s4 LT +. LEÇONS PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX | hI TRAVAUX DU MÈME AUTEUR Cours de médecine du Collège de France. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Paris, 1854-1859; 20vols ansS avec figures... 0. V0 0 ER Au fr. Leçons sur les effets des substances toxiques ef médicamenteuses. Pas 1897 MIvol in -00avec houres rer ne. dite: Lecons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux. Paris, 1898-02 Vol in-821YeCHIEUTES- ere dt. lire Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations patho- logiques des liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-8° avec MÉNATÉSE Dee Promod D Dornninotdi à ho Van A de Por IE AE 44 fr. Lecons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8° de G00Npares nee cree crade me ie percent: Amir: Lecons sur les anesthésies et sur l’'asphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in 04e 60 D PATES AVEC HPUEES, Reese S 09 FBI T SE Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fièvre. Paris, 1876, 1 vol. in-8° de 472 pages avec figures. ... TATE Leçons sur le diabète et la giycogenèse animale. Paris, 1877, 4 vol. in-8°, viu-576 pages avec figures....... SL AO ES IL Leçons de physiologie opératoire. Paris, 1879, { vol. in-8°, xvi-644 pag., avec 116 figures. 8 fr. Cours de physrologie générale du Muséum d'histoire naturelle. Leçons sur les phénomènes de la vie, communs aux animaux et aux végétaux. Paris, 1878-1879, 2 vol. in-8° avec 4 pl. noires et COIOFIÉES EE D 0 PATES. eee en Cee Er ACTE Tor — Séparément. Tome If, 4 vol.in-8°, xu-564 pages avec 3 planches et 5 Heures: 2 CHERE He irc tireur -setete te 8 fr. Introduction à l'étude de la médecine expérimentale. Paris, 1865, Avon Se ADDNPATES eee EE CE eC UP e Ce SNITe La science expérimental». Denrième édition. Paris, 1878, 1 vol.in-18 HAE 66600 canon ais See ete Sie Eee ee HOT Table des matières, — Discours de M. J. A. Dumas. — Notice par M. P. Bert. — Du progrès des sciences physiologiques. — Problèmes de physiologie générale. — Définition de la vie, les théories anciennes et la science moderne. — La chaleur animale, — La sensibilité. — Le curare. — Le cœur. — Le cerveau. — Discours de réception à l’Académie française. — Discours d'ouverture de la séance publique annuelle des cinq Académies. Fr.Magendie. Paris, 1856, in-8°....................... - Ar Précis iconographique de médecine opératoire et d'anatomie chi- rurgicale, par Claude BernarD et HuEerTE. Nouveau tirage. Paris, 1873, 4 vol. in-18 jésus de 495 pages, avec 113 pl. fig. noires. Cart. 24 fr. Le méme, \bgures Colariées 0. Mec, Cit. DOLENT 0e. 48 fr. PARIS. — IMPRIMERIE E. MARTINET, RUE MIGNON; 9 COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE DU MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE LECONS SUR LES PHÉNOMÈNES DE LA VIE COMMUNS AUX ANIMAUX ET AUX VÉGÉTAUX PAR CLAUDE BERNARD: Membre de l’Institut (Académie des sciences et Académie française) Professeur au Collége de France et au Muséum d’histoire natureile TOME DEUXIÈME AVEC 3 PLANCHES ET 5 FIGURES INTERCALÉES DANS LE TEXTE PARIS LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE er FILS Rue Hautefeuille, 49, près le boulevard Saint-Germain. Londres | Madrid BAILLIÈRE, TINDALL AND COX. | C. BAILLY-BAIZLLIÈRE. 1879 Tonus droits réservés Digitized by the Internet Archive: in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/leonssurlesp02bern AVANT-PROPOS L'enseignement et la carrière scientifique de Claude Bernard comprennent deux parties. Une part considérable de cette vie si pleme et si féconde s'est écoulée au Collége de - France. A celle-là se rattachent les découvertes principales qui ont illustré le nom du célèbre physiologiste. Ces découvertes ont été consi- gnées dans la série des leçons publiées, sous le titre de Cours de médecine expérimentale (4), entre les années 1854 et 1878. (1) Cours de médecine du Collège de France : Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine. Paris, 1854- 1855, 2 vol. in-8. Leçons sur les effets des substances toxiques et médicamenteuses. Paris, 1857, 1 vol. in-8. Leçons sur la physiologie et la pathologie du syslème nerveux. Paris, 1858, 2 vol. in-8. Leçons sur les propriétés physiologiques et les altérations pathologiques des liquides de l'organisme. Paris, 1859, 2 vol. in-8. Leçons de pathologie expérimentale. Paris, 1871, 1 vol. in-8. Leçons sur les anesthésiques et sur l’asphyxie. Paris, 1875, 1 vol. in-8. Leçons sur la chaleur animale, sur les effets de la chaleur et de la fievre. Paris, 1876, 1 vol. in-8. Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale. Paris, 1877, À vol. in-8. Leçons de physiologie opératoire. Paris, 1879, 1 vol. in-8. VI AVANT-PROPOS. L'idée qui se dégage de ce brillant ensei- gnement, celle qui l’a inspiré et qui en forme le lien, est une idée médicale. En suivant la voie physiologique, Cl. Bernard avait la ferme conviction de travailler au perfectionnement de la médecine; le développement progressif de la physiologie était à ses yeux la condition rationnelle et méthodique du développement de la médecine : chercher, par l'expérimenta- tion, l'explication des phénomènes de la santé (physiologie normale), de la maladie (physio- logie pathologique), et en déduire les moyens d'action (thérapeutique), c'était poser le pro- blème physiologique ; c'était poser également le problème médical. Cette prétention, combattue comme utopique par l'École médicale contem- poraine, par l’École clinique, est le centre vers lequel viennent converger tous les ensel- gnements donnés par CI. Bernard au Collége de France. Le rôle du célèbre physiologiste, dans cette première phase de son existence scientifique, peut s'exprimer d'un mot, en disant qu'il s’est efforcé de fonder la médecine expérimentale. Il y a une seconde part dans la carrière physiologique de Cl. Bernard: celle dans la- AVANT-PROPOS. VIT quelle il s’est elforcé de fonder la physiologie générale. Celle-là, commencée à Sorbonne, s'est écou- lée au Muséum d'histoire naturelle (1). À la physiologie générale se rattachent les belles recherches originales sur la formation de la matière glycogène, sur la nutrition. sur les anesthésiques. La moisson de découvertes est moins riche dans cette seconde période que dans la pre- mière. Mais si l'invention est ici moins abon- dante, la doctrine et la critique sont plus puissantes. Ce n'est qu'après de nombreux tätonnements, après des essais qui ont duré sept ans, de 1869 à 1876,. que les idées de CI. Bernard parvinrent à se fixer et à prendre une forme définitive. C'est seulement dans le Cours du Muséum de 1876 que, revenant sur le chemin parcouru, il y recueille les matériaux de ce quil appelait la physiologie générale, et les assemble par une synthèse puissante pour en faire un monument complet. Ce cours de 1876, chronologiquement le (1) Cours de physiologie générale du Muséum d'histoire naturelle : Leçons sur les phénomenes de la vie communs aux animaux et aux végé- taux. Paris, 1878-1879, 2 vol. in-8. VII AVANT-PROPOS. dernier de ceux qui aient été professés au Muséum, était logiquement le premier, en ce sens qu'il résumait et synthétisait les enseigne- ments précédents; il devait leur servir d'in- troduction doctrimale, 11 posait les principes, traçait le programme et le plan de la physiologie générale. Il a été publié l’année dernière. Quant aux lecons antérieures, elles ont paru (1) au fur et à mesure, disposées d’après un ordre purement provisoire, dans la Revue des cours scientifiques, sous le titre de : « Le- » cons sur les phénomènes de la vie communs » aux animaux et aux végétaux. » Claude Bernard se proposait de les reprendre en sous-œuvre, de les compléter par des re- cherches originales, et d'en faire le développe- ment magistral et dogmatique du programme de 1876. La mort l'a interrompu au milleu de ses projets. Nous avons cru rendre un pieux hommage à la mémoire de notre maitre en recueillant ses indications, tout imcomplètes qu'elles fussent, (1) I faut faire une exception pour les leçons sur la respiration, qui for- ment la seconde section du présent volume et qui sont entièrement origi- nales. AVANT—PROPOS. IX et en rassemblant les matériaux épars de son enseignement dans l’ordre assigné. Voici quel était cet ordre. CI. Bernard avait été amené à reconnaitre dans la diversité des phénomènes de la vie deux types primiufs : les phénomènes fonction- nels ou de destruction vitale d’une part; les phénomènes plastiques où de synthèse orga- nique d'autre part. La vie ne se soutient que par l'enchaine- ment de ces deux ordres de phénomènes, in- dissolublement unis, constamment associés et réciproquement causés. Cette affirmation con- stitue l’axiome de la physiologie générale, c’est-à-dire de l'étude générale des propriétés de la vie. Cette vérité était méconnue par les théories qui rompaient la connexité nécessaire des deux ordres de faits mverses. La théorie de la dualité vitale en particulier, qui attribue les phéno- mènes de synthèse aux végétaux et la destruc- tion fonctionnelle, aux animaux est donc fausse, au point de vue physiologique. Les premiers efforts de CL Bernard de- vaient tendre à la renverser et à lui substituer la théorie de l'unité vitale, tant anatomique X AVANT-PROPOS. que physiologique: la première partie de son æuvre est donc consacrée à légitimer sa clas- sification des phénomènes de la vie, et le fon- dement même de la systématisation qu'il ten- ut en Biologie. Ainsi jusüliée, cette systématisation fournit à Ja Physiologie générale un cadre tout naturel. Cette science comprend trois parties : Dans la première partie, on étudie les phéno- mènes de la vie communs aux animaux et aux plantes. On établit par à l'Unité de la vie et l'Unité de la structure anatomique chez tous les êtres vivants. La seconde partie doit être consacrée à l'examen des phénomènes de Destruction vitale, à savoir, les fermentations, les combustions, la putréfaction, considérés en eux-mêmes et dans leurs rapports avec les formes fonction- nelles qu'ils revêtent. Dans une troisième section trouvera place l'étude difficile des phénomènes de Synthèse, tant chimique que morphologique. Dans le livre que nous publions, la première partie de ce programme a seule reçu un dé- veloppement suffisant. La communauté des phénomènes de la vitalité dans les deux Règnes AVANT—-PROPOS. XI a été mise en pleine lumière par la considéra- tion successive de la formation des Principes immédiats, de la Digestion et de la Respira- thon. L'ouvrage est complété par un chapitre consacré à la Doctrine qui se dégage des études précédentes; cette Doctrine (Vitalisme physico-chimique), sorte de compromis entre le vitalisme et le mécanicisme, condamne ce qu'il y a d'absolu et de contraire à l'expé- rience dans ces deux hypothèses. L'état actuel de la science n’eût pas permis à Cl. Bernard de développer, au même degré, les deux autres parties de la Physiologie générale, la Destruction vitale et la Synthèse organique. 1 ne voulait que tracer le plan des recherches à entreprendre et marquer les rap- ports de chacune d'elles avec les autres et avec l’ensemble : c'est ce qui a été fait tant dans le premier volume que dans celui-c1. L’exécution d'un plan si vaste appartient à l'avenir; c’est l'œuvre d’une science achevée et non d'une science en construction. Ayant rédigé, sous l'inspiration de Claude Bernard, l’ensemble de ses lecons au Mu- séum, et ayant été initié à ses vastes desseins, Jai plus qu'un autre conscience de limper- LA or XII AVANT-PROPOS. fection de l'œuvre que MM. J.-B. Baillière et fils livrent au public; mais l'influence consi- dérable que ces fragments avaient déjà exercée en biologie, attestée de tous côtés par les em- prunts qu'on leur à faits, justifie la nécessité et l'avantage de la publication actuelle. 10 février 1879. DASTRE. Des nécessités d'exécution matérielle pendant la confection de ce volume nous ont amené à placer à la fin trois notes dont nous n’essayerons pas de justifier autrement la présence. Nous ajouterons seulement qu’elles ont été faites à propos du Cours de M. Bernard pour la vérification de quelques points de détail, sous ses yeux et par son conseil. Ce sera leur seule excuse. D. 5608 f # 2, “ ñ . “ MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE COURS DE PHYSIOLOGIE GÉNÉRALE LEÇON D'OUVERTURE SOMMAIRE. — Les manifestations vitales résultent d’un conflit entre deux fac- teurs : la substance organisée vivante, et le milieu. — Distinction du milieu extérieur et du milieu intérieur. — Conditions extrinsèques, géné- rales, que doit remplir ce milieu. Ces conditions sont au nombre de quatre : humidité, aération, chaleur, constitution chimique. — Examen rapide de chacune de ces conditions. On a accordé de tout temps les attributs généraux de la vie aux animaux et aux végétaux. Cependant, dès les premiers moments où ces études attirèrent les méditations des naturalistes, la science des phénomènes de la vie se divisa en deux branches : l’une comprit les plantes, l’autre les animaux. Devenues ainsi distinctes, la physiologie végétale et la physiologie animale se développèrent séparément. Avec les premiers progrès l'isolement originel s’'accentua davantage, les différences apparurent de plus en plus profondes. et l’on put croire que la vie avait deux modes différents et même opposés; qu'il y avait deux manières d’être, l'une pour les ani- maux, l’autre pour les végétaux, une we animale et une we végétative. Une connaissance plus approfondie à permis d'envisager les choses sous un jour plus exact et plus conforme à leur essence : après les différences, les CL. BERNARD. — Phénomènes, Il, — 1 D CONFLIT VITAL. analogies eurent leur tour et la préoccupation fut de les mettre en relief. Aujourd'hui la physiologie générale, embrassant la physiologie des plantes et celle des ani- maux, recherche ce qu’il ya de commun dans leurs pro- priétés et dans leurs fonctions : elle proclame qu'aucune différence essentielle n'existe entre les manifestations vitales des éléments organiques, animaux ou végélaux. Elle étudie, pour ainsi dire, les propriétés vitales, mdé- pendamment des accessoires qui les masquent. Elle envisage les fonctions de la vie comme réductibles à des actions élémentaires qui s'ajoutent pour produire un effet complexe. Un organisme vivant est constitué par des appareils formés d'organes qui se décomposent eux-mêmes en tissus : ceux-ci résultant de l'association de parties dernières, les éléments anatomiques. C’est donc, en dernière analyse, un échafaudage d’éléments anatomiques. Chacun de ces éléments à son existence propre, son évolution, son commencement et sa fin; et la vie totale n’est que la somme de ces vies indivi- duelles associées et harmonisées. La physiologie gé- nérale est la science qui étudie les propriétés de ces éléments derniers, siége des manifestations simples, universelles, qui sont le fond commun de la vie. Cette vue s'applique aux végétaux comme aux ani- maux. Chez les uns et chez les autres, cette vie élémen- taire, base et fondement de toute leur histoire physio- logique, a des conditions communes et des caractères identiques. Dans la série des leçons qui va suivre, nous aurons à fixer ce domaine commun; mais en affirmant par avance CONDITIONS EXTRINSÈQUES. 3 l'existence de ce fonds vital identique, nous affirmons par cela même que la distinction des règnes n’est pas inscrite aussi profondément qu'on le croit dans l'orga- nisation des êtres : elle peut être fondée sur la diffé- rence morphologique des phénomènes, mais non sur une différence essentielle. Les manifestations de la vie exigent un concours de circonstances extérieures convenablement fixées et sen- siblement identiques pour toute la série des êtres végé- taux et animaux. Ces conditions du milieu ambiant, conditions extrinsèques, sont tout aussi nécessaires que les conditions intrinsèques de la substance vivante, c'est- à-dire que celles qui sont résumées dans le mot d’orga- risation. L'absence de l’un ou de l'autre de ces deux facteurs, l’organisation d’une part, les conditions de milieu de l’autre, a la même conséquence qui est d’em- pêcher tout phénomène vital. La vie est donc le résultat d'une collaboration étroite, ou en d’autres termes d’un conflit, entre deux facteurs, l’un extérieur, l’autre in- terne, dont il est illusoire de chercher à fixer l'impor- tance relative, puisqu'ils sont également impuissanis l’un sans l’autre. Cette vérité aujourd’hui bien établie a porté un coup mortel aux anciennes théories vitalistes, qui ne voyaient dans les phénomènes de la vie que l’ac- tion d’un principe tout intérieur entravé plutôt qu’aidé par les forces universelles de la nature. Quelles sont ces conditions extrinsèques ? — dans quelle mesure sont-elles constantes ou variables? — où sont-elles réalisées ? — Voilà les premières questions qui se présentent à notre examen. 4 MILIEU INTÉRIEUR. Ces conditions doivent être réalisées dans le milieu qui entoure immédiatement la particule vivante, orga- nisée, et qui doit entrer en conflit avec elle. Ici s’in- troduit une première distinction. Il y a des êtres simples, des organismes réduits à un seul élément anatomique ou à un petit nombre, des êtres unicellulaires, des infu- soires et des êtres placés plus haut dans l'échelle ani- male, qui entrent directement en relation avec le monde ambiant, Pour ceux-là le véritable milieu qui doit pré- senter les conditions vitales. est ce #71lieu extérieur dans lequel ils sont immédiatement plongés. Les êtres plus élevés en organisation, formés par des assemblages d'organismes élémentaires, d'éléments his- tologiques, n’entrent pas directement en relation avec extérieur. Les particules vivantes profondément si- tuées, abritées du milieu cosmique, doivent trouver ces mêmes circonstances indispensables réunies autour d'eux dans la profondeur où ils siégent. Il y a un vé- ritable milieu intérieur qui sert d’intermédiaire entre le milieu cosmique et la substance vivante. C'est qu'en effet, pour les êtres de ce genre, ce que nous appelons le monde ambiant n’est pas le lieu véri- table où s’accomplit immédiatement leur existence. Pas plus que les autres animaux aériens, l’homme ne vit dans l'air; il n'a pas en réalité de contact direct avec l'atmosphère. Ses parties élémentaires essentielles, ses éléments constitutifs véritablement doués de vie, ses cellules histologiques ne sont pas abandonnées nues dans le monde ambiant. Elles baignent dans un #ilieu intérieur qui les enveloppe, les sépare du dehors et sert MILIEU INTÉRIEUR. 5 d’intermédiaire entre elles et le milieu cosmique. Qu’est- ce que ce milieu intérieur? C'est le sang; non pas à la vérité le sang tout entier, mais la partie fluide du sang, le plasma sanguin, ensemble de tous les liquides inter- stitiels, source et confluent de tous les échanges élé- mentaires. Il est donc bien vrai de dire que l'animal aérien ne vit pas, en réalité, dans l'air atmosphérique, le poisson dans les eaux, le ver terricole dans le sable. L'atmosphère, les eaux, la terre, sont une seconde enve- loppe autour du substratum de la vie protégé déjà par le liquide sanguin qui circule partout et forme une première enceinte autour de toutes les particules vi- vantes. Ce n’est donc pas directement que les conditions extérieures influencent ces êtres compliqués, comme elles influencent les êtres bruts ou les êtres vivants plus simples. Il y a pour eux un introducteur forcé qui interpose son ministère entre l'agent physique et l’élé- ment anatomique des tissus. Aussi est-ce dans le #i/ieu intérieur que résident les conditions physiques de la vie. La nature plus ou moins étroite des relations du mi- lieu extérieur avec le milieu intérieur, et par suite avec l'animal est très-importante à considérer. Elle four- nit une première classification des différentes formes d'existence des organismes vivants. Chez les plus in- férieurs, animaux, ou plantes, il n’y à point de milieu intérieur; chez d’autres ce milieu n’a aucune indépen- dance; dans les deux cas, l'être est immédiatement sou- mis au milieu extérieur : lorsque celui-ci présente les conditions convenables, la vie suit son cours régulier ; lorsqu'il cesse de présenter ces conditions, la vie se sus- 6 VIE LATENTE, VIE OSCILLANTE. pend d’une manière provisoire ou définitive, et l'être tombe dans l’état de vie latente, ou bien il meurt. Les graines, les spores des végétaux cryptogames, beaucoup d'infusoires, les kolpodes entre autres, des animaux plus élevés, les rotifères, les tardigrades, les anguil- lules du blé mellé, les ferments figurés, présentent cette condition vitale particulière qui s'exprime par le nom de e latente. Dans un second groupe se rangent les êtres chez qui le milieu intérieur est dans une dépendance moins étroite du milieu cosmique, de telle sorte que les oscil- lations de celui-ci se répercutent sur l'animal lui-même, de manière à atténuer ou à exalter dans une large me- sure le mouvement vital sans jamais le supprimer absolument. Toutes les plantes sont dans le cas: la végétation est diminuée, obseure pendant l’hiver. Tousles invertébrés, les vertébrés à sang froid, les mam- miferes hibernants rentrent dans cette catégorie d’êtres à vie oscillante. Enfin la vie constante ou libre est la troisième forme de la vie, celle qui appartient aux mammifères supé- rieurs. L'être paraît libre : sa vie s'écoule d’un cours constant, affranchie des alternatives du milieu cosmique. C’est qu’un mécanisme compensateur très-compliqué maintient constant le milieu intérieur qui enveloppe les éléments des tissus, de telle sorte que ceux-ci sont, quelles que soient les vicissitudes cosmiques, dans une atmo- sphère identique, dans une véritable serre chaude. Pour en revenir aux conditions ertrinsèques, nous Com- prenons par ce qui précède qu’elles devront être réali- VIE CONSTANTE. F sées, soit dans le milieu extérieur, soit dans le milieu intérieur; dans tous les cas, dans le milieu qui entoure immédiatement la substance vivante et qui entre en rela- tion d'échange avec elle. Ces conditions extrinsèques qui doivent être réalisées pour permettre à chaque élément vivant de fonctionner suivant sa nature, sont très-nombreuses, très-délicates et très-variables si l’on veut les préciser absolument dans le dernier détail. Il faudrait faire l'histoire de chaque individu cellulaire pour arriver à les connaître. Si l’on était réduit à cette série de monographies, la tâche du physiologiste deviendrait écrasante, illusoire. Tel n’est pas le cas. Les conditions extrinsèques essentielles, au lieu d’être infiniment variées, sont au contraire très-peu nombreuses : elles sont les mêmes pour toutes les cellules animales ou végétales. C’est un fait capital et sur lequel on ne saurait trop insister. Rien ne démontre mieux l'unité vitale, c’est-à-dire l'identité de la vie d’une extrémité à l’autre de l'échelle des êtres, que cette uni- formité des conditions nécessaires à ses manifestations. Ces conditions sont : 1° l'humidité; 2° l'air; 3° la chaleur; %° une certaine constitution chimique du milieu. Pour vivre, toute cellule exige la réunion de ces con- ditions. I lui faut de l’eau, de l'oxygène, une tempéra- ture convenable, certains principes chimiques : tout cela dans des proportions très-sensiblement constantes. L. — L’eau est un élément indispensable à la constitu- tion du milieu où évoluent et fonctionnent les éléments ou les êtres vivants. La substance vivante a besoin d'une atmosphère humide : son activité est à ce prix; de 8 RÔLE DE L'EAU. sorte qu'il est exact de dire que le monde vivant ne nous présente qu'une immense multitude d'êtres aquatiques, les uns, les plus simples, baignant dans les eaux douces, saumatres ou salées, les autres plongés dans la lymphe ou le sang. Le rôle que joue l’eau dans les organismes est mul- tiple. Elle entre comme élément constituant dans la composition des éléments anatomiques et de la substance vivante. En second lieu elle est le dissolvant ou le véhi- cule des autres substances du milieu extérieur ou inté- rieur : elle favorise par elle-même ou permet un grand nombre de réactions chimiques de l'organisme. Les variations de la quantité d’eau du milieu ont une influence extrêmement marquée sur la vitalité. Des va- riations très-étendues sont compatibles avec le maintien de la vie chez les animaux inférieurs. Lorsque la quantité d'eau devient insuffisante, la substance des organismes se dessèche et perd ses propriétés, la vie se suspend. La dessiccation est le plus sûr moyen de mettre les orga- nismes inférieurs dans la condition de la vie latente. Les limites entre lesquelles peut osciiler l'eau du milieu intérieur sont bien plus étroites : dans le sang des mammifères par exemple, les proportions extrêmes sont de 70 à 90 pour 100. Lorsque, ainsique l’a fait Chossat, on crée expérimentalement des conditions dans lesquelles la proportion d’eau s’abaisse notablement au-dessous de la moyenne normale, on provoque des accidents qui deviennent rapidement mortels. Chossat opérait sur des grenouilles qu'il anhydrisait, suivant son expression, en les plaçant sous une cloche de verre avec du chlorure RÔLE DE L'OXYGÈNE. J de calcium. La respiration, la circulation éprouvaient des troubles profonds, la sensibilité diminuait, et l’on voyait apparaître des contractions tétaniques; enfin, la mort survenait lorsque l'animal avait perdu 395 pour 100 de son poids. Moi-même j'ai fait une expérience inverse, pour ainsi dire, de la précédente, en accroissant dans une notable mesure la quantité d’eau du milieu intérieur. Jai injecté, chez un chien en digestion, une grande quan- tité d’eau dass le système sanguin, et jai vu survenir des convulsions vives, tétaniques, bientôt suivies d'un arrêt respiratoire qui peut entraîner la mort. Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur le détail de ces phénomènes. Nous avons exposé ailleurs les faits relatifs à l’action exercée par la dessiccation sur les animaux réviviscents (1). Chez les animaux supérieurs, la constance relative de la quantité d’eau qui baigne les éléments est assurée par un mécanisme qui rétablit continuellement l'équilibre entre les apports et les dépenses et qui est gouverné par le système nerveux. Les pertes se font par la voie des sécrétions (urine, sueur), par la respiration, par la perspiration cutanée; les gains, par l'introduction des liquides alimentaires et chez quelques animaux par l’ab- sorption cutanée. I. — L'oxygène, c’est-à-dire la partie active de l’air, est également nécessaire au plus grand nombre des êtres vivants. Cette nécessité de l’oxigène dans le milieu inté- (1) Voy. Lecons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végélaux, 1878, tome I, p. 114. 10 RÔLE DE L OXYGÈNE. rieur n'est plus en question : depuis longtemps c’est un axiome incontesté, que l’air entretient la vie et mérite le nom de pabulurn vitæ que lui ont attribué les physio- logistes. Cette conclusion n’a jamais été sérieusement con- tredite, en ce qui concerne les animaux supérieurs; elle avait cessé de l'être en ce qui concerne les organismes inférieurs, Tel était l’état des choses, lorsque M. Pasteur a annoncé, 11 y a quelques années, qu'il ÿ a des êtres anaérobies, c’est-à-dire qui vivent à l'abri de l'air ; qu'il y en à d’autres qui, suivant les circonstances, vivent au contact ou à l'abri de l'air, c’est-à-dire sont aérobies ou anaérobies. D'autre part, M. Bert montrait que l’oxy- gène pur était un poison comparable à la strychnine, quant à son action sur l’organisme. Ces faits, parfaitement exacts, loin d'infirmer la vérité de la loi précédente, ne font qu’en étendre la généralité. Les cas exceptionnels rentrent dans la règle commune, si au lieu de considérer seulement l'oxygène libre, on tient compte de ce que certains êtres peuvent s'emparer de l'oxygène combiné; et lorsque l’organisme ne puise à aucune de ces deux sources, 1l emprunte d’une autre origine la force vive que la combustion par l'oxygène est capable de développer. L'oxygène n’est pas le seul gaz qui intervienne dans la constitution du milieu nécessaire à l’accomplisse- ment des actes vitaux. D'autres gaz sont dissous dans les liquides du milieu intérieur animal aussi bien que du milieu intérieur végétal. Ce sont les gaz de l'air, l'acide carbonique, AZOTE, ACIDE CARBONIQUE. A1 l'azote ; mais 1ls ne sont pas également distribués dans l'organisme. L’oxygène est en plus grande abondance et prédomine de beaucoup sur l'acide carbonique dans le sang artériel; au contraire, l'acide carbonique est en plus grande abondance et prédomine de beaucoup sur l'oxygène dans la Iymphe. Or, c’est dans la Iymphe que vivent en réalité les éléments organiques, et l’on pourrait dire qu'un milieu saturé d'acide carbonique leur est nécessaire, tandis qu'un milieu saturé d'oxygène leur serait nuisible. Nous devons ajouter que l’altération de l'air, mesurée par la quantité d'oxygène disparue et d'acide carbonique formé au sein de l'organisme, est en rapport avec l’in- tensité des phénomènes vitaux, et cela aussi bien chez les végétaux que chez les animaux. C’est pourquoi, au moment de la pleine activité vitale chez un animal à sang chaud, le sang veineux général est noir et chargé d'acide carbonique, tandis que chez un animal hibernant ou chez un animal à sang froid, pendant l'engourdis- sement, le sang veineux conserve sa coloration rouge et ne renferme que des traces d'acide carbonique. Il en est de même pour les végétaux. Dans les plantes, la végétation est suspendue durant l’hiver. L'analyse des sucs nourriciers, au point de vue des gaz dissous, ne montre rien autre chose que l'azote et l'oxygène dans les proportions de l'air pur avec quelques traces seulement d'acide carbonique. Pendant l'été la situation est diffé- rente : l'acide carbonique augmente, tandis que l’oxy- gene diminue. Jai prié M. Gréhant de faire l'analyse des sucs d’une plante végétale : il a trouvé dans un pavot en 49 TEMPÉRATURES BASSES. pleine activité végétalive une quantité considérable d'acide carbonique, 40 pour 100, et au contraire l'oxygène n'était qu'à l'état de faibles traces; en sorte, soit dit en passant, que la séve descendante n’est pas comparable au sang veineux, lequel contient encore une forte proportion d'oxygène, mais plutôt à la lymphe et aux liquides interstitiels. HI. — La chaleur fournit la troisième condition qui intervient dans le développement des phénomènes vitaux. Pour les végétaux, le fait a été bien mis en évidence, et l'on sait que chaque fonction ne peut s'exercer qu'entre des limites de température étroitement déter- minées. Sachs (1), qui, en 1864, a fait une étude spé- ciale de linfluence des températures élevées sur la végétation, est arrivé à cette conclusion : « Toute fonction ne commence à s’accomplir que » lorsque la température de la plante, ou de la partie » de plante considérée, atteint un degré déterminé » au-dessus du point de congélation des sucs cellu- » laires, et elle cesse dès que la température dépasse » un autre degré également déterminé, qui semble ne » pouvoir jamais s'élever d’une façon durable au delà » le 50 degrés. » La solidification de l’eau a lieu à la température de 0 degré, mais les solutions salines peuvent se solidifier à une température notablement inférieure à celle de l'eau pure. Il doit en être de même des liquides végé- taux intra-cellulaires et interstitiels : de plus, les espaces (1) Sachs., p. 852. TEMPÉRATURES ÉLEVÉES. 13 capillaires dans lesquels sont compris ces liquides inter- viennent encore pour abaisser le point de solidification. Un botaniste étranger, M. Uloth (1871), a observé ce fait curieux que des graines d'Acer platanoides et de Triticum tombées dans une glacière, et compris entre des fragments de glace, y avaient germé et avaient déve- loppé des racines qui pénétraient dans l'épaisseur des blocs. On sait d'autre part que le Profococcus nivalis prospère sur des terrains glacés. La germination du blé et de l'orge ne commence qu'au-dessus de 5 degrés, celle du haricot et du maïs seulement à 9°,5. M. Bous- singault à montré que les feuilles du mélèze commen- caient déjà à decomposer l'acide carbonique à une température de 0°,5 à 2°,5.Voilà pour les températures basses. Quant aux températures élevées, leur influence dé- pend des conditions dans lesquelles elles interviennent, et en particulier de la quantité d’eau contenue dans les üssus. Si le tissu à été préalablement desséché avec précaution et lenteur, 1l pourra, sans être détruit défi- nitivement, supporter une élévation de température assez considérable. On à fait germer des grains de blé qui avaient été chauffés, secs, pendant une heure à 70 degrés ; s'ils étaient humides, ils ne résistaient pas à une température de 95 degrés. Sans que l’altération soit aussi grande pour une température moins élevée, elle est cependant capable d'arrêter le fonctionnement vital. Le résultat est le même si la température est trop basse. La levûre de bière ne se développe pas aux basses températures ; les chimistes savent que la fermentation 14 TEMPÉRATURES. alcoolique (phénomène vital de la végétation du cham- pignon de Ja levüre) n'a pas lieu à la température de 0 degré et ne commence même qu’assez haut au-dessus de ce point. Il ya donc, pour chaque organisme végétal élémen- taire ou complexe, des limites de température entre lesquelles ses fonctions sont possibles. Mais entre ces limites mêmes il y à une température fixe où l’activité vitale est dans tout son plein, tandis qu’en deçà et au delà elle s'amoimdrit progressivement jusqu'à s’é- teimdre. Cet arrèt, d’ailleurs, peut être définitif, selon la rapi- dité des changements survenus et les qualités de Ja plante, ou bien il peut être temporaire. L'abaissement prolongé de la température a pour conséquence un amoindrissement de l’activité vitale, un véritable état hibernal de la plante, bien étudié par M. Kraus. L'influence de la température sur la vie animale est très-remarquable. On sait qu'il y a pour chaque animal un point moyen qui correspond au maximum d'énergie vitale. Et cela est vrai, non-seulement des êtres arrivés à l’état adulte, mais de l'œuf et de l'embryon. Les œufs «le poisson se développent dans l’eau entre 5 et 8 degrés; l'œuf des batraciens exige environ 12 degrés, et s'accom- mode le mieux de 20 à 25 degrés. Cependant, pour ces animaux, les oscillations sont assez étendues et, entre les limites physiologiques, le degré thermique n’a pas d'autre effet que de modifier la durée de l’évolution. L'œuf de poule exige une température comprise entre 38 et 42 degrés. Des excursions thermométriques plus EXCURSIONS THERMIQUES. 45 étendues sont incompatibles avec le développement. Pour les animaux supérieurs, tels que les mamimi- fères, la température compatible avec la vie est à peu près fixée. Ces êtres sont à une température inva- riable ; non que le milieu extérieur n’éprouve des oscil- lations considérables, mais le milieu intérieur dans lequel vivent véritablement les éléments anatomiques, le sang, en un mot, présente un degré thermique déterminé et extrêmement peu variable. Ces animaux sont dits à fempérature constante, par opposition aux reptiles batraciens et poissons, qui sont dits à ‘empérature variable. Chez les premiers, il existe un ensemble de mécanismes gouvernés par le système nerveux et qui ont pour but de maintenir la constance de la température, sans laquelle les fonctions vitales ne sauraient s’exécuter. On peut, en intervenant sur quelqu'un de ces rouages, modifier le résultat, abaisser ou élever la température de l'animal, et faire d’un animal à sang chaud, comme le lapiu, un animal à sang froid, comme la grenouille. Faisons observer ici que les adaptations pour être possibles doivent remplir une condition d'exécution invariable : elles doivent être lentes et graduées. Grâce à cette précaution opératoire, on peut modifier les cir- constances de la vie animale et faire qu'un être con- tenu entre certaines barrières thermiques les dépasse sans cesser de vivre. Cela est une remarque générale, applicable non-seulement aux variations thermiques, mais encore aux variations de toute espèce et, par exemple, aux variations hygrométriques. M. Balbiani à 16 CONDITION CHIMIQUE DU MILIEU VITAL. fait à ce propos une curieuse observation. On sait qu'il existe des anguillules aquatiques qui ne sont point révi- viscentes ; si on les dessèche, on ne les voit pas se rani- mer ensuite par l’humectalion. Cependant, si au lieu d'opérer brusquement on procède avec beaucoup de lenteur et que d’abord on ne pousse pas trop loin la des- siccation, les anguillules résistent et peuvent acquérir la faculté de réviviscence. On peut donc, par des épreuves lentes, échelonnées avec précaution, con- férer une habitude physiologique qui n'existait pas spontanément. IV.— Ouire les conditions d'humidité, de chaleur et d'aération convenable du milieu, il faut que l'élément vivant rencontre autour de lui une quatrième condition. Il faut que l'atmosphère liquide qui le baigne contienne certaines substances sans lesquelles il ne saurait se nourrir. On à cru pendant longtemps que [a com- position de cette atmosphère était totalement différente lorsque l’on passait des animaux aux plantes, qu'elle variait infiniment d’un organisme à l’autre de manière à échapper à toute systématisation. Mais, dans la réalité, cette composition est beaucoup mieux déterminée qu'il ne semblait : elle présente des caractères universels, communs à tous les êtres vivants, uniformes, que des recherches récentes permettent d’entrevoir. Le milieu propre à la nutrition doit contenir des substances azotées, — des substances ternaires (sucre, graisse, etc.), — des substances minérales (phosphates, chaux). Il faut que chacun de ces trois groupes soit repré- TROIS ORDRES DE SUBSTANCES. 47 senté dans le milieu où baignent les éléments anato- miques. Quant aux espèces de chaque groupe qui sont nécessaires el aux proportions suivant lesquelles elles doivent participer à la composition du milieu, elles varient selon les cas. Ce sont là des nuances fort déli- cates et par cela même difficiles à préciser. Le seul fait général, c’est la nécessité des unes et des autres, abstraction faite des quantités et des formes qu’elles doivent présenter. C'est par la connaissance approfondie de cette néces- sité que l’on est arrivé à constituer artificiellement des milieux appropriés à la vie de certains organismes relati- veruent simples. M. Pasteur a créé un milieu artificiel se prêtant parfaitement au fonctionnement vital de la levüre de bière (Saccharomyces cerevisiw), en formant une solution de carbonate d'ammoniaque, de phosphate de chaux et de sucre. La levüre se développe et pros- père dans un pareil milieu. Un des élèves de M. Pasteur, M. Raulin, à constitué également des milieux con- venables au développement de certains champignons inférieurs et suivi les modifications apportées par l’in- troduction de différentes substances. F. Cohn et Bal- biani ont constitué des milieux favorables au dévelop- pement de certames bactéries. Une méthode nouvelle a été créée ainsi pour l'étude des phénomènes de nutri- tion, sous le nom de méthode des cultures artificielles ; M. Pasteur a la plus grande part dans le développement de cette méthode féconde. Les formes sous lesquelles interviennent les éléments de chacun des groupes précédemment indiqués sont CL. BERNARD. — Phénomènes. : 11. — 2 18 SUBSTANCES AZOTÉES. nécessairement variables d’un organisme à l'autre. Cependant cette variation n’est pas illimitée. et il est possible d’entrevoir des rapports d'équivalence entre un petit nombre de substances susceptibles de se rem placer. Si l’on considère, par exemple, l'élément azote, on voit que chez les végétaux, tant supérieurs qu'in- férieurs, l'azote doit intervenir sous forme d’azotate ou engagé dans une combinaison ammoniacale : azotate /ou ammoniaque sont deux ordres de substances sensible- ment équivalentes au point de vue de la nutrition. Les mucédinées, les Péxicillium en particulier, peuvent prospérer dans un milieu où l'azote est engagé dans une combinaison plus complexe, dans une ammoniaque composée, l’éthylamine. Pour le Torula de la fermen- tation ammoniacale, la combinaison azotée la plus favorable est, ainsi que la montré M. Van Tieghem, l’urée ou l'acide hippurique. Enfin, pour les vertébrés et les mammifères, l'azote du milieu intérieur est engagé sous la forme plus compliquée encore des substances albuminoïdes, lesquelles seraient, d’après Schützen- berger, des associations définies d'acides amidés corres- poudant aux formules C'H°"+?Az0* et C'H°"+*Az0". Les substances du second groupe ont pour type le sucre de glycose. Cette substance indispensable à l'exis- tence de l'être aduite, remplit, ainsi que je l'ai montré, un rôle essentiel dans le développement fœtal. Mais le sucre peut avoir des équivalents dans quelques sub- stances ternaires favorables au développement de cer- tains organismes. Le tannin remplit le même office, d'après M. Van Tieghem, pour la nutrition de certaines SUBSTANCES HYDROCARBONÉS ET MINÉRALES. 49 mucédinées. Les expériences de Jodin tendent à établir que, dans d’autres cas, la glycérine, l'acide tartrique, l’acide succinique, l'acide lactique, l'acide acétique, l'acide oxalique, pourraient avoir une action sensible- ment identique. Enfin, les éléments essentiels du groupe minéral tomprennent la potasse et l'acide phosphorique, engagés suivant les circonstances dans des combinaisons plus ou moins différentes. C’est M. Pasteur qui a montré Îa nécessité absolue des phosphates alcalins pour la nutri- Uion du Saccharomyces cerevisie. Ces indications générales suffisent à mettre en lumière le principe que nous énoncions au début de cette leçon, à savoir, que les manifestations de la vie exigent des conditions générales sensiblement identiques chez tous les êtres. Nous n’ajouterons qu’une observation relative- ment à la manière dont se constitue ce milieu favo- rable à la vie des éléments. L'être lui-même intervient dans cette constitution, et le milieu est en quelque sorte l’œuvre à laquelle contribuent les éléments eux-mêmes. L'organisme, en effet, n’est pas exclusivement con- stitué par des éléments anatomiques. Il y a, à côté des parties organisées et vivantes, des parties orga- niques sans vitalité et qui sont simplement les pro- duits de l’activité des cellules vivantes. Ces productions sont les principes immédiats, Végétaux ou animaux. Un grand nombre de ces principes sont destinés à être rejeté de l'organisme comme un déchet inutile ou désormais nuisible; mais d’autres, en plus grand nombre, sont des- tinés à être utilisés et constituent en attendant une réserve 20 PRINCIPES IMMÉDIATS. où un approvisionnement pour les besoins du fonction- nement vital. Témoins et conséquences de l'activité cellulaire, ces substances jouent un rôle essentiel dans le milieu intérieur; c’est par leur formation que l’élé- ment vivant intervient lui-même dans la constitution de son milieu. L'activité cellulaire s'exerce sur les maté- riaux que lui fournit le monde ambiant, matériaux ou conditions que nous avons énumérés, eau, chaleur, oxygène, substances azotées, ternaires et salines. Avec ces matières premières, les éléments vivants fabriquent des principes immédiats, chacun selon sa vature, Le sang est ainsi formé aux dépens des maté- riaux alimentaires; mais ce serait une erreur de penser, comme les anciens chimistes, que le sang n'est qu'une dissolution des aliments: c’est en réalité une sécrétion de l'organisme à laquelle l'alimentation n'a fourni que la matière première mise en œuvre par l’ac- tivité de la cellule vivante. Daus une des leçons suivantes nous aurons à revenir, à propos de la nutrition, sur ce rôle des éléments dans la constitution de leur milieu. Nous montrerons que la outrition n’est pas directe, c’est-à-dire qu'elle ne s’excerce pas sur les matériaux fournis tels quels par l'alimentation; mais qu'elle exige au contraire une élaboration préalable de ces matériaux par l'activité cellulaire. PRINCIPES IMMÉDIATS. 921 PREMIÈRE PARTIE LES PRINCIPES IMMÉDIATS LECON PREMIÈRE Formation des principes immédiats, SOMMAIRE. — Deux types de phénomènes vitaux : destruction organique : synthèse organique. Ils constituent les deux phases du travail vital chez tous les êtres vivants. Erreur de la doctrine de la dualité vitale qui attribue la destruction organique aux animaux et la synthèse organique aux végé- taux, en tant qu'il s’agit des principes immédiats La synthèse de ces prin- cipes se fait chez les uns et les autres, Corps gras. — Leur origine chez les animaux. Opinion de MM. Dumas, Bous- singault. Payen, Liebig, Person, Milne Edwards, Würtz, Berthelot. Conclu- sion, Sucres. — Leurs variétés, glycose, saccharose. Différence physiologique de ces deux espèces. La saccharose est une réserve impropre à la nutrition et qui doit être transformée en glycose. La glycose est un élément essen- tiel dans les échanges vitaux : elle existe normalement dans l'organisme animal, elle y prend naissance. Nous avons établi dans la leçon précédente que les phénomènes vitaux résultaient d’une sorte de conflit entre la substance vivante et un milieu d’une composi- tion relativement définie; en sorte qu'il serait permis de considérer la vie comme la réaction du raonde am- biant sur la substance organisée, et de faire de l'orga- nisation le réactif de ce milieu défini. Après avoir acquis cette vue sur les phénomènes vi- taux, il s’agit d'en aborder l’étude. Nous nous trouvons [2 2 DOCTRINE DE LA DUALITÉ VITALE. ici en présence d’une classification tout à fait générale. On peut distinguer deux ordres de phénomènes : 1° Les phénomènes de fonctionnement, ou encore d'usure ou de destruction vitale ; 2 Les phénomènes de formation, ou de création vi- tale, ou encore de synthèse organique. Cette systématisation, à laquelle j'ai été conduit par un examen approfondi, m'a paru la plus conforme à la réelle nature des choses, à la fois compréhensive et ïé- conde : elle se fonde uniquement sur les propriétés uni- verselles de l'élément vivant, abstraction faite des moules spécifiques dans lesquels la substance vivante est engagée. Les deux types ne sont jamais isolés : ils sont indis- solublement connexes, et la vie de quelque être que ce soit est caractérisée précisément par leur réunion et leur enchaïnement : ils représentent les deux phases du travail vital. Cette vérité constitue, ainsi que nous l’avons dit ail- leurs, l’axiome de la physiologie générale. On peut être assuré que toute doctrine qui serait directement ou in- directement en contradiction avec cette donnée fonda- mentale est fausse, et que le principe de l'erreur est précisément dans cette contradiction. Des doctrines de ce genre se sont pourtant produites et ont pris pendant longtemps possession du champ physiologique. Une théorie a longtemps régné dans la science qui partageait les deux facteurs vitaux entre les deux règnes végétal et animal, attribuant exclusivement à chacun d’eux un des types phénoménaux, aux animaux la destruction vitale, DUALITÉ VITALE. 23 aux végétaux la synthèse organique. A cette doctrine, que nous appellerons doctrine de la Dualité vitale, nous opposons la doctrine de l'Unité vitale, qui revendique pour tous les êtres vivants l’accomplissement des deux ordres de phénomènes de destruction et de synthèse. Les phénomènes de destruction organique ont pour expression même les manifestations vitales. Toufe ma- nifestation vitale est nécessairement hée à une destruction organique. La destruction des organes qui accompagne leur fonctionnement a été signalée, pour ainsi dire, de tout temps; on à vu que le muscle qui se contracte, la glande qui sécrète, s’usent matériellement et ne pour- raient soutenir leur activité si une régénération inces- sante ne les rétablissait à chaque instant. Les actes les plus délicats de l'organisme, les manifestations céré- brales, les impressions sensorielles, n’échappent pas à cette loi universelle; des travaux récents (Byasson, Mos- ler, Hodges Wood) ont prouvé la destruction correspon- dante au travail nerveux, par lobservation de la cha- ieur produite dans ce travail même ou par l'élimination des matériaux qu'il a détruits. Il y a plus. La destruction matérielle est non-seule- went liée à l'activité fonctionnelle, on peut dire qu’elle en est la mesure et l'expression. En un mot, le phéno- mène qui apparaît (exemple, la contraction muscu- laire) est la traduction même de la destruction que le muscle subit. Ce n’est pas une coïncidence, c’est une transformation d'énergie. Ici, comme dans les phéno- mênes physiques, on rencontre la même loi générale : l'apparition d’un phénomène est liée à la disparition 21 SYNTHÈSE ORGANIQUE. d'un autre; la destruction n’est qu’un changement de forme. Fick et Wislicenus, Hirn, Helmholtz, ont cher- ché à établir que le travail du muscle était exactement représenté par la destruction (combustion) qu'il subit. On voit ainsi l'application du principe de la corrélation des forces ou de la conservation de l'énergie dans le monde vivant comme dans le monde physique. Les phénomènes plastiques ou de synthèse régénèrent les tissus, réparent les pertes, rassemblent les matériaux qui devront être dépensés de nouveau. C'est un travail intérieur, silencieux, caché, sans expression phénomé- nale évidente, travail d’une nature plus spéciale, plus vitale en quelque sorte, car il n’a pas d’analogue en dehors des organismes. Cet acte de réparation vitale est identique, si l’on veut aller au fond des choses, aux actes de génération, de rédintégration, de cicatrisation, par lesquels l'organisme se coustitue ou se reconstitue. Il ya dans cette synthèse des organes deux degrés, ou, pour parler autrement, deux phases : une synthèse chi- mique, qui forme les principes organiques, les réserves, et une synthèse morphologique, qui réunit et rassemble ces éléments de la matière vivante sous une forme et uue figure déterminées, qui sont la forme et la figure de l'élément anatomique, du tissu, de l'être individuel. Il résulte de ce que nous venons de dire que tous les êtres vivants doivent former des principes immédiats, puisque l'acte de synthèse organique appartient à tous et non pas à quelques-uns seulement. C'est cette vérité qui a été méconnue par la doctrine qui attribuait un rôle nutriüf différent aux animaux et aux végétaux, vé- ERREUR DE LA DOCTRINE DUALISTE. 25 rité qu’il faut actuellement mettre en lumière. Nous au- rons pour cela à étudier la formation des principes tm- médiats, c’est-à-dire des composés organiques fabriques par les végétaux et les animaux. Nous devrons re- chercher les circonstances de leur production à la fois dans les tissus vivants de l'animal et dans ceux de là plante. On à voulu opposer à cet égard la vie animale à la vie végétale. Il reste encore aujourd'hui bien des traces de cette doctrine dualiste qui voulait que les végétaux fussent exclusivement des appareils de formation, tan- dis que les animaux seraient exclusivement des appa- reils de destruction. Dans iles idées de cette école, les animaux ne de- vaient être considérés comme les créateurs de leur propre sang que sous le rapport de la forme; quant aux éléments, fibrine, albumine..…., dont il est com- posé, ceux-ci lui viendraient des plantes. Les plantes créeraient done dans leur organisme le sang de tous les animaux ; à proprement parler, les carnivores ne con- sommeraient dans la chair des herbivores que les sub- stances végétales dont ceux-ci s'étaient nourris. La fibrine et l’albumine végétales prendraient dans l'estomac de l'herbivore absolument la même forme que reçoivent dans l’estomac du carnivore la fibrine et l’albumine ani- males. S'il en était ainsi, si l'animal ne pouvait vrai- ment que recevoir des principes complexes, sans avoir la faculté de les transformer pour se les approprier; si tous ceux qui existent dans son sang et dans ses tissus provenaient des plantes et de ses aliments, on pourrait 26 CORPS GRAS. dire que l'aliment végétal va directement se fixer dans le tissu animal. On pourrait dire que la graisse du che- val, du bœuf, du mouton est exactement contenue dans leur ration de foin, et que le beurre du lait de la vache est renfermé dans l'herbe qu’elle broute. Lors d’une dis- eussion mémorable qui occupa l'Académie des sciences de 1845 à 1847, relativement à l’engraissement des ani- maux, quelques chimistes ne reculèrent pas devant cette conclusion (1). Mais les idées que l’on avait sur la graisse, on les sou- tenait également pour le sucre, et l’on admettait que cette matière ne pouvait pas se rencontrer dans le corps animal si elle ne lui avait été apportée toute faite par le végétal. Nous avons démontré, pour notre part, qu'il en est autrement, et nous nous proposerons, dans le cours de ces leçons, de prouver expérimentalement qu'il y à identité chez les animaux et les végétaux au point de vue de la production de ce principe et de son rôle dans la vie de l'être. Corps GRAS. — Nous rappellerons d’abord briève- ment l’état de la question en ce qui concerne la forma- tion de la graisse chez les animaux et les végétaux. Le débat célèbre auquel cette question a donné lieu a été ouvert devant l’Académie, en 1843, par MM. Dumas, Boussingault et Payen, à propos de l'en- graissement des bestiaux et de la formation du lait (2). (1) Comptes rendus de l'Académie, t. XVI. (2) 1bid., 13 février 1843. CORPS GRAS DES VÉGÉTAUX, 27 Dans son mémoire, Payen cherchait à etablir que les matières grasses, qui existent en plus ou moins grande abondance dans tous les êtres vivants, ne se forment que dans les plantes et qu’elles passent toutes formées dans les animaux. Dans cette opinion, les matières grasses étaient un produit d'origine exclusivement végétale, apparaissant surtout dans les feuilles vertes à l’état de matière ci- reuse. Les feuilles devenant l'aliment des herbivores, la cire qu'elles contiennent passait dans le sang de ces ani- maux et y subissait une oxydation qui la transformait en stéarine et en oléine. Ces dernières substances, en arri- vant aux carnivores par l’alimentation, subissaient de nouvelles oxydations, à la suite de quoi elles donnaient naissance à la margarine, qui caractérise la graisse de ces animaux, ou encore elles fournissaient les acides gras volatils, acides caproïque, caprique, hireique et butyrique, qui apparaissent dans le sang et dans la sueur. La matière grasse toute faite était donc, d’après Payen, le principal produit, sinon le seul, à l’aide duquel les animaux peuvent régénérer la substance adipeuse de leurs organes ou fournir le beurre de leur lait. Pour établir ces vues, Payen s’appuyait sur deux ordres de faits. D'abord il signalait l'existence à peu près constante des matières grasses dans les végétaux ; et ces matières, d'après le savant chimiste, existaient en proporlions suffisantes pour expliquer l’engraissement du bétail et la formation du lait. Il y aurait 8 pour 100 de matière grasse dans le maïs, plus des deux tiers en 28 CORPS GRAS DES ANIMAUX. poids du cotylédon. Boussingault faisait remarquer que, pour produire 67 kilogrammes de beurre, une vache mange une quantité de foin qui renferme au moins 69 kilogrammes, et probablement 76, de matière grasse. L'analyse indique donc dans l'aliment une quan- tité de graisse plus que suffisante pour représenter celle que renferme le beurre. La seconde considération que faisait valoir M. Payen était la résistance que présentent les graisses à toute espèce d'altération, résistance qui leur permet de sub- sister après les fermentations et les décompositions de toute espèce, et d’émigrer sans changement du végétal jusque dans le sang et les tissus de l'animal. M. Dumas avait donné une formule plus absolue en- core en énonçant cette règle générale : « Les animaux, » quels qu'ilssoient, ne font n1 graisse, n1 aucune matière » organique alimentaire ; 1ls empruntent tous leurs ali- » ments, qu'ils soientsucrés, amylacés, gras ou azolés, au » règne végétal. » En regard de cette opinion, quelques chimistes prélendaient au contraire que les matières grasses se formaient aussi bien dans les animaux que dans les plantes, par des mécanismes identiques. Chez les ani- maux en particulier, ce serait au moyen de la fibrine, de l’albumine, du sucre, de la gomme. Au nombre de ces adversaires de la théorie nouvelle se trouvait Liebig. Liehig faisait observer que «ni l'herbe, ni les racines » mangées par les vaches ne renferment de beurre ; que » le fourrage donné aux bestiaux ne renferme pas de » graisse de bœuf, que les épluchures de pommes de terre ENGRAISSEMENT. 29 » dont on nourrit les porcs et les graines mangées par » la volaille de nos basses-cours ne renferment pas de » graisse d’oie où de chapon ». Ces arguments sont par- faitement valables, mais Liebig ne s’y tint pas, et la dis- cussion s'égara dans une comparaison des graisses avec les cires. Il essaya aussi, mais sans y réussir absolument, de montrer que la quantité de graisse entreposée dans les tissus de l'animal ou rejetée au dehors était, dans cer- taines circonstances, supérieure à celle qui était intro- duite par les aliments. La thèse du célèbre chimiste de Giessen valait done mieux que ses arguments. D'ailleurs Liebig se combattait lui-même lorsqu'il s'agissait d'au tres substances que les graisses, Il admettait par exemple . Mn°y a point simplement transposition de l'aliment dans les tissus, 1l y a une modification beaucoup plus profonde, Le débat ne peut roulerquesur les limites de cette faculté modificatrice. Milne Edwards était disposé à penser avec Thenard que c’étaient les aliments d’un même groupe ORIGINE DE LA GRAISSE DES ANIMAUX. 31 qui seuls pouvaient se suppléer, mais que d’un groupe à l’autre ilyavait impossibilité de transformation. Liebig, au contraire, pensait que ces barrières n’exislaient pas, et que la graisse, par exemple, pourrait provenir aussi bien de la décomposition de l’albumine, de la fibrine, de l’amidon, du sucre, de la gomme. D'ailleurs, au point de vue chimique, M. Würtz montrait qu’il pouvait se for- mer de l'acide butyrique aux dépens de la fibrine par l’action de la chaleur (160-180 degrés) en présence de la chaux potassée ou par la putréfaction. La portée de la réfutation fut exagérée, et l’on peut penser aujourd'hui que si la théorie du passage de l'ali- ment dans le tissu est faux, la transformation directe d’un aliment en une des substances de ce tissu, du sucre en graisse, par exemple, n’est pas vraie davantage. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet, et de montrer que la nutrition n’est pas une opération qui porte direc- tement sur l'aliment, mais sur des produits plus compli- qués dont l'aliment ne fournit que la matière première. Quoi qu'il en soit, et pour nous en tenir à la question des corps gras, Je dois rappeler que M. Berthelot et moi avons repris, par une voie détournée, et par un troi- sième procédé, le problème de l'évolution des aliments gras dans l'organisme. Je commençais par inanitier un chien de manière à faire disparaître toute surcharge graisseuse et à réduire la quantité de matière adipeuse au strict minimum. Je nourrissais alors l’animal abondamment en mêlant à son régime une graisse chimiquement reconnaissable que M. Berthelot préparait. C'était nne graisse chlorée dans 32 SUCRE. laquelle il y avait substitution partielle du chlore à l'hydrogène. Lorsque après quelque temps de ce régime je sacrifiais l'animal, je recueillais le tissu adipeux. M. Berthelot n’y a point retrouvé, par l'analyse, la sub- stance grasse chlorée avec laquelle l’animal avait été nourri. Il n’y à douc point simple mise en place de l'ali- ment gras, et l'animal ne s’engraisse point directement par l'alimentation. Il fabrique lui-même sa matière grasse. Quant à celle qu'on lui fournit, il commence par la détruire : il la digère, l'émulsionne et la dédouble par saponification. Qu'il utilise les éléments de ce dé- doublement aussi bien et peut-être mieux que d’autres, pour en former la graisse nouvelle, cela est possible mais nullement démontré. Si nous voulons résumer le débat, nous dirons que rien n'autorise à penser que les animaux et les végétaux se comportent différemment en ce qui concerne la for- mation des principes gras. Il est inexact que les plantes soient seules en état de fabriquer ce principe immédiat ; l'expérience prouve, tout au contraire, que les animaux travaillent enx-mêmes par des procédés dont le méca- nisme n’est pas encore dévoilé à la préparation de ces substances. La conclusion que nous venons de rappeler relative- ment à la faculté que possèdent les animaux de former les principes immédiats nécessaires à leur nutrition respective à surtout été mise hors de doute par l'étude de l’un de ces principes, le sucre. Les recherches que j'ai poursuivies depuis plus de vingt ans me paraissent établir de la facon la plus nette que la formation du MATIÈRE SUCRÉE. 39 sucre, la glycogenèse, doit être considérée comme une fonction constante et nécessaire à la vie animale, et non pas seulement comme un acte de la vie végétale. SUCRE. — La matière sucrée se rencontre dans la vature sous un grand nombre de formes. Elles ont leur origine dans les êtres vivants, surtout dans les végétaux. Leur production synthétigne au moyen des éléments minéraux n’a pu être encore réalisée. M. Ber- thelot fait bien remarquer que ces principes semblent dérivés des composés propyliques doublés, et il pense qu'ils pourront être quelque jour engendrés au moyen de l’hydrure d’hexylène C°H'"#; mais ce n’est là qu’une espérance, et les faits ne l’ont point encore confirmée. On trouve, dans les plantes, un premier groupe de sucres surhydrogénés : la #r2annite et la dulcite, qui ont pour formule C*H"O®; la pinite et la quercite, qui ont pour formule C*H“O". La mannite se retire surtout de la manne, exsudation du Frarinus rotundifolia ; sous l'influence de la végétation elle se produit encore dans diverses autres espèces de frènes, dans les feuilles d’o- livier, dans des champignons, dans des algues, comme le Protococcus vulgaris, où elle est connue sous le nom de phycite. La dulaite s’extrait du ÂZelampyrum nemo- rosum ; la pinite du Pinus lambertiana. La quercite est contenue dans le gland du chêne. Nous n'avons qu'à mentionner ces substances, puis- qu'elles n'existent que chez les végétaux et ne peuvent donner lieu à aucune étude comparative ; nous n'avons pas à nous en occuper autrement. CL. BERNARD. — Phénomènes. I. — 3 34 GLYCOSES ET SACCHAROSES. La même observation s'applique en partie à quelques- unes des substances sucrées qu’il nous reste à mention- ner. Les chimistes distinguent deux principaux groupes de sucres, et nous verrons que cette distinction subsiste également au point de vue physiologique. Il y a les g/y- coses et les saccharoses. Les glycoses ont pour formule C*H°0". Elles com- prennent la gl/ycose ordinaire où sucre de raisin; Va lé- vulose, qui existe dans le raisin, la cerise, la groseille, la fraise, dans la plupart des fruits mûrs et acides; la galactose, qui vient indirectement des gommes ou du lait ; l'eucalyne, qui est également un produit de réac- tion; la sorbine, qui vient du jus du sorbier ; et enfin l’inosine, qui doit nous intéresser davantage, car en mème temps qu’on la rencontre dans certains végétaux, comme les haricots verts, on la rencontre aussi chez ïes animaux, dans les muscles, les poumons, les reins, la rate, le foie et quelquefois dans les urines. Les saccharoses ont pour formule C*H"0”, ou plutôt le multiple C*H°0*. Elles comprennent la saccharose ou sucre de canne; la mélifose, que l’on tire de la manne d'Australie, exsudation de certains ewcalyptus: la tréhalose, qui provient aussi d’une manne particu- lière; la mélézitose, qui s'extrait du Pénus larix ; Va lac- tose, ou sucre du lait des mammifères. Mais de tous ces produits qui pourront peut-être donner lieu plus tard à; une étude intéressante, les plus importants de beaucoup, sont la saccharose, ou sucre de canne, et la glycose ou sucre de raisin. La glycose est extrèmement répandue dans les orga- SUCRE DE RAISIN. SON RÔLE. 39 nismes vivants. Elle constitue la matière sucrée des raisins secs; on la rencontre dans le miel et dans les fruits. On peut la former artificiellement par l’action de l’acide sulfurique étendu sur l’'amidon, le ligneux, la tunicine, la chitine et le glycogène hépatique, comme nous le verrons. Nous ne parlons iei que des dépôts ou la glycose s'accunule et d’où elle peut être retirée, car envisagée d’un point de vue plus élevé, elle ne doit pas être considérée comme un produit spécial à telle ou telle plante, mais comme un élément général de nutri- tion, comme une condition nécessaire des échanges vi- taux. Les substances amylacées et cellulosiques ne peu- vent prendre part au mouvement nutritif qu'autant qu’elles deviennent solubles et sont transformées mo- mentanément en glycose. La saccharose C°H"O0" est Le sucre ordinaire que nous employons pour les usages domestiques : c’est le sucre de canne, le sucre de betterave. Il existe d’ail- leurs dans le maïs, le sorgho, dans la séve de l’érable et du palmier de Java, dans l'ananas, la citrouille, la châtaigne, la carotte, etc., dans la plupart des fruits. Beaucoup d'opérations, dans les plantes, peuvent changer le sucre ordinaire en glycose. C’est là un fait très-important. En effet, le sucre de raisin ou glycose est un véritable aliment pour les végétaux ; c’est une substance qu’ils sont capables de mettre en œuvre pour leur développement. Au contraire, le sucre de canne, le sucre ordinaire, est en lui-même un corps impossible à utiliser pour l'organisme végétal. Il ne peut servir 4 à la nutrition, au développement de la plante, qu’à 36 SUCRE DE CANNE. SON RÔLE. la condition d’être changé préalablement en glycose. Il y a done, au point de vue physiologique, une dis- tinction frappante entre ces deux sucres. Leur rôle est très-différent. Le sucre de raisin est un des facteurs les plus énergiques de la nutrition. Le sucre de canne est un dépôt, une réserve qui ne peut pas entrer directe- ment dans le mouvement nutritif. Il forme des accu- mulations de matière qui s’emmagasment dans la racine de la carotte ou de la betterave, pendant la pre- mière période de la végétation. C'est à ce moment-là qu'on peut le retirer de ces sortes de réservoirs natu- rels. Plus tard, lorsque la plante entrera dans sa deuxième période de végétation, lorsqu'elle devra fruc- tifier, les provisions de matériaux accumulés en vue de cette évolution disparaîtront, ils serviront au dévelop- pement. Beaucoup de plantes présentent, comme la betterave, deux périodes de végétation séparées par un intervalle de repos : la première période est simplement végétative, il se fait dans certaines parties de la plante des accumu- lations, des provisions de matériaux; la deuxième pé- riode est la période de fructification, pendant laquelle les réserves emmagasinées sont reprises et dépensées. L’intervalle de repos est ordinairement la saison d'hiver, et les plantes dont nous parlons sont, pour cette raison, appelées bisannuelles, leur développement complet exigeant deux années. Mais il n'en est pas nécessaire- ment ainsi : la période de repos peut être moindre que la durée d’un hiver, comme cela se voit chez quelques cruciferes; ou plus considérable, comme cela se voit SON INAPTITUDE À LA NUTRITION. 37 chez l’aloès. Aussi les botanistes préférent-ils la dési- gvation de dicarpiennes, qui ne préjuge rien sur la durée du repos, à celle de bisannuelles, pour caractériser ces plantes. Cette périodicité, ou mieux cette alternance dans les deux ordres des phénomènes, caractérise d’une manière essentielle les manifestations de la vie, aussi bien dans le règne animal que dans le règne végétal. On peut mème dire d’une manière générale que c'est le caractère vital par excellence. Il y a deux termes dans la vie: le repos, qui correspond à la concentration des matériaux et des forces; le travail, qui correspond à la dépense de ces mêmes forces et de ces mêmes maté- TAUX. Revenons aux sucres de canne et de raisin. Nous con- sidérons le sucre de canne comme un produit en réserve; il ne se rencontre chez les végétaux que pendant cet in- tervalle de repos où la végétation est suspendue, ou bien dans les fruits dont l’évolution organique est terminée. C’est qu'en effet cette matière sucrée est impropre aux échanges ; mais elle y devient propre, ainsi que nous l’avons déjà dit, en subissant une transformation qui la fait passer à l’état de glycose. La différence fondamentale des deux sucres, au point de vue de leurs aptitudes nutritives, se retrouve dans lesanimaux comme dans les végétaux. Prenez une disso- lution de sucre de canne, injectez-la dans les veines d'un animal, la substance sera éliminée par les émonctoires : elle passera tout entière dans les urines sans avoir servi à la nutrition. Autrefois j'ai fait un grand nombre d'expériences à ce sujet, voulant disuinguer par leur éli- 38 ÉLIMINAYION DE LA SACCHAROSE. mination du sang les substances qui pouvaient être ali- mentaires de ceiles qui ne l’étaient pas. J'ai vu qu’en injectant dans la veine jugulaire d’un chien ou d’un lapin une très-faible quantité de sucre de canne, 5 cen- tigrammes par exemple, on en retrouve la présence dans les urines, tandis qu’on peut injecter jusqu’à 5 déci- grammes ou À gramme de glycose sans constater son élimination, preuve évidente que le premier sucre ne se détruit pas dans le sang d’une manière appréciable, tandis que le second y disparaît rapidement. Si main- tenant on fait l'injection avec un mélange des deux sucres, on ne retrouve dans l'urine que le sucre de canne, J'ai une fois, sur un chien, mjecté de la mé- lasse, mélange incristallisable du jus de betterave, ren- fermant les deux espèces de sucre devenues inséparables par les moyens chimiques connus : l’organisme a opéré cette séparation, car il a détruit la glycose à son passage dans le sang, et le sucre de canne isolé s’est retrouvé dans l’urine. Cette différence de destructibilité des deux sucres est un fait qui dès à présent mérite de fixer notre attention d’une manière spéciale. En effet, voilà deux corps qui, au point de vue chimique, sont semblables, car il n'ya entre eux qu’une différence d'hydratation, l’un possédant 4 équivalent d’eau en plus que l'autre; et cependant, au point de vue physiologique, leur différence est radicale, puisque l’un est une matière excrémenti- tielle, et l’autre est une matière nutritive. M. Pasteur n’a-t-il pas montré d’ailleurs que des deux acides tartriques droit et gauche, identiques chimiquement, l’un fermente, tandis que l’autre est réfractaire? Ce sont là des faits qui TRANSFORMATION EN GLYCOSE. 39 sont bien de nature à faire comprendre toute la délica- tesse des phénomènes nutritifs, et toutes les difficultés qu’on peut rencontrer dans leur étude. Est-ce à dire, d’après tout ce qui précède, que le sucre ordinaire ne doive pas être considéré comme un aliment? Non sans doute. Introduit par une autre voie que celle que nous venons d'employer, ingéré avec les substances de l'alimentation, il éprouvera dans le tube digestif une transformation qui le fera passer à l'état de glycose et lui permettra d'intervenir dans les échanges nutritifs. Ainsi le sucre ordinaire, impropre à la vie végétale ou animale, éprouve dans la plante ou dans l'intestin de l'animal une transformation en glycose qui lui confère les aptitudes alimentaires qu’il ne possédait pas aupara- vant. Ce changement de l’un des sucres dans l’autre, qui s’accomplit sous l'influence de la végétation pendant la seconde période d'activité bisannuelle de la plante, qui s'accomplit sous l'influence de la digestion dans l’intes- tin des animaux, peut être reproduit artificiellement de bien des manières par des agents minéraux; ce qui prouve que les actions chimiques qui s’'accomplissent dans les êtres vivants ne leur sont pas spéciales et peu- vent être réalisées en dehors d'eux. Il ne sera peut-être pas inutile de rappeler briève- ment par quelle suite d'idées je fus amené à entreprendre l'étude des formations nutritives de la matière sucrée. Les travaux qui, dans le premier quart de ce siècle, ont éclairé la physiologie de la digestion, ceux de Tiedemann et Gmelin, de Leuret et Lassaigne, avaient 40 ORIGINE DE MES RECHERCHES. établi un fait qui, dans la question, est capital: c'est à savoir que le sucre est un produit normal de la digestion des matières amylacées; 1l peut exister comme un produit naturel, normal, physiologique, de la digestion. Plus tard, le fait fut expliqué, et l’on trouva que l'empois d'amidon hydraté, mis eu présence de la salive mixte, et surtout du suc pancréatique, ne tardait pas à disparaître en se transformant en dextrine, puis enfin en sucre. On trouva enfin que cette même faculté transforma- trice existe dans beaucoup de liquides organiques. Dans le règne végétal, on avait également reconnu que pen- dant la germination comme pendant la digestion, Pami- don de la graine se change en dextrine et en sucre. MM. Persoz et Payen avaient constaté que cette ac- tion était due à une matière jouant le rôle de ferment qu'ils avaient isolée sous le nom de dastase végétale. W fut également établi que dans certains liquides ani- maux dont nous parlerons plus loin, liquides jouissant de la propriété de transformer l’amidon en sucre, il existe une matière analogue, jouant le rôle de fer- ment, et qu’on a isolée sous le nom de dastase ani- male. Tel était l’état de la question lorsque, vers 1843, je m'occupai de ce sujet. J'avais été amené à cette con- viction que les phénomènes de la nutrition ne devaient pas être considérés par le physiologiste du même point de vue que par le chimiste. Tandis que celui-ci cher- che à faire le bilan nutritif, c’est-à-dire à établir la ÉVOLUTION DU SUCRE DANS L'ORGANISME. 41 balance entre les substances introduites et les sub- stances rejetées, le physiologiste doit se proposer de les suivre dans leur trajet, pas à pas, et d'étudier toutes leurs transformations successives au sein même de l’or- ganisme. Je me proposai d'appliquer cette méthode à toutes les substances successivement: aux albuminoïdes, aux matières sucrées, aux matières grasses. Je com- mençai par les matières sucrées, qui me paraissaient d’une étude plus facile. Le plan que je m'étais tracé était bien trop vaste ; car aujourd’hui, après trente années de travaux dont les résultats n'ont cependant pas été stériles, j'en suis encore à l'étude des matières sucrées. Je me proposai d’abord de savoir ce que devenait le sucre introduit directement dans l'appareil circulatoire. Je fis alors les expériences dont j'ai indiqué plus haut les résultats. Je pris du sucre dissous dans un peu d’eau et je l’injectai, ce qui est sans inconvénient, dans le sang chez un chien et un lapin. Après quelque temps, le sucre avait traversé l'organisme sans être détruit et avait été éliminé en totalité : on le retrouvait dans l’u- rine. Il s'agissait ici du sucre ordinaire, du sucre de canne. Le sucre de canne, introduit par injection dans le système sanguin, n’est done pas assimilé ; 1l est éli- miné, rejeté de l'organisme comme un corps étranger. Cependant nous faisons, dans notre alimentation, grand usage du sucre de canne. Il est introduit non plus directement par les veines, mais comme le reste des aliments par le tube digestif ; il ne s’agit plus de quan- tités infinitésimales, mais de quantités parfaitement 49 CHANGEMENT EN GLYCOSE. appréciables. Or, puisqu'on ne retrouve pas ce sucre éliminé par les urines, il disparait donc dans lorga- nisme. in | Comment expliquer cette différence? Évidemment les sucs digestifs avaient agi sur le sucre alimentaire et lui avaient fait subir quelque modification. Pour savoir de quelle nature était cette modification, Je recueillis le liquide digestif, le suc gastrique; je fis une dissolution de sucre non plus dans l'eau, comme tout à l’heure, mais dans le sue gastrique, et je poussai la solution dans les veines. Le sucre, cette fois, fut assimilé ; il n'apparut plus dans les urines. Ainsi le sucre est modifié par le sue gastrique : je crus d'abord que cette modification préalable était la con- dition de son absorption ultérieure. Je reconnus plus tard que la transformation digestive n’est pas physto- logiquement le résultat de l'intervention du suc gas- trique, mais d’un autre liquide, le sue intestinal. L’ac- tion exercée par le suc gastrique est un phénomène purement chimique que d’autres agents minéraux sont capables de réaliser. Il n’en restait pas moins vrai que, sous l'influence des sucs digestifs, le sucre de canne CH"O" se transforme en une substance différente quoique voisine par ses propriétés : c'est le sucre de rai- sin C°H°0*. La question n’en était qu'à son début. J'avais ap- pris que le sucre de canne se transforme dans le tube digestif en sucre de raisin. Mais que devient celui-ci? Comment disparaït-il et où va-t-il se rendre ? Il fallait, pour répondre à ces desiderata, suivre le sucre dans son CARACTÈRES LE LA GLYCOSE. 43 évolution, et posséder, par conséquent, un moyen de le déceler partout où il existe. Précisément à cette époque la chimie découvrait ce moyen. Barreswil en France, Trommer en Allemagne, indiquaient un caractère commode et très-délicat. J'ai fait ailleurs, à un point de vue particulier, l'his- toire critique des moyens que l’on peut employer pour déceler et doser les sucres, en tant que ces moyens sont applicables à la physiologie. Pratiquement, ils se réduisent à deux: la fermentation alcoolique, l'emploi du réactif de Fehling on de Barreswil. Je supposerais mes auditeurs assez au courant des conditions dans lesquelles ces méthodes doivent être employées, pour ètre dispensé d’en recommencer l'histoire. Je rappellerai seulement que, malgré sa grande sen- sibilité, le procédé de Barreswil et de Trommer est passible de quelques reproches. C’est un caractère em- pirique, très-délicat sans doute, mais par cela même un peu incertain. La véritable manière de prouver l'existence d’un corps, c’est de l’extraire, de le prépa- rer, de le montrer en nature. Si la preuve est in- directe, si elle consiste en une réaction chimique, on peut craindre qu’elle ne soit pas exclusive à la sub- stance pour laquelle on lapplique ; que d’autres sub- stances, des circonstances différentes la manifestent éga- lement. Pour éviter cette cause d'erreur, j'ai toujours opéré par des expériences comparatives. En physiologie je ne saurais trop recommander l'emploi de la méthode com- parative. Les conditions dans lesquelles se débat lexpé- 44 MÉTHODE COMPARATIVE, rimentateur sont tellement complexes, qu’il est impos- sible d'en tenir compte, et de démêler directement dans un résultat expérimental la part qui revient à chacune. Aussi est-il infiniment utile de ne faire varier qu'une seule condition parmi celles qui régissent le phénomène, en laissant toutes les autres identiques. Celle-là devient alors le point de mire de l'observation, et l’on rapporte à son influence les modifications survenues dans la marche du phénomène. C'est ainsi que j'opérai. Pour suivre les transforma- tions des matières sucrées alimentaires dans l'organisme, je pris des chiens, qui étant omnivores se prêtent plus facilement à un régime déterminé. Je les divisai en deux catégories, donnant aux uns et aux autres la même ali- mentalion, sauf une substance, le sucre. Les uns rece- valent de la viande cuite seule; les autres, la même viande additionnée de sucre ou de pain. I n’y avait donc pas d'autre différence entre eux que celle-ci : les uns étaient soumis à un régime dans lequel il y avait des matières sucrées, les autres à un régime qui n’en com- portait pas. J'ouvris l’un des chiens soumis au régime avec addi- tion de sucre : je trouvai du sucre daus l'intestin, j'en trouvai dans le sang. Ce résultat n'avait rien que de prévu, puisque l'animal avait mangé du sucre. Je fis la même épreuve sur un chien soumis au régime exclusif de la viande cuite, et je ne fus pas médiocre- ment étonné de rencontrer chez lui, comme chez le premier, du sucre en abondance dans le sang, quoique je n'en pusse déceler aucune trace dans l'intestin. Je RÉGIME DE LA VIANDE. 45 répétai l'expérience de toutes les manières; toujours le résultat se présenta le même. Je pensai alors à soumettre l'animal à un régime plus sévère. Je mis l’animal à jeun; son estomac était com- plétement vide d'aliments, et cependant je continuai à trouver du sucre dans son sang total. Alors je résolus de rechercher le sucre dans les diverses parties du système sanguin. Au sortir de l'intestin je ne trouvai pas de sucre dans le sang de la veine porte, quand je prenais exclusivement le sang venant de l'intestin après avoir lié la veine à l'entrée du foie pour empêcher le reflux. Au contraire, en aval du foie, dans les veines sus-hépa- tiques, dans la veine cave inférieure, dans le cœur droit et au dela, le sucre apparaissait d'une façon manifeste. Je le répète, c’est le sang qui sort du foie, qui paraissait s’être chargé de matière sucrée. L'examen du tissu hé- patique me prouva en effet que cet organe contenait une grande quantité de sucre de raisin (glycose). Les autres organes du Corps, rein, rate, poumon, muscles, traités de la même manière que le foie, ne me donnèrent rien de pareil. C'est ainsi que je découvris ce que j'ai appelé la fonc- tion glycogénique du foie; c’est ainsi que j'ai établi l'existence normale du sucre dans l'organisme et le mé- canisme de la formation glycogénésique. Je cherchais les transformations que subissait le sucre dans l’écono- mie animale, je cherchais le lieu de sa destruction, et j'ai trouvé tout autre chose, j'ai découvert le lieu de sa formation. C'est que l’événement ne vérifie pas toujours les pré- 46 GLYCÉMIE NORMALE. visions de l'esprit. Il arrive souvent que l’on ne trouve rien, que l’on trouve autre chose que ce que l’on cher- che, quelquefois le contraire de ce que l’on cherche ; mais ce qui est certain, c’est que l’on trouve seulement dans la direction où l’on cherche. En effet, comment se fait-il que la présence du sucre, qu'il est si facile de constater dans le tissu hépatique, n'ait jamais été signalée avant moi, quoique le foie ait été analysé par beaucoup de chimistes habiles? C’est qu'on n'avait pas eu la pensée d'y chercher le sucre. Quand on expérimente, 1l ne suffit donc pas de tenir un bon instrument dans la main, mais il faut encore avoir une idée directrice dans l'esprit. Les expériences précédentes avaient donc établi les deux faits qui servent de fondement à l'histoire de la production du sucre chez les animaux, à savoir : 1° Le sucre de glvcose existe normalement dans le sang ; 2% La présence de ce sucre est indépendante de l’ali- mentation animale ou végétale. Le sucre se forme donc dans l'organisme. J'arrivais à montrer que le siége de cette production est dans le foie. Si nous nous proposions seulement d'établir que la production de la substance sucrée, gratuitement attr1- buée au règne végétal, appartient aussi aux animaux, notre tâche serait terminée. Mais nous voulons aller plus loin et montrer que le mécanisme de la formation et le rôle de cette substance sont identiques dans les deux règnes. Ce sera un rappro- THÉORIES DE LA FORMATION DU SUCRE, 47 chement nouveau et capital entre la vie animale et la vie végétale, que la démonstration de l'identité dans l’une et l’autre du seul processus nutritif qui soit à peu près connu. Dansles végétaux, le sucre se forme par la nutrition ; il apparaît dans la graine pendant la germination, dans les feuilles et les fleurs pendant leur développement. Nous savons qu'il est le produit de transformation d’une matière extrêmement répandue dans les végétaux, l’a- midon. L’amidon est insoluble, et pour prendre part aux échanges nutritifs 1l doit préalablement se transfor- mer en une substance isomère, la dextrine, soluble à un haut degré. C’est le premier pas dans une voie de mo- difications qui conduit à la production de la glycose, puis à des produits ultérieurs. Cette transformation de l’amidon en glycose s’accomplit sous l'influence d’un ferment spécial, la diastase. Pour les animaux le méca- nisme était Inconnu. Après que la formation du sucre dans le foie avait été mise hors de doute, il s'agissait de savoir le comment de cette formation. Diverses théories furent proposées. Lehmann supposa que la matière qui donne naissance au sucre était un élément du sang, la fibrine ou l’héma- tosine. Frerichs admit également que c'était une sub- stance albuminoïde du sang; Schmidt (de Dorpat) pré- tendit que c’étaient les matières grasses. L'expérience du foie lavé, dans lequel je voyais reparaître la substance sucrée, un certain temps après avoir enlevé par l’eau toute celle qu’il contenait déjà, m'apprit que la sub- stance génératrice du sucre n'était pas un élément du 48 AMIDON ANIMAL. sang, mais une matière incorporée au tissu du foie assez fortement pour que l’eau froide ne püt l’en arra- cher. Pour ne rien préjuger sur sa nature, je l'appelai substance glycogène. — Ce ne fut qu'après deux ans d'efforts et de recherches, en 1857, que je parvins à isoler cette matière. Je décrivis ses caractères physico- chimiques qui étaient tout à fait analogues à ceux de l’amidon végétal. LEÇON II L'amidon dans les deux règnes, SOMMAIRE. — La glycose se forme dans l’organisme animal et dans l’orga- nisme végétal par le même procédé. — Transformation du glycogène, trans- formation de l’amidon. — Comparaison et identité de ces deux substances. Il est de la plus haute importance pour la physio- logie générale d'insister sur les analogies entre le règne animal et le règne végétal, qui ressortent des faits précé- demment mdiqués. Nous savons, d’après ces faits, que le sucre de gly- cose existe chez les animaux aussi bien que chez les végétaux, non pas à l’état de produit accidentel, mais comme produit nécessaire, constant, lié à l’accomplisse- ment des fonctions nutritives. La glycose existe dans l'organisme animal, indépendamment de l’alimenta- tion : au lieu d'être apportée du dehors, comme on l'avait cru anciennement, au lieu de provenir exclusi- vement des plantes pour passer dans les herbivores et de là dans les carnivores elle est véritablement fabri- quée dans l'organisme animal, comme elle est fabri- quée dans la plante elle-même. Elle existe au même titre dans les deux règnes. Les analogies ne s'arrêtent pas là. Le mécanisme de la formation du sucre est encore le CL. BERNARD. — Phénomènes. I — 4 50 AMIDON. même. Dans les animaux et dans les végétaux il existe antérieurement à la formation du sucre une substance glycogène ou amylacée qui, sous l'influence des fer- ments, se transforme en dextrine et en sucre. Ces analogies sont complétées par la comparaison chimique du glycogène et de l’amidon. L'amidon est une substance extrêmement répandue dans le règue végétal. Il n’y a pas de plante qui n’en contienne dans quelqu'une de ses parties, au moins à l’époque de sa végétation annuelle. Dans beaucoup de cas 1l s’accumule dans certains organes et constitue des réserves pour le moment où une nutrilion énergique devra l'utiliser. C’est dans ces espèces de réservoirs naturels, ménagés par la nature pour être ultérieure- ment mis à contribution, que l’homme va chercher la matière amylacée qui occupe une si grande place dans son alimentation. On désigne la matière amylacée presque indifférem- ment sous les noms d’amidon et de fécule. Le nom de fécule s'applique plus généralement lorsqu'elle provient des parties souterraines et des tiges, le nom d’amidon lorsqu'elle provient des graines. La fécule se prépare par lavage ; l'amidon se prépare aussi par lavage, mais quelquefois par une sorte de fermentation. La matière amylacée est insoluble et par conséquent incapable de prendre part, sous sa forme actuelle, aux échanges nutritifs auxquels elle est cependant destinée. Aussi la partie la plus importante de son histoire phy- siologique est celle qui rend compte des transforma- tions qu’elle subit pour devenir soluble. | DIASTASE, 54 Sous certaines influences chimiques ou physiolo- giques, l’amidon, qui a pour formule C°H'O", se transforme en une substance isomérique, soluble, la dextrine, qui est le lien entre l’amidon et la glycose, car en continuant l’action, la substance s’hydrate davan- tage et passe à la glycose CH°0". Les agents qui peuvent ainsi faire passer l’amidon à l’état de dextrine d’abord et de glycose ensuite sont les acides étendus, azotique, sulfurique, chlorhydrique, et la vapeur d’eau fortement chauffée. Ce sont là des moyens artificiels, quelques-uns même industriels. Dans la nature vivante, le même but est atteint par d’autres moyens. Lorsque la graine va germer, l’ami- don doit se métamorphoser pour servir au développe- ment des organes rudimentaires de la nouvelle plante. Aussi, à cette époque, voit-on apparaître dans la se- mence une matière qui est l'agent de la métamor- phose : c'est la dasiase, découverte par MM. Payen et Persoz en 1840 dans l'orge en germination. La place qu'occupe ce ferment dans la plante rend son rôle évident. Dans les semences germées de blé, d'avoine, d'orge, la diastase est localisée dans le germe même où se trouve ure accumulation d'amidon à liquéfier et non dans les radicelles. Chez la pomme de terre, la diastase se trouve exclusivement dans le tubercule et non dans les pousses. C’est une matière azotée qui jouit de la propriété fondamentale de transformer par simple con- tact environ deux mille fois son poids d’amidon en dex- trine, puis en glycose. L'analyse de la matière glycogène a montré qu’à 52 GLYCOGÈNE. l’état de pureté elle ne contenait point d'azote. Sa com- position élémentaire correspond, d’après M. Pelouze, aux nombres suivants : Garpones. EN IMAR AM ARE CINE PER 39,10 Hydrogène see La Eee 9,10 OsySÈRE 2.0 cérorres tar os Fe Le 94,10 100,00 Symboliquement, la formule serait C°H°0® ou C°H0%, 2H0. A un équivalent près, c’est la formule de l’amidon C°H'0", qui aurait subi les mêmes traite- ments que la matière glycogène et fixé par là deux équivalents d’eau C*H"O0!E 2H0. Cette teneur en eau lui assigne dans la série des composés glyciques une place intermédiaire à la dextrine et à la glycose. On aurait, par exemple, la succession suivante : Cellulosesé. ME rt ER Le AsES ME CEHNO! Arno ee EC de RUE TERRE G2H10N DEXIDIT ES RENE NE SR ee re UHR US EG Matere cIyCaBÈRE. E-rea CEH#0°+12H0 SUELE > CANNES EE AE Pc C°H"0* GIYCOSeL. LE AIRE RE CR 7e Ce Les acides qui peuvent faire passer le glycogène à l’état de dextrine d'abord et de glycose ensuite sont, de même que pour l’amidon, les acides étendus azotique, chlorhydrique, sulfurique, et la vapeur d’eau surchauf- fée. Mais dans l'organisme animal le même but est atteint par des moyens chimico-physiologiques d’une autre nature. Nous savons qu’il existe un ferment hépa- tique dont nous trouvons l'équivalent dans le fluide DIASTASE ANIMALE. 53 salivaire, Le suc pancréatique et quelques autres liquides animaux. L'action de ces substances à fait conclure à l’exis- tence d’une diastase animale parallèle à la diastase végétale. Quoi qu'il en soit, le fait certain, c’est que les liquides dont nous venons de parler sont capables de faire subir à l’amidon aussi bien qu’au glycogène une fermentation qui l'amène à l’état de glycose. Ainsi les mêmes agents font passer le glycogène à l’état de glycose par une fermentation de même espèce que celle que nous observons dans le règne végétal. Nous avons encore à citer d’autres traits de ressem- blance entre le glycogène animal et l'amidon végétal. L’acide azotique concentré a une action spéciale sur l’amidon : il le convertit en une substance explosible, le pyrozam où xyloïdine. C’est un congénère du coton- poudre qui est très-instable. Ce serait, d’après Pelouze, de l’amidon mononitré (C®H°O°?Az0’). Or, l'acide azotique concentré agit de la même ma- nière sur la matière glycogène. Pelouze a obtenu une xyloïdine animale ayant les mêmes caractères que la xyloïdine végétale : elle déflagre de la même manière lorsqu'on la chauffe sur une lame de platine. Ces combinaisons azotées avaient, à un moment donné, vivement attiré l'attention des chimistes et des physiologistes. Elles contenaient, en effet, tous les éléments essentiels des matières organiques et par suite des aliments complets. On avait espéré constituer ainsi, par des procédés artificiels, l'équivalent de sub- stances alimentaires telles que la viande. Les tentatives 54 RÉACTIF IODÉ. faites dans cette direction par MM. Pelouze et Liebig devaient échouer. Les congénères du coton-poudre, la xyloïdine animale ou végétale, introduites dans le tube digestif, ne sont pas emportées par l'absorption! : elles restent dans le tube digestif, le traversent sans modi- fication et sont expulsées avec les excréments. Cela peut être manifesté par une expérience bizarre qui consiste à approcher un corps enflammé des excré- ments préalablement desséchés. On voit ceux-ci prendre feu. Enfin l’amidon présente, lorsqu'il est mis en contact avec l’iode, une réaction très-importante qui sert à reconnaître la présence de l’un ou l’autre des deux corps. La matière étant broyée et introduite dans un tube avec de l’eau, la moindre addition d'iode fait apparaître une coloration bleue intense. Il suffit de 1/500 de milligramme d’iode pour produire la réaction lorsqu'on emploie les précautions convenables. On suppose l'existence d’un composé, l'iodure d’ami- don, quoiqu'il ne soit nullement prouvé qu'il y ait là une combinaison à proportions définies. Une élévation de température jusqu'à 66 degrés fait disparaître la coloration : elle reparaît par le refroidissement. La colo- ration bleue en présence de l’iode constitue le caractère principal qui dans les analyses sert à reconnaître l’ami- don. La dextrine présente des réactions un peu diffé- rentes, suivant qu'elle a été préparée par la diastase, par l’acide sulfurique ou la torréfaction. Elle prend sous l'influence de l’iode, dans ces deux derniers cas, non plus une coloration bleue, mais une coloration rouge. RÉACTIONS DU GLYCUOGÈNE 55 C’est d’après des réactions de ce genre que Mülder s'était décidé à reconnaître trois variétés de dextrine. Le glycogène, sous ce point de vue, participe des caractères de l’amidon et de la dextrine. Éprouvé par l'iode, il donne non pas une coloration franchement bleue comme la matière amylacée, ou nettement rouge comme la dextrine sulfurique, mais intermédiaire à l’une et à l’autre, d’un violet rougeàtre. L'influence de la chaleur est du reste la même sur cet iodure de gly- cogène que sur l'iodure d'amidon ; dans les deux cas, la teinte disparaît; elle reparaît par le refroidissement. Il est done établi maintenant par les preuves les plus répétées que l’analogie la plus parfaite existe au point de vue chimique entre l’amidon et le glycogène. En résumé, le glycogène est une espèce d’amidon, moins fixe, moins stable que l’amidon ordinaire : il est plus facilement transformé en sucre ; ses caractères par- ticipent de ceux de l’amidon et de la dextrine, c’est- àa-dire d’une substance intermédiaire à la fécule et à la glycose et en marche pour passer à celle-ci. Quant à la fonction physiologique, elle est la même dans les deux règnes. Le glycogène comme l’amidon est une réserve qui attend plus ou moins longtemps la transformation en sucre qui lui permettra de participer au mouvement de la nutrition. Dans le tubercule de la pomme de terre, la fécule attend pendant une année d'être utilisée; elle attend le retour des conditions favo- rables à la germination. Dans les animaux, et surtout dans les animaux supérieurs, où la vie est plus active et où elle ne subit pas d'interruption, l’'amidon animal 56 INSTABILITÉ DU GLYCOGÈNE. n'attend sa mise en œuvre que pendant quelques instants, quelques heures ou au plus quelques jours. De là les nuances qui séparent les deux matières et qui se résument dans une stabilité moindre de la matière animale, dans une fixité plus grande de la matière végétale. LECON III La glycogenèse chez les mammifères pendant la vie embryonnaire. —- La glycogenèse chez les oiseaux. SOMMAIRE. — Diffusion de la fonction glycogénique. — Glycogène dans les annexes : Placenta du lapin ; plaques et villosités de l’amnios chez les ru- minants. — Glycogène dans les tissus fœtaux : Muscles. — Oiseaux : Gly- cogène dans la cicatricule, dans la vésicule ombilicale; ses variations pendant le développement. Jusqu'à présent nous avons examiné la fonction glycogénique surtout chez les animaux supérieurs. Nous avons dit, en effet, que notre méthode en physiologie générale était de pousser aussi loin que possible l’ana - lyse d’une fonction vitale chez l'animal élevé où tout est mieux spécialisé et plus facile à distinguer. Cette analyse, bien que dans l’état actuel de la science elle ne puisse encore être que très-imparfaite, nous permet cependant de mieux nous reconnaître dans l'étude de la même fonction chez les animaux inférieurs; car chez ceux-ci les choses sont, non pas plus simples, mais seu- lement plus imdistinctes. Nous devons donc étendre notre sujet et embrasser la fonction glycogénique dans l’ensemble des êtres vi vants. 1. Mammirères. — Le premier pas que nous ayons à faire dans cette voie, c’est de passer de l’état adulte des DS ÉTAT FOETAL, animaux supérieurs à leur état fœtal. C’est un achemi- nement tout naturel vers un état inférieur. Et, sous ce rapport, il est philosophiquement très-juste de dire que les animaux supérieurs représentent dans leur évolu- tion les gradations successives de la série zoologique. Après avoir étudié (1) les phénomènes tels qu’ils se présentent à l’âge adulte alors que tous les organes ont atteint leur développement, il importe de savoir comment les choses se passent pendant la durée du développement lui-même. Une première difficulté se présente ici. En effet, comme le fœtus des mammifères reste en communica- lion avec l'organisme maternel par le placenta, on peut croire que les substances décelées dans ses tissus, au lieu d’être le produit de l’activité fœtale, proviennent de la mère. Cette objection doit être levée avant tout. Elle n’est d'ailleurs pas seulement applicable à la matière glyco- gène. À la vérité, l'embryon des mammifères n’est pas libre comme celui des oiseaux, qui se développe isolé- ment; mais, d'autre part, la relation de dépendance avec l'organisme maternel n’est pas aussi étroite qu’on l'avait pensé autrefois. On à admis en effet, pendant long- lemps, qu'il y avait abouchement direct du système vasculaire de la mère avec celui du fœtus, et que le même sang les nourrissait l’un et l’autre. Il a fallu plus tard reconnaître que cette mauière de voir était inexacte. Les globules du sang du fœtus ne sont pas les mêmes qui (1) Voyez Leçons sur le Diabete, 1874. INDÉPENDANCE DE L'EMBRYON. D9 circulent dans les vaisseaux de la mère; ils se dis- tinguent par leur volume et par l'existence d’un noyau des globules maternels. Une foule d’autres preuves dé- montrent encore l'indépendance relative dont jouit l’or- ganisme fœætal. Chez beaucoup de mammifères, particu- lièrement chez lesruminants, on peut séparer le placenta cotylédonaire de l’embryon du placenta maternel, sans rupture ni déchirure, par simple décollement ; on ne produit aucune hémorrhagie, comme cela devrait avoir lieu si, au lieu d'une simple contiguïité, il y avait une continuité véritable entre les organismes. Les substances liquides seules peuvent passer de la mère au fœtus par diffusion et endosmose, tandis que les corps solides, les éléments figurés, sont arrêtés à la limite des deux pla- centas. Ainsi en est-il des hématozoaires ou parasites du sang, qui, comme les globules eux-mêmes, ne passent point dans le fœtus. Les poisons solides ou figurés sont également retenus et ne peuvent communiquer leur action nocive au sang fœtal. La maladie du charbon ou sang de rate, qui est déterminée par la prolifération de certains organismes ou ferments figurés, décrits par mon ami M. le docteur Davaine (1) comme des bacté- ries ou baractéridies, cette maladie, disons-nous, lors- qu’elle infecte la mère, ne se propage pas au fœtus. Il en serait sans doute de même pour le virus vaccinal, dont l’activité réside, d’après les travaux de M. Chau- veau, dans des particules solides flottantes au sein du liquide de la pustule. (1) Davaine, Études sur la contagion du charbon sur les animaux (Bull. de l'Académie de médecine. Paris, 1870, t. XXV, p. 215). 60 ANNEXES DE L EMBRYON. Sans multiplier davantage ces exemples, nous pou- vons en tirer la conclusion qu’ils comportent, à savoir : que le fœtus ne reçoit de la mère que des matériaux liquides dissous dans le plasma sanguin; et comme nous savons que la matière glycogène est incorporée chez la mère à des éléments figurés solides, à des cellules glycogéniques, nous n’admettons pas qu'elle puisse passer dans le fœtus. D'ailleurs, s’il en était ainsi, on devrait la trouver dans tous les tissus également vaseu— larisés, tandis qu’elle n'existe que dans quelques-uns. Nos recherches ont établi que la production glyco- génique, condition indispensable au développement, existe, soit dans le fœtus lui-même, où elle est diffuse avant de se localiser définitivement dans le foie, soit dans les organes embryonnaires transitoires, dont le rôle est terminé au moment de la naissance. $ 1. Glycogenèse dans les annexes de l'embryon. — Chez les oiseaux, c'est dans la vésicule ombilicale que nous trouverons l’organe principal de cette fonc- tion, la vésicule allantoïde n’y contribuant en aucune facon. Chez les mammifères, nous savons que la vésicule ombilicale n’a qu’un rôle physiologique très-restreint; elle n’atteint qu’un faible développement, elle disparaît de bonne heure, et elle est suppléée dans ses fonctions par la vésicule allantoïde sortie de la même origine qu’elle, c’est-à-dire du feuillet interne du blastoderme. L'allantoïde cumule ici les fonctions nutritive et respi- ratoire : c'est par elle que le fœtus puise dans l'orga- nisme maternel, au moyen du placenta, les éléments PLACENTA DES RONGEURS. 61 gazeux et liquides qui lui sont nécessaires. C’est donc là que nous devons trouver la source de celui de ces éléments qui n’est pas le moins indispensable, le 4/yco- gène. Mes recherches (1) m'ont en effet permis d'établir que c’est le placenta qui est le siége de la production glycogénique pendant les premiers temps de la vie fœtale. Nous aurons à examiner successivement la question chez les rongeurs, les carnivores et les ruminants, sur lesquels nos expériences ont particulièrement été insti- tuées. Les rongeurs ont, comme tous les quadrumanes, les cheiroptères et les insectivores, un placenta discoïde. Les ramifications des vaisseaux allantoïdiens se mettent en simple rapport de contiguilé avec les ramifications des vaisseaux internes qui constituent le placenta maternel. Chez le cobaye, la muqueuse utérine ou caduque forme autour de l'œuf une chambre embryonnaire complète. Quelques ramifications des vaisseaux omphalo- mésentériques appartenant à la vésicule ombilicale se répandent sur le chorion au point opposé au pôle pla- centaire, entrent en rapport avec la portion correspon- dante de la caduque et peuvent jouer ainsi quelque rôle dans le travail nutritif du fœtus. Le placenta occupe une sorte de calotte sur la sphère du chorion. Si l’on vient à séparer ledisque placentaire du fœtus du disque maternel, on trouve entre les deux une sorte de couche blanchâtre (1) CL. Bernard, Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XLVIIT, p. 77, janvier 1859. 62 PORTION GLYCOGÉNIQUE DU PLACENTA. formée par des cellules épithéliales ou glandulaires agglomérées. Ces cellules sont remplies de matière glycogène. La masse qu'elles forment ne présente pas le même développement à tous les âges : elle paraît s'accroître jusqu'au milieu de la gestation (qui est de trois semaines), puis s'atrophier ensuite à mesure que le fætus approche du moment de sa naissance. Chez le lapin, on constate des faits analogues. Toute- fois la muqueuse utérine ne forme qu'une poche incomplète autour de l'embryon. Le placenta discoïde est bien limité et la vascularisation du chorion se trouve restreinte à l'étendue qu’il occupe. La matière glyco- gène ‘est distribuée de la même manière, et subit les mêmes oscillations que nous avons signalées chez le cobaye pendant la durée de la vie intra-utérine qui est ici de quatre semaines. La matière glycogène est abondante dans le pourtour de la portion maternelle du placenta, et elle paraît s’enfoncer en forme de radiation dansla portion fœtale. Nous voyons, en résumé, que chez les lapins et les cochons d'Inde, le placenta est formé de deux portions ayant des fonctions distinctes : l’une vasculaire et per- manente jusqu'à la naissance, l’autre glandulaire préparant la matière glycogène et ayant une durée plus restreinte. — Il importe de placer ici une observation. J'ai quelquefois rencontré sur la muqueuseutérine chez le lapin des masses cotylédonaires, des placentas vérita- bles, isolés, en face desquels n'existait aucun placenta fœtal. Or, le placenta maternel, ainsi mdépendant, pré- sentait à sa surface une couche considérable de cellules PLACENTA DES CARNASSIERS. 63 blanchâtres glycogéniques. Il semblerait donc que la production glycogénique doive son origine à la mére. D'ailleurs cette conclusion reçoit un nouvel appui, si l’on considère que dans l'œuf de poule, par exemple, la cica- tricule renferme de la matière glycogène avant tout travail embryogénique, alors même que la fécondation n'a pas eu lieu. Carnivores. —— Notre examen a également porté sur les carnivores et particulièrement sur le chien etle chat. Chez ces animaux le placenta est zonaire ; il forme une bande cireulaire autour du sac ovoïde constitué par l'expansion de la vésicule vitelline, qui atteint ici des dimensions considérables. La muqueuse utérine donne naissance à un placenta maternel de même forme : sur les bords du placenta maternel la muqueuse présente un épaississement hypertrophique appelé sérotine, creusé de nombreux sinus sanguins. Cette bande présente une coloration d’un vert intense qui la déborde plus ou moins complétement, suivant les cas. Breschet a comparé cette matière colorante à celle de la bile ou même à la chloro- phylle ; et Meckel, qui l’a étudiée d’une manière spéciale, lui a donné le nom d'hématochlorine. L'examen de ces parties nous a permis d’yreconnaître l’existence de la matière glycogène dans l'épaisseur même du placenta et particulièrement sur les bords dela zone placentaire. Il nous a paru également que cette produc- tion éprouvait des changements aux différentes époques de la gestation dont la durée est de huit semaines chez le chat et de neuf semaines chez le chien. Dans les derniers temps de la vie intra-utérine, à mesure que les G4 GLYCOGÈNE SUR LE TRAJET DES VAISSEAUX. organes fœtaux, et le foie particulièrement, approchent de leur constitution complète, la production glycogénique tend à disparaître des annexes. Ruminants. — Lorsque j'ai voulu examiner les phé- nomènes de la glycogenèse chez l'embryon des rumi- nants, j ai rencontré lesplusgrandesdifficultés. Fobservai infructueusement un très-grand nombre d'embryons de veaux et de moutons pris à tous les àges de la vie imtra- utérine, et il me fut impossible de trouver jamais aucune partie du placenta de ces animaux qui contint de la matière glycogène. Une circonstance aggravait cet insuccès et aurait pu me détourner du but auquel ont abouti mes recherches, c’est que j'avais précisément commencé mes expériences par lesruminants sans avoir encore vérifié les vues qui me guidaient par l'examen des carnivores et des rongeurs. Les ruminants présentent une disposition qui est exceptiounelle, eu apparence seulement, car au fond elle rentre dans la loi générale et la confirme même de la manière la plus inattendue. La portion glycogénique du placenta des ruminants présente une simple variété de disposition. Les parties vasculaire et glandulaire du placenta, confondues chez les rongeurs, se distinguent chez les ruminants et facilitent par cette disposition l'observation isolée de leur évolution respective. Tandis que la portion vasculaire du placenta, représenté ici par des cotylédons multiples (fig. 1), accompagne l’allan- toïde et s'étale à sa face externe, la portion glaudulaire glycogénique s’en sépare et accompagne quelques vais- seaux allantoïdiens dans leur trajet récurrent sur la face VAISSEAUX OMBILICAUX. 69 externe de l’ammios (fig. 1, a). Nous voyons alors la por- tion glycogénique, formée de cellules glycogéniques attachées à l’amnios, grandir dans les premiers temps de la gestation, atteindre du quatrième au sixième FiG. 1. — Fœtus du veau dans l’amnios. — On voit par transparence les plaques disséminées à la surface interne. ’ a. Ramification sur l’amnios des vaisseaux ombilicaux représentant la partie glan- dulaire du placenta. b. Pédicule de l’allantoïde. c, d. Cotylédons représentant la partie vasculaire du placenta. e. Partie fœtale. d. Partie maternelle. mois de la vie intra-utérine, chez la vache, son sum- mum de développement, puis disparaître peu à peu en passant par des formes variées d’atrophie et de dégé- uérescence; de sorte qu'à la naissance il n'existe plus de traces de cette portion temporaire du placenta. Le balancement qui existe entre la présence du glycogène dans les organes transitoires et dans le corps de l’em- brvon est ici bien évident : le maximum du dévelop- pement glycogénique sur l’amnios correspond à peu CL. BERNARD. — Phénomènes. IL — 5 66 ÉVOLUTION DES PLAQUES AMNIOTIQUES. près au moment où ni le foie ni les autres tissus ne pos- sèdent encore de matière glycogène; sa décroissance commence et s'exagère à mesure que le corps de l’ern- bryon se développe. La situation des cellules glycogéniques sur l’amnios n’est donc pas en réalité une dérogation à la loi générale qui nous a montré cette production limitée aux dépen- dances du feuillet interne du blastoderme; car les cellules glycogéniques appartiennent toujours à l’allantoïde, elles accompagnent sous forme de plaques les vaisseaux allantoïdiens qui viennent accidentellement se réfléchir sur l’amnios, dépendance du feuillet externe. L’amnios n’est que le soutien de ces vaisseaux : il n'interv'ent que pour servir de support à une formation qui n'émañe nullement de la même origine que lui-même, et qui n'entre à aucun degré dans sa constitution. Les plaques glycogéniques de l’amnios des ruminants se montrent dès les premiers temps de la vie embryon- naire. Elles disparaissent à la fin de la vie intra-utérine, fait qui avait échappé aux observateurs, particulière- ment aux vétérinaires qui les ont signalées. Ceux-ci ayant vu ces productions augmenter peu à peu dans les premières périodes de la gestation avaient supposé que le mouvement d'accroissement se continuait jusqu’à la naissance : dans les descriptions anatomiques, cette supposition inexacte était présentée comme un fait. L'exemple actuel montre une fois de plus ce que valent ces déductions anatomiques quand elles sont séparées de l'observation physiologique. Les plaques amniotiques se développent d’abord sur ÉVOLUTION DES PLAQUES AMNIOTIQUES. 67 la face interne de l'amnios dont elles troublent la trans- parence; elles recouvrent le cordon ombilical jusqu’au point où une ligne bien nette sépare le tégument cutané de l’amnios. Elles s'étendent ensuite avec les vaisseaux sanguins sur les portions avoisinantes, en affectant la forme de villosités. Presque transparentes à l’origine, elles s'opacifient de plus en plus à mesure qu’elles s'ac- croissent : elles se groupent, se rassemblent en certains points, de manière à devenir confluentes. Déjà très- visibles à l’œil pu, on les rend évidentes en imbibant la surface d’une solution concentrée d'iode : elles devien- nent alors d’un rouge brun qui ne tarde pas à virer au noir, tandis que les portions environnantes de la men- brane deviennent jaunes par la même influence de l’iode. FiG. 2. — Plaque amniotique d’un développement très-avancé, A leur maximum de développement, les plaques amniotiques (voy. fig. 2, et pl. I, fig. 1 et 2) présen- tent une épaisseur de 3 à 4 millimètres. À partir de ce Z (à DÉGÉNÉRESCENCE DES PLAQUES, moment, elles commencent à décroître et à se résorber. Elles deviennent jaunâtres, d'apparence graisseuse: quelques-unes se détachent de la membrane qui leur sert de support et tombent dans le liquide amniotique en laissant une cicatrice qui disparaît plus tard. D’autres fois la disparition se fait par résorption 22 loco : si la dégénérescence graisseuse à été rapide, il reste à la naissance du fœtus une masse de graisse assez considé- rable; d’autres fois encore, la destruction par oxydation ayant été poussée à un degré plus avancé, on trouve des cristaux octaédriques d’oxalate de chaux qui ren- dent compte des transformations subies par la matière glycogène. Nous vous avons montré dans nos séances pratiques de laboratoire que cette matière glycogène peut se déceler par les deux ordres de procédés dont nous dispo- sons, chimiquement et par le microscope. Elle se dissout dans l’eau en lui communiquant une apparence lai- teuse: elle se précipite par l'alcool et l'acide acétique cristallisable ; elle se colore en rouge vineux par l'iode, et cette coloration, qui disparaît par la chaleur, reparaît par le refroidissement. L'examen microscopique, de son. côté, permet de constater l'existence de la matière en question, sa distri- bution dans les cellules glycogéniques et les diverses phases de son évolution. Au début, la membrane amniotique examinée chez le veau semble constituée uniquement d'un feutrage de fibres élastiques avec des noyaux de lissu conjonctif, sans épithélum. L'épithélium apparaît par plaques iso- RÉACTIFS DES CELLULES GLYCOGÉNIQUES. 69 lées, au centre desquelles certaines cellules se distinguent des cellules avoisinantes par leur forme et par la teinte rouge vineux qu’elles prennent, sous l’action de l'iode acidulé avec l'a- cide acétique. Ces plaques s’accrois- sant affectent bien- tôt la forme de pa- pilles, surtout sur la partie de mem- brane qui tapisse RAC | 1: CARRE ET le cordon ombili- een \ cal (fig. 3). ee Les cellules gly- cogéniques COMPO- sant ces amas ont le caractère des cellules jeunes des = SRRAER A RNCS DEC EME RIRE ARR éveloppée. ( sentent un noyau et un nucléole bien distincts, et des granulations qui sont formées de glvcogène pur. Celles-ci peuvent être isolées et séparées du corps cellulaire par la macéra- tion dans la solution alcoolique de potasse caustique : tandis que toutes les autres parties s'y dissolvent, les granulations restent insolubles et se précipitent en for- mant un dépôt dans le fond du vase. L'état que nous venons de décrire est celui des cel- lules glycogéniques à leur entier développement. Un peu plus tard la dégénérescence commence à se manifester. 70 SUCRE DANS LES LIQUIDES ANNEXIELS. Le noyau s’efface: les granulations disparaissent en même temps, et avec elles les caractères de la matière glycogène. Des goutteleltes graisseuses se montrent dans la cellule flétrie, et souvent, comme nous l’avons dit, des cristaux volumineux, de forme octaédrique, insolubles dans l’eau et dans l'acide acétique, qui sont de l’oxalate de chaux. Tandis que sur la paroi des annexeset dans.son épais- seur se dépose et s’accumule la matière glycogène, on trouve dans le contenu de ces annexes, dans le liquide amniotique et dans le liquide allantoïdien, la matière sucrée. J'ai pu dire, avec vérité, que le fœtus nageait dans un véritable sirop. M. Dastre a étudié comparativement chez le fœtus du mouton les variations, aux différents âges, du sucre dans le liquide allantoïdien et dans le liquide amnio- tique. Voici les résultats qu'il indique (1) : SRE AE ANTON. AMRIOTIOUE. EE Age. Longueur. Poids, 000. o 000. c gr 4 semaine...... 2,5 2 2,6 l 5° semaine... ... » » 2,4 0,6 (Majewsky). 6° semaine...... 6,9 16 2,6 0,6 semaine... » » 4,4 1 (Majewsky). 8° semaine. ... 11,5 77 » l JPseutaine..- 14 110 3,8 0,7 10° semaine... ... 16 178 2,6 0,6 41° semaine... ... 20,5 326 2,8 1186) 12 semaine, ..... 97 151 3 DATI 13° semaine...... 28 1040 9,2 220 A4 semaine...... 20,5 1100 33 SP 17° semaine...... 31 2010 929 3 (1) Dastre, L'allantoïde et le chorion des mamimiferes, thèse de doctorat ès sclences naturelles. Paris, 1871. GLYCOGENÈSE DANS L'EMBRYON. 71 Ce tableau montre que la teneur du liquide allan- toïdien en sucre varie peu dans le cours de la gestation. La proportion du sucre augmente au contraire d’une manière continue dans le liquide amniotique, si bien qu’à la fin du quatrième moiselle est triple de ce qu'elle élait à la fin du premier. La fonction glycogénique se manifeste donc d’abord dans les annexes de l'embryon, qui sont organisées avant l'embryon lui-même. C'est là que se montrent en pre- mier lieu les phénomènes de nutrition, et c'est là que nous trouvons d’abord la matière glycogène. Plus tard, dans la vie libre ou extra-utérine, d'autres organes ser- viront à cette production, qui ne doit point s'arrêter tant que dure la vie. On voit, en résumé, qu'avec des ressources variées, par des mécanismes différents, se trouve réalisée sans interruption cette fonction permanente de la production du glycogène et ultérieurement du sucre, qui paraît éga- lement indispensable à la nutrition et au développement des animaux et des plantes. $ 2. Glycogenèse dans les corps de l'embryon des mammufères. — Dans les animaux comme dans les vé- gétaux, la matière glycogène et la matière amylacée, sources de la matière sucrée, sont des principes indis- pensables pour l'évolution organique. La matière gly- cogène, localisée d’abord dans les organes annexes et temporaires du fœtus, se répand bientôt dans les tissus fœætaux, puis dans le foie, où elle reste particulièrement fixée pendant toute l'existence de l'être vivant. Il s’agit maintenant de savoir si cette diffusion est 79 GLYCOGÈNE DANS L'EMBRYON CUTANÉ. bien réellement générale, ou, au contraire, si elle se restreint à certains organes, à certains {issus Spéciaux. Il a fallu un grand nombre d'expériences pour déter- miner exactement le siége de la production en ques- tion et pour saisir la loi qui préside à la répartition de lamatière glycogénique. | Le premier résultat général auquel nous soyons par- venu, c'est que tous les tissus de nature épithéliale et tous leurs dérivés renferment de la matière glycogène pen- dant leur évolution intra-utérine. Nous examinerons ce successivement à ce point de vue la peau, le revêtement _ des muqueuses intestinale, respiratoire et génito-uri- naire (1). Peau. — La distribution de la matière glycogène dans la peau est plus ou moins facile à observer, sui- vant que l’on s'adresse à tel ou tel animal. Le veau, le chat, le lapin sont moins favorables que le porc pour cette constatation; en tout cas, la recherche doit être exécutée sur des embryons très-frais, à cause de la facilité avec laquelle la substance s’altère. En portant sous la lentille du microscope une portion de la surface détachée de la peau, on aperçoit des cel- lules granuleuses dont les granulations se colorent par l’iode acidulé, et qui ont conséquemment le caractère des cellules glycogéniques. On peut se demander, au point de vue histologique, quelle est la véritable nature de ces cellules que nous avons jusqu’à présent caractérisées par la particularité (1) CL Bernard, Comptes rendus de l'Académie des sciences, t. XLVIII, 4 avril 1859. GLYCOGÈNE DANS LES ANNEXES DE LA PEAU. 73 la plus essentielle qu’elles présentent, à savoir la pro- duction de glycogène. Nous n'avons pas en réalité à rechercher si ce sont des productions spéciales, ou bien si ce sont des cellules épithéliales ordinaires qui se seraient chargées d’une substance particulière. La situa- üon de ces cellules au milieu des éléments épithéliaux, leur apparition sur la membrane muqueuse des cornes utérines en dehors des insertions placentaires, leur forme même et leur rôle transitoire, les rapprochent singuliè- rement des éléments épithéliaux. Mais, d'autre part, leur disparition au moment où se constitue l’épithélium défi- nitif et leur contenu spécial les différencient nettement, et il me paraît que cette différenciation physiologique, basée sur la diversité des produits d'activité, est la plus importante de leurs caractères distinctifs. Quoi qu'il en soit, l'observation microscopique fait reconnaître nettement la matière glycogène à un certain moment du développement embryonnaire de la surface cutanée. L'examen chimique pratiqué, soit avec le charbon, soit avec le liquide de Brücke, confirme ces résullats. Il faut remarquer seulement, quand on opère avec le charbon, que celui-ci ne retient pas la gélatine provenant de l’ébullition des tissus épidermiques. Aussi faut-il avoir soin d'opérer d’abord à froid, afin de retenir les substances qui seraient capables de se changer en gélatine. On obtient une solution opaline dépourvue de gélatine, mais qui permet de constater tous les carac- tères de la substance glycogène. La matière glycogène se montre également dans les annexes du système cutané pendant leur développement ; 74 GLVCOGÈNE DANS LES MUQUEUSES. il est bien facile de constater qu'elle disparaît dès que l’organisation est achevée, et cette circonstance éclaire d'une lumière très-vive le rôle qu’elle joue dans lévo- lation. Chez les fœtus de veau, de mouton, de porc, la corne des pieds, molle, jaunâtre, se prête facilement à l'exécution de coupes minces qui permettent l'examen microscopique (voy. pl. E, fig. 3). Ces parties renfer- ment des granulations glycogéniques avec leurs appa- rences ordinaires; les portions plus dures et arrêtées dans leur développement cessent d’en laisser apercevoir aucune trace. La matière glycogène disparait de l'appareil cutané dès le troisième et le quatrième mois de la vie intra- utérine sur les veaux de 25 à 30 centimètres. Elle per- siste plus longtemps dans les parties cornées et dans lépiderme des orifices cutanés, bouche, anus. En tout cas, alors même qu’elle a disparu des cellules épidermi- ques, elle persiste encore à se montrer plus ou moins longtemps dans l’épaisseur de la peau, à l’état d'infil- tration. Surfaces muqueuses. — En détachant des portions de membrane muqueuse chez des jeunes embryons de veau, de mouton ou de porc, de 3 à 6 centnnètres, et en les traitant par la solution diode acidulé, on recon- naît l’existence des cellules glycogéniques. Leur disposi- tion est remarquable dans l'intestin : elles forment, en effet, le revêtement le plus extérieur des papilles intes- tinales (voy. pl. IL, fig. 14 et 15). Quoique les glandes ne renferment jamais de matière : ABSENCE DE GLYCOGÈNE DANS LES SÉREUSES. 75 glycogène, l’épithélium de leurs conduits excréteurs, continuation manifeste de la muqueuse intestinale, en contient presque constamment. La muqueuse des voies respiratoires fournit des ré- sultats identiques. On trouve les cellules glycogéniques le long des bronches, dans les culs-de-sac glandu- laires qui sont encore encombrés de cellules : on en trouve jusque dans les fosses nasales (voy. pl. IE, fig. 11 à 45)! La muqueuse de l'utérus, des trompes, de la vessie, de l’uretère et même des canalicules des reins, présente également des cellules glycogéniques. Mais cette pro- duction persiste moins longtemps, parce que l’épithé- hum définitif commence à apparaître de bonne heure. En résumé, les surfaces limitantes extérieures offrent toutes, dans leur développement embryogénique, le ca- raclère d’être fortement chargées de matière glycogène. Il est remarquable que les surfaces des cavités closes et des séreuses ne se comportent point de la même manière. Cette différence me paraît bien propre à confirmer la distinction que les histologistes ont récemment établie entre les deux espèces de revêtements épithéliaux : les uns constituant l’épéfhélium, les autres formant l’en- dothélium, distinction basée d’ailleurs sur la structure, sur l’origine embryonnaire, et nous pouvons ajouter de plus 101, sur la nature du produit. La vessie urimaire du fœtus contient toujours du sucre, et l’on peut dire d’une manière générale que le fœtus est diabétique. Ainsi le diabète, état phystolo- gique accidentel, qui devient pathologique chez l'adulte 76 GLYCOGÈNE DANS LES GLANDES. en devenant permanent, peut être considéré d'autre part comme un état normal de l'embryon. Après les tissus de nature épithéhale, j'ai examiné le tissu nerveux, le tissu osseux, le tissu glandulaire et les muscles. Je n'ai point trouvé de matière glycogène dans les glandes salivaires, dans le pancréas, dans les glandes de Lieberkühn, dans la rate n1 dans les ganglions lympha- tiques. Je n’en ai point trouvé davantage dans le cer- veau, dans la moelle épinière, dans les nerfs à aucune époque de leur développement, non plus que dans les os. Les résultats précédents n’ont paru offrir aucune exception, à la condition de considérer à part et en dehors des organes glandulaires le foie, qui se comporte, à ce point de vue, d’une manière tout à fait spéciale. Au début, rien ne le distingue des autres organes glan- duleux ; il ne renferme point de matière glycogène. Mais vers le milieu de ia vie intra-utérine, son développe- ment histologique se complète, et il commence à fonc- tionner à la fois comme organe glycogénique et comme organe biliaire. Alors la matière glycogène tend à dis- paraître de tous les autres points de l'organisme où elle s'était montrée jusqu'alors; en sorte que le foie semble destiné à continuer dans l'adulte une fonction fœtale qui était primitivement localisée d’une manière plus ou moins nette, soit dans le placenta, soit dans d’autres organes temporaires qui précèdent la formation des organes définitifs. Dans tous ces tissus où nous avons rencontré la matière glycogène, son évolution et son rôle peuvent être consi- GLYCOGÈNE DANS LES MUSCLES. Vis dérés comme bien déterminés. On la voit se transformer en sucre, et dans quelques cas on peut suivre les transformations ultérieures que celui-ci subit par oxydation. Muscles. — Le tissu musculaire, qu'il nous reste à examiner, se comporte d’une manière toute différente. Nous pouvons y déceler la matière glycogène en assez grande quantité. D'autre part, malgré les procédés les plus variés, nous n’avons jamais pu y déceler le sucre. Nous sommes même convaincu à cet égard que les auteurs qui ont cru trouver du sucre dans les muscles ont été dupes d’une erreur dont il est difficile de se défendre, si l'on ignore que certaines matières albumi- noïdes ou azotées contenues dans le muscle et encore mal déterminées peuvent agir sur le réactif cuprique à la facon de la glycose. Mais si l’on fait en sorte d'éviter cette cause d'erreur en traitant par le sulfate de soude, puis en reprenant par l'alcool absolu; si l’on ne prend point pour du sucre une substance qui ne présente qu'une seule réaction commune avec lui, et d'autre part si l'on veille à ne point en former aux dépens de la matière glycogène dont l'existence est indubitable, dans ces circonstances, disons-nous, On w'en trouve jamais les moindres traces. On est donc obligé de supposer que, dans les muscles, la matière glycogène subit une évolution différente de celle que nous connaissons jusqu’à présent, en ce qu’elle ne s’arrèlerait pas à l’état intermédiaire de sucre, et passerait peut-être directement aux états les plus avancés de l'oxydation. J'ai montré depuis longtemps qu'il se 78 GLYCOGÈNE DES MUSCLES. produit dans ce cas une fermentation lactique instan- tanée qui doit être attribuée à un autre agent que le ferment lactique ordinaire organisé, et cet agent serait développé là pour donner naissance à la réaction. Quoi qu'il en soit de ces questions qui sont encore pendantes, nousdevons indiquer brièvement les résultats positifs de nos observations. Si l’on examine de très-jeunes embryons de veau et de mouton dont les dimensions ne dépassent point 4 centimètres, on peut assister aux débuts de la forma- tion musculaire. On voit les muscles constitués par des files de cellules embryonnaires qui n’offrent point les réactions de la matière glycogène (voy. pl. IL fig. 3, 4 et 5). Un peu plus tard, lorsque le fœtus a atteint des dimen- sions trois ou quatre fois plus considérables, les éléments histologiques commencent à se différencier, et dans le tube musculaire rempli de noyaux on voit des granu- lations intercalées qui ne sont autre chose que de la matière glycogène. On s’en assure au moyen de l’ivde acidulé que l’on doit toujours préparer au moment d'en faire usage par le mélange à parties égales de teinture alcoolique saturée et d'acide acétique cris- tallisable. J'ai trouvé la disposition la plus nette dans les fibres musculaires du fœtus de chat. Le tube musculaire ren- fermait des noyaux très-régulièrement espacés, entre lesquels se trouvait distribuée la substance glycogénique en granulations. Peu à peu cette matière glycogène se dissout et elle DISPARITION DU GLYCOGÈNE MUSCULAIRE. 79 finit par ne plus exister qu'à l’état d’imbibition à mesure que la fibre musculaire acquiert sa constitution complète par la disparition et l’émigration des noyaux et l'appari- tion des stries. Une autre particularité remarquable offerte par les muscles résulte de la description que nous venons de donner. Ainsi, tandis que la matière glycogène s’est toujours présentée à nous au début comme une produc- tion cellulaire, ici nous la voyons apparaître librement en granulations isolées dès le début. Les recherches relatives aux museles lisses présentent plus de difficultés, parce que les fibres s’isolent mal : néanmoins, par les procédés chimiques ordinaires, il est possible de mettre hors dedoute l'existence du glycogène, sinon à l’élat de granulations, au moins à l’état d'infil- tration. La matière est demi-fluide, mais elle se dissout très-facilement dans l'eau et elle se coagule par l'alcool et d’autres réactifs. La matière glycogène parait exister jusqu’au moment de lx naissance, et disparaît bientôt sous l'influence des premiers mouvements musculaires et respiratoires. Un petit chat que j'ai examiné au moment même de la parturition m'a présenté une très-grande quantité de glycogène, tandis qu'un des petits de la même portée, sacrifié le lendemain après avoir teté et accompli diffé- rents mouvements de respiration ou de locomotion, n’en manifestait plus de traces. Toutes nos recherches montrent que la matière glycogène est liée d’une manière très-étroite au dévelop- pement organique dans l’embryon, de même que chez 80 ÉVOLUTION GLYCOGÉNIQUE. l'adulte elle est liée directement à l’accomplissement de la nutrition. Ces faits établissent donc une relation évidente entre l’évolution organique et l’évolution nutri- tive qui n’en serait que la continuation. Nous venons de constater chez les mammifères une véritable évolution glycogénique, c'est-à-dire que la matière glycogène, dont le rôle est essentiellement lié aux phénomènes de nutrition et de développement organique, subit comme eux des oscillations qui caracté- risent son histoire physiologique. Jusqu'ici, il n’a été question que de l'embryon ; mais les phénomènes de réparation, de rédintégration, soit physiologiques, soit pathologiques, qui se passent chez l'adulte sont analogues aux phénomènes du développe- ment primitif. Ainsi les plumes, les cornes, se reprodui- sent lors de la mue chez l'adulte, avec le secours de la matière glycogène, comme chez l'embryon. Il est ce- pendant des cas où il n'en est pas ainsi; les plaies ne contiennent pas de matière glycogène, mais la ma- tière sucrée n’y fait pas défaut; si même la formation du sucre est arrêtée chez l'individu, la cicatrisation n’a pas lieu. De tous ces faits, de tous ces exemples, surtout de ceux qui ont trait à l'embryon, nous devons conclure que la matière amylacée chez les animaux comme chez les végétaux est indispensable à la synthèse histologique et que sa présence dans certains tissus est liée à l’évolu- tion des éléments cellulaires qui les composent. I. Oiseaux. — Les oiseaux nous offrent les phéno- mènes déjà observés chez les mammifères. Le sucre GLYCOSE DANS L'OEUF, 81 existe dans le sang ; il existe dans le füie, où il est pré- cédé par la matière glycogène, qui possède les mêmes propriétés et subit les mêmes transformations. L'influence du régime n’est pas autre que ce que nous l’avons vu être dans les mammifères. J'ai répété sur les oiseaux Carnassiers des expériences tout à fait paral- lèles à celles que J'avais faites sur les carnivores mam- mifères, sur les chiens en particulier. Les résultats ont été identiques : il n’y a rien à changer à leur énoncé. J'ai nourri pendant longtemps des hiboux avec de la viande et j'ai comparé les conditions glycogéniques avec celles que présentaient les poulets, les pigeons et autres granivores. Les phénomènes sont la répétition exacte de ceux qui ont été signalés à propos des mammifères; je n'y insisterai par conséquent pas: Je me borne à les indiquer. Les oiseaux adultes ne fournissent done aucune parti- cularité remarquable relativement à la question qui nous occupe. Mais les conditions de la vie embryon- naire se présentent 11 avec un caractère tout nouveau. Elle s’accomplit en dehors de la mère, dans l'œuf. De là une facilité spéciale à observer les phénomènes du déve- loppement chez l'oiseau. Les matériaux de la nutrition qui, chez les mammifères, sont apportés par le sang, grâce aux connexions qui unissent le fœtus à la mère, forment ici une provision accumulée dans l’œuf autour de l'embryon. Pour analyser la quantité de glycose contenue dans l'œuf, voici comment nous avons procédé : On prend l'œuf et on le pèse. Puis on brise la coquille CL. BERNARD. —- Phénomènes. u. — 6 82 ANALYSE DU GLYCOSE DE L'OEUF. et l'on jette le contenu dans une capsule de porcelaine larée d'avance : on rétablit l'équilibre et l'on connait par là le poids d’œuf sur lequel on va opérer. On ajoute un poids égal de sulfate de soude cristallisé, additionné de quelques gouttes d'acide acétique dans le but de pré- cipiter aussicomplétement que possible toutesles matières albuminoïdes. Le tout est chauffé jusqu’à ébullition, et * comme l’évaporation entraine toujours une petitequantité d’eau, on compense celte perte en ajoutant un peu d’eau de façon à rétablir le poids. On filtre la bouillie qui résulte de ce traitement sur la pipette de Mohr. Le sulfate de soude sucré qui remplit la pipette est ensuite analysé par le même procédé qui sert pour toutes les liqueurs sucrées, c’est-à-dire que l’on fait tomber goutte à goutte lecontenu dela pipette dans un ballon chauffé. Ce ballon contient avec de l’eau et de la soude 1 centi- mètre cube de liqueur de Fehling, préparée par la méthode de Peligot : 1l faut 5 milligrammes de sucre de glycose pour décolorer cette quantité de liqueur d’épreuve. En versant avec précaution le liquide sucré, on arrive à déterminer avec une très-grande précision le moment exact de la décoloration. Il est bon de donner à l'appareil les dispositions très-simples que nous avons adoptées (1) et qui facilitent singulièrement les opérations. Dans ces conditions, une analyse complète n’exige pas plus de cinq minutes. On connaît par ce moyen la teneur en sucre du sulfate (1) Voy. Leçons sur le diabète, passim. CORRECTION DES RÉSULTATS. 83 de soude sucré que renferme la pipette de Mobr. Si l'on connaissait la quantité totale de ce liquide que le traite- ment de l’œuf est capable de fournir, on aurait immé- diatement la quantité de sucre de l’œuf. Malheureuse- ment il n’est pas facile de connaître exactement cette qnantité, car une parte de la liqueur reste sur le filtre, imbibant la masse albbuminoïde coagalée. Dans les cas de ce genre, on suppose ordinaire- ment que le liquide exprimé occuperait un nombre de centimètres cubes égal au nombre de grammes que pésent l’œuf et le sulfate de soude primitivement em- ployés. En acceptant celte convention, la quantité de suere (pour 1000 grammes) est fournie par la formule suivante : 10 000 n Q"/mes — / E dans laquelle 7 représente le nombre de centimètres cubes lus sur la pipette. Mais la convention qui conduit à ce résultat n’est évidemment pas exacte. Et si l’on peut négliger l'erreur ainsi commise lorsqu'on ne recherche que des résultats comparatifs, on n’est plus fondé à agir ainsi pour la détermination des nombres absolus. J'ai prié l'un de mes aides, M. Dastre, de corriger le procédé, de manière à éliminer cette inexactitude. Cette correction à été faite en déterminant directement la quantité de liquide sucré que peut fournir, dans notre facon d'opérer, un poids d'œuf déterminé. Pour cela, 84 FORMULE CORRIGÉE. après avoir chauffé le mélange d'œuf et de sulfate de soude et avoir rétabli le poids, nous versons le tout, liquide et coagulum, dans une éprouvette graduée. Nous lisons le nombre de centimètres cubes : l'opération est facilitée en lavant la capsule avec une certaine quantité d’eau distillée dont on tient compte. Ce nombre de cen- timètres cubes n’exprime pas absolument le volume du liquide sucré, car les parties solides du coagulum vien- nent indûment accroître ce volume. Il faut done retran- cher de la lecture que l'on vient de faire le volume des parties solides. Pour cela on filtre, on lave le coagulum, on le dessèche à l’étuve, et par le volume liquide qu’il déplace ensuite ou par son poids on connaît son volume. En le retranchant de la lecture précédente, on a le nombre exact de centimètres cubes du sulfate de soude sucré fourni par l'œuf, On connaît done facilement la quantité totale de sucre contenue dans l'œuf. Une opération si laborieuse ne serait point praticable si l’on devait la répéter à chaque nouvelle épreuve. Mais cela n’est point nécessaire. L'expérience apprend que la correction à exécuter est toujours la même : 1l suffit de multiplier lenombre approchéde la formule non corrigée par le facteur 10 P°ur tenir compte de la correction. La formule corrigée exprime donc le nombre de milligrammes de sucre qui seraient contenus dans 1000 grammes d’œuf; ou d’une QUANTITÉ DE GLYCOSE AVANT L'INCUBATION. 85 facon plus simple, en exprimant le poids de sucre en grammes, 7 Sgr = — n ? ñ étant le nombre des divisions de la pipette de Mohr que lon a dû verser pour arriver à la décoloration. Le procédé étant fixé, nous l’avons appliqué à la détermination comparative de la quantité de sucre contenue dans l'œuf avant et pendant le cours de lincubation. Avant l’incubation, nous avons trouvé une quantité de sucre constante pour tous les œufs. Cette constance est tout à fait remarquable, étant donnée la variété des con- ditions dans lesquelles l'œuf peut s'être formé. Elle prouve déjà l'importance considérable d'un élément dont les proportions sont si rigoureusementdéterminées. La moyenne est de 3,70 pour 1000 grammes d'œuf. Les oscillations autour de ce nombre moyen peuvent être considérées comme tout à fait insignifiantes. Ce chiffre est indépendant de l'alimentation de la poule pendant la formation de l’œuf, et de toutes les autres circonstances variables à l'influence desquelles elle peut être soumise. Il y à plus, l’analyse des œufs de quelques oiseaux car- nassiers, particulièrement du vautour fauve, que nous avons pu nous procurer, grâce à l’obligeance de notre collègue M. Milne Edwards, a conduit à un chiffre sen- siblement identique avec celui de l'œuf de poule. Si l'œuf n’est pas soumis à l’incubation, s’il reste sans s'altérer à l'air, cette quantité de sucre ne varie pas 86 VARIATIONS PENDANT L'INCUBATION. sensiblement. S'il est placé dans le même appareil à incubation que les autres, mais sans avoir été fécondé, on constate que la quantité de sucre reste invariable tant qu'il ne se produit point d’altération. Au contraire, toutes les fois qu'il est survenu quelque altération, le sucre à disparu sans se reproduire : on n'en distingue plus de trace. Nous avons cherché comment le sucre se comportait aux différentes périodes de l’incubation, en analysant des œufs jour par jour. Le tableau suivant rend compte du résultat de nos recherches. Quantité de sucre pour 1000 grammes d'œuf. ADres M Aejour TINCUbATONEENE EEE PAT STE 3x 80 — DTOUTS AS M LE ae BEEN EC » 31109 — SOUS LEE CN eQrL 14 LEURA AMIE 2 07 — D-JOUTS: NO REA ce dencre LREtie. 2 01 dr De ROUTE Ra ee sde SEE LR 1 90 - jours BON At RE MRRLRT PET 1 30 _ HOUSE. 2 CRETE RC Re ER ee LL) TO NIOUSTE ER. M RARE EN ee 0 88 1 119 JOURS RTE 7Pr LE SEVEN 1 30 = NID MOULE Sonnerie ce IC REP 1 40 EMA AGUOUrS. AE RE TRE PR PA INEANER 1 48 = "SAS YIONLS Le ace ce LE PL RC CRE 180 — 19 JOURS. eee ete CC 2 05 L'examen attentif de ce tableau nous conduit à des remarques pleines d'intérêt. Nous voyons la quantité de sucre du prenuer jour diminuer progressivement jusqu'au onzième jour et se relever ensuite jusqu’à la fin de l’incubation. De 3 à 4 pour 1000, cette quantité tombe à moins de 1 pour 1000; elle remonte ensuite jusqu'aux environs de son niveau VARIATIONS DU GLYCOSE. 87 primitif. Deux faits sont done incontestables : la des- truction de la matière sucrée par suite de la nutrition ; d'autre part, la reformation de cette matière. Ainsi le sucre se détruit pour servir à l’évolution de l’être nou- veau, car lorsque l'être ne se développe point, le sucre reste stationnaire. En second lieu, le sucre se reforme, puisque au moment de la naissance il est plus abondant qu’au onzième Jour. Cette formation est un exemple de synthèse d’un principe immédiat; c'est le début de la fonction glycogénique. Elle continue à partir de la nais- sance, constituant une fonction qui ne s'interrompra plus jusqu'à la mort. Ici nous assistons à la naissance de cette fonction essentielle. Le fait que nous venons de signaler dans le dévelop- pement du jeune animal se produit également dans la croissance du jeune végétal. Il se fait pendant la germi- nation une abondante production de sucre qui est utilisé pour la constitution de la plante, et qui se renouvelle constamnient pour constamment se détruire. - Pour en revenir à l'embryon, nous voyons qu’il se comporte comme l'adulte; le sucre est un élément in- dispensable à son existence. A la rigueur on pourrait imaginer qu'il y eût au milieu de la masse alimentaire vitelline une quantité de cette substance sucrée suffi- sante pour conduire jusqu’au bout l’évolution de l’œuf. Mais il n’en est pas ainsi : ce procédé ne serait pas con- forme à la loi physiologique qui nous montre les élé- ments anatomiques de l’organisme constituant eux- mêmes leur aliment par synthèse, en même temps qu'ils le décomposent par un procédé d'analyse. Nous revien- 88 FONCTIONS GLYCOGÉNÉSIQUES. drons prochainement sur ce préjugé, qui consiste à con- sidérer la préparation des aliments, la digestion, comme une sorte de dissolution simple qui introduit ceux-ci en nature dans le sang, pour être ensuite utilisés dans les différentes circonscriptions de l'organisme où ils arri- vent. Les choses ne se passent nullement de cette facon : si elles avaient lieu comme on l’imagine, la composition du sang, véritable provision nutritive, serait variable avec l'alimentation, tandis qu’elle est constante, à très- peu de chose près identique chez les carnivores et les herbivores. Le sang se prépare donc autrement que par une sorte de dissolution passive ; il se prépare au moyen d’une élaboration active, d’une sorte de sécrétion véri- table qui utilise les matériaux digestifs mais qui les utilise en les décomposant d’abord, afin d’en retirer des produits toujours les mêmes. Ces considérations ont leur application ici, puisque nous voyons l'organisme embryonnaire faire, aux dépens des matériaux mis à sa disposition, le sucre qui lui est indispensable et qu'il détruira à un autre moment. Le poulet ne pouvant rien emprunter au dehors, et constituant une sorte de monde fermé, doit puiser en lui-même les ressources qui lui serviront à créer de la glycose par un phénomène vital de synthèse. Il y a une véritable fonction glycogénésique que nous devrons exa- miner avec tous les détails que comporte une question si importante. Il importerait maintenant de compléter notre étude en cherchant comment le sucre se détruit et comment il se forme. MÉCANISME DE LA DESTRUCTION DU SUCRE. 89 La destruction du sucre peut se comprendre comme un résultat de la respiration de l'embryon, C’est une oxydation continuelle qui s'exercerait sur cette matière et qui la ferait disparaître au sein de la liqueur alcaline qui baigne l'embryon tout entier. En même temps que le sucre se détruit et s’oxyde, il s'échappe de la coquille, comme du poumon de l'adulte, une certaine quantité d'acide carbonique. Il est naturel d'établir entre ces faits concomitants une relation de cause à effet. Il serait possible, et c'est à cette idée que semblent vous conduire nos travaux, que tel fût le rôle principal de la substance sucrée. Pour bien nous faire comprendre, nous dirions que la matière sucrée est la phase ultime de l’évolution chimique que devraient subir toutes les substances de l’organisme pour servir à la respiration. Il est facile de comprendre en quoi cette vue diffère de celle des chimistes. Ceux-ci imaginent que les matières amylacées, hydrocarbonées, sont les plus propres à la combustion respiratoire: nous, nous éta- blissons que ces matières passent préalablement et néces- sairement par l’une d'elles, la glycose, avant de servir aux actes vitaux. A défaut des matières amylacées, les chimistes pen- sent que les substances grasses pourraient subir directe- ment les mêmes changements que le sucre ou l’amidon et servir directement à la respiration. Nos travaux nous obligent au contraire à penser que les substances grasses et albuminoïdes doivent, en vertu de la fonction glyco- génésique, donner les matériaux du sucre, qui pourrait 90 ÉVOLUTION CHIMIQUE DES ALIMENTS. être, seul, utilisé directement. Nous voyons, dès lors, que le terme d'évolution chimique est exact dans toute sa rigueur, puisque les matériaux de l'organisme doi- vent passer en partie par un chemin tracé d'avance, dont la formation sucrée ou glycosique est une étape nécessaire. Les faits précédemment exposés montrent qu’il se forme dans l'œuf de la matière sucrée, ou glycose. Il nous reste à déterminer le mécanisme de cette for- mation. J'ai commencé par chercher la matière glycogène dans l’œuf de la poule. Pour cela, deux procédés peuvent être mis en usage : le procédé histologique et le procédé chimique. Le procédé chimique consiste à employer les moyens convenables pour extraire en nature la matière glycogène. Il est le plus certain et doit être employé toutes les fois qu’il est applicable. Nous avons dit com- ment on pouvait extraire le glycogène du foie et des üssus en général. La préparation au charbon consiste à faire macérer dans l’eau bouillante les tissus broyés; on ajoute du charbon animal et l’on filtre le hiquide. Celui-ci présente une couleur opaline due à lasolution de matière glycogène. L'alcool absolu précipite la substance que l'on peut séparer et sécher. On peut encore préparer la matière glycogène par une solution d'iodure rouge de mercure dans l’iodure de potassium. On fait bouillir avec de l’eau le tissu broyé ; on exprime le liquide et l'on y verse alternativement de l'acide chlorbydrique par petites portions et de l’iodure mereurique. On pré- cipite ainsi les matières albuminoïdes, et la filtration MÉCANISME DE LA FORMATION GLYCOGÉNIQUE. 91 dansl’alcool permet, comme précédemment, de recueillir la matière glycogène. Mais ces procédés ne sont applicables qu’autant qu'il existe une quantité assez considérable de matière glyco- gène. Lorsque l’on a à sa disposition des quantités très- petites de tissu, on y décèle le glycogène à l'examen mi- croscopique, par la coloration rouge vineux, violacée ou rouge acajou que celte substance prend sous l'influence de l’iode. D'ailleurs cette recherche offre par elle-même un grand intérêt, en faisant connaître la distribution et la forme anatomique qu’affecte la substance dans les organes. Cette substance est généralement sous forme de granulations demi-fluides qui se diffusent peu à peu après la mort dans les liquides aqueux, mais qui se coagulent au contraire par l'alcool et par l'acide acé- tique cristallisable, ete. Il suffit quelquefois de traiter directement par l’iode une coupe mince du tissu de la mern- brane que l'on veut examiner pour y déceler la matière glscogènesousla forme précédemment indiquée ; maisle plus souvent il faut employer des procédés particuliers de préparation. On déshydrate les tissus en les plongeant dans l'alcool absolu auquel on ajoute uu fragment de potasse caustique, ou d’autres fois quelques gouttes d'acide. Après un certain temps d'immersion, on lave la pièce dans l’éther, le chloroforme ou le sulfure de carbone, pour la durcir et lui enlever les matières grasses qui gènent les réactions. La pièce ainsi préparée est baignée dans l'alcool iodé, ou le chloroforme, ou le sulfure de carbone, ou l’éther iodés, — lavée dans l’es- sence de térébenthine, puis conservée dans du vernis à 99 GLYCOGÈNE DANS LA CICATRICULE. l'essence. La préparation peut se conserver très-long- temps : il faut cependant prendre $oin de ne pas la elore complétement. A l'abri de l’air elle se décolorerait rapi- dement. + Tels sont, d’une façon générale, les procédés qui peuvent servir à la recherche de la matière glycogène, et que nous devons employer pour essayer de la déceler dans l'œuf et pour y suivre les oscillations qu'elle subit dans sa marche évolutive. Disons d’abord qu'avant tout développement, que l'œuf soit fécondé ou non, on trouve dans la cicatricule de l'œuf de poule des granulations de glycogène, soit hbres, soit incluses à l’intérieur de cellules (1). Dans tout le reste du jaune, on n’en trouve point de traces : la substance est donc exclusivement limitée à la partie germinative qui doit former l’animalet ses tissus. Il n’en existe, par conséquent, qu’une proportion insi- guifiante en valeur absolue ; et comme nous verrons plus tard la proportion augmenter, il faudra bien que ce soit en vertu d’une production d'une prolifération, d’une formation synthétique nouvelle. Eu examinant la cicatricule élargie, au début de l’in- cubation, dans la teinture d'iode acidulée d’acide acétique, avant qu'aucun vaisseau soit visible, on discerne les granulations et les cellules glycogéuiques, qui se distinguent par une couleur rougeûtre. En suivant des œufs à divers degrés d’incubation, on voit les cellules glycogéniques se montrer d’abord très- (1) CL. Bernard, Comptes rendus de l'Aead. des sc,, t. XLV, p. 55. GLYCOGÉNE SUR LE TRAJET DES VEINES. 93 évidentes sur le champ envahi par les vaisseaux, sur l'area vasculosa : elles sont disposées en amas le long du trajet des veines. Cependant, on en trouve aussi des Fic. 4, — Vaisseaux de la membrane vitelline d’un fœtus de poulet de treize jours (gross. 6/1), montrant les villosités glycogéniques. — a, artères ; v, veines. amas qui ne sont point en rapport avec les vaisseaux, car elles sont situées en des points où la vascalarisation n'a pas encore pénétré (fig. 4). Vers le huitième jour, les extrémités des veines vi- tellines forment de véritables villosités glycogéniques 94 ABSENCE SUR LE TRAJET DES ARTÈRES. flottantes dans la substance du jaune, qui à ce moment est très-fluide. Ces villosités, amas de cellules qui pré- sentent toutes le même caractère, forment à la surface interne du sac vitellin des plis nombreux. J'ai fait reproduire ces dispositions dans des dessins qui ont été déposés à l’Académie (voy. pl. IL, fig. 77). La conclusion des observations qui précèdent peut s’'énoncer ainsi : | «L'évolution glycogénique dans l'œuf des oiseaux » part de la cicatricule; elle s'étend peu à peu dans Île » feuillet moyen ou vasculaire du blastoderme, à mesure » que celui-ci s’élargit et se développe. Dans leur proli- » fération, les cellules glycogéniques se rangent d’abord » sur le trajet des veines omphalo-mésentériques qui » ramènent vers l'embryon le sang hématosé (1). » Il est à remarquer que dans les premiers temps, alors que les masses glycogéniques sont disposées sur le trajet des veines vitellines, on n'en trouve point le long des artères. Ce fait est d'accord avec notre manière de voir sur le rôle de la matière glycogène, qui est transformée en sucre et destinée à disparaître par oxydation, rôle qui rend inutile sa présence dans le sang avant que celui-ci se soit chargé d'oxygène dans les capillaires des annexes. Les granulations de glycogène sont arrondies et dis- tribuées dans les cellules blastodermiques comme les granulations d’amidon dans les cellules végétales. Nous savons que l’amidon animal se distingue de l'amidon (1) CI. Bernard, Comptes rendus de l’'Acad. des sc., t. XLV, p. 55. OEUF DES INVERTÉBRÉS. 95 végétal par une moindre fixité et par des réactions qui le rapprochent de la dextrine, telles, par exemple, que la couleur rouge vineux que lui donne l'iode, et sa solu- bilité dans l’eau qui prend une teinte opaline. L’amidon du blastoderme présente donc ces mêmes caractères d’instabilité, mais peut-être à un moindre degré que le glycogène d’autres organes de l'adulte, du foie par exemple. Après avoir décelé la matière glycogène par le mi- croscope de la façon que nous avons indiquée, nous l'avons séparée par les procédés chimiques et repré- sentée en nature ; nous avons traité, soit par le char- bon, soit par la solution d'iodure rouge de mercure, le contenu de la vésicule ombilicale et isolé la substance en suivant la marche dont nous avons parlé plus haut. Ajoutons que la même observation que j'ai faite pour l'œuf de poule, je l'ai étendue à d’autres animaux, à des œufs d'insectes et à des œufs de mollusques. M. Balbiani a fait des observations qui conduisent à la même con- clusion sur les aranéides. La matière glycogène destinée à se transformer en sucre joue un rôle essentiel dans le développement du germe et la constitution de l'embryon. L'importance de ce rôle justifie l'importance croissante de cette sub- slance à mesure que le champ du travail plastique s'étend davantage. Glycogène dans l'embryon du poulet. — Nous avons cherché à saisir dans l'embryon lui-même, dès qu'il commence à se constituer, l'existence de la matière glycogène, afin de voir les origines de cette fonction ni n LL PA 96 GLYCOGÈNE DANS LES ÉPITHÉLIUMS. glycogénésique, qui, chez l'adulte, est dévolue à un seul organe, le foie. En remontant aussi loin que possible, on voit apparaître d’abord les conditions glycogéniques caractéristiques dans le cœur, qui est le premier tissu musculaire qui entre en fonction. Puis on les voit apparaître d’une manière diffuse dans une foule de tissus, particulière ment dans les tissus épithéliaux et ceux qui en dérivent. On retrouve ces granulations dans l’épithélium cutané, jusqu’à la constitution de l'épithélium définitif : dans les bulbes pileux, dans les matières cornées, dans le bee, où l’on voit la partie la plus molle renfermer de la matière glycogène, tandis que les parties déjà organisées n’en renferment plus; dans les griffes, dans les plumes surtout, il est facile de la mettre en évidence. Enfin il est possible encore de manifester sa présence dans l’épithélium des muqueuses digestive et respira- toire. Mais, à mesure que le développement approche de son terme, celte diffusion tend à cesser, et la matière glycogène commence à apparaître dans le foie, qui, comme toutes les autres glandes, n’en renfermait point au début. Enfin, quand l’éclosion arrive, la division physiologique du travail est devenue complète, et le foie est exclusivement chargé de la production de matière glycogène indispensable à la nutrition générale et à ce que l’on pourrait appeler l’évolution d'entretien. H reste l'organe glycogénique unique. En résumé, la matière glycogène s'étend d'abord de la cicatricule à toute l’aire germinative du blastoderme ; GLYCOGÈNE DU FOIE. 97 elle existe à un degré très-considérable dans une annexe de l'embryon, dépendance du feuillet interne, la vési- cule ombilicale; puis, diffuse dans les tissus mêmes des fœtus pendant leur croissance, elle se rassemble finale- ment dans le foie, qui, pendant le reste de la vie libre, sera chargé de sa production (1). En résumé, chez les oiseaux comme chez les mammi- fêres, le sucre et la matière glycogène se montrent dans l'organisme dès les premiers moments de la vie em- bryonnaire; à l’état adulte, c’est le foie qui devient le centre ou le foyer de cette formation glycogénique. Or, chez l'oiseau, à quelle époque le foie contient-il du gly- cogène ? Sans avoir encore précisé au Juste, je puis dire que, vers les cinq où six derniers jours de l’incubation, on trouve du glycogène dans le foie des petits poulets, bien qu’il en persiste encore dans le sac vitellin, qui, ainsi qu'on le sait, se trouve, à la naissance, à peu près complétement renfermé dans l'abdomen, où il finit par se résorber peu à peu. Nous avons vu que, chez les fœtus de mammifères, le glycogène se rencontrait, non- seulement dans des organes embryonnaires transitoires, mais encore dans certains tissus du fœlus, tels que les muscles, par exemple. Chez les oiseaux (poulets), je n'ai pas trouvé de matière glycogène dans les muscles. C’est là un fait dont il faudra rechercher l'explication, mais qui ne change rien à la loi générale. (1) Voy. note I à la fin du présent volume. CL, BERNARD. — Phénomènes. IL, — 7 F LECON IV La glycogenèse chez les vertébrés à sang froid. SOMMAIRE. — Poissons. — Le sucre existe dans la foie. Précautions à prendre : Perturbations apportées par létat asphyxique. — Grenouilles, tortues. — Sucre et glycogène dans le foie en dehors de la période d’hibernation. HE. Poissons. — La recherche du sucre dans le groupe des poissons à l’état adulte nous a fourni des ré- sullats très-intéressants. La diversité des faits, leurs apparentes contradictions, rendent nécessaire une inter- prétation qui mette en lumière l'importance des condi- tions physiologiques dans lesquelles l'animal est placé. Nous allons vous rapporter à ce sujet les résultats dont nous avons rendu témoins les personnes qui sui- vent nos expériences et nos séances de laboratoire. Nous avons opéré sur trois carpes. La première était morte pendant le transport au laboratoire, une heure environ avaut d’être soumise à l'épreuve expérimentale. Nous wavons trouvé ni glycogène mi sucre dans le foie. Était-ce donc là une exception que nous rencontrions à cette loi générale qui veut que le foie des animaux adultes possède la propriété glycogénique? De nombreux cas de ce genre s'élaient présentés à moi quand au commencement de ces études j'opérais sur des foies de poissons morts achetés aux halles. GLYCOGÈNE DU FOIE CHEZ LES POISSONS. 99 Dans la seconde expérience, l'animal était dans d’autres conditions. Il avait été apporté du marché, mais n'était pas mort en route; en arrivant, on l'avait replacé quelques instants dans l’eau, où 1l s'était remis et respirait à son aise. Nous avons ouvert le corps, ex- trait le foie et fait subir à cet organe le traitement or- dinaire pour la recherche du sucre. Chez cette carpe nous avons eu le même résultat : 11 n’y avait n1 glyco- gène n1 sucre, Où du moins la quantité en était si faible, que sou existence pouvait laisser des doutes sérieux dans l'esprit. Enfin, pour la troisième expérience, nous avons fait prendre dans le bassin de notre laboratoire une grosse carpe apportée depuis dix à douze jours et qui était gardée et nourrie en vue d'autres recherches. La carpe était vigoureuse et vivace. On l'a sacrifiée immé- diatement après l'avoir retirée de l’eau. L'investigation a fourni cette fois une quantité énorme de matière glycogène. Il y avait aussi du sucre, mais en faible pro- portion. Voici donc trois résultats différents. Dans le premier cas, point de glycogène ni de sucre ; dans le second cas, des traces douteuses; dans le troisième cas des quan- tités énormes. Est-ce l’occasion de conclure que les phénomènes physiologiques n’obéisseut à aucune loi et varient à l’in- fini, ou bien faut-il faire de la statistique sur le nombre de cas de présence du glycogène et du sucre dans le foie des carpes? Je me suis élevé souvent contre une pareille facon de 100 INFLUENCE DE L'ÉTAT ASPHYXIQUE, traduire des résultats physiologiques qu'on ne com- prend pas. La statistique n’est que l’empirisme érigé en loi; elle est déplacée dans les questions vraiment scien- tifiques : les moyennes entre des résultats contraires, entre des affirmations opposées, ne peuvent avoir ni valeur ni signification. Si les observations aboutissent à des conclusions différentes, c’est que de l’une à l’autre il y a eu intervention de circonstances nouvelles qui ont changé le sens du phénomène, et dont il faut tenir compte sous peine de ne pas comprendre la réalité des choses. Il faut savoir se placer dans des situations identiques, et, lorsqu'on fait varier la situation, savoir à quel élément doit être attribuée l'influence pertur- batrice. Dans le cas qui nous occupe, la condition variable élait évidemment un trouble fonctionnel survenu dans la glycogénie par suite des circonstances dans lesquelles s'étaient trouvés les animaux. La première fois, il était complétement asphyxié, la seconde fois, en demi- asphyxie, la troisième fois, en santé parfaite. Les carpes retirées de l’eau s’asphyxient avec une grande rapidité. Elles présentent assez peu de résis- tance, tandis que les tanches et surtout les anguilles, supportent plus longtemps un séjour de quelque durée hors de l’eau. L’asphyxie est d'autant plus prompte que l'animal est pris à un moment où l’activité vitale est plus exaltée et la respiration plus nécessaire. La saison chaude rend très-grave pour l'animal un accident de cette nature, qu'il pourrait supporter presque impuné- ment pendant l’engourdissement de l'hiver. Le poisson, GRENOUILLES EN HIBERNATION. AO pendant les chaleurs, use plus rapidement l'oxygène de son sang et meurt plus vite. D'ordinaire, chez les animaux à sang-froid, l'asphyxie est lente, parce que la respiration elle-même est lente , et les manifestations vitales peu énergiques. La dispa- rition du sucre est la conséquence de cette asphyxie lente et prolongée. Des trois carpes que nous avons examinées, une seule pouvait être considérée comme en état de respi- ration normale, c'était la troisième; et chez celle-là nous avons trouvé, conformément à la loi générale, une grande quantité de glycogène et du sucre dans le foie. IV. Reprises. — Tortues, grenouilles. — Parmi les autres animaux à sang froid, J'ai encore expérimenté sur des tortues et des grenouilles. Les grenouilles présentent des conditions dont il faut bien tenir compte dans les re- cherches physiologiques, si l’on ne veut pas s’exposer à de nombreuses erreurs. En réalité, les grenouilles sont des animaux soumis à l’hibernation ou tout au moins à l'engourdissement hibernal. La nutrition et par consé- quent la production du glycogène et du sucre y subit des intermittences,, de véritables oscillations Pendant l’hibernation, les animaux dépensent les provisions de matières alibiles qu'ils ont accumulées dans leurs tissus. La nutrition, en effet, est une fonction constante qui jamais ne peut chômer. C’est une erreur, erreur de mots sûrement, qu'a commise Cuvier, lorqu'il a dit que la nutrition était une fonction intermittente. Il voulait certainement parler de la digestion. Si, en effet, la digestion est intermittente, si la recette ne se produit 109 GLYCOGÈNE DANS L'ÉTAT HIBERNAL. qu'à intervailes plus ou moins éloignés, la dépense est continue, constante. Elle se fait aux dépens des ré- serves accumulées antérieurement. Pendant l'hibernaton la recette est suspendue. Néan- moins l'animal vit et respire. Regnaull et Reiset ont analysé les gaz dela respiration chez les marmottes en- gourdies; Valentin a étudié et décrit leurs mouvements respiratoires. L'animal consomme sa propre substance : il vit de lui-même. Au moment de tomber dans le som- meil hibernal, il avait emmagasiné dans différents or- ganes, par exemple dans le foie, de grandes quantités de glycogène; dans les épiploons de grandes quantités de graisse : tous les tissus étaient, à la suite du régime substantiel de l'automne, surchargés de matériaux de nutrition. Les loirs ont un sommeil moins prolongé que les marmottes : ils se réveillent de temps en temps pendant la durée des froids, et tirent leur nourriture de quel- que cachette, que leur prévoyance a ménagée. Parmi les matières qui doivent servir à la nutrition permanente de l'animal engourdi, 1l existe toujours une grande quantité de matière glycogène. Les gre- nouilles nous présentent le même fait. Au printemps, l’activité vitale s'éveille, là nutrition longtemps engour- die se ranime. Aussi, à ce moment des rénovations or- ganiques, la matière du foie se consomme ; l'organe est alors très-petit, noirâtre, et contient peu de glycogène et de sucre. C’est à la fin de la saison, vers l'automne, que l’animal se trouve arrivé au plus haut degré de vi- gueur, et que la vie atteint, chez lui, toute son intensité. ÉTAT FOETAL DES VERTÉBRÉS A SANG FROID, 103 C’est à ce moment-là qu'il faut examiner le foie de l'animal. Le foie contient alors du sucre et beaucoup de matière glycogène. De nos expériences nous pouvons conclure que le glycogène hépatique existe chez les vertébrés à sang froid comme chez les animaux à sang chaud. Chez les reptiles, les poissons adultes, les tortues, les grenouilles, le foie contient du glycogène et du sucre. Si la quantité de sucre est relativement faible, c’est que la transforma- tion du glycogène suit l'énergie vitale et se trouve atté- unée comme celle-ci chez les animaux à sang froid. Relativement à la glycogenèse pendant l'état fœtal chez les animaux à sang froid, nous n'avons que peu de chose à dire. Cependant j'ai observé que chez les larves de batraciens, les têtards de grenouilles, la matière gly- cogène est diffuse et n’existe pas encore dans le foie. Chez de jeunes poissons, j'ai constaté que la fonction biliaire apparaît avant la fonction glycogénique. Ou peut sous le microscope apercevoir la coloration verte de la bile dans lPintestin, alors que les granulations de glycogène ne sont pas encore visibles très-nettement dans le foie. Ainsi, à l’état adulte aussi bien qu'à l’état fœtal, nous retrouvons encore chez les vertébrés à sang froid les mêmes faits que chez les animaux à sang chaud. Le mé- canisme de la formation glycogénique est le même. L'a- nalogie se poursuit danstoutesses conséquences. On con- naît, à propos des mammifères, l'influence du système nerveux sur la production du sucre. En piquant au point convenable le plancher du quatrième ventricule, 104 DIABÈTE DES GRENOUILLES. on peut rendre l'animal diabétique. L’excitation ner- veuse transmise par la moelle et les splanchniques dilate les vaisseaux, précipite le cours du sang, et en exaltant la circulation de l'organe, favorise les échanges nutritifs et la production du glycogène. On peut rendre des grenouilles diabétiques en opérant de la même façon. Schiff et Kühne ont publié des recherches sur le diabète des grenouilles. C’est vers l’automne, au moment du plus grand épanouissement vital, qu'il faut faire l'expé- rience. On prend un certain nombre de grenouilles, on pique la moelle allongée, et afin de pouvoir examiner les urines, on jette les animaux dans un entonnoir pour rassembler les liquides expulsés. La sécrétion urinaire est trés-augmentée, la polyurie étant, on le sait, un sym- ptème du diabète. La quantité recueillie est bientôtassez considérable pour se prêter à l'épreuve; on y constate alors l’existence d’une grande quantité de sucre. C’est bien du foie que provient le sucre qui circule avec Île sang et dont le surplus s'échappe par l'excrétion uri- paire, Schiff l'a démontré par une expérience. Il pique une grenouille à la partie postérieure de la moelle al- longée, et en opérant comme précédemment, il con- state la présence du sucre dans les urines. Une ligature est alors posée sur les vaisseaux de façon à interrompre la circulation dans le foie. Bientôt le diabète a disparu. On enlève la ligature et l'animal redevient diabétique. Cette expérience montre bien que l'influence du système nerveux s'exerce par l'intermédiaire de la circulation, et que l’activité glycogénique est dans un rapport étroit avec l’activité circulatoire. Lorsqu'on veut mettre en GRANULATIONS GLYCOGÉNIQUES. 105 évidence la matière glycogène, on n’est pas obligé, chez les animaux à sang froid, aux mêmes précautions qu'avec les animaux à sang chaud. Chez ces derniers, 1l fallait, pour ainsi dire, saisir le foie encore vivant et le jeter dans l'alcool, afin d’arrêter la matière glycogène dans ses transformations. Avec les animaux à sang froid, on peut opérer plus à loisir. Leur matière glvcogène paraît être plus fixe, moins instable, moins mobile. De plus, l'étude microscopique montre toujours cette substance sous forme de granulations, au sein des cel- lules hépatiques. Les granulations sont en général plus volumineuses; elles présentent des dimensions supérieures à celles des mammifères. Elles se comportent, en cela, comme les globules de sang, qui sont beaucoup plus gros chez ces animaux à sang froid que chez les animaux plus élevés. Les granulations amylacées des végétaux présentent du reste, dans leurs dimensions, des variations encore plus grandes. C'est ainsi que dans les graines du Cheno- podium quinoa les granules d’amidon ont seulement 2 millièmes de millimètre ; ils ont 4 millièmes dans les graines de betterave, 7 millièmes dans le panais, 10 mil- lièmes dans le millet, 30 millièmes dans les haricots, mais, sorgho ; 45 millièmes dans le blé, patate, gros pois; 70 millièmes dans les grosses fèves, sagou, lentilles, et enfin 160 millièmes dans la fécule de pomme de terre. On ne fait donc que retrouver chez les animaux un fait connu chez les végétaux, ce qui est encore une nou- velle analogie à ajouter à tant d’autres. LECON V La glycogenèse chez les invertébrés. SOMMAIRE. — Matière glycogène chez les Mollusques : Gastéropodes, Acé- phales. — Foie biliaire et foie glycogénique. — Bourrelet embryonnaire des Huîtres. — Crustacés : relation de la glycogenèse avec le phénomène de la mue. — /nsectes. — Glycogène chez les larves de mouches, chez les chenilles. — Sucre chez les chrysalides. Jusqu'à présent, dans nos études sur les vertébrés, nous avons rencontré chez les animaux adultes la pro- duction glycogénique localisée dans un organe particu- lier, le foie. Chez les animaux embryonvaires, la même propriété physiologique appartenait à des organes tran— sitoires, aux anvexes de l'embryon; elle était diffuse dans tout l'organisme. Nous retrouvons chez les invertébrés les caractères des animaux embryonnaires vertébrés : la matière glyco- gène souvent abondante, diversement localisée dans des points où le sucre ne se rencontre pas. Ces animaux présentent d’ailleurs toutes les conditions physiologiques des animaux à sang froid. Les variations de la tempéra- ture ont la plus grande influence sur l’activité de leur nutrition, Enfin le plus grand nombre ne possèdent pas d'organe hépatique. Nous n'avons ici d'autre intention que de faire une revue rapide et abrégée des groupes inférieurs, et GLYCOGÈNE CHEZ LES MOLLUSQUES. 107 de présenter un conspectus général des phéno- mènes. V. Morcusques. — J'ai fait un grand nombre d’expé- riences sur les mollusques, et constaté, chez tous, la ma- tière glycogène en proportions considérables. Voici des gastéropodes, hélix, aryon, etc. , descolimaçons ; voiei des acéphales, huîtres, moules, pectens ou coquilles de Saint- Jacques; partout j'ai rencontré la matière glycogène. Dansnotre dernière leçon du laboratoire, nous avons exé- cuté les expériences; vous en voyez ici les résultats prin- cipaux. Il faut seulement avoir soin d'opérer sur les ani- maux vivants, et nonsur deséchantillons malades, épuisés et sur le point de périr ; encore moins sur des mollusques mortsdepuis longtemps. En ce cas, onne rencontrerait pas de matière glycogène, Toutefois il en serait autrement si l'animal mourait très-vite; c'est ce qui est arrivé, par exemple, pour ces coquilles de Saint-Jacques, qui, sous l’influencede l’extrème chaleur, sont mortes rapidement ; elles contiennent abondamment encore du glycogène. Quant au siége de la matière glycogène chez les mol- lasques, 1l peut donner lieu à une remarque impor- tante. En considérant les fonctions du foie chez les animaux supérieurs, on avait été tenté d'y voir deux appareils distincts servant à des usages physiologiques différents : une glande biliaire et une glande sanguine ou glycogénique. Les vérifications anatomiques ont manqué à cette manière de voir, malgré le mérite des histolo- gistes qui l’ont soutenue. Les recherches exécutées sur les animaux supérieurs étant restées sans résultats, anatomie comparative pourrait être mvoquée, et peut- 108 HUÎTRES GRASSES. être trouverait-on, en descendant plus bas dans l'échelle, des éclaireissements précieux. La matière glycogène se rencontre, avons-nous dit, dans le foie des mollusques. Or le foie, chez eux, est con- stitué bien nettement par une série de tubes, tubes glan- dulaires qui sécrètent un liquide semblable à la bile, et c'est autour de ces tubes, ou dans leurs interstices, que se trouve précisément accumulée la matière glycogène. La séparation anatomique existerait done ici. Il y aurait chez les mollusques deux foies : un foie biliaire en com- munication avec l'intestin, un foie glycogénique entou- rant l’autre et entrant en communication avec le système circulatoire. Mais il faut ajouter que ce n’est pas seulement dans le foie que se rencontre le glycogène. Il imprègne beaucoup d’autres tissus. C’est ainsi que les huîtres, dites huîtres grasses, renferment une quantité énorme, non pas de graisse proprement dite, mais de matière glycogène. Les huîtres présentent, dans les premiers temps de leur développement, les mêmes phénomènes que nous avons déjà observés chez d’autres embryons, c’est-à-dire que la matière glycogène, à l’époque où le foie n'existe pas encore, se trouve rassemblée dans des organes tran- sitoires qu'on peut appeler les annexes de l'embryon. Nous savons que pendant l'été, parmi les huîtres fixées aux rochers, on en rencontre auxquelles on donne le nom d’huitres laiteuses. Cette apparence est due à une multitude de petites huîtres qui troublent le liquide, et dont les premiers développements se sont accomplis BOURRELET GLYCOGÉNIQUE FOETAL. 109 dans une chambre Imcubatrice formée par les branchies de la mère. Le jeune animal, une fois formé, est mo- bile : il se déplace dans le liquide. Ces déplacements son rendus possibles grâce à une couronne de cils vibra- tiles qui garnit une espèce de disque ou de bourrelet existant dans le jeune individu et faisant en quelque sorte hernie entre les deux valves. C'est là un véri- table organe de locomotion ; mais à un moment donné le bourrelet se détache, l’huître perd la faculté de se mouvoir dans le liquide ; elle tombe et se fixe sur un rocher où elle achève ses évolutions sans se déplacer désormais. Dans ce bourrelet, organe transitoire, nous rencon- trons la matière glycogène en très-grande quantité, et, à ce point de vue, on pourrait peut-être le considérer comme un véritable placenta vitellin, fournissant à l’huître embryonnaire la substance amylacée nécessaire à son développement. Si dans les mollusques la matière glycogène est en grande abondance, le sucre, au contraire, estsouvent dif- ficile à déceler : cela tiendrait-il à ce que la transforma- tion de la matière glycogène étant très-lente, le sucre n'aurait pas le temps de s’accumuler et dès sa formation serait utilisé? Il semble qu'à mesure que l’on descend l'échelle animale, la quantité et l'énergie du ferment transformateur diminuent de plus en plus. J'ajouterai que cette absence de sucre coïncide avec une réaction alca- line que présentent les tissus de ces animaux, tandis que ceux chez lesquels le sucre est en grande proportion offrent une réaction acide. 110 CRUSTACÉS. Chez les gastéropodes, la disposition de la matière glycogène offre des particularités Imtéressantes. Chez la limace (Limax flav.), on voit les canaux biliaires se rendre dans l'intestin, tandis que les cellules à matière glycogène se trouvent rangées en grappes sur le trajet des vaisseaux. Elles rappellent d’une manière frappante la disposition glycogénique du hlastoderme chez les oiseaux. La matière glycogène présente encore des oranulations volumineuses renfermées dans des cel- lules ou parfois déposées dans les espaces interstitiels des éléments anatomiques. Quant au foie, on y ren- contre très-distinctement deux sortes de granules : les uns se colorant en rouge vineux par l'iode et appar- tenant aux cellules glycogéniques, les autres se colo- rant en jaune par l'iode et appartenant aux cellules biliaires. VI. Arricurés. — Si, des mollusques, nous passons aux articulés, nous verrons que ceux-ci, au point de vue de la formation du glycogène, présentent des par- ticularités tout à fait remarquables et imprévues. Crustacés. — En opérant autrefois sur des écrevisses et divers crustacés, je me trouvai en face des plus srandes contradictions : tantôt je trouvais du glycogène dans leur foie, tantôt je n’en trouvais pas; quelquefois j'en rencontrais des quantités très-faibles; d’autres fois, des quantités considérables. À quoi tenait celte diversité? Quelle en était la raison, la condition détermmante? Je l'ai cherchée longtemps avant de la saisir. Cette condition tout à fait nouvelle, sans rapport avec aucune des circonstances que nous INFLUENCE DE LA MUE. 411 ayons encore rencontrées, réside dans les renouvelle ments périodiques que l'animal éprouve dans son enve- loppe tégumentaire. C'est le phénomène de la ve qui est ici en connexion étroite avec l’évolution et l’appari- tion du glycogène. Les crustacés ne font pas leur croissance comme les autres animaux à enveloppe molle; enfermés dans une carapace inextensible, le développement ne devient pos- sible qu'à la condition que cet obstacle tombera pério- diquement, Ils croissent done par à-coups, au moment où l'enveloppe trop étroite est tombée pour faire place à une autre. De là le phénomène de la mue, d'autant plus fréquent que l’animal est à une époque d'évolution plus active et plus rapide; c'est pendant le jeune âge que les intervalles des mues sont plus rapprochés. Si l’on examine le foie ou les autres tissus du crabe. du tourteau, du homard, de l’écrevisse, pendant ces intervalles, on n’y rencontre pas de matière glycogène. Au contraire, dans le voisinage de ces époques, on en rencontre de grandes quantités. Le foie de ces animaux est composé de tubes en cul-de-sac, qui vont se déverser dans l'intestin. Le tube contient l’élément anatomique de la sécrétion bihaire; il existe seul dans l'intervalle des mues. C’est seulement à l’époque de la mue que la partie glycogénique entre en activité. Du reste, ce tra- vail de formation glycogénique, qui m'a semblé chez quelques-uns de ces animaux avoir son point de départ daus le foie, étend son action beaucoup plus loin. Tout autour du corps, au-dessous de la carapace, on rencontre une couche très-nette de matière glycogène, renfermée 112 ÉVOLUTION DU GLYCOGÈNE; dans des cellules volumineuses, et constituant amsi une assise nutritive qui mériterait véritablement le nom de blastoderme. D'ailleurs, le glycogène chez les crustacés ne se loca- lise pas exclusivement à la superficie du corps; les autres tissus, et particulièrement le tissu musculaire, en sont également imprégnés. Nous retrouvons donc chez les crustacés un nouvel exemple, et très-convaincant, de la relation qui existe entre l’activité de la nutrition et l’apparition du glyco- gène. Le travail de préparation commence, chez l'écre- visse, vingt à vingt-cinq jours environ avant la mue. Le foie augmente de volume et se charge de matière gly- cogène, qui va s’accroissant en quantité ; puis, qui plus tard diminue. Cette formation de glycogène marche parallèlement avec la formation d'une concrétion cal- caire que l’on observe auprès de l'estomac, et que l’on appelle improprement #27 d’écrevisse. Cette concrétion disparaît avec la formation de la nouvelle carapace. Alors aussi le glycogène disparaît et l’animal retombe dans l'arrêt de développement qui entraîne l'arrêt de la produstion glycogénique. Quant à l'évolution ultérieure de cette matiére glyco- gène, nous n’en savons, d'une façon précise, rien de plus dans ce cas que dans tous les autres. Cependant certains auteurs, entre autres M. Schmidt (de Dorpat), et M. Berthelot, ont montré que la carapace des crustacés contient un principe appartenant au même groupe que la cellulose et le ligneux, qui, sous certaines Influences, peut, comme le ligneux, se transformer en sucre. Sans GLYCOGÈNE CHEZ LES INSECTES. 115 trop forcer la métaphore, on pourrait dire que les crustacés sont enveloppés d’une carapace de bois. II est possible que la matière amylacée qui a précédé cette enveloppe, le glycogène en un mot, ait fourni des élé- ments de formation à cette carapace en même temps qu'il aurait fourni des éléments à la nutrition d’autres tissus. En résumé, l’appareil glycogénique est, chez les crustacés, un organe temporaire, embryonnaire, n’exis- tant que dans l'intervalle de deux mues. Poursuivons toujours nos Imvestigations et voyons parmi les invertébrés qui sont dépourvus d’organe hé- patique, sous quelle forme nous retrouvons la fonction glycogénique, en tant qu’elle soit, ainsi que nous l'avons dit, une fonction générale partout où il y a nutrition, c’est-à-dire partout où 1} y a vie. Insectes. — Voyons d'abord ce qui'se passe chez les insectes, soità l'état de larve, soit à l’état parfait. Nous n'avons pas fait une étude complète et métho- dique de tous les ordres et de tous les groupes. Nous nous sommes contentés d'opérer, un peu au hasard, sur tous les êtres que nous pouvions facilement nous procu- rer. Les recherches ont d'abord porté sur un grand nombre d'insectes, surtout à l'état de chenille ou de larve. Les plus faciles à trouver sont les larves de mouche commune ou asticots. Il suffit de laisser corrompre de la viande dans un vase, en y ajoutant un peu d’ammo- niaque : les mouches arrivent en foule pour déposer leurs œufs au milieu de la matière en putréfaction. On peut les prendre ets’en procurer ainsi un grand nombre CL. BERNARD. — Phénomènes. II, — 8 114 LARVES DE MOUCHE. pour les examiner au point de vue du sucre et du gly- cogène : le développement des œufs donne ensuite des larves abondantes. On peut dire, sans exagération, que ces larves sont de véritables sacs à glycogène. C'est lui qui constitue à peu près entièrement ce qu’on a appelé le corps adipeux de l'animal : sauf la peau, tous les tissus en renferment des proportions considérables. Seulement, avec cette masse de substance glycogène, on ne trouve pas du tout de sucre. C’est là un fait que nous avons déjà signalé pour les animaux inférieurs; mais ici il présente un cas particulier. Si l’on examine les insectes à l’état parfait, les mouches, le résultat sera différent. On y trouvera non-seulement du glycogène, mais une quantité notable de sucre. Il y a même une époque précise ou le sucre apparaît, c’est pendant que l'animal est à l’état de chry- salide. J'ai suivi sous ce rapport les mêmes larves de mouches; d’abord elles avaient beaucoup de glyco- gène et pas de traces de sucre, avec réaction alcaline des tissus ; plus tard, à l’état de chrysalide, dès que le travail de la formation en insecte parfait avait com- mencé, on voyait apparaître le sucre avec réaction acide des tissus; puis enfin la mouche continuait de présenter du sucre et de la matière glycogène à la fois. Je n'ai pas cherché à localiser les foyers de ces substances ; j'ai opéré en masse. On prend des mouches en nombre suffisant, on les jette dans l’eau bouillante, on lave, on filtre. La décoction obtenue est essayée directement par les réactifs. On peut constater ainsi la VERS DE TERRE. 119 présence du sucre et de la matière glycogène avec leurs caractères habituels. Des investigations de la même nature ont porté sur des chenilles de toute espece. IT y en à d'herbivores, il y en à de carnassières. Chez les unes et chez les autres le résultat a toujours été le même. Là comme chez les ani- maux supérieurs, le glycogène est done indépendant du genre d'alimentation. C'est bien une formation autoch- tone, due à l'organisme animal. Cette observation a été déjà mise plusieurs fois en re- lief : les faits que nous citons aujourd'hui lui apportent une nouvelle vérification. Il est en effet très-facile de démontrer que la matière glycogène des larves de mouche ne peut pas venir du règne végétal; on les nourrit avec de la matière animale, de la viande ana- lysée exactement, et dans laquelle on ne trouve pas trace de ja substance qui remplit ensuite tout le corps de l'inseete. C'est l'expérience la plus démonstrative qu'on puisse choisir. VIL. Vers. — Dans le groupe des lombricoïdes, chez les vers de terre par exemple, les résultats sont encore les mêmes, conformes à ceux qu'ont offerts les larves d'insectes. On prend des vers de terre, on les écrase dans le morlier, en les mélangeant avec du charbon animal pour faire disparaître les albuminoïdes. On chauffe et l’on filtre. La liqueur présente la teinte opaline des solutions de glycogène. Pour n'avoir aucun doute sur sa véritable nature, 1l suflira d'ajouter à la liqueur le ferment qui le transforme en sucre. 116 UNIVERSALITÉ DE LA GLYCOGENÈSE. J'ai encore constaté la matière glycogène dans les entozoaires, les tænias, dans les cysticerques, les douves du foie, etc. Nous ne poursuivrons pas plus loin cette revue. Nous considérerons les faits précédents comme suffisants à établir l’universalité de la fonction glycogénique et sa nécessité dans la nutrition générale aussi bien pour les animaux que pour les plantes. ( LECON VI Origine de la glycose dans les animaux et les végétaux. SOMMAIRE. — Les sources principales de la glycose sont l’amidon animal ou végétal ou la saccharose, changés en glycose par les ferments glycosique et inversif. — La lactose est transformée en glycose par le suc pancréa- tique. — L’amygdaline fournit de la glycose sous l'influence de l'émul- sine.— La salicine est aussi une source de glycose,— de même les tannins, — de même aussi la gélatine d’après Géhrardt. — Transformation inverse de la glycose en amidon. — L’amidon peut être à la fois un aliment plas- tique et respiratoire. — Relation entre le glycogène et la nutrition du sys- tème musculaire. Après avoir esquissé d’une manière rapide l'histoire de l'accumulation, de l’emmagasinement des matières amylacées dans les animaux, 1l resterait à parler du mé- canisme de leur métamorphose, et de leur destruction par suite des phénomènes nutritifs. Nous avons insisté sur le rôle universel que le sucre remplit dans la nutrition des animaux et des plantes. I] s’agit, bien entendu, du sucre de raisin ou glycose qui correspond à la formule C*H°0®. D'autres matières sucrées, d’autres substances voisines de la glycose par leur composition, ne pourraient pas la suppléer. L’ami- don, les corps de la série glycique, le sucre de canne lui-même, qui ne diffère du sucre de raisin que par un où plusieurs équivalents d’eau de conslitulion, se- raient impuissants à remplir la même fonction. De ce fait, nous avons fourni bien des exemples. Nous avons > d 118 ÉLABORATION NUTRITIVE. montré que les substances amylacées ou le sucre de canne ne pouvaient être utilisées par les plantes sous leur forme actuelle ; qu'au moment où les phénomènes du développement prenaient toute leur intensité, une transformation préalable en glycose s’'accomplissait, qui permettait à ces réserves d'entrer en ligne et de prendre part au mouvement vital. Les animaux présentent des conditions tout à fait parallèles. Une expérience concluante nous en à donné la preuve : quand nous avons injecté dans les veines d’un chien une petite quantité de sucre de canne, ce sucre à été éliminé par la sécrétion urinaire. N'ayant pas trouvé dans le milieu où 1l cireulait l'agent qui devait permettre sa conversion en glycose, il est resté comme un produit étranger, inerte, dont la dépuration excrémentitielle a déberrassé l'organisme. Les phénomènes de cette nature sont bien faits pour inspirer des réflexions intéressantes sur les conditions de l'assimilation. Ils prouvent la nécessité de l’élabora- tion particulière que la digestion fait subir aux aliments ingérés, et qui est le préparalif nécessaire aux échanges putritifs ultérieurs. Il ne suffit pas que deux substances soient chimiquement analogues pour qu’elles suivent la même évolution au sein des tissus. Entre des composés presque identiques, comme la glycose et la saccharose, l'organisme percoit des différences, telles que l’un puisse servir à sa reconslitution, tandis que l’autre devra lui rester étranger. Ce n’est pas le seul cas de produits ana- logues ayant une influence différente sur les animaux. Rappelons seulement combien sont inégales au point de FERMENTATION GLYCOSIQUE. 119 vue toxique les actions de deux corps absolument identi- ques en composition, la variété amorphe et la variété ordinaire du phosphore par exemple. Nous conuaissons le procédé par lequel la matière amylacée accumulée dans les organes animaux et végé- taux se métamorphose en glycose pour servir aux échanges nutritifs. L'amidon pas plus que le glycogène ue se transformerait en glycose, si un agent chimique de la nature des ferments n'intervenait à un moment donné pour opérer cette transformation en quelque sorte in- stantanément. Dans les végétaux par exemple, au moment où les provisions de substance féculente deviennent nécessaires à l’évolution de la plante, il se produit la diastase qu’on peut isoler dans l'orge en germination. Nous n’avons pas à rappeler ici sa préparation. Chez les animaux, le phénomène par lequel le glyco- gène se change en dextrine et en glycose est absolument identique. Il existe dans le foie, comme dans beau- coup d’autres parties de l’économie, une diastase animale tout à fait semblable à la diastase végétale et se prépa- rant exactement par le même procédé. Nous pouvons donc conclure que dans les animaux comme dans les végétaux les matières amylacées se trausforment en dextrine et en glycose par une véritable fermentation glycosique. Mais ce n’est pas seulement l’amidon qui est appelé à se changer en glycose pour les besoins de la nutrition. Le sucre de canne chez les végétaux et le sucre de lait dans les animaux ont eux aussi besoin de subir cette 190 FERMENTATION INVERSIVE. même transformation. Or, c’est encore par le moyen de ferments spéciaux que ces modifications ont lieu. De même qu'il existe un ferment glycosique destiné à changer l’amidon en glycose, de même il y a un autre ferment qglycosique ou inversif destiné à changer la sac- charose en glycose. Ce ferment existe dans la betterave au moment où la plante, venant à fleurir et à fructifier, a besoin de consommer le sucre accumulé dans sa ra- cine. Dans les graines dépourvues d'amidon, telles que les amandes, les noix, il y à du sucre de canne qui se change en glycose au moment de la germination. J'ai constaté que c’est dans les enveloppes de ces graines que réside ou que se forme le ferment glycosique inversif, de même aussi que c’est dans l'écorce de la pomme de terre ou de la graine amylacée que se fera le ferment destiné à changer l’amidon en glycose. Le sucre de canne exige pour fermenter une modifi- cation préalable qui le fasse passer à l’état de glycose. M. Dubrunfaut avait depuis longtemps établi qu'il y a deux temps dans la fermentation du sucre de canne. Dans le premier temps, la saccharose est changée en glycose; dans le second temps, la glycose se dédouble en alcool et, acide carbonique. Or, la levüre de bière proprement dite, élément figuré, organisé, cellule for- mée d'une enveloppe avec noyau, est l'agent véritable de dédoublement en alcool et acide carbonique; c’est le ferment alcoolique. Idépendamment de cela, 1l existe un ferment liquide, soluble, dans lequel nagent les cel- lules de levüre. C’est à ce ferment soluble que revient le rôle de convertir la saccharose en glycose. Il y a donc, PRÉPARATION DES FÉRMENTS SOLUBLES. 121 en résumé, dans la levûre deux parties à distinguer : la partie solide, organisée, cellulaire, le saccharomyces cerevisiæ, actuellement regardé comme le véritable /er- ment alcoolique ; la partie liquide non figurée, véritable ferment glycosique inversif. La filtration suffit à sépa- rer ces deux ferments. On peut constater que le liquide qui à passé à la filtration possède bien la propriété de transformer le sucre de canne en sucre de rai- sin, mais est incapable de pousser plus loin le phéno- mène. C’est alors que commence le rôle des globules de levüre. On peut mème, comme l’a montré M. Berthelot, séparer complétement le ferment soluble. Celui-ci, en effet, jouit, comme la diastase et les autres ferments solubles, de la propriété de se redissoudre dans leau après avoir été précipité par l'alcool. Après avoir séparé par le filtrage le liquide de la levûre, on traite par l’al- cool. Il se fait un coagulum dans lequel est compris le ferment glycosique. On reprend par l’eau qui dissout ce corps et le sépare des matières étrangères. On pourrait alors précipiter à nouveau par l'alcool si l’on voulait avoir le ferment isolé et desséché. Le mode de préparation est copié sur celui qui donne la diastase ; mais l’analogie s’arrète là. Les deux sub- stances ont leurs qualités distinctes, et elles ne peuvent se suppléer. Le ferment inversif existe partout où le sucre de canne doit être utilisé pour la nutrition, Il existe dans la racine de la betterave, dans les graines où l’amidon absent est remplacé par la saccharose, par exemple dans les noix. Dans le cas des graines, ainsi que je l’ai déjà dit, ce sont les enveloppes qui ren- 199 FERMENTATION DE LA LACTOSE. ferment le ferment; on peut l'en extraire par infusion ou macération. Le lait renferme une substance appelée sucre de lait ou lactose, et répondant à la formule C'*H"0""' ou à son multiple C#H®0*. Dans le lait de la femme il en existe de 3 à 6 pour 100. Ce sucre réduit le réactif cupro-potas- sique comme fait la glycose, et il a pour caractère spécial de fermenter très-difficilement. Cependant 1l est suscep- tible d’éprouver la fermentation alcoolique, la fermenta- tion lactique lorsque le lait s’aigrit, et la fermentation butyrique. C’est la fermentation alcoolique qui fournit les liqueurs enivrantes que les Kalmoucks préparent avec le lait de leurs juments. De ces boissons appelées lroumiss on retire par distillation l’eau-de-vie appelée rack. Jai constaté que le ferment pancréatique possède la propriété d'opérer facilement la transformation de la lactose en glycose ; c'est done à cet agent que doit être attribuée la digestion du sucre de lait dans le canal im- testinal. Jusqu'à présent les sources de glycose que nous avons rencontrées dans les animaux et les végétaux sont au nombre de trois : 1° la matière amylacée ; 2° la saccha- rose; 3° la lactose. Mais il y en à encore d’autres qui nous restent à examiner. il existe dans un grand nombre de fruits à noyau, dans les fleurs de pêcher, dans les feuilles de laurier- cerise, dans les jeunes pousses de certaines espèces de Prunus et de Sorbus, un principe spécial, l'amygdaline, qui répond à la formule C*H}7Az0*. Ce corps peut êlre AMYGDALINE ET ÉMULSINE. 1.2 une source de glycose ; il peut se dédoubler en effet en sucre, essence d'amandes amères, acide cyanhydrique, sous l’action de différents agents chimiques, et en par- ticulier d’un ferment, l'émulsine, qui lui est associé le plus ordinairement. Il y a donc, dans les amandes amères en particulier, deux substances distinctes : une substance fermentescible, lamygdalme; un ferment, l’émulsine. Lorsque ces deux corps se trouvent en présence, la réac- tion s'opère suivant l'équation : COHYAz20® + 2H°0° — 2CH°0® + C“HO* + C'AZH D ne. —_—— Poe Amygdaline Glycose. Essence Acide d'amandes cyanhydrique. amères. L'odeur très-caractéristique de l'acide eyanhydrique avertit que la réaction s’est produite. Les amandes amères d’où l’on retire l'amygdaline, en contiennent de 1 à 9 pour 100. Dans les amandes douces ce produit est rem- placé par la glycose. Pour préparer l’amygdaline, on prend le tourteau d'amandes amères, d'où l’on a extrait l'huile par pres- sion entre deux plaques chaudes. On fait bouillir ce tour- teau avec l'alcool, qui dissout l’amygdaline : on réduit par distillation ; puis on précipite par l'éther. On re- cueille ainsi un corps blanc, cristallisé en belles aiguilles. Pour préparer l’'émulsine, on peut avoir recours, soit aux amandes amères, soit aux amandes douces. On prend les amandes douces, on les divise en morceaux et onles laisse macérer dans l’eau à la température ordinaire. Celte eau devient laiteuse, par suite de émulsion d'huile 19 124 SALICINE. qui s'y produit. On filtre, et la liqueur plus où moins limpide contient le ferment émulsine. Dans l’amande amère, les deux principes existent, mais séparés, confinés dans des cellules spéciales, comme des réactifs que contiendraient des bocaux différents. Mais que les bocaux ou les cellules viennent à être brisés, et les liqueurs mélangées, aussitôt l’action chimique se développera. C'est ce qui arrive lorsqu'on écrase les amandes ou lorsqu'on les broie entre les dents : le goût amer du fruit fait place à une sensation de matière sucrée, et l'odeur caractéristique de l'acide prussique se répand immédiatement. Nous répétons l'expérience en écrasant les amandes dans un mortier : la liqueur con- tient de la glycose. Le réactif cupro-potassique vire au rouge-brique. Nous pouvons opérer encore autrement : essayer l’amygdaline et constater qu’elle est sans influence sur la liqueur cupro-potassique, constater le même fait pour l’émulsine; et après le mélange nous obtiendrons, au contraire, une précipitation caractéristique du réactif. L’écorce du saule, différentes espèces de peupliers et de trembles, le castoréum, contiennent un principe amer et cristallisable, la sa/cine, qui répond à la for- mule brute CHFO"*, ou à la double formule systéma- tique C*H"0"° (C*H$O®), qui montre le dédoublement que peut éprouver cette substance, par fixation d’eau, en CPH°0" ou glycose, et C'HFO* on saligénine. CEHO(CMHC®) + HO? — 0'H#0® + C“H'0! CA Lt . CE Salicine. Glycose. Saligénine. C'est probablement ainsi que les choses se passent TANNIN. ALEURONE. GÉLATINE. 125 dans le saule ; la glycose nécessaire à la végétation pro- vient de ce dédoublement. Nous n'avons pas la prétention d’avoir indiqué toutes les sources de glycose qui existent dans le règne végétal. Nous n'avons même pas indiqué toutes celles qui sont connues. On sait, par exemple, que les tannins peuvent se dédoubler en acide gallique et en glycose, et que beaucoup d’autres corps appelés glvcosides sont sus- ceptibles de donner naissance à la glycose. Mais, en nous engageant dans cette vole, nous serions obligé de quitter les points de vue généraux pour entrer dans des histoires.particulières, et nous nous éloignerions ainsi du but que nous poursuivons ; nous rencontrerions de plus beaucoup d'obscurités, car celte partie de la science est encore en voie de formation. Les questions, même moins récentes, donnent lieu à des débats entre les bota- pistes. C'est ainsi que l'accord ne s’est pas établi relati- vement à la véritable constitution de l'aleurone, qui est une de ces substances productives de sucre dont nous avons parlé. Poer M. Hartg, qui le premier l’a signalée en 1895, c'est une substance albuminoïde complexe, contenant de la fibrine, de l’albumine, de la gliadine, de la légumine, de là gomme et du sucre. Pour M. Tré- cul, 1l y aurait une aleurone albumineuse et une oléagi- neuse. Pour M. Gris, l’aleurone serait formée d’un mélange de matière grasse et protéique, etc. Enfin un chimiste distingué, Gerhardt, avait pré- tendu autrefois avoir obtenu de la glycose au moyen de la gélatine convenablement traitée par les acides. Depuis lors, bien des chimistes ont essayé sans succès 126 SOURCES DE LA MATIÈRE AMYLACÉE. de reproduire cette expérience. D'autre part, M. Ber- thelot a transformé la chondrine en glycose par l'action de l'acide chlorhydrique : la glycose ainsi obtenue est lévogyre et difficilement cristallisable. Les expériences de ce genre ont un grand intérêt, parce qu’elles mon- trent la possibilité d'obtenir la matière sucrée aux dépens de certaines substances abondamment répandues dans l'organisme. Dès lors il est possible de supposer que les circonstances nécessaires à ces transformations artificielles se réalisent aussi dans la nature vivante. Revenant maintenant à la source principale de la glycose, c’est-à-dire à la matière amylacée ou glyco- gène, on peut se demander d’où provient à son tour cette substance. Cela est difficile à savoir posilivement. On peut tout au plus risquer aujourd'hui à ce sujet quelques hypothèses plus ou moins plausibles, fondées sur des expériences encore bien incomplètes. Beaucoup de botanistes ont pensé et pensent encore que les matières sucrées pourraient donner naissance à la matière amylacée. En un mot, on a considéré comme possible et comme réelle la transformation inverse de celle qui nous est connue. Dans cette manière de voir, les corps de la série glycique, depuis la cellulose jus- qu'au sucre, seraient susceptibles de se convertir les uus dans les autres, non pas seulement en suivant la série des hydratations croissantes, mais aussi en descen- dant l'échelle de façon à passer des plus hydratés à ceux qui le sont mois. C'est là une hypothèse, à l'appui de laquelle on cite un certain nombre de faits. On sait qu'il y a des graines qui, riches en sucre jus- TRANSFORMATION INVERSE DE LA GLYCOSE. 127 qu'à un certan moment de leur développement, deviennent tout à coup féculentes, la disparition du sucre Coïncidant d’une manière assez exacte avec l’ap- parition de la fécule. Tels sont les petits pois. On dit même que, recueillis trop jeunes, alors qu'ils sont encore très-sucrés, les pois germent beaucoup plus facilement, mais se conservent moins bien, parce que la matière sucrée ne présente pas la stabilité et la résis- tance de l’amidon. De même, lorsqu'on examine une pomme de terre en germination, on sait que le développement de la tige et la multiplication des granulations amylacées que con- tiennent ses cellules correspond à la métamorphose en sucre de l'amidon accumulé dans le tubercule. Il n’est pas possible de supposer que les grains d’amidon de la tige proviennent directement de l'amidon du tubercule, car entre les deux parties il existe une couche inter- médiaire dans laquelle il semble impossible de déceler une trace de substance féculente, soit en dépôt, soit en migration. Voilà done un second cas dans lequel nous voyons l'apparition de la fécule correspondre à la disparition de la glycose. On a pensé que le change- ment de l’amidon en sucre soluble était la condition qui permettait à la matière féculente de se transporter d'une partie à l’autre. du tubercule dans la tige : une fois le déplacement accompli, la substance reprendrait par une transformation inverse sa forme primitive plus stable. On à encore émis l'opinion que la glycose serait formée dans le parenchyme des feuilles par l’action de 198 ALIMENTATION DE LA GÉLATINE la chlorophylle. Cette glycose se transformerait ensuite en matière amylacée daus les diverses parties du vé- gétal. On pourrait faire à l'égard des animaux les mêmes hypothèses que pour les végétaux, et admettre que la matière sucrée est chez eux l’origine de la matière glycogène. Je dois dire cependant que mes expériences personnelles m'ont conduit à des résultats différents. J'ai soumis des chiens à jeun à des alimentations diverses et exclusives, pour voir celle qui amenait dans le foie la plus grande proportion de glycogène. Celles qui n'ont paru les plus favorables à la formation de la matière glycogène n’ont pas été les matières amylacées, mais au contraire les malières albuminoïdes, et particu- lièrement la gélatine. Toutes mes expériences sont encore bien insuffisantes pour juger une question aussi obscure et aussi difficile ; cependant ce fait pourrait se rattacher aux idées précédentes et à l'affirmation de Gerhard, citée plus haut, que la gélatine serait, sous certaines influences, une source de glycose. Si les opinions précédentes se vérifiaient par l'ex- périence, nous serions amené à considérer la glycose comme le pivot de toute la glycogénie. En effet, ce serait la substance primitive et la substance finale; elle aurait à la fois une évolution ascendante et descendante et serait susceplible de subir des reculs, des arrêts dans sa marche. La glycose mcessamment et originellement formée dans l'organisme pour les besoins de la nutrition, pourrait y servir immédiatement ou après délai. Dans ce dernier cas la glycose devrait être mise en réserve. CLASSIFICATION DE LIÉBIG. 129 Mais son altérabilité s'opposant à sa conservation, elle prendrait une forme plus stable, amylacée, glycogé- nique ou saccharosique. Puis, lorsque les besoins nutri- tifs exigeraient la transformation de cette matière de réserve, la glycose se manifesterait par les mécanismes que nous avons précédemment indiqués. On avait autrefois, avec Liébig, divisé les aliments en deux classes, d’après le rôle qu'on leur attribuait dans l’économie animale. Les uns servaient uniquement à la respiration: 1ls étaient immédiatement brûlés et ne prenaient aucunement place dans l'édifice organique ; ils traversaient seulement ses canaux pour le chauffer. C'étaient les matières hydrocarbonées., susceptibles de se transformer en vapeur d’eau et en acide carbonique, qui constituaient celte première classe des aliments dits respiratoires. La seconde classe comprenait, au con- traire, les matériaux qui servaient à la rénovation des tissus, à leur réparation, et devaient faire partie, pen- dant un certain temps, de l'édifice lui-même. C’étaient les aliments plastiques comprenant toutes les substances albuminoïdes ou azotées. Cette théorie est aujourd’hui à peu près abandonnée. En effet, les phénomènes qui s’accomplissent au sein des {issus organiques n’ont pas la simplicité toute chimique que l’on supposait. Ce ne sont pas des combustions directes qui se passent là; il peut y avoir des évolutions de la même substance dans des sens différents. D’après ces considérations, nous voyons qu'il serait tout à fait illusoire de vouloir ranger la matière glyco- gène, soit parmi les aliments respiratoires, soit parmi CL. BERNARD. — Phénomènes. I. — 9 130 LE GLYCOGÈNE EST PLASTIQUE ET RESPIRATOIRE. les aliments plastiques. Elle est sans doute à la fois l’un et l’autre. Dans les végétaux, la matière amylacée est plastique quand elle contribue à constituer des tissus et des organes: or, elle sert évidemment à la formation de la cellulose, du ligneux. Mais en même temps aussi de la matière amylacée se brûle dans les plantes, soit dans la végétation, soit dans la germination. Chez les animaux, nous voyons du glycogène se transformer en sucre, pour être probablement brûlé ; mais une autre partie peut servir à la constitution des tissus. Nous avons vu chez les crustacés la formation de la matière glycogène coïn- cider avec la formation du squelette. Nous avons vu, de plus, entrer dans la constitution de ce squelette une matière entièrement analogue au ligneux, et par con- séquent voisine du glycogène. S'il n’est pas permis d'affirmer que la chitine soit une forme de la matière glycogène, 1l n’est pas non plus rigoureux de le nier absolument. Que pouvons-nous dire des conditions physiologiques en vertu desquelles la glycose, le glycogène entrent tantôt dans la constitution des tissus, tantôl se brûlent et se décomposent pour fournir de l’eau et de l'acide carbonique? Tous ces points sont encore dans la plus profonde obscurité. Toutefois je puis avancer deux faits : le premier, c’est que la formation du glycogène, et peut-être celle des tissus dans lesquels il s’incorpore, coïncide avec une réaction alcaline du milieu et proba- blement avec une absorption de chaleur. Le second fait, c'est que la destruction ou la combustion du glyco- RÉACTION DES TISSUS GLYCOGENÉSIQUES. 131 gène et de la glycose coïncide, au contraire, avec une réaction acide du milieu et un développement de chaleur. Enfin il y a un dernier fait qu'il peut être utile de rapprocher des précédents: c’est celui d’une relation plus ou moins prochaine qui semblerait exister entre la matière glycogène et la nutrition du système mus- cularre. Disons d'un mot que le phénomène de l'acidité, qui se rencontre si souvent dans le tissu musculaire qui à fonctionné énergiquement, est intimement lié à la pré- sence de la matière glycogène dans l'organisme. Pen- dant longtemps (et encore aujourd’hui) il à été admis que l'acidité des muscles (qui à l’état ordinaire donnent la réaction alcaline) était liée au phénomène de la rigidité cadavérique. Cette opinion, universellement adoptée, est fausse; mes observations la contredisent absolument. Jai rencontré, en effet, des animaux en rigidité ou roideur cadavérique et dont les muscles étaient parfaitement alcalins, et d’autres dont les mus- cles étaient acides, et qui n'étaient pas dans la condition dont nous parlons. Cette remarque de fait, même quand elle n’eût été éclairée par aucune explication, suffisait évidemment à ruiner l'hypothèse en vogue. En science il n’y a pas d’exceptions : une seule exception détruit la loi, à moins qu’elle n’y rentre et que la contradiction ne soit qu'apparente. Si la coagulation du contenu musculaire est une conséquence de l'acidité, on ne devra jamais trouver de coagulation, c’est-à-dire de roideur, dans un muscle alcalin. Or ce fait se présente 159 RÉACTIONS DU TISSU MUSCULAIRE, quelquefois de lui-même, ; j'ajoute de plus qu’on est en état de le produire à volonté. Il n’y a donc entre ces deux phénomènes, rigidité cadavérique, aci- dité, qu’une simple coïncidence et non pas une relation de cause à effet. Les muscles brûlent de la matière glycogène ou sucrée; lorsqu'ils fonctionnent, 1ls détruisent une cer- taine proportion de cette substance; l'acide sarco- lactique est un des produits de cette destruction Plus le musele sera riche en glycogène, plus il donnera d'acide lactique. Cette combustion de la matière glyco- gène ou de la glycose dans les muscles est le fait d’une fermentation lactique incessante pendant la vie et qui continue après la mort. Il y a donc dans les muscles un ferment lactique sans cesse actif. Si l’on coagule le muscle par la chaleur, on y arrête aussitôt la fermenta- tion et la manifestation de lacidité. Je pense que tous les phénomènes de combustion des êtres vivants, animaux ou végétaux, ne sont autre chose que des phénomènes de fermentation. Les ferments sont, en effet, les agents chimiques universels de l’or- ganisme vivant. LECON VII Caractère général de la nutrition et de la glycogenèse. SOMMAIRE. — La nutrition n'est pas directe. — Les matériaux étrangers, avant d’être utilisés, passent par deux états: l'état d’aliment digéré, l’état de réserve. Exemple : des larves de mouche ; exemple : des animaux soumis à l’inanition. Les idées fondamentales que nous avons développées dans le courant de ces leçons se présentent mainte- nant à nous avec la consécration de l'expérience. La nutrition ne consiste pas seulement, comme ont paru le croire quelques physiologistes, dans la mise en place de certains matériaux introduits directement par l'alimentation et n'ayant éprouvé d'autre changement que d’être rendus solubles. Les matériaux alimentaires, en un mot, ne sont pas directement utilisés. La nutrition u’est pas drecte, comme le supposent les chimistes. Le sucre ou le glycogène que l’on trouve chez l'animal n'ont pas été introduits à l’état d'amidon, de glycogène ou de sucre. Le phénomène de la nutrition s’accomplit toujours en deux temps: d’abord il se fait une accumulation, une réserve, un emmagasinement de matériaux; ensuite, dans une seconde période, ces matériaux élaborés et ac- cumulés par l'animal sont utilisés, incorporés aux tissus, 134 DEUX PÉRIODES DE LA NUTRITION. ou brûlés en donnant naissance à des produits excré- mentitiels aussitôt expulsés. Les végétaux fournissent des exemples plus nets que les animaux de cette division de l'acte nutritif en deux périodes. Ainsi, dans la pomme de terre, par exemple, le tubercule se charge, pendant la première année, d’une provision de fécule qui sera mise en œuvre dans le courant de la seconde année pour le développement du végétal. De même, pour la betterave, il s’'accumule dans la racine une provision de sucre de canne qui dis- paraîtra dans la seconde année pour servir, sous forme de glycose, à la floraison et à la fructification de la plante. Il y a deux périodes bien nettement séparées dans ces cas. La vue philosophique qui consiste à considérer l’orga- nisme animal comme un édifice incessamment traversé par un courant ou tourbillon de matière qui entre et sort après avoir séjourné dans l'intimité des éléments anatomiques, cette vue n’est exacte qu’à la condition de bien remarquer que la matière subit pendant son pas- sage des changements organiques plus ou moins lents ou rapides à s’accomplir, qui altèrent et modifient com- plétement sa constitution chimique; en sorte qu'à la sortie et pendant son mouvement elle n’est réellement pas représentable en nature, mais seulement en poids. En particulier, les aliments ne circulent pas en nature à travers l'élément anatomique ; ils doivent d’abord être transformé en sang. L'idée extraordinairement simple que certains chi- mistes ont voulu se faire du mécanisme de la nutrition ÉLABORATION NUTRITIVE. 435 est encore plus fausse que simple. D'après eux, l'orga- nisme puiserait dans le mélange des aliments digérés, c’est-à-dire rendus solubles et passés dans le sang, les principes immédiats qui lui sont nécessaires. En vertu d'une sorte d'élection chimico-nutritive, chaque élé- ment anatomique y prendrait toute formée la substance chimique qui entre dans sa propre constitution. Le muscle y choisirait l’albumine musculaire ou musculine, Je cartilage la cartilagéime, l'os l’osséine, le cerveau la matière nerveuse, phosphorée, cérébrale, et ainsi des autres. Les organes se nourriraient et s’accroîtraient par une sorte de sélection vitale, comme un cristal de sul- fate de soude, placé dans une solution de sulfate de soude et de magnésie, ne s’adjoint que le sel de soude. Il n’en est rien. Les produits de la digestion ne sont pas incorporés sous leur forme alimentaire, mais seule— ment après avoir subi une élaboration qui est le fait de l'individu, et qui les dénature complétement en vue de les rendre assimilables au nouvel être. Pour employer une expression triviale, mais qui rend bien ma pensée, il faut que les matériaux nutritifs aient été préparés dans la cuisine propre de l'individu. Le foie serait peut- être le principal de ces organes élaborateurs. Cette transformation et cette appropriation des maté- riaux nutritifs à chaque organisme sont tellement néces- saires, que les expériences de transfusion prouvent que le sang d'une espèce animale ne pourrait servir à la nu- trition d’une autre espèce. Malgré les analogies considé- rables qui existent entre les produits immédiats, le li- quide sanguin du lapin serait impropre à entretenir la 136 L'ALIMENT EST DÉNATURÉ PRÉALABLEMENT. vie du chien, c’est-à-dire incapable de prendre part aux échanges nutritifs interstitiels; il ne faudrait done pas s’imaginer, si l’on faisait digérer du sang de lapin à un chien, que les matériaux du sang de l'un iraient re- prendre chacun sa place respective dans le corps de l’autre. De telles idées seraient complétement oppo- sées à la saine physiologie. Le sang digéré est dénaturé, et ses matériaux, revenus en quelque sorte à un état in- différent, reprennent lesmodes de groupement ou de combinaison que les phénomènes de la vie exigent. Dans l’histoire de la matière glycogène, nous retrou- vons les deux périodes que nous avons signalées dans l'acte de la nutrition. D'abord la période d’emmagasi- nement, c’est la formation du glycogène; la formation de sucre correspond à la période d'utilisation. Un exem- ple frappant de cette vérité nous est fourni par les in- sectes, en particulier par les mouches. Nous avons vu que leur développement complet comprend trois épo- ques : l'époque primitive, pendant laquelle l'animal vit à l’état de larve dans la viande corrompue; l’époque de la formation et de l'évolution de la chrysalide; l'époque de l’insecte parfait. Or, mes recherches ont établi que, sous l’état de larve, de chenilie ou d’asticot, l'animal est absolument imprégné de glycogène. La chrysalide commence à manifester un peu de matière sucrée. L'insecte parfait contient des quantités notables de sucre, à côté de la matière glycogène. Des deux actes de la nutrition, l’un est physiologique ou vital, l’autre est un phénomène purement chimique indépendant de la vie; la formation du glycogène est un OEUF DE MOUCHE. OEUF D OISEAU. +157 phénomène que nous devons appeler vital, c'est un em- magasinement qui ne s'opère que sous l'influence de la vie; la transformation du glycogène en sucre est un phénomène de destruction qui est indépendant de l'in- fluence vitale et du ressort purement chimique. Nous avons déjà insisté sur ces faits à propos de la glycogenèse hépatique, mais 1l y a peut-être un autre exemple propre à dissiper tous les doutes à cet égard: c’est ce qui se passe dans le développement de l'œuf. En effet, examinons d’abord l'œuf de la mouche: il renferme quelques granulations de glycogène, comme le germe de tous les animaux, car la nécessité de cette substance nutritive se manifeste dès l’origine de la vie, Puis cet œuf est placé sur de la viande qui ne présente pas de traces de matières amyloïdes ni sucrées, et il se forme cependant dans cet être un emmagasinement, une accumulation énorme de matière glycogénique. Il s’agit bien là d’un phénomène histologique et d’une for- mation successive de cellules qui élaborent et créent réellement ce produit. Pour l'œuf de poule, au début il n’existe qu'un seul foyer de matière glycogénique d’une étendue infime, c’est la cicatrieule qui, comme le germe de l'œuf d’in- secte, renferme quelques granulations de glycogène. On peut dire qu’il n’y a en somme qu’une seule cellule gly- cogénique : son existence est une nécessité, car l'œuf devant servir au développement du jeune animal, doit contenir les trois espèces de matériaux indispensables à toute évolution organique : les matières albuminoïdes, les matières grasses et sucrées. En dehors de ce foyer 138 CARACTÈRE VITAL DE LA GLYCOGENÈSE. primitif si restreint pour le glycogène dans l'œuf de l'oiseau, on n’en retrouve nulle part ailleurs. Si la fécon- dation n'a pas lieu, ces quelques granulations de sub- stance glycogène se détruisent et disparaissent au bout de peu de temps. Si la fécondation s'accomplit, on constate alors une multiplication, une prolifération de la matière glycogénique qui se forme dans des cellules spé- ciales. Chez le poulet au huitième jour, des proportions énormes de glycogène existent dans la membrane blasto- dermique; on le manie, pour ainsi dire, à pleines mains(1). D'ou donc pourrait provenir cette substance, sinon d’une élaboration particulière de l'organisme animal? Il est impossible d’invoquer ici l'apport des aliments étrangers, les dédoublements de matériaux introduits du dehors; rien n’a été introduit. Il est facile d’ailleurs de prouver chimiquement qu'il n’y a pas de glycogène où d’amidon ni dans le jaune ni dans le blanc de l'œuf. Si M. Dareste a prétendu le contraire, il est tombé dans l'erreur ; il a voulu caractériser une substance chimique par des caractères d'ordre physique qui ne sauraient avoir, dans ces cas, qu’une valeur tout à fait secondaire et absolument impropre à démontrer la présence de la matière. M. Dastre a prouvé que la substance prise pour de l’amidon par M. Dareste n’était autre chose que la lécithine ou un savon oléique. La formation de la matière glycogénique dans l'œuf de l'oiseau est done véritablement, comme nous le disions, un résullat de l’activité physiologique ou vitale. Une fois formé et emmagasiué dans les tissus, la (rans- (1) Voy. Note I, à la fin du présent volume. CARACTÈRE CHIMIQUE DE LA FORMATION DU SUCRE. 139 formation du glycogène en sucre devient une simple affaire de conditions chimiques. Nous savons que s’il se trouve en présence du ferment convenable, 1l se con- vertira en sucre dans l'organisme, comme il le ferait en dehors de lui, et c’est alors qu'il servira véritable ment aux combustions ou échanges nutritifs auxquels il est destiné. Toutes les autres substances indispensables à la vie sont probablement dans le même cas; une fois formées, elles sont mises en réserve. Ce qui prouve lexistence de ces accumulations ou de ces emmagasinements de matière, c'est ce qui se passe chez l'animal soumis à linanition, c'est-à-dire privé des recettes qui, d'or- dinaire, lui viennent de l'extérieur. Dans ces cas, l'animal se nourrit aux dépens de ses réserves. Et cet état de choses, cette autophagie dans laquelle l'ani- mal se nourrit de lui-même, pourra durer longtemps. On a vu des chevaux vivre pendant quinze jours à trois semaines sans qu’on leur fournit quoi que ce soit en fait d'aliments solides ou de boissons; des chiens peuvent vivre presque aussi longtemps; les lapins un peu moins. Chez les oiseaux, la durée de l'abstinence ne peut pas être poussée aussi loin; peut-être parce que les réserves ne sont pas aussi abondantes, et certaine- ment aussi parce que, la vitalité étant plus active, la cousommation de ces réserves est plus rapide. — Chez les animaux à sang froid, ces réserves peuvent durer plus longtemps. Ainsi, tous les physiologistes conservent des grenouilles pendant des mois, des années même, sans les nourrir aucunement, seulement en empêchant 140 RÔLE DES RÉSERVES. les déperditions de devenir trop grandes. Le séjour dans un milieu où la température est un peu basse et inva- riable, et l'addition d’une faible quantité de sel marin dans l’eau, sont des conditions très-favorables à retarder la consommation des réserves et à prolonger ainsi la vie de ces animaux ; et aussitôt ‘que les réserves sont épui- sées la vie cesse. Il en est absolument de même des végétaux ; ils renferment en eux des provisions aux dépens desquelles ils peuvent vivre, en même temps qu'ils en forment de nouvelles. Mais si l'on soumet le végétal à l’inanition, il peut vivre et fleurir même, orâce aux réserves antérieurement accumulées, comme cela à lieu dans un oignon de jacinthe, par exemple, qu'on fait végéter dans l’eau. Mais le végétal ne pou- vant pas former un nouvel emmagasinement, la vie cesse nécessairement après cette période. En résumé, il existe chez les animaux, comme chez les végétaux, deux périodes nutritives : une période putritive d'emmagasinement et une période de consom- mation ou de destruction. L'histoire de la matière gly- cogène nous en fournitla preuve la plus frappante ; car nous voyons ce principe s'accumuler chez les animaux comme chez les végétaux, pour être détruit dans les phénomènes ultérieurs de la nutrition. Nous terminons ici l'exposé général de la question glycogénique, après avoir mené un des chapitres de la nutrition, non pas à son terme, sans doute, mais à un degré de développement où il serait désirable que beaucoup d’autres fussent parvenus. DEUXIÈME PARTIE LA RESPIRATION LECON VIII 3 Dualisme respiratoire. SOMMAIRE. — Rôle comburant des animaux, rôle réducteur des plantes. Formule du chimisme. La respiration est le phénomène le plus caractéris- tique de la vitalité, c’est-à-dire de l'être en activité vitale. Aucun acte, en effet, parmi ceux qu’exécute l'organisme ne présente à un égal degré ces deux attri- buts fondamentaux : l’universalité et la continuité. Le phénomène respiratoire est universel en ce qu'il se re- trouve chez tous les êtres et dans toutes leurs parties jusqu'au plus petit des éléments ayant figure: ilest con- tinu, c’est-à-dire qu’il ne saurait subir d'interruption sans entraîner ?pso facto la suspension de la vie elle- même. Ce phénomène s’accomplit d’une. manière et avec un résultat identiques chez les animaux et les plantes. La Doctrine de l’unité vitale y trouve, par conséquent, le 149 ROLE RÉDUCTEUR DES PLANTES. plus solide de ses arguments. Il est remarquable que les partisans du Dualisme aient précisément invoqué avec persistance pour soutenir leurs idées le fait qui devait le plus sûrement les ruiner. Lorsque l’on suit le dévelop- pement de cette doctrine, on voit que les éléments d’une différenciation entre les modes de la vie chez les ani- maux et les plantes ont été demandés successivement à l'anatomie et à la chimie. Nous avons donné dans le chapitre précédent la réfutation d’une des considéra- tions mises en avant par les Dualistes. Nous savons d'une manière positive que les matières grasses et sucrées apparaissent chez les animaux sans qu'ils reçoivent du dehors des principes immédiats similaires. Il est faux que la formation des principes immédiats soit l’attribut exclusif de l’un des règnes, l’autre règne ayant pour fonction la destruction de ces mêmes principes. Sur ce premier point la théorie du dualisme vital a donc cédé; elle s’est réfugiée sur un autre terrain, en se bornant à affirmer le rôle réducteur des plantes, par opposition au rôle comburant des animaux. Pour établir le rôle réducteur des plantes, on à com- paré les principes qu'elles emploient pour leur consti- tution à ceux qu'elles éliminent, les matériaux qu’elles empruntent au monde extérieur à ceux qu'elles y rejettent. Or, les matériaux que la plante emprunte au monde minéral sont presque entièrement saturés d’oxy- sène: ce sont des nitrates, de l’eau, de l'acide carbo- nique ; elle y rejette surtout de l'oxygène. Si donc l’on considère la façon dont le végétal se comporte relative- ment au milieu qui l'entoure, on pourra conclure qu’il ROLE COMBURANT DES ANIMAUX. 143 travaille à une sorte de réduction chimique qui aurait pour résultat de défaire les combinaisons que les com- bustions minérales ont faites. L'oxygène, agent combu- rant, retourne dans l'atmosphère ; l'hydrogène, l'azote, le carbone, agents combustibles, restent dans la plante, unis à un résidu d'oxygène pour constituer les acides végétaux, les matières hydrocarbonées, les alcaloïdes, les résines, les huiles essentielles. Cette séparation de l'élément combustible d'avec le comburant, ce dépôt d'hydrogène, carbone et azote, est ce que l'on appelle en chimie un phénomène de réduction. On peut dire, par conséquent, comparant les aliments des végétaux à leurs excrétions, que ces dernières sont plus riches en oxygène et que la constitution des tissus a pour point de départ des phénomènes de réduction. Or, si l’on fait le même parallèle entre les excreta et les ingesta des animaux, on arrive à une conclusion opposée. L'animal tire sa nourriture de la plante: il absorbe donc des substances pauvres en oxygène ; d'autre part, 1l restitue par la peau, les muqueuses, les glandes, de l'acide carbonique, des sels minéraux, des composés organiques à équivalents peu élevés et à for- mule simple, plus riches en oxygène. Envisagé par rapport au milieu extérieur, l'animal est par consé- quent un agent de combustion. Il combine l'oxygène, tandis que la plante le met en liberté. Ainsi, le point de vue auquel on se place pour op- poser le rôle réducteur de la plante au rôle comburant de l’animal, est celui d’où l’on considère les relations de l'être vivant avec le monde ambiant. On ne réussit 144 DUALISME CONTRAIRE A IA PHYSIOLOGIE. à opposer le végétal à l'animal qu’en les envisageant par rapport au maintien de l’équilbre cosmique. Cette vue est sujelte à une objection capitale. Elle met en relief un caractère distinctif des règnes pris en bloc, mais non un caractère distinctif des individus pris isolénient. Encore moins est-ce un caractère des élé- ments anatomiques considérés dans leur modalité vitale: d’où 1l résulte que ce caractère disparaît lorsqu'on au- rait besoin de l'appliquer ; il s'évanouit lorsqu'on veut l’approfondir. Eu égard à toutes les actions chimiques dont le végétal est le théâtre, il est possible que la somme et l'énergie des actions réductrices l’emporte sur l’action oxydante. Mais il y a des individus végétaux pour lesquels la balance peut se faire en sens inverse. Les champignons, les plantes sans chlorophylle, rejet- tent surtout de l'acide carbonique, c’est-à-dire un com- posé plus saturé que les aliments absorbés. Il y à, en résumé, des oxydations et des réductions dans tout élé- ment anatomique, dans toute plante; et ce n’est qu'à la condition d'envisager la totalité du règne végétal, d'opérer la balance, faisant la somme d'actions qui ne sont pas toutes concordantes et tenant compte des com- pensations en nombre infini qui se neutralisent, que l’on peut attribuer au règne végétal le rôle réducteur. L'animal fournit la contre-partie de cet argument : à comparer la totalité de ce qui eutre dans son orga- nisme à la totalité de ce qui en sort, on saisit manifeste- ment l'existence d'une transformation par oxydation. L'opposition est donc dans le rôle que les végétaux et les animaux remplissent par rapport à l'équilibre FORMULE DU CHIMISME. due 145 cosmique : elle n'existe point dans les procédés vitaux de l'individu; elle n'existe pas dans l'élément morpho- logique, où se résout en dernière analyse la vie dans ce qu’elle a d’essentiel. Dans cet élément s'accomplissent, conformément à l’axiome de la physiologie générale, à la fois des oxydations et des réductions, nécessaires les unes et les autres et indissolublement connexes. C’est donc en quittant le terrain physiologique et en se plaçant au point de vue des harmonies de la nature, que l’on compare le règne animal et le règne végétal à une sorte de chaîne fermée, traversée toujours dans le même sens par des éléments nutritifs qui subiraient des réductions dans la partie correspondante aux plantes et des oxydations dans la partie correspondante aux ani- maux. Lavoisier avait déjà dit : « Les végétaux puisent dans l'air qui les environne, dans l’eau et en général dans le règne minéral, les matériaux nécessaires à leur organisation. Les animaux se nourrissent ou de végé- taux ou d'animaux qui ont eux-mêmes été nourris de végétaux. » Liébig (1) disait plus tard : « L'économie animale prépare avec les parties con- stituantes de son sang la substance des membranes, des cellules, des nerfs, du cerveau; mais il faut que la substance du sang, jusqu’à ce qu'elle prenne une forme, soit offerte elle-même toute formée à l'animal. » On voit que ces idées pourraient exprimer les rap- (1) Liebig, Lettre sur la chimie. CL. BERNARD, — Phénomènes. 11. — 10 146 IDENTITÉ DES PHÉNOMÈNES RESPIRATOIRES. ports réciproques des trois règnes dans une formule concise : Ze règne munéral fournit, le règne végétal forme, le règne animal détruit. C'est donc surtout dans l’appréciation des rapports des animaux et des végétaux avec l'atmosphère, c’est-à- dire dans la respiration, que la théorie du dualisme à trouvé ses premiers et ses plus forts arguments. Le point de départ de l'opposition chimique entre les ani- maux «et les plantes se trouve dans les découvertes accomplies à la fin du siècle dernier, relativement à la respiration. L'expérience n’a pas confirmé cette idée du dualisme. Le phénomène de la respiration, loin de fournir un élé- ment de distinction entre le règne animal et le règne végétal, ne fait que manifester plus clairement l'étroi- tesse des liens qui les unissent. Tout être vivant res pire et toute respiration se traduit par les mêmes faits : absorption d'oxygène et exhalation d'acide carbonique. L'animal et le végétal respirent de même. Nous devons faire ressortir cette identité en exami- nant successivement ce qui se passe chez les animaux et chez les végétaux. LECON IX Respiration animale. SOMMAIRE. — Fonction respiratoire. —Ses caractères de nécessité et de conti- nuité. — Unité des phénomènes essentiels, variété des mécanismes fonc- tionnels. Historique. Théories physiques : Aristote, Galien, Descartes, Boerhaave, — Théories mécaniques : Hales. — Théories chimiques : J. Mayow, J. Black Priestley, Lavoisier, Lagrange, Bernouilli, Spallanzani. Les phénomènes de la vie résultent du concours, ou mieux, de l’accord de deux facteurs : 1° des conditions extérieures ou extrinsèques : humidité, chaleur, air, composition déterminée du milieu au point de vue chi- mique; 2° des conditions intrinsèques, propriétés im- manentes de lasubstance organisée. Ce concours nécessaire est assuré par des fonctions dont la complication s'élève à mesure que la structure de l'être vivant se complique. A propos de Pair, par exemple, 1l y a lieu de considérer de deux manières ses rapports avec l'organisme vivant : d’abord, au point de vue des phénomènes qui s’accomplissent lorsque l'air est mis en présence de chaque organisme élémentaire ou élément anatomique; et en second lieu, au point de vue des mécanismes par lesquels, chez les différents individus, se trouve réalisée cette mise en présence. De là deux ordres de phénomènes : les premiers, re- 148 MÉCANISMES FONCTIONNELS. laufs au rôle intime de l’air dans le fonctionnement vilal élémentaire, sont, comme nous le verrons, tout à fait généraux, essentiels, constants; les autres, relatifs aux mécanismes qui assurent à toutes les parties de l'édifice leur quote-part d'air, sont tout à fait variables et accessoires. C'est à ces derniers, considérés dans leur ensemble, qu'on a réservé, par une exclusion fà- cheuse, le nom de resperation. La fonction de respiration doit exister partout, dans tous les êtres, puisque tous ayant besoin d'air, d’après ce que nous avons dit, il faut bien un mécanisme, aussi simple ou aussi compliqué qu'on le voudra, qui leur amène cet excitant nécessaire de l'irritabilité vitale. Et ce que nous disons 101 de la respiration est vrai de toutes les autres fonctions. Les fonctions, en général, ne sont que des mécanismes plus ou moins compliqués, destinés à mettre les particules organiques en rapport avec leurs excitants extrinsèques. Parmi ces mécanismes, celui qui est destiné à la distribution de Pair est l’un des plus remarquables. I] fonctionne en puisant l'air dans l'atmosphère et en l’amenant, par des rouages plus ou moins nombreux et délicats, jusqu'au contact de chaque particule vivante. Or, et c’est là un des caractères les plus remarquables de ce mécanisme, surtout chez les animaux supérieurs, il fonctionne sans interruption. La fonction de respira- tion offre done, comparée aux autres, le caractère re- marquable de la continuité, où du moins d'une conti- nuité bien plus grande. Cette continuité résulte de ce fait que l'organisme ne fait pas de réserves d'air, et qu’il UNITÉ VITALE. VARIÉTÉ FONCTIONNELLE. 149 puise au fur et à mesure de quoi suffire à la consomma- tion des parties. Au contraire, la digestion, par exemple, fonction qui consiste à mettre les particules organiques en rapport avec le milieu chimique convenable, ou au- trement, à ravitailler les particules vivantes des éléments constituants nécessaires, est discontinue. L'organisme puise par la préhension des aliments, à des intervalles plus ou moins longs, les matériaux qui seront dispensés aux éléments anatomiques : il fait pour ainsi dire des réserves de ces matériaux, qui remplissent la période intermédiaire entre les repas de l’animal. Cuvier avait bieu saisi, mais mal rendu, ce côté 1m- portant, qui distingue la fonction de digestion des autres fonctions, et en particulier de la respiration. La nutri- tion, disait-il, est discontinue. C’est digestion qu'il fal- lait dire. En résumé, nous voyons dans la respiration deux or- dres de phénomènes : les uns, intimes, essentiels, se rapportent à l’action de l'oxygène sur l'élément anato- mique et à l’usage que celui-ci en fait; les autres sont relatifs aux mécanismes préparatoires, préliminaires en quelque sorte, qui assurent le rapport de deux sub- stances. Ceux-ci servent pour ainsi dire de préambule aux phénomènes essentiels, qui ont pour théâtre l'élé- ment anatomique. Il y à wntfé vitale pour les premiers, en quelque lieu qu'on les envisage; 11 y a variété fonc- tionnelle pour les autres, d’une espèce à l’autre, d’un règne à l'autre. Ce n’est pas d'emblée et des le début que l’on est par- venu à cette notion si essentielle que les fonctions 150 LES FONCTIONS NE SONT QUE DES MOYENS. n'existent que pour les cellules, et en vue de leur fournir les conditions extrinsèques sans lesquelles elles-ne sau- raient vivre. Au lieu de considérer les fonctions comme des #7oyens, on a dû les considérer d’abord comme un but en soi, c'est-à-dire comme essentielles en elles-mêmes et pour elles-mêmes au mouvement vital, dont elles consti- tuaient les manifestations les plus évidentes et pour ainsi dire les seules évidentes. Nous croyons avoir été des pre- miers, parmi les physiologistes, à formuler tout au con- traire la subordination des moyens fonctionnels au but, qui est la vie cellulaire. Nous l'avons érigée en principe. En examimant historiquement le développement de la question, nous allous voir par quelles étapes succes- sives elle à passé. Nous verrons la respiration connue d'abord comme manifestation de l'individu, chez les êtres les plus élevés ; puis successivement étendue à tous les animaux dont cette fonction paraissait être un attribut; puis aux végétaux. On en a fait d’abord le mode d'activité propre d’un appareil, le poumon ; — un peu plus tard on l’a localisée dans le sang ; — plus tard, enfin, on a reconnu qu'elle appartenait aux élé- ments. En sorte que la marche historique nous a amené à cette conclusion que nos connaissances actuelles nous permettaient de poser 4 priori, à savoir que la fonction existe pour l'élément anatomique, et non, comme on l’a cru longtemps, l'élément anatomique pour la fonction. Les phénomènes si évidents par lesquels se mani- feste la respiration de l'homme ont frappé l'attention la plus vulgaire dès l'antiquité la plus reculée. «Les mou- NÉCESSITÉ DE L'AIR. 151 » vements alternatifs et réguliers de la poitrine ; le » souffle qui s'échappe des narines et de la bouche; » l'angoisse et la mort qui surviennent lorsque cerhythme » nécessaire vient à être interrompu; le premier cri de » l'enfant, le dernier soupir du mourant; » tous ces phénomènes respiratoires si évidents étaient bien faits pour donner aux hommes une haute idée de limpor- tance de cette fonction ; et cette considération nous explique que la respiration ait été confondue avec la vie même, et que vivre et respirer soient devenus comme des expressions synunymes. Mais lorsqu'on à voulu se faire une idée plus pré- cise du phénomène, on s’est adressé à des théories, comme cela a toujours lieu en attendant les investiga- tions scientifiques. Érasistrate pensait que la respiration a pour effet de remplir d’air les vaisseaux artériels : les veines seulement contenaient du sang, les artères étaient remplies de l’air qui leur arrivait par la respiration. Galien n’eut point de peine à.renverser l'opinion erronée d'Érasistrate et à prouver que les artéres con- tiennent du sang et non de l'air. Le premier point qui ait frappé les observateurs, c’est la nécessité du renouvellement de l'air. On savait que l’homme et les animaux ont besoin d’air pour vivre, et besoin que cet air soit renouvelé. L'animal ne tarde pas à périr si l'atmosphère où il est placé est confinée, sans renouvellement possible. | Quant au rôle que jouait l'air dans le phénomène respiratoire, on avait, à défaut de connaissances pré- cises, édifié des théories pour en rendre compte. 152 THÉORIES DE LA RESPIRATION. Théories physiques. — La plus ancienne est celle d'Aristote et de Galien qui fut adoptée par un grand nombre de philosophes ou de médecins : Descartes, Swammerdam, Hamberger, Boerhaave. Selon cette doc- trine, la respiration a pour but de rafraîchir, par l'in- troduction de l'air extérieur, le corps de l'animal que la chaleur produite dans le cœur menacerait de dessé - cher et de corrompre. Théories mécaniques. — D'autres théories, plus mé- caniques, supposatent que l'air introduit dans les pou- mons, les dilate, les déploie, et y permet ainsi la cireu- lation du sang. La respiration avait donc pour but de permettre la circulation dans le poumon, et pour moyen le déplissement de cet organe. Hales et quelques 1atro-mécaniciens proposèrent une autre explication : les mouvements alternatifs d'inspi- ration et d'expiration avaient, selon eux, pour but ou pour résultat de produire un brassage énergique du sang, brassage qui suffisait à modifier ce liquide, à le rendre rouge et vivifiant, comme cela a lieu lorsqu'on l’agite fortement dans un vase. Théories chimiques. — Mais à côté de ces théories, dont le plus grand nombre devait disparaître aussitôt que la physiologie entrerait dans la voie expérimentale, nous trouvons les théories chimiques de la respiration, basées sur les changements de composition que l'air et le sang éprouvent dans leur conflit. Déjà les anciens admettaient dans l'air inspiré un prin- cipe subtil, qui se détruisait en nous, et dans l'air expiré des principes altérés, mal définis, des fuligmosités. ESPRIT IGNO—AÉRIEN. OXYGÈNE. 155 C'est en 1674 que J. Mayow annonça l'existence dans l'air d’un principe igno-aérien, capable à la fois d'être cédé par l'air au sang, de servir par là à l'entretien de la vie, et, d'autre part, de se combiner aux métaux pendant la production de la rouille et la calcimation artificielle, en augmentant leur poids. C'est le pre- mier pas dans cette voie d’assimilation de la respiration à une combustion chimique que Lavoisier devait établir. En 1757, Joseph Black constate quele principal chan- gement de l'air qui sort des poumons consiste dans sa conversion en air fixe. Cet air fixe, qui donne un pré- cipité dans l’eau de chaux, qui est engendré dans la fermentation du vin et dans la combustion du charbon, n’est autre chose que le gaz que nous connaissons au- jourd’hui comme acide carbonique. Les matériaux étaient prêts pour les découvertes de Lavoisier, Scheele et Priestley. L'esprit igno-aérien de Mayow, c'est l'oxygène; l'air fixe de Black, c’est l'acide carbonique. Priestley, de 1775 à 1777, découvre l'oxygène, mais saus se rendre compte de sa découverte, enserré qu'il est dans la théorie du phlogistique de Stahl. La respi- ration pour lui n'est qu'un procédé phlogistique. Le sang cède du phlogistique à l'air, et il rejette par consé- quent de Pair phlogistiqué (azote), et de l’air fixe (acide carbonique); il conserve de par lui l'air déphlogistiqué (oxygène). Priestley avait pourtant découvert les faits essentiels qui permettent d’assimiler la respiration à une combus- tion : il avait constaté qu’un animal placé dans une 154 DÉCOUVERTE DE LAVOISIER. enceinte confinée altère l'air de la même façon qu'une chandelle qui y brûle. C'était la nature de cette altéra- tion qu'il n'avait point saisie. Ainsi, Priestley, quoique en possession de la plupart des faits nécessaires à édifier la théorie chimique de la respiration, ne put sortir de l'erreur de Stahl. C’est Lavoisier qui eut cet honneur impérissable, ét qui ouvrit par là une ère nouvelle à la physiologie, l'ère moderne. En 1777, il établit que la respiration n’a pas d'action sur l'azote, la partie méphitique de l'air, mais seulement sur la partie respirable, l'air pur ou oxy- gène, qui se trouve changé en acide carbonique (air crayeux). La respiration est, pour lui, une combustion lente de carbone et d'hydrogène qui produit un déga- sement de calorique absolument nécessaire à l'entre- tien de la chaleur animale. Cette assimilation de la respiration à une combustion était le trait de lumière qui dissipe toute obscurité et montre le vrai sens des choses. Le corps qui respire se comporte comme le corps qui brûle, et il engendre par le même procédé la chaleur que lPon y observe. Le corps vivant produit ainsi sa chaleur comme les corps bruts, en brûlant : à la vérité c’est une combustion lente sans flamme, mais la nature du phénomène est iden- tique. Les lois de la chimie ont leurs applications dans les corps vivants : il n’y a pas lieu de distinguer entre la nature vivante et la nature inanimée. Le point principal de la question est dès lors élucidé. Le principe fondamental, qui devait dissiper les fan- tômes vitalistes, est nettement posé. Il reste à perfec- SIÉGE DE LA COMBUSTION RESPIRATOIRE, 195 tionner, c’est-à-dire à acquérir les détails de la théorie désormais établie. Deux espèces de difficultés subsistent encore après Lavoisier: la première est de savoir de quelle nature intime est cette combustion lente des matériaux de l'organisme par l'oxygène; la seconde est de savoir quels sont ces matériaux, quelles sont ces parties, qui sont brûlés, en un mot, quel est le lieu de la combus- tion respiratoire. , Lavoisier eut quelques incertitudes à cet égard. Il se demanda si le poumon était le lieu de la combustion ou simplement de l'échange. Après avoir hésité, 1l pen- chait cependant pour la première opinion. Ses succes- seurs ont été, à cet égard, beaucoup plus affirmatifs que lui, et ils ont supposé que le poumon était bien le siége de la combustion respiratoire. Lagrange porta le premier coup à cette théorie, en soutenant que si le poumon était véritablement le foyer d’où se répand toute la chaleur de l'organisme, sa tem- pérature serait tellement élevée qu'il serait bientôt désorganisé et détruit. Le raisonnement physique de Lagrange est, paraît-il, entaché d'erreur, selon M. Ber- thelot. En calcuiant la quantité de chaleur qui serait formée dans le poumon, si toute la combustion respira- toire s’y accomplissait, M. Berthelot a montré que cette quantité, loin d’être capable de détruire l'organe, n’é- lèverait sa température que d’une quantité insigni- fiante. Quoi qu'il en soit de l'argument, la conclusion n’en a pas moins une valeur que l'expérience à établie plus 156 ANALYSE DES GAZ DU SANG. tard : la combustion respiratoire ne se fait point dans le poumon. Les expériences qui sont venues corroborer les con- clusions de Lagrange sont celles de Spallanzani et de William Edwards. Ces expériences montrérent que l’acide carbonique ne se forme pas instantanément dans le poumon aux dépens de l'oxygène, premier fait con- traire à l’idée d’une combustion directe; et en second lieu, que l'acide carbonique exhalé s'engendre non dans le poumon, mais dans la profondeur de l'organisme d’où il peut être rejelé successivement. On dut admettre alors que le poumon était seulement le lieu de l'échange (absorption et excrétion) el non le foyer de combustion. En 1837, Magnus fit entrer la question dans une voie nouvelle en étudiant les gaz du sang. Les expériences que lui-même avait faites n’élaient pas concluantes : Gay-Lussac et Magendie, en interprétant les nombres fournis par Magnus, prétendirent qu'ils plaidaient contre la conclusion même que celui-ci en avait lirée. Mais les analyses ultérieures faites par les successeurs de Magnus, en perfectionnant les méthodes, légitimèrent les con- clusions de celui-ci: elles montrèrent que le sang veineux renfermait moins d'oxygène et plus d'acide carbonique que le sang artériel. C'était donc dans les üssus, pendant le passage du sang à travers les capil- laires généraux, que se produisait la combustion. Ainsi les études sur les animaux ont révélé, à quelques détails près, la nature intime de l'acte respiratoire et le lieu de cette action. Elle équivaut à une combustion : nous aurons à revenir sur celte question à la fin de nos LA RESPIRATION. PROPRIÉTÉ GÉNÉRALE. 157 leçons. En second lieu, c’est un phénomène général, et non point local. On ne comprendrait pas qu’il en fût autrement. Tous les animaux respirent, et cependant tous n'ont pas de poumons. La nécessité de l'air pour tous et l’existence de la respiration ont été établies par une multitude de travaux; Jean Bernouilli montra le premier que les poissons ne sauraient vivre dans une eau qui ne renfermerait point d'air. La respiration des mollusques à été établie par Spallanzani. Enfin des recherches nombreuses ont montré que non-seulement l'animal pris dans sa totalité respirait, mais que chacune de ses parties se comportait de la même manière. Spallanzani à observé la respiration des tissus, des muscles, détachés du corps de l'animal. Georges Liébig, plus tard, a repris cette question, et ses expériences ont soulevé des débats auxquels ont pris part un graud nombre de physiologistes. M. P. Bert (1) a exécuté des expériences pour constater la respiration et l’activité de cette respiration dans la plupartdes tissus. Il résulte de ces faits que la respiration est une pro- priété générale qui appartient à tous les animaux et à toutes leurs parties; c'est un phénomène élémen- taire. Considérée comme fonction variable d’un être à l’autre, elle n'a pour but que de permettre le phéno- mène élémentaire partout identique. (1) P. Bert, Leçons sur la physiologie comparée de la respiration, Paris, 1870. LECON X Respiration des plantes, — Historique. SOMMAIRE. — Expériences de Van Helmont. — Le comte Saluces. — Expé- riences fondamentales de Priestley sur l’antagonisme des plantes et des animaux au point de vue de leur respiration. Lacunes de ces expériences. Lumières apportées dans la question par Ingenhousz, Senebier, Th. de Saus- sure. Distinction de la respiration proprement dite et de la fonction chlo- rophyllienne. Garreau. Peu de questions ont donné lieu à autant de confu- sions et à autant de débats que celle de la respiration des végétaux, sur laquelle pourtant on a fondé, de notre temps, le dualisme vital. Pendant longtemps on n’a rien connu de la physiologie des plantes, et en par- ticulier rien de leurs rapports avec l'atmosphère ou de leur respiration. A tous les points de vue, les manifesta- tions vitales ont été plus ignorées dans le règne végétal que dans le règne animal, et l’on peut dire que c’est la physiologie animale qui a toujours précédé et poussé en avant la physiologie végétale. Il importe peu de rechercher dans l'antiquité des notions que celle-ci ne pouvait posséder. C’est seule- ment au xvi° et au xvnr° siècle que nous trouverons les origines des théories actuelles. C'est à Van Helmont que l’on doit les premières con- naissances expérimentales sur la question. EXPÉRIENCES DE VAN HELMONT. 159 Van Helmont (1577-1644) est l’une des figures les plus singulières que nous offre l’histoire de la science. Venu à une époque de transition, 1l forme lui-même le trait d'union entre les savants mystiques du moyen âge et les expérimentateurs modernes. Son esprit offre un singulier mélange de tendances systématiques, d'idées obscures et théosophiques, de conceptions étranges et de vues bizarres ou extrava- gantes: tout cela mêlé à des qualités de premier ordre et à un véritable génie expérimental. Comme l'ont rap- pelé plusieurs de ses biographes, Van Helmont possé- dait à l'égard du feu, de l'air, des gaz, de la terre et de l’eau, des connaissances bien en avance sur celles de son temps. Il eut la conscience nette des fluides aéri- formes et de leur rôle dans les phénomènes de la chi- mie. Il s'occupa le premier de chimie organique; il introduisit la balance et le calcul dans les recherches ; il détermina la nature de la flamme et fonda la chimie pueumatique. C’est lui, du reste, qui a créé le mot gaz ou gas, dérivé de l'allemand Gahst ou Geist, qui veut dire esprit. Relativement à la vie des plantes, Van Helmont fit deux expériences très-importantes, très-remarquables pour l’époque, mais dont il ne pouvait alors donner l’in- terprétation exacte. Voulant savoir aux dépens de quoi vivaient les végé- taux, 1l prit 200 livres de terre desséchée au four, qu'il plaça dans un vase et dans laquelle il planta une branche de saule pesant 5 livres. Pendant cinq ans, il laissa croître la branche, l’arrosant seulement avec de 160 DÉCOUVERTE DU GAZ SYLVESTRE. l'eau de pluie ou de l’eau disüillée. La plante avait grandi rapidement. Lorsqu'il la pesa de nouveau, il lui trouva, à l'exclusion des feuilles, un poids de 169 livres 3 onces, tandis que la terre, de nouveau desséchée, n'avait perdu que 2 onces. Ainsi, 164 livres et 1 once de substance s'étaient fixées dans le végétal. D'où pro- venait ce gain? Van Helmont n’hésita pas à le rapporter à l’eau qu'il avait versée sur le végétal, et 1l n’eut pas l'idée de faire intervenir l'atmosphère. Cette expérience se raltachait dans son esprit à une conception sur l’uni- versalité de l’eau comme principe matériel des corps bruts et vivants. Van Helmont n’admet en effet que deux éléments, l’eau et l'air; plus, le #agnale, corps intermédiaire entre l'air et les corps célestes, Il crut donc que c'était l’eau avec « laquelle il arrosait la » plante qui s'était transformée en saule, c'est-à-dire » que le bois de saule est de l’eau qui a pris une forme » nouvelle, ou enfin que l'eau est le principe de tout ». Mais cette conclusion, qui portait l'empreinte des erreurs ou de l'ignorance de son temps, n'empêche point d'admirer l'appropriation si parfaite de l'expé- rience au but poursuivi, et la complète rigueur avec laquelle elle a été conduite. La physiologie botanique et la chimie sont redevables à Van Helmont d’une autre expérience. Cette seconde expérience de Van Helmont consista à opérer la com- bustion de 69 livres de charbon de chêne, d’où l’expé- rimentateur ne retira qu'une livre de cendres. Il conclut que 61 livres de charbon s’étaient changées en un air invisible, le gaz ou l'esprit sylvestre, auquel il reconnut RÔLE DE PRIESTLEY, 161 la propriété de troubler l’eau de chaux et qu'il retrouva plus tard dans les cuves de la fermentation et dans l'air impropre à-la respiration et à la combustion. C’est notre gaz acide carbonique, dont la découverte est due ainsi à Van Helmont. Van Helmont, qui était médecin, s’est aussi beaucoup occupé des fonctions animales. Ses idées physiologiques et médicales ont été résumées par M. le docteur W. Rommelaere dans un excellent mémoire couronné par l’Académie royale de Belgique. Van Helmont a écrit sur la physiologie du corps humain une sorte d'épopée dont les héros étaient les archées. Nous n'avons pas à nous arrêter sur toutes les divagations de cet esprit illu- miné ; il nous suffit d’avoir montré qu'a côté de ces rêveries 1l existait chez lui un sentiment scientifique fortement empreint dans les quelques expériences qu'il nous à laissées. Van Helmont fut le dernier des alchi- mistes. Priestley (1728-1804) doit être regardé comme le continuateur de Van Helmont, quoiqu'il en soit séparé par Stahl, qui exerça encore une si grande influence sur Ja chimie et la physiologie elle-même. Il y a, du reste, une certaine analogie entre nos deux au- teurs. Comme Van Helmont, Priestley a un esprit capable d’allier les conceptions les plus vagues et les plus nuageuses à un génie expérimental, précis et rigoureux. Le docteur Joseph Priestley, ecclésiastique anglais et philosophe, s'était jeté avec ardeur dans les discus- sions philosophiques, théologiques et politiques de son CL. BERNARD. — Phénomènes. 1. — 11 162 VICIATION DE L AIR RESPIRÉ. temps; il s’associa avec enthousiasme à la Révolution française, s’attira des persécutions, et, forcé par le gou- vernement anglais de s’exiler, 1l se retira en Amérique, où il mourut, en 180%, d'un empoisonnement acci- dentel. Priestley était en outre physicien et chimiste, et ses travaux dans ces sciences ont rendu son nom immortel. C’est dans son Traité des différentes espèces d'air, publié de 177% à 1779, que Priestley a consigné les découvertes et les expériences fondamentales dont nous avons à rendre compte. Priestley étudia successivement l’ar inflammable (hydrogène), l’ar fire (acide carbonique), l'air phlo- gistiqué (azote), et 1l reconnut que tousétaient impropres à entretenir la respiration et la combustion ; ils étei- gnaient la lumière et la vie. Il se servait de petits ani- maux pour essayer l'action pernicieuse de ces différents airs. Plus tard, il employa l'air nitreux comme réactif de l'air vital ou wdéphlogistiqué (oxygène). Priestley montra clairement que la combustion, la fermentation, la respiration, la putréfaction, produisaient tantôt de l’air fixe, tantôt de l’air inflammable, tantôt de l'air phlogistiqué. Il y avait donc une infinité de causes capables de vicier l'air. Priestley savait que la respiration des animaux altère continuellement la composition de latmosphère, et il était préoccupé de connaîlre pourquoi l'air ne paraissait pas vicié et pourquoi les animaux continuaient à y vivre, alors qu'une multitude de générations d'êtres travail- laient depuis des milliers d'années à le corrompre en absorbant d'immenses quantités d'air déphlogistiqué ACTION DU FROID SUR L'AIR VICIÉ 165 (oxygène), en y versant des torrents d'air fixe (acide car- bonique). Comment l'air atmosphérique est-il toujours aussi propre à entretenir la respiration? Comment le milieu respiratoire est-il rétabli dans sa pureté primitive? Les naturalistes s'étaient souvent préoccupés de ce problème. Une explication proposée tomba sous les yeux de Priestley. Elle avait été publiée (1) par le comte Saluces. Ce sont les froids de l'hiver. disait l’auteur, qui détruisent les émanations putrides et restaurent le milieu respiratoire. Cette opinion s'appuyait sur un fait de notoriété vulgaire, à savoir que le froid empêche la putréfaction, tandis que la chaleur favorise ordinaire - ment les fermentations putrides. Priestley (2) rapporte cette théorie. Il ajoute qu'il résolut de soumettre au contrôle de l'expérience les assertions de l’auteur italien. Pour cela, il fit brûler des chandelles dans des enceintes limitées, ou bien il y laissa séjourner des animaux, jusqu’à ce que, tout l'air ayant été vicié, la respiration ou la combustion fussent deve- nues impossibles : les animaux y mouraient, les lumières s’y éteignaient. Cet air fut ensuite exposé au froid de fortes gelées; mais, après comme avant l'exposition, les animaux n’y pouvaient vivre. Le fait avancé de l'influence régénératrice du froid élait done controuvé. L'action corruptrice de la cha- leur était une hypothèse tout aussi inexacte : chandelles (1) Mémoires de la Société philosophique de Turin, t. Ie', p. 41. (2) Priestley, Expériences el observations sur différentes espèces d'air, LAID SCIE": 16% ANALOGIE DE LA RESPIRATION ET DE LA COMBUSTION. ou animaux pouvaient parfaitement vivre ou brûler dans l’air ordinaire qui avait préalablement traversé un tube rougi. Après avoir renversé la théorie du comte Saluces, Priestley chercha à édifier la théorie véritable qui devait lui être substituée. Il résolut de ne se fier qu’à l’expé- rience, et il combina tout un plan d'épreuves ingénieu- sement conçues et savamment exécutées. D'abord il constata un fait important, à savoir, que l'air était vicié exactement de la même manière par la lumière qui s’y consume et par l'animal qui y respire. Dans le milieu irrespirable où l'animal a cessé de vivre, la chandelle s'éteint ; dans le milieu impropre à la com- bustion où la lumière a cessé de brûler, l'animal ne peut plus vivre. La valeur de ce premier résultat si simple n'échapvuera à personne. On y trouve la première assimilation entre la respiration et la combustion, que Lavoisier devait démontrer plus tard, et le premier progrs dans la voie féconde de la chimie physiolo- gique. C'est alors que Priestley fit intervenir la plante. Il voulut savoir comment une plante se comporterait; si, par exemple, elle pourrait vivre dans ce milieu vicié où la respiration de l’animal et la combustion de la chan- delle ne pouvaient plus s'accomplir. C'est ainsi qu'il fut conduit à la célèbre expérience, dans laquelle, après avoir laissé mourir des souris au sein de l'air confiné sous une cloche et avoir constaté que l’air vicié ne per- mettait plus à d’autres souris d’y vivre, 1l y plaça des pieds de menthe et observa que non-seulement le EXPÉRIENCE FONDAMENTALE. 165 végétal ne manifestait aucun trouble vital, aucune dé- chéance, mais qu’au contraire il y prospérait et s'y développait avec une extrême vigueur. Priestley alla plus loin, et il constata que cet air, pri- mitivement vicié par la respiration animale et dans lequel la plante avait vécu, avait été purifié et avait récupéré son aptitude à entretenir la vie d'un animal qu’on y in- troduisait de nouveau. Ainsi, c’est à Priestley que revient la gloire d’avoir découvert que les animaux et les végétaux agissent d’une manière inverse sur le milieu où ils sont plongés: leurs influences antagonistes se contre-balancent continuelle- ment et maintiennent l'équilibre de l'atmosphère. La couche d’air qui enveloppe notre globe est comme cette enceinte limitée dont nous parlions tout à l'heure, où l'animal peut vivre indéfiniment à la condition qu’une plante rétablisse à chaque instant dans sa pureté origi- nelle l’air que lui-même corrompt incessamment. La feuille de la plante travaille pour le poumon de l'animal. Les contemporains de Priestley, parmi lesquels on peut citer Franklin et Pringle, rendirent hommage à ses découvertes. Pringle développa, dans un discours, cette loi grandiose d’antagonisme entre le règne végétal et le règne animal. Non-seulement, disait-il, les plantes salu- taires purifient incessamment l’air, mais les plantes vénéneuses elles-mêmes, qui renferment des poisons violents capables de détruire la vie animale, l’entre- tiennent d’un autre côté en contribuant à la purification de l'atmosphère. Une grande harmonie naturelle était ainsi dévoilée. 166 ORIGINE DU DUALISME VITAL. Le rapport de la vie animale et de la vie végétale était trouvé : il consistait dans un antagonisme continuelle- ment compensé. La plante qui végète, l'herbe qui pousse, étaient la condition d'existence de l’animal qui respire, comme l'acide carbonique que le poumon ex- hale devient également la condition de la vie de la plante. Aussi admit-on que sur notre globe primitivement nu les végétaux avaient dû apparaître les premiers et pré- céder les animaux pour leur préparer un milieu con- venable, les végétaux ayant eux-mêmes reçu primi- tivement l'acide carbonique nécessaire à leur existence du règne minéral, c’est-à-dire du cratère des volcans, aujourd’hui éteints pour la plupart. C’est donc à cette époque, il y a environ un siècle, et surtout sous l'influence des brillantes découvertes de Priestley, que s'établit réellement cette opinion de la dualité vitale ou de l’antagonisme entre les animaux et les végétaux; on crut qu'ils respiraient d’une manière inverse, les uns en altérant incessamment l'atmosphère, les autres en la purifiant constamment. Toutefois les expériences de Priestley étaient loin de comporter une généralité aussi étendue et aussi impor- tante dans ses conséquences que celle qu’on leur avait attribuée même de son temps. Disons d’abord que sa célèbre expérience, relative à la puissance révivifiante des végétaux sur l’air vicié, n’est pas une expérience constante; elle n’est pas complète et ne représente qu’un côté d’un phénomène en réalité très-complexe. Plus tard, en effet, Priestley reprit ses recherches, et les résultats ne lui parurent plus aussi nets; 1l trouva CONTRADICTIONS DE PRIESTLEY. 167 même que parfois les végétaux vicient l'air comme les animaux. La satisfaction d'avoir découvert une loi aussi grandiose fut singulièrement obscureie dans son esprit par les doutes qui l’assaillaient, et il tomba dans la plus grande perplexité devant les lacunes et les incertitudes que présentait sa théorie. Il en vint à dire qu’une expé- rience concluante doit faire rejeter celles qui ne le sont pas. Il rejeta donc les épreuves qui n'avaient point réussi et dans lesquelles l'air était vicié par les végétaux comme par les animaux ; 1l les considéra comme mau- vaises et n’accepta désormais que les premières, celles qu'il appelait «les bonnes expériences ». C’est là une philosophie expérimentale que nous ne saurious admettre. Il n’y a pas de bonnes et de mau- vaises expériences ; toutes existent et toutes sont bonnes dans leurs conditions déterminées. Si les résultats de Priestley varièrent, c’est que, bien qu’il eût fait une dé- couverte de premier ordre, il n’en avait pas compris le véritable déterminisme. C'est à ses successeurs qu'était réservé le mérite de faire connaître les conditions exactes du phénomène. Un médecin anglais fixé à la cour d'Autriche, Ingen- housz (1787), frappé de la grandeur des résultats obtenus par Priestley, résolut d'étudier lui-même la question et de dissiper les contradictions contre lesquelles s'était heurté l'illustre chimiste. Il plongea des plantes dans des flacons pleins d’eau de source, munis d’un tube de dé- gagement, et recueillit les gaz exhalés. C'était tantôt de l'oxygène, tantôt de l'acide carbonique. Il détermina les circonstances qui régissaient ces phénomènes opposés 168 INFLUENCE DE LA LUMIÈRE, DE L'OXYGÈNE. et il reconnut que c'était la présence ou l’absence des rayons solaires qui entraînait le résultat. Ainsi, c’est grâce au soleil que les végétaux purifient l'air; à l'ombre ils le vicient à la façon des animaux. Mais si Ingenhousz précisa une des conditions essentielles du phénomène, il n’en comprit pas la nature. Il crut que c'était l’eau qui fournissait l’oxygène. Un peu plus tard, Senebier reconnut l'origine de l'oxygène exhalé au soleil. Cet oxygène provient de l’acide carbonique absorbé par les feuilles à l’état de gaz, où par les racines à l’état de dissolution; le gaz se décomposait, abandonnait son carbone à la plante et rejetait incessamment l'oxygène. Enfin, Th. de Saussure établit, en 1804, que l’oxy- gène est aussi indispensable à la vie de la plante qu’à celle de l’animal. Il vit le végétal se comporter pendant la germination exactement comme l’animal, en absorbant l'oxygène et en exhalant l'acide carbonique ; il constata que les feuilles placées dans l’obscurité produisent une petite quantité d’acide carbonique formé aux dépens de l'oxygène. Il reconnut, de plus, que les parties vertes étaient seules capables de réduire l'acide carbonique sous l'influence solaire, et que les parties autrement colorées, ou même les parties vertes à l'obscurité, jouissaient de la propriété inverse, c’est-à-dire altéraient l’air à la façon des animaux, en absorbant l'oxygène eten dégageant de l’acide carbonique. La preuve de la décomposition de l'acide carbonique par les plantes ayant été fournie par les expériences di- rectes de Saussure et par les célèbres expériences de RESPIRATION DES PLANTES. 169 Boussingauli en 1840, on observa bientôt (Vogel et Witthner, Unger) que tout l'acide carbonique décomposé par les feuilles n’était pas nécessairement puisé par celles-ci dans l'atmosphère, mais qu’une partie pou- vait y être amenée du sol par les racines. Après toutes ces expériences et ces travaux nom- breux, le rôle réducteur des plantes ne semblait plus faire de doute. Toutes les circonstances de la réduction étaient connues, le rôle de la chlorophylle, la néces- sité de la lumière, le mécanisme de l’action. D'autre part, les expériences concordantes d’un grand nombre de botanistes sur la manière dont se comportaient en tous temps les végétaux dépourvus de matière verte, tels que les champignons, ou les parties d’un végétal autrement colorées, fleurs, corolle et éta- mines, bourgeons, et surtout les graines pendant la germination, enfin la nature même des échanges ga- zeux accomplis dans tout le végétal, y compris les par- ties vertes, pendant la nuit ou à l'obscurité, tout cela montre qu'il existe, à côté de l’action réductrice que nous venons de signaler, une autre action non moins importante mais plus générale, une combustion respi- ratoire véritable. Garreau, un botaniste contemporain, a le premier insisté sur la nécessité de séparer ces deux ordres de phénomènes trop souvent confondus (1) : cette distinction a été acceptée et formulée en théorie géné- rale par le botaniste allemand Jul. Sachs: on peut la considérer aujourd'hui comme consacrée dans la science. (1) Garreau, Expériences au soleil. 170 FONCTION CHLOROPHYLLIENNE. RESPIRATION. On a donc confondu sous la dénomination générale de respiration végétale deux ordres de faits bien diffé- rents. Ces faits n’ont rien de commun, si ce n’est de consister en des échanges de gaz entre la plante et l'atmosphère; mais 1ls sont opposés dans leur essence en ce que les uns ont pour résultat une absorption d'acide carbonique et une restitution d'oxygène, et les autres, au contraire, une absorption d'oxygène et une restitution d'acide carbonique. Dans le premier cas, il y a dans la plante un dépôt de carbone qui sert à son accroissement: ce phénomène est done un véritable phé- nomène de nutrition, de réduction, et doit être distrait des actes respiratoires véritables; nous l’appellerons fonction chlorophyllienne. Le second phénomène, inverse du précédent, qui à pour résultat une absorption d'oxygène et un dégage- ment d'acide carbonique, c’est-à-dire un phénomène de combustion et une perte de substance pour le végétal, est entièrement semblable à l'acte respiratoire que l’on observe chez les animaux. Il mérite véritablement le nom de respiration. Nous l’appellerons esprration pro- prementdite. Les échanges gazeux entre les végétaux et l’atmos- phère sont donc le résultat de deux actions distinctes et antagonistes : action chlorophyllienne et respiration pro- prement dite. Avant d’avoir établi cette distinction lu- mineuse, on étudiait le fait de l’échange, en bloc, pour ainsi dire; on n’observait que la résultante de deux actions opposées, résultante qui est dans un sensou dans l’autre, suivant que l’une ou l’autre l'emporte sur son RÉDUCTION PAR LA CHLOROPHYLLE. 171 antagoniste. La compréhension des phénomènes ne peut être complète que lorsqu'on saura faire la part de ces deux influences physiologiques, en les étudiant séparé- ment. Les expériences célèbres de Théodore de Saussure ont mis hors de doute cette double action dans les feuilles des végétaux. Pendant la nuit, des feuilles en- fermées dans une cloche vicient l'air en absorbant de l'oxygène et en exhalant de l’acide carbonique. Pendant le jour, sous l’influence solaire, la plante agit en sens inverse et restitue l’oxygène au milieu, parce que l’éner- gie de l’action chlorophyllienne l'emporte alors sur l'énergie de la respiration véritable. La réduction de l'acide carbonique appartient exclu- sivement à la chlorophylle dont la faculté spéciale, immanente à sa substance, se manifeste seulement lorsque cette substance est soumise à l'influence de la lumière. 11 faut donc reconnaître là une propriété limi- tée dépendant d’une substance déterminée, et non point une propriété générale. On pourra l'assimiler à toutes les autres propriétés fonctionnelles et dire que la mo- lécule chlorophyllienne est apte à décomposer l'acide carbonique à la lumière : elle possède cette faculté spé- cale comme le tube nerveux de l’animal possède la faculté de conduire l'excitation nerveuse, comme la fibre musculaire possède la contractilité. Les rayons solaires sont l’excitant approprié qui met en jeu cette fonction. Au contraire, le phénomène inverse, qui consiste en une absorption d'oxygène et un dégagement d'acide 172 CARACTÈRE DE LA RESPIRATION VÉRITABLE. carbonique, dépend d’une propriété générale apparte- nant à toute cellule organisée, c’est-à-dire à tout ce qui vit, Ce phénomène est entièrement semblable chez le végétal à l'acte respiratoire que l’on observe chez les animaux. [l mérite seul le nom de zespération dans les deux règnes. Celle-ci est absolument générale, elle est commune à tous les éléments anatomiques végétaux ou animaux: elle ne s'arrête et ne se suspend jamais. Elle a tous les caractères des phénomènes de la nutrition, à savoir : la continuité et luniversalité. On la constate dans les fleurs, les bourgeons, les graines, les tiges, les racines ; on la trouve dans les plantes sans chlorophylle, comme les orobanchées et les champignons; enfin, elle existe aussi dans les organes verts, où elle constitue ce qu’on a appelé la respration nocturne où la respiration à l'ombre, autrefois opposée par les botanistes à la fonc- tion diurne chlorophyllienne qui a besoin des rayons solaires pour s'exercer. Mais de jour ou de nait, à l'ombre ou au soleil, à l'air ou dans l’eau, la respiration ne cesse Jamais, Car sa cessation serait la mort. En résumé, la propriété respiratoire proprement dite est commune au végétal et à l'animal: l’un et l’autre ont besoin d'oxygène pour accomplir les combustions organiques qui se passent en eux. C’est là, par consé- quent, une analogie frappante qui, au lieu de prouver la dualité de la vie dans les deux règnes, en manifeste au contraire l'harmonieuse unité. LECON XI Variété des mécanismes respiratoires. — Unité du but. SOMMAIRE. — Distinction générale des propriétés et des mécanismes fonc- tionnels. — Type schématique de l’appareil respiratoire. — Deux cas à distinguer : 1° L’air va au-devant de la cellule : êtres monocellulaires, élé- ments anatomiques. 2° La cellule se déplace pour venir au contact de l'air: globules du sang. Il est nécessaire, au point de vue de la physiologie générale, d'établir une distinction fondamentale entre les fonctions et leurs moyens d'exécution. Les fonctions vitales considérées dans ce qu’elles ont d’essentiel ontun caractère d'universalité et de permanence qui ne s'arrête pas aux limites factices des deux règnes : elles appar- tiennent à tous les êtres vivants; réduites à leur essence, dans les êtres les plus simples, elles constituent les propriétés vitales. Le but des fonctions est partout le mème : c’est dans cette unité du but que réside l'unité vitale. Mais, si le but est le même partout et toujours, les moyens d'exécution, ou, pour dire autrement, les #éca- nismes fonctionnels, sont infiniment variés. C’est dans cette variété que réside la diversité vitale. Cette distinction n'a pas toujours été faite : on n’a pas su distinguer le plus souvent le moyen du but, et le physiologiste, préoccupé des différences apparentes, est 174 CONDITIONS ESSENTIELLES, tombé dans l'erreur de considérer comme la fonction elle- même ce qui n'est qu'un des procédés par lesquels elle peut s’'accomplir. Le phénomène intime, essentiel, de la respiration est celui qui se produit lorsque l'air, ou la partie active de l'air, l'oxygène, se trouve en contact dans le milieu circum-cellulaire avec l'élément anatomique : la fonc- tion de respiration à précisément pour but d'amener ce contact, et ce résultat peut être obtenu par une infi- nité de moyens différents chez les différents animaux ou végétaux. La condition essentielle, constante, est ici le contact de l'oxygène avec l'élément anatomique; la con- dition variable, c’est le mécanisme qui assure ce résultat chez tel ou tel être vivant. On trouve dans les mécanismes respiratoires tous les degrés de complication offerts par les différents êtres, depuis l'être monocellulaire où il est pour ainsi dire réduit à néant, jusqu'à l'homme où il constitue un grand appareil dont le jeu est très-compliqué. Pour les êtres les plus simples, monocellulaires, l'oxy- gène existe dans le milieu ambiant, et alors l'être qui n'a rien fait pour l’y amener en profite pour son déve- loppement vital. Si l'oxygène fait défaut, l'être ne vit pas, ne se développe point. Lui-même n'intervient donc par aucune fonction pour s'assurer cet élément indis- pensable : le hasard des circonstances extérieures le lui fournit ou le lui refuse. Aussi ces êtres sont-ils soumis à toutes les vicissitudes cosmiques. Cependant, si l'oxygène n’est pas fourni directement à l'être monocellulaire, celui-ci peut, dans certaines cir- RESPIRATION SANS APPAREIL. 175 constances, l’extraire, par une véritable fonction respi- ratoire, du milieu ambiant. Selon Pasteur, la cellule de levûre privée d'oxygène enlève cet élément au sucre, s’il y en a autour d’elle, et par là provoque le dédouble- ment de cette substance, ou, pour mieux dire, la fermen- tation alcoolique. Un grand nombre d’autres organismes élémentaires seraient dans le même cas, si l’on en croit les observations récentes de quelques chimistes physio- logistes. En résumé, l’appareil respiratoire devient inu- tile et cesse d'exister chez les organismes simples unicel- lulaires ou paucicellulaires, qui, en raison de leur faible volume et de leur constitution simple, peuvent être faci- lement pénétrés dans toute leur masse par les liquides et les gaz qui les entourent. Chez les êtres plus élevés, chez les animaux supé- rieurs où les éléments de nature diverse sont réunis en masse pour constituer les tissus, l’oxygène a un trajet bien plus long à faire pour arriver de l'atmosphère jus- qu'aux éléments les plus profondément situés, et l’on conçoit alors la nécessité d'appareils spéciaux pour faire pénétrer et convoyer l'oxygène dans les tissus. On con- coit également que ces appareils doivent varier à l'infini dans leur forme et leur agencement pour s'adapter aux conditions si diverses, tant intérieures qu’extérieures, dans lesquelles se manifeste la vie. C’est le rôle de la physiologie comparée d'étudier ces structures différentes et d’en rendre compte, tandis que la physiologie géné- rale accorde seulement son attention aux traits communs de la structure et à ce qu’il Y: a de général et d’essentiel dans la fonction. 176 SCHÉMA DE L'APPAREIL RESPIRATOIRE. La physiologie comparée enseigne que les échanges gazeux entre le milieu ambiant et l'organisme se font au moyen d’un appareil formé d'une membrane qui sépare l'atmosphère gazeuse des tissus ou des liquides où l'oxygène doit pénétrer. Telle est la forme la plus géné- rale et la plus simple de l'appareil respiratoire chez les animaux : une membrane, d’un côté de laquelle se trouvent les tissus où le sang tandis que de l’autre côté se trouve l'oxygène, ou combiné, ou dissous, ou à l'état libre. Toute espèce de membrane animale peut servir de membrane respiratoire : mais elle réalise plus ou moins complétement les conditions favorables à l'échange gazeux. C'est ainsi que la peau peut permettre, chez beaucoup d'animaux, la pénétration de l’oxygène et l’ex- pulsion de l'acide carbonique. Mais la peau n'est pas encore un appareil assez spécialisé : les organes res- piratoires proprement dits présentent une adaptation plus complète de cette membrane à lusage qu'elle doit remplir. La membrane respiratoire se plisse, de façon à présenter la plus grande surface sous le moindre volume. Elle peut être déprimée en sacs, loges, cavités plus ou moins anfractueuses : c'est le cas des poumons; elle peut être au contraire repoussée en saiilies plus ou moins ramifiées : c’est le cas des branchies. On pourrait dire qu'il y a un grand nombre d'appareils respiratoires chez un même animal, si l’on devait donner ce nom à toutes les parties qui, permettant l'introduction de loxy- gène et l'élimination de l'acide carbonique, servent à la respiration : mais on le réserve à l'organe particulier RESPIRATION DES ÉLÉMENTS. 174 où sont réunies au plus haut degré les conditions d'un énergique échange de gaz, c’est-à-dire l’amincissement et l’humidification de l'enveloppe, la multiplication des surfaces, la richesse de l’irrigation sanguine, le renou- vellement le plus rapide du milieu oxygéné. Il appartient aux zoologistes, nous le répétons, de faire connaître les degrés croissants de la complica- tion de l'appareil respiratoire des animaux ; aux bota- nistes de montrer les variétés qu'il offre dans le règne végétal. La physiologie générale doit, au contraire, faire ab- straction de ces différences d'organes, c'est-à-dire de mécanismes, pour concentrer son attention sur les élé- ments ultimes, pour lesquels, en dernière analyse, les mécanismes sont faits. Or, les éléments anatomiques respirent tous de la même manière directe que ces êtres inférieurs monocellulaires dont nous avons parlé tout à l'heure. Ici, il n’y a plus de différences de vo- lume ou de complexité, et les premiers histologistes ont depuis longtemps observé que le volume des élé- ments constitutifs des tissus est sans rapport nécessaire avec celui de l'animal ou de l'être vivant et varie dans des limites infiniment moins étendues que l'individu lui-même. En restant sur ce terrain de la physiologie des élé- ments, nous devons cependant faire une distinction importante, et considérer deux catégories de faits. Tantôt l’air va trouver l'élément #7 situ dans le lieu où il est fixé, au sein des tissus; tantôt l’élément se déplace et vient trouver l'air. CL. BERNARD. — Phénomènes. Il. — 12 178 DEUX MODES DE RESPIRATION. Dans les animaux supérieurs, nous trouvons à la fois les deux modes de fonctionnement respiratoire; et c’est par leur jeu simultané que se trouvent reliées deux grandes fonctions : la respiration et la cireulation. Examinons plus en détail chacun de ces deux modes respiratoires élémentaires. A. Chez les végétaux, c’est l'air qui va au-devant des éléments anatomiques dans les tissus. L'air pénètre à travers les stomates des feuilles ; il circule dans la plante; et bien que le mécanisme de cette circulation soit encore peu connu, le fait de la pénétration de l'air et de son renouvellement ne fait pas de doute. Liebig avait admis qu'une partie de cet air pénétrait par les racines et servait à la circulation des sues de la plante. La respiration des tissus végétaux est prouvée par le fait de l’altération de l'air contenu dans leurs interstices, altération tout à fait analogue à celle que nous connais- sons chez les animaux. C’est ce qui ressort d’un grand nombre d'analyses parmi lesquelles nous choisirons celle que M. Boussingault à faite de l'air contenu dans le Laurus Nerion; on a trouvé, pour 100 parties de gaz, 88 parties d'azote, 6 d'oxygène, 6 d’acide carbonique. Ues proportions indiquent évidemment que l'air a été appauvri en oxygène par les tissus et enrichi en acide carbonique. Tels sont les résultats que fournit l'analyse, en été, au moment où la plante respire avec une certaine acti- vité. En hiver il n'en est plus de même, et le gaz pré- sente la composition de l'air presque pur; la respira- tion, à ce moment, est suspendue comme presque tous L'AIR VA TROUVER LA CELLULE. 149 les autres phénomènes de la vie végétale. C'est là d'ail- leurs une nouvelle analogie avec ce que nous obser- vons chez certains animaux, les animaux hibernants et ceux, comme la grenouille, qui s’engourdissent pendant l'hiver; la respiration se suspend sous l’action du froid. Il est d’ailleurs inutile d’insister sur ce fait que l'altéra- tion de l’air est en rapport avec l'intensité des manifesta- tions vitales, Imtensité que l'exercice de la respiration semble mesurer. En résumé, c’est au premier ordre des faits que nous considérons, c’est-à-dire dans lesquels l’ar va trouver la cellule, qu'il faut ramener la respiration des iléments végétaux comme celle des êtres monocellu- laires libres, celle des éléments anatomiques fixés dans les tissus, Souvent l’air semble amené à l’état de nature jusqu'aux éléments : c’est ce qui arrive chez les végé- taux et chez les insectes dans le système de leurs tra- chées ; mais le plus souvent l'air est amené à l'élément par un intermédiaire tel qu'un élément anatomique (globule du sang) ou un dissolvant liquide. B. Daüs un deuxième mode, comme nous l'avons dit, les cellules se déplacent dans l'organisme pour venir au contact de l’air. Les éléments qui présentent ce mode respiratoire sont les globules du sang; leur dépla- cement incessant constitue la cireulation étroitement liée ou associée à Ja respiration, ces deux fonctions existant ainsi l’une pour l'autre. Ainsi, d'une part, les globules du sang viennent chercher l’air au poumon; d'autre part, ils le transportent et le distribuent aux autres cellules de l'organisme. [1 v a donc là un méca- 180 L'ÉLÉMENT VA AU—DEVANT DE L'AIR, nisme de double échange par lequel, d’une part, le globule prend de l'oxygène et, d’autre part, le cède : deux actes inverses l’un de l’autre, le premier ayant pour siége le poumon, l’autre ayant pour siége l’in- timité des tissus. Le globule du sang est l’intermé- diaire entre ces deux espèces de phénomènes; il est l'émissaire des éléments organiques qui, mobile, peut aller chercher pour eux l'oxygène qui leur est né- cessaire, La totalité du sang passe, à chaque révolution, par le poumon, et les globules, mis en contact avec l'air exté- rieur à travers la paroi vasculaire, se chargent d’oxy- œène. Cette absorption d'oxygène n'’exige d’ailleurs aucune force vitale de nature mystérieuse. Elle dépend de conditions purement chimiques. Le globule du sang se compose de deux parties : un stroma albuminoïde et une matière colorante qu’on peut isoler et qui est sus- ceptible de cristalliser en prenant des formes différentes suivant l'espèce animale, et d’ailleurs bien connues. Cette substance, l’Lémoglobine, est susceptible de fixer l'oxygène en s'y combinant; et elle doit à cette pro- priété purement chimique le rôle qu’elle joue dans la respiration pulmonaire. Dans la seconde phase du phénomène, le sang chargé d'oxygène se distribue aux lissus, et là encore c'est en vertu de forces chimiques que l'oxygène, quittant la matière colorante du globule, vient se fixer sur les élé- ments des iissus. Ce mécanisme respiratoire constitué par les globules du sang et l'hémoglobine comme fixateurs et véhicules GLOBULES DU SANG. 181 de l'oxygène appartient à un très-grand nombre d’ani- maux, à tout l’embranchement des vertébrés propre- ment dits. C’est, comme on le voit, un mécanisme très- important, mais non pas essentiel; il fait défaut chez un nombre immense d'êtres vivants, et il est remplacé chez ceux-ci par d’autres mécanismes moins complexes, mais toujours de nature physique ou chimique. LECON XII Trouble des mécanismes respiratoires. — Asphyxie. SOMMAIRE. — Poisons des propriétés vitales : poisons des mécanismes vitaux. — Privation d'oxygène : aérobies et anaérobies de M. Pasteur.— Asphyxie des végétaux à l'ombre : asphyxie des graines. Réserves d'oxygène. Nous avons dit que lédifice organique était construit pour la cellule, pour lui fournir en quantité et en qualité les conditions extrinsèques nécessaires à son fonction - nement. C'est la cellule qui vitet qui meurt, À mesure qu'un organisme est plus élevé, la vie cellulaire exige des mécanismes ou rouages plus nombreux, plus compliqués et par conséquent plus délicats. Mais ces mécanismes n'existent point pour eux-mêmes, et, lorsqu'ils viennent à être troublés, la mort qui succède à leur dérèglement n’est point la preuve de leur nécessité intrinsèque, mais la preuve que la vie cellulaire a été consécutivement atteinte dans ses sources. Ainsi, la vie peut être atteinte de deux manières : primitivement et d’une façon directe dans l'élément anatomique, consécutivement et d’une manière indirecte dans les mécanismes fonctionnels. Parmi ces moyens d'action, les plus habituels sont les poisons; et, d’après ce qui précède, 1l importe de dis- tinguer deux espèces de poisons : ceux qui portent sur l'élément organique, ceux qui portent sur les organes ; POISONS DE LA VIE, DES MÉCANISMES. 183 en un mot on pourrait distinguer les passons de la vie et les poisons des mécanismes. Les premiers sont tout à fait généraux ; l’universalité de leur action peut être considérée comme l’une des meilleures preuves de lPumité vitale. Les autres sont tout à fait spéciaux; leur action est bornée aux êtres qui possèdent ce mécanisme spécial que le poison vient déranger. Pour en prendre un exemple, considérons l’oxyde de carbone. C’est un poison extrêmement actif et redoutable: il suffit de quelques nullièmes dans l’at- mosphère pour amener des accidents chez les animaux élevés, chez les vertébrés, chez l'homme. Or, ce poison si actif n’exerce aucune action sur les invertébrés, aucune sur les végétaux. C'est qu’en effet l’oxyde de carbone est un poison des mécanismes ; C’est un poison du mécanisme-hémoglo- bine, qui ne peut avoir d'effet que chez les animaux qui possèdent ce rouage fonctionnel, c’est-à-dire des glo- bules rouges imprégnés d’hémoglobine. L’oxygène n’est point le seul gaz que puisse fixer l'hémoglobine. L’oxyde de carbone forme avec cette substance une combinaison plus stable que la combinaison oxygénée. L'oxygène est déplacé par le gaz carboné et les globules, dans ce cas, au lieu de convoyer dans les tissus l'oxygène nécessaire à la vie des cellules, n’y conduisent plus qu’un liquide inerte, des corps pour ainsi dire minéralisés, sans oxy- gène. L'action si bien définie de ce poison mérite d’être comparée à celle des anesthésiques, de l'éther, du _chloroforme, que nous avons vue, au contraire, s'adresser 184 ASPHYXIE. à tous les ètres vivants, à tous leurs tissus, au proto- plasma lui-même en détruisant chez lui sa propriété essentielle, l'irritabilité. Cette comparaison fait com- prendre et justifie la distinction que nous venons d’éta- blir entre les agents toxiques directs, ou poisons vitaux qui s’attaquent à la propriété fondamentale des êtres vivants, proprieté ayant son siége dans le protoplasma, et d'autre part les poisons directs, poisons des mé- canismes, qui ne détruisent la vie que par contre-coup en supprimant un des mécanismes par le moyen des- quels elle s’entretenait. Tout obstacle apporté au jeu d’un des mécanismes respiratoires, et par suite au contact de l'oxygène avec les tissus, détermine l’asphyxie, ensemble d’acei- dents bientôt couronné par la mort. Il y a autant de formes d’asphyxie que de moyens d'empêcher le con- tact de l'oxygène avec les tissus chez les animaux et les végétaux. Et d’abord, tous les êtres vivants sont-ils sujets à l’as- phyxie? C'est un fait très-général que la privation d'oxygène entraîne la mort, mais est-il universel et sans exception? On a signalé un grand nombre d'êtres infé- rieurs capables de vivre à l’abri de l'air, dans des atmosphères inertes, d'azote, d'hydrogène, d'acide car- bonique. Certains ferments organisés (la levüre de bière est du nombre) peuvent vivre, se mulliplier, présenter, en un mot, toutes les manifestations de la vie, sans air. M. Pasteur s’estattaché à démontrer que la fermentation alcoolique est essentiellement un phénomène vital qui se passe à l’abri du contact de l'air, dans un liquide plus ANAÉROBIES. 185 ou moins chargé d'acide carbonique, mais entièrement privé d'oxygène. Dans un liquide ainsi constitué, les globules de levüre se multiplient et donnent lieu aux produits de la fermentation. La levüre est donc capable de vivre sans air : c’est un être anaérobie, pour employer l'expression de M. Pasteur, et c’est dans ces circon- stances que la propriété fermentifère atteint son plus haut degré d'intensité. Mais lalevûre, le Saccharomyces- cerevisiæ, peut également vivre à l'air, lorsqu'on l’étale en couche très-mince à la surface de corps humides ; alors son mode de nutrition est changé, il est aérobte, et la propriété fermentifère est à son minimum ; le sucre n’est pas dédoublé en alcool et acide carbonique, mais brûlé d’une manière plus complète. M. Pasteur s’est attaché à démontrer que beaucoup d'êtres inférieurs, de mucédinées, aspergillus, mu- cor, etc., sont dans le même cas que la levüre, c’est-à- dire peuvent vivre avec ou sans air, en éprouvant des modifications remarquables, en passant d'un état à l’autre. Cohn, Rees, Traube et d’autres expérimenta- teurs ont vérilié ces faits. Enfin, il y aurait d’autres êtres qui seraient exclusivement anaérobies, c'est-à-dire incapables de vivre au contact de l'air : tels sont les fer- ments butyriques. Le fait qu'il est des êtres vivants dont la vie peut se poursuivre activement à l'abri de l'air est pour nous d'un grand intérêt. Cependant, il faudrait mieux con- naître les circonstances du phénomène avant d'y voir une exception à la loi commune. C’est ainsi que l’on à considéré la nutrition de la levüre à l’abri de l'air 186 RÉSISTANCE A L ASPHYXIE. comme une confirmation de la loi qui fait de l'oxygène une nécessité de la vie. Le saccharomyces, en effet, lorsqu'il provoque la fermentation dans la cuve, dédou- blerait le sucre pour s'emparer de l'oxygène. On a même donné la formule chimique de la réaction qui s’accomplit alors. Les 95 centièmes du sucre transformé subiraient la fermentation d'après la formule ancien- nement donnée par Gay-Lussac : CeH°0® __ 2C‘H°O® + 4C0° Les 5 centièmes restant fourniraient de l'acide sucei- nique et de la glycérine, suivant l'équation suivante donnée par M. Monoyer: A(C'HE0") + GHC — C°H0® + 6CSH°OS + 400? + 20 Acide Glycé- succi- rine. nique. Ei cet oxygène en excès servirait précisément à la res- piration de la levüre. Quoi qu'il en soit de ces cas remarquables, lorsque l’on considère les êtres plus élevés, la respiration ne saurait plus faire défaut. Dans les cas où les apparences semblent contredire cette nécessité, il s’agit simplement de faits de résistance à lasphyxie, résistance plus ou moins prolongée et inégale chez les diflérents êtres. On peut dire, en général, que la mort est d'autant plus prompte que l'animal appartient à une classe plus élevée, ou, pour mieux dire, que les phénomènes respiratoires sont chez lui plus actifs. Nous n'avons VARIATIONS DE CETTE RÉSISTANCE. 187 qu'à comparer, à ce point de vue, les animaux dits à sang froid avec les animaux à sang chaud; ou encore, nous pouvons comparer le même animal dans deux conditions différentes, dans lesquelles 1l se rappro- chera soit des animaux à température fixe, soit des animaux à température variable. Par exemple, un oi- seau introduit sous une cloche, dans une atmosphère confinée, y vicie l'air et ne tarde pas à présenter des phénomènes d’asphyxie; néanmoins, la vie se prolon- gera plus longtemps dans ces conditions où l’asphyxie. comme l’altération de l'air, est graduelle, que si l'ani- mal eût été placé dès le début dans un air compléte- ment vicié; dans ce dernier cas il s’est, pour ainsi dire, accoutumé aux conditions nouvelles qui lui sont offertes. La preuve en est dans ce fait que, si l'on introduit un second oiseau sous la cloche contenant Fair rendu irrespirable par le premier, le second oiseau meurt bien avant que le premier, placé depuis plus longtemps dans ces fâcheuses conditions, manifeste le moindre accident. C’est que, chez le premier , l’asphyxie, s'étant faite lentement, s'est accompagnée d’un abaissement de la température et d’un ralentissement de toutes les fonctions; l’oiseau est devenu dans une certaine mesure un animal à sang froid. La déchéance vitale nous donne donc la raison de cette accoutumance au milieu vicié dans lequel autre animal, actif et bien vivant, à péri presque immédiatement. Pour étudier l’asphyxie chez les végétaux, nous devons nous placer dans les conditions qui les rapprochent des animaux. C’est à l'ombre, à l'abri des rayons directs du 188 ASPHYXIE DES VÉGÉTAUX. soleil que les plantes respirent comme les animaux, et alors elles s’asphyxient de la même manière. La seule différence est une différence de temps. Si, au contraire, la plante est exposée au soleil dans une atmosphère confinée, un autre phénomène intervient et la fonc- tion chlorophyllienne rétablit l'atmosphère viciée dans sa pureté primitive. Le végétal exposé ainsi alterna- tivement au soleil et à l'ombre s’asphyxie et se réta- blit tour à tour d’une façon pour ainsi dire indéfinie. De par la fonction chlorophyllienne, le végétal a le moyen de vivre dans une atmosphère inerte ou impropre à la vie, telle qu'est l'acide carbonique, à la condition que la lumière directe du soleil intervienne pour refaire périodiquement sa provision d'oxygène épuisée. Il ne faut pas oublier, toutefois, que la chlorophylle accom- plit un phénomène essentiellement vital et qu'en consé- quence ce phénomène lui-même a besom d'oxygène pour s'exercer. M. Boussingault à vu que dans une atmosphère absolument privée d'oxygène la plante s’asphyxie et meurt; la cellule chlorophyllienne est altérée, elle devient impuissante à fixer le carbone et à refaire la provision d'oxygène. Avec des degrés d'intensité différents, la respiration est une fonction de tous les âges dans tous les êtres vivants. L'oxygène intervient dès le début de la vie. L'œuf de l'animal respire à travers son enveloppe; si on le couvre d'un enduit impénétrable, 1l meurt par asphyxie. Chez les végétaux, la graine respire et la réunion de toutes les autres conditions nécessaires à la germination est insuffisante à assurer son développe- RÉSISTANCE DES JEUNES ANIMAUX À L'ASPHYXIE. 189 ment, si l'air lui manque. Les grammes soustraites à l'air, conservées dans les silos ou enfoncées à de grandes profondeurs, restent inertes. Elles sont dans les mêmes conditions que l'œuf dont on a arrêté la respiration et le développement en l’enduisant d’un vernis. La vie toutefois n’est pas complétement supprimée; elle est demeurée latente et se manifeste de nouveau quand la graine retrouve les conditions qui lui faisaient défaut. C’est là tout simplement un nouveau cas particulier de résistance prolongée à l’asphyxie. La graine qui a commencé à germer conserve, quoi- que à un degré moindre, cette résistance à l'asphyxie. L'expérience que nous avons citée, de Th. de Saussure, en est la preuve. On arrêtait le développement d’une graine en germination (blé) en supprimant l'air et l’eau : on voyait le développement recommencer lorsque l’on rendait les conditions d'aération et d'humidité. Le mo- ment où la graine cesse de résister et de survivre à ces alternatives des conditions favorables et défavorables est marqué par lapparition de la chlorophylle. La plante perd à ce moment cette faculté de résistance, que nous pourrions appeler réviviscence, en la comparant aux phénomènes qui nous sont offerts par les animaux rotifères, les tardigrades et les anguillules. C'est un fait d'observation commune que les animaux jeunes présentent une résistance particulière aux causes d'asphyxie, et cet exemple est à rapprocher de celui de la graine ou de la plante embryonnaire que nous venons de rappeler. Il y a certains cas qui semblent ne pouvoir rentrer 190 : » RÉSERVE D OXYGÈNE. das les conditions précédemment fixées. La rapidité de l’asphyxie est, avons-nous dit, proportionnée à l’acti- vité respiratoire. Cependaat, toutes choses égales d’ail- leurs, la résistance semble tenir quelquefois à quelque circonstance inhérente à l'individu, à ce que l’on est convenu d'appeler en médecine une idiosynerasie parti- culière. Mais ces différences mdividuelles rentrent elles- mêmes dans la règle commune, et tiennent à des con- ditions dont on n'avait pas su tenir compte. Gréhant a observé que les poissons que l’on tire de l’eau pour les transporter dans un milieu privé d'air résistent à ’asphyxie pendant des temps très-Inégaux. C'est qu'ils ne sont point placés au début dans un état identique. Si l’on veut égaliser les conditions et les ramener toutes au même point, 1l faut opérer de la manière suivante : on laissera les poissons à l'abri de l'air dissous jusqu’au moment où ils seront sur le point de s’asphyxier, puis on les replacera dans l'eau aérée où 1ls se rétabliront. Les animaux, par là, sont rendus comparables. Si on les soustrait de nouveau à l’eau aérée et qu'on les laisse asphyxier, on voit alors que, chez tous, la mort sur- vient au bout d'une durée égale. Il semble done que pour la respiration comme pour la nutrition il y ait une certaine réserve qui permette à la fonction de continuer quelque temps après qu'on lui en a enlevé les moyens. L'oxygène se combinerait en quelque sorte aux tissus, de manière à constituer une provision qui se dépenserait lorsque l'animal ne pour- rait se ravitailler au dehors. Cette explication, la plus probable que l'on puisse donner pour les faits précé- RÉSERVE D'OXYGÈNE. 191 dents, est corroborée par ce que l’on sait de la contrac- ion musculaire; le muscle absorbe plus d'oxygène pendant le repos et il en dépense davantage pendant l’état d'activité : il semble accumuler des réserves qu'il dépense brusquement lorsqu'il est nécessaire. Les réserves inégales chez les animaux pris en appa- rence dans les mêmes conditions nous expliqueraient leur inégale résistance à la privation d'air. Quand ils ont épuisé leurs réserves, ils se trouvent ramenés à des conditions identiques, leur résistance à l'asphyxie rede- vient la même, et ils succombentaprès un laps de temps égal. LECON XIII Troubles des mécanismes respiratoires. — La pression. SOMMAIRE. — Parmi les effets du changement de pression, il faut distinguer les effets du changement lui-même, augmentation ou diminution, et les effets de la rapidité du changement. Effets de la diminution de pression : anoxy- hémie, mal des ballons, mal des montagnes. — Effets de l'augmentation de pression : accidents convulsifs. M. Bert démontre que la variation de pression agit non pas en tant que variation mécanique, mais en tant que variation chimique de la composition de l'air. Influence de l’oxygène sur les animaux et les végétaux. Parmi les circonstances qui peuvent troubler le mé- canisme respiratoire et retentir consécutivement sur l'organisme tout entier, nous citerons la pression atmo- sphérique. Les faits d'observation vulgaire ont révélé, avant les études expérimentales, l'influence que les modifications de la pression barométrique pouvaient exercer sur les animaux. M. Bert a réuni dans une étude d'ensemble ces phénomènes épars, et il en a fourni l'explication. Il a montré par une analyse expérimentale très-ingénieuse que les effets du changement de pression barométrique se rapportaient à deux conditions distinctes : d’une part, la rapidité du changement de pression peut par elle-même déterminer des phénomènes particuliers, surtout lorsque lon passe d’une pression plus forte à une pression moindre ; d'autre part, l'augmentation et la diminution MAL DES MONTAGNES. 193 de pression peuvent avoir par elles-mêmes et indépen- damment du plus ou moins de rapidité avec laquelle on les a obtenues, une influence qu'il importe d'étudier. Ces deux questions doivent être séparées : 1l y a lieu de distinguer les effets de l'augmentation et de la diminu- tion de pression, — des effets de la décompression brusque. Les actions de ce genre ont, avons-nous dit, frappé, de tout temps, l'attention des plus vulgaires observa- teurs. L'homme est fréquemment soumis à des pressions bien différentes de la pression normale de 76 centi- mètres. Lorsqu'il s'élève sur les montagnes, l'air se raréfie peu à peu, et cette condition nouvelle se traduit par des accidents dont l’ensemble est désigné par le nor de mal des montagnes. La marche devient difficile, le voyageur sent ses jambes alourdies ; la respiration s’ac- célère, elle devient anhélante ; le cœur bat rapidement. Bientôt apparaissent des bourdonnements d'oreilles, des vertiges ; le malaise s’accentue, des nausées apparaissent. Tous les voyageurs exploraleurs, la Condamine, de Saussure, Humboldt, Boussingault, Martins, les frères Schagintweit, ont décrit ces phénomènes qu'ils avaient éprouvés. Généralement, en Europe au moins, c'est à la hauteur de 3000 mètres que les accidents arrivent, la pression étant de 50 centimètres. Les aéronautes, ceux au mois qui se sont élevés à de grandes hauteurs (supérieures à 4000 mètres), ont ressen{i des accidents analogues qui mettaient en danger leur vie ; et de fait, il y a dans les annales de la science des exemples célèbres, et quelques-uns récents, du péril CL. BERNARD. — Phénomènes NS 194 ANOXYHÉMIE DES HAUTS PLATEAUX. qu'il y a pour l’homme à s'élever à une très-grande hauteur. Le point le plus haut de l’atmosphère a été atteint par les aéronautes anglais Coxwell et Glaisher, dans leur ascension du 5 septembre 1862. Ces aéronautes ont dépassé le niveau de 8800 mètres, la pression n'étant plus que de 24 centimètres. À une hauteur que lon évalue à 10 000 mètres, l’un des observateurs tomba imanimé au fond de la nacelle, et ne revint à lui que lorsque le ballon eut quitté ces régions. Un des pigeons que contenait la nacelle était mort. Il est établi par cet exemple et par d’autres, par l'accident de MM. Crocé et Spinelli, que les régions supérieures de l’atmosphère sont impropres à la vie animale, et qu'il y a une bar- rière supérieure imposée en hauteur aux excursions de l’homme et des animaux. Enfin, à 3000 mètres, sur les hauts plateaux des Andes en Amérique, sur les plateaux du Mexique à 2000 et 2500 mètres, en Asie dans les vallées du Tibet, à 4800 mètres, vivent des populations soumises habituel- lement à une pression bien inférieure à la pression normale de 76 centimètres.Cette condition n’est pas sans influence sur leur état de santé ou sur l’évolution par- liculières et les accidents de leurs maladies. En ce qui concerne le Mexique, le docteur Jourdanet à vu que les habitants des hauts plateaux étaient dans une condition particulière d'anémie, et que cette disposition se traduisait toutes les fois qu'une maladie venait les frapper. Ces différents états, anoxyhémie des hauts plateaux, snal des ballons, mal des montagnes, sont autant de phé- ACCIDENTS DE DÉCOMPRESSION. 195 nomènes liés aux perturbations du mécanisme respira- toire. D'autre part, l’homme est également soumis à des conditions de pression exagérée : les ouvriers qui tra- vaillent au moyen de l'air comprimé au fonçage des piles de ponts, au forage des puils de mine; les plongeurs qui descendent à l’aide du scaphandre dans les profondeurs de la mer pour y recueillir les peries, le corail ou les éponges; tous ces hommes supportent des pressions d'air supérieures de beaucoup à la pression atmosphérique. Des accidents très-nombreux ont été observés: les ouvriers qui travaillent dans l'air fortement comprimé contrac- tent une cachexie particulière caractérisée par la dimi- uution des forces, des troubles nerveux, des trouble circulatoires, des troubles gastriques et l’aspect terne de la peau. Les accidents, lents à se développer, font place, quelquefois, à des accidents aigus : démangeaisons de la peau (puces, dans le langage des ouvriers), douleurs musculaires avec gonflement (moutons); les vertiges, les paralysies, paraplégies etla mort subite ne sont point rares. Mais tous ces phénomènes, il faut bien le recon- naître, sont dus plutôt à la brusquerie de la décompres- sion qu’à l'intensité de la compression. C’est seulement par l'expérience que l’on a pu connaître et discerner ce qui appartient à l’excès barométrique de ce qui revient à la brusquerie des oscillations manométriques. L’excès de pression porte en réalité son action sur les mécanismes respiratoires. M. Bert a démontré fort ingé- nieusement et fort simplement que l'excès de pression agissait non pas en tant qu'effort mécanique, mais en L « ‘ 196 EFFETS DE L'OXYGÈNE EN EXCES. tant qu’excès d'oxygène, c'est-à-dire comme moyen d'augmenter la quantité d'oxygène offerte par un volume donné de sang aux éléments anatomiques. Lorsque la pression de l'oxygène augmente, là quantité pondérale du gaz renfermé dans un volume donné augmente pro- portionnellement. Or M. Bert a vu qu'avec de l'oxygène pur à 3 ou D atmosphères de pression on déterminait chez les animaux, oiseaux, chiens, des accidents violents, des convulsions, avec perturbation de la respi- ration et de la circulation, suppression de la sécrétion urinaire, etc. Ces accidents convulsifs, souvent termi- nés par la mort, ont la plus grande analogie avec ceux que déterminent les poisons convulsivants les plus éner- giques, la strychnine, l'acide phénique. Nous faisons iei l'expérience sur un oiseau. L'animal est placé dans un appareil en verre épais protégé encore par un grillage métallique, dans lequel on peut com- primer l'oxygène pur rapidement à 5 almosphères. Quelques minutes s'écoulent, et vous voyez, à travers la paroi, l'animal {ombé sur le flane puis retourné sur le dos, battant des ailes d’un mouvement convulsif; puis s'arrêtant pour retomber bientôt dans un nouvel acces. Ces accès continuent après que l'on a extrait l'animal de l'appareil déchargé et qu’on l’a abandonné, sur la table du laboratoire, à la pression normale. Au moyen d'appareils plus grands on peut répéter la même expérience avec un résultat identique, sur des animaux de plus grande taille, des lapins, des chats, des chiens. Ils ont donc quelque chose de tout à fait gé- néral. TENSION DE L'OXYGÈNE. 97 La preuve que ces accidents ne sauraient être attri- bués à la pression en tant qu’effort mécanique, résulte de la comparaison que l'on peut faire des effets produits par des atmosphères différemment riches en oxygène. Si, au lieu de placer l'animal dans l'oxygène pur, on emploie des atmosphères de moins en moins riches, la pression à laquelle doit être porté l'animal pour que les accidents apparaissent devient de plus en plus grande. S'il s’agit de l'air ordinaire, c’est une pression de 15 à 20 atmosphères qui produit les effets d’une pression de 3 à 9 d'oxygène pur. L’effort mécanique peut devenir infiniment plus puissant si, d'autre part, la proportion centésimale d'oxygène reste faible, sans que l’on observe aucun phénomène particulier. Ce n’est donc point par l'effort mécanique, mais par la quantité d'oxygène que la tension intervient. La limite est toujours là même pour les animaux d’une même espèce, et l'on peut résu- mer les observations précédentes en disant, par exemple, que chez les chiens les accidents apparaissent lorsque la tension de l'oxygène dans le mélange respiratoire dé- passe de 3 à 5 atmosphères. | Les faits étant constatés, on en a cherché l’explica- tion ou du moins le mécanisme. Le changement de pression, qui équivaut à une modification de composition atmosphérique, détermine un changement correspou- dant pour la teneur du sang en oxygène. Le sang ren- ferme une plus grande quantité de ce gaz. Dans les conditions ordinaires la quantité d'oxygène varie de T8 à 28% pour 100* du liquide sanguin; dans les atmo- sphères comprimées, au moment où les accidents sur- 7 1 7 +4 198 INFLUENCE SUR LA GERMINATION. * gissent cette proportion s'élève à 35 pour 100. Il est à remarquer que l'oxygène étant combiné à l'hémoglobine dans le globule rouge, cette combinaison une fois sa- turée n’est pas susceptible de retenir une quantité d’oxy- œène supérieure, malgré la pression croissante. Aussi laugmentation d'oxygène porte non pas sur la pare combinée au globule, mais sur la partie dissoute dans le plasma. Les observations ont en effet prouvé que ces excès d'oxygène du sang croissaient comme les pressions elles-mêmes, ainsi que l'exige la loi de Dalton sur les dissolutions gazeuses. L’excès de pression et l'influence fâcheuse qu'il peut exercer sur la vie, se font sentir aux végétaux comme aux animaux, et 11 y a également chez eux quelque mécanisme atteint. M. Bert à, en particulier, étudié l'influence de Pair comprimé sur là germination. En expérimentant sur diverses graines de ricin, melon, soleil, belle-de-nuit, cresson, radis, il a vu qu'à 5 atmosphères la germi- nation était ralentie; qu'à 10 atmosphères elle deve- nait très-pénible; qu'à 12 atmosphères elle cessait, qu'elle était complétement empèchée. Des atmosphères saroxygénées donnent le même résultat; au contraire, l'air comprimé, mais sans oxygène ou sous-oxygéné, n'arrête pas la germination, preuve que ce n’est point l’action de la pression qui intervient, mais celle de loxy- gène. Enfin, pour montrer la généralité de cette action, ou l’a étendue aux tissus séparés du corps et aux orga- nismes élémentaires. Une expérience comparative faite avec trois lots identiques de muscles soumis, lun à la COMPRESSION DES FERMENTS. 109 pression normale, l'autre à celle de 22 atmospheres, le troisième à celle de 40 atmosphères, à montré que la respiration et l’altération du tissu étaient complétement empêchées dans le dernier cas, faibles dans le cas pré- cédent, très-rapides lorsque la pression était normale. Les ferments figurés, organismes élémentaires qui déterminent les fermentations, se comportent comme les animaux et les plantes sous l’influence de l'excès de pression. L'action de la levüre est arrètée ; de même celle du Mycoderma aceti; de mème, enfin, les phéuo- mènes de putréfaction déterminés par des organismes peuvent être entravés. Des tissus végétaux ou animaux, soumis à la compression préalable, peuvent ensuite être conservés indéfiniment sans altération. M. Bert a déduit de l'emploi de l’oxygène ou de l'air comprimé un moyen de distinguer les deux espèces de ferments aux- quels les physiologistes ont affaire: les ferments figurés, dont l’action est arrêtée, comme nous venons de le dire: les ferments solubles qui, au contraire, conservent toute leur activité. La diminution de pression agit comme un simple agent asphyxiant. Les végétaux et les animaux sont d’ailleurs sensibles les uns et les autres à l’action de la dépression. Pour les végétaux, la germination est ailérée par degrés; elle se fait moins vite lorsque la pression s’abaisse ; enfin elle se suspend complétement lorsque la tension de l'oxy- gène descend au-dessous de 12 centimètres. Ce n'est pas la dépression en tant qu'effet mécanique qui inter- 200 DIMINUTION DE PRESSION. vient ici, c'est l'appauvrissement en oxygène. On en à la preuve en conservant l'air à la pression normale, mais en l'appauvrissant en oxygène : la germination est progressivement entravée. D'autre part, abaissons la pression, mais en suroxygénant : l'effet ne se pro- duit plus, et l'on a obtenu des germinations avec des atmosphères suroxygénées à 4 centimètres. Les expériences sur les animaux ne sont pas moins nettes; elles montrent que l'oxygène est nécessaire à l'animal en proportions déterminées, et que la diminu- tion de pression n’a d'effet qu'autant qu’elle entraîne une diminution correspondante d'oxygène. M. Bert place un animal, un oiseau, dans l'air confiné, et il examine la composition de l'atmosphère au moment où l'animal meurt ; il constate que cette composition est toujours la même. La wiort survient au moment où la tension de l'oxygène est de 3 à 4 centièmes d’atmo- sphère. Le chiffre qui exprime la tension de l'oxygène dans l'air mortel est donc sensiblement constant. Un animal soumis à une diminution croissante de pression est semblable à un animal qui s’asphyxie en vase clos dans lair ordinaire. Le voyageur qui, s'élevant sur le flanc d’une montagne, sent le malaise l'arrêter à la pression d’une demi-atmosphère, est malgré la pureté proverbiale de l'air, asphyxié comme le mineur qui vit dans un air insuffisamment oxygéné. La mort arrive pour un animal placé en vase clos dans un air de moins en moins altéré, aux pressions très-faibles, et vers la fin dans un air presque pur. Une expérience capitale que nous répétons devant DÉPRESSION LIMITE. 201 vous fournit la preuve du bien fondé de cette explica- tion. Un oiseau ou un rat étant placé sous une cloche sur la platine de la machine pneumatique, on fait le vide dans l'appareil. L'animal chancelle sur ses pattes après une légère excitation, puis 1l tombe sur le flanc. Le manomètre montre que la pression est alors de 25 cen- timètres. On peut répéter l'expérience plusieurs fois de suite et laisser revenir l'animal, à la condition de ne point prolonger eet état limite. Ce n’est point la dépression mécanique produite par cet abaissement de pression qu'il faut accuser du ma- laise et des perturbations éprouvés par l'animal. En effet, on peut, si l’on introduit de l'oxygène, descendre beaucoup plus bas sans que l'animal manifeste aucun trouble. Nous voiei à 18 centimètres, alors que l'oiseau n'avait pu s'abaisser précédemment au-dessous de 25 centimètres. Nous voyons par conséquentque l’on peut corriger la diminution de pression par l'augmentation de la quantité d'oxygène. La limite à laquelle les accidents arrivent est con- stante pour un même animal, mais variable d’un ani- mal à l’autre. Les reptiles résistent longtemps. Pour les chiens le phénomène se produit lorsque l'air est à 8 0/0 d'oxygène ou, d’une autre façon, lorsque la pres- sion s’abaisse à 40 centièmes de la pression normale. Les accidents qui se manifestent dans l'air décom- primé et qui se terminent par la mort ont la plus grande analogie avec l’asphyxie. Ils ont été observés expéri- mentalement sur les animaux et sur l’homme. La respi- ration est affectée dans son rhythme, qui est troublé, 202 MODIFICATION DU SANG. irrégulier. Les mouvements respiratoires s’accélèrent, les battements du cœur sont plus rapides, la pression du sang s’abaisse; des malaises se manifestent, des nau- sées, des vomissements. Il y à affaiblissement et impos- sibilité de se mouvoir, altération de la sensibilité et perte de connaissance. On à étudié les modifications du sang, et les analyses ont permis de constater que la quantité d'oxygène con- tenue dans le sang artériel diminue promptement quand la pression s’abaisse au-dessous de la normale. La diminution de l'oxygène est d'abord très-faible : elle ne paraît porter que sur l'oxygène dissous dans le plasma. C’est là ce qu'avait vu Fernet en opérant à la température de 15 degrés entre des pressions de 64 à 76 centimètres. Mais la combinaison oxygène-hémoglobine du globule sanguin se dissocie bientôt lorsque l’on pousse l’abaisse- ment de pression au delà des limites dans lesquelles s’était renfermé Fernet. Il résulte de là qu'un sang moins oxygéné entoure les éléments anatomiques, et l'animal soumis à la dépression meurt par suite d’une véritable asphyxie. LECON XIV Rôle de l'oxygène. — Combustion respiratoire, SOMMAIRE. — Principe de la théorie de Lavoisier. Ce principe reste vrai ; ; les détails de la théorie sont inexacts. Expériences de Dulong et Despretz, de Regnault et Reiset. — Il ne se forme pas d’eau dans l'organisme par combustion directe. La respiration n’est pas une combustion; c’est une fermentation. Le phénomène si général que nous venons d'étudier et qui est commun aux deux règnes, le phénomène de la respiration, ne pouvait être connu avant que l’on possédât des notions exactes sur la composition de l'air et qu'on sût ce qu'était l'oxygène. Les théories par les- quelles on expliquait le but et les résultats de la res- piration ne pouvaient qu'être entièrement hypothéti- ques. Toutes ces hypothèses sont tombées devant la théorie de Lavoisier. Lavoisier à compris le lien qui unissait la respiration et la calorification dans l'être vivant, et il compara cette production de chaleur, but dernier dela respiration, avec une combustion chimique. Le plus obscur des faits vitaux, cette création de cha- leur qui naît et persiste avec la vie et qui fait place au froid de la mort, cette flamme qui échauffe et vivifie, cette chaleur innée des anciens, tont cela s’est dissipé et l'on n’a plus retrouvé dans l'être vivant qu'un phéno- mène de l’ordre général, tout analogue à ceux qui 20% THÉORIE DE LAVOISIER. s'accomplissent dans la nature inorganique. L’essence même de la doctrine de Lavoisier est dans cette affir- mation qu'il n’y a pas deux chimies, deux physiques, l’une qui s’exercerait dans les corps vivants, l’autre dans les corps bruts : 11 y à, tout au contraire, des lois générales applicables à toute substance, où quelle soit engagée, et qui ne subissent nulle part d'excep- tion. | Le progrès des temps n’a fait que rendre plus évi- dent ce principe fondamental qui assimile les manifes- tations des agents physiques dans les animaux et en dehors d'eux. Mais si le principe même de la doctrine de Lavoisier a reçu de l'expérience une consécration définitive, il n’en est pas de même de la formule et des détails. Peu à peu la doctrine à reçu dans ses parties accessoires des atteintes et des échecs si nombreux et si décisifs, qu'il n’en peut plus rien subsister, sinon ce principe général et philosophique qu'il n’y a qu'une science et qu'un ordre de forces naturelles. Le reste doit dispa- raître. Ainsi, tandis que beaucoup de physiologistes et tous les anteurs élémentaires enseignaient la théorie de la combustion respiratoire, cette théorie, tous les jours ébranlée, s'écroulait. Aujourd’hui cet effondrement est consommé ; la théorie de Lavoisier est renversée, mais il est juste de dire que la théorie nouvelle qui doit lui succéder est seulement entrevue. Nous sommes dans une époque de transition, où les progrès ont été assez grands pour que l'œuvre négative de la critique fût pos- sible, mais non l’œuvre active qui édifiera la doctrine CRITIQUE DE CETTE THÉORIE. 205 définitive. Cependant, je le répète, 1l est déja possible d'entrevoir les routes uouvelles, et je compte, quant à moi, vous faire connaître quelles idées l'étude et la méditation de ces problèmes à fait naître dans mon esprit. La théorie de Lavoisier, lumineuse dans son principe, fausse dans son expression, consistait à assimiler la res- piration à une combustion véritable, et à assigner le poumon comme lieu de cette combustion. Malgré les restrictions que Lavoisier laissait subsister sur ce dernier point, quelques-uns de ses contemporains et de ses suc- cesseurs ont été à cet égard moins prudents et plus affirmatifs. L’oxygène introduit par la respiration péné- trait dans le poumon, y rencontrait le sang, brülait son carbone et s'échappait à l'état d'acide carhonique. Chacun de ces points a été examiné successivement et contredit : d’abord la localisation dans le poumon, puis la combustion des matériaux du sang, la com- bustion du carbone. Qu'est-ce qui à fait dire que la respiration était une combustion ? Daus la combustion du carbone, telle qu’elle s’accom- plit dans les foyers, l'oxygène se fixe sur le charbon et fournit un égal volume d'acide carbonique : il y a en même temps dégagement de chaleur. Or, l'air qui entre et l'air quisort du poumon ont,sur- vant Lavoisier, respectivement la composition de l'air qui eutre dans un foyer et qui en sort. Plus tard, Dulong et Desprelz firent une tentative qui leur parut vérifier indirectement la théorie régnante. 206 ÉLÉMENTS RESPIRATOIRES Is mesurèrent la quantité de chaleur qui devait être produite dans un temps donné pour maintenir le corps au niveau thermique qu’il n’abandonne jamais ; ils com- parèérent cette quantité de chaleur à celle qui résulterait de la combustion correspondant à l'acide carbonique produit dans le même temps. Ils trouvèrent un accord satisfaisant entre ces deux valeurs de la chaleur calculée et de la chaleur mesurée d’après l'hypothèse que nous avons dite. Cet accord ne saurait être qu’une pure coïn- cidence ; et Dulong, plus tard, a bien reconnu les im- perfections de son travail et regretté sa précipitation. Il y à certainement dans l’organisme une multitude de phénomènes qui engendrent de la chaleur ou en absor- bent et qui devraient intervenir dans l'équation: les changements d'état, les formations de produits inter- médiaires, etc., sont du nombre. Quoi qu'il en soit, ces difficultés n’apparurent que plus tard, et l’on put croire à ce moment que la théorie régnante avait reçu un nouveau lustre des expériences de Dulong et Despretz. Liebig complétait d’ailleurs la théorie en distinguant dans le sang des substances com- bustibles, c’est-à-dire destinées à combiner leur car- bone avec l'oxygène. IL reconnaissait dans le liquide sanguin et daus les aliments (dont, selon lui, le liquide sanguin n’était que la dissolution) deux espèces de substances. Le premier groupe esl celui des substances ternaires ou hydrocarbonées, qui par leur combus- tion entretiendraient la chaleur de l’organisme et mé- riteraient, à raison de leur rôle présumé, le nom de substances respiratoires. D'autre part, il y avait, selon DÉFICIT D OXYGÈNE. 207 Liebig, une autre classe de substances, les atbbumimoïdes, ou substances azotées ou quaternaires, qui ne sont point modifiées par la respiration, qui ne servent pas à la production calorifique: ce sont les substances plas- tiques destinées à rétablir les tissus usés. C'est le plus haut point qu'ait atteint la théorie. Mais bientôt les expériences de Regnault et Reiset vinrent lui faire subir un premier et très-grave échec. Si la respi- ration équivaut à la combustion du carbone du sang ou des tissus, il faut que l'oxygène absorbé et l’acide carbo- nique exhalé soient en volumes égaux. Le rapport doit être égal à l'unité. (9) CO? Or, l'expérience ne vérifiait point cette conclusion. L SEAT Chez les herbivores le rapport Co; était généralement plus grana que l'unité; il était plus petit chez les carni- vores. Ainsi le rapport était variable. Le rapport — est le plus généralement supérieur à l'unité; c’est-à-dire que tout l'oxygène absorbé ne se retrouve point dans l'acide carbonique exhalé : 1l y a un déficit. On admit que ce déficit s’expliquait par la combustion de l'hydro- gène, et que l'oxygène qui n'entrait pas dans l'acide carbonique servait à brûler l'hydrogène et à former de l’eau. C'est là une hypothèse bien gratuite puisqu'elle a pour point de départ un fait (le défaut de CO* La seconde génération apparaîtrait dans les globules vitellins : elle comprend les granulations les plus volumi- neuses (diamètre 25 »). 3° La troisième génération se produirait pendant l’incu- bation dans les cellules du feuillet muqueux du blasto- derme, et plus tard dans les cellules des appendices vitellins. 4° Enfin, la quatrième génération correspondrait à lap- parition dans le foie de granules extrêmement petits. Dans les dernières communications, M. Dareste signa- lait l'existence de ces mêmes granulations caractéristiques dans la sécrétion fécondante des animaux, ou plus exacte- ment dans les cellules qui tapissent la paroi interne des canaux séminifères des oiseaux. Parmi les reptiles, la tortue d’eau douce donna lieu à une généralisation encore plus étendue : les mêmes cor- puscules se retrouvèrent en effet dans l’œuf, dans la vési- cule ombilicale, dans le foie, dans les capsules surrénales. La généralité du fait en élargissait la portée et en agran- dissait la signification. Sur ce point du moins l'auteur ne se méprenait pas, et il avait raison de faire ressortir les conséquences qu'eût entrainées sa découverte si elle eût été exacte. C'était d’abord une relation nouvelle entre la physiologie des animaux et celle des plantes : une analogie (1) Dareste, Comptes rendus de l’Académie des sciences, 31 déc. 1866, — 1 juin 1868, — 26 juin 1871, — 8 janvier 1872, — 15 janvier 1872. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L ŒUF. 597 inattendue, d’une part entre les éléments femelles de la reproduction dans les deux règnes, œuf et graine ; d’autre part entre les éléments mâles, pollen et spermatozoïdes. Enfin, ces résultats venaient modifier la théorie générale de la glycogénie : la présence de l’amidon dans les testi- cules et dans les capsules surrénales apportait un argu- ment aux anatomistes qui avaient prétendu sans preuves que la production amvylacée chez l'animal adulte au lieu d’être localisée dans le foie était diffuse dans les organes. La généalogie des corps amylacés, imaginée par M. Da- reste, ne contredisait pas moins les notions que l’on possé- dait sur l’évolution du glycogène dans l’organisme foœtal. Mais cette découverte qui prétendait introduire tant d'idées nouvelles et contredire tant d'idées acquises, n'avait aucun fondement ; en dehors de ce fait unique de l’exis- tence des corpuscules polarisants, pas un autre parmi tous ceux que l’auteur avançait n'avait la moindre réalité. M. CI. Bernard a prouvé qu'il n’y a ni glvcogène, ni ami- don en quantité appréciable dans l'œuf de poule, non plus que dans les testicules ou les capsules surrénales des ani- maux adultes. Pour ce qui concerne plus spécialement l'œuf de poule, la question était facile à décider par les moyens chimiques. On ne peut retirer n1 du blanc ni du jaune de l’œuf, en employant la coction ou les traitements convenables, au- cune substance amvylacée capable de se transformer en dextrine et en glycose. Pour apprécier la valeur des pro- cédés mis en œuvre, on peut faire la contre-épreuve : on peut ajouter une très-petite quantité d’amidon au jaune d’œuf, et s'assurer qu’on le retrouve facilement : on le décèlerait donc s’il y en avait à l’état normal. Avant la fécondation il n'existe dans l'œuf qu’un seul foyer de matière glycogénique d’une étendue infime : c’est la cicatricule qui, comme le germe de l’œuf d’insecte, ren- ferme quelques granulations de glycogène. On peut dire D98 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. qu'il n'y a en somme qu'une seule cellule glycogénique ; en dehors de ce foyer primitif si restreint, on n’en retrouve nulle part ailleurs. Pendant l’incubation, les cellules spéciales qui contien- nent lamalière glvcogène se multiplient et s’accroissent à partir de la cicatricule. Chez le poulet, au huitième jour du développement, la membrane blastodermique contient des proportions considérables de gelygogène. Mais ces gra- nulations n’ont aucun rapport avec les corpuscules décrits par M. Dareste, disséminés dans tout le vitellus et préexis- tant à l’'incubation. Après ces observations de CI. Bernard le doute n’était plus possible : les corpuscules biréfringents, quelquefois si abondants au milieu du vitellus, n'étaient point de l’ami- don; leur nature restait à déterminer. On savait ce qu'ils n'étaient pas, on ne savait pas ce qu'ils étaient. M. Ranvier pensa que ces corps pouvaient être de la leucine ; quelques histologistes partagèrent cette manière de voir. M. Balbiani arriva aux mêmes conclusions; il retrouva des corps analogues aux corps polarisants de l'œuf non- seulement dans le foie, mais dans d’autres tissus embryon- naires, et il reconnut que les caractères de ces éléments les distinguaient parfaitement de la matière glycogène. J'ai repris ce problème en 187% et je me suis proposé de fixer la nature chimique et les propriétés de ces corps po- larisants. Manière d'obtenir les corps polarisants de l'œuf. — Les œufs frais contiennent une quantité variable, mais le plus souvent très-minime, de ces corpuscules biréfringents. On peut faire un assez grand nombre de préparations micros- copiques sans en rencontrer un seul. Si, d'autre part, on veut bien réfléchir aux dimensions microscopiques de ces éléments dont le diamètre moven est de 152, on comprendra sur quelle faible proportion de la substance inconnue on avait le droit de compter après qu'on aurait réussi à l’isoler. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. 599 D'ailleurs l'isolement de ces corpuscules qu'on ne pouvait apercevoir qu'à l’aide du microscope était impossible à éaliser mécaniquement, et l'emploi des moyens chimiques semblait interdit par cette considération que les substances qui faisaient disparaître les corpuscules, dissolvaient en même temps quelques-uns des matériaux constituants de l'œuf. Le premier résultat à atteindre était d'obtenir la substance en quantité notable. Il était possible que la matière des corps polarisants ne fût pas aussi rare qu’elle paraissait l'être ; il était même possible qu’elle fût abondamment ré- partie dans l'œuf, mais sous un état physique tel, qu'elle ne pûtse manifester opliquement dans la lumière polarisée. Si l’on remonte aux conditions physiques de ces manifesta- tions lumineuses, on trouve des observations de Brewster, de Sénarmont et de Valentin (de Berne), qui autorisent des suppositions de ce genre. Ces observations et d'autres de même nature m’engagè- rent à recourir à la dessiccation lente pour essayer de rendre plus apparents les corps biréfringents de l'œuf. L’artifice eut un plein succès. L'œuf desséché dans l’étuve à 45 degrés devient pulvé- rulent dans la partie centrale qui correspond au vitellus, et huileux à la périphérie : l’huile pénètre et colore la partie albumineuse; si l’on prend une petite portion du jaune, qu’on la dissocie sur la plaque de verre dans une goutte de olycérine, on peut, en examinant la préparation avec le microscope polarisant, apercevoir un très-grand nombre de corpuscules polarisants. Ces corps sont ceux mêmes qu'a observés M. Dareste et qui font l’objet du débat, car en suivant les progrès de la dessiccation, on voit le nombre des corps auginenter sans que les autres caractères éprou- vent de modifications; ceux qui sont nouvellement formés ne diffèrent en rien de ceux qui existaient au début, dans l'état frais. CL. BERNARD. — Phénomènes. IL. — 34 530 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L'OEUF. Les mêmes faits ont été constatés sur des œufs de tortue et des œufs de caméléon. Des expériences directes m'ont fourni plus tard la contre- épreuve de l’observation précédente. Si l’on prend la léci- thine (mélangée de cérébrine) qui forme la substance des corps biréfringents et qu’on l’agite avec de l’eau albumi- neuse, la substance gonfle et perd en partie ses caractères optiques; elle les recouvre lorsque l’eau s’est évaporée. L'influence de la dessiccation sur l’apparition des corps polarisants était mise ainsi en pleine évidence. C’est vrai- semblablement cette condition physique et non pas une condition physiologique, comme l'avait cru M. Dareste, qui présidait aux oscillations observées durant le cours du dé- veloppement dans la proportion des corps polarisants. On sait que l’œuf de poule subit, du commencement à la fin de l’incubation, une perte d’eau, et l’on comprend en consé- quence le fait de l’augmentation parallèle des corps biré- fringents dans la vésicule ombilicale du fœtus. Au moment de l’éclosion et dans les jours qui suivent, elle ne renferme pas autre chose. Quant au foie de embryon ou du jeune animal, il nous a toujours présenté des corpuscules extrè- mement volumineux et ne ressemblant en rien aux vérita- bles granulations glycogéniques. Ajoutons que la présence de ces corpuscules n’a rien d’inattendu pour les physiolo- oistes, qui savent que l’on a, depuis quelques années, si- onalé et même dosé la lécithine dans la sécrétion du foie. En résumé, la dessiccation nous fournissait un excellent moyen d'obtenir en quantité suffisante la matière à exami- ner; mais en même temps qu'elle mettait ce moyen entre nos mains, elle nous apprenait à nous en passer. Sachant, en effet, que les corps biréfringents ne sont qu'un état phy- sique particulier d’une substance qui existe abondamment dans l’œuf, on pouvait rechercher directement cette sub- stance sous son état diffus, sans se restreindre à ses concré- tions biréfringentes. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L'OEUF. 531 C'est là ce que je fis de concert avec M. Morat. Examen successif des différentes substances contenue dans l'œuf. — Tout d’abord, nous écartämes hypothèse que les corps polarisants de l’œuf pourraient être de la leucine. Outre que les rapports de cette substance avec Pal- bumine et les albuminoïdes, dont elle est un produit de dédoublement ou de destruction, rendaient peu vraisem- blable son existence dans l’œuf frais, une autre raison ex- cluait à priori cette substance, à savoir, l'abondance des corps polarisants dans l’œuf desséché. Une telle proportion de leucine n’aurait pas échappé aux chimistes qui, pour faire l'analvse de l’œuf, commencent précisément par le sou- mettre à la dessiccation. Or aucune analyse n’en fait mention. Cependant, en raison du peu d'autorité qu’ont pour nous les raisonnements à priori, nous voulûmes soumettre à l'épreuve expérimentale l'hypothèse de la nature leucique des corps de l’œuf. Nous préparâmes de la leucine en assez orande quantité et aussi pure que possible; nous l’avons obtenue sous les deux états, en boules et en lames cristal- lines, cette dernière forme correspondant au maximum de pureté. Dans un cas n1 dans l’autre nous n’avons reconnu de propriété optique comparable à celle des corps biréfrin- sents de l’œuf; le plus souvent, lorsque la leucine est en boules, elle est opaque pour la lumière transmise. Le ré- sultat est tout aussi négatif avec les composés leuciques, par exemple le chiorhydrate. Les corps analogues à la leucine, les amides de la série grasse, furent soumis aussi à l'examen. La tyrosine fut pré- parée et examinée dans la lumière polarisée. Quoique biré- fringente, comme la leucine, elle n'offre pas le caractère de la croix. Corps gras et dérivés. — La cholestérine, puis les corps gras et leurs dérivés furent ensuite soumis à l'épreuve. L’oléine, la margarine, la stéarine, la palmitine et la cétine dissoutes n’ont pas donné lieu à des observations qui soient 532 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L'OEUF. à mentionner, au moins pour le but que nous poursuivons en ce moment. Les acides gras méritent d’être signalés. L’acide marga- rique et, à un moindre degré, les acides oléique et stéa- rique forment des groupements microscopiques de cristaux divergeant à partir d’un point central, et souvent d’une fa- çon très-régulière. Ces boules cristallines réalisent les con- ditions physiques nécessaires à la production des croix de polarisation, à savoir, la disposition de particules biréfrin- œentes symétriquement distribuées autour d’un point ou d’un axe. De fait, on voit apparaitre la croix de polarisation, mais elle présente une constitution qui rend impossible la confusion avec les corps de l’œuf. Les branches de la croix, au lieu de former un champ uniformément bril- lant, sont sillonnées de traits radiés obscurs; en un mot, on distingue parfaitement les houppes d’aiguilles cristal- lines dont le groupement a produit le phénomène. L'aspect est assez caractérisé pour qu'on puisse le faire servir, dans l’analyse chimique qualitative, à la reconnaissance des aci- des gras. Mais il y a des combinaisons des acides gras qui présentent des phénomènes tout aussi distinctement que les corpuscules de l'œuf : le savon d’oléate de soude est dans ce cas. Que l’on neutralise l’acide oléique ou que l’on saponifie l’oléine pure avec la soude, on obtient une masse glutineuse qui, dissociée dans la glycérine et examinée au microscope polarisant, fournit des croix très-nettement dessinées. On peut dès lors se demander si les corps biréfringents de l'œuf sont formés par un savon de ce genre, par exemple par l'oléate de soude. L’abondance des corps gras de l’œuf permet une telle supposition. Le jaune ou vitellus contient en effet, en moyenne, d’après les analyses de Gobley (1), une proportion de 21,30 pour 100 de marga- (1) Gobley, Journal de pharmacie et de chimie |3],t XIX, p. 12. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L' OEUF. 533 rine et d’oléine; d’autre part il contient aussi une pelite proportion de soùde plus on moins énergiquement en- gagée dans des combinaisons. Les éléments du composé polarisant existent donc, et l’on est fondé à rechercher si le composé lui-même n’existerait pas, et s'il ne for- merait pas précisément la matière des corpuscules pola- risants. L'expérience répond négativement. Les analyses de l'œuf ont bien fourni une proportion considérable de mar- garine et d’oléine, mais jamais d'acides gras libres ou de savons. Gobley a particulièrement insisté sur ce point, qui était capital pour ses recherches. En second lieu, les bases alcalines ne sont pas libres, mais combinées à des acides énergiques, chlorhydrique, sulfurique; de plus, leur quan- tité est extrêmement faible en comparaison des corps gras à saponifier, et insignifiante en comparaison des corps polarisants à la constitution desquels elles devraient parti- ciper. A la vérité, certains traitements et l'incubation elle- même peuvent faire apparaître dans l’œuf une proportion notable d'acides gras, stéarique, margarique et phospho- glycérique. Mais c’est par la destruction d’une combinaison naturelle, la lécithine, dans laquelle ces corps sont engagés et d’où ils sortent sans être neutralisés. Cette lécithine, véritable savon de choline, est, d’ailleurs, susceptible de fournir par elle-même, comme nous le verrons, les corpus- cules biréfringents les plus remarquables. La conclusion de ces faits et de la longue discussion à laquelle nous venons de nous livrer est que les corps gras, ne peuvent, pas plus que l’amidon ou la leucine, être invo- qués pour expliquer les corps polarisants de l'œuf. Cer- tains savons, les oléates entre autres, conviendraient par- faitement à en rendre compte; nous pensons même que quelques corpuscules polarisants peuvent avoir cette com- position, mais dans les conditions normales c’est le très- 534 UORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. pelit nombre. La grande masse des corpuscules, sinon la totalité, est formée d’une autre matière dont nous devons poursuivre la détermination. Parmi les matériaux de l'œuf, il ne reste plus que deux sroupes à examiner : d’abord les matières albuminoïdes, qui donnent lieu à des observations intéressantes; en second lieu lesmatières grasses phosphorées, lécithine et cérébrine, qui contiendront la solution du problème. Matières albuminoïides. — Le jaune d'œuf renferme une variété d’albumine qui a reçu lenom de vitelline, une pelite quantité d'albumine véritable et des traces de caséine. La vitelline seule est en proportion suffisante pour être dosée : le jaune d’œuf de poule en contient 15,76 pour 100 (moyenne), d’après Gobley; l'œuf de carpe en renferme 14 pour 100; les œufs de Tortue contiennent une substance identique (paravitelline). Toutes ces substances sont certainement biréfringentes. Biot a découvert, comme l’on sait, que l’albumine était lé- vogyre, et depuis lors plusieurs auteurs ont mesuré son pouvoir rotatoire. Néanmoins, lorsque ces substances sont pures, elles ne présentent pas des groupements tels, qu'elles puissent manifester la croix de polarisation : la dessiecation ne détermine pas des figures régulières. Les conditions changent dès que les albumines sont unies aux bases ou aux sels alcalino-terreux. M. Harting (d’'Utrecht) (1) a observé qu’en mélangeant suivant des procédés particuliers le carbonate de chaux à l’albumine, on obtenait des corpuscules ou calcosphérites, qui seraient formés de la combinaison des deux substances (calcoglo- buline); ces corps présentent des zones concentriques, ei manifestent de la façon la plus nette la croix de polarisa- tion. La gélatine, le sang, ont donné matière à des obser- vations de même nature. De notre côté, et avant d’avoir connaissance des travaux de M. farting, nous avions obtenu (1) Harting, Recherches de morphologie synthétique. Amsterdam, 1872. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF, Da des résultats analogues. M. Morat et moi nous mélan- señmes un jour à une masse de vitellus quelques centi- mètres cubes d’une solution concentrée de baryte; le len- demain, il y avait dans la profondeur et surtout à la surface du mélange, un nombre immense de corpuscules polari- sants plus petits que ceux de l'œuf et de forme moins régu- lièrement sphérique. L'albumine d’œuf bien pure, traitée de la même manière, nous a donné des corps d’une régu- larité parfaite présentant Les croix avec les anneaux 1sochro- matiques et les couleurs de la polarisation lamellaire. La vitelline, la sérine se comportent comme l’albumine. Toutes les substances albuminoïdes ou collagènes (gélatine, os- séine), mélangées à la solution de baryte, se recouvrent d’une pellicule exelusivement formée de ces sphérules pola- risantes. D’autres bases que la baryte et la chaux, d’autres sels que les carbonates, présentent, au degré près, les mèmes phénomènes. En résumé, nous avons vu que le plus grand nombre, sinon la totalité, des principes azotés de l'organisme peu- vent, sous l'influence des sels alcalino-terreux, fournir des eorpuscules biréfrmgents. Arrivés à ce point de notre recherche, nous voyons que notre problème a complétement changé de face. La ques- tion est pour ainsi dire renversée : il semblait difficile au début de trouver une substance de l’œuf qui offrit le phéno- mène de la croix; maintenant au contraire, ilserait difficile d’en trouver une qui ne le présentât point. L’embarras est de choisir parmi ces matières celle qui entre véritablement dans la composition des corpuscules décrits, et d'éliminer les autres. Un moyen précieux d'élimination se présente. Les com- posés alcalino-terreux de la vitelline et des autres albumi- noïdes sont insolubles dans l'alcool et dans l’éther, et ce 536 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L' OEUF. fait suffit à lui seul à les distinguer des granulations de l’œuf. On arrive ainsi, dans cette recherche de la nature des corps de l’œuf, à n’avoir plus de ressource que dans les corps gras phosphorés. Mais avant de les examiner, il importe d’expliquer les causes de l’erreur où sont tombés les auteurs qui ont con- : fondu les corpuscules vitellins avec l’amidon. Le fondement de cette méprise, c’est la supposition for- mellement exprimée, d’ailleurs, que les caractères optiques de l’amidon «n’ont, jusqu’à présent, été constatés que dans » celte substance parmi les substances non cristallines ». On connait, au contraire, un très-grand nombre de corps dans ce cas; les histologistes etleszoologistes connaissaient les belles préparations des croix que lon obtient avec la cornée ou le cristallin des poissons, avec les coupes trans- versales des os, etc. D'ailleurs, Valentin (de Berne) a donné un eatalogue très-étendu de ces substances (1). Nous comprenons moins le résultat de € l'opération décisive (2) » qui a consisté à transformer ce prétendu amidon en glycose; peut-être faut-il inçriminer la compli- cation même de cette opération. En effet, pour isoler les corpuscules, M. Dareste lave le vitellus à l’éther, rapide- ment «afin d'éviter la coagulation de la vitelline »; puis lavage à l’eau; puis traitement par l’acide acétique « pen- dant trois mois » ; après ces trois mois, le dépôt est lavé, bouilli, séparé par décantation et non par filtration « pour éviter la matière saccharifiable des filtres de papier ». Telle est la substance qui, après traitement convenable, a réduit « sensiblement » la liqueur de Fehling. La réduc- tion opérée dans des circonstances si particulières s’expliquerait par trop de raisons, sans invoquer l’amidon;, (1) Valentin, Die Untersuchungen der Pflanzen- und der Thiergewebe in polarisirtem Lichte. Leipzig, 1861. (2) Dareste, Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1°® juin 1868. CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. Ja pour que l’on soitdispensé de la considérer comme décisive. La croix de polarisation est une particularité physique pouvant appartenir à trop de substances pour en caracté- riser aucune. Elle indique une structure, non une nature déterminée : c’est la preuve (la substance étant biréfrin- sente) de la disposition moléculaire symétrique autour d’un axe ou d’un point, et non pas seulement d’une disposition en couches concentriques, comme semblent le croire quelques micrographes. Un corps monoréfringent composé de couches concentriques ne donnerait pas ce caractère. Néanmoins, malgré ces restrictions, lorsqu’on sait d'avance quelques conditions plus particulières de son apparilion, cet attribut peut fournir des renseignements utiles à l’ana- lyse ; il donne des indications de la même nature, sinon de la même valeur , que les formes cristallines. Corps gras Hoie és de l’œuf. — Les substances qu'il nous reste à passer en revue sont la lécithine et la cérébrine, qui existent en proportions notables dans les œufs. Le jaune d'œuf de poule desséché renferme environ 20 pour 100 de lécithine et un peu moins de 1 pour 100 de cérébrine; à l’état frais, les proportions trouvées par Gobley sont les suivantes : Œuf de poule, vitellus.... Lécithine.. . 8.43 p. 160 Cérébrine.... 0.30 — OURAdECARPE TEE ET CE Lécithine.... 3.04 — Cérébrine.... 0.20 Nous dirons quelques mots de ces deux substances : La cérébrine (matière grasse blanche, cérébrote de Gouerbe, acide cérébrique de Fremy) se présente en grains blancs ou en plaques cireuses. Sa composition, d’après Gobley, serait exprimée par les nombres suivants : C=— 66,85, H — 10,892, Az — 92,99, 0 — 920,04. Elle ne contiendrait point de soufre; le phosphore n’y existerait qu'à l’état de traces ou comme impureté provenant d’une 538 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF, pelite quantité de lécithine qui est toujours mélangée à la cérébrine. Elle est soluble à chaud dans l'alcool à 85 degrés; elle se précipite à froid. Ge caractère lui est commun avec la lécithine, dont elle se distingue d’ailleurs en ce que sa combustion ne donne pas un charbon acide, et, en second lieu, en ce qu'elle n’est point soluble dans l’éther et les huiles volatiles. La cérébine est en petite quantité dans l'œuf (3 millièmes). De plus, elle est très-fortement retenue par la lécithine. Elle ne pourrait entrer dans la constitution des corpuscules biréfringents quecomme élément accessoire de la lécithine. Nous sommes donc amené à envisager maintenant cette dernière substance. La lécithine (de 2éu%s:, jaune d’œuf) a été découverte et nommée par Gobley en 1846. Cette substance, extrème- ment remarquable par ses propriétés chimiques, ne l’est pas moins par ses propriétés physiologiques. Chimiquement, c’est un savon de choline, c’est-à-dire une combinaison entre la base appelée choline, d’une part, et, d'autre part, l'acide phosphoglycérique et les acides gras oléique, mar- garique, stéarique. Cette substance est susceptible de se saponifier comme les corps gras et dans les mêmes circon- stances, en donnant les acides gras, la glycérine et la choline. Cette dernière est une substance azotée découverte en 1861 par Strecker dans la bile, et identique à la névrine signalée par Liebreich en 1866 dans le cerveau ; Bayer, en 1867, a fixé sa composition, et Würtz, bientôt après, l’a reproduite par synthèse. Il ne serait pas opportun de retracer ici l’histoire chi- nique de la lécithine. Cette substance de l'organisme, à la fois azotée et phosphorée, est comme un trait d'union entre les deux groupes de corps que les physiologistes désignent par les noms d'éléments plastiques et éléments respiru- loires. Outre cette considération, son abondance et sa diffu- CORPS BIRÉFRINGENTS DE L' OEUF. 539 sion dans l'organisme peuvent faire préjuger son importance. Elie existe dans le vitellus de l'œuf chez les ovipares; elle constitue 5 pour 100 du poids du cerveau ; on la retrouve comme élément constituant des nerfs ; elle existe dans le sang, labile, dans un grand nombre de produits normaux et pathologiques, dans le lait (Bouchardat), dans le sperme, dans la laitance des carpes, chez les méduses, les astéries, les actinies, les oursins. M. Morat et moi avons préparé la lécithine par le procédé de Gobley, soit au moyen de l’œuf de poule, soit au moyen du cerveau. La lécithine obtenue au moyen de l'œuf de poule retient toujours avec opiniâtreté une petite quantité de cérébrine et de phosphates de chaux et de magnésie. La lécithine se gonfle par l’action de l’eau, est soluble à chaud dans l'alcool à 85 degrés, d’où elle se précipite par le refroi- dissement ; elle est également soluble dans léther (variété dipaimitique) et dans les huiles volatiles. Les recherches de Hoppe-Seyler, Strecker, Petrowski et Diakonow, tendent à faire admettre l’existence de plusieurs variétés de léci- thine : la lécithine dioléique, CHSAzPh0”, qui se dépose par l’action prolongée d’un froid de 15 degrés sur la solu- tion alcoolique du jaune d’œuf déjà épuisé par l’éther; la lécithine distéarique, CH°°AzPh0”, qu’on obtient par éva- poration du résidu précédent; la lécithine dipalmitique, CH®A7Ph0”, qui est la plus soluble dans l’éther. Nous devons à l’obligeance de M. Ch. Tellier, directeur de l’usine frigorifique d'Auteuil, d’avoir pu préparer des quantités convenables de ces produits. Les lécithines sortent toujours de leurs dissolutions al- cooliques et éthérées à l’état de dépôt floconneux, amorphe en apparence, mais en réalité formé de sphéroïdes à struc- ture très-régulière et présentant le caractère optique de la croix. Lorsqu'on les examine dans la glycérine avec le mi- croscope polarisant, les nicols étant à l'extinction, on voit la surface entière du champ parsemée de croix brillantes. On 540 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L'OEUF. peut redissoudre la substance ; toujours en se déposant elle reprendra la propriété optique si remarquable que nous signalons. Cette observation nouvelle fournit un moyen commode de constater, dans beaucoup de cas, l’existence de la léci- thine, sans être obligé de recourir à l’analyse élémentaire, toujours pénible et souvent impossible lorsque l’on dispose de trop faibles quantités de substance pour pouvoir la puri- fier. La détermination optique devra être complétée par la conslalation du caractère de solubilité. Outre la lécithine, nous ne connaissons pas actuellement d’autre corps que l’oléate de soude qui donne la croix de polarisation et soit soluble dans l'alcool chaud et dans l’éther. En tous cas, une troisième épreuve, aussi facile que les précédentes, pourra donner la certitude : on brülera la substance sur une lame de platine, et l’on constatera la présence, dans le cas de la lécithine, d’un charbon rendu acide par l’acide phospho- rique. J'ai employé ces règles pour la détermination de la léci- thine dans la dégénérescence graisseuse (empoisonnement par le phosphore, etc.), dans la résorption des pelotes de issu adipeux à la suite de lPinanition prolongée. Enfin, elles m'ont permis de m'assurer dela présence de lalécithine dans les graines oléagineuses en germination. A ce moment en effet la quantité de cette substance, assez minime jusque là, s’accroit considérablement. Ces résultats ont été exposés devant la Société de biologie en 1876. Ils tendraient à faire de la lécithine une des formes transitoires de l’évolu- tion physiologique des matières azotées passant aux matières grasses (engraissement), ou des matières grasses passant aux matières azotées. La structure des corpuscules lécithiques, dont la régu- larité est attestée par l'apparition de la croix de polarisa- tion, mérite de fixer l'attention ; comme elle se produit en dehors de toute activité vitale toutes les fois que la sub- CORPS BIRÉFRINGENTS DE L OEUF. 541 stance se dépose de ses solutions, elle prouve que les ma- tières organiques peuvent prendre, sous la seule influence des forces moléculaires, des formes très-régulières et presque aussi remarquables que les formes ceristallines proprement dites, ou solides géométriques à faces planes. M. Harting, de son côté, a réalisé artificiellement un grand nombre de formes régulières (calcosphérites, otoli- thes, mammilles de la coque de l’œuf des oiseaux) qu’on pouvait croire le résultat de l’activité cellulaire animale. Le même auteur a réalisé des corps analogues aux scléro- dermites des alcyonaires, aux coccolithes, discolithes et cyatholithes décrits par Huxley, O0. Schmidt et Carter. En présence de ces faits n’y a-t-1l pas lieu de se demander si le règne végétal n’offrirait pas des cas analogues, et si la structure du grain d’amidon, par exemple, au lieu de supposer une activité cellulaire ou vitale, ne serait pas simplement un groupe moléculaire de la matière amylacée. Si nous jetons maintenant un regard en arrière, nous voyons que, de toutes les substances de l'œuf, une seule? la lécithine (la cérébrine étant exclue à cause de sa faible proportion : 3 millièmes), présente tous les caractères des corps biréfrimgents de l'œuf, caractères physiques et carac- tères optiques; de sorte qu’en raisonnant par voie d’exclu- sion, C’est à elles qu'appartiennent les corps décrits par M. Dareste, que l’on aperçoit primitivement dans le vitellus. L'examen direct viendra donner le dernier sceau à notre démonstration. Si l’on isole toutes les substances qui, par leur mélange, constituent le vitellus, et qu’on les observe comparativement dans la lumière polarisée, la lécithine seule fournira les croix de polarisation. Le traitement que nous faisons subir à la matière du jaune diffère peu de celui qu'ont mis en usage les chimistes Gobley, Hoppe- -Sevler, Diakonow, pour leurs analyses. Voici en quoi il consiste : Étant donnés plusieurs vitellus, on les lave à l’éther jusqu’à ce que la liqueur cesse de se 549 CORPS BIRÉFRINGENTS DE L'OEUF. colorer. On a ainsi deux parts : une solution éthérée À, un résidu B. La solution éthérée À, soumise à l’évaporation, laisse séparer deux matières : l’une, 4, visqueuse et consis- tante; l’autre, b, huileuse et liquide, surnagée par des eris- taux de cholestérine. On rend la séparation aussi complète que possible en décantant d’abord, puis en filtrant à chaud à travers une toile très-fine, enfin en comprimant la ma- lière à travers plusieurs doubles de papier à filtre. On a, en résumé, par ces opérations, l'huile d’œuf b, formée de mar- garine et d’oléine et la cholestérine, et, d'autre part, la matière visqueuse &, presque exclusivement formée de lécithine. A la matière visqueuse se trouvent incorporées cependant la cérébrine, des matières colorantes, et quel- ques substances que l’on peut extraire par l'alcool à froid (matières extractives). Le résidu B est traité par l'alcool à chaud qui enlève les lécithines dioléique et distéarique, puis par l’eau qui enlève les sels solubles, puis par l’eau légèrement aiguisée d'acide chlorhydrique qui enlève les phosphates. La vitel- line reste comme résidu. Tous ces produits, retirés du vitellus par les dissolvants sont examinés dans la lumière polarisée. Les lécithines seules manifestent le caractère de la croix de polarisation. De cette double série d'épreuves et de contre-épreuves ressort, avec clarté, la conclusion que les corpuscules biré- fringents des œufs des oiseaux, des reptiles et des pois- sons sont formés non d’amidon animal, non plus que de leucine, mais de lécithine. Il Sur la lactose (1). Il y a une observation à faire relativement à la transfor- mation digestive de la lactose. En 1874, CL. Bernard m'a- vait conseillé comme sujet de travail une étude physiolo- oique de la lactose. Il avait fait remarquer anciennement que la lactose ne manquait jamais chez les chiennes à jeun ou nourries exclusivement avec de la viande, et qu’en con- séquence la lactose était comme la glycose un produit immédiat fabriqué par l’organisme animal. Je fus chargé, pendant l’été de 1874, de rechercher l'influence que lali- mentation pouvail exercer sur la production du sucre de lait. Ces expériences ont été résumées dans les Leçons sur le diabète et la glycogenèse animale, p. 169 et suivantes : 4° Il y a de la lactose dans le lait des chiennes nourries exclusivement à la viande et à l’eau. 2% Le régime lacto-sucré augmente considérablement la proportion de lactose. Après avoir consigné ces faits dans son cours, CI. Ber- nard m'abandonna le sujet, m'indiquant lui-même qu’il v avait lieu de reprendre l’étude des transformations diges- tives de la lactose. J'ai communiqué beaucoup plus tard à la Société phi- lomathique les premiers résultats de mes recherches. J'ai fait pour la lactose ce qui avait été fait par Miahle et CI. Bernard pour lalbumine et la saccharose. Injectant (1) Note relative à la page 122. 544 ‘SUR LA LACTOSE. une solution titrée de lactose dans le sang de la jugulaire chezun chien, j'ai recherché la substance dans les urines, et à l'exception d’une petite quantité, je y ai retrouvée poids pour poids. En sorte que la nécessité d’une trans- formation digestive devenait évidente. M. de Sinety, antérieurement à toute publication de ma part, avait fait une observation intéressante et qui permet- tait de conclure dans le même sens : il avait vu le sucre de tait apparaître dans l'urine quand on supprime l’évacua- tion lactée. | La transformation nécessaire de la lactose n’a paru être réalisée non par le suc pancréatique, mais par le suc intes- tinal. À 4: ITI Réserve phosphatique chez le fœtus des ruminants, des jumentés et des porcins (!l). On trouve dans l’épaisseur du stroma du chorion chez les ruminants un réseau de plaques blanchâtres dont l’exis- tence n'avait pas suffisamment fixé l'attention des physio- logistes. Cependant, leur nature, leur évolution, leur abon- dance même leur assignent un rôle important dans les phénomènes de la vie fœtale. Nature. — Pour apprécier la nature et la situation de ces productions, il importe de les étudier sur un fœtus de mouton arrivé à la période moyenne de son développement, de la douzième à la dix-septième semaine, alors que la longueur de embryon varie entre 16 et 32 centimètres. A ce moment le réseau des plaques choriales a atteint le point culminant de son évolution: elles sont dans leur plein épanouissement; elles ne vont point tarder à entrer dans la période de régression; chez le fœtus à terme on n’en retrouvera plus de traces. Ces plaques choriales, au premier abord, semblent su- perficielles. Ce n’est là qu’une apparence. On s'assure faci- lement qu’elles n’ont aucun rapport avec l’épithélium superticiel : on peut enlever celui-ci en balayant la surface du chorion avec le pinceau, après l'avoir laissé séjourner dans un liquide dissociateur, tel que l'alcool. Le réseau des plaques, loin d’être altéré par cette préparation, appa- (1) Note relative à la page 140 et aux figures 9 et 10 de la planche I. CL BERNARD. — Phénomènes. I. — 35 246 RÉSERVE PHOSPHATIQUE rail plus clairement. Il est distribué dans l'épaisseur du issu conjonctif qui forme le stroma de la membrane. La matière de ces plaques est disposée en amas eranu- leux. Les particules dont elles sont composées n’affectent pas de formes régulières; leur volume est aussi variable que leur configuration. Pour en fixer la nature nous avons eu recours aux diffé- rents réactifs micro-chimiques. Ni l'alcool, ni l’éther, ni l’eau, ni la glycérine ne les attaquent ; l’action de ces di- verses substances ne paraît pas en diminuer sensiblement le volume ou en altérer la forme. Cette épreuve exclut les corps gras, l’urée, et tous les sels solubles. L’acide chlor- hydrique les fait immédiatement disparaître sans résidu et sans effervescence ; par là se trouvent exclus également lacide urique, les urates et les carbonates. Ces dépôts sont formés de phosphates terreux et pres- que exclusivement de phosphate de chaux. Voici sur quels caractères nous fondons notre assertion : La membrane choriale étant isolée, séparée de l’allan- toïide, débarrassée par le raclage ou par l’action du pinceau de son épithélium superficiel, est étaléee et tendue sur un cadre. Elle est lavée dans un courant d’eau longtemps con- linué; on la laisse séjourner dans l'alcool et dans l’éther, si l’on croit nécessaire de la débarrasser plus compléte- ment de la petite proportion de substances étrangères que ces deux menstrues peuvent entrainer. La membrane bien lavée est alors mise en contact, à froid, avec une petite quantité d'acide chlorhydrique fort. La substance des plaques est dissoute ; elles disparaissent presque immédiatement. Le liquide est recueilli; on y ajoute l’eau aiguisée d'acide chlorhydrique qui sert à com- pléter le lavage. On filtre afin de séparer la petite quantité de débris or- caniques qui peuvent avoir été entraînés. CHEZ LE FOETUS. 047 C’est sur cette solution filtrée que va désormais porter la recherche. On sature le liquide avec de l’ammoniaque. Dès que la neutralisation est obtenue, on voit se former dans la liqueur un dépôt floconneux qui se rassemble, par le repos, au fond du vase. On recueille ce dépôt sur un filtre ; on le lave de manière à le débarrasser complétement de l’ammoniaque en excès. On le dessèche, et l’on obtient ainsi une poudre blanche en quantité suffisante pour se prêter aux vérifica- lions chimiques. Un fœtus de mouton de 28 centimètres nous à fourni plus d’un gramme de substance. On prend une petite quantité de la substance solide, on la dissout dans lacide chlorhydrique en quantité aussi fuble que possible. La potasse, la soude, l’ammoniaque, donnent des flocons d’un précipité gélatineux qui ne se redissout point dans un excès d’alcali (phosphate de chaux). On ajoute un excès d’acétate de soude dans la solution chlorhydrique ; on verse ensuite une très-petite quantité de perchlorure de fer. On obtient un précipité jaunâtre gélati- neux (phosphate de peroxyde de fer) qui disparaît si l’on ajoute du perchlorure de fer en excès ou de l'ammoniaque. Toutes ces réactions appartiennent au phosphate triba- sique de chaux. Enfin, et cette fois la réaction est caractéristique des phosphates, on prend une petite quantité de la poudre blanchâtre obtenue, on la dissout dans l’acide azotique, on ajoute quelques centimètres cubes d’une solution de mo- lybdate d’ammoniaque dans l'acide azotique. Il se produit immédiatement une coloration d’un jaune vif qui va s’ac- centuant et qui s'accompagne d’un dépôt pulvérulent si l’on chauffe le tube à réaction à la flamme de la lampe à alcool. L'existence de la chaux est mise en évidence de la ma- nière suivante : On prend la solution chlorhydrique de Ja 548 RÉSERVE PHOSPHATIQUE substance, on ajoute un excès d’acétate de soude, on verse de l’oxalate de potasse et l’on observe un précipité blanc cristallin d’oxalate de chaux, présentant la forme octaé- drique caractéristique. Les épreuves précédentes nous permettent de conclure que le dépôt des plaques choriales est principalement con- situé par du phosphate de chaux tribasique, c’est-à-dire par le phosphate des os. On y trouve également une petite quantité de phosphate de magnésie. En effet, lorsque dans la liqueur précédente on a ajouté l’oxalate de potasse goutte à goulte, de manière à ne pas en introduire un excès, et qu'on a séparé l’oxalate de chaux sur un filtre, l’ammo- niaque versée dans le filtratum donne encore un léger trouble. En somme, la matière des plaques choriales est la ma- tière même des os, sauf le carbonate de chaux qui n°v existe pas où qui s’v trouve en faibles proportions. Cette particularité ne diminue point la valeur de notre conclu- sion. Nous rappellerons, en effet, ce que Milne Edwards (1) a écrit à propos de la constitution des os : « Ce sel (le carbonate de chaux) ne paraît remplir qu’un » rôle très-secondaire dans la constitution des os. Il est » en faible proportion chez les jeunes individus, ainsi que » dans les parties osseuses de nouvelle formation, et il de- » vient plus abondant avec les progrès de l’âge; la quantité » relative en est aussi plus grande dans les os spongieux » que dans le tissu osseux compacte. Il y a même quelques » raisons de croire que le carbonate calcaire est un produit » excrémentitiel provenant de la décomposition du phos- » phate basique de chaux par l'acide carbonique des li- » quides de l’économie animale, plutôt qu'une des parties » constitutives essentielles du tissu osseux. » (1) Mine Edwards, Leçons sur La physiologie et l'anatomie comparée, 1874, t. X, p. 257. — à c = / CHEZ LE FOETUS. 549 Distribution. — La substance osseuse, ou du moins phosphatée, n’est jamais contenue dans les éléments cellu- laires de la membrane; elle est déposée dans les interstices des éléments, entre les fibres qui s’écartent pour loger ces amas granuleux. Cette disposition se constate facilement eur une coupe mince du chorion simplement durci dans : l'alcool : les grains sont rassemblés en groupes, qui, sur la coupe, présentent une disposition elliptique allongée. Les éléments cellulaires appliqués sur les faisceaux du tissu conjonctif n’offrent jamais avec les amas granuleux que des rapports de contact. Cette observation est d'accord avec ce que l’on sait des dépôts de phosphate qui se produisent dans le tissu ostéoïde des mammifères et le transforment en tissu osseux. Les éléments cellulaires, les cellules étoilées, sont toujours respectés par le dépôt calcique : celui-ci n’envahit que la substance fondamentale. L’arvangement en réseau que présentent de bonne heure ces plaques blanchâtres sur la membrane choriale étalée est une particularité de leur histoire dont nous avons dû cher- cher l'explication. Doit-on attribuer à quelque condition de l'appareil cireulatoire cette configuration si spéciale du dépôt ? Il ne nous a point paru qu'il en fût ainsi. En exami- nant une membrane choriale injectée où les plaques sont à un degré convenable de développement, on s'assure faci- lement que le réseau des taches blanchâtres ne correspond nullement au réseau sanguin artériel ou veineux. Nous nous sommes demandé s’il n’y aurait pas alors dans le tissu conjonctif un système de lacunes ou de canaux par- ticuliers analogues à des lymphatiques et préparés d'avance pour le dépôt des phosphates terreux. Nous devons dire que ni les coupes faites sur la membrane durcie, ni les ten- tatives d’injections interstilielles n’autorisent cette suppo- sition. Il s’agit là, sans doute, d’un simple dépôt effectué, sans appareil particulier, entre les éléments fibreux du chorion. 550 RÉSERVE PHOSPHATIQUE Evolution des plaques.— Nous avons dit que les plaques choriales ne présentaient pas un égal développement à toutes les périodes de la vie fœtale. Rares au début, absentes à la fin, c’est à une période intermédiaire, mais déjà voisine de la naissance, que leur production atteint son point culmi- nant. Elles présentent, en conséquence, une évolution liée de quelque manière à l'accroissement de l’embryon; la connaissance de ce rapport projetlerait sans doute une cer- taine lumière sur des phénomènes obscurs de la nutrition de l'embryon. Le premier rudiment des plaques choriales se montre aussitôt qu'apparaissent sur le chorion les vestiges des fu- turs cotylédons fœtaux. Les embryons du mouton peuvent avoir alors une longueur de 10 à 30 millimètres; leur âge est de quatre à six semaines. À ce moment on voit se dessiner nettement sur la surface du chorion des espaces circulaires distingués des parties voisines par un dépôt de granulations blanchâtres légèrement saillantes, régulière- ment allongées, entre lesquelles courent des vaisseaux san- guins nombreux etbien développés. Ces masses granuleuses ont été observées par des anatomistes, mais sans qu’ils en connussent la nature ou la signification. Panizza (1), parlant de l'emplacement des futurs cotylédons fœtaux de la vache, s'exprime ainsi : « En ces points, le chorion devient plus » opaque et parsemé de petites saillies ou granulations » blanchâtres et molles plus ou moins développées, selon » l’âge de l'embryon. Observés à la loupe, ces espaces se » montrent plus ou moins allongés et transparents ; ils » sont les rudiments des cotylédons du fœtus. » Pour nous, ces concrétions blanchâtres ne sont autre chose que les premiers débuts de la formation des plaques choriales ; en suivant pas à pas leurs modifications on en acquiert la (1) Panizza, Sopra l'utero gravido di alcuni Mammüferi, p. 13. Milano, 1866. CHEZ LE FOETUS. 591 preuve. On remarquera, sans aucun doute, ce rapport singulier topographique et chronologique entre l’appa- rition des dépôts phosphatés et celle des villosités des co- : tylédons. Lorsque les cotylédons sont plus avancés en organisation on voit les granulations phosphatées former autour de leur base une auréole ou une couronne, dont les éléments ra- diaires se continuent avec un réseau de même nature caché par la masse cotylédonaire. Plus tard, le développement exubérant du cotylédon dissimule le dépôt du chorion sous-jacent ; mais 1l suffit de soulever le pédicule pour aper- cevoir le dépôt disposé tout autour du point d'implantation et semblant se perdre dans la substance même du placenta. Mais déjà à ce moment le réseau n’est plus limité aux coty- lédons ou à leur voisinage : rayonnant de ces centres, il a envahi les intervalles qui les séparent. On aperçoit ses tra- vées, ses lacunes et ses mailles dans la plus grande partie de la surface du chorion. Ses caractères sont fixés : au de- gré près, le dépôt chorial est déjà ce qu’il sera plus tard. Le plus grand développement du réseau phosphaté cor- respond à peu près à la sixième période de la vie embrvon- naire, de la quatorzième à la dix-septième semaine. Arrivée à ce sammum, la production décline très-rapidement : en peu de jours elle diminue; il n’en reste plus de traces au terme de la gestation. Il est intéressant de noter que ce dépôt des matières osseuses disparaît du chorion au mo- ment même où le travail d’ossification devient le plus actif dans le squelette de l'embryon, et où, par conséquent, ces matières peuvent trouver leur emploi. Rôle physiologique. — L'étude précédente nous montre que les plaques choriales constituent une sorte de réserve où s'accumulent les substances phosphatées, en attendant le moment de leur utilisation dans organisme fœtal. On peut croire que dans le fait de la disparition de ces substances du chorion et de leur apparition simultanée dans l’apparerl 59? RÉSERVE PHOSPHATIQUE squelettique il n’y a pas seulement une simple coïncidence. Nous sommes bien plutôt tenté d'y voir une corrélation nécessaire, et comme la preuve du déplacement de la sub- stance d’abord accumulée dans le chorion et ensuite déposée dans le tissu osseux. Baër (1), parlant de la membrane du chorion, s’exprime en ces termes : « Elle correspond, dit-il, à la tunique corti- » cale ou testacée, ou membrane de la coquille des oiseaux. » Il faudrait aller plus loin, et dire qu’elle correspond en outre à la coquille même qui entoure l’œuf de ces animaux, et lui constitue non-seulement un moyen de protection, mais encore une réserve de substances nécessaires au dé- veloppement (2). On pourrait rapprocher le phénomène que nous signalons ici de celui qui s’observe chez les écrevisses au moment de la mue. On trouve à cette époque, d’abord dans la paroi, puis dans la cavité de l'estomac de ces animaux, des masses dures improprement appelées yeux d’écrevisses : ces masses sont de nature calcaire (carbonate et phosphate) ; elles dis- paraissent rapidement à mesure que la nouvelle carapace se consolide et se calcifie. Mais le phénomène est plus général encore. Depuis quel- ques années, dans ses belles études sur la nutrition, Cl. Ber- nard a insisté sur le rôle des réserves. Il a montré que les matériaux qui doivent servir à des échanges nutritifs ra- (1) Buer, Epistola de ovi mammalium et hominis genesi, p. 6. Lipsiæ, 1827. (2) Prévost et Morin (Journ. de pharm., 1846) admettent que pendant l'in- cubation le poids de la coquille et celui de la membrane restent constants et par conséquent que leur rôle se borne à celui d’enveloppes. Mais d’autres auteurs, à l’avis desquels nous nous rangeons, ont observé que le poids de la coquille de l'œuf de poule diminue pendant l’incubation. Le transport de phosphates que cette diminution semble indiquer serait facile à concevoir, si l’on se rappelle que ces phosphates terreux sont solubles dans les liquides chargés d’acide carbonique : le sang qui vient de respirer dans les vaisseaux allantoïdiens au contact de la coquille étant chargé d'acide carbonique, se trouve en effet dans les conditions convenables pour opérer ce transport. CHEZ LE FOETUS. 5AS pides s’entreposent, s’emmagasinent pour ainsi dire dans certains organes pour être disponibles au moment conve- nable. Pendant les périodes les plus actives du développe- ment, chez les plantes comme chez les animaux, le même fait se produit; sa généralité l’élève donc au rang d’une loi importante. Ainsi en est-il pour la graisse, pour le sucre de canne, pour la matière glycogène, pour l’amidon, qui sont accumulés et mis en réserve pendant une période d’é- laboration ou de préparation organique. Plus tard, l’écono- mie puise dans les réserves qu’elle s’est ménagées, lors- qu'elle est obligée de fournir à un travail énergique ou à des dépenses qui ne seraient point compensées par des recettes équivalentes, comme cela arrive au moment du développement des organes embryonnaires, au moment de la mue chez les animaux, pendant l’hibernation, au moment de la germination des graines, au moment de la floraison et de lafructification des plantes bisannuelles ou dicarpiennes. D'après ce que nous venons de voir, il faudrait ajouter à la liste des substances susceptibles d'être entreposées, en vue d’une utilisation ultérieure, les matériaux de lossifica- ion chez les ruminants. Stroma et plaques choriales des pachydermes. — Les détails que nous venons de fournir ont été observés sur le ‘œtus des ruminants : mouton et veau. Les mêmes faits se représentent presque sans modification chez les pachy- dermes. On retrouve dans le chorion du porc les mêmes dépôts calcaires que dans celui des ruminants : ils subis- sent la même évolution. Les différences sont relatives à des détails sans importance. L'aspect du dépôt chorial est plus irrégulier; les mailles et les lacunes du réseau sont moins bien limitées. Les granulations sont plus volumineuses ; elles forment une couche située plus profondément dans l'épaisseur du chorion; elles s’amassent même souvent aux limites de la membrane choriale dans le tissu conjonctif in- terposé à l’allantoïde ; elles y forment des dépôts épais quel- 594 RÉSERVE PHOSPHATIQUE CHEZ LE FOETUS. quefois de 1 et 2 millimètres, sous forme de traïinées blan- châtres à la lumière réfléchie, opaques pour les rayons transmis. Dans quelques circonstances, la matière phos- phatée se réunit en masse limitée, englobée par un amas de la substance muqueuse conjonctive sous-jacente du cho- rion., De cette manière se trouvent constitués des corps in- dépendants que l’on peut appeler hkippomanes, par analogie avec ceux que l’on désigne sous ce nom chez le fœtus des espèces bovine et chevaline. PAU LE EXPLICATION DES PLANCHES DU TOME DEUXIÈME PLANCHE I. — Glycogenese dans les annexes el les muscles du fœtus. F1G. 1. — Plaque de l’amnios (grandeur naturelle). FIG. 2. — Idem. F1G. 3. — Corne d’une griffe d’un fœtus de chat. FIG. 4. — Muscles d’un fœtus. F1G. 5. — Idem. Fi6. 6. — Muscles masséter d’un veau presque à terme. FiG. 7. — Muscles d’un fœtus de chat de 7 centimètres. F6. 8. — Idem. Coupe transversale. Fi6. 9 et Fic. 10. — Plaques phosphatiques du chorion (Dastre). PLANCHE IL. — Glycogenèse dans les glandes du fœtus. FiG. 11. — Poumon d’un fœtus de vache de 5 centimètres. F16. 12. — Bronche d’un fœtus humain de 8 centimètres. FiG. 13. — Extrémités des bronches et tissu pulmonaire d’un fœtus de mouton de 7 centimètres. FiG. 14. —- Villosités de l'intestin. Idem. FIG. 15. — Épithélium de l'estomac d’un veau prêt à naître. PLANCHE II. — Glycogenèse dans l'œuf et dans l'embryon de l'oiseau. FiG. 16. — Vaisseaux de la membrane vitelline d'un fœtus de poulet de treize jours. FIG. 17. — Amas glycogéniques autour de ces vaisseaux (grossissement plus fort). F1G. 18. — Idem. F1G. 19. — Cellules du jaune traitées par l'acide acétique iodé. FiG. 20. — Cellules du jaune examinées dans la masse vitelline. FiG. 21. — Cellules du jaune. Corps biréfringents de l'œuf. to rhdtère para es int L'an à fé PTE Er AN de A + de 4 y ur APT CUT 0 7 # ; : rat Meur NOÉ QU FR LOT ve | k gras PET prise is em .} able , hote ob ue Le slhS ann'b oran) 2 L k | : x FT TT #5 - De | AÛ ; NÉ | | publ ==,3 0 FEMME DT RL Det affine À ati ddr hs mt 1 tout 7.7 cn, PP EN" Pr, Mantes ot) mob 22-57 if este tortoita. did. arpal Ce CE Lo ha - Ft BY ja wb it el ous R = AI aura L Fr k. | : « : TA 2 p 4 x MW ES ardioinsà ge où (pa ob “ad Le OU PL \ À: mudmiass * à LA "rA F , “one sub asdenonteng 1 ë À * rs s trstet 408 «tel ot HT TF4 a f é y CU LE RE ie QUE: sb ab * : 5 PE % 4 * ue Se et 3, paetfimat u ins mari | S ; và sera ob subi nul cn sen 8 sh aa W S Ù = Hud: Un . sûl doi (3) 2warr 2e es HE +. dr , 1e BUG ee al sus ee PA - | M Eh