HARVARD UNIVERSITY e Library of the Museum of Comparative Zoology | HARVARD-COLLEGE LIBRARY | GIFT-OF DANIEL: B-FEARING CLASS -OF-1882 ‘A M'I9II OF-NEWPORT “POTS” j|. THIS-BOOK-1§-NOT-TO-BE-SOLD-OR-EXCHANGED || —— — —_ —— — — — Le == —— A — = = = _— = — = ‘ — ee = ———— ————— ———— ee = — === — — EE oe — —<$—=— = ———— = ——————— ——— = = ——————— — ——- rm —_—_— = = : ——— —————————— Sass EE a “i = — SSS | SSS —— ——— —————— ———— = —{ —— \l f 1] - —$—> oo ooo: = LES ABIMES DE LA MER | ae es 22 _ PARIS. — OUEN E. MARTINE 4 3S CHA Pri AE CH a ; j » Ga =. * ‘a C r y 4 < Ps 3 ; ; } i LE is ‘ i ; ÿ 3 ‘ ; + ra L 2 va ee 3 LES ABIMES DE LA MER RECITS DES EXPEDITIONS DE DRAGUAGE DES VAISSEAUX DE S. M. LE PORCUPINE & LE LIGHTNING PENDANT LES ETES DE 1868, 1869 & 1870 SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE DU De CARPENTER, DE M. J. GWYN JEFFREYS & DU De WYVILLE THOMSON PAR C. WYVILLE THOMSON Professeur de sciences naturelles à l'Université d'Édimbourg Directeur de létat-major scientifique civil des explorations du vaisseau le Challenger OUVRAGE TRADUIT AVEC LAUTORISATION DE L'AUTEUR PAR: LE) DLORTET Professeur à la Faculté des sciences de Lyon Directeur du Muséum d'histoire naturelle SUMMACONUEENN ANS SE GRAVORES SUR BOnr- ET 8 CARTES PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET C': 79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 1879 Tous droits réservés. \) HARVARD COLLEGE LIBRARY GIFT OF DANIEL 8, FEARING 30 JUNE 1018 MCZ LIBRARY HARVARD UNIVERSITY CAMBRIDGE. MA USA Special Collections ee A MA MERE EMMELINE BROUZET Dans le sein de Dieu où vous reposez, vous connaissez ces merveilles de la vie si largement répandue dans les abimes de lPOcéan. Ce livre, lorsque nous le lisions ensemble, nous avait fait entrevoir ces mysté- rieuses régions. Le voile est à présent déchiré pour vous, mais vous m'avez laissé seul sur la rive..... LORTET AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR L'exploration des mers profondes est un fait capital au point de vue de l’histoire de notre terre. La géologie, la zoologie, la physiologie, la physique, lui doivent des décou- vertes importantes actuellement complétées par la commis- sion scientifique montée sur le navire anglais le Challenger. On peut dire que les savants qui les premiers, sur le Light- ning et le Porcupine, ont étudié les abimes des mers, ont marché de surprise en surprise. On croyait que dans ces régions toute vie était impossible, et cependant une faune abondante, exubérante même, les anime de toutes parts. Des animaux supérieurs ont été retirés des grandes profon- deurs, où la pression est énorme, où les physiologistes ne pouvaient admettre le fonctionnement régulier des orga- nismes vivants. Ces mers profondes semblaient condam- nées à une obscurité éternelle; mais la encore la lumière est engendrée partout, et largement répandue par d’innom- brables animaux phosphorescents. Elle est assez intense pour permettre aux êtres pourvus d’yeux de se servir utile- Vill AVANT-PROPOS. ment de ces organes. Les physiciens avaient affirmé que les dépressions océaniques étaient remplies d'une eau immobile, présentant une température invariable de 4’, température du maximum de densité de l'eau douce. Mais l'expérience a donné tort aux théories : cette couche immo- bile à 4° ne se rencontre nulle part, et partout de larges et rapides courants chauds ou froids font circuler l'eau, renouvellent les gaz qu'elle renferme et permettent la vie. Ce sont là les artères et les veines du grand Océan. Renfermée dans son étroit bassin, la Méditerranée ne peut respirer ainsi, et les êtres vivants manquent presque complétement dans ses profondeurs, dont l’eau est cor- rompue par les impuretés du Nil, qui est en quelque sorte le grand égout de l'Afrique orientale. On pensait que depuis longtemps déjà les principaux représentants des faunes anciennes avaient disparu par suite des changements géologiques survenus à la surface du globe. Mais les nombreuses Éponges siliceuses, les Encrines qui peuplaient les mers jurassiques, les Oursins des périodes crétacées, retirés des abimes océaniques par M. Wyville Thomson et ses collaborateurs, ont montré que, pendant des myriades de siécles, les mémes formes animales ont persisté Jusqu'à nos jours, en se modifiant légèrement dans les mers profondes. Les travaux de Sars, de Forbes, de Wallich, d'A. Milne Edwards, de Pourtalès et d’Agassiz avaient préparé les voies et appelé l'attention sur ces recherches et ces études. C'est un grand honneur pour MM. Wyville Thomson, Carpenter et Gwyn Jeffreys d'avoir pu réaliser les décou- AVANT-PROPOS. IX vertes que quelques-uns avaient vaguement entrevues. C'est une gloire pour l'Angleterre d'avoir largement donné à ces savants les moyens de mener à bonne fin ces nobles travaux, dont l'importance peut dépasser toutes les prévi- sions. Depuis deux ans un navire de la Marine royale an- gluse, sous la direction scientifique du professeur Wyville Thomson, sillonne en tous sens l'Atlantique et le Paci- fique, pour continuer dans ces vastes bassins les recher- ches commencées autour de lrlande et des îles Farôer par le Lightning et le Porcupine, dont nous racontons ici les pérégrinations. Le Challenger (la Provocante) est une corvette a hélice admirablement outillée pour les recherches scientifiques de toute nature. « Sa machine à vapeur a la » puissance de 400 chevaux, et six embarcations, dont une » à vapeur, sont suspendues à ses flancs. Le Challenger » était armé de dix-huit canons; mais n'ayant personne » à provoquer dans un voyage absolument pacifique, seize » de ses canons furent débarqués et remisés à l'arsenal. » Le pont tout entier a été livré aux installations scienti- » fiques. L’arriére-cabine sous la dunette est le logement » du commandant, le capitaine Nares, et du professeur » Wyville Thomson, d'Édimbourg, chef scientifique de » l'expédition. Cette cabine communique avec une grande » pièce ayant 9 mètres de long sur 3",06 de large, servant » de cabinet de travail. Des deux cabines situées à la suite, » celle de babord est un laboratoire de zoologie, l’autre le » dépôt des cartes marines. Une grande table, placée au » milieu du laboratoire, porte quatre microscopes fixés par » des écrous, éclairés par des lampes et accompagnés de » AVANT-PROPOS. pinces, de ciseaux et autres instruments de nickel, afin de n'être pas rouillés par Peau de mer. Du plafond, auquel sont fixés des harpons, des tridents, des boites de ferblanc, pendent des tables suspendues, indispen- sables pour travailler pendant le roulis. De nombreuses étagères portent des bocaux de toute grandeur, et un robinet communiquant avec un réservoir d'alcool permet de les remplir immédiatement. Sur un rayon sont rangés les livres les plus indispensables. Vers le milieu du pont, à babord, se trouve une pièce obscure à Pusage du pho- tographe, et à tribord le laboratoire de physique et de chimie. Presque toute la partie de avant est occupée par les appareils de sondage, les dragues, une pompe hydraulique, un aquarium dont eau se renouveile incessamment, et d'autres objets encombrants. » Le navire est sous les ordres du capitaine G. Nares ; son second, M. Maclear, fils de l’ancien directeur del ob- servatoire du Cap, sir Thomas Maclear, est chargé des observations magnétiques. Le professeur Wyville Thom- son se consacre à l'étude des animaux inférieurs avec le D° Willemoes-Sulsm, élève du professeur Siebold, de Munich. M. Murray s'occupera surtout des animaux vertébrés, et M. Moseley des collections botaniques. Le chimiste est M. Buchanan, et M. Wild, de Zurich, le dessinateur. Un sous-officier du génie, habile photo- graphe, a été adjoint à la commission. Pénétré de lim- portance d’une mission scientifique, les officiers de marine composant l'état-major du Challenger ont déployé le plus grand zèle afin de rendre les installations aussi. ) TZ AVANT-PROPOS. x commodes que possible pour favoriser les recherches des savants embarqués avec eux. Ils ont compris qu'une campagne de ce genre fera plus d'honneur à l'Angleterre que les transports de troupes ou de matériel, de mis- sionnaires où de personnages diplomatiques, auxquels ils sont si souvent condamnés *. » Muni de tous ses appareils, le Challenger partit de Portsmouth le 21 décembre 1872; il arrivait à Lisbonne le 3 janvier 1873, contrarié sans cesse par le mauvais temps, et le 12 du même mois à Gibraltar. Quelques sondages exécutés sur les côtes du Portugal donnèrent déjà des résultats intéressants pour la physique du globe, mais la campagne proprement dite commence aux Cana- ries. Dans le voismage de cet archipel, on rencontra des profondeurs qui ne dépassaient pas 2770 mètres. Bientôt, à partir du 20° degré de longitude, elles augmentèrent rapidement et se tinrent entre 4000 et 5700 metres; puis entre le 40° et le 50° degré de longitude, le navire se trouva au-dessus de l'extrémité d'un vaste plateau sous- marin qui, sous la forme d'une S, s'étend, au nord de Péquateur, du 20° au 52° parallèle. Sur ce plateau la sonde n’accusait que 2500 mètres environ *. A partir de ce point, les grandes profondeurs recommencérent. Dans le voisinage des iles Vierges, un des groupes des An- tilles, la sonde plongea jusqu'à 5530. Après une relache à Vile danoise de Saint-Thomas, la corvette repartit en se 1. Charles Martins, dans Revue des deux mondes, 15 août 1874, p. 768 et suiv. 2. Voyez les cartes dans Ocean Highways, octobre 1873; et PETERMANY’s Geogra- phisch Mittheilungen, 1873, n° XI. 7 7 C4 7 AVANT-PROPOS. dirigeant vers les Bermudes. C'est en quittant Saint- Thomas, et à 80 milles marins! au nord de cette ile, que la sonde descendit à l'énorme profondeur de 7137 mètres, savoir 2327 mètres de plus que la hauteur du mont Blanc. Sur la ligne de Saint-Thomas aux Bermudes, et des Bermudes a Halifax, le Challenger mesura des profondeurs considérables, comprises entre 3700 et 5400. De Halifax, le Challenger revint aux Ber- mudes pour traverser de nouveau Atlantique dans toute sa largeur, de l’ouest à lest, en passant sur les. points signalés comme les plus profonds. Le résultat de neuf sondages exécutés par son infatigable équipage donne une moyenne de 4800 mètres, exactement la hauteur du mont Blanc, profondeur qui se réduit à 2990 sur le plateau sous-marin en forme d’S dont nous avons parlé, et à 1800 au milieu des iles de l'archipel des Acores. Dé Saint-Miguel, la principale de ces iles, la corvette revint le 16 juillet à Madère, que l'expédition avait quitté le 5 février. Le navire mit ensuite le cap sur les Canaries, et de la sur les iles du Cap-Vert, où il aborda le 27 juillet. De ces iles le Challenger traversa une troisième fois l'Atlantique de lest à l’ouest, et arriva à Bahia le 14 septembre, sans avoir trouvé de profondeurs. supérieures à 4600 mètres sur des points où des sondes. antérieures accusaient 12 000 mètres, preuve de lim- perfection des anciens appareils de sondage. Les nombres. du Challenger sont dignes de confiance à une centaine 1. Le mille marin est de 1852 mètres. AVANT-PROPOS. XIN > de mêtres près, et ils permettront de faire dans Océan > des profils bathymétriques comparables aux profils alti- > tudinaux de nos plateaux et de nos montagnes *. » Lf! Les savants de l'expédition du Challenger examinant les produits de la drague. Le Challenger continue aujourd'hui l'exploration régu- 1. Ch. Martins, loc. cit., p. 773. XIV AVANT-PROPOS, li¢re des mers de l'Australie et de la Malaisie ; autant qu’on peut laflirmer par les courtes notes parvenues en Europe, les résultats scientifiques de cette expédition sont des plus importants. En terminant, quil me soit permis de témoigner un regret et d'émettre un vœu: Pourquoi, depuis la mort de lillustre Dumont d'Urville, notre marine est-elle systéma- tiquement tenue à l'écart des recherches scientifiques? Malgré la prospérité de ses finances, le second empire oublia ce qui faisait les forces de notre marine, ce qui donnait une instruction solide et hors ligne a notre corps d'officiers : les travaux scientifiques, les voyages lointains de circumnavigation. Aujourd'hui encore, lorsque tant de nos navires croiseurs pourrissent dans les ports, lorsque tant d’équipages sont décimés par la fièvre et l'ennui dans des parages malsains, pourquoi, ‘tout en tenant compte des intérêts puissants du commerce et de la politique, ne veut-on pas profiter d’un matériel si complet et d’intel- ligences si dévouées, pour marcher sur les traces des An- glus et des Américains, et pour conquérir quelques-unes de ces nobles couronnes qui ne font couler niles larmes ni le sang? PRÉFACE Après avoir terminé les expéditions de draguage dans les grandes profondeurs, entreprises en 1868, 1869 et 1870 par PAmirauté, à Vinstigation du Conseil de la Société Royale, il a semblé convenable à ceux qui en avaient la direction scientifique dinitier le public à leurs travaux. Il fallait aussi justifier, en montrant l’importance des résultats acquis à la science, la libéralité dont le Gouvernement a fait preuve en accédant au désir manifesté par la Société Royale, en mettant à sa disposition les moyens d'exécuter les recherches projetées. Il est bon aujourd'hui d'exciter l'intérêt par le récit de ces entreprises et de pousser ainsi ceux qui en ont le gout et les moyens à pénétrer plus avant dans cette nouvelle et étrange région que nous avons eu la bonne fortune d'aborder parmi les premiers. Ce compte rendu devait être une œuvre collective à laquelle XVI PRÉFACE. chacun apporterait sa part; mais à l’exécution, cependant, ce plan offrit quelques difficultés : chacun de nous était très- occupé; les nombreuses communications et la correspondance active qu'eût exigées ce travail de collaboration, menaçaient de devenir une sérieuse et pénible complication. Il fut done décidé que je me chargerais de la besogne de reporter. Voilà comment je me trouve responsable des opinions et des faits énoncés dans cet ouvrage, à l'exception cependant de ceux dont la source est de quelque facon nettement indiquée. Depuis nos recherches dans les grandes profondeurs, il nous arrive de tous côtés, d'Angleterre et de l'étranger, des demandes de renseignements sur notre manière de procéder et sur le matériel dont nous nous servons. Pour y répondre, jai décrit avec détail les opérations de sondage et de dra- euage; je désire que les chapitres qui traitent spécialement de ces sujets, et qui sont le résultat d’une grande expérience, fournissent aux commencants des indications utiles. Je mai pas fait d’études approfondies de chimie, et j'aurais de beaucoup préféré m'en tenir à la biologie, qui est mon véritable domaine : mais certaines questions de physique se sont imposées à nous pendant nos récentes explorations ; elles ont une si grande portée à cause de leur influence sur la distribution des êtres vivants, qu'il m'a été impossible de ne pas étudier avec une sérieuse attention leurs rapports géné- raux avec la géographie physique. Je me suis fait à leur égard des idées très-arrètées, qui, je le dis à regret, ne se trouvent pas entièrement d'accord avec celles du D" Carpenter. Les points principaux sur lesquels mon ami et moi sommes « con- venus de différer d’opinion », sont traités dans le chapitre relatif au Gulf-stream. J’avais d’abord eu l'intention de faire suivre chaque chapitre d’un appendice contenant les listes et la description scientifique PRÉFACE. XVIE des formes animales étudiées. La chose n’a pas été possible, à cause du grand nombre d'espèces non les mains des spécialistes chargés de l'examen et de la classification des dif- férents groupes. Je ne suis pas bien sûr d’ailleurs que ces listes eussent fait un complément convenable pour un ou- vrage qui nest, après tout, qu'une es- quisse préliminaire destinée au public. Le thermométrique centigrade sont seuls système métrique et léchelle employés dans ce volume. Le système métrique est connu de tout le monde; dans le cas où la notation centigrade, qui reparait fréquemment à cause de l'étude des distributions de la tempé- rature, le serait moins, on trouvera ci-contre un tableau de comparaison comprenant les échelles de Fahrenheit, de Celsius et de Réaumur. J'ai toujours eu soin de rappeler les sources auxquelles j'ai puisé mes ren— seignements, et l’aide amicale que j'ai reçue de chacun pendant le cours de nos travaux. Il me reste à renouveler ici mes remerciments au commandant d'état-major May et aux officiers du Lightning, au capitaine Calver et aux officiers du Porcupine; leur active coo- pération et leur sympathie ont puis- décrites encore entre 85 80 75 70 65 60 55 50 1111] ial samment aidé à l’accomplissement de notre tache. Je remercie mes collègues le D' Carpenter et M. Gwyn Jeffreys, qui m'ont b XVII PREFACE. aidé de tout leur pouvoir, et les savants auxquels les animaux de toute espèce ont été confiés pour en faire l'étude et la des- cription : le Rév. A. Merle Norman, le professeur Kolliker, le D' Carter, le D' Allman, le professeur Martin Duncan, et le D' M‘Intosh pour les renseignements qu'il a bien voulu nous donner avec la plus grande obligeance. Les dessins qui ornent ce volume, à l'exception des vues de Farôer dues à Vhabile crayon de M™ Holten, sont de mon ami J. Wild; mais c'est à peine si j'ose le remercier pour le talent avec lequel il a accompli sa tâche : chaque dessin était par lui étudié avec tant d'amour, que je serais presque disposé à lui envier la jouissance que doit lui procurer le résultat de son travail. Je désire faire ici mes remerciments à M. Cooper, qui a gravé sur bois avec fidélité et élégance les beaux dessins de M. Wild. Lorsque le Porcupine revint de sa dernière expédition, on comprit si bien l'importance des nouvelles découvertes pour la solution de certaines questions de biologie, de géologie et de physique, que le Conseil de la Société Royale insista de nouveau auprès du Gouvernement pour obtenir l’organisation d’une nouvelle expédition qui devait traverser les grands bassins océaniques et jalonner le plan de ce vaste et nouveau champ d’études, le lit de la mer. Le contre-amiral Richards, hydrographe de la marine, appuya chaudement cette proposition, et aujourd'hui même, sous son habile direction, dans le port de Sheerness, un beau vaisseau est armé en vue des recherches scientifiques, comme jamais navire d'aucune nation ne l’a encore été. L’état-major du Challenger comprend bien que pour long- temps encore son role est d'agir et non de parler; cependant, à la veille du départ, il me semble qu'il est juste de saisir cette occasion pour rendre au Gouvernement le témoignage que PRÉFACE. XIX rien n'a été négligé pour assurer le succès de l'entreprise : à moins de chances bien contraires, on peut affirmer que nous devons obtenir les plus sérieux résultats. CE. WYVILLE THOMSON. 7° 0 Greew Carte de Varchipel des Farüer. TABLE DES MATIÈRES CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION. La question d’une limite à la vie à certaines profondeurs. — Lois générales qui règlent la distribution géographique des êtres vivants. — Recherches et idées du professeur Forbes. — Centres de création des espèces. — Espèces représentatives. — Provinces zoologiques. — Rapports de la doctrine de Evolution avec l’idée de Espèce et les lois de la distribution des formes animales. — Causes qui doivent agir sur la vie à de grandes profondeurs : la pression, la température, absence de lumiére...... I CHAPITRE Il CROISIÈRE DU LIGHTNING. « Projets d'exploration du fond des mers. — Ce qu'on espérait de ces recherches. — Correspondance entre le conseil de la Société Royale et ’Amirauté. — Départ de Stornoway.— Les iles Farôer.— Singulière température dans le détroit des Faréer. — La vie abondante à toutes les profondeurs. — Brisinga coronata. — Holtenia Car- penteri. — Résultats généraux de l'expédition. — Appendice A. — Détails sur la pro- fondeur, la température observées aux diverses stations du vaisseau de S. M. le Lightning pendant lété 1868. Les températures sont corrigées suivant les BUESSIONS 2 PA nl see à ee ob NU REV ee eee PROS CR DRE NE tard Pres ee CHAPITRE III CROISIERES DU PORCUPINE. Equipement du vaisseau. — Premier voyage sous la direction de M Gwyn Jeffreys, sur les côtes ouest de llrlande et dans le détroit qui sépare Rockall de l'Écosse. Le draguage poussé jusqu’à 1470 brasses. — Changement de projet. — Second voyage XXII TABLE DES MATIÈRES. à la baie de Biscaye. — Réussite du draguage à 2435 brasses. — Troisième croisière dans le canal entre Farüer et les Shetland. — La faune de la région froide...... 70 APPENDICE A. — Documents et rapports officiels sur les préliminaires des explorations faites par le vaisseau garde-côte le Porcupine pendant l'été de 1869 ......... 112 APPENDICE B. — Détails sur les profondeurs, la température, et la position des di- verses stations draguées par le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine pendant l'été de ABODE RMI a Se Le RE are SR PAPE ER ICS ENARIES 119 CHAPITRE IV CROISIÈRES DU PORCUPINE (SUITE). De Shetland à Stornoway. — Phosphorescence. — Les Echinothurides. — La faune de la région chaude. — Fin de la croisière de 1869. — Organisation de la croisière de 1870. — De l'Angleterre à Gibraltar. — Conditions particulières de la Méditer- pances-— Retour a /OOWes. EEE ACUN Sess ctw 'y de Te eae ae ERLE ot aaa ea 134 APPENDICE A. — Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres documents officiels ayont trait à la croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine pen- dant OST EN ap a ah as oe DRE RER Lee PÈRE 165 APPENDICE B. — Tableau des profondeurs, des températures et des positions aux diverses stations de draguage du vaisseau de S. M. le Porcupine pendant l'été de 1870... 169 CHAPITRE V SONDAGES PROFONDS. ” 4 sonde ordinaire pour les profondeurs moyennes. — Elle est sujette à erreur quand on s'en sert dans les grandes profondeurs. — Il ne faut pas compter sur l'exactitude des pre- miers sondages profonds qui ont été faits. — Moyens perfectionnés de sondage. — Le plomb en forme de coupe. Instrument de sondage de Brooke. — Sonde du Bull-dog, de Fitzgerald. — L'hydre. — Sondages du Porcupine. — Contour du lit de PAtlan- tique du Nord." RIRE ONCE MERE PEN NE OUTRE PONTS 171 CHAPITRE VI DRAGUAGES PROFONDS. Drague du naturaliste. — O. F. Müller. — Drague de Ball. — Le draguage dans les profondeurs moyennes. — Corde à draguer. — Le draguage dans les grandes pro- fondeurs. — Les houppes de chanvre. — Le draguage à bord du Porcupine. — Les tamis. — Le carnet du dragueur. — Commission de draguage de l'Association TABLE DES MATIÈRES. XXII Britannique. — Le draguage sur les côtes de la Grande-Bretagne. — Le draguage au loin. — Histoire des progrès accomplis dans létude de la faune des abimes.. 198 APPENDICE A.— Bulletin de draguage publié au nom de la commission de l'Association (D Xa f Rpm anemic at NW Ms AMEE ON acct 2, nt ae septal A te, oop lar oat ot ean eee rah 231 CHAPITRE VII TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. Des courants de l'Océan et de leur influence sur les climats. — Relevé des températures de’surface. — Thermométres pour les grandes profondeurs. — Thermomètre enre- gistreur ordinaire, d’après le système de Six. — Thermomètre perfectionné de Miller- Casella. — Observations de températures faites pendant les trois croisières du navire des: M le Porcupine pendant l’année 1869; etc... 2... 0... MR. 239 APPENDICE À. — Températures de surface relevées à bord du navire de S. M. le Porcu- mee pendant: les cles de 1869 et 18701 See ne Re. 278 APPENDICE B. — Températures de la mer à différentes profondeurs sur la limite orien- tale du bassin de PAtlantique du Nord, relevées au moyen de sondages en séries et A MO A SUR AA nn nn ren Lee AU cote De 296 APPENDICE C. — Rapports entre la réduction de la température, l'abaissement et l'accroissement de la profondeur à trois stations situées sous des latitudes différentes, mais toutes sur la limite orientale du bassin de PAtlantique.................. 297 APPENDICE D. — Température de la mer à différentes profondeurs dans les régions chaudes et dans les régions froides qui se trouvent entre le nord de l'Écosse, les îles Shetland et les iles Faréer, relevée au moyen de sondages en séries et de sondages COR LTTE Dh RL Ae Liu mi MR aA oR Varie Me ES MS, 298 APPENDICE E. — Températures intermédiaires provenant du mélange des courants chauds et des courants froids sur les limites des régions chaudes et des régions HER Sun Me in Gin 5 4 oe Ne Rc IE De M Nes Done Nasa re 299 CHAPITRE VIII LE GULF-STREAM. Théâtre des recherches faites sur la température par le Porcupine. — Les températures basses sont constantes dans les grandes profondeurs. — Difficultés de l'étude des cou- rants océaniques. -— Théorie soutenue par le capitaine Maury et par le Dt Carpenter d'une circulation océanique générale. — Opinion énoncée par siv John Herschel. — Point de départ et développement du Gulf-stream. — Théorie du capitaine Maury, du professeur Buff, du D* Carpenter. — Le Gulf-stream sur les côtes de l'Amérique du Nord. — « Sections » du professeur Bache. — Trajet du Gulf-stream, indiqué par la température de la surface de l'Atlantique du Nord. — Théorie de M. Findlay. — Cartes de température du D? Petermann. — Point de départ de l’eau froide sous- marine. — Contre-courants arctiques. — Courants antaretiques. — Distribution ver- ticale de la température dans le bassin de l'Atlantique du Nord.............. 300: XXIV TABLE DES MATIÈRES. CHAPITRE IX LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. Les Protozoaires des mers profondes. — Le Bathybius. — Les Coccolithes et les Cocco- sphères. — Les Foraminifères des espaces chauds et ceux des espaces froids. — Eponges des mers profondes. — Les Hexactinellides. — Le Rossella. — L’Hyalonema. — Coraux des mers profondes. — Les Crinoides à tige. — Le Pentacrinus.— Le Rhizo- crinus. — Le Bathycrinus. — Les Astéries des mers profondes. — Distribution géné- rale et rapports des Oursins des mers profondes. — Les Crustacés, les Mollusques et es Poissons recueillis pendant Jes expéditions du Porcupine............... 919 CHAPITRE X DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. Des points de ressemblance qui existent entre le limon de l'Atlantique et la craie blanche. — Des différences qui les distinguent. — Composition de la craie. — Théorie de la permanence de la formation de la craie. — Objections. — Arguments en faveur de cette théorie fournis par la Géologie et par la Géographie. — Ancienne distribution des mers et des terres. — Preuves tirées de la Paléontologie. — Les roches crayeuses. — Les Éponges modernes et les Ventriculites. — Les Coraux. — Les Échinodermes. — Les Mollusques. — Opinions du professeur Huxley et de M. Prestwich. — De la composition de l’eau de mer. — Existence de matières organiques. — Analyse des gaz qui y sont contenus.— Différences dans les pesanteurs spécifiques. — Conclusions. 396 APPENDICE A. — Résumé des résultats des expériences faites sur divers échantillons d'eau de mer pris à la surface et à différentes profondeurs, par William Lant Carpenter. 2.2". 2: DD EG ee he are Ne Ne AS ste este CAC 427 APPENDICE B. — Résultats de lanalyse de huit échantillons d’eau de mer recueillis pendant la troisième croisière du Porcupine, par le D' Frankland............ 436 APPENDICE C. — Notes sur des échantillons du fond recueillis pendant la première croi- sière du Porcupine en 1869, par David Forbes... ......... Seine NET eee oe ot eee APPENDICE D. — Notes sur lacide carbonique contenu dans Peau de mer, par John Young Buchanan, chimiste de l'expédition du Challenger. ........... ets FIN DE LA TABLE DES MATIERES TABLE DES FIGURES Figures. 1. Asterophyton Linckii, Müller et Troschel, spécimen jeune légèrement ER OMIN QE) SÉRIE RE PAR CE EPP RER sitive a Soha NAR tents 2. Glebigerina. bulloides, d'Orbigny, très-agrandi....,..,0,...:..12.2.::.. aa On nnling.wnioersa: a Orbiony;tres-agrandy. 7h. Me Re slaves 4. Caryophyllia borealis, Fleeming, dante fois la grandeur naturelle (N° 45).... 5. Brisinga coronata, G. O. Sars, grandeur naturelle (N° 7)................. 6. Holtenia Carpenteri, sp. n., Det he) ane te She dE Bet 7. Tisiphonia agariciformis, sp. n., grandeur naturelle (N° 12)............ a2 8. Gonoplax rhomboides, Fabricius, jeune individu, deux fois la grandeur natu- HEC NEE owls ER RUES M at Oe hs lee di at MENT PRET aes 9. Geryon tridens, Kroyer, jeune individu, deux fois la grandeur naturelle... . 10. Orbitolites tenuissimus, Carpenter Mss., grossi (N° 28).................... 11. Porocidaris purpurata, sp. n., grandeur naturelle (N° 47)................ 12. Pourtalesia Jeffreysi, sp. n., légèrement grossi (N° 64)................... 13. Stylocordila borealis, Lovén, sp., grandeur naturelle (N° 64).............. 14. Solaster furcifer, von Duben et Koren, grandeur naturelle (N° 55)......... 15. Korethraster hispidus, sp. n., face dorsale. Deux fois la grandeur naturelle GING testa 8 PER ee Le Ne ON sk Ag eee GRR cays Sede tee ; 16. Hymenaster pellucidus, sp. n., face abdominale. Grandeur naturelle (N° 59). 17. Archaster bifrons, sp. n., oe dorsale. Trois quarts de la grandeur natu- ROMER NE ER RE See ees ho eta Bye ATER Meh Se ON eee aka CRE RE Seen Users CUSPIAMIUS. MROVEE (INO 50) 005 20 DE Ne Henne png mer 19. Caprella spinosissima, Norman, deux fois la grandeur naturelle (N° 59)... .. 20. Æga nasuta, Norman, légèrement grossi (N° 55)......................... 21. Arcturus Baffini, Sabine, grandeur naturelle (N° 59)..................... 22. Nymphon abyssorum, Norman, légèrement grossi (N° 56)................ 23. Thecophora semisuberites, Oscar Schmidt, deux fois la grandeur naturelle Uy ATES Oe = a A lh Sin ieee oh Fe dire area are De à à a oo « 24. Thecophora Ibla, sp. n., deux fois la grandeur naturelle (N° 76)........... 25. Archaster vexillifer, sp. n., un tiers de la grandeur naturelle (N° 76)...... Pages. TABLE DES FIGURES. XXVI Figures. Pages. 26. Zoroaster fulgens, sp. n., un tiers de la grandeur naturelle (N° 78)........ 128 27. Calveria Hystrix, sp. n., deux tiers de la grandeur naturelle (N° 86)....... 130 28. Calveria Hystrix, surface intérieure d’une partie du test; structure des espaces ambulacraires et interambulacraires . ........................ 130 29. Calveria fenestrata, sp. n., un des pédicellaires à quatre valves........... 153 30. Lophohelia prolifera, Pallas, sp., trois quarts de la grandeur naturelle (N°26). 141 31. A Hopora eculina, Ehrenberg: 2... i). ps. AN 2 8 ernie neg bee oie ee ae 142 32. Ophiomusium Lymani, sp. n., surface dorsale. Grandeur naturelle (N° 45).. 14% 33. Ophiomusium Lymani, sp. n., surface orale................ ES ae eee 145 34. Dorynchus Thomsoni, Norman, une fois et demie la grandeur naturelle. Se trouve partout dans les eaux profondes. ............................. 146 35. Amathia Carpenteri, Norman, une fois et demie la grandeur naturelle (N° 47). 147 36. Chondrocladia virgata, sp. n., demi-grandeur (N° 53, pl. V).............. 157 Dior dud plomb a coupe. LE LUE Et BE PS RAR = eas 176 38, 39. Appareil de sondage de Brooke pour les grandes profondeurs... 177 et 178 A0 Machine a sonder. du PUN= dom STATE NS NS ER eee 179 11 Machine sonderateiuteoeraldis. "AE er STATE ARC OUTRE AT CARRE 181 ae Wyre, nrachInE à SOMOECES TR UN NRA ge kts EME ETS eee 183 18 Machine a SOner We Massey gio wit egies eo ta IL RE SC ee ela ee 189 44. Drague d'Otho Frederich Muller, 175): ..-o.< <2. 002-0 gD oe ee ee 199 ZS RET oy oka | Ne ge A eee ret ER CE kad cas RRO ek CES 2 VER 46. Grue placée à l'arrière du Porcupine, avec laccumulateur, la drague, et la manière dienrouler la corde 2s. 2.1 A Mr M ee AR ACER 209 i. Extremite dn/chassis de la drague. eee Vase RE. LE “eee ene 210 48. Chassis de la drague, et manière dont le sac y est attaché. ............... 211 19. Extrémité du chassis de la drague et manière dont le sac est attaché. .... 212 50. Diagramme de la position relative du vaisseau, des poids et de la drague pendantoun dracuace profond. cite 2e oct: RE CREER 213 bia idrague avec lesshouppes de chamvre. 2:18, 7 RENE ae oie 216 AE Bee Meta ra Uraguage...... ie ise a> vale > bos ahs Vos ene ae 219 53. Thermomètre enregistreur de Six, perfectionné par Miller-Casella.......... 246 54. Étui protecteur de cuivre pour Je thermomètre de Miller-Casella........... 247 apmondage en série; Station (OL. 50 acc Let LOL ay ee 263 Woz Hendage en serie, station Serre 269 57. Courbes tracées au moyen de sondages par séries dans les espaces chauds et dans les espaces froids, dans le détroit qui est entre Ecosse et les Farüer. 267 58. Courbes tracées au moyen des sondages par séries et des sondages de fond, dans le détroit qui sépare l'Écosse de Rockall........................ 269 59. Diagramme représentant les rapports qui existent entre la profondeur et la température a la “hauteur.de Rockall. es rm ere RE RE 271 60. Diagramme représentant les rapports entre la profondeur et la température dans lethassin ide l'Atlantique: 11%. 0200 PCR SR ORNE 271 61. Courbes tracées au moyen de sondages par séries et de sondages de tempé- rature dw fond, dans le bassin de TAtlantique!\s.2 2a. eee 274 62. Diagramme représentant les rapports entre la profondeur et la température d'après les observations de températures relevées entre le cap Finisterre enile cap Saint-Vincent, août 1870: LR EE RE ER 279 63. Une grande cystode de Bathybius avec des Coccolithes. Gross. 700 diamétres. 347 OL. suoccosphenes.sorpss. A000. : Sn Sirs cate «en ha olen Renee ER 919 65. Rossella velata, sp. n., grandeur naturelle (N° 32, 1870)... ....:..:...... 303 66. Hyalonema lusitanicum, Barboza du Bocage, demi-grandeur (N° 90, 1869)... 599 {TABLE DES FIGURES. Figures. : 67. Askonema setubalense, Kent, un huitième de la grandeur naturelle (N° 25, TOA eae serra Nhe nan à à ete ose RE EN RE TER es 68. Flabellum distinctum, deux fois la grandeur naturelle (N° 28, 1870)........ 69. Thecopsammia socialis, Pourtalès, une fois et demie la grandeur naturelle D A A) SES PRE NE ET Te AU RE EE PRE PLIS 70. Pentacrinus Asteria, Linn., un quart de la grandeur naturelle. ........... 71. Pentacrinus Wyville-Thomsoni, Jeffreys, grandeur naturelle (No 17, 1870). . 72. Rhizocrinus loffotensis, M. Sars, une fois et demie la grandeur naturelle CDS RD Cia: TEEN vet Seb ay eas Race ROR ch ae D ES oe 73. Bathycrinus gracilis, sp. n., deux fois la grandeur naturelle (N° 57, 1869)... 74. Archaster bifrons, sp. n., face orale. Trois quarts de la grandeur naturelle FL ee et) SRR te ee RP ER i PEL no RE ES LAC DEP US 75. Solaster furcifer, von Duben et Koren, face orale. Grandeur naturelle AR ET PL RAP LATE PR NE CREER atacand ie eats Et 76. Buccinopsis striata, Jeffreys. Canal de Faréer...... SRE LT tM ae tess 77. Latirus albus, Jeffreys, deux fois la grandeur naturelle. Canal de Farder.... 78. Pleuronectia lucida, Jeffreys, deux fois la grandeur naturelle. — 4. provient de la partie orientale de PAtlantique; b. du golfe du Mexique........... 79. Pecten Hoskynsi, Forbes, deux fois la grandeur naturelie................. 80. Ventriculites simplex,Toulmin Smith, une fois et demie la grandeur naturelle. 81. Ventriculites simplex, Toulmin Smith, surface extérieure. Quatre fois la ARTE AUTRES LS eo etal atl a Due olay ola Shee ee en 82. Ventriculites simplex, Toulmin Smith, section de la paroi extérieure mon- franpia structure du filet siliceux (X50) So Fee AR IN othe as 83. Celosphera tubifer, sp. n., légèrement agrandi. Venant des côtes du Por- TT MR CE CURE AC OS ARR nee PRT STG EU TARN EE 84. Choanites dans un silex de la craie blanche. ........................... FIN DE LA TABLE DES FIGURES. TABLE DES VIGNETTES Les ‘iles Barger aes vee wats ee wrestle ME SR DAME MT Re Ce TO Tin RL EN Ar TIRE Petro ke DO ET ES TS ART EU PTE SR ÉTERNEL ake ete fee tare e-em aks Sen one eee ae Rte dE ONCE Habitation dugouverneur à Whorshaven .554..06 5595.08 Ae DO oe REN Pele Meade Wim sor 22k le iy Ue Se ioe kee ee ee Cae, ie ede Oa See ETES Nolsé, prise des collines qui dominent Thorshaven........................... Faslô, prise dela icôte orientale de Vider ü. 5.72 cos ie PRE ANR Kehee ‘dé. Vaay clans Suderg is Puy ru MR REA ERA RS: - besGeantiet da Sorciere. + eue Pek e ts das kee Ls om we cure MCE C RE Bordo, Kuno. et Kalso; prisesidu hameau de Vider@.. <<... es ee, cee Kuno prise de Vaay,vdaas. Bordb:.; 7." gong oe hae ao os ao com ee CARTES ET PLANCHES ieee Trajet suivi par le vaisseau de S. M. le Lightning, 18b8........... || eens Première croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869........... Ill..... Seconde croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869............ LA Eee Troisième croisière du Vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869.......... MERE Trajet suivi par le vaisseau de S. M. le Porcupine, 1870............. MI Diagramme des sondages du Porcupine dans l'Atlantique et dans le dé- troit de Faréer, représentant les rapports qui existent entre la tempé- rature et la profondeur, — les sondages par séries réduits en courbes. — Les numéros indiquent sur les cartes les différentes stations, plan- CHeS A Met AV: LORRAINE SR Lies DORE VI.... Carte physique de l'Atlantique du Nord, indiquant la profondeur, ainsi que la distribution générale des températures pour Je mois de juillet. Vill.... Carte de la distribution générale des terrains tertiaires, crétacés et jurassiques du nord-ouest de l'Europe, sur laquelle leurs contours SOMME MUGS ES. 215.02 dent Le a Sd DONNE EURE 27. 306 LES ABIMES DE LA MER CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION La question d’une limite à la vie à certaines profondeurs. — Lois générales qui règlent la distribution géographique des êtres vivants. — Recherches et idées du professeur ; À >) Forbes. — Centres de création des espéces. — Espéces représentatives. — Provinces zoologiques. — Rapports de la doctrine de [Evolution avec l’idée de l’Espéce et les lois de la distribution des formes animales. — Causes qui doivent agir sur la vie à de grandes profondeurs : la pression, la température, l'absence de lumiere. La mer recouvre près des trois quarts de la surface de la terre, et, jusqu’aux dernières années qui viennent de s écouler, on n'avait guère sur ses abimes que des notions incertaines et limitées, au point de vue de la physique et de la biologie. L'opinion générale était qu'à une certaine profondeur les conditions devenaient si spéciales, si complétement différentes de celles des parties accessibles de la terre, qu'elles devaient exclure toute idée autre que celle d’une immense solitude, plon- gée dans une sombre nuit et soumise à une pression si énorme, que la vie, sous quelque forme que ce füt, était impossible dans son sein; on pensait que ces régions opposaient à toute étude, à toute recherche d’insurmontables difficultés. Les hommes de science eux-mêmes paraissaient partager cette opinion, et te— naient peu compte des exemples tres—authentiques d'animaux, relativement élevés dans l’échelle des êtres, ramenés de grandes profondeurs sur des cordes de sonde. Ils accueillaient tous les raisonnements tendant à faire croire que ces animaux s étaient | { 2 LES ABIMES DE LA MER. embarrassés dans les cordes en nageant à la surface, ou que les observations avaient été faites avee négligence. Chose bien étrange que cette espèce de parti pris, car toutes les autres questions touchant la géographie physique avaient été appro— fondies par les savants avec la patience et l’énergie la plus consommée. D’ardents volontaires se disputaient chaque brèche faite par la noble petite armée des martyrs qui luttaient pour reculer les bornes de la science, dans les déserts de l’Australie, sur le Zambèse, ou vers les pôles, pendant que l'immense Océan, endormi sous la voüte céleste, recouvrait une région tout aussi inaccessible à l’homme, selon toute apparence, que la mare Serenitatis. Le fond de la mer a été mis en réquisition il y a quelques années pour établir des communications télégraphiques, et des hommes spéciaux ont tracé la carte du fond de l'Atlantique du Nord et inventé d’ingénieuses méthodes pour connaitre la nature des matériaux qui le recouvrent. Ils posèrent au travers un cable télégraphique qui se rompit bientôt, mais les extré— mités en furent facilement repéchées d’une profondeur de près de deux milles. Il était question depuis longtemps, parmi les naturalistes, de la possibilité de draguer le fond de la mer par les procédés ordinaires et d’y plonger des récipients et des instruments enre- gistreurs pour résoudre la question d’un zéro de vie animale, et pour déterminer avec précision la composition et la tem- pérature de l’eau de mer dans les grandes profondeurs. Des études de ce genre dépassent les limites ordinaires d’une entre— prise privée. Elle nécessite des moyens matériels et une con— naissance de la navigation que des naturalistes n’ont pas en général à leur disposition. Dans l’année 1868, sur les instances de mon collègue le D" Carpenter et les miennes, appuyées par le Comité d’hydrographie de la Marine, qui s'occupe avec un vif intérêt des questions scientifiques, ’Amirauté mit à notre disposition les ressources matérielles et l’habileté professionnelle que nécessitait une pareille entreprise; nous découvrimes alors INTRODUCTION. 3 que nous pouvions agir, sinon avec la mème facilité, du moins avec autant de certitude à la profondeur de 600 brasses qu’à celle de 100. En 1869, nous poussämes nos expériences jus- qu'à 2435 brasses (14 610 pieds), soit près de trois milles, avec un succès complet. Draguer à pareille profondeur est certainement chose pénible. Chaque coup de drague employait sept ou huit heures, et récla- mait pendant ce temps les précautions les plus minutieuses, l'attention la plus assidue de la part de notre commandant, qui, debout, la main sur l’accumulateur, se tenait pret à alléger par un tour de roue toute tension un peu trop forte. L’équipage, stimulé et encouragé par le vif et bienveillant intérèt manifesté par ses officiers, travaillait volontiers et bien; mais les efforts nécessaires pour remonter une longueur de plus de trois milles de corde au moyen du tambour de la machine étaient terriblement laborieux. La corde même, deux fois tordue, faite du meilleur chanvre d'Italie, ayant 2 — pouces de circonférence, avec une puissance de résistance de 2 — tonnes, était éraillée et fatiguée, et paraissait être hors d'état de soutenir longtemps une pareille épreuve. Cependant la chose est possible et devra être répétée à bien des reprises à l’avenir par des naturalistes de tous pays, tra- vaillant avec un matériel perfectionné et une expérience toujours croissante. Le lit de la profonde mer, les 140 000000 de milles carrés que nous venons d'ajouter au légitime champ d’étude des naturalistes ne constituent point un désert stérile. Ils sont peu- plés d’une faune plus riche et plus variée que celle qui pullule dans la zone bien connue de bas-fonds qui borde la terre; ces organismes sont encore plus finement et plus délicatement con- struits, d’une beauté plus exquise, avec les nuances adoucies de leur coloris et les teintes irisées de leur merveilleuse phospho- rescence. Il faut done étudier sérieusement les formes de ces êtres jusqu'ici inconnus, leurs rapports avec d’autres orga— nismes vivants ou disparus, les phénomènes et les lois de leur distribution géographique. 4 LES ABIMES DE LA MER. Le professeur Edward Forbes a été le premier à entreprendre l'étude méthodique de la zoologie dans ses rapports avec la dis— tribution des animaux marins dans l’espace et dans le temps. I s’est rendu familier avec la faune des mers de la Grande—Bre- tagne, jusqu'à la profondeur d’environ 200 brasses, en draguant et en se faisant aider activement par ses amis, Mac Andrew, Barlee, Gwyn Jeffreys, William Thompson, Robert Ball, et plu- sieurs autres, qui abordèrent avec enthousiasme ce nouveau champ ouvert à l'étude de l’histoire naturelle. Dans l’année 1841 Forbes alla rejoindre, en qualité de naturaliste, le capitaine Graves, qui commandait un service de surveillance dans la Méditerranée. Pendant à peu près dix-huit mois il étudia avec le plus grand soin la mer Egée et ses côtes, et exécuta plus de cent draguages à des profondeurs variant de 1 à 130 brasses. En 1843, il communiqua à l'Association britannique, réunie à Cork, un rapport trés—détaillé sur les Mollusques et les Radiaires de la mer Égée, et sur leur distribution dans ses “apports avec la géologie‘. Trois ans plus tard, en 1846, il publia, dans le premier volume des Études géologiques de la Grande-Bretagne, un travail de grande valeur sur les rap- ports de la faune et de la flore actuelles des [les Britanniques, avec les changements géologiques qui ont modifié les étendues qu'elles occupent, particulièrement pendant l’époque glaciaire? Pendant l’année 1859, parut ? Histoire naturelle des mers d Eu- rope, par feu le professeur Edward Forbes, éditée et continuée par Robert Godwin Austen’. Bans les premières pages de ce i. Report on the Mollusca and Radiata of the Ægean Sea, and on their Distribution, considered as bearing on Geology. By Edward Forpgs, F. L.S., M. W.S., professor of Botany in King’s College, London. (Report of the Thirteenth Meeting of the Bristish Asso- ciation for the advancement of Science, held at Cork in August 1843. London, 1844.) 2. On the Connection between the Distribution of the existing Fauna and Flora of the British Isles and the geological Changes which have affected their Area, especially during the Epoch of the Northern Drift. By Edward Forges, F.R.S., L.8., G.S., pro- fessor of Botany at King’s College, London; Palæontologist to the Geological Survey of the United Kingdom. (Memoirs of the Geological Survey of Great Britain, vol. I. Lon- aon, 1846.) 3. The Natural History of the European Seas, by the late professor Edward Fores, F.R.S., etc. Edited and continued by Robert Godwin Austen, F.R.S., London, 1859. INTRODUCTION. 5 petit ouvrage, Forbes fait un exposé général de ses opinions les plus nouvelles sur la distribution des espèces marines. L'ouvrage a été continué par M. Godwin Austen, une mort prématurée étant venue terminer la carrière du plus instruit et du plus original des naturalistes de notre époque. Je veux donner une courte esquisse des conclusions générales auxquelles Forbes a été conduit par ses travaux. Bien que sur quelques points fondamentaux nos idées se soient modifiées, et que des travaux récents, accomplis avec des appareils perfec- tionnés et une expérience plus complète, aient infirmé plusieurs de ses conclusions, c’est à Forbes que revient l'honneur d’avoir été le premier à traiter ces questions d’une manière large et philosophique. Il a démontré que le seul moyen d'acquérir des notions exactes sur les causes de la distribution de notre faune actuelle, c’est de connaître parfaitement son histoire et de lier le présent au passé. La est la vraie direction que les études de- vront suivre dans l’avenir. Le premier qui ait ouvert cette voie à nos recherches, Forbes, n’a pu apprécier toute la valeur de son travail. Chaque année ajoute de nouveaux faits aux connais- sances déjà acquises, et chaque nouveau fait indique plus elai- rement les brillants résultats qui seront obtenus en suivant ses méthodes, en imitant son zèle et son infatigable ardeur. Forbes croyait, comme à peu près tous les grands naturalistes de sonépoque, à l’immutabilité des espèces. Il dit (Æistoire natu- relle des mers de la Grande-Bretagne) : « Toute espèce véritable offre dans ses individus certains traits, wn caractère spécial qui la distingue des autres espèces, comme si le créateur eût voulu mettre une marque particulière, un sceau, sur chaque type. » Il croyait aussi aux centres spéciaux de distribution. Il pensait que tous les individus dont se compose une espèce sont des— cendus d’un seul ou de deux auteurs, selon l’unité ou la dua- lité des sexes, que l’idée d’espèce implique l’idée de parenté entre tous ces individus de commune origine, et, réciproque- ment qu'il ne peut y avoir une origine commune que chez les êtres vivants qui possèdent des traits spéciaux identiques. Il 6 LES ABIMES DE LA MER. suppose le premier individu ou le premier couple créé dans le milieu spécial où toutes les conditions se trouvaient être favo- rables à son existence et à sa propagation; de là l'espèce s’éten- dait, débordait en quelque sorte dans toutes les directions, sur un espace plus ou moins étendu, jusqu’à ce qu'un obstacle naturel sous forme de conditions défavorables vint l’arrêter. Aucune espèce déterminée ne peut avoir plus d’un centre d’ap- parition. Si l'étendue qu'elle occupe parait être limitée à un espace éloigné, sans rapport avec le centre originel de création, il l'explique par la formation, après le premier développement de l'espèce, d’un obstacle résultant de quelque accident géolo- gique qui a séparé, détaché une portion de cette étendue; ou encore, par quelque ¢ransport accidentel sur un point où les conditions se sont trouvées suffisamment semblables à celles de habitat primitif, pour lui permettre de s’y naturaliser. Aucune espèce détruite n’a jamais été recréée ; ainsi, dans les cas fort rares où une espèce, nombreuse à une certaine pé- riode, dans un espace donné, en disparait pendant un certain temps pour s’y retrouver plus tard, il faut qu'il soit survenu dans les conditions de cet espace un changement qui a déter- miné une migration de l’espèce, puis un retour des conditions premières, qui a permis à la même espèce d’y revenir. Forbes définit et soutient ce qu'il appelle la loi de repré- sentation. Il a découvert que dans toutes les parties de notre univers, quelque éloignées qu'elles soient les unes des autres, et si séparées qu’elles puissent être par des barrières natu- relles, lorsque les conditions de la vie sont similaires, se ren— contrent des espèces et des groupes qui, sans être identiques, ont entre eux une grande ressemblance; il a trouvé la même ressemblance entre des groupes fossiles et des groupes récents. En admettant la constance des caractères spécifiques, ces ressemblances ne peuvent ètre expliquées par une origine commune, et cela l’a conduit à la généralisation, c'est-à-dire que, dans les lieux soumis à des conditions similaires, des formes similaires quoique spéciales, et spécifiquement distinctes, INTRODUCTION. 7 seraient créées. Il les considérait comme des espèces mutuelle- ment représentatives. Notre adhésion à la doctrine des centres de création et d’es- pèces ct à celle de l'équivalence, ou plutôt la forme sous laquelle nous pourrions incliner à accepter ces théories, dépend beaucoup de l’acceptation ou de la négation du dogme fondamental de l’im- mutabilité des espèces; il y a eu sur ce point-là, depuis dix ou douze ans, un grand revirement d'opinion, qui est dû certaine- ment à l'habileté et à l'impartialité remarquables avec lesquelles la question a été traitée par M. Darwin’, par M. Wallace’, et au génie de M. le professeur Ernest Heckel’, du D° Fritz Miller * et de plusieurs de leurs fervents adeptes. Je ne crois pas exa— gérer en disant qu'il n’existe pas maintenant un seul naturaliste de quelque valeur qui ne soit prèt à accepter, sous une forme ou sous une autre, la doctrine de l’évolution des espèces. Il est certainement difficile pour beaucoup d’entre nous d’ad- mettre qu'après avoir débuté par les êtres les plus simples, l’état actuel du monde organique soit produit uniqueiment par Vatavisme, la tendance des descendants à ressembler aux ascen- dants, et par la variation, tendance des descendants à différer de leurs parents dans des limites trés—restreintes; plusieurs savants pensent que quelque autre loi que celle de la survi- vance des plus forts règle ce merveilleux système de modifi- cations extrémes et pourtant harmonieuses. [] faut cependant admettre que la variation est une cause bien capable de trans— 1. The Origin of Species by means of natural Selection ; or. the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life. By Charles Darwin, M.A., F.R.S., L.S., G.S., ete., etc. London, 1859, and subsequent editions. (Traduit par Moulinié. Paris, 1873, édition Reinwald.) 2. La Sélection naturelle, essais par Alfred Russel WALLACE, trad. de Lucien de Can- dolle. Paris, 1872, édition Reinwald. 3. Generale Morphologie der Organismen. Allgemeine Grundzüge der organischen Formen-Wissenschaft mechanisch begründt durch die von Charles Darwin refor- mirte Descendenz-Theorie. Von Ernst HÆCKEL. Berlin, 1866. — Naturliche Schôpfungs- geschichte. Von D: Ernst HÆCKkEL, Professor an der Universität lena. Berlin, 1870. (Traduit par le Dr Letourneau. Reinwald, 1874.) 4. Für Darwin. Von Dt Fritz Mutter. Leipzzig, 1864. Translated from the German by W.S. Dallas, F. L.S. London, 1869. 8 LES ABIMES DE LA MER. former pendant une période limitée, à l’aide de circonstances favorables, une espèce en une autre que, suivant nos idées actuelles, nous sommes forcés de reconnaitre comme espèce différente. Ceci étant accepté, il est peut-être possible de con- cevoir que pendant une période moins longue pourtant que l'éternité la variation puisse amener le résultat complet. Les individus que comprend une espèce ont une limite de variation strictement réglée par les circonstances dans lesquelles le groupe se trouve placé. Excepté chez l’homme et chez les animaux domestiques, pour lesquels elle est artificiellement accrue, cette variation individuelle est ordinairement si légère, qu'elle n’est appréciable que pour un ceil exercé; mais toute variation extrême, en dépassant dans un sens ou dans un autre ses limites naturelles, entre en conflit avec les circonstances en— vironnantes, et devient périlleuse pour l'existence de l’individu. La voie normale et nettement tracée, la voie sure, que l’espèce doit parcourir, s'étend entre les limites des variations extrêmes. Si, à une période quelconque de la vie d’une espèce, les conditions de l'existence d’un groupe d'individus appartenant à cette espèce se modifient petit à petit, cette modification gra- duelle resserre dans une certaine direction et élargit dans une autre les limites des variations : il devient plus dangereux de pencher d’un côté et plus profitable d’incliner de l’autre; les limites tracées à la variation sont changées. La ligne naturelle, celle sur laquelle les caractères spéciaux sont les plus accusés, est un peu déviée et certains traits se renforcent aux dépens de certains autres. Cette déviation, continuée pendant des siècles dans la mème direction, ne peut que porter, dans la suite, cette divergence bien au delà des limites en dehors desquelles nous ne pouvons admettre l'identité des espèces. Mais la marche doit être infiniment lente; il est difficile d’embrasser par la pensée une période de dix, de cinquante ou de cent millions d'années, et de se faire une idée des rapports qui existent entre une pareille période et les modifications qui s’accomplissent dans le monde organique. INTRODUCTION. 1 Il faut pourtant nous rappeler que les roches du système Silurien, ensevelies sous une épaisseur de sédiment qui mesure dix milles, et au sein desquelles sont enfouies cent faunes suc— cessives dont chacune est aussi riche, aussi variée que la faune actuelle, regorgent elles-mémes de fossiles qui représentent toutes les classes existantes d'animaux, à l'exception peut-être des plus élevées. S'il était possible de croire que cette manifestation merveil- leuse de la Puissance et de la Sagesse Éternelle renfermée dans la nature animée ait pu s’accomplir en vertu de la oz de descen- dance avec variations, il nous faudrait certainement demander aux mathématiciens la plus longue colonne de chiffres qu'il soit en leur pouvoir de produire, pour exprimer le nombre d'années nécessaires à cette transformation. Bien que l’admission d’une doctrine d'évolution doive modi- fier beaucoup nos idées sur l’origine et les causes des soi-disant centres d'espèces, elle ne change rien au fait de leur existence et aux lois qui régissent la distribution des espèces, se répandant hors de leurs centres par voie de migration, de transport, à la faveur des courants de l’Océan, des exhaussements ou des dé- pressions du sol, ou par toute autre cause agissant dans les circonstances actuelles. En ce qui concerne les naturalistes pra- ticiens, les espèces sont permanentes dans leur cercle restreint de variation; les considérer sous un autre aspect serait intro- duire un élément grave d'erreur et de confusion. L'origine des espèces par la descendance avec variations n’est encore qu’une hypothèse. Durant toute la période pendant laquelle les obser- vations faites ‘ont été exactement enregistrées, il ne s’est pas présenté un seul exemple de la transformation d’une espèce ; chose singulière, dans les formations géologiques successives, quoique des espèces nouvelles apparaissent sans cesse et qu’il y ait évidence abondante de modifications graduelles, on n’a pas encore observé un seul cas d’une espèce passant, à la faveur d’une série de modifications imperceptibles, à une autre espèce. Chacune d’elles parait avoir une zone de développement maxi 10 LES ABIMES DE LA MER. mum, qui a été désignée sous le titre de métropole de l'espèce ; dans la pratique nous devons user des mêmes méthodes pour étudier les lois de sa distribution, que si nous la supposions spé- cialement créée dans sa métropole. Il en est de même pour les lois de représentation; acceptant une doctrine d'évolution, nous devrions certainement considérer des espèces proches parentes ou « représentatives », comme étant descendues depuis une époque relativement récente d’an— cétres communs, comme s'étant modifiées, étant devenues dis- semblables sous l'influence de conditions d’existence quelque peu différentes. Il est possible qu’à mesure que nos connaissances augmenteront, nous en venions à tracer la généalogie de nos espèces modernes : quelques essais ont déjà été tentés pour des- siner les branches maitresses de l’arbre généalogique"; mais, en bonne pratique, il convient de continuer a accorder un rang spécial aux formes dont les caractères ont obtenu jusqu'ici qu'on leur assignat une valeur spécifique. Toute espèce a trois maxima de développement : en profon- deur, en espace géographique et dans le temps. Dans la profon- deur, nous voyons une espèce, représentée d’abord par quelques rares individus, devenir de plus en plus nombreuse, jusqu'à ce qu elle atteigne un certain point, après lequel elle diminue gra— duellement, pour disparaître bientôt tout à fait. Il en est de mème pour la distribution géographique et géologique des ani- maux. Quelquefois le genre auquel appartient l’espèce disparait avec elle, mais il n’est pas rare de voir une succession d'espèces similaires se maintenir, représentatives pour ainsi dire les unes des autres. Quand une semblable représentation existe, le mi- nimum d’une espèce commence habituellement avant que celle qu’elle représente ait atteint son minimum correspondant. Les formes des espèces représentatives sont similaires et souvent ne se distinguent qu'après un examen minutieux”. Comme exemple de ce que signifie la loi de «représentation», |. Ernst HÆCKEL, op. cit. 2. Edward Forres, Report on Ægean Invertebrata, op. cit., p. 173. INTRODUCTION. a je citerai un fait curieux raconté par MM. Verril et Alexandre Agassiz. Sur les deux rivages de l’isthme de Panama, l’ordre des Kchinodermes (Echinidea), Oursins de mer, est très-abondant, mais les espèces trouvées sur chaque cote sont distinctes, bien qu elles appartiennent aux mémes genres, et dans la plupart des cas chaque genre est représenté de chaque côté par des espèces qui ont entre elles de si grands rapports d’habitudes et de con- formation, qu’au premier abord on les distingue à peine. Je donne ici une liste des plus remarquables, en mettant en regard celles qui proviennent du eôté de Panama et celles qui ont été prises sur la côte caraibe de l’isthme : FAUNE EST. FAUNE OUEST. Cidaris annulata, Gray. Cidaris Thouarsii, Val. Diadema Antillarum, Phil. Diadema mexicanum, Agass. Echinocidaris punctulata, Desml. Echinocidaris stellata, Agass. Echinometra Michelini, Des. Echinometra Van-Brunti, Agass. — viridis, Agass. — rupicola, Agass. Lytechinus variegatus, Agass. Lytechinus semituberculatus, Agass. Tripneustes ventricosus, Agass. Tripneustes depressus, Agass. Stolonoclypus Ravenellii, Agass. Stolonoclypus rotundus, Agass. Mellita testudinata, KI. Mellita longifissa, Mich. — hexaspora, Agass. — Pacifica, Ver. Encope Michelini, Agass. Encope grandis, Agass. — emarginata, Agass. — microporda, Agass. Rhyncholampas Caribearum, Agass. Rhyncholampas Pacificus, Agass. Brissus columbaris, Agass. Brissus obesus, Ver. Meoma ventricosa, Littken. Meoma grandis, Gray. Plagionotus pectoralis, Agass. Plagionotus nobilis, Agass. Agassizia excentrica, Agass. Agassizia scrobiculata, Val. Mera Atropos, Mich. Mera Clotho, Val. En supposant les espèces constantes, cette singulière série de ressemblances indiquerait simplement l'existence, de chaque côté de l’isthme, de deux groupes d'espèces se ressemblant parce que les conditions dans lesquelles ils furent placés étaient presque identiques; mais si l'on admet «la descendance avec variations tout en nous prévalant de l'expression commode de «représentation », nous arrivons de suite à conclure que ces espèces représentatives, si proches parentes les unes des autres, ont dû descendre d’une même souche, et nous cherchons les 12 LES ABIMES DE LA MER. causes des légères différences qui existent entre elles. L'examen de l’isthme de Panama nous prouve qu’il est formé de couches crétacées renfermant des fossiles qui ne diffèrent en rien de ceux qui se trouvent dans les couches crétacées d'Europe ; l’isthme doit done avoir été relevé et mis à sec pendant ou depuis l’époque tertiaire. Il est hors de doute que l'élévation de cette barrière naturelle a séparé deux parties d’une faune de bas— fonds qui, depuis, ont subi de faibles modifications par le fait de conditions d'existence légèrement différentes. Je cite les paroles d'Alexandre Agassiz : « On se demande naturellement si nous n'avons pas dans les différentes faunes qui vivent de chaque coté de l’isthme, un étalon au moyen duquel il nous est possible de nous rendre compte des changements que ces espèces ont subis depuis l’époque du soulèvement de l’isthme de Panama et de la séparation des deux faunes '. » Edward Forbes distinguait autour de toutes les {erres mari- times quatre zones de profondeurs bien tranchées, dont chacune est caractérisée par un groupe distinct d’étres organisés. La première de ces zones est celle du littoral, comprenant la pro- fondeur de la marée haute à la marée basse; elle se distingue par une extrême abondance de plantes marines, Sur les côtes d'Europe, ce sont les Lichina, Fucus, Enteromorpha, Polysi- phoniaet Laurencia, qui prédominent à des hauteurs différentes, partageant cet espace en bandes longitudinales teintées de eou- leurs différentes. Cette zone est soumise à des circonstances spéciales, car ses habitants sont périodiquement exposés à l'air, aux rayons directs du soleil, et à toutes les températures extré— mes du climat. Les espèces animales n’y sont pas nombreuses, mais les individus y abondent. La distribution de la plupart des espèces du littoral est très-étendue, et la plupart d’entre elles sont cosmopolites. Plusieurs sont herbivores. Quelques-unes de 1. Preliminary Report on the Echini and Starfishes dredged in Deep Water between Cuba and the Florida Reef, by L. F. de Pourtalès, assistant U. S. Coast Survey; pre- pared by Alexander AGassiz. Communicated by professor B. Pierce, superintendent U. S. Coast Survey, to the Bulletin of the Museum of Comparative Zoology, Cambridge, Mass., 1869. INTRODUCTION. 13 celles qui sont spéciales aux eôtes d'Europe sont : Gammarus, Talitrus et Balanus parmi les Crustacés, et Littorina, Patella, Purpura et Mytilus parmi les Mollusques ; puis sous des pierres et dans les flaques, parmi les rochers quelques égarés de la faune voisine. La zone des Laminaires s’étend du plus bas étiage de la marée à une profondeur d'environ quinze brasses. Celle-ci est parti- culièrement la zone des Varechs dans les premières brasses, et, plus profondément, celle des belles Algues écarlates (#orideæ). Elle est toujours sous l’eau, si l’on en excepte la période des plus basses marées de printemps, pendant lesquelles on entrevoit son bord supérieur. La zone des Laminaires produit des végétaux en abondance, et se divise aussi en bandes que distinguent des Algues de teintes variées. Espèces et individus pullulent dans cette zone et sont généralement remarquables par le brillant de leurs couleurs. Les Mollusques du genre 7rochus, Lacuna et Lottia sont spéciaux à cette région des mers de la Grande- Bretagne. La zone des Laminaires est suivie de celle des Coralliaires, qui plonge à une profondeur d'environ cinquante brasses. La végé— tation y est représentée par des Millipores coralliformes; les Zoophytes hydrostatiques et les Bryozoaires semblables à des végétaux y abondent. Les Invertébrés marins d'ordre supérieur y sont largement représentés, principalement par des carnas- siers. Les gros Crustacés et les Échinodermes y sont nombreux. Les grandes régions de pêche que fréquentent la Morue, la Merluche, la Plie, le Turbot et la Sole, appartiennent à cette zone, bien qu’elle s’étende quelquefois au dela des cinquante brasses que nous lui donnons pour domaine. Les formes carac- téristiques des Mollusques sont : le Puccinum, le Fusus, V Ostrea et le Pecten ; et parmi les Échinodermes des mers d'Europe nous trouvons : l’Antedon Sarsii et celticus, V'Asteracanthion gla- ciale et rubens, V Ophiothriz fragilis, et sur le sable, V Ophio= glypha lacertosa et albida. La dernière zone définie par Forbes comme partant de cin= 14 LES ABIMES DE LA MER. quante brasses pour finir à des profondeurs inconnues est celle des Coraux des grandes mers. « Dans ces profondeurs le nombre des espèces caractéristiques est fort restreint, mais pourtant suffisant pour lui donner un cachet particulier. Les autres groupes qui la peuplent viennent des régions supérieures et doivent être considérés comme colons. A mesure que l’on descend plus bas dans la zone, les habitants se modifient tou- jours davantage, deviennent de plus en plus rares, faisant ainsi pressentir l’abime où la vie est éteinte, où du moins elle ne manifeste plus sa présence que par quelques étincelles *. » Forbes a montré que les groupes d'animaux qui atteignent leur complet développement dans ces diverses zones leur sont spéciaux ; des faunes analogues occupent les zones correspon— dantes dans le monde entier, de telle sorte qu’en examinant un groupe d animaux marins provenant d’un point quelconque, on peut facilement indiquer le degré de profondeur où ils ont vécu. A toutes les périodes de l’histoire de la terre, la mème division très-nette en zones de profondeur a existé ; les animaux fossiles d’une zone quelconque sont en quelque sorte les représentants de la faune dont est peuplée, de nos jours, la zone correspon- dante. Nous pouvons donc indiquer avec une certitude presque absolue à quelle zone a du appartenir un groupe quelconque de fossiles. Bien que nos connaissances se soient beaucoup modifiées quant à importance de la faune qui peuple la région des Coraux des grandes mers, et qu'il nous faille renoncer à toute idée d’un zéro de vie animale, nous devons considérer les recherches de Forbes sur la distribution des animaux marins comme ayant fait faire un grand pas à la science. Son expérience était supé- rieure à celle de tous les naturalistes de son temps; la difficulté matérielle de prouver la justesse de ses conclusions était très- grande, et les savants les ont acceptées de confiance. L'histoire des découvertes relatives à l'importance et à la 1. Edward Forges, Natural History of the European Seas, p. 26. INTRODUCTION. 15 distribution de la faune des grandes mers sera traitée dans un chapitre futur. Il suffira pour le moment de rappeler dans leur ordre les quelques faits qui ont graduellement préparé les savants à se défier de l'hypothèse de l'extinction de la vie ani- male à une certaine profondeur, et les a conduits aux récentes investigations. En 1819, sir John Ross publia le récit officiel du voyage de découvertes entrepris par lui pendant année 1818 dans la baie de Baffin’; à la page 178, il dit : « J'étais occupé à bord à sonder et à étudier les courants et la température de l'eau. Le calme étant bien complet, j’eus là une excellente occa— sion de faire ces observations importantes. Le sondage s’opéra très-complétement à 1000 brasses, et ramena une boue délayée et verdâtre, laquelle contenait des vers; de plus, engagé dans la ligne de sonde à 800 brasses de profondeur, se trouva un superbe Caput-Medusæ. Ces spécimens furent soigneusement conservés et on les trouvera décrits dans l Appendice. » Ceci se passait le 1° septembre 1818, à 73°37’ lat. N. et 77° 25’ long. O. C’est là, à ma connaissance, le premier exemple dont il ait jamais été question, d’animaux vivants retirés d’une profondeur appro- chant de 1000 brasses. Le général sir Edward Sabine, qui faisait partie de l’expédition de sir John Ross, a obligeamment donné au D" Carpenter des détails plus circonstanciés sur ce même fait?. « Le vaisseau jeta la sonde à une profondeur de 1000 brasses; le fond était boueux, à un ou deux milles du rivage (lat. 73° 37'N., long. 77° 25’0.). Une magnifique Astérie se trouva prise dans la ligne de sonde et ramenée presque intacte; la boue, semi-fluide et colorée, contenait des spécimens de Lumbricus tubicola. Ceci se trouve écrit dans mon journal, mais je puis ajouter, d'après des souvenirs très-nets, que la lourde sonde avait 1. A Voyage of Discovery made under the Orders of the Admiralty in His Majesty's ships Isabella and Alexander, for the purpose of exploring Baffin’s Bay, and inquiring into the possibility of a North-west passage. By John Ross, K. G., captain Royal Navy. London, 1819. 2. Preliminary Report by Dr William B. Carpenter, V.P.R.S., of Dredging Opera- tions in the Seas to the North of the British Islands, carried on in Her Majesty s steam- vessel Lightning, by Dt Carpenter and Dt Wyville Thomson. (Proceedings of the Royal Society, 1868, p. 177.) 16 LES ABIMES DE LA MER. pénétré profondément, entraînant avec elle plusieurs pieds de corde dans la boue molle et verdatre, qui adhérait encore à l’in- strument quand il revint à la surface de l’eau. L’Astérie s était enchevètrée dans la corde à si peu de distance du fond, qu’on ramassa dans cette boue des fragments des bras de l'animal qui s étaient brisés pendant l'ascension. » Fic. 1. — Asterophyton Linchii, MULLER et TROSCHEL. Individu jeune légèrement agrandi (Nc 75). Sir James Clarke Ross, de la Marine royale, draguant à 270 brasses, lat. 73°3'S., long. 176° 6’ E., raconte‘ «que ae fe (> = £ a yee it . . . des Corallines, des Flustres, et plusieurs autres animaux inver- tébrés remontèrent dans le filet. prouvant une grande abon- dance et une grande variété de vie animale. Parmi les derniers, !. A Voyage of Discovery and Research in the Southern and Antarctic Regions during the years 1859-43. By captain sir James Clarke Ross, R. N. London, 1847. INTRODUCTION. 17 il découvrit deux espèces de Pycnogonum, V’Idotea Baffini, que jusque-là on avait regardé comme appartenant exclusivement aux mers arctiques; un Chifon, sept ou huit bivalves et uni- valves; une espèce inconnue de Gammarus, et deux Serpula, adhérant aux cailloux et aux coquilles... Il était intéressant de reconnaitre parmi ces animaux plusieurs que j'avais ordi- nairement rencontrés à des latitudes également septentrionales ; bien que cette opinion soit contraire à celle qui a généralement cours parmi les naturalistes, je ne doute pas que, de quelque profondeur que nous parveniors à ramener de la boue et des pierres du fond de l'Océan, nous ne les trouvions habitées par des êtres vivants ; l’extrème pression des plus grandes profondeurs ne parait pas agir sur ces créatures. Jusqu'ici on n’a pu véri- fier ces faits au delà de 1000 brasses, mais de cette profondeur plusieurs coquillages ont été remontés avec la boue du fond. » Le 28 juin 1845, M. Henry Goodsir, qui fit plus tard partie de la malheureuse expédition de sir John Franklin, exécuta dans le détroit de Davis un draguage qui de 300 brasses ramena des Mollusques, des Crustacés, des Astéries, des Spatangues, des Corallines, etc.'. Le fond se composait de la boue verdatre dont parle sir Edward Sabine. Vers l’année 1854, le midshipman Brooke, de la marine des États-Unis, inventa un ingénieux instrument pour ramener des échantillons du fond. Il n’en retirait qu'une très-petite quantité à la fois dans un canon de plume. Ces échantillons, venus de profondeurs qui dépassaient 1000 brasses, furent très-recherchés des naturalistes. L’examen microscopique de ces boues surprit tout le monde. Dans le bassin de l’Atlantique, les sédiments ramenés étaient d’une nature à peu près identique, et consis— taient presque entièrement en tests calcaires, entiers ou brisés, d'une espèce de Foraminifère, le Globigerina bulloides (fig. 2). Mélangées avec celles-ci se trouvaient les coquilles de quelques autres Foraminifères, parmi lesquelles une petite sphère per- {. Natural History of the British Seas. By professor Edward Forpes and R. Godwin AUSTEN, p. of. ) 18 LES ABIMES DE LA MER. forée, VOrbulina wuniversa (fig.3), qui dans quelques localités remplace entièrement le Globigerina; puis quelques carapaces de Diatomées, avec des spicules et des squelette en treillage de Radiolaires. Quelques sondages dans le Pacifique donnèrent les mêmes résultats; il parait donc probable que ce dépôt d’un fin sédiment organique est à peu près universel. On s’est demandé si les animaux qui sécrètent ces coquilles vivent au fond de la mer ou s'ils flottent par myriades dans les zones supérieures et à la surface, et si leurs coquilles vides tom- bent au fond après leur mort, comme une pluie incessante. Des spécimens provenant de ces sondages ont été envoyés aux émi- Fic. 2. — Globigerinu bulloides, L'ORBIGNY. Très-fort grossissement. nents micrographes le professeur Ehrenberg, de Berlin, et le professeur Baily, de West-Point. Sur cette question ces deux naturalistes ont été d'opinions différentes. Ehrenberg soutenait qu il était évident que ces animaux avaient vécu au fond; Baily au contraire croyait impossible que ces êtres eussent vécu dans les profondeurs où leurs dépouilles ont été trouvées: il pensait qu'ils habitent près de la surface, et qu'après leur mort leurs coquilles tombent au fond !. L. Explanations and Sailing Directions to accompany the Wind and Currents Charts. By M. F. Maury, L.L. D. lieut. U.S.N., superintendent of the National Observatory. 6th edition. Philadelphia, 1864, p. 299. INTRODUCTION. 19 Une autre autorité consultée, le professeur Huxley, a été fort réservé dans l’expression de son opinion. Les échantillons four- nis par je capitaine Dayman du Cyclops, en 1857, furent soumis à son examen, et, dans son rapport à l’Amirauté ‘, en 1858, c'est ainsi qu'il s'exprime : « Comment peut-on supposer que la vie animale persiste dans les conditions de lumière, de température, de pression et d'aération qu’elle trouve dans ces profonds abimes ? A ces objections on peut répondre qu’on sait Fic. 3, — Orbulina universa, D'ORBIGNY. Très-fort grossissement, de science certaine que des animaux mème supérieurs en orga- nisation vivent à une profondeur de 300 et 400 brasses, puis- qu'on les a ramenés à la surface. La différence dans la somme de lumière et de chaleur de 400 à 2000 brasses est probable- ment bien moindre que la différence d'organisation qui existe entre ces animaux supérieurs et l’humble Protezoaire et Proto— phyte pèchés dans les sondages. Bien que jusqu'ici je sois loin 1. Appendix A to Deep Sea Soundings in the North Atlantic Ocean between Ireland and Newfoundland, made in H. M. S. Cyclops, lieut.-commander Joseph Dayman, in June and July 1857. Published by order of the Lords Commissioners of the Admiralty. London, 1858. 20 LES ABIMES DE LA MER. de regarder comme prouvée l'existence des G/ohigerina à ces profondeurs, j'avoue que les probabilités me paraissent militer en faveur de cette hypothèse. En 1860, le D" Wallich accompagna, en qualité de natura- liste, le capitaine sir Léopold M'Clintock, sur le vaisseau de Sa Majesté le Bulldog , dans son expédition de sondage en Islande, au Groenland et à Terre-Neuve. Pendant le voyage, des spécimens furent retirés de 600 à 2000 brasses de profon- deur : un certain nombre de ces échantillons étaient formés de la boue grise à Globigerina, bien connue, pendant que d’autres consistaient en détritus volcaniques du Groenland et du Labra- dor. Pendant le trajet du retour, à peu près à mi-distance entre le cap Farewell et Rockall, treize Astéries furent ramenées de 1260 brasses, « étreignant convulsivement une portion de la corde de sonde qui avait été mise à la mer en surplus de la pro- fondeur déjà reconnue, et qui avait séjourné au fond pendant un espace de temps suffisamment long pour permettre à ces ani- maux de s’y cramponner. » A son retour, en 1862, le Dr Wallich publia sur Je fond de l'Atlantique ‘ un ouvrage d’une grande va— leur, auquel il sera fréquemment fait allusion ci-après. Il cherche à prouver que le fond de la mer n’est pas tel qu'il entraine l’im- possibilité de l'existence, même pour les formes supérieures de la vie animale. Il réfute en détail et avec grande habileté les arguments mis en avant pour soutenir la thèse opposée. La pre- mière partie seule de l'ouvrage du D' Wallich a été publiée, et malheureusement dans un format coûteux et embarrassant ; quelques naturalistes seulement le connaissent, et l'ouvrage n'a pas eu le retentissement qu’il méritait. A l’époque où il parut, il n'était que l'expression d’une opinion personnelle qu'aucun fait nouveau n’était encore venu justifier. A plusieurs reprises des Astéries étaient péchées, adhérant aux cordes des sondes, 1. The North Atlantic Sea-bed : comprising a Diary of the Voyage on board H. M.S. Bulldog in 1860 ; and Observations on the presence of Animal Life, and the Formation and Nature of organic Deposits at great Depths in the Ocean. By G. C. Watuicn, M. D., etc.” Published with the sanction of the Lords Commissioners ofthe Admiralty. London, 1862. INTRODUCTION. 21 mais rien ne prouvait d’une manière concluante qu’elles eussent vécu sur le terrain, à la profondeur du sondage. Le D' Wallich rapporte les Astéries ainsi trouvées à une espèce bien connue de la zone du littoral, et unit leur histoire, assez mal à propos, avec la disparition de da terre de Buss '. Heureusement le dessin fort artistique, sinon très-satisfaisant, qu'il donne d’une Astérie cramponnée à la corde, ne justifie, n1 sous le rapport de la forme, ni sous celui de l'attitude, sa classification, mais rap- pelle plutôt l’une ou l’autre des deux espèces que nous savons être trés-abondantes dans les eaux profondes de l'Atlantique, l'Ophiopholis aculeata, O.F. Müller, ou V?Ophiacantha spinu- losa, Müller et Troschel. Le livre du D° Wallich est le seul qui traite méthodiquement et complétement les diverses questions qui ont rapport au fond de l'Océan; ses conclusions sont, en définitive, exactes. Pendant l'automne de 1860, M. Fleeming Jenkin, maintenant ingénieur-professeur à l’université d'Édimbourg, fut chargé par la Compagnie des Télégraphes méditerranéens de réparer le câble entre Vile de Sardaigne et Bone, sur la côte d'Afrique ; le 15 janvier 1861, il fit un récit intéressant de ses travaux à une réunion de |'Institution des Ingénieurs civils ?. Ce câble fut posé dans l’année 1857. En 1858 il devint né- cessaire de le réparer, et une longueur d'environ 30 milles fut repéchée et replacée avec succès. Dans l’été de 1860 le cable ne fonctionnait plus. En le relevant, sur la côte d'Afrique, à une profondeur relativement faible, on le trouva couvert d'animaux marins, complétement rongé et brisé, selon toute apparence, par les draguages qui avaient lieu dans une importante pécherie de Corail, au travers de laquelle il passait malheureusement. Il était rompu par 70 brasses d'eau à quelques milles de Bone. L’extrémité du côté de la pleine mer fut cependant retrouvée, 1. Écueil sous-marin indiqué par les anciennes cartes au 57°30! de lat. N. et au 29°50’ de long. O., bas-fond dont aucun navigateur moderne n’a pu retrouver la trace. (Note du traducteur.) 2. Minutes of Proceedings of the Institution of Civil Engineers, with Abstracts of the Discussions. Vol. XX, p. 81. London, 1861. 22 LES ABIMES DE LA MER. et l’on constata que le cäble, qui de là franchissait une large vallée de 2000 brasses de profondeur maximum, était en par- fait état jusqu’à une distance de 40 milles de cette ile; il fut alors relevé par l'extrémité qui aboutissait à la Sardaigne, et les premiers 39 milles étaient aussi intacts que le jour où on l'avait posé. A cette distance du rivage la nature du terrain changeait, ce qu'indiquait la différence de teinte de la boue, et les fils métalliques étaient très-corrodés. Un peu plus loin le câble était cassé à une profondeur de 1200 brasses, à la distance d’un mille de l'endroit où les éprouvettes électriques indiquaient qu'il avait été précédemment rompu. Ces 40 milles de cable ramenèrent force Coraux et beaucoup d'animaux marins, mais il ne paraît pas que leur présence fut pour rien dans sa rupture, car ils adhéraient aussi bien aux Fic. 4. — Caryophyllia borealis, FLEEMING. Grandeur naturelle. (Ne 45.) parties saines qu’à celles qui étaient endommagées. A son retour, M. Fleeming Jenkin envoya au professeur Allman, membre de la Société royale, quelques spécimens des animaux qu il avait recueillis sur le cable, en notant leurs profondeurs respectives. Le D" Allman a dressé une liste de quinze variétés animales, y compris les œufs d’un Céphalopode trouvés à des profondeurs variant de 70 à 1200 brasses. Sur d’autres portions du câble se trouvèrent des spécimens de Grantia, Plumularia, Gorgonia, INTRODUCTION. 23 Caryophylha, Alcyonium, Cellepora, Retepora, Eschara, Sali- cornaria, Ascidia, Lima et Serpula. Je ferai remarquer que, d’après le journal particulier du professeur Fleeming Jenkin, qu'il a bien voulu mettre à ma disposition afin que je pusse y puiser des renseignements, un exemplaire de Caryophylha, un véritable Corail (fig. 4), a été trouvé attaché au cable, au point juste où il s'était cassé, c’est-à-dire au fond de 1200 brasses d’eau. Quelques portions de ce cable furent plus tard confiées à M. Mangon, professeur à l’École des ponts et chaussées à Paris, et ont été examinées par M. Alphonse Milne Edwards, qui lut à l’Académie des sciences, le 15 juillet 1861", un travail sur les organismes qui y étaient attachés. Après quelques remarques préalables, qui le montrent très-pénétré de la valeur de ces faits comme conduisant à la solution finale de la question tant con- troversée de l'existence de la vie animale à des profondeurs de la mer dépassant de beaucoup le zéro supposé par Edward Forbes, M. Milne Edwards cite une liste d’animaux qu’il a trouvés sur le cable, depuis une profondeur de 1100 brasses. Cette liste comprend : Je Murex lamellosus Cristofori, et le Craspedotus limbatus, Philippi, deux coquillages univalves du genre Buccin; |’ Ostrea cochlear, Poli, petite Huitre abondante dans toute la Méditerranée au-dessous de 40 brassès ; le Pecten fest, Bivona, petit Peigne assez rare; le Caryophyllia borealis, Fleeming, ou une espèce voisine, et un Corail non décrit, attri- bué à une nouvelle espèce sous le nom de 7halassiotrochus telegraphicus, À. Milne Edwards. Il est juste pourtant de dire que les notes du professeur Flee- ming Jenkin ne font mention que d’une ou deux espèces, et sur- tout du Caryophyllia borealis, comme attachées au cable à une profondeur de plus de 1000 brasses. De cette profondeur il a ramené lui-même des exemplaires de Caryophyllia, mais il 1. Observations sur l'existence de divers Mollusques et Zoophytes à de très-grandes profondeurs dans la mer Méditerranée. (Annales des sciences naturelles, ZOOLOGIE , 4e série, 1861, tome XV, p. 149.) 24 LES ABIMES DE LA MER. soupçonne quelques spécimens des profondeurs moindres de s'être mélés à ceux des grandes profondeurs dans la série dont M. Mangon se trouve être en possession, et, dans ce cas, la liste de M. Milne Edwards ne serait pas tout à fait exacte. Jusqu'à présent toutes les observations qui avaient rapport à l'existence d'animaux vivants dans des profondeurs extrémes étaient sujettes à l'erreur et laissaient subsister des doutes. Les moyens et les méthodes de sondages profonds étaient imparfaits, et il y avait toujours possibilité que l’action des courants sur la corde de sondage ou quelque autre circonstance fit supposer une profondeur plus grande que celle à laquelle on était réelle ment parvenu; puis, quoiqu'il y eût de fortes probabilités, 1l n'y avait pas certitude absolue que les animaux adhérents à la corde ou engagés dans l’appareil de sondage vinssent véritable- ment du fond et n’eussent pas été saisis et entrainés pendant le trajet. Avant de poser un cable telégraphique sou-smarin, le terrain est soigneusement étudié, et il ne peut rester l’ombre d’un doute quant aux profondeurs réelles qu’il doit atteindre. Relever le cable est une opération délicate et difficile pendant laquelle les profondeurs sont contrôlées à bien des reprises. Le cable repose sur le fond dans toute sa longueur. Les formes animales sur les- quelles nos conclusions sont basées n’adhérent pas légèrement au cable, comme si elles s’y étaient fixées par une circonstance accidentelle pendant l'immersion, mais elles sont mow/lées sur sa surface extérieure ou y sont soudées par des excroissances calcaires, et quelques-unes d’entre elles, comme les Coraux et les Bryozoaires, d’après ce que nous connaissons de leur histoire et de leur mode d'existence, ont dû s’y attacher à l’état de germes et être arrivées à la maturité dans la position où elles ont été trouvées. Je regarde donc ce travail de M. Fleeming Jenkin comme ayant fourni la première preuve concluante, absolue, de l'existence d'animaux d'organisation supérieure, à des profon— deurs dépassant 1000 brasses. Pendant les différentes croisières des vaisseaux de S. M. INTRODUCTION. 25 le Lightning et le Porcupine, dans le courant des années 1868, 1869 et 1870, la drague a été retirée cinquante-sept fois dans l'Atlantique de profondeurs dépassant 500 brasses, et seize fois de plus de 1000 brasses; toujours la vie s’est trouvée largement répandue. En 1869, nous fimes deux draguages au delà de 2000 brasses, qui démontrèrent aussi une grande abondance d'animaux, et le plus profond (2435 brasses), dans la baie de Biscaye, nous donna des exemplaires vivants, bien déterminés, de chacune des cing sous-divisions d’Invertébrés. C’est ainsi qu'a été finalement résolue la question de l’existence d’une vie ani- male abondante au fond de la mer, car il n’y a aucune raison de croire que les abimes dépassent jamais 4000 brasses ; si à une profondeur de 2500 brasses aucune cause ue s oppose au plein développement d’une faune variée, on ne peut supposer que 1000 brasses de plus y apportent des conditions bien diffé rentes. Les circonstances qu'on aurait pu supposer défavorables à l'existence animale dans les grandes profondeurs sont principa- lement la pression, la température et l’absence de lumière, qui, selon toute apparence, doit avoir pour conséquence l'absence de nourriture végétale. : Quand on a dépassé la zone qui entoure les côtes, partout étroite, comparée à l'étendue de l'Océan, zone qui s’abaisse plus ou moins brusquement, la profondeur moyenne de la mer peut être estimée, d’une manière générale, à 2000 brasses, soit à peu près 2 milles anglais ; elle a, au-dessous de la surface, une épaisseur qui correspond à la hauteur moyenne des Alpes suisses. Dans certaines parties cette profondeur parait être beaucoup 1. Preliminary Report, by D' Carpenter, of Dredging Operations in the Seas to the North of the British Islands, carried on in Her Majesty’s steam-vessel Lightning, by Dr Carpenter and Wyville Thomson, professor of Natural History in Queen’s College, Belfast. (Proceedings of the Royal Society of London, 1868.) Preliminary Report of the scientific Exploration of the Deep Sea in H. M. surveying- vessel Porcupine, during the Summer of 1869. Conducted by D* Carpenter, J. Gwyn JEFFREYS and prof. Wyville THomson. (Proceedings of the Royal Society of London, 1870.) Report of Deep Sea Researches carried on during the months of July, August and September 1870, in H. M. surveying-ship Porcupine, by W. B. CARPENTER and Gwyn JEFFREYS. (Proceedings of the Royal Society of London, 1870.) 26 LES ABIMES DE LA MER. plus considérable, peut-être presque du double; mais ces abimes sont certainement très-peu nombreux, leur existence même est incertaine, et une vaste portion de l'étendue océanique n’atteint même pas une profondeur de 1500 brasses. L’énorme pression d’une pareille masse semblerait, à pre- mière vue, suffisante pour ôter toute idée de vie possible. Il existe un curieux préjugé populaire que je me rappelle bien avoir partagé étant enfant : c’est qu'à mesure qu’on descend dans la mer, l’eau devient, par l'effet de la pression, de plus en plus dense et que tous les objets qu’elle renferme flottent à différents niveaux, suivant leur pesanteur spécifique : des squelettes hu- mains, des ancres, des boulets et des canons, et enfin toutes les grosses pièces d’or perdues dans les naufrages des galions dans les mers d'Espagne; le tout formant une sorte de double fond, au-dessous duquel se trouve une masse d’eau calme et limpide, plus pesante que l’or en fusion. Les conditions de pression sont certainement extraordinaires. A 2000 brasses, un homme supporterait sur le corps un poids égal a celui de vingt locomotives ayant chacune un long train de wagons chargés de barres de fer. Nous oublions cependant que, l’eau étant à peu près incompressible, la densité de l’eau de mer à 2000 brasses n’est pas accrue d’une façon très-appré- ciable. A la profondeur d’un mille, sous une pression d'environ 159 atmospheres, l’eau de mer, suivant une formule donnée par Jamin, est comprimée de 1/144 de son volume primitif, et à 20 milles, en supposant les lois de la compressibilité les mêmes, de 1/7° de son volume, c’est-à-dire que le volume serait à cette profondeur les 6/7 du volume du même poids d’eau à la surface. L'air libre en suspension dans l’eau, ou contenu dans le tissu compressible d’un animal, serait, à 2000 brasses, réduit à une minime fraction de son volume primitif; mais un organisme, soutenu de tous côtés à travers tous ses tissus, intérieurement et extérieurement, à la même pression, par des fluides incompres- sibles, n’en serait pas nécessairement incommodé. Nous décou- vrons quelquefois en nous levant, le matin, que, par l’élévation INTRODUCTION 27 d’un pouce du baromètre, un poids d’une demi-tonne a été transporté insensiblement sur nous pendant la nuit, sans que nous en éprouvions aucune gêne, mais plutôt une sensation d’allé- gement et d’élasticité, puisqu'il nous faut moins d'efforts pour faire agir notre corps dans un milieu plus dense. Nous sommes déjà familiers, grâce aux recherches du professeur Sars, avec une longue liste d’animaux du groupe des Invertébrés, qui vivent à une profondeur de 300 à 400 brasses, et qui sont sou- mis à une pression de 1120 livres par pouce carré ; sur les côtes de Portugal il existe une grande pècherie de Requins (Centro- scymnus celolepis, Boe. et Cap.) qui opère à une profondeur plus grande encore. Si un animal aussi élevé que le Requin dans l'échelle des êtres peut, sans inconvénient, supporter une pression d’une demi- tonne par pouce carré, c’est une preuve suffisante que cette pression se fait dans des conditions qui empêchent l'animal d’en être affecté d’une manière préjudiciable, et iln’y a aucune raison pour qu'il ne supporte pas tout aussi bien une pression d’une ou deux tonnes. Quoi qu'il en soit, il est un fait certain, c’est que les animaux de toutes les classes d’Invertébrés qui fourmillent à la profondeur de 2000 brasses, supportent cette extrême pression sans qu'elle paraisse leur nuire. Nous draguames à 2435 brassesun Scrohicularia nitida, Müller, espèce qui abonde à 6 brasses et à toutes les profondeurs intermédiaires, et à 2090, un grand Fusus, avec des spécimens d’espèces propres aux profondeurs moyennes. Des animaux d’une organisation supérieure peuvent vivre, soumis d’une façon permanente à ces pressions élevées, mais il n’est pas certain qu'ils puissent sur— vivre au changement de condition qu’amènerait la suppression subite de cette pression. La plupart des Mollusques et des Anné- lides ramenés par la drague de 1000 brasses étaient morts ou dans un état fort languissant. Quelques-unes des Astéries re- muèrent faiblement pendant quelque temps, les spicules et les pédicellaires s’agitaient encore sur le test des Oursins; mais il était évident que ces animaux avaient, par une cause quel- 28 LES ABIMES DE LA MER. conque, reçu le coup de mort. Le D' Perceval Wright raconte! que tous les Requins ramenés par les longues lignes de 500 brasses dans la baie de Setubal sont morts quand ils arrivent à la surface. Plusieurs méthodes ont été proposées pour déterminer la pres- sion réelle dans les grandes profondeurs; mais quoique tous les éléments de ce caleul soient bien connus, il est plus facile de travailler le probleme dans le cabinet que sur les lieux mémes. Un instrument ingénieux a été construit a [usage des inspec— teurs des côtes en Amérique. Un piston ou plongeur de cuivre s'adapte exactement à une ouverture cylindrique pratiquée dans la paroi d’une chambre impénétrable à l’eau. La chambre étant entièrement remplie d’eau, un indicateur fixé au piston ou plongeur indique jusqu’à quel degré la pression le fait pénétrer dans la caisse. [indication demandée est obtenue, ce n’est pas douteux, mais un pareil instrument est en même temps un fort délicat thermoscope, et jusqu’à une époque récente, il n’y a eu aucun moyen sur de constater les effets de température sur cet appareil. Un emploi plus important encore de cet instrument propre à évalner la pression, c’est d'assurer l'exactitude des sondages profonds. La meilleure invention qui ait été faite dans ce but est celle d’un long tube capillaire en verre, calibré et eradué en millimètres, ouvert à une extrémité, et muni d’un index mobile qui marque dans quelle proportion l'air contenu dans le tube a été comprimé par l'introduction de l’eau. Le prin- cipal inconvénient de cet instrument est du à l’extrème difficulté de le munir d’un index qui puisse faire apprécier avec exacti- tude l’espace infiniment restreint dans lequel une colonne d’air, mème très-longue, est comprimée quand la pression devient très-grande. On trouve dans la Géographie physique” de sir John Herschel, |. Notes on Deep Sea Dredging, by Edward PERCEVAL Wricut, M. D., professor of Zoo- logv, Trinity College, Dublin. (Annals and Magazine of Natural History, December, 1868.) 2. Physical Geography, from the Encyclopedia Britannica, by sir John HERSCHEL, p. 45. Edinburgh, 1861. INTRODUCTION. 29 et dans le Lit de l'Atlantique du D' Wallich, où elle est donnée dans tous ses détails, la théorie de la distribution de la tempé- rature aux grandes profondeurs, telle qu'elle parait avoir été presque universellement admise jusqu'à l'époque de la croisière du Lightning. On pensait généralement que si la température de la surface, qui dépend de la radiation solaire directe, de la di- rection des courants, de la température des vents, et d’autres causes temporaires et accidentelles, peut varier dans des pro- portions infinies, celle des grandes et des moyennes profondeurs est toujours de 4° C., qui est la température de l’eau douce à son maximum de densité. Il est d'autant plus singulier que cette théorie ait été si facilement acceptée, que, dès l’année 1833, M. Despretz? calcula que la température du maximum de densité de l’eau de mer, laquelle se contracte d’une manière continue jusqu’au dernier degré supérieur au point de congélation, est de 3°,67 C.; même avant cette époque, des expériences faites sur la température de la mer à de grandes profondeurs, et qui cer- tainement étaient très-exactes, avaient indiqué plusieurs degrés au-dessus du point de congélation de l’eau douce. La question de la distribution de la chaleur dans la mer, qui est du plus grand intérêt par ses rapports avee la distribution des animaux marins, sera traitée complétement dans un cha- pitre spécial. Les récentes investigations prouvent qu'il n’y a point, comme on le supposait, de couche profonde d’eau à une température invariable de 4° C., mais que la température moyenne des grandes profondeurs, dans les régions tempérées et dans les régions tropicales, est d'environ 0° C., point de con- gélation de l’eau douce. Il se fait un mouvement général d’eau chaude à la surface, produit probablement par diverses causes, de l'équateur aux pôles, et un courant inférieur d’eau froide, des poles à l'équateur. D’après des exemples rapportés princi- palement par les premières expéditions américaines, de cordes 1. Atlantic Sea-bed, p. 98. 2. Recherches sur le maximum de densité des dissolutions aqueuses. (Annales de chimie, 1835, tome XIX, p. 54.) 30 LES ABIMES DE LA MER. de sonde qui ont été entrainées en courbes prolongées dans des parages ou, d’après la nature du lit, l’eau du fond devait être tranquille, il paraitrait qu’il existe dans certains endroits des courants Intermédiaires; mais nous n’avons aucune donnée sur leurs limites et leur distribution. Un courant froid, parti des mers polaires, passe ‘sur le fond de Pocéan Atlantique; ceci est prouvé par ce fait que dans toutes les parties du monde où l’on a fait des sondages, depuis le cercle arctique jusqu'à l’équateur, la température tombe à mesure que la profondeur augmente; elle est plus basse au fond que celle de la croûte terrestre : il est done évident qu'un renouvellement continu d’eau froide vient refroidir la surface du sol qui, étant mauvais conducteur de la chaleur, ne la transmet pas avec une rapidité suffisante pour que la température du courant froid en soit modifiée à un degré perceptible. Il est probable qu’en hiver, dans les parties des mers arctiques qui ne sont pas sous l’in- fluence directe du bras septentrional du courant équatorial, la colonne d’eau entière, de la surface jusqu’au fond, tombe au degré le plus bas qu’elle puisse atteindre sans se congeler, et forme ainsi une abondante source de l’eau la plus froide et douée de la plus grande pesanteur spécifique possible. La marche du courant froid est d’une grande lenteur, car il existe, sur un vaste espace de l’Océan où règne la température des grandes profondeurs, un lit de dépôt floconneux, composé d'organismes microscopiques d’une extréme ténuité, dans lequel le plomb de la sonde s’est enfoncé parfois à plusieurs pieds, et qui serait infailliblement entrainé par un courant de quelque rapidité. Dans tous les endroits où existe un courant appréciable, le fond consiste en sable, en boue, en gravier ou en cailloux roulés. Quelquefois aussi lorsqu'on jeta la sonde à de grandes pro- fondeurs dans la partie centrale de Atlantique, la corde, après s'être enfoncée d’une longueur qui dépassait de beaucoup la profondeur réelle, s’est trouvée roulée et enchevètrée juste au-dessus du plomb de sondage, ce qui indique un état de sta— gnation à peu près complet. INTRODUCTION. ol Dans certaines parties où la conformation des terres ou celle du fond de la mer circonscrit et localise les courants chauds et les froids, on trouve ce singulier phénomène d’une zone chaude avoisinant une zone froide, les deux se touchant sans se mé- langer, séparées par une ligne parfaitement distincte, bien qu’ invisible. I] existe un singulier exemple de ce phénomène : c’est «la muraille glacée » qui longe le bord ouest du Gulf- stream, sur la côte du Massachusetts ; un autre presque aussi tranché fut découvert pendant la croisière d’essai du Lightning: il a été décrit avec détail par le D' Carpenter dans son rapport sur cette croisière ; nous y reviendrons plus tard. Il arrive quelquefois qu'à des profondeurs moyennes toute la masse, de la surface jusqu’au fond, présente une température anermale à cause du transport, dans une certaine direction, d’une grande masse d’eau tiède; ceci se voit dans «la zone chaude » au nord-ouest des Hébrides ; quelquefois aussi la masse entière de l’eau est très-froide, comme dans « la bande froide » qui se trouve entre l'Écosse et les Farôer, ainsi que dans la partie septentrionale de la mer du Nord. Dans les grandes pro- fondeurs cependant, quand on a dépassé les premières centaines de brasses, il arrive généralement que le thermomètre baisse graduellement et très-lentement, jusqu'à ce qu’arrivant au fond, il atteigne son minimum, un peu au-dessus ou un peu au—dessous du zéro centigrade. La température de la mer ne parait pas descendre plus bas que — 3°,5 C. de froid, et, chose assez singulière, cet abaissement de température n’est point incompatible avec une vie animale abondante et vigoureuse; de sorte que, dans l'Océan, excepté peut-être dans les espaces éternellement glacés du pôle antarctique, la vie ne parait être nulle part limitée par le froid. Certains animaux marins, tels que les Siphonophores, les Salpes, les Méduses cténophores, quoique doués de l’organisation la plus délicate et la plus compliquée, supportent parfaitement ce froid rigoureux. Il parait certain que c’est la température qui règle seule la distribution des 32 LES ABIMES DE LA MER. espèces. La nature du terrain ne saurait avoir une grande influence, car sur une ligne de côtes de quelque étendue, tous les terrains et tous les dépôts peuvent être représentés. Ces espèces animales habitent un milieu dont la densité est à peu près égale à celui de la substance de leur corps; la plupart produisent en grande quantité du frai ou des larves, qui sont transportés et flottent au loin à la faveur des courants: on pour- rait donc en conclure que les espèces marines ont toutes les facilités possibles pour étendre leur aire d'habitation; cependant la distribution géographique des espèces qui vivent dans les petites profondeurs est déterminée et souvent mème assez res— treinte. Malheureusement nous ne connaissons que bien impar- faitement la répartition générale des espèces marines. Si nous exceptons les côtes de la Grande-Bretagne, celles de la Scandi- navie, une partie des côtes de l'Amérique du Nord et de la Méditerranée, nous ne connaissons absolument rien au delà de la zone côtière, et, dans tous les cas, rien de ce qui dépasse 10 à 15 brasses. Le peu que nous en savons comprend seulement la classe des Mollusques, et encore le devons-nous moins à la curiosité scien- tifique qu'à la valeur vénale que la passion des amateurs a donnée à certaines coquilles rares. On peut supposer cependant que les mémes lois qui règlent la distribution des Mollusques littoraux et sous-littoraux régissent de la même manière celle des Annelés, des Echinodermes et des Cœlentérés des eaux profondes; d’après les recherches qui ont été faites sur la dis- tribution de ces derniers groupes, il parait avéré qu'il en est ainsi. Woodward ‘considérait les Mollusques marins comme oceu- pant dix-huit « provinces » bien définies, qui offrent le carac- tère de renfermer la moitié au moins des espèces propres à chacune d’elles. Edward Forbes admet vingt-cinq de ces ré- gious; mais il faut se rappeler que, pour ces deux auteurs, la 1. A Manual of the Mollusca. By S. P. Woopwarp. London, 1851, p. 354. (Traduction francaise par Humbert. Paris, 1869.) INTRODUCTION. 33 délimitation des trois quarts au moins des régions n’était basée que sur une connaissance fort imparfaite des plus gros et des plus remarquables des coquillages. On a observé, pendant les quelques draguages opérés sur les côtes du Nord-Atlantique et sur celles de la Méditerranée, à une certaine profondeur (de 30 à 40 brasses par exemple), que le nombre des espèces propres à la région draguée, ainsi qu'à celle qui lui confine au nord, est grandement accru quand l’opération est continuée dans une zone plus profonde’. Ainsi, dans la province lusi- tanienne, M. Me Andrew a dragué, sur les côtes de la Galice et des Asturies, 212 espèces, dont 50 pour 100 étaient communes aux côtes de Norvége; sur les côtes du sud de l'Espagne, 335 espèces furent ramenées, dont 28 pour 100 se trouvaient aussi en Norvége (province boréale) et 51 pour 100 en Bre- tagne (province celtique). Les coquilles communes aux deux ou trois provinces étaient surtout celles qu'on avait retirées des grandes profondeurs. Les formes du littoral étaient bien plus spéciales. Les Mollusques provenant de l'expédition du Porcupine wont pas encore été complétement étudiés. Ils sont entre les mains de M. Gwyn Jeffreys, dont le rapport préliminaire offre un intéressant avant-gout de ce que nous pouvons espérer lorsque son travail sera terminé. J] annonce quelque chose comme 250 nouvelles espèces. Il sera question plus loin de quelques-unes des plus intéressantes de ces es- pèces, ainsi que des phénomènes généraux ayant trait à leur distribution. Les Echinodermes rapportés par l'expédition sont en nombre plus limité et ont été déjà examinés avec beaucoup de soin. La distribution des Échinodermes est moins connue que celle des Mollusques. Il y a beaucoup d'espèces littorales et sous-lit- torales. Quelques-unes sont localisées, mais beaucoup ont une distribution géographique qui s’étend ordinairement le long de ce qu Edward Forbes appelle wre ceinture homæozoïque, une 1. WoopWaRp, loc. cit., p. 362. Qo ot LES ABIMES DE LA MER. bande dont les circonstances climatériques sont semblables, qui occupe plusieurs degrés de longitude, mais un petit espace en latitude. Cette classe animale préfère pourtant une profondeur qui dépasse 20 brasses' et se trouve à l'abri des vicissitudes violentes de climat. Ces espèces sont remarquables, trés-carac— térisées, et moins sujettes que d’autres groupes à erreur et à confusion. Leur histoire est rattachée intimement à plusieurs des problèmes principaux étudiés dans ce volume ; je veux donc, en donnant l'esquisse très-sommaire que permettent l'espace dont je dispose et la somme de mes connaissances actuelles, de l'accroissement que nos draguages ont apporté à la connaissance des autres Invertébrés, me servir principalement des Échine- dermes et des Protozoaires comme exemples généraux. Les espèces qui habitent les bas-fonds et le littoral doivent être, plus que les autres, exposées à voir leurs migrations génées par des « obstacles naturels », tels que l’eau profonde, qu elles ne sauraient franchir, ou les courants d’eau plus chaude ou plus froide; elles doivent aussi subir l'influence des vicissi- tudes locales, comme l’extrème différence de température de l'hiver à l’été. On doit done les trouver plus circonscrites, plus locales que celles qui habitent les grandes profondeurs. Les con- ditions du fond, dans la zone de 20 à 50 brasses, sont bien plus égales que pres de la surface. La radiation solaire, dans les régions tempérées, n'a que fort peu d’action sur cette zone, qui probablement conserve la même température sous bien des degrés de latitude. Lorsqu’on descend vers le sud, l influence de la chaleur croissante s’y fait sentir : on peut supposer que la mème zone s'enfonce de quelques brasses et emporte avec elle sa température et sa faune. Voici un exemple de ces faits : Les formes animales qui abondent dans les provinces celti- ques à 25 brasses, avec une température moyenne de 10° C., seront plus nombreuses à 40 ou 50 brasses, avec la même tem- I. Distribution of Marine Life, by prof. Edward Forges, President of the Geological Society. (From the Physical Atlas of Natural Phenomena, by Alexander Keith Jonnsrox. Sdinburgh, 1854.) > INTRODUCTION. 30 pérature, dans la province lusitanienne. Cette zone pourra se prolonger à une grande distance, pendant qu’à la surface le elimat aura subi bien des variations et que les migrations des espèces littorales auront, à bien des reprises, été dérangées. Cependant la zone profonde trouve aussi quelquefois des « ob- stacles naturels » dans la ligne de jonction des espaces chauds et froids dont il a été fait mention; cette barrière amène un singulier triage des espèces qui ne supportent pas le change- ment de température. C’est ainsi que la faune qui peuple le courant tempéré de la côte ouest de l'Écosse est très-différente de celle du courant froid de la côte de Vest. Si cette superposition de zones existe entre les provinces lusitanienne et celtique, les mêmes rapports peuvent exister entre la nôtre et la province boréale ; c’est en effet ce qui arrive, car la grande majorité des Mollusques dragués par Me Andrew, Barlee, et surtout par Gwyn Jeffreys, au-dessous de 50 brasses, est identique à ceux qui ont été trouvés sur la côte de Scan— dinavie, à des profondeurs moindres. Notre dernier travail, en faisant ressortir plus complétement la superposition des zones, a démontré que c’est là une loi générale. Il paraît probable que la distribution des animaux marins est déterminée bien plus par les températures extrémes que par les moyennes. La température moyenne de la surface et des pro- fondeurs modérées, sur la côte du nord de la Norvége, est denviron 9° C., et l’extrème d’environ 0° C.; sur la côte du Groenland, la moyenne tombe à — 1° C., extreme à — ane? La température de la vallée qui se trouve entre l'Écosse et Faréer, est, à la profondeur de 500 brasses, de 0° à 1° C., et l’on trouve dans cette dépression, avec plusieurs formes non décrites qui sont spéciales aux grandes profondeurs, tous les Échinodermes signalés jusqu'ici sur les côtes de la Seandinavie et du Groenland, à l'exception, je crois, de VOphioglypha Stuwitzii, espèce d’Ophiuride commune aux bas-fonds du Groenland, et d’une ou deux Holothuries qui ont jusqu'ici échappé à nos recherches. 36 LES ABIMES DE LA MER. La température du plateau télégraphique transatlantique de 1000 à 2000 brasses est, selon toute apparence, de 3° à 2° C., et à 2500 brasses elle est, dans la baie de Biscaye, de 2° C. De 800 à 2000 brasses, tout le long des côtes ouest de l'Écosse, de l'Irlande et de la France, nous avons dragué des Échinodermes scandinaves en grande abondance; des grandes profondeurs méridionales des côtes du Portugal j'ai recu des exemplaires de plusieurs des espèces du Nord les plus caractéristiques, telles que VEchinus elegans, le Toxopneustes drobachiensis, le Brissopsis lyrifera, le Tripylus fragilis, le magnifique Brisinga coronata, le Brisinga endecacnemos, le Pteraster militaris, V Ophiacantha spinulosa, VOphiocten sericeum, V Ophioglypha Sarsi:, V Aste- ronyx Loveni et VAsterophyton Linchii, dragués par M. Gwyn Jeffreys en 1870. Les individus trouvés autour de nos côtes et appartenant aux espèces des grandes profondeurs des mers du Nord ont été considérés habituellement comme « détachés des espèces boréales » (Forbes), ou, dans tous les cas, comme espèces ayant étendu leur distribution au dela des cercles septentrio- naux. Cette erreur venait de ce qu’elles ont été découvertes et décrites d’abord en Scandinavie. Nous ne savons absolument rien de leurs centres de distribution; tout ce que nous pouvons dire, c’est qu'elles habitent une zone infiniment étendue, qui réunit des conditions thermales spéciales, et qu'on les trouve, ou du moins qu’elles se trouvent, à portée de l’observateur sur les côtes de la Scandinavie. Forbes a indiqué, il y a longtemps déjà, l’'analogie en sens inverse qui existe entre les animaux et les plantes terrestres et la faune et la flore des mers. Sur la terre, au niveau des mers, il y a dans les régions tempérées et dans les tropicales une végétation luxuriante avec une faune non moins abondante. À mesure que nous franchissons les pentes des montagnes, les conditions deviennent moins bonnes; les espèces qui pros— péraient dans les plaines plus favorisées disparaissent et sont remplacées par des types qui n'ont de représentants que sur INTRODUCTION. 37 d’autres chaînes de montagnes ou sur les bords d’une mer arctique. Dans l'Océan se trouvent, le long des côtes et dans les premières brasses, une faune et une flore riches et variées, auxquelles toutes les circonstances de climat qui agissent sur les habitants de la terre font éprouver leur influence. En descen- dant dans l’intérieur de la masse liquide, les conditions devien- nent graduellement plus rigoureuses, la chaleur diminue et les variations de température se sentent de moins en moins. La faune devient plus uniforme sur une plus grande étendue; elle est évidemment semblable à celle des bas-fonds des régions plus froides qui présentent une grande extension latérale. Plus bas encore l'intensité du froid augmente, jusqu’à ce qu’on atteigne les vastes plaines ondulées et les vallées du fond de la mer, avec leur faune en partie spéciale et en partie polaire. Cette région présente des conditions thermales extrêmes se rapprochant de celles de surface dans la partie circonscrite par les cercles arctique et antarctique. Nous n'avons jusqu'ici que des données bien imparfaites sur la profondeur à laquelle la lumière pénètre dans la mer. D’après quelques expériences récentes dont il sera fait mention plus tard, il paraitrait que les rayons capables d’agir sur un mince papier photographique sont rapidement interceptés et ne peu— vent plus se constater à la profondeur d’un très-petit nombre de brasses. I] est présumable que quelques parties de la lumière du soleil, possédant certaines propriétés, peuvent pénétrer à une plus grande distance; mais il ne faut pas oublier que l’eau de mer la plus limpide est plus ou moins teintée par les molécules opaques qu’elle tient en suspension et par des organismes flot-- tants, de sorte que les rayons solaires ont à lutter contre quel- que chose de plus qu’une simple solution saline. I] est certain qu'au dela des premières cinquante brasses, les plantes sont a peine représentées, et qu'après 200 brasses elles ont disparu entierement. La question de la nutrition des animaux dans les grandes profondeurs devient, par conséquent, trés—intéressante à étudier. La différence importante entre les végétaux et les ani— 38 LES ABIMES DE LA MER. maux, c’est que les premiers préparent la nourriture des seconds, en décomposant certaines substances inorganiques qui ne peu- vent servir de nourriture aux animaux et en faisant de leurs éléments des composés organiques qui deviennent propres à les alimenter. Cette opération cependant ne s’accomplit jamais que sous l'influence de la lumière. Il parait n’y avoir, au fond de la mer, que peu ou point de lumière, et il n’y existe bien certaine- ment d’autres végétaux que ceux qui y tombent de la surface ; et pourtant dans le fond de la mer les animaux abondent partout. Au premier abord, il est certainement difficile de com- prendre comment se soutient la vie de cette vaste multitude animale, privée, selon toute apparence, de tout moyen de subsister. Deux explications ont été données. Il est possible que certaines espèces aient le pouvoir de décomposer l’eau, l’acide carbonique et l’ammoniaque, et de combiner les éléments de ces corps en composés organiques, sans l’aide de la lumière. Le docteur Wallich* soutient cette hypothèse; il croit qu’« aucune loi d'exception n’est nécessaire, mais qu’au contraire la preuve que ces animaux possèdent la propriété de transformer, pour leur propre nutrition, des éléments inorganiques, c’est la faculté, que nul ne leur conteste, de séparer le carbonate de chaux et la silice des eaux qui contiennent ces substances en dissolution ». Ceci cependant parait tout au plus concluant. Toutes les sub- stances propres à la nutrition des animaux leur sont offertes finalement en solution dans l’eau, et leur extraction de ces solu- tions aqueuses ne saurait être regardée comme « une décom- position chimique ». Il reste encore cette grande différence, qu'une plante verte exposée au soleil décompose l'acide car- bonique, ce qu'un animal ne peut faire. Je crois qu'il est une explication plus simple. Toute eau de mer contient une certaine quantité de matières organiques en solution et en suspension. Les provenances en sont plus faciles à indiquer. Toutes les rivières en contiennent en quantités considérables. Toute côte 1. North Atlantic Sea-bed, p. 131. INTRODUCTION. 9) est bordée dune frange d’Algues rouges et verdatres, qui mesure en moyenne un mille de largeur. Il existe, au mi- lieu de l'Atlantique, une immense prairie marine (la mer de Sargasse), qui s'étend sur trois millions de milles carrés. La mer est pleine d'animaux qui sans cesse meurent et se décom- posent. La somme de matière organique produite par ces causes et par d’autres encore peut s’apprécier. L'eau de mer a été soumise à l'analyse pendant les différentes croisières du Por— cupine, et chaque fois la quantité de matière organique appré- ciée et démontrée ; la proportion a été trouvée la même partout et à toutes les profondeurs. Presque tous les animaux, aux profondeurs extrêmes (et mème tous les animaux, car le petit nombre de ceux qui appartiennent aux formes élevées se nour- rissent des inférieurs), appartiennent à une sous-division, les Protozoaires, dont le trait distinctif consiste en ce qu'ils n’ont aucun organe spécial de nutrition, mais qu'ils absorbent la nourriture par toute la surface de leur corps gélatineux. La plupart de ces animaux sécrètent d’imperceptibles squelettes, quelques-uns formés de silice, d’autres de carbonate de chaux. Il n’y a aucun doute qu'ils extraient ces substances de l’eau de la mer, et il parait être plus que probable que la matière orga— nique dont sont formées leurs parties molles est tirée de la même source. Il est parfaitement compréhensible qu’une foule d'animaux puisse subsister dans ces sombres abimes; mais il est nécessaire qu'ils appartiennent surtout à des espèces susceptibles de se nourrir par l'absorption, au travers des membranes de leur corps, des matières tenues en dissolution. Ils ne développent que peu de chaleur et n’en dépensent ane tres-peu par l’activité vitale. D’après cette hypothèse, il parait vraisemblable qu’à toutes les époques de l’histoire de la terre, quelques formes de Pro- tozoaires (Rhizopodes où Éponges) prédominaient beaucoup sur toute autre forme de la vie animale, dans les profondeurs des régions chaudes de la mer. Les Rhizopodes, comme les Coraux d’une zone moins profonde, forment de colossales accumula- 10 LES ABIMES DE LA MER. tions de carbonate de chaux, et e’est probablement à leur action que nous devons attribuer ces immenses bancs de cal- eaire qui ont résisté à l’eflet du temps, et qui, semblables à des bornes milliaires, viennent marquer par leurs couches succes— sives la marche des siècles. Tindholm, CHAPITRE II CROISIÈRE DU LIGHTNING Projets d’exploration du fond des mers. — Ce qu'on espérait de ces recherches. — Correspondance entre le conseil de la Société Royale et PAmirauté. — Départ de Stornoway.— Les îles Farder.— Singuliére température dans le détroit des Farôer. — La vie abondante à toutes les profondeurs. — Brisinga coronata. — Holtenia Car- penteri. — Résultats généraux de Pexpédition. — Appendice A. — Détails sur la pro- fondeur, la température observées aux diverses stations du vaisseau de S. M. le Lightning pendant Vété 1868. Les températures sont corrigées suivant les pressions. *, Les chiffres placés entre parenthèses au bas des figures correspondent aux stations indiquées sur la planche I. Au printemps de l’année 1868, mon ami le D' W. B. Car- penter, alors l’un des vice-présidents de la Société Royale, était avec moi en Irlande, où nous nous occupions ensemble à étudier la structure et le développement des Crinoides. J'avais depuis longtemps déjà la conviction que la terre promise du natura— liste, la seule région où il existe encore des nouveautés en nombre infini et d’un intérêt extraordinaire, ¢’était le fond des mers. Ces richesses sont destinées à ceux qui disposeraient des moyens de les recueillir; j'avais même entrevu quelques-uns de ces trésors, car le professeur Sars m'avait montré les formes animales dont j'ai déjà parlé et qui ont été draguées par son fils aux iles Loffoten. Je communiquai mes idées à mon com— pagnon de travail, et nous causdmes souvent sur ce sujet tout en travaillant à nos microscopes. J’engageai fortement le D' Carpenter à user de son influence pour décider l'Amirauté, par Ventremise du conseil de la Société Royale, à mettre à notre disposition un vaisseau muni d'instruments de draguage 12 LES ABIMES DE LA MER. et d'appareils scientifiques, afin de résoudre plusieurs ques- tions importantes touchant les phénomènes des grandes profon- deurs. Après beaucoup d’objections, le D' Carpenter promit son active coopération, et nous convinmes que je lui écrirais, à son retour à Londres, pour indiquer d’une manière générale les résultats que j'espérais obtenir, et tracer le plan d’études qui me paraissait devoir être couronné de succès. Le conseil de la Société Royale appuya chaudement la demande, et l’on trouvera plus loin, dans son ordre chronologique, la brève correspon— dance qui eut pour résultats de faire mettre par l’Amirauté à la disposition du D' Carpenter et à la mienne la canonnière le Lightning, sous ies ordres du commandant d'état-major May, pour faire une croisière d’essai au nord de l’Écosse en 1868; plus tard, le vaisseau deS. M. le Porcupine, sous la direction du capitaine Calver, fut désigné pour l'exploration d’une région beaucoup plus vaste. M. Gwyn Jeffreys prit part à ces dernières croisières dans les étés de 1869 et 1870. Lettre du professeur Wyville Thomson au D* Carpenter. Belfast, 30 mai 1868. La dernière fois que je vous vis, je vous exprimai de quelle impor- tance il serait pour l'avancement de la science de pouvoir préciser avec exactitude les conditions et la distribution de la vie animale dans les grandes profondeurs de l'Océan ; je viens reprendre les faits et les consi- dérations qui me font supposer que des recherches faites dans ce but donneraient des résultats précieux. Toutes les expériences récentes tendent à infirmer l'opinion d'Edward Forbes, qu'on doit arriver, à la profondeur de quelques centaines de brasses, à un zéro de vie animale. Il y a deux ans que M. Sars, inspec- teur des pêcheries du gouvernement suédois, eut l’occasion, dans l’exer- cice de son emploi officiel. de draguer aux îles Loffoten, à une profondeur de 300 brasses. Je visitai la Norvége peu de temps après son retour et examinai avec son père, M. le professeur Sars, quelques-uns des résultats de ses draguages. Les formes animales s'étaient trouvées abondantes ; plusieurs étaient nouvelles pour la science, et dans leur nombre se trou- vait le petit Crinoide dont vous possédez un spécimen et qui a été re- connu de suite pour un type dégradé des Apiocrimide, ordre regardé CROISIÈRE DU LIGHTNING. 43 jusqu'ici comme disparu, qui atteignait son maximum de développement dans le calcaire à Entroques de la période jurassique, et dont le dernier représentant connu jusqu'ici était le Bourguetticrinus de la craie. Quel- ques années auparavant, M. Absjornson, en draguant à 200 brasses dans le Hardangerfjord, obtint plusieurs exemplaires d’une Astérie (Brisinqga) qui paraît avoir son plus proche allié dans le genre fossile Protaster. Ces expériences mettent hors de doute que la vie animale esi abondante dans l'Océan à des profondeurs qui varient de 200 à 300 brasses, que les formes animales de ces grandes profondeurs diffèrent beaucoup de celles que ramènent les draguages ordinaires, et que certainement, dans quelques cas, ces animaux paraissent descendre en droite ligne de la faune des premières périodes tertiaires. Il me semble qu'on eût pu prévoir ce dernier résultat ; il est présu- mable que les expériences futures viendront ajouter beaucoup à ces don- nées, et nous fourniront l’occasion de nous assurer de l’exactitude de nos classifications et des affinités zoologiques de quelques types fossiles, par l'examen des parties molles de leurs représentants actuels. La principale cause de la disparition, des migrations et des modifications extrêmes des types animaux paraît être le changement de climat, produit surtout par les oscillations de la croûte terrestre. Ces oscillations ne doivent pas avoir dépassé, dans les parties nord de l’hémisphère septentrional, 1000 pieds depuis le commencement de l’époque tertiaire. Au 39° degré de longi- tude, la température des grandes profondeurs paraît être constante à toutes les latitudes; il faut donc que sur une immense étendue de l'Atlantique du Nord les oscillations tertiaires et posttertiaires aient été sans effet. Quelques autres questions du plus haut intérêt scientitique devront être résolues par les investigations projetées : 1° L'effet de la pression sur la vie animale à de grandes profondeurs. Il existe beaucoup d'erreurs sur ce point. Il est probable qu’une pression parfaitement égale, quelle que soit sa force, demeure sans effet. L'air étant très-compressible et l’eau fort peu, il est à croire que, soumise à une pression de 200 atmosphères, l’eau peut être plus aérée encore, ct, sous ce rapport, plus favorable à la vie qu'elle ne l’est à la surface. 2° L'effet de l’extrème élimination du grand stimulant, la lumière. D'après les conditions de la faune des cavernes, ce dernier agent n’affecte guère probablement que la coloration et les organes de la vue. Je ne doute pas qu’avec une drague pesante sans être volumineuse, et quelques milles de solide corde de chanvre de Manille, on ne parvienne à draguer à 1000 brasses de profondeur. Une pareille tentative cepen- dant, à cause des distances et du travail nécessaire, dépasse la portée d’une entreprise particulière. Ce que je désire vivement, c’est que l’Ami- rauté puisse être amenée (peut-être à la demande du conseil de la Société Royale) à envoyer, pour exécuter ces recherches, un vaisseau semblable MA LES ABIMES DE LA MER. » à l’un de ceux qui ont fait les sondages nécessités par la pose du câble. Je serai tout prêt à partir en Juillet, et si vous vouliez prendre part à ces travaux, je crois que les résultats en seraient satisfaisants. Je proposerais de partir d’Aberdeen, de nous diriger d’abord sur les bancs de pêche de Rockall, où la profondeur est modérée, et de là, au nord-ouest, vers la côte du Groenland, un peu au nord du cap Farewell. Nous nous maintiendrions ainsi à peu près sur l’isotherme de 39 degrés; nous atteindrions promptement une profondeur de 1000 brasses, où, en déduisant 1000 pieds pour les oscillations de niveau et 1000 pieds pour l'influence des courants de surface, il nous resterait encore 4000 pieds d’eau dont les conditions n’ont probablement pas beaucoup varié depuis le commencement de l’époque éocéne. Tout à vous. Wrvit_e THomson. Lettre du D' Carpenter au Président de la Société Royale. Université de Londres, Burlington-House, 18 juin 1868. Mon CHER GENERAL SABINE, Pendant un récent séjour à Belfast, j'ai eu l’occasion d’examiner quel- ques-uns des spécimens envoyés par le professeur Sars, de Christiania, au professeur Wyville Thomson, et péchés par M. Sars junior, inspec- teur du gouvernement suédois, au moyen de draguages opérés à de grandes profondeurs sur les côtes de Norvége. Ces spécimens sont du plus grand intérêt au double point de vue de la zoologie et de la paléon- tologie, ainsi que l'explique la lettre ci-incluse du professeur Wyville Thomson, et leur découverte ne peut manquer d’excitér chez les natu- ralistes et les géologues un vif désir de voir la zoologie des grandes profondeurs, particulièrement dans la région de l'Atlantique du Nord, devenir le but d’explorations plus méthodiquement entreprises et plus complètes qu'elles ne l’ont été jusqu'ici. D’après ce que je sais de vos travaux scientifiques, je ne saurais mettre en doute votre complète sym- pathie sur ce sujet. De pareilles explorations ne peuvent être entreprises par de simples particuliers, même avec l’aide pécuniaire de sociétés scientifiques. Pour draguer à des profondeurs considérables, il faut pouvoir disposer d’un très-grand vaisseau, d’un équipage bien dressé, tel enfin qu’il ne s’en trouve que dans la marine de l’État. C’est à l’aide de pareils moyens, fournis par le gouvernement suédois, que les recherches de M. Sars ont pu se faire. Il y a dansce moment-ci, sur nos côtes du nord et sur celles de l’ouest, # CROISIÈRE DU LIGHTNING. 45 . un nombre inusité de canonnières et d’autres croiseurs qui demeurent probablement dans leurs stations jusqu’à la fin de la saison, et l’idée est venue à M. le professeur Wyville et à moi que l’Amirauté, sollicitée par le conseil de la Société Royale, consentirait peut-être à mettre un de ces vaisseaux à notre disposition et à celle des naturalistes qui pourraient être désireux de faire partie de notre expédition, dont le but serait d'exécuter une série méthodique de draguages profonds; les recherches dureraient un mois ou six semaines et commenceraient dans les premiers jours du mois d'août prochain. Malgré notre désir de pousser cette étude, soit comme étendue géogra- phique, soit comme profondeur, aussi loin que le propose la lettre de M. le professeur Wyville Thomson, nous jugeons préférable de nous borner, dans la circonstance actuelle, à faire une demande qui, nous le croyons, n’entrainera pas la dépense accessoire d’un tender (bateau a charbon). Nous nous proposerions de faire de Kirkwall ou de Lerwick notre port de départ, d'explorer le fond de la mer entre les îles Shetland et Faréer, en draguant autour des côtes et dans les fiords de ces der- niéres (qui n'ont pas été encore, que je sache, examinées scientifique- ment); après quoi, nous nous dirigerions vers les profondeurs du nord- ouest, entre les Farôer et l'Islande, aussi loin qu'il nous serait possible de le faire. Il serait désirable que le vaisseau désigné pour le service fit en état de marcher à la voile aussi bien que par la vapeur; car nos opérations devant nécessairement être lentes, la fesse ne serait pas nécessaire. On épar- enerait beaucoup de peine et de labeur à l'équipage en ayant à bord une petite grue à vapeur ‘ dont on se servirait pour remonter la drague. Si le conseil de la Société Royale Juge à propos de présenter cette requête à l’'Amirauté, j'espère qu’il consentira à mettre à la disposition de M. le professeur Wyville et à la mienne une somme de 100 livres prise sur les fonds destinés aux donations ou sur ceux alloués par le gouver- nement ; elle suffira aux dépenses que nous devrons faire pour nous procurer une provision d'alcool et de bocaux destinés à la conservation de nos échantillons, ainsi que quelques autres objets pour des usages scientifiques. Nous promettons de déposer au British Museum les plus rares de ces spécimens. Je vous serai bien reconnaissant de porter cette requête devant le con- seil de la Société Royale, et je suis, etc. Wicrram B. Carpenter. I. Cette grue à vapeur, sur les steamers de toutes les nations, s'appelle le « petit cheval ». (Note du traducteur.) 46 LES ABIMES DE LA MER. Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale. 18 juin 1868. Ces lettres ayant été lues, il a été décidé : « Que les propositions de MM. Carpenter et Wyville Thomson étant approuvées, seraient recom- mandées à l’examen bienveillant des autorités de Amirauté, et qu'une somme qui ne dépasserait pas 100 livres sterling serait prise sur les fonds destinés aux donations, pour faire face aux dépenses indiquées dans la lettre du D' Carpenter. » Le projet suivant d’une lettre adressée par le secrétaire de la Société au secrétaire de l’Amirauté a été approuvé : My Lord, je suis chargé de vous apprendre, afin que par votre entre- mise les Lords commissaires de |’ Amirauté en soient instruits, que le président et le conseil de la Société Royale viennent de recevoir commu- nication d’un projet conçu par le D" Carpenter, vice-président de Ja Société Royale, et le D' Wyville Thomson, professeur d'histoire naturelle au Collége de la Reine à Belfast. Ils se proposent d'exécuter des dra- guages à des profondeurs plus considérables qu'aucune de celles qui ont été fouillées dans les parages qu'ils veulent explorer; le but principal de ces recherches est d'obtenir des données certaines sur l’existence, le mode de vivre et les rapports zoologiques des animaux marins qui vivent à de grandes profondeurs, en vue de la solution de divers problèmes touchant la vie animale, problèmes qui ont une grande importance pour les études géologiques et paléontologiques. Le but des opérations qu'ils désirent entreprendre, le plan qu'ils se proposent de suivre, ainsi que l'appui qu'ils désirent obtenir de l’Amirauté, sont développés dans la lettre du D" Car- penter au président et dans celle du professeur Wyville Thomson, dont je vous envoie ci-joint des copies. Le président et le conseil étant d'avis qu'on peut attendre de l’entre- prise proposée des résultats importants pour la science, ils la recom- mandent à l'attention bienveillante du gouvernement de Sa Majesté, et désirent vivement que les Lords commissaires de l’Amirauté se montrent disposés à accorder l’aide demandée. Dans ce cas, le matériel scientifique nécessaire serait fourni sur les fonds dont dispose la Société Royale. Je suis, ete., etc. W. Suarpey, Sec. R.S. Lord H. Lennox, T.P., secrétaire de? Amiraute. = 1 CROISIÈRE DU LIGHTNING, Extrait des procès-verbaux du conseil de la Societe Royale du 20 octobre 1868. De lAmirauté, 14 juillet 1868. En réponse à votre lettre du 22 courant, dans laquelle vous exposez une proposition du D' Carpenter et de M. le professeur Wyville Thomson, d'examiner, au moyen de draguages, le fond de la mer dans certains parages, afin de constater l’existence ct les rapports zoologiques de cer- tains animaux à de grandes profondeurs, recherches que vous-même et le conseil recommandez dans l'intérêt de la science à la bienveillante atten- tion du gouvernement de Sa Majesté, je suis chargé par Leurs Seigneurics les Lords commissaires de lAmirauté de vous apprendre qu’ils ont bien voulu répondre à vos désirs, autant que le permet l'intérêt du service, ct qu'ils ont donné des ordres pour que la canonnière à vapeur le Lightning soit disposée immédiatement, à Pembroke, pour les opérations de dra- guage que vous vous proposez d'exécuter. Je suis, monsieur, etc. W. G. Romaine. Au President de la Societe Royale. On verra par ces lettres de mon collègue et de moi-méme quelles étaient nos idées et nos espérances. Nous avions plus que des doutes sur ces régions incompatibles avec la vie, régions dont on admettait alors généralement l'existence, et nous comp- tions sur la possibilité de retrouver un lien de parenté entre les espèces vivantes de la mer profonde et les fossiles de quelques— unes des formations géologiques les plus récentes, que nous considérions comme leurs ancêtres directs. Nous partagions l'erreur étrange et générale qui avait cours alors, au sujet de la distribution de la température dans Océan; c’est à peine si Le fait que cette croyance erronée à l'existence d’une tempé— rature constante et universelle de 4° C. au delà d'une certaine profondeur variant d’après la latitude, croyance qui était ac- ceptée et enseignée par tout ce qui jouissait de quelque autorité dans l'étude de la géographie physique, peut être alléguée comme une excuse de quelque valeur. 48 LES ABIMES DE LA MER. Depuis le moment où l’Amirauté nous eut autorisés à faire usage pour nos recherches d’un vaisseau de l'État, les travaux et les préparatifs du D" Carpenter devinrent incessants, et il est incontestable que e’est à son influence dans le conseil de la So- ciété Royale et à la confiance qu'inspirait sa haute intelligence aux membres du gouvernement qu'il faut rapporter le succès de l’entreprise. La canonniére le Lightning (VÉclair) fut désignée pour faire ce service; petit vaisseau passé depuis longtemps à l’état de sabot, on pouvait lui rendre ce très-peu rassurant témoignage qu'il était probablement le plus ancien des vapeurs à roues de tout le service de Sa Majesté. Nous etimes peu de bon temps dans le Lightning. Imparfaitement étanche, il pouvait à peine tenir la mer, et comme le temps fut presque toujours déplorable pendant les six semaines que dura notre navigation, on peut se faire une idée de ce qu’elle eut de pénible. Les crochets de fer et les bou- lons qui soutenaient le gréement tombaient de vétusté ; plusieurs furent emportés, et à deux reprises le vaisseau courut de sérieux dangers. Malgré tout cela le voyage fut presque agréable. Le commandant d'état-major May était récemment arrivé de la baie d’Annesley, où il avait été maitre de port pendant la guerre d’Abyssinie; sa vive intelligence, les excellents rapports que nous etimes avec ses officiers, qui nous secondérent de tout leur pouvoir et prirent une large part à la réussite des essais que nous pumes tenter dans les grandes profondeurs, adoucirent autant que possible cette expérience, bien nouvelle cependant pour nous. Le Lightning quitta Pembroke le 4 août 1868 et arriva à Oban dans la soirée du 6. Cest là que le D' Carpenter, son fils Herbert et moi le rejoignons. Après avoir fait les observations nécessaires pour régler les chronomètres, pris du charbon, de l’eau et terminé nos préparatifs, nous quittons Oban le 8 août pour jeter l'ancre le même soir dans la baie de Tobermory ; après une traversée orageuse du Minch, nous atteignons Stornoway dans la soirée du 9. Nous sommes accueillis à Stornoway par x RSS >: / ae = —- 2 ag Les Ba i OCEAN ATLANTIQUE an a ee À ~ 40 = Ile Foula DU NORD | oe tee neh ms meee ee 7 G2 PLANCHE L—Trajot du “Lightning,” 1868. 40 49 (> 25 Po? ‘3 x cay: 26 9 Detroit de Pentland page 3 : an LE ‘0 om À > 4. ’ CROISIÈRE DU LIGHTNING. 49 sir James et lady Matheson avec cette courtoisie hospitalière qui à bien des reprises nous a fait quitter leur royaume insulaire avec des regrets que je ne saurais comparer qu'au plaisir que nous éprouvions à y revenir. On embarque tout le charbon qu'il nous est possible de porter, et l’on en entasse même sur le pont, dans des sacs, autant qu'il est prudent de le faire. Une grue est établie à la poupe pour remonter la drague, et après avoir pris nos dernières observations, nous nous dirigeons vers le nord dans la matinée du 11. Dans la même après-midi, à 15 milles environ du promontoire de Lews, à une profondeur de 60 à 100 brasses, nous jetons la sonde pour essayer notre attirail de draguage, notre petite machine accessoire, et pour déterminer les limites des espèces des bas—fonds. Tout notre matériel fone- tionne très-bien, mais la drague ne ramène qu'un petit nombre de formes animales, et toutes étaient connues dans la mer des Hébrides. Une brise du nord-est souffla avee force pendant trois jours, et nous forca à rester en panne et sans voiles, dérivant vers le nord dans la direction des Farôer ; il ne pou- vait être alors question de draguer. Le 13, pendant une accal- mie, nous sondons sans trouver de fond à 450 brasses (sta- tion 1, pl. 1), avec un minimum de température de 9°,5 C., celle de la surface étant de 12°,5 C. Cette température nous parait si élevée pour la profondeur à laquelle elle avait été prise, que nous soupconnons quelque erreur dans les indications données par les thermomètres (trois des instruments enregistreurs sur six étaient faits d’après les modèles du Bureau hydrographique). Des observations postérieures, faites sur le même point, nous prouvèrent cependant que, dans cette région, la température, à la profondeur de 600 à 700 brasses, est la mème que la tem- pérature moyenne du courant nord du Gulf-stream. Les rivages des Farôer sont très-fréquentés par des bateaux pêcheurs anglais et étrangers. Leur but est surtout la prépa- ration du poisson salé et fumé; beaucoup de vaisseaux anglais sont construits à réservoirs et fournissent de Morues fraiches le marché de Londres. 50 LES ABIMES DE LA MER. Un grand réservoir carré occupe le centre du vaisseau ; les parois en sont percées de trous qui permettent à l’eau d’y cir- culer librement. De cette manière l’eau intérieure est toujours parfaitement fraiche et renouvelée ; les Morues de première qua- lité y sont renfermées et supportent très-bien le voyage. Il est | très-curieux de voir ces grands animaux se mouvoir avec grace dans ces réservoirs, comme des poissons rouges dans un globe de cristal. La présence de l’homme ne parait pas les effrayer, et leurs longues têtes lisses et tachetées, leurs bouches énormes et leurs yeux sans paupières et privés de toute intelligence, en font des êtres plus étranges qu’attrayants. Ils aiment à être frottés ou grattés, parce qu'ils sont infestés de Caliges et de plusieurs autres espèces de Crustacés parasites. Quelquefois l’un d’eux vient tranquillement prendre dans la main le Crabe, le gros Fusus ou le Buccin qu’on lui offre; avec un léger mouvement il le fait descendre à travers son large gosier dans un estomac, où il est promptement désagrégé par d’énergiques sues gastriques. Dans un navire que j'eus l’occasion de visiter, une des Morues avait éprouvé je ne sais quel accident qui avait nui à sa vente, et était demeurée dans le réservoir, oùelle avait fait plusieurs fois la tra- versée entre Londres et Farôer; elle jouissait des bonnes graces de l’équipage. Les matelots disaient qu'elle les connaissait. Elle était dans le réservoir avec beaucoup d’autres quand je visitai le bateau, et il est certain qu’elle arrivait toujours la première à la surface pour recevoir un Crabe ou un morceau de biscuit, et qu'elle frottait très-affectueusement sa tête et ses épaules à la main que je lui tendais. Le 15 et le 16, nous draguons sur les côtes de Faroer, à une profondeur de 200 à 50 brasses. Le fond est formé de graviers et de Nullipores. La température est de 8° à 10° C. Ces côtes pullulent d’Etoiles de’mer fragiles et communes, l’Ophiothrix fragilis, du Homard de Norvége, Nephrops norvegicus, de gros Crabes-araignées, de plusieurs espèces des genres Galatea et Crangon. Une nourriture préférée si abondante explique suffi- CROISIÈRE DU LIGHTNING. 51 samment le grand nombre et l'excellente qualité de la Morue et de la Lingue dans ces parages. Le terrain est rocailleux sur les côtes de Farôer, et malgré toutesles précautions possibles et l’emploi des « accumulateurs » de Hodge pour diminuer la tension des cordes de draguage, nous y avons perdu deux de nos meilleures dragues et quel- ques centaines de brasses de corde. Dans la matinée du 17 nous arrivons en vue de Farôer : mais, comme à l'ordinaire, le petit archipel se dérobait aux regards derrière le rideau de brouil- lards dont il est constamment enveloppé; ce n’est que de temps en temps, a la faveur de quelques éclaircies, que nous lui jetons un rapide coup d'œil. Vers midi le temps s’améliore, et en navi- guant parmi les iles pour gagner le petit port de Thorshaven, nous jouissons pour la première fois du spectacle magique de leurs contours vaporeux partiellement voilés de blanches nuées; leurs teintes d’un vert et d’un brun si doux sont atténuées en- core par la lumière aretique dont elles sont éclairées; leurs pentes, sillonnées de ruisseaux, qui se précipitent en cascades par-dessus les rochers, ressemblaient à des rubans argentés. Le terrain des Farôer est basaltique ; ce sont des terrasses superposées d’anameésite, qui se décompose facilement et date probablement de l’époque miocène. Cette nature uniforme et l'absence d'arbres et de tous autres végétaux élevés offrent un aspect singulièrement monotone. Les habitations sont éparses, de couleur terne et recouvertes de gazon vert, ce qui les rend absolument invisibles à une petite distance, Nous avons été frappés parfois de la difficulté d'apprécier les hauteurs et les distances à cause de l’absence d'objets familiers de comparai- son; il nous était difficile de savoir, en naviguant parmi les îles et en les examinant à travers l’atmosphère humide et trans- parente, si telle sommité avait 500 pieds d’élévation ou trois ou quatre fois plus. La moyenne entre ces estimations est en général ce qui se rapproche le plus de la vérité. Thorshaven, la capitale de Faréer, est une étrange petite loca- lité. Le terrain descend par une pente assez rapide jusqu’à une 52 LES ABIMES DE LA MER. baie autour de laquelle la ville est bâtie. Les habitations sont perchées parmi les rochers, et toutes les parties qui offraient une surface un peu plane ont été mises à profit pour les construc- tions; le résultat est irrégulier, pittoresque et fort original : le parcours des principales « rues » est une véritable ascension. Au-dessus de la ville, sur un espace libre, une pelouse et un jardin en miniature s’étendent devant l'habitation du gouver- neur, joli cottage de bois qui rappelle les villas de faubourg des cités de la Scandinavie. Farôer et son climat humide, son ciel sans soleil, ses précaires récoltes d'orge, ses chaumières recouvertes de gazon et ses silencieuses petites églises, ses beaux rochers, ses promontoires et ses criques fréquentées par l’Eider et le Puffin, ses robustes et bienveillants insulaires, avec leurs mœurs demi-irlandaises, demi-danoises, si simples et si originales, a été souvent décrite: elle a été un lieu de repos plein de charme au milieu de nos labeurs dans ces parages septentrionaux. Nous y avons fait deux séjours d’une semaine chacun, pendant deux années consé- cutives. Le plus agréable souvenir que chacun de nous conser- vera de ces expéditions sera toujours celui que nous a laissé l'accueil cordial et sympathique de M. Holten, le gouverneur danois, et de sa charmante femme. M. Holten nous a reçus avec la plus affectueuse hospitalité, et a fait, en toute occasion, tout ce qui était en son pouvoir pour nous aider et pour seconder nos désirs. Il nous a mis en rapport avec les principaux habitants de son gouvernement, et c’est pendant les soirées passées sous son toit que nous avons appris les choses qui concernent cette petite colonie, la plus primitive peut-être et la plus isolée de toute l’Europe. J’ai eu déjà le plaisir de dédier au gouverneur Holten une Éponge singulièrement belle, trouvée pendant notre traversée de retour; M™ Holten, dont le crayon gracieux m’a fourni les paysages qui terminent si à propos ces chapitres, voudra bien, je l'espère, accepter la dédicace de ce volume, en souvenir de la grande bienveillance que nous avons toujours trouvée auprès delle et chez son excellent mari. CROISIÈRE DU LIGHTNING. 53 Le temps est si mauvais jusqu'au 26, qu'il est impossible de chercher à poursuivre nos travaux; nous demeurons en panne dans le port de Thorshaven. Toutes les fois que la chose est pra- ticable, nous draguons dans les fjords de Faréer avec des bateaux et des hommes du pays; nous faisons la connaissance de Syssel- mann Müller, le représentant de Farôer au parlement danois : il a fait une étude approfondie des Mollusques du pays, et fourni des indications pour une liste publiée en 1867 par M. le docteur O. A. L. Môrch. La faune de bas-fonds n’y est pas abondante ; ce qui arrive fréquemment quand le sol est une couche de trapp en décomposition. Elle est d’une nature intermédiaire entre celle des Shetland et celle de la côte de Scandinavie. Les formes animales qui nous ont paru les plus intéressantes sont le Fusus despectus (L.), beau coquillage qui pourrait bien n’être qu'une variété bien distincte du Fusus antiquus (L.). S'il en est ainsi, cette variété a une limite de distribution restreinte, car elle ne se trouve que fort rarement et seulement dans les gran- des profondeurs des mers britanniques. Dans les profondeurs moyennes, autour des Faréer, elle est abondante et remplace, selon toute probabilité, le Fusus antiquus. Un autre coquillage commun aux Faréer est le Zellina calcarea (Chemnitz), très- abondant parmi les fossiles des argiles de l’époque glaciaire, mais non encore trouvé vivant dans les mers britanniques. Il se montre en couches régulières dans les argiles glaciaires près de Rothesay, accompagné du Mya truncata (L.), var. Uddevallensis (Forbes), du Saxicava norvegica (Sprengler), du Pecten islan- dicus (0. F. Müller), et d’autres formes animales du Nord, et fréquemment dans un état de conservation tel, que les deux valves ont leur position naturelle et sont encore réunies par le ligament. Nous trouvons dans un des fjords une variété assez remarquable de l'Échinus sphæra (0. F. Müller), accompagné d'un Echinus Fleemingii (Ball) de grande taille, et ce qui nous paraît être une petite variété de Cucumaria frondosa (Gunner) se rencontre en grande abondance dans les bas-fonds et dans les touffes enchevétrées des Algues. | x = LES ABIMES DE LA MER. Pendant que nous étions retenus dans le port de Thorshaven, la canonnière danoise Fylla et le transport à vapeur français l'Orient y entrèrent, revenant d'Islande; ces deux vaisseaux, à leur retour du Nord, avaient été assaillis par le mauvais temps et se trouvaient heureux de pouvoir se mettre à l’abri. La pré- sence des trois navires de guerre rendit la petite capitale fort animée, et fournit au gouverneur de nombreuses occasions d'exercer l'hospitalité. Le 26 août, le baromètre s’étant un peu élevé et le temps donnant quelques signes d'amélioration, nous quittons Thorshaven et cinglons vers le sud, pour draguer, s'il est possible, dans le profond canal qui sépare les Farôer des Shetland. Mais dans la soirée le temps redevient mauvais, une violente rafale du nord-ouest s'élève, et le baromètre retombe à 29,08. Les crochets et les boulons du gréement se détachent lesuns après les autres, etnous sommes sur le point de perdre le grand mât. La bourrasque dure jusqu’au 29, et alors seulement le temps redevient plus calme ; après être restés en panne pen— dant près de trois jours, dérivant vers le nord-est, nous jetons la sonde par 60° 45’ de lat. N. et 4° 49” de long. O. (station 6). La profondeur est de 500 brasses, et la température du fond0°C. Pendant la soirée du 29 et la journée du 30, le temps fut suffi- samment beau pour nous permettre de nous servir de notre appareil de draguage : ces premiers essais étaient du plus grand intérêt, puisque nous n'avions pas eu encore l’occasion den faire à une si grande profondeur. L'opération se fit pour- tant sans difficulté, et chaque coup de drague eut un heureux résultat. Le fond se composait de sable et de gravier provenant en grande partie de la désagrégation des antiques rochers du plateau écossais. La vie animale n’y est pas surabondante, cependant plusieurs groupes y sont convenablement représentés, Des Rhizopodes de grande taille y sont nombreux, et nous y trouvons plusieurs Crustacés et Échinodermes remarquables ; parmi ces derniers, un exemplaire de l Astropecten tenwispinus d'une brillante nuance écarlate, qui remonta embarrassé dans la corde. CROISIÈRE DU LIGHTNING 55 Le mauvais temps revient le 31, et nous ne pouvons ni sonder ni draguer. Le 1° septembre, nous tentons un sondage de température à 550 brasses, avec 1°, 2 C.; mais nous ne pou- vons faire aucun travail sérieux. Le jour suivant, 2 septembre, le temps s'étant amélioré, nous draguons tout le jour à une profondeur de 170 brasses seulement, sur un bas-fond assez limité, que nous ne sommes pas parvenus à retrouver quand, l’année suivante, nous l'avons cherché avec le Porcupine. Là nous trouvons une faune abondante et variée, mélange de formes animales celtiques ct scandinaves. Le fond consiste surtout en petits cailloux arrondis d’anamesite brune des Farôer, et adhérant isolément ou par petits groupes, comme des fruits à une branche, de nombreux et gros spécimens du rare Brachiopode le Terebratula cranium (0. F. Müller), avec grande abondance de la forme plus commune le 7erebratulina Caput-serpentis, (L.). Le jour suivant, 3 septembre, nous sommes de nouveau dans les grandes profondeurs, à 500 brasses environ, avec une tem- pérature de fond un peu inférieure au point de congélation, le thermomètre marquant à la surface 10°, 5 C. Ici nous avons pris des représentants de plusieurs groupes d’Invertébrés, Rhizo- podes, Éponges, Échinodermes, Crustacés et Mollusques ; un magnifique spécimen d’une nouvelle Astérie qui a été décrite depuis par M. G. 0. Sars sous le nom de Brisinga coronata (figure 5). Le genre Brisinga a été découvert en 1853 par M. P. Chr. Absjérnsen, qui a cette époque dragua plusieurs spécimens d’une autre espèce, le Brisinga endecacnemos (Absj.), à une profondeur de 100 à 200 brasses, dans le Hardangerfjord., sur la côte de Norvége, un peu au-dessus de Bergen. Ce sont vraiment d’étonnantes créatures. A première vue, elles semblent tenir le milieu entre les Ophiurides et les Astéries : leurs bras, trop épais et trop mous pour qu on les compte parmi les pre- miéres, sont plus longs et plus fragiles que chez ces dernières. Le disque est petit et mesure de 20 à 25 millimètres de dia- mètre : chez le Brisinga endecacnemos, il est à peu près lisse; o0 LES ABIMES DE LA MER. chez le Brisinga coronata il est hérissé de spicules. Le tuber— cule madréporique est sur la surface dorsale, tout près du bord Fic. 5. — Brisinga coronata, G. O. Sars, Grandeur naturelle. (N° 7.) du disque. Un anneau solide de tubercules calcaires forme et renforce les bords du disque; c’est à cet anneau que les bras, au nombre de dix ou onze, viennent se rattacher (onze est CROISIÈRE DU LIGHTNING. 57 probablement un nombre anormal). Ils ont quelquefois jusqu’à 30 centimètres de longueur; minces à la base, qui rentre dans l’anneau, ils ont un renflement très-marqué à mi-longueur, partie où les ovaires se développent, puis ils s’amincissent de nouveau jusqu'à leurs extrémités. Des rangées de longs spicules bordent les sillons ambulacraires ; les spicules sont recouverts d’un épiderme mou, qui, tant que l’animal est complétement frais, forme comme un petit sac transparent et plein de liquide à l'extrémité de chaque spicule. La peau molle qui recouvre les spicules est garnie de pédicellaires, qui sont également répandus en groupes sur la surface des bras et du disque. Les bras du Brisinga endecacnemos sont à peu près lisses, côtelés transversalement de distance en distance par des espèces d’an— neaux calcaires qui les entourent irrégulièrement et imparfaite- ment. Chez le Brisinga coronata, ces anneaux sont surmontés de crétes formées de spicules. Les deux espèces sont d’une belle nuance cramoisi passant au rouge orangé. Les bras se détachent facilement du disque. Nous n’avons jamais pu ramener un indi- vidu de l’une ou de l’autre espèce à peu près complet; mais, même en fragments, ils constituent encore les objets les plus remarquables qu’on puisse voir. Un seul suffisait pour répandre un brillant reflet sur tout ce qui se trouvait avec lui dans la drague. « Le nom de Brisinga est emprunté à un bijou brillant (Brising) de la déesse Freya. » N’y a-t-il pas là un charmant parfum de paganisme scandinave ? « J’ai trouvé, à l’aide de la drague, cette brillante Astérie à Hardangerfjord, à la fin d'août 1853. Elle était placée à la profondeur de 100 à 200 brasses, sur la paroi presque verticale d’une montagne qui paraissait descendre abruptement de 80 ou 90 brasses jusqu'à 200 et au delà. Elle est assez rare. Pendant huit jours et plus de draguages ininterrompus, pratiqués dans les mêmes pa- rages, je ne ramenai que quelques bras et un fort petit nombre d'individus de grosseurs variées, dont le plus petit mesurait 6 pouces d’une extrémité à l’autre de deux bras opposés, et le plus grand 2 pieds. Tous se trouvaient plus ou moins endom— 58 LES ABIMES DE LA MER. magés. C’est un animal très-fragile, et, comme les Comatules et quelques espèces d’Ophiolepis et @ Ophiothriz, il semble se défaire de ses bras par un effort violent lorsque la pression diminue et qu'il est remonté à la surface de l’eau. Les membres se séparent toujours au point où ils sont attachés à l’anneau du disque. Leur poids et leur longueur, disproportionnés au volume du corps, rendent assez difficile leur extraction de la drague, opération pendant laquelle on est très-exposé à les briser, Malgré toutes mes précautions et la chance heureuse de pouvoir les saisir avant qu'ils sortissent de l’eau, je ne par— vins à conserver qu'à deux des disques une paire de bras, et encore la peau qui les recouvrait était-elle déchirée. Complet et intact, ainsi que je l’ai vu une ou deux fois sous l’eau, dans la drague, cet animal est singulièrement brillant; c'est une véritable gloria maris"! » Le temps implacable interrompt encore notre travail pen- x dant deux jours. Cependant nous parvenons à exécuter un sondage le 5 septembre, par 60° 30° de latit. N., et 7° 16’ de longit. O., sans trouver de fond à 450 brasses, avec une température minimum qui approchait du point de congé- lation. On verra sur notre carte que les cinq dernières stations (du n° 7 au n° 11) dessinent une ligne oblique du S$. E. au N. 0., entre l'extrémité nord des Orcades et ies côtes de Faréer. Le fond est un mélange de gravier et de sable, parsemé de plaques de boue; aux n° 7 et 8, ce sont principalement les débris des roches métamorphiques du nord de l'Écosse, et aux n® 9, 10 et 11, les fragments volcaniques du trapp de Farôer. Ce tracé de sondages est entièrement inclus dans ce que plus tard nous avons appris à appeler « zone froide », le thermomètre, dès qu’on dépassait 300 brasses, indiquant une température tantôt un peu au-dessus, tantôt un peu au-dessous de 0° C. 1. Description d’un nouveau genre d’Astéries, par P. Chr. ABSJüRNSEN, dans la Fauna littaralis Norvegiæ, par D' Sars, J. Koren et D. C. DANIELSSEN, 2° livraison. Bergen, 1856, p. 96. CROISIÈRE DU LIGHTNING. 59 En approchant des bancs de pêche de Farüer, nous faisons route vers le sud, et dans la matinée du 6 septembre nous sondons et draguons par 59° 36’ de latit. et 7° 20’ de longit., avec une profondeur de 530 brasses et une température « de zone chaude » de 6°,4 C. Ici le draguage est des plus inté~ ressants. Pour la premiére fois nous trouvons le limon de l'Atlantique, boue fine, calcaire, adhérente, d’une teinte gris bleu, mélangée de sable et d’une forte proportion de Globige- rine. Nous ramenons, enduites de ce limon, un nombre consi- dérable d’Eponges siliceuses, de formes nouvelles et remar- quables. La plupart appartiennent à un ordre déjà décrit il y a deux ans par l’auteur de cet ouvrage, sous la dénomination de Porifera vitrea, et qui, peu connu alors, nous est devenu très- familier comme habitant les zones profondes. Depuis, M. le pro- fesseur Oscar Schmidt, travaillant sur des données plus com plètes, a classé ce groupe plus exactement comme famille, sous le nom d’Æ/exactinellidæ, dénomination que j adopterai ici. Les rapports et les particularités de ce singulier groupe seront développés dans la suite de cet ouvrage. Les formes les plus ori- ginales que nous ayons trouvées dans cette station sont : le beau Nid marin des pècheurs de Requins de la baie de Setubal, l’ Ho/- tenia Carpenteri(Wyv. Thoms.) (fig. 6), et, plus étrange encore, V Hyalonema lusitanicum (Barboza du Bocage), proche parent des Éponges du Japon en verre filé, qui ont jeté les naturalistes dans de si longues perplexités avant de pouvoir déterminer leur rang et leur position dans les séries animales, ainsi que leurs rapports avec leur constant compagnon, le Palythoa parasite. L’Holtenia Carpenteri est une sphère de 90 à 100 milli- mètres de longueur. A sa partie supérieure se trouve un oscule (environ 30 millimètres de diamètre ; de cette ouverture part un conduit cylindrique qui se termine en forme de coupe après avoir traversé verticalement la substance de l’Éponge jusqu’à la profondeur de 55 millimètres. La paroi extérieure de l’Éponge est faite d’un treillis compliqué de spicules à cinq pointes. Une des pointes de chaque spicule plonge dans le corps de l'Éponge, 60 LES ABIMES DE LA MER, et les quatre autres, plantées à angles droits, forment une sorte de croix à la surface: cette disposition donne à l'animal un bel aspect étoilé, Les pointes siliceuses de chaque étoile se recour- Ex SRS Set Pedy nt. > ENS Fic. 6. — Holtenia Carpenteri, WYvILLE THomson. Demi-grandeur naturelle. (No 12.) bent dans la direction des pointes de l'étoile voisine, elles se rencontrent et se prolongent en lignes parallèles. Toutes les pointes de tous les spicules sont enduites d’une matière épaisse, eélatineuse, demi-transparente, qui unit les pointes voisines par CROISIÈRE DU LIGHTNING. 61 un lien élastique et garnit les angles de chaque maille d’une substance visqueuse. Cet arrangement des spicules, qui, bien qu'indépendants, adhèrent pourtant les uns aux autres par des liens élastiques, produit un tissu flexible, extensible et d'une grande résistance. La cavité cylindrique de l'intérieur de l'Éponge est doublée d’un réseau à peu près semblable. Quand l’Éponge est vivante, les intervalles du filet siliceux sont garnis à l’intérieur et à l’extérieur d’une membrane fe— nestrée très-minee, formée d’un liquide glaireux semblable à du blanc d'œuf, et qui est constamment en mouvement, étendant ou contractant les ouvertures des mailles, et glissant sur la surface des spicules. Cette substance (sarcode), qui est la chair vivante de l’EKponge, renferme un nombre infini de spicules presque imperceptibles, dont les formes élégantes et originales caractérisent chaque espèce d’Éponge. Un courant d’eau conti- nuel, provoqué par l’action de cils, s’introduit par les ouver- tures de la paroi extérieure, traverse les mailles de la substance intermédiaire, déposant dans tous les interstices des matières organiques en solution et des particules nutritives, et s'échappe par l'ouverture supérieure. Sur un tiers environ du volume de l’Éponge et à sa partie supérieure, rayonne, semblable à une collerette, une masse de spicules siliceux et hérissés, pendant que du tiers inférieur s'échappe une masse de filaments déliés et semblables à du verre filé ou à de fins cheveux blancs, qui, pénétrant dans le limon à demi fluide, soutiennent l’Kponge sur cette espèce de pied, en élargissant indéfiniment sa surface, sans augmenter son poids d’une manière appréciable. Ce n’est là qu’un des moyens par lesquels les Éponges se fixent dans le limon des grandes profondeurs. L’ Hyalonema plonge dans la boue molle une torsade de vigoureux spicules dont chacun a la grosseur d’une aiguille à tricoter. Cette torsade s'ouvre en brosse à mesure que le lit devient plus ferme, et enracine solide- ment l’Éponge asa place. Une curieuse Kponge trouvée dans les grandes profondeurs, aux îles Loffoten, s'étale en plateau mince et circulaire, et augmente à volonté sa surface en y ajoutant 62 LES ABIMES DE LA MER. une bordure de spicules soyeux semblable à une frange de soie aplatie et blanche, autour d’un petit paillasson jaune. Le ravis- sant Huplectella, dont le corps charmant est enfoui jusqu’à son oscule ciselé dans les boues grisatres des Philippines, est sou- tenu par une ruche de spicules qui se redressent autour de sa partie supérieure comme la fraise de la reine Elisabeth. Les Eponges du limon des grandes profondeurs sont loin de ne former qu’un seul groupe. Les Hexactinellide sont peut-être les plus abondantes ; mais les Éponges cortiquées elles-mêmes, alliées de près à celles qui nous paraissent si roides, quand nous les voyons immobiles sur les rochers des bas-fonds, plongent de longs spicules et se balancent dans les boues molles (fig. 7). M. Gwyn Jeffreys a dragué en 1870 sur les côtes du Portugal, plusieurs petits exemplaires d’Halichondride ornés de longs appendices fibreux. D’après son extérieur quand il arrive du fond, l’Æoltenia vit évidemment enfoui dans la vase jusqu'à sa frange supérieure de spicules. Récemment draguée, cette Éponge est enduite d’une substance (sarcode) demi-fluide d’un gris pale, couverte de Glo- bigerinæ, Triloculine, et d’autres Rhizopodes, et chargée, dans nos parages septentrionaux, de la petite Ophiuride, Amphiura abyssicola (Sars), et de la coquille diaphane et délicate du Pecten vitreus (Chemnitz). L’Holtenia s'étend du promontoire de Lews jusqu’à Gibraltar, à la profondeur de 500 à 1000 brasses. M. Saville Kent, draguant dans le yacht de M. Marshall Hall, Norna, sur les côtes du Portugal, en a découvert une curieuse variété qui, d’après sa forme plus aplatie, plus hémisphérique, et ses spicules d’ancrage plus roides, vit probablement sur un terrain plus ferme’. Comme on pouvait s’y attendre, 4 cette station, la vase de l'Atlantique, riche en Rhizopodes, lesquels constituent une abon- dante nourriture aux autres espéces, avec un climat relative- 1. On the Hexactinellide, or Hexradiate spiculed silicious Sponges, taken in the Norna expedition of thé coast of Portugal ; with Description of new Species and Revi- sion of the Order. By W. Saville Kent, of the Geological Department, British Museum (Monthly Microscopic Journal, November 1870.) CROISIÈRE DU LIGHTNING. 63 ment doux, a donné plusieurs formes vivantes appartenant à des espèces diverses. Avec les Globigerine et d'autres petites formes animales, on trouve plusieurs gros Rhizopodes, entre autres le Rhabdammina abyssorum (Sars), forme remarquable- Fis. 7. — Tisiphonia agariciformis, WYvILLE THowsox. Grandeur naturelle. (N° 12.) ment régulière, à trois pointes, trés—dure et d’une belle couleur orange. D'après des analyses faites par le D" Williamson à la requête du D’ Carpenter, sa dureté proviendrait. du ciment dont l’animal construit « son étui», qui contient du phosphate de fer : c’est le seul exemple qui soit à notre connaissance de l’emploi de cette substance à un pareil usage. L’Astrorhiza limicola (San- dahl), gros Rhizopode irrégulier protégé par un test mollasse recouvert de boue et de sable; plusieurs gros Cornuspiræ et Tertularie, des Biloculine et Triloculine de grande taille, ainsi que d’autres Miliolines ; quelques Zoophytes, et particulièrement 64 LES ABIMES DE LA MER. la curieuse Plume de mer, Kophobelemmon Mülleri (Sars); le beau Corail à branches, Lophohelia prolifera (Pallas). Parmi les Kchinodermes, quelques belles variétés d’Echinus norvegicus (D. et K.), PE ehinus elegans (D. et K.), V Ophiocten sericeum (Forbes), et V Ophiacantha spinulosa (M. et T.) qui parait être universellement répandu dans les grandes profondeurs ; lin téressant petit Crinoide Rhizocrinus loffotensis (Sars), qui sera décrit un peu plus loin; quelques remarquables Crustacés, et parmi les plus beaux un Munida écarlate, dont les yeux, grands et brillants, ont le lustre et les teintes du cuivre poli. Nous nous rapprochons de Stornoway, que nous atteignons le 9 septembre, draguant en route dans des profondeurs de moms en moins considérables, et pourtant faisant encore des trouvailles intéressantes, telles quel’Antedon celticus (Barrett), recueilli déjà par M. Gwyn Jeffreys sur les côtes du Ross-shire, et une grande abondance de Cidaris papillata(Leske), espèce regardée jusque- là comme accessible exclusivement au collectionneur anglais, mais qui a été reconnue depuis comme la plus commune des grandes formes vivantes des mers britanniques, aux profon— deurs de 250 à 500 brasses. Le temps était devenu plus favorable. J'étais malheureuse- ment forcé d'aller reprendre mes travaux à Dublin; mais, à cause des résultats déjà obtenus, le D' Carpenter désirait vivement poursuivre les recherches sur la température et la vie animale dans des profondeurs plus grandes encore; il pensa, et le capi- taine May avec lui, que malgré la saison avancée, il serait pos— sible d’essayer une courte croisière un peu plus à l’ouest, dans des parages où des sondages exécutés précédemment avaient indiqué une profondeur qui dépassait 1000 brasses. Ainsi done, après s'être ravitaillé, ce dont sous plus d’un rapport il avait grand besoin, et avoir autant que possible remplacé l’attirail de draguage qu'il avait perdu, le Lightning sortit encore une fois du port de Stornoway, le 14 septembre. Après un trajet de 140 milles dirigé au N. 0. du promon- toire de Lews, on fit un sondage le 15 septembre au matin, par CROISIÈRE DU LIGHTNING. 65 59° 59’ de lat. et 9° 15’ de long., avec fond de limon atlantique à la profondeur de 650 brasses (station 14). A 60 milles plus loin, toujours au N. O.,une autre tentative, le 18, à 570 brasses ; la sonde ne ramena guère que des Globigerine entières, sem— blables à des grains du plus fin sagou; 50 milles plus loin, dans la même direction, on trouva le fond à 650 brasses, mais cette fois le plomb de sonde ainsi que trois thermomètres furent mal- heureusement perdus, de sorte que la température ne put être constatée. La drague fut pourtant descendue à cette profondeur, plus grande de 120 brasses que celles de toutes les autres sta tions; l'épreuve réussit trés-bien, le filet ramena 125 kilogrammes de boue grisatre et glutineuse. Cette vase était partout traversée par les longs et soyeux filaments des Éponges, et à 50 brasses de la drague se trouvaient deux touffes blanches de ces soies, adhérant à la corde, certainement arrachées du fond, car dans leurs mailles se trouvaient encore engagés des Ophiurides, de petits Crustacés et un ou deux Annélides tubiformes. Dans ce limon se trouvait-encore une Plume de mer très-remarquable, que M. le professeur Kôülliker, qui a entrepris la description et la classification des captures faites pendant nos expéditions, at- tribue à une nouvelle espèce sous le nom de Bathyptilum Car- penteri, et enfin quelques gros Foraminifères. Le D' Carpenter se dirigea ensuite droit au nord, désirant arriver au creux profond qui sépare les Hébrides et Rockall, et dans la matinée du 17 septembre, il sonda par une profondeur de 620 brasses, par 59° 49° de lat, et 12° 36’ de longit., avec une température «de zone chaude ». Le temps se gata de nouveau, devint trop mauvais pour per- mettre de travailler, et continua à empirer jusqu’à la matinée du 29; on se trouvait en vue de Sainte-Kilda avec un vent violent et une grosse mer. Le lundi 21, on était à la pointe sud des Hé- brides, près de Barra-Head, avec un vent d’est assez fort, le ba- rometre très-bas, et des apparences peu rassurantes ; le capitaine May ne jugea pas prudent de reprendre la mer. Après avoir délibéré avec le D" Carpenter, ils décidèrent de cesser leurs _ J 66 LES ABIMES DE LA MER. travaux, descendirent le détroit de Mull, et, dans la même jour- née, jetèrent l'ancre à Oban. Là le D'Carpenter ainsi que son jeune fils, qui avait virile- ment supporté toutes les fatigues et les privations de cette croi— sière et n'avait pas peu contribué à égayer ses anciens pendant les heures pénibles, quittèrent le navire et gagnèrent par terre le sud de I’ Angleterre. Le mauvais sort continua à poursuivre le Lightning. Après deux jours passés à Oban, le capitaine May partit pour Pem— broke le 24 septembre. Le 25, près de Calf of Man, le baromètre tomba subitement : le vents’élevait, la mer commençait à s’agiter ; il se décida à gagner Holyhead, quand tout à coup, sans que le vent ou la mer eussent augmenté de violence, les manœuvres de l'avant cédèrent par suite de la rupture des crochets de fer qui les retenaient. Le mat, heureusement, ne tomba pas, et après une heure passée en réparations provisoires, le Lightning reprit sa marche et vint jeter l’ancre dans le nouveau port d'Holyhead- vers six heures du soir. Les résultats généraux de l'expédition du Lightning sont, dans leur ensemble, aussi satisfaisants que nous osions espérer. Le vaisseau n’était certainement pas organisé pour le but qu’on se proposait, et pendant tout le voyage le temps fut fort mau- vais. Sur les six semaines qui se sont écoulées entre notre départ @Oban et notre retour, dix journées seulement ont pu être employées au draguage en pleine mer, et sur ces dix nous n’en avons eu que quatre pendant lesquelles la profondeur draguée ait dépassé 500 brasses. A notre retour, le D" Carpenter présenta ala Société Royale un rapport préliminaire Sur les résultats gé— néraux de l’expédition; ceux-ci parurent au conseil de la Société suffisamment nouveaux et importants pour motiver une instante requête à l’'Amirauté, en insistant sur l'opportunité de continuer des recherches dont le début, malgré des circonstances défavo— rables, avait été couronné de succès. Il est hors de doute qu’une faune abondante et variée, repré- sentée par tous les groupes d’Invertébrés, s'étend jusqu'à 650 CROISIÈRE DU LIGHTNING. 67 brasses et au delà, malgré les conditions extraordinaires aux- quelles les êtres vivants sont assujettis. On a reconnu que les eaux de la mer, loin d’avoir, au delà d’une certaine profondeur, comme on l'avait cru jusque-là, une température uniforme de 4° C., peuvent, sous l’influence d’un courant arctique, et à toute profondeur que n’atteignent pas les rayons solaires, tomber à une température de — 2° C. Nous avons prouvé que de grandes masses d’eau, à des températures très-diverses, se meuvent dans des directions particulières, entretenant un remarquable système de circulation océanique et cependant maintenues dans des limites si tranchées, qu'il suffit souvent d’une heure de navigation pour passer de la cha- leur extrème au froid excessif. Taorshaven. Nous avons pu démonter enfin que la plupart des formes ani - males qui vivent dans les grandes profondeurs appartiennent à des espèces demeurées jusqu'ici inconnues, et nous avons ouvert ainsi aux naturalistes un champ d'exploration aussi inté- ressant qu'illimité. De plus, il est bien prouvé aujourd’hui que plusieurs de ces 68 LES ABIMES DE LA MER. animaux des grandes profondeurs appartiennent à des espèces identiques avec celles des fossiles tertiaires, supposées éteintes, pendant que d’autres représentent les groupes disparus d’une faune plus ancienne encore : ainsi, les Éponges siliceuses celairent et expliquent les Ventriculites de la craie. CROISIÈRE DU LIGHTNING. 69 APPENDICE A Détails sur les profondeurs, les températures et les positions des diverses stations du vaisseau de Sa Majesté le Lightning, pendant l'été de 1868 : les températures sont corrigées suivant les pressions. NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE des en de la LATITUDE. LONGITUDE. STATIONS. BRASSES. SURFACE, i) cf) t (4,1 C. 60 45 N. 10,5 60 7 60. 60 2 60 59 36 CHAPITRE III CROISIÈRES DU PORCUPINE Équipement du vaisseau. — Premier voyage sous la direction de M Gwyn Jeffreys, sur les côtes ouest de l'Irlande et dans le détroit qui sépare Rockall de l'Écosse. — Le draguage poussé jusqu’à 1470 brasses. — Changement de projet. — Second voyage à la baie de Biscaye. — Réussite du draguage à 2435 brasses. — Troisième croisière dans le canal entre Faréer et les Shetland. — La faune de la région froide. APPENDICE A. — Documents et rapports officiels sur les préliminaires des explorations faites par le vaisseau garde-côte le Porcupine, pendant l'été de 1869. APPENDICE B. — Détails sur les profondeurs, la température, et la position des diverses stations draguées par le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine, pendant l'été de 1869. , Les numéros des gravures de ce chapitre, placés entre parenthèses, se rapportent à ceux des stations de draguage indiquées sur les planches I, III et IV. Le 18 mars 1869, une communication orale nous fut faite par l’ingénieur-hydrographe de la marine, pour nous annoncer que les Lords de l’Amirauté, prenant en considération le désir exprimé par le conseil de la Société Royale, venaient de dési- ener le vaisseau de surveillance côtière le Porcupine pour le mettre à la disposition de l'expédition. L'équipement du Porcupine se fit rapidement sous la direc- tion de son commandant le capitaine Calver; tout Vattirail scientifique fut surveillé par le D' Carpenter, assisté d’une com- mission composée des officiers et de quelques membres de la Société Royale. Quoique petit, le Porcupine était bien adapté au travail qu’on allait lui demander; parfaitement en état de tenir la mer, d’une stabilité exceptionnelle et aménagé pour des voyages de surveillance. Le capitaine Calver et ses officiers, rompus dès longtemps aux rudes devoirs et à la responsabilité CROISIÈRES DU PORCUPINE. 71 qu’entraine l'inspection de la côte orientale de la Grande-Bre- tagne, étaient habitués à la plus minutieuse exactitude, et con— naissaient à fond le maniement des instruments et tout ce quia trait aux expériences scientifiques. L’équipage se composait en grande partie de Shetlandais, hommes connus et éprouvés, qui avaient déjà passé plusieurs étés consécutifs sur le Porcupine, commandés par le capitaine Calver. Ils hivernent chez eux aux Shetland, lorsque le vaisseau est au port, et que les officiers rendent compte de leurs travaux au quartier général à Sun- derland. | Le travail de la drague s’est toujours exécuté sous la sur- veillance du capitaine Calver, que son adresse et son expérience rendirent, dès le début, si complétement maitre de l’opération, qu'il n'a éprouvé aucune difficulté à la faire dans des profon- deurs qui jusque-là avaient été réputées inaccessibles. On ne saurait trop se louer de l’habileté qu'il a déployée, de son acti- vité et du bon vouloir dont il a toujours fait preuve pour nos re- cherches; e’est avec un sentiment de bien grande satisfaction que je rends aux autres officiers du Porcupine, au commandant d'état-major Inskip, à M. Davidson et au lieutenant Browning, ce témoignage, qu'ils ont apporté le zèle le plus chaleureux à seconder leur commandant dans ses efforts pour nous aider à atteindre le but de notre expédition, et dans sa sollicitude pour le bien-être de tous ceux qui en faisaient partie. Le voyage du Porcupine pendant l’été de 1869 devant se prolonger bien plus longtemps que celui du Lightning et em brasser un plus grand nombre de sujets d'étude, exigeait des préparatifs plus compliqués et plus considérables. La commis- sion de la Société Royale réclamait l'examen sérieux de plu- sieurs questions importantes ayant trait aux conditions phy- siques et à la composition chimique de l’eau de mer ; les curieux résultats obtenus pendant la dernière croisière avaient été savamment exposés par le D° Carpenter dans son rapport pré- liminaire et avaient excité l'intérêt et la curiosité à un tel point, que leur étude approfondie fut jugée d’une importance égale 12 LES ABIMES DE LA MER. à celle de la distribution et des conditions de la vie animale dans les grandes profondeurs. Il fut décidé que les natura- listes chargés de diriger l'expédition seraient accompagnés de préparateurs accoutumés aux travaux de chimie et de physique; la soute aux cartes fut organisée en laboratoire temporaire et pourvue d'appareils et de microscopes. Le vaisseau était disponible du commencement de mai jus- qu'au milieu de septembre, mais ceux qui avaient dirigé la première exploration ne pouvaient abandonner si longtemps leurs travaux habituels; il fut done résolu qu’on organiserait trois expéditions. M. Gwyn Jeffreys, dont la coopération était d'autant plus précieuse qu'il avait fait une étude spéciale des Mollusques fossiles et vivants et des lois de leur distribution, fut associé au D' Carpenter et à moi : il accepta la direction scien— tifique du premier voyage. M. Gwyn Jeffreys était accompagné de M. W. Lant Carpenter : en qualité de chimiste et de physicien. Pendant cette première croisière, on fit l'exploration de la côte occidentale de l'Irlande, du bane du Porcupine et du canal qui sépare Rockall de la côte écossaise. Il avait été convenu que la seconde expédition, sous la direction de l’auteur de cet ouvrage, avec M. Hunter, prépa- rateur au laboratoire de chimie de Belfast, se dirigerait de Rockall vers le nord jusqu’au point où nous nous étions arrêtés l’année précédente ; pour des raisons quiseront expliquées, nous dumes changer nos plans, et la seconde expédition se fit dans la baie de Biscaye. Le D' Carpenter prit la direction de la troi- sième, pendant laquelle nous repassämes soigneusement sur le parcours du Lightning pour contrôler nos premières observa- tions. C’est M. P. Herbert Carpenter, notre jeune compagnon du Lightning, qui avait la tâche d’analyser l’eau et de déterminer la quantité d’air qui s’y trouvait contenue et sa composition ; quant à moi, je m’y trouvais en surnuméraire et tachai de me rendre utile d’une manière générale. Les différents appareils destinés à diverses expériences, pré- parés sous la surveillance du D' Carpenter avec les conseils des CROISIÈRES DU PORCUPINE. 13 hommes spéciaux, seront décrits en expliquant les méthodes employées et les résultats obtenus. Sur la recommandation de M. Gwyn Jeffreys, on admit, en qualité d'aides pour les draguages, M. Laughrin (de Polperro), vieux marin garde-eôte, correspondant de la Société Linnéenne, chargé du draguage et du criblage des matériaux, et M. B.S. Dodd, dont la mission consistait à trier, nettoyer et conserver les spécimens obtenus. Ils demeurèrent tout l'été avec nous. La première croisière du Porcupine commença sous la direc- tion scientifique de M. Gwyn Jeffreys le 18 mai pour finir le 13 juillet, et embrassa 450 milles le long des côtes de l'Irlande et de l'Écosse, depuis le cap Clear jusqu’à Rockall, comprenant Lough Swilly, Lough Foyle et le canal du Nord jusqu’à Belfast. Les draguages commencèrent à 40 milles de Valentia, dans 110 brasses, avec fond de vase et de sable. Les produits de ce premier draguage donnent une idée juste de la faune qui peuple la zone de 100 brasses sur la côte occidentale d'Irlande. Les Mollusques sont, pour la plupart, des espèces septentrionales, telles que : Newra rostrata (Sprengler), Verticordia abyssicola (Jeffreys), Dentalium abyssorum (Sars), Buccinum Humphrey- sianum (Bennett) et Plewrotoma carinatum (Bivona). Quelques- unes pourtant, comme l’Ostreacochlear (Poli), V Aporrhais Serre- sianus (Michaud), le Murex lamellosus (Cristofori et Jan) et le Trochus granulatus (Born), sont des formes méditerranéennes et communiquent à l’ensemble un caractère presque méridional. Le Cidaris papillata (Leske), VEchinus rarispina (G. 0. Sars), l’'Echinus elegans (D.et K.), le Spatangus Raschi (Lovén) et plu- sieurs variétés de Caryophyllia borealis (Fleeming) y abondent : ces espèces paraissent être abondantes à la profondeur de 100 à 200 brasses, depuis la Méditerranée jusqu’au cap Nord. Après avoir fait du charbon à Galway, le Porcupine se dirigea vers le sud; le temps étant rude et peu encourageant, on dra- gua dans les bas-fonds de 20 à 40 brasses dans la baie de Dingle. La semaine suivante une amélioration étant survenue, on continua les draguages à la hauteur de Valentia, et entre 74 LES ABIMES DE LA MER. Valentia et Galway, dans des profondeurs qui variaient de 80 à 808 brasses (station 2), avec une température, à la dernière de ces profondeurs, de 5°,2 C. Le caractère général de la faune est celui que jusqu ici nous avons considéré comme septentrional. Plusieurs prises intéressantes furent faites : le Vucula tumi- dula (Malm.), le Leda frigida (Torrell), le Verticordia abyssicola (Jeffreys) et le Siphonodentalium quinquangulare (Forbes). Parmi les Échinodermes, une multitude d’individus appartenant à la grande forme de l’Echinus norvegicus (D. et K.), que je serais disposé à regarder, ainsi que plusieurs de ses alhés, comme une simple variété de VEchinus Fleemingii (Ball), et la Fic. 8. — Gonoplax rhomboides, FABRICIUS. Individu jeune, double de la grandeur naturelle (n° 3.) belle Astérie dont j'ai fait mention, Brisinga coronata (G7 Sars). Quelques intéressants Crustacés, y compris le Gonoplas: rhomboides (Fabr.) (fig. 8), espèce méditerranéenne bien connue, et un jeune spécimen de Geryon tridens (Kroyer) (fig. 9), forme scandinave rare et seul Crustacé brachyure du nord de ?Eu- rope qui n'ait jamais été pris dans les mers de la Grande- Bretagne. C’est ici que les thermomètres de Miller-Casella ont été pour la première fois essayés et comparés avec ceux d’une construc- tion ordinaire. Le minimum marqué sur l’un des premiers était de 5°,2 C., tandis que celui que marquait l’un des meilleurs instruments construits d’après le modèle du Bureau hydrogra- x ul ! OR, ZZ oF ae ol Ë gs 7! HG oe Mt Sh OSs gap) 08 ie nv Ty dep 2 ; ~ \04# oe “LR aquONnN ACG SLPI 50e 202 oLe caz QUE OILNVILVY NVH90 ‘ OZ - 7111904 3q onNvg : MB ef ute ose 1" - Yh £6 wunee .ase \oer lose! sor 698[—,,eurdnasog ,, np PAMSLOG 2.491] IL AWONV Tf CROISIÈRES DU PORCUPINE. 75 phique accusait 7°,3 C. Cette différence de 2° C. étant ce que le résultat d’une expérience faite précédemment avait indiqué comme la conséquence d’une pression égale à une tonne par pouce carré, ce qui est à peu près l’équivalent de la pression exercée par une colonne d’eau de mer de 800-brasses, cette coincidence valut aux indications de l’instrument protégé par line enveloppe rigide un accroissement de confiance que toutes les expériences subséquentes ont pleinement justifiée. M. Gwyn Jeffreys et ses compagnons procédèrent ensuite à l'examen du lit de la mer entre Galway et le Bane du Porcupine, bas-fond découvert pendant une des croisières précédentes de Fic. 9. — Geryon tridens, Kroyer. Individu jeune grossi deux fois. (n° 7.) notre petit vaisseau sous les ordres du lieutenant Hoskyn de la marine royale. Le draguage le plus profond de cette excursion fut à 1230 brasses, avec une température minimum de 3°,2 C., et un fond de boue grisätre fortement mélangée de sable. Les animaux abondaient, même à cette grande profondeur : parmi les Mollusques, plusieurs formes nouvelles voisines de Arca; le Trochus minutissimus (Mighel), espèce de l'Amérique du Nord, et plusieurs autres; divers Crustacés et quelques intéressants Foraminifères. Comme précédemment, dans les draguages pro- fonds les Miliolines étaient de grande dimension, et les gros Cristellaires passaient par toutes les phases de leur développe- 76 LES ABIMES DE LA MER. ment, depuis la forme rectiligne jusqu'à la spirale. Dans les draguages moins profonds de cette croisiére, la faune ressem— blait beaucoup à ce que nous l’avions vue auparavant. Son caractére principal .était ce que nous appelions le « facies » du Nord, probablement, ainsi que cela a été expliqué, parce que la faune des grandes profondeurs, qui s’étend largement à la tem- pérature de 0° à + 3° C., n’a été étudiée qu’à la hauteur des côtes de la Scandinavie, où elle abonde à portée de l’obser- vateur. Ces draguages amenèrent : le Limopsis aurita (Brocchi), l’Arca glacialis (Gray), le Verticordia abyssicola (Jeffreys), le Dentalium abyssorum (Sars), le Trochus cinereus (Da Costa), le Fusus despectus (L.), le Fusus islandicus (Chemn.), le Fusus fenestratus (Turt), le Columbella Haliweti (Jeffreys), le Cidaris papillata (Leske), V Echinus norvegicus (D. et K.), et le Lopho- helia prolifera (Pallas). Le Porcupine alors entra dans le port de Killibeg, sur la côte au nord de Donegal, et y prit le charbon nécessaire pour sa course à Rockall; comme on prévoyait que ce voyage durerait quinze jours, on entassa sur le pont autant de charbon qu'il fut Jugé prudent de le faire. Cette croisière fut très-heureuse, le temps fut constamment beau, et M. Gwyn Jeffreys et ses aides purent draguer pendant sept jours consécutifs dans des profondeurs qui dépassaient 1200 brasses, et pendant quatre dans des profondeurs moindres. La plus considérable fut de 1476 brasses (station 21), et amena des Mollusques, un Crustacé dont les yeux sont placés sur un pédicule d’une longueur peu commune, et un beau spécimen d’ Holothuria tremula. Les draguages profonds faits pendant cette course produi- sirent de nouveaux et intéressants individus de toutes les sous— divisions des Invertébrés. Parmi les Mollusques se trouvèrent les valves d’un Brachiopode wmperforé ayant une cloison à la valve inférieure, que M. Jeffreys propose de nommer Afretia gnomon, et parmi les Crustacés de nouvelles espèces de Dyasty- CROISIÈRES DU PORCUPINE. 77 hide, et plusieurs formes d’/sopodes, d’ Amphipodes et d'Ostra- codes, dont quelques-unes inconnues a la science. Deux ou trois spécimens d’un remarquable Echinoderme appartenant au genre Pourtalesia (A. Ag.) ont été ramenés d’une profondeur de 1215 brasses (station 28). Aucun de ces spécimens n'avait atteint tout son développement, à en juger par Fic. 10. — Orbitolites tenuissimus, CARPENTER Mss. Grossi. (N° 28.) l’état des ovaires. J’ai nommé provisoirement cette espèce Pour- falesia phale. Après un examen minutieux, je me suis assuré que ce ne sont point là les jeunes d’une forme animale dont plus tard nous primes un exemplaire dans l’espace froid qui s’étend entre Farôer et les Shetland (station 64), et qui sera décrit plus lom. De beaux Coraux ont été fréquemment ramenés des pro- fondeurs moyennes, ainsi que de grandes masses vivantes de 78 LES ABIMES DE LA MER. Lophohelia prolifera (fig. 30), de petites touffes d’Amphiheha ramea, et partout des variétés du Caryophyllia borealis. Les Foraminifères, ainsi que nous l'avons déjà vu, étaient remarquables par leur volume; les mêmes types prédominaient toujours. Nous trouvâmes ici pour la première fois un Orbito- lite particulièrement intéressant, dont le type n'avait point encore été découvert, au nord, au delà de la Méditerranée, où il atteint qu'un fort petit volume. L’Orbitoltes tenuissimus (Carpenter Mss.) (fig. 10) a le volume d’une pièce de 50 cen— times et l’épaisseur d’une feuille de papier. Son excessive ténuité et la facilité avec laquelle les rangées de cellules dont il est composé se séparent les unes des autres, sont cause que tous nos grands spécimens étaient plus ou moins endommagés. Toutes les cellules sont sur le même plan; cette espèce appar— tient donc au «type simple » du genre, bien que la forme des cellules corresponde, ainsi que le docteur Carpenter l’a démon- tré, à celle de la couche supérieure dans le type complexe. Une autre particularité que le docteur Carpenter considère comme ayant une importance spéciale, e’est que, au lieu de commencer par une cellule centrale et circulaire comme l’Orbitolites ordi- naire, cette espèce commence à se former par un rachis plu- sieurs fois contourné, comme chez un jeune Cornuspira, ce qui démontre l’analogie fondamentale de ce type cycloide avec celui qui se développe en spirale. Ainsi que je lai déjà dit, notre première intention était de consacrer la seconde croisière à l'exploration de l’espace qui s’étend à l’ouest des Hébrides extérieures, entre Rockall et la limite sud-occidentale de notre course surle Lightning. Pendant la première croisière pourtant, le draguage avait été porté avec succès jusqu'à une profondeur de près de 1500 brasses ; ‘le résultat avait justifié nos prévisions et confirmé l'expérience de l’année dernière. Les conditions, jusqu'à cette profondeur du moins, étaient compatibles avec la vie de tous les types d’Inver— tébrés marins, quoique, dans les profondeurs extrémes, le nom- bre despéces appartenant aux groupes les plus élevés fut sen— CROISIÈRES DU PORCUPINE. 79 siblement réduit; souvent aussi les individus n'avaient pas atteint leur taille normale. D’après ces observations (qui corro- boraient parfaitement celles du docteur Wallich et de quelques autres expérimentateurs, au sujet desquelles il s’était élevé des divergences d’opinions occasionnées par l’imperfection des appareils dont on disposait alors), nous concliimes qu'il n’est vraisemblablement aucune partie de l'Océan où les conditions soient assez altérées par la profondeur pour que la vie ani- male ne puisse s’y maintenir; que la vie, en un mot, n’est pas limitée par la profondeur. Nous ne pouvions pourtant pas en- core considérer la question comme définitivement tranchée. Après en avoir délibéré avec le capitaine Calver, nous le trou— rames tout disposé à tenter l’essai dans n'importe quelle pro- fondeur ; d’après les expériences précédentes il était convaincu du succès : nous nous décidames done à demander à l’ingénieur-- hydrographe l'autorisation de sonder dans les plus grandes pro- fondeurs qui fussent à notre portée, 2500 brasses marquées sur les cartes à 250 milles d'Ushant. Les plus profonds sondages certains ne dépassent pas 3000 brasses, et nous comprenions que s’il nous était possible de déterminer sûrement et clairement les conditions qui existent à 2500 brasses, la question serait virtuellement résolue pour toutes les profondeurs de l'Océan, et que des recherches dans ses abimes plus profonds encore ne seraient plus qu'affaire de curiosité et de détail. L’ingénieur- hydrographe accueillit favorablement ce changement de plan, et le 17 juillet, le Porcupine quitta Belfast sous la direction scientifique de l’auteur de cet ouvrage. M. Hunter, préparateur de chimie au Queen’s College de Belfast, se chargea de examen et des analyses de l’eau de mer. Le temps était au beau fixe. Le dimanche, pendant que nous descendions à toute vapeur le canal d'Irlande, la mer était au calme plat; une légère brume, suspendue sur l’eau, prétait des effets charmants aux paysages des côtes. Dans la soirée du dimanche 18, nous jetâmes l’ancre à la hauteur de Bally- cottin, joli petit port situé à 15 milles environ de Queenstown, 80 LES ABIMES DE LA MER. où nous nous rendions le lundi matin; nous jetimes l’ancre à la hauteur de Vile de Haulbowline, à sept heures du matin. A Queenstown, M. P. Herbert Carpenter vint rejoindre M. Hunter au laboratoire, pour s’exercer sous sa direction à l’analyse des gaz, dont il devait être chargé pendant la troisième croisière. Le lundi 19 fut consacré à nous approvisionner de charbon et à nous procurer à Cork plusieurs choses qui manquaient au labo- ratoire de chimie; à sept heures du soir, nous quittons le quai à Haulbowline pour continuer notre voyage. Pendant la nuit du lundi, nous allons au sud-ouest, passant devant l’ouverture du détroit. Le mardi nous draguons dans 74 et 75 brasses sur le plateau qui s’étend entre le cap Clear et ‘Ushant, sur un fond de vase et de gravier; nous ramenons des coquilles et quelques exemplaires vivants des espèces générale- ment répandues dans les profondeurs moyennes. Le temps se maintenait remarquablement beau, le baromètre à 30 pouces 25, et la température de l'air est à 22°, 5 C. Le mercredi 21 juillet, nous continuons notre marche au sud-ouest; la carte indiquait que nous naviguions toujours dans les eaux basses du canal. À 4 heures 30 min. du matin, nous draguons du gravier et des coquilles vides dans 95 brasses ; mais vers le milieu du jour le plomb indique une bien plus grande profondeur; et, dans l'après-midi, ayant dépassé rapi— dement le bord du plateau, nous draguons dans 725 brasses, avec fond de sable vaseux (station 36). C’est là le niveau où se trouvent les Éponges siliceuses dans la région septentrionale, et bien que le fond soit ici très-différent, plus sablonneux avec un trés-léger dépôt de Globigérines, nous avons ramené un spé- cimen à peu près complet, quoique mort, de lAphrocallistes Bocagei (Wright), Éponge siliceuse récemment décrite par M. le docteur E. Perceval Wright, d’après un spécimen fourni par M. le professeur Barboza du Bocage, et provenant des iles du cap Vert, et un ou deux petits spécimens de l Holtenia Car- penteri (Wyville Thomson). Le sable vaseux renfermait une notable proportion de gravier et de coquilles vides. PLANCHE IT. — Seconde Cyojsiere du ce Porcupine.” — 1869. 375 238 OCEAN ATLANTIQUE | |300 225 lw% nu NORD 2101186 Ft 368 418 i270 208 fe i 5 250 |300 205 S490 dn les Sectty G nemo 7 Sol 4 aT +19 ESTES 43 GX 862 F4 4%, Hi 517 557 tad CRETE big à, : ' Se FRANCE CROISIÈRES DU PORCUPINE. 81. Le jeudi 22 juillet le temps était encore remarquablement beau ; la mer assez calme, avec une légère houle du nord-ouest. Nous sondons par 47° 38 de latitude N. et 12° 8’ de longitude ouest, dans 2435 brasses (station 37). La moyenne des thermo- mètres de Miller-Casella donnait une température de 2°,5 C. C’ était la plus grande profondeur que nous eussions à espérer dans ces parages, et nous nous préparons à descendre la drague. Cette opération, sérieuse à une pareille profondeur, sera racon- tée en détail dans un autre chapitre. Elle réussit parfaitement. Le sac, ramené sur le pont le 23, à une heure du matin, après une absence de sept heures un quart et un voyage de plus de 7 milles, contenait 75 kilogr. de vase parfaitement caractérisée. La drague paraissait avoir plongé assez profondément dans ce limon liquide, car elle contenait des matières amorphes et une faible proportion de coquilles de Globigérines et d'Orbulines vivantes. Il s’y trouvait aussi une quantité appréciable de matière organique amorphe que nous considérons, soit comme un processus, soit comme un mycelium, ou comme un germe des Protozoaires variés, avee ou sans coquilles, mélangés pro- bablement au Bathybius, ce Monère si universellement (selon toute apparence) répandu dans les grandes profondeurs. Un criblage fait avec soin démontra que ce limon contenait des exemplaires vivants de chacune des sous-divisions des Invertébrés. Le 23, dès qu'il fait jour, nous les examinons ; aucun n’est vivant, mais leurs parties molles sont parfaitement fraiches, et il est très-certain qu'ils sont entrés vivants dans le sac de la drague. Les plus remarquables sont : Morzusques. — Dentalium, sp. n., de grande dimension; Pecten fenestratus (Forbes), espèce méditerranéenne ; Dacry- dium vitreum (Torell), espèce arctique, norwégienne et médi- terranéenne ; Scrobicularia nitida (Muller), norvégienne, an- elaise et méditerranéenne; Newra obesa (Lovén), arctique et norwégienne : Crustacés. — Anonyx Holbollii (Kroyer) (Anonyx denticu- latus, Bate), avec le palpe secondaire de l’antenne supérieure ? ? 6 82 LES ABIMES DE LA MER. plus long et plus mince qu'il ne l’est chez les spécimens pris dans les bas-fonds; Ampelisca æquicornis (Bruzelius) ; Munna, spec. nova. Un ou deux Annélides et Gephyrées, qui n’ont pas encore été classés. Kcropermes. — Ophiocten sericeum (Forbes), plusieurs spé- cimens de belle venue; Æchinocucumis typica (Sars). Cette espèce parait être fort répandue; nous l’avons trouvée dans ‘presque tous nos draguages profonds, soit dans les eaux chaudes, soit dans les froides. Un remarquable Crinoide à tige, allié au Fhizocerinus, mais présentant des différences marquées. . Porvzoares. — Salicornaria, sp. n. CœLentÉRÉs. — Deux fragments d’un Zoophyte hydroïde. Prorozoaires. — De nombreux Foraminifères appartenant aux groupes déjà indiqués comme spéciaux à ces eaux des abimes, avee un Rhizopode branchu et flexible entouré d’une enveloppe chitineuse, garnie de Globigérines, qui recouvre un nodule charnu d’une teinte vert-olive. Ce singulier orga— nisme, dont nous avions trouvé des fragments dans d’autres draguages, s’est présenté ici en grande abondance. Une ou deux petites Éponges, qui paraissent devoir former un nouveau groupe. Le vendredi 23 juillet, nous tentons un draguage à la mème profondeur; mais quand la drague remonte à une heure trente minutes du soir, nous nous apercevons que la corde s’est repliée et a entouré le sac, qui ne contient absolument rien. La drague fut redescendue à trois heures du soir et remontée à onze heures avec plus de 100 kilogr. de limon. Nous trouvames cette fois-ci une nouvelle espèce de Plewrotoma et une de Dentalium ; un Scrobicularia nitida (Miller); le Dacrydium vitreum (Torell) ; VOphiacantha spinulosa (Miller et Torell) et VOphiocten Kroyeri (Litken); avec quelques Crustacés et bon nombre de Foraminifères. Ces deux derniers draguages profonds ramenèrent un grand CROISIÈRES DU PORCUPINE. 83 nombre de magnifiques Polycystines et quelques formes inter— médiaires entre les Polycystines et les Éponges, qui seront déerites plus loin. Ces organismes ne paraissent pas avoir été ramenés du fond, mais plutôt pris dans le sac pendant son ascension vers la surface. Il y en avait autant à l'extérieur qu’à Vintérieur du sac. Pendant les sondages que nous fimes dans ces parages, toute la longueur de la corde de sonde laissait tomber, à mesure qu'on la retirait, sur la claire-voie de la soute aux cartes, une véritable gréle de ces belles espèces de Poly- cystines et d'Acanthométrines. Nous reprenons lentement la direction des côtes de l'Irlande, et le lundi 26 juillet nous draguons des profondeurs qui varient de 557 à 584 brasses (stations 39-41), dans un limon mélangé de sable et de coquilles vides. Nous ramenons un ou deux trés-intéressants Zoophytes aleyonaires et plusieurs Ophiurides, y compris l’Opluothrir fragilis, VAmphiura Ballii et POphiacantha spinulosa. Plusieurs de ces animaux étaient d'une phosphorescence des plus brillantes, et plus tard, pendant notre expédition dans le Nord, nous fümes encore plus frappés de ce phénomène. Dans certaines zones, presque tout ce que nous ramenions semblait émettre de la lumière, et la vase elle— mème était couverte de points lumineux. Les Alcyonaires, les Astéries fragiles et quelques Annélides étaient surtout brillants. Les Pennatulw, les Virgularie et les Gorgonie ont une lueur blanche assez intense pour permettre de distinguer l'heure sur une montre, pendant que celle de l'Ophiarantha spinulosa, d'un vert brillant, partant du centre du disque, s’étend succes— sivement sur chacun des bras et quelquefois dessine en traits de feu la forme entière de l’Astérie. Le 27, par un temps très-beau et une mer très-calme, nous draguons à 862 brasses (station 42). Le fond est limon, sable et coquilles vides. Parmi les Mollusques ramenés, se trouvent de nouvelles espèces de Pleuronectia, Leda abyssicola (arctique), Leda messiniensis (fossile tertiaire de Sicile), le Dentalium gigas (sp. n.), le Siphonodentalium (sp. n.), le Cerithium metula, 84 LES ABIMES DE LA MER. Amaura (sp. n.), le Columbella Haliæeti, le Cylichna pyrami- data (norvégienne et méditerranéenne) et plusieurs coquilles vides de Cavolina trispinosa. Ces dernières étaient fort com— munes dans les draguages du nord, quoiqu'il ne nous soit jamais arrivé d’en voir un spécimen en vie à la surface. Pendant l'après-midi nous relevons une série detempératures intermédiaires, à intervalles de 50 brasses, depuis le fond, 862 brasses, jusqu’à la surface. Le 28, draguage à 1207 brasses (station 43), avec fond limo- neux. Un Fusus de grande dimension et d’uue nouvelle espèce, Fusus attenuatus (Jeffreys), est ramené vivant avec deux ou trois Gephyrea, un exemplaire d’Ophiocten sericeum et un autre d'Echinocucumis typica. Nouveaux draguages le 29 et le 30, en nous rapprochant graduellement des côtes d'Irlande dans 865, 458, 180 et 113 brasses successivement (stations 44 et 45). Dans 458 brasses (station 45) nous capturames un exemplaire in- complet de Brisinga endecacnemos, déjà trouvé par M. Jeffreys à la hauteur de Valentia, et nombre de Mollusques intéressants ; 458 et 180 brasses (stations 45 et 45 a) nous donnent une abondance extraordinaire d'animaux avec quelques formes très- intéressantes : le Dentalium abyssorum, V Aporrhais Serresia- nus, le Solarium fallaciosum, le Fusus fenestratus, avec abon- dance de Caryophyllia boreahs, et toutes les espèces ordinaires des grandes profondeurs de cette région. La dernière station (45 a) nous offre un curieux assemblage d’Ophiurides. L’Ophioglypha lacertosa y était commun, de dimensions extraordinaires, etaccompagné de deux espèces fort remarquables et nouvelles : une grande espèce d’ Ophiothriz, se rapprochant de l Ophiothriz fragilis, mais de dimension beau coup plus grande, le disque dans les plus grands spécimens me- surant 25 millimètres de diamètre, et 275 millimètres de l’ex- trémité d’un rayon à l'extrémité d’un autre. Les nuances sont très-vives, violet et rose, et toutes les plaques du disque, ainsi que les plaques dorsales des bras, sont semées de minces spicules. Malgré son aspect tout à fait différent, j'avais l’arrière-pensée CROISIÈRES DU PORCUPINE. 85 que ce pourrait bien n’étre là qu’une variété bien distincte de VOphiothrix fragilis. Mon ami le D' Liitken cependant affirme qu’elle en est complétement distincte. Je m’incline devant son autorité et lui dédie l’objet sous le nom d’Ophiothrir Lutkenr. La seconde trouvaille était une belle espèce d’Ophiomusium. - Vers midi, le samedi 31 juillet, nous entrons dans le port de Queenstown. Après avoir fait du charbon à Haulbowline le lundi 2 août, nous allons nous amarrer dans le bassin d’Abercorn à Belfast, le mercredi 4 au soir, après avoir fait une très-agréable traversée de retour en remontant le détroit. Il était urgent, après un si long séjour en mer, de nettoyer à fond les chaudières ; le Porcupine ne quitta done Belfast que le mereredi 11 août, pour se rendre à Stornoway, son port de départ. L’état-major scientifique se composait du D' Carpenter, de M. P. Herbert Carpenter, qui, ayant fait son apprentissage avec M. Hunter pendant la dernière expédition, en faisant des ana— lyses dans des circonstances très-favorables, se trouvait tout prêt à entreprendre maintenant cette tâche sous sa propre res— ponsabilité, et de moi. Notre projet était de suivre notre premier programme en repassant avec soin sur la région parcourue à bord du Lightning, afin de constater avec de meilleurs appareils et des instruments plus exacts la singuliére distribution des températures dans les espaces « chauds » et dans les «froids », de tracer aussi exactement que possible les trajets des courants de température différente, et de déterminer l'influence de ces courants sur le caractère et sur la distribution de la vie animale. Quittant Stornoway dans l’après-midi du dimanche 15 août, nous gagnons tout de suite l'endroit où, l’année précédente, nous avions fait le plus heureux draguage d’« espace chaud »; nous obtenons le même succès, et la drague nous ramène plusieurs beaux spécimens d’ Holtenia, et une superbe série d’ Hyalonema, depuis 2 millimètres de longueur jusqu’à 30 et 40 centimètres. 86 LES ABIMES DE LA MEK. nous avions ainsi tous les degrés de développement de la mer— veilleuse corde de verre et la preuve qu elle fait bien partie de l'Eponge elle-même. C’est le Carteria du D'J. E. Gray. => oat een . 11] NN \ \ = \ | = X - J; : = | = ù — | = — | Sa ) == ~ À y fi — a ? = | — Nù | — — | Fic. 11. — Porocidaris purpurata, WYVILLE Taomson. Grandeur naturelle. (N° 47.) La nouveauté la plus intéressante pourtant qui soit venue récompenser notre labeur, c’est un bel Echinide appartenant aux Cidaridées, et auquel j'ai donné le nom de Porocidaris Pte se ni. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 87 purpurata (fig. 11). Je erois être dans le vrai en rapportant cette belle espèce au genre Porocidaris, quoiqu elle ne possède pas le trait spécial d’après lequel Desor distingue le genre. Quelques radioles — on appelle ainsi les spicules fossiles de Cidarites — présentant un caractère très-prononcé, ont été trouvés dans diverses formations, depuis l’oolithe inférieure. Ces spicules ont la forme de spatules; ils sont comprimés, sillonnés longitudinalement, aplatis, et fortement dentelés sur les bords. Des spicules semblables ont été découverts dans les couches nummulitiques du val Dominico, prés de Vérone; ces spicules étaient associés à des plaques qui ont beaucoup de rap- ports avec celles des Cidaris, à cette différence près, qu'une rangée de trous perfore le test dans l’espace aréolaire qui “entoure le tubercule primordial. Notre Oursin ne possède peint ce trait, mais les radioles ont les stries longitudinales, la forme plate et les bords dentelés de ceux du Porocidaris. Jen’attache qu’une médiocre importance aux perforations des plaques. D’après les dessins de Desor, elles ne sont pas rondes, mais ovales, assez irrégulières, et rayonnant autour de la base du spicule. Notre nouvelle espèce présente une série de dépres- sions occupant la place de ces sillons perforés qui sont sans aucun doute destinés à l’insertion des muscles qui font mouvoir ces longs spicules ; le test est mince, ces sillons creusés dans la plaque la pénètrent si profondément, que le moindre effort, le frottement même de l’eau, achève de la percer. Nos espèces récentes et les formes éocènes ont un autre ca- ractère commun : les cereles aréolaires ne sont pas très-accusés, ct les aréoles tendent à devenir confluentes. On n'avait découvert jusqu'ici de ce genre, à l’état fossile, que des plaques détachées; les plaques ovariennes étaient inconnues. Elles présentent un caractère très-singulier et qui a certainement une grande valeur générique. L'ouverture ova— rienne ne pénètre pas la plaque, mais perfore une membrane qui garnit un espace de forme carrée dont une moitié est prise sur le bord extérieur de la plaque sous la forme d’une entaille 88 LES ABIMES DE LA MER. triangulaire ; l’autre moitié est formée par la séparation angu— laire que forment deux plaques interradiales supérieures, au milieu de l’espace interradial. Les spicules caractéristiques en forme de spatules sont rangés autour de la bouche. Les spicules plus grands qui sont plantés autour de la ligne équatoriale de la couronne sont de formes diverses; quelques-uns sont eylin— driques, s’amincissant un peu à l’extrémité, d’autres ont un ren— flement épais et finissent rapidement en pointe. La coloration de l’animal est très-remarquable. Les spicules courts qui couvrent le test sont d’un beau violet; un violet plus foncé et plus riche encore teint le tiers inférieur du spicule et finit brusquement par une ligne nettement tranchée. Le spicule, au delà de cette partie violette, est d’un charmant rose pâle. Deux exemplaires adultes de cette belle espèce nous tombèrent entre les mains,” ainsi que deux jeunes, dont l’un avait atteint à peu près la moitié de son développement et l’autre était beautoup plus petit. Nous marchons lentement vers le nord dans la direction des Faréef, en faisant de fréquents sondages pour déterminer le plus exactement possible le point où l’on passe de l’eau chaude dans l’eau froide. Un sondage de température, fait par 59° 37’ de latitude et 7° 40’ de longitude, indique une profondeur a peine moindre que celle du fond des Æoltenia, 475 brasses, avec une température de fond légèrement plus élevée, 7°,4 C., et ala station 50, par 59° 54’ de lat. et 7° 52’ delong., avec une profon— deur de 335 brasses, le minimum de température s’était élevé à 7°,9 C. Un sondage, station 51, par 60° 6’ de lat. et 8° 14’ de long., donne 440 brasses et une température de fond de 5°,5 C., témoignant que nous passons à un ensemble de conditions dif— férentes. A la station 42, par 60° 25’ de lat. et 8° 10° de long., quelques milles seulement plus loin, avee une profondeur de 384 brasses, presque la même qu’à la station 20, les thermo- mètres indiquent un minimum de — 0°,8 C. Nous changeons notre direction pour l’est-sud-est, et après un trajet d’environ 25 milles, nous sondons dans 490 brasses avec une température CROISIÈRES DU PORCUPINE. BY de fond de— 1°,1 C. Les six stations suivantes, n° 54 jusqu’à 59, sont toutes dans la zone froide, avec une température au- dessous du point de congélation de l’eau douce. A la dernière sta- tion, n° 59, 60° 21’ de lat. et 5° 41’ de long., à une profondeur de 580 brasses, le thermomètre abrité indique la plus basse température que nous ayons encore rencontrée, — 1°,3 C. Pendant que nous traversons la zone froide en faisant ces observations, le temps est extrêmement beau, et sous la sur- veillance minutieuse du capitaine Calver tous nos appareils fonctionnent admirablement. Les températures sont toujours notées d’après les indications des deux mêmes thermomètres de Miller-Casella; nous les comparons de temps en temps avec d’autres instruments, et nous trouvons toujours leurs indi- cations exactes, malgré la prodigieuse pression à laquelle les soumettent leurs immersions fréquentes. Les instruments de sondage et les dragues ne nous ont jamais donné de mécomptes, et un ingénieux procédé que nous devons à notre capitaine nous a permis quelquefois de multiplier nos prises au centuple. Quel- ques touffes d’étoupe de chanvre qui rappelaient les fauberts servant à laver le pont, ont été suspendues au bas de la drague ; ces touffes enchevétrées balayent le fond de chaque côté de l’en- gin, entrainant et accrochant tout ce qui offre quelque aspérité et n’est pas adhérent au sol. Comme les Echinodermes, les Crustacés et les Éponges sont très-abondants dans la zone froide, les touffes revenaient souvent littéralement chargées, tandis qu'il n'y avait que fort peu de chose dans le sac. Pendant le cours de notre dernière série de draguages nous avons traversé la position du bane sur lequel, l’année précé- dente, nous avions recueilli de gros spécimens de Terebratula cranium en grande abondance ; mais nous n’avons pu parvenir à le retrouver: ce banc parait être d’une étendue fort restreinte: dans cette circonstance, comme la première fois que nous y pas- sämes, le ciel fut si couvert pendant plusieurs jours de suite, qu'on ne put déterminer la position du Lightning ou du Porcu- pine par l’observation. Un caleul d'estimation pour établir le a 90 LES ABIMES DE LA MER. chemin parcouru par un vaisseau qui flotte pendant la plus erande partie du jour, trainant après lui une drague, est difficile à faire avec une certaine rigueur. Après la 59° station nous nous dirigeons au nord et nous sommes chaudement accueillis à Thorshaven par notre bienveil- lant ami le gouverneur Holten, qui, avertide notre arrivée, vient dans sa chaloupe nous souhaiter la bienvenue. Le gouverneur Holten était très-fier de son canot, et ce n'était pas sans raison. Cette embarcation était très-bien et très-élégamment construite: elle était montée par douze vigoureux rameurs des Farôer eu uniforme propre et soigné et par notre ami lui-méme, grand et bel homme, enveloppé de la capote et de l’épais capuchon que nécessitent les brumes et l’air un peu vif de cette région; le dra- peau danois flottait à sa poupe, et, ainsi paré, ce canot faisait plai- sir à voir. Arrivé à bord, le gouverneur proposa au capitaine Cal- ver une course en l'honneur de la vieille Angleterre et du dra- peau blanc. Quelques-uns d’entre nous se disposant à se rendre à terre, notre chaloupe était prête, et quand le gouverneur re- monta de la cabine, douze Shetlandais en vestes bleues, immo biles comme des statues, s’appuyaient sur leurs avirons qui sein tillaient au soleil, attendant le signal du départ. Le gouverneur examina les deux bateaux de l'œil exercé d’un marin, et con- tinua à parler avec amour de « la Vierge de Faréer » ; mais sapercevant, je suppose, comme l’a dit Tennyson, « que nous étions tous Danois, » la proposition de l’épreuve de nos forces fut abandonnée d’un commun accord. Obligés de passer quelques jours à Thorshaven pour renou- veler différentes provisions épuisées, nous désirions profiter de ce temps pour voir Myling-Head, magnifique falaise, située à la pointe nord-ouest de Stromoé; ce rocher dont le sommet sur- plombe la base et plonge perpendiculairement dans la mer d’une hauteur de 2000 pieds. Autour de ces iles la marée a la rapidité d’un courant capable de faire marcher un moulin. Le gouver- neur nous apprit qu'en partant avec la marée montante du matin, si notre vaisseau était assez bon marcheur pour suivre le PLANCHE [V.— Troisième Croisière du “ Porcupine.’ —1869. 0 rh 138820 O30 47 atom 7 + ; on OCEAN ATLANTIQUE fe > NEA 1 L Re i #n 4 : is D \ iy 4 | ek : ù \ ; de ANY de yi! 5 ? {08 oo DU:NOkD wo Sooty eae, | ; a : 1 = i À ae yi 7 6 - | 7h u x ae : on x “it | a MER DU_NORD « 4S À septentsidnal "| : | 27 | : RES ‘i : PACD * e isis ze JEU | 26% = oh Sy LD Gh 5 5 À Loue Er — = = * ae a —_ = = = = = = ——— à 5 ET 0 DÉS eee CU PS ae CROISIÈRES DU PORCUPINE. 91 mouvement de l'Océan, ilserait possible de faire le tour de Vile en passant sous Myling, et de rentrer à Thorshaven en six heures; si nous ne profitions pas de la marée, l’entreprise de- venait difficile et ne pouvait plus s’exécuter qu'avec une grande dépense de temps et de combustible. La marée devait atteindre son point le plus élevé le lundi suivant 23 août, à quatre heures du matin; le ciel s'étant main- tenu d’une limpidité inaccoutumée dans ces régions jusqu'au dimanche soir, nous prenons tous nos arrangements dans l’es- poir de faire une excursion des plus agréables, car nos aimables hôtes avaient consenti à nous accompagner. Le lundi, à l'aube, la tempête et la pluie battante nous forcent à renvoyer notre visite au célèbre promontoire. Le lendemain, le temps s'étant remis au beau, nous quittons Thorshaven vers midi, marchant au sud-est, de ma- niére à traverser le profond détroit qui sépare Farôer des Shet- land. Nos deux premières stations de draguage sur le plateau de Faréer dépassèrent 100 brasses, mais le troisième son- dage exécuté dans la soirée du 24, dans une profondeur de 317 brasses, donna une température de 0°,9 C. ; nous sommes donc revenus dans le courant froid. Persistant dans cette direc- tion, sous petite vapeur, pendant la nuit, nous faisons un son- dage dans la matinée, par 61°21’ de latitude N. et 3°44 de longitude O., dans une profondeur de 640 brasses, avee une température de fond de — 1°,1 C. Un draguage ramène des cailloux roulés et du gravier fin, avec quelques formes ani- males. Parmi ces dernières il s’en trouve une particulièrement intéressante, un spécimen de grande dimension d’une belle espèce du genre Pourtalesia, Oursin en forme de cœur, dont un des congénères fut découvert par M. de Pourtalès dans ses explorations du Gulf-stream, le long de la côte américaine, et un second par M. Gwyn Jeffreys près de Rockall. L’exemplaire actuel (fig. 12) est plus gros que ceux qui avaient été précédem- ment dragués et paraît appartenir à une espèce distincte. Le test est complétement dissemblable à celui de tous les Y9 LES ABIMES DE LA MER. autres Kchinodermes vivants et connus. Il est long de deux pouces, de forme presque cylindrique et se termine, dans sa partie postérieure, par un rostre peu allongé; son extrémité antérieure est tronquée. La surface du test est couverte de spi- cules courts ayant la forme de spatules, et vers ’extrémité anté- rieure il existe une espèce de frange composée de longues épines Fic 12. — Pourtalesia Jeffreysi, WYVILLE THOMSON. Légèrement grossi 1. (N° 64.) cylindriques qui vont se multipliant vers la surface supérieure. La bouche se trouve au fond d’un sillon antérieur et inférieur très-profond, et l’anus est placé sur la surface dorsale, dans une cavité située au-dessus du rostre terminal. La disposition des ambulacraires est toute particulière. Les quatre ouvertures ova- riennes et le tubercule madréporique sont sur la surface dor- sale, au-dessus de l’extrémité antérieure tronquée à la base de laquelle la bouche est placée, et les trois sillons ambulacraires du ¢rivium font un court trajet qui part de l’anneau oral vascu- laire; le premier parcourt le centre de la face antérieure, et les deux autres passent le long de ses bords, pour se réunir au pre- mier et former ensemble un anneau autour des ouvertures ova- riennes. Les deux sillons du bivium font un singulier trajet : ils retournent dans la grande prolongation postérieure du test, sur les côtés de laquelle ils forment des boucles en passant au travers des ouvertures qui garnissent une double rangée de plaques ambulacraires assez irrégulières qui viennent se réunir 1. J'ai le plaisir de dédier cette intéressante espèce à mon savant collègue J. Gwyn Jeffreys, membre de la Société Royale. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 93 sur un même point, très-postérieurement au point de conver— gence des trois ambulacraires du bivium. Entre les deux points de convergence placés sur la ligne centrale du dos, se trouvent intercalées plusieurs plaques. Ainsi les trois ambulacraires anté- rieurs se terminent au point de convergence de leurs plaques oculaires, où se trouvent également quatre plaques génitales, ainsi que le tubercule madréporique; les deux ambulacraires postérieurs avec leurs plaques oculaires se rencontrent sur un autre point, où ils forment un sommet. La cinquième plaque génitale est nulle. Ce qui donne un intérèt particulier à la dé- couverte de cet Oursin, c’est que, bien qu'il n’existät, à notre connaissance, aucun type vivant de cette conformation, dési- gnée sous le nom « d’ambulacraires disjoints », nous connais- sons depuis longtemps une famille fossile, les Dysasteride, qui présente ce caractère. Plusieurs espèces du genre Dysaster (Agassiz), les Collyrites (Desmoulins), Metaporhinus (Michelin), Grasia (Michelin), se retrouvent depuis l’oolithe inférieure jusque dans la craie blanche. On en avait jusqu'ici supposé la race éteinte. Le draguage suivant compte parmi le très-petit nombre de nos tentatives complétement avortées, car le sac nous revint tout à fait vide ; nous avons attribué ce mécompte à un accroissement de vent et de houle, qui, en faisant dériver le vaisseau, a em- pèché la drague d’atteindre le fond. Notre matinée est consacrée à une série de sondages de tem- pérature, à intervalles de 50 brasses, de la surface au fond. Notre réussite est satisfaisante et les résultats en seront déve- loppés plus tard. Pendant les 50 premières brasses l’abaisse— ment de température fut rapide; les 150 brasses suivantes se maintiennent à une température élevée et assez égale, puis il y a un nouvel abaissement entre 200 et 300 brasses, les thermo- mètres marquant à la plus grande profondeur 0° C. Depuis 300 brasses jusqu’au fond, la température ne tombe guère que d’un degré. Ainsi la masse entière de l’eau dans ce détroit est divisée presque également en couche supérieure et couche 94 LES ABIMES DE LA MER. inférieure ; cette dernière est formée par un courant arctique de près de 2000 pieds d'épaisseur, coulant dans la direction du sud-ouest, sous une couche supérieure relativement chaude, qui se dirige lentement vers le nord-est; la moitié inférieure de celle-ci est soumise à l’influence de la couche sur laquelle elle coule, et sa température en est sensiblement modifiée ”. Nos draguages suivants s’exécutent sur le plateau des Shet- land, à des profondeurs inférieures à 100 brasses et sur un ter- rain qui avait été déjà soigneusement étudié par M. Gwyn Jeffreys. Nous ne ramenons que fort peu de nouveautés, mais nous sommes redevables aux perfectionnements apportés à nos appareils de draguage de recueillir quelques-unes des eurio- sités de « Haaf », telles que le Fusus norvegicus (Chemnitz), le Fusus berniciensis (King), le Pleurotoma carinatum (Bivona) en nombre considérable. Les touffes de chanvre nous sont d’un grand secours pour les Échinodermes. La drague souvent a ramené en une seule fois, soit dans le sac, soit sur les étoupes, plus de 20 000 exemplaires du joli petit Oursin Erchinus norve- gicus (D. et K.). Le 28 août, nous jetons l'ancre dans le port de Lerwick, où nous demeurons plusieurs jours à nous ravitailler, à examiner les antiquités remarquables et les curiosités géologiques du voi- sinage, et à bouleverser les magasins de mercerie et de bonne- terie de la ville, afin d’y trouver ceslégers tissus de laine dont le travail et les matériaux imitent, avec une délicatesse presque égale à la leur, les mailles du squelette des Holtenia, des Euplectella et des Aphrocallistes. Pendant cette première partie de notre croisière, presque tous les draguages ont été faits dans la région froide, et nous y avons constaté une grande uniformité de conditions. La-température moyenne du fond se maintient toujours un peu au-dessous du point de congélation de l’eau douce, et tombe quelquefois à près de 2 C. au-dessous de zéro. Le fond se compose uniformément 1. Dr Carpenter in ,, Preliminary Report on the Scientific Exploration of the Deep Sea, 1869 ”. (Proceedings of the Royal Society, vol. XVII, p. 441.) CROISIÈRES DU PORCUPINE. 95 de gravier et d'argile; le gravier du côté du détroit avoisinant l'Ecosse consiste surtout en débris du gneiss laurentien et des autres roches métamorphiques du nord de l'Écosse et des couches devoniennes de Caithness et des Orcades. Du côté de Farôer, les cailloux sont surtout basaltiques. Cette différence se montre d’une façon très-marquée dans la couleur et la composition des tubes des Annélides, et dans le test de divers Foraminifères. Les cailloux sont tous arrondis, et leur volume varié, ainsi que l'inégalité et les rugosités du gravier dans plusieurs parties, témoignent d’un mouvement sensible au fond de l’Océan. Il parait certain, d’après la direction des dépressions qui existent sur la ligne isotherme de la région (pl. VIL), qu'il y a un courant direct d’eau froide se dirigeant de la mer du Spitzberg dans celle du Nord, et qu'un embranchement de ce courant froid passe par le détroit de Farüer. La faune des régions froides est certainement caractéristique, quoique plusieurs de ses espèces les plus remarquables leur soient communes avec les grandes profondeurs des régions chaudes, dès que la tempé- rature tombe au-dessous de 2° ou 3° C. Une étendue considérable du détroit de Farüer est recouverte par une Eponge qui est probablement identique avee le Clado- rhiza abyssicola (Sars), dragué par G. O. Sars dans les grandes profondeurs, près des iles Loffoten. Cette Eponge forme une espèce de buisson ou d’arbrisseau qui, dans certaines parties, recouvre des espaces considérables, comme la bruyère revêt une lande. Il y en a au moins trois espèces, dont l’une a les branches fixes et roides, tandis que dans une autre le corps est beaucoup plus mou, et des branches latérales s’échappent d’un rachis central comme les barbes sortent de la côte d’une plume d’autruche. Les rameaux paraissent quelquefois avoir de 90 à 80 centimètres de longueur, et les tiges près de la base ont de 2 à 3 centimètres de diamètre. La tige et les branches ont un axe central composé d’une substance demi-transparente d’un vert jaunatre, ressemblant à de la corne et remplie de masses de spicules en forme d’aiguilles disposés en faisceaux serrés et 06 LES ABIMES DE LA MER. longitudinaux. Cet axe est recouvert par une écorce molle de substance spongieuse soutenue par des spicules aigus à deux crochets, qui caractérisent le genre Esperia et ses alliés. La croûte est couverte de pores et se soulève çà et là en papilles perforées de grandes ouvertures (oscula). Cette Éponge paraît appartenir à un groupe voisin des Espériadées, ou encore peut— ètre à quelques-unes des formes fossiles dont les traces sont si abondantes dans certaines couches des terrains crétacés. Une espèce encore plus belle, appartenant au même groupe, a été draguée par M. Gwyn Jeffreys pendant la première croisière de l’année suivante. Une autre Éponge de grande dimension (fig. 13) est très-abondante. Elle a été admirablement dé— crite par M. le professeur Loven sous le nom (j ne sais trop pourquoi) VHyalonema, boreale. Elle est plus rapprochée SK du Zethya, car le corps Fic. 13. — Stylocordyla boreals, Loven. Grandeur de l'Éponge doit la faire RE RAA rentrer certainement dans le type des Éponges cortiquées, bien qu’elle diffère de tous les autres membres connus de cet ordre, en ce qu’elle est sup- portée par une longue tige symétrique formée, ainsi que M. le professeur Loven l’a démontré, de faisceaux de courts spicules reliés entre eux par un ciment corné. Une touffe de fibres minces sert à fixer la base de la tige. M. le professeur Oscar CROISIÈRES DU PORCUPINE. 97 Schmidt, dans son £squisse de la faune spongiaire de l'Atlan- tique, classe cette forme dans son genre Cometella, qu'il associe aux Swherites, qui ne sont que des Zethya modifiés ; avec un ou deux autres groupes génériques il forme la fa- mille, les Suberitidinæ, qui fait partie de l’ancien ordre des Corticate, ordre qu’il propose de démembrer. Je doute fort que eet arrangement soit adopté, car les éponges siliceuses, dont le squelette se compose surtout de faisceaux rayonnés de longs spi- cules, forment un ensemble naturel et remarquable. Le Sfylo- cordyla est évidemment très-rapproché, par les formes et les caractères généraux, de l’Eponge pédiculée de la Méditerranée, dessinée par Schmidt sous le nom de Zetilla euplocamos'. Les Foraminifères n’abondent pas dans la zone froide, quoique ca et là de nombreuses et remarquables formes, de dimensions considérables, s’attachent aux touffes de chanvre. Elles appar- tiennent principalement au type Arenaceus. A la station 51, un des draguages intermédiaires entre la zone froide et les cou- rants chauds, les touffes de filasse remontèrent une multitude de tubes longs de près d’un pouce, formés de grains de sable cimentés ensemble. Pendant l’excursion du Lightning, l'année précédente, sur le banc du milieu, avec les spécimens de 7ere- bratula cranium, nous avions trouvé en abondance un Lituola des sables qui avait à peu près la même apparence, si ce n’est qu’à l’une de leurs extrémités les Zifuolæ ont une bouche proé- minente ; en les brisant, cette bouche se répète, moulée distine- tement en grains de sable colorés d’une nuance particulière, dans chacun des compartiments en lesquels le test est divisé. La nouvelle forme pourtant n’était pas sectionnée en chambres; la cavité centrale était continue, « bien que parcourue dans toute sa longueur par des processus irréguliers, formés en partie de grains de sable et de spicules d’Eponge teintés d’une cou- leur spéciale, et ressemblant à ceux que le D* Carpenter a 1. Die Spongien der Küste von Algier. Von Dt Oscar Scampr, Professor der Zoologie und vergleichenden Anatomie, Director des Landschaftlichen zoologischen Museums zu Gratz. Leipzig, 1868. 7 98 LES ABIMES DE LA MER. décrits dans le gigantesque fossile Parkeria'. L’une des extré- mités de cette cavité est voitée ; des intervalles ménagés entre les grains de sable agglutinés permettent, paraît-il, à l’animal gélatineux qui l’habite de communiquer avec le monde exté- rieur, en faisant passer au travers ses tentacules charnus. L'autre extrémité est invariablement brisée, et cette fracture a fait supposer au D' Carpenter que l'animal, auquel il a donné le nom générique de Botellina, nait et se développe attaché à un corps étranger. Les Echinodermes pullulent dans la zone froide. Dans le dé- troit au nord et à l’ouest des Shetland, nous avons ajouté à la faune des mers de la Grande-Bretagne, outre un grand nombre d'espèces nouvelles, toutes les formes décrites par les natu— ralistes scandinaves comme vivant dans les mers de Norvége et du Groenland. Le Cidaris hystrix est très-abondant et de grande dimen-— sion à une profondeur relativement faible. La grande forme de l’'Echinus Fleemingii (Ball) est rare; mais à toutes les pro— fondeurs la drague ramène quelque variété douteuse, comme l'Echinus elegans (D. et K.), certaines formes de l’Echinus nor- vegicus (D. et K.), ou de l’'Echinus rarituberculatus (G. 0. Sars). Il serait peut-être nécessaire de les décrire, car dans leurs formes extrêmes elles présentent des différences trés-marqueées ; mais, après en avoir vu des milliers, car chaque voyage de la drague en rapporte, depuis Farüer jusqu'à Gibraltar, je les regarde simplement comme des variétés del’ Echinus Fleemingu. Vai déjà parlé des innombrables myriades du petit Æchinus norvegicus (D. et K.). Il n’a que 15 millimètres de diamètre, et il pullule sur les bancs de péche de Haaf. Ces petits Oursins sont adultes, comme le prouve le développement de leurs organes ; et, en voyant l’abondance de trois grandeurs différentes, Je suppose qu'ils atteignent leur entier développement en deux ans et demi ou trois ans. Quant à leur couleur, à leur structure 4. Philosophical Transactions, 1869, p 806. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 99 et à la forme des pédicellaires, je n'y vois rien qui les distingue d’une forme qui a quatre fois leurs dimensions et qui est com— mune dans les grandes profondeurs à la hauteur des côtes de l'Irlande; ces derniers ne se distinguent par aucun caractère défini, ayant une valeur spécifique, de l'£chinus Fleemingii des bas-fonds, aussi grand que les variétés ordinaires de I’ Echinus sphera. La variété shetlandaise de ? Equus Caballus n’a certainement pas plus d’un quart de la dimension d’un cheval camionneur de Londres, et je ne vois aucune raison pour qu'il n’y ait pas un poney Oursin aussi bien qu'un poney Cheval. M. le professeur Alexandre Agassiz‘ a découvert que l’espèce d'Echnocyamus de la Floride n’est que le jeune d’un Cly- péastroide trés-commun dans la même région, le S/olonoclypus prostratus (Ag.), et il pense que notre Echinocyamus angulosus (Leske) ne pourrait bien être qu’une de ces variétés naines, rabougries, ou des jeunes non développés du Séolonoclypus américain, dont «le pseudembryon » aurait été entrainé par le Gulf-stream; ce pourrait être encore une forme d’un Clypéas- troide européen inconnu jusqu ici. Les trois prétendues espèces du genre Toxopneustes de la zone froide auront, je le crains, à subir une fusion. Le 70r0- pneustes pictus (Norman) et le Toxopneustes pallidus (G.O. Sars) ne sont bien certainement que des variétés du Toxopneustes drobachiensis (O. F. Müller). Les jeunes du Brissopsis lyrifera (Forbes) se sont montrés en abondance à toutes les profondeurs, mais les exemplaires adultes ne paraissent plus au delà de 200 brasses, et sont plus gros et plus nombreux de 50 à 100 brasses. Le 7ripylus fra- gilts (D. etK.), forme scandinave assez rare, a été ajouté à la faune britannique. Les draguages profonds dans les zones froides en ont ramené plusieurs spécimens, malheureusement x écrasés pour la plupart, à cause de leur grande fragilité. De 1. Bulletin of the Museum of Comparative Zoology, n° 9, p. 291. 100 LES ABIMES DE LA MER. magnifiques spécimens du bel Oursin-cœur, Spatangus Raschi, sont très-abondants dans la même zone et à la même pro- fondeur. Les Astéries étaient nombreuses; des espéces rares et nou- velles surchargeaient parfois les étoupes. Les deux formes du Brisinga, le Brisinga endecacnemos (Absjornsen), et le Bri- singa coronata (G. 0. Sars), remontaient de temps en temps, ct étaient toujours recus comme des captures précieuses, malgré la difficulté et la peine de débarrasser un à un leurs bras épi- neux du chanvre au milieu duquel ils se trouvaient enche- vêtrés ; ils n'étaient presque jamais à l’intérieur de la drague. Le Solaster papposus (Forbes), apparemment leur plus proche parent, bien que fort éloigné, était très-abondamment repré- senté par une très-jolie variété des grandes profondeurs. Cette espèce a dix bras; son diamètre est de 40 millimètres du bout d’un bras à l’autre; elle est dun beau rouge orangé, même à la station 64, à une profondeur de 640 brasses. Nous dra- gudmes en abondance le Solaster furcifer (D. et K.) (fig. 14), qui jusque-là n'avait été vu que dans les mers scandinaves. Le Pedicellaster typicus (Sars) se mon- trait assez rare, et plus fré- quemment on ramenait le joli Astrogonium granulare (Müller et Troschel), qui rappelle un biscuit de mer. En deca de 100 brasses, nous avons trouvé l’Astrogonium Ro Cr eo phrygianum (O. Fred. Müller) et l’Asteropsis pulvillus (O. F. Müller). Un curieux petit groupe d’Astéries, en forme de pelotes, était représenté par le Pteraster militaris (Müller et Troschel), le Pteraster pulvillus (Sars), et par deux autres formes nouvelles pour la science : le Korethraster hispidus (sp. nov.), dont toute la surface supérieure est couverte de longues villosités sem- blables à des pinceaux noirs (fig. 15). Les sillons ambula- CROISIÈRES DU PORCUPINE. 104 craires sont bordés de rangées de spicules délicats en forme de spatules. Comme le Péeraster, il a une double série de pieds Fic. 15. — Korethraster hispidus, WYviLLE Taomson, face dorsale Double de la grandeur naturelle. (N° 57.) coniques. L'autre genre (fig. 16) est peut-être encore plus remarquable. Cette Astérie est très-aplatie ; la surface dor- Fic.{16.—Hymenaster pellucidus, WYvILLE Tomson, face ventrale. Grandeur naturelle. (N° 59.) sale est couverte de courts tubercules qui soutiennent une membrane, comme dans le P{eraster. La rangée de spicules. 102 LES ABIMES DE LA MER qui garnit les sillons ambulacraires est très-allongée et garnie d’une membrane qui, régnant le long du côté d’un bras, se réunit à la membrane du bras adjacent, de telle sorte que les angles que forment les intervalles des bras se trouvent entié— rement remplis par une pellicule mince, retenue et soutenue par les spicules : le corps de l'animal devient ainsi un penta- gone régulier. Il n’y a pas trace, sur la surface abdominale ni sur les bras, de ces rangées transversales, de plaques mem— braneuses en forme de peignes, qui caractérisent le genre Pteraster. Parmi les Astéries des grandes profondeurs, les formes qui sont de beaucoup les plus abondantes et les plus remarquables appartiennent aux genres Astropecten et Archaster et à leurs alliés. De 100 à 200 brasses, la petite forme de l’Astropecten . irregularis, de l'Astr. acicularis (Norm.), pullule littéralement à certaines places, ordinairement en compagnie de la petite variété du Zuidia Savignii (Müller et Troschel) et du Zwidia Sar- sii (D. et K.). Je ne doute pas que ces deux espèces, Astropecten acicularis et Luidia Sarsii, ne soient simplement des variétés de grande profondeur des formes qui atteignent des proportions beaucoup plus grandes dans les bas-fonds. M. Édouard Waller fit, pendant l’été de 1869, une croisière de draguage dans le yacht de M. Gwyn Jeffreys, sur la cote méridionale de I’Irlande. I] se borna à explorer la zone de 100 brasses et un peu en decà, et obtint une magnifique série d’ Astropecten et de Zurdia, com- prenant tous les degrés intermédiaires entre les petites et les grandes variétés. La zone froide nous a donné l’As#ropecten tenuispinus en erande abondance et d’une grande beauté. Les houppes de chanvre en étaient quelquefois toutes rouges, et avec cette espèce, une belle et nouvelle forme d’un gris plombé tout par- ticulier, avec des tubercules placés sur la surface dorsale du disque formant une rosette pétaloide comme chez les Cly- peaster. Nous avons trouvé, à d’assez rares intervalles, l’Aséro- pecten arcticus (Sars) dans les draguages profonds. Les espèces CROISIÈRES DU PORCUPINE. 103 boréales du genre Archaster étaient abondantes et de grande dimension: l’Archaster Parelli (D. et K.), dans des eaux rela— tivement basses, et l’Archaster Andromeda abondaient dans de plus-grandes profondeurs. Aux stations 57 et 58, et a plusieurs autres dans la zone froide, nous primes plusieurs spécimens d’un bel Archaster (fig. 17), qui a sur son bord extérieur un double rang de plaques LES Fic. 17. — Archaster bifrons, WYVILLE peer 51) dorsale. Trois quarts de grandeur naturelle. NO: marginales carrées, qui lui donnent l’apparence épaisse du Ctenodiscus; chaque plaque marginale est couverte de grains miliaires, et porte au centre une épine proéminente et rigide. C’est une grande variété et l’une des plus remarquables que nous ayons ajoutées à la liste des espèces connues. Elle est d'une belle couleur crème ou nuancée de rose tendre, Le Ctenodiscus crispatus nous est apparu rarement et de petite taille, ne dépassant pas 25 millim. de diamétre. Presque chaque draguage ramenait |’ Asteracanthion Mulleri (M. Sars), 10% LES ABIMES DE LA MER. et des spécimens de toutes les dimensions de Cribrella sanqui- nolenta (0. F. Müller). La distribution des Ophiurides était entièrement nouvelle pour un dragueur anglais. La forme de beaucoup la plus abon- dante, dans les profondeurs moyennes, était l Amphiura abyssi- cola (M. Sars), espèce jusqu'ici inconnue dans les mers bri- tanniques. À des profondeurs plus grandes, cette espèce était associée en nombre à peu près égal à l’Ophiocten sericeum (Forbes). Partout l’Ophiacantha spinulosa (Müller et Troschel) abonde : V Ophioglypha lacertosa, commun dans ces bas-fonds, est rem— placé par |’ Ophioglypha Sarsii (Lütken) ; ’ Ophiopholis aculeata (O. F. Müller) se plait à habiter parmi les branches de Corail et les polypiers pierreux. Dans les draguages de zone froide aussi caractérisés que ceux des stations 54, 55, 97 et 64, on trouve les deux espèces d’ OphioscolexrV Ophioscolex purpurea (D.et K.), et l’'Ophioscolex glacialis (Müller et Troschel), le premier très- abondant dans certains endroits, le dernier beaucoup plus rare. Les deux espéces sont nouvelles dans la zone britannique, et deux formes trés-remarquables qui les accompagnent sont nouvelles pour la science. Une de celles-ci est un grand Ophiu- ride aux bras épais et longs de plus de 3 décimètres, et dont le disque large et mou rappelle celui de ! Ophiomyxa, dont il est voisin. Les spécimens péchés ne sont malheureusement pas assez bien conservés pour permettre d’en faire une étude complète. L’autre forme est une grande et belle espèce du genre Ophiopus de Ljungmans. Les plaques dont le disque est recouvert sont petites, de nuance sombre, et masquées en grande partie par une membrane semblable à un réseau. L’Amphiura Balli (Thoms.) est commun dans les profondeurs moyennes, et de loin en loin nous avons ramené un exemplaire isolé du charmant petit Ophiopeltis securigera (D. et K.), récemment acquis à la faune shetlandaise par le Rév. A. Merle Norman. Nous avons été très-agréablement surpris de draguer dans la zone froide un grand nombre d’exemplaires du plus beau CROISIÈRES DU PORCUPINE. 105 des Crinoïdes du Nord, l’Axtedon Eschrichtu. Cette espèce n’a pas encore, que je sache, été trouvée dans les mers du Spitzberg ou de la Scandinavie; tous nos échantillons de musées viennent du Groenland ou du Labrador. Il en est de même du Ctenodiseus crispatus. Aucun de ces spécimens du nord de l'Écosse n’a d'aussi grandes dimensions que ceux du Groenland. Un ou deux draguages à une profondeur moyenne nous donnèrent de nom— breux exemplaires de l Antedon celticus (Barrett), forme encore plus abondante encore dans le Minch; chaque draguage, à peu d’exceptions près, nous ramenait quelque spécimen incomplet ou quelque fragment de l’Antedon Sarsu. Nous avons trouvé, à une ou deux reprises, un fragment de la tige du Rhizocrinus ; mais, chose assez bizarre, pas un seul spécimen de cet intéressant petit Crinoide n’est sorti de la zone froide et n’est venu récompenser nos efforts; pourtant nos con— clusions sont justes, et le courant arctique dans lequel il abonde arrive directement des îles Loffoten, dans le détroit de Farôer. Nous ramenons partout beaucoup d’Holothuries dans les profondeurs dépassant 200 ou 300 mètres; le petit et délicat Echinocucumis typica (M. Sars); le Psolus squamatus (Koren), Fic. 18. — Eusirus cuspidatus, Kroyer. (N° 55.) qui ne paraît pas être très-commun, bien que nous l’ayons dra- gué une fois en grande abondance pendant que nous étions sur le Lightning. Les disques blancs, couverts d’écailles, ressor— taient sur les cailloux unis et foncés du basalte de Faréer, aux- quels ils étaient attachés. Nous trouvions de temps en temps 106 LES ABIMES DE LA MER l'Holothuria ecalcarea (Sars) : c’est une nouvelle et intéressante - acquisition pour la faune britannique. Elle produit un singu- lier effet chaque fois qu’elle nous arrive parmi des animaux plus petits et plus délicats; elle ressemble a une volumineuse saucisse d'Allemagne de 20 à 30 centimètres de longueur. 7177 Fic. 19. — Caprella spinosissima, NorMAN. Double de la grandeur naturelle. (N° 59.) Dans les draguages ca— ractéristiques de la zone froide, nous avons trouvé quelques Crustacés inté— ressants; j’en dessine un ou deux, car ils témoi- enent en quelque sorte de la source qui alimente cette zone. [ls appartien- nent aux gigantesques formes des Amphipodes et des Isopodes de la mer Arctique. L’Eusirus cuspidatus (Kroyer) (fig. 18) n’était connu jusque-là que dans la mer du Groenland, et le genre était représenté dans les mers britanni- ques par un exemplaire imparfait d’une autre es— pece. La figure 19 est une espèce grande et jusqu'ici inconnue du genre Ca- prella, singulier groupe de Crevettes squelettes. Dans ces parages, elles s’attachent par leurs crochets ou griffes infé— rieures aux Eponges branchues, et laissent flotter au gré des vagues leurs corps grotesques et décharnés. L’Æqa nasuta (Norman) (fig. 20) est encore. une nouvelle CROISIÈRES DU PORCUPINE. 107 espèce, un Isopode de forme normale. Des spécimens beaucoup plus gros de ce curieux genre sont pourtant connus sur les côtes Fic. 20. — Æga nasuta, Norman. Un peu grossi. (N° 55.) britanniques, vivant ordinairement à demi parasites sur de gros Poissons. L’ Arcturus Bafjini (Sabine) (fig. 21) est aussi un des Isopodes Fic. 21. — Arcturus Baffini, SABINE. Grandeur naturelle. (N° 59.) normaux, régulier jusqu'à un certain point dans sa conforma- tion, mais d’un aspect très-particulier dans son extérieur et dans ses attitudes. L’Arcturus a, comme le Caprella, l'habitude 108 LES ABIMES DE LA MER. de se fixer par ses membres inférieurs à quelque organisme sous-marin, en élevant la partie antérieure de son corps d’une facon bizarre; mais il a de plus une paire d'antennes énormes auxquelles les petits s’attachent par leurs pattes, se rangeant le long de ces appendices comme une double frange vivante. L’Idotea (Arcturus) Baffini a été décrit pour la première fois dans l’Appendice au quatrième voyage du capitaine Parry. Cette espèce, ou une autre très-voisine, parait exister aussi dans les mers antarctiques. Sir James Clark Ross raconte’ qu'en dra- guant dans une profondeur de 270 brasses, par 72° 31’ de lati- tude S. et 173° 39’ de longitude E., le filet ramena en grand nombre des « Corallines, des Flustres, et une grande quantité d'animaux marins invertébrés, qui témoignaient d’une grande abondance et d’une grande variété de vie animale. Parmi ces animaux, j'ai remarqué deux espèces de Pycnogonum, et V'Idotea Baffini, qui jusqu'ici étaient regardés comme spéciaux aux mers arctiques, et quelques autres formes encore. » La gravure représente l’Arcturus Baffini, surmonté de sa progé— niture, qui cependant est infiniment moins «lignée qu'à lordi- naire. L'organisation de la nursery a éprouvé un certain dés— ordre; elle est habituellement beaucoup plus régulière. Une ou deux espèces du singulier Arachnide marin du genre Nymphon, de très-grande dimension, se trouvaient fréquemment engagées en grand nombre sur les houppes de chanvre. Ce groupe parait être particulièrement caractéristique des mers froides. Les récentes expéditions polaires suédoise et allemande disent en avoir trouvé de dimension presque incroyable, de 30 centimètres environ de diamètre ; on en a vu d'énormes dans les grandes profondeurs des régions antare— tiques. Ces animaux remontent souvent cramponnés à la corde de sonde (fig. 22). Les Mollusques, qui, dans nos précédentes expéditions, fai— saient le fonds principal de nos draguages, sont ici de beaucoup 1. A Voyage of Discovery and Research, vol. I, p. 202. n wat, ip ae CROISIÈRES DU PORCUPINE. 109 inférieurs, soit comme nombre, soit comme variétés, aux groupes déjà décrits. La différence entre la forme des Mollusques de la zone froide et des Mollusques de la zone chaude n’est pas, à beaucoup près, aussi grande que chez les autres groupes. Un des types les plus intéressants que nous ayons trouvés est | | %, le Terebratula septata (Philippi), Terebratula septigera de Lovén, Brachiopode ramené vivant (station 65) dans le dé- troit de Shetland, d'une profondeur de 345 brasses, par unc température de fond de — 1°,1 C. Une variété de cette espece, découverte dans les couches pliocénes de Messine, a été décrite et dessinée par M. le professeur Seguenza sous le nom de Waldheimia peloritana; il est évident qu’elle est identique avec le Waldheimia floridana, découvert dans le golfe du Mexique par M. de Pourtalès : la nôtre les surpasse tellement en dimen— sion, qu’il est évident que; l’eau glacée est sa patrie véritable. Nous n'avons pris qu'un très-petit nombre de Poissons, ce. 110 LES ABIMES DE LA MER. qu'il faut attribuer probablement à ce que la drague est un engin fort peu favorable à leur capture. Les quelques espèces tombées entre nos mains ont été confiées par M. Loughrin à M. Couch de Polperro, pour être étudiées à notre retour. La liste comprend une nouvelle forme générique intermédiaire entre les Chimera et Macrourus, qui a été ramenée de 540 brasses de profondeur dans la zone froide; une nouvelle espèce d’un genre voisin des Zeus; un nouveau Gadus se rap- prochant du Merlan ordinaire ; une nouvelle espèce d’ Ophidion ; une espèce d’un nouveau genre se rapprochant du Cyclo— pterus ; le Blennius fasciatus (Bloch), nouveau pour la Grande— Bretagne; VAmmodytes siculus ; un nouveau et très-beau Serranus, et un nouveau Syngnathus. La mort est venue interrompre les travaux du doyen des naturalistes de Cornouailles, pendant qu'il préparait deserip— tions et dessins; il a quitté cette vie chargé d'années et de tra— vaux, et un autre que lui devra terminer cette tâche qu ‘il avait entreprise avec un si vif intérêt. On verra que, dans la zone froide, la température de fond ne diffère pas, à 500 brasses, de plus de deux ou trois degrés de celle de la zone chaude aux profondeurs qui dépassent 1500 brasses. Il parait done que, comme le D' Carpenter l’a clairement démontré, toutes les conditions extrèmes de climat qui, dans les profondeurs de |’ Atlantique, s'étendent verticale- ment à 2 ou 3 milles, sont ici renfermées, sans que leurs rapports se trouvent sensiblement modifiés, dans l’espace d’un demi-mille. Nous trouvons la même surface chaude, et le ra- pide abaissement de température pendant le premier trajet de descente; la même déviation des courbes, indiquant une zone liquide chauffée par une cause étrangère à la radiation solaire ; le même abaissement rapide en traversant une « couche mé— langée », et enfin le même refroidissement lent à travers une masse inférieure d’eau froide dont la température est uniforme. Ainsi qu’on devait s’y attendre, s’il est exact que les condi- tions aretiques se continuent à travers toutes les régions pro- ET OT OU TE ee CROISIÈRES DU PORCUPINE. 111 fondes de la mer, un grand nombre des habitants de la zone froide vivent aussi dans les grandes profondeurs de Rockall, et plus au sud, jusqu’à la hauteur des côtes du Portugal; mais la faune du détroit de Farüer comprend, outre ces formes géné- ralement répandues, un ensemble d’espèces, entre autres les grands Crustacés, les Arachnides et quelques-unes des Asté- ries, qui ne caractérisent pas les mers glaciales en général, mais bien cette partie de la province arctique comprise dans les mers du Spitzberg, du Groenland et de Loffoten. Il n’est pas douteux que ce caractère spécialement arctique de la faune ne se maintienne par la migration continuelle d'espèces venues du Nord à la faveur du courant arctique indiqué par les dépressions des lignes d’égale température. Bien des espèces de la zone froide ne se sont pas rencontrées en dehors de ses limites, à cause, sans aucun doute, de la canalisation en quel- que sorte complète et de la disparition des courants froids à l'ouverture occidentale du détroit qui sépare les Hébrides des banes des Farôer. Habitation du gouverneur à Thorshaven (Faréer). 112 LES ABIMES DE LA MER. APPENDICE A Documents et Rapports officiels sur les explorations du vaisseau de S. M. le Porcupine pendant l'été de 1869. — Extraits des Procès-ver- baux du conseil de la Société Royale, expliquant l'origine de lexpé- dition du Porcupine et le but qu'elle s’est proposé d'atteindre. 21 janvier 1869. Le rapport préliminaire des opérations de draguage exécutées par les D' Carpenter et Wyville Thomson (sur le Lightning) ayant été pris en considération, il a été résolu que : Vu les résultats importants qu'ont amenés les recherches fort res- treintes faites à titre d’essai dans les profondeurs de l’Océan, le Président et le conseil considèrent comme opportun pour les progrès de la zoologie et des autres branches de la science qu’une nouvelle exploration soit tentée dans le courant de l’été prochain, qu’elle embrasse une étendue plus considérable, et que pour l’exécution de cette entreprise il soit fait appel au Gouvernement de Sa Majesté, dont la coopération nous a déjà été généreusement accordée l’année dernière. Une commission sera nommée pour faire au conseil un rapport au sujet des mesures à prendre pour mettre à exécution la présente résolu- tion dans les meilleures conditions possibles. La commission se composera du Président du bureau auquel on adjoindra le D' Carpenter, M. Gwyn Jeffreys et le capitaine Richards. 18 février 1869. Le rapport suivant de la commission des études sur la mer a été lu à la Société Royale : La commission nommée par le conseil le 21 janvier pour étudier les mesures que demande la continuation de l'étude des conditions physiques et biologiques des grandes profondeurs de la mer dans le voisinage des côtes britanniques, présente le rapport suivant : CROISIÈRES DU PORCUPINE. 113 Les résultats obtenus par les draguages et les sondages de température opérés pendant la courte croisière du vaisseau de Sa Majesté le Light- ning en août et septembre 1868, concordant avec les draguages récem- ment exécutés sous la direction du gouvernement suédois et de celui des États-Unis et avec les remarquables sondages de température du capi- taine Shortland dans le golfe Arabique, ont prouvé d’une manière con- cluante : 1° Que le lit de l'Océan, à ta profondeur de 500 brasses et au-dessus, présente à l’étude un vaste champ dont l’exploration méthodique ne sau- rait manquer de donner des résultats du plus haut intérêt sous le rapport de la physique, de la biologie et de la géologie. 2° Que cette exploration méthodique est absoluïnent impossible avec les ressources privées, et exige des moyens d'action et un matériel dont le Gouvernement seul peut disposer. On espère que le Gouvernement sera amené un jour à considérer ec travail comme un des devoirs spéciaux de la marine britannique, qui pos- sède, par ses vaisseaux qu'elle envoie dans le monde entier, infinimen: plus de facilités qu'aucun autre pays pour faire des études de ce genre. Pour le moment, la commission est d’avis que la Société Royale fasse connaître au Gouvernement l'opportunité qu'il y aurait à agir d’après les aperçus dont le D* Carpenter a accompagné son rapport préliminaire sur la croisière du Lighining, en organisant pour la prochaine saison une expédition pour l'étude minutieuse des parties les plus profondes de l'Océan, entre le nord de l'Écosse et les îles Farôer, et en étendant cette étude tout à la fois au nord-est et au sud-ouest, de manière à connaître parfai- tement les conditions physiques et biologiques des deux provinces sous- marines comprises dans cette zone, provinces qui sont caractérisées par un contraste de climats extrêmes auxquels correspond une différence considérable dans la faune; il serait bon de remonter aux causes de cette différence de climat, tout en continuant les recherches dans des profon- deurs plus considérables encore que toutes celles que la drague à par- courues Jusqu'à présent. Tout ceci peut s’accomplir sans trop de difficultés (à moins que le temps ne se montre particulièrement défavorable) avec un vaisseau con- venablement pourvu du matériel nécessaire, depuis le milieu de mai jus- qu'à la mi-septembre. Il faudrait que le vaisseau fût assez considérable pour fournir un équipage dont chaque « quart» put, sans trop de fatigue, continuer le travail de manière à profiter le plus possible des grands jours de l'été et des temps calmes. Il le faudrait pourvu des objets néces- saires à l'étude immédiate des spécimens obtenus, étude qui est un des buts importants de l'expédition. Comme il n’y a aucune nécessité d'étendre les recherches au delà de 400 milles des côtes, il serait facile de se procurer les approvisionnements nécessaires à cette croisière de quatre mois, en relâchant de temps en temps dans le port le plus 8 114 LES ABIMES DE LA MER. rapproché. Ainsi, en supposant que le vaisseau partit de Cork ou de Galway pour se rendre d’abord dans le détroit qui sépare Rockall des Iles-Britanniques, où se trouvent des profondeurs de 1000 à 1300 brasses, les draguages et les sondages pourraient se faire en sui- vant la direction du nord jusqu’à ce qu’il devint nécessaire de gagner Stornoway. Après avoir quitté ce port, l'expédition pourrait se rendre dans la zone qui est au nord-ouest des Hébrides, où les profondeurs les plus modérées (de 500 à 600 brasses) offriraient une plus grande facilité pour l'étude approfondie de cette portion du lit de l'Océan sur laquelle un dépôt crétacé est en voie de formation. Les recherches faites par le Lightning ont démontré que la faune de cet espace présente des traits particulièrement intéressants, et que l’examen sérieux du dépôt arrive- rait probablement à éclairer des phénomènes jusqu'ici inexpliqués, qui se présentent dans l’ancienne formation crayeuse. Cette étude demande- rait environ six semaines, après lesquelles le vaisseau pourrait se ravi- tailler de nouveau à Stornoway. Il conviendrait de soumettre ensuite au même examen la zone qui s'étend au nord et au nord-est de Lewis ; comme ici on se trouve en pleine zone froide, il serait bon de faire une étude spéciale de ses limites et des causes des particularités de sa tempé- rature. Tout ceci exigerait l’extension des recherches dans la direction du nord-est, ce qui amènerait le vaisseau dans le voisinage des îles Shet- land, où Lerwick serait un port de ravitaillement très-convenable. Le temps dont on pourrait disposer encore serait avantageusement employé à draguer autour des Shetland en se tenant à la distance qui donnerait de 250 à 400 brasses, tous les draguages faits par M. Gwyn Jeffreys n'ayant pas dépassé 200 brasses. Les recherches portant sur les sciences naturelles doivent se faire sous la direction d’un chef (qui pourrait ne pas être le même pendant toute l'expédition) secondé par deux préparateurs capables (fournis par la Société) qui seraient engagés pour tout le temps que durerait la croisière. M. Gwyn Jeffreys est disposé à la diriger pendant les premières cinq ou six semaines, jusqu'à la fin de juin par exemple. M. le professeur Wyville Thomson serait prêt alors à prendre sa place; puis M. le D' Carpenter irait rejoindre l'expédition, qu'il ne quitterait qu'à la fin des travaux. Il serait avantageux que le chirurgien attaché au vaisseau eût des connais- sances en histoire naturelle, qui lui permissent de s'intéresser aux recher- ches et d’y prendre part. L’expérience atquise dans l'expédition précédente devra servir de guide pour le choix qu'on fera des appareils qu’il sera nécessaire de demander au Gouvernement, s’il accède à nos désirs. Quant aux instruments que la Société Royale se chargerait de fournir, la commission demande que la liste détaillée en soit confiée à un comité composé d'hommes spéciaux connaissant d’une manière pratique leur construction et leur usage. CROISIERES DU PORCUPINE. 115 Il est décidé que le rapport qu'on vient d'entendre est accepté et adopté, et qu'en conséquence une demande sera présentée au Gouvernement de Sa Majesté. Société Royale, Burlington House. Ce 18 février 1869. Relativement au rapport préliminaire présenté par le D' Carpenter sur les explorations des grandes profondeurs faites pendant la croisière fort courte du vapeur de Sa Majesté le Lightning, pendant les mois d'août et de septembre derniers, rapport qui a été soumis à l'examen des Lords com- missaires de l’Amirauté, je suis chargé par le Président et par le conseil d'exposer que, vu les résultats importants qu'ont produits ces recherches dans la mer, malgré les proportions fort restreintes, sous le rapport de l'étendue et de la durée, dans lesquelles elles ont été faites, ils regardent comme fort désirable, dans Vintérét des sciences biologique et physique et dans celui des progrès de l’hydrographie, qu'il soit entrepris une nou- velle exploration pendant l'été prochain, et qu'on lui donne une étendue plus vaste à parcourir et à étudier ; ils viennent donc soumettre la chose à l’examen des Lords, dans l’espoir que la coopération si libéralement accordée l’année dernière par le Gouvernement de Sa Majesté sera éga- lement acquise à l’entreprise projetée pour laquelle ce secours est indis- pensable. A l’appui de la possibilité d'exécution et des chances de succès de la nouvelle exploration projetée, je suis chargé d'expliquer que, soit pour le but à atteindre, soit pour la marche à suivre et les moyens à employer, on s’est inspiré des observations faites et de l’expérience acquise pendant la dernière expédition. Ci-joint se trouve le rapport détaillé de la commission qui a été chargée par le conseil d'étudier le projet. Il est convenu que les appareils scientifiques, ainsi que la rémunération des préparateurs, seraient à la charge de la Société Royale. Quant au maté- riel qu'on pourrait encore demander au Gouvernement de Sa Majesté, l'expérience de la dernière expédition fournirait les données nécessaires dès que le plan général aura été approuvé. Le Président et le conseil ont pensé que si le navire requis pour ce travail pouvait être pris parmi les vaisseaux qui font le service de surveillance, la somme à dépenser pour le Gouvernement serait fort minime. Je suis, etc. W. Suarpey, M.D., Secrétaire de la Société Royale. 116 LES ABIMES DE LA MER. Il a été décidé : Qu'une commission sera nommée pour étudier les appareils scientifiques dont il sera nécessaire de munir l'expédition pro- jetée. La commission se composera du Président et des officiers avec le D' Carpenter, le capitaine Richards, M. Siemens, le D' Tyndall et sir Charles Wheatstone, avec faculté de s’adjoindre d’autres membres. Qu’une somme de 200 livres sterling, prise sur les fonds accordés par le Gouvernement à la Société, sera mise à la disposition du D* Carpenter, dans le but de continuer les études sur la température et la faune des grandes profondeurs de la mer, au moyen des sondages et des draguages. 18 mars 1869. L'ingénieur-hydrographe de la marine a annoncé, par une communi- cation verbale, que les Lords commissaires de l’Amirauté ont consenti a la demande formulée dans la lettre du D' Sharpey du 18 février ; que le vaisseau de surveillance de Sa Majesté le Porcupine a été désigné pour faire ce service, et que son équipement est en voie d’exécution sous la direction de son commandant, le capitaine Calver. Le 15 avril 1869. Il a été donné lecture de la lettre suivante, émanant de l’Amirauté : 19 mars 1859. Monsieur, je suis chargé par les Lords commissaires de l’Amirauté de vous prévenir que le D° Carpenter et ses préparateurs, qui ont été dési- enés par la Société Royale pour accompagner l'expédition qui est à la veille de partir pour le voisinage des îles Farôer dans le but d'examiner le fond de l'Océan au moyen de sondages pratiqués dans les grandes profon- deurs, seront entretenus pendant leur séjour à bord du Porcupine aux frais du Gouvernement. Je suis, etc. W. G. Romaine. Au Président de la Societé Royale. 17 juin 1869. Il a été donné lecture du rapport suivant : La commission nommée le 18 février pour étudier les appareils scien- tifiques dont il sera nécessaire de pourvoir l’expédition des recherches marines, soumet au conseil le rapport suivant : Les sujets principaux d’étude de physique qui offrent le plus d'intérêt par eux-mémes et par leurs rapports avec la question de la vie animale dans les grandes profondeurs, sont les suivants : CROISIÈRES DU PORCUPINE. 117 Jo La température, non-seulement au fond, mais encore à divers degrés de profondeur entre le fond et la surface ; 2 La nature et la quantité des gaz dissous ; 3° La quantité de matière organique contenue dans l’eau, la nature et la quantité des sels inorganiques ; 4° La quantité de lumière qui pénètre dans les grandes profondeurs. Parmi ces différents sujets, la commission est d'avis de s’en tenir, pour commencer, à ceux dont on s’est déjà occupé, et dont on serait à peu près certain de terminer l'étude. Les déterminations des températures ont été faites Jusqu'ici au moyen de thermomètres à minima. Il est évident que des thermomètres plongés au fond de la mer, quand bien même ils ne subiraient aucune influence de la pression, n’indiqueraient que la température la plus basse, marquée a un endroit quelconque, entre la surface et le fond, mais non pas néces- sairement au fond même. Les températures à diverses profondeurs pour- raient peut-être (à la condition toutefois qu'elles ne s'élèvent sur aucun point en pénétrant plus profondément) être constatées par une série de thermomètres à minima placés de distance en distance le long de la corde, ce qui pourtant présenterait encore de grandes difficultés. D'ailleurs la facilité qu’aurait l'index de se déplacer et la probabilité que les indications thermométriques seraient influencées par la grande pression à laquelle les instruments se trouveraient soumis, rendaient très-nécessaire l'invention d’une méthode d’après laquelle on pit fixer et assurer leurs indications. Pour atteindre ce but, deux projets ont été déposés, l’un par sir Charles Wheatstone, l’autre par M. Siemens. Les deux. projets exigent l'emploi d’un courant voltaïque entretenu au moyen d'une batterie établie sur le pont, et nécessitent un câble pour le transport de fils isolés. Le premier repose sur l’action d’un thermomètre de Breguet immergé, lequel, par un arrangement électro-mécanique, est . Lu par un instrument indicateur placé sur le pont. Le second fait dépendre Vindication de température, de l’existence d’une variation thermale dans la résistance électrique d’un fil conducteur. Il porte sur légalisation des courants dérivés dans deux bobines partielles exactement similaires, ren- fermant chacune un fil de cuivre qui parcourt toute la longueur du câble, et d’un rouleau de résistance en fil de platine mince. Le rouleau de l’une des bobines étant plongé dans la mer au bout du câble, et celui de l'autre bobine immergé dans un baquet placé sur le pont et rempli d’eau dont la température peut être réglée et maintenue en ajoutant de l’eau froide ou chaude et indiquée par un thermomètre ordinaire. Les instruments qu’exigerait le projet de sir Charles Wheatstone sont plus dispendieux et demandent plus de temps pour les préparer ; la com- mission ne voulant pas courir le risque de perdre, par la rupture toujours possible d’un cable, un instrument assez cotiteux, a préféré adopter le 118 LES ABIMES DE LA MER. projet de M. Siemens; l'appareil nécessaire à son exécution est terminé, et il a été mis en usage pendant l’expédition. Un troisième projet a été imaginé par le D' Miller pour parer aux effets de la pression sur un thermomètre à minima, sans gêner la vue de la tige pour examiner la position de l'index. Il consiste à enfermer la boule du thermomètre dans une boule extérieure assujettie un peu plus haut sur la tige. L'espace qui est entre les deux boules est partiellement rempli de liquide pour rendre plus prompte la transmission de la tempé- rature. La commission a fait construire quelques thermomètres à minima d’après ce principe, et ils ont parfaitement fonctionné. La méthode est expliquée dans un travail qui sera lu devant la Société. Pour obtenir de l’eau provenant des plus grandes profondeurs dra- guées, la commission s’est procuré un instrument construit dans ses données générales d’après le plan de celui qui a été décrit par le D'Marcet dans les Philosophical transactions de 1819, et qui a été employé avec succès pendant les premières expéditions dans le Nord. M. Gwyn Jeffreys fait dans ce moment-ci la première croisière sur le Porcupine, le vaisseau que l’Amirauté a envoyé dans ce but, et il est accompagné de M. W.L. Carpenter (fils du D' Carpenter), qui s’est chargé des travaux de physique et de chimie. Le Président a reçu une lettre de M. Jeffreys qui donne les plus grands éloges au zèle et à la capacité de M. Carpenter. Les thermomètres protégés d'après le plan du D" Miller, et instrument destiné à remonter l’eau des grandes profon- deurs, ont répondu, dans la pratique, à ce qu'on en attendait. L’instru- ment de M. Siemens n'était pas complétement achevé quand le Porcu- pine a pris la mer, et n’était pas encore rendu à bord quand la lettre de M. Jeffreys a été écrite. Les analyses des gaz ont pu se faire avec succes, malgré les mouvements du navire. D’après une lettre du D’ Carpenter reçue plus récemment, il paraît que l'appareil de M. Siemens agit jus- -qu'iei en parfaite harmonie avec les thermomètres protégés d’après la méthode du D* Miller. 16 juin 1869. Il a été résolu que le rapport qui vient d’être entendu serait réuni aux procès-verbaux. Se ee eee eee CROISIÈRES DU PORCUPINE. 119 APPENDICE B Tableau de la profondeur, de la température et de la position du vais- seau de Sa Majesté le Porcupine aux différentes stations de draquage, pendant l'été de 1869. NUMÉROS | PROFONDEUR. | TEMPERATURE | TEMPÉRATURE des en du de la LATITUDE. LONGITUDE. STATIONS. BRASSES. FOND. SURFACE. is 0 0 at Os On 4. 910 9,4 C. 193 G bf ON AE HORO: 2: 808 ae i2,3 ol 22 19825 3 722 6,1 1235 ol 38 12 50 i 251 7 12,0 51 56 13 39 D. 304 9% ae Teh 7 12292 6. 90 10.0 12,2 52 25 11 40 7 Jos 10,2 11,6 52 14 IL 48 8 106 10,7 12,3 53, 15 ile oss 9 165 9,8 12,0 »3 16 12 42 10 85 Oxi {2.5 ta 2 13°29 11 1630 » » 53.24 15 24 12. 670 9,9 11,2 53 41 14 17 13. 208 9,8 12,0 59 42 13 55 Fe ne ae HE 03 49 13: 15 15. 422 2 11,2 54 9 12 17 16. 816 1,2 Be 04 19 11950 CORSA el aol Be | 33 7 78 54 45 1 9 Moose is 2 1440 2,0 DA DD 1 11 9 21 L476 21 13,4 55 40 12 46 22 26: 2, 9,0 6 13 34 23 630 6,4 14,0 56 : ii 19 23 a 420 8,0 13,1 56 13 11 18 24 109 8,0 11,5 56 26 14 28 ü el EP OE 36 315 de 1 58 58 317 340 8,2 4, 06 08 15 17 = ; 215 a 13, i Bane de Rockall. | Bane de Rockall. 2 49 2 14,2 56 44 12 52 ? ? = = 29 1264 pa 13,8 D6 34 12 22 oe) eae eee ue 32. 1320 3/0 139 6 à 10 > à 74 08 18h 50 38 9 27 3h. 75 9,8 18,9 49 51 10 12 A fe oy Ce 49 7 10 57 19: PISFT = ( 37 2435 25 18/6 a 38 19 3 38. 2090 24 17,9 17 39 11 33 rs LE GE = TY 19 50 10 st he ee ae oe 40. D 8,7 17,4 ‘iA 12 5 120 LES ABIMES DE LA MER. NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE des en de la LATITUDE. LONGITUDE. STATICNS. BRASSES. o SURFACE, 584. 862 1207 865 458 374 542 540 A795 399 410 384 490 363 605 480 632 540 580 167 414 195 SLT 640 345 267 64 75 67 66 103 76 was GO ~1 pO CO oD 1444: le Se VO OV N° % % 2 D = mC ep? me ee Qo YS © vo. v an ee Qi LS 19 = OUTS & LS tO OT 1 OT vv SE Te bo OUD EE Co © OT CO COO OT = O11 OC ETS — = www — 1-1 OO D OCTO OUR EEE C0 vs CR at -— = ————— ee eee nn CHAPITRE IV CROISIÈRES DU PORCUPINE (SUITE) De Shetland à Stornoway. — Phosphorescence. — Les Echinothurides. — La faune de la région chaude. — Fin de la croisière de 1869. — Organisation de la croisière de 1870. — De l'Angleterre à Gibraltar. — Conditions particulières de la Méditer- ranée. — Retour à Cowes. APPENDICE A. — Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres documents officiels ayant trait à la croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine pen- dant l'été de 1870. APPENDICE B. — Tableau des pr ofondeurs, des températures et des positions aux diverses stations de draguage du vaisseau de S. M. le Porcupine pendant l'été de 1870. * Les numéros placés entre parenthèses, au bas des figures, correspondent à ceux des stations de draguage des planches IV et V. En quittant Lerwick, le 31 août, nous prenons la direction du sud-ouest, passant tout près de la pointe de Sumburgh; à l'horizon, Fair isle, de mauvais renom parmi les gens de mer, apparaît au sud comme un léger nuage gris. Le temps était très-beau, mais bien qu’il fit à peine un souffle d'air, nous sommes rudement secoués dans le célèbre Roost of Sumburgh. Nous passons au pied du promontoire de Mitful Head, devant l'aire de Norna', et les ombres d’un soir d'automne nous sur— prennent tout près de Vile rocheuse de Foula, habitée encore par un ou deux couples de Lestris Cataractes, grande Mouette dont l'espèce est en train de rejoindre, parmi les choses du passé, le Dodo et le Gar-fowl. Gouvernant au nord-ouest, nous sondons, le 1° septembre, 4. Allusion à l’héroïne et au rocher du Pirate de Walter Scott. 122 LES ABIMES DE LA MER. de bonne heure, par 60° 17’ de latitude et 2° 53’ de longitude, dans une profondeur de 103 brasses et une température de fond de 9°,2 C. Nous sommes encore sur le bas-fond et n’avons pas encore atteint le courant arctique. Tout ce jour-là nous naviguons sur le bord du plateau, draguant des formes ani- males shetlandaises bien connues, par une température décroissant légèrement; elle est de 8°,7 C. dans l’après-midi, à la profondeur de 203 brasses (station 74). Le sondage suivant, d'environ 10 milles plus au nord, se fait dans la couche mé— langée, et donne 5°,5 C. à la profondeur de 250 brasses. Nous avancons d'environ 30 milles pendant la nuit, et le lende— main, de bonne heure, nous draguons dans l’eau glacée par 60° 36’ de latitude N. et 3° 58’ de longitude E., profon- deur 344 brasses, avec température de fond de — 1°,1 C., celle de la surface étant de 10°,1 C. Vingt-cing milles plus à l’ouest, nous sondons de nouveau, vers midi de la même journée, à 560 brasses, avec — 1°,2 C. Dans ces deux ou trois derniers draguages, le fond s’est montré à peu près identique, composé de débris de vieilles roches et d'argile. La prépondérance des éponges et des échi- nodermes y est aussi remarquable que la rareté des Mollusques. Cette région tout entière nous en a fourni un seul spécimen, et encore paraissait-il être grandement dépaysé : c'était un joli petit Brachiopode, le Platydia anomioides (Sacchi) (Morri- sia, Davidson), qui jusqu'ici ne s’est rencontré que dans la Méditerranée. La grosseur de ce spécimen dépassait de beau— coup celle des exemplaires méditerranéens, circonstance sin- gulière, qui a conduit notre ami M. Gwyn Jeffreys à la sup- position un peu hasardée «que son pays d’origine est dans la région boréale, peut-être même arctique » . Nous trouvons ici, adhérant assez fréquemment aux pierres du fond, deux petites Éponges très-remarquables. L’une d'elles, que je crois identique avec le Thecophora semisuberites (Oscar Schmidt) (fig.29), se compose d’un cylindre lisse d’environ * 20 millimètres de longueur, surmonté d'un coussinet mou et spon— CROISIÈRES DU PORCUPINE. 123 eieux, avec un ou deux tubes saillants percés au centre. L'autre, que je désignerai sous le nom de 7hecophora Ibla (fig. 24), à eause de sa ressemblance avec le Cirripède qui porte ce nom, se termine par un cône couvert d’écailles, percé d’une seule Fig. 23. — Thecophora semisuberites, OSCAR Fig. 24. — Thecophora Ibla, WYVILLE THOMSON Scamipt. Double de la grandeur naturelle. Double de la grandeur naturelle. (N° 76.) (N° 76.) cavité au centre. Dans les deux formes, la paroi extérieure est ferme et luisante, et le microscope la montre composée de fais— ceaux de spicules dont l’extrémité est émoussée et même tuber- culeuse. Les faisceaux sont rangés verticalement, et ce tissu forme un étui complet, qui entoure une masse pulpeuse, gra nulée et cornée, qui en remplit l’intérieur. Dans cette substance spongieuse intérieure sont rangés des faisceaux de spicules de même forme, mais moins serrés qu'à l'extérieur ; les écailles en saillie qui forment la tête du 7hecophora Lbla sont les extré- mités de ces faisceaux. Parmi les Échinodermes, l’Ophiacantha spinulosa est une des formes dominantes, et l’éclat de sa phos- phorescence nous a beaucoup frappés. Quelques-uns de nos draguages ayant été faits la nuit, les houppes remontaicnt chargées d’Etoiles d’où jaillissaieut des lueurs du vert le plus éclatant : ces Astéries étaient de petite taille; la lumière est beaucoup plus intense chez les individus les plus jeunes. La . 124 LES ABIMES DE LA MER. phosphorescence n’est pas continue et ne se répand pas à la fois sur toutes les parties de l'animal. De temps en temps une ligne de feu dessinait le disque et l’éclairait jusqu’au centre, puis la lueur palissait, et une zone circonscrite, d’un centimètre de longueur, apparaissait au centre d’un des bras, s’avancant lentement jusqu’à sa base, ou bien les cinq branches s’enflam- maient vers les extrémités, et la lueur s’étendait jusqu’au centre. De trés—jeunes Ophiacantha, tout récemment affranchis de leurs membranes, étincelaient brillamment. Il n’est pas dou- teux que la phosphorescence doive toujours se produire dans une mer ott pullulent les Crustacés, tels que les Dorynchus et les Munida, pourvus de grands yeux brillants. Pendant cette croisière, nous avons pu étudier une autre source d’une lumière splendide. En descendant le détroit de Skye, depuis le Loch Torridon, pendant notre voyage de retour, nous draguions dans une profondeur de 100 brasses, et la drague revint tout enche— vétrée des longues tiges roses de la singulière Plume de mer, Pavonaria quadrangularis. À chacune de ces tiges se cram— ponnaient, par leurs longs bras, des Asteronyx Loveni, dont les corps mous et sphériques ressemblaient à des fruits murs et charnus suspendus aux branches d’un arbre. Les Pavonaria resplendissaient d’une phosphorescence lilas pale, semblable a la flamme du gaz cyanogéne. La lueur n'était pas scintillante comme la lumière verte de |’ Ophiacantha, mais elle était presque continue, éclatant plus brillamment sur un point, puis s effa- cant presque entiérement, mais demeurant cependant toujours assez vive pour éclairer parfaitement toutes les parties d’une tige accrochée dans les houppes ou adhérant aux cordes. D’après le nombre de Pavonaria qu un seul draguage a ramenés, il est évident que nous avons passé au-dessus d’une forêt. Les tiges avaient un mètre de longueur, et elles étaient frangées de centaines de Polypes. L’Ophiocten sericeum (Forbes) et VOphioscoler purpurea (D. et K.) sont aussi fort communs, et l'Ophioglypha Sarsi (Liitken) abonde dans les endroits sablonneux. L’Astérie la plus a= Se ee > CROISIÈRES DU PORCUPINE. 125 abondante est l’Astropecten tenuispinus, toujours remarquable par sa couleur d'un rouge vif, et, ca et là, un exemplaire de l'Archaster Andromeda et du Pteraster militaris. Chaque dra- euage ramenait quelques spécimens de la grande forme de VEchinus norvegicus, qui est ici d’une nuance pale, de forme conique, et quirappelle d’une facon singuliére les petites formes de l'Echinus Fleemingii. Fic. 25. — Archaster veæillifer, WxviLLE THowsox. Le tiers de la grandeur naturelle (N° 76.) Nous prenons, à la station 76, en compagnie d'un ou deux spécimens de l'Archaster Andromeda, un superbe Archaster (fig. 25), dont l'espèce est certainement de beaucoup la plus belle qui ait encore été draguée dans les mers du Nord. Les branches en sont aplaties et presque carrées de section, à cause de la dimension et de la position des plaques marginales, qui partent presque verticalement des bords d’un sillon ambu— lacraire très-large, pour s’arréter au bord du périsome de la surface dorsale. Les plaques marginales sont couvertes d'abon- dantes écailles arrondies; elles portent trois rangées de spi- 126 LES ABIMES DE LA MER. cules, une au bord supérieur, qui forme une frange entourant la surface dorsale de l’Astérie; une seconde près du centre, et la dernière un peu plus bas, vers le bord abdominal. Le sillon ambulacraire est bordé de crêtes composées d’épines insérées obliquement, courtes vers le sommet et le centre du bras, et s’allongeant vers sa base pour former, aux angles rentrants qui se trouvent entre les sillons ambulacraires, des bourrelets sin— gulièrement beaux. Chaque plaque porte une double rangée d’épines, et chaque épine est terminée par une seconde et courte épine en écaille, arrangement qui donne beaucoup d’ampleur à la bordure. L’épine intérieure de chaque créte, celle qui se trouve placée du côté du sillon ambulacraire, est plus longue que les autres, et porte à son extrémité une petite plaque cal- caire oblongue, qui y est suspendue comme un guidon, et qui est quelquefois accompagnée d'une seconde plaque rudimen- taire; celle-ci adhère à la première au moyen d’une espèce de fourreau gélatineux: il est probable que c’est un pédicellaire avorté. Ce caractère, qui ne saurait échapper à l'observation, m'a fait nommer l'espèce vexrilifer. Je ne connais aucune Astérie dont les sillons et les tubes ambulacraires soient aussi larges et aussi développés, proportionnellement à la grosseur de l’animal. Le périsome dorsal est abondamment garni de paxillæ en forme de rosette. Sa couleur est rose pâle teintée d’une nuance chamois. Les tubes ambulacraires, lorsque l’ani- mal est vivant, sont remarquables par leurs grandes dimen- sions, et sont à demi transparents et d’une couleur rosée. Nous dépassons encore la limite du courant froid, en nous dirigeant vers le sud, et sondant successivement dans 290 brasses avec une température de fond de 5°,3 C., et dans 76 brasses avec une température de fond de 9°,4, c'est-à-dire avec le méme résultat que dans une circonstance précédente. Dans les quatre stations suivantes, 80, 81, 82 et 83, nous avons répété l’opération en sens inverse, et sondé dans 92 brasses avee une température de 9°,7 C., dans 142 brasses avec 9°,5, dans 312 avec 5°,2, et dans 362 avec 3°. ain © CROISIÈRES DU PORCUPINE. 127. Après un trajet d'environ 60 milles au sud-est, dans une direction à peu près parallèle à la zone de 100 brasses, dans la matinée du samedi 4 septembre, nous pratiquons un sondage par 59° 34 de latitude N., et 6° 34’ de longitude O., dans une profondeur de 155 brasses et une température de 9°,5 C. Deux autres stations, aprés des trajets de 6 et 8 milles, n’ont fait que nous ramener en deca de la limite de la zone de 100 brasses, dans le courant froid; la premiére a donné une profondeur de 190 brasses avec température de 9°,3, et la seconde 445 brasses et — 1°. Satisfaits de notre travail dans la région froide, et le jour suivant étant celui du repos, nous naviguons tranquille— ment vers l’ouest pendant environ 100 milles, dépassant la pointe de Lews et l’entrée du détroit jusqu'à la station 87 (latit. N. 59° 35’, longit. O. 2° 11’). Ce point est à peu près sur la ligne centrale de la plus grande profondeur du détroit, et conséquemment dans l’axe même du courant froid, la où toutes les particularités de la région froide doi- vent être le plus marquées. Un sondage nous donne une pro- fondeur de 767 brasses et une température de fond de 5°,2 C. Nous sommes done dans la région chaude, et l’eau glacée, distante de 50 à 60 milles, se trouve complétement encaissée par les élévations du sol. La température du fond correspond si parfai- tement ici à celle de la mème profondeur dans le détroit de Rockall, qu'il est évident qu'il s'échappe à peine une goutte du courant arctique dans cette direction. Ici la drague ramène près d’une demi-tonne de limon à Globigérines de l’Atlantique, travail qui mit à une rude épreuve l’appareil lui-même et la petite machine à vapeur chargée de le remonter. Le poids de la drague, ajouté à celui du fardeau, était de 400 kilogrammes; le tout se rapprochait bien d’une tonne, et la distance à lui faire parcourir pour le ramener à la surface était de près d’un mille. Ainsi que cela arrive fréquemment quand ces grandes masses remontent, il y a peu de formes animales supérieures dans la drague. Les houppes rapportent pourtant deux ou trois 128 LES ABIMES DE LA MER. spécimens d’une très-belle Astérie, dont le type appartient à un genre nouveau. Le Zoroaster fulgens (fig. 26), Astérie à cing branches, mesure 250 millimètres de l’extrémité de l’une à l’extrémité de Vautre. Les bras se prolongent tout près du centre, ne laissant qu'un disque de 20 millimètres de diamètre. Les Fic. 26. — Zoroaster fulgens, WyYviLLE THowsox. Le tiers de la grandeur naturelle. (Ne 78.) sillons ambulacraires sont garnis de quatre rangées de pieds ambulacraires, ce qui place le genre de l’animal dans la pre- mière division des Astéries avec I Asteracanthion. Les bras sont comprimés latéralement et portent une saillie centrale longitudinale, garnie d’une rangée de grandes épines aiguës, qui tiennent par des articulations à des vésicules en forme de boutons. De cette saillie partent des tubercules qui descendent en ligne courbe jusqu’au bord du sillon ambulacraire, si serrés, si épais et si durs, que les bras en sont recouverts comme d’une solide armure. Le disque est pavé de larges plaques calcaires avec épines articulées ; épines et tubercules vont s’agrandissant CROISIÈRES DU PORCUPINE. 129 vers le centre du disque. Toute la surface du corps est garnie de longs et fins spicules, entremélés de pédicellaires portés sur des tiges molles et courtes, assujetties à la pointe de spicules spéciaux. Une rangée d’appendices, portant de grosses touffes de pédicellaires, accompagne les bords des sillons ambula- craires. Quand l'animal est vivant, toute la surface de son corps est enduite d’une matière glaireuse. Le périsome est d'un ma— gnifique rouge orangé; mais cette couleur est très-fugace et disparait immédiatement dans l'alcool. Cette forme est très- caractérisée et très-remarquable; nous ne l’avons rencontrée qu'une fois seulement. A première vue, le squelette de cette Astérie a beaucoup de rapports avec celui de certaines espèces d Ophidiaster, surtout avee l'Ophidiaster asperulus (Lütken) ; elle se distingue cependant par la quadruple rangée de pieds ambulacraires, et la conformation de la peau, qui est totalement différente. Par l’arrangement des ossicules de sa charpente, elle se rapproche peut-être davantage de VArthraster Dixont (Forbes) provenant des craies inférieures de la carrière de Balcombe, près d’Amberley (Sussex). Malheureusement on ne peut, sur le seul spécimen de cette espèce qui existe au British Museum, distinguer l’arrangement des plaques dans le sillon ambulacraire. Notre provision de charbon tirait à sa fin; ce qui nous en restait s'évanouissait rapidement en fumée et nous permettait de tenir tète à un vent contraire passablement violent; nous jugeons prudent de revenir lentement sur nos pas jusqu’à Stornoway, en continuant à draguer pendant le trajet. Nous commençons, dans l’après-midi, par 59° 26’ de latitude N. et 8° 23’ de lon— gitude O.,-avec 705 brasses de profondeur et une tempéra- ture de »°,9 C. Continuant notre course vers l’est pendant la nuit en inclinant légèrement vers le nord, de manière à arriver _à l'endroit où nous avions déjà ramené les singulières Éponges à ancres, nous draguons dès le matin par 59° 38’ de latitude N. et 7° 46° de longitude O., avec 445 brasses de profondeur et une température de 7°,5 C. Ce draguage n’est pas très-pro— 9 130 LES ABIMES DE LA MER. ductif, mais il nous procure pourtant un spécimen fort intéres— sant et d’une beauté extraordinaire. A mesure que la drague remonte, nous apercevons dans Je sac un gros Oursin écarlate, que nous pensions devoir être une forme éclatante et de gros— seur inusitée de VEchinus Fleemingui. Comme le vent était assez violent et qu'il n’était pas facile de faire renverser la drague pour la vider de son contenu, nous prenons notre parti MB Ne \ \ CU) EX, i | AK \ Te a {| Al € (Y < co NC il r | | Se ey “ ANS VA ÈS SNE NEN SM Akt Z \ S\N AN SN 4 1 SNA Gr, L ij NS AS NI bs Sonsets — AN ô il - ’ . . - SRE 4 * 7 2 Fig. 27. — Calveria hystrix, WXVILLE THomson, Les deux tiers de la grandeur naturelle. (Ne 86.) de ce qui nous parait être une nécessité inévitable, et nous nous attendons à retirer l’animal en mille pièces. Nous le voyons avee étonnement rouler hors du sac sans le moindre dommage ; notre surprise ne fait que s accroitre et se mélange, au moins en ce qui me concerne, d’une certaine émotion, en voyant l’annnal s’ar- réter, prendre la forme d’un sphéroïde rougeatre, et se mettre à palpiter. Ces mouvements sont au moins inusités parmi ces es— pèces ordinairement impassibles. Il est la pourtant, avec tous les caractères de l’Oursin de mer, les espaces interambulacraires et ambulacraires garnis de leurs rangées de pieds tubulaires, ses spicules, ses cinq dents aiguës et bleuätres, et les ondula- : CROISIERES DU PORCUPINE. 131 tions les plus singuliéres soulévent son test, aussi flexible que le cuir le plus souple. Je dus faire appel à tout mon sang-froid avant de me décider à prendre dans la main ce petit monstre ensorcelé, en me félicitant cependant du plus intéressant des accroissements qui depuis longtemps eussent été accordés à ma famille de prédilection. Je donne au genre et à l’espéce les noms de notre excellent commandant et de son charmant petit vaisseau; je le nomme Calveria hystriz, comme souvenir de reconnaissance pour les moments agréables que nous avons passés ensemble. Cet Oursin Fig. 28. — Calveria hystrix, WYVILLE THousON. Surface intérieure du test montrant la disposition des aires ambulacraires et interambulacraires, est de forme circulaire et déprimée; il a un peu plus de 120 mil- limètres de diamètre et environ 25 millimètres d’épaisseur (fig. 28). Les espaces interambulacraires et ambulacraires sont larges; le péristome et le périprocte extraordinairement déve- loppés. Le premier est recouvert de plaques calcaires sembla- bles à des écailles, perforées jusqu'au bord de la bouche pour livrer passage aux pieds ambulacraires, comme chez le Cidaris. Le dernier a un gros tubercule madréporique et cing grandes ouvertures, au centre desquelles s'ouvrent les larges conduits des ovaires. La pyramide formée par les machoires, appelée lanterne d Aristote, est large, forte, et conformée sur le plan de 132 LES ABIMES DE LA MER. ® celle des Diadematide; les dents sont grandes et simplement cannelées. La structure par laquelle le Calveria s'écarte cepen— dant de tous les Oursins actuels connus jusqu'à ce jour consiste dans la disposition des plaques ambulacraires et interambu- lacraires, qui, au lieu de se rencontrer bord a bord et de se rejoindre pour former un seul test continu et dur, comme dans la plupart des autres Échinides, se dépassent et se recouvrent les unes les autres : les plaques de l’espace interambulacraire du pôle apical vers la bouche, celles de l’espace ambula- craire de la bouche au disque apical (fig. 28). Chez le Calveria, les parties extérieures des plaques interambulacraires laissent entre elles des espaces qui sont garnis d'une membrane; les extrémités intérieures des plaques forment de grandes expan- sions qui se recouvrent largement. Les paires de pores ambu- lacraires sont très-singulièrement disposées ; elles sont placées par ares composés de {rois paires, mais deux des paires de chaque are perforent les petites plaques accessoires spéciales, tandis que la troisième paire pénètre la plaque ambulacraire près de son sommet. Les extrémités extéricures des plaques interambulacraires croisent les pointes extérieures des plaques ambulacraires, de sorte que les espaces ambulacraires sont constamment en dedans des interambulacraires. Les plaques interambulacraires portent tout près de leur extrémité exté- ricure, où elles croisent les plaques ambulacraires, un gros tubereule primitif; deux rangées irrégulières de tubercules primitifs soutenant de longs spicules sont placées dans le milieu de l’espace ambulacraire ; la surface libre des plaques est parsemée de. très-épais tubercules secondaires et de grains miliaires. Les spicules sont minces, creux, et portent en saillie des processus qui forment d’imparfaites spirales rappelant les petites épines des Diadematide. La couleur du test est un beau cramoisi avec reflets violets. Elle est très-persistante, car l'unique spécimen complet qui ait été obtenu, conservé dans l'alcool, n'a jusqu'ici rien perdu de son éclat. Pendant l'été de 1870, eu draguant sur les côtes du Portugal, CROISIÈRES DU PORCUPINE. 133 M. Gwyn Jeffreys ramena deux individus à peu près complets et plusieurs fragments d’une autre espèce du genre Calveria ; l'étude soigneuse qui depuis lors a été faite de ces fragments et de ces débris a démontré que cette seconde espèce, le Calveria fenestrata, se trouve également dans les grandes profondeurs des côtes de l'Écosse et de l'Irlande. Les plaques interambu- lacraires en sont plus étroites, les espaces garnis de membranes qui les séparent sont plus grands, et les larges expansions d’entrecroisement de la ligne centrale sont aussi beaucoup plus considérables. Les spicules ont la méme forme et sont disposés de la même ma- nière; cependant parallèlement à la ran- gée extérieure qui règne sur chaque es- pace interambulacraire, 1l existe une série de quatre ou cinq pédicellaires d’un type tout à fait à part. La tête du pédicellaire portée sur une longue tige se compose de quatre valves (fig. 29). La partie ter- minale est fenétrée, contenue dans un élégant encadrement crénelé, et penchée d’une façon qui rappelle le Campylo- discus. Ces disques s'élèvent sur de légers pédicelles creux, qui s’élargissent dans la partie inférieure à leur point d'attache avec la tige commune. Une masse de Fic.29.— Calverix fenestratu, : WYVILLE THOMSON. Pédicel- muscles enveloppe la base du groupe des faire à quatre valves. pédicelles, et, sans aucun doute, règle les mouvements des valves les unes par rapport aux autres. Il est difficile de se rendre compte des différences de position que peuvent occuper les valves, quand l'instrument, quel que soit l'usage auquel il est destiné, est fermé. Après avoir marché 10 milles vers le sud-est, nous descen— dons la drague, abondamment pourvue de houppes de chanvre et de tous les accessoires propres à saisir les habitants des 134 LES ABIMES DE LA MER. abimes; la place est la méme, ainsi que notre commandant nous l’assure, que celle d’où nous avons ramené les Hollenia, au début de notre croisiére. Nous y arrivons dans la soirée, et, suivant une méthode qui nous avait réussi déjà une ou deux fois, nous laissons la drague au fond toute la nuit dériver avec le navire. Nous la retirons le lendemain seulement, de grand matin. Je ne pense pas que dragueur humain ait jamais fait pareille péche! Les habitants spéciaux de cette région, Éponges siliceuses et Échinodermes, avaient si bien agréé les houppes, qu'ils s’y étaient attachés et introduits dessus, dessous et dedans, de façon à former une masse que nous etimes grand’peine à re- tirer à bord. Des douzaines de grands Holtenia semblables a « Des têtes vieillies et ridées, « Avec barbe et cheveux blanchis, » dont quelques-uns des plus beaux se détachent juste à ce mo- ment critique où le poids de toutes choses double en sortant de l’eau, et retombent dans leur élément natal, à notre inex- primable chagrin; de brillantes touffes de spicules de l’A/yalo- nema; une myriade du charmant petit 7isiphonia, semblable à un champignon; une fulgurante constellation de l’Astropecten tenuispinus écarlate, pendant qu'une houppe tout entière était rougie des membres disjoints d’un splendide Brisinga. Il ne se trouve rien de bien nouveau dans le sac. Quel- ques grands Munida, avec leurs yeux sphériques ; quelques beaux Kophobelemnon Mulleri; un exemplaire de l’Euryalide Asteronyxz Loveni, à peu près le seul Échinoderme scan- dinave que nous n’eussions pas encore pris, et un spécimen endommagé d’un Oursin flexible qu'au premier abord nous sup- posions appartenir à la même espèce que notre trouvaille de la veille, bien que sa couleur, d’un gris uni, fut bien différente. L'examen nous prouva qu'il est le type d’un groupe générique totalement différent de la même famille. Le Phormosoma placenta ressemble au Calveria en ce qu'il a le périsome flexible, et les plaques entrecroisées de la même CROISIÈRES DU PORCUPINE. 135 manière et dans le même sens; mais ces plaques ne s’imbriquent que faiblement, et ne sont pas séparées par des espaces mem— braneux, de sorte qu'elles forment un test continu. Le caractère qui distingue cette espèce, c'est que sa surface supérieure est tout-a fait différente de Vinférieure. En haut, les espaces am— bulacraires et interambulacraires sont bien distinets, et, dans les proportions ordinaires, l’espace interambulacraire du double plus grand que Pambulacraire; les spicules ressemblent beau- coup à ceux du Calveria, et sont disposés à peu près de la même manière. A la périphérie, le test forme une sorte de bourrelet, et change entièrement de conformation; du bord jusqu’à la bouche, la différence entre les espaces ambulacraires et interam- bulacraires n'existe plus, et les sutures des plaques sont à peine visibles; l’area est réduite à de simples lignes de doubles pores; toute la surface du test est semée régulièrement de larges zones de tubercules primitifs portant des spicules petits, fra— giles, et apparemment hors de toute proportion avee la masse de muscles qui s’y rapportent et qui remplissent les aréoles. Comme chez le Calveria, les tubercules sont perforés. Nous avons fait la connaissance de trois familles d’Oursins, qui, tout en différant de la manière la plus marquée de tous les autres groupes vivants connus, ont cependant certains rapports avec quelques-uns d’entre eux, et trouvent tout naturellement leur place dans la classification générale. Ce sont des Échinides complets; ils ont le nombre voulu et l’arrangement normal des parties essentielles. Par la continuité des lignes de pores ambu- lacraires sur la membrane écailleuse, du péristome à la bouche, ils ressemblent aux Cidaride; ils se rapprochent des Diade- matide par leurs spicules creux, par la forme de leurs petits pédicellaires et par la structure générale des machoires. Ils s’éloignent de ces deux familles autant qu'il est possible de le faire sans cesser d’appartenir au même sous-ordre, par la disposition imbriquée des plaques et par la structure des zones interambulacraires. Il y a quelques années, M. Wickham Flower, de Park Hill, 136 LES ABIMES DE LA MER. Croydon, acquit un très-curieux fossile, trouvé dans les craies supérieures de Higham, près de Rochester. Il se composait de plusieurs séries de plaques imbriquées, rayonnant autour d’un centre, et tandis que certaines séries de ces plaques étaient percées des doubles pores caractéristiques, ceux-ci étaient absents des séries intermédiaires. Quelques caractères de ce fossile, en particulier la disposition imbriquée des plaques, qui indiquaient une sphère d'au moins quatre pouces de diamètre, étaient une sérieuse difficulté pour sa classification. Édouard Forbes l’examina sans vouloir hasarder une opinion. L’impression générale était qu'on avait là le péristome écailleux de quelque gros Oursin, probablement le Cyphosoma, dont le genre abonde dans les mêmes couches. Quelques années après la découverte du premier spécimen, un second fut obtenu par le Rév. Norman Glass, de Charlton, Kent. Au premier abord, le spécimen parut devoir résoudre le problème, car au centre se développait la lanterne d’ Aristote. C'était done là le péristome de l’Oursin dont le spécimen de M. Flower était le périprocte. Feu le D'S. P. Woodward examina les deux échantillons, et reconnut que la question n’était pas si facile à résoudre. Il découvrit la singulière inversion de l’imbrication des plaques des espaces ambulacraires et interambulacraires, qui a été décrite à propos du Calveria; il put retrouver quelque trace des plaques sur le côté du spécimen, et remarqua qu'elles étaient disposées en sens inverse sur la face opposée. Il étudia la chose avec persévérance et intelligence, et arriva à conelure qu'il avait affaire au représentant d’une famille disparue d'Échinides complets. Woodward nomme son genre nouveau Æchnothuria, et décrit l’espèce de la craie, l'Echinothuria floris, presque aussi complétement et exactement que nous pourrions le faire main— tenant que nous connaissons sa parenté, car | Echinothuria a des rapports très-directs avec le Calveria et le Phormosoma. Ils ont de commun les organes essentiels de la famille. Les plaques imbriquées ont les mêmes directions et la même dispo- 4 CROISIÈRES DU PORCUPINE. | 137 sition, et la structure de l’espace ambulacraire, si spéciale et si caractéristique, est la même. L’ E'chinothuria diffère du Calveria en ce que les plaques interambulacraires et ambulacraires sont plus grandes, moins imbriquées, et qu'il n’y a pas de sépara- tions membraneuses; il diffère du Phormosoma en ce que la structure et l’ornementation des surfaces supérieure et infé- rieure du test sont les mêmes. Le genre Echinothuria ayant été le premier décrit, il m’a paru naturel de nommer la famille les £chinothuride, et je le fais d'autant plus volontiers, que c'est l'adoption d'un terme employé par mon ami feu le D' Woodward, dont la mort pré- maturée est une perte sérieuse pour la science. Dans le mémoire du D' Woodward, on lit le curieux paragraphe suivant : « Après cette explication, concluante selon toute apparence, il est convenable de donner un nom à ce fossile, d'essayer d’en faire une description succincte, quoique sa classe et ses affinités soient encore matière à conjectures. Pour le moment, il est un de ces organismes anormaux que Milne Edwards compare à des étoiles solitaires qui ne font partie d’aucune constellation. Les disciples de von Baer peuvent le considérer comme «une forme généralisée » des Échinodermes, arrivée un peu tard cependant dans l’époque géologique. Sa description devra être agréable à ceux qui triomphent de « l’imperfection des annales de la géo- logie», car elle parait indiquer l’existence antérieure d’une famille ou tribu dont l'histoire est destinée à demeurer pour jamais incomplète. » Les conséquences particulières de la découverte de ce groupe et des diverses formes animales alliées aux fossiles de la craie, qui vivent dans la vase crayeuse du lit de l'Atlantique, seront développées dans un des chapitres suivants. Pendant que nous sommes occupés à examiner le merveilleux draguage, notre petit Porcupine poursuit tranquillement sa route vers le sud, dépasse Vile de Rona et le cap Wrath, tourné vers le nord, et au pied duquel les vagues bleues et glacées apportent leurs volutes paisibles, mais qui doivent y étre sou- 138 LES ABIMES DE LA MER. vent terribles; puis c’est la pointe de Lews, toujours bienvenue, et enfin le port de Stornoway. Nous y demeurons quelques jours, heureux, malgré les circonstances toutes favorables de notre croisière, d’échanger la vie un peu monotone d’une canonnière contre la cordiale hospitalité du chateau de Stornoway. La faune de la région chaude est soumise à des conditions tout à fait spéciales et particulières que nous examinerons un peu plus tard. Tandis que la région froide occupe un espace très-borné, la région chaude s'étend sans interruption depuis les Farôer jusqu'au détroit de Gibraltar : du moins les mémes conditions se rencontrent sur cet espace; mais, ainsi que cela sera expliqué plus loin avec détail, les 600 ou 700 brasses : d’eau, à l'entrée du détroit des Faréer, correspondent à la même épaisseur, à la surface du détroit de Rockall ou dans le bassin de Atlantique. Les premières 700 ou 800 brasses, dans tous les cas, sont absolument chaudes: mais quand la profon- deur dépasse de beaucoup 800 brasses, on arrive à une masse d’eau froide dont la température s’abaisse lentement jusqu’au point de congélation. Le fond, qui est habité par la faune, n’est done chaud que lorsque la profondeur ne dépasse pas 800 brasses ; ce nest que dans ces conditions-la que le terme d'espace chaud est applicable. Telles sont les conditions, à la hauteur des Faréer, qui rendent le contraste entre la région froide et la région chaude si tranché. Malgré ces restrictions, la région chaude, autant qu'il nous a été possible de l’étudier et de la connaitre, s'étend indéfiniment dans la direction du midi, occupant ap— proximativement le long des côtes la zone de 300 à 800 brasses. Partout, dans les grandes profondeurs, les conditions de climat se rapprochent de celles de la région froide ; mais les caractères d’une faune, c'est-à-dire d’un assemblage d'animaux sur un même point, ne dépend pas seulement de la température : il dépend encore des lois qui président à la distribution des êtres vivants dans les mers profondes, sujet sur lequel nous n’avons encore que des données bien incertaines. Le fond de la région froide, dans le détroit des Faréer, est CROISIÈRES DU PORCUPINE. 139 un gravier grossier. Celui de la région chaude est presque par— tout composé de limon à Globigérines à peu près homogène; cette circonstance seule suffirait pour marquer une différence dans les habitudes et le mode d'existence des animaux. En ce qui concerne les Foraminifères, dans la région chaude, la drague est toujours revenue chargée de Globigérines, d'Orbu- lines, et d’une vase fine et calcaire qui provient de leurs débris. La se trouvent des multitudes d’autres formes, dont la plupart sont de grande dimension. Je cite le D' Carpenter, qui dit, en parlant du terrain sur lequel se trouvent les Holtenia: « Les Foraminifères récoltés dans cette région et dans les parties environnantes de la région chaude présentent bien des traits intéressants. Ainsi que cela a déjà été dit, plusieurs des formes arénacées (dont quelques-unes nouvelles) étaient fort abon- dantes; ajoutées à celles-ci, nous avons ramené beaucoup de Miliolines de types variés, dont plusieurs de dimensions rares et même inconnues jusqu'ici. Comme l’année dernière, nous avons rencontré des Cornuspira, rappelant dans leurs traits généraux les grands Operculina des mers tropicales ; des Biloculina et des Triloculina, dont la grosseur dépasse de beaucoup les formes du littoral britannique; avec ceux-ci des Cristellaria de dimen- sions non moins remarquables, offrant tous les passages, depuis la forme presque rectiligne jusqu’à la nautiloide, et en si par— fait état, que leurs corps peuvent être dégagés parfaitement entiers de leurs coquilles, en faisant dissoudre celles-ci dans un acide étendu. Les Eponges sont fort abondantes, mais restreintes à un petit nombre d'espèces; toutes affectent l’une ou l’autre des curieuses formes d’Eponges à ancres. Parmi les Hexactinellide, l’Holtenia est la forme la plus remarquable et la plus abondante. L’Hyalonema est commun aussi, mais nous n’en avons obtenu qu'un petit nombre de spécimens complets, ayant le corps et la corde siliceuse réunis. Les têtes coniques d’Eponges étaient fort nombreuses, et paraissaient avoir été détachées par les bords de la drague, la corde siliceuse demeurant dans la vase, 140 LES ABIMES DE LA MER. ou bien les cordes remontaient sans Éponges. Les cordes étaient presque toujours incrustées par le fidèle commensal de V Hya/o- nema, le Palythoa fatua. Ve tres—jeunes exemplaires de l Hya- lonema, dont la touffe ne mesurait pas plus de 5 à 20 millimètres de longueur, n’abritaient ordinairement pas de Pa/ythoa; mais dès qu'ils dépassaient ces dimensions, on pouvait toujours voir le premier polype du Palythoa apparaitre comme un bouton peu volumineux, entouré de son cœnosarcome rose et adhérent. L’Eponge qui est de beaucoup la plus commune dans le limon crayeux est la jolie petite forme hémisphérique et cortiquée appelée Tisiphonia agariciformis. Cette espèce parait être la proche alliée d'une Eponge grosse, lourde et incrustante, que nous avons fréquemment trouvée attachée aux roches, dans la région froide; et bien qu'elle en diffère beaucoup par lexté- rieur et par les habitudes, la forme des spicules a beaucoup d’analogie ; leur disposition est la même, et il semble que si l’on pouvait ramener les deux formes à des dimensions moyennes, elles se rapprocheraient beaucoup. Dans la région chaude, comme dans la froide, à ces grandes profondeurs, il y a absence complète d’Hydrozoaires. Quelques espèces de Sertularia et de Plumularia, avec une ou deux formes voisines, ont été capturées ; elles se trouvent en ce moment dans les mains habiles du D" Allman, chargé de les classer; leur petit nombre et leur insignifiance sont remarquables. Les vrais Coraux ne sont pas non plus représentés par de nombreuses espèces, quoique dans certaines localités il y ait une extrème abondance d'individus. Pendant les croisières du Por- cupine, en 1869, douze espèces de Madrépores ont été rame- nées et ont été étudiées par M. le professeur Martin Duncan. Aucune d'elles n'appartient au groupe des « constructeurs de récifs» ; mais quelques-unes seulement rentrent dans les familles des Coraux des grandes profondeurs, qui paraissent avoir de nombreux représentants pendant toutes Les périodes géologiques récentes. Dans la zone de profondeur moyenne qui s'étend ver- ticalement depuis l'horizon de 100 brasses, nous avons trouvé, CROISIÈRES DU PORCUPINE. Lit en certains endroits et en grande abondance, plusieurs variétés de Caryophyllia borealis (Fleeming) (fig. 4); et à la profon- deur de 300 à 600 brasses, le beau Lophohela prolifera (Pallas) à branches (fig. 30) tapisse le fond de ses bosquets pétrifiés sur une étendue d'un grand nombre de milles, et fournit un ric. 50, — Lophohelia prolifera, PALLAS, Trois quarts de la grandeur naturelle. (N° 26.) abri fort apprécié à des multitudes d’Arca nodulosa, de Psolus squamalus, d'Ophiopholis aculeata, et autres « indolents com- mensaux ». Cinq espèces d’ Amphihela provenant de l’expédition du Por: cupine sont citées par M. le professeur Martin Duncan : l’ Am-— plahelia profunda (Pourtalès), l'Araphihelia oculata (L. sp.), VAmphihelia miocenica (Seguenza), Amph. atlantica(nov. sp.), et VAmphihela ornata (nov. sp.). A une ou deux reprises, par- 142 LES ABIMES DE LA MER. ticulièrement près des confins de la région froide, les houppes ont accroché d’élégants fragments du Corail pierreux, Allopora oculina (Ehrenberg) (fig. 31). Bien que plusieurs des Echinodermes de la région froide se trouvent aussi dans la chaude, l'aspect général de cette faune ME Allopora oculina, EHRENBERG, est différent ; il y existe beaucoup plus de formes, et, parmi celles—ci, il en est de très-remarquables. Le Cidaris papillata (Leske) abonde dans les profondeurs moyennes. Lors de notre seconde visite à la région des Holtenia, nous avons dragué un petit spécimen du joli Oursin Porocidaris purpurata, qui a été déjà décrit. Un superbe Oursin aux cou- leurs brillantes, appartenant au groupe des £chinus Fleemingi, mais quis en distingue par des earactères vraiment spécifiques, VEchinus microstoma (Wyville Thomson), est commun et de CROISIÈRES DU PORCUPINE. 143 grande taille; avec lui, beaucoup d'exemplaires brillamment coloriés de la plus petite des formes de PEchinus norvegicus. Les trois espèces d'Échinothurides, Calveria hystrix, Cal- veria fenestrata et Phormosoma placenta, Wont été trouvées jusqu'ici que dans cette région seulement; leur zone de disper— sion parait être vaste et s'étendre dans les mêmes profondeurs et à la même température, depuis les îles Farôer jusqu’au sud de l'Espagne. J’ai appris, par M. le professeur Agassiz, que le comte de Pourtalès a dragué des fragments d’une des espèces avec des circonstances à peu près identiques dans le détroit de la Floride. Les Cribrella sanguinolenta se comptaient par milliers, de toutes les couleurs : écarlate, orange vif et brun-chocolat. Il a été trouvé plusieurs exemplaires d’un beau Seytaster, qui est probable ment le mème que lAsferias canariensis de d'Orbigny: sil en est ainsi, sa distribution est méridionale. Une forme animale qu'on prendrait facilement pour le jeune de quelque autre espèce, le curieux petit Pedicellaster typicus de Sars, n’était pas rare. La région des Holtenia a donné un petit spécimen du Péeraster militaris; mais sauf l'exception de l’As/ropecten fenuispinus, qui paraissait être plus abondant que jamais, les Échinodermes arctiques caractéristiques faisaient défaut. Nous n'avons pris ici aucun exemplaire de Zoropneustes droba- chiensis, Tripylus fragilis, Archaster Andromeda, Ctenodiscus crispatus, Astropecten arcticus, Euryale Linkii, Ophioscoler glacialis, ou Antedon Eschrichtiu. W est probable qu'il existe, dans la région chaude, des colonies d’une ou de plusieurs de ces espèces, car la zone où elles abondent, dans ces condi- tions de climat bien différentes, n’est éloignée que de quelques milles, et n’est séparée par aucun obstacle; quoi qu'il en soit, elles n’abondent pas dans cette localité. L’Amphiura abyssi- cola (Sars) était en nombre, attaché aux Éponges, et l’Ophia- cantha spinulosa était presque aussi commun que dans la région froide. Nous avons ramené un ou deux petits exemplaires d'un très- bel Ophiuride dont on avait déjà trouvé des spécimens plus 141 LES ABIMES DE LA MER. orands à la mème profondeur, à la même température pendant la seconde croisière de la saison. à la hauteur des côtes de l'Irlande. Cette forme appartient trés-probablement à l’'Ophio- musium de Lyman, quoique les caractères du genre doivent Fig. 32. — Ophiomusium Lymani, WYVILLE THOMSON, face dorsale. Grandeur naturelie, (Ne 45.) être quelque peu modifiés. L’Ophiomusium eburnewn (Lyman), dont plusieurs spécimens ont été ramenés par le comte de Pour- talès de 270 à 335 brasses de profondeur, à la hauteur de Sandy Key, se distingue par la grande solidité et la complète calcification du périsome. Les plaques du disque sont soudées ensemble, de manière à former une mosaïque serrée. Les papilles de la bouche sont fondues, et forment deux lignes: leur nombre CROISIÈRES DU PORCUPINE. 145 west indiqué que par des sillons. Les plaques latérales des bras sont réunies en dessus et en dessous; les plaques supérienres et inférieures sont réduites à un état rudimentaire, et il n existe plus de tentacules au delà de la première articulation des membres. Dans notre nouvelle espèce, que je nommerai provisoirement Ophiomusium Lyman, le diamètre du disque est de 28 milli- Fie. 33. — Oplaomusuon Lyman, WYNILLE Thomson, face dorsale. mètres, et la longueur de chaque bras de 100 millim. pour les grands spécimens. Les deux plaques latérales des bras, soudées ensemble, forment des anneaux complets, et leur bord est en- taillé de façon à recevoir sept épines, dont celle qui est placée à la partie inférieure est de beaucoup la plus longue. Les plaques dorsales des bras sont petites, de forme carrée, et nsérées entre les plaques latérales, à l'extrémité de leur ligne de Jonction. Les plaques abdominales des membres manquent entière- ment, C’est une grande et belle Astérie. Je ne connais aucune 10 146 LES ABIMES DE LA MER. forme fossile qu'on puisse classer dans le même genre, mais on pourrait lui trouver des congénères dans la craie supérieure. Les Holothurides ne se sont pas montrés communs, mais le sin— gulier petit £chinocucumis typica de Sars, couvert de plaques épineuses, remontait à chaque draguage. Les Crustacés sont nombreux, mais nous ne retrouvons plus les gigantesques Amphipodes et Isopodes de la région froide. Va A À EG 34. — Dorynchus Thomsoni, Norman, Une fois et demie la grandeur naturelle, Se trouve dans toutes les eaux profondes. La jolie petite forme aux yeux pédonculés, le Dorynchus Thom- soni (Norman) (fig. 34), petite, fréele, et distincte de toutes les espèces déjà décrites du genre, est très-largement distribuée. Les longues jambes minces de ce Crabe et la légèreté de son corps ont été la cause qu'il s’est souvent embarrassé dans la partie de la corde qui touchait le fond. Une autre nouvelle et belle espèce, l'Amathia Carpenteri (Norman) (fig. 35), est commune dans le limon crayeux et sablonneux du terrain des Holtenia. Ce genre était déjà connu comme forme médi- terranéenne. 3 | Je cite maintenant l'extrait d’une notice préliminaire du Rév. A. Merle Norman, sur les Crustacés : «L’Ethusa granulata (sp. n.) appartient a l’espèce trouvée à la hauteur de Valentia, mais présente dans sa conformation une modification des plus extraordinaires. Les exemplaires CROISIÈRES DU PORCUPINE. li trouvés, de 110 à 370 brasses, dans les parages plus méridio— naux, ont la carapace armée, dans sa partie antérieure, d’un rostre aigu d’une longueur considérable. L'animal parait être aveugle, mais il a deux remarquables tiges oculaires, lisses Fig. 35, — Amathia Carpenteri, Norman. Une fois et demie la grandeur naturelle. (No 47.) et arrondies a l'extrémité où l’œil est ordinairement placé. Cependant, chez les spécimens venus du nord, habitant une profondeur de 542 à 705 brasses, les pédoncules oculaires ne sont plus mobiles; ils se sont complétement fixés dans leurs alvéoles, et leur caractère est changé. Leurs dimensions sont de beaucoup plus grandes; ils sont plus rapprochés à leur base, et au lieu d’être arrondies, leurs extrémités se terminent par un rostre très-solide. Ne servant plus pour les yeux, elles fonctionnent comme rostres, et le véritable rostre, si saillant dans les spécimens venus du midi, a (chose merveilleuse) dis- paru. Si nous wavions trouvé qu'un seul exemplaire de cette forme, nous aurions pensé sans hésitation que nous étions 14s LES ABIMES DE LA MER. tombés sur une monstruosité; cette hypothèse ne saurait être invoquée pour expliquer cette modification dans la transfor- mation amenée par le changement dans les conditions de la vie. Trois individus ont été trouvés à trois reprises différentes, et ils sont, à tous égards, parfaitement identiques. » Les Mollusques sont infiniment plus abondants et plus variés dans la région chaude que dans la froide. M. Gwyn Jeffreys remarque cependant qu'il n’y a pas une différence aussi mar- quée entre les Mollusques des deux régions qu'on eût pu s'y attendre, à cause de la différence des conditions; la plupart des espèces sont communes. A 500 brasses, les Éponges sont couvertes de Peclen vitreus (Chemnitz) et de Columbella Halicæti (Jeffreys). La région entière produit des Mollusques de plusieurs genres, tels que Lima, Dacridium, Nucula, Leda, Montacuta, Axinus, Astarte, Tellina, Newra, Dentalium, Ca- dulus, Siphonodentalium, Rissoa, Aclis, Odostomia, Aporrhais, Pleurotoma, Fusus et Buccinum. Prise dans son ensemble, la faune de la région chaude du nord de l'Écosse paraît n'être que l'extension d’une faune que nous ne connatssons encore qu'imparfaitement, et qui occupe ce qu'il nous faut maintenant appeler les profondeurs moyennes, c’est-à-dire la zone de 300 à 800 brasses, le long de côtes bai- gnées par des courants équatoriaux. Cette faune est évidem— ment très-riche, malheureusement elle n’est pas accessible aux draguages ordinaires faits sur des bateaux plats; mais comme elle n'atteint pas à une profondeur qui puisse opposer de très- grandes difficultés à un yacht de grandeur moyenne, comme son étude offre précisément l'attrait de la nouveauté et de l'imprévu propre à stimuler le zèle des amateurs, nous espé- rons que sa distribution et ses conditions seront bientôt étu- diées. M. Marshall Hall vient de faire dans cette voie un pas des mieux réussis : avee son yacht Vorna, et aidé de M. Saville Kent, il a, par ses draguages sur les côtes du Portugal, ajouté beaucoup aux lumières déjà acquises sur la zoologie de la région chaude, CROISIÈRES DU PORCUPINE. 149 Nous quittons Sternoway le 13 septembre, et dans l’après- midi, nous employons quelques heures à faire des draguages dans le Loch Torridon, avec peu de résultats. Ce n’est que tard dans la soirée, qu’en descendant le détroit de Raasay, nous pas- sons au-dessus de la forêt lumineuse de Pavonaria, dont nous avons déjà fait mention. Le 14, à midi, nous sommes à la hau— teur de Vile de Mull, et le 15 nous jetons l’anere dans le bassin d’Abercorn, à Belfast, où nous prenons congé du Porcupine, du commandant et des ofliciers, devenus pour nous de vrais amis : nous avons l'espoir de les revoir bientôt, et nous sommes com— plétement satisfaits de nos travaux de l'été. | Le 24 mars 1870, il a été donné lecture au conseil de la Société Royale d’une lettre du D' Carpenter, adressée au Prési- dent, proposant qu'une exploration du fond de la mer, sem- blable à celles qui, en 1868 et 1869, ont eu pour théâtre l’espace qui s'étend au nord et à l’ouest des Iles Britanniques, fût envoyée au sud de l’Europe, dans la Méditerranée; le conseil voulut bien recommander cette entreprise à la bienveillance de l’Amirauté, afin d'obtenir par son entremise, comme dans les occasions précédentes, la coopération du Gouvernement de Sa Majesté. La correspondance officielle qui a été échangée au sujet de l'expédition de 1870 se trouve dans l’Appendice A de ce chapitre. L'expédition de cette année devait, comme celle de la précé- dente, se diviser en croisières. Ainsi que cela avait déjà eu lieu, M. Gwyn Jeffreys se chargea de diriger la première, pendant que le D' Carpenter et moi-même étions retenus par nos travaux officiels. Un jeune naturaliste suédois, M. Josué Lindahl, de l’université de Lund, l’accompagnait en qualité de préparateur de zoologie, et M. W. L. Carpenter se chargeait des travaux de chimie. Il fut convenu que la croisière de M. Jeffreys s'étendrait de Falmouth jusqu'à Gibraltar, où le D' Carpenter et moi de- 150 LES ABIMES DE LA MER. vions le rejoindre, le remplacer, et travailler ensemble comme nous l’avions fait l’année précédente; mais des accès de fièvre me retinrent malheureusement au lit, et toute la charge de la dernière croisière dans la Méditerranée retomba sur le D°Car- penter. Par suite de ce contre-temps, je ne puis donner que de seconde main le compte rendu succinct de la première partie des travaux de 1870, nécessaire pour compléter Vapercu de ce qui a été accompli pour résoudre la question des conditions et de la faune du nord de l'Atlantique. Dans la Méditerranée, le D' Carpenter a trouvé des condi- tions de température et de distribution de la vie animale tout à fait anormales, ainsi que pouvait jusqu'à un certain point le faire présumer la position exceptionnelle de cette mer inté- rieure. Les recherches faites en 1870 n’ont fait que préparer les voies qui conduiront un jour à la solution de toute une série de problèmes spéciaux et particuliers; je ne puis, pour le moment, quindiquer les résultats généraux obtenus par mes collègues. Le Porcupine quitta Falmouth le 4 juillet; mais, pendant plu- sieurs jours, brouillards et vents contraires se réunirent pour le retenir dans le détroit. Le 7 juillet, il atteignit la pente qui des- cend du plateau du détroit aux grandes profondeurs de l’Atlan- tique. On fit un premier draguage dans 567 brasses. M. Jetfreys représente le contenu de la drague comme plus intéressant que considérable. Parmi les Mollusques, il cite : Terebratula septata, Limopsis borealis, Hela tenella, Verticordia abyssicola, Turbo filosus et Ringicula ventricosa. Le Turbo filosus, et sa variété Turbo glabratus, n'étaient connus jusque-là qu'à l’état fossile dans les tertiaires de la Calabre et de Messine. Le Terebratula septata, le Limopsis borealis et Hela tenella se trouvent fossiles aussi dans les couches pliocénes de I’Italie du sud, et vivants dans les mers scandinaves. M. Norman cite, parmi les Crustacés, de nouvelles espèces d’ Ampelisca et de six autres genres, et le bel Æchinus microstoma écarlate, comme étant l’Échinoderme le plus remarquable. "2 ' 4 r 7 : | 1 a ~ h = . ‘ a & # = £ ss > 4 | | | | | ra a, 7 | AL sap abe. it EST LPS : Pts: he jrs als + “ir ; fra; ra : ls ks at Ady , - à a piel bse a = ë ‘4, | Ce | si a a i | . LS o j = ees AR ! o ; ‘ | ; L LA ; 7 Hs | er _ | i : à L i © . ay Set rT ae a b- . ~, - | » i 1 4 = TOO PLANCHE V.—Prajot ui eS ee Ar pTERR RE! iis 2 s | BELGIQUE ET) rlésmozlh Calats ou G ace eS Îles Sel © Les] rnesey Pa N a i .Gue: M Jersey 2 mmmnmnn ne Nes ee a og uetra is 2) : | CCarvoeiro 7 wp! aes ; NH 5 Gey ar aio og PL 8 ICILE $ CROISIÈRES DU PORCUPINE. 151 Pendant le trajet du navire sur la pente du détroit, le vent fut trop faible pour que le draguage réussit, car il y avait à peine assez de dérive pour entrainer l'engin. Les houppes devinrent fort utiles pour compléter le travail en recueillant tout ce qui, à un degré quelconque, était pourvu d’épines ou de quelques autres aspérités. Le premier draguage opéré dans la journée du 8 fut à peu près nul, mais les suivants, dans le courant de la même journée, à 690 et 500 brasses, donnèrent, d'importants résultats. Outre les espèces septentrionales ordinaires, on vit apparaitre le Rhynchonella sicula (Seguenza), le Pleuronectia (sp. n.), et l'Actæon (sp. n.). M. Norman représente le n° 3 comme « un draguage des plus importants, dont le résultat au point de vue de l'étude des Crustacés est plus précieux que ceux de tous les autres draguages réunis de la première croisière. Il comprend presque toutes les plus rares des nouvelles espèces de l'expédi- tion de l’année précédente, ainsi que quatre Crustacés fort inté- ressants, dont les yeux sont pédonculés; trois sont nouveaux, et le quatrième, le Geryon tridens appartient à une beile espèce norvégienne. Avec celles-ci se trouvaient deux formes d’un caractère plus méridional, V/nachus dorsettensis et VEbalia Cranchii, que je ne m'attendais pas à trouver à pareille profon— deur. > Les Échinodermes appartenaient à des groupes très- septentrionaux. Ils comprenaient : le Cidaris papillata,V Echinus norvegicus et VE chinus microstoma, des jeunes du Brissopsis lyrifera, de VAstropecten arcticus, de V Archaster Andromeda et de l’Archaster Parelli, avec un petit spécimen de l Ophiomu- sum Lymani; plusieurs exemplaires de l Ophiacantha spinu- losa, et, comme a Vordinaire, un ou deux exemplaires de la forme répandue partout, l’£chinocucumis typica. Le D" Mac Intosh, à qui les Annélides ont été renvoyés, distingue, comme espèce supposée essentiellement septentrionale, le 7helepus coronatus (Fabr.). L’Holtenia Carpenteri, notre Eponge bien connue, était ee sur les houppes par un grand nombre d'individus de tous âges et de toutes dimensions. 152 LES ABIMES DE LA MER. { juillet. un travail bien fructueux. Draguages à 717 et 358 brasses; on Le vent est encore trop faible pour permettre ramène une certaine quantité de Mollusques ayant le caractère d'être, pour la plupart, communs à la faune récente des mers de Norvége et à la faune pliocène de la Sicile et de la Méditerranée. Ces draguages ont ramené le Terebratella spitzbergensis, forme arctique et japonaise; le Pecten vitreus et le Pecten aratus ; le Leda Pernula, le Trochus suturalis, V Odostomia nitens et le Pleurotoma hispidulum. Parmi les Échinodermes se trouvait un beau spécimen de Lrisinga endecacnemos (Absjornsen), très-différent du Brisinga coronata, forme qu'on trouve le plus communément dans le Nord. Les Coraux sont représentés par VAmphihelia oculata et le Desmophyllum crista-galh. Parmi les Annélides se trouvent le Pista cristata (O. F. Müller) et le Zrophonia glauca (Malmgren), l'un et l’autre espèces arctiques. Le 10 étant un dimanche, le navire demeura en panne. Le 11, les draguages recommencèrent, toujours sur la déelivité du plateau du détroit; le résultat fut le même qu'auparavant, et la faune conserva le même earactére. Le désir de M. Gwyn Jeffreys était d'exécuter quelques draguages dans les très-grandes profondeurs de l'entrée de la baie de Biscaye que nous avions explorées avee suecès en 1869. Il se dirigea donc vers le sud et franchit une distance considérable sans se servir de la drague, dans la crainte de rencontrer le cable qui va de Brest à l'Amérique du Nord. En arrivant dans les parages qu'il comptait explorer, il eut mal- heureusement mauvais temps, et il dut se diriger sur Vigo. Le jeudi 14 juillet, le navire doubla le cap Finisterre, et la drague fut lancée par 81 brasses, à environ 9 milles de la côte d'Es- pagne. Indépendamment d’un grand nombre de formes connues, dont quelques-unes ont une large extension vers le nord, les houppes ramenèrent deux spécimens, l’un jeune, l’autre adulte, selon toute apparence, tous deux fort endommagés, du singulier Échinide déjà cité, le Calveria fenestrata. Cette forme west évi- demment ni rare ni exclusivement bornée aux grandes profon— CROISIÈRES DU PORCUPINE. 153 deurs, et il est bien étonnant qu'elle soit demeurée si longtemps inconnue, Le 15, nouveaux sondages à 100, à 200 brasses, à environ 40 milles de Vigo, et le 16 un ou deux dans la baie mème de Vigo, à 20 brasses. Cette localité a déjà été à peu près épuisée en 1849 par M. Mac Andrew : on ne trouva guère qu’une ou deux espèces à ajouter à la liste. Le 18, départ de Vigo. Je cite M. Jeffreys : « Mercredi 20 juillet. — Nous avons dragué tout le jour avec grand succès, à des profondeurs variant entre 380 et 994 brasses (stations 14 à 16); le vent et la mer s'étaient calmés, et nous avons pu prendre avec le filet à main quelques spécimens vivants de Clio cuspidata. Les draguages à 380 et 469 brasses ont donné, entre autres Mollusques, le Leda lucida (forme nor- végienne et fossile sicilien); PAximus eumyarius (norvégien aussi); le Vewra obesa (du Spitzberg, à l’ouest de l'Irlande) ; VOdostomia (sp. n.); VOdostomia minuta (méditerranéen); et le Cerithium (sp. n.); parmi les Échinodermes, le Brisinga endecacnemos et V Asteronyx Loveni. Les résultats du draguage dans 994 brasses excitérent au plus haut point notre étonne- ment. La soirée étant fort avancée, le contenu de la drague ne put être criblé et examiné que le lendemain au jour. Nous vimes alors un merveilleux amoncellement de coquillages, morts pour la plupart, mais comprenant certaines formes qui avaient tou- jours été classées parmi les espèces exclusivement septen- trionales, d’autres que M. Jeffreys reconnut comme fossiles du tertiaire sicilien. Une proportion d'environ 40 pour 100 du nombre total des espèces ramenées n'avaient point encore été décrites; parmi ces dernières, plusieurs représentaient des genres tout nouveaux. Le tableau suivant renferme l’énumé- ration des Mollusques complets ou fragmentaires pris dans ce seul draguage : 154, LES ABIMES DE LA MER. NON DÉCRITES. total RÉCENTES. FOSSILES. DES ESPÈCES, | | NOMBRE ORDRES. | | Brachiopodes. . . 24 “~~ Gonchiteres.4....2 | = Gastéropodes. ........| Hétéropodes:.:". 2... .° | 2 3 2 | 2 Ptéropodes » Les espèces septentrionales dont nous venons de faire men- tion sont au nombre de trente-quatre, et comprennent : Da- cridium vitreum, Nucula pumila, Leda lucida, Leda frigida, Verticordia abyssicola, Newra jugosa, Niwra obesa, Tectura fulva, Fissurisepta papillosa, Torellia vestita, Pleurotoma turricula, Admete viridula, Cylichna alba, Cylichna ovata (Jeffreys, sp. n.), Bulla conulus (S. Wood, non Deshayes) (crag corallin), et le Scaphander lhbrarius. Le Leda lucida, le Newra jugosa, le Tectura fulva, le Fissurisepta papillosa, le Torellia vestita, ainsi que plusieurs autres des espèces connues, sont également fossiles en Sicile. Presque tous ces coquillages, ainsi que quelques-uns des plus petits Échino- dermes, des Coraux, et des autres organismes, avaient été évidemment transportés par les courants à l'endroit où ils ont été trouvés ; ils ont dû y former un épais dépôt, semblable à ceux dont sont composées beaucoup de couches de fossiles tertiaires. Il parait vraisemblable aussi que le sédiment a été en partie formé par l’action du reflux, car un fragment de Melampus myosotis (Pulmobranche du littoral) a été trouvé mélangé aux Pectinibranches et aux Lamellibranches des erandes profondeurs de lOcéan. Aucun de ces coquillages n'appartenait à la période miocène ni à aucune période anté- rieure. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 155 » Cette remarquable série, dont la moitié seulement environ est connue des conchyliologistes, nous donne la mesure de tout ce qu'il reste encore à faire avant de pouvoir se flatter que les annales dela zoologie maritime soient complètes. Comparons la vaste étendue du lit de l’océan Atlantique du Nord avec l’étroite zone qui, dans le voisinage des côtes, à ses deux extrémités, a été partiellement étudiée, et, en songeant à ce dernier draguage, demandons-nous si nous pouvons espérer connaitre jamais tous les habitants des mers du globe entier. Nous croyons pourtant qu'un examen approfondi des tertiaires récents faciliterait beaucoup cette étude, et cet examen est non-seulement possible, mais relativement facile. De sérieux travaux ont déjà été accomplis dans cette voie; mais, quoique les recherches des Brocchi, des Bivona, des Cantraine, des Philippi, des Calcara, des Costa, des Aradas, des Brugnone, des Seguenza, et d’autres savants paléontéologistes du sud de Italie, datent depuis plus d’un demi-siècle et n'aient jamais cessé d’être énergiquement poursuivies, bien des espèces de Mollusques y sont continuellement découvertes, sans être jamais livrées à la publicité. Outre les Mollusques de ce draguage dans 994 brasses d’eau, M. le professeur Duncan annonce qu'il a trouvé deux nouveaux genres de Coraux, plus le Æabellum distinctum, qu'il croit identique avec celui qui a été découvert au nord du Japon. Ceci coinciderait avec la découverte, sur les côtes lusitaniennes, de deux espèces japonaises d’un genre de Mollusque très-curieux, le Verticordia. Les deux se trouvent en Sicile à l’état fossile, et l’une des deux dans la roche calcaire de Suffolk. » ll s’est trouvé dans le même draguage quantité d'Éponges fort curieuses et non décrites, dont plusieurs rappellent les caractères les plus distincts d’une des sections des Ventriculées. Nous y reviendrons dans un des chapitres suivants. Le jeudi 21 juillet, le draguage continua pendant toute la Journée, à des profondeurs variant de 600 à 1095 brasses, par 39°42’ de latit. N. et 9°43’ de longit. O., avec une 156 LES ABIMES DE LA MER. température de fond, à 1095 brasses, de #°,3 C., et de 9°,# C. à 740 brasses. Le draguage fut fructueux, et ramena vivants plu- sieurs des Mollusques nouveaux'et remarquables de la dernière pêche, ainsi que plusieurs autres formes. Quelques Crustacés non encore décrits vinrent aussi s'ajouter à nos listes. Parmi les Coraux, une nouvelle espèce du genre Canocyathus, et une espèce, d’un genre inconnu, voisin des Bathycyathus. Le Bri- singa endecacnemos et quelques nouveaux Ophiurides faisaient partie des trouvailles, mais la plus belle de toutes fut sans contredit un Penfacrinus d'environ un pied de longueur dont plusieurs spécimens se trouvèrent accrochés aux houppes. Ce Lis de la mer septentrionale, auquel mon ami M. Gwyn Jeffreys a donné le nom de Pentacrinus Wyville Thomson, sera décrit un peu plus loin, avee d’autres membres non moins intéres- sants du mème groupe. Le 25, on atteignit le cap Espichel; mais le temps était si mauvais, que le capitaine Caiver dut chercher un refuge dans la baie de Setubal. M. le professeur Barboza du Bocage, de Lisbonne, avait donné à M. Gwyn Jeffreys une lettre @introduc- tion pour l'officier garde-côte de Setubal, qui savait où les pécheurs trouvent le Requin des grandes profondeurs ainsi que | Hyalonema; mais M. Gelfreys ne put en profiter à cause de l’état du temps. A la hauteur du cap Espichel, avec 740 et 718 brasses, une température de 10°,2 C., les Mollusques se sont montrés à peu près les memes qu'à la station 16; ils comprenaient en plus : le Leda pusio, le Limopsis pygmæa (fossiles siciliens) et le Ver#- cordia acuticostata. Cette dernière espèce est aussi intéressante au point de vue géologique qu'à celui de la géographie ; elle existe à l’état fossile dans les couches pliocènes de la Sicile, et elle vit dans l'archipel japonais. M. Jeffreys suppose une mi- gration à travers la mer Arctique pour expliquer comment tant d'espèces identiques sont communes aux côtes orientales du bassin de VAtlantique, à la Méditerranée, où l’on trouve plu- sieurs Brachiopodes et Crustacés japonais, et aux mers de l’Asie CROISIÈRES DU PORCUPINE. EYE septentrionale. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'avant d’ar- river à aucune conclusion sûre et positive sur ces questions, il nous faudra acquérir ici encore bien des données qui nous manquent sur l'extension, dans le temps et dans l’espace, de la faune des grandes profondeurs. Les draguages exécutés à l’en- trée du détroit de Gibraltar, dans 477, 691 et 054 brasses (stations 31, 32 et 33), avec une tempéra— ture de fond de 10°,3, 10°,1 et 10°, ramenèrent plusieurs formes re- imarquables et une très-élégante Eponge, très- voisine, sinon iden— tique au Caminus Vulcani d'Oscar Schmidt, et quelques belles formes de Corallio-spongiaires sur les- quelles nous reviendrons plus loin. La station n° 31 a donné une forme d'Éponge qui rappelle le Cladorhiza à branches de bruyère de la zone froide des Farôer. Le Chondrocladia virgata (fig. 36) est un organisme ramifié et gra- cieux qui a de 20 à 40 centi- mètres de hauteur. Une racine divisée, de consistance cartila- gineuse, composée de faisceaux WT Pr de spicules réunis et serrés en- \ semble par un ciment organique ri. 36. — Chondrocludiu virgatu, Ws- VILLE THOMSON. Demi-grandeur natu- D 0 ix 4 7? a Ps r) Det amorphe, fixe l'Eponge à un corps (Ne 93, DL V) étranger et la maintient dans une position verticale. Les mêmes organes se continuent pour former un axe qui accompagne la tige principale et les branches. L’axe se compose d’une réunion de cordons bien distincts, comme les 158 LES ABIMES DE LA MER. brins d’une corde, réunis en spirale, de façon à présenter à pre- mière vue une grande ressemblance avec la tige de ! Hyalo- nema; seulement ces cordons sont opaques et se brisent facile- ment sous la pointe d’un couteau, Au moyen du microscope, on voit qu'ils sont composés d’imperceptibles spicules, pointus comme des aiguilles et solidement assujettis ensemble. La sub- stance molle de l'Éponge s'étend sur toute la surface de l’axe et s'élève en processus allongés, arrondis et coniques, vers l'extré- mité desquels se trouve une masse ovale, vert noirâtre, d’une matière spongieuse. Le contour du cône dépasse cette masse au moyen de groupes nombreux de spicules aigus entourant une étroite ouverture osculaire. Toutes les parties de l'Éponge sont chargées de spicules à trois pointes. Le 5 août, le Porcupine fit son entrée dans la baie de Tanger, après avoir inutilement essayé de draguer dans 190 brasses, à la hauteur du cap Spartel. Dans la baie même, deux dra- guages furent exécutés à une profondeur de 35 brasses. La faune s’est montrée à peu près celle de la Grande-Bretagne, avec addition de quelques espèces méridionales. Le 6 août, M. Jeffreys se rendit à Gibraltar, remit la direc- tion au D'Carpenter, et poussa lui-même jusqu’en Sicile, en passant par Malte, dans le but d’examiner les formations ter- tiaires récentes du sud de l'Italie, et de visiter les collections des Mollusques fossiles de Catane, Messine, Palerme et Naples, afin de les comparer avec les produits de sa croisière. Le lundi 15 août, le capitaine Calver avec le D' Carpenter, accompagnés de M. Lindahl comme préparateur, gagnèrent le milieu du détroit pour commencer une série d'observations sur les courants de Gibraltar. Ces expériences, qui dans le moment même ne parurent pas très-concluantes, ont été reprises et continuées pendant l'été de 1871 par le capitaine Nares, de la Marine royale, et par le D" Carpenter, sur le vaisseau de Sa Majesté Shearwater. Les résultats fort curieux en ont été publiés avee détail par . > | x À De 4 le D° Carpenter dans les procès-verbaux de la Société Royale CROISIÈRES DU PORCUPINE. 159 de Londres, et par le capitaine Nares dans un rapport spécial présenté à lAmirauté. Mon but étant de me borner presque exclusivement, pour le moment du moins, à la description des phénomènes connus des grandes profondeurs de l'Atlantique, je ne reproduirai pas ici le récit des expériences faites dans le détroit. Je tiens cependant à tracer une rapide esquisse de la croisière du D’ Carpenter dans la Méditerranée, parce que les phénomènes qui ont trait à la distribution de la température et de la vie animale confirment, tout en contrastant avec elles, les conditions singulièrement différentes qui ont été déjà décrites et qui règnent dans l'Océan. Le premier sondage dans la Méditerranée a été fait le 16 aout par 36°0' de latit. N. et 4°40’ de longit. O., à une profondeur de 586 brasses, avec fond de limon gris foncé. La température de la surface était de 23°,6 C., et celle du fond de 12°,8 C., c’est-à-dire plus élevée d'environ 3° que celle de l'Océan à la même profondeur. Une série de sondages a été faite ensuite pour déterminer la proportion dans laquelle la température diminue. Voici quels en ont été Les curieux résultats : 0 ST ET Ry yet ens ON he RE ES 23,6 MAS AR RS CRM ES cts goth att ee Se 20,9 PR EE RE See ON St ors 18,6 Ci A6 bp Se Ca dh es CPS TE oe ee {7,5 PRE la nts a SECS a er mae trac Re eee 16,7 ST AT Er yee A LE PE ee UE 15,6 LOL eet eet ee Retr ONE AR ER LE 12,8 oi SR Raa PORT EE NS ES CeO ANT OP E PTS 12,8 La température s’est donc abaissée rapidement pendant les 30 premières brasses, plus lentement pendant les 20 suivantes, na perdu de 50 à 100 brasses que 3° C., et avait atteint son minimum avant meme d'arriver à 100 brasses, car depuis cette profondeur jusqu'au fond il n’y a plus eu dabaisse- ment. Cette série de sondages, ainsi que toutes les obser- vations de température faites pendant la croisière dans la Méditerranée, ont prouvé que le fond est rempli, depuis la pro- 160 LES ABIMES DE LA MER. fondeur de 100 brasses, d’une masse d’eau à la même tempé- rature, un peu au-dessus ou un peu au-dessous de 12°,75 C. Les exemples suivants ont été cités par le D' Carpenter d'après des observations prises plus anciennement dans le bassin de la Méditerranée, pour démontrer la grande uniformité de sa température de fond à toutes Les profondeurs : | | | | NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE | | ‘dés 0) en | a dela | ‘LATITUDE. | LONGITUDE. STATIONS. BRASSES Î. | FOND. SURFACE. | | : | sus is 41. 130 13,4 C 23,6 ¢ APS a0 VINS 4 12 0. LDS eos 790 13,2 23,2 35 49 Oil Aes yo) 162 i3,4 23,8 39 21 3 04 30" Te Re 13,0 21,0 35 42 20") ~ 3 00°30 Bhs 207 12,4 | >. 23.6 |. BosabetO 4 2 29°30 10. 193 13,0 | 12920 fe S529 1 56 17 | 845 12,6 = 21,0 37 29 30 1 10 30 On a pris à cette dernière station (n° 47) une série de son— dages qui ont pleinement confirmé les résultats de la première expérience (n° 40) : Sur HTC CESR Ne RE ee 230,9 LOT ASSe SRE RE ARR 15,2 DD ET RE worse. ea nit ache eae eas See were ne 14,4 DD ARTS RAR atl EC QE re PERS DT RER 13,8 ANRT RER AE Re RER EE 13,3 EDS Sea hears PRET EM CR ce ee ome 13,1 LOC ET Gl Re RE ER AR 12,6 S45 = 1d): Une masse dean de 845 brasses (près d’un mille), au plus profond de la mer, se maintient donc uniformément à la tem- pérature de 12°,6 C. (ou 54°,7 Fahr.). La drague fut plongée à chaque station, mais avec si peu de résultats, que le D" Carpenter fut améné à en conclure que le fond de la Méditerranée, au dela de quelques centaines de brasses, est à peu près dépourvu d'êtres vivants, Les conditions |. La brasse anglaise dont il est question dans le cours de cet ouvrage vaut 1,80. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 161 ne sont pas absolument incompatibles avec existence de la vie animale, puisque, a la plupart des stations, quelques formes vivantes ont été prises, mais elles lui sont certainement singu- lièrement défavorables. A la station 49, à une profondeur de 1412 brasses, avec une température de 12°,7, les espèces sui- vantes de Mollusques ont été retirées : Nucula quadrata, n. sp., Nucula pumila (Absjornsen); Leda, n. sp.; Verticordia granulata (Seguenza); Hela tenella (Jeftreys); Trochus gem- mulatus (Ph.); Rissoa subsoluta (Aradas); Natica affinis (Gmel.); Zrophon multilamellosus (Ph.); Nassa prismatica (Br.); Columbella Haliwti (Jeffreys); Buccinum acuticostatum (Ph.) ; Pleurotoma carinatum (Cristofori et Jan), Plewrotoma tor- quatum (Ph.), Pleurotoma decussatum (Ph.). La faune est plus abondante dans le voisinage de la cote d'Afrique, mais le fond y est si inégal, qu'il n'a pas été pos- sible de se servir de la drague; les houppes ont presque tou- jours dû être employées seules. Bien des Polypiers, bien des Échinodernes, des Coraux et des Éponges ont été pris de cette manière ; mais presque tous appartenaient à des espèces médi- terranéennes bien connues. Après avoir passé quelques jours à Tunis et visité les ruines de Carthage, le draguage est repris le 6 septembre sur le bane de l'Adventure, ainsi nommé parce qu'il a été découvert par l'amiral Smyth pendant un voyage de surveillance sur le vaisseau de S. M. l'Adventure. Ici, aux profondeurs de 30 à 250 brasses, la vie animale est assez abondante. Les Mollusques ont donné les espèces sui- vantes : Zrochus suturalis (Ph.) (fossile sicilien) ; Xerophora crispa (Konig) (fossile sicilien); Cylichna striatula (Forbes) (fossile sicilien), Cylichna ovulata (Broechi) (fossile sicilien) ; Gadinia excentrica (Tiberi); Scalaria frondosa (J. Sowerby) (fossile sicilien et du crag corallien); Pyramidella plicosa (Bronn) (fossile sicilien et du crag corallien); Ac/æon pusillus (Forbes) (fossile sicilien). Les Kchinodermes sont abondants en tant qu'individus, mais les espèces sont peu variées et toutes sont des formes bien connues de la Méditerranée. il 162 LES ABIMES DE LA MER. Diverses variétés du Cidaris papillata (Leske) ont été reti- rées, mais aucun caractère spécifique ne les distingue des nom— breuses formes de la même espèce qui vivent dans l’océan Atlantique depuis le cap Nord jusqu’au cap Spartel. Les variétés méditerranéennes de cette espèce constituent, sans aucun doute, le Cidaris Hystrix de Lamarck. J’éprouve une grande hésitation au sujet du joli petit Cidaris décrit par Philippi sous le nom de Cidaris affinis. Certains exemplaires caractéristiques de cette espèce, qui abondent sur le banc de Adventure et le long de la côte africaine, paraissent être très-distincts. Ils sont d’un beau rose rougeatre foncé, et les spicules, qui sont striés transversalement de rouge et de brun jaunatre, se terminent en pointe aiguë, tandis que ceux du Cidaris papillata sont ordi- nairement émoussés au sommet, et même souvent élargis ou terminés en coupe. La partie des plaques interambulacraires qui est couverte de granules miliaires est plus large, et deux rangées régulières de radioles de dimensions presque égales s'élèvent auprès de la base des spicules primaires, au-dessus des alvéoles. Ces caractères devraient, semble-t-il, avoir une valeur spécifique ; mais il existe une grande quantité de formes intermédiaires, et, après en avoir fait une étude attentive, tout en ayant décrit les deux espèces comme distinctes, j’au- rais grand’peine à bien définir la ligne de démarcation qui les sépare. Plusieurs spécimens d’un bel As#ogomium, voisin de VA. granulare, ont été pris sur le bane de PAdventure.M. le professeur Duncan annonce d’intéressants Coraux, et M. le professeur Allman deux espèces nouvelles d’Aglaophenia. Le D" Carpenter y a retrouvé le délicat Orbitolites tenuissimus, ainsi que Lituola, erand nautiloide, si fréquents tous deux dans l'Atlantique. Après un court séjour à Malte, le Porcupine quitta le port de la Valette le 20 septembre et gouverna au nord-est, se dirigeant sur un point situé à 70 milles de distance, désigné sur les cartes comme ayant une profondeur de 1700 brasses. On Vatteignit le matin suivant de frès-bonne heure, et la corde de sonde déroula 1743 brasses pour atteindre le fond, par CROISIÈRES DU PORCUPINE. 163 36° 31’ 30” de latit. N. et 15° 46’ 30” de longit. (n° 60), avec une température de 13°,4 C., plus élevée d’un degré que celle du plus profond des sondages du bassin occidental. Le tube de l'appareil de sonde rapporta un échantillon de limon jaunâtre si semblable à celui du fond de la Méditerranée dans ses parties les plus stériles, qu'il ne fut pas jugé opportun de faire une dépense de temps inutile pour un essai de draguage, qui, à pareille profondeur, eut employé une journée presque entière. S’étant donc ainsi assurés autant que possible par quel- ques observations que les conditions physiques du bassin oriental de la Méditerranée sont les mêmes que celles de son bassin occidental, nos collègues gouvernèrent sur la Sicile, dont ils longèrent lentement les côtes pendant la nuit. Ils franchirent à l’aube la partie la plus resserrée du détroit entre Messine et Reggio, passèrent devant Charybde et le rocher crénelé de Scylla, et sortirent du « Faro » pour déboucher au nord de la Sicile, dans la pleine mer des iles Lipari. Un sondage de température tout près de Stromboli, par 28° 26° 30° de latit. N. et 15° 32’ de longit. E., indiqua une profondeur de 730 brasses, une température de fond de 13°,1 C., pen- dant que celle de la surface était de 22°,5 C. Sous le cône déchiré de Stromboli, les dragueurs relevèrent une série de températures qui donna le résultat ordinaire trouvé sur toute la zone volcanique de la Sicile : la température était légèrement plus élevée que celle des grandes profondeurs du bassin occidental de la Méditerranée, phénomène dont la cause ne saurait être expliquée sans de longues et minutieuses obser- valions. Pendant cette opération, ils eurent le loisir de méditer sur le nuage de fumée qui, sortant incessamment du cone, trahit le travail souterrain qui s’accomplit dans ses entrailles ; ils admirèrent l’esprit industrieux et entreprenant de ceux qui, rendus insouciants par une habitude séculaire, étagent leurs vignes sur toute la surface du volcan, à l’exception seulement des parties qui regardent le sud-est et le nord-est, et qui recçoi- vent d’incessantes décharges de lave et de cendres. 164 LES ABIMES DE LA MER Leur itinéraire les conduisit ensuite droit au cap de Gate, devant lequel ils passèrent le 27 septembre; ils arrivèrent à Gibraltar le 28. Le D' Carpenter reprit alors ses observations et ses expériences sur les courants du détroit, jusqu’au 2 oc- tobre, époque à laquelle les nécessités du service obligeaient le capitaine Calver de regagner l'Angleterre. Is repassèrent par une belle mer devant les côtes du Portugal, mais, pressés par le temps, ils ne purent tenter aucun draguage daus ces grandes profondeurs. Après avoir lutté contre une brise assez forte dans le parcours du détroit, le Porcupine jeta Pancre à Cowes le 8 octobre. Lille Dimon (Farôer). CROISIÈRES DU PORCUPINE. 169 APPENDICE A Extraits des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres documents officiels au sujet de la croisière entreprise par le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine, pendant l'été de 1870. 2% mars 1870. Il est donné lecture au conseil d'une lettre du D' Carpenter à l'adresse du Président, demandant que l'exploration des grandes profondeurs de la mer qui à eu lieu en 1868 et 1869 dans les régions situées au nord de la Grande-Bretagne, soit étendue à celles du sud de l'Europe et à la Médi- terranée, et que le conseil de la Société Royale en recommande l'entre- prise à la bienveillance de l'Amirauté, afin d'obtenir, comme dans les occasions précédentes, la coopération du Gouvernement. Il est résolu : qu'une commission composée du Président, des officiers avec l’ingénieur-hydrographe, de MM. Gwyn Jeffreys, Siemens, pro- fesseur Tyndall et D' Carpenter, avec faculté de s’adjoindre d’autres membres si besoin est, soit nommée pour décider de l'opportunité de donner suite à la proposition du D' Carpenter, du plan à suivre pour la mettre à exécution, et du matériel, instruments et appareils qui devien- draient nécessaires. Le rapport sera fait au conseil, et la commission pourra le communiquer au préalable à VAmirauté, s’il lui paraît utile de le faire pour éviter toute perte de temps, : 28 avril 1870. Il est donné lecture au conseil du rapport suivant : La commission nommée le 24 mars pour délibérer sur une proposition de continuer l'exploration des eaux profondes de la mer pendant l'été prochain, et sur les préparatifs scientifiques qui seront nécessaires pour cette nouvelle expédition, a fait son rapport ainsi qu’il suit : Le plan général à suivre et le but principal à atteindre par cette nou- velle expédition sont indiqués dans l'extrait suivant d’une lettre du D' Carpenter, qui a été lue devant le conseil le 24 du courant et qui a été renvoyée à la commission : 166 LES ABIMES DE LA MER. « Le projet tracé par mes collègues de l’année dernière et par moi est celui-ci : » Ayant quelques raisons d’espérer que nous pourrions encore disposer du Porcupine vers la fin de juin, nous fixerions son départ au commen- cement de juillet ; le navire ferait route vers le sud-ouest pour arriver au point le plus éloigné de notre parcours de l’année dernière, en explorant le fond avec soin aux profondeurs de 400 à 800 brasses, qui sont celles où l'expérience nous a appris que se font les trouvailles les plus intéres- santes; on ferait aussi quelques draguages à des profondeurs plus grandes, ainsi que des sondages de température suivant que l’occasion s'en présenterait. » L'itinéraire deviendra alors droit sud, et la direction générale parallèle aux côtes de France, d'Espagne et de Portugal, en prenant la précaution de se maintenir en deçà des profondeurs qui viennent d’être indiquées, et de ne pousser qu'exceptionnellement à l’ouest dans des zones plus pro- fondes. D’après ce qui a déjà été fait dans les eaux de 400 brasses à la hauteur des côtes du Portugal, il n’est pas douteux que ces parages ne soient très-riches. En approchant du détroit de Gibraltar, les observations physiques et zoologiques devront être faites avec un soin extrême pour arriver à résoudre entièrement la question des courants entre les mers Atlantique et Méditerranée, et celle des rapports qui existent entre la faune de la Méditerranée et celle de l’Atlantique (question sur laquelle M. Gwyn Jeffreys est d'avis que nos travaux de l’année dernière jettent déjà une lumière toute nouvelle). » M. Gwyn Jeffreys est prêt à se charger de la direction scientifique de cette première partie de l'expédition; M. le professeur Wyville Thomson ne pouvant l’accompagner, il trouvera facilement un prépara- teur convenable. » Le vaisseau arrivera probablement au commencement d’août à Gi- braltar, où je pourrai le rejoindre et prendre la place de M. Jeffreys, avec un de mes fils en qualité d'aide. Nous terminerions d’abord l'étude du détroit de Gibraltar, si elle se trouvait encore inachevée, puis nous nous avancerions à l’est, le long de la Méditerranée, en poussant des recon- naissances entre les côtes de l’Europe et celles de l'Afrique, de manière à obtenir une étude physique et zoologique de cette partie du bassin mé- diterranéen aussi complète que le permettrait le temps dont nous pour- rions disposer. Malte serait probablement la limite la plus extrême de l'expédition, et nous pensons qu'elle y arriverait vers le milieu de sep- tembre. » C’est chose bien connue que des questions d’un grand intérêt pour la géologie sont attachées à la distribution actuelle de la vie animale dans cette zone, et nous avons bien des raisons de croire que nous y trouve- rions dans les grandes profondeurs nombre d'espèces tertiaires qu'on CROISIÈRES DU PORCUPINE. 167 supposait éteintes. En ce qui concerne les conditions physiques de la Méditerranée, il paraît, d’après tout ce que nous avons pu apprendre, qu’on n’en connait que bien peu de chose. La température et la densité de l’eau aux différentes profondeurs d’un bassin si complétement séparé du grand Océan, et qui pourtant en reçoit un affluent constant, sont un sujet d'étude des plus intéressants, auquel nous serons heureux d'apporter toute notre attention, pour peu que les moyens en soient mis à notre portée. » D’après le succès des deux précédentes expéditions et particulièrement de celle du Porcupine de l'année dernière, la commission, convaincue des avantages non moins grands qui seront obtenus par celle que l’on propose pour l'avancement des connaissances scientifiques, est d'avis qu'il soit présenté une demande à l’Amirauté, afin d'obtenir comme précédemment par son entremise la coopération du Gouvernement de Sa Majesté, La commission approuve la proposition faite par M. Gwyn Jeffreys d'accepter les services gratuits offerts par M. Lindahl, de Lund, comme préparateur-naturaliste. Quant aux instruments et appareils scientifiques, la commission a reçu l'avis que ceux dont on a fait usage pendant le voyage de l’année derniére sont encore en état de remplir les mémes services. M. Siemens espère pouvoir rendre son indicateur électro-thermal d’un usage plus pra- tique à bord. _ La commission ayant appris que le D' Frankland est l'inventeur d’un appareil propre à ramener des grandes profondeurs l’eau de mer encore chargée des gaz qu'elle renferme, a résolu de se l’adjoindre, et demande l'autorisation de se réunir de nouveau pour compléter ses arrangements et faire son rapport final au conseil. Il est décidé que le projet suivant d’une lettre adressée au secrétaire de l’Amirauté serait approuvé : « Monsieur, je suis chargé par le Président et par le conseil de la Société Royale de vous apprendre, afin que les Lords Commissaires de l’Amirauté en soient informés, que, vu les résultats importants pour les sciences physiques et zoologique obtenus par l'exploration des grandes profondeurs de la mer, qui s’est faite en 1868 et 1869 avec la coopération du Gouver- nement de Sa Majesté, ils estiment qu'il est d'une grande importance que cette étude se continue pendant le cours de cet été, et qu’on l’étende à une zone nouvelle. » La marche qu’on se proposerait de suivre pour cette nouvelle expédi- tion, les buts principaux qu’on désire atteindre et le plan général d'après lequel auraient lieu les opérations, sont tracés dans l'extrait ci-inclus d'une lettre adressée au Président par le D' Carpenter, et qui à été à tous les points de vue approuvée par le conseil. 168 LES ABIMES DE LA MER. » Le Président et le conseil recommandent chaudement une pareille entreprise à la bienveillante attention de Leurs Seigneuries, dans le but d'obtenir du Gouvernement de Sa Majesté l’aide si généreusement accordée et si utilement prêtée dans les occasions précédentes. » La direction scientifique de l'expédition serait, comme l’année der- nière, partagée entre le D' Carpenter, M. le professeur Wyville Thomson, si toutefois ce dernier est en état d'entreprendre ce travail, et M. Gwyn Jeffreys. On propose aussi que M. Lindahl, jeune Suédois accoutumé aux études marines, accompagne l'expédition en quels de préparateur-naturaliste. » Il me reste à ajouter que tout ce qui regarde la partie strictement scientifique de l'équipement de l'expédition sera, comme auparavant, à la charge de la Société Royale. » W. SHARPEY, secrétaire. » Une somme de 100 livres sterling, prise sur les fonds alloués par le Gouvernement à la Société Royale, a été consacrée aux fournitures scien- tifiques de l'expédition. 19 mai 1870. Il est donné lecture au conseil de la lettre suivante émanant de |’Ami- rauté : «Monsieur, j'ai soumis aux Lords Commissaires de l'Amirauté votre lettre du 2 courant, par laquelle vous demandez qu'il soit fait de nouvelles recherches dans les grandes profondeurs de la mer ; je suis chargé par Leurs Seigneuries de vous apprendre que le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine sera de nouveau affecté à ce service, et que la Trésorerie a, comme auparavant, reçu l'avis qu'elle aura à pourvoir à bord aux dépenses du personnel de l'expédition, Agréez, etc., etc. » VERNON LUSHINGTON. » W. Sharpey, Esq., M. D., Secretaire de la Société Royale, Burlington House. CROISIÈRES DU PORCUPINE. 169 APPENDICE B Détails des profondeurs, de la température et de la position aur diverses stations de draguage du vaisseau de Sa Majesté le Porcupine, pen- dant l'été de 1870, : | | ; | ; | NUMEROS | PROFONDEUR TEMPERATURE | TEMPERATURE des | en du | de la LATITUDE. LONGITUDE. STATIONS. BRASSES, FOND. | SURFACE. 567 ; 38 N, 305 PRC 16,2C. 37 GI: =: » 3 717 16,3 48 32 100 | 46,8 48 29 358 16,9 26 93 j 16,2 LS 957 | ( 284529 13 539 | ! 17,8 6 SI | 46,4 11 332 tee toad 19 32 128 ‘ 16,3 42 20 220) | | 18,1 10 16 169 | 48,4 40 6 722 | ; | 90,0 10 2 994 4 21,0 39 55 1095 : 19,8 39 42 1065 18.9 39 99 JAN IS, 1 39 97 965 ) 39 25 620 19,5 38 19 Aie Dar 1.” 49.4 38 15 802 19,0 37 20 209 ! 19,6 37 19 37h 20,9 RAA Cobo — 1D Ome 170 LES ABIMES DE LA MER. NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE des en du de la LATITUDE. LONGITUDE. STATIONS. BRASSES, FOND. SURFACE. = 0 a 904 DC. 22,020 999 A( 99 7 02424 22) 304. 7 21,8 286 » 297 22,8 386 22,6 177 91,7 65 21,8 554 929 4 ae 21,8 335 23,9 128 23,8 190 29 () 22, 503 YY () o17 20 GO © ” ~~ s wre o> SIN NCNSIN ATEN ET ain TRAIN SO IS CO CO CO CD CO CO oS _— " = Ow ew 29, 23,6 162 155 21.0 Oy) 6 out 29, 1412 29 0 590 112 266 Nh 730 Isl IX, 21,0 586 730 299 yo 8 9207 99: 195 93,0 845 ) 21,0 ~ pate ol 152 1415 1508 14.56 390 149 1743 160 198 {47 9 6 190 av, 132 99 () 660 224 392 [88 Wo bore re CHAPITRE V SONDAGES PROFONDS Sonde ordinaire pour les profondeurs moyennes. — Elle est sujette à erreur quand on s’en sert dans les grandes profondeurs. — I ne faut pas compter sur l'exactitude des pre- miers sondages profonds qui ont été faits. — Moyens perfectionnés de sondage. — Le plomb en forme de coupe. — Instrument de sondage de Brooke. Sonde du Bull-dog, de Fitzgerald — I’hydre. — Sondages du Porcupine. — Contour du lit de lAtlan- tique du Nord. Pour étudier avec fruit les grandes profondeurs de la mer, il est évidemment indispensable d’avoir un moyen de les mesurer d’une manière exacte et certaine, ce qui n'est pas chose aussi simple et aussi facile qu'on pourrait le supposer au premier abord. Dans le cours du sondage, la profondeur est presque toujours vérifiée par quelques procédés particu- liers. Un poids est fixé à l'extrémité d’une corde, divisée, au moyen de morceaux d’étamine (étoffe de laine dont on fait les drapeaux, et dont les teintes sont trés—vives et trés-solides), en espaces de 10 et de 100 brasses; pour le mesurage des grandes profondeurs, avec des morceaux d’étamine blanche à chaque intervalle de 50 brasses, de cuir noir à chaque espace de 100, et d’étamine rouge à chaque 1000 brasses. Le poids est descendu le plus rapidement possible, et le nombre de marques immergées quand le plomb touche le fond, donne la mesure approximative plus ou moins exacte de la profondeur. Le poids qui sert ordinairement aux sondages profonds est une masse de plomb de forme prismatique de deux pieds 172 LES ABIMES DE LA MER. environ de longueur et du poids de 80 à 120 livres; il est un peu plus étroit à son extrémité supérieure, qui se termine par un solide anneau de fer. Avant l'immersion, l’ex- trémité inférieure du poids, qui est légèrement creusée, est enduite d’une couche de suif épaisse et molle, ce qui suffit, dans les cas ordinaires, pour indiquer la nature du fond. C'est d’après le témoignage des échantillons qui remontent attachés à cette couche grasse que nos cartes portent : « bone, coquilles, gravier, limon, sable, » ou combinaison de ces sub— stances, comme constituant le fond de Vendroit sondé. Ainsi 2000 b. es. (boue, coquilles et sable à 2000 brasses); 2200 &. ¢. SC nous lisons 2050 vr (limon et roe à 2050 brasses) ; ,, . (boue, sable, co- quilles et scories à 2200 brasses), ete. Quand il n’y a pas de fond, c’est-à-dire quand la des- cente de la corde n’a pas éprouvé darret, et qu'il ne revient rien sur l’enduit graisseux du plomb, on inscrit ainsi le sondage sur la carte : 339) (pas de fond à 3200 brasses). Ces sondages, peu stirs pour les grandes pro- fondeurs, sont ordinairement suffisants pour les moyennes. Inutiles pour l'exploration des grandes profondeurs de la mer, ils ont une grande valeur pratique, et fournissent à la navigation toutes les indications nécessaires; car là où il est indiqué pas de fond à 200 brasses, il ne peut guère se trouver de bas-fond dangereux dans le voisinage im médiat. Les sondages se font ordinairement du vaisseau même, où il se produit toujours un certain mouvement en avant ou en arrière, Mais quand on veut obtenir une grande exactitude, comme, par exemple, dans l'inspection des côtes, il faut ab- solument faire le sondage dans une barque, qu'on peut main- tenir dans une position fixe au moyen des rames, en se servant comme point de repère de quelque objet immobile, visible sur la côte. Ce système ordinaire de sondage est parfaitement convenable dans les eaux relativement basses, mais il est insuffisant dès SONDAGES PROFONDS. 173 qu'il s’agit de dépasser 1000 brasses. Le poids est trop faible pour entrainer la corde rapidement et verticalement jusqu'au fond; si l'on a recours à un plomb plus pesant, la corde ne suffisant plus à remonter d’une aussi grande profondeur son propre poids et celui du plomb, elle se rompt. Aucun choc ue se fait sentir quand le plomb atteint le fond, la corde continue à se dérouler, et on la rompt si l’on essaye de Var- réter. Quelquefois de grandes longueurs de corde sont em— portées par des courants sous-marins, ou bien on découvre que la corde s’est déroulée par son poids et qu'elle forme une masse enchevêtrée, immédiatement au-dessus du plomb. Toutes ces causes d'erreur rendent suspects les sondages tres- profonds. Dans un grand nombre des plus anciennes obser— vations faites, soit par des officiers de notre propre marine, soit par ceux de la marine des États-Unis, il est maintenant reconnu que les profondeurs attribuées à divers points de Atlantique ont été fort exagérées. C’est ainsi que le lieu- tenant Walsh, du schooner des États-Unis le Taney , a noté un sondage de 34 000 pieds, fait avec le plomb des grandes profondeurs, sans avoir trouvé le fond ‘, et que le lieutenant Berryman, du brick Dolphin des Etats-Unis, a essayé sans suceés un sondage du milieu de lOcéan avec une corde de 39000 pieds de longueur *. Le capitaine Denham, du vaisseau de Sa Majesté le Herald, a noté le fond dans l'Atlantique du Sud à une profondeur de 46 000 pieds *, et le lieutenant Parker, de la frégate des Etats-Unis Congress, a vu se dérouler 50 000 pieds de corde sans que le fond ft atteint *. Dans les cas que nous venons de citer, les chances d'erreur étaient trop grandes : aussi, sur la dernière carte de l’Atlantique du Nord, publiée en novembre 1870, avec l'autorisation du contre-amiral Richards, on ne trouve |. Maury’s Sailing Directions, 5th edition, p. 165, and Gth edition, 1854, p. 219. 2. Maury’s Physical Geography of the Sea, 11th edition, p 309. 0. bce eit. He MAYO cit: 174 LES ABIMES DE LA MER marqué aucun sondage au-dessus de 4000 brasses, et un très-petit nombre seulement dépassant 3000. L'usage d’une corde mince avee un poids très-lourd, introduit d’abord dans la marine des États-Unis, constitue un grand progrès dans les sondages profonds. Le poids, un boulet de 32 ou 68 livres, est rapidement immergé du pont d’un bateau; quand on suppose qu'il a atteint le fond (ce qui se reconnait assez sûrement au changement subit de vitesse dans la descente de la corde), on coupe la corde à la surface, et l’on calcule la profondeur d’après la longueur de corde qui reste sur le rouleau. Depuis que l'intérêt s’est porté sur les grands problèmes de la géographie physique, la force et la direction des courants, et les conditions générales du fond de la mer, les différents corps ramenés des grandes profondeurs par lenduit de la sonde sont devenus toujours plus précieux et plus recher- chés; il est urgent de pouvoir s’en procurer une quantité suffisante pour les études chimiques et micrographiques. Bien des instruments ont été imaginés à différentes époques pour atteindre ce but, et leur emploi a eu pour résultat l’acqui- sition d’une somme considérable de connaissances scientifiques. IL est avéré maintenant que le draguage est possible à toutes les profondeurs, mais à la condition d’être entouré de cir- constances particulièrement favorables, et au moyen d'un vaisseau équipé à grands frais dans ce but. Nous en sommes | done encore à désirer Vinvention de quelque ingénieux ap— pareil de sondage, pour arriver peu à peu à réunir la somme d’études et d'observations qui formera, avec le temps, un ensemble de connaissances exactes sur les conditions du fond de la mer dans toute son étendue. L’instrument, de construc- tion peu compliquée, capable de remonter d'une profondeur de 2000 brasses une livre pesant d'échantillons, sans trop de peine et avec certitude, est done encore à trouver. Dans l’année 1818, sir John Ross commandait le vaisseau de S. M. P/sabelle, qui faisait un voyage de découvertes et SONDAGES PROFONDS. [75 d'exploration dans la baie de Baffin. Il inventa un instrument « pour faire des sondages a toute profondeur mesurable », quil appela « la pincelte des mers profondes ». L’appareil se compose d’une paire de fortes pinces, qu'une cheville main- tient ouvertes; les choses sont combinées de façon que, dès que la cheville touche le fond, un poids de fer glissant sur un pivot vient fermer les pinces, qui retiennent ainsi une quantité assez forte des matériaux du fond, sable, boue ou cailloux '. Le 1 septembre 1818, sir John Ross sonda à 1000 brasses, par 73° 37’ de latit. N. et 75° 25° longit. O.; les produits du sondage furent « une boue molle dans laquelle il y avait des Vers; accroché à la corde, à 800 brasses de pro- fondeur, on trouva un beau Caput-Medusæe ». Le 6 septembre, sir John Ross sonda de nouveau dans 1050 brasses, par 72° 23 de latit. N. et 73° 75’ de longit. O.; les pinces remontèrent six livres de boue liquide. Si je cite ces sondages avec détail, c’est qu'ils offrent les premiers exemples dignes de foi d’une pareille quantité de matériaux ramenés d’une aussi grande profondeur. L’instrument était assujetti à une forte corde de baleinier, faite du meilleur chanvre et ayant deux pouces et demi de circonférence. Le poids que conseille sir John Ross pour les sondages dans les mers du Nord est de 50 livres. Une des premières de ces dragues en miniature, et qui n’en est certainement pas la moins ingénieuse, consiste en une simple modification du plomb à coupe ordinaire dont on se sert pour les grandes profondeurs (fig. 37). Une tige de fer traverse le plomb de part en part et se termine quelques pouces plus bas par une coupe conique de fer. Une rondelle de cuir épais glisse librement sur la baguette dans l'intervalle qui sépare de la coupe l'extrémité inférieure du plomb. La théorie sur laquelle est basé le système, c’est qu'à mesure que le plomb 1. A Voyage of Discovery made under the Orders of the Admiralty in His Majesty’s Ships Isabella and Alexander, for the purpose of exploring Baflin’s Bay, and inquiring into the possibility of a North-west Passage. By John Ross, K. S., Captain Royal Navy, London, 1819, p. 178. 176 LES ABIMES DE LA MER. descend, la résistance de l’eau maintient la rondelle soulevée et la coupe découverte. En arrivant au fond, le poids du plomb enfonce la coupe dans la vase ou dans le sable, et le plomb | tombe de côté. Quand on remonte le plomb, un échantillon du fond s’introduit dans la coupe, où il est maintenu par la rondelle, appliquée sur Vorifice de la coupe par la ré- sistance contraire a celle de la descente. Le plomb à coupe est fort utile dans les pro- fondeurs moyennes : deux fois sur trois il ramène des échantillons; cependant la coupe est trop ouverte et les moyens de la clore sont insuffisants, de sorte qu’une fois sur trois elle revient parfaitement vide et lavée. Les sondages profonds prennent trop de temps et sont de trop grande importance pour qu'on puisse accepter une pareille proportion d'in Succès. Vers l’année 1854, M. J. M. Brooke, aspirant de marine aux États-Unis, jeune ui officier plein d'intelligence, qui était de ser- a SET ter vice dans ce moment-là à l'Observatoire, exposa au capitaine Maury une invention au moyen de laquelle on pouvait détacher le boulet dès qu'il arri- vait au sol, et le remplacer par les matières du fond. Le résul- tat de cette invention fut l'appareil de sondage de grandes profondeurs de Brooke (fig. 38 et 39), dont les inventions plus modernes ne sont que des modifications ou des perfectionne- ments qui en conservent le principe fondamental, le détache ment du boulet. L’instrument, tel que l’a conçu M. Brooke, est bien simple. Un boulet E, pesant 64 livres, est percé de part en part pendant la fonte. Une tige de fer A traverse le boulet; elle présente à son extrémité inférieure une cavité B, et à la supérieure deux bras mobiles percés de deux trous au travers desquels est passée la corde à laquelle la tige est suspendue : SONDAGES PROFONDS. 177 au repos, ces tiges sont à peu près verticales (fig. 38). Chaque bras est entaillé d’une dent qui fait saillie; avant le sondage, le boulet, traversé par la tige, est suspendu à une élingue de IN) 4 , ns Fic. 38. — Appareil de Brooke pour les sondages profonds. cuir ou de toile, G, retenue par des cordes dont les boucles terminales s’accrochent aux dents des bras. La cavité qui est à l'extrémité inférieure de la tige est remplie de suif, au milieu duquel on ménage un vide en y enfonçant une cheville de bois. Dès que l'instrument heurte le fond, lex- 12 178 LES ABIMES DE LA MER. trémité de la tige sy enfonce, et les matières dont il se compose remplissent la cavité enduite de suif; les deux bras articulés retombent, les dents cessent de retenir les deux | | À | is Fic. 3). — Appareil de Brooke pour les sondages profonds. extrémités de l’élingue, et la tige, glissant au travers du boulet, remonte seule, rapportant l'échantillon du fond. L'appareil de Brooke, dans sa première forme, a quel- ques-uns des défauts du plomb à coupe. L’échantillon rap— SONDAGES PROFONDS. 179 porté est trop peu considérable et court grand risque de ne pas arriver Jusqu'à la sur- face; aussi ne tarda-{t-on pas à y apporter des mo- difications. Le commandant Dayman le perfectionna à l'occasion de la croisière de sondage du vaisseau de S. M. Cyclops, en 1857 *. Il adopta, pour soutenir le boulet plongeur, le fil de fer, qui se détache plus facilement que les élingues de chanvre; il remplaca le boulet sphérique de Brooke par un cylindre de plomb, alin d’accroitre la rapidité de la descente, en diminuant la résistance : il adapta à la cavité inférieure de la tige une soupape s'ouvrant a l'intérieur, pour empècher le contenu d’être entrainé par les eaux pendant le tra- jet de retour. Le comman- dant Dayman parait avoir été satisfait de Vappareil ainsi modifié, car il en a fait usage pendant toute ladurée des études importantes sur le plateau télégraphique. Fic. 40. -— La sonde du Bull-dog. La machine à sonder du Bul/-dog (fig. 40) est probablement |. Deep-Sea Soundings in the North Atlantic Ocean, between Ireland and Newfound- laud, made in H. M.S. Cyclops, lieut.-Commander Joseph Dayman, in June and July ~~ 1857. Published by order of the Lords Commissioners of the Admiralty. London, 1858, ISO LES ABIMES DE LA MER. le plus généralement connu de tous ces engins. L'instru- ment est un composé des pinces des grandes profondeurs de sir John Ross, combiné avec le poids à déclic de Brooke. Il fut inventé pendant la célèbre croisière de sondage du raisseau de S. M. le Bulldog, en 1860, et sir Leopold M‘Clintock attribue le principal mérite de son invention à l’ingénieur en second du bord, M. Steil’. Deux écopes A, réunies par une charnière à la façon d’une paire de ciseaux, sont pourvues de deux paires d’appendices B, qui remplissent; pour l'ouverture et la fermeture des écopes, l'emploi des anneaux des ciseaux. Cet appareil est constamment attaché à la corde de sondage par la corde F, qui est représentée dans la gravure retombant et flottant et qui est assujettie au pivot sur lequel tournent les coupes. Attachée au même pivot, se trouve la corde D, qui se termine plus haut par un anneau de fer. E représente une paire de crochets à déclic assujettis également à Vextrémité de la corde de sonde; CG est un poids de fer ou de plomb, très-pesant, et perforé dans toute sa longueur, de manière que la corde D, avec ses boucles et son anneau, puisse passer facilement au travers; B est une bande épaisse de caoutchouc qui traverse les anneaux des écopes. L'appareil est représenté dans le dessin tel qu'il est pendant la descente et avant quil ait atteimt le fond. Le poids CG et les écopes A sont suspendus à la corde D, dont l'anneau est accroché aux crochets-sauteurs KE. L’anneau élastique B est à l’état de tension, prêt à fermer les écopes en rapprochant les poignées ; mais il éprouve la résistance du poids C, qui, s’interposant entre les poignées, dans l’espace qui les sépare, les empêche de se réunir. Dès que les écopes sont enfoncées dans la terre par la pression du poids, la tension de la corde D cesse, les crochets à déclic ouvrent l'anneau, le poids tombe et permet à la courroie élastique B de fermer 1. Remarks illustrative of the Sounding Voyage of Hl. M.S. Bull-dog in 1860 ; Cap- tain Sir Leopold M‘Clintock commanding. Published by order of the Lords Commis- sioners of the Admiralty. London, 1861. SONDAGES PROFONDS. 181 les écopes et de les maintenir closes sur ce qu’elles contien- nent. La corde D glisse au travers du plomb, et les éeopes fermées sont remontées par la corde F. L'idée est bonne, et l'appareil ingénieux et élégant, mais trop compliqué. Je ne Vai jamais vu à l’œuvre, mais je crain— drais qu'il ne donnat quelques mé- EL ad comptes à l'observateur, soit par la F > chute des écopes dans une fausse direc— tion, soit par l'introduction dans les charnières de petites pierres qui les em— pécheraient de se fermer complétement. Plus ces choses-là sont simples, mieux elles valent. Pendant notre croisière de 1868 sur le Lightning, nous nous sommes servis d’un instrument (fig. 41) qui promet peu au premier abord, à cause de son appa- rence primitive ; cependant je dois ren- dre à l'appareil de sondage de Fitz- gerald ce témoignage que je ne lai jamais vu manquer son but, bien que, malheureusement, nous ayons dti nous en servir par des temps déplorables et dans les circonstances les moins pro- pices. La corde de sondage se termine par une boucle qui passe dans un trou circulaire percé dans le centre d’une barre de fer F, laquelle se termine à l’une de ses extrémités par une griffe, et à l’autre par un second trou auquel est attachée une chaine. Une écope A, dont Fic. 41. — Machine à sonder A af 2 à > os 2 £ ral = du le bord, en fer de bêche, est aigu, est RÉ fine assujettie à une longue et pesante tige de fer D, à laquelle est adaptée une espèce de plaque en forme 182 LES ABIMES DE LA MER. de gouvernail, destinée à la maintenir pendant son rapide passage dans l'eau; au-dessous se trouve un trou qui s'adapte exactement à la griffe de la barre I’. Une porte B s’ajuste à l’écope, à laquelle elle tient par une charnière; elle est également assujettie au bras C qui, dans la position verticale, la maintient ouverte. Le bras C est fixé également par une chaîne au trou de la barre F, et le bras et la chaîne sont de même longueur que la tige D. De la tige D se projettent deux dents EK, E, auxquelles est suspendu un poids très-lourd. L’appa- reil est ajusté de manière que, quand le poids est attaché et l'instrument prét à servir, ainsi qu'il est représenté dans la gravure, la tige F conserve une position horizontale. Dès qu'il touche le fond, la tension de la barre F cesse, le poids fait décrocher la tige de la griffe D et tombe ainsi en faisant remplir l’écope. En remontant, l'appareil prend une position à peu près verticale et l’écope revient pleine, le poids de la tige D maintenant le couvercle pressé sur l'ouverture. L'appareil qui a servi sur le Porcupine pendant la croi- sière dont les sondages ont été faits avec la plus grande exactitude possible et à des profondeurs considérables, n’est qu'une modification de la sonde de Brooke, passablement compliquée, et qui avait servi précédemment au capitaine Shortland pendant le voyage de sondage que le vaisseau. de S. M.VHydre a fait dans le golfe Arabique avant la pose du cable de l'Inde. Cette modification, qui remplissait très-bien le but qu'on voulait atteindre, est l’œuvre de M. Gibbs, le forgeron du vaisseau '. Nous l’avons nommée Vhydre en souvenir de son inventeur et du vaisseau qui le premier en à fait usage. L’axe de Vhydre (fig. 42) est un long tube de cuivre qui se dévisse en quatre tronçons, dont les trois inférieurs sont fermés à leur orifice supérieur par des soupapes coniques qui s'ouvrent par le haut et ne ferment pas assez hermétique- |. Sounding Voyage of-H. M.S. Hydra, Captain P. F. Shortland, 1868. Published by order of the Lords Commissioners of the Admiralty. London, 1869. SONDAGES PROFONDS. 182 ment pour ne pas laisser passer un peu d’eau; le dernier des trois tronçons, B, se ferme par une soupape mobile qui s'ouvre aussi en dessus. Le tronçon supérieur A, qui est le quatrième, renferme un piston dont la tige C se continue dans la partie supérieure par une seconde tige qui se termine à l'anneau auquel la corde est fixée. Le tronçon supérieur, celui dans lequel se meut le piston, est percé de chaque côté, vers le milieu de sa longueur, d’un grand trou; le piston lui-même est percé d’un trou plus petit. Dans la partie supérieure de la tige se trouve une tige dentelée D, et par-dessus cette dent passe un ressort recourbé, d'acier, fendu de manière à permettre à la dent d’en traverser le centre; les deux extrémités sont assujetties d’une manière mobile à la tige. Quand le ressort est poussé en arrière, la dent avee son entaille passe au travers de l'ouverture centrale. Le poids se com- pose de trois ou quatre cylindres de fer F, découpés de dents et d’entailles, qui, en sadaptant les unes dans les autres, forment une masse compacte et solide. Le poids dont nous nous ser- vions dans le Porcupine était de 200 à 300 livres, suivant la profondeur. Le poids est soutenu sur une corde de Her quon passe, dans l’enutaillesde . M42. — Laydre, machine la dent, après avoir poussé le ressort en arrière. Le poids suffit amplement à maintenir le ressort dans cette position. 184 LES ABIMES DE LA MER. La gravure représente l'appareil prêt à être immergé ; le poids est suspendu à Vanneau qui est placé à l'extrémité supérieure de la tige du piston, lequel est ainsi entièrement tiré en dehors de son cylindre. A mesure que l’instrument descend, l’eau passe librement au travers du cylindre et des soupapes, et ressort par les trous pratiqués dans la paroi du cylindre. En touchant le fond, le poids fait descendre le piston, mais son trajet vertical se trouve ralenti par l’eau contenue dans la partie inférieure du eylindre, et qui, ne pouvant s'échapper que lentement, donne ainsi au poids le temps d’enfoncer le tronçon terminal et les soupapes mobiles dans le terrain du fond. Entre les mains habiles du capitaine Calver Vhydre ne manqua jamais son effet: les très-grands poids dont on se sert avec cet appareil le rendent admirablement propre aux sondages exacts dans les grandes profondeurs; mais il est trop compliqué et ne peut ramener qu'une bien faible quan tité d'échantillons du fond. Dans le cas du Porcupine, qui, à chaque station de sondage, immergeait sa grande drague, ce dernier inconvénient était nul; mais, quand le draguage ne peut se pratiquer, et qu'il faut demander au sondage seul tous les renseignements sur la nature du fond, il serait avantageux de pouvoir adapter à ce système les écopes du Bull-dog, où l'appareil de Fitzgerald. Pendant la croisière du Porcupine en 1869, des sondages ont été opérés avec le plus grand soin à quatre-vingt-dix, et en 1870 à soixante-sept stations; le capitaine Calver les a exécutés lui-même, et sa grande expérience, acquise dans son service de surveillance et d'inspection, est une garantie précieuse de leur complète exactitude. Il m'a assuré que, quelle que fut la profondeur du sondage, sa main a toujours éprouvé d’une manière parfaitement sensible le choc du poids, à son arrivée au fond. Un sondage a toujours été soigneu- sement fait avant la descente de la drague. Je vais citer comme exemple le sondage qui a indiqué la mesure du dra- SONDAGES PROFONDS. 185 guage le plus profond qui eût encore été fait, 2435 brasses, dans la baie de Biscaye, le 22 juillet 1869, et décrire le mode d'opération mis en usage. Le Porcupine avait été pourvu à Woolwich d’une admi- rable machine supplémentaire à double cylindre, de 12 che- vaux (force nominale), placée par le travers du pont et munie de deux tambours. Cette petite machine a fait notre bonheur; rien ne saurait surpasser la régularité de son travail et la facilité avec laquelle se réglait son allure. Pendant toute la durée de Vexpédition, elle a remonté avec le tambour ordi- naire, soit la corde de la sonde, soit celle de la drague avec une vitesse uniforme d’un pied par seconde. Une ou deux fois elle a été surchargée, et alors c'était pitié de voir la laborieuse petite machine souffler comme un cheval sur- mené ; il nous est arrivé, quand le travail était par trop dur, d'ajouter un petit tambour, ce qui nous faisait gagner de la force en perdant quelque chose du côté de la rapidité. Deux puissants cabestans étaient établis, l’un à lavant, l’autre à l'arrière, pour les opérations de sondage et de dra- guage : celui de l’avant était le plus fort et celui que nous trouvions le plus convenable pour draguer; le sondage se faisait le plus souvent à Varriére. Les deux cabestans étaient pourvus d’accumulateurs, pièces accessoires de l'appareil, qui nous ont été d’une grande utilité. La poulie sur laquelle passait la corde de sonde ou de drague n’était pas attachée au cabestan même, mais à une corde qui, passant dans un œillet pratiqué à l'extrémité du mât, venait se rattacher à une bitte sur le pont. L’aceumulateur était amarré au balant de la corde, entre la poulie et la bitte. Il se compose de ressorts de caoutehoue vuleanisé , au nombre de trente, quarante et plus; ils sont réunis ensemble à chacune de leurs extrémités, après avoir passé séparément à travers les trous de deux rondelles de bois semblables aux têtes des battes à beurre, qui les maintiennent séparés. La longueur de la corde est calculée de manière à permettre à Vaccumulateur une extension du NO LES ABIMES DE LA MER, double ou du triple de sa longueur, mais Varret est toujours ménagé bien en deca du degré qui pourrait amener la rup— ture. L'utilité de l’accumulateur consiste d’abord à indiquer approximativement le degré de tension que subit la corde; pour donner à ses indications la plus grande exactitude pos- sible, il était disposé de manière à fonctionner tout près du cabestan, gradué, après épreuves faites, selon le nombre des quintaux de tension indiqués par le plus ou moins de ten— sion des ressorts. Mais il rend un service bien plus impor- tant encore, en prévenant les secousses qu occasionnerait à la corde le mouvement de tangage du batiment. Le frottement de l’eau sur une longueur d’un ou deux milles de corde, est assez fort pour l'empêcher de céder librement à une secousse subite, telle qu'elle est exposée à en recevoir dans la partie attachée au navire, toutes les fois qu’une lame vient à le soulever; elle est sujette alors à se rompre brusquement. Sous le cabestan de l'arrière, on avait organisé une machine à dérouler, semblable à celle qui servait à bord de l'Aydre ; elle consistait en un plateau de bois percé d’une fente dans laquelle on passait l'extrémité libre de la sonde, dont les poids reposaient sur le plateau, pendant qu'on disposait l’ap- pareil pour l’immersion. L’instrument de sondage était Vhydre, chargée de 336 livres. La corde de sonde était enroulée sur une grande et forte bobine posée par le travers du bâtiment, à l’arrière de la machine auxiliaire, dont la rotation était ré— gularisée par un frein. La bobine était chargée d’environ 4000 brasses de corde moyenne faite du meilleur chanvre d'Italie à 18 fils; le poids de cette corde était de 12 livres 8 onces par 100 brasses, sa circonférence 0,8 de pouce, et sa force de résistance de 1402 livres quand elle était sèche, et de 1211 quand elle avait trempé pendant un jour. Le temps était remarquablement clair et beau, le vent au nord-ouest, avec force 4; la mer modérée, avec légère houle du nord-ouest. Nous naviguions à l'entrée de la baie de Biscaye, par 47° 38° de latitude N., et 12° 8 de longi- SONDAGES PROFONDS. IST tude O., à environ 200 milles à l’ouest d’Ouessant. L’ap- pareil de sondage était muni de deux des thermomètres de Miller-Casella, et une bouteille était attachée à la corde à une brasse au-dessus du poids de sonde. Le tout fut im- mergé à 2 heures 44 minutes 20 secondes du soir. La corde, tenue à la main, se déroulait à mesure que le poids Ven— trainait, de manière à éviter tout effort et toute tension. Le tableau suivant donne exactement le degré de vitesse de la descente : | | | | BRASSES. | TEMPS. INTERVALLES. || BRASSES. TEMPS. INTERVALLES. | 0 CAN £4 m. 20 s.| el le U0 DDASS ns Zars HOO 225245 DO Ais ADO [Ores HOkas Bi I 32 ore ae AB |:0 10 =]: 1500 , 13 9 32 DOME 46 £30. <1 0 Ae ls 46000 +). eee 33 100 De SAT Dj 0 5 1700 3 & 419 | O31 UE lee 2 184 b= 0 50 || 1800 3 6 6 | mi 600 2.19 HE) M Qi OMMIETIOOMIES i oS | 47 FODESES, 250-724" |* 1 9 2000. 3° 940 I AT SUEDE 51e 93 () BOS LE 200 NE 29 | 19 900" | 2° 52 45 | Pe id ee 1 IR 2 ARE ae | 59 1000%-|:2 - 54 0 | 15 9300 > is =~ Abs 4 98 | 99 1100- | DI san Al | 21 DAN ae “Ate 485 | D? 2000 24-56. A | naa | 9480 SALES ie: antics () iO Dans la circonstance actuelle, observation du temps n'avait d'utilité que celle de corroborer d’autres témoignages de l'exactitude du sondage, car, même à cette profondeur extrême de près de 3 milles, l’ébranlement de Varrét est parfaitement senti par le commandant, dans la main de qui la corde avait filé pendant la descente. C’est probablement le sondage le plus profond qui eût encore été fait d’une manière sûre et digne de confiance. Il a été opéré dans des conditions de tem- pérature exceptionnellement favorables, au moyen d'appareils tres-perfectionnés, et avec une habileté consommée. La des- dente a pris 33 minutes 35 secondes, et il a fallu 2 heures 2 minutes pour retirer la sonde. Le cylindre de l'appareil de sondage revint garni du limon gris de l’Atlantique, contenant 188 LES ABIMES DE LA MER. une forte proportion de coquilles vivantes de Globigérines. Les deux thermomètres de Miller-Casella marquaient une température minimum de 2°,5 C. Bien des essais ont été teutés avant qu’on soit arrivé à in— venter un instrument capable de marquer la vitesse de la des- cente verticale du plomb, au moyen d’un mécanisme indicateur. Le mieux réussi de ces appareils, celui qui est le plus géné— ralement adopté, c’est la machine à sonder de Massey. Cet instrument, sous sa forme la plus récente et la plus perfec- tionnée, qui doit s’employer avec le plomb ordinaire, est des- siné dans la figure 43. Deux boucles ou œillets, F, F, sont passés au travers des deux extrémités d’une lourde plaque ovale ou bouclier AA. La corde de sondage est fixée à l’œillet supérieur, et le poids à l’œillet inférieur, à la dis- tance d'environ une demi-brasse de la plaque. Quatre ailes de cuivre B sont soudées obliquement à un axe, de façon qu'à mesure que la machine plonge et descend, la pression de l’eau contre les ailes imprime à l’axe un mouvement de rotation. L’axe, en tournant, communique son mouvement aux indicateurs des cadrans C, qui sont combinés de telle sorte que Vindicateur du cadran de droite passe sur une des divi- sions à chaque brasse de descente verticale, lente ou rapide, et accomplit une révolution complète à 15 brasses, tandis que l'indicateur de gauche passe sur une des divisions du cadran toutes les 15 brasses, et accomplit sa révolution entière pendant une descente de 225 brasses. Quand les profondeurs sont plus grandes, il faut simplement ajouter un cadran avec son indicateur. Cet instrument de sondage est parfaitement suffisant pour les profondeurs moyennes; il est très-précieux pour contrôler les sondages opérés d’après les méthodes or- dinaires, là où des courants profonds sont supposés exister, puisqu'il ne doit indiquer que la descente verticale. Il cesse d'être efficace dans les très-grandes profondeurs, où son in— suffisance est commune, parait-il, à tous les instruments marchant par des rouages métalliques, I est difficile d’en SONDAGES PROFONDS. [89 expliquer la raison, mais |’énorme pression de Peau parait gener, entraver le jeu des mécanismes. La machine à sonder de Massey dont il est généralement fait usage diffère quelque peu du bouclier dessiné ci-dessous et que nous venons de décrire. Elle est construite d’après le Fig. 43. — Sonde de Massey. meme principe, mais fixée sur un plomb de sondage d'une forme spéciale, ce qui la rend un peu plus embarrassante. Indépendamment de l'intérêt toujours croissant qui se porte depuis quelques années sur les choses de la science, et particulie- rement sur tout ce qui se rattache à la géographie physique, les conditions des profondeurs de la mer, la nature du fond, la force et la direction des courants profonds, la température des grandes 190 LES ABIMES DE LA MER. profondeurs, enfin toutes les circonstances qui se rapportent au fond de la mer, ont acquis une importance pratique très-sérieuse depuis qu'il s’est établi des communications télégraphiques au moyen de cables sous-marins. L’océan Atlantique et les parages accessibles de la mer Arctique, à proximité des nations les plus maritimes et les plus commercantes de notre époque, constamment parcourus par elles, ont été naturellement les premiers et les mieux étudiés, et comme il s'y trouve, selon toute apparence, des profondeurs aussi considérables que dans les autres bassins océaniques, il est probable que leurs conditions peuvent être regardées comme exemples des conditions ordinaires et générales de toutes les mers. L'Atlantique est ouvert d’un pôle à l'autre, participant ainsi à toutes les variations de climat, et communique librement avec les autres mers. Nous ne possédons encore que des données bien restreintes sur les conditions du lit des océans Indien, Antarctique et Pacifique; mais le peu que nous en savons, semble indiquer que leur profondeur n’est pas extrême et que le fond n’en diffère pas beaucoup de ce que nous trouvons plus près de nous. La Méditerranée, cul-de-sac presque complé- tement isolé des mers plus étendues, est régie par des circon— stances toutes particulières, qui seront expliquées plus tard. La conclusion à laquelle nous ont conduits les sondages métho— diques entrepris et soigneusement exécutés pendant les années qui viennent de s’écouler, par notre Amirauté et par les Gou- vernements américain et suédois, e’est que la profondeur de la mer est moins considérable qu'on ne le supposait. J'ai raconté plus haut que, dans le cours de quelques-unes des plus anciennes expéditions de sondage, d'énormes profondeurs avaient été attribuées à quelques parties de l'Atlantique, et j'ai expliqué, par les défectuosités des appareils employés alors, le peu de confiance qu'inspire aujourd'hui le résultat de ces son- dages. Le lieutenant Berryman, du brick des Etats-Unis Dol- phin, inscrivait 4580 brasses (27 480 pieds), profondeur égale à la hauteur du Dhawalagiri, par 41° 7’ de latit. N. et 49° 23" de SONDAGES PROFONDS. 191 longit. O., à mi-route entre New-York et les Acores; «pas de fond » à 4920 brasses (29 520 pieds), profondeur plus grande que la hauteur du Deodunga, le pie le plus haut du globe, par 38°3 de latit. N. et 67°14’ de longit. O.;.« pas de fond » à 6600 brasses (39 600 pieds), par 32°55! de latit. N., et 47°58’ de longit. O.: ce qui ferait supposer l’existence, entre les côtes de l'Amérique et les îles de l’ouest, d’un abime capable d’en- gloutir la chaine entière de l'Himalaya. I est probable que cet espace comprend la portion la plus profonde de l'Atlantique du Nord, mais il n’est pas douteux que ces profondeurs n'aient été exagérées. La profondeur moyenne du lit de l'Océan ne parait pas dépasser de beaucoup 2000 brasses (12006 pieds), hauteur moyenne des plateaux élevés de l'Asie. La mince enveloppe aqueuse qui recouvre une si grande partie de la croûte terrestre remplit les grandes dépressions de son écorce, dont les massifs de terres couronnés de plateaux et de chaines de montagnes, qui s'élèvent au-dessus de sa surface, ne sont que les protubérances abruptes et clair-semées. L’océan Atlantique occupe une surface de 30000 000 de milles carrés, et la mer Arctique 3 000 000 : ces chiffres réunis représentent à peu près l'étendue de l'Europe, de l'Asie et de l’Afrique, cest-a-dire la totalité de l’ancien monde; cependant il ne parait y avoir dans son lit que bien peu de dépressions dont la profondeur dépasse 15 000 ou 20 000 pieds, un peu plus que la hauteur du mont Blanc, et, sauf dans le voisinage des côtes, il n'y existe qu'une seule chaine de montagnes très-élevée, le groupe volcanique des Açores. Les parties centrale et méridionale de l'Atlantique pa- raissent être une ancienne dépression, contemporaine pour le moins du dépôt européen de la formation jurassique ; pendant ces longues périodes, l'effet de ces grandes masses d’eau a été, selon toute probabilité, d'améliorer les contours, d’adoucir les aspérités par l’action désagrégeante de ses vagues et de ses courants, qui, entrainant et distribuant leurs matériaux, effacent les creux et comblent les gouffres. 192 LES ABIMES DE LA MER. Les premières études sérieuses sur l’Atlantique qui indi- querent avec sûreté et précision les grandes profondeurs ont été faites pendant les croisières du lieutenant Lee, comman- dant le brick Dolphin des États-Unis (1851-52), et du lieu- tenant O. H. Berryman, commandant le même vaisseau el 1852-53. Mais le premier voyage pendant lequel les appareils nouveaux ont été employés avee exactitude et dans un but pratique, c’est celui que fit le lieutenant Berryman en 1856, sur le vapeur des Etats-Unis Arctic, pendant lequel on fit vingt-quatre sondages de grandes profondeurs, au moyen des machines de Brooke et de Massey, dans une direction cireu- laire, entre Saint-Jean de Terre-Neuve et Valentia en Irlande, pour préparer la pose du premier cable. Le même espace a été étudié en juin et juillet 1857 par le lieutenant Dayman, avec le vaisseau de S. M. Cyclops; il fit trente-quatre sondages avec la machine de Massey et celle de Brooke modifiée ainsi que nous avons indiqué plus haut. L'expédition de quelque importance qui suivit celle-ci fut celle que commanda le lieutenant Dayman, de Terre-Neuve aux Açores, et de Ja -en Angleterre, sur le vaisseau de S. M. Gorgon. On sonda les profondeurs avec un plomb de 188 livres, qu'on laissait au fond ainsi que la corde. Une seule fois, à un tiers environ de la distance des Acores en Angleterre, un plomb à coupe fut immergé, retenu par une corde plus forte, dans 1900 brasses ; il remonta à moitié plein de limon grisatre. Un autre trajet pour le câble ayant été proposé, le vaisseau de S. M. Bull-dog partit en 1860 sous les ordres du capitaine sir Leopold M‘Clintock, sonda entre les iles Farôer et l'Islande, et de là au Groenland et au Labrador. Les sondages se firent d’abord avec un poids de fer d’un quintal environ, attaché à une corde de pêche; la corde était coupée à chaque sondage et le poids restait au fond ; puis le sondage était répété avec la machine à sonder du Bu//-dog, qui ramenait d’abondants échantillons du fond. Le Dt Wallich, naturaliste de l’expé- dition, a écrit le journal de ce voyage, qui fut publié plus SONDAGES PROFONDS. 193 tard par lui comme complémeut de Vimportant mémoire sur le fond de l'Atlantique du Nord, auquel j'ai déjà fait allusion '. Quelques discussions s'étant élevées à propos du trajet auquel on devait donner la préférence pour le cable télégraphique de l’Atlantique, le capitaine Hoskyn, de la Marine royale, fut envoyé sur le Porcupine pour étudier la curieuse dépression de 900 à 1750 brasses, signalée par le capitaine Dayman en 1857, et placée, selon lui, à environ 170 milles à l’ouest de Valentia. Un résultat important de ce voyage fut la découverte du banc du Porcupine à 120 milles environ à l’ouest de la baie de Galway, avec profondeur minimum de 82 brasses. Vers la fin de l’année 1868, le vaisseau de S. M. Gannet, commandant W. Chimmo, de la Marine royale, reçut de VAmirauté l’ordre de tracer, pendant son voyage de retour d'une station aux Indes occidentales, la limite septentrionale du Gulf-stream, de faire des sondages profonds et des relevés de températures. Il exécuta, avec l'appareil de Brooke, treize sondages dans un espace de plus de 10 000 milles carrés, depuis l’île des Sables (43° 20° de latit. N. et 60° de longit. O.), dans des profondeurs variant de 80 à 2700 brasses. Depuis bien des années déjà, le Gouvernement américain se livre à une étude complète et minutieuse de sa ligne de côtes ; récemment encore l'inspection côtière, dirigée par feu le professeur Bache et par l’énergique directeur actuel du Bureau hydrographique, le professeur Pierce, a poussé ses opérations jusque dans les grandes profondeurs, particulièrement dans la région du Gulf-stream, au nord-ouest du détroit de la Floride. Des expéditions de draguage ont été dirigées avee suceès par le comte de Pourtalès, et l’on verra plus loin que les résultats par lui obtenus complètent et corroborent les nôtres d’une maniére précieuse. Le Gouvernement suédois a exécuté à deux reprises et avec les plus grands soins, des sondages dans la mer qui sépare le Spitzberg du Groenland, ainsi qu’au 1. Voyez page 20 et suivantes. 194 LES ABIMES DE LA MER. sud-ouest du Spitzberg; en 1860, sous la direction d'Otto Thorell, et en 1868, par l'expédition arctique suédoise, commandée ‘par le capitaine comte von Otter, du vapeur suédois Sophia. En 1869, la corvette suédoise Joséphine, sondant et draguant dans l'Atlantique du Nord, fit pénétrer la sonde au delà de 3000 brasses, et découvrit le banc José phine, avec profondeur minimum de 102 brasses, par 36° 45’ de latit. N. et 14° 10’ de longit. O., au nord-ouest du détroit de Gibraltar. Les expéditions polaires de l’Allemagne ont beaucoup ajouté à notre connaissance des mers du Nord et du Spitzberg. Enfin, le 20 décembre 1870, le vaisseau-école américain Mercury, capitaine P. Giraud, traversa |’ Atlantique des tropiques jusqu'à Sierra—Leone, où il arriva le 14 février 1871. Il en repartit le 21 février, et continua les sondages et les recherches jusqu'à son arrivée à la Havane le 13 avril. Le but de l’expédition et le caractère de ceux qui la compo saient sont choses singulières et instructives. Il parait que le Mercury appartient aux membres de la Commission des hospices et des prisons de New-York, et qu'on s’en sert pour l'éducation maritime de jeunes garcons détenus pour vaga— bondage et autres méfaits de peu de gravité : une des con- ditions importantes de l'éducation donnée à bord de ce vais- seau, c’est que, faisant des croisières de longue durée, ces jeunes gens deviennent rapidement capables d'entrer dans la marine de l’État ou dans la marine marchande. A l’occasion de la croisière dont nous venons de faire mention, les com- missaires, désireux de favoriser l’instruction de leurs pupilles tout en travaillant au progrès de la science, recommanderent au capitaine d'exécuter une série de sondages sur ou dans le voisinage même de la ligne de l’équateur, depuis la côte d'Afrique jusqu’à l'embouchure de l'Amazone, et de faire des observations sur le système de courants de surface et sur la température de l’eau à diverses profondeurs. Les commissaires rendent le témoignage le plus favorable de ce mode d’édueation, qui est maintenant généralement SONDAGES PROFONDS. 195 adopté. Cette vie aventureuse est pleine de charme pour des jeunes gens qui se trouvent dans les conditions de ceux dont nous nous occupons, de sorte que, «au lieu de devenir, en erandissant, le fléau de l'humanité, elle en fait des hommes utiles ». Sur les deux cent cinquante vauriens qui ont fait ce voyage, cent étaient, au dire du capitaine, capables au retour de s'acquitter convenablement du travail d’un matelot ordinaire. | On s’est servi, sur le Mercury, de Vappareil de sondage à boulet perdu de Brooke, et le rapport fait par le professeur Henry Draper, de New-York, sur les résultats scientifiques de l'expédition, est accompagné d’un dessin qui représente le lit de l'Océan, au 12° parallèle, appuyé de l'autorité de quinze sondages. I] démontre «qu’à partir de la côte d’A- frique, le lit de l'Océan s’abaisse rapidement, A 2 degrés ouest de la longitude du cap Vert, les sondages ont donné 2900 brasses. A partir de ce point, la profondeur moyenne à travers l'Océan peut s’estimer à environ 2400 brasses ; mais ici on trouve deux exceptions bien marquées : d’abord une dépression dont la profondeur est de 3100 brasses, puis une élévation où elle ne dépasse pas 1900 : la conclusion, c’est qu'il existe un creux profond du côté africain et un autre plus étroit et moins profond du eôté de l'Amérique '. » La planche VII est une carte sur laquelle les profondeurs les plus grandes sont teintées des nuances bleues les plus foncées, à raison d’une nuance par 1000 brasses. Dans la mer Arctique, à l’ouest et au sud-ouest du Spitzberg, il y a de grandes profondeurs allant à 1500 brasses; puis un vaste plateau commence aux côtes de la Norvége, comprenant l'Is- lande, les iles Faréer, Shetland et Orcades, la Grande-Bre- 1. Cruise of the School-ship Mercury in the Tropical Atlantic, with a Report to the Commissioners of Public Charities and Correction of the City of New-York on the Chemi- cal and Physical Facts collected from the Deep-sea Researches made during the Voyage of the Nautical School-ship Mercury, undertaken in the Tropical Atlantic and Caribbean sea, 1870-71. By Henry Draper, M. D., professor of analytical Chemistry and Physiology in the University of New-York. Abstracted in Nature, vol. V, p. 324. 196 LES ABIMES DE LA MER. tagne et l'Irlande, et le lit de la mer du Nord jusqu'aux côtes de la France. La profondeur y atteint rarement 500 brasses. Par contre, à l’ouest de VIslande, et communiquant sans aucun doute avec les grandes profondeurs de la mer du Spitzberg, se trouve une dépression de 500 milles de largeur, et en quelques endroits profonde de près de 2000 brasses, serpentant le long des côtes du Groenland. C'est la voie de retour de l’un des grands courants arctiques. Après une pente eraduelle jusqu'à la profondeur de 500 brasses, à l’ouest des côtes de l'Irlande, par 52° de latitude N., le fond s’abaisse rapidement jusqu'à 1700 brasses, dans la proportion de 15 à 19 pieds sur 100, et de ce point jusqu'à 200 milles envi- ron des côtes de Terre-Neuve, où les bas-fonds reprennent, il existe une vaste plaine sous-marine ondulée, ayant une moyenne d'environ 2000 brasses de profondeur, au-dessous de la surface. C’est la le plateau télégraphique. Une vallée large d'environ 500 milles, d’une profondeur moyenne de 2500 brasses, s'étend de la côte sud-ouest de l'Ir- lande, longe les côtes d'Europe, s’avance dans la baie de Biscaye, et, après avoir dépassé le détroit de Gibraltar, se pro— longe sur la côte occidentale de l'Afrique. Vis-à-vis des îles du Cap-Vert, elle parait plonger dans un creux légèrement plus profond, qui oceupe l’axe de l’Atlantique du Sud, et passe dans la mer Antarctique. Une vallée à peu près semblable contourne les côtes de l'Amérique du Nord avec 2000 brasses de pro- fondeur, à la hauteur de Terre-Neuve et du Labrador, et de- vient beaucoup plus profonde encore vers le sud, où elle suit les contours des côtes des États-Unis et des iles Bahama et Windward, pour se réunir enfin au sillon central de l'Atlantique du Sud, à la hauteur des côtes du Brésil, dans une profondeur de 2500 brasses. Une voie large, élevée, et à peu près de niveau, ayant une profondeur moyenne de 1500 brasses, presque égale en étendue au continent africain, part de l'Islande dans la direction du midi, presque jusqu'au 20° parallèle de latitude nord. Le point culminant de ce plateau se trouve placé au SONDAGES PROFONDS. 197 parallèle de 40° de latitude N., au groupe volcanique des Acores. Pico, le point le plus élevé du groupe, est à 7613 pieds (1201 brasses) au-dessus du niveau de la mer, ce qui donne au niveau du plateau une hauteur de 16 206 pieds (2701 brasses), un peu plus que la hauteur du mont Blanc, au-dessus du niveau de la mer. Les sondages exacts n'ont point encore été assez fréquents pour permettre de tracer même une simple esquisse de la carte détaillée des contours de l'Atlantique, et un croquis tel que celui que nous donnons icine doit être regardé que comme un premier et grossier essai. Rien cependant ne saurait en donner une idée plus erronée et plus exagérée que la section idéale qui se trouve dans la Géographie physique de la mer du capitaine Maury, quoique sous certains rapports l'ouvrage soit très-exact. D’après les connaissances acquises, |’ océan Atlantique re- couvre une vaste région formée de vallées larges et peu pro- fondes, de plaines ondulées, accidentées de quelques groupes de montagnes volcaniques, dont l'étendue et l'élévation sont insignifiantes, si on les compare aux espaces immenses *qui composent le lit de l'Océan. Nolsé, vue des collines au-dessus de Thorshaven (Farüer) / CHAPITRE VI DRAGUAGES : PROFONDS Drague du naturaliste. — O. F. Müller. — Drague de Ball. — Le draguage dans les profondeurs moyennes. — Corde à draguer. — Le draguage dans les grandes pro- fondeurs. — Les houppes de chanvre. — Le draguage à bord du Porcupine. — Les tamis. — Le carnet du dragueur. — Commission de draguage de l'Association Britannique. — Le draguage sur les côtes de la Grande-Bretagne. Le draguage au loin. — Histoire des progrès accomplis dans l’étude de la faune des abimes. APPENDICE A.— Bulletin de draguage publié au nom de la commission de l'Association Britannique par M. M. Andrew. Jusqu'au milieu du siècle dernier, le peu que l’on savait des habitants de la zone inférieure de la mer au plus bas étiage paraît avoir été di aux quelques spécimens recueillis sur les plages après les tempêtes, et aux captures faites par hasard sur les cordes de sonde, sur celles de péche, et dans les filets et dragues à Huîtres et à Moules. Il n’était même pas toujours possible de mettre à profit ces sources précaires d'instruction, car pour les obtenir il fallait lutter (et le plus souvent inutilement) contre la répugnance superstitieuse qu'éprouvaient les pêcheurs à rapporter d’autres captures que celles qui font l’objet de leur commerce habituel. De nos jours encore, c’est à peine si l'influence de l’école est parvenue à détruire quelques-uns de ces vains préjugés; la plupart des pêcheurs ignorent si complétement la nature de ces ani- maux étranges, qu'ils voient facilement en eux des êtres sur- naturels et malfaisants, dont la puissance occulte peut être DRAGUAGES PROFONDS. 199 des plus facheuses pour eux-mêmes et pour les résultats de leur pêche. Je crois pourtant que les progrès de l'instruction tendent à faire disparaitre ces idées fausses; et aujourd'hui il doit se perdre moins de nouveautés rares et précieuses sous le prétexte que « cela porte malheur » de les recueillir dans la barque. Il ne parait pas que la drague à l'étude de la faune du fond de la mer avant l’époque où Otho Fre- derick Müller l’employa pour faire les recherches qui lui procurèrent la matière de l’admirable travail qu'il publia en 1779 sous le titre de : /es- criplion des animaux du Danemark et de la Norvége les plus rares et les moins connus. Dans la préface du premier volume, Müller fait une description de ses appareils et de sa manière de procéder, qui est pleine d'originalité et dune lecture des plus intéressantes. Le premier paragraphe de cet au- teur décrit une drague qui ne diffère pas beaucoup de celle de Ball et du naturaliste ait servi SAR = re Fic. 44. — Drague de Otho Frede- rick Müller (A. D. 1700) Forbes (fig. 44), à cela près cependant que l'ouverture parait en avoir été carrée, ce qui constitue une modification qui peut être heureuse sous certains rapports, mais qui, dans la plupart des cas, donne bien des chances au sac de se vider de son contenu en remontant à la surface. « Praecipuum instrumentum quo fundi maris et sinuum » incolas extrahere conabar, erat sacculus reticularis s, ex funi- » culis cannabinis concinnatus, margine aperturae alligatus » laminis quatuor ferreis ora exteriori acutis, vinam longis; ~ Ÿ > quatuor vneias latis, et in quadratum dispositis. Angulis laminarum exsurgebant quatuor bacilli ferrei, altera extre- 200 LES ABIMES DE LA MER. » mitate in annulum liberum iuncti. Huie annectitur funis » ducentarum et plurium orgyarum longitudine. Saccus mari » immissus pondere ferrei apparatus fundum plerumque petit, » interdum diuersorum et contrariorum sæpe fluminum maris » inferiorum aduersa actione moleque ipsius funis plurium or- » gyarum in via retineri, nec fundum attingere creditur. » Le dessin de cette premiére drague du naturaliste est em- prunté à une vignette qui accompagne le titre et orne la pre- mière page du livre de Müller. « Fundo iniacens ope remorum aut venti modici trahitur, » donee tractum quendam quaeuis obuia excipiendo confecerit. > Y In cymbam denique retrahitur spe et labore, at opera et oleum » saepe perditur, nubesque pro lunone captatur, vel enim totus » argilla fumante aut limo foetente, aut meris silicibus, aut » Testaceorum et Coralliorum emortuorum quisquiliis impletur, » vel saxis praeruptis et latebrosis cautibus implicitus horarum » interuallo vel in perpetuum omnia experientis retrahendi in- Le » uenta frustrat; interdum quidem vnum et alterum Mo//us— » cum, Helminthicum, aut Testaceum minus notum in dulee » laborum lenimen reportat. » Müller décrit les difficultés qu il rencontra dans l’accomplis- sement de son ceuvre. La pauvreté de vie animale sur les côtes scandinaves, la rudesse de leur climat variable, « aéris ) 2 intemperies, marisque in sinubus et oris maritimis Nor- » vegiae inconstantia adeo praepropera et praepostera, vt aër » calidissimus vix minutorum interuallo in frigidum, tempestas » serena in horridam, malacia infida in aestu ferventem pela- » gum haud raro mutetur. » tien pourtant ne saurait dompter l'énergie du vieux natu- raliste, qui, dans son enthousiasme, regardait peines, fatigues et privations comme l'accompagnement nécessaire de la besogne de chaque jour : « Hane mutationem saepius cum vitae periculo et sanitatis » dispendio expertus sum, nec tamen, membra licet fractus, » animum demisi, nee ab incepto desistere potui. Discant de- DRAGUAGES PROFONDS. 201 » hine historiae naturalis scituli, rariora naturae absque inde- » fesso labore nec comparari, nec iuste nosci *. » Il ne parait pas pourtant qu'Otho Frederick Müller ait jamais dragué au dela de 30 brasses, et de son temps l’étude des animaux marins était trop peu avancée pour donner lieu a une classification quelconque de leur distribution dans les di- verses profondeurs. — L'appareil qui sert généralement à draguer les Huitres et les Moules dans les contrées du Nord se compose d’un léger chassis de fer long de cinq pieds, avee une ouverture d’un pied environ. À l’une de ses extrémités est placé un racloir semblable au fer d’une houe étroite, à l’autre un appareil de suspension fait de minces tiges de fer réunies par un anneau auquel est attachée la corde de draguage. A ce chassis est suspendu un sac d'environ deux pieds de profondeur, fait d'un filet de chai- uettes de fer, d’un filet de cordelettes de chanvre, ou d’un mélange des deux. Les dragueurs naturalistes se sont servis d’abord de la drague ordinaire à Huitres, dont les différents systèmes adoptés de nos jours ne sont que des modifications et des perfectionnements, car son extréme simplicité la rend impropre aux usages scientifiques. La drague a Huitres n'a. de racloir que d’un seul côté. Entre les mains exercées des pêcheurs ce n’est point un inconvénient, car elle est toujours plongée de manière à tomber de ce côté-là ; mais, soit mala- dresse, soit défaut d'habitude, les savants qui s’en sont servis dans les grandes profondeurs s’arrangeaient ordinairement pour la faire descendre sur la face opposée, ce qui expliquait suffisamment son retour à vide; puis la drague à Huitres ne devant retenir que celles qui ont atteint certaines dimensions, les mailles des dragues à péche sont de largeur à laisser échap— per tout ce qui est de dimension inférieure, ce qui ne peut faire l'affaire du naturaliste, dont quelques-unes des captures les plus précieuses sont des atomes à peine visibles à l'œil nu. 1. Zoologica Danica, sev Animalivm Daniae et Norvegiae rariorum ac minys noforvni Descriptiones et Historia. Avctore Othone Friderico MuLLer. Havniae, 1788. 202 LES ABIMES DE LA MER. ; 2 Pour parer à ces Inconvénients, il s'agit d'adapter à chacun des côtés de la drague un racloir, et d’assujettir les bras de telle sorte que l’un ou l’autre des racloirs atteigne toujours le fond, quelle que soit la position de la drague ; la proportion de la longueur du sac avec la dimension du chassis devra être plus grande ; celui-ci sera fait d’une étoffe assez lâche pour laisser librement écouler l’eau, et les ouvertures seront ménagées de ma- nière que la partie inférieure puisse conserver le limon le plus fin. Feu le D' Robert Ball (de Dublin) a imaginé un perfectionnement qui a été depuis universellement adopté par les naturalistes de I’ Angleterre et par ceux de l'étranger, sous le nom de drague de Ball (fig. 45). Les dragues de ce modèle dont on s’est servi pendant les dix années qui ont suivi celle de l'invention (1838) étaient petites et assez pesantes; elles n'avaient pas plus de douze à quinze | YAR À eS SS At pouces de longueur sur quatre ou XV AN quatre et demi de largeur à l’ouver- ture. Leurs racloirs avaient la lon— sueur du chassis de l'ouverture et un pouce à un pouce et demi de lar— D": QU à » AA geur. Îls étaient posés à un angle de 110 degrés du plan de ouverture — Fig a5) = pias MisBel. de la drague, de sorte qu'à mesure que celle-ci était lentement entrai- ‘née, le racloir, frottant le fond, recueillait tout ce qui s’y trou- vait posé. J’ai vu le D° Ball répandre sur le plancher de son salon des pièces de monnaie et les relever trés—adroitement en promenant la drague dans la position voulue. Depuis cette époque nous nous sommes servis de dragues construites d’après le système Ball, seulement beaucoup plus DRAGUAGES PROFONDS. 208 considérables. La forme et la dimension les plus convenables peut-être pour draguer avec un bateau à rames ou une yole, | dans des profondeurs inférieures à 100 brasses, sont celles de la drague représentée figure 45. Le chassis a dix-huit pouces de longueur sur cing de largeur. Les fers racleurs ont trois pouces de largeur et sont posés de manière que leurs bords soient à sept pouces et demi de distance l’un de l’autre. Les extrémités du châssis qui réunissent les racloirs sont des tiges arrondies, de fer, qui ont cing huitièmes de pouce de diamètre. De ces tiges partent deux bras recourbés, de fer de même épaisseur, qui se divisent en deux branches assujetties aux extrémités des tiges transversales par des anneaux qui permettent aux bras de retomber sur l'ouverture de la drague, et se réunissent par deux épaisses boucles à dix— huit pouces au-dessus du centre du chassis. Le poids total du chassis, de la drague et des bras est de vingt livres. Il est nécessaire qu'il soit fait du meilleur fer forgé de Lowmoor ou de Suède. Jai vu un solide chassis de drague en fer de Low-— moor, pris entre deux rocs, aplati comme un morceau de cire par les efforts faits pour le dégager; et, chose singulière, la drague qui remontait en si piteux état ramenait l'unique exem- plaire d’un Échinoderme tout à fait inconnu jusque-là, et dont aucun autre exemplaire n’a été retrouvé depuis. Les bords intérieurs et épais des fers racleurs sont percés de trous ronds placés à un pouce les uns des autres, à travers les- quels sont passés des anneaux de fer d’un pouce environ de diamètre ; deux ou trois de ces anneaux sont passés aux tiges courtes qui forment les extrémités du chassis de la drague. Une baguette flexible de fer, recourbée de manière à accompagner l'ouverture de la drague, passe ordinairement à travers ces anneaux, et l’ouverture du sac est solidement cousue aux anneaux et à la baguette, avec une forte corde ou un fil de cuivre. Le sac de la drague qui est en ce moment sous mes yeux et qui nous a rendu de bons et nombreux services, a deux pieds de profondeur; il est de filet fait à la main avec de la forte 204 LES ABIMES DE LA MER. lignerolle; les mailles ont un demi-pouce carré. Un filet aussi large laisserait échapper tous les objets de petit volume ; pour obvier à cet inconvénient, le fond du sac est doublé, jusqu'à une hauteur de neuf pouces, d’un canevas fin et léger. Bien d’autres matières ont été essayées pour la confection des sacs de drague. La peau brute de buffle ou de vache a l'avantage d’être très-solide, mais elle contracte promptement une odeur des plus désagréables. Quand on s’en sert pour cet usage, il est nécessaire de la percer de trous ou de laisser les coutures, qui sont faites avec des lanières, suffisamment laches pour que l’eau puisse se déverser au travers. Un autre genre de sac que j'ai vu fréquemment employer est fait de toile à voiles; sur chacune de ses deux faces on ménage une fenétre fermée par de la toile métallique solide. Aucun ne me parait préfé- rable à celui qui est fait de fort filet de corde. L’eau le tra- verse facilement et emporte avec elle une grande partie du limon dont le fond, doublé de canevas, retient pourtant une quantité suffisante pour servir d'échantillon. On peut alléguer que bien des objets petits et précieux peuvent être entrainés avec le limon à travers les mailles de la partie supérieure de la drague; mais, d’un autre côté, si le sac est très-serré, il est sujet à se remplir de boue et à ne ramener que cela. ll est toujours bon en draguant, et quelle que soit la profon— deur, de s'assurer au préalable avec la sonde de la profondeur approximative ; de plus, le plomb devrait toujours être accom— pagné d’un thermomètre abrité, car la valeur du draguage sera infiniment plus grande, comme étude de distribution géogra- phique, s’il est accompagné d’un relevé exact de la température du fond. Pour des profondeurs inférieures à 100 brasses, la quantité de corde déroulée devra être au moins du double de la profondeur. Au-dessous de 30 brasses, où le travail se fait généralement avec une plus grande rapidité, la quantité devra se rapprocher du triple. Cela donne beaucoup de jeu à la corde en avant de la drague, si le bateau avance très-lentement, circonstance qui maintient l'ouverture de la drague bien au DRAGUAGES PROFONDS. 205 fond de l'eau; et si le bateau marche trop vite, faute qui se commet trop souvent dans les draguages d'amateurs, la drague a encore quelque chance d'arriver au fond, à cause de langle suivant lequel se trouve placée la corde dans l’intérieur des eaux. C’est une fausse économie que de se servir d’une corde trop mince. Pour une drague telle que celle qui vient d’être dé- erite et pour travailler, sur les côtes de l’Europe, à des profon- deurs accessibles sur un bateau à rames ou sur une yole, je con— seillerais une ralingue faite du meilleur chanvre de Russie, qui n'ait pas moins d’un pouce et demi de circonférence et qui se compose de dix-huit à vingt fils en trois cordons. Chacun des fils devrait être de force à soutenir un poids de près de cent livres, de manière que la puissance de résistance flit de plus d'une tonne. Une corde n’est certes jamais volontairement sou- mise a pareil effort, mais dans les eaux basses la drague est sou- vent accrochée par des rochers ou par des coraux, et la corde doit être assez forte, en pareil cas, pour ramener le bateau en arrière, quand mème il serait animé d’une certaine vitesse. En draguant dans le sable et le limon, il suffit de passer la corde à travers le double ceillet formé par l’extrémité des deux bras de la drague; sur un terrain rocailleux ou inconnu, il vaut mieux n’attacher la corde qu'à un seul des œillets et lier en- semble les deux ceillets par deux ou trois tours de fil de caret. Ce lien se casse beaucoup plus facilement que la corde de dra- guage ; de sorte que si la drague vient à s’embarrasser, il est le premier à se rompre sous l'effort, ce qui produit souvent dans la position de la drague un changement subit qui amène son dégagement. La drague devra glisser sans secousse par-dessus le bord, de l’avant ou de l'arrière (si l’on est dans un petit bateau, il est préférable que ce soit de l'arrière), pendant que le bateau con- tinue à cheminer lentement, et la direction que prend la corde indique approximativement si la descente de la drague se fait d'une manière satisfaisante. Quand elle arrive au fond et com- mence à racler, une main exercée ressent immédiatement 206 LES ABIMES DE LA MER. Vébranlement que communique à la drague le contact des ra- cloirs avec les aspérités du fond, La longueur de corde voulue est alors déroulée, et la corde est accrochée à une banquette ou à une cheville. Pour peu qu’il y ait quelque chose qui ressemble à un cou- rant, quelle qu’en soit la cause, il est bon d’attacher à la corde, à trois ou quatre brasses en avant de la drague, un poids qui varie de quatorze livres à cinquante ; cette précaution empêche jusqu'à un certain point le soulèvement de l'ouverture. En ajustant le poids plus près de la drague, on risquerait de faire endommager les objets fragiles qui peuvent s’y introduire. La marche du bateau doit être très-lente, d'environ un mille à l'heure. Dans les eaux tranquilles, ou agitées seulement d’un très-faible courant, la drague fait naturellement l’effet d’une ancre, et rend nécessaire l’aide des rames ou de la voile; mais pour peu que le bateau ait un mouvement quelconque, même très-faible, cela suffit. La meilleure condition, à mon avis, pour draguer, c'est de marcher avec un léger vent arrière contre une faible marée ou un imperceptible courant, des poids ayant été attachés à la drague et tous les ris ayant été pris; malheu- reusement ces circonstances favorables ne peuvent se créer à volonté. La drague doit demeurer au fond pendant un quart d'heure ou vingt minutes; au bout de ce temps, si les choses ont convenablement marché, elle doit étre suffisamment garnie. Quand on drague avec un petit bateau, la manière la plus simple de remonter le filet, c’est de faire retirer la corde par deux ou trois hommes qui se la passent de main en main et la disposent à mesure en rouleau au fond du bateau. Lorsqu'il s'agit d’une grande vole ou d’un yacht, et pour des profondeurs qui dépassent 50 brasses, un cabestan devient d’un grand se- cours. La corde s’enroule deux fois autour du cabestan, qui est manœuvré par deux hommes, pendant qu'un troisième la prend et la replie avec soin. Le draguage profond, c’est-à-dire celui qui dépasse 200 brasses, offre des difficultés sérieuses, et ne peut guère DRAGUAGES PROFONDS. 207 s exécuter avec l’attirail dont disposent ordinairement les ama- teurs. La chose est faisable, sans doute, avec un yacht à vapeur de grande dimension; mais le travail fort pénible qu’exige pareille entreprise, accomplie au moyen d’appareils nombreux, volumineux et embarrassants, répondrait fort mal à ce qu'on en attendrait dans une partie de plaisir. Je ne sache pas qu'on puisse perfectionner beaucoup les appareils ou la méthode adoptés sur le Porcupine en 1869 et 1870. Je vais donc décrire avec quelques détails son matériel, et raconter le draguage le plus profond qui ait été fait dans la baie de Biscaye, et celui de tous qui a mis nos instruments à la plus rude épreuve. Le Porcupine est une canonnière de 382 tonneaux, équipée pour le service d'inspection qu’elle fait depuis plusieurs années autour des Hébrides et sur la côte orientale de l'Angleterre. Le navire fut désigné en 1869 pour le travail que nous entrepre- nions; il était pourvu de son matériel de surveillance, aug— menté de tout ce qui était nécessaire à notre expédition. Ainsi une machine de secours (petit cheval) de la force de 12 che- vaux, avec tambours de différentes dimensions, les grands pour remonter rapidement les poids peu considérables, les moindres pour les fardeaux plus pesants, fut installée sur le pont, à mi- longueur du bâtiment, de manière que les cordes arrivassent jusqu'aux tambours soit de l'avant, soit de l'arrière. Cette petite machine nous a été on ne peut plus utile. Nous nous ser- vions habituellement du gros tambour pour sonder et pour draguer, et, à l’exception d’une ou deux fois, où le sac ramena un poids énorme (près d’une tonne), elle a, pendant tout l'été, remonté la corde régulièrement avec une vitesse de plus d’un pied par seconde. Une très-forte grue se projetait au-dessus du sabord d'avant. Une grosse poulie était suspendue à l'extrémité de la grue par une corde qui, ainsi que je l’ai indiqué à propos du cable de sonde, n’était pas assujettie directement au mât, mais passait à travers un ceillet, et venait ensuite s'attacher à une bitte sur le 208 LES ABIMES DE LA MER. pont. Un puissant accumulateur était amarré à un balant de cette corde. Cet instrument a été décrit plus haut (page 185), et. nous a été d’une grande utilité pour gouverner convenablement la ligne de sonde. L’accumulateur est sans prix pour draguer sur un grand vaisseau. Ses ressorts, assez solides pour que la traction de la drague ne les fasse pas allonger d’une maniere sensible, se roidissent, se tendent, et cèdent avec une sorte de vibration au mouvement de tangage du vaisseau. Quand ils se tendent, c’est une indication certaine que la drague est accro— chée, ou que sa charge devient trop forte, et qu’il est néces— saire de soulager la corde par un ou deux tours des roues ou de Vhélice. Il faut avoir soin que le balant auquel l’aecu- mulateur est attaché n’ait pas plus de deux fois la longueur des ressorts non tendus. Des ressorts en bon état et d’une force suffisante doivent s’allonger bien au dela du double de leur © longueur, mais il ne serait pas prudent de pousser aussi loin l'épreuve, parce que, l’un d’eux venant à se rompre, il en résul- terait une secousse des plus graves. Quand il se fait sur la corde une tension très-forte, son action, portant d’abord sur l’accu- mulateur, fait descendre la poulie et allonge les ressorts. Une échelle graduée, attachée à la grue près de laquelle l’aceumu- lateur fonctionne, marque en quintaux la mesure approxima— tive de la tension de la corde. Une seconde grue, de force presque égale, est placée a l’ar- rière, ct le draguage se fait tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre. Cependant la grue de l’arrière servait surtout au son- dage, le plateau de préparation et les autres accessoires y ayant été disposés. Nous avions à bord du Porcupine un arrangement des plus ingénieux pour la corde de draguage, qui en rendait la manœuvre des plus faciles, malgré son énorme poids, envi- ron 9900 livres. Une rangée d’une vingtaine de grandes che- villes de deux pieds et demi de longueur, terminées du côté du pont par une grosse boule blanche, était disposée sur un des côtés du gaillard d’arriére, s’élevant en ligne oblique depuis le haut du bastingage. Chacune de ces chevilles était chargée DRAGUAGES PROFONDS. 209 d’un rouleau de 200 à 300 brasses, et la corde était enroulée sans interruption sur toute la rangée (fig. 46). Pendant la des- 7 SSAA ae peeves le croco TT ag Fic. 46. — Vue de l'arrière du Porcupine, montrant l'accumulateur, la drague, et la manière de suspendre la corde. cente de la drague, les hommes déroulaient rapidement la corde des chevilles, l'une après l’autre, en commençant par 14 210 LES ABIMES DE LA MER. celle qui était le plus rapprochée de la grue de draguage; en remontant la drague, les hommes, organisés en relais, repre- naient la corde sur le tambour de la petite machine, et l’en— roulaient sur les chevilles en intervertissant l’ordre dans lequel ils y avaient prise. Ainsi done, en descendant, la corde passait directement des chevilles à la poulie de la grue, tandis qu’en remontant, elle allait de la poulie au tambour de la petite ma- chine, d'où elle était transportée par les hommes et enroulée autour des chevilles. La corde de draguage avait 3000 brasses (près de 3 milles et demi) de longueur. Sur cette longueur, 2000 brasses étaient un grelin du meilleur chanvre de Russie, de 2 4 pouces de circonférence, avec une puissance de résistance de 2 + tonnes. Les 1000 brasses qui avoisinaient la drague étaient égale- ment un grelin de 2 pouces de circonférence. La corde de Fic. 47.— Chassis de la drague. chanvre de Russie parait être la meilleure pour cet emploi. Celle de Manille est beaucoup plus forte, s’il s’agit d’une ten- sion soutenue, mais les fibres en sont plus cassantes et plus sujettes à une brusque rupture. Je n’ai jamais dû employer de corde de fil de fer, mais je crois que ce moyen aurait le même inconvénient. Le Challenger ‘ sera muni, pour sa grande expé- dition, de cordes de baleinier. Le chassis de l’une des dragues 1. Navire qui fait actuellement autour du monde une campagne de draguages pro- fonds et de sondages qui doit durer plusieurs années. M. Wyville Thomson en a la direction scientifique. (Note du traducteur.) DRAGUAGES PROFONDS. 211 dont nous nous sommes servis dans la baie de Biscaye est re- présenté figures 47 et 48. Sa longueur est de # pieds 6 pouces, et il a 6 pouces de largeur à son plus grand étranglement. La drague avec laquelle nous avons fait notre travail le plus pro- fond différait un peu de ce modèle. La moitié de chacun des ie N N N N AN K ù (ee FIG. 48.— Châssis de la drague montrant la manière dont est fixé le sac.—a, nœud de fil de caret bras qui aboutissait à l’œillet ou anneau auquel la corde était attachée, était faite d’une lourde chaîne, mais je doute beau coup que ce soit là une amélioration; la chaîne, en traïnant devant la drague, risque de faire obstacle à l'introduction des objets et de les endommager plus qu’une paire de bras, que leur rigidité maintient à distance sur l’un des côtés. La chaîne 212 LES ABIMES DE LA MER. était assujettie au bras de la drague par un nœud de cinq tours de fil de caret, de sorte que, la drague venant à s’accrocher ou à s'engager dans les pierres et les rochers, un effort, in— suffisant pour rompre la corde, fait briser ce lien et dégage quelquefois l'engin par le seul fait d’un changement de posi- tion; si le sac recoit un fardeau de limon trop considérable pour la corde, le lien, en se cassant, fait pencher l'instrument, qui s’allége ainsi de son trop-plein. Le châssis de cette drague, la plus grande dont nous nous soyons jamais servis, pesait 225 livres. Il avait été forgé chez MM. Harland et Wolff de Belfast, du meilleur fer de Low- moor. Le sac, de filet de cordelettes, était doublé de canevas. Trois poids, l’un de 100 livres, les deux autres de 56 livres chacun, étaient suspendus à la corde à 500 brasses de la drague. L'opération de sondage, faite le 22 juil- let 1869 dans la baie de Biscaye, à 2435 brasses de profondeur, a déjà été racontée avec détail. Vers quatre heures quarante- Fic. 49. — Un des côtés cing minutes de l'après-midi, après s'être du chassis montrant la manière dont est fixé le filet. immergea la drague. Le vaisseau dérivait assuré avec exactitude de la profondeur, on lentement devant une brise modérée (force — 4) du nord-ouest. Les 3000 brasses de corde se trouvèrent déroulées à cing heures cinquante minutes de l'après-midi. Le dessin (fig. 50) donnera une idée des différentes positions respectives de la drague et du vaisseau, suivant la méthode adoptée par le capitaine Calver, qui réussit admirablement, et qui parait être en défi- nitive la seule praticable pour les grandes profondeurs. À re— présente la position du vaisseau au moment de limmersion de la drague, et la ligne de points AB la voie de descente de l'instrument, rendue oblique par la tension de la corde. DRAGUAGES PROFONDS. 213 Pendant la descente, le vaisseau dérive graduellement sous le vent, et C, W et D représentent les positions respectives du vaisseau, du poids attaché à 500 brasses de la drague, et celle de la drague elle-même quand les 3000 brasses de corde ont A Yj {| L Wind = | Reg Nw es == ; | - | = = = \ = = = = = ; | = = i | À = = = à É = = { = = | =e = = = : = We | = == = = ec = = = = 2s =e : =} == = = / : E | = = if =| =| 5 = = = É = = =; = = Fj : = = [== | iq =: = == = X = C | = E = —+ —} SSS = Fic. 50, — Diagramme représentant les positions relatives du vaisseau, du poids et de la drague dans un draguage profond. achevé de se dérouler. Le vaisseau, retournant lentement alors du côté du vent, occupe successivement les positions E, F, G, H. Le poids, auquel l’eau n’offre que peu de résistance, s'enfonce de 214 LES ABIMES DE LA MER. W à Wet la drague et le sac, plus lentement de D à B. On laisse dériver le vaisseau sous le vent, de H aC. La tension qu’améne le mouvement du navire, au lieu d'agir directement sur la drague, tire en avant le poids W’, de sorte que le draguage se fait par le poids et non directement du vaisseau. De cette manière Vengin est entrainé lentement en avant, raclant le fond, dans la position. que lui donne le poids central de son chassis et de ses bras. Si les poids étaient suspendus près de l'appareil, et que celui-ci recut directement son impulsion du vaisseau, le grand poids de la corde et son élasticité feraient continuellement soulever les bras, ce qui empécherait les bords de l'ouverture de toucher le fond. Dans les draguages très- profonds, cette manœuvre de marcher du côté du vent jusqu'à ce que la corde de la drague ait une position presque perpendi- eulaire, après avoir dérivé pendant environ une demi-heure vent arrière, se répète généralement trois ou quatre fois. À huit heures cinquante minutes du soir, nous commençons à retirer la corde et à regarnir les chevilles. Le petit cheval nous rend un peu plus d’un pied de corde par seconde, sans le moindre ralentissement. Quelques minutes avant une heure du matin, les poids reparaissent, et un peu après, c’est-à-dire huit heures après son immersion, la drague est remontée sur le pont, après un voyage de plus de 8 milles. Le sac contient un quintal et demi de limon gris clair de l’Atlantique bien caractérisé. Le poids total remonté par la machine se décompose ainsi qu'il suit : 2000 brasses, corde de 2 pouces et demi.............. 4000 livres. 1000 — de 2 pouces... cates an ls 1500 5500 livres. Poids de la corde, réduit dans Peau à un quart......... 1375 livres. Ha Mramue seb 16 SAC RER PRE RP EEE Et 275 SUUMADI ANIONIC 2 1 sea ace code eee sie me Me oidie sea 168 Pardsanttache à la corde: 22.450 Skye dee oe apie sis en 224 2042 livres. DRAGUAGES PROFONDS. 215 Bien des expériences sont encore à faire avant que nous puis- sions nous flatter d'avoir inventé la meilleure machine comme forme et comme poids pour draguer dans les grandes profon- deurs. Je trouve trop pesantes les dragues de 150 à 225 livres dont nous avons fait usage. A plusieurs reprises il est évident qu'au lieu d'arriver doucement et de s’y glisser en recueillant les objets épars sur son chemin, la drague est tombée lour- dement sur son ouverture, et, labourant la vase collante du fond, s’en est embarrassée au point de ne guère admettre autre chose. J’ai fait le projet d’expérimenter des poids plus lourds avec des chassis plus légers pendant l'expédition du Challenger, et j'ai la conviction qu'il y aura la une grande amélioration. En draguant à toutes les profondeurs, nous avons souvent remarqué que, tandis que l’intérieur de la drague ne contenait que fort peu de choses intéressantes, une foule d’Echinodermes, de Coraux et d’Eponges revenaient à la surface accrochés à l’ex- térieur du sac, et jusqu'aux premières brasses de la corde. Ceci nous fit essayer de plusieurs expédients, et enfin le capi- taine Calver fit descendre, attachés à l’instrument, une demi- douzaine des fauberts qui servent au lavage du pont. Le résul- tat fut merveilleux. Les houppes de chanvre rapportèrent tout ce qui se trouva sur le chemin de hérissé et de non adhérent au sol, et balayèrent le fond ainsi qu'elles le font du pont du na- vire. L'invention du capitaine Calver a inauguré une ère nou velle pour le draguage profond. Après divers essais, nous nous décidämes pour une longue barre de fer assujettie transver- salement au fond du sac, et garnie à ses extrémités de grosses houppes de chanvre en étoupe (fig. 51). Dès lors les houppes de chanvre sont devenues pour nous l'accessoire obligé de la drague, accessoire aussi important que la drague elle-même et souvent infiniment plus remarquable par ses effets. Il arrive quelquefois que, lorsque le fond est par trop rugueux pour le draguage ordinaire, nous le faisons avec les houppes seules. Leur usage présente cependant certains inconvénients. La drague, dans les circonstances les plus favorables, est supposée 216 LES ABIMES DE LA MER. effleurer le fond de la mer sur une certaine étendue, en re— cueillant les objets détachés qui se trouvent sur son chemin et dont la dimension ne dépasse pas celle de l'ouverture du sae. Fic. 51. — La drague munie des houppes de chanvre. S'ils sont adhérents au sol, la drague passe par-dessus. Si leur dimension n’est pas en rapport avec celle de l'ouverture du sae, telle que la fait dans le moment la position qu'a prise la drague, ils sont poussés de côté et demeurent fu fond. Les Mollusques ont de beaucoup les meilleures chances d’être représentés, dans les recherches faites au moyen de la drague DRAGUAGES PROFONDS. 217 seule ; leurs coquilles sont des corps solides, comparativement petits, qui entrent facilement dans le sac avec les pierres du fond, auxquelles ils sont mélangés. Les Échinodermes, les Coraux et les Éponges, au contraire, sont volumineux, enfouis en partie, et toujours plus ou moins adhérents à la vase, de sorte que la drague les manque habituellement. Avec les houppes c’est le contraire qui arrive: les coquillages pesants et lisses sont rarement pris, tandis que les houppes, surchargées des sphères épineuses du Cidaris, des grands Holtenia à barbe blanche, des touffes étincelantes d’ Hyalonema, qui contrastent avec les étoiles écarlates de lV Astropecten et du Brisinga, pré- sentent souvent un spectacle dont il est difficile de se faire une idée. Dans une circonstance que j'ai déjà racontée, je suis cer- tain qu'en une seule fois il n’est pas remonté sur les houppes moins de 20000 exemplaires d'£chinus norvegicus. Us avaient pénétré jusqu'au milieu des houppes, qui en étaient littérale- ment remplies, si bien qu’il nous fut impossible de les en retirer, et qu'ils demeurèrent pendant bien des jours suspendus aux bastingages comme des chaines d'oignons chez les marchands de légumes. L’emploi des houppes, si favorable à leur capture, pourrait done avoir pour effet de donner aux animaux rayon- nés et aux Éponges une suprématie basée sur une erreur, si l’on ne faisait entrer ces faits en ligne de compte en estimant leur proportion daus la faune d’un espace donné. Les houppes mettent en piteux état les spécimens qu'elles ramènent; et c’est toujours avec une première impression de chagrin que nous entreprenons la tâche ingrate et désespérante de détacher avec des ciseaux à lames courtes, les dépouilles mutilées des Plumes de mer, les pattes de Crabes rares, les disques privés de membres, les bras détachés des Crinoïdes et des Ophiurides fragiles et délicats. Il faut chercher sa conso- lation dans le nombre, relativement petit, des animaux qui arrivent entiers, attachés aux fibres extérieures des houppes, et se dire que, sans ce mode un peu barbare de capture, ces spécimens seraient demeurés inconnus au fond des mers. 218 LES ABIMES DE LA MER. Le chargement de la drague varie beaucoup selon les loca- lités. Habilement manceuvré, le sac revient ordinairement à moitié plein. Quand il a été plongé à une grande profondeur, hors de portée des courants, là où le mouvement des eaux est assez lent pour que le sédiment le plus fin ne soit pas entrainé, il ne ramène guère qu'une boue fine, calcaire ou alumineuse, dans laquelle sont distribuées les espèces dont se compose la faune de la localité. Dans les eaux plus basses, il peut se trou- ver du gravier ou des pierres de divers volumes, mélangés au sable et a la boue. La première chose à faire après la capture, c’est d’examimer avec soin le contenu du sac et de mettre en sureté le produit de la pêche. La drague halée sur le pont, il y a deux ma- nières de la débarrasser de son contenu. On peut la retourner et le répandre sur le pont, ou bien, au moyen d’un arrange- ment organisé d'avance, délacer le fond du sac. La première méthode est la plus simple et celle qui est le plus généralement pratiquée ; la seconde a l'avantage de dégager plus doucement et plus facilement la masse des objets contenus dans la poche; seulement le /acage est une complication qui devient quelque- fois facheuse, parce que le lacet est sujet à se relâcher et même à se rompre. Quand une opération de draguage est bien orga- nisée, on doit se munir d'un chassis à rebords élevés, destiné à recevoir le contenu de la drague ; on peut cependant encore le verser sur un vieux morceau de prélart. Tout objet visible sur la surface du tas est alors soigneusement enlevé et placé, en attendant d’être classé, dans les bocaux ou dans les baquets d’eau de mer, dont il doit toujours y avoir un certain nombre tout prêts. Le tas ne devra être remué que le moins possible; les objets délicats qui y sont contenus ont été déjà inévitablement assez malmenés, et moins on leur fera éprouver le contact des pierres, mieux on s’en trouvera. Il faudra préparer tout près de l’endroit où se vide la drague un ou deux baquets d'environ deux pieds de diamètre et de vingt pouces de profondeur; chaque baquet sera accompagné DRAGUAGES PROFONDS. 219 d’un système de tamis combiné de manière que le tamis infé- rieur s’adapte exactement au fond du baquet et que les trois supérieurs s'adaptent exactement les uns dans les autres (fig. 52). Chaque tamis devra être pourvu de deux poignées de fer for- mant boucle et dans lesquelles la main pourra s’introduire facilement. Celles du plus grand des tamis seront assez allon— gées pour qu'on puisse, par leur moyen, soulever le tout sans Fic. 52. — Les tamis pour le draguage. [>] © avoir à se baisser et sans plonger les mains dans l’eau. Le tamis supérieur, qui est le moins grand, est ordinairement plus profond que les autres; il est fait d’un fort et large filet de fil de cuivre dont les mailles ont un demi-pouce carré ; le second, beaucoup plus fin, a des mailles d’un quart de pouce, le troisième est plus fin encore, et le quatrième assez serré pour ne laisser échapper que le limon et le sable. Les tamis sont posés dans le baquet, celui-ci contenant de l’eau de mer jusqu'à mi-hauteur du tamis supérieur, qu'on remplit alors à moitié du contenu du sac. On remue doucement les tamis de haut en bas, dans l’eau. Il est essentiel de ne leur imprimer aucun mou- vement de rotation pendant cette partie de Vopération, parce que ce serait la destruction des organismes fragiles qu'ils peu— vent contenir; les grilles seront done soulevées et abaissées délicatement, ensemble ou séparément, Il n’est pas besoin de dire que les plus grosses pierres ainsi que les organismes les plus 220 LES ABIMES DE LA MER. volumineux seront retenus dans le tamis supérieur ; le limon fin et le sable traversent tous les tamis et arrivent au fond du baquet, pendant que les trois dernières grilles retiennent les séries graduées des corps intermédiaires. On les fait passer successivement à l'examen, et les organismes qui s’y trouvent, enlevés avec’ précaution au moyen de pinces de cuivre ou d'os, sont mis dans les bocaux d’eau de mer ou dans des flacons d’esprit-de-vin dilué. La valeur scientifique d’une opération de draguage dépend surtout de deux choses : du soin avec lequel les objets obte- nus sont conservés et étiquetés en vue des études futures, et de l'exactitude qu'on met à noter toutes les circonstances qui ont accompagné le draguage, position, profondeur, nature du ter— rain, température du fond, date, ete. Il m'est impossible d’en- trer ici dans de grands détails au sujet des différentes méthodes de conserver les spécimens. [] existe de nombreux moyens de conservation spéciaux aux divers groupes d’Invertébrés, et la taxidermie est en elle-même un art fort compliqué. Je ne par- lerai done que d’un ou deux points d’une application générale. Un spécimen, quel que soit le groupe auquel il appartienne, augmente considérablement de valeur scientifique quand il peut être conservé entier, avec toutes ses parties molles. Pour cela, le moyen le plus généralement adopté, c’est de le mettre tout de suite dans un alcool convenablement étendu d'eau. IL faut éviter d’entasser un trop grand nombre d’échan— tillons dans le mème bocal, sous peine de les voir se décolorer rapidement; les bocaux doivent être très-surveillés, et l'alcool qu'ils renferment mis à l'épreuve de l’aréomètre, et, s'il le faut, renouvelé au bout d’un jour ou deux, à cause de l’énorme quantité d'eau que recèlent les animaux marins. Si le temps est chaud et les spécimens volumineux, il sera bon de se servir d'alcool très-concentré. L’esprit-de-vin qui se vend habituel lement dans le commerce suffit pour les cas ordinaires; mais si l’on veut conserver un échantillon en vue d’une dissection a) minutieuse, j'aime mieux l'alcool pur. DRAGUAGES PROFONDS. 221 Quand il s’agit d'animaux délicats et transparents, tels que les Salpes, les Siphonophores, les Polyeystines, ete., la solu— tion de Goadby me parait être préférable; mais, quoi qu’on fasse, le spécimen conservé de l’un de ces charmants orga- nismes ne sera Jamais qu'un caput morluum, une ombre pâlie et tristement effacée de ce que fut sa beauté; tout au plus servira-t-il à la démonstration anatomique de sa structure. Pour conserver à sec les animaux marins, il faut autant que possible les séparer de toutes leurs parties molles, qu'on rem- place par de l’étoupe ou par du coton; l'animal à conserver sera passé par plusieurs eaux douces pour le débarrasser de sa salure, puis il faudra le dessécher d’une manière complète, mais graduelle et lente. Chaque échantillon, qu'il soit conservé à sec ou dans l'alcool, sera étiqueté immédiatement avec le numéro sous lequel le draguage est inscrit dans le carnet du dragueur. La promptitude avec laquelle ces choses-là s’entre- mêlent et se confondent, si cette règle nest pas strictement observée, est vraiment incroyable. Les petites étiquettes de papier avec encadrements de fantaisie, dont les merciers se servent pour marquer leurs marchandises, se trouvent à trés— bas prix chez tous les papetiers en gros, et elles sont com-— modes. Leur seul inconvénient, c'est de se détacher si l'on mouille les bocaux ou flacons sur lesquels elles sont collées. Les marchands de graines vendent des crayons avec lesquels on écrit sur des planchettes destinées à être exposées à la pluie les noms des plantes et des fleurs. Peut-être le moyen le plus sûr serait-il de marquer le numéro et la date avec un crayon de cette espèce, sur un morceau de parchemin ou de papier- parchemin qu'on introduirait à l’intérieur du bocal. Ce détail” peut paraitre puéril, mais la négligence qu’on apporte à prendre ces précautions donne lieu à tant d’inconvénients, qu’en insistant sur la nécessité d’un étiquetage exact et immé— diat, je suis sûr d’avance de l’assentiment de tous ceux qui ont quelque souci des résultats scientifiques du draguage. Il est peut-être d’une importance plus grande encore qu'à 299 LES ABIMES DE LA MER. chaque péche, certains faits intéressants soient méthodique ment et régulièrement inscrits sur le carnet du dragueur ou sur un registre préparé à cet effet. Dans les draguages côtiers, la position exacte de la station devra être établie en indiquant sa distance du rivage, et en désignant sur le rivage quelque objet fixe comme point de repère; dans les draguages de pleine mer, en inscrivant exactement la latitude et la longitude. En 1868, en draguant sur le Lightning, à 100 milles environ de la pointe de Lews, nous tombames sur un ensemble fort curieux de formes animales des plus intéressantes. L'année suivante, avec le Porcupine, nous désirions essayer de trouver au même endroit quelques spécimens d’une Éponge dont nous avions commencé l’étude. La position avait été inserite fort exactement sur le registre de bord du Lightning; nous fimes un draguage d’un demi-mille de profondeur à l'endroit indiqué, et trouvames un groupe de formes identiques avec celui de l’année précédente. Au retour, le capitaine Calver descendit encore la drague au même endroit et avec le même succès. La profon— deur en brasses devra être soigneusement inscrite, car c’est un détail important, quand on veut déterminer les conditions de la vie et la distribution des espèces; il faudra constater aussi la nature du fond, limon, sable ou gravier, définir la nature et la composition des rochers et cailloux dont il se compose, et, autant que possible, leur provenance. Maintenant que nous possédons dans le thermomètre de Miller-Casella un instrument digne de confiance, la température du fond devra toujours être constatée et inscrite; ce détail est important pour les petites comme pour les grandes profondeurs. Dans les eaux basses, on obtient par ce moyen une donnée qui permet de déterminer amplitude des variations annuelles de température que peu- vent supporter certaines espèces. Dans les grandes profon- deurs, il est plus urgent encore de le faire, parce qu'il est maintenant reconnu que le mouvement de grandes masses d’eau ayant des directions variées et des températures diverses donne lieu, dans les grandes profondeurs, à des conditions de DRAGUAGES PROFONDS. ; 223 température totalement différentes les unes des autres : ces zones aqueuses ne sont séparées quelquefois seulement que par une distance d’un petit nombre de milles; leurs limites ne peu- vent être connues qu'au moyen d'expériences directes et répé- tées. Il estimportant, en constatant la température du fond, d'inscrire aussi celle de la surface de la mer, la température de l'air, la direction et la force du vent, et les conditions atmosphé- riques générales. Quand bien même le dragueur serait unique- ment zoologiste, n’attachant que peu d’intérèt aux problèmes de physique, encore vaudrait-il la peine de faire toutes les observations indiquées, et d’en publier les résultats; ceux-ci passeront sous les yeux des hommes qui s’occupent de géogra- phie physique, pour lesquels toute donnée digne de confiance est infiniment précieuse lorsqu'elle vient s'ajouter aux my- riades d'observations qu'il faut réunir pour arriver à une généralisation vraie des phénomènes de distribution de la température. En 1839, lors de la réunion de l'Association Britannique, une commission fut nommée « pour faire, au moyen du dra- guage, des recherches intéressant l’étude de la zoologie ma- rine de la Grande-Bretagne, la classification et la distribution géographique des animaux marins, et l’étude approfondie des fossiles de l’époque pliocène, sous la surveillance de MM. Gray, Forbes, Goodsir, Patterson, Thompson de Belfast, Ball de Dublin, Smith de Jordan-Hill, A. Strickland et le D' George Johnston ». La nomination de cette commission peut être con— sidérée comme le début de ’emploi méthodique de ce mode de recherches. Edward Forbes en était l’âme; et sous lin- fluence de l’ardent enthousiasme qu'il savait si bien commu- niquer, on fit, pendant les dix années qui suivirent, de grands pas dans la connaissance de la faune des mers britanniques; cette étude fut, pour les membres de cette première commis- sion et pour ceux qui plus tard vinrent grossir leur nombre, une source abondante de vives jouissances. Chaque année des communications furent envoyées par les sous-commissions 294 LES ABIMES DE LA MER. anglaise, écossaise et irlandaise, et en 1850 Edward Forbes soumit à l'Association son premier rapport général sur la z00- logie marine des Hes-Britanniques. Ce rapport était de la plus grande valeur, ainsi qu'on -pouvait s'y attendre d’après le mérite et les capacités de son éminent auteur; on peut dire qu'avec les mémoires remarquables qu'il avait déjà publiés sur «la distribution des Mollusques et des Radiaires de la mer Égée », et sur «les rapports géologiques de la faune actuelle et de la flore des [les—Britanniques », il marque une ère nou- velle dans le progrès de l'intelligence humaine. Après avoir fait l’énumération des lacunes qui restent encore à combler dans la connaissance de la distribution des Invertébrés des mers britanniques, Forbes termine son rapport par la phrase suivante: « En dernier lieu et bien que je n'ose espérer de sitôt la réalisation de ce vœu, quelque ardent qu'il soit, il est évident qu'une série de draguages exécutés entre les îles Shetland et Farôer, parages où la plus grande profon— deur est inférieure à 700 brasses, jetteraient plus de lumière sur l'histoire naturelle de l'Atlantique du Nord et sur la zoo- logie de la mer en général qu'aucun des travaux qui ont été entrepris jusqu ici. » Le rapport général de Forbes fut suivi de notes nombreuses présentées successivement par les différentes subdivisions de la commission principale. Parmi celles-ci, je citerai le remar- quable mémoire fait par la commission de draguage de Belfast, communiqué à différentes réunions par M. George C. Hyndman; les rapports de la commission de Dublin par le professeur Kina- han et le professeur EK. Perceval Wright; les importants cata— logues de la faune de la côte orientale de l’Angleterre dressés pour les Sociétés d'histoire naturelle de Northumberland, Dur- ham et Neweastle-upon-Tyne et pour le cercle des naturalistes de Tyne-side, par M. Henry T. Mennell et M. G. S. Brady; et enfin les rapports, précieux à tous les égards, sur la faune marine des Hébrides et des Shetland, qui ont coûté pendant bien des années, labeurs, peines et privations sans nombre à DRAGUAGES PROFONDS. 22€ MM. Gwyn Jeffreys, Barlee, Edward Waller et le rév. A. Merle Norman, qui en ont été sans doute dédommagés par des Jouis- sances infinies ; ces rapports ont été réunis aux procès-verbaux de l'Association, de 1863 à 1868. On peut dire que les com— missions de draguage de l’Association Britannique, en faisant des vacances de l’été une occasion d'avancement pour la science, ont complété Pétude de la faune marine britannique jusqu’à la zone de 100 brasses, car il est bien rare maintenant que, dans étendue qu'elles ont parcourue, le travail du dragueur Jui procure quelque nouveauté remarquable ; il faut qu'il se résigne à n'ajouter aux catalogues britanniques que des noms qui appartiennent aux groupes les plus inférieurs. Pendant ce temps quelques membres de la commission de draguage, avec ceux de leurs amis à qui le temps et les moyens dont ils disposaient rendaient pareilles entreprises possibles, poussaient leurs opérations à de grandes distances, et travail laient fructueusement sur les côtes lointaines. En 1850, M. Mac Andrew publia plusieurs notices précieuses sur la faune lusita- nienne et sur celle de la Méditerranée, et en 1856, sollicité par la section de biologie de FAssociation Britannique, il soumit à la réunion de Cheltenham un «rapport général sur les Mol- lusques testacés marins du nord-est de l'Atlantique et des mers avoisinantes, et sur les conditions physiques qui influent sur leur développement ». Le champ de ce laborieux travail s’étendait des iles Canaries au cap Nord, comprenant environ 43 degrés de latitude; plusieurs espèces sont inscrites par lui comme ayant été draguées à des profondeurs de 160 à 200 brasses sur les côtes de la Norvége. M. Gwyn Jeffreys a parcouru depuis lors les mêmes ‘parages, et ajouté de nom— breuses espèces aux listes de ses devanciers. Nos voisins ne sont pas demeurés non plus inactifs. Dans la Scandinavie un brillant triumvirat, composé de Lovén de Stock- holm, Steenstrup de Copenhague, et Michel Sars de Chris- fiania, n’a cessé d'avancer à grands pas dans la science de la zoologie marine. Milne Edwards étudiait la faune des côtes 15 296 LES ABIMES DE LA MER. de la France, et Philippi, Grube, Oscar Schmidt et d’autres encore, continuaient dans la Méditerranée les travaux si bien commencés par Donati, Olivi, Risso, Delle Chiaje, Poli et Can— traine, pendant que Deshayes et Lacaze-Duthiers étudiaient la faune des côtes de l'Algérie. IL s'était déjà accompli tant de pro- grès soit chez nous, soit à l'étranger, que pendant l’année 1854 Edward Forbes jugea le moment venu de donner au publie au moins un aperçu préliminaire de la faune des mers européennes, travail qu'il a commencé, mais que la mort est venue inter- rompre. Je n’ai pas besoin de dire que les travaux des commissions de draguage de l'Association Britannique se faisaient en général avec la conviction qu'à la zone de 100 brasses, limite du dra- ouage d'amateurs, on arrivait à peu près à celle de la vie ani- male, conviction qui devait disparaitre petit à petit devant l'évidence des faits. De loin en loin cependant, des savants expérimentés soutenaient, avec sir James Clark Ross, que « de quelque profondeur qu'il soit possible de ramener la boue et les pierres qui garnissent le fond de l'Océan, on peut être certain de les trouver pullulant d'êtres animés ». L'opinion opposée était trop universellement répandue et trop bien établie, pour que les recherches dans les grandes profondeurs trouvassent beaucoup de stimulant, et les données nécessaires ne se recueillirent que fort lentement. Jai déjà fait allusion (page 15 et suivantes) aux observations de sir John Ross en 1818, de sir James Ross en 1840, et de M. Harry Goodsir en 1845. Dans le courant de l’année 1844, le professeur Lovén envoya à l'Association Britannique un tra- vail sur la distribution bathymétrique' de la vie sous-marine sur les côtes septentrionales de la Scandinavie. « Chez nous, dit-il, la région des Coraux des grandes profondeurs est carac- térisée par l’Oculina ramea et Terebratula, et dans le nord, par VAstrophyton, le Cidaris et le Spatangus purpureus de 1. Terme de physique : mesure des profondeurs de la mer; de fBzbès, profond, uérocv, mesure. (Note du traducteur.) DRAGUAGES PROFONDS. 227 très-grandes dimensions, tous vivants, sans compter les Gor- gonia et le gigantesque A/cyonium arboreum, qui se rencontre à toutes les profondeurs que peut atteindre la ligne du pê- cheur. Quant au point où s’arréte la vie animale, il doit cer- tainement exister quelque part, mais jusqu’à ce jour il nous est encore Inconnu ‘. » En 1863, le même naturaliste, parlant des résultats de l'expédition suédoise au Spitzherg en 1861, pendant laquelle on ramena d’une profondeur de 1400 brasses des Mollusques, des Crustacés et des Hydrozoaires, émettait opinion, fort peu répandue alors, et que les recherches faites ultérieurement paraissent confirmer de tout point, « qu'une faune de caractère identique s'étend d’un pôle à l’autre, à travers tous les degrés de latitude, et que quelques-unes des espèces qui la composent sont très-largement distribuées ? ». Keferstein raconte avoir vu à Stockholm, en 1846, une collection complète d’'Invertébrés, Crustacés, Phascolosomes, Annélides, Spatangus, Myriotrochus, Éponges, Bryozoaires, Rhizopodes, ete., pris à 1400 brasses de profondeur dans les filets pendant l'expédition de O. Torell au Spitzberg. La même année QO. Torell fait allusion à l’un des Crustacés pêchés dans ces profondeurs, comme étant de couleur fort brillante *. En 1846, le capitaine Spratt de la Marine royale, draguant par 310 brasses, à 40 milles à l’est de Vile de Malte, ramena un grand nombre de Mollusques, qui, depuis, ont été examinés par M. Gwyn Jeffreys; il les a trouvés identiques avec les especes draguées a des profondeurs considérables dans les mers du Nord, pendant Vexpédition du Porcupine. La liste com- prend : Leda pellucida (Philippi), Leda acuminata (Jeffreys), Dentalium agile (Sars), Hela tenella (Jeffreys), Eulima steno- stoma (Jeffreys), Trophon -Barvicensis (Johnston), Pleurotoma |. Report of the Fourteenth Meeting of the British Association, held at York in september 1844. (Transactions of the Sections, page 50.) 2. Forh. ved de Skand. Naturforskeres Méde i Stockhoim, 1863, p. 384. 3. Nachrichten der Kénigl. Gesellsch. der Wissensch. zu Gottingen. Marz 1846. 298 LES ABIMES DE LA MER. carinatum (Bivona), et Philine quadrata (S. V. Wood). Le ca- pitaine Spratt pense que, «bien que dans la mer Égée la limite de la vie animale soit généralement à 300 brasses, elle persiste ailleurs à des profondeurs beaucoup plus considérables * ». En 1850, Michel Sars, en faisant le récit d’une expédition zoologique en Finlande et aux Loffoten, exprime sa conviction que sur les côtes de Norvége la vie animale se trouve dans son plein développement à des profondeurs considérables. Il énumère dix-neuf espèces prises par lui-même au delà de 300 brasses, et fait remarquer que deux d’entre elles appartiennent aux espèces les plus grandes de leurs genres respectifs *. J'ai parlé aussi (page 21) des notices du professeur Jenkin sur les animaux trouvés vivants attachés au cable médi- terranéen, à 1200 brasses de profondeur, ainsi que des tra- vaux faits par le D° Wallich à bord du vaisseau de Sa Majesté le Bull-dog. Ces recherches méritent de trouver place dans une récapi- tulation générale des progrès qui ont été accomplis dans l’étude des conditions de la vie animale aux grandes profondeurs, car, malgré leurs inexactitudes, elles marquent incontestablement un sérieux progrès. Le D' Wallich, ne disposant que de-moyens d'action très-imparfaits, n'a pu produire des preuves d’une valeur suffisante ,pour faire partager ses convictions ; mais, d’après ce qu'il a vu, il regarde comme très-certain existence à toutes les profondeurs de l'Océan d'êtres vivants occupant un rang élevé sur l'échelle animale; il a développé lenchai- nement des faits qui Vont conduit à cette conviction, et ses conclusions ont été en tout point confirmées par les découvertes subséquentes. L'espace dont je dispose ne me permet ni de discuter ni même de citer les arguments du D° Wallich. Je suis |. On the Influence of Temperature upon the Distribution of the Fauna in the Ægean Sea. Report of the Eighteenth Meeting of the British Association, 1848. 2. Beretning om en 1 Sommeren 1849, foretagen zoologisk Reise 1 Lofoten og Fin- marken. Christiania, 1850. DRAGUAGES PROFONDS. 229 parfaitement d'accord avec lui sur quelques-uns d’entre eux, sur certains autres nos avis diffèrent. Les faits qu'il cite étaient déjà d’une importance sérieuse, et leur signification est de- venue bien plus grande encore depuis qu'ils ont été corroborés par des expériences faites sur une grande échelle. A 59° 27 de latit. N. et 26° 41° de longit. O., avec une profondeur de 1200 brasses, constatée au préalable, «on immergea une drague d’un nouveau modèle et destinée aux grandes profondeurs ; le résultat n'ayant pas été satisfaisant, on fit plonger un second appareil (la coupe conique) avee 50 brasses de corde en plus de la profondeur mesurée, pour que la descente se fit sans ralentissement. La drague avait déjà remonté une faible quan- tité de dépôt à Globigérines d’une ténuité extrême, accompa- gné de quelques petites pierres. Le second appareil revint tout rempli de dépôt, mais ne rapporta pas de pierres. Les 50 der- nières brasses de corde, celles qui avaient dû reposer quelques instants sur le fond, se trouvaient garnies de treize Ophiocoma, dont le diamètre, d’un bras à l’autre, variait entre deux et cing pouces. » Le malheur voulut que ces Astéries n’entrassent pas dans le sac de la drague; si on les y eût trouvées, elles pas- saient d'emblée à la postérité, Nous ne doutons pas maintenant qu'elles ne vinssent du fond; mais, au point où se trouvait alors la science et avec les préjugés qui régnaient, Virrégula- rité de leur mode de capture faisait beau jeu à l’incrédulité. Dans trois sondages (y compris celui qui avait produit des Astéries), 4 1260, 1913 et 1268 brasses, « on a trouvé de petits tubes cylindriques, variant d’un huitième à un demi- pouce de longueur, et d’un cinquantième à un vingtième de pouce de diamètre. Ils se composaient presque exclusivement de coquilles de Globigérines cimentées à des débris calcaires plus imperceptibles encore..... » Les coquilles dont se composait la couche extérieure des tubes étaient incolores et dépourvues de toute matière sar- codique, mais la surface interne du eylindre était enduite d'une couche parfaitement distinete,: quoique très-mince, 230 LES ABIMES DE LA MER, de chitine rougeatre. » Le D' Wallich suppose que ces tubes avaient contenu quelque espèce d’Annélide. « Un sondage qui a été fait par 63° 31’ de latitude N. et 13° 45° de lon- gitude O., dans 682 brasses, a produit un fragment d’un tube de Serpula de cinq douzièmes de pouce de longueur environ et de trois seizièmes de pouce de diamètre, appar- tenant à une espèce connue; d'après l’état dans lequel ce débris a été remonté, on ne peut douter qu'il n'ait été détaché par la sonde du rocher ou de la pierre à laquelle il adhérait, et que l'animal auquel il avait appartenu ne fût vivant. Un Serpula plus petit, et un groupe de Polyzoaires vivants, selon toute apparence, adhéraient à sa surface externe. Un Spirorbis minuscule fut pris aussi pendant le même sondage. Enfin, à une petite distance des côtes de l'Islande, on remonta, d’une profondeur de 445 brasses, deux Crustacés amphipodes et un Annélide d'environ trois quarts de pouce de longueur. » Le D° Wallich base son opinion sur ces faits, et conclut par diverses propositions dont on peut dire que les deux plus im— portantes devancent les résultats des travaux accomplis depuis. Les autres portent sur ce que je regarde comme une classifi- cation erronée des espèces animales qui ont été prises; je n'ai done que faire de les citer ici’. «1° Les conditions qui dominent dans les grandes profon— deurs, bien qu'elles différent beaucoup de celles qui existent à la surface de l'Océan, ne sont pas incompatibles avec lexis- tence de la vie animale..... » D° La découverte d’une seule espèce, vivant dune ma- nière normale à une grande profondeur, motive suffisamment l'opinion que les abimes ont leur faune spéciale, qu'elles Pont toujours eue dans les siècles passés, et que les couches fossi- liféres qu'on supposait avoir été déposées à des profondeurs 1. And see Professor Sars Bemærkninger over det dyriske Livs Udbredning i Havets Dybder, med scerligt Hensyn tit et af. D° Wallich i London mylig udkommet Skrift, The North Atlantic Sea-bed. » (Vidensk.-Selsk. Forhandlinger for 1864.) DRAGUAGES PROFONDS. bo 31 relativement faibles, Pont été au contraire à de grandes pro- fondeurs *. » En 1864, sur les côtes de Norvége, le professeur Sars enrichit beaucoup la liste des animaux provenant de 200 à 300 brasses. « Les espèces énumérées, dit-il, ne sont certai- nement pas nombreuses (on en comptait 92); mais, si l’on réfléchit que la plupart d’entre elles ont été prises accidentel lement sur les cordes des pêcheurs, et que dans un très-petit nombre de cas seulement, dans les grandes profondeurs, on s’est servi de la drague, on ne peut méconnaitre qu'il n’y ait là, pour le naturaliste pourvu de l’outillage nécessaire, un champ vaste et intéressant à exploiter. » En 1868, le professeur Sars ajouta encore à la faune con- nue des grandes profondeurs des mers de Norvége des décou- vertes assez importantes pour qu'il ait pu dire « qu'elle est assez complète aujourd’hui pour donner une idée générale de la vie animale de ces côtes ». Le professeur Sars ajoute qu'on est redevable de cet accroissement de connaissances presque entièrement aux efforts infatigables de son fils, G. O. Sars, inspecteur des pêcheries pour le Gouvernement suédois, qui mit à profit les facilités que lui donnait sa charge pour exé- cuter des draguages jusqu'à la profondeur de 450 brasses sur certaines parties de la côte et entre les iles Loffoten. Sars parle aussi des espèces découvertes par ses anciens compa- enons de travail, Danielssen et Koren. Le nombre des espèces trouvées à la profondeur de 250 à 450 brasses, sur les côtes de Norvége, s'élève à 427, qui se classent ainsi qu'il suit : ; ( Rhizopodes. ................... . 68 PROTOZOAIRES. . . ae . Ue Poriléress, ere ess: ones mote oO 79 = a 19 AC (MEVATOZOAITES ENS ae oe ae ee 2 CŒLENTÉRÉS. ... 5 ‘ D AUGNOZO ANNES Rates cou de 20 1. North Atlantic Sea-bed, p. 154. 232 LES ABIMES DE LA MER. Crinoides PSE te cos à 2 Ee ; Astéries, y compris les Ophiurides.. 21 ECHINODERMES. . ere pais ss Hchinides. dens pees tans a 5 Holothimies:.. APRES rt SRE 8 — 36 Genhvreesaay ass OT AR EEE 6 VERS NA | jet 4 D Années 2: PARLER 51 57 Polfzoames ELEC eee Es BD DUNICLELS: ae ees ee ae ie ek I. MOLLUSQUES.: .4 /\ /Brachiopodes. CARPE LN Sone. ees 4 (onchiteneSints.A.- SEE TE 37 Céphalonhores mere ne 53 415 ( ATACNIUES PER do use ce ET 1 ARTHROPODES..-- 3), : % L'AURUSIACÉS NEED Es RACE 105 — 106 Parmi ces espèces, 24 Protozoaires, 3 Kchinodermes, et 13 Mollusques viennent d’une profondeur de 450 brasses. Le professeur Sars ajoute: « Nous pouvons affirmer, d’après l’état actuel de nos connaissances, que la zone profonde commence véritablement à 100 brasses. La plupart des espèces de grande profondeur se montrent là, quoiqu'elles y soient peu abon- dantes encore; le nombre des individus va augmentant, à me- sure que l’on descend, jusqu'à 300 brasses, et dans certains cas jusqu'à 450, toutes les fois que les recherches ont été pous- sées jusque-là. On ignore encore jusqu'à quelle profondeur s'étend cette zone, et s’il en existe, plus bas encore, une autre plus profonde et de caractère différent *. Pendant l’année 1864, M. Barboza du Bocage, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Lisbonne, étonna beaucoup le monde savant en annonçant Vapparition, sur les côtes du Portugal, de touffes de spicules siliceux semblables à ceux de VHyalonema du Japon *. Ces touffes avaient été ramenées par les pêcheurs de Requins de Setubal, qui (circonstance non moins. étonnante) exerçaient leur métier à 500 brasses de profondeur. Le professeur Percival Wright, désireux de s'assurer par lui- 1. Fortsatte Bemærkninger over det dyriske Livs Udbredning 1 Havets Dybder, af M. Sars. (Vidensk.-Selsk. Forhandlinger for 1868). 2. Proceedings of the Zoological Society of London for the year 1864, p. 265. DRAGUAGES PROFONDS. 233 même de la réalité de la chose, et de se procurer | Hyalonema à l’état frais, partit pour Lisbonne pendant l'automne de 1868, et, avec l’aide du professeur du Bocage et de quelques-uns de ses amis, il se procura à Setubal un bateau découvert et un équipage de huit hommes, avec 600 brasses de corde, la drague et quan- tité d’hamecons, d’appats et des provisions pour deux ou trois jours. « Nous quittames le port de Setubal, dit M. Wright, un peu avant cing heures du soir, et aprés une nuit entière de navi- cation nous arrivames à ce que je compris, aux signes des pè- cheurs, être le bord de Ja vallée profonde où ils avaient l’habi- tude de prendre le Requin, et d’où ils avaient accidentellement ramené V Hyalonema. Il était environ cing heures du matin, et les hommes, aprés avoir déjeuné, mirent le bateau sous le vent et descendirent la drague ; avant d’atteindre le fond, elle avait entrainé environ 480 brasses de corde; nous en déroulames encore une trentaine pour donner du jeu, puis, au moyen d’une petite voile mise à Vavant, nous la traindmes lentement sur le fond pendant l’espace d’un mille. Il fallut les efforts réunis de six hommes, retirant la corde à l’aide d’une moufle à double poulie, pour remonter la drague, qui mit juste une heure à revenir ala surface. Elle était remplie d’un limon jaunatre et tenace, au travers duquel on voyait reluire de longs et innom— brables spicules d'Ayalonema: en passant lentement les doigts dans ce limon, on en retirait une poignée de ces spicules. Un spécimen d’Hyalonema, ses longs spicules implantés dans le limon, et couronné de ses parties spongieuses, fut la récompense de mon premier essai de draguage à pareille profondeur '. » Ce draguage offre un intérêt particulier, en ce qu'il prouve que, bien que la chose soit laborieuse et accompagnée de certaines difficultés, peut-être même de quelque péril, il n’est pourtant pas impossible, avec un bateau ouvert, monté par un équipage de pêcheurs étrangers, d'étudier la nature du fond et le carac- tère de la faune à une profondeur de 500 brasses. 1. Notes on Deep-Sea Dredging, by Edward Percival Wricut, M. D., F. L.S., from the Annals and Magazine of Natural History for December 186%. 23 LES ABIMES DE LA MER. En 1868, le comte L. F. de Pourtalès, l’un des officiers em— ployés à l'inspection côtière par le Gouvernement des Ktats— Unis, sous la direction du professeur Pierce, commença une série de draguages profonds à travers le Gulf-stream sur la côte de la Floride; ces travaux furent repris l’année suivante et donnèrent les résultats les plus précieux. Plusieurs mémoires intéressants du comte de Pourtalès, de M. Alexandre Agassiz, de M. Théodore Lyman et d’autres encore, sont venus enrichir le Bulletin du Muséum de zoologie comparée de Boston, et étendre nos connaissances sur la faune profonde du Gulf- stream; nous y avons gagné de précieux renseignements sur la nature du fond dans ces régions, et sur les changements qui sont en voie de s’y opérer. Une grande partie des collections résultant de ces draguages se trouvait malheureusement à Chicago, entre les mains du D' Stimpson, chargé de leur classification, au moment de la terrible catastrophe qui a réduit en cendres la plus grande partie de cette ville. Tout ce qui y était fut détruit; seulement, par une circonstance singulièrement heureuse, notre collègue M. Gwyn. Jeffreys se trouvant à Chicago un peu avant l'incendie, le D" Stimpson lui confia une série de Mollusques obtenus en du- plicata, pour qu'il les comparat avec les espèces draguées par le Porcupine. Cest ainsi qu'une partie des collections a été sauvée. M. de Pourtales, dans une lettre adressée à l’un des éditeurs du Journal de Silliman, et datée du 20 septembre 1868, dit: « Le draguage a été fait à l'extérieur de la chaine des brisants qui borde la Floride, simultanément avec les son- dages profonds, par zones s'étendant des rochers jusqu’à une pro- fondeur de 400 à 500 brasses, de manière à reconnaitre la forme du fond et à en étudier la composition et la faune. Six de ces zones ont été sondées et draguées dans l’espace compris entre Sandy-Bay et Coffin’s Patches. Toutes sont à peu près iden- tiques: depuis les rochers jusqu'à la zone de 100 brasses, le fond se compose, à 4 ou 5 milles en avant, principalement de coquilles brisées avec de rares Coraux; ily a là très- DRAGUAGES PROFONDS. 235 peu d’animaux. Une seconde région s'étend du voisinage de la zone de 100 brasses jusqu’à environ 300 brasses; la pente est extrémement douce, surtout entre 100 et 200 brasses; le fond est rocailleux et habité par une faune abondante et riche. La largeur de cette zone varie de 10 à 20 milles. La troisième région commence entre 250 et 300 brasses; c’est là que se trouve la couche des Foraminiféres qui s'étend si largement sur le lit de ?Océan..... | » La drague ramena de la troisième région des spécimens moins nombreux, mais non moins intéressants, dont le plus remarquable est un nouveau Crinoide qui appartient au genre Bourguetticrinus de VOrbigny; il se pourrait même qu'il ap- partint à l'espèce nommée par lui Bourgquetticrinus Hotessiert, qui se trouve à l’état fossile dans une formation récente à la Gua- deloupe, mais dont on n’a retrouvé que de petits fragments de tiges. Jen ai pêché entre 250 et 300 brasses cing ou six échan- tillons, malheureusement tous plus où moins endommagés par la drague. Le draguage le plus profond s’est fait à 517 brasses; il a produit un très-beau Mopsea, et quelques Annélides”, » Les résultats de la croisière que fit le Lightning en 1868, pendant laquelle le draguage se fit avec succès jusqu’à 650 brasses, ont été déjà racontés. Pendant l'été de 1870, M. Marshall Hall, portant à la science un intérêt qui est malheureusement rare parmi les proprié- taires de yacht, consacra le petit navire Vorna au draguage profond, pendant une croisière qu'il fit sur les côtes de l'Espagne et du Portugal. A en juger par diverses notes préliminaires qu'a fait paraître sur ce sujet M. Saville Kent, les collections faites pendant cette excursion doivent être abondantes et précieuses *. Les recherches les plus récentes sont celles qui ont été faites l. American Journal of Science, vol. XCVI, p. 413. 2. Zoological Results of the 1870 Dredging Expedition of the Yacht Norna, off the coasts of Spain and Portugal, communicated to the Biological Section of the British Asso- ciation, Edinburgh, Auguste 8, 1871. (Nature, vol. IV, p. 456.) 29 ( LES ABIMES DE LA MER. en 1869 et 1870, à bord du vaisseau de S. M. le Porcupine. Nous disposions d’un vaisseau qui, appartenant au service de surveillance du Gouvernement, était abondamment pourvu du matériel nécessaire; toutes les bonnes chances étaient done en notre faveur, et le draguage fut poussé, ainsi que je lai déjà dit, jusqu'à 2435 brasses. Le fait de l'existence d’une faune d’Invertébrés abondante et caractéristique à toutes les profondeurs a été constaté d’une manière qui ne saurait plus admettre de doute. C’est là, jusqu'à présent, tout ce qu'il est permis d'affirmer. Le champ des investigations est ouvert, mais la culture en est terriblement laborieuse. Chaque voyage de la drague ramène à la lumière des formes nouvelles et inconnues, formes qui se rattachent d’une manière étrange à celles des périodes écoulées de l’histoire de la terre; mais nous sommes loin encore de posséder les données qui sont indispensables pour généraliser ce que nous connaissons de la faune des grandes profondeurs et établir ses rapports biolo- eiques et géologiques: malgré notre ferme volonté et tous les avantages qui ont été mis à notre disposition, les parties du fond de la mer qui ont été sérieusement draguées Jusqu'ici se comptent par mètres carrés seulement, Fugli, vu de la côte ouest de Viderü (Farüer). DRAGUAGES PROFONDS. 237 APPENDICE A L'un des bulletins de draquage publiés par l'Association Britannique, rempli par M. Mac Andrew. BULLETIN DE DRAGUAGE N° 5. Bilemn See eres bite ee coe a RS 7 juin 1849. PO CALE RE RER ER SSP ER Ter Malte. Enotomd EURE RE RE NAS AR PT 40 brasses. PSE AUS TVA a. ons. notte Nate Pee { à 2 milles. RONA RP a CRE CLAIRE ASS Sable et galets. DER OM o baccotiaee . tdet< usando NE Bo ede so ESPÈCES OBTENUES. SPÉCIMENS VIVANTS. SPECIMENS MORTS. OBSERVATIONS. PentalnumeWentaliss. 2.225. .0.--. rubescens ow fissura........ (GPoummtinache@aes.. ssl se Ditrupa coarctata, ow strangulata . Id. KOs. RTE NE EE Corbula nucleus NET CUSDIDAAN 222. fs» 20 « COS DUAL RNA Pandouarobtusdetan EST 0. Psammobia Feroensis........... Hélas OA ART eae DAS ANA eyes RER CÉRRNESE Sepi Oo CRE GepLessde sence ir des Syndosmya tenuis? (prismatica ?).. MEMmUSHOImalas minora eatin: ASTATIBAIDOLASS AA A Sr oct son ae Cardium papillosum.... MOMIE Tee » mé dome ET A 2 2). colo) 5 ate ols? CarditasquaMmosas.: oo... 6... Lucina spinifera. ...... PRE Diplodonta rotundata........... Modiola barbata .....:......... Naculngclens.?.".;...:..... Leda emarginata..... striata: 6... ; : Aca tetrasauawe tat 26e... AMMA: M... Pectunculus glycymeris.......... Nombreux. Plusieurs. Plusieurs. Plusieurs. 9 vw 8 | | Strié avec aspect ondulé. 9 Avec entailles a Vextrémité su- périeurc. 2 et des valves Valves. { et des valves L et des valves Une valve. Valves. Valves. Quelques-unes ra- diées au bord. \ 1 et des valves. Une valve. Une valve. Une valve. | et des valves. 238 ESPÈCES OBTENUES. Lima subauriculata....... Pecten Jacobeus....... gibbus... polymorphus. 7-5. 2020 SA tesiæ...... similis 225.7: sulcatus. .... à Anomia patelliformis ........... Pileopsis hungaricus............ Bulla lignaria. Cranchii Hydatis..... striatula...... Rissoa Bruguieri carinata (costata) acuta var Desmarestil.... Id. id. ans Pe Natica macilenta..... Eulima polita......... dstorta Chemnitzia varicosa elegantissima ae JMMISHUACLA (2) fe wie CR Hees 5 Id. id. Eulimella acicula Trochus tenuis ow dubius........ Magus rec Je Montagu. ..... Id. id. Id. id. Turritella terebra tricostalis... Cerithium vulgatum var. reticulatum..... Id. id. mater Fusus muricatus..... Id. id. Pleurotoma nanum. secalinum ; Murex tetrapterus... 2.140. Chenopus Pes-pelicani.......... Buccinum? ..... oe Mitra ehenea........ Ringicula auriculata. . Marginella secalina. clandestina . . ; Cypreea Pullex en ete : Cidaris Hystrix:..}."..* “e Zoophytes . SPÉCIMENS VIVANTS. Plusieurs. 3 Plusieurs. LES ABIMES DE LA MER. SPECIMENS MORTS. OBSERVATIONS. Valves. Valves. Valves. Valves. Des valves. let des valves. ( Longues, dépour- vues de côtes; / une trés-grosse. \ ( Semblable au ci- nex, mais petite, Incomplete. wee — ~~ | Plusieurs. Plusieurs. Petites. | Plusieurs. 9 Blanches. \ Cette espèce à ( Gibraltar. | D'un orangé bril- ant; petit, mar- ) qué de bandes, LASEUIEe 2 4 Plusieurs. 2 CHAPITRE VII TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS Des courants de l'Océan et de leur influence sur les climats. — Relevé des températures de surface. — Thermomètres pour les grandes profondeurs. — Thermomètre enre- gistreur ordinaire, d’après le système de Six. — Thermomètre perfectionné de Miller- Casella. — Observations de températures faites pendant les trois croisières du navire de S. M. le Porcupine pendant l’année 1869, etc. APPENDICE A. — Températures de surface relevées à bord du navire de S. M. le Porcu- pine pendant les étés de 1869 et 1870. APPENDICE b. — Températures de la mer à différentes profondeurs sur la limite orien- tale du bassin de l'Atlantique du Nord, relevées au moyen de sondages en séries et de sondages de fond. APPENDICE C. — Echelles comparatives indiquant la réduction de la température avec l'accroissement de la profondeur, à trois stations, situées sous des latitudes différentes, mais toutes sur la limite orientale du bassin de l'Atlantique. APPENDICE D. — Température de la mer à différentes profondeurs dans les régions chaudes et dans les régions froides qui se trouvent entre le nord de l'Écosse, les îles Shetland et les îles Faréer, relevée au moyen de sondages en séries et de sondages de fond. APPENDICE E. — Températures intermédiaires provenant du mélange des courants chauds et des courants froids sur les limites des régions chaudes et des régions froides. Si la terre que nous habitons avait une surface uniformé- ment sèche, tout en conservant d’ailleurs ses conditions ac- tuelles de chaleur centrale, de position par rapport au soleil, et Venveloppe atmosphérique, quelques zones pourraient pré- senter certaines particularités de température dues au mélange de courants (air chauds et froids ; mais, dans l’ensemble, les 240 LES ABIMES DE LA MER. lignes isothermes, c'est-à-dire les lignes qui traversent tous les lieux qui ont la même moyenne de température, seraient partout d'accord avec les parallèles de la latitude. Il suffit de jeter un coup d'œil sur une carte isothermale, calculée pour une année, pour un été, un hiver, ou même pour un seul mois, pour se convaincre qu'il est loin d’en être ainsi. Les lignes de température égale s’éloignent toujours, et souvent considé— rablement les unes des autres et de leur parallélisme normal avec les degrés de latitude. La même carte démontrera aussi que les lignes isothermes, qui tendent à conserver une direc- tion régulière et normale en traversant de vastes espaces continentaux, s’en éloignent en décrivant des courbes consi- dérables, toutes les fois qu'il se présente une grande étendue de mer comprenant plusieurs degrés de latitude, et consé- quemment des conditions climatériques très-diverses. Les terres qui avoisinent l'Océan participent à cette dif- fusion de chaleur et à cette amélioration de climat; de là vient la différence très-marquée entre les climats continen- taux et ceux du littoral. Les premiers passent par les extrèmes de la chaleur en été et du froid en hiver, tandis que les autres jouissent d’une température infiniment plus égale, un peu inférieure sous les tropiques, à la température normale, et généralement de beaucoup inférieure en dehors de leurs limites. L'Irlande, la Grande-Bretagne et la côte occidentale de la Scandinavie sont comprises dans le système le plus extrème des courbes anormales des bassins océaniques; c’est à cette par- ticularité de la distribution de la température dans I’ Atlantique du Nord que nous sommes redevables de la douceur singulière de nos hivers. La carte planche VIT résume les résultats de centaines et de milliers d'observations individuelles, et repré- sente la distribution des lignes de température moyenne du mois de juillet à la surface de Atlantique du Nord. On voit que les lignes isothermes, au lieu de traverser directement Océan, décrivent une série de courbes qui vont s’élargissant TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. Lo 11 et s'aplatissant vers le nord, et qui toutes sont soumises à cer— taines inflerions qui leur donnent une apparence festonnée. Toutes sont dues à l'influence d’une source commune de cha- leur, ayant son origine dans les régions qui avoisinent le détroit de la Floride. Ces particularités de distribution de la température à la surface de la mer proviennent ordinairement de la circulation des grandes masses d’eau qui prennent leur source dans des régions où elles sont soumises à l'influence de climats bien différents, aux courants océaniques chauds ou froids, qui manifestent aussi leur puissance en accélérant ou en retar- dant la marche des navires, quelquefois mème en les forçant à s’écarter de leur route. Il arrive cependant que, tout en entrainant une grande masse d'eau et en exerçant sur le climat une influence très-positive, le courant est assez lent pour que sa marche soit imperceptible et complétement dis— simulée par des courants locaux ou accidentels, ou même par le mouvement qu'imprime le vent régnant à la surface de la mer. C'est ainsi que le Gulf-stream, ce vaste «fleuve chaud » de l'Atlantique du Nord, qui produit les plus bienfaisantes et les plus remarquables des déviations des lignes isothermes du monde entier, est sans aucune influence sur la navigation au delà du 45° parallèle de latitude N., particularité qui a été et qui est encore la cause de nombreuses erreurs touchant son caractère véritable. La manière de constater le degré de température de la surface de la mer est des plus simples : On descend du pont un baquet, en ayant soin de l’agiter pendant quelques minutes dans l’eau, pour en égaliser la température; on le laisse semplir à un pied environ au-dessous de la sur- face; on prend ensuite la température de l’eau contenue dans le baquet, au moyen d'un thermomètre ordinaire dont on a observé l'écart. Un thermomètre ordinaire du modèle de Pob- servatoire de Kew, gradué d’après Fahrenheit, peut, avec un 16 242 LES ABIMES DE LA MER. peu d'habitude, se lire à un quart de degré, et un thermomètre centigrade d’un grand modèle, à un dixième de degré près. On relève en général la température de surface de deux heures en deux heures, et lon inscrit chaque fois celle de Pair. La latitude et la longitude s’observent à midi, ou plus souvent encore, s’il le faut, par estimation. Toute observation de la température de surface de la mer faite avec soin, et accompagnée de notes exactes, de la date, de la position géographique et de la température de l'air, est précieuse. Les études de température de la surface faites sur le navire de S. M. le Porcupine, pendant ses croisières de draguage de l'été de 1869, font le sujet de l’Appendice A. La température de la surface de l'océan Atlantique du Nord a donné lieu à d'innombrables observations de ce genre, faites avec plus ou moins d’exactitude. Le D'Petermann, dans un travail important sur Vextension septentrionale du Gulf- stream, a pris la moyenne du résultat de plus de cent mille de ces observations, et a basé sur ce caleul le système de courbes qui, moyennant quelques légères modifications, a servi pour le tracé de cette carte. Jusqu'à une époque fort récente on ne savait à peu près rien de certain sur la température de la mer au-dessous de sa sur- face. C’est la pourtant un sujet d'étude des plus importants, au point de vue de la géographie physique. Une connaissance exacte de la température à différentes profondeurs est le seul moyen de s’éclairer sur l'épaisseur, le volume, la direction et la marche des courants chauds de l'Océan, qui sont les prin— cipaux agents de diffusion de la chaleur équatoriale, et, plus particulièrement encore, sur ces courants plus profonds d’eau glacée qui complètent, en allant prendre la place des pre- miers, le cycle de la circulation océanique. L’imperfection des instruments dont on s’est servi jusqu'ici est certainement la cause principale de cette absence de données exactes sur la température des grandes profondeurs. L'instrument presque universellement adopté jusqu'à pré- TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 245 sent est le thermomètre enregistreur ordinaire de Six, en- fermé dans un solide étui de cuivre percé d'ouvertures aux deux extrémités, de manière à admettre librement un courant d'eau au travers du cylindre jusqu’à la boule de l'instrument. Le thermomètre enregistreur de Six consiste en un tube de verre recourbé en forme de V (fig. 55), dont une des branches est terminée par une grosse ampoule cylindrique entièrement pleine d’un mélange de créosote et d’eau. La partie recourbée du tube renferme une colonne de mercure, et la seconde branche du V se termine par une ampoule plus petite, qui contient une petite quantité de créosote et d’eau, mais dont la plus grande partie est vide, ou plutôt remplie des vapeurs du liquide et d'air comprimé. Un petit indicateur d'acier, en- touré d’un cheveu, qui agit comme ressort et maintient l’in- dicateur dans la position qu'il a prise, est contenu libre dans le tube à chacune des extrémités de la colonne de mercure, et plonge dans la créosote. Ce thermomètre donne ses indica- tions uniquement par l'effet de la contraction et de expansion de la liqueur dont est remplie la grosse boule; il est consé- quemment sujet à de légers écarts causés par Vinfluence de la températuré sur les liquides contenus dans les autres parties du tube. Des qu'il y a expansion du liquide que renferme le erand réservoir, la colonne de mercure est chassée vers le haut, dans la direction de la petite ampoule, et la branche du tube dans l’intérieur de laquelle il s'élève est graduée de bas en haut, pour indiquer la chaleur croissante. Quand, au contraire, ily a contraction du liquide de la grosse ampoule, la colonne de mercure baisse dans cette branche pour s'élever dans celle qui se termine par la boule pleine et qui est graduée de haut en bas. Pour se servir du thermomètre, on attire en bas les deux indicateurs au moyen d’un fort aimant, Jusqu'à ce que des deux côtés ils touchent la surface du mercure. Quand le thermomètre sort de l’eau, la hauteur à laquelle se trouve placée l'extrémité inférieure de chacun des indicateurs marque le point extrème auquel ils ont été poussés par le mercure, ou, 24 LES ABIMES DE LA MER. en d’autres termes, le degré le plus intense de chaleur et de froid auquel l'instrument a été exposé. On ne peut malheureusement pas compter sur l'exactitude du thermomètre de Six au delà d’une faible profondeur; le verre de l’ampoule qui renferme la liqueur expansible cède à la pression de l’eau, et, en comprimant le fluide contenu, fait indiquer par l'instrument une élévation qui n’est pas unique— ment l'effet de la température. Cette cause d'erreur n’est pas toujours identique dans ses effets, puisque le degré de compres— sion que subit le réservoir dépend de sa forme, de l'épaisseur et de la qualité du verre dont il est fait. Ainsi, l’écart des bons thermomètres faits d’après le modèle du Bureau hydro- graphique varie de 7° G. à 10°,5 C., sous une pression de 6817 livres par pouce carré, qui représente une profondeur de 2500 brasses. Dans les thermomètres parfaitement construits, tels que ceux que font Casella et Pastorelli pour l'Amirauté anglaise, l'écart dû à la pression est presque uniforme; et le capitaine Davis, de la Marine royale, qui a fait dernièrement sur ce sujet des expériences fort sérieuses, a émis l'avis qu'avec des observations très-suivies et une étude complète, on arri- verait à obtenir une échelle qui permettrait d'amener les ther— momètres dont on s'est servi jusqu'ici à un degré d’exactitude fort rapproché de la vérité absolue, et ainsi d'utiliser jusqu’à un certain point les études qui ont été faites avec nos instru- ments dont on se sert habituellement. Pendant l'expédition de 1868, faite sur le Lightning, nous avons employé le modèle ordinaire du Bureau hydrographique, et un grand nombre de thermomètres de différents auteurs ont été embarqués avec nous, pour subir épreuves et comparai- sons. Quand les profondeurs n'étaient pas considérables, les relevés de la température se faisaient facilement, et comptent parmi les phénomènes les plus intéressants dont nous ayons eu à prendre note. Certains instruments se comportaient d’une manière désordonnée à quelques.centaines de brasses, et plu- sieurs céderent sous la pression. A notre retour, au mois TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 245 d'avril 1869, le D' W. A. Miller, présent à une réunion de la commission des grandes profondeurs de la Société Royale au bureau hydrographique, proposa d’enfermer l’ampoule pleine dans une enveloppe extérieure de verre contenant de l'air, afin que cet air, étant comprimé par la pression de l’eau sur l’enveloppe extérieure, protégeat le réservoir intérieur. On demanda à M. Casella de construire quelques thermo- mètres d’après ces données; seulement, au lieu d’être remplie d'air, l’enveloppe extérieure le fut presque entièrement d’alcool chauffé, afin d’expulser une bonne partie de ce qu’elle pouvait contenir d'air; puis la chambre extérieure fut hermétiquement close; on laissa pénétrer seulement une bulle d’air et de vapeur d'alcool, qui, cédant sous la pression extérieure, devait en pré- server l’ampoule intérieure. Le thermomètre Miller-Casella se trouva approcher tellement de la perfection, qu'il fut décidé— ment adopté, et qu'on s’en servit comme point de comparaison dans une série d'expériences dont le but était d’éprouver les thermomètres ordinaires de Six, faits d’après le modèle du Bureau hydrographique. Pendant les croisières que nous fimes ensuite sur le Porcupine, nous nous en rapportames complé- tement à ce thermomètre, dont l’exactitude nous satisfit pleine- ment. Pendant l’été de 1869, des observations de température ont été faites à plus de quatre-vingt-dix stations et à des pro- fondeurs qui variaient entre 10 et 2435 brasses. Deux ther- momètres ont été immergés à chacune de ces stations, et il n’en est pas une seule où ils nous aient donné quelque raison de douter de leur exactitude. Toutes les observations ont été faites par le capitaine Calver lui-même; le plomb et les thermomètres qui y étaient attachés ont toujours été immergés de ses propres mains; et la meilleure preuve, à mon avis, de l'adresse et de Vhabileté de notre ami, c’est qu'à la fin de l’année, il a ramené à Woolwich ces deux précieux et fragiles instruments parfaitement intacts. La figure 53 représente le thermomètre enregistreur de Six le plus récemment modifié et perfectionné d’après le système 246 LES ABIMES DE LA MER. Miller-Casella. L’instrument est de petit volume, afin de dimi- nuer le plus possible le frottement de l’eau. Le tube est monté sur ébonile, pour éviter la dilatation que l’eau occasionne à a So a Q N : Oo Ë 4 É lu : < VU. | Fic. 53. — Thermomètre enre- gistreur de Six modifié par Miller-Casella. L’enveloppe de la grande ampoule est double ; entre les deux parois se trouve une couche liquide avec une bulle de vapeur ayant pour but d’atténuer les effets de la pression. x une monture de bois, expansion qui fait que l’instrument demeure quelquefois engagé dans son étui. L’échelle est de porcelaine blanche, graduée d’après les degrés de Fahrenheit; la grosse am- poule est enfermée dans une enveloppe extérieure de verre, remplie aux trois quarts d’aleool et hermétiquement close. Il est juste de faire mention ici, d’après ce que sir Edward Sabine m'en a dit, des thermomètres dont s’est servi sir John Ross en 1818, pendant son voyage aux mers arctiques; ils étaient abrités d’après un système presque semblable. Il faut parler aussi d'un thermomètre capable de résister à la pression, con- struit sous la direction de feu l’amiral Fitzroy, à l’instigation de M. Glaisher, et qui ne différait guère du modèle Miller-Casella que par l'introduction dans l'enveloppe extérieure de l’ampoule d’un peu de mercure au lieu d'alcool; l'instrument était peut-être aussi un peu plus fragile et un peu moins portatif". Un thermomètre à maxima de Phillip, modifié par sir William Thomson, et qui est entièrement enfermé dans un étui de verre partiellement rempli d'alcool, parait être, de tous, celui qui présente le moins d'écart. 1. Il est question d’un thermomètre pour les observations dans les grandes profon- deurs, construit d’après cette donnée, dans le catalogue d'instruments météorologi- “ques publié en 1864 par MM. Negretti et Zambra. Ces thermomètres ne différent pas TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 247 Un très-heureux perfectionnement du thermomètre métal- lique de Bréguet a été imaginé par Joseph Saxton, membre du Bureau des poids et mesures des États-Unis. Deux rubans, l’un de platine et l’autre d'argent, sont réunis par une soudure d'argent à une plaque intermédiaire dor; les rubans réunis sont enroulés autour d’un axe central de cuivre, celui d'argent en des— sous. De tous les métaux, l’argent est celui qui éprouve la plus forte dilata- tion sous l'influence de la chaleur, et le platine un de ceux qui en ont le moins. L’or occupe entre eux une place inter- médiaire, et son interposition entre le platine et l'argent a pour effet d’empé- cher le rouleau d’éclater, en modérant la tension. La partie inférieure du rou- leau est fixée à l’axe de cuivre, et la supérieure est assujettie à un court cy— : re e Fic. 54. — Lanterne de bronze lindre. Toute variation de température hour abriter le thermomètre Miller-Casella. Le couverele et le fond sont percés de traction ou d'expansion qui fait tourner nombreuses ouvertures pour laisser l’eau circuler libre- A : Span. sur elle-même la tige de l’axe. Ce mou— nent à l'intérieur. produit sur le rouleau un effet de con- vement, traduit et amplifié par des rouages multiplicateurs, est enregistré sur le cadran de l’in- strument par un indicateur qui pousse devant lui une aiguille dont le frottement sur le cadran suffit pour qu'elle se main- essentiellement de ceux qu'on désigne sous le nom de thermomètres de Six; voici en quoi ils en diffèrent. Les thermomètres ordinaires de Six ont un réservoir central qui contient de l'alcool; ce réservoir, qui est la seule partie de l'instrument susceptible d’être altérée par la pression, est remplacé, dans le nouvel instrument de MM. Negretti et Zambra par un solide cylindre de verre qui renferme du mercure et de Peau. De cette manière, la partie de l’instrument exposée à la compression est rendue assez résistante pour qu'aucune pression, quel qu’en soit le degré, ne puisse la faire varier. Le mot remplacé donne une certaine ambiguïté à cette explication, mais MM. Negretti et Zambra m/affirment qu’en principe cet instrument est exactement le même que celui qui à été imaginé par M. le professeur Miller et exécuté par M. Casella. - JAR LES ABIMES DE LA MEN. tienne à l'endroit où l’a placée Vindicateur du thermomètre. L’instrument est gradué après essai comparatif. Les parties qui sont de cuivre ou d'argent reçoivent, au moyen du pro- cédé galvanoplastique, une épaisse dorure qui les préserve de toute détérioration par l’eau de mer. L’étui qui renferme le rouleau et la partie indicatrice du thermomètre, n’a d'autre destination que de le préserver de tout accident; il est ouvert de manière à permettre le libre passage de l’eau de la mer. Cet instrument est suffisant, parait-il, pour les profondeurs moyennes; jusqu’à 600 brasses, son écart ne dépasse pas de beaucoup 0°,5 C.; à 1500 brasses cependant, son écart arrive à 5° C., tout autant que pour les thermomètres non abrités de Six, et il est moins régulier. I] est évident que dès qu'il s’agit de grandes pressions, on ne peut avoir que bien peu de confiance dans les instruments qui marchent par des rouages métal- liques. Avant le départ du Porcupine pour sa croisière de l’été de 1869, on a fait à Woolwich une série d'expériences des plus intéressantes sur les effets produits par la pression sur des thermomètres enregistreurs de différents modèles. L’ingénieur hydrographe et la commission de la Société Royale pour Vex- ploration des grandes profondeurs présidaient à ces expé- riences. Le but de ces études était de soumettre tous les mo- dèles de thermomètres dont on fait usage à l’action d’une presse hydraulique, équivalente à la pression qu'ils doivent subir aux différentes profondeurs de l'Océan; on peut se rendre compte ainsi des causes et de l'étendue de leur écart, signaler le moins défectueux parmi ces différents modèles, et si possible, inventer une échelle au moyen de laquelle on peut utiliser, en les rectifiant d’une manière approximative, les observations faites jusque-là avec les instruments ordinaires. On éprouva quelques difficultés à trouver une presse conve- nable, et M. Casella fit construire chez lui, à Hatton-Garden, un appareil à épreuves capable de fournir une pression de trois tonnes par pouce carré. TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. - 219 Les résultats furent des plus remarquables '. La première expérience était destinée à éprouver la valeur de chacun des instruments. On plaça dans le cylindre un thermomètre Miller- Casella n° 57, avee un bon instrument fait par Casella d’après le modèle du Bureau hydrographique; ils furent soumis en- semble à une pression de 4032 livres, égale à celle que donne- raient 1480 brasses de profondeur. Voici quel en fut le résultat : MINIMUM. | MAXIMUM. ann de THERMOMÈTRE. | | Oe DES MAXIMA. C'est-à-dire que, la température demeurant la même, la pression a fait monter le n° 97 à 12°,75, et que l'index y était demeuré. Cette expérience a démontré du premier coup la supériorité de la chambre abritée. Elle a été répétée pour d’autres thermo- mètres avec la même pression et pendant le même espace de temps, et a prouvé que la moyenne des différences n'étant pour les réservoirs abrités que de 0°,95, celle des thermomètres ordinaires de grandes profondeurs se trouvait être, comme pour le n° 57, de 7°,25. Il résulte aussi de ces expériences que presque toute la différence provient de la pression de la colonne d'eau sur l’ampoule pleine, et qu’en Vabritant, on obtient des instruments à peu près parfaits. La série suivante d'expériences a été faite pour établir une échelle de degrés qui permit de corriger par approximation les résultats acquis auparavant avec les thermomètres ordi- naires. \ |. On Deep-Sea Thermometers, by Captain J. E. Davis, R. N. (Nature, vol. Il, p. 124) Abridged from a Paper read before the Meteorological Society, April 19th, 1871. 250 LES ABIMES DE LA MER. Ce tableau indique l'écart de six thermomètres sous diffé rentes pressions. Celui qui est désigné comme servant de point de comparaison est un thermomètre abrité Miller—Casella; le dernier est un thermomètre enregistreur à minima, enfermé dans un cylindre de verre hermétiquement clos, d’après le système de sir William Thomson. { | | | x | Es PRESSION | THERMOMÈTRE | ; ae + MODÈLE EN BRASSES. | ÉTALON. : THOMSON. © ~ ~ s 2 vw 250 the Gig RU SAC 500 Ns | 47 750 f J 1000 1250 1500 L750 2000 92950 2500 viv ~ s D D = © s brow es qo TRS Im OHI > 1 CO ES TZ OS Voici quelle a été la moyenne des différences pour 250 brasses, pour chacun des thermometres : THERMOMÈTRE. DIFFÉRENCE. + 0,12 C. + 0,72 “L 0,67 + -0,65 + 0,76 + 0,03 Pendant ces expériences on maintenait autant que possible l'eau du cylindre à la mème température, ou du moins à une température connue; mais comme la compression subite de l’eau développe nécéssairement de la chaleur, on a fait la série TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 251 suivante d'expériences pour se bien rendre compte de la quan— tité de calorique produite. On s’est servi pour cela de trois des thermomètres maxima de Phillip (système de sir William Thomson) absolument abrités contre toute compression, et voici les résultats obtenus : Pression : 6817 livres — 2500 brasses de profondeur, THERMOMÈTRE. DIFFÉRENCE. (9 (RE D APE a ae Re MAPS RER | + 0,05 C. A OAD PE REA EEE ier | + 0,22 Cena ee Sera TEA UN oa act de | + 0,14 Cette cause d'écart est insignifiante. D'après ces expériences, il faut conclure que le véritable écart pour le thermomètre Miller-Casella est : con = x DORA 2 50 DraSSeS te erates cre st-taetr ta de 0,079 C. RTS UUPDLASS ES SR Er ME CNE de 0,79 Ce qui permet de le regarder comme un instrument parfaite- ment approprié à tous les usages ordinaires. Un certain nombre des instruments qui avaient subi l'épreuve de la presse ont été embarqués sur le Porcupine, pendant sa croisière de l’été de 1869; à son retour, les résultats des obser- vations faites à différentes profondeurs par le capitaine Calver ont été comparés à ceux obtenus par des pressions équivalentes appliquées aux thermomètres dans la presse hydraulique de M. Casella. Le résultat, pour l'Océan, contrairement à celui que donne la presse hydraulique, prouverait que l’élasticité nest pas régulière et nefcroit pas en raison de la pression, mais qu'après s'être maintenue d’une façon régulière jusqu'à une profondeur de 1000 brasses, elle décroit en raison inverse, 252 LES ABIMES DE LA MER. jusqu'à celle de 2000 brasses, où elle disparait à peu près com- plétement. Le tableau suivant donne un aperçu comparatif des effets produits sur les thermométres de Casella, du modèle du Bureau hydrographique, dans POcéan et dans la presse hydraulique : ÉCART. POUR 250 BRASSES. PRESSION EE EN nate oe PRESSE PRESSE ASSES. AN TA OCEAN. CEAN. HYDRAULIQUE. HYDRAULIQUE. aches 0 0 0 250 0,726 C. i 0,726 C. 0,738 500 1,548 0,774 0,782 750 2,123 | 0,708 0,741 1000 2,474 0,674 0,754 1250 3,955 | 3,49: 0,651 0,698 500 4,107 0,684 0,653 1750 1,555 | 0,650 | 0579 2000 5,354 | 0,669 0,536 29250 6,021 0,669 | 2500 6,817 0,682. Pour faire des sondages de température à de grandes pro- fondeurs, on assujettit deux ou plusieurs thermomètres Miller- Casella à la corde de la sonde, à une faible distance les uns des autres, et à quelques pieds seulement au-dessus de lanneau d'attache d’une sonde dont le poids est destiné à demeurer au fond. L’engin est descendu rapidement, et on laisse écouler cing à dix minutes après que son contact avec le fond Va dé- taché, avant de remonter les thermometres; il suffit même de quelques instants pour que l'instrument marque le degré vrai de la température. Pour faire des sondages de séries, c’est-à- dire pour se rendre compte de la température qui règne à diffé- rents intervalles de profondeur, dans les eaux profondes, on attache les thermomètres au-dessus d’un plomb ordinaire de grande profondeur, on déroule la quantité de corde nécessaire pour chaque relevé de température, et à chacun des relevés de la série on remonte le tout. Cette opération est longue et minu— tieuse: une seule série de sondages faite dans la baie de Biscaye, TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEUR. 253 où la profondeur était de 850 brasses, et où nous relevames la température toutes les cinquante brasses, occupa la Journée entière. ll est bon de dire ici qu'en prenant la température du fond avec le thermomètre de Six, l'instrument n'indique jamais que la température la plus basse à laquelle il ait été exposé, de sorte qu’en supposant que l’eau du fond se fût trouvée plus chaude que celle des couches supérieures traversées par l'instrument, Vindication serait nécessairement erronée. Ceci ne peut se déterminer que par des séries de sondages; partout où la température a été étudiée pendant les expéditions du Porcu- pire, on a trouvé que la température s’abaissait graduellement, quelquefois d’une manière très-constante, quelquefois avec irrégularité, de la surface jusqu'au fond, où l’eau s’est tou- jours montrée la plus froide. Il est probable que dans certaines conditions, dans les mers polaires, par exemple, où la surface est exposée à un froid intense, la couche d’eau inférieure peut ètre la plus chaude, jusqu'au point où l'équilibre se trouve rétabli par la circulation; mais je considère ce fait comme très-rare : la règle, c’est que, si l’on en excepte une mince sur- face sur laquelle les variations diurnes peuvent avoir quelque influence, la température, à toutes les latitudes, va s’abaissant de la surface jusqu’au fond. La première série sérieuse des relevés de température a été faite pendant l'expédition de sir John Ross aux mers arctiques en 1818. Le 1° septembre, par 73° 37° de latit. N. et 77° 25° de longit. O., la surface étant à 1°,3 C., le thermomètre enre- gistreur indiqua à 80 brasses 0° C., et à 250 brasses, — 1°,4 C. Le 6 septembre, par 72° 23’ de latit. N. et 73° 07’ de longit. O., on fit la première tentative de sondage en séries qui ait jamais été tentée. Le thermomètre fut plongé successivement à 500, 600, 700, 800 et 1000 brasses, et indiqua une température de plus en plus basse, jusqu'à la plus grande de ces profon— deurs, où il tomba à — 3°,6 C. Le 19 septembre, par 66° 50 de latit. N. et 60° 30° de longit. O., on fit encore une série 254 LES ABIMES DE LA MER. d'observations : à 100 brasses, la température indiquée était de—0°,9 C.; à 200, —1°,7 C.; à 400, —2°,2 C., et à 660 bras- ses, — 3°,6 C. Le 4 octobre, par 61° 41’ de latit. N. et 62° 16’ de longit. O., sir John Ross fit un sondage, mais sans trouver de fond, à 950 brasses. Le thermomètre enregistreur, descendu en même temps, marquait à cette profondeur 2° C., pendant que la sur- face était à 4° C. et la température de l’air à 2°,7 C. Le général sir Edward Sabine, qui a pris part à l'expédition de sir John Ross m’a appris, que ces relevés de température ont été faits avec des thermomètres enregistreurs abrités à peu près de la même manière que ceux dont on a fait usage sur le Porcupine. Ces thermomètres devaient être protégés d’une manière suffi sante, car les températures indiquées par eux aux plus grandes profondeurs sont telles qu’on pourrait les attendre des thermo- mètres Miller-Casella. Des instruments non abrités auraient certainement donné des indications plus élevées. Le dernier de ces relevés, fait à une distance considérable dans le détroit de Davis, offre un intérêt tout particulier : la température de la surface était de près d’un degré et demi cen- tigrade supérieure à celle de l'air, et celle de l’eau était d’une élévation inusitée. On sait maintenant qu’à certaines époques de l’année le Gulf-stream s'étend jusqu’à l'entrée du détroit. Les lignes isothermes pour septembre et juillet sont tracées sur la carte d’après des données qui m'ont été obligeamment fournies par M. Keith Johnston. | Dans un extrait de son journal particulier de l'expédition de sir John Ross, cité par le D° Carpenter’, sir Edward Sabine indique une température inférieure à toutes celles qui jusque-là avaient été inscrites. «Après avoir jeté la sonde à 750 brasses, le 19 septembre 1818, dit-il, on descendit à 680 brasses le Ca ME enregistreur, dont l'index marquait, en remon- tant, 25°,75 Fahr. (— 3°,5 C.). Ne l’ayant jamais vu descendre au-dessous de 28° (— 2°,2 C.) dans les sondages précédents, |. D® CARPENTER’S Preliminary Report on Deep-Sea Dredgings. Proceedings of the Royal Society of London, vol. XVII, p. 186. TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 299 mème à la profondeur de 1000 brasses, et quelquefois tout près du fond, j’examinai avec le plus grand soin le thermomètre, sans pouvoir découvrir d’autre cause de cet abaissement extraordinaire que la seule froidure de l'eau. » Parmi les expériences qui tendent aux mêmes conclusions, nous citerons celles du lieutenant Lee, du service de surveillance côtière des États-Unis, qui en août 1847, au-dessous du Gulf-stream, par 30° 26’ de latit. N., 73° 12’ de longit. O., trouva une tempéra- ture de 2°,7 C. à la profondeur de 1000 brasses ; et celle du lieutenant Dayman, qui trouva une température de 0°,4 C., à 1000 brasses, par 51° de latit. N., et 40° de longit. O., la surface étant à 12°,5 C. Malgré ces faits, opinion générale- ment répandue parmi les physiciens et ceux qui s occupaient de géographie physique était que l’eau salée, subissant la même loi que l’eau douce, atteint sa plus grande densité à la tempé- rature de 4 C. Le résultat inévitable de cette propriété, si elle existait réellement, est ainsi expliqué par sir John Herschel : « Dans les eaux très-profondes, sur toute la surface du globe, règne une température uniforme de 39° Fahr. (4° C.). Au-dessus du niveau où commence cette température, on peut regarder l'Océan comme divisé en trois grandes régions ou zones : une zone équatoriale, et deux polaires. Dans la première l’eau la plus chaude, et dans les deux autres l’eau la plus froide se trouve à la surface. Les lignes de démarcation de ces zones sont évidemment les deux isothermes de 39° Fahr. de température moyenne annuelle. » Le D° Wallich fait un excellent résumé de cette singulière théorie : « Mais, dit-il, tandis que la tempéra- ture de l'atmosphère, au delà de la ligne de congélation perpé- tuelle, va toujours s’élevant, celle de l’eau, au-dessous de la ligne isotherme, demeure uniforme jusqu'au fond. N’était l’ac- tion de la loi d’où procède ce dernier phénomène, l'Océan tout entier se serait depuis longtemps solidifié, et terre et mer seraient devenus inhabitables pour les organismes vivants. Con- trairement aux autres corps, sur lesquels toute élévation de tem- pérature produit un effet de dilatation et de diminution de den- 256 LES ABIMES DE LA MER. sité, l’eau arrive à sa plus grande densité, non au degré de froid le plus bas, mais à 39°,5 Fahr.: il se passe donc ceci, qu’aus- sitôt que la couche supérieure de la mer a atteint ce degré de refroidissement, elle descend, ce qui permet à une nouvelle couche de monter à la surface et de s’y refroidir. Cette opération se renouvelle jusqu’à ce que toute la couche supérieure soit ré- duite à la température de 59°,5. Alors elle cesse de se contracter, subit un effet de dilatation, devient plus légère que l’eau qui se meut au-dessous delle, se refroidit toujours plus, et se congèle à 28°,5. C’est ainsi qu'en vertu d’une loi qui n’est exceptionnelle qu'en apparence, l’équilibre de la circulation océanique peut se maintenir, pendant qu'à l'équateur la température moyenne de la couche d’eau supérieure, qui est de 82° Fahr., décroit gra— duellement, pour arriver à 1200 brasses à 39°,5 Fahr., qu'elle conserve jusqu’au fond dans les régions polaires du nord et du sud; jusqu'à 56° 25’ de latitude dans chaque hémisphere, la température va s'élevant, de la surface en bas, jusqu’à la ligne isotherme, au delà de laquelle elle demeure stationnaire, ainsi qu'il a été dit plus haut. De la il résulte qu'à 56° 25” de latitude, la température est uniforme de la surface jus- qu'au fond, et il est prouvé par observation qu'à 70° de lati- tude environ, la ligne isotherme se trouve à 790 brasses au-dessous de la surface '. » Il n’est pas douteux que cette théorie, qui depuis quelques années était universellement acceptée, ne soit complétement fausse. Il a été démontré par M. Despretz”, à la suite d’une série d'expériences faites avec le plus grand som, et qui, depuis, ont été répélées avec le mème résultat, que l’eau de mer, en sa qualité de solution saline, augmente de densité en se contractant, jusqu'à ce qu’elle arrive à son point de congéla- tion: ce phénomène a lieu, lorsqu'elle n’est soumise à aucun mouvement, à environ — 3°,67 C. (25°,4 Fahr.), et lorsqu'elle 200 de est agitée, à 1. Dr Waxuicu, North Atlantic Sea-bed, p. 99. 2. Recherches sur le maximum de densité des dissolutions aqueuses. (Loc. cit.) TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 257 Les études de température faites par sir James Clarke Ross, pendant son expédition de 1840-41 aux mers antarctiques, pa- raitraient donner gain de cause à la théorie de l’uniformité de la température à 4°,5 C., à une grande profondeur; mais il est aussi évident que ses observations ont été faites avec des instru- ments non abrités, tandis qu’en 1818 sir John Ross s’est servi de thermomètres garantis contre toute pression. On ne peut donc les accepter que comme une preuve qu'aux latitudes tout à fait méridionales, la température de la surface est quelquefois plus basse que celle des couches profondes; mais le calcul de l'écart causé par la pression ne peut se faire d’une manière cer- taine, puisqu'il dépend de la façon dont étaient construits les thermomètres employés : ces corrections doivent, dans tous les cas, réduire considérablement les différences que les instru- ments ont indiquées entre ces températures extrêmes. Un certain nombre de thermomètres du modèle du Bureau hydrographique ont été employés à bord du Lightning, et le commandant May s’en servait pour faire des relevés de tem- pérature. Nous eimes plus tard, au retour, l’occasion de les éprouver, et nous connaissons maintenant d’une manière à peu près certaine, pour les avoir nous-mêmes expérimentés, la somme de leur écart, En parlant des températures relevées par le Lightning, j'entends done les températures prises avec des thermomètres ordinaires, mais corrigées approximative- ment d’après le thermomètre Miller-Casella, dont plus tard on a fait usage sur le Porcupine. En quittant Stornoway sur le Lightning, le 11 août 1868, nous primes la direction des banes de Faréer, et, jetant la sonde dans 500 brasses, à 60 milles environ de la pointe de Lews, nous trouvames une température de fond de 9°,4 C. avec le thermomètre ordinaire de Six, seul modèle qui fût alors en usage. Cette température, abstraction faite de la pression, se trouva réduite à 7°,8 C. Une telle élévation du thermomètre ne laissa pas que de nous causer quelque étonnement et de nous in- spirer quelques doutes à l'endroit de l’exactitude de ce sondage, 17 258 LES ABIMES DE LA MER. qui avait été fait par une assez forte brise; ceux que nous fimes plus tard au même endroit vinrent pourtant en confirmer l'exactitude. La moyenne de la température sur les banes de Faréer était de 9° C., au-dessous de 100 brasses, pendant que celle de la surface était de 12° C. Mais les indications de tem- pérature n’ont que peu de valeur sur cette côte, où l’eau doit certainement subir à quelque degré dans tonte sa profon— deur l'influence de la radiation directe du soleil. Le relevé sui- rant s'est fait par 60° 45’ de latit. N. et 4° 49° de longit. O., à une profondeur de 510 brasses, avec température de fond de — 0°,5 C., à 140 milles environ, directement au nord du cap Wrath. Après cela vient une série de sondages, n° 7, 8, 10 et 11 de la carte (pl. D, faits en traversant la partie septen— trionale du détroit qui se trouve entre l'Écosse et le plateau des Faréer; ils donnèrent, en suivant l’ordre où ils sont indiqués, — 1°,1, — 1°,2, — 0°,7, et — 0°,5 C. Le n° 9, par 170 brasses de profondeur et une température de 5° C., ne doit compter que comme exception; c’est là, selon toute appa- rence, le point culminant d’une aréte ou d’un bane. En dra- guant à cette station, nous trouvames de nombreux exem- plaires du rare et beau 7erebratula cranium; mais l’année suivante, nous cherchames cet endroit-la avee le Porcupine, sans réussir à le retrouver. Le 6 septembre, nous avons sondé et fait des relevés de température par 59° 36’ de latit. N. et 7° 20’ de longit. O., avec 530 brasses; la moyenne de trois thermomètres, qui ne différaient guère l’un de l’autre de plus du tiers d’un degré, indiqua une température de fond de 6°,4C. Dans la matinée du 7 septembre, par 59° 5’ de latit. N. et 7° 29'de longit. O., on fit un sondage de température à la pro- fondeur très-modérée de 189 brasses, et l’on trouva 9°,6 C. Les trois sondages portant les n° 13, 14 et 17, aux profondeurs respectives de 650, 570 et 620 brasses, et s'étendant à l’ouest de l’Atlantique du Nord, jusqu'à 12° 36’ O., indiquèrent une température de fond de 5°,8, 6°,4 et 6°,6 C., dans l’ordre de leurs numéros. TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 259 Le résultat général de ces recherches nous a paru remar- quable. La région que nous n'avions précédemment étudiée que d’une manière incomplète, comprenait d’abord le canal, large d’environ 200 milles, qui s’étend entre la limite septen- trionale du plateau de la Grande-Bretagne et le bas-fond dont les îles Farôer, avec leur grande étendue de côtes, sont le point culminant; la plus grande profondeur y est inférieure à 600 brasses; puis une partie restreinte de l’Atlantique du Nord, située à l’ouest et au nord de l’ouverture du canal. Dans ces deux espaces rapprochés, qui communiquent librement en— semble, et qui ont une température de surface presque iden— tique, les conditions de climat sont totalement dissemblables pour les couches inféricures. La moyenne de la température, dans le canal des Farôer, est à 500 brasses de profondeur de — 1°,0 C., tandis qu'à la même profondeur, dans l’Atlantique, l'index minima s’arrétait sur + 6° C.; la différence était done de 7 C., ou près de 13° Fahr. La conclusion que nous avons promptement tirée de ces phénomènes, et qui nous en a paru être la seule explication possible, c’est qu'un courant arctique d’eau glacée venant du nord-est se glisse dans le canal des Farôer, et coule dans sa partie la plus profonde, à cause de sa densité plus grande; tan— dis qu'une masse d’eau chauffée à un degré supérieur à celui de la température normale de cette latitude, et provenant con— séquemment de quelque source méridionale, s’achemine vers le nord en traversant son extrémité occidentale, et en remplis— sant, depuis la surface jusqu'au fond, toute cette partie relati- vement peu profonde de |’ Atlantique. Ces études ont établi d'une manière qui n’admet pas le doute plusieurs faits importants et d’une application générale, en ce qui touche la géographie physique. Elles ont démontré que, dans la nature comme dans les expériences de M. Despretz, l’eau de la mer ne participe pas aux conditions de l’eau douce, qui, ainsi que cela est connu depuis longtemps, atteint sa den- sité la plus grande à 4° C.; mais, comme la plupart des autres 260 LES ABIMES DE LA MER. liquides, l'eau de mer augmente de densité jusqu’à son point de congélation. Elles ont fait connaître aussi que, par l'effet du mouvement de grandes masses d’eau, de températures diffé rentes, dans des directions diverses, on peut trouver très-rap— prochées l’une de l’autre deux régions de l'Océan dont le fond présente un climat fort dissemblable. Cette découverte et celle d’une vie animale abondante à toutes les profondeurs ont une portée des plus sérieuses pour l'étude de la distribution des espèces et pour l'explication de certains faits de paléontologie. La croisière du Lightning avait eu lieu dans des circonstances si peu favorables aux recherches sérieuses, que nous convinmes ensemble de saisir la plus prochaine occasion qui s’offrirait, de parcourir de nouveau cette région, pour tracer les limites de ces espaces chauds et froids, et en étudier les conditions avec plus de soins. Le Porcupine ayant été mis à notre disposition l’année suivante, le D' Carpenter et moi quittâmes Stornoway le 15 aout 1869. Cette fois-ci tout nous souriait : le temps était magni- fique, le navire parfaitement équipé en vue de nos recherches, et nous étions pourvus de thermomètres Miller-Casella, sur la fidélité desquels nous pouvions compter. On trouvera à l’Appen- dice À, à la suite de ce chapitre, un tableau des précieux relevés thermo-métriques faits par le capitaine Calver pendant cette expédition. Parvenus à l'endroit où, l’année précédente, nous avions fait notre premier sondage, nous y relevons une température de région chaude de 7°,7 C. (station n° 46, pl. IV). Nous nous dirigeons ensuite lentement vers les bancs de pêche des Faroer, relevant et inscrivant successivement aux stations 47, 49 et 50 : 6°,5, 7°,6 et 7°,9 C. A 40 milles environ au S. du bane, à la station 51, nous trouvons un abaissement sensible de tempé- rature : le thermomètre indique 5°,6 C. à 440 brasses de pro- fondeur; à 20 milles, en allant directement au N., un sondage (station 52) fait par 60° 25° de latit. N., 8° 10’ de longit. O., avec une profondeur de 380 brasses seulement; donne un mi- nimum de température de — 0°,8 C., qui prouve que nous TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 261 avions franchi la limite et que nous nous trouvions dans la région froide. Arrivés là, nous demandons au capitaine Calver de faire un sondage en série, pour relever la température à toutes les 50 brasses de profondeur. La chose fut faite, et voici quels en ont été les résultats : SUMAGR Re cs ea aes go cle mn Re Me Der DU ras 11,8 C. RAS en AT, PA ne la we ve 92 TT eee eue een LS Me 2 8,4 ON Ace su note ae moe shad shee ale ole 2700 8,0 LN aS Fos PR castes dda we dit fete 7,5 DEL) e gr Mer Pe Oe ol ee 35D Sieh 0 lee a A LS LA a Ar SE ER ce RAS i 0,8 Seba Mae, LOND ein ghost ys Late oe ag valent 0,6 Nous avons done constaté que le minimum de température se trouve au fond; c’est ce que nous avons trouvé pour toute la région que nous avons étudiée, quelle que fût la température du fond. Nous avons constaté aussi que la décroissance de la température, de la surface jusqu’en bas, n’est point uniforme, mais qu'après avoir eu une certaine régularité pendant les 200 brasses qui succédaient à la couche de surface, il survenait, de 200 à 300 brasses, un abaissement extraordinai- rement rapide de plus de 7° C. A 300 brasses de profondeur, le minimum de la température est à peu près atteint. Les quelques relevés suivants (stations 53 à 59) ont été fails dans les limites de la région froide, et nulle part la température du fond, à des profondeurs qui variaient entre 360 et 630 brasses, ne tomba au degré de congélation de l’eau douce ; sur un seul point (station 59), par 60° 21” de latit. N. et 5° 41’ de long. O., l'index s'arrêta à — 1°,3 C. Le samedi 21, nous fimes un sondage à 187 brasses, sur l’extrème bord du plateau des Faréer, à 20 milles environ au nord de la station précédente, qui nous donna une température de 6°,9 C., ce qui nous avertit que nous étions sortis des limites du bassin froid. Les deux premiers sondages qui suivirent notre départ de Thorshaven (stations 61 et 62) se trouvèrent dans les bas-fonds 262 LES ABIMES DE LA MER. du bane de Faréer, à 114 et 125 brasses, avec une tempéra— ture de 7°,2 et 7°,0 C.; mais, après une course de 80 milles, la station suivante (n°63), avec 317 brasses et 0°,9 C., nous prouva que nous étions rentrés dans les limites de la région froide. De ce point, franchissant le détroit dans la direction du $. E., vers l'extrémité septentrionale des Shetland, nous traversons la région froide dans sa partie la plus caractérisée. A la station 64, par 61° 21’ de latit. N. et 3° 44’ de longit. O., nous trouvons une profondeur de 640 brasses, avec une température de fond de — 1°,2 C. Un sondage en série nous donne des résultats qui ressemblent beaucoup à ceux du n° 52. La température de la surface est plus basse, et celle de la couche inférieure jusqu'à 200 brasses légèrement plus basse; à 350 brasses elle se trouva un peu plus élevée : RH PE D AT Tin er LR SD) DRE RER nus ME Lee eo BOWED Ur os Ao Oe CS Lee ia 132 LY TE CR RE PTE PTE TR 6,3 SID TR Seana seep inten Spey aires 4,1 DL IEAT 22 nn Re sla Sos ale dove oie RE ie IND ARE 32 $54) TT Ne Sates 02 DPI = ue da Ni code So CN 0,3 AUTRE LUCE. ARRNE & fe genes Ruse ots SUL ee ae ks the a 0,5 AUS EL 0 Gt, ET PR kale emake oe 0,8 EMD MER og os fue Mi Go eens LS ees, oe eee — 1,0 DD ee TUTO itu iad Se oder ie Mees == 410 fal) Sein eae to 2 ate PIRE SR ee POSE — 1,1 CADET Ce neo EME Rae PE à — 1,2 Sur ce point cependant, l'eau glacée du courant arctique, qui remplit le fond de ce grand sillon, a tout près de 2000 pieds d'épaisseur, et l’eau tempérée qui le recouvre a une profondeur à peu près égale. Toutefois la moitié inférieure de cette cou- che est à une température fort abaissée par l'effet du mélange. La figure 55 représente le résultat général des observations faites dans la région froide. La profondeur, à la station sui- vante (n° 65), est de 354 brasses, annonçant l'approche des bas-fonds de Shetland: cependant la température est encore TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 26: basse, presque exactement à 0° C. La station 66, à 18 milles plus loin, dans la direction des eôtes des Shetland, donne une profondeur de 267 brasses avee température de fond de 7°,6 C., celle de la surface étant de 11°,3 C. Nous étions sortis du sillon où coule le courant glacé, pour passer dans les profondeurs moindres, remplies depuis la surface jusqu’au fond par la couche méridionale chaude. La série suivante de sondages, du n° 67 au n° 75, a été faite, soit dans les bas—fonds des Shetland, soit dans les eaux sur le rebord du plateau, mais pas assez profondément pour attemdre le courant glacé. Il est assez remarqua- ble que les deux sondages n° 68 et 69, faits à 79 et 67 brasses à l'E. de Shet- land, viennent donner une température de fond de 6°,6 C., tandis qu’une série faite à l'ouverture occidentale des Fa-— rer a donné, à la même profondeur, une température d'environ 8°,8 C. Cette circonstance, réunie à d’autres dont il sera fait mention plus tard, semblerait indiquer qu'une nappe considérable d’eau froide s'étend sur le lit trés-peu profond de la mer du Nord. Aux stations 76 à 86, qui toutes sont situées sur les confins méridionaux de la région froide, nous faisons des son— dages de température dans le but de nous rendre compte de la position de ces limites du côté du sud; ces sondages Fic. 55. — Sondages en série. Station n° 64, 264 LES ABIMES DE LA MER. sont faits tantôt un peu en deçà, tantôt un peu au delà. Leur résultat est indiqué sur la planche IV, par le bord méridional de l’espace ombré. Aux n° 87 à 90 nous retrouvons la ré- sion chaude, l’eau a une profondeur de plus de 700 brasses, et, après les premières 300 brasses, elle se maintient à une température constante qui est de 6° à 7° C. supérieure à celle des mêmes profondeurs dans la région froide. Un sondage en série a été fait à la station n° 87, par 59° 35’ de latit. N. et 9° 11’ de longit. O., avec une profondeur de 767 brasses: elle fait un contraste complet avec la série de la station n° 64. Le résultat de ce sondage est représenté figure 56. Après les 200 premières brasses, la température n'est relevée qu'à chaque centaine. Do vie ore 0e 1104 AE LU al er eons otto mee 9,0 certe (OA 8,5 ED CUS ees nine eine cor = 8,3 D MR... ce et cate on Sule eRe: 8,2 BU ie ORNE Re re 8,4 LUN CAE SN wrayer B ip’ srs ges Neues 7,8 201, oi. MON ee 7,3 ÉD SR EE re 6,1 HER dis SPP RE PS 5,2 On verra, en jetant les yeux sur la carte, qu'il a été fait deux séries de sondages à peu près parallèles, s'étendant depuis les bas-fonds du côté de l'Écosse jusque sur les bords du bane de Faréer, près de l'ouverture occidentale du canal de Farôer ; l’une de cesséries, comprenant les stations 52, 53, 54 et 86, est dans la région froide, tandis que l’autre, embrassant les stations 48, 47, 90, 49, 50 et 51, se trouve dans la région chaude. Il n’y a pas de grandes différences de profondeur entre ces séries de sondages, et rien n'indique qu'une aréte quelconque les sépare; on ne trouve qu'une explication admissible de cette différence marquée de deux climats sous-marins si voisins l’un de l’autre et participant apparemment à des conditions identi- ques. Le courant arctique qui remplit la partie la plus profonde TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 265 du canal des Faréer se trouve limité dès son entrée dans ce détroit par la marche lente vers le nord du courant méridional chaud. Les lignes isothermes de la température de surface sont légèrement mais constamment dé- primées dans les bas-fonds qui existent le long de la côte occidentale de la Grande-Bretagne. Ceci vient, je crois, du courant froid des Farôer, dont une partie s'échappe dans cette direction, se trouve maintenue près des côtes par le courant chaud, puis s'écoule graduel- lement, vers le sud, mélangée et étendue de manière à ne se trahir que par cette légère influence sur les lignes isother- mes. Le premier dessin (fig. 55) repré- sente la distribution de la température dans la région froide, et le second (fig. 56) la distribution dans la région chaude. Dans le dessin fig. 57 les ré— sultats de la série de sondages portant les n° 52, 64 et 87 sont traduits en courbes. En rapprochant ces dessins, il ressortira que pendant les 50 premiéres brasses, il se fait un rapide abaissement de près de 3° C. A la station 64, qui est située beaucoup plus au nord que les deux autres, la température de la sur- face est plus basse, de sorte que le total de l’abaissement, qui est à peu près le méme dans les trois stations, commence plus bas à celle-ci. La température de la surface est produite sans aucun doute par la chaleur directe du soleil, et le premier et brusque abaissement est dû Fic. 56. — Sondages en série. Station ne 87. 266 LES ABIMES DE LA MER. à la prompte décroissance de cette cause immédiate. Dans les trois sondages, la température ne s’abaisse que très-peu de 50 à 200 brasses, et demeure considérablement au-dessus de la température normale de l'Océan à ce parallèle de latitude; à la profondeur de 200 brasses cependant, la divergence entre les courbes de la région chaude et celles de la froide devient on ne peut plus marquée. La courbe de la région chaude, n° 87, témoigne d’une chute d’un demi-degré à peine à 900 brasses, et d’un peu moins d’un degré à 767 brasses, c'est-à-dire au fond. Entre 200 et 300 brasses, les courbes de la région froide passent de 8° C. à 0° C., ne laissant plus qu’un seul degré d’abaissement graduel pour les 300 brasses sui- vantes. La température de la convexité que dessinent les courbes de la région froide entre 50 et 200 brasses se rap- proche tellement de celle de la réguliére concavité de la courbe de la région chaude, qui part de la surface pour arriver presque jusqu'au fond, qu il est naturel de l’attribuer à la même cause. Nous supposons done qu’une couche mince du Gulf-stream, savancant lentement vers le nord, recouvre dans la région froide une couche glacée qui produit la grande et subite dé- pression des courbes, tandis que dans la région chaude ce cou- rant froid n'existe pas et le Gulf-stream coule jusqu’au fond. En suivant la région chaude dans la direction du sud, le long des côtes de l'Écosse, depuis l'entrée du détroit de Farüer, on découvre que l’espace qui s’étend entre les Farôer, la pointe de Lews et Rockall, est une sorte de plateau qui a une profon- deur de 700 à 800 brasses, et il nous est permis de conclure par analogie, bien que cette région n'ait pas encore été étudiée, que la température du fond n’y est pas inférieure à 4°,5 C. Pre- nant son point de départ à Rockall, une grande vallée s'étend entre le vaste bas-fond dont le point culminant est le rocher isolé de Rockall et la côte occidentale de l'Irlande; elle va ensuite se confondre avec le bassin de l'Atlantique du Nord. La température de cette vallée océanique a été étudiée avec grand soin pendant la première et la seconde croisière du Por- TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 267 cupine en 1869, et les recherches ont produit des résultats si uniformes pour la région tout entière, qu'il serait superflu et les iles Farüer. A A — © = [| — = 72 =. cS <=) a nn © = ca A N Dn = 7 — 1 = 72 © N Nn 72 se] A 77 = un eo? cS = A n = a = = = =| n © d'énumérer en détail les différences insignifiantes qui peuvent exister entre ses divers points. Ces variations n’affectent que la 268 LES ABIMES DE LA MER. couche de surface de l’eau, et dépendent uniquement des diffé rences de latitude. Dans les profondeurs, la température s’est montrée la même partout. Pendant la première croisière, et sous la direction scientifique de M. Gwyn Jeffreys, le capitaine Calver fit une première série de sondages entre Lough Swilly et Rockall. C’est au milieu du détroit qu'on a trouvé la plus grande profondeur, 1380 brasses; un sondage fait sur ce point, par 56° 24 de latit. N. et 11° 49’ de longit. O., a indiqué une température de fond de 2°,8 C. Un peu au sud de Rockall, une profondeur de 630 brasses (n° 23) a donné une température de 6°,4 C., presque identique à celle de la même profondeur dans la région chaude qui se trouve à la hauteur de l’ouverture du détroit des Farôer ; un sondage à 500 brasses, qui faisait partie d’une série faite à la station 21, avec une température de fond de 2°,7 élevée d’un peu moins d’un degré que celle de la même pro- C. à 1476 brasses, indiqua 8°,5 C., température plus fondeur à la station 87. A la station 21, la température a été relevée à intervalles de 250 brasses. ro Lg CTT PURE DU, NES RC Rt 13.5 C. O0 MLAESESERA Ge keane I OC => > bo Se > —1 00 ~ “10 el oorr KE woo ace aos ; LEURS “ es te Coun SS) oonnoo- , vv SS jee jee lee je ” — jee —— bo CUO DATE ET POSITION. Siemalicenc eee Latit. 51°52) N.... Long. 11°34’ O... HEX Gi: ee Latit. 51°22) Ne: D JUIN. ae tie ne Latit. 52°08! N.°.- Long. 12° 50’ 0.... » > je TEMPÉRATURE DE L'AIR. Long. 12° 26! O.... TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. cent. — à re see © ss » % % > = = 00 11,1 11,6 11,4 12,2 12,2 11,9 11,9 11,9 11,9 12,2 11,6 11,9 14,9 12,2 11,9 11,9 11,9 11,9 12,2 12,2 11,9 TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 279 Eee as = & 2 o Pe > & © Pe Pk DATE ra ES aS DATE a SE £ 5 ES RE = Ee hy See ET POSITION. a =. rs = 4 ET POSITION. a Ey a = ai = = A ANR = B38 pate = CE = Degrés | Degrés Degrés | Degrés cent. cent. cent. cent. AE MR ie: 10 ES a ee Bee 8 Minuit.| 41,1 |: 11,9 10 16,1 PNA ee 2 11,1 | 11,6 || Dock de Galway ...| Midi. | 18,3 4 10587 (PF 14,6 2 AT 6 | 44,4 | 119 ie Any 8 12% 146 6 41,9 10 15,0 | 44,9 8 15,0 Latit. 52°96’ N....) ra: aay 108% ie 1S:9 Rane oo (Midi | 18,9] 11,6 Minuit.| 1222 2 5 le RST oh ae 40e 2 111 4 13:05 17 19,9 4 10,0 6 | 11,6 | 12,2 6 | 10,0 8 1H | a Bh 8 10 | 14,1 | 41,6 10 | 17,2 Minuit.) 10,8 | 11,6 || Dock de Galway ...| Midi. | 21,1 Mtn RES 2 | 11,1 | 11,6 2 | 20,5 4 54001126 4 20,025 177 6 | 11,1 | 11,6 6 | 20,0 8 | 10,8 | 11,6 8 | 16,6 | 15,0 10 | 10,5 | 11,6 10 | 11,6 | 12,7 Latit. 52°14’ N... ae dE Minuit.| 11,1 | 12,5 on ce S| OS ML NO SE See. 2 | 792 | 492 2 13-3015 44.68 4 TRE LE 4 1392 | 4156 6 10,5 | 12,2 6 128) 44.9 8 1370 1D 8 12.8.) 42,2 10 16101125 10 12,2 | 11,4 || Dock de Galway ...| Midi. | 19,4 | 13,9 Minuit.| 11,9 | 11,9 2 17,4 | 13,9 PUT: se iter es: = 26 Ate os AE A AES ASG 4 | 11,6 | 44,6 6 | 15,0 | 42.5 6 | 12,7 | 11,1 8 | 11,4 | 4977 8 | 12,7 | 11,1 10 | 10,5 | 125 10 We |, 44:6 Minuit.| 10,5 | 42,5 Dock de Galway... Midi. MGA AS er D un ee 2 140,0 146 49,07 4590 4 10,5 | 11,6 i 15,9 6 10,2 | 42,9 6 15,5 8 12,2 | 19.5 8 | 13,3 10 | 11,6 | 125 10 13,3 Fate SOINS EE RE AE ee Minuit. | 13.9 Long. 14820... 6 Midt. | 12,7 | 12,5 (LT OC a). a) one 2 2 13,3 À 2 {3500 |) 1997 4 12,7 4 12525619 6 6 11:62 4957 8 8 1054123 10 14,4 ie 10 10/00/1953 Dock de Galway ...| Midi. | 12,2 (Minuit. 10,0 | 12,3 ù oe. A Aer. LME LB eae 2 | 10,0 | 122 4 19,4 Le 10,0. || 12:9 6 19,4 6 11 | AS 8 8 LA WSILS || 1) 255 10 | 13,9 10 | 12,5 | 125 Minuit.) 13,3 PASS oe Nae. ch age 4s y F5 SU POS STE 199 Long. 13°23' 0... À Midi. | 15,0 | 12,2 4 12 1 2 13,9% 121 6 71: 44,4 4987 280 LES ABIMES DE LA MER. DATE ET POSITION. HEURES. {4 APRES 6 AD et ee AS: quite e Latit. 53°28’ N.... Long. 15° 08’ O.... 1A WONG. 25774). Latit. 53° 43/ N Long. 13°48’ 0... Lou. 3.23 ° Latit. 53°47’ N Long. 13°14’ 0.. LE Midi. 4 6 8 10 Minuit. 9 4 6 8 10 Midi. > À 6 8 10 Minuit. 9 À 6 8 10 et Mid, Bo) 4 6 8 10 Minuit. ee ee TEMPERATURE DE L’AIR. Deerés cent, 11,9 10,5 11,1 10,0 10,0 10,2 11,1 11,4 12,2 12 D] 11,1 12,2 10.8 11,1 © bos = Te ANT +1 . um s SRE SIM DOC D WE KE OOK KK POW € A =) M 00% s = & = = = < ms = = DE LA SURFACE. SO OO 1-1 s bo bo RO CO © RO be OC DATE ET POSITION. HEURES. AS Mai. o,f Se GE 10 Qu, Air 00e 2 10 17 HS EN ER 2 Latit. 5427 N°4.) Long. 11°43/ 0....\ 10 Minuit. 18 JUIN Ar SRE 2 4 6 8 10 Midi. 2 A 6 8 1 Minuit. HO AMIN set Bs 2 Latit. 54°40! N..:. long. 105990: 10 A Killibegs: :. .. :… Midi. 9 4 6 8 1( Minuit. DOOM ate oe. ea 2 4 6 —_ — DE L'AIR. TEMPERATURE Se ws bo co © CO LL a = © Co = s Com bo CO CO CO 10,5 10,5 11,1 11,6 TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. an Go TOC TN CN CT TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 2 20 = [sl [ ER ee ee = x TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 283 DATE Eines | 26 DATE a (ei ee ET POSITION. a cn a ET POSITION. 2 ot | Ao a à = a7 = aS ao Degrés | Degrés Degrés | Degrés cent cent cent cent. FUI CS ARE 10 1640141990) 12 tulle" o 25 ie 8 15,5 |.44,4 Minuit.| 14,4 | 13,8 10 46;1 | 1055 roulette 2 | 14,4 | 13,9 || A Belfast Lough...} Midi. | 15,5 | 11,1 4 14,4 | 13,6 9 A UE 15 6 45.5} 15.9 “A 13,9 | 14,4 8 15.55 |e fond 6 14,4 | 14,4 10 1507 | 13:9 8 14,4 ae Latit. 56°06'N....) wea: é 10 a Is Long. 9°36'0....) Midi. | 15,0 | 13,3 Minuit. | 122 | 11,6 2 14,2, | 43,65 (643. quillet: 04 5.2 2 10,521 43,3 4 15.0) jp £3,6 4. IER ta. 6 19% 11199 6 12400 ASS 8 13,3 | 13,6 8 1350104190 10 qe 43,9 10 13,8 | 14,1 Mandat 49/74) ATARI AS Belfast. 037 7e: Midi. | 45,5 | 4555 OAuillate.2 22.3 2.2 2 19-9). 4359 2 472 41,2 4 222 121 4 46,071 47,2 6 6 17,0 AT 8 14,4 | 13: 8 15,5 E TL2 10112155 1188 10 122 1466 A Lough Swilly....| Midi. | 15,8 | 13,3 [Minuit.| 11,6 | 16,6 2 {G4 | 43,57) 44 jules ya Vie el 4 45,51 | (43,0 4 1353: |. 16,6 6 19:30 | dose 6 14,1 | 16,3 8 43,9 | 13,3 8 15,8 | 16,6 10 12.92% i lee 10 #5 | 16.6 Minnit.'A1 GI PAS-Belfist 70 Midi. | 17,8 | 16,6 1Orquilets. 2.1. 2 44,611 49:b 2 18,3 | 16,6 4 1291130 4 17,8 6 {RA 1350 6 8 16,1 | 13,4 8 10 16,1 | 13,4 10 16,1 A Lough Foyle....| Midi. | 17,7 | 14,4 Minuit.| 16,1 | 16,6 a 47,410 To Oe tat juillet. om «ce 2 15e iA 4 18,3 | 14,7 4 15,0 | 16,6 6 16,1 | 14,4 6 16,6 | 16,1 8 14,4 | 13,9 8 18,3 | 16,4 10 13290435 10 20.5.1 17,1 Minuit, 9 44,4 | 43,9 if A: Belfast: 2.0. Midi. | 21,4 TA Colles 31,52. 2 15,05 | 14,4 2 214 4 43,9 | 14,4 4 21 6 44371 | 19,9 6 Ds Yaa a ae rahe 8 16211939 8 19,4 | 17,7 : 10 16,6 | 13,6 10 19) AU 4729 À Moville et à Lough) y.,. |. Pr op Minuit.| 17,7 | 17,2 Foyle. Pat D ie ie Rte 2 | 179 | 172 2 20,5") 45,5 4 46,6: | 17,2 4 OA |) AG 6 41,50 fe 47,2 6 18,9 | 14,4 8 AS.9) ATF 8 | 18,0 | 14,4 10 Oy i eed 10 15:8 | eGo At Bell. 3.12. Midi. | 22,5 | 18,9 Minuit.| 15,8 | 14,4 9 11.210489 12, juillets 54. 07 9 45,3 |) 45,0 4 16,1 |} 19,4 4 1330: | AT 6 16,1 | 18,9 6 13.90 HP 8 17,1 489 ET POSITION. 16 juillet 17 juillet. À Belfast 18 juillet À Tuskar L. H 1S) jullletecy 4" .Ge A Haulbowline.... 20 jurllete. eee Latit. 50°28) N. . .. Long. 9°37! O.. ZA quillete, ete HEURES. LES ABIMES DE LA MER. DE L'AIR. TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE DE LA SURFACE, DATE ET POSITION. HEURES. 10 Minuit. 10 10 Minuit. ? 4 6 8 10 Midi. 9 4 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 20,0 17,2 16,6 16,6 16,9 16,6 17,6 20,5 21,1 = 2d anillet 3 0% Latit. 48°51! N.. Long. 11°08’ O.. 22 juillet Latit. 47038" N.. Longs, 4129110076 23 juillet....... Latit. 47°39’ N.... Long, 119520" 24 juillet........ Latit. 47°40’ N....| Long. 11°34’ 0....§ 25 juillet es Latit. 49° 01! N... Long. 12°22" 0... 10. | Midi. 3 4 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 Midi, Minuit. 2 4 6 8 10 A 6 8 10 Minuit. 8 10 Minuit. D) 4 6 8 10 a Midi. TEMPERATURE DE L'AIR. ——— Degrés cent. 18,9 19,4 20,8 S vw 19, 20,0 20,0 17,2 TEMPERATURE DE LA SURFACE. a Pe ICO I A CTO bO b Hod TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. DATE ET POSITION. PE UUITS ARE 26 juillet....... Latit. 49°00' N.. Long. 11°58’ 0... 27 juillet. . hates AS ADN. . Long. 12° 45’ O....{ © Be MIUMLet. Soo Latit. 49°59’ N.. Long.12° 22! 0... Zo uillet 3.45% Latit. 50°24 N.. Long. 11°42’ O.:.. of HEURES. 10 oe = 10 59) RAE À Midi. 2 4 6 8 10 Minuit. 10 4 Midi. 7 10 Minuit. 9 4 6 8 10 "*) Midi. \ 2 4 6 TEMPERATURE DE L'AIR, Degrés cent. 18,9 18,9 18,3 19,4 18,3 18,9 16.1 16,1 17,2 16,1 18,9 TEMPÉRATURE © 4 oe 2 n < = a a vv se - . Ce bo bo OI CO AI I ° Es SS Se vs ~ OT OT OURO 1111111 I I vere ve » ” SS joie jee jee bee jebe ee jee jee juin vw v jt — pe CE foe ey meee (me ES NE CR CR RE CS SR CS NE 1 RE (Sr Fe a D ( Mn de jen nee bee jee pie D'UN PES ENS PEN es D OUI NII 1 I OF — — ao ee Oe vs 16,6 16,6 16,6 16,9 17,1 16,9 16,9 15,9: 16,6 17.2 17,7 16,9 16,9 16,6 16,3 16,3 16,3 16,6 DATE ET POSITION. HEURES. 29 “pallet ts aah. 8 10 Minuit. a0 quilletcs. x2 25) 2 Latit. 51°05! N.. } Long. 11°22’ 0.. a Midi. 10 Minuit. on. Guillet ne 62.208 2 4 6 8 I Près du port de Cork| Midi. 2 I 6 a 10 Minuit. fiers AO thie EE eae 2 A Queenstown..... 10 Minuit. DRY LE NE EE 2 A Queenstown....: 10 Minuit. LOUP RE 2 A (à 6 EMPÉRATURE Degrés cent. bo ott 9 bo RO CO ESS OCD Te Ori = bo b Sani Simo Nek ES Le os i OT OL I © “1 O DO OTL SoM (Q © © © Ge en He Hù mb pe Din D ee = nn nn D ES a LE OT OT Or CO CO CO Qt > O10 s es TEMPERATURE DE LA SURFACI s ay be ee ee ee le bo OF ~1 I OF DoW & & OF em mn tn eue jus enms Rom = © & 00 = en eme une js jme jen jus un mn jun js OO & Or Ot Oz & Q rt © & I © CO D CO 1-1 s — we i GS OS CO = Co vv ” . pen Le jee ee jee de jee jee CO EE CO OT OT OT OT 286 LES ABIMES DE LA MER. DATE ate i ee DATE a. | SAIS ET POSITION. = 5 Ia 3 5 ET POSITION. a a = 3 = z A À = = À a z - B B = = Ex = Degrés | Degrés Degrés | Degrés cent. cent. cent. cent. 3 RAOUL Ms EE 8 19,9: 40,91 TA TN 2e 6 15,5 10 15,5 | 14,1 8 Latit” 52°22" Nae: 10 14,7 | 45,5 à Blackwater. Midi. | 16,1 | 13,6 Minuit.| 15,0 | 14,7 Latit. N. 11 milles. Baie. ze Se 2 13,97) 15,0 9 16,2 143,9 4 13,9 | 15,0 4 18,3 | 14,1 6 6 112 41047 8 15,0 | 15,0 8 15,5 | 13,3 10 15,5 | 15,3 10 | 14,4 | 13,3 || A Belfast......... Midi. | 17,2 | 15,8 Minuit.| 14,4 | 13,3 2 20,8 | 16,4 AAADUt bee hers eu 0e 2 13,9 | 13,9 I 16,6 |} 45s8 4 13,3 | 13,9 6 139 ère 6 1350.4) 12.7 8 14,4 | 15,8 8 11980425 10 13,6 | 15,8 10 13,9 | 12,2 Minuit.| 13,9 | 15,5 A Vile de Copeland.| Midi. | 14,4 | 12,5 || 9 août ........... 9 13,3 | 15,5 2 15,01 13.9 i 13,3 | oes 4 16514) 46,4 6 13,3 | 15,3 6 16,61"15;8 8 13,3 8 13,3 10 14,4 | 45,5 10 19,0 4119/0 1) A Beltasts me LE Midi. | 15,0 | 15,5 Minuit.| 11,1 | 13,9 2 16,1 [on RAOUL 2 are Mere ot 2 ét Aa 4 16,6 | 15,5 4 10,5 | 14,4 6 14,4 | 15,8 6 12.7 |) 4436 8 11,4 | 1555 8 153 10457 10 10,5 | 15,0 10 18,3 | 15,0 Minuit.| 10,0 | 14,4 A MBellast er Midis) M6 900155 440 aan rer oe oe 2 14,4 | 189 2 17,4 4 10,5 | 44,7 4 14 | AGA 6 10,5 | 14,4 6 1253.1 1555 8 11,4 | 14,4 8 10 13,9 10 LE ABOU) A “Belfast.s. soa: be Midi. | 15,5 | 15,0 Minuit.| 10,0 | 15,0 2 15,0 GO aOUt EE LAMPE 2 10,5 | 14,7 4 14,7 4 10,0 | 14,4 6 197 6 12/54/44 8 11,9 | 15,0 8 16,6 | 14,4 10 11,6 | 14,4 10 LA MAT Minuit.| 11,6 | 13,9 AP Dell ose Mids: 118,9 1155 A PAS agit rene 2 10,5 | 43,9 2 4 14,7 148% 4 18,9 147:2 6 19.2 1480 6 15,0 8 ‘| 13,9 | 439 8 13,0 | 16,6 10 14,4 10 11,1 | 16,1 || Belfast Lough..... Midi. | 14,4 | 14,4 Minuit.| 10,0 | 15,0 2 15,3. | 40 1 ROWE Sas) ote cas 2 10:8 | 41555 4 15,0 | 13,0 4 MANMES 6 1359410422 6 12100155 12.2.) 123 8 14,4 | 15,5 10 1151210484 10 155 145,5 Minuit.| 12,0 | 11,7 A Belfast sn ee Midr.415,041 415.0 || 19 aout see rt 2 12214272 2 15,9 115,5 4 11:10 445 4 19 040155 6 11,4 1 12/0 TEMPERATURES DES GRANDES PROFONDEURS. DATE a EM ee DATE É E DE = =e See . a a: > & ei Re ET POSITION. a SE A ET POSITION. a! A SZ = 2a E = = = E = = a Ë Ê a Desrés | Degrés cent. cent VAPAOUL Sy. ses te 2e 8 13,9 142,511 16) AOU jo. 8 Ace ane 4 10 17,2 | 12,7 6 Ile de Coll. Se 2° 19 & 8 3 milles N. ...... { Midi. | 18,3 | 12,5 10 2 15,3 3,0 Minuit. 4 PA AS AT Out T. oe. Sem: 2 6 ie 423 4 8 LF AD*O 6 10 HP r122 8 Minuit.| 12,0 | 12,2 10 LUE 22.7... 2 12,8 1467 Laat. 59°36) Nez. Midi RNG F446 Lous. Fr 421 Ole cy 6 A PASO 2 : 8 1254250 4 3 10 LE TE ATG 6 ‘ Iles de Shiant. «je ‘ “ 8 k 6 milles au N. N. 0. 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DE LA SURFACE DATE ET POSITION. HEURES. EI igs doce c tie Minuit. ORIOL otc Ske ata-oln 10 A Sando, iles Farder qi 4 6 8 10 Minuit. DOP BYU ooo 0 ad oo 2 4 6 A Thorshaven .. 8 10 Minuit. D BNO Te er Eee 2 A 6 8 10 A Thorshaven..... HE 4 6 8 10 Minuit. DA GAO Utes meets en ee 2 4 6 8 10 A dix milles environ; Midi à PE. de Haalsé. § 72°" 10 Minuit. DÉVADUL RATES 2 TEMPERATURE DE L’AIR. Degreés cent. 9,1 10,0 10,0 9,4 10,0 10,0 13.6 =) — © OVO CO OU I & CO = à a = SOWNWE Se OOOOCs= ECC ay vv — Pp) s OTRO DO CO & 1 s — — — s IIS = © © Sma ” ay SO oe = 9 . . Sr Or DE LA SURFACE TEMPERATURB DATE ET POSITION. PSP EVO Re C re Dattt 615360! NET Long. 3°45'0.... AAV, PT EE Latit. 61° 44" N... 1YSBAD EE Long. DRAP RE E Latit. 60° 26 N... DANONE Long. DSAOUTE eee oe A Tierwicks. nt: Osage ween ee A ‘Lerwick..=..- HEURES. 10 ( Midi. 9 n 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 ‘| Midi. \ 9 4 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 6 Midi. 2 4 6 8 10 Minuit. 10 DE L'AIR. TEMPERATURE 12.9 bo . s Queens EO OI I À CLOS SENS OST TS s ss + Ee Oe RK bot Ot OD — RO CO HO = me be me me me ne un Le io s . 10,5 vv OO CO 1 1-1-1 Ses © © vo SSS iS tl M 25 TEMPÉRATURE TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEUR. 3 a 5 a = 8 Se | Se SB aed ore DATE aI SE Bs DATE a Be PE 5 eu | ge = ae, ae ET POSITION. = ape Bo ET POSITION. a ae Qo ao aS - a oe Le E E = e i) = Degrés | Degrés Degres | Degrés cent cent cent cent BONA OTIC. sch oe ace 53 6 9,1 | 11,1 || 3 septembre....... 4 1 ges | 8 1 0 he etek 6 14,10 4180 10 1,18 10:8 8 #1 67 | A486 Minuit. be 10,8 es 10 43:0.) 146 ADS Acad acs» à se 9 Share LE file Cait OUR NE Eee Po TARA CE à Long. 510 0....{ Midi. | 12,7 | 11,6 6 8,3 | 10,8 2 12.5) | 44,6 Se he UE A ON 2 NE Te AG 10 ae OP ADI 44-4 Ae Derwick. ..... 5. 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Minuit. 2 TEMPERATURE LES ABIMES DE LA MEK, DATE. DE L’AIR. TEMPERATURE DE LA SURFACE. IL septembre ‘ot de) s Qe | A Stornoway - es OT RAR I LO bo 1 QUI Ÿ RO 19 RO RO RO HO CS CS Cr 12 septembre Oto E oS =! S = A Stornoway 13 septembre SOS “ GRO a CO © © DO I UT UN 1 I OI UN I SAS CS OTOTUr C0 À 14 septembre s M Co OU & & Oo OTOTOLOL Ee bo LO bo bo RO RO Co RO KO RO CE m DO Qo CO © Devant Mull — Oo " a) > bo =1¢ ESP RENTS a Co Go Go CO NST rs a cama ey © CO == KO RO CO OT i LR bo bo CO ET POSITION. A Loch Sheildag.. . HEURES. 4 6 8 10 Midi. 2 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 Midi. 2 6 8 10 Minuit. 2 Minuit. 2 4 6 8 10 Midi. 9 4 6 5 10 Minuit. TEMPÉRATURE DE L'AIR. Degrés cent. vv & & bo — bo DO LO — LODO CIOS eS > ODMR pai eS Lu s VU. UE UV we) SOMOS Fe SF I OO 19 ODP Où NO D OCR TR bo bo CO SpE ” TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 291 TEMPÉRATURES DE SURFACE RELEVÉES PENDANT L'ÉTÉ DE 1870. re] FA a à 2 z 74 EN SRE = +, =) = DATE fh See hee DATE go | & E i ; 5 Su | g% oh = É 2 ET POSITION. a & ra z < ET POSITION. 2 = a = | bs ë © Geqllete ee. asks 9 10,9 42.2) eS quiet ST 6 16,4 | 16,6 4 14,4 | 12,7 8 16,4 | 16,1 -6 13,9) | 49:5 10 16,6 | 16,6 8 14,7 | 14,7 Minuit.| 16,1 | 16,4 10 15,001 49,600 sponlet 2 2-0. 9 16,1 | 16,6 Aux îles Scilly..... Midi. | 18,6 | 18,3 4 16,4 | 16,4 ‘ 2 | 19,7 | 17,4 6 | 16,6 | 16.4 I, 19,4 | 18,3 8 16,4 | 16,4 6 | 18,9 | 183 10 | 17,3 | 18.6 8 AN Ale satit. 48°98' N.... ae FRS 10 | 16,6 | 17,2 || Long. 949 0... Midi. | 16,1 | 16,6 Minuit.| 16,1 | 17,2 9 1RE | AGS Fi QT TO RSR EE 2 16,6 | 16,6 4 19,4 | 16,9 4 | 16,6 | 16,6 6 | 19,6 | 16,6 6 16,6 | 16,6 8 16,2 | 16,6 8 16,9 | 16,9 10 16,1 | 16,1 10 To |) Soy id i Minuit.} 16,1 | 16,1 LETTRES agian) Pre 7 4 vet Fee. 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TEMPÉRATURE DE L'AIR Degrés cent. 18,9 19,7 Ss CoO bo 1S OC OT OT GA Sl ENS TN a NS ) See eee RO RO RO OD tt 1 1 1 — ” 20,0 21.2 19.0 17.9 17,7 18,9 11-10 = CO 1 ee ies eS ae el ee be ee EE E> RO RO KO RO bo bo TTT TS Te De ” 92, TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. DATE ET POSITION. 17 juillet...... 18 juillet... 72. Latit, 44°55’ N.... Lane. 196040. 19 quillets 2%; Latits 20°16) Nai: Long: 79? aa! 0.-2. 20 juillet..... Latit. 40° 00'N Long. 9°49 0 21 juillet: 2. Latit. 39°39’ N Long. 9°36'0 HEURES. 10 Minuit. Midi. 9 4 6 8 10 Minuit. Midi. D 4. 6 8 10 Minuit. 4 6 8 10 fee Mais eye (ere. ! \ D 4 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 Midi. TEMPERATURE DE L’AIR bo S nel RO De © 10 OS © 00 Où “ & » OO 1 1 1 uv vw a) OR Se . ae) ~) Em WEE WWODOR OTTO GC moe rer CO # © 00 CO CO D D DCS ooo S$ S D Www] ee te KK pore RO OO + È 21,3 bo po NO QD me bem jm T= COOS Ot Cri Or to b s s ÿ ” - TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. TEMPERATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 298 A [el 8 a a ä 5 2 Ss : Sa | 56 DATE É g2 | 35 DATE s 22 | 46 ET POSITION. a = = Ê < ET POSITION. a = a Ë < ENS a Be a = Be 4 a = = Degrés | Degrés Degrés | Degrés cent cent. cent cent Ae pallet Se sr Minuit. | 19,55 1492 | 26: jüullet, 2. 10 20.311193 A QI Etre RE ate 2 19,4 | 18,9 || Latit. 380 17/ N.... ae 22 juillet. . J,4 > N....) 9 4 | 189 | 189 || Long. 9923 0:...4 Midi. | 20,0 | 18,9 6 | 20,0 | 18,2 2 | 20,0 | 19,1 8 Wate £853 4 20,0 | 19,1 10 | 25,0 | 19,4 6 | 20,0 | 19,4 Iles Farilhoe, Midi. | 25,0 | 18,9 5 milles au S. S. E. Es ie 10 20,0 | 19,4 Fl 93-9 1. 19) 4 Minuit.| 20,0 | 19,0 4 | 23,3 | 20:5 | 27 juillet......... 2 | 19:4 | 19,1 6 2 Où LE 1954 I, LPO QU A 8 “| 20,0 | 19,4 6 | 19,4 | 19,4 10 | 189 | 182 8 | 20,0 | 19,0 ee : nit. igo ee RARE 10 21,3 | 20,0 ma (Ce) a ee 2 8, 185.4) Latit. 37° 48 oN. 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SmAOTIt crete eee ee Latit. 35° 39/ N.... Longs S720" DE HEURES. 7 4 6 8 10 Minuit. 2 4 6 8 10 Midi. 2 4. 6 8 10 Minuit. 2 4 6 Midi. 9 4 6 8 10 Minuit. 2 4. 6 8 10 Midi. 9 ~ 4 ù 8 I 2 A 6 8 10 ( Midi. 2 A 6 8 10 Minuit. LES ABIMES TEMPERATURE DE L’AIR Degrés cent, 25,3 225 29 8 ss 21,6 22,6 24,1 23.9 21,8 21,8 TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. Degrés cent, 24,1 24,1 24.2 24,4 24.3 24.3 22,8 23,3 23.6 24,1 23,9 24,0 24,1 21,3 hh 24,4 24,4 A 24,1 24,1 23,9 29 8 29, 23.9 24,1 24,4 J 24,7 24,4 24,4 go 9 29,9 23,6 23,9 29, 23,9 23,9 23,0 23,3 23,2 24,4 23,0 23,0 23,0 22,8 22,2 22,5 22,2 22,0 929 () =) 29,8 99 9 A454 21,8 29 0 aay 99 9 229 99 9 aye 29 Y Al y 99 9 et Sey di 99/0 DE LA MER. DATE ET POSITION. HEURES, SPADNtE tile oe CIS Minuit. L'AOULS crete Wc ee A 2 Latit. 35955" N...., Mid Long. 6°24 O....\ 10 Minuit. deraoctobre erin ee 2 10 Détroit de Gibraltar.| Midi. 9 4 6 8: 10 Minuit. Or octohuessecee wee 7) Latit. 36027 N.... Long. 8°31'0....3 10 Minuit. 3 octobre........ s 2 4 6 8 It + Midi. Latit. 38° 39’ N Long. 9°30’ O 10 4 octobre....'..... 2 TEMPERATURE DE L’AIR Degrés cent, pe DS YY 9 a ad y 92.2 23:9 23,5 24,4 25,0 27,2 25,6 24,4 | 222 9972 999 17,4 17,8 18,0 19,4 DA | 23 24,1 2225 22,0 221 2455 20,8 214 223 29 G aay SSS TEMPERATURE DE LA SURFACE. Degrés cent. 22,0 22,2 22,2 22,2 22,2 23,8 23,9 g ae 23.9 93.3 21.8 29 () 22.9 18.9 18,9 18,0 17,9 | | 24,5 99 9 ns 22,8 22,6 2255 ? 22,9 99.6 99.8 93,3 29.9 95.9 99 9 2439 s » s Ex Go OT CN += ©» 00 s ND 9 9 RO — bo bo 2 oo ~~ ~y s RO RO RO HO LOH po porno E = = = OU 00 © OT % vy TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. DATE ET POSITION. & octobre. .:.... Latit. 40°57’ N... / Lande 00209 Os. »_octobres: 2. !.; Latit. 49°33/ N... Long. 6 octobre........ Latit. 46° 12’ N... Long. 8°08/ 0... SOO LE | HEURES, Minuit. . 2 4. 6 8 10 “¢ Midi. | ‘} Midi. ") D DE L'AIR. TEMPÉRATURE PE] 9 he 99 9 PRES 20,0 20,0 19,5 TEMPÉRATURE DE LA SURFACE, Degrés cent. AE 21,5 21,0 21,9 91,1 21.0 20,5 20,4 19,4 DATE ET POSITION. GroctObre. 25e Toetoure.... 2. 22% Latit. 48° 51! N.... Long. 5° 54 0.... STOClODres. Er —. Pointe Saint-Alban, dans la Manche. AV Gowes. +7 iets HEURES, 10 Minuit. 2 A 10 Minuit. 9 4 6 8 10 Midi. 2 I, 6 8 10 Minuit. TEMPERATURE DE L'AIR, |] | Ee | ——— v_ » Comt—l à Co =1 Te . OT OT Où OU OT I I Oto vv CUS pata CoO QG Sa ne me Eù nn à 16,1 16,6 ~ 295 TEMPERATURE DE LA SURFACE. > OTH OUR & we ~~? 2U( ABIMES DE LA MER. APPENDICE B Température de la mer à différentes profondeurs, près des limites orien- tales du bassin de l'Atlantique du Nord, constatée par des sondages en séries et par des sondages de fond, SONDAGES EN SÉRIES, SONDAGES DE TEMPÉRATURE. I Sér. 23. Sér. 49. 1Sér. 22. | Sér. 19. |Sér. 20. |Sér. 21. Sér. 38 PROFONDEUR. NUMÉROS DES STATIONS. PROFONDEUR. DE LA SURFACE. DU FOND, TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE Degrés | Degrés | Degrés | Degrés | Degrés | Degrés | Degrés SSS Degrés | Degrés cent. ; cent. | cent. cents (cents Ml icenteal|: | * rien cent. cent. 47 ( 9 e ‘ 4? 0 | 14,0 13,8 | 12,6 | 13,0 | 13,4 | 17,7 50 Brasses. D4 75 90 96 106 109 159 173 183 208 251 JAD 310 422 458 517 507 084 ca he ss emo Tho O > IOS 00S . ” os 7 mow Sw-rowret-l 664 670 123 129 808 816 865 1207 1215 1230 1264 1320 1380 ” O © Or OL bo Co RO COLO Co > > OT TOIND=Ee= EN © s SU AUS LS vs s s 18,6 TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 297 APPENDICE C Rapport entre l'abaissement de la température et l'accroissement de la profondeur. Observations faites à trois stations sous des latitudes dif- férentes, mais toutes sur les limites orientales du bassin de l’Atlan- tique. STATION 42: STATION 23. STATION 87. Latit. 49° 12’. Latit. 56° 13’. Latit. 59° 35’. PROFONDEUR. TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE. TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE, || TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE. Brasses. Surface. 100 200 300 298 LES ABIMES DE LA MER. APPENDICE D Température de la mer à différentes profondeurs, dans les régions chaudes et dans les régions froides, entre le nord de l'Écosse, les îles Shetland et les îles Farüer, constatée par des sondages en séries et par des sondages de fond. N, B. — Les chiffres romains indiquent les températures observées par le Lightning, RÉGION CHAUDE. SÉRIE 87. CPR B < MES AE a = 50 2 6 ee = 5 = A = | Degrés Brasses,| cent Brasses. O | 4454 50 | 8,9 |Ne73. | 84 80. 92 100 8,5 Te 103 81. 142 450 | 83 | 84.1 455 85. 190 200 8,2 74, 203 300 | 8,1 50, 309 46, 314 400 7,8 89. 445 90. 458 49, | 475 500 | 7,92 KITS 530 Al. 542 EVE 570 600 | 6,1 XVII 620 XIV 650 700 88. 705 767 | 5,2 SURFACE. TEMPERATURE DE LA Degrés cent. TEMPERATURE DU FOND. Degrés cent. déduction faite de l'écart produit par la pression. RÉGION FROIDE. SÉRIE 64. |SER.52 a Z 3 3 Spe AG ome Oe > = a à = = = Degrés | Degrés Brasses.| cent. cent. . 0 | 9,8 | 11, ON 5 CE 100 | 7,2 | 8,5 150 | 6,2 | 8,0 200 4,2 7,9 250 1,2 3,0 300 32 |—0,7 350 |—0,3 384 —0,8 400 |—0,6 450 | —0,8 500 | 1,1 550 | —1,1 600 | -—1,2 640 | —1,4 NUMÉROS DES STATIONS. PROFONDEUR. Brasses. TEMPÉRATURE DE LA SURFACE. Degrés cent. TEMPÉRATURE pu FOND. Degrés cent. » 1 IIS > 1 © © © 19 © Qu M ~“ eos lo ae) CO COCO nn | | TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 249 APPENDICE E Températures intermédiaires provenant du mélange des courants chauds et des courants froids, sur les limites des régions chaudes et des régions froides. NUMÉROS DES STATIONS. PROFONDEUR. Brasses. TEMPÉRATURE. TT SURFACE. FOND. o MIC) 930: 1122 9,3 11,5 9,3 NUMÉROS DES STATIONS. PROFONDEUR. Brasses. 250 290) ‘ 912 902 TEMPÉRATURE. = ———_— SURFACE. FOND. 10,8C.[ 5,5 C. CHAPITRE VII LE GULF-STREAM Théâtre des recherches faites sur Ja température par le Porcupine. — Les températures basses sont constantes dans les grandes profondeurs. — Difficultés de l'étude des cou- rants océaniques. -— Théorie soutenue par le capitaine Maury et par le Dr Carpenter d'une circulation océanique générale. — Opinion énoncée par sir John Herschel. — Point de départ et développement du Gulf-stream. — Théorie du capitaine Maury, du professeur Buff, du D' Carpenter. — Le Gulf-stream sur les côtes de l'Amérique du Nord. — « Sections » du professeur Bache. — Trajet du Gulf-stream, indiqué par la température de la surface de l'Atlantique du Nord. — Théorie de M. Findlay. — Cartes de température du Dt Petermann. — Point de départ de l’eau froide sous marine. — Contre-courants arctiques. — Courants antarctiques. — Distribution ver- ticale de la température dans le bassin de l'Atlantique du Nord. Toutes les études relatives à la température de la mer faites sur les navires le Lightning et le Porcupine pendant les années 1868, 1869 et 1870, si l’on en excepte une série d’ob- servations qui ont été faites dans la Méditerranée pendant l'été de 1870, sous la direction du D" Carpenter, sont comprises dans un espace de 2000 milles anglais de longueur sur 250 de largeur, commençant un peu au delà des îles Farôer, par 62°30! de latitude N., et se prolongeant jusqu’au détroit de Gibraltar, à 36° de latitude N. La plus grande partie de cette zone forme la limite orien— tale de l'Atlantique du Nord et côtoie l'Europe occidentale. Un espace restreint, mais des plus intéressants, forme le canal qui sépare les îles Farôer du nord de l'Écosse : c’est une des grandes voies de communication entre le nord de l’Atlantique et la mer du Nord; aussi quelques-uns des sondages pra- tiqués dans les bas-fonds qui sont à l’est des îles Shetland se trouvent-ils situés dans le bassin peu profond de la mer du LE GULF-STREAM. 301 Nord. Il est done évident que la plus grande partie, si ce m'est la totalité de cette zone, doit participer aux causes de la dis— tribution de la température dans l'Atlantique du Nord, et doit tenir d’une loi très-générale les particularités qui peuvent se présenter dans ses conditions thermales. Pour toutes nos observations de température, si J'en excepte le petit nombre qui ont été faites en 1868 sur le Lightning, nous nous sommes servis de thermometres abrités contre la pression, d’après le système du professeur Miller; chaque thermomètre avait été soumis par le capitaine Davis à une pres- sion équivalant à environ 3 tonnes par pouce carré, avant d'être livré au navire; ils ont été aussi à plusieurs reprises ramenés jusqu'au point de congélation pendant la durée de l'expédition, pour s'assurer qu'aucun accident n’était venu en altérer le verre. Les indications peuvent, après cela, être acceptées avee la plus entière confiance, sauf erreurs commises en faisant les observations, et que le soin extrème apporté par le capitaine Calver a. réduites à un minimum des plus insi- enifiants. Un grand nombre d'observations isolées, dont malheureuse- ment la plupart ont été faites à l’aide d'instruments auxquels on ne peut accorder toute confiance pour l'exactitude des détails (leur écart pourtant a toujours lieu probablement dans le sens de lexagération de la chaleur), établissent ce fait très-curieux que, bien que la température de la surface de la mer puisse monter dans les régions équatoriales jusqu’à 30° C., aux plus grandes profondeurs, soit dans l'Atlantique, soit dans le Pacifique, elle ne s'élève pas au-dessus de 2° à 4°,6 C., et tombe quelquefois, dans les très-grandes profondeurs, à 0°. J’emprunte au remar- quable discours présidentiel de M. Prestwich à la Société géologique pour l’année 1871, un tableau des plus importantes de ces premières observations faites dans l'Atlantique et dans le Pacifique ‘ : 1. Address delivered at the Anniversary Meeting of the Geological Society of London, on the 17th of February 1871, by Joseph Prestwicu, F. R. S. Pp. 36, 37. 302 LES .ABIMES DE LA MER, TEMPERATURES DE L’ATLANTIQUE, TEMPERATURE. Oe PROFONDEUR LONGITUDE. oe BRASSES. LATITUDE. SURFACE. OBSERVATEURS ET DATES DES OBSERVATIONS. 780 1400 505 1006 1200 886 1051 1074 999 92909 TEMPÉRATURES DE L'OCÉAN PACIFIQUE. PROFONDEUR TEMPÉRATURE. LATITUDE. LONGITUDE. en ER aes hi BRASSENS SURFACE. FOND. cS 0 i] 4 0 1 À ee 51 34 N. 161 41 E. 957 118 Oe 2,5 C 28 52 173 09 600 955 5,0 18 05 174 10 710 94,7 4,8 4 32 134 94 O 2045 27,2 Sil Equateur. 179 34 1000 30,0 25 TI SS 196 O1 916 22 22 DAT 176 42 E 782 16,4 5,4 MS eT 80 06 O. 1066 13,0 2,9 Chevalier. . 1837. Lenz 1832. Tessan. 182410 Tessan... 48442 OBSERVATEURS ET DATES DES OBSERVATIONS. Tessan. ...4802- Beechey.. . 1828. La Bonite.1837. Kotzebue. . 1824. Wenza-eeee 1834. Tessan... 1841: LE GULF-STREAM. 303 On peut ajouter a ces observations celles du lieutenant S. P. Lee, appartenant au service de surveillance côtière des États-Unis, qui, en août 1847, a inscrit une température de 2°,7 C. au-dessous du Gulf-stream, à une profondeur de 1000 brasses, par 35° 26’ de latit. N. et 73° 12’ de longit. O., et celles du lieutenant Dayman, qui, à 1000 brasses, par 51° de latit. N. et 40° de long. O., trouva une température de — 0°,4, celle de la surface étant de 12°,5 C. Ces résultats sont pleme- ment confirmés par les récents relevés du capitaine Shortland, de la Marine royale, qui donnèrent une température de 2°,5 C. dans les grandes profondeurs du golfe Avabique, entre Aden et Bombay', par ceux du commandant Chimmo et du lieutenant Johnson, de la Marine royale, qui trouvèrent sur divers points de l'Atlantique une température d'environ 3°,9 C, à 1000 brasses, avec un lent abaissement depuis cette profon- deur jusqu'à 2270 brasses, où la température indiquée par des thermomètres non abrités était de 6°,6 C., réduite par la correc- tion à environ 1°,6 C.*; enfin par les observations faites pendant les expéditions du Porcupine, avec les plus grands soins et au moyen d'instruments abrités, mais qui ne se sont rapprochées des tropiques que jusqu’à la latitude du détroit de Gibraltar : tous paraissent s’accorder à établir ce fait, qu'il règne aux grandes profondeurs une température à peu près uniforme, qui se rapproche du point de congélation de l’eau douce. Comme il est évident que les basses températures des eaux profondes dans les régions tropicales ne peuvent être attribuées à leur contact avec la surface de la croûte terrestre, on est ar- rivé depuis longtemps à cette conclusion, qu’elles doivent être causées par une circulation océanique générale, par des cou- rants chauds de surface se dirigeant vers les pôles, pour y prendre la place des contre-courants froids qui des pôles vont à l'équateur. Humboldt constate qu'en 1812 il démontrait |. Sounding Voyage of H. M. S. Hydra, captain P. F. SuorrLanp. London, 1869. 2. Soundings and Temperatures in the Gulf-stream. By Commander W. Camo, R. \. (Proceedings of the Royal Geographical Society, vol. MIL) 304 LES ABIMES DE LA MER. déjà que «la basse température dans les grandes profondeurs des mers tropicales ne pouvait avoir pour cause que les cou- rants des pôles à l'équateur ' ». D’Aubuisson attribuait aussi, en 1819, la basse température des grandes profondeurs, sous l'équateur, ou dans son voisi- nage, aux Courants venus des pôles *. Mais, bien que le fait de l'existence de courants froids qui abaissentla température de l’eau dans les grandes profondeurs des régions équatoriales füt accepté par de nombreuses auto- rités en matière de géographie physique, les causes de cette circulation demeuraient entourées d’obseurité. La doctrine dont nous avons déjà fait mention, d'une température égale, permanente et universelle de 4° C., régnant au delà d’une certaine profondeur, est venue plus tard compliquer et obs- curcir encore cette question, dont l’étude n’a été reprise qu’à l’époque où le séduisant ouvrage du capitaine Maury sur la Géographie physique de la mer est venu donner un stimulant extraordinaire à l'étude de cette branche de la science. La position géographique et les grandes facilités qu'il offre pour l’étude des innombrables données se rattachant à un pa- reil sujet, ont fait tout naturellement tomber sur le bassin de l’Atlantique du Nord, le choix de ceux qui désiraient sy livrer; les particularités de climat y sont aussi nettement marquées et aussi extrèmes dans leur caractère que l’espace où elles se manifestent est limité dans son étendue. I] semble, au premier abord, assez singulier qu’il puisse y avoir place pour l'erreur au sujet des causes, des sources et de la direction des courants qui, traversant l'Océan dans notre voisinage immédiat, ont une influence des plus directes sur notre économie et sur notre bien-être. Leur étude présente pourtant de grandes difficultés. Certains courants sont suffi samment visibles et marchent avec une vitesse et une force qui 1. Fragments de géologie et de climatologie asiatiques. 1831. 2. Traité de géognosie. — Quoted in the Anniversary Address to the Geological Society of London, 1871. LE GULF-STREAM. 305 les font aisément découvrir et rendent relativement facile la mesure de leur volume et la détermination de leur trajet. Mais les grands mouvements de l'Océan, ceux qui produisent les ré sultats les plus importants par les modifications de température et de climats, ne sont pas, parait-il, de même nature; ils s’ache- minent au contraire si lentement, que leur mouvement de sur- face est constamment dissimulé par la dérive due à des vents variables, qui neutralisent ainsi l'influence qu'ils pourraient avoir sur la navigation. Le trajet et les limites de pareils cours d’eau ne peuvent se déterminer qu'au moyen du thermomètre. Par suite des phé- nomenes de la diffusion et du mélange, l’uniformité de tem- pérature de masses d'eau en contact les unes avec les autres, et inégalement échauffées, s’accomplit avec une lenteur qui permet généralement de distinguer entre eux, sans trop de dif- ficultés, les courants qui proviennent de sources différentes. Jusqu'à l’époque actuelle, on avait peu cherché à étudier, au moyen du thermomètre, la profondeur et le volume des courants : ceux qui sont profonds étaient inconnus pour la plupart; la limite des courants de surface avait seule été déterminée avec une grande précision, par l’étude de la tem- pérature de la surface de Océan, quand même la lenteur de leurs mouvements les rendait presque imperceptibles. La somme de chaleur venant directement du soleil peut ètre calculée approximativement; elle dépend de la latitude seule, et s'ajoute à celle des eaux de la surface, de quelque source que cette dernière provienne. Ainsi les observations de la température de surface nous indiquent la somme de chaleur reçue directement du soleil dans la région même, puis la somme de chaleur émanant de la même source et recue pendant le trajet de l’eau à la région observée, ajoutées à la somme de chaleur de l’eau elle-même. Si done l’eau d’une région quel- conque est dérivée ou fait partie d’un courant de provenance polaire, et si l’eau de surface d’un autre espace situé sur le mème parallèle de latitude fait partie d’un courant équatorial, 20 306 LES ABIMES DE LA MER. bien que la somme de la chaleur solaire recue à cette latitude soit la mème pour tous deux, il y aura une différence sensible dans leur température. Citons un exemple pris dans un cas extrème : la température moyenne de la mer, au mois de juillet, à la hauteur des Hébrides, par 58° de latit. N., sur le trajet du Gulf-stream, est de 13° C., pendant qu'à la mème latitude, sur la côte du Labrador et sur le trajet du courant du Labrador, elle est de 4°,5 C. La distribution de la température de surface dans l'Océan Atlantique du Nord est certainement très-exceptionnelle. Un coup d'œil jeté sur la carte (pl. VIL) qui représente la distri- bution générale de la chaleur pour le mois de juillet, nous fait voir que les lignes isothermes pour ce mois-là, lom de tendre à suivre la direction des parallèles de latitude, forment des séries de courbes allongées, dont quelques-unes se pro- longent jusque dans la mer Arctique. La température des terres qui avoisinent la mer n'est qu'imperceptiblement influencée par la radiation directe de la mer, mais elle subit à un haut degré l’action des vents régnants. Sans nous occuper du point, plus important encore, de l'égalité de la température de l'été et de l'hiver, remar- quons que la température moyenne annuelle de Bergen, située par 60° 24 de latit. N., mais soumise à l'influence bienfai- sante du vent régnant de sud-ouest, qui lui arrive après avoir soufflé sur les eaux tempérées du Nord-Atlantique, est de 6°,7 C., tandis que celle de Tobolsk, par 58° 13’ de latit. N., est de — 2°,4 C. Mais la température de l'Atlantique du Nord et de son lit- toral n’est pas supérieure seulement à celle des localités con- tinentales situées sur le même parallèle de latitude, elle Vest aussi à celle de localités de l'hémisphère méridional placées dans des conditions selon toute apparence identiques : ainsi la température moyenne annuelle des îles Farôer, à 62° 2° N., est de 7°,1 C., à peu près la même que celle des iles Falkland, à 52° de latit. S., qui est de 8°,2 C.; et la température de Puancne VII.—Carte Physique de l’ Atlantique septentrional, montrant les profondeurs, et la distribution générale de la température pendant le mois de Juillet. Pls, Er 7 —> E Vo! L a q | 5 \ = | SN i | x TRION BE SAR eee SR = 22% % = DEN EEE : : T4 À WE fée f x Ÿ ar LE GULF-STREAM. 307 Dublin, à 53° 21’ N., est de 9°,6 C., tandis que celle de Port- Famine, à 58° 8’ S., est de 5°,3 C. De plus, la température élevée de l'Atlantique du Nord n’est pas également distribuée, mais elle se fait sentir d’une manière très-marquée sur les côtes nord-est : ainsi la température moyenne annuelle d’Ha- lifax (Nova Scotia), par 44° 39’ de latit. N., est de 6°,2 C., tandis que celle de Dublin, à 53° 21’ de latit. N., est de 9°,6 C., et que celle de Boston (Massachusetts), par 42° 21’ de latit. N., est exactement la méme que celle de Dublin. Ce remarquable écart de leur direction normale que font les lignes isothermes est du à l'influence des courants océa- niques qui agisseut sur la température de la surface en trans— portant les eaux chaudes des tropiques vers les régions polaires, d’où un contre-courant froid sous-marin non inter- rompu vient remplir le vide qu'elles laissent. Nous arrivons ainsi à cette conclusion bien connue, que la température des eaux qui baignent les plages situées au nord- est de l’Atlantique du Nord est élevée bien au-dessus de son degré normal par des courants qui amènent un échange entre les eaux tropicales et les mers polaires; les terres littorales de l’Atlantique du Nord participent à cette amélioration de climat par la chaleur que ces eaux communiquent aux vents qui y règnent. | L’Atlantique du Nord n’est pas seul à jouir de ce privilége, bien que, par sa configuration particulière et par l’action qu'il exerce sur ses plages, il présente l'exemple le plus frappant du phénomène dont nous venons de décrire les effets. Une série correspondante de courbes un peu moins accentuées longe la côte orientale de l'Amérique du Sud, et une autre, des plus accusées, occupe l'angle nord-est du Pacifique, à la hauteur des iles Aléoutiennes et de la côte de Californie. Deux avis se sont élevés sur les causes des courants de l'At- lantique du Nord. L’un d'eux, émis et formulé pour la pre- mière fois, d’une manière précise, par le capitaine Maury, ensuite soutenu un peu vaguement par le professeur Buff, 308 LES ABIMES DE LA MER. affirme que les grands courants et contre-courants chauds ou froids sont produits par une circulation de l'enveloppe aqueuse du globe, semblable à celle de son enveloppe atmosphérique, c’est-à-dire par la chaleur tropicale, par l’évaporation qui en résulte et par le froid arctique. Il n’est pas facile de bien comprendre les idées du capitaine Maury. Il attribue l'existence de tous les courants océaniques aux différences de pesanteur spécifique. « Si nous en excep- tons, dit-il, les courants partiels de la mer, tels que ceux qui sont formés par l'influence des vents, nous pouvons accepter comme règle que tous les courants de Océan doivent leur ori- gine aux différences de pesanteur spécifique qui existent entre l’eau d’une localité et celle d’une autre mer; car partout où il y a une différence de cette nature, qu’elle soit un effet de la température, du degré de salure de l’eau, ou de toute autre cause, cette différence, en rompant l'équilibre, donne naissance aux courants '. » Ll attribue ces différences de pesanteur spéci- fique à deux causes principales : aux différences de température et à l’excès de salure produit par l’évaporation. Pour expliquer sa théorie sur la première de ces causes, le capitaine Maury cite un exemple : « Supposons, dit-il, que toute l’eau contenue entre les tropiques, jusqu’à la profondeur de 100 brasses, se trouve tout d’un coup transformée en huile; léquilibre des eaux de notre planète en sera rompu, et nous verrons naître un système général de courants et de contre-courants : l'huile, se maintenant à la surface, se dirigera vers les pôles sous forme de nappe ininterrompue, et l’eau, en contre-courant sous-marin, prendra sa direction vers l’équateur. Admettons qu'alors l'huile arrivée dans le bassin polaire reprenne sa première forme, et que l’eau, en traversant les tropiques du Cancer et du Capricorne, se change en huile, s'élève à la sur— face dans les régions intertropicales et reprenne le chemin des poles. L'eau froide du nord, l’eau chaude du golfe du Mexique 1, The Physical Geography of the Sea, and its Meteorology. By M. T. Maury, L. L. D. LE GULE-STREAM. 209 rendue spécifiquement plus légère par la chaleur tropicale, présentant un système tout semblable de courants et de contre- courants, ne sont-elles pas semblables dans leurs rapports réciproques à l’eau et à Vhuile'? » Il n’est pas douteux que la conclusion de Maury ne soit que les eaux intertropicales dilatées par la chaleur et celles des régions polaires contractées par le froid ne produisent un cou- rant de surface de l'équateur aux pôles, et un courant pro- fond des pôles à l'équateur *. Quant à l'augmentation de pesanteur spécifique attribuée à l'excès de salure, voici ce que dit le capitaine Maury : « La salure de l'Océan assainit la terre; c’est à elle que la mer doit sa puissance dynamique, et ses courants leur prin— cipale foree *. L'un des buts, qu'il entrait sans doute dans le grand plan de la Création d'atteindre en faisant les mers salées plutôt que douces, c'était de donner à leurs eaux assez de force et de puissance pour que leur circulation fut com— plète *. Dans l’état actuel de nos connaissances, en ce qui touche ce prodigieux phénomène, car le Gulf-stream est certainement une des choses les plus merveilleuses de Océan, nous n’en sommes guère encore qu'aux conjectures; nous cennaissons pourtant quelques-unes des causes actives auxquelles nous pouvons Vattribuer avec quelque assurance. Une de celles-ci, c’est l'augmentation de salure des eaux, après l'absorption par les vents alizés des vapeurs qui s’en dégagent, que cette ab- sorption soit considérable ou faible. L'autre est la petite quan- tité de sel contenue dans la Baltique et dans les autres mers septentrionales *. lei nous avons la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique, dont les eaux sont une véritable saumure, et de l’autre côté, le grand bassin polaire, la Baltique et la mer du 1. Captain MAURY, op. cit. 2. On Ocean Currents. Part III. On the Physical Cause of Ocean Currents. By James Crow, of the Geological Survey of Scotland. (Philosophical Magazine, October 1870.) 3. Captain Maury. Op. cit. 4. Id., ibid. 5. Id., ibid. 310 LES ABIMES DE LA MER. Nord, dont les deux dernières sont à peine saumâtres. L'eau est pesante dans les premiers de ces bassins maritimes, dans les autres elle est légère. L’étendue de l'Océan les sépare, mais l'eau cherche et conserve son niveau; ne découvrons-nous pas là une des causes du Gulf-stream '? » Ainsi que M. James Croll l’a démontré avec une grande clarté, les deux causes invoquées par le capitaine Maury doivent avoir pour effet de se neutraliser réciproquement. «Il est parfaitement évident que si la différence de tem— pérature doit se combiner avec la différence de salure pour produire les courants océaniques, les eaux les plus salées, c’est-à-dire les plus denses, se trouveront dans les régions po- laires, et les moins chargées de sel, c’est-à-dire les plus légères, seront dans les espaces équatoriaux et intertropicaux. L'eau la plus salée se trouvant à l’équateur et la plus douce aux pôles, l'influence de la chaleur serait neutralisée, et l'existence de courants résultant des différences de température rendue im- possible, » Suivant ces deux théories, ce sont les différences de densité entre les eaux équatoriales et les eaux polaires qui produisent les courants : seulement lune donne aux premières moins de densité, tandis que suivant l’autre elles sont plus pesantes que les polaires. L’une ou l’autre de ces théories peut être la vraie, ou toutes deux se trouver fausses, mais il est logiquement impossible qu'elles soient justes l’une et l’autre, par cette simple raison que les eaux de l’équateur ne sauraient se trouver à la fois plus légères et plus lourdes que celles des pôles. Tant que ces deux causes continueront à agir, aucun courant ne pourra se produire, à moins que la puissance de l'une n'arrive à surpasser celle de l’autre, et alors le courant produit n’existera que dans la proportion exacte de cet exeé— 2 oD) dant de puissance Il serait inutile d’entrer dans d’autres détails sur la théorie des courants océaniques exposée par le capitaine Maury; ce 1. Captain MAURY, op. cil. 2. James CROLL, op. cit. LE GULE-STREAM. 314 travail est remarquable surtout par son ambiguité et par la facture agréable et familière du style. Mon collègue et ami le D' Carpenter vient de mettre en évidence et sous une forme bien arrêtée une théorie qui parait être la même, avec quel- ques modifications. Dans l'excellent petit volume sur la Physique du globe, le professeur Buff dit, à propos des mouvements de la couche d’eau froide qui vient des mers polaires et garnit le fond de l'Océan des tropiques : « Une expérience bien connue démontre d'une manière frappante comment se produit ce mouvement. On remplit un vase de verre d’une eau qu'on a mélangée d’une poussière quelconque, puis on en fait chauffer le fond. On voit bientôt, aux mouvements des particules, que des courants se forment dans des directions différentes au travers du liquide. L'eau chaude s'élève au centre du vase et se répand sur toute la surface, pendant que celle qui est plus froide, et consé- quemment plus pesante, retombe autour de la circonférence. Des courants semblables doivent exister dans tous les bassins et même dans les océans, pour peu que différentes parties de leurs surfaces soient irrégulièrement chauffées*. » Ceci n’est qu'une simple expérience d'école pour démontrer le mouvement dû à la chaleur. Il est évidemment impossible que les courants de l'Océan se produisent de cette manière-là, car chacun sait que partout, excepté dans quelques rares régions du bassin polaire, la température de la mer décroit depuis la surface, et atteint son minimum au fond, et que la chaleur tropicale ne se fait sentir qu'à la surface. On se de- mande comment cet exemple, étranger à la question, a pu être invoqué par le professeur Buff, dont l'explication de l’origine et de la marche du Gulf-stream, ce type des courants océa— niques, est parfaitement conforme aux idées reçues. |. Familiar Letters on the Physics of the Earth; treating of the chief Movements of the Land, the Water and the Air, and the Forces that give rise to them. By Henry Burr, pro- fessor of Physics in the University of Giessen. Edited by A. W. Hofmann, Ph. D. F.R.S. London, 1871. 312 LES ABIMES DE LA MER. Après avoir étudié les relevés de température de lexpédi- tion du Porcupine en 1869, le D' Carpenter parait s'être con- vaincu que la masse d’eau relativement chaude de 800 brasses de profondeur, dont nous avions affirmé Vexistence, et qui parait se mouvoir dans la direction du nord-est, le long des côtes de la Bretagne et de la péninsule lusitanienne, ne peut être un prolongement du Gulf-stream, mais doit avoir pour cause la circulation générale des eaux de l'Océan, comparable à la circulation atmosphérique. « L'influence du Gulf-stream même (et par là nous enten— dons désigner la masse d’eau chaude qui se fait jour à travers les détroits du golfe du Mexique), si elle s'étend jusqu'à ces parages, ce qui est fort douteux, n’en pourrait atteindre que la couche la plus superficielle; on peut en dire autant du courant dérivé produit par la fréquence des vents du sud- ouest, auquel on a souvent attribué les phénomènes dus au prolongement du Gulf-stream dans ces régions. La présence de la masse d’eau qui se trouve entre 100 et 600 brasses, et dont la température varie de 48° (8°,85 C.) à 42° (5°,5 C.), ne peut guère s’expliquer que par Vhypothése d'un grand mou- vement général des eaux équatoriales vers les espaces polaires, courant dont le Gulf-stream constitue une partie, modifiée par certaines conditions locales. De même le courant arctique qui coule sous les couches superficielles chaudes, dans notre espace froid, constitue une branche spéciale modifiée par les condi- tions locales d’un grand courant général des eaux polaires vers les espaces équatoriaux, qui abaisse la température des parties les plus profondes des grands bassins de l'Océan, presque jus- qu'au point de congélation. » Au début, le D" Carpenter parait avoir considéré cette circulation océanique comme un cas de simple transport de la masse aqueuse. « À quoi peut-on alors attribuer le courant au nord-est de la couche supérieure chaude de Atlantique du 1. A Lecture delivered at the Royal Institution, abstracted with the Author’s signature in Nature, vol. I, p. 488 (March 10th, 1870.) LE GULF-STREAM. 313 Nord? J'ai essayé de démontrer qu'il fait partie de léchange qui a lieu entre les mers polaires et les mers équatoriales ; il est entièrement soustrait aux influences locales, telles que celles que produit le Gulf-stream mème, et met en mouve- ment des masses d’eau bien autrement larges et profondes que celles que transporte celui—ci. La théorie physique et l’observation même donnent une double preuve de cet échange. Un mouvement pareil doit né- cessairement se produire, ainsi que l’a depuis longtemps indiqué le professeur Buff, toutes les fois qu’une masse d’eau d’étendue considérable est chauffée dans une de ses parties et refroidie dans une autre: c’est sur ce principe qu'est basé le chauffage des appartements par l'appareil à eau chaude. [la été admira- blement démontré, il y a quelques mois, à [Institution Royale, par l’expérience suivante, dont M. Odling m'a obligeamment préparé les éléments. « Le D" Carpenter décrit alors Vexpé- rience du professeur Buff sur les mouvements d’une masse li- quide, la chaleur étant appliquée au moyen d’un jet de vapeur introduit verticalement à l’une des extrémités d’un étroit auget de verre, pendant qu'un morceau de glace était fixé à l’autre. » Dans cette expérience on peut constater que la cireulation avait lieu dans la cuve par suite de Papplication de la chaleur à l’une de ses extrémités et du froid à l’autre; l’eau chaude cou- lait à la surface, de l'extrémité chaude à l’extrémité froide, et l’eau refroidie coulait au fond, de l'extrémité froide à l’extré- mité chaude. C’est ainsi, dit-on, que les eaux équatoriales eir- culent à la surface dans la direction des pôles, et que les eaux polaires retournent à l'équateur en rasant le fond, lorsque ces courants ne sont ni interrompus par des obstacles, ni arrètés par des courants contraires et accidentels, produits par des causes locales '. I a été démontré qu'un pareil courant re peut s'expliquer par cette hypothèse. Le D" Carpenter, faisant une conférence 1. The Gulf-stream. A letter from D* Carpenter tothe Editor of Nature, dated Gibraltar, August 11th, 1870. (Nature, vol. IL, p. 334.) ol LES ABIMES DE LA MER. à la Société royale de géographie et supposant deux bassins, l'un dans les conditions équatoriales, et l’autre dans les condi- tions polaires, réunis par un détroit", dit: « L'effet de la chaleur de la surface sur Peau du bassin tropical sera, pour la plus grande partie, limité à sa couche supérieure, et nous pouvons n'en pas tenir compte. Mais l'effet du froid de la surface sur l’eau du bassin polaire sera de réduire la température de la masse entière au-dessous du point de congélation de l’eau douce : la couche de surface s’enfoncera en se refroidissant, à cause de la diminution de son volume et de l'accroissement de sa densité; elle sera remplacée par une eau qui n'aura pas encore atteint ce même degré de refroidissement. Cette eau plus chaude ne remontera pas du fond; c’est de la surface des espaces en- vironnants qu'elle sera attirée dans le bassin polaire, et comme il faut bien que celle qui est ainsi attirée soit remplacée par d’autres eaux venant d’une distance plus grande encore, le re- froidissement continuel de la couche de surface du bassin polaire fera avancer des masses d’eau depuis les régions tro— picales, à travers les espaces océaniques qui les séparent. » Plus loin le D' Carpenter ajoute : « On voit par là que Vappli- cation du froid à la surface est précisément l’équivalent, comme force motrice, de l’application de la chaleur au fond; c'est le principe sur lequel est établie la circulation de l’eau dans de nombreux appareils de chauffage. Il n’est pas douteux que l'application du froid à la surface d’une masse d’eau dont la température était primitivement uniforme, ne produisit le même effet que celle de la chaleur au fond, et dans les deux cas nous aurions un exemple du mouvement simple, la couche inférieure plus chaude s’élevant à la surface au travers d’une couche supérieure froide. Mais ce n’est point là ce qui se passe dans les mers polaires, car la température de la mer Aretique s’abaisse graduellement après les quelques brasses qui se trouvent immé- 1. Onthe Gibraltar Current, the Gulf-stream, and the general Oceanic Circulation. By De W. B. Carpenter, F. R. S. Reprinted from the Proceedings of the Royal Geogra- phical Society of London, 1870. LE GULF-STREAM. 915 diatement au-dessous de la surface jusqu'au fond, où elle atteint sa température minimum avee la densité maximum qui en résulte. Ainsi, dans ce cas, l'application du froid à la surface n'équivaut pas à l'application de la chaleur au fond d’un appa- reil de chauffage, et le D' Carpenter a prouvé qu'il s’en doutait, en supposant le trajet inverse d’un courant de surface. Qu'il se produise un certain accroissement de pesanteur spé- eifique par le refroidissement d’une mince couche superficielle de l'océan Arctique, cela n’est guère douteux : mais l’étendue où cet effet maximum se produit est très-limitée ; pendant le long hiver arctique, la plus grande partie de cet espace est pro- tégée par une épaisse couche de glace, corps très-mauvais conducteur du calorique. Cette cause me parait donc tout à fait insuffisante à produire un puissant courant d’une profondeur énorme, de 6000 milles de longueur et de plusieurs milliers de milles de largeur; c’est pourtant là l'effet que le D' Carpenter lui attribue. Pendant l'été de 1870, puis en 1871, le D' Carpenter a fait une série d’études sur le courant du détroit de Gibraltar. L’exis- tence d’un courant sous-marin sortant de la Méditerranée pa- rait avoir été parfaitement établie, et les conclusions auxquelles on est arrivé sur ces causes ne différent pas sensiblement de celles qui étaient généralement admises. Le D' Carpenter croit cependant que les conditions du détroit de Gibraltar et celles du Sund dans la Baltique sont une démonstration exacte de la circulation océanique, et confirment pleinement ses théories sur ce sujet. J’emprunte les passages suivants au résumé du discours du D° Carpenter à la Société de géographie : « Voici quelle est application des prineipes qui précèdent aux cas particuliers qui sont étudiés dans ce travail : » VIT. Un courant engendré dans le détroit de Gibraltar par l’évaporation de la Méditerranée supérieure à la quantité d'eau douce se déversant dans son bassin, abaisse le niveau et accroit la densité de cette mer; de telle sorte qu'un cou- 316 LES ABIMES DE LA MER. rant salé de surface S'y introduit et en relève le niveau; le poids du sel contenu exeède le poids de l’eau douce enlevée par l’évaporation. Ce courant détruit l’équilibre de la Médi- terranée, et produit un courant profond sortant, qui, à son tour, en abaisse le niveau. On peut affirmer que la même chose se passe dans le détroit de Bab-el-Mandeb. » IX. Une circulation verticale existe dans le Sund de la Baltique, produite par la surabondance d’eau douce intro— duite dans cette mer; cette masse liquide élève le niveau et diminue la densité de facon à produire un courant de surface du dedans au dehors. La colonne d’eau du côté de la Baltique étant la plus légère des deux, il faut nécessairement qu'un courant profond du dehors au dedans vienne rétablir Véqui- libre. On peut être certain que le Bosphore et les Dardanelles présentent des phénomènes semblables. » X. D’après les mêmes principes, la circulation verticale ne peut pas manquer d'exister entre les eaux polaires et les équatoriales, produite par la différence de leurs températures. Le niveau des mers polaires doit être diminué et leur densité accrue par /e froid auquel leur surface est soumise : cet abaisse- ment de température imprime un mouvement de descente à chacune des couches successives qui y sont tour à tour expo- sées; le niveau des mers équatoriales doit être élevé, et leur densité diminuée par la chaleur qui agit à leur surface. La première de ces actions est de beaucoup la plus puissante, puis- quelle se fait sentir sur toute la masse profonde des eaux, tandis que la seconde ne produit d'effet sensible que sur la couche superficielle. Cest ainsi qu'un mouvement de l’équa- teur aux poles est imprimé à la couche supérieure de l'Océan, tandis que’ses couches inférieures sont attirées des pôles à l'équateur. » La doctrine de mon savant collègue, si toutefois je lai bien comprise, me parait donner lieu aux objections dont j'ai déjà parlé à propos des théories du capitaine Maury. En admettant que les courants marchent dans la direction LE GULE-STREAN. 347 et avec la constance admise par le D' Carpenter pour le détroit de Gibraltar et pour le Sund de la Baltique, si leur vitesse et leur direction sont dues aux causes auxquelles il les rapporte, et pour peu qu'il y ait quelque analogie entre les conditions d'équilibre de ces mers presque fermées et celles. de l'Océan, il me semble que la vaste région équatoriale, qui est la voie des vents alizés et la zone de la radiation solaire verticale, doit, sous le rapport de l’évaporation, rappeler les conditions de Ta Méditerranée, en les exagérant même beaucoup. Mais aucune de ces propositions ne me parait avoir été résolue d’une ma- niére concluante. L’accumulation de sel qui aura lieu dans toute la profondeur, puisque l’eau salée tend toujours à aller au fond, doit l'emporter de beaucoup sur Vinsignifiante expan - sion produite par la chaleur sur les couches de surface. Je donne ce fait pour ce que Petermann appellerait une réflexion sans conséquence. D'un autre côté, le bassin arctique, plus restreint, rappelle jusqu'à un certain point, ainsi que l’a fait observer il y a longtemps déjà le capitaine Maury, les condi- tions qui caractérisent la Baltique, et je me trompe fort, si le peu de pesanteur spécifique de la mer polaire, résultant de la condensation et de la précipitation des vapeurs des régions intertropicales, n’équivaut pas largement à la contraction par le froid arctique de la même couche superficielle. La profondeur de l'océan Atlantique du Nord est à la masse de la terre en proportion infiniment moindre que celle du papier qui recouvre une sphère de 18 pouces à la sphere elle-même; la surface chauffée directement par la radiation solaire peut se comparer pour l'épaisseur à la couche de vernis dont ce même globe est enduit : en réalité, sa profondeur ne dépasse pas la hauteur de l’église Saint-Paul à Londres. Les physiciens paraissent éprouver quelque difficulté à accorder la puissance nécessaire pour mettre en mouvement, dans notre enveloppe aqueuse, des courants de 6000 milles de longueur, 3 milles de largeur et 2 milles d'épaisseur, aux forces aux— quelles le D' Carpenter les attribue: ces causes, dans les cir- 318 LES ABIMES DE LA MER. constances particulières et au degré où nous les voyons agir dans la nature, ne nous permettent pas encore de fournir aux savants les données qui leur en feraient apprécier l'intensité. M. Croll, qui fait autorité dans ces matières, a essayé de faire quelques caleuls qui l'ont amené à conclure qu'aucune d’elles ue suffirait à vainere le frottement de l’eau et à produire un courant quelconque '; mais il faut bien dire que cette théorie est loin d’avoir obtenu une approbation générale. Je suis moi- mème disposé à croire que dans une grande masse d’eau salée, avec des températures diverses, une évaporation inégale, soumise à des pressions barométriques variables, et sujette à l'impulsion de vents qui changent sans cesse, des courants de toute nature, grands et petits, variables et plus ou moins per - manents, doivent nécessairement se former”; seulement le ré- sultat probable doit se réduire à fort peu de chose : cela n’est pas douteux lorsque nous voyons des causes déjà par elles— mêmes d’une efficacité douteuse agir en sens contraire. On en est réduit à attribuer alors l'effet définitif à la somme des forces dont la moins faible d’entre elles dépasse de bien peu les autres. En l'absence complete de toute donnée digne de confiance, je crois que si l’on attribue la circulation océanique aux seules causes invoquées par le D" Carpenter, en faisant abstraction de tout autre agent, en admettant qu'alors cette circulation ait lieu, ce qui est assez douteux, les probabilités seraient plutôt en faveur d’un courant chaud sous-marin, poussé vers le nord par l'excès de salure, et contre-balancé par un courant de surface marchant en sens inverse et formé d’une eau arctique plus douce, quoique plus froide. J'accepte donc, jusqu'à nouvel avis, en ce qui touche cette question d’une circulation générale produite par des différences de pesanteur spécifique, l’opinion exprimée par sir John 1. James CROLL, op. cit. 2. On the Distribution of Temperatures in the North Atlantic. An Address delivered to the Meteorological Society of Scotland at the General Meeting of the Society, July oth, 1871, by professor Wyville THomson. LE GULF-STREAM. 319 Herschel, dans une lettre excellente et pleine de réserve, adressée par lui au D" Carpenter, lettre qu'il m'est permis de citer tout au long, puisqu'elle a été déjà imprimée, et qui pré- sente un intérêt tout particulier, car elle est une des dernières de sir John Herschel ayant trait à un sujet scientifique : Collingwood, ce 9 avril 1871. Mille remerciments pour votre travail sur le courant de Gibraltar et sur le Gulf-stream. Après avoir réfléchi sur tout ce que vous avancez, je pense que la logique des choses, expérience journalière des appareils à eau chaude de nos serres, nous forcent à admettre qu'une circulation océanique spéciale doit résulter de la chaleur, du froid et de l’évaporation, comme causes efficientes ; vous avez fait ressortir la puissance d'action du froid polaire, ou plutôt l'éntensité d'action du froid polaire, car son effet maximum se produit sur un espace bien plus restreint que celui sur lequel agit le maximum de la chaleur tropicale. De mème, l’action des vents alizés et contre-alizés ne peut être nice; la question des courants océaniques devra donc être étudiée dorénavant à ce double point de vue. Les courants produits par les vents sont de beaucoup les plus accessibles aux recherches, parce que toutes les causes qui les produisent se trouvent à la surface et qu'aucun de ces agents ne peut échapper à l’investigation : la configuration des côtes, qui est une cause déterminante de leur direction, est chose visible. Il n’en est pas de même des autres courants : ils ont lieu dans les profondeurs de l'Océan, et leur marche, leur direction, leurs points de jonction, dépendent de la configuration du fond de la mer, dont il faudrait reconnaître la surface entière par la méthode, fort insuffisante, du sondage. Je vous félicite d’avoir réussi à vous procurer des échantillons de l’eau de la Méditerranée pris à l'emplacement de la source présumée d’eau salée de Smyth et de Wollaston; ces expériences prouveront que leur opinion est due à la substitution d’une bouteille à une autre, ou bien à l’évaporation du liquide. Je n'ai jamais eu grande confiance en cette théorie. Voilà done qu'après tout il existe un courant sous-marin qui sort du détroit de Gibraltar ! Je vous réitère mes remerciments pour cet intéressant mémoire, et vous prie de me croire, mon cher monsieur, Tout à vous, J. F. W. Herscuen !. |. Nature, vol. IN, p. 74. 320 LES ABIMES DE LA MER. La seconde théorie, soutenue par le D' Petermann (de Gotha) et par la plupart des savants versés dans la géographie phy- sique, en Allemagne et dans l'Europe du Nord, et fortement appuyée par sir John Herschel dans ses E'squisses de géogra- phie physique publiées en 1846, attribue la presque totalité des phénomènes appréciables de la distribution de la chaleur dans l'Atlantique du Nord au Gulf-stream et aux contre-cou- rants arctiques, qui sont entrainés vers le sud par le déplace— ment des eaux tropicales que le Gulf-stream emporte vers les régions polaires. Dès que l’on admet, ne füt-ce que pour un instant, que ce soit presque exclusivement au Gulf-stream qu'il faut attribuer les singuliers avantages de climat que les côtes orientales de l'Atlantique du Nord possèdent, à l’exclusion des côtes occidentales, il est certain que le point de départ de ce grand courant, son étendue, sa direction, la nature et la somme de son influence, deviennent des questions du plus haut intérêt. Avant de les approfondir pourtant, il sera bon de bien définir ce qu'on entend ici par Gulf-stream, car sur ce point même il y a eu beaucoup de malentendus. Par Gulf-stream j'entends désigner cette masse d’eau chaude qui, sortant du détroit de la Floride, s’élance à travers VPAt- lantique du Nord, et aussi un courant chaud plus large, mais moins distinet, qui fait évidemment partie du même cours d’eau, et qui, à l’est des Indes occidentales, décrit une courbe vers ie nord. Je n'hésite pas à considérer ce courant comme un simple affluent du courant équatoriat, grossi sans aucun doute pendant son trajet au nord-est par le courant de surface dù aux vents alizés, qui suit à peu près la même direction. La marche et les limites du Gulf-stream seront mieux com- prises, si nous étudions d’abord son origine et ses causes. Divisés, comme chacun le sait, en deux bandes, l’une au nord, l’autre au sud de l'équateur, et poussés dans une direction méridionale par le frottement que produit le mouvement oriental de rotation de la terre, les vents alizés du nord-est et du sud-est chassent devant eux un magnifique courant LE GULF-STREAM. 921 chaud de surface de 4000 milles de longueur sur 450 milles de largeur, avec une vitesse moyenne de 30 milles par jour. Sur les côtes d'Afrique, près de son point de départ, au sud des iles Saint-Thomas et Anna-Bon, ce courant équatorial a une vitesse de 40 milles par vingt-quatre heures, et une tempé- rature de 23° C. Augmentant sans cesse de volume, et s'étendant de plus en plus de chaque côté de l’équateur, il coule rapidement à l’ouest, dans la direction de Amérique du Sud. Au cap Saint-Roch, le point le plus oriental de l'Amérique du Sud, le courant équatorial se divise en deux : l’une de ses branches se précipite vers le sud, où elle fait dévier les lignes isothermes de 21°, 15°,5, 10°et 4°,5 C., et les transforme en courbes sur nos cartes, pour le plus grand bien-étre des habitants des iles Falkland et du cap Horn. La partie septentrionale du courant, suivant la côte nord-est de l'Amérique du Sud, accroit constamment sa température sous l'influence du soleil des tropiques. La il acquiert une vitesse de 68 milles par vingt-quatre heures, et sa réunion aux eaux de la rivière des Amazones la porte à 100 milles (6,5 pieds par seconde), mais elle décroit de nou- veau en entrant dans la mer des Caraïbes. Il traverse ensuite lentement cette mer dans toute sa longueur, entre dans le golfe du Mexique par le détroit de Yucatan, où une partie s'en dé- tache et entoure immédiatement l'ile de Cuba. Le courant prin— cipal, « après avoir fait le tour du golfe du Mexique, traverse le détroit de la Floride, d’où il sort Gulf-stream, majestueux courant de plus de 50 milles de large et de 2200 pieds de profondeur, avec une vitesse moyenne de 4 milles à l’heure et une température de 30° C.'. » En sortant du détroit, l'eau chaude incline au nord-est, à cause de sa grande vitesse initiale. M. Croll? a calculé que le Gulf-stream est égal à un cours d’eau 1. Physical Geography. From the Encyclopedia Britannica. By sir John F. W. HERSCHEL, Bart., K. H. P. Edinburgh, 1861, p. 49. 2. On Ocean Currents. By James CROLL, of the Geological Survey of Scotland. Part f. Ocean Currents in relation to the Distribution of Heat over the Globe. (Philosophical Magazine, February, 1870.) 21 322 LES ABIMES DE LA MER de 50 milles de largeur et de 1000 pieds de profondeur, coulant à raison de 4 milles à Uheure, transportant, conséquem— ment, 5.575 680 000 000 pieds cubes d’eau par heure, ou 133 816 320 000 000 pieds cubes d’eau par jour. Cette masse liquide a une température moyenne de 18°C. en sortant du golfe, mais son trajet vers le nord la fait tomber à 4,5; la perte de chaleur est done de 13°,5 C. La somme totale de chaleur transportée chaque jour des régions équatoriales s'élève à quelque chose comme 154 959 300 000 000 000 000 calories . Cette quantité est presque égale à la totalité de la chaleur que les régions arctiques reçoivent du soleil; en la réduisant de moitié pour éviter toute possibilité d’exagération, elle est encore égale à un cinquième de la somme de chaleur répandue par le soleil sur l’espace entier de l’Atlantique du Nord. Le Gulf-stream sortant du détroit de la Floride et se répandant dans l’Océan en se dirigeant vers le nord est probablement le plus magnifique phénomène naturel qui existe à la surface du globe. Ses eaux ont la transparence du cristal; elles sont d’un bleu intense, et longtemps encore, après avoir pénétré dans la haute mer, elles s'en distinguent facilement par leur chaleur, leur teinte et leur limpidité : les bords du courant se dessinent d'une manière si tranchée, qu'il pourrait arriver à un vaisseau d'avoir sa proue dans ce beau courant bleu, pendant que sa poupe se trouverait encore dans les eaux ordinaires de l'Océan. L'ouvrage du capitaine Maury, auquel nous avons déjà fait allusion, parle des puissances dynamiques du Gulf-stream avec un étonnement que nous ne pouvons nous empêcher de trouver un peu déplacé, comme s’il y avait la plus petite raison pour douter qu'il ne doive son origine aux vents alizés”. Mettant de côté la question plus générale de la possibilité d'une circulation océanique provoquée par la chaleur, par le |. La calorie (foot pounds) est la quantité de chaleur que doit recevom une livre d’eau pour élever sa température à 1° Fahrenheit. 2. HERSCHEL, op. cit., p. 91. LE GULF-STREAM. 929 froid et par l’évaporation, je crois que le capitaine Maury et le D' Carpenter sont les deux seules autorités qui, dans ces der- nieres années, aient discuté la source de ce courant visible et qui peut se jauger et se mesurer a sa sortie du détroit de la Floride ; car il serait puéril de rappeler les premières conjec- tures auxquelles il a donné lieu : on le supposait provenir du Mississippi, ou engendré par l'écoulement d’une masse d’eau amoncelée dans la mer des Caraïbes par l’action des vents alizés. Le capitaine Maury écrit ' que «les forces qui donnent nais- sance au Gulf-stream sont le fait de la différence de pesanteur spécifique qui existe entre les eaux intertropicales et les eaux polaires ». La puissance dynamique dont le Gulf-stream est l'expression peut, avee autant de raison, être supposée exister dans ces eaux septentrionales que dans les mers des Indes occi- dentales, puisque, d’un côté, nous avons la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique fortement salés; de l’autre, le grand bassin polaire, la Baltique et la mer du Nord, dont les eaux sont à peine saumatres. L'eau est pesante dans les premiers de ces bassins; dans les autres, elle est légère. L’Océan s'étend entre eux, mais l’eau cherchant et conservant son niveau, nous découvrons là un des agents donnant naissance au Gulf-stream. Quelle est la puissance de cette cause? Est-elle supérieure à celle des autres agents? et de combien l’est-elle? Nous ne sau- rions répondre à cette question, mais nous savons que c’est la un des agents principaux. De plus, quelles que soient nos con- jectures au sujet des forces employées à réunir dans la mer des Caraïbes toutes ces eaux qui ont chargé de vapeurs les vents alizés, et à les transporter à travers l'Atlantique, nous sommes forcés de reconnaitre que le sel abandonné sous les tropiques par l’évaporation due aux vents alizés doit être ramené de ces régions, et mélangé dans la proportion voulue à l’eau des autres mers, y compris la Baltique et l’océan Arctique : ce sont |. Maury’s Physical Geography of the Sea. (Op. cit.) 324 LES ABIMES DE LA MER. là, en partie du moins, les eaux que nous voyons courir dans le Gulf-stream. Ce transport est probablement un des emplois qui lui ont été assignés dans l’économie de l'Océan; mais le lieu où résident les forces qui ont mis en mouvement le Gulf- stream et qui l'y maintiennent, les amateurs de théories peu- vent le placer avec une raison tout aussi philosophique d’un côté de l'Océan ou de l’autre. Les eaux pénètrent dans la mer du Nord et dans l’océan Arctique en vertu de leur pesanteur spécifique, et l’eau de ces parages, pour la remplacer, et en vertu aussi de sa pesanteur spécifique, revient en contre— courant dans le golfe. La puissance dynamique que produit le Gulf-stream peut done être supposée résider dans les eaux polaires aussi bien que dans les eaux intertropicales de l’At- lantique. | Suivant cette théorie, l’eau des tropiques pénétrerait, à cause de son plus grand poids, vers les pôles, pendant que les eaux polaires, en vertu de leur poids moindre, se dirigeraient vers le sud et viendraient les remplacer. Le résultat serait done un système de courants sous-marins chauds et de courants froids de surface; c’est la ce qui n'a pas lieu dans la réalité. Je ne cite ce passage que comme une curieuse justification de cet adage que, dans la plupart des questions, on peut trouver beau- coup d'arguments pour el contre. Nous avons déjà examiné la théorie soutenue récemment par le D' Carpenter, d’une circulation océanique générale, et il ne me reste qu'à indiquer ici quels sont les rapports de cette doctrine avec notre manière d'expliquer l'origine du Gulf- stream; ses rapports au sujet de l'étendue et de la distribu- tion du courant seront étudiés plus tard. Ainsi que cela a été déjà dit, le D' Carpenter attribue tous les grands mouvements de l'Océan à une circulation générale dont il considère le Gulf- stream comme un cas particulier. Dans Je passage déjà cité (page 312) de son discours prononcé à l’Institution Royale, le D' Carpenter déclare que « le Gulf-stream constitue un cas spé- cial modifié par des conditions locales, d’un grand mouvement LE GULF-STREAM. 329 général des eaux équatoriales vers les espaces polaires ». Je suis forcé d'avouer une manière de voir totalement différente. Le Gulf-stream me parait être [unique phénomène physique sur la surface du globe dont l’origine et la cause principale, les courants dus aux vents alizés, se découvrent facilement et clairement. Le trajet et l'extension du Gulf-stream dans l'Atlantique du Nord, dans leurs rapports avec les climats, ont été pourtant une source fertile de discussions. La première partie de son “trajet, à sa sortie du détroit, est très-visible, l’eau conser- vant longtemps une teinte et une température toutes différentes de celles de l'Océan. D'ailleurs, un courant capable d’avoir une influence marquée sur la navigation, et roulant des eaux si dissemblables à celles qu'il traverse, doit être reconnaissable sur une grande étendue. « Étroit à son origine, il coule autour de la péninsule de la Floride, et avee une vitesse de 70 à 80 milles il suit la côte dans une direction septentrionale d’abord, et tourne ensuite au nord-est. Il quitte définitivement les côtes de l'Amérique du Nord à la latitude de Washington, et conserve sa direction vers le nord-est; puis, au sud des bancs de Terre- Neuve et de Saint-George, ses eaux s'étendent de plus en plus sur la surface de l'océan Atlantique jusqu'aux Açores. La une partie retourne au sud-est, vers la côte d'Afrique. Tant que ses eaux sont réunies, le long de la côte américaine, le Gulf- stream conserve une température de 26°,6 C. ; et même, sous cette latitude septentrionale de 36°, Sabine trouva 23°,3 C. au commencement de décembre, pendant que l’eau de la mer, en dehors du courant, n’était qu'à 16°,9 C. Suivant Humboldt, sous la latitude septentrionale de 40° à 41°, l’eau du courant est à 22°,5 C., et celle qui n’en fait pas partie à 17°,4 C.'.» La portion du Gulf-stream qui coule sur les côtes de l’Amé- rique du Nord a été soigneusement étudiée par les officiers des États-Unis, sous les ordres du professeur Bache d’abord, |. Professor Burr, op. cit., p. 199. 926 LES ABIMES DE LA MER. et en dernier lieu sous ceux de Vhabile directeur actuel du Bu- reau hydrographique, le professeur Pierce. En 1860, M. Bache publia un compte rendu des résultats obtenus”. Quatorze sec— tions du Gulf-stream, à environ 100 milles de distance les unes des autres, avaient été soigneusement étudiées ; la première presque dans le golfe du Mexique, de Fortingas à Havana, et la dernière à la hauteur du cap Cod, par 41° de latit. N., la où le courant perd son parallélisme avec la côte américaine et se précipite vers l’est. Ces sections mettent en évidence les phénomènes principaux de la première partie du trajet de ce merveilleux courant, que le professeur Bache appelle avec juste raison « le grand trait hydrographique des Ktats- Unis ». A la hauteur de Fortingas, passant le long de la côte cu- baine, le courant est ininterrompu et sa vitesse faible; sa température est, à la surface, d’environ 26°,7 C. A sa sortie du détroit de Bemini, la forme des côtes force le courant à se diriger vers le nord; un peu au nord du détroit, sa vitesse est de 3 à 5 milles à l'heure; son épaisseur n’est que de 325 brasses. La température de la surface est d'environ 26°,5 C., et celle du fond de 4°,5 C. Ainsi done, à la profondeur très-modérée de 325 brasses, le courant équatorial, à la sur- face, et le courant polaire sous-marin, ont assez d'espace pour se croiser; celui du nord se tempère évidemment beaucoup par le mélange. Au nord de l'entrée de Mosquito, le courant se précipite au nord-est, et à la hauteur de Saint-Augustin il a une direction sensible vers l’est. Entre Saint-Augustin et le cap Hatteras, le courant et la côte ne divergent que de bien peu, ne faisant que 5° vers l’est dans 5° vers le nord. A Hatteras, il décrit une seconde courbe vers le nord, puis se précipite à l’est. A la latitude du cap Charles, il tourne complétement à l’est, avec une vitesse d’un mille à un mille et demi à l’heure. 1. Lecture on the Gulf-stream, prepared at the request of the American Association for the Advancement of Science, by A. D. BACHE, Superintendent U. S. Coast Survey. (From the American Journal of Science and Arts, vol. XXX, November 1860.) LE GULF-STREAM. 921 Une courte description d’une des sections donnera mieux que toute autre chose une idée des phénomènes généraux du cou- rant sur les côtes de l'Amérique. Je choisis celle qui suit une ligne droite s'étendant de la cote à la hauteur de Sandy-Hook. A partir du rivage, pendant une distance d'environ 250 milles, la température de la surface s'élève graduellement de 21° à 24° C.; à 10 brasses, elle s'élève de 19° à 22°, et à 20 brasses elle se maintient, avec quelques irrégularités, à une tempéra- ture de 19°, pendant qu'à 100, 200, 500 et 400 brasses, on constate les températures de 8°,8, 5°,7, 4°,5 et 2°,5 C. C’est donc par de l’eau froide que cet espace est occupé, et l’obser- vation a suffisamment démontré que cet abaissement de tem- pérature est produit par un embranchement du courant du Labrador, qui coule lentement le long de la côte, dans la direc- tion contraire à celle du Gulf-stream. Arrivé au détroit de la Floride, ce courant froid se divise : une partie passe, sous l’eau chaude du Gulf-stream, dans le golfe du Mexique; l’autre coule autour de l'extrémité occidentale de Cuba. A 240 milles de la cote, toute la masse d’eau s'élève soudain de 10°C., sur une largeur de 25 milles, élévation de température qui se fait sentir presque également à toutes les profondeurs, et qui produit le singulier phénomène de deux masses qui se côtoient sur le même niveau, dont l’une chemine lentement vers le sud, l’autre plus rapidement vers le nord, avec des températures totalement différentes. Cette ligne de contact du courant froid avec le courant chaud est si tranchée, qu'elle a été désignée avec beaucoup d’a—propos, par le lieutenant Bache, sous le nom de muraille froide. Dépassant cette muraille froide, nous arrivons au Gulf-stream, qui présente tous ses caractères particuliers de coloration, de limpidité et de température. Dans la section que nous avons choisie pour exemple, pendant plus de 300 milles, la température de la surface est d’environ 26°,5 C., mais la chaleur n’est pas égale dans toute la largeur du cou— rant et dans toute sa longueur; loin vers le sud, au niveau du cap Canaveral, le courant est divisé en bandes longitudi- 298 LES ABIMES DE LA MER. nales formées d’une eau plus ou moins chaude. A la hauteur de Sandy-Hook, au delà de la muraille froide, le courant s'élève à un maximum de 27°,8 C., et cette zone chaude a une étendue de 60 milles environ. Plus loin, la température tombe au mi- nimum de 26°,5, qu’elle conserve pendant à peu près 30 milles; puis survient une seconde zone à 27°,4 C., qui se trouve dans l'axe même du Gulf-stream, et qui a environ 170 milles de largeur. Elle est suivie d’une seconde bande à 25°,5 C., et celle-ci d’une troisième, après laquelle les zones cessent d’être distinctes. Ce qui est fort curieux, c’est que les bandes à tempé— rature minima correspondent à des dépressions du fond sem- blables à des vallées qui suivent successivement les contours des côtes, et qui reçoivent de profondes ramifications des cou- rants arctiques. La dernière des sections étudiées par les hydrographes amé- ricains s’étend dans la direction du sud-est, depuis le cap Cod, 41° de latit. N., et suit le Gulf-stream, qui, toujours divisé en zones de température inégale, s’étend directement à l’est à tra- vers l’Atlantique; sa rapidité est cependant devenue moins considérable, et l’aide du thermomètre devient nécessaire pour suivre ses limites. Au delà de ce point, le trajet du Gulf-stream a été l’objet de grandes discussions. J’emprunte à M. Buff ce qui peut être considéré comme la théorie la plus généralement adoptée par les physiciens géographes : « Une grande masse d’eau chaude est transportée en partie par son mouvement propre, mais surtout par les vents régnants de l’ouest et du nord-ouest, vers les côtes d'Europe et même au delà du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble; e’est ainsi qu'une partie de la chaleur du sud pénètre au loin dans l'océan Arctique. Aussi sur les côtes septentrionales du vieux conti- nent trouve-t-on des bois provenant des régions méridionales, qui ont flotté jusque-là : c’est la raison pour laquelle ce céoté-ci de l'océan Aretique demeure libre de glaces jusqu’au 80° de latitude pendant une grande partie de l’année, tandis que sur LE GULE-STREAM. 329 la cote opposée (celle du Groenland), la glace ne fond pas entièrement, même en été. » Ainsi done, les deux forces citées par le professeur Buff pour accomplir ce travail sont le vis à ¢ergo du courant formé par les vents alizés, et la puissance d’impulsion directe des vents contre—alizés, qui produisent ce qu’on appelle le courant des contre-alizés : ces idées sont les mêmes que celles soutenues ici. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible de déterminer la proportion dans laquelle ces deux forces agissent. M. G. Findlay, dont l'autorité en matière d’hydrographie est incontestable, a lu devant la Société royale de géographie un travail sur le Gulf-stream, publié dans le XII volume des Actes de la Société. M. Findlay, tout en admettant que la température du nord-est de l'Europe est adoucie d’une manière anormale par l’action d’un courant de surface chaud, combat l’idée que le Gulf-stream même, e’est-à-dire le cou- rant poussé par les vents alizés, né pour ainsi dire dans l'Atlantique, dans les détroits qui avoisinent la Floride, se disperse et se perd à la hauteur des banes de Terre-Neuve, par environ 45° de latit. N. Les eaux chaudes des parties mé- ridionales du bassin de l'Atlantique du Nord sont portées plus loin encore, dans une direction septentrionale ; mais M. Findlay attribue ce mouvement uniquement aux vents contre-alizés, vents du sud-ouest, qui par leur persistance maintiennent à la couche supérieure des eaux la direction du nord-est. Le D* Carpenter croit positivement que la dispersion des eaux du Gulf-stream peut être considérée comme un fait accompli à 45° de latit. N. environ et 35° de longit. O. Il admet l'exactitude de la projection des isothermes sur les cartes de Berghaus, Dove, Petermann et Keith Johnston; il pense aussi que la douceur anormale du climat des côtes du nord- ouest de l’Europe est due à un mouvement des eaux équato- riales dans la direction du nord-ouest, « Ce que je mets en question, dit-il, e’est la justesse de la doctrine qui veut que 330 LES ABIMES DE LA MER. le courant nord-est soit un prolongement du Gulf-stream, chassé en avant par l'impulsion des vents alizés, doctrine qui (à mon grand étonnement) est adoptée et défendue par mon collègue le professeur Wyville Thomson. Bien que ces autorités rapportent la totalité ou la presque totalité de ce courant au Gulf-stream même, j'ai la conviction que la plus grande partie, si ce n’est la totalité de celui qui côtoie nos plages de l’ouest et passe au nord et au nord-est, entre l'Islande et la Norvége, pour arriver jusqu'au Spitzberg, en est tout à fait indépen- dante, et qu'il continuerait d'exister lors même que, les con-. tinents des deux Amériques venant à se disjoindre, les courants équatoriaux seraient poussés par les vents alizés dans l’océan Pacifique, au lieu de se précipiter dans le golfe du Mexique, pour en être ensuite chassés dans la direction du nord-est, à travers les détroits qui environnent le cap de la Floride, » Le D' Carpenter n'entend point du tout pourtant adopter l'opinion de M. Findlay, qui attribue le courant, au delà du 45° parallèle de latitude, uniquement à l'impulsion des vents contre-alizés ; car il ajoute : « D’après la théorie que je sou- tiens, le courant du nord-est aurait pour cause l’impulsion (vis à fronte) due à l’action du froid sur les eaux des espaces - polaires, qui tend à en déprimer sans cesse le niveau”. L’adou- cissement du climat du nord-ouest de l’Europe serait done amené par un cas accidentel de la circulation générale de l'Océan, et non par le Gulf-stream ou par l’impulsion des vents contre—alizés. Bien qu'il wait été fait jusqu'ici que bien peu d’études de la température des grandes profondeurs qui soient compléte- ment dignes de confiance, la température de la surface de l'Atlantique du Nord a été relevée avec beaucoup de soin. Le caractère général des lignes isothermes et leurs dévia- tions au nord, qui donnent lieu à de singulières courbes, sont connus depuis longtemps, grâce aux cartes dressées par les 1. Dr CARPENTER, Proceedings of the Royal Geographical Society for 1870, op. cit. 2. Op. cit. LE GULF-STREAM. 394 géographes dont nous avons déjà eité les noms; pendant les années qui viennent de s’écouler, une quantité prodigieuse de documents ont été réunis, à l’étranger, par notre Amirauté et par le Bureau météorologique. Le D" Petermann, de Gotha, a publié" en 1870 une série précieuse de cartes de températures, comprenant les résultats de la réduction de plus de 100 000 observations puisées prin- cipalement aux sources suivantes : g 1° Dans les cartes des vents et des courants du lieutenant Maury, comprenant environ 30 000 observations bien distinctes de températures. 2° Dans les 50 000 observations relevées par des capitaines de la marine hollandaise, et publiées par le Gouvernement des Pays-Bas. 3° Dans les livres de bord des vapeurs Cunard, faisant le trajet entre Liverpool et New-York, et dans ceux des vapeurs de la Compagnie de Montréal, entre Glasgow et Belle-Ile. 4° Dans les renseignements qui concernent la température de la mer sur les côtes d'Écosse, recueillis par M. Buchan, secrétaire de la Société météorologique écossaise. 5° Dans les publications de l’Institut Norvégien, sur les températures de la mer entre la Norvége, l'Écosse et l'Islande. 6° Dans les matériaux fournis par le contre-amiral danois Irminger, sur la température de la mer entre le Danemark et les établissements danois du Groenland. 7° Dans les observations faites par lord Dufferin, a bord de son yacht Foam, entre l'Écosse, l'Islande, le Spitzberg et la Norvége. Et enfin, dans de récentes observations recueillies par les expéditions anglaises, suédoises, allemandes et russes aux régions arctiques et vers le pole nord. Le D* Petermann a consacré une grande partie de son exis- 1. Der Golf-Strom und Standpunkt der thermometrischen Kentnniss des Nord-Atlan- tischen Oceans und Landgebietes im Jahre 1870. Justus PerTHE’s Geographische Mit- theilungen, Band XVI. Gotha, 1870. 332 LES ABIMES DE LA MER. tence à l'étude de la distribution de la chaleur à Ja surface de l'Océan, et il ne peut y avoir l'ombre d’un doute sur l’exac- titude de son travail et sur l'attention consciencieuse qu'il a apportée à son exécution. La planche VIT est tracée, dans son ensemble, d’après ses cartes, avec quelques modifications et additions commandées par l’acquisition récente de données nouvelles. Le remarquable écart des lignes isothermes est causé, sans aucun doute, par des courants océaniques de sur- face qui transportent vers les régions polaires les eaux chaudes des tropiques. Ge ne sont point là de vaines théories, puisque le courant se trahit souvent par son influence sur la navi- gation, et que le trajet des eaux chaudes se reconnait facilement par observation thermométrique. Dans l'Atlantique du Nord, chaque courbe de température égale, de l'été ou de l'hiver, pour un seul mois ou pour l’année entière, se manifeste tout de suite comme faisant partie d'un système de courbes qui partent toutes du détroit de la Floride, source première de la chaleur; le courant chaud est visible à cause de l’agitation des eaux, et se reconnait encore, quand son mouvement n'est plus appréciable, par sa forme particu- lière. Il s’étend en éventail du voisinage du détroit à travers l'Océan, suivant les côtes de la France, de la Bretagne et de la Scandinavie; tournant le cap Nord, traversant la mer Blanche et la mer de Kara, baignant les plages occidentales de la Nou- velle-Zemble et du Spitzberg, et enfin se précipitant le long des cotes de la Sibérie, en enyoyant une ramification dans le Pacifique du Nord, à travers le passage étroit et peu profond de Behring (voy. la planche VII). Quand nous n’aurions que ces courbes de la carte, déduites d’un nombre presque infini d'observations et de nombreuses études antérieures, sans même qu'aucun fil vint nous mettre sur la voie de leur raison d’être, nous serions encore contraints d'admettre que, quelles que soient la somme et la distribution de chaleur produite par une circulation océanique générale, ré- sultat elle-même de l'effet des vents qui règnent dans la région, LE GULF-STREAM. 990 d’une pression barométrique inégale, de la chaleur tropicale ou du froid arctique, le Gulf-stream, le majestueux courant chaud dont le trajet est indiqué par les écarts des lignes iso thermes, possède une puissance auprès de laquelle tout le reste sefface, et qui est capable de produire à elle seule tous ces phénomènes anormaux de température. Les températures de fond relevées sur le Porcupine sont importantes au point de vue de cette question, en nous indi- quant quels sont la profondeur et le volume de la masse d’eau qui, chauffée à un degré bien supérieur à sa température nor- male, doit être considérée comme la cause de l’adoucissement des vents qui soufflent sur les côtes de l’Europe. Nous avons vu (fig. 60) que, dans la baie de Biscaye, à une couche mince échauffée par la radiation solaire directe, sueceéde une zone d'eau chaude qui s’étend jusqu’à une profondeur de 800 brasses, puis une couche froide, profonde d’environ 2000 brasses. Dans le canal de Rockall (fig. 59), la couche chaude a la même puissance, et la zone froide du fond a 500 brasses d’épaisseur. A la pointe de Lews (fig. 56), la température du fond est de 0,2 GC. à 767 brasses; ici la couche chaude arrive done déci- dément jusqu’au sol. Dans le canal de Farôer (fig. 55), l’eau chaude forme la couche de surface, et l'eau froide coule au— dessous, et commence à la profondeur de 200 brasses, à 907 brasses au-dessus du niveau du fond de la couche chaude à la pointe de Lews. L'eau froide coule côte à côte avec l’eau chaude, rien ne les sépare; une partie de l’eau chaude roule sur la surface de la nappe froide, et forme la couche supérieure du canal des Farôer. Quel est l'obstacle qui empêche l’eau froide de s’enfoncer, en vertu de sa pesanteur plus grande, sous la couche chaude à la pointe de Lews? Il y a évidemment là quelque force active qui maintient l’eau chaude dans cette position et la fait se mouvoir dans cette direction. J'ai toujours attribué la température relativement élevée qui commence à 100 brasses, et persiste jusqu'à 900, à l'accumulation septen— trionale des eaux du Gulf-stream. La somme de chaleur qui se 334 LES ABIMES DE LA MER. communique directement du soleil à l'eau, pendant son trajet à travers une région quelconque, dépend uniquement de la latitude. En tenant compte de ce fait, nous avons trouvé que, dans les espaces chauds, les températures de surface coïner- daient parfaitement avec les courbes de Petermann, qui indi- quent le trajet septentrional du Gulf-stream. J’emprunte ce qui va suivre à une lettre adressée, le 23 sep- tembre 1872, par le professeur H. Mohn, directeur de l’Institut météorologique de Christiania, à M. Buchan, le savant secré- taire de la Société météorologique écossaise : « J’ai fait, cet été, des relevés de température qui seront, je crois, d’un intérêt général pour nos climats. Dans le Trondhjemsfjord, j'ai trouvé 16°,5 à la surface, et à partir de 50 brasses jusqu'au fond, (200 brasses) une température uniforme de 6°,5 G. à un en- droit, et 6° CG. un peu plus à l’intérieur. Dans le Sœguefjord, j'ai trouvé 16°C. à la surface, et constamment, depuis 10 brasses jusqu'à 700, 6°,5 C. Entre l'Islande et Farôer, le lieutenant Müller, commandant du steamer qui fait le trajet entre Bergen et l'Islande, a trouvé, cet été, 8° C. au fond, à 300 brasses. Ceci prouve que l’eau du Gulf-stream remplit entièrement le canal, à l'inverse de ce qui a lieu dans l’espace qui sépare les Shetland des Farôer, où l’on trouve de l’eau glacée à 300 brasses de profondeur. » Ces faits sont importants et con- firment entièrement nos conclusions; mais, en les citant, j'ai pour but principal de montrer combien l’explication qui attri- bue au Gulf-stream l'élévation de température de la mer sur les côtes scandinaves est acceptée sans hésitation par les hommes les plus compétents. L’Atlantique du Nord et la mer Arctique forment ensemble un cul-de-sac fermé du côté du nord, car il n’existe aucun pas- sage praticable pour une grande masse d’eau à travers le détroit de Behring. Pendant qu'une grande partie du courant, ne trouvant pas d’issue vers le nord-est, tourne au midi dans la direction des Acores, le reste, au lieu de s’écouler et de se perdre, tend à s’accumuler sur les côtes qui ferment les parties LE GULF-STREAM. 990 septentrionales du bassin. Aussi lui trouvons-nous sur la côte occidentale de l'Islande une profondeur d’au moins 4800 pieds, et une largeur qui n’a pas été mesurée. Le D" Carpenter dit, en discutant ce fait: « Il est, pour moi, matériellement impossible que cette insignifiante couche d’eau de surface, plus légère (parce qu’elle est plus chaude), puisse se main- tenir en nappe même, en supposant qu'elle ait conservé une certaine élévation de température, et que, en s’enfonçant dans le bassin, elle déplace une masse d’eau beaucoup plus froide et plus lourde qu’elle-méme, à une profondeur plus grande que celle à laquelle elle coulait au moment où elle était douée de sa plus grande force, à sa sortie des détroits de la Floride. Ceux qui soutiennent cette hypothèse auront à expli- quer comment cette force de cohésion suivie d’un pareil plon- geon s'accorde avec les principes de la physique’. » Les expé- riences faites sur une petite échelle sont en général de peu d'utilité comme démonstration des phénomènes naturels, cepen- dant il en est une bien simplé qui prouve que la chose est pos- sible. En mettant une cuillerée de cochenille dans une burette d’eau chaude, de manière à la colorer en rouge, puis en la lan- cant avec force au moyen d'un tuyau de caoutchouc à la surface d’un certaine quantité d’eau froide contenue dans un bassin, on voit la masse rouge s'étendre, en devenant plus pale, sur toute la superficie de l’eau, jusqu'à ce qu’elle arrive au bord opposé; bientôt après, la teinte de plus en plus foncée d’une bande qui se forme le long de cette paroi opposée, indique une accumulation de l’eau colorée à l'endroit où le courant s’est trouvé arrêté. Si l’on trempe alors la main dans l’eau au centre du bain, un cercle chaud entoure le poignet, tandis qu'à l’ex- trémité du bain opposée à celle par laquelle on a introduit le courant chaud, l’eau chaude, bien que très-mélangée, enve- loppe toute la main. L’Atlantique du Nord nous présente un bassin fermé au nord. |. DE CaRPENTER’S Address to Geographical Society, op. cil. 390 LES ABIMES DE LA MER. Dans un des angles de ce bassin, comme dans une baignoire, obéissant à la direction nord-est qui lui est imprimée par sa vitesse initiale, et comme si le robinet chaud du bain était perpétuellement ouvert, une énorme masse d’eau arrive jour et nuit, hiver et été. Quand le bassin est plein, mais à ce mo- ment seulement, l’excédant de l’eau, maitrisant l'impulsion qui la pousse vers le nord, prend en tourbillonnant une direction méridionale; l'eau chaude tend à s’accumuler ainsi dans le bassin septentrional et à longer les côtes du nord-est”. Il est inutile de rappeler que toute quantité d’eau qui s’in- troduit dans le bassin de l'Atlantique du Nord, et qui ne dispa— rait pas par l’évaporation, doit être restituée a la mer dou elle vient. L’eau froide pouvant arriver de toutes les directions dans les parties les plus profondes de l'Océan, aucun mouve- ment ressemblant à un courant ne se forme, si ce n’est dans des conditions toutes particulières. Ces circonstances se présentent dans les passages étroits et bornés qui se trouvent entre l’At- lantique du Nord et la mer Arctique. Entre le cap Farewell et le cap Nord, il n’existe que deux passages qui aient quelque profondeur : l’un, très-étroit, longe la côte orientale de lIs- lande; l'autre est situé le long de la côte orientale du Groen- land. Les parties peu profondes de la mer sont entièrement occupées, du moins en été, par les eaux chaudes du Gulf- stream, excepté en un seul point, où un rapide courant d’eau froide, très-étroit et de peu d'épaisseur, tourne autour de l’ex- trémité méridionale du Spitzberg, et plonge dans les eaux du Gulf-stream, à l’entrée septentrionale de la mer d'Allemagne. Ce fleuve froid, rapide d’abord, puis faible courant d’eau, influe beaucoup sur la température de la mer du Nord; il se perd ensuite complétement, car le léger courant que produit l’extrème étroitesse du pas de Calais a une température d’été de 7°,9 GC. Le trajet du courant froid du Spitzberg se reconnait 1. Ocean Currents. An Address delivered to the Royal United Service Institution June loth, 1871. By J. K. LAUGHTON, M. A., Naval Instructor at the Royal Naval College. (From the Journal of the Institution, vol. XV) * LE GULF-STREAM. 391 facilement sur la carte aux dépressions des lignes isothermes et au draguage, à l'abondance des gigantesques Crustacés am— phipodes, isopodes, et autres espèces des régions arctiques. D’après sa faible rapidité initiale, le contre-courant arctique doit sans aucun doute tendre légèrement à l’ouest, et la pesan— teur spécifique de l’eau froide doit la précipiter dans les parties les plus profondes. Il n’est pas impossible que, par la combi- naison des deux causes et dans le cours des siècles, les cou— rants ne se creusent de profonds sillons dans la direction du sud-ouest. Quoi qu'il en soit, les grands courants arctiques se voient nettement sur la carte se dirigeant dans ce sens, ce qu'indiquent les déviations très-marquées des lignes iso- thermes. Le plus remarquable de tous, c'est le courant du Labrador, qui descend le long des côtes de la Caroline et de New—Jersey, qui rencontre le Gulf-stream à la singulière muraille froide, plonge au-dessous de lui à sa sortie du golfe, et reparait à la surface un peu au dela; une portion de ce courant se Jette même dans le golfe du Mexique, en passant comme contre-courant froid sous le Gulf-stream. Je soupçonne le Gulf-stream de former, à 50 ou 60 milles de la côte occidentale de l'Écosse, une seconde muraille froide, moins tranchée que Ja première. En 1868, après que nous eumes étudié pour la première fois le remarquable courant froid du canal qui sépare les Shetland des Faréer, j’exprimai ma conviction que le courant était complétement maintenu dans le canal de Faréer par le passage du Gulf-stream à son entrée. Depuis lors jai été conduit à supposer qu'une portion des eaux arctiques s'échappe le long de la côte d'Écosse, très- mélangées et assez peu profondes pour être pénétrées jusqu'au fond par la radiation solaire. A 60 ou 70 milles de la côte, les lignes isothermes subissent une déviation légère, mais générale. Dans les eaux basses de cette zone se trouvent en grand nombre les types qui caractérisent la faune scandinave : mais, malgré une habitude de la drague qui date de bien des années, je n'y ai jamais trouvé aucun des Ptéropodes du Gulf- oo) DOS LES ABIMES DE LA MER. stream, les charmantes Polyeystines, n1 les Acanthométrines, qui littéralement pullulent au delà de cette limite. La diffé- rence de température moyenne entre les côtes orientales et occidentales de l'Écosse, qui est de 1°C., est un peu moindre qu'elle ne le serait si le Gulf-stream arrivait plus près de la côte occidentale. Les communications entre l’Atlantique du Nord et la mer Arctique, qui est un second cul-de-sac, sont ainsi restreintes, et l'échange des eaux chaudes et des froides dans la direction du courant du Gulf-stream est assez géné pour qu'une grande partie du courant soit foreée de tourner vers le sud; les ouver— tures du bassin antarctique sont aussi libres que possible, et se font par une vallée ouverte et continue de 2000 brasses de pro- fondeur, qui s'étend, au nord, le long des côtes occidentales de l’Europe et de l'Afrique. On ne pouvait guère douter, d'après la configuration du ter— rain, que les eaux méridionales ne vinssent sourdre dans cette vallée, mais ici nous en trouvons encore dans les cartes de curieuses indications par la disposition remarquable des courbes des isothermes. La température de l’eau du fond à 1230 brasses de Rockall est de 3°,22 C., exactement identique à celle de la mème profondeur dans la série de sondages faite par 47° 38" de latit. N. et 12°08' de longit. O., dans la baie de Biscaye; on peut supposer que, dans les deux cas, l’eau provient de la même source. L’eau du fond, a Rockall, est plus chaude que celle de la baie de Biseaye (2°,5 C.), et une chaine de sondages de tem-— pérature partant du nord-ouest de l'Écosse pour arriver à un point situé sur un bas—fond de l'Islande ne donne aucune tem— pérature inférieure à 6°,5 C. Hest done fort peu probable que la basse température de la baie de Biscaye soit attribuable a une partie un peu considérable du courant du Spitzberg pas- sant le long de la cote occidentale de l'Écosse; comme le cou- rant froid de Vest de l'Islande chemine vers le sud beaucoup plus à l’ouest, ainsi que cela est indiqué sur la carte par les dépressions successives des isothermes, on peut supposer que LE GULF-STREAM. 939 les conditions de température et la marche lente de cette énorme masse d’eau modérément froide, et épaisse de près de 2 milles, ont une origine antarctique plutôt qu’arctique. L’Atlantique du Nord parait donc se composer d’abord d’une immense nappe d’eau chaude apportée par le courant équatorial dans sa marche vers le nord; la plus grande partie traverse le détroit de la Floride, poussée dans la direction du nord-est par les vents contre-alizés : on l'appelle dans son ensemble le Gulf- stream. D’après les observations du capitaine Chimmo et d’au- tres personnes encore, l'épaisseur de cette couche est variable, diminuant jusqu’à 100 brasses environ dans la partie centrale de l'Atlantique, et atteignant à une profondeur de 700 à 800 brasses sur les côtes de l’'Islande et sur celles de l'Espagne. Secondement, d’une couche mélangée qui a environ 200 brasses dans la baie de Biscaye, et au travers de laquelle la température s abaisse rapidement; et enfin, d’une nappe sous-marine d’eau froide ayant 1500 brasses d’épaisseur dans la baie de Biscaye, masse d'eau que l'effet de la gravitation amène des sources les plus profondes, arctiques ou antarctiques. A première vue, il semble inadmissible que les eaux froides qui remplissent de profondes vallées océaniques situées dans l'hémisphère septen- trional proviennent en grande partie de l'hémisphère méri- dional ; cette difficulté naît, je crois, de l'idée fausse qu’il existe à l'équateur comme un diaphragme qui sépare le bassin océa- nique du nord de celui du midi: c’est là une des erreurs pro- duites par la théorie d’une circulation océanique semblable à celle de l'atmosphère. Il se fait sans doute un exhaussement graduel de la zone intertropicale d’eau froide sous-marine que suuléve l’eau plus froide encore qui vient prendre la place de celle qu'a emportée le courant équatorial et de celle qui a dis- paru par l’évaporation, mais un tel mouvement doit se faire irrégulièrement sur des espaces immenses : il doit être trés-lent et sans aucun rapport avec la division produite dans l’atmos- phère par l’envahissement violent des vents alizés du nord- est et du sud-est dans la zone calme. Une des preuves les plus 310 LES ABIMES DE LA MER. concluantes de la lenteur extrème des mouvements sous- marins, c’est la nature du fond. Il s’amasse ‘sur une grande partie du fond de Atlantique un dépôt de coquillages micros- copiques, qui, avec leurs hôtes vivants, n’ont pas une pesan- teur spécifique beaucoup plus grande que celle de l’eau dans laquelle ils vivent. Ils forment une couche blanchatre, flocon— neuse, que doit nécessairement entrainer le moindre mouve- ment. Dans ces profondeurs moyennes, sur le trajet d’un courant, ce dépôt disparait pour faire place à un gravier fin ou grossier. C’est à la surface de la mer seulement qu'une ligne est tracée par le courant équatorial, qui déverse une énorme quantité d’eau sur chaque hémisphère, en se brisant sur les plages orientales des terres équatoriales. On peut s’en rendre compte en jetant les yeux sur la carte physique la plus élémentaire. Le Gulf-stream perd une énorme quantité de chaleur pen- dant son trajet vers le nord. Sur un point, situé à 200 milles à l'ouest d’Ouessant, des expériences ont été faites à bord du Por- cupine aux plus grandes profondeurs ; la une section des eaux de l'Atlantique montre l'existence de trois zones où s’accom— plissent des échanges de température. D'abord la surface supé— rieure du Gulf-stream, qui perd rapidement sa chaleur par le contact d’une couche d'air constamment agitée et refroidie par le mouvement, et par la transformation de ses eaux en vapeur '. Ce refroidissement du Gulf-stream, ayant lieu sur- tout à la surface, la température de la masse se maintient par le mouvement à peu près uniforme. On rencontre ensuite la zone inférieure du Gulf-stream, qui se trouve en contact avee la surface supérieure du courant froid. lei l'échange de température doit être fort lent, bien qu'il ne soit pas douteux, car il y a une légère dépression des isothermes sur > tout le trajet du courant froid; le mélange s'étend sur un 1. On Deep-sea Climates. The Substance of a Lecture delivered to the Natural Science Class in Queen’s College, Belfast, at the close of the Summer Session 1870, by professor Wyville Thomson. (Nature, July 28th, 1870.) LE GULF-STREAM. 24 espace considérable. L'eau froide étant à la couche inférieure, le mélange,’ dans le sens ordinaire du mot, ne peut avoir lieu, et l'échange de température se fait par conductibilité et par dif- fusion. Ces moyens, lorsqu'il s’agit de pareilles masses d’eau, doivent avoir exigé des siècles pour arriver à un résultat appré- ciable. Les courants locaux et les marées ont aussi une action, mais peu prompte et peu étendue. La troisième zone est celle située entre la nappe froide et le fond de la mer. La température de la croûte terrestre a été cal- culée, et les résultats varient de 4° à 11° C., mais elle doit être fortement refroidie par le mouvement et par le renouvellement incessant d'eau froide ; cependant le contact avec le fond ne sau- rait être une cause d'abaissement de température. La tempéra- ture des eaux du Gulf-stream est à peu près égale dans toute sa profondeur ; il y a une zone bien définie de mélange au point de jonction de l’eau froide et de la chaude, et la nappe froide est stratifiée d’une manière régulière par l'effet de la gravitation, de telle sorte que, dans les eaux profondes, les lignes du con- tour du fond de la mer sont généralement des lignes de tem— pérature égale. En songeant à l’immense influence que les cou- rants océaniques exercent sur la distribution des climats à l'époque actuelle, je ne crois pas trop m’avancer en concluant que ces courants, mouvements communiqués à l’eau par des vents réguliers, ont existé à toutes les périodes géologiques, comme l’un des grands moyens, je dirai presque le seul ca- pable de produire une circulation générale et de distribuer ainsi la chaleur dans l’Océan. Ils ont du exister partout où il s’est trouvé des terres équatoriales pour interrompre le cou- rant des vents alizés. Toutes les fois qu’un courant chaud s’est détourné au nord ou au sud de la zone équatoriale, une masse d’eau polaire est Yenu sourdre au fond et prendre la place des eaux ainsi emportées ; l'Océan devait done, comme de nos jours l'Atlantique et le Pacifique, se composer d’une couche supérieure d’eau chaude et d’une couche inférieure d'autant plus froide qu’elle est plus profonde. 342 LES ABIMES DE LA MER. Contrairement done aux idées de mon collégue distingué, je suis contraint de répéter que je ne vois jusqu'ici aucune raison de modifier ma manière de voir. Je suis toujours plus convaincu que les remarquables conditions de elimat des côtes du nord de l’Europe sont dues surtout à l'influence du Gulf-stream. Et quoique des mouvements d’une certaine importance puissent se produire à la faveur des différences de pesanteur spécifique, l'influence du grand cours d’eau que nous nommons le Gulf- stream, branche du grand courant équatorial, est trop domi- nante pour ne pas effacer toutes les autres. Le Géant et la Sorcière (Farüer). CHAPITRE IX LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS Les Protozoaires des mers profondes. — Le Bathybius. — Les Coccolithes et les Cocco- sphères. — Les Foraminiféres des espaces chauds et ceux des espaces froids. — Les Hexactinellides. — Le Rossella. — L’Hyalonema. Les Crinoides à tige. — Le Pentacrinus.— Le Rhizo- Les Astéries des mers profondes. — Distribution géné- Eponges des mers profondes. — Coraux des mers profondes. crinus. — Le Bathycrinus. rale et rapports des Oursins des mers profondes. — Les Crustacés, les Mollusques et les Poissons recueillis pendant les expéditions du Porcupine. Le moment de présenter une description détaillée de la faune des mers profondes n’est point encore venu, fût-il même pos— sible de la faire sous la forme d’une simple esquisse des résultats généraux des recherches qui viennent d’avoir lieu. Je me bor- nerai done pour le moment à faire un court résumé de la distri- bution des formes de la vie animale qui se sont rencontrées dans la zone étudiée pendant les draguages du Porcupine, zone qui ajoute 100 milles, sur les côtes du nord et de Pouest des Îles Britanniques, aux espaces géologiques qui leur sont propres. La limite des profondeurs autrefois sérieusement étudiées était de 200 brasses; nous avons porté nos recherches jusqu à 800, 1000 brasses, et, dans une ou deux circonstances, jus— qu’à l’extrème limite de 2000 brasses. Ces investigations, qui ont eu pour résultat la découverte, dans ces grandes profondeurs, d’une faune abondante et variée d’Invertébrés marins, nous ont fourni des sujets d'étude en telle 344 LES ABIMES DE LA MER. profusion, que certaines classes les plus étendues demanderont aux spécialistes des années de travail. Ne pouvant qu effleurer l'histoire de ceux des ordres qu'il a été impossible jusqu'ici d'atteindre, je m’étendrai un peu plus sur certains groupes res— treints qui éclaircissent plus particulièrement la question des conditions qui régissent la région des abimes et celle des rap- ports de leur faune avec celles des autres provinces zoologiques et des périodes antérieures. A la tête de ces groupes spéciaux la première et la plus simple des sous-divisions d'Invertébrés, les Protozoaires, représentés par trois de leurs classes, les Monères, les Rhizopodes et les Éponges, occupent une place importante. Les Monères ont été placés récemment dans une classe distincte par le professeur Ernest Haeckel‘. Ce sont des êtres presque informes, apparemment privés de toute structure interne, organismes rudimentaires qui vivent et se meuvent sous une forme gélatineuse. Leur caractère principal, qui, selon Haeckel, les distingue des autres Protozoaires, leur reproduction non sexuelle, mais uniquement par subdivision spontanée, peut, avec le temps et les progrés de la science, étre controuvé; mais leur nombre, la ressemblance qu ils ont entre eux, qui n'empêche pourtant pas de distinguer les différentes espèces, quoique douées de caractères peu tranchés, le rôle im- portant qu'ils jouent dans l’économie de la nature, tout paraît leur donner droit à une position d’une importance plus qu'ordi- naire. Les naturalistes allemands, dans leur enthousiasme pour la théorie Darwinienne de l’évolution, voient naturellement dans ces Monères l’attribut essentiel de l’Urschleim, puissance illimitée pour le progrès physiologique dans toutes les directions possibles. Pour les biologistes plus positifs, ils offrent un pro— fond intérêt, parce qu’ils présentent les phénomènes essentiels de la vie, la nutrition et Virritabilité, tout en n'ayant que l’appa- rence d’un composé chimique homogène et dépourvu d'orga- nisation. 1. Biologische Studien. Von Dt Ernst Hagcket, Professor an der Universitit lena Leipzig, 1870. LA FAUNE-DES GRANDES PROFONDEURS. 345 Des Monères on passe aux Rhizopodes, qui donnent quel- ques signes de perfectionnement dans les formes arrêtées et la structure gracieuse des coquilles que la plupart d’entre eux sécrètent ; les deux groupes peuvent être réunis. Le draguage à 2435 brasses, fait à l'entrée de la baie de Biscaye, a donné une idée très-juste des conditions du fond de la mer sur une zone fort étendue, ainsi que nous l'ont appris les nombreuses observations qui ont été faites depuis, au moyen des divers instruments de sondage inventés pour ramener des échantillons du fond. Dans ces parages, la drague remonta en- viron 150 livres de limon calcaire. D’après son contenu, il était évident que le lourd chassis était tombé pesamment et s’était en partie enfoui dans la vase molle qui lui avait opposé peu de résistance. L'ouverture du sac avait été ainsi partiellement obstruée, ce qui avait empèché l'introduction des organismes vivants. Les matières contenues dans la drague consistaient surtout dans une masse compacte, de couleur bleuâtre, recou- verte d’une couche mince (évidemment superficielle) beaucoup plus molle, d’une consistance crémeuse et d’une teinte jaunâtre. On vit à l’aide du microscope que cette couche supérieure se composait principalement de coquilles entières de Globigerina bulloides (fig. 2, page 18) grands et petits, et de fragments de ces coquilles mélangés d’une quantité de matières amor- phes calcaires en particules impalpables, d’un peu de sable, de beaucoup de baguettes d’Oursins plus ou moins brisées, de coquilles de Radiolaires, de quelques spicules d’Kponges et de quelques carapaces de Diatomées. Au-dessous de la couche de surface, le sédiment devient graduellement moins compacte, une légère nuance grise, qui provient, selon toute vraisem- blance, de matières organiques en décomposition, se prononce de plus en plus, et les coquilles entières de Globigérines tendent à disparaitre ; tous les fragments deviennent plus petits et l’on ne trouve plus qu'un limon calcaire très-fin. En examinant ce sédiment, on ne peut douter qu’il ne se compose en majeure partie de l’accumulation et de la désagrégation des coquilles de 346 LES ABIMES DE LA MER. Globigérines : coquilles entières, fraiches et vivantes dans la couche supérieure; plus bas, mortes, tombant graduellement en poussière par l'effet de la décomposition de leur ciment organique et de la pression des couches supérieures ; matière animale qui a beaucoup de ressemblance, par la manière dont elle se forme, avec celle produite par l'accumulation des matières végétales dans une tourbière: la vie et la croissance dans les régions supérieures ; la mort, une lente décomposition et des phéno— mènes dus à la pression, dans les couches inférieures. Dans ce draguage, comme dans la plupart de ceux qui ont été faits dans Atlantique, on a trouvé en quantités considé— rables une matière organique molle et gélatineuse qui donne une certaine viscosité au limon de la surface. Quand on agite ce limon dans de l’alcool peu concentré, il s’en détache de légers flocons semblables à des mucosités coagulées, et quand on place dans une goutte d’eau de mer, sous la lentille du microscope, une parcelle du limon le plus pénétré de ces viscosités, on aper- coit en général, au bout de quelques instants, une membrane presque imperceptible formée d’une matière qui ressemble à du blanc d'œuf, qui ne se distingue que parce qu’elle conserve ses contours et ne se mélange pas avec l’eau. On voit cette membrane varier lentement de forme, et les granules et autres corps étrangers qui y sont engagés changer de position. La matière gélatineuse est done susceptible d’un certain mouve-- ment, et il n’est pas douteux que ce ne soit là une manifestation de la vie sous une forme des plus élémentaires. C’est à cet organisme, s’il est permis de désigner ainsi un être qui ne montre pas trace de dfférentiation d'organes, qui con- siste, selon toute apparence, dans une mince couche d’une ma- tiére amorphe protéique, sensible à un degré presque nul, mais capable de s’assimiler la nourriture, auquel le professeur Huxley a donné le nom de Bathybius Haeckelii (fig. 63). S'il doit être reconnu pour une entité vivante ayant acquis sa forme distincte et définitive, il doit prendre place dans la division la plus simple des Rhizopodes sans coquille, ou parmi les Monères, LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 347 si nous adoptons la classification de Haeckel. Ce qui donne au Bathybius son principal intérêt, e’est son aire de dispersion: qu il Fic. 63. — Une grande eystode de Bathybius avec des Coccolithes. Le protoplasma, contenant beaucoup de Discolithes et de Cyatholites, forme un filet à trame épaisse 1. — (Grossissement, 700 diamètres. se montre sur de vastes étendues ou en groupes circonscrits et séparés, il paraît occuper une grande partie du lit de l'Océan; et, comme aucun étre vivant, si passive qu’on suppose son 1 Biologische Studien. Von D' Ernst HAECKEL, Professor an der Universität Tena. Leipzig, 1870. 348 LES ABIMES DE LA MER. existence, n’est jamais absolument immobile, mais agit et réagit continuellement sur tout ce qui Ventoure, il faut en conclure que le fond de la mer est, comme sa surface et celle de la terre, le théâtre d’un changement incessant, et remplit un grand role dans l’œuvre du maintien de « l'équilibre de la nature orga- nique ». Des corpuscules calcaires de forme particulière, constam— ment engagés et emportés dans ces courants visqueux, ont été regardés pendant longtemps comme faisant partie du Bathy- bius. Ces petits corps, soigneusement étudiés par Huxley‘, Sorby’, Haeckel’, Carter‘, Gümbel” et d’autres encore, rap- pellent par leur forme certains boutons ovales, doubles, qui ferment Je devants de chemises d'homme. Ils se composent d’un petit disque ovale d'environ 0"",01 de longueur, ayant au centre une espèce de cone oblong, grossièrement taillé à facettes, autour duquel, chez les spécimens vivants, se dresse une sorte de frange composée de matière organique; une courte tige ou col, puis un second disque plus petit, qui rap- pelle le petit disque inférieur du bouton de chemise. Huxley donne à ces corps, qu'on rencontre à tous les degrés de déve- loppement, le nom de Coccolithes. On les trouve quelquefois agelomérés à la surface de petites boules membraneuses, transparentes, qu'on a supposé d’abord être pour quelque chose dans la production des Coccolithes, et que le D° Wallich nomme Coccospheres (fig. 64). Le professeur Ernest Haeckel déeri- vait récemment un fort élégant organisme appartenant aux Radiolaires, et, selon toute apparence, allié au 7halassicolla, le Myxobrachia rhopalum. Aux extrémités des bizarres ap— pendices divergents de cet animal, il a découvert des agglo- mérations de corpuscules trés-semblables aux Coccolithes et aux Coccosphères du fond de la mer. Ces corps paraissent 1. Quarterly Journal of Microscopical Science, 1868, p. 205. 2. Proceedings of the Sheffield Literary and Philosophical Society, October 1860. 3. Op. cit. 4. Ann. and Mag. Nat. Hist., 1871, p. 184. », Jahrbuch Munch, 1870, p. 73. LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 349 avoir servi de nourriture au Myrobrachia, et les parties dures s'étaient accumulées dans les cavités du corps de lanimal, après l'absorption des parties assimilables. Il n'est pas douteux qu'un grand nombre des organismes dont les squelettes sont mélangés au limon du fond de la mer ne vivent à la surface; les légers disques, les spicules déliés, siliceux ou calcaires, tombent lentement à travers les couches aqueuses, et finissent, Fig. 64, — Coce spheres — Grossissement, 100), quelle que soit la masse d’eau à traverser, par arriver au fond. Je crois que l'opinion la plus généralement accréditée main- tenant, c’est que les Coccolithes sont les articulations d’une petite Algue unicellulaire qui vit à la surface de la mer; elles s’enfoncent et se mélangent au sarcode du Bathybius : de cette facon, les matières végétales qui en font partie servent à nourrir la gélatine animale. On ignore encore ce que sont les Cocco- sphères et les rapports qui peuvent exister entre ces organismes ct les Coccolithes. Il est encore une multitude de Protozoaires, de Foramini- fères et autres Rhizopodes, Radiolaires et Éponges, qui vivent au milieu de ces Bathybius, mais ce sont des groupes dont les conditions d'existence sont encore à peu près complétement inconnues. Nul doute que lorsque le développement de ces 250 LES ABIMES DE LA MER. organismes aura été-sérieusement étudié, on ne constate que beaucoup d’entre eux peuvent changer de forme, et que lorsque nous connaitrons bien leur mode de multiplication, nous ne nous trouvions en présence de nombreux cas de polymor- phisme, présentant de grandes différences entre les individus sexués et leurs produits. Je ne suis pas du tout convaineu que le Bathybius soit la forme définitive d’un être vivant et dis- tinct; il m’a paru, au contraire, que des individus différents présentaient des variations d’aspect et de consistance. Bien qu'il n’y ait rien dimprobable dans le fait de l'existence au fond de la mer d'une masse abondante de Monères sans coquille, je ne crois pas impossible qu’une grande partie des Bathybius, c’est-à-dire du protoplasme sans forme qui se trouve répandu dans les grandes profondeurs, ne soit après tout qu'une espèce de mycélium, un produit informe du pro— eres, de la multiplication ou de la décadence de plusieurs organismes différents. Des Foraminifères appartenant à différents groupes habi- tent les grandes profondeurs, et vivent, soit sur la surface, soit mélangés à la couche supérieure du limon à Globigérines, ou bien encore fixés sur quelque corps étranger, Éponge, Corail ou rocher. Tous sont remarquables par leurs grandes dimen— sions. Dans les «espaces chauds », et partout où le fond se compose de limon, les formes calcaires dominent, ainsi que les eros Cristellaires recouverts de sable durci par un ciment eal- caire qui fait ressortir chaque grain en sombre sur la surface blanche de la coquille, Les Miliolines abondent, et les spéci- mens de Cornuspira et de Buloculina dépassent de beaucoup pour la taille tout ce qu'on avait trouvé jusque-là dans les régions tempérées; elles rappellent les formes tropicales qui abondent au milieu des îles du Pacifique. Dans la région froide et sur le trajet des courants froids, les Foraminifères dont le test est garni de sable sont très-nom-— breux; quelques-uns de ceux qui appartiennent aux genres Astrorhiza, Lituola, et Botellina, sont gigantesques, et four- LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. dol nissent des exemplaires de 30 millimétres de longueur sur 8 millimètres de diamètre. Quelques coups de drague dans les eaux profondes ont suffi pour nous prouver que nos connaissances relatives aux Eponges sont encore trés -rudimentaires; les espèces que nous avons re— cueillies dans les bas-fonds de nos rivages, et même celles qui ont été ramenées en petit nombre des grandes profondeurs sur les cordes de péche, et qui nous ont charmés par la beauté de leurs formes et l'éclat de leur lustre, ne donnent qu’une faible idée de la faune merveilleusement variée des Éponges, qui parait s'étendre sur le fond tout entier des mers. Je ne peux essayer ici qu'une ébauche des caractères généraux de celles qui sont venues s'ajouter à ce que nous connaissions déjà de ce groupe; Les Éponges recueillies pendant l’expédition du Porcupine sont en ce moment entre les mains de M. Henry Caster, chargé d’en faire la description. Un excellent aperçu sur les Éponges des profondeurs de |’ Atlantique a été publié par l’homme le plus compétent sur les animaux de ce groupe, par le professeur Oscar Schmidt, de Grätz. Ainsi que je l’ai déjà dit, les formes nouvelles les plus remarquables appartiennent au groupe qui parait être spécial aux eaux profondes, les Hexactinellides. J'ai déjà brièvement décrit (page 59) une des formes les plus abondantes et les plus singulières de cet ordre, VHoltenia Carpenteri: toutes les autres, malgré les variations de forme et d'apparence gé- nérale, sont conformes à |’//oltenia dans leurs caractères essentiels. Chez les Hexactinellides, tous les spicules, autant du moins qu'il nous est donné de le constater, sont de forme serradiée, cest-a-dire qu'ils ont un axe principal long ou court, et quatre rayons secondaires qui traversent cet axe à angle droit. Il arrive assez fréquemment qu'une moitié de la lige centrale fait défaut ou qu'elle n’est représentée que par un petit tubercule arrondi; nous avons alors un spicule dont l'extrémité est en forme de croix, ainsi qu’on les voit fréquem- ment dans l’armure extérieure de ces Éponges. Quelquefois 059 LES ABIMES DE LA MER. 352 aussi les rayons secondaires n’ont pas tout leur développement ; lorsqu'il en est ainsi, comme dans les longues fibres de la touffe de l'Ayalonema, dans les jeunes spicules et dans d’autres qui sont légèrement anomaux, quatre petites saillies vers le mi- lieu du spicule, recevant quatre branches secondaires du canal central, maintiennent la persistance du type primitif. Chez plusieurs des Hexactinellides, les spicules, tous distinets, sont réunis, comme chez l’'Aoltemia, par une petite quantité de sar- code presque transparent, tandis que chez d’autres, comme chez la « Corbeille de Vénus », et chez les genres presque aussi bril— lants, /phiteon, Aphrocallistes et Farrea, les spicules s’entre- croisent et forment un filet siliceux continu. Quand il en est ainsi, en faisant bouillir l'Éponge dans de l'acide nitrique, toutes les matières organiques, toutes les impuretés disparais- sent pour ne laisser qu'un squelette, ravissante dentelle tissée du cristal le plus limpide. La forme des spicules à six rayons donne au filet qui résulte de leur combinaison une grande variété de dessin, avec une tendance caractéristique pourtant à présenter des mailles carrées. Le 30 août 1870, M. Gwyn Jeffreys, draguant à 651 brasses dans l'Atlantique, à Ventrée du détroit de Gibraltar, retira une Eponge semblable à l'Holtenia, mais qui s’en distingue cependant par la singulière et charmante particularité d’un léger voile extérieur, tendu à un centimètre de la surface et formé de l’entrelacement des quatre rayons secondaires des grands spicules à cing bras semblables à ceux de I’ Holtenia. Les petits spicules du sarcode, enfouis dans les parties gélati- neuses de l'Éponge vivante, sont d’une forme totalement diffé- rente. Un seul oscule s'ouvre largement, comme chez l'ÆHol- tena, à la partie supérieure seulement; au lieu de former une coupe régulièrement doublée d’un filet membraneux, le fond de la cavité oseulaire se divise en un certain nombre de conduits qui se ramifient comme chez le Pheronema Annee décrit par le D'Leidy (fig. 65). Au premier abord j'étais disposé à placer cette espèce dans le genre Pheronema, mais ni la des— LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 300 eription ni le dessin du D' Leidy ne sont concluants; ils peuvent ° Fic. 65. — Rossella velata, WYvILLE Thomson. Grandeur naturelle. (N° 32, 1870.) fort bien s'appliquer a quelque autre forme du groupe des #ol- tenia. Les spicules du chevelu sont plus rigides et plus épais yo 23 BY LES ABIMES DE LA MER. . que ceux de l’//ollenia et sont mélangés de très-gros crochets à quatre pointes. Par 400 à 500 brasses de profondeur, à la pomte de Lews, nous avons trouvé deux fois des individus adultes d’une espèce qui appartient au genre remarquable Hyalonema (fig. 66), dont les plus grands exemplaires avaient des torsades de plus de 40 centimètres de longueur. L’Æyalonema est incontestable- ment un objet d'étude des plus remarquables ; et bien que nos spécimens appartiennent, selon toute apparence, à l'espèce déjà signalée par M. Barboza du Bocage sur les côtes du Portugal, VHyalonema lusitanicum, ils n’en sont pas moins une des acquisitions les plus intéressantes qu’ait faites pendant notre croisière la faune britannique. Une touffe composée de 200 à 500 fils de silice transparente, d'un éclat soyeux, semblable au verre filé le plus brillant. — Chacun des fils, long de 30 à 40 centimètres, ayant au milieu le volume d’une aiguille à tricoter, puis se terminant en pointe fine à chaque extrémité; la touffe entière réunie en spirale allongée, comme un cordage; les parties moyennes et supérieures soudées et enroulées en hélice par le fait de la torsion de chacun des fils dont elles sont composées; la partie inférieure de la torsade, lorsque l'animal est vivant, plongeant dans le limon, est éraillée de façon que chaque fil se trouve isolé des autres, comme les poils d’une brosse luisante ; la partie supérieure, serrée et compacte, assujettie perpendiculairement daus une Éponge conique ou cylindrique. Ordinairement, l’extrémité supérieure de la corde siliceuse et une partie de la substance spongieuse sont recouvertes d’une couche brunatre semblable à du cuir, dont la surface est constellée des Polypes d’un Zoo- phyte alcyonaire. Tel est Vaspect que présente, un spécimen complet de l’Hyalonema. Le genre a été connu en Europe par des échantillons rappor- tés du Japon par le célèbre naturaliste voyageur von Siebold; on voit encore des exemplaires japonais d’Hyalonema Sieboldi (Gray), plus ou moins complets, dans la plupart des Muséums LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 309 européens. À l’époque où le premier Hyalonema fut apporté Fic. 66. — Hyalonema lusitanicum, BARBOZA bu BocaGe. Demi-grandeur naturelle, (N° 90, L860. chez nous, les autres Kponges siliceuses quis en rapprochent de 356 LES ABIMES DE LA MER. si prés dans toutes les parties essentielles de leur structure, n°é- taient pas encore connues ; il est curieux de suivre l’évolution des idées qui se sont formées successivement à leur sujet. L'organisme se compose de trois parties bien distinctes: la première, et de beaucoup la plus remarquable, c’est la torsade d’aiguilles siliceuses; l'Éponge, qui pendant longtemps a été regardée comme la base de laquelle se projetait la touffe luisante qui était supposée s’étaler au-dessus d’elle dans l'eau; et enfin les Zoophytes parasitaires incrustés dans la masse. Cette conformation compliquée faisait naitre beaucoup de conjectures. L’Hyalonema était-il un produit naturel? Ce qu'on en voyait constituait-il un organisme complet ? Ses trois parties devaient-elles nécessairement être réunies ? Si non, chacune des trois pouvait-elle être indépendante des autres? Ou bien deux d’entre elles faisaient-elles partie du même organisme ? L’ Hyalonema a été nommé et déerit pour la première fois en 1835, par le D° Edward Gray; dans deux notices publiées dans les Annales d'hustoire naturelle, il a énergiquement défendu son opinion première. Le D° Gray associait la touffe siliceuse aux Zoophytes, et regardait l'Éponge comme un or- ganisme à part. La torsade siliceuse représentait pour lui l’axe calleux de l Eventail de mer (Gorgonia), et la couche semblable à du cuir comme son écorce charnue. Il supposait exister entre ce Zoophyte et l’Éponge des rapports d'hôte et de commensal, le Zoophyte étant invariablement associé à l’Éponge. D’après cette opinion, il proposa, pour classer le Zoophyte, un nouveau groupe d'Alcyonaires auquel il donna le nom de Spongicole, pour le distinguer des Sabulicole (Pennatulæ) et des Rupicole (Gorgonie). Sous bien des rapports la théorie du D' Gray paraissait être juste, et elle fut acceptée dans ses données principales par le D' Brandt, de Saint-Pétersbourg, quien 1859 publia un long mémoire dans lequel étaient décrits un certain nombre de spé- cimens apportés du Japon. Le D' Brandt plaçait ce qu'il croyait LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 907 un Zoophyte composé de la torsade et de l'enveloppe dans un groupe spécial de Zoanthaires scléreux munis d'un axe siliceux. Un fait cependant s'élevait fortement contre l'hypothèse du D' Gray et du professeur Brandt: aucun Zoophyte connu n'avait un axe purement siliceux, et cet axe, composé de spicules indé- pendants et détachés, se trouvait en étrange contradiction avec les caractères de la classe. D'autre part, les spicules de toutes formes et de tous volumes sont connus dans les Eponges, et en 1857 le professeur Milne Edwards, s’autorisant de Valen- ciennes, si versé dans l'anatomie des Gorgonia, réunit | Kponge à la torsade, et fit descendre le Zoophyte au rang de simple parasite. Tout objet un peu étrange provenant du Japon doit être examiné avec défiance. Les Japonais sont extrémement adroits, et l’un des buts favoris de leur industrie est la fabrication de monstres impossibles au moyen de la juxtaposition des ditfé- rentes parties d'animaux divers. Il était done tout à fait probable que le tout était une tromperie; que ces beaux spicules, em- pruntés à quelque organisme inconnu, avaient été transformés en corde par les Japonais, puis soumis, pour obtenir la complète agelutination des fibres, à l’action des Éponges et des Zoophytes qui pullulent dans les bas-fonds rocailleux. Ce fut là l'impression qu'éprouva Ehrenberg en examinant |’ //ya/lonema. H reconnut tout de suite dans les torsades siliceuses les spicules d’une Éponge absolument indépendante des Zoophytes dont ils étaient incrustés, et il pensait que ceux-ci avaient été fixés sur la torsade par des moyens artificiels et soumis à des conditions spéciales favorables au développement d’une Éponge d'espèce différente. L'état où l’on voit en Europe beaucoup de spécimens est fait d'ailleurs pour exciter des doutes sur leur authenticité. Des masses de spicules arrangés de différentes manières se vendent, parait-il, comme ornements, soit en Chine, soit au Japon. Les torsades de spicules sont souvent placées verticalement, et leurs extrémités supérieures passées à travers des trous pratiqués 358 LES ABIMES DE LA MER. dans des pierres. M. Huxley montrait, il y a quelques années, à la Société Linnéenne un magnifique spécimen de cette espèce, maintenant au British Museum. Une pierre a été percée proba— blement par des Mollusques lithophages et toute une colonie d’ Hyalonema jeunes et vieux sortent de ses cavités : les plus erands individus ont un pied et plus de longueur; les plus petits ont la dimension du pouce et rappellent de petits pin- ceaux de poil de chameau. Tous sont incrustés des inévitables Zoophytes qui s’étendent çà et là jusque sur la pierre où ils ont probablement été scellés; mais il n’y a pas trace d’Kponge. Un pareil arrangement ne peut être quartificiel. Le D* Bowerbank, grande autorité en fait d'Éponges, émet une autre opinion. Il soutient que «l'axe siliceux, son enve- loppe, ainsi que l'Éponge qui se trouve à sa base, font partie du même animal ». [l considère les Polypes comme des oscules qui, avec la torsade, constituent une espèce de colonne creuse servant de cloaque. Le professeur Max Schultze, de Bonn, aprés avoir étudié avec grand soin, au Muséum de Leyde, divers spécimens plus ou moins complets d’ Hyalonema, a publié en 1860 une {des- cription détaillée de sa structure. D’après Schultze, l’Éponge conique constitue le corps de |’ Hyalonema, Kponge alliée sous tous les rapports à l’£Evplectella, et la torsade siliceuse est un appendice composé de spicules modifiés. Le Zoophyte est, cela va sans dire, un animal entièrement distinct, et ses seules relations avec l'Éponge sont des rapports de commensalité; il s'établit sur l’Éponge, vivant certainement aux dépens de la torsade, et prenant probablement sa part de l’oxygène et des matières organiques attirés par l'appareil ciliaire des canaux de l’animal. Ce genre d'association est très-commun, et nous en avonsun autre exemple dans le Palythoa Axinelle (Schmidt), commensal assidu de PAxinella cinnamomea et de VAxinella verrucosa, deux Éponges de l’Adriatique. En 1864, le professeur Barboza du Bocage, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Lisbonne, communiquait à la LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 359 Société zoologique de Londres la nouvelle inattendue de la dé- couverte, sur les côtes du Portugal, d’une espèce d’ Hyalonema, et en 1865 il publiait, dans les Procès-verbaux de la même Société, une note supplémentaire sur le lieu d'habitation de l Hyalonema lusitanicum. UW parait que les pêcheurs de Setubal ramènent fréquemment des grandes profondeurs, sur leurs cordes, des torsades de fil siliceux qui ressemblent beaucoup à celles de l'espèce japonaise, qu’elles surpassent même en lon— gueur, car elles atteignent parfois 50 centimètres. Les pêcheurs paraissent les bien connaître. Ils les appellent « fouets de mer»; mais, avee l'esprit superstitieux de leur classe, ils regar- dent tout ce qu'ils prennent et qui sort de l'ordinaire comme « portant malheur», et se hatent ordinairement de les mettre en pièces et de les rejeter à la mer. A en juger par quelques spé- cimens du British Museum et par le dessin de du Bocage, la «corde de verre » de l’espèce portugaise est moins épaisse que celle de l’Æyalonema Sieboldi. iy à aussi une légère différence dans la sculpture des longues aiguilles ; mais la structure même de l’Éponge et la forme très-caractéristique des petits spicules sont identiques. Je ne pense pas qu'il y ait entre les deux formes d’autres différences que quelques imperceptibles nuances dans les détails, et, s’il en est réellement ainsi, e’est une nou— velle espèce à ajouter à la liste de celles qui sont communes à nos mers et aux mers du Japon. La plus singulière peut-être des circonstances qui ont accompagné ces études, c’est que pendant toute leur durée l’Éponge a été étudiée sens dessus dessous, et que personne n'a eu l’idée de la placer en sens inverse. Cela vient de l’ar- rangement des spécimens apportés du Japon et assujettis dans des pierres ; il est certain que l'Éponge a tout l'air d’avoir été faite pour servir de base à l'édifice. Quand les Eponges dra- guées plus tard sur les côtes d'Europe furent comparées a d’autres espèces voisines, il devint évident que la touffe sortant de la partie inférieure de l'Éponge est placée la pour la sou- tenir, et que le disque plat ou légèrement creusé qui reçoit l’ex- 360 LES ABIMES DE LA MER. trémité supérieure de la torsade, avec une papille au centre, de larges ouvertures osculaires, et une frange de spicules déliés rayonnant autour des bords, est la partie supérieure de l'Éponge destinée probablement à s'étendre à la surface du limon. L’Hyalonema se rapproche beaucoup, dans sa structure essentielle, de 1 Holtenza et des.formes les plus caractéristiques des Hexactinellides. La surface est soutenue par un filet carré, formé par l’entrecroisement symétrique des quatre rayons secondaires de spicules à cing branches; le sarcode qui relie ensemble ces rayons est plein lui-même de légers et impercep- tibles spicules, qui garnissent les branches comme une frange déliée. Les ouvertures (oscula) sont placées presque toutes sur le disque supérieur, et conduisent à de nombreux passages qui traversent dans tous les sens le corps de l’Éponge. Lorsque l’on étudie son développement, la torsade perd tous ses mys- teres. Un des Æoltenia pris à la pointe de Lews avait parmi ses fibres une légère accumulation de matière verdatre et gra- nulée; placée sous le microscope, on découvrit qu'elle se composait d'un grand nombre de petites Éponges à peine sorties de l’état de germes. Toutes se ressemblaient parfai- tement à première vue : c'étaient de petits corps en forme de poire, avec un long et léger pinceau de spicules soyeux, en guise de tige. En y regardant de plus près cependant, ces germes parurent appartenir à des espèces différentes, chacun reproduisant, sans qu'on püt s'y méprendre, les formes qui caractérisaient ses spicules spéciaux. La plupart étaient des jeunes 7siphonmia: mais parmi eux se trouvaient plusieurs Holtenia, et un ou deux se rapportaient à l’Ayalonema. Deux ou trois draguages dans la mème localité nous en amenèrent à tous les degrés de développement, charmants petits orga- nismes longs d’un centimètre, ayant une seule ouverture osculaire à leur extrémité supérieure, et une touffe semblable à un léger pinceau. À ce degré de croissance, le Palythoa est habituellement absent; mais, dès que le corps de l’Éponge atteint 15 millimètres de longueur environ, on aperçoit géné- LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 361 ralement un petit tubercule rougeatre au point de jonction de la torsade et du corps de l'Éponge : c’est le germe du premier Polype. L’Hyalonema lusitanicum (Barboza du Bocage), espèce qui se trouve dans les mers britanniques et sur les côtes oceiden— tales de l’Europe, parait habiter une zone restreinte, mais être fort abondante aux stations ott on la rencontre. Pendant la croisière de M. Gwyn Jeffreys en 1870, on dragua, à la hauteur du cap Saint-Vincent, sur un terrain Fic. 67. — Askonema selubalense, KENT. Un huitième de la grandeur naturelle. (N° 25, 1870.) rocailleux et par 374 brasses, deux spécimens d’une très- curieuse Éponge, faisant partie des Hexactinellides. La plus grande représente une coupe complète, fort élégante, de 90 cen- timètres de diamètre, sur 60 de hauteur (fig. 67). L’Eponge fut retirée pliée en deux, et ressemblait ainsi à un morceau de molleton de laine grossier et grisätre. La structure cepen— dant est fort belle. Comme celle de l’Aoltenia, elle consiste dans deux couches de filet, une intérieure, l’autre extérieure, 362 LES ABIMES DE LA MER. formées par lentrelacement symétrique des quatre branches latérales de spicules à cing rayons; de même que chez V Hol lenia et le Rossella, le sarcode est plein de spicules excessi- vement fins, à cing et à six branches, qui cependant ont un caractère bien distinct et qui leur est spécial; cd et là un très- beau spicule en forme de rosette, autre modification curieuse du type sexradié, qui caractérise ce groupe. Entre ces deux filets, la substance même de l'Éponge se compose de mailles détachées et arrondies, formées par les faisceaux faiblement réunis de longues fibres, mélangées de spicules appartenant à d'autres formes, mais en petite quantité. Cette Éponge parait avoir été fixée sur une pierre. Elle est dépourvue de spicules d'ancrage, et le pied de la coupe, qui dans nos deux spécimens est tres—rétréci et de forme carrée, a, selon toute apparence, été arraché de quelque corps auquel il était adhérent. Cette belle espèce a été nommée Askonema setubalense, et brieve— ment décrite, d’après un exemplaire du Muséum de Lisbonne, par M. Saville Kent, dans un mémoire où il fait mention des Éponges draguées dans le yacht de M. Marshall Hall‘. D’autres Éponges appartenant à des groupes différents, ra- menées aussi des grandes profondeurs, sont presque aussi inté- ressantes. J’ai déjà fait allusion (page 157) aux belles espèces branchues appartenant aux Espéradiées, qui abondent sur les côtes de l'Écosse et du Portugal. Près de l’entrée du détroit de Gibraltar, on a pris en quantités considérables bon nombre d'individus qui font partie d’un groupe qu'on a confondu au premier abord avec les Hexactinellides, parce qu’elles présen- tent fréquemment un filet siliceux, brillant et continu, qui, bouilli dans l'acide nitrique, produit la même fine dentelle. Les Corallio-spongiaires diffèrent pourtant des Hexactinellides par un caractère trés-important. Chez ces dernières, le spicule est serradé; chez les premiers, il se compose d’une /léche ayant à une extrémité trois rayons divergents. Il arrive souvent que 1. Monthly Microscopic Journal, November 1, 1870. LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 363 ceux-ci s'étendent sur un même plan, puis ils se séparent de nouveau, et il n’est pas rare que les espaces qu'ils laissent entre eux se remplissent d’une seconde couche siliceuse, den- telée et brodée sur les bords de manière à donner au spicule l'apparence d’un elou aplati et richement travaillé. Ces étoiles ou disques à trois branches soutiennent, en se soudant entre eux, la membrane extérieure, et ce sont des spicules du même type qui, fondus ensemble suivant des dessins variés, forment le squelette de l'organisme. Ce groupe d’Eponges n’est encore qu’imparfaitement connu. Elles paraissent caractérisées par des formes telles que le (reodia et le Tethya. Le type avec lequel nous sommes le plus familiers est le genre Dactylocalyx, représenté par les masses en forme de coupes semblables à la pierre ponce, et qui sont jetées de temps en temps sur les rivages des iles des Indes occidentales. Le professeur P. Martin Duncan a déjà publié une descrip- tion des Madrépores recueillis pendant la croisière du Porcu- pine en 1869, et il a maintenant entre les mains ceux qui ont été trouvés sur les côtes du Portugal en 1870, et dont quei- ques-uns sont d’un intérét d'autant plus grand, qu ils res- semblent d’une manière frappante à certaines formes crétacées. On en a dragué en 1869 douze espèces différentes. Le Caryophyllia boreahs (Fleeming) (fig. 4, p. 22) est très- abondant aux profondeurs moyennes, particulièrement le long de la côte occidentale de l'Irlande, où il présente de nom- breuses variétés. La plus grande profondeur à laquelle cette espèce ait été draguée est de 705 brasses. Il se rencontre à l’état fossile dans les couches miocènes et pliocènes de la Sicile. Le joli Corail Ceratocyathus ornatus (Seguenza) wa fourni qu'un seul échantillon à la pointe de Lews, par 705 brasses. Il n’était pas encore connu comme espèce vivante : Seguenza l'avait trouvé dans les couches miocènes tertiaires de Sicile. Le Flabellum laciniatum (Edwards et Haime) abonde de 100 à 400 brasses, depuis les Faréer jusqu'au cap Clear. L’ex- 364 LES ABIMES DE LA MER. tréme ténuité de son euveloppe extérieure rend ce Corail excessivement fragile, et parmi plusieurs centaines d’exem— plaires remontés dans la drague, e’est à peine s'il s'en est trouvé une demi-douzaine qui fussent complets. Une autre belle espèce du même genre, le Ælabellum distinctum (fig. 68), Fig. 68. — Flabellum distinctum. Double de la grandeur naturelle. (Ne 28, 1870.) a été draguée à plusieurs reprises, en 1870, sur les côtes du Portugal. Ce qui donne un intérèt tout particulier à cette espèce, c'est quelle parait être identique avec une forme des mers du Japon. Le Lophohelia prolifera (Pallas) (fig. 30, page 141), et ses nombreuses variétés, abondent dans les profondeurs de 150 a 500 brasses, tout le long des côtes occidentales de l'Écosse et de l’Irlande, dans un milieu dont la température oscille entre 0° et 10° C. Dans certains parages, à la station 54 par exemple, entre l'Écosse et les Farüer, et à la station 15, entre la côte occidentale de l'Irlande et le bane du Porcupine, ils paraissent former de véritables lits, car la drague revient toujours chargée de fragments vivants et morts. Cinq espèces voisines du genre Amphihelia se montrèrent, mais beaucoup moins abondamment. L’Allopora oculina (Ehrenberg). Très-belle forme dont on prit quelques spécimens dans la zone froide, à un peu plus de 300 brasses de profondeur. LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 365 Le Thecopsammia socials (Pourtales) (fig. 69), forme alliée de près au Balanophylha, et qui ressemble à certaines espèces saxophiles. Il avait été déja dragué dans le golfe de la Floride. Le Thecopsammia est assez commun dans les grandes profon- deurs des zones froides, où il vit en société: on en ramène parfois cing ou six exemplaires sur le méme fragment de rocher. Fic. 69. — Thecopsammia socialis, PouRTALES. Une fois et demie la grandeur naturelle (Ne 57, 1869.) Jai déjà appelé l'attention sur l'erreur que l’on peut eom- mettre en voulant apprécier la proportion dans laquelle certains groupes spéciaux font partie de la faune des grandes profon— deurs, d'après le nombre des individus capturés d’une façon ou d’une autre. Leur volume considérable, la longueur et la rigi- dité de leurs bras et l'habitude qu'ils ont de s’attacher à des objets fixes, empêchent les Echinodermes de se prendre faci- lement dans la drague, mais en revanche ils sont la proie des « houppes de chanvre ». Il est fort possible que cette cir- constance ait, Jusqu à un certain point, donné une idée fausse 366 LES ABIMES DE LA MER. de leur abondance dans les profondeurs extrémes; mais la grande quantité qu'on en ramène prouve cependant d’une manière positive qu'à certains endroits ils sont étonnamment nombreux : il nous est arrivé souvent de draguer des Éponges et des Coraux qui en étaient littéralement couverts, conservant leurs attitudes habituelles, blottis au milieu des fibrilles et dans les angles formés par les branches des Coraux. J'ai compté soixante-treize exemplaires d’Amphiura abyssicola, petits et grands, établis sur un seul /ollenia. Le premier ordre des Échinodermes, les Crinoïdes, ont tou- jours eu pour les naturalistes un intérêt tout spécial, soit à cause de leur beauté et de leur très-grande rareté, soit sous le rapport du rôle important qu'ils ont joué dans la faune des périodes anciennes de l’histoire de la terre. Désireux comme nous l’étions de retrouver les chainons disparus qui devaient servir à relier le présent au passé, le moindre indice de leur présence devait être le bienvenu parmi nous. Les Crinoïdes étaient fort abondants dans les mers de la périgde silu- rienne. Certaines couches profondes du calcaire carbonifère sont formées presque exclusivement de leurs squelettes, dont Les articulations sont réunies par un sédiment calcaire ; les calices entiers de l’élégant Crinoide en forme de lis se comptent souvent par douzaines à la surface d’une plaque de muschelkalk. Mais plus tard l’ordre entier paraît avoir eu le dessous dans la «lutte pour l'existence ». Les exemplaires deviennent rares dans les couches mézozoiques récentes, plus rares encore dans les ter- liaires; et jusqu'à ces dernières années on ne connaissait dans les mers de la période actuelle que deux Crinoides à tige vivants, qu'on supposait n’exister que dans les grandes pro- fondeurs de la mer des Antilles, d’où les pêcheurs en ramenaient de temps en temps sur leurs cordes des échantillons mutilés. Leur existence est connue depuis plus d’un siècle; mais, malgré toute l’ardeur des recherches, une vingtaine d'individus tout au plus étaient arrivés jusqu'en Europe; encore sur ce nombre deux seulement conservaient-ils toutes les plaques et LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS 367 toutes les articulations du squelette, et tous étaient privés de leurs parties molles. Ces deux espèces appartiennent au genre Pentacrinus, qui est abondamment représenté dans les couches du lias et de loolithe, et plus faiblement dans la craie blanche; elles se nomment Pentacrinus Asteria (L.) et Pentacrinus Miilleri (Oersted). La fig. 70 représente la premiére des deux. Cette espèce est connue en Europe depuis l’année 1755, époque où un spécimen fut apporté de la Martinique à Paris, et déerit par Guettard dans les Mémoires de l'Académie royale des sciences. Pendant le siècle suivant, quelques exemplaires apparurent à de longs intervalles, venant des Antilles. Ellis en a décrit un, qui est maintenant dans le muséum Huntérien à l’université de Glasgow, dans les Philosophical Transactions de 1761. Un ou deux ont trouvé le chemin des muséums de Copenhague, de Bristol et de Paris; deux, celui du, British Museum. [len est heureusement tombé un entre les mains de feu le professeur Johannes Müller, de Berlin, qui en a fait paraitre une descrip- tion détaillée dans les Actes de l'Académie royale de Berlin de 1843. Dans le courant de ces derniéres années, M. Damon, de Weymouth, naturaliste collectionneur bien connu, en a acquis plusieurs fort beaux spécimens, qui sont maintenant dans les muséums de Moscou, de Melbourne, de Liverpool et de Londres. Le Pentacrinus Asteria peut ètre pris comme type de son ordre ; aussi vais-je en faire une rapide description. L'animal se compose de deux parties bien distinctes, une tige et une tête. La tige consiste dans une succession d’articulations caleaires aplaties; on la brise facilement au point de jonction de deux de ces articles; en introduisant la pointe d’un canif dans la suture suivante, on enlève facilement l'articulation entière. Le centre de l’article est perforé, et ce trou, dans lequel on pourrait introduire une aiguille fine, fait partie d’un conduit rempli, pendant la vie de lPanimal, d’une matière gélatineuse et nutritive qui cireule dans toute la longueur de la tige, dans 308 LES ABIMES DE LA MER toutes les plaques du calice, et finalement passe à travers l’axe Fic. 70. — Pentacrmus Asteria, LiNNAEUS. Un quart de la grandeur naturelle. de chacun des articles des bras et pénètre jusqu'aux extrémités LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 309 des dernières pinnules qui les terminent. Sur les surfaces supé— rieure et inférieure des articles de la tige, se trouve tracé un gracieux dessin formé de cinq espaces ovales disposés en rayons. Chacun d’eux est entouré d’une bordure de côtes alternant avec des sillons très-fins. Les côtes de la surface supérieure s’ajustent dans les sillons de la surface inférieure de l’article placé immé- diatement au-dessus ; de sorte que, bien que par le fait de sa subdivision en tronçons la tige soit susceptible de certains mouvements, ceux-ci sont cependant fort limités. La bordure de chaque dessin étoilé est exactement à la mesure de celle de l'étoile qui est au-dessus et de celle qui est au-dessous ; les cinq petites feuilles dont elles se composent sont également placées les unes au-dessus des autres. Au centre des feuilles, la matière calcaire, qui fait le fond même des articles, est beaucoup moins compacte qu’à la circonférence, et cing liens ovales de fibres solides passent dans les espaces inter- médiaires, au travers des articulations et de l’une a l’autre, d'une des extrémités de la tige jusqu’à l’extrémité opposée. Ces bandes fibreuses prêtent beaucoup de force à la colonne, qui ne se rompt pas facilement, mème quand l'animal est mort et desséché. Leur élasticité permet aussi une certaine flexibilité passive. Il n’existe aucun muscle entre les articulations de la tige, de sorte que l'animal ne parait pas pouvoir la remuer à volonté. Il n'est probablement balancé que par les marées, par les courants et par l’action de ses propres bras. Chez le Pentacrinus Asteria, chaque dix-septième article environ de la partie inférieure de la tige adulte est un peu plus épais que les autres, et porte un verticille de cing longs cirres ou vrilles. La section de la tige, même près de sa base, est légèrement pentagonale, et le devient d’une manière plus mar- quée en approchant de la tête. Les cirres sortent des sillons peu profonds formés par les angles rentrants du pentagone, et sont disposés sur cinq rangs, du haut en bas de la tige; ils se composent de trente-six ou trente-sept courtes articulations; à leur naissance, ils sont roides et rigides, mais leur extrémité Wy at 370 LES ABIMES DE LA MER. se recourbe en général vers le bas, et la derniére articulation est aiguë et en forme de griffe. Ces cirres n’ont pas de véri- tables muscles; ils sont doués seulement d’une certaine con— tractilité autour des objets résistants qu'ils touchent; on trouve souvent des Astéries et autres animaux marins enchevêtrés parmi eux. (est ainsi que le spécimen ici représenté est devenu la demeure temporaire d’une espèce très-élégante d’Asteroporpa. En se rapprochant de la tete, les cirres deviennent plus courts et plus minces, leurs verticilles se rapprochent de plus en plus; en voici la raison. La tige s’accroit immédiatement au-dessous de la téte, et les articles qui portent les cirres ont été les premiers formés; les intermédiaires se sont produits ensuite au-dessous et au—dessus des articles à cirres, qu'ils séparent graduellement de ceux qui les avoisinent, jusqu’a ce que le nombre des dix-sept ou dix-huit articulations intermé- diaires soit complet. En haut de la tige, cing petits tubercules calcaires s’élévent sur les côtes que forme le pentagone; c’est sur ces excroissances et sur la partie supérieure de la tige que repose le calice qui renferme les viscéres de Vanimal. Dans cet état, ces tubercules n’ont pas grande importance, mais ils représentent des articulations qu'on trouve fréquemment déve- loppées en plaques larges et très-ornées chez les diverses classes de ses ancêtres fossiles. Ce sont les plaques de la base du calice. Sur une rangée supérieure, et alternant avec ces dernières, se’ trouve un rang de cinq plaques oblongues, qui font face aux sillons de la tige, et adhèrent les unes aux autres de manière à former un anneau; ces plaques sont isolées quand l’animal est jeune : on les nomme les premières plaques radiales, elles sont le commencement de longues séries d’articula- tions qui se prolongent jusqu'aux extrémités des bras. Immédiatement au—dessus de ces plaques, il s’en trouve une seconde rangée presque de même forme et de mêmes dimensions : seulement ces dernières ne sont pas adhérentes les unes aux autres et ne forment pas d’anneau : ce sont les LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. D1] secondes radiales. Sur celles-ci repose une troisième série de cinq plaques très-semblables à celles des autres rangées. Au centre de leur surface supérieure, deux côtes se croisent, et leurs deux bords, taillés en biseau, reçoivent chacun deux articulations au lieu d'une seule. Les articulations de ce der- nier anneau sont les radiales axillaires; c’est au-dessus d’elles : que se trouve placée la première bifurcation des bras. Ces trois séries d’articulations radiales constituent le calice lui- même. Dans les espèces vivantes, les dimensions en sont peu considérables; mais chez beaucoup d'espèces fossiles ils ont un très-grand développement, et forment parfois, avec l’aide de plaques intermédiaires ou interradiales, et dune rangée de plaques basilaires, une spacieuse cavité intérieure. Les deux articulations supérieures de chaque rayon sont sépa- rées de celles du rayon voisin par un prolongement inférieur de la membrane ridée qui recouvre la surface supérieure du disque ou corps de l'animal; appuyée sur les bords de chacune des articulations axillaires radiales, se trouve une série de cing articulations, dont la dernière est taillée également en biseau, pour recevoir deux articulations. Ces einq articles forment la première série des articulations brachiales ; c’est à partir de la base de cette série que les bras deviennent libres. La première des articulations brachiales, c’est-à-dire celle qui est immédiatement au-dessus de l’axillaire radiale, est en quelque sorte partagée en deux par une suture toute spéciale que Müller appelle une syzygie. Toutes les articulations ordi- naires des bras sont pourvues de muscles qui produisent des mouvements variés, et qui assujettissent les articulations forte— ment ensemble. Les syzygies en sont dépourvues, et, consé— quemment, les bras se brisent facilement partout où elles existent. C’est la une admirable précaution pour la sécurité d’un organisme compliqué d’un si grand nombre d’appendices. Un de ses bras venant à sembarrasser ou à tomber sous la grifle ou sous la dent d’un ennemi, une secousse suffit au Cri- noide pour se séparer du membre compromis, et, grâce à la 372 LES ABIMES DE LA MER. faculté merveilleuse que possède tout ce groupe de reproduire ses parties endommagées, le bras est bientôt remplacé. Quand l’animal meurt, il brise généralement tous ses bras aux syzygies, de sorte que la plupart des spécimens qui ont été apportés en Europe y sont arrivés avec les bras séparés du corps. Sur chacune des branches, à la sixième articulation environ au-dessus de la première, il se présente un second appendice brachial et une autre bifurcation, puis une autre encore sept ou huit articulations plus loin; et ainsi de suite, mais de plus en plus irrégulièrement en s’éloignant du centre, jusqu’à ce que chacun des cing rayons primitifs se soit divisé et subdivisé en vingt à trente branches terminales, ce qui produit une eou- ronne composée de plus de cent bras. La surface supérieure de chacune des articulations des bras a une profonde rainure, l’inférieure est convexe; alternativement, de chaque côté, une série d’osselets, qui forment les dernières petites branches ou pinnules, frangent les bras de la même manière que les barbes d’une plume. Il est facheux que la plupart des exemplaires du Pentacrinus Asteria trouvés jusqu ici soient privés de leurs parties molles, et que leurs disques soient endommagés. Je possède pourtant un spécimen complet. La partie supérieure du corps est recouverte d'une membrane tachetée de plaques irrégulières et aplaties; après avoir recouvert le disque, cette membrane pénètre dans les espaces qui séparent les séries des articulations radiales, et complète, avec les articulations du calice, la paroi du corps. La bouche est une ouverture arrondie et de grande dimension, placée au centre du disque; elle communique avec un estomac, suivi d’un intestin court et recourbé, se terminant par un tube exeréteur prolongé, qui n’est autre que la prétendue ¢rompe des Crinoides fossiles : ce tube nait à la surface du disque, près de l’orifice buccal. A partir de la bouche, cing profondes rainures, bordées de chaque côté de petites plaques carrées, se prolongent jusqu'au bord du disque, et continuent les sillons de la surface supé- LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 373 rieure des bras et des pinnules. Dans les angles qui séparent ces rainures, cing zones solidifiées du revétement du disque entourent la bouche sous forme de valves. Elles ont été suppo- sées remplir l’office de dents, mais les Crinoides ne sont point des animaux de proie, et leur nutrition s’opére d’une façon fort inoffensive. Les rainures des pinnules et des bras sont abon- damment pourvues de cils. Le Crinoide développe ses bras à la façon des pétales d’une fleur épanouie, et un courant d’eau de mer chargé de matières organiques en dissolution et en suspension est dirigé par les cils dans les rainures brachiales et radiales, et de là dans la bouche de l’animal. Toutes les matières assimilables sont absorbées dans l’estomac et dans l'intestin, et la longueur et la direction du conduit excréteur empêchent l’eau qui a été ainsi épuisée de rentrer immédia- tement dans les rainures ciliées. La seconde espèce de Pentacrinus, celle des Indes occiden- tales, le Pentacrinus Mulleri, parait être plus abondante près des îles danoises que le Pentacrinus Asteria. Les formes de l’animal sont plus délicates; la tige atteint à peu près la mème longueur, mais elle est plus mince; les anneaux des cirres se répètent à douze articulations environ d'intervalle, et à chaque verticille il y a modification de deux articles: le supérieur porte la facette destinée à Vinsertion des cirres, et l’inférieur pré- sente une rainure qui recoit la base élargie, laquelle est serrée fortement contre la tige, avant de devenir libre. La syzygie est placée entre les deux articulations modifiées, et chez tous les spécimens complets que j'ai pu voir, la tige est rompue à l’une de ses syzygies; l’articulation terminale de la tige qui est usée et amincie, prouve que l’animal était depuis longtemps libre de tout lien le fixant au fond. Le 21 juillet 1870, mon ami M. Gwyn Jeffreys, draguant sur le Porcupine, dans une profondeur de 1095 brasses, par 59° 42’ de latit. N. et 9° 43’ de longit. O., avec 4°,3 C. de température et un fond de boue molle, prit environ vingt spécimens d’un beau Pentacrinus, embarrassés dans les houppes de chanvre, BTA LES ABIMES DE LA MER. et il m'a fait l'honneur d'associer mon nom à ce splendide accroissement de la faune des mers européennes. Le Pentacrinus Wyville-Thomsoni (Jeffreys) (fig. 71) tient le milieu, par quelques-uns de ses caractères, entre le Penta- crinus Asteria et le Pentacrinus Mulleri; c’est cependant de la dernière espèce qu'il se rapproche le plus. Chez un spécimen adulte, la tige a environ 120 millimètres de longueur, et se compose de cing ou six entre-nœuds. Les verticilles des cirres sont à 40 millimètres de distance les uns des autres, vers la partie inférieure de la tige, et les entre-nœuds comprennent de trente à trente-cinq articulations. Les cirres sont un peu courts, et sortent en ligne droite de l’articulation, ou se recour- bent brusquement en bas, comme chez le Pentacrinus Asteria. Cette articulation est simple; elle ne diffère pas essentiellement des autres articulations internodales de la tige. La syzygie la sépare de celle qui est immédiatement au-dessous. Les tiges des exemplaires adultes de cette espèce se terminent unifor- mément par une articulation à tubereules entourée de son verticille de cirres recourbés comme des racines en forme de griffes. La surface inférieure de l'articulation terminale est arrondie, et témoigne de la liberté dans laquelle, depuis long- temps, l’animal avait vécu. J'avais déjà observé cette particu- larité chez certains spécimens du Pentacrinus Mulleri; je ne doute pas qu’elle ne soit habituelle dans l’espèce en question, et que l’animal ne vive légèrement engagé dans la boue molle, mais changeant de place à volonté, nageant au moyen de ses bras empennés, et occupant, sous ce rapport, une place inter— médiaire entre le genre libre Avtedon et les Crinoides déeidé- ment fixes. Un individu jeune du Pentacrinus Wyville-Thomsoni im- dique la manière dont cette liberté s’acquiert dans cette espèce. La longueur totale de ce spécimen est de 95 millimètres, sur lesquels la tête en occupe 35. La tige est rompue au milieu du huitième entre-nœud, en partant du côté de la téte; celui des entre-nœuds complets qui est placé le plus bas compte LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEU 14 articulations, le suivant 18, le suivant 20, et le dernier 26. seven Paie AO F3 NL TE a RE LACET A Ti WAS we NUE pm, ist mt wee eos tun He ond La Bi z a hae Hy nl se DE a Fic. 71. — Pentacrinus Wyville-Thomsoni, JEFFREYS, Grandeur naturelle. (No 17, 1870.) Les cirres du verticille inférieur ont 8 articulations, ceux 376 LES ABIMES DE LA MER. du second 10, ceux du troisième 12, et ceux du quatrième 14. Ceci est l'inverse de ce qui se passe chez les spécimens adultes, dont les articulations zdernodales et celles des cirres décrois- sent régulièrement de bas en haut. L’entre-nœæud rompu chez le jeune individu, les trois entre-nœuds qui sont au-dessus sont atrophiés et n’ont pas acquis leur entier développement; puis, brusquement, au troisième nœud à partir de la tête, la tige augmente de volume et parait être complétement développée. Il n’est pas douteux, d’après cet exemple, que pendant la pre- mière partie de son existence le Crinoïde ne soit fixé, et, plus tard, rendu libre par la dessiccation et la rupture de la partie inférieure de sa tige. La structure du calice est la méme que chez le Pentacrinus Asteria et le Pentacrinus Mulleri. Les plaques de la base se montrent sous la forme de boucliers qui avancent et recouvrent les angles saillants de la tige. Alternant avec ces plaques, les premieres radiales bien développées forment un anneau fermé et tiennent à des secondes radiales libres par des muscles arti- culaires. Les secondes radiales sont réunies par une syzygie aux axillaires radiales, qui, comme toujours, portent chacune deux premières brachiales sur leurs bords taillés en biseau. Une seconde brachiale se réunit par une syzygie à la première, et, dans l’état normal, cette seconde brachiale est une axillaire, et porte deux bras simples; il arrive cependant quelquefois que l’axillaire brachiale porte un seul bras sur lun de ses bords ou sur les deux, ce qui diminue le nombre total des bras; quelquefois, au contraire, un des quatre bras fournis par les axillaires brachiales se subdivise, et alors le nombre total des bras est accru. La structure du disque est à peu près la même que dans les espèces déjà connues du même genre. Deux autres Crinoïdes fixes ont été dragués par le Porcu- pine; il faut les classer parmi les Apiocrinidæ, qui diffèrent de toutes les autres sections de leur ordre par la structure de la partie supérieure de la tige. Sur un point situé bien au-dessous de la couronne des bras, les articulations de la tige s’élar- LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. oi gissent par l'effet du plus grand développement de l’anneau calcaire, car le tube central n’augmente pas sensiblement de volume. L’élargissement des articles de la tige augmente en remontant jusqu'à produire un corps en forme de poire, ordi- nairement fort élégant, et qu’on prendrait volontiers pour le calice; il n’est dû cependant qu'à l’épaississement régulier de la tige. La cavité du corps occupe une faible dépression placée au sommet; elle est entourée des plaques du calice, de celles de la base et des radiales, qui sont plus épaisses et plus massives que chez les autres Crinoïdes, mais d’ailleurs disposées de la même manière. La tige est ordinairement longue et demeure simple jusqu'à sa base; 1a elle se complique d’un appareil de fixation comme chez les célèbres Encrinites piriformes du cal- caire bathonien (forest-marble). ‘Ge sont tantôt des couches concentriques de ciment calcaire qui la fixent sur un corps étranger; tantôt, comme chez le Bourguetticrinus de la craie, et le Rhizocrinus actuellement vivant, c'est une série irré— gulière de cirres branchus et articulés. Les Apiocrinidæ ont atteint leur maximum de développe- ment pendant la période jurassique, où ils étaient représentés par plusieurs belles espèces des genres Apiocrinus et Milleri- crinus. Le genre crétacé Bourguetticrinus trahit déjà des sym- ptomes de dégénérescence. La tête est petite, les bras minces et courts. Les articulations des bras sont si ténues, qu'il est presque impossible d’en recueillir une série parmi les frag— ments dont la craie est parsemée, même dans le voisinage d’un groupe de calices. La tige est démesurément grosse et longue, circonstance qui ferait supposer que l’animal se nourrissait surtout par une absorption extérieure de matières organiques, et que la téte ainsi que les organes spéciaux d’assimilation servaient principalement aux fonctions de la reproduction. Le Rhizocrinus loffotensis (M. Sars) (fig. 72) a été décou- vert pendant l’année 1864, dans une profondeur d'environ 300 brasses, près des îles Lofloten, par G. O. Sars, fils du célèbre professeur de l’université de Christiania, qui en fit la 378 LES ABIMES DE LA MER. description en 1868. C’est évidemment là une forme des Apio- Fig. 72. — Rhizocrinus loffotensis, M. Sars. Une fois et demie la grandeur naturelle. (No 43, 1869.) crinde plus dégénérée encore que le Bourguetticrinus, auquel LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 319 il ressemble beaucoup. La tige est longue et excessivement épaisse, eu égard au volume de la tête; les articulations en sont longues, coniques; entre ces articles sont ménagés des espaces qui alternent de chaque côté de la tige, comme chez le Bourquetticrinus et chez VAntedon, dans lesquels sont insérés des fascicules de fibres contractiles. Vers la base de la tige, des branches s’échappent de la partie supérieure des articulations ; elles se composent d’une succession d'articles qui vont dimi- nuant graduellement. [ls se divisent et se subdivisent, pour former une touffe de fibres qui souvent s’épanouissent à leurs extrémités en minces lames calcaires, qui s’accrochent aux débris de coquilles, aux grains de sable, à tout ce qui est fait pour favoriser la fixation du Crinoide dans la boue molle, qui est à peu près universellement répandue dans les grandes profondeurs. Chez les Rhizocrinus, on ne peut distinguer les séries de plaques qui sont à la base du calice. Elles sont cachées dans l’intérieur d’un anneau fermé placé au sommet de la tige. Cet anneau se compose-t-il des seules plaques de la base fondues ensemble, ou d'une articulation supérieure de la tige renfer- mant ces plaques et formant rose//e, comme dans le calice de l’Antedon? Cest là une question qui ne pourra se résoudre que par l’observation attentive des degrés successifs du développe- ment de l’animal. Les premières radiales sont également fon dues les unes dans les autres, et forment la partie supérieure et la plus large d’un calice en forme d’entonnoir. Elles sont pro— fondément entaillées dans leur partie supérieure pour recevoir les muscles et les ligaments qui les unissent aux secondes radiales par une véritable articulation. Une des particularités les plus remarquables de cette espèce, c’est que les premières radiales, les premiers articles du bras, varient en nombre; quelques exemplaires ont quatre rayons, d’autres cinq, quel- ques-uns six, ef un très-petit nombre sept, dans la propor- tion suivante. Sur 75 individus étudiés par G. Sars, il s’en trouvait : 380 LES ABIMES DE LA MER. 15- avail, es fe rade euee de DRE 4 bras. 43 — D LD. 5) RRL PRS ER AA 6 o) "7 = Cette variabilité dans un membre aussi important, surtout quand on la rapproche de l’énorme prépondérance de la partie végétative de cet organisme sur la partie animale, doit, sans aucun doute, indiquer une déchéance dans l’organisation des Aprocrinide de la période jurassique. Après l’anneau ankylosé des premières radiales, suit une rangée de secondes radiales indépendantes, qui sont réunies par une suture syzygiale droite, à la série suivante, qui se compose des axillaires radiales. La surface de la partie de la tige dilatée en forme d’entonnoir et surmontée par l’an- neau des premières radiales est unie et égale; les secondes radiales, ainsi que les axillaires radiales, présentent une sur- face extérieure lisse et régulièrement cintrée. Les axillaires radiales diffèrent des articulations correspondantes de la plupart des autres Crinoïdes connus par une légère contraction de leur partie supérieure, qui ne présente qu'une seule facette articu- laire, et ne donne naissance qu’à un seul bras. Les membres, qui chez les plus grands spécimens ont de 10 à 12 millimètres de longueur, se composent d'une série d’environ vingt-huit à trente-quatre articulations uniformément et transversalement cintrées et garnies de profondes rainures destinées à recevoir: les parties molles. Un article sur deux porte une pinnule; les pinnules alternent de chaque côté de l’axe du bras. L’article qui ne porte pas de pinnule est réuni par une syzygie à l’article supérieur, qui en est pourvu : ainsi les articulations avec liens musculaires alternent avec les syzygies sur toute la longueur du bras. Les pinnules, au nombre de douze ou quatorze, se composent d'une série uniforme de très-petites articulations réunies par des muscles ligamenteux. Les rainures des bras et des pinnules sont bordées d'une double série de plaques calcaires minces, LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 3st arrondies et fenestrées, qui, lorsque l'animal est replié et au repos, forment une enveloppe imbriquée garnie de ses délicats tentacules cæcaux. Elle protége le nerf et le vaisseau radial. La bouche est placée au centre du disque, et des conduits, dont le nombre est égal à celui des bras, traversent le disque, et continuent les rainures des bras. La bouche est entourée d’une rangée de cirres flexibles, disposés à peu près comme chez VAntedon pentacrinoides; elle est pourvue de cing plaques calcaires ovales, semblables à des valves, qui occupent les angles interradiaux, et se referment à volonté sur la bouche. Une papille placée au fond de l’un des espaces interradiaux, désigne la position d’un imperceptible orifice excréteur. Le Rhizocrinus loffotensis apporte une forme des plus inté- ressantes à la faune britannique. Nous l'avons découvert en 1869, dans le canal des Farôer, sous la forme de trois exem— plaires très-mutilés, pris à 530 brasses, avec température de fond de 6°,4 C., station 12 (1868). Plusieurs spécimens sont arrivés embarrassés dans les houppes des Æoltenia à la pointe de Lews, et l’on en a dragué vers le cap Clear, dans une pro- fondeur de 862 brasses, plusieurs spécimens de grande dimen- sion. L’étendue occupée par cette espèce est évidemment très- erande. Elle a été draguée par G. O. Sars, au nord de la Norvége; par le comte de Pourtalès, dans le Gulf-stream, vers les côtes de la Floride ; par le naturaliste du navire /a Joséphine, sur le banc de la Joséphine, près de Ventrée du détroit de Gibraltar, et par moi-même entre les Shetland et les Farôer, et près d’Ouessant et du cap Clear. Le genre Bathycrinus appartient aussi aux Aprocrinide, puisque la partie inférieure de la tête s’élargit en entonnoir, et parait se composer des articulations supérieures de la tige réunies ou fondues ensemble. Le corps du Bathycrinus gracilis (fig. 73) est long et mince. Une tige isolée, péchée en méme temps que le seul exem- plaire à peu près complet qu'on en ait obtenu, mesurait 90 millimètres de longueur. Les articulations ont la forme 82 LES ABIMES DE LA MER. d’entonnoirs, comme celles du Rhizocrinus; allongées et amin- FIG. 73. — Bathycrinus gracilis, W YViLLE TnomsoN Double de la grandeur naturelle y ÿ Ê We naturelle, (N° 37, 1869.) cies vers la partie inférieure de la tige, elles ont au milieu LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 383 3 millimètres de longueur sur 0,5 de largeur; les extré— mités présentent un renflement qui porte leur largeur à un millimètre. Comme chez le Rhizocrinus, la longueur des articulations de la tige diminue en se rapprochant de la tête; là on voit des lamelles calcaires au-dessous des articulations dont la réunion forme la base de la coupe du calice. Les premières plaques radiales sont au nombre de cinq. Elles sont solidement réunies, mais ne paraissent pas être fon— dues ensemble, comme chez le Rhizocrinus, car les sutures se laissent voir très-distinctement. Le centre de ces premières radiales se relève comme une carène aiguë, et le bord en est légèrement déprimé vers la suture, ce qui donne au calice une apparence cannelée, comme un filtre de papier replié en plusieurs doubles. Les secondes radiales sont allongées, indé- pendantes les unes des autres, et réunies aux axillaires radiales par une suture syzygiale. La forme en est très-smgulière : leur surface extérieure est traversée par une saillie très-accusée, et l'articulation, très-excavée de chaque côté, se relève vers les bords. L’axillaire radiale reçoit la prolongation de la même saillie le long de sa moitié inférieure, puis à la partie moyenne de l'articulation, cette saillie se bifurque, ménageant ainsi dans son centre un espace carré des plus caractéristiques ; il se crée ainsi deux facettes destinées à Vinsertion de deux pre- mières radiales : les bras sont done au nombre de dix; ils sont parfaitement simples, et se composent de douze articulations chacun. Il n’y a pas trace de pinnules, mais les bras rappellent par leur caractère les pinnules du Rhizocrinus. La première brachiale est réunie à la seconde par une suture en syzygie, mais il n'existe pour chaque bras qu’une seule de ces articula- tions spéciales. Les rainures des bras sont garnies de plaques circulaires et fenestrées, comme chez le Rhizocrinus. Certains caractères très-marqués dans la structure de la tige, dans celle de la base du calice, et dans la forme et la disposition de l’extrémité des bras, rapprochent évidemment le Bathycrinus du Rhizocrinus, mais il existe néanmoins entre 384 LES ABIMES DE LA MER. eux de bien grandes dissemblances; cinq premières radiales à saillies ciselées et indépendantes remplacent l'anneau uni- forme que composent ces mêmes plaques chez le Rhizoerinus ; les axillaires radiales fournissent chacune deux bras, et se conforment en cela à Ja disposition habituelle de l’ordre; mais les syzygies alternantes des bras, qui sont un trait si saillant du Rhizocrinus, manquent chez le Bathycrinus. On n'a découvert jusqu'ici de cette remarquable espèce qu’un seul spécimen à peu près complet, et une tige isolée, qui ont été ramenés de la plus grande profondeur où l’on soit encore parvenu avec la drague, 2435 brasses, à l'entrée de la baie de Biseaye, à 200 milles au sud du cap Clear. D’après nos connaissances actuelles, les Crinoides à tige appartiendraient à la faune des grandes profondeurs. Un second spécimen d’une autre forme très-remarquable, |’ Ho- lopus Rangi (VOrbigny), a été pris récemment près des Bar- bades, et cette espèce, avec celles qui ont été déjà décrites, composent la liste entière des formes vivantes connues de nos jours. Il est rarement sensé de prophétiser; mais quand on songe qu'il a suffi de quelques coups de drague dans les grandes profondeurs pour ajouter deux nouvelles et très- remarquables espèces aux représentants vivants d’un groupe qui, jusqu'à l’époque actuelle, était supposé à la veille de disparaitre, et que toutes les espèces connues appartiennent à des profondeurs qui défient les ressources du draguage ordi- naire, il est permis de supposer que les Crinoides constituent un des éléments importants de la faune des abimes. Il a déjà été question de la distribution générale des Astéries des mers profondes. La plus frappante des particularités qu'elles présentent, c’est peut-être la grande prépondérance des genres Astrogonium, Archaster, Astropecten, et leurs — alliés. Les genres appartenant à d’autres groupes ne parais- sent pas devenir moins nombreux dans les grandes pro- fondeurs, car l’As{eracanthion, le Cribrella, V'Asteriscus et l’'Opladiaster y sont aussi abondants que dans les profon- LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 380 deurs moindres. Mais à mesure qu'on descend, de nouvelles espèces au disque recouvert d'une cuirasse tachetée, et aux plaques marginales massives, surgissent continuellement. Dans nos mers, quelques rares formes très-caractéristiques, telles que l’Astrogonium phrygianum et VArchaster Andromeda ct Dati <1 LIT EG a eee ti ES ee EN VAR rz be te Fic. 74. — Archaster bifrons WYVILLE THOMSON, face orale. Trois cinquièmes de la grandeur naturelle. (N° 57, 1869.) Parellii se rencontrent sur l’extrème limite de la grande pro- fondeur, et l’on en prend de temps en temps en dehors des limites du draguage côtier ou sur les cordes des filets de pèche. Dans les eaux profondes, tout le long du nord et de l’ouest de l'Écosse, |’ Astrogonium granulare, V Archaster tenui- spinus et V Astropecten arcticus abondent, et la drague ramène de temps en temps des exemplaires de VArchaster bifrons (fig. 74), de VArchaster verillifer, et de VAstrogonium longi- 25 386 LES ABIMES DE LA MER. manum (Mobius). Le singulier petit groupe dont le Pleraster peut être pris pour type a reçu de nombreux accroissements, mais je crois que sa place est, comme pour la plupart des Ophiuridés, plutôt dans la faune des profondeurs moyennes à portée de la drague du naturaliste, sur les côtes scandi- naves, que dans celle des abimes. On peut en dire autant Fic. 75. — Solaster furcifer, yon DuBEN ct Koren, face orale. Grandeur naturelle. (Ne 55, 1869), de quelques autres formes, telles que le Solaster furcifer (fig. 75) et le Pedicellaster typicus. Ces espèces se trouvent au delà de la zone de 200 brasses, sur les côtes de la Grande— Bretagne, mais ne paraissent pas s'étendre à une très-grande profondeur. Vingt-six Échinides ont été observés sur les rivages de la Grande-Bretagne et sur ceux du Portugal,. à des profon— deurs qui variaient de 100 à 2435 brasses, pendant les croi— sières du Lightning et du Porcupine. Ce groupe était repré- senté à cette dernière profondeur par une petite variété de l'Echinus norvegicus, et par un jeune exemplaire du Brissopsis lyrifera. Parmi les Cidarideæ, le Cidaris papillata (Leske) se montre fort abondant, de 100 à 400 brasses. Cette espèce est très- répandue et habite une zone, selon toute apparence ininter— rompue, qui s'étend du cap Nord au détroit de Gibraltar, et pénètre même dans la Méditerranée. Cette forme varie, mais LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 281 seulement dans des limites très-restreintes. Les spécimens méridionaux se modifient graduellement pour arriver à la variété qui est le type de l'espèce de Lamarck, le Cidaris Hystrix. Le Cidaris affinis (Philippi) est très-commun dans la Méditerranée, particulièrement le long des côtes d'Afrique. Je crois que cette jolie petite espèce doit être, pour le moment, considérée comme distinete. Les spicules du corps sont d’un brillant écarlate, et chez les spécimens bien caractérisés, les longs spicules sont bruns, rayés de rouge ou de rose, ce qui en fait un objet d’une singulière beauté. Le genre Porocidaris, les trois espèces de la famille des Echinothuride, et leurs rapports pleins d'intérêt avec les formes fossiles, ont été déjà étudiés; mais elles ne peuvent nous transporter dans les temps géologiques antérieurs plus complétement que deux genres d’Oursins irréguliers dont l’un a été dragué sur la côte d'Écosse, et l’autre à l'entrée de la Manche. Le premier de ceux-ci est le Pourtalesia, dont une des espèces, le Pourtalesia Jeffreysi, a déjà été dessinée et décrite (page 92). D’après la classification de Desor, qui fait de la disposition disjointe des ambulacraires du sommet le trait distinctif des Dysasteridw, ce genre devrait être réuni à ce groupe, car son disque supérieur est véritablement disjoint comme chez le Dysaster et chez le Collyrites, et non simple- ment écarté, comme chez lAnanchytes. Cependant la dispo- sition et la forme des pores, et l’apparence générale de l'animal, me disposeraient à trouver, comme Alexandre Agassiz, qu’il a plus d’affinités avec des formes telles que l’/nfulaster. Quel que soit le groupe dans lequel on le place, le Powrtalesia sera toujours un type spécial. L'autre genre, le Veolampas (Alexandre Agassiz) se rap- porte aux Cassidulide, en vertu de sa bouche pentagonale et presque centrale, avee une foscelle assez distincte et un anneau anal souvrant au fond d’une rainure postérieure profonde, creusée dans un rostelhun qui se projette en avant; les espaces 388 LES ABIMES DE LA MER. ambulacraires sont petits, et les plaques supérieures serrées et peu considérables. Mais il différe de tous les genres connus, vivants ou éteints de cette famille, en ce qu il offre pas trace de la disposition pétaloïde des ambulacraires, qui sont réduits, sur la surface supérieure du test, à un seul pore qui passe au travers de chaque plaque ambulacraire, et forme ainsi une double rangée de pores simples et alternes pour chaque espace ambulacraire. Je ne crois pas me tromper en ?denti- fiant un spécimen unique, que nous avons dragué à l'entrée de la Manche, dans une profondeur de 800 brasses, avec l’es- pèce draguée par le comte de Pourtalés dans des profon- deurs de 100 à 150 brasses, dans le détroit de la Floride, et décrite par Alexandre Agassiz sous le nom de Veo/ampas rostellatus. Sur les vingt-six Échinodermes dragués par le Porcupine, six, l'Echinus Fleeminqii, VEchinus esculentus, le Psamme- chinus miliaris, V Echinocyamus angulatus, V Amphidetus cor- datus et le Spatangus purpureus, peuvent être considérés comme appartenant aux profondeurs moyennes dans la pro- vince Celtique, les observations récentes ayant simplement démontré qu'ils occupent un espace un peu plus grand dans le sens de la profondeur qu'on ne l'avait d’abord supposé. Il est probable que le Spatanqus Raschi est essentiellement une forme des eaux profondes, mais ayant son quartier général dans la même région. Sept espèces, le Crdaris papillata, VEchinus elegans, VEchinus norvegicus, VEchinus rarispina, VEchinus microstoma, le Brissopsis lyrifera et le Tripylus fragilis, font partie d’une faune des profondeurs intermédiaires, et toutes, y compris l’exemplaire douteux de l’£chinus micro- stoma, ont été observées dans les eaux relativement basses des côtes de la Scandinavie. Cinq espèces, le Cidaris affinis, l'Echinus Melo, le Toxopneustes brevispinosus, le Psamme- chinus microtuberculatus et le Schizaster canaliferus, sont connues pour faire partie de la faune lusitanienne et méditer- ranéenne; et sept, le Porocidaris purpurata, le Phormosoma LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 38) placenta, le Calveria Hystrix, le Calveria fenestrata, le Neo- lampas rostellatus, le Pourtalesia Jeffreysi et le Pourtalesia phiale, sont des formes qui ont été mises au jour pour la première fois pendant les draguages dans les grandes pro- fondeurs, soit de ce coté-ci de PAtlantique, soit à son autre extrémité. Il n’est guère douteux que ces dernières espèces ne doivent prendre place dans la faune des abimes, que nous avons à peine effleurée. Trois des plus remarquables des formes génériques, le Calveria, le Neolampas et le Pourtalesia, ont été trouvées par Alexandre Agassiz parmi les produits des draguages profonds exécutés par le comte de Pourtalès dans le dé- troit de la Floride, et témoignent d’une distribution latérale fort étendue; mais ce qui excite un intérêt plus vif encore, c’est que, tandis que la famille typique des Echinothuride nest connue jusqu'ici qu'à l’état fossile, le groupe entier trouve, dans les faunes éteintes de la craie ou des tertiaires anciens, des alliés plus rapprochés que dans celle de la période actuelle. Ainsi que je l’ai déjà dit, les Mollusques obtenus pendant les trois années de draguage sont entre les mains de M. Gwyn Jeffreys, chargé den faire le classement et la description. D’après le grand nombre des espèces nouvelles, et à cause des rapports compliqués que plusieurs des formes des grandes pro- fondeurs ont avec des espéces qui s’en trouvent maintenant séparées par de grands espaces, ou qui appartiennent a des périodes géologiques écoulées, la tache sera difficile, et nous ne pouvons espérer qu'elle se termine avant un certain temps. En attendant, M. Gwyn Jeffreys a publié plusieurs esquisses préliminaires qui laissent entrevoir des résultats du plus haut intérêt. M. Gwyn Jeffreys croit que les Mollusques des grandes pro- fondeurs qui ont été dragués depuis les îles Faréer jusqu'aux côtes d'Espagne, sont presque tous d’origine septentrionale. La plupart des espèces déjà décrites étaient connues dans les 39) LES ABIMES DE LA MER. mers scandinaves, et plusieurs de celles dont la description n'a point encore été faite, appartiennent aux genres du Nord. Il fait observer que la faune des mers arctiques est encore à peu près inconnue; mais, d’après les grandes collections faites au Spitzberg par le professeur Torrell, et d’après les nombreux fragments de Mollusques qui ont été rencontrés dans les grandes profondeurs, à l’intérieur du cercle arctique, il conclut que la faune doit y être riche et variée. Il cite des sondages faits en 1868, par l'expédition suédoise, qui atteignirent a 2600 brasses, et qui ramenèrent un Cuma et un fragment d’Astarte dans la sonde du Bull-dog. «Il est évident, dit-il, que la grande majorité, si ce n’est la totalité de nos Mollusques sous-marins (et ceci pour les distinguer des espèces litto— rales et phytophages), ont leur origine dans le Nord; avee le temps, ils ont été transportés vers le Midi par les grands courants arctiques. Beaucoup paraissent s’étre ayancés jusque dans la Méditerranée, ou avoir laissé leur dépouille dans les formations tertiaires ou quaternaires du midi de VItalie; quelques-uns même ont émigré jusque dans le golfe du Mexique. » Ce n’est pas sans de grandes hésitations que je mets en doute certaines des conclusions de mon ami M. Gwyn Jeffreys, quelque autorité qu'il ait sur un pareil sujet; mais J'avoue ne pas trouver que son raisonnement soit concluant, car il sem blerait plutôt que le dernier changement qu’a subi la faune des Mollusques des profondeurs moyennes de la zone britan- nique ait consisté dans la retraite vers le Nord des espèces septentrionales à la fin de la période glaciaire, suivie de lim migration des faunes méridionales. Les couches quaternaires du district de la Clyde recélent une riche série de Mollusques; celles de Rothesay représentent particulièrement les parties les plus profondes de la zone des Laminaires et des Corallines. Le trait le plus caractéristique de la faune de cette couche, c’est que plusieurs de ses espèces les plus nombreuses, par exemple le Pecten islandicus, le Tellina calcarea et le Natica.clausa, LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 991 sont maintenant éteintes dans les mers de la Grande-Bretagne, » tandis qu’on les trouve en grande abondance dans celles de la Scandinavie et du Labrador; par contre, beaucoup de formes extrêmement communes maintenant dans les mers britan- niques et plus au sud, manquent entièrement à ces régions du Nord. Nous avons trouvé vivants quelques-uns des coquillages elaciaires des couches de la Clyde, sur les confins septentrio— naux de notre région: le Zellina calcarea, par exemple, était très-commun dans quelques-uns des fjords de Farôer. Il parait évident que cette forme s’est lentement retirée vers le nord, chassée par le changement graduel des conditions d'existence. Ce changement de faune, que nous pouvons suivre pas à pas, est des plus intéressants au point de vue de la question de la contemporanéité des couches situées à de grandes distances les unes des autres, mais renfermant des faunes identiques. Nous pouvons facilement imaginer qu’un bloc de vase parfaitement dureie puisse être apporté d’une localité voisine du cerele arctique, et renfermer précisément les mêmes espèces de Mol- lusques que ceux que contiendra un bloc de l'argile glaciaire de la Clyde: la nature minérale de la gangue, dans les deux cas, pourrait mème correspondre plus exactement encore. En appliquant la règle géologique ordinaire, ces deux blocs, sem- blables dans leurs caractères paléontologiques, devraient être contemporains; mais nous n’ignorons pas que la vase durcie appartient à la période actuelle, tandis que les argiles gla- claires de la Grande-Bretagne sont recouvertes d’une couche épaisse de dépôt moderne qui représente une période considé- rable même au point de vue géologique, et contient une faune d’un caractère bien différent. C’est là sans doute un exemple relativement de peu d'importance; il n’est question que de couches peu profondes qui correspondent paléontologique- ment, et qui ne sont cependant pas, nous le savons de science certaine, contemporaines, puisque l’une est recouverte d’un dépôt plus récent et de grande épaisseur, tandis que l’autre, 392 LES ABIMES DE LA MER. en voie de formation, nous fournit ainsi une date, chose rare et précieuse en géologie. J'ai déjà fait observer qu'au point de vue de l'identité des formes appartenant aux grandes profondeurs avec les espèces découvertes jusqu'ici en Scandinavie, il ne faut pas oublier que les conditions de température, dans nos mers méridionales profondes, se rapprochent beaucoup de celles qui règnent dans des profondeurs infiniment moindres dans les mers scandi- naves. La température est, de toutes les conditions, celle qui parait avoir le plus d'influence sur la distribution des espèces. Cette faune correspondante dans les régions du Nord est connue depuis bien plus longtemps, et d’une manière bien plus complète. M. Gwyn Jeffreys insiste beaucoup sur la plus grande abondance, dans les régions arctiques, d'espèces qui se trouvent aussi dans nos mers, et sur la supériorité de leur développement, soit au point de vue du volume, soit à celui de l’ornementation, de la ciselure extérieure. C’est ce qui se voit sans doute fréquemment ; cependant il faut reconnaitre que plusieurs groupes, et cela plus particulièrement parmi les Mollusques, ont une tendance à se rapetisser dans les grandes profondeurs, et je crois fort possible qu’une espèce puisse arriver à un développement très-supérieur en habitant une zone où les conditions spéciales de température qui sont néces- saires à son existence se trouvent plus près de la surface, et conséquemment plus accessibles à l'influence de Pair et de la lumière. Plusieurs des Mollusques des grandes profondeurs ne se sont trouvés Jusqu'ici que dans les zones septentrionales, et sont généralement alliés aux formes du Nord. Comme échantillons de ce groupe, je peux citer deux espèces intéressantes, qui viennent s'ajouter à la faune déjà célèbre des Shetland : le Buccinopsis striata (Jeffreys) (fig. 76), forme un peu voisine du Buccinopsis Dalei, qui a été pendant longtemps une des gloires de la mer des Shetland, et le Latirus albus (Jeffreys) (fig. 77), connu aussi sur les côtes de Norvége. Le Cerithium granosum LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 393 (S. V. Wood), commun aussi à la Norvége et aux Shetland, se trouve à l’état fossile, et le Fusus Sarsi (Jeffreys), des Shetland et de la Norvége, existe à l’état fossile à Bridlington. Plu- sieurs espèces n'étaient connues jusqu'iei que comme méri- Fic. 76. — Buccinopsis striata, JEFFREYS. Fic. 77. — Latirus albus, JEFFREYS. Double de Canal de Farüer. la grandeur naturelle. Canal de Farüer. x dionales, et M. Jeffreys a quelque peine à s'expliquer leur présence. Ainsi, le Tellina compressa (Brocchi) est connu dans les iles Canaries et dans la Méditerranée, et à l’état fossile dans les tertiaires italiens très-récents. J’ai déjà fait mention du a, De l’Est-Atlantique. b. Du golfe du Mexique. Fic. 78. — Pleuronectia lucida, JEFFREYS. Double de la grandeur naturelle. Verticordia acuticostata (Philippi) comme se rencontrant sur les côtes du Portugal et sur celles du Japon. C’est un fossile très-commun dans la Calabre. Les Mollusques qui offrent le plus d'intérêt cependant, sont ceux qui font partie de la faune 294 LES ABIMES DE LA MER. des abimes, mais nous ne savons encore que fort peu de chose de ce groupe. Comme les Échinodermes, ils paraissent con- stituer des formes spéciales, et avoir une vaste extension laté- ‘ale. Le Pleuronectia lucida (Jeffreys) (fig. 78), jolie coquille qui appartient au groupe du Pecten pleuronectes, est représenté par des individus provenant de l'Atlantique du Nord et du golfe du Mexique. Les Mollusques des abimes sont loin d’être décolorés, bien qu'ils soient toujours plus ternes que ceux qui habitent les bas-fonds. Le singulier Dacrydium vitreum, qui lic. 79. — Pecten Hoskynsi, ForBEs. Double de la grandeur naturelle. construit et habite un tube mince et délicat en forme d’ampoule, composé de Foraminifères, de spicules d’Eponges, de Cocco- lithes et d’autres corps étrangers cimentés par une matière organique, et doublé d’une membrane délicate, est d’une belle couleur brun-rouge teinté de vert, et a été trouvé à 2435 brasses. Une ou deux espèces de Lima venues des pro- fondeurs extrèmes n’en ont pas moins la couleur ordinaire de vif écarlate orangé. Les Mollusques des abimes ne sont point non plus privés d’yeux; une espèce nouvelle de Pleurotoma, venue de 2090 brasses, avait une paire d’yeux fort bien déve- loppés et placés sur de courts pédoncules, et un Fusus pris à 1207 brasses en était pourvu d’une manière tout aussi com plète. La présence de ces organes à pareilles profondeurs ne permet guère de douter qu’une lumière quelconque n’y arrive. Par bien des raisons, ce ne peut être celle du soleil. J’ai déjà émis l’idée qu’au delà d’une certaine profondeur, toute lumière LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 395 _ pourrait bien être produite par la phosphorescence, qui est certainement très-générale, surtout chez les larves et les jeunes des animaux qui habitent ces zones profondes; mais c’est la une question aussi difficile à résoudre qu'intéressante, et qui nécessitera les recherches les plus persévérantes. Bordôü, Kuné et Kalsü : vue prise dans le voisinage du hameau de Vider (Faréer) CHAPITRE X DE LA FORMATION, ACTUELLE DE LA CRAIE Des points de ressemblance qui existent entre le limon de VAtlantique et la craie blanche. — Des différences qui les distinguent. — Composition de la craie. — Théorie de la permanence de la formation de la craie. — Objections. — Arguments en faveur de la théorie fournis par la Géologie et par la Géographie. — Ancienne distribution des mers et des terres. — Preuves tirées de la Paléontologie. — Les roches crayeuses. — Les Eponges modernes et les Ventriculites. — Les Coraux. — Les Echinodermes. — Les Mollusques. — Opinions du professeur Huxley et de M. Prestwich. — De la com- position de l’eau de mer. — Présence de matières organiques. — Analyses des gaz qui y sont contenus. — Différences dans les pesanteurs spécifiques. — Conclusions. APPENDICE A. — Résumé des résultats des expériences faites sur divers échantillons d’eau de mer pris à la surface et à différentes profondeurs, par William Lant Carpenter. APPENDICE B. —- Résultats de l'analyse de huit échantillons d’eau de mer recueillis pen- dant la troisième croisière du Porcupine, par le D° Frankland. APPENDICE CG. — Notes sur des spécimens du fond recueillis pendant la première croi- sière du Porcupine, en 1869, par David Forbes. APPENDICE D. — Notes sur l'acide carbonique contenu dans l’eau de mer, par John Young Buchanan, chimiste de l'expédition du Challenger. Dès que les échantillons du fond des régions moyennes de l'Atlantique, rapportés par la sonde, eurent été soumis à l’ana- lyse chimique et à l’examen du microscope, l’analogie de sa composition et de sa structure avec celles de l’ancienne craie frappa plusieurs des observateurs. J’ai déjà décrit le carac— tère général et le mode d’origine du grand dépôt calcaire qui parait recouvrir la plus grande partie du lit de l’Atlantique. Si Von prend un morceau de craie blanche commune dans le midi DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 307 de l’Angleterre, qu’on le désagrége dans l’eau au moyen d’une brosse, et qu’on place ensuite sous le microscope une goutte du liquide laiteux qui résultera de l’opération, on voit que, comme le limon de l'Atlantique, cette craie est composée en grande partie par de fines particules amorphes de chaux, avec quelques fragments de coquilles de Globigérines, plus rarement de ces coquilles entières, et d’une proportion considérable (près d’un dixième dans certains échantillons) de Coccolithes, qu'aucun caractère ne distingue de ceux du limon océanique. Dans leur ensemble, deux préparations, l’une de craie désagrégée dans l'eau, l’autre du limon de l’Atlantique, se ressemblent si par- faitement, qu'il n’est pas toujours facile, même pour un micro- graphe expérimenté, de les distinguer. On peut se rendre compte aussi de la composition de la craie en la découpant, comme l'ont fait Ehrenberg et Sorby, en tranches minces et dia- phanes, ce qui permet de démontrer très-bien le mode d’agré- gation des différentes substances dont elle est composée. De nombreuses expériences ont rendu de plus en plus évi- dentes ces ressemblances frappantes qui mettent hors de doute que la craie de la période crétacée et le limon crayeux mo derne de l’Atlantique sont identiques; des études plus appro— fondies encore sont venues prouver qu'il existe cependant entre eux des différences importantes. La craie blanche est très-homogène, plus peut-être qu'aucune autre roche sédimen— taire, car on peut dire qu’elle constitue du carbonate de chaux presque pur. Voici, du reste, l'analyse, faite par M. David Forbes’, de la craie blanche de Shoreham (Sussex) : Carbonate. de. chau §. RARES: 98,40 Carbonate de magnésie. 325... 5.5 5 0,08 Debris msblables: so APR ALAN 1,10 Alumineretdechets = area nr ere 0,42 100,00 La craie grise de Folkstone elle-même contient une forte 1. Citée dans le discours présidentiel de M. Prestwich, 1871. 398 LES ABIMES DE LA MER. proportion de carbonate de chaux, les autres substances n’y existent que comme impuretés, et n’entrent pas dans la compo- sition de la roche. L’analyse suivante, faite par M. Forbes, indique quelle est la base de la craie grise de Folkstone : Carbonate de chaux..... Po Sh Spottt Deen Carbonate de magnésie. .............. 0,31 Débris de roches insolubles. .......... 3,61 Acide phosphorigue 7). es. ace } : : traces Allumimevetwdéchet ss PERRET a eae \ Chlorure te soditims. Wiis) Te ER M 1,29 ARR OR NE TRES CAR ARE AU 0,70 100,00 I] est à remarquer, dans cette analyse, que la craie blanche, presque toujours associée au grès vert et au silex, ne ren— ferme pas un atome de silice. Le limon crayeux de |’Atlantique ne contient pas plus de 60 pour 100 de carbonate de chaux, avee 20 a 30 pour 100 de silice, et des proportions variables d’alumine, de magnésie et d'oxyde de fer. Il faut se rappeler cependant que fa craie se présente sous sa forme la plus pure dans les rochers des côtes anglaises, tandis que dans d’autres parties du monde elle affecte un caractère tout différent et contient du carbonate de chaux dans des proportions tout autres. M. Prestwich cite une couche de la eraie blanche de Touraine (terrain sénonien) dont le carbonate de chaux est entièrement absent. On ne saurait mettre en doute qu'il n’y ait en voie de forma- tion, au fond de l'Océan, une vaste étendue de roches qui res— semblent beaucoup à la craie. L'ancienne craie, la formation erétacée, qui, dans certaines parties de l'Angleterre, s’est trouvée soumise à une énorme dénudation, et qui est recou- verte par les couches de la série tertiaire, a été formée de la mème manière et dans des circonstances à peu près identiques. Ceci est probablement vrai non-seulement pour la craie, mais encore pour toutes les grandes formations calcaires. Les restes de Foraminifères abondent à peu près partout; quelques-uns DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 399 sont spécifiquement identiques avee les formes vivantes, et dans un grand nombre de calcaires de toutes les époques le D' Gümbel a trouvé les Coccolithes si caractéristiques. Longtemps avant les recherches actuelles, certaines considé- rations m’avaient fait juger très-probable l'existence, dans les parties les plus profondes’ de l'Atlantique, d’un dépôt en voie de formation. Je pensais que la composition en pouvait varier dans les détails, mais que les caractères généraux en devaient ètre partout les mêmes. Ce dépôt, selon moi, s’accumulait d’une manière continue depuis la période crétacée, ou même depuis des époques plus anciennes encore, Jusqu'à nos Jours. J’exposai cette idée dans ma première lettre au D" Carpenter, en insistant sur l’opportunité d’une exploration du fond de la mer, et elle a trouvé une chaleureuse approbation ‘chez mon collègue, dont l'opinion est d’un grand poids à cause des études approfondies qu’il’a faites de plusieurs groupes des animaux dont les restes entrent dans la composition de la craie ancienne, ainsi que dans la craie de nouvelle formation. A notre retour de l'expédition du Lightning, dont les résul- tats nous avaient paru justifier amplement notre théorie, nous nous sommes exprimé d'une manière qui rendait mal notre pensée, puisqu'elle n’a pas été comprise, en disant que nous pouvions, dans un certain sens, nous considérer comme vivant encore dans la période crétacée. Plusieurs géologues éminents, parmi lesquels se trouvent sir Roderick Murchison et sir Charles Lyell, ont critiqué cette opinion; mais leur désapprobation s’adressait moins, parait-il, à l'opinion elle-même qu'aux termes dans lesquels elle se trouvait exprimée : aussi je crois que la théorie de la permanence de la eraie, dans le sens où nous l’entendons, est maintenant généralement acceptée. Je ne prétends point soutenir que la phrase, « nous vivons encore dans la période crétacée », soit exacte dans son accep- tion strictement scientifique; mais cela vient de ce que les termes d'époque géologique et de période géologique ont un sens parfaitement indéterminé. Nous parlons indifféremment _ 100 LES ABIMES DE LA MER. de la période silurienne, de la période glaciaire, sans nous préoccuper de leur valeur totalement différente; de la période tertiaire, de la période miocène, bien que l’une soit comprise dans l’autre. Notre manière de nous exprimer, dans son sens populaire, s’accordait done avec l’idée qui, jusqu’à une époque toute récente, était généralement répandue ; qu’une période a, dans les régions où elle a été étudiée et définie, quelque chose comme un commencement et une fin, qu’elle trouve ses bornes dans telle époque de changements, tels qu’élévation, dénuda- tion ou autres influences dues au cours des siècles. Il serait inadmissible de parler de deux parties d’un dépôt permanent, quelque éloignées que soient les époques de la formation de ce dépôt et quelque distinctes que puissent être les faunes qu'il renferme, comme appartenant à des périodes géologiques diffé- rentes. C'est certainement dans ce sens que, dans un discours pro— noncé en avril 1869, devant un auditoire populaire, j'ex- primai l’opinion que ce n’est pas seulement de la craie qui se trouve en voie de formation dans l'Océan, mais bien la craie par excellence, la craie de la période crétacée. En résumant ses objections à cette théorie, sir Charles Lyell dit ‘: « Le lee- teur comprendra tout de suite que les noms d’océan Atlantique, Pacifique ou Indien, sont de simples termes géographiques sans signification quand on les applique à la période éocène, et surtout à la période crétacée, et que dire que la craie s’est formée d’une manière ininterrompue dans l'Atlantique, est aussi inadmissible au point de vue géographique qu’à celui de la géologie. » J’avoue que la difficulté géographique m’échappe: l'océan Atlantique est certainement un terme géographique; la dépression dont il est ici question occupant l’espace qu’on désigne actuellement de ce nom-là, il nous a paru que lem— ployer était la maniére la plus simple d’en indiquer la posi- tion. Les probabilités nous paraissent être en faveur de la for- 1. The Students Elements of Geology. By sir Charles LyeLr, Bart., F. R. S. Lon- don, 1871; p. 265. mi DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 401 mation non interrompue de la craie sur plusieurs points de cet espace, et notre croyance est fondée sur des données physiques et paléontologiques. Tous les principaux soulévements au nord de l’Europe et au nord de Amérique sont d’une date de beaucoup antérieure au dépôt des couches tertiaires et même des secondaires, bien que quelques-uns d’entre eux, tels que les Alpes et les Pyrénées, aient reçu, à une époque plus récente, des accroissements con- sidérables. Ces couches plus nouvelles ont done été déposées de facon à conserver certains rapports de position qui existent encore à l’époque actuelle. Bien des oscillations ont, sans aucun doute, eu lieu depuis, et il n’est probablement aucune portion du plateau européen qui n’ait subi ses alternances de terre et de mer; mais il est difficile de démontrer que, dans le nord de l'Europe, ces oscillations aient dépassé 4000 à 5000 pieds, distance verticale la plus grande qui sépare la base des ter- tiaires des points les plus élevés où l’on trouve sur les pentes et sur les crétes des montagnes des coquilles tertiaires et post- tertiaires. Un simple abaissement de 1000 pieds suffirait ce- pendant pour amener sur la plupart des terres septentrionales une mer de 100 brasses de profondeur, plus profonde que la mer d'Allemagne, et un exhaussement de même proportion réunirait les Shetland, les Orcades, la Grande-Bretagne et l'Islande au Danemark et à la Hollande, laissant seulement un fjord profond entre la péninsule Britannique et la Scandinavie. Ii faut se rappeler les nombreuses preuves que nous possédons de ces oscillations, qui varient de 1000 pieds à un maximum de 4000 à 5000 pieds, et qui se sont répétées fréquemment dans le monde entier, à des époques relativement récentes, réunissant les terres, puis les séparant par des mers peu profondes, pendant que la position des grandes profondeurs demeurait la même, pour comprendre l'importance de la détermination exacte des profondeurs des mers dans toutes les études qui ont pour objet la distribution géographique et l’origine de faunes spéciales. 26 102 LES ABIMES DE LA MER. En jetant un coup d'œil sur la carte (pl. VIII), en se rappe- lant que le même ordre existe dans les roches plus récentes de l'Amérique du Nord, il parait évident que le résultat de ces élévations et de ces abaissements de moindre importance, a été un relèvement général des bords, avec dépression d'un , bassin dont l’axe de longueur coïncide dans son ensemble avec l’axe de longueur de PAtlantique. Les couches jurassiques affleurent le long des bords extérieurs du bassin ; les couches crétacées forment une bande médiane, pendant que les dépôts tertiaires occupent les creux et les vallées. Toutes ces couches cependant conservent les unes avec les autres, et toutes avec les plages de la mer actuelle, un certain parallélisme, déter— miné par le contour des terres primitives et par la direction des chaînes de montagnes les plus anciennes. Depuis le 55° parallèle de latitude nord jusqu'à l'équa- teur, il existe sur chacun des côtés de l’Atlantique une dé- pression de 600 à 700 milles de largeur, ayant une pro— fondeur moyenne de 15 000 pieds. Ces deux vallées sont séparées par le plateau volcanique récent des Açores. Il ne nous parait pas probable qu'il se soit produit dans l'hémisphère septentrional aucune oscillation générale assez importante pour créer ces immenses abimes ou pour les transformer en terre ferme. S'appuyant sur des données physiques et paléontologiques, M. Prestwich suppose que l’ancien océan crayeux qui formait une grande zone à travers le midi et l’est de l’Europe et le centre de |’Asie, d’une part, Visthme de Panama et la partie sud de l'Amérique du Nord, de l’autre, était séparé de la mer Arctique par une barrière de terres, circonstance à laquelle il devait sa température plus élevée et plus égale jusqu’au fond. Tout porte à croire que cette barrière a existé au nord du grand bassin atlantique, et qu’elle était la prolongation de la ceinture des terres septentrionales sur lesquelles il n’existe aucun dépôt de roches crétacées. Il dit que «s'il existait une barrière semblable à l’époque de la craie, et que cette barrière LD Us spard QOS ep epuy[ i aubissvine di sperd 0008 49 OOOL UTI] += wowyoIQSsi” SUIS wise ; Spala QOUT 39 O MIT | CNTR IIOT, UTULEOT, Fo S3LNIAL syn31NO09 SHINIEZ SHA LH SHNAINOD SAGA OVATIVI = — Se ‘adouNg j 9p 2S0N0-PAONT ap sump ‘onlassnange 76 ‘99079479 ‘aupuyday SU] sap aynauoh UOUYNQUISIP D} JUPAJUOUW 9740) — HHINVT pony; LE La gg A a a UO ee al 2409 — TILL c DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 403 ait été submergée pendant la première partie de la période tertiaire, cette circonstance, rapprochée des conditions si diffé rentes de profondeur où l’on a trouvé la craie et les tertiaires inférieurs, suffirait pour expliquer l'interruption qui se trouve entre les faunes des deux périodes. » D’après les renseignements connus sur les profondeurs de l'Atlantique du Sud et du Pacifique du Nord, on n’a cependant aucune raison de supposer qu'il ait existé récemment une bar- rière qui séparat la mer polaire de l'hémisphère méridional des autres mers; on ne saurait comprendre comment il en résul- terait le fait avancé par M. Prestwich, à moins de prendre en considération un autre fait dont l’existence parait être démon trée. Un bane de roches crétacées entoure notre globe, et passe un peu au nord de l'équateur, partout où il y a terre ferme; l'étude des profondeurs fait supposer que ce bane crayeux se prolonge également à travers les grands bassins océaniques. Il paraitrait done qu’à cette époque aueun continent s'étendant du nord au sud ne venait mterrompre le courant équatorial, faire dévier du nord au midi les eaux chaudes de l'équateur, ct donner lieu en retour à un courant des eaux polaires. Ce fait détruirait la principale, sinon l'unique eause de la basse tem— pérature qui règne actuellement dans les grandes profondeurs des tropiques. D’après cette théorie, l’abaissement de tempé- rature, cause de l'interruption de la faune, serait produit plus encore par l’élévation de l'Amérique centrale, de Visthme de Panama et des côtes orientales du continent asiatique, que par la dépression de la barrière septentrionale qui a ouvert le bassin arctique. « Si, à une époque antérieure à la nôtre, le climat de notre globe a été beaucoup plus chaud ou beaucoup plus froid qu'à l’époque actuelle, il a dû conserver cette température plus élevée où plus basse pendant une succession d’époques géolo- giques.... La lenteur des changements climatériques à laquelle il est fait ici allusion est due a la grande profondeur de la mer 104 LES ABIMES DE LA MER. par rapport à l'élévation des terres et à l'immense laps de temps qui est nécessaire pour amener un changement dans la position des continents et des grands bassins océaniques. — La hauteur moyenne des terres n’est que de 1000 pieds; la profondeur de la mer de 15 000 pieds : conséquemment, des mouvements verticaux de 1000 pieds dans chaque direction, de haut en bas ou de bas en haut, doivent avoir pour résultat de grands déplacements de terre et d’eau dans les espaces continentaux autour desquels existent de vastes mers dont la profondeur ne dépasse pas 1000 pieds; tandis que des mouve- ments d’égale importance n’occasionneraient pas de change- ments sensibles dans l'Atlantique ou dans le Pacifique, et ne transformeraient ni les espaces continentaux, ni les étendues océaniques. Une dépression de 1000 pieds aménerait la sub— mersion de vastes espaces de terre, mais il faudrait quinze fois ce mouvement pour faire de ces terres une mer de profondeur moyenne, ou pour transformer un des continents actuels en une mer de 3 milles de profondeur *. » La grande étendue des tertiaires en Europe et au nord de l'Afrique donne la mesure de tout ce qui a été gagné de terrain pendant les périodes tertiaire et post-terhiare, et les grands massifs de montagnes du midi de l’Europe témoignent de grands bouleversements locaux. Bien que les Alpes et les Pyrénées soient de nature, par leur altitude et par leur éten— due, à produire une profonde impression sur l’esprit humain, ces montagnes réunies et nivelées ne couvriraient la surface de l'Atlantique que d’une couche de six pieds d'épaisseur, et il faudrait au moins 2000 fois leur volume pour remplir son lit. Pendant que les bords de ce que nous appelons la erande dépression atlantique se soulevaient graduellement, sa partie centrale a pu subir une dépression équivalente ; mais il est peu probable que, les traits principaux du contour de 1. LyeLL, Principles of Geology, 1867, p. 265-6. ‘ DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE, 405 l'hémisphère septentrional demeurant les mêmes, un espace aussi vaste se soit déprimé de plus que toute la hauteur du mont Blane. D’après ces données physiques seules, nous pen- sons qu'une partie considérable de cette étendue est toujours demeurée sous l’eau, et qu’un dépôt s’y forme d’une manière permanente, depuis la période de la craie jusqu'à l’époque contemporaine. J’ aborde maintenant le côté paléontologique de la question. Depuis longtemps M. Lonsdale a démontré que la craie blanche n’est composée que des débris de Foraminifères, et le D' Mantell estime que le nombre de ces coquillages dé— passe un million par pouce cube. Il disait, en 1848, à propos de la craie: « Pour que l’ensemble des dépôts sédimentaires dont elle est composée fit accessible à l’observation, il faudrait qu’une masse du lit de l'Atlantique de 2000 pieds d'épaisseur se trouvât soulevée au-dessus des eaux et passat à l’état de terre ferme; la seule différence essentielle résiderait dans les caractères génériques et spécifiques des restes animaux et vé- eétaux qu'on y trouverait enfouis '.» En 1858, le professeur Huxley appelait le limon de l'Atlantique « la craie moderne? ». L'identité de quelques-uns des Foraminifères de la craie avec des espèces vivantes a été reconnue depuis longtemps. Dans son savant résumé de cette question, quia été si souvent cité, M. Prestwich présente un tableau, tracé par le professeur Rupert Jones, de 19 espèces de Foraminifères sur 110, prove- nant du limon de PAtlantique, et qui sont identiques aux formes de la craie, savoir : 1. Wonders of Geology, 6th edition, 1848, vol. I, p. 305. 2. Saturday Review, 1858 : « Chalk ancient and modern. » 406 LES ABIMES DE LA MER. AUTRES FORMATIONS ANTÉRICURES ESPÈCES DE FORAMINIFÈRES DANS LESQUELLES ELLES SE TKOUVENT. QUI SONT COMMUNES AU LIMON DE L’ATLANTIQUE ET A LA CRAIE DE L’ANGLETERRE ET DE L’EUROPE. JURASSIQUE JURASSIQUE RUETIQUE PERMIEN. CARBONIFÈRE. Glandulina levigata, @Orbigny. Nodosaria radicula, Linn DMT APA MUS AIME ere eo ae «Bac oe Dentalina communis, d’Orb Cristellaria cultrata, Mont » rotulata, Laur D verepidula. Fel Moo. PRE Re Lagena sulcata, W. et J » globosa, Montagu Polymorphina lactea, W. et J » communis, dOrb » compressa, d'Orb De) Or bignivie aig. ne cease ae tant Globigerina bulloides, @Orb Planorbulina lobatula, W. et J Pulvinulina Micheliana, d'Orb Spiroplecta biformis, P. et J Verneuilina triquetra, von M. ........... D: polystrapha, ews ask Se A ee LRU TOR [| SGA SE LAINE Ainsi que le tableau suivant des Foraminifères communs au limon de l'Atlantique et aux diverses formations géologiques de l'Angleterre : COMMUXS AUX FORMATIONS SUIVANTES. TOTAL DANS L’ATLANTIQUE PROFOND, CRAG. CRAIE. SUPER. JURASSIQUE JURASSIQUE INFER RUBTIQUE t TRIAS SUPER. PERMIEN CARBONIFÈRE. 110 09 28 19 —! —! 1 = de La morphologie des Foraminifères a été étudiée avec soin, et les différences qui existent entre des prétendues espèces alliées sont si insignifiantes, que ces types pourraient, dans bien des DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 407 cas, n'être considérés que comme variétés. Cette observation minutieuse, cette attention apportée aux plus légères diffé- rences n’en rend la classification que plus exacte et plus sure, et les probabilités plus grandes pour que les formes animales qui sont matériellement identiques aient persisté dans les profondeurs de la mer pendant une période géologique con— sidérable. Les récents draguages profonds de M. Pourtalès sur les côtes américaines, ceux des vaisseaux de Sa Majesté le Lightning et le Porcupine, et ceux du yacht de M. Marshall Hall, Vorna, sur les côtes de l’Europe occidentale, n’ont fait découvrir aucune forme animale appartenant aux groupes élevés spécifiquement identiques aux fossiles de la craie; je ne pense pas qu'on doive s'attendre à en trouver. Une grande partie de | Atlantique -du Nord est échauffée actuellement jusqu’à la profondeur de 9000 pieds environ, à un degré bien supérieur à sa tempé- rature normale, tandis que dans ses grandes profondeurs les courants arctique et antarctique abaissent sa température dans une proportion tout aussi extrême. Ces températures anor- males sont l'effet de la distribution actuelle des terres et des mers, et J'ai déjà démontré qu'il y a eu depuis des temps géologiquement modernes bien des oscillations qui ont du produire, dans les mêmes espaces, des conditions entièrement différentes. Si nous acceptons, jusqu'à un certain point, comme nous sommes tenus de le faire, la théorie de la mo— dification graduelle des espèces sous l'influence de causes naturelles, nous devons nous attendre à l'absence complète de formes identiques à celles qui se trouvent dans la craie ancienne, parmi les groupes chez lesquels il existe des diffé rences de structure suffisantes pour permettre des variations sensibles, produites par la modification des conditions. Tout au plus y aura-t-il persistance de quelques-uns des anciens types génériques ; entre les deux faunes on trouvera une res- semblance suffisante pour justifier la théorie que la faune mo- derne présente avec l’ancienne des rapports de descendance 408 LES ABIMES DE LA MER. extrêmement modifiés, tout en réservant l'influence de l’émi- eration, de l'immigration et de l’extermination de certaines faunes. J'ai déjà dit qu'une des plus grandes différences qui existent entre le limon crayeux récent de l'Atlantique et l’ancienne craie blanche, c’est absence complète de silice libre dans cette dernière. Il paraitrait, d’après l'analyse de la craie, que les organismes siliceux n’existaient absolument pas dans les an- _ciennes mers crétacées. D’autre part, la silice est abondante dans le limon crayeux où, dans la plupart des spécimens, elle entre pour une proportion de 30 à 40 pour 100. Une portion considérable de cette quantité est représentée par un sable siliceux inorganique, dont la présence s'explique, sans aucun doute, par le voisinage des terres et le trajet des courants; tandis que Vextréme pureté de la craie blanche de Sussex semble indiquer qu'elle a été déposée dans une eau tranquille, profonde et éloignée de toute terre. Une grande partie de la silice du limon crayeux se compose cependant de spicules d’Eponges, de plaques de Radiolaires et de frustules de Dia- tomées; cette silice organique se trouve distribuée dans la masse entière. La craie blanche, quoique ne contenant pas de silice, nous offre ce fait smgulier de l’existence de couches régulières de masses rocheuses de silice presque pure, qui affectent fré— quemment la forme extérieure d’Éponges plus ou moins régu- lières, et qui souvent remplissent les cavités des Oursins et de certaines coquilles bivalves. Cette circonstance seule d’un Our- sin, tel que le Galerites albo—galerus ou VAnanchytes ovata, entièrement rempli d’une matière grise, qui forme à l’ouver- ture orale du test une protubérance semblable à celle d’un moule à balles rempli de plomb, nous force à en conclure qu'après la mort de l’Oursin, la silice a pénétré dans l’intérieur à l’état de solution ou tout au moins de gélatine, et que la si lice devait exister antérieurement, sous quelque autre forme, dans la craie ou ailleurs. On trouve souvent, dans la craic DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 409 qui ne renferme pas de silice, les moules d'organismes connus pour être siliceux, et desquels toute la silice a été soustraite ; j'ai vu moi-mème plus d’une fois une partie de la trame déli- cate d’une Éponge siliceuse conservée intacte dans un morceau de roche, pendant que l’autre partie de l’organisme, qui se projetait en dehors du rocher, se montrait dans la craie comme un treillis composé d'espaces vides ou garnis de peroxyde ou de carbonate de fer. Il parait donc certain que, par un procédé quelconque, la silice organique répandue dans la craie sous forme de spicules d’Eponges et autres organismes siliceux a été dissoute ou réduite à un état gélatineux, et qu'elle s’est accumulée dans des moules constitués par les coquilles ou les parois des animaux de différentes classes enfouis dans la roche. On ne sait pas d’une manière certaine comment s’effectue la solution de la silice. Une fois réduite à l’état gélatineux, il est facile de comprendre qu’elle soit tamisée par un procédé d'endosmose, à la faveur de la porosité de la craie, et qu’elle se trouve accumulée dans toutes les cavités favorablement disposées. | Dans plusieurs localités du nord de l’Angleterre, les orga— nismes appelés Ventriculites se trouvent ‘en grande abondance dans la craie et dans la craie chloritée. Ce sont des coupes et des vases de forme élégante, avec des bases ramifiées sem— blables à des racines, ou des groupes de tubes s’étendant régu— lièrement ou irrégulièrement, et recouverts sur leur surface d’un filet qui pourrait rivaliser avec la plus fine dentelle. Feu M. Toulmin Smith a publié en 1840 le résultat de plusieurs années d’une étude approfondie de ces corps, et la description aussi exacte que détaillée de leur structure. Il a découvert qu'ils se composent de tubes d’une ténuité extrême, réunis par des mailles très-fines et ayant entre eux des vides de forme généralement cubique ou octaédrique très-régulière. Ces tubes des Ventriculites trouvés dans la craie étaient vides ou ne renfermaient qu'un peu de matière rougeatre et ocreuse. Quand un Ventriculite se trouvait en tout ou en partie engagé J 410 LES ABIMES DE LA MER. dans une roche, il était entiérement incorporé a la gangue ou remplacé par de la silice. M. Toulmin Smith suppose que le squelette du Ventricultite était originairement calcaire, et il Fic. 80. — Ventriculites simplex, TOULMIN SiTH. Une fois et demic la grandeur naturelle. classe le groupe parmi les Polyzoaires. A l’époque où M. Toul— min Smith étudiait les Ventriculites, les Hexactinellide, les Éponges à trame sexradiée, étaient peu connus, bien qu'il y en eût déjà quelques exemplaires dans les muséums. Un des premiers résultats des draguages profonds est la décou— verte que le limon crayeux des grandes mers en est littérale- ment chargé, et, en comparant des formes récentes telles que ’Aphrocallistes, VIphitron, VHoltenia et VAskonema, avec DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. AN certaines séries des Ventriculites de la craie, on ne peut con— server le moindre doute qu’elles n’appartiennent à la même famille, et même, dans certains cas, à des genres voisins. La SE à Fic. 81.— Ventriculites simplex, TOULMIN SitH, surface antérieure. Quatre fois la grandeur naturelle. figure 80 représente un fort beau spécimen de Ventriculites simplex conservé dans la roche, et dont je suis redevable à M. Sanderson, d'Edimbourg. Comparé à l’Euplectella, à Fic. 82. — Ventriculites simplex, TouULMIN SmitH. Section de la surface inférieure, montrant Ja structure du réseau siliceux (X 50.) VAphrocallistes Beatriz, nous trouvons immédiatement la mème structure jusque dans les détails les plus microscopiques. D'autres Éponges qui appartiennent principalement aux Lithshide et aux Corticate, reproduisent avec une singulière 412 LES ABIMES DE LA MER. exactitude les formes plus irrégulières des Kponges de la craie et de la craie chloritée. Un groupe non encore décrit, mais qui, selon toute apparence, est une famille égarée des £spe- riadæ, pousse des tubes longs et ténus qui s’amincissent lége— rement, mais dune manière tout a fait caractéristique, au point même de leur insertion dans le corps de l’Éponge; ils rappellent ainsi d’une manière frappante la façon toute parti- culière dont les racines tubuleuses s'unissent à l’Éponge dans le genre C’hoanites encore bien vaguement défini. La figure 83 reproduit un des individus appartenant à ce groupe. Une sphère de 15 à 20 millimètres de diamètre, qui se compose d'une écorce extérieure lisse et luisante, tissée Fic. 83. — Celosphera tubifer, WyvILLE THosoN, légèrement agranili. Péché sur les côtes de Portugal. de spicules granulés réunis par des mailles serrées, avec ceux du sarcode, lesquels sont, les uns grands et en forme de C, les autres beaucoup plus petits et répondant au type tridenté, à trois crochets égaux, décrit par Bowerbank. De distance en distance l’épiderme ainsi composé se trouve per- foré. L'intérieur de la sphère est rempli d’un sarcode mou, à demi fluide, contenu dans un filet fort lâche formé d’une matière cornée et granuleuse et de spicules. Irrégulièrement disséminés sur la surface de l’Éponge, des tubes d’environ 3 millimètres de diamètre s’étendent dans toutes les directions ; les parois de ces tubes sont minces et délicates, et le devien- nent plus encore à leurs extrémités, qui se contractent légè- DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 413 rement, tout en restant perforées. A sa jonction avec l’Éponge, le tube présente aussi un étranglement, et une légère dépres— sion se remarque à la surface de l'organisme. Il y a, dans cette structure, quelque chose de très-caractéristique qui montre qu'il existe les plus étroites relations entre ces formes récentes et les Éponges fossiles tubifères, telles que les Choanites. Le professeur Martin Dunean cite plusieurs Coraux des côtes du Portugal qui sont alliés de plus près aux formes de la craie; mais c’est surtout chez les Échinodermes que les rapports entre la faune ancienne et la moderne deviennent évidents. Rappelons brièvement les points principaux qui se rapportent à cette question. Les Apiocrinidæ, ce groupe de Crinoides fixes que j'ai déjà décrit, abondent dans toute l’étendue des roches jurassiques, et leurs dépouilles se trouvent en grande quantité dans les épaisses couches de caleaire jaune de loo- lithe. Vers la fin de la période jurassique, les genres typiques disparaissent, et nous ne trouvons dans la craie que le groupe représenté par une forme évidemment dégénérée, le Bour- guetticrinus. On a rencontré, dans certaines couches tertiaires, des fragments de tiges d’un petit Bourquetticrinus, qui a été également découvert dans les brèches calcaires récentes de la Guadeloupe, qui renfermaient aussi le squelette humain bien connu que l’on voit au British Museum. Il n’est pas douteux que ces fragments tertiaires et post-tertiaires se rapportent au genre Rhizocrinus, que nous savons maintenant si largement distribué à l’état vivant dans les grandes profondeurs. Dans cette série des Apiocriridæ, qui se prolonge depuis le batho- nien (Forest marble) jusqu’à l’époque actuelle, bien qu'il y ait une succession d'espèces toujours variables, la dégénérescence graduelle, persistant dans le mème sens à travers la série tout entière, indique d’une manière incontestable une certaine continuité aboutissant à un type qui s’efface peu à peu sous l'influence de conditions lentement modifiées dans un sens défavorable. L'autre famille des Crinoides à tige, les Pentacrinide, se 414 LES ABIMES DE LA MER. comporte tout différemment. Elle se trouve abondamment dans le lias et dans l’oolithe inférieure, où elle recouvre des plaques entières; là elle est associée d’une manière très-caractéristique avec les espèces des grandes profondeurs, Cidaris, Astrogonium et Astropecten; bien quelle soit peu abondante dans la craic d'Angleterre, on en trouve quelques espèces, et celles-la ne témoignent d'aucune tendance à la dégénérescence. Ainsi qu'on devait s’y attendre, ces restes sont rares dans les dépôts ter— tiaires des bas-fonds. Quant à leur distribution dans les mers modernes, d’après la grande abondance du Pentacrinus Asteria et du Pentacrinus Mulleri dans les eaux profondes des Indes occidentales, et du Pentacrinus Wyville-Thomsoni sur les côtes du Portugal, il est très-possible, ainsi que je Vai déjà dit, qu'ils occupent dans la faune des abimes une place beau- coup plus importante que nous ne l’avions cru jusqu ici. Presque toutes les espèces des grandes profondeurs qui sont venues s'ajouter à la liste des Astéries appartiennent aux genres Archaster, Astropecten ou aux différentes subdivisions de l’ancien genre Goniaster. Les restes fossiles des Astéries sont relativement rares, à cause de la rapide décomposition de leurs parties molles : après la mort, l'animal se brise en une multitude d’ossicules imperceptibles; aussi ne les retrouve-t-on guère que dans des formations calcaires d’une extrême finesse, telles que le calcaire de Wenlock, et dans les temps plus mo- dernes, dans le calcaire jaunatre de Voolithe et dans la craie blanche. Le caractère général du groupe enfoui dans cette der- niére formation, déposée dans des circonstances trés-semblables à celles du limon crayeux de Océan, est à peu près le même que celui des animaux qui font partie de la faune actuelle des profondeurs de l'Atlantique. Les Échinides forment un type mieux caractérisé. Grâce à la dureté de leur test, ils se conservent plus facilement entiers, et depuis les périodes les plus anciennes, leurs séries harmonieu- sement variées sont d’un grand secours pour la distinction des différentes formations géologiques. Leurs dépouilles se trouvent DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. ALS en grande abondance dans la craie blanche du midi de l’Angle- terre. Les fossiles les plus abondants et les plus caractéristiques de la craie sont peut-être les Cidaridæ, qui, mieux encore que tous les autres, démontrent les conditions à la faveur desquelles la craie a été déposée. Les grands spicules du Cidaris sont assujettis aux plaques du test par un ligament central qui sort Fic. 84. —- Choanites, dans un silex de la craie blanche. du calice au travers d’une perforation de la sphère, et par une membrane qui part de la plaque et qui adhere à la base du radiole. Mais les spicules sont si démesurément grands et les parties molles se décomposent si rapidement aprés la mort de Vanimal, qu il est bien difficile, malgré tous les soins apportés à la préparation, de conserver l’adhérence de ces organes. On trouve fréquemment dans la craie des tests de Cidaris parfaite- ment entiers et avec tous leurs spicules, de sorte qu’en enlevant 416 LES ABIMES DE LA MER. soigneusement la gangue avec la pointe d’un canif, on retrouve l'animal complet. Il est assez difficile de se rendre compte de la manière dont ce résultat a pu se produire : il faut que l’Oursin soit tombé dans le limon crayeux liquide, et qu'il en ait été recouvert de façon à soutenir et protéger les spicules et le test, ce qui lui a permis de se consolider graduellement et de former, avec le temps, une masse compacte. Un des Cidaris ramenés récemment des grandes profondeurs appartient à un genre supposé éteint, bien qu'en général les formes du limon crayeux n'aient de ressemblance spéciale avec aucune des espèces qui sont particulières à la craie. Cependant le carac— tere général du groupe est bien le même. Les Echinothuride n'étaient connus que comme fossiles de la craie; leur présence en grand nombre dans le limon crayeux récent est done un exemple très-positif de la conservation de l’un des types an- ciens supposés anéantis. On en peut dire autant du Pourtalesia, qui doit s'associer avec l’Ananchytes ou avec le Dysaster, types l’un et l’autre de groupes que l’on croyait perdus. Ainsi done, bien que jusqu’ici on n’ait pas découvert dans les eaux profondes des Echinodermes qui soient spécifiquement iden— tiques aux formes de la craie, la faune des abimes, avec sa multitude de Cidaride, d'Echinothuride, d'Oursins irrégu- liers et le nombre disproportionné de ses genres Astrôpecten, Astrogonium, Stellaster et leurs alliés, parmi les Astéries, rap- pelle singulièrement la craie, non-seulement dans ses traits généraux, mais encore par l’extrème ressemblance de plusieurs de ses genres avec certaines formes anciennes dont ils se rap— prochent plus que de toutes les espèces vivantes. Ils simulent ces formes au point de faire naître forcément la conviction que leurs ressemblances ne peuvent provenir que de l'influence de la descendance accompagnée de conditions dont les modifications graduelles ont amené laltération des types, sans les transformer cependant complétement. Ainsi que je l'ai dit, tous les Mollusques des grandes pro- fondeurs qui avaient été décrits auparavant à l’état fossile DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. AAT provenaient des couches tertiaires, à l’exception de notre Tere- bratulina Caput-serpentis, qui se rapproche incontestablement beaucoup du Terebratula striata de la craie. I] n'y a rien d'étonnant qu'il en soit ainsi : un des carac— téres saillants des terrains tertiaires européens, c'est qu’à l'exception de quelques-unes des couches plus anciennes du midi de l’Europe, ils ont tous été déposés dans les bas-fonds, de telle sorte que ces couches représentent les dépôts et la faune des bords d’une mer quelconque. On peut dire qu'ils ont pris naissance dans les bas—fonds des mers tertiaires dont la faune profonde est inconnue : c’est le mode d'expression qui s'accorde le mieux avec les idées reçues ; mais si cette théorie est la vraie, il faut considérer les terrains tertiaires comme des sédiments formés et mis à découvert par les dépressions et les soulèvements successifs des bords de la mer crétacée, d’une mer qui, malgré les nombreux changements produits par ces mêmes oscillations qui ont alternativement découvert et sub- mergé les tertiaires, a existé d’une manière continue et formé des couches concordantes de limon erayeux, depuis la période de l’ancienne craie. Les Mollusques sont surtout des formes de bas-fonds, bien que quelques-uns d’entre eux soient spéciaux aux grandes profondeurs, et que d’autres occupent un grand espace vertical. Après les changements multipliés qui se sont produits pendant les périodes géologiques récentes, dans les conditions qui ont le plus d'influence sur la vie animale, on ne peut s'attendre à trouver aucun organisme appartenant aux groupes supérieurs spécifiquement semblable aux fossiles de la craie ; il est même difficile d'expliquer l'identité de plusieurs espèces vivantes des grandes profondeurs avec certaines espèces qui se trouvent dans les terrains tertiaires. Je crois cependant qu’il est possible d’en trouver la raison. La plupart des espèces qui sont communes à l'Atlantique actuel et aux couches tertiaires se trouvent maintenant dans l'Atlantique à des profondeurs beaucoup plus considérables que celles auxquelles elles ont été enfouies dans 27 418 LES ABIMES DE LA MER. les mers tertiaires; ceci nous est indiqué par les espèces des bas— fonds auxquelles elles sont associées dans les tertiaires. Ce sont done des espèces qui jouissaient d’un champ vertical fort étendu, et il est probable que, pendant qu'un grand nombre de formes habitant les bas-fonds ont péri par suite de l’exhaussement ou de quelque autre cause d’altération qui s’est fait sentir dans les 100 ou 200 brasses de la superficie, elles auront survécu parce que les parties les plus profondes de leur habitat se seront trouvées à l’abri de ces changements. « Il est bon, dit sir Charles Lyell, de rappeler au lecteur qu'en géologie nous avons lhabitude d'établir nos grandes divisions chronologiques, non d’après les Foraminiféres et les Éponges, ni mème d’après les ichinodermes et les Coraux, mais d’après les êtres les plus complétement organisés qui soient à notre portée, tels que les Mollusques..... Parmi ces der- uiers, ceux qui nous offrent les meilleurs caractères sont Jus- tement ceux dont l’organisation est la plus complète et la plus spécialisée, et dont le champ d'activité est le. moins développé dans le sens vertical. Ainsi les Céphalopodes sont les plus pré- cieux de tous, parce qu'ils ont, dans le temps, une étendue plus restreinte que les Gastéropodes ; ceux-ci, d'autre part, caractérisent mieux les subdivisions s{ratigraphiques que les Bivalves lamellibranches, qui, de leur côté, sont plus utiles pour la classification que les Brachiopodes, classe plus infé- rieure encore, et celle de toutes qui a le plus de durée. » Malgré toute ma déférence pour sir Charles Lyell, je ne sau- rais considérer les groupes des animaux supérieurs comme les plus propres à caractériser les limites des grandes divisions chronologiques, bien que j’admette toute leur valeur quand il s’agit d’en déterminer les subdivisions. Le développement maximum de ces groupes animaux, tel qu'il nous apparait à la fin de la période jurassique et au commencement de la crétacée, dans la merveilleuse abondance et l’étonnante variété des deux ordres de Céphalopodes, met incontestablement en relief et fait admirablement ressortir les DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 419 grands caractères distinctifs de la faune mésozoïque; mais, en général, plus un Mollusque est élevé dans la série animale, plus sont profondes les eaux qu'il habite. Les Céphalopodes sont des animaux pélagiques, habitant la surface des hautes mers, et dont on trouve conséquemment les dépouilles dans les dépôts de toutes les profondeurs. Il y a deux remarquables exceptions à cette distribution générale des Céphalopodes, et ces exceptions sont les deux espèces de beaucoup les plus intéressantes au point de vue géologique. Le Nautilus Pompilius anime les grandes profondeurs du Pacifique, et Vhabitat du Sprrula australis est inconnu. La coquille du Spzru/a est mince et légère ; il est pro- bable qu'après la mort de animal, et par l’effet de la décompo— sition des matiéres organiques, elle se remplit de gaz, et flotte alors et dérive au gré des vents à la surface de la mer. Les plages tropicales sont jonchées de cette petite coquille perlée dont la forme élégante attire l'attention; elle abonde sur toutes les cotes qui se trouvent sur le trajet du Gulf-stream. Sysselmann Müller m'en a donné, il y a quelques années, en quantité ; elles avaient été jetées sur le rivage sud-ouest de différentes iles du groupe des Farôer. Malgré cela, on peut dire que l’organisation et habitat du Sprrula sont encore inconnus. Un seul spécimen décrit par le professeur Owen a été trouvé à peu près complet par M. Percy Noël sur les côtes de la Nouvelle-Zélande. Il me parait hors de doute que ce soit là une forme des grandes profondeurs ; j'espère qu’au moyen de nos draguages profonds, nous arriverons sous peu à le bien con- naitre ; mais, en attendant, l’ignorance où nous sommes encore à son sujet, malgré son extrême abondance, donne beaucoup à penser. Il a été découvert dans l'argile de Londres un ou deux exemplaires d'un fossile voisin du Spirula, mais qui en diffère en ce que de sa partie postérieure se projette un solide rostre conique dont la substance, qui tient du calcaire et de la corne, renferme la plus grande partie de la spirale dont est formée la coquille. Si le Spirula moderne était alourdi d'un pareil rostre, il nous serait probablement encore totalement inconnu. JI n’est 120 LES ABIMES DE LA MER. pas toujours prudent de faire des prédictions; cependant je re- garde comme très-probable la découverte, dans les grandes profondeurs, de quelque espèce très-voisine du Spirularostris. Lorsque des formes tertiaires nous passons aux crétacées, nous trouvons chez le Belemnitella la coquille cloisonnée, rétrécie, et le volume de la garde grandement accru. Si les Bélemnites habitaient les grandes profondeurs, comme cela parait très-probable, et qu'il en existat encore, il n’est guère possible, d’après la forme et le poids de leurs coquilles, qu’elles soient jetées sur le rivage; aussi les draguages profonds pourront seuls les empêcher de demeurer à jamais inconnues. Je ne dis ceci que pour démontrer qu’on ne saurait baser un argument quelconque sur le fait de absence, à l’époque actuelle, de tout représentant de la faune des Céphalopodes erétacés. Les Gastéropodes, sauf quelques exceptions relativement peu communes, s'étendent de la plage même à une profondeur de 100 à 200 brasses ; les Lamellibranches deviennent plus rares à une profondeur à peine plus considérable, tandis que certains ordres de Brachiopodes, de Crustacés, d'Échinodermes, d’Eponges et de Foraminiféres atteignent une profondeur de 10 000 pieds sans voir diminuer sensiblement leur nombre. L’étendue bathy- métrique des divers groupes dans les mers actuelles corres- pond d’une manière remarquable avec leur étendue verticale dans les anciennes couches. Le moindre changement dans la distribution des mers et des terres, ce changement ne ftit-il qu'une simple modification du trajet d’un courant océanique, pourrait transformer les condi- tions d'existence de quelques espèces d’un type élevé qui vivent à la surface, telles que la plupart des Céphalopodes et tous les Ptéropodes et Hétéropodes, au point d’en amener la destruction complète. Des oscillations verticales de 500 pieds forceraient la erande masse des Gastéropodes et tous les Coraux construc- teurs de récifs à émigrer, ou les modifieraient si elles ne les détruisaient pas; 100 brasses de plus extermineraient le plus grand nombre des Bivalves. Mais des oscillations dix fois plus DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 421 fortes n’atteindraient que faiblement la région des Brachic- podes, des Échinodermes et des Éponges. L'étude attentive des résultats obtenus par les recherches récentes n’a fait que confirmer l’opinion que j'avais déjà anté— rieurement que les divers groupes fossiles qui caractérisent les couches tertiaires de l’Europe et de Amérique du Nord repré- : sentent la faune, incessamment modifiée, des bas-fonds d’un Océan dont les profondeurs sont encore occupées par un dépôt qui s’y accumule sans interruption depuis la période de la craic prétertiaire, et dont il perpétue la faune, bien qu'avec de erandes modifications. Je ne vois rien dans cette théorie qui soit en contradiction avec les données de la géologie telle que nous l’avons apprise de sir Charles Lyell; nos draguages dé— montrent seulement que ces abimes de l'Océan (abimes que sir Charles Lyell reconnait s’étre maintenus par leffet de leur profondeur a travers une succession de périodes géologiques) sont peuplés d’une faune spéciale, peut-être aussi persistante dans ses traits généraux que les abimes qu'elle habite. J’ai dit que la théorie de la permanence de la craie, telle quelle est comprise par ceux qui en ont été les initiateurs, est maintenant très-généralement acceptée; j'en citerai pour preuve deux dis— cours prononcés dans des réunions annuelles, par deux pré- sidents de la Société de géologie, bien convaincu que les asser- tions d'hommes d’une si grande valeur ne peuvent être que l'expression d'opinions saines, justes et judicieuses. Le pro— fesseur Huxley a dit, en 1870, dans son discours annuel : «lly a déjà bien des années ‘ que j’osai désigner le limon de l'Atlantique comme la craie moderne, et il west venu à ma connaissance aucun fait qui contredise l’opinion énoncée par le professeur Wyville Thomson, que la craie moderne ne des- cend pas seulement en ligne directe, pour ainsi dire, de l’an- cienne craie, mais quelle est toujours demeurée en quelque sorte en possession de son domaine héréditaire, depuis la pé- 1. Saturday Review, 1858 : « Chalk ancient and modern. » 122 LES ABIMES DE LA MER. riode crétacée (si ce n’est depuis plus longtemps encore) jusqu’à nos jours, les eaux profondes ayant recouvert une grande partie de ce qui est encore aujourd'hui le lit de l'Atlantique. Mais puisque les Globigerina, les Terebratula Caput-serpentis et les Beryx, pour ne faire mention d'aucune des autres formes animales ou végétales, relient ainsi le présent aux périodes mésozoiques, est-il probable que la majorité des autres êtres vivants aient subi un changement rapide et se soient trouvés subitement transformés ? » M. Prestwich, dans son discours présidentiel de 1871, s'exprime ainsi : « Ainsi done, et bien qu'il me paraisse fort probable qu'une partie importante du lit de l’Atlantique se trouve immergée d’une manière permanente depuis la période de notre craie, et bien que les formes les plus modifiables de la vie aient pu par ce moyen se transmettre sans interruption, cependant les immigrations de faunes différentes et plus ré— _centes peuvent avoir modifié l’ancienne au point de ne laisser à élément primitif qu’une importance comparable à celle de l'élément anglais primitif au milieu de notre nation anglaise, » M. Prestwich admet donc pleinement la très-grande pro- babilité de la permanence que nous soutenons. La dernière question qu'il soulève dans les portions de son discours que nous avons citées présente d'immenses difficultés qu’il nous est impossible de surmonter, ne possédant aucune donnée à cet égard. Elle ne serait peut-être pas beaucoup plus difficile à résoudre pourtant que le problème ethnologique qu'il a choisi comme point de comparaison. Plusieurs autres questions fort importantes ayant trait aux conditions de l'Océan dans les grandes profondeurs ont attiré l'attention des naturalistes chargés de la direction scientifique des expéditions de draguage du Lightning et du Porcupine. Un préparateur familiarisé avec les méthodes de recherches chi- miques et physiques accompagnait chaque fois le navire. Un des fils du D’ Carpenter, M. William Lant Carpenter, accom— pagna la première croisière dirigée par M. Jeffreys. M. John DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 423 Hunter, jeune chimiste plein d'espérance, mort depuis ce voyage, me suivit dans la baie de Biscaye, et un fils plus jeune de notre collègue, M. Herbert Carpenter, a fait partie de la troisième et longue expédition du canal de Farôer. La pesanteur spécifique de l’eau a été constatée à chaque station, et pendant les sondages par séries l'appareil a été plongé dans les profondeurs intermédiaires, et l’eau recueillie a été soigneusement analysée. Les différences observées sont peu considérables, mais elles confirment l'opinion du profes- seur Forschammer, que les eaux arctiques contiennent moins de sel que l’eau de mer des régions tempérées et des régions intertropicales. Ainsi que je l’ai déjà dit (page 38 et suiv.), on a trouvé, au moyen de l'épreuve du permanganate, des matières organiques partout et à toutes les profondeurs. On a analysé avec soin les gaz contenus dans l’eau de mer, et le résultat général des expé- riences prouve que la quantité d'acide carbonique libre aug- mente avec la profondeur, tandis que la proportion d'oxygène diminue. Il parait évident cependant que la quantité d’acide carbonique dépend beaucoup de Vabondance des formes les plus élevées de la vie animale. M. Lant Carpenter prédisait toujours aux zoologistes un draguage improductif quand il trouvait l'acide carbonique peu abondant en proportion de l'oxygène et de l'azote. Le maximum de l'acide carbonique se trouvait toujours un peu au-dessus du fond. La moyenne prise sur trente analyses de l’eau de la surface donne les chiffres suivants comme proportion des gaz qui s'y trouvaient con- tenus : oxygène, 25,1; azote, 54,2; acide carbonique, 20,7. Cette quantité pourtant variait beaucoup. Les eaux inter- médiaires ont donné une proportion moyenne de: oxygène, 22,0; azote, 92,8, et acide carbonique, 26,2; et les eaux profondes : oxygène, 19,5; azote, 52,6, et acide carbonique, 27,9. Mais les eaux du fond, à une profondeur relativement faible, renfermaient souvent autant d'acide carbonique que les eaux intermédiaires à des profondeurs beaucoup plus grandes. Dans 424 LES ABIMES DE LA MER. une série de sondages où l’eau a été puisée de 50 en 50 brasses, trois analyses ont donné le résultat suivant : 750 brasses. 800 brasses. 862 brasses (fond). ORV ORNS LR AE RCE 18,8 17,8 17,2 AZOtG fant PAL MPa ERA 49,3 48,5 94,9 Acide carbonique. .......... ai) 99,1 48,3 La moyenne si rapidement croissante de l'acide carbonique contenu dans la couche d’eau qui recouvrait immédiatement le lit de la mer était toujours l’indice d’une grande abondance de vie animale. Je ne saurais regretter que l’espace dont je dispose ne me permette pas, pour le moment, de m'étendre sur l’importance de ces études physiques, parce que je dois avouer que les résul- tats obtenus ne m'inspirent pas une confiance assez complète. Les observations et les analyses ont certainement été faites avec soin et habileté, mais les différences entre les échantillons divers, — différences de pesanteur spécifique et surtout de com- position chimique et de proportions entre les diverses sub— stances qui entrent dans cette composition, — sont si légères, qu'il faudra nécessairement avoir recours à des procédés plus exacts que ceux qui ont été employés jusqu'ici, si l’on veut obtenir des résultats certains. Dans les recherches de ce genre, tout dépend du plus ou moins de perfection dans la manière de puiser l’eau à une pro— fondeur déterminée, et la méthode d’après laquelle Vinstru— ment à puiser était construit laissait à désirer. Cet appareil se composait d’un tube très-solide de cuivre d'environ deux pieds de longueur et deux pouces de diamètre à l’intérieur, contenant un peu plus d’un litre et demi, et fermé aux extrémités par un disque également de cuivre. Au centre de chaeun de ces disques se trouvait une ouverture circulaire obturée hermétiquement par une soupape de forme conique; les deux soupapes s’ou— vraient de bas en haut quand l'instrument était disposé pour l'immersion. DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 425 Un courant continu, produit par le mouvement de descente de Vappareil, est supposé soulever les soupapes et passer au travers du tube, qui serait, de cette manière, constamment rempli de l’eau provenant de la couche qu'il traverse. En re- montant, c’est le mouvement inverse qui a lieu; les soupapes retombent à leur place, et le liquide dont le tube s’est rempli aux plus grandes profondeurs est ramené à la surface. Cet appareil a paru d’abord atteindre le but, car il nous a été prouvé plus d’une fois par le trouble de l’eau dont il était chargé, que c'était bien celle du fond; cependant des expériences subsé— quentes ont démontré qu’on ne peut lui accorder une entière confiance. L'appareil ne peut agir qu'à la condition que le mouvement de descente soit assez rapide et régulier pour pro- duire un courant capable de maintenir complétement ouvertes deux lourdes soupapes de cuivre ; s’il se produit, en remon- tant, le moindre mouvement en sens contraire, la plus légère secousse, une irrégularité quelconque, le contenu se trouve plus ou moins partiellement altéré et mélangé; les deux soupapes, lors même qu’elles sont entièrement ouvertes, se trouvent situées sur le trajet d'entrée et de sortie du courant, et nous pensons que l’eau n'est ni aussi rapidement ni aussi compléte- ment renouvelée qu’on pourrait le croire. Un appareil à puiser tout à fait satisfaisant est donc encore chose à créer. Je crois cependant que celui qui a servi au D' Mayer et au D' Jacobsen l'été dernier, pendant l’expédition allemande dans la mer du Nord, est exempt de la plupart de ces inconvénients. J'espère que d'ici à un an nous serons en mesure de donner sur ce sujet un avis mieux motivé. On trouvera, dans l’Appendice de ce chapitre, un résumé des recherches chimiques qui ont été faites pendant les croi- sières du Porcupine en 1869; jv ai ajouté une note dont je suis redevable à l’obligeance de mon ami M. J. Y. Buchanan, qui doit m’accompagner en qualité de chimiste dans l’expé— dition du Challenger : cette note montrera combien il reste encore à faire avant que nous puissions nous flatter d’avoir 126 LES ABIMES DE LA MER. obtenu quelque chose de concluant au sujet de la quantité et de la nature des gaz contenus dans l’eau de la mer. Nous ne saurions non plus, et je le dis à regret, accepter avec toute confiance l'estimation faite des matières organiques contenues dans l’eau de mer au moyen du permanganate, quoique la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, de la présence de matières organiques dans l’eau de mer à toutes les profondeurs soit un fait acquis. L'application à ce genre de recherches des méthodes exactes de la science moderne est chose nouvelle, et leur perfectionnement exigera de longs et persévérants travaux. Le progrès réel qui a été accompli dans cette voie, comme complément ajouté aux moyens employés jusqu'ici pour l'étude des abimes au point de vue de la phy— sique, consiste en un appareil digne de toute confiance, qui permet de relever les températures à toutes les profondeurs avee une exactitude qu'on peut appeler absolue. Kunÿ, vue prise près de Vaaÿ, sur l'ile de Bordé (Faréer). ETUDE DES ÉCHANTILLONS DE L'EAU DE MER. = L c —! APPENDICE A Résumé des résultats -fournis par l'étude des échantillons de l'eau de mer puisés à la surface et à diverses profondeurs, par W. Lant Carpenter. Eaux de surface. — On à cherché à se procurer les eaux aussi pures que possible, non contaminées par les matières provenant du navire ; on les puisait dans des récipients parfaitement propres, à quelques pouces au-dessous de la surface, et à l'avant du navire. A deux reprises cepen- dant, les échantillons ont été pris à l’arrière des roues. Eaux puisées à une certaine profondeur au-dessous de la surface. — IL a été reconnu nécessaire d’enduire intérieurement les appareils à puiser d’un vernis à la cire d'Espagne, pour les préserver de l’action cor- rosive de l’eau de mer. Ils ont alors très-bien fonctionné toutes les fois que le poids attaché à la corde de sondage à laquelle ils étaient assujettis s’est trouvé assez considérable pour les maintenir dans une position ver- ticale. Quand, par le fait de l'insuffisance du poids ou de l'agitation de la mer, la corde de sondage s’est trouvée, en remontant, former un angle aigu avec la ligne de l’herizon, les résultats de l'examen de l’eau obtenue dans ces conditions démontraient la probabilité de l'introduction, à la surface ou près de la surface, d’une certaine quantité d’eau, et l’impos- sibilité de considérer celle qui était contenue dans l'appareil comme provenant uniquement des couches inférieures. L'eau puisée à une profondeur qui dépassait 500 brasses était presque toujours chargée d’un limon très-fin qui, tenu en suspension, la rendait complétement trouble. Il fallait plusieurs heures d’immobilité pour faire déposer ce limon, mais il était facilement séparé de l’eau par la filtration. Nous n’avons pas eu d’exemple que l’eau des couches profondes se soit montrée plus chargée de gaz en dissolution que les eaux de surface; dans toutes les analyses il a fallu une élévation considérable de température pour mettre en liberté les gaz dissous. Mode d'examen des échantillons. — Les échantillons d’eau ainsi obtenus ont été examinés dans le plus bref délai possible, dans le but de constater : 428 LES ABIMES DE LA MER 1° La pesanteur spécifique de l’eau. 2 La quantité totale des gaz qui y sont contenus en dissolution, et les proportions relatives d'oxygène, d'azote et d'acide carbonique. 3° La quantité d'oxygène nécessaire pour brûler les matières orga- niques contenues dans l’eau, en faisant une distinction entre : a. Les matières organiques décomposées, et b. Les matières organiques facilement décomposables. 1° Les études des pesanteurs spécifiques se sont faites à une tempé- rature aussi rapprochée que possible de 60° Fahr., au moyen de légers hydromètres de verre, gradués de manière que la pesanteur spécifique pût se lire facilement et rapidement au quatrième décimal. 2° L'appareil destiné à l'analyse des gaz dissous dans l’eau de mer était en principe celui que décrit le professeur Miller dans le second volume de ses Éléments de chimie; on a dû le modifier sous certains rapports, à cause du mouvement du vaisseau. Ces modifications consis- taient surtout à suspendre l'instrument au plafond de la cabine au lieu de l’assujettir par sa partie inférieure, et à articuler toutes ses parties par des tubes de caoutchouc, etc., en veillant attentivement à ce que toutes les 7ointures fussent hermétiquement fermées. On à pu ainsi faire des analyses exactes, même pendant que le vaisseau était secoué au point de renverser les chaises et le mobilier de la cabine. Voici le résumé de la méthode d’après laquelle les analyses ont été faites : On faisait bouillir, pendant environ trente minutes, de 700 à 800 centimètres cubes de l'échantillon à analyser, de façon que la vapeur et les gaz mélangés qui s’en dégageaient fussent recueillis sur la cuve à mercure, dans un des récipients à gaz gradués de Bunsen, dans lequel lair ne pouvait avoir aucun accès. Les gaz mélangés étaient alors transvasés dans deux tubes gradués placés sur un bain de mercure ; là acide carbonique se trouvait d’abord absorbé par une forte solution de potasse caustique, et l'oxygène par l'acide pyrogallique; le gaz restant après ces opérations devait être de l’azote. Pour faciliter les comparaisons, les résultats des analyses ont constam- ment été ramenés à la température de zéro centigrade et à une pression barométrique de 760 millimètres. Presque toujours les analyses des mêmes mélanges gazeux faites en duplicata se ressemblaient beaucoup, quand elles n'étaient pas absolument identiques. 3° Les recherches des matières organiques -dans l’eau de la mer ont été faites suivant la méthode indiquée par le professeur Miller dans le Journal de la Société de chimie, numéro de mai 1865, avec un supplément qu'on doit au D' Angus Smith. Chaque échantillon était divisé en deux parts ; à l’une on avait soin d'ajouter un peu d’acide libre, et à toutes les deux PESANTEUR SPÉCIFIQUE DE L'EAU DE MER. 429 un excédant d’une solution normale de permanganate de potasse. Au bout de trois heures, on arrétait la réaction en ajoutant de l’iodide de potassium et de l’amidon ; l’excédant du permanganate était estimé par l'emploi d’une solution normale d’hyposulfite de soude. La partie de l’eau à laquelle l’acide libre avait été ajouté donnait l'oxygène nécessaire pour brûler les matières organiques décomposées et aisément décomposables ; la seconde partie fournissait l'oxygène nécessaire aux seules matières décomposées formant la moitié ou le tiers de la totalité. Le tableau suivant est un résumé du nombre total des observations, analyses, etc., qui ont été faites pendant les trois expéditions : ANALYSES DES EAUX DE L'OCÉAN. CROISIÈRE. 1 CROISIÈRE. Qe 3° CROISIÈRE. bo — wee Déterminations de la pesanteur spécifique... bo = Analyses des gaz, faites à double ............ Co lo Epreuves pour les matières organiques....... Pesanteur spécifique. — La pesanteur spécifique des eaux de la sur- face diminue légèrement à mesure qu'on se rapproche de la terre; la moyenne de trente-deux expériences faites sur des eaux suffisamment éloignées des côtes est 1,02779 : le maximum 1,0284, et le mini- mum 1,0270. On a constamment remarqué que, sous l'influence d’un vent violent, la pesanteur spécifique de l’eau de la surface était au-dessus de la moyenne. La moyenne de trente expériences faites sur la pesanteur spécifique des eaux de la zone intermédiaire est 1,0275 : le maximum 1,0281, et le minimum 1,0272. La pesanteur spécifique des eaux de fond prises à des profondeurs qui variaient de 77 à 2090 brasses, déduite de la moyenne de quarante-trois expériences, était 1,0277 : le maximum 1,0283, et le minimum 1,0267. Il est à remarquer que la moyenne de la pesanteur spécifique des eaux du fond est légèrement moindre que celle de l’eau de la surface. A plu- sieurs reprises, les pesanteurs spécifiques des eaux de la surface et de celles du fond, puisées sur le même point, ont été comparées ; les der- nières ont toujours été sensiblement plus légères que celle de la surface. Ainsi : 130 LES ABIMES DE LA MER. A 1495 brasses (station 17), elle était de......... 1,0269 À.la surface (méme-station).. 3% 5. 7112%,5 ae gee 1 ,0280 Puis : A 664 brasses (station 26 b), elle était de........ 1,0272 À la surface (même station). . 0.0.0... 02.0 2 1,0280 Cependant, dans une série d'expériences faites sur le même point (station 42) à intervalles de 50 brasses, de 50 à 800 brasses, la pesan- teur spécifique s’est accrue avec la profondeur ; de 1,0272 qu'elle avait à 50 brasses, elle a atteint 1,0277 à 800 brasses. Plusieurs séries d'expériences sur la pesanteur spécifique ont été faites près de l'embouchure des fleuves et des cours d’eau : elles ont démontré le mélange graduel de l'eau douce avec l’eau salée, et le /lottage à la surface des couches plus légères sur Peau de mer plus dense, ainsi que l'effet con- traire produit par l’action des courants dus aux marées. C’est ainsi qu'à l'extrémité de Belfast Lough il existe un courant rapide dont l’eau, d’une pesanteur spécifique de 4,0270, coule au-dessus dune couche qui, à la profondeur de 73 brasses, a une pesanteur spécifique de 1,0265. Gaz de l'eau de mer. — Les analyses des gaz qui entrent dans la com- position de l’eau de mer peuvent se diviser en deux groupes : 1° analyses des eaux de la surface; 2° analyses des eaux qui sont au-dessous de la sur- face, et qui peuvent elles-mêmes se subdiviser en : 4. eaux intermédiaires, et 6. eaux du fond. La quantité totale des gaz en dissolution contenus dans l’eau de mer, soit à la surface, soit au-dessous, est en moyenne de 2,8 volumes pour 100 volumes d’eau. La moyenne de trente analyses des eaux de la surface faites dans le cours de lexpédition a donné les proportions suivantes : Pour 100. Proportion. Oxygeme. LS nate a ah ea 25,046 100 INGOEG. HE LS RU eo meh cues hee 54,214 216 Acide CarpomQue- here 20,743 80 100,000 Les maxima et minima de chacun des éléments constituants trouvés dans les analyses sont distribués dans les trois expéditions ainsi qu'il suit : GAZ DE L'EAU DE MER. 431 MOYENNE PROPORTION ACIDE pour 100. MOYENNE. CARBONIQUE, => = 100. 100. 100. 400. Minimum Minimum a TL a a =< a a ‘a a 4 = Q = CARBONIQU Maximum Maximum pour pour pour pour ; . arrete | fre croisière ... 52,95 58100 JZ 19,60] 62,95 |46,35152,00| 9° croisière .. - 2 131,33)54,85] 13,82] 100) 17: 4 137,10) 25,56 159,63 |50,07 [24,3 3° croisière ... we 1001228! 74 }45,28) 13,98]68,67|4 Il est curieux d’observer que l’eau de la surface renferme une plus grande quantité d'oxygène et moins d’acide carbonique pendant la durée d'un vent violent. Voici la moyenne de cing analyses faites dans ces condi- tions atmosphériques : Pour 100. Proportion. Moyenne générale. ( Oxyepne +7. 99,10 100 95,046 100 EET TROLE nes 52,87 182 54,211 216 | Acide carbonique. 18,03 62 20,743 83 Dans les deux circonstances qui ont produit ces faibles minima d’acide carbonique accompagnés d’une surabondance d'oxygène, l'eau avait été puisée accidentellement à l'arrière des roues, où elle était soumise à un mouvement violent qui la mettait en contact avec Pair atmosphérique. On a fait cinquante-neuf analyses des eaux puisées à des profon- deurs variées, et inférieures à la couche de surface. Les eaux qui ont été soumises aux vingt-six analyses de la première croisière, provenaient principalement du fond et de profondeurs variant de 25 à 1476 brasses. Les vingt et une analyses faites pendant la seconde expédition se divisent en deux séries: la première se compose des analyses d'échantillons puisés à intervalles de 250 brasses, de 2090 brasses à 250 brasses ; la seconde, des analyses d'échantillons puisés à intervalles de 50 brasses, depuis 862 brasses jusqu’à 400 inclusivement. Pendant la troisième expédition ila été fait douze analyses, huit des eaux du fond, dont la moitié puisée dans l’espace froid et les quatre autres puisées dans les profondeurs inter- médiaires. La moyenne générale des cinquante-neuf analyses des eaux recueillies au-dessous de la couche de surface donne le résultat suivant : 132 LES ABIMES DE LA MER. Pour 100. Proportion. OXY PERC ican ns ne Cert ee 20,568 100 AGO. NE oem eee Bee Sera dees 52,240 254 Acide carbonique... 2:..2,.... 27,192 132 100,000 On voit d’après cela que, tandis que la quantité d’azote n’est que de 1,97 pour 100 moindre que dans l’eau de surface, la quantité d'oxygène est diminuée de 4,48 pour 160, et celle d'acide carbonique accrue de 6,45 pour 100. Cette différence augmente encore si l’on compare les eaux du fond à celles de la couche supérieure : 30 À LA SURFACE. | 24 INTERMÉDIAIRES. 35 AU FOND. Re +, A A Pour 100. | Proportion. } Pour 100. | Proportion. | Pour 100. | Proportion. 100 22,03 100 19,53 100 216 o1,82 52,60 261 » Acide carbonique. ...| ‘ 4 83 264: 27,87 100,00 100,00 100,00 Les deux séries d’analyses qui ont été faites pendant la seconde expédi- tion, avec des eaux provenant des couches intermédiaires puisées sur le même point à des profondeurs successives, témoignent d’un accroisse- ment continu d'acide carbonique avec diminution d'oxygène à mesure que la profondeur devient plus grande; la proportion d’azote ne varie que très-peu. ; Ces résultats généraux paraissent démontrer que l’oxygéne diminue et que l'acide carbonique augmente avec la profondeur, jusqu’au moment où le fond est atteint ; mais qu’au fond même, et quelle que soit l'épaisseur de la couche liquide qui le sépare de la surface, les proportions d’acide carbonique et d'oxygène cessent d’être conformes à cette loi : l’eau du fond, à une profondeur relativement faible, contient autant d'acide car- bonique et aussi peu d'oxygène que les eaux intermédiaires à une bien plus grande profondeur. Il n’est pas arrivé une seule fois, pendant les deux premières expéditions (quand les échantillons d’eau de surface, GAZ DE L'EAU DE MER. 433 d’eau intermédiaire et d’eau de fond ont été puisés sur le même point), que la quantité d’acide carbonique ait été moindre ou celle d'oxygène plus grande qu'à la surface ; la seule exception s’est présentée pendant Ja troisième croisière, sur un point où l’on suppose que des courants se rencontrent. On a fréquemment observé qu’une forte proportion d’acide carbonique dans les eaux du fond était accompagnée d’une grande abondance de vie animale, ce que démontrait le draguage; quand la drague produisait peu, . la quantité d'acide carbonique était toujours moindre. La plus grande proportion d'acide carbonique qui ait jamais été notée était accompagnée d’une faune nombreuse, tandis qu’à une faible distance (62 brasses) au- dessus du fond, la proportion d’acide carbonique redevenait conforme aux lois ordinaires de variation suivant la profondeur, dont il a déjà été fait mention : Fond à 862 brasses, 800 brasses. 150 brasses. LÉ TONNERRE AT 28 17,79 18,76 ANSE CRE PE 94,00 48,46 49,32 Acide carbonique. ....... 48,28 33,19 31,92 100,00 100,00 100,00 La plus faible proportion d’acide carbonique (7,93) qui ait jamais été trouvée dans l’eau du fond, à 362 brasses, était accompagnée d’un ¢rés- pauvre draquage. En traversant le large canal qui s'étend du nord-ouest de l'Irlande jusque vers Rockall, où la mer a sur une certaine étendue plus de 1000 brasses de profondeur, la proportion d'acide carbonique paraît avoir varié avec les résultats du draguage, tellement que le chimiste pré- disait le plus ou moins de succès de la pêche avant même la réappari- tion de l'engin, d’après le résultat des analyses qu'il faisait des gaz de l’eau du fond ;-le résultat est toujours venu justifier ses prévisions. STATION 17, STATION 19. STATION 20. STATION 21. 1425 br. 1360 br, 1443 br. 4476 br. Wyeyene rn gis ae nes 16,14 17,92 91,34 16,68 APTE amendes a 48,78 45,88 47,51 43,46 Acide carbonique.... 35,08 36,28 34,49 39,86 100,00 100,00 100,00 100,00 Réussite téussite Insuccès Réussite du draguage. Dans les analyses des eaux de l’espace froid, et généralement pendant la durée de la troisième croisière, on a éprouvé, comme on devait s’y 28 134 LES ABIMES DE LA MER. attendre à cause de divers courants, plus de variation dans les résultats que dans les autres séries. Les eaux du fond et celles des couches inter- médiaires renfermaient l'azote en quantité plus considérable que la moyenne ordinaire, et l'acide carbonique variait de 7,58 pour 100 à la station 47 (540 brasses, tempér. 48°,8 Fahr.), à 45,59 pour 100 à la sta- tion 52 (384 brasses, 30°,6 Fahr.). La moyenne des eaux de surface était à peu près celle des autres espaces parcourus par l’expédition. Sur les points où la plus grande profondeur ne dépassait pas 150 brasses, les résultats des analyses des gaz des eaux de la surface et de celles du fond étaient souvent si semblables, qu’on peut supposer qu'il existe à cette limite une circulation des particules de l’eau même ou des gaz qui s’y trouvent en dissolution, suffisante pour maintenir la masse gazeuse dans des conditions partout uniformes. Cette profondeur, dans ces mers, est la limite extrême où l’on trouve des poissons. C’est là un fait qui donne beaucoup à penser. Matières organiques. — Afin d’éprouver la méthode d’expérimenta- tion par le permanganate de potasse, on a fait deux ou trois séries d’ana- lyses sur les points où l’eau douce et l’eau salée se mélangent, comme dans le port de Killibegs, dans la baie de Donegal; toutes ont justifié cette opinion que le permanganate donne une indication assez exacte du degré de pureté relative de l’eau, sous le double rapport des matières organiques décomposées et décomposables. Laissant de côté ces séries, on a fait ensuite sur l’eau de mer 134 expé- riences qui peuvent se diviser ainsi : 56 sur les eaux de surface. 18 sur celles des couches intermédiares. 60 sur Peau du fond. 134 pendant la première et la troisième croisière. Les produits sont donnés par la quantité d'oxygène, en fractions d’un oramme, nécessaire pour brüler les matières organiques dans un litre d’eau. Moyente de cinquante-six analyses des eaux de surface : N° 28. Décomposée:..::::.. 0,00025 | Salas : ; A SA Total. 0,0009. No 28. Décomposable:.:.... 0,00070 j ‘ : “ Maximum. Minimum. Décomposée..........:..i 0,00094 0,00000 4 fois. Décomposable. ........:.: 0,00100 0,00000 1 fois. Totale ST 0,00104 0,00000 1 fois. MATIÈRES ORGANIQUES DANS L'EAU DE MER. 435 Moyenne de dix-huit analyses d’eau puisée dans les couches inter- médiaires : N° 9. Décomposée.......... 0,00005 } ase Ne 9. Décomposable....,... 0,00034 | Total..... 0,00039 Sept fois sur neuf il n’y a pas eu de matières organiques décomposées, et trois fois sur neuf il n’y a pas même eu de matière organique, ainsi que l’indiquent les épreuves. Les analyses faites pendant la seconde croisière ne sont pas comprises dans cette série, les calculs ayant été faits d’une manière différente, Moyenne de soixante analyses de l’eau du fond : N° 26. Décomposée......... 0,00047 ; À PS Asso ), ; N° 34. Décomposable...... . 0,00041 | Total sles Maximum. Minimun. Décomposee allie: 0,00105 0,00000 2 fois. Décomposable. : :......... 0,00148 0,00000 | fois. Totals es 0,00253 0,00000 1 fois. D’après ces chiffres il paraitrait que : 1° Les couches intermédiaires sont plus privées des impuretés orga- niques que celles de la surface et celles du fond, ainsi qu'on pouvait s’y attendre d’après la pauvreté relative de la faune de leurs eaux. 2 L'absence complète des matières organiques est le cas moins fré- quent dans les couches du fond, et le plus fréquent dans les couches intermédiaires, les eaux de la surface occupant, sous ce rapport, une place moyenne. 3° Enfin, il existe peu de différence entre les eaux du fond et celles de la surface, soit au point de vue de la quantité d'impuretés organiques qu’elles contiennent, soit au point de yue des proportions relatives des matières organiques décomposées ou fucilement décomposables. Lorsque les eaux du fond, puisées à de grandes profondeurs, étaient troubles, les expériences faites avant et après leur filtrage prouvaient qué l'opération les débarrassait d'une partie des matières organiques: 436 LES ABIMES DE LA MER. APPENDICE B Résultat de l'analyse de huit échantillons d'eau de mer puisés pendant la troisième croisière du Porcupine, par le D' Frankland. Collége royal de chimie, ce 15 novembre 1869. D' Carpenter, je vous envoie ci-joint le résultat des analyses des échan- tillons d’eau de mer puisés pendant votre: récente expédition sur le Por- cupine. Je n’essayerai de tirer aucune conclusion de ces résultats; votre con- naissance complète des circonstances dans lesquelles on s’est procuré les échantillons vous permettant de le faire infiniment mieux que moi. Il est cependant un point sur lequel je désire attirer votre attention, parce qu'il est extrêmement remarquable : je veux parler de la grande quantité de matières organiques azotées qui sont contenues dans la plu- part des échantillons, ce que démontrent les expériences faites sur les quantités des carbonates et d’azote et sur les proportions de carbone orga- . nique comparées à celles d’azote organique. Pour faciliter les comparai- sons, J'ai ajouté les résultats de quelques analyses de l’eau de la Tamise et de celle du Loch Katrine : la première représente, selon toutes les pro- babilités, une moyenne juste des quantités de matières organiques azotées que les cours d’eau de notre pays transportent à la mer, quantités qui dépassent probablement de beaucoup celles que lui fournissent les rivières des autres parties du monde. S’il en est ainsi, on peut dire que, dans la mer, les matières organiques azotées solubles proviennent de matières inorganiques contenues également dans l’eau de mer, ou bien que ces matières se concentrent par l’évaporation de l'Océan, auquel les rivières en fournissent sans cesse, tandis que l’eau qui s’évapore n’en emporte pas. Les quantités de carbonate de chaux indiquées dans le tableau suivant sont obtenues par l'addition du nombre 3 (qui représente la solubilité du carbonate de chaux dans l’eau pure) à la solidification temporaire qui décèle la présence du carbonate de chaux précipité par l’ébullition. L'ap- préciation de ce phénomène ne pouvant être d’une exactitude rigoureuse pour une eau aussi chargée de principes salins, il ne faut considérer les ANALYSE DE HUIT ÉCHANTILLONS D'EAU DE MER. 137 nombres qui composent les colonnes intitulées modification temporaire et carbonate de chaux que comme approximatifs, d'autant plus que le carbonate de chaux se trouve mélangé avec une faible proportion de ma- gnésie qui est comprise dans l'évaluation. Les résultats de ces expériences sont conformes à ceux que j'ai obtenus | antérieurement par l'analyse de nombreux échantillons d’eau de mer recueillis par moi à Worthing et à Hastings. Agréez, etc. E. FRANKLAND. LES ABIMES DE LA MER, 438 G6 g"6S g'6s yCy 8°18 6 TOT tn rs INVA’ nl a % *XAVHO AU ALVNOHUVI ATLVWIXOWddY a 106] 9978 &'LI6| L098 &'LI6| L098 L098] ‘818 1°06] £'STS 1°06] 708 8718] 7°CES O‘GSS| &8T8 “AUIVHOdKAL N——___.r—<3A=AI > — NOILVOIHIQITOS NY 1886) 69661 L'YTOG SLING 6°980 G°L8GT V'VE0G 18606 “ANIMOTHO GI0‘0 CSG 0 868 0 1960 C0G'0 0060 €LF‘0 8910 TG 0 esto 1LOZV,'T A "IVLOZ ANIUNON ry AG Sd) SAULA I 0000 ISI‘0 6600 €70‘0 150‘ 0 G&0'0 190°0 9G0‘0 ra OG 0‘0 0£0°0 { *SALIULIN LU SALVULIN Ad L N AKUOA SNOS ALOZYV r a 800°0 C00‘0 700‘0 L00‘0 0&0‘0 L100 Ge0‘0 &c0'‘0 “ANOVINONNY | | | | &£0‘0 L0‘9 980 ANAÜINVIUO ANOJUVI AT 100‘0 79°F} > } AULNA NOILUOdOUA L F10‘0 CLO‘0 &Cc' 0 LIG‘0 1910 6910 960°0 860°0 COTO 7810 “ANDINVOUO ALOZV 1910 ecy‘() aA LIG‘0 OLT‘0 9£10 I8G‘0 CT£'0 1&£'0 J£6° 0 LY9°Q ANOINVIUO ANOMUVD 00° € G6 08 OG6E 9FTY O€0Y OFF? 901 0L0Y YLOY NY Saqal'i0S SAUGILVW SAC TVLOL *NOILA'IOS *ONVINNVUQG ad AT UVd J 000007 4 A Od SHUWNVUD N a SAN CIGO' I GOGO'T S9G0'T 9980] 8960 I 69605 I 89605 T 890'T \ anvidlodds HATINVSHd sli Die sole etes sit ee “+ OULeY Yo] up neg *GORT [LIAR LZ SsaipuoTy op JUO if [ LG puo'y of d “OSSLC{ 29480 Y OSTLULT, LT ap [EU yURANOT 9 ‘068 ‘du ‘sasseaq (079 ‘puoy 67 “todo Saovyang ‘3 op dodo] ‘sasseiq Ege ‘puoy GdG Caer sor + rade goehing 7 ‘oly “Apduroy ‘sossvaq LOL “puoy esse. 9 00 “Jody ‘2987 “9 Sey ‘duo ‘sosseagq ZG “puoy IN ee IUT of 94anjeoduo) Soovepang “SNOLLVAUASUO V SH SLYLTISAd “SNOTILINVHOA Sad ÉTUDE DES ÉCHANTILLONS DU FOND. 439 APPENDICE C Étude des échantillons du fond recueillis pendant la première expédition du Porcupine en 1869, par David Forbes. Limon de l’Atlantique renfermé dans un petit flacon étiqueté : Sondage n° 20, 1443 brasses. Une analyse complète de cet échantillon donne le résultat suivant comme composition chimique : Carbonate de chaux........... ee GS M TER ee 50,12 Alumine 1, soluble dans les acides...................... “199 Sesquioxyde de fer, soluble dans les acides. .............. 2,17 Siren A Petat salable: 2222s) 0 oie A0 RTL Seen ated 5,04 Sable fin, granuleux (débris de roches)................... 26,77 APN DE AE RES A ER CET EN SA D PO CRE CE 2,90 Matières organiques. ................................. 4,19 Chlorure de sodium et autres sels solubles. ............... 7,48 100,00 En comparant la composition chimique de ce limon avec celle de la craie commune, qui consiste presque entièrement en carbonate de chaux et contient rarement plus de 4 ou 2 pour 100 de corps étrangers (argile, silice, ete.), on voit qu'elle en diffère surtout par la forte proportion de débris de roches très-fins. Si nous en supprimons l’eau, les matières orga- niques et les sels marins qui disparaitront probablement longtemps ayant que le cours des siècles ait converti ce limon en roche compacte, méme alors la proportion de carbonate de chaux ne dépassera pas 40 pour 100 de la totalité. Ces dépôts doivent nécessairement varier beaucoup sous le double rap- port.de leur caractère physique et de leur composition chimique ; une opinion quelconque sur la nature même des dépôts actuellement en voie 1. Avec de l'acide phosphorique. 440 LES ABIMES DE LA MER. de formation dans les profondeurs de l'Atlantique serait done prématurée, tant qu'il n'aura pas été fait un examen minutieux et approfondi d'une série de spécimens provenant de divers points de l'Océan. La silice soluble est produite principalement par des organismes siliceux. Quant à l’origine probable des cailloux et du gravier trouvés dans les différents draguages, on verra tout de suite, d’après leur description, qu'ils consistent surtout en fragments de roches volcaniques et de schistes cris- tallins. Les premiers sont venus, selon toute apparence, de l'Islande ou de l’île Jean Mayen ; les autres, mélangés comme ils le sont de petits fragments de roche grise et de roche calcaire un peu décomposée, pa- raissent provenir des côtes nord-ouest de l'Islande, dont les rochers sont d'une nature identique. Il existe au nord de l'Écosse et dans les îles voi- sines des formations semblables ; mais, sans vouloir pourtant être trop affirmatif, je crois que les fragments qui nous occupent viennent de l'Islande. Pour expliquer cette présence, il ne faut pas nécessairement faire intervenir un phénomène glaciaire, car l’action des courants marins suffit parfaitement pour l'expliquer. Cailloux venant de 1215 brasses (station 28). Les pierres sont toutes subangulaires, avec des angles plus ou moins usés ou complétement arrondis. Les spécimens sont au nombre de #8; l'examen a montré qu'ils consistent en : 5 schistes à hornblende, dont le plus volumineux, qui était aussi le plus considérable de toute la série, pesait 421 grains, soit 28 grammes, était très-compacte et se composait de hornblende noire, de quartz grisâtre et de grenats. 2 micaschistes. Quartz et mica, dont le plus gros pesait 20 grains. 5 pierres calcaires grises assez compactes, dont la plus grosse était du poids de 7 grains. 2 fragments d’orthoclase (feldspath de potasse), dont les surfaces de clivage sont arrondies sur leurs bords; provenant évidemment d’un granit : le plus volumineux pèse 15 grains. quartz laiteux ou incoiores ; le plus gros pèse 90 grains 3/4; prove- nant, selon toute apparence, des filons de quartz si communs dans l’ardoise argileuse. 19 fragments de véritable lave volcanique, dont la plupart fort légers et à l’état de scories vésiculaires, bien que quelques-uns soient durs et cristallins. On distingue parfaitement dans ces fragments Vagate, Volivine et le feldspath vitreux. Il s’y trouve aussi des fragments de lave trachytique, trachydoléritique et pyroxénique (basaltique) tout à fait semblables à celles de l'Islande et de Jean Mayen, desquelles ces fragments proviennent trés-probablement. or + ÉTUDE DES ÉCHANTILLONS DU FOND. AAA Gravier pris à 143 brasses de profondeur (station 20). Cet échantillon de gravier comprend 718 fragments subangulaires, dont la plupart ne pèsent guère au delà de 1,4 à 1/2 grain, et parmi les- quels il s'en trouve d'un peu plus volumineux, dont le plus considérable, un fragment de micaschiste, ne pèse pas plus de 3 grains. Ces 718 frag- ments se décomposent ainsi : 3 fragments d’orthoclase feldspathique. 4 fragments d'argile bitumineuse. 5 fragments de coquilles (indéterminables). A de granit renfermant du quartz, de l’orthoclase et de la moscovite, 15 pierres calcaires grises fort dures. 69 micaschistes quartzeux. 317 schistes à hornblende, dont quelques-uns renferment des grenats, — 273 fragments quartzeux avec quelques rares débris de quartz hyalin. Le plus grand nombre des morceaux, d’une teinte grisâtre sale, souvent cimentés ensemble, sont évidemment des débris de roches quartzeuses ou de grès, mais ne proviennent pas du granit. 28 roches dures, noires, contenant de l'argile ; très-probablement du basalte volcanique. De 1263 brasses (station 22). Un seul caillou arrondi, pesant 18 grains, composé en majeure partie de quartz avec un peu de hornblende ou de tourmaline, provenant, selon toutes les probabilités, d’un schiste métamorphique. Gravier tiré de 1366 brasses (station 19 a). Ce sont 51 morceaux de roches fragmentaires et subangulaires, pesant moins de 1/2 grain, sauf l'exception d’un fragment de quartz qui pesait 2 grains. Ils se décomposaient ainsi : 19 fragments de quartz qui tous paraissent proyenir de la désagrégation de schistes cristallins et non de granit. 9 schistes à hornblende. 8 micaschistes. 7 pierres détachées, calcaires, tufeuses et d'un blanc sale. 3 petits fragments d’augite ou de tourmaline. 1 fragment de quartz avec tourmaline. h fragments difficiles à déterminer. = =~ bo LES ABIMES DE LA MER Gravier pris à 1h76 brasses (station 21). Six petits fragments subangulaires, dont le plus gros ne dépasse pas 2 grains: 4 quartz jaune. 1 schiste avec quartz et chlorite. 3 micaschistes. 4 petit fragment de lave volcanique, Le spécimen de Rockall n’est détaché d’aucune roche normale ; c'est simplement un agrégat bréchiforme, composé principalement de quartz, de feldspath et de cristaux de hornblende verte, réunis par un ciment sili- ceux. Il a évidemment été détaché du bord en saillie d’un filon, et, bien qu’on n’en puisse tirer des conclusions positives sur la nature des roches dont cet ilot est composé, il semblerait pourtant indiquer le gneiss ou le schiste de hornblende, et exclure l'hypothèse d’une origine vraiment vol- canique. Je puis affirmer qu'il ne ressemble à aucun des fragments recueillis dans les draguages profonds que j'ai pu étudier Jusqu'ici. ACIDE CARBONIQUE DANS L'EAU DE MER. AAD APPENDICE D Acide carbonique contenu dans l'eau de mer, par John Young Buchanan, chimiste de l’expédition du Challenger. L'été dernier, dans une réunion de la Société de chimie , le D" Himly rapporta que le D' Jacobsen, de Kiel, avait reconnu que l'acide carbo- nique ne se sépare qu'incomplétement de l’eau de mer par l’ébullition dans le vide, opinion que le D' Jacobsen lui-même a confirmée dans une lettre adressée au journal da Nature, et publiée dans le numéro du 8 août 1872. Vers la même époque, l'expédition allemande dans les mers arctiques arriva à Leith, et j’eus le privilége d'entendre de sa propre bouche la confirmation de cette opinion, ainsi que l'hypothèse que c’est la présence des sels tels que le sulfate de magnésie qui retient avec tant de force l’acide carbonique. M’étant assuré par diverses expériences que l'acide carbonique est véri- tablement retenu par l’eau de mer avec une force considérable, car les dernières traces en avaient à peine disparu quand le contenu de la cornue s'était déjà évaporé, j'organisai une série d'expériences analytiques dans le but de déterminer auquel des sels il fallait attribuer cette anomalie. Voici en résumé le résultat de ces études : Une solution de chlorure de sodium et de chlorure de magnésium saturés chacune d’acide carbonique ont donné le même résultat, et abandonné tout leur acide carbonique au premier huitième de la distillation. Des solutions de sulfate de magnésie et de sulfate de chaux se sont d’abord comportées de même et ont aban- donné le surplus de l'acide carbonique dissous dans le premier huitième de la distillation; puis la quantité d’acide carbonique chassée devint insignifiante, et s’accrut de nouveau jusqu’à la moitié de la distillation, période où elle a atteint son maximum ; plus tard elle diminue de nou- veau, ne disparaissant cependant qu'à de rares intervalles, à mesure que le contenu de la cornue s’épuisait. Il est évident, d’après cela, qu'il existe dans les sulfates de magnésie et de chaux des agents capables de retenir l’acide carbonique de la même manière qu'il est retenu dans l'eau de 1. Chemical Society Journal, 1872, p. 455. A 444 LES ABIMES DE LA MER. mer. On saura s’il est d’autres agents qui produisent le même résultat lorsque le sujet qui nous oceupe aura été plus complétement étudié. Une nouvelle série d'expériences a été faite sur la variabilité, par la pression, du coefficient de solubilité de l’acide carbonique, dans une solution conte- nant 1,23 pour 100 de sulfate de magnésie cristallisé, maintenue à une température égale à 11° C. Le résultat a montré qu'à une pression de 610 millimètres, la solution de sulfate de magnésie dissolvait la même quantité d’acide carbonique qu’une quantité égale d’eau pure; en d’au- tres termes, leurs coefficients d'absorption étaient les mêmes. Au-des- sous de 610 millimètres, celui de la solution saline était supérieur; au- dessus de 610 millimètres, c'était l'inverse. La courbe cependant n’est pas une ligne droite, et paraît couper de nouveau celle de l’eau pure à une pression de 800 millimètres. Les faits énoncés ci-dessus suggèrent naturellement au chimiste cette question : Quel est le corps que forment le sulfate de magnésie et l'acide carbonique mis en rapport dans la solution ? Il est évident que, outre la quantité d'acide carbonique dissous, il en est une qui est retenue par un lien plus fort, et qui ne se trouve libérée que lorsque la concentration est arrivée à un degré plus avancé. La décompo- sition résulte-t-elle de la perte de l’eau ou de l’élévation du degré d’ébul- lition ? La différence entre les degrés d’ébullition de la solution au mo- ment où le gaz s'échappe le plus abondamment ne dépasse pas 4° C. : il est difficile de croire que le même mélange qui demeure intact à 101 de- grés, se décomposera rapidement à 102 degrés. De plus, si la décompo- sition du mélange s’opérait par l’eau seule, elle serait d’autant plus facile à obtenir que la solution serait plus étendue. D’après la théorie d’Erlen- meyer sur la position de Peau d’hydratation dans le sulfate de magnésie (HO—Mg—O—S0O*—OH), on pourrait supposer que lacide carbonique remplace simplement les molécules d’eau : ainsi Mg < Ou eh ; mais il serait contraire à toute analogie qu'un corps semblable fût plus stable dans des solutions étendues que dans des solutions modérément concen- trées et à la même température. Si, d’un autre côté, nous supposons que CO? s’interpose entre le Mg et la base HO, nous aurons un corps ayant cette forme : HO—C0—0—Mg—0 —$0*— OH. On conçoit qu'un pareil corps puisse, en se concentrant, se déshydrater, puisque le sel anhydrique Mg < MA NE O, se forme pour se diviser en CO? et en MeS0*. En attendant que ce corps formé de cette manière se trouve ainsi constitué, il est clair que pour un mélange donné de sulfate de magnésie, d’eau et d'acide carbonique, ce corps sera un produit de la température, de la pression et de la durée de leur action réciproque. Dans les grandes profondeurs de la mer où les influences atmosphériques ne se font pas sentir, ces conditions se trouvent complétement réalisées. La température y est basse, la pression considérable et le temps illimité. L'eau de mer ACIDE CARBONIQUE DANS L'EAU DE MER. 449 contient en moyenne environ 2 grammes de sulfate de magnésie cristal- lisé par litre, et si la réaction était complète, les 2 grammes de sulfate de magnésie ou le litre d’eau absorberaient 181,1 centimètres cubes d'acide carbonique. En supposant qu'un cinquième seulement du sulfate de magnésie soit ainsi saturé d'acide carbonique, il reste dans le litre d’eau de quoi détruire plus de 36 centimètres cubes d'acide carbonique. Nous avons ainsi dans les sulfates (car le sulfate de chaux parait posséder une action plus énergique encore) un agent qui, dans les profondeurs de l'Océan, remplit une des deux importantes fonctions des végétaux dans les bas-fonds et dans l’air atmosphérique, c’est-à-dire l'absorption de l'acide carbonique expulsé par les animaux ; le renouvellement de l’oxy- gène s’accomplit par suite de la circulation de l'Océan. Il serait d’ail- leurs difficile d'imaginer des circonstances plus favorables à la produc- tion de ce corps que celles qui existent au fond des mers. La température y est généralement un peu supérieure à celle de la glace fondante ; la pression dépasse souvent plusieurs centaines d’atmosphéres, et l'acide carbonique se produisant graduellement et mis en contact à l’état nais- sant avec la solution saline, se trouve placé dans les conditions les plus favorables pour entrer facilement en combinaison chimique. La quantité de cette formation saline dépendant de la pression, il est évident qu’en ramenant l'échantillon d’eau de mer d’une grande profon- deur à la surface, une partie de l'acide carbonique qui y était contenu auparavant deviendra libre; de plus, comme la quantité décomposée varie suivant le temps écoulé, il est évident aussi que la somme d’acide carbonique libre obtenue par l’ébullition dans le vide variera en propor- tion de la profondeur d’où l'échantillon aura été tiré, du temps qui se sera écoulé avant qu’il ait été mis en ébullition, du degré de tempéra- ture auquel il aura été soumis pendant l'ébullition, et du temps qu’aura duré cette opération. Il est donc facile de comprendre comment le D: Jacobsen a trouvé que la quantité d’acide carbonique obtenue par l’ébullition dans le vide ne donnait pas la mesure de la quantité réelle, et que des portions parfaitement égales du même échantillon donnent des résultats différents. On verra, d’après les observations qui précèdent, que les solutions d'acide carbonique dans l’eau de mer ou dans le sang se ressemblent dans presque tous les détails, à cela près cependant, que, dans le sang, le corps qui le renferme est le sulfate de soude, tandis que dans l’eau de mer Cest le sulfate de magnésie, substances qui, l’une et l’autre, con- tiennent de l’eau de formation. Les conditions à la faveur desquelles l'acide carbonique est éliminé, soit du sang, soit de l’eau de mer, sont aussi très-semblables. 146 LES ABIMES DE LA MER. L'étude de la manière dont l'acide carbonique et d’autres gaz se com- portent dans les solutions salines ouvre un champ illimité aux recher- ches utiles. Déterminer les coefficients d'absorption de la solution de sulfate de magnésie pour l'acide carbonique, avec des conditions varia- bles de température, de pression, de concentration et de durée, suffirait à occuper plus d’un chimiste d’une manière aussi utile qu'intéressante. APPENDICE AJOUTÉ PAR LE TRADUCTEUR LA TERRE ENGLOUTIE DE BUSS (voyez page 21). Quelques anciennes cartes marines signalent un dangereux récif ou bas-fond dont les navigateurs du temps ont fait fréquemment mention sous le nom de terre de Buss ; elles le placent par 57° 30’ de latit. N. et 29° 50" de longit. O. Une carte française dont l’exécution est fort helle, qui porte la date de Paris, 1777, et qui a pour auteur M. Fleurieu, lui assigne également cette position; on y remarque un autre récif situé beaucoup plus à l’est (par 59° 80° de latit. N. et 16° 50! de longit. O.), ce qui le place à cin- quante ou soixante milles de l'extrémité occidentale du bane de Rockall. Il est fait mention de ces deux bas-fonds dans le récit du voyage entrepris par le capitaine sir J. Ross en 1818 : « Nous atteignimes le 8 mai », y est-il dit, « le point où la carte de » Steel indique un banc découvert par Olof Kramer » (latit, 59° 28', longit. 17° 22'); «à 130 brasses, nous ne trouvâmes le fond ni à l'endroit » désigné, ni dans son voisinage immédiat ou éloigné. » Et encore : « Dans l'après-midi, nous trouvant exactement sous la » latitude de la terre submergée de Buss, ainsi qu'elle est nommée stir » quelques cartes, c’est-à-dire par 57° 28' de latit. N., et désireux de » reconnaitre si ce bas-fond existe réellement par 29° 45! de longit., » nous changeâmes de direction au coucher du soleil, diminuant de » voiles et virant de bord pour jeter la sonde ; à 180 brasses, nous ne — LA TERRE ENGLOUTIE DE BUSS. AAT » trouvions pas de fond, et l’opération répétée de quatre en quatre milles » ne donna aucun résultat. » Le capitaine Graah, dans sa narration d’un voyage au Groenland fait par lui en 1828, s’exprime ainsi : « Nous avons dépassé, le 25, ce qui est » appelé sur les cartes la ¢erre submergée de Buss, écueil dont les dan- » gers sont signalés dans les instructions anglaises aux navigateurs, » même les plus récentes; les marins peuvent se tranquilliser à cet » égard, et se tenir pour assurés que ce danger-la est purement imagi- » naire. Il est assez singulier que le point où la terre de Buss est sup- » posée avoir existé soit précisément celui où d’anciennes cartes placent » Friesland, cette terre mystérieuse dont la position a tant embarrassé » les géographes, et qu'on a découvert tout récemment n'être autre que » les îles Farôer. Cette grossière erreur au sujet de la position de Fries- » land prouve, à mon avis, que Zeno (le navigateur vénitien du xiv'siècle) » était loin de posséder la connaissance exacte et approfondie de nos mers » septentrionales que plusieurs lui ont prêtée, » L’appendice au même ouvrage renvoie ses lecteurs aux /nstructions pour naviquer entre l'Islande et le Groenland, d'Ivor Bardeen, qui décrit certains écueils qu'il nomme les écueils de Gembrém, et qu'il place au sud-ouest, à mi-chemin de l'Islande au Groenland. Il recommande de gouverner dans une direction qu'il indique, afin d'éviter les glaces qui, arrivées à la dérive, se fixent à ces rochers. L'Histoire du Groenland, de Crantz, fait aussi mention d’une terre située sur ce point. Il parle de Sébastien Cabot et dit qu’il fut le premier à pénétrer dans le détroit de Davis, puis il ajoute : « Nous avons lu dans » une relation qu'un siècle auparavant, en 1380, Nicolas et Antonius » Zeni, deux nobles Vénitiens, emportés par une tempéte des rivages de » PIslande dans la mer Deucalédonienne, découvrirent, par 58° de latit., » entre l'Islande et le Groenland, une grande ile habitée par des chré- » tiens et possédant cent villes ou villages. Cette ile s’appelait l'Ouest- » Friesland. » Depuis lors aucun renseignement quelconque n'est venu donner à ce récit le moindre semblant de confirmation. Pendant son troisième voyage, Frobisher, ayant relâché dans une contrée située sur cette latitude et dont il trouva les habitants jdentiques sous tous les rap- ports aux Groenlandais, en conclut avec juste raison que leur pays faisait partie du Groenland. Quelques personnes pourtant ont adopté l'opinion que cette île a été engloutie par un tremblement de terre, et qu'elle n'est autre que la terre de Buss marquée sur les cartes, et que les navigateurs redoutent à cause du peu de profondeur des eaux qui l'entourent et de la violence des vagues dont elle est battwe. Il est inutile de multiplier les citations, Malgré le peu de crédit accordé ~ 448 LES ABIMES DE LA MER. aux assertions des auteurs anciens et aux témoignages positifs des navi- gateurs vénitiens et norvégiens, les récits des voyageurs modernes qui parlent d’une terre engloutie ou bas-fond, et la remarquable corrobora- tion que viennent de leur fournir les draguages récemment entrepris, permettent de considérer comme très-probable l'existence, à une certaine époque (entre les 27° et 29° degrés de latit. N. et les 59° et 60° de longit. O.), d’une île ou terre qui, engloutie subitement par une formidable action volcanique ou graduellement et lentement submergée, n’a laissé pour témoigner de son existence que le bas-fond actuellement recouvert par les flots. D’après les connaissances récemment acquises, un fait certain, c'est qu'il est un point situé entre les 27° et 32° degrés de longit. O., qui, recouvert par 748 brasses seulement, se trouve placé entre une profon- deur de 1160 brasses d’un côté et 1260 de l’autre. Il est à remarquer que la position ainsi indiquée ne se trouve qu’à 100 milles au nord-est de celle qu’occupe sur les anciennes cartes la terre engloutie de Buss, et que, sur un point situé à une centaine de milles à l’ouest du sondage précédent, la profondeur décroît jusqu’à 512 brasses. Comme il est fort peu probable qu’on soit tombé par hasard sur la plus faible profondeur de tout l’espace, et la terre engloutie devant nécessairement en occuper le point le moins profond, il est permis de croire que la profondeur continue à décroître depuis les 748 brasses du sondage qui se trouve à l’ouest jusqu’à celui où elle est supposée avoir existé. Ce qui renforce cet argument, c’est que ce point n’est éloigné du méridien indiqué par M. Fleurieu que de la faible distance de 12 milles dans la direction de l’est '. 1. The North Sea Bed, by G. C. Wazuicu, M. D. London, 1862, p. 63 à 66, et p. 141 et 142. INDEX A Acanthometrina, 83. Æga nasuta, 107. Acassiz (Alexandre). Échinodermes ; faune des deux bords de listhme de Pa- nama, 11.— Sur les Echinocyamus, 99. Algues (Zone des), 12. ALLMAN (professeur), F.R.S. Liste des formes animales découvertes dans les grandes profondeurs, 22. Allopora oculina, 142, 364. Amathia Carpenteri, 147. Amphidetus cordatus, 388. Amphihelia atlantica, A. miocenica, A oculata, A. ornata, A. profunda, 141. Amphiura abyssicola, 104. Antedon celticus, 64; A. Eschrichtii, A. Sarsii, 103. Aphrocallistes Bocagei, 80. Archaster Andromeda, 125; A. bifrons, 103; A. Parelli, 103; A. tenuispinus, 102; A. vexillifer, 125. Arcturus Baffini, 107. Askonema setubalense, 361. Asterophyton Linckii, 16. Astrorhiza limicola, 63. - Atavisme, 7. Atretia gnomon, 76. = 5 BACHE (professeur A. D.), inspecteur de la surveillance côtière des États-Unis. Sur le Gulf-stream, 325. Bathybius Heckelii, 347. Bathycrinus gracilis, 381. Bathyptilum Carpenteri, 65. BERRYMAN (le lieutenant) de la Marine des Etats-Unis. Sondages profonds sur le brick des Etats-Unis Dolphin, 192. BocacE (le professeur Barboza du), direc- teur du Muséum d'histoire naturelle de Lisbonne, 232. —Sur l Hyalonema, 354. Bowerpank (DF F. R. S.). Sur l’Hyalo- nema, 398. Branot (D°). Sur l’Hyalonema, 356. Brisinga coronata, 56, 100; B. endeca- cnemos, 55, 84, 100 — Description par Absjürnsen, 57. Brissopsis lyrifera, 99, 387, 388. Brooke (J. M.), de la Marine des Etats-Unis. Appareil de sondage, 17, 176, 178. Browninc (le lieutenant), 71. Buccinopsis striata, 392. BuCHANAN (John Young, M. A.). Sur l’acide carbonique de l’eau de mer, 443. Burr (le professeur Henry). Sur les cou- rants de l'Océan, 311. — Sur le Gulf- stream, 328. Buss (la terre de), 21, 446. C CALVER (le capitaine). Son habileté à di- riger les opérations de draguage, 71. — Sondages par séries, 261. Calveria Hystrix, 130, 388; C. fenes- trata, 133, 152, 388. Caprella spinosissima, 106. CARPENTER (Dt William), B. F.R.S., 2. — Rapport préliminaire sur des opérations de draguage du Lightning, 112. — Ob- servations de température dans la Médi- terranée, 276. — Théorie des courants de l'Océan, 311, 312. — Observations 29 Yj sur les courants du détroit de Gibral- tar, 315. — Sur le Gulf-stream, 329. CARPENTER (William Lant), 72. — Analyses des eaux de la mer, 427 à 435. Caryophyllia borealis, 22, 363. Ceratocyathus ornatus, 363. Cerithium granosum, 392. CHmmo (le commandant W.), de la Marine royale, 193. Températures de lAtlan- tique, 303. Choanites, 415. Chondrocladia virgata, 157. Cidaris papillata, 64; C. Hystrix, 98, 162, 388; C. affinis, 162, 387, 388. Cladorhiza abyssicola, 95. Coccolithes, 348. Coccospheres, 349. Celosphera tubifer, 412. Conservation des spécimens, 220. Corallines (zone des), 13. Craie, 345; -— (analyses de la), 397. Crinoides, 366. CROLL (James). Sur les courants océa- niens, 310, 318, 321. D Dacrydium vitreum, 393. Darwin (Charles), M. A., F. R.S. Origine des espèces, 7. D’Auguissox. Sur les températures des pro- fondeurs, 304. Davis (le capitaine), de la Marine royale. Thermomètres vérificateurs, 244, 249. DayMAN (Joseph), commandant dans la Ma- rine royale, 19, 193, 255. — Tempéra- tures de l'Atlantique, 303. Despretz (M.). Recherches sur le maximum de densité des solutions salines, 29. — Température de l’eau de la mer à sa plus grande densité, 256. Dorynchus Thomsoni, 146. Draguage (Appareils de). Drague de Miil- ler, 199; drague de Ball, 202; dragues pour les grandes mers, 207; cabes- tan, 208; l’accumulateur, 208; chevilles à enrouler, 208 ; corde de drague, 210. — Draguages peu profonds, 211 ; draguages profonds, 212. — Houppes de chanvre, 215,216; vider la drague, 218; tamis de 450 INDEX. draguage, 219. — Comité de draguage (membres du), 223; comité de draguage de Belfast, 224. Draguage (Opérations de) sur les côtes d'Irlande, 224; d'Angleterre, 224; de Shetland et des Hébrides, 224; du Por- tugal et de la Méditerranée, 225, 226, 233; du nord-est de l'Atlantique, 225; de la Norvége, de la Suéde et du Dane- mark, 225; de lAdriatique, 225; de l'Algérie, 226; du Spitzberg, 227; de Malte, 227; de la Finlande et des îles Loffoten, 228; des Etats-Unis, 234. Draguages (Journal des), 237. Duncan (le professeur P. Martin). Sur les Coraux des mers profondes, 363. E Echinides fossiles, 135, 136. Echinocucumis typica, 105, 146. Echinocyamus angulatus, 99, 388. Echinothuride (Vaste distribution des), 143. Echinus elegans, 64, 388. Echinus esculentus, 388. Echinus Fleemingii, 98, 388. Echinus Melo, 388. Echinus microstoma, 142. Echinus norvegicus, 64, 98, 217, 388. Echinus rarispina, 388. Echinus rarituberculatus, 98. Egée (Mollusques et Radiolaires de la mer), 4. Ethusa granulata, 146. Euplectella, 62. Eusirus cuspidatus, 105. Evolution (Doctrine de 1’), 7. F Finpray (A. G.). Sur le Gulf-stream, 330. Flabellum distinctum, 364. Floride (Faune du détroit de la), 143. Foraminifères, 97, 139, 350, 406. Forges (David). Analyse de la craie blanche de Shoreham, 397; de la craie grise de Folkestone, 398.— Spécimens du limon de l'Atlantique, 439 à 442. INDEX. 451 Forges (Edward). De la distribution des formes marines, 4; de l’immutabilité des espèces, 4; centres spéciaux de distri- bution, 6; la loi de représentation, 6. — Zones de profondeur, 12; formes repré- sentatives, 10.— Analogie inverse entre Ja distribution des faunes et des flores de la mer et celles de la terre, 36. — Du draguage, 223. FRANKLAND (D'). Analyses de l’eau de mer, 436 a 438. Fusus Sarsi, 398. G Geryon tridens, 75. Globigerina bulloides, 12, 350. Gonoplax rhomboides, 74. Goopsir (Henri). Draguages profonds dans le détroit de Davis, 17. Gray (Dt John Edward). nema, 356. Gulf-stream, 241, 300. — Description du —,320.— Son trajet et son extension à travers l'Atlantique du Nord, 323. Sur l’Hyalo- H HæckeL (le professeur Ernest), 7. — Études biologiques, 347. Halichondride, 62. Hatt (Marshall). Croisière du yacht Norna, 225. Herscuen (sir John F. W.). Théorie d’une température uniforme de 4° C. aux grandes profondeurs, 28. — Lettre au Dr Carpenter, 319. — Description du Gulf-stream, 320. Heæactinellidæ, 59, 351. Holothuria ecalcarea, 106. Holtenia Carpenteri, 60. — Large distri- bution de ?—, 62, 85, 139, 351, 360. Humpotpt (baron von). Sur la température des profondeurs, 304. Hunter (John), 72. — Analyses de Peau de mer, 423. HuxLey (le professeur F. H.). La vie aux grandes profondeurs, 19. — Le limon - crayeux de Atlantique, 421. Hyalonema, 61, 85, 139, 232, 352, 359. Hyalonema lusitanicum, 354, 355, 359. Hyalonema Sieboldi, 354. Hymenaster pellucidus, 101. INskiP (le commandant d'état-major), TL Isthme de Panama (Faune des Échino dermes des deux côtés de 1’), 11. JEFFREYS (J. Gwyn). Distribution des Mollusques marins, 33. — Première croisière du Porcupine, 72; — dra- guages sur la côte méridionale de l'Irlande, 102. — Quatrième croisière du; ‘Porcupine, 149, 225, .234./ 352, 901. — Observations de température, 275. JENKIN (le professeur Fleeming). Le cable entre la Sardaigne et Bone, 21. — Pre- mière preuve positive de l’existence, aux profondeurs dépassant 1000 brasses, d'animaux d'organisation supérieure, 24. K Kent (W. Saville). Expédition du yacht Norna, 62, 235. Kophobelemnon Mulleri, 64. Korethraster hispidus, 101. L Laminaires (Zone des), 13. Latirus albus, 392. LaucuTon (J. K.). Des courants de l’0- céan, 336. LEE (le lieutenant), de Ja Marine des Etats-Unis. Les sondages profonds, 192. #52 Lightning (Croisière du). Les bancs de > Farôer, 48. — Les îles Faréer, 49; Thorshaven, 51. — Premier essai de draguage profond, 54; d'espace froid, 58 ; d'espace chaud, 59. — Stornoway, 64. — Résultats généraux de l’expédi- tion, 66. Littoral (Zone du), 12. Lituola, 97, 162. Lophohelia profilera, 64, 141, 364. LovEN (le professeur). Additions à la con- naissance acquise en Zoologie marine, 225 .— Distribution bathymétrique de la vie sous-marine, 226. LYELL (sir Charles). La période créta- cée, 400. — La permanence de la craie, 403, 418. Lyman (Théodore). Mémoires dans le Bulletin du Muséum de zoologie com- parée, 234. M Mac Cunrock (l'amiral sir Leopold). Voyage du Bull-dog, 20. Maury (M. F.), L. L. D., capitaine dans i Marine des tie Unes 18. — Théorie des courants de l'Océan, 310; — du Gulf-stream, 322. May (commandant d’état-major). Troi- sième croisière du vaisseau le Light- ning, 48, 297. Mercure (Croisière du), 195. MitNE Epwarps ipeees 23. — Liste des animaux pris sur le cable méditerra- néen depuis la profondeur de 1100 brasses, 23. Moun (le professeur H.). La température de la surface et celle des profondeurs sur les côtes occidentales de la Nor- vége, 994 Moyennes des températures annuelles : Hébrides, 306; Labrador, 306 ; Ber- gen, 306; Tobolsk, 306; îles Farder, 306; iles Falkland, 306; Dublin, 307; Port-Famine, 307; Halifax, 307; Bos- ton, 307. MueLer (Otho Frederick), 199; — sa dra- gue, 199. Munida, 64. INDEX. Neolampas, 387. Neolampas rostellatus, 388. Norman (le Rév. A. Merle). Découvertes sur la faune des Shetland, 104. Notice préliminaire sur les Crustacés de l'expédition du Porcupine. Nutrition des animaux dans les grandes profondeurs, 146. ; Nymphon abyssorum, 109. 0 Océanique (Circulation), 67, 239. — Théorie du Dr Carpenter, 313. Ophiacantha spinulosa, 64, 123, 145. Ophiocten sericeum, 64, 104. Ophiomusium Lymani, 144. Ophiopeltis securigera, 104. Ophioscolex glacialis, 104. Ophioscolex purpurea, 10%. Ophiothrix Lutkeni, 85. Orbitoliles tenuissimus, 77, 162.. Orbulina universa, 19. P Pecten Hoskynsi, 394. Pedicellaster typicus, 386. Pentacrinus Asteria, 368. Pentacrinus Mulleri, 374. Pentacrinus Wyville-Thomsoni, 156, 375. P£TERMANN (Dr). Du Gulf-stream, 242, 320, af. Pheronema Anne, 352. Phormosoma placenta, 143, 388. Phosphorescence, 83, 123. Pierce (le professeur). Du Gulf-stream, 326. Platydia anomioides, 122. Pleuronectia lucida, 393. Poissons (Nouvelles espéces de), 110. Polycystines, 83. Porcupine (Première croisière du), 70; équipement du vaisseau, 71. — Résultats du premier draguage, 73 ; premier essai des thermomètres Miller-Casella, 74. Banc du Porcupine, 75; promenade à Rockall, 76. — Seconde croisière, 78. — Draguage à 2435 brasses de profon- deur, 84. Retour à Belfast, 85 — Troi- sième croisière, 85. Terrain de l’Hol- tenia, 88 ; les houppes de chanvre, 89. Thorshaven, 90; découverte du cou- rant arctique, 95; plateau des Shet- land, 94. Prédominance de la faune arctique , 110 ; faune des espaces chauds sur la côte septentrionale de l'Écosse, 148. Retour à Belfast, 149. — Quatrième voyage du Porcupine, 150. Croisière dans la Méditerranée, 159 ; faune de la côte d'Afrique, 161 ; banc de l’Adventure, 161; Malte, 162; son- dages de température près de Strom- boli, 163. Retour à Cowes, 164. Porocidaris purpurata, 86, 388. PourTALES (le comte L. F. de). Draguages profonds à travers le Gulf-stream sur la côte de la Floride, 234. Pourtalesia Jeffreysi, 92, 387, 388. Pourtalesia phiale, 77, 388. Prédominance des Protozoaires, 39. Pression (Couditions de la) dans les gran- des profondeurs, 26. — Méthodes pour apprécier la pression véritable, 28. — Effet de la pression sur le thermo- mètre, 248. PRESTWICH (Joseph), président de la So- ciété de géologie. Températures de VAt- lantique, 301. — La permanence de Ja craie, 397. Profondeurs (Sondages dans les grandes), 171.— Plomb à coupe, 176 ; appareil de Brooke pour sonder dans les grandes profondeurs, 177, 178; machine à son- der du Bull-dog, 179; machine à son- der de Fitzgerald, 181; machine à sonder de l’'Hydre, 183; le petit che- val, 185 ; les cabestans, 185; l’accumu- lateur, 186. — Rapidité de descente de Vinstrument de sondage, 189.— Machine a sonder de Massey, 189. Profondeurs (Théorie de la température des grandes), 242. — Distribution de la chaleur dans la mer, 256; la muraille froide, 327, 337. — Température mini- mum de la mer, 253 ; proximité des es- paces chauds et des espaces froids, 322. INDEX. 153 Grande égalité de température à toutes les profondeurs dans la Méditerranée, 276. — Sondages de température faits par séries, 261, 262. Profondeur de la mer, 173 ; premiers draguages profonds qui aient réussi,175. — Formes animales trouvées aux profon- deurs de 70 à 1200 brasses, 22; abon- dance de la vie animale au fond de Ja mer, 217. — Moyenne de la profondeur de la mer, 195. — Calme absolu aux grandes profondeurs, 340; pénétration de la lumière, 43. — Abondance des genres Astropecten et Archaster, 100. . Psammechinus microtuberculatus , 388. . Psammechinus miliaris, 388. Psolus squamatus, 105. Pteraster militaris, 143. R Rhabdammina abyssorum, 63. Rhizocrinus loffotensis, 64, 105, 378. RICHARDS (le contre-amiral), hydrographe de la Marine, xvut. Ross (sir James Clarke), de Ja Marine royale. Draguages profonds dans la mer Antarctique, 16. — Observations de température, 257. Ross (sir John). Voyage de découvertes dans la baie de Baffin, 15. — Machine à remonter les sondes des plus grandes profondeurs, 175. — Observations des températures pendant un voyage arc- tique, 253. Rossella velata, 353. Royal Society (Lettre à la) du Dr Carpen- ter, pour demander une série systémati- quement organisée de draguages pro- fonds, 44. — Lettre du secrétaire de la Royal Society au secrétaire de lAmi- rauté, 46; réponse de l’Amirauté, 47. (Voyez aussi 112 a 118.) S SABINE (le général sir Edward). Extraits de son journal particulier, 17, 254. Sars (le professeur Michel). Liste des animaux appartenant à tous les groupes Ba INDEX. Le d'nvertébrés qui vivent à la profon- deur de 300 à 400 brasses, 27, 225, 228, 231. Schizaster canaliferus, 388. SCHMIDT (le professeur Oscar). Les Heæacti- nellidæ, 59; Cometella, 97. SCHULTZE (le professeur Max) . De l’Hyalo- nema, 358. Serpula, 230. SHORTLAND (le capitaine), de la Marine royale. Températures des grandes pro- fondeurs dans le golfe Arabique (mer d’Oman), 303. SmitH (Toulmin J.).Les Ventriculites, 409. Solaster furcifer, 100, 386. Solaster papposus, 100. Spatangus purpureus, 388. Spatangus Raschi, 100. . Spirorbis, 230. SPRATT (le capitaine), de la Marine royale. Draguages dans la Méditerranée, 227. Squales aux grandes profondeurs, 27. STEENSTRUP (le professeur). Agrandissement des connaissances de la zoologie ma- rine, 225. Stylocordyla borealis, 96. Surface (Moyen de déterminer la tempé- rature de la), 241. — Distribution de la température de la surface dans l’Atlan- tique du Nord, 306. r Tellina calcarea, 390. Tellina compressa, 393. Température de la croûte terrestre, 341. Terebratula septata, 109. Thecophora Ibla, 123. Thecophora semisuberiles, 122, 193. Thecopsammia socialis, 365. Thermomètre de Six, 243; Miller-Ca- FIN DE sella, 245 : thermomètre métallique de Bréguet, 247; thermomètre de Negretti et Zamba, 247. THOMSON (sir William). Thermomètre en- fermé dans un tube de verre herméti- quement clos, 251. Tisiphonia agariciformis, 63, 140. Toxopneustes brevispinosus, 388. Transport des Poissons vivants, 50. Tripylus fragilis, 99, 388 . V Variation des espèces, 7. Ventriculites simplex, 410; surface, 411 ; extérieure, 411; section de la paroi ex- térieure, 411. Verticordia acuticostata, 393. W WALLACE (Alfred Russel). Sur la sélection naturelle, 7. WALLER (Edward). Draguages sur la côte méridionale de l’frlande, des Hébrides et des Shetland; la faune des Hé- brides, 102. WaLuicH (G. G.). Lit de l'Atlantique du Nord, 20, 228, 255, 416. Waicut (le professeur Percival). Draguages profonds sur les côtes du Portugal, 232. Z Zone des Coraux des grandes profon- deurs, 14. Zoroaster fulgens, 128. L’ INDEX PARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2 eS tt tee... de rrr ~ ie a à M ts lu Hi i a i ae in a I iil 4 1 il il Mm MM j a Hue Mu A | I Il \ Hl i i) 1 1 | i | ) iil à Il | | u fi il Il ll 7 | | | i | TN) ne ih | | li i | = = : _ NE HTH TUT AVUAMALIAUSAOMDT ALL LOT HOI IUOA TAU TE ET EM E EE TAT | I | AAA Hi ij a Hi 1 i i) | 4 il | WA ) Mil ui | D | in Hil i ill) ) Hl li | | \ He i iL PA AANA | AN | | uh i) Hi HAN i) AA i | ii ll | ji | ) | jun lib eve i a im re : il HA Wit] Me Hl . my a 4