — La portion pylorique de l'estomac concourt seule à cette sécrétion. — Des modifications de la muqueuse stomacale pendant la diges- tion. — L'épithélium se détache. — Des différentes substances éliminées par la sécrétion gastrique : prussiate de potasse, sels de fer, etc. — Dé- monstration expérimentale. — Difficulté de déterminer le point particulier où la sécrétion a lieu. — Des différentes manières de recueillir le suc gastrique pour l'analyse. — Comment on réussit le mieux à en séparer les substances alimentaires mélangées. Certains liquides sont invariablement mêlés au suc gastrique et il est impos- sible d'éviter leur présence. — Salive. — Sécrétion propre des glandes du pharynx. — Tous ces liquides sont alcalins, et, suivant la loi de Berzelius, ils ont une tendance à neutraliser l'acidité du suc gastrique. — Influence des alcalins sur la sécrétion gastrique. — La réaction des liquides intestinaux au delà du pylore est entièrement variable. — Com- position chimique du suc gastrique. — Influence du système nerveux sur sa production. — Plexus solaire. — Effets produits sur l'estomac par la galvanisation des pneumogastriques et du grand sympathique. Messieurs, Nous avons décrit dans nos précédentes leçons les différentes manières d'obtenir le suc gastrique en grandes quantités. Nous allons maintenant procéder à l'examen des principales propriétés de cet important liquide. L'animal dont nousavonsouvei t l'estomac dans lalecon SÉCRÉTION GASTRIQUE. 561 dernière est mort rapidement de péritonite à la suite de l'expérience. Ce résultat fâcheux ne doit pas être attri- bué à l'opération elle-même, qui la plupart du temps n'offre pas d'inconvénients sérieux. Il faut plutôt mettre en cause l'état de santé antérieur de l'animal, et les prédispositions défavorables que Ton observe trop sou- vent dans certaines races de chiens au point de vue des opérations pratiquées sur les organes abdominaux. L'expérience a au contraire réussi chez l'animal que nous mettons aujourd'hui sous vos yeux. Comme vous le voyez, il paraît jouir actuellement de la santé la plus parfaite, et il nous fournira, au moment voulu, une quantité abondante de suc gastrique. Procédons par conséquent à l'examen des propriétés caractéristiques de cette sécrétion. Bien que sa composition chimique varie légèrement suivant les différents animaux, le suc gastrique est con- stamment doué d'une forte réaction acide. Ce fait a été établi, vers le commencement du dernier siècle, par les ingénieuses expériences de Réaumur. Cette propriété de la sécrétion existe dans toute l'échelle animale. C'est ce qui a permis aux anatomistes de déterminer souvent le siège précis de l'estomac dans les cas douteux, la réaction de toutes les autres parties de l'appareil digestif étant neutre ou même franchement alcaline. L'emploi des réactifs colorés permet donc à l'observateur d'indi- quer avec la plus grande exactitude la portion du tube intestinal qui correspond à l'estomac de ranimai. Chez certains poissons, par exemple, aucune modification de forme ou de volume du canal alimentaire ne correspond cl. Bernard. — Physiol. opér. 36 562 APPAREIL DIGESTIF. à la place occupée par l'organe; sans l'emploi des réac- tifs colorés, il serait absolument impossible de découvrir sa position. Mais les cellules glandulaires, qui versent ce puissant dissolvant dans la cavité gastrique, ne sont pas réunies en une masse conglomérée; elles sont, au contraire, disséminées sur une large surface. Autrefois, l'esprit inventif des anatomistes s'est fortement exercé à décou- vrir l'organe qui produit le suc gastrique. La rate, entre autres viscères, avait été investie de cette propriété. Aujourd'hui on reconnaît universellement que les petites glandes en tubes que le microscope découvre dans la muqueuse stomacale sont en réalité la source unique de ce liquide. Mais comment démontrer expérimentalement ce fait? La sécrétion de ces petits organes ne peut pas, comme cel a a lieu pour les grosses glandes conglomérées, être recueillie au moyen d'un tube introduit dans le conduit excréteur. D'autre part, la muqueuse qui les contient renferme en même temps un nombre consi- dérable de petits follicules muqueux dont la structure et les propriétés diffèrent entièrement des glandes dont nous nous occupons. Des expériences directes sont dès lors évidemment nécessaires pour résoudre la ques- tion. La première solution satisfaisante de cette difficulté est due à Prévost et Leroyer (de Genève). Ces auteurs ont prouvé, par les expériences suivantes, que la portion pylorique de l'estomac jouit seule de la propriété de sécréter le suc gastrique. On ouvre l'estomac d'un ani- mal vivant, par une incision pratiquée sur sa face anté- rieure, après avoir préalablement incisé la paroi abdo- SÉCRÉTION GASTRIQUE. 563 minale. On essuie alors la surface interne de cet organe au moyen d'une fine éponge imbibée d'une solution alcaline faible, en ayant soin, bien entendu, de ne pas enlever l'épithélium. On introduit enfin dans la cavité un morceau de papier bleu de tournesol et l'on referme la plaie. Quelques heures après, on sacrifie l'animal. A l'autopsie, on trouve que vers l'extrémité pylorique de l'organe le papier bleu est devenu rouge, tandis qu'il a conservé sa coloration dans tous les autres points. Cela prouve bien que la portion pylorique de l'estomac où se trouvent les petites glandes en tubes dont nous avons parlé est bien le siège réel de la sécrétion gastrique. On peut répéter l'expérience sur des animaux d'es- pèce différente ; elle donne invariablement les mômes résultats. Ainsi, chez le cheval, la partie pylorique de l'estomac, et chez les ruminants, la caillette, sont seules douées de la propriété de sécréter ce liquide, ainsi que le démontrent les papiers réactifs. Nous devons admettre comme une vérité incontestable que le suc gastrique ne se produit que dans les environs du pylore. Mais la sécrétion de ces petites glandes est intermit- tente chez l'homme aussi bien que chez les animaux inférieurs. Le docteur Beaumont rapporte que chez son Canadien le suc gastrique n'apparaissait qu'après l'introduction d'aliments dans l'estomac ; aussitôt que le travail de la digestion était terminé, il ne se produisait dans la cavité gastrique aucune sécrétion jusqu'au repas suivant. De môme, lorsqu'on introduit une canule dans l'estomac d'un chien, on ne voit s'écouler aucune goutte de liquide, à la condition que l'animal ait été préala- 564 APPAREIL DIGESTIF. blement soumis au jeûne; mais aussitôt qu'il com- mence à manger, on voit immédiatement s'échapper par l'orifice externe du tube une quantité abondante de suc gastrique. On peut obtenir le même résultat en se bornant à montrer les aliments à l'animal, ainsi que cela a lieu pour les glandes salivaires. Chez le chien que nous vous présentons aujourd'hui, l'estomac est actuellement à l'état de repos ; mais la vue des aliments va stimuler immédiatement l'activité physiologique de ses éléments glandulaires. Vous voyez l'expérience pratiquée sous vos yeux. Un morceau de viande ayant été placé sous les yeux de l'animal, le suc gastrique s'écoule par le tube avant qu'il ait commencé à manger. Vous voyez, messieurs, que, ainsi que cela a lieu pour les autres glandes, la sécrétion n'est pas continue dans l'estomac. Pendant l'intervalle qui sépare un repas du suivant, la tunique muqueuse est recouverte d'une couche épaisse d'épithélium grisâtre, et sa réac- tion est alcaline. Mais aussitôt que le travail de la digestion commence, cette muqueuse se gonfle, se con- gestionne, devient rouge; l'épithélium se détache par lamelles, et le suc gastrique apparaît à la surface interne de l'estomac, comme la sueur à la surface de la peau. Il est probable que les choses se passent de même dans toutes les glandes à l'état de repos. La salive, par exemple, lorsqu'elle commence à s'écouler, contient d'abord une proportion considérable d'éléments épithé- liaux; mais bientôt le liquide devient transparent et ne renferme plus que quelques cellules épithéliales. SÉCRÉTION GASTRIQUE. 565 Il existe une différence remarquable entre le suc gastrique et les sécrétions que nous ayons déjà étudiées, sous le rapport des substances éliminées de l'économie par les diverses glandes après leur introduction dans les vaisseaux. Nous vous avons montré, par exemple, que le prussiate de potasse et les sels de fer en général ne passaient pas par la sécrétion salivai re. Le contraire a lieu avec le suc gastrique. Si l'on injecte du prussiate de potasse dans les veines d'un animal, et si l'on intro- duit en même temps un sel de fer dans l'estomac, la muqueuse prend bientôt une coloration bleu foncée dans sa portion pylorique, pendant que la digestion a lieu. Les deux substances ayant été amenées en con- tact au niveau des orifices des glandes tubuleuses qui sécrètent le liquide digestif, il s'est formé du bleu de Prusse en ce point. Le même résultat peut être obtenu, mais avec beaucoup plus de difficulté, en renversant l'expérience, c'est-à-clire en injectant des sels de fer dans les veines et en faisant prendre le prussiate de potasse par la bouche. Enfin, si l'on injecte séparément ces deux ordres de substances dans les vaisseaux, on observe encore les mêmes effets : la réaction n'a pas lieu tant qu'elles sont encore contenues dans le sang; mais elle se produit immédiatement lorsqu'elles ont été mises en liberté par les voies d'élimination. En pratiquant l'expérience dont je viens de vous parler, je m'étais bercé de l'espoir de découvrir le siège précis de la sécrétion gastrique. En introduisant les deux substances dans la circulation en des points éloi- gnés l'un de l'autre, je m'attendais à trouver le bleu de 566 APPAREIL DIGESTIF. Prusse, qui résulte de leur combinaison, dans les glandes mêmes qui les séparent du sang. Mais, sous ce rapport, mes prévisions n'ont pas été réalisées. En effet, en examinant au microscope la membrane muqueuse où la réaction avait eu lieu, j'ai trouvé que le ferrocyanure de fer s'était déposé à sa surface, et non pas dans la cavité des tubes sécréteurs. Nous venons de dire que la sécrétion est intermittente, et cela chez tous les animaux. Mais comment prouver ce fait pour les lapins et autres rongeurs, dont l'estomac n'est jamais vide? L'examen de l'urine nous permet, par une méthode indirecte, d'arriver à cette conclusion. Chez tous les herbivores, en effet, ce liquide offre pen- dant la digestion une réaction alcaline, et devient acide aussitôt que celle-ci est terminée. Chez les carni- vores, c'est l'inverse qui a lieu. Cette différence résulte uniquement du genre d'alimentation. En effet, les chiens nourris exclusivement de pommes de terre et autres substances amylacées, acquièrent, sous ce rapport, les propriétés des herbivores; leur urine devient acide pen- dant que les organes digestifs sont à l'état de repos, et alcalines aussitôt qu'ils entrent en activité. Par contre, chez les lapins nourris exclusivement de viande, l'urine devient entièrement semblable à celle des carnivores. Or, si nous examinons l'un de ces animaux nourri comme d'habitude avec des légumes, nous trouvons qu'après une abstinence de longue durée (vingt-quatre heures par exemple), l'urine devient complètement acide. Nous sommes dès lors en droit de supposer que la digestion a été suspendue pendant un certain temps, SÉCRÉTION GASTRIQUE. 567 bien que la muqueuse stomacale soit restée perpétuelle- ment en contact avec des aliments non digérés. Dans certaines maladies pourtant, les conditions naturelles de la sécrétion gastrique sont troublées et l'on voit le liquide s'écouler sans interruption. Nous vous avons dit dans une autre leçon que l'es- tomac élimine souvent certaines substances qui, pour diverses raisons, ne passent plus par leurs voies habi- tuelles. Prévost et Dumas ont reconnu il y a long- temps que, lorsqu'on enlève les deux reins d'un chien, il s'écoule plusieurs jours avant qu'on puisse décou- vrir la présence de l'urée dans le sang au moyen des réactifs chimiques. Cette substance peut donc s'élimi- ner par des voies autres que ses voies ordinaires. Ces auteurs n'avaient pas essayé de donner une explica- tion de ce fait, quand je découvris des preuves indubi- tables de la présence de l'urée et des sels d'ammoniaque dans le suc gastrique de chiens à qui on avait récemment enlevé les deux reins. C'est donc par cette sécrétion que l'élimination se fait pendant un certain temps. L'appétit de l'animal ne diminue pas, ses digestions ne sont pas troublées, mais lorsque l'estomac ne peut plus remplir ce nouvel office, alors les substances toxiques passent dans le sang et les symptômes de l'urémie apparaissent à la fin. Après avoir examiné les principales propriétés du suc gastrique et essayé d'indiquer le siège précis de l'appareil glandulaire qui préside à sa sécrétion, il nous reste à décrire les procédés les plus convenables qu'il faut em- ployer pour l'obtenir à l'état de pureté parfaite et, si 568 APPAREIL DIGESTIF. cela est possible, pour le recueillir par des moyens arti- ficiels. Vous avez sans doute remarqué que, lorsqu'on veut se procurer de grandes quantités de suc gastrique, il devient nécessaire d'introduire des aliments dans l'estomac afin de réveiller son activité endormie. Les objections que l'on peut formuler contre un tel procédé sont faciles à prévoir. Les substances étrangères sont naturellement tenues en dissolution dans le liquide ainsi obtenu, et sa composition réelle n'est pas révélée par l'analyse chimique. Pour obvier à cet inconvénient, il faut recueillir le suc gastrique au moment même où la digestion commence. Les substances introduites dans l'estomac, une fois qu'elles ont été mises en contact avec le liquide sécrété par sa face interne, se désagrègent peu à peu, se divisent en petits fragments, et sont rapide- ment dissoutes. Mais pendant les premiers moments, alors que ce travail n'est pas encore commencé, le liquide obtenu peut être considéré comme relativement pur et sans mélange. C'est, en outre, un fait bien connu que les parois elles- mêmes de l'estomac, protégées qu'elles sont par les couches épithéliales qui les recouvrent, ne sont pas exposées à être attaquées pendant la digestion. Ce sont les tripes que nous employons habituelle- ment pour stimuler le travail digestif; cet aliment, comme vous le savez, est constitué parla surface interne des intestins des ruminants; il est peut-être par là même apte à résister à l'action du suc gastrique pendant un temps beaucoup plus long que les autres substances animales. Naturellement il faut filtrer le liquide ainsi SÉCRÉTION GASTRIQUE. 569 obtenu, afin de le débarrasser des fragments à demi digérés qu'il peut contenir. Il n'est pas difficile d'obtenir le suc gastrique à volonté, en fermant l'orifice externe du tube introduit dans l'estomac au moyen d'un petit bouchon que l'ani- mal ne peut pas enlever avec ses dents. Il est plus com- mode toutefois d'adapter à l'appareil une petite poche de caoutchouc, dans laquelle le liquide se déverse rapide- ment quand la sécrétion commence. Il faut éviter aussi d'enlever de l'estomac une trop grande quantité de suc gastrique, afin de ne pas troubler le travail de la digestion. Mais, lorsqu'on essaye de recueillir à l'état de pureté la sécrétion gastrique, on se trouve en présence d'une autre difficulté. Lorsque, comme cela a lieu d'ordinaire, les aliments sont introduits par la bouche, la salive est le premier liquide qui vient les imprégner. Une autre sécrétion, relativement insignifiante chez les carnivores, mais plus abondante chez les ruminants, vient se mé- langer au bol alimentaire avant qu'il ait atteint la cavité stomacale; nous voulons parler de la sécrétion pharyn- gienne que l'on recueille facilement chez le cheval, en divisant l'œsophage vers la partie moyenne du cou et en adaptant un tube de verre à son bout supérieur. Pendant la mastication, ce liquide se produit en grande abondance, et l'on peut en recueillir plusieurs litres. Il provient des glandes situées à la partie supérieure du pharynx; par sa composition chimique, il diffère de la salive, mais il s'en rapproche par sa réaction alcaline. Il est dès lors évident qu'au moment de la digestion, 570 APPAREIL DIGESTIF. à l'état de santé, le suc gastrique se trouve mélangé avec deux autres liquides, qui offrent tous deux une réaction alcaline. Mais la puissante acidité de la sécrétion gastrique l'emporte complètement sur les propriétés contraires des deux autres, car jamais elle ne perd cette acidité : dans certaines maladies elle peut être arrêtée ou diminuée, mais ces propriétés chimiques demeurent invariablement les mêmes. Gela s'accorde parfaitement, comme vous le voyez, avec cette loi de Berzelius: que dans les différentes parties d'un appareil donné on ren- contre alternativement des sécrétions acides et alca- lines, qui réagissent les unes sur les autres et s'excitent mutuellement. En fait, on sait très-bien que le suc gas- trique s'écoule en plus grande abondance quand on introduit des alcalins dans l'estomac ; les acides au con- traire entravent sa formation. L'addition de sels alcalins aux différents aliments est dès lors favorable à la diges- tion. Telle est peut-être l'une des raisons qui expliquent l'usage étendu du sel ordinaire chez toutes les nations. Vous savez aussi que certaines espèces animales dévo- rent avec avidité le sel, chaque fois qu'elles peuvent en rencontrer, et se réunissent par bandes dans les endroits où il est déposé à la surface du sol. Mais, en vertu du même principe, nous trouvons que la bile et le suc pancréatique, étant doués d'une forte réaction alcaline, neutralisent l'acidité du suc gastrique, en sorte qu'au delà du pylore la réaction intestinale est généralement neutre ; chez les carnivores toutefois elle reste acide dans la plupart des cas. La composition chimique [du suc gastrique n'a pas SÉCRÉTION GASTRIQUE. 571 été encore complètement définie, et les auteurs ne sont pas d'accord sur ce point. Il renferme une grande pro- portion d'eau (995 parties pour 1000; l'acide lactique et une substance organique, la pepsine, dont la nature est encore imparfaitement connue, paraissent être les principes actifs qui lui donnent ses propriétés particulières. Examinons maintenant le rôle du système nerveux dans sa formation. Lorsque, dans nos précédentes leçons, nous appe- lions votre attention sur la sécrétion salivaire, nous vous disions que ce phénomène physiologique devait être rangé parmi les actions réflexes, que le système nerveux était, par suite, essentiellement intéressé dans la forma- tion de la salive, et que chaque glande devait évidem- ment être pourvue de nerfs sensitifs et de nerfs moteurs attachés spécialement à la sécrétion. Pour chacune des glandes, nous avons indiqué quels étaient ces nerfs. En second lieu, nous avons découvert que le grand sympa- thique avait une action opposée à celle des branches motrices et faisait obstacle à la libre action de la glande. Nous avons démontré enfin que la période d'activité de ces organes sécréteurs se révélait invariablement par un état de turgescence du tissu glandulaire, par une accélération de la circulation, et par la coloration rouge du sang des veines qui présentent en même temps des pulsations artérielles. Pendant la digestion, les mêmes phénomènes accom- pagnent la sécrétion des glandes gastriques. La mu- queuse se tuméfie et prend une couleur rouge vif; et, comme pour les glandes salivaires, l'influence nerveuse 572 APPAREIL DIGESTIF. se rattache intimement à la formation du suc gastrique. Il se produit évidemment une action réflexe, puisque quelques gouttes d'une solution alcaline provoquent immédiatement la sécrétion. Essayons donc de déter- miner quels sont les nerfs auxquels est dévolue la pro- priété de réveiller l'activité endormie de ces petits organes. Le plexus solaire est la source d'où proviennent tous les filets nerveux qui aboutissent à l'estomac; et ce plexus est formé par le pneumogastrique et le grand sympathique. Ce sont donc ces deux nerfs qui sont les conducteurs de l'influence nerveuse qui agit dans le tra- vail de la digestion. Les branches émanées du plexus solaire se distribuent, bien entendu, à la tunique mus- culeuse de l'estomac, aussi bien qu'aux cellules sécré- tantes, mais les contractions qui se passent dans cet organe pendant la digestion ne peuvent pas être séparées de la sécrétion elle-même : ces deux actes physiologiques se relient inséparablement l'un à l'autre, comme la sécrétion parotidienne se relie à la mastication. Ces deux derniers phénomènes , vous le savez , ont lieu sous l'influence des branches motrices de la cinquième paire, et aucun physiologiste ne voudrait les séparer l'un de l'autre, en ce qui touche du moins l'influence nerveuse. Nous ne chercherons donc pas à affirmer que la contraction des fibres musculaires agit sur les glandes par compression : la sécrétion gastrique est, en elle- même, un processus totalement distinct et indépendant. Nous aurons recours à notre stimulant ordinaire, l'électricité, pour déterminer l'influence exercée sur SÉCRÉTION GASTRIQUE. 573 l'estomac par les deux nerfs qui sont en rapport avec lui. Nous prenons deux chiens porteurs de fistules gas- triques, et qui ont été tenus à la diète pendant un cer- tain temps. Chez celui dont on galvanise les pneumo- gastriques, le suc gastrique s'écoule en abondance, tandis que chez l'autre la muqueuse reste parfaitement sèche. On peut donc dire, sans crainte de se tromper, que c'est aux pneumogastriques que l'estomac est redevable de son pouvoir sécréteur; et le courant galvanique, appliqué à la sécrétion gastrique, paraît être le procédé le plus convenable pour l'obtenir à l'état de. pureté, non mélangé à la salive et aux autres substances étran- gères. Le grand sympathique, comme on pouvait le pré- voir facilement, continue à jouer le même rôle qu'au- paravant. Si on l'excite, il arrête la sécrétion, ou la rend moins abondante quand le travail digestif est dans toute sa plénitude. On peut aisément prouver ce fait en galvanisant les nerfs qui partent des ganglions semi- lunaires. En résumé donc, nous trouvons dans l'estomac deux ordres de nerfs, comme dans toutes les autres glandes : des nerfs moteurs qui accélèrent la sécrétion, et des nerfs organiques qui l'entravent. Nous insistons à des- sein sur la reproduction constante de ce fait ; notre intention est aussi de vous démontrer plus tard son importance en ce qui touche les propriétés les plus intimes du système nerveux. VINGT-HUITIÈME LEÇON Sommaire : Du suc pancréatique. — Dispositions anatomiques des con- duits pancréatiques chez l'homme. — Situation de leurs orifices externes. — La bifidité de l'appareil excréteur est un vestige de l'état fœtal. — Dispositions anatomiques de ces parties dans les différentes espèces ani- males. — Différents procédés opératoires. — L'organe décrit par Aselli comme un pancréas chez le chien n'est qu'une agglomération de gan- glions lymphatiques. — Glandes de Brunner. — Nature précise de leur sécrétion. — Propriétés de la sécrétion pancréatique. — Expériences relatives à ce sujet. Des substances éliminées par la glande pancréatique. — Analogie qui existe sous ce rapport entre les glandes pancréatiques et salivaires. — Influence du système nerveux sur le pancréas. — Expériences variées sur la sécré- tion pancréatique. Messieurs, Nous avons examiné successivement dans nos précé- dentes leçons les principales méthodes auxquelles on a recours pour se procurer les produits de certaines glandes qui jouent le rôle principal dans les fonctions digestives. Nous vous avons montré comment on recueille la salive, le suc gastrique et la sécrétion pharyngée à l'état de pureté parfaite. Nous arrivons maintenant à la portion inférieure du canal alimentaire, où nous allons pour- suivre nos recherches sur cette branche de la physio- logie. Immédiatement au-dessous du pylore, plusieurs liquides importants sont versés dans le duodénum par diverses dandes, dont les unes sont situées en dehors de SÉCRÉTIONS INTESTINALES. 575 l'intestin, tandis que les autres sont comprises dans ses parois mêmes. Nous voulons parler de la bile, du suc pancréatique, et du liquide sécrété par les glandes de Brunner. Nous appellerons aujourd'hui votre attention sur la sécrétion pancréatique. Les divers procédés au moyen desquels on recueille les liquides intestinaux, bien que fondés sur un ensemble de principes généraux, doivent être modifiés clans une certaine mesure suivant les glandes auxquelles on a affaire. Ainsi que vous le savez, il existe de grandes différences entre ces organes. Le pancréas, par exemple, est loin de ressembler à l'appareil salivaire, auquel on l'a pourtant fréquemment assimilé. Au point de vue de la structure, la comparaison est juste; mais, sous le rapport des propriétés physiologiques, cette compa- raison est absolument erronée. Et bien que le contraste soit assez sensible à l'état sain, les effets des maladies le mettent encore plus en lumière. En effet, les désor- dres locaux sont presque les seuls qui puissent troubler la sécrétion salivaire, laquelle demeure intacte dans le cours des autres affections. Il est donc relativement facile d'obtenir ce liquide en grandes quantités, sans modifier ses propriétés normales : la légère inflamma- tion qui résulte parfois de l'expérience est, à ce point de vue, absolument insignifiante. Bien différente est la susceptibilité de la glande pancréatique : les perturba- tions générales de l'économie exercent sur ses fonctions une influence puissante, et la moindre trace d'inflam- mation modifie immédiatement les propriétés du liquide qu'elle sécrète. Si donc une péritonite survient à la 576 APPAREIL DIGESTIF. suite de l'opération, l'expérience ne peut être continuée avec espoir de succès; aucune confiance ne doit être ajoutée aux résultats obtenus, puisqu'on n'a plus à sa disposition une sécrétion normale. Si Ton ne prend pas les soins les plus minutieux pour éviter cette fâcheuse complication, qui est trop souvent la conséquence des opérations pratiquées sur les viscères abdominaux, il sera impossible de se rendre rationnellement compte des propriétés de la sécrétion pancréatique. La nécessité absolue d'établir des règles définies pour l'accomplissement de cette opération délicate est évi- dente. Nous ne pouvons pas, en effet, accepter les résul- tats obtenus par les différents observateurs, à moins que les conditions de l'expérience n'aient été identiquement les mêmes dans chaque cas. Examinons donc la dis- position anatomique des conduits pancréatiques chez l'homme et chez les animaux inférieurs. Ce premier pas une fois fait, nous essayerons d'exposer le plus claire- ment possible les principes qui doivent nous diriger. Dans l'espèce humaine, le pancréas est pourvu de deux canaux excréteurs : le premier se jette dans le canal cholédoque; le second va s'ouvrir séparément dans le duodénum. Voici l'estomac d'un criminel, qui a été conservé dans l'alcool : cet organe ayant appartenu à un sujet sain, nous devons supposer qu'il offre une disposition normale. Si nous introduisons deux petits stylets d'argent dans les conduits pancréatiques, vous les verrez apparaître à la surface interne de l'intestin, et il vous sera facile de constater leur direction. Leurs extrémités, comme vous le voyez, pénètrent dans le duo- SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 577 clénum, immédiatement, au-dessous de la portion pylo- rique : l'un des conduits est pourvu d'un orilice parti- culier, tandis que l'autre se jette dans le canal biliaire. Dans cette préparation, les deux conduits ont un égal diamètre; mais, dans la majorité des cas, celui qui s'anastomose avec le canal cholédoque est un peu plus gros que l'autre. 11 existe enfin une anastomose directe entre les deux conduits : cette anastomose, vous la voyez nettement dans cette préparation. ïl faut noter cette disposition, puisque, lorsqu'on a lié l'un des canaux excréteurs, la sécrétion passe par l'autre pour se jeter dans le tube digestif. Une disposition semblable existe chez le chien ; chez cet animal, le pancréas est également muni de deux conduits, dont l'un s'ouvre dans le duodénum, immé- diatement au-dessus du canal cholédoque, tandis que l'autre va rejoindre le canal biliaire : comme chez l'homme, il existe une communication directe entre les deux conduits. Un petit tubercule placé à la surface interne de l'intestin indique le siège de l'orifice prin- cipal commun au canal pancréatique et au canal biliaire; immédiatement au-dessus existe un second tubercule qui correspond à l'orifice du canal pancréatique acces- soire ou indépendant. Yoici l'estomac et le duodénum d'un chien, sur lequel on peut contrôler cette disposi- tion : il nous sera facile de vous démontrer par une expérience directe l'anastomose des deux conduits. Si l'on injecte, en effet, un liquide coloré dans l'un des ori- fices, on le voit passer immédiatement par l'autre, ce qui établit manifestement l'existence d'une communication. cl. Bernard. — Physiol. opér. 37 578 APPAREIL DIGESTIF, Nous introduisons une fine seringue dans l'orifice principal et injectons de l'eau avec force; le jet apparaît immédiatement par l'orifice voisin. L'existence de cette particularité anatomique chez le chien a été décrite il y a longtemps par de Graaf ; on savait même qu'elle existait aussi chez l'homme. Meckel a établi que chez le fœtus il y a un double pancréas auquel correspond un double canal : chez l'adulte, tou- jours suivant le même auteur, cette bifidité disparaîtrait, et il ne resterait plus qu'un seul conduit, les deux glandes étant confondues en une seule. Bien que le célèbre anatomiste ait commis une erreur sur ce point, je crois volontiers à la bifidité du pancréas à l'état fœtal. J'ai trouvé qu'il en était ainsi dans la race ca- nine; et l'existence chez le fœtus d'un double appareil correspondant à un organe unique chez l'animal adulte n'est pas chose rare. Chez les gallinacées, par exemple, l'un des ovaires est atrophié quand l'oiseau est arrivé à son développement complet. Naturellement c'est le chien que Ton emploie d'habi- tude dans les expériences sur la sécrétion pancréatique, et c'est sur le conduit accessoire que l'on opère d'ordi- naire. Voici la manière de procéder : On fait sur la paroi abdominale une incision médiane dans le voisinage du pylore. Un aide écarte les muscles et l'opérateur saisit le duodénum avec une pince pour le séparer des parties voisines et l'attirer hors de la plaie. Le pancréas, dont les connexions intimes avec cette portion du tube digestif nous sont bien connues, sort ainsi de la cavité abdominale. On écarte les vais- SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 579 seaux, en prenant les plus grandes précautions pour ne pas les blesser, et l'on met ainsi à nu une petite partie du conduit accessoire. En ce point on peut inciser sans irriter cette glande délicate que le moindre contact enflammerait. Après avoir passé un fil dans le conduit, on l'ouvre et l'on y fixe un tube d'argent au moyen d'une ligature; il est souvent nécessaire d'attacher le tube en deux points différents afin de l'empêcher de s'échap- per. Le duodénum et le pancréas sont alors soigneuse- ment replacés dans la cavité abdominale; seule, l'extré- mité de la canule sort encore par la plaie. Cette canule doit avoir de quatre à cinq pouces de long et être pourvue d'un stylet qui l'empêche de se boucher. La sécrétion pancréatique n'a pas été examinée seu- lement dans l'espèce canine; ses propriétés ont été étudiées aussi chez d'autres animaux. Chez le chat, la disposition des canaux est tellement irrégulière, qu'elle défie toute description ; la plupart du temps il y en a plusieurs. Chez le lapin, leur situation est éminemment favorable à l'expérimentation : ils s'étalent, en effet, en éventail sur le mésentère, avant de pénétrer dans le duodénum ; rien de plus facile dès lors que de les ouvrir et d'y placer un tube. La prépa- ration anatomique que nous plaçons ici sous vos yeux met en lumière cette disposition. Chez le bœuf, le pancréas est également pourvu d'un grand nombre de conduits excréteurs; la plus grande partie de ceux-ci s'anastomosent avec l'appareil biliaire : les uns se jettent dans le canal cholédoque, les autres arrivent dans la vésicule biliaire elle-même. Assez sou- 580 APPAREIL DIGESTIF. vent, les conduits biliaires sont en rapport avec de petites glandes pancréatiques qui déversent dans leur cavité le produit de leur sécrétion. Toutefois, il existe toujours au moins un conduit indépendant, qui s'ouvre séparé- ment dans le duodénum; c'est sur lui que l'on opère; mais, même après avoir lié la plupart des canaux acces- soires, il est impossible de recueillir la totalité du liquide sécrété parle pancréas: une grande quantité de celui-ci passe directement dans la vésicule biliaire. Voici le duodénum d'un bœuf avec les portions voisines de l'estomac; vous voyez dans cette préparation les con- duits pancréatiques s'anastomoser largement avec les différentes ramifications du canal biliaire. Le procédé que nous venons de décrire pour recueillir le suc pancréatique diffère totalement de celui que de Graaf avait adopté. Dans ses recherches sur ce sujet, il avait l'habitude de faire une large incision sur les parois abdominales, de manière à amener l'issue de toute la masse intestinale ; après avoir séparé le pancréas des parties voisines, il introduisait un tube dans le conduit principal; mais les résultats de cette opération quelque peu brutale semblent avoir vicié la sécrétion de la glande, caria description qu'en donne de Graaf est loin de concorder avec les notions actuellement acquises sur ce point. D'autres observateurs ouvraient le duodénum pour se procurer du suc pancréatique. Mais Tiedemann et Gmelin avaient déjà recours à l'opération que nous venons de décrire, et ils ont pu obtenir ainsi une grande quantité de liquide pancréatique sans léser l'intestin. SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 584 Les avantages qu'il y a à éviter cette blessure inutile sont trop évidents pour avoir besoin d'explication. Dans tous les cas, l'opération doit être pratiquée pen- dant que l'animal est en pleine digestion. C'est à ce seul moment, en effet, que la sécrétion a lieu à l'état sain. Les nerfs du 'pancréas étant imparfaitement connus, nous sommes hors d'état de les soumettre au courant électrique dans le but de stimuler l'activité de la glande. D'autre part, il est de la plus haute importance d'ob- tenir d'un seul coup une certaine quantité de cette sé- crétion; car, si quelques heures se sont écoulées après l'opération sans qu'on ait pu en recueillir, une inflam- mation aiguë peut se produire, et l'on n'a plus à sa disposition qu'une sécrétion viciée, au lieu du produit normal de la glande. Dans la plupart des cas cepen- dant, l'opération a pleinement réussi, les accidents ne se sont pas produits, et l'animal a fourni une sécrétion normale abondante pendant plusieurs jours. Le fait anatomique qui permet à la bile de se mélanger au suc pancréatique au moment même où il arrive dans le duodénum, ce fait enlève toute valeur aux résultats obtenus par les observateurs qui n'ont pas adopté dans leurs expériences les précautions requises pour obvier à cet inconvénient. Nous vous avons dit que chez la plupart des ani- maux le pancréas est double à l'état embryonnaire, et que les deux parties de la glande se réunissent après la naissance. L'existence d'un double canal pancréatique chez l'homme et Jes animaux supérieurs est sans doute un vestige de cet état primitif. Nous avons reconnu, en 582 APPAREIL DIGESTIF. effet, l'existence d'un double pancréas chez le fœtus du chien et chez l'embryon de plusieurs autres animaux. Chez les oiseaux, le pancréas est habituellement double; le pigeon possède deux glandes pancréatiques situées de chaque côté du mésentère, dans la courbure du duodénum; une disposition semblable existe chez la buse et en général chez les oiseaux de proie, ainsi que chez plusieurs animaux domestiques. Chez les reptiles, il y a aussi deux glandes pourvues chacune d'un canal excréteur distinct. Chez l'homme et chez les animaux supérieurs, les deux portions du pancréas étant réunies, les deux conduits s'anastomosent ordinairement, excepté dans quelques cas isolés. Il nous reste maintenant à examiner si, ainsi que divers auteurs l'ont supposé, il existe, indépendamment de la glande principale, certains organes accessoires destinés à la même fonction. En d'autres mots, y a-t-il un pancréas secondaire? Aselli résout la question par l'affirmative, mais l'organe qu'il a pris pour une glande n'est en réalitéqu'une simple agglomération de ganglions lymphatiques abdominaux , agglomération qui existe constamment chez le chien et quelques autres animaux, mais qu'on ne retrouve pas chez l'homme. Le micro- scope a démontré surabondamment que ce corps ne présentait pas une structure glandulaire. On a supposé que les petites glandes disséminées dans la tunique muqueuse du duodénum jouissaient des mêmes propriétés que l'appareil pancréatique: telle était l'opi- nion de Brunner, qui leur a donné son nom . Dans ce cas, comme cela est arrivé pour l'appareil salivaire, l'ana- SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 583 logie de structure a créé des notions fausses chez les anatomistes; car, en réalité, la sécrétion de ces petits organes est essentiellement différente du suc pancréa- tique. Pour justifier son assertion, Brunner avait recours à l'expérience suivante : 11 essayait de détruire le pan- créas, dans l'espoir de provoquer un accroissement de volume consécutif des glandes duodénales; car c'est un fait bien connu que, toutes les fois qu'il existe des glandes doubles, l'extirpation de l'une donne naissance à une hypertrophie correspondante de l'autre. Qu'on enlève un rein, l'autre devient plus gros: il en est de même pour les testicules. Brunner supposait donc qu'après la destruction du pancréas les glandes accessoires aug- menteraient de volume; mais il n'a jamais réussi, dans ses expériences, à extirper la totalité du pancréas; rien n'est plus difficile, en effet, que d'enlever chez un animal vivant cette portion de la glande qui siège en arrière de l'estomac, dans le voisinage immédiat du tronc cœliaque dont la moindre blessure provoque à l'instant même une héinorrhade mortelle. Brunner lui-même, en fai- sant l'autopsie des animaux chez lesquels l'opération avait été pratiquée, a pu se convaincre qu'il n'avait détruit qu'une petite portion de la glande, celle qui siège immédiatement derrière le tube intestinal. Le problème n'a donc pas été résolu par cet obser- vateur, qui n'a jamais pu réaliser les conditions néces- saires de l'expérience; toutefois, une méthode diffé- rente a permis à la physiologie moderne de constater la différence essentielle de ces deux ordres de glandes. Enlevez un fragment de la muqueuse duodénale, et 584 APPAREIL DIGESTIF. faites -la macérer pendant un certain temps dans l'eau tiède, vous obtiendrez ainsi un liquide épais, visqueux, demi-opaque, qui ressemble tout à fait à de l'eau imprégnée de salive. Au contraire, le liquide obtenu par la macération du tissu pancréatique produit un liquide totalement différent. On peut donc affirmer, à coup sûr, que, loin de ressembler à l'appareil pan- créatique, les petites glandes de Brunner jouent un rôle entièrement distinct dans le travail de la diges- tion, Examinons maintenant les propriétés physico-chimi- ques de la sécrétion pancréatique. Le lapin que nous vous présentons ici a subi l'opération décrite précédem- ment : le tube introduit dans l'ouverture fîstuleuse nous fournit une quantité abondante de ce liquide; car, ainsi que je vous l'ai déjà fait remarquer, le lapin appartenant à cette classe d'animaux dont l'estomac n'est jamais vide, les interruptions qui se produisent chez lui dans le travail digestif diminuent à peine l'écoulement de la sécrétion, contrairement à ce qui a lieu dans les autres espèces. En outre, chez les herbivores on peut recueillir une quantité de suc pancréatique beaucoup plus consi- dérable que chez les carnivores. Ces derniers ne pren- nent généralement qu'un seul repas dans les vingt-quatre heures, tandis que les premiers ne font que manger toute la journée. Chez les chiens, par exemple, ce n'est que par intervalles que nous pouvons nous procurer de ce liquide, et cela immédiatement après le repas quoti- dien de l'animal. Le suc pancréatique que je viens de retirer du con- SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 585 duit excréteur de ce lapin est limpide, visqueux, inco- lore, et s'écoule, comme vous le voyez, en grosses gouttes ; il n'a pas d'odeur particulière, et son goût est légèrement salé; avec les réactifs ordinaires, il donne une réaction fortement alcaline. La chaleur et les acides le coagulent rapidement : si l'on présente le tube qui le contient à la flamme d'une lampe à esprit-de-vin, il se prend au bout de quelques secondes en une masse solide. Si Ton y verse quelques gouttes d'acide nitrique, on obtient le même résultat. La sécrétion pancréatique présente donc, comme vous le voyez, tous les caractères d'un liquide albumineux, et la présence d'une matière albuminoïde est probablement la cause de sa viscosité. Lorsqu'on expérimente sur le pancréas, il est néces- saire de se souvenir d'un précepte qui s'applique égale- ment aux opérations analogues que l'on pratique sur les autres glandes. Quand cet organe est à l'état de repos, les conduits restent remplis par le produit de la sécré- tiou; car les liquides visqueux, ne s'écoulant qu'avec une grande difficulté, sont plus disposés que les autres à demeurer stationnaires, quand la vis a tergo a cessé d'agir, alors que les fonctions de la glande sont momen- tanément suspendues. Si donc vous exercez une com- pression sur le conduit, vous ferez sortir par le tube le liquide resté jusque-là immobile, sans que pour cela il se produise aucun acte sécrétoire. C'est ainsi que le physiologiste peut être souvent amené à des erreurs con- sidérables, s'il n'a pas pris soin de vider les conduits avant de commencer une expérience. Supposez, par exemple, que Ton cherche à savoir si la section de cer- 586 APPAKEIL DIGESTIF. tains nerfs, qui aboutissent à la glande, amène une cessation immédiate de sa fonction, ou si l'excitation galvanique appliquée à une branche donnée provoque de nouveau l'acte physiologique : ce simple fait que les conduits sont pleins, peut tromper entièrement l'obser- vateur : la galvanisation du nerf, ou une pression acci- dentelle exercée sur la glande, peuvent faire sortir un peu de liquide du tube, résultat que l'on attribuerait probablement à une sécrétion récente, alors qu'on aurait simplement affaire à un liquide déjà présent dans les voies excrétoires avant le commencement de l'opéra- tion. Dans ses expériences sur le suc pancréatique, de Graaf trouvait habituellement à ce liquide une réaction acide : mais la méthode employée par cet observateur étant, comme je l'ai déjà dit, très-imparfaite, le liquide qu'il obtenait ne jouissait probablement pas de ses pro- priétés normales. Il est toutefois surprenant que Tiede- mann et Gmelin qui le recueillaient par le même pro- cédé que moi-même, l'aient aussi trouvé acide dans la majorité des cas. Vous voyez pourtant bien que nous avons eu une réaction franchement alcaline avec le liquide de l'animal ici présent ; et jamais je ne l'ai trouvée acide dans aucune de mes expériences. Il est vraiment difficile d'expliquer l'erreur commise par ces éminents physiologistes, erreur qui, selon moi, doit avoir été le résultat d'un accident opératoire. Il est intéressant de déterminer quelles sont les sub- stances qui apparaissent dans la sécrétion pancréatique après avoir été injectées dans les veines, et quelles sont, SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 587 au contraire, celles qui ne passent pas par cette sécré- tion. En règle générale, toutes les substances qui passent par le pancréas sont également éliminées par les glandes salivaires: de même celles qui ne sont pas acceptées par le premier de ces appareils sont également rejetées par le second. Ainsi, le chlorate de potasse, l'iode et ses com- posés passent également par les deux ordres de glandes. Au contraire, leprussiate de fer, qui s'élimine par les reins, n'apparaît ni dans la salive ni dans le suc pan- créatique. Mais bien que, sous ce rapport, les sécrétions salivaire et pancréatique se ressemblent, elles diffèrent grandement l'une de l'autre à d'autres points de vue importants. Ainsi, la salive ne s'écoule que par intermit- tences, pour ainsi dire : elle apparaît quand les mâchoires sont mises en mouvement, et disparaît avec la mastica- tion; la sécrétion pancréatique, au contraire, coule sans interruption pendant tout le travail de la digestion. Une autre particularité qui le distingue de la sécrétion sali- vaire, c'est le changement que subissent ses propriétés au moment même de sa production : pendant le premier temps de la digestion, elle est constituée par un liquide manifestement visqueux et collant ; mais à mesure que le travail digestif avance, son caractère change : elle devient aqueuse et plus abondante, en même temps qu'elle est proportionnellement moins coagulable. Ce phénomène singulier est constant : il a été noté pour d'autres sécrétions, pour les glandes mammaires par exemple. En effet, les premières gouttes de lait que tire l'enfant renferment une proportion beaucoup plus grande de matériaux solides que les gouttes qui suivent, bien 588 APPAREIL DIGESTIF. que le liquide produit augmente sensiblement en quantité. Le pancréas étant doué d'une très-grande sensibilité, le choix des animaux auxquels on doit recourir pour se procurer son produit de sécrétion n'est pas indifférent. Il faut les prendre dans les espèces qui supportent le mieux la douleur et résistent le mieux à ce genre d'opérations. En d'autres termes, un chien de berger est préférable à un chien d'arrêt, à un lévrier et à tous les chiens qui appartiennent à des races plus délicates. Chez ces derniers, l'opération amène dans l'économie des perturbations telles que la digestion est soudainement arrêtée, et que, par suite, la sécrétion pancréatique est également suspendue; ou bien, si elle continue, elle n'est plus normale et n'offre plus les caractères que nous venons de décrire. Lorsque, au contraire, l'opération a été pratiquée sur unanimal plus vigoureux, nous voyons que, tant que l'estomac reste vide, aucune sécrétion n'apparaît et que le pancréas est à l'état de repos absolu. Mais, à peine la digestion commence-t-elle que l'on voit le liquide commencer à couler goutte à goutte par l'ori- fice du tube introduit dans le canal pancréatique. Il est d'abord épais et visqueux; mais à mesure que le tra- vail de la digestion avance, il devient plus abondant et plus aqueux. Nous allons répéter l'expérience devant vous, mes- sieurs. Vous pourrez contrôler par vous-mêmes tous les faits sur lesquels nous avons appelé votre attention. L'animal qui va subir l'opération vient de manger. C'est un gros chien de berger sur lequel nous pratiquons SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 589 l'opération suivant la méthode décrite plus haut. Le duodénum et le pancréas ayant été attirés en dehors par la plaie, nous trouvons ce dernier organe extraordinai- rement rouge et vascnlarisé, ce qui prouve que l'activité de la glande coïncide avec le travail de la digestion. Après avoir isoié le conduit avec une grande précaution, on l'ouvre avec une paire de ciseaux fins. On introduit immédiatement un tube d'argent que Ton fixe par une ligature ; les parois abdominales sont alors soigneusement réunies par des sutures et, pour recueillir le produit de la sécrétion, on adapte, à l'extrémité du tube, un petit réservoir de caoutchouc. À ce moment quelques gouttes de suc pancréatique s'échappent de l'orifice. Nous examinerons dans notre prochaine réunion le liquide fourni par cet animal. Ayant ainsi à notre disposition une grande quantité de suc pancréatique, il nous sera facile de démontrer ses principales pro- priétés. VINGT-NEUVIÈME LEÇON Sommaire : Difficultés de conserver longtemps les fistules pancréatiques en pleine activité. — Nécessité d'opérer simultanément sur un grand nombre d'animaux lorsqu'on a besoin de grandes quantités de suc pan- créatique. — Propriétés présumées de ce liquide chez l'homme. — Expé- riences faites sur le pancréas des condamnés à mort. — Faits cliniques qui viennent à l'appui des résultats obtenus par ce moyen. — Propriété fondamentale de la sécrétion pancréatique. — Émulsion des matières grasses. — Aucun autre liquide de l'économie n'est doué de la même propriété. — Les sécrétions alcalines exercent sur les substances grasses une action particulière différente de celle du suc pancréatique. — La nature des fonctions du pancréas se déduit naturellement de ces faits. — Effets de la ligature des conduits pancréatiques chez les animaux exclu- sivement nourris de substances grasses. — Résultats analogues observés dans les cas de cancer du pancréas. — Influence du système nerveux sur la sécrétion pancréatique. Des connexions de l'appareil biliaire avec les conduits pancréatiques. — De sa disposition anatomique chez les différents animaux. — Diverses manières de recueillir la bile. — On la retire habituellement de la vésicule biliaire. — Objections à l'emploi des anesthésiques. — La bile est sécrétée pendant les intervalles de la digestion. — Cela est prouvé par les expériences sur les limaçons. — Fistules biliaires. — On les pratique généralement dans le but d'empêcher la sécrétion de passer dans le duo- dénum. — Importance de cette sécrétion dans le travail de la digestion. — Opinion de Haller. — Expériences de Schwann, Blondlot, Tiedemann et Gmelin. — M. Blondlot croit que la bile est un produit excrémentitiel. — Expériences propres de M. Cl. Bernard sur ce point. — Le procédé opératoire qu'il a adopté permet de suspendre et de rétablir alterna- tivement le passage de la bile dans l'intestin. — Difficulté d'arriver à une conclusion positive par de semblables expériences. Messieurs, Nous vous avons montré dans notre dernière réunion la manière de recueillir le suc pancréatique et le pro- cédé opératoire qu'il convient de suivre dans ce but. SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 591 Le chien sur lequel l'expérience a été pratiquée est encore vivant, et la plaie de l'abdomen est, comme vous le voyez, presque complètement cicatrisée. Mal- heureusement, le canal pancréatique ayant été coupé par la ligature destinée à fixer au tube un réservoir de caoutchouc, nous n'avons pu, par suite de cet acci- dent, recueillir autant de liquide que nous aurions voulu; mais nous en avons suffisamment pour toutes nos expériences pratiques. Nous pourrions même répé- ter l'opération plusieurs fois de suite chez le même chien, sans inconvénient sérieux, puisque l'animal, lors- qu'il est bien choisi, souffre rarement beaucoup, mal- gré la nature délicate des organes blessés. Le péritoine du chien est loin d'être aussi sensible que celui de l'homme, ou même que celui du cheval; aussi, chez ce dernier, est-il presque impossible d'établir une fistule pancréatique sans encourir un grand danger d'é- chouer. Les ouvertures permanentes de cette nature ne persistent pas longtemps, même chez le chien, à cause de la rapidité de la cicatrisation. îl en résulte que l'opération doit être répétée plusieurs fois sur le même animal, ou bien que l'on doit employer plusieurs animaux à la fois, si l'on veut recueillir la sécrétion en grande quantité. On rencontre parfois chez l'homme des fistules spon- tanées du canal pancréatique, mais elles sont rares. J'ai moi-même observé deux cas dans lesquels on sup- posait que cette lésion s'était produite. Chez l'un des malades, on avait remarqué que, lorsque les organes digestifs étaient à l'état de repos, aucun liquide ne s'é- 592 APPAREIL DIGESTIF. chappait par l'orifice fistuleux; mais quand l'estomac entrait en activité à la suite de l'ingestion des aliments, une sécrétion abondante s'écoulait par l'ouverture, et cela en quantité telle que le malade était obligé de se garnir constamment avec une serviette. En examinant ce liquide, j'ai trouvé qu'il était franchement alcalin ; mais, en dehors de cette propriété, il ne ressemblait nullement au suc pancréatique, ni à aucune autre sécré- tion normale de l'économie. Le suc pancréatique de l'homme est-il identique à celui des animaux? Je suis disposé à répondre à cette question par l'affirmative; si des différences ont été observées, je penche, comme dans le cas précédent, à soupçonner fortement qu'elles sont imputables à l'état pathologique de la glande chez les hommes porteurs d'un orifice fistuleux. En effet, en faisant macérer dans l'eau tiède le pancréas de condamnés à mort, on obtient un liquide entièrement semblable au suc pan- créatique de l'espèce canine. A l'état normal donc, la sécrétion chez l'homme et le chien ne diffère sous aucun rapport; et cela ne doit pas nous étonner, puisqu'il en est absolument de même du suc gastrique. Voici une abondante quantité de suc pancréatique recueilli chez le chien sur lequel nous avons opéré il y a quelques jours. Vous voyez qu'il donne une réaction alcaline des plus nettes, propriété qu'on retrouve con- stamment dans ce liquide à l'état sain. Un autre de ses caractères est de subir rapidement des altérations chi- miques, et cela peut-être plus vite qu'aucune autre sécrétion de l'économie. Au milieu des modifications SUC PANCRÉATIQUE. 593 dont il est le siège, il y a certaines particularités qui mé- ritent d'attirer notre attention. Lorsqu'il se refroidit, on voit bientôt se produire un précipité ; la composition chimique de ce dernier n'est pas parfaitement connue; suivant M. Robin, il est formé de lactate de chaux. Il est constitué en effet par de petits cristaux prismatiques. Dans le tube que je tiens en ce moment, ils sont parfaite- ment visibles à l'œil nu, sous l'apparence de petites gra- nulations blanchâtres. Une autre modification importante de la sécrétion pancréatique peu de temps après son extraction est la diminution de sa coagulabilité sous l'influence de la chaleur. Lorsqu'elle vient d'être re- cueillie par la fistule, elle se prend en une masse solide après avoir été exposée quelques instants à la flamme d'une lampe à alcool ; mais lorsqu'elle a séjourné un certain temps en dehors de l'économie, cette propriété diminue rapidement. Mais la propriété fondamentale et caractéristique du suc pancréatique, celle qui le distingue de toutes les autres sécrétions, consiste dans la faculté de former une émulsion avec les substances grasses et les huiles. Si nous ajoutons un peu d'huile au suc pancréatique con- tenu dans ce tube, vous voyez se produire sur-le-champ une émulsion blanche qui persistera pendant un temps considérable. Cette singulière propriété est particulière au suc pancréatique et n'existe ni dans la salive, ni dans le suc gastrique, ni dans la bile. Il est vrai toutefois que les sécrétions alcalines (la salive et la bile, par exemple) produisent des effets analogues en saponifiant partielle- ment les matières grasses avec lesquelles elles sont mises cl. Bernard. — Physiol. opér. 38 594 APPAREIL DIGESTIF. en contact. Mais, dans le liquide pancréatique, cette propriété existe indépendamment de sa nature alcaline; l'émulsion produite est d'une nature différente, et n'est pas le simple résultat d'une combinaison chimique. Ce fait nous permet de nous rendre compte des principaux usages du pancréas dans l'économie. Il sert surtout à la digestion des graisses, lesquelles ne peuvent pénétrer dans les vaisseaux absorbants qu'à l'état demulsion. Lorsqu'on lie les conduits pancréatiques chez un chien et qu'on le nourrit ensuite de matières grasses, on re- trouve ces matières non-digérées dans les excréments. Les observations cliniques confirment sous ce rapport les résultats des recherches expérimentales ; chez les malades atteints de cancer du pancréas, on retrouve souvent une matière huileuse dans les selles : c'est pro- bablement le résidu des matières grasses qu'ils n'ont pas pu assimiler. Nous connaissons maintenant complètement les prin- cipales propriétés cle la sécrétion pancréatique; il nous reste à examiner ses rapports avec le système nerveux. A ce point de vue, elle diffère essentiellement des autres sécrétions que nous avons étudiées jusqu'ici. Les remar- quables effets de l'innervation sur la production de la salive et du suc gastrique vous ont été exposés tout au long; mais l'influence du système nerveux sur l'appa- reil pancréatique paraît être d'un ordre totalement diffé- rent. Lorsqu'on agit sur les nerfs de cet organe, qu'on les excite par le courant galvanique ou qu'on les para- lyse par une section transversale, le résultat est abso- lument le même : la sécrétion devient abondante et SÉCRÉTION PANCRÉATIQUE. 595 ininterrompue, et une diarrhée profuse est la consé- quence de l'opération. L'extirpation des ganglions semi- lunaires produit des effets semblables : dans ces condi- tions le liquide pancréatique n'a plus ses propriétés physiologiques normales. Il existe une différence fonda- mentale entre les glandes salivaires et le pancréas: dans ces deux ordres d'organes, la section du sympathique accélère la circulation; mais dans l'appareil salivaire la sécrétion est loin d'être modifiée de la même manière. Lorsque le pancréas, dont les fonctions sont intermit- tentes à l'état sain, est ainsi amené à fournir une sécré- tion continue, le produit qu'il déverse n'est plus un liquide normal : c'est une matière aqueuse, qui ne pos- sède aucune des propriétés caractéristiques du suc pan- créatique. Nous trouvons dans ce fait expérimental une confirmation des idées générales que nous avons expri- mées ailleurs sur le mécanisme des sécrétions. Nous ad- mettons que tous les organes sécréteurs produisent une substance spéciale et caractéristique, qui est emportée par un courant intermittent. Il est donc de toute néces- sité que la glande jouisse de certains intervalles de repos, pendant lesquels se forme ce composé particulier; quand le moment de la sécrétion arrive, il se fait un afflux sanguin abondant qui emporte le produit spécial de la glande, par une sorte d'exsudation profuse. Mais quand la sécrétion est rendue continue, tout à coup, la substance caractéristique ne se forme plus dans la glande, et le véhicule aqueux s'échappe seul de l'appa- reil sécrétoire. Vous voyez, messieurs, que le grand objet de toutes 596 APPAREIL DIGESTIF. les opérations que nous avons pratiquées devant vous a été d'examiner en dehors de l'économie les diverses sécrétions qui concourent au travail de la digestion. C'est à Réaumur et à Spallanzani que revient l'honneur de cette nouvelle méthode d'investigation : c'est par eux qu'elle a été inaugurée pour la première fois, et aujour- d'hui nous avons à notre disposition des procédés opé- ratoires au moyen desquels nous pouvons nous procurer presque toutes les sécrétions qui se rapportent à la digestion. C'est ainsi que nous sommes en état, non-seu- lement d'examiner avec soin et de constater avec certi- tude les propriétés de chacune d'entre elles, mais encore de les imiter et de préparer artificiellement les liquides digestifs. Dans une certaine mesure, ces sécrétions peu- vent être obtenues en dehors des manœuvres opératoires que nous avons décrites et pratiquées devant vous, en faisant simplement macérer les organes dans l'eau ; mais jamais on ne les a en aussi grande quantité et à un état de pureté aussi parfait que lorsqu'on emploie la mé- thode ordinaire. L'histoire expérimentale de la sécrétion pancréatique étant ici terminée, un autre liquide, non moins intéres- sant, appelle maintenant notre attention : nous voulons parler de la sécrétion biliaire. Les connexions intimes qui existent entre l'appareil excréteur du foie et celui du pancréas, les nombreuses anastomoses qui unissent leurs conduits et permettent à leurs sécrétions de se mé- langer largement F une à l'autre, enfin la nature distincte de leurs fonctions font de cette étude le complément SÉCRÉTION BILIAIRE. 597 indispensable de celle que nous avons récemment ter- minée. Tel est le motif qui nous amène à finir celte dernière leçon par cet important sujet. La bile se déverse claus le tube intestinal par un seul orifice, dont la situation est constamment la même : il est placé au-dessous du pylore. Chez aucun animal elle ne passe en un autre point, contrairement à ce qui a lieu pour le suc pancréatique : cette disposition anato- mique persiste dans toute l'échelle des êtres vivants. Voici l'estomac et le duodénum d'un lapin : vous pouvez juger par cette préparation combien est consi- dérable la distance qui sépare chez cet animal l'orifice biliaire de l'orifice pancréatique. Toutefois, il n'en est pas toujours ainsi ; car, dans beaucoup d'autres espèces, le canal cholédoque est uni à l'appareil pancréatique par un grand nombre d'anastomoses. Chez les animaux dépourvus de pancréas (la carpe, par exemple), Weber suppose que les deux organes se confondent en un seul appareil; beaucoup d'autres poissons offrent une sem- blable disposition. Il est beaucoup plus facile de se procurer la bile en grandes quantités qu'aucune autre sécrétion intestinale. Le foie étant l'un de ces organes que la nature a pourvus d'un réservoir, la méthode laplus commode pour recueillir sa sécrétion consiste à ouvrir la vésicule biliaire immé- diatement après la mort. On peut ainsi étudier à l'aise ses propriétés physiques et chimiques. Toutefois, chez certains animaux, la vésicule biliaire fait défaut: elle manque chez le cheval, alors que chez le bœuf elle atteint des proportions prodigieuses. Les raisons de 598 APPAREIL DIGESTIF. cette différence ne nous sont pas connues ; mais les animaux privés de vésicule biliaire ont des conduits excréteurs extrêmement lâches, ce qui permet à la bile de les distendre et de s'accumuler dans leur cavité. Pour opérer sur les animaux vivants, on pourrait songer aux anesthésiques ; mais le liquide obtenu de cette manière n'a pas ses propriétés normales. Comme vous le savez, toutes les sécrétions ont lieu sous l'in- fluence de certaines excitations physiologiques : la salive s'écoule pendant la mastication, le suc pancréatique pendant la digestion. Les causes qui agissent sur la sécrétion biliaire sont inconnues jusqu'ici; cette sécré- tion a lieu pendant l'intervalle des digestions : chez les animaux pourvus d'une vésicule biliaire, le liquide s'accumule dans cette poche pendant le jeûne et en sort aussitôt que les aliments arrivent dans t'estomac; dans d'autres espèces, il distend simplement les canaux biliaires. Lors donc qu'on veut en recueillir de grandes quantités, il faut que l'animal n'ait pas mangé depuis un certain temps. Aussitôt que la digestion commence, la bile s'échappe de son réservoir et tombe dans le duodénum ; mais il ne s'en forme plus dans le foie, qui commence alors à exer- cer une autre fonction, à savoir la production du sucre de raisin. Il est facile de contrôler ce fait chez les ani- maux inférieurs. J'ai découvert chez le limaçon l'exis- tence de ces deux sécrétions différentes, qui ont lieu alternativement. Le sucre se forme pendant la 'diges- tion ; la bile, au contraire, est produite pendant l'absti- nence et coule dans l'estomac. Quand les aliments SÉCRÉTION BILIAIRE. 599 arrivent dans ce dernier, ils y rencontrent la bile qui s'y est accumulée à l'avance, et la digestion commence. Mais la sécrétion biliaire est alors suspendue, en sorte que l'animal, lorsqu'il ne mange pas, prépare pour ainsi dire une provision de ce liquide pour son prochain repas. Les opérations pratiquées dans le but de recueillir la bile chez les animaux vivants ont eu, la plupart du temps, pour objet de l'empêcher de suivre son cours naturel; car pour étudier ses propriétés particulières, il est en général beaucoup plus commode de prendre la vésicule biliaire d'animaux récemment tués. Les phy- siologistes ont donc essayé de s'opposer au passage de la bile dans le duodénum, afin de déterminer si elle joue un rôle dans le travail de la digestion. En effet, plusieurs auteurs croient que ce liquide n'est qu'une matière excrémentitielle sans aucun rapport avec l'as- similation des aliments. M. Blondlot, en particulier, s'est fait remarquer parmi les partisans de cette opi- nion par la publication d'une série d'articles ayant pour titre : « De l'inutilité de la bile dans la dmestion. » Halîer, au contraire, en raison des dispositions anato- miques que nous venons de décrire, avait été amené à admettre que la bile jouait réellement un rôle important dans cette fonction : il croit qu'il est impossible qu'un liquide excrémentitiel puisse être versé dans les portions supérieures du tube intestinal. Mais de tels arguments n'ont pas de valeur réelle en physiologie, et en cas de doute il faut recourir aux vivisections. Schvvann et Blondlot ont entrepris simultanément des expériences 600 APPAREIL DIGESTIF. intéressantes sur ce sujet. Schwann opère simplement sur la vésicule biliaire elle-même; or vous savez que le conduit commun est indépendant de celui qui émerge du réservoir biliaire : il s'anastomose avec ce dernier de manière à permettre le passage du liquide qu'il porte dans la vésicule, ou à laisser la bile contenue dans celle-ci pénétrer, à un moment donné, dans le duo- dénum; il continue donc néanmoins à charrier vers l'intestin la sécrétion biliaire qui vient directement du foie, alors que le réservoir glandulaire a été perforé. C'est pourquoi Tiedemann et Gmelin liaient le con- duit commun immédiatement au-dessus de son orifice externe, afin de s'opposer au passage de la bile dans le duodénum; mais cette opération produit des désordres pathologiques : les conduits biliaires se distendent, la sécrétion s'accumule dans les canaux qui la renferment, et l'animal est atteint tout d'abord d'ictère. Puis, au bout d'un certain temps, la rupture du conduit com- mun est la conséquence de cette distension inaccou- tumée; et l'animal succombe rapidement à la péritonite qui résulte de cet accident. Dans quelques cas, toutefois, la ligature tombe, la perméabilité est rétablie, et les fonctions reprennent leur cours normal. Pour éviter cet inconvénient, il faut pratiquer une ouverture qui permette à la sécrétion de s'échapper, alors que son cours naturel est interrompu. M. Blondlot a adopté dans ce but un procédé différent. Il lie le canal cholédoque eirdeux points séparés; la bile, ne pouvant plus ainsi passer dans le duodénum, s'accumule dans le SÉCRÉTION BILIAIRE. 601 vésicule biliaire. On provoque alors des adhérences de celle-ci avec la paroi abdominale, exactement comme l'on fait lorsqu'on opère les kystes hydatiques par la mé- thode de Récamier, méthode qui consiste en applica- tions successives de potasse caustique. On ouvre alors la vésicule, et l'on entretient l'ouverture au moyen d'un tube qu'on y introduit. Les desiderata de l'expérience sont ainsi comblés avec succès; et dans ces conditions la vie peut être prolongée pendant un temps considé- rable. Cependant les résultats obtenus parles différents observateurs ne concordent pas toujours. Le premier effet de l'opération est une atrophie com- plète de la vésicule biliaire, qui se trouve réduite aux proportions d'un simple canal excréteur d'où la bile s'écoule continuellement; mais bientôt ensuite, d'a- près Schwann, les animaux deviennent excessivement voraces; ils maigrissent, sont pris d'une diarrhée pro- fuse et succombent plus ou moins vite. Chez les jeunes animaux la terminaison fatale se produit dans un espace de temps plus court que chez les adultes. Dans quelques cas on a vu les sujets recouvrer entièrement leur santé antérieure; mais Schwann a reconnu que ce résultat était invariablement dû au rétablissement de la per- méabilité des conduits et au passage consécutif de la bile dans le duodénum. Les résultats des expériences de M. Blondlot sont diamétralement opposés à ceux que je viens de décrire. Il dit que, chez un grand nombre de chiens sur lesquels l'opération avait été pratiquée, la santé avait continué à se maintenir parfaite, bien que les canaux ne se fussent 602 APPAREIL DIGESTIF. pas rétablis. Il attribue la mort des animaux de Schwann à ce qu'ils léchaient leur plaie et avalaient ainsi la bile qui s'en écoulait : habitude qui produit rapidement de fatals effets. Il évite donc ce danger en muselant l'animal, ce qui l'empêche effectivement de lécher sa blessure. D'autres observateurs, et moi-même entre autres, ont obtenu des résultats qui s'accordent avec ceux de Schwann ; mais il est certain, quoi qu'il en soit, que la mort n'est pas une conséquence immédiate des fistules biliaires, et n'a lieu qu'après un laps de temps considé- rable. Yoici un chien sur lequel l'opération a été prati- quée. La plaie est aujourd'hui guérie (bien entendu il reste un orifice fistuleux) : vous voyez que sa santé ne paraît pas avoir souffert de l'expérience. La méthode adoptée par Schwann et Blondlot offre un inconvénient très- sérieux : nous voulons parler de l'interruption définitive du passage de la bile dans l'in- testin, sans qu'il y ait possibilité de rétablir l'ordre na- turel des choses. Dans mes propres expériences, j'ai trouvé plus avantageux d'introduire une canule dans le canal cholédoque lui-même. Après avoir provoqué les adhérences d'après la manière usuelle, on incise le canal et l'on introduit dans la plaie un gros tube, ouvert aux deux extrémités et pourvu également d'une ouverture latérale. Lorsqu'on veut laisser passer, comme d'habi- tude, la bile dans le duodénum, on bouche l'orifice externe, et la bile coule dans l'intestin par l'ouverture latérale. Si. au contraire, on veut empêcher cet écoule- ment, on introduit dans le tube un autre tube plus petit, SÉCRÉTION BILIAIRE. 603 qui le remplit assez exactement pour fermer l'orifice latéral; la bile sort alors entièrement de l'économie, et pas une seule goutte n'arrive à l'appareil digestif. Cette méthode offre toutefois un inconvénient sérieux: le tube s'échappe fréquemment du canal quand l'animal se remue et s'agite après l'opération. Aussi avons-nous adopté le procédé suivant : nous plongeons le tube dans la vésicule elle-même, après avoir préalablement lié le conduit com- mun ; nous ouvrons alors le duodénum et nous y plaçons une canule : les deux fistules sont mises en communi- cation l'une avec l'autre par un tube de caoutchouc. En somme, toutes ces expériences ne peuvent pas nous permettre de décider si la bile est réellement une excrétion ou une sécrétion; les résultats ne sont pas assez importants pour que nous puissions formuler sur ce point un jugement, comme nous l'avons fait pour les autres glandes. Mais l'une des principales différences qui distinguent les sécrétions des excrétions, c'est la for- mation, dans le produit glandulaire, de substances par- ticulières qui n'existent pas dans le sang. Cette propriété de créer de nouveaux composés chimiques appartient exclusivement aux organes de sécrétion. Or, à ce point de vue, la bile appartient évidemment à la classe des sécrétions : les substances nombreuses qu'elle renferma n'existenl pas dans le torrent circulatoire. L'influence du système nerveux sur la sécrétion biliaire est peu connue jusqu'ici; mais l'apparition de l'ictère à la suite des émotions morales vives semble donner une preuve irrécusable du pouvoir exercé par les nerfs sur le foie comme sur les autres glandes. 604 APPAREIL DIGESTIF. Le plan de ce cours, messieurs, n'implique pas une étude complète des propriétés physiologiques des liquides digestifs. Notre but a été de vous montrer les différents procédés opératoires qui permettent au physiologiste de les recueillir. Nous ayons maintenant terminé l'histoire de ces diverses substances, au point de vue expérimental du moins; car la sécrétion des glandes de l'intestin n'est pas facile à obtenir et ne donne lieu qu'à peu d'o- pérations sur le sujet vivant. Dans la prochaine session, nous reprendrons ce cours, et, comme d'habitude, nous pratiquerons toutes nos expériences devant vous. L'ap- pareil digestif ayant été étudié entièrement, nous appel- lerons votre attention sur les principales propriétés de la moelle épinière et du système nerveux en général. FIN TABLE DES MATIÈRES Préface, par M. Mathias Duval v Introduction xi PREMIÈRE PARTIE LA PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE ET LES VIVISECTIONS EN GÉNÉRAL PREMIÈRE LEÇON Sommaire : Nécessité d'établir une technique opératoire en physiologie. — Plan de ces Leçons. — De la physiologie et de ses rapports avec la méde- cine.— De l'expérimentation en physiologie. — Difficultés des expériences. — De l'empirisme. — Des sciences pures et des sciences appliquées. La médecine est une science appliquée. — Des progrès de la physiologie. — De son caractère scientifique 1 DEUXIÈME LEÇON Sommaire : De la méthode expérimentale. — Observation et expérience. — L'expérience est une observation provoquée. — Il n'y a pas de distinction absolue entre l'observation et l'expérience. — Induction et déduction. — Complexité des phénomènes à étudier chez les êtres vivants. — De l'usage des hypothèses en physiologie expérimentale. — État d'esprit nécessaire à l'institution de bonnes expériences 23 TROISIÈME LEÇON Sommaire : Qu'est-ce qu'un fait? — Distinction du fait et du jugement auquel il donne lieu. — Exemples empruntés à l'histoire de la physiologie pour montrer la différence du fait el de son interprétation. — Nécessité d'instituer une* critique expérimentale. — Du déterminisme. — De la mé- thode numérique. — Perfectionnements des procédés d'observation. — Méthode graphique. — Des conditions ou causes des phénomènes 10 QUATRIÈME LEÇON Sommaire : La nosologie aux temps anciens. — Union actuelle de la médecine et de la physiologie expérimentale. — Cette union intime est déjà indi- 606 TABLE DES MATIÈRES. quée dans le frontispice du livre de Régnier de Graaf. — Des emprunts- que la physiologie doit faire à la physique et à la chimie. — Des labora- toires de physiologie expérimentale. — Histoire des laboratoires. — Des vivisections. — Histoire des vivisections. — Choix des animaux sur les- quels portent les vivisections. — Les résultats des vivisections pratiquées sur les animaux sont applicables à la physiologie de l'homme. — Dans quelles limites peuvent se faire ces applications. — Réfutation des attaques dont les vivisections ont été l'objet , 56 CINQUIÈME LEÇON Sommaire : Nécessité des expériences de contrôle. — Détermination du rôle des vivisections en physiologie expérimentale. — Des inductions anatomiques. — Comment on localise les phénomènes de la vie. — Com- ment on les explique. — Ces phénomènes rentrent dans l'ordre des actes physico-chimiques. — Impulsion donnée à la physiologie générale par les découvertes de Lavoisier. — De l'emploi des poisons pour porter l'analyse expérimentale jusque sur les éléments anatomiques. — De la vie. — Théories anciennes sur la vie. — La vie réside dans les éléments anatomiques. — La vie totale de l'individu est la somme des vies partielles des éléments de tissus. — Objet de la physiologie expérimentale 78 DEUXIÈME PARTIE PRÉHENSION ET CONTENTION DES ANIMAUX. INSTRUMENTS , APPAREILS ET OPÉRATIONS D'UN USAGE GÉNÉRAL DANS LES VIVISECTIONS. SIXIÈME LEÇON Sommaire : Opérations préliminaires à toutes les vivisections. — Choix des animaux destinés aux vivisections. — Préhension des animaux. — Chiens : manière de les saisir (pince à collier, nœuds coulants, etc.); manière de les museler. — Chats : manière de les saisir (emploi du chloroforme I : manière de les museler. — Lapins et autres animaux de petite taille. — Oiseaux 102 SEPTIÈME LEÇON Sommaire : De la contention des animaux. — Contention mécanique et con- tention physiologique. — Appareils de contention mécanique employés par Vésale, par Régnier de Graaf. — Ligature des membres. — Diverses tables à vivisection. — Gouttières diverses de Schwann, de Pirogoff, de Rlondlot. — Table à vivisection de Cl. Bernard. — Figures montrant la disposition de divers animaux sur cette table. — Transformation de cette table en TABLE DES MATIÈRES. 607 diverses formes de gouttières. — Installations des animaux sur ces gout- tières (figures). — Nouvelle gouttière brisée de Cl. Bernard. — Dispositions des animaux sur la gouttière brisée. — Détails sur les mors employés pour le chien. — Contention du lapin. — Appareil de Czermak. — Préhension et contention des grands animaux : cheval (morilles, bricole, entravons, etc.) ; bœuf (travail) 113 HUITIÈME LEÇON Sommaire : Contention physiologique des animaux. — Emploi des alcaloïdes de l'opium. — Comment il faut tenir compte, dans l'interprétation des- expériences, des effets propres aux agents de contention. — Emploi de l'éther et du chloroforme. — Du chloral. — Muselières pour l' anesthésie- du chien. — Éthérisation du lapin, du chat. — Bocal pour l'éthérisation des animaux de petite taille. — Anesthésie par l'eau chaude. — Combi- naison du chloroforme et de la morphine. — Emploi du curare. — Avantages de l'emploi du curare. — Anesthésie par compression du cerveau. — Appré- ciation générale des moyens de contention 149 NEUVIÈME LEÇON Sommaire : Appareils et instruments d'un usage général dans les vivisec- tions. — Scalpels, pinces, crochets, scies. — Appareils pour les injections. — Seringues à vis. — Perce-plèvre de Magendie. — Canules diverses. . 182. DIXIÈME LEÇON Sommaire : Opérations d'un usage général dans les vivisections. — Des inci- sions (maniement du scalpel, des ciseaux, etc.). — Des sutures. — Manuel opératoire des injections. — Injections hypodermiques. — Injections sous- cutanées de gaz. — Quelques considérations générales sur les résultats obtenus par les injections sous-cutanées 195- ONZIÈME LEÇON Sommaire : Des autopsies en physiologie expérimentale. — Procédés pour sacrifier les animaux (injections veineuses d'air, d'acide prussique, section du bulbe). — Emploi de la respiration artificielle. — Appareils pour la respiration artificielle. — Appareils divers que l'expérimentateur doit tou- jours avoir tout préparés sous la main. — Balance, microscope, pompe à mercure, appareils enregistreurs. — Appareils électriques 220 608 TABLE DES MATIÈRES. TROISIÈME PARTIE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL CIRCULATOIRE SANGUIN ET LYMPHATIQUE. — SYSTÈME CAPILLAIRE. — ABSORPTION DES POISONS COMME MOYENS D'ANALYSE PHYSIOLOGIQUE. DOUZIÈME LEÇON Sommaire : Physiologie opératoire de Y appareil de la circulation. — Topo- graphie générale du système vasculaire sanguin et lymphatique. — Dispo- sition des gros vaisseaux chez le chien, chez le lapin. — Divers modes d'origine des branches de la crosse de l'aorte. — Système lymphatique. — Anatomie topographique des vaisseaux du cou et du pli de l'aine chez le chien et le lapin. — Manuel opératoire général des vivisections portant sur ces vaisseaux. — Manuel opératoire des injections à pratiquer sur ces vaisseaux. — Injections intra-artérielles et intra-veineuses. — Importance de l'étude des sangs veineux. — Cathétérisme du cœur et des gros vais- seaux. — Classification des phénomènes de la vie en phénomènes phy- siques, phénomènes chimiques et phénomènes dits physiologiques. — Valeur de cette dernière catégorie. — Problèmes que se posent la physiologie et la pathologie générales. — Importance de l'étude du sang à ce point de vue 241 TREIZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Anatomie et physiologie. — Les analogies anatomiques ne peuvent suppléer à l'expéri- mentation physiologique. — Revue historique des faits et des théories relatives à la circulation. — Nouvelles lumières apportées par la chimie moderne. — Les phénomènes chimiques, comme les phénomènes méca- niques de l'organisme, doivent être étudiés directement par l'expérimen- tation, et non déduits par analogie des faits semblables empruntés à la mécanique pure, — En chimie, comme en mécanique, les- procédés de l'organisme lui sont particuliers 291 QUATORZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Un appareil circulatoire n'est qu'un appareil de perfectionnement. — Apparition de cet appareil chez l'embryon. — Sa forme chez les animaux supérieurs. — Différentes parties dont il se compose chez les animaux supérieurs. — Importance des vaisseaux capillaires. — Diverses expériences pour montrer que tous les phénomènes esssntiels de la nutrition se passent au niveau des capillaires. Étude du système capillaire. — Système lacunaire des animaux inférieurs. — TAELE DES MATIÈRES. 609 Sphincters prélacunaires de quelques articulés ; leur analogie avec l'en- semble formé par les parois musculaires des artérioles des animaux supé- rieurs. — Capillaires sanguins et capillaires lymphatiques. — Développe- ment et disposition des réseaux capillaires; ils sont indépendants du reste de l'appareil circulatoire, aussi bien au point de vue de leur genèse qu'au point de vue de leurs fonctions 303 QUINZIÈME LEÇON Sommaire : Etude expérimentale de l'appareil circulatoire. — Importance des expériences faites sur le système capillaire. — Les capillaires sont par excellence les agents de Y absorption. — Absorption par les surfaces externes et internes. — Des injections locales à effets locaux. — Expériences prou- vant qu'on peut produire à part l'effet local et l'effet général. — Différentes phases à considérer dans l'absorption. Capillaires sanguins et lymphatiques. — Idées anciennes sur les voies de l'absorption. — Découverte des vaisseaux lymphatiques. — Expériences de Magendie. — Expériences nouvelles. — Les veines sont les organes les plus essentiels de l'absorption 323 SEIZIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil de la circulation. — Du sys- tème capillaire. — Rapports des vaisseaux lymphatiques avec les capillaires sanguins. — Nerfs vaso-moteurs. — Par les capillaires sanguins, les agents toxiques portent leur action sur les éléments des tissus. De l'absorption : absorption interne; absorption externe. — Des divers actes de l'absorption : elle comprend trois phases. — Nouvelles expériences pour déterminer la durée relative de chacune de ces trois phases. — Expériences sur l'absorption des gaz. — Expériences sur l'absorption du curare.. . 341 DIX-SEPTIÈME LEÇON Sommaire : Expériences sur l'appareil de la circulation. — De l'origine des veines. — Circulation dite dérivative. Cœurs périphériques veineux et lymphatiques. — Influence du système nerveux et des poisons sur ces cœurs. — Exsudation de la lymphe. — Influence du curare sur ce phénomène. — Diapédèse des globules blancs. Des diverses espèces de sang. — Des diverses espèces de sang veineux. — Importance de leur étude comparée. 374 DIX-HUITIÈME LEÇON Sommaire : Étude expérimentale de l'appareil de la circulation et du sang. — Études physiologiques au moyen de substances introduites dans le sang. — Les poisons utilisés comme moyens de vivisection. — Résumé de l'histoire du curare. — Expériences sur la grenouille. — Résultats acquis cl. Bernard. — Physiol. opér. 39 610 TABLE DES MATIÈRES. par l'expérimentation avec le curare. — De l'acide prussiquè ou cyan- hydrique. — Théories curieuses sur l'action rapide de ce poison. — De la mort sans lésions anatomiques. — De l'anatomie pathologique 398 DIX-NEUVIÈME LEÇON Sommaire : De la respiration artificielle comme moyen d'analyse physiolo- gique. — Effets mécaniques de l'insufflation pulmonaire. — De l'apnée produite par la respiration artificielle. — De l'oxyde de carbone comme moyen d'analyse physiologique. — Recherche du mode d'élimination de l'oxyde de carbone. — Nouvelles expériences 430 VINGTIÈME LEÇON Sommaire l Système circulatoire. — Du sang étudié en lui-même au point de vue de ses conditions physiques (température) et chimiques (glycémie normale). — Topographie calorifique du système sanguin. — Coup d'oeil historique. — Critique expérimentale. — Appareils de M. d'Arsonval. — Aiguilles thermo-électriques. — Dispositions et construction des sondes ; sondes eng aînées ; sondes nues (de d'Arsonval). — Aiguilles thermô- électriques. — Graduation de ces appareils. — Résultats des expériences. — Appareil de d'Arsonval à température constante. — Derniers perfection- nements de l'appareil pour le dosage du sucre dans le sang... • . . . . 460 QUATRIÈME PARTIE PHYSIOLOGIE OPÉRATOIRE DE L'APPAREIL DIGESTIF VINGT ET UNIÈME LEÇON Sommaire : Physiologie opératoire de l'appareil digestif. — Historique de la question. — Actes mécaniques et actes chimiques de la digestion. — Digestions artificielles in vitro. — Liquides digestifs. — Fistules pour se procurer les liquides digestifs, et notamment le suc gastrique. — Tentatives de de Graaf. Étude de la salive. — Salive mixte. — H y a trois espèces de salives bien distinctes. — Expériences sur les carnivores et les herbivores 19:2 VINGT-DEUXIÈME LEÇON Sommaire : Propriétés de la salive parotidienne. — Comment il faut s'y prendre pour introduire des tubes dans le conduit parotidien. — Disposi- tion anatomique des parties chez le cheval et le chien. — Propriétés des salives ainsi obtenues. — Elles diffèrent avec les diverses espèces et quel- quefois chez divers individus de la même espèce. — Explication de cette contradiction apparente. — Caractère intermittent de la sécrétion. — Des différentes manières de l'exciter. — L'affinité élective des glandes sali TABLE DES MATIERES. 611 vaires démontrée par différentes expériences. — Toutes les substances peuvent passer dans la salive lorsqu'elles ont été introduites en suffisante quantité dans le sang. — Du pouvoir absorbant de la surface interne des glandes. — Sa disparition pendant le cours de la sécrétion 504 VINGT-TROISIÈME LEÇON SoMMAiRE : Influence du système nerveux sur la sécrétion parotidienne. — Les glandes sont pourvues de trois ordres distincts de nerfs : moteurs, sensitifs et ganglionnaires. — Différence entre les glandes sous-maxillaire et parotide, au point de vue de l'influence ganglionnaire. — De la galva- nisation du grand sympathique pendant la mastication. — Ses résultats. — L'innervation des glandes parotides a évidemment sa source dans les nerfs moteurs. — Influence de la septième paire sur la sécrétion paroti- dienne. — Résultats de la section du nerf facial : J ° au-dessous du trou stylo-mastoïdien ; 2° dans l'intérieur du rocher. — On a supposé que c'é- tait du petit pétreux qu'émanait le nerf moteur de la parotide. — Décou- verte de ce nerf. — Description de l'expérience par laquelle on est arrivé à ce résultat. — Le nerf moteur de la parotide est une branche de l'auri- culo-temporal. — Il accompagne la maxillaire interne. — Il semble être le congénère de la corde du tympan. — Différence entre l'action du système ganglionnaire sur les glandes et celle qu'exercent les nerfs moteurs. — Explication des raisons pour lesquelles le grand sympathique n'exerce aucune action sur les parotides 517 VINGT-QUATRIÈME LEÇON Sommaire : Expériences nouvelles démontrant que le nerf moteur de la parotide est fourni par le facial au nerf auriculo-temporal superficiel. — Son trajet et sa distribution. — Résultats importants de la découverte de ce nerf. — Différence de coloration du sang veineux de la parotide à l'état de repos et à l'état d'activité. — La sécrétion salivaire peut être provo- quée par la piqûre de certains centres nerveux. — Influence du trijumeau. — Influence des poisons. — Comparaison entre le nerf moteur de la paro- tide et celui de la sous-maxillaire. — Cette dernière est infiniment plus sensible à l'action des agents extérieurs que la parotide. — Estimation de cette différence par l'appareil de Du Bois-Reymond. — Moyens divers de modifier, d'augmenter ou de diminuer à volonté cette sensibilité relative. — La section du grand sympathique augmente la sensibilité de la glande du côté correspondant. — Exemples de phénomènes analogues qui se passent en d'autres points du corps . — Inflammation de la conjonctive consécutive à une opération analogue. — Le grand sympathique fait contracter les vaisseaux, tandis que les nerfs moteurs de la sécrétion les dilatent. — Démonstration expérimentale de la sensibilité relative des glandes et des effets de la section du sympathique.* . . . . » • • 527 612 TABLE DES MATIÈRES. VINGT-CINQUJÈME LEÇON Sommaire : La disposition anatomique des glandes sous-maxillaires est abso- lument la même chez le chien que chez l'homme. — Canal de Wharton. — 11 est complètement indépendant de celui de la sublinguale — La glande sous-maxillaire est pourvue de deux ordres de nerfs : les uns dérivent du système ganglionnaire; les autres, du nerf facial, par l'inter- médiaire de la corde du tympan. — De l'influence du nerf lingual sur la sécrétion sous-maxillaire. — Elle appartient à la classe des actions réflexes. — Preuve expérimentale de cette hypothèse. — Effets de la galvanisation de la corde du tympan. Disposition anatomique de la glande sublinguale. — Chez l'homme et chez la plupart des animaux, ce n'est pas une glande en grappe. — Chez le chien cependant, elle ne présente qu'un seul conduit excréteur. — Les expériences relatives à cette glande ne peuvent être faites que sur le chien. — Propriétés spéciales de la salive sublinguale. — Elle n'appa- raît que lentement, lorsqu'on excite la glande. — Elle sert surtout à la déglutition. — La corde du tympan est le nerf moteur de la glande sub- linguale * • 539 VINGT-SIXIÈME LEÇON Sommaire : Expériences sur les fonctions de l'œsophage. — Effets de la sec- tion du pneumogastrique sur cette partie du tube digestf. — Conclusions erronées que l'on a tirées de ces résultats. -- L'opération n'abolit aucune des sensations en rapport avec le travail de la digestion. — Explications rationnelles des effets produits par une constriction du cardia. — Facilité de la démonstration chez les animaux porteurs d'une fistule gastrique. — La constriction disparaît après un court espace de temps. — Expériences sur le bol alimentaire. — De la quantité de salive qui imprègne les aliments. — Expériences sur la déglutition. —Effets produits par la division complète du nerf œsophagien. De l'estomac. — Des fistules gastriques. — Des animaux qui conviennent à l'opération. — Diverses manières de procéder. — Description de la mé- thode de M. Blondlot. — Modifications introduites par M. Claude Bernard. — Modifications apportées plus récemment par M. Blondlot lui-même. — Démonstrations expérimentales 551 VINGT-SEPTIÈME LEÇON Sommaire : L'opération de la gaslrotomie chez le chien ne présente généra- lement pas d'inconvénients sérieux. — Propriétés particulières du suc gas- trique. — Sa réaction acide. — Cette propriété se retrouve dans toute l'échelle animale. — Les glandes en tube de la muqueuse stomacale son la source réelle de ce liquide. — Preuves expérimentales de ce fait. — Expériences de Prévost et Leroyer. — Résultats identiques chez les herbi- TABLE DES MATIÈRES. - 013 vores. — La portion pylorique de l'estomac concourt seule à cette sécrétion. — Des modifications de la muqueuse stomacale pendant la digestion. — L'épithélium se détache. — Des différentes substances éliminées par la sécrétion gastrique : prussiate de potasse, sels de fer, etc. — Démonstra- tion expérimentale. — Difficulté de déterminer le point particulier où la sécrétion a lieu. — Des différentes manières de recueillir le suc gastrique pour l'analyse. — Comment on réussit le mieux à en séparer les substances alimentaires mélangées. Certains liquides sont invariablement mêlés au suc gastrique et il est impos- sible d'éviter leur présence. — Salive. — Sécrétion propre des glandes du pharynx. — Tous ces liquides sont alcalins, et, suivant la loi de Berzelius, ils ont une tendance à neutraliser l'acide du suc gastrique. — Influence des alcalins sur la sécrétion gastrique. — La réaction des liquides ntestinaux au delà du pylore est entièrement variable. — Composition chimique du suc gastrique. — Influence du système nerveux sur sa pro- duction. — Plexus solaires. — Effets produits sur l'estomac par la galva- nisation des pneumogastriques et du grand sympathique 560 VINGT-HUITIÈME LEÇON Sommaire : Du suc pancréatique. — Dispositions anatomiques des con- duits pancréatiques chez l'homme. — Situation de leurs orifices externes. — La bifidité de l'appareil excréteur est un vestige de l'état fœtal. — Dispositions anatomiques de ces parties dans les différentes espèces ani- males. — Différents procédés opératoires. — L'organe décrit par Aselli comme un pancréas chez le chien n'est qu'une agglomération de gan- glions lymphatiques. — Glandes de Brunner. — Nature précise de leur sécrétion. — Propriétés de la sécrétion pancréatique. — Expériences relatives à ce sujet. Des substances éliminées par la glande pancréatique. — Analogie qui existe sous ce rapport entre les glandes pancréatiques et salivaires. — Influence du système nerveux sur le pancréas. — Expériences variées sur la sécré- tion pancréatique , 574 VINGT-NEUVIÈME LEÇON Sommaire : Difficultés de conserver longtemps les fistules pancréatiques en pleine activité. — Nécessité d'opérer simultanément sur un grand nombre d'animaux lorsqu'on a besoin de grandes quantités de suc pan- créatique. — Propriétés présumées de ce liquide chez l'homme. — Expé- riences faites sur le pancréas des condamnés à mort. — Fails cliniques qui viennent à l'appui des résultais obtenus par ce moyen. — Propriété fondamentale de la sécrétion pancréatique. — Émulsion des matières grasses. — Aucun autre liquide de l'économie n'est doué de la même propriété. — Les sécrétions alcalines exercent sur les substances grasses une action particulière différente de celle du suc pancréatique. — La 614 TABLE DES MATIÈRES. nature des fonctions du pancréas se déduit naturellement de ces faits. — Effets de la ligature des conduits pancréatiques chez les animaux exclu- sivement nourris de substances grasses. — Résultats analogues observés dans les cas de cancer du pancréas. — Influence du système nerveux sur la sécrétion pancréatique. Des connexions de l'appareil biliaire avec les conduits pancréatiques. — De sa disposition anatomique chez les différents animaux. — Diverses manières de recueillir la bile. — On la retire habituellement de la vésicule biliaire. — Objections à l'emploi des anesthésiques. — La bile est sécrétée pendant les intervalles de la digestion. — Cela est prouvé par les expériences sur les limaçons. — Fistules biliaires. — On les pratique généralement dans le but d'empêcher la sécrétion de passer dans le duo- dénum. — Importance de cette sécrétion dans le travail de la digestion. — Opinion de Haller. — Expériences de Schwann, Blondlot, Tiedemann et Gmelin. — M. Blondlot croit que la bile est un produit excrémentitiel. — Expériences propres de M. Cl. Bernard sur ce point. — Le procédé opératoire qu'il a adopté permet de suspendre et de rétablir alterna- tivement le passage de la bile dans l'intestin. — Difficulté d'arriver à une conclusion positive par de semblables expériences 590 FIN DE LA TABLE DES MATIERES. — [M PU. HE TUE ni; E. MA UT CN ET, Il U E MIGNO: y>^ \ *x>- « / * >-> V v F %Jn*Lri ' c ^ 'S c .-' 1 \i < Vrw ?iV u £$£ V A V y n \ *£> ? < -#. y ' K 'Y )? Vtf\