^^ .ç; ■**x **.. > ► «* JL iV^f ^ ..V^. J-/. J^3 C/WS.4^Ci^UfO- if M ^ ~\ -^^ ^ "% 1\ H ^ -f. ,v / > \j' t ' / / Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/leonssurlesphOOmatt LEÇONS sur. LES PHÉN03IÈNES PHYSIQUES DES CORPS YIVANTS DE L IMPRIMERIE DE CRAPELET rUE or. VAUGIRARD, 9 LEÇONS SLR LES PHÉ]VOMÈ]\ES PHYSIQUES CORPS VIVANTS PAR C. MATTEUCCI ÉDITION FRANÇAISE PUBLIÉE, AVEC DES ADDITIONS CONSIDÉRABLE; SUR LA DEUXIÈME ÉDITION ITALIENNE 18 figures dans le texte PARIS CHEZ VICTOR MASSON UBRAIHE DI;S SOCIÉTÉS SAVANTES PRES LE MINISTERE CK l'iNSTBVCTION PUBUQDF PLACE DE l'école-de-médecine, 1 21 iTetf 2Ìg , même maison ^ cljez iF. ittidjelscn 18U /ûfé -^-fefi,/- ^Vt'<#t#'^ > :^%t) AVIS DE L'EDITEUR. Personne ne conteste aujourd'hui l'immense avantage que l'on peut retirer de l'application des sciences physi- ques à l'étude des phénomènes de la vie. Quoiqu'un sa- vant physiologiste , M. Magendie, eût déjà publié , sur ce sujet , des leçons professées au Collège de France , il était à désirer qu'un physicien entreprît un semblable tra- vail. En 1844, le Gouvernement Toscan chargea M. Mat- teucci de faire, à l'université de Pise, une série de leçons sur les phénomènes physiques des corps vivants. Cet ha- bile professeur, par le fait même de la direction de ses études , était plus que tout autre en mesure de remplir convenablement une pareille tâche ; et lorsqu'il publia, en 1844, ses premières leçons, il fut facile de prévoir com- bien la physiologie serait éclairée par l'intervention d'un physicien aussi distingué dans la discussion des problè- mes, à la fois si complexes et si importants, qui surgis- ij AVIS DE l'éditeur. sent à chaque pas dans l'étude des phénomènes de la vie. Quelque remarquables que fussent les leçons de M. Matteucci, la première édition qu'il en a publiée en Italie ne pouvait cependant être considérée que comme le premier jet des idées et des recherches du professeur. A mesure qu'il a creusé plus profondément ce sujet, il a élargi le cadre de son travail , afin d'em- brasser d'un même coup d'œil et de mettre vivement en lumière l'ensemble des rapports de l'être organisé avec le monde extérieur, et de faire nettement ressortir l'in- tervention des lois de la physique générale dans l'accom- plissement des fonctions de l'économie vivante. M. le docteur Clet ayant exécuté , sous la direction de l'auteur,, une traduction de la seconde édition des Leçons mir les Phénomènes physiques des corps vivants , je me suis empressé de porter cet ouvrage remarquable à la connaissance des physiologistes français ; et en cela je crois contribuer puissamment au progrès de la science de la vie , qui ne peut que gagner à utiliser ainsi les notions précieuses fournies par les diverses branches des connais- sances humaines. V. M. A MESSIEURS GAY-LUSSAC, ARAGO, DUMAS, POUILLET MEMBUES DE L'INSTITIT HOMMAGE DE RESPECT, DE RECONNAISSANCE E T d' A M î T I É De leur ancien élève G. Matteucci LEÇONS SUR LES PHENOMENES PHYSIQUES DES CORPS VIVANTS PREMIERE LEGON INTRODUCTION, Messieurs , Je n'ai jamais autant douté de mes forces qu'en ce moment où je vais m'acquitter de la mission qui m'a été confiée de professer un cours sur les phénomènes phy- siques des corps vivants. Mais si je sens de combien de difficultés est entouré un pareil enseignement, j'ai aussi l'espoir que mes efforts auront pour récompense la grande utilité que vous y trouverez. En effet, c'est peut-être la première fois qu'aura été introduit dans l'instruction médico-physique un cours ainsi intitulé ; il n'existe aucun ouvrage qui traite des matières qui en feront l'objet : les germes en sont , il est vrai , épars çà et là ; mais le point de vue le plus favorable à leur développement a été à peine entrevu. 4 2 PREMIÈRE LEÇON. Si au début de tout enseignement celui qui professe s'attache à donner une définition exacte de la science dont il va s'occuper, d'en montrer les limites et le but, en un mot d'en tracer le plan, le programme, assurément la nécessité de ces préliminaires ne fut jamais aussi évi- dente que dans cette circonstance. Les corps vivants sont doués des propriétés générales de tous les corps de la nature. Le plus absolu des vita- listes n'a jamais songé à nier que la matière organisée vivante fût étendue, impénétrable, divisible, poreuse. Comment croire que le calorique, l'électricité, la lumière, l'affinité chimique , aient sur ces corps des modes d'agir entièrement différents de ceux qu'on observe lorsque ces mêmes forces agissent sur les autres corps de la nature ? Vous trouverez encore dans des ouvrages de physio- logie très-estimés , groupées en tableaux, les différences, et plus encore les oppositions qu'on a cru pouvoir établir, entre les corps organiques et inorganiques. J'ouvrirais une discussion trop longue et sans aucune utilité si je voulais vous démontrer que beaucoup de ces prétendues différences n'ont aucune ou presque aucune valeur. Les animaux et les végétaux croissent par intersusception , les minéraux par juxtaposition , ou, en d'autres termes, chez les premiers l'accroissement a lieu par juxtaposi- tion interne , chez les derniers par juxtaposition externe ; et cela parce que les corps organisés recèlent dans leur intérieur les éléments dissous des formations nouvelles , tandis qu'au contraire ces éléments sont situés à l'exté- rieur dans les corps inorganiques . Pendant la vie, il y a lutte continuelle entre les forces INTRODUCTION. 3 physiques et les forces vitales : la mort est le triomphe des premières forces sur les secondes. Mais cela suffira- t-il pour prouver que les forces vitales et les forces physiques sont essentiellement distinctes entre elles , et opposées dans leur mode d'action? Serait-il exact de dire que les différentes parties qui , assemblées , forment une voûte, sont douées d'une force opposée à celle de la pe- santeur, par cela seul qu'elles ne tombent pas ? Les corps organisés vivants , comme tous ceux de la nature, sont étendus, impénétrables, divisibles, poreux. Plongez-les dans l'eau ou dans d'autres liquides, et vous les verrez tous s'imbiber, comme le font le sable, le verre pilé, les corps poreux et formés de tubes capillaires. Cette propriété des corps vivants est de la plus grande importance. Dans un grand nombre d'animaux, la vie peut être longtemps suspendue impunément ; au contact de l'eau, dont ils ont la faculté de s'imprégner, ils re- viennent à la vie et reprennent les mouvements. Qui ignore les belles expériences de notre illustre compatriote Spallanzani sur le rotifère f Voici un tendon , une mem- brane, qui , tels que je vous les montre, durcis et raccor- nis, paraissent n'avoir jamais fait partie d'un corps organisé ; cependant, si nous les plongeons dans l'eau , vous les voyez, à mesure qu'ils s'en imbibent, redevenir mous, souples, élastiques, et prêts à remplir dans le corps vivant les fonctions qui leur sont réservées. L'élasticité appartient aussi bien aux corps vivants qu'à tous les autres corps de la nature. Voici une por- tion de tube intestinal, une artère, que je puis à mon gré plus ou moins dilater, plus ou moins resserrer. Si /l PREMIÈRE LEÇON. j'ouvre ce robinet fixé à la trachée, vous voyez le pou- mon s'affaisser sur lui-même, tandis qu'il s'enfle et se dilate de nouveau si j'y insuffle de l'air. Et ne croyez pas que ces divers organes pourront remplir leurs dif- férentes fonctions sans l'élasticité du parenchyme du poumon, de l'intestin ou de l'artère. Supposez-la détruite, et ces fonctions seront détruites , ou du moins altérées. La pesanteur agit sur les parties solides, liquides et gazeuses des corps vivants, comme sur tous ceux qui existent dans la nature. On ne pourra jamais expliquer les fonctions de la respiration, de l'absorption, si l'on ne tient compte des propriétés physiques des solides, des liquides et des gaz de l'économie et de leurs conditions d'équilibre. Chauffez convenablement un corps organique quel- conque, et vous verrez le gaz se dégager, la vapeur d'eau s'échapper, le carbone et l'hydrogène brûler à l'air, en produisant de l'acide carbonique et de l'eau. Si à la pre- mière impression de la chaleur vous voyez souvent les matières organiques se raccornir, se raccourcir au lieu de se dilater et se liquéfier, comme cela arrive ordinaire- ment aux corps inorganiques , vous ne pourrez certaine- ment pas attribuer cette différence à une action vitale , puisque depuis longtemps la vie est éteinte en elles quand ces phénomènes ont lieu. Tous ces effets sont dus à une structure particulière et aux propriétés physico-chimiques des éléments qui composent les tissus. En effet, les corps organisés sou- mis à l'action delà chaleur, commencent par perdre l'eau dont ils sont imprégnés, et cet efiet se produit d'abord INTRODUCTION. 5 dans la partie la plus directement échauffée ; la substance est alors sollicitée à se rouler sur elle-même en cornet, comme un morceau de papier plus mouillé sur une face que sur l'autre, de telle sorte que la plus longue occupe la convexité de la nouvelle forme qu'elle vient de con- tracter. Ces corps organiques sont souvent imbibés d'albumine qui se coagule sous l'action d'une forte chaleur; leurs éléments se séparent à l'état gazeux pour former des combinaisons plus simples et, par conséquent, plus stables. L'électricité de tension parcourt les corps organisés, se répand dans leur intérieur plus ou moins facilement, suivant leur différent degré d'humidité ; si l'étincelle vient à les traverser, elle les volatilise, les brûle, les réduit en cendres. Si le courant électrique traverse les liquides des corps vivants , il opère la décomposition des sels qui y sont contenus, les acides se portent à un pôle, les bases à l'autre; l'albumine se coagule au pôle positif oii se ren- dent également l'oxygène et un liquide écumeux acide; l'hydrogène va au pôle négatif avec un liquide alcalin. Quant aux rayons lumineux, personne n'ignore qu'en traversant les humeurs de l'œil, ils dévient de la ligne droite, tantôt en divergeant, tantôt en convergeant, sui- vant la différence de densité des humeurs mêmes, et la conformation des parties qui les contiennent, ainsi que cela aurait lieu dans un instrument dioptrique. J'ajouterai que les éléments qui composent les corps vivants obéissent toujours aux lois générales de l'affinité. Le chimiste peut les reconnaître, les séparer parles pro- 6 PREMIÈRE LEÇON. cédés ordinaires d'analyse. Faites agir sur eux le chlore, le brome, l'iode, l'hydrogène sera le premier élément qui se séparera pour se combiner et former des hydra- cides avec ces métalloïdes. Toutes les actions oxydantes un peu fortes convertiront en acides les matières orga- niques. De tout cela concluerons-nous que tous les phéno- mènes que présentent les corps vivants peuvent être expliqués par les propriétés générales qui sont dévolues en commun à eux et à tous les corps de la nature, par le jeu seul des grandes forces physiques, calorique, lumière, électricité, attraction .^^ Une telle conclusion s'éloignerait de la vérité, autant que celle de ceux qui ont refusé et refusent encore aux corps vivants ces propriétés géné- rales, qui les regardent comme tout à fait en dehors de l'influence des agents physiques. Examinez les phénomènes des corps vivants, les lûus physiques, les plus chimiques , permettez -moi cette expression, et vous remarquerez des différences considé- rables dans le mode d'action des agents physiques et chimiques au sein de l'organisme; différences inexpli- cables dans l'état des connaissances que nous avons rela- tivement aux lois qui gouvernent ces forces. Le phéno- mène de la vision lui-même, que l'on pourrait appeler le phénomène physique parfait, ne nous offre-t-il pas des particularités jusqu'à présent inexplicables .^^ Si les der- nières découvertes de la science nous permettent d'expli- quer la netteté de la vision à toute distance, et l'absence de coloration des bords de l'image, comment, à l'aide des lois physiques, pourrait-on expliquer la perception d'un INTRODUCTION. 7 seul objet simple et dans sa position naturelle avec une image double et renversée? Que ne pourrait-on dire de l'ouïe et de la voix, qui sont simplement des effets de vibrations particulières de l'air, propagées par des solides, d'après les lois générales de l'acoustique? La science, à toutes ces questions, ne peut faire aucune réponse com- plètement satisfaisante. L'action chimique de la lumière qui décompose l'acide carbonique, porte le carbone sous forme de combinai- sons nouvelles dans le sein des végétaux, en dégage l'oxygène et produit ainsi ce que les affinités chimiques les plus puissantes ne peuvent réaliser, est assurément différente de celle qui décompose certains oxydes, cer- tains chlorures métalliques, effets pour lesquels les actions chimiques les plus faibles suffisent. Appliquez un courant électrique sur les nerfs d'un animal vivant quelconque , et la singularité des phéno- mènes dont vous serez témoins vous démontrera jusqu'à l'évidence la différence immense qui existe entre les effets des grandes forces de la nature, suivant que le corps sur lequel on les met en action est vivant et or- ganisé, ou sur un corps inorganique et mort. Quelle est donc la cause de ces grandes différences dans le mode d'agir des agents physiques sur les corps vivants et sur tous les autres corps de la nature ? Voici une première question de la plus haute impor- tance et à laquelle l'état actuel de nos connaissances ne nous permet pas de répondre avec certitude. N'aban- donnons cependant pas les analogies que nous offre la physique : un rayon de lumière qui pénètre obliquement 8 . PREMIÈRE LEÇON. dans un morceau de verre, dans une masse d'eau, dévie, abandonne la ligne droite ; si , au contraire , il rencontre un cristal de carbonate de chaux , il se divise en deux autres rayons qui dévient , par conséquent , chacun d'une manière inégale. La cause de la différence de ces phéno- mènes réside dans la diversité de structure physique qui existe entre le verre et le carbonate de chaux cristallisé , et peut-être aussi dans celle de la nature chimique de leurs molécules. Mais, à coup sûr, ces modifications du rayon lumineux sont dues plutôt à la diversité de struc- ture, ou à la disposition particulière des molécules, qu'à la différence de composition chimique. Nous savons, en effet, que le verre n'agit pas de la même manière sur les rayons lumineux, suivant qu'il est plus ou moins com- primé en divers sens , sans que la composition chimique subisse aucun changement. Qui pourrait confondre im corps organisé avec un corps inorganique ? Dans ces groupes de vésicules fer- mées , de dimensions différentes , réunies et disposées d'une manière inégale , il y a assurément quelque chose d'essentiellement différent d'un amas de particules polyé- driques , réunies dans un corps cristallisé. Dire avec quelques micrographes que l'organisation est la cristalli- sation opérée au milieu d'un liquide dont les premiers cristaux formés peuvent s'imbiber, équivaut à admettre que la structure d'une stalactite est la même que celle du parenchyme du poumon et du foie. Des molécules, composées de trois éléments au moins, danschacune desquelles entre un très-grand nombre d'ato- mes élémentaires, formeront nécessairement des systèmes INTRODUCTION. 9 chimiques dont les affinités différeront de celles (|ue pos- sèdent les molécules composées de deux éléments dans la plupart des cas, et dans lesquelles les atomes élémen- taires entrent en plus petit nombre; et si les actions chi- miques générales , en nous démontrant que les combinai- sons deviennent plus faibles à mesure que le nombre des atomes élémentaires augmente, suffisent pour expliquer la tendance des corps organiques à se dédoubler en combi- naisons plus simples ; si la chimie nous fournit beaucoup d'exemples de cette même tendance dans quelques com- posés inorganiques dont la composition a de grandes analogies avec des corps organiques , il ne nous sera pas permis néanmoins d'admettre que les lois de la chimie inorganique suffisent pour nous rendre un compte exact des phénomènes chimiques delà vie. Il faut donc conclure que l'organisation et la structure moléculaires des corps vivants apportent de grandes modifications dans l'action des divers agents physiques et chimiques. Nous ne devons pas omettre d'ajouter que chaque jour voit s'accroître le nombre d'une classe particulière de phénomènes chimiques, dont l'explication ne peut être donnée lorsqu'on n'invoque que les lois ordinaires de l'affinité ; je veux parler des actions de contact ou ca- taly tiques. Dans le plus grand nombre de ces actions,, on remarque qu'un corps , ordinairement en quantité très-minime, provoque, sans éprouver lui-même aucune modification, des transformations considérables ou de composition chimique , ou de propriétés physiques , au sein d'autres combinaisons. Dans cette catégorie de phé- nomènes se trouvent rangées les espèces si variées de 10 PREMIÈRE LEÇON. fermentation . Nous verrons que le nombre de ces actions catalytiques dans les corps vivants est immense. Eh bien ! il est en notre pouvoir de les produire aussi dans nos laboratoires ; elles sont de même nature que celles qu'exerce le noir de platine sur le mélange d'hydrogène et d'oxygène, l'argent divisé sur l'eau oxygénée. Je dois vous citer un fait de l'importance la plus rele- vée et dont , plus tard , nous nous entretiendrons longue- ment. La cellule est certainement l'organe élémentaire, la molécule des corps organiques. Mais aujourd'hui nous pouvons, à l'aide du seul phénomène de l'endosmose, fait entièrement du domaine des forces physiques , ex- pliquer le mécanisme de la vie de cette cellule , nous ren- dre compte comment les matériaux de sa nutrition peuvent y pénétrer, tandis que d'autres en sont éliminés. Nous parcourrons ensemble une grande série de faits physiologiques dont l'endosmose a fourni l'explication. Ajoutons encore, et nous avons la confiance que nous vous le démontrerons, que la lumière, la chaleur, l'élec- tricité se produisent dans le sein des corps vivants par le jeu des mêmes actions physico-chimiques que celles qui ont lieu dans les corps inorganiques et en fournissant les mêmes résultats. Mais , à l'aide de toutes ces connais- sances , de ces analogies , nous serait-il permis d'espérer d'arriver à l'explication complète de tous les phénomènes des corps vivants ? Pour le moment , du moins , ce serait une vaine espérance. Ouvrez un animal , examinez les reins et le foie , et puis demandez- vous par quelle force physique on pour- rait expliquer que le sang qui se porte à un organe forme INTRODUCTION. H la bile et l'urine. Comment pourrions-nous, en ayant recours au jeu des affinités chimiques, même modifié au- tant que votre esprit pourra l'imaginer à l'aide de la structure particulière des organes , et même encore des actions de contact, je ne dirai pas comprendre, mais même entrevoir comment les divers organes effectuent la séparation et la transformation des parties constituantes du sang , dans lequel tous les éléments organiques sont mélangés, partie suspendus, partie dissous, et dont ils ont besoin pour réparer leurs pertes continuelles? Que ne pourrait-on dire sur les fonctions des nerfs , sur la géné- ration ! Concluons donc : 1** Que les corps vivants ont les propriétés générales de tous les corps de la nature ; que ces propriétés inter- viennent dans la production des phénomènes qui leur sont propres ; qu'on ne peut, par conséquent, les négliger -et les perdre de vue quand on explique ces phénomènes; 2^ Que les grands agents physiques : calorique , lu- mière, électricité, attraction moléculaire, agissent sur les corps vivants comme sur tous les corps de la nature , et que leur action doit nécessairement intervenir dans la production des fonctions propres à ces corps ; S^ Que ces forces , en s' exerçant sur la matière orga- nisée, modifient quelquefois leur mode général d'agir, et que cette différence est due à la diversité de structure et de composition chimique des corps organisés ; 4° Qu'il y a encore dans les corps vivants des phéno- mènes que nous appellerons vitaux ; qu'ils sont nombreux et de la plus haute importance , et que , dans l'état actuel 12 PREMIÈRE LEÇON. de la science , il nous échappe comment les agents phy- siques, même modifiés dans leur action par l'organisme, peuvent intervenir dans leur production. C'est pourquoi il existe une étude, une science qui a pour objet les phé» nomènes physico-chimiques des corps vivants , comme il y a une physiologie expérimentale. Le lien intime et nécessaire se trouve dans la troisième classe de faits que nous avons distingués. L'organisation modifie l'action des agents physiques , et l'étude de ces modifications exige le concours de la physique et de la physiologie expé- rimentale. N'oubliez pas que nous avons formé une qua- trième classe de phénomènes des corps vivants, que nous avons appelés phénomènes vitaux. J'ai dit phénomènes vitaux, et non forces vitales , et en effet la différence est vraiment vitale. Si Newton n'avait fait qu'appeler attraction, ou force attractive, la force qui régit le merveilleux système de la mécanique céleste, son nom serait depuis longtemps tombé dans l'oubli. Mais en démontrant que l'attraction s'exerce en raison directe des masses, en raison inverse du carré de la distance , en dévoilant ainsi les lois éter- nelles de cette force, Newton a rendu son nom im- mortel. Parler des forces vitales, en donner la définition, in- terpréteras phénomènes avec leur secours, et ignorer les lois qui gouvernent ces forces supposées, c'est ne rien dire, ou , ce qui est pire , c'est tenter l'impossible , c'est satisfaire vainement l'esprit, arrêter la recherche de la vérité. Dire que le foie sépare du sang les éléments de la bile au moyen de la force vitale, c'est exactement se INTRODUCTION. 1 3 borner à dire que la bile se forme dans le foie. Par ce changement de mot, on se fait une dangereuse illusion. Je crois avoir bien établi le but auquel nous devons viser dans l'étude des phénomènes des corps vivants, qui revient en dernière analyse à l'examen des phénomènes physico-chimiques de ces corps , de leur organisation , des modifications que cette organisation apporte dans l'action générale des agents physiques, et enfin la re- cherche de lois jusqu'à présent empiriques des phéno- mènes purement vitaux. J'ai l'espoir d'avoir réussi à bien déterminer quelles sont les limites que nous devons nous imposer au milieu de la vaste étendue de la physiologie, quelle est la par- tie de celle-ci que nous devons étudier sous le titre de phénomènes physico-chimiques des corps vivants. Les généralités que je viens de vous exposer doivent suffire pour vous en faire comprendre toute l'importance pour l'intelligence des fonctions des corps vivants. Dans ces leçons , je me suis proposé un autre but non moins important; c'est d'introduire dans l'exposition des faits physiologiques , dans la recherche de leurs lois , cette précision de langage , cette exactitude d'expres- sions, cette rigueur de méthode qui, trop souvent, sont mises de côté dans les études de physiologie et de méde- cine, et qui jusqu'à présent furent presque exclusivement les qualités distinctives des sciences physiques . Chaque progrès que nous ferons dans cette voie , quel- que léger qu'il paraisse d'abord, sera en définitive d'une grande importance pour la physiologie; il con- sistera en une conquête certaine , parce qu'il sera fondé 2 ÌU PREMIÈRE LEÇON. sur des connaissances indépendantes de la science de l'organisme, et dont les bases seront établies et appuyées sur les théories physiques que vous savez être presque complètes, et dont chaque proposition est rigoureuse- ment démontrée. DEUXIEME LEÇON. o ATTRACTION MOLÉCULAIRE. — CAPILLARITÉ. — IMBIBITION. Chacun sait qu'un corps vivant ne peut continuer à exister qu'à la condition que de nouvelles substances soient continuellement introduites du dehors dans son sein. Ces substances, solides pour le plus grand nouibre, sont transformées et réduites à l'état liquide au moyen de certaines fonctions de l'organisme; sous cette forme, elles pénètrent dans des cavités particulières , d'oii elles sortent ensuite, après avoir subi d'autres transformations. Nous avons vu , dans la première leçon , que la porosité des tissus des corps vivants leur permettait d'être imbi- bés , pénétrés par les liquides avec lesquels ils se trou- vaient en contact. Nous ne pourrons donc nous rendre un compte satisfaisant des phénomènes de l'absorption et de l'exhalation sans avoir égard au rôle que jouent la ca- pillarité, l'imbibition et l'endosmose, phénomènes que nous savons déjà pouvoir être exercés par les corps inor- ganiques. L'importance de l'étude de ces deux fonctions est si grande , que je crois devoir consacrer cette leçon entière à l'examen des phénomènes purement physiques de la capillarité et de l'imbibition, afin de vous mettre parfai- tement à même, au moyen des connaissances que vous en acquerrez , de juger quelle part elles peuvent avoir dans les fonctions de l'absorption et de l'exhalation. 16 DEUXIÈME LEÇON. Pour me borner au simple exposé des faits , je rappor- terai ici, sous la forme de propositions, les principaux résultats de l'observation des phénomènes capillaires. 1" Lorsqu'un corps est plongé dans un liquide, ce- lui-ci s'élève ou s'abaisse, et il présente alors, dans son point de contact avec le solide , une surface concave ou convexe, selon qu'il y a eu abaissement ou élévation. Dans le premier cas, on dit que le corps plongé est mouillé; c'est là le cas du verre et de l'eau; le second cas s'observe entre le verre et le mercure. 2" Lorsqu'on plonge deux corps dans un liquide, il arrive que le liquide s'élève ou s'abaisse entre l'un et l'autre , suivant qu'ils sont ou non mouillés par le li- quide ; il suffit pour cela que ces corps soient suffisam- ment rapprochés pour que les deux surfaces courbes formées par le liquide se touchent. L'élévation ou l'a- baissement du liquide au-dessus ou au-dessous de son niveau est en raison inverse de la distance de ces deux corps . S^ En plongeant dans un liquide un tube de verre ou- vert à ses deux extrémités, le liquide monte ou s'abaisse dans ce tube, et cet effet est d'autant plus considérable que le diamètre du tube est plus petit. Si l'on compare l'élévation ou l'abaissement qui ont lieu dans un tube cy- lindrique avec ceux qu'on "remarque entre deux lames de verre qui sont placées l'une respectivement à l'autre à une distance égale au diamètre du tube , on voit que l'é- lévation ou la dépression sont doubles dans le tube. Le liquide monte et adhère au verre ou le mouille ; il s'a- baisse au contraire dans le tube, si le liquide n'est pas CAPILLARITÉ. 17 susceptible de le mouiller. Dans un tube de 1 millimètre de diamètre, l'eau s'élève de 30 millimètres ; le mercure s'abaisse de 13 millimètres. On admettra aisément que les actions capillaires doi- vent exercer beaucoup d'influence dans les fonctions des tissus des animaux et des végétaux, si l'on réfléchit que les vides, les interstices et les tubes capillaires de ceux- ci ont de j-~Q à ^^ de millimètre de diamètre. 4" La surface concave du liquide soulevé et la con- vexité du liquide déprimé appartiennent à une demi- sphère dont le diamètre serait égal à celui du tube. 5*' Une goutte d'eau introduite dans un tube conique en verre se rend visiblement à sa partie la plus étroite ; une goutte de mercure, au contraire, se porte vers la partie la plus large. 6° Les phénomènes dont nous venons de vous entre- tenir sont entièrement indépendants du volume du corps solide que l'on plonge dans le liquide, par conséquent l'épaisseur des parois du tube capillaire dans lequel on les observe est également sans action sur eux. 7° Ces phénomènes ont lieu aussi bien dans l'air, à la pression ordinaire, dans l'air condensé ou raréfié, dan.s le vide, que dans quel milieu gazeux que l'on choisisse. 8° Tous les corps , quelle que soit leur nature , s'ils sont susceptibles d'être mouillés , fournissent les mêmes résultats, pourvu qu'avant de les plonger dans un liquide on y fasse adhérer une couche de ce même liquide. 9^ Pour un même liquide et un même tube l'élévation ou la dépression de la colonne liquide intérieure dimi- nuent en raison de la température du liquide. 18 DEUXIÈME LEÇON. 10'^ Les élévations et les dépressions dont nous avons parlé jusqu'à présent sont indépendantes de la densité des liquides. Ainsi, si nous représentons par 100 l'élé- vation de l'eau dans un tube, celle de l'alcool sera de 40, celle de l'essence de lavande de 37, celle d'une solution saturée de sel marin de 88. Il*' Deux corps flottants sur un liquide, n'étant plus séparés que par une certaine distance, se rejoignent et s'unissent l'un à l'autre, pourvu que tous deux soient susceptibles d'être mouillés, ou que tous deux soient privés de cette faculté. Ils paraissent se repousser si l'un est mouillé sans que l'autre le soit. C'est d'après ce principe qu'on explique la tendance des corpuscules lé- gers , qui flottent à la surface des eaux , à se porter vers les parois des vases qui les contiennent. 12° Quelle que soit la hauteur à laquelle s'élève un liquide , jamais il n'arrive qu'il vienne à s'écouler par l'ouverture supérieure du tube capillaire. C'est là une conséquence nécessaire des résultats que nous avons déjà fait connaître. En effet, il suffira de réfléchir que la sur- face de la colonne liquide soulevée dans le tube capil- laire est toujours concave en dehors : c'est pourquoi si, dans un tube capillaire recourbé, on ajoute assez d'eau d'un côté pour parvenir à ce que la colonne se ter- tome par une surface d'abord horizontale, puis convexe en dehors , on verra l'autre colonne restée concave être constamment à un niveau plus élevé que la première. Il se développe donc dans les phénomènes de la capillarité une force de dépression lorsque la surface devient con- vexe. Ne croyez pas que l'eau qui découle d'une mèche IMBIBITION. 19 de coton qui est imbibée de ce liquide, et dont on dirige une extrémité en bas, le fasse à raison de la capillarité; il suffit en effet de tenir cette mèche horizontalement pour que l'écoulement cesse aussitôt. Je ne puis m' étendre sur ces phénomènes jusqu'à vous en donner la théorie , qui est entièrement du domaine de l'analyse mathématique la plus élevée. Les résultats de l'observation que je vous ai citée suffisent pour vous prouver que ces phénomènes dépendent de cette force que nous appelons attraction moléculaire , force qui s'exerce entre les molécules , et cesse d'agir aussitôt que les plus petites distances les séparent. Pour éviter toute fausse application des phénomènes capillaires à l'économie animale , il ne faut pas oublier qu'un espace quelconque, complètement rempli de li- quide, n'est capable d'exercer aucune action de capilla- rité ; que l'action d'un tube capillaire sur les liquides est due moins à la matière même du tube qu'à la nature du liquide dont est mouillée sa surface intérieure, et qu'en- fin ce n'est jamais par des effets de capillarité que les li- quides peuvent s'écouler par l'ouverture supérieure des tubes dans lesquels ils sont soulevés. Les phénomènes à' imbibition , à!hygroscopicitê ,qîc., sont généralement de la même nature que les effets précé- dents, et ils dépendent de la même force. Un morceau de sucre, une mèche de coton, un cylindre de sable, de cendre, de sciure de bois , étant mis en contact avec l'eau ou avec un autre liquide qui les mouille , ne tardent pas à soule- ver le liquide dans toute leur masse , c'est-à-dire à s'im- biber. 11 en est ainsi de certains tissus , cartilages, ten- 20 DEUXIÈME LEÇON. dons, qui, desséchés, puis plongés dans l'eau, repren- nent en peu d'heures toutes les propriétés qu'ils ont pen- dant la vie ; cet effet est le résultat de l'action de l'eau absorbée. Il en est de même encore dans la fameuse ex- périence du rotifère, qui reprend vie et mouvement lors- qu'il est mis en contact avec une goutte d'eau qui le mouille. Ces phénomènes d'imbibition interviennent en- core dans la filtration des liquides ; lorsque ces liquides tiennent en suspension des particules solides , nous les voyons s'en séparer, rester sur le filtre pendant que le liquide imbibe la substance du filtre. Lorsqu'une goutte de chocolat ou d'encre vient à tomber sur du drap ou du papier à filtrer, elle produit une tache noire centrale , en- vironnée d'une zone d'un liquide moins coloré. Le même effet a lieu lorsque le sang s'épanche dans le tissu cellu- laire sous-cutané ; on voit le sérum porté sur les bords et séparé de la matière colorante. Dans ces phénomènes d'imbibition, ily a à considérer d'abord la force d'adhésion entre le liquide et les surfaces des particules solides qui se mettent en contact , ensuite l'action de la capillarité proprement dite, attendu que dans le sucre, dans les amas de sable, de cendres et dans les tissus organisés , il existe certainement des ca- vités extrêmement petites , qui se ramifient dans leur intérieur d'une manière plus ou moins tortueuse. Le phénomène de l'imbibition mériterait d'être mieux étudié qu'il ne l'a été jusqu'à présent. Je vous donnerai les résultats de quelques expériences que j'ai tentées sur ce sujet avec le professeur Cima ; j'aurais désiré pouvoir leur donner plus de développement. On remplissait de sable IMBIBITION. 21 très- blanc et passé à un tamis très-fin quelques tubes de verre de 2 centimètres de diamètre environ. L'extrémité qui devait plonger dans l'eau était fermée par une toile liée au tube par son rebord. On avait d'abord eu la pré- caution de sécher le sable au bain-marie, puis de l'intro- duire par la partie supérieure du tube , en ayant soin de ne pas donner de contre-coups à celui-ci quand il était plein, afin que la masse de sable ne fût pas inégalement comprimée dans son intérieur. Six tubes ainsi préparés furent en même temps plongés dans six liquides diffé- rents, àia température de +12" centig. L'action de l'im- bibition continua à faire monter les liquides dans les tubes pendant dix heures, produisant tous le phéno- mène singulier qui consistait en ce que l'imbibition , ra- pide d'abord, se ralentissait toujours davantage, à me- sure qu'elle approchait des limites où elle devait s'arrêter. Chaque tube était plongé dans son liquide à environ | cen- timètre; pour que la hauteur de cette immersion ne variât pas, on avait soin de remplacer le liquide. Voici les hauteurs les plus grandes auxquelles sont arrivés les divers liquides. Toutes les solutions salines avaient la même densité, 10" de l'aréomètre de Baume. Solution de carbonate de soude 85 millim. Solution de sulfate de cuivre. ..... 75 Sérum 70 Solution de carbonate d'ammoniaque. . 62 Eau distillée 60 Solution de sel marin 58 Blanc d'œuf étendu de son volume d'eau. 35 Lait 55 22 DEUXIÈME LEÇON. Ce tableau démontre combien Vimbibition se fait à des degrés différents dans divers liquides : avec les solutions épaisses de gomme, d'amidon cuit ou d'huile, l'imbibi- tion est presque nulle ; elle est également très-faible dans les solutions salines concentrées et pour toutes celles qui tiennent en suspension des particules solides très- ténues ; dans ces dernières, l'imbibition a produit une es- pèce de filtration. Ce phénomène de l'imbibition pour les solutions qui renferment des molécules solides très-fines, suspendues dans les liquides, peut être d'une assez grande valeur pour l'appréciation des différentes proprié- tés du sang suivant sa densité. Dans certaines maladies , en effet , sa densité et sa viscosité sont beaucoup dimi- nuées ; dans ces cas , des infiltrations séreuses ont lieu , ce qui se présente , en effet , pour les mêmes causes après d'abondantes émissions sanguines. Nous verrons bientôt que l'alcool, l'éther, l'eau, etc., les solutions aqueuses introduites dans l'estomac des animaux vivants en disparaissent , mais après des inter- valles de temps bien différents : l'huile y séjourne un temps très-considérable. J'ai pensé qu'il serait important de comparer entre eux l'alcool à Sô'^B. et l'eau distillée, en me servant de tubes pleins de sable, de verre pilé et de sciure de bois. Voici les élévations que j'ai obtenues : Tube avec du sa"ble. Id. avec du verre pilé. Id. avec la sciure de bois. Alcool 85 millim. 175 millim. 125 millim. Eau 175 182 60 En examinant ces résultats, on voit clairement que IMBIBITION. 23 l'alcool s'élève moins que l'eau au contact du sable et du verre pilé; ce qui est d'accord avec ce qui se passe dans les tubes capillaires. J'ai encore essayé de plonger dans le même liquide deux tubes , dont le premier contenait une quantité de verre pilé double de celle du second. Le liquide était de l'eau. J'ai obtenu les résultats suivants : Dans le premier tube , le liquide s'éleva à 170 millimè- tres dans le second à 107 millimètres. L'explication du rapport trouvé entre les élévations dans ces deux tubes n'est pas facile à donner. Cependant il est naturel que le liquide montât davantage dans le tube qui contenait une quantité double de matière, si l'on réfléchit à l'augmen- tation de surface solide qui attire le liquide , et au plus petit diamètre des cavités capillaires. Ce phénomène de l'imbibition se vérifie constam- ment, et dans un grand nombre de circonstances , pour les tissus des animaux et des végétaux. Ceux-ci , abon- damment fournis de petits vides et de tubes capillaires , s'imbibent avec une très-grande facilité, et absorbent les solutions avec lesquelles ils sont mis en contact; c'est là ce qui a lieu pour le tissu cellulaire et le paren- chyme du poumon ; l'effet contraire existe pour l'épi- derme. J'ai également cherché s'il y avait quelque différence dans ces phénomènes d'imbibition, suivant la tempéra- ture à laquelle on opérait. Deux tubes préparés avec du sable furent également plongés dans l'eau; l'un de ces tubes était à la température de -|- 55^ centig., l'autre à -{- 16** centig. V 24 DEUXIÈME LEÇON. Voici les résultats que j'ai obtenus : Elévation après 70 secondes. Id. après 11 minutes. Tube à + 55'' centig. 10 millim. 175 millim. Id. à -f 15** 6 12 L'influence de la température est, comme on le voit, assez considérable sur le degré d'imbibition; Ton sait encore que chez les animaux l'absorption qui a son siège soit à la peau, soit dans l'intérieur de l'économie, est d'autant plus active que la solution à absorber est plus chaude. - Je me suis assuré ^que l'imbibition avait également lieu soit que l'air au sein duquel elle avait lieu fût saturé de vapeur d'eau, soit qu'il fût sec. Un autre résultat, non moins singulier, s'observe quand on étudie l'imbibition du sable, de la cendre, de la sciure de bois, tantôt dans le vide de la machine pneumatique, tantôt à l'air libre. Aucune différence ne fut aperçue dans la hauteur de la colonne d'eau qui s'était soulevée pendant dix minutes : ce ne fut que dans les premiers instants de l'imbibi- tion du sable que l'on remarqua cette particularité, qu'elle s'effectuait plus rapidement dans le tube tenu dans le vide que dans celui laissé à l'air. On pourrait demander si, par l'action de l'imbibition, un liquide parviendra à s'élever à une hauteur quel- conque. 11 semblerait, au premier abord, qu'une colonne de sable, de cendre ou d'autre corps pulvérulent, plon- gée par une de ses extrémités dans une masse liquide, dont le niveau serait toujours maintenu constant, devrait, par la force d'imbibition, porter le liquide à une hauteur X IMBIBITION. 25 quelconque, de façon à en imbiber toute la colonne. En effet, si l'on considère isolément l'action de chacune des couches qui forment la colonne, on pourra concevoir qu'après l'imbibition de la première couche au contact du liquide, les particules de la couche immédiatement au-dessus de celle-ci enlèveront aux premières une partie de leur eau, et que ces dernières reprendront à la masse liquide qui les baigne la portion qu'elles ont perdue. En répétant ce raisonnement pour toutes les couches succes- sives de la colonne, on arrivera à conclure que chacune d'elles prend la même quantité de liquide que si elle agis- sait isolément, et qu'ainsi, si l'on suppose le niveau de l'eau constant, la colonne, quelque longue qu'elle soit, devra s'imbiber tout entière. Mais l'expérience ne con- firme pas ce raisonnement : le liquide s'élève d'abord rapidement, puis le mouvement ascensionnel se ralentit, et parvenu à une certaine hauteur il s'y fixe. Cet effet ne peut être attribué à l'évaporation qui aurait lieu dans les couches élevées de la colonne; car l'eau s'élève dans une colonne de sable exactement à la même hauteur dans un espace saturé de vapeur d'eau que dans l'air sec. Je ne puis me rendre compte de cette limite de l'imbibition, qu'en admettant l'existence de petits canaux régnant sur toute la longueur de la colonne de poussière, et alors, par conséquent , interviendrait encore l'action capillaire, outre l'adhésion du liquide sur la surface du grain de sable. Il est impossible de ne pas s'apercevoir que l'imbibi- tion joue un grand rôle dans le mouvement des sucs des plantes, dans les phénomènes de la circulation capillaire sanguine des animaux. Dans une autre leçon , nous 3 26 DEUXIÈME LEÇON. verrons que des plantes et des animaux vivants , dont utie portion quelconque plonge dans une solution saline dont la présence est facilement reconnue au moyen de réactifs , en sont bientôt pénétrés dans toutes leurs par- ties. Il me suffira de vous faire connaître les expériences de Haies et celles plus récentes de Boucherie ; ce dernier a vu un peuplier de 28 mètres de hauteur absorber par le tronc en six jours la quantité énorme de 3 hectolitres d'une solution de pyrolignite de fer. Je vous citerai ici les expériences faites par Haies pour mesurer ce qu'il appelait la force d'aspiration des corps pulvérulents et des tiges des arbres , phénomène dans lequel l'imbibition joue un grand rôle. Cet expé- rimentateur se servait d'un gros tube de verre fermé par en haut et rempli de cendre ou de minium réduit en poudre très-fine; à l'extrémité ouverte on adapte un bouchon de liège au milieu duquel est fixé un tube de verre étroit de 3 ou 4 pieds de hauteur. On remplit d'eau ce second tube et on le renverse rapidement sur le mercure. Bientôt le mercure monte et s'élève de plusieurs pouces. Dans une expérience , Haies le vit s'élever de 7 pouces, ce qui équivaut à une colonne d'eau de 8 pieds. Si l'on remplace le tube plein de cendre par des tiges d'arbre, ou bien encore si on lie au moyen d'une mem- brane une branche d'arbre à un tube de verre plein d'eau et renversé sur le mercure, celui-ci s'élève comme dans les expériences précédentes faites avec les poudres. Haies regardait ce phénomène comme dépendant d'une force qu'il a nommée force d'aspiration. IMBIBITION. 27 Voici quelques expériences qui expliquent d'une ma- nière simple et satisfaisante ces faits. Il est facile de dé- montrer que l'ascension du mercure a également lieu dans deux tubes préparés à la manière de Haies , mais différant cependant entre eux en ce que l'un a le tube plein de cendre ouvert par en haut, tandis que l'autre est fermé. Cependant il faut observer que l'expérience n'au- rait pas ce résultat si la colonne de cendre était courte ou si celle-ci était peu tassée. Avec un appareil semblable à celui de Haies, j'ai encore fait les observations sui- vantes. J'ai Iute un tube de plomb sur le haut de celui en verre qui contient le corps pulvérisé ; à l'aide de celui-là je pouvais facilement extraire l'air qui existe au-dessus de la cendre. Au moment où la colonne de mercure commençait à monter, j'ai fait le vide, et non- seulement la colonne de mercure n'est pas redescendue, mais encore elle a continué à s'élever. Il est donc indu- bitable que la cendre forme au-dessus de la colonne d'eau une paroi faisant exactement l'office de tube fermé; en définitive l'appareil de Haies est un baromètre. Dans une autre expérience, au moment où le mercure montait, j'ai recouvert le tout avec une cloche , et j'ai fait le vide ; à l'instant le mercure est entièrement retombé. J'ai con- staté les mêmes phénomènes en remplaçant le tube plein de cendre par une tige d'arbre garnie de feuilles. Si j'in- troduis la partie supérieure de cet arbre dans un ballon, que j'en extraie l'air, le mercure continue à monter; il redescend immédiatement, au contraire, si je pratique le vide sur le réservoir à mercure. Concluons donc que ce que Haies avait appelé force d'aspiration n'est qu'un 28 DEUXIÈME LEÇON. simple phénomène de barométrie ; que ce soit la colonne de cendre ou les feuilles et le tronc d'un arbre qui forment la partie supérieure fermée d'un baromètre, l'eau pénètre par imbibition dans les poudres ou dans le tissu du végétal, et la pression de l'atmosphère opère peu à peu l'ascension du liquide. Cependant on doit remarquer un fait fort curieux qui a lieu dans le cas oii l'on se sert de la branche d'arbre garnie de feuilles , ainsi que dans toutes les autres expé- , riences de Haies, la colonne d'eau continue à monter, en sorte qu'il faut en conclure que la vapeur d'eau peut s'exhaler par les feuilles sans que celles-ci cessent d'agir comme paroi exactement fermée d'un baromètre. Il pa- raîtrait que Magnus a obtenu ce même résultat en fermant, avec un morceau de membrane, la partie supé- rieure du tube; d'après ce que nous avons dit, l'ascen- sion de la colonne d'eau devrait continuer à avoir lieu; mais il est probable que le phénomène devient d'abord moins manifeste , puis cesse entièrement , à cause de sa désorganisation , qui survient tant dans la membrane que dans les feuilles. Je n'abandonnerai pas ce sujet sans vous entretenir des expériences tentées dans le but de produire, par le jeu seul des forces capillaires et de l'attraction moléculaire, les effets de l'affinité chimique. Si l'on réfléchit qu'un li- quide, quel qu'il soit, s'élève constamment aune même hauteur dans un tube capillaire; que pendant Timbibition il y a plus ou moins production de chaleur, ainsi que l'ont prouvé les expériences de Pouillet; qu'il y a de plus, suivant Becquerel, dégagement d'électricité; et, IMBIBITION. 29 qu'enfin, l'attraction capillaire ne s'exerce qu'à des di- stances excessivement limitées, et entre les molécules des corps ; on ne peut disconvenir que cette force réunit les principaux caractères de l'affinité chimique. On con- naît la belle remarque de Doebeireiner , qui consiste en ce qu'un mélange d'eau et d'alcool , enfermé dans une vessie et exposé à l'air, laisse constamment s'échapper Teau du mélange. Dans ce cas, l'eau imbibe la mem- brane plus que l'alcool, et se dissipe par évaporation. Un autre fait plus concluant est celui que cite Berzelius : l'eau salée, filtrant à travers un long tube plein de sable, s'écoule complètement privée ou moins chargée de sel. J'ai pu confirmer cette expérience en me servant d'un tube plein de sable long de 8 mètres environ, et j'ai trouvé en effet que la densité de l'eau introduite par l'o- rifice supérieur du tube était à celle du liquide sortant comme 1 : 0,91. Mais il faut ajouter que cette différence de densité ne se maintient pas constante dans cette pro- portion ; au bout d'un certain temps , la solution saline est aussi dense à sa sortie du tube qu'elle l'était avant son introduction. Ce qui prouve que la décomposition de la solution saline a lieu dans la première action de contact entre celle-ci et les particules de sable. J'ai obtenu un résultat inverse à celui-ci en employant une solution de carbonate de soude , que je faisais passer à travers un tube plein de sable et long de 3 mètres. La densité du liquide , après avoir traversé les couches de sable, était à celle-ci, avant de la traverser, comme 1,005 ; 1. > Les phénomènes que nous venons de vous exposer en 30 DEUXIÈME LEÇON. dernier lieu sont très-importants pour nous à cause des applications qu'on peut en faire à quelques fonctions d-Qs corps vivants , qui ne sont pas complètement explica= blés par la seule action de la capillarité et de l'attraction moléculaire. TROISIÈME LEÇON. ENDOSMOSE. Après vous avoir entretenus des phéno- mènes de la capillarité et de l'imbibition, afin de vous mettre à même d'appliquer la connaissance de ces faits aux fonctions de l'exhalation et de l'absorption dans les corps vivants , il est nécessaire que je vous fasse connaître un autre phénomène, qui, bien qu'apparaissant sous des caractères exclusi- vement physiques , n'en appartient pas moins de fait aux corps organisés , par les applica- tions que l'on peut en faire aux fonctions de ceux-ci. C'est de la découverte faite par Dutrochet que j'ai l'intention de vous parler, du phénomène nommé par lui en- dosmose, qui dans son expression la plus simple se réduit à l'action réciproque qu'exercent l'un sur l'autre deux liquides séparés par une membrane. Quoi- que la théorie de ce phénomène et le principe physique dont il découle nous soient encore inconnus , il n'en est pas moins de la plus haute importance. Je commencerai par vous exposer le fait fondamental dans toute sa simplicité. Voici un tube de verre, son extrémité inférieure , fermée par un morceau de vessie , 32 TROISIÈME LEÇON. s'élargit en forme d'entonnoir. Cet instrument est nommé endosmometre . Si l'on verse dans ce tube une solution aqueuse de gomme ou de sucre, par exemple, et que l'on plonge dans de l'eau pure l'extrémité fermée, on verra, malgré l'excès de pression de la colonne liquide , l'eau pénétrer continuellement dans l'intérieur du tube, en s'infiltrant à travers la membrane. La colonne du liquide contenu dans le tube s'élèvera ainsi à une certaine hau- teur, et pourra même s'écouler par son ouverture supé- rieure ; en même temps , une certaine quantité du liquide du tube , nécessairement moindre que la première , s'écou- lera à travers la membrane, et se mêlera à l'eau pure. Dutrochet a nommé endosmose le premier de ces phé- nomènes , exosmose le second. Les membranes produisent l'endosmose jusqu'au mo- ment où elles commencent à se putréfier; à cette époque le phénomène n'a plus lieu , et le liquide qui s'était élevé dans le tube redescend et filtre à travers la membrane. Ce ne sont pas seulement les membranes qui sont douées de cette propriété : les lames d'ardoise, ou mieux encore celles d'argile cuite, très-minces, produisent le même phénomène , mais à un degré plus faible ; les lames calcaires et siliceuses , au contraire , ne sont pas dans ce cas ; avec elles l'endosmose n'a pas lieu. La nature du liquide employé influe beaucoup sur le phénomène. L'endosmose est d'autant plus sensible que la densité du liquide du tube est plus considérable que celle du liquide extérieur. Il semblerait que l'intensité du courant est proportionnelle à la différence des densités des deux liquides; cependant l'alcool, qui en amoms que ENDOSMOSE. 35 l'eau , introduit dans le tube produit l'endosmose sur l'eau placée à l'extérieur de celui-ci. Les solutions salines produisent à travers les mem- branes des effets très-énergiques, mais peu durables. L'accroissement de température augmente la rapidité du courant de l'endosmose. Ce qu'il y a de très-curieux dans ce phénomène, c'est cpie la plus légère trace d'acide sulfhydrique ou d'hydrogène sulfuré suffit pour modifier sa production , même pour les liquides les plus actifs , et que les autres acides , comme l'acide hydrochlorique , ou nitrique n'ont pas cet effet. Tous les liquides animaux produisent l'endosmose avec énergie par rapport à l'eau, à l'exception de ceux con- tenus dans le gros intestin , peut-être à raison de l'hydro- gène sulfuré qu'ils contiennent. Ce gaz est tellement con- traire à l'endosmose que celle-ci cesse complètement , dit Dutrochet , de se manifester entre deux liquides d'ailleurs très-propres à la développer, si l'on se sert d'une mem- brane qui aurait été , même pendant un très-court espace de temps en contact avec lui . Dutrochet a cherché à mesurer la vitesse avec laquelle un liquide peut pénétrer, en vertu de l'endosmose, de l'extérieur à l'intérieur du tube. "Voici les résultats de ses expériences : si l'extrémité inférieure du tube a une lar- geur telle que la membrane ait 40 millimètres de dia- mètre, et que le tube ait 2 millimètres, une solution de sucre dont la densité est de 1*^,145 s'élèvera de 34 divisions dans l'espace d'une heure et demie, chaque division étant de 2 millimètres. Dans une autre expé- rience , il employa une solution de sucre dont la densité 3^ TROISIÈME LEÇON. était de 1*',228 , et l'ascension, dans le même espace de temps, fut de 53 divisions ; enfin dans une troisième ex- périence, avec une solution de sucre qui avait 1^,083 de densité , la colonne monta de 19° | dans le même intervalle de temps. Évidemment il en résulte que la vitesse de l'endosmose est directement proportionnelle à l'excès de la densité des liquides internes , sur celle de l'eau employée comme liquide extérieur. Dutrochet ayant pris des solutions de différentes sub- stances à la même densité , les a comparées à l'eau dont elles étaient séparées par une vessie ; il a trouvé les rap- ports suivants pour exprimer l'intensité variable de l'endosmose dans ces difierents cas : Eau gélatineuse 3 — gommeuse. ....... 5,17 — sucrée 11 — albumineuse ,-12 On voit , par ce tableau , que de toutes les substances organiques solubles dans l'eau l'albumine est celle qui produit l'endosmose avec le plus de force. Parmi les faits les plus curieux découverts par Du- trochet en étudiant l'endosmose, il faut citer celui du changement de direction du courant entre certaines so- lutions acides et l'eau, suivant leur densité et leur tem- pérature : la solution d'acide hydrochlorique surtout présente ce phénomène. Ainsi, avec de l'acide hydro- chlorique à la densité de 1^,02, l'endosmose se fait de l'eau à l'acide, tandis qu'à la densité de 1^,015, le courant ENDOSMOSE. 35 est en sens contraire , c'est-à-dire dirigé de l'acide vers l'eau ; avec cette dernière solution , mais à une tempéra- ture plus élevée que 20^, l'endosmose se montre de nou- veau de l'eau à l'acide. Il importait de connaître la force avec laquelle le li- quide intérieur pénètre dans l'endosmomètre, c'est-à-dire qu'il fallait chercher la force du courant appelé endos- mose. A cet effet, Dutrochet pensa à employer à cet usage l'appareil dont Haies d'abord, et Mirbel et Che- vreul ensuite , se servaient pour mesurer la pression des sucs dans les végétaux. Dans cet appareil, cette force est évaluée par la hauteur d'une colonne de mercure soulevée par le liquide. En étudiant l'endosmose sous ce point de vue, Du- trochet a prouvé que, toutes choses égales d'ailleurs, excepté la densité du liquide intérieur, la force qui pro- duit le courant de l'endosmose est proportionnelle aux excès de densité des liquides intérieurs avec celle de l'eau : c'est pour cette raison que la force, aussi bien que la vitesse dé l'endosmose , paraît soumise à la même loi. Il en résulterait, si l'on supposait cette loi vraie dans tous les cas, que le sirop de sucre, àia densité de 1,3, produirait un courant capable de soulever une colonne de 127 pouces (3 mètres 42 centimètres) de mercure , ou , ce qui revient au même , ferait équilibre à la pression énorme de 4 atmosphères |. Dutrochet a cherché à donner une explication des phénomènes de l'endosmose; de leur côté. Poisson et Becquerel en ont imaginé d'autres. Ainsi, l'on a attribué l'endosmose à l'action d'un courant électrique deve- 36 TROISIÈME LEÇON. loppe par le contact des deux liquides différents , cou- rant que produirait le mouvement de Teau à travers la membrane , du pôle positif au pôle négatif; comme dans l'expérience bien connue de Porret. Cependant, pour que cette manière de voir pût avoir quelque pro- babilité, il faudrait qu'il fût prouvé, et il n'en est pas ainsi, qu'il y a développement d'électricité au contact de l'eau avec l'alcool , l'eau sucrée , etc. Poisson a pensé que le liquide le moins dense pénétrait dans les tubes capillaires de la membrane , et que ce filet capil- laire, attiré de haut en bas par l'action de l'eau pure, et de bas en haut par l'action d'un liquide plus dense, devait s'élever en vertu de l'excès de l'attraction moléculaire. Mais cette explication devient également inadmissible quand on réfléchit que l'alcool, qui est moins dense que l'eau, produit l'endosmose; qu'une trace d'hydrogène sulfuré l'arrête; que certaines pierres calcaires et sili- ceuses, prises dans les mêmes conditions que les mem- branes et les lames d'argile , ne produisent pas le phéno- mène. Ainsi donc, il faut l'avouer, nous n'avons aucune théorie satisfaisante de l'endosmose; cependant nous savons que les conditions générales des phénomènes sont : 1** que les deux liquides, ou un au moins, aient de l'affi- nité pour la substance interposée ; 2^^ que les deux liquides aient de l'affinité l'un pour l'autre et puissent se mêler. Si une de ces conditions manque, l'endosmose n'a plus lieu. Le courant de l'endosmose n'est déterminé, ainsi que les expériences le prouvent, ni par le liquide le moins dense, ni le plus visqueux, ni par celui qui est doué de la plus grande force d'ascension dans les tubes capillaires; ENDOSMOSE. 37 ce courant se fait en général vers le liquide qui a le plus d'affinité pour la substance interposée et qui s'imbibe avec le plus de rapidité. Ce que nous venons de dire suffit pour vous convaincre que ce phénomène est peut-être le plus important des faits physiques, quant à ses applications aux fonctions des corps vivants. L'observation microscopique a mis aujourd'hui hors de doute que, dans tout tissu végétal ou animal et au sein de ces liquides qui prennent nais- sance par l'altération des corps organisés et vivants , on trouve constamment, à une certaine époque de leur for- mation, des corpuscules microscopiques d'une forme particulière et caractéristique, qui furent nommés des cel- lules élémentaires ou primitives. Ces corpuscules con- sistent en une membrane excessivement fine , de forme sphérique , renfermant un liquide, et sur les parois in- ternes desquels se trouve un petit corps organisé qu'on a appelé nucleus ou cytoblaste. Les cellules nagent d'a- bord dans un liquide que Schwam a nommé cytohiastème , et elles finissent par y être comprises et presque confon- dues lorsque ce liquide est devenu plus ou moins dense. Suivant les différents tissus, les cellules élémentaires sont plus ou moins rapprochées l'une de l'autre ; le cyto- hiastème, ou substance intercellulaire , est constamment le point d'union entre une cellule et l'autre. Nous revien- drons peut-être plus tard sur cet impoitant sujet, que nous n'avons fait qu'effleurer ici , pour rendre plus évi- dente l'importance du phénomène de l'endosmose. La vie des cellules élémentaires forme certainement la partie la plus essentielle du développement et de la conservation i 38 TROISIÈJVIE LEÇON. des tissus des corps vivants , et puisque ces cellules se trouvent dans des conditions favorables à l'endosmose, il n'y a pas de raison pour qu'elle n'y ait pas lieu. Une vésicule remplie d'un liquide, au milieu d'un autre li- quide, peut agir au dehors, recevoir le liquide environ- nant, rejeter celui qu'elle contient, en opérant d'une fa- çon analogue à l'endosmose. On doit cependant avouer que peu de travaux ont été entrepris jusqu'à présent dans ]e but de faire des applications du phénomène de l'en- dosmose à ]a physiologie, applications dont il paraît être susceptible. 11 fallait varier les liquides entre lesquels l'endosmose a lieu , choisir les membranes , en se rap- prochant toujours davantage des conditions dans les- quelles on remarque des analogies entre ce phénomène et ceux qui ont lieu dans le sein des corps vivants. C'est là ce que j'ai entrepris de faire avec le professeur Cima. Voici dans toute leur étendue les résultats de nos re- cherches. Je distinguerai trois classes de membranes parmi celles que nous avons soumises à l'expérience. Dans la première , nous comprendrons la peau de grenouille , de torpille, d'anguille; dans la seconde, l'estomac de l'a- gneau , du chat , du chien , le gésier du poulet ; dans la troisième, enfin, les vessies urmaires du bœuf et du porc. Nous ne nous arrêterons pas à la description des ap- pareils, ils ne diffèrent en rien des endosmomètres de Dutrochet. Toutefois , je ferai remarquer que dans toutes ces expériences on a fait fonctionner en même temps deux endosmomètres , dont les tubes , exactement ENDOSMOSE. 39 calibrés , avaient tous deux 3 millimètres de diamètre intérieur, et portaient une échelle divisée en millimètres. Dans un vase en cristal assez grand pour contenir les deux instruments , on a placé une espèce de support sur lequel était solidement fixée une lame métallique percée d'un grand nombre de petites ouvertures. C'est sur cette plaque qu'on dispose les deux endosmomètres , et afin qu'ils ne soient susceptibles d'aucun changement de po- sition , on les charge d'une grosse lame de plomb percée de deux trous d'un diamètre égal à celui du col des in- struments. Dans le cours des expériences, un endosmo- mètre avait la membrane interposée disposée à l'in- verse de celle de l'autre ; c'est-à-dire que si, par exemple , on se servait de peau , on la plaçait de manière à ce que , dans un cas , sa face externe regardât l'intérieur de l'in- strument, et dans l'autre, au contraire, qu'elle eût sa face interne dirigée dans ce sens. Toutes les expériences ont été faites à la température de +12" à +15*^ centig. Dans le plus grand nombre des cas elles durèrent deux heures, et furent répétées plusieurs fois. On eut soin d'employer, pour les deux endosmomè- tres destinés aux expériences comparatives, deux por- tions de membranes d'égale grosseur, prises toutes deux sur le même animal , et dans deux régions symétriques de son corps ou de l'organe employé. Les liquides dont nous nous sommes servis , outre l'eau de source , sont les suivants , dont nous donnons , une fois pour toutes , la densité en degrés de l'aréomètre de Baume : hi) TROISIÈME LEÇON. Eau sucrée. . 19^* Solution de blanc d'œuf. ... 4° — de gomme arabique. . 5^ Alcool 34« Ces liquides étaient ordinairement contenus dans l'in- térieur de l'instrument; l'eau était à l'extérieur. Dans quelques cir- constances particuliè- res, dont je vous parle- rai plus tard , nous avons changé la dispo- sition des liquides et des instruments, en nous servant d'un vase di- stinct pour y placer sé- parément chaque en- dosmomètre . On a aussi fait usage d'un autre instrument dont voici la description : B et C sont deux récipients cylindriques en laiton , qui s'emboîtent à frottement l'un dans l'autre ; B a en a une plaque , de laiton également , percée de trous, sur laquelle on applique la membrane que l'on veut soumettre à l'expérience ; C porte également une plaque percée de trous", qui, lorsque les deux cylindres B C sont réunis, comme dans la figure, va s'appliquer exactement sur la membrane, de manière que celle-ci se ENDOSMOSE. dì trouve serrée entre ces deux plaques. De cette façon, cette dernière ne peut céder à la pression plus considé- rable qu'exercerait sur elle un liquide plus dense que celui qui est contenu dans l'autre portion du cylindre. mn , op sont deux tubes parfaitement calibrés ; le pre- mier communique avec le récipient B, l'autre avec le ré- cipient C. Lorsqu'on veut faire usage de cet instrument, on commence par introduire le liquide le plus dense dans B, et remplir le tube ??2n jusqu'à une certaine hauteur; on remplit C d'eau, en le plongeant dans une cuve pleine de ce liquide, puis on emboîte les deux cylindres sous l'eau; on serre les deux récipients avec une vis, afin que le liquide de C ne s'échappe pas par la fissure de l'em- boîtement; on dispose l'instrument de niveau; on met les deux liquides au 0° de l'échelle S ; avec cet instru- ment on obtient à la fois les valeurs de l'élévation et de l'abaissement des deux liquides, ce qui donne une grande précision et facilite beaucoup l'expérimentation en dou- blant, en quelque sorte, les résultats. Je vous communiquerai d'abord les résultats obtenus en employant pour membranes des peaux de grenouille, de torpille, d'anguille, et pour dissolution les liquides in- diqués plus haut. Dès les premiers essais nous avons pu reconnaître d'une manière très-nette l'infi-uence marquée qu'exerce sur le phénomène de l'endosmose la position de la membrane qui sépare les deux liquides; ce fut même cette première découverte qui nous conduisit à étu- dier à ce point de vue la vessie urinaire et l'estomac de divers animaux. Avec quelque soin on peut obtenir les peaux intactes, 42 TROISIÈME LEÇON. et les dépouiller de tout le tissu cellulaire sous-cutané qui y adhère. Après les avoir ainsi préparées, et en retran- chant les parties qui, dans la torpille et l'anguille, sont percées par les appendices cutanés, on a des membranes très-propres à ce genre d'expériences. En employant la peau de torpille, et en la disposant dans un endosmomètre de manière à ce qu'elle regardât par sa face externe l'intérieur de l'instrument, et adoptant pour l'autre la disposition inverse, après avoir rempli les deux endosmomètres de solution de gomme arabique, nous avons observé que, tandis que le liquide s'était élevé de 30 millimètres dans le premier instrument, il ne s'élevait, dans le second, que tantôt de 18 millimètres et tantôt de 6 millimètres seulement. Dans certains cas nous avons vu le liquide s'élever de 20 millimètres et même davantage dans le premier tube, tandis qu'il s'éle- vait à peine dans le second. Ces différences sont également très-sensibles avec l'eau sucrée. Ainsi ce liquide qui s'élève de 30 et même de 80 millimètres lorsque la face externe de la peau est tournée vers l'instrument oii le liquide est contenu, ne s'élève pas, ou tout au plus, de 2 millimètres dans la po- sition inverse. Dans un cas où il s'élève de 80 millimètres dans la première des dispositions indiquées, il ne parvient qu'à 20 millimètres seulement en adoptant la seconde disposition. Avec l'eau albumineuse, l'élévation fut de 26 milli- mètres lorsque la face externe de la peau était en contact de celle-ci; de 13 millimètres dans le cas contraire. Les résultats obtenus avec la peau de grenouille s'ac- ENDOSMOSE. Uo cordent, en général, avec ceux fournis par celle de la torpille. Nous remarquâmes que la direction du courant de l'endosmose est constante et va de Teau à l'eau sucrée , à l'eau gommeuse, à l'eau albumineuse ; nous reconnûmes ainsi que la membrane possédait la propriété de rendre l'endosmose plus ou moins intense, suivant sa position par rapport aux deux liquides. En disposant la peau de grenouille dans les deux endosmomètres, selon la manière habituelle, on eut une élévation de 36 millimètres lorsque la face externe était en contact avec l'eau sucrée, de 24 millimètres dans la disposition inverse. Dans plu- sieurs cas la première fut exactement double de l'autre. Il y eut également une différence bien marquée, et tou- jours dans le même sens, en se servant d'eau albumi- neuse et de la solution de gomme arabique. Avec le premier liquide il y eut une élévation de 24 millimètres, avec le second de 32 millimètres lorsque la face externe de la peau était en contact avec eux ; quand, au contraire, c'était la face interne qui était tournée vers les liquides, elle fut seulement de 12 millimètres pour l'eau albumi- neuse, de 16 millimètres pour l'eau gommeuse. Les différences que nous avons déjà remarquées en faisant usage de l'eau sucrée, lorsqu'on emploie les peaux de grenouille et de torpille , subsistent également en se servant de la peau d'anguille; mais ce qu'il y a de sin- gulier dans ce cas, c'est que cette différence ne se mani- feste pas dans les premiers moments de l'expérience. Dans le commencement, l'élévation du liquide est égale dans les deux instruments ; mais , deux heures après , on voit qu'elle est de 30 millimètres diàns Tendosmomètre UU TROISIÈME LEÇON. dans lequel la face externe de la peau est tournée vers l'eau sucrée, et de 20 millimètres dans l'autre instru- ment. Avec l'eau albumineuse et l'eau de gomme, les dilTérences s'observent dès le commencement de l'ex- périence, comme cela a lieu ordinairement, et tandis qu'à la fin de l'expérience on trouve que l'eau albumi- neuse s'est élevée de 8 millimètres, lorsque la face externe de la peau est tournée vers le liquide et que la solution gommeuse s'est élevée de 20 millimètres; on trouve, au contraire, dans la position inverse de la peau, que la première a monté de 4 millimètres , la seconde de 1 7 millimètres. L'état de fraîcheur semble plus nécessaire pour les peaux d'anguille que pour celles de grenouille et de tor- pille quand on veut noter une différence dans l'élévation des liquides contenus dans les endosmomètres. Si la peau d'anguille a été détachée de l'animal depuis un ou deux jours, la différence de hauteur devient nulle dans les deux dispositions de la membrane , et l'eau sucrée , l'eau albumineuse, la solution gommeuse s'élèvent dans un même espace de temps d'une quantité égale dans les deux instruments. En employant l'eau et l'alcool , Dutrochet a obtenu le courant dans la direction de celui-ci à celle-là; c'est par conséquent une exception qu'il a découverte à tous les autres faits dans lesquels il est dirigé du liquide le moins dense au liquide qui l'est le plus. L'influence de la disposition de la peau employée comme membrane interposée entre ces deux liquides a été rendue évidente par nos expériences ; mais la disposition favorable au ENDOSMOSE. Z|5 courant, constaimnent dirigé de l'eau à l'alcool, n'est pas la même pour les trois espèces de peaux que nous venons d'indiquer. Ainsi, en se servant de la peau de grenouille , le cou- rant est sollicité de la face externe à l'interne en se diri- geant toujours de l'eau à l'alcool. Dans diverses expé- riences souvent répétées , nous avons pu observer une élévation de 20 , 24 , 40 millimètres lorsque la face interne de la peau était tournée vers l'alcool , tandis que .dans la disposition contraire les élévations correspon- dantes ne furent que de 4, 12, 20 millimètres. Dans des circonstances analogues , la disposition de la membrane étant favorable, l'élévation fut de 28 millimètres; dans l'autre, au contraire, il n'y en eut aucune. Avec la peau d'anguille le contraire a lieu. Avec celle- ci le courant est favorisé de la face interne à l'externe ; et tandis que l'alcool contenu dans l'instrument s'élève à la hauteur de 20 millimètres lorsqu'il est en contact avec la face externe de la peau , il ne s'élève que de 10 millimètres dans le cas contraire. Cette différence d'élévation a toujours lieu dans le même sens, et se vérifie pour la peau d'anguille comme pour celle de torpille. L'élévation a été de 50 millimètres dans un instrument, de 20 millimètres dans l'autre. Quelques anomalies que nous observâmes dans nos premiers essais nous conduisirent à étudier avec plus de précision les circonstances du phénomène de l'en- dosmose qui a lieu à travers la peau de torpille entre l'eau et l'alcool. On trouve constamment la différence ci-dessus indiquée, lorsque la peau de torpille est récem- 46 TROISIÈME LEÇON. ment préparée et qu'elle n'a pas servi précédemment à d'autres épreuves de ce genre ; mais elle ne persiste que pendant la première heure de l'expérience ou peu de temps après ; ensuite les élévations suivent une loi di- verse, et la hauteur dans l'endosmomètre dans lequel la face externe de la peau est en contact avec l'eau, va toujours en diminuant, finit par cesser, et enfin la direc- tion du courant change. Parmi les nombreuses expériences que nous avons tentées, nous choisirons les suivantes, pendant lesquelles nous avons noté les élévations d'heure en heure. Nous nommerons A l'endosmomètre dans lequel la face inté- rieure de la membrane était en contact avec l'eau, et B celui dans lequel cette face regardait l'intérieur de l'in- strument. A B Elév. pend, la 1" heure, 23 millim. Elév. pend, la 1'''' heure, 17 millim. 2« 25 » 2« 3 3« 25 » 3^ 0 4e 25 Abaiss, p. la 4"^ 3 Nous devons conclure : 1^ que tant que la peau de la torpille est récente , l'endosmose se fait comme à l'ordi- naire, de l'eau à l'alcool, avec cette différence toutefois que tandis que, dans le cas où la face interne de la peau est en contact avec l'eau, l'élévation est comme 3; dans le cas inverse , elle est comme 2 ; 2** que tandis que dans la première disposition de la membrane (A) la force de l'endosmose se maintient toujours constante quelques heures, dans la deuxième (B) cette même force va tou- jours en diminuant, et fii.it par devenir nulle quelque ENDOSMOSE. ti! temps après; 3° qu'après un certain temps la direction du courant change, en se faisant de l'alcool à l'eau , quand la face interne de la peau est tournée vers l'alcool, tandis qu'il reste constant dans la position contraire de la peau. Nous avons cru devoir attribuer les singularités ob- servées en se servant d'alcool, à l'action chimique que ce liquide exerce sur la substance de la membrane , et à l'altération consécutive de sa structure même. La diminution de l'intensité de l'endosmose observée avec la peau de torpille, mais seulement dans la position peu favorable de la membrane, se vérifie, quelle que soit sa disposition, en employant la peau de grenouille ; mais ce décroissement ne suit pas une marche régulière, ainsi qu'on peut en juger par ce tableau, dans lequel A et B représentent les mêmes endosmomètres que dans le précédent : A B Elév. pend, la l""* heure, 23 millim. Élév. pend, la l'« heure, 30 mîUiim. » 2" 40 » 2" 55 » 3^ 12 « S-^ 15 )) 4^ 22 » 4* 35 5*= et 6^ 56 5" et 6« 58 Pendant la nuit , le liquide s'épancha hors des deux endosmomètres , mais il n'y eut pas inversion du cou- rant, comme cela eut lieu pour la peau de torpille. Ce phénomène ne se manifesta pas non plus avec la peau d'anguille , même en prolongeant les expériences au delà de quinze heures ; mais les accroissements sont irrégu- liers comme pour la peau de grenouille. 48 TROISIÈME LEÇON. Il était important de rechercher si la force de l'endos- mose variait suivant que la peau avait été pTise sur dif- férentes régions du corps de Fanimal. Les expériences que nous avons tentées dans ce but sont peu nombreuses ; nous dirons seulement que le courant d'endosmose ne varie en aucune façon , que l'on se serve de la peau qui dans les torpilles recouvre les organes électriques , ou de celle du dos; nous avons observé qu'il n'y en a pas non plus, soit que l'on emploie la peau du ventre ou du dos de la grenouille. Nous avons entrepris une longue série d'expériences , afin de déterminer la force respective de l'endosmose des différents liquides à travers les trois peaux que nous avons indiquées. A cet effet, trois endosmomètres étaient préparés simultanément : un avec la peau de torpille, le second avec celle de grenouille , le troisième avec celle d'anguille ; dans les trois appareils les peaux étaient dis- posées de telle façon que la face externe était tournée vers l'intérieur de l'instrument, qui contenait tantôt de l'eau sucrée ou de la solution albumineuse, tantôt de l'eau gommeuse ou de l'alcool. Les endosmomètres plon- geaient dans un vase en cristal qui contenait de l'eau de source; cette disposition offrait l'avantage de pouvoir immédiatement reconnaître la différence de hauteur de ces liquides à travers les trois différentes espèces de peaux. Ce tableau fait voir quelle a été l'intensité de l'endosmose de chacun des liquides à travers les diverses peaux : Eau sucrée .^ Eaualbumineuse. Solution de gomme. Alcool. '. . . . ENDOSMOSE. Peau de torpille. . »» de grenouille. " d'anguille. . Peau de torpille. . » de grenouille. " d'anguille. . Peau de torpille. . " de grenouille. " d'anguille. . Peau de torpille. . " de grenouille. » d'anguille. . h') 100 millim. 25 15 30 millim. 15 8 120 millim. 22 6 35 millim. 80 55 Ce tableau prouve 1° qu'avec la peau de torpille on a le courant d'endosmose le plus fort, si l'on emploie pour liquide interne l'eau sucrée, la solution gommeuse ou albumineuse ; 2° qu'avec ces mêmes liquides il est moindre pour la peau d'anguille que pour celle de grenouille ; 3° qu'avec la peau de grenouille on a un courant d'endos- mose de l'eau à l'alcool, plus interne qu'avec celle d'an- guille , et avec celle-ci plus énergique qu'avec la peau de torpille; 4" que ce courant, plus fort de l'eau à l'alcool, à travers la peau de grenouille persiste encore quoique la peau ne soit pas disposée par rapport aux liquides de la manière la plus favorable à la production du phénomène ; 5° que l'intensité de l'endosmose pour une même peau varie à chaque changement de liquide; c'est pourquoi, pour la peau de torpille ces liquides doivent êtres rangés dans l'ordre suivant, en procédant de celui qui donne le courant le plus fort à celui qui le donne le plus faible : 50 TROISIÈME LEÇON. Pour la peau de torpille : Solution de gomme, eau sucrée, alcool, eau albumi- neuse ; Pour la peau de grenouille : Alcool , eau sucrée , solution de gomme , eau albumi- neuse; Pour la peau d'anguille : Alcool, eau sucrée, eau albumineuse, solution de gomme. Ces derniers résultats nous prouvent que l'ordre dans lequel Dutrochet disposa ces liquides , relativement à l'intensité de l'endosmose qui se fait entre eux et l'eau, ne doit pas être regardé comme étant le véritable dans tous les cas; nous verrons qu'il ne peut être considéré commeinvariablequedanslecas seul de la vessie urinaire, dont cet habile expérimentateur s'était servi. En nous réservant de tirer ailleurs les conclusions gé- ììérales de ce que nous avons exposé jusqu'à présent, nous passerons maintenant aux observations que nous avons faites en nous servant des membranes que nous avons placées dans la deuxième catégorie, c'est-à-dire l'estomac d'agneau, de chien, de chat, et le gésier de poulet. Dans toutes ces expériences nous avons constamment commencé par enlever, avec le plus grand soin, toutes les fibres musculaires de ces organes avant de les adapter aux endosmomètres , nous servant ainsi de la membrane mu- queuse seule. Le plus grand nombre de nos recherches ont été faites avec des estomacs enlevés à des animaux aussitôt après leur mort ; nous aurons soin d'indiquer au ENDOSxMOSE. 51 fur et à mesure qu'ils se présenteront les cas dans lesquels il en a été autrement. En se servant de l'estomac d'agneau préparé comme nous venons de dire, et l'eau sucrée dans l'intérieur des deux endosmomètres , en disposant la membrane de ma- nière que sa face interne, c'est-à-dire celle qui est natu- rellement tournée vers l'intérieur de la cavité stomacale, soit dirigée vers l'intérieur de l'instrument , l'élévation du liquide fut de 56 millimètres dans un cas , de 54 milli- mètres dans un autre ; dans la situation inverse de la mem- brane elle fut de 72 millimètres dans le premier, de 66 dans le second. Ces deux expériences durèrent seulement une heure un quart; l'endosmose fut donc favorisée en employant l'eau sucrée , et se dirigea de l'intérieur à l'ex- térieur de l'estomac. Le contraire eut lieu en faisant usage de la solution de blanc d'œuf. Lorsque cette solution était en contact avec la partie interne de l'estomac , elle s'élevait dans l'mstru- ment de 23, 28, 85 millimètres; dans le cas contraire elle ne montait que de 11 , 20, 22 millimètres dans l'in- tervalle de deux heures , comme à l'ordinaire. Mais si l'on introduisait dans les endosmomètres une solution de gomme arabique, l'élévation dans les deux dispositions contraires de la membrane était tantôt nulle, tantôt égale, et seulement de 8 millimètres dans les deux instruments ; dans quelques cas il y en eut une de 12 mil- limètres quand la surface interne de la membrane était en contact de la solution gommeuse , et une autre de 8 mil- limètres dans le cas contraire. L'intensité de l'endosmose entre l'eau et la solution gommeuse est excessivement 52 IROlSlkJVIE LEÇON. faible quand elle s'opère à travers la membrane mu- queuse de l'estomac de l'agneau; il faut donc prolonger l'expérience plus qu'à l'ordinaire pour obtenir des éléva- tions assez sensibles. Celles que nous venons d'indiquer s'obtinrent après plus de quatre heures d'expérimentation . Outre cela, il faut remarquer que le courant d'endosmose à travers cette membrane cesse bientôt , quand on emploie les deux liquides dont il s'agit. Il arrive souvent , en effet , que la solution gommeuse, après être arrivée à une petite hauteur , au bout de deux heures ne la dépasse plus , même en prolongeant l'expérience pendant plusieurs heures. La position favorable à l'endosmose entre l'eau et la solution de sucre, que nous avons remarquée quand il s'a- git de l'estomac d'agneau, n'est plus la même pour ceux de chat et de chien; avec l'estomac de chat , l'élévation à laquelle parvint l'eau sucrée dans le tube de l'instru- ment fut de 30 millimètres ou de 15 millimètres, suivant que la face interne de la membrane regardait l'intérieur de l'instrument, ou qu'il y avait une position inverse. Avec celui de chien, dans le premier cas, l'élévation fut de 68 millimètres, dans le second de 8 millimètres. Avec l'estomac de chat , l'endosmose de l'eau à la so- lution gommeuse est également dirigée de la face externe à la face interne de cet organe. Ainsi, quand la surface muqueuse de la membrane est en contact de l'eau gom- meuse, l'élévation du liquide arrive jusqu'à 38 millimè- tres, tandis que dans l'autre position elle n'est plus que de 14. Cette différence s'observe seulement quand l'esto- mac est très-frais; s'il appartient à un animal déjà mort depuis quelque temps , alors on voit , dans les premiers ENDOSMOSE. 53 moments de l'expérience, qu'il y a une légère élévation quelquefois égale dans les deux instruments ; tantôt elle est plus grande , tantôt elle est moindre dans un même endosmomètre ; mais bientôt on voit le liquide redescen- dre. En changeant la disposition des liquides , c'est-à- dire en mettant la solution de gomme en dehors et l'eau pure dans l'instrument, cette dernière descend. Ces phé- nomènes se reproduisent quand on emploie l'estomac de chien. Nous n'avons pas d'expériences faites avec l'estomac de ce dernier animal aussitôt après sa mort, et en em- ployant pour liquide interne la solution albumineuse. Celles dont nous allons exposer les résultats furent fai- tes plusieurs heures après la mort de l'animal. La solu- tion albumineuse s'éleva à une égale hauteur dans les deux instruments , dans quatre expériences différentes . Dans l'une d'elles , que nous choisirons parmi les autres , cette élévation a été de 20 millimètres en une heure , et elle ne varia pas , pendant trois autres heures , dans r endosmomètre dans lequel la surface interne de l'estomac était tournée du côté de l'intérieur de l'instru- ment, tandis que dans le même intervalle de temps elle baissa de 25 millimètres dans l'autre endosmomètre. En général, il arrive rarement que la colonne liquide se maintienne stationnaire dans l'un d'eux. Dans le plus grand nombre des cas (nous parlons toujours de mem- brane d'estomac de chien, qui n'est pas fraîche) le li- quide descend dans les deux instruments après avoir manifesté une plus ou moins grande élévation ; mais la diminution de hauteur est double , et souvent triple dans 54 TROISIÈME LEÇON. l'endosmomètre qui présente la face externe de la mem- brane tournée du côté de l'eau albumineuse. En interver- tissant la position des liquides , en plaçant la solution de blanc d'œuf à l'extérieur des endosmomètres , et l'eau dans leur intérieur, on voit que le liquide interne des- cend également dans tous deux. Ces abaissements recon- naissent pour cause la cessation de l'endosmose par suite de l'altération survenue dans la structure de la membrane quelque temps après la mort; seulement, l'influence de la disposition des deux faces persiste, jusqu'à un certain point, même dans la membrane altérée. Nous avons en effet remarqué que l'abaissement de la solution albumi- neuse est double, et même triple , dans l'endosmomètre dans lequel la face externe de la membrane est tournée du côté de l'intérieur de l'instrument. Avec la membrane muqueuse du gésier de poulet, en se servant d'eau sucrée et d'eau pure , l'endosmose a lieu de la surface externe à la surface interne de la membrane, quoique en général la différence d'élévation entre les liquides des deux endosmomètres ne soit pas très-grande. Ainsi, lorsque la partie interne de la mem- brane était dirigée vers l'intérieur de l'instrument, l'élé- vation était de 48 millimètres , tandis qu'elle était de 43 millimètres dans la disposition inverse. Il n'est pas rare de voir dans la première des dispositions indiquées une certaine élévation, comme de 17 ;iiillimètres, de 20 millimètres , etc. , tandis que dans la seconde le li- quide reste immobile. On doit en outre remarquer la promptitude avec laquelle le courant d'endosmose cesse d'avoir lieu de l'eau à l'eau sucrée , à travers le gésier de ENDOSMOSE. 55 poulet. En général , au bout de deux heures au plus , la colonne liquide devient stationnaire dans les deux tubes. L'endosmose entre l'eau et la solution albumineuse à travers cette membrane semble avoir lieu indifféremment quelle que soit la disposition de ses faces par rapport aux deux liquides. Nous avons pu vérifier ce résultat un grand nombre de fois. Dans un seul cas, nous avons vu le liquide monter de 15 millimètres dans l'endosmomètre dans lequel la face interne de la membrane regardait l'in- térieur de l'instrument , tandis que dans l'autre instru- ment il ne s'éleva que de 5 millimètres. On obtient les mêmes résultats avec la solution gom- meuse qu'avec la solution albumineuse. Dans les deux dispositions de la membrane muqueuse du gésier de poulet , l'élévation du liquide est la même encore , si l'on prolonge l'expérience pendant toute la durée d'une nuit. Lorsque , dans de rares exceptions , on remarque une pe- tite différence en plus de 1 ou 2 millimètres, c'est tou- jours dans celui des deux endosmomètres dans lequel la face intérieure de la membrane est en contact avec la so- lution gommeuse. Pour achever de vous exposer les résultats obtenus par l'emploi des membranes de la seconde catégorie, il ne nous reste plus qu'à vous entretenir des phénomènes observés en se servant d'alcool pour liquide intérieur^ en le mettant en contact successivement avec chacune des faces de ces membranes. Avec les estomacs d'agneau, de chat ^ de chien , l'en- dosmose est constamment dirigée de l'eau à l'alcool, et elle est favorisée de la face interne à la face externe de 56 TROISIÈME LEÇON. la membrane. En effet, nous avons vu, dans l'endosmo- mètre dans lequel la face externe de la membrane mu- queuse de l'estomac de l'agneau était tournée vers l'in- térieur de l'instrument qui contient l'alcool, l'élévation être de 88 millimètres et de 10 millimètres seulement dans la position contraire ; et que , ce temps écoulé , le liquide s'élève de 40 autres millimètres, dans le premier endosmomètre ; il reste stationnaire , et même quelque- fois il baisse dans le second. Avec l'estomac de chat lalcool monte de 22 millimè- tres dans le tube pendant l'espace de temps ordinaire , c'est-à-dire deux heures , lorsque la face externe de la membrane est disposée de telle façon qu'elle regarde l'intérieur de l'endosmomètre; mais dans l'arrangement opposé l'élévation n'est plus que de 2 millimètres. Quel- quefois même, dans la première position de la membrane, elle fut de 20 à 24 millimètres , et dans la seconde il n'y en eut aucune. Avec l'estomac de chien l'élévation de l'alcool dans le tube fut de 24 millimètres lorsque la surface muqueuse fut en contact avec l'eau; elle fut de 16 millimètres lors- qu'elle était disposée d'une manière inverse. Six heures après, le liquide s'éleva encore de 40 autres millimètres dans le premier cas , et de 25 millimètres seulement dans le second : dans une autre expérience, après le temps indiqué , les élévations ont été de 1 30 millimètres et de 6 millimètres. Avec les estomacs que nous avons employés jus- qu'ici, l'endosmose favorisée de la face interne à la face externe de la membrane se fait toujours de l'eau à l'ai- EINDOSMOSE. 57 cool, comme pour celles dont s'est servi Dutrochet. Il est singulier qu'avec la membrane interne du gésier de poulet l'endosmose se fasse au contraire de l'alcool à l'eau, et cela quelle que soit la disposition de la mem- brane par rapport aux deux liquides. Ce fait exception- nel, que nous avons attribué d'abord au défaut d'inté- grité des membranes employées , a été vérifié par nous un grand nombre de fois , tantôt en introduisant, comme à l'ordinaire, l'alcool dans l'intérieur de l'instrument, cas dans lequel nous avons vu le niveau de l'alcool baisser, tantôt en le plaçant à la partie extérieure de celui-ci, et alors l'eau monter constamment dans le tube. L'influence de la disposition de la membrane est égale- ment rendue évidente par ce cas. Nous commencerons par donner les diminutions de hauteur notées dans le cas où l'alcool était dans l'intérieur de l'instrument. Lorsque la face interne de la membrane muqueuse du gésier était tournée vers l'intérieur de l'endosmomètre , la diminution de hauteur de l'alcool dans le tube a été de 24 , de 28 et même plus encore, dans l'espace de six heures, tandis qu'il n'a élé que de 11 et de 12 millimètres dans le cas contraire. Dans une autre expérience, que nous choisis- sons au milieu d'un très-grand nombre , l'eau pure étant placée dans l'intérieur de l'instrument, l'élévation fut de 32 millimètres dans celui où la face externe de la membrane était tournée du côté de l'intérieur de l'en- dosmomètre, elle fut de 16 millimètres pour l'autre, dans l'espace d'environ trois heures. Par conséquent l'endosmose entre l'alcool et l'eau est favorisée de la face interne à la face externe du gésier de poulet. 58 TROISIÈME LEÇON. Passons enfin à l'exposition de ce que nous avons ob- servé en employant pour membrane intermédiaire la muqueuse de la vessie urinaire de bœuf, à l'état frais et dépouillée des couches musculaires, comme nous l'avons pratiqué pour les estomacs. En employant cette mem- brane et en introduisant de l'eau sucrée dans l'intérieur des endosmomètres , la hauteur à laquelle parvinrent les liquides dans les tubes fut de 80 et même de 113 milli- mètres dans l'espace habituel de deux heures, lorsque la surface interne de la membrane est en contact avec l'eau sucrée; mais elle ne fut que de 63 ou 72 millimètres dans le cas contraire. Le courant d'endosmose est donc favorisé dans cette circonstance de la face externe à la face interne de la membrane. Le contraire a lieu avec la solution de gomme arabique. L'élévation est de 18 mil- limètres et quelquefois même seulement de 7 millimètres lorsque la face interne de la membrane est tournée vers l'intérieur de l'instrument , quand il contient la solution gommeuse, tandis que lorsque la membrane présente une disposition inverse l'élévation est de 52 millimètres, ou en quelques cas de 20 millimètres. Avec la solution de gomme arabique on voit quelque- fois le liquide d'abord baisser dans les deux tubes, et ensuite, après un certain temps , s'élever à des hauteurs qui sont à peu près dans le même rapport que celles qu'on observe avec l'eau sucrée. Dans un cas le liquide baissa dans les deux instruments de 7 millimètres pen- dant la première heure de l'expérience; il commença ensuite à remonter, et trois heures après l'élévation était de 12 millimètres dans l'endosmomètre dans lequel la ENDOSMOSE. 59 face interne de la membrane était en contact avec la so- lution de gomme , et de 8 millimètres dans l'endosmo- mètre où cette face était en contact avec l'eau. Avec la solution albumineuse et l'eau pure, l'endos- mose n'a pas lieu à travers la membrane muqueuse de la vessie urinaire de bœuf à l'état frais : le liquide baisse dans les deux tubes , soit que la solution albumineuse se trouve dans l'intérieur de l'instrument, soit que celui-ci contienne de l'eau pure. On doit cependant observer que lorsque la face interne de la membrane est en contact avec de la solution albumineuse, et que celle-ci est en de- hors de l'instrument, la diminution de hauteur est moindre que lorsqu'elle a une position inverse, et que le contraire a lieu lorsque cette solution est en contact avec la surface externe de la membrane. Enfin , avec l'alcool et l'eau pure , il y a endosmose de l'eau à l'alcool, comme dans la plupart des cas, mais l'élévation est tantôt de 24 millimètres, tantôt de 59 mil- limètres , lorsque la surface externe de la membrane est en contact avec l'alcool, et tantôt de 26 ou de 37 milli- mètres dans le cas contraire. Des différences aussi sensibles que celles observées en se servant de membranes fraîches disparaissent totale- ment ou presque totalement si on les emploie desséchées ou altérées par une putréfaction plus ou moins avancée. Nous n'avons pas varié beaucoup les expériences propres à déterminer l'influence de l'état de dessiccation et d'al- tération putride des membranes, et nous nous proposons de reprendre cette étude dans d'autres circonstances. Il est certain cependant qu'en employant les liquides ordi- 60 TROISIÈME LEÇON. naires , et pour membranes intermédiaires à ceux-ci et à l'eau pure les vessies desséchées de porc et de bœuf, mouillées avant l'expérience de manière à pouvoir les attacher à l'endosmomètre, ou il n'y a pas de différence, même après plusieurs heures , dans les élévations des li- quides des deux tubes , quelle que soit la disposition des faces de la vessie ; ou bien, s'il y en a une, dans tous les cas très-petite , elle existe tantôt pour l'instrument dans lequel la partie interne de la vessie est tournée vers l'in- térieur de l'endosmomètre, tantôt pour l'autre appareil. En employant les mêmes vessies qu'on a laissées pen- dant quelques heures dans l'eau, on observe quelquefois une certaine régularité d'effets, comme cela a lieu avec les vessies fraîches ; mais si on les emploie très-mouillées , après les avoir tenues dans l'eau pendant toute une nuit, on ne voit aucune élévation dans les liquides des endos» momètres, ou cette élévation est égale dans les deux tubes. Nous pouvons, dans quelques cas, nous rendre compte des anomalies présentées par les vessies en cet état; en effet, on s'aperçoit facilement, sur une vessie mouillée, combien ses faisceaux musculaires sont gonflés, et cela d'autant plus qu'elle est restée plus longtemps dans l'eau. Ces faisceaux musculaires regagnent ainsi une certaine épaisseur, se rapprochent les uns des autres, et reviennent en quelque sorte à un certain état analogue à celui de la fraîcheur. Or, nous avons vu plusieurs fois que l'endosmose ne se fait pas avec des vessies, des gé- siers, des estomacs frais, auxquels on n'a pas précédem- ment enlevé les couches musculaires. Si la vessie est peu mouillée , les faisceaux musculaires sont , il est vrai , un ILNDOSMOSE, 61 peu plus dilatés , mais toutefois il existe entre eux des interstices à travers lesquels l'endosmose s'opère certai- nement ; mais l'inégalité de ces interstices , même dans deux portions symétriques d'une même vessie , doit donner lieu à des résultats vagues et incertains . Nous n'avons employé que le gésier de poulet dans un état d'altération plus ou moins avancée, afin de détermi- ner l'influence de la putréfaction des membranes dans le phénomène de l'endosmose. Une grande incertitude règne sur les résultats fournis par le gésier de poulet en cet état ; tantôt en effet le liquide ne le traversa pas , tantôt on eut une élévation égale dans les deux instruments : quels qu'aient été les liquides employés et la disposition de la membrane , l'endosmose fut énergique , tantôt dans un sens , tantôt dans un autre ; quelquefois enfin il y eut abaissem.ent du niveau des liquides dans les deux instru- ments. En parlant ailleurs de ce que nous avons observé en faisant usage de la peau et de la muqueuse stomacale de certains animaux , nous avons remarqué comment les phénomènes de l'endosmose varient suivant qu'on em- ploie ces membranes immédiatement après la mort de l'animal, ou bien quelques heures après. Tous ces faits démontrent clairement l'étroite relation qui existe entre le phénomène de l'endosmose et l'état physiologique des membranes. Le phénomène de l'endosmose, comme tous ceux qui se passent dans les tissus organisés, ne présente pas cette constance, cette exactitude dans ses apparences que l'on remarque dans les phénomènes physiques qui se passent hors de ces tissus. C'est à cet état organique va- 6 62 TROISIÈME LEÇON. riable et accidentel des membranes fraîches que nous de- vons certainement attribuer le singulier phénomène de voir dans certains cas , avec le même liquide , la même membrane, la même disposition relative de celle-ci, tan- tôt l'élévation du liquide atteindre 80 millimètres , par exemple, tantôt se borner à 10 millimètres seulement. Nous devons de la même manière rapporter à un état anatomico-physiologique constant et en rapport avec la fonction de la membrane même , la constance qui existe dans la différence de l'élévation dans les deux positions diverses de la membrane , quelle que soit d'ailleurs cette différence. Il serait important d'étudier le phénomène sous le point de vue de connaître les circonstances acci- dentelles qui font varier l'endosmose à travers les mem- branes fraîches, comme , par exemple, la privation de nourriture pour ce qui concerne l'estomac, l'administra- tion de certaines substances données à l'animal avant de le tuer, etc. Nous avons fait, d'après ces vues, une seule expérience comparative qui nous a conduits à ad= mettre que l'endosmose à travers la peau d'anguille est plus énergique si cette peau est d'un animal qu'on a gardé depuis quelques jours hors de l'eau. La nouveauté des résultais que nous avons obtenus et leur importance me feront pardonner, si j'ai cru devoir vous les exposer dans toute leur extension. Voici les conclusions générales que nous avons pu en déduire : 1® La membrane mtermédiaire aux deux liquides, dans le phénomène de l'endosmose, a une part très-ac- tive dans l'intensité du courant endosmométrique , ainsi que dans sa direction. ENDOSMOSE. 63 2" 11 y a , en général , pour chaque membrane, une cer- taine position dans laquelle l'endosmose est plus intense; les cas sont très-rares dans lesquels , avec une mem- brane fraîche, l'endosmose se fait également, quelle que soit sa disposition par rapport aux deux liquides. 3° La direction la plus favorable à l'endosmose à tra- vers les peaux est , en général, de la face interne à l'ex- terne, à l'exception de la peau de grenouille, avec la- quelle l'endosmose entre l'eau et l'alcool est favorisée de la face externe à la face interne. 4" La direction favorable à l'endosmose à travers les estomacs et les vessies urinaires varie beaucoup plus qu'avec les peaux , suivant les différents liquides. 5° Le phénomène de l'endosmose est étroitement lié à l'état physiologique des membranes. 6" Avec les membranes desséchées ou altérées par la putréfaction , ou on ne remarque plus les différences or- dinaires selon la position des faces de celles-ci , ou il n'y a plus endosmose. Pour nous rendre exactement compte de ce qui a trait à nos expériences, et aux conséquences que nous en avons déduites, il est nécessaire de considérer l'exos- mose sous un point de vue différent de celui sous lequel elle a été regardée jusqu'à ce jour. L'augmentation de vo- lume présentée par le liquide interne , qui est ordinai- rement le plus dense, est considérée par Dutrochet comme un résultat de la différence entre le courant fort d'introduction, et le courant faible de sortie. Suivant cette manière de voir, celui des deux liquides qui reçoit de son antagoniste plus qu'il ne lui donne , augmenterait 6 Zi TROISIÈME LEÇON. d'une quantité égale à l'excès de ce qu'il reçoit sur ce qu'il cède, ou bien d'une quantité égale à la différence du courant fort sur le courant faible. Après cela nous se- rons forcés de dire que tous les faits que nous avons ob- servés nous conduisent à établir que les diverses mem- branes donnent un passage d'autant plus facile à l'eau pour se rendre au liquide contenu dans les endosmomè- tres, suivant qu'elles sont disposées d'une manière plu- tôt que d'une autre, et suivant que ces instruments con- tiennent tel ou tel liquide. Mais un grand nombre de difficultés que nous nous abstiendrons d'exposer parce qu'elles se seront présentées d'elles-mêmes à quiconque nous a suivis dans l'exposition des faits que nous avons observés , se présentent dans cette manière de considérer les phénomènes. Nous ferons seulement remarquer, qu'en attribuant tout à l'endosmose, la présence de la solution de gomme ou de la solution de sucre dans l'intérieur de l'endosmomètre ne peut pas nous rendre compte des phé- nomènes qui se passent avec la membrane interne de l'estomac d'agneau et avec la membrane muqueuse de la vessie urinaire de bœuf; et que ces phénomènes sont su- sceptibles d'une explication plus facile et plus naturelle , en admettant que les diverses membranes donnent, par exosmose, un passage plus ou moins facile vers l'eau aux différents liquides , suivant qu'ils sont en contact ou avec l'une ou avec l'autre de leurs faces , en supposant toujours constant le passage de l'eau vers le liquide le plus dense , d'après la loi presque générale de l'endos- mose. Mais il fallait recourir à l'expérience pour recon- naître si notre manière de considérer le phénomène était ENDOSMOSE. 65 la vraie ; il était nécessaire , non-seulement de prouver l'existence de Texosmose, comme cela a été fait par M. Dutrochet , mais il fallait encore le mesurer de la même manière que l'endosmose. Dans ces recherches , nous avons préféré nous servir de peaux de grenouille et d'anguille , et de l'eau salée , comme liquide plus dense, et même, dans quelques cir- constances, de l'eau sucrée. Nous avons commencé par préparer deux endosmo- mètres comme à l'ordinaire, en mettant dans l'un la peau de grenouille ou d'anguille avec la face interne tournée vers l'intérieur de l'instrument, et dans l'autre nous la disposons en sens inverse. On introduisait dans les deux endosmomètres des volumes égaux d'eau salée dont on connaissait la densité, et on plongeait les instruments dans deux vases de cristal séparés , contenant un volume d'eau distillée égal à celui de l'eau salée ; après quelques heures d'expérience, on mesurait exactement les volumes des liquides contenus dans les endosmomètres et ceux de l'eau distillée qui était restée dans les deux vases , et l'on reconnaissait ainsi celui des deux liquides qui s'était le plus élevé dans les tubes. On a trouvé que l'en- dosmose de l'eau à l'eau salée à travers ces peaux était favorisée de la face interne à la face externe. En déter- minant les densités des liquides contenus dans les deux instruments et de l'eau contenue dans les deux vases , un reconnut que, dans l'endosmomètre da7is lequel le volume d'eau salée s était le plus accru, la densité de celle-ci s'y était conservée plus grande que dans l'autre, et vice versa, on vit que dans le vase où la diminution 66 TROISIÈME LEÇON. de volume de Veau distillée avait été plus grande , on trouvait une quantité de solution salée qui avait été poussée par exosmose m^oindre que dans l'autre vase où le volume de l'eau distillée avait diminué d'une moins grande quantité. Nous donnons dans ce tableau les nombres fournis par deux des nombreuses expériences que nous fîmes et qui nous conduisirent à ces résultats . La première colonne indique en dixièmes de centi- mètres cubes les volumes des liquides des endosmo- mètres après l'expérience; la seconde colonne, les poids d'un volume donné de ces liquides; la troisième, les volumes de l'eau distillée trouvée dans les deux vases externes après l'expérience; la quatrième, le poids ac- quis, pendant l'expérience, par un volume donné de l'eau des vases mêmes. Le poids du même volume d'eau salée, avant l'expérience, était de 17s'",350; celui d'un égal volume d'eau distillée était de 16^'',025. I. II. m. IV. ^ , .,, ( 1506^0 17ê%8.35 1128'-,5 16s^l65 Peau ae ffrenouille. . \ { 149 ,0 17 ,680 113 ,5 16 ,405 C 222»'', 5 176%145 200s',0 16§'-,170 Peau, d'ansuille. . . \ ° \ 217 ,5 47 ,130 205 ,0 16 ,220 Dans quelques cas, nous avons fait précipiter le sel contenu dans les deux vases externes, au moyen du nitrate d'argent. La dernière colonne de ce second tableau donne la quantité de chlorure d'argent ainsi obtenu. I. II. III. IV. 1938^,0 18s--,035 ISlâ^O 168^045 191 ,0 18 ,010 183 ,0 16 ,050 ENDOSMOSE. 67 I. IL m. IV. r, , .,1 ^ 1726',0 17sr,190 1608^,0 0e'-,190 reau de grenouille. . ; ( 171 ,0 17 ,175 161 ,0 0 ,280 Nous avons observé un résultat semblable avec de l'eau sucrée et en employant la peau d'anguille; le poids d'un volume donné d'eau sucrée était, avant l'expé- rience, de 18^^180. Peau d'anguille. Ces faits ne peuvent en aucune manière s'expliquer, en admettant que l'élévation et l'accroissement de volume du liquide des deux endosmomètres ne sont que la diffé- rence entre le courant d'endosmose et le courant d'exos- mose. S'il en était ainsi, Tendosmomètre dans lequel a augmenté le plus le volume de l'eau salée devrait contenir un liquide moins dense que dans l'autre , dans lequel il a moins augmenté de vol urne. Ils s'expliquent, au con- traire, complètement, en admettant que le courant d'endosmose a été égal ou presque égal dans les deux positions de la membrane , et que la différence réside tout entière dans le courant d'exosmose, qui est plus faible dansl'endosmomëtre dans lequel l'élévation est la plus considérable , et plus énergique dans celui où l'élé- vation est plus petite. Ces résultats attribuent une grande importance à l'ac- tion de la membrane interposée entre les liquides , dans le phénomène de l'endosmose ; en effet , par sa seule nature particulière et sa fonction physiologique , on peut 68 TROISIÈME LEÇON. expliquer le passage plus ou moins facile de divers liquides plus denses vers un autre moins dense, à travers la membrane elle-même. Avouons la nécessité de recourir à d'autres expé- riences pour épuiser un sujet d'études aussi important que l'est le phénomène de l'endosmose, qui s'opère à travers les différentes membranes fraîches, et principale- ment pour ce qui a rapport à la comparaison entre les estomacs d'animaux de diverses espèces, et puis en parti- culier entre ceux des carnivores et des herbivores. Cepen- dant nous pouvons donner l'assurance que les résultats que nous avons obtenus dans cette série d'expériences, et notre manière de considérer l'exosmose, conduisent à une plus juste application du phénomène de l'endosmose aux fonctions des corps organisés. L'exosmose de l'eau sucrée, de la solution albumineuse, de l'eau gommeuse vers l'eau, est favorisée de la face interne à l'externe dans toutes les peaux que nous avons examinées. C'est précisément dans ce même sens qu'à travers la peau de torpille, d'anguille, de grenouille et d'autres animaux a lieu une abondante sécrétion de mu- cus. L'endosmose de l'eau à l'eau sucrée, à la solution albumineuse, à l'eau gommeuse, est moins intense de la face externe à l'interne de la peau que lorsqu'elle a lieu en sens inverse. Par conséquent, si l'on n'admet pas que c'est entièrement aux phénomènes que nous avons décou- verts que sont dues cette direction muqueuse et cette faible absorption de l'eau dans laquelle vivent ces animaux, fonctions qui doivent toujours être dans un certain rap- port entre elles pour pouvoir s'accomplir normalement, ENDOSMOSE. 69 du moins on ne peut nier qu'elles doivent en être favori- sées. Indubitablement, cette fonction de la peau ne se ferait pas, ou se ferait mal, si, chez ces animaux qui vivent constamment dans l'eau, cette membrane agissait par endosmose dans le sens inverse à ce que nous avons trouvé. Laissons de côté ce qui se passe avec l'eau et l'alcool à travers la peau de grenouille. L'alcool est un liquide qui n'a aucun analogue parmi ceux qui se trouvent dans le corps des animaux, et les anomalies que nous avons observées en l'employant comme liquide endosmomé- trique, si elles se vérifiaient pour la peau de l'homme, trouveraient leur application plutôt en thérapeutique qu'en physiologie. Cette constance observée pour la direction la plus fa- vorable à l'endosmose et àl'exosmose à travers les peaux ne se vérifie plus en employant la membrane muqueuse de l'estomac des divers animaux. Mais personne n'ignore combien la fonction de l'estomac est plus compliquée, et que toutes les substances qui sont portées dans cet organe n'y sont pas absorbées ou le sont très-inégalement. D'ail- leurs, nous le répétons encore, ce sujet a besoin d'être éclairci par de nouvelles études. Quand on remarque que le sens le plus favorable à l'endosmose, entre l'eau et l'eau sucrée, par exemple, n'est pas le même pour l'esto- mac d'un ruminant et pour ceux des animaux carnivores, il est clairement démontré par ce fait que le phénomène de l'endosmose est lié intimement avec ces modifications essentielles auxquelles les fonctions digestives sont assu- jetties dans ces deux ordres d'animaux. 70 TROISIÈME LEÇON. J'ai voulu vous exposer dans tous leurs détails les expériences que j'ai faites avec le professeur Cima au sujet de l'endosmose, bien convaincu de la grande impor- tance de ce phénomène dans les fonctions de la vie. C'est par l'endosmose que les physiologistes expliquent aujour- d'hui la nutrition des ovules des mammifères dans les oviductes, et comment les sacs contenant le sperme des mollusques céphalopodes (ou spermatophores) s'ouvrent aussitôt qu'ils sont en contact avec l'eau. La vie de la cellule, qui est bien certainement l'organe élémentaire de tous les tissus végétaux et animaux, doit renfermer un fait d'endosmose; cela fait entrevoir com- bien ce phénomène a encore besoin d'être étudié pour qu'on puisse en faire toutes les applications dont il est susceptible. Je ne veux pas finir sans vous citer les ré- centes expériences de Poiseuille, dans le but d'expliquer par l'endosmose l'action purgative de quelques sub- stances. 11 a vu qu'il y avait endosmose du sérum à l'eau de Sedlitz, à la solution de sulfate de soude, de sel ma- rin, à travers les tissus des animaux. C'est précisément là ce qui arrive quand on fait usage de ces médicaments H l'intérieur. Les excréments rejetés contiennent une quantité d'albumine abondante et insolite ; dans ce cas on doit admettre que l'endosmose a lieu du sérum du sang à l'eau salée introduite dans l'intestin, à travers les vais- seaux capillaires de celui-ci. Mais , pour enlever tout doute sur la justesse de l'ap- plication de Poiseuille, il fallait démontrer que l'endos- mose a lieu même quand un des liquides est en mouve- ment, et se renouvelle sans cesse. C'est là ce qu'a fait ENDOSMOSE. 71 récemment le docteur Bacchetti en faisant voir que la rapidité de l'endosmose était considérablement augmentée quand un des liquides se renouvelait continuellement. Ce résultat , du reste , est d'accord avec les principes de la théorie de, l'endosmose : l'échange des liquides s' opérant constamment à travers la membrane , tend certainement à suspendre l'action de l'endosmose; ou, en d'autres termes , les conditions de la production du phénomène se conservent d'autant mieux que les liquides restent plus longtemps sans se mêler. Poiseuille a vérifié égale- ment que l'endosmose cesse d'avoir lieu dans une mem- brane après un certain temps d'action, mais qu'on pou- vait de nouveau lui rendre cette propriété après l'avoir fait agir avec d'autres liquides. Le fait le plus remar- quable de ceux découverts par Poiseuille est celui de l'influence exercée par l'hydrochlorate de morphine. Ce corps ajouté aux solutions salines affaiblit beaucoup l'en- dosmose du sérum à la solution, et finit par changer la direction du courant. Ce fait a été confirmé par le docteur Bacchetti. Comment ferait-on entièrement abstraction de ce fait dans l'explication de l'action de la morphine et des préparations d'opium contre la diarrhée , et de la con- stipation qu'elles produisent? QUATRIEME LEÇON. ABSORPTION CHEZ LES ANIMAUX ET LES VÉGÉTAUX, Les leçons précédentes , relatives aux phénomènes de la capillarité , de l'imbibition et de l'endosmose, avaient principalement pour but de vous préparer à l'étude des fonctions de l'absorption et de l'exhalation. Ce n'est pas à moi qu'il appartient de vous initier à la longue histoire des recherches faites spécialement dans le but d'établir quel est celui des divers appareils organiques qui est particulièrement chargé de ces fonctions : dans les traités de physiologie vous les trouverez attribuées , tantôt aux veines seulement, tantôt exclusivement aux vaisseaux lymphatiques . On trouve difficilement à s'expliquer tant de discus- sions quand on réfléchit à la structure de tous ces diffé- rents tissus, à l'existence nécessaire des phénomènes de l'absorption et de l'exhalation chez une grande série d'animaux inférieurs privés de vaisseaux lymphatiques. L'absorption , considérée comme fonction des animaux vivants , ne consiste pas seulement dans la seule imbibi- tion d'un tissu quelconque par un liquide en contact avec lui , mais encore dans la transmission dans les vais- saux sanguins du corps avec lequel ce tissu est en pré- sence. C'est dans le sang que doit, en dernier lieu, ar- river la matière absorbée: c'est là le but définitif de ce phénomène. Distinguons donc deux choses dans l'absorp- ABSORPTION. 73 tion : l'introduction du corps qui doit être absorbé à tra- vers les interstices d'un autre corps quelconque organisé ; et puis ensuite le passage du corps ainsi absorbé, dans le torrent circulatoire. Il est facile de vous démontrer l'existence de la pre- mière des deux parties de cette fonction. Voici une gre- nouille qui a été immergée pendant quelques heures dans une solution de prussiate de potasse , mais seulement par les extrémités inférieures. Retirez-la du liquide, lavez-la avec soin au moyen d'eau distillée, coupez-la en mor- ceaux , et il vous sera facile de prouver que la solution de prussiate a tout pénétré. Quel que soit le point de ses viscères ou de ses tissus, que l'on touche avec une baguette de verre imprégnée d'une solution de chlorure de fer, partout apparaît une tache bleue plus ou moins vive. J'insiste encore sur cette manière de vous démon- trer la réalité de l'absorption , parce qu'elle nous révèle très- clairement les deux parties en lesquelles nous avons dit que consistait cette fonction. Une grenouille vivante, plongée seulement par ses extrémités inférieures dans une solution de prussiate de potasse , puis tuée bientôt après , et au sein de laquelle on recherche la présence du prussiate dans les viscères et les tissus , en laisse à peine apercevoir des traces dans la masse musculaire des jambes et des cuisses , tandis que le cœur ou le poumon, touchés avec le chlorure de fer, en fournissent les signes les plus marqués. Encore une expérience, et la conclu- sion sera évidente. J'immerge une autre grenouille, mais morte depuis quelques instants , dans la même solution de prussiate de potasse, et je l'y laisse plongée autant 7 lU QUATRIÈME LEÇON. que je l'ai fait pour les autres. Soumise au réactif, le poumon et le cœur ne fournissent pas une quantité de prussiate plus considérable que toute autre partie de la grenouille. La solution s'introduit par simple im- bibition dans le corps de la grenouille , et ce phénomène se réalisant sur la grenouille vivante comme sur la gre- nouille morte , ne peut certainement être regardé comme différent de l'imbibition que nous avons étudiée, qui appartient aux corps organiques et inorganiques , et que nous savons être la conséquence de leur structure cellu- laire, vasculaire, etc. Mais il y a plus, dans le cœur et dans le poumon de la grenouille vivante on trouve une quantité de solution absorbée beaucoup plus considérable que dans les autres parties du corps quoique ces dernières fussent plus voisines du point d'immersion. Ces viscères sont le centre de tout le système circulatoire; en eux commencent ou se terminent les troncs sanguins. La so- lution de prussiate de potasse a donc pénétré dans les vaisseaux sanguins, s'est mélangée au sang, et est ar- rivée ainsi au cœur et au poumon. On a discuté longtemps à l'eifet de savoir si les vais- seaux lymphatiques seuls étaient doués du pouvoir d'ab- sorber, ou si cette fonction était dévolue aux veines seules; ou, pour parler plus clairement, si un corps peut s'introduire directement et pénétrer ainsi dans les vais- seaux sanguins à travers le tissu de leurs parois , ou si, pour arriver à ceux-ci , il devait passer d'abord par les lymphatiques. Puisqu'il n'est aucune portion d'un corps organisé qui ne se laisse plus ou moins aisément imbiber d'eau, de solutions salines, de sérum, il est clair que la ABSORPTION. 75 première partie de l'absorption peut avoir lieu aussi bien par les parois des lymphatiques que par celles des vais- seaux sanguins. L'anatomie microscopique, en dévoilant la manière dont se terminent les vaisseaux sanguins et lymphatiques, a confirmé la conclusion précédente. Je me bornerai ici à vous citer les principaux résultats des ob- servations de notre compatriote Panizza. Il n'y a aucun fait de nature à démontrer l'existence d'extrémités libres dans les ramifications vasculaires san- guines qui partout se présentent avec une texture réti- culaire très-serrée et continue ; le réseau artériel se con- tinue toujours et sans interruption jusque dans le réseau veineux , qui en général est prédominant par rapport au premier. Le système lymphatique également ne se ter- mine jamais par des extrémités indépendantes , mais tou- jours aussi il s'offre à la vue sous l'aspect d'un treillis très-fin et très-serré. L'anatomie, d'accord avec l'expé- rience, nous conduit à conclure que la première partie de l'absorption ne peut s'effectuer qu'à l'aide des porosités propres à la structure des corps organisés. Par cette voie les corps absorbés arrivent à se mélanger au sang, au chyle , à la lymphe , et par leur mouvement commun , ils se distribuent par tout le corps . Je regarderais mainte- nant comme presque superflu de vous citer les expé- riences de Magendie, Ségalas, et les dernières de Pa- nizza au moyen desquelles ils ont démontré jusqu'à l'évidence que l'absorption peut avoir lieu, et qu'elle a même lieu principalement par le seul intermédiaire des vaisseaux sanguins. Voici comment opéra le dernier de ces physiologistes : on fit une incision de 10 pouces de 76 QUATRIÈME LEÇON. longueur au ventre d'un cheval étendu par terre, on tira à soi une anse de l'intestin grêle oii prenaient source plu- sieurs petites veines, qui après un court trajet se réunis- saient en un seul tronc assez volumineux du mésentère , avant qu'aucune petite veine venant des glandes vînt s'y décharger. Cette anse de 9 pouces étant circonscrite par un double nœud de manière à ce qu'elle ne reçût du sang que par une artère seule , et ne pût renvoyer le sang au cœur qu'en le faisant passer par le tronc veineux que nous venons d'indiquer , on pratiqua un trou à cette anse même pour y introduire un tube de laiton que l'on fixa au moyen d'un fil , afin que la substance que l'on allait introduire ne pût jamais être en contact avec le rebord saignant de l'ouverture. Cela fait, on passa une ligature sous la veine qui recueillait le sang ramené de l'anse. La ligature fut serrée , et , pour que la circulation ne souffrît pas , on coupa immédiatement la ideine pour donner issue au sang revenant de l'intestin. Alors, au moyen d'un enton- noir de verre et du tube de laiton , on introduisit dans cette anse une certaine quantité d'acide hydrocyanique concentré, puis on boucha le tube. En recueillant immé- diatement le sang veineux qui revenait de l'intestin on le trouva chargé d'acide hydrocyanique. Cependant, l'ani- mal ne donnait aucun signe d'empoisonnement bien qu'on eût laissé intacts les ramifications nerveuses et les vais- seaux lymphatiques aboutissant à l'anse intestinale. Dans une autre expérience, également de Panizza, au lieu de lier et d'ouvrir le tronc veineux oii viennent se déchar- ger les petites veines de l'anse, on se borna à le compri- ABSORPTION. 77 mer au moment où l'on introduisit l'acide hydrocyanique. Il n'y eut aucun symptôme d'empoisonnement, mais, peu de temps après la cessation de la compression, l'in- toxication se manifesta , et la veine coupée on trouva que le sang contenait de l'acide. Enfin dans une troisième expérience , Panizza enlevait rapidement , avec soin , tous les vaisseaux lymphatiques et les nerfs de l'anse intes- tinale, et l'acide hydrocyanique versé ne tardait pas à faire périr l'animal , pourvu que la veine fût laissée in- tacte. L'absorption veineuse est donc prouvée par les expériences les plus exactes . On trouve encore cité dans beaucoup d'ouvrages de physiologie le fait de la présence dans les urines des substances avalées , peu de minutes après leur intro- duction dans l'estomac, comme opposé à cette opinion que l'absorption a lieu par le moyen des vaisseaux sanguins. Mais cette objection tombe bientôt, si l'on réfléchit à la rapidité de la circulation sanguine. D'autre part, que l'absorption puisse se faire aussi par les vaisseaux lymphatiques, c'est un fait trop connu et trop évident pour qu'il soit nécessaire de le démontrer. Tuez un animal quelconque , deux ou trois heures après lui avoir fait prendre des aliments , ouvrez-le , mettez à découvert les intestins et examinez avec attention le mé- sentère, et vous verrez que les chylifères sont pleins d'un liquide laiteux analogue à celui que vous verrez couler abondamment du canal thoracique, qui est le ré- servoir principal où se déchargent ces vaisseaux. Ce li- quide est le chyle qui , par l'acte de la digestion , s'est formé dans l'intestin où il a été absorbé par les chylifères. 78 QUATRIÈME LEÇON. Combien d'exemples offre Faiiatomie pathologique dans lesquels ces vaisseaux ont été trouvés pleins de pus , à cause de leur proximité de parties atteintes d'abcès? Les vaisseaux chylifères et lymphatiques sont donc doués de la faculté d'absorber. En un mot, l'absorption s'opère toujours dans ces conditions-ci : un vase à parois orga- niques , un liqui- de extérieur qui puisse imbiber la matière dont sont formées ces pa- rois, un liquide interne capable aussi de les im- biber et de se mélanger avec celui-ci, et cir- culant dans le vase avec plus ou moins de rapidité. Rien, par conséquent, de plus physique qu'un phénomène ainsi constitué. Je veux vous démontrer par l'expérience la réalité de cette assertion. Voici un long morceau de veine pris sur un gros animal : il est fixé par une extré- mité à un tube qui se termine dans l'ouverture ménagée à la base d'un récipient en verre; l'autre extrémité est liée à un tube de verre petit et recourbé, muni d'un ro- binet. Je remplis d'eau le récipient, et par conséquent le tronc veineux aussi; je dispose les choses de manière qu'une portion du tronc veineux soit baignée dans de l'eau acidulée avec de l'acide sulfurique ou hydrochlorique. D'abord le liquide du récipient n'indique pas la présence ABSORPTION. 79 de l'acide ; mais après un certain temps elle devient ma- nifeste. Si au lieu d'attendre quelque temps et de lais- ser les liquides en repos, j'ouvre le robinet, je ne tarde pas à découvrir des signes d'acidité dans le li- quide qui s'épanche; d^ns le récipient, on n'en trouve pas encore des marques. Ce qui se passe avec une por- tion de veine arriverait de la même manière avec un tronc artériel, un tube d'argile, de carton, de bois. Si la solution acide était contenue dans l'intérieur de la veine, et si dans le liquide de la capsule où plongent les parois extérieures de celle-ci on versait de la tein- ture de tournesol, le même phénomène aurait encore lieu, c'est-à-dire que l'acide passerait en dehors, entra- versant l'épaisseur de la veine , et cela avec une facilité d'autant plus grande que l'écoulement du liquide serait plus rapide. Les conditions du phénomène sont toujours les mêmes : deux liquides capables de se mélanger, sé- parés par une membrane qui se laisse imbiber par tous deux, et le mouvement du liquide interne qui transporte, dans une direction donnée, le liquide qui a pénétré à travers la membrane. Imaginez pour un moment que la direction de la cir- culation sanguine marche en sens inverse de celui qu'elle a réellement, mais sans que la structure et la disposition des vaisseaux sanguins aient varié ; nous ne dirons plus dans ce cas que les veines absorbent, nous devrons dire, au contraire , que l'absorption a lieu par les artères. Tel est le phénomène physique assez simple de l'absorption. Je veux encore vous exposer les lois de cette fonction ) qui furent découvertes par la physiologie expérimentale > 80 QUATRIÈME LEÇON. et vous verrez aisément qu'elles sont une conséquence nécessaire des principes que nous avons énoncés. « 1® Plus les matières sont solubles , divisées et aptes à entrer en combinaison avec les sucs organiques , et à devenir parties constitutives du sang, plus elles sont facilement absorbées. » Malgré le langage peu scientifique de la rédaction de cette loi , j'ai voulu vous la communiquer telle qu'elle se trouve dans les ouvrages les plus accrédités et les plus modernes de physiologie. Cette loi est une con- séquence évidente de la manière dont nous avons exposé le phénomène de l'absorption. Il importerait aux phy- siologistes d'étudier avec exactitude les divers degrés de puissance avec lesquels différents liquides imbibent les tissus organiques; cette étude aurait certainement des conséquences très-importantes pour la thérapeuti- que. Voici quelques faits qui peuvent mettre sur la voie de ces recherches. Vous voyez ici deux lapins : dans l'es- tomac de l'un on a introduit de l'eau , il y a environ deux heures; dans celui de l'autre on averse de l'huile. Dans l'estomac du premier il n'y a pas traces du liquide qu'on y avait porté; dans l'autre, au contraire, on y trouve toute l'huile, et on l'aurait trouvée encore en tardant plusieurs heures à l'ouvrir. Si au lieu d'eau pure on s'é- tait servi d'un mélange d'eau et d'alcool, l'absorption aurait été encore plus rapide. Une solution acide ou saline aurait également été absorbée, mais moins rapidement que l'eau pure. » 2" L'intensité du pouvoir absorbant des divers or- ABSORPTION. 81 ganes est déterminée principalement par l'abondance de leurs vaisseaux , la flaccidité de leur tissu et la fa- culté conductrice des parties qui les recouvrent. " Je continue à reproduire mot pour mot ce que je trouve dans les ouvrages de physiologie. Il est évident que, par flaccidité de tissu et faculté conductrice des parties qui les couvrent, on n'entend et on ne peut entendre autre chose que la texture des solides organiques plus ou moins propre à favoriser l'imbibition. Le plus grand nombre des vaisseaux ne signifie que le plus grand nombre de points de contact entre le corps qui doit être absorbé et le liquide avec lequel il doit être mélangé et transporté . C'est pour cette raison que les poumons, comme nous l'avons vu, sont plus aptes à l'absorption, et qu'ils sont les premiers à manifester la présence du corps absorbé. En eifet , l'anatomie enseigne que les poumons possèdent à un plus haut degré que toutes les autres parties de l'économie animale, une structure propre à l'imbibition et un système vasculaire très-développé. Le tissu cellu- laire est également très-perméable aux liquides; mais étant moins pourvu de vaisseaux sanguins que le pou- mon, l'absorption s'y opère plus lentement. La peau, au contraire , étant recouverte par l' épidémie qui est de texture très-compacte et privé de vaisseaux, se prête difficilement à cette fonction , ce à quoi l'on remédie en enlevant l'épiderme. " S'' L'absorption varie suivant la quantité de liquide qui existe dans l'organisme; elle est en raison inverse de l'état de pléthore plus ou moins considérable de l'ani- mal. " 82 QUATRIÈME LEÇON. Souvenez-vous du phénomène de l'imbibition, et il vous sera facile de comprendre cette loi de la fonction que nous étudions. Une masse de sable déjà imbibée d'un liquide cesse de s'en imprégner davantage , et au contraire , elle s'en imbibe d'autant plus rapidement qu'elle est plus loin de sa limite extrême de saturation. Dutrochet a laissé une plante exposée à l'air jusqu'à ce qu'elle eût perdu par l'évaporation 0,15 de son poids, et ensuite, en la plongeant dans l'eau, il trouva que, dans chacune des quatre premières heures de l'immer- sion, elle absorbait 1^^,05 (20 grains) et en perdait 0^'',40 (8 grains); plus tard elle n'en absorbait plus que 0^'",45 ( 9 grains) , et en perdait autant par l'exha- lation. Edwards a vu les grenouilles absorber d'au- tant plus rapidement l'eau qu'elles avaient perdu da- vantage de leur poids par la transpiration. Magendie rapporte qu'un chien auquel il avait enlevé beaucoup de sang mourut rapidement empoisonné par la strychnine , tandis que chez un autre dans les veines duquel il avait introduit une grande quantité d'eau, l'empoisonnement n'eut pas lieu. «« 4" L'absorption doit varier entre certaines limites proportionnellement à la température du corps absor- bant et à celle du corps absorbé. » Chacun sait que les boissons chaudes opèrent plus rapidement que les froides. C'est ainsi que nous avons vu l'imbibition varier beaucoup avec la température. Je vous ai dit que cette variation ne pouvait s'effec- tuer qu'entre certaines limites, parce qu'au delà de celles-ci la structure du corps organisé serait altérée. ABSORPTION. 83 « 5^ Selon Fodera, le courant électrique favoriserait l'absorption. " Si l'on veut admettre les expériences de ce physiolo- giste, il n'est pas facile de s'en rendre compte, d'autant plus que si l'on applique le courant électrique dans les cas d'imbibition, on ne remarque pas cette influence. Le fait cité par Porret seulement , et qui consiste dans le transport de l'eau du pôle positif au pôle négatif d'une pile , pourrait en quelque façon expliquer les résultats de Fodera. " 6^ Enfin l'absorption varie selon la rapidité avec laquelle le liquide se meut dans le vase où doit être introduit le liquide à absorber. " Il n'est pas nécessaire de dire comment cette rapidité sert à porter à une distance donnée , plus ou moins vite , le corps absorbé. Il est également facile de comprendre que les molécules du liquide contenu dans le vase se re- nouvelant plus souvent, les actions d'affinité qui tendent à faire passer le corps à absorber dans l'intérieur du vase seront plus énergiques. C'est probablement pour cette raison que l'absorption se fait beaucoup plus lentement par les chylifères et les lymphatiques que par les veines. C'est pourquoi beaucoup de substances colorantes , de liquides alcooliques, de solutions salines introduites dans l'estomac, se trouvent dans le sang, sans qu'on puisse les découvrir dans les chylifères et le canal tho- racique. Les frictions exercées sur la peau, les mouve- ments péristaltiques du canal intestinal , aident de cette façon l'absorption, en favorisant le mouvement des li- quides dans les vaisseaux. 84 QUATRIÈME LEÇON. La fonction de l'exhalation s'opère , en général , par le même mécanisme, et est régie par les mêmes lois que celles que nous venons d'étudier. A travers les parois d'un vase imbibé par un liquide qui y est contenu , sort , s exhaie constamment une portion de ce liquide. La por- tion qui s'échappe variera selon la nature du liquide, c'est-à-dire selon la facilité plus ou moins grande qu'il possédera à imbiber la matière même du vase. Selon que les parois de ce vase sont plus ou moins humides à l'ex- térieur, le liquide interne sortira plus ou moins difficile- ment; l'exhalation augmentera si, par la plus grande masse de liquide contenu, il supporte une plus forte pres- sion, et l'exerce sur les parois du vase. Toutes ces par- ticularités de l'exhalation, qui résultent de ce que nous la regardons simplement comme im phénomène physique et dépendant des mêmes principes que l'absorption, sont démontrées par la physiologie expérimentale. Edwards a prouvé que l'exhalation cutanée est, dans quelques cas, dix fois plus considérable dans l'air sec que dans l'air humide, et qu'elle double en passant de 0' à + 20°. La transpiration augmente encore, si au lieu d'être en repos l'air atmosphérique est agité autour du corps de l'animal. Evidemment ces résultats obtenus par Edwards sur l'exhalation cutanée sont les conséquences très-natu- relles de principes de physique trop connus pour que je doive les rappeler ici. Quelques phénomènes de l'absorption et de l'exhala- tion des corps vivants s'accomplissent en transformant le corps absorbé ou exhalé. Le liquide dont une membrane est imbibée, et qu'elle exhale de sa face opposée, n'est ABSORPTION. 85 pas identique avec celui qui a été mis en contact avec cette membrane absorbante. C'est là ce qui arrive dans le plus grand nombre des cas d'exhalation, et principalement dans les sécrétions. Nous sommes bien éloigné d'espérer trouver dans les connaissances physico-chimiques actuelles l'explication du phénomène des sécrétions. On doit l'avouer, elles for- ment encore un des sujets les plus obscurs de l'économie animale. Quant à l'exhalation, nous ne pouvons vous laisser ignorer qu'il doit intervenir un phénomène ana- logue à celui de la filtration. Un liquide qui contient en suspension des parcelles insolubles, lorsqu'il est filtré se divise en deux portions : la partie liquide imbibe la ma- tière du filtre et coule; la partie solide reste sur le filtre. Les anatomistes savent qu'en poussant dans les veines ou les artères une solution de gélatine colorée avec du vermillon réduit en poudre très-fine , on voit la solution gélatineuse devenir incolore quand elle traverse les parois vasculaires. Chaque contusion faite sur la peau produit une tache, dont le centre est dun bleu noirâtre, et la périphérie d'une couleur verte entourée de jaune. Dans ce cas , le caillot de sang extravasé se sépare du sérum dont s'imbibent les tissus voisins. N'oubliez pas le fait qui vous a été exposé à propos de Timbibition : l'eau salée qui traverse une couche de sable devient eau douce ; une solution de carbonate de soude , filtrée dans les mêmes conditions, devient plus dense. L'imbibition , la capillarité , le simple jeu des attractions moléculaires, peuvent vaincre les affinités; ce n'est donc pas une supposition à dédaigner entièrement que celle 8 86 QUATRIÈME LEÇON. faite si anciennement, et qui consistait à considérer les organes sécrétoires comme de simples appareils de fil" tration. Dans une autre leçon nous verrons comment les mem- branes, et en général tous les tissus organisés , sont aptes à se laisser traverser par des corps gazeux. Fodera a prouvé le premier que l'hydrogène sulfuré, renfermé dans une partie du tube intestinal , se répand par tout le corps de l'animal et produit la mort. Encore un mot sur l'absorption dans les végétaux. Voici dans ces petits verres un grand nombre de plantes plongées toutes, plus ou moins, dans une solution aqueuse d'acétate de fer très-étendue : quelques-unes de ces pe- tites plantes sont des haricots , d'autres des fèves. A quel- ques-unes on a enlevé les feuilles , d'autres ont été cou- pées à moitié , et ainsi immergées par la tige seule ; à celles-ci on a ôté l'extrémité des racines, chez celles-là on a d'abord laissé les racines se faner, puis on les a plongées dans le liquide ; d'autres enfin ont été mises dans un état de dessiccation complète. Si l'on cherche, au moyen du prussiate de potasse , à s'assurer si réellement cette so- lution ferrugineuse s'est élevée dans l'intérieur de la plante au-dessus du niveau du liquide dans lequel elles sont baignées, on s'aperçoit bientôt que cette solution a pénétré dans la plante et en a imbibé une portion qui se trouvait plus ou moins élevée au-dessus du liquide. On voit que dans la plante vivante et garnie de feuilles et déracines, le liquide a monté davantage ; dans celle qui était fanée et qui a retrouvé la fraîcheur dans la solution aqueuse , l'absorption a été plus grande ; enfin , elle se trouve être ABSORPTION. 87 la plus abondante dans celles auxquelles on a enlevé les racines . Quel que soit le liquide employé, il est toujours ab- sorbé par le végétal , excepté quelques solutions acides , alcalines , ou salines trop concentrées qui , en altérant et détruisant la structure de la plante , ne peuvent plus l'être. Tout ce que nous savons de mieux relatif à ce sujet se borne à ce que nous trouvons dans le célèbre ouvrage de Saussure : Recherches chimiques sur la végétation. En voici le résumé : V les racines des plantes absorbent les substances salines dissoutes dans l'eau ; mais en propor- tion beaucoup plus petite que l'eau. 2° L'ablation des racines , leur altération , et en général tout ce qui affaiblit la force de végétation, favorisent l'introduction des sels dans la plante. S'' Une plante n'absorbe pas dans la même proportion tous les sels contenus dans une même solution. Ce dernier résultat est confirmé par le fait de l'existence constante de certains sels dans quelques plan- tes. Le professeur Piria a toujours trouvé du manganèse dans les graines du lupinus albus. Examinons maintenant si l'absorption des sucs nutri- tifs qui a lieu au moyen des racines de la plante et le mouvement de ces sucs dans les plantes mêmes, peu- vent être considérés comme de simples phénomènes de capillarité ou d'imbibition. Au commencement du printemps , la sève monte des racines aux feuilles par la partie centrale du tronc , et pendant ce temps , un liquide , d'une composition dif- férente de celle de la sève , appelé suc j)'^opre , se meut 88 QUATRIÈME LEÇON. en direction contraire , des feuilles aux racines en pas- sant par les tissus corticaux. Si l'on pratique un trou qui arrive jusqu'au centre du tronc dans une plante en végé- tation , on peut recueillir une abondante quantité de sève, qui est plus dense à mesure qu'on la prend plus haut vers les feuilles. Si au contraire on passe une liga- ture autour du tronc , ou si on enlève une couche circu- laire d'écorce , le renflement que l'on verra bientôt se former au-dessus du nœud ou de Tanneau du côté des feuilles , prouvera l'existence du courant descendant du suc propre. Haies a prouvé que la quantité de liquide qu'une plante en végétation absorbe croît en proportion de la superficie de ses feuilles , fait qu'il interprétait en l'attribuant à l'évaporation opérée au moyen de celles-ci. Le double mouvement des sucs dans l'intérieur des végétaux est chose inexplicable avec les seules forces ca- pillaires et d'imbibition. Mais il y a plus. Chacun de vous a vu, qu'en taillant le tronc d'une vigne au printemps, il en découle une énorme quantité de liquide. Haies, en ap- pliquant sur cette section un tube de verre recourbé , ou- vert à l'autre extrémité, et dans lequel il versait du mer- cure, vit ce liquide se soulever de 38 pouces dans la partie ouverte du tube , au-dessus du niveau du liquide de l'autre côté de la courbure , ce qui prouve quelle pression supporte le mercure à l'autre extrémité, pression qui ne peut être attribuée qu'au liquide aspiré par la plante et chassé au dehors. Cette /orce d'impulsion, l'écoulement du liquide de la plante par une entaille , sont des faits in- compatibles avec les effets de la capillarité et de l'imbi- bition. Un liquide montant dans un tube capillaire ne ABSORPTION. 89 peut pas , par l'effet de la même force qui le soulève , s'épancher en dehors du tube. Dutrochet a démontré, par une expérience assez simple, que la force d'impulsion qui opère l'ascension du suc d'une plante a son siège dans les dernières extrémités des racines. Ce physiolo- giste distingué , en taillant successivement le tronc d'une vigne, en s'approchant toujours plus des racines, et enfin en coupant même les racines enfoncées dans le sol , vit continuer l'écoulement. Un des derniers filaments radiculaires plongé dans l'eau, laissait encore s'échapper le suc. C'est donc dans les spongioJes que ré- side la force d'impulsion. Dutrochet ajoute qu'il a décou- vert dans les cellules corticales de la spongiole, un li- quide plus dense que l'eau et coagulable par l'acide nitrique. Il croit par conséquent voir dans la spongiole, ou mieux dans ses cellules pleines de ce liquide plus pe- sant que l'eau dont elles sont entourées, un groupe d'endosmomètres ; le phénomène de l'ascension du liquide dans la plante est donc un fait d'endosmose. Je dois avouer que je désirerais voir l'identité de ces phéno- mènes mieux démontrée qu'elle ne l'est par les observa- tions de Dutrochet. Quoi qu'il en soit, l'explication de cet auteur est celle qui, dans l'état actuel de la science, est la moins improbable. Comment arrive l'ascension du suc dans une plante à laquelle on a enlevé les racines, et qui est plongée dans l'eau par sa partie inférieure? La grande hauteur à laquelle un liquide peut arriver dans le tronc d'un arbre , s'oppose à l'explication qu'on pourrait donner du phénomène en le considérant comme un effet d'imbibition ou de capillarité, 90 QUATRIÈME LEÇON. phénomènes que nous savons agir dans des limites beau- coup plus bornées que celles qui se présentent dans les troncs des plantes. Haies s' étant aperçu que la quantité de suc qui mon- tait dans une plante était proportionnelle à la superficie de ses feuilles, en concluait que le liquide des cellules superficielles des feuilles s' évaporant, celles-ci, au moyen de leur capillarité, l'absorbaient par les cellules infé- rieures, et que par ce moyen la succion arrivait à s'effec- tuer de proche en proche par l'extrémité coupée. En faisant dessécher à divers degrés quelques plantes de mercuriale , Dutrochet a prouvé que l'absorption de plantes ainsi desséchées ne croît pas proportion- nellement à leur état de dessèchement ; en effet, une de ces plantes qui avait perdu un tiers de son poids par l'évaporation, absorbait beaucoup moins qu'une autre qui n'en n'avait perdu qu'un dixième. Malgré son plus grand état de sécheresse, l'absorption fut plus petite, et certainement la plante n'avait pas été desséchée au point d'en avoir sa texture altérée. L'évaporation ou la tran- spiration par les feuilles n'est donc pas la cause de l'ascension du liquide dans le tronc d'une plante plongée dans l'eau, ou, ce qui revient au même, ce n'est pas le vide des cellules superficielles qui occasionne l'ascension du suc. Cette dernière ne s'effectue pas sans qu'il y ait dans le tissu végétal une certaine quantité d'eau qui agit peut-être par adhésion sur la nouvelle eau qui doit mon- ter, comme il arrive pour une éponge qui s'imprègne plus rapidement d'eau quand elle est humide que quand elle est sèche. Dutrochet a encore essayé de dessécher une ABSORPTION. 91 plante, de lui faire reprendre l'eau perdue et de la plon- ger de nouveau dans l'eau : il vit que l'ascension n'avait plus lieu toutes les fois qu'en reprenant l'eau elle n'arrivait pas à regagner cet état de turgescence qui lui était natu- rel. Cette turgescence des cellules des feuilles aurait lieu, suivant Dutrochet, par une action d'endosmose par laquelle le liquide serait transpiré par les feuilles, d'une manière active et bien différente de celle d'un liquide qui s'évapore à l'air. Je rappellerai enfin que Dutrochet a démontré que l'influence de la lumière sur l'ascension de la sève dans les végétaux, s'exerce sur la respiration et sur la fixation de l'oxygène dans le tissu végétal. Le phénomène de l'ascension des liquides dans les végétaux n'est donc pas dû à la capillarité et à l'imbibi- tion seulement : la cause réside principalement dans les racines, et en second lieu dans les feuilles. Il est probable qu'il arrive dans l'extrémité des racines une action d'en- dosmose, et il n'est point étrange de supposer qu'une semblable cause produisît le mouvement du chyle et de la lymphe dans les vaisseaux lymphatiques et chylifères, mouvement que nous savons se prolonger quelque temps après la mort. CINQUIÈME LEÇON. DIGESTION. L'existence et la conservation d'un animal sont sou- mises à la condition qu'il introduise constamment dans son corps certaines substances particulières que l'on nomme aliments. Ces substances, ordinairement solides, éprouvent dans l'appareil de la digestion une série de modifications , au moyen desquelles elles sont divisées en matières fécales qui sont rejetées hors de l'animal, et en d'autres qui se mêlent au sang et deviennent sang elles-mêmes. Le but final de la digestion est la conser- vation de l'intégrité de l'organisme en rendant au sang les principes immédiats qu'il perd constamment dans l'acte de la nutrition; le raisonnement nous porte à croire que toutes les parties de l'organisme se transfor- ment et se renouvellent avec une rapidité plus ou moins grande. Il y a , en physiologie expérimentale , un certain nombre d'expériences , qu'il serait bien dési- rable de voir variées et étendues , qui conduisent à cette conclusion. Diviser, rendre solubles les substances alimentaires et par là faciliter leur absorption , voilà sommairement ce qui se passe pendant la digestion. Rien de plus phy- sique par conséquent qu'une fonction qui ne fait que mo- difier l'état de la matière. Il importe, cependant, de voir ce caractère de la digestion vérifié dans ses particularités. DIGESTION. 93 Avant de commencer à parler des phénomènes phy- sico-chimiques de la digestion , je dois vous exposer brièvement quelques généralités. Toutes les substances alimentaires peuvent se réduire , quant à leur composition chimique, à trois catégories bien caractérisées : dans la première sont comprises les substances azotées neutres, c'est-à-dire l'albumine, la fibrine et la caséine ; dans la deuxième sont les matières grasses ; dans la troisième entrent la gomme, l'amidon, le sucre dont la composition peut être représentée par eau et carbone. L'expérience a démontré que les substances alimentaires des deux dernières catégories ne suffisaient pas à l'alimentation d'un animal, et qu'il était nécessaire qu'elles fussent toujours unies à celles de la première. Nous verrons plus tard combien est distincte la part que prennent, dans les fonctions de l'économie animale, les substances alimentaires de ces catégories. Quant aux substances de la première classe, je ne puis passer sous silence les découvertes importantes faites ces derniers temps par Mulder et Liebig. L'albu- mine, la fibrine et la caséine sont identiques par leur composition; dans toutes trois la proportion du carbone à l'azote est de 8 équivalents du premier à 1 équiva- lent du second ; elles ne semblent différer entre elles que par la petite quantité de phosphore et de soufre qui les accompagne ; ces deux corps enlevés , il reste un principe commun que Mulder a nommé protéine , et dont la for- mule , adoptée par Liebig , est : Nous devons donc considérer ces substances, quoique 94 CINQUIÈME LEÇON. douées de propriétés physiques assez différentes, comme isomériques et comme des modifications de la protéine. L'autre fait important trouvé par Dumas et Liebig con- siste en ce que V albumine végétale est identique à Y al- bumine animale, que dans la farine des céréales il existe une substance analogue à la caséine, et que dans le gluten il s'en trouve une semblable à la fibrine animale. Il n'y a donc pas de différence essentielle entre les aliments des animaux herbivores et des animaux carnivores, si ce n'est que les premiers les retirent des plantes , et les seconds d'autres animaux. Et puisque la composition du sang, aussi bien que celle du plus grand nombre des tissus et des liquides animaux, est analogue de celle des substances organiques neutres que je viens de citer; puisqu'elles n'éprouvent, en faisant partie de l'organisme animal, aucun changement de com- position chimique , qu'elles ne font que contracter pen= dant la nutrition une forme nouvelle, il est naturel, il est juste d'admettre que, dans l'acte de la digestion, les substances alimentaires azotées neutres ne font que se dissoudre pour passer sans autre altération dans le sang. L'isomerie de ces substances est également démontrée par la belle découverte de Denis , que la fibrine se conver- tit en albumine quand on la dissout dans une solution sa- turée de sel de nitre. Ce fait est d'autant plus curieux, qu'il paraît ne se vérifier que pour la fibrine du sang veineux, et que celle du sang artériel ne se dissout pas dans le sel de nitre, et ne se change pas en albumine. Scherer a essayé de tenir la fibrine du sang veineux exposée dans une DIGESTION. 95 atmosphère d'oxygène, et il vit l'oxygène se convertir en acide carbonique , et la fibrine perdre ainsi la propriété de se changer en albumine avec la solution de sel de nitre. Quelques expériences de physiologie ont depuis long- temps prouvé que la digestion de pareilles substances alimentaires est un acte purement physique, et qui s'o- père indépendamment de l'organisme vivant. Il n'est personne de vous qui ignore les célèbres expériences de notre compatriote Spallanzani : la viande, le gluten, l'albumine coagulée, introduits dans l'estomac dans des tubes métalliques troués , se dissolvent , se digèrent comme s'ils étaient libres dans l'estomac. Cette dissolu- tion s'opère, comme nous le verrons, par une de ces actions dont nous parlions dans la première leçon, et qu'on appelle catalytiques ou de contact. Les récentes expériences de Melsens , et particulière- ment celles de Bernard et Barreswil, ont démontré que le suc gastrique contient un acide libre , qui serait l'acide lactique, et qu'il y a en dissolution une substance particulière nommée pepsine, que l'on est parvenu à obtenir suffisamment pure. C'est cette même substance que Payen a étudiée dernièrement, et qu'il a nommée gasterase. L'acidité de ce suc gastrique est plus ou moins grande, selon la qualité des aliments : dans l'estomac à jeun, l'acidité est moins forte; elle augmente au contact des aliments, et elle est aussi grande que possible quand ils sont composés de fibrine, d'albumine, etc. Je vous présente dans quelques verres une infusion de pepsine, à laquelle on a ajouté quelques gouttes d'acide hydrochlo- rique. Dans un de ces petits verres on a mis de l'albumine 96 CINQUIÈME LEÇON. coagulée; dans un autre de la fibrine. Les petits verres, ainsi préparés, ont été tenus pendant dix ou douze heures dans une atmosphère chauffée à 30", et l'albumine et la fibrine sont déjà en grande partie disparues : il n'en reste plus que de petites traces déjà transparentes sur les bords, qui, elles aussi, ne tarderont pas à disparaître totalement. Si je neutralise l'acide et que j'évapore la solution, je peux facilement reproduire l'albumine et la fibrine qui n'ont point changé de nature et n'ont fait que se dissoudre au contact de l'infusion acide de pepsine. Cette substance agit donc dans la dissolution de fibrine et d'albumine comme un corps doué de propriétés cata- ly tiques , et c'est par une action de contact qu'est opé- rée leur dissolution. Ce n'est que dan^ l'estomac , ou par certaines glandes qui sont situées dans la membrane mu- queuse de l'estomac , que la solution acide de pepsine ou le suc gastrique est séparé. J'ai tenté de tenir des mor- ceaux d'intestin grêle ou de gros intestin dans une solu- tion très-faible d'acide hydrochlorique : la solution n'ac- quiert jamais de propriété dissolvante ; elle ne devient suc gastrique qu'au contact de la membrane de l'estomac. La propriété dont est douée la pepsine exige constam- ment la présence d'un acide libre, minéral ou organique. Nous verrons plus tard combien est modifiée l'action catalytique de cette substance , si au contraire on la dis- sout dans un liquide alcalin. Je noterai enfin que la pep- sine perd ses propriétés et devient insoluble, si on la chauife au delà de 50° centig. Les substances neutres azotées, dissoutes dans l'esto- mac par le liquide acide ou par l'action catalytique de la DIGESTION. 97 pepsine , pénètrent dans le sang par la seule imbibition des parois des capillaires sanguins de l'estomac; l'eau, les boissons alcooliques colorées, introduites dans l'es- tomac, sont aussi absorbées; elles ne dépassent pas ce viscère, ne se trouvent pas dans le chyle, et cependant elles arrivent dans le sang. Bouchardat et Sandras ont nourri des animaux avec de la fibrine colorée avec le sa- fran ou la cochenille, et dans leur chyle on ne trouva jamais la matière colorante de la fibrine. Ils ont fait plus : des animaux nourris de fibrine, et d'autres laissés à jeun, puis tués, ont toujours donné un chyle identique; la matière trouvée dans les intestins ne différait pas : seu- lement, dans les animaux alimentés avec la fibrine on trouva une portion de celle-ci contenue dans l'estomac et incomplètement dissoute. On sait aussi, par les célèbres expériences de Tiedeman et Gmelin , que la quantité de fibrine trouvée dans la lymphe et le chyle, après un long jeûne, n'est pas plus petite que celle qui y existe après la digestion. Les résultats sont les mêmes en se servant d'al- bumine coagulée, de gluten ou de matière caséeuse, au lieu de fibrine. La digestion de ces substances azotées neutres se réduit donc à leur simple dissolution , opérée par une action de contact, et à l'absorption de cette dissolution, absorption qui a principalement lieu dans l'estomac. Donc, rien de plus physique que cette partie de la digestion. La mastication des aliments imprégnés d'un liquide légèrement alcalin et chaud est cette opération entièrement physique qui se pratique dans nos labora- toires , à l'effet de diviser, de briser un corps pour rendre sa dissolution plus facile. Le suc gastrique que l'estomac 9 98 CINQUIÈME LEÇON. sécrète surtout au moment de la digestion est une infu- sion de pepsine dans l'eau acidulée , et si on la fait agir sur l'albumine coagulée , sur la fibrine ou sur la caséine , la dissolution de ces substances a lieu dans l'estomac, comme dans un récipient quelconque convenablement chauffé. Le mouvement des parois de l'estomac favorise l'action de l'infusion de pepsine sur les substances à dissoudre, comme toute agitation aide à la réaction de deux corps quelconques dissous , ou à la dissolution d'un solide dans un liquide. Ce mouvement des parois de l'estomac vient encore en aide , parce que , renouvelant sans cesse les points de contact entre eux et la matière contenue , l'ab- sorption de la portion liquide de cette substance s'opère plus facilement. L'influence qu'a sur les troubles de la digestion la section des nerfs de la huitième paire , doit être en partie attribuée à la cessation de ces mouvements de l'estomac, qui certes sont soumis à l'action de ces nerfs. En outre encore leur section porte une grande perturba- tion dans d'autres fonctions indispensables à l'intégrité de l'économie animale. Je vous parlerai maintenant de la digestion des ma- tières amilacées qui a reçu tant d'éclaircissements d'une belle expérience de Sandras et Bouchardat. Cette expérience est assez facile à exécuter. Quelques gouttes de suc pancréatique ajoutées à une certaine quan- tité de fécule cuite ou de colle d'amidon à la température de + 35*^ à 40" ne tardent pas à la dissoudre ; le liquide devient transparent; et ensuite toute trace d'amidon a disparu. Le même effet se passera si , au lieu d'humeur pancréa- DIGESTION. * 09 tique , on se sert de quelque portion du pancréas de pigeon ou d'un autre animal. Je prends le pancréas d'un pigeon , je le pile et j'ajoute la substance du pancréas ainsi trituré à la fécule et je chauffe jusqu'à 40°. La fé- cule se dissout et se convertit en dextrine ou sucre. C'est à cet état que passent les substances féculentes avant d'être absorbées. Il existerait donc dans le suc du pan- créas et peut-être même aussi , ainsi que le prétend Ma- gendie, dans la salive, une substance qui agit sur l'ami- don comme la diastase. Il est singulier que cette action exige la présence d'un alcali libre; si le suc pancréatique est rendu acide, il cesse d'agir sur la fécule, et, selon Bernard et Barreswil , il acquiert la propriété d'agir sur les substances neutres azotées. Il faudrait donc conclure qu'une seule substance organique serait douée de la propriété de dissoudre la fécule et les matières azotées neutres , sinon que , pour opérer sur les premières, on devrait ajouter un alcali libre, sur les secondes , au contraire, un acide libre. Il resterait à s'assurer maintenant si les fécules ainsi converties par la salive et le suc pancréatique, en dextrine et sucre, pas- sent en cet état dans le sang, ou plutôt converties en acide lactique. Ce n'est que dans le sang de quelques diabétiques que le sucre a été retrouvé ; la supposition que la con- version de la fécule en dextrine et sucre aboutit à l'acide lactique qui serait absorbé et passerait dans le torrent de la circulation, semblerait être plus d'accord avec les faits. N'oublions pas la découverte importante faite par Fremy, de la propriété que prennent certaines membranes animales tenues au contact de l'eau pendant un certain 100 CINQUIÈME LEÇON. temps , de convertir en acide lactique de grandes quan- tités de sucre. Ces mêmes substances azotées , qui dans de certaines conditions sont aptes à exciter la fermentation lactique , prises à un autre état que j'appellerai état de transfor- mation plus avancé , et dont jusqu'à présent la nature est ignorée, ne produisent plus d'acide lactique par leur ac- tion sur le sucre ; elles agissent au contraire en aidant la fermentation alcoolique , en le transformant en acide car- bonique et en alcool. En outre, nous savons qu'une so- lution de sucre injectée dans les veines d'un animal ne tarde pas à se montrer dans les urines. On peut donc conclure en restant d'accord avec les connaissances de la chimie organique et en s' appuyant sur les résultats bien connus du simple jeu des actions de contact, que l'amidon peut se convertir dans les in- testins en acide lactique , en passant probablement d'abord à l'état intermédiaire de dextrine et de sucre. Il ne serait nullement étonnant , ni en opposition avec les connaissances actuelles , de penser qu'une portion du sucre, en lequel l'amidon a été converti, non-seulement éprouve dans les intestins la fermentation lactique , mais qu'elle y subit encore quelque autre transformation ana- logue à celle au milieu de laquelle nous savons mainte- nant que prennent naissance les animaux infusoires. Les nouvelles expériences de Gruby et Delafond ont mis hors de doute qu'un très-grand nombre de ces ani- maux se trouve spécialement dans l'estomac des herbi- vores. Je ne veux pas abandonner ce sujet sans vous dire DIGESTION. 101 quelques mots des recherches faites pour découvrir la cause du diabète et les moyens curatifs de cette maladie. Bouchardat, le premier, a émis l'opiDion, qui a été généralement adoptée , que dans cette maladie la fécule était convertie, dans les intestins, en sucre, et que dans cet état il passait dans le sang et les urines. On prescrivit pour cela , comme remède du diabète , un régime diététique absolument privé de fécule et com- posé principalement de substances neutres azotées. On cite des cas de guérison obtenue par ce moyen. Cependant, tout ce que nous venons de dire serait démenti par les nombreuses expériences du docteur Capezzuoli, qui tendent à prouver que la quantité de sucre trouvée dans les urines des diabétiques n'est aucu- nement en rapport avec celle de la fécule donnée pour ali- ments; et que même sous l'empire d'une alimentation entièrement composée de substances neutres azotées, il y a eu formation de la même quantité de sucre que quand les aliments contenaient beaucoup de fécule. Le docteur Capezzuoli a trouvé le sucre dans les ma- tières des intestins et dans celles vomies par des diabé- tiques, et cela seulement après un repas composé de substances féculentes ; cependant cette quantité de sucre fut la même chez un homme sain que chez un diabétique. Ce fait conserverait toujours une grande importance pour la théorie de la digestion , la transformation de la fécule en sucre venant ainsi à être démontrée par l'expérience. Enfin, le docteur Capezzuoli a trouvé des traces de sucre dans le sang et les matières en suppuration d'un abcès d'un diabétique. Il reste donc toujours à expliquer 102 CINQUIÈME LEÇON. ces abondantes productions de sucre de raisin dans ces maladies qui paraissent être constamment accompagnées d'une grande maigreur. Nous devons enfin vous entretenir de la digestion des matières grasses , qui arrivent en si grande quantité dans l'estomac des carnivores, et qui, presque sans subir de modifications dans leur composition , sont portées dans le tissu adipeux de ces animaux. A ce propos, je vous dirai quelques mots de la question importante agitée dans ces derniers temps par les chimistes, relativement à l'origine de Ja graisse dans les herbivores. Liebig a soutenu qu'elle se produisait au moyen d'une transformation de la fécule qui perdait une portion de son oxygène, qui était chassé par l'organisme en combinaison avec le carbone. Dumas, Boussingault et Payen ont pensé , au contraire , que la quantité de substance grasse existant dans le foin, dans la betterave et dans la paille, suffisait pour se rendre compte de celle que l'on trouve dans les animaux nourris avec ces aliments. Boussingault a démontré la vérité de cette assertion en déterminant sur une vache convenable- ment soumise à l'observation que, pendant que la quan- tité de matière grasse existant dans les aliments dont elle se nourrissait était de 1614 grammes , celle trouvée dans son lait était de 1413 grammes. Cette expérience prouve qu'il reste un excédant de 201 grammes dans la graisse des aliments ^ relativement à celle fournie par les produits de l'animal. Le même chimiste a encore trouvé , au moyen d'expé- riences faites sur les cochons et les oies , que chez ces animaux il se produit une quantité de graisse plus consi- DIGESTION. 103 dérable que celle contenue dans leurs aliments. Persoz était arrivé au même résultat. On ne peut donc nier que l'économie animale possède la faculté de transformer en graisse une portion des sub- stances qui servent à sa nourriture. Les connaissances chimiques ne nous sont d'aucun secours, dans cette cir- constance, pour expliquer cette transformation. D'un autre côté, il ' est prouvé par un très-grand nombre d'observations physiologiques que les ani- maux nourris de substances grasses fournissent un chyle plus abondant, plus laiteux qu'il ne l'est ordinairement, et dont on peut extraire ces mêmes matières dont ils ont été nourris , et qui , examinées au microscope, laissent apercevoir de petits globules de graisse. Les expériences de Sandras et Bouchardat ont mis cette conclusion hors de doute. En nourrissant des ani- maux avec de l'huile d'amandes douces, ces chimistes retrouvèrent l'huile dans le chyle; on obtint le même résultat en se servant de suif. Avec la cire , on ne trouva qu'une petite quantité de cette substance dans le chyle ; il est vrai qu'elle augmenta quand on l'introduisit dissoute dans l'huile. Ces mêmes chimistes ont examiné les matières de l'es- tomac et des intestins d'animaux nourris exclusivement avec de la graisse, et ils se sont assurés qu'une grande portion de celle-ci, solide à froid, se trouvait dans l'esto- mac au milieu d'un liquide très-acide, et que, tant dans les gros intestins que dans les intestms grêles, il existait une espèce de bouillie épaisse dont on pouvait retirer avec l'éther une grande quantité de graisse. 104 CINQUIÈME LEÇON. Il résulterait de ces faits , de la réalité desquels j'ai pu moi-même m'assurer, que les matières grasses n'éprou- vent dans l'estomac aucune altération , et qu'elles s'écoulent dans l'intestin sans avoir subi de modifications, mais seulement liquéfiées ou presque liquéfiées par le degré de chaleur de cet organe ; et dans le fait, en faisant réagir hors de l'estomac du suc gastrique sur un corps gras, il ne paraît s'opérer aucun changement. L'alcali de la bile et du suc pancréatique sature, dans les intes- tins, l'acide du suc gastrique; voilà encore une nouvelle preuve que dans les intestins cesse l'action dissolvante sur les matières neutres azotées. Il est difficile de pou- voir préciser avec le secours d'analogies, déduites de faits chimiques , ce qu'il arrive des substances grasses quand elles ont dépassé l'estomac. Il est certain que ces matières y sont absorbées et que les chylifères peuvent être considérés comme presque uniquement chargés de cette fonction. Voici quelques expériences au moyen desquelles j'ai cherché à diminuer l'obscurité qui règne dans cette partie de la digestion. Je verse dans un matras une solution formée de 300 grammes d'eau distillée et de 25 grains (1"'',30) de potasse caustique. Cette solu- tion n'a pas sensiblement de saveur alcaline , et agit faiblement sur le papier de tournesol ; c'est un liquide moins alcalin que la lymphe et le chj^le. Je chauffe au bain-marie ce matras jusqu'à une température de 35" à 40" centig.; j'y ajoute quelques gouttes d'huile d'olive et j'agite : à l'instant je vois le liquide devenir laiteux et prendre les apparences du lait au point d'être confondu DIGESTION. 105 avec lui. Le liquide ainsi obtenu, abandonné à lui-même, conserve son analogie avec le lait, se sépare en deux couches , dont l'une plus opaque au-dessus , et dans laquelle il y a évidemment de petits globules de matière grasse , et l'autre plus inférieure est moins opaque , quoique conservant toujours l'aspect laiteux. J'ai rempli un morceau d'intestin avec cette espèce d'émulsion et je l'ai plongé dans la solution alcaline décrite, mainte- nue à la température de + 35" à 40'' centig. Après un certain laps de temps, celle-ci s'est troublée, a pris les caractères de l'émulsion intérieure, et certainement on doit croire qu'une portion de celle-ci a traversé la mem- brane et s'est épanchée au dehors. Je vous rapporterai une autre expérience qui me paraît plus concluante. J'ai rempli un endosmomètre d'une so- lution très -faiblement alcaline, et je l'ai plongé dans l'émulsion que je vous ai montrée. La membrane em- ployée était, comme à l'ordinaire, une vessie urinaire de bœuf, et les deux liquides étaient à la température de + 30'' centig. au commencement de l'expérience. Il y eut endosmose , et l'émulsion pénétra dans la solution alcaline en soulevant une colonne liquide de 30 milli- mètres en très-peu de temps. Voici des phénomènes physiques qui , sans résoudre toutes les particularités de la digestion des corps gras, contribuent néanmoins à la rendre moins obscure. Les vaisseaux chylifères , terminés par des extrémités en cul- de-sac , enveloppés par la muqueuse intestinale , sont surtout dans l'animal à jeun pleins d'un liquide alcalin très-analogue à la lymphe. Après la digestion, surtout 106 CINQUIÈME LEÇON. si l'animal s'est nourri de matières grasses, le liquide des chylifères ne diffère de ce qu'il était auparavant que par l'adjonction des corpuscules gras qui lui donnent l'apparence laiteuse. 11 est naturel d'admettre que cette affinité chimique qui produit le liquide laiteux dans le mélange de la solution alcaline et de l'huile, a également lieu à travers la membrane des vaisseaux chylifères, qui certainement se laisse imbiber, tant de la solution alcaline que du liquide laiteux formé par l'action de l'al- cali sur les corps gras. Le phénomène d'endosmose dont je viens de vous parler peut encore être admis avec probabilité au nom- bre des causes qui produisent l'absorption qu'opèrent les vaisseaux chylifères. Il est certain que l'absorption ne saurait physiquement avoir lieu, si les parois internes des intestins n'étaient pas baignées par im liquide avec lequel les corps gras auraient de l'affinité. Il est facile de démontrer par l'expérience combien l'état alcalin des pa- rois intestinales favorise cette absorption. Remplissez deux entonnoirs avec du sable également tassé dans chacun; versez sur l'un de l'eau pure, sur l'autre une solution alcaline : les liquides écoulés , arro- sez d'une même quantité d'huile les deux filtres. Pendant même plusieurs heures l'huile restera à la surface du sa- ble imprégné d'eau pure ; dans l'autre , au contraire , elle disparaîtra rapidement par l'imbibition du sable mouillé avec la solution alcaline. Les substances neutres azotées qui pénètrent dans le sang après avoir été dissoutes par le suc gastrique dé- truiraient rapidement l'état neutre ou légèrement alcalin DIGESTION. 107 nécessaire à la conservation des qualités de ce liquide : l'alcali du chyle de la lymphe , de la bile et de l'humeur pancréatique conserve cette neutralité du sang. Le chyle , la lymphe contiennent en suspension un grand nombre de petits grains qui ont de 1 à 2 millièmes de ligne de diamètre, et qui paraissent formés d'une substance grasse enveloppée d'une membrane; tout porte à croire que celle-ci consiste en un corps analogue à la protéine. Ces mêmes granulations existent dans le jaune d' œuf, le lait, le chyle, la lymphe, et dans tous les li- quides exsudés dans des cas pathologiques ou destinés à de nouvelles formations. On a vu ces granulations élé- mentaires se réunir et former un globule , une cellule ana- logue à ceux du sang, et c'est pourquoi on les a regardés comme les éléments morphologiques de tous les tissus ani- maux. Dans ces derniers temps , Donné a vu qu'en ajou- tant du lait dans les vaisseaux sanguins les globules du lait disparaissaient au bout d'un certain temps, en se couvrant d'une couche albumineuse comme d'une vessie , qu'alors ils se réduisaient à l'état des globules blancs du sang , et qu'à la fin ceux-ci disparaissaient aussi trans- formés probablement en globules rouges, et qu'ensuite tout le sang revenait au même aspect qu'il avait avant l'injection du lait. L'élément organique semble donc se réduire à une vé- sicule constituée par une couche de matière albumineuse qui se rassemble, s'organise autour d'un noyau formé principalement de substance grasse. Je veux vous rendre témoins d'une expérience importante faite par Ascher- son ; elle consiste à mettre une graisse liquide en contact 108 CINQUIÈME LEÇON. avec l'albumine; cette dernière se coagule à l'instant, comme vous le voyez. Si vous mélangez le tout ensem- ble, et que vous portiez une goutte du mélange au mi- croscope , vous verrez un groupe de vésicules , dont chacune est formée d'un grain de graisse enveloppé d'une membrane albumineuse en quelque sorte coagulée, et il vous semblera avoir sur le porte- objet de vérita- bles cellules adipeuses. On peut mieux voir ce fait, en déposant sur une plaque en verre une goutte d'huile et une autre d'albumine, et en opérant lentement le con- tact; il est curieux d'observer au microscope la formation presque instantanée d'une membrane très-délicate , éla- stique , qui ne tarde pas à se recouvrir de nombreux re- plis. Ascherson a prouvé que cette formation opérée par l'albumine et l'huile était réellement de nature celluleuse, et cela en ajoutant un peu d'eau à une goutte de cette for- mation : il vit les cellules se gonfler, et en même temps en sortir de petites gouttes d'huile. En se servant d'acide acétique étendu au lieu d'eau, les cellules lui parurent devenir si volumineuses qu'elles se rompirent. Dans l'huile, au contraire, elles se comprimaient et dimi- nuaient de volume. Evidemment ces faits, qui toutefois devraient être variés et étendus , appartiennent au phé- nomène de l'endosmose, et ne peuvent être compris sans admettre la formation cellulaire. Voilà donc une opéra- tion physico-chimique , qui conduit à la découverte du mécanisme de la formation des granulations élémentaires. Des corps gras et des combinaisons de protéine sont con- stamment introduits dans l'organisme ; ils se trouvent dans tous les liquides animaux ; les globules de la graisse, DIGESTION. 109 qui pénètrent dans les tubes chylifères, et s'y trouvent ainsi au milieu d'un liquide albumineux , ne peuvent tar- der à être enveloppés de membranes analogues , et doi- vent par cette raison former des vésicules semblables à celles que l'observation microscopique découvre dans le chyle , la lymphe et le sang. Pour terminer cette leçon , je n'ai plus qu'à ajouter quelques mots des gaz de l'estomac et des intestins, ainsi que des substances inorganiques , qui forment plus ou moins directement partie intégrante de l'organisme animal. L'observation a prouvé que l'oxygène ne se rencontre presque jamais dans les gaz de l'estomac , et surtout dans ceux des intestins; mais que dans ces cavités ils se com- posent principalement d'azote, d'acide carbonique, d'une certaine quantité d'hydrogène carboné, et quelquefois de traces d'hydrogène sulfuré. Evidemment une grande quantité d'air atmosphérique est introduite dans l'esto- mac , pour ainsi dire avalée en même temps que les ali- ments. L'oxygène de l'air disparaît dans l'estomac en s' infiltrant peut-être par les membranes , et arrivant jus- qu'au sang, ou, plus probablement encore, en prenant part à ces modifications que nous savons avoir lieu pour transformer les substances albumineuses azotées en fer- ment. L'acide carbonique paraît se développer très- abondamment dans cette circonstance , et on cite à ce propos des dégagements de volumes énormes de ce gaz chez quelques ruminants nourris d'herbes fraîches et hu- mides. Il est curieux d'observer que la production et la disparition de cette abondante quantité de gaz dans l'es- 10 110 CINQUIÈME LEÇON. tomac et les intestins ont lieu, et se succèdent quelque- fois avec tant de rapidité, que l'on peut avoir recours aux réactions chimiques pour s'en rendre compte. La pré- sence de l'hydrogène ne peut , jusqu'à présent, se ratta- cher à aucun des changements physico-chimiques que nous avons vus avoir lieu dans la digestion. J'ai démontré par l'expérience que l'oxygène n'est pas nécessaire pour Taction dissolvante que le suc gastrique exerce sur la fibrine et l'albumine coagulée, ainsi que pa- raît le supposer Liebig. Un morceau de l'estomac d'un porc fut mis, dans de l'eau légèrement acidule, avec de la fibrine et de l'albumine coagulée : l'eau avait bouilli plusieurs heures , et le liquide préparé fut recouvert d'une épaisse couche d'huile. La fibrine et l'albumine furent dissoutes dans ce bain tout aussi bien que dans un autre semblable, mais laissé librement au contact de l'air. Les substances inorganiques qui se trouvent dans l'or- ganisme y sont évidemment introduites et font partie des aliments ; elles ne peuvent pénétrer jusqu'à la masse san- guine qu'à la condition d'avoir été dissoutes dans l'eau et dans le suc gastrique de l'estomac. Tout ce qui ne rentre pas dans ces conditions est nécessairement rejeté avec les excréments; les médecins n'oublient jamais cette vérité quand ils doivent choisir et préparer les substances qu'ils administrent aux malades. L'expérience a prouvé aujour- d'hui qu'il n'y avait pas lieu de s'étonner si de grandes doses de certains sels inorganiques, introduites dans l'estomac, ne produisaient aucun effet; ils étaient rejetés dans les matières excrémentitielles. SIXIEME LEÇON. o RESPIRATION. —ENDOSMOSE GAZEUSE. L'action de Toxygène de l'air atmosphérique sur le sang veineux , les changements qui surviennent dans l'air respiré introduit dans les cellules pulmonaires, les modi- fications éprouvées par le sang qui parcourt le réseau capillaire existant sur les minces parois des vésicules bronchiques, tels sont les phénomènes principaux qui constituent la fonction de la respiration et qui feront le sujet de cette leçon. 11 n'existe aucun animal, même parmi ceux qui occu- pent les degrés les plus inférieurs de l'organisation, dont la vie ne soit essentiellement liée aux modifications qu'ap- porte dans sa substance l'oxygène de l'air. Selon leur structure , les organes au moyen desquels cette action a lieu sont plus ou moins développés et ont une forme et une organisation différentes, relativement au milieu dans lequel l'animal vit habituellement. Dans les poissons, par exemple , l'organe de la respiration est une membrane muqueuse repliée plusieurs fois sur elle-même, divisée en filaments ou en lames , pleine de vaisseaux sanguins ; elle se trouve constamment en contact avec l'eau qui s'intro- duit par la bouche de ces animaux et qui est rejetée par les fissures branchiales. Tout chez eux est disposé de manière à ce que ce contact entre l'eau, dans laquelle est 112 SJXIÈME LEÇON. dissous l'air atmosphérique, et les parois vasculaires, ait lieu sur une surface aussi étendue que possible. Dans la raie commune, les branchies ont une superficie de 2250 pouces carrés. Chez les reptiles, les oiseaux, les mammifères , l'organe respiratoire consiste en une expansion des bronches, qui se ramifient comme un arbre , et dont les extrémités les plus déliées se terminent par un grand nombre de vésicules sphéroïdales adossées les unes aux autres et entourées de petits vaisseaux sanguins. La respiration de quelques reptiles, du moins dans les premiers temps de leur vie, participe à la fois de celle des poissons et de celle des mammifères, c'est pourquoi ils ont simultanément bran- chies et poumons. Les mouvements nécessaires à cette fonction sont : des mouvements dont quelques-uns sont involontaires, etd'au- tres sont soumis à notre volonté ; ils peuvent se réduire à un acte par lequel l'air est introduit, à un autre par lequel il est rejeté. Toutes les voies aériennes se dilatent pendant Y inspiration, toutes se resserrent pendant \expi- ration. L'action réunie de la force musculaire, de l'éla- sticité des parties osseuses et cartilagineuses du thorax , celle qui est propre aux parois des vésicules aériennes, enfin les propriétés physiques de l'air, telles sont les causes des mouvements de la fonction respiratoire. Toute la cavité thoracique se dilate pendant l'inspiration, et l'air se précipite dans les bronches; pendant l'expiration, cette cavité se resserre , les cellules du poumon, au moyen de leur élasticité, reprennent leur volume primitif, et l'air, ainsi comprimé, et doué d'une élasticité plus RESPIRATION. 113 grande à cause du degré de chaleur que lui a communi- qué le poumon, est rejeté. Le simple jeu d'un soufflet vous représente tout le mécanisme des mouvements res- piratoires. Dans les poissons ce mouvement a lieu sans le con- cours des côtes ; les arcs branchiaux s'ouvrent, les lames se séparent, le contact entre eux et l'eau a lieu, puis ils se referment et l'eau s'échappe par la fissure branchiale qui reste ouverte jusqu'à ce que l'opercule tombe. Dans les animaux inférieurs la respiration est moins énergique , et les mouvements de la fonction respiratoire sont presque involontaires. Chez les annélides , les mollusques , le cou- rant de l'eau, dans laquelle l'air est dissous , semble aidé par les mouvements vibratiles des cils qui sont implantés sur les branchies de ces animaux. L'homme, en une inspiration, introduit dans les pou- mons environ un tiers de litre d'air atmosphérique ; l'air rejeté contient de 3 à 5 pour 100 d'acide carbonique, et dans une expiration très-profonde on en trouve jusqu'à 6 ou 8 pour 100. En même temps l'air introduit a perdu de 4 à 6 pour 100 de son oxygène. Les nombres que je vous cite sont choisis parmi une grande quantité que nous avons , comme étant ceux qui m'ont paru les plus dignes de foi. Avec ces données il est facile de calculer la quantité d'oxygène qu'absorbe un homme dans la respiration dans l'espace d'un jour, en admettant qu'il y ait de 15 à 20 inspirations par mi- nute. D'après Lavoisier et Séguin, l'oxygène consumé par la respiration d'un homme adulte est en poids de 1015 grammes. L'oxygène qui disparaît dans la respira- MU SIXIÈME LEÇON. tion de l'homme et des oiseaux est à très-peu de chose près égal en volume à l'acide carbonique qui est rejeté. Des observateurs très- scrupuleux ont trouvé que le vo- lume de l'oxygène absorbé dans la respiration est plus considérable que celui de l'acide carbonique produit. Cette différence est surtout marquée dans les carnivores, chez lesquels Dulong a trouvé que l'oxygène disparu est quelquefois double en volume de l'acide carbonique formé. Dulong et Despretz ont mis hors de doute qu'en faisant respirer un animal dans un volume déterminé d'air, il se produit toujours une notable quantité d'azote. Ce fait démontre que l'azote ainsi exhalé en excès provient des aliments, et peut-être aussi de cet azote que nous avons dit se trouver dans l'estomac et dans les intestins, comme résidu de l'air qui s'y est introduit avec les ali- ments. Et si la quantité d'azote contenu dans l'air est invariable , Boussingault a démontré que cela provenait de ce que quelques plantes absorbaient de ce gaz. Les mêmes changements que produit la respiration sur la composition de l'air atmosphérique respiré, ont lieu également sur l'air dissous dans l'eau. On sait que dans l'eau commune et l'eau de mer il existe une certaine quantité d'air atmosphérique dissous, qui se dégage soit en portant cette eau à l'cbullition , soit en la mettant en contact avec des gaz autres que ceux qu'elle retient, dis- sous, ou bien en lui enlevant cet air au moyen du vide. Ces phénomènes tout à faitphysiques s'opèrent suivant les lois bien connues de l'absorption des gaz par les liquides , lois qui ont été trouvées par Dalton . Les expériences de Morren ont également prouvé qu'il RESPIRATION. 115 y a une certaine quantité d'acide carbonique dissous dans ces eaux , laquelle semble varier en raison inverse de l'oxygène y existant en même temps. La proportion d'oxygène trouvée dans un volume déterminé d'air dis- sous dans l'eau, surpasse celle dans laquelle on la trouve dans l'air atmosphérique. Humboldt et Gay-Lussac ont trouvé dans l'air provenant d'eau douce 32 pour 100 d'oxygène. D'après Morren, la quantité d'oxygène semble varier dans l'eau de mer dans les diverses heures de la journée, et atteindre le maximum vers midi ; le contraire existerait pour l'acide carbonique. Les poissons absorbent une portion de cet oxygène dissous et rendent de l'acide carbonique qui se trouve ainsi absorbé par l'eau, et ce n'est que par la dissolution continue de nouvelles portions d'air atmosphérique que la respiration de ces animaux peut continuer à avoir lieu. C'est pourquoi les poissons cessent rapidement de vivre dans l'eau privée d'air par l'ébullition ou couverte d'huile. Je rapporterai ici une expérience qui m'est propre et que j'ai faite à une époque déjà éloignée, sur la respiration de la torpille. L'air dissous dans l'eau de l'Adriatique prise près de la plage, se composait, pour 100, de 11 d'acide carbonique, de 60,5 d'azote et de 29,5 d'oxygène. Une grosse torpille fut tenue pendant quarante-cinq minutes dans un peu plus de 4 litres de cette eau. La torpille fréquemment excitée, on en obtint beaucoup de secousses, et elle mourut bientôt. L'air dissous dans l'eau ne contenait plus trace d'oxy- gène, et au contraire il s'y trouvait 36 pour 100 d'acide carbonique et le reste d'azote. 116 SIXIÈME LEÇON. L'expérience a prouvé que ces changements survenus dans l'air atmosphérique, au contact d'un animal vivant, ont lieu non-seulement dans les poumons , mais encore que toute la superficie du corps de l'animal peut opérer, à différents degrés, de semblables modifications. Les grenouilles auxquelles ont été enlevés les poumons, ou dont on a empêché la respiration d'une manière quel- conque, continuent à vivre, et placées dans une quantité d'air déterminée , on trouve , après un certain temps , qu'une portion de l'oxygène a disparu, et que de l'acide carbonique l'a remplacé. Humboldt et Provençal ont vu les tanches vivre sans grandes souffrances, quoi- qu'elles eussent la tête et les branchies hors de l'eau, et le corps seul immergé. Spallanzani et Edwards ont de plus prouvé que la respiration cutanée est indispensable chez les batraciens , en sorte que les grenouilles vivent plusieurs jours sans poumons, et qu'au contraire elles périssent après peu d'heures si elles sont écorchées ou ont la peau vernissée. Sorg tint plongé dans du gaz oxy- gène un de ses bras pendant quatre heures; après ce temps il trouva que les deux tiers environ de ce gaz avaient disparu. Davy, analysant l'air injecté dans une des plèvres d'un chien, trouva qu'au bout de peu de temps il ne contenait plus que de légères traces d'oxy- gène. Le mécanisme de la respiration, les changements chi- miques qui accompagnent cette fonction ont donc lieu dans tous les animaux de la même manière. L'oxygène disparaît en présence des organes respiratoires des ani- maux, en même temps l'acide carbonique s'exhale de RESPIRATION. 117 ces mêmes organes; il y a un excès d'azote dans l'air expiré sur celui qui a été inspiré; le volume d'acide car- bonique rejeté n'est jamais supérieur à celui de l'oxygène absorbé ; dans certains animaux il est moitié moins abondant que celui-ci; l'air rejeté est saturé de vapeur d'eau. Pendant que l'acte respiratoire opère dans l'air atmo- sphérique les changements dont je viens de vous entre- tenir, qu' arrive- t-il dans l'organisme? Il n'est personne de vous qui ignore que, dans la respiration, le sang veineux , poussé dans le poumon abandonne sa couleur noire et passe à une belle couleur vermillon, devient artériel, est renvoyé au cœur, et que de cet organe il passe dans toutes les parties du corps. L'interruption de cette transformation occasionne rapidement la mort. Je pourrais vous citer un grand nombre d'expériences propres à vous démontrer que le changement du sang vei- neux en sang artériel a lieu dans le poumon pendant l'acte de la respirati on. Bichat coupa à un chien la trachée et une artère, et appliqua rapidement un robinet à l'ouverture de chacun de ces vaisseaux ; en fermant le robinet de la trachée , peu après une inspiration , le sang artériel commençait à devenir noirâtre, et avant qu'une minute fut écoulée il était complètement veineux. Répétant l'expérience en fermant le robinet de la trachée aussitôt après une expiration, le sang artériel s'écoulait peu de secondes après et coloré en noir. Si on enlevait avec une pompe convenablement disposée l'air du poumon , le sang sortait de l'artère immédiatement noir, et si, au contraire , on poussait un peu d'air dans le poumon , le 118 SIXIÈME LEÇON. sang conservait plus longtemps sa couleur vermeille. En ayant soin d'ouvrir de temps en temps le robinet de la trachée , on voyait alternativement une ondée de sang rouge succéder à celle de sang noir. Voici un lapin à la trachée duquel est fixé un robinet; observez le péritoine qui a été mis à découvert , vous verrez la couleur rouge de ses vaisseaux se changer en rouge foncé si le robinet reste fermé quelques instants, et reparaître avec sa cou- leur naturelle, quand le robinet est ouvert de nouveau. Les tissus de toutes les parties du corps, les reins, les muscle's , la langue , les lèvres , prennent une couleur noirâtre chez les asphyxiés. Coupez les deux nerfs pneumo-gastriques à un animal quelconque, les mouve- ments respiratoires ne tarderont pas à être troublés , et en même temps le sang conservera sa couleur noirâtre, et les lèvres, les narines, l' arrière-bouche de l'animal perdront leur coloration rouge. Si au lieu d'introduire dans le poumon d'un animal l'air atmosphérique, on le fait respirer dans le gaz azote, dans l'hydrogène carboné, dans l'hydrogène pur, l'oxyde de carbone, l'acide carbonique, le deutoxyde d'azote, l'hydrogène sulfuré, la mort arrivera plus ou moins prom- ptement et par tout le corps vous ne trouverez que du sang noir. Outre l'air atmosphérique, l'oxygène et le gaz protoxyde d'azote sont aptes à maintenir la respiration pendant quelques instants. Peut-être que dans l'oxygène cette fonction pourrait se maintenir longtemps ; mais en respirant ce gaz les mouvements respiratoires sont plus fréquents, les pulsations artérielles s'accélèrent, et le sang se colore partout en rouge très-vif. Dans le pro- RESPIRATION. 119 toxyde d'azote la respiration se prolonge quelques in- stants sans graves inconvénients; mais, ainsi que dans l'oxygène, le mouvement respiratoire est accéléré, les fonctions cérébrales sont troublées, et il survient une es- pèce d'ivresse. Nous connaissons maintenant les phénomènes qui ont lieu pendant la respiration tant dans l'air lui-même qu'au sein de l'organisme : oxygène absorbé, acide carbonique exhalé, sang noir veineux changé en sang rouge artériel ; et ces deux modifications se passent dans Un même organe, dans lequel, par sa structure particulière, l'air atmosphéri- que , qui abandonne de son oxygène , et le sang veineux, qui devient rouge , se trouvent presque en contact ou sé- parés par une membrane extrêmement mince. Ces modifications de l'air et du sang sont-elles des phénomènes qui ne s'opèrent que dans le corps vivant.*^ Remarque-t-on que des changements analogues à ceux qui arrivent pendant la respiration aient lieu encore pour quelque temps entre l'oxygène de l'air atmosphérique et le sang veineux extrait d'un corps vivant? L'expérience la plus simple répondra bientôt à ces demandes, et ne vous laissera aucun doute sur la nature absolument phy- sico-cJiiniique de cette fonction. Voici une masse de sang coagulé depuis quelques heures; vous voyez qu'elle est rouge à sa superficie, et d'une couleur noirâtre à la surface du morceau que je dé- tache avec le couteau. Avant que peu d'instants se soient écoulés , vous verrez également qu'elle contractera aussi la couleur rouge. Je fais arriver de l'acide carbonique sur la surface rouge de ce caillot; elle devient presque im- 120 SIXIÈME LEÇON. médiatement noire. Je fais passer un courant de ce gaz à travers un liquide formé de sang dissous dans l'eau , et bientôt vous voyez qu'il se colore en noir. Ce liquide noirâtre, versé dans un flacon plein d'oxygène, agité quelques instants , change , perd cette couleur foncée , et devient vermeil. Il n'y a que l'hydrogène sulfuré qui, ayant agi sur le sang , même en très-petite quantité , en- lève à l'oxygène la propriété de le ramènera l'état de sang artériel. Depuis Priestley on savait que si ce sang, devenu noirâtre par l'action de l'acide carbonique, était mis dans une vessie humide tenue en contact avec de l'oxygène, le sang devenait également rouge , et que la membrane in- terposée n'empêchait pas le changement de couleur. Il est donc prouvé par l'expérience que le changement de la couleur du sang de noir en rouge, qui accompagne con- stamment l'introduction de l'oxygène dans les vésicules aériennes de l'animal vivant dans des circonstances iden- tiques à celles que je viens d'indiquer, est un phénomène entièrement de nature physico-chimique, consistant dans l'action de l'oxygène sur un liquide qui prend naissance dans l'organisme vivant. Quelle est donc la nature de ce changement.^^ Quelles sont les lois qui y président? Voici les particularités dont nous devons encore nous occuper, et dans ces investi- gations nous nous appuierons sur les belles recherches de Magnus. Si l'on recueille le sang veineux qui sort de l'ouverture d'une veine d'un animal vivant , qu'on le reçoive dans un récipient qui contient du gaz hydrogène pur, qu'on l'y RESPIRATION. 121 agite, on y trouve une certaine quantité d'acide carbo- nique qui , certes , ne peut être le résultat d'aucune com- binaison chimique de l'hydrogène avec les éléments du sang, et que l'on ne peut prétendre non plus avoir été chassé du sang par l'affinité de l'hydrogène pour le corps avec lequel on pourrait supposer être combiné l'a- cide carbonique. Il existe donc de l'acide carbonique dis- sous dans le sang lui-même , et il est mis en liberté par l'hydrogène par l'action qu'a un gaz sur un autre gaz de nature différente dissous dans un liquide. Si l'on eût opéré sur le sang artériel au lieu de se servir de sang veineux, on aurait trouvé une quantité moindre d'acide carbonique fournie par le sang. L'azote, également em- ployé au lieu de l'hydrogène , produit par son contact avec le sang un dégagement d'acide carbonique dont la quantité aurait été plus que double dans le sang veineux, de celle qui provient du sang artériel. Par l'emploi de cette méthode, on n'obtient pas seulement l'acide carbo- nique, mais encore l'oxygène et l'azote qui se dégagent avec lui . Les résultats obtenus par Magnus méritent tant de confiance et sont si importants , que je crois devoir vous communiquer les nombres trouvés par ce chimiste. Magnus a extrait et analysé les gaz dissous dans le sang avec un appareil particulier, au moyen duquel il faisait le vide sur le sang même , et l'on recueillait ainsi les gaz qui se dégageaient. Si j'introduisais une certaine quantité de sang, au moment où il est tiré de l'animal, sous le vide du baromètre , vous verriez la colonne de mercure s'abaisser considérablement, et par ce moyen on pour- rait égalementtecueillir les gaz du sang. il 122 SIXIÈME LEÇON. Voici le tableau dans lequel sont rapportés les nom- bres obtenus par les expériences, de Magnus : Centimètres cubes. Sang artériel d'un cheval , 125 ont donné Sang veineux d'un cheval , 205 ont donné. . . . Sang artériel d'un cheval , 130 ont donné. .... Sang veineux d'un cheval , 170 ont donné Sang artériel d'un veau , 123 ont donné. . . Sang artériel d'un veau , 108 ont donné Sang veineux d'un veau, 253 ont donné. . . . . Sang veineux d'un veau , 140 ont donné 9,8 de gaz. 12,2 de gaz. 16,3 de gaz. 18,9 de gaz. 14,5 de gaz. 12,6 de gaz. 13,3 de gaz. 7,7 de gaz. 5.4 acide carbonique. 1,9 oxygène. 2.5 azote. 8,8 acide carbonique. 2.3 oxygène. 1,1 azote. 10,7 acide carbonique. 4,1 oxygène. 1,5 azote. 12,4 acide carbonique, 2.5 oxygéné. 4,0 azote. 9.4 acide carbonique. 3.5 oxygène. 1.6 azote. 7,0 acide carbonique. 3.0 oxygène. 2.6 azote. 10,2 acide carbonique. 1,8 oxygène. 1,5 azote. 6.1 acide carboniqiie. 1,0 oxygène. 0,6 azote. En prenant les moyennes de ces chiffres , et en les ré- duisant aux quantités pour 100 de sang, on trouve : Pour 100 de sang ar- tériel Pour 100 de sang vei- neux 10,4276 de gaz. 7,6825 de gaz. 6,4967 acide carbonique. 2,4178 oxygène. 1,5131 azote. 5,5041 acide carbonique. 1,1703 oxygène, 1,0081 azote. RESPIRATION. 123 Il serait bien à désirer que les expériences de Magnus fussent répétées et étendues, à l'effet d'arriver principale- ment à obtenir les quantités absolues des divers gaz du sang. Les conséquences suivantes n'en sont pas moins du plus grand intérêt pour la théorie de la respiration : 1° Il existe dans le sang artériel une quantité de gaz plus considérable que dans le sang veineux ; 2* La quantité d'oxygène trouvée dans le sang artériel est double de celle qui existe dans le sang veineux ; 3° Le rapport entre l'oxygène et l'acide carbonique est de I et presque dç l dans le sang artériel, tandis qu'il n'est que de | et même de | dans le sang veineux. Enfin, il est évident, quand on réfléchit aux moyens employés pour extraire les gaz du sang, tels que la pré- sence de l'hydrogène ou le vide , que ces gaz y sont dis- sous , c'est pourquoi nous devons admettre que ces gaz , dégagés du sang , sont rendus libres par la présence d'autres gaz, obéissant en cela aux lois physiques rela- tives aux échanges qui ont lieu entre les gaz dissous dans les liquides et les gaz libres. Nous avons vu que le changement de couleur que subit le sang veineux pour devenir artériel , changement opéré par l'oxygène, a lieu encore lorsque cet oxygène est séparé du sang par le moyen d'une membrane. Il est essentiel de prouver maintenant que ces phénomènes , c'est-à-dire l'action réciproque des gaz et la modification que subit la couleur du sang, s'opèrent en dehors des corps vivants au travers des couches de ces membranes et en vertu de lois tout à fait physiques. Un gaz quelconque contenu dans une vessie bien fer- i2U SIXIÈME LEÇON. mée découle bientôt par les pores de celle-ci, et en même temps l'air atmosphérique s'y introduit à sa place. Si le gaz extérieur n'était pas d'un volume infini , par rapport à celui du gaz contenu dans la vessie, l'échange serait bientôt suspendu, et au dehors comme au dedans on trouverait un mélange des deux gaz. Placez une vessie pleine d'eau légèrement acidulée au moyen de l'acide carbonique sous une cloche pleine de gaz hydrogène , d'oxygène ou d'azote, et une portion d'acide carbonique abandonnera l'eau, se trouvera libre dans la cloche; en même temps une portion du gaz. extérieur se sera à sa place dissoute dans l'eau. En général, deux gaz, dont un desquels est libre ou dissous dans un liquide , et l'autre séparé du premier par l'intermédiaire d'une membrane , ont une action l'un sur l'autre , et ils se mélangent dans des rapports déterminés. 11 serait à désirer qu'une longue série d'expérimenta- tions déterminât les lois de ce phénomène, en ayant égard à la nature réciproque des gaz, à leur densité et au genre des membranes interposées. Peut-être un phénomène analogue à celui de l'endosmose survient-il entre les gaz. Voici une expérience qui vous démontrera comment les gaz se comportent à travers les membranes, et vous prouvera qu'il y a quelque chose de semblable à l'endos- mose dans l'échange qui a lieu. Je remplis partiellement de gaz oxygène le poumon d'un agneau tué il y a peu de temps , et après avoir eu soin d'extraire par la succion tout l'air qu'il m'a été possible d'enlever. La trachée étant étroitement liée, j'introduis le poumon sous une cloche pleine d'acide carbonique et renversée sous l'eau. ENDOSMOSE GAZEUSE. 425 Au bout de quelques instants on voit le poumon se gon- fler et se distendre autant que le lui permet la capacité de la cloche. J'ai analysé le gaz après l'expérience, et j'ai trouvé que l'acide carbonique a pénétré dans les cellules pulmonaires, et que l'oxygène s'en est dégagé ; l'échange cependant n'a pas eu lieu en volumes égaux, et l'acide carbonique introduit dans le poumon est en plus grande quantité que l'oxygène qui l'a abandonné. Dans un pou- mon préparé comme je viens de le dire, j'ai trouvé, après quatre heures, que le gaz contenu dans celui-ci était composé de | d'oxygène et de | d'acide carbonique, et celui qu'il y avait dans la cloche résultait du mélange de I d'oxygène et de | d'acide carbonique.^ Les bulles de savon pleines d'air atmosphérique ou d'hydrogène, que l'on fait tomber dans l'acide carbo- nique, ont démontré à Marianini un phénomène semblable à celui qui a été observé pour le poumon. Les bulles aug- mentent de grosseur, et il est curieux qu'ainsi dilatées elles tombent au fond du vase qui contient l'acide carbo- nique. L'excès d'acide carbonique qui a pénétré dans la bulle est la cause de l'augmentation de volume qui pro- duit un accroissement de poids, et qui est capable de faire équilibre à la diminution qu'elle souffre elle-même à cause du volume qu'elle acquiert; mais en même temps la couche d'eau de la bulle dissout certainement de l'acide carbonique , et par là devient plus pesante . J'ai essayé de tenir une vessie exactement fermée , à parois très-minces , pleine de gaz oxygène , en contact avec de l'acide carbonique, ayant pris la précaution que la vessie ne fût pas mouillée. Le gonflement n'a pas i26 SIXIÈME LEÇON. lieu ; cependant , après un certain temps , on trouve que l'échange entre les deux gaz s'est opéré , mais sans que l'acide carbonique introduit surpasse l'oxygène qui s'est échappé. Enfin j'ai tenté de remplir complètement le poumon d'acide carbonique , et de l'introduire en cet état dans l'oxygène : le poumon s'affaisse, les deux gaz se mêlent , mais le volume de l'oxygène , qui s'est introduit , est moins considérable que celui de l'acide carbonique qui en est sorti. Pour tous ces faits, outre l'action réci- proque des deux gaz à travers les membranes, on doit encore tenir compte de la présence de l'eau qui baigne la membrane, eau dans laquelle l'acide carbonique est so- luble. Le liquide acide ainsi formé se trouve d'un côté en présence d'un gaz différent de celui qui y a été dissous , et à l'égard duquel le gaz libre agit comme dans un es- pace vide. On pourrait donc se rendre compte de l'intro- duction plus considérable de l'acide carbonique dans la bulle de savon ou dans le poumon en l'attribuant, soit à une action particulière des deux gaz , ce qui constituerait l'endosmose gazeuse , soit à un effet du gaz d'abord dis- sous, puis exhalé. Pour éclaircir cette question, il serait nécessaire d'avoir recours à des gaz qui n'ont pas d'affi- nité pour l'eau. Nous rappellerons enfin les lois décou- vertes par Graham , relatives à la diffusion des gaz dans l'air : les pouvoirs diffusifs des gaz dans l'air, quand ils sont séparés de celui-ci par une membrane ou par une couche de plâtre , sont proportionnels aux racines carrées de leur densité. D'après les dernières recherches de Valen- tin et de Brunner cette loi se vérifierait dans le phéno- mène de la respiration. ENDOSMOSE GAZEUSE. 127 Quelques faits de physiologie expérimentale qu'il me reste à vous citer, porteront toute l'évidence possible dans nos conclusions. Spallanzani, Nysten , Martigny, Ed- Avards enlevèrent l'air des poumons de quelques gre- nouilles en exerçant une pression sur la poitrine et l'ab- domen de ces animaux, pression qui fut exécutée avec toutes les précautions qu'apportent dans leurs recherches ces scrupuleux observateurs; dans cet ëtat elles furent mises tantôt dans l'hydrogène, tantôt dans l'azote. Des chifens, des lapins et un grand nombre d'autres animaux furent soumis à ces expériences, préparés soit suivant la méthode que nous venons de décrire, soit avec des respirations artificielles. On trouva constamment que le gaz hj^drogène ou l'azote étaient absorbés , et qu'à leur place il s'exhalait de l'acide carbonique et de l'azote; dans l'azote pur, ce n'était que de l'acide carbonique seul. En introduisant, après avoir vidé le poumon avec une seringue , un mélange contenant plus d'oxygène qu'il n'en existe dans l'air atmosphérique , on s'aperçut que l'acide carbonique exhalé était en proportion plus grande que celle qui se dégage en respirant de l'air. Les gre- nouilles émettent de l'acide carbonique dans l'hydrogène et dans l'azote , même lorsqu'elles ont été privées de leurs poumons. Après tout ce que nous venons de dire , nous ne pou- vons hésiter à conclure : que la fonction respiratoire est un phénomène purement physico-chimique ; que les gaz dissous dans le sang veineux sont mis en liberté par l'absorption d'autres gaz; qu'une portion de l'acide car- bonique du sang veineux est exhalée par l'absorption 128 SIXIÈME LEÇON. qu'opère ce sang du gaz oxygène de l'atmosphère; que ce n'est pas dans les poumons , du moins pour la plus grande portion, que se forme l'acide carbonique expiré; que ce gaz existe dissous dans le sang veineux et qu'il est mis en liberté pendant l'acte de la respiration, en présence de l'oxygène qui s'introduit à sa place, de la même manière qu'il l'est par l'azote ou l'hydrogène dans la respiration artificielle de ces gaz; que, des expé- riences de Magnus , il résulte qu'il existe dans les cinq livres de sang qui traversent le poumon en une minute une quantité d'acide carbonique dissous qui surpasse presque du double celle qui s'exhale dans le même temps. SEPTIEME LEÇON. a HÉMATOSE. — NUTRITION. — CHALEUR ANIMALE. Dans la précédente leçon je vous ai démontré que, pendant la respiration, une portion de l'oxygène de l'air inspiré disparaît, et qu'à sa place on trouve un vo- lume égal ou moindre d'acide carbonique; que l'air expiré sort saturé de vapeur aqueuse, et qu'au moment même où ces changements ont lieu dans le poumon, le sang veineux se convertit en sang artériel. Nous avons vu aussi que tous ces phénomènes ont lieu également hors du corps vivant et dans les mêmes conditions que lorsqu'ils se passent dans son intérieur. Il reste à étudier dans ses particularités cette modification du sang. Quel est celui des éléments organiques du sang qui subit ce changement? En quoi consiste-t-il chimiquement? Si je dois répondre avec précision à ces questions , je vous avouerai que jus- qu'à présent les expériences tentées pour les résoudre y ont apporté peu d'éclaircissements, et je ne peux que choisir, au milieu du nombre immense d'essais qui ont été faits , ceux qui paraissent généralement être les moins imparfaits et les moins discordants entre eux. Les micro- graphes définissent aujourd'hui le sang, un liquide en grande partie composé d'eau, dans laquelle sont dissous différents sels , l'albumine , la fibrine , des corps gras, et 130 SEPTIÈME LEÇON. dans lequel nagent en suspension un grand nombre de globules de couleur rouge, d'une forme déterminée, d'un diamètre plus ou moins grand, suivant les divers ani- maux et analogues à une espèce de vésicule dont l'invo- lucre coloré est soluble dans l'acide acétique. Je veux vous rendre témoins d'une belle expérience de MûUer, qui vous donnera une juste idée de cette composition du sang. Je perce le cœur à plusieurs grenouilles vivantes et je recueille le sang qui en sort sur un filtre de papier; à tra- vers le filtre s'écoule un liquide jaunâtre, et la matière rouge globulaire reste sur le filtre. Dans peu d'instants vous verrez le liquide filtré se coaguler, et le caillot sera de la fibrine. Ainsi voici, d'une part, la matière colo- rante, de l'autre le sérum dans lequel la fibrine était dis- soute. Si le sang n'eût pas été soumis à la filtration, la fibrine se serait également coagulée, mais en enveloppant dans sa masse la matière globulaire en suspension; et c'est là ce qui arrive pour le sang qui est en dehors du corps vivant. Suivant des circonstances tout à fait phy- siques, comme la température à laquelle se trouve le sang extrait, la densité du sérum, les diverses propor- tions de globules et de fibrine, la coagulation du sang a lieu plus ou moins promptement , est plus ou moins abon- dante; le coagulum formé offre plus ou moins de ré- sistance. En prenant seulement le coagulum qui se forme dans une masse de sang abandonnée à elle-même, et en le traitant par l'oxygène, on le voit prendre une couleur vermeille. Ce coagulum laissé à l'air, puis coupé, se HÉMATOSE. 131 trouve avoir une couleur noirâtre à l'intérieur et rouge à l'extérieur. Les nouvelles surfaces formées par l'incision, exposées à l'air, deviennent bientôt rouges. Indubitable- ment ce sont les globules du sang qui subissent ce chan- gement de coloration au contact de l'air. Baudrimont et Martin Saint-Ange ont fait voir, dans ces derniers temps , qu'à l'époque de l'incubation il s'opère, à travers l'en- veloppe calcaire de l'œuf, absorption d'oxygène, exhala- tion d'acide carbonique, et ils ont prouvé que si l'on empêche ces phénomènes d'avoir lieu, on ne voit pas apparaître les petits globules rouges dans l'embryon qui ne se développe pas. Il reste à savoir maintenant si les globules deviennent rouges par le fait seulement de l'oxygène qu'ils absorbent, ou parla perte d'acide carbo- nique qu'ils éprouvent pendant la respiration; ou si, au contraire , le sang devient veineux à cause de la plus grande quantité d'acide carbonique dont il se charge, ou à cause de la moindre quantité d'oxygène qui lui reste, ou si c'est par l'effet de ces deux circonstances réunies. Des expériences précises à cet égard manquent. Magnus a prouvé que le sang veineux, en perdant la plus grande quantité possible d'acide carbonique , devient moins foncé, sans cependant jamais arriver au rouge vermeil; ce fait conduirait à admettre que ces deux causes influent simultanément sur le changement de couleur que subit le sang pendant la respiration. Je dois ajouter que si on enlève soigneusement tout le sérum qui baigne le coagu- lum, si ensuite on lavo ce dernier avec de l'eau distillée, à l'effet de le dépouiller de toute trace de sérum , dans cet état il ne prend plus , au contact de l'oxygène , cette 132 SEPTIÈME LEÇON. belle couleur vermeille qu'il acquiert quand il est immergé de sérum. Voici une solution saturée de sel marin que je verse goutte à goutte sur le coagulum du sang ; vous voyez les points sur lesquels elle tombe prendre une couleur vermeille , tandis que le reste de la superficie ne change pas d'aspect. Il paraîtrait donc que les sels du sérum ne restent point indifférents dans la modification que subit la couleur du sang en présence de l'oxygène. On sait au- jourd'hui que le sérum absorbe une abondante quantité d'acide carbonique, beaucoup plus considérable que celle que peut dissoudre l'eau. On pourrait donc dire que la présence du sérum influe sur le changement de couleur du sang, en se chargeant de la portion d'acide carbo- nique que l'oxygène lui enlève ensuite. Mais en quoi consiste chimiquement le changement de couleur des globules sanguins? A cet égard, la science est tout à fait dans l'obscurité. La grande quantité de fer (5 ou 6 pour 100), qui existe constamment dans les globules sanguins et qui ne se trouve dans cette propor- tion dans aucune autre substance animale, a toujours donné lieu de penser que ce métal, que l'on trouve tan- tôt à l'état de protoxyde, tantôt à l'état de carbonate, pouvait ne pas être étranger au changement de couleur du sang. Dans le fait, l'oxygène chasse l'acide carboni- que du carbonate de fer, et, à son tour, l'acide carbo- nique peut remplacer l'oxygène du peroxyde, suivant les quantités relatives de l'oxygène et de l'acide carbo- nique qui se trouvent en présence pour agir sur le fer oxydé. Mulder et Liebig paraissent embrasser ces idées. Tous NUTRITION. 133 les résultats cliniques les mieux constatés semblent prou- ver que l'usage du fer dans certaines maladies ravive en quelque sorte la couleur du sang. Cependant Scherer a as- suré, dans ces derniers temps , d'être arrivé à obtenir la matière colorante du sang entièrement dépouillée de fer. Si l'observation de Scherer est ultérieurement confirmée et s'il est prouvé en outre que cette matière colorante , privée de fer, subit , au contact de l'oxygène et de l'acide carbonique , les changements que nous avons vus avoir lieu dans les globules sanguins, nous serons forcés à re- noncer à l'idée que le fer intervient dans le changement de couleur du sang. Le sang artériel, poussé par les contractions sans cesse renouvelées du cœur ainsi que par les dilatations et les contractions successives dues à l'élasticité qui est propre aux parois des vaisseaux artériels, arrive, avec cette couleur rouge, jusqu'aux dernières ramifications capillaires. Toujours contenu dans ces vaisseaux, il tra- verse tous les tissus , perd sa couleur rouge et retourne par les vaisseaux veineux au cœur pour repasser encore dans le poumon. C'est dans ce passage du sang artériel dans les capillaires que l'on dit en physiologie qu'a lieu la nutrition. Dans cette science, on admet que toutes les portions des tissus animaux se renouvellent et se trans- forment sans cesse, et que ces phénomènes varient d'in- tensité et sont proportionnels aux divers degrés d'acti- vité du système capillaire propre des divers tissus. A dire vrai , les preuves expérimentales de cette rénovation continue manquent, et celle qui consiste dans la colora- tion des parties osseuses des animaux nourris avec des i2 134 SEPTIÈME LEÇON, matières colorées, puis dans leur décoloration quand on cesse cette nutrition, m'a toujours paru insuffisante. On doit cependant avouer que ce renouvellement est prouvé par l'ensemble des faits physiologiques. Si je voulais vous rapporter ici toutes les notions expérimentales qui manquent et qui seraient nécessaires pour éclaircir l'acte de la nutrition, je serais beaucoup plus long qu'en vous exposant les connaissances que nous avons à cet égard. Les globules sanguins, ne faisant partie d'aucun tissu, mais essentiels comme ils le sont à la nutrition, peuvent être regardés, avec une certaine apparence de probabi- lité, comme le corps cataly tique qui sollicite la trans- formation des tissus et leur continuelle rénovation. Une analogie de ce caractère des globules se trouve encore dans la nécessité qu'ils éprouvent de se charger d'oxy- gène pour acquérir cette propriété. Remarquez encore que, ainsi que dans les végétaux, la diastase convertit l'amidon en dextrine, qui se trans- forme ensuite en cellulose, enligneux, c'est-à-dire en corps isomériques entre eux, de même les globules sanguins peuvent changer l'albumine en fibrine, et c'est là ce qui certainement arrive dans l'embryon. Je désirerais pouvoir vous dire que l'expérience a dé- montré la réalité de ces changements, comme elle l'a fait pour l'amidon. J'ai tenté un grand nombre d'essais à cet égard , mais les résultats que j'ai obtenus ne m'ont laissé que du doute. J'ai tenu, pendant l'espace d'un mois, à une température constante de -f 40" centig., de l'albumine de l'œuf mêlée aune petite quantité de globules sanguins de poulet en présence de l'oxygène. Un récipient où l'on NUTRITION. 1 35 recueillait de l'eau thermale m'offrait la commodité d'un milieu constamment au même degré de chaleur. J'ai vu que l'oxygène disparaissait en partie, qu'il était remplacé par de l'acide carbonique et qu'il se déposait au fond du récipient un grand nombre de ûocons rougeâtres ; cepen- dant le liquide primitif était à peine coloré et limpide. Ces flocons examinés ne m'ont pas paru identiques à la fibrine. Je ne voudrais cependant pas conclure de ces ré- sultats négatifs la fausseté du principe sur lequel étaient fondées mes expériences. C'est là un sujet qui réclame des recherches plus longues et plus variées. Revenons à notre premier sujet : dans l'acte de la nu- trition, une partie du sang artériel disparaît et est rem- placé par un excès d'acide carbonique dans le sang vei- neux. Dans les vaisseaux capillaires, l'oxygène se combine au carbone ; c'est certainement là qu'a lieu cette combinaison, et puis ensuite, quand on trouve que le volume de l'acide carbonique expiré est en plus petite quantité que celui de l'oxygène qui a disparu dans la respiration, on doit admettre que non-seulement le car- bone , mais encore l'hydrogène , qui fait partie des éléments organiques du sang et des tissus, se combine avec l'oxygène pour former de l'eau. Voici encore un fait de combustion, outre celui du carbone. Les acétates , les tartrates , les oxalates qui entrent à l'état de solution dans le cours du sang, sortent par les voies urinaires à l'état de carbonates. L'acide benzoïque introduit dans la circulation , s'échappe également par les voies urinaires à l'état d'acide hippurique. Je vous di- rai encore que j'ai essayé, de concert avec le professeur 136 SEPTIÈME LEÇON. Piria, d'introduire dans le cours du sang d'un animal vi- vant une solution de salicine : après un certain laps de temps on découvrit dans les urines un corps qui dérive de la salicine , et qui a la propriété de précipiter en violet avec les sels de fer. Une observation importante, faite récemment par Des- sains, mérite d'être rapportée ici. En faisant bouillir l'a- cide hippurique dans une solution d'acide hydrochlorique, l'acide benzoïque se précipita , et on obtint en dissolution l'acide hydrochlorique combiné avec une matière sucrée azotée , laquelle est le sucre de gélatine de Braconnot. On sait que cette matière ou gélatine sucrée s'obtient en traitant par les acides les matières azotées neutres (pro- téine, gélatine); on sait encore que l'acide hippurique remplace dans les herbivores la sécrétion de l'urée des carnivores. Nous pouvons entrevoir, d'après cela, que le sucre de gélatine est un des premiers produits de la trans- formation des matières neutres azotées , qui sont les ma- tériaux des tissus. On comprendrait ainsi comment , en ajoutant de l'acide benzoïque qui s'y combine , on peut obtenir l'acide hippurique. Tous ces faits mettent hors de doute que la principale action chimique qui s'observe dans la circulation san- guine et dans la nutrition est une combustion , que c'est une combinaison de l'oxygène avec le carbone et l'hydro- gène. Mais , je le répète, jusqu'à présent il règne une grande obscurité dans la connaissance de la série de ces phénomènes. Quelle différence existe-t-il entre la com- position chimique de tous les éléments du sang artériel et celle de tous les éléments du sang veineux? De quelle na- NUTRITION. 137 ture est cette différence dans le sang avant et après son passage à travers les reins, le foie et les divers tissus? Voici quelques-unes des nombreuses questions qui de- vraient être résolues par des expériences précises , par des recherches toutes concordantes dans leurs résultats , avant de porter ses investigations sur le phénomène delà nutrition et des sécrétions. Ainsi que nous l'avons vu, les aliments passent dans le sang après avoir subi diverses modifications par le fait de la digestion. Parmi eux beaucoup sont identiques aux éléments organiques des tissus animaux : il en est ainsi des substances neutres azotées. Il en est encore ainsi des matières grasses qui se trouvent dans les aliments ou telles qu'elles étaient, ou à peine modifiées, comme dans le tissu adipeux. Il n'est pas naturel, et il serait même étrange d'admettre que l'urée, l'acide carbonique et l'eau, qui sont les produits définitifs des transformations su- bies dans la nutrition , proviennent des éléments organi- ques du sang qui y ont été introduits par les aliments. On doit penser que ces produits sont le résultat des transformations qu'ont subies les tissus , et qui sont rem- placés par de nouveaux éléments organiques qu'y appor- tent les aliments. Et, dans le fait, la production de l'urée a lieu chez les animaux nourris pendant longtemps avec du sucre, de l'amidon, de la gomme, comme avant l'u- sage de cette alimentation. On remarque la même chose chez les animaux morts d'inanition. Pour mieux préciser ces transformations je vous cite- rai quelques exemples puisés dans l'ouvrage de Liebig, Chimie organique appliquée à la physiologie animale. 138 SEPTIÈME LEÇON. Un serpent privé quelque temps d'aliments , puis au- quel on a donné à manger une chèvre , ou un lapin , ou un poulet , rend les excréments , les poils et les os de l'animal dévoré, exhale de l'acide carbonique et de l'eau, et ne rejette par les voies urinaires que Turate d'ammo- niaque. Le serpent reprend ensuite son poids ordinaire , et il ne reste aucune trace de l'animal dévoré. Analysons ce simple cas de nutrition. L'urate d'ammoniaque contient 1 équivalent d'azote pour 2 équivalents de carbone; les muscles et le sang de l'animal mangé contenaient 8 équi- valents de carbone pour 1 d'azote , et si à ce carbone on ajoute tout celui de la graisse et de la cervelle de l'ani- mal dévoré , on voit que le serpent a pris 8 équivalents de carbone, et plus encore pour 1 équivalent d'azote. Dans les excréments on ne trouve que 2 équivalents de carbone ; les 6 équivalents qui manquent ont dû être re- jetés à l'état d'acide carbonique. Je ne m'arrête point à vous répéter que nous pensons que l'urate d'ammoniaque et l'acide carbonique sont produits par les tissus trans- formés , à la place desquels sont venus se mettre des équivalents pris dans les éléments organiques de l'animal digéré. 11 est toujours vrai que l'on trouve autant de car- bone et d'azote, dans les produits de la transformation des tissus qu'ils subissent en présence du sang artériel , qu'ils en ont retiré du sang ou des aliments. Ce que je viens de vous dire pour le serpent , je puis vous le ré- péter du lion et de tous les carnivores ; dans leur urine, il y a seulement de l'urée, dans laquelle la proportion d'a- zote est au carbone commme 2 est à 1. Puisque ces NUTRITION. 139 animaux se nourrissent de viande dans laquelle l'azote est au carbone comme 1 est à 8 , il en résulte que tout le carbone introduit, qui est en excès par rapport à celui qui sort dans les urines , disparaît dans la respiration , est brûlé, converti en acide carbonique. A coup silr, la res» pi ration du lion est beaucoup plus active que celle du serpent. Les 15 ou 20 grammes d'azote que l'homme rend chaque jour par l'urine, ainsi que l'excès d'azote qu'il expire , proviennent de matières neutres azotées dont il se nourrit, ou plus directement encore des tissus trans» formés que les substances alimentaires viennent rem- placer. Boussingault a prouvé par l'expérience que l'on ne trouvait pas dans les urines du cheval tout l'azote qui fait partie de ses aliments, et il a démontré par là que l'excès de l'azote expiré provient également des aliments. Il est impossible, dans l'état actuel de la science, de dire précisément par quelles séries de modifications et de produits intermédiaires passent les muscles , les car- tilages, etc., pour se convertir en urée sous l'action de l'oxygène des globules sanguins. En ajoutant à la for- mule de la protéine, qui est en même temps celle de l'albumine, de la caséine, de la fibrine, etc., autant d'oxygène qu'il en faut pour la transformer en urée, et pour convertir l'excédant d'hydrogène et de carbone en eau et en acide carbonique, on obtient des quantités d'acide carbonique et d'eau qui sont de beaucoup plus petites que celles produites dans la respiration. Voici un exemple numérique déduit des expériences de Boussin- ÌUO SEPTIÈME LEÇON. gault que je vous rapporterai, pour mieux établir que le carbone des aliments azotés convertis en urée est bien moindre que celui que les animaux émettent à l'état d'acide carbonique. Voici ces nombres : un cheval reste en parfait état de santé en mangeant par jour 1 kilo- gramme I de foin et 2 kilogrammes | d'avoine. Les re- cherches analytiques démontrent que l'azote du foin est de 1,5 et celui de l'avoine de 2,2 pour 100. Admettons que tout l'azote des aliments soit réduit en sang à l'état de fibrine et d'albumine, ce qui fait 140 grammes d'azote introduits dans le sang et destinés à prendre la place de l'azote qui sort dans les produits des tissus transformés. Le poids du carbone ingéré simultanément à l'azote s'élève à 440 grammes, et 246 seulement de ceux-ci peuvent se convertir en acide carbonique pendant la res- piration, puisque le cheval rend 93 grammes de carbone en urée et 109 grammes à l'état d'acide hippurique. Mais un cheval, selon les expériences de ce chimiste, rend par la respiration, dans l'espace d'un jour, 2454 gram- mes de carbone à l'état d'acide carbonique. Il est donc bien clair que le carbone des principes azotés des aliments n'est qu'une faible portion de celui qui se trouve dans l'acide carbonique expiré. De là provient pour l'animal la nécessité où il est de faire usage d'autres aliments pour suppléer à l'insuffisance du carbone contenu dans les aliments azotés. L'amidon, la gomme ou le sucre, les corps gras sont dans cette caté- gorie. Dans toutes les circonstances où l'économie ani- male est destinée à croître, comme dans le jeune animal, la nature a augmenté dans ses aliments la proportion de NUTRITION. 141 ceux qui fournissent le carbone et l'hydrogène et qui se perdent par la respiration; par là les aliments azotés destinés à l'accroissement des tissus sont ménagés. Le docteur Capezzuoli a récemment découvert, en déterminant successivement le poids des matières grasses et des matières azotées neutres dans l'œuf du poussin dans le temps de l'incubation, et dans le poussin lui- même après sa sortie de l'œuf, que vers environ le dix- septième jour de l'incubation, c'est-à-dire peu de temps avant sa naissance, il y a une sensible diminution dans les quantités de matières grasses et azotées neutres, et qu'elle va peu à. peu en croissant. Quant aux corps gras, il semble qu'eux aussi ne sont entièrement employés dans la respiration que dans le cas où l'amidon, le sucre et la gomme ne suffisent pas. C'est pour cela que l'on voit disparaître la graisse chez les animaux dormeurs et chez ceux qui sont restés long- temps sans alimentation. Ces corps semblent être dans l'état physiologique destinés primitivement à la forma- tion de la substance cérébrale et nerveuse, et à remplir les mailles du tissu cellulaire, lequel n'est pas sans impor- tance pour les fonctions de la vie, et qui, pour ainsi dire, retient en dépôt des matériaux pour la respiration. Je vous entretiendrai encore des vues hypothétiques de Liebig relativement au foie. Il n'y a plus de physio- logiste qui pense que la bile est seulement un excrément. Il suffirait, pour se convaincre du contraire, de réfléchir que Berzelius n'a trouvé dans 1000 parties d'excréments humains que 9 parties d'une matière semblable à la bile, c'est-à-dire qu'un homme qui sécrète en un jour de 500 ÌU2 SEPTIÈME LEÇON. à 700 grammes de bile ne rejetterait avec les excréments que j^ ou ^ de la bile formée. D'autre part, on ne peut croire qu'une matière aussi peu azotée soit utile à la nutrition. Enfin, nous avons vu que la bile ne joue aucun ou qu'un très-petit rôle dans la digestion. Liebig admet que la bile versée dans le duodénum forme une combi- naison soluble avec la soude, qu'elle est absorbée et con- vertie en carbonate de soude, en cédant ainsi une portion de son carbone à l'oxygène. L'appui de l'expérience manque à ces vues, d'autant plus que ce n'est que dans quelques cas pathologiques et sous l'influence de cer- taines constitutions atmosphériques que Ton a trouvé des traces de matière biliaire dans le sang. Quoi qu'il en soit de ces idées hypothétiques plus ou moins fondées, relatives à la nutrition, et que j'ai voulu vous exposer rapidement, un fait certain, c'est qu'un homme adulte absorbe en un jour environ 1015 grammes d'oxygène. Les observations de Dumas , d'Andrai et de Gavarret, et celles plus récentes de Scharling, donnent pour résultat, en terme moyen, que l'homme exhale en un jour 224 grammes de carbone à l'état d'acide carbo- nique, que les hommes en exhalent plus que les femmes, et les enfants plus que les hommes ; qu'ils en exhalent davantage dans la veille que dans le sommeil. Un cheval rejette, à l'état d'acide carbonique, 2465 grammes de carbone, consumant à cet effet 6504 grammes d'oxygène. Une vache laitière exhale 2212 grammes de carbone , qu'elle rejette sous forme d'acide carbonique, en em- ployant 5833 grammes d'oxygène. Les quantités d'ali- ments sont donc nécessairement en rapport avec celles de CHALEUR ANIMALE. U3 l'oxygène respiré et de l'aeide carbonique exhalé. L'ac- tivité des nnouvements respiratoires, la densité de l'air respiré , et la quantité de carbone introduit avec les ali- ments, doivent être en proportion entre elles afin de con- server les matériaux de l'économie animale. Letellier a prouvé dernièrement, sur des oiseaux et des petits cochons d'Inde, que la quantité d'oxygène consommé dans la res- piration est d'autant moindre que la température de l'air est plus élevée. L'acide carbonique exhalé à 0" fut trouvé par Letellier être le double de celui qui fut produit à la température de + 15 à 20° centig. Chez ces animaux, dans lesquels l'activité des mou- vements respiratoires est plus grande, la circulation capillaire plus rapide , la quantité des globules sanguins plus considérable, la portion des matières grasses de leurs tissus est très-petite. C'est dans ce cas que se trouvent les oiseaux, l'hyène, le tigre. Faites en sorte que ces animaux ne se meuvent que peu ou pas du tout , et la graisse s'accumulera dans leurs tissus. Les expériences de Tréviranus nous apprennent que , en les ramenant à l'unité de poids, un animal à sang froid consume dix fois moins d'oxygène qu'un mammifère, et dix -neuf fois moins qu'un oiseau. Enfin , je crois important de rapporter ici les conclu- sions d'un grand nombre d'expériences faites par Bous- singault pour établir, par la comparaison de la composition des aliments avec celle des excréments, s'il y a exhalation d'azote par la respiration des granivores. En prenant la moyenne de ses résultats , on trouve qu'une tourterelle consomme en vingt-quatre heures ÌUU SEPTIÈME LEÇON. Ô^^IO de carbone; dans le même espace de temps, elle émet IS^', 70 d'acide carbonique, c'est-à-dire 9^'*, 441, et 0s^l6 d'azote, c'est-à-dire 0^'*,126. L'azote serait j^ en volume de l'acide carbonique, proportion qui, d'ailleurs, est inférieure à celle trouvée par Dulong et Despretz. L'hydrogène consommé en un jour est de 0^'",07. En sorte que , par ces données , on a qu'une tourterelle qui pèse 187 grammes , et qui respire librement à la température de + 8 à 10" centig., en consommant en vingt-quatre heures 5^'",1 de carbone, 0^'",07 d'hydrogène, peut déve- lopper toute la chaleur nécessaire pour maintenir son corps à la température de -|- 41 à 42** centig. , et cela en exhalant encore environ 3 grammes d'eau par la voie des poumons et de la peau. Il est donc indubitable qu'un animal est un véritable appareil de combustion dans lequel il brûle constamment du carbone , et duquel se dégage toujours de l'acide car-, bonique. Un tel appareil calorifique a été constitué de manière à avoir, par rapport à la température du milieu ambiant, un excès de chaleur qui doit être nécessairement constant ou peu variable. Cet excès varie selon la rapi- dité de la combustion de l'appareil calorifique animal, et selon la température constante du milieu ambiant dans lequel il vit. 1 gramme de fer qui s'oxyde à l'air, et 1 gramme de fer qui s'oxyde dans l'oxygène , développent certes autant de chaleur l'un que l'autre; mais celui-ci s'oxyde en une seconde peut-être , tandis que l'autre y emploie plusieurs heures. De là la différence de chaleur, immensément plus considérable que l'un possède par rapport à l'autre. Une masse de marc de raisin conve- CHALEUR ANIMALE. 'lZl5 nablement amoncelé, s*échaufFe fortement en fermentant ; une quantité pareille à la première, mais disposée en petite couche , émet la même quantité de chaleur, qui cependant n'est pas sensible à cause de sa trop grande dispersion. C'est ainsi que l'on doit comprendre la diffé- rence qui existe entre les animaux à sang chaud et ceux à sang froid. On ne peut donc concevoir de doute sur la source de la chaleur animale. Elle se trouve dans les réactions chimiques de la respiration opérées dans les capillaires, dans les transformations des tissus, et surtout * dans la combinaison de l'oxygène avec le carbone. Je n'ai point voulu et je ne veux pas vous exposer les autres hypothèses imaginées relativement aux sources de la chaleur animale. De ce qu'en coupant les nerfs pneumo- gastriques ou la moelle épinière on voyait s'abaisser la température d'un thermomètre plongé dans les tissus d'un animal, on conclut que \ innervation était la cause di- recte de la chaleur animale; mais alors on ne réfléchit point que par cette section des nerfs et de la moelle épi- nière la respiration et la circulation sanguine étaient diminuées. Au lieu d'entrer dans la discussion de pa- reilles hypothèses , il sera préférable d'approfondir da- vantage les particularités des actions chimiques que nous avons considérées comme l'unique source de la chaleur animale. Les physiciens ont voulu démontrer la vérité de ces hypothèses : un animal exhale, en un certain temps, une certaine quantité d'acide carbonique et d'eau , et simul- tanément il développe une quantité de chaleur qui peut être mesurée par la quantité d'eau qu'il est capable 13 146 SEPTIÈME LEÇON. d'échauffer dans ce même laps de temps. Si l'acide carbo- nique et l'eau que l'animal exhale sont le produit de la combustion du carbone et de l'hydrogène, la chaleur dé- veloppée par l'animal doit, disent les physiciens, être égale à celle que ces mêmes quantités de carbone et d'hy- drogène produiraient en les brûlant à l'air. En partant des données fournies par un calorimètre dans lequel l'animal était mis, notant la température acquise par l'eau et mesurant en même temps l'oxygène absorbé par l'animal ou ses produits , acide carbonique et eau, Dulong puis Despretz ont trouvé que sur 100 par- ties de chaleur produite par l'animal et recueillies au moyen du calorimètre , 80 ou 90 seulement étaient re- présentées par la combustion du carbone et de l'hydro- gène , déduite de l'acide carbonique et de l'eau émis par l'animal. Si l'on réfléchit que la température de l'animal placé dans le calorimètre est toujours supérieure à celle de l'eau qui l'entoure, et que, par conséquent, l'animal se refroidit pendant l'expérience , on trouve dans le fait de ce refroidissement une explication plausible de l'excès trouvé. Et dans le fait, les nombreuses expériences de Despretz ont fait voir que les excès de chaleur recueillis par le calorimètre , sur celle qui est due à la combustion respiratoire , sont d'autant plus grands que l'animal est plus jeune et que sa température est plus élevée. On sait en outre , par les belles expériences d'Edwards , que les jeunes animaux se refroidissent beaucoup plus rapide- ment que les adultes. Ces considérations suffiraient pour prouver que l'ex- CHALEUR ANIMALE. ìkl ces trouvé dans le calorimètre peut s'expliquer sans re- courir à un pouvoir spécial , à une propriété vitale qui engendre la chaleur. Je dois encore ajouter qu'après la mort du célèbre Dulong on trouva dans ses notes la description des di- verses autres expériences inédites relatives à la chaleur développée par la combustion de l'hydrogène. Cette cha- leur serait de beaucoup plus considérable que celle qu'a- vaient d'abord trouvée Dulong lui-même et Despretz. Le chiffre fixé par les dernières expériences de Dulong a depuis été confirmé par celles de Fabre et Silberman. Maintenant, en adoptant ce nouveau nombre, on ne trouve plus d'excès dans la chaleur cédée au calorimètre sur celle développée par la combustion de l'hydrogène et du carbone , mais au contraire un déficit. 11 n'y a donc pas motif de chercher d'autres sources de chaleur animale que les réactions chimiques de la respiration et de la nutrition; mais je pense que c'est à tort que l'on veut appliquer exactement les résultats des expériences de combustions ordinaires produites dans un calorimètre, à celles qui peuvent survenir dans un animal , et à ne vouloir admettre comme source de cha- leur animale qu'une seule des nombreuses réactions chi- miques qui s'opèrent dans le sein du même animal. Et dans le fait, l'acide carbonique dont se charge le sang veineux, qui est certainement un produit de la combinaison de l'oxygène atmosphérique avec le carbone des éléments organiques des divers tissus qui se modi- fient , ne peut provenir du carbone existant à l'état libre dans ces tissus , mais bien en combinaisons , com- 1Zi8 SEPTIÈME LEÇON. binaisons que nous sommes loin de connaître parfaite- ment. Les expériences de Dulong ont maintenant mis hors de doute qu'un corps combiné à un autre ne produit pas en brûlant , ou en s' unissant à l'oxygène , la même quan- tité de calorique qu'il émettrait s'il était pris à l'état libre. La chaleur que produisent l'hydrogène bi-carboné, le gaz des marais, l'essence de térébenthine en brûlant dans l'oxygène, et formant de l'eau et de l'acide carbo- nique , n'égale pas la somme de chaleur qu'auraient four- nie les volumes de gaz qui les composent en brûlant séparément, mais généralement elle est moindre. Les expériences de Hers et de Andrews, qui tendraient à prouver que dans une combinaison donnée il se déve- loppe une quantité absolue de chaleur, quel que soit l'état des deux corps qui se combinent, jusqu'à présent ont trait seulement aux combinaisons successives d'un môme corps , comme cela serait dans le cas de l'acide sulfurique qui se combine avec différents atomes d'eau. Si l'on veut se borner à la seule action chimique du carbone et de l'hydrogène avec l'oxygène pour expli- quer la production de la chaleur animale , il sera difficile d'interpréter les résultats auxquels sont arrivés, dans ces derniers temps , Andrai et Gavarret dans leur étude de l'exhalation de l'acide carbonique dans l'acte de la respi- ration chez l'homme. En s'en tenant aux expériences très- étendues, et suivant toute apparence exactes, de ces deux physiologistes distingués, la quantité d'acide carbonique qui est exhalé dans la respiration peut varier beaucoup selon le sexe, l'âge et quelques dispositions physiolo- CHALEUR ANIMALE. 17j9 giques particulières. La diflférence est comprise entre les chiffres 5 et 14,4, exprimant également avec ceux-ci les quantités, prises en grammes, de carbone qui concourent à former l'acide carbonique expiré dans l'intervalle d'une heure. Le premier de ces chiffres a été trouvé chez un enfant de huit ans et l'autre chez un jeune homme de vingt-six. Notez bien que, chez les enfants, la tempéra- ture étant notablement plus élevée que chez les adultes, que la masse qui est échauffée chez ces derniers étant plus considérable, la perte de chaleur qu'ils doivent subir doit aussi être proportionnellement plus grande. Andrai et Gavarret ont également trouvé que, chez les femmes, l'établissement de la puberté n'augmente pas la quantité d'acide carbonique exhalé , mais que cette exha- lation devient plus active lorsque l'âge ou d'autres causes mettent fin au phénomène de la menstruation. Malgré cela, on ne remarque aucune différence sensible de température dans le corps d'une femme ni avant, ni après, ni dans le temps de la menstruation, ni dans l'état de grossesse. Et, sans avoir recours à ces données expé- rimentales, il suffirait de considérer qu'il y a dans cer- taines maladies un abaissement de température rapide, dans d'autres, au contraire, une très-grande élévation partout le corps, sans que pour cela on puisse admettre une variation correspondante dans la fonction respira- toire. Concluons donc que, dans l'état actuel de nos connais- sances physico- chimiques, il faut admettre que les ac- tions chimiques qui surviennent dans les animaux pen- dant la transformation de leurs tissus, sous l'influence 150 SEPTIÈME LEÇON. de l'oxygène atmosphérique, sont la source de la chaleur chez les animaux; que, parmi celles-ci, la combustion du carbone et de l'hydrogène doit être considérée comme la principale mais non l'unique, et que nous manquons encore de données expérimentales pour trouver l'exact rapport entre la chaleur produite par un animal , celle qui est fournie par les réactions chimiques qui se passent en lui et celles qu'il nous est possible de produire avec nos appareils. Je n'abandonnerai pas ce sujet sans vous dire que, dans les végétaux aussi, la chaleur développée par la germina- tion est un phénomène d'action chimique dû à la com- binaison de l'oxygène avec le carbone de la graine qui germe. On sait que dans la germination il y a absorption d'oxygène et dégagement d'acide carbonique; queladia- stase convertit l'amidon en dextrine et en sucre, qui dis- paraît ensuite en produisant de l'acide carbonique. Il est curieux que dans les plantes, comme dans les animaux, ce soient l'amidon et le sucre qui , en brillant , dégagent la chaleur propre à ces êtres. C'est également ainsi qu'il faut expliquer la chaleur qui accompagne la fécondation des plantes , et c'est pour cette raison que nous voyons dans la canne à sucre, la betterave, les carottes, le sucre disparaître après la floraison et la fructification. HUITIEME LEÇON. o PHOSPHORESCENCE DES CORPS ORGANISÉS. Les corps vivants ne produisent pas seulement de la chaleur; chez beaucoup d entre eux il y a encore déga- gement de lumière. Quoique cette production de lumière ne soit point un phénomène général et propre à tous les êtres organisés , les nombreux cas connus sont de la plus grande importance ; ils font voir une singulière faculté de l'organisme vivant. Nous verrons dans cette leçon, dans l'étude que nous ferons du cas le mieux connu de pho- sphorescence animale, qu'elle rentre dans les théories physico-chimiques , quant à son mode général de produc- tion, et que son caractère exceptionnel est une de ces mystérieuses singularités que la nature semble avoir jetées au milieu de l'immense variété des êtres , presque sans se préoccuper de ceux qui les présentent , et seulement pour nous contraindre à admirer humblement la puis- sance de' sa faculté créatrice. Je vous entretiendrai longuement de la phosphores- cence d'un insecte très-connu chez nous , en vous expo- sant les expériences fes plus concluantes faites il y a déjà quelque temps par Macaire, par d'autres physiciens et par moi , tout récemment. L'insecte dont je vous parle est le lampiris italica , vulgairement appelé ver luisant en France et lucciola en 152 HUITIÈME LEÇON. Italie. C'est un insecte coléoptère qui vit dans l'herbe , et qui se laisse apercevoir après le coucher du soleil au printemps et en été. Les deux derniers segments du corps de cet insecte, qui de jour semble avoir une couleur jau- nâtre, apparaissent légèrement lumineux dans l'obscu- rité, et pendant la nuit ils répandent beaucoup de lu- mière d'une manière intermittente. On s'aperçoit en les touchant légèrement, ou jnême sans les toucher, que la lumière cesse quelquefois tout à coup, puis ensuite reparaît. Ce fait conduisit Macaire à admettre que la vo- lonté de l'animal intervenait dans l'émission de cette phosphorescence; ce n'est certainement pas au moyen d'une membrane opaque que l'insecte pourrait étendre sur ses anneaux, qu'il cesse d'être lumineux, ainsi que l'ont pensé quelques personnes, puisque cette membrane n'existe pas. Nous verrons dans le cours de cette leçon que tout conduit à admettre que la phosphorescence n'est pas con- tinue, parce que la cause qui la produit ne l'est pas , et que nous pouvons rendre compte de l'intermittence du phénomène. Dans l'étude de cette phosphorescence l'observation qui a toujours excité ma surprise, c'est que la matière jaunâtre contenue dans les derniers anneaux de l'insecte conti- nue à émettre de la lumière lorsqu'elle en est séparée. Il suffit de tuer un de ces vers luisants, de l'écraser entre les doigts, pourvoir de longues traînées de lumière qui par- tent de la matière jaunâtre existant dans ces animaux. Cette phosphorescence persiste plus ou moins longtemps PHOSPHORESCENCE. 153 suivant diverses circonstances que nous étudierons bien- tôt. Certes, ce fait-là prouve que l'intégrité de l'animal , sa vie, ne sont point essentiellement nécessaires à la pro- duction de la phosphorescence. Je suis parti de là pour étudier sur cette matière ainsi séparée du corps de l'in- secte, l'influence des circonstances , chaleur, électricité, milieu gazeux, ainsi que l'avaient fait tous ceux qui se sont occupés avant moi d'un aussi curieux phénomène. En même temps, j'ai étudié l'influence des mêmes causes sur l'insecte intact et vivant, et c'est par comparaison que je crois être arrivé à mieux déterminer la nature du phénomène. J'ai placé plusieurs vers luisants très-vivaces et très- brillants dans un tube de verre qui était plongé dans l'eau. Un thermomètre à très-petite boule était entouré de ces vers luisants. Je dois noter que j'ai fréquemment cherché, mais sans résultats, à découvrir si le thermo- mètre ainsi entouré de vers luisants indiquait une tempé- rature plus élevée qu'un autre thermomètre. En chauffant légèrement l'eau, je vis s'accroître l'intensité de la lu- mièrejusqu'à 4- 30°Réaumur. A cette température envi- ron l'intermittence cessait, la lumière était continuelle; en chauffant encore elle devint rougeâtre. A -|- 40" Réau- mur, la lumière cesse tout à fait et pour toujours, l'a- nimal est mort. En l'écrasant entre les doigts, la ma- tière des anneaux ne fournit plus de lumière. En opérant non plus sur des vers luisants entiers , mais seulement sur leurs derniers segments lumineux, je n'ai découvert aucune différence. Ces résultats confir- ment les expériences faites par Macaire sur les vers Ì5U HUITIÈME LEÇON. luisants intacts, et en les tenant au milieu de l'eau, que l'on réchauffait graduellement. J'ai trouvé quelques différences entre mes résultats et ceux obtenus par ce physicien , quand on soumet de la même manière les vers luisants au refroidissement. Le tube étant placé au milieu de la glace, la lumière ne cesse pas, et après quinze ou vingt minutes, ils brillent encore. Seulement la lumière était plus faible et sans intermit- tence. Les vers luisants, retirés du tube et posés sur la main , redeviennent brillants comme avant. Le même fait se produit en opérant seulement sur les derniers seg- ments lumineux. Le tube contenant les vers luisants, et le thermomètre étant placé dans un mélange frigorifique de — 5° Réaumur, après huit ou dix minutes, ils ces- sent de briller et paraissent privés de mouvement : reti- rés et placés sur la main, ils reprennent la vie et la lu- mière. Si, pendant qu'ils sont enfermés dans le tube à — 5° Réaumur, on rompt leurs segments avec un fil mé- tallique terminé en pointe, il n'apparaît qu'une lumière passagère et très -faible. Ce fait est encore confirmé, puis- qu'on voit que leurs derniers segments isolés ou leur ma- tière lumineuse cessent de briller à — 5° Réaumur. La matière lumineuse ainsi refroidie, si elle est retirée et ré- chauffée, redevient brillante pour un instant, et avant de s'éteindre passe au rouge comme à l'ordinaire, si la cha- leur a été trop forte. J'ai mis en même temps dans deux cloches égales en verre dix vers luisants et un même nombre de segments détachés d'autres vers luisants pareils. Ensuite, après avoir rempli ces deux cloches de mercure, j'y ai introduit PHOSPHORESCENCE. 155 de l'acide carbonique. En peu de minutes, mais sans diffé- rence notable entre les segments et les insectes intacts, la lumière a tout à fait disparu. Si j'introduis un peu d'air tous brillent de nouveau ; et si je fais arriver quel- ques bulles d'oxygène, cet effet a lieu plus rapidement et plus vivement. Les vers luisants qui paraissaient morts dans l'acide carbonique reprennent la vie et le mouve- ment à l'introduction de l'oxygène. Si l'on tarde un cer- tain temps, trente à quarante minutes, à faire passer l'air ou l'oxygène, ils ne reviennent ni à la vie ni à la phospho- rescence . Les segments seuls , restés encore plus longtemps sans clarté dans l'acide carbonique, brillent de nouveau lorsqu'on introduit l'oxygène. Si l'on se sert d'hydrogène au lieu d'acide carbonique, les insectes, comme leurs par- ties lumineuses séparées, ne conservent leur phosphores- cence que pour un temps, qui est un peu plus considérable que celui que nous avons dit pour l'acide carbonique. La différence est peu sensible pour les insectes entiers; elle est plus considérable pour les segments lumineux déta- chés. Dans une circonstance j'ai vu continuer la phospho- rescence dans l'hydrogène pendant vingt-cinq ou trente minutes. Et encore pour les vers luisants qui étaient sans éclat dans l'hydrogène, il arrive que dans l'air, ou mieux avec l'oxygène, ils reviennent à la vie, et la phosphores- cence reparaît à l'instant , pourvu qu'on ne tarde pas de plus de quinze ou dix minutes après la disparition de la lumière. J'ai constamment observé que chez les insectes entiers l'intermittence cessait avant que la clarté disparilt tout à fait. 166 HUITIÈME LEÇON. Quelques heures après que les vers luisants ou leurs segments lumineux ont cessé de briller, on obtient une faible mais très-visible lueur en les écrasant sur la main , mais cette lumière ne dure qu'un instant. Je rapporterai maintenant les expériences les plus concluantes que j'aie faites dans l'étude de l'action des vers luisants ou des seuls segments lumineux sur l'air atmosphérique et sur l'oxygène. J'ai placé dans une cloche de verre graduée neuf vers luisants vivants , et dans une autre cloche pareille à la première et contenant autant d'air un nombre égal de segments. Après vingt- quatre heures les vers luisants ne brillaient plus, quoique les segments fussent encore lumineux, faiblement il est vrai. L'air resté sous les cloches fut analysé trente-six heures après. L'oxygène avait entièrement disparu et avait été remplacé par un volume égal d'acide carbo- nique. Dans 11*" ''jS d'air atmosphérique où se trou- vaient les insectes entiers, on trouva 2"*=, 4 d'acide car- bonique. Là où se trouvaient les segments lumineux , tout l'oxygène n'avait pas été absorbé. Les vers luisants entiers se maintiennent vivaces et brillants dans le chlore, tout aussi bien que les segments séparés. La vie et la phosphorescence qui ont disparu dans ce gaz ne reparaissent ni en introduisant de l'air, ni par la présence de l'oxygène, ni par la chaleur. Les insectes et leurs segments même écrasés ne montrent plus de phosphorescence. Les vers luisants qui sont restés vingt-quatre heures dans l'air atmosphérique dans une cloche de verre , si on les réchauffe avec une lampe après qu'ils ont cessé PHOSPHORESCENCE. 157 de briller et de vivre , redeviennent pour un moment lé- gèrement lumineux. J'ai mis des vers luisants vivants et brillants dans le gaz oxygène contenu dans des cloches de verre remplies sous le mercure. Ils y ont vécu environ quarante heures continuant à briller toujours. J'ai placé dans l'oxygène pur dix segments lumineux enlevés à dix vers luisants vivants. Ces segments ont continué à être phosphorescents pendant quatre jours entiers, et on les voyait lumineux, même pendant le jour, quand on les regardait dans un endroit qui n'était pas trop éclairé. Le gaz resté dans la cloche contenait un tiers d'acide carbonique produit, et le reste était de l'oxygène. Je remis d'autres segments lumineux dans cet oxy- gène ; après en avoir enlevé l'acide carbonique au moyen de la potasse, on eut encore le même résultat que le précédent. Les segments qui y étaient restés quatre jours n'émettaient plus de lumière, même en les ré- chauffant. Voici les nombres déduits de quelques expériences : Vers luisants entiers dans un volume de gaz oxygène 6''',8 Après trente heures , le volume du gaz était de . 6 ,2 La potasse a absorbé 4,2 Le gaz qui restait était de l'oxygène qui disparut avec un petit morceau de phosphore, ne laissant qu'une très- petite bulle. D'autres vers luisants furent enfermés avec 11*^^,8 d'air atmosphérique. Après trente-six heures, le volume de 14 158 HUITIÈME LEÇON. l'air n'avait pas changé, et on trouva qu'il contenait 2*'%4 d'acide carbonique. Les segments phosphorescents des vers luisants furent mis dans 6'^'' d'oxygène : on analysa le gaz, dont le vo- lume s'était réduit à 5''*', 8 après quarante-huit heures, et on vit qu'il contenait 2"'' d'acide carbonique ; le reste était de l'oxygène. Dans toutes ces expériences, j'ai tou- jours opéré sur huit ou dix segments lumineux pris sur huit ou dix vers luisants différents. J'ai vu encore que , dans un mélange de 9 parties d'hydrogène et 1 d'oxygène, ces insectes continuèrent à vivre et à briller, même après douze heures d'expérimen- tation. J'ai trouvé que la moitié environ de l'oxygène avait été remplacée par un volume égal d'acide carbo- nique. Au contraire, dans un mélange de 1 partie d'oxy- gène et 9 d'acide carbonique, les vers luisants ne conti- nuaient à briller que deux ou trois heures, et après douze ils étaient morts. J'ai constaté qu'il suffit de | d'acide car- bonique et l d'oxygène pour composer un mélange dans lequel le ver luisant ne vit pas longuement et oii il ne brille pas longtemps. Également, dans ce mélange, j'ai vu qu'une portion d'oxygène avait disparu après que les insectes y avaient séjourné un certain temps. Le gaz acide carbonique paraît agir comme un gaz vénéneux. Les segments lumineux introduits dans le mélange précédent s'y comportent comme les insectes entiers , quant à la durée de leur lumière, avec cette dif- férence cependant que l'oxygène absorbé et l'acide carbo- nique émis sont en plus petite quantité et environ d'un qiiart de celui que nous avons vu l'être pour les vers PHOSPHORESCENCE. 1 59 luisants entiers. Le volume de gaz qui disparaît pendant l'expérience est dû à ce peu d'eau qui s'introduit dans le corps des vers luisants , et qui dissout l'acide carbonique qui se forme. L'observation de cette particularité , que les vers luisants continuaient à vivre pendant plusieurs heures, privés de leurs segments lumineux, m'a donné occasion de faire une curieuse expérience , qui est tout à fait d'accord avec celle que je vous ai déjà exposée. J'ai introduit vingt vers luisants vivants et très-brillants dans une cloche de verre renversée sur le mercure , qui contenait 6" '',6 d'oxygène pur; j'ai enlevé avec soin les segments lumineux à vingt autres vers luisants également vivants et doués de beaucoup de phosphorescence , puis je les ai mis dans une autre cloche contenant ô'^'^fi d'oxy- gène pur et pareillement renversée sur le mercure. Enfin, les vingt segments lumineux restants ont aussi été placés dans une troisième cloche graduée et avec 9'''= d'oxygène, et je l'ai disposée comme les précédentes. Après dix heures , j'ai observé les trois cloches : dans toutes trois le volume du gaz avait diminué, et certainement à cause de la formation d'acide carbonique , ensuite absorbé par l'humidité des insectes , ou par le voile d'eau qui couvrait le mercure. Ainsi, dans la première, le gaz était de 6''*',2; dans la deuxième, de5''"^,4; dans la troisième, le volume n'avait pas sensiblement diminué. Les vers luisants entiers vivaient et brillaient encore ; les segments étaient également phosphorescents, et les moitiés de vers luisants semouvaient. Dans la première cloche, après l'ab- sorption opérée par la potasse , il est resté S'^^S d'oxy- gène ; dans la deuxième , 3'=s7 ; dans la troisième , 8*^ s2. 160 HUITIÈME LEÇON. La potasse avait absorbé , par conséquent , 2''s8 d'acide carbonique produit par les insectes entiers, 1*=%9 d'acide carbonique dû aux vers luisants sans segments , et 0*=<=,8 de cet acide produit par la seule substance pho- sphorescente, Il est curieux, en considérant ces chiffres, de voir que les deux parties en lesquelles l'animal a été divisé auraient agi séparément avec la même intensité que dans le ver luisant entier et comme si elles avaient vécu d'une vie commune. J'ai répété d'autres fois l'expérience, et j'ai toujours trouvé que l'absorption opérée par l'in- secte entier surpassait , et encore d'une plus grande quan- tité que dans les chiffres cités, la somme des absorp- tions des demi-vers luisants et des segments lumineux. Je rapporterai encore une expérience qui conduit aux mêmes conséquences que les précédentes. J'ai introduit plusieurs vers luisants dans une cloche de verre que j'ai remplie d eau et renversée sur la cuve hydro-pneumatique. Après vingt minutes , les vers luisants avaient cessé de briller ; aussitôt après l'introduction de quelques bulles d'air, ils reprirent la vie et la lueur. J'ai remarqué plu- sieurs fois ce fait-là. J'ai répété cette expérience avec de l'eau que j'avais préalablement fait bouillir deux heures, les vers luisants n'y ont émis de lueur que pendant dix à douze minutes. Il est curieux qu'avec d'autres liquides que ceux qui agissent chimiquement sur la substance de l'insecte, la durée delà phosphorescence soit différente. Dans l'alcool et l'éther, la phosphorescence dure un peu plus que dans l'eau; dans l'huile, au contraire, elle dure moins. Il faut agir d'après la méthode que je viens d'indi- quer , et ne pas se borner à mettre les insectes dans le PHOSPHORESCENCE. 161 liquide contenu dans une capsule. Dans l'une comme dans l'autre de ces dernières expériences , je crois que la durée de la phosphorescence doit en partie être attribuée à l'air qui reste toujours adhérent à l'insecte. J'ai tenté une autre expérience que je crois nécessaire de vous décrire avant de déduire des précédentes les conséquences qui en dépendent. J'ai séparé les segments de plusieurs vers luisants très-vivaces , et je lésai écra- sés et triturés dans un petit mortier d'agate. En agissant ainsi , la matière de ces segments paraît d'abord très- lumineuse, mais peu de secondes après, on voit diminuer puis cesser entièrement la phosphorescence. Ce résultat est encore accéléré, si on a modérément chauffé le mortier. J'introduis dans le fond d'une cloche une partie de la substance des segments triturés , et au moment où elle cesse de briller, je remplis la cloche de mercure, je la renverse sur la cuve et j'introduis l'oxygène. Au contact du gaz, j'ai vu une seule fois, au milieu des nombreuses expériences que j'ai faites, un très-léger signe de lumière, qui cessa à l'instant. Dans une autre expérience dans laquelle la matière triturée brillait encore faiblement quand le gaz fut introduit , la lueur continua pendant quelque temps. Dans ces deux cas, j'analysai le gaz quarante-huit heures après. Son volume n'avait pas varié , et l'absorption par la potasse , sur 8 centimètres cubes de gaz oxygène, ne dépassa pas 0^^,2 dans l'ex- périence où la lumière avait continué, et fut nulle dans l'autre. L'oxygène était resté sensiblement pur. Dans une autre expérience, j'ai chauffé vingt segments lumineux à -f- 40° Réaumur environ , en mettant le tube 162 HUITIÈME LEÇON. dans lequel ils étaient contenus dans de l'eau à cette tem- pérature. Les segments sont devenus rouges et ont cessé de briller. Alors j'ai rempli le tube de mercure, je l'ai renversé sur la cuve, et j'ai introduit l'oxygène; je n'ai aperçu aucune lueur, et, après quatre jours, la potasse n'a indiqué aucune absorption. Ces segments ont seule- ment cessé de briller; l'oxygène n'a pas été absorbé, et, par conséquent, l'acide carbonique n'a pas pris naissance. Quelques vers luisants , mis dans l'hydrogène sulfuré , ont cessé bien vite de briller et de vivre ; on ne les a plus vus produire de phosphorescence, même en les mettant en contact de l'oxygène , et même chauffés. Par l'écrase- ment des segments lumineux, quelques-uns ont donné une très-faible lueur. Je décrirai enfin l'expérience qui consiste à tenir ces insectes dans un air très-raréfié. J'ai placé dans l'extré- mité fermée d'un long tube de verre quelques vers lui- • sants entiers et quelques segments lumineux arrachés à d'autres. J'ai rempli le tube de mercure, et je l'ai ren- versé dans un trou plein du même liquide, en opérant comme pour la construction d'un baromètre. Les vers luisants et leurs segments se sont trouvés dans un espace où l'air était certainement très-raréfié. La lumière a cessé dans les insectes et les segments presque en même temps, c'est-à-dire après deux ou trois minutes; comme à l'ordinaire, l'intermittence a d'abord cessé. A peine la phosphorescence disparue, si j'introduisais de l'air, tout recommençait à briller. Je vis bien distinctement encore dans ce cas tous les vers luisants recouvrer la faculté de mouvement qu'ils avaient perdue ; dans l'air raréfié, ils PHOSPHORESCENCE. 163 avaient cessé de briller, mais ils n'étaient pas morts. 11 en est ainsi par le refroidissement. Les faits exposés jusqu'à présent conduisent nécessai- rement aux conclusions suivantes, conclusions qui sont ou entièrement nouvelles, ou déduites plus rigoureuse- ment que celles données jusqu'à présent. 1" La phosphorescence d'un ver luisant peut cesser, sans que pour cela il soit mort. 2** Il existe dans cet insecte une matière qui répand de la lumière sans chaleur appréciable, l'animal, pour manifester cette propriété, n'a indispensablement besoin ni de son entière intégrité ni de la vie. S° L'acide carbonique et l'hydrogène sont des milieux dans lesquels la matière phosphorescente du ver luisant cesse de briller après un certain temps, qui n'excède pas trente ou quarante minutes si les gaz sont purs. 4^ Dans le gaz oxygène, la vivacité de la matière phosphorescente est notablement plus considérable que dans l'air atmosphérique, et elle brille pendant un temps presque triple. Il en est ainsi tant pour les segments lu- mineux seuls que pour l'animal entier. 5° Cette matière phosphorescente, mise dans des con- ditions propres à lui faire émettre de la lumière, absorbe une portion d'oxygène qui est remplacée par un volume égal d'acide carbonique. 6** Cette même substance, également mise au contact de l'oxygène mais privée d'abord de la faculté de briller, n'absorbe plus d'oxygène et ne forme plus d'acide carbo- nique. Je désire que vous fixiez particulièrement votre attention sur ce résultat. i64 HUITIÈME LEÇON. 7" L'oxygène mélangé dans la proportion de 1 à 9 avec de l'hydrogène ou de l'acide carbonique, forme un milieu dans lequel la phosphorescence continue pendant quelques heures. On peut conclure de là que c'est par l'altération survenue dans la matière phosphorescente que celle-ci cesse de briller lorsqu'elle a été pendant plusieurs jours placée dans l'oxygène pur, dont une portion seulement a été remplacée par de l'acide carbonique. J'ai examiné l'hydrogène dans lequel j'avais tenu plu- sieurs vers luisants pendant vingt-quatre heures , et dans lequel ils n'avaient brillé que quelques minutes. C'est là le résultat que l'on obtient si le gaz est pur, si l'on opère sur le mercure, et si on a soin de remplir la cloche en la renversant deux ou trois fois pour enlever l'air adhérent aux vers luisants. Dans cet hydrogène, j'ai trouvé que le volume avait augmenté d'une petite quantité; sur 8 centi- mètres cubes d' hydrogène , j ' eus 0° " , 2 de surplus de volume que la potasse a absorbé. C'est donc de l'acide carbonique qu'ont produit les insectes , et cela parce qu'il y avait dans leurs trachées un reste d'oxygène qui s'est combiné au carbone et a passé à l'état d'acide carbonique, ou parce qu'elles en contenaient déjà de tout formé. Lorsque les segments lumineux seuls sont mis avec de grandes pré- cautions dans l'hydrogène, ils ne brillent que quelques secondes , et le gaz ne change pas. 8^ La chaleur , dans de certaines limites , accroît la lumière de la matière phosphorescente; le contraire a lieu pour le refroidissement. 9" Quand la chaleur est trop forte, la substance pho- sphorescente est altérée , et cela arrive encore quand elle PHOSPHORESCENCE. 165 est placée dans l'air ou un gaz quelconque pendant un certain temps. C'est indubitablement pour cela que ces insectes ne vivent pas sous tous les climats, et qu'ils ne commencent à briller que dans certains mois de l'année. 10'' Cette matière phosphorescente ainsi altérée n'est plus apte à émettre de la lumière ou à devenir lumi- neuse. Ces conclusions établissent évidemment la nature du phénomène : la production de la lumière est entièrement liée, chez cet insecte, àia combinaison de l'oxygène avec le carbone, qui est un des éléments de la matière pho- sphorescente. On doit maintenant étudier comment la phospho- rescence se produit dans l'animal vivant, dans quelles circonstances elle varie, quelle est la structure de la substance lumineuse et des parties qui l'entourent. J'ai placé quelques vers luisants bien vivaces et bril- lants dans une boîte en fer-blanc qui fermait exactement , je l'ai ouverte vingt-quatre heures après , environ deux heures après le coucher du soleil. Ils paraissaient morts, mais cependant émettaient encore une faible lueur. Ré- chauffés sur la main , ils ont repris un peu leurs mouve- ments , et la lumière est devenue plus vive. Après trente heures passées dans cette boîte, quel- ques-uns étaient morts et ne brillaient plus ; dans d'autres la phosphorescence était très-légère. Cette expérience pouvait , en supposant que tout ce que nous avons dit précédemment fût faux, conduire aux idées de Beccaria, de Mayer et d'autres physiciens qui regardent la pho- sphorescence'de ces insectes comme due à l'insolation. 160 HUITIÈME LEÇON. Mais voici une autre expérience dont le résultat est net et satisfaisant. Dans la même boîte, qui était munie d'un double fond, j'ai mis dans un des compartiments un grand nombre de vers luisants, et dans l'autre autant d'autres semblables épars au milieu d'herbe fraîche et coupée en morceaux , qui avait été cueillie dans les lieux où ces insectes se trouvaient. Après vingt-quatre heures je les ai observés ; chez les premiers il était arrivé ce que j'ai déjà énoncé, tandis que les autres étaient très-vivcices et très-brillants. Si on ouvrait de jour la boîte dans un endroit obscur, on apercevait leur phosphorescence. Pour éviter les longueurs , je me bornerai à vous dire que j'ai conservé pendant neuf jours ces vers luisants avec de l'herbe , toujours vivants et émettant beaucoup de lueur. L'insecte se trouvant dans des conditions de température d'humidité, etc., qui lui sont naturelles et continuant à se nourrir , la matière phosphorescente se conserve indé- pendamment de l'action solaire. Concluons encore, des expériences précédentes, que la substance phosphorescente préparée par l'animal se conserve quelque temps lumineuse , quoique l'insecte soit privé de la vie , ce qui prouve que la vie n'est pas une condition indispensablement nécessaire à la phosphores- cence. Parla vie, cette substance est incessamment con- servée dans l'intégrité de ses propriétés , avec ce même procédé de nutrition qui opère également sur toutes les parties de l'animal. Je n'ai pas omis d'étudier quelle part pouvait avoir le système nerveux dans la production du phénomène. Je vous décrirai ces expériences avec les détails nécessaires . PHOSPHORESCENCE. 167 Lorsqu'on observe un ver luisant au moment où l'on vient de s'en emparer , en le tenant le dos renversé sur une table, on voit les derniers segments de l'abdomen de la couleur d'un vernis rougeâtre. Pendant la jour- née, ou sur les vers luisants morts même depuis peu, cette couleur n'est pas aussi distincte et devient jau- nâtre. Tant que l'insecte est vivant, on voit de temps en temps, tantôt plus^ tantôt moins souvent, ses seg- ments devenir lumineux. Par une observation atten- tive et faite sur beaucoup d'individus , on réussit à dé- couvrir que quelquefois ce n'est pas sur tous les points de ces segments à la fois que la lumière apparaît au même instant. 11 suffit d'irriter légèrement l'insecte sur une partie quelconque de son corps pour le voir devenir un instant lumineux. En touchant un des points des segments, la lueur persiste davantage. Si dans ce moment on coupe la tête de l'animal , on ne tarde pas à voir la lumière s'af- faiblir, puis cseser entièrement, et alors on aperçoit bien la couleur rouge de la membrane des segments lumineux. Dans cet état, on peut irriter même fortement l'insecte sur le thorax , sans qu'on réussisse à le rendre phospho- rescent. Pour que cet effet ait lieu, il est nécessaire de toucher les segments lumineux eux-mêmes , et alors les points irrités brillent, et la lumière va s' étendant de ceux-ci au reste des segments eux-mêmes. Si l'on fait cette expérience en mettant l'insecte sur le porte-objets du miscroscope, on juge encore mieux de la production et de la diffusion de la lumière. Il faut, pour réussir, se placer dans l'obscurité et n'éclairer nullement l'objet. On voit un mouvement oscillatoire extrêmement rapide dans 168 HUITIÈME LEÇON. les parties de la matière phosphorescente, et en même temps elles deviennent lumineuses. J'ai essayé très-souvent l'influence que pouvait exer- cer la noix vomique et l'opium sur la phosphorescence de ces insectes ; voici comment : J'ai préparé des solutions de 0^^,265 d'extrait' d'opium ou d'extrait alcoolique de noix vomique dans 61 grammes d'eau. Je plaçais les vers luisants dans une cloche de verre que je remplissais de ces solutions ainsi préparées, et que je renversais sur des liquides semblables. En opérant ainsi , il n'y avait pas contact avec l'air. Les résultats d'un grand nombre d'expériences me portent à conclure que dans la solution de noix vomique ces insectes meurent huit ou dix mi- nutes plus rapidement qu'ils ne le feraient dans l'eau. Pour les vers luisants placés dans la solution d'opium , au contraire , la phosphorescence continue pendant huit ou dix minutes de plus que dans l'eau. J'espère pouvoir revenir à cet objet d'études que je n'ai fait qu'effleurer. J'ajouterai que les vers luisants, qui cessent de briller dans l'eau, recommencent à le faire au contact de l'air, tandis que ceux qui sont soumis à l'action de la noix vomique ou de l'opium , cessent pour toujours et meu- rent. Par là est prouvée l'action de certaines substances sur la phosphorescence qui, selon toute probabilité, ne peuvent agir en altérant la matière phosphorescente. J'ai essayé de vernir l'abdomen seulement d'un grand nombre de vers luisants avec de la térébenthine : j'ai vu que la lumière s'affaiblissait, que les scintillations étaient plus rares; mais qu'elles ne disparaissaient ja- mais entièrement. PHOSPHORESCENCE. 1 69 J'ai étudié au microscope la structure de l'organe lu- mineux. En dépouillant les segments lumineux des deux membranes dorsale et abdominale , on aperçoit une ma- tière globuliforme, granulaire, jaunâtre , au milieu de la- quelle apparaissent des groupes de globules rouges , un grand nombre de ramifications, et de plus des espèces de tubes qui ont l'apparence de la fibre musculaire, mais qui, mieux observés , paraissent vides. En les regardant la nuit , on voit que la lumière est émise par la matière granuleuse jaune , et si on comprime celle-ci entre deux verres, la lumière existe toujours sur le rebord de la portion qu'on observe . La membrane abdominale observée seule et après avoir été lavée plusieurs fois dans l'eau, pour lui enlever toute la matière phosphorescente, est transparente et garnie d'un grand nombre de poils. La membrane dor- sale, moins transparente que l'autre, a aussi des poils comme elle , mais elle est munie en outre , à sa face in- terne, de beaucoup de tubes ou trachées que l'on voit pénétrer dans la matière phosphorescente. J'ajouterai encore que je n'ai jamais séparé l'abdomen d'un ver lui- sant sans trouver sous l' avant-dernier anneau lumineux une vésicule d'une belle couleur rouge qui , vue au mi- croscope, est formée d'un groupe de globules rouges. Je n'ai jamais trouvé cette vésicule dans d'autres insectes du même genre : aucun ouvrage d'anatomie comparée n'en fait mention. Dans mon ignorance à cet égard, je me borne à en signaler la présence aux zoolo- gistes. Je vous entretiendrai enfin du peu que j*ai pu, et 45 170 HUITIÈME LEÇON. qu'il est possible de tenter pour étudier la nature chimi- que de la matière phosphorescente. Cette substance, en- levée à l'animal vivant, a une odeur particulière qui rap- pelle celle de la sueur des pieds : elle n'est ni acide ni alcaline , se dessèche facilement à l'air, semble se coagu- ler au contact des acides étendus d'eau, ne se dissout sensiblement ni dans l'alcool, ni dansl'éther, ni dans les solutions alcalines faibles ; elle se dissout et s'altère dans les acides suif uri que et hydrochlorique concentrés , et ai- dés de l'action de la chaleur; par l'emploi de ce dernier moyen, la solution ne devient pas bleue, ce qui exclut l'idée de la présence de l'albumine. Chauffée dans un tube, elle dégage les produits ammoniacaux ordinaires. 11 n'y a pas de traces sensibles de phosphore; je m'en suis as- suré en la calcinant plusieurs fois avec le nitre , dans un creuset de platine , et en traitant le résidu dissous avec les réactifs qui dénotent la présence des phosphates. D'après tout ce que nous avons dit , on ne pourrait plus regarder la présence du phosphore comme cause de la lu- mière chez ces insectes. Peut-être qu'en opérant sur un très-grand nombre, on parviendrait à découvrir cette pe- tite trace de phosphore qui se trouve ordinairement dans toutes les substances organisées. Je conclurai, après toutes ces expériences, que l'a- cide carbonique se produit par le contact de la matière phosphorescente seule , séparée du reste de l'animal avec l'oxygène; que la lumière cesse de se produire hors de ce gaz , et qu'au contact de celui-ci il y a lumière et produc- tion d'un volume d'acide carbonique égal à celui de l'oxy- gène disparu ; que la substance phosphorescente de cet PHOSPHORESCENCE. 171 insecte, quand elle n'est plus lumineuse, n'exerce plus d'action sur l'oxygène. Il est donc naturel de supposer que dans les segments lumineux de ces animaux, enveloppés de membranes transparentes, a lieu, au moyen des nombreuses tra- chées qu'on y découvre ça et là, un contact de l'air at- mosphérique, ou plutôt de l'oxygène de celui-ci , avec une substance sui generis , "principalement composée de car- bone , d'hydrogène , d'oxj^gène et d'azote. Le grand nom- bre de globules sanguins qu'on y voit épars , et mêlés à la matière granulaire lumineuse , prouve que ces segments sont le centre d'un organe particulier de sécrétion, et je crois que l'existence de cette vésicule rouge que j'ai an- noncée se trouver au-dessus des segments lumineux, mérite l'attention des naturalistes. Les excitations pra- tiquées sur l'animal, la chaleur, opèrent sur cette pho- sphorescence à la manière générale et qui appartient à tous les phénomènes de l'économie animale, en favori- sant directement la combustion, et c'est ainsi que doi- vent être interprétés les effets produits par quelques agents sur la seule substance phosphorescente séparée du reste de l'animal. L'exemple d'une substance organique qui brûle à l'air, en absorbant de l'oxygène et en émet- tant de l'acide carbonique , n'est pas nouveau ; c'est le cas du bois en putréfaction , du coton graissé , du charbon très-divisé, et de tant d'autres combustions spontanées. Si dans le cas dont nous nous occupons la chaleur qui de- vrait accompagner la combinaison chimique manque, il est facile de s'en rendre compte. La quantité d'acide carbo- nique qui , des segments lumineux de chacun de ces in- 172 HUITIÈME LEÇON. sectes se dégage en un temps donné, est tellement petite , que la chaleur développée ne peut s'y accumuler, et la pho- sphorescence du bois, dont je vous parlais tout à l'heure, et un grand nombre d'autres faits d'émission de lumière qui accompagne des modifications chimiques , et que je crois devoir me dispenser de vous citer, prouvent avec toute évidence qu'il peut très-bien y avoir dégagement de lumière sans augmentation sensible de chaleur. Celle-ci a besoin d'être accumulée pour que sa présence soit dé- voilée au moyen de nos instruments , et c'est ainsi que nous nous sommes rendu compte du manque de chaleur chez les animaux dits à sang froid. Si j'ai cru devoir entrer dans beaucoup de particulari- tés relativement à la phosphorescence des vers luisants, c'est que je n'avais qu'à m' arrêter légèrement sur les autres cas de phosphorescence animale. On sait que l'on aperçoit pendant la nuit, sur la mer, de grandes traînées lumineuses, et que ce fait, attribué autrefois à l'entre-choquement des vagues, à l'électricité, aux gaz phosphores formés par la putréfaction des mol- lusques, paraît aujourd'hui dépendre d'un grand nombre d'animalcules microscopiques, phosphorescents. Mais personne ne sait quelles sont les conditions physico- chimiques sous l'inûuence desquelles ces infusoires de- viennent phosphorescents. Il est indubitable que les poissons en putréfaction de- viennent lumineux, et cette cause-ci pourrait encore, dans quelques cas, produire une certaine phosphores- cence sur la mer. Le peu d'expériences que j'ai faites m'ont prouvé que, dans le vide ou l'acide carbonique. PHOSPHORESCENCE. 173 cette phosphorescence cesse pour recommencer à l'air. Il existe dans les annales de la médecine des faits bien con- statés de flammes aperçues sur le corps de certains ma- lades ; on a parlé de transpiration phosphorescente aux pieds, et il est curieux d'avoir à noter l'analogie qui se présente entre l'odeur de la substance phosphorescente du ver luisant et celle de la sueur ordinaire des pieds. Tous ces faits de phosphorescence restent jusqu'à présent sans explication. Les botanistes assurent que , dans plusieurs plantes , l'inflorescence est accompagnée d'une phosphorescence. Mais ce phénomène-là aussi est trop rare pour pouvoir être convenablement étudié. Dans la floraison, il y a ab- sorption d'oxygène, dégagement d'acide carbonique, combustion, en un mot, et c'est pour cette raison que beaucoup de chaleur se développe aussi dans certains cas de floraison. Peut-être aussi que quelque huile vola- tile séparée de la fleur phosphorescente, s'élevant au de- gré de la température ordinaire, peut être la cause de cette lumière. Je ne terminerai pas sans vous parler de la belle ex- périence faite ces temps derniers par de Quatrefage, sur la phosphorescence des annélides et des ophiures. Ce naturaliste distingué a vu, au moyen du microscope, que la phosphorescence de ces animaux appartenait à la fibre musculaire, était intermittente, devenait plus vive quand on irritait la fibre, et en l'obligeant à se contracter qu'elle cessait pendant un certain temps , puis se reproduisait quand on laissait l'animal se reposer. Voici encore un point d'analogie que vous ne devez nu HUITIÈME LEÇON. pas perdre de vue. La vie des muscles, leurs fonctions, sont accompagnées de dégagement de chaleur, de lu- mière, et cependant cette vie, ces fonctions sont immé- diatement dépendantes de l'agent nerveux. Il serait à désirer que les expériences de Quatrefage fussent confir- mées et variées. NEUVIEME LEÇON. o COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. Dans les précédentes leçons , je vous ai clairement dé- montré comment , dans le sein des animaux , il y avait constamment production de chaleur, et, dans quelques cas, de lumière. Guidés par des expériences et par des analogies rendues évidentes , nous avons dû attribuer le dégagement de chaleur et de lumière de l'organisme vi- vant aux actions chimiques qui y ont lieu ; le résultat de cette étude a été de trouver une nouvelle preuve de la constance des effets généraux des grandes forces de la nature. Les faits qui formeront le sujet de. cette leçon nous conduiront encore aux mêmes conséquences. Il ne serait pas naturel d'admettre que les actions chimiques propres aux corps vivants, tout en développant de la chaleur, et souvent de la lumière, ne fussent pas accom- pagnées de production d'électricité : l'étude de cette émission d'électricité, que nous sommes arrivés mainte- nant à démontrer avec toute l'évidence propre aux vérités chimiques, sera le sujet dont je vais maintenant vous entretenir. Voici une expérience très-simple et facile à exécuter, qui vous prouve l'existence d'un courant électrique qui se produit, si on réunit, avec un corps conducteur, deux points différents d'une même masse musculaire, appar- 176 NEUVIÈME LEÇON. tenant soit à un animal vivant , soit à un animal récem- ment tué. On prépare une grenouille d'après la méthode ordinaire de Galvani ; on taille son bassin par le milieu , on sépare avec soin toute la partie musculaire de la cuisse, on coupe un des plexus lombaires à sa sortie de la colonne vertébrale , et on a ainsi une jambe de grenouille unie à son long filament nerveux, composé du plexus lombaire et de son prolongement dans la cuisse, c'est-à- dire du nerf crural. C'est la grenouille ainsi préparée que } ai nommée grenouille g alvanoscopique, et qui sert très- utilement dans la recherche du courant électrique. A cet effet, il suffit d'introduire la patte de la grenouille dans un tube de verre recouvert d'un vernis iso- ant , de saisir le tube avec les mains , et ensuite de porter deux points quelconques du corps dont on étudie l'état électrique au contact de deux autres points différents et suffisamment éloignés l'un de l'autre du filament nerveux de la grenouille galvano- scopique. Si on a la précaution de ne ja- mais toucher le corps avec aucune portion du muscle de la jambe, si celle-ci est bien isolée de la main , on peut avoir la certi- tude que la contraction éprouvée par la grenouille galva- noscopique est due à un courant engendré dans le corps touché , et que le nerf ne fait que le conduire et le mettre en évidence par la contraction de son muscle. Muni d'une grenouille ainsi préparée , je prends un animal vivant quelconque, un pigeon par exemple, j'in- cise légèrement son muscle pectoral , après en avoir soi- COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 177 gneusement enlevé les téguments, j'introduis dans la plaie le nerf de la grenouille galvanoscopique. Vous voyez les contractions de la grenouille : si vous réfléchissez à sa disposition , vous serez convaincus qu'il y a nécessité absolue à toucher deux endroits distincts du muscle pectoral du pigeon avec deux points différents du filament nerveux. Si je porte l'extrémité du nerf de la grenouille au fond de la blessure, et si j'en mets un autre point en contact avec les lèvres de la plaie ou la surface externe du muscle , la grenouille se contracte constam- ment. Cette expérience vous démontre jusqu'à l'évidence la présence d'un courant électrique qui circule dans le nerf, puisqu'il est nécessaire de former un circuit dans lequel il soit compris. Si vous doutiez que ces contrac- tions de la grenouille soient réellement excitées par un courant dû aux différentes parties du muscle de l'animal, vous en seriez bientôt persuadés en voyant qu'il n'y a aucunes contractions produites quand je touche deux endroits différents du nerf avec un liquide ou avec un corps conducteur parfaitement homogène. Ne croyez pas que le sang soit plus apte qu'un autre liquide conducteur à exciter les contractions dans le muscle de la grenouille galvanoscopique. Je fais tomber une goutte du sang de ce même pigeon sur une plaque de verre, je mets en com- munication deux points distincts de cette goutte avec le nerf de la grenouille : elle n'éprouve aucun indice de courant. Il est inutile de vous faire voir que si je mouille ou le nerf de celle-ci , ou les diverses portions du muscle du pigeon , avec une solution saline ou acide , ou mieux en- 178 NEUVIÈME LEÇON. core alcaline , les contractions de la grenouille sont plus énergiques que dans la première expérience. Ces solu- tions agissent chimiquement sur la substance du nerf ou du muscle. Le phénomène dont vous venez d'être témoins chez ce pigeon a lieu dans tout autre animal, soit à sang chaud, soit à sang froid, tout aussi bien que chez celui-là. J'ai prouvé dans ces derniers temps que la grenouille galva- noscopique donnait les mêmes signes quand on opérait sur la blessure d'un muscle d'homme. Les contractions se font encore sentir dans celle-ci quand on en met le nerf en contact avec un muscle séparé de l'animal. Voici une cuisse de grenouille détachée déjà depuis quelque temps du reste de l'animal : je pratique une incision sur le muscle crural, je fais communiquer l'extrémité du nerf de la grenouille galvanoscopique avec le fond de la blessure , et un autre point de ce même nerf avec la surface du muscle. Vous voyez immédiatement que la grenouille éprouve des contractions; vous vous apercevrez qu'elle en aura encore , si je répète cette ex- périence avec des cuisses de pigeon ou de lapin , ou avec une portion d'anguille. Mais si l'on continue à expéri- menter , en renouvelant de temps en temps la grenouille galvanoscopique, on s'aperçoit que bientôt le phénomène cesse si l'on se sert de muscles de pigeon ou de lapin, tandis qu'il persiste davantage avec ceux de la grenouille ou de Tanguille. Les contractions que vous avez vu être excitées dans la grenouille galvanoscopique vous donnent déjà l'idée de l'existence d'un courant électrique que je nommerai COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 179 musculaire , qui , du muscle d'un animal vivant ou ré- cemment tué, et dans lequel il se produit, circule dans le nerf de la grenouille. Mais il faut avoir recours au galvanomètre pour mettre hors de doute l'existence de ce courant, pour en découvrir la direction, pour en dé- terminer l'intensité en comparaison avec l'état de vie ou de mort de l'animal , avec le degré qu'il occupe dans l'échelle animale; en un mot, pour en étudier les lois. Je mets à découvert le muscle pectoral d'un pigeon vivant, j'y fais une blessure, et je porte rapidement les extrémités du fil de platine d'un galvanomètre très-sen- sible, l'une sur la surface externe du muscle, l'autre dans l'intérieur de la plaie. Vous voyez à l'instant l'ai- guille dévier de 15, 20° et plus encore, et démontrer, par là l'existence d'un courant dont la direction est de la partie interne du muscle à sa superficie , dans le muscle même. Bientôt l'aiguille redescend et souvent re- vient à 0". Si j'enlève les extrémités du galvanomètre de dedans la blessure, puis qu'un moment après je recom- mence l'expérience, il arrive quelquefois, c'est peut-être le plus souvent que je devrais dire, que j'obtiens une nouvelle déviation dans le sens de la première, mais tou- jours elle est plus faible. Dans quelques cas cependant les déviations que l'on remarque dans celles qui suivent la première sont inverses par rapport à celle-ci. En re- nouvelant l'expérience sur des muscles d'autres animaux, la première indication fournie par le galvanomètre s'ob- tient, dans le plus grand nombre des cas, comme celle dont nous venons d'être témoins ; mais il est vrai de dire qu'ensuite, dans les expérimentations suivantes, souvent 180 NEUVIÈME LEÇON. les courants sont inverses des premiers. Un tel fait n'est donc pas assez net ; il ne prouve pas rigoureusement l'existence du courant musculaire. Si j'avais également opéré sur un animal mort, vous auriez vu, comme à l'ordinaire, d'abord les signes d'un courant direct de la partie interne à la partie externe du muscle, mais moins distincts que chez l'animal vivant ; ici encore il reste des incertitudes, les expériences ne sont pas concluantes. Il y a donc imperfection dans ce mode d'opérer, et tout physicien un peu habitué au maniement du galvanomètre s'apercevra de ce défaut et en préviendra les causes. Dans un de mes ouvrages intitulé : Traité sur les phé- nomènes électro-physiologiques des animaux, j'ai insisté avec prolixité sur la manière d'appliquer le galvanomètre à l'étude des phénomènes électriques des animaux, et il serait trop long de vous répéter ici tout ce que je vous ai déjà dit à ce sujet. Je suis satisfait d'être à même de vous faire voir que je suis arrivé à établir, au moyen du galvanomètre, l'existence du courant musculaire et à en découvrir les lois fondamentales. Je prépare cinq ou six grenouilles à la manière déjà citée de Galvani; je les coupe à moitié, et les cuisses séparées des jambes par voie de désarticulation, je divise transversalement en deux parties les cuisses mêmes. J'ai ainsi à ma disposition un certain nombre de moitiés de cuisses, parmi lesquelles je fais choix seulement de celles qui appartiennent à la portion inférieure. Je dispose cette série de demi-cuisses sur une table vernie dans laquelle on a pratiqué des cavités en guise de capsules. La figure COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 181 annexée fera comprendre cette description. J'en place d'abord une de manière à ce que, par sa surface externe, elle plonge dans une des capsules. A celle-ci j'en fais succéder une autre, de telle façon que sa surface externe soit en contact av^c l'interne de la première, et ainsi de suite, en sorte que toutes les demi-cuisses disposées en file se touchent et présentent constamment la même sur- face tournée vers le même point. La dernière des demi- cuisses de cette série plonge, comme la première, dans une cavité de la table par sa surface interne. Voici donc une pile de demi-cuisses de grenouilles , dont une extrémité est formée par la superficie externe du muscle, l'autre par sa superficie in- terne. Je remplis les deux cavités avec de l'eau légèrement salée ou encore avec de l'eau di- stillée; j'y plonge les deux extrémités du gal- vanomètre, et j'observe immédiatement une déviation de l'aiguille qui, avant l'immersion des conducteurs était à O''. Voici donc la présence d'un courant électrique pro- duit par la pile formée de muscles de grenouille, démon- trée au galvanomètre. Variez l'expérience autant que vous penserez devoir le faire ; au lieu de muscles de grenouilles, servez-vous de muscles d'autres animaux, poissons , oiseaux , mammifères , pourvu que vous con- serviez la position relative que je viens d'indiquer plus haut, c'est-à-dire de la surface interne à l'externe des muscles, vous obtiendrez toujours une déviation plus ou moins grande de l'aiguille galvanométri que; cette dé- viation vous indiquera const animent par sa direction la 16 18'2 NEUVIÈME LEtON. présence d'un courant qui marche dans la pile de la sur- face intérieure à la surface extérieure du muscle. Je dois vous faire observer que l'intensité du courant est en raison du nombre de cuisses employées à former la pile. Voici une pile faite avec dix demi-cuisses de gre- nouilles ; la déviation de l'aiguille est de 30'' à 40^ : en voici une autre de six éléments , l'aiguille marque 10° à 12° ; dans une troisième de quatre éléments , elle ne dévie que de 6° à 8° à peine. L'accroissement d'intensité du courant musculaire, en raison du nombre des éléments musculares employés à former la pile , est constant , quel que soit l'animal sur lequel on ait pris ces muscles. Si , au lieu de disposer les éléments en ligne droite pour former ces piles , vous les disposez de manière à former un demi-cercle , et à rendre ainsi très-petite la distance qui en sépare les pôles , vous pourrez fermer le circuit avec le nerf seul de la grenouille galvanoscopi- que et déduire de ses contractions l'existence du courant. J'ai voulu examiner si les autres tissus et organes des animaux , les membranes , les nerfs , le cerveau , le foie , le poumon , dénotaient la présence d'un courant au galva- nomètre : j'obtins constamment des signes très-faibles. Le cœur seul me laissa apercevoir les marques d'un cou- rant assez fort; mais, ainsi que vous le savez, le cœur est un muscle. Il est inutile que je vous dise que j'ai teiité des expé- riences analogues sur les membranes, le foie, etc. , en dis- posant la pile avec des portions de ces tissus ou organes comme dans le cas des muscles, et que j'ai opéré avec les mêmes précautions. COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 183 Ainsi, le courant dont nous avons parlé jusqu'à pré- sent se montre principalement dans les muscles. Cette propriété ne dépend pas du système nerveux. Beaucoup d'expériences qiie j'ai tentées et qui sont rapportées dans mon ouvrage déjà cité, m'ont convaincu que le système nerveux qui se rend aux muscles étant détruit , ceux-ci ne perdent pas la propriété de manifester le courant élec- trique. J'ai formé des piles avec des muscles dépouillés de leurs nerfs avec tous les soins possibles, avec d'autres muscles enlevés à des grenouilles auxquelles quelques jours auparavant j'avais détruit une partie considérable de la moelle épinière avec un fer rouge , ou que j'avais fait périr par l'opium; aucune différence sensible ne se manifesta dans l'intensité du courant produit par ces piles , compa- rées à celles formées d'un même nombre d'éléments muscu- laires pris à des grenouilles intactes. Si vous continuez à expérimenter au moyen du galva- nomètre sur une pile, que désormais nous nommerons musculaire, vous vous apercevrez aisément que les dé- viations deviennent de plus en plus petites, puis cessent tout à fait; et si vous faites usage de piles formées de muscles d'animaux appartenant à différentes classes, vous verrez les signes du courant diminuer d'autant plus rapidement, et disparaître entièrement d'autant plus vite que l'animal dont vous vous servez occupe une place plus élevée dans F échelle des êtres. C'est ainsi qu'il arrive que des piles formées avec des muscles de poissons, de grenouilles, d'anguilles, donnent, plusieurs heures après leur mort, des signes sensibles de courant; tandis que celles qui sont faites avec ceux 184 NEUVIÈME LEÇON. d'oiseaux et de mammifères n'en présentent plus au bout de peu d'instants. Nous avons déjà fait remarquer l'incertitude des signes du courant au moyen du galvanomètre , lorsque les extré- mités du fil de l'instrument étaient mises directement en contact avec les muscles d'un animal vivant. Dans cette circonstance, pour pouvoir établir les faits d'une ma- nière bien nette , il fallait varier le mode d'expérimenta- tion. Voici une expérience que j'ai faite et qui est à l'abri de toute cause d'erreur; elle n'est que la répétition sur l'animal vivant de celle que j'ai faite sur les demi-cuisses de grenouilles. Il est facile de comprendre comment, avec quelque soin, on arrive à clouer sur la table dont j'ai parlé un certain nombre de grenouilles vivantes, en y fixant les quatre jambes au moyen de quatre clous, et en les plaçant ainsi l'une après l'autre ; chacune d'elles est privée des téguments des cuisses et des jambes, et de plus on a fait à toutes une incision dans le muscle d'une de leurs cuisses. Les grenouilles ainsi préparées , on parvient aisément à mettre la jambe de l'une des grenouilles en contact avec l'intérieur des muscles de la cuisse coupée de la sui- vante. De cette manière on fait avec des grenouilles vi- vantes la pile déjà décrite. Le courant que l'on obtient alors est, comme à l'ordinaire, dirigé de l'intérieur du muscle à la partie externe dans l'animal : son intensité est, à nombre égal d'éléments, plus considérable qu'en opérant avec des muscles de grenouilles mortes , et elle s'affaiblit plus lentement. L'existence d'un courant électrique , lorsqu'au moyen COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 185 d'un arc conducteur on réunit l'intérieur et la superficie du muscle d'un animal vivant ou récemment tué , est donc rigoureusement démontrée. Ce courant est toujours dirigé de l'intérieur à l'extérieur du muscle; il persiste plus ou moins longtemps après la mort , et beaucoup plus dans les animaux à sang froid que dans ceux d'un ordre supé- rieur. Il existe sans l'influence directe du système ner- veux, et il n'est pas modifié , même si l'on détruit l'inté- grité de celui-ci. Il me reste à vous entretenir des études que j'ai faites pour rechercher l'influence que les conditions organiques du muscle vivant peuvent avoir sur ce courant. En comparant entre eux les muscles d'animaux privés d'aliments, ou dans lesquels le sang circule lentement ou dont le cours est tout à fait interrompu , on voit que le courant a beaucoup perdu de son intensité. Le même effet est produit en se servant de grenouilles laissées pendant quelque temps dans l'eau plus ou moins privée d'air par l'ébullition. Si, au contraire, les muscles sont depuis quelque temps le siège d'une inflammation , gorgés de sang , ou appartiennent à des animaux bien nourris , le courant musculaire se montre plus intense et plus persistant. J'ai surtout expérimenté sur des grenouilles , ces ani- maux étant plus qu'aucun autre aptes à résister aux souffrances auxquelles ils sont assujettis pour ces re- cherches . Si les muscles dont se compose la pile appartiennent à des grenouilles qui ont été soumises pendant longtemps à une assez basse température , c'est-à-dire à 0" ou même 186 NEUVIÈME LEÇON. au-dessous de 0^, le courant sera très-afïaibli. Chez les ani- maux à sang chaud , la différence occasionnée par l'abais- sement de température est moins sensible que pour les grenouilles. Un résultat qui, au premier abord, pourra surprendre , est celui qui consiste en ce que le courant musculaire a la même intensité , soit qu'on construise la pile avec des demi-cuisses de grenouilles seules , soit qu'en la faisant d'un même nombre d'éléments on amon- celle pour chacun deux ou plusieurs demi-cuisses. En un mot, la superficie des éléments n'a pas d'influence sur l'intensité du courant. C'est là ce qui arrive pour les piles formées de conducteurs de seconde classe, c'est-à-dire avec des solutions acides et alcalines qui réagissent l'une sur l'autre. J'ai voulu voir si l'action de quelques poisons avait un effet sur l'intensité et la durée du courant musculaire, et j'ai trouvé que celui que l'on obtient avec des gre- nouilles empoisonnées par l'acide carbonique, l'acide hydrocyanique , l'hydrogène arséniqué , ne diffère pas d'intensité avec le courant fourni par ceux de ces ani- maux auxquels on n'a pas fait subir l'action de ces poi- sons. Mais, au contraire , l'influence de l'hydrogène sulfuré sur l'intensité du courant est très -marquée , d'après ce que j'ai pu vérifier plusieurs fois tant sur des grenouilles que sur des pigeons asphyxiés et tués dans ce gaz. Un animal mort dans une atmosphère d'hydrogène sulfuré perd presque totalement la propriété de manifester l'exi- stence du courant musculaire. Je vous ai dit précédemment que dans les muscles de COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 187 grenouilles tuées avec des narcotiques le courant était aussi fort que chez celles qui n'étaient pas mortes de cette manière. Un mot encore des résultats obtenus en étudiant le courant musculaire sur des muscles dont les nerfs sont laissés intacts et pour ainsi dire soumis à l'expérience. J'ai formé des piles de moitié de cuisses de grenouilles, dans lesquelles cependant les muscles ne se touchaient pas directement; les communications étaient établies entre elles par les filaments nerveux. J'ai constamment vu que la direction n'était pas changée ; l'intensité seule était di- minuée. Dans toutes , suivant que les contacts avaient lieu par le filament nerveux supérieur à l'incision de la cuisse , ou par le filament de la jambe qui est laissé uni à la cuisse, la direction du courant étant la même , il s'en- suivait que tantôt le nerf renvoyait le courant vers l'élé- ment musculaire , tantôt au contraire il le recevait , ou , en d'autres termes , le nerf n'ayant aucune influence sur sa direction, il agissait toujours en représentant l'état électrique de la face du muscle, soit interne, soit ex- terne, avec laquelle il était en contact. Dans ces cas-là le courant était affaibli par le peu de conductibilité du nerf , et si au lieu de celui-ci on se sert d'un fil de coton imbibé d'eau distillée , les résultats sont identiques à ceux que l'on obtient en faisant usage des muscles avec les nerfs. J'ajouterai encore que je suis parvenu dernièrement à composer avec des pigeons vivants une pile musculaire , semblable à celle que j'ai décrite et qui était faite avec des grenouilles vivantes. En comparant cette pile avec 188 NEUVIÈME LEÇON. une semblable de grenouilles , je trouvai que les premiers signes du courant musculaire étaient plus forts avec la pile de pigeons qu'avec l'autre. La différence devient d'autant plus grande si l'on considère qu'avec celle de pi- geons la résistance du circuit est beaucoup plus considé- rable que dans celle des grenouilles. J'ai vérifié que con- stamment les signes de courant musculaire s'affaiblis- saient et cessaient plus rapidement avec les pigeons qu'avec les grenouilles. Je dirai en dernier lieu que le courant produit par un certain nombre d'éléments musculaires a été de la même intensité et de la même durée, que ce fût dans du gaz hy- drogène , oxygène , acide carbonique , air plus ou moins raréfié , que ces éléments fussent placés. De l'ensemble de tout ce dont nous vous avons entre- tenus dans cette leçon , il résulte que l'existence d'un cou- rant électrique musculaire est bien démontrée , et que ses lois principales en sont établies. L'origine de ce cou- rant réside dans les états électriques qui se produisent par les actions chimiques de la nutrition du muscle. Le sang chargé d'oxygène, la fibre musculaire, qui se trans- forme au contact de ce liquide , composent les éléments d'une pile ; ce sont le liquide acide et le zinc. Dans l'é- tat normal du muscle , il ne peut y avoir que des cou- rants moléculaires produits par la formation et la destruc- tion d'états électriques contraires dans les mêmes points; mais si un grand nombre de points de la fibre musculaire sont mis en communication par un bon conducteur avec d'autres de nature différente et qui ne subissent pas la même action chimique de la part du sang , le courant COURANT ÉLECTRIQUE MUSCULAIRE. 189 électrique devra alors circuler. C'est là le fait fourni par l'expérience ; il prouve en même temps le développe- ment de l'électricité dans le muscle vivant, et l'impos- sibilité pour ce courant électrique d'exister dans les masses de ce muscle à l'état naturel. DIXIÈME LECOÎN'. o POISSONS ÉLECTRIQUES. — COURANT PROPRE DE LA GRENOUILLE. Dans la leçon précédente je vous ai démontré que les actions chimiques qui ont lieu dans la fibre musculaire vivante y développent de l'électricité que l'on peut rendre manifeste au moyen d'une expérimentation con- venablement dirigée. Le courant musculaire est une propriété générale de l'organisme vivant. Je vais au- jourd'hui vous entretenir du développement d'électricité propre à certains animaux. Nous connaissons cinq poissons doués de cette pro- priété, ce sont : la raja torpédo, \e gymnotus electricus , le silurus electricus , le tetrodon electricus et le tri- chiurus electricus. Deux de ces poissons seulement, la torpille et le gymnote, ont été étudiés avec soin. Le pre- mier surtout a été l'obi et de nombreuses recherches. Ce sera donc de la torpille que nous nous occuperons plus spécialement. , Si l'on saisit une torpille vivante avec les mains, on ne tarde pas à ressentir une forte commotion aux poi- gnets et aux bras ; elle est comparable à celle que produit une pile à colonne de cent à cent cinquante éléments, char- gée avec de l'eau salée. Si l'on cory;inue à tenir l'animal entre les mains , ces secousses se succèdent quelquefois POISSONS ÉLECTRIQUES. lÔl avec tant de rapidité que bientôt il devient impossible de la soutenir plus longtemps ; mais lorsqu'un certain temps s'est écoulé, l'animal perd sa vivacité, les secousses sont moins énergiques , même si l'on a la précaution de le tenir dans un grand vase plein d'eau salée. Cette secousse est assez forte pour être ressentie sans être directement en contact avec l'animal qui la donne; les pêcheurs con- naissent cette particularité , et ils sont avertis de la pré- sence de la torpille au milieu de tous les autres poissons qui se trouvent dans leurs filets, au moment où ils versent des seaux d'eau pour les laver; toutes les fois que le jet en est continu , ils ressentent une secousse spécialement dans les bras ; elle est perçue , même à de grandes di- stances, dans l'eau où la torpille se trouve plongée, et celle-ci paraît être douée de cette faculté afin de pouvoir tuer les poissons dont elle se nourrit. Les premiers observateurs s'aperçurent bientôt de l'identité du phénomène que présente la torpille avec la décharge électrique ; ils s'assurèrent que si l'animal était entouré de matières isolantes , si on le touchait avec des baguettes de cire d'Espagne, de verre, etc., la secousse n'avait plus lieu, qu'au contraire on la ressentait immé- diatement si, au lieu de i^ésine ou de verre, on se servait d'eau, de linges mouillés ou mieux encore de corps mé- talliques. Walsh est allé plus loin; il est parvenu à dé- montrer par des expériences, aujourd'hui généralement admises , que les deux surfaces opposées du corps de la torpille sont les pôles où se trouvent les électrici- tés contraires au moment de la décharge. Il en résulte qu'on l'obtient la plus forte possible en réunissant le 192 DIXIÈME LEÇON. ventre et le dos du poisson, au moyen d'un conducteur, et le corps de l'observateur peut en tenir lieu. On a pensé à une certaine époque qu'il suffirait de toucher avec un conducteur un point quelconque du dos ou du ventre de la torpille , pour en obtenir la secousse , et que par con- séquent il était inutile de faire communiquer, ainsi que nous l'avons dit, les deux faces opposées de l'animal; mais il est bien démontré aujourd'hui que cette condition est indispensable, et que si l'on réussit à avoir la secousse en touchant la torpille en un seul point avec un conduc- teur métallique tenu entre les mains , ce fait résulte de ce qu'elle n'est pas isolée, et que le circuit est complet et se fait à travers le sol et le corps de l'observateur. Cependant si la torpille est isolée au moyen d'un plateau de résine sur lequel elle repose par une de ses faces, on obtient une légère secousse si on touche l'autre du doigt ; mais vous vous rendrez parfaitement compte de cette particularité quand nous vous aurons exposé les lois de la distribution de l'électricité sur le corps de cet animal, au moment de sa décharge. La secousse de la torpille est accompagnée de tous les phénomènes propres à la décharge ou au courant électrique. Les grenouilles préparées à la manière de Galvani, disposées sur le corps de la torpille, éprouvent des contractions à chaque secousse qu'elle donne, lors- qu'elle est excitée; ce même effet a lieu alors même qu'elles sont placées à quelques mètres de distance de la torpille, pourvu qu'elles reposent, ainsi qu'elle, sur un linge mouillé. Si la grenouille, préparée comme nous l'avons dit, est tenue avec la main et est mise en contact POISSONS ÉLECTRIQUES. 193 avec un point du corps de la torpille au moyen de l'ex- trémité de ses nerfs , elle éprouve des soubresauts à chaque secousse de celle-ci. Cependant ces contractions cessent si la torpille est isolée ou si la grenouille est suspendue au moyen d'un fil isolateur. Malgré cette pré- caution, le contraire a lieu quand une longue portion de son filament nerveux est étendue sur le corps de la torpille. Ce fait est analogue à celui dans lequel on reçoit la secousse dans les doigts lorsque la torpille est isolée. Lorsque l'on distribue plusieurs grenouilles sur un grand nombre de points de la superficie de cet ani- mal , d'abord elles éprou- vent toutes des soubresauts à chaque décharge du pois- son ; mais à mesure que sa vigueur diminue , on s'aper- çoit que celles qui les éprou- vent le dIus longtemps sont celles qu'on a placées sur les côtés de l'animal , près de la tête , c'est-à-dire que les points qui conservent le plus longtemps la faculté de faire contracter les grenouilles , sont ceux qui correspondent à deux or- ganes particuliers, situés latéralement et symétrique- ment vers l'extrémité céphalique du poisson. Quand on met les deux extrémités des fils de platine d'un galva- nomètre médiocrement sensible au contact du dos et du ventre delà torpille, et qu'on l'irrite à l'effet d'en obte- 17 Ì9U DIXIÈME LEÇON. nir la décharge, on voit, au moment où les grenouilles se contractent, l'aiguille du galvanomètre dévier brusque- ment, puis immédiatement revenir en arrière, osciller et s'arrêter à 0'', même si l'on continue à tenir le circuit fermé; une nouvelle décharge du poisson ayant lieu, le même phénomène se reproduit. A l'aide de cet instru- ment, on a pu prouver que, dans la décharge de la tor- pille, le courant est dirigé dans le galvanomètre du dos au ventre du poisson, en sorte que le dos représente le pôle positif d'une pile, et le ventre le pôle négatif. Si Ton explore avec l'extrémité des fils du galvanomètre les di- vers points du corps de la torpille au moment où. la dé- charge a lieu, on s'aperçoit, d'une manière encore plus évidente qu'en se servant de grenouilles, qu'au commen- cement de l'expérience on obtient les signes du courant, en établissant le circuit entre n'importe quels points du dos et du ventre, mais que lorsque l'animal s' affaiblit, on doit toucher la partie du corps qui correspond aux points nommés organes électriques, pour rendre manifeste l'existence du courant. 11 est singulier d'observer qu'en touchant simultanément deux points de la même face, dorsale ou abdominale, de l'un de ces organes, les signes du courant se laissent apercevoir, mais beaucoup plus faibles que ceux qu'on aurait eus en établissant le cir- cuit entre les deux faces opposées. Pour réussir à pro- duire la déviation de l'aiguille en touchant avec les fils du galvanomètre deux points appartenant à la même sur- face du poisson, il est indispensable que l'un des fils soit mis en contact avec une partie voisine de la périphérie de l'organe électrique, et que l'autre fil occupe un point POISSOrSS ÉLECTRIQUES. 195 presque diamétralement opposé au premier. On a alors les signes du courant, et celui-ci se trouve toujours dirigé dans le galvanomètre du fil le plus voisin de la ligne mé- diane de l'animal à celui qui en est le plus éloigné : on les obtient encore avec le galvanomètre en tenant un des fils en contact avec la face abdominale ou dorsale de l'un des organes, et en introduisant l'autre dans l'intérieur de l'organe lui-même. Le courant est constamment dirigé du fil qui touche la superficie dorsale, ou qui en est le plus voisin, à l'autre fil. Si, au lieu de faire usage du conducteur du galvano- mètre, on emploie un fil métallique dont une portion est tournée en spirale et dans l'intérieur duquel est intro- duite une aiguille en acier, et que l'on touche les deux faces de la torpille avec les extrémités du fil, la décharge magnétisera cette aiguille. La direction du magnétisme produit parla décharge du poisson est constante, c'est-à- dire qu'elle est même que celle du courant indiqué par le galvanomètre, quels que soient d'ailleurs la grosseur du fil de la spirale, la longueur du circuit, le diamètre de la spirale elle-même, la longueur et la grosseur de l'aiguille d'acier, et sa trempe. Si l'on place la torpille sur un plan isolant, en dispo- sant sur chacune de ses faces un disque de platine, qu'on y superpose deux morceaux de papier de même dimen- sion , après les avoir imbibés d'une solution d'hydriodute de potasse , et qu'enfin on ferme le circuit en mettant en communication les disques par un fil de platine , on ne tarde pas à constater qu'après un certain nombre de dé- charges données par le poisson , il se forme une tache 196 DIXIÈME LEÇON. d'une couleur jaune rougeâtre autour de l'extrémité du fil de platine qui touche le morceau de papier placé sur le platine du côté du ventre. Celui qui est sur le disque de platine en contact avec le dos , se colore également , mais plus faiblement. La solution qui imprègne le papier est donc décomposée par le courant de la torpille, et l'iode se porte au pôle positif. On peut aussi arriver à apercevoir l'étincelle au moment de la décharge; l'appareil employé à cet effet est très -simple : on place une torpille très-vi- vace sur un large plateau métallique, comme serait celui d'un électrophore parfaitement isolé, et l'on met au-dessus du poisson un disque tenu au moyen d'un manche isolant. Chacune de ces deux parties de l'ap- pareil est munie d'un fil métallique ; sur leur extré- mité supérieure on attache avec de la gomme deux feuilles d'or , qui , par conséquent , pendent par en bas. On dispose les plateaux de manière à rappro- cher beaucoup les deux feuilles l'une de l'autre. En comprimant le poisson avec le plateau supérieur, et en mettant les deux feuilles d'or presque en contact, on voit fréquemment passer l'étincelle de l'une à l'autre ; mais on comprend aisément que ce phénomène soit diffi- cilement aperçu ; en effet , il faut saisir le moment de la décharge et disposer en cet instant les deux feuilles d'or à une distance telle que l'étincelle puisse se produire. POISSOINS ÉLECTRIQUES. 197 Tous les phénomènes de la décharge et de la secousse de la torpille doivent donc être attribués à un courant électrique; l'appareil où il est produit consiste en deux organes particuliers nommés organes électriques de la torjnlle. Chacune des faces de ces organes possède un état électrique opposé : la face dorsale est positive et la face abdominale est négative. La torpille donne volon- tairement la décharge , et toute irritation venant du dehors n'agit sur l'organe électrique que par l'intermédiaire de la volonté de l'animal; et, en effet, comme la décharge passerait à travers son corps lui-même s'il n'existait pas des circuits extérieurs et des conducteurs pour la rece- voir, il en résulte que l'animal, ou n'en donnerait plus , ou cesserait immédiatement d'en donner s'il était hors de l'eau, ou s'il n'était pas touché , ou s'il l'était par des corps isolants. Ce n'est donc pas sans raison que la na- ture a placé dans un liquide conducteur les animaux doués de cette faculté. Les propriétés du courant de la torpille semblent se rapprocher davantage de celles du courant électrique pro- prement dit que de celles, de la décharge de la bouteille. Examinons maintenant la décharge de la torpille comme fonction physiologique, par conséquent , étudions quelle influence ont sur elle les diverses parties de l'organe lui- même, celles qui l'environnent ou qui ont avec lui quel- ques rapports, ainsi que les circonstances qui ont action sur l'état de vie de l'animal électrique. Si l'on a soin d'opérer rapidement, sur une torpille très-vivace , l'ablation d'un de ses organes électriques en le séparant des cartilages et des téguments 'qui le cou- 198 DIXIÈME LEÇON. vrent et l'environnent, en laissant intacts seulement les gros troncs nerveux qui s'y distribuent, on aperçoit aisément que toutes ses diverses parties, téguments, car- tilages , etc., n'ont aucune influence sur la décharge. En effet, en couvrant cet organe, ainsi séparé de la torpille, avec des grenouilles préparées, si l'on appliqi;e les conducteurs du galvanomètre sur ces deux faces et si l'on irrite les nerfs , on verra les grenouilles se con- tracter, l'aiguille dévier, indiquant un courant qui cir- cule comme à l'ordinaire dans le galvanomètre de la face dorsale à la face abdominale de l'organe. En agissant de cette manière , on observe un autre phénomène très- curieux qui consiste en ce qu'on obtient la décharge tantôt dans une portion de l'organe électrique, tantôt dans une autre. Il suffit pour cela d'irriter séparé- ment chacun des nerfs de l'organe même, et l'on voit se contracter, non pas toutes les grenouilles qu'on y a dis- posées , mais quelques-unes seulement , c'est-à-dire celles qui occupent un des points où se ramifie le nerf irrité. On ne peut obtenir ces décharges que pendant un espace de temps très-court. Cependant, si l'on irrite le nerf en le faisant traverser par un courant électrique , l'or- gane ainsi séparé a la faculté d'en donner pendant un temps plus considérable. Le courant qui passe à travers le nerf de l'organe électrique de la torpille obéit aux mêmes lois que celles qui règlent son action sur les mus- cles. Au moment oii le courant commence à circuler dans le nerf de cet organe , il excite la décharge ; s'il continue POISSONS ÉLECTRIQUES. 199 à le traverser, elle n'a plus lieu; mais on peut l'avoir de nouveau en interrompant le courant. Tant que l'organe est très-frais et vient d'être séparé de l'animal vivant , les phénomènes que nous venons de décrire appartiennent au courant direct , c'est-à-dire mar- chant dans le sens de la ramification du nerf, aussi bien qu'au courant invei^se. A mesure que l'action du courant s'affaiblit les phénomènes changent, c'est-à-dire que le courant direct n'excite plus la décharge qu'à son entrée, et l'inverse au moment de son interruption. Le même ré- sultat a lieu, ainsi que nous le verrons, lorsque le courant porte son action sur les nerfs mixtes , et excite la con- traction des muscles. On observera encore que pour que le courant appliqué sur les nerfs y excite la décharge, on doit agir sur des points de plus en plus voisins de leur extrémité périphé- rique, à mesure que la vitalité de l'organe électrique ainsi séparé va s'éteignant. Il résulte encore de ces faits que la circulation du sang n'est pas absolument nécessaire à la décharge électrique , puisque l'organe conserve cette fa- culté lors même qu'il est séparé de l'animal, certaine- ment privé de sang, et que la circulation ne s'y fait plus. Quant au parenchyme même de l'organe, on a vu la décharge y continuer même après l'avoir percé , coupé en plusieurs sens , et cela quand même il était complè- tement séparé de la torpille : cependant il cesse d'être propre à produire ces phénomènes si on coagule l'albu- mine qui le compose en grande partie , en le plongeant dans l'eau bouillante ou en le mettant en contact avec un acide. 200 mXlÈME LEÇON. De tous ces faits résulte la preuve de l'influence de la volonté de l'animal sur la décharge , influence qui s'exerce au moyen des nerfs qui se rendent à l'organe. Ces nerfs ne sont donc ni des nerfs de sensations, ni des nerfs de mouvement ; ils n'ont d'autres fonctions que celle de mettre en jeu l'organe dans lequel ils se distribuent, de l'exciter à remplir son rôle. Il était important d'étu- dier l'influence que le cer- veau exerce sur la décharge : dans ce but j'ai mis à décou- vert , par une incision hori- zontale de la boîte aponévro- tique, le cerveau d'une tor- pille vivante ; j'ai disposé sur son corps les grenouilles préparées et le galvanomètre, afin d'apercevoir comment et dans quel moment la décharge avait lieu. Si l'on irrite les premiers lobes du cerveau ( les lobes olfactifs) , il n'y a pas de décharge : il en est ain^ des lobes optiques et du cerve- let. Ces trois premiers renfle- ments du cerveau peuvent être enlevés sans que la torpille soit privée de la faculté de donner la décharge. En cet état il ne reste plus qu'un quatrième lobe, que POISSONS ÉLECTRIQUES. 21)1 j'ai appelé lobe électrique ; à peine celui-ci est-il touché que les secousses ont lieu , et suivant que l'on touche la partie gauche ou la partie droite, l'organe correspondant les donne. On peut enlever tous les autres lobes du cer- veau sans que la fonction électrique en soit altérée : le quatrième lobe déchiré, elle est détruite pour toujours, même en laissant les autres intacts. Ce qui est non moins extraordinaire, c'est que lors même que la torpille a cessé de donner des décharges, si on irrite le lobe électrique, elles recommencent de nouveau, et, si on le blesse, on en obtient encore de très-violentes, que j'ai vues dans quelques circonstances, rares il est vrai , avoir une direction inverse de celle qu'elles ont ordinai- rement. Pour compléter l'étude des phénomènes que présente la torpille, je dois ajouter que ce poisson cesse de mani- fester ces propriétés électriques quand il est plongé dans de l'eau à environ 0° ; mais qu'il les reprend lorsqu'on le met dans de l'eau à la température de 4- 15° ou 20° cen- tig. On peut répéter ces alternatives un certain nombre de fois sur le même animal. Dans l'eau chaude à environ -f- 30**centig., la torpille cesse bientôt de vivre , et meurt en donnant un grand nombre de violentes décharges. Lorsqu'elle est plongée dans l'eau et qu'on l'irrite sou- vent, surtout en la comprimant autour des yeux, elle donne beaucoup de secousses, puis elle cesse, même si on continue à l'exciter. Au bout de quelque temps de re- pos elle reprend ses facultés . Les poisons narcotiques, la strychnine, la morphine. 202 DIXIÈME LEÇON. administrés à haute dose, la font rapidement périr, après avoir donné un grand nombre de décharges fortes et rapides ; à petites doses , ces poisons plongent la torpille dans un état de surexcitation dans lequel la plus petite irritation suffit pour procurer des secousses. Placée sur une table, j'ai vu qu'alors un coup donné sur celle-ci occasionnait la secousse. Touchée ala queue, on l'ob- tient immédiatement; mais si on coupe la moelle épi- nière , les parties situées au-dessous de la section ne sont plus capables de la donner : c'est donc une décharge pro- duite par action réfléchie sur la moelle épinière. Les analogies entre les contractions musculaires et la décharge de la torpille sont complètes : tout ce qui détruit, augmente, modifie l'une, agit également sur l'autre. Quant au gymnote, autre poisson électrique qui se trouve dans quelques lacs des Indes , je ne pourrai vous en dire que quelques mots, car il a été peu étudié. Je regrette de ne pouvoir vous rapporter ici un long passage de l'ouvrage du célèbre Humboldt, dans lequel il décrit 1^ chasse que font les Indiens aux anguilles électriques : ils contraignent des chevaux et des mulets à se jeter dans les marais fangeux où vivent ces poissons ; ceux-ci commencent à lutter en donnant aux chevaux et aux mu- lets des décharges très-violentes et très-nombreuses : et il n'est pas rare qu'ils en fassent périr quelques-uns. Après un long combat , les gymnotes , harassés de fatigue , sur- nagent et s'approchent des bords des marais, et alors les chasseurs parviennent à en tirer quelques-uns de l'eau, après les avoir accrochés avec des harpons liés au bout de cordes. Les observations de Humboldt ont prouvé POISSONS ÉLECTRIQUES. 203 que les décharges de ce poisson ont lieu, comme pour la torpille, sans la nécessité d'aucun mouvement muscu- laire , et que , le cerveau enlevé , ce phénomène n'a plus lieu, même si l'on irrite la moelle épinière. Il resterait à étudier, mieux que cela n'a été fait jusqu'à présent, l'influence que peuvent avoir les diverses parties du cer- veau sur le phénomène électrique. La manière dont se fait la pêche de ce poisson suffit pour prouver que sa dé- charge est volontaire, que cette fonction s'affaiblit quand il l'exerce trop souvent, et qu'elle se rétablit par le repos. Faraday, qui a pu faire des expériences sur un gym- note arrivé vivant à Londres , est parvenu à obtenir de la décharge de ce poisson tous les phénomènes du courant électrique, c'est-à-dire l'étincelle, la décomposition électro-chimique, l'action sur l'aiguille magnétique, etc. Faraday a essayé d'établir une comparaison entre la secousse donnée par ce poisson et une batterie de bou- teilles de Leyde chargée au maximum. D'après ce phy- sicien, la décharge de cet animal serait égale à celle d'une batterie de quinze bouteilles de 3500 pouces carrés an- glais de superficie armée. Après un pareil résultat, il n'y •a pius lieu d'être surpris si un cheval succombe à de nombreuses décharges successives données par le gym- note. Le résultat le plus important auquel soit arrivé Fa- raday est celui qu'il a obtenu relativement à la direction delà décharge de ce poisson. L'extrémité céphalique est le pôle positif, et l'extrémité opposée le pôle négatif; en sorte que le courant circule dans le galvanomètre de la tête à la queue de l'animal. Cette disposition explique la 204 DIXIÈME LEÇON. ruse que l'on a vue employée par le gymnote lorsqu'il donne la secousse pour tuer un poisson : il se reploie, en sorte que sa victime reste dans la concavité formée par son corps. Moi-même j'ai pu récemment faire des études sur un gymnote qui vit depuis plusieurs mois à Naples dans le palais du roi. Tous les faits observés par Faraday ont été facilement vérifiés sur celui de Naples. Le seul ré- sultat important et nouveau que j'aurais obtenu consiste- rait en la faculté qu'a ce poisson de décharger à volonté ou la totalité ou seulement une partie de son organe. Ce- pendant de nouvelles recherches sont nécessaires pour confirmer ce fait. On ne sait rien des autres poissons électriques, et je ne peux que vous en donner les noms. En quoi consite l'organe des poissons électriques ? Quel est l'appareil électrique qui a des analogies avec cet or- gane ? Il est bien difficile de satisfaire parfaitement à ces questions. L'organe électrique de la torpille se compose d'un certain nombre, quatre cents à cinq cents, de masses prismatiques comparables à des grains de riz adossés l'un à l'autre, et composées chacune de vésicules superposées. De cette disposition générale, il résulte que l'organe entier a l'aspect d'un rayon de miel. Chacun des prismes qui le composent présente un certain nombre de diaphragmes qui le divisent perpendiculairement à son axe , et qui , en réalité , ne seraient autre chose que les parois aponévroti- ques des masses vésiculaires voisines. Des ramifications nerveuses se distribuent sur ces parois ou diaphragmes , ceux-cirésultent défibres élémentaires façonnées en mailles POISSONS ÉLECTRIQUES. 205 disséminées sur les parois des vésicules et terminées en anse dans le lobe électrique, et probablement de la même manière aussi sur les parois des vésicules. De cette façon, les rameaux nerveux de cet organe formeraient un grand nombre de circuits fermés , dont chacun aurait une anse dans le lobe cérébral et une autre dans la paroi de la vésicule de l'organe. J'extrais ces observations anato- miques des importantes recherches faites par mon ami le professeur Savi et confirmées par Robin : elles se trou- vent dans un mémoire publié dans mon ouvrage déjà cité. La grande ressemblance , ou , pour parler plus exacte- ment, l'identité de structure de toutes ces vésicules, con- duit à admettre qu'elles sont le véritable organe élémen- taire de l'appareil électrique ; la vérité de cette hypothèse est encore démontrée par l'identité de leur composition ; car toutes sont pleines d'un même liquide , dense et formé d'environ ^ d'eau et de r^ d'albumine et d'un peu de sel marin. L'expérience prouve directement que chacune de ces vésicules forme l'organe élémentaire de l'appareil électrique. J'ai enlevé sur une torpille vivante un mor- ceau d'un de ses prismes , gros environ comme la tête d'une forte épingle; je l'ai mis en contact avec le nerf de la grenouille galvanoscopique , et j'ai observé fré- quemment des contractions dans la grenouille en piquant le fragment du prisme avec un morceau de verre ou avec un corps pointu quelconque. Si vous réfléchissez maintenant que chacun des prismes se compose d'un très-grand nombre de vésicules ou organes élémentaires , que Hunter a compté quatre cent soixante-dix prismes dans un seul des organes de la torpille , vous comprendrez que , la dé- i8 206 DIXIÈME LEÇON. charge devant être proportionnelle au nombre de vé- sicules , elle sera nécessairement très-forte . L'organe électrique est donc un véritable appareil multiplicateur. Volta pensait que c'était une pile mise en activité par l'animal lui-même , en comprimant son organe et établis- sant ainsi les contacts entre celui-ci et la peau. Mais les ex- périences que nous vous avons rapportées n'ont nullement confirmé cette hypothèse. On a dit, dans ces derniers temps, que l'organe électrique était analogue à une spi- rale électro-magnétique, que la décharge était un phé- nomène ô! exti^a-courant ou dì induction. Si l'on admet, ainsi que l'observation microscopique le prouve , que dans chaque vésicule existe un filament nerveux , il est difficile de découvrir l'analogie entre l'ap- pareil électrique de la torpille et une spirale électro- dynamique. Faisons une hypothèse que nous verrons plus tard être appuyée par quelques faits ou tout au moins par de puissantes analogies. Supposons que chaque fois que l'irritation nerveuse arrive à une des vésicules élémentaires de l'organe de la torpille, les deux électricités se séparent. La chaleur qui agit sur la tourmaline , sur quelques métaux cris- tallisés, sépare les deux électricités : l'action chimique agit de même; les actions mécaniques , frottement, pres- sion , se comportent de la même manière ; supposons qu'il en soit ainsi de l'irritation nerveuse sur la vésicule de l'organe électrique. L'identité de structute et de disposi- tion de chacune des vésicules fera que chacun des prismes POISSOINS ÉLECTRIQUES. 207 deviendra une pile, mais seulement pour l'instant infini- ment petit de la durée de l'irritation , et , par conséquent, l'organe entier sera un appareil multiplicateur qui ne restera qu'un instant chargé, puisqu'il est au milieu de corps conducteurs . La décharge aura lieu partie en dehors dans le milieu environnant , et partie dans l'intérieur de l'organe ; mais d'autant plus en dehors que ce milieu sera meilleur conducteur que l'intérieur de l'organe. Qu'on se souvienne que nous avons démontré par expérience que cette décharge avait réellement lieu dans la partie interne. Il résulterait de cette hypothèse que les états élec- triques contraires devraient toujours se trouver à l'extré- mité des prismes dans le sens de la longueur , et que leur intensité serait proportionnelle à la longueur de ces prismes , c'est-à-dire au nombre des cellules dont chacun est composé. Il est important de remarquer que ces hypo- thèses sont confirmées par l'expérience. En effet, les ^^.-^^^^^^^^^^^^ positions î'sla- ^""^^^^^^^^^^^^^^ ^ tives des pôles ^^^^^^^^^B^ dans le gymnote correspondent à celles des pôles de la torpille quant à l'ex- trémité des prismes. Dans le premier de ces poissons , les prismes sont étendus le long de l'axe, du corps de l'animal, c'est-à-dire qu'ils vont delà queue àia tête ou vice versa; dans le second, au con- traire, les prismes ont leurs extrémités en contact avec le dos et le ventre. Ainsi donc , dans le gymnote , les pôles sont la queue et la 208 DIXIÈME LEÇON. tête , et dans la torpille on les trouve sur le dos et le ventre. Il resterait à examiner la direction du courant du si- lure ; si l'on devait s'en tenir à la structure de l'organe dans ce poisson , il faudrait admettre que les deux pôles sont pour lui, comme pour le gymnote, à la tête et à la queue. L'intensité des décharges électriques est la plus forte possible dans les points de l'organe qui sont les plus voisins de la ligne médiane ; là aussi la hauteur des prismes et le nombre des filaments nerveux sont le plus considérables. L'anatomie microscopique peut encore rendre un grand service à la physique, en étudiant l'organe électrique des poissons , et particulièrement en établissant exacte- ment la distribution des filets nerveux dans l'organe ou cel- lule élémentaire. Cette cellule paraît avoir des dimensions plus considérables dans le silure , par conséquent c'est dans ce poisson que la structure doit en être étudiée. C'est certainement un phénomène analogue à l'induc- tion électrique, qui a lieu dans l'organe électrique ; la con- stance de la direction de la décharge suppose une direction déterminée dans l'action de la force nerveuse ; et cette sup- position n'est pas sans fondement si l'on considère que l'excitation du quatrième lobe et des nerfs électriques de la torpille n'a aucun autre effet que de produire la décharge. Enfin je dois encore vous parler d'un autre phénomène d'électricité animale qui avait présenté jusqu'ici par sa spécialité quelque analogie avec ceux que nous avons observés dans les poissons électriques : je veux parler du courant proj)re de la grenouille . COUHANT PROPRE Dli LA GRENOUILLE. 2U9 Galvani découvrit, et tous les physiciens ont pu l'ob- server après lui, qu'une grenouille, préparée suivant sa méthode ordinaire , se contracte lorsque l'on amène en contact les nerfs lombaires avec les muscles de la cuisse ou de la jambe. Nobili, le premier, étudia ce phénomène avec le galvanomètre. Voici son expérience fondamentale : une grenouille, préparée à la manière habituelle, est pla- cée entre deux petits verres contenant de l'eau distillée, de manière à ce que, d'un côté, les nerfs lombaires, de l'autre côté, les jambes, plongent dans le liquide. Les choses ainsi disposées , on ferme le circuit en plongeant dans les deux verres les deux extrémités en platine du galvanomètre. Observez l'aiguille, elle dévie, et de 0'' où elle était, elle atteint 5\ 10" et même 15", Vous voyez que la direction de la déviation indique un courant qui. circule dans la grenouille des jambes au nerf, c'est-à-dire des jambes à la partie supérieure de l'animal. Ces signes de courant augmentent d'intensité si , au lieu de me servir d'une seule grenouille, je compose une pile avec un certain nombre de ces animaux. Cette disposition est très-facile à comprendre. Je me sers de la table vernie dont je vous ai déjà parlé en trai- tant du courant musculaire; j'y place des grenouilles préparées de telle manière que les nerfs de la première touchent les jambes de la seconde, et les nerfs de la se- conde les jambes de la troisième, et ainsi de suite. J'ai ainsi une pile dont une extrémité est formée par les jambes , et l'autre par les nerfs. Je plonge les deux pôles de cette pile dans les deux cavités de la table qui 210 DIXIÈME LEÇON. contiennent de l'eau légèrement salée ou distillée; dans celle-ci je mets également les deux extrémités des fils du galvanomètre. Vous voyez l'aiguille dévier et vous indi- quer, précisément comme dans l'expérience de Nobili , l'existence d'un courant assez énergique qui circule des jambes aux nerfs, dans chacune des grenouilles qui com- posent la pile. J'ai répété et varié de mille manières différentes cette expérience; elle m'a conduit à recon- naître : que la déviation de l'aiguille est proportionnelle au nombre de grenouilles qui composent la pile; qu'elle est plus considérable quand on emploie une solution sa- line alcaline, et beaucoup mieux encore une solution acide, que lorsqu'on se sert d'eau distillée; que, quel que soit le liquide employé, la direction du courant est constante ; il circule toujours dans la pile, des pieds à la partie supérieure de la grenouille. En répétant les expériences que nous venons de faire, vous remarquerez que , dans le moment oii le galvano- mètre indique la présence et la direction du courant, les grenouilles se contractent. Ces contractions sont analogues à celles qu'observa Galvani; elles ont lieu toutes les fois que l'on complète le circuit avec un corps conducteur quelconque, comme, par exennple, une mèche de coton ou un morceau de pa- pier imprégnés d'eau, ou un liquide conducteur quel qu'il soit , pourvu que la disposition soit telle que celle de ces substances conductrices qu'on a choisie communique d'un côté avec les nerfs, de l'autre côté avec les muscles de l'animal; ces contractions s'observent encore au mo- ment où l'on interrompt le circuit. COURAINT PROPRE DE LA GRENOUILLE. 211 Ce courant fut nommé courant de la grenouille ; à ce nom j'ai substitué celui-ci : courant propre de la gre- nouille, parce que, jusqu'à ces derniers temps , c'est dans la grenouille seulement qu'on en avait pu reconnaître l'existence. J'ai voulu Rechercher quelle était la partie du membre inférieur de cet animal qui est nécessaire à la produc- tion du courant , ou quelle était l'influence des différentes parties du membre sur ce courant. Je vous rendrai té- moin d'une seule expérience qui résoudra ces questions. Voici deux piles opposées l'une à l'autre, formées chacune d'un même nombre d'éléments. Une d'elles est composée de six grenouilles préparées d'après la méthode de Galvani, l'autre est de six jambes seulement, mais auxquelles on a enlevé les cuisses et les nerfs spinaux. Les six éléments de la première touchent les six de l'au- tre; mais leur disposition est inverse, en sorte qu'au point de jonction arrivent au contact, d'un côté les nerfs, de l'autre l'extrémité supérieure de la jambe. C'est ainsi que les deux piles sont opposées. Je mets en communi- cation les fils du galvanomètre avec les deux points extrêmes des deux piles, et je n'obtiens aucun signe de courant différentiel. Le courant propre de la grenouille a donc pour élé- ment vivant sa jambe seulement. Récemment, en étudiant plus attentivement le cou- raiat propre , j'ai pu m' assurer que c'était un phénomène qui appartenait à tous les animaux. Yoici renonciation du fait : dans tous les muscles doués de vie dans lesquels les extrémités tendineuses ne se distribuent pas égale- 212 DIXIÈME LEÇON. ment, il existe un courant dirigé du tendon au muscle, dans l'intérieur du muscle. Tous les animaux ont des muscles dans lesquels une extrémité tendineuse est plus étroite que l'autre ; qui, d'une part, forment une espèce de cordon, de l'autre s'élargissent en forme de ruban. Dans la grenouille et plusieurs animaux , le gastro-cné- mien est dans ce cas; le pectoral, chez les oiseaux, pré- sente cette disposition. En composant convenablement une pile avec ces muscles, on y trouve un courant circu- lant dans le muscle de l'extrémité tendineuse à la sur- face musculaire. En disposant cette pile , il faut soigneusement éviter de découvrir la partie interne du muscle , et surtout on doit placer un élément au contact d'un autre, de manière à ce que l'extrémité tendineuse touche la surface du mus- cle et jamais l'intérieur, au contraire, il doit en être à la plus grande distance possible. Sans cette précaution, on comprend dans le circuit le courant musculaire qui, étant dirigé de l'intérieur à la superficie, aurait une direction précisément inverse à celui du courant propre. Ayant fixé ainsi les conditions desquelles dépend le courant propre, je crois pouvoir en généraliser l'origine, et le réunir au courant musculaire. Cette communauté d'origine est principalement démontrée par l'action iden- tique qu'exercent sur le courant musculaire les diverses circonstances qui modifient l'organisme et la vie des ani- maux. En effet, soit sur le courant musculaire, soit sur le courant propre , la même action est exercée par la cha- leur, les narcotiques, l'hydrogène sulfuré et le degré d'intégrité du système nerveux. COURANT PROPRE DE LA GRENOUILLE. 213 Les anatomistes ont démontré dans ces derniers temps que les fibres musculaires élémentaires se continuent im- médiatement avec les fibres tendineuses , et que le sarco- lème qui revêt le muscle est brusquement interrompu au point d'insertion ou d'union entre la fibre musculaire et le tendon. On peut par conséquent considérer avec quelque raison le tendon comme ayant le même état électrique que l'intérieur du muscle , en sorte qu'en établissant, au moyen d'un bon conducteur, un circuit entre le tendon et le sarcolème qui recouvre le muscle , on mettrait en circulation une portion du courant musculaire. ONZIÈME LEÇON. ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA PESANTEUR , DE LA LUMIÈRE , PP CALORIQUE. Jusqu'à présent nous avons parlé du développement de la chaleur , de l'électricité , de la lumière dans les corps organisés vivants ; nous devons maintenant étudier l'ac- tion de ces agents sur ces corps. Je crois inutile de vous dire que par action de la pe- santeur sur les êtres vivants , je n'entends point vous parler ici de celle qui s'exerce sur tous les corps en gé- néral , et qui fait qu'abandonnés à eux-mêmes , ils tom- bent à la superficie de la terre, qu'ils pressent sur la la surface qui les supporte , qu'ils se maintiennent en équilibre quand leur centre de gravité est appuyé ou suspendu. Mais je veux vous parler d'un phénomène particulier qui se présente dans le développement des végétaux , et dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître l'effet de la pesanteur. En général , toutes les graines des végétaux germent et poussent en manifestant la tendance qu'ont les racines à descendre , et les tiges à s'élever. L'expérience a dé- montré que ce n'est ni à l'humidité du terrain , ni à l'ac- tion de la lumière ou de l'air atmosphérique qu'est due la direction opposée qu'affectent les parties de la plante. Les racines continuent à descendre , la tige à s'élever , ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA PESANTEUR. 215 lors mêrflé que l'on a artificiellement interverti ce qui a lieu dans la nature, c'est-à-dire quoiqu'on ait mis celle-ci en contact avec la terre et qu'on ait soumis celles-là à l'ac- tion de la lumière. Nous devons à Knight quelques ex- périences ingénieuses , qui , si elles n'ont pas entièrement éclairci ce sujet , du moins Ont démontré l'existence de l'une des causes qui président à ce phénomène. Hunter , le premier , faisant tourner autour d'un axe horizontal un baril plein de terre dans le centre duquel se trouvaient des fèves, vit qu'en continuant ce mouvement pendant plusieurs jours, les racines se dirigeaient parallèlement à son axe de rotation. Knight, en fixant convenablement des haricots ou des fèves sur la périphérie d'une roue, en tenant ces graines constamment mouillées , puis doimatit un mouvement de rotation longtemps prolongé à la roue, s'est assuré que, si celle-ci était verticale, les racines des jeunes plantes se dirigeaient vers la circonférence , et ses tiges s'inclinaient vers le centre ; mais que, si la roue était horizontale , les racines et les tiges se dirigeaient obli- quement, et celles-là se penchaient toujours vers la cir- conférence de la roue. En combinant cette expérience de Knight avec la première que nous avons citée et qui dé- montrait que la direction des tiges et des racines est sous l'influence de la pesanteur , il en résulte que dans la se- conde expérience celles-ci se dirigent obliquement , pour se placer entre la position horizontale que tend à leur faire contracter la force centrifuge et la verticale qui leur est naturelle et qu'elles prendraient dans les conditions ordinaires. Evidemment pour trouver l'explication des faits dé- 216 ONZIÈME LEÇON. couverts par Hunter et Knight , il est nécessaire d'ad- mettre : 1** un état plus ou moins liquide des nouvelles parties de la jeune plante ; 2° une densité différente dans les diverses parties de celle-ci ; 3" enfin , que les parties les plus denses du nouveau végétal se portent , du moins dans le premier temps de la germination , vers les racines. Il résulte de ces conclusions que, dans le cas de la roue verticale , les parties de la jeune plante, n'étant soumises qu'à l'action seule de la force centrifuge, elles se déve- loppent en ayant leurs parties les plus denses , c'est-à- dire la racine, à la circonférence; que dans celui de la roue horizontale , elles prennent une position intermédiaire entre celle que leur imprimerait la force centrifuge et celle qu'elles contracteraient si elles n'étaient soumises qu'à la pesanteur. Dutrochet, sans nier l'influence de la pesanteur sur la direction ordinaire des racines et des tiges , admet ce- pendant une seconde cause à ce phénomène ; elle dépen- drait du développement inégal du système cellulaire des tiges et de la racine , et de la différente turgescence que l'endosmose produit dans les cellules de ce système. Parlons maintenant de la lumière. Nous ne savons rien ou presque rien relativement à l'action que cet agent exerce sur les animaux. Edwards a prouvé que les œufs de grenouilles se développaient ' plus rapidement au soleil que dans l'obscurité, et qu'à leur tour les têtards se convertissaient plus Hot en gre- nouilles et pi as complètement dans cette même circon- stance. Les couleurs des animaux sont d'autant plus vives ACTION PHYSTOrOGtQUE DR L\ LITMIKRE. 217 qu'ils sont soumis à une lumière plus intense. On a pré- tendu que la quantité d'acide carbonique exhalée par la peau d'un animal était plus considérable sous l'action des rayons solaires. Mais on ignore quels sont ceux des rayons du soleil qui produisent ces effets , et par consé- quent on ignore si ces effets sont dus à l'action chimique de ces rayons, quelque probable que cela paraisse, du reste. L'action de la lumière sur les végétaux, quoique en- core obscure , est mieux connue dans les lois de son ac- tion, et exerce une très-grande influence sur la vie de ces êtres. Un fait démontré, c'est que la respiration de la plante , c'est-à-dire la décomposition de l'acide carbo- nique opérée par les parties vertes , la fixation du carbone et l'exhalation de l'oxygène, n'ont lieu que sous l'in- fluence de la lumière solaire : dans l'obscurité, au con- traire , la plante absorbe de l'oxygène et émet de l'acide carbonique. A la lumière , les végétaux se colorent , leurs tissus se durcissent; tandis que , dans le second cas , ils perdent leurs couleurs , leurs tiges s'allongent et devien- nent molles. Une lumière artificielle très-vive agit comme celle du soleil, quoiqu'à un degré beaucoup plus faible. Nous ne possédons qu'un seul fait capable d'éclaircir cette singulière action du soleil. On s'est aperçu, en exé- cutant des images avec le daguerréotype , que les parties vertes des végétaux et , en général , tous les corps verts, ne se reproduisent pas , à l'opposé de ce qui a lieu pour les objets ayant d'autres couleurs. Or, puisqu'il est bien prouvé que , dans la formation des images , avec le pro- cédé bien connu de Daguerre , celles-ci sont dues à l'in- fluence des rayons chimiques de la lum.ière solaire, on 19 218 ONZIÈME LEÇON. doit admettre que les parties vertes ne se reproduisent pas parce qu'elles les absorbent entièrement. Une con- clusion naturelle à tirer de ce fait , c'est que la produc- tion de la matière verte dans les végétaux et la propriété extraordinaire dont semblerait douée cette substance de décomposer l'acide carbonique sous l'mfiuence de la lu- mière , de s'en approprier le carbone , d'en exhaler l'oxy- gène , ont lieu sous l'action chimique des rayons solaires. Toutefois , il résulte de quelques expériences de Draper que les rayons lumineux proprement dits, ceux qui agissent le plus spécialement sur la rétine , les rayons jaunes , seraient ceux sous l'influence desquels principa- lement la matière verte des végétaux décompose l'acide carbonique. Quant à l'oxygène absorbé et à l'acide car- bonique exhalé dans l'obscurité, on admet que cela s'o- père indépendamment de l'état de vie. Vous voyez, par le peu que j'ai pu vous exposer rela- tivement à un sujet aussi important, combien nos con- naissances sont bornées à cet égard. Quel est réellement le principe chimique immédiat qui agit ainsi dans les plantes, qui est capable d'accomplir une action chimique dont l'intensité n'a pas d'exemple dans les affinités chi- miques ordinaires les plus énergiques? Quelle part est réservée à l'organisme dans cette action? J'ai exposé àia lumière, dans un ballon plein d'eau acidulée avec de l'a- cide carbonique , quelques feuilles qui avaient été sou- mises à une assez forte trituration , et je n'ai pas obtenu trace d'oxygène, tandis que, dans un autre appareil semblable dans lequel les feuilles étaient intactes, je ne tardai pas à en découvrir la présence. Je pourrai aussi ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE. 219 ajouter qu'il y a un très-grand nombre de parties végé- tales vertes et qui contiennent une substance analogue à celle des feuilles , qui n'ont aucune action sur l'acide car- bonique en présence de la lumière solaire. Il est à désirer que ces expériences soient variées et étendues , afin de bien établir l'influence de l'organisation sur la respiration végétale. On a parlé , dans ces derniers temps , de l'influence des rayons lumineux sur la germination. Quelques ob- servateurs ont avancé que les rayons violets, ou chimiques, la favorisaient; d'autres ont soutenu le contraire. Cette contradiction est une nouvelle preuve de la nécessité de recourir à des expériences plus exactes. Il n'est pas diffi- cile de découvrir la source de la diflerence des résultats obtenus par les expérimentateurs , puisqu'ils ne s'é- taient pas servis des rayons simples du spectre solaire , mais bien de rayons colorés obtenus par le passage de la lumière solaire à travers des verres de différentes cou- leurs. Or, en général , un rayon solaire qui traverse un verre coloré est bien loin d'être privé de toutes celles des couleurs autres que celle qu'il montre. Un effet curieux de la lumière sur les végétaux con- siste dans la tendance qu'ont certaines racines à l'éviter, d'autres, au contraire, à la rechercher. Les racines de plu- sieurs plantes de la famille des crucifères sont dans le pre- mier cas ; celles deVallium cepa se trouvent dans le second. D'après Dutrochet , la structure intime de l'écorce des racines est différente suivant qu'elles se dirigent vers la lumière, ou qu'elles s'en éloignent , et c'est de cette dif- férence que résulterait la tendance qu'elles éprouvent à 1*20 ONZIÈME LLÇON. se diriger dans un sens ou dans un autre. En général, dans l'écorce des racines des jeunes plantes , les plus gros utricules se trouvent dans les couches médianes de son épaisseur, et vont décroissant de volume tant vers l'in- térieur que vers la surface ; mais , dans quelques cas , ce décroissement est moindre pour les couches du dehors ; dans d'autres , au contraire, pour celles du dedans. Par l'effet de la lumière et de la chaleur solaire, la plante transpire, et les utricules abandonnent l'eau qu'ils con- tenaient. Il en résulte donc que les racines se dirigent vers la lumière , si la couche interne de l'écorce est d'une structure plus dense que l'externe, et que l'effet inverse a lieu , si ce sont les couches externes qui sont douées d'une plus grande densité. Je vous parlerai, enfin, de l'influence qu'exerce la chaleur sur les corps organisés vivants . Une température convenable est peut-être la condition essentielle de la vie. La possibilité de vivre est, en effet, comprise dans certaines limites de température au delà desquelles il n'y a pas d'exemples de développement et de conservation de végétaux ou d'animaux. Q,uant à ce mode général d'action de la chaleur, bornons-nous à dire que tous les phénomènes physico-chimiques des corps vivants ne peuvent se produire que dans ces mêmes li- mites de température, qui sont aussi les limites de la vie des végétaux et des animaux. Nous savons aujourd'hui que les diverses actions de contact n'ont lieu qu'à une certaine température, et nous ne devons pas oublier que ces actions de contact in- terviennent dans un très-grand nombre de phénomènes ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA LUMIÈRE. 221 des corps vivants , et le peu que nous en connaissons fait entrevoir tout le parti qu'il nous reste encore à en tirer. La fécondation des végétaux et leur germination n'ont lieu qu'à une certaine température , et les actions du contact jouent un grand rôle dans ce mystérieux phéno- mène. Indépendamment de ce mode général d'action de la chaleur sur les corps vivants , nous devons étudier plus particulièrement son influence sur les animaux. Je tirerai de l'ouvrage classique De l'influence des agents physiques sur la vie , les découvertes les plus im- portantes qui ont été faites à ce sujet, et que je me bor- nerai à vous signaler. Edwards , étudiant la vie des grenouilles dans l'eau de rivière, à différentes températures, a vu qu'à 0" ces ani- maux y vivaient huit heures ; à la température de -}- 10", elles n'y vécurent que six heures ; à -j- 16** , deux heures ; à -{- 22", de soixante- dix à trente-cinq minutes ; à -]- 32" , de trente à douze minutes ; et à -|- 42" , la mort était in- stantanée . L'influence très -grande exercée par des légères varia- tions de température surla vie de la grenouille, ne peut pas être attribuée à la différente quantité d'air qui y est dissoute pour ces différentes températures. On sait en effet que cette quantité d'air varie très- peu dans les di- verses saisons de l'année , et nous avons vu au contraire que les différences de température de l'année produisent des effets très-marqués sur la vie des grenouilles plongées dans l'eau. Edwards a trouvé que la quantité d'air que respirent 222 ONZIÈME LEÇON. ces animaux est d'autant plus considérable que la tempé- rature du milieu où ils se trouvent est plus élevée , de sorte que celui qui est ordinairement dissous dans l'eau, lors même qu'il se renouvelle constamment, n'est pas suffisant pour peu que la température soit élevée. Lesi grenouilles ne vivent donc plongées dans l'eau qu'à des températures très-basses ; ce cas excepté , elles viennent à la surface, et respirent l'air atmosphérique. On re- marque chez les poissons des phénomènes analogues à ceux que je viens de vous exposer pour les grenouilles. Plongés dans une certaine quantité d'eau contenant de l'air en dissolution, mais qui n'est pas en contact avec l'atmosphère, la durée de leur vie s'y prolonge d'autant plus que la température de l'eau est plus basse. Nous avons déjà décrit une expérience de ce genre faite sur une torpille plongée dans l'eau à + 28°; elle mourait bientôt, en donnant une série de fortes se- cousses; au contraire, elle vivait longtemps dans l'eau froide , en donnant des décharges rares et faibles . Le rapport trouvé entre la respiration et la tempéra- ture du milieu où vivent les animaux dont nous venons de parler, est une nouvelle preuve de la nature chimique de cette fonction. L'homme etles mammifères , en général, sont capables de supporter une température beaucoup plus élevée que leur température propre. L'observation de Tillet et Duha- mel est bien connue . Ils virent une j eune fille rester douze mi- nutes dans un four dont la température était de 128" centig. Delaroche et Berger introduisirent des lapins , des chats , et plusieurs autres animaux vertébrés, dans un four ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA CHALEUR. 223 chauffé de + 56^ à + 65^. Ces animaux y périrent au bout de quelques minutes. Ces observateurs ont conclu d'un grand nombre d'expériences que les vertébrés ex- posés à une atmosphère sèche et chauffée à + 45" cen- tig., sont voisins de la limite extrême de température dans laquelle il leur est donné de vivre. Il paraîtrait donc que l'homme seul serait doué de la faculté de supporter une chaleur plus considérable; en effet, outre l'observa- tion déjà citée, il en existe d'autres sur l'exactitude desquelles on ne peut élever de doutes. Dobson ra- conte qu'un jeune homme resta dans un four chauffé à 4- 98", 88, pendant vingt minutes; au lieu de soixante- quinze pulsations que battait ordinairement son pouls , on en comptait cent soixante-quatre quand il en sortit. Berger s'est enfermé pendant sept minutes dans une at- mosphère à 4- 109", et Blagden dans une de 127". Mais il n'en est plus ainsi si l'air est en même temps chauffé et saturé de vapeur d'eau. Berger ne put rester que douze minutes dans un bain de vapeur dont la tem- pérature était élevée de + 45", 25 centig. à 53", 75. La température que peut supporter un homme , plongé dans l'eau échauffée , est encore moindre que celle qu'il est capable d'endurer dans un bain de vapeur. Nous verrons bientôt quelles sont les causes de ces différences. Il était important de rechercher les variations de la température propre des animaux exposés à divers degrés de chaleur. Si l'on se borne aux variations ordinaires de température propres aux climats et aux saisons , la cha- leur du corps humain n'est pas sensiblement modifiée. Les nombreuses expériences de Davy ne donnent à cet 22U OINZIÈME LliÇON. égard que de légères différences. Franklin le premier observa que son corps était à + 35°, 55, tandis que l'air était à 37'', 77. La conclusion que l'on tira de ce fait, fut que les animaux à sang chaud ont la faculté de rester à un degré de chaleur inférieur à celui du milieu dans lequel ils se trouvent. Cependant il était nécessaire de s'assurer si à des températures beaucoup plus élevées que celle de l'homme , celle du corps éprouvait quelques variations. Delaroche et Berger ont vu s'accroître de 5" la température de l'un d'eux, qui était resté dans une étuve chauffée à + 86" centig., pendant l'espace de huit minutes. Ces mêmes expérimentateurs ont répété ces es- sais sur des mammifères et des oiseaux, et ils se sont as- surés que l'exposition de ces animaux dans un air sec et chaud produisait une élévation dans leur propre tem- pérature, mais qu'elle ne pouvait dépasser 7" ou 8° centig. sans produire la mort. Les connaissances élémentaires de la physique suffi- sent à expliquer les effets de la température extérieure sur la chaleur des animaux. La formation de la vapeur aqueuse qui s'échappe constamment par la peau d'un animal, est une cause permanente de refroidissement pour lui. Ce fait explique pourquoi dans l'air chaud et sec la température de l'animal ne s'élève pas autant que lorsque cet air est chargé de vapeurs. Il existe ainsi dans l'animal une production continuelle de chaleur et une cause constante de refroidissement , et sa température se maintient presque invariable malgré les variations surve- nues dans les milieux extérieurs , quoiqu'ils soient beau- coup plus chauds ou froids que lui , parce que la cause du ACTION PHISIOLOGIQUE DE LA CHALELK. 225 l'efroidissement est d'autant plus énergique , que la tem- pérature extérieure est plus haute, et vice versa, Edwards a tenté un très-grand nombre d'expériences , dans le but d'établir s'il existait une différence dans le refroidissement apporté dans un animal par son immer- sion dans une atmosphère plus froide que lui , suivant que celle-ci était humide ou sèche ; la conclusion a été qu'il était le même dans les deux cas. Si l'on considère que dans l'air humide la chaleur doit se dissiper plus fa- cilement que lorsqu'il est sec, on peut expliquer le ré- sultat d'Edwards , en disant que le refroidissement, pro- duit par l'évaporation plus considérable qui a lieu dans l'air sec, a pu être compensé par la perte de chaleur ef- fectuée par le contact de l'air humide. Mais il y a , au con- traire , une différence très-considérable dans le refroidis- sement d'un animal, suivant que l'atmosphère est calme ou agitée. Quand elle est tranquille et à une température inférieure à celle de notre corps , nous perdons de la cha- leur par l'évaporation, par le contact de l'air et par le rayonnement. La présence et la nature du gaz , son agi- tation , n'influent pas sensiblement sur la perte par rayon- nement; mais il n'en est pas ainsi de la perte qui a lieu par évaporation ou par le contact de l'air , qui est consi- dérablement augmentée par le mouvement de l'air. Ces résultats sont évidemment la conséquence des lois phy- siques du refroidissement des corps dans l'air et des effets de l'évaporation. Parry rapporte avoir souvent supporté une température de — 17^77 centig., sans en éprouver de souffrance, quand l'atmosphère était calme, tandis que un froid de — Q"" ,QQ était très-incommode quand 226 OiNZlÈME LE^^ON. il était accompagné d'un vent même léger. Le chirurgien de la célèbre expédition du capitaine Parry raconte que dans un air calme , la sensation produite par une tempé- rature de — 46", 11 était comparable à celle qu'on éprou- vait à- — 17°, 77, avec la brise. Il résulterait de cette ob- servation , qu'une certaine agitation de l'air produirait une sensation de froid équivalente à l'effet d'un refroidisse- ment de 29°, 6. DOUZIEME ET TREIZIEME LEÇONS. ^ o ACTION PHYSIOLOGIQUE DU COURANT ÉLECTRIQUE, Je vous entretiendrai dans cette leçon de l'action phy- siologique de l'électricité. Je ne m'arrêterai pas long- temps à vous parler des effets de l'électricité statique sur les animaux et les végétaux. Dans les anciens livres de physique vous trouverez énumérés des effets prodigieux, étranges, attribués à l'action de l'électricité statique sur les êtres organisés. Aujourd'hui ces faits sont complète- ment exclus de la science , car ils ont été démentis par des observations plus exactes. Un animal , une plante , isolés et électrisés au moyen de la machine électrique , n'ont dénoté jusqu'à présent aucun phénomène particu- lier et différent de ceux que présenteraient les corps inor- ganiques soumis à la même expérimentation. Mais il n'en est plus ainsi de l'action de la décharge électrique sur les animaux. Cette étude est de la plus haute impor- tance , et je désire ne pas vous en laisser ignorer les moindres particularités. Dans un mémoire trouvé au nombre des manuscrits de Galvani et portant ce titre, écrit de la main de Galvani lui-même, E, x'pèriences sur T électricité des métaux , avec la date du 20 septembre 1786 , est rapporté un fait qui 228 OOUZrÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. a certainement eu autant d'influence pour l'avancement des sciences que les découvertes de Galilée et de Newton. Ce fait consiste dans les contractions excitées dans une grenouille récemment tuée et préparée à la manière ordi- naire de Galvani , quand on vient à en toucher les nerfs et les muscles avec un arc composé de deux métaux dif- férents . Je ne m'arrêterai point à vous expliquer comment Galvani interpréta ces faits , en admettant l'existence d'une électricité animale , que l'arc métallique ne faisait que décharger. Après que Volta eut démontré avec l' élec- tromètre condensateur que les deux électricités se sépa- raient par l'effet du contact des deux métaux, chacun abandonna l'idée de l'électricité animale de Galvani , et l'on admit généralement que les contractions observées dans la grenouille étaient simplement l'effet de l'électri- cité développée par les deux métaux et excitant le nerf qu'elle traversait. Les dernières leçons vous ont appris en quoi consiste réellement l'électricité animale , et vous devez être convaincus que ce n'est pas à tort que Gal- vani l'admettait , puisqu'un grand nombre de faits dé- couverts par lui sont certainement dus à l'électricité dé- veloppée dans les animaux, et qui leur est propre. Les contractions éveillées dans la grenouille ou dans un animal quelconque vivant ou récemment tué, lorsqu'un de ses nerfs vient à être parcouru par le courant élec- trique , sont certainement indépendantes de toute électri- cité animale. C'est par l'examen de ce premier fait que nous commencerons l'étude de l'action de l'électricité sur les animaux. ACTION PHYSÏOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 229 Pendant les années qui succédèrent aux découvertes de Galvani et de Volta , chaque journal , chaque ouvrage contenait des particularités relatives à cette action . Les convulsions , les sauts que l'on observe chez un animal récemment tué et soumis à un courant électrique suffi- samment énergique , donnèrent un moment l'espérance de pouvoir rendre la vie. Naturellement, cette illusion se dissipa bientôt ; ainsi que cela devait arriver, la science rentra bientôt dans ses véritables limites. Valli , Lehot, Humboldt , Aldini , Bellingieri et Marianini, et Nobili , dans ces derniers temps, ont étudié l'action physiologi- que du courant électrique. Je ne puis certainement vous rapporter ici toutes leurs expériences , et je dois me borner à vous faire connaître ce qu'il y a de bien établi dans l'état actuel de la science sur ce sujet. Je découvre sur ce lapin , que vous voyez solidement attaché par les quatre pattes sur une table, le nerf sciati- que des deux cuisses , je le sépare autant que cela est pos- sible des parties environnantes , je l'essuie avec du pa- pier sans colle , et j'introduis au-dessous de lui une bande de taffetas gommé pour l'isoler complètement des tissus voisins. Remarquez l'effet produit lorsque je fais passer le long du nerf le courant produit par une pile de dix élé- ments , en appliquant les deux conducteurs à peu de dis- tance l'un de l'autre , de façon que sa direction soit delà partie centrale à la périphérie du nerf. Au moment où je ferme le circuit , tous les muscles de la cuisse se contrac- tent , l'animal pousse des cris aigus , son dos est forte- ment courbé , il agite les oreilles. :;) 230 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. Ces phénomènes se reproduisent si je change la position respective des électrodes , c'est-à-dire si je fais marcher le courant en sens inverse à celui qu'il avait , en se diri- geant de la périphérie aux centres nerveux. Les effets que vous avez remarqués au moment où j'ai fermé le circuit, se répètent quand je l'ouvre; en inter- rompant la communication des conducteurs avec le nerf , soit dans le cas de la première direction affectée par le courant , ou courant direct , soit dans celui du courant dirigé en sens opposé , ou courant inverse. Mais pendant que le circuit est fermé, quel que soit d'ailleurs le sens dans lequel circule le courant , l'animal ne laisse apercevoir aucun de ces phénomènes. Nous ver- rons bientôt quel genre d'action doit être attribué à ce- lui-ci , pendant le temps de son passage à travers les nerfs. Si le courant est appliqué au nerf de manière à ce qu'il le traverse suivant son épaisseur au lieu de le parcourir, les contractions sont plus faibles et manquent même com- plètement toutes les fois qu'on parvient à faire l'expé- rience de manière que tout le courant passe normalement dans le nerf. En répétant ces expériences sur divers individus , on remarque en général que les signes de douleurs donnés par un animal sont plus violents au début du passage du courant inverse, et que les contractions les plus énergiques se font remarquer dans les premiers instants de celui qui est direct. Quelle que soit la direction du courant électrique dans les nerfs , sa première action sur ceux d'un animal vivant, aussi bien que son interruption , donnent naissance aux ACTION PHYSIOL. DU COUKAINT ÉLECTRIQUE. 2ìl mêmes phénomènes ; cependant on observe constamment que les contractions les plus violentes sont celles qui sont excitées clans les premiers instants du passage du courant direct. Marianini a observé que si un homme ferme le circuit d'une pile composée d'un certain nombre d'élé- ments, en touchant un pôle de celle-ci avec une main, et le second avec l'autre main , la secousse la plus forte est toujours ressentie au bras dans lequel circule le courant direct. Si l'on continue, longtemps, à expérimenter sur le même animal, on finit par voir disparaître tous les phénomènes que nous venons de décrire, et l'animal ne donne plus au- cun signe du passage du courant, et cela après un intervalle de temps qui sera d'autant plus court que celui-ci aura été plus énergique. Si alors l'animal est laissé quelque temps en repos , ou si on augmente la force de la pile , les premiers phénomènes reparaissent encore. Si vous étudiez les phénomènes qui se passent à mesure que l'action du courant sur l'animal se prolonge et avant qu'ils soient complètement abolis, vous observerez que , lorsque le courant direct est interrompu, les contractions des muscles inférieurs , c'est-à-dire de ceux qui sont pla- cés au-dessous du point du nerf sur lequel il est appliqué, deviennent plus faibles, pendant qu'elles ont encore lieu dans les muscles du dos et que l'agitation et souvent les cris de l'animal persistent. On voit aussi que, dans les premiers instants du passage , ses effets sont bornés aux contractions des muscles inférieurs. Quand le courant est inverse, les contractions des muscles du dos, les mouvements des oreilles et les cris ne se manifestent '2ò'2 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. plus qu'au moment où le circuit est fermé, et les con- tractions des muscles inférieurs sont à peine sensibles; mais l'effet opposé a lieu quand on mterrompt le circuit, c'est-à-dire que les contractions de ces derniers muscles persistent , tandis que celles du dos et les mouvements des oreilles ont disparu et que l'animal ne pousse plus de cris . On doit donc diviser en deux périodes différentes l'ac- tion du courant électrique qui excite les nerfs d'un animal vivant. Dans la première, l'irritation du nerf est transmise dans toutes les directions , vers sa partie centrale aussi bien qu'à sa périphérie , tant au commencement de son action qu'à la fin , et cela indépendamment de la direc- tion du courant. Dans la deuxième, l'excitation du nerf se communique vers sa partie périphérique dans les pre- miers moments de l'action du courant direct et à l'in- stant de l'interruption de l'inverse ; au contraire, l'irri- tatïon du nerf est transmise vers le cerveau lorsque le courant direct est interrompu ou lorsque l'inverse vient d'être fermé. Je puis exprimer l'ensemble de ces résultats en termes plus simples : le courant agit dans le sens de sa direc- tion , quand il commence à circuler dans le nerf, et dans le sens opposé à sa direction , quand il cesse d'y passer. Avant de passer outre , nous devons étudier comment le courant électrique peut occasionner les contractions des muscles du dos et de la tête, en agissant, ainsi que vous l'avez vu dans les expériences précédentes , sur des nerfs qui ne s y ramifient pas. Si vous opérez la section transversale de la moelle ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 233 épinière d'un lapin et que vous fassiez passer un courant électrique dans le nerf crural, vous remarquerez que, dans ce cas , les contractions se bornent aux muscles si- tués au-dessous du point oii la moelle épinière a été cou- pée , et , si elle l'a été vers son extrémité inférieure , il n'y en aura plus aucune dans les muscles placés au-dessus du nerf excité. Les mouvements provoqués dans les muscles situés au-dessus du nerf irrité par un courant électrique , sont donc des mouvements réflexes. L'excitation de ce nerf est transmise à la moelle épinière, et celle-ci, par une action réfléchie , détermine la contraction dans des muscles qui ne reçoivent pas le nerf irrité par le courant. Aussi dirons-nous , en nous servant des expressions des physiologistes modernes , que l'excitation électrique d'un nerf, d'abord centripète , se transforme en une excitation centrifuge. Jusqu'à présent , je vous ai exposé les lois de l'action du courant électrique sur les nerfs d'un animal vivant; je vous entretiendrai maintenant de cette action sur les nerfs des animaux récemment tués. En soumettant des lapins morts depuis peu et préparés, comme pour les expériences précédentes , à l'influence d'un seul élément, on obtient la contraction des muscles inférieurs , au moment où l'on ferme le circuit du courant direct et lorsque l'on interrompt le courant inverse. En faisant agir une pile plus forte , les contractions de ces mêmes muscles ont lieu aussi bien quand le courant com- mence à circuler que lorsqu'il cesse, et cela, quelle que soit sa direction. En continuant pendant un certain temps 234 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. à le faire passer, on n'aura plus des contractions qu'au commencement de l'action du courant direct et à la cessa- tion de l'inverse. Ces phénomènes peuvent se vérifier sur tous les ani- maux , mais ils sont plus facilement visibles avec la gre- nouille. Voici un de ces animaux qui a été préparé à la manière ordinaire de Galvani , et auquel on a enlevé ensuite les os du bassin et les vertèbres lombaires. Cette grenouille, ainsi préparée , est mise à califourchon sur deux capsules pleines d'eau dans laquelle plongent ses pattes. Quand je plongerai les deux conducteurs d'une pile dans les capsules , vous verrez d'abord la grenouille s'élancer au dehors , et si on la retient forcément en place , il y a des contractions dans les deux jambes en ouvrant et en fer- mant le circuit , et , par conséquent , dans le membre dans lequel le courant est direct , comme dans celui oii il est inverse. Mais si l'on continue à agir , on s'aperçoit bientôt du changement décrit, c'est-à-dire qu'au moment où l'on compietele circuit, un seul membre se contracte, c'est celui dans lequel le courant est direct; au contraire, Action pnYSiOL. du courant électrique. 235 quand on l'interrompt, la contraction a lieu dans l'autre, c'est-à-dire dans celui qui est parcouru par l'inverse. Cette série de phénomènes peut tarder plus ou moins longtemps à se montrer , selon la force du courant et la vivacité de l'animal, mais elle ne manque jamais. Ainsi la grenouille n'est pas seulement un galvanoscope d'une sensibilité parfaite, c'est encore un instrument qui peut faire l'office de galvanomètre , et indiquer comme lui la direction du courant qui circule dans une portion de ses nerfs. C'est Marianini qui le premier a observé que l'on ob- tenait des contractions à l'interruption du circuit, sans qu'il y en eût au moment oii on le fermait. Pour réussir dans cette expérience , il suffit d'introduire une grenouille dans le circuit d'une pile , et de fermer celui-ci en tou- chant avec une main un pôle , et en plongeant les doigts de l'autre main dans le liquide où plonge une des extré- mités de la grenouille. Dans les premiers instants le courant qui circule est très-faible , par la mauvaise con- ducibilité de la main, mais il va toujours croissant, à mesure que les doigts s'imbibent davantage de liquide , et la grenouille n'éprouve pas l'effet du courant à l'intro- duction , mais bien celui dû à l'interruption du circuit. Jusqu'à présent nous avons fait agir le courant sur les nerfs des animaux , et nous avons déterminé les lois de cette action, nous avons également étudié le cas dans lequel il circule dans l'animal entier, en parcourant à la fois nerfs et muscles. Il nous reste à parler de l'action du courant sur la fibre musculaire seule. On comprend aisément toute la difficulté dont est en- 236 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. tourée cette recherche , car on ne peut jamais avoir la certitude d'avoir fait disparaître toute trace de substance nerveuse, même lorsqu'on a enlevé à un muscle tous les filaments nerveux visibles , et ceux même que l'on n'aper- çoit qu'à la loupe. Cependant c'est sur un muscle qui en est dépouillé , autant que cela se peut , que nous sommes obligés d'opérer; et voici les résultats obtenus dans ce cas. En faisant passer le courant d'une pile de vingt ou trente éléments dans le muscle pectoral d'un pigeon dont on a enlevé les nerfs, ainsi que je l'ai dit, on remarque toujours qu'il se contracte quand on ferme le circuit. Cette contraction, d'ailleurs, ne dure qu'un instant, et paraît consister en un raccourcissement momentané de ses fibres. Quelle que soit la direction du courant par rapport à celle des fibres musculaires , le phénomène ne varie pas. Si le circuit est maintenu fermé et que l'on con- tinue à faire passer le courant sur le muscle , les contrac- tions reparaissent en ouvrant le circuit. Elles sont plus faibles que lorsqu'on ferme le circuit ; et quand le passage a été prolongé pendant longtemps , elles manquent en- tièrement à l'interruption du circuit. En général , on peut établir que les contractions qu'or obtient en agissant sur le muscle , quand on ferme le circuit, persistent plus que celles qui ont lieu quand on l'ouvre, et que souvent on voit reparaître ces der- nières en augmentant l'intensité du courant. On est donc autorisé à conclure que le courant électri- que qui agit sur une masse musculaire , privée des fila- ments nerveux visibles, y excite des contractions, tant ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 237 au moment où l'on ferme le circuit qu'à celui oii on l'in- terrompt, quelle que soit d'ailleurs la direction du cou- rant relativement à celle des fibres musculaires , et que celles qui ont lieu quand on l'ouvre sont les premières à disparaître. Il me reste à vous parler de diverses circonstances qui modifient l'action du courant sur les nerfs et les muscles des animaux vivants ou récemment tués. Les alternatives voltaiqves dont je vais maintenant vous entretenir, sont le résultat du passage même du courant dans le nerf. Voici en quoi consiste ce phéno- mène. On met une grenouille , préparée à la manière or- dinaire , à califourchon sur deux petits verres contenant de l'eau pure ou légèrement salée , de telle manière que la moelle épinière plonge dans l'un d'eux , et les jambes dans l'autre , puis enferme le circuit. Si on laisse le cou- rant circuler pendant un certain temps , vingt ou trente minutes, suivant la force du courant, puis qu'on l'ouvre et qu'on le ferme de nouveau, on n'obtiendra plus de contractions. Il suffira alors d'intervertir la direction du courant dans la grenouille pour voir les contractions re- paraître ; mais elles cessent de nouveau après le passage prolongé du courant et plus vite dans ce cas que précédem- ment. Alors en renversant de nouveau le sens du courant, c'est-à-dire en le rétablissant comme au commencement, les contractions reparaissent encore. Il est^ossible de ré- péter un certain nombre de fois ces alternatives sur le même animal. Les intervalles de temps nécessaires entre le passage de l'un ou de l'autre courant , dépendent de l'intensité de celui-ci et de la vivacité de l'animal. 238 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. Il est facile de démontrer que F affaiblissement de l'ex- citabilité du nerf, par le passage du courant , se mani- feste principalement dans la portion qui est traversée par celui-ci. Supposons avoir fait passer un courant dans le nerf d'une grenouille préparée à la manière de Gal- vani , et avoir prolongé l'action pendant un certain temps, de manière que les contractions aient cessé. Si l'on applique les conducteurs à une portion du nerf plus éloignée du cerveau que ne l'était celle sur laquelle on a opéré , on voit aussitôt reparaître les contractions , et avec les lois précédemment données. En poursui- vant ces expériences, on peut continuer à découvrir des portions du nerf encore plus éloignées du cerveau , et on obtient encore les mêmes effets. On pourrait donc dire que l'excitabilité d'un nerf, réveillée par le courant , se retire vers sa partie périphérique à mesure que sa vi- talité s'éteint. Lorsqu'on agit à la manière que nous ve- nons d'indiquer sur un animal vivant, on trouve que les signes de douleur manifestés par celui-ci , quand un cou- rant électrique parcourt ses nerfs , s'obtiennent égale- ment SI l'on agit sur des parties de celui-ci de plus en plus voisines du cerveau , à mesure que sa vivacité dimi- nue par le passage prolongé du courant. Dans un cas comme dans l'autre, c'est toujours l'excitabilité du nerf qui s'affaiblit par le passage du courant; et puisque quand une masse musculaire est parcourue par celui-ci , il est certain que la totalité , ou au moins la plus grande partie du courant , passe, non par les filaments nerveux, mais par les muscles, qui sont meilleurs conducteurs, il est naturel que ces filaments conservent leur excitabilité. ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 239 Il était important d'examiner l'action du courant sur des animaux empoisonnés. J'ai fait, dans le but d'étu- dier ce suet , un grand nombre d'expériences dont je vous citerai les principaux résultats. Les différentes manières d'opérer pour connaître l'ef- fet des divers agents toxiques sur l'excitabilité des nerfs , au passage du courant électrique, peuvent se réduire, ou à celle qui consiste à tenir compte du nombre d'élé- ments nécessaires pour réveiller les contractions dans les grenouilles empoisonnées et dans d'autres laissées intactes, ou à l'autre, qui est préférable, dans laquelle on compare le temps nécessaire pour que le passage d'un courant donné détruise totalement l'excitabilité nerveuse dans un animal empoisonné et dans un autre tué par la méthode ordinaire. Les animaux qui ont péri dans l'hydrogène, l'azote, l'acide carbonique, le chlore, soumis au passage du cou- rant électrique par leurs nerfs , ne présentent aucune diffé- rence avec les autres animaux morts sans avoir éprouvé l'action de ces gaz. Mais il n'en est pas ainsi de ceux tués au moyen de l'acide hydrocyanique ou par les décharges réitérées d'une grande batterie , à travers la moelle épi- nière. Dans ces cas-là , le courant fourni par un ou même plusieurs éléments , appliqué sur les nerfs d'un animal , n'y excite aucune contraction , ou s'il y en a de légères , quelques secondes de passage suffisent pour les détruire entièrement. Cependant les muscles , soumis à ce même courant, donnent des signes de contractions assez sensi- bles, ce qui démontre encore, comme je vous l'ai déjà dit, qu'il faut bien reconnaître dans la fibre musculaire la 240 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. propriété de se contracter sous l'influence du courant, indépendamment du nerf. Enfin , si les animaux sur les- quels on agit avec le courant électrique ont péri dans l'hydrogène sulfuré, on n'obtient jamais des contractions sans employer des courants très-forts et ces contrac- tions elles-mêmes cessent bientôt. Je devrais mainte- nant vous faire connaître les effets du courant élec- trique sur les animaux qui ont absorbé des narcoti- ques, mais je crois qu'il est plus rationnel de vous en parler lorsque nous traiterons des usages thérapeutiques de cet agent. Je veux maintenant vous montrer quelles diflerences s'observent dans l'action physiologique du courant lors- que le nerf sur lequel on agit a été lié. Je mets à décou- vert et j'isole le nerf crural d'un lapin , puis je fais la liga- ture vers le milieu de ce nerf ; alors je fais passer le courant à travers le nerf, dans la partie située au-des- sus de la ligature , c'est-à-dire vers le cerveau. J'ob- tiens les contractions du dos et des signes de dou- leur, tant au moment oii j'ouvre le circuit qu'à celui où je le ferme, quelle que soit d'ailleurs la direction du cou- rant. Bientôt ces effets ne se produisent qu'à l'instant du commencement du passage du courant inverse , et à ce- lui de la cessation du courant direct. Si, au contraire, je fais passer le courant au-dessous de la ligature, j'ob- tiens d'abord les contractions de la jambe, soit que j'ou- vre ou que je ferme le courant direct ou inverse , et bien- tôt, comme à l'ordinaire, on n'aperçoit plus ces con- tractions que dans le premier instant du courant direct et à la fin de l'inverse. D'après ces faits, la ligature d'un ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 241 nerf n'a donc d'autre résultat que celui d'isoler les effets du courant, c'est-à-dire de produire les effets de son action sur les centres nerveux, séparément d'avec ceux qu'il a en agissant sur les extrémités des nerfs. Il est inutile d'ajouter que si l'on opère sur un animal mort, on n'ob- tient pas les signes qui caractérisent la douleur. Afin de ne pas commettre d'erreurs en répétant ces ex- périences , il faut avoir soin de bien isoler le nerf des parties humides qui l'entourent et de serrer convenable- ment la ligature. Le meilleur procédé consiste à faire usage de la grenouille préparée à la manière habituelle et puis de la suspendre par son nerf. De cette façon on est certain qu'il n'y a pas autour du nerf des parties hu- mides qui détournent une portion du courant. Si l'on ou- blie ces précautions , une certaine partie du courant peut passer au-dessus ou au-dessous de la ligature et jeter ainsi du trouble dans les résultats. Dans le cas oii l'on aurait appliqué les deux pôles , l'un au-dessus, l'autre au-dessous de la ligature, comme le courant n'est point intercepté , mais seulement affai- bli , il en résulte que les phénomènes seront les mêmes que si la ligature n'existait pas ou qu'ils ne seront que plus faibles. Je me suis abstenu jusqu'ici , et non sans raison, de vous parler de la différence qui existe dans la perte d'ex- citabilité produite par le passage du courant dans un nerf, suivant sa direction. Lorsqu'on fait passer un courant dans une grenouille, préparée d'après la manière que j'ai décrite , et tenue à califourchon sur deux petits verres , on obtient d'abord les contractions dans les deux raem- 2i 242 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. bres au commencement comme à la fin du passage du courant quel qu'en soit le sens. Bientôt arrive la seconde période d'excitabilité que nous avons déjà décrit'3et dans laquelle il n'y a plus de contraction que dans îe membre parcouru par l'inverse quand le courant cesse, et dans celui traversé parle direct lorsqu'il commence. Etudions maintenant quels phénomènes se manifes- tent si l'on continue encore à faire passer le courant : toute contraction disparaît après un certain temps dans le membre parcouru par le courant direct , et on voit seu- lement persister celle qui a lieu dans le membre soumis au courant inverse, au moment où celui-ci vient à être interrompu. Ce résultat , qu'il est possible d'obtenir sur la grenouille vivante ou morte , qui se produit également en agissant avec le courant sur les nerfs seuls , prouve évidemment que l'excitabilité d'un nerf est beaucoup plus affaiblie par le passage du courant direct que par ce- lui de l'inverse. Je vous exposerai ici quelques faits rela- tifs à ce sujet et qui me semblent démontrer d'une ma- nière satisfaisante que non-seulement le courant inverse altère moins l'excitabilité d'un nerf que le direct, mais qu'il agit d'une façon entièrement opposée , c'est-à-dire que le courant direct diminue l'excitabilité, tandis que l'inverse l'augmente. Si le nerf est parcouru pendant plusieurs heures , même trois ou quatre , par le courant inverse, il arrive dans le plus grand nombre des cas qu'à l'interruption du circuit, le membre éprouve une contraction très-violente, qui dure un certain nombre de secondes et qu'on pourrait appeler tétanique. Il suffit de fermer de nouveau le cir- ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 'lU'ò cuit pour que ce phénomène cesse; mais ce qu'il est très- important de remarquer, c'est qu'au moment- où l'on ferme le circuit, dans cette circonstance , il y a une nou- velle contraction après laquelle le membre revient à son état naturel. Cette contraction , qui survient quand on ferme le circuit dans le cas du courant inverse, n'existait plus dans les premiers instants de l'expérience, et elle a reparu après l'action très-prolongée du courant. Il était important de prouver que les contractions que l'on obtient lorsqu'on vient à ouvrir le circuit du cou- rant inverse, croissent dans de certaines limites, d'au- tant plus que le circuit est resté plus longtemps fermé. Pour arriver à ce résultat , il était nécessaire de pouvoir opérer en mesurant la contraction, ce à quoi je suis ar- rivé, au moyen d'un appareil construit par Bréguet. Je ne puis vous exposer ici avec tous leurs détails les nombreuses expériences que j'ai faites avec cet instru- ment, afin de déterminer la force de contraction réveillée par le courant électrique dans différents cas. Voici les conclusions générales auxquelles je suis arrivé : 1° La contraction excitée par un courant électrique , transmise dans un nerf mixte dans le sens de sa ramification et que l'on appelle pour cela directe , est toujours plus énergique que celle que ce même courant fait naître en parcourant le nerf en sens opposé à sa ramification. 2° Le courant direct affaiblit et détruit rapidement l'excitabilité d'un nerf; au contraire, le passage du courant inverse l'aug- mente dans certaines limites. 3" Pour produire ces effets, le courant direct, aussi bien que l'inverse, doivent pro- longer leur action sur le nerf pendant un certain temps , 2^iA DOUZIÈME lìT TREIZIÈME LEÇONS. qui sera d'autant plus long que son excitabilité est plus faible. Il est assez facile de vous démontrer par l'expérience la plus importante de ces conclusions : que quand le cou- rant direct a traversé le nerf lombaire d'une grenouille pendant vingt ou trente minutes , il n'y a plus de contrac- tion , soit en interrompant le circuit , soit en le refermant aussitôt; au contraire, après plusieurs heures de pas- sage, la contraction que l'on obtient, en ouvrant le cir- cuit du courant inverse , diffère à peine de celle que l'on a d'abord quand le nerf est doué d'une grande excitabi- lité. On peut remarquer cette différence dans l'excitabi- lité d'un nerf, suivant qu'il a été soumis au passage du courant direct ou de l'inverse , quelle que soit la manière dont le nerf est stimulé. Lorsqu'on opère avec le courant inverse sur un nerf très-excitable et qui n'a pas encore été soumis au passage du courant , il est impossible de découvrir de différence entre la contraction provoquée par l'ouverture du circuit de ce courant pendant une seconde de passage comme après dix secondes ou vingt se- condes. Cependant elle existe; seulement, pour être à même de l'apprécier, il faut agir plus rapidement. Si le passage du courant inverse se réduit à une courte fraction de seconde , alors on trouve , en ouvrant le circuit , une contraction plus faible de celle que l'on obtient après qu'il a circulé pendant une ou plusieurs secondes. Il est très-facile de parvenir à cela, pourvu que l'on ferme le circuit à l'aide d'une roue qui n'a qu'une dent métallique et sur laquelle on applique un des fils de la pile pendant qu'elle tourne. Lorsque le nerf a perdu une partie de son ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. L^/i5 excitabilité , alors on voit facilement la contraction qui se manifeste en ouvrant le circuit s'accroître proportionnelle- ment au temps que le circuit a été fermé . Ce n'est qu'au bout de quinze ou vingt secondes de passage que le plus grand effet est obtenu : il est inutile de vous dire comment , sur l'animal mort, ces effets ne peuvent continuer à s'accroître. Enfin , il me reste à vous parler de l'influence du re- pos sur un nerf qui a été soumis au courant. Si le nerf a été parcouru par le courant direct , le repos lui rend une par- tie de son excitabilité: au contraire , s'il l'a été par l'in- verse , il perd par le repos une partie de celle qu'il avait acquise sous l'influence du courant. Lorsqu'un nerf est très-irritable , un repos très-court lui suflit pour recouvrer l'excitabilité perdue par l'action du courant direct; il en est de même de l'augmentation occasionnée par l'inverse; presque aussitôt qu'il vient à être interrompu , le nerf re- vient à son état normal. A mesure que l'excitabilité di- minue , la durée du repos capable de lui donner ou de lui enlever l'excitabilité acquise sous le passage du courant, augmente. A l'aide de la connaissance de ces faits , que j'ai der- nièrement établis sur un grand nombre d'expériences , j'espère être parvenu à donner une théorie assez simple de l'action du courant électrique sur les nerfs , et des phé- nomènes qu'il produit dans les animaux. Aucune expérience ne démontre que le courant excite la contraction musculaire pendant son passage dans les nerfs. Ce passage ne fait que modifier l'excitabilité du nerf. La contraction est constamment produite par l'effet de la décharge électrique proprement dite, c'est-à-dire 246 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. par la neutralisation des deux états électriques contraires, comme ceux qui existent toujours dans la production de l'étincelle. Chacun sait que lorsqu'on ferme le circuit d'une pile aussi bien que lorsqu'on l'ouvre, il y a une étincelle. C'est précisément dans ces mêmes circonstances que le courant éveille toujours la contraction. Il suffira d'avoir vu une seule fois les contractions d'une grenouille excitées , en touchant son nerf avec les deux armatures d'une bouteille de Leyde déjà déchargée plusieurs fois avec un arc métallique . pour être persuadé de la petitesse de la décharge nécessaire pour produire cet effet. Une bouteille qui a été déchargée déjà plusieurs fois comme nous venons de le dire, peut encore produire Quinze ou vingt contractions dans une grenouille. Avec la décharge de la bouteille, on voit également cesser d'abord la contraction du membre parcouru parla décharge inverse, celle provoquée par la décharge directe persistant encore. On comprend facilement alors pourquoi l'excitabilité du nerf étant diminuée, l'étincelle qui est produite par l'interruption du courant direct, n'éveille plus de contrac- tions. Avec l'inverse , on obtient la contraction par l'étin- celle à l'ouverture du circuit , parce que, dans l'intervalle de son passage, l'excitabilité du nerf s'est accrue. Cette augmentation disparaît aussitôt que le courant a cessé d'agir, et c'est pourquoi l'étincelle ne peut plus provo- quer de contractions quand ensuite on ferme de nouveau le circuit inverse. On comprend également bien avec ces idées le fait des altertiatives voltaïques : quand un nerf a été pendant ACTION PHYSTOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 247 longtemps parcouru par le courant^direct , et a perdu son excitabilité, il n'y a plus de contraction , quoique cepen- dant il y ait étincelle à la fermeture et à l'interruption du courant. Le courant inverse lui rend une portion de son excitabilité et sa contraction reparaît quand on ouvre le circuit. Si de l'action du courant inverse on retourne à celle du courant direct, les contractions qu'on obtient pendant le temps , toujours court , que le nerf conserve l'excitabilité acquise par le passage du courant inverse, se- ront plus énergiques , car nous avons vu. que la décharge directe produit sur un nerf doué d'un certain degré d'ex- citabilité, une contraction plus forte que l'inverse. Je n'ai plus, pour compléter cette leçon, qu'à vous parler des effets que le courant électrique produit quand il est appliqué sur les diverses parties du cerveau , sur les nerfs des sens , sur les racines des nerfs spinaux et sur les nerfs ganglionnaires. Je regrette qu'un sujet aussi im- portant n'ait pas encore été convenablement étudié. On peut dire que tout reste encore à faire ; le peu de mots que je pourrai vous en dire vous le prouveront. J'ai essayé d'appliquer les conducteurs d'une pile for- mée de plusieurs éléments sur les hémisphères cérébraux et sur le cervelet d'un animal vivant , j'ai tenté de les faire pénétrer dans la substance même de ces organes , sans jamais apercevoir ni secousses ni signes de douleur. Ce- pendant, en faisant arriver les conducteurs au contact des tubercules quadrijumeaux, dans les pédoncules du cer- veau , dans la moelle allongée , on obtient des secousses assez violentes dans toute l'étendue du corps , et l'animal donne les signes de la souffrance. 2^8 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. J'ai cherché, avec Longet, quelle pouvait être l'ac- tion du courant électrique sur les racines des nerfs ra- chidiens et sur les faisceaux de la moelle épinière. Voici les résultats auxquels nous sommes parvenus. Sur les racines antérieures qui appartiennent aux mouvements, il y a, comme à l'ordinaire, dans la première période, des contractions produites aussi bien quand on ferme que quand on interrompt le circuit, quelle que soit la di- rection du courant. Dans la seconde période d'excita- bilité on obtient, en agissant sur les racines antérieures, l'effet inverse de celui qui a lieu sur les nerfs mixtes : le courant inverse réveille des contractions dans les pre- miers moments de son passage, et aucune quand il cesse ; au contraire , le courant direct les produit quand il est interrompu, et on n'en obtient pas quand on le ferme. Il est inutile d'ajouter qu'il n'y a jamais de contractions quand on agit sur les racines postérieures si l'on a coupé les antérieures. Les faisceaux antérieurs de la moelle épinière se comportent comme les racines correspon- dantes. Passons aux nerfs des sens. Magendie a fait passer le courant à travers le nerf optique d'un animal vivant sans obtenir ni contractions, ni signes de douleur. En opé- rant sur soi-même , en touchant avec les extrémités d'une pile d'un seul élément, l'oreille et l'œil, ou l'oreille et la langue, ou l'œil et la langue , on perçoit des sensations de son , des éblouissements et une saveur particulière. Ces effets ne peuvent dépendre que d'une action exercée par le courant sur les nerfs sensoriaux de ces organes , et non pas des contractions excitées dans les muscles dé- ACTION PHYSiOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 2/|9 pendants' de ceux-ci; en effet, un courant très-faible, in- suffisant pour exciter les plus petits mouvements muscu- laires, est encore capable d'agir sur les sens. Cette saveur particulière ne saurait non plus être attribuée à l'impres- sion exercée sur la langue par les corps provenant de la décomposition de sels de la salive , opérée par la pile ; car un courant très-faible et qui ne peut produire cette dé- composition , est cependant assez fort pour faire naître la sensation électrique sur la langue. Quelques mots enfin de l'action du courant sur les nerfs du système ganglionnaire. Le peu que nous con- naissons sur ce sujet est dû au célèbre Humboldt. Lorsqu'on fait passer un courant à travers le cœur d'un animal récemment tué , peu d'instants après que les pulsations se sont éteintes, on remarque que cet organe recouvre ses mouvements ordinaires quelque temps après le passage du courant électrique , et qu'il les conserve pendant un certain temps après qu'il a été soustrait à l'action du courant. Si au lieu d'attendre que les mouvements naturels de cet organe aient entièrement cessé , on fait passer le cou- rant lorsqu'ils sont seulement affaiblis, on s'aperçoit alors qu'ils deviennent plus fréquents quand celui-ci a agi sur le cœur pendant un certain temps , et que l'aug- mentation persiste encore pour quelques instants , même lorsque le courant a été interrompu. Ces mêmes effets se reproduisent pour le mouvement vermiculaire des intestins soumis à l'influence du courant. Si vous réfléchissez à l'importance qu'a le système ganglionnaire dans l'accomplissement àes fonctions orya- 250 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. niques des animaux, vous comprendrez aisément combien les études faites sur ce sujet sont insuffisantes. La différence de l'action exercée par le courant sur les nerfs de la vie de relation et sur ceux de la vie orga- nique, est très-marquée : dans ceux-là, ses efïets sont manifestes seulement dans les premiers et les derniers in- stants de son application ; dans ceux-ci , au contraire , ils tardent à paraître , et ils continuent pendant le passage du courant, et persistent encore après qu'il a été interrompu. Après avoir étudié l'influence exercée sur l'irritabilité des nerfs par le passage du courant continu , il nous reste à examiner les effets produits par le courant interrompu , et rétabli à de petits intervalles de temps , de telle façon que son action vienne à se répéter très-fréquemment sur le nerf, Je fixe pour cela une grenouille préparée à la manière ordinaire sur une table au moyen de petits clous ; j'atta- che un des conducteurs de la pile à un de ces clous , et avec l'autre je touche plusieurs fois de suite un autre clou , établissant et interrompant ainsi plusieurs fois de suite le circuit dans un temps très-court. On voit la gre- nouille étendre violemment ses membres comme dans une atteinte de convulsions tétaniques, que le courant qui la traverse ainsi par saccades soit direct ou inverse. L'excitabilité des nerfs d'une grenouille , ainsi tétani- sée par le passage du courant électrique , est très-af- faiblie quand on la compare à celle d'une autre sur la- quelle on a fait agir le courant continu. J'ai répété sou- vent cette expérience comparative en soumettant deux grenouilles également préparées , l'une à l'action du cou- ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 251 rant continu produit par quarante - cinq éléments , et l'autre à celle d'une pile de même force, mais dont le courant était interrompu et rétabli à de courts inter- valles. L'expérience durait de cinq à dix ou quinze minutes , pour "chacune d'elles. En soumettant ensuite les deux grenouilles au passage d'un courant dirigé dans les nerfs lombaires, j'observais qu'il fallait un plus grand nombre d'éléments pour parvenir à faire contracter celle qui avait été précédemment soumise à l'action du courant interrompu, que pour l'autre. Je m'assurai également de la différence d'excitabilité dans ces deux grenouilles en faisant agir sur elles, et en même temps, un courant continu ; la diminution produite était constamment plus grande dans celle qui avait subi l'influence du courant interrompu. Marianini s'est également assuré, en comparant deux grenouilles, dont l'une est parcourue par un courant con- tinu dirigé toujours de la même manière, et l'autre par un courant transmis tantôt dans un sens tantôt dans l'autre , que, dans la première , l'excitabilité des nerfs était moins épuisée que dans la seconde. Cette grande diminution d'excitabilité des nerfs, ou pour parler plus exactement , dans la force nerveuse , due au passage du courant renouvelé à de très-courts inter- valles de temps , a été particulièrement démontrée par les expériences de Masson. Voici la description de l'appa- reil au moyen duquel ce physicien est parvenu à faire passer dans un animal un grand nombre de fois le cou- rant électrique et à l'interrompre dans un intervalle de 2;V2 DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. temps très-court. Il consiste en une roue métallique supportée sur un axe également métallique que l'on fait tourner au moyen d'une manivelle sur deux cous- sinets amalgamés. Un de ceux- ci est en communication avec un des pôles de la pile; le second pôle est en contact avec un fil qui , après avoir été plié en spi- rale autour d'un cylindre de fer doux , aboutit à une lame métallique immobile , qui est appliquée sur les dents de la roue. Quand on fait tourner la roue, le circuit est fermé chaque fois que la lame touche une des dents , et il s'in- terrompt au moment où c'est un des interstices non mé- talliques qui se met en contact avec elle. En touchant avec les mains mouillées les deux extrémités du conduc- teur quand on fait tourner la roue , on éprouve une série de secousses violentes. Si le mouvement de la roue est suffisamment rapide , ces passages successifs produisent une tension très-douloureuse dans les bras ; l'expérimen- tateur ne peut lâcher les conducteurs qu'il a dans les mains ; il les serre , au contraire , involontairement avec beaucoup de force. Masson est parvenu, au moyen de cet appareil et d'une pile composée d'un petit nombre d'éléments , à tuer un chat en cinq ou six minutes. Masson a trouvé que ces secousses et cette tension spasmodique disparaissent en imprimant une très-grande ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 253 rapidité à la roue. Pouillet a prouvé que, lorsque la durée de l'intervalle entre deux passages du courant était d'environ ^ de seconde, on ne parvenait plus à distin- guer les interruptions , et que l'effet produit était le même que celui d'un courant continu. Voici un lapin que je soumets au passage d'un cou- rant au moyen de la roue de Masson. Un des conduc- teurs de la pile a été introduit dans sa bouche, l'autre communique avec les muscles du dos . Bien que la pile ne soit que de dix éléments , l'animal meurt au bout de quel- .ques secondes. Ces grands effets doivent certainement être attribués à une grande perte de force nerveuse éprouvée dans un très-court espace de temps. Je ne veux pas terminer cette leçon sans vous entrete- nir des applications qui ont été faites du courant élec- trique à la thérapeutique ; elles se fondent sur les prin» cipes scientifiques que je vous ai exposés. Abstraction faite de toute idée purement théorique et indépendamment de toute hypothèse sur la force ner- veuse , on peut admettre que , dans certains cas de para» lysie , les nerfs ont subi une altération analogue à celle qui les aurait atteints s'ils avaient été soumis à un pas- sage continu du courant direct. Nous avons vu que , pour rendre à un nerf l'excitabilité perdue par le passage de ce courant , il faut le soumettre à l'action du courant in- verse. Je dois ajouter, en faveur de l'efficacité de l'usage thé- rapeutique du courant , qu'un membre , quoique para- lysé , éprouve constamment quelques contractions lors- qu'il est soumis soit au passage d'un courant , soit à 22 '25k DOUZIÈME ET TREIZIÈME LEÇONS. l'action des décharges électriques, et ces contractions fa- vorisent le rétablissement des fonctions du muscle. L'ex- périence vient confirmer ces idées ; coupez les deux nerfs sciatiques d'une grenouille vivante , laissez en repos un des deux membres pendant dix, quinze ou vingt jours, et soumettez, au contraire, l'autre de temps en temps, deux ou trois fois par jour, à l'action du courant. Ce der- nier continuera à se contracter, tandis que l'autre ne donnera plus de contractions lorsqu'on viendra lui appli- quer le courant. Je désire ne pas vous laisser ignorer quelques règles que je regarde comme importantes pour l'application du courant à la guérison des paralysies. Il faut toujours commencer par employer un courant très-faible. Cette précaution me semble aujourd'hui plus importante que je ne l'avais cru avant d'avoir vu un paralytique être pris de convulsions vraiment tétaniques sous l'action d'un courant fourni par un seul élément. Ayez soin de ne jamais trop en prolonger le passage, surtout si le cou- rant est énergique. Appliquez le courant interrompu plutôt que le continu ; mais , après vingt ou trente se- cousses au plus , laissez prendre au malade quelques in- stants de repos. L'application du courant interrompu semble , par la pratique aussi bien que par la théorie , indiquée comme plus utile que celle du courant continu. Une pile avec la roue de Masson ou mieux la machine électro-magnétique , est l'appareil le plus convenable à cet usage. On construit aujourd'hui des appareils élec- tro-magnétiques dans lesquels les interruptions du courant se font sans l'assistance d'aucun aide. ACTION PHYSIOL. DU COURANT ÉLECTRIQUE. 255 On peut employer pour conducteurs deux rubans de lame de plomb ou de cuivre ; on recouvre avec des morceaux de drap imbibés d'eau salée les extré- mités qui sont mises en contact avec la peau. Dans quelques cas , il est utile de se servir , pour extrémités des conducteurs, des aiguilles employées dans l'acu- poncture. Les relations authentiques de paralysies guéries par le traitement électrique sont déjà en nombre suffisant pour encourager les médecins et les malades à user de la persévérance qui est indispensable dans l'application du courant électrique, et sans laquelle il est impossible d'espérer d'heureux résultats. On a proposé l'usage du courant électrique dans une autre maladie , le tétanos. Je crois avoir été le premier à en tenter l'application sur l'homme. Voici sur quels principes est fondée son administration pour la guérison de cette maladie : un courant qui circule par saccades pendant un certain temps dans les nerfs d'un animal , produit des convulsions tétaniques ; le cou- rant direct continu occasionne , au contraire , la paralysie quand il est suffisamment prolongé. On était donc auto- risé à conclure que le passage continu de celui-ci dans un membre tétanisé devait détruire cet état , en le ramenant vers un autre plus ou moins voisin de la paralysie. La vérité de cette conclusion est démontrée par les faits. En opérant sur des grenouilles tétanisées par les narcotiques oui' acide hydrocyanique, on voit l'accès de tétanos cesser sous l'influence du passage prolongé du courant direct. Les grenouilles meurent sans présenter ces convulsions 256 DOUZIÈMH h'ï TREIZIÈME LEÇONS. que l'on remarque chez elles quand elles n'ont pas été soumises au courant continu. Les résultats obtenus par l'effet de l'application du cou- rant électrique dans un cas de tétanos dont j'ai publié la relation dans la Bibliothèque universelle (mai 1838) , me paraissent en quelque sorte prouver la vérité des principes scientifiques que je vous ai exposés. Dans le moment du passage du courant, le malade n'éprouvait pas de secous- ses violentes , il lui devenait possible d'ouvrir et de fermer la bouche , la circulation et la transpiration paraissaient rétablies. Malheureusement cette amélioration ne fut pas de longue durée ; la maladie était occasionnée et entre- tenue par la présence de corps étrangers introduits dans les muscles de la jambe. Peut-être que l'on pourrait es- pérer des résultats plus satisfaisants du courant électrique dans des cas où le tétanos n'aurait pas pour cause une lésion traumatique; d'ailleurs, on devrait déjà se croire heureux de pouvoir diminuer les douleurs que cette cruelle maladie fait éprouver. Enfin on a proposé dans ces derniers temps le courant électrique pour dissoudre les calculs de la vessie et la ca- taracte. Mais il suffit de réfléchir que les substances qui composent les calculs urinaires sont insolubles dans l'eau, pour être persuadé que cette application est sans fonde- ment. Quant à ce qui regarde la cataracte , je vous dirai qu'en changeant la position des pôles d'un courant que l'on a fait passer à travers une masse d'albumine, on ne voit jamais se redissoudre au pôle négatif celle qui s'était coagulée au pôle négatif. Il est par conséquent possible de créer une cataracte, mais il est impossible de la dé- ACTION PHYSIOL. DU GOURANT ÉLECTRIQUE. 257 truire. Petrequin , de Lyon , a proposé dernièrement l'usage de la galvano-acuponcture pour la guérison de cer- tains anévrismes. Cette application paraît être fondée sur la propriété dont jouit le courant électrique de coaguler l'albumine du sérum du sang, et par conséquent de rem- plir en partie le sac anévrismatique. QUATORZIEME ET QUINZIÈME LEÇONS. a FORCE NERVEUSE. Il paraîtra peut-être étrange et presque téméraire de ma part de vous entretenir de la force ou agent nerveux, dans un cours sur les phénomènes physiques des corps vivants. J'espère cependant démontrer par les considéra- tions qui suivront que ce sujet n'y est pas déplacé et que si, dans les traités de physique, le chapitre consacré aux analogies générales qu'ont entre eux le calorique, l'élec- tricité, la lumière, est le plus important et en quelque sorte le plus philosophique , de même cette leçon possédera des avantages analogues , au moins par sa haute portée. Je commencerai par exposer brièvement les caractères de la force nerveuse et ses lois dans l'état actuel de la science. Il y a dans le corps de tous les animaux, à un degré de développement plus ou moins grand , des organes qui leur permettent de réagir sur leurs propres muscles et par l'in- termédiaire desquels ils perçoivent les actions extérieures. Ces organes constituent le système nerveux cérébro-spi- nal. Ce système se compose principalement d'un nombre infini de ramifications disséminées dans tout le corps de l'animal , se réunissant en une masse centrale constituée FORCE NERVEUSE. 259 par le cerveau et la moelle épinière. Si Ton coupe une de ces ramifications sur un animai vivant et si ensuite on touche avec un fer rouge , avec un fragment de potasse , si on blesse avec une aiguille, si on tiraille avec des pinces la portion qui est restée en communication avec l'axe céré- bro-spinal, l'animal donne des signes évidents de douleur. En renouvelant ces mêmes irritations au-dessous de la section ou de la ligature du nerf, les signes de douleur ne se manifestent pas et on aperçoit seulement les contractions dans les muscles où se ramifie le nerf irrité. En prati- quant ces excitations sur le nerf intact, la douleur et la contraction s'obtiennent simultanément. Enfin si on lie le nerf en deux points et qu'on irrite le trajet compris entre les deux ligatures, on n'aura ni l'une ni l'autre. Lenerf n'adonc d'autre office que celui de transmettre , de propager l'ac- tion du stimulant appliqué sur lui : cette double action consiste en une sensation portée au cerveau, et en une contraction musculaire parvenue aux muscles. Les physiologistes Bell , Magendie, Muller, Panizza et d'autres encore, ont découvert qu'il y a dans le corps des nerfs qui, excités, éveillent uniquement la contractilité mu- sculaire et d'autres qui, soumis aux mêmes irritations, ne provoquent que la douleur. C'est le cas des racines anté- rieures et postérieures des nerfs rachidiens et de quelques autres rameaux nerveux. Flourens , Longet et quelques autres physiologistes ont également distingué dans les centres nerveux des parties présidant uniquement aux sen- sations et d'autres destinées seulement aux mouvements. Un faisceau nerveux est composé d'un grand nombre â.3 filaments , pouvant tous transmettre l'action de la volonté 260 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇOÎNS. OU d'un stimulant quelconque , séparément, sans que les autres filaments avec lesquels est en contact celui qui est surexcité y prennent part. Outre le système nerveux cérébro-spinal , il en existe un second , qui , malgré ses connexions nombreuses avec le premier, ne réveille cependant, lorsqu'il est irrité, ni mouvements ni sensations. C'est le système nerveux ganglionnaire , composé de ramifications distri- buées principalement aux appareils de la vie organique , ramifications qui peu à peu se réunissent , s'entrelacent entre elles et ont dans leurs interstices une substance globulaire qui semble aussi exister dans les masses centrales. Dans ce système , les irritations qui se mani- festent par certains mouvements particuliers excités prm- cipalement dans les intestins , se propagent lentement et persistent encore quand l'action irritante a été soustraite. Un muscle qui se trouve depuis un certain temps privé de communications avec les centres ou ganglions de ce système, perd la propriété de se contracter sous l'in- fluence de l'irritation de ses nerfs cérébro-spinaux. Ce peu de mots sur l'action nerveuse suffiront, je l'es- père, pour vous faire comprendre l'importance des résul- tats auxquels nous sommes arrivés sur l'action physiolo- gique du courant électrique. Je regarde comme important de résumer ici les diffé- rences principales que l'expérience nous a fait découvrir entre les effets produits par l'irritation électrique sur les nerfs , et ceux que déterminent les autres agents stimu- lants, chaleur, actions mécaniques, chimiques, etc. Voici ces différentes distinctions. FORCE NElìVEUSt;. 261 1" L'électricité est le seul irritant qui peut exciter tan- tôt la sensation , tantôt la contraction , suivant la direc- tion dans laquelle elle parcourt un nerf. 2° Le courant électrique seul , en passant transversa- lement dans un nerf ne produit aucun des phénomènes dus à l'excitabilité du nerf. 3° Le courant électrique ne produit aucun effet sur les nerfs , c'est-à-dire qu'il ne détermine ni contraction ni sensation lorsque son action sur un nerf est prolongée. 4" Le courant électrique seul peut modifier l'excitabilité d'un nerf, jusqu'à la détruire rapidement s'il circule dans un certain sens, et la conserver ou l'augmenter , au con- traire , s'il est dirigé en sens inverse. 5" Enfin , le courant électrique seul entre tous les agents irritants peut , pendant le plus long espace de temps , réveiller l'excitabilité du nerf, lorsque celle-ci est très-af- faiblie , par rapport aux autres stimulants. Ces oppositions entre l'action que possède le courant électrique sur les nerfs et celle propre aux autres irritants prouve évidemment que la première est plus simple que toutes les autres. De là résulte l'analogie entre la force nerveuse et le courant électrique qui fut entrevue par les premiers observateurs du galvanisme. Mais de cette analogie devrons-nous conclure que la force nerveuse n'est autre chose que le courant électrique? Gardons-nous bien d'admettre une pareille conséquence, qui cependant se voit trop souvent embrassée comme une des vérités expérimentales les mieux démontrées. Demandons-nous d'abord : découvre-t-on , avec les instruments que possède la physique , le courant élec- 262 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. trique dans les nerfs d'un animal vivant? Ce courant peut -il y exister, et existant, serait-il dans les conditions requi- ses pour qu'il fût doué des caractères de la force nerveuse? Le courant électrique musculaire dont nous nous sommes longuement entretenus dans une des leçons précédentes , est un phénomène qui , ainsi que nous le prouvons par l'expérience , doit son origine aux actions chimiques qui interviennent dans les muscles ; nous avons vu que ce courant existe dans les parties intégrantes de ceux-ci aussi bien qu'entre les molécules de deux corps qui entrent en combinaison , qu'il y circule sans aucune régularité, et on pourrait dire , comme Ampère le suppo- sait, que cela avait lieu dans les corps magnétisables , et que c'est seulement par une disposition expérimentale qu'on peut découvrir la présence de ce courant. Nous avons également démontré que les nerfs n'ont aucune in- fluence directe sur la production de ce courant, et que leur office se borne , dans les expériences sur le courant mu- sculaire , à celui d'un corps peu conducteur, communi- quant avec certaines parties du muscle. Il était important de rechercher la présence du courant électrique dans les nerfs d'un animal vivant. Je m'abs- tiendrai de vous rapporter ici toutes les expériences qui ont été tentées dans ce but , et à la suite desquelles , on annonça tantôt qu'il existait, tantôt qu'il n'existait pas; la conclusion la plus consciencieuse , la mieux établie , est celle-ci : dans l'état actuel de la sciejice , avec les moyens d'expérimentation que nous possédons , on ne trouve aucun signe de courant électrique dans les nerfs des animaux vivants. FORCE NERVEUSE. 263 On a prétendu avoir remarqué qu'en implantant des aiguilles d'acier dans les muscles, perpendiculairement à la direction de leurs fibres , ces aiguilles devenaient magnétiques , surtout au moment où les muscles se con- tractaient. On avait conclu delà qu'il existait un courant électrique dans les nerfs , et que le circuit était établi comme dans une spirale ou un cylindre électro-dyna- mique. J'ai répété ces expériences en introduisant des aiguilles d'acier ou de fer dans les muscles d'animaux vivants , et cela dans toutes les directions , relativement à leurs fibres. Pour m' assurer de la magnétisation de ces aiguilles plongées dans les muscles , je me suis servi de celles d'un très-bon système astati que et même de celles du sidéroscope de Lebaillif. Je n'ai jamais obtenu de ré- sultat affirmatif. J'ai placé la cuisse et la jambe d'une grenouille, récemment préparée, dans l'intérieur d'une spirale de fil de cuivre vernie; les extrémités de la spirale étaient unies à celles d'une seconde plus petite dans laquelle il y avait un fil de fer doux. Ensuite j'irri- tais le nerf de la grenouille, en observant en même temps si un courant d'induction parcourait la spirale et aiman- tait le fil de fer. Toutes mes recherches ont été inutiles. J'ai également tenté d'introduire dans un nerf mis à découvert sur un animal vivant, les conducteurs d'un galvanomètre très-sensible en deux points éloignés le plus possible l'un de l'autre ; j'ai opéré sur des animaux surexcités par certains poisons narcotiques, j'ai provo- qué en eux de fortes contractions musculaires , dans le moment où je fixais dans le nerf les deux fils du galvano- mètre; mais je dois avouer que, toutes les fois que les 26k QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. expériences furent bien faites, je n'ai jamais aperçu des traces évidentes et constantes de courant électrique. J'ai fait à l'école d'Alfort et de concert avec Longet une expérience de ce genre sur un cheval. Nous nous servions d'un galvanomètre très-sensible; le trajet du nerf découvert était assez long , et je pouvais le parcourir avec les extrémités en platine du galvanomètre en pas- sant de la distance de 2 ou 3 centimètres à celle de 15 ou 20. Nous n'obtînmes jamais des signes de courant dé- rivé distincts et dans une direction constante. Il en était ainsi, même lorsque l'animal se contractait violemment. J'ajouterai enfin qu'en invoquant les connaissances que nous avons relativement aux propriétés de l'électricité et aux lois de sa propagation , il est impossible de conce- voir l'existence d'un courant circulant dans les nerfs. Pour qu'un courant électrique pût parcourir d'une extré- mité à l'autre le système nerveux, il faudrait pouvoir comparer le nerf à un fil métallique recouvert de vernis ou d'une couche isolante quelconque , ce qui est bien loin d'être d'accord avec l'observation. Un courant qui, soumis à la volonté , partirait du cerveau pour arri- ver aux muscles , en parcourant les nerfs , ne pourrait être arrêté dans son cours par la ligature du nerf, et c'est là ce que nous voyons arriver pour la propagation de la force nerveuse. Enfin sa circulation dans les nerfs exi- gerait que le système nerveux formât un circuit fermé , et les travaux des anatomistes sont bien loin d'avoir dé- montré l'existence d'une pareille disposition, surtout dans les dernières ramifications dans les masses muscu- laires où elle serait surtout nécessaire. FORCE NERVEUSE. 265 J'ai souvent tenté une expérience, qui, si elle m'eût donné un résultat positif, eût pu prouver d'une manière indirecte que le système nerveux forme une chaîne com- plète pour le courant électrique : j'ai mis à découvert un nerf sur un animal vivant en deux points éloignés de son trajet, dans le haut de la cuisse et dans l'extrémité in- férieure de la jambe. J'ai introduit celle-ci dans une spirale , semblable à celle que je vous ai décrite il y a quelques instants , et qui est mise en communication avec une seconde plus petite, contenant un cylindre de fer doux dans son intérieur ; j'ai fait passer à travers le nerf ainsi préparé un courant électrique, mais je n'ai ja- mais observé des signes constants de courant d'induction dans la spirale , ce qui serait certainement arrivé si le courant eût parcouru cette espèce de spirale qui est sup- posée formée par les ramifications nerveuses qui se dis- tribuent dans les muscles. Concluons donc que le courant électrique n'existe pas naturellement dans les nerfs d'un animal vivant. Les lois de sa propagation exigent des conditions qui ne se trouvent pas remplies dans le système nerveux; la pro- pagation de sa force est interrompue par des causes qui ne sauraient produire un semblable effet sur le courant électrique. Cette force inconnue du système nerveux n'est donc pas l'électricité, et, bien moins encore, le courant élec- trique. Mais, quel rapport existe-t-il entre elle et l'élec- tricité ou le courant électrique? Pour répondre à ces questions, je résumerai ici en peu de mots l'unique conséquence positive que mes longues 23 266 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. études sur les phénomènes électro-physiologiques des animaux m'ont permis de déduire. Il existe entre l'électricité et la force nerveuse une ana- logie qui, si elle ne possède pas le même degré d'évi- dence, est cependant du même genre que celles qu'on reconnaît exister entre le calorique , la lumière et l'élec- tricité. Nous avons vu, en parlant des phénomènes que présentent les poissons électriques , que la faculté qu'ils possèdent de produire de l'électricité est soumise au sy- stème nerveux. Il y a donc chez ces animaux une struc- ture organique particulière, une disposition de parties telles que par l'acte de la force nerveuse ils peuvent dé- velopper le fluide électrique. Souvenez-vous de l'identité des causes et des circonstances qui excitent et modifient les contractions musculaires et cette fonction propre à ces animaux; vous avez vu que chez eux la propriété qu'ils ont de donner la décharge est sous la dépendance itnmédiate des fonctions du système nerveux , aussi bien que la faculté qu'ont les muscles de se contracter. Un cristal de tourmaline chauffé développe de l'élec- tricité, et, par ce fait, nous admettons qu'il existe une relation plus ou moins intime entre l'électricité et le ca- lorique : les phénomènes que vous avez remarqués dans les poissons électriques prouvent qu'un lien delà même na- ture unit la force nerveuse et l'électricité. L'électricité n'est pas la force nerveuse comme le calorique n'est pas l'élec- tricité. Celle-ci dérive du calorique par suite de la forme des molécules intégrantes de la tourmaline ; la force ner- veuse se transforme en électricité sous l'influence de la structure particulière des organes de poissons électriques. FORCE NERVEUSE. 267 Examinons enfin comment l'électricité peut exciter les phénomènes nerveux. Aussi bien que par celle-ci , l'ex- citabilité des nerfs peut être réveillée par la chaleur, les actions mécaniques ou chimiques , et déterminer des sen- sations et des mouvements musculaires. Devons-nous conclure de ces faits que ces actions mécaniques , chimi- ques , calorifiques , agissent sur les nerfs après avoir été transformées en courant électrique ? Rien ne vient prou- ver une pareille hypothèse ; cependant , si l'on vou- lait, malgré cela, supposer un changement analogue, il pourrait peut-être y avoir quelque apparence de probabi- lité à l'admettre pour les actions chimiques ; mais il n'y en aurait aucune relativement aux actions mécaniques et calorifiques. Il n'y a pas de circonstances , en effet, dans lesquelles on obtienne un courant par le seul fait de cou- per un corps. Il est impossible d'établir une comparaison entre un muscle et un corps capable de thermo-électricité. Dans toutes ces actions , nous ne pouvons voir que des causes diverses d'un mouvement moléculaire. Nous pouvons cependant nous adresser cette ques- tion : la cause des phénomènes nerveux réside-t-elle dans ces mouvements moléculaires de la substance des nerfs , ou bien est-elle due à un trouble dans l'équilibre de l'éther distribué dans les nerfs .^* Ce trouble est-il la suite d'un mouvement particulier de l'éther qui constituerait ce que nous appelons fluide nerveux ? Nous ne pouvons faire aucune réponse satisfaisante à ces importantes questions : les faits nécessaires pour les résoudre manquent et manqueront peut-être longtemps encore. Cependant, s'il est quelquefois permis, en ma- 268 QUATOHZIÈME ET QUIINZIÈME LEÇONS. tière scientifique, d'exprimer, non-seulement des con- victions, mais encore des doutes, je n'hésiterai pas à vous dire que je ne regarde pas comme possible d'inter- préter les phénomènes nerveux par le seul mouvement des molécules pondérables des nerfs. Mais , plutôt que de m'arrêter à développer des hypo- thèses, je crois plus utile d'insister longuement avant d'abandonner le sujet de la force nerveuse sur deux clas- ses de phénomènes ou des recherches qui en dépendent. L'une est relative au fait que j'ai découvert et nommé Gontraciion pai' induction ou induite , l'autre se rapporte au développement de la force nerveuse. Par la dénomination de contraction par induction ou in- duite, on a exprimé en Angleterre un fait physiologique que je découvris il y a quelques années. Je me servirai désor- mais de ce nom , qui a l'avantage d'exprimer brièvement le phénomène et d'en préciser en quelque sorte la nature. Je commencerai par rappeler en peu de mots en quoi consiste ce phénomène , et par exposer les principales recherches que je fis d'abord pour en déterminer les i\lois. Après avoir préparé une gre- nouille galvanoscopique , on en place le nerf sur l'une ou sur les deux cuisses d'une grenouille dis- posée à la manière ordinaire ; alors , en appliquant les pôles d'une pile sur les plexus lombaires de FORCE NERVEUSE. 269 cette grenouille , on voit , quand les muscles des cuisses se contractent, des secousses être réveillées simultané- ment dans la patte galvanoscopique dont le nerf repose sur les cuisses en contraction. J'ai pu vérifier aussi que ce phénomène se manifeste encore en plaçant le nerf de la grenouille galvanoscopique sur le muscle de la cuisse d'un lapin , en le faisant contracter au moyen d'un cou- rant qui agit sur le nerf qui se ramifie dans la cuisse. J'ai également observé les contractions de la grenouille gal- vanoscopique sans employer le courant électrique pour faire naître les contractions dans le muscle qui doit pro- duire la contraction induite en le remplaçant indifférem- ment par une action stimulante quelconque portée sur la moelle épinière ou sur les plexus lombaires. Je répétai enfin ces expériences en plaçant entre le nerf de la gre- nouille galvanoscopique et la surface musculaire oii se développe la contraction induite des couches très-fines de diverses matières. Une feuille d'or ou une couche très- mince et isolante de mica ou de papier glacé interposés , empêchent le phénomène de se produire, c'est-à-dire que les contractions par induction n'ont pas lieu dans la grenouille galvanoscopique ; au contraire , une feuille de papier fin imbibé d'eau n'empêche pas cette contraction de se produire. De l'ensemble de ces faits on est autorisé à conclure 1*" qu'on ne peut considérer les contractions induites de la grenouille galvanoscopique comme dues au courant élec- trique , 2° et qu'on serait , au contraire , porté à admettre qu'il survient une décharge électrique pendant la contrac- tion d'un muscle. 270 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. J'ai tenté un très-grand nombre d'expériences dans le but d'appuyer, par des faits, cette explication des con- tractions induites. Je composais, dans ce but, une pile avec des grenouilles entières , et je fermais le circuit avec les deux extrémités du galvanomètre. Après avoir laissé l'aiguille s'arrêter, je touchais le nerf des grenouilles, formant la pile , avec une solution de potasse , pour ex- citer leurs contractions. En opérant ainsi, j'ai vu souvent la déviation de l'aiguille s'accroître de quelques degrés, et ensuite retourner à 0''. Quand les grenouilles avaient été touchées plusieurs fois avec la potasse ou étaient af- faiblies de telle façon qu'en les soumettant de nouveau à l'action stimulante de l'alcali, il n'y eût plus de contrac- tions, il m'est arrivé, dans le plus grand nombre des cas , de ne plus reconnaître aucun signe d'augmentation dans l'aiguille du galvanomètre. Enfin, en mouillant les nerfs des grenouilles disposées en pile, avec des solu- tions acides ou salines , non-seulement la déviation ne croissait jamais, mais encore elle diminuait rapidement. Ces faits, sur l'étude desquels j'insistai longuement, pouvaient paraître au premier abord favorables à l'idée que les contractions par inductions sont l'effet d'une dé- charge électrique qui accompagnerait l'acte de la con- traction musculaire ; cependant je n'osai pas affirmer, dès le principe, que la question fût complètement résolue. D'ailleurs , le phénomène de la contraction induite m'a toujours semblé d'une très-grande importance; aussi ne pouvais-je hésiter à me livrer à un examen approfondi de ce fait ; je l'ai étudié dernièrement avec toute l'atten- tion possible, et , je crois , avec quelque succès. J'espère FORCE NERVEUSE. 271 qu'en faveur de l'intérêt que présente ce sujet, vous ex- cuserez les développements avec lesquels j'exposerai mes nombreuses expériences. Avant d'en venir à de nouvelles recherches sur le fait fondamental de la contraction induite, j'ai voulu revoir et varier les expériences dont j'ai déjà donné un aperçu, et que j'avais faites dans le but de découvrir s'il y avait développement d'électricité dans la contraction d'un muscle. Il était nécessaire d'opérer avec des piles d'un nombre d'éléments plus considérable que celles que j'a- vais employées jusqu'alors, afin d'obtenir une déviation constante et plus grande ; en conséquence , je crus qu'une pile musculaire était plus convenable qu'une de grenouilles . Il est désormais hors de doute, d'après mes dernières expériences, qu'à nombre égal d'éléments, pris sur les mêmes grenouilles , le courant musculaire est plus éner- gique que le courant propre. J'ai récemment démontré que lorsque par défaut de nutrition, par l'effet d'une température très-basse, par l'action de l'hydrogène sul- furé, les courants musculaire et propre sont affaiblis dans la grenouille , la diminution est plus grande pour le second que pour le premier ; en effet , en composant une pile avec des demi-grenouilles préparées , en coupant la cuisse à moite, je trouve un courant différentiel plus ou moins considérable , mais constamment dans le sens du courant musculaire. Ce n'est qu'avec des grenouilles très- vivaces , en coupant la cuisse très-haut , et en ne laissant qu'une petite partie de la superficie de l'intérieur du muscle à découvert, que l'on ne trouve aucun signe de courant différentiel , ou bien qu'il existe dans le sens du 272 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. courant propre. Tel fut le fait dont je m'aperçus dans mes premières expériences, et que je m'explique main- tenant d'une manière plus satisfaisante après mes der- niers travaux , en réfléchissant qu'en laissant la cuisse presque entière, on a deux éléments , c'est-à-dire les mus- cles de la jambe et ceux de la cuisse qui donnent un cou- rant dirigé dans le même sens , tandis que l'élément mu- sculaire qui fournit celui en sens contraire est unique. Pour revenir à notre sujet principal , je dirai que j'ai employé une pile musculaire afin de m' assurer s'il y avait développement de l'électricité pendant la contraction d'un muscle. Mais puisque pour exciter celle-ci j'étais dans l'obligation de mouiller les muscles avec des solutions acides , salines ou , mieux encore , alcalines , j'ai dû m'oc- cuper d'abord d'étudier l'action de ces liquides sur le cou- rant musculaire. Dans ce but, je pris huit grenouilles au milieu d'un très-grand nombre , et je les préparai à la manière ordinaire en en faisant seize éléments ou moitié de cuisses. Je fermai le circuit, l'aiguille arriva dans ses oscillations jusqu'à 90*^ et s'arrêta à 22°. Je composai une autre pile semblable , avec cette différence que je la- vais avant plusieurs fois les seize demi-cuisses dans de l'eau pure , et qu'ensuite je les essuyais : j'obtins le même résultat. Seize autres éléments pareils à ceux-ci furent mis , pendant quelques secondes , dans une solution étendue d'acide sulfurique , puis lavés à difterentes reprises , jus- qu'à ce qu'ils ne rougissent plus la teinture de tournesol. La pile étant formée et le circuit complet , la direction du courant obtenu fut dans le sens du courant muscu- laire, mais seulement de 6° ou 7** à la première déviation, FORGE r^ERVEUSE. 273 et l'aiguille se fixa à 0°. Je coupai rapidement avec des ci- seaux ces demi-cuisses, afin de rafraîchir la surface in- terne du muscle : la pile ainsi composée de nouveau , donna naissance à une première déviation qui fut encore plus faible que celle que nous venons d'indiquer. Pouvant être porté à croire que l'effet de la solution acide sur les éléments musculaires avait été d'en diminuer la conducibilité , je fis une pile musculaire avec huit demi-cuisses prises sur des grenouilles intactes , aux- quelles j'ajoutai quatre cuisses prises sur d'autres éga- lement intactes : j'obtins un courant de 46**. Au lieu d'employer quatre grenouilles entières , je me servis de quatre également entières , mais qui avaient été plongées dans l'acide sulfurique et ensuite lavées : le courant fut de 44^ ; la conducibilité n'avait donc pas été modifiée dans les masses musculaires traitées par la solution acide. Pour avoir une certitude encore plus absolue de l'exacti- tude de cette conséquence, je fis l'expérience que je viens de décrire en me servant , pour prolonger le circuit , non pas de cuisses entières, mais de huit moitiés de cuisses la- vées avec la solution acide , et que j'avais réunies sur les faces internes de manière à faire une pile tout à fait sem- blable à la précédente : le résultat fut le même. J'ai également répété cette expérience, en faisant usage d'une solution de potasse suffisamment concen- trée, afin d'y plonger pendant quelques instants les élé- ments musculaires ou les demi-cuisses; ceux-ci étaient ensuite lavés à l'eau pure afin d'enlever toute trace d'al- cali. La pile ainsi formée de seize éléments , le circuit fermé, j'obtins un courant de 10*' à 12° dans le sens du 274 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. courant musculaire et une déviation définitive non appré- ciable. J'ai renouvelé l'intérieur du muscle , et la pile étant de nouveau composée , le résultat ne varia pas. Dans ce nouveau cas , la conducibilité n'avait pas changé. Par conséquent , les solutions acides et alca- lines agissent comme j'avais vu agir l'eau à une tempé- rature élevée. J'ai fait une autre expérience de ce genre, que je ne rapporterai que pour faire voir qu'elle s'accorde parfaitement avec celles que je viens de vous citer. Seize demi-cuisses de grenouilles furent laissées pendant quelques secondes dans l'eau à -j- 50° centig. Ces éléments tirés de l'eau , lavés à l'eau froide et disposés en pile , j'en complétai le circuit et j'obtins 12° à la première déviation dans le sens du courant musculaire , et ensuite l'aiguille s'arrêta à 0°. La pile recomposée, après avoir rafraîchi la surface interne des muscles , les signes du cou- rant furent exactement ceux que j'avais obtenus d'abord. Dans ce cas-là encore , je me suis assuré que la condu- cibilité n'avait pas sensiblement été modifiée par l'action de l'eau chaude. J'ajouterai encore que ce n'est pas par les lavages réitérés dans l'eau pure à la température ordi- naire que l'action du courant musculaire vient à être di- minuée. J'ai observé un nombre infini de fois la même déviation , obtenue , tantôt un peu plus forte , tantôt un peu plus faible , au moyen d'une pile d'un certain nombre d'éléments ou moitiés de cuisses lavées ou non lavées dans l'eau pure. Une solution de sel marin très-concentrée, dans laquelle on plonge pendant quelques secondes les élé- ments musculaires , peut également diminuer d'une ma- nière très-sensible les signes du courant. Ainsi , tandis FORCE NERVEUSE. 275 que seize éléments ordinaires donnent une première dé- viation qui peut arriver jusqu'à 90^ et une définitive de 20^ à 22*^, on n'obtient , au contraire, si les éléments ont été plongés dans la solution de sel marin et puis lavés , qu'une déviation qui est d'environ 60^ d'abord, et ensuite l'aiguille se fixe à 8" ou 10''. On remarquera l'accord entre ce résultat et celui auquel est arrivé dernièrement Dumas en étudiant l'influence de certains sels sur l'arté- rialisation du sang. Nous voici donc conduits à conclure que l'effet de ces solutions alcalines , acides ou salines très-concentrées est de détruire dans les éléments musculaires les conditions nécessaires pour le développement de l'électricité: cette conclusion ne se trouve point en opposition avec l'origine que nous avons assignée à ce courant. Mais puisque, par l'action des solutions acides ou alcalines , les signes du courant musculaire cessent ou s'aflaiblissent beaucoup; il nous reste à expliquer comment , dans les expériences précédentes , on n'a pas de diminution du courant dans une pile de grenouilles entières , lorsqu'on vient à toucher celles-ci en certains points avec des solutions alcalines , tandis qu'elle se manifeste immédiatement quand elles sont baignées par une solution acide. En eflet, nous avons re- marqué qu'en nous servantde l'alcali, il y a, dansbeaucoup de cas , une augmentation de déviation assez notable , quoique de courte durée , aux premières contractions qui sont excitées. Avec les acides , au contraire , la déviation diminue immédiatement , pour apparaître de nouveau quelques instants après. Essayons de nous rendre compte de ces phénomènes , mais d'abord je dois décrire les ex- périences que j'ai faites d'une manière plus exacte dans 276 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. le but d'étudier s'il y a développement d'électricité dans la contraction musculaire. Je prépare plusieurs grenouilles à la manière ordinaire de Galvani , ensuite je leur enlève les jambes en les désarticulant le plus soigneusement pos- sible. J'ai amsi les deux cuisses d'une grenouille, unies à une portion de la moelle épinière. Je coupe une des cuisses à moitié , et je prépare de la même manière un certain nombre d'éléments tous semblables et formés d'une cuisse intacte , d'un lambeau de la moelle épinière et d'une demi-cuisse. 11 est facile de saisir comment avec ces éléments je compose une pile musculaire en appli- quant la partie externe de la cuisse entière sur la partie interne de la cuisse coupée de l'élément suivant. Ensuite je fais plonger les deux extrémités du galvanomètre dans le liquide dans lequel se terminent les deux extrémités de la pile ; au moyen d'une légère modification pratiquée aux extrémités du galvanomètre , je n'ai pas besoin de les tenir avec les mains pour que le circuit reste fermé. J'ai répété un très-grand nombre de fois cette expérience en me servant de piles de douze, de seize ou de vingt élé- ments. La première déviation aussi bien que celle qui est définitive , sont quelquefois plus faibles que celles qu'on obtiendrait avec des piles composées d'un nombre égal de demi- cuisses. Cette différence doit principalement être attribuée k la longueur et à la résistance plus considéra- bles qu'offre le circuit. Dans toutes ces circonstances, après avoir laissé l'aiguille se fixer en indiquant une dé- viation qui, dans mes diverses expériences, variait de 10" à 12° ou 15" , je touche rapidement les plexus lom- baires des éléments de la pile avec une solution de po- tasse suffisamment concentrée , en exceptant cependant FORCE NERVEUSE. 277 les deux derniers , dans la crainte que la solution ne par- vienne jusqu'au liquide dans lequel plongent les extré- mités du galvanomètre. Les contractions musculaires se manifestent après l'application de l'alcali et persistent pendant quelques instants , sans être presque jamais assez énergiques pour détruire le contact , en séparant les élé- ments les uns des autres. Pendant ces contractions, si l'expérience se fait sans interruption ou changement quel- conque dans le circuit, J'aiguille du galvanomètre nè- prouve aucune variation. Dans quelques cas cependant j'ai vu l'aiguille descendre , dans d'autres monter de 2*^ ou 3° ; mais ces variations sont incertaines , elles manquent dans le plus grand nombre des cas et presque toujours elles sont dues à des mouvements trop brusques dans les éléments, par suite desquels les contacts sont dérangés. Concluons donc que l'expérience directe répond né- gativement à la question que nous nous sommes adressée s'il y avait développement d'électricité pendant la con- traction musculaire. Il resterait maintenant à expliquer les phénomènes qui se sont présentés en agissant sur le courant propre , en se servant de grenouilles entières , et qui consistent en ce qu'on obtient presque constamment des signes d'aug- mentation , quand on touche pour la première fois avec la potasse les plexus lombaires des grenouilles , pendant qu'au contraire , en les traitant avec une solution acide, l'aiguille descend immédiatement. J'ai répété et varié à cet effet mes premières expériences , et voici de quelle manière ces différences peuvent être expliquées. Quelle que soit la forme des éléments musculaires 24 278 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. qu'on emploie pour composer la pile, c'est-à-dire qu'ils soient faits avec des grenouilles entières , des moitiés de cuisses , ou tels que nous les avons décrits , si l'on vient à mouiller la surface des éléments musculaires avec la solution acide ou alcaline, il arrive constamment , qu'il y ait ou non des contractions , que la déviation diminue et que l'aiguille se porte à 0®, où elle se fixe, si l'ap- plication de l'alcali est répétée ou si Ta solution em- ployée est trop concentrée. Cet effet est analogue à ce- lui déjà décrit et que présentent les éléments muscu- laires qui ont été plongés pendant quelques instants dans des solutions acides ou alcalines. Dans le procédé d'expérimentation que nous avons adopté, on excite les contractions dans les muscles en touchant avec l'alcali des points qui sont en quelque sorte hors du circuit et qui ne constituent certainement pas les parties de l'élé- ment électro-moteur. Dans les piles formées de gre- nouilles entières, avec lesquelles on réussit le plus fré- quemment à obtenir d'une manière passagère des signes d'augmentation dans le courant , en touchant les plexus lombaires seuls avec l'alcali, on touche avec l'alcali les par- ties véritables qui constituent l'élément électro -moteur, et même dans ces cas on ne parvient jamais à avoir ces signes de courant, si l'on mouille toute la surface mu- sculaire. J'ajouterai encore que si l'on se sert de la solu- tion acide , en ayant soin de toucher avec un pinceau les plexus lombaires seuls et non pas les muscles des cuisses ou des jambes, la déviation ne s'affaiblit point, et malgré les contractions qui sont excitées, quoique celles-ci >soient moins fortes que celles dues à l'alcali, il n'y a FORGE NERVEUSE. 279 pas augmentation de déviation. Pour voir l'aiguille des- cendre, il est nécessaire de toucher la superficie des muscles avec un acide. Ce même effet a lieu avec l'al- cali*, et il est , je le répète , d'accord avec les expériences que j'ai rapportées sur les éléments musculaires qui ont été plongés dans les solutions acides ou alcalines. Ce n'est donc qu'avec la pile des grenouilles entières et en en touchant avec l'alcali seulement les plexus lom- baires, que l'on obtient souvent une légère augmentation de déviation, et ce phénomène se présente en opérant de la même manière avec les acides. En s'en rapportant donc à toutes les expériences que je vous ai citées, on ne saurait regarder ce résultat comme contraire à la ré- ponse négative que nous avons donnée , d'une manière absolue, à la question du développement d'électricité dans la contraction musculaire. Pour peu qu'on ait suivi avec attention l'exposition de l'ensemble de ces faits , il est impossible de ne pas con- cevoir combien est grande la difficulté que l'on rencontre quand on veut expliquer pourquoi , dans le cas parti- culier dont nous venons de parler, l'alcali peut produire une augmentation de déviation dans le courant propre de la pile formée de grenouilles entières. Je pencherais à croire que, l'alcali excitant dans les muscles des con- tractions plus fortes et plus permanentes que celles excitées par les acides , il en résulte que dans le plus grand nombre des cas , ces contractions doivent rendre les contacts entre les éléments plus parfaits , et que, par conséquent, la conducibilité intérieure de la pile doit être augmentée. En efìet, dans la pile formée de gre- 280 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. nouilles entières , les contacts entre les éléments sont toujours assez mal établis, et l'on remarque constam- ment des grandes différences dans l'intensité du courant produit par les mêmes éléments , quand on les dispose avec^lus ou moins de soins. Quoiqu'il en soit de l'explication à donner de la petite augmentation qui se manifeste dans l'intensité du courant propre, en touchant avec l'alcali les plexus lombaires des grenouilles et en réveillant par là des contractions mu- sculaires , il est certain que ce fait seul ne peut conduire à établir qu'il y a développement d'électricité dans le courant musculaire, d'autant plus que tous ceux rap- portés plus haut conduisent à conclure que ce dévelop- pement n'a pas lieu. Je passe maintenant à l'exposition des nombreuses et nouvelles études faites sur le phénomène de la contrac- tion induite. Quelle que soit leur étendue , je ne crois pas devoir les passer sous silence, à cause de la grande im- portance du fait principal qu'elles sont destinées àéclaircir. Il suffit d'avoir vu une seule fois le phénomène de la contraction induite , obtenu sans avoir excité les contrac- tions induisantes* , au moyen du courant électrique , pour ne plus pouvoir admettre que celui-ci est la cause directe des contractions induites. Si, après avoir placé le nerf de la grenouille galvanoscopique sur les muscles d'une autre préparée d'après la méthode ordinaire, on déchire * J'appellerai désormais par analogie contraction induisante ou inductrice celle des muscles au contact desqixels se trouve le nerf ,de la grenouille galvanoscopique dans laquelle se développe la contraction induite. FORCE NER\'EUSE. 281 rapidement la moelle épinière de celle-ci , soit avec des ciseaux, soit avec la pointe d'un fragment de lame de verre ou de toute autre manière , il est rare que les con- tractions induites viennent à manquer. On peut en dire autant de la contraction [induite excitée par l'espèce de tétanos qu'éprouve la grenouille quand elle est longtemps soumise au passage du courant inverse, lorsqu'on ouvre le circuit. Il faut donc se borner à dire que la méthode la plus facile pour observer la contraction induite est celle d'exciter la contraction inductrice par le passage d'un courant dans les plexus lombaires de la grenouille pré- parée à la manière ordinaire. Cette raison m' ayant engagé à faire le plus souvent usage , dans mes recherches , du courant pour exciter les contractions , j'ai pris toutes les précautions pour n'avoir jamais à redouter que la grenouille galvanoscopique ou les cuisses de la grenouille inductrice , fussent envahies par une portion du courant même. La méthode la plus sûre est celle qui consiste à remplir presque complètement une assiette ordinaire avec de la térébenthine et de placer la grenouille dessus. Il est inutile d'ajouter que cette sub- stance doit être assez épaisse pour que la grenouille ne soit pas submergée. On doit encore prendre la précau- tion , en préparant la grenouille galvanoscopique , de dé- tacher des nerfs tous les lambeaux musculaires , et de bien les nettoyer du sang avec du papier Joseph. Quelle que soit la disposition du nerf de la grenouille galvanoscopique relativement aux fibres musculaires de la cuisse inductrice , le phénomène des contractions in- duites se manifeste toujours : ainsi, dans quelques ci;"- 282 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. constances, j'ai étendu ce nerf parallèlement aux fibres des muscles; dans d'autres, je l'ai disposé normalement à ces mêmes fibres ou, enfin, je l'ai plié en zig-zag, et ces contractions induites se sont constamment présen- tées dans tous les cas , et sans offrir de différences sensi- bles. Elles s'obtiennent encore en disposant le nerf de la grenouille sur le muscle gastro-cnémien de la jambe. J'ai également essayé de laver plusieurs fois dans l'eau pure la grenouille sur laquelle j'éveillai la contraction in- ductrice, afin d'enlever toutes traces de sang ou d'autres liquides sécrétés qui pouvaient se trouver à la superficie de ses muscles , et les contractions induites se sont éga- lement manifestées. J'ai enlevé avec un rasoir, ou mieux encore, avec des ciseaux, une couche de substance musculaire , et j'ai en- suite placé le nerf de la grenouille galvanoscopique sur la surface interne des muscles , et la contraction induite a été obtenue. Le même phénomène s'est encore reproduit en disposant le nerf de la^renouille galvanoscopique sur le muscle, de manière à ce que l'extrémité de ce nerf se repliât sur le nerf lui-même, et formât une espèce de circuit fermé. J'ai aussi voulu m'assurer si ces contractions induites persisteraient même lorsque le nerf de la grenouille gal- vanoscopique n'avait pas été coupé. J'ai préparé, à cet effet, une grenouille, en ayant soin de conserver l'inté- grité du nerf, et voici par quel procédé : après avoir écorché une grenouille , j'enlève les viscères abdominaux ^ ensuite les os , les muscles du bassin et enfin , ceux de la cuisse , en ayant soin de laisser le nerf de la cuisse in- FORCE NERVEUSE. 283 tact. Cette grenouille, ainsi disposée , j'en prépare une au- tre à la manière ordinaire , que je place sur la térébenthine de la manière déjà décrite. Alors je place le nerf de la gre- nouille galvanoscopique, préparée comme je viens de le dire, sur les cuisses de la seconde. En excitant des con- tractions musculaires dans celle-ci, on obtient les contrac- tions induites telles qu'on les a quand on fait usage de la grenouille galvanoscopique, et de plus, on remarque si- multanément des contractions dans les muscles du dos et dans l'autre jambe. Nous aurons occasion de revenir plus tard sur cette expérience , et pour le moment nous nous bornerons à constater que les contractions induites se manifestent encore dans le cas oii le nerf, placé sur les muscles en contractions, est intact. En me servant de la grenouille ainsi préparée, j'ai étu- dié les contractions induites en adoptant une disposition telle que le nerf qui est au contact du muscle en contrac- tion est déjà en quelque sorte excité, soit par un cou- rant, soit par un autre stimulant quelconque. J'ai, dans ce but , compris la grenouille galvanoscopique dans le circuit d'un couple voltaïque, ou appliqué sur le nerf une goutte d'une solution alcaline très-faible. Toutes les fois que les muscles inducteurs se contractent, il y a con- stamment contraction induite , soit que le nerf par lequel est excitée cette dernière soit déjà irrité, ou qu'il ne le soit pas , et par conséquent , quand même le muscle sur lequel on fait naître ce tte contraction était déjà con- tracté. Malgré cette contraction de la grenouille galva- noscopique, on n'a pas de difficulté à apercevoir la con- traction induite qui survient. 28Zi QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. Plusieurs expériences assez simples prouvent que, quelle que soit la manière dont le nerf du muscle induc- teur est excité , si sa contraction vient à manquer, l'in- duction manque également. Je me bornerai à vous en rap- porter quelques-unes des principales : si les nerfs ont été coupés en deux ou trois points dans les muscles in- ducteurs afin que la contraction ne puisse pas avoir lieu , l'induction fait constamment défaut. Si, sans couper les nerfs, l'on incise toutes les extré- mités tendineuses des muscles de la cuisse , et si l'on fait de plus quelques incisions transversales dans les mêmes muscles en ménageant les cordons nerveux , la contrac- tion induisante manque ainsi que l'induite. En coupant avec soin tous les muscles de la jambe d'une grenouille , on peut découvrir le filet nerveux qui la parcourt. Si l'on irrite ce nerf soit avec le courant ou avec un stimulant quelconque , après avoir étendu ce- lui de la grenouille galvanoscopique sur les muscles de la cuisse, comme ceux-ci n'éprouvent aucune contraction, la contraction induite manque également. En expérimentant sur des lapins et des chiens , j'ai pu opérer avec le courant électrique sur les filets nerveux qui se ramifient dans les reins , l'estomac et les intestins : le nerf de la grenouille galvanoscopique était, pendant l'expérience , étendu sur ces divers organes et dans une disposition analogue à celle qu'il a lorsqu'on le place sur les muscles. Je n'ai jamais obtenu aucun signe de con- traction induite. J'ai également cherché à découvrir s'il y avait contrac- tion induite quand on disposait le nerf de la grenouille FORGE NERVEUSE. 285 galvanoscopique sur celui qui est irrite . Il suffit , pour arriver à ce but , de préparer deux grenouilles galvano- scopiques et de disposer le nerf de la première sur celui de la seconde , dans des points très-voisins de la jambe. Pour n'omettre aucune précaution dans cette expérience, on place les deux grenouilles sur la térébenthine , ensuite on irrite , soit avec le courant , soit avec un stimulant quelconque, les points supérieurs du nerf de la grenouille que je continuerai à appeler inductrice ; il ne se manifeste aucunes contractions induites dans la grenouille galvano- scopique , tandis qu'au contraire elle se montre immé- diatement, si son nerf était disposé sur le gastro-cnémien de l'autre grenouille. Il est inutile d'ajouter qu'en se ser- vant du courant pour exciter la contraction inductrice, on ne doit jamais mettre les conducteurs de la pile en contact ou à la proximité du nerf de la grenouille galva- noscopique. On peut conclure de cette expérience qu'un nerf irrité , et au sein duquel se propage certainement le principe inconnu qui excite la contraction dans le muscle et la sensation dans le cerveau, n'agit pas sur le nerf de la grenouille galvanoscopique qui est en contact avec lui. Je citerai encore l'expérience suivante : j'ai mis à dé- couvert , avec tous les soins possibles , le cerveau d'une grenouille préparée à la manière ordinaire, et j'ai étendu sur cet organe le nerf de la grenouille galvanoscopique. Dans plusieurs expériences faites de cette manière, j'ai appliqué sur les plexus lombaires , tantôt le courant di- rect, tantôt le courant inverse; dans d'autres, j'ai tou- ché les plexus avec la potasse et j'obtenais constamment 286 OUATOKZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. les contractions dans les membres infériem^s et les con- vulsions du dos. Cependant il ne se manifestait jamais de contractions induites dans la grenouille galvanóscopique dont le nerf reposait sur le cerveau. Cette même expé- rience a été tentée , et avec le même résultat , en appli- quant le nerf de la grenouille galvanóscopique sur la moelle épinière, le cerveau et différentes parties des chiens et des lapins : il est inutile de dire que , pendant l'expérience, on irritait l'animal en différents points, afin d'être bien certain que l'action nerveuse se propa- geait et arrivait à ses centres nerveux. Les contractions induites ne sont donc excitées que par un muscle en contraction. J'ai voulu étudier comment ces contractions induites s'affaiblissaient, en les provoquant au moyen d'un muscle dont la contraction était également induite. En un mot, j'ai recherché la contraction induite de second, de troi- sièmeordre, etc. Jeprépare à cet effetplusieurs grenouilles galvanoscopiques , et une seule à la manière ordinaire ; puis je les dispose de la façon suivante : j'étends le nerf d'une grenouille galvanóscopique sur les muscles des cuisses de la grenouille entière ; puis, sur les muscles de la jambe de la grenouille galvanóscopique , j'étends le nerf d'une autre grenouille galvanóscopique , et ainsi de suite. Tout l'appareil est placé sur la térébenthine. En excitant les contractions dans la grenouille entière au moyen du courant que je fais passer dans ses plexus lombaires, j'ai vu fréquemment trois grenouilles galvanoscopiques se contracter à la fois , et toutes presque avec la même vi- vacité. Constamment cet effet est produit dans deux; FORCE NERVEUSE. 287 jamais je n'ai pu le découvrir dans quatre. Il y a donc des contractions induites de premier, de second et de troisièm.e ordre. Avant d'en venir à déduire des faits que je viens de vous exposer les conclusions que l'on peut en tirer, il me reste à vous citer les expériences nombreuses que j'ai faites dans le but de rechercher quelle est l'influence exercée sur la contraction induite par les corps interposés entre le muscle en contraction et le nerf de la grenouille galvanoscopique . Dès mes premières expériences sur la contraction in- duite, j'avais remarqué qu'en étendant une feuille d'or (de celui dont on se sert pour la dorure) sur les muscles inducteurs , et qu'en plaçant ensuite sur un de ces muscles, recouverts de cette petite couche d'or, le nerf de la gre- nouille galvanoscopique , la contraction induite ne se pro- duisait plus. Pour que cette expérience réussisse, il faut que le muscle soit complètement recouvert d'or, et il n'en est plus ainsi après une ou deux contractions qui ont fait déchirer la feuille métallique. J'avais également observé qu'une feuille de papier glacé mise entre le muscle et le nerf empêchait aussi cette même contraction . Au contraire, un papier à filtrer, imbibé d'eau ou d'un liquide séreux qui mouille la superficie des muscles , placé entre celle-ci et le nerf de la grenouille galvanosco- pique , ne mettait pas obstacle à la production des con- tractions induites. Nos connaissances, relativement à l'in- fluence des corps interposés , sur ce phénomène, se bor- naient d'abord à l'observation de ces trois faits. J'ai cher- ché récemment à varier et à étendre les expériences. Le 288 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. mode constant d'expérimentation dont j'ai fait usage, con- siste à préparer une grenouille à la manière de Galvani et à la placer sur la térébenthine ; en même temps un aide pré- pare d'autres grenouilles galvanoscopiques dont je dispose le nerf sur les muscles des cuisses de la première grenouille . Je me sers constamment , pour exciter les contractions , d'une petite pile de Faraday de quinze éléments, plongée dans l'eau pure et dont les conducteurs sont vernis et couverts de soie . Aucun corps liquide , parmi les nombreux sur lesquels j'ai expérimenté, n'empêche la contraction induite de se produire. Les liquides dont je me suis servi et à travers lesquels le phénomène a lieu, sont : l'eau, l'eau légère- ment acidulée ou salée, le sérum , l'huile d'olive, l'alcool étendu d'eau, le vernis à l'alcool et aux résines , l'essence de térébenthine. Je fais ordinairement tomber sur le muscle quelques gouttes du liquide que je veux essayer, et je mouille du même liquide le nerf de la grenouille gal- vanoscopique. La contraction induite se manifeste éga- lement si l'on interpose entre le muscle et le nerf un morceau de papier à filtrer trempé dans ces mêmes sub- stances. Le peu de conducibilité de quelques-uns de ces li- quides, tels que l'huile, l'essence de térébenthine, le ver- nis, etc. , me porta à soupçonner que la contraction in- duite n'était pas détruite par l'interposition d'un corps complètement isolant. Je m'assurai , en effet, qu'à travers des couches même très-minces de ces liquides , le courant propre et le cou- rant musculaire ne se propageaient pas. On se souvient FORCE NERVEUSE. 289 sans doute que, lorsqu'on prend une grenouillo galva- noscopique avec la main , que l'on met son nerf en con- tact avec un papier mouillé, qui d'une façon quelconque est en communication avec le sol , il y a des contractions produites. Le même phénomène s'observe en touchant les muscles d'une grenouille ou de tout autre animal , qui communiquent au sol , avec le nerf de la grenouille galvanoscopique. Dans chacun de ces cas, c'est tou- jours le courant propre qui circule à travers l'expéri- mentateur, le sol, le corps touché et la grenouille; mais si l'on plonge le nerf de cette dernière dans l'huile , l'essence de térébenthine ou le vernis , la petite couche de ces liquides qui y reste adhérente suffit pour inter- rompre la circulation du courant propre. Il n'est donc pas douteux que , si la contraction induite se propage à travers une couche d'un de ces liquides mauvais conducteurs, elle n'est point due à un courant qui , prenant sa source dans le muscle en contraction , pourrait se répandre dans le nerf de la grenouille galva- noscopique. Cependant, en considérant la grande importance de ces expériences pour la théorie de ce phénomène, j'ai voulu essayer d'interposer entre le muscle en contraction et le nerf de la grenouille galvanoscopique , un corps en- core plus mauvais conducteur que ceux que je viens de citer. Le corps qui m'a paru devoir être employé dans ces expériences est la térébenthine de Venise presque solide, et rendue plus ou moins liquide par l'adjonction d'une petite quantité d'essence de térébenthine. Je vernis les cuisses d'une grenouille avec ce mélange, j'en enduis 25 290 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. également le nerf de la grenouille galvanoscopiqne , et après avoir disposé l'expérience comme à l'ordinaire, je vois que la contraction induite persiste . Pour démontrer la non-conducibilité du mélange, je me hâte d'ajouter que si pour exciter les contractions j'applique un pôle de la pile sur la couche isolante, bien entendu sans pénétrer jusqu'au muscle lui-même, et qu'avec l'autre pôle je touche la jambe de la grenouille galvanoscopique , aucune contraction n'est éveillée en elle. Ces expériences dé- montrent donc avec évidence que la contraction induite existe à travers une couche isolante capable d'intercep- ter non-seulement les courants propre ou musculaire, mais encore celui de la pile qui excite la contraction induisante. Si le mélange isolant dépasse certaines limites d'épais- seur, et s'il n'a pas un degré de liquidité convenable, la contraction induite n'a pas lieu. Cependant il est impos- sible d'assigner dans quel degré d'épaisseur et de fluidité doivent être la couche et le mélangepour arriver à ce résul- tat : il me suffit d'avoir bien démontré que dans quelques circonstances on obtient la contraction induite lorsqu'on a interposé entre le muscle et le nerf une couche isolante, qui empêche certainement la propagation des courants propre ou musculaire, ainsi qu'un courant voltaïque ordinaire. Je dirai, enfin, que je n'ai jamais réussi à obtenir la contraction induite en interposant entre le nerf et les muscles un corps solide, quels que fussent sa na- ture et son peu d'épaisseur. J'ai employé à cet effet des feuilles de mica très-fines, de sulfate de chaux, d'or, le papier collé, les feuilles de végétaux, jamais le phéno- FORCE NERVEUSE. 291 mène ne s'est produit dans ces circonstances. Un fait très-curieux, et que je crois important par ses consé- quences, est celui de l'existence de la contraction induite à travers la peau des muscles induisants de la grenouille. L'expérience réussit constamment, soit que la con- traction induisante soit excitée au moyen du courant élec- trique, soit qu'elle l'ait été avec un autre stimulant quel- conque appliqué sur lés plexus lombaires de la grenouille induisante. Après avoir ainsi énuméré une longue série d'expé- riences relatives aux circonstances qui interviennent pour produire , modifier ou détruire le phénomène de la con- traction induite , on pourrait espérer qu'avec un pareil ensemble de faits il serait facile d'aborder la théorie phy- sique du phénomène. Malheureusement je crois que cela n'est pas possible , et ce doute m'oblige à discuter minu- tieusement les diverses hypothèses que l'on peut faire pour expliquer les contractions induites. 1" Il suffit d'avoir vu une seule fois ce phénomène produit en provoquant les contractions induisantes avec un stimulant mécanique quelconque , pour avoir la certi- tude que le courant électrique, employé pour exciter la contraction, ne se propage pas jusqu'au nerf de la grenouille et n'est pour rien dans le phénomène *. Comment comprendre la contraction induite de deuxième ' Par excès de précaution , j'ai très-souvent essayé d'obtenir la con- traction induite en provoquant celles induisantes par la lacération de la moelle épinière , pratiquée au moyen d'un morceau de verre. La con- traction induite a eu lieu comme si l'induisante avait été excitée par le courant ou un autre stimulant quelconque. 292 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. et troisième ordre ? De quelle manière expliquer que la contraction induite manque lors même que le cou- rant a été, comme à l'ordinaire, appliqué sur les plexus lombaires , et cela seulement parce que par l'in- cision des nerfs dans la cuisse on a aboli ou fortement diminué la contraction induisante? Pourquoi la contrac- tion induite manque-t-elle quand on applique ce même courant dans le nerf au-dessous de la cuisse , cas dans lequel les muscles de la cuisse ne se contractent pas? Pourquoi , lorsqu'on opère avec le courant sur les plexus lombaires d'une grenouille déjà aifaiblie au point de ne plus fournir les contractions qu'au commencement du passage du courant direct et au moment de l'inter- ruption de l'inverse ; pourquoi , dis-je , dans ces cas seuls y a-t-il contraction induite? Il est inutile de continuer à réunir les objections que l'on peut faire à l'interpré- tation de ce phénomène , en ayant recours à une diffu- sion du courant qui produirait les contractions indui- santes, diffusion que l'on ne saurait en aucune façon concevoir physiquement. 2" On pourrait soupçonner que la contraction induite est l'effet d'un stimulant mécanique, c'est-à-dire de la contraction de l'un des muscles induisants , qui impri- merait ainsi une secousse à la grenouille galvanosco- pi que. J'ai tenté un nombre infini de fois, en me servant de grenouilles galvanoscopiques extrêmement sensibles , d'exciter, par tous les moyens possibles, des mouvements dans les masses musculaires des cuisses, sans jamais parvenir à faire contracter la grenouille galvanoscopique. rOl^CE NKRVEUSE. 293 Si la véritable cause de ce phénomène résidait réellement dans cette secousse , comment expliquer la cessation de la contraction induite , occasionnée par l'interposition d'une très-mince feuille d'or ou de mica entre le nerf et le muscle? J'ai essayé très-fréquemment d'appliquer le nerf de la grenouille galvanoscopique sur des plaques de métal , de verre , sur des membranes tendues , sur des cordes à boyaux vibrantes , et je n'ai jamais vu se ma- nifester de contractions dans la grenouille galvanosco- pique. Ce n'est donc pas le choc du muscle en contrac- tion contre le nerf de la grenouille galvanoscopique qui est la cause de la contraction induite. 3" Il arrive dans quelques circonstances extrêmement rares de voir se produire la contraction dans la gre- nouille galvanoscopique, lorqu'on vient à étendre son nerf sur la cuisse de la seconde grenouille , même dans le cas où toutes deux sont parfaitement isolées. Mais toutes les fois que cette anomalie se présente, on ne tarde pas à en découvrir la cause. Elle consiste tantôt en ce que quelque portion de la partie interne du muscle est à découvert; tantôt parce que quelque parcelle de muscle est restée attachée au nerf de la grenouille galva- noscopique et vient toucher le nerf lorsqu'on le dispose sur la cuisse. Il m'a semblé aussi que ces contractions se manifestaient quelquefois , lorsqu'on touchait les extrémités tendineuses et la superficie des muscles de la cuisse avec deux points du nerf de la grenouille galva- noscopique. Je commence par vous dire que la contrac- tion induite s'obtient constamment dans tous les cas 0Ì1, par l'ensemble des précautions qu'on a prises, il 29U QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. n'existe aucune des circonstances capables d'exciter la contraction de la grenouille gai vano s copi que. Nous sa- vons aussi qu'en coupant avec des ciseaux la surface musculaire des cuisses et en la rendant par là parfai- tement unie , la contraction par induction a lieu , quand on applique le nerf de la grenouille galvanoscopique sur la nouvelle surface musculaire. Elle se produit en- core à travers la peau de grenouille , et même en plaçant entre le nerf et le muscle des couches isolantes liquides. Et nous avons vu que l'isolement produit par elles était capable d'intercepter la propagation des courants propre ou musculaire. Comment supposerait-on maintenant , après ces faits , que la contraction induite prend son origine dans les circonstances que nous avons énumérées plus haut, même en admettant qu'elles soient rendues plus fortes ou qu'elles soient excitées par la contraction musculaire? Ces circonstances ne sauraient être qu'un phénomène de courant musculaire ou propre qui devrait parcourir le nerf de la grenouille galvanoscopique , lors même que celui-ci est entouré d'une couche de matière isolante , ce que nous avons vu ne pouvoir être. 4" la première idée qui se présenta pour expliquer la contraction induite fut d'admettre qu'il y a un dévelop- pement d'électricité qui accompagne la contraction mu- sculaire. Il y a dégagement de chaleur pendant la contrac- tion ; il y aurait même des cas où elle serait accompa- gnée de production de lumière , d'après des observations de Quatrefages , observations qui mériteraient , à cause de leur grande importance , d'être répétées , afin d'en mieux étudier toutes les particularités. Il résulterait donc FORCE NERVEUSE. 295 de là un certain degré d'analogie qui pourrait autoriser à regarder comme probable la production d'électri- cité dans la contraction musculaire; d'ailleurs, le petit nombre d'expériences que je fis lorsque je découvris la contraction induite , pouvaient également s'expliquer d'une manière assez satisfaisante par cette hypothèse. Un corps isolant , tel qu'une feuille de mica ou un papier glacé , empêchait , par son interposition , la contrac- tion induite de se produire. Le même résultat avait lieu également quand une feuille d'or, déchargeant parfaite- ment l'électricité que l'on supposait développée da,ns la contraction , empêchait que le nerf ne fût parcouru par elle. Malgré ces premières données , qui nous faisaient es- pérer de pouvoir fournir une explication assez simple de la contraction induite , et nous amenaient en même temps à démontrer l'existence d'un fait très-important de la contraction musculaire , nous sommes aujourd'hui forcés d'abandonner complètement cette manière de voir, car elle est contredite par l'expérience. Au commencement de cette leçon je vous ai rapporté les nombreuses expériences que j'ai tentées dans le but de rechercher s'il y avait augmentation dans l'énergie du courant musculaire ou du courant propre pendant l'acte de la contraction. Tous mes efforts ont été inutiles, et j'ai dû conclure que l'expérience ne démontrait pas que les signes des courants propre ou musculaire acquiè- rent une intensité plus grande pendant la contraction musculaire. On pourrait croire à un développement d'électricité 296 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. indépendamment des courants propre et musculaire. Mais , comment supposerait-on un pareil fait , quand on voit que la contraction induite se transmet à travers cer- taines substances isolantes , telles que la térébenthine , l'huile, etc., tandis qu'il n'en est plus ainsi si l'on se sert de feuilles de mica très-minces. On aurait pu soupçon- ner que l'électricité , développée pendant la contraction musculaire, agit par influence. Dans cette hypothèse on comprendrait pourquoi la térébenthine ne met pas obsta- cle au passage de la contraction par induction ; mais l'au- tre fait ; qu'avec une lame de mica extrêmement mince le même résultat n'a pas lieu, devient doublement inexplica- ble. J'ai, en effet, essayé de couvrir une grenouille gal- vanoscopique, placée sur une plaque de verre, avec une feuille de mica : la décharge d'une bouteille de Leyde éclate entre les boutons de l'excitateur sur la lame de mica, et des contractions sont excitées dans la grenouille galvanoscopique. Je ne m'arrêterai pas en ce moment à analyser ce fait : il me suffit maintenant pour démon- trer qu'il devrait y avoir contraction induite à travers le mica , si la cause du phénomène résidait en une décharge électrique ou était le résultat de l'influence de celle-ci. Je terminerai enfin , en ajoutant que j'ai tenté un nombre infini de fois, mais toujours inutilement, à exciter les contractions dans la grenouille en tenant le nerf de la grenouille galvanoscopique à la proximité, ou même en contact , avec un conducteur métallique parcouru par un courant électrique. Afin de me trouver dans les conditions les plus favorables , et pour que le circuit par induction puisse être formé et complet dans la grenouille , je pré- rORCli NERVEUSE. 297 pare celle-ci d'une manière telle qu'un long filament ner- veux, c'est-à-dire un des plexus lombaires, et son pro- longement dans la cuisse soient à découvert. La grenouille est laissée intacte dans le reste du corps , et ses deux jambes se touchent. Je soutiens la grenouille par des cordons en soie , de façon qu'elle soit horizontale et que son filament nerveux soit en contact , et parallèle avec le conducteur voltaïque, qui est couvert de vernis. Quand toutes les précautions sont prises pour que la grenouille soit parfaitement isolée , on ne voit jamais des contrac- tions être excitées en celle-ci , ni au commencement où l'on ouvre , ni à celui où. l'on ferme le circuit de la pile. Il faut remarquer que dans cette expérience le circuit par induction peut avoir lieu complètement dans la gre- nouille. J'ai employé une pile composée de dix éléments , de Bumsen, sans obtenir aucun résultat. Après tout cela , il ne reste aucune preuve expé- rimentale en faveur de l'explication du phénomène de la contraction induite, qui admettrait qu'il y a déve- loppement d'électricité pendant la contraction muscu- laire. Nous ignorons encore la cause de la contraction mu- sculaire, et nous ne connaissons de ce phénomène que les particularités suivantes : il se produit même en agissant à de grandes distances du muscle sur le nerf dont il re- çoit les ramifications; l'intégrité du filament nerveux, depuis le point où l'excitation a eu lieu jusqu'au muscle lui-même , est indispensable ; cette transmission se fait avec une telle rapidité que nous devons la comparer à celle de l'électricité, de la lumière, du calorique rayon- 298 QUx\TOÏiZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. nant, se propageant à travers les divers milieux ; ce qui modifie, augmente ou détruit l'accomplissement des phé- nomènes physieo-chimiques qui se passent dans la nutri- tion du muscle , a une action analogue sur sa contracti- lité provoquée par une influence quelconque agissant sur les nerfs; et, enfin, dans les lois de la contraction d'un muscle, on trouve une analogie avec les lois physiques de l'élasticité. Le fait de la contraction induite est donc un phéno- mène d'induction de cette force inconnue qui circule dans les nerfs et produit la contraction musculaire. En admettant comme bien démontré que le phéno- mène de la contraction induite ne saurait être expliqué d'une manière satisfaisante, en ayant recours à l'inter- vention de l'électricité , ainsi que je crois l'avoir mis com- plètement hors de doute, il me semble que l'on ne peut, en parlant d'un fait simple comme l'est celui de la con- traction induite, admettre une interprétation autre que celle que nous avons donnée. La contraction induite est un phénomène nouveau de la force nerveuse, phéno- mène dont nous vous avons donné les lois principales. 11 me semblerait plus rationnel de nommer désormais induction musculaire , ce que nous avons appelé jus- qu'à présent contraction induite. Un muscle en contraction exerce une action inductive sur un nerf vivant. Disons enfin quelques mots de la production de la force nerveuse. Quoiqu'il soit vrai que nous ne la con- naissons que dans les animaux vivants et que par consé- quent nous manquons d'appareils pour la recueillir et en FORCE NERVEUSE. 299 étudier les lois hors de l'animal lui-même , cependant nous ne saurions abandonner toutes les analogies physiques dans les recherches que nous faisons de son mode de pro- duction. Partout où un mouvement survient, oii l'effet d'une force se manifeste , nous sommes certains qu'une transformation quelconque de matière a eu lieu avant le mouvement engendré. Là oii une force s'exerce, une action chimique la précède. Le calorique, l'électricité, la lumière nous fournissent à chaque instant la preuve de cette vérité. Examinons, même en abandonnant toutes ces analogies , les conditions dans lesquelles a lieu chez les ani- maux le développement de ce que nous appelons force ner- veuse. Un homme, un animal, après une longue marche, aprèsavoirmis une machine en mouvement, sont fatigués, ont besoin de repos et de nourriture. Bien qu'il soit certain que nous manquons des faits qui seraient indispensables pour établir un lien intime et réellement scientifique entre les effets du travail , du repos et de la nourriture d'une part, et de la perte et de la réparation de la force nerveuse de l'autre, nous ne pouvons cependant nous abstenir de discuter ces faits, quelque complexes qu'ils soient , avec les principes de la mécanique et de la physique générale. L'exercice musculaire, quel que soit le mode dans lequel il s'exerce, est constamment suivi d'une perte de force, et comme nous voyons la machine animale reprendre son aptitude à l'exercice , après avoir pris des aliments et s'être reposée, nous devons admettre que la force néces- saire à l'action musculaire se puise dans les actions chi- miques de la nutrition, puisque d'ailleurs au moyen de celle-ci et du repos , on reproduit et on accumule cette :ìOO quatorzième et quinzième leçons. force dans le système nerveux. Interrompez , pendant un certain temps , la circulation sanguine dans un mu- scle , et bientôt il deviendra incapable de se contracter : avec le retour du sang renaîtra la force musculaire. Chez les animaux où la circulation et la respiration sont très- actives , le développement de la force musculaire est plus considérable. Mais parmi les nombreuses actions chimiques qui sur- viennent dans les animaux , quelle est celle qui donne naissance à la force mise en jeu dans la contraction mu- sculaire? Il est impossible de faire une réponse satisfai- sante à cette question. Les physiologistes admettent aujourd'hui que la cha- leur est produite par la combustion des matières grasses et principalement par celle des corps en lesquels se trans- forme la fécule pendant la digestion : la force nerveuse serait due aux actions chimiques qui ont lieu dans les changements que subissent les substances neutres azotées des tissus. Je ne connais aucune expérience qui prouve directement cette différence d'origine entre la chaleur et la force nerveuse. De toutes les actions chimiques dont l'animal est le siège, la seule que nous connaissions parfaitement, qu'il nous a été donné de mesurer , est celle qui produit l'acide carbonique. En moyenne, l'homme convertit et exhale à l'état d'acide carbonique 10 à 15 grammes de carbone par heure. En partant de ces données , nous pourrons chercher à comparer la force nerveuse qui résulte de cette action chimique, en l'exprimant par le travail mécanique fait FORCE NERVEUSE. :^0i par un homme dans l'intervalle d'un jour, avec la quan- tité de travail que cette même action pourrait produire dans le même espace de temps , soit au moyen de la cha- leur, soit par l'électricité qu elle développe. En d'autres termes, il est possible de rechercher si nous obtenons avec les machines à vapeur ou les appareils électro-magnéti- ques etau moyen d'une action chimique déterminée, un ef- fet mécanique égal ou différent de celui qui est produit lors- que cette même action se passe dans le sein d'un animal. Mais avant de commencer cette recherche, je ne puis m' abstenir de vous faire observer que, pour établir cette comparaison , il faut admettre l'une des deux hypothè- ses suivantes : nous savons aujourd'hui qu'il se développe dans les animaux de la chaleur, de l'électricité , de la force nerveuse , et nous admettons que les causes de la produc- tion de ces forces résident dans les actions chimiques de la nutrition. Mais nous pouvons supposer qu'elles pren- nent naissance en des quantités constantes et indépen- dantes l'une de l'autre , ou bien , que d'une certaine action chimique il ne résulte jamais qu'une quantité con- stante de force , quelle que soit d'ailleurs la forme sous laquelle elle se manifeste. Je cite un exemple pour me faire mieux comprendre • le zinc brûle dans l'oxygène en produisant de la lumière et de la chaleur : ce même zinc peut s'oxyder en décom- posant l'eau et en développant seulement de la chaleur ou de la chaleur et de l'électricité , si on le touche avec un fil de platine. Supposons maintenant que nous pou- vons transformer ces forces en une certaine quantité de travail mécanique produit par elles. On pourrait dire -M] 302 QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. que la somme de ces quantités est la même dans tous les cas, et que lorsque l'une vient à manquer, l'autre y supplée par une quantité relative tirée de leurs équi- valents mécaniques. Mais il pourrait également arriver qu'elles se développassent indépendamment l'une de l'autre. L'expérience répondrait en faveur de cette der- nière opinion : j'ai mesuré la chaleur dégagée par le zinc qui s'oxyde en décomposant l'eau, et j'ai répété cet essai en ayant de plus le dégagement du courant électrique : la chaleur fut constamment la même et à peu près égale à celle que produit le zinc qui s' oxyde en brillant dans l'oxy- gène. Nous pourrions donc compter toute l'action chimique du carbone qui se combine avec l'oxygène dans le sein des animaux comme cause de la force nerveuse, indépendam- ment de la chaleur et de l'électricité qu'elle peut produire, et nous demander si cette action ayant lieu dans l'animal même , détermine un effet analogue ou différent de celui qu'elle déterminerait si elle se passait dans une machine à vapeur ou dans un appareil électro-magnétique. Voyageant à une certaine époque avec le célèbre in- génieur Robert Stephenson , nous dilmes expédier un homme à pied à quarante milles de distance : je de- mandai à Stephenson quelle quantité de charbon était nécessaire pour transporter avec une locomotive un homme à quarante milles. Il me répondit qu'il en fallait environ 5 kilogrammes. La personne ainsi expédiée accomplit son voyage en moins de dix heures de marche , consumant par sa res- piration une quantité de carbone qui n'excédait pas FORCE NERYEUSE. 303 150 grammes , c'est-à-dire environ -^ de la quantité qui aurait été nécessaire pour que ce trajet eût été fait avec une locomotive. M. Dumas a calculé combien il se brillerait de charbon dans une machine à vapeur pour transporter un homme du niveau de la mer au som- met du Mont-Blanc. Cette quantité serait de 1000 à 1200 grammes, et un homme y parvient en deux jours de marche, c'est-à-dire en brillant seulement 300 grammes de carbone. La différence dans ce second exemple est moins forte que dans le premier , parce que le résultat utile que l'on obtient avec une machine fixe à vapeur est beaucoup plus considérable que celui des machines d'une locomotive. 11 n'en est pas moins vrai que la dif- férence est assez forte, et que le travail produit par la force nerveuse due à une certaine action chimique , est beaucoup plus grand que celui que cette même action produit en se convertissant en chaleur. Je puis vous démontrer d'une autre manière le grand avantage qui résulte de la transformation d'une action chimique en force nerveuse dans l'animal. J'ai cherché à mesurer quel était le travail mécanique que l'on obtenait en appliquant sur les nerfs d'une grenouille un courant engendré par une quantité déter- minée de zinc s' oxydant dans une pile. Voici les nombres trouvés : 3 milligrammes de zinc en s' oxydant en un jour fournissent un courant qui , si on sup- pose qu'il puisse être continuellement appliqué sur les nerfs d'une grenouille, produirait une force musculaire, mesurée par 5'',5419, soulevés à 1 mètre de hauteur pendant le même intervalle de temps. Il est probable que 30^ QUATORZIÈME ET QUINZIÈME LEÇONS. ces chiffres sont loin d'être exacts , et je m'occuperai prochainement à répéter mes expériences : cependant il est certain que les causes d'erreur sont toutes dans un seul sens et tendent à représenter comme plus petit qu'il ne l'est réellement, l'effet produit par les 3 milli- grammes de zinc. La même quantité de zinc brûlé donnerait une quan- tité de chaleur telle, qu'employée à former de la va- peur , elle exécuterait un travail équivalent seulement à 0\8304, élevés à 1 mètre. Enfin on pourrait appliquer le courant produit par les 3 milligrammes de zinc à une machine électro-ma- gnétique ; dans ce cas on obtiendrait 0^,96 élevés à 1 mètre. Tout porte donc à conclure que le travail mécanique développé par une .action chimique , transformée en force nerveuse dans un animal, est irès-grand, et que dans toutes les machines que l'homme a inventées , il est toujours et sera peut-être pour longtemps encore loin d'atteindre le degré de perfection qui existe dans celles qu'il ne sait pas imiter et qu'il ne eut qu'admirer. SEIZIEME LEÇON. CONTRACTION MUSCULAIRE. — MÉCANIQUE ANIMALE. Nous nous sommes occupés , dans la précédente leçon , à exposer les lois de la force nerveuse , à rechercher les causes de son développement, autant du moins que cela nous est permis dans un cours dont j'ai cherché à exclure les connaissances trop vagues ou les déductions pure- ment hypothétiques. La contraction musculaire et la lo- comotion qui en résulte, sont les effets de la force que nous venons d'étudier; nous exposerons ce sujet en nous bornant à ce qu'il y a dans' la science de plus positif, de plus physiquement établi. La volonté , les actions mécaniques , la chaleur, l'é- lectricité, déterminent la contraction musculaire par leur action sur les nerfs ; cet effet n'est plus produit si ces nerfs viennent à être li^s , ou si leur substance est altérée d'une façon quelconque. Evidemment une force se propage le long du filament nerveux, et arrive ainsi jusqu'à la fibre musculaire. On est également forcé de reconnaître dans cette fibre , l'aptitude , la propriété de se contracter sous l'action d^ la force nerveuse, et l'on ne peut se rendre compte comment, pendant si longtemps, ont régné et régnent encore aujourd'hui en physiologie les théories ex- 306 SEIZIÈME LEÇON. clusives ou de la contraction des muscles par l'action de la force nerveuse , en refusant à la fibre musculaire le pouvoir de se contracter , ou bien celle qui lui attribue cette dernière propriété , indépendamment de la force ner- veuse. De même que l'élasticité est la propriété des corps au moyen de laquelle leurs molécules sont capables de se mettre en vibration , il faut que des chocs exercés contre ces molécules déterminent les vibrations dans les molé- cules mêmes. Quant à la vitesse avec laquelle la force nerveuse se propage, nous admettons qu'elle est très- grande, et comparable à celle de la lumière et de l'élec- tricité. Nous faisons observer que, sans pouvoir nier cette dernière supposition , nous manquons d'expériences qui viennent l'appuyer : les distances auxquelles nous sommes habitués de voir la force nerveuse se propager , sont très-courtes , et nous ne devons pas être trop sur- pris delà Vitesse de cette propagation. Lorsqu'on observe un muscle au moment où il se contracte , on ne tarde pas à apercevoir que ses fibres longitudinales se sont raccour- cies, et que leur diamètre, au contraire, s'est accru. C'est là le résultat des nombreuses observations de Fodera, Edwards, Weber, etc. L'expérience a dé- montré que le volume du muscle ne varie pas sen- siblement pendant la contraction. Voici un vase dans lequel sont placées une torpille et une grenouille pré- parée, rempli d'eau et fermé avec un bouchon tra- versé par un tube étroit dans lequel le liquide monte; deux fils métalliques vernis isolés pénètrent dans le vase, et lorsqu'on les met en communication avec les pôles d'une pile, la torpille et la grenouille éprouvent CONTRACTION MUSCULAIRE. '0^)1 des contractions ; cependant vous voyez que le ni- veau de la colonne liquide reste invariablement au même point, pendant comme avant les contractions. En s'en rapportant aux observations des micrographes modernes, il paraîtrait que la fibre musculaire serait composée d'un très-grand nombre de cellules ou globules disposés en piles , suivant la direction longitudinale des fibres , et que de la réunion de ces piles sont formés les faisceaux musculaires : de telle façon qu'un muscle paraît , soit longitudinalement , soit transversalement , être sus- ceptible d'une espèce de clivage. Cette structure aurait ainsi une grande analogie avec celle de l'organe électri- que des poissons , et il est , d'ailleurs , curieux de remar- quer, ainsi que nous l'avons déjà fait, que les mêmes lois président à la décharge des poissons électriques et à la contraction musculaire , quant aux circonstances géné- rales de ces deux phénomènes. Dans l'acte de la contraction d'un muscle , les globules ou, pour parler avec plus d'exactitude, les stries trans- versales des fibres musculaires se rapprochent les unes des autres , les intervalles qui les séparent diminuent , et la grosseur des fibres augmente; d'oti il résulte que le volume du muscle reste sensiblement le même. D'après Bowman, une fibre musculaire élémentaire ne se con- tracte pas tout entière simultanément ; suivant cet habile , anatomiste , la contraction irait se propageant pendant un certain intervalle de temps très-court , mais cependant appréciable, en sorte qu'il y aurait constamment dans une fibre en contraction des points en repos , et d'autres qui seraient rapprochés. Je serais porté à croire que ces 308 SEIZIÈME LEÇON. apparences ne se réalisent que pour des fibres muscu- laires déchirées , et , par conséquent , libres au moins par l'une de leurs extrémités. Toutefois, même dans cette idée de Bowman , la contraction musculaire pourrait dé- terminer la locomotion d'un membre , puisque les points du muscle qui seraient en inaction seraient dans le même cas que les extrémités tendineuses dépourvues de con- tractilité. Schwann a fait quelques recherches importantes sur les variations de la force musculaire dans les divers degrés de la contraction d'un muscle. Je me bornerai à vous ex- poser le principal résultat auquel il est arrivé. La force que déploie le muscle pendant sa contraction , est tou- jours proportionnelle à la longueur du muscle dans les divers instants de la contraction ; en sorte que cette force , très-grande dans le principe , quand la contraction com- mence , diminue en raison du raccourcissement du mus- cle , et finit par être nulle quand celle-ci est à son maxi- mum . Un muscle qui se contracte peut , par conséquent , être comparé à un fil élastique tiré par un poids , et qui , celui-ci enlevé , reprend sa longueur primitive avec une force constamment proportionnelle au poids qu'il sup- portait, et à l'allongement élastique qu'il avait subi. Ce résultat démontre combien on est loin de la vérité en ad- mettant , comme cela a été fait souvent , que la contrac- tion musculaire est due à l'attraction réciproque des globules ou particules élémentaires qui composent la fibre musculaire. Dans ce cas , la force déployée par le muscle devrait augmenter pendant sa contraction ; au contraire , le résultat obtenu par Schwann pourrait s' ex- CONTRACTION MUSCULAIRE. 2 09 pliquer, en disant que la contraction est produite par la cessation instantanée d'une répulsion supposée exister entre les disques , et éveillée l'instant auparavant. Je saisis cette occasion de vous dire quelques mots d'une hypothèse qui me préoccupe depuis longtemps et qui est appuyée sur un grand nombre de faits et sur des analogies bien fondées. La contraction d'un muscle con- sisterait d'abord en une répulsion qui aurait lieu entre les parties élémentaires de la fibre musculaire pendant un instant très-court et à laquelle succéderait ensuite, en vertu de son élasticité propre , le retour de la fibre ou , comme on le dit ordinairement, la contraction muscu- laire. L'action nerveuse produirait ainsi la répulsion, qui, par la dispersion ou la perte instantanée de cette force , serait suivie de la contraction. Que l'on imagine un cha- pelet formé de globules ou disques , maintenus en place par autant de ressorts interposés : une charge électrique donnée à ce système produit d'abord la répulsion entre les globules , en supposant que ceux-ci seulement peuvent être électrisés ; cette répulsion ira en augmentant vers les globules qui sont aux deux extrémités du chapelet; l'électricité dissipée, les globules retourneront à leur po- sition naturelle , qu'ils dépasseront d'abord par l'action des ressorts interposés. A ces courtes généralités sur le mécanisme de la con- traction musculaire, je ferai suivre l'exposition de celle relative à la locomotion des animaux. Je ne puis avoir l'intention de vous exposer , dans ce cours , longuement et minutieusement , les diverses manières dont s'exécutent cette fonction dans les différentes parties du corps d'un 310 SEIZIÈMF- LEÇON. animal et cela dans les différents animaux. Dans ce cas-ci encore je me bornerai à vous faire connaître le peu de principes généraux qui suffisent à démontrer que les théories de la mécanique proprement dite sont la base des appareils ou organes de la locomotion des ani- maux. Tous les organes locomoteurs des animaux se réduisent en général à un système de leviers de divers genres , dont la longueur , la résistance et le poids sont convenablement combinés , auxquels leviers sont appliqués de diffé- rentes manières des faisceaux musculaires. L'air, l'eau, la terre sont les milieux où ces mouvements s'exécutent; ce sont également eux qui leur fournissent des points fixes ou d'appui. Les théories concernant la composition des forces , le centre de gravité , les leviers et la résistance des milieux , s'appliquent donc nécessairement aux ma- chines animales , ainsi qu'à une machine quelconque em- ployée dans les arts. Nous devons aux frères Weber une découverte impor- tante pour la théorie de la marche et de la course chez l'homme, et que je ne veux pas vous laisser ignorer. Elle consiste à avoir démontré parl'expériencequèles membres inférieurs mis en mouvement oscillent autour du tronc par l'action de la gravité , comme le ferait un pendule. Dans ce but, on fit osciller des jambes de longueurs différentes, soit sur des hommes vivants , soit sur des cadavres ; les durées des oscillations furent dans tous les cas pro- portionnelles aux racines carrées des longueurs des mem- bres oscillants. C'est donc indépendamment de notre volonté que ces mouvements s'accomplissent, ce qui MÉCANIQUE ANIMALE. 311 explique la parfaite régularité avec laquelle les pas se succèdent les uns aux autres, chez l'enfant comnae chez l'adulte, dans l'homme idiot comme dans celui chez qui la volonté et la sensibilité ont reçu beaucoup de déve- loppement. L'action des muscles est donc nulle ou du moins très-bornée dans l'exécution de ces mouvements, la jambe élevée et abandonnée à elle - même accomplit le pas par la seule influence de la pesanteur. La tête du fémur ne supporte qu'un très-léger frottement en tour- nant dans la cavité cotyloïde, où elle est retenue par la pression atmosphérique , qui aide ainsi à l'accomplisse- ment de ces mouvements. Tout le poids du membre ne presse pas contre les parois de l'articulation coxo-fémo- rale : la tête du fémur demeure fixée à cette cavité par la pression atmosphérique et parla l'effet de la pesanteur sur le membre est détruit. Ce sont également les recherches des frères Weber qui ont signalé ce mode d'agir de la pression atmosphérique. Les tendons et les muscles qui unissent la cuisse au tronc furent coupés sur un cadavre suspendu, sans que le membre changeât en rien de position; mais si l'on pratiquait un trou qui aboutissait àia cavité cotyloïde, le membre tombait immédiatement, et l'on pouvait tan- tôt le faire tomber, tantôt l'en empêcher, suivant que l'on ouvrait ou que l'on fermait le trou. En calculant la pression exercée par l'atmosphère contre la section plane de la cavité cotyloïde, on trouve qu'elle équivaut à 11^,970, c'est-à-dire qu'elle surpasse un peu le poids moyen de la jambe. Les organes passifs de la locomotion présentent , comme toutes les autres parties de la machine humaine , 312 SEIZIÈME LEÇON. une constante application des principes de la mécanique, pour réaliser un résultat assez compliqué. Imaginez que l'on dise à un ingénieur : on veut une colonne mobile composée d'un certain nombre de pièces cylindriques réunies ensemble par leurs extrémités , et dont la lon- gueur doit être variable; la grosseur de cette colonne sera telle qu'elle devra pouvoir supporter le poids dont elle sera chargée, et elle sera capable de résister aux chocs latéraux ; les extrémités des diverses pièces de la colonne seront terminées de manière à pouvoir y appli- quer les forces qui la mettront en mouvement; elle devra enfin être susceptible d'exécuter un grand nombre de mouvements partiels sans que jamais sa simplicité et son élégance en soient altérées. L'ingénieur eût certai- nement jugé le problème, sinon insoluble, au moins fort difficile. Les os sont formés d'un mélange de gélatine et de phosphate et carbonate calcaires en proportions diverses. Si celles-ci viennent à varier , il survient de grands chan- gements dans le degré de ténacité et d'élasticité des os mêmes. Indépendamment de leur composition, la struc- ture plus ou moins fibreuse , plus ou moins spongieuse des os sert aussi à modifier leur poids et leur résistance. Ces propriétés peuvent également être très-variables sui- vant leurs dimensions. Euler a prouvé depuis longtemps que les poids que des verges cylindriques ou prismati- ques peuvent soutenir, sans se plier, sont en raison inverse des racines carrées de leurs longueurs , pourvu que leur nature et leur section ne varient pas ; si l'on exprime par 1 , 2 , 3 , 4 , etc. , les longueurs des verges homogènes , MÉGANIQUE ANIMALE. 313 les poids qu'elles seront capables de supporter sans se courber seront exprimés par les nombres 1 , l, ^, yq, etc. De là résulte que les os doivent avoir des longueurs dif- férentes , suivant les divers efforts qu'ils doivent suppor- ter. Mais il est vrai que , dans certaines limites d'é- paisseur de la paroi osseuse , la résistance que les os opposent à la rupture contre une force appliquée latéra- lement s'obtient plus aisément avec une quantité donnée de matière , en construisant un tube dont le diamètre est plus grand, qu'avec un tube plein et par conséquent plus mince. Tous les os sont construits de manière à en obtenir la résistance nécessaire , sans en accroître excessivement le poids. Parlons enfin de la puissance musculaire, sujet qui, je dois l'avouer, n'est guère plus avancé aujourd'hui qu'il ne l'était il y a un siècle, lorsque Borelli en com- mençait l'étude. En général, on remarque que, dans l'emploi des muscles à la locomotion , leur disposition est combinée de manière à obtenir la plus grande vitesse et étendue possibles dans les mouvements , sans jamais sacrifier la simplicité , l'harmonie et l'élégance des di- verses parties de la machine humaine. Dans tous les cas possibles , les conditions suivantes sont réunies pour réa- liser ces résultats : 1^ l'insertion oblique des fibres mu- sculaires sur le tendon; 2° l'obliquité de la direction du tendon par rapport à l'axe sur lequel il est attaché et doit agir; 3^ la proximité des points d'insertion des tendons avec les articulations des os, qui servent comme points d'appui. Voici les principes établis par Borelli pour calculer la 27 31/l SEIZIÈME LEÇON. force des divers muscles d'un même animal , et qui sont encore aujourd'hui généralement admis : 1" deux muscles, composés d'un même nombre de fibres et par conséquent d'égale grosseur , soulèvent un poids donné à des hau- teurs qui sont proportionnelles à leur longueur , ou bien ils soulèvent à une hauteur donnée des poids qui sont proportionnels à leurs longueurs ; 2° si deux muscles sont également longs, ils pourront soulever à une hauteur donnée des poids proportionnels à leurs grosseurs. En un mot , le volume du muscle fait varier le poids qui peut être soulevé ; au contraire la hauteur à laquelle il peut arriver varie avec la longueur du muscle. En termes plus généraux, cela signifie que le travail mécanique d'un muscle varie en raison composée de sa grosseur et de sa longueur. Il est inutile de faire observer que nous omet- tons ici de mentionner un élément qui n'est pas sus- ceptible d'être mesuré a priori , c'est-à-dire l'inten- sité de la force nerveuse, qui varie sous l'empire de la volonté. 11 est facile de comprendre comment l'étendue du mou- vement d'un os dépend de la différente obliquité avec laquelle les fibres musculaires s'insèrent sur le tendon , et comment cette grandeur doit croître d'autant plus que les fibres musculaires seront attachées plus obliquement sur lui. Nous remarquerons encore que , suivant la différente obliquité avec laquelle le muscle est forcé d'agir sur l'os mobile , il en résulte une perte de force plus ou moins grande. Telle est la disposition la plus générale de tous les or- MÉCANIQUE ANIMALE. 315 ganes moteurs des animaux, et l'on en concevra aisément la raison si l'on considère que le corps de l'homme et des animaux aurait eu une forme monstrueuse si les muscles agissaient normalement sur les os. Pour diminuer une portion de la perte que la force des muscles éprouve par suite de l'obliquité de son insertion sur les os, ceux-ci se terminent par des renflements sphériques , et les tendons glissent sur eux pour aller se fixer inférieurement sur l'os à mettre en mouvement. Remarquons enfin que de la disposition relative des points d'appui et des points d'application de la résistance et de la puissance dans les leviers de l'économie animale dépendent les rapports bien connus entre les espaces par- courus par la puissance , la résistance et les forces abso- lues qui les représentent. En général, les leviers du corps humain sont du troisième genre , de manière que le bras de levier de la résistance surpasse celui de la puissance. L'avant-bras nous offre un exemple de levier du troi- sième genre ; en effet, il a le point d'appui dans l'articu- lation du coude , la résistance dans le poids du bras que l'on suppose appliqué à sa moitié, et pour puissance les muscles fléchisseurs fixés à l'extrémité des os de F avant- bras. Il suffira de comparer entre elles les distances rela- tives des points d'application , de la puissance et de la résistance avec le point d'appui , pour obtenir des nom- bres exprimant les rapports des mouvements de la puis- sance et de la résistance tels qu'ils sont fournis par la théorie. L'extrémité de l'avant-bras parcourt un arc beau- coup plus grand que celui décrit par les muscles fléchis- seurs ; la première accomplit son mouvement avec une 316 SEIZIÈME LEÇON. rapidité de 974 millimètres par seconde; l'autre, au contraire, avec une vitesse de 81 centimètres. Dans les cas où il est nécessaire de faire équilibre à une force plus grande au moyen d'une force plus petite, c'est alors un levier de second genre qui est employé : on en a un exemple dans l'homme lorsqu'un pied seul s'appuie sur le sol et soutient ainsi tout le poids du corps. Borelli a cherché à évaluer la force d'un grand nombre de muscles , et il a déduit des nombres trouvés dans ses expériences combien on perdait de force dans la plupart des mouvements musculaires, afin d'acquérir de la vitesse. Nous exposerons un seul des cas étudiés par Borelli , celui-là suffisant à vous faire connaître son procédé pour calculer la force des muscles. Le poids de l' avant-bras de l'homme est d'environ 2kilog., que l'on peut considérer comme appliqué à la moitié de F avant-bras, ou, ce qui revient au même , on peut admettre que ce poids est de 1 kilog. appliqué à une distance double du point d'ap- pui , c'est-à-dire dans la main. Il est connu qu'un homme peut soutenir à bras tendu un poids d'environ 13 kilog., et par conséquent la résistance totale à laquelle il faudra faire équilibre est de 14 kilog. D'autre part, la puissance des muscles a pour bras de levier une longueur que l'on sait être environ la vingtième partie de celle de l' avant- bras , par conséquent la valeur de x sera 280 , ou le pro- duit de 14 par 20; ce qui signifie que, pour porter un poids de ] 4 kilog. avec une main, les muscles fléchisseurs doivent faire un effort mesuré par 280 kilog. Les généralités que nous venons d'exposer suffisent pour vous faire comprendre le mécanisme des divers mou- MÉCANIQUE ANIMALE. 217 vements des animaux. Si j'avais voulu parler en détail et avec tous les développements possibles de la théorie de la marche, de la course, de la natation, du vol, etc., un pareil sujet dépasserait non-seulement les bornes d'une leçon, mais encore celles du cours entier. Dans tous les cas, quels que soient l'animal et lamanière dont il se meut , la partie essentielle du mécanisme de la locomotion consiste toujours en un allongement ou un rac- courcissement, mouvements qu'exécutent les deux bran- ches de l'arc ou des arcs formés par certaines parties de l'animal. Dans quelques circonstances , ces arcs sont for- més par le corps même de l'animal , qui devient alors ver- miforme ou arqué , comme chez les animaux qui nagent ou rampent. Dans d'autres cas , les mouvements d'extension etde flexion résultent durapprochementetdel'éloignement successifs que subissent les deux côtés d'un angle formé par les membres de l'animal. Un de ces côtés contient toujours le point d'appui, ou tous les deux, selon le mi- lieu dans lequel l'animal se meut. L'air, l'eau, Ife sol ré- sistent aux parties de l'animal qui frappent et pressent sur ces milieux , et le mouvement s'engendre de la même manière que la marche des bateaux à vapeur et des loco- motives est produite' par le choc des aubes des roues con- tre l'eau, par le frottement des roues sur les rails. DIX-SEPTIÈME LEÇON. CIRCULATION DU SANG. Un des effets les plus importants de la force nerveuse est celui du mouvement qu'elle imprime au sang dans le sein des animaux ; il est , en effet , admis maintenant par tous les physiologistes que la contraction musculaire est le principal agent de la circulation du sang. Pour satis- faire à l'esprit de ce cours , je me propose de vous démon- trer dans cette leçon que dans l'appareil où le sang est mis en mouvement par la contraction musculaire, se trouvent réalisées toutes les conditions fondées sur les principes de l'hydraulique. J'espère vous rendre évident que les lois les plus simples, les plus élémentaires du mouvement des fluides, sont appliquées pour obtenir, par le cours du s^ng dans les différents organes et les di- verses parties du corps, les nombreux effets nécessaires au développement et àia conservation de l'animal. Enfermé dans des limites aussi étroites que celles que je suis obligé de m'imposer dans ces leçons, je regrette de ne pouvoir traiter ce sujet avec toute l'extension qu'il mériterait. Je me bornerai à vous exposer les résultats des expériences , les mieux établis et qui sont essentiels pour donner la théorie de cette fonction. L'appareil de la circulation sanguine peut, dans sa forme la plus simple , se réduire à un sj-stème de canaux CIRCULATION DU SANG. 319 OU de tubes formant une espèce de cercle complet revêtu dans un point quelconque d'une substance musculaire qui doit développer la force capable de mettre le sang en mouvement. Cet appareil devient nécessairement plus compliqué à mesure qu'on s'élève dans l'échelle des êtres, et , tandis que dans les animaux inférieurs le liquide nu- tritif remplit un vaste système de lacunes , qui constitue toute leur organisation , et qu'il est doué d'un mouve- ment lent et irrégulier ; dans les animaux supérieurs , au contraire, le sang circule dans un système de canaux d'une organisation particulière , dans une direction déter- minée , avec une rapidité constante plus ou moins consi- dérable, et cet appareil est complet lorsque pour l'exé- cution de cette fonction sont employés deux ordres de vaisseaux d'une structure bien différente , communiquant entre eux, après avoir été divisés en un grand nombre de ramifications d'un diamètre toujours décroissant , et dans l'un desquels le sang se meut des gros troncs vers des petits , et dans l'autre , en direction opposée ; et ayant dans le point où ces deux systèmes naissent un organe particulier nommé cœur. On nomme vaisseaux capillai- res ces petits tubes qui , tout à la fois , forment les extré- mités des artères et des veines. Et puisque ces deux or- dres de tubes se terminent par l'extrémité opposée dans les cavités du cœur , il est donc exact de dire que l'appa- reil vasculaire forme un cercle complet que le sang par- court en revenant sans cesse à son point de départ. Je ne puis passer sous silence diverses particularités relatives à la structure de l'appareil de la circulation ; je vous les exposerai le plus brièvement possible, et puis- 320 DIX-SEPTIÈME LEÇON. que nous devons étudier cette fonction dans son plus grand état de perfection et de complication , le peu de notions anatomiques que je vous rapporterai ici, au- ront trait au corps humain. Le cœur de l'homme est une cavité conique ou pyramidale formée par une es- pèce de sac musculaire divisé en deux moitiés, dont chacune se compose de deux cavités superposées, nommées, l'une \e ventricule , l'autre, Y oreillette. Les deux ventricules du cœur occupent la partie inférieure ; leurs cavités sont plus grandes que celles des oreillettes qui sont situées au-dessus. L'oreillette et le ventricule gauches appartiennent à l'appareil du cours du sang arté- riel, l'oreillette et le ventricule droits à celui du sang veineux. Les ventricules ont leurs parois plus épaisses que les oreillettes , ce qui se vérifie surtout pour le ven- tricule gauche d'où le sang est poussé dans les artères et dans toutes les parties du corps. Le ventricule et l'oreillette droits communiquent entre eux au moyen d'un orifice nommé orifice auriculo-ventriculaire ; aux deux parois de celui - ci est attachée une membrane annulaire dont le rebord interne est flottant , et au- quel se fixent des filaments tendineux attachés eux- mêmes à des faisceaux musculaires ou colonnes char- nues qui partent des parois inférieures du ventri- cule , en se dirigeant vers l'orifice : cette membrane est nommée valvule tricuspide. Une autre , analogue à celle-ci , et nommée valvule mitrale , existe à l'ori- fice par lequel communiquent l'oreillette et le ventri- cule gauches ; elle ne diffère de la première que par sa plus grande solidité et par la résistance plus considérable CIRCULATION DU SANG. 321 que sont capables de vaincre ses filets tendineux. L'orifice du ventricule gauche , aussi bien que celui du ventricule droit, par lesquels le sang s'échappe du cœur, sont mu- nis d'une autre espèce de valvule d'une construction bien différente de celle dont nous venons de parler. Ces valvules, nommées se7ni-Iunaires , sont formées de trois portions de membranes découpées , ainsi que l'indique leur nom, en forme demi-circulaire; d'un côté, elles sont adhérentes à la paroi de l'orifice , et flottantes de l'autre ; de sorte que, lorsqu'elles sont abaissées, elles présen- tent la forme de trois triangles qui auraient pour som- met commun le centre du vaisseau, et pour base, sa circonférence. Elles s'adossent contre les parois du vaisseau lorsqu'une colonne liquide est poussée au de- hors du cœur, au contraire elles s'en détachent, s'ap- puient l'une sur l'autre et ferment l'orifice quand le courant liquide est dirigé du vaisseau vers le cœur, c'est-à-dire qu'elles permettent au sang contenu dans le cœur de s'en échapper par les vaisseaux , et interdisent l'entrée du sang des vaisseaux dans le cœur. Enfin , nous dirons quelques mots des vaisseaux san- guins. Dans les artères, on remarque une membrane moyenne , assez grosse, composée de fibres d'une nature particulière , circulaire , nommée tissu jaune élastique ; c'est à lui que les artères doivent leur élasticité, la membrane , composée de ce tissu , est placée entre la membrane interne qui est séreuse, et l'externe de nature celluleuse, assez compacte. Trois tuniques forment éga- lement les parois des veines , dans lesquelles le tissu jaune élastique est moins apparent; la membrane in- 322 DIX-SEPTIÈME LEÇON. terne est enveloppée d'une couche mince de fibres longi- tudinales rares et d'une texture lâche, l'extefne est de nature celluleuse , très-résistante, l'interne est mince et lisse , elle est résistante et extensible , elle forme dans la cavité de quelques troncs veineux de nombreux replis ou valvules qui , par leur disposition , peuvent diminuer oumême oblitérer complètement le diamètre du vaisseau, lorsqu'une colonne liquide se meut dans une direction contraire àcelle qu'a le cours du sang dans leur intérieur. Enfin décrivons en quelques mots comment a lieu la circulation. Pour vous donner une juste idée de la ma- nière dont s'opère cette fonction , il suffit de mettre à dé- couvert le cœur d'un lapin ou d'un mammifère quelconque : on voit alors la contraction et la dilatation alternatives des ventricules et des oreillettes. Lorsque le ventricule droit se dilate, l'oreillette droite se contracte, et vice versa , le même phénomène a lieu dans l'autre moitié du cœur, de manière que les mouvements des parties homo- nymes sont simultanés entre eux et alternatifs avec ceux des parties d'un nom différent. Au moment où s'opère la contraction de l'une de ces cavités , le sang qui y est con- tenu est poussé au dehors , et la direction qu'il prend est réglée par la disposition et le jeu des valvules situées aux orifices de cette cavité. Au moment de la contraction de l'oreillette droite, le sang est lancé vers l'orifice auri culo - ventriculaire et, en arrière, dans les veines caves. A l'in- stant où cette contraction a lieu , le ventricule se dilate , l'orifice s'ouvre et le sang s'y précipite presque en tota- lité ; une petite quantité seulement revient en arrière , re- fluant vers les veines caves. A ces mouvements, suc- CIRCULATION DU SANG. 3215 cèdent la dilatation de l'oreillette et la contraction plus énergique de ce ventricule. Le sang qui remplit le ventri- cule est chassé de cette cavité ; deux orifices se présen- tent , celui de l'artère pulmonaire et l'orifice auriculo- ventriculaire , qui lui permettraient de revenir dans l'oreillette dont la contraction vient de cesser. Mais l'ac- tion de la valvule tricuspide s'oppose à ce retour du sang dans l'oreillette , et sa construction remplit parfaitement ce but. Le flux du sang, pressé par les parois du ventri- cule en contraction , distend la membrane qui constitue cette valvule ; celle-ci cède jusqu'à devenir perpendicu- laire à l'axe du ventricule, et l'orifice est de cette façon presque entièrement fermé . Cependant les colonnes char- nues , en se contractant aussi , empêchent la valvule de se renv-erser vers l'oreillette et la retiennent à l'orifice. C'est bien ainsi que sont construites les soupapes dans toutes nos machines hydrauliques. Au contraire , les val- vules semi-lunaires placées à l'orifice de l'artère pulmo- naire cèdent au choc de la colonne sanguine et laissent libre cet orifice ; le sang s'y précipite , profitant de la construction de ces valvules , qui sont disposées à s'ou- vrir du dedans au dehors. Dans les cavités gauches du cœur, la disposition des valvules est la même que celle que nous venons d'étudier dans les cavités droites. Lorsque l'oreillette gauche se dilate , le sang de la veine pulmonaire s'y introduit ; au moment de sa contraction, qui coïncide avec celui de la dilatation du ventricule, le sang est poussé dans celui-ci, et, à la suite de sa contraction , il passe dans l'aorte. Deux bruits successifs se font entendre à l'oreille, ap- 324 DIX-SEPTIÈME LEÇON. pliquée sur le thorax , et répondent aux deux mouve- ments successifs du cœur : les oreillettes se dilatent en- semble ; il en est de même des ventricules. Par contraction du cœur, on entend parler de celle des ventricules : leur resserrement est nommé systole , leur dilatation diastole. Nous avons ainsi esquissé à grands traits le mécanisme de la circulation. Quant à ses particularités , elles ne sont pas du domaine de ce cours, et ce n'est pas à nous , par conséquent , qu'il appartient de vous les exposer. J'au- rais même voulu supprimer le peu de détails que je vous ai donnés . si je n'avais regardé comme indispensable de faire précéder l'étude des phénomènes de la circulation du sang par l'exposition de ces connaissances élémen- taires d'anatomie. Le liquide qui circule dans les vaisseaux est d'une cou- leur rouge vermeille dans les artères , rouge foncé dans les veines , légèrement alcalin , d'un poids spécifique de 1,0527 à 1,057, dans lequel sont suspendus des glo- bules d'un diamètre plus ou moins grand. Ces globules sont des disques circulaires chez le plus grand nombre des mammifères , et elliptiques chez les oiseaux , les reptiles et les poissons. Ce liquide constitue le sang. La quantité en est variable suivant les divers animaux, et il paraît exister un certain rapport entre son poids et celui de l'animal. Valentin a indiqué un procédé ingé- nieux pour en déterminer la quantité totale : il consiste à fixer d'abord le rapport qui existe entre cent parties d'eau et les matières solides du sang que l'on extrait de l'animal au moyen d'une petite saignée. En injectant CIRCULATION DU SANG. 325 alors dans un de ses vaisseaux un poids donné d'eau, on détermine de nouveau la composition de cent parties de ce sang ainsi délayé , c'est-à-dire le rapport entre l'eau et les parties solides. Il est facile de comprendre com- ment , avec ces données , on peut avoir le chiffre de la quantité totale du sang. On admet que l'homme possède , en terme moyen , de 12 à 15 kilogrammes de sang ; le rapport qui exi- sterait entre le poids du sang et celui de l'homme serait de 1 à 5 ou à peu près. Le cœur de l'homme adulte se contracte de soixante- dix à soixante-quinze fois par minute; le nombre des pulsations est assez variable suivant l'âge, le sexe, le tempérament, les idiosyncrasies des individus, l'espèce de l'animal et la pression de l'atmosphère. Ainsi on compte de cent trente à cent quarante pulsations dans le nouveau-né , vingt ou vingt-quatre chez les pois- sons , soixante dans la grenouille , cent à cent quarante chez les oiseaux. Parrot acompte sur lui-même cent dix pulsations à 4 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, au lieu de soixante-dix , nombre ordinaire quand il était à ce niveau ou très-peu au-dessus. Parlons maintenant de la vitesse du mouvement du sang. 11 faut diviser en deux catégories les recherches qui ont été faites à ce sujet : d'abord il est important de dé- terminer combien de temps le sang emploie à parcourir le système entier; ensuite on doit étudier avec quelle vi- tesse le sang parcourt les diverses parties de ce cercle , en un mot , savoir avec quelle rapidité il se meut dans les artères , les capillaires et les veines. Cesta Hering que 28 32G DIX-SEPTIÈME LEÇON. l'on doit quelques expériences sur la première catégorie de ces recherches. Une solution de prussiate de potasse est injectée dans la veine jugulaire d'un cheval, et, au même instant , on recueille le sang qui sort de la jugu- laire opposée ; il est reçu dans des vases numérotés que l'on change successivement et après des intervalles de temps égaux, en comptant avec un chronomètre le nombre de secondes écoulées depuis le commencement de l'expérience jusqu'au moment oii le sang se recueille dans le dernier vase. Dans une expérience que j'ai eu occasion de faire de concert avec le professeur Piria , et qui fut pratiquée sur un cheval , on recevait le sang d'une jugulaire au mo- ment où l'on injectait le prussiate dans l'autre, en chan- geant de récipient de cinq en cinq secondes. Nous avons trouvé que le sang qui s'était écoulé vingt ou vingt-cinq secondes après l'injection, contenait déjà des traces de prussiate de potasse. Ces nombres s'accordent avec ceux de Poiseuille et d'Hering. Poiseuille , en répétant ces expériences , a commencé par s'assurer que malgré l'introduction du prussiate de potasse , ni le nombre des pulsations , ni la force des con- tractions du cœur ne variaient. Ce physiologiste a trouvé, comme Hering, le prussiate vingt ou vingt-cinq secondes après son introduction. Je ne puis m' abstenir de vous citer quelques expé- riences de Poiseuille, faites dans le but d'étudier l'in- fluencé qu'exercent sur la vitesse de la circulation certaines substances mêlées au sang. Dans toutes il s'assurait que le nombre des pulsations et l'énergie des contractions du CIRCULATION DU SANG. 327 cœur n'avaient pas varié. Lorsqu'une solution d'acétate d'ammoniaque était injectée avec le prussiate , ce dernier paraissait au bout de dix-huit secondes. Le nitrate de po- tasse produisait un résultat analogue en portant à vingt se- condes cet intervalle de temps ; au contraire, en ajoutant un peu d'alcool au prussiate de potasse injecté dans une des jugulaires , celui-ci ne sortait par le vaisseau opposé qu'après quarante ou quarante-cinq secondes. L'influence de ces substances sur la rapidité de la circulation mérite une grande attention , car elle se rapporte à un fait entière- ment du domaine de la physique moléculaire. Poiseuille s'est assuré, dans un important travail sur l'écoulement des liquides tels que l'eau, le sérum, etc. , dans les tubes capillaires , que ces substances y agissaient absolument comme dans la circulation sanguine. C'est donc sur la vitesse avec laquelle le sang s'écoule à travers les vais- seaux capillaires que s'exerce l'action de l'alcool , du nitrate de potasse et de l'acétate d'ammoniaque. Cepen- dant qu'on ne croie pas que ce soit par une influence de ce genre qu'agissent beaucoup d'autres substances introduites dans le cours du sang ; un grand nombre d'entre elles exercent leur action sur la force nerveuse, et de là sur la contraction de la fibre musculaire du cœur : en effet , une petite quantité d'infusion de café injectée dans les veines d'un chien, suffit pour augmenter à l'in- stant la force de la contraction du cœur ; au contraire , une solution d'opium en diminue l'énergie. Le rapidité de la circulation , c'est-à-dire le temps employé par une molécule de sang partant du ventricule gauche pour arriver au ventricule droit , semble, au pre- 328 DfX-SEPTIÈMt: LEÇON. mier abord , avoir été déterminée avec une grande exac- titude par les expériences d'Hering que je vous ai rap- portées ; aussi les nombres trouvés par lui sont-ils gé- néralement adoptés. Cependant il me semble facile de prouver que sa méthode est sujette à plusieurs erreurs , et que ses résultats sont loin d'exprimer la durée de la circulation. Si, au lieu d'introduire dans une veine une solution liquide dont on doit ensuite rechercher la pré- sence dans le vaisseau opposé , après avoir laissé écouler un certain temps , on pouvait y faire passer un petit corps solide , d'une densité égale à celle du sang , qui chemi- nerait avec lui en traversant les vaisseaux capillaires et tout le système circulatoire, le temps écoulé depuis le moment de son introduction dans une jugulaire jusqu'à son apparition dans l'autre, serait précisément le temps que l'on cherche : mais réfléchissons que si une solution susceptible de se mêler avec une autre est versée dans un point quelconque de celle-ci, on ne tarde pas à la trouver dans la masse entière, même en supposant qu'elle soit bien plus considérable que celle de la première et sans aucun mouvement. Deux solutions capables de se mêler s'étendent, forment rapidement un mélange par suite des effets de l'action chimique, aidée par les pro- priétés physiques des liquides. Il n'est donc pas néces- saire, pour l'espèce de diffusion dont nous parlons, que le prussiate de potasse ait parcouru tout le cercle cir- culatoire. Mais, avant toutes ces considérations, il faut observer surtout qu'il est impossible d'introduire une solution liquide dans les veines sans l'y pousser avec une pompe et en déployant une force que nous verrons CIRCULATION DU SANG. 329 être considérable, puisqu'elle doit vaincre la pression exercée par le sang. En effet , le mélange de cette solu- tion avec la masse sanguine est favorisé en raison du degré de cette force. D'après ces objections , je ne peux pas regarder comme exacts les chiffres donnés pour indiquer le temps dans lequel s'accomplit la circulation entière, et cette méthode ne me semble nullement capable de fournir des résultats certains. D'ailleurs il existe un autre mode d'expérimentation que le célèbre Haies, le premier, appliqua à la recherche de la vitesse de la circulation : il est fondé sur un prin- cipe essentiellement exact; il consiste à déduire cette vitesse de la capacité des ventricules et du nombre de pulsations du cœur pendant un temps donné. Haies a mesuré la capacité du ventricule gauche du cœur du cheval et de plusieurs autres animaux , en en prenant l'empreinte au moyen de cire fondue qu'il y coulait. Il trouva qu'elle était de 10 pouces cubes an- glais pour le ventricule gauche du cœur d'un jeune che- val, et le poids de 1 pouce cube étant de 267 grains, il en résulte que le poids total du sang qui y est contenu est d'environ 6 onces. En admettant qu'à chaque pulsation le ventricule se vide entièrement, il y aurait 6 onces de sang chassées à chaque contrac- tion , et il en faudrait soixante-douze de celles-ci pour que les 36 livres que possède le cheval eussent ac- compli leur complète circulation. Ce résultat est bien différent de celui trouvé par les expériences d'Hering relatives à la rapidité de la circulation. En effet, si 330 DIX-SEPTIÈME LEÇON. le cœur du cheval ne fait que seize pulsations en vingt- cinq secondes, il ne pourrait sortir du ventricule, dans ce même intervalle de temps, plus de 8 livres de sang. Il serait difficile de se rendre compte d'une aussi grande différence dans les résultats, si l'on admettait comme vrais les chiffres trouvés par Hering. Nous citerons ici les nombres donnés par Haies pour l'homme , pour le temps que la circulation met à s'ac- complir ; en admettant soixante-quinze pulsations à la minute , 24 à 30 livres pour le poids de la masse to- tale du sang et 2 onces environ pour celui qui est expulsé du ventricule gauche à chaque contraction , il faudrait cent quatre-vingt-douze pulsations pour faire circuler la masse entière, c'est-à-dire deux minutes et demie environ. Il est juste, cependant, d'observer que l'on ne peut admettre que tout le sang du ventricule soit expulsé à chaque pulsation : par conséquent les chiffres donnés doi- vent toujours être considérés comme inférieurs aux vé- ritables. Il nous reste à parler de la vitesse du sang dans les différents vaisseaux du système circulatoire. En admet- tant que la section de l'orifice du ventricule gauche soit la même que celle de l'aorte , et que la somme des sec- tions des diverses ramifications , en lesquelles elle se di- vise , forme également le même nombre , la même quan- tité de sang passant partout dans le même intervalle de temps , la vitesse serait la même dans chaque vaisseau. Mais réellement il n'en est pas ainsi pour les sections des troncs artériels et veineux , et celles de leurs ramifi- CIRCULATION DU SANG. 331 cations. L'observation la plus simple démontre, au con- traire , que la somme des sections des petits vaisseaux est plus considérable que celle des troncs. Voici le cœur d'un bœuf, auquel on a coupé les troncs artériels et vei- neux : Torifice de l'aorte a environ 28 millimètres , un de ses troncs en a 20, et l'autre 16 : les veines caves ont un diamètre total de 76 millimètres. La loi bien connue de Castelli doit être appliquée pour avoir la vitesse du sang dans les divers points de son cours ; cette vitesse sera toujours en raison inverse des sections. Si nou5 pouvions apprécier exactement les rapports qui existent entre les sections des divers vaisseaux dans lesquels le sang circule , il serait facile de déterminer quelle serait la vitesse dans tous les vaisseaux , étant connus la quantité de sang qui est lancée par le ventricule gauche et le temps employé à l'expulser. Je me bornerai à vous montrer par un exemple com- ment on pourrait déterminer la vitesse avec laquelle le sang circule dans l'aorte; j'adopte les chiffres donnés par Haies. La quantité de sang expulsée du ventricule gauche du cœur d'un cheval est d'environ 10 pouces cubes, la section de l'aorte étant de 1,036 pouces car- rés, la fraction jj^^= 9,64 pouces , exprime la longueur du cylindre de sang qui pénètre dans l'aorte à chaque systole du cœur, et puisque le cœur du cheval fait trente- six pulsations par minute, c'est-à-dire deux mille cent soixante par heure , il en résulte que la colonne de sang lancée dans un vaisseau du calibre de l'aorte aurait, au bout d'une heure , la longueur de 1735 pieds ; admettant ensuite que la systole ne dure que le tier§ 332 DIX-SEPTIÈME LEÇON. de l'intervalle d'une pulsation à l'autre , la rapidité trouvée devrait être triplée, et en définitive elle serait de 86 pieds anglais par minute. Haies , qui a étudié les phénonriènes de la circulation avec tant de perspicacité et d'habileté , a essayé de dé- terminer par l'expérience la vitesse du sang dans les vaisseaux capillaires. A cet effet, il introduisait de l'eau tiède dans l'aorte descendante d'un chien; il l'y faisait pénétrer au moyen d'un long tube de verre poussé dans l'artère. La pression exercée parla colonne liquide était à peu près égale à celle que nous verrons que le sang éprouve dans ce vaisseau. On avait découvert et coupé un intestin et l'on voyait l'eau suinter goutte à goutte des capillaires. Haies variait l'expérience en pratiquant la section des vaisseaux, en se rapprochant toujours da- vantage de l'aorte, et, en même temps , il mesurait l'eau qui s'écoulait par les divers capillaires dont il connais- sait le diamètre, pendant un intervalle donné. La pres- sion de la colonne liquide était constamment tenue égale. Voici quelques-uns des nombres obtenus : 342 pouces cubes s'écoulaient par les vaisseaux capillaires en quatre cents secondes; par les artères mésentériques , cette même quantité sortait en cent quarante secondes, par les artères crurales en vingt secondes. Quoique ces chiffres soient bien éloignés d'exprimer la rapidité absolue du cours du sang dans les différents vaisseaux , ils suffisent cependant à prouver combien cette vitesse doit diminuer à mesure qu'on s'éloigne du cœur, et qu'on tpère dans des vaisseaux dont les sections sont de plus en plus pe- tites. Malgré la notable augmentation de la somme des CIRCULATION DU SANG. 333 sections des rameaux , par rapport à celle des troncs , il est certain que la vitesse de la circulation est ralentie , et rendue de beaucoup inférieure à celle qu'elle aurait eue également , si les sections partielles étaient réunies et formaient un seul vaisseau ; ce ralentissement est oc- casionné par le frottement exercé par le fluide contre les parois vasculaires , par les grands replis , les nombreuses courbures , la résistance de la colonne liquide qui est mise en mouvement. C'est même à cause du grand nom- bre d'anastomoses qui existent entre les derniers troncs artériels et les extrémités capillaires artérielles et vei- neuses , remarquables surtout dans le poumon , que la vi- tesse du sang éprouve moins de ralentissement. De cette façon , les longueurs de ces petits tubes sont raccourcies le plus possible, et précisément en raison de l'augmenta- tion de section présentée par la somme des ramifications sur les sections du tronc d'où elles prennent origine. Une belle observation de physiologie expérimentale consiste à étudier au microscope la circulation capillaire des poumons de la salamandre, ou celle du mésentère et de la patte de la grenouille. On aperçoit là les glo- bules du sang se mouvoir avec plus ou moins de rapidité dans l'intérieur des petits vaisseaux ; cette vitesse varie suivant que leur section est plus ou moins grande. Je dois vous parler maintenant de la pression que sup- porte le sang dans les vaisseaux où il circule. La recherche de cette pression a occupé les physiologistes de tous les temps , et ils ont suivi dans leurs essais des voies très- différentes. C'est aussi ce qui est arrivé relativement àia recherche de la force avec laquelle se contracte le ven- 33/1 DIX-SEPTIÈME LEÇON. tricule gauche. Borelli , Bernouilli, Keil, ont trouvé des chiffres extrêmement différents les uns des autres. Ainsi , Borelh estime la force du cœur équivalente à celle qui serait nécessaire pour supporter 180 000 livres ; Keil , au contraire , calcule qu'elle est de 5 onces. Haies est encore le premier qui ait fait des expériences exactes pour mesurer la pression du sang dans les artères ; mais c'est à Poiseuille que nous devons le travail le plus complet sur ce sujet. Je me bornerai à vous en exposer les principales conclusions. L'hémo - dynamomètre de Poi- ^ ^ jj seuille consiste en une espèce de manomètre en verre, dont la bran- che courte et horizontale est mise dans un tube de laiton que l'on in- troduit ensuite dans le vaisseau ar- tériel de l'animal vivant. Afin d'em- pêcher la coagulation du sang, qui obstruerait la portion du tube située entre l'artère et la colonne de mer- cure , Poiseuille remplit d'abord celle-ci avec une solution de carbo- nate de soude. On voit alors la co- lonne de mercure être soulevée et se fixer à une hauteur toujours con- stante, dans la branche longue et ver- ticale, pendant toute la durée de l'ex- CIRCULATION DU SANG. 33.''> périençe. La différence de niveau entre les deux colonnes de mercure mesure encore la pression exercée par le sang contre] a section correspondante de la paroi du vaisseau dan s lequel le tube de l'appareil est introduit. Poiseuille a tenté un grand nombre d'expériences sur les artères de divers animaux et surplusieurs artères dumême animal. Le fait le plus important qu'il ait démontré est celui-ci : la pression du sang dans les artères est la même , quels que soient le point du système artériel , le diamètre du vaisseau, son éloigne- ment du cœur et la position occupée par la ramification sur laquelle on expérimente, par rapport au tronc dont elle part. Ainsi, Poiseuille trouve que lapression qu'on a, en appliquant l'hémo-dynamomètre sur la carotide d'un chien, à une distance de 180 millimètres du cœur, est la_ même que celle de l'aorte à 370 millimètres ; le diamètre de l'aorte était de 9 millimètres, et celui de la carotide de 4 millimètres. Dans les deux cas, la pression était me- surée par une colonne de mercure de 84 millimètres. Cette expérience , pratiquée sur un cheval , a donné le même résultat en opérant sur deux artères dont le dia- mètre de l'une était cinq fois plus grand que celui de l'autre ; pour toutes deux , la pression exercée était mesu- rée par une colonne de mercure de 146 millimètres de hauteur. Il est curieux de remarquer que lapression que supporte le sang, dans plusieurs animaux, n'est nulle- ment en rapport avec leur poids. Du reste, ce résultat, qu'il est bon d'avoir démontré par l'expérience, ne doit pas étonner, si l'on réfléchit qu'il est une conséquence nécessaire du principe d'égalité de pression : le choc donné par la colonne de sang ex- 336 DIX-SEPTIÈME LEÇON. puisée du ventricule gauche , contre celui qui est contenu dans l'aorte , se propage à l'instant également dans toute la masse du sang qui remplit les gros et les petits vais- seaux artériels. C'est ce choc , qui a lieu au moment oii le ventricule pousse du sang dans une artère et dans toutes ses bran- ches, qui produit le phénomène bien connu du pouls, que nous savons être isochrone avec la contraction du ven- tricule. En prenant les nombres donnés par les expériences de Poiseuille , on a donc la pression supportée par les pa- rois du cœur et des artères : toujours cette pression est égale au poids d'une colonne de mercure qui aurait pour base l'aire de l'artère ou la superficie du ventricule , et pour hauteur celle trouvée au moyen de l'hémo-dynamo- mètre. C'est au moyen de ces données que Poiseuille a pu apprécier qu'au moment de la contraction du cœur le sang pénétrait dans l'aorte d'un homme de vingt-neuf ans *, en exerçant contre la colonne liquide qui la remplit , en supposant celle-ci en repos, une pression mesurée par 1'', 971 779. Dans l'artère radiale, cette pression ne se- rait plus que de 15s'",35. En connaissant exactement la surface interne du ventricule gauche au moment de la contraction, on pourrait facilement calculer la pression exercée sur ces parois dans ce moment. Parmi les résultats les plus importants obtenus par les ' On admet que la colonne de mercure soulevée dans l'hémo-dynamo- mètre appliqué à l'homme serait de 160 millimètres , et le diamètre de l'aorte de 34 millimètres. ï CIRCULATION DU SANG. 337 expériences de Poiseuille , je veux vous citer encore ce- lui qui démontre combien sont constantes les variations trouvées dans la hauteur de la colonne de mercure de l'hémo-dynamomètre, pendant les mouvements respira- toires : cette hauteur est constamment plus considérable pendant l'expiration que pendant l'inspiration ; on remar- que cette différence aussi bien dans les grands que dans les petits vaisseaux artériels ; mais elle est plus ou moins considérable suivant les divers animaux. Il est juste aussi de vous faire noter que la hauteur de la colonne de l'hémo-dynamomètre varie encore suivant la position dans laquelle se trouve l'animal. J'ai con- stamment remarqué que , cet instrument étant introduit dans la carotide , la colonne de mercure montait de plu- sieurs millimètres lorsqu'on soulevait l'animal par sa partie postérieure , et qu'elle baissait, au contraire, en pratiquant la manœuvre opposée. La cause de cette dif- férence est évidente. De même qu'il faut supposer que dans toutes les expériences de Poiseuille où il a com- paré la pression du sang dans les différents vaisseaux , il a dû agir en tenant l'animal toujours dans la même posi- tion. Je ne puis passer sous silence le fait de la dilatation des tubes artériels à chaque ondée du sang qui y arrive. C'est aussi à Poiseuille que Ton doit l'expérience qui a mis hors de doute l'existence de ce phénomène que nous verrons avoir une si grande influence sur la circula- tion : un certain espace du trajet de l'artère carotide d'un cheval vivant est mis a découvert et renfermé dans un tube métallique que l'on remplit d'eau. Ce tube a une ou- 29 338 DIX- SEPTIÈME LEÇON. verture que l'on ferme avec un bouchon de liège dans le centre duquel est fixé un tube de verre d'un petit dia- mètre. A chaque contraction du ventricule gauche, la colonne liquide s'élève dans le tube pour s'abaisser en- suite quand elle cesse; ainsi donc, à la dilatation de l'ar- tère, occasionnée par l'impulsion de là colonne de sang, succède le retour des parois artérielles sur elles-mêmes , en vertu de leur élasticité. Poiseuille a tenté de mesurer cette force d'élasticité déployée par les parois des artè- res ; sans admettre avec lui le résultat auquel il serait arrivé , c'est-à-dire que la force de la contraction de la paroi de l'artère surpasse celle de la force qui Fa dilatée, il n'en est pas moins certain que, lorsque la contraction du ventricule cesse , ainsi que la force principale qui a mis le sang en mouvement, l'élasticité des parois arté- lielles , qui reviennent sur elles-mêmes , pousse encore le sang, et vient s'ajouter ainsi à la force du coeur. Enfin, je dois vous dire quelques mots des recherches que ce physiologiste, que nous avons déjà cité si souvent, a faites sur le mouvement du sang dans les capillaires. Poiseuille a vu, dans un grand nombre d'expériences, le mouvement du sang cesser dans ces vaisseaux lorsqu'on enlevait ou qu'on liait le cœur, et que ce mouvement per- sistait seulement pour quelques instants , à cause de la diminution de volume et de l'espèce de contraction que les parois élastiques des vaisseaux éprouvent quand le sang cesse d'être poussé par le cœur. A l'aide du micro- scope, on voit une couche immobile de sérum adhérente aux parois des vaisseaux , et le liquide sanguin se mou- voir ainsi dans ce tube formé par sa substance même. CIRCULATION DU SA.NG. 339 Poiseuille a étudié l'écoulement d'un même liquide , soit dans un tube capillaire en verre , soit dans un vaisseau sanguin capillaire d'un animal vivant ou mort, et il a trouvé que cet écoulement se faisait toujours suivant les mêmes lois. Ce fait démontre assurément que dans ces divers cas le liquide circule en réalité dans un tube qui est formé tou- jours de la même matière, c'est-à-dire d'une couche li- quide adhérente et immobile , et qui est la même que le liquide qui s'écoule, quelle que soit la matière du tube. Il est curieux d'observer que la circulation capillaire con- tinue d'avoir lieu sans être influencée en aucune ma- nière , qu'elle s'effectue dans le vide , ou sous une pres- sion de huit ou dix atmosphères. Après vous avoir exposé, avec toute l'extension que me l'ont permis les bornes de ce cours, les expériences les plus précises et les plus concluantes sur les diverses questions qui se rapportent à la circulation sanguine , nous avons suffisamment réuni tous les éléments néces- saires pour nous rendre compte du mécanisme de cette fonction. Je regarde comme inutile d'insister davantage pour vous démontrer par l'expérience que la contraction du cœur et l'élasticité des parois vasculaires, et spéciale- ment des artères, sont les principales puissances de la circulation : il suffit de lier une artère sur un animal vi- vant pour voir bientôt l'artère se vider presque complè- tement de sang , et la circulation n'y continuer que pen- dant un court espace de temps. Le contraire a lieu pour la ligature d'une veine : bientôt le sang s'y accumule , et la veine se tuméfie au-dessous de la ligature. Je me borne- 360 DIX-SEPTIÈME LEÇON. rai à vous citer ime seule expérience de Magendie. L'ar- tère et la veine crurales d'un chien sont mises à découvert, et une ligature est pratiquée à la veine : si l'on fait une incision au-dessous de cette ligature, un jet de sang s'en échappe, et si l'artère est pressée entre les doigts, afin d'em- pêcher le passage du sang artériel, le jet de sang veineux commence par diminuer, et l'écoulement finit par s'arrêter complètement. Si l'on cesse de comprimer l'artère, le jet reparaît , et ces alternatives peuvent être reproduites plusieurs fois. La conséquence à tirer de ce fait est évi- dente : le sang traverse les capillaires , circule dans les veines par les seules forces qui l'ont poussé dans les ar- tères, c'est-à-dire par la contraction du ventricule gauche et celle des parois artérielles , qui sont ainsi les puis- sances principales, les seules de la circulation. En effet, l'influence que peut exercer sur cette fonction la pression atmosphérique est très-bornée. Déjà je vous ai dit qu'à chaque expiration la colonne de mercure de l'hémo-dynamomètre appliquée à l'artère s'élevait, et que le contraire avait lieu à chaque inspiration . Poiseuille a trouvé que le même phénomène se produisait , et dans les mêmes circonstances , dans les gros troncs veineux ; ainsi, dans les jugulaires on voit la colonne de mercure s'élever pendant l'expiration , et s'abaisser, au contraire, pendant l'inspiration. Cependant ces phénomènes cessent de se produire quand on opère sur des troncs veineux éloignés de la cavité thoracique. On comprend aisément que lorsque celle-ci se dilate , la pression de l'atmosphère doit comprimer les veines, et, parla, avec l'aide des valvules disposées dans ces vaisseaux de manière à em- CIRCULATION DU SANG. 3Zll pêcher le retour sur lui-même du liquide , concourir à faire mouvoir le sang vers le cœur. Au contraire , dans l'expiration , lorsque la cavité thoracique se resserre , tous les vaisseaux qui y sont contenus sont comprimés à la fois. L'expérience a démontré , en effet , que les varia- tions de la pression du sang , dans les artères et dans les veines , correspondaient aux mouvements respiratoires , cessant de se manifester dans les troncs sanguins situés hors de cette cavité. La contraction musculaire du cœur et celle des parois artérielles sont donc les principales puissances motrices de la circulation sanguine. La combinaison de ces deux forces , dans le mécanisme de cette fonction , est si par- faite, que le mouvement à jet intermittent, dû aux con- tractions alternatives du cœur , est transformé en un mou- vement continu par la force d'élasticité dont sont douées les parois artérielles ; par cette force les artères , d'abord dilatées , reviennent après sur elles-mêmes , et , par con- séquent , poussent en avant le sang au moment où vient à cesser la contraction qui l'a lancé dans les artères , et qui est la cause même de la dilatation de celles-ci. Figurons -nous donc un système circulaire et formé de tubes de différents diamètres à parois élastiques ; les deux extrémités , ou ouvertures de ce système de tubes , dé- bouchent dans deux cavités séparées l'une de l'autre , et dont les parois peuvent se rapprocher et s'éloigner l'une de l'autre, comme celles d'un soufflet; qu'on remplisse ce tube d'un liquide , lorsqu'une de ces cavités est rapi- dement fermée par l'abaissement de sa paroi mobile le liquide qu'elle contient est poussé dans le tube et vient 342 DIX-SEPTIÈME LEÇON. pousser ainsi la colonne liquide, qui s'avance d'un mouve- ment qui devient bientôt uniforme et qui est rapidement communiqué àtoute la masse ; dans le même temps, l'autre partie du soufflet s'ouvre; le liquide, qui remplissait le tube dans l'extrémité opposée , s'avance aussi et se préci- pite aisément dans la cavité dilatée. Si les parois du tube n'étaient pas élastiques, les mouvements seraient intermit- tents et cesseraient dès que le soufflet ne seraitplus ouvert; mais ils deviennent continus , parce que ces parois sont douées de cette propriété qui commence à s'exercer préci- sément au moment oiile soufflet se ferme , et dont l'action dure pendant tout le temps que celui-ci reste en repos. La fonction que j'ai décrite en imaginant d'agir avec un souf- flet est celle qui est exercée par le cœur. Les parois du ventricule gauche se rapprochent l'une de l'autre, se res- serrent avec une grande rapidité , qui pourrait même être déterminée si l'on connaissait exactement la durée de la contraction et la quantité du sang expulsé. La capacité du ventricule est ainsi diminuée, et une certaine quantité de sang est poussée dans l'aorte et va imprimer un mou- vement à celui qui remplit tout le système. Dans ce mo- ment les artères se dilatent, le ventricule droit s'ouvre, et le sang s'y précipite. La contraction du ventricule gauche cessant , les artères reviennent sur elles-mêmes et poussent de nouveau le sang en avant. Nous avons passé sous silence tout ce qui a rapport à la circulation pulmonaire , cette circulation se faisant par les mêmes causes et avec les mêmes lois que dans le reste du corps. Il eU certain que , par la disposition des diverses par- CIRCULATION DU SANG. 3^3 ties du système sanguin , se trouve résolu , par un méca- nisme très-simple , et conformément aux lois physiques du mouvement des fluides , un problème d'hydraulique assez compliqué : à savoir, celui de la distribution con- tinue d'un même liquide dans un système de tubes ayant des diamètres différents dans les différentes parties du corps , avec des vitesses très-variables par conséquent , et toujours en rapport avec les fonctions de ces parties, et tout cela par la seule impulsion alternative donnée à ce fluide par la brusque contraction d'une espèce de sac fai- sant partie du tube même. DIX-HUITIEME LEÇON. APPAREIL VOCAL. — VOIX. C'est immédiatement après les leçons sur la force ner- veuse et la contraction musculaire que je dois vous en- tretenir de la production du son chez les animaux. Il est vrai que c'est un mouvement vibratoire qui , dans ce cas comme toujours, est la cause du son; mais il est égale- ment certain que dans l'organe vocal la contraction des muscles et des parties qui en dépendent sont la cause de ce mouvement vibratoire , et que, par conséquent, c'est d'elles que la voix prend origine. Pour pouvoir vous développer, avec une étendue suf- fisante , la théorie de l'organe vocal de l'homme et des animaux, je dois ne pas passer entièrement sous silence la description de ses parties constituantes. Il est facile de démontrer, par l'expérience , quelle est la position oc- cupée par cet appareil. Une observation très-simple nous apprend à tous que la voix est produite lorsque l'air con- tenu dans les poumons en est chassé au dehors; et chacun sait qu'il est impossible d'articuler des sons en fermant la bouche et le nez. Il est donc évident que l'organe vocal réside dans une certaine portion du tube qui part des bronches et aboutit dans la bouche. Pour déterminer plus exactement sa position, il suffit d'observer que si une ouverture accidentelle existe à la trachée d'un homme, ou si l'on en pratique volontairement une au-dessous de APPAREIL YOCAL. ZU5 l'organe nommé larynx, il devient impossible de faire entendre des sons, et l'on y parvient, au contraire, im- médiatement si l'on bouche cette ouverture anormale; Mais si celle-ci est pratiquée au-dessus du larynx , la voix persiste comme avant. Chez les oiseaux cet appareil est situé à la bifurcation de la trachée, c'est-à-dire qu'il oc- cupe une place bien moins élevée que dans les mammifè- res : aussi , en coupant la tête à un oiseau , on peut encore parvenir à obtenir des sons par la compression du thorax. Nous décrirons l'organe vocal de l'homme comme * Fig. 1. Larynx de l'homme vu de profil : — h os hyoïde; — l corps de l'os hyoïde qui donne attache à la base de la langue ; — f cartilage thyroïde ; — a saillie formée en avant par le cartilage thy- roïde , et connue sous le nom vulgaire de pomme d'Adam : le cartilage thyroïde est uni à l'os hyoïde par une membrane ; — c cartilage cri- coïde ; — tr trachée-artère ; — o paroi postérieure du larynx en rapport avec l'œsophage. Fig. 2. Coupe verticale du larynx : — /i os hyoïde ; — t cartilage thyroïde ; — c cartilage cricoïde ; — ar cartilage aryténoïde ; — v ven- tricule de la glotte , formé par l'espace que laissent entre eux les cordes vocales et les ligaments supérieurs de la glotte ; — e epiglotte — tr trachée. Fig. 3. Larynx vu de face : le contour de la paroi intérieure est indiqué par les lignes a, a, h, b. — li ligaments inférieurs de la glotte 3/l6 DIX-HUITIÈME LEÇON. étant le plus compliqué et le plus parfait. La trachée est une espèce de tube formé d'anneaux cartilagineux, sé- parés les uns des autres par d'autres anneaux membra- neux et flexibles. L'extrémité inférieure de ce conduit se divise en deux branches qui se ramifient ensuite dans le parenchyme du poumon , à la façon des branches d'un arbre. La partie supérieure de ce tube qui débouche dans la cavité buccale est terminée par le larynx , qui est le véritable organe de la voix. On peut le considérer comme la continuation de la trachée, avec cette différence, ce- pendant , que la portion de tube qui le compose est plus large et est attachée à l'os hyoïde; il est composé de quatre cartilages , ce sont : le cricoïde , le thyroïde et les deux aryténoides. Ils sont de formes très-diverses , s'ar- ticulent les uns aux autres, et sont réunis à l'anneau su- périeur de la trachée. Plusieurs muscles s'y attachent, et par leur contraction font mouvoir le larynx entier, ou quelques-uns des cartilages qui le composent. La mem- brane muqueuse qui tapisse l'intérieur du larynx forme , vers son milieu , deux grands replis latéraux dirigés trans- versalement à l'organe , et qui ont tout l'aspect d'une boutonnière : ces replis sont nommés cordes vocales ou ligaments inférieurs de la glotte. Au-dessus de ces cordes vocales on trouve deux autres replis analogues aux pré- cédents, et que l'on appelle ligaments supérieurs de la glotte. Les cavités formées par suite de cette disposition , et qui existent entre les ligaments supérieurs et mférieurs , ont reçu le nom de ventricules du larynx. L'espèce de ou cordes vocales; — h ligaments supérieurs. Les autres parties sont indiquées par les mêmes lettres que dans les figures précédentes. APPAREIL VOCAL. 3^7 fente dirigée d'arrière en avant, et comprise entre les deux cordes vocales se nomme glotte. Enfin, au-dessus de cette fente on remarque une espèce de languette fibro-cartilagineuse , fixée par sa base au-dessous de la racine de la langue , et qui peut s'abaisser sur la glotte , iàinsi que cela arrive dans la déglutition , oli se redresser obliquement comme elle le fait dans l'expiration; c'est Vèpiglotte. Les dimensions de la glotte sont de 25 à 30 millimètres en longueur ; la distance qui sépare ses deux lèvres, qui est extrêmement petite en avant, est de 7 oli 8 millimètres en arrière ; ces lèvres sont d'ailleurs sus- ceptibles de se rapprocher au point de se toucher. La profondeur des ventricules est de 25 à 30 millimètres , et leur hauteur la plus considérable possible de 15 milli- mètres. Les parois supérieures des ventricules sont telle- ment voisines, qu'elles forment en quelque sorte une seconde glotte qtii se trouve à 15 ou 18 millimètres au- dessus de la première. L'air expulsé du poumon sans aiicun effort extraor- dinaire traverse aisément le larynx sans qu'il y ait pro- duction de son. Depuis Galien on connaît une expérience qui démontre que , pour articuler un son , il est indispen- sable de contracter les muscles du larynx : elle consiste a blesser les nerfs laryngés ou à en opérer la section com- plète des deux côtés de la trachée ; dans ce cas , la para- lysie du larynx est complète , et la faculté de former des sons est tout à fait abolie. On parvient , au moyen d'une autre expérience , à préciser mieux encore quelle est la partie de l'organe la plus essentielle à la production de la voix : en enlevant les ligaments supérieurs de la glotte , elle persiste, quoique plus faible; mais si l'on coupe ou 3Zi8 DlX-HUlTlÈME LEÇON. l'on blesse les ligaments inférieurs , c'est-à-dire les cordes vocales , la voix est complètement détruite. Millier assure qu'il est facile d'obtenir des sons avec le larynx d'un ca- davre humain en soufflant par la trachée , pourvu que les ligaments inférieurs de la glotte soient tendus , et que la glotte elle-même soit rétrécie de cette manière. D'après ce savant physiologiste, l'expérience réussirait encore, même si l'on avait enlevé toutes les parties situées au- dessus de la glotte, telles que l'épiglotte, les ligaments su- périeurs et les ventricules; le son se produit toujours, pourvu que les cordes vocales restent, et que la fente entre elles en soit étroite. Je dois ajouter que Magendie assure qu'ayant mis sur des animaux vivants la glotte à découvert , il voyait vibrer les cordes vocales quand ils poussaient des cris. Je tiens à vous montrer une expérience de Longet, qui vous prouvera avec toute l'évidence le rôle des cordes vocales dans la production de la voix. Voici un lapin sur lequel le larynx est à découvert, et l'animal pousse des cris aigus lorsqu'on le pince dans un point quel- conque de son corps. Vous voyez dans le même temps les muscles crico-thyroïdiens se contracter. La contraction de ces muscles fait tendre les cordes vocales et les rapproche. Après avoir coupé les nerfs qui vont à ces muscles , leur contraction ne peut plus se produire, si l'on pince l'ani- mal il ne crie plus, et on n'entend que quelques sons très- graves et enroués. Nous pouvons donc conclure qu'il est bien évident que l'organe de la voix est constitué par la glotte , que la trachée est comme le tube de la soufflerie d'un orgue, et que la portion supérieure du larynx et tou- tes les parties situées au-dessus de l'épiglotte , y compris les cavités de la bouche et du nez, forment le tuyau su- APPAREIL VOCAL. 3^9 périeur de cet instrument, qu'elles ne servent qu'à mo- difier le son, ainsi qu'il est facile de s'en assurer en fai- sant varier cette cavité d'une façon quelconque. Les cordes vocales sont formées de ce tissu élastique , si remarquable par sa couleur jaune, par la disposition de ses fibres , et parce qu'il forme la tunique moyenne des artères et un grand nombre de ligaments. C'est cer- tainement le plus élastique de tous ceux que possède le corps humain. Les mouvements des pièces cartilagi- neuses du larynx font varier le degré de tension des cordes vocales , ainsi que le diamètre transversal et oblique de la glotte. En général, celle-ci se resserre lorsqu'on émet des sons. Les cordes vocales, soit comme cordes, soit comme membranes tendues , attachées d'un seul côté , peuvent rendre des sons quand une colonne d'air vient les ébranler; et ces sons doivent varier nécessairement, suivant l'état de tension , la longueur de ces cordes et la force du courant d'air. Un courant d'air traversant avec une certaine rapidité un orifice dont le diamètre est va- riable peut aussi, indépendamment de l'élasticité des lèvres de l'orifice , rendre des sons différents , ainsi qu'on en obtient dans les instruments dits à vent. Le tuyau monté au-dessus de la glotte et composé des ventricules, du pharynx et de la bouche, peut changer l'intensité et même le ton du son qui a pris naissance dans la glotte. Enfin , on peut considérer le larynx comme une cavité cylindrique ayant deux orifices au centre de ses bases. En admettant qu'un courant d-air traverse avec une ra- pidité différente cette cavité , que les diamètres de ces orifices soient variables , et que les lèvres de ses orifices 30 350 DIX-HUITIÈME LEÇON. douées d'une tension variable soient élastiques , on concevra facilement la production de sons très -nom- breux avec cet appareil. Ces considérations nous expliquent pourquoi l'organe de la voix humaine et des animaux a été comparé tantôt à un instrument à cordes , tantôt à un instrument à vent , tantôt à un instrument à anche , et enfin , com- ment il a pu être regardé par Savart comme analogue aux ajjpeaux d'oiseaux. Je dois passer sous silence l'examen long et minutieux que je pourrais faire des raisons don- nées par les différents auteurs pour soutenir leur manière d'envisager l'organe de la voix. Et j'agis ainsi d'autant plus volontiers, que je pense que nous trouverons à la fin de cette leçon, que ces théories de la voix ne sont pas aussi opposées les unes aux autres que l'ont pensé leurs auteurs. Laissons-nous, comme à l'ordinaire, guider par l'ex- périence : toutes les parties du larynx peuvent être enlevées sans détruire la voix, pourvu que les cordes vocales aient été respectées ; ces dernières sont donc l'élément indispensable de l'appareil; et si nous consi- dérons qu'elles peuvent subir un degré de tension plus ou moins considérable, en faisant varier l'ouverture que leurs bords laissent entre elles , nous ne pouvons nous refuser à considérer cette partie essentielle de l'organe vocal comme un instrument à anche membraneuse d'une construction particulière. Le reste du larynx , ainsi que la cavité supérieure tout entière de la bouche, forme le tuyau monté sur l'instrument à anche ; la partie inférieure de la trachée constitue le tube ordinaire qui vient de la souf- flerie. Nous devons à Weber, et surtout à Millier, les APPAREIL VOCAL. 351 observations les plus propres à démontrer l'exactitude de cette manière de considérer l'organe de la voix chez l'homme. J'essayerai de vous donner, le plus brièvement possible, une analyse de ces travaux. Permettez -moi auparavant de vous exposer quelques faits généraux sur les sons produits par les anches. Lorsqu'une lame métal- lique rectangulaire est fixée par une extrémité sur les bords d'une ouverture presque égale en étendue à celle de la lame , on a alors un instrument à anche, pourvu que la pièce qui a une forme cylindrique ou une autre quelconque, et sur laquelle est pratiquée l'ouverture, ferme l'orifice d'un tube dans lequel on pousse un courant d'air. U harmonica à bouche est le plus simple des instru- ments de ce genre. On produit encore un son quand on pousse un courant d'air, au moyen d'un tube, contre une languette métallique fixée d'une manière quelconque et sans être montée sur la fente. Quelques expériences sembleraient démontrer que les sons rendus de cette manière par les languettes sont indépendants de l'in- tensité du courant d'air qui vient les ébranler, et de la nature du gaz qui constitue ce courant; l'intensité seule du son paraît varier dans ces circonstances. Quelques expériences paraissent aussi avoir prouvé que pour faire varier l'acuité et la gravité d'un son, il suffit de changer l'épaisseur des languettes. On s'explique les sons rendus par la languette métallique de deux manières diverses : on peut dire que celle-ci vibre comme une verge éla- stique , et que ses vibrations sont la cause du son ; ou bien que les oscillations qu'éprouve la languette , dé- rangée de sa position d'équilibre, quand elle est chassée 352 ' DIX-HUITIÈME LEÇON. par le courant d'air au dehors de la fente , et ensuite ramenée en vertu de son élasticité , agissent comme les chocs donnés à l'air dans la sirène ou dans la machine de Savart. Nous devons cependant faire observer que les sons fournis par la languette que l'on fait vibrer en la déplaçant et puis en l'abandonnant à elle-même, ne sont jamais ni aussi forts ni aussi distincts que ceux qu'elle rend sous le choc du courant d'air; par consé- quent , la seconde manière de considérer le son de la languette paraîtrait plus probable que la première. Il est aussi vrai, qu'on peut répondre à cette idée, qu'en choquant ou en pinçant la languette on ne fait que lui donner un ébranlement, et qu'il n'est pas d'assez longue durée pour produire un mouvement vibratoire uniforme et durable. D'ailleurs , je ne vois pas pourquoi on se refuserait à admettre que ces deux causes du son , dont il est question en ce moment, peuvent exister si- multanément , la languette se mettant facilement , par ses vibrations transversales , à l'unisson du son produit par les ébranlements excités dans l'air. Lorsqu'un tuyau sonore est adapté sur l'anche, on a un instrument à anche tel qu'on l'entend généralement, et les sons obtenus avec lui sont bien différents , tant pour le ton que pour l'intensité , de ceux fournis par la lan- guette seule. Le son produit n'est plus ni celui que don- nerait l'anche seule, ni celui du tube seul; tous deux se modifient, s'accordent ensemble. Je dois ici vous expo- ser les résultats obtenus par Weber sur ce sujet. L'ac- tion du tuyau à anche peut rendre le son de celle-ci plus grave , mais jamais plus aigu , et cet abaissement de ton APPAREIL VOCAL. 353 ne dépasse en aucun cas une octave. En allongeant le tuyau, le son revient au son fondamental primitif de l'an- che; en continuant d'allonger le tuyau, il recommence à s'abaisser; mais, pour cela, il faut qu'il soit moins long que la première fois. La longueur que doit nécessaire- ment avoir le tuyau pour pouvoir obtenir un abaisse- ment déterminé dépend constamment du rapport qui existe entre le nombre des vibrations que font séparé- ment l'anche et le tube ; ainsi le son baisse peu à peu , à mesure que le tuyau s'allonge jusqu'à ce que la colonne d'air soit parvenue à une longueur telle qu'elle rende seule le son fondamental que l'anche donnerait d'elle- même. En allongeant encore le tuyau, le son s'abaisse d'une quarte environ , jusqu'à ce que sa longueur soit double de celle de la colonne d'air qui donnerait le son même de l'anche. A ce point, il remonte et redevient le son fondamental de celle-ci. Occupons-nous enfin des sons des anches formées de membranes et surtout de celles qui , par leur forme , ont une grande analogie avec la glotte , et qui consistent en une lame de caoutchouc ayant une ouverture dans son milieu, fixée aux bords d'un tuyau dans lequel l'air est poussé. C'est au moyen d'appareils de ce genre qu'on a cherché à construire un larynx artificiel. Bornons-nous à déterminer les différences qui existent entre les anches membraneuses et métalliques. Les anches membraneuses rendent des sons qui peuvent être fortement modifiés , en variant leur tension. En comprimant la membrane, le son devient plus aigu. La principale différence dans ces deux cas consiste en ce que celles qui sont membraneuses 35^ DIX-HUITIÈME LEÇON. rendent des sons plus aigus à mesure qu'on souffle plus fortement dans le tuyau , tandis que l'inverse se produit avec celles qui sont métalliques. Millier a cherché à éta- blir l'influence du porte-vent et du corps de tuyau ajusté sur les anches membraneuses. Mais il faut avouer, avec l'auteur lui-même , que ce sujet est loin d'avoir été com- plètement étudié. Les modifications produites dans les sons des anches par l'ajustement d'un tuj^au ou d'un porte-vent sont considérables. Les expériences démon- trent que, suivant les longueurs qu'on leur donne, il en résulte tantôt l'élévation , tantôt l'abaissement du son. Je veux vous citer une des nombreuses expériences de Mill- ier : avec un tuyau de 6 pouces , le son fondamental rk 4 devenait mi-dièse 4 avec un corps de tuyau de 4 pouces ; un tuyau de 4 pouces ^ le ramenait à rè-dièse 4 ; avec un tuyau de 8 pouces | , il retombait à ut-dièse 4 , et il remontait à ré 4 avec un tuyau de 27 pouces. Les appareils à anches membraneuses constituent le plus grand nombre des instruments à vent , et l'on doit compter parmi ceux-ci les trompettes et les cors. En ef- fet , un artiste exercé embrasse trois octaves en variant seulement la tension de ses lèvres , sans modifier la lon- gueur de la colonne d'air. Je crois que les notions toutes préliminaires que je vous ai exposées relativement aux anches membraneuses suffiront pour vous donner une théorie suffisamment claire de la production de la voix chez l'homme. Cet or- gane est essentiellement un appareil à anche , formé par deux lèvres membraneuses. L'expérience de MûUer que je vais vous citer rend cette conclusion évidente : il fixe le VOIX. 355 larynx d'un cadavre humain sur une planchette , après avoir enlevé toutes les parties placées au-dessus des liga- ments inférieurs ; puis il attache , au moyen d'un cro- chet, un cordon à l'angle du cartilage thyroïde, immé- diatement au-dessus des cordes vocales. Le cordon passe sur une poulie, et il est attaché à un plateau de balance qu'on peut charger de poids. Avec des poids différents . on tire le cartilage et les cordes vocales se tendent; enfin, on ajoute un tuyau en bois dans la trachée pour pouvoir y souffler. Voici les principaux faits observés par Millier avec cet appareil : 1" Lorsque la glotte est suffisamment étroite et les li- gaments inférieurs tendus , on a des sons pleins et purs , analogues à ceux de la voix humaine. On peut préparer cet appareil de Millier , soit avec des rubans de tunique moyenne d'artères, soit de caoutchouc, et les résultats sont les mêmes. 2** En changeant la tension des cordes vocales , les sons du larynx , ainsi préparé , vont croissant avec la tension , en embrassant une étendue d'environ deux octaves ; si la tension est très-considérable , les sons produits devien- nent désagréables et sifflants. 3° Les sons produits quand les cordes vocales sont peu tendues diffèrent par leur intensité , mais non par le ton , suivant que la glotte est plus ou moins rétrécie ; quand les cordes vocales se touchent , le son est le plus fort et le plus plein possible; 4" .A tension égale des cordes vocales , la force du courant d'air croissant, le son s'élève d'une quinte et mêrne davantage. 35Ô DIX-HUITIÈME LEÇON. 5° Les parties du larynx et tout le reste du tuyau situés au-dessus des cordes vocales , semblent agir dans l'appareil de la voix humaine, comme les tuyaux ajustés sur les anches ; et nous devons remarquer dans cet en- semble cette possibilité de compensation qui est toujours recherchée dans les instruments de musique, et au moyen de laquelle les sons restent les mêmes malgré de grandes différences dans l'intensité de la cause du son. Weber a découvert le moyen de construire un tuyau à anche compensée , de manière que le son a toujours la même pureté pour le piano que pour le forte , malgré de grands changements dans la force du souffle. La co- lonne d'air du tuyau à anche élève le son qu'elle produit lorsque le courant d'air augmente, et la languette abaisse le sien . On conçoit par là la possibilité de compenser ces effetsau moyen d'une certaine longueur de la colonned'air. Quant à là. force de la voix , il est évident qu'elle dé- pend en partie de l'aptitude des cordes vocales à vibrer et en partie de celle des membranes et cartilages du larynx, ainsi que de la propriété qu'ont les cavités pec- torale , nasale et buccale de résonner. Le timbre 'parti- culier de la voix que possède chaque personne , ses im- perfections dépendent manifestement des différences de ces résonnances ou des diverses aptitudes à vibrer que possèdent les parties de l'organe. U intensité de la voix, ou ce que l'on nomme plus généralement volume de la voix , résulte en partie de la force avec laquelle l'air est chassé des poumons , de la largeur de la cavité thoracique, et en partie de la faci- lité avec laquelle les cordes vocales et le reste du larynx VOIX. 357 peuvent vibrer. Ces modifications expliquent la différenco qui existe entre la voix d'homme et celle de femme. C'est également à l'existence de grandes cavités résonnantes en communication avec le larynx que l'on doit attribuer la faculté qu'ont plusieurs espèces de singes de pousser des cris très-aigus et assourdissants. En réfléchissant à ce que nous venons de dire en étu- diant la voix de l'homme, on ne peut se soustraire au sentiment d'admiration qu'inspire l'art infini avec lequel est construit l'organe qui la produit : aucun des instru- ments de musique que nous possédons n'approche de sa perfection. Quelques-uns des instruments à vent ne peu- vent qu'octavier et passent sans gradation d'un son à un autre : dans ceux à corde , il est impossible de sou- tenir le son. L'orgue à deux registres , qui est formé à la fois aux tuyaux à anche et à vent , donne des sons qui ressemblent un peu à ceux de la voix humaine , mais ces avantages ne sont obtenus qu'au moyen d'un très-grand nombre de tubes, et de beaucoup de complications. Dans l'organe vocal, au contraire, cette variété infinie de sons est obtenue au moyen d'un appareil très-simple. J'ai vu dans le cabinet de physique du collège royal de Londres un larynx en caoutchouc , modelé sur un la- rynx humain , aux diverses parties duquel on avait atta- ché des fils pour pouvoir, à volonté , tendre plus ou moins ses parois et faire varier la capacité du tuyau ; en y faisant passer un courant d'air dont on modifiait la force , on obtenait un certain nombre de sons qui , pour leur timbre et leur pureté, ressemblaient beaucoup à ceux de la voix de l'homme. DIX-NEUVIÈME LEÇON. AUDITION. De lïiême qu'une excitation quelconque de la rétine ou du nerf optique se traduit constamment par une sensa- tion lumineuse, le nerf acoustique réveille toujours celle qui lui est propre , quelle que soit la manière dont il a été excité; ainsi, en vous parlant de l'électricité, je vous ai dit que l'on percevait un bruit particulier quand un des pôles d'une pile était appliqué à une oreille, le circuit étant fermé. Quelques corps introduits dans l'organisme, les narcotiques principalement, donnent aussi des sensa- tions sonores. Le son est, dans le plus grand nombre des cas , produit par des mouvements vibratoires imprimés aux corps élastiques et propagés au moyen de l'air ou d'autres milieux jusqu'au nerf acoustique : c'est ainsi que s'exerce généralement la fonction de l'audition. Dans les traités spéciaux d'acoustique, on décrit les expé- riences tendant à démontrer que la cause du son , la diffé- rence entre les tons graves et les tons aigus, son intensité, son timbre, dépendent de la rapidité et de l'amplitude de ces mouvements vibratoires. C'est également dans l'a- coustique que l'on pose les lois de la propagation des vibrations dans l'air, les liquides et les solides. Nous devons supposer que ces connaissances vous sont ac- quises, et l'objet que nous nous proposons dans cette AUDITION. 359 leçon est l'étude de l'ouïe et plus exactement de la pro- pagation de vibrations sonores à travers les différentes parties de l'oreille. Nous ne pouvons complètement passer sous silence la structure de l'oreille, qui est extrêmement variable dans les animaux ; dans quelques cas elle est réduite à l'appareil le plus simple possible, c'est-à-dire qu'elle consiste dans un nerf particulier dont l'extrémité péri- phérique s'épanouit au milieu d'un liquide contenu dans une cavité de forme variable située tantôt dans la paroi de la boîte osseuse du crâne , tantôt ayant des enveloppes membraniformes. Nous ferons la description particulière de l'oreille de l'homme, d'autant plus que c'est de celle-ci que nous devons spécialement nous occuper à cause de sa complication et de la perfection qui en est la suite. La partie extérieure de cet organe , nommée pavillon de l'oreille , est un feuillet de nature fibro- cartilagineuse assez souple et élastique , et libre dans la plus grande partie de sa surface : c'est en quelque sorte une expansion du tube ou conduit auditif. La forme du pavillon varie beaucoup dans les animaux supérieurs; ainsi, dans l'homme, bien qu'il présente plusieurs replis, on peut le regarder comme implanté normalement par rapport au conduit auditif; chez le cheval, l'âne, etc., il consiste en une espèce de cône qui prend naissance sur ce con- duit. Dans ces animaux, le pavillon est généralement mobile; tandis que chez l'homme les mouvements qu'il peut exécuter sont très-bornés. Le conduit auditif, creusé dans le temporal , se termine à une petite profon- deur où il est coupé obliquement à son axe. Une mem- 360 DIX-NEUYIÈME LEÇON. brane mince et très-élastique, nommée membrane du tympan, ferme ce conduit. La caisse du tympan est une cavité en grande partie osseuse qui a quatre ouvertures : une d'elles est formée par l'extrémité du conduit auditif ex- terne et est fermée par la membrane du tympan ; en face de celle-ci il en existe deux autres appelées , Y mwq fenêtre ovale, située en haut, l'autre /ene^re ronde ; chacune de ces ouvertures est munie d'une membrane qui est tendue au-devant d'elles. Enfin, dans la partie inférieure de la caisse du tympan , il en existe une quatrième à laquelle vient aboutir la trompe d'Eustache qui communique avec la partie supérieure du pharynx. Dans l'intérieur de la caisse du tympan , et en travers de celle-ci , est fixée une chaîne de petits os qui, par l'analogie de leurs formes, sont nommés le marteau, Y enclume , le lenticulaire et Yéirier. Le marteau s'attache parallèlement à la mem- brane du tympan , à la façon d'un rayon solide allant de la circonférence au centre de celle-ci. Par une extrémité il touche à l'enclume, celle-ci au lenticulaire; ce dernier à l'étrier, et l'étrier aboutit à la fenêtre ovale. Plusieurs muscles peuvent imprimer de petits mouvements à la chaîne, la raccourcir et l'allonger par conséquent, et faire ainsi varier le degré de tension des membranes sur lesquelles elle presse. Au delà de la caisse du tympan, dans l'épaisseur du rocher, est situé ce que nous appe- lons Y oreille interne , qui est formée de diverses cavités communiquant entre elles et distinguées par les noms de vestibule , de canaux demi-circulaires et de limaçon. Le vestibule occupe la partie centrale et communique avec la caisse par la fenêtre ovale et avec les trois canaux AUDITION. 361 demi-circulaires qui sont renflés à leur extrémité en forme d'ampoules. Le limaçon, ainsi nommé parce qu'il est courbé en spirale , aboutit dans l'intérieur du vestibule et est séparé de la caisse par la fenêtre ronde. Le vesti- bule et le limaçon contiennent un liquide dit de Cotugno au milieu duquel flottent les filets du nerf acoustique. Telle est l'énumération succincte des principales parties de l'oreille de l'homme et des animaux supérieurs. Nous étudierons la propagation des ondes sonores à travers ces parties, afin d'en déduire la théorie physique de l'audition. Plusieurs membranes, des parties osseuses, de l'air, un liquide , tels sont les corps qui entrent dans la com- position de l'oreille : les vibrations se propagent à travers tous ces corps , tous peuvent transmettre le son par suite de l'état vibratoire excité en eux par celui du corps so- nore. Chaque partie de l'oreille peut donc prendre part à la fonction que celle-ci est appelée à remplir. Mais, de quelle manière chacune de ces parties intervient-elle? L'Acoustique ne peut répondre d'une façon complètement satisfaisante à cette question. En ayant recours à l'ana- tomie comparée , à la physiologie expérimentale , à la pa- thologie, nous arrivons à déterminer les divers degrés d'importance attribués à chacune des parties de l'oreille . dans l'accomplissement de la fonction de l'audition ; par là nous parvenons à juger dans quel degré elles concourent à la perfection, à la délicatesse de cet organe. Les parties externes et moyennes de l'oreille manquent dans un grand nombre d'animaux que cependant nous regardons comme doués d'une ouïe assez parfaite ; ainsi , dans les oiseaux , 34 362 D[X-N£UV[ÈMIi LEÇON. il n'existe pas de vestiges de pavillon ; dans les reptiles , le conduit auditif externe manque, et, dans les poissons, l'oreille se réduit à la partie interne seule. Mais la dispo- sition qui se vérifie constamment dans tous les cas où l'au- dition peut s'effectuer, est celle du vestibule, c'est-à-dire d'une poctie membraneuse pleine d'un liquide dans lequel sont baignées les extrémités ou ramifications du nerf au- ditif. Certainement , toute autre manière de terminaison de ce nerf eût été moins avantageuse à l'exercice de cette faculté. Le nerf étant réduit à de très-petits filaments répandus dans un liquide , les points de contact sont le plus multipliés possible. La structure du nerf se rappro- che ainsi davantage de celle du liquide oii il se trouve. Ces ramifications , éparses au milieu de la masse fluide , s'épanouissent dans tous les sens , se dirigent ainsi nor- malement avec leurs extrémités vers les mouvements vibratoires, qui, à travers celui-ci, lui arrivent par les parois de la cavité sphérique, au centre de laquelle il se trouve. Nous savons bien que les vibrations se propagent dans les liquides comme dans les mem- branes et dans tous les corps élastiques , se divisant en parties vibrantes séparées par des lignes nodales; dans le sein des liquides , de nombreux mouvements vi- bratoires peuvent également se. propager, et coexister simultanément sans se troubler les uns les autres. Il semble aussi démontré , par quelques expériences de Cagnard-Latour, que les vibrations se propagent plus facilement des parois solides d'une cavité au liquide qui y est contenu , si de petits corps solides sont épars dans celui-ci, soit flottants , soit même fixés aux parois. De AUDITION. 363 cette façon, les points de contact entre le solide et le liquide sont plus nombreux, il y a une multiplication des directions dans lesquelles les vibrations peuvent se propager en ligne droite de l'un à l'autre de ces mi- lieux, suivant les inégalités présentées par ces surfaces. Ces petits corps solides se trouvent dans le liquide qui remplit le labyrinthe de l'oreille de certains poissons. Concluons donc que le vestibule, ou plus particulière- ment le mode de terminaison du nerf acoustique, tel qu'il existe dans tous les animaux , a une grande impor- tance dans la fonction de l'ouïe, et que cela est expliqué par les lois de l'Acoustique. Les ondulations de l'air, produites par un corps so- nore , peuvent parvenir à exciter le nerf auditif en se transmettant soit par les parties osseuses du crâne dans lesquelles l'oreille est encaissée, soit par la colonne d'air du conduit auriculaire. On perçoit encore assez bien les battements d'une montre serrée entre les dents ou ap- pliquée sur un point quelconque de la tête , en ayant soin d'abord de fermer exactement les conduits auditifs. Quelques personnes affectées de dureté de l'ouïe par- viennent à entendre distinctement en ajustant contre ce conduit , ou en serrant entre les dents , une baguette de bois fixée au centre d'un réservoir d'air en face duquel on produit le son. Le stéthoscope, que les médecins em- ploient, sert principalement comme cylindre solide à l'aide duquel un grand nombre de points de contact sont établis entre le corps sonore et l'oreille appuyée contre lui. La colonne d'air du conduit auditif vibre également à cause des ondulations sonores excitées dans l'air. L'ex- 36/l DIX-]\EUV1ÈME LEÇON. périence prouve qu'un son produit dans un corps solide, toutes les autres conditions restant égales , est beaucoup plus distinct à notre oreille s'il y est transmis au moyen d'un solide immédiatement en contact avec l'oreille ou par l'intermédiaire d'un autre corps semblable interposé. Si, au contraire, le son est produit dans l'air, d'abord mis en vibration , comme dans tous les instruments à vent, il est d'autant plus distinct que la quantité de ce- lui-ci , qui communique avec le conduit auditif est , dans certaines limites, plus considérable; c'est ce qu'on fait avec le cornet acoustique. Lorsque ces deux modes de propagation existent réunis dans un seul organe , on ne saurait douter qu'ils ne concourent puissamment au per- fectionnement de la fonction de cet organe même. Ces principes peuvent s'appliquer à l'intelligence de l'usage du pavillon et du conduit auditif. Nous commencerons par voir dans ces parties un instrument analogue au cor- net acoustique, qui, par sa forme particulière, recueille et réfléchit vers l'axe du canal un plus grand nombre d'ondes sonores , et qui, en même temps , comme réser- voir d'air, renforce le son ; il n'existe pas d'instruments de musique à corde ou à vent qui ne rende un son plus intense par l'eflet de la présence de ce réservoir. Le tim- bre de Savart, que l'on met en présence d'un récipient d'air après l'avoir fait vibrer , le diapason monstre de Marloye, monté sur une grande caisse d'air, mettent hors de doute les effets produits par la résonnance des masses d'air qui entourent le corps sonore. Une expé- rience analogue peut encore se faire en approchant le diapason de l'oreille ou en l'introduisant dans la bouche ; AUDITION. 365 dans le dernier cas, le son acquiert une grande intensité. Dans tous ces cas, le son est renforcé par les ondes so- nores qui sont réfléchies parles parois des récipients, et en même temps par les vibrations imprimées à la masse d'air et aux parois de ce réservoir; toujours est-il que pour le renforcement des sons tout doit vibrer à l'unisson du son primitif. Chez les animaux dans lesquels le pavillon est mobile , l'analogie de cette partie de l'oreille avec le cornet acou- stique ne saurait être plus évidente. Ainsi nous voyons l'animal poursuivi diriger l'ouverture du pavillon en ar- rière ; au contraire , celui qui poursuit une proie la tourne en avant. Chez l'homme, ces mouvements manquent, et la forme de son oreille externe est également très-diffé- rente de celle des autres animaux. Il est ainsi difficile pour nous de comprendre l'usage de ce pavillon, et on pourrait citer un certain nombre d'exemples d'auditions peu altérées malgré l'absence de pavillon. Voici toutefois ce que l'on peut avancer de moins improbable pour ex- pliquer l'usage de l'oreille externe de l'homme: eu égard à sa station habituelle , à la mobilité de sa tête , et à l'élé- - gance de celle-ci , on ne pouvait douer le pavillon de mouvements sans lui donner la forme d'un cornet acou- stique : il n'y a personne de vous qui ne se révolte à l'idée de se voir ainsi tranformé à la manière des monstres . delà mythologie. Ajoutons que, par les mêmes raisons, le pavillon ne pouvait pas être mobile. Bien loin de là, il est formé d'un cartilage élastique dont le plan est pour la plus grande partie parallèle à celui de la membrane du tympan , et conséquemment normal à l'axe du conduit 366 DIX-NEUVIÈME LEÇON. auditif. D'après les lois de la propagation des mouve- ments vibratoires , c'est là la meilleure disposition qu'il pût recevoir, car les ondulations sonores qui viennent frapper perpendiculairement cette membrane se propa- gent plus facilement dans l'intérieur de l'oreille, soit par les parois solides du conduit auditif, soit par la colonne d'air qu'il contient. Il n'est pas douteux que lorsque nous voulons entendre distinctement , nous disposons la tête de manière à ce que lepavillon reçoive normalement les ondes sonores. Que ce soit parles vibrations excitées par le son dans la membrane externe de l'oreille ou par celles de la co- lonne d'air du conduit auditif , le mouvement vibratoire arrive à la membrane du tympan , qui est tendue sur l'o- rifice interne de ce conduit. Nous pouvons nous faire ces questions : pourquoi ajouter la caisse du tympan? pourquoi ne pas disposer l'^^ppareil de manière à ce que le vesti- bule ou le sac dans lequel plonge le nerf acoustique soit en contact avec la membrane du tympan? Nous n'hésitons pas à répondre que sans cette caisse , l'audition pourrait s'effectuer, ainsi que cela arrive chez plusieurs animaux, et comme on le raconte de quelques hommes chez les- quels, par maladie ou naturellement, manquait l'oreille moyenne. Hâtons-nous cependant d'ajouter que l'on peut comprendre facilement, et à l'aide de faits physiques, que la disposition affectée par la partie moyenne de l'oreille humaine rend cet organe plus parfait et moins exposé à subir des altérations. Parlons d'abord de la manière dont vibrent les mem- branes. Savart a montré que lorsqu'elles sont convenable- ment tendues , mises à proximité d'un tuyau d'orgue ou AUDITION. 367 d'un instrument à corde quelconque , qui rendent un son , elles vibrent comme si elles étaient en contact avec les corps sonores, et si on lesa recouvertes de sable, on ob- tient la division de ces membranes en parties vibrantes , séparées par les lignes nodales ordinaires . A chaque va- riation du son , de nouvelles dispositions apparaissent sur la membrane et ces divisions se produisent plus facilement et plus promptement sur les membranes -que sur des pla- ques de métal ou de verre. Savart a également démontré que les membranes seules offraient cette particularité de se diviser de différentes façons sous l'influence du même son, tout en ayant toujours la même forme, dimension et tension. Disons enfin qu'en variant le degré de tension d'une, même membrane , sa manière de se diviser et de vibrer pour un même son, est changée. De l'ensemble de ces faits dus à Savart , on peut déduire que pour pro- pager le son dans l'intérieur de l'oreille et pour modifier à volonté l'intensité des mouvements vibratoires , il était utile de fermer le conduit auditif avec une membrane tendue et d'ajouter dans l'intérieur de l'organe un appa- reil qui fût apte à propager les vibrations jusqu'aux par- ties qui se trouvent en contact avec le nerf acoustique et qui, dans le même temps, pût , sous l'empire de la volonté, faire varier la tension de la membrane du tympan. Voici un cornet acoustique ordinaire sur l'ouverture duquel est fixée une membrane : sur cette membrane est collée, ainsi que l'on fait Savart et Miiller dans leurs expériences , une petite baguette de bois , à l'aide de laquelle on peut facilement changer sa tension. Si j'é- coute un son en appliquant le rornet à mon oreille, je 368 DIX-NEUVIÈME LEÇON. ne tarde paê à m'apercevoir de sa grande différence d'in- tensité, suivant que la membrane est plus ou moins tendue : quand elle l'est beaucoup, le son me semble remarquablement moins intense que celui que j'obtiens en la rendant plus lâche. Peut-être que dans le premier cas la membrane se divise plus facilement en rendant des sons , qui , quoique à l'unisson du primitif , sont moins forts. Dans l'oreille humaine on pouvait faire varier la tension de la membrane du tympan de deux manières différentes : on pouvait faire exécuter à la chaîne des osselets l'effet produit par la baguette de bois de notre expérience précédente, ou bien il était possible également de modifier la densité et l'élasticité de l'air contenu dans la caisse. Ce second procédé , qui n'est pas naturel , ne saurait être employé qu'avec une certaine habileté et en faisant un violent effort. Il im- portait ensuite de laisser dans l'oreille moyenne une communication libre et constante entre l'air extérieur : c'est là l'office rempli par la trompe d'Eustache, qui s'ouvre d'une part dans la caisse du tympan et débouche de l'autre dans l' arrière-gorge. De cette façon l'air de la caisse est à un degré constant d'humidité et son élasti- cité ne diffère pas de celle de l'air atmosphérique. De cette manière sont conservées les propriétés physiques de la membrane du tympan et de celles tendues sur les fenêtres ronde et ovale. Il suffit de se boucher le nez et de fermer la bouche, puis ensuite de dilater la cavité thoracique 1 3 )lus pos- sible pour contracter une surdité passagère ; le même effet est produit au moyen d'une expiration forte et sou- AUDITION. 369 tenue. Cette surdité dure pendant quelques instants, et un naouvement de déglutition est le moyen le plus effi- cace pour la faire cesser. Dans ces deux circonstances l'air de la caisse du tympan devient tantôt moins, tantôt plus dense que l'air extérieur, et sa membrane subit une tension différente , se repliant tantôt en dedans , tantôt en dehors de l'oreille. Wollaston, qui observa le pre- mier ces faits , remarqua que dans ces circonstances la surdité persistait surtout pour les sons graves et que le contraire avait lieu pour les sons aigus. Ainsi il dit qu'il n'entendait plus distinctement le bruit fort d'une voi- ture à une certaine distance , et que cependant , en frap- pant avec le bout de l'ongle sur une table, il percevait facilement le léger son ainsi produit. Je crois vous avoir donné une raison suffisamment plausible de cette diffé- rence ; une expérience analogue aux précédentes peut être faite au moyen du cornet préparé avec la membrane fixée sur son ouverture. En tendant beaucoup celle-ci, on perçoit tout bruit fort, mais peu distinct, tandis qu'au contraire , le mouvement. d'une montre est renforcé. On cite des individus qui n'entendaient pas la voix ordi- naire et qui ne pouvaient tenir une conversation qu'au milieu d'un grand bruit. Il faudrait admettre dans ces cas que la sensibilité peut persister pour les sons graves et forts, ce qui peut se comprendre jusqu'à un certain point , en admettant que la membrane est privée de la faculté de varier de tension dans les diverses circon- stances. Le muscle interne du marteau et celui de l'étrier peuvent servir à modifier l'état de tension de la mem- 370 DIX-NEUVIÈME LEÇON. brane du tympan, en obéissant à la volonté. Millier admet que ces muscles se contractent par l'effet d'un niouvement réfléchi , à la manière des fibres musculaires de l'iris sous l'impression d'une vive lumière. Sous l'im- pression d'un bruit violent et prolongé, l'étrier et le marteau , par la contraction de leurs muscles , viennent tendre la membrane sur laquelle ils sont fixés , et il se produit ainsi une surdité passagère et utile dans cette circonstance. Quelle est la fonction de la chaîne entière des osselets .f* pourquoi quatre os réunis ensemble plutôt qu'un seul? pourquoi ne pas supprimer la fenêtre ronde ou la fenêtre ovale , ou même toutes deux , en appliquant le vestibule sur la membrane du tympan? Il est impossible, avec les connaissances que nous possédons aujourd'hui en Acou- stique, de répondre d'une manière satisfaisante à ces questions. La chaîne des osselets, outre la faculté de faire varier les degrés de tension des membranes sur les- quelles elle est fixée par ses extrémités , remplit certai- nement encore dans l'oreille le même office que le che- valet dans les instruments à cordes et la caisse dans le tambour. En couvrant de sable une des membranes du tambour, on voit le sable vibrer, et se former des divi- sions sur celle-ci , quand on fait résonner l'autre , et cette propagation varie suivant les dispositions de la caisse. La chaîne des osselets est une espèce de chevalet sus- pendu dans la caisse du tympan , qui non-seulement pro- page les vibrations d'une de ses parois à l'autre , mais re- çoit encore les chocs de l'air , même sur les divers points de sa surface. La membrane de la fenêtre ovale qui com- AUDITION. 371 munique avec le vestibule , où se trouve le nerf , a cer- tainement son élasticité et sa tension mieux protégées par sa disposition dans une caisse d'air renfermée dans l'intérieur de l'oreille qu'elle ne le serait, si elle était directement en contact avec l'atmosphère. C'est indubi- tablement dans le but de donner à l'oreille un mode d'action plus varié et plus étendu, qu elle a été pourvue de deux ouvertures munies de membranes tendues dans la partie interne de l'oreille et à la proximité du nerf acoustique ; l'une de celles-ci étant libre et l'autre en contact avec la membrane du tympan par l'intermédiaire de la chaîne , et susceptibles par là de divers degrés de tension. On doit obtenir par là une plus grande étendue dans la fonction de l'oreille. Ces réponses aux questions que nous nous étions adressées ne sont sans doute pas les seules que l'on parviendra peut-être un jour à y donner : mais puisque l'organe peut exister et fonctionner sans chaîne des osselets , sans membrane ni caisse du tympan, nous devons admettre qu'ils ne constituent pas la partie essentielle de l'oreille et qu'ils ne servent qu'à son per- fectionnement et à sa conservation. Je ne dirai que peu de mots des canaux demi-circu- laires et du limaçon; on suppose généralement que les vibrations excitées et transmises par les parois solides dans lesquelles l'oreille est enchâssée, sont transmises par ces parties jusqu'au nerf acoustique. Je passerai rapidement sur les caractères physiques du son , sur la comparaison des différents sons entre eux, sur les limites de sons qui sont perceptibles. Un choc ou une excitation quelconque communiquée au nerf acou- 372 DIX-NEUVIÈME LEÇON. stique , ainsi que nous l'avons dit au commencenaent de cette leçon, produit une sensation sonore. Par le mot son, on entend plus exactement une sensation conser- vée uniforme pendant un certain temps et susceptible d'être mesurée et comparée. Le son diffère donc du bruit en ce que celui-ci est l'effet d'un choc seul ou celui d'une série de chocs qui se répètent sans aucune régu- larité, tandis que la sensation sonore est celle que nous éprouvons lorsque le nerf acoustique reçoit un certain nombre d'ébranlements qui se succèdent l'un à l'autre séparés par un intervalle de temps toujours constant. C'est là ce qui arrive avec la roue de Savart, la sirène de Cagnard-Latour , ou par lesvibrations d'une corde tendue qui engendrent dans l'air des ondulations correspon- dantes , qui arrivent à l'oreille et frappent le nerf acou- stique dans le rapport du nombre de chocs en un temps donné qui appartiennent aux mouvements du corps sonore. L'acuité ou la gravité d'un son est due à la plus ou moins grande rapidité avec laquelle les vibrations se succèdent. L'mtensité dépend de l'éten- due des excursions des parties vibrantes. Wollaston et Savart ont cherché à déterminer les limites dans lesquelles les sons restent perceptibles , ou cessent de l'être pour notre oreille , en contractant une acuité ou une gravité trop grande. Savart a démontré que ces limites étaient beaucoup plus considérables qu'on ne le supposait avant lui, et que pour percevoir des sons ou très-aigus ou très-graves, il suffisait d'en augmenter l'intensité. En faisant passer avec une cer- taine rapidité une longue barre de fer à travers une fente AUDITION. 373 longitudinale qu'elle remplit presque complètement, on obtient un son assez intense lorsque cette barre va et vient sept ou huit fois par seconde , et puisqu'à chaque passage de la barre il y a une compression de l'air, à laquelle succède une raréfaction , les ondulations consti- tuant le son ne sont qu'au nombre de quatorze ou seize par seconde. Au contraire, si l'on se sert d'une roue d'un très-grand diamètre et dentée , en tenant une lame élastique eh contact avec les dents lorsque celle-ci tourne, on perçoit un son très-aigu , même lorsqu'il y a vingt- quatre mille chocs par seconde, dans lequel cas le son est formé de quarante-huit mille ondulations. Quelle ne doit pas être la complication de l'organe de l'audition , si nous réfléchissons que sa sensibilité se conserve dans des limites aussi éloignées les unes des autres, et que ses parties principales doivent vibrer à l'unisson avec des sons qui varient de quatorze à quarante-huit mille vibrations par seconde. D'après la définition que nous avons donnée du son , on s'explique sans difficulté comment il arrive que par la coexistence de deux sons, étant entre eux en un rap- port simple de vibrations, on entende un son plus grave; quand cet effet a lieu , il y a des instants dans lesquels les ébranlements, produits par ces deux sons, coïncident sur le nerf acoustique , et si ces coïncidences sont suffi- samment voisines et régulièrement répétées , nous avons la sensation d'un son plus grave. Dans le cas oii ces coïn- cidences sont assez rares , ce qui arrive avec les sons qui sont presqu'à l'unisson entre eux, nous n'avons d'autre sensation que celle du phénomène bien connu 32 374 DIX-.NEUVIÈME LEÇON. des battements , observé pour la première fois par Tar- tini. Ne devant pas vous entretenir de tout ce qui regarde l'acte de la conscience , réveillé par l'excitation du nerf acoustique, je ne puis m'arrêter sur les théories musicales. Si les sons que nous écoutons simultanément sont par le nombre relatif de leurs vibrations dans un rapport simple entre eux , nous éprouvons les sensations les plus agréables , que nous nommons harmonies , et l'effet contraire a lieu si ces rapports n'existent pas. L'expérience nous a appris que les sons harmoniques s'obtiennent simultanément en pinçant une grosse corde tendue de manière à lui faire rendre le son fondamental dil à la vibration de toute sa longueur. Nous concluons de là que la corde se divise d'elle-même en un certain nombre de parties qui vibrent séparément et en même temps. Nous savons aussi qu'en ayant plusieurs cordes en présence, si leurs longueurs sont dans des rapports simples, il suffit d'en faire vibrer une pour que toutes les autres rendent le son propre à leur longueur. On peut donc admettre que la membrane du tympan , celle de la fenêtre ovale , et peut-être aussi les extrémités du nerf acoustique , peuvent être le siège des sons harmo- niques, et que l'élasticité de ces parties ne s'oppose pas à ces mouvements. Le contraire devrait avoir lieu pour le^ sons que nous appelons discordants. VINGTIEME LEÇON. VISION. La fonction de tous les appareils de sensations se com- pose toujours de deux parties bien distinctes : 1^ les ob- jets extérieurs produisent sur les nerfs sensoriaux une modification particulière et spécifique pour chaque sens ; 2" cette modification est transmise au cerveau, et là l'impression ainsi transmise est transformée en percep- tion de l'objet extérieur. Il en est de la vision comme de l'audition , par -rap- port à nos relations avec les objets extérieurs. Quand le soleil apparaît au dessus de l'horizon, et que, par con- séquent, nous le voyons , il faut nécessairement qu'une relation sensible quelconque s'établisse entre le soleil et nos yeux ; il faut que par un moyen physique , que nous appelons lumière, le soleil parvienne à faire une im- pression sur nos yeux. Nous devons étudier, dans cette leçon, la marche suivie par les rayons lumineux qui, partant des objets extérieurs, arrivent sur la rétine pour l'exciter. Essayez de comprimer ou de heurter un œil dans l'obscurité, et vous aurez une sensation lumineuse vive , mais indistincte. Si l'expérience est faite en pra- tiquant la preesion au moyen d'un petit corps sur une étendue peu considérable de l'œil , la sensation sera éga- 376 VINGTIÈME LEÇON. lement limitée, et vous aurez dans ce cas-là la con- science de cette limite, c'est-à-dire du degré de la pres- sion exercée sur le point comprimé. Si la surface de la rétine se présentait nue à l'objet lumineux , sans autre appareil disposé au-devant d'elle , il est clair que chacun des points de celle-ci serait stimulé à la fois par tous les rayons qui émaneraient de l'objet dans tous les sens , et si mille de ces rayons se présentaient ensemble de- vant les yeux , avec leurs couleurs diverses , tous feraient naître l'impression de leur lumière à la fois sur la rétine, sans que celle-ci eût jamais une sensation exacte et dé- terminée d'aucun d'eux. Le problème à résoudre pour obtenir la vision , con- sistait à disposer au-devant de la rétine un appareil tel que les rayons partant des diverses parties d'un objet arrivassent sur des points de la rétine distincts , séparés les uns des autres, et dans un ordre déterminé. La chambre obscure est l'appareil le plus simple que nous possédions pour obtenir ces effets. Supposons un diaphragme tendu au-devant de la rétine et ayant une petite ouverture dans son centre : les rayons partant d'une extrémité de l'objet , après avoir traversé cette ouverture , iront exciter un point déterminé de la rétine , et le même phénomène se reproduisant pour tous les au- tres points de ce même objet, il en résultera que chacun de ses points en aura excité un nombre correspondant sur la rétine , et qu'ils seront distincts entre eux et dis- posés dans le même ordre que dans l'objet lumineux. Plus l'ouverture serapetite, plus l'image formée sera distincte, mais sa clarté en sera nécessairement d'autant dimi- VISION. 377 nuée : c'est peut-être pour cette raison que dans la nature il n'existe pas d'appareil de vision analogue à la chambre obscure. MûUer a décrit la disposition très-curieuse 'que pré- sente l'œil des insectes. Imaginez-vous dressés perpen- diculairement à la rétine et au-devant de celle-ci un nombre immense de petits cônes remplis d'une matière transparente et dont les parois sont revêtues d'un pig- ment noir et opaque , capable d'absorber tous les rayons qui ne traversent pas le cône parallèlement à son axe. Une membrane transparente et convexe forme la face externe qui est aussi la base du cône , dans le sommet duquel est fixée l'extrémité de la fibre nerveuse qui, selon Wagner, s'élève dans l'intérieur* de celui-ci en s'épa- nouissant sur ses parois. Il est facile de concevoir com- ment il est possible d'obtenir la vision distincte au moyen de cette disposition : de tous les rayons lumineux qui partent dans tous les sens d'un objet et arrivent sur tous les points de la surface de l'œil, il n'y a que ceux qui, venant d'un point déterminé de l'objet , traversent un des cônes parallèlement à son axe , qui peuvent parvenir sur un point seul de la rétine. La netteté de l'image dépen- dra donc du nombre de ces cônes implantés sur la surface nerveuse, tandis que l'intensité de l'image devra toujours diminuer avec le nombre de ces cônes. On comprend fa- cilement aussi comment , avec cet appareil , le champ visuel peut être agrandi , en augmentant la convexité du segment sphérique représentant l'œil. Enfin , pour obtenir un appareil de vision encore plus parfait que celui que nous venons de décrire , il fallait eh cr n- 278 VINGTIÈME LEÇON. qu'il fût construit de manière à ce que la netteté de l'image ne fût pas obtenue aux dépens de sa clarté , et tel, en un mot, qu'il fût capable d'obliger les rayons qui tombent sur la surface de l'œil avec une grande obliquité à venir converger sur la rétine : tel est l'œil de l'homme et de tous les animaux supérieurs. Décrivons la forme de l'œil et celle de toutes les parties qui le composent. Cet organe est contenu dans une cavité nommée orbite. La forme de l'œil, qui est à peu près sphéri- que , est conservée par une enveloppe extérieure formée d'une membrane de nature fibreuse et solide qui est opaque à sa partie postérieure appelée cornée opaque ou sclérotique , et douée de transparence à sa partie an- térieure. En ce point sa courbure augmente et elle prend le nom de cornée transparente .JJne membrane est tendue et fixée dans ce cercle où les cornées transparente et opa- que se réunissent; c'est ïiris, qui donne la couleur à l'œil , qui est opaque et composée de fibres musculaires ' Intérieur de l'œil : — c cornée transparente ; — s sclérotique ; ^ s' portion de la sclérotique renversée en dehors pour montrer les mem- branes situées dessous ; — ch choroïde ; — r rétine ; — n nerf optique ; — ca chambre antérieure de l'œil placée entre la cornée et l'iris, et rem- plie par l'humeur aqueuse ; — i iris ; — 2^ pupille ; — cr cristallin, placé derrière la pupille ; — pc procès ciliaires ; — v humeur vitrée ; — bb por- tion de la conjonctive qui , après avoir recouvert la partie antérieure de l'œil , s'uMi détfiche pour tapisser les paupières. S r vpc b Globe de l'œil ouvert^. VISION. 379 dont une portion est disposée circulairement et l'autre en s'irradiant du centre à la circonférence. L'iris est percé dans son centre d'une ouverture circulaire nommée pupille , dont le diamètre est variable suivant l'intensité de la lumière. Derrière l'iris est placé le cristallin, corps solide, lenticulaire, transparent, enveloppé et fixé dans la membrane propre. Sur la partie interne de la sclérotique se trouve une membrane de couleur noire , \di choroïde; celle-ci est tapissée par une autre qui est demi-transparente , mince , formée par l'épanouissement de la partie médullaire du nerf optique , qui vient s'im- planter au fond de l'orbite , c'est la rétine. L'œil se trouve partagé par le cristallin en deux cavités distinctes. L'an- térieure, dans laquelle flotte l'iris, est remplie d'un liquide à peu près semblable à l'eau , contenant des traces de sel marin et que l'on nomme humeur aqueuse; la posté- rieure contient un liquide beaucoup plus dense, dit hu- meur vitrée. En examinant avec attention le cristallin, on voit qu'il est formé de couches superposées dont la consistance et la puissance réfringente vont croissant de la circonférence au centre. Enfin, on appelle axe optique de l'œil la ligne suivant laquelle est dirigé l'axe de figure de l'œil dans l'acte de la vision distincte. Voici les di- mensions moyennes des diverses parties de l'œil de l'homme : Millimètrea. jR.ayon de courljure de la cognée opaque. .,...,. lOàll Id. de la cornée transparente 7 à 8 Diamètre de Firis. . . 11 à 12 Id. de la pupille ». 3à 7 380 VINGTIÈME LEÇON. Millitnètvps. • Epaisseur de la cornée transparente 1 Distance de la pupille à la cornée 2 Rayon antérieur du cristallin ' 7 à 8 Id. postérieur du cristallin 5 k 6 Diamètre du cristallin 10 Epaisseur du cristallin 5 Longueur de l'axe optique 22 à 24 Je rapporterai encore ici les nombres qui donnent l'in- dice de réfraction des milieux de l'œil : celui de l'hu- meur aqueuse diffère peu de celui de l'eau; ce dernier, étant exprimé par 1,336, celui de l'humeur aqueuse est de 1,337; pour l'humeur vitrée, il est de 1,359; pour la partie périphérique du cristallin , ce nombre est 1,377; pour la moyenne, ],379; pour la centrale, de 1,399. Quelques différences se font remarquer dans l'œil des animaux par rapport à celui de l'homme dont nous ve- nons de faire la description. Dans quelques oiseaux, le cristallin a une forme à peu près sphérique, et dans tous la cornée transparente est très-convexe. Dans les poissons, au contraire, la cornée est presque plane. La choroïde aussi présente des couleurs très-différentes dans les dif- férents animaux. , Après la description de l'œil que je viens de vous donner, quoique la plus résumée possible , j'espère qu'il vous sera facile de comprendre d'une manière géné- rale quelle est la marche suivie par les rayons lumi- neux dans l'œil, en considérant cet organe comme con- stitué par un système de lentilles sphériques conver- gentes. VISION. 381 Les rayons des cônes lumineux qui partent des points A et B de l'objet, traversent en grande partie la cornée transparente CC , et pénètrent dans l'humeur aqueuse qui est comprise entre la cornée et la surface du cristallin; ils subissent ainsi une première réfraction , en se rap- prochant des rayons qui pénètrent parallèlement à l'axe de l'œil. Il serait facile de calculer la convergence de ces rayons si l'on connaissait la convexité de la cornée et le pouvoir de réfraction de l'humeur aqueuse. Ces rayons, parvenus au cristallin O, qui est une véritable lentille biconvexe , sont encore déviés davantage et inclinés vers l'axe de l'œil; enfin, ils éprouvent une troisième réfrac- tion dans le même sens à leur sortie du cristallin , au mo- ment de leur entrée dans l'humeur vitrée. La route parcou- rue par les rayons partant de A et B est indiquée dans la figure : en a et /; est leur foyer ; et, si F est la rétine , ae,ib sont les points qui correspondent aux points A et B de l'ob- jet. Si l'on suppose la rétine en H ou en G, les points c et/, ainsi que e et o seront des cercles dans lesquels l'image de A et B sera diffuse. La vision est donc distincte lors- que la rétine se trouve exactement à une distance telle du 382 VINGTIÈME LEÇON. cristallin que le foyer des rayons vient se former sur elle. Mais, pour arriver à ce résultat, il était nécessaire d'intercepter tous les rayons qui tombent près du bord du cristallin , et qui ont certainement leur foyer sur un point différent de celui des rayons qui en traversent la partie centrale ; c'est là le rôle le plus important de l'iris et de la pupille , qui font l'effet d'un diaphragme muni d'une ouverture pouvant éprouver de grandes variations dans son diamètre. C'est dans ce même but que la forme et la structure du cristallin doit avoir d'autant plus de convexité et de densité que le milieu dans lequel doit s'effectuer la vision est plus dense. C'est là le cas dans lequel se trouvent les poissons. Enfin , toute la partie interne de l'œil , et particulière- ment la face postérieure de la rétine, est recouverte d'un pigment noir qui absorbe tous les rayons, qui, sans cela , seraient de nouveau réfléchis en dedans , et troubleraient ainsi la netteté de l'image. Tous les instru- ments d'optique présentent cette disposition ; les tubes de télescopes, de miscroscopes , sont noircis à l'inté- rieur. Une expérience assez simple démontre que la forma- tion des images se fait au fond de l'œil, c'est-à-dire sur la rétine. Elle consiste à placer dans une chambre ob- scure l'œil d'un lapin albmos devant la flamme d'une bougie à une distance convenable ; comme la sclérotique , dans ces yeux , est demi-transparente , on voit distincte- ment l'image renversée de la flamme sur cette mem- brane. Voici l'œjl d'un bœuf dont la cornée opaque a été beaucoup amincie et rendue presque transparente : cha- VISION. 383 cun de vous voit l'image renversée de la flamme que je tiens au-devant de lui sur cette membrane. Si l'on calcule, au moyen de la formule des lentilles convergentes, en tenant compte des dimensions et des pouvoirs réfrin- gents des diverses parties de l'œil, on trouve que si un objet est placé à environ 30 centimètres de l'œil, ses rayons à cette distance tombent sur l'œil avec la diver- gence nécessaire pour aller converger sur la rétine. Il est donc naturel , d'après tout cela , de conclure que la vision, c'est-à-dire la sensation d'un corps qui envoie des rayons lumineux à notre œil , est due à la modification apportée dans la rétine par les rayons lummeux réunis sur tous les points de cette membrane oii l'image du corps vient se former, et à la transmission de cette modification à la conscience par le moyen du nerf optique. De quelque fa- çon que la rétine soit excitée, c'est toujours une sensa- tion de lumière qu'elle éprouve ; le passage de l'électri- cité, un choc, une compression quelconque sur l'œil, et par conséquent sur la rétine , y déterminent des impres- sions lumineuses ; c'est là le caractère des nerfs sensoriaux que toute excitation à laquelle ils sont soumis ne donne jamais qu'une sensation unique et déterminée appartenant exclusivement à ce sens. La rétine, sur laquelle a lieu la formation des images des ubjets lumineux , est affectée avec moins d'énergie par les points où la lumière a moins d'intensité , elle l'est davantage par ceux qui sont plus éclairés , et elle ne l'est pas du tout par ceux restés ob- scurs. Si les images ne se formaient pas sur la rétine , si l'œil était composé de cette membrane seule , sans appa- reil lenticulaire, la vision, ne saurait être distincte : tout 38Zi VINGTIÈME LEÇON. se réduirait à distinguer les alternatives de jour et de nuit, de clarté et d'obscurité. A l'aide de cet appareil, l'action de la lumière se borne à une certaine portion de la rétine , portion qui représente exactement , dans sa forme , celle de l'objet lumineux. C'est donc une condi- tion essentielle de la vision que l'image se forme sur la rétine , que le foyer des rayons lumineux se trouve sur cette membrane. J'ajouterai encore qu'il a été démontré, par une expérience curieuse que nous devons à Mariotte, que la vision ne se fait pas avec la même netteté lorsque l'image se forme sur les divers points de la rétine. Si l'on dispose sur un plan noir horizontal , et sur la même ligne , trois petits disques blancs à la distance de 5 ou 6 centimè- tres l'un de l'autre , qu'on les regarde verticalement en se plaçant de manière à ce que l'œil soit distant de 12 à 15 centimètres de ceux-ci , et que la verticale du nez de l'observateur tombe sur le disque du milieu; alors, en fermant un œil et en regardant avec l'autre un des dis- ques latéraux, on n'apercevra plus le disque placé sous l'œil ouvert. Ce disque redeviendra visible en variant la distance à laquelle on s'est placé d'abord, et quand cela a eu lieu, si l'on ferme l'œil précédemment ouvert, en ouvrant celui qui était fermé, et qu'on fixe le disque du milieu, on ne verra plus celui qui est sur la ver- ticale. Le point de la rétine où se forme l'image du dis- que qui devient invisible se trouve, dans ces diffé- rentes dispositions , correspondre à la base du nerf optique. Il est donc bien démontré que, pour que la vision soit parfaitement distincte , notre œil doit être placé de telle VISION. 385 manière que l'image se forme sm' les points sensibles de la rétine dans les dimensions les plus petites possible et avec une suffisante intensité. Cela posé , voyons maintenant comment ces conditions peuvent constamment se vérifier, la distance à laquelle nous pouvons voir les objets étant très-variable. On aperçoit aussi distinctement une étoile qu'un objet placé seulement à quelques centimètres ; il suffit que l'étendue de l'objet et que par conséquent l'intensité de sa lumière croissent en proportion de la distance, pour qu'il soit vu nettement. L'image d'un corps lumineux tantôt s'éloigne, tantôt se rapproche d'une lentille , suivant que le corps se rapproche ou s'éloigne de la partie opposée de cette même lentille. Il est donc certain que l'œil, par un acte de notre volonté , se modifie pour voir à des distances différentes; en effet, si l'on regarde un corps, une tache noire, par exemple, faite sur un verre, en la plaçant à des distances variables par rapport à l'œil , on aura une image confuse des objets plus ou moins éloignés de la tache, tandis que celle-ci sera très-distinctement vue, et il en sera de même pour toutes les positions , et quel que soit l'éloignement de celle-ci. Il est également vrai que, tan- dis que, pour un œil sain, la vision s'effectue sans effort ni fatigue à la distance d'environ 30 centimètres, il n'en est plus ainsi pour des distances plus grandes ou plus pe- tites. C'est pour cette raison que la vision n'est plus nette si, pendant plusieurs heures, on a habitué l'œil à voir des objets très-rapprochés. Pour expliquer la pro- priété que possède cet organe de voir des objets placés à des distances variables , il est nécessaire d'avoir recours 33 386 VINGTIÈME LEÇON. à l'une de ces deux hypothèses : ou il faut admettre que la rétine communique au cerveau la sensation distincte d'un objet lumineux, non-seulement quand ses rayons se réunissent en un seul de ses points , comme lors- qu'ils lui parviennent émanant d'une distance d'environ 30 centimètres , mais encore lorsqu'ils se réunissent sur un petit espace circulaire très-limité; ou bien il faut supposer que la courbure de la cornée transparente et du cristallin peut varier pour s'adapter à des éloigne- ments variables, et que le cristallin peut se déplacer, c'est-à-dire s'allonger ou se raccourcir dans les différents cas. En s'en rapportant aux calculs d'Olbers, il fau- drait, pour que la vision fût également distincte à des di- stances très-différentes , de 4 pouces jusqu'à un nombre immensément plus grand, que l'intervalle du cristallin à Ja rétine pilt varier au moins de ^ de pouce , la convexité delà cornée et du cristallin demeurant constante. Le même résultat serait obtenu, si on suppose que c'est le cristal- lin et la cornée dont la convexité varie , la distance du cristallin à la rétine restant la même. Olbers a également trouvé que la vision serait distincte dans les limites que nous venons de dire , si le rayon de la cornée pouvait changer d'environ fô de pouce. Une expérience de Scheiner démontre qu'il est des cas dans lesquels l'image d'un objet paraît double au même œil et d'autres fois simple. En faisant dans un pa- pier avec une aiguille deux trous séparés l'un de l'autre par un espace plus petit que le diamètre de la pupille et en regardant à travers avec un œil seulement , il y aura une certaine distance déterminée à laquelle l'objet paraî- VISION. 387 tra unique, tandis qu'à une autre plus ou moins considé- rable que la première , on le verra double ; en fermant un des trous, l'une des deux images disparaît. Evidemment, dans le premier cas , les deux faisceaux lumineux se ren- contrent sur la rétine ; dans les deux autres , la rétine se trouve plus ou moins éloignée de leur point d'intersec- tion. En regardant directement l'objet, la vision serait distincte à ces diverses distances : l'œil se modifie donc pour que ce résultat arrive. Nous devons donc trouver dans la constitution intime de l'œil quelques particularités propres à nous rendre compte de la faculté que nous avons de voir distincte- ment à toute distance. Longtemps on a comparé les divers milieux de l'œil à un appareil composé de lentilles ter- minées par des surfaces régulières et ayant toutes leurs axes sur une même ligne représentée par l'axe lui-même de l'œil. Dans cette hypothèse, tous les rayons lumineux partis d'un point quelconque d'un objet devaient être concentrés à un point unique appelé foyer, et pour que la vision fût distincte , il fallait nécessairement que la rétine fût placée de manière à ce que les divers foyers correspondants aux divers points d'un objet extérieur se formassent à sa surface. Mais comme le lieu de formation d'une image par réfraction se rapproche et s'éloigne de l'appareil réfringent en même temps que l'objet lui-môme s'éloigne ou se rapproche de cet appareil, il fallait trouver dans la constitution de Tœil une circonstance capable de remédier à ce déplacement de l'image afin de maintenir la netteté de l'impression produite sur la rétine elle-même. Dans ce but, plusieurs hypothèses furent proposées. 388 VINGTIÈME LEÇON l*' On pensa que la cornée transparente pouvait varier dans sa courbure de manière à remédier à ce déplacement de l'image. Mais l'observation a démontré que cette courbure était invariable. 2° Quelques physiologistes pensèrent que le cristallin avait la propriété de se contracter, et que les courbures de ses deux faces pouvaient changer de manière à ramener constamment l'image sur la rétine. Tout démontre que c'est là une pure hypothèse. 3" Partant de ce fait, que la pupille se dilate quand l'objet s'éloigne, et se rétrécit à mesure que l'objet se rapproche, des physiciens pensèrent que la vision des objets éloignés s'opérait au moyen des rayons traversant les bords moins réfringents du cristallin, tandis que la vision à petite distance s'opérait exclusivement au moyen des rayons passant par les couches plus réfringentes du centre du cristallin. De cette manière, l'image était tou- jours formée distincte à la surface de la rétine. Il est inu- tile de montrer ici combien cette explication est au moins bien loin d'être complète. 4° Q.uelques physiologistes crurent encore pouvoir re- courir à un déplacement du cristallin dans l'intérieur du globe de l'œil pour expliquer la vision à toute distance. Mais rien ne démontre qu'un pareil mouvement du cris- tallin s'effectue en réalité, et il serait difficile d'en con- cevoir la possibilité. 5" Enfin, on a pensé que la contraction des muscles de l'œil et la pression qui en résulte sur cet organe suffisaient pour allonger ou raccourcir son axe à volonté , par suite déplacer la rétine et la ramener sans cesse dans une po- VISION. ' 389 sition convenable pour recevoir l'image distincte de l'objet extérieur. C'est encore là une pure hypothèse, et que rien ne vient justifier. Le fait de la vision distincte à toute distance restait donc inexplicable et semblait devoir échapper à toutes les recherches des physiologistes et des physiciens , lorsque Sturm est venu placer la question sur son véritable terrain, et mettre au grand jour la raison par laquelle tous les efforts tentés jusqu'ici étaient restés impuissants. D'après les mesures prises par Chossat sur un œil de bœuf, la face antérieure de la cornée est un segment d'ellipsoïde de révolution autour du grand axe de l'ellipse que représente la section horizontale de cette cornée ; les faces du cristallin sont .des segments de deux ellipsoïdes dont chacun est de révolution autour du petit axe de son ellipse génératrice, ces deux ellipses n'ayant pas la même longueur d'axe. De plus, les axes ds ces trois ellipses génératrices des surfaces des milieux réfringents de l'œil ne coïncident ni avec l'axe de l'œil ni entre eux. Il suit de là qu'au lieu d'assimiler l'appareil optique qui représente l'œil à un système de lentilles sphériques dont les axes se confondent , il faut , avec Sturm , con- sidérer cet organe comme « composé de plusieurs milieux réfringents séparés par des surfaces qui ne sont pas exactement sphériques, ni même de révolution ou symé- triques autour d'un axe commun. » Sturm , étudiant le problème dans toute sa généralité , a montré qu'avec une semblable composition de l'œil le faisceau de rayons lumineux envoyé sur la cornée par un point situé sur le prolongement de l'axe de l'œil , ne pou- 390 VINGTIÈME LEÇON. vait pas être réfracté de manière à ce que tous les rayons pussent converger en un foyer unique ; mais voici ce qui se passe : Le cercle ABA'B', représentant l'ouverture de la pu- pille, et OX l'axe de l'œil, supposons un faisceau de rayons parallèles à l'axe tombant sur la cornée. Il y aura deux plans AOA', BOB^ perpendiculaires l'un à l'autre , tels que tous les rayons lumineux con- tenus dans le plan AOA', iront converger sur l'axe en un foyer unique F, et tous les rayons contenus dans le plan BOB' se concentrent sur l'axe en un point/. Appelons intervalle focal la distance ¥f. Au point F menons une perpendiculaire CC à l'axe jusqu'à la rencontre des rayons B/et B/ prolongés. Au pointy élevons aussi une perpendiculaire ce' à l'axe jus- qu'à la rencontre des rayons réfractés extrêmes AF, A'F. Si maintenant nous considérons un rayon lumineux traversant la pupille en un point quelconque M , situé en dehors des plans AOA', BOB', ce rayon ne rencon- trera plus l'axe de l'œil, mais sera réfracté de manière à s'appuyer à la fois sur la ligne cfc' et sur la ligne CFC. Il suit de là que : Le faisceau lumineux, qui est tombé à la surface de la VISION. 391 cornée parallèlement à l'axe sera réfracté de manière à ce que dans toute l'étendue de l'intervalle focal /F il forme un faisceau très-rétréci , très-concentré , entourant l'axe de toutes parts et terminé par une surface gauche , elle-même très-rapprochée de l'axe. C'est dans l'étendue de l'intervalle focal, entre les points / et F au point R , par exemple , que se trouve placée la rétine. Dès lors le faisceau réfracté dessine à la surface de la rétine une surface elliptique très-rétrécie autour de l'axe et sur laquelle se réunissent tous les rayons qui ont traversé l'ouverture de la pupille. Il suit de là qu'un point lumineux , placé en avant de l'œil , ne vient pas se joindre sur la rétine en un point unique , mais sur une surface très-petite , provenant de la rencontre de la rétine et du faisceau concentré autour de l'axe dans l'intervalle focal /F. Supposons maintenant que le point extérieur vienne à s'éloigner ou à se rapprocher de l'œil , l'intervalle focal tout entier /F se déplacera en même temps , de manière à ce que la rétine qui d'abord était en R se trouve en R" ou en R' , restant toujours contenue entre les points/ et F. Il en résultera que cette rétine sera toujours ren- contrée par le faisceau concentré autour de l'axe dans l'intervalle focal, et que la surface d'intersection de ce faisceau et de la membrane nerveuse sera assez peu mo- difiée pour que l'impression ne soit pas sensiblement al- térée et que la perception conserve toute sa netteté. Ce que nous venons de dire d'un point lumineux isolé s'applique à chacun des points de l'objet éclairé, situé au- devant de l'œil , et il est facile de co'uprendre comment 392 VINGTIÈME LEÇON. cette nouvelle théorie de la marche des rayons lumineux à travers les milieux réfringents de cet organe, rend compte du fait si important et qui semblait difficile à expliquer de la netteté de la vision à toute distance. l^e^ presbytes , qui possèdent une vue très -longue, sont capables de voir distinctement les objets à deux ou trois pieds de distance; dans leurs yeux, la cornée est moins convexe qne celle qui se trouve dans l'œil sain; et en effet ce défaut de la vue accompagne la vieillesse et suit la diminution générale des sécrétions de tous les tis^ sus. Par cet aplatissement de la cornée, l'intervalle focal des rayons qui partent du point de la vision distincte de l'œil sain se trouverait rejeté derrière la rétine, aussi les presbytes sont dans la nécessité d'éloigner l'objet afin de faire arriver l'image sur cette membrane. Les personnes atteintes de ce vice de l'œil ont habituellement la pupille peu dilatée , comme si elles faisaient un continuel effort pour se servir seulement du centre du cristallin , c'est-à- dire de la partie la plus réfringente. Pour corriger ce dé- faut , on est obligé de faire usage de lentilles convexes qui diminuent la divergence des rayons avant qu'ils pé- nètrent dans l'œil. De cette manière les rayons émanant d'un objet placé au point de la vision ordinaire, sont dé- viés par ces lentilles et ramenés à la direction qu'ils au- raient , si l'objet était situé à la distance à laquelle un presbyte voit distinctement. L'autre défaut de la vue, le myopisme, a une cause opposée , étant dû à une courbure trop considérable de la cornée transparente : dans ce cas , les rayons provenant du point où s'effectue la vision ordinaire, forment leur VISION. 393 intervalle focal en deçà de la rétine , aussi les myopes se servent-ils de lunettes divergentes ou concaves. Ces len- tilles augmentent la divergence des rayons avant leur in- troduction dans l'œil , et il en résulte qu'un objet placé à la distance de la vue normale , se voit sous la divergence qu'il aurait pour un myope s'il était très-rapproché de l'œil. Les ménisques convergents et divergents ouïes len- tilles jt?é?'zscopz^Me5 de Wollaston , corrigent plus efficace- ment ces défauts que les lentilles ordinaires. L'épaisseur de ces ménisques étant nécessairement plus petite que celle des verres de lunettes dont on fait habituellement usage , ils absorbent une moindre quantité de lumière et les objets conservent plus de clarté. L'achromatisme de l'œil , qui est parfait pour des ob- jets situés à la distance de la vision distincte , est dû à ce que le faisceau contracté autour de l'axe qui rencontre la rétine dans l'étendue de l'intervalle focal, contient des rayons de toute couleur dans un espace trop rétréci pour que les bandes colorées puissent se former dis- tinctement. On sait en effet que si les espaces qui séparent sur la rétine des images de diverses couleurs ou de différente intensité , sont très-petits , ces images ne peuvent être perçues séparément. La sensation que l'on en éprouve résulte de l'impression simultanée des images voisines. Ensuite, si l'on ne peut préciser exactement la cause de l'achromatisme de l'œil, d'un autre côté on ne peut se refuser à reconnaître dans la structure de son appareil lenticulaire cette variété de courbures , de pouvoir ré- fringent et dispersif des milieux , qui sont les conditions 394 YINCxTlÈME LEÇON. générales observées dans la construction des appareils op- tiques achromatiques. Comment apprécions-nous la position , la distance, la grandeur, en un mot la manière d'être d'un objet, et ses rapports avec ceux qui l'entourent? Quel est l'office des deux yeux ? ^ Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent avait pour but d'établir que c'est sur la rétine que se forme l'image d'un objet, que celle-ci est distincte mais renversée par rapport à l'ojet regardé , et que ce double effet se produit quelle que soit la distance qui le sépare de l'œil . Cependant cette image n'est pas encore la sensation , celle-ci n'ayant lieu que lorsque la modification éprouvée par la rétine aura été transmise à la conscience par l'intermédiaire du nerf optique. Mais comment la vision résulte-t-elle pour nous de cette modification faite sur la rétine parles rayons qu'y envoient les objets extérieurs? La première question qui se présente à notre examen , sans nous préoccuper de la partie métaphysique de ce sujet, est celle de la posi- tion des objets. On a beaucoup dit, pour expliquer com- ment les images se forment renversées jtar rapport aux objets qu'elles représentent: nous les voyons à l'inverse des images produites. Voir les objets à l'inverse de leurs images est ce que nous appelons voir les objets redressés. Dans l'appréciation de la position des corps , de leur re- dressement , nous ne faisons que comparer la position de leurs diverses parties avec celle des corps environnants. Sans cela , les mots renversé et redressé s 'appliquant à un objet, n'auraient plus de signification. Pour nous, un homme est droit quand ses pieds sont voisins de la terre A'ISION. 395 et que sa tête en est la partie la plus éloignée: et l'image renversée qu'il forme sur la rétine ne dérange en rien la position respective des diverses parties de l'homme par rapport à la terre. Dans l'image, les pieds sont égale- ment plus voisins de celle-ci que la tête. Si un objet se présente à nous réellement renversé relativement à la po- sition dans laquelle nous sommes habitués à le voir, nous estimons qu'il a contracté la position renversée parce que son image sur la rétine l'est également par rapport à celle que nous occupons nous-mêmes et à celle dans laquelle nous le voyons ordinairement. Nous savons qu'un homme , que chacun de nous a les pieds sur la terre : quand nous voyons que dans l'image formée sur la rétine par un dan- seur , sa tête touche la terre , nous le voyons dans une position renversée. Nous parvenons à juger de la distance et de la gran- deur des objets de plusieurs manières ; s'ils étaient pla- cés à une distance constante et toujours également éclai- rés , nous pourrions mesurer leur grandeur par celle de l'image peinte sur la rétine; on peut dire que la dimen- sion de cette image est , en général , proportionnelle à l'angle visuel que font les deux lignes droites tirées des extrémités de l'objet au centre de la rétine : nous l'ap- pelons grandeur ajoparente. Pour juger de la distance des objets , nous avons la conscience : 1° des mouvements que fait l'œil pour que le cône lumineux que l'objet en- voie à la pupille, et qui est plus ou moins divergent sui- vant la distance , forme son foyer sur la rétine ; 2" des mouvements par lesquels nous rapprochons plus ou moins l'un de l'autre les axes optiques des deux yeux 396 VINGTIÈME LEÇON. pour les faire converger sur un objet placé à différentes distances. Mais ce dernier moyen d'apprécier les di- stances ne peut plus nous servir , si les corps sont à de grandes distances, car alors les deux axes devenant pres- que parallèles , nous sommes sujets à des illusions d'optique ; ainsi les deux rangées d'arbres d'une longue allée paraissent se rapprocher l'une de l'autre à mesure qu'on s'en éloigne; les parois latérales d'une longue ga- lerie nous présentent également cette apparence. L'intensité de la lumière que nous recevons d'un objet et que nous savons diminuer avecla distance, nous sert aussi pour juger de la distance : un tel jugement devient incertain par les variations atmosphériques qui modifient incessamment la quantité de lumière qu'il reçoit. Enfin, dans la détermination de la grandeur réelle des objets plus ou moins distants de nous , nous nous servons à la fois et de l'appréciation que nous faisons de la distance, et de celle de la grandeur dite apparente , qui est mesurée par la grandeur de l'image produite sur la rétine. Les er- reurs que nous commettons fréquemment dans l'éva- luation de l'éloignement, sont une source d'illusions pour celle de la grandeur réelle; celles-ci sont surtout fréquentes dans l'obscurité , et la fantasmagorie en est un exemple. Quel est le rôle des deux yeux dans l'acte de la vision.^* Tant que l'objet est situé très-loin de nous, les images formées dans les deux yeux sont identiques, et la vision s'opère comme avec un œil seul, les axes optiques étant alors sensiblement parallèles. L'impression unique pro- duite par un corps vu avec deux yeux est , dans ce cas , VISION. 397 la conséquence d'un acte intellectuel que, par habitude, nous exécutons avec une rapidité inconcevable. Nous ne percevons pas deux objets , quoique l'image soit double , parce que l'expérience nous a appris que cet ob- jet est unique dans tous les cas oii deux représentations identiques en sont produites sur deux parties de la rétine, qui sont nécessairement correspondantes pour que la vi- sion soit distincte. Il en est de même pour l'organe du tact : en touchant une balle avec tous les doigts d'une main , on n'éprouve pas la sensation de cinq balles, mais d'une seule. Si vous regardez un corps avec les deux yeux, que vous comprimiez un de ceux-ci, de façon que les points de sa rétine où l'image est formée se déplacent l'un par rapport à l'autre , et que vous déviiez l'axe de l'un des deux yeux, le corps vous paraît double à l'in- stant même. C'est là la cause du st?^ab{sme. TJn -phéno- mène analogue se produit également pour le tact ; eh ef- fet, disposez l'un au-dessus de l'autre l'index et le médius d'une main , et touchez alors une balle avec l'ex- trémité de ces doigts ; vous éprouverez une illusion qui consistera en ce qu'il vous semblera toucher deux balles différentes au lieu d'une. WoUaston a pensé qu'une cause anatomique contri- buait à l'unité de la vision. Ce physicien croyait que les deux nerfs optiques, dans le point où ils se réunissent à leur sortie du cerveau pour se séparer ensuite et se diri- ger vers les yeux, se divisaient de telle façon que la moitié de chacun d'eux allait former la moitié des deux rétines ; de cette demi-décussation des nerfs optiques il résulte- rait que la portion de droite de chacune des deux rétines 34 398 VINGTIÈME LEÇON. serait formée des ramifications d'un même nerf, et celle de gauche par les ramifications de l'autre nerf. Par consé- quent, toutes les images formées en dehors de l'axe op- tique sont perçues par un seul nerf pour les deux yeux, et les deux nerfs excités fournissent , par conséquent , une image unique et complète. Par cette disposition anatomique serait expliqué le phénomène que Wollaston et Arago ont observé sur eux- mêmes après une longue application , phénomène con- sistant en ce qu'ils ne voyaient plus que la moitié des objets. Il faut cependant avouer que d'abord les observa- tions anatomiques ne confirment pas cette opinion, et qu'on peut aussi y opposer le fait de la sensation unique du son par les deux oreilles, au moyen de deux nerfs acou- stiques qui , certainement, sont parfaitement isolés l'un de l'autre dans la route qu'ils font pour se rendre au cerveau. Les images identiques peintes sur la rétine des deux yeux par un objet éloigné sont telles qu'il n'y a au- cune différence entre la perception produite par le corps solide en sculpture ou en relief, et le dessin tracé sur un plan en suivant les règles de la perspective. Un tableau représentant des objets que nous sommes habitués à voir à une certaine distance , s'il est convenablement éclairé dans ses diverses parties , nous représente l'image par- faite de l'original , de sorte que l'illusion est complète ; on en a un exemple dans le diorama. Mais il n'en est plus ainsi si l'objet est à une très-petite distance de l'œil. Nous devons à Wheatstone une série d'expériences très-ingé- nieuses sur ce sujet. Lorsqu'un corps solide, un cube, par exemple, est très-rapproché des yeux, la projection VISION. 399 de ce cube sur la retine de chacun d'eux y forme deux images différentes l'une de l'autre; elles se ressemblent si peu, que si on les supposait dessinées, on pourrait à peine, en les regardant, reconnaître qu'elles appartien- nent au même corps. Malgré cette différence, nous voyons l'objet unique : il faut donc conclure de ces faits que la perception en relief peut être produite par l'impression simultanée des deux images formées dans chacun des yeux ; en un mot, voir les objets tels qu'ils sont devient une illusion . Malgré les observations de Wheatstone on doit cependant admettre qu'un œil seul est capable d'ap- précier la solidité des corps , comme cela se voit chaque jour chez les personnes qui en ont perdu un. L'expérience, l'habitude , les autres sens viennent en aide et corrigent le défaut. Wheatstone est parvenu, en regardant dans le même temps les images des deux dessins obtenus en copiant les deux projections du corps solide sur la rétine des deux yeux , à éprouver la sensation même qui aurait été produite par le corps solide. Quand l'observation est faite de telle façon que les images des deux dessins se forment de la même manière et sur les mêmes points de la rétine qu'occupaient les deux projections du solide, Tillusion est complète, et il est impossible de croire que l'on a seulement devant les yeux des peintures faites sur un plan. Wheatstone a donné le nom de stéréosco2:)e à l'in- strument à l'aide duquel on parvient à éprouver cette illu- sion ; il consiste en deux miroirs inclinés , sur lesquels se forment par réflexion les images des deux peintures re- présentant les projections d'un corps solide dans les deux yeux. Les deux images sont observées en appliquant les 400 VINGTiÈME LEÇON. yeux à deux ouvertures qui laissent apercevoir les images formées sur les miroirs. Au nombre des plus curieux phénomènes de la vision est celui de la persistance des impressions reçues par la rétine. Observez un morceau de charbon ardent que l'on fait tourner : si le mouvement de rotation est suffisam- ment rapide, vous croirez voir un cercle lumineux. Il est évident que cette illusion ne peut être comprise sans admettre que la sensation produite par ce corps lu- mineux dure un certain temps , qui peut être évalué par l'intervalle nécessaire pour que le charbon , en tournant , revienne à une position donnée : de cette façon , on le voit simultanément dans tous les points qu'il parcourt successivement. L'augmentation de volume qu'éprouve une corde en vibration, la disparition des rais d'une roue qui tourne avec une grande rapidité, la traînée lumineuse des étoiles filantes , la couleur blanche que présente un disque recouvert des sept couleurs du spectre auquel on imprime un mouvement de rotation , sont des phéno- mènes dépendant d'une même cause, la persistance des impressions surla rétine. Si la lumière est instantanée, tous ces phénomènes cessent. Regardez fixement pendant quelques instants un corps très -éclairé, fermez les yeux, vous le verrez encore. Pour arriver à déterminer la durée de cette persistance, Aimé a imaginé de faire tourner en sens inverse deux disques fixés sur un axe unique, et dont l'un porte un grand nombre de trous en forme de secteurs égaux entre eux et symétriquement distribués ; l'autre, à une seule ouverture semblable. Si l'on fait tomber un faisceau de lumière sur cet appareil mis en VISION. 401 mouvement dans un endroit obscur, l'œil qui regarde le long de l'axe commun des deux disques, aperçoit tantôt un secteur éclairé dont la position est variable et dépen- dante de la coïncidence de l'ouverture unique du second disque, avec chacune de celles du premier, tantôt deux, tantôt trois, puis davantage encore, et enfin un disque de lumière. Ces diverses impressions dépendent de la ra- pidité de la rotation. Il n'y a qu'un seul secteur si la vi- tesse du mouvement est telle que la seconde coïncidence ait lieu quand l'impression faite sur la rétine de la première a cessé. Il y a deux secteurs si l'impression persiste quand la deuxième coïncidence a lieu, et ainsi de suite. Il devient donc facile, au moyen de cet appareil, de déterminer la durée des impressions sur la rétine. Des appareils très-ingénieux, qui servent également de jouets aux enfants, ont été construits d'après ce même principe de celui d'Aimé, que je viens de vous décrire : on dispose en rond, sur un cercle, un certain nombre de marionnettes parfaitement semblables par leur habillement et leurs formes , mais ayant chacune un mouvement particulier à exécuter ; elles sont rangées les unes à la suite des autres, représentant chacune la position d'un exercice donné, comme par exemple de faire mouvoir une scie, déjouer du violon, de danser, etc.; le premier cercle est aperçu à tra- vers les fentes d'un second. En les faisant tourner tous les deux sur un même axe, l'œil reçoit l'impression de cha- cune des positions occupées par chaque marionnette , au moment du passage de l'ouverture qui lui correspond, et conserve l'impression de la précédente jusqu'à la sui- vante. De Ciiiie persistance résulte un effet semblable à UO'2 VINGTIÈME LEÇON. celui qui serait produit par l'objet représenté en mouve- ment. Plateau, qui a fait de longues études sur ce sujet, a découvert que, pour produire une impression complète, la lumière doit avoir agi pendant un certain temps ; que la durée totale de l'impression est la même pour toutes les couleurs et peut être approximativement évaluée à 0",34; que l'intervalle de temps pendant lequell' impres- sion conserve la même intensité est d'autant plus consi- dérable que la lumière a été plus modérée ; qu'il est diffé- rent pour divers rayons de différentes couleurs; par exemple , il est plus long pour le bleu que pour le rouge et la lumière blanche , et qu'enfin la durée totale des im- pressions est d'autant plus persistante que la lumière a été plus intense et son action moins prolongée. Le boulet d'un canon ne donne pas l'impression de son chemin comme le fait une étoile filante , à cause du peu d'inten- sité de sa lumière. Outre cette persistance des impressions reçues par la rétine , il se passe en nous d'autres phénomènes non moins curieux , qui arrivent lorsque nous avons fixé un objet pendant un certain temps. Regardez un disque d'une couleur quelconque, placé au milieu d'un carton noir, et, après l'avoir fixé pendant un certain temps , portez rapidement les yeux sur un fond blanc , ou cou- vrez-les au moyen d'une toile , il vous semblera voir alors un disque semblable par sa forme au premier, mais ayant une couleur compUmentaire de celui-ci. Ainsi , si le disque est rouge , l'image sera verte; s'il est jaune, elle paraîtra violette ; s'il est blanc , elle vous semblera grise. YISION. 403 Ces sensations apparentes ont reçu le nom de couleurs accidentelles. Plateau semble avoir démontré que ces images cessent , après avoir présenté une série singulière des phénomènes : ainsi il paraît qu'après un certain temps elles s'évanouissent pour faire place à une image qui a réellement la couleur de l'objet; cette seconde disparaît, et celle de la couleur complémentaire se montre de nou- veau. Ces images iraient ainsi en s' affaiblissant , après avoir éprouvé cette série d'alternatives. Les couleurs accidentelles forment entre elles des com- binaisons comme celles qui sont réelles ; voici le fait qui met hors de doute la réalité de cette curieuse observa- tion : placez sur un fond noir deux petits carrés de pa- pier, l'un de couleur, par exemple, violette, l'autre oran- gée , et dont les centres sont occupés par des points noirs. Portez alternativement les yeux de l'un à l'autre de ces points, et, après chaque passage, fermez les yeux, et vous croirez alors voir trois carrés : un jaune, qui est complémentaire du violet ; un bleu , complémentaire de l'orangé, et un troisième, au milieu des deux autres , de couleur verte , qui a précisément la nuance formée par le jaune et le bleu. Dans cette expérience, les impressions primitives produites sur la rétine ne sont que la superposi- tion des deux impressions partielles qui se manifeste- raient, sil'on n'observait qu'un seul des pointsnoirs ; mais comme les axes optiques n'ont pas la môme direction, sui- vant que l'on regarde l'un ou l'autre de ceux-ci, il eh résulte que ce ne sont pas des points symétriques de la rétine qui reçoivent les deux impressions partielles. De la juxtaposition des deux carrés résulte que l'image acci- UOU VINGTIÈME LEÇON. dentelle de l'orangé, pour la première impression par- tielle , se superpose à celle du violet pour la seconde. Le carré intermédiaire que l'on aperçoit en fermant les yeux est dû à cette superposition ; par conséquent , il faut con- clure que le jaune et le bleu accidentels forment le vert, comme le bleu et le jaune réels. On arriverait à cette même conclusion, quelles que fussent les couleurs des deux carrés. Cependant on observe une différence quand ils sont teints de couleurs complémentaires ; dans ce cas , le carré intermédiaire, provenant de la superposition des images accidentelles, est noir et non pas blanc, comme cela a lieu dans le mélange des deux couleurs réelles. Les couleurs accidentelles se combinent avec les réelles , exactement comme le font ces dernières entre elles. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer une image acci- dentelle colorée , non pas sur un carton blanc , mais sur un carton coloré : l'image n'a plus la couleur complémen- taire, mais bien celle qui résulte du mélange de cette couleur avec celle du carton que l'on fixe. Enfin, je veux vous dire quelques mots des couleurs accidentelles qui se forment autour des objets dans le mo- ment même où on les fixe. Si l'on regarde pendant un certain temps un objet coloré, qui est placé au milieu d'un carton blanc , on voit apparaître sur ses bords une au- réole revêtue de la couleur complémentaire. Observez une bande de papier blanc collée sur une feuille colorée , et mettez-la près d'une fenêtre pour qu'elle reçoive le plus de lumière possible; bientôt la bande vous paraîtra avoir contracté la couleur complémentaire de celle de la feuille. VJSION. Zl05 Tous les corps blancs fortement éclairés paraissent avoir une étendue plus considérable que les objets noirs quoi- qu'en réalité ils aient des dimensions égales. Cette ex- périence réussit assez bien en se servant de deux disques égaux, l'un noir, placé sur un fond blanc, l'autre blanc mis sur un fond noir ; ce dernier semble être plus grand que l'autre. Tous ces faits prouvent évidemment que cha- que impression produite sur la rétine est accompagnée d'une auréole accidentelle, de sorte que l'excitation s'é- tend au delà des points de la rétine où l'image se forme. On sait faire des applications importantes de ces prin- cipes dans tous les arts où l'on emploie des objets colorés. Si les couleurs qui sont voisines et qui s'influencent mu- tuellement sont complémentaires l'une de l'autre, il ré- sulte pour elles , de leur action réciproque , un éclat plus vif : le blanc et le noir deviennent l'un plus brillant , l'autre plus foncé. Au contraire, toutes celles qui sont voisines dans la série des sept couleurs , si elles viennent à être placées les unes à côté des autres, s'affaiblissent, se dénaturent les unes les autres. Les tableaux , les tapis , les papiers peints , les décorations , en général , présen- tent quelquefois des effets faux , si dans leur composition on n'a pas observé les influences réciproques des couleurs voisines. Nous devons à M. Chevreul un ouvrage remar- quable et complet sur ce sujet. Je ne puis entièrement passer sous silence l'ingénieuse théorie au moyen de laquelle Plateau a essayé d'expliquer tous les phénomènes dont nous venons de vous entretenir. D'après Plateau, quand la rétine a été impressionnée et ébranlée par la lumière émanant d'un objet , et que la /l06 YINGTIÈME LEÇON. cause de l'excitation a cessé , la rétine revient à sa po- sition normale, après une série d'oscillations décrois- santes. Les états par lesquels elle passe successivement pendant la durée de ces oscillations , produisent des sen- sations opposées. Il y a opposition entre le noir et le blanc , et , en général , entre les effets produits par deux couleurs complémentaires. En eflfet, deux couleurs accidentelles complémentaires produisent , par leur superposition , du noir, c'est-à-dire un effet nul. Pendant la durée de l'exci- tation de la rétine , les points de celle-ci , qui sont voi- sins de ceux sur lesquels l'image se forme , éprouvent également des oscillations qui , étant identiques à celles qui se produisent sur une membrane tendue , doivent être en direction opposée de la première, de même que nous savons être, en sens contraire, les vibrations de deux concamérations Y oisines d'une plaque vibrante. Il y adone une auréole voisine qui produit Feifet d'une couleur com- plémentaire, ou celui d'un état opposé. En un mot, une portion de la rétine étant dérangée de son état normal , et la cause du dérangement ayant cessé, elle revient au repos par une série d'oscillations qui va- rient de sens et d'intensité avec le temps. Le mouvement qui lui est imprimé se propage dans les parties voisines, s'y étend par une série d'oscillations qui varient aussi d'intensité et de sens , selon leur distance du lieu de l'im- pression directe. FIN. TABLE. Avis de l'éditeur Page i DÉDICACE iij Première leçon. — Introduction 1 Deuxième leçon. — Attraction moléculaire. — Capillarité. — Imbibition 15 Troisième leçon. — Endosmose 31 Quatrième leçon. — Absorption chez les animaux et les végé- taux • 72 Cinquième leçon. — Digestion 92 Sixième leçon. — Respiration. — Endosmose gazeuse 111 Septième leçon. — Hématose. — Nutrition. — Chaleur animale. 129 Huitième leçon. — Phosphorescence des corps organisés. . . . 151 Neuvième leçon. — Courant électrique musculaire 175 Dixième leçon. — Poissons électriques. — Courant propre de la grenouille 190 Onzième leçon. — Action physiologique de la pesanteur, de la lumière , du calorique 214 Douzième et treizième leçons. — Action physiologique du courant électrique 227 Quatorzième et quinzième leçons. — Force nerveuse. . . . 258 Seizième leçon. — Contraction musculaire. — Mécanique ani- male ■ 305 Dix-septième leçon. — Circulation du sang* 318 Dix-huitième leçon. — Appareil vocal. — Voix 344 Dix-neuvième leçon. — Audition 358 Vingtième leçon. — Vision 375 PIN DE LA table. ^ . A , 7X£> nr- *» 30 03=== — 0 « >W = 3 0 NJ» ^^3-3 ro rvû^ g (A ODD ^w ,- 0 o = _=<« 0 -p^ — -p^^ 5 u) o = 3- -p^^ cn=: __ 0 3 ^^^B ^■^ m O)^ 3 0) CD^ "^nJ ^ss 3- ^SE -nI^ = m2. = 0« -1:^=^ ^5^ ^— V" ' ^ 'm- 'f , ?J8 %^ ■ . tr tr- "*>•* ^^ :*^.i V lu