HARVARD UNIVERSITY
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Library of the
Museum of
Comparative Zoology
| HARVARD-COLLEGE LIBRARY |
GIFT-OF
DANIEL: B-FEARING
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LES
ABIMES DE LA MER
RECITS DES EXPEDITIONS
DE DRAGUAGE DES VAISSEAUX DE S. M. LE PORCUPINE & LE LIGHTNING
PENDANT LES ETES DE 1868, 1869 & 1870
SOUS LA DIRECTION SCIENTIFIQUE
DU De CARPENTER, DE M. J. GWYN JEFFREYS & DU De WYVILLE THOMSON
PAR
C. WYVILLE THOMSON
Professeur de sciences naturelles à l'Université d'Édimbourg
Directeur de létat-major scientifique civil des explorations du vaisseau le Challenger
OUVRAGE
TRADUIT AVEC LAUTORISATION DE L'AUTEUR
PAR: LE) DLORTET
Professeur à la Faculté des sciences de Lyon
Directeur du Muséum d'histoire naturelle
SUMMACONUEENN ANS SE GRAVORES SUR BOnr- ET 8 CARTES
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C':
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
1879
Tous droits réservés.
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HARVARD COLLEGE LIBRARY
GIFT OF
DANIEL 8, FEARING
30 JUNE 1018
MCZ LIBRARY
HARVARD UNIVERSITY
CAMBRIDGE. MA USA
Special Collections
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A MA MERE
EMMELINE BROUZET
Dans le sein de Dieu où vous reposez, vous connaissez ces merveilles
de la vie si largement répandue dans les abimes de lPOcéan. Ce livre,
lorsque nous le lisions ensemble, nous avait fait entrevoir ces mysté-
rieuses régions. Le voile est à présent déchiré pour vous, mais vous
m'avez laissé seul sur la rive.....
LORTET
AVANT-PROPOS
DU TRADUCTEUR
L'exploration des mers profondes est un fait capital
au point de vue de l’histoire de notre terre. La géologie, la
zoologie, la physiologie, la physique, lui doivent des décou-
vertes importantes actuellement complétées par la commis-
sion scientifique montée sur le navire anglais le Challenger.
On peut dire que les savants qui les premiers, sur le Light-
ning et le Porcupine, ont étudié les abimes des mers, ont
marché de surprise en surprise. On croyait que dans ces
régions toute vie était impossible, et cependant une faune
abondante, exubérante même, les anime de toutes parts.
Des animaux supérieurs ont été retirés des grandes profon-
deurs, où la pression est énorme, où les physiologistes ne
pouvaient admettre le fonctionnement régulier des orga-
nismes vivants. Ces mers profondes semblaient condam-
nées à une obscurité éternelle; mais la encore la lumière
est engendrée partout, et largement répandue par d’innom-
brables animaux phosphorescents. Elle est assez intense
pour permettre aux êtres pourvus d’yeux de se servir utile-
Vill AVANT-PROPOS.
ment de ces organes. Les physiciens avaient affirmé que
les dépressions océaniques étaient remplies d'une eau
immobile, présentant une température invariable de 4’,
température du maximum de densité de l'eau douce. Mais
l'expérience a donné tort aux théories : cette couche immo-
bile à 4° ne se rencontre nulle part, et partout de larges
et rapides courants chauds ou froids font circuler l'eau,
renouvellent les gaz qu'elle renferme et permettent la
vie. Ce sont là les artères et les veines du grand Océan.
Renfermée dans son étroit bassin, la Méditerranée ne
peut respirer ainsi, et les êtres vivants manquent presque
complétement dans ses profondeurs, dont l’eau est cor-
rompue par les impuretés du Nil, qui est en quelque sorte
le grand égout de l'Afrique orientale.
On pensait que depuis longtemps déjà les principaux
représentants des faunes anciennes avaient disparu par
suite des changements géologiques survenus à la surface
du globe. Mais les nombreuses Éponges siliceuses, les
Encrines qui peuplaient les mers jurassiques, les Oursins
des périodes crétacées, retirés des abimes océaniques par
M. Wyville Thomson et ses collaborateurs, ont montré
que, pendant des myriades de siécles, les mémes formes
animales ont persisté Jusqu'à nos jours, en se modifiant
légèrement dans les mers profondes.
Les travaux de Sars, de Forbes, de Wallich, d'A. Milne
Edwards, de Pourtalès et d’Agassiz avaient préparé les
voies et appelé l'attention sur ces recherches et ces études.
C'est un grand honneur pour MM. Wyville Thomson,
Carpenter et Gwyn Jeffreys d'avoir pu réaliser les décou-
AVANT-PROPOS. IX
vertes que quelques-uns avaient vaguement entrevues.
C'est une gloire pour l'Angleterre d'avoir largement donné
à ces savants les moyens de mener à bonne fin ces nobles
travaux, dont l'importance peut dépasser toutes les prévi-
sions. Depuis deux ans un navire de la Marine royale an-
gluse, sous la direction scientifique du professeur Wyville
Thomson, sillonne en tous sens l'Atlantique et le Paci-
fique, pour continuer dans ces vastes bassins les recher-
ches commencées autour de lrlande et des îles Farôer
par le Lightning et le Porcupine, dont nous racontons ici
les pérégrinations. Le Challenger (la Provocante) est une
corvette a hélice admirablement outillée pour les recherches
scientifiques de toute nature. « Sa machine à vapeur a la
» puissance de 400 chevaux, et six embarcations, dont une
» à vapeur, sont suspendues à ses flancs. Le Challenger
» était armé de dix-huit canons; mais n'ayant personne
» à provoquer dans un voyage absolument pacifique, seize
» de ses canons furent débarqués et remisés à l'arsenal.
» Le pont tout entier a été livré aux installations scienti-
» fiques. L’arriére-cabine sous la dunette est le logement
» du commandant, le capitaine Nares, et du professeur
» Wyville Thomson, d'Édimbourg, chef scientifique de
» l'expédition. Cette cabine communique avec une grande
» pièce ayant 9 mètres de long sur 3",06 de large, servant
» de cabinet de travail. Des deux cabines situées à la suite,
» celle de babord est un laboratoire de zoologie, l’autre le
» dépôt des cartes marines. Une grande table, placée au
» milieu du laboratoire, porte quatre microscopes fixés par
» des écrous, éclairés par des lampes et accompagnés de
»
AVANT-PROPOS.
pinces, de ciseaux et autres instruments de nickel, afin
de n'être pas rouillés par Peau de mer. Du plafond,
auquel sont fixés des harpons, des tridents, des boites
de ferblanc, pendent des tables suspendues, indispen-
sables pour travailler pendant le roulis. De nombreuses
étagères portent des bocaux de toute grandeur, et un
robinet communiquant avec un réservoir d'alcool permet
de les remplir immédiatement. Sur un rayon sont rangés
les livres les plus indispensables. Vers le milieu du pont,
à babord, se trouve une pièce obscure à Pusage du pho-
tographe, et à tribord le laboratoire de physique et de
chimie. Presque toute la partie de avant est occupée
par les appareils de sondage, les dragues, une pompe
hydraulique, un aquarium dont eau se renouveile
incessamment, et d'autres objets encombrants.
» Le navire est sous les ordres du capitaine G. Nares ;
son second, M. Maclear, fils de l’ancien directeur del ob-
servatoire du Cap, sir Thomas Maclear, est chargé des
observations magnétiques. Le professeur Wyville Thom-
son se consacre à l'étude des animaux inférieurs avec
le D° Willemoes-Sulsm, élève du professeur Siebold,
de Munich. M. Murray s'occupera surtout des animaux
vertébrés, et M. Moseley des collections botaniques. Le
chimiste est M. Buchanan, et M. Wild, de Zurich, le
dessinateur. Un sous-officier du génie, habile photo-
graphe, a été adjoint à la commission. Pénétré de lim-
portance d’une mission scientifique, les officiers de
marine composant l'état-major du Challenger ont déployé
le plus grand zèle afin de rendre les installations aussi.
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TZ
AVANT-PROPOS. x
commodes que possible pour favoriser les recherches des
savants embarqués avec eux. Ils ont compris qu'une
campagne de ce genre fera plus d'honneur à l'Angleterre
que les transports de troupes ou de matériel, de mis-
sionnaires où de personnages diplomatiques, auxquels
ils sont si souvent condamnés *.
» Muni de tous ses appareils, le Challenger partit de
Portsmouth le 21 décembre 1872; il arrivait à Lisbonne
le 3 janvier 1873, contrarié sans cesse par le mauvais
temps, et le 12 du même mois à Gibraltar. Quelques
sondages exécutés sur les côtes du Portugal donnèrent
déjà des résultats intéressants pour la physique du globe,
mais la campagne proprement dite commence aux Cana-
ries. Dans le voismage de cet archipel, on rencontra des
profondeurs qui ne dépassaient pas 2770 mètres. Bientôt,
à partir du 20° degré de longitude, elles augmentèrent
rapidement et se tinrent entre 4000 et 5700 metres; puis
entre le 40° et le 50° degré de longitude, le navire se
trouva au-dessus de l'extrémité d'un vaste plateau sous-
marin qui, sous la forme d'une S, s'étend, au nord
de Péquateur, du 20° au 52° parallèle. Sur ce plateau la
sonde n’accusait que 2500 mètres environ *. A partir de
ce point, les grandes profondeurs recommencérent. Dans
le voisinage des iles Vierges, un des groupes des An-
tilles, la sonde plongea jusqu'à 5530. Après une relache
à Vile danoise de Saint-Thomas, la corvette repartit en se
1. Charles Martins, dans Revue des deux mondes, 15 août 1874, p. 768 et suiv.
2. Voyez les cartes dans Ocean Highways, octobre 1873; et PETERMANY’s Geogra-
phisch Mittheilungen, 1873, n° XI.
7
7
C4
7
AVANT-PROPOS.
dirigeant vers les Bermudes. C'est en quittant Saint-
Thomas, et à 80 milles marins! au nord de cette ile,
que la sonde descendit à l'énorme profondeur de 7137
mètres, savoir 2327 mètres de plus que la hauteur
du mont Blanc. Sur la ligne de Saint-Thomas aux
Bermudes, et des Bermudes a Halifax, le Challenger
mesura des profondeurs considérables, comprises entre
3700 et 5400. De Halifax, le Challenger revint aux Ber-
mudes pour traverser de nouveau Atlantique dans
toute sa largeur, de l’ouest à lest, en passant sur les.
points signalés comme les plus profonds. Le résultat de
neuf sondages exécutés par son infatigable équipage
donne une moyenne de 4800 mètres, exactement la
hauteur du mont Blanc, profondeur qui se réduit à
2990 sur le plateau sous-marin en forme d’S dont nous
avons parlé, et à 1800 au milieu des iles de l'archipel
des Acores. Dé Saint-Miguel, la principale de ces iles,
la corvette revint le 16 juillet à Madère, que l'expédition
avait quitté le 5 février. Le navire mit ensuite le cap sur
les Canaries, et de la sur les iles du Cap-Vert, où il
aborda le 27 juillet. De ces iles le Challenger traversa une
troisième fois l'Atlantique de lest à l’ouest, et arriva à
Bahia le 14 septembre, sans avoir trouvé de profondeurs.
supérieures à 4600 mètres sur des points où des sondes.
antérieures accusaient 12 000 mètres, preuve de lim-
perfection des anciens appareils de sondage. Les nombres.
du Challenger sont dignes de confiance à une centaine
1. Le mille marin est de 1852 mètres.
AVANT-PROPOS. XIN
> de mêtres près, et ils permettront de faire dans Océan
> des profils bathymétriques comparables aux profils alti-
> tudinaux de nos plateaux et de nos montagnes *. »
Lf!
Les savants de l'expédition du Challenger examinant les produits de la drague.
Le Challenger continue aujourd'hui l'exploration régu-
1. Ch. Martins, loc. cit., p. 773.
XIV AVANT-PROPOS,
li¢re des mers de l'Australie et de la Malaisie ; autant qu’on
peut laflirmer par les courtes notes parvenues en Europe,
les résultats scientifiques de cette expédition sont des plus
importants.
En terminant, quil me soit permis de témoigner un
regret et d'émettre un vœu: Pourquoi, depuis la mort de
lillustre Dumont d'Urville, notre marine est-elle systéma-
tiquement tenue à l'écart des recherches scientifiques?
Malgré la prospérité de ses finances, le second empire
oublia ce qui faisait les forces de notre marine, ce qui
donnait une instruction solide et hors ligne a notre corps
d'officiers : les travaux scientifiques, les voyages lointains
de circumnavigation. Aujourd'hui encore, lorsque tant de
nos navires croiseurs pourrissent dans les ports, lorsque
tant d’équipages sont décimés par la fièvre et l'ennui dans
des parages malsains, pourquoi, ‘tout en tenant compte
des intérêts puissants du commerce et de la politique, ne
veut-on pas profiter d’un matériel si complet et d’intel-
ligences si dévouées, pour marcher sur les traces des An-
glus et des Américains, et pour conquérir quelques-unes
de ces nobles couronnes qui ne font couler niles larmes
ni le sang?
PRÉFACE
Après avoir terminé les expéditions de draguage dans les
grandes profondeurs, entreprises en 1868, 1869 et 1870 par
PAmirauté, à Vinstigation du Conseil de la Société Royale,
il a semblé convenable à ceux qui en avaient la direction
scientifique dinitier le public à leurs travaux. Il fallait aussi
justifier, en montrant l’importance des résultats acquis à la
science, la libéralité dont le Gouvernement a fait preuve en
accédant au désir manifesté par la Société Royale, en mettant
à sa disposition les moyens d'exécuter les recherches projetées.
Il est bon aujourd'hui d'exciter l'intérêt par le récit de ces
entreprises et de pousser ainsi ceux qui en ont le gout et les
moyens à pénétrer plus avant dans cette nouvelle et étrange
région que nous avons eu la bonne fortune d'aborder parmi
les premiers.
Ce compte rendu devait être une œuvre collective à laquelle
XVI PRÉFACE.
chacun apporterait sa part; mais à l’exécution, cependant, ce
plan offrit quelques difficultés : chacun de nous était très-
occupé; les nombreuses communications et la correspondance
active qu'eût exigées ce travail de collaboration, menaçaient
de devenir une sérieuse et pénible complication. Il fut done
décidé que je me chargerais de la besogne de reporter. Voilà
comment je me trouve responsable des opinions et des faits
énoncés dans cet ouvrage, à l'exception cependant de ceux
dont la source est de quelque facon nettement indiquée.
Depuis nos recherches dans les grandes profondeurs, il
nous arrive de tous côtés, d'Angleterre et de l'étranger, des
demandes de renseignements sur notre manière de procéder
et sur le matériel dont nous nous servons. Pour y répondre,
jai décrit avec détail les opérations de sondage et de dra-
euage; je désire que les chapitres qui traitent spécialement
de ces sujets, et qui sont le résultat d’une grande expérience,
fournissent aux commencants des indications utiles.
Je mai pas fait d’études approfondies de chimie, et j'aurais
de beaucoup préféré m'en tenir à la biologie, qui est mon
véritable domaine : mais certaines questions de physique se
sont imposées à nous pendant nos récentes explorations ; elles
ont une si grande portée à cause de leur influence sur la
distribution des êtres vivants, qu'il m'a été impossible de ne
pas étudier avec une sérieuse attention leurs rapports géné-
raux avec la géographie physique. Je me suis fait à leur égard
des idées très-arrètées, qui, je le dis à regret, ne se trouvent
pas entièrement d'accord avec celles du D" Carpenter. Les
points principaux sur lesquels mon ami et moi sommes « con-
venus de différer d’opinion », sont traités dans le chapitre
relatif au Gulf-stream.
J’avais d’abord eu l'intention de faire suivre chaque chapitre
d’un appendice contenant les listes et la description scientifique
PRÉFACE.
XVIE
des formes animales étudiées. La chose n’a pas été possible,
à cause du grand nombre d'espèces non
les mains des spécialistes chargés de
l'examen et de la classification des dif-
férents groupes. Je ne suis pas bien sûr
d’ailleurs que ces listes eussent fait un
complément convenable pour un ou-
vrage qui nest, après tout, qu'une es-
quisse préliminaire destinée au public.
Le
thermométrique centigrade sont seuls
système métrique et léchelle
employés dans ce volume. Le système
métrique est connu de tout le monde;
dans le cas où la notation centigrade,
qui reparait fréquemment à cause de
l'étude des distributions de la tempé-
rature, le serait moins, on trouvera
ci-contre un tableau de comparaison
comprenant les échelles de Fahrenheit,
de Celsius et de Réaumur.
J'ai toujours eu soin de rappeler les
sources auxquelles j'ai puisé mes ren—
seignements, et l’aide amicale que j'ai
reçue de chacun pendant le cours de
nos travaux. Il me reste à renouveler
ici mes remerciments au commandant
d'état-major May et aux officiers du
Lightning, au capitaine Calver et aux
officiers du Porcupine; leur active coo-
pération et leur sympathie ont puis-
décrites encore entre
85
80
75
70
65
60
55
50
1111]
ial
samment aidé à l’accomplissement de notre tache. Je remercie
mes collègues le D' Carpenter et M. Gwyn Jeffreys, qui m'ont
b
XVII PREFACE.
aidé de tout leur pouvoir, et les savants auxquels les animaux
de toute espèce ont été confiés pour en faire l'étude et la des-
cription : le Rév. A. Merle Norman, le professeur Kolliker, le
D' Carter, le D' Allman, le professeur Martin Duncan, et le
D' M‘Intosh pour les renseignements qu'il a bien voulu nous
donner avec la plus grande obligeance.
Les dessins qui ornent ce volume, à l'exception des vues de
Farôer dues à Vhabile crayon de M™ Holten, sont de mon ami
J. Wild; mais c'est à peine si j'ose le remercier pour le talent
avec lequel il a accompli sa tâche : chaque dessin était par lui
étudié avec tant d'amour, que je serais presque disposé à lui
envier la jouissance que doit lui procurer le résultat de son
travail. Je désire faire ici mes remerciments à M. Cooper, qui
a gravé sur bois avec fidélité et élégance les beaux dessins
de M. Wild.
Lorsque le Porcupine revint de sa dernière expédition, on
comprit si bien l'importance des nouvelles découvertes pour
la solution de certaines questions de biologie, de géologie et
de physique, que le Conseil de la Société Royale insista de
nouveau auprès du Gouvernement pour obtenir l’organisation
d’une nouvelle expédition qui devait traverser les grands
bassins océaniques et jalonner le plan de ce vaste et nouveau
champ d’études, le lit de la mer.
Le contre-amiral Richards, hydrographe de la marine,
appuya chaudement cette proposition, et aujourd'hui même,
sous son habile direction, dans le port de Sheerness, un beau
vaisseau est armé en vue des recherches scientifiques, comme
jamais navire d'aucune nation ne l’a encore été.
L’état-major du Challenger comprend bien que pour long-
temps encore son role est d'agir et non de parler; cependant,
à la veille du départ, il me semble qu'il est juste de saisir cette
occasion pour rendre au Gouvernement le témoignage que
PRÉFACE. XIX
rien n'a été négligé pour assurer le succès de l'entreprise :
à moins de chances bien contraires, on peut affirmer que nous
devons obtenir les plus sérieux résultats.
CE. WYVILLE THOMSON.
7° 0 Greew
Carte de Varchipel des Farüer.
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER
INTRODUCTION.
La question d’une limite à la vie à certaines profondeurs. — Lois générales qui règlent
la distribution géographique des êtres vivants. — Recherches et idées du professeur
Forbes. — Centres de création des espèces. — Espèces représentatives. — Provinces
zoologiques. — Rapports de la doctrine de Evolution avec l’idée de Espèce et les
lois de la distribution des formes animales. — Causes qui doivent agir sur la vie à de
grandes profondeurs : la pression, la température, absence de lumiére...... I
CHAPITRE Il
CROISIÈRE DU LIGHTNING.
«
Projets d'exploration du fond des mers. — Ce qu'on espérait de ces recherches. —
Correspondance entre le conseil de la Société Royale et ’Amirauté. — Départ de
Stornoway.— Les iles Farôer.— Singulière température dans le détroit des Faréer. —
La vie abondante à toutes les profondeurs. — Brisinga coronata. — Holtenia Car-
penteri. — Résultats généraux de l'expédition. — Appendice A. — Détails sur la pro-
fondeur, la température observées aux diverses stations du vaisseau de S. M. le
Lightning pendant lété 1868. Les températures sont corrigées suivant les
BUESSIONS 2 PA nl see à ee ob NU REV ee eee PROS CR DRE NE tard Pres ee
CHAPITRE III
CROISIERES DU PORCUPINE.
Equipement du vaisseau. — Premier voyage sous la direction de M Gwyn Jeffreys,
sur les côtes ouest de llrlande et dans le détroit qui sépare Rockall de l'Écosse.
Le draguage poussé jusqu’à 1470 brasses. — Changement de projet. — Second voyage
XXII TABLE DES MATIÈRES.
à la baie de Biscaye. — Réussite du draguage à 2435 brasses. — Troisième croisière
dans le canal entre Farüer et les Shetland. — La faune de la région froide...... 70
APPENDICE A. — Documents et rapports officiels sur les préliminaires des explorations
faites par le vaisseau garde-côte le Porcupine pendant l'été de 1869 ......... 112
APPENDICE B. — Détails sur les profondeurs, la température, et la position des di-
verses stations draguées par le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine pendant l'été
de ABODE RMI a Se Le RE are SR PAPE ER ICS ENARIES 119
CHAPITRE IV
CROISIÈRES DU PORCUPINE
(SUITE).
De Shetland à Stornoway. — Phosphorescence. — Les Echinothurides. — La faune
de la région chaude. — Fin de la croisière de 1869. — Organisation de la croisière
de 1870. — De l'Angleterre à Gibraltar. — Conditions particulières de la Méditer-
pances-— Retour a /OOWes. EEE ACUN Sess ctw 'y de Te eae ae ERLE ot aaa ea 134
APPENDICE A. — Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres
documents officiels ayont trait à la croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine pen-
dant OST EN ap a ah as oe DRE RER Lee PÈRE 165
APPENDICE B. — Tableau des profondeurs, des températures et des positions aux diverses
stations de draguage du vaisseau de S. M. le Porcupine pendant l'été de 1870... 169
CHAPITRE V
SONDAGES PROFONDS. ”
4
sonde ordinaire pour les profondeurs moyennes. — Elle est sujette à erreur quand on s'en
sert dans les grandes profondeurs. — Il ne faut pas compter sur l'exactitude des pre-
miers sondages profonds qui ont été faits. — Moyens perfectionnés de sondage. — Le
plomb en forme de coupe. Instrument de sondage de Brooke. — Sonde du Bull-dog,
de Fitzgerald. — L'hydre. — Sondages du Porcupine. — Contour du lit de PAtlan-
tique du Nord." RIRE ONCE MERE PEN NE OUTRE PONTS 171
CHAPITRE VI
DRAGUAGES PROFONDS.
Drague du naturaliste. — O. F. Müller. — Drague de Ball. — Le draguage dans les
profondeurs moyennes. — Corde à draguer. — Le draguage dans les grandes pro-
fondeurs. — Les houppes de chanvre. — Le draguage à bord du Porcupine. —
Les tamis. — Le carnet du dragueur. — Commission de draguage de l'Association
TABLE DES MATIÈRES. XXII
Britannique. — Le draguage sur les côtes de la Grande-Bretagne. — Le draguage
au loin. — Histoire des progrès accomplis dans létude de la faune des abimes.. 198
APPENDICE A.— Bulletin de draguage publié au nom de la commission de l'Association
(D Xa f
Rpm anemic at NW Ms AMEE ON acct 2, nt ae septal A te, oop lar oat ot ean eee rah 231
CHAPITRE VII
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS.
Des courants de l'Océan et de leur influence sur les climats. — Relevé des températures
de’surface. — Thermométres pour les grandes profondeurs. — Thermomètre enre-
gistreur ordinaire, d’après le système de Six. — Thermomètre perfectionné de Miller-
Casella. — Observations de températures faites pendant les trois croisières du navire
des: M le Porcupine pendant l’année 1869; etc... 2... 0... MR. 239
APPENDICE À. — Températures de surface relevées à bord du navire de S. M. le Porcu-
mee pendant: les cles de 1869 et 18701 See ne Re. 278
APPENDICE B. — Températures de la mer à différentes profondeurs sur la limite orien-
tale du bassin de PAtlantique du Nord, relevées au moyen de sondages en séries et
A MO A SUR AA nn nn ren Lee AU cote De 296
APPENDICE C. — Rapports entre la réduction de la température, l'abaissement et
l'accroissement de la profondeur à trois stations situées sous des latitudes différentes,
mais toutes sur la limite orientale du bassin de PAtlantique.................. 297
APPENDICE D. — Température de la mer à différentes profondeurs dans les régions
chaudes et dans les régions froides qui se trouvent entre le nord de l'Écosse, les îles
Shetland et les iles Faréer, relevée au moyen de sondages en séries et de sondages
COR LTTE Dh RL Ae Liu mi MR aA oR Varie Me ES MS, 298
APPENDICE E. — Températures intermédiaires provenant du mélange des courants
chauds et des courants froids sur les limites des régions chaudes et des régions
HER Sun Me in Gin 5 4 oe Ne Rc IE De M Nes Done Nasa re 299
CHAPITRE VIII
LE GULF-STREAM.
Théâtre des recherches faites sur la température par le Porcupine. — Les températures
basses sont constantes dans les grandes profondeurs. — Difficultés de l'étude des cou-
rants océaniques. -— Théorie soutenue par le capitaine Maury et par le Dt Carpenter
d'une circulation océanique générale. — Opinion énoncée par siv John Herschel.
— Point de départ et développement du Gulf-stream. — Théorie du capitaine Maury,
du professeur Buff, du D* Carpenter. — Le Gulf-stream sur les côtes de l'Amérique
du Nord. — « Sections » du professeur Bache. — Trajet du Gulf-stream, indiqué par la
température de la surface de l'Atlantique du Nord. — Théorie de M. Findlay. —
Cartes de température du D? Petermann. — Point de départ de l’eau froide sous-
marine. — Contre-courants arctiques. — Courants antaretiques. — Distribution ver-
ticale de la température dans le bassin de l'Atlantique du Nord.............. 300:
XXIV TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE IX
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS.
Les Protozoaires des mers profondes. — Le Bathybius. — Les Coccolithes et les Cocco-
sphères. — Les Foraminifères des espaces chauds et ceux des espaces froids. —
Eponges des mers profondes. — Les Hexactinellides. — Le Rossella. — L’Hyalonema.
— Coraux des mers profondes. — Les Crinoides à tige. — Le Pentacrinus.— Le Rhizo-
crinus. — Le Bathycrinus. — Les Astéries des mers profondes. — Distribution géné-
rale et rapports des Oursins des mers profondes. — Les Crustacés, les Mollusques
et es Poissons recueillis pendant Jes expéditions du Porcupine............... 919
CHAPITRE X
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE.
Des points de ressemblance qui existent entre le limon de l'Atlantique et la craie blanche.
— Des différences qui les distinguent. — Composition de la craie. — Théorie de la
permanence de la formation de la craie. — Objections. — Arguments en faveur de
cette théorie fournis par la Géologie et par la Géographie. — Ancienne distribution des
mers et des terres. — Preuves tirées de la Paléontologie. — Les roches crayeuses.
— Les Éponges modernes et les Ventriculites. — Les Coraux. — Les Échinodermes.
— Les Mollusques. — Opinions du professeur Huxley et de M. Prestwich. — De la
composition de l’eau de mer. — Existence de matières organiques. — Analyse des gaz
qui y sont contenus.— Différences dans les pesanteurs spécifiques. — Conclusions. 396
APPENDICE A. — Résumé des résultats des expériences faites sur divers échantillons
d'eau de mer pris à la surface et à différentes profondeurs, par William Lant
Carpenter. 2.2". 2: DD EG ee he are Ne Ne AS ste este CAC 427
APPENDICE B. — Résultats de lanalyse de huit échantillons d’eau de mer recueillis
pendant la troisième croisière du Porcupine, par le D' Frankland............ 436
APPENDICE C. — Notes sur des échantillons du fond recueillis pendant la première croi-
sière du Porcupine en 1869, par David Forbes... ......... Seine NET eee oe ot eee
APPENDICE D. — Notes sur lacide carbonique contenu dans Peau de mer, par John
Young Buchanan, chimiste de l'expédition du Challenger. ........... ets
FIN DE LA TABLE DES MATIERES
TABLE DES FIGURES
Figures.
1. Asterophyton Linckii, Müller et Troschel, spécimen jeune légèrement
ER OMIN QE) SÉRIE RE PAR CE EPP RER sitive a Soha NAR tents
2. Glebigerina. bulloides, d'Orbigny, très-agrandi....,..,0,...:..12.2.::..
aa On nnling.wnioersa: a Orbiony;tres-agrandy. 7h. Me Re slaves
4. Caryophyllia borealis, Fleeming, dante fois la grandeur naturelle (N° 45)....
5. Brisinga coronata, G. O. Sars, grandeur naturelle (N° 7).................
6. Holtenia Carpenteri, sp. n., Det he) ane te She dE Bet
7. Tisiphonia agariciformis, sp. n., grandeur naturelle (N° 12)............ a2
8. Gonoplax rhomboides, Fabricius, jeune individu, deux fois la grandeur natu-
HEC NEE owls ER RUES M at Oe hs lee di at MENT PRET aes
9. Geryon tridens, Kroyer, jeune individu, deux fois la grandeur naturelle... .
10. Orbitolites tenuissimus, Carpenter Mss., grossi (N° 28)....................
11. Porocidaris purpurata, sp. n., grandeur naturelle (N° 47)................
12. Pourtalesia Jeffreysi, sp. n., légèrement grossi (N° 64)...................
13. Stylocordila borealis, Lovén, sp., grandeur naturelle (N° 64)..............
14. Solaster furcifer, von Duben et Koren, grandeur naturelle (N° 55).........
15. Korethraster hispidus, sp. n., face dorsale. Deux fois la grandeur naturelle
GING testa 8 PER ee Le Ne ON sk Ag eee GRR cays Sede tee ;
16. Hymenaster pellucidus, sp. n., face abdominale. Grandeur naturelle (N° 59).
17. Archaster bifrons, sp. n., oe dorsale. Trois quarts de la grandeur natu-
ROMER NE ER RE See ees ho eta Bye ATER Meh Se ON eee aka CRE RE
Seen Users CUSPIAMIUS. MROVEE (INO 50) 005 20 DE Ne Henne png mer
19. Caprella spinosissima, Norman, deux fois la grandeur naturelle (N° 59)... ..
20. Æga nasuta, Norman, légèrement grossi (N° 55).........................
21. Arcturus Baffini, Sabine, grandeur naturelle (N° 59).....................
22. Nymphon abyssorum, Norman, légèrement grossi (N° 56)................
23. Thecophora semisuberites, Oscar Schmidt, deux fois la grandeur naturelle
Uy ATES Oe = a A lh Sin ieee oh Fe dire area are De à à a oo «
24. Thecophora Ibla, sp. n., deux fois la grandeur naturelle (N° 76)...........
25. Archaster vexillifer, sp. n., un tiers de la grandeur naturelle (N° 76)......
Pages.
TABLE DES FIGURES.
XXVI
Figures. Pages.
26. Zoroaster fulgens, sp. n., un tiers de la grandeur naturelle (N° 78)........ 128
27. Calveria Hystrix, sp. n., deux tiers de la grandeur naturelle (N° 86)....... 130
28. Calveria Hystrix, surface intérieure d’une partie du test; structure des
espaces ambulacraires et interambulacraires . ........................ 130
29. Calveria fenestrata, sp. n., un des pédicellaires à quatre valves........... 153
30. Lophohelia prolifera, Pallas, sp., trois quarts de la grandeur naturelle (N°26). 141
31. A Hopora eculina, Ehrenberg: 2... i). ps. AN 2 8 ernie neg bee oie ee ae 142
32. Ophiomusium Lymani, sp. n., surface dorsale. Grandeur naturelle (N° 45).. 14%
33. Ophiomusium Lymani, sp. n., surface orale................ ES ae eee 145
34. Dorynchus Thomsoni, Norman, une fois et demie la grandeur naturelle. Se
trouve partout dans les eaux profondes. ............................. 146
35. Amathia Carpenteri, Norman, une fois et demie la grandeur naturelle (N° 47). 147
36. Chondrocladia virgata, sp. n., demi-grandeur (N° 53, pl. V).............. 157
Dior dud plomb a coupe. LE LUE Et BE PS RAR = eas 176
38, 39. Appareil de sondage de Brooke pour les grandes profondeurs... 177 et 178
A0 Machine a sonder. du PUN= dom STATE NS NS ER eee 179
11 Machine sonderateiuteoeraldis. "AE er STATE ARC OUTRE AT CARRE 181
ae Wyre, nrachInE à SOMOECES TR UN NRA ge kts EME ETS eee 183
18 Machine a SOner We Massey gio wit egies eo ta IL RE SC ee ela ee 189
44. Drague d'Otho Frederich Muller, 175): ..-o.< <2. 002-0 gD oe ee ee 199
ZS RET oy oka | Ne ge A eee ret ER CE kad cas RRO ek CES 2 VER
46. Grue placée à l'arrière du Porcupine, avec laccumulateur, la drague, et la
manière dienrouler la corde 2s. 2.1 A Mr M ee AR ACER 209
i. Extremite dn/chassis de la drague. eee Vase RE. LE “eee ene 210
48. Chassis de la drague, et manière dont le sac y est attaché. ............... 211
19. Extrémité du chassis de la drague et manière dont le sac est attaché. .... 212
50. Diagramme de la position relative du vaisseau, des poids et de la drague
pendantoun dracuace profond. cite 2e oct: RE CREER 213
bia idrague avec lesshouppes de chamvre. 2:18, 7 RENE ae oie 216
AE Bee Meta ra Uraguage...... ie ise a> vale > bos ahs Vos ene ae 219
53. Thermomètre enregistreur de Six, perfectionné par Miller-Casella.......... 246
54. Étui protecteur de cuivre pour Je thermomètre de Miller-Casella........... 247
apmondage en série; Station (OL. 50 acc Let LOL ay ee 263
Woz Hendage en serie, station Serre 269
57. Courbes tracées au moyen de sondages par séries dans les espaces chauds et
dans les espaces froids, dans le détroit qui est entre Ecosse et les Farüer. 267
58. Courbes tracées au moyen des sondages par séries et des sondages de fond,
dans le détroit qui sépare l'Écosse de Rockall........................ 269
59. Diagramme représentant les rapports qui existent entre la profondeur et la
température a la “hauteur.de Rockall. es rm ere RE RE 271
60. Diagramme représentant les rapports entre la profondeur et la température
dans lethassin ide l'Atlantique: 11%. 0200 PCR SR ORNE 271
61. Courbes tracées au moyen de sondages par séries et de sondages de tempé-
rature dw fond, dans le bassin de TAtlantique!\s.2 2a. eee 274
62. Diagramme représentant les rapports entre la profondeur et la température
d'après les observations de températures relevées entre le cap Finisterre
enile cap Saint-Vincent, août 1870: LR EE RE ER 279
63. Une grande cystode de Bathybius avec des Coccolithes. Gross. 700 diamétres. 347
OL. suoccosphenes.sorpss. A000. : Sn Sirs cate «en ha olen Renee ER 919
65. Rossella velata, sp. n., grandeur naturelle (N° 32, 1870)... ....:..:...... 303
66. Hyalonema lusitanicum, Barboza du Bocage, demi-grandeur (N° 90, 1869)... 599
{TABLE DES FIGURES.
Figures. :
67. Askonema setubalense, Kent, un huitième de la grandeur naturelle (N° 25,
TOA eae serra Nhe nan à à ete ose RE EN RE TER es
68. Flabellum distinctum, deux fois la grandeur naturelle (N° 28, 1870)........
69. Thecopsammia socialis, Pourtalès, une fois et demie la grandeur naturelle
D A A) SES PRE NE ET Te AU RE EE PRE PLIS
70. Pentacrinus Asteria, Linn., un quart de la grandeur naturelle. ...........
71. Pentacrinus Wyville-Thomsoni, Jeffreys, grandeur naturelle (No 17, 1870). .
72. Rhizocrinus loffotensis, M. Sars, une fois et demie la grandeur naturelle
CDS RD Cia: TEEN vet Seb ay eas Race ROR ch ae D ES oe
73. Bathycrinus gracilis, sp. n., deux fois la grandeur naturelle (N° 57, 1869)...
74. Archaster bifrons, sp. n., face orale. Trois quarts de la grandeur naturelle
FL ee et) SRR te ee RP ER i PEL no RE ES LAC DEP US
75. Solaster furcifer, von Duben et Koren, face orale. Grandeur naturelle
AR ET PL RAP LATE PR NE CREER atacand ie eats Et
76. Buccinopsis striata, Jeffreys. Canal de Faréer...... SRE LT tM ae tess
77. Latirus albus, Jeffreys, deux fois la grandeur naturelle. Canal de Farder....
78. Pleuronectia lucida, Jeffreys, deux fois la grandeur naturelle. — 4. provient
de la partie orientale de PAtlantique; b. du golfe du Mexique...........
79. Pecten Hoskynsi, Forbes, deux fois la grandeur naturelie.................
80. Ventriculites simplex,Toulmin Smith, une fois et demie la grandeur naturelle.
81. Ventriculites simplex, Toulmin Smith, surface extérieure. Quatre fois la
ARTE AUTRES LS eo etal atl a Due olay ola Shee ee en
82. Ventriculites simplex, Toulmin Smith, section de la paroi extérieure mon-
franpia structure du filet siliceux (X50) So Fee AR IN othe as
83. Celosphera tubifer, sp. n., légèrement agrandi. Venant des côtes du Por-
TT MR CE CURE AC OS ARR nee PRT STG EU TARN EE
84. Choanites dans un silex de la craie blanche. ...........................
FIN DE LA TABLE DES FIGURES.
TABLE DES VIGNETTES
Les ‘iles Barger aes vee wats ee wrestle ME SR DAME MT Re Ce TO
Tin RL EN Ar TIRE Petro ke DO ET ES TS ART EU PTE SR
ÉTERNEL ake ete fee tare e-em aks Sen one eee ae Rte dE ONCE
Habitation dugouverneur à Whorshaven .554..06 5595.08 Ae DO oe REN
Pele Meade Wim sor 22k le iy Ue Se ioe kee ee ee Cae, ie ede Oa See ETES
Nolsé, prise des collines qui dominent Thorshaven...........................
Faslô, prise dela icôte orientale de Vider ü. 5.72 cos ie PRE ANR
Kehee ‘dé. Vaay clans Suderg is Puy ru MR REA ERA RS: -
besGeantiet da Sorciere. + eue Pek e ts das kee Ls om we cure MCE C RE
Bordo, Kuno. et Kalso; prisesidu hameau de Vider@.. <<... es ee, cee
Kuno prise de Vaay,vdaas. Bordb:.; 7." gong oe hae ao os ao com ee
CARTES ET PLANCHES
ieee Trajet suivi par le vaisseau de S. M. le Lightning, 18b8...........
|| eens Première croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869...........
Ill..... Seconde croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869............
LA Eee Troisième croisière du Vaisseau de S. M. le Porcupine, 1869..........
MERE Trajet suivi par le vaisseau de S. M. le Porcupine, 1870.............
MI Diagramme des sondages du Porcupine dans l'Atlantique et dans le dé-
troit de Faréer, représentant les rapports qui existent entre la tempé-
rature et la profondeur, — les sondages par séries réduits en courbes.
— Les numéros indiquent sur les cartes les différentes stations, plan-
CHeS A Met AV: LORRAINE SR Lies DORE
VI.... Carte physique de l'Atlantique du Nord, indiquant la profondeur, ainsi
que la distribution générale des températures pour Je mois de juillet.
Vill.... Carte de la distribution générale des terrains tertiaires, crétacés et
jurassiques du nord-ouest de l'Europe, sur laquelle leurs contours
SOMME MUGS ES. 215.02 dent Le a Sd DONNE EURE
27.
306
LES
ABIMES DE LA MER
CHAPITRE PREMIER
INTRODUCTION
La question d’une limite à la vie à certaines profondeurs. — Lois générales qui règlent
la distribution géographique des êtres vivants. — Recherches et idées du professeur
; À >)
Forbes. — Centres de création des espéces. — Espéces représentatives. — Provinces
zoologiques. — Rapports de la doctrine de [Evolution avec l’idée de l’Espéce et les
lois de la distribution des formes animales. — Causes qui doivent agir sur la vie à de
grandes profondeurs : la pression, la température, l'absence de lumiere.
La mer recouvre près des trois quarts de la surface de la
terre, et, jusqu’aux dernières années qui viennent de s écouler,
on n'avait guère sur ses abimes que des notions incertaines
et limitées, au point de vue de la physique et de la biologie.
L'opinion générale était qu'à une certaine profondeur les
conditions devenaient si spéciales, si complétement différentes
de celles des parties accessibles de la terre, qu'elles devaient
exclure toute idée autre que celle d’une immense solitude, plon-
gée dans une sombre nuit et soumise à une pression si énorme,
que la vie, sous quelque forme que ce füt, était impossible dans
son sein; on pensait que ces régions opposaient à toute étude,
à toute recherche d’insurmontables difficultés. Les hommes de
science eux-mêmes paraissaient partager cette opinion, et te—
naient peu compte des exemples tres—authentiques d'animaux,
relativement élevés dans l’échelle des êtres, ramenés de grandes
profondeurs sur des cordes de sonde. Ils accueillaient tous les
raisonnements tendant à faire croire que ces animaux s étaient
| {
2 LES ABIMES DE LA MER.
embarrassés dans les cordes en nageant à la surface, ou que
les observations avaient été faites avee négligence. Chose bien
étrange que cette espèce de parti pris, car toutes les autres
questions touchant la géographie physique avaient été appro—
fondies par les savants avec la patience et l’énergie la plus
consommée. D’ardents volontaires se disputaient chaque brèche
faite par la noble petite armée des martyrs qui luttaient pour
reculer les bornes de la science, dans les déserts de l’Australie,
sur le Zambèse, ou vers les pôles, pendant que l'immense
Océan, endormi sous la voüte céleste, recouvrait une région
tout aussi inaccessible à l’homme, selon toute apparence, que
la mare Serenitatis.
Le fond de la mer a été mis en réquisition il y a quelques
années pour établir des communications télégraphiques, et des
hommes spéciaux ont tracé la carte du fond de l'Atlantique
du Nord et inventé d’ingénieuses méthodes pour connaitre la
nature des matériaux qui le recouvrent. Ils posèrent au travers
un cable télégraphique qui se rompit bientôt, mais les extré—
mités en furent facilement repéchées d’une profondeur de près
de deux milles.
Il était question depuis longtemps, parmi les naturalistes,
de la possibilité de draguer le fond de la mer par les procédés
ordinaires et d’y plonger des récipients et des instruments enre-
gistreurs pour résoudre la question d’un zéro de vie animale,
et pour déterminer avec précision la composition et la tem-
pérature de l’eau de mer dans les grandes profondeurs. Des
études de ce genre dépassent les limites ordinaires d’une entre—
prise privée. Elle nécessite des moyens matériels et une con—
naissance de la navigation que des naturalistes n’ont pas en
général à leur disposition. Dans l’année 1868, sur les instances
de mon collègue le D" Carpenter et les miennes, appuyées par
le Comité d’hydrographie de la Marine, qui s'occupe avec un
vif intérêt des questions scientifiques, ’Amirauté mit à notre
disposition les ressources matérielles et l’habileté professionnelle
que nécessitait une pareille entreprise; nous découvrimes alors
INTRODUCTION. 3
que nous pouvions agir, sinon avec la mème facilité, du moins
avec autant de certitude à la profondeur de 600 brasses qu’à
celle de 100. En 1869, nous poussämes nos expériences jus-
qu'à 2435 brasses (14 610 pieds), soit près de trois milles, avec
un succès complet.
Draguer à pareille profondeur est certainement chose pénible.
Chaque coup de drague employait sept ou huit heures, et récla-
mait pendant ce temps les précautions les plus minutieuses,
l'attention la plus assidue de la part de notre commandant, qui,
debout, la main sur l’accumulateur, se tenait pret à alléger par
un tour de roue toute tension un peu trop forte. L’équipage,
stimulé et encouragé par le vif et bienveillant intérèt manifesté
par ses officiers, travaillait volontiers et bien; mais les efforts
nécessaires pour remonter une longueur de plus de trois milles
de corde au moyen du tambour de la machine étaient terriblement
laborieux. La corde même, deux fois tordue, faite du meilleur
chanvre d'Italie, ayant 2 — pouces de circonférence, avec une
puissance de résistance de 2 — tonnes, était éraillée et fatiguée,
et paraissait être hors d'état de soutenir longtemps une pareille
épreuve.
Cependant la chose est possible et devra être répétée à bien
des reprises à l’avenir par des naturalistes de tous pays, tra-
vaillant avec un matériel perfectionné et une expérience toujours
croissante. Le lit de la profonde mer, les 140 000000 de milles
carrés que nous venons d'ajouter au légitime champ d’étude des
naturalistes ne constituent point un désert stérile. Ils sont peu-
plés d’une faune plus riche et plus variée que celle qui pullule
dans la zone bien connue de bas-fonds qui borde la terre; ces
organismes sont encore plus finement et plus délicatement con-
struits, d’une beauté plus exquise, avec les nuances adoucies de
leur coloris et les teintes irisées de leur merveilleuse phospho-
rescence. Il faut done étudier sérieusement les formes de ces
êtres jusqu'ici inconnus, leurs rapports avec d’autres orga—
nismes vivants ou disparus, les phénomènes et les lois de leur
distribution géographique.
4 LES ABIMES DE LA MER.
Le professeur Edward Forbes a été le premier à entreprendre
l'étude méthodique de la zoologie dans ses rapports avec la dis—
tribution des animaux marins dans l’espace et dans le temps. I
s’est rendu familier avec la faune des mers de la Grande—Bre-
tagne, jusqu'à la profondeur d’environ 200 brasses, en draguant
et en se faisant aider activement par ses amis, Mac Andrew,
Barlee, Gwyn Jeffreys, William Thompson, Robert Ball, et plu-
sieurs autres, qui abordèrent avec enthousiasme ce nouveau
champ ouvert à l'étude de l’histoire naturelle. Dans l’année 1841
Forbes alla rejoindre, en qualité de naturaliste, le capitaine
Graves, qui commandait un service de surveillance dans la
Méditerranée. Pendant à peu près dix-huit mois il étudia avec
le plus grand soin la mer Egée et ses côtes, et exécuta plus de
cent draguages à des profondeurs variant de 1 à 130 brasses.
En 1843, il communiqua à l'Association britannique, réunie
à Cork, un rapport trés—détaillé sur les Mollusques et les
Radiaires de la mer Égée, et sur leur distribution dans ses
“apports avec la géologie‘. Trois ans plus tard, en 1846, il
publia, dans le premier volume des Études géologiques de la
Grande-Bretagne, un travail de grande valeur sur les rap-
ports de la faune et de la flore actuelles des [les Britanniques,
avec les changements géologiques qui ont modifié les étendues
qu'elles occupent, particulièrement pendant l’époque glaciaire?
Pendant l’année 1859, parut ? Histoire naturelle des mers d Eu-
rope, par feu le professeur Edward Forbes, éditée et continuée
par Robert Godwin Austen’. Bans les premières pages de ce
i. Report on the Mollusca and Radiata of the Ægean Sea, and on their Distribution,
considered as bearing on Geology. By Edward Forpgs, F. L.S., M. W.S., professor of
Botany in King’s College, London. (Report of the Thirteenth Meeting of the Bristish Asso-
ciation for the advancement of Science, held at Cork in August 1843. London, 1844.)
2. On the Connection between the Distribution of the existing Fauna and Flora of
the British Isles and the geological Changes which have affected their Area, especially
during the Epoch of the Northern Drift. By Edward Forges, F.R.S., L.8., G.S., pro-
fessor of Botany at King’s College, London; Palæontologist to the Geological Survey of
the United Kingdom. (Memoirs of the Geological Survey of Great Britain, vol. I. Lon-
aon, 1846.)
3. The Natural History of the European Seas, by the late professor Edward Fores,
F.R.S., etc. Edited and continued by Robert Godwin Austen, F.R.S., London, 1859.
INTRODUCTION. 5
petit ouvrage, Forbes fait un exposé général de ses opinions
les plus nouvelles sur la distribution des espèces marines.
L'ouvrage a été continué par M. Godwin Austen, une mort
prématurée étant venue terminer la carrière du plus instruit et
du plus original des naturalistes de notre époque.
Je veux donner une courte esquisse des conclusions générales
auxquelles Forbes a été conduit par ses travaux. Bien que sur
quelques points fondamentaux nos idées se soient modifiées, et
que des travaux récents, accomplis avec des appareils perfec-
tionnés et une expérience plus complète, aient infirmé plusieurs
de ses conclusions, c’est à Forbes que revient l'honneur d’avoir
été le premier à traiter ces questions d’une manière large et
philosophique. Il a démontré que le seul moyen d'acquérir des
notions exactes sur les causes de la distribution de notre faune
actuelle, c’est de connaître parfaitement son histoire et de lier le
présent au passé. La est la vraie direction que les études de-
vront suivre dans l’avenir. Le premier qui ait ouvert cette voie
à nos recherches, Forbes, n’a pu apprécier toute la valeur de son
travail. Chaque année ajoute de nouveaux faits aux connais-
sances déjà acquises, et chaque nouveau fait indique plus elai-
rement les brillants résultats qui seront obtenus en suivant ses
méthodes, en imitant son zèle et son infatigable ardeur.
Forbes croyait, comme à peu près tous les grands naturalistes
de sonépoque, à l’immutabilité des espèces. Il dit (Æistoire natu-
relle des mers de la Grande-Bretagne) : « Toute espèce véritable
offre dans ses individus certains traits, wn caractère spécial qui
la distingue des autres espèces, comme si le créateur eût voulu
mettre une marque particulière, un sceau, sur chaque type. »
Il croyait aussi aux centres spéciaux de distribution. Il pensait
que tous les individus dont se compose une espèce sont des—
cendus d’un seul ou de deux auteurs, selon l’unité ou la dua-
lité des sexes, que l’idée d’espèce implique l’idée de parenté
entre tous ces individus de commune origine, et, réciproque-
ment qu'il ne peut y avoir une origine commune que chez les
êtres vivants qui possèdent des traits spéciaux identiques. Il
6 LES ABIMES DE LA MER.
suppose le premier individu ou le premier couple créé dans le
milieu spécial où toutes les conditions se trouvaient être favo-
rables à son existence et à sa propagation; de là l'espèce s’éten-
dait, débordait en quelque sorte dans toutes les directions, sur
un espace plus ou moins étendu, jusqu’à ce qu'un obstacle
naturel sous forme de conditions défavorables vint l’arrêter.
Aucune espèce déterminée ne peut avoir plus d’un centre d’ap-
parition. Si l'étendue qu'elle occupe parait être limitée à un
espace éloigné, sans rapport avec le centre originel de création,
il l'explique par la formation, après le premier développement
de l'espèce, d’un obstacle résultant de quelque accident géolo-
gique qui a séparé, détaché une portion de cette étendue; ou
encore, par quelque ¢ransport accidentel sur un point où les
conditions se sont trouvées suffisamment semblables à celles
de habitat primitif, pour lui permettre de s’y naturaliser.
Aucune espèce détruite n’a jamais été recréée ; ainsi, dans les
cas fort rares où une espèce, nombreuse à une certaine pé-
riode, dans un espace donné, en disparait pendant un certain
temps pour s’y retrouver plus tard, il faut qu'il soit survenu
dans les conditions de cet espace un changement qui a déter-
miné une migration de l’espèce, puis un retour des conditions
premières, qui a permis à la même espèce d’y revenir.
Forbes définit et soutient ce qu'il appelle la loi de repré-
sentation. Il a découvert que dans toutes les parties de notre
univers, quelque éloignées qu'elles soient les unes des autres,
et si séparées qu’elles puissent être par des barrières natu-
relles, lorsque les conditions de la vie sont similaires, se ren—
contrent des espèces et des groupes qui, sans être identiques,
ont entre eux une grande ressemblance; il a trouvé la même
ressemblance entre des groupes fossiles et des groupes récents.
En admettant la constance des caractères spécifiques, ces
ressemblances ne peuvent ètre expliquées par une origine
commune, et cela l’a conduit à la généralisation, c'est-à-dire
que, dans les lieux soumis à des conditions similaires, des
formes similaires quoique spéciales, et spécifiquement distinctes,
INTRODUCTION. 7
seraient créées. Il les considérait comme des espèces mutuelle-
ment représentatives.
Notre adhésion à la doctrine des centres de création et d’es-
pèces ct à celle de l'équivalence, ou plutôt la forme sous laquelle
nous pourrions incliner à accepter ces théories, dépend beaucoup
de l’acceptation ou de la négation du dogme fondamental de l’im-
mutabilité des espèces; il y a eu sur ce point-là, depuis dix ou
douze ans, un grand revirement d'opinion, qui est dû certaine-
ment à l'habileté et à l'impartialité remarquables avec lesquelles
la question a été traitée par M. Darwin’, par M. Wallace’, et au
génie de M. le professeur Ernest Heckel’, du D° Fritz Miller *
et de plusieurs de leurs fervents adeptes. Je ne crois pas exa—
gérer en disant qu'il n’existe pas maintenant un seul naturaliste
de quelque valeur qui ne soit prèt à accepter, sous une forme
ou sous une autre, la doctrine de l’évolution des espèces.
Il est certainement difficile pour beaucoup d’entre nous d’ad-
mettre qu'après avoir débuté par les êtres les plus simples,
l’état actuel du monde organique soit produit uniqueiment par
Vatavisme, la tendance des descendants à ressembler aux ascen-
dants, et par la variation, tendance des descendants à différer
de leurs parents dans des limites trés—restreintes; plusieurs
savants pensent que quelque autre loi que celle de la survi-
vance des plus forts règle ce merveilleux système de modifi-
cations extrémes et pourtant harmonieuses. [] faut cependant
admettre que la variation est une cause bien capable de trans—
1. The Origin of Species by means of natural Selection ; or. the Preservation of
Favoured Races in the Struggle for Life. By Charles Darwin, M.A., F.R.S., L.S.,
G.S., ete., etc. London, 1859, and subsequent editions. (Traduit par Moulinié. Paris, 1873,
édition Reinwald.)
2. La Sélection naturelle, essais par Alfred Russel WALLACE, trad. de Lucien de Can-
dolle. Paris, 1872, édition Reinwald.
3. Generale Morphologie der Organismen. Allgemeine Grundzüge der organischen
Formen-Wissenschaft mechanisch begründt durch die von Charles Darwin refor-
mirte Descendenz-Theorie. Von Ernst HÆCKEL. Berlin, 1866. — Naturliche Schôpfungs-
geschichte. Von D: Ernst HÆCKkEL, Professor an der Universität lena. Berlin, 1870. (Traduit
par le Dr Letourneau. Reinwald, 1874.)
4. Für Darwin. Von Dt Fritz Mutter. Leipzzig, 1864. Translated from the German
by W.S. Dallas, F. L.S. London, 1869.
8 LES ABIMES DE LA MER.
former pendant une période limitée, à l’aide de circonstances
favorables, une espèce en une autre que, suivant nos idées
actuelles, nous sommes forcés de reconnaitre comme espèce
différente. Ceci étant accepté, il est peut-être possible de con-
cevoir que pendant une période moins longue pourtant que
l'éternité la variation puisse amener le résultat complet.
Les individus que comprend une espèce ont une limite de
variation strictement réglée par les circonstances dans lesquelles
le groupe se trouve placé. Excepté chez l’homme et chez les
animaux domestiques, pour lesquels elle est artificiellement
accrue, cette variation individuelle est ordinairement si légère,
qu'elle n’est appréciable que pour un ceil exercé; mais toute
variation extrême, en dépassant dans un sens ou dans un autre
ses limites naturelles, entre en conflit avec les circonstances en—
vironnantes, et devient périlleuse pour l'existence de l’individu.
La voie normale et nettement tracée, la voie sure, que l’espèce
doit parcourir, s'étend entre les limites des variations extrêmes.
Si, à une période quelconque de la vie d’une espèce, les
conditions de l'existence d’un groupe d'individus appartenant
à cette espèce se modifient petit à petit, cette modification gra-
duelle resserre dans une certaine direction et élargit dans une
autre les limites des variations : il devient plus dangereux de
pencher d’un côté et plus profitable d’incliner de l’autre; les
limites tracées à la variation sont changées. La ligne naturelle,
celle sur laquelle les caractères spéciaux sont les plus accusés,
est un peu déviée et certains traits se renforcent aux dépens de
certains autres. Cette déviation, continuée pendant des siècles
dans la mème direction, ne peut que porter, dans la suite, cette
divergence bien au delà des limites en dehors desquelles nous
ne pouvons admettre l'identité des espèces.
Mais la marche doit être infiniment lente; il est difficile
d’embrasser par la pensée une période de dix, de cinquante ou
de cent millions d'années, et de se faire une idée des rapports
qui existent entre une pareille période et les modifications qui
s’accomplissent dans le monde organique.
INTRODUCTION. 1
Il faut pourtant nous rappeler que les roches du système
Silurien, ensevelies sous une épaisseur de sédiment qui mesure
dix milles, et au sein desquelles sont enfouies cent faunes suc—
cessives dont chacune est aussi riche, aussi variée que la faune
actuelle, regorgent elles-mémes de fossiles qui représentent
toutes les classes existantes d'animaux, à l'exception peut-être
des plus élevées.
S'il était possible de croire que cette manifestation merveil-
leuse de la Puissance et de la Sagesse Éternelle renfermée dans
la nature animée ait pu s’accomplir en vertu de la oz de descen-
dance avec variations, il nous faudrait certainement demander
aux mathématiciens la plus longue colonne de chiffres qu'il soit
en leur pouvoir de produire, pour exprimer le nombre d'années
nécessaires à cette transformation.
Bien que l’admission d’une doctrine d'évolution doive modi-
fier beaucoup nos idées sur l’origine et les causes des soi-disant
centres d'espèces, elle ne change rien au fait de leur existence
et aux lois qui régissent la distribution des espèces, se répandant
hors de leurs centres par voie de migration, de transport, à la
faveur des courants de l’Océan, des exhaussements ou des dé-
pressions du sol, ou par toute autre cause agissant dans les
circonstances actuelles. En ce qui concerne les naturalistes pra-
ticiens, les espèces sont permanentes dans leur cercle restreint
de variation; les considérer sous un autre aspect serait intro-
duire un élément grave d'erreur et de confusion. L'origine des
espèces par la descendance avec variations n’est encore qu’une
hypothèse. Durant toute la période pendant laquelle les obser-
vations faites ‘ont été exactement enregistrées, il ne s’est pas
présenté un seul exemple de la transformation d’une espèce ;
chose singulière, dans les formations géologiques successives,
quoique des espèces nouvelles apparaissent sans cesse et qu’il y
ait évidence abondante de modifications graduelles, on n’a pas
encore observé un seul cas d’une espèce passant, à la faveur
d’une série de modifications imperceptibles, à une autre espèce.
Chacune d’elles parait avoir une zone de développement maxi
10 LES ABIMES DE LA MER.
mum, qui a été désignée sous le titre de métropole de l'espèce ;
dans la pratique nous devons user des mêmes méthodes pour
étudier les lois de sa distribution, que si nous la supposions spé-
cialement créée dans sa métropole.
Il en est de même pour les lois de représentation; acceptant
une doctrine d'évolution, nous devrions certainement considérer
des espèces proches parentes ou « représentatives », comme
étant descendues depuis une époque relativement récente d’an—
cétres communs, comme s'étant modifiées, étant devenues dis-
semblables sous l'influence de conditions d’existence quelque
peu différentes. Il est possible qu’à mesure que nos connaissances
augmenteront, nous en venions à tracer la généalogie de nos
espèces modernes : quelques essais ont déjà été tentés pour des-
siner les branches maitresses de l’arbre généalogique"; mais, en
bonne pratique, il convient de continuer a accorder un rang
spécial aux formes dont les caractères ont obtenu jusqu'ici qu'on
leur assignat une valeur spécifique.
Toute espèce a trois maxima de développement : en profon-
deur, en espace géographique et dans le temps. Dans la profon-
deur, nous voyons une espèce, représentée d’abord par quelques
rares individus, devenir de plus en plus nombreuse, jusqu'à ce
qu elle atteigne un certain point, après lequel elle diminue gra—
duellement, pour disparaître bientôt tout à fait. Il en est de
mème pour la distribution géographique et géologique des ani-
maux. Quelquefois le genre auquel appartient l’espèce disparait
avec elle, mais il n’est pas rare de voir une succession d'espèces
similaires se maintenir, représentatives pour ainsi dire les unes
des autres. Quand une semblable représentation existe, le mi-
nimum d’une espèce commence habituellement avant que celle
qu’elle représente ait atteint son minimum correspondant. Les
formes des espèces représentatives sont similaires et souvent
ne se distinguent qu'après un examen minutieux”.
Comme exemple de ce que signifie la loi de «représentation»,
|. Ernst HÆCKEL, op. cit.
2. Edward Forres, Report on Ægean Invertebrata, op. cit., p. 173.
INTRODUCTION. a
je citerai un fait curieux raconté par MM. Verril et Alexandre
Agassiz. Sur les deux rivages de l’isthme de Panama, l’ordre des
Kchinodermes (Echinidea), Oursins de mer, est très-abondant,
mais les espèces trouvées sur chaque cote sont distinctes, bien
qu elles appartiennent aux mémes genres, et dans la plupart des
cas chaque genre est représenté de chaque côté par des espèces
qui ont entre elles de si grands rapports d’habitudes et de con-
formation, qu’au premier abord on les distingue à peine. Je
donne ici une liste des plus remarquables, en mettant en regard
celles qui proviennent du eôté de Panama et celles qui ont été
prises sur la côte caraibe de l’isthme :
FAUNE EST. FAUNE OUEST.
Cidaris annulata, Gray. Cidaris Thouarsii, Val.
Diadema Antillarum, Phil. Diadema mexicanum, Agass.
Echinocidaris punctulata, Desml. Echinocidaris stellata, Agass.
Echinometra Michelini, Des. Echinometra Van-Brunti, Agass.
— viridis, Agass. — rupicola, Agass.
Lytechinus variegatus, Agass. Lytechinus semituberculatus, Agass.
Tripneustes ventricosus, Agass. Tripneustes depressus, Agass.
Stolonoclypus Ravenellii, Agass. Stolonoclypus rotundus, Agass.
Mellita testudinata, KI. Mellita longifissa, Mich.
— hexaspora, Agass. — Pacifica, Ver.
Encope Michelini, Agass. Encope grandis, Agass.
— emarginata, Agass. — microporda, Agass.
Rhyncholampas Caribearum, Agass. Rhyncholampas Pacificus, Agass.
Brissus columbaris, Agass. Brissus obesus, Ver.
Meoma ventricosa, Littken. Meoma grandis, Gray.
Plagionotus pectoralis, Agass. Plagionotus nobilis, Agass.
Agassizia excentrica, Agass. Agassizia scrobiculata, Val.
Mera Atropos, Mich. Mera Clotho, Val.
En supposant les espèces constantes, cette singulière série
de ressemblances indiquerait simplement l'existence, de chaque
côté de l’isthme, de deux groupes d'espèces se ressemblant parce
que les conditions dans lesquelles ils furent placés étaient
presque identiques; mais si l'on admet «la descendance avec
variations tout en nous prévalant de l'expression commode de
«représentation », nous arrivons de suite à conclure que ces
espèces représentatives, si proches parentes les unes des autres,
ont dû descendre d’une même souche, et nous cherchons les
12 LES ABIMES DE LA MER.
causes des légères différences qui existent entre elles. L'examen
de l’isthme de Panama nous prouve qu’il est formé de couches
crétacées renfermant des fossiles qui ne diffèrent en rien de ceux
qui se trouvent dans les couches crétacées d'Europe ; l’isthme
doit done avoir été relevé et mis à sec pendant ou depuis
l’époque tertiaire. Il est hors de doute que l'élévation de cette
barrière naturelle a séparé deux parties d’une faune de bas—
fonds qui, depuis, ont subi de faibles modifications par le fait de
conditions d'existence légèrement différentes. Je cite les paroles
d'Alexandre Agassiz : « On se demande naturellement si nous
n'avons pas dans les différentes faunes qui vivent de chaque coté
de l’isthme, un étalon au moyen duquel il nous est possible de
nous rendre compte des changements que ces espèces ont subis
depuis l’époque du soulèvement de l’isthme de Panama et de
la séparation des deux faunes '. »
Edward Forbes distinguait autour de toutes les {erres mari-
times quatre zones de profondeurs bien tranchées, dont chacune
est caractérisée par un groupe distinct d’étres organisés. La
première de ces zones est celle du littoral, comprenant la pro-
fondeur de la marée haute à la marée basse; elle se distingue
par une extrême abondance de plantes marines, Sur les côtes
d'Europe, ce sont les Lichina, Fucus, Enteromorpha, Polysi-
phoniaet Laurencia, qui prédominent à des hauteurs différentes,
partageant cet espace en bandes longitudinales teintées de eou-
leurs différentes. Cette zone est soumise à des circonstances
spéciales, car ses habitants sont périodiquement exposés à l'air,
aux rayons directs du soleil, et à toutes les températures extré—
mes du climat. Les espèces animales n’y sont pas nombreuses,
mais les individus y abondent. La distribution de la plupart des
espèces du littoral est très-étendue, et la plupart d’entre elles
sont cosmopolites. Plusieurs sont herbivores. Quelques-unes de
1. Preliminary Report on the Echini and Starfishes dredged in Deep Water between
Cuba and the Florida Reef, by L. F. de Pourtalès, assistant U. S. Coast Survey; pre-
pared by Alexander AGassiz. Communicated by professor B. Pierce, superintendent U. S.
Coast Survey, to the Bulletin of the Museum of Comparative Zoology, Cambridge, Mass.,
1869.
INTRODUCTION. 13
celles qui sont spéciales aux eôtes d'Europe sont : Gammarus,
Talitrus et Balanus parmi les Crustacés, et Littorina, Patella,
Purpura et Mytilus parmi les Mollusques ; puis sous des pierres
et dans les flaques, parmi les rochers quelques égarés de la faune
voisine.
La zone des Laminaires s’étend du plus bas étiage de la marée
à une profondeur d'environ quinze brasses. Celle-ci est parti-
culièrement la zone des Varechs dans les premières brasses, et,
plus profondément, celle des belles Algues écarlates (#orideæ).
Elle est toujours sous l’eau, si l’on en excepte la période des plus
basses marées de printemps, pendant lesquelles on entrevoit son
bord supérieur. La zone des Laminaires produit des végétaux
en abondance, et se divise aussi en bandes que distinguent des
Algues de teintes variées. Espèces et individus pullulent dans
cette zone et sont généralement remarquables par le brillant
de leurs couleurs. Les Mollusques du genre 7rochus, Lacuna
et Lottia sont spéciaux à cette région des mers de la Grande-
Bretagne.
La zone des Laminaires est suivie de celle des Coralliaires, qui
plonge à une profondeur d'environ cinquante brasses. La végé—
tation y est représentée par des Millipores coralliformes; les
Zoophytes hydrostatiques et les Bryozoaires semblables à des
végétaux y abondent. Les Invertébrés marins d'ordre supérieur
y sont largement représentés, principalement par des carnas-
siers. Les gros Crustacés et les Échinodermes y sont nombreux.
Les grandes régions de pêche que fréquentent la Morue, la
Merluche, la Plie, le Turbot et la Sole, appartiennent à cette
zone, bien qu’elle s’étende quelquefois au dela des cinquante
brasses que nous lui donnons pour domaine. Les formes carac-
téristiques des Mollusques sont : le Puccinum, le Fusus, V Ostrea
et le Pecten ; et parmi les Échinodermes des mers d'Europe nous
trouvons : l’Antedon Sarsii et celticus, V'Asteracanthion gla-
ciale et rubens, V Ophiothriz fragilis, et sur le sable, V Ophio=
glypha lacertosa et albida.
La dernière zone définie par Forbes comme partant de cin=
14 LES ABIMES DE LA MER.
quante brasses pour finir à des profondeurs inconnues est celle
des Coraux des grandes mers. « Dans ces profondeurs le nombre
des espèces caractéristiques est fort restreint, mais pourtant
suffisant pour lui donner un cachet particulier. Les autres
groupes qui la peuplent viennent des régions supérieures et
doivent être considérés comme colons. A mesure que l’on
descend plus bas dans la zone, les habitants se modifient tou-
jours davantage, deviennent de plus en plus rares, faisant ainsi
pressentir l’abime où la vie est éteinte, où du moins elle ne
manifeste plus sa présence que par quelques étincelles *. »
Forbes a montré que les groupes d'animaux qui atteignent
leur complet développement dans ces diverses zones leur sont
spéciaux ; des faunes analogues occupent les zones correspon—
dantes dans le monde entier, de telle sorte qu’en examinant un
groupe d animaux marins provenant d’un point quelconque, on
peut facilement indiquer le degré de profondeur où ils ont vécu.
A toutes les périodes de l’histoire de la terre, la mème division
très-nette en zones de profondeur a existé ; les animaux fossiles
d’une zone quelconque sont en quelque sorte les représentants
de la faune dont est peuplée, de nos jours, la zone correspon-
dante. Nous pouvons donc indiquer avec une certitude presque
absolue à quelle zone a du appartenir un groupe quelconque
de fossiles.
Bien que nos connaissances se soient beaucoup modifiées
quant à importance de la faune qui peuple la région des Coraux
des grandes mers, et qu'il nous faille renoncer à toute idée d’un
zéro de vie animale, nous devons considérer les recherches de
Forbes sur la distribution des animaux marins comme ayant
fait faire un grand pas à la science. Son expérience était supé-
rieure à celle de tous les naturalistes de son temps; la difficulté
matérielle de prouver la justesse de ses conclusions était très-
grande, et les savants les ont acceptées de confiance.
L'histoire des découvertes relatives à l'importance et à la
1. Edward Forges, Natural History of the European Seas, p. 26.
INTRODUCTION. 15
distribution de la faune des grandes mers sera traitée dans un
chapitre futur. Il suffira pour le moment de rappeler dans leur
ordre les quelques faits qui ont graduellement préparé les
savants à se défier de l'hypothèse de l'extinction de la vie ani-
male à une certaine profondeur, et les a conduits aux récentes
investigations. En 1819, sir John Ross publia le récit officiel
du voyage de découvertes entrepris par lui pendant année 1818
dans la baie de Baffin’; à la page 178, il dit : « J'étais occupé
à bord à sonder et à étudier les courants et la température de
l'eau. Le calme étant bien complet, j’eus là une excellente occa—
sion de faire ces observations importantes. Le sondage s’opéra
très-complétement à 1000 brasses, et ramena une boue délayée
et verdâtre, laquelle contenait des vers; de plus, engagé dans
la ligne de sonde à 800 brasses de profondeur, se trouva un
superbe Caput-Medusæ. Ces spécimens furent soigneusement
conservés et on les trouvera décrits dans l Appendice. » Ceci se
passait le 1° septembre 1818, à 73°37’ lat. N. et 77° 25’ long. O.
C’est là, à ma connaissance, le premier exemple dont il ait jamais
été question, d’animaux vivants retirés d’une profondeur appro-
chant de 1000 brasses. Le général sir Edward Sabine, qui faisait
partie de l’expédition de sir John Ross, a obligeamment donné
au D" Carpenter des détails plus circonstanciés sur ce même
fait?. « Le vaisseau jeta la sonde à une profondeur de 1000
brasses; le fond était boueux, à un ou deux milles du rivage
(lat. 73° 37'N., long. 77° 25’0.). Une magnifique Astérie se trouva
prise dans la ligne de sonde et ramenée presque intacte; la boue,
semi-fluide et colorée, contenait des spécimens de Lumbricus
tubicola. Ceci se trouve écrit dans mon journal, mais je puis
ajouter, d'après des souvenirs très-nets, que la lourde sonde avait
1. A Voyage of Discovery made under the Orders of the Admiralty in His Majesty's
ships Isabella and Alexander, for the purpose of exploring Baffin’s Bay, and inquiring
into the possibility of a North-west passage. By John Ross, K. G., captain Royal Navy.
London, 1819.
2. Preliminary Report by Dr William B. Carpenter, V.P.R.S., of Dredging Opera-
tions in the Seas to the North of the British Islands, carried on in Her Majesty s steam-
vessel Lightning, by Dt Carpenter and Dt Wyville Thomson. (Proceedings of the Royal
Society, 1868, p. 177.)
16 LES ABIMES DE LA MER.
pénétré profondément, entraînant avec elle plusieurs pieds de
corde dans la boue molle et verdatre, qui adhérait encore à l’in-
strument quand il revint à la surface de l’eau. L’Astérie s était
enchevètrée dans la corde à si peu de distance du fond, qu’on
ramassa dans cette boue des fragments des bras de l'animal qui
s étaient brisés pendant l'ascension. »
Fic. 1. — Asterophyton Linchii, MULLER et TROSCHEL. Individu jeune légèrement agrandi (Nc 75).
Sir James Clarke Ross, de la Marine royale, draguant
à 270 brasses, lat. 73°3'S., long. 176° 6’ E., raconte‘ «que
ae fe (> = £ a yee it . . .
des Corallines, des Flustres, et plusieurs autres animaux inver-
tébrés remontèrent dans le filet. prouvant une grande abon-
dance et une grande variété de vie animale. Parmi les derniers,
!. A Voyage of Discovery and Research in the Southern and Antarctic Regions during
the years 1859-43. By captain sir James Clarke Ross, R. N. London, 1847.
INTRODUCTION. 17
il découvrit deux espèces de Pycnogonum, V’Idotea Baffini, que
jusque-là on avait regardé comme appartenant exclusivement
aux mers arctiques; un Chifon, sept ou huit bivalves et uni-
valves; une espèce inconnue de Gammarus, et deux Serpula,
adhérant aux cailloux et aux coquilles... Il était intéressant
de reconnaitre parmi ces animaux plusieurs que j'avais ordi-
nairement rencontrés à des latitudes également septentrionales ;
bien que cette opinion soit contraire à celle qui a généralement
cours parmi les naturalistes, je ne doute pas que, de quelque
profondeur que nous parveniors à ramener de la boue et des
pierres du fond de l'Océan, nous ne les trouvions habitées par des
êtres vivants ; l’extrème pression des plus grandes profondeurs
ne parait pas agir sur ces créatures. Jusqu'ici on n’a pu véri-
fier ces faits au delà de 1000 brasses, mais de cette profondeur
plusieurs coquillages ont été remontés avec la boue du fond. »
Le 28 juin 1845, M. Henry Goodsir, qui fit plus tard partie
de la malheureuse expédition de sir John Franklin, exécuta
dans le détroit de Davis un draguage qui de 300 brasses ramena
des Mollusques, des Crustacés, des Astéries, des Spatangues, des
Corallines, etc.'. Le fond se composait de la boue verdatre
dont parle sir Edward Sabine.
Vers l’année 1854, le midshipman Brooke, de la marine des
États-Unis, inventa un ingénieux instrument pour ramener des
échantillons du fond. Il n’en retirait qu'une très-petite quantité
à la fois dans un canon de plume. Ces échantillons, venus de
profondeurs qui dépassaient 1000 brasses, furent très-recherchés
des naturalistes. L’examen microscopique de ces boues surprit
tout le monde. Dans le bassin de l’Atlantique, les sédiments
ramenés étaient d’une nature à peu près identique, et consis—
taient presque entièrement en tests calcaires, entiers ou brisés,
d'une espèce de Foraminifère, le Globigerina bulloides (fig. 2).
Mélangées avec celles-ci se trouvaient les coquilles de quelques
autres Foraminifères, parmi lesquelles une petite sphère per-
{. Natural History of the British Seas. By professor Edward Forpes and R. Godwin
AUSTEN, p. of.
)
18 LES ABIMES DE LA MER.
forée, VOrbulina wuniversa (fig.3), qui dans quelques localités
remplace entièrement le Globigerina; puis quelques carapaces
de Diatomées, avec des spicules et des squelette en treillage
de Radiolaires. Quelques sondages dans le Pacifique donnèrent
les mêmes résultats; il parait donc probable que ce dépôt d’un
fin sédiment organique est à peu près universel.
On s’est demandé si les animaux qui sécrètent ces coquilles
vivent au fond de la mer ou s'ils flottent par myriades dans les
zones supérieures et à la surface, et si leurs coquilles vides tom-
bent au fond après leur mort, comme une pluie incessante. Des
spécimens provenant de ces sondages ont été envoyés aux émi-
Fic. 2. — Globigerinu bulloides, L'ORBIGNY. Très-fort grossissement.
nents micrographes le professeur Ehrenberg, de Berlin, et le
professeur Baily, de West-Point. Sur cette question ces deux
naturalistes ont été d'opinions différentes. Ehrenberg soutenait
qu il était évident que ces animaux avaient vécu au fond; Baily
au contraire croyait impossible que ces êtres eussent vécu dans
les profondeurs où leurs dépouilles ont été trouvées: il pensait
qu'ils habitent près de la surface, et qu'après leur mort leurs
coquilles tombent au fond !.
L. Explanations and Sailing Directions to accompany the Wind and Currents Charts.
By M. F. Maury, L.L. D. lieut. U.S.N., superintendent of the National Observatory.
6th edition. Philadelphia, 1864, p. 299.
INTRODUCTION. 19
Une autre autorité consultée, le professeur Huxley, a été fort
réservé dans l’expression de son opinion. Les échantillons four-
nis par je capitaine Dayman du Cyclops, en 1857, furent
soumis à son examen, et, dans son rapport à l’Amirauté ‘, en
1858, c'est ainsi qu'il s'exprime : « Comment peut-on supposer
que la vie animale persiste dans les conditions de lumière, de
température, de pression et d'aération qu’elle trouve dans ces
profonds abimes ? A ces objections on peut répondre qu’on sait
Fic. 3, — Orbulina universa, D'ORBIGNY. Très-fort grossissement,
de science certaine que des animaux mème supérieurs en orga-
nisation vivent à une profondeur de 300 et 400 brasses, puis-
qu'on les a ramenés à la surface. La différence dans la somme
de lumière et de chaleur de 400 à 2000 brasses est probable-
ment bien moindre que la différence d'organisation qui existe
entre ces animaux supérieurs et l’humble Protezoaire et Proto—
phyte pèchés dans les sondages. Bien que jusqu'ici je sois loin
1. Appendix A to Deep Sea Soundings in the North Atlantic Ocean between Ireland
and Newfoundland, made in H. M. S. Cyclops, lieut.-commander Joseph Dayman, in
June and July 1857. Published by order of the Lords Commissioners of the Admiralty.
London, 1858.
20 LES ABIMES DE LA MER.
de regarder comme prouvée l'existence des G/ohigerina à ces
profondeurs, j'avoue que les probabilités me paraissent militer
en faveur de cette hypothèse.
En 1860, le D" Wallich accompagna, en qualité de natura-
liste, le capitaine sir Léopold M'Clintock, sur le vaisseau de
Sa Majesté le Bulldog , dans son expédition de sondage en
Islande, au Groenland et à Terre-Neuve. Pendant le voyage,
des spécimens furent retirés de 600 à 2000 brasses de profon-
deur : un certain nombre de ces échantillons étaient formés de
la boue grise à Globigerina, bien connue, pendant que d’autres
consistaient en détritus volcaniques du Groenland et du Labra-
dor. Pendant le trajet du retour, à peu près à mi-distance entre
le cap Farewell et Rockall, treize Astéries furent ramenées
de 1260 brasses, « étreignant convulsivement une portion de la
corde de sonde qui avait été mise à la mer en surplus de la pro-
fondeur déjà reconnue, et qui avait séjourné au fond pendant un
espace de temps suffisamment long pour permettre à ces ani-
maux de s’y cramponner. » A son retour, en 1862, le Dr Wallich
publia sur Je fond de l'Atlantique ‘ un ouvrage d’une grande va—
leur, auquel il sera fréquemment fait allusion ci-après. Il cherche
à prouver que le fond de la mer n’est pas tel qu'il entraine l’im-
possibilité de l'existence, même pour les formes supérieures de
la vie animale. Il réfute en détail et avec grande habileté les
arguments mis en avant pour soutenir la thèse opposée. La pre-
mière partie seule de l'ouvrage du D' Wallich a été publiée, et
malheureusement dans un format coûteux et embarrassant ;
quelques naturalistes seulement le connaissent, et l'ouvrage n'a
pas eu le retentissement qu’il méritait. A l’époque où il parut,
il n'était que l'expression d’une opinion personnelle qu'aucun
fait nouveau n’était encore venu justifier. A plusieurs reprises
des Astéries étaient péchées, adhérant aux cordes des sondes,
1. The North Atlantic Sea-bed : comprising a Diary of the Voyage on board H. M.S.
Bulldog in 1860 ; and Observations on the presence of Animal Life, and the Formation
and Nature of organic Deposits at great Depths in the Ocean. By G. C. Watuicn, M. D., etc.”
Published with the sanction of the Lords Commissioners ofthe Admiralty. London, 1862.
INTRODUCTION. 21
mais rien ne prouvait d’une manière concluante qu’elles eussent
vécu sur le terrain, à la profondeur du sondage. Le D' Wallich
rapporte les Astéries ainsi trouvées à une espèce bien connue
de la zone du littoral, et unit leur histoire, assez mal à propos,
avec la disparition de da terre de Buss '. Heureusement le
dessin fort artistique, sinon très-satisfaisant, qu'il donne d’une
Astérie cramponnée à la corde, ne justifie, n1 sous le rapport de
la forme, ni sous celui de l'attitude, sa classification, mais rap-
pelle plutôt l’une ou l’autre des deux espèces que nous savons
être trés-abondantes dans les eaux profondes de l'Atlantique,
l'Ophiopholis aculeata, O.F. Müller, ou V?Ophiacantha spinu-
losa, Müller et Troschel. Le livre du D° Wallich est le seul qui
traite méthodiquement et complétement les diverses questions
qui ont rapport au fond de l'Océan; ses conclusions sont, en
définitive, exactes.
Pendant l'automne de 1860, M. Fleeming Jenkin, maintenant
ingénieur-professeur à l’université d'Édimbourg, fut chargé
par la Compagnie des Télégraphes méditerranéens de réparer
le câble entre Vile de Sardaigne et Bone, sur la côte d'Afrique ;
le 15 janvier 1861, il fit un récit intéressant de ses travaux
à une réunion de |'Institution des Ingénieurs civils ?.
Ce câble fut posé dans l’année 1857. En 1858 il devint né-
cessaire de le réparer, et une longueur d'environ 30 milles fut
repéchée et replacée avec succès. Dans l’été de 1860 le cable
ne fonctionnait plus. En le relevant, sur la côte d'Afrique, à une
profondeur relativement faible, on le trouva couvert d'animaux
marins, complétement rongé et brisé, selon toute apparence, par
les draguages qui avaient lieu dans une importante pécherie de
Corail, au travers de laquelle il passait malheureusement. Il
était rompu par 70 brasses d'eau à quelques milles de Bone.
L’extrémité du côté de la pleine mer fut cependant retrouvée,
1. Écueil sous-marin indiqué par les anciennes cartes au 57°30! de lat. N. et au 29°50’
de long. O., bas-fond dont aucun navigateur moderne n’a pu retrouver la trace. (Note
du traducteur.)
2. Minutes of Proceedings of the Institution of Civil Engineers, with Abstracts of the
Discussions. Vol. XX, p. 81. London, 1861.
22 LES ABIMES DE LA MER.
et l’on constata que le cäble, qui de là franchissait une large
vallée de 2000 brasses de profondeur maximum, était en par-
fait état jusqu’à une distance de 40 milles de cette ile; il fut
alors relevé par l'extrémité qui aboutissait à la Sardaigne, et
les premiers 39 milles étaient aussi intacts que le jour où on
l'avait posé. A cette distance du rivage la nature du terrain
changeait, ce qu'indiquait la différence de teinte de la boue, et
les fils métalliques étaient très-corrodés. Un peu plus loin le
câble était cassé à une profondeur de 1200 brasses, à la distance
d’un mille de l'endroit où les éprouvettes électriques indiquaient
qu'il avait été précédemment rompu.
Ces 40 milles de cable ramenèrent force Coraux et beaucoup
d'animaux marins, mais il ne paraît pas que leur présence fut
pour rien dans sa rupture, car ils adhéraient aussi bien aux
Fic. 4. — Caryophyllia borealis, FLEEMING. Grandeur naturelle. (Ne 45.)
parties saines qu’à celles qui étaient endommagées. A son retour,
M. Fleeming Jenkin envoya au professeur Allman, membre de
la Société royale, quelques spécimens des animaux qu il avait
recueillis sur le cable, en notant leurs profondeurs respectives.
Le D" Allman a dressé une liste de quinze variétés animales, y
compris les œufs d’un Céphalopode trouvés à des profondeurs
variant de 70 à 1200 brasses. Sur d’autres portions du câble
se trouvèrent des spécimens de Grantia, Plumularia, Gorgonia,
INTRODUCTION. 23
Caryophylha, Alcyonium, Cellepora, Retepora, Eschara, Sali-
cornaria, Ascidia, Lima et Serpula. Je ferai remarquer que,
d’après le journal particulier du professeur Fleeming Jenkin,
qu'il a bien voulu mettre à ma disposition afin que je pusse y
puiser des renseignements, un exemplaire de Caryophylha, un
véritable Corail (fig. 4), a été trouvé attaché au cable, au point
juste où il s'était cassé, c’est-à-dire au fond de 1200 brasses
d’eau.
Quelques portions de ce cable furent plus tard confiées à
M. Mangon, professeur à l’École des ponts et chaussées à Paris,
et ont été examinées par M. Alphonse Milne Edwards, qui lut
à l’Académie des sciences, le 15 juillet 1861", un travail sur les
organismes qui y étaient attachés. Après quelques remarques
préalables, qui le montrent très-pénétré de la valeur de ces faits
comme conduisant à la solution finale de la question tant con-
troversée de l'existence de la vie animale à des profondeurs de
la mer dépassant de beaucoup le zéro supposé par Edward
Forbes, M. Milne Edwards cite une liste d’animaux qu’il a
trouvés sur le cable, depuis une profondeur de 1100 brasses.
Cette liste comprend : Je Murex lamellosus Cristofori, et le
Craspedotus limbatus, Philippi, deux coquillages univalves du
genre Buccin; |’ Ostrea cochlear, Poli, petite Huitre abondante
dans toute la Méditerranée au-dessous de 40 brassès ; le Pecten
fest, Bivona, petit Peigne assez rare; le Caryophyllia borealis,
Fleeming, ou une espèce voisine, et un Corail non décrit, attri-
bué à une nouvelle espèce sous le nom de 7halassiotrochus
telegraphicus, À. Milne Edwards.
Il est juste pourtant de dire que les notes du professeur Flee-
ming Jenkin ne font mention que d’une ou deux espèces, et sur-
tout du Caryophyllia borealis, comme attachées au cable à une
profondeur de plus de 1000 brasses. De cette profondeur il a
ramené lui-même des exemplaires de Caryophyllia, mais il
1. Observations sur l'existence de divers Mollusques et Zoophytes à de très-grandes
profondeurs dans la mer Méditerranée. (Annales des sciences naturelles, ZOOLOGIE ,
4e série, 1861, tome XV, p. 149.)
24 LES ABIMES DE LA MER.
soupçonne quelques spécimens des profondeurs moindres de
s'être mélés à ceux des grandes profondeurs dans la série dont
M. Mangon se trouve être en possession, et, dans ce cas, la liste
de M. Milne Edwards ne serait pas tout à fait exacte.
Jusqu'à présent toutes les observations qui avaient rapport à
l'existence d'animaux vivants dans des profondeurs extrémes
étaient sujettes à l'erreur et laissaient subsister des doutes. Les
moyens et les méthodes de sondages profonds étaient imparfaits,
et il y avait toujours possibilité que l’action des courants sur
la corde de sondage ou quelque autre circonstance fit supposer
une profondeur plus grande que celle à laquelle on était réelle
ment parvenu; puis, quoiqu'il y eût de fortes probabilités, 1l
n'y avait pas certitude absolue que les animaux adhérents à la
corde ou engagés dans l’appareil de sondage vinssent véritable-
ment du fond et n’eussent pas été saisis et entrainés pendant
le trajet.
Avant de poser un cable telégraphique sou-smarin, le terrain
est soigneusement étudié, et il ne peut rester l’ombre d’un doute
quant aux profondeurs réelles qu’il doit atteindre. Relever le
cable est une opération délicate et difficile pendant laquelle les
profondeurs sont contrôlées à bien des reprises. Le cable repose
sur le fond dans toute sa longueur. Les formes animales sur les-
quelles nos conclusions sont basées n’adhérent pas légèrement
au cable, comme si elles s’y étaient fixées par une circonstance
accidentelle pendant l'immersion, mais elles sont mow/lées sur
sa surface extérieure ou y sont soudées par des excroissances
calcaires, et quelques-unes d’entre elles, comme les Coraux et les
Bryozoaires, d’après ce que nous connaissons de leur histoire et
de leur mode d'existence, ont dû s’y attacher à l’état de germes
et être arrivées à la maturité dans la position où elles ont été
trouvées. Je regarde donc ce travail de M. Fleeming Jenkin
comme ayant fourni la première preuve concluante, absolue, de
l'existence d'animaux d'organisation supérieure, à des profon—
deurs dépassant 1000 brasses.
Pendant les différentes croisières des vaisseaux de S. M.
INTRODUCTION. 25
le Lightning et le Porcupine, dans le courant des années 1868,
1869 et 1870, la drague a été retirée cinquante-sept fois dans
l'Atlantique de profondeurs dépassant 500 brasses, et seize fois
de plus de 1000 brasses; toujours la vie s’est trouvée largement
répandue. En 1869, nous fimes deux draguages au delà de
2000 brasses, qui démontrèrent aussi une grande abondance
d'animaux, et le plus profond (2435 brasses), dans la baie de
Biscaye, nous donna des exemplaires vivants, bien déterminés,
de chacune des cing sous-divisions d’Invertébrés. C’est ainsi qu'a
été finalement résolue la question de l’existence d’une vie ani-
male abondante au fond de la mer, car il n’y a aucune raison de
croire que les abimes dépassent jamais 4000 brasses ; si à une
profondeur de 2500 brasses aucune cause ue s oppose au plein
développement d’une faune variée, on ne peut supposer que
1000 brasses de plus y apportent des conditions bien diffé
rentes.
Les circonstances qu'on aurait pu supposer défavorables à
l'existence animale dans les grandes profondeurs sont principa-
lement la pression, la température et l’absence de lumière, qui,
selon toute apparence, doit avoir pour conséquence l'absence de
nourriture végétale. :
Quand on a dépassé la zone qui entoure les côtes, partout
étroite, comparée à l'étendue de l'Océan, zone qui s’abaisse
plus ou moins brusquement, la profondeur moyenne de la mer
peut être estimée, d’une manière générale, à 2000 brasses, soit
à peu près 2 milles anglais ; elle a, au-dessous de la surface, une
épaisseur qui correspond à la hauteur moyenne des Alpes suisses.
Dans certaines parties cette profondeur parait être beaucoup
1. Preliminary Report, by D' Carpenter, of Dredging Operations in the Seas to the
North of the British Islands, carried on in Her Majesty’s steam-vessel Lightning, by
Dr Carpenter and Wyville Thomson, professor of Natural History in Queen’s College,
Belfast. (Proceedings of the Royal Society of London, 1868.)
Preliminary Report of the scientific Exploration of the Deep Sea in H. M. surveying-
vessel Porcupine, during the Summer of 1869. Conducted by D* Carpenter, J. Gwyn
JEFFREYS and prof. Wyville THomson. (Proceedings of the Royal Society of London, 1870.)
Report of Deep Sea Researches carried on during the months of July, August and
September 1870, in H. M. surveying-ship Porcupine, by W. B. CARPENTER and Gwyn
JEFFREYS. (Proceedings of the Royal Society of London, 1870.)
26 LES ABIMES DE LA MER.
plus considérable, peut-être presque du double; mais ces abimes
sont certainement très-peu nombreux, leur existence même est
incertaine, et une vaste portion de l'étendue océanique n’atteint
même pas une profondeur de 1500 brasses.
L’énorme pression d’une pareille masse semblerait, à pre-
mière vue, suffisante pour ôter toute idée de vie possible. Il existe
un curieux préjugé populaire que je me rappelle bien avoir
partagé étant enfant : c’est qu'à mesure qu’on descend dans
la mer, l’eau devient, par l'effet de la pression, de plus en plus
dense et que tous les objets qu’elle renferme flottent à différents
niveaux, suivant leur pesanteur spécifique : des squelettes hu-
mains, des ancres, des boulets et des canons, et enfin toutes les
grosses pièces d’or perdues dans les naufrages des galions dans
les mers d'Espagne; le tout formant une sorte de double fond,
au-dessous duquel se trouve une masse d’eau calme et limpide,
plus pesante que l’or en fusion.
Les conditions de pression sont certainement extraordinaires.
A 2000 brasses, un homme supporterait sur le corps un poids
égal a celui de vingt locomotives ayant chacune un long train
de wagons chargés de barres de fer. Nous oublions cependant
que, l’eau étant à peu près incompressible, la densité de l’eau de
mer à 2000 brasses n’est pas accrue d’une façon très-appré-
ciable. A la profondeur d’un mille, sous une pression d'environ
159 atmospheres, l’eau de mer, suivant une formule donnée par
Jamin, est comprimée de 1/144 de son volume primitif, et à
20 milles, en supposant les lois de la compressibilité les mêmes,
de 1/7° de son volume, c’est-à-dire que le volume serait à cette
profondeur les 6/7 du volume du même poids d’eau à la surface.
L'air libre en suspension dans l’eau, ou contenu dans le tissu
compressible d’un animal, serait, à 2000 brasses, réduit à une
minime fraction de son volume primitif; mais un organisme,
soutenu de tous côtés à travers tous ses tissus, intérieurement et
extérieurement, à la même pression, par des fluides incompres-
sibles, n’en serait pas nécessairement incommodé. Nous décou-
vrons quelquefois en nous levant, le matin, que, par l’élévation
INTRODUCTION 27
d’un pouce du baromètre, un poids d’une demi-tonne a été
transporté insensiblement sur nous pendant la nuit, sans que nous
en éprouvions aucune gêne, mais plutôt une sensation d’allé-
gement et d’élasticité, puisqu'il nous faut moins d'efforts pour
faire agir notre corps dans un milieu plus dense. Nous sommes
déjà familiers, grâce aux recherches du professeur Sars, avec
une longue liste d’animaux du groupe des Invertébrés, qui
vivent à une profondeur de 300 à 400 brasses, et qui sont sou-
mis à une pression de 1120 livres par pouce carré ; sur les côtes
de Portugal il existe une grande pècherie de Requins (Centro-
scymnus celolepis, Boe. et Cap.) qui opère à une profondeur
plus grande encore.
Si un animal aussi élevé que le Requin dans l'échelle des
êtres peut, sans inconvénient, supporter une pression d’une demi-
tonne par pouce carré, c’est une preuve suffisante que cette
pression se fait dans des conditions qui empêchent l'animal d’en
être affecté d’une manière préjudiciable, et iln’y a aucune raison
pour qu'il ne supporte pas tout aussi bien une pression d’une ou
deux tonnes. Quoi qu'il en soit, il est un fait certain, c’est que
les animaux de toutes les classes d’Invertébrés qui fourmillent
à la profondeur de 2000 brasses, supportent cette extrême
pression sans qu'elle paraisse leur nuire. Nous draguames à
2435 brassesun Scrohicularia nitida, Müller, espèce qui abonde
à 6 brasses et à toutes les profondeurs intermédiaires, et à
2090, un grand Fusus, avec des spécimens d’espèces propres
aux profondeurs moyennes. Des animaux d’une organisation
supérieure peuvent vivre, soumis d’une façon permanente à ces
pressions élevées, mais il n’est pas certain qu'ils puissent sur—
vivre au changement de condition qu’amènerait la suppression
subite de cette pression. La plupart des Mollusques et des Anné-
lides ramenés par la drague de 1000 brasses étaient morts ou
dans un état fort languissant. Quelques-unes des Astéries re-
muèrent faiblement pendant quelque temps, les spicules et les
pédicellaires s’agitaient encore sur le test des Oursins; mais il
était évident que ces animaux avaient, par une cause quel-
28 LES ABIMES DE LA MER.
conque, reçu le coup de mort. Le D' Perceval Wright raconte!
que tous les Requins ramenés par les longues lignes de 500
brasses dans la baie de Setubal sont morts quand ils arrivent
à la surface.
Plusieurs méthodes ont été proposées pour déterminer la pres-
sion réelle dans les grandes profondeurs; mais quoique tous
les éléments de ce caleul soient bien connus, il est plus facile de
travailler le probleme dans le cabinet que sur les lieux mémes.
Un instrument ingénieux a été construit a [usage des inspec—
teurs des côtes en Amérique. Un piston ou plongeur de cuivre
s'adapte exactement à une ouverture cylindrique pratiquée dans
la paroi d’une chambre impénétrable à l’eau. La chambre étant
entièrement remplie d’eau, un indicateur fixé au piston ou
plongeur indique jusqu’à quel degré la pression le fait pénétrer
dans la caisse. [indication demandée est obtenue, ce n’est pas
douteux, mais un pareil instrument est en même temps un fort
délicat thermoscope, et jusqu’à une époque récente, il n’y a eu
aucun moyen sur de constater les effets de température sur cet
appareil. Un emploi plus important encore de cet instrument
propre à évalner la pression, c’est d'assurer l'exactitude des
sondages profonds. La meilleure invention qui ait été faite dans
ce but est celle d’un long tube capillaire en verre, calibré et
eradué en millimètres, ouvert à une extrémité, et muni d’un
index mobile qui marque dans quelle proportion l'air contenu
dans le tube a été comprimé par l'introduction de l’eau. Le prin-
cipal inconvénient de cet instrument est du à l’extrème difficulté
de le munir d’un index qui puisse faire apprécier avec exacti-
tude l’espace infiniment restreint dans lequel une colonne d’air,
mème très-longue, est comprimée quand la pression devient
très-grande.
On trouve dans la Géographie physique” de sir John Herschel,
|. Notes on Deep Sea Dredging, by Edward PERCEVAL Wricut, M. D., professor of Zoo-
logv, Trinity College, Dublin. (Annals and Magazine of Natural History, December,
1868.)
2. Physical Geography, from the Encyclopedia Britannica, by sir John HERSCHEL,
p. 45. Edinburgh, 1861.
INTRODUCTION. 29
et dans le Lit de l'Atlantique du D' Wallich, où elle est donnée
dans tous ses détails, la théorie de la distribution de la tempé-
rature aux grandes profondeurs, telle qu'elle parait avoir été
presque universellement admise jusqu'à l'époque de la croisière
du Lightning. On pensait généralement que si la température
de la surface, qui dépend de la radiation solaire directe, de la di-
rection des courants, de la température des vents, et d’autres
causes temporaires et accidentelles, peut varier dans des pro-
portions infinies, celle des grandes et des moyennes profondeurs
est toujours de 4° C., qui est la température de l’eau douce à son
maximum de densité. Il est d'autant plus singulier que cette
théorie ait été si facilement acceptée, que, dès l’année 1833,
M. Despretz? calcula que la température du maximum de densité
de l’eau de mer, laquelle se contracte d’une manière continue
jusqu’au dernier degré supérieur au point de congélation, est
de 3°,67 C.; même avant cette époque, des expériences faites sur
la température de la mer à de grandes profondeurs, et qui cer-
tainement étaient très-exactes, avaient indiqué plusieurs degrés
au-dessus du point de congélation de l’eau douce.
La question de la distribution de la chaleur dans la mer, qui
est du plus grand intérêt par ses rapports avee la distribution
des animaux marins, sera traitée complétement dans un cha-
pitre spécial. Les récentes investigations prouvent qu'il n’y a
point, comme on le supposait, de couche profonde d’eau à une
température invariable de 4° C., mais que la température
moyenne des grandes profondeurs, dans les régions tempérées et
dans les régions tropicales, est d'environ 0° C., point de con-
gélation de l’eau douce. Il se fait un mouvement général d’eau
chaude à la surface, produit probablement par diverses causes,
de l'équateur aux pôles, et un courant inférieur d’eau froide,
des poles à l'équateur. D’après des exemples rapportés princi-
palement par les premières expéditions américaines, de cordes
1. Atlantic Sea-bed, p. 98.
2. Recherches sur le maximum de densité des dissolutions aqueuses. (Annales de
chimie, 1835, tome XIX, p. 54.)
30 LES ABIMES DE LA MER.
de sonde qui ont été entrainées en courbes prolongées dans des
parages ou, d’après la nature du lit, l’eau du fond devait être
tranquille, il paraitrait qu’il existe dans certains endroits des
courants Intermédiaires; mais nous n’avons aucune donnée sur
leurs limites et leur distribution.
Un courant froid, parti des mers polaires, passe ‘sur le fond
de Pocéan Atlantique; ceci est prouvé par ce fait que dans toutes
les parties du monde où l’on a fait des sondages, depuis le cercle
arctique jusqu'à l’équateur, la température tombe à mesure que
la profondeur augmente; elle est plus basse au fond que celle de
la croûte terrestre : il est done évident qu'un renouvellement
continu d’eau froide vient refroidir la surface du sol qui, étant
mauvais conducteur de la chaleur, ne la transmet pas avec une
rapidité suffisante pour que la température du courant froid en
soit modifiée à un degré perceptible. Il est probable qu’en hiver,
dans les parties des mers arctiques qui ne sont pas sous l’in-
fluence directe du bras septentrional du courant équatorial, la
colonne d’eau entière, de la surface jusqu’au fond, tombe au
degré le plus bas qu’elle puisse atteindre sans se congeler, et
forme ainsi une abondante source de l’eau la plus froide et douée
de la plus grande pesanteur spécifique possible.
La marche du courant froid est d’une grande lenteur, car il
existe, sur un vaste espace de l’Océan où règne la température
des grandes profondeurs, un lit de dépôt floconneux, composé
d'organismes microscopiques d’une extréme ténuité, dans lequel
le plomb de la sonde s’est enfoncé parfois à plusieurs pieds, et
qui serait infailliblement entrainé par un courant de quelque
rapidité. Dans tous les endroits où existe un courant appréciable,
le fond consiste en sable, en boue, en gravier ou en cailloux
roulés. Quelquefois aussi lorsqu'on jeta la sonde à de grandes pro-
fondeurs dans la partie centrale de Atlantique, la corde, après
s'être enfoncée d’une longueur qui dépassait de beaucoup la
profondeur réelle, s’est trouvée roulée et enchevètrée juste
au-dessus du plomb de sondage, ce qui indique un état de sta—
gnation à peu près complet.
INTRODUCTION. ol
Dans certaines parties où la conformation des terres ou celle
du fond de la mer circonscrit et localise les courants chauds et
les froids, on trouve ce singulier phénomène d’une zone chaude
avoisinant une zone froide, les deux se touchant sans se mé-
langer, séparées par une ligne parfaitement distincte, bien
qu’ invisible. I] existe un singulier exemple de ce phénomène :
c’est «la muraille glacée » qui longe le bord ouest du Gulf-
stream, sur la côte du Massachusetts ; un autre presque aussi
tranché fut découvert pendant la croisière d’essai du Lightning:
il a été décrit avec détail par le D' Carpenter dans son rapport
sur cette croisière ; nous y reviendrons plus tard.
Il arrive quelquefois qu'à des profondeurs moyennes toute la
masse, de la surface jusqu’au fond, présente une température
anermale à cause du transport, dans une certaine direction,
d’une grande masse d’eau tiède; ceci se voit dans «la zone
chaude » au nord-ouest des Hébrides ; quelquefois aussi la masse
entière de l’eau est très-froide, comme dans « la bande froide »
qui se trouve entre l'Écosse et les Farôer, ainsi que dans la
partie septentrionale de la mer du Nord. Dans les grandes pro-
fondeurs cependant, quand on a dépassé les premières centaines
de brasses, il arrive généralement que le thermomètre baisse
graduellement et très-lentement, jusqu'à ce qu’arrivant au
fond, il atteigne son minimum, un peu au-dessus ou un peu
au—dessous du zéro centigrade.
La température de la mer ne parait pas descendre plus bas
que — 3°,5 C. de froid, et, chose assez singulière, cet
abaissement de température n’est point incompatible avec une
vie animale abondante et vigoureuse; de sorte que, dans
l'Océan, excepté peut-être dans les espaces éternellement
glacés du pôle antarctique, la vie ne parait être nulle part
limitée par le froid. Certains animaux marins, tels que les
Siphonophores, les Salpes, les Méduses cténophores, quoique
doués de l’organisation la plus délicate et la plus compliquée,
supportent parfaitement ce froid rigoureux. Il parait certain
que c’est la température qui règle seule la distribution des
32 LES ABIMES DE LA MER.
espèces. La nature du terrain ne saurait avoir une grande
influence, car sur une ligne de côtes de quelque étendue, tous
les terrains et tous les dépôts peuvent être représentés. Ces
espèces animales habitent un milieu dont la densité est à peu
près égale à celui de la substance de leur corps; la plupart
produisent en grande quantité du frai ou des larves, qui sont
transportés et flottent au loin à la faveur des courants: on pour-
rait donc en conclure que les espèces marines ont toutes les
facilités possibles pour étendre leur aire d'habitation; cependant
la distribution géographique des espèces qui vivent dans les
petites profondeurs est déterminée et souvent mème assez res—
treinte. Malheureusement nous ne connaissons que bien impar-
faitement la répartition générale des espèces marines. Si nous
exceptons les côtes de la Grande-Bretagne, celles de la Scandi-
navie, une partie des côtes de l'Amérique du Nord et de la
Méditerranée, nous ne connaissons absolument rien au delà de
la zone côtière, et, dans tous les cas, rien de ce qui dépasse
10 à 15 brasses.
Le peu que nous en savons comprend seulement la classe des
Mollusques, et encore le devons-nous moins à la curiosité scien-
tifique qu'à la valeur vénale que la passion des amateurs a
donnée à certaines coquilles rares. On peut supposer cependant
que les mémes lois qui règlent la distribution des Mollusques
littoraux et sous-littoraux régissent de la même manière celle
des Annelés, des Echinodermes et des Cœlentérés des eaux
profondes; d’après les recherches qui ont été faites sur la dis-
tribution de ces derniers groupes, il parait avéré qu'il en
est ainsi.
Woodward ‘considérait les Mollusques marins comme oceu-
pant dix-huit « provinces » bien définies, qui offrent le carac-
tère de renfermer la moitié au moins des espèces propres
à chacune d’elles. Edward Forbes admet vingt-cinq de ces ré-
gious; mais il faut se rappeler que, pour ces deux auteurs, la
1. A Manual of the Mollusca. By S. P. Woopwarp. London, 1851, p. 354. (Traduction
francaise par Humbert. Paris, 1869.)
INTRODUCTION. 33
délimitation des trois quarts au moins des régions n’était basée
que sur une connaissance fort imparfaite des plus gros et des
plus remarquables des coquillages. On a observé, pendant les
quelques draguages opérés sur les côtes du Nord-Atlantique
et sur celles de la Méditerranée, à une certaine profondeur
(de 30 à 40 brasses par exemple), que le nombre des espèces
propres à la région draguée, ainsi qu'à celle qui lui confine au
nord, est grandement accru quand l’opération est continuée
dans une zone plus profonde’. Ainsi, dans la province lusi-
tanienne, M. Me Andrew a dragué, sur les côtes de la Galice et
des Asturies, 212 espèces, dont 50 pour 100 étaient communes
aux côtes de Norvége; sur les côtes du sud de l'Espagne,
335 espèces furent ramenées, dont 28 pour 100 se trouvaient
aussi en Norvége (province boréale) et 51 pour 100 en Bre-
tagne (province celtique). Les coquilles communes aux deux
ou trois provinces étaient surtout celles qu'on avait retirées
des grandes profondeurs. Les formes du littoral étaient bien
plus spéciales. Les Mollusques provenant de l'expédition du
Porcupine wont pas encore été complétement étudiés. Ils
sont entre les mains de M. Gwyn Jeffreys, dont le rapport
préliminaire offre un intéressant avant-gout de ce que nous
pouvons espérer lorsque son travail sera terminé. J] annonce
quelque chose comme 250 nouvelles espèces. Il sera question
plus loin de quelques-unes des plus intéressantes de ces es-
pèces, ainsi que des phénomènes généraux ayant trait à leur
distribution.
Les Echinodermes rapportés par l'expédition sont en nombre
plus limité et ont été déjà examinés avec beaucoup de soin.
La distribution des Échinodermes est moins connue que celle
des Mollusques. Il y a beaucoup d'espèces littorales et sous-lit-
torales. Quelques-unes sont localisées, mais beaucoup ont une
distribution géographique qui s’étend ordinairement le long de
ce qu Edward Forbes appelle wre ceinture homæozoïque, une
1. WoopWaRp, loc. cit., p. 362.
Qo
ot LES ABIMES DE LA MER.
bande dont les circonstances climatériques sont semblables, qui
occupe plusieurs degrés de longitude, mais un petit espace en
latitude. Cette classe animale préfère pourtant une profondeur
qui dépasse 20 brasses' et se trouve à l'abri des vicissitudes
violentes de climat. Ces espèces sont remarquables, trés-carac—
térisées, et moins sujettes que d’autres groupes à erreur et
à confusion. Leur histoire est rattachée intimement à plusieurs
des problèmes principaux étudiés dans ce volume ; je veux donc,
en donnant l'esquisse très-sommaire que permettent l'espace
dont je dispose et la somme de mes connaissances actuelles, de
l'accroissement que nos draguages ont apporté à la connaissance
des autres Invertébrés, me servir principalement des Échine-
dermes et des Protozoaires comme exemples généraux.
Les espèces qui habitent les bas-fonds et le littoral doivent
être, plus que les autres, exposées à voir leurs migrations
génées par des « obstacles naturels », tels que l’eau profonde,
qu elles ne sauraient franchir, ou les courants d’eau plus chaude
ou plus froide; elles doivent aussi subir l'influence des vicissi-
tudes locales, comme l’extrème différence de température de
l'hiver à l’été. On doit done les trouver plus circonscrites, plus
locales que celles qui habitent les grandes profondeurs. Les con-
ditions du fond, dans la zone de 20 à 50 brasses, sont bien plus
égales que pres de la surface. La radiation solaire, dans les
régions tempérées, n'a que fort peu d’action sur cette zone, qui
probablement conserve la même température sous bien des
degrés de latitude. Lorsqu’on descend vers le sud, l influence
de la chaleur croissante s’y fait sentir : on peut supposer que la
mème zone s'enfonce de quelques brasses et emporte avec elle
sa température et sa faune. Voici un exemple de ces faits :
Les formes animales qui abondent dans les provinces celti-
ques à 25 brasses, avec une température moyenne de 10° C.,
seront plus nombreuses à 40 ou 50 brasses, avec la même tem-
I. Distribution of Marine Life, by prof. Edward Forges, President of the Geological
Society. (From the Physical Atlas of Natural Phenomena, by Alexander Keith Jonnsrox.
Sdinburgh, 1854.)
>
INTRODUCTION. 30
pérature, dans la province lusitanienne. Cette zone pourra se
prolonger à une grande distance, pendant qu’à la surface le
elimat aura subi bien des variations et que les migrations des
espèces littorales auront, à bien des reprises, été dérangées.
Cependant la zone profonde trouve aussi quelquefois des « ob-
stacles naturels » dans la ligne de jonction des espaces chauds
et froids dont il a été fait mention; cette barrière amène un
singulier triage des espèces qui ne supportent pas le change-
ment de température. C’est ainsi que la faune qui peuple le
courant tempéré de la côte ouest de l'Écosse est très-différente
de celle du courant froid de la côte de Vest.
Si cette superposition de zones existe entre les provinces
lusitanienne et celtique, les mêmes rapports peuvent exister
entre la nôtre et la province boréale ; c’est en effet ce qui arrive,
car la grande majorité des Mollusques dragués par Me Andrew,
Barlee, et surtout par Gwyn Jeffreys, au-dessous de 50 brasses,
est identique à ceux qui ont été trouvés sur la côte de Scan—
dinavie, à des profondeurs moindres. Notre dernier travail, en
faisant ressortir plus complétement la superposition des zones,
a démontré que c’est là une loi générale.
Il paraît probable que la distribution des animaux marins est
déterminée bien plus par les températures extrémes que par les
moyennes. La température moyenne de la surface et des pro-
fondeurs modérées, sur la côte du nord de la Norvége, est
denviron 9° C., et l’extrème d’environ 0° C.; sur la côte du
Groenland, la moyenne tombe à — 1° C., extreme à — ane?
La température de la vallée qui se trouve entre l'Écosse
et Faréer, est, à la profondeur de 500 brasses, de 0° à 1° C., et
l’on trouve dans cette dépression, avec plusieurs formes non
décrites qui sont spéciales aux grandes profondeurs, tous les
Échinodermes signalés jusqu'ici sur les côtes de la Seandinavie
et du Groenland, à l'exception, je crois, de VOphioglypha
Stuwitzii, espèce d’Ophiuride commune aux bas-fonds du
Groenland, et d’une ou deux Holothuries qui ont jusqu'ici
échappé à nos recherches.
36 LES ABIMES DE LA MER.
La température du plateau télégraphique transatlantique de
1000 à 2000 brasses est, selon toute apparence, de 3° à 2° C.,
et à 2500 brasses elle est, dans la baie de Biscaye, de 2° C. De
800 à 2000 brasses, tout le long des côtes ouest de l'Écosse, de
l'Irlande et de la France, nous avons dragué des Échinodermes
scandinaves en grande abondance; des grandes profondeurs
méridionales des côtes du Portugal j'ai recu des exemplaires de
plusieurs des espèces du Nord les plus caractéristiques, telles que
VEchinus elegans, le Toxopneustes drobachiensis, le Brissopsis
lyrifera, le Tripylus fragilis, le magnifique Brisinga coronata,
le Brisinga endecacnemos, le Pteraster militaris, V Ophiacantha
spinulosa, VOphiocten sericeum, V Ophioglypha Sarsi:, V Aste-
ronyx Loveni et VAsterophyton Linchii, dragués par M. Gwyn
Jeffreys en 1870.
Les individus trouvés autour de nos côtes et appartenant
aux espèces des grandes profondeurs des mers du Nord ont
été considérés habituellement comme « détachés des espèces
boréales » (Forbes), ou, dans tous les cas, comme espèces
ayant étendu leur distribution au dela des cercles septentrio-
naux. Cette erreur venait de ce qu’elles ont été découvertes
et décrites d’abord en Scandinavie. Nous ne savons absolument
rien de leurs centres de distribution; tout ce que nous pouvons
dire, c’est qu'elles habitent une zone infiniment étendue, qui
réunit des conditions thermales spéciales, et qu'on les trouve,
ou du moins qu’elles se trouvent, à portée de l’observateur sur
les côtes de la Scandinavie.
Forbes a indiqué, il y a longtemps déjà, l’'analogie en sens
inverse qui existe entre les animaux et les plantes terrestres et
la faune et la flore des mers. Sur la terre, au niveau des mers,
il y a dans les régions tempérées et dans les tropicales une
végétation luxuriante avec une faune non moins abondante.
À mesure que nous franchissons les pentes des montagnes,
les conditions deviennent moins bonnes; les espèces qui pros—
péraient dans les plaines plus favorisées disparaissent et sont
remplacées par des types qui n'ont de représentants que sur
INTRODUCTION. 37
d’autres chaînes de montagnes ou sur les bords d’une mer
arctique. Dans l'Océan se trouvent, le long des côtes et dans
les premières brasses, une faune et une flore riches et variées,
auxquelles toutes les circonstances de climat qui agissent sur
les habitants de la terre font éprouver leur influence. En descen-
dant dans l’intérieur de la masse liquide, les conditions devien-
nent graduellement plus rigoureuses, la chaleur diminue et les
variations de température se sentent de moins en moins. La
faune devient plus uniforme sur une plus grande étendue; elle
est évidemment semblable à celle des bas-fonds des régions
plus froides qui présentent une grande extension latérale.
Plus bas encore l'intensité du froid augmente, jusqu’à ce qu’on
atteigne les vastes plaines ondulées et les vallées du fond de la
mer, avec leur faune en partie spéciale et en partie polaire.
Cette région présente des conditions thermales extrêmes se
rapprochant de celles de surface dans la partie circonscrite par
les cercles arctique et antarctique.
Nous n'avons jusqu'ici que des données bien imparfaites sur la
profondeur à laquelle la lumière pénètre dans la mer. D’après
quelques expériences récentes dont il sera fait mention plus
tard, il paraitrait que les rayons capables d’agir sur un mince
papier photographique sont rapidement interceptés et ne peu—
vent plus se constater à la profondeur d’un très-petit nombre
de brasses. I] est présumable que quelques parties de la lumière
du soleil, possédant certaines propriétés, peuvent pénétrer à une
plus grande distance; mais il ne faut pas oublier que l’eau de
mer la plus limpide est plus ou moins teintée par les molécules
opaques qu’elle tient en suspension et par des organismes flot--
tants, de sorte que les rayons solaires ont à lutter contre quel-
que chose de plus qu’une simple solution saline. I] est certain
qu'au dela des premières cinquante brasses, les plantes sont
a peine représentées, et qu'après 200 brasses elles ont disparu
entierement. La question de la nutrition des animaux dans les
grandes profondeurs devient, par conséquent, trés—intéressante
à étudier. La différence importante entre les végétaux et les ani—
38 LES ABIMES DE LA MER.
maux, c’est que les premiers préparent la nourriture des seconds,
en décomposant certaines substances inorganiques qui ne peu-
vent servir de nourriture aux animaux et en faisant de leurs
éléments des composés organiques qui deviennent propres à les
alimenter. Cette opération cependant ne s’accomplit jamais que
sous l'influence de la lumière. Il parait n’y avoir, au fond de la
mer, que peu ou point de lumière, et il n’y existe bien certaine-
ment d’autres végétaux que ceux qui y tombent de la surface ;
et pourtant dans le fond de la mer les animaux abondent
partout. Au premier abord, il est certainement difficile de com-
prendre comment se soutient la vie de cette vaste multitude
animale, privée, selon toute apparence, de tout moyen de
subsister. Deux explications ont été données. Il est possible que
certaines espèces aient le pouvoir de décomposer l’eau, l’acide
carbonique et l’ammoniaque, et de combiner les éléments de
ces corps en composés organiques, sans l’aide de la lumière. Le
docteur Wallich* soutient cette hypothèse; il croit qu’« aucune
loi d'exception n’est nécessaire, mais qu’au contraire la preuve
que ces animaux possèdent la propriété de transformer, pour
leur propre nutrition, des éléments inorganiques, c’est la faculté,
que nul ne leur conteste, de séparer le carbonate de chaux et la
silice des eaux qui contiennent ces substances en dissolution ».
Ceci cependant parait tout au plus concluant. Toutes les sub-
stances propres à la nutrition des animaux leur sont offertes
finalement en solution dans l’eau, et leur extraction de ces solu-
tions aqueuses ne saurait être regardée comme « une décom-
position chimique ». Il reste encore cette grande différence,
qu'une plante verte exposée au soleil décompose l'acide car-
bonique, ce qu'un animal ne peut faire. Je crois qu'il est une
explication plus simple. Toute eau de mer contient une certaine
quantité de matières organiques en solution et en suspension.
Les provenances en sont plus faciles à indiquer. Toutes les
rivières en contiennent en quantités considérables. Toute côte
1. North Atlantic Sea-bed, p. 131.
INTRODUCTION. 9)
est bordée dune frange d’Algues rouges et verdatres, qui
mesure en moyenne un mille de largeur. Il existe, au mi-
lieu de l'Atlantique, une immense prairie marine (la mer de
Sargasse), qui s'étend sur trois millions de milles carrés. La
mer est pleine d'animaux qui sans cesse meurent et se décom-
posent. La somme de matière organique produite par ces causes
et par d’autres encore peut s’apprécier. L'eau de mer a été
soumise à l'analyse pendant les différentes croisières du Por—
cupine, et chaque fois la quantité de matière organique appré-
ciée et démontrée ; la proportion a été trouvée la même partout
et à toutes les profondeurs. Presque tous les animaux, aux
profondeurs extrêmes (et mème tous les animaux, car le petit
nombre de ceux qui appartiennent aux formes élevées se nour-
rissent des inférieurs), appartiennent à une sous-division, les
Protozoaires, dont le trait distinctif consiste en ce qu'ils n’ont
aucun organe spécial de nutrition, mais qu'ils absorbent la
nourriture par toute la surface de leur corps gélatineux. La
plupart de ces animaux sécrètent d’imperceptibles squelettes,
quelques-uns formés de silice, d’autres de carbonate de chaux.
Il n’y a aucun doute qu'ils extraient ces substances de l’eau de
la mer, et il parait être plus que probable que la matière orga—
nique dont sont formées leurs parties molles est tirée de la
même source. Il est parfaitement compréhensible qu’une foule
d'animaux puisse subsister dans ces sombres abimes; mais
il est nécessaire qu'ils appartiennent surtout à des espèces
susceptibles de se nourrir par l'absorption, au travers des
membranes de leur corps, des matières tenues en dissolution.
Ils ne développent que peu de chaleur et n’en dépensent ane
tres-peu par l’activité vitale.
D’après cette hypothèse, il parait vraisemblable qu’à toutes
les époques de l’histoire de la terre, quelques formes de Pro-
tozoaires (Rhizopodes où Éponges) prédominaient beaucoup sur
toute autre forme de la vie animale, dans les profondeurs des
régions chaudes de la mer. Les Rhizopodes, comme les Coraux
d’une zone moins profonde, forment de colossales accumula-
10 LES ABIMES DE LA MER.
tions de carbonate de chaux, et e’est probablement à leur
action que nous devons attribuer ces immenses bancs de cal-
eaire qui ont résisté à l’eflet du temps, et qui, semblables à des
bornes milliaires, viennent marquer par leurs couches succes—
sives la marche des siècles.
Tindholm,
CHAPITRE II
CROISIÈRE DU LIGHTNING
Projets d’exploration du fond des mers. — Ce qu'on espérait de ces recherches. —
Correspondance entre le conseil de la Société Royale et PAmirauté. — Départ de
Stornoway.— Les îles Farder.— Singuliére température dans le détroit des Farôer. —
La vie abondante à toutes les profondeurs. — Brisinga coronata. — Holtenia Car-
penteri. — Résultats généraux de Pexpédition. — Appendice A. — Détails sur la pro-
fondeur, la température observées aux diverses stations du vaisseau de S. M. le
Lightning pendant Vété 1868. Les températures sont corrigées suivant les
pressions.
*, Les chiffres placés entre parenthèses au bas des figures correspondent aux stations
indiquées sur la planche I.
Au printemps de l’année 1868, mon ami le D' W. B. Car-
penter, alors l’un des vice-présidents de la Société Royale, était
avec moi en Irlande, où nous nous occupions ensemble à étudier
la structure et le développement des Crinoides. J'avais depuis
longtemps déjà la conviction que la terre promise du natura—
liste, la seule région où il existe encore des nouveautés en
nombre infini et d’un intérêt extraordinaire, ¢’était le fond des
mers. Ces richesses sont destinées à ceux qui disposeraient
des moyens de les recueillir; j'avais même entrevu quelques-uns
de ces trésors, car le professeur Sars m'avait montré les formes
animales dont j'ai déjà parlé et qui ont été draguées par son
fils aux iles Loffoten. Je communiquai mes idées à mon com—
pagnon de travail, et nous causdmes souvent sur ce sujet tout
en travaillant à nos microscopes. J’engageai fortement le
D' Carpenter à user de son influence pour décider l'Amirauté,
par Ventremise du conseil de la Société Royale, à mettre à
notre disposition un vaisseau muni d'instruments de draguage
12 LES ABIMES DE LA MER.
et d'appareils scientifiques, afin de résoudre plusieurs ques-
tions importantes touchant les phénomènes des grandes profon-
deurs. Après beaucoup d’objections, le D' Carpenter promit son
active coopération, et nous convinmes que je lui écrirais, à son
retour à Londres, pour indiquer d’une manière générale les
résultats que j'espérais obtenir, et tracer le plan d’études qui
me paraissait devoir être couronné de succès. Le conseil de la
Société Royale appuya chaudement la demande, et l’on trouvera
plus loin, dans son ordre chronologique, la brève correspon—
dance qui eut pour résultats de faire mettre par l’Amirauté
à la disposition du D' Carpenter et à la mienne la canonnière
le Lightning, sous ies ordres du commandant d'état-major May,
pour faire une croisière d’essai au nord de l’Écosse en 1868;
plus tard, le vaisseau deS. M. le Porcupine, sous la direction du
capitaine Calver, fut désigné pour l'exploration d’une région
beaucoup plus vaste. M. Gwyn Jeffreys prit part à ces dernières
croisières dans les étés de 1869 et 1870.
Lettre du professeur Wyville Thomson au D* Carpenter.
Belfast, 30 mai 1868.
La dernière fois que je vous vis, je vous exprimai de quelle impor-
tance il serait pour l'avancement de la science de pouvoir préciser avec
exactitude les conditions et la distribution de la vie animale dans les
grandes profondeurs de l'Océan ; je viens reprendre les faits et les consi-
dérations qui me font supposer que des recherches faites dans ce but
donneraient des résultats précieux.
Toutes les expériences récentes tendent à infirmer l'opinion d'Edward
Forbes, qu'on doit arriver, à la profondeur de quelques centaines de
brasses, à un zéro de vie animale. Il y a deux ans que M. Sars, inspec-
teur des pêcheries du gouvernement suédois, eut l’occasion, dans l’exer-
cice de son emploi officiel. de draguer aux îles Loffoten, à une profondeur
de 300 brasses. Je visitai la Norvége peu de temps après son retour et
examinai avec son père, M. le professeur Sars, quelques-uns des résultats
de ses draguages. Les formes animales s'étaient trouvées abondantes ;
plusieurs étaient nouvelles pour la science, et dans leur nombre se trou-
vait le petit Crinoide dont vous possédez un spécimen et qui a été re-
connu de suite pour un type dégradé des Apiocrimide, ordre regardé
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 43
jusqu'ici comme disparu, qui atteignait son maximum de développement
dans le calcaire à Entroques de la période jurassique, et dont le dernier
représentant connu jusqu'ici était le Bourguetticrinus de la craie. Quel-
ques années auparavant, M. Absjornson, en draguant à 200 brasses dans
le Hardangerfjord, obtint plusieurs exemplaires d’une Astérie (Brisinqga)
qui paraît avoir son plus proche allié dans le genre fossile Protaster. Ces
expériences mettent hors de doute que la vie animale esi abondante dans
l'Océan à des profondeurs qui varient de 200 à 300 brasses, que les formes
animales de ces grandes profondeurs diffèrent beaucoup de celles que
ramènent les draguages ordinaires, et que certainement, dans quelques
cas, ces animaux paraissent descendre en droite ligne de la faune des
premières périodes tertiaires.
Il me semble qu'on eût pu prévoir ce dernier résultat ; il est présu-
mable que les expériences futures viendront ajouter beaucoup à ces don-
nées, et nous fourniront l’occasion de nous assurer de l’exactitude de nos
classifications et des affinités zoologiques de quelques types fossiles, par
l'examen des parties molles de leurs représentants actuels. La principale
cause de la disparition, des migrations et des modifications extrêmes des
types animaux paraît être le changement de climat, produit surtout par
les oscillations de la croûte terrestre. Ces oscillations ne doivent pas avoir
dépassé, dans les parties nord de l’hémisphère septentrional, 1000 pieds
depuis le commencement de l’époque tertiaire. Au 39° degré de longi-
tude, la température des grandes profondeurs paraît être constante
à toutes les latitudes; il faut donc que sur une immense étendue de
l'Atlantique du Nord les oscillations tertiaires et posttertiaires aient été
sans effet.
Quelques autres questions du plus haut intérêt scientitique devront
être résolues par les investigations projetées :
1° L'effet de la pression sur la vie animale à de grandes profondeurs.
Il existe beaucoup d'erreurs sur ce point. Il est probable qu’une pression
parfaitement égale, quelle que soit sa force, demeure sans effet. L'air étant
très-compressible et l’eau fort peu, il est à croire que, soumise à une
pression de 200 atmosphères, l’eau peut être plus aérée encore, ct, sous
ce rapport, plus favorable à la vie qu'elle ne l’est à la surface.
2° L'effet de l’extrème élimination du grand stimulant, la lumière.
D'après les conditions de la faune des cavernes, ce dernier agent n’affecte
guère probablement que la coloration et les organes de la vue.
Je ne doute pas qu’avec une drague pesante sans être volumineuse, et
quelques milles de solide corde de chanvre de Manille, on ne parvienne
à draguer à 1000 brasses de profondeur. Une pareille tentative cepen-
dant, à cause des distances et du travail nécessaire, dépasse la portée
d’une entreprise particulière. Ce que je désire vivement, c’est que l’Ami-
rauté puisse être amenée (peut-être à la demande du conseil de la Société
Royale) à envoyer, pour exécuter ces recherches, un vaisseau semblable
MA LES ABIMES DE LA MER.
»
à l’un de ceux qui ont fait les sondages nécessités par la pose du câble.
Je serai tout prêt à partir en Juillet, et si vous vouliez prendre part à ces
travaux, je crois que les résultats en seraient satisfaisants.
Je proposerais de partir d’Aberdeen, de nous diriger d’abord sur les
bancs de pêche de Rockall, où la profondeur est modérée, et de là, au
nord-ouest, vers la côte du Groenland, un peu au nord du cap Farewell.
Nous nous maintiendrions ainsi à peu près sur l’isotherme de 39 degrés;
nous atteindrions promptement une profondeur de 1000 brasses, où, en
déduisant 1000 pieds pour les oscillations de niveau et 1000 pieds pour
l'influence des courants de surface, il nous resterait encore 4000 pieds
d’eau dont les conditions n’ont probablement pas beaucoup varié depuis
le commencement de l’époque éocéne.
Tout à vous.
Wrvit_e THomson.
Lettre du D' Carpenter au Président de la Société Royale.
Université de Londres, Burlington-House, 18 juin 1868.
Mon CHER GENERAL SABINE,
Pendant un récent séjour à Belfast, j'ai eu l’occasion d’examiner quel-
ques-uns des spécimens envoyés par le professeur Sars, de Christiania,
au professeur Wyville Thomson, et péchés par M. Sars junior, inspec-
teur du gouvernement suédois, au moyen de draguages opérés à de
grandes profondeurs sur les côtes de Norvége. Ces spécimens sont du
plus grand intérêt au double point de vue de la zoologie et de la paléon-
tologie, ainsi que l'explique la lettre ci-incluse du professeur Wyville
Thomson, et leur découverte ne peut manquer d’excitér chez les natu-
ralistes et les géologues un vif désir de voir la zoologie des grandes
profondeurs, particulièrement dans la région de l'Atlantique du Nord,
devenir le but d’explorations plus méthodiquement entreprises et plus
complètes qu'elles ne l’ont été jusqu'ici. D’après ce que je sais de vos
travaux scientifiques, je ne saurais mettre en doute votre complète sym-
pathie sur ce sujet.
De pareilles explorations ne peuvent être entreprises par de simples
particuliers, même avec l’aide pécuniaire de sociétés scientifiques. Pour
draguer à des profondeurs considérables, il faut pouvoir disposer d’un
très-grand vaisseau, d’un équipage bien dressé, tel enfin qu’il ne s’en
trouve que dans la marine de l’État. C’est à l’aide de pareils moyens,
fournis par le gouvernement suédois, que les recherches de M. Sars ont
pu se faire.
Il y a dansce moment-ci, sur nos côtes du nord et sur celles de l’ouest,
#
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 45
. un nombre inusité de canonnières et d’autres croiseurs qui demeurent
probablement dans leurs stations jusqu’à la fin de la saison, et l’idée est
venue à M. le professeur Wyville et à moi que l’Amirauté, sollicitée par
le conseil de la Société Royale, consentirait peut-être à mettre un de ces
vaisseaux à notre disposition et à celle des naturalistes qui pourraient être
désireux de faire partie de notre expédition, dont le but serait d'exécuter
une série méthodique de draguages profonds; les recherches dureraient
un mois ou six semaines et commenceraient dans les premiers jours du
mois d'août prochain.
Malgré notre désir de pousser cette étude, soit comme étendue géogra-
phique, soit comme profondeur, aussi loin que le propose la lettre de
M. le professeur Wyville Thomson, nous jugeons préférable de nous
borner, dans la circonstance actuelle, à faire une demande qui, nous
le croyons, n’entrainera pas la dépense accessoire d’un tender (bateau a
charbon). Nous nous proposerions de faire de Kirkwall ou de Lerwick
notre port de départ, d'explorer le fond de la mer entre les îles Shetland
et Faréer, en draguant autour des côtes et dans les fiords de ces der-
niéres (qui n'ont pas été encore, que je sache, examinées scientifique-
ment); après quoi, nous nous dirigerions vers les profondeurs du nord-
ouest, entre les Farôer et l'Islande, aussi loin qu'il nous serait possible
de le faire.
Il serait désirable que le vaisseau désigné pour le service fit en état de
marcher à la voile aussi bien que par la vapeur; car nos opérations devant
nécessairement être lentes, la fesse ne serait pas nécessaire. On épar-
enerait beaucoup de peine et de labeur à l'équipage en ayant à bord une
petite grue à vapeur ‘ dont on se servirait pour remonter la drague.
Si le conseil de la Société Royale Juge à propos de présenter cette
requête à l’'Amirauté, j'espère qu’il consentira à mettre à la disposition de
M. le professeur Wyville et à la mienne une somme de 100 livres prise
sur les fonds destinés aux donations ou sur ceux alloués par le gouver-
nement ; elle suffira aux dépenses que nous devrons faire pour nous
procurer une provision d'alcool et de bocaux destinés à la conservation
de nos échantillons, ainsi que quelques autres objets pour des usages
scientifiques. Nous promettons de déposer au British Museum les plus
rares de ces spécimens.
Je vous serai bien reconnaissant de porter cette requête devant le con-
seil de la Société Royale, et je suis, etc.
Wicrram B. Carpenter.
I. Cette grue à vapeur, sur les steamers de toutes les nations, s'appelle le « petit
cheval ». (Note du traducteur.)
46 LES ABIMES DE LA MER.
Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale.
18 juin 1868.
Ces lettres ayant été lues, il a été décidé : « Que les propositions de
MM. Carpenter et Wyville Thomson étant approuvées, seraient recom-
mandées à l’examen bienveillant des autorités de Amirauté, et qu'une
somme qui ne dépasserait pas 100 livres sterling serait prise sur les fonds
destinés aux donations, pour faire face aux dépenses indiquées dans la
lettre du D' Carpenter. »
Le projet suivant d’une lettre adressée par le secrétaire de la Société
au secrétaire de l’Amirauté a été approuvé :
My Lord, je suis chargé de vous apprendre, afin que par votre entre-
mise les Lords commissaires de |’ Amirauté en soient instruits, que le
président et le conseil de la Société Royale viennent de recevoir commu-
nication d’un projet conçu par le D" Carpenter, vice-président de Ja
Société Royale, et le D' Wyville Thomson, professeur d'histoire naturelle
au Collége de la Reine à Belfast. Ils se proposent d'exécuter des dra-
guages à des profondeurs plus considérables qu'aucune de celles qui ont
été fouillées dans les parages qu'ils veulent explorer; le but principal de
ces recherches est d'obtenir des données certaines sur l’existence, le mode
de vivre et les rapports zoologiques des animaux marins qui vivent à de
grandes profondeurs, en vue de la solution de divers problèmes touchant
la vie animale, problèmes qui ont une grande importance pour les études
géologiques et paléontologiques. Le but des opérations qu'ils désirent
entreprendre, le plan qu'ils se proposent de suivre, ainsi que l'appui qu'ils
désirent obtenir de l’Amirauté, sont développés dans la lettre du D" Car-
penter au président et dans celle du professeur Wyville Thomson, dont
je vous envoie ci-joint des copies.
Le président et le conseil étant d'avis qu'on peut attendre de l’entre-
prise proposée des résultats importants pour la science, ils la recom-
mandent à l'attention bienveillante du gouvernement de Sa Majesté, et
désirent vivement que les Lords commissaires de l’Amirauté se montrent
disposés à accorder l’aide demandée. Dans ce cas, le matériel scientifique
nécessaire serait fourni sur les fonds dont dispose la Société Royale.
Je suis, ete., etc.
W. Suarpey, Sec. R.S.
Lord H. Lennox, T.P., secrétaire de? Amiraute.
=
1
CROISIÈRE DU LIGHTNING,
Extrait des procès-verbaux du conseil de la Societe Royale
du 20 octobre 1868.
De lAmirauté, 14 juillet 1868.
En réponse à votre lettre du 22 courant, dans laquelle vous exposez
une proposition du D' Carpenter et de M. le professeur Wyville Thomson,
d'examiner, au moyen de draguages, le fond de la mer dans certains
parages, afin de constater l’existence ct les rapports zoologiques de cer-
tains animaux à de grandes profondeurs, recherches que vous-même et le
conseil recommandez dans l'intérêt de la science à la bienveillante atten-
tion du gouvernement de Sa Majesté, je suis chargé par Leurs Seigneurics
les Lords commissaires de lAmirauté de vous apprendre qu’ils ont bien
voulu répondre à vos désirs, autant que le permet l'intérêt du service, ct
qu'ils ont donné des ordres pour que la canonnière à vapeur le Lightning
soit disposée immédiatement, à Pembroke, pour les opérations de dra-
guage que vous vous proposez d'exécuter.
Je suis, monsieur, etc.
W. G. Romaine.
Au President de la Societe Royale.
On verra par ces lettres de mon collègue et de moi-méme
quelles étaient nos idées et nos espérances. Nous avions plus que
des doutes sur ces régions incompatibles avec la vie, régions
dont on admettait alors généralement l'existence, et nous comp-
tions sur la possibilité de retrouver un lien de parenté entre les
espèces vivantes de la mer profonde et les fossiles de quelques—
unes des formations géologiques les plus récentes, que nous
considérions comme leurs ancêtres directs. Nous partagions
l'erreur étrange et générale qui avait cours alors, au sujet de
la distribution de la température dans Océan; c’est à peine
si Le fait que cette croyance erronée à l'existence d’une tempé—
rature constante et universelle de 4° C. au delà d'une certaine
profondeur variant d’après la latitude, croyance qui était ac-
ceptée et enseignée par tout ce qui jouissait de quelque autorité
dans l'étude de la géographie physique, peut être alléguée
comme une excuse de quelque valeur.
48 LES ABIMES DE LA MER.
Depuis le moment où l’Amirauté nous eut autorisés à faire
usage pour nos recherches d’un vaisseau de l'État, les travaux
et les préparatifs du D" Carpenter devinrent incessants, et il est
incontestable que e’est à son influence dans le conseil de la So-
ciété Royale et à la confiance qu'inspirait sa haute intelligence
aux membres du gouvernement qu'il faut rapporter le succès
de l’entreprise.
La canonniére le Lightning (VÉclair) fut désignée pour faire
ce service; petit vaisseau passé depuis longtemps à l’état de
sabot, on pouvait lui rendre ce très-peu rassurant témoignage
qu'il était probablement le plus ancien des vapeurs à roues de
tout le service de Sa Majesté. Nous etimes peu de bon temps dans
le Lightning. Imparfaitement étanche, il pouvait à peine tenir la
mer, et comme le temps fut presque toujours déplorable pendant
les six semaines que dura notre navigation, on peut se faire une
idée de ce qu’elle eut de pénible. Les crochets de fer et les bou-
lons qui soutenaient le gréement tombaient de vétusté ; plusieurs
furent emportés, et à deux reprises le vaisseau courut de sérieux
dangers. Malgré tout cela le voyage fut presque agréable. Le
commandant d'état-major May était récemment arrivé de la baie
d’Annesley, où il avait été maitre de port pendant la guerre
d’Abyssinie; sa vive intelligence, les excellents rapports que
nous etimes avec ses officiers, qui nous secondérent de tout leur
pouvoir et prirent une large part à la réussite des essais que
nous pumes tenter dans les grandes profondeurs, adoucirent
autant que possible cette expérience, bien nouvelle cependant
pour nous.
Le Lightning quitta Pembroke le 4 août 1868 et arriva à
Oban dans la soirée du 6. Cest là que le D' Carpenter, son fils
Herbert et moi le rejoignons. Après avoir fait les observations
nécessaires pour régler les chronomètres, pris du charbon, de
l’eau et terminé nos préparatifs, nous quittons Oban le 8 août
pour jeter l'ancre le même soir dans la baie de Tobermory ; après
une traversée orageuse du Minch, nous atteignons Stornoway
dans la soirée du 9. Nous sommes accueillis à Stornoway par
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RSS
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CROISIÈRE DU LIGHTNING. 49
sir James et lady Matheson avec cette courtoisie hospitalière qui
à bien des reprises nous a fait quitter leur royaume insulaire
avec des regrets que je ne saurais comparer qu'au plaisir que
nous éprouvions à y revenir. On embarque tout le charbon qu'il
nous est possible de porter, et l’on en entasse même sur le pont,
dans des sacs, autant qu'il est prudent de le faire. Une grue
est établie à la poupe pour remonter la drague, et après avoir
pris nos dernières observations, nous nous dirigeons vers le nord
dans la matinée du 11. Dans la même après-midi, à 15 milles
environ du promontoire de Lews, à une profondeur de 60 à
100 brasses, nous jetons la sonde pour essayer notre attirail de
draguage, notre petite machine accessoire, et pour déterminer
les limites des espèces des bas—fonds. Tout notre matériel fone-
tionne très-bien, mais la drague ne ramène qu'un petit nombre
de formes animales, et toutes étaient connues dans la mer des
Hébrides. Une brise du nord-est souffla avee force pendant
trois jours, et nous forca à rester en panne et sans voiles,
dérivant vers le nord dans la direction des Farôer ; il ne pou-
vait être alors question de draguer. Le 13, pendant une accal-
mie, nous sondons sans trouver de fond à 450 brasses (sta-
tion 1, pl. 1), avec un minimum de température de 9°,5 C., celle
de la surface étant de 12°,5 C. Cette température nous parait
si élevée pour la profondeur à laquelle elle avait été prise, que
nous soupconnons quelque erreur dans les indications données
par les thermomètres (trois des instruments enregistreurs sur
six étaient faits d’après les modèles du Bureau hydrographique).
Des observations postérieures, faites sur le même point, nous
prouvèrent cependant que, dans cette région, la température,
à la profondeur de 600 à 700 brasses, est la mème que la tem-
pérature moyenne du courant nord du Gulf-stream.
Les rivages des Farôer sont très-fréquentés par des bateaux
pêcheurs anglais et étrangers. Leur but est surtout la prépa-
ration du poisson salé et fumé; beaucoup de vaisseaux anglais
sont construits à réservoirs et fournissent de Morues fraiches
le marché de Londres.
50 LES ABIMES DE LA MER.
Un grand réservoir carré occupe le centre du vaisseau ; les
parois en sont percées de trous qui permettent à l’eau d’y cir-
culer librement. De cette manière l’eau intérieure est toujours
parfaitement fraiche et renouvelée ; les Morues de première qua-
lité y sont renfermées et supportent très-bien le voyage. Il est |
très-curieux de voir ces grands animaux se mouvoir avec grace
dans ces réservoirs, comme des poissons rouges dans un globe
de cristal.
La présence de l’homme ne parait pas les effrayer, et leurs
longues têtes lisses et tachetées, leurs bouches énormes et leurs
yeux sans paupières et privés de toute intelligence, en font des
êtres plus étranges qu’attrayants. Ils aiment à être frottés ou
grattés, parce qu'ils sont infestés de Caliges et de plusieurs
autres espèces de Crustacés parasites. Quelquefois l’un d’eux vient
tranquillement prendre dans la main le Crabe, le gros Fusus
ou le Buccin qu’on lui offre; avec un léger mouvement il le fait
descendre à travers son large gosier dans un estomac, où il est
promptement désagrégé par d’énergiques sues gastriques. Dans
un navire que j'eus l’occasion de visiter, une des Morues avait
éprouvé je ne sais quel accident qui avait nui à sa vente, et était
demeurée dans le réservoir, oùelle avait fait plusieurs fois la tra-
versée entre Londres et Farôer; elle jouissait des bonnes graces
de l’équipage. Les matelots disaient qu'elle les connaissait. Elle
était dans le réservoir avec beaucoup d’autres quand je visitai le
bateau, et il est certain qu’elle arrivait toujours la première
à la surface pour recevoir un Crabe ou un morceau de biscuit,
et qu'elle frottait très-affectueusement sa tête et ses épaules
à la main que je lui tendais.
Le 15 et le 16, nous draguons sur les côtes de Faroer, à une
profondeur de 200 à 50 brasses. Le fond est formé de graviers
et de Nullipores. La température est de 8° à 10° C. Ces côtes
pullulent d’Etoiles de’mer fragiles et communes, l’Ophiothrix
fragilis, du Homard de Norvége, Nephrops norvegicus, de gros
Crabes-araignées, de plusieurs espèces des genres Galatea et
Crangon. Une nourriture préférée si abondante explique suffi-
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 51
samment le grand nombre et l'excellente qualité de la Morue
et de la Lingue dans ces parages.
Le terrain est rocailleux sur les côtes de Farôer, et malgré
toutesles précautions possibles et l’emploi des « accumulateurs »
de Hodge pour diminuer la tension des cordes de draguage,
nous y avons perdu deux de nos meilleures dragues et quel-
ques centaines de brasses de corde. Dans la matinée du 17 nous
arrivons en vue de Farôer : mais, comme à l'ordinaire, le petit
archipel se dérobait aux regards derrière le rideau de brouil-
lards dont il est constamment enveloppé; ce n’est que de temps
en temps, a la faveur de quelques éclaircies, que nous lui jetons
un rapide coup d'œil. Vers midi le temps s’améliore, et en navi-
guant parmi les iles pour gagner le petit port de Thorshaven,
nous jouissons pour la première fois du spectacle magique de
leurs contours vaporeux partiellement voilés de blanches nuées;
leurs teintes d’un vert et d’un brun si doux sont atténuées en-
core par la lumière aretique dont elles sont éclairées; leurs
pentes, sillonnées de ruisseaux, qui se précipitent en cascades
par-dessus les rochers, ressemblaient à des rubans argentés.
Le terrain des Farôer est basaltique ; ce sont des terrasses
superposées d’anameésite, qui se décompose facilement et date
probablement de l’époque miocène. Cette nature uniforme et
l'absence d'arbres et de tous autres végétaux élevés offrent un
aspect singulièrement monotone. Les habitations sont éparses,
de couleur terne et recouvertes de gazon vert, ce qui les rend
absolument invisibles à une petite distance, Nous avons été
frappés parfois de la difficulté d'apprécier les hauteurs et les
distances à cause de l’absence d'objets familiers de comparai-
son; il nous était difficile de savoir, en naviguant parmi les îles
et en les examinant à travers l’atmosphère humide et trans-
parente, si telle sommité avait 500 pieds d’élévation ou trois
ou quatre fois plus. La moyenne entre ces estimations est en
général ce qui se rapproche le plus de la vérité.
Thorshaven, la capitale de Faréer, est une étrange petite loca-
lité. Le terrain descend par une pente assez rapide jusqu’à une
52 LES ABIMES DE LA MER.
baie autour de laquelle la ville est bâtie. Les habitations sont
perchées parmi les rochers, et toutes les parties qui offraient une
surface un peu plane ont été mises à profit pour les construc-
tions; le résultat est irrégulier, pittoresque et fort original : le
parcours des principales « rues » est une véritable ascension.
Au-dessus de la ville, sur un espace libre, une pelouse et un
jardin en miniature s’étendent devant l'habitation du gouver-
neur, joli cottage de bois qui rappelle les villas de faubourg des
cités de la Scandinavie.
Farôer et son climat humide, son ciel sans soleil, ses précaires
récoltes d'orge, ses chaumières recouvertes de gazon et ses
silencieuses petites églises, ses beaux rochers, ses promontoires
et ses criques fréquentées par l’Eider et le Puffin, ses robustes
et bienveillants insulaires, avec leurs mœurs demi-irlandaises,
demi-danoises, si simples et si originales, a été souvent décrite:
elle a été un lieu de repos plein de charme au milieu de nos
labeurs dans ces parages septentrionaux. Nous y avons fait deux
séjours d’une semaine chacun, pendant deux années consé-
cutives. Le plus agréable souvenir que chacun de nous conser-
vera de ces expéditions sera toujours celui que nous a laissé
l'accueil cordial et sympathique de M. Holten, le gouverneur
danois, et de sa charmante femme. M. Holten nous a reçus avec
la plus affectueuse hospitalité, et a fait, en toute occasion, tout
ce qui était en son pouvoir pour nous aider et pour seconder nos
désirs. Il nous a mis en rapport avec les principaux habitants
de son gouvernement, et c’est pendant les soirées passées sous
son toit que nous avons appris les choses qui concernent cette
petite colonie, la plus primitive peut-être et la plus isolée de
toute l’Europe. J’ai eu déjà le plaisir de dédier au gouverneur
Holten une Éponge singulièrement belle, trouvée pendant notre
traversée de retour; M™ Holten, dont le crayon gracieux m’a
fourni les paysages qui terminent si à propos ces chapitres,
voudra bien, je l'espère, accepter la dédicace de ce volume, en
souvenir de la grande bienveillance que nous avons toujours
trouvée auprès delle et chez son excellent mari.
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 53
Le temps est si mauvais jusqu'au 26, qu'il est impossible de
chercher à poursuivre nos travaux; nous demeurons en panne
dans le port de Thorshaven. Toutes les fois que la chose est pra-
ticable, nous draguons dans les fjords de Faréer avec des bateaux
et des hommes du pays; nous faisons la connaissance de Syssel-
mann Müller, le représentant de Farôer au parlement danois :
il a fait une étude approfondie des Mollusques du pays, et fourni
des indications pour une liste publiée en 1867 par M. le docteur
O. A. L. Môrch. La faune de bas-fonds n’y est pas abondante ;
ce qui arrive fréquemment quand le sol est une couche de
trapp en décomposition. Elle est d’une nature intermédiaire
entre celle des Shetland et celle de la côte de Scandinavie. Les
formes animales qui nous ont paru les plus intéressantes sont
le Fusus despectus (L.), beau coquillage qui pourrait bien n’être
qu'une variété bien distincte du Fusus antiquus (L.). S'il en est
ainsi, cette variété a une limite de distribution restreinte, car
elle ne se trouve que fort rarement et seulement dans les gran-
des profondeurs des mers britanniques. Dans les profondeurs
moyennes, autour des Faréer, elle est abondante et remplace,
selon toute probabilité, le Fusus antiquus. Un autre coquillage
commun aux Faréer est le Zellina calcarea (Chemnitz), très-
abondant parmi les fossiles des argiles de l’époque glaciaire,
mais non encore trouvé vivant dans les mers britanniques. Il se
montre en couches régulières dans les argiles glaciaires près de
Rothesay, accompagné du Mya truncata (L.), var. Uddevallensis
(Forbes), du Saxicava norvegica (Sprengler), du Pecten islan-
dicus (0. F. Müller), et d’autres formes animales du Nord, et
fréquemment dans un état de conservation tel, que les deux
valves ont leur position naturelle et sont encore réunies par le
ligament. Nous trouvons dans un des fjords une variété assez
remarquable de l'Échinus sphæra (0. F. Müller), accompagné
d'un Echinus Fleemingii (Ball) de grande taille, et ce qui nous
paraît être une petite variété de Cucumaria frondosa (Gunner)
se rencontre en grande abondance dans les bas-fonds et dans les
touffes enchevétrées des Algues. |
x
=
LES ABIMES DE LA MER.
Pendant que nous étions retenus dans le port de Thorshaven,
la canonnière danoise Fylla et le transport à vapeur français
l'Orient y entrèrent, revenant d'Islande; ces deux vaisseaux, à
leur retour du Nord, avaient été assaillis par le mauvais temps
et se trouvaient heureux de pouvoir se mettre à l’abri. La pré-
sence des trois navires de guerre rendit la petite capitale fort
animée, et fournit au gouverneur de nombreuses occasions
d'exercer l'hospitalité. Le 26 août, le baromètre s’étant un peu
élevé et le temps donnant quelques signes d'amélioration, nous
quittons Thorshaven et cinglons vers le sud, pour draguer, s'il
est possible, dans le profond canal qui sépare les Farôer des
Shetland. Mais dans la soirée le temps redevient mauvais, une
violente rafale du nord-ouest s'élève, et le baromètre retombe
à 29,08. Les crochets et les boulons du gréement se détachent
lesuns après les autres, etnous sommes sur le point de perdre le
grand mât. La bourrasque dure jusqu’au 29, et alors seulement
le temps redevient plus calme ; après être restés en panne pen—
dant près de trois jours, dérivant vers le nord-est, nous jetons
la sonde par 60° 45’ de lat. N. et 4° 49” de long. O. (station 6).
La profondeur est de 500 brasses, et la température du fond0°C.
Pendant la soirée du 29 et la journée du 30, le temps fut suffi-
samment beau pour nous permettre de nous servir de notre
appareil de draguage : ces premiers essais étaient du plus
grand intérêt, puisque nous n'avions pas eu encore l’occasion
den faire à une si grande profondeur. L'opération se fit pour-
tant sans difficulté, et chaque coup de drague eut un heureux
résultat. Le fond se composait de sable et de gravier provenant
en grande partie de la désagrégation des antiques rochers du
plateau écossais. La vie animale n’y est pas surabondante,
cependant plusieurs groupes y sont convenablement représentés,
Des Rhizopodes de grande taille y sont nombreux, et nous y
trouvons plusieurs Crustacés et Échinodermes remarquables ;
parmi ces derniers, un exemplaire de l Astropecten tenwispinus
d'une brillante nuance écarlate, qui remonta embarrassé dans
la corde.
CROISIÈRE DU LIGHTNING 55
Le mauvais temps revient le 31, et nous ne pouvons ni sonder
ni draguer. Le 1° septembre, nous tentons un sondage de
température à 550 brasses, avec 1°, 2 C.; mais nous ne pou-
vons faire aucun travail sérieux. Le jour suivant, 2 septembre,
le temps s'étant amélioré, nous draguons tout le jour à une
profondeur de 170 brasses seulement, sur un bas-fond assez
limité, que nous ne sommes pas parvenus à retrouver quand,
l’année suivante, nous l'avons cherché avec le Porcupine. Là
nous trouvons une faune abondante et variée, mélange de
formes animales celtiques ct scandinaves. Le fond consiste
surtout en petits cailloux arrondis d’anamesite brune des
Farôer, et adhérant isolément ou par petits groupes, comme
des fruits à une branche, de nombreux et gros spécimens du
rare Brachiopode le Terebratula cranium (0. F. Müller), avec
grande abondance de la forme plus commune le 7erebratulina
Caput-serpentis, (L.).
Le jour suivant, 3 septembre, nous sommes de nouveau dans
les grandes profondeurs, à 500 brasses environ, avec une tem-
pérature de fond un peu inférieure au point de congélation, le
thermomètre marquant à la surface 10°, 5 C. Ici nous avons pris
des représentants de plusieurs groupes d’Invertébrés, Rhizo-
podes, Éponges, Échinodermes, Crustacés et Mollusques ; un
magnifique spécimen d’une nouvelle Astérie qui a été décrite
depuis par M. G. 0. Sars sous le nom de Brisinga coronata
(figure 5). Le genre Brisinga a été découvert en 1853 par
M. P. Chr. Absjérnsen, qui a cette époque dragua plusieurs
spécimens d’une autre espèce, le Brisinga endecacnemos (Absj.),
à une profondeur de 100 à 200 brasses, dans le Hardangerfjord.,
sur la côte de Norvége, un peu au-dessus de Bergen. Ce sont
vraiment d’étonnantes créatures. A première vue, elles semblent
tenir le milieu entre les Ophiurides et les Astéries : leurs bras,
trop épais et trop mous pour qu on les compte parmi les pre-
miéres, sont plus longs et plus fragiles que chez ces dernières.
Le disque est petit et mesure de 20 à 25 millimètres de dia-
mètre : chez le Brisinga endecacnemos, il est à peu près lisse;
o0 LES ABIMES DE LA MER.
chez le Brisinga coronata il est hérissé de spicules. Le tuber—
cule madréporique est sur la surface dorsale, tout près du bord
Fic. 5. — Brisinga coronata, G. O. Sars, Grandeur naturelle. (N° 7.)
du disque. Un anneau solide de tubercules calcaires forme
et renforce les bords du disque; c’est à cet anneau que les
bras, au nombre de dix ou onze, viennent se rattacher (onze est
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 57
probablement un nombre anormal). Ils ont quelquefois jusqu’à
30 centimètres de longueur; minces à la base, qui rentre dans
l’anneau, ils ont un renflement très-marqué à mi-longueur,
partie où les ovaires se développent, puis ils s’amincissent de
nouveau jusqu'à leurs extrémités. Des rangées de longs spicules
bordent les sillons ambulacraires ; les spicules sont recouverts
d’un épiderme mou, qui, tant que l’animal est complétement
frais, forme comme un petit sac transparent et plein de liquide
à l'extrémité de chaque spicule. La peau molle qui recouvre
les spicules est garnie de pédicellaires, qui sont également
répandus en groupes sur la surface des bras et du disque.
Les bras du Brisinga endecacnemos sont à peu près lisses, côtelés
transversalement de distance en distance par des espèces d’an—
neaux calcaires qui les entourent irrégulièrement et imparfaite-
ment. Chez le Brisinga coronata, ces anneaux sont surmontés
de crétes formées de spicules. Les deux espèces sont d’une belle
nuance cramoisi passant au rouge orangé. Les bras se détachent
facilement du disque. Nous n’avons jamais pu ramener un indi-
vidu de l’une ou de l’autre espèce à peu près complet; mais,
même en fragments, ils constituent encore les objets les plus
remarquables qu’on puisse voir. Un seul suffisait pour répandre
un brillant reflet sur tout ce qui se trouvait avec lui dans la
drague. « Le nom de Brisinga est emprunté à un bijou brillant
(Brising) de la déesse Freya. » N’y a-t-il pas là un charmant
parfum de paganisme scandinave ? « J’ai trouvé, à l’aide de la
drague, cette brillante Astérie à Hardangerfjord, à la fin
d'août 1853. Elle était placée à la profondeur de 100 à 200
brasses, sur la paroi presque verticale d’une montagne qui
paraissait descendre abruptement de 80 ou 90 brasses jusqu'à
200 et au delà. Elle est assez rare. Pendant huit jours et plus
de draguages ininterrompus, pratiqués dans les mêmes pa-
rages, je ne ramenai que quelques bras et un fort petit nombre
d'individus de grosseurs variées, dont le plus petit mesurait
6 pouces d’une extrémité à l’autre de deux bras opposés, et
le plus grand 2 pieds. Tous se trouvaient plus ou moins endom—
58 LES ABIMES DE LA MER.
magés. C’est un animal très-fragile, et, comme les Comatules
et quelques espèces d’Ophiolepis et @ Ophiothriz, il semble se
défaire de ses bras par un effort violent lorsque la pression
diminue et qu'il est remonté à la surface de l’eau. Les membres
se séparent toujours au point où ils sont attachés à l’anneau
du disque. Leur poids et leur longueur, disproportionnés au
volume du corps, rendent assez difficile leur extraction de la
drague, opération pendant laquelle on est très-exposé à les
briser, Malgré toutes mes précautions et la chance heureuse
de pouvoir les saisir avant qu'ils sortissent de l’eau, je ne par—
vins à conserver qu'à deux des disques une paire de bras, et
encore la peau qui les recouvrait était-elle déchirée. Complet
et intact, ainsi que je l’ai vu une ou deux fois sous l’eau, dans
la drague, cet animal est singulièrement brillant; c'est une
véritable gloria maris"! »
Le temps implacable interrompt encore notre travail pen-
x
dant deux jours. Cependant nous parvenons à exécuter un
sondage le 5 septembre, par 60° 30° de latit. N., et 7° 16’
de longit. O., sans trouver de fond à 450 brasses, avec
une température minimum qui approchait du point de congé-
lation. On verra sur notre carte que les cinq dernières stations
(du n° 7 au n° 11) dessinent une ligne oblique du S$. E. au N. 0.,
entre l'extrémité nord des Orcades et ies côtes de Faréer. Le
fond est un mélange de gravier et de sable, parsemé de plaques
de boue; aux n° 7 et 8, ce sont principalement les débris
des roches métamorphiques du nord de l'Écosse, et aux
n® 9, 10 et 11, les fragments volcaniques du trapp de
Farôer. Ce tracé de sondages est entièrement inclus dans ce
que plus tard nous avons appris à appeler « zone froide », le
thermomètre, dès qu’on dépassait 300 brasses, indiquant une
température tantôt un peu au-dessus, tantôt un peu au-dessous
de 0° C.
1. Description d’un nouveau genre d’Astéries, par P. Chr. ABSJüRNSEN, dans la Fauna
littaralis Norvegiæ, par D' Sars, J. Koren et D. C. DANIELSSEN, 2° livraison. Bergen,
1856, p. 96.
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 59
En approchant des bancs de pêche de Farüer, nous faisons
route vers le sud, et dans la matinée du 6 septembre nous
sondons et draguons par 59° 36’ de latit. et 7° 20’ de longit.,
avec une profondeur de 530 brasses et une température « de
zone chaude » de 6°,4 C. Ici le draguage est des plus inté~
ressants. Pour la premiére fois nous trouvons le limon de
l'Atlantique, boue fine, calcaire, adhérente, d’une teinte gris
bleu, mélangée de sable et d’une forte proportion de Globige-
rine. Nous ramenons, enduites de ce limon, un nombre consi-
dérable d’Eponges siliceuses, de formes nouvelles et remar-
quables. La plupart appartiennent à un ordre déjà décrit il y a
deux ans par l’auteur de cet ouvrage, sous la dénomination de
Porifera vitrea, et qui, peu connu alors, nous est devenu très-
familier comme habitant les zones profondes. Depuis, M. le pro-
fesseur Oscar Schmidt, travaillant sur des données plus com
plètes, a classé ce groupe plus exactement comme famille, sous
le nom d’Æ/exactinellidæ, dénomination que j adopterai ici.
Les rapports et les particularités de ce singulier groupe seront
développés dans la suite de cet ouvrage. Les formes les plus ori-
ginales que nous ayons trouvées dans cette station sont : le beau
Nid marin des pècheurs de Requins de la baie de Setubal, l’ Ho/-
tenia Carpenteri(Wyv. Thoms.) (fig. 6), et, plus étrange encore,
V Hyalonema lusitanicum (Barboza du Bocage), proche parent
des Éponges du Japon en verre filé, qui ont jeté les naturalistes
dans de si longues perplexités avant de pouvoir déterminer leur
rang et leur position dans les séries animales, ainsi que leurs
rapports avec leur constant compagnon, le Palythoa parasite.
L’Holtenia Carpenteri est une sphère de 90 à 100 milli-
mètres de longueur. A sa partie supérieure se trouve un oscule
(environ 30 millimètres de diamètre ; de cette ouverture part
un conduit cylindrique qui se termine en forme de coupe après
avoir traversé verticalement la substance de l’Éponge jusqu’à la
profondeur de 55 millimètres. La paroi extérieure de l’Éponge
est faite d’un treillis compliqué de spicules à cinq pointes. Une
des pointes de chaque spicule plonge dans le corps de l'Éponge,
60 LES ABIMES DE LA MER,
et les quatre autres, plantées à angles droits, forment une sorte
de croix à la surface: cette disposition donne à l'animal un bel
aspect étoilé, Les pointes siliceuses de chaque étoile se recour-
Ex
SRS
Set
Pedy
nt. >
ENS
Fic. 6. — Holtenia Carpenteri, WYvILLE THomson. Demi-grandeur naturelle. (No 12.)
bent dans la direction des pointes de l'étoile voisine, elles se
rencontrent et se prolongent en lignes parallèles. Toutes les
pointes de tous les spicules sont enduites d’une matière épaisse,
eélatineuse, demi-transparente, qui unit les pointes voisines par
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 61
un lien élastique et garnit les angles de chaque maille d’une
substance visqueuse. Cet arrangement des spicules, qui, bien
qu'indépendants, adhèrent pourtant les uns aux autres par des
liens élastiques, produit un tissu flexible, extensible et d'une
grande résistance. La cavité cylindrique de l'intérieur de
l'Éponge est doublée d’un réseau à peu près semblable.
Quand l’Éponge est vivante, les intervalles du filet siliceux
sont garnis à l’intérieur et à l’extérieur d’une membrane fe—
nestrée très-minee, formée d’un liquide glaireux semblable à du
blanc d'œuf, et qui est constamment en mouvement, étendant
ou contractant les ouvertures des mailles, et glissant sur la
surface des spicules. Cette substance (sarcode), qui est la chair
vivante de l’EKponge, renferme un nombre infini de spicules
presque imperceptibles, dont les formes élégantes et originales
caractérisent chaque espèce d’Éponge. Un courant d’eau conti-
nuel, provoqué par l’action de cils, s’introduit par les ouver-
tures de la paroi extérieure, traverse les mailles de la substance
intermédiaire, déposant dans tous les interstices des matières
organiques en solution et des particules nutritives, et s'échappe
par l'ouverture supérieure. Sur un tiers environ du volume de
l’Éponge et à sa partie supérieure, rayonne, semblable à une
collerette, une masse de spicules siliceux et hérissés, pendant
que du tiers inférieur s'échappe une masse de filaments déliés
et semblables à du verre filé ou à de fins cheveux blancs, qui,
pénétrant dans le limon à demi fluide, soutiennent l’Kponge sur
cette espèce de pied, en élargissant indéfiniment sa surface, sans
augmenter son poids d’une manière appréciable.
Ce n’est là qu’un des moyens par lesquels les Éponges se fixent
dans le limon des grandes profondeurs. L’ Hyalonema plonge dans
la boue molle une torsade de vigoureux spicules dont chacun
a la grosseur d’une aiguille à tricoter. Cette torsade s'ouvre en
brosse à mesure que le lit devient plus ferme, et enracine solide-
ment l’Éponge asa place. Une curieuse Kponge trouvée dans les
grandes profondeurs, aux îles Loffoten, s'étale en plateau mince
et circulaire, et augmente à volonté sa surface en y ajoutant
62 LES ABIMES DE LA MER.
une bordure de spicules soyeux semblable à une frange de soie
aplatie et blanche, autour d’un petit paillasson jaune. Le ravis-
sant Huplectella, dont le corps charmant est enfoui jusqu’à son
oscule ciselé dans les boues grisatres des Philippines, est sou-
tenu par une ruche de spicules qui se redressent autour de sa
partie supérieure comme la fraise de la reine Elisabeth.
Les Eponges du limon des grandes profondeurs sont loin de
ne former qu’un seul groupe. Les Hexactinellide sont peut-être
les plus abondantes ; mais les Éponges cortiquées elles-mêmes,
alliées de près à celles qui nous paraissent si roides, quand nous
les voyons immobiles sur les rochers des bas-fonds, plongent
de longs spicules et se balancent dans les boues molles (fig. 7).
M. Gwyn Jeffreys a dragué en 1870 sur les côtes du Portugal,
plusieurs petits exemplaires d’Halichondride ornés de longs
appendices fibreux.
D’après son extérieur quand il arrive du fond, l’Æoltenia vit
évidemment enfoui dans la vase jusqu'à sa frange supérieure
de spicules. Récemment draguée, cette Éponge est enduite d’une
substance (sarcode) demi-fluide d’un gris pale, couverte de Glo-
bigerinæ, Triloculine, et d’autres Rhizopodes, et chargée, dans
nos parages septentrionaux, de la petite Ophiuride, Amphiura
abyssicola (Sars), et de la coquille diaphane et délicate du
Pecten vitreus (Chemnitz). L’Holtenia s'étend du promontoire
de Lews jusqu’à Gibraltar, à la profondeur de 500 à 1000 brasses.
M. Saville Kent, draguant dans le yacht de M. Marshall Hall,
Norna, sur les côtes du Portugal, en a découvert une curieuse
variété qui, d’après sa forme plus aplatie, plus hémisphérique,
et ses spicules d’ancrage plus roides, vit probablement sur un
terrain plus ferme’.
Comme on pouvait s’y attendre, 4 cette station, la vase de
l'Atlantique, riche en Rhizopodes, lesquels constituent une abon-
dante nourriture aux autres espéces, avec un climat relative-
1. On the Hexactinellide, or Hexradiate spiculed silicious Sponges, taken in the
Norna expedition of thé coast of Portugal ; with Description of new Species and Revi-
sion of the Order. By W. Saville Kent, of the Geological Department, British Museum
(Monthly Microscopic Journal, November 1870.)
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 63
ment doux, a donné plusieurs formes vivantes appartenant
à des espèces diverses. Avec les Globigerine et d'autres petites
formes animales, on trouve plusieurs gros Rhizopodes, entre
autres le Rhabdammina abyssorum (Sars), forme remarquable-
Fis. 7. — Tisiphonia agariciformis, WYvILLE THowsox. Grandeur naturelle. (N° 12.)
ment régulière, à trois pointes, trés—dure et d’une belle couleur
orange. D'après des analyses faites par le D" Williamson à la
requête du D’ Carpenter, sa dureté proviendrait. du ciment dont
l’animal construit « son étui», qui contient du phosphate de fer :
c’est le seul exemple qui soit à notre connaissance de l’emploi de
cette substance à un pareil usage. L’Astrorhiza limicola (San-
dahl), gros Rhizopode irrégulier protégé par un test mollasse
recouvert de boue et de sable; plusieurs gros Cornuspiræ et
Tertularie, des Biloculine et Triloculine de grande taille, ainsi
que d’autres Miliolines ; quelques Zoophytes, et particulièrement
64 LES ABIMES DE LA MER.
la curieuse Plume de mer, Kophobelemmon Mülleri (Sars); le
beau Corail à branches, Lophohelia prolifera (Pallas). Parmi les
Kchinodermes, quelques belles variétés d’Echinus norvegicus
(D. et K.), PE ehinus elegans (D. et K.), V Ophiocten sericeum
(Forbes), et V Ophiacantha spinulosa (M. et T.) qui parait être
universellement répandu dans les grandes profondeurs ; lin
téressant petit Crinoide Rhizocrinus loffotensis (Sars), qui sera
décrit un peu plus loin; quelques remarquables Crustacés, et
parmi les plus beaux un Munida écarlate, dont les yeux, grands
et brillants, ont le lustre et les teintes du cuivre poli.
Nous nous rapprochons de Stornoway, que nous atteignons le
9 septembre, draguant en route dans des profondeurs de moms
en moins considérables, et pourtant faisant encore des trouvailles
intéressantes, telles quel’Antedon celticus (Barrett), recueilli déjà
par M. Gwyn Jeffreys sur les côtes du Ross-shire, et une grande
abondance de Cidaris papillata(Leske), espèce regardée jusque-
là comme accessible exclusivement au collectionneur anglais,
mais qui a été reconnue depuis comme la plus commune des
grandes formes vivantes des mers britanniques, aux profon—
deurs de 250 à 500 brasses.
Le temps était devenu plus favorable. J'étais malheureuse-
ment forcé d'aller reprendre mes travaux à Dublin; mais, à cause
des résultats déjà obtenus, le D' Carpenter désirait vivement
poursuivre les recherches sur la température et la vie animale
dans des profondeurs plus grandes encore; il pensa, et le capi-
taine May avec lui, que malgré la saison avancée, il serait pos—
sible d’essayer une courte croisière un peu plus à l’ouest, dans
des parages où des sondages exécutés précédemment avaient
indiqué une profondeur qui dépassait 1000 brasses. Ainsi done,
après s'être ravitaillé, ce dont sous plus d’un rapport il avait
grand besoin, et avoir autant que possible remplacé l’attirail de
draguage qu'il avait perdu, le Lightning sortit encore une fois
du port de Stornoway, le 14 septembre.
Après un trajet de 140 milles dirigé au N. 0. du promon-
toire de Lews, on fit un sondage le 15 septembre au matin, par
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 65
59° 59’ de lat. et 9° 15’ de long., avec fond de limon atlantique
à la profondeur de 650 brasses (station 14). A 60 milles plus
loin, toujours au N. O.,une autre tentative, le 18, à 570 brasses ;
la sonde ne ramena guère que des Globigerine entières, sem—
blables à des grains du plus fin sagou; 50 milles plus loin, dans
la même direction, on trouva le fond à 650 brasses, mais cette
fois le plomb de sonde ainsi que trois thermomètres furent mal-
heureusement perdus, de sorte que la température ne put être
constatée. La drague fut pourtant descendue à cette profondeur,
plus grande de 120 brasses que celles de toutes les autres sta
tions; l'épreuve réussit trés-bien, le filet ramena 125 kilogrammes
de boue grisatre et glutineuse. Cette vase était partout traversée
par les longs et soyeux filaments des Éponges, et à 50 brasses
de la drague se trouvaient deux touffes blanches de ces soies,
adhérant à la corde, certainement arrachées du fond, car dans
leurs mailles se trouvaient encore engagés des Ophiurides, de
petits Crustacés et un ou deux Annélides tubiformes. Dans ce
limon se trouvait-encore une Plume de mer très-remarquable,
que M. le professeur Kôülliker, qui a entrepris la description et
la classification des captures faites pendant nos expéditions, at-
tribue à une nouvelle espèce sous le nom de Bathyptilum Car-
penteri, et enfin quelques gros Foraminifères. Le D' Carpenter
se dirigea ensuite droit au nord, désirant arriver au creux
profond qui sépare les Hébrides et Rockall, et dans la matinée
du 17 septembre, il sonda par une profondeur de 620 brasses,
par 59° 49° de lat, et 12° 36’ de longit., avec une température
«de zone chaude ».
Le temps se gata de nouveau, devint trop mauvais pour per-
mettre de travailler, et continua à empirer jusqu’à la matinée
du 29; on se trouvait en vue de Sainte-Kilda avec un vent violent
et une grosse mer. Le lundi 21, on était à la pointe sud des Hé-
brides, près de Barra-Head, avec un vent d’est assez fort, le ba-
rometre très-bas, et des apparences peu rassurantes ; le capitaine
May ne jugea pas prudent de reprendre la mer. Après avoir
délibéré avec le D" Carpenter, ils décidèrent de cesser leurs
_
J
66 LES ABIMES DE LA MER.
travaux, descendirent le détroit de Mull, et, dans la même jour-
née, jetèrent l'ancre à Oban.
Là le D'Carpenter ainsi que son jeune fils, qui avait virile-
ment supporté toutes les fatigues et les privations de cette croi—
sière et n'avait pas peu contribué à égayer ses anciens pendant
les heures pénibles, quittèrent le navire et gagnèrent par terre
le sud de I’ Angleterre.
Le mauvais sort continua à poursuivre le Lightning. Après
deux jours passés à Oban, le capitaine May partit pour Pem—
broke le 24 septembre. Le 25, près de Calf of Man, le baromètre
tomba subitement : le vents’élevait, la mer commençait à s’agiter ;
il se décida à gagner Holyhead, quand tout à coup, sans que le
vent ou la mer eussent augmenté de violence, les manœuvres de
l'avant cédèrent par suite de la rupture des crochets de fer qui
les retenaient. Le mat, heureusement, ne tomba pas, et après
une heure passée en réparations provisoires, le Lightning reprit
sa marche et vint jeter l’ancre dans le nouveau port d'Holyhead-
vers six heures du soir.
Les résultats généraux de l'expédition du Lightning sont,
dans leur ensemble, aussi satisfaisants que nous osions espérer.
Le vaisseau n’était certainement pas organisé pour le but qu’on
se proposait, et pendant tout le voyage le temps fut fort mau-
vais. Sur les six semaines qui se sont écoulées entre notre départ
@Oban et notre retour, dix journées seulement ont pu être
employées au draguage en pleine mer, et sur ces dix nous n’en
avons eu que quatre pendant lesquelles la profondeur draguée
ait dépassé 500 brasses. A notre retour, le D" Carpenter présenta
ala Société Royale un rapport préliminaire Sur les résultats gé—
néraux de l’expédition; ceux-ci parurent au conseil de la Société
suffisamment nouveaux et importants pour motiver une instante
requête à l’'Amirauté, en insistant sur l'opportunité de continuer
des recherches dont le début, malgré des circonstances défavo—
rables, avait été couronné de succès.
Il est hors de doute qu’une faune abondante et variée, repré-
sentée par tous les groupes d’Invertébrés, s'étend jusqu'à 650
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 67
brasses et au delà, malgré les conditions extraordinaires aux-
quelles les êtres vivants sont assujettis.
On a reconnu que les eaux de la mer, loin d’avoir, au delà
d’une certaine profondeur, comme on l'avait cru jusque-là, une
température uniforme de 4° C., peuvent, sous l’influence d’un
courant arctique, et à toute profondeur que n’atteignent pas les
rayons solaires, tomber à une température de — 2° C. Nous
avons prouvé que de grandes masses d’eau, à des températures
très-diverses, se meuvent dans des directions particulières,
entretenant un remarquable système de circulation océanique
et cependant maintenues dans des limites si tranchées, qu'il
suffit souvent d’une heure de navigation pour passer de la cha-
leur extrème au froid excessif.
Taorshaven.
Nous avons pu démonter enfin que la plupart des formes ani -
males qui vivent dans les grandes profondeurs appartiennent
à des espèces demeurées jusqu'ici inconnues, et nous avons
ouvert ainsi aux naturalistes un champ d'exploration aussi inté-
ressant qu'illimité.
De plus, il est bien prouvé aujourd’hui que plusieurs de ces
68 LES ABIMES DE LA MER.
animaux des grandes profondeurs appartiennent à des espèces
identiques avec celles des fossiles tertiaires, supposées éteintes,
pendant que d’autres représentent les groupes disparus d’une
faune plus ancienne encore : ainsi, les Éponges siliceuses
celairent et expliquent les Ventriculites de la craie.
CROISIÈRE DU LIGHTNING. 69
APPENDICE A
Détails sur les profondeurs, les températures et les positions des diverses
stations du vaisseau de Sa Majesté le Lightning, pendant l'été
de 1868 : les températures sont corrigées suivant les pressions.
NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE
des en de la LATITUDE. LONGITUDE.
STATIONS. BRASSES. SURFACE,
i) cf) t
(4,1 C. 60 45 N.
10,5 60 7
60.
60 2
60
59 36
CHAPITRE III
CROISIÈRES DU PORCUPINE
Équipement du vaisseau. — Premier voyage sous la direction de M Gwyn Jeffreys,
sur les côtes ouest de l'Irlande et dans le détroit qui sépare Rockall de l'Écosse. —
Le draguage poussé jusqu’à 1470 brasses. — Changement de projet. — Second voyage
à la baie de Biscaye. — Réussite du draguage à 2435 brasses. — Troisième croisière
dans le canal entre Faréer et les Shetland. — La faune de la région froide.
APPENDICE A. — Documents et rapports officiels sur les préliminaires des explorations
faites par le vaisseau garde-côte le Porcupine, pendant l'été de 1869.
APPENDICE B. — Détails sur les profondeurs, la température, et la position des diverses
stations draguées par le vaisseau de Sa Majesté le Porcupine, pendant l'été de 1869.
, Les numéros des gravures de ce chapitre, placés entre parenthèses, se rapportent à
ceux des stations de draguage indiquées sur les planches I, III et IV.
Le 18 mars 1869, une communication orale nous fut faite
par l’ingénieur-hydrographe de la marine, pour nous annoncer
que les Lords de l’Amirauté, prenant en considération le désir
exprimé par le conseil de la Société Royale, venaient de dési-
ener le vaisseau de surveillance côtière le Porcupine pour le
mettre à la disposition de l'expédition.
L'équipement du Porcupine se fit rapidement sous la direc-
tion de son commandant le capitaine Calver; tout Vattirail
scientifique fut surveillé par le D' Carpenter, assisté d’une com-
mission composée des officiers et de quelques membres de la
Société Royale. Quoique petit, le Porcupine était bien adapté au
travail qu’on allait lui demander; parfaitement en état de tenir
la mer, d’une stabilité exceptionnelle et aménagé pour des
voyages de surveillance. Le capitaine Calver et ses officiers,
rompus dès longtemps aux rudes devoirs et à la responsabilité
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 71
qu’entraine l'inspection de la côte orientale de la Grande-Bre-
tagne, étaient habitués à la plus minutieuse exactitude, et con—
naissaient à fond le maniement des instruments et tout ce quia
trait aux expériences scientifiques. L’équipage se composait en
grande partie de Shetlandais, hommes connus et éprouvés, qui
avaient déjà passé plusieurs étés consécutifs sur le Porcupine,
commandés par le capitaine Calver. Ils hivernent chez eux aux
Shetland, lorsque le vaisseau est au port, et que les officiers
rendent compte de leurs travaux au quartier général à Sun-
derland. |
Le travail de la drague s’est toujours exécuté sous la sur-
veillance du capitaine Calver, que son adresse et son expérience
rendirent, dès le début, si complétement maitre de l’opération,
qu'il n'a éprouvé aucune difficulté à la faire dans des profon-
deurs qui jusque-là avaient été réputées inaccessibles. On ne
saurait trop se louer de l’habileté qu'il a déployée, de son acti-
vité et du bon vouloir dont il a toujours fait preuve pour nos re-
cherches; e’est avec un sentiment de bien grande satisfaction
que je rends aux autres officiers du Porcupine, au commandant
d'état-major Inskip, à M. Davidson et au lieutenant Browning,
ce témoignage, qu'ils ont apporté le zèle le plus chaleureux à
seconder leur commandant dans ses efforts pour nous aider
à atteindre le but de notre expédition, et dans sa sollicitude
pour le bien-être de tous ceux qui en faisaient partie.
Le voyage du Porcupine pendant l’été de 1869 devant se
prolonger bien plus longtemps que celui du Lightning et em
brasser un plus grand nombre de sujets d'étude, exigeait des
préparatifs plus compliqués et plus considérables. La commis-
sion de la Société Royale réclamait l'examen sérieux de plu-
sieurs questions importantes ayant trait aux conditions phy-
siques et à la composition chimique de l’eau de mer ; les curieux
résultats obtenus pendant la dernière croisière avaient été
savamment exposés par le D° Carpenter dans son rapport pré-
liminaire et avaient excité l'intérêt et la curiosité à un tel point,
que leur étude approfondie fut jugée d’une importance égale
12 LES ABIMES DE LA MER.
à celle de la distribution et des conditions de la vie animale
dans les grandes profondeurs. Il fut décidé que les natura-
listes chargés de diriger l'expédition seraient accompagnés de
préparateurs accoutumés aux travaux de chimie et de physique;
la soute aux cartes fut organisée en laboratoire temporaire et
pourvue d'appareils et de microscopes.
Le vaisseau était disponible du commencement de mai jus-
qu'au milieu de septembre, mais ceux qui avaient dirigé la
première exploration ne pouvaient abandonner si longtemps
leurs travaux habituels; il fut done résolu qu’on organiserait
trois expéditions. M. Gwyn Jeffreys, dont la coopération était
d'autant plus précieuse qu'il avait fait une étude spéciale des
Mollusques fossiles et vivants et des lois de leur distribution, fut
associé au D' Carpenter et à moi : il accepta la direction scien—
tifique du premier voyage.
M. Gwyn Jeffreys était accompagné de M. W. Lant Carpenter :
en qualité de chimiste et de physicien. Pendant cette première
croisière, on fit l'exploration de la côte occidentale de l'Irlande,
du bane du Porcupine et du canal qui sépare Rockall de la côte
écossaise. Il avait été convenu que la seconde expédition, sous
la direction de l’auteur de cet ouvrage, avec M. Hunter, prépa-
rateur au laboratoire de chimie de Belfast, se dirigerait de
Rockall vers le nord jusqu’au point où nous nous étions arrêtés
l’année précédente ; pour des raisons quiseront expliquées, nous
dumes changer nos plans, et la seconde expédition se fit dans la
baie de Biscaye. Le D' Carpenter prit la direction de la troi-
sième, pendant laquelle nous repassämes soigneusement sur le
parcours du Lightning pour contrôler nos premières observa-
tions. C’est M. P. Herbert Carpenter, notre jeune compagnon du
Lightning, qui avait la tâche d’analyser l’eau et de déterminer
la quantité d’air qui s’y trouvait contenue et sa composition ;
quant à moi, je m’y trouvais en surnuméraire et tachai de me
rendre utile d’une manière générale.
Les différents appareils destinés à diverses expériences, pré-
parés sous la surveillance du D' Carpenter avec les conseils des
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 13
hommes spéciaux, seront décrits en expliquant les méthodes
employées et les résultats obtenus.
Sur la recommandation de M. Gwyn Jeffreys, on admit, en
qualité d'aides pour les draguages, M. Laughrin (de Polperro),
vieux marin garde-eôte, correspondant de la Société Linnéenne,
chargé du draguage et du criblage des matériaux, et M. B.S.
Dodd, dont la mission consistait à trier, nettoyer et conserver
les spécimens obtenus. Ils demeurèrent tout l'été avec nous.
La première croisière du Porcupine commença sous la direc-
tion scientifique de M. Gwyn Jeffreys le 18 mai pour finir le
13 juillet, et embrassa 450 milles le long des côtes de l'Irlande
et de l'Écosse, depuis le cap Clear jusqu’à Rockall, comprenant
Lough Swilly, Lough Foyle et le canal du Nord jusqu’à Belfast.
Les draguages commencèrent à 40 milles de Valentia, dans
110 brasses, avec fond de vase et de sable. Les produits de ce
premier draguage donnent une idée juste de la faune qui peuple
la zone de 100 brasses sur la côte occidentale d'Irlande. Les
Mollusques sont, pour la plupart, des espèces septentrionales,
telles que : Newra rostrata (Sprengler), Verticordia abyssicola
(Jeffreys), Dentalium abyssorum (Sars), Buccinum Humphrey-
sianum (Bennett) et Plewrotoma carinatum (Bivona). Quelques-
unes pourtant, comme l’Ostreacochlear (Poli), V Aporrhais Serre-
sianus (Michaud), le Murex lamellosus (Cristofori et Jan) et le
Trochus granulatus (Born), sont des formes méditerranéennes
et communiquent à l’ensemble un caractère presque méridional.
Le Cidaris papillata (Leske), VEchinus rarispina (G. 0. Sars),
l’'Echinus elegans (D.et K.), le Spatangus Raschi (Lovén) et plu-
sieurs variétés de Caryophyllia borealis (Fleeming) y abondent :
ces espèces paraissent être abondantes à la profondeur de 100 à
200 brasses, depuis la Méditerranée jusqu’au cap Nord.
Après avoir fait du charbon à Galway, le Porcupine se dirigea
vers le sud; le temps étant rude et peu encourageant, on dra-
gua dans les bas-fonds de 20 à 40 brasses dans la baie de
Dingle. La semaine suivante une amélioration étant survenue,
on continua les draguages à la hauteur de Valentia, et entre
74 LES ABIMES DE LA MER.
Valentia et Galway, dans des profondeurs qui variaient de 80 à
808 brasses (station 2), avec une température, à la dernière de
ces profondeurs, de 5°,2 C. Le caractère général de la faune
est celui que jusqu ici nous avons considéré comme septentrional.
Plusieurs prises intéressantes furent faites : le Vucula tumi-
dula (Malm.), le Leda frigida (Torrell), le Verticordia abyssicola
(Jeffreys) et le Siphonodentalium quinquangulare (Forbes).
Parmi les Échinodermes, une multitude d’individus appartenant
à la grande forme de l’Echinus norvegicus (D. et K.), que je
serais disposé à regarder, ainsi que plusieurs de ses alhés,
comme une simple variété de VEchinus Fleemingii (Ball), et la
Fic. 8. — Gonoplax rhomboides, FABRICIUS. Individu jeune, double de la grandeur naturelle (n° 3.)
belle Astérie dont j'ai fait mention, Brisinga coronata (G7
Sars). Quelques intéressants Crustacés, y compris le Gonoplas:
rhomboides (Fabr.) (fig. 8), espèce méditerranéenne bien connue,
et un jeune spécimen de Geryon tridens (Kroyer) (fig. 9), forme
scandinave rare et seul Crustacé brachyure du nord de ?Eu-
rope qui n'ait jamais été pris dans les mers de la Grande-
Bretagne.
C’est ici que les thermomètres de Miller-Casella ont été pour
la première fois essayés et comparés avec ceux d’une construc-
tion ordinaire. Le minimum marqué sur l’un des premiers était
de 5°,2 C., tandis que celui que marquait l’un des meilleurs
instruments construits d’après le modèle du Bureau hydrogra-
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CROISIÈRES DU PORCUPINE. 75
phique accusait 7°,3 C. Cette différence de 2° C. étant ce que le
résultat d’une expérience faite précédemment avait indiqué
comme la conséquence d’une pression égale à une tonne par
pouce carré, ce qui est à peu près l’équivalent de la pression
exercée par une colonne d’eau de mer de 800-brasses, cette
coincidence valut aux indications de l’instrument protégé par
line enveloppe rigide un accroissement de confiance que toutes
les expériences subséquentes ont pleinement justifiée.
M. Gwyn Jeffreys et ses compagnons procédèrent ensuite à
l'examen du lit de la mer entre Galway et le Bane du Porcupine,
bas-fond découvert pendant une des croisières précédentes de
Fic. 9. — Geryon tridens, Kroyer. Individu jeune grossi deux fois. (n° 7.)
notre petit vaisseau sous les ordres du lieutenant Hoskyn de la
marine royale. Le draguage le plus profond de cette excursion
fut à 1230 brasses, avec une température minimum de 3°,2 C.,
et un fond de boue grisätre fortement mélangée de sable. Les
animaux abondaient, même à cette grande profondeur : parmi
les Mollusques, plusieurs formes nouvelles voisines de Arca; le
Trochus minutissimus (Mighel), espèce de l'Amérique du Nord,
et plusieurs autres; divers Crustacés et quelques intéressants
Foraminifères. Comme précédemment, dans les draguages pro-
fonds les Miliolines étaient de grande dimension, et les gros
Cristellaires passaient par toutes les phases de leur développe-
76 LES ABIMES DE LA MER.
ment, depuis la forme rectiligne jusqu'à la spirale. Dans les
draguages moins profonds de cette croisiére, la faune ressem—
blait beaucoup à ce que nous l’avions vue auparavant. Son
caractére principal .était ce que nous appelions le « facies » du
Nord, probablement, ainsi que cela a été expliqué, parce que la
faune des grandes profondeurs, qui s’étend largement à la tem-
pérature de 0° à + 3° C., n’a été étudiée qu’à la hauteur des
côtes de la Scandinavie, où elle abonde à portée de l’obser-
vateur.
Ces draguages amenèrent : le Limopsis aurita (Brocchi),
l’Arca glacialis (Gray), le Verticordia abyssicola (Jeffreys), le
Dentalium abyssorum (Sars), le Trochus cinereus (Da Costa),
le Fusus despectus (L.), le Fusus islandicus (Chemn.), le Fusus
fenestratus (Turt), le Columbella Haliweti (Jeffreys), le Cidaris
papillata (Leske), V Echinus norvegicus (D. et K.), et le Lopho-
helia prolifera (Pallas).
Le Porcupine alors entra dans le port de Killibeg, sur la côte
au nord de Donegal, et y prit le charbon nécessaire pour sa
course à Rockall; comme on prévoyait que ce voyage durerait
quinze jours, on entassa sur le pont autant de charbon qu'il fut
Jugé prudent de le faire.
Cette croisière fut très-heureuse, le temps fut constamment
beau, et M. Gwyn Jeffreys et ses aides purent draguer pendant
sept jours consécutifs dans des profondeurs qui dépassaient
1200 brasses, et pendant quatre dans des profondeurs moindres.
La plus considérable fut de 1476 brasses (station 21), et amena
des Mollusques, un Crustacé dont les yeux sont placés sur un
pédicule d’une longueur peu commune, et un beau spécimen
d’ Holothuria tremula.
Les draguages profonds faits pendant cette course produi-
sirent de nouveaux et intéressants individus de toutes les sous—
divisions des Invertébrés. Parmi les Mollusques se trouvèrent
les valves d’un Brachiopode wmperforé ayant une cloison à la
valve inférieure, que M. Jeffreys propose de nommer Afretia
gnomon, et parmi les Crustacés de nouvelles espèces de Dyasty-
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 77
hide, et plusieurs formes d’/sopodes, d’ Amphipodes et d'Ostra-
codes, dont quelques-unes inconnues a la science.
Deux ou trois spécimens d’un remarquable Echinoderme
appartenant au genre Pourtalesia (A. Ag.) ont été ramenés
d’une profondeur de 1215 brasses (station 28). Aucun de ces
spécimens n'avait atteint tout son développement, à en juger par
Fic. 10. — Orbitolites tenuissimus, CARPENTER Mss. Grossi. (N° 28.)
l’état des ovaires. J’ai nommé provisoirement cette espèce Pour-
falesia phale. Après un examen minutieux, je me suis assuré
que ce ne sont point là les jeunes d’une forme animale dont plus
tard nous primes un exemplaire dans l’espace froid qui s’étend
entre Farôer et les Shetland (station 64), et qui sera décrit plus
lom. De beaux Coraux ont été fréquemment ramenés des pro-
fondeurs moyennes, ainsi que de grandes masses vivantes de
78 LES ABIMES DE LA MER.
Lophohelia prolifera (fig. 30), de petites touffes d’Amphiheha
ramea, et partout des variétés du Caryophyllia borealis.
Les Foraminifères, ainsi que nous l'avons déjà vu, étaient
remarquables par leur volume; les mêmes types prédominaient
toujours. Nous trouvâmes ici pour la première fois un Orbito-
lite particulièrement intéressant, dont le type n'avait point
encore été découvert, au nord, au delà de la Méditerranée, où
il atteint qu'un fort petit volume. L’Orbitoltes tenuissimus
(Carpenter Mss.) (fig. 10) a le volume d’une pièce de 50 cen—
times et l’épaisseur d’une feuille de papier. Son excessive
ténuité et la facilité avec laquelle les rangées de cellules dont il
est composé se séparent les unes des autres, sont cause que tous
nos grands spécimens étaient plus ou moins endommagés.
Toutes les cellules sont sur le même plan; cette espèce appar—
tient donc au «type simple » du genre, bien que la forme des
cellules corresponde, ainsi que le docteur Carpenter l’a démon-
tré, à celle de la couche supérieure dans le type complexe. Une
autre particularité que le docteur Carpenter considère comme
ayant une importance spéciale, e’est que, au lieu de commencer
par une cellule centrale et circulaire comme l’Orbitolites ordi-
naire, cette espèce commence à se former par un rachis plu-
sieurs fois contourné, comme chez un jeune Cornuspira, ce qui
démontre l’analogie fondamentale de ce type cycloide avec celui
qui se développe en spirale.
Ainsi que je lai déjà dit, notre première intention était de
consacrer la seconde croisière à l'exploration de l’espace qui
s’étend à l’ouest des Hébrides extérieures, entre Rockall et la
limite sud-occidentale de notre course surle Lightning. Pendant
la première croisière pourtant, le draguage avait été porté avec
succès jusqu'à une profondeur de près de 1500 brasses ; ‘le
résultat avait justifié nos prévisions et confirmé l'expérience
de l’année dernière. Les conditions, jusqu'à cette profondeur du
moins, étaient compatibles avec la vie de tous les types d’Inver—
tébrés marins, quoique, dans les profondeurs extrémes, le nom-
bre despéces appartenant aux groupes les plus élevés fut sen—
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 79
siblement réduit; souvent aussi les individus n'avaient pas
atteint leur taille normale. D’après ces observations (qui corro-
boraient parfaitement celles du docteur Wallich et de quelques
autres expérimentateurs, au sujet desquelles il s’était élevé
des divergences d’opinions occasionnées par l’imperfection des
appareils dont on disposait alors), nous concliimes qu'il n’est
vraisemblablement aucune partie de l'Océan où les conditions
soient assez altérées par la profondeur pour que la vie ani-
male ne puisse s’y maintenir; que la vie, en un mot, n’est pas
limitée par la profondeur. Nous ne pouvions pourtant pas en-
core considérer la question comme définitivement tranchée.
Après en avoir délibéré avec le capitaine Calver, nous le trou—
rames tout disposé à tenter l’essai dans n'importe quelle pro-
fondeur ; d’après les expériences précédentes il était convaincu
du succès : nous nous décidames done à demander à l’ingénieur--
hydrographe l'autorisation de sonder dans les plus grandes pro-
fondeurs qui fussent à notre portée, 2500 brasses marquées sur
les cartes à 250 milles d'Ushant. Les plus profonds sondages
certains ne dépassent pas 3000 brasses, et nous comprenions
que s’il nous était possible de déterminer sûrement et clairement
les conditions qui existent à 2500 brasses, la question serait
virtuellement résolue pour toutes les profondeurs de l'Océan,
et que des recherches dans ses abimes plus profonds encore ne
seraient plus qu'affaire de curiosité et de détail. L’ingénieur-
hydrographe accueillit favorablement ce changement de plan,
et le 17 juillet, le Porcupine quitta Belfast sous la direction
scientifique de l’auteur de cet ouvrage. M. Hunter, préparateur
de chimie au Queen’s College de Belfast, se chargea de examen
et des analyses de l’eau de mer.
Le temps était au beau fixe. Le dimanche, pendant que nous
descendions à toute vapeur le canal d'Irlande, la mer était au
calme plat; une légère brume, suspendue sur l’eau, prétait des
effets charmants aux paysages des côtes. Dans la soirée du
dimanche 18, nous jetâmes l’ancre à la hauteur de Bally-
cottin, joli petit port situé à 15 milles environ de Queenstown,
80 LES ABIMES DE LA MER.
où nous nous rendions le lundi matin; nous jetimes l’ancre à la
hauteur de Vile de Haulbowline, à sept heures du matin. A
Queenstown, M. P. Herbert Carpenter vint rejoindre M. Hunter
au laboratoire, pour s’exercer sous sa direction à l’analyse des
gaz, dont il devait être chargé pendant la troisième croisière.
Le lundi 19 fut consacré à nous approvisionner de charbon et à
nous procurer à Cork plusieurs choses qui manquaient au labo-
ratoire de chimie; à sept heures du soir, nous quittons le quai
à Haulbowline pour continuer notre voyage.
Pendant la nuit du lundi, nous allons au sud-ouest, passant
devant l’ouverture du détroit. Le mardi nous draguons dans
74 et 75 brasses sur le plateau qui s’étend entre le cap Clear et
‘Ushant, sur un fond de vase et de gravier; nous ramenons des
coquilles et quelques exemplaires vivants des espèces générale-
ment répandues dans les profondeurs moyennes. Le temps se
maintenait remarquablement beau, le baromètre à 30 pouces 25,
et la température de l'air est à 22°, 5 C.
Le mercredi 21 juillet, nous continuons notre marche au
sud-ouest; la carte indiquait que nous naviguions toujours dans
les eaux basses du canal. À 4 heures 30 min. du matin, nous
draguons du gravier et des coquilles vides dans 95 brasses ;
mais vers le milieu du jour le plomb indique une bien plus
grande profondeur; et, dans l'après-midi, ayant dépassé rapi—
dement le bord du plateau, nous draguons dans 725 brasses,
avec fond de sable vaseux (station 36). C’est là le niveau où se
trouvent les Éponges siliceuses dans la région septentrionale,
et bien que le fond soit ici très-différent, plus sablonneux avec
un trés-léger dépôt de Globigérines, nous avons ramené un spé-
cimen à peu près complet, quoique mort, de lAphrocallistes
Bocagei (Wright), Éponge siliceuse récemment décrite par
M. le docteur E. Perceval Wright, d’après un spécimen fourni
par M. le professeur Barboza du Bocage, et provenant des iles
du cap Vert, et un ou deux petits spécimens de l Holtenia Car-
penteri (Wyville Thomson). Le sable vaseux renfermait une
notable proportion de gravier et de coquilles vides.
PLANCHE IT. — Seconde Cyojsiere du ce Porcupine.” — 1869.
375 238
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CROISIÈRES DU PORCUPINE. 81.
Le jeudi 22 juillet le temps était encore remarquablement
beau ; la mer assez calme, avec une légère houle du nord-ouest.
Nous sondons par 47° 38 de latitude N. et 12° 8’ de longitude
ouest, dans 2435 brasses (station 37). La moyenne des thermo-
mètres de Miller-Casella donnait une température de 2°,5 C.
C’ était la plus grande profondeur que nous eussions à espérer
dans ces parages, et nous nous préparons à descendre la drague.
Cette opération, sérieuse à une pareille profondeur, sera racon-
tée en détail dans un autre chapitre. Elle réussit parfaitement.
Le sac, ramené sur le pont le 23, à une heure du matin, après
une absence de sept heures un quart et un voyage de plus de
7 milles, contenait 75 kilogr. de vase parfaitement caractérisée.
La drague paraissait avoir plongé assez profondément dans ce
limon liquide, car elle contenait des matières amorphes et une
faible proportion de coquilles de Globigérines et d'Orbulines
vivantes. Il s’y trouvait aussi une quantité appréciable de
matière organique amorphe que nous considérons, soit comme
un processus, soit comme un mycelium, ou comme un germe
des Protozoaires variés, avee ou sans coquilles, mélangés pro-
bablement au Bathybius, ce Monère si universellement (selon
toute apparence) répandu dans les grandes profondeurs.
Un criblage fait avec soin démontra que ce limon contenait
des exemplaires vivants de chacune des sous-divisions des
Invertébrés. Le 23, dès qu'il fait jour, nous les examinons ;
aucun n’est vivant, mais leurs parties molles sont parfaitement
fraiches, et il est très-certain qu'ils sont entrés vivants dans
le sac de la drague. Les plus remarquables sont :
Morzusques. — Dentalium, sp. n., de grande dimension;
Pecten fenestratus (Forbes), espèce méditerranéenne ; Dacry-
dium vitreum (Torell), espèce arctique, norwégienne et médi-
terranéenne ; Scrobicularia nitida (Muller), norvégienne, an-
elaise et méditerranéenne; Newra obesa (Lovén), arctique et
norwégienne :
Crustacés. — Anonyx Holbollii (Kroyer) (Anonyx denticu-
latus, Bate), avec le palpe secondaire de l’antenne supérieure
? ?
6
82 LES ABIMES DE LA MER.
plus long et plus mince qu'il ne l’est chez les spécimens pris
dans les bas-fonds; Ampelisca æquicornis (Bruzelius) ; Munna,
spec. nova.
Un ou deux Annélides et Gephyrées, qui n’ont pas encore
été classés.
Kcropermes. — Ophiocten sericeum (Forbes), plusieurs spé-
cimens de belle venue; Æchinocucumis typica (Sars). Cette
espèce parait être fort répandue; nous l’avons trouvée dans
‘presque tous nos draguages profonds, soit dans les eaux chaudes,
soit dans les froides.
Un remarquable Crinoide à tige, allié au Fhizocerinus,
mais présentant des différences marquées.
. Porvzoares. — Salicornaria, sp. n.
CœLentÉRÉs. — Deux fragments d’un Zoophyte hydroïde.
Prorozoaires. — De nombreux Foraminifères appartenant
aux groupes déjà indiqués comme spéciaux à ces eaux des
abimes, avee un Rhizopode branchu et flexible entouré d’une
enveloppe chitineuse, garnie de Globigérines, qui recouvre
un nodule charnu d’une teinte vert-olive. Ce singulier orga—
nisme, dont nous avions trouvé des fragments dans d’autres
draguages, s’est présenté ici en grande abondance.
Une ou deux petites Éponges, qui paraissent devoir former
un nouveau groupe.
Le vendredi 23 juillet, nous tentons un draguage à la mème
profondeur; mais quand la drague remonte à une heure trente
minutes du soir, nous nous apercevons que la corde s’est repliée
et a entouré le sac, qui ne contient absolument rien. La drague
fut redescendue à trois heures du soir et remontée à onze heures
avec plus de 100 kilogr. de limon. Nous trouvames cette fois-ci
une nouvelle espèce de Plewrotoma et une de Dentalium ; un
Scrobicularia nitida (Miller); le Dacrydium vitreum (Torell) ;
VOphiacantha spinulosa (Miller et Torell) et VOphiocten
Kroyeri (Litken); avec quelques Crustacés et bon nombre de
Foraminifères.
Ces deux derniers draguages profonds ramenèrent un grand
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 83
nombre de magnifiques Polycystines et quelques formes inter—
médiaires entre les Polycystines et les Éponges, qui seront
déerites plus loin. Ces organismes ne paraissent pas avoir été
ramenés du fond, mais plutôt pris dans le sac pendant son
ascension vers la surface. Il y en avait autant à l'extérieur qu’à
Vintérieur du sac. Pendant les sondages que nous fimes dans
ces parages, toute la longueur de la corde de sonde laissait
tomber, à mesure qu'on la retirait, sur la claire-voie de la soute
aux cartes, une véritable gréle de ces belles espèces de Poly-
cystines et d'Acanthométrines.
Nous reprenons lentement la direction des côtes de l'Irlande,
et le lundi 26 juillet nous draguons des profondeurs qui
varient de 557 à 584 brasses (stations 39-41), dans un limon
mélangé de sable et de coquilles vides. Nous ramenons un
ou deux trés-intéressants Zoophytes aleyonaires et plusieurs
Ophiurides, y compris l’Opluothrir fragilis, VAmphiura Ballii
et POphiacantha spinulosa. Plusieurs de ces animaux étaient
d'une phosphorescence des plus brillantes, et plus tard, pendant
notre expédition dans le Nord, nous fümes encore plus frappés
de ce phénomène. Dans certaines zones, presque tout ce que
nous ramenions semblait émettre de la lumière, et la vase elle—
mème était couverte de points lumineux. Les Alcyonaires, les
Astéries fragiles et quelques Annélides étaient surtout brillants.
Les Pennatulw, les Virgularie et les Gorgonie ont une lueur
blanche assez intense pour permettre de distinguer l'heure sur
une montre, pendant que celle de l'Ophiarantha spinulosa,
d'un vert brillant, partant du centre du disque, s’étend succes—
sivement sur chacun des bras et quelquefois dessine en traits
de feu la forme entière de l’Astérie.
Le 27, par un temps très-beau et une mer très-calme, nous
draguons à 862 brasses (station 42). Le fond est limon, sable et
coquilles vides. Parmi les Mollusques ramenés, se trouvent de
nouvelles espèces de Pleuronectia, Leda abyssicola (arctique),
Leda messiniensis (fossile tertiaire de Sicile), le Dentalium gigas
(sp. n.), le Siphonodentalium (sp. n.), le Cerithium metula,
84 LES ABIMES DE LA MER.
Amaura (sp. n.), le Columbella Haliæeti, le Cylichna pyrami-
data (norvégienne et méditerranéenne) et plusieurs coquilles
vides de Cavolina trispinosa. Ces dernières étaient fort com—
munes dans les draguages du nord, quoiqu'il ne nous soit
jamais arrivé d’en voir un spécimen en vie à la surface.
Pendant l'après-midi nous relevons une série detempératures
intermédiaires, à intervalles de 50 brasses, depuis le fond,
862 brasses, jusqu’à la surface.
Le 28, draguage à 1207 brasses (station 43), avec fond limo-
neux. Un Fusus de grande dimension et d’uue nouvelle espèce,
Fusus attenuatus (Jeffreys), est ramené vivant avec deux ou trois
Gephyrea, un exemplaire d’Ophiocten sericeum et un autre
d'Echinocucumis typica. Nouveaux draguages le 29 et le 30,
en nous rapprochant graduellement des côtes d'Irlande dans
865, 458, 180 et 113 brasses successivement (stations 44 et 45).
Dans 458 brasses (station 45) nous capturames un exemplaire in-
complet de Brisinga endecacnemos, déjà trouvé par M. Jeffreys
à la hauteur de Valentia, et nombre de Mollusques intéressants ;
458 et 180 brasses (stations 45 et 45 a) nous donnent une
abondance extraordinaire d'animaux avec quelques formes très-
intéressantes : le Dentalium abyssorum, V Aporrhais Serresia-
nus, le Solarium fallaciosum, le Fusus fenestratus, avec abon-
dance de Caryophyllia boreahs, et toutes les espèces ordinaires
des grandes profondeurs de cette région.
La dernière station (45 a) nous offre un curieux assemblage
d’Ophiurides. L’Ophioglypha lacertosa y était commun, de
dimensions extraordinaires, etaccompagné de deux espèces fort
remarquables et nouvelles : une grande espèce d’ Ophiothriz, se
rapprochant de l Ophiothriz fragilis, mais de dimension beau
coup plus grande, le disque dans les plus grands spécimens me-
surant 25 millimètres de diamètre, et 275 millimètres de l’ex-
trémité d’un rayon à l'extrémité d’un autre. Les nuances sont
très-vives, violet et rose, et toutes les plaques du disque, ainsi
que les plaques dorsales des bras, sont semées de minces spicules.
Malgré son aspect tout à fait différent, j'avais l’arrière-pensée
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 85
que ce pourrait bien n’étre là qu’une variété bien distincte de
VOphiothrix fragilis. Mon ami le D' Liitken cependant affirme
qu’elle en est complétement distincte. Je m’incline devant son
autorité et lui dédie l’objet sous le nom d’Ophiothrir Lutkenr.
La seconde trouvaille était une belle espèce d’Ophiomusium.
- Vers midi, le samedi 31 juillet, nous entrons dans le port de
Queenstown. Après avoir fait du charbon à Haulbowline le lundi
2 août, nous allons nous amarrer dans le bassin d’Abercorn à
Belfast, le mercredi 4 au soir, après avoir fait une très-agréable
traversée de retour en remontant le détroit.
Il était urgent, après un si long séjour en mer, de nettoyer
à fond les chaudières ; le Porcupine ne quitta done Belfast que
le mereredi 11 août, pour se rendre à Stornoway, son port
de départ.
L’état-major scientifique se composait du D' Carpenter, de
M. P. Herbert Carpenter, qui, ayant fait son apprentissage avec
M. Hunter pendant la dernière expédition, en faisant des ana—
lyses dans des circonstances très-favorables, se trouvait tout
prêt à entreprendre maintenant cette tâche sous sa propre res—
ponsabilité, et de moi. Notre projet était de suivre notre premier
programme en repassant avec soin sur la région parcourue à
bord du Lightning, afin de constater avec de meilleurs appareils
et des instruments plus exacts la singuliére distribution des
températures dans les espaces « chauds » et dans les «froids »,
de tracer aussi exactement que possible les trajets des courants
de température différente, et de déterminer l'influence de ces
courants sur le caractère et sur la distribution de la vie
animale.
Quittant Stornoway dans l’après-midi du dimanche 15 août,
nous gagnons tout de suite l'endroit où, l’année précédente, nous
avions fait le plus heureux draguage d’« espace chaud »; nous
obtenons le même succès, et la drague nous ramène plusieurs
beaux spécimens d’ Holtenia, et une superbe série d’ Hyalonema,
depuis 2 millimètres de longueur jusqu’à 30 et 40 centimètres.
86 LES ABIMES DE LA MEK.
nous avions ainsi tous les degrés de développement de la mer—
veilleuse corde de verre et la preuve qu elle fait bien partie de
l'Eponge elle-même. C’est le Carteria du D'J. E. Gray.
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Fic. 11. — Porocidaris purpurata, WYVILLE Taomson. Grandeur naturelle. (N° 47.)
La nouveauté la plus intéressante pourtant qui soit venue
récompenser notre labeur, c’est un bel Echinide appartenant
aux Cidaridées, et auquel j'ai donné le nom de Porocidaris
Pte se ni.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 87
purpurata (fig. 11). Je erois être dans le vrai en rapportant
cette belle espèce au genre Porocidaris, quoiqu elle ne possède
pas le trait spécial d’après lequel Desor distingue le genre.
Quelques radioles — on appelle ainsi les spicules fossiles de
Cidarites — présentant un caractère très-prononcé, ont été
trouvés dans diverses formations, depuis l’oolithe inférieure.
Ces spicules ont la forme de spatules; ils sont comprimés,
sillonnés longitudinalement, aplatis, et fortement dentelés sur
les bords. Des spicules semblables ont été découverts dans les
couches nummulitiques du val Dominico, prés de Vérone; ces
spicules étaient associés à des plaques qui ont beaucoup de rap-
ports avec celles des Cidaris, à cette différence près, qu'une
rangée de trous perfore le test dans l’espace aréolaire qui
“entoure le tubercule primordial. Notre Oursin ne possède peint
ce trait, mais les radioles ont les stries longitudinales, la forme
plate et les bords dentelés de ceux du Porocidaris.
Jen’attache qu’une médiocre importance aux perforations des
plaques. D’après les dessins de Desor, elles ne sont pas rondes,
mais ovales, assez irrégulières, et rayonnant autour de la base
du spicule. Notre nouvelle espèce présente une série de dépres-
sions occupant la place de ces sillons perforés qui sont sans
aucun doute destinés à l’insertion des muscles qui font mouvoir
ces longs spicules ; le test est mince, ces sillons creusés dans la
plaque la pénètrent si profondément, que le moindre effort, le
frottement même de l’eau, achève de la percer.
Nos espèces récentes et les formes éocènes ont un autre ca-
ractère commun : les cereles aréolaires ne sont pas très-accusés,
ct les aréoles tendent à devenir confluentes.
On n'avait découvert jusqu'ici de ce genre, à l’état fossile,
que des plaques détachées; les plaques ovariennes étaient
inconnues. Elles présentent un caractère très-singulier et qui
a certainement une grande valeur générique. L'ouverture ova—
rienne ne pénètre pas la plaque, mais perfore une membrane
qui garnit un espace de forme carrée dont une moitié est prise
sur le bord extérieur de la plaque sous la forme d’une entaille
88 LES ABIMES DE LA MER.
triangulaire ; l’autre moitié est formée par la séparation angu—
laire que forment deux plaques interradiales supérieures, au
milieu de l’espace interradial. Les spicules caractéristiques en
forme de spatules sont rangés autour de la bouche. Les spicules
plus grands qui sont plantés autour de la ligne équatoriale de la
couronne sont de formes diverses; quelques-uns sont eylin—
driques, s’amincissant un peu à l’extrémité, d’autres ont un ren—
flement épais et finissent rapidement en pointe. La coloration de
l’animal est très-remarquable. Les spicules courts qui couvrent
le test sont d’un beau violet; un violet plus foncé et plus riche
encore teint le tiers inférieur du spicule et finit brusquement
par une ligne nettement tranchée. Le spicule, au delà de cette
partie violette, est d’un charmant rose pâle. Deux exemplaires
adultes de cette belle espèce nous tombèrent entre les mains,”
ainsi que deux jeunes, dont l’un avait atteint à peu près la
moitié de son développement et l’autre était beautoup plus
petit.
Nous marchons lentement vers le nord dans la direction des
Faréef, en faisant de fréquents sondages pour déterminer le
plus exactement possible le point où l’on passe de l’eau chaude
dans l’eau froide. Un sondage de température, fait par 59° 37’
de latitude et 7° 40’ de longitude, indique une profondeur a
peine moindre que celle du fond des Æoltenia, 475 brasses, avec
une température de fond légèrement plus élevée, 7°,4 C., et ala
station 50, par 59° 54’ de lat. et 7° 52’ delong., avec une profon—
deur de 335 brasses, le minimum de température s’était élevé
à 7°,9 C. Un sondage, station 51, par 60° 6’ de lat. et 8° 14’ de
long., donne 440 brasses et une température de fond de 5°,5 C.,
témoignant que nous passons à un ensemble de conditions dif—
férentes. A la station 42, par 60° 25’ de lat. et 8° 10° de long.,
quelques milles seulement plus loin, avee une profondeur de
384 brasses, presque la même qu’à la station 20, les thermo-
mètres indiquent un minimum de — 0°,8 C. Nous changeons
notre direction pour l’est-sud-est, et après un trajet d’environ
25 milles, nous sondons dans 490 brasses avec une température
CROISIÈRES DU PORCUPINE. BY
de fond de— 1°,1 C. Les six stations suivantes, n° 54 jusqu’à 59,
sont toutes dans la zone froide, avec une température au-
dessous du point de congélation de l’eau douce. A la dernière sta-
tion, n° 59, 60° 21’ de lat. et 5° 41’ de long., à une profondeur
de 580 brasses, le thermomètre abrité indique la plus basse
température que nous ayons encore rencontrée, — 1°,3 C.
Pendant que nous traversons la zone froide en faisant ces
observations, le temps est extrêmement beau, et sous la sur-
veillance minutieuse du capitaine Calver tous nos appareils
fonctionnent admirablement. Les températures sont toujours
notées d’après les indications des deux mêmes thermomètres de
Miller-Casella; nous les comparons de temps en temps avec
d’autres instruments, et nous trouvons toujours leurs indi-
cations exactes, malgré la prodigieuse pression à laquelle les
soumettent leurs immersions fréquentes. Les instruments de
sondage et les dragues ne nous ont jamais donné de mécomptes,
et un ingénieux procédé que nous devons à notre capitaine nous
a permis quelquefois de multiplier nos prises au centuple. Quel-
ques touffes d’étoupe de chanvre qui rappelaient les fauberts
servant à laver le pont, ont été suspendues au bas de la drague ;
ces touffes enchevétrées balayent le fond de chaque côté de l’en-
gin, entrainant et accrochant tout ce qui offre quelque aspérité
et n’est pas adhérent au sol. Comme les Echinodermes, les
Crustacés et les Éponges sont très-abondants dans la zone froide,
les touffes revenaient souvent littéralement chargées, tandis qu'il
n'y avait que fort peu de chose dans le sac.
Pendant le cours de notre dernière série de draguages nous
avons traversé la position du bane sur lequel, l’année précé-
dente, nous avions recueilli de gros spécimens de Terebratula
cranium en grande abondance ; mais nous n’avons pu parvenir
à le retrouver: ce banc parait être d’une étendue fort restreinte:
dans cette circonstance, comme la première fois que nous y pas-
sämes, le ciel fut si couvert pendant plusieurs jours de suite,
qu'on ne put déterminer la position du Lightning ou du Porcu-
pine par l’observation. Un caleul d'estimation pour établir le
a
90 LES ABIMES DE LA MER.
chemin parcouru par un vaisseau qui flotte pendant la plus
erande partie du jour, trainant après lui une drague, est difficile
à faire avec une certaine rigueur.
Après la 59° station nous nous dirigeons au nord et nous
sommes chaudement accueillis à Thorshaven par notre bienveil-
lant ami le gouverneur Holten, qui, avertide notre arrivée, vient
dans sa chaloupe nous souhaiter la bienvenue. Le gouverneur
Holten était très-fier de son canot, et ce n'était pas sans raison.
Cette embarcation était très-bien et très-élégamment construite:
elle était montée par douze vigoureux rameurs des Farôer eu
uniforme propre et soigné et par notre ami lui-méme, grand
et bel homme, enveloppé de la capote et de l’épais capuchon que
nécessitent les brumes et l’air un peu vif de cette région; le dra-
peau danois flottait à sa poupe, et, ainsi paré, ce canot faisait plai-
sir à voir. Arrivé à bord, le gouverneur proposa au capitaine Cal-
ver une course en l'honneur de la vieille Angleterre et du dra-
peau blanc. Quelques-uns d’entre nous se disposant à se rendre
à terre, notre chaloupe était prête, et quand le gouverneur re-
monta de la cabine, douze Shetlandais en vestes bleues, immo
biles comme des statues, s’appuyaient sur leurs avirons qui sein
tillaient au soleil, attendant le signal du départ. Le gouverneur
examina les deux bateaux de l'œil exercé d’un marin, et con-
tinua à parler avec amour de « la Vierge de Faréer » ; mais
sapercevant, je suppose, comme l’a dit Tennyson, « que nous
étions tous Danois, » la proposition de l’épreuve de nos forces
fut abandonnée d’un commun accord.
Obligés de passer quelques jours à Thorshaven pour renou-
veler différentes provisions épuisées, nous désirions profiter de
ce temps pour voir Myling-Head, magnifique falaise, située à la
pointe nord-ouest de Stromoé; ce rocher dont le sommet sur-
plombe la base et plonge perpendiculairement dans la mer d’une
hauteur de 2000 pieds. Autour de ces iles la marée a la rapidité
d’un courant capable de faire marcher un moulin. Le gouver-
neur nous apprit qu'en partant avec la marée montante du
matin, si notre vaisseau était assez bon marcheur pour suivre le
PLANCHE [V.— Troisième Croisière du “ Porcupine.’ —1869.
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CROISIÈRES DU PORCUPINE. 91
mouvement de l'Océan, ilserait possible de faire le tour de Vile
en passant sous Myling, et de rentrer à Thorshaven en six
heures; si nous ne profitions pas de la marée, l’entreprise de-
venait difficile et ne pouvait plus s’exécuter qu'avec une grande
dépense de temps et de combustible.
La marée devait atteindre son point le plus élevé le lundi
suivant 23 août, à quatre heures du matin; le ciel s'étant main-
tenu d’une limpidité inaccoutumée dans ces régions jusqu'au
dimanche soir, nous prenons tous nos arrangements dans l’es-
poir de faire une excursion des plus agréables, car nos aimables
hôtes avaient consenti à nous accompagner. Le lundi, à l'aube,
la tempête et la pluie battante nous forcent à renvoyer notre
visite au célèbre promontoire.
Le lendemain, le temps s'étant remis au beau, nous
quittons Thorshaven vers midi, marchant au sud-est, de ma-
niére à traverser le profond détroit qui sépare Farôer des Shet-
land. Nos deux premières stations de draguage sur le plateau
de Faréer dépassèrent 100 brasses, mais le troisième son-
dage exécuté dans la soirée du 24, dans une profondeur de
317 brasses, donna une température de 0°,9 C. ; nous sommes
donc revenus dans le courant froid. Persistant dans cette direc-
tion, sous petite vapeur, pendant la nuit, nous faisons un son-
dage dans la matinée, par 61°21’ de latitude N. et 3°44 de
longitude O., dans une profondeur de 640 brasses, avee une
température de fond de — 1°,1 C. Un draguage ramène des
cailloux roulés et du gravier fin, avec quelques formes ani-
males. Parmi ces dernières il s’en trouve une particulièrement
intéressante, un spécimen de grande dimension d’une belle
espèce du genre Pourtalesia, Oursin en forme de cœur, dont
un des congénères fut découvert par M. de Pourtalès dans ses
explorations du Gulf-stream, le long de la côte américaine, et
un second par M. Gwyn Jeffreys près de Rockall. L’exemplaire
actuel (fig. 12) est plus gros que ceux qui avaient été précédem-
ment dragués et paraît appartenir à une espèce distincte.
Le test est complétement dissemblable à celui de tous les
Y9 LES ABIMES DE LA MER.
autres Kchinodermes vivants et connus. Il est long de deux
pouces, de forme presque cylindrique et se termine, dans sa
partie postérieure, par un rostre peu allongé; son extrémité
antérieure est tronquée. La surface du test est couverte de spi-
cules courts ayant la forme de spatules, et vers ’extrémité anté-
rieure il existe une espèce de frange composée de longues épines
Fic 12. — Pourtalesia Jeffreysi, WYVILLE THOMSON. Légèrement grossi 1. (N° 64.)
cylindriques qui vont se multipliant vers la surface supérieure.
La bouche se trouve au fond d’un sillon antérieur et inférieur
très-profond, et l’anus est placé sur la surface dorsale, dans une
cavité située au-dessus du rostre terminal. La disposition des
ambulacraires est toute particulière. Les quatre ouvertures ova-
riennes et le tubercule madréporique sont sur la surface dor-
sale, au-dessus de l’extrémité antérieure tronquée à la base de
laquelle la bouche est placée, et les trois sillons ambulacraires
du ¢rivium font un court trajet qui part de l’anneau oral vascu-
laire; le premier parcourt le centre de la face antérieure, et les
deux autres passent le long de ses bords, pour se réunir au pre-
mier et former ensemble un anneau autour des ouvertures ova-
riennes. Les deux sillons du bivium font un singulier trajet :
ils retournent dans la grande prolongation postérieure du test,
sur les côtés de laquelle ils forment des boucles en passant au
travers des ouvertures qui garnissent une double rangée de
plaques ambulacraires assez irrégulières qui viennent se réunir
1. J'ai le plaisir de dédier cette intéressante espèce à mon savant collègue J. Gwyn
Jeffreys, membre de la Société Royale.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 93
sur un même point, très-postérieurement au point de conver—
gence des trois ambulacraires du bivium. Entre les deux points
de convergence placés sur la ligne centrale du dos, se trouvent
intercalées plusieurs plaques. Ainsi les trois ambulacraires anté-
rieurs se terminent au point de convergence de leurs plaques
oculaires, où se trouvent également quatre plaques génitales,
ainsi que le tubercule madréporique; les deux ambulacraires
postérieurs avec leurs plaques oculaires se rencontrent sur un
autre point, où ils forment un sommet. La cinquième plaque
génitale est nulle. Ce qui donne un intérèt particulier à la dé-
couverte de cet Oursin, c’est que, bien qu'il n’existät, à notre
connaissance, aucun type vivant de cette conformation, dési-
gnée sous le nom « d’ambulacraires disjoints », nous connais-
sons depuis longtemps une famille fossile, les Dysasteride, qui
présente ce caractère. Plusieurs espèces du genre Dysaster
(Agassiz), les Collyrites (Desmoulins), Metaporhinus (Michelin),
Grasia (Michelin), se retrouvent depuis l’oolithe inférieure
jusque dans la craie blanche. On en avait jusqu'ici supposé
la race éteinte.
Le draguage suivant compte parmi le très-petit nombre de
nos tentatives complétement avortées, car le sac nous revint tout
à fait vide ; nous avons attribué ce mécompte à un accroissement
de vent et de houle, qui, en faisant dériver le vaisseau, a em-
pèché la drague d’atteindre le fond.
Notre matinée est consacrée à une série de sondages de tem-
pérature, à intervalles de 50 brasses, de la surface au fond.
Notre réussite est satisfaisante et les résultats en seront déve-
loppés plus tard. Pendant les 50 premières brasses l’abaisse—
ment de température fut rapide; les 150 brasses suivantes se
maintiennent à une température élevée et assez égale, puis il y
a un nouvel abaissement entre 200 et 300 brasses, les thermo-
mètres marquant à la plus grande profondeur 0° C. Depuis
300 brasses jusqu’au fond, la température ne tombe guère que
d’un degré. Ainsi la masse entière de l’eau dans ce détroit est
divisée presque également en couche supérieure et couche
94 LES ABIMES DE LA MER.
inférieure ; cette dernière est formée par un courant arctique
de près de 2000 pieds d'épaisseur, coulant dans la direction
du sud-ouest, sous une couche supérieure relativement chaude,
qui se dirige lentement vers le nord-est; la moitié inférieure
de celle-ci est soumise à l’influence de la couche sur laquelle
elle coule, et sa température en est sensiblement modifiée ”.
Nos draguages suivants s’exécutent sur le plateau des Shet-
land, à des profondeurs inférieures à 100 brasses et sur un ter-
rain qui avait été déjà soigneusement étudié par M. Gwyn
Jeffreys. Nous ne ramenons que fort peu de nouveautés, mais
nous sommes redevables aux perfectionnements apportés à nos
appareils de draguage de recueillir quelques-unes des eurio-
sités de « Haaf », telles que le Fusus norvegicus (Chemnitz), le
Fusus berniciensis (King), le Pleurotoma carinatum (Bivona)
en nombre considérable. Les touffes de chanvre nous sont
d’un grand secours pour les Échinodermes. La drague souvent
a ramené en une seule fois, soit dans le sac, soit sur les étoupes,
plus de 20 000 exemplaires du joli petit Oursin Erchinus norve-
gicus (D. et K.).
Le 28 août, nous jetons l'ancre dans le port de Lerwick, où
nous demeurons plusieurs jours à nous ravitailler, à examiner
les antiquités remarquables et les curiosités géologiques du voi-
sinage, et à bouleverser les magasins de mercerie et de bonne-
terie de la ville, afin d’y trouver ceslégers tissus de laine dont le
travail et les matériaux imitent, avec une délicatesse presque
égale à la leur, les mailles du squelette des Holtenia, des
Euplectella et des Aphrocallistes.
Pendant cette première partie de notre croisière, presque tous
les draguages ont été faits dans la région froide, et nous y avons
constaté une grande uniformité de conditions. La-température
moyenne du fond se maintient toujours un peu au-dessous du
point de congélation de l’eau douce, et tombe quelquefois à près
de 2 C. au-dessous de zéro. Le fond se compose uniformément
1. Dr Carpenter in ,, Preliminary Report on the Scientific Exploration of the Deep
Sea, 1869 ”. (Proceedings of the Royal Society, vol. XVII, p. 441.)
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 95
de gravier et d'argile; le gravier du côté du détroit avoisinant
l'Ecosse consiste surtout en débris du gneiss laurentien et des
autres roches métamorphiques du nord de l'Écosse et des couches
devoniennes de Caithness et des Orcades. Du côté de Farôer,
les cailloux sont surtout basaltiques. Cette différence se montre
d’une façon très-marquée dans la couleur et la composition des
tubes des Annélides, et dans le test de divers Foraminifères.
Les cailloux sont tous arrondis, et leur volume varié, ainsi que
l'inégalité et les rugosités du gravier dans plusieurs parties,
témoignent d’un mouvement sensible au fond de l’Océan.
Il parait certain, d’après la direction des dépressions qui
existent sur la ligne isotherme de la région (pl. VIL), qu'il y a un
courant direct d’eau froide se dirigeant de la mer du Spitzberg
dans celle du Nord, et qu'un embranchement de ce courant
froid passe par le détroit de Farüer. La faune des régions
froides est certainement caractéristique, quoique plusieurs de
ses espèces les plus remarquables leur soient communes avec les
grandes profondeurs des régions chaudes, dès que la tempé-
rature tombe au-dessous de 2° ou 3° C.
Une étendue considérable du détroit de Farüer est recouverte
par une Eponge qui est probablement identique avee le Clado-
rhiza abyssicola (Sars), dragué par G. O. Sars dans les grandes
profondeurs, près des iles Loffoten. Cette Eponge forme une
espèce de buisson ou d’arbrisseau qui, dans certaines parties,
recouvre des espaces considérables, comme la bruyère revêt
une lande. Il y en a au moins trois espèces, dont l’une a les
branches fixes et roides, tandis que dans une autre le corps
est beaucoup plus mou, et des branches latérales s’échappent
d’un rachis central comme les barbes sortent de la côte d’une
plume d’autruche. Les rameaux paraissent quelquefois avoir de
90 à 80 centimètres de longueur, et les tiges près de la base ont
de 2 à 3 centimètres de diamètre. La tige et les branches ont un
axe central composé d’une substance demi-transparente d’un
vert jaunatre, ressemblant à de la corne et remplie de masses
de spicules en forme d’aiguilles disposés en faisceaux serrés et
06 LES ABIMES DE LA MER.
longitudinaux. Cet axe est recouvert par une écorce molle de
substance spongieuse soutenue par des spicules aigus à deux
crochets, qui caractérisent le genre Esperia et ses alliés. La
croûte est couverte de pores et se soulève çà et là en papilles
perforées de grandes ouvertures (oscula). Cette Éponge paraît
appartenir à un groupe voisin des Espériadées, ou encore peut—
ètre à quelques-unes des
formes fossiles dont les
traces sont si abondantes
dans certaines couches
des terrains crétacés. Une
espèce encore plus belle,
appartenant au même
groupe, a été draguée par
M. Gwyn Jeffreys pendant
la première croisière de
l’année suivante.
Une autre Éponge de
grande dimension (fig. 13)
est très-abondante. Elle
a été admirablement dé—
crite par M. le professeur
Loven sous le nom (j
ne sais trop pourquoi)
VHyalonema, boreale.
Elle est plus rapprochée
SK du Zethya, car le corps
Fic. 13. — Stylocordyla boreals, Loven. Grandeur de l'Éponge doit la faire
RE RAA rentrer certainement dans
le type des Éponges cortiquées, bien qu’elle diffère de tous les
autres membres connus de cet ordre, en ce qu’elle est sup-
portée par une longue tige symétrique formée, ainsi que M. le
professeur Loven l’a démontré, de faisceaux de courts spicules
reliés entre eux par un ciment corné. Une touffe de fibres
minces sert à fixer la base de la tige. M. le professeur Oscar
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 97
Schmidt, dans son £squisse de la faune spongiaire de l'Atlan-
tique, classe cette forme dans son genre Cometella, qu'il
associe aux Swherites, qui ne sont que des Zethya modifiés ;
avec un ou deux autres groupes génériques il forme la fa-
mille, les Suberitidinæ, qui fait partie de l’ancien ordre des
Corticate, ordre qu’il propose de démembrer. Je doute fort que
eet arrangement soit adopté, car les éponges siliceuses, dont le
squelette se compose surtout de faisceaux rayonnés de longs spi-
cules, forment un ensemble naturel et remarquable. Le Sfylo-
cordyla est évidemment très-rapproché, par les formes et les
caractères généraux, de l’Eponge pédiculée de la Méditerranée,
dessinée par Schmidt sous le nom de Zetilla euplocamos'.
Les Foraminifères n’abondent pas dans la zone froide, quoique
ca et là de nombreuses et remarquables formes, de dimensions
considérables, s’attachent aux touffes de chanvre. Elles appar-
tiennent principalement au type Arenaceus. A la station 51, un
des draguages intermédiaires entre la zone froide et les cou-
rants chauds, les touffes de filasse remontèrent une multitude
de tubes longs de près d’un pouce, formés de grains de sable
cimentés ensemble. Pendant l’excursion du Lightning, l'année
précédente, sur le banc du milieu, avec les spécimens de 7ere-
bratula cranium, nous avions trouvé en abondance un Lituola
des sables qui avait à peu près la même apparence, si ce n’est
qu’à l’une de leurs extrémités les Zifuolæ ont une bouche proé-
minente ; en les brisant, cette bouche se répète, moulée distine-
tement en grains de sable colorés d’une nuance particulière,
dans chacun des compartiments en lesquels le test est divisé.
La nouvelle forme pourtant n’était pas sectionnée en chambres;
la cavité centrale était continue, « bien que parcourue dans
toute sa longueur par des processus irréguliers, formés en partie
de grains de sable et de spicules d’Eponge teintés d’une cou-
leur spéciale, et ressemblant à ceux que le D* Carpenter a
1. Die Spongien der Küste von Algier. Von Dt Oscar Scampr, Professor der Zoologie
und vergleichenden Anatomie, Director des Landschaftlichen zoologischen Museums zu
Gratz. Leipzig, 1868.
7
98 LES ABIMES DE LA MER.
décrits dans le gigantesque fossile Parkeria'. L’une des extré-
mités de cette cavité est voitée ; des intervalles ménagés entre
les grains de sable agglutinés permettent, paraît-il, à l’animal
gélatineux qui l’habite de communiquer avec le monde exté-
rieur, en faisant passer au travers ses tentacules charnus.
L'autre extrémité est invariablement brisée, et cette fracture a
fait supposer au D' Carpenter que l'animal, auquel il a donné
le nom générique de Botellina, nait et se développe attaché
à un corps étranger.
Les Echinodermes pullulent dans la zone froide. Dans le dé-
troit au nord et à l’ouest des Shetland, nous avons ajouté à la
faune des mers de la Grande-Bretagne, outre un grand nombre
d'espèces nouvelles, toutes les formes décrites par les natu—
ralistes scandinaves comme vivant dans les mers de Norvége
et du Groenland.
Le Cidaris hystrix est très-abondant et de grande dimen-—
sion à une profondeur relativement faible. La grande forme
de l’'Echinus Fleemingii (Ball) est rare; mais à toutes les pro—
fondeurs la drague ramène quelque variété douteuse, comme
l'Echinus elegans (D. et K.), certaines formes de l’Echinus nor-
vegicus (D. et K.), ou de l’'Echinus rarituberculatus (G. 0. Sars).
Il serait peut-être nécessaire de les décrire, car dans leurs
formes extrêmes elles présentent des différences trés-marqueées ;
mais, après en avoir vu des milliers, car chaque voyage de la
drague en rapporte, depuis Farüer jusqu'à Gibraltar, je les
regarde simplement comme des variétés del’ Echinus Fleemingu.
Vai déjà parlé des innombrables myriades du petit Æchinus
norvegicus (D. et K.). Il n’a que 15 millimètres de diamètre, et
il pullule sur les bancs de péche de Haaf. Ces petits Oursins sont
adultes, comme le prouve le développement de leurs organes ;
et, en voyant l’abondance de trois grandeurs différentes, Je
suppose qu'ils atteignent leur entier développement en deux
ans et demi ou trois ans. Quant à leur couleur, à leur structure
4. Philosophical Transactions, 1869, p 806.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 99
et à la forme des pédicellaires, je n'y vois rien qui les distingue
d’une forme qui a quatre fois leurs dimensions et qui est com—
mune dans les grandes profondeurs à la hauteur des côtes de
l'Irlande; ces derniers ne se distinguent par aucun caractère
défini, ayant une valeur spécifique, de l'£chinus Fleemingii des
bas-fonds, aussi grand que les variétés ordinaires de I’ Echinus
sphera.
La variété shetlandaise de ? Equus Caballus n’a certainement
pas plus d’un quart de la dimension d’un cheval camionneur de
Londres, et je ne vois aucune raison pour qu'il n’y ait pas un
poney Oursin aussi bien qu'un poney Cheval.
M. le professeur Alexandre Agassiz‘ a découvert que l’espèce
d'Echnocyamus de la Floride n’est que le jeune d’un Cly-
péastroide trés-commun dans la même région, le S/olonoclypus
prostratus (Ag.), et il pense que notre Echinocyamus angulosus
(Leske) ne pourrait bien être qu’une de ces variétés naines,
rabougries, ou des jeunes non développés du Séolonoclypus
américain, dont «le pseudembryon » aurait été entrainé par le
Gulf-stream; ce pourrait être encore une forme d’un Clypéas-
troide européen inconnu jusqu ici.
Les trois prétendues espèces du genre Toxopneustes de la
zone froide auront, je le crains, à subir une fusion. Le 70r0-
pneustes pictus (Norman) et le Toxopneustes pallidus (G.O. Sars)
ne sont bien certainement que des variétés du Toxopneustes
drobachiensis (O. F. Müller).
Les jeunes du Brissopsis lyrifera (Forbes) se sont montrés
en abondance à toutes les profondeurs, mais les exemplaires
adultes ne paraissent plus au delà de 200 brasses, et sont plus
gros et plus nombreux de 50 à 100 brasses. Le 7ripylus fra-
gilts (D. etK.), forme scandinave assez rare, a été ajouté à la
faune britannique. Les draguages profonds dans les zones
froides en ont ramené plusieurs spécimens, malheureusement
x
écrasés pour la plupart, à cause de leur grande fragilité. De
1. Bulletin of the Museum of Comparative Zoology, n° 9, p. 291.
100 LES ABIMES DE LA MER.
magnifiques spécimens du bel Oursin-cœur, Spatangus Raschi,
sont très-abondants dans la même zone et à la même pro-
fondeur.
Les Astéries étaient nombreuses; des espéces rares et nou-
velles surchargeaient parfois les étoupes. Les deux formes du
Brisinga, le Brisinga endecacnemos (Absjornsen), et le Bri-
singa coronata (G. 0. Sars), remontaient de temps en temps, ct
étaient toujours recus comme des captures précieuses, malgré
la difficulté et la peine de débarrasser un à un leurs bras épi-
neux du chanvre au milieu duquel ils se trouvaient enche-
vêtrés ; ils n'étaient presque jamais à l’intérieur de la drague.
Le Solaster papposus (Forbes), apparemment leur plus proche
parent, bien que fort éloigné, était très-abondamment repré-
senté par une très-jolie variété des grandes profondeurs. Cette
espèce a dix bras; son diamètre est de 40 millimètres du bout
d’un bras à l’autre; elle est dun beau rouge orangé, même
à la station 64, à une profondeur de 640 brasses. Nous dra-
gudmes en abondance le Solaster furcifer (D. et K.) (fig. 14),
qui jusque-là n'avait été vu que
dans les mers scandinaves. Le
Pedicellaster typicus (Sars) se mon-
trait assez rare, et plus fré-
quemment on ramenait le joli
Astrogonium granulare (Müller et
Troschel), qui rappelle un biscuit
de mer. En deca de 100 brasses,
nous avons trouvé l’Astrogonium
Ro Cr eo phrygianum (O. Fred. Müller) et
l’Asteropsis pulvillus (O. F. Müller).
Un curieux petit groupe d’Astéries, en forme de pelotes, était
représenté par le Pteraster militaris (Müller et Troschel), le
Pteraster pulvillus (Sars), et par deux autres formes nouvelles
pour la science : le Korethraster hispidus (sp. nov.), dont toute
la surface supérieure est couverte de longues villosités sem-
blables à des pinceaux noirs (fig. 15). Les sillons ambula-
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 104
craires sont bordés de rangées de spicules délicats en forme de
spatules. Comme le Péeraster, il a une double série de pieds
Fic. 15. — Korethraster hispidus, WYviLLE Taomson, face dorsale Double de la grandeur
naturelle. (N° 57.)
coniques. L'autre genre (fig. 16) est peut-être encore plus
remarquable. Cette Astérie est très-aplatie ; la surface dor-
Fic.{16.—Hymenaster pellucidus, WYvILLE Tomson, face ventrale. Grandeur naturelle. (N° 59.)
sale est couverte de courts tubercules qui soutiennent une
membrane, comme dans le P{eraster. La rangée de spicules.
102 LES ABIMES DE LA MER
qui garnit les sillons ambulacraires est très-allongée et garnie
d’une membrane qui, régnant le long du côté d’un bras, se
réunit à la membrane du bras adjacent, de telle sorte que les
angles que forment les intervalles des bras se trouvent entié—
rement remplis par une pellicule mince, retenue et soutenue
par les spicules : le corps de l'animal devient ainsi un penta-
gone régulier. Il n’y a pas trace, sur la surface abdominale ni
sur les bras, de ces rangées transversales, de plaques mem—
braneuses en forme de peignes, qui caractérisent le genre
Pteraster.
Parmi les Astéries des grandes profondeurs, les formes qui
sont de beaucoup les plus abondantes et les plus remarquables
appartiennent aux genres Astropecten et Archaster et à leurs
alliés. De 100 à 200 brasses, la petite forme de l’Astropecten .
irregularis, de l'Astr. acicularis (Norm.), pullule littéralement
à certaines places, ordinairement en compagnie de la petite
variété du Zuidia Savignii (Müller et Troschel) et du Zwidia Sar-
sii (D. et K.). Je ne doute pas que ces deux espèces, Astropecten
acicularis et Luidia Sarsii, ne soient simplement des variétés
de grande profondeur des formes qui atteignent des proportions
beaucoup plus grandes dans les bas-fonds. M. Édouard Waller
fit, pendant l’été de 1869, une croisière de draguage dans le
yacht de M. Gwyn Jeffreys, sur la cote méridionale de I’Irlande.
I] se borna à explorer la zone de 100 brasses et un peu en decà,
et obtint une magnifique série d’ Astropecten et de Zurdia, com-
prenant tous les degrés intermédiaires entre les petites et les
grandes variétés.
La zone froide nous a donné l’As#ropecten tenuispinus en
erande abondance et d’une grande beauté. Les houppes de
chanvre en étaient quelquefois toutes rouges, et avec cette
espèce, une belle et nouvelle forme d’un gris plombé tout par-
ticulier, avec des tubercules placés sur la surface dorsale du
disque formant une rosette pétaloide comme chez les Cly-
peaster. Nous avons trouvé, à d’assez rares intervalles, l’Aséro-
pecten arcticus (Sars) dans les draguages profonds. Les espèces
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 103
boréales du genre Archaster étaient abondantes et de grande
dimension: l’Archaster Parelli (D. et K.), dans des eaux rela—
tivement basses, et l’Archaster Andromeda abondaient dans de
plus-grandes profondeurs.
Aux stations 57 et 58, et a plusieurs autres dans la zone
froide, nous primes plusieurs spécimens d’un bel Archaster
(fig. 17), qui a sur son bord extérieur un double rang de plaques
LES
Fic. 17. — Archaster bifrons, WYVILLE peer 51) dorsale. Trois quarts de grandeur naturelle.
NO:
marginales carrées, qui lui donnent l’apparence épaisse du
Ctenodiscus; chaque plaque marginale est couverte de grains
miliaires, et porte au centre une épine proéminente et rigide.
C’est une grande variété et l’une des plus remarquables que
nous ayons ajoutées à la liste des espèces connues. Elle est
d'une belle couleur crème ou nuancée de rose tendre,
Le Ctenodiscus crispatus nous est apparu rarement et de
petite taille, ne dépassant pas 25 millim. de diamétre. Presque
chaque draguage ramenait |’ Asteracanthion Mulleri (M. Sars),
10% LES ABIMES DE LA MER.
et des spécimens de toutes les dimensions de Cribrella sanqui-
nolenta (0. F. Müller).
La distribution des Ophiurides était entièrement nouvelle
pour un dragueur anglais. La forme de beaucoup la plus abon-
dante, dans les profondeurs moyennes, était l Amphiura abyssi-
cola (M. Sars), espèce jusqu'ici inconnue dans les mers bri-
tanniques. À des profondeurs plus grandes, cette espèce était
associée en nombre à peu près égal à l’Ophiocten sericeum
(Forbes).
Partout l’Ophiacantha spinulosa (Müller et Troschel) abonde :
V Ophioglypha lacertosa, commun dans ces bas-fonds, est rem—
placé par |’ Ophioglypha Sarsii (Lütken) ; ’ Ophiopholis aculeata
(O. F. Müller) se plait à habiter parmi les branches de Corail et
les polypiers pierreux. Dans les draguages de zone froide aussi
caractérisés que ceux des stations 54, 55, 97 et 64, on trouve
les deux espèces d’ OphioscolexrV Ophioscolex purpurea (D.et K.),
et l’'Ophioscolex glacialis (Müller et Troschel), le premier très-
abondant dans certains endroits, le dernier beaucoup plus
rare. Les deux espéces sont nouvelles dans la zone britannique,
et deux formes trés-remarquables qui les accompagnent sont
nouvelles pour la science. Une de celles-ci est un grand Ophiu-
ride aux bras épais et longs de plus de 3 décimètres, et dont le
disque large et mou rappelle celui de ! Ophiomyxa, dont il est
voisin. Les spécimens péchés ne sont malheureusement pas assez
bien conservés pour permettre d’en faire une étude complète.
L’autre forme est une grande et belle espèce du genre Ophiopus
de Ljungmans. Les plaques dont le disque est recouvert sont
petites, de nuance sombre, et masquées en grande partie par une
membrane semblable à un réseau. L’Amphiura Balli (Thoms.)
est commun dans les profondeurs moyennes, et de loin en loin
nous avons ramené un exemplaire isolé du charmant petit
Ophiopeltis securigera (D. et K.), récemment acquis à la faune
shetlandaise par le Rév. A. Merle Norman.
Nous avons été très-agréablement surpris de draguer dans
la zone froide un grand nombre d’exemplaires du plus beau
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 105
des Crinoïdes du Nord, l’Axtedon Eschrichtu. Cette espèce n’a
pas encore, que je sache, été trouvée dans les mers du Spitzberg
ou de la Scandinavie; tous nos échantillons de musées viennent
du Groenland ou du Labrador. Il en est de même du Ctenodiseus
crispatus. Aucun de ces spécimens du nord de l'Écosse n’a
d'aussi grandes dimensions que ceux du Groenland. Un ou deux
draguages à une profondeur moyenne nous donnèrent de nom—
breux exemplaires de l Antedon celticus (Barrett), forme encore
plus abondante encore dans le Minch; chaque draguage, à peu
d’exceptions près, nous ramenait quelque spécimen incomplet
ou quelque fragment de l’Antedon Sarsu.
Nous avons trouvé, à une ou deux reprises, un fragment de
la tige du Rhizocrinus ; mais, chose assez bizarre, pas un seul
spécimen de cet intéressant petit Crinoide n’est sorti de la zone
froide et n’est venu récompenser nos efforts; pourtant nos con—
clusions sont justes, et le courant arctique dans lequel il abonde
arrive directement des îles Loffoten, dans le détroit de Farôer.
Nous ramenons partout beaucoup d’Holothuries dans les
profondeurs dépassant 200 ou 300 mètres; le petit et délicat
Echinocucumis typica (M. Sars); le Psolus squamatus (Koren),
Fic. 18. — Eusirus cuspidatus, Kroyer. (N° 55.)
qui ne paraît pas être très-commun, bien que nous l’ayons dra-
gué une fois en grande abondance pendant que nous étions sur
le Lightning. Les disques blancs, couverts d’écailles, ressor—
taient sur les cailloux unis et foncés du basalte de Faréer, aux-
quels ils étaient attachés. Nous trouvions de temps en temps
106 LES ABIMES DE LA MER
l'Holothuria ecalcarea (Sars) : c’est une nouvelle et intéressante -
acquisition pour la faune britannique. Elle produit un singu-
lier effet chaque fois qu’elle nous arrive parmi des animaux
plus petits et plus délicats; elle ressemble a une volumineuse
saucisse d'Allemagne de 20 à 30 centimètres de longueur.
7177
Fic. 19. — Caprella spinosissima, NorMAN. Double
de la grandeur naturelle. (N° 59.)
Dans les draguages ca—
ractéristiques de la zone
froide, nous avons trouvé
quelques Crustacés inté—
ressants; j’en dessine un
ou deux, car ils témoi-
enent en quelque sorte de
la source qui alimente
cette zone. [ls appartien-
nent aux gigantesques
formes des Amphipodes
et des Isopodes de la mer
Arctique.
L’Eusirus cuspidatus
(Kroyer) (fig. 18) n’était
connu jusque-là que dans
la mer du Groenland, et
le genre était représenté
dans les mers britanni-
ques par un exemplaire
imparfait d’une autre es—
pece.
La figure 19 est une
espèce grande et jusqu'ici
inconnue du genre Ca-
prella, singulier groupe de Crevettes squelettes. Dans ces
parages, elles s’attachent par leurs crochets ou griffes infé—
rieures aux Eponges branchues, et laissent flotter au gré des
vagues leurs corps grotesques et décharnés.
L’Æqa nasuta (Norman) (fig. 20) est encore. une nouvelle
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 107
espèce, un Isopode de forme normale. Des spécimens beaucoup
plus gros de ce curieux genre sont pourtant connus sur les côtes
Fic. 20. — Æga nasuta, Norman. Un peu grossi. (N° 55.)
britanniques, vivant ordinairement à demi parasites sur de gros
Poissons.
L’ Arcturus Bafjini (Sabine) (fig. 21) est aussi un des Isopodes
Fic. 21. — Arcturus Baffini, SABINE. Grandeur naturelle. (N° 59.)
normaux, régulier jusqu'à un certain point dans sa conforma-
tion, mais d’un aspect très-particulier dans son extérieur et
dans ses attitudes. L’Arcturus a, comme le Caprella, l'habitude
108 LES ABIMES DE LA MER.
de se fixer par ses membres inférieurs à quelque organisme
sous-marin, en élevant la partie antérieure de son corps d’une
facon bizarre; mais il a de plus une paire d'antennes énormes
auxquelles les petits s’attachent par leurs pattes, se rangeant
le long de ces appendices comme une double frange vivante.
L’Idotea (Arcturus) Baffini a été décrit pour la première fois
dans l’Appendice au quatrième voyage du capitaine Parry. Cette
espèce, ou une autre très-voisine, parait exister aussi dans les
mers antarctiques. Sir James Clark Ross raconte’ qu'en dra-
guant dans une profondeur de 270 brasses, par 72° 31’ de lati-
tude S. et 173° 39’ de longitude E., le filet ramena en grand
nombre des « Corallines, des Flustres, et une grande quantité
d'animaux marins invertébrés, qui témoignaient d’une grande
abondance et d’une grande variété de vie animale. Parmi ces
animaux, j'ai remarqué deux espèces de Pycnogonum, et
V'Idotea Baffini, qui jusqu'ici étaient regardés comme spéciaux
aux mers arctiques, et quelques autres formes encore. » La
gravure représente l’Arcturus Baffini, surmonté de sa progé—
niture, qui cependant est infiniment moins «lignée qu'à lordi-
naire. L'organisation de la nursery a éprouvé un certain dés—
ordre; elle est habituellement beaucoup plus régulière.
Une ou deux espèces du singulier Arachnide marin du
genre Nymphon, de très-grande dimension, se trouvaient
fréquemment engagées en grand nombre sur les houppes de
chanvre. Ce groupe parait être particulièrement caractéristique
des mers froides. Les récentes expéditions polaires suédoise
et allemande disent en avoir trouvé de dimension presque
incroyable, de 30 centimètres environ de diamètre ; on en a vu
d'énormes dans les grandes profondeurs des régions antare—
tiques. Ces animaux remontent souvent cramponnés à la corde
de sonde (fig. 22).
Les Mollusques, qui, dans nos précédentes expéditions, fai—
saient le fonds principal de nos draguages, sont ici de beaucoup
1. A Voyage of Discovery and Research, vol. I, p. 202.
n
wat, ip ae
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 109
inférieurs, soit comme nombre, soit comme variétés, aux
groupes déjà décrits. La différence entre la forme des Mollusques
de la zone froide et des Mollusques de la zone chaude n’est
pas, à beaucoup près, aussi grande que chez les autres groupes.
Un des types les plus intéressants que nous ayons trouvés est
| | %,
le Terebratula septata (Philippi), Terebratula septigera de
Lovén, Brachiopode ramené vivant (station 65) dans le dé-
troit de Shetland, d'une profondeur de 345 brasses, par unc
température de fond de — 1°,1 C. Une variété de cette espece,
découverte dans les couches pliocénes de Messine, a été décrite
et dessinée par M. le professeur Seguenza sous le nom de
Waldheimia peloritana; il est évident qu’elle est identique avec
le Waldheimia floridana, découvert dans le golfe du Mexique
par M. de Pourtalès : la nôtre les surpasse tellement en dimen—
sion, qu’il est évident que; l’eau glacée est sa patrie véritable.
Nous n'avons pris qu'un très-petit nombre de Poissons, ce.
110 LES ABIMES DE LA MER.
qu'il faut attribuer probablement à ce que la drague est un
engin fort peu favorable à leur capture. Les quelques espèces
tombées entre nos mains ont été confiées par M. Loughrin à
M. Couch de Polperro, pour être étudiées à notre retour. La
liste comprend une nouvelle forme générique intermédiaire
entre les Chimera et Macrourus, qui a été ramenée de
540 brasses de profondeur dans la zone froide; une nouvelle
espèce d’un genre voisin des Zeus; un nouveau Gadus se rap-
prochant du Merlan ordinaire ; une nouvelle espèce d’ Ophidion ;
une espèce d’un nouveau genre se rapprochant du Cyclo—
pterus ; le Blennius fasciatus (Bloch), nouveau pour la Grande—
Bretagne; VAmmodytes siculus ; un nouveau et très-beau
Serranus, et un nouveau Syngnathus.
La mort est venue interrompre les travaux du doyen des
naturalistes de Cornouailles, pendant qu'il préparait deserip—
tions et dessins; il a quitté cette vie chargé d'années et de tra—
vaux, et un autre que lui devra terminer cette tâche qu ‘il avait
entreprise avec un si vif intérêt.
On verra que, dans la zone froide, la température de fond
ne diffère pas, à 500 brasses, de plus de deux ou trois degrés
de celle de la zone chaude aux profondeurs qui dépassent
1500 brasses. Il parait done que, comme le D' Carpenter l’a
clairement démontré, toutes les conditions extrèmes de climat
qui, dans les profondeurs de |’ Atlantique, s'étendent verticale-
ment à 2 ou 3 milles, sont ici renfermées, sans que leurs
rapports se trouvent sensiblement modifiés, dans l’espace d’un
demi-mille. Nous trouvons la même surface chaude, et le ra-
pide abaissement de température pendant le premier trajet de
descente; la même déviation des courbes, indiquant une zone
liquide chauffée par une cause étrangère à la radiation solaire ;
le même abaissement rapide en traversant une « couche mé—
langée », et enfin le même refroidissement lent à travers une
masse inférieure d’eau froide dont la température est uniforme.
Ainsi qu’on devait s’y attendre, s’il est exact que les condi-
tions aretiques se continuent à travers toutes les régions pro-
ET OT OU TE ee
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 111
fondes de la mer, un grand nombre des habitants de la zone
froide vivent aussi dans les grandes profondeurs de Rockall, et
plus au sud, jusqu’à la hauteur des côtes du Portugal; mais la
faune du détroit de Farüer comprend, outre ces formes géné-
ralement répandues, un ensemble d’espèces, entre autres les
grands Crustacés, les Arachnides et quelques-unes des Asté-
ries, qui ne caractérisent pas les mers glaciales en général,
mais bien cette partie de la province arctique comprise dans
les mers du Spitzberg, du Groenland et de Loffoten. Il n’est pas
douteux que ce caractère spécialement arctique de la faune ne
se maintienne par la migration continuelle d'espèces venues
du Nord à la faveur du courant arctique indiqué par les
dépressions des lignes d’égale température. Bien des espèces
de la zone froide ne se sont pas rencontrées en dehors de ses
limites, à cause, sans aucun doute, de la canalisation en quel-
que sorte complète et de la disparition des courants froids
à l'ouverture occidentale du détroit qui sépare les Hébrides
des banes des Farôer.
Habitation du gouverneur à Thorshaven (Faréer).
112 LES ABIMES DE LA MER.
APPENDICE A
Documents et Rapports officiels sur les explorations du vaisseau de
S. M. le Porcupine pendant l'été de 1869. — Extraits des Procès-ver-
baux du conseil de la Société Royale, expliquant l'origine de lexpé-
dition du Porcupine et le but qu'elle s’est proposé d'atteindre.
21 janvier 1869.
Le rapport préliminaire des opérations de draguage exécutées par les
D' Carpenter et Wyville Thomson (sur le Lightning) ayant été pris en
considération, il a été résolu que :
Vu les résultats importants qu'ont amenés les recherches fort res-
treintes faites à titre d’essai dans les profondeurs de l’Océan, le Président
et le conseil considèrent comme opportun pour les progrès de la zoologie
et des autres branches de la science qu’une nouvelle exploration soit
tentée dans le courant de l’été prochain, qu’elle embrasse une étendue
plus considérable, et que pour l’exécution de cette entreprise il soit fait
appel au Gouvernement de Sa Majesté, dont la coopération nous a déjà
été généreusement accordée l’année dernière.
Une commission sera nommée pour faire au conseil un rapport au
sujet des mesures à prendre pour mettre à exécution la présente résolu-
tion dans les meilleures conditions possibles. La commission se composera
du Président du bureau auquel on adjoindra le D' Carpenter, M. Gwyn
Jeffreys et le capitaine Richards.
18 février 1869.
Le rapport suivant de la commission des études sur la mer a été lu à la
Société Royale :
La commission nommée par le conseil le 21 janvier pour étudier les
mesures que demande la continuation de l'étude des conditions physiques
et biologiques des grandes profondeurs de la mer dans le voisinage des
côtes britanniques, présente le rapport suivant :
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 113
Les résultats obtenus par les draguages et les sondages de température
opérés pendant la courte croisière du vaisseau de Sa Majesté le Light-
ning en août et septembre 1868, concordant avec les draguages récem-
ment exécutés sous la direction du gouvernement suédois et de celui des
États-Unis et avec les remarquables sondages de température du capi-
taine Shortland dans le golfe Arabique, ont prouvé d’une manière con-
cluante :
1° Que le lit de l'Océan, à ta profondeur de 500 brasses et au-dessus,
présente à l’étude un vaste champ dont l’exploration méthodique ne sau-
rait manquer de donner des résultats du plus haut intérêt sous le rapport
de la physique, de la biologie et de la géologie.
2° Que cette exploration méthodique est absoluïnent impossible avec
les ressources privées, et exige des moyens d'action et un matériel dont
le Gouvernement seul peut disposer.
On espère que le Gouvernement sera amené un jour à considérer ec
travail comme un des devoirs spéciaux de la marine britannique, qui pos-
sède, par ses vaisseaux qu'elle envoie dans le monde entier, infinimen:
plus de facilités qu'aucun autre pays pour faire des études de ce genre.
Pour le moment, la commission est d’avis que la Société Royale fasse
connaître au Gouvernement l'opportunité qu'il y aurait à agir d’après les
aperçus dont le D* Carpenter a accompagné son rapport préliminaire
sur la croisière du Lighining, en organisant pour la prochaine saison une
expédition pour l'étude minutieuse des parties les plus profondes de l'Océan,
entre le nord de l'Écosse et les îles Farôer, et en étendant cette étude
tout à la fois au nord-est et au sud-ouest, de manière à connaître parfai-
tement les conditions physiques et biologiques des deux provinces sous-
marines comprises dans cette zone, provinces qui sont caractérisées par
un contraste de climats extrêmes auxquels correspond une différence
considérable dans la faune; il serait bon de remonter aux causes de cette
différence de climat, tout en continuant les recherches dans des profon-
deurs plus considérables encore que toutes celles que la drague à par-
courues Jusqu'à présent.
Tout ceci peut s’accomplir sans trop de difficultés (à moins que le
temps ne se montre particulièrement défavorable) avec un vaisseau con-
venablement pourvu du matériel nécessaire, depuis le milieu de mai jus-
qu'à la mi-septembre. Il faudrait que le vaisseau fût assez considérable
pour fournir un équipage dont chaque « quart» put, sans trop de fatigue,
continuer le travail de manière à profiter le plus possible des grands
jours de l'été et des temps calmes. Il le faudrait pourvu des objets néces-
saires à l'étude immédiate des spécimens obtenus, étude qui est un des
buts importants de l'expédition. Comme il n’y a aucune nécessité
d'étendre les recherches au delà de 400 milles des côtes, il serait facile
de se procurer les approvisionnements nécessaires à cette croisière de
quatre mois, en relâchant de temps en temps dans le port le plus
8
114 LES ABIMES DE LA MER.
rapproché. Ainsi, en supposant que le vaisseau partit de Cork ou
de Galway pour se rendre d’abord dans le détroit qui sépare Rockall
des Iles-Britanniques, où se trouvent des profondeurs de 1000 à
1300 brasses, les draguages et les sondages pourraient se faire en sui-
vant la direction du nord jusqu’à ce qu’il devint nécessaire de gagner
Stornoway. Après avoir quitté ce port, l'expédition pourrait se rendre
dans la zone qui est au nord-ouest des Hébrides, où les profondeurs les
plus modérées (de 500 à 600 brasses) offriraient une plus grande facilité
pour l'étude approfondie de cette portion du lit de l'Océan sur laquelle
un dépôt crétacé est en voie de formation. Les recherches faites par le
Lightning ont démontré que la faune de cet espace présente des traits
particulièrement intéressants, et que l’examen sérieux du dépôt arrive-
rait probablement à éclairer des phénomènes jusqu'ici inexpliqués, qui
se présentent dans l’ancienne formation crayeuse. Cette étude demande-
rait environ six semaines, après lesquelles le vaisseau pourrait se ravi-
tailler de nouveau à Stornoway. Il conviendrait de soumettre ensuite au
même examen la zone qui s'étend au nord et au nord-est de Lewis ;
comme ici on se trouve en pleine zone froide, il serait bon de faire une
étude spéciale de ses limites et des causes des particularités de sa tempé-
rature. Tout ceci exigerait l’extension des recherches dans la direction
du nord-est, ce qui amènerait le vaisseau dans le voisinage des îles Shet-
land, où Lerwick serait un port de ravitaillement très-convenable. Le
temps dont on pourrait disposer encore serait avantageusement employé
à draguer autour des Shetland en se tenant à la distance qui donnerait
de 250 à 400 brasses, tous les draguages faits par M. Gwyn Jeffreys
n'ayant pas dépassé 200 brasses.
Les recherches portant sur les sciences naturelles doivent se faire sous
la direction d’un chef (qui pourrait ne pas être le même pendant toute
l'expédition) secondé par deux préparateurs capables (fournis par la
Société) qui seraient engagés pour tout le temps que durerait la croisière.
M. Gwyn Jeffreys est disposé à la diriger pendant les premières cinq ou
six semaines, jusqu'à la fin de juin par exemple. M. le professeur Wyville
Thomson serait prêt alors à prendre sa place; puis M. le D' Carpenter
irait rejoindre l'expédition, qu'il ne quitterait qu'à la fin des travaux. Il
serait avantageux que le chirurgien attaché au vaisseau eût des connais-
sances en histoire naturelle, qui lui permissent de s'intéresser aux recher-
ches et d’y prendre part.
L’expérience atquise dans l'expédition précédente devra servir de guide
pour le choix qu'on fera des appareils qu’il sera nécessaire de demander
au Gouvernement, s’il accède à nos désirs.
Quant aux instruments que la Société Royale se chargerait de fournir,
la commission demande que la liste détaillée en soit confiée à un comité
composé d'hommes spéciaux connaissant d’une manière pratique leur
construction et leur usage.
CROISIERES DU PORCUPINE. 115
Il est décidé que le rapport qu'on vient d'entendre est accepté et adopté,
et qu'en conséquence une demande sera présentée au Gouvernement de
Sa Majesté.
Société Royale, Burlington House.
Ce 18 février 1869.
Relativement au rapport préliminaire présenté par le D' Carpenter sur
les explorations des grandes profondeurs faites pendant la croisière fort
courte du vapeur de Sa Majesté le Lightning, pendant les mois d'août et de
septembre derniers, rapport qui a été soumis à l'examen des Lords com-
missaires de l’Amirauté, je suis chargé par le Président et par le conseil
d'exposer que, vu les résultats importants qu'ont produits ces recherches
dans la mer, malgré les proportions fort restreintes, sous le rapport de
l'étendue et de la durée, dans lesquelles elles ont été faites, ils regardent
comme fort désirable, dans Vintérét des sciences biologique et physique
et dans celui des progrès de l’hydrographie, qu'il soit entrepris une nou-
velle exploration pendant l'été prochain, et qu'on lui donne une étendue
plus vaste à parcourir et à étudier ; ils viennent donc soumettre la chose
à l’examen des Lords, dans l’espoir que la coopération si libéralement
accordée l’année dernière par le Gouvernement de Sa Majesté sera éga-
lement acquise à l’entreprise projetée pour laquelle ce secours est indis-
pensable.
A l’appui de la possibilité d'exécution et des chances de succès de la
nouvelle exploration projetée, je suis chargé d'expliquer que, soit pour le
but à atteindre, soit pour la marche à suivre et les moyens à employer,
on s’est inspiré des observations faites et de l’expérience acquise pendant
la dernière expédition.
Ci-joint se trouve le rapport détaillé de la commission qui a été chargée
par le conseil d'étudier le projet.
Il est convenu que les appareils scientifiques, ainsi que la rémunération
des préparateurs, seraient à la charge de la Société Royale. Quant au maté-
riel qu'on pourrait encore demander au Gouvernement de Sa Majesté,
l'expérience de la dernière expédition fournirait les données nécessaires
dès que le plan général aura été approuvé. Le Président et le conseil ont
pensé que si le navire requis pour ce travail pouvait être pris parmi les
vaisseaux qui font le service de surveillance, la somme à dépenser pour
le Gouvernement serait fort minime.
Je suis, etc. W. Suarpey, M.D.,
Secrétaire de la Société Royale.
116 LES ABIMES DE LA MER.
Il a été décidé : Qu'une commission sera nommée pour étudier les
appareils scientifiques dont il sera nécessaire de munir l'expédition pro-
jetée. La commission se composera du Président et des officiers avec le
D' Carpenter, le capitaine Richards, M. Siemens, le D' Tyndall et sir
Charles Wheatstone, avec faculté de s’adjoindre d’autres membres.
Qu’une somme de 200 livres sterling, prise sur les fonds accordés par le
Gouvernement à la Société, sera mise à la disposition du D* Carpenter,
dans le but de continuer les études sur la température et la faune des
grandes profondeurs de la mer, au moyen des sondages et des draguages.
18 mars 1869.
L'ingénieur-hydrographe de la marine a annoncé, par une communi-
cation verbale, que les Lords commissaires de l’Amirauté ont consenti a
la demande formulée dans la lettre du D' Sharpey du 18 février ; que le
vaisseau de surveillance de Sa Majesté le Porcupine a été désigné pour
faire ce service, et que son équipement est en voie d’exécution sous la
direction de son commandant, le capitaine Calver.
Le 15 avril 1869.
Il a été donné lecture de la lettre suivante, émanant de l’Amirauté :
19 mars 1859.
Monsieur, je suis chargé par les Lords commissaires de l’Amirauté de
vous prévenir que le D° Carpenter et ses préparateurs, qui ont été dési-
enés par la Société Royale pour accompagner l'expédition qui est à la
veille de partir pour le voisinage des îles Farôer dans le but d'examiner le
fond de l'Océan au moyen de sondages pratiqués dans les grandes profon-
deurs, seront entretenus pendant leur séjour à bord du Porcupine aux
frais du Gouvernement.
Je suis, etc.
W. G. Romaine.
Au Président de la Societé Royale.
17 juin 1869.
Il a été donné lecture du rapport suivant :
La commission nommée le 18 février pour étudier les appareils scien-
tifiques dont il sera nécessaire de pourvoir l’expédition des recherches
marines, soumet au conseil le rapport suivant :
Les sujets principaux d’étude de physique qui offrent le plus d'intérêt
par eux-mémes et par leurs rapports avec la question de la vie animale
dans les grandes profondeurs, sont les suivants :
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 117
Jo La température, non-seulement au fond, mais encore à divers degrés
de profondeur entre le fond et la surface ;
2 La nature et la quantité des gaz dissous ;
3° La quantité de matière organique contenue dans l’eau, la nature et
la quantité des sels inorganiques ;
4° La quantité de lumière qui pénètre dans les grandes profondeurs.
Parmi ces différents sujets, la commission est d'avis de s’en tenir, pour
commencer, à ceux dont on s’est déjà occupé, et dont on serait à peu près
certain de terminer l'étude.
Les déterminations des températures ont été faites Jusqu'ici au moyen
de thermomètres à minima. Il est évident que des thermomètres plongés
au fond de la mer, quand bien même ils ne subiraient aucune influence
de la pression, n’indiqueraient que la température la plus basse, marquée
a un endroit quelconque, entre la surface et le fond, mais non pas néces-
sairement au fond même. Les températures à diverses profondeurs pour-
raient peut-être (à la condition toutefois qu'elles ne s'élèvent sur aucun
point en pénétrant plus profondément) être constatées par une série de
thermomètres à minima placés de distance en distance le long de la corde,
ce qui pourtant présenterait encore de grandes difficultés. D'ailleurs la
facilité qu’aurait l'index de se déplacer et la probabilité que les indications
thermométriques seraient influencées par la grande pression à laquelle les
instruments se trouveraient soumis, rendaient très-nécessaire l'invention
d’une méthode d’après laquelle on pit fixer et assurer leurs indications.
Pour atteindre ce but, deux projets ont été déposés, l’un par sir Charles
Wheatstone, l’autre par M. Siemens.
Les deux. projets exigent l'emploi d’un courant voltaïque entretenu au
moyen d'une batterie établie sur le pont, et nécessitent un câble pour le
transport de fils isolés. Le premier repose sur l’action d’un thermomètre
de Breguet immergé, lequel, par un arrangement électro-mécanique, est
. Lu par un instrument indicateur placé sur le pont. Le second fait dépendre
Vindication de température, de l’existence d’une variation thermale dans
la résistance électrique d’un fil conducteur. Il porte sur légalisation des
courants dérivés dans deux bobines partielles exactement similaires, ren-
fermant chacune un fil de cuivre qui parcourt toute la longueur du câble,
et d’un rouleau de résistance en fil de platine mince. Le rouleau de l’une
des bobines étant plongé dans la mer au bout du câble, et celui de
l'autre bobine immergé dans un baquet placé sur le pont et rempli d’eau
dont la température peut être réglée et maintenue en ajoutant de l’eau
froide ou chaude et indiquée par un thermomètre ordinaire.
Les instruments qu’exigerait le projet de sir Charles Wheatstone sont
plus dispendieux et demandent plus de temps pour les préparer ; la com-
mission ne voulant pas courir le risque de perdre, par la rupture toujours
possible d’un cable, un instrument assez cotiteux, a préféré adopter le
118 LES ABIMES DE LA MER.
projet de M. Siemens; l'appareil nécessaire à son exécution est terminé,
et il a été mis en usage pendant l’expédition.
Un troisième projet a été imaginé par le D' Miller pour parer aux
effets de la pression sur un thermomètre à minima, sans gêner la vue de
la tige pour examiner la position de l'index. Il consiste à enfermer la
boule du thermomètre dans une boule extérieure assujettie un peu plus
haut sur la tige. L'espace qui est entre les deux boules est partiellement
rempli de liquide pour rendre plus prompte la transmission de la tempé-
rature. La commission a fait construire quelques thermomètres à minima
d’après ce principe, et ils ont parfaitement fonctionné. La méthode est
expliquée dans un travail qui sera lu devant la Société.
Pour obtenir de l’eau provenant des plus grandes profondeurs dra-
guées, la commission s’est procuré un instrument construit dans ses
données générales d’après le plan de celui qui a été décrit par le D'Marcet
dans les Philosophical transactions de 1819, et qui a été employé avec
succès pendant les premières expéditions dans le Nord.
M. Gwyn Jeffreys fait dans ce moment-ci la première croisière sur le
Porcupine, le vaisseau que l’Amirauté a envoyé dans ce but, et il est
accompagné de M. W.L. Carpenter (fils du D' Carpenter), qui s’est
chargé des travaux de physique et de chimie. Le Président a reçu une
lettre de M. Jeffreys qui donne les plus grands éloges au zèle et à la
capacité de M. Carpenter. Les thermomètres protégés d'après le plan du
D" Miller, et instrument destiné à remonter l’eau des grandes profon-
deurs, ont répondu, dans la pratique, à ce qu'on en attendait. L’instru-
ment de M. Siemens n'était pas complétement achevé quand le Porcu-
pine a pris la mer, et n’était pas encore rendu à bord quand la lettre de
M. Jeffreys a été écrite. Les analyses des gaz ont pu se faire avec succes,
malgré les mouvements du navire. D’après une lettre du D’ Carpenter
reçue plus récemment, il paraît que l'appareil de M. Siemens agit jus-
-qu'iei en parfaite harmonie avec les thermomètres protégés d’après la
méthode du D* Miller.
16 juin 1869.
Il a été résolu que le rapport qui vient d’être entendu serait réuni aux
procès-verbaux.
Se ee eee eee
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 119
APPENDICE B
Tableau de la profondeur, de la température et de la position du vais-
seau de Sa Majesté le Porcupine aux différentes stations de draquage,
pendant l'été de 1869.
NUMÉROS | PROFONDEUR. | TEMPERATURE | TEMPÉRATURE
des en du de la LATITUDE. LONGITUDE.
STATIONS. BRASSES. FOND. SURFACE.
is 0 0 at Os On
4. 910 9,4 C. 193 G bf ON AE HORO:
2: 808 ae i2,3 ol 22 19825
3 722 6,1 1235 ol 38 12 50
i 251 7 12,0 51 56 13 39
D. 304 9% ae Teh 7 12292
6. 90 10.0 12,2 52 25 11 40
7 Jos 10,2 11,6 52 14 IL 48
8 106 10,7 12,3 53, 15 ile oss
9 165 9,8 12,0 »3 16 12 42
10 85 Oxi {2.5 ta 2 13°29
11 1630 » » 53.24 15 24
12. 670 9,9 11,2 53 41 14 17
13. 208 9,8 12,0 59 42 13 55
Fe ne ae HE 03 49 13: 15
15. 422 2 11,2 54 9 12 17
16. 816 1,2 Be 04 19 11950
CORSA el aol Be
| 33 7 78 54 45 1 9
Moose is
2 1440 2,0 DA DD 1 11 9
21 L476 21 13,4 55 40 12 46
22 26: 2, 9,0 6 13 34
23 630 6,4 14,0 56 : ii 19
23 a 420 8,0 13,1 56 13 11 18
24 109 8,0 11,5 56 26 14 28
ü el EP OE
36 315 de 1 58 58 317
340 8,2 4, 06 08 15 17
= ; 215 a 13, i Bane de Rockall. | Bane de Rockall.
2 49 2 14,2 56 44 12 52
? ? = =
29 1264 pa 13,8 D6 34 12 22
oe) eae eee ue
32. 1320 3/0 139 6 à 10 >
à 74 08 18h 50 38 9 27
3h. 75 9,8 18,9 49 51 10 12
A fe oy Ce 49 7 10 57
19: PISFT = (
37 2435 25 18/6 a 38 19 3
38. 2090 24 17,9 17 39 11 33
rs LE GE = TY 19 50
10 st he ee ae oe
40. D 8,7 17,4 ‘iA 12 5
120 LES ABIMES DE LA MER.
NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE
des en de la LATITUDE. LONGITUDE.
STATICNS. BRASSES. o SURFACE,
584.
862
1207
865
458
374
542
540
A795
399
410
384
490
363
605
480
632
540
580
167
414
195
SLT
640
345
267
64
75
67
66
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CHAPITRE IV
CROISIÈRES DU PORCUPINE
(SUITE)
De Shetland à Stornoway. — Phosphorescence. — Les Echinothurides. — La faune
de la région chaude. — Fin de la croisière de 1869. — Organisation de la croisière
de 1870. — De l'Angleterre à Gibraltar. — Conditions particulières de la Méditer-
ranée. — Retour à Cowes.
APPENDICE A. — Extrait des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres
documents officiels ayant trait à la croisière du vaisseau de S. M. le Porcupine pen-
dant l'été de 1870.
APPENDICE B. — Tableau des pr ofondeurs, des températures et des positions aux diverses
stations de draguage du vaisseau de S. M. le Porcupine pendant l'été de 1870.
* Les numéros placés entre parenthèses, au bas des figures, correspondent à ceux des
stations de draguage des planches IV et V.
En quittant Lerwick, le 31 août, nous prenons la direction
du sud-ouest, passant tout près de la pointe de Sumburgh; à
l'horizon, Fair isle, de mauvais renom parmi les gens de mer,
apparaît au sud comme un léger nuage gris. Le temps était
très-beau, mais bien qu’il fit à peine un souffle d'air, nous
sommes rudement secoués dans le célèbre Roost of Sumburgh.
Nous passons au pied du promontoire de Mitful Head, devant
l'aire de Norna', et les ombres d’un soir d'automne nous sur—
prennent tout près de Vile rocheuse de Foula, habitée encore
par un ou deux couples de Lestris Cataractes, grande Mouette
dont l'espèce est en train de rejoindre, parmi les choses du
passé, le Dodo et le Gar-fowl.
Gouvernant au nord-ouest, nous sondons, le 1° septembre,
4. Allusion à l’héroïne et au rocher du Pirate de Walter Scott.
122 LES ABIMES DE LA MER.
de bonne heure, par 60° 17’ de latitude et 2° 53’ de longitude,
dans une profondeur de 103 brasses et une température de
fond de 9°,2 C. Nous sommes encore sur le bas-fond et n’avons
pas encore atteint le courant arctique. Tout ce jour-là nous
naviguons sur le bord du plateau, draguant des formes ani-
males shetlandaises bien connues, par une température
décroissant légèrement; elle est de 8°,7 C. dans l’après-midi, à
la profondeur de 203 brasses (station 74). Le sondage suivant,
d'environ 10 milles plus au nord, se fait dans la couche mé—
langée, et donne 5°,5 C. à la profondeur de 250 brasses. Nous
avancons d'environ 30 milles pendant la nuit, et le lende—
main, de bonne heure, nous draguons dans l’eau glacée par
60° 36’ de latitude N. et 3° 58’ de longitude E., profon-
deur 344 brasses, avec température de fond de — 1°,1 C.,
celle de la surface étant de 10°,1 C. Vingt-cing milles plus
à l’ouest, nous sondons de nouveau, vers midi de la même
journée, à 560 brasses, avec — 1°,2 C.
Dans ces deux ou trois derniers draguages, le fond s’est
montré à peu près identique, composé de débris de vieilles
roches et d'argile. La prépondérance des éponges et des échi-
nodermes y est aussi remarquable que la rareté des Mollusques.
Cette région tout entière nous en a fourni un seul spécimen,
et encore paraissait-il être grandement dépaysé : c'était un joli
petit Brachiopode, le Platydia anomioides (Sacchi) (Morri-
sia, Davidson), qui jusqu'ici ne s’est rencontré que dans la
Méditerranée. La grosseur de ce spécimen dépassait de beau—
coup celle des exemplaires méditerranéens, circonstance sin-
gulière, qui a conduit notre ami M. Gwyn Jeffreys à la sup-
position un peu hasardée «que son pays d’origine est dans la
région boréale, peut-être même arctique » .
Nous trouvons ici, adhérant assez fréquemment aux pierres
du fond, deux petites Éponges très-remarquables. L’une d'elles,
que je crois identique avec le Thecophora semisuberites (Oscar
Schmidt) (fig.29), se compose d’un cylindre lisse d’environ * 20
millimètres de longueur, surmonté d'un coussinet mou et spon—
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 123
eieux, avec un ou deux tubes saillants percés au centre. L'autre,
que je désignerai sous le nom de 7hecophora Ibla (fig. 24), à
eause de sa ressemblance avec le Cirripède qui porte ce nom,
se termine par un cône couvert d’écailles, percé d’une seule
Fig. 23. — Thecophora semisuberites, OSCAR Fig. 24. — Thecophora Ibla, WYVILLE THOMSON
Scamipt. Double de la grandeur naturelle. Double de la grandeur naturelle. (N° 76.)
(N° 76.)
cavité au centre. Dans les deux formes, la paroi extérieure est
ferme et luisante, et le microscope la montre composée de fais—
ceaux de spicules dont l’extrémité est émoussée et même tuber-
culeuse. Les faisceaux sont rangés verticalement, et ce tissu
forme un étui complet, qui entoure une masse pulpeuse, gra
nulée et cornée, qui en remplit l’intérieur. Dans cette substance
spongieuse intérieure sont rangés des faisceaux de spicules
de même forme, mais moins serrés qu'à l'extérieur ; les écailles
en saillie qui forment la tête du 7hecophora Lbla sont les extré-
mités de ces faisceaux. Parmi les Échinodermes, l’Ophiacantha
spinulosa est une des formes dominantes, et l’éclat de sa phos-
phorescence nous a beaucoup frappés. Quelques-uns de nos
draguages ayant été faits la nuit, les houppes remontaicnt
chargées d’Etoiles d’où jaillissaieut des lueurs du vert le plus
éclatant : ces Astéries étaient de petite taille; la lumière est
beaucoup plus intense chez les individus les plus jeunes. La
.
124 LES ABIMES DE LA MER.
phosphorescence n’est pas continue et ne se répand pas à la
fois sur toutes les parties de l'animal. De temps en temps une
ligne de feu dessinait le disque et l’éclairait jusqu’au centre,
puis la lueur palissait, et une zone circonscrite, d’un centimètre
de longueur, apparaissait au centre d’un des bras, s’avancant
lentement jusqu’à sa base, ou bien les cinq branches s’enflam-
maient vers les extrémités, et la lueur s’étendait jusqu’au
centre. De trés—jeunes Ophiacantha, tout récemment affranchis
de leurs membranes, étincelaient brillamment. Il n’est pas dou-
teux que la phosphorescence doive toujours se produire dans
une mer ott pullulent les Crustacés, tels que les Dorynchus et
les Munida, pourvus de grands yeux brillants. Pendant cette
croisière, nous avons pu étudier une autre source d’une lumière
splendide. En descendant le détroit de Skye, depuis le Loch
Torridon, pendant notre voyage de retour, nous draguions dans
une profondeur de 100 brasses, et la drague revint tout enche—
vétrée des longues tiges roses de la singulière Plume de mer,
Pavonaria quadrangularis. À chacune de ces tiges se cram—
ponnaient, par leurs longs bras, des Asteronyx Loveni, dont les
corps mous et sphériques ressemblaient à des fruits murs et
charnus suspendus aux branches d’un arbre. Les Pavonaria
resplendissaient d’une phosphorescence lilas pale, semblable a
la flamme du gaz cyanogéne. La lueur n'était pas scintillante
comme la lumière verte de |’ Ophiacantha, mais elle était presque
continue, éclatant plus brillamment sur un point, puis s effa-
cant presque entiérement, mais demeurant cependant toujours
assez vive pour éclairer parfaitement toutes les parties d’une
tige accrochée dans les houppes ou adhérant aux cordes.
D’après le nombre de Pavonaria qu un seul draguage a ramenés,
il est évident que nous avons passé au-dessus d’une forêt. Les
tiges avaient un mètre de longueur, et elles étaient frangées
de centaines de Polypes.
L’Ophiocten sericeum (Forbes) et VOphioscoler purpurea
(D. et K.) sont aussi fort communs, et l'Ophioglypha Sarsi
(Liitken) abonde dans les endroits sablonneux. L’Astérie la plus
a= Se ee >
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 125
abondante est l’Astropecten tenuispinus, toujours remarquable
par sa couleur d'un rouge vif, et, ca et là, un exemplaire de
l'Archaster Andromeda et du Pteraster militaris. Chaque dra-
euage ramenait quelques spécimens de la grande forme de
VEchinus norvegicus, qui est ici d’une nuance pale, de forme
conique, et quirappelle d’une facon singuliére les petites formes
de l'Echinus Fleemingii.
Fic. 25. — Archaster veæillifer, WxviLLE THowsox. Le tiers de la grandeur naturelle (N° 76.)
Nous prenons, à la station 76, en compagnie d'un ou deux
spécimens de l'Archaster Andromeda, un superbe Archaster
(fig. 25), dont l'espèce est certainement de beaucoup la plus
belle qui ait encore été draguée dans les mers du Nord.
Les branches en sont aplaties et presque carrées de section,
à cause de la dimension et de la position des plaques marginales,
qui partent presque verticalement des bords d’un sillon ambu—
lacraire très-large, pour s’arréter au bord du périsome de la
surface dorsale. Les plaques marginales sont couvertes d'abon-
dantes écailles arrondies; elles portent trois rangées de spi-
126 LES ABIMES DE LA MER.
cules, une au bord supérieur, qui forme une frange entourant
la surface dorsale de l’Astérie; une seconde près du centre, et
la dernière un peu plus bas, vers le bord abdominal. Le sillon
ambulacraire est bordé de crêtes composées d’épines insérées
obliquement, courtes vers le sommet et le centre du bras, et
s’allongeant vers sa base pour former, aux angles rentrants qui
se trouvent entre les sillons ambulacraires, des bourrelets sin—
gulièrement beaux. Chaque plaque porte une double rangée
d’épines, et chaque épine est terminée par une seconde et courte
épine en écaille, arrangement qui donne beaucoup d’ampleur
à la bordure. L’épine intérieure de chaque créte, celle qui se
trouve placée du côté du sillon ambulacraire, est plus longue
que les autres, et porte à son extrémité une petite plaque cal-
caire oblongue, qui y est suspendue comme un guidon, et qui
est quelquefois accompagnée d'une seconde plaque rudimen-
taire; celle-ci adhère à la première au moyen d’une espèce de
fourreau gélatineux: il est probable que c’est un pédicellaire
avorté. Ce caractère, qui ne saurait échapper à l'observation,
m'a fait nommer l'espèce vexrilifer. Je ne connais aucune
Astérie dont les sillons et les tubes ambulacraires soient aussi
larges et aussi développés, proportionnellement à la grosseur
de l’animal. Le périsome dorsal est abondamment garni de
paxillæ en forme de rosette. Sa couleur est rose pâle teintée
d’une nuance chamois. Les tubes ambulacraires, lorsque l’ani-
mal est vivant, sont remarquables par leurs grandes dimen-
sions, et sont à demi transparents et d’une couleur rosée.
Nous dépassons encore la limite du courant froid, en nous
dirigeant vers le sud, et sondant successivement dans 290 brasses
avec une température de fond de 5°,3 C., et dans 76 brasses
avec une température de fond de 9°,4, c'est-à-dire avec le
méme résultat que dans une circonstance précédente. Dans
les quatre stations suivantes, 80, 81, 82 et 83, nous avons
répété l’opération en sens inverse, et sondé dans 92 brasses
avee une température de 9°,7 C., dans 142 brasses avec 9°,5,
dans 312 avec 5°,2, et dans 362 avec 3°.
ain ©
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 127.
Après un trajet d'environ 60 milles au sud-est, dans une
direction à peu près parallèle à la zone de 100 brasses, dans la
matinée du samedi 4 septembre, nous pratiquons un sondage
par 59° 34 de latitude N., et 6° 34’ de longitude O., dans
une profondeur de 155 brasses et une température de 9°,5 C.
Deux autres stations, aprés des trajets de 6 et 8 milles, n’ont
fait que nous ramener en deca de la limite de la zone de
100 brasses, dans le courant froid; la premiére a donné une
profondeur de 190 brasses avec température de 9°,3, et la
seconde 445 brasses et — 1°.
Satisfaits de notre travail dans la région froide, et le jour
suivant étant celui du repos, nous naviguons tranquille—
ment vers l’ouest pendant environ 100 milles, dépassant la
pointe de Lews et l’entrée du détroit jusqu'à la station 87
(latit. N. 59° 35’, longit. O. 2° 11’). Ce point est à peu près
sur la ligne centrale de la plus grande profondeur du
détroit, et conséquemment dans l’axe même du courant
froid, la où toutes les particularités de la région froide doi-
vent être le plus marquées. Un sondage nous donne une pro-
fondeur de 767 brasses et une température de fond de 5°,2 C.
Nous sommes done dans la région chaude, et l’eau glacée, distante
de 50 à 60 milles, se trouve complétement encaissée par les
élévations du sol. La température du fond correspond si parfai-
tement ici à celle de la mème profondeur dans le détroit de
Rockall, qu'il est évident qu'il s'échappe à peine une goutte du
courant arctique dans cette direction. Ici la drague ramène près
d’une demi-tonne de limon à Globigérines de l’Atlantique,
travail qui mit à une rude épreuve l’appareil lui-même et la
petite machine à vapeur chargée de le remonter. Le poids de la
drague, ajouté à celui du fardeau, était de 400 kilogrammes;
le tout se rapprochait bien d’une tonne, et la distance à lui
faire parcourir pour le ramener à la surface était de près d’un
mille. Ainsi que cela arrive fréquemment quand ces grandes
masses remontent, il y a peu de formes animales supérieures
dans la drague. Les houppes rapportent pourtant deux ou trois
128 LES ABIMES DE LA MER.
spécimens d’une très-belle Astérie, dont le type appartient
à un genre nouveau.
Le Zoroaster fulgens (fig. 26), Astérie à cing branches,
mesure 250 millimètres de l’extrémité de l’une à l’extrémité
de Vautre. Les bras se prolongent tout près du centre, ne
laissant qu'un disque de 20 millimètres de diamètre. Les
Fic. 26. — Zoroaster fulgens, WyYviLLE THowsox. Le tiers de la grandeur naturelle. (Ne 78.)
sillons ambulacraires sont garnis de quatre rangées de pieds
ambulacraires, ce qui place le genre de l’animal dans la pre-
mière division des Astéries avec I Asteracanthion. Les bras
sont comprimés latéralement et portent une saillie centrale
longitudinale, garnie d’une rangée de grandes épines aiguës,
qui tiennent par des articulations à des vésicules en forme de
boutons. De cette saillie partent des tubercules qui descendent
en ligne courbe jusqu’au bord du sillon ambulacraire, si serrés,
si épais et si durs, que les bras en sont recouverts comme d’une
solide armure. Le disque est pavé de larges plaques calcaires
avec épines articulées ; épines et tubercules vont s’agrandissant
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 129
vers le centre du disque. Toute la surface du corps est garnie
de longs et fins spicules, entremélés de pédicellaires portés sur
des tiges molles et courtes, assujetties à la pointe de spicules
spéciaux. Une rangée d’appendices, portant de grosses touffes
de pédicellaires, accompagne les bords des sillons ambula-
craires. Quand l'animal est vivant, toute la surface de son corps
est enduite d’une matière glaireuse. Le périsome est d'un ma—
gnifique rouge orangé; mais cette couleur est très-fugace et
disparait immédiatement dans l'alcool. Cette forme est très-
caractérisée et très-remarquable; nous ne l’avons rencontrée
qu'une fois seulement. A première vue, le squelette de cette
Astérie a beaucoup de rapports avec celui de certaines espèces
d Ophidiaster, surtout avee l'Ophidiaster asperulus (Lütken) ;
elle se distingue cependant par la quadruple rangée de pieds
ambulacraires, et la conformation de la peau, qui est totalement
différente. Par l’arrangement des ossicules de sa charpente,
elle se rapproche peut-être davantage de VArthraster Dixont
(Forbes) provenant des craies inférieures de la carrière de
Balcombe, près d’Amberley (Sussex). Malheureusement on ne
peut, sur le seul spécimen de cette espèce qui existe au British
Museum, distinguer l’arrangement des plaques dans le sillon
ambulacraire.
Notre provision de charbon tirait à sa fin; ce qui nous en
restait s'évanouissait rapidement en fumée et nous permettait de
tenir tète à un vent contraire passablement violent; nous jugeons
prudent de revenir lentement sur nos pas jusqu’à Stornoway,
en continuant à draguer pendant le trajet. Nous commençons,
dans l’après-midi, par 59° 26’ de latitude N. et 8° 23’ de lon—
gitude O.,-avec 705 brasses de profondeur et une tempéra-
ture de »°,9 C. Continuant notre course vers l’est pendant la
nuit en inclinant légèrement vers le nord, de manière à arriver
_à l'endroit où nous avions déjà ramené les singulières Éponges
à ancres, nous draguons dès le matin par 59° 38’ de latitude N.
et 7° 46° de longitude O., avec 445 brasses de profondeur et
une température de 7°,5 C. Ce draguage n’est pas très-pro—
9
130 LES ABIMES DE LA MER.
ductif, mais il nous procure pourtant un spécimen fort intéres—
sant et d’une beauté extraordinaire. A mesure que la drague
remonte, nous apercevons dans Je sac un gros Oursin écarlate,
que nous pensions devoir être une forme éclatante et de gros—
seur inusitée de VEchinus Fleemingui. Comme le vent était
assez violent et qu'il n’était pas facile de faire renverser la
drague pour la vider de son contenu, nous prenons notre parti
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Fig. 27. — Calveria hystrix, WXVILLE THomson, Les deux tiers de la grandeur naturelle. (Ne 86.)
de ce qui nous parait être une nécessité inévitable, et nous nous
attendons à retirer l’animal en mille pièces. Nous le voyons avee
étonnement rouler hors du sac sans le moindre dommage ; notre
surprise ne fait que s accroitre et se mélange, au moins en ce qui
me concerne, d’une certaine émotion, en voyant l’annnal s’ar-
réter, prendre la forme d’un sphéroïde rougeatre, et se mettre à
palpiter. Ces mouvements sont au moins inusités parmi ces es—
pèces ordinairement impassibles. Il est la pourtant, avec tous les
caractères de l’Oursin de mer, les espaces interambulacraires
et ambulacraires garnis de leurs rangées de pieds tubulaires,
ses spicules, ses cinq dents aiguës et bleuätres, et les ondula-
: CROISIERES DU PORCUPINE. 131
tions les plus singuliéres soulévent son test, aussi flexible que
le cuir le plus souple. Je dus faire appel à tout mon sang-froid
avant de me décider à prendre dans la main ce petit monstre
ensorcelé, en me félicitant cependant du plus intéressant des
accroissements qui depuis longtemps eussent été accordés à ma
famille de prédilection.
Je donne au genre et à l’espéce les noms de notre excellent
commandant et de son charmant petit vaisseau; je le nomme
Calveria hystriz, comme souvenir de reconnaissance pour les
moments agréables que nous avons passés ensemble. Cet Oursin
Fig. 28. — Calveria hystrix, WYVILLE THousON. Surface intérieure du test montrant la disposition
des aires ambulacraires et interambulacraires,
est de forme circulaire et déprimée; il a un peu plus de 120 mil-
limètres de diamètre et environ 25 millimètres d’épaisseur
(fig. 28). Les espaces interambulacraires et ambulacraires sont
larges; le péristome et le périprocte extraordinairement déve-
loppés. Le premier est recouvert de plaques calcaires sembla-
bles à des écailles, perforées jusqu'au bord de la bouche pour
livrer passage aux pieds ambulacraires, comme chez le Cidaris.
Le dernier a un gros tubercule madréporique et cing grandes
ouvertures, au centre desquelles s'ouvrent les larges conduits
des ovaires. La pyramide formée par les machoires, appelée
lanterne d Aristote, est large, forte, et conformée sur le plan de
132 LES ABIMES DE LA MER. ®
celle des Diadematide; les dents sont grandes et simplement
cannelées. La structure par laquelle le Calveria s'écarte cepen—
dant de tous les Oursins actuels connus jusqu'à ce jour consiste
dans la disposition des plaques ambulacraires et interambu-
lacraires, qui, au lieu de se rencontrer bord a bord et de se
rejoindre pour former un seul test continu et dur, comme dans
la plupart des autres Échinides, se dépassent et se recouvrent
les unes les autres : les plaques de l’espace interambulacraire
du pôle apical vers la bouche, celles de l’espace ambula-
craire de la bouche au disque apical (fig. 28). Chez le Calveria,
les parties extérieures des plaques interambulacraires laissent
entre elles des espaces qui sont garnis d'une membrane; les
extrémités intérieures des plaques forment de grandes expan-
sions qui se recouvrent largement. Les paires de pores ambu-
lacraires sont très-singulièrement disposées ; elles sont placées
par ares composés de {rois paires, mais deux des paires de
chaque are perforent les petites plaques accessoires spéciales,
tandis que la troisième paire pénètre la plaque ambulacraire
près de son sommet. Les extrémités extéricures des plaques
interambulacraires croisent les pointes extérieures des plaques
ambulacraires, de sorte que les espaces ambulacraires sont
constamment en dedans des interambulacraires. Les plaques
interambulacraires portent tout près de leur extrémité exté-
ricure, où elles croisent les plaques ambulacraires, un gros
tubereule primitif; deux rangées irrégulières de tubercules
primitifs soutenant de longs spicules sont placées dans le
milieu de l’espace ambulacraire ; la surface libre des plaques
est parsemée de. très-épais tubercules secondaires et de grains
miliaires. Les spicules sont minces, creux, et portent en saillie
des processus qui forment d’imparfaites spirales rappelant les
petites épines des Diadematide. La couleur du test est un
beau cramoisi avec reflets violets. Elle est très-persistante,
car l'unique spécimen complet qui ait été obtenu, conservé
dans l'alcool, n'a jusqu'ici rien perdu de son éclat.
Pendant l'été de 1870, eu draguant sur les côtes du Portugal,
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 133
M. Gwyn Jeffreys ramena deux individus à peu près complets
et plusieurs fragments d’une autre espèce du genre Calveria ;
l'étude soigneuse qui depuis lors a été faite de ces fragments
et de ces débris a démontré que cette seconde espèce, le Calveria
fenestrata, se trouve également dans les grandes profondeurs
des côtes de l'Écosse et de l'Irlande. Les plaques interambu-
lacraires en sont plus étroites, les espaces garnis de membranes
qui les séparent sont plus grands, et les
larges expansions d’entrecroisement de
la ligne centrale sont aussi beaucoup plus
considérables. Les spicules ont la méme
forme et sont disposés de la même ma-
nière; cependant parallèlement à la ran-
gée extérieure qui règne sur chaque es-
pace interambulacraire, 1l existe une série
de quatre ou cinq pédicellaires d’un type
tout à fait à part. La tête du pédicellaire
portée sur une longue tige se compose
de quatre valves (fig. 29). La partie ter-
minale est fenétrée, contenue dans un
élégant encadrement crénelé, et penchée
d’une façon qui rappelle le Campylo-
discus. Ces disques s'élèvent sur de légers
pédicelles creux, qui s’élargissent dans la
partie inférieure à leur point d'attache
avec la tige commune. Une masse de Fic.29.— Calverix fenestratu,
: WYVILLE THOMSON. Pédicel-
muscles enveloppe la base du groupe des faire à quatre valves.
pédicelles, et, sans aucun doute, règle
les mouvements des valves les unes par rapport aux autres.
Il est difficile de se rendre compte des différences de position
que peuvent occuper les valves, quand l'instrument, quel que
soit l'usage auquel il est destiné, est fermé.
Après avoir marché 10 milles vers le sud-est, nous descen—
dons la drague, abondamment pourvue de houppes de chanvre
et de tous les accessoires propres à saisir les habitants des
134 LES ABIMES DE LA MER.
abimes; la place est la méme, ainsi que notre commandant
nous l’assure, que celle d’où nous avons ramené les Hollenia,
au début de notre croisiére. Nous y arrivons dans la soirée, et,
suivant une méthode qui nous avait réussi déjà une ou deux
fois, nous laissons la drague au fond toute la nuit dériver avec
le navire. Nous la retirons le lendemain seulement, de grand
matin. Je ne pense pas que dragueur humain ait jamais fait
pareille péche! Les habitants spéciaux de cette région, Éponges
siliceuses et Échinodermes, avaient si bien agréé les houppes,
qu'ils s’y étaient attachés et introduits dessus, dessous et dedans,
de façon à former une masse que nous etimes grand’peine à re-
tirer à bord. Des douzaines de grands Holtenia semblables a
« Des têtes vieillies et ridées,
« Avec barbe et cheveux blanchis, »
dont quelques-uns des plus beaux se détachent juste à ce mo-
ment critique où le poids de toutes choses double en sortant
de l’eau, et retombent dans leur élément natal, à notre inex-
primable chagrin; de brillantes touffes de spicules de l’A/yalo-
nema; une myriade du charmant petit 7isiphonia, semblable
à un champignon; une fulgurante constellation de l’Astropecten
tenuispinus écarlate, pendant qu'une houppe tout entière était
rougie des membres disjoints d’un splendide Brisinga.
Il ne se trouve rien de bien nouveau dans le sac. Quel-
ques grands Munida, avec leurs yeux sphériques ; quelques
beaux Kophobelemnon Mulleri; un exemplaire de l’Euryalide
Asteronyxz Loveni, à peu près le seul Échinoderme scan-
dinave que nous n’eussions pas encore pris, et un spécimen
endommagé d’un Oursin flexible qu'au premier abord nous sup-
posions appartenir à la même espèce que notre trouvaille de la
veille, bien que sa couleur, d’un gris uni, fut bien différente.
L'examen nous prouva qu'il est le type d’un groupe générique
totalement différent de la même famille.
Le Phormosoma placenta ressemble au Calveria en ce qu'il
a le périsome flexible, et les plaques entrecroisées de la même
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 135
manière et dans le même sens; mais ces plaques ne s’imbriquent
que faiblement, et ne sont pas séparées par des espaces mem—
braneux, de sorte qu'elles forment un test continu. Le caractère
qui distingue cette espèce, c'est que sa surface supérieure est
tout-a fait différente de Vinférieure. En haut, les espaces am—
bulacraires et interambulacraires sont bien distinets, et, dans
les proportions ordinaires, l’espace interambulacraire du double
plus grand que Pambulacraire; les spicules ressemblent beau-
coup à ceux du Calveria, et sont disposés à peu près de la même
manière. A la périphérie, le test forme une sorte de bourrelet,
et change entièrement de conformation; du bord jusqu’à la
bouche, la différence entre les espaces ambulacraires et interam-
bulacraires n'existe plus, et les sutures des plaques sont à peine
visibles; l’area est réduite à de simples lignes de doubles pores;
toute la surface du test est semée régulièrement de larges
zones de tubercules primitifs portant des spicules petits, fra—
giles, et apparemment hors de toute proportion avee la masse
de muscles qui s’y rapportent et qui remplissent les aréoles.
Comme chez le Calveria, les tubercules sont perforés.
Nous avons fait la connaissance de trois familles d’Oursins,
qui, tout en différant de la manière la plus marquée de tous les
autres groupes vivants connus, ont cependant certains rapports
avec quelques-uns d’entre eux, et trouvent tout naturellement
leur place dans la classification générale. Ce sont des Échinides
complets; ils ont le nombre voulu et l’arrangement normal des
parties essentielles. Par la continuité des lignes de pores ambu-
lacraires sur la membrane écailleuse, du péristome à la bouche,
ils ressemblent aux Cidaride; ils se rapprochent des Diade-
matide par leurs spicules creux, par la forme de leurs petits
pédicellaires et par la structure générale des machoires. Ils
s’éloignent de ces deux familles autant qu'il est possible de
le faire sans cesser d’appartenir au même sous-ordre, par la
disposition imbriquée des plaques et par la structure des zones
interambulacraires.
Il y a quelques années, M. Wickham Flower, de Park Hill,
136 LES ABIMES DE LA MER.
Croydon, acquit un très-curieux fossile, trouvé dans les craies
supérieures de Higham, près de Rochester. Il se composait de
plusieurs séries de plaques imbriquées, rayonnant autour d’un
centre, et tandis que certaines séries de ces plaques étaient
percées des doubles pores caractéristiques, ceux-ci étaient
absents des séries intermédiaires. Quelques caractères de ce
fossile, en particulier la disposition imbriquée des plaques,
qui indiquaient une sphère d'au moins quatre pouces de
diamètre, étaient une sérieuse difficulté pour sa classification.
Édouard Forbes l’examina sans vouloir hasarder une opinion.
L’impression générale était qu'on avait là le péristome écailleux
de quelque gros Oursin, probablement le Cyphosoma, dont le
genre abonde dans les mêmes couches. Quelques années après
la découverte du premier spécimen, un second fut obtenu par
le Rév. Norman Glass, de Charlton, Kent. Au premier abord, le
spécimen parut devoir résoudre le problème, car au centre se
développait la lanterne d’ Aristote. C'était done là le péristome
de l’Oursin dont le spécimen de M. Flower était le périprocte.
Feu le D'S. P. Woodward examina les deux échantillons, et
reconnut que la question n’était pas si facile à résoudre. Il
découvrit la singulière inversion de l’imbrication des plaques
des espaces ambulacraires et interambulacraires, qui a été
décrite à propos du Calveria; il put retrouver quelque trace
des plaques sur le côté du spécimen, et remarqua qu'elles
étaient disposées en sens inverse sur la face opposée. Il étudia
la chose avec persévérance et intelligence, et arriva à conelure
qu'il avait affaire au représentant d’une famille disparue
d'Échinides complets.
Woodward nomme son genre nouveau Æchnothuria, et
décrit l’espèce de la craie, l'Echinothuria floris, presque aussi
complétement et exactement que nous pourrions le faire main—
tenant que nous connaissons sa parenté, car | Echinothuria
a des rapports très-directs avec le Calveria et le Phormosoma.
Ils ont de commun les organes essentiels de la famille. Les
plaques imbriquées ont les mêmes directions et la même dispo-
4 CROISIÈRES DU PORCUPINE. | 137
sition, et la structure de l’espace ambulacraire, si spéciale et si
caractéristique, est la même. L’ E'chinothuria diffère du Calveria
en ce que les plaques interambulacraires et ambulacraires sont
plus grandes, moins imbriquées, et qu'il n’y a pas de sépara-
tions membraneuses; il diffère du Phormosoma en ce que la
structure et l’ornementation des surfaces supérieure et infé-
rieure du test sont les mêmes.
Le genre Echinothuria ayant été le premier décrit, il m’a
paru naturel de nommer la famille les £chinothuride, et je le
fais d'autant plus volontiers, que c'est l'adoption d'un terme
employé par mon ami feu le D' Woodward, dont la mort pré-
maturée est une perte sérieuse pour la science. Dans le mémoire
du D' Woodward, on lit le curieux paragraphe suivant :
« Après cette explication, concluante selon toute apparence,
il est convenable de donner un nom à ce fossile, d'essayer d’en
faire une description succincte, quoique sa classe et ses affinités
soient encore matière à conjectures. Pour le moment, il est un
de ces organismes anormaux que Milne Edwards compare à des
étoiles solitaires qui ne font partie d’aucune constellation. Les
disciples de von Baer peuvent le considérer comme «une forme
généralisée » des Échinodermes, arrivée un peu tard cependant
dans l’époque géologique. Sa description devra être agréable à
ceux qui triomphent de « l’imperfection des annales de la géo-
logie», car elle parait indiquer l’existence antérieure d’une
famille ou tribu dont l'histoire est destinée à demeurer pour
jamais incomplète. »
Les conséquences particulières de la découverte de ce groupe
et des diverses formes animales alliées aux fossiles de la craie,
qui vivent dans la vase crayeuse du lit de l'Atlantique, seront
développées dans un des chapitres suivants.
Pendant que nous sommes occupés à examiner le merveilleux
draguage, notre petit Porcupine poursuit tranquillement sa
route vers le sud, dépasse Vile de Rona et le cap Wrath, tourné
vers le nord, et au pied duquel les vagues bleues et glacées
apportent leurs volutes paisibles, mais qui doivent y étre sou-
138 LES ABIMES DE LA MER.
vent terribles; puis c’est la pointe de Lews, toujours bienvenue,
et enfin le port de Stornoway. Nous y demeurons quelques jours,
heureux, malgré les circonstances toutes favorables de notre
croisière, d’échanger la vie un peu monotone d’une canonnière
contre la cordiale hospitalité du chateau de Stornoway.
La faune de la région chaude est soumise à des conditions
tout à fait spéciales et particulières que nous examinerons un
peu plus tard. Tandis que la région froide occupe un espace
très-borné, la région chaude s'étend sans interruption depuis
les Farôer jusqu'au détroit de Gibraltar : du moins les mémes
conditions se rencontrent sur cet espace; mais, ainsi que cela
sera expliqué plus loin avec détail, les 600 ou 700 brasses :
d’eau, à l'entrée du détroit des Faréer, correspondent à la
même épaisseur, à la surface du détroit de Rockall ou dans le
bassin de Atlantique. Les premières 700 ou 800 brasses, dans
tous les cas, sont absolument chaudes: mais quand la profon-
deur dépasse de beaucoup 800 brasses, on arrive à une masse
d’eau froide dont la température s’abaisse lentement jusqu’au
point de congélation. Le fond, qui est habité par la faune, n’est
done chaud que lorsque la profondeur ne dépasse pas 800 brasses ;
ce nest que dans ces conditions-la que le terme d'espace chaud
est applicable. Telles sont les conditions, à la hauteur des Faréer,
qui rendent le contraste entre la région froide et la région
chaude si tranché. Malgré ces restrictions, la région chaude,
autant qu'il nous a été possible de l’étudier et de la connaitre,
s'étend indéfiniment dans la direction du midi, occupant ap—
proximativement le long des côtes la zone de 300 à 800 brasses.
Partout, dans les grandes profondeurs, les conditions de climat
se rapprochent de celles de la région froide ; mais les caractères
d’une faune, c'est-à-dire d’un assemblage d'animaux sur un
même point, ne dépend pas seulement de la température : il
dépend encore des lois qui président à la distribution des êtres
vivants dans les mers profondes, sujet sur lequel nous n’avons
encore que des données bien incertaines.
Le fond de la région froide, dans le détroit des Faréer, est
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 139
un gravier grossier. Celui de la région chaude est presque par—
tout composé de limon à Globigérines à peu près homogène;
cette circonstance seule suffirait pour marquer une différence
dans les habitudes et le mode d'existence des animaux.
En ce qui concerne les Foraminifères, dans la région chaude,
la drague est toujours revenue chargée de Globigérines, d'Orbu-
lines, et d’une vase fine et calcaire qui provient de leurs débris.
La se trouvent des multitudes d’autres formes, dont la plupart
sont de grande dimension. Je cite le D' Carpenter, qui dit, en
parlant du terrain sur lequel se trouvent les Holtenia: « Les
Foraminifères récoltés dans cette région et dans les parties
environnantes de la région chaude présentent bien des traits
intéressants. Ainsi que cela a déjà été dit, plusieurs des formes
arénacées (dont quelques-unes nouvelles) étaient fort abon-
dantes; ajoutées à celles-ci, nous avons ramené beaucoup de
Miliolines de types variés, dont plusieurs de dimensions rares et
même inconnues jusqu'ici. Comme l’année dernière, nous avons
rencontré des Cornuspira, rappelant dans leurs traits généraux
les grands Operculina des mers tropicales ; des Biloculina et des
Triloculina, dont la grosseur dépasse de beaucoup les formes
du littoral britannique; avec ceux-ci des Cristellaria de dimen-
sions non moins remarquables, offrant tous les passages, depuis
la forme presque rectiligne jusqu’à la nautiloide, et en si par—
fait état, que leurs corps peuvent être dégagés parfaitement
entiers de leurs coquilles, en faisant dissoudre celles-ci dans
un acide étendu.
Les Eponges sont fort abondantes, mais restreintes à un
petit nombre d'espèces; toutes affectent l’une ou l’autre des
curieuses formes d’Eponges à ancres. Parmi les Hexactinellide,
l’Holtenia est la forme la plus remarquable et la plus abondante.
L’Hyalonema est commun aussi, mais nous n’en avons obtenu
qu'un petit nombre de spécimens complets, ayant le corps et la
corde siliceuse réunis. Les têtes coniques d’Eponges étaient
fort nombreuses, et paraissaient avoir été détachées par les
bords de la drague, la corde siliceuse demeurant dans la vase,
140 LES ABIMES DE LA MER.
ou bien les cordes remontaient sans Éponges. Les cordes étaient
presque toujours incrustées par le fidèle commensal de V Hya/o-
nema, le Palythoa fatua. Ve tres—jeunes exemplaires de l Hya-
lonema, dont la touffe ne mesurait pas plus de 5 à 20 millimètres
de longueur, n’abritaient ordinairement pas de Pa/ythoa; mais
dès qu'ils dépassaient ces dimensions, on pouvait toujours voir
le premier polype du Palythoa apparaitre comme un bouton peu
volumineux, entouré de son cœnosarcome rose et adhérent.
L’Eponge qui est de beaucoup la plus commune dans le limon
crayeux est la jolie petite forme hémisphérique et cortiquée
appelée Tisiphonia agariciformis. Cette espèce parait être la
proche alliée d'une Eponge grosse, lourde et incrustante, que
nous avons fréquemment trouvée attachée aux roches, dans la
région froide; et bien qu'elle en diffère beaucoup par lexté-
rieur et par les habitudes, la forme des spicules a beaucoup
d’analogie ; leur disposition est la même, et il semble que si l’on
pouvait ramener les deux formes à des dimensions moyennes,
elles se rapprocheraient beaucoup.
Dans la région chaude, comme dans la froide, à ces grandes
profondeurs, il y a absence complète d’Hydrozoaires. Quelques
espèces de Sertularia et de Plumularia, avec une ou deux formes
voisines, ont été capturées ; elles se trouvent en ce moment dans
les mains habiles du D" Allman, chargé de les classer; leur petit
nombre et leur insignifiance sont remarquables.
Les vrais Coraux ne sont pas non plus représentés par de
nombreuses espèces, quoique dans certaines localités il y ait une
extrème abondance d'individus. Pendant les croisières du Por-
cupine, en 1869, douze espèces de Madrépores ont été rame-
nées et ont été étudiées par M. le professeur Martin Duncan.
Aucune d'elles n'appartient au groupe des « constructeurs de
récifs» ; mais quelques-unes seulement rentrent dans les familles
des Coraux des grandes profondeurs, qui paraissent avoir de
nombreux représentants pendant toutes Les périodes géologiques
récentes. Dans la zone de profondeur moyenne qui s'étend ver-
ticalement depuis l'horizon de 100 brasses, nous avons trouvé,
CROISIÈRES DU PORCUPINE. Lit
en certains endroits et en grande abondance, plusieurs variétés
de Caryophyllia borealis (Fleeming) (fig. 4); et à la profon-
deur de 300 à 600 brasses, le beau Lophohela prolifera (Pallas)
à branches (fig. 30) tapisse le fond de ses bosquets pétrifiés
sur une étendue d'un grand nombre de milles, et fournit un
ric. 50, — Lophohelia prolifera, PALLAS, Trois quarts de la grandeur naturelle. (N° 26.)
abri fort apprécié à des multitudes d’Arca nodulosa, de Psolus
squamalus, d'Ophiopholis aculeata, et autres « indolents com-
mensaux ».
Cinq espèces d’ Amphihela provenant de l’expédition du Por:
cupine sont citées par M. le professeur Martin Duncan : l’ Am-—
plahelia profunda (Pourtalès), l'Araphihelia oculata (L. sp.),
VAmphihelia miocenica (Seguenza), Amph. atlantica(nov. sp.),
et VAmphihela ornata (nov. sp.). A une ou deux reprises, par-
142 LES ABIMES DE LA MER.
ticulièrement près des confins de la région froide, les houppes
ont accroché d’élégants fragments du Corail pierreux, Allopora
oculina (Ehrenberg) (fig. 31).
Bien que plusieurs des Echinodermes de la région froide se
trouvent aussi dans la chaude, l'aspect général de cette faune
ME Allopora oculina, EHRENBERG,
est différent ; il y existe beaucoup plus de formes, et, parmi
celles—ci, il en est de très-remarquables.
Le Cidaris papillata (Leske) abonde dans les profondeurs
moyennes. Lors de notre seconde visite à la région des Holtenia,
nous avons dragué un petit spécimen du joli Oursin Porocidaris
purpurata, qui a été déjà décrit. Un superbe Oursin aux cou-
leurs brillantes, appartenant au groupe des £chinus Fleemingi,
mais quis en distingue par des earactères vraiment spécifiques,
VEchinus microstoma (Wyville Thomson), est commun et de
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 143
grande taille; avec lui, beaucoup d'exemplaires brillamment
coloriés de la plus petite des formes de PEchinus norvegicus.
Les trois espèces d'Échinothurides, Calveria hystrix, Cal-
veria fenestrata et Phormosoma placenta, Wont été trouvées
jusqu'ici que dans cette région seulement; leur zone de disper—
sion parait être vaste et s'étendre dans les mêmes profondeurs et
à la même température, depuis les îles Farôer jusqu’au sud de
l'Espagne. J’ai appris, par M. le professeur Agassiz, que le comte
de Pourtalès a dragué des fragments d’une des espèces avec des
circonstances à peu près identiques dans le détroit de la Floride.
Les Cribrella sanguinolenta se comptaient par milliers, de toutes
les couleurs : écarlate, orange vif et brun-chocolat. Il a été trouvé
plusieurs exemplaires d’un beau Seytaster, qui est probable
ment le mème que lAsferias canariensis de d'Orbigny: sil
en est ainsi, sa distribution est méridionale. Une forme animale
qu'on prendrait facilement pour le jeune de quelque autre
espèce, le curieux petit Pedicellaster typicus de Sars, n’était
pas rare. La région des Holtenia a donné un petit spécimen
du Péeraster militaris; mais sauf l'exception de l’As/ropecten
fenuispinus, qui paraissait être plus abondant que jamais, les
Échinodermes arctiques caractéristiques faisaient défaut. Nous
n'avons pris ici aucun exemplaire de Zoropneustes droba-
chiensis, Tripylus fragilis, Archaster Andromeda, Ctenodiscus
crispatus, Astropecten arcticus, Euryale Linkii, Ophioscoler
glacialis, ou Antedon Eschrichtiu. W est probable qu'il existe,
dans la région chaude, des colonies d’une ou de plusieurs de
ces espèces, car la zone où elles abondent, dans ces condi-
tions de climat bien différentes, n’est éloignée que de quelques
milles, et n’est séparée par aucun obstacle; quoi qu'il en soit,
elles n’abondent pas dans cette localité. L’Amphiura abyssi-
cola (Sars) était en nombre, attaché aux Éponges, et l’Ophia-
cantha spinulosa était presque aussi commun que dans la
région froide.
Nous avons ramené un ou deux petits exemplaires d'un très-
bel Ophiuride dont on avait déjà trouvé des spécimens plus
141 LES ABIMES DE LA MER.
orands à la mème profondeur, à la même température pendant
la seconde croisière de la saison. à la hauteur des côtes de
l'Irlande. Cette forme appartient trés-probablement à l’'Ophio-
musium de Lyman, quoique les caractères du genre doivent
Fig. 32. — Ophiomusium Lymani, WYVILLE THOMSON, face dorsale. Grandeur naturelie, (Ne 45.)
être quelque peu modifiés. L’Ophiomusium eburnewn (Lyman),
dont plusieurs spécimens ont été ramenés par le comte de Pour-
talès de 270 à 335 brasses de profondeur, à la hauteur de
Sandy Key, se distingue par la grande solidité et la complète
calcification du périsome. Les plaques du disque sont soudées
ensemble, de manière à former une mosaïque serrée. Les papilles
de la bouche sont fondues, et forment deux lignes: leur nombre
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 145
west indiqué que par des sillons. Les plaques latérales des bras
sont réunies en dessus et en dessous; les plaques supérienres
et inférieures sont réduites à un état rudimentaire, et il
n existe plus de tentacules au delà de la première articulation
des membres.
Dans notre nouvelle espèce, que je nommerai provisoirement
Ophiomusium Lyman, le diamètre du disque est de 28 milli-
Fie. 33. — Oplaomusuon Lyman, WYNILLE Thomson, face dorsale.
mètres, et la longueur de chaque bras de 100 millim. pour les
grands spécimens. Les deux plaques latérales des bras, soudées
ensemble, forment des anneaux complets, et leur bord est en-
taillé de façon à recevoir sept épines, dont celle qui est placée
à la partie inférieure est de beaucoup la plus longue. Les plaques
dorsales des bras sont petites, de forme carrée, et nsérées entre
les plaques latérales, à l'extrémité de leur ligne de Jonction.
Les plaques abdominales des membres manquent entière-
ment, C’est une grande et belle Astérie. Je ne connais aucune
10
146 LES ABIMES DE LA MER.
forme fossile qu'on puisse classer dans le même genre, mais on
pourrait lui trouver des congénères dans la craie supérieure.
Les Holothurides ne se sont pas montrés communs, mais le sin—
gulier petit £chinocucumis typica de Sars, couvert de plaques
épineuses, remontait à chaque draguage.
Les Crustacés sont nombreux, mais nous ne retrouvons plus
les gigantesques Amphipodes et Isopodes de la région froide.
Va
A
À
EG 34. — Dorynchus Thomsoni, Norman, Une fois et demie la grandeur naturelle,
Se trouve dans toutes les eaux profondes.
La jolie petite forme aux yeux pédonculés, le Dorynchus Thom-
soni (Norman) (fig. 34), petite, fréele, et distincte de toutes les
espèces déjà décrites du genre, est très-largement distribuée.
Les longues jambes minces de ce Crabe et la légèreté de son
corps ont été la cause qu'il s’est souvent embarrassé dans la
partie de la corde qui touchait le fond. Une autre nouvelle
et belle espèce, l'Amathia Carpenteri (Norman) (fig. 35), est
commune dans le limon crayeux et sablonneux du terrain
des Holtenia. Ce genre était déjà connu comme forme médi-
terranéenne. 3 |
Je cite maintenant l'extrait d’une notice préliminaire du
Rév. A. Merle Norman, sur les Crustacés :
«L’Ethusa granulata (sp. n.) appartient a l’espèce trouvée
à la hauteur de Valentia, mais présente dans sa conformation
une modification des plus extraordinaires. Les exemplaires
CROISIÈRES DU PORCUPINE. li
trouvés, de 110 à 370 brasses, dans les parages plus méridio—
naux, ont la carapace armée, dans sa partie antérieure, d’un
rostre aigu d’une longueur considérable. L'animal parait être
aveugle, mais il a deux remarquables tiges oculaires, lisses
Fig. 35, — Amathia Carpenteri, Norman. Une fois et demie la grandeur naturelle. (No 47.)
et arrondies a l'extrémité où l’œil est ordinairement placé.
Cependant, chez les spécimens venus du nord, habitant une
profondeur de 542 à 705 brasses, les pédoncules oculaires ne
sont plus mobiles; ils se sont complétement fixés dans leurs
alvéoles, et leur caractère est changé. Leurs dimensions sont
de beaucoup plus grandes; ils sont plus rapprochés à leur
base, et au lieu d’être arrondies, leurs extrémités se terminent
par un rostre très-solide. Ne servant plus pour les yeux, elles
fonctionnent comme rostres, et le véritable rostre, si saillant
dans les spécimens venus du midi, a (chose merveilleuse) dis-
paru. Si nous wavions trouvé qu'un seul exemplaire de cette
forme, nous aurions pensé sans hésitation que nous étions
14s LES ABIMES DE LA MER.
tombés sur une monstruosité; cette hypothèse ne saurait être
invoquée pour expliquer cette modification dans la transfor-
mation amenée par le changement dans les conditions de la
vie. Trois individus ont été trouvés à trois reprises différentes,
et ils sont, à tous égards, parfaitement identiques. »
Les Mollusques sont infiniment plus abondants et plus variés
dans la région chaude que dans la froide. M. Gwyn Jeffreys
remarque cependant qu'il n’y a pas une différence aussi mar-
quée entre les Mollusques des deux régions qu'on eût pu s'y
attendre, à cause de la différence des conditions; la plupart
des espèces sont communes. A 500 brasses, les Éponges sont
couvertes de Peclen vitreus (Chemnitz) et de Columbella
Halicæti (Jeffreys). La région entière produit des Mollusques de
plusieurs genres, tels que Lima, Dacridium, Nucula, Leda,
Montacuta, Axinus, Astarte, Tellina, Newra, Dentalium, Ca-
dulus, Siphonodentalium, Rissoa, Aclis, Odostomia, Aporrhais,
Pleurotoma, Fusus et Buccinum.
Prise dans son ensemble, la faune de la région chaude du
nord de l'Écosse paraît n'être que l'extension d’une faune que
nous ne connatssons encore qu'imparfaitement, et qui occupe ce
qu'il nous faut maintenant appeler les profondeurs moyennes,
c’est-à-dire la zone de 300 à 800 brasses, le long de côtes bai-
gnées par des courants équatoriaux. Cette faune est évidem—
ment très-riche, malheureusement elle n’est pas accessible aux
draguages ordinaires faits sur des bateaux plats; mais comme
elle n'atteint pas à une profondeur qui puisse opposer de très-
grandes difficultés à un yacht de grandeur moyenne, comme
son étude offre précisément l'attrait de la nouveauté et de
l'imprévu propre à stimuler le zèle des amateurs, nous espé-
rons que sa distribution et ses conditions seront bientôt étu-
diées. M. Marshall Hall vient de faire dans cette voie un pas des
mieux réussis : avee son yacht Vorna, et aidé de M. Saville
Kent, il a, par ses draguages sur les côtes du Portugal, ajouté
beaucoup aux lumières déjà acquises sur la zoologie de la
région chaude,
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 149
Nous quittons Sternoway le 13 septembre, et dans l’après-
midi, nous employons quelques heures à faire des draguages
dans le Loch Torridon, avec peu de résultats. Ce n’est que tard
dans la soirée, qu’en descendant le détroit de Raasay, nous pas-
sons au-dessus de la forêt lumineuse de Pavonaria, dont nous
avons déjà fait mention. Le 14, à midi, nous sommes à la hau—
teur de Vile de Mull, et le 15 nous jetons l’anere dans le bassin
d’Abercorn, à Belfast, où nous prenons congé du Porcupine, du
commandant et des ofliciers, devenus pour nous de vrais amis :
nous avons l'espoir de les revoir bientôt, et nous sommes com—
plétement satisfaits de nos travaux de l'été. |
Le 24 mars 1870, il a été donné lecture au conseil de la
Société Royale d’une lettre du D' Carpenter, adressée au Prési-
dent, proposant qu'une exploration du fond de la mer, sem-
blable à celles qui, en 1868 et 1869, ont eu pour théâtre l’espace
qui s'étend au nord et à l’ouest des Iles Britanniques, fût
envoyée au sud de l’Europe, dans la Méditerranée; le conseil
voulut bien recommander cette entreprise à la bienveillance
de l’Amirauté, afin d'obtenir par son entremise, comme dans
les occasions précédentes, la coopération du Gouvernement de
Sa Majesté. La correspondance officielle qui a été échangée
au sujet de l'expédition de 1870 se trouve dans l’Appendice A
de ce chapitre.
L'expédition de cette année devait, comme celle de la précé-
dente, se diviser en croisières. Ainsi que cela avait déjà eu lieu,
M. Gwyn Jeffreys se chargea de diriger la première, pendant
que le D' Carpenter et moi-même étions retenus par nos travaux
officiels. Un jeune naturaliste suédois, M. Josué Lindahl, de
l’université de Lund, l’accompagnait en qualité de préparateur
de zoologie, et M. W. L. Carpenter se chargeait des travaux de
chimie. Il fut convenu que la croisière de M. Jeffreys s'étendrait
de Falmouth jusqu'à Gibraltar, où le D' Carpenter et moi de-
150 LES ABIMES DE LA MER.
vions le rejoindre, le remplacer, et travailler ensemble comme
nous l’avions fait l’année précédente; mais des accès de fièvre
me retinrent malheureusement au lit, et toute la charge de la
dernière croisière dans la Méditerranée retomba sur le D°Car-
penter. Par suite de ce contre-temps, je ne puis donner que de
seconde main le compte rendu succinct de la première partie
des travaux de 1870, nécessaire pour compléter Vapercu de
ce qui a été accompli pour résoudre la question des conditions
et de la faune du nord de l'Atlantique.
Dans la Méditerranée, le D' Carpenter a trouvé des condi-
tions de température et de distribution de la vie animale tout
à fait anormales, ainsi que pouvait jusqu'à un certain point
le faire présumer la position exceptionnelle de cette mer inté-
rieure. Les recherches faites en 1870 n’ont fait que préparer
les voies qui conduiront un jour à la solution de toute une
série de problèmes spéciaux et particuliers; je ne puis, pour
le moment, quindiquer les résultats généraux obtenus par
mes collègues.
Le Porcupine quitta Falmouth le 4 juillet; mais, pendant plu-
sieurs jours, brouillards et vents contraires se réunirent pour le
retenir dans le détroit. Le 7 juillet, il atteignit la pente qui des-
cend du plateau du détroit aux grandes profondeurs de l’Atlan-
tique. On fit un premier draguage dans 567 brasses. M. Jetfreys
représente le contenu de la drague comme plus intéressant
que considérable. Parmi les Mollusques, il cite : Terebratula
septata, Limopsis borealis, Hela tenella, Verticordia abyssicola,
Turbo filosus et Ringicula ventricosa. Le Turbo filosus, et
sa variété Turbo glabratus, n'étaient connus jusque-là qu'à
l’état fossile dans les tertiaires de la Calabre et de Messine.
Le Terebratula septata, le Limopsis borealis et Hela tenella
se trouvent fossiles aussi dans les couches pliocénes de I’Italie
du sud, et vivants dans les mers scandinaves. M. Norman cite,
parmi les Crustacés, de nouvelles espèces d’ Ampelisca et de six
autres genres, et le bel Æchinus microstoma écarlate, comme
étant l’Échinoderme le plus remarquable.
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CROISIÈRES DU PORCUPINE. 151
Pendant le trajet du navire sur la pente du détroit, le vent
fut trop faible pour que le draguage réussit, car il y avait
à peine assez de dérive pour entrainer l'engin. Les houppes
devinrent fort utiles pour compléter le travail en recueillant
tout ce qui, à un degré quelconque, était pourvu d’épines ou
de quelques autres aspérités.
Le premier draguage opéré dans la journée du 8 fut à peu
près nul, mais les suivants, dans le courant de la même journée,
à 690 et 500 brasses, donnèrent, d'importants résultats. Outre
les espèces septentrionales ordinaires, on vit apparaitre le
Rhynchonella sicula (Seguenza), le Pleuronectia (sp. n.), et
l'Actæon (sp. n.). M. Norman représente le n° 3 comme « un
draguage des plus importants, dont le résultat au point de vue
de l'étude des Crustacés est plus précieux que ceux de tous les
autres draguages réunis de la première croisière. Il comprend
presque toutes les plus rares des nouvelles espèces de l'expédi-
tion de l’année précédente, ainsi que quatre Crustacés fort inté-
ressants, dont les yeux sont pédonculés; trois sont nouveaux, et
le quatrième, le Geryon tridens appartient à une beile espèce
norvégienne. Avec celles-ci se trouvaient deux formes d’un
caractère plus méridional, V/nachus dorsettensis et VEbalia
Cranchii, que je ne m'attendais pas à trouver à pareille profon—
deur. > Les Échinodermes appartenaient à des groupes très-
septentrionaux. Ils comprenaient : le Cidaris papillata,V Echinus
norvegicus et VE chinus microstoma, des jeunes du Brissopsis
lyrifera, de VAstropecten arcticus, de V Archaster Andromeda
et de l’Archaster Parelli, avec un petit spécimen de l Ophiomu-
sum Lymani; plusieurs exemplaires de l Ophiacantha spinu-
losa, et, comme a Vordinaire, un ou deux exemplaires de la
forme répandue partout, l’£chinocucumis typica. Le D" Mac
Intosh, à qui les Annélides ont été renvoyés, distingue, comme
espèce supposée essentiellement septentrionale, le 7helepus
coronatus (Fabr.). L’Holtenia Carpenteri, notre Eponge bien
connue, était ee sur les houppes par un grand nombre
d'individus de tous âges et de toutes dimensions.
152 LES ABIMES DE LA MER.
{ juillet.
un travail bien fructueux. Draguages à 717 et 358 brasses; on
Le vent est encore trop faible pour permettre
ramène une certaine quantité de Mollusques ayant le caractère
d'être, pour la plupart, communs à la faune récente des mers de
Norvége et à la faune pliocène de la Sicile et de la Méditerranée.
Ces draguages ont ramené le Terebratella spitzbergensis, forme
arctique et japonaise; le Pecten vitreus et le Pecten aratus ;
le Leda Pernula, le Trochus suturalis, V Odostomia nitens et le
Pleurotoma hispidulum. Parmi les Échinodermes se trouvait
un beau spécimen de Lrisinga endecacnemos (Absjornsen),
très-différent du Brisinga coronata, forme qu'on trouve le
plus communément dans le Nord. Les Coraux sont représentés
par VAmphihelia oculata et le Desmophyllum crista-galh.
Parmi les Annélides se trouvent le Pista cristata (O. F. Müller)
et le Zrophonia glauca (Malmgren), l'un et l’autre espèces
arctiques. Le 10 étant un dimanche, le navire demeura en
panne. Le 11, les draguages recommencèrent, toujours sur
la déelivité du plateau du détroit; le résultat fut le même
qu'auparavant, et la faune conserva le même earactére.
Le désir de M. Gwyn Jeffreys était d'exécuter quelques
draguages dans les très-grandes profondeurs de l'entrée de la
baie de Biscaye que nous avions explorées avee suecès en
1869. Il se dirigea donc vers le sud et franchit une distance
considérable sans se servir de la drague, dans la crainte de
rencontrer le cable qui va de Brest à l'Amérique du Nord. En
arrivant dans les parages qu'il comptait explorer, il eut mal-
heureusement mauvais temps, et il dut se diriger sur Vigo. Le
jeudi 14 juillet, le navire doubla le cap Finisterre, et la drague
fut lancée par 81 brasses, à environ 9 milles de la côte d'Es-
pagne. Indépendamment d’un grand nombre de formes connues,
dont quelques-unes ont une large extension vers le nord, les
houppes ramenèrent deux spécimens, l’un jeune, l’autre adulte,
selon toute apparence, tous deux fort endommagés, du singulier
Échinide déjà cité, le Calveria fenestrata. Cette forme west évi-
demment ni rare ni exclusivement bornée aux grandes profon—
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 153
deurs, et il est bien étonnant qu'elle soit demeurée si longtemps
inconnue, Le 15, nouveaux sondages à 100, à 200 brasses,
à environ 40 milles de Vigo, et le 16 un ou deux dans la baie
mème de Vigo, à 20 brasses. Cette localité a déjà été à peu près
épuisée en 1849 par M. Mac Andrew : on ne trouva guère
qu’une ou deux espèces à ajouter à la liste.
Le 18, départ de Vigo. Je cite M. Jeffreys :
« Mercredi 20 juillet. — Nous avons dragué tout le jour
avec grand succès, à des profondeurs variant entre 380 et 994
brasses (stations 14 à 16); le vent et la mer s'étaient calmés, et
nous avons pu prendre avec le filet à main quelques spécimens
vivants de Clio cuspidata. Les draguages à 380 et 469 brasses
ont donné, entre autres Mollusques, le Leda lucida (forme nor-
végienne et fossile sicilien); PAximus eumyarius (norvégien
aussi); le Vewra obesa (du Spitzberg, à l’ouest de l'Irlande) ;
VOdostomia (sp. n.); VOdostomia minuta (méditerranéen); et
le Cerithium (sp. n.); parmi les Échinodermes, le Brisinga
endecacnemos et V Asteronyx Loveni. Les résultats du draguage
dans 994 brasses excitérent au plus haut point notre étonne-
ment. La soirée étant fort avancée, le contenu de la drague ne
put être criblé et examiné que le lendemain au jour. Nous vimes
alors un merveilleux amoncellement de coquillages, morts pour
la plupart, mais comprenant certaines formes qui avaient tou-
jours été classées parmi les espèces exclusivement septen-
trionales, d’autres que M. Jeffreys reconnut comme fossiles du
tertiaire sicilien. Une proportion d'environ 40 pour 100 du
nombre total des espèces ramenées n'avaient point encore été
décrites; parmi ces dernières, plusieurs représentaient des
genres tout nouveaux. Le tableau suivant renferme l’énumé-
ration des Mollusques complets ou fragmentaires pris dans
ce seul draguage :
154, LES ABIMES DE LA MER.
NON DÉCRITES.
total RÉCENTES. FOSSILES.
DES ESPÈCES,
|
| NOMBRE
ORDRES. |
|
Brachiopodes. . .
24
“~~
Gonchiteres.4....2 |
=
Gastéropodes. ........|
Hétéropodes:.:". 2... .°
|
2
3
2
|
2
Ptéropodes
» Les espèces septentrionales dont nous venons de faire men-
tion sont au nombre de trente-quatre, et comprennent : Da-
cridium vitreum, Nucula pumila, Leda lucida, Leda frigida,
Verticordia abyssicola, Newra jugosa, Niwra obesa, Tectura
fulva, Fissurisepta papillosa, Torellia vestita, Pleurotoma
turricula, Admete viridula, Cylichna alba, Cylichna ovata
(Jeffreys, sp. n.), Bulla conulus (S. Wood, non Deshayes)
(crag corallin), et le Scaphander lhbrarius. Le Leda lucida,
le Newra jugosa, le Tectura fulva, le Fissurisepta papillosa,
le Torellia vestita, ainsi que plusieurs autres des espèces
connues, sont également fossiles en Sicile. Presque tous ces
coquillages, ainsi que quelques-uns des plus petits Échino-
dermes, des Coraux, et des autres organismes, avaient été
évidemment transportés par les courants à l'endroit où ils
ont été trouvés ; ils ont dû y former un épais dépôt, semblable
à ceux dont sont composées beaucoup de couches de fossiles
tertiaires. Il parait vraisemblable aussi que le sédiment a été
en partie formé par l’action du reflux, car un fragment de
Melampus myosotis (Pulmobranche du littoral) a été trouvé
mélangé aux Pectinibranches et aux Lamellibranches des
erandes profondeurs de lOcéan. Aucun de ces coquillages
n'appartenait à la période miocène ni à aucune période anté-
rieure.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 155
» Cette remarquable série, dont la moitié seulement environ
est connue des conchyliologistes, nous donne la mesure de tout
ce qu'il reste encore à faire avant de pouvoir se flatter que
les annales dela zoologie maritime soient complètes. Comparons
la vaste étendue du lit de l’océan Atlantique du Nord avec
l’étroite zone qui, dans le voisinage des côtes, à ses deux
extrémités, a été partiellement étudiée, et, en songeant à ce
dernier draguage, demandons-nous si nous pouvons espérer
connaitre jamais tous les habitants des mers du globe entier.
Nous croyons pourtant qu'un examen approfondi des tertiaires
récents faciliterait beaucoup cette étude, et cet examen est
non-seulement possible, mais relativement facile. De sérieux
travaux ont déjà été accomplis dans cette voie; mais, quoique
les recherches des Brocchi, des Bivona, des Cantraine, des
Philippi, des Calcara, des Costa, des Aradas, des Brugnone,
des Seguenza, et d’autres savants paléontéologistes du sud de
Italie, datent depuis plus d’un demi-siècle et n'aient jamais
cessé d’être énergiquement poursuivies, bien des espèces de
Mollusques y sont continuellement découvertes, sans être jamais
livrées à la publicité. Outre les Mollusques de ce draguage dans
994 brasses d’eau, M. le professeur Duncan annonce qu'il a
trouvé deux nouveaux genres de Coraux, plus le Æabellum
distinctum, qu'il croit identique avec celui qui a été découvert
au nord du Japon. Ceci coinciderait avec la découverte, sur les
côtes lusitaniennes, de deux espèces japonaises d’un genre de
Mollusque très-curieux, le Verticordia. Les deux se trouvent
en Sicile à l’état fossile, et l’une des deux dans la roche calcaire
de Suffolk. »
ll s’est trouvé dans le même draguage quantité d'Éponges
fort curieuses et non décrites, dont plusieurs rappellent les
caractères les plus distincts d’une des sections des Ventriculées.
Nous y reviendrons dans un des chapitres suivants.
Le jeudi 21 juillet, le draguage continua pendant toute la
Journée, à des profondeurs variant de 600 à 1095 brasses,
par 39°42’ de latit. N. et 9°43’ de longit. O., avec une
156 LES ABIMES DE LA MER.
température de fond, à 1095 brasses, de #°,3 C., et de 9°,# C. à
740 brasses. Le draguage fut fructueux, et ramena vivants plu-
sieurs des Mollusques nouveaux'et remarquables de la dernière
pêche, ainsi que plusieurs autres formes. Quelques Crustacés
non encore décrits vinrent aussi s'ajouter à nos listes. Parmi les
Coraux, une nouvelle espèce du genre Canocyathus, et une
espèce, d’un genre inconnu, voisin des Bathycyathus. Le Bri-
singa endecacnemos et quelques nouveaux Ophiurides faisaient
partie des trouvailles, mais la plus belle de toutes fut sans
contredit un Penfacrinus d'environ un pied de longueur dont
plusieurs spécimens se trouvèrent accrochés aux houppes. Ce
Lis de la mer septentrionale, auquel mon ami M. Gwyn Jeffreys
a donné le nom de Pentacrinus Wyville Thomson, sera décrit
un peu plus loin, avee d’autres membres non moins intéres-
sants du mème groupe.
Le 25, on atteignit le cap Espichel; mais le temps était si
mauvais, que le capitaine Caiver dut chercher un refuge dans
la baie de Setubal. M. le professeur Barboza du Bocage, de
Lisbonne, avait donné à M. Gwyn Jeffreys une lettre @introduc-
tion pour l'officier garde-côte de Setubal, qui savait où les
pécheurs trouvent le Requin des grandes profondeurs ainsi
que | Hyalonema; mais M. Gelfreys ne put en profiter à cause
de l’état du temps.
A la hauteur du cap Espichel, avec 740 et 718 brasses, une
température de 10°,2 C., les Mollusques se sont montrés à peu
près les memes qu'à la station 16; ils comprenaient en plus : le
Leda pusio, le Limopsis pygmæa (fossiles siciliens) et le Ver#-
cordia acuticostata. Cette dernière espèce est aussi intéressante
au point de vue géologique qu'à celui de la géographie ; elle
existe à l’état fossile dans les couches pliocènes de la Sicile, et
elle vit dans l'archipel japonais. M. Jeffreys suppose une mi-
gration à travers la mer Arctique pour expliquer comment tant
d'espèces identiques sont communes aux côtes orientales du
bassin de VAtlantique, à la Méditerranée, où l’on trouve plu-
sieurs Brachiopodes et Crustacés japonais, et aux mers de l’Asie
CROISIÈRES DU PORCUPINE. EYE
septentrionale. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'avant d’ar-
river à aucune conclusion sûre et positive sur ces questions,
il nous faudra acquérir ici encore bien des données qui nous
manquent sur l'extension, dans le
temps et dans l’espace, de la faune
des grandes profondeurs.
Les draguages exécutés à l’en-
trée du détroit de Gibraltar, dans
477, 691 et 054 brasses (stations
31, 32 et 33), avec une tempéra—
ture de fond de 10°,3, 10°,1 et 10°,
ramenèrent plusieurs formes re-
imarquables et une très-élégante
Eponge, très- voisine, sinon iden—
tique au Caminus Vulcani d'Oscar
Schmidt, et quelques belles formes
de Corallio-spongiaires sur les-
quelles nous reviendrons plus
loin. La station n° 31 a donné une
forme d'Éponge qui rappelle le
Cladorhiza à branches de bruyère
de la zone froide des Farôer. Le
Chondrocladia virgata (fig. 36)
est un organisme ramifié et gra-
cieux qui a de 20 à 40 centi-
mètres de hauteur. Une racine
divisée, de consistance cartila-
gineuse, composée de faisceaux WT Pr
de spicules réunis et serrés en- \
semble par un ciment organique ri. 36. — Chondrocludiu virgatu, Ws-
VILLE THOMSON. Demi-grandeur natu-
D 0 ix 4 7? a Ps r) Det
amorphe, fixe l'Eponge à un corps (Ne 93, DL V)
étranger et la maintient dans une
position verticale. Les mêmes organes se continuent pour former
un axe qui accompagne la tige principale et les branches. L’axe
se compose d’une réunion de cordons bien distincts, comme les
158 LES ABIMES DE LA MER.
brins d’une corde, réunis en spirale, de façon à présenter à pre-
mière vue une grande ressemblance avec la tige de ! Hyalo-
nema; seulement ces cordons sont opaques et se brisent facile-
ment sous la pointe d’un couteau, Au moyen du microscope, on
voit qu'ils sont composés d’imperceptibles spicules, pointus
comme des aiguilles et solidement assujettis ensemble. La sub-
stance molle de l'Éponge s'étend sur toute la surface de l’axe et
s'élève en processus allongés, arrondis et coniques, vers l'extré-
mité desquels se trouve une masse ovale, vert noirâtre, d’une
matière spongieuse. Le contour du cône dépasse cette masse
au moyen de groupes nombreux de spicules aigus entourant
une étroite ouverture osculaire. Toutes les parties de l'Éponge
sont chargées de spicules à trois pointes.
Le 5 août, le Porcupine fit son entrée dans la baie de Tanger,
après avoir inutilement essayé de draguer dans 190 brasses,
à la hauteur du cap Spartel. Dans la baie même, deux dra-
guages furent exécutés à une profondeur de 35 brasses. La
faune s’est montrée à peu près celle de la Grande-Bretagne,
avec addition de quelques espèces méridionales.
Le 6 août, M. Jeffreys se rendit à Gibraltar, remit la direc-
tion au D'Carpenter, et poussa lui-même jusqu’en Sicile, en
passant par Malte, dans le but d’examiner les formations ter-
tiaires récentes du sud de l'Italie, et de visiter les collections
des Mollusques fossiles de Catane, Messine, Palerme et Naples,
afin de les comparer avec les produits de sa croisière.
Le lundi 15 août, le capitaine Calver avec le D' Carpenter,
accompagnés de M. Lindahl comme préparateur, gagnèrent le
milieu du détroit pour commencer une série d'observations
sur les courants de Gibraltar.
Ces expériences, qui dans le moment même ne parurent pas
très-concluantes, ont été reprises et continuées pendant l'été
de 1871 par le capitaine Nares, de la Marine royale, et par
le D" Carpenter, sur le vaisseau de Sa Majesté Shearwater.
Les résultats fort curieux en ont été publiés avee détail par
. > | x À De 4
le D° Carpenter dans les procès-verbaux de la Société Royale
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 159
de Londres, et par le capitaine Nares dans un rapport spécial
présenté à lAmirauté. Mon but étant de me borner presque
exclusivement, pour le moment du moins, à la description des
phénomènes connus des grandes profondeurs de l'Atlantique,
je ne reproduirai pas ici le récit des expériences faites dans
le détroit. Je tiens cependant à tracer une rapide esquisse de la
croisière du D’ Carpenter dans la Méditerranée, parce que les
phénomènes qui ont trait à la distribution de la température et
de la vie animale confirment, tout en contrastant avec elles, les
conditions singulièrement différentes qui ont été déjà décrites
et qui règnent dans l'Océan.
Le premier sondage dans la Méditerranée a été fait le
16 aout par 36°0' de latit. N. et 4°40’ de longit. O., à une
profondeur de 586 brasses, avec fond de limon gris foncé. La
température de la surface était de 23°,6 C., et celle du fond de
12°,8 C., c’est-à-dire plus élevée d'environ 3° que celle de
l'Océan à la même profondeur. Une série de sondages a été
faite ensuite pour déterminer la proportion dans laquelle
la température diminue. Voici quels en ont été Les curieux
résultats :
0
ST ET Ry yet ens ON he RE ES 23,6
MAS AR RS CRM ES cts goth att ee Se 20,9
PR EE RE See ON St ors 18,6
Ci A6 bp Se Ca dh es CPS TE oe ee {7,5
PRE la nts a SECS a er mae trac Re eee 16,7
ST AT Er yee A LE PE ee UE 15,6
LOL eet eet ee Retr ONE AR ER LE 12,8
oi SR Raa PORT EE NS ES CeO ANT OP E PTS 12,8
La température s’est donc abaissée rapidement pendant les
30 premières brasses, plus lentement pendant les 20 suivantes,
na perdu de 50 à 100 brasses que 3° C., et avait atteint son
minimum avant meme d'arriver à 100 brasses, car depuis
cette profondeur jusqu'au fond il n’y a plus eu dabaisse-
ment. Cette série de sondages, ainsi que toutes les obser-
vations de température faites pendant la croisière dans la
Méditerranée, ont prouvé que le fond est rempli, depuis la pro-
160 LES ABIMES DE LA MER.
fondeur de 100 brasses, d’une masse d’eau à la même tempé-
rature, un peu au-dessus ou un peu au-dessous de 12°,75 C.
Les exemples suivants ont été cités par le D' Carpenter
d'après des observations prises plus anciennement dans le
bassin de la Méditerranée, pour démontrer la grande uniformité
de sa température de fond à toutes Les profondeurs :
| | | |
NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE TEMPÉRATURE | |
‘dés 0) en | a dela | ‘LATITUDE. | LONGITUDE.
STATIONS. BRASSES Î. | FOND. SURFACE. |
| : | sus is
41. 130 13,4 C 23,6 ¢ APS a0 VINS 4 12 0.
LDS eos 790 13,2 23,2 35 49 Oil
Aes yo) 162 i3,4 23,8 39 21 3 04 30"
Te Re 13,0 21,0 35 42 20") ~ 3 00°30
Bhs 207 12,4 | >. 23.6 |. BosabetO 4 2 29°30
10. 193 13,0 | 12920 fe S529 1 56
17 | 845 12,6 = 21,0 37 29 30 1 10 30
On a pris à cette dernière station (n° 47) une série de son—
dages qui ont pleinement confirmé les résultats de la première
expérience (n° 40) :
Sur HTC CESR Ne RE ee 230,9
LOT ASSe SRE RE ARR 15,2
DD ET RE worse. ea nit ache eae eas See were ne 14,4
DD ARTS RAR atl EC QE re PERS DT RER 13,8
ANRT RER AE Re RER EE 13,3
EDS Sea hears PRET EM CR ce ee ome 13,1
LOC ET Gl Re RE ER AR 12,6
S45 = 1d):
Une masse dean de 845 brasses (près d’un mille), au plus
profond de la mer, se maintient donc uniformément à la tem-
pérature de 12°,6 C. (ou 54°,7 Fahr.).
La drague fut plongée à chaque station, mais avec si peu de
résultats, que le D" Carpenter fut améné à en conclure que
le fond de la Méditerranée, au dela de quelques centaines de
brasses, est à peu près dépourvu d'êtres vivants, Les conditions
|. La brasse anglaise dont il est question dans le cours de cet ouvrage vaut 1,80.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 161
ne sont pas absolument incompatibles avec existence de la vie
animale, puisque, a la plupart des stations, quelques formes
vivantes ont été prises, mais elles lui sont certainement singu-
lièrement défavorables. A la station 49, à une profondeur de
1412 brasses, avec une température de 12°,7, les espèces sui-
vantes de Mollusques ont été retirées : Nucula quadrata, n.
sp., Nucula pumila (Absjornsen); Leda, n. sp.; Verticordia
granulata (Seguenza); Hela tenella (Jeftreys); Trochus gem-
mulatus (Ph.); Rissoa subsoluta (Aradas); Natica affinis
(Gmel.); Zrophon multilamellosus (Ph.); Nassa prismatica (Br.);
Columbella Haliwti (Jeffreys); Buccinum acuticostatum (Ph.) ;
Pleurotoma carinatum (Cristofori et Jan), Plewrotoma tor-
quatum (Ph.), Pleurotoma decussatum (Ph.).
La faune est plus abondante dans le voisinage de la cote
d'Afrique, mais le fond y est si inégal, qu'il n'a pas été pos-
sible de se servir de la drague; les houppes ont presque tou-
jours dû être employées seules. Bien des Polypiers, bien des
Échinodernes, des Coraux et des Éponges ont été pris de cette
manière ; mais presque tous appartenaient à des espèces médi-
terranéennes bien connues. Après avoir passé quelques jours
à Tunis et visité les ruines de Carthage, le draguage est
repris le 6 septembre sur le bane de l'Adventure, ainsi nommé
parce qu'il a été découvert par l'amiral Smyth pendant un
voyage de surveillance sur le vaisseau de S. M. l'Adventure.
Ici, aux profondeurs de 30 à 250 brasses, la vie animale est
assez abondante. Les Mollusques ont donné les espèces sui-
vantes : Zrochus suturalis (Ph.) (fossile sicilien) ; Xerophora
crispa (Konig) (fossile sicilien); Cylichna striatula (Forbes)
(fossile sicilien), Cylichna ovulata (Broechi) (fossile sicilien) ;
Gadinia excentrica (Tiberi); Scalaria frondosa (J. Sowerby)
(fossile sicilien et du crag corallien); Pyramidella plicosa
(Bronn) (fossile sicilien et du crag corallien); Ac/æon pusillus
(Forbes) (fossile sicilien). Les Kchinodermes sont abondants
en tant qu'individus, mais les espèces sont peu variées et
toutes sont des formes bien connues de la Méditerranée.
il
162 LES ABIMES DE LA MER.
Diverses variétés du Cidaris papillata (Leske) ont été reti-
rées, mais aucun caractère spécifique ne les distingue des nom—
breuses formes de la même espèce qui vivent dans l’océan
Atlantique depuis le cap Nord jusqu’au cap Spartel. Les variétés
méditerranéennes de cette espèce constituent, sans aucun
doute, le Cidaris Hystrix de Lamarck. J’éprouve une grande
hésitation au sujet du joli petit Cidaris décrit par Philippi sous
le nom de Cidaris affinis. Certains exemplaires caractéristiques
de cette espèce, qui abondent sur le banc de Adventure et le
long de la côte africaine, paraissent être très-distincts. Ils sont
d’un beau rose rougeatre foncé, et les spicules, qui sont striés
transversalement de rouge et de brun jaunatre, se terminent en
pointe aiguë, tandis que ceux du Cidaris papillata sont ordi-
nairement émoussés au sommet, et même souvent élargis ou
terminés en coupe. La partie des plaques interambulacraires
qui est couverte de granules miliaires est plus large, et deux
rangées régulières de radioles de dimensions presque égales
s'élèvent auprès de la base des spicules primaires, au-dessus
des alvéoles. Ces caractères devraient, semble-t-il, avoir une
valeur spécifique ; mais il existe une grande quantité de formes
intermédiaires, et, après en avoir fait une étude attentive,
tout en ayant décrit les deux espèces comme distinctes, j’au-
rais grand’peine à bien définir la ligne de démarcation qui les
sépare. Plusieurs spécimens d’un bel As#ogomium, voisin de VA.
granulare, ont été pris sur le bane de PAdventure.M. le professeur
Duncan annonce d’intéressants Coraux, et M. le professeur Allman
deux espèces nouvelles d’Aglaophenia. Le D" Carpenter y a
retrouvé le délicat Orbitolites tenuissimus, ainsi que Lituola,
erand nautiloide, si fréquents tous deux dans l'Atlantique.
Après un court séjour à Malte, le Porcupine quitta le port de
la Valette le 20 septembre et gouverna au nord-est, se dirigeant
sur un point situé à 70 milles de distance, désigné sur les
cartes comme ayant une profondeur de 1700 brasses. On
Vatteignit le matin suivant de frès-bonne heure, et la corde
de sonde déroula 1743 brasses pour atteindre le fond, par
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 163
36° 31’ 30” de latit. N. et 15° 46’ 30” de longit. (n° 60), avec
une température de 13°,4 C., plus élevée d’un degré que
celle du plus profond des sondages du bassin occidental. Le
tube de l'appareil de sonde rapporta un échantillon de limon
jaunâtre si semblable à celui du fond de la Méditerranée dans
ses parties les plus stériles, qu'il ne fut pas jugé opportun de
faire une dépense de temps inutile pour un essai de draguage,
qui, à pareille profondeur, eut employé une journée presque
entière. S’étant donc ainsi assurés autant que possible par quel-
ques observations que les conditions physiques du bassin
oriental de la Méditerranée sont les mêmes que celles de son
bassin occidental, nos collègues gouvernèrent sur la Sicile,
dont ils longèrent lentement les côtes pendant la nuit. Ils
franchirent à l’aube la partie la plus resserrée du détroit entre
Messine et Reggio, passèrent devant Charybde et le rocher
crénelé de Scylla, et sortirent du « Faro » pour déboucher au
nord de la Sicile, dans la pleine mer des iles Lipari. Un sondage
de température tout près de Stromboli, par 28° 26° 30° de
latit. N. et 15° 32’ de longit. E., indiqua une profondeur
de 730 brasses, une température de fond de 13°,1 C., pen-
dant que celle de la surface était de 22°,5 C.
Sous le cône déchiré de Stromboli, les dragueurs relevèrent
une série de températures qui donna le résultat ordinaire trouvé
sur toute la zone volcanique de la Sicile : la température était
légèrement plus élevée que celle des grandes profondeurs du
bassin occidental de la Méditerranée, phénomène dont la cause
ne saurait être expliquée sans de longues et minutieuses obser-
valions. Pendant cette opération, ils eurent le loisir de méditer
sur le nuage de fumée qui, sortant incessamment du cone,
trahit le travail souterrain qui s’accomplit dans ses entrailles ;
ils admirèrent l’esprit industrieux et entreprenant de ceux qui,
rendus insouciants par une habitude séculaire, étagent leurs
vignes sur toute la surface du volcan, à l’exception seulement
des parties qui regardent le sud-est et le nord-est, et qui recçoi-
vent d’incessantes décharges de lave et de cendres.
164 LES ABIMES DE LA MER
Leur itinéraire les conduisit ensuite droit au cap de Gate,
devant lequel ils passèrent le 27 septembre; ils arrivèrent à
Gibraltar le 28. Le D' Carpenter reprit alors ses observations
et ses expériences sur les courants du détroit, jusqu’au 2 oc-
tobre, époque à laquelle les nécessités du service obligeaient le
capitaine Calver de regagner l'Angleterre. Is repassèrent par
une belle mer devant les côtes du Portugal, mais, pressés par
le temps, ils ne purent tenter aucun draguage daus ces grandes
profondeurs. Après avoir lutté contre une brise assez forte
dans le parcours du détroit, le Porcupine jeta Pancre à Cowes
le 8 octobre.
Lille Dimon (Farôer).
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 169
APPENDICE A
Extraits des procès-verbaux du conseil de la Société Royale, et autres
documents officiels au sujet de la croisière entreprise par le vaisseau
de Sa Majesté le Porcupine, pendant l'été de 1870.
2% mars 1870.
Il est donné lecture au conseil d'une lettre du D' Carpenter à l'adresse
du Président, demandant que l'exploration des grandes profondeurs de la
mer qui à eu lieu en 1868 et 1869 dans les régions situées au nord de la
Grande-Bretagne, soit étendue à celles du sud de l'Europe et à la Médi-
terranée, et que le conseil de la Société Royale en recommande l'entre-
prise à la bienveillance de l'Amirauté, afin d'obtenir, comme dans les
occasions précédentes, la coopération du Gouvernement.
Il est résolu : qu'une commission composée du Président, des officiers
avec l’ingénieur-hydrographe, de MM. Gwyn Jeffreys, Siemens, pro-
fesseur Tyndall et D' Carpenter, avec faculté de s’adjoindre d’autres
membres si besoin est, soit nommée pour décider de l'opportunité de
donner suite à la proposition du D' Carpenter, du plan à suivre pour la
mettre à exécution, et du matériel, instruments et appareils qui devien-
draient nécessaires. Le rapport sera fait au conseil, et la commission
pourra le communiquer au préalable à VAmirauté, s’il lui paraît utile de
le faire pour éviter toute perte de temps,
: 28 avril 1870.
Il est donné lecture au conseil du rapport suivant :
La commission nommée le 24 mars pour délibérer sur une proposition
de continuer l'exploration des eaux profondes de la mer pendant l'été
prochain, et sur les préparatifs scientifiques qui seront nécessaires pour
cette nouvelle expédition, a fait son rapport ainsi qu’il suit :
Le plan général à suivre et le but principal à atteindre par cette nou-
velle expédition sont indiqués dans l'extrait suivant d’une lettre du
D' Carpenter, qui a été lue devant le conseil le 24 du courant et qui a été
renvoyée à la commission :
166 LES ABIMES DE LA MER.
« Le projet tracé par mes collègues de l’année dernière et par moi est
celui-ci :
» Ayant quelques raisons d’espérer que nous pourrions encore disposer
du Porcupine vers la fin de juin, nous fixerions son départ au commen-
cement de juillet ; le navire ferait route vers le sud-ouest pour arriver au
point le plus éloigné de notre parcours de l’année dernière, en explorant le
fond avec soin aux profondeurs de 400 à 800 brasses, qui sont celles où
l'expérience nous a appris que se font les trouvailles les plus intéres-
santes; on ferait aussi quelques draguages à des profondeurs plus
grandes, ainsi que des sondages de température suivant que l’occasion
s'en présenterait.
» L'itinéraire deviendra alors droit sud, et la direction générale parallèle
aux côtes de France, d'Espagne et de Portugal, en prenant la précaution
de se maintenir en deçà des profondeurs qui viennent d’être indiquées,
et de ne pousser qu'exceptionnellement à l’ouest dans des zones plus pro-
fondes. D’après ce qui a déjà été fait dans les eaux de 400 brasses à la
hauteur des côtes du Portugal, il n’est pas douteux que ces parages ne
soient très-riches. En approchant du détroit de Gibraltar, les observations
physiques et zoologiques devront être faites avec un soin extrême pour
arriver à résoudre entièrement la question des courants entre les mers
Atlantique et Méditerranée, et celle des rapports qui existent entre la faune
de la Méditerranée et celle de l’Atlantique (question sur laquelle M. Gwyn
Jeffreys est d'avis que nos travaux de l’année dernière jettent déjà une
lumière toute nouvelle).
» M. Gwyn Jeffreys est prêt à se charger de la direction scientifique
de cette première partie de l'expédition; M. le professeur Wyville
Thomson ne pouvant l’accompagner, il trouvera facilement un prépara-
teur convenable.
» Le vaisseau arrivera probablement au commencement d’août à Gi-
braltar, où je pourrai le rejoindre et prendre la place de M. Jeffreys, avec
un de mes fils en qualité d'aide. Nous terminerions d’abord l'étude du
détroit de Gibraltar, si elle se trouvait encore inachevée, puis nous nous
avancerions à l’est, le long de la Méditerranée, en poussant des recon-
naissances entre les côtes de l’Europe et celles de l'Afrique, de manière
à obtenir une étude physique et zoologique de cette partie du bassin mé-
diterranéen aussi complète que le permettrait le temps dont nous pour-
rions disposer. Malte serait probablement la limite la plus extrême de
l'expédition, et nous pensons qu'elle y arriverait vers le milieu de sep-
tembre.
» C’est chose bien connue que des questions d’un grand intérêt pour
la géologie sont attachées à la distribution actuelle de la vie animale dans
cette zone, et nous avons bien des raisons de croire que nous y trouve-
rions dans les grandes profondeurs nombre d'espèces tertiaires qu'on
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 167
supposait éteintes. En ce qui concerne les conditions physiques de la
Méditerranée, il paraît, d’après tout ce que nous avons pu apprendre,
qu’on n’en connait que bien peu de chose. La température et la densité
de l’eau aux différentes profondeurs d’un bassin si complétement séparé
du grand Océan, et qui pourtant en reçoit un affluent constant, sont un
sujet d'étude des plus intéressants, auquel nous serons heureux d'apporter
toute notre attention, pour peu que les moyens en soient mis à notre
portée. »
D’après le succès des deux précédentes expéditions et particulièrement
de celle du Porcupine de l'année dernière, la commission, convaincue
des avantages non moins grands qui seront obtenus par celle que l’on
propose pour l'avancement des connaissances scientifiques, est d'avis
qu'il soit présenté une demande à l’Amirauté, afin d'obtenir comme
précédemment par son entremise la coopération du Gouvernement de
Sa Majesté,
La commission approuve la proposition faite par M. Gwyn Jeffreys
d'accepter les services gratuits offerts par M. Lindahl, de Lund, comme
préparateur-naturaliste.
Quant aux instruments et appareils scientifiques, la commission a
reçu l'avis que ceux dont on a fait usage pendant le voyage de l’année
derniére sont encore en état de remplir les mémes services. M. Siemens
espère pouvoir rendre son indicateur électro-thermal d’un usage plus pra-
tique à bord. _
La commission ayant appris que le D' Frankland est l'inventeur d’un
appareil propre à ramener des grandes profondeurs l’eau de mer encore
chargée des gaz qu'elle renferme, a résolu de se l’adjoindre, et demande
l'autorisation de se réunir de nouveau pour compléter ses arrangements
et faire son rapport final au conseil.
Il est décidé que le projet suivant d’une lettre adressée au secrétaire
de l’Amirauté serait approuvé :
« Monsieur, je suis chargé par le Président et par le conseil de la Société
Royale de vous apprendre, afin que les Lords Commissaires de l’Amirauté
en soient informés, que, vu les résultats importants pour les sciences
physiques et zoologique obtenus par l'exploration des grandes profondeurs
de la mer, qui s’est faite en 1868 et 1869 avec la coopération du Gouver-
nement de Sa Majesté, ils estiment qu'il est d'une grande importance
que cette étude se continue pendant le cours de cet été, et qu’on l’étende
à une zone nouvelle.
» La marche qu’on se proposerait de suivre pour cette nouvelle expédi-
tion, les buts principaux qu’on désire atteindre et le plan général d'après
lequel auraient lieu les opérations, sont tracés dans l'extrait ci-inclus
d'une lettre adressée au Président par le D' Carpenter, et qui à été à
tous les points de vue approuvée par le conseil.
168 LES ABIMES DE LA MER.
» Le Président et le conseil recommandent chaudement une pareille
entreprise à la bienveillante attention de Leurs Seigneuries, dans le but
d'obtenir du Gouvernement de Sa Majesté l’aide si généreusement accordée
et si utilement prêtée dans les occasions précédentes.
» La direction scientifique de l'expédition serait, comme l’année der-
nière, partagée entre le D' Carpenter, M. le professeur Wyville
Thomson, si toutefois ce dernier est en état d'entreprendre ce travail, et
M. Gwyn Jeffreys. On propose aussi que M. Lindahl, jeune Suédois
accoutumé aux études marines, accompagne l'expédition en quels de
préparateur-naturaliste.
» Il me reste à ajouter que tout ce qui regarde la partie strictement
scientifique de l'équipement de l'expédition sera, comme auparavant, à la
charge de la Société Royale.
» W. SHARPEY, secrétaire. »
Une somme de 100 livres sterling, prise sur les fonds alloués par le
Gouvernement à la Société Royale, a été consacrée aux fournitures scien-
tifiques de l'expédition.
19 mai 1870.
Il est donné lecture au conseil de la lettre suivante émanant de |’Ami-
rauté :
«Monsieur, j'ai soumis aux Lords Commissaires de l'Amirauté votre lettre
du 2 courant, par laquelle vous demandez qu'il soit fait de nouvelles
recherches dans les grandes profondeurs de la mer ; je suis chargé par
Leurs Seigneuries de vous apprendre que le vaisseau de Sa Majesté le
Porcupine sera de nouveau affecté à ce service, et que la Trésorerie a,
comme auparavant, reçu l'avis qu'elle aura à pourvoir à bord aux dépenses
du personnel de l'expédition,
Agréez, etc., etc.
» VERNON LUSHINGTON. »
W. Sharpey, Esq., M. D.,
Secretaire de la Société Royale, Burlington House.
CROISIÈRES DU PORCUPINE. 169
APPENDICE B
Détails des profondeurs, de la température et de la position aur diverses
stations de draguage du vaisseau de Sa Majesté le Porcupine, pen-
dant l'été de 1870,
: | | ; | ; |
NUMEROS | PROFONDEUR TEMPERATURE | TEMPERATURE
des | en du | de la LATITUDE. LONGITUDE.
STATIONS. BRASSES, FOND. | SURFACE.
567 ; 38 N,
305 PRC 16,2C. 37
GI: =: » 3
717 16,3 48 32
100 | 46,8 48 29
358 16,9 26
93 j 16,2 LS
957 | ( 284529 13
539 | ! 17,8 6
SI | 46,4 11
332 tee toad 19 32
128 ‘ 16,3 42 20
220) | | 18,1 10 16
169 | 48,4 40 6
722 | ; | 90,0 10 2
994 4 21,0 39 55
1095 : 19,8 39 42
1065 18.9 39 99
JAN IS, 1 39 97
965 ) 39 25
620 19,5 38 19
Aie Dar 1.” 49.4 38 15
802 19,0 37 20
209 ! 19,6 37 19
37h 20,9 RAA
Cobo —
1D Ome
170 LES ABIMES DE LA MER.
NUMÉROS | PROFONDEUR | TEMPÉRATURE | TEMPÉRATURE
des en du de la LATITUDE. LONGITUDE.
STATIONS. BRASSES, FOND. SURFACE.
= 0 a
904 DC. 22,020
999 A( 99 7
02424 22)
304. 7 21,8
286 »
297 22,8
386 22,6
177 91,7
65 21,8
554 929 4
ae 21,8
335 23,9
128 23,8
190 29 ()
22,
503
YY ()
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SO IS CO CO CO CD CO CO
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Ow ew
29,
23,6
162
155 21.0
Oy) 6
out 29,
1412 29 0
590
112
266
Nh
730
Isl
IX,
21,0
586
730
299
yo 8
9207 99:
195 93,0
845 ) 21,0
~ pate
ol
152
1415
1508
14.56
390
149
1743
160
198
{47
9 6
190
av,
132 99 ()
660
224
392
[88
Wo
bore re
CHAPITRE V
SONDAGES PROFONDS
Sonde ordinaire pour les profondeurs moyennes. — Elle est sujette à erreur quand on s’en
sert dans les grandes profondeurs. — I ne faut pas compter sur l'exactitude des pre-
miers sondages profonds qui ont été faits. — Moyens perfectionnés de sondage. — Le
plomb en forme de coupe. — Instrument de sondage de Brooke. Sonde du Bull-dog,
de Fitzgerald — I’hydre. — Sondages du Porcupine. — Contour du lit de lAtlan-
tique du Nord.
Pour étudier avec fruit les grandes profondeurs de la mer,
il est évidemment indispensable d’avoir un moyen de les
mesurer d’une manière exacte et certaine, ce qui n'est pas
chose aussi simple et aussi facile qu'on pourrait le supposer
au premier abord. Dans le cours du sondage, la profondeur
est presque toujours vérifiée par quelques procédés particu-
liers. Un poids est fixé à l'extrémité d’une corde, divisée,
au moyen de morceaux d’étamine (étoffe de laine dont on fait
les drapeaux, et dont les teintes sont trés—vives et trés-solides),
en espaces de 10 et de 100 brasses; pour le mesurage des
grandes profondeurs, avec des morceaux d’étamine blanche
à chaque intervalle de 50 brasses, de cuir noir à chaque
espace de 100, et d’étamine rouge à chaque 1000 brasses.
Le poids est descendu le plus rapidement possible, et le
nombre de marques immergées quand le plomb touche le
fond, donne la mesure approximative plus ou moins exacte de
la profondeur.
Le poids qui sert ordinairement aux sondages profonds
est une masse de plomb de forme prismatique de deux pieds
172 LES ABIMES DE LA MER.
environ de longueur et du poids de 80 à 120 livres; il
est un peu plus étroit à son extrémité supérieure, qui se
termine par un solide anneau de fer. Avant l'immersion, l’ex-
trémité inférieure du poids, qui est légèrement creusée, est
enduite d’une couche de suif épaisse et molle, ce qui suffit,
dans les cas ordinaires, pour indiquer la nature du fond.
C'est d’après le témoignage des échantillons qui remontent
attachés à cette couche grasse que nos cartes portent : « bone,
coquilles, gravier, limon, sable, » ou combinaison de ces sub—
stances, comme constituant le fond de Vendroit sondé. Ainsi
2000
b. es.
(boue, coquilles et sable à 2000 brasses);
2200
&. ¢. SC
nous lisons
2050
vr (limon et roe à 2050 brasses) ; ,, . (boue, sable, co-
quilles et scories à 2200 brasses), ete.
Quand il n’y a pas de fond, c’est-à-dire quand la des-
cente de la corde n’a pas éprouvé darret, et qu'il ne
revient rien sur l’enduit graisseux du plomb, on inscrit
ainsi le sondage sur la carte : 339) (pas de fond à 3200
brasses). Ces sondages, peu stirs pour les grandes pro-
fondeurs, sont ordinairement suffisants pour les moyennes.
Inutiles pour l'exploration des grandes profondeurs de la
mer, ils ont une grande valeur pratique, et fournissent à la
navigation toutes les indications nécessaires; car là où il
est indiqué pas de fond à 200 brasses, il ne peut guère
se trouver de bas-fond dangereux dans le voisinage im
médiat.
Les sondages se font ordinairement du vaisseau même, où
il se produit toujours un certain mouvement en avant ou en
arrière, Mais quand on veut obtenir une grande exactitude,
comme, par exemple, dans l'inspection des côtes, il faut ab-
solument faire le sondage dans une barque, qu'on peut main-
tenir dans une position fixe au moyen des rames, en se
servant comme point de repère de quelque objet immobile,
visible sur la côte.
Ce système ordinaire de sondage est parfaitement convenable
dans les eaux relativement basses, mais il est insuffisant dès
SONDAGES PROFONDS. 173
qu'il s’agit de dépasser 1000 brasses. Le poids est trop faible
pour entrainer la corde rapidement et verticalement jusqu'au
fond; si l'on a recours à un plomb plus pesant, la corde ne
suffisant plus à remonter d’une aussi grande profondeur son
propre poids et celui du plomb, elle se rompt. Aucun choc
ue se fait sentir quand le plomb atteint le fond, la corde
continue à se dérouler, et on la rompt si l’on essaye de Var-
réter. Quelquefois de grandes longueurs de corde sont em—
portées par des courants sous-marins, ou bien on découvre
que la corde s’est déroulée par son poids et qu'elle forme
une masse enchevêtrée, immédiatement au-dessus du plomb.
Toutes ces causes d'erreur rendent suspects les sondages tres-
profonds. Dans un grand nombre des plus anciennes obser—
vations faites, soit par des officiers de notre propre marine,
soit par ceux de la marine des États-Unis, il est maintenant
reconnu que les profondeurs attribuées à divers points de
Atlantique ont été fort exagérées. C’est ainsi que le lieu-
tenant Walsh, du schooner des États-Unis le Taney , a noté
un sondage de 34 000 pieds, fait avec le plomb des grandes
profondeurs, sans avoir trouvé le fond ‘, et que le lieutenant
Berryman, du brick Dolphin des Etats-Unis, a essayé sans
suceés un sondage du milieu de lOcéan avec une corde
de 39000 pieds de longueur *. Le capitaine Denham,
du vaisseau de Sa Majesté le Herald, a noté le fond dans
l'Atlantique du Sud à une profondeur de 46 000 pieds *, et
le lieutenant Parker, de la frégate des Etats-Unis Congress,
a vu se dérouler 50 000 pieds de corde sans que le fond ft
atteint *. Dans les cas que nous venons de citer, les chances
d'erreur étaient trop grandes : aussi, sur la dernière carte
de l’Atlantique du Nord, publiée en novembre 1870, avec
l'autorisation du contre-amiral Richards, on ne trouve
|. Maury’s Sailing Directions, 5th edition, p. 165, and Gth edition, 1854, p. 219.
2. Maury’s Physical Geography of the Sea, 11th edition, p 309.
0. bce eit.
He MAYO cit:
174 LES ABIMES DE LA MER
marqué aucun sondage au-dessus de 4000 brasses, et un
très-petit nombre seulement dépassant 3000.
L'usage d’une corde mince avee un poids très-lourd,
introduit d’abord dans la marine des États-Unis, constitue
un grand progrès dans les sondages profonds. Le poids, un
boulet de 32 ou 68 livres, est rapidement immergé du pont
d’un bateau; quand on suppose qu'il a atteint le fond (ce
qui se reconnait assez sûrement au changement subit de
vitesse dans la descente de la corde), on coupe la corde à
la surface, et l’on calcule la profondeur d’après la longueur
de corde qui reste sur le rouleau.
Depuis que l'intérêt s’est porté sur les grands problèmes de
la géographie physique, la force et la direction des courants,
et les conditions générales du fond de la mer, les différents
corps ramenés des grandes profondeurs par lenduit de la
sonde sont devenus toujours plus précieux et plus recher-
chés; il est urgent de pouvoir s’en procurer une quantité
suffisante pour les études chimiques et micrographiques.
Bien des instruments ont été imaginés à différentes époques
pour atteindre ce but, et leur emploi a eu pour résultat l’acqui-
sition d’une somme considérable de connaissances scientifiques.
IL est avéré maintenant que le draguage est possible à toutes
les profondeurs, mais à la condition d’être entouré de cir-
constances particulièrement favorables, et au moyen d'un
vaisseau équipé à grands frais dans ce but. Nous en sommes |
done encore à désirer Vinvention de quelque ingénieux ap—
pareil de sondage, pour arriver peu à peu à réunir la somme
d’études et d'observations qui formera, avec le temps, un
ensemble de connaissances exactes sur les conditions du fond
de la mer dans toute son étendue. L’instrument, de construc-
tion peu compliquée, capable de remonter d'une profondeur
de 2000 brasses une livre pesant d'échantillons, sans trop de
peine et avec certitude, est done encore à trouver.
Dans l’année 1818, sir John Ross commandait le vaisseau
de S. M. P/sabelle, qui faisait un voyage de découvertes et
SONDAGES PROFONDS. [75
d'exploration dans la baie de Baffin. Il inventa un instrument
« pour faire des sondages a toute profondeur mesurable »,
quil appela « la pincelte des mers profondes ». L’appareil se
compose d’une paire de fortes pinces, qu'une cheville main-
tient ouvertes; les choses sont combinées de façon que,
dès que la cheville touche le fond, un poids de fer glissant
sur un pivot vient fermer les pinces, qui retiennent ainsi
une quantité assez forte des matériaux du fond, sable, boue
ou cailloux '. Le 1 septembre 1818, sir John Ross sonda
à 1000 brasses, par 73° 37’ de latit. N. et 75° 25° longit. O.;
les produits du sondage furent « une boue molle dans laquelle
il y avait des Vers; accroché à la corde, à 800 brasses de pro-
fondeur, on trouva un beau Caput-Medusæe ». Le 6 septembre,
sir John Ross sonda de nouveau dans 1050 brasses, par 72° 23
de latit. N. et 73° 75’ de longit. O.; les pinces remontèrent
six livres de boue liquide. Si je cite ces sondages avec
détail, c’est qu'ils offrent les premiers exemples dignes de
foi d’une pareille quantité de matériaux ramenés d’une aussi
grande profondeur. L’instrument était assujetti à une forte
corde de baleinier, faite du meilleur chanvre et ayant deux
pouces et demi de circonférence. Le poids que conseille sir John
Ross pour les sondages dans les mers du Nord est de 50 livres.
Une des premières de ces dragues en miniature, et qui n’en
est certainement pas la moins ingénieuse, consiste en une
simple modification du plomb à coupe ordinaire dont on se sert
pour les grandes profondeurs (fig. 37). Une tige de fer traverse
le plomb de part en part et se termine quelques pouces plus
bas par une coupe conique de fer. Une rondelle de cuir épais
glisse librement sur la baguette dans l'intervalle qui sépare
de la coupe l'extrémité inférieure du plomb. La théorie sur
laquelle est basé le système, c’est qu'à mesure que le plomb
1. A Voyage of Discovery made under the Orders of the Admiralty in His Majesty’s
Ships Isabella and Alexander, for the purpose of exploring Baflin’s Bay, and inquiring
into the possibility of a North-west Passage. By John Ross, K. S., Captain Royal Navy,
London, 1819, p. 178.
176 LES ABIMES DE LA MER.
descend, la résistance de l’eau maintient la rondelle soulevée
et la coupe découverte. En arrivant au fond, le poids du plomb
enfonce la coupe dans la vase ou dans le sable, et le plomb
| tombe de côté. Quand on remonte le plomb,
un échantillon du fond s’introduit dans la
coupe, où il est maintenu par la rondelle,
appliquée sur Vorifice de la coupe par la ré-
sistance contraire a celle de la descente. Le
plomb à coupe est fort utile dans les pro-
fondeurs moyennes : deux fois sur trois il
ramène des échantillons; cependant la coupe
est trop ouverte et les moyens de la clore
sont insuffisants, de sorte qu’une fois sur
trois elle revient parfaitement vide et lavée.
Les sondages profonds prennent trop de temps
et sont de trop grande importance pour qu'on
puisse accepter une pareille proportion d'in
Succès.
Vers l’année 1854, M. J. M. Brooke,
aspirant de marine aux États-Unis, jeune
ui officier plein d'intelligence, qui était de ser-
a SET ter vice dans ce moment-là à l'Observatoire,
exposa au capitaine Maury une invention au
moyen de laquelle on pouvait détacher le boulet dès qu'il arri-
vait au sol, et le remplacer par les matières du fond. Le résul-
tat de cette invention fut l'appareil de sondage de grandes
profondeurs de Brooke (fig. 38 et 39), dont les inventions plus
modernes ne sont que des modifications ou des perfectionne-
ments qui en conservent le principe fondamental, le détache
ment du boulet. L’instrument, tel que l’a conçu M. Brooke, est
bien simple. Un boulet E, pesant 64 livres, est percé de part
en part pendant la fonte. Une tige de fer A traverse le boulet;
elle présente à son extrémité inférieure une cavité B, et à la
supérieure deux bras mobiles percés de deux trous au travers
desquels est passée la corde à laquelle la tige est suspendue :
SONDAGES PROFONDS. 177
au repos, ces tiges sont à peu près verticales (fig. 38). Chaque
bras est entaillé d’une dent qui fait saillie; avant le sondage,
le boulet, traversé par la tige, est suspendu à une élingue de
IN) 4
, ns
Fic. 38. — Appareil de Brooke pour les sondages profonds.
cuir ou de toile, G, retenue par des cordes dont les boucles
terminales s’accrochent aux dents des bras. La cavité qui
est à l'extrémité inférieure de la tige est remplie de suif,
au milieu duquel on ménage un vide en y enfonçant une
cheville de bois. Dès que l'instrument heurte le fond, lex-
12
178 LES ABIMES DE LA MER.
trémité de la tige sy enfonce, et les matières dont il se
compose remplissent la cavité enduite de suif; les deux bras
articulés retombent, les dents cessent de retenir les deux
|
| À
|
is
Fic. 3). — Appareil de Brooke pour les sondages profonds.
extrémités de l’élingue, et la tige, glissant au travers du
boulet, remonte seule, rapportant l'échantillon du fond.
L'appareil de Brooke, dans sa première forme, a quel-
ques-uns des défauts du plomb à coupe. L’échantillon rap—
SONDAGES PROFONDS. 179
porté est trop peu considérable et court grand risque de ne
pas arriver Jusqu'à la sur-
face; aussi ne tarda-{t-on
pas à y apporter des mo-
difications. Le commandant
Dayman le perfectionna à
l'occasion de la croisière
de sondage du vaisseau de
S. M. Cyclops, en 1857 *.
Il adopta, pour soutenir
le boulet plongeur, le fil de
fer, qui se détache plus
facilement que les élingues
de chanvre; il remplaca le
boulet sphérique de Brooke
par un cylindre de plomb,
alin d’accroitre la rapidité
de la descente, en diminuant
la résistance : il adapta à la
cavité inférieure de la tige
une soupape s'ouvrant a
l'intérieur, pour empècher
le contenu d’être entrainé
par les eaux pendant le tra-
jet de retour. Le comman-
dant Dayman parait avoir
été satisfait de Vappareil
ainsi modifié, car il en a fait
usage pendant toute ladurée
des études importantes sur
le plateau télégraphique.
Fic. 40. -— La sonde du Bull-dog.
La machine à sonder du Bul/-dog (fig. 40) est probablement
|. Deep-Sea Soundings in the North Atlantic Ocean, between Ireland and Newfound-
laud, made in H. M.S. Cyclops, lieut.-Commander Joseph Dayman, in June and July
~~
1857. Published by order of the Lords Commissioners of the Admiralty. London, 1858,
ISO LES ABIMES DE LA MER.
le plus généralement connu de tous ces engins. L'instru-
ment est un composé des pinces des grandes profondeurs
de sir John Ross, combiné avec le poids à déclic de Brooke.
Il fut inventé pendant la célèbre croisière de sondage du
raisseau de S. M. le Bulldog, en 1860, et sir Leopold
M‘Clintock attribue le principal mérite de son invention
à l’ingénieur en second du bord, M. Steil’. Deux écopes A,
réunies par une charnière à la façon d’une paire de ciseaux,
sont pourvues de deux paires d’appendices B, qui remplissent;
pour l'ouverture et la fermeture des écopes, l'emploi des
anneaux des ciseaux. Cet appareil est constamment attaché
à la corde de sondage par la corde F, qui est représentée
dans la gravure retombant et flottant et qui est assujettie au
pivot sur lequel tournent les coupes. Attachée au même pivot,
se trouve la corde D, qui se termine plus haut par un anneau
de fer. E représente une paire de crochets à déclic assujettis
également à Vextrémité de la corde de sonde; CG est un poids
de fer ou de plomb, très-pesant, et perforé dans toute sa
longueur, de manière que la corde D, avec ses boucles
et son anneau, puisse passer facilement au travers; B est une
bande épaisse de caoutchouc qui traverse les anneaux des
écopes. L'appareil est représenté dans le dessin tel qu'il est
pendant la descente et avant quil ait atteimt le fond. Le
poids CG et les écopes A sont suspendus à la corde D, dont
l'anneau est accroché aux crochets-sauteurs KE. L’anneau
élastique B est à l’état de tension, prêt à fermer les écopes
en rapprochant les poignées ; mais il éprouve la résistance du
poids C, qui, s’interposant entre les poignées, dans l’espace qui
les sépare, les empêche de se réunir. Dès que les écopes sont
enfoncées dans la terre par la pression du poids, la tension de
la corde D cesse, les crochets à déclic ouvrent l'anneau,
le poids tombe et permet à la courroie élastique B de fermer
1. Remarks illustrative of the Sounding Voyage of Hl. M.S. Bull-dog in 1860 ; Cap-
tain Sir Leopold M‘Clintock commanding. Published by order of the Lords Commis-
sioners of the Admiralty. London, 1861.
SONDAGES PROFONDS. 181
les écopes et de les maintenir closes sur ce qu’elles contien-
nent. La corde D glisse au travers du plomb, et les éeopes
fermées sont remontées par la corde F.
L'idée est bonne, et l'appareil ingénieux
et élégant, mais trop compliqué. Je ne
Vai jamais vu à l’œuvre, mais je crain—
drais qu'il ne donnat quelques mé-
EL ad
comptes à l'observateur, soit par la F
>
chute des écopes dans une fausse direc—
tion, soit par l'introduction dans les
charnières de petites pierres qui les em—
pécheraient de se fermer complétement.
Plus ces choses-là sont simples, mieux
elles valent.
Pendant notre croisière de 1868 sur
le Lightning, nous nous sommes servis
d’un instrument (fig. 41) qui promet peu
au premier abord, à cause de son appa-
rence primitive ; cependant je dois ren-
dre à l'appareil de sondage de Fitz-
gerald ce témoignage que je ne lai
jamais vu manquer son but, bien que,
malheureusement, nous ayons dti nous
en servir par des temps déplorables et
dans les circonstances les moins pro-
pices. La corde de sondage se termine
par une boucle qui passe dans un trou
circulaire percé dans le centre d’une
barre de fer F, laquelle se termine à
l’une de ses extrémités par une griffe, et
à l’autre par un second trou auquel est
attachée une chaine. Une écope A, dont
Fic. 41. — Machine à sonder
A af 2 à > os 2 £ ral = du
le bord, en fer de bêche, est aigu, est RÉ fine
assujettie à une longue et pesante tige
de fer D, à laquelle est adaptée une espèce de plaque en forme
182 LES ABIMES DE LA MER.
de gouvernail, destinée à la maintenir pendant son rapide
passage dans l'eau; au-dessous se trouve un trou qui s'adapte
exactement à la griffe de la barre I’. Une porte B s’ajuste
à l’écope, à laquelle elle tient par une charnière; elle est
également assujettie au bras C qui, dans la position verticale, la
maintient ouverte. Le bras C est fixé également par une chaîne
au trou de la barre F, et le bras et la chaîne sont de même
longueur que la tige D. De la tige D se projettent deux dents
EK, E, auxquelles est suspendu un poids très-lourd. L’appa-
reil est ajusté de manière que, quand le poids est attaché et
l'instrument prét à servir, ainsi qu'il est représenté dans la
gravure, la tige F conserve une position horizontale. Dès qu'il
touche le fond, la tension de la barre F cesse, le poids fait
décrocher la tige de la griffe D et tombe ainsi en faisant
remplir l’écope. En remontant, l'appareil prend une position
à peu près verticale et l’écope revient pleine, le poids de la
tige D maintenant le couvercle pressé sur l'ouverture.
L'appareil qui a servi sur le Porcupine pendant la croi-
sière dont les sondages ont été faits avec la plus grande
exactitude possible et à des profondeurs considérables, n’est
qu'une modification de la sonde de Brooke, passablement
compliquée, et qui avait servi précédemment au capitaine
Shortland pendant le voyage de sondage que le vaisseau.
de S. M.VHydre a fait dans le golfe Arabique avant la pose
du cable de l'Inde.
Cette modification, qui remplissait très-bien le but qu'on
voulait atteindre, est l’œuvre de M. Gibbs, le forgeron du
vaisseau '. Nous l’avons nommée Vhydre en souvenir de son
inventeur et du vaisseau qui le premier en à fait usage.
L’axe de Vhydre (fig. 42) est un long tube de cuivre qui
se dévisse en quatre tronçons, dont les trois inférieurs sont
fermés à leur orifice supérieur par des soupapes coniques qui
s'ouvrent par le haut et ne ferment pas assez hermétique-
|. Sounding Voyage of-H. M.S. Hydra, Captain P. F. Shortland, 1868. Published by
order of the Lords Commissioners of the Admiralty. London, 1869.
SONDAGES PROFONDS. 182
ment pour ne pas laisser passer un peu d’eau; le dernier
des trois tronçons, B, se ferme par une soupape mobile qui
s'ouvre aussi en dessus. Le tronçon
supérieur A, qui est le quatrième,
renferme un piston dont la tige C se
continue dans la partie supérieure par
une seconde tige qui se termine à
l'anneau auquel la corde est fixée. Le
tronçon supérieur, celui dans lequel se
meut le piston, est percé de chaque
côté, vers le milieu de sa longueur,
d’un grand trou; le piston lui-même est
percé d’un trou plus petit. Dans la
partie supérieure de la tige se trouve
une tige dentelée D, et par-dessus
cette dent passe un ressort recourbé,
d'acier, fendu de manière à permettre
à la dent d’en traverser le centre; les
deux extrémités sont assujetties d’une
manière mobile à la tige. Quand le
ressort est poussé en arrière, la dent
avee son entaille passe au travers de
l'ouverture centrale. Le poids se com-
pose de trois ou quatre cylindres de
fer F, découpés de dents et d’entailles,
qui, en sadaptant les unes dans les
autres, forment une masse compacte et
solide. Le poids dont nous nous ser-
vions dans le Porcupine était de 200
à 300 livres, suivant la profondeur.
Le poids est soutenu sur une corde de
Her quon passe, dans l’enutaillesde . M42. — Laydre, machine
la dent, après avoir poussé le ressort en
arrière. Le poids suffit amplement à maintenir le ressort dans
cette position.
184 LES ABIMES DE LA MER.
La gravure représente l'appareil prêt à être immergé ;
le poids est suspendu à Vanneau qui est placé à l'extrémité
supérieure de la tige du piston, lequel est ainsi entièrement
tiré en dehors de son cylindre. A mesure que l’instrument
descend, l’eau passe librement au travers du cylindre et des
soupapes, et ressort par les trous pratiqués dans la paroi du
cylindre. En touchant le fond, le poids fait descendre le piston,
mais son trajet vertical se trouve ralenti par l’eau contenue
dans la partie inférieure du eylindre, et qui, ne pouvant
s'échapper que lentement, donne ainsi au poids le temps
d’enfoncer le tronçon terminal et les soupapes mobiles dans
le terrain du fond.
Entre les mains habiles du capitaine Calver Vhydre ne
manqua jamais son effet: les très-grands poids dont on se
sert avec cet appareil le rendent admirablement propre aux
sondages exacts dans les grandes profondeurs; mais il est
trop compliqué et ne peut ramener qu'une bien faible quan
tité d'échantillons du fond. Dans le cas du Porcupine, qui,
à chaque station de sondage, immergeait sa grande drague,
ce dernier inconvénient était nul; mais, quand le draguage
ne peut se pratiquer, et qu'il faut demander au sondage seul
tous les renseignements sur la nature du fond, il serait
avantageux de pouvoir adapter à ce système les écopes du
Bull-dog, où l'appareil de Fitzgerald.
Pendant la croisière du Porcupine en 1869, des sondages
ont été opérés avec le plus grand soin à quatre-vingt-dix,
et en 1870 à soixante-sept stations; le capitaine Calver les
a exécutés lui-même, et sa grande expérience, acquise dans
son service de surveillance et d'inspection, est une garantie
précieuse de leur complète exactitude. Il m'a assuré que,
quelle que fut la profondeur du sondage, sa main a toujours
éprouvé d’une manière parfaitement sensible le choc du poids,
à son arrivée au fond. Un sondage a toujours été soigneu-
sement fait avant la descente de la drague. Je vais citer
comme exemple le sondage qui a indiqué la mesure du dra-
SONDAGES PROFONDS. 185
guage le plus profond qui eût encore été fait, 2435 brasses,
dans la baie de Biscaye, le 22 juillet 1869, et décrire le mode
d'opération mis en usage.
Le Porcupine avait été pourvu à Woolwich d’une admi-
rable machine supplémentaire à double cylindre, de 12 che-
vaux (force nominale), placée par le travers du pont et munie
de deux tambours. Cette petite machine a fait notre bonheur;
rien ne saurait surpasser la régularité de son travail et la
facilité avec laquelle se réglait son allure. Pendant toute la
durée de Vexpédition, elle a remonté avec le tambour ordi-
naire, soit la corde de la sonde, soit celle de la drague avec
une vitesse uniforme d’un pied par seconde. Une ou deux
fois elle a été surchargée, et alors c'était pitié de voir la
laborieuse petite machine souffler comme un cheval sur-
mené ; il nous est arrivé, quand le travail était par trop dur,
d'ajouter un petit tambour, ce qui nous faisait gagner de la
force en perdant quelque chose du côté de la rapidité.
Deux puissants cabestans étaient établis, l’un à lavant,
l’autre à l'arrière, pour les opérations de sondage et de dra-
guage : celui de l’avant était le plus fort et celui que nous
trouvions le plus convenable pour draguer; le sondage se
faisait le plus souvent à Varriére. Les deux cabestans étaient
pourvus d’accumulateurs, pièces accessoires de l'appareil,
qui nous ont été d’une grande utilité. La poulie sur laquelle
passait la corde de sonde ou de drague n’était pas attachée
au cabestan même, mais à une corde qui, passant dans un
œillet pratiqué à l'extrémité du mât, venait se rattacher à une
bitte sur le pont. L’aceumulateur était amarré au balant de la
corde, entre la poulie et la bitte. Il se compose de ressorts de
caoutehoue vuleanisé , au nombre de trente, quarante et
plus; ils sont réunis ensemble à chacune de leurs extrémités,
après avoir passé séparément à travers les trous de deux
rondelles de bois semblables aux têtes des battes à beurre, qui
les maintiennent séparés. La longueur de la corde est calculée
de manière à permettre à Vaccumulateur une extension du
NO LES ABIMES DE LA MER,
double ou du triple de sa longueur, mais Varret est toujours
ménagé bien en deca du degré qui pourrait amener la rup—
ture. L'utilité de l’accumulateur consiste d’abord à indiquer
approximativement le degré de tension que subit la corde;
pour donner à ses indications la plus grande exactitude pos-
sible, il était disposé de manière à fonctionner tout près du
cabestan, gradué, après épreuves faites, selon le nombre des
quintaux de tension indiqués par le plus ou moins de ten—
sion des ressorts. Mais il rend un service bien plus impor-
tant encore, en prévenant les secousses qu occasionnerait à la
corde le mouvement de tangage du batiment. Le frottement
de l’eau sur une longueur d’un ou deux milles de corde, est
assez fort pour l'empêcher de céder librement à une secousse
subite, telle qu'elle est exposée à en recevoir dans la partie
attachée au navire, toutes les fois qu’une lame vient à le
soulever; elle est sujette alors à se rompre brusquement.
Sous le cabestan de l'arrière, on avait organisé une machine
à dérouler, semblable à celle qui servait à bord de l'Aydre ;
elle consistait en un plateau de bois percé d’une fente dans
laquelle on passait l'extrémité libre de la sonde, dont les
poids reposaient sur le plateau, pendant qu'on disposait l’ap-
pareil pour l’immersion. L’instrument de sondage était Vhydre,
chargée de 336 livres. La corde de sonde était enroulée sur
une grande et forte bobine posée par le travers du bâtiment,
à l’arrière de la machine auxiliaire, dont la rotation était ré—
gularisée par un frein. La bobine était chargée d’environ
4000 brasses de corde moyenne faite du meilleur chanvre
d'Italie à 18 fils; le poids de cette corde était de 12 livres
8 onces par 100 brasses, sa circonférence 0,8 de pouce, et sa
force de résistance de 1402 livres quand elle était sèche, et
de 1211 quand elle avait trempé pendant un jour.
Le temps était remarquablement clair et beau, le vent
au nord-ouest, avec force 4; la mer modérée, avec légère
houle du nord-ouest. Nous naviguions à l'entrée de la baie
de Biscaye, par 47° 38° de latitude N., et 12° 8 de longi-
SONDAGES PROFONDS. IST
tude O., à environ 200 milles à l’ouest d’Ouessant. L’ap-
pareil de sondage était muni de deux des thermomètres
de Miller-Casella, et une bouteille était attachée à la corde
à une brasse au-dessus du poids de sonde. Le tout fut im-
mergé à 2 heures 44 minutes 20 secondes du soir. La corde,
tenue à la main, se déroulait à mesure que le poids Ven—
trainait, de manière à éviter tout effort et toute tension.
Le tableau suivant donne exactement le degré de vitesse de
la descente :
| | | |
BRASSES. | TEMPS. INTERVALLES. || BRASSES. TEMPS. INTERVALLES.
|
0 CAN £4 m. 20 s.| el le U0 DDASS ns Zars
HOO 225245 DO Ais ADO [Ores HOkas Bi I 32
ore ae AB |:0 10 =]: 1500 , 13 9 32
DOME 46 £30. <1 0 Ae ls 46000 +). eee 33
100 De SAT Dj 0 5 1700 3 & 419 | O31
UE lee 2 184 b= 0 50 || 1800 3 6 6 | mi
600 2.19 HE) M Qi OMMIETIOOMIES i oS | 47
FODESES, 250-724" |* 1 9 2000. 3° 940 I AT
SUEDE 51e 93 () BOS LE 200 NE 29 | 19
900" | 2° 52 45 | Pe id ee 1 IR 2 ARE ae | 59
1000%-|:2 - 54 0 | 15 9300 > is =~ Abs 4 98 | 99
1100- | DI san Al | 21 DAN ae “Ate 485 | D?
2000 24-56. A | naa | 9480 SALES ie: antics () iO
Dans la circonstance actuelle, observation du temps n'avait
d'utilité que celle de corroborer d’autres témoignages de
l'exactitude du sondage, car, même à cette profondeur extrême
de près de 3 milles, l’ébranlement de Varrét est parfaitement
senti par le commandant, dans la main de qui la corde avait
filé pendant la descente. C’est probablement le sondage le
plus profond qui eût encore été fait d’une manière sûre et
digne de confiance. Il a été opéré dans des conditions de tem-
pérature exceptionnellement favorables, au moyen d'appareils
tres-perfectionnés, et avec une habileté consommée. La des-
dente a pris 33 minutes 35 secondes, et il a fallu 2 heures
2 minutes pour retirer la sonde. Le cylindre de l'appareil de
sondage revint garni du limon gris de l’Atlantique, contenant
188 LES ABIMES DE LA MER.
une forte proportion de coquilles vivantes de Globigérines.
Les deux thermomètres de Miller-Casella marquaient une
température minimum de 2°,5 C.
Bien des essais ont été teutés avant qu’on soit arrivé à in—
venter un instrument capable de marquer la vitesse de la des-
cente verticale du plomb, au moyen d’un mécanisme indicateur.
Le mieux réussi de ces appareils, celui qui est le plus géné—
ralement adopté, c’est la machine à sonder de Massey. Cet
instrument, sous sa forme la plus récente et la plus perfec-
tionnée, qui doit s’employer avec le plomb ordinaire, est des-
siné dans la figure 43. Deux boucles ou œillets, F, F, sont
passés au travers des deux extrémités d’une lourde plaque
ovale ou bouclier AA. La corde de sondage est fixée à
l’œillet supérieur, et le poids à l’œillet inférieur, à la dis-
tance d'environ une demi-brasse de la plaque. Quatre ailes
de cuivre B sont soudées obliquement à un axe, de façon
qu'à mesure que la machine plonge et descend, la pression
de l’eau contre les ailes imprime à l’axe un mouvement de
rotation. L’axe, en tournant, communique son mouvement
aux indicateurs des cadrans C, qui sont combinés de telle sorte
que Vindicateur du cadran de droite passe sur une des divi-
sions à chaque brasse de descente verticale, lente ou rapide,
et accomplit une révolution complète à 15 brasses, tandis que
l'indicateur de gauche passe sur une des divisions du cadran
toutes les 15 brasses, et accomplit sa révolution entière
pendant une descente de 225 brasses. Quand les profondeurs
sont plus grandes, il faut simplement ajouter un cadran avec
son indicateur. Cet instrument de sondage est parfaitement
suffisant pour les profondeurs moyennes; il est très-précieux
pour contrôler les sondages opérés d’après les méthodes or-
dinaires, là où des courants profonds sont supposés exister,
puisqu'il ne doit indiquer que la descente verticale. Il cesse
d'être efficace dans les très-grandes profondeurs, où son in—
suffisance est commune, parait-il, à tous les instruments
marchant par des rouages métalliques, I est difficile d’en
SONDAGES PROFONDS. [89
expliquer la raison, mais |’énorme pression de Peau parait
gener, entraver le jeu des mécanismes.
La machine à sonder de Massey dont il est généralement
fait usage diffère quelque peu du bouclier dessiné ci-dessous
et que nous venons de décrire. Elle est construite d’après le
Fig. 43. — Sonde de Massey.
meme principe, mais fixée sur un plomb de sondage d'une
forme spéciale, ce qui la rend un peu plus embarrassante.
Indépendamment de l'intérêt toujours croissant qui se porte
depuis quelques années sur les choses de la science, et particulie-
rement sur tout ce qui se rattache à la géographie physique, les
conditions des profondeurs de la mer, la nature du fond, la force
et la direction des courants profonds, la température des grandes
190 LES ABIMES DE LA MER.
profondeurs, enfin toutes les circonstances qui se rapportent au
fond de la mer, ont acquis une importance pratique très-sérieuse
depuis qu'il s’est établi des communications télégraphiques au
moyen de cables sous-marins.
L’océan Atlantique et les parages accessibles de la mer
Arctique, à proximité des nations les plus maritimes et les plus
commercantes de notre époque, constamment parcourus par
elles, ont été naturellement les premiers et les mieux étudiés,
et comme il s'y trouve, selon toute apparence, des profondeurs
aussi considérables que dans les autres bassins océaniques, il est
probable que leurs conditions peuvent être regardées comme
exemples des conditions ordinaires et générales de toutes les
mers. L'Atlantique est ouvert d’un pôle à l'autre, participant
ainsi à toutes les variations de climat, et communique librement
avec les autres mers. Nous ne possédons encore que des données
bien restreintes sur les conditions du lit des océans Indien,
Antarctique et Pacifique; mais le peu que nous en savons,
semble indiquer que leur profondeur n’est pas extrême et que
le fond n’en diffère pas beaucoup de ce que nous trouvons plus
près de nous. La Méditerranée, cul-de-sac presque complé-
tement isolé des mers plus étendues, est régie par des circon—
stances toutes particulières, qui seront expliquées plus tard.
La conclusion à laquelle nous ont conduits les sondages métho—
diques entrepris et soigneusement exécutés pendant les années
qui viennent de s’écouler, par notre Amirauté et par les Gou-
vernements américain et suédois, e’est que la profondeur
de la mer est moins considérable qu'on ne le supposait. J'ai
raconté plus haut que, dans le cours de quelques-unes des
plus anciennes expéditions de sondage, d'énormes profondeurs
avaient été attribuées à quelques parties de l'Atlantique, et j'ai
expliqué, par les défectuosités des appareils employés alors, le
peu de confiance qu'inspire aujourd'hui le résultat de ces son-
dages. Le lieutenant Berryman, du brick des Etats-Unis Dol-
phin, inscrivait 4580 brasses (27 480 pieds), profondeur égale
à la hauteur du Dhawalagiri, par 41° 7’ de latit. N. et 49° 23" de
SONDAGES PROFONDS. 191
longit. O., à mi-route entre New-York et les Acores; «pas de
fond » à 4920 brasses (29 520 pieds), profondeur plus grande
que la hauteur du Deodunga, le pie le plus haut du globe, par
38°3 de latit. N. et 67°14’ de longit. O.;.« pas de fond »
à 6600 brasses (39 600 pieds), par 32°55! de latit. N., et 47°58’
de longit. O.: ce qui ferait supposer l’existence, entre les côtes
de l'Amérique et les îles de l’ouest, d’un abime capable d’en-
gloutir la chaine entière de l'Himalaya. I est probable que cet
espace comprend la portion la plus profonde de l'Atlantique du
Nord, mais il n’est pas douteux que ces profondeurs n'aient été
exagérées. La profondeur moyenne du lit de l'Océan ne parait
pas dépasser de beaucoup 2000 brasses (12006 pieds), hauteur
moyenne des plateaux élevés de l'Asie.
La mince enveloppe aqueuse qui recouvre une si grande
partie de la croûte terrestre remplit les grandes dépressions de
son écorce, dont les massifs de terres couronnés de plateaux et
de chaines de montagnes, qui s'élèvent au-dessus de sa surface,
ne sont que les protubérances abruptes et clair-semées. L’océan
Atlantique occupe une surface de 30000 000 de milles carrés,
et la mer Arctique 3 000 000 : ces chiffres réunis représentent
à peu près l'étendue de l'Europe, de l'Asie et de l’Afrique,
cest-a-dire la totalité de l’ancien monde; cependant il ne
parait y avoir dans son lit que bien peu de dépressions dont la
profondeur dépasse 15 000 ou 20 000 pieds, un peu plus que la
hauteur du mont Blanc, et, sauf dans le voisinage des côtes,
il n'y existe qu'une seule chaine de montagnes très-élevée,
le groupe volcanique des Açores.
Les parties centrale et méridionale de l'Atlantique pa-
raissent être une ancienne dépression, contemporaine pour le
moins du dépôt européen de la formation jurassique ; pendant
ces longues périodes, l'effet de ces grandes masses d’eau a été,
selon toute probabilité, d'améliorer les contours, d’adoucir
les aspérités par l’action désagrégeante de ses vagues et de
ses courants, qui, entrainant et distribuant leurs matériaux,
effacent les creux et comblent les gouffres.
192 LES ABIMES DE LA MER.
Les premières études sérieuses sur l’Atlantique qui indi-
querent avec sûreté et précision les grandes profondeurs ont
été faites pendant les croisières du lieutenant Lee, comman-
dant le brick Dolphin des États-Unis (1851-52), et du lieu-
tenant O. H. Berryman, commandant le même vaisseau el
1852-53. Mais le premier voyage pendant lequel les appareils
nouveaux ont été employés avee exactitude et dans un but
pratique, c’est celui que fit le lieutenant Berryman en 1856,
sur le vapeur des Etats-Unis Arctic, pendant lequel on fit
vingt-quatre sondages de grandes profondeurs, au moyen des
machines de Brooke et de Massey, dans une direction cireu-
laire, entre Saint-Jean de Terre-Neuve et Valentia en Irlande,
pour préparer la pose du premier cable. Le même espace a été
étudié en juin et juillet 1857 par le lieutenant Dayman, avec
le vaisseau de S. M. Cyclops; il fit trente-quatre sondages
avec la machine de Massey et celle de Brooke modifiée ainsi
que nous avons indiqué plus haut. L'expédition de quelque
importance qui suivit celle-ci fut celle que commanda le
lieutenant Dayman, de Terre-Neuve aux Açores, et de Ja
-en Angleterre, sur le vaisseau de S. M. Gorgon. On sonda les
profondeurs avec un plomb de 188 livres, qu'on laissait au
fond ainsi que la corde. Une seule fois, à un tiers environ de
la distance des Acores en Angleterre, un plomb à coupe fut
immergé, retenu par une corde plus forte, dans 1900 brasses ;
il remonta à moitié plein de limon grisatre.
Un autre trajet pour le câble ayant été proposé, le vaisseau
de S. M. Bull-dog partit en 1860 sous les ordres du capitaine
sir Leopold M‘Clintock, sonda entre les iles Farôer et l'Islande,
et de là au Groenland et au Labrador. Les sondages se firent
d’abord avec un poids de fer d’un quintal environ, attaché
à une corde de pêche; la corde était coupée à chaque sondage
et le poids restait au fond ; puis le sondage était répété avec
la machine à sonder du Bu//-dog, qui ramenait d’abondants
échantillons du fond. Le Dt Wallich, naturaliste de l’expé-
dition, a écrit le journal de ce voyage, qui fut publié plus
SONDAGES PROFONDS. 193
tard par lui comme complémeut de Vimportant mémoire sur
le fond de l'Atlantique du Nord, auquel j'ai déjà fait allusion '.
Quelques discussions s'étant élevées à propos du trajet auquel
on devait donner la préférence pour le cable télégraphique
de l’Atlantique, le capitaine Hoskyn, de la Marine royale, fut
envoyé sur le Porcupine pour étudier la curieuse dépression de
900 à 1750 brasses, signalée par le capitaine Dayman en 1857,
et placée, selon lui, à environ 170 milles à l’ouest de Valentia.
Un résultat important de ce voyage fut la découverte du
banc du Porcupine à 120 milles environ à l’ouest de la baie
de Galway, avec profondeur minimum de 82 brasses.
Vers la fin de l’année 1868, le vaisseau de S. M. Gannet,
commandant W. Chimmo, de la Marine royale, reçut de
VAmirauté l’ordre de tracer, pendant son voyage de retour
d'une station aux Indes occidentales, la limite septentrionale
du Gulf-stream, de faire des sondages profonds et des relevés
de températures. Il exécuta, avec l'appareil de Brooke, treize
sondages dans un espace de plus de 10 000 milles carrés,
depuis l’île des Sables (43° 20° de latit. N. et 60° de longit. O.),
dans des profondeurs variant de 80 à 2700 brasses.
Depuis bien des années déjà, le Gouvernement américain
se livre à une étude complète et minutieuse de sa ligne de
côtes ; récemment encore l'inspection côtière, dirigée par feu le
professeur Bache et par l’énergique directeur actuel du Bureau
hydrographique, le professeur Pierce, a poussé ses opérations
jusque dans les grandes profondeurs, particulièrement dans la
région du Gulf-stream, au nord-ouest du détroit de la Floride.
Des expéditions de draguage ont été dirigées avee suceès par
le comte de Pourtalès, et l’on verra plus loin que les résultats
par lui obtenus complètent et corroborent les nôtres d’une
maniére précieuse. Le Gouvernement suédois a exécuté à deux
reprises et avec les plus grands soins, des sondages dans
la mer qui sépare le Spitzberg du Groenland, ainsi qu’au
1. Voyez page 20 et suivantes.
194 LES ABIMES DE LA MER.
sud-ouest du Spitzberg; en 1860, sous la direction d'Otto
Thorell, et en 1868, par l'expédition arctique suédoise,
commandée ‘par le capitaine comte von Otter, du vapeur
suédois Sophia. En 1869, la corvette suédoise Joséphine,
sondant et draguant dans l'Atlantique du Nord, fit pénétrer
la sonde au delà de 3000 brasses, et découvrit le banc José
phine, avec profondeur minimum de 102 brasses, par 36° 45’
de latit. N. et 14° 10’ de longit. O., au nord-ouest du détroit
de Gibraltar. Les expéditions polaires de l’Allemagne ont
beaucoup ajouté à notre connaissance des mers du Nord et
du Spitzberg. Enfin, le 20 décembre 1870, le vaisseau-école
américain Mercury, capitaine P. Giraud, traversa |’ Atlantique
des tropiques jusqu'à Sierra—Leone, où il arriva le 14 février
1871. Il en repartit le 21 février, et continua les sondages et
les recherches jusqu'à son arrivée à la Havane le 13 avril.
Le but de l’expédition et le caractère de ceux qui la compo
saient sont choses singulières et instructives. Il parait que
le Mercury appartient aux membres de la Commission des
hospices et des prisons de New-York, et qu'on s’en sert pour
l'éducation maritime de jeunes garcons détenus pour vaga—
bondage et autres méfaits de peu de gravité : une des con-
ditions importantes de l'éducation donnée à bord de ce vais-
seau, c’est que, faisant des croisières de longue durée, ces
jeunes gens deviennent rapidement capables d'entrer dans
la marine de l’État ou dans la marine marchande. A l’occasion
de la croisière dont nous venons de faire mention, les com-
missaires, désireux de favoriser l’instruction de leurs pupilles
tout en travaillant au progrès de la science, recommanderent
au capitaine d'exécuter une série de sondages sur ou dans
le voisinage même de la ligne de l’équateur, depuis la côte
d'Afrique jusqu’à l'embouchure de l'Amazone, et de faire des
observations sur le système de courants de surface et sur la
température de l’eau à diverses profondeurs.
Les commissaires rendent le témoignage le plus favorable
de ce mode d’édueation, qui est maintenant généralement
SONDAGES PROFONDS. 195
adopté. Cette vie aventureuse est pleine de charme pour des
jeunes gens qui se trouvent dans les conditions de ceux dont
nous nous occupons, de sorte que, «au lieu de devenir, en
erandissant, le fléau de l'humanité, elle en fait des hommes
utiles ». Sur les deux cent cinquante vauriens qui ont fait
ce voyage, cent étaient, au dire du capitaine, capables au
retour de s'acquitter convenablement du travail d’un matelot
ordinaire. |
On s’est servi, sur le Mercury, de Vappareil de sondage
à boulet perdu de Brooke, et le rapport fait par le professeur
Henry Draper, de New-York, sur les résultats scientifiques
de l'expédition, est accompagné d’un dessin qui représente
le lit de l'Océan, au 12° parallèle, appuyé de l'autorité de
quinze sondages. I] démontre «qu’à partir de la côte d’A-
frique, le lit de l'Océan s’abaisse rapidement, A 2 degrés
ouest de la longitude du cap Vert, les sondages ont donné
2900 brasses. A partir de ce point, la profondeur moyenne
à travers l'Océan peut s’estimer à environ 2400 brasses ; mais
ici on trouve deux exceptions bien marquées : d’abord une
dépression dont la profondeur est de 3100 brasses, puis une
élévation où elle ne dépasse pas 1900 : la conclusion, c’est
qu'il existe un creux profond du côté africain et un autre
plus étroit et moins profond du eôté de l'Amérique '. »
La planche VII est une carte sur laquelle les profondeurs
les plus grandes sont teintées des nuances bleues les plus
foncées, à raison d’une nuance par 1000 brasses. Dans la
mer Arctique, à l’ouest et au sud-ouest du Spitzberg, il y a
de grandes profondeurs allant à 1500 brasses; puis un vaste
plateau commence aux côtes de la Norvége, comprenant l'Is-
lande, les iles Faréer, Shetland et Orcades, la Grande-Bre-
1. Cruise of the School-ship Mercury in the Tropical Atlantic, with a Report to the
Commissioners of Public Charities and Correction of the City of New-York on the Chemi-
cal and Physical Facts collected from the Deep-sea Researches made during the Voyage
of the Nautical School-ship Mercury, undertaken in the Tropical Atlantic and Caribbean
sea, 1870-71. By Henry Draper, M. D., professor of analytical Chemistry and Physiology
in the University of New-York. Abstracted in Nature, vol. V, p. 324.
196 LES ABIMES DE LA MER.
tagne et l'Irlande, et le lit de la mer du Nord jusqu'aux côtes
de la France. La profondeur y atteint rarement 500 brasses.
Par contre, à l’ouest de VIslande, et communiquant sans
aucun doute avec les grandes profondeurs de la mer du
Spitzberg, se trouve une dépression de 500 milles de largeur,
et en quelques endroits profonde de près de 2000 brasses,
serpentant le long des côtes du Groenland. C'est la voie de
retour de l’un des grands courants arctiques. Après une pente
eraduelle jusqu'à la profondeur de 500 brasses, à l’ouest des
côtes de l'Irlande, par 52° de latitude N., le fond s’abaisse
rapidement jusqu'à 1700 brasses, dans la proportion de 15 à
19 pieds sur 100, et de ce point jusqu'à 200 milles envi-
ron des côtes de Terre-Neuve, où les bas-fonds reprennent,
il existe une vaste plaine sous-marine ondulée, ayant une
moyenne d'environ 2000 brasses de profondeur, au-dessous de
la surface. C’est la le plateau télégraphique.
Une vallée large d'environ 500 milles, d’une profondeur
moyenne de 2500 brasses, s'étend de la côte sud-ouest de l'Ir-
lande, longe les côtes d'Europe, s’avance dans la baie de
Biscaye, et, après avoir dépassé le détroit de Gibraltar, se pro—
longe sur la côte occidentale de l'Afrique. Vis-à-vis des îles du
Cap-Vert, elle parait plonger dans un creux légèrement plus
profond, qui oceupe l’axe de l’Atlantique du Sud, et passe dans
la mer Antarctique. Une vallée à peu près semblable contourne
les côtes de l'Amérique du Nord avec 2000 brasses de pro-
fondeur, à la hauteur de Terre-Neuve et du Labrador, et de-
vient beaucoup plus profonde encore vers le sud, où elle suit
les contours des côtes des États-Unis et des iles Bahama et
Windward, pour se réunir enfin au sillon central de l'Atlantique
du Sud, à la hauteur des côtes du Brésil, dans une profondeur de
2500 brasses. Une voie large, élevée, et à peu près de niveau,
ayant une profondeur moyenne de 1500 brasses, presque égale
en étendue au continent africain, part de l'Islande dans la
direction du midi, presque jusqu'au 20° parallèle de latitude
nord. Le point culminant de ce plateau se trouve placé au
SONDAGES PROFONDS. 197
parallèle de 40° de latitude N., au groupe volcanique des Acores.
Pico, le point le plus élevé du groupe, est à 7613 pieds
(1201 brasses) au-dessus du niveau de la mer, ce qui donne au
niveau du plateau une hauteur de 16 206 pieds (2701 brasses),
un peu plus que la hauteur du mont Blanc, au-dessus du niveau
de la mer.
Les sondages exacts n'ont point encore été assez fréquents
pour permettre de tracer même une simple esquisse de la carte
détaillée des contours de l'Atlantique, et un croquis tel que celui
que nous donnons icine doit être regardé que comme un premier
et grossier essai. Rien cependant ne saurait en donner une idée
plus erronée et plus exagérée que la section idéale qui se trouve
dans la Géographie physique de la mer du capitaine Maury,
quoique sous certains rapports l'ouvrage soit très-exact.
D’après les connaissances acquises, |’ océan Atlantique re-
couvre une vaste région formée de vallées larges et peu pro-
fondes, de plaines ondulées, accidentées de quelques groupes
de montagnes volcaniques, dont l'étendue et l'élévation sont
insignifiantes, si on les compare aux espaces immenses *qui
composent le lit de l'Océan.
Nolsé, vue des collines au-dessus de Thorshaven (Farüer)
/
CHAPITRE VI
DRAGUAGES : PROFONDS
Drague du naturaliste. — O. F. Müller. — Drague de Ball. — Le draguage dans les
profondeurs moyennes. — Corde à draguer. — Le draguage dans les grandes pro-
fondeurs. — Les houppes de chanvre. — Le draguage à bord du Porcupine. —
Les tamis. — Le carnet du dragueur. — Commission de draguage de l'Association
Britannique. — Le draguage sur les côtes de la Grande-Bretagne. Le draguage
au loin. — Histoire des progrès accomplis dans l’étude de la faune des abimes.
APPENDICE A.— Bulletin de draguage publié au nom de la commission de l'Association
Britannique par M. M. Andrew.
Jusqu'au milieu du siècle dernier, le peu que l’on savait
des habitants de la zone inférieure de la mer au plus bas
étiage paraît avoir été di aux quelques spécimens recueillis
sur les plages après les tempêtes, et aux captures faites par
hasard sur les cordes de sonde, sur celles de péche, et dans
les filets et dragues à Huîtres et à Moules. Il n’était même
pas toujours possible de mettre à profit ces sources précaires
d'instruction, car pour les obtenir il fallait lutter (et le plus
souvent inutilement) contre la répugnance superstitieuse
qu'éprouvaient les pêcheurs à rapporter d’autres captures que
celles qui font l’objet de leur commerce habituel. De nos jours
encore, c’est à peine si l'influence de l’école est parvenue
à détruire quelques-uns de ces vains préjugés; la plupart
des pêcheurs ignorent si complétement la nature de ces ani-
maux étranges, qu'ils voient facilement en eux des êtres sur-
naturels et malfaisants, dont la puissance occulte peut être
DRAGUAGES PROFONDS. 199
des plus facheuses pour eux-mêmes et pour les résultats de
leur pêche. Je crois pourtant que les progrès de l'instruction
tendent à faire disparaitre ces idées fausses; et aujourd'hui
il doit se perdre moins de nouveautés rares et précieuses sous
le prétexte que « cela porte malheur » de les recueillir dans
la barque.
Il ne parait pas que la drague
à l'étude de la faune du fond de la
mer avant l’époque où Otho Fre-
derick Müller l’employa pour faire
les recherches qui lui procurèrent la
matière de l’admirable travail qu'il
publia en 1779 sous le titre de : /es-
criplion des animaux du Danemark
et de la Norvége les plus rares et
les moins connus. Dans la préface
du premier volume, Müller fait une
description de ses appareils et de sa
manière de procéder, qui est pleine
d'originalité et dune lecture des
plus intéressantes.
Le premier paragraphe de cet au-
teur décrit une drague qui ne diffère
pas beaucoup de celle de Ball et
du naturaliste ait servi
SAR
= re
Fic. 44. — Drague de Otho Frede-
rick Müller (A. D. 1700)
Forbes (fig. 44), à cela près cependant que l'ouverture parait
en avoir été carrée, ce qui constitue une modification qui
peut être heureuse sous certains rapports, mais qui, dans la
plupart des cas, donne bien des chances au sac de se vider
de son contenu en remontant à la surface.
« Praecipuum instrumentum quo fundi maris et sinuum
» incolas extrahere conabar, erat sacculus reticularis
s, ex funi-
» culis cannabinis concinnatus, margine aperturae alligatus
» laminis quatuor ferreis ora exteriori acutis, vinam longis;
~
Ÿ
> quatuor vneias latis, et in quadratum dispositis. Angulis
laminarum exsurgebant quatuor bacilli ferrei, altera extre-
200 LES ABIMES DE LA MER.
» mitate in annulum liberum iuncti. Huie annectitur funis
» ducentarum et plurium orgyarum longitudine. Saccus mari
» immissus pondere ferrei apparatus fundum plerumque petit,
» interdum diuersorum et contrariorum sæpe fluminum maris
» inferiorum aduersa actione moleque ipsius funis plurium or-
» gyarum in via retineri, nec fundum attingere creditur. »
Le dessin de cette premiére drague du naturaliste est em-
prunté à une vignette qui accompagne le titre et orne la pre-
mière page du livre de Müller.
« Fundo iniacens ope remorum aut venti modici trahitur,
» donee tractum quendam quaeuis obuia excipiendo confecerit.
>
Y
In cymbam denique retrahitur spe et labore, at opera et oleum
» saepe perditur, nubesque pro lunone captatur, vel enim totus
» argilla fumante aut limo foetente, aut meris silicibus, aut
» Testaceorum et Coralliorum emortuorum quisquiliis impletur,
» vel saxis praeruptis et latebrosis cautibus implicitus horarum
» interuallo vel in perpetuum omnia experientis retrahendi in-
Le
» uenta frustrat; interdum quidem vnum et alterum Mo//us—
» cum, Helminthicum, aut Testaceum minus notum in dulee
» laborum lenimen reportat. »
Müller décrit les difficultés qu il rencontra dans l’accomplis-
sement de son ceuvre. La pauvreté de vie animale sur les
côtes scandinaves, la rudesse de leur climat variable, « aéris
)
2
intemperies, marisque in sinubus et oris maritimis Nor-
» vegiae inconstantia adeo praepropera et praepostera, vt aër
» calidissimus vix minutorum interuallo in frigidum, tempestas
» serena in horridam, malacia infida in aestu ferventem pela-
» gum haud raro mutetur. »
tien pourtant ne saurait dompter l'énergie du vieux natu-
raliste, qui, dans son enthousiasme, regardait peines, fatigues
et privations comme l'accompagnement nécessaire de la besogne
de chaque jour :
« Hane mutationem saepius cum vitae periculo et sanitatis
» dispendio expertus sum, nec tamen, membra licet fractus,
» animum demisi, nee ab incepto desistere potui. Discant de-
DRAGUAGES PROFONDS. 201
» hine historiae naturalis scituli, rariora naturae absque inde-
» fesso labore nec comparari, nec iuste nosci *. »
Il ne parait pas pourtant qu'Otho Frederick Müller ait jamais
dragué au dela de 30 brasses, et de son temps l’étude des
animaux marins était trop peu avancée pour donner lieu a
une classification quelconque de leur distribution dans les di-
verses profondeurs. —
L'appareil qui sert généralement à draguer les Huitres et
les Moules dans les contrées du Nord se compose d’un léger
chassis de fer long de cinq pieds, avee une ouverture d’un pied
environ. À l’une de ses extrémités est placé un racloir semblable
au fer d’une houe étroite, à l’autre un appareil de suspension
fait de minces tiges de fer réunies par un anneau auquel est
attachée la corde de draguage. A ce chassis est suspendu un
sac d'environ deux pieds de profondeur, fait d'un filet de chai-
uettes de fer, d’un filet de cordelettes de chanvre, ou d’un
mélange des deux. Les dragueurs naturalistes se sont servis
d’abord de la drague ordinaire à Huitres, dont les différents
systèmes adoptés de nos jours ne sont que des modifications
et des perfectionnements, car son extréme simplicité la rend
impropre aux usages scientifiques. La drague a Huitres n'a.
de racloir que d’un seul côté. Entre les mains exercées des
pêcheurs ce n’est point un inconvénient, car elle est toujours
plongée de manière à tomber de ce côté-là ; mais, soit mala-
dresse, soit défaut d'habitude, les savants qui s’en sont servis
dans les grandes profondeurs s’arrangeaient ordinairement
pour la faire descendre sur la face opposée, ce qui expliquait
suffisamment son retour à vide; puis la drague à Huitres ne
devant retenir que celles qui ont atteint certaines dimensions,
les mailles des dragues à péche sont de largeur à laisser échap—
per tout ce qui est de dimension inférieure, ce qui ne peut faire
l'affaire du naturaliste, dont quelques-unes des captures les
plus précieuses sont des atomes à peine visibles à l'œil nu.
1. Zoologica Danica, sev Animalivm Daniae et Norvegiae rariorum ac minys noforvni
Descriptiones et Historia. Avctore Othone Friderico MuLLer. Havniae, 1788.
202 LES ABIMES DE LA MER. ; 2
Pour parer à ces Inconvénients, il s'agit d'adapter à chacun
des côtés de la drague un racloir, et d’assujettir les bras de
telle sorte que l’un ou l’autre des racloirs atteigne toujours le
fond, quelle que soit la position de la drague ; la proportion de
la longueur du sac avec la dimension du chassis devra être plus
grande ; celui-ci sera fait d’une étoffe assez lâche pour laisser
librement écouler l’eau, et les ouvertures seront ménagées de ma-
nière que la partie inférieure puisse
conserver le limon le plus fin.
Feu le D' Robert Ball (de Dublin)
a imaginé un perfectionnement qui
a été depuis universellement adopté
par les naturalistes de I’ Angleterre
et par ceux de l'étranger, sous le
nom de drague de Ball (fig. 45). Les
dragues de ce modèle dont on s’est
servi pendant les dix années qui ont
suivi celle de l'invention (1838)
étaient petites et assez pesantes; elles
n'avaient pas plus de douze à quinze
| YAR À
eS SS
At pouces de longueur sur quatre ou
XV AN
quatre et demi de largeur à l’ouver-
ture. Leurs racloirs avaient la lon—
sueur du chassis de l'ouverture et
un pouce à un pouce et demi de lar—
D": QU à » AA
geur. Îls étaient posés à un angle
de 110 degrés du plan de ouverture —
Fig a5) = pias MisBel. de la drague, de sorte qu'à mesure
que celle-ci était lentement entrai-
‘née, le racloir, frottant le fond, recueillait tout ce qui s’y trou-
vait posé. J’ai vu le D° Ball répandre sur le plancher de son
salon des pièces de monnaie et les relever trés—adroitement
en promenant la drague dans la position voulue.
Depuis cette époque nous nous sommes servis de dragues
construites d’après le système Ball, seulement beaucoup plus
DRAGUAGES PROFONDS. 208
considérables. La forme et la dimension les plus convenables
peut-être pour draguer avec un bateau à rames ou une yole, |
dans des profondeurs inférieures à 100 brasses, sont celles
de la drague représentée figure 45. Le chassis a dix-huit
pouces de longueur sur cing de largeur. Les fers racleurs ont
trois pouces de largeur et sont posés de manière que leurs
bords soient à sept pouces et demi de distance l’un de l’autre.
Les extrémités du châssis qui réunissent les racloirs sont des
tiges arrondies, de fer, qui ont cing huitièmes de pouce
de diamètre. De ces tiges partent deux bras recourbés, de
fer de même épaisseur, qui se divisent en deux branches
assujetties aux extrémités des tiges transversales par des
anneaux qui permettent aux bras de retomber sur l'ouverture
de la drague, et se réunissent par deux épaisses boucles à dix—
huit pouces au-dessus du centre du chassis. Le poids total
du chassis, de la drague et des bras est de vingt livres. Il est
nécessaire qu'il soit fait du meilleur fer forgé de Lowmoor ou
de Suède. Jai vu un solide chassis de drague en fer de Low-—
moor, pris entre deux rocs, aplati comme un morceau de cire
par les efforts faits pour le dégager; et, chose singulière, la
drague qui remontait en si piteux état ramenait l'unique exem-
plaire d’un Échinoderme tout à fait inconnu jusque-là, et dont
aucun autre exemplaire n’a été retrouvé depuis.
Les bords intérieurs et épais des fers racleurs sont percés de
trous ronds placés à un pouce les uns des autres, à travers les-
quels sont passés des anneaux de fer d’un pouce environ de
diamètre ; deux ou trois de ces anneaux sont passés aux tiges
courtes qui forment les extrémités du chassis de la drague. Une
baguette flexible de fer, recourbée de manière à accompagner
l'ouverture de la drague, passe ordinairement à travers ces
anneaux, et l’ouverture du sac est solidement cousue aux
anneaux et à la baguette, avec une forte corde ou un fil de
cuivre. Le sac de la drague qui est en ce moment sous mes yeux
et qui nous a rendu de bons et nombreux services, a deux pieds
de profondeur; il est de filet fait à la main avec de la forte
204 LES ABIMES DE LA MER.
lignerolle; les mailles ont un demi-pouce carré. Un filet aussi
large laisserait échapper tous les objets de petit volume ; pour
obvier à cet inconvénient, le fond du sac est doublé, jusqu'à
une hauteur de neuf pouces, d’un canevas fin et léger.
Bien d’autres matières ont été essayées pour la confection
des sacs de drague. La peau brute de buffle ou de vache a
l'avantage d’être très-solide, mais elle contracte promptement
une odeur des plus désagréables. Quand on s’en sert pour cet
usage, il est nécessaire de la percer de trous ou de laisser les
coutures, qui sont faites avec des lanières, suffisamment laches
pour que l’eau puisse se déverser au travers. Un autre genre de
sac que j'ai vu fréquemment employer est fait de toile à voiles;
sur chacune de ses deux faces on ménage une fenétre fermée
par de la toile métallique solide. Aucun ne me parait préfé-
rable à celui qui est fait de fort filet de corde. L’eau le tra-
verse facilement et emporte avec elle une grande partie du
limon dont le fond, doublé de canevas, retient pourtant une
quantité suffisante pour servir d'échantillon. On peut alléguer
que bien des objets petits et précieux peuvent être entrainés
avec le limon à travers les mailles de la partie supérieure de
la drague; mais, d’un autre côté, si le sac est très-serré, il est
sujet à se remplir de boue et à ne ramener que cela.
ll est toujours bon en draguant, et quelle que soit la profon—
deur, de s'assurer au préalable avec la sonde de la profondeur
approximative ; de plus, le plomb devrait toujours être accom—
pagné d’un thermomètre abrité, car la valeur du draguage sera
infiniment plus grande, comme étude de distribution géogra-
phique, s’il est accompagné d’un relevé exact de la température
du fond. Pour des profondeurs inférieures à 100 brasses, la
quantité de corde déroulée devra être au moins du double de
la profondeur. Au-dessous de 30 brasses, où le travail se fait
généralement avec une plus grande rapidité, la quantité devra
se rapprocher du triple. Cela donne beaucoup de jeu à la corde
en avant de la drague, si le bateau avance très-lentement,
circonstance qui maintient l'ouverture de la drague bien au
DRAGUAGES PROFONDS. 205
fond de l'eau; et si le bateau marche trop vite, faute qui se
commet trop souvent dans les draguages d'amateurs, la drague
a encore quelque chance d'arriver au fond, à cause de langle
suivant lequel se trouve placée la corde dans l’intérieur des
eaux. C’est une fausse économie que de se servir d’une corde
trop mince. Pour une drague telle que celle qui vient d’être dé-
erite et pour travailler, sur les côtes de l’Europe, à des profon-
deurs accessibles sur un bateau à rames ou sur une yole, je con—
seillerais une ralingue faite du meilleur chanvre de Russie, qui
n'ait pas moins d’un pouce et demi de circonférence et qui se
compose de dix-huit à vingt fils en trois cordons. Chacun des
fils devrait être de force à soutenir un poids de près de cent
livres, de manière que la puissance de résistance flit de plus
d'une tonne. Une corde n’est certes jamais volontairement sou-
mise a pareil effort, mais dans les eaux basses la drague est sou-
vent accrochée par des rochers ou par des coraux, et la corde
doit être assez forte, en pareil cas, pour ramener le bateau en
arrière, quand mème il serait animé d’une certaine vitesse.
En draguant dans le sable et le limon, il suffit de passer la
corde à travers le double ceillet formé par l’extrémité des deux
bras de la drague; sur un terrain rocailleux ou inconnu, il vaut
mieux n’attacher la corde qu'à un seul des œillets et lier en-
semble les deux ceillets par deux ou trois tours de fil de caret.
Ce lien se casse beaucoup plus facilement que la corde de dra-
guage ; de sorte que si la drague vient à s’embarrasser, il est le
premier à se rompre sous l'effort, ce qui produit souvent dans
la position de la drague un changement subit qui amène son
dégagement.
La drague devra glisser sans secousse par-dessus le bord,
de l’avant ou de l'arrière (si l’on est dans un petit bateau, il est
préférable que ce soit de l'arrière), pendant que le bateau con-
tinue à cheminer lentement, et la direction que prend la corde
indique approximativement si la descente de la drague se fait
d'une manière satisfaisante. Quand elle arrive au fond et com-
mence à racler, une main exercée ressent immédiatement
206 LES ABIMES DE LA MER.
Vébranlement que communique à la drague le contact des ra-
cloirs avec les aspérités du fond, La longueur de corde voulue
est alors déroulée, et la corde est accrochée à une banquette ou
à une cheville.
Pour peu qu’il y ait quelque chose qui ressemble à un cou-
rant, quelle qu’en soit la cause, il est bon d’attacher à la corde,
à trois ou quatre brasses en avant de la drague, un poids qui
varie de quatorze livres à cinquante ; cette précaution empêche
jusqu'à un certain point le soulèvement de l'ouverture. En
ajustant le poids plus près de la drague, on risquerait de faire
endommager les objets fragiles qui peuvent s’y introduire.
La marche du bateau doit être très-lente, d'environ un mille
à l'heure. Dans les eaux tranquilles, ou agitées seulement d’un
très-faible courant, la drague fait naturellement l’effet d’une
ancre, et rend nécessaire l’aide des rames ou de la voile; mais
pour peu que le bateau ait un mouvement quelconque, même
très-faible, cela suffit. La meilleure condition, à mon avis, pour
draguer, c'est de marcher avec un léger vent arrière contre
une faible marée ou un imperceptible courant, des poids ayant
été attachés à la drague et tous les ris ayant été pris; malheu-
reusement ces circonstances favorables ne peuvent se créer à
volonté. La drague doit demeurer au fond pendant un quart
d'heure ou vingt minutes; au bout de ce temps, si les choses ont
convenablement marché, elle doit étre suffisamment garnie.
Quand on drague avec un petit bateau, la manière la plus
simple de remonter le filet, c’est de faire retirer la corde par
deux ou trois hommes qui se la passent de main en main et la
disposent à mesure en rouleau au fond du bateau. Lorsqu'il
s'agit d’une grande vole ou d’un yacht, et pour des profondeurs
qui dépassent 50 brasses, un cabestan devient d’un grand se-
cours. La corde s’enroule deux fois autour du cabestan, qui est
manœuvré par deux hommes, pendant qu'un troisième la prend
et la replie avec soin.
Le draguage profond, c’est-à-dire celui qui dépasse
200 brasses, offre des difficultés sérieuses, et ne peut guère
DRAGUAGES PROFONDS. 207
s exécuter avec l’attirail dont disposent ordinairement les ama-
teurs. La chose est faisable, sans doute, avec un yacht à vapeur
de grande dimension; mais le travail fort pénible qu’exige
pareille entreprise, accomplie au moyen d’appareils nombreux,
volumineux et embarrassants, répondrait fort mal à ce qu'on
en attendrait dans une partie de plaisir.
Je ne sache pas qu'on puisse perfectionner beaucoup les
appareils ou la méthode adoptés sur le Porcupine en 1869 et
1870. Je vais donc décrire avec quelques détails son matériel,
et raconter le draguage le plus profond qui ait été fait dans la
baie de Biscaye, et celui de tous qui a mis nos instruments
à la plus rude épreuve.
Le Porcupine est une canonnière de 382 tonneaux, équipée
pour le service d'inspection qu’elle fait depuis plusieurs années
autour des Hébrides et sur la côte orientale de l'Angleterre. Le
navire fut désigné en 1869 pour le travail que nous entrepre-
nions; il était pourvu de son matériel de surveillance, aug—
menté de tout ce qui était nécessaire à notre expédition. Ainsi
une machine de secours (petit cheval) de la force de 12 che-
vaux, avec tambours de différentes dimensions, les grands pour
remonter rapidement les poids peu considérables, les moindres
pour les fardeaux plus pesants, fut installée sur le pont, à mi-
longueur du bâtiment, de manière que les cordes arrivassent
jusqu'aux tambours soit de l'avant, soit de l'arrière. Cette
petite machine nous a été on ne peut plus utile. Nous nous ser-
vions habituellement du gros tambour pour sonder et pour
draguer, et, à l’exception d’une ou deux fois, où le sac ramena
un poids énorme (près d’une tonne), elle a, pendant tout l'été,
remonté la corde régulièrement avec une vitesse de plus d’un
pied par seconde.
Une très-forte grue se projetait au-dessus du sabord d'avant.
Une grosse poulie était suspendue à l'extrémité de la grue par
une corde qui, ainsi que je l’ai indiqué à propos du cable de
sonde, n’était pas assujettie directement au mât, mais passait à
travers un ceillet, et venait ensuite s'attacher à une bitte sur le
208 LES ABIMES DE LA MER.
pont. Un puissant accumulateur était amarré à un balant de
cette corde. Cet instrument a été décrit plus haut (page 185), et.
nous a été d’une grande utilité pour gouverner convenablement
la ligne de sonde. L’accumulateur est sans prix pour draguer
sur un grand vaisseau. Ses ressorts, assez solides pour que la
traction de la drague ne les fasse pas allonger d’une maniere
sensible, se roidissent, se tendent, et cèdent avec une sorte de
vibration au mouvement de tangage du vaisseau. Quand ils se
tendent, c’est une indication certaine que la drague est accro—
chée, ou que sa charge devient trop forte, et qu’il est néces—
saire de soulager la corde par un ou deux tours des roues
ou de Vhélice. Il faut avoir soin que le balant auquel l’aecu-
mulateur est attaché n’ait pas plus de deux fois la longueur
des ressorts non tendus. Des ressorts en bon état et d’une force
suffisante doivent s’allonger bien au dela du double de leur ©
longueur, mais il ne serait pas prudent de pousser aussi loin
l'épreuve, parce que, l’un d’eux venant à se rompre, il en résul-
terait une secousse des plus graves. Quand il se fait sur la corde
une tension très-forte, son action, portant d’abord sur l’accu-
mulateur, fait descendre la poulie et allonge les ressorts. Une
échelle graduée, attachée à la grue près de laquelle l’aceumu-
lateur fonctionne, marque en quintaux la mesure approxima—
tive de la tension de la corde.
Une seconde grue, de force presque égale, est placée a l’ar-
rière, ct le draguage se fait tantôt avec l’une, tantôt avec
l’autre. Cependant la grue de l’arrière servait surtout au son-
dage, le plateau de préparation et les autres accessoires y ayant
été disposés. Nous avions à bord du Porcupine un arrangement
des plus ingénieux pour la corde de draguage, qui en rendait
la manœuvre des plus faciles, malgré son énorme poids, envi-
ron 9900 livres. Une rangée d’une vingtaine de grandes che-
villes de deux pieds et demi de longueur, terminées du côté
du pont par une grosse boule blanche, était disposée sur un
des côtés du gaillard d’arriére, s’élevant en ligne oblique depuis
le haut du bastingage. Chacune de ces chevilles était chargée
DRAGUAGES PROFONDS. 209
d’un rouleau de 200 à 300 brasses, et la corde était enroulée
sans interruption sur toute la rangée (fig. 46). Pendant la des-
7 SSAA
ae
peeves le
croco
TT
ag
Fic. 46. — Vue de l'arrière du Porcupine, montrant l'accumulateur, la drague, et la manière
de suspendre la corde.
cente de la drague, les hommes déroulaient rapidement la
corde des chevilles, l'une après l’autre, en commençant par
14
210 LES ABIMES DE LA MER.
celle qui était le plus rapprochée de la grue de draguage; en
remontant la drague, les hommes, organisés en relais, repre-
naient la corde sur le tambour de la petite machine, et l’en—
roulaient sur les chevilles en intervertissant l’ordre dans lequel
ils y avaient prise. Ainsi done, en descendant, la corde passait
directement des chevilles à la poulie de la grue, tandis qu’en
remontant, elle allait de la poulie au tambour de la petite ma-
chine, d'où elle était transportée par les hommes et enroulée
autour des chevilles.
La corde de draguage avait 3000 brasses (près de 3 milles
et demi) de longueur. Sur cette longueur, 2000 brasses étaient
un grelin du meilleur chanvre de Russie, de 2 4 pouces de
circonférence, avec une puissance de résistance de 2 + tonnes.
Les 1000 brasses qui avoisinaient la drague étaient égale-
ment un grelin de 2 pouces de circonférence. La corde de
Fic. 47.— Chassis de la drague.
chanvre de Russie parait être la meilleure pour cet emploi.
Celle de Manille est beaucoup plus forte, s’il s’agit d’une ten-
sion soutenue, mais les fibres en sont plus cassantes et plus
sujettes à une brusque rupture. Je n’ai jamais dû employer de
corde de fil de fer, mais je crois que ce moyen aurait le même
inconvénient. Le Challenger ‘ sera muni, pour sa grande expé-
dition, de cordes de baleinier. Le chassis de l’une des dragues
1. Navire qui fait actuellement autour du monde une campagne de draguages pro-
fonds et de sondages qui doit durer plusieurs années. M. Wyville Thomson en a la
direction scientifique. (Note du traducteur.)
DRAGUAGES PROFONDS. 211
dont nous nous sommes servis dans la baie de Biscaye est re-
présenté figures 47 et 48. Sa longueur est de # pieds 6 pouces,
et il a 6 pouces de largeur à son plus grand étranglement. La
drague avec laquelle nous avons fait notre travail le plus pro-
fond différait un peu de ce modèle. La moitié de chacun des
ie
N
N
N
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K
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FIG. 48.— Châssis de la drague montrant la manière dont est fixé le sac.—a, nœud de fil de caret
bras qui aboutissait à l’œillet ou anneau auquel la corde était
attachée, était faite d’une lourde chaîne, mais je doute beau
coup que ce soit là une amélioration; la chaîne, en traïnant
devant la drague, risque de faire obstacle à l'introduction des
objets et de les endommager plus qu’une paire de bras, que
leur rigidité maintient à distance sur l’un des côtés. La chaîne
212 LES ABIMES DE LA MER.
était assujettie au bras de la drague par un nœud de cinq tours
de fil de caret, de sorte que, la drague venant à s’accrocher
ou à s'engager dans les pierres et les rochers, un effort, in—
suffisant pour rompre la corde, fait briser ce lien et dégage
quelquefois l'engin par le seul fait d’un changement de posi-
tion; si le sac recoit un fardeau de limon
trop considérable pour la corde, le lien, en
se cassant, fait pencher l'instrument, qui
s’allége ainsi de son trop-plein. Le châssis
de cette drague, la plus grande dont nous
nous soyons jamais servis, pesait 225 livres.
Il avait été forgé chez MM. Harland et
Wolff de Belfast, du meilleur fer de Low-
moor. Le sac, de filet de cordelettes, était
doublé de canevas. Trois poids, l’un de 100
livres, les deux autres de 56 livres chacun,
étaient suspendus à la corde à 500 brasses
de la drague.
L'opération de sondage, faite le 22 juil-
let 1869 dans la baie de Biscaye, à 2435
brasses de profondeur, a déjà été racontée
avec détail. Vers quatre heures quarante-
Fic. 49. — Un des côtés cing minutes de l'après-midi, après s'être
du chassis montrant la
manière dont est fixé
le filet. immergea la drague. Le vaisseau dérivait
assuré avec exactitude de la profondeur, on
lentement devant une brise modérée (force — 4) du nord-ouest.
Les 3000 brasses de corde se trouvèrent déroulées à cing heures
cinquante minutes de l'après-midi. Le dessin (fig. 50) donnera
une idée des différentes positions respectives de la drague et
du vaisseau, suivant la méthode adoptée par le capitaine
Calver, qui réussit admirablement, et qui parait être en défi-
nitive la seule praticable pour les grandes profondeurs. À re—
présente la position du vaisseau au moment de limmersion
de la drague, et la ligne de points AB la voie de descente
de l'instrument, rendue oblique par la tension de la corde.
DRAGUAGES PROFONDS. 213
Pendant la descente, le vaisseau dérive graduellement sous le
vent, et C, W et D représentent les positions respectives du
vaisseau, du poids attaché à 500 brasses de la drague, et celle
de la drague elle-même quand les 3000 brasses de corde ont
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iq =:
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X = C | =
E =
—+
—}
SSS =
Fic. 50, — Diagramme représentant les positions relatives du vaisseau, du poids et de la drague
dans un draguage profond.
achevé de se dérouler. Le vaisseau, retournant lentement alors
du côté du vent, occupe successivement les positions E, F, G, H.
Le poids, auquel l’eau n’offre que peu de résistance, s'enfonce de
214 LES ABIMES DE LA MER.
W à Wet la drague et le sac, plus lentement de D à B. On laisse
dériver le vaisseau sous le vent, de H aC. La tension qu’améne
le mouvement du navire, au lieu d'agir directement sur la
drague, tire en avant le poids W’, de sorte que le draguage
se fait par le poids et non directement du vaisseau. De cette
manière Vengin est entrainé lentement en avant, raclant le
fond, dans la position. que lui donne le poids central de son
chassis et de ses bras. Si les poids étaient suspendus près de
l'appareil, et que celui-ci recut directement son impulsion du
vaisseau, le grand poids de la corde et son élasticité feraient
continuellement soulever les bras, ce qui empécherait les bords
de l'ouverture de toucher le fond. Dans les draguages très-
profonds, cette manœuvre de marcher du côté du vent jusqu'à
ce que la corde de la drague ait une position presque perpendi-
eulaire, après avoir dérivé pendant environ une demi-heure
vent arrière, se répète généralement trois ou quatre fois.
À huit heures cinquante minutes du soir, nous commençons
à retirer la corde et à regarnir les chevilles. Le petit cheval nous
rend un peu plus d’un pied de corde par seconde, sans le
moindre ralentissement. Quelques minutes avant une heure
du matin, les poids reparaissent, et un peu après, c’est-à-dire
huit heures après son immersion, la drague est remontée sur
le pont, après un voyage de plus de 8 milles. Le sac contient
un quintal et demi de limon gris clair de l’Atlantique bien
caractérisé. Le poids total remonté par la machine se décompose
ainsi qu'il suit :
2000 brasses, corde de 2 pouces et demi.............. 4000 livres.
1000 — de 2 pouces... cates an ls 1500
5500 livres.
Poids de la corde, réduit dans Peau à un quart......... 1375 livres.
Ha Mramue seb 16 SAC RER PRE RP EEE Et 275
SUUMADI ANIONIC 2 1 sea ace code eee sie me Me oidie sea 168
Pardsanttache à la corde: 22.450 Skye dee oe apie sis en 224
2042 livres.
DRAGUAGES PROFONDS. 215
Bien des expériences sont encore à faire avant que nous puis-
sions nous flatter d'avoir inventé la meilleure machine comme
forme et comme poids pour draguer dans les grandes profon-
deurs. Je trouve trop pesantes les dragues de 150 à 225 livres
dont nous avons fait usage. A plusieurs reprises il est évident
qu'au lieu d'arriver doucement et de s’y glisser en recueillant
les objets épars sur son chemin, la drague est tombée lour-
dement sur son ouverture, et, labourant la vase collante du
fond, s’en est embarrassée au point de ne guère admettre autre
chose. J’ai fait le projet d’expérimenter des poids plus lourds
avec des chassis plus légers pendant l'expédition du Challenger,
et j'ai la conviction qu'il y aura la une grande amélioration.
En draguant à toutes les profondeurs, nous avons souvent
remarqué que, tandis que l’intérieur de la drague ne contenait
que fort peu de choses intéressantes, une foule d’Echinodermes,
de Coraux et d’Eponges revenaient à la surface accrochés à l’ex-
térieur du sac, et jusqu'aux premières brasses de la corde.
Ceci nous fit essayer de plusieurs expédients, et enfin le capi-
taine Calver fit descendre, attachés à l’instrument, une demi-
douzaine des fauberts qui servent au lavage du pont. Le résul-
tat fut merveilleux. Les houppes de chanvre rapportèrent tout
ce qui se trouva sur le chemin de hérissé et de non adhérent au
sol, et balayèrent le fond ainsi qu'elles le font du pont du na-
vire. L'invention du capitaine Calver a inauguré une ère nou
velle pour le draguage profond. Après divers essais, nous nous
décidämes pour une longue barre de fer assujettie transver-
salement au fond du sac, et garnie à ses extrémités de grosses
houppes de chanvre en étoupe (fig. 51). Dès lors les houppes
de chanvre sont devenues pour nous l'accessoire obligé de la
drague, accessoire aussi important que la drague elle-même
et souvent infiniment plus remarquable par ses effets. Il arrive
quelquefois que, lorsque le fond est par trop rugueux pour le
draguage ordinaire, nous le faisons avec les houppes seules.
Leur usage présente cependant certains inconvénients. La
drague, dans les circonstances les plus favorables, est supposée
216 LES ABIMES DE LA MER.
effleurer le fond de la mer sur une certaine étendue, en re—
cueillant les objets détachés qui se trouvent sur son chemin et
dont la dimension ne dépasse pas celle de l'ouverture du sae.
Fic. 51. — La drague munie des houppes de chanvre.
S'ils sont adhérents au sol, la drague passe par-dessus. Si leur
dimension n’est pas en rapport avec celle de l'ouverture du sae,
telle que la fait dans le moment la position qu'a prise la drague,
ils sont poussés de côté et demeurent fu fond.
Les Mollusques ont de beaucoup les meilleures chances d’être
représentés, dans les recherches faites au moyen de la drague
DRAGUAGES PROFONDS. 217
seule ; leurs coquilles sont des corps solides, comparativement
petits, qui entrent facilement dans le sac avec les pierres
du fond, auxquelles ils sont mélangés. Les Échinodermes, les
Coraux et les Éponges, au contraire, sont volumineux, enfouis
en partie, et toujours plus ou moins adhérents à la vase,
de sorte que la drague les manque habituellement. Avec les
houppes c’est le contraire qui arrive: les coquillages pesants et
lisses sont rarement pris, tandis que les houppes, surchargées
des sphères épineuses du Cidaris, des grands Holtenia à barbe
blanche, des touffes étincelantes d’ Hyalonema, qui contrastent
avec les étoiles écarlates de lV Astropecten et du Brisinga, pré-
sentent souvent un spectacle dont il est difficile de se faire une
idée. Dans une circonstance que j'ai déjà racontée, je suis cer-
tain qu'en une seule fois il n’est pas remonté sur les houppes
moins de 20000 exemplaires d'£chinus norvegicus. Us avaient
pénétré jusqu'au milieu des houppes, qui en étaient littérale-
ment remplies, si bien qu’il nous fut impossible de les en retirer,
et qu'ils demeurèrent pendant bien des jours suspendus aux
bastingages comme des chaines d'oignons chez les marchands
de légumes. L’emploi des houppes, si favorable à leur capture,
pourrait done avoir pour effet de donner aux animaux rayon-
nés et aux Éponges une suprématie basée sur une erreur, si
l’on ne faisait entrer ces faits en ligne de compte en estimant leur
proportion daus la faune d’un espace donné.
Les houppes mettent en piteux état les spécimens qu'elles
ramènent; et c’est toujours avec une première impression de
chagrin que nous entreprenons la tâche ingrate et désespérante
de détacher avec des ciseaux à lames courtes, les dépouilles
mutilées des Plumes de mer, les pattes de Crabes rares, les
disques privés de membres, les bras détachés des Crinoïdes et
des Ophiurides fragiles et délicats. Il faut chercher sa conso-
lation dans le nombre, relativement petit, des animaux qui
arrivent entiers, attachés aux fibres extérieures des houppes,
et se dire que, sans ce mode un peu barbare de capture, ces
spécimens seraient demeurés inconnus au fond des mers.
218 LES ABIMES DE LA MER.
Le chargement de la drague varie beaucoup selon les loca-
lités. Habilement manceuvré, le sac revient ordinairement
à moitié plein. Quand il a été plongé à une grande profondeur,
hors de portée des courants, là où le mouvement des eaux est
assez lent pour que le sédiment le plus fin ne soit pas entrainé,
il ne ramène guère qu'une boue fine, calcaire ou alumineuse,
dans laquelle sont distribuées les espèces dont se compose la
faune de la localité. Dans les eaux plus basses, il peut se trou-
ver du gravier ou des pierres de divers volumes, mélangés
au sable et a la boue.
La première chose à faire après la capture, c’est d’examimer
avec soin le contenu du sac et de mettre en sureté le produit
de la pêche. La drague halée sur le pont, il y a deux ma-
nières de la débarrasser de son contenu. On peut la retourner
et le répandre sur le pont, ou bien, au moyen d’un arrange-
ment organisé d'avance, délacer le fond du sac. La première
méthode est la plus simple et celle qui est le plus généralement
pratiquée ; la seconde a l'avantage de dégager plus doucement
et plus facilement la masse des objets contenus dans la poche;
seulement le /acage est une complication qui devient quelque-
fois facheuse, parce que le lacet est sujet à se relâcher et même
à se rompre. Quand une opération de draguage est bien orga-
nisée, on doit se munir d'un chassis à rebords élevés, destiné
à recevoir le contenu de la drague ; on peut cependant encore
le verser sur un vieux morceau de prélart. Tout objet visible
sur la surface du tas est alors soigneusement enlevé et placé,
en attendant d’être classé, dans les bocaux ou dans les
baquets d’eau de mer, dont il doit toujours y avoir un certain
nombre tout prêts. Le tas ne devra être remué que le moins
possible; les objets délicats qui y sont contenus ont été déjà
inévitablement assez malmenés, et moins on leur fera éprouver
le contact des pierres, mieux on s’en trouvera.
Il faudra préparer tout près de l’endroit où se vide la drague
un ou deux baquets d'environ deux pieds de diamètre et de
vingt pouces de profondeur; chaque baquet sera accompagné
DRAGUAGES PROFONDS. 219
d’un système de tamis combiné de manière que le tamis infé-
rieur s’adapte exactement au fond du baquet et que les trois
supérieurs s'adaptent exactement les uns dans les autres (fig. 52).
Chaque tamis devra être pourvu de deux poignées de fer for-
mant boucle et dans lesquelles la main pourra s’introduire
facilement. Celles du plus grand des tamis seront assez allon—
gées pour qu'on puisse, par leur moyen, soulever le tout sans
Fic. 52. — Les tamis pour le draguage.
[>] ©
avoir à se baisser et sans plonger les mains dans l’eau. Le
tamis supérieur, qui est le moins grand, est ordinairement plus
profond que les autres; il est fait d’un fort et large filet de fil
de cuivre dont les mailles ont un demi-pouce carré ; le second,
beaucoup plus fin, a des mailles d’un quart de pouce, le
troisième est plus fin encore, et le quatrième assez serré pour
ne laisser échapper que le limon et le sable. Les tamis sont
posés dans le baquet, celui-ci contenant de l’eau de mer jusqu'à
mi-hauteur du tamis supérieur, qu'on remplit alors à moitié du
contenu du sac. On remue doucement les tamis de haut en bas,
dans l’eau. Il est essentiel de ne leur imprimer aucun mou-
vement de rotation pendant cette partie de Vopération, parce
que ce serait la destruction des organismes fragiles qu'ils peu—
vent contenir; les grilles seront done soulevées et abaissées
délicatement, ensemble ou séparément, Il n’est pas besoin de dire
que les plus grosses pierres ainsi que les organismes les plus
220 LES ABIMES DE LA MER.
volumineux seront retenus dans le tamis supérieur ; le limon
fin et le sable traversent tous les tamis et arrivent au fond
du baquet, pendant que les trois dernières grilles retiennent
les séries graduées des corps intermédiaires. On les fait
passer successivement à l'examen, et les organismes qui s’y
trouvent, enlevés avec’ précaution au moyen de pinces de
cuivre ou d'os, sont mis dans les bocaux d’eau de mer ou dans
des flacons d’esprit-de-vin dilué.
La valeur scientifique d’une opération de draguage dépend
surtout de deux choses : du soin avec lequel les objets obte-
nus sont conservés et étiquetés en vue des études futures, et de
l'exactitude qu'on met à noter toutes les circonstances qui ont
accompagné le draguage, position, profondeur, nature du ter—
rain, température du fond, date, ete. Il m'est impossible d’en-
trer ici dans de grands détails au sujet des différentes méthodes
de conserver les spécimens. [] existe de nombreux moyens de
conservation spéciaux aux divers groupes d’Invertébrés, et la
taxidermie est en elle-même un art fort compliqué. Je ne par-
lerai done que d’un ou deux points d’une application générale.
Un spécimen, quel que soit le groupe auquel il appartienne,
augmente considérablement de valeur scientifique quand
il peut être conservé entier, avec toutes ses parties molles.
Pour cela, le moyen le plus généralement adopté, c’est de le
mettre tout de suite dans un alcool convenablement étendu
d'eau. IL faut éviter d’entasser un trop grand nombre d’échan—
tillons dans le mème bocal, sous peine de les voir se décolorer
rapidement; les bocaux doivent être très-surveillés, et l'alcool
qu'ils renferment mis à l'épreuve de l’aréomètre, et, s'il le
faut, renouvelé au bout d’un jour ou deux, à cause de l’énorme
quantité d'eau que recèlent les animaux marins. Si le temps
est chaud et les spécimens volumineux, il sera bon de se servir
d'alcool très-concentré. L’esprit-de-vin qui se vend habituel
lement dans le commerce suffit pour les cas ordinaires; mais
si l’on veut conserver un échantillon en vue d’une dissection
a)
minutieuse, j'aime mieux l'alcool pur.
DRAGUAGES PROFONDS. 221
Quand il s’agit d'animaux délicats et transparents, tels que
les Salpes, les Siphonophores, les Polyeystines, ete., la solu—
tion de Goadby me parait être préférable; mais, quoi qu’on
fasse, le spécimen conservé de l’un de ces charmants orga-
nismes ne sera Jamais qu'un caput morluum, une ombre pâlie
et tristement effacée de ce que fut sa beauté; tout au plus
servira-t-il à la démonstration anatomique de sa structure.
Pour conserver à sec les animaux marins, il faut autant que
possible les séparer de toutes leurs parties molles, qu'on rem-
place par de l’étoupe ou par du coton; l'animal à conserver
sera passé par plusieurs eaux douces pour le débarrasser de sa
salure, puis il faudra le dessécher d’une manière complète,
mais graduelle et lente. Chaque échantillon, qu'il soit conservé
à sec ou dans l'alcool, sera étiqueté immédiatement avec le
numéro sous lequel le draguage est inscrit dans le carnet du
dragueur. La promptitude avec laquelle ces choses-là s’entre-
mêlent et se confondent, si cette règle nest pas strictement
observée, est vraiment incroyable. Les petites étiquettes de
papier avec encadrements de fantaisie, dont les merciers se
servent pour marquer leurs marchandises, se trouvent à trés—
bas prix chez tous les papetiers en gros, et elles sont com-—
modes. Leur seul inconvénient, c'est de se détacher si l'on
mouille les bocaux ou flacons sur lesquels elles sont collées.
Les marchands de graines vendent des crayons avec lesquels
on écrit sur des planchettes destinées à être exposées à la pluie
les noms des plantes et des fleurs. Peut-être le moyen le plus
sûr serait-il de marquer le numéro et la date avec un crayon
de cette espèce, sur un morceau de parchemin ou de papier-
parchemin qu'on introduirait à l’intérieur du bocal. Ce détail”
peut paraitre puéril, mais la négligence qu’on apporte à
prendre ces précautions donne lieu à tant d’inconvénients,
qu’en insistant sur la nécessité d’un étiquetage exact et immé—
diat, je suis sûr d’avance de l’assentiment de tous ceux qui
ont quelque souci des résultats scientifiques du draguage.
Il est peut-être d’une importance plus grande encore qu'à
299 LES ABIMES DE LA MER.
chaque péche, certains faits intéressants soient méthodique
ment et régulièrement inscrits sur le carnet du dragueur ou
sur un registre préparé à cet effet. Dans les draguages côtiers,
la position exacte de la station devra être établie en indiquant
sa distance du rivage, et en désignant sur le rivage quelque
objet fixe comme point de repère; dans les draguages de pleine
mer, en inscrivant exactement la latitude et la longitude. En
1868, en draguant sur le Lightning, à 100 milles environ
de la pointe de Lews, nous tombames sur un ensemble fort
curieux de formes animales des plus intéressantes. L'année
suivante, avec le Porcupine, nous désirions essayer de trouver
au même endroit quelques spécimens d’une Éponge dont nous
avions commencé l’étude. La position avait été inserite fort
exactement sur le registre de bord du Lightning; nous fimes un
draguage d’un demi-mille de profondeur à l'endroit indiqué, et
trouvames un groupe de formes identiques avec celui de l’année
précédente. Au retour, le capitaine Calver descendit encore la
drague au même endroit et avec le même succès. La profon—
deur en brasses devra être soigneusement inscrite, car c’est
un détail important, quand on veut déterminer les conditions
de la vie et la distribution des espèces; il faudra constater aussi
la nature du fond, limon, sable ou gravier, définir la nature
et la composition des rochers et cailloux dont il se compose,
et, autant que possible, leur provenance. Maintenant que nous
possédons dans le thermomètre de Miller-Casella un instrument
digne de confiance, la température du fond devra toujours être
constatée et inscrite; ce détail est important pour les petites
comme pour les grandes profondeurs. Dans les eaux basses,
on obtient par ce moyen une donnée qui permet de déterminer
amplitude des variations annuelles de température que peu-
vent supporter certaines espèces. Dans les grandes profon-
deurs, il est plus urgent encore de le faire, parce qu'il est
maintenant reconnu que le mouvement de grandes masses
d’eau ayant des directions variées et des températures diverses
donne lieu, dans les grandes profondeurs, à des conditions de
DRAGUAGES PROFONDS. ; 223
température totalement différentes les unes des autres : ces
zones aqueuses ne sont séparées quelquefois seulement que par
une distance d’un petit nombre de milles; leurs limites ne peu-
vent être connues qu'au moyen d'expériences directes et répé-
tées. Il estimportant, en constatant la température du fond,
d'inscrire aussi celle de la surface de la mer, la température de
l'air, la direction et la force du vent, et les conditions atmosphé-
riques générales. Quand bien même le dragueur serait unique-
ment zoologiste, n’attachant que peu d’intérèt aux problèmes
de physique, encore vaudrait-il la peine de faire toutes les
observations indiquées, et d’en publier les résultats; ceux-ci
passeront sous les yeux des hommes qui s’occupent de géogra-
phie physique, pour lesquels toute donnée digne de confiance
est infiniment précieuse lorsqu'elle vient s'ajouter aux my-
riades d'observations qu'il faut réunir pour arriver à une
généralisation vraie des phénomènes de distribution de la
température.
En 1839, lors de la réunion de l'Association Britannique,
une commission fut nommée « pour faire, au moyen du dra-
guage, des recherches intéressant l’étude de la zoologie ma-
rine de la Grande-Bretagne, la classification et la distribution
géographique des animaux marins, et l’étude approfondie des
fossiles de l’époque pliocène, sous la surveillance de MM. Gray,
Forbes, Goodsir, Patterson, Thompson de Belfast, Ball de
Dublin, Smith de Jordan-Hill, A. Strickland et le D' George
Johnston ». La nomination de cette commission peut être con—
sidérée comme le début de ’emploi méthodique de ce mode
de recherches. Edward Forbes en était l’âme; et sous lin-
fluence de l’ardent enthousiasme qu'il savait si bien commu-
niquer, on fit, pendant les dix années qui suivirent, de grands
pas dans la connaissance de la faune des mers britanniques;
cette étude fut, pour les membres de cette première commis-
sion et pour ceux qui plus tard vinrent grossir leur nombre,
une source abondante de vives jouissances. Chaque année des
communications furent envoyées par les sous-commissions
294 LES ABIMES DE LA MER.
anglaise, écossaise et irlandaise, et en 1850 Edward Forbes
soumit à l'Association son premier rapport général sur la z00-
logie marine des Hes-Britanniques. Ce rapport était de la plus
grande valeur, ainsi qu'on -pouvait s'y attendre d’après le
mérite et les capacités de son éminent auteur; on peut dire
qu'avec les mémoires remarquables qu'il avait déjà publiés sur
«la distribution des Mollusques et des Radiaires de la mer
Égée », et sur «les rapports géologiques de la faune actuelle
et de la flore des [les—Britanniques », il marque une ère nou-
velle dans le progrès de l'intelligence humaine.
Après avoir fait l’énumération des lacunes qui restent
encore à combler dans la connaissance de la distribution des
Invertébrés des mers britanniques, Forbes termine son rapport
par la phrase suivante: « En dernier lieu et bien que je n'ose
espérer de sitôt la réalisation de ce vœu, quelque ardent qu'il
soit, il est évident qu'une série de draguages exécutés entre
les îles Shetland et Farôer, parages où la plus grande profon—
deur est inférieure à 700 brasses, jetteraient plus de lumière
sur l'histoire naturelle de l'Atlantique du Nord et sur la zoo-
logie de la mer en général qu'aucun des travaux qui ont été
entrepris jusqu ici. »
Le rapport général de Forbes fut suivi de notes nombreuses
présentées successivement par les différentes subdivisions de
la commission principale. Parmi celles-ci, je citerai le remar-
quable mémoire fait par la commission de draguage de Belfast,
communiqué à différentes réunions par M. George C. Hyndman;
les rapports de la commission de Dublin par le professeur Kina-
han et le professeur EK. Perceval Wright; les importants cata—
logues de la faune de la côte orientale de l’Angleterre dressés
pour les Sociétés d'histoire naturelle de Northumberland, Dur-
ham et Neweastle-upon-Tyne et pour le cercle des naturalistes
de Tyne-side, par M. Henry T. Mennell et M. G. S. Brady; et
enfin les rapports, précieux à tous les égards, sur la faune
marine des Hébrides et des Shetland, qui ont coûté pendant
bien des années, labeurs, peines et privations sans nombre à
DRAGUAGES PROFONDS. 22€
MM. Gwyn Jeffreys, Barlee, Edward Waller et le rév. A. Merle
Norman, qui en ont été sans doute dédommagés par des Jouis-
sances infinies ; ces rapports ont été réunis aux procès-verbaux
de l'Association, de 1863 à 1868. On peut dire que les com—
missions de draguage de l’Association Britannique, en faisant
des vacances de l’été une occasion d'avancement pour la
science, ont complété Pétude de la faune marine britannique
jusqu’à la zone de 100 brasses, car il est bien rare maintenant
que, dans étendue qu'elles ont parcourue, le travail du dragueur
Jui procure quelque nouveauté remarquable ; il faut qu'il se
résigne à n'ajouter aux catalogues britanniques que des noms
qui appartiennent aux groupes les plus inférieurs.
Pendant ce temps quelques membres de la commission de
draguage, avec ceux de leurs amis à qui le temps et les moyens
dont ils disposaient rendaient pareilles entreprises possibles,
poussaient leurs opérations à de grandes distances, et travail
laient fructueusement sur les côtes lointaines. En 1850, M. Mac
Andrew publia plusieurs notices précieuses sur la faune lusita-
nienne et sur celle de la Méditerranée, et en 1856, sollicité par
la section de biologie de FAssociation Britannique, il soumit
à la réunion de Cheltenham un «rapport général sur les Mol-
lusques testacés marins du nord-est de l'Atlantique et des mers
avoisinantes, et sur les conditions physiques qui influent sur
leur développement ». Le champ de ce laborieux travail
s’étendait des iles Canaries au cap Nord, comprenant environ
43 degrés de latitude; plusieurs espèces sont inscrites par
lui comme ayant été draguées à des profondeurs de 160 à
200 brasses sur les côtes de la Norvége. M. Gwyn Jeffreys
a parcouru depuis lors les mêmes ‘parages, et ajouté de nom—
breuses espèces aux listes de ses devanciers.
Nos voisins ne sont pas demeurés non plus inactifs. Dans la
Scandinavie un brillant triumvirat, composé de Lovén de Stock-
holm, Steenstrup de Copenhague, et Michel Sars de Chris-
fiania, n’a cessé d'avancer à grands pas dans la science de la
zoologie marine. Milne Edwards étudiait la faune des côtes
15
296 LES ABIMES DE LA MER.
de la France, et Philippi, Grube, Oscar Schmidt et d’autres
encore, continuaient dans la Méditerranée les travaux si bien
commencés par Donati, Olivi, Risso, Delle Chiaje, Poli et Can—
traine, pendant que Deshayes et Lacaze-Duthiers étudiaient la
faune des côtes de l'Algérie. IL s'était déjà accompli tant de pro-
grès soit chez nous, soit à l'étranger, que pendant l’année 1854
Edward Forbes jugea le moment venu de donner au publie au
moins un aperçu préliminaire de la faune des mers européennes,
travail qu'il a commencé, mais que la mort est venue inter-
rompre.
Je n’ai pas besoin de dire que les travaux des commissions de
draguage de l'Association Britannique se faisaient en général
avec la conviction qu'à la zone de 100 brasses, limite du dra-
ouage d'amateurs, on arrivait à peu près à celle de la vie ani-
male, conviction qui devait disparaitre petit à petit devant
l'évidence des faits. De loin en loin cependant, des savants
expérimentés soutenaient, avec sir James Clark Ross, que « de
quelque profondeur qu'il soit possible de ramener la boue et les
pierres qui garnissent le fond de l'Océan, on peut être certain de
les trouver pullulant d'êtres animés ». L'opinion opposée était
trop universellement répandue et trop bien établie, pour que les
recherches dans les grandes profondeurs trouvassent beaucoup
de stimulant, et les données nécessaires ne se recueillirent que
fort lentement.
Jai déjà fait allusion (page 15 et suivantes) aux observations
de sir John Ross en 1818, de sir James Ross en 1840, et de
M. Harry Goodsir en 1845. Dans le courant de l’année 1844,
le professeur Lovén envoya à l'Association Britannique un tra-
vail sur la distribution bathymétrique' de la vie sous-marine
sur les côtes septentrionales de la Scandinavie. « Chez nous,
dit-il, la région des Coraux des grandes profondeurs est carac-
térisée par l’Oculina ramea et Terebratula, et dans le nord,
par VAstrophyton, le Cidaris et le Spatangus purpureus de
1. Terme de physique : mesure des profondeurs de la mer; de fBzbès, profond,
uérocv, mesure. (Note du traducteur.)
DRAGUAGES PROFONDS. 227
très-grandes dimensions, tous vivants, sans compter les Gor-
gonia et le gigantesque A/cyonium arboreum, qui se rencontre
à toutes les profondeurs que peut atteindre la ligne du pê-
cheur. Quant au point où s’arréte la vie animale, il doit cer-
tainement exister quelque part, mais jusqu’à ce jour il nous
est encore Inconnu ‘. »
En 1863, le même naturaliste, parlant des résultats de
l'expédition suédoise au Spitzherg en 1861, pendant laquelle
on ramena d’une profondeur de 1400 brasses des Mollusques,
des Crustacés et des Hydrozoaires, émettait opinion, fort peu
répandue alors, et que les recherches faites ultérieurement
paraissent confirmer de tout point, « qu'une faune de caractère
identique s'étend d’un pôle à l’autre, à travers tous les degrés
de latitude, et que quelques-unes des espèces qui la composent
sont très-largement distribuées ? ».
Keferstein raconte avoir vu à Stockholm, en 1846, une
collection complète d’'Invertébrés, Crustacés, Phascolosomes,
Annélides, Spatangus, Myriotrochus, Éponges, Bryozoaires,
Rhizopodes, ete., pris à 1400 brasses de profondeur dans les
filets pendant l'expédition de O. Torell au Spitzberg. La même
année QO. Torell fait allusion à l’un des Crustacés pêchés dans
ces profondeurs, comme étant de couleur fort brillante *.
En 1846, le capitaine Spratt de la Marine royale, draguant
par 310 brasses, à 40 milles à l’est de Vile de Malte, ramena un
grand nombre de Mollusques, qui, depuis, ont été examinés
par M. Gwyn Jeffreys; il les a trouvés identiques avec les
especes draguées a des profondeurs considérables dans les mers
du Nord, pendant Vexpédition du Porcupine. La liste com-
prend : Leda pellucida (Philippi), Leda acuminata (Jeffreys),
Dentalium agile (Sars), Hela tenella (Jeffreys), Eulima steno-
stoma (Jeffreys), Trophon -Barvicensis (Johnston), Pleurotoma
|. Report of the Fourteenth Meeting of the British Association, held at York in
september 1844. (Transactions of the Sections, page 50.)
2. Forh. ved de Skand. Naturforskeres Méde i Stockhoim, 1863, p. 384.
3. Nachrichten der Kénigl. Gesellsch. der Wissensch. zu Gottingen. Marz 1846.
298 LES ABIMES DE LA MER.
carinatum (Bivona), et Philine quadrata (S. V. Wood). Le ca-
pitaine Spratt pense que, «bien que dans la mer Égée la limite
de la vie animale soit généralement à 300 brasses, elle persiste
ailleurs à des profondeurs beaucoup plus considérables * ».
En 1850, Michel Sars, en faisant le récit d’une expédition
zoologique en Finlande et aux Loffoten, exprime sa conviction
que sur les côtes de Norvége la vie animale se trouve dans
son plein développement à des profondeurs considérables.
Il énumère dix-neuf espèces prises par lui-même au delà
de 300 brasses, et fait remarquer que deux d’entre elles
appartiennent aux espèces les plus grandes de leurs genres
respectifs *.
J'ai parlé aussi (page 21) des notices du professeur Jenkin
sur les animaux trouvés vivants attachés au cable médi-
terranéen, à 1200 brasses de profondeur, ainsi que des tra-
vaux faits par le D° Wallich à bord du vaisseau de Sa Majesté
le Bull-dog.
Ces recherches méritent de trouver place dans une récapi-
tulation générale des progrès qui ont été accomplis dans l’étude
des conditions de la vie animale aux grandes profondeurs, car,
malgré leurs inexactitudes, elles marquent incontestablement
un sérieux progrès. Le D' Wallich, ne disposant que de-moyens
d'action très-imparfaits, n'a pu produire des preuves d’une
valeur suffisante ,pour faire partager ses convictions ; mais,
d’après ce qu'il a vu, il regarde comme très-certain existence
à toutes les profondeurs de l'Océan d'êtres vivants occupant
un rang élevé sur l'échelle animale; il a développé lenchai-
nement des faits qui Vont conduit à cette conviction, et ses
conclusions ont été en tout point confirmées par les découvertes
subséquentes. L'espace dont je dispose ne me permet ni de
discuter ni même de citer les arguments du D° Wallich. Je suis
|. On the Influence of Temperature upon the Distribution of the Fauna in the Ægean
Sea. Report of the Eighteenth Meeting of the British Association, 1848.
2. Beretning om en 1 Sommeren 1849, foretagen zoologisk Reise 1 Lofoten og Fin-
marken. Christiania, 1850.
DRAGUAGES PROFONDS. 229
parfaitement d'accord avec lui sur quelques-uns d’entre eux,
sur certains autres nos avis diffèrent. Les faits qu'il cite étaient
déjà d’une importance sérieuse, et leur signification est de-
venue bien plus grande encore depuis qu'ils ont été corroborés
par des expériences faites sur une grande échelle. A 59° 27
de latit. N. et 26° 41° de longit. O., avec une profondeur de
1200 brasses, constatée au préalable, «on immergea une drague
d’un nouveau modèle et destinée aux grandes profondeurs ;
le résultat n'ayant pas été satisfaisant, on fit plonger un second
appareil (la coupe conique) avee 50 brasses de corde en plus
de la profondeur mesurée, pour que la descente se fit sans
ralentissement. La drague avait déjà remonté une faible quan-
tité de dépôt à Globigérines d’une ténuité extrême, accompa-
gné de quelques petites pierres. Le second appareil revint tout
rempli de dépôt, mais ne rapporta pas de pierres. Les 50 der-
nières brasses de corde, celles qui avaient dû reposer quelques
instants sur le fond, se trouvaient garnies de treize Ophiocoma,
dont le diamètre, d’un bras à l’autre, variait entre deux et cing
pouces. » Le malheur voulut que ces Astéries n’entrassent pas
dans le sac de la drague; si on les y eût trouvées, elles pas-
saient d'emblée à la postérité, Nous ne doutons pas maintenant
qu'elles ne vinssent du fond; mais, au point où se trouvait
alors la science et avec les préjugés qui régnaient, Virrégula-
rité de leur mode de capture faisait beau jeu à l’incrédulité.
Dans trois sondages (y compris celui qui avait produit des
Astéries), 4 1260, 1913 et 1268 brasses, « on a trouvé de
petits tubes cylindriques, variant d’un huitième à un demi-
pouce de longueur, et d’un cinquantième à un vingtième de
pouce de diamètre. Ils se composaient presque exclusivement
de coquilles de Globigérines cimentées à des débris calcaires
plus imperceptibles encore.....
» Les coquilles dont se composait la couche extérieure des
tubes étaient incolores et dépourvues de toute matière sar-
codique, mais la surface interne du eylindre était enduite
d'une couche parfaitement distinete,: quoique très-mince,
230 LES ABIMES DE LA MER,
de chitine rougeatre. » Le D' Wallich suppose que ces tubes
avaient contenu quelque espèce d’Annélide. « Un sondage
qui a été fait par 63° 31’ de latitude N. et 13° 45° de lon-
gitude O., dans 682 brasses, a produit un fragment d’un
tube de Serpula de cinq douzièmes de pouce de longueur
environ et de trois seizièmes de pouce de diamètre, appar-
tenant à une espèce connue; d'après l’état dans lequel ce
débris a été remonté, on ne peut douter qu'il n'ait été détaché
par la sonde du rocher ou de la pierre à laquelle il adhérait,
et que l'animal auquel il avait appartenu ne fût vivant. Un
Serpula plus petit, et un groupe de Polyzoaires vivants, selon
toute apparence, adhéraient à sa surface externe. Un Spirorbis
minuscule fut pris aussi pendant le même sondage. Enfin,
à une petite distance des côtes de l'Islande, on remonta, d’une
profondeur de 445 brasses, deux Crustacés amphipodes et un
Annélide d'environ trois quarts de pouce de longueur. » Le
D° Wallich base son opinion sur ces faits, et conclut par
diverses propositions dont on peut dire que les deux plus im—
portantes devancent les résultats des travaux accomplis depuis.
Les autres portent sur ce que je regarde comme une classifi-
cation erronée des espèces animales qui ont été prises; je n'ai
done que faire de les citer ici’.
«1° Les conditions qui dominent dans les grandes profon—
deurs, bien qu'elles différent beaucoup de celles qui existent
à la surface de l'Océan, ne sont pas incompatibles avec lexis-
tence de la vie animale.....
» D° La découverte d’une seule espèce, vivant dune ma-
nière normale à une grande profondeur, motive suffisamment
l'opinion que les abimes ont leur faune spéciale, qu'elles Pont
toujours eue dans les siècles passés, et que les couches fossi-
liféres qu'on supposait avoir été déposées à des profondeurs
1. And see Professor Sars Bemærkninger over det dyriske Livs Udbredning i Havets
Dybder, med scerligt Hensyn tit et af. D° Wallich i London mylig udkommet Skrift,
The North Atlantic Sea-bed. » (Vidensk.-Selsk. Forhandlinger for 1864.)
DRAGUAGES PROFONDS.
bo
31
relativement faibles, Pont été au contraire à de grandes pro-
fondeurs *. »
En 1864, sur les côtes de Norvége, le professeur Sars
enrichit beaucoup la liste des animaux provenant de 200 à
300 brasses. « Les espèces énumérées, dit-il, ne sont certai-
nement pas nombreuses (on en comptait 92); mais, si l’on
réfléchit que la plupart d’entre elles ont été prises accidentel
lement sur les cordes des pêcheurs, et que dans un très-petit
nombre de cas seulement, dans les grandes profondeurs, on
s’est servi de la drague, on ne peut méconnaitre qu'il n’y
ait là, pour le naturaliste pourvu de l’outillage nécessaire, un
champ vaste et intéressant à exploiter. »
En 1868, le professeur Sars ajouta encore à la faune con-
nue des grandes profondeurs des mers de Norvége des décou-
vertes assez importantes pour qu'il ait pu dire « qu'elle est
assez complète aujourd’hui pour donner une idée générale de
la vie animale de ces côtes ». Le professeur Sars ajoute qu'on
est redevable de cet accroissement de connaissances presque
entièrement aux efforts infatigables de son fils, G. O. Sars,
inspecteur des pêcheries pour le Gouvernement suédois, qui
mit à profit les facilités que lui donnait sa charge pour exé-
cuter des draguages jusqu'à la profondeur de 450 brasses
sur certaines parties de la côte et entre les iles Loffoten. Sars
parle aussi des espèces découvertes par ses anciens compa-
enons de travail, Danielssen et Koren. Le nombre des espèces
trouvées à la profondeur de 250 à 450 brasses, sur les côtes
de Norvége, s'élève à 427, qui se classent ainsi qu'il suit :
; ( Rhizopodes. ................... . 68
PROTOZOAIRES. . . ae .
Ue Poriléress, ere ess: ones mote oO
79
= a 19
AC (MEVATOZOAITES ENS ae oe ae ee 2
CŒLENTÉRÉS. ... 5 ‘
D AUGNOZO ANNES Rates cou de 20
1. North Atlantic Sea-bed, p. 154.
232 LES ABIMES DE LA MER.
Crinoides PSE te cos à 2
Ee ; Astéries, y compris les Ophiurides.. 21
ECHINODERMES. . ere pais ss
Hchinides. dens pees tans a 5
Holothimies:.. APRES rt SRE 8
— 36
Genhvreesaay ass OT AR EEE 6
VERS NA | jet 4 D
Années 2: PARLER 51
57
Polfzoames ELEC eee Es BD
DUNICLELS: ae ees ee ae ie ek I.
MOLLUSQUES.: .4 /\ /Brachiopodes. CARPE LN Sone. ees 4
(onchiteneSints.A.- SEE TE 37
Céphalonhores mere ne 53
415
( ATACNIUES PER do use ce ET 1
ARTHROPODES..-- 3), : %
L'AURUSIACÉS NEED Es RACE 105
— 106
Parmi ces espèces, 24 Protozoaires, 3 Kchinodermes, et
13 Mollusques viennent d’une profondeur de 450 brasses. Le
professeur Sars ajoute: « Nous pouvons affirmer, d’après l’état
actuel de nos connaissances, que la zone profonde commence
véritablement à 100 brasses. La plupart des espèces de grande
profondeur se montrent là, quoiqu'elles y soient peu abon-
dantes encore; le nombre des individus va augmentant, à me-
sure que l’on descend, jusqu'à 300 brasses, et dans certains
cas jusqu'à 450, toutes les fois que les recherches ont été pous-
sées jusque-là. On ignore encore jusqu'à quelle profondeur
s'étend cette zone, et s’il en existe, plus bas encore, une autre
plus profonde et de caractère différent *.
Pendant l’année 1864, M. Barboza du Bocage, directeur du
Muséum d'histoire naturelle de Lisbonne, étonna beaucoup
le monde savant en annonçant Vapparition, sur les côtes du
Portugal, de touffes de spicules siliceux semblables à ceux de
VHyalonema du Japon *. Ces touffes avaient été ramenées par
les pêcheurs de Requins de Setubal, qui (circonstance non moins.
étonnante) exerçaient leur métier à 500 brasses de profondeur.
Le professeur Percival Wright, désireux de s'assurer par lui-
1. Fortsatte Bemærkninger over det dyriske Livs Udbredning 1 Havets Dybder, af
M. Sars. (Vidensk.-Selsk. Forhandlinger for 1868).
2. Proceedings of the Zoological Society of London for the year 1864, p. 265.
DRAGUAGES PROFONDS. 233
même de la réalité de la chose, et de se procurer | Hyalonema à
l’état frais, partit pour Lisbonne pendant l'automne de 1868, et,
avec l’aide du professeur du Bocage et de quelques-uns de ses
amis, il se procura à Setubal un bateau découvert et un équipage
de huit hommes, avec 600 brasses de corde, la drague et quan-
tité d’hamecons, d’appats et des provisions pour deux ou trois
jours. « Nous quittames le port de Setubal, dit M. Wright, un
peu avant cing heures du soir, et aprés une nuit entière de navi-
cation nous arrivames à ce que je compris, aux signes des pè-
cheurs, être le bord de Ja vallée profonde où ils avaient l’habi-
tude de prendre le Requin, et d’où ils avaient accidentellement
ramené V Hyalonema. Il était environ cing heures du matin, et
les hommes, aprés avoir déjeuné, mirent le bateau sous le vent
et descendirent la drague ; avant d’atteindre le fond, elle avait
entrainé environ 480 brasses de corde; nous en déroulames
encore une trentaine pour donner du jeu, puis, au moyen d’une
petite voile mise à Vavant, nous la traindmes lentement sur
le fond pendant l’espace d’un mille. Il fallut les efforts réunis
de six hommes, retirant la corde à l’aide d’une moufle à double
poulie, pour remonter la drague, qui mit juste une heure à
revenir ala surface. Elle était remplie d’un limon jaunatre et
tenace, au travers duquel on voyait reluire de longs et innom—
brables spicules d'Ayalonema: en passant lentement les doigts
dans ce limon, on en retirait une poignée de ces spicules. Un
spécimen d’Hyalonema, ses longs spicules implantés dans le
limon, et couronné de ses parties spongieuses, fut la récompense
de mon premier essai de draguage à pareille profondeur '. » Ce
draguage offre un intérêt particulier, en ce qu'il prouve que,
bien que la chose soit laborieuse et accompagnée de certaines
difficultés, peut-être même de quelque péril, il n’est pourtant
pas impossible, avec un bateau ouvert, monté par un équipage
de pêcheurs étrangers, d'étudier la nature du fond et le carac-
tère de la faune à une profondeur de 500 brasses.
1. Notes on Deep-Sea Dredging, by Edward Percival Wricut, M. D., F. L.S., from
the Annals and Magazine of Natural History for December 186%.
23 LES ABIMES DE LA MER.
En 1868, le comte L. F. de Pourtalès, l’un des officiers em—
ployés à l'inspection côtière par le Gouvernement des Ktats—
Unis, sous la direction du professeur Pierce, commença une
série de draguages profonds à travers le Gulf-stream sur la
côte de la Floride; ces travaux furent repris l’année suivante
et donnèrent les résultats les plus précieux. Plusieurs mémoires
intéressants du comte de Pourtalès, de M. Alexandre Agassiz,
de M. Théodore Lyman et d’autres encore, sont venus enrichir
le Bulletin du Muséum de zoologie comparée de Boston, et
étendre nos connaissances sur la faune profonde du Gulf-
stream; nous y avons gagné de précieux renseignements sur
la nature du fond dans ces régions, et sur les changements
qui sont en voie de s’y opérer.
Une grande partie des collections résultant de ces draguages
se trouvait malheureusement à Chicago, entre les mains du
D' Stimpson, chargé de leur classification, au moment de la
terrible catastrophe qui a réduit en cendres la plus grande partie
de cette ville. Tout ce qui y était fut détruit; seulement, par une
circonstance singulièrement heureuse, notre collègue M. Gwyn.
Jeffreys se trouvant à Chicago un peu avant l'incendie, le
D" Stimpson lui confia une série de Mollusques obtenus en du-
plicata, pour qu'il les comparat avec les espèces draguées par
le Porcupine. Cest ainsi qu'une partie des collections a été
sauvée. M. de Pourtales, dans une lettre adressée à l’un des
éditeurs du Journal de Silliman, et datée du 20 septembre
1868, dit: « Le draguage a été fait à l'extérieur de la chaine
des brisants qui borde la Floride, simultanément avec les son-
dages profonds, par zones s'étendant des rochers jusqu’à une pro-
fondeur de 400 à 500 brasses, de manière à reconnaitre la forme
du fond et à en étudier la composition et la faune. Six de ces
zones ont été sondées et draguées dans l’espace compris entre
Sandy-Bay et Coffin’s Patches. Toutes sont à peu près iden-
tiques: depuis les rochers jusqu'à la zone de 100 brasses, le
fond se compose, à 4 ou 5 milles en avant, principalement
de coquilles brisées avec de rares Coraux; ily a là très-
DRAGUAGES PROFONDS. 235
peu d’animaux. Une seconde région s'étend du voisinage de la
zone de 100 brasses jusqu’à environ 300 brasses; la pente est
extrémement douce, surtout entre 100 et 200 brasses; le fond
est rocailleux et habité par une faune abondante et riche. La
largeur de cette zone varie de 10 à 20 milles. La troisième
région commence entre 250 et 300 brasses; c’est là que se
trouve la couche des Foraminiféres qui s'étend si largement
sur le lit de ?Océan..... |
» La drague ramena de la troisième région des spécimens
moins nombreux, mais non moins intéressants, dont le plus
remarquable est un nouveau Crinoide qui appartient au genre
Bourguetticrinus de VOrbigny; il se pourrait même qu'il ap-
partint à l'espèce nommée par lui Bourgquetticrinus Hotessiert,
qui se trouve à l’état fossile dans une formation récente à la Gua-
deloupe, mais dont on n’a retrouvé que de petits fragments de
tiges. Jen ai pêché entre 250 et 300 brasses cing ou six échan-
tillons, malheureusement tous plus où moins endommagés par la
drague. Le draguage le plus profond s’est fait à 517 brasses;
il a produit un très-beau Mopsea, et quelques Annélides”, »
Les résultats de la croisière que fit le Lightning en 1868,
pendant laquelle le draguage se fit avec succès jusqu’à
650 brasses, ont été déjà racontés.
Pendant l'été de 1870, M. Marshall Hall, portant à la science
un intérêt qui est malheureusement rare parmi les proprié-
taires de yacht, consacra le petit navire Vorna au draguage
profond, pendant une croisière qu'il fit sur les côtes de
l'Espagne et du Portugal. A en juger par diverses notes
préliminaires qu'a fait paraître sur ce sujet M. Saville Kent,
les collections faites pendant cette excursion doivent être
abondantes et précieuses *.
Les recherches les plus récentes sont celles qui ont été faites
l. American Journal of Science, vol. XCVI, p. 413.
2. Zoological Results of the 1870 Dredging Expedition of the Yacht Norna, off the
coasts of Spain and Portugal, communicated to the Biological Section of the British Asso-
ciation, Edinburgh, Auguste 8, 1871. (Nature, vol. IV, p. 456.)
29 ( LES ABIMES DE LA MER.
en 1869 et 1870, à bord du vaisseau de S. M. le Porcupine.
Nous disposions d’un vaisseau qui, appartenant au service de
surveillance du Gouvernement, était abondamment pourvu
du matériel nécessaire; toutes les bonnes chances étaient done
en notre faveur, et le draguage fut poussé, ainsi que je lai
déjà dit, jusqu'à 2435 brasses. Le fait de l'existence d’une
faune d’Invertébrés abondante et caractéristique à toutes les
profondeurs a été constaté d’une manière qui ne saurait plus
admettre de doute. C’est là, jusqu'à présent, tout ce qu'il est
permis d'affirmer. Le champ des investigations est ouvert,
mais la culture en est terriblement laborieuse. Chaque voyage
de la drague ramène à la lumière des formes nouvelles et
inconnues, formes qui se rattachent d’une manière étrange
à celles des périodes écoulées de l’histoire de la terre; mais
nous sommes loin encore de posséder les données qui sont
indispensables pour généraliser ce que nous connaissons de la
faune des grandes profondeurs et établir ses rapports biolo-
eiques et géologiques: malgré notre ferme volonté et tous les
avantages qui ont été mis à notre disposition, les parties du
fond de la mer qui ont été sérieusement draguées Jusqu'ici
se comptent par mètres carrés seulement,
Fugli, vu de la côte ouest de Viderü (Farüer).
DRAGUAGES PROFONDS. 237
APPENDICE A
L'un des bulletins de draquage publiés par l'Association Britannique,
rempli par M. Mac Andrew.
BULLETIN DE DRAGUAGE N° 5.
Bilemn See eres bite ee coe a RS 7 juin 1849.
PO CALE RE RER ER SSP ER Ter Malte.
Enotomd EURE RE RE NAS AR PT 40 brasses.
PSE AUS TVA a. ons. notte Nate Pee { à 2 milles.
RONA RP a CRE CLAIRE ASS Sable et galets.
DER OM o baccotiaee . tdet< usando NE Bo ede so
ESPÈCES OBTENUES.
SPÉCIMENS
VIVANTS.
SPECIMENS
MORTS.
OBSERVATIONS.
PentalnumeWentaliss. 2.225. .0.--.
rubescens ow fissura........
(GPoummtinache@aes.. ssl se
Ditrupa coarctata, ow strangulata .
Id. KOs. RTE NE EE
Corbula nucleus
NET CUSDIDAAN 222. fs» 20 «
COS DUAL RNA
Pandouarobtusdetan EST 0.
Psammobia Feroensis...........
Hélas OA ART eae
DAS ANA eyes RER
CÉRRNESE Sepi Oo CRE
GepLessde sence ir des
Syndosmya tenuis? (prismatica ?)..
MEMmUSHOImalas minora eatin:
ASTATIBAIDOLASS AA A Sr oct son ae
Cardium papillosum....
MOMIE Tee » mé dome
ET A 2 2). colo) 5 ate ols?
CarditasquaMmosas.: oo... 6...
Lucina spinifera. ...... PRE
Diplodonta rotundata...........
Modiola barbata .....:.........
Naculngclens.?.".;...:.....
Leda emarginata.....
striata: 6... ; :
Aca tetrasauawe tat 26e...
AMMA: M...
Pectunculus glycymeris..........
Nombreux.
Plusieurs.
Plusieurs.
Plusieurs.
9
vw
8
|
| Strié avec aspect
ondulé.
9
Avec entailles a
Vextrémité su-
périeurc.
2 et des valves
Valves.
{ et des valves
L et des valves
Une valve.
Valves.
Valves.
Quelques-unes ra-
diées au bord.
\
1 et des valves.
Une valve.
Une valve.
Une valve.
| et des valves.
238
ESPÈCES OBTENUES.
Lima subauriculata.......
Pecten Jacobeus.......
gibbus...
polymorphus. 7-5. 2020 SA
tesiæ......
similis 225.7:
sulcatus. .... à
Anomia patelliformis ...........
Pileopsis hungaricus............
Bulla lignaria.
Cranchii
Hydatis.....
striatula......
Rissoa Bruguieri
carinata (costata)
acuta var
Desmarestil....
Id. id. ans Pe
Natica macilenta.....
Eulima polita.........
dstorta
Chemnitzia varicosa
elegantissima ae
JMMISHUACLA (2) fe wie CR Hees 5
Id. id.
Eulimella acicula
Trochus tenuis ow dubius........
Magus rec Je
Montagu. .....
Id. id.
Id. id.
Turritella terebra
tricostalis...
Cerithium vulgatum var.
reticulatum.....
Id. id. mater
Fusus muricatus.....
Id. id.
Pleurotoma nanum.
secalinum ;
Murex tetrapterus... 2.140.
Chenopus Pes-pelicani..........
Buccinum? ..... oe
Mitra ehenea........
Ringicula auriculata. .
Marginella secalina.
clandestina . . ;
Cypreea Pullex en ete :
Cidaris Hystrix:..}."..* “e
Zoophytes .
SPÉCIMENS
VIVANTS.
Plusieurs.
3
Plusieurs.
LES ABIMES DE LA MER.
SPECIMENS
MORTS.
OBSERVATIONS.
Valves.
Valves.
Valves.
Valves.
Des valves.
let des valves.
( Longues, dépour-
vues de côtes;
/ une trés-grosse.
\
(
Semblable au ci-
nex, mais petite,
Incomplete.
wee —
~~
|
Plusieurs.
Plusieurs.
Petites.
|
Plusieurs.
9 Blanches.
\ Cette espèce à
( Gibraltar.
| D'un orangé bril-
ant; petit, mar-
) qué de bandes,
LASEUIEe
2
4
Plusieurs.
2
CHAPITRE VII
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS
Des courants de l'Océan et de leur influence sur les climats. — Relevé des températures
de surface. — Thermomètres pour les grandes profondeurs. — Thermomètre enre-
gistreur ordinaire, d’après le système de Six. — Thermomètre perfectionné de Miller-
Casella. — Observations de températures faites pendant les trois croisières du navire
de S. M. le Porcupine pendant l’année 1869, etc.
APPENDICE A. — Températures de surface relevées à bord du navire de S. M. le Porcu-
pine pendant les étés de 1869 et 1870.
APPENDICE b. — Températures de la mer à différentes profondeurs sur la limite orien-
tale du bassin de l'Atlantique du Nord, relevées au moyen de sondages en séries et
de sondages de fond.
APPENDICE C. — Echelles comparatives indiquant la réduction de la température avec
l'accroissement de la profondeur, à trois stations, situées sous des latitudes différentes,
mais toutes sur la limite orientale du bassin de l'Atlantique.
APPENDICE D. — Température de la mer à différentes profondeurs dans les régions
chaudes et dans les régions froides qui se trouvent entre le nord de l'Écosse, les îles
Shetland et les îles Faréer, relevée au moyen de sondages en séries et de sondages
de fond.
APPENDICE E. — Températures intermédiaires provenant du mélange des courants chauds
et des courants froids sur les limites des régions chaudes et des régions froides.
Si la terre que nous habitons avait une surface uniformé-
ment sèche, tout en conservant d’ailleurs ses conditions ac-
tuelles de chaleur centrale, de position par rapport au soleil,
et Venveloppe atmosphérique, quelques zones pourraient pré-
senter certaines particularités de température dues au mélange
de courants (air chauds et froids ; mais, dans l’ensemble, les
240 LES ABIMES DE LA MER.
lignes isothermes, c'est-à-dire les lignes qui traversent tous
les lieux qui ont la même moyenne de température, seraient
partout d'accord avec les parallèles de la latitude. Il suffit de
jeter un coup d'œil sur une carte isothermale, calculée pour
une année, pour un été, un hiver, ou même pour un seul mois,
pour se convaincre qu'il est loin d’en être ainsi. Les lignes de
température égale s’éloignent toujours, et souvent considé—
rablement les unes des autres et de leur parallélisme normal
avec les degrés de latitude. La même carte démontrera aussi
que les lignes isothermes, qui tendent à conserver une direc-
tion régulière et normale en traversant de vastes espaces
continentaux, s’en éloignent en décrivant des courbes consi-
dérables, toutes les fois qu'il se présente une grande étendue
de mer comprenant plusieurs degrés de latitude, et consé-
quemment des conditions climatériques très-diverses.
Les terres qui avoisinent l'Océan participent à cette dif-
fusion de chaleur et à cette amélioration de climat; de là
vient la différence très-marquée entre les climats continen-
taux et ceux du littoral. Les premiers passent par les extrèmes
de la chaleur en été et du froid en hiver, tandis que les
autres jouissent d’une température infiniment plus égale, un
peu inférieure sous les tropiques, à la température normale,
et généralement de beaucoup inférieure en dehors de leurs
limites.
L'Irlande, la Grande-Bretagne et la côte occidentale de la
Scandinavie sont comprises dans le système le plus extrème
des courbes anormales des bassins océaniques; c’est à cette par-
ticularité de la distribution de la température dans I’ Atlantique
du Nord que nous sommes redevables de la douceur singulière
de nos hivers. La carte planche VIT résume les résultats de
centaines et de milliers d'observations individuelles, et repré-
sente la distribution des lignes de température moyenne du
mois de juillet à la surface de Atlantique du Nord. On voit
que les lignes isothermes, au lieu de traverser directement
Océan, décrivent une série de courbes qui vont s’élargissant
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS.
Lo
11
et s'aplatissant vers le nord, et qui toutes sont soumises à cer—
taines inflerions qui leur donnent une apparence festonnée.
Toutes sont dues à l'influence d’une source commune de cha-
leur, ayant son origine dans les régions qui avoisinent le
détroit de la Floride.
Ces particularités de distribution de la température à la
surface de la mer proviennent ordinairement de la circulation
des grandes masses d’eau qui prennent leur source dans des
régions où elles sont soumises à l'influence de climats bien
différents, aux courants océaniques chauds ou froids, qui
manifestent aussi leur puissance en accélérant ou en retar-
dant la marche des navires, quelquefois mème en les forçant
à s’écarter de leur route. Il arrive cependant que, tout en
entrainant une grande masse d'eau et en exerçant sur le
climat une influence très-positive, le courant est assez lent
pour que sa marche soit imperceptible et complétement dis—
simulée par des courants locaux ou accidentels, ou même
par le mouvement qu'imprime le vent régnant à la surface
de la mer.
C'est ainsi que le Gulf-stream, ce vaste «fleuve chaud » de
l'Atlantique du Nord, qui produit les plus bienfaisantes et les
plus remarquables des déviations des lignes isothermes du
monde entier, est sans aucune influence sur la navigation
au delà du 45° parallèle de latitude N., particularité qui a été
et qui est encore la cause de nombreuses erreurs touchant
son caractère véritable.
La manière de constater le degré de température de la
surface de la mer est des plus simples : On descend du
pont un baquet, en ayant soin de l’agiter pendant quelques
minutes dans l’eau, pour en égaliser la température; on le
laisse semplir à un pied environ au-dessous de la sur-
face; on prend ensuite la température de l’eau contenue dans
le baquet, au moyen d'un thermomètre ordinaire dont on
a observé l'écart. Un thermomètre ordinaire du modèle de Pob-
servatoire de Kew, gradué d’après Fahrenheit, peut, avec un
16
242 LES ABIMES DE LA MER.
peu d'habitude, se lire à un quart de degré, et un thermomètre
centigrade d’un grand modèle, à un dixième de degré près.
On relève en général la température de surface de deux heures
en deux heures, et lon inscrit chaque fois celle de Pair. La
latitude et la longitude s’observent à midi, ou plus souvent
encore, s’il le faut, par estimation.
Toute observation de la température de surface de la mer
faite avec soin, et accompagnée de notes exactes, de la date,
de la position géographique et de la température de l'air, est
précieuse. Les études de température de la surface faites sur
le navire de S. M. le Porcupine, pendant ses croisières de
draguage de l'été de 1869, font le sujet de l’Appendice A.
La température de la surface de l'océan Atlantique du Nord
a donné lieu à d'innombrables observations de ce genre, faites
avec plus ou moins d’exactitude. Le D'Petermann, dans un
travail important sur Vextension septentrionale du Gulf-
stream, a pris la moyenne du résultat de plus de cent mille de
ces observations, et a basé sur ce caleul le système de courbes
qui, moyennant quelques légères modifications, a servi pour
le tracé de cette carte.
Jusqu'à une époque fort récente on ne savait à peu près rien
de certain sur la température de la mer au-dessous de sa sur-
face. C’est la pourtant un sujet d'étude des plus importants,
au point de vue de la géographie physique. Une connaissance
exacte de la température à différentes profondeurs est le seul
moyen de s’éclairer sur l'épaisseur, le volume, la direction
et la marche des courants chauds de l'Océan, qui sont les prin—
cipaux agents de diffusion de la chaleur équatoriale, et, plus
particulièrement encore, sur ces courants plus profonds d’eau
glacée qui complètent, en allant prendre la place des pre-
miers, le cycle de la circulation océanique. L’imperfection
des instruments dont on s’est servi jusqu'ici est certainement
la cause principale de cette absence de données exactes sur la
température des grandes profondeurs.
L'instrument presque universellement adopté jusqu'à pré-
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 245
sent est le thermomètre enregistreur ordinaire de Six, en-
fermé dans un solide étui de cuivre percé d'ouvertures aux
deux extrémités, de manière à admettre librement un courant
d'eau au travers du cylindre jusqu’à la boule de l'instrument. Le
thermomètre enregistreur de Six consiste en un tube de verre
recourbé en forme de V (fig. 55), dont une des branches est
terminée par une grosse ampoule cylindrique entièrement
pleine d’un mélange de créosote et d’eau. La partie recourbée
du tube renferme une colonne de mercure, et la seconde
branche du V se termine par une ampoule plus petite, qui
contient une petite quantité de créosote et d’eau, mais dont la
plus grande partie est vide, ou plutôt remplie des vapeurs du
liquide et d'air comprimé. Un petit indicateur d'acier, en-
touré d’un cheveu, qui agit comme ressort et maintient l’in-
dicateur dans la position qu'il a prise, est contenu libre dans
le tube à chacune des extrémités de la colonne de mercure,
et plonge dans la créosote. Ce thermomètre donne ses indica-
tions uniquement par l'effet de la contraction et de expansion
de la liqueur dont est remplie la grosse boule; il est consé-
quemment sujet à de légers écarts causés par Vinfluence de la
températuré sur les liquides contenus dans les autres parties
du tube. Des qu'il y a expansion du liquide que renferme le
erand réservoir, la colonne de mercure est chassée vers le haut,
dans la direction de la petite ampoule, et la branche du tube
dans l’intérieur de laquelle il s'élève est graduée de bas en
haut, pour indiquer la chaleur croissante. Quand, au contraire,
ily a contraction du liquide de la grosse ampoule, la colonne
de mercure baisse dans cette branche pour s'élever dans celle
qui se termine par la boule pleine et qui est graduée de haut
en bas. Pour se servir du thermomètre, on attire en bas les
deux indicateurs au moyen d’un fort aimant, Jusqu'à ce que
des deux côtés ils touchent la surface du mercure. Quand le
thermomètre sort de l’eau, la hauteur à laquelle se trouve
placée l'extrémité inférieure de chacun des indicateurs marque
le point extrème auquel ils ont été poussés par le mercure, ou,
24 LES ABIMES DE LA MER.
en d’autres termes, le degré le plus intense de chaleur et de
froid auquel l'instrument a été exposé.
On ne peut malheureusement pas compter sur l'exactitude du
thermomètre de Six au delà d’une faible profondeur; le verre
de l’ampoule qui renferme la liqueur expansible cède à la
pression de l’eau, et, en comprimant le fluide contenu, fait
indiquer par l'instrument une élévation qui n’est pas unique—
ment l'effet de la température. Cette cause d'erreur n’est pas
toujours identique dans ses effets, puisque le degré de compres—
sion que subit le réservoir dépend de sa forme, de l'épaisseur
et de la qualité du verre dont il est fait. Ainsi, l’écart des
bons thermomètres faits d’après le modèle du Bureau hydro-
graphique varie de 7° G. à 10°,5 C., sous une pression de
6817 livres par pouce carré, qui représente une profondeur de
2500 brasses. Dans les thermomètres parfaitement construits,
tels que ceux que font Casella et Pastorelli pour l'Amirauté
anglaise, l'écart dû à la pression est presque uniforme; et le
capitaine Davis, de la Marine royale, qui a fait dernièrement
sur ce sujet des expériences fort sérieuses, a émis l'avis qu'avec
des observations très-suivies et une étude complète, on arri-
verait à obtenir une échelle qui permettrait d'amener les ther—
momètres dont on s'est servi jusqu'ici à un degré d’exactitude
fort rapproché de la vérité absolue, et ainsi d'utiliser jusqu’à
un certain point les études qui ont été faites avec nos instru-
ments dont on se sert habituellement.
Pendant l'expédition de 1868, faite sur le Lightning, nous
avons employé le modèle ordinaire du Bureau hydrographique,
et un grand nombre de thermomètres de différents auteurs ont
été embarqués avec nous, pour subir épreuves et comparai-
sons. Quand les profondeurs n'étaient pas considérables, les
relevés de la température se faisaient facilement, et comptent
parmi les phénomènes les plus intéressants dont nous ayons
eu à prendre note. Certains instruments se comportaient d’une
manière désordonnée à quelques.centaines de brasses, et plu-
sieurs céderent sous la pression. A notre retour, au mois
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 245
d'avril 1869, le D' W. A. Miller, présent à une réunion de
la commission des grandes profondeurs de la Société Royale
au bureau hydrographique, proposa d’enfermer l’ampoule
pleine dans une enveloppe extérieure de verre contenant de
l'air, afin que cet air, étant comprimé par la pression de l’eau
sur l’enveloppe extérieure, protégeat le réservoir intérieur.
On demanda à M. Casella de construire quelques thermo-
mètres d’après ces données; seulement, au lieu d’être remplie
d'air, l’enveloppe extérieure le fut presque entièrement d’alcool
chauffé, afin d’expulser une bonne partie de ce qu’elle pouvait
contenir d'air; puis la chambre extérieure fut hermétiquement
close; on laissa pénétrer seulement une bulle d’air et de vapeur
d'alcool, qui, cédant sous la pression extérieure, devait en pré-
server l’ampoule intérieure. Le thermomètre Miller-Casella se
trouva approcher tellement de la perfection, qu'il fut décidé—
ment adopté, et qu'on s’en servit comme point de comparaison
dans une série d'expériences dont le but était d’éprouver les
thermomètres ordinaires de Six, faits d’après le modèle du
Bureau hydrographique. Pendant les croisières que nous fimes
ensuite sur le Porcupine, nous nous en rapportames complé-
tement à ce thermomètre, dont l’exactitude nous satisfit pleine-
ment. Pendant l’été de 1869, des observations de température
ont été faites à plus de quatre-vingt-dix stations et à des pro-
fondeurs qui variaient entre 10 et 2435 brasses. Deux ther-
momètres ont été immergés à chacune de ces stations, et il
n’en est pas une seule où ils nous aient donné quelque raison
de douter de leur exactitude. Toutes les observations ont été
faites par le capitaine Calver lui-même; le plomb et les
thermomètres qui y étaient attachés ont toujours été immergés
de ses propres mains; et la meilleure preuve, à mon avis, de
l'adresse et de Vhabileté de notre ami, c’est qu'à la fin de
l’année, il a ramené à Woolwich ces deux précieux et fragiles
instruments parfaitement intacts.
La figure 53 représente le thermomètre enregistreur de Six
le plus récemment modifié et perfectionné d’après le système
246
LES ABIMES DE LA MER.
Miller-Casella. L’instrument est de petit volume, afin de dimi-
nuer le plus possible le frottement de l’eau. Le tube est monté
sur ébonile, pour éviter la dilatation que l’eau occasionne à
a
So
a
Q
N
:
Oo
Ë
4
É
lu
:
<
VU.
|
Fic. 53. — Thermomètre enre-
gistreur de Six modifié par
Miller-Casella. L’enveloppe
de la grande ampoule est
double ; entre les deux parois
se trouve une couche liquide
avec une bulle de vapeur
ayant pour but d’atténuer les
effets de la pression.
x
une monture de bois, expansion qui fait
que l’instrument demeure quelquefois
engagé dans son étui. L’échelle est de
porcelaine blanche, graduée d’après les
degrés de Fahrenheit; la grosse am-
poule est enfermée dans une enveloppe
extérieure de verre, remplie aux trois
quarts d’aleool et hermétiquement close.
Il est juste de faire mention ici, d’après
ce que sir Edward Sabine m'en a dit,
des thermomètres dont s’est servi sir
John Ross en 1818, pendant son voyage
aux mers arctiques; ils étaient abrités
d’après un système presque semblable.
Il faut parler aussi d'un thermomètre
capable de résister à la pression, con-
struit sous la direction de feu l’amiral
Fitzroy, à l’instigation de M. Glaisher,
et qui ne différait guère du modèle
Miller-Casella que par l'introduction
dans l'enveloppe extérieure de l’ampoule
d’un peu de mercure au lieu d'alcool;
l'instrument était peut-être aussi un peu
plus fragile et un peu moins portatif".
Un thermomètre à maxima de Phillip,
modifié par sir William Thomson, et qui
est entièrement enfermé dans un étui de
verre partiellement rempli d'alcool, parait être, de tous, celui
qui présente le moins d'écart.
1. Il est question d’un thermomètre pour les observations dans les grandes profon-
deurs, construit d’après cette donnée, dans le catalogue d'instruments météorologi-
“ques publié en 1864 par MM. Negretti et Zambra. Ces thermomètres ne différent pas
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 247
Un très-heureux perfectionnement du thermomètre métal-
lique de Bréguet a été imaginé par Joseph Saxton, membre
du Bureau des poids et mesures des États-Unis. Deux rubans,
l’un de platine et l’autre d'argent, sont
réunis par une soudure d'argent à une
plaque intermédiaire dor; les rubans
réunis sont enroulés autour d’un axe
central de cuivre, celui d'argent en des—
sous. De tous les métaux, l’argent est
celui qui éprouve la plus forte dilata-
tion sous l'influence de la chaleur, et le
platine un de ceux qui en ont le moins.
L’or occupe entre eux une place inter-
médiaire, et son interposition entre le
platine et l'argent a pour effet d’empé-
cher le rouleau d’éclater, en modérant
la tension. La partie inférieure du rou-
leau est fixée à l’axe de cuivre, et la
supérieure est assujettie à un court cy—
: re e Fic. 54. — Lanterne de bronze
lindre. Toute variation de température hour abriter le thermomètre
Miller-Casella. Le couverele
et le fond sont percés de
traction ou d'expansion qui fait tourner nombreuses ouvertures pour
laisser l’eau circuler libre-
A : Span.
sur elle-même la tige de l’axe. Ce mou— nent à l'intérieur.
produit sur le rouleau un effet de con-
vement, traduit et amplifié par des
rouages multiplicateurs, est enregistré sur le cadran de l’in-
strument par un indicateur qui pousse devant lui une aiguille
dont le frottement sur le cadran suffit pour qu'elle se main-
essentiellement de ceux qu'on désigne sous le nom de thermomètres de Six; voici en
quoi ils en diffèrent. Les thermomètres ordinaires de Six ont un réservoir central qui
contient de l'alcool; ce réservoir, qui est la seule partie de l'instrument susceptible
d’être altérée par la pression, est remplacé, dans le nouvel instrument de MM. Negretti
et Zambra par un solide cylindre de verre qui renferme du mercure et de Peau. De
cette manière, la partie de l’instrument exposée à la compression est rendue assez
résistante pour qu'aucune pression, quel qu’en soit le degré, ne puisse la faire varier.
Le mot remplacé donne une certaine ambiguïté à cette explication, mais MM. Negretti
et Zambra m/affirment qu’en principe cet instrument est exactement le même que celui
qui à été imaginé par M. le professeur Miller et exécuté par M. Casella. -
JAR LES ABIMES DE LA MEN.
tienne à l'endroit où l’a placée Vindicateur du thermomètre.
L’instrument est gradué après essai comparatif. Les parties
qui sont de cuivre ou d'argent reçoivent, au moyen du pro-
cédé galvanoplastique, une épaisse dorure qui les préserve de
toute détérioration par l’eau de mer. L’étui qui renferme le
rouleau et la partie indicatrice du thermomètre, n’a d'autre
destination que de le préserver de tout accident; il est ouvert
de manière à permettre le libre passage de l’eau de la mer.
Cet instrument est suffisant, parait-il, pour les profondeurs
moyennes; jusqu’à 600 brasses, son écart ne dépasse pas de
beaucoup 0°,5 C.; à 1500 brasses cependant, son écart arrive à
5° C., tout autant que pour les thermomètres non abrités de
Six, et il est moins régulier. I] est évident que dès qu'il s’agit
de grandes pressions, on ne peut avoir que bien peu de confiance
dans les instruments qui marchent par des rouages métal-
liques.
Avant le départ du Porcupine pour sa croisière de l’été de
1869, on a fait à Woolwich une série d'expériences des plus
intéressantes sur les effets produits par la pression sur des
thermomètres enregistreurs de différents modèles. L’ingénieur
hydrographe et la commission de la Société Royale pour Vex-
ploration des grandes profondeurs présidaient à ces expé-
riences. Le but de ces études était de soumettre tous les mo-
dèles de thermomètres dont on fait usage à l’action d’une
presse hydraulique, équivalente à la pression qu'ils doivent
subir aux différentes profondeurs de l'Océan; on peut se
rendre compte ainsi des causes et de l'étendue de leur écart,
signaler le moins défectueux parmi ces différents modèles, et
si possible, inventer une échelle au moyen de laquelle on peut
utiliser, en les rectifiant d’une manière approximative, les
observations faites jusque-là avec les instruments ordinaires.
On éprouva quelques difficultés à trouver une presse conve-
nable, et M. Casella fit construire chez lui, à Hatton-Garden,
un appareil à épreuves capable de fournir une pression de trois
tonnes par pouce carré.
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. - 219
Les résultats furent des plus remarquables '. La première
expérience était destinée à éprouver la valeur de chacun des
instruments. On plaça dans le cylindre un thermomètre Miller-
Casella n° 57, avee un bon instrument fait par Casella d’après
le modèle du Bureau hydrographique; ils furent soumis en-
semble à une pression de 4032 livres, égale à celle que donne-
raient 1480 brasses de profondeur. Voici quel en fut le résultat :
MINIMUM. | MAXIMUM. ann de
THERMOMÈTRE. | | Oe
DES MAXIMA.
C'est-à-dire que, la température demeurant la même, la
pression a fait monter le n° 97 à 12°,75, et que l'index y était
demeuré.
Cette expérience a démontré du premier coup la supériorité
de la chambre abritée. Elle a été répétée pour d’autres thermo-
mètres avec la même pression et pendant le même espace de
temps, et a prouvé que la moyenne des différences n'étant pour
les réservoirs abrités que de 0°,95, celle des thermomètres
ordinaires de grandes profondeurs se trouvait être, comme
pour le n° 57, de 7°,25. Il résulte aussi de ces expériences que
presque toute la différence provient de la pression de la colonne
d'eau sur l’ampoule pleine, et qu’en Vabritant, on obtient des
instruments à peu près parfaits.
La série suivante d'expériences a été faite pour établir une
échelle de degrés qui permit de corriger par approximation
les résultats acquis auparavant avec les thermomètres ordi-
naires.
\
|. On Deep-Sea Thermometers, by Captain J. E. Davis, R. N. (Nature, vol. Il, p. 124)
Abridged from a Paper read before the Meteorological Society, April 19th, 1871.
250 LES ABIMES DE LA MER.
Ce tableau indique l'écart de six thermomètres sous diffé
rentes pressions. Celui qui est désigné comme servant de point
de comparaison est un thermomètre abrité Miller—Casella; le
dernier est un thermomètre enregistreur à minima, enfermé
dans un cylindre de verre hermétiquement clos, d’après le
système de sir William Thomson.
{ | |
| x | Es
PRESSION | THERMOMÈTRE | ; ae + MODÈLE
EN BRASSES. | ÉTALON. : THOMSON.
©
~
~
s 2
vw
250 the Gig RU SAC
500 Ns | 47
750 f J
1000
1250
1500
L750
2000
92950
2500
viv
~
s
D D = ©
s
brow
es
qo
TRS
Im OHI > 1
CO ES
TZ
OS
Voici quelle a été la moyenne des différences pour 250
brasses, pour chacun des thermometres :
THERMOMÈTRE. DIFFÉRENCE.
+ 0,12 C.
+ 0,72
“L 0,67
+ -0,65
+ 0,76
+ 0,03
Pendant ces expériences on maintenait autant que possible
l'eau du cylindre à la mème température, ou du moins à une
température connue; mais comme la compression subite de
l’eau développe nécéssairement de la chaleur, on a fait la série
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 251
suivante d'expériences pour se bien rendre compte de la quan—
tité de calorique produite. On s’est servi pour cela de trois des
thermomètres maxima de Phillip (système de sir William
Thomson) absolument abrités contre toute compression, et voici
les résultats obtenus :
Pression : 6817 livres — 2500 brasses de profondeur,
THERMOMÈTRE. DIFFÉRENCE.
(9
(RE D APE a ae Re MAPS RER | + 0,05 C.
A OAD PE REA EEE ier | + 0,22
Cena ee Sera TEA UN oa act de | + 0,14
Cette cause d'écart est insignifiante.
D'après ces expériences, il faut conclure que le véritable
écart pour le thermomètre Miller-Casella est :
con = x
DORA 2 50 DraSSeS te erates cre st-taetr ta de 0,079 C.
RTS UUPDLASS ES SR Er ME CNE de 0,79
Ce qui permet de le regarder comme un instrument parfaite-
ment approprié à tous les usages ordinaires.
Un certain nombre des instruments qui avaient subi l'épreuve
de la presse ont été embarqués sur le Porcupine, pendant sa
croisière de l’été de 1869; à son retour, les résultats des obser-
vations faites à différentes profondeurs par le capitaine Calver
ont été comparés à ceux obtenus par des pressions équivalentes
appliquées aux thermomètres dans la presse hydraulique de
M. Casella. Le résultat, pour l'Océan, contrairement à celui
que donne la presse hydraulique, prouverait que l’élasticité
nest pas régulière et nefcroit pas en raison de la pression,
mais qu'après s'être maintenue d’une façon régulière jusqu'à
une profondeur de 1000 brasses, elle décroit en raison inverse,
252 LES ABIMES DE LA MER.
jusqu'à celle de 2000 brasses, où elle disparait à peu près com-
plétement.
Le tableau suivant donne un aperçu comparatif des effets
produits sur les thermométres de Casella, du modèle du Bureau
hydrographique, dans POcéan et dans la presse hydraulique :
ÉCART. POUR 250 BRASSES.
PRESSION EE
EN
nate oe PRESSE PRESSE
ASSES. AN TA
OCEAN. CEAN.
HYDRAULIQUE. HYDRAULIQUE. aches
0 0 0
250 0,726 C. i 0,726 C. 0,738
500 1,548 0,774 0,782
750 2,123 | 0,708 0,741
1000 2,474 0,674 0,754
1250 3,955 | 3,49: 0,651 0,698
500 4,107 0,684 0,653
1750 1,555 | 0,650 | 0579
2000 5,354 | 0,669 0,536
29250 6,021 0,669 |
2500 6,817 0,682.
Pour faire des sondages de température à de grandes pro-
fondeurs, on assujettit deux ou plusieurs thermomètres Miller-
Casella à la corde de la sonde, à une faible distance les uns des
autres, et à quelques pieds seulement au-dessus de lanneau
d'attache d’une sonde dont le poids est destiné à demeurer
au fond. L’engin est descendu rapidement, et on laisse écouler
cing à dix minutes après que son contact avec le fond Va dé-
taché, avant de remonter les thermometres; il suffit même de
quelques instants pour que l'instrument marque le degré vrai
de la température. Pour faire des sondages de séries, c’est-à-
dire pour se rendre compte de la température qui règne à diffé-
rents intervalles de profondeur, dans les eaux profondes, on
attache les thermomètres au-dessus d’un plomb ordinaire de
grande profondeur, on déroule la quantité de corde nécessaire
pour chaque relevé de température, et à chacun des relevés de
la série on remonte le tout. Cette opération est longue et minu—
tieuse: une seule série de sondages faite dans la baie de Biscaye,
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEUR. 253
où la profondeur était de 850 brasses, et où nous relevames la
température toutes les cinquante brasses, occupa la Journée
entière.
ll est bon de dire ici qu'en prenant la température du fond
avec le thermomètre de Six, l'instrument n'indique jamais que
la température la plus basse à laquelle il ait été exposé, de
sorte qu’en supposant que l’eau du fond se fût trouvée plus
chaude que celle des couches supérieures traversées par
l'instrument, Vindication serait nécessairement erronée. Ceci ne
peut se déterminer que par des séries de sondages; partout où
la température a été étudiée pendant les expéditions du Porcu-
pire, on a trouvé que la température s’abaissait graduellement,
quelquefois d’une manière très-constante, quelquefois avec
irrégularité, de la surface jusqu'au fond, où l’eau s’est tou-
jours montrée la plus froide. Il est probable que dans certaines
conditions, dans les mers polaires, par exemple, où la surface
est exposée à un froid intense, la couche d’eau inférieure peut
ètre la plus chaude, jusqu'au point où l'équilibre se trouve
rétabli par la circulation; mais je considère ce fait comme
très-rare : la règle, c’est que, si l’on en excepte une mince sur-
face sur laquelle les variations diurnes peuvent avoir quelque
influence, la température, à toutes les latitudes, va s’abaissant
de la surface jusqu’au fond.
La première série sérieuse des relevés de température a été
faite pendant l'expédition de sir John Ross aux mers arctiques
en 1818. Le 1° septembre, par 73° 37° de latit. N. et 77° 25° de
longit. O., la surface étant à 1°,3 C., le thermomètre enre-
gistreur indiqua à 80 brasses 0° C., et à 250 brasses, — 1°,4 C.
Le 6 septembre, par 72° 23’ de latit. N. et 73° 07’ de longit. O.,
on fit la première tentative de sondage en séries qui ait jamais
été tentée. Le thermomètre fut plongé successivement à 500,
600, 700, 800 et 1000 brasses, et indiqua une température
de plus en plus basse, jusqu'à la plus grande de ces profon—
deurs, où il tomba à — 3°,6 C. Le 19 septembre, par 66° 50
de latit. N. et 60° 30° de longit. O., on fit encore une série
254 LES ABIMES DE LA MER.
d'observations : à 100 brasses, la température indiquée était
de—0°,9 C.; à 200, —1°,7 C.; à 400, —2°,2 C., et à 660 bras-
ses, — 3°,6 C. Le 4 octobre, par 61° 41’ de latit. N. et 62° 16’ de
longit. O., sir John Ross fit un sondage, mais sans trouver de fond,
à 950 brasses. Le thermomètre enregistreur, descendu en même
temps, marquait à cette profondeur 2° C., pendant que la sur-
face était à 4° C. et la température de l’air à 2°,7 C. Le général
sir Edward Sabine, qui a pris part à l'expédition de sir John
Ross m’a appris, que ces relevés de température ont été faits
avec des thermomètres enregistreurs abrités à peu près de la
même manière que ceux dont on a fait usage sur le Porcupine.
Ces thermomètres devaient être protégés d’une manière suffi
sante, car les températures indiquées par eux aux plus grandes
profondeurs sont telles qu’on pourrait les attendre des thermo-
mètres Miller-Casella. Des instruments non abrités auraient
certainement donné des indications plus élevées.
Le dernier de ces relevés, fait à une distance considérable
dans le détroit de Davis, offre un intérêt tout particulier : la
température de la surface était de près d’un degré et demi cen-
tigrade supérieure à celle de l'air, et celle de l’eau était d’une
élévation inusitée. On sait maintenant qu’à certaines époques de
l’année le Gulf-stream s'étend jusqu’à l'entrée du détroit. Les
lignes isothermes pour septembre et juillet sont tracées sur la
carte d’après des données qui m'ont été obligeamment fournies
par M. Keith Johnston. |
Dans un extrait de son journal particulier de l'expédition de
sir John Ross, cité par le D° Carpenter’, sir Edward Sabine
indique une température inférieure à toutes celles qui jusque-là
avaient été inscrites. «Après avoir jeté la sonde à 750 brasses,
le 19 septembre 1818, dit-il, on descendit à 680 brasses le
Ca ME enregistreur, dont l'index marquait, en remon-
tant, 25°,75 Fahr. (— 3°,5 C.). Ne l’ayant jamais vu descendre
au-dessous de 28° (— 2°,2 C.) dans les sondages précédents,
|. D® CARPENTER’S Preliminary Report on Deep-Sea Dredgings. Proceedings of the
Royal Society of London, vol. XVII, p. 186.
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 299
mème à la profondeur de 1000 brasses, et quelquefois tout près
du fond, j’examinai avec le plus grand soin le thermomètre,
sans pouvoir découvrir d’autre cause de cet abaissement
extraordinaire que la seule froidure de l'eau. » Parmi les
expériences qui tendent aux mêmes conclusions, nous citerons
celles du lieutenant Lee, du service de surveillance côtière des
États-Unis, qui en août 1847, au-dessous du Gulf-stream, par
30° 26’ de latit. N., 73° 12’ de longit. O., trouva une tempéra-
ture de 2°,7 C. à la profondeur de 1000 brasses ; et celle du
lieutenant Dayman, qui trouva une température de 0°,4 C.,
à 1000 brasses, par 51° de latit. N., et 40° de longit. O., la
surface étant à 12°,5 C. Malgré ces faits, opinion générale-
ment répandue parmi les physiciens et ceux qui s occupaient de
géographie physique était que l’eau salée, subissant la même
loi que l’eau douce, atteint sa plus grande densité à la tempé-
rature de 4 C. Le résultat inévitable de cette propriété, si elle
existait réellement, est ainsi expliqué par sir John Herschel :
« Dans les eaux très-profondes, sur toute la surface du globe,
règne une température uniforme de 39° Fahr. (4° C.). Au-dessus
du niveau où commence cette température, on peut regarder
l'Océan comme divisé en trois grandes régions ou zones : une
zone équatoriale, et deux polaires. Dans la première l’eau la
plus chaude, et dans les deux autres l’eau la plus froide se
trouve à la surface. Les lignes de démarcation de ces zones sont
évidemment les deux isothermes de 39° Fahr. de température
moyenne annuelle. » Le D° Wallich fait un excellent résumé de
cette singulière théorie : « Mais, dit-il, tandis que la tempéra-
ture de l'atmosphère, au delà de la ligne de congélation perpé-
tuelle, va toujours s’élevant, celle de l’eau, au-dessous de la
ligne isotherme, demeure uniforme jusqu'au fond. N’était l’ac-
tion de la loi d’où procède ce dernier phénomène, l'Océan
tout entier se serait depuis longtemps solidifié, et terre et mer
seraient devenus inhabitables pour les organismes vivants. Con-
trairement aux autres corps, sur lesquels toute élévation de tem-
pérature produit un effet de dilatation et de diminution de den-
256 LES ABIMES DE LA MER.
sité, l’eau arrive à sa plus grande densité, non au degré de froid
le plus bas, mais à 39°,5 Fahr.: il se passe donc ceci, qu’aus-
sitôt que la couche supérieure de la mer a atteint ce degré
de refroidissement, elle descend, ce qui permet à une nouvelle
couche de monter à la surface et de s’y refroidir. Cette opération
se renouvelle jusqu’à ce que toute la couche supérieure soit ré-
duite à la température de 59°,5. Alors elle cesse de se contracter,
subit un effet de dilatation, devient plus légère que l’eau qui se
meut au-dessous delle, se refroidit toujours plus, et se congèle à
28°,5. C’est ainsi qu'en vertu d’une loi qui n’est exceptionnelle
qu'en apparence, l’équilibre de la circulation océanique peut
se maintenir, pendant qu'à l'équateur la température moyenne
de la couche d’eau supérieure, qui est de 82° Fahr., décroit gra—
duellement, pour arriver à 1200 brasses à 39°,5 Fahr., qu'elle
conserve jusqu’au fond dans les régions polaires du nord et
du sud; jusqu'à 56° 25’ de latitude dans chaque hémisphere,
la température va s'élevant, de la surface en bas, jusqu’à la
ligne isotherme, au delà de laquelle elle demeure stationnaire,
ainsi qu'il a été dit plus haut. De la il résulte qu'à 56° 25”
de latitude, la température est uniforme de la surface jus-
qu'au fond, et il est prouvé par observation qu'à 70° de lati-
tude environ, la ligne isotherme se trouve à 790 brasses
au-dessous de la surface '. »
Il n’est pas douteux que cette théorie, qui depuis quelques
années était universellement acceptée, ne soit complétement
fausse. Il a été démontré par M. Despretz”, à la suite d’une
série d'expériences faites avec le plus grand som, et qui,
depuis, ont été répélées avec le mème résultat, que l’eau de
mer, en sa qualité de solution saline, augmente de densité en se
contractant, jusqu'à ce qu’elle arrive à son point de congéla-
tion: ce phénomène a lieu, lorsqu'elle n’est soumise à aucun
mouvement, à environ — 3°,67 C. (25°,4 Fahr.), et lorsqu'elle
200 de
est agitée, à
1. Dr Waxuicu, North Atlantic Sea-bed, p. 99.
2. Recherches sur le maximum de densité des dissolutions aqueuses. (Loc. cit.)
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 257
Les études de température faites par sir James Clarke Ross,
pendant son expédition de 1840-41 aux mers antarctiques, pa-
raitraient donner gain de cause à la théorie de l’uniformité de
la température à 4°,5 C., à une grande profondeur; mais il est
aussi évident que ses observations ont été faites avec des instru-
ments non abrités, tandis qu’en 1818 sir John Ross s’est servi
de thermomètres garantis contre toute pression. On ne peut
donc les accepter que comme une preuve qu'aux latitudes tout
à fait méridionales, la température de la surface est quelquefois
plus basse que celle des couches profondes; mais le calcul de
l'écart causé par la pression ne peut se faire d’une manière cer-
taine, puisqu'il dépend de la façon dont étaient construits les
thermomètres employés : ces corrections doivent, dans tous les
cas, réduire considérablement les différences que les instru-
ments ont indiquées entre ces températures extrêmes.
Un certain nombre de thermomètres du modèle du Bureau
hydrographique ont été employés à bord du Lightning, et le
commandant May s’en servait pour faire des relevés de tem-
pérature. Nous eimes plus tard, au retour, l’occasion de les
éprouver, et nous connaissons maintenant d’une manière à peu
près certaine, pour les avoir nous-mêmes expérimentés, la
somme de leur écart, En parlant des températures relevées
par le Lightning, j'entends done les températures prises avec
des thermomètres ordinaires, mais corrigées approximative-
ment d’après le thermomètre Miller-Casella, dont plus tard on
a fait usage sur le Porcupine.
En quittant Stornoway sur le Lightning, le 11 août 1868,
nous primes la direction des banes de Faréer, et, jetant la sonde
dans 500 brasses, à 60 milles environ de la pointe de Lews,
nous trouvames une température de fond de 9°,4 C. avec
le thermomètre ordinaire de Six, seul modèle qui fût alors
en usage. Cette température, abstraction faite de la pression, se
trouva réduite à 7°,8 C. Une telle élévation du thermomètre ne
laissa pas que de nous causer quelque étonnement et de nous in-
spirer quelques doutes à l'endroit de l’exactitude de ce sondage,
17
258 LES ABIMES DE LA MER.
qui avait été fait par une assez forte brise; ceux que nous fimes
plus tard au même endroit vinrent pourtant en confirmer
l'exactitude. La moyenne de la température sur les banes de
Faréer était de 9° C., au-dessous de 100 brasses, pendant que
celle de la surface était de 12° C. Mais les indications de tem-
pérature n’ont que peu de valeur sur cette côte, où l’eau doit
certainement subir à quelque degré dans tonte sa profon—
deur l'influence de la radiation directe du soleil. Le relevé sui-
rant s'est fait par 60° 45’ de latit. N. et 4° 49° de longit. O.,
à une profondeur de 510 brasses, avec température de fond
de — 0°,5 C., à 140 milles environ, directement au nord du
cap Wrath. Après cela vient une série de sondages, n° 7, 8,
10 et 11 de la carte (pl. D, faits en traversant la partie septen—
trionale du détroit qui se trouve entre l'Écosse et le plateau
des Faréer; ils donnèrent, en suivant l’ordre où ils sont
indiqués, — 1°,1, — 1°,2, — 0°,7, et — 0°,5 C. Le n° 9, par
170 brasses de profondeur et une température de 5° C., ne
doit compter que comme exception; c’est là, selon toute appa-
rence, le point culminant d’une aréte ou d’un bane. En dra-
guant à cette station, nous trouvames de nombreux exem-
plaires du rare et beau 7erebratula cranium; mais l’année
suivante, nous cherchames cet endroit-la avee le Porcupine,
sans réussir à le retrouver. Le 6 septembre, nous avons sondé
et fait des relevés de température par 59° 36’ de latit. N. et
7° 20’ de longit. O., avec 530 brasses; la moyenne de trois
thermomètres, qui ne différaient guère l’un de l’autre de plus
du tiers d’un degré, indiqua une température de fond de 6°,4C.
Dans la matinée du 7 septembre, par 59° 5’ de latit. N. et
7° 29'de longit. O., on fit un sondage de température à la pro-
fondeur très-modérée de 189 brasses, et l’on trouva 9°,6 C.
Les trois sondages portant les n° 13, 14 et 17, aux profondeurs
respectives de 650, 570 et 620 brasses, et s'étendant à l’ouest
de l’Atlantique du Nord, jusqu'à 12° 36’ O., indiquèrent une
température de fond de 5°,8, 6°,4 et 6°,6 C., dans l’ordre de
leurs numéros.
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 259
Le résultat général de ces recherches nous a paru remar-
quable. La région que nous n'avions précédemment étudiée
que d’une manière incomplète, comprenait d’abord le canal,
large d’environ 200 milles, qui s’étend entre la limite septen-
trionale du plateau de la Grande-Bretagne et le bas-fond dont
les îles Farôer, avec leur grande étendue de côtes, sont le
point culminant; la plus grande profondeur y est inférieure
à 600 brasses; puis une partie restreinte de l’Atlantique du
Nord, située à l’ouest et au nord de l’ouverture du canal. Dans
ces deux espaces rapprochés, qui communiquent librement en—
semble, et qui ont une température de surface presque iden—
tique, les conditions de climat sont totalement dissemblables
pour les couches inféricures. La moyenne de la température,
dans le canal des Farôer, est à 500 brasses de profondeur de
— 1°,0 C., tandis qu'à la même profondeur, dans l’Atlantique,
l'index minima s’arrétait sur + 6° C.; la différence était done
de 7 C., ou près de 13° Fahr.
La conclusion que nous avons promptement tirée de ces
phénomènes, et qui nous en a paru être la seule explication
possible, c’est qu'un courant arctique d’eau glacée venant du
nord-est se glisse dans le canal des Farôer, et coule dans sa
partie la plus profonde, à cause de sa densité plus grande; tan—
dis qu'une masse d’eau chauffée à un degré supérieur à celui
de la température normale de cette latitude, et provenant con—
séquemment de quelque source méridionale, s’achemine vers
le nord en traversant son extrémité occidentale, et en remplis—
sant, depuis la surface jusqu'au fond, toute cette partie relati-
vement peu profonde de |’ Atlantique.
Ces études ont établi d'une manière qui n’admet pas le doute
plusieurs faits importants et d’une application générale, en ce
qui touche la géographie physique. Elles ont démontré que,
dans la nature comme dans les expériences de M. Despretz,
l’eau de la mer ne participe pas aux conditions de l’eau douce,
qui, ainsi que cela est connu depuis longtemps, atteint sa den-
sité la plus grande à 4° C.; mais, comme la plupart des autres
260 LES ABIMES DE LA MER.
liquides, l'eau de mer augmente de densité jusqu’à son point
de congélation. Elles ont fait connaître aussi que, par l'effet du
mouvement de grandes masses d’eau, de températures diffé
rentes, dans des directions diverses, on peut trouver très-rap—
prochées l’une de l’autre deux régions de l'Océan dont le fond
présente un climat fort dissemblable. Cette découverte et celle
d’une vie animale abondante à toutes les profondeurs ont une
portée des plus sérieuses pour l'étude de la distribution des
espèces et pour l'explication de certains faits de paléontologie.
La croisière du Lightning avait eu lieu dans des circonstances
si peu favorables aux recherches sérieuses, que nous convinmes
ensemble de saisir la plus prochaine occasion qui s’offrirait, de
parcourir de nouveau cette région, pour tracer les limites de ces
espaces chauds et froids, et en étudier les conditions avec plus
de soins. Le Porcupine ayant été mis à notre disposition l’année
suivante, le D' Carpenter et moi quittâmes Stornoway le 15 aout
1869. Cette fois-ci tout nous souriait : le temps était magni-
fique, le navire parfaitement équipé en vue de nos recherches,
et nous étions pourvus de thermomètres Miller-Casella, sur la
fidélité desquels nous pouvions compter. On trouvera à l’Appen-
dice À, à la suite de ce chapitre, un tableau des précieux relevés
thermo-métriques faits par le capitaine Calver pendant cette
expédition.
Parvenus à l'endroit où, l’année précédente, nous avions fait
notre premier sondage, nous y relevons une température de
région chaude de 7°,7 C. (station n° 46, pl. IV). Nous nous
dirigeons ensuite lentement vers les bancs de pêche des Faroer,
relevant et inscrivant successivement aux stations 47, 49 et 50 :
6°,5, 7°,6 et 7°,9 C. A 40 milles environ au S. du bane, à
la station 51, nous trouvons un abaissement sensible de tempé-
rature : le thermomètre indique 5°,6 C. à 440 brasses de pro-
fondeur; à 20 milles, en allant directement au N., un sondage
(station 52) fait par 60° 25° de latit. N., 8° 10’ de longit. O.,
avec une profondeur de 380 brasses seulement; donne un mi-
nimum de température de — 0°,8 C., qui prouve que nous
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 261
avions franchi la limite et que nous nous trouvions dans la
région froide.
Arrivés là, nous demandons au capitaine Calver de faire un
sondage en série, pour relever la température à toutes les
50 brasses de profondeur. La chose fut faite, et voici quels
en ont été les résultats :
SUMAGR Re cs ea aes go cle mn Re Me Der DU ras 11,8 C.
RAS en AT, PA ne la we ve 92
TT eee eue een LS Me 2 8,4
ON Ace su note ae moe shad shee ale ole 2700 8,0
LN aS Fos PR castes dda we dit fete 7,5
DEL) e gr Mer Pe Oe ol ee 35D
Sieh 0 lee a A LS LA a Ar SE ER ce RAS i 0,8
Seba Mae, LOND ein ghost ys Late oe ag valent 0,6
Nous avons done constaté que le minimum de température se
trouve au fond; c’est ce que nous avons trouvé pour toute
la région que nous avons étudiée, quelle que fût la température
du fond. Nous avons constaté aussi que la décroissance de la
température, de la surface jusqu’en bas, n’est point uniforme,
mais qu'après avoir eu une certaine régularité pendant
les 200 brasses qui succédaient à la couche de surface, il
survenait, de 200 à 300 brasses, un abaissement extraordinai-
rement rapide de plus de 7° C. A 300 brasses de profondeur,
le minimum de la température est à peu près atteint.
Les quelques relevés suivants (stations 53 à 59) ont été fails
dans les limites de la région froide, et nulle part la température
du fond, à des profondeurs qui variaient entre 360 et 630
brasses, ne tomba au degré de congélation de l’eau douce ; sur
un seul point (station 59), par 60° 21” de latit. N. et 5° 41’ de
long. O., l'index s'arrêta à — 1°,3 C. Le samedi 21, nous fimes
un sondage à 187 brasses, sur l’extrème bord du plateau des
Faréer, à 20 milles environ au nord de la station précédente,
qui nous donna une température de 6°,9 C., ce qui nous avertit
que nous étions sortis des limites du bassin froid.
Les deux premiers sondages qui suivirent notre départ de
Thorshaven (stations 61 et 62) se trouvèrent dans les bas-fonds
262 LES ABIMES DE LA MER.
du bane de Faréer, à 114 et 125 brasses, avec une tempéra—
ture de 7°,2 et 7°,0 C.; mais, après une course de 80 milles, la
station suivante (n°63), avec 317 brasses et 0°,9 C., nous prouva
que nous étions rentrés dans les limites de la région froide.
De ce point, franchissant le détroit dans la direction du $. E.,
vers l'extrémité septentrionale des Shetland, nous traversons la
région froide dans sa partie la plus caractérisée. A la station 64,
par 61° 21’ de latit. N. et 3° 44’ de longit. O., nous trouvons
une profondeur de 640 brasses, avec une température de fond
de — 1°,2 C. Un sondage en série nous donne des résultats
qui ressemblent beaucoup à ceux du n° 52. La température de
la surface est plus basse, et celle de la couche inférieure jusqu'à
200 brasses légèrement plus basse; à 350 brasses elle se trouva
un peu plus élevée :
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SD) DRE RER nus ME Lee eo
BOWED Ur os Ao Oe CS Lee ia 132
LY TE CR RE PTE PTE TR 6,3
SID TR Seana seep inten Spey aires 4,1
DL IEAT 22 nn Re sla Sos ale dove oie RE ie
IND ARE 32 $54) TT Ne Sates 02
DPI = ue da Ni code So CN 0,3
AUTRE LUCE. ARRNE & fe genes Ruse ots SUL ee ae ks the a 0,5
AUS EL 0 Gt, ET PR kale emake oe 0,8
EMD MER og os fue Mi Go eens LS ees, oe eee — 1,0
DD ee TUTO itu iad Se oder ie Mees == 410
fal) Sein eae to 2 ate PIRE SR ee POSE — 1,1
CADET Ce neo EME Rae PE à — 1,2
Sur ce point cependant, l'eau glacée du courant arctique, qui
remplit le fond de ce grand sillon, a tout près de 2000 pieds
d'épaisseur, et l’eau tempérée qui le recouvre a une profondeur
à peu près égale. Toutefois la moitié inférieure de cette cou-
che est à une température fort abaissée par l'effet du mélange.
La figure 55 représente le résultat général des observations
faites dans la région froide. La profondeur, à la station sui-
vante (n° 65), est de 354 brasses, annonçant l'approche des
bas-fonds de Shetland: cependant la température est encore
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 26:
basse, presque exactement à 0° C. La
station 66, à 18 milles plus loin, dans
la direction des eôtes des Shetland,
donne une profondeur de 267 brasses
avee température de fond de 7°,6 C.,
celle de la surface étant de 11°,3 C.
Nous étions sortis du sillon où coule
le courant glacé, pour passer dans les
profondeurs moindres, remplies depuis
la surface jusqu’au fond par la couche
méridionale chaude.
La série suivante de sondages, du
n° 67 au n° 75, a été faite, soit dans
les bas—fonds des Shetland, soit dans les
eaux sur le rebord du plateau, mais
pas assez profondément pour attemdre
le courant glacé. Il est assez remarqua-
ble que les deux sondages n° 68 et 69,
faits à 79 et 67 brasses à l'E. de Shet-
land, viennent donner une température
de fond de 6°,6 C., tandis qu’une série
faite à l'ouverture occidentale des Fa-—
rer a donné, à la même profondeur,
une température d'environ 8°,8 C. Cette
circonstance, réunie à d’autres dont il
sera fait mention plus tard, semblerait
indiquer qu'une nappe considérable
d’eau froide s'étend sur le lit trés-peu
profond de la mer du Nord.
Aux stations 76 à 86, qui toutes sont
situées sur les confins méridionaux de
la région froide, nous faisons des son—
dages de température dans le but de
nous rendre compte de la position de
ces limites du côté du sud; ces sondages
Fic.
55. — Sondages en série.
Station n° 64,
264 LES ABIMES DE LA MER.
sont faits tantôt un peu en deçà, tantôt un peu au delà. Leur
résultat est indiqué sur la planche IV, par le bord méridional
de l’espace ombré. Aux n° 87 à 90 nous retrouvons la ré-
sion chaude, l’eau a une profondeur de plus de 700 brasses,
et, après les premières 300 brasses, elle se maintient à une
température constante qui est de 6° à 7° C. supérieure à celle
des mêmes profondeurs dans la région froide. Un sondage
en série a été fait à la station n° 87, par 59° 35’ de latit. N.
et 9° 11’ de longit. O., avec une profondeur de 767 brasses:
elle fait un contraste complet avec la série de la station n° 64.
Le résultat de ce sondage est représenté figure 56. Après les
200 premières brasses, la température n'est relevée qu'à
chaque centaine.
Do vie ore 0e 1104 AE
LU al er eons otto mee 9,0
certe (OA 8,5
ED CUS ees nine eine cor = 8,3
D MR... ce et cate on Sule eRe: 8,2
BU ie ORNE Re re 8,4
LUN CAE SN wrayer B ip’ srs ges Neues 7,8
201, oi. MON ee 7,3
ÉD SR EE re 6,1
HER dis SPP RE PS 5,2
On verra, en jetant les yeux sur la carte, qu'il a été fait deux
séries de sondages à peu près parallèles, s'étendant depuis les
bas-fonds du côté de l'Écosse jusque sur les bords du bane de
Faréer, près de l'ouverture occidentale du canal de Farôer ;
l’une de cesséries, comprenant les stations 52, 53, 54 et 86, est
dans la région froide, tandis que l’autre, embrassant les stations
48, 47, 90, 49, 50 et 51, se trouve dans la région chaude. Il
n’y a pas de grandes différences de profondeur entre ces séries
de sondages, et rien n'indique qu'une aréte quelconque les
sépare; on ne trouve qu'une explication admissible de cette
différence marquée de deux climats sous-marins si voisins l’un
de l’autre et participant apparemment à des conditions identi-
ques. Le courant arctique qui remplit la partie la plus profonde
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 265
du canal des Faréer se trouve limité dès son entrée dans ce
détroit par la marche lente vers le nord
du courant méridional chaud. Les lignes
isothermes de la température de surface
sont légèrement mais constamment dé-
primées dans les bas-fonds qui existent
le long de la côte occidentale de la
Grande-Bretagne. Ceci vient, je crois,
du courant froid des Farôer, dont une
partie s'échappe dans cette direction, se
trouve maintenue près des côtes par le
courant chaud, puis s'écoule graduel-
lement, vers le sud, mélangée et étendue
de manière à ne se trahir que par cette
légère influence sur les lignes isother-
mes. Le premier dessin (fig. 55) repré-
sente la distribution de la température
dans la région froide, et le second
(fig. 56) la distribution dans la région
chaude. Dans le dessin fig. 57 les ré—
sultats de la série de sondages portant
les n° 52, 64 et 87 sont traduits en
courbes. En rapprochant ces dessins, il
ressortira que pendant les 50 premiéres
brasses, il se fait un rapide abaissement
de près de 3° C. A la station 64, qui est
située beaucoup plus au nord que les
deux autres, la température de la sur-
face est plus basse, de sorte que le total
de l’abaissement, qui est à peu près le
méme dans les trois stations, commence
plus bas à celle-ci. La température de
la surface est produite sans aucun doute
par la chaleur directe du soleil, et le
premier et brusque abaissement est dû
Fic.
56. — Sondages en série.
Station ne 87.
266 LES ABIMES DE LA MER.
à la prompte décroissance de cette cause immédiate. Dans les
trois sondages, la température ne s’abaisse que très-peu de
50 à 200 brasses, et demeure considérablement au-dessus de
la température normale de l'Océan à ce parallèle de latitude;
à la profondeur de 200 brasses cependant, la divergence
entre les courbes de la région chaude et celles de la froide
devient on ne peut plus marquée. La courbe de la région
chaude, n° 87, témoigne d’une chute d’un demi-degré à peine
à 900 brasses, et d’un peu moins d’un degré à 767 brasses,
c'est-à-dire au fond. Entre 200 et 300 brasses, les courbes de
la région froide passent de 8° C. à 0° C., ne laissant plus qu’un
seul degré d’abaissement graduel pour les 300 brasses sui-
vantes. La température de la convexité que dessinent les
courbes de la région froide entre 50 et 200 brasses se rap-
proche tellement de celle de la réguliére concavité de la courbe
de la région chaude, qui part de la surface pour arriver presque
jusqu'au fond, qu il est naturel de l’attribuer à la même cause.
Nous supposons done qu’une couche mince du Gulf-stream,
savancant lentement vers le nord, recouvre dans la région
froide une couche glacée qui produit la grande et subite dé-
pression des courbes, tandis que dans la région chaude ce cou-
rant froid n'existe pas et le Gulf-stream coule jusqu’au fond.
En suivant la région chaude dans la direction du sud, le long
des côtes de l'Écosse, depuis l'entrée du détroit de Farüer, on
découvre que l’espace qui s’étend entre les Farôer, la pointe
de Lews et Rockall, est une sorte de plateau qui a une profon-
deur de 700 à 800 brasses, et il nous est permis de conclure
par analogie, bien que cette région n'ait pas encore été étudiée,
que la température du fond n’y est pas inférieure à 4°,5 C. Pre-
nant son point de départ à Rockall, une grande vallée s'étend
entre le vaste bas-fond dont le point culminant est le rocher
isolé de Rockall et la côte occidentale de l'Irlande; elle va
ensuite se confondre avec le bassin de l'Atlantique du Nord.
La température de cette vallée océanique a été étudiée avec
grand soin pendant la première et la seconde croisière du Por-
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 267
cupine en 1869, et les recherches ont produit des résultats
si uniformes pour la région tout entière, qu'il serait superflu
et les iles Farüer.
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d'énumérer en détail les différences insignifiantes qui peuvent
exister entre ses divers points. Ces variations n’affectent que la
268 LES ABIMES DE LA MER.
couche de surface de l’eau, et dépendent uniquement des diffé
rences de latitude. Dans les profondeurs, la température s’est
montrée la même partout. Pendant la première croisière, et
sous la direction scientifique de M. Gwyn Jeffreys, le capitaine
Calver fit une première série de sondages entre Lough Swilly
et Rockall. C’est au milieu du détroit qu'on a trouvé la plus
grande profondeur, 1380 brasses; un sondage fait sur ce point,
par 56° 24 de latit. N. et 11° 49’ de longit. O., a indiqué une
température de fond de 2°,8 C. Un peu au sud de Rockall, une
profondeur de 630 brasses (n° 23) a donné une température de
6°,4 C., presque identique à celle de la même profondeur dans
la région chaude qui se trouve à la hauteur de l’ouverture du
détroit des Farôer ; un sondage à 500 brasses, qui faisait partie
d’une série faite à la station 21, avec une température de fond
de 2°,7
élevée d’un peu moins d’un degré que celle de la même pro-
C. à 1476 brasses, indiqua 8°,5 C., température plus
fondeur à la station 87. A la station 21, la température a été
relevée à intervalles de 250 brasses.
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TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 279
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DE LA SURFACE.
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TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS.
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ET POSITION.
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295
TEMPERATURE
DE LA SURFACE.
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2U( ABIMES DE LA MER.
APPENDICE B
Température de la mer à différentes profondeurs, près des limites orien-
tales du bassin de l'Atlantique du Nord, constatée par des sondages
en séries et par des sondages de fond,
SONDAGES EN SÉRIES, SONDAGES DE
TEMPÉRATURE.
I
Sér. 23. Sér. 49. 1Sér. 22. | Sér. 19. |Sér. 20. |Sér. 21. Sér. 38
PROFONDEUR.
NUMÉROS
DES STATIONS.
PROFONDEUR.
DE LA SURFACE.
DU FOND,
TEMPÉRATURE
TEMPÉRATURE
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cent. ; cent. | cent. cents (cents Ml icenteal|: | * rien cent. cent.
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Brasses.
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s
18,6
TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 297
APPENDICE C
Rapport entre l'abaissement de la température et l'accroissement de la
profondeur. Observations faites à trois stations sous des latitudes dif-
férentes, mais toutes sur les limites orientales du bassin de l’Atlan-
tique.
STATION 42: STATION 23. STATION 87.
Latit. 49° 12’. Latit. 56° 13’. Latit. 59° 35’.
PROFONDEUR.
TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE. TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE, || TEMPÉRATURE. | DIFFÉRENCE.
Brasses.
Surface.
100
200
300
298
LES ABIMES DE LA MER.
APPENDICE
D
Température de la mer à différentes profondeurs, dans les régions
chaudes et dans les régions froides, entre le nord de l'Écosse, les îles
Shetland et les îles Farüer, constatée par des sondages en séries et par
des sondages de fond.
N, B. — Les chiffres romains indiquent les températures observées par le Lightning,
RÉGION CHAUDE.
SÉRIE 87.
CPR B <
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5 = A =
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Brasses,| cent Brasses.
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81. 142
450 | 83 | 84.1 455
85. 190
200 8,2
74, 203
300 | 8,1
50, 309
46, 314
400 7,8
89. 445
90. 458
49, | 475
500 | 7,92
KITS 530
Al. 542
EVE 570
600 | 6,1
XVII 620
XIV 650
700
88. 705
767 | 5,2
SURFACE.
TEMPERATURE
DE LA
Degrés
cent.
TEMPERATURE
DU FOND.
Degrés
cent.
déduction faite de l'écart produit par la pression.
RÉGION FROIDE.
SÉRIE 64. |SER.52
a
Z 3 3
Spe AG ome Oe >
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Degrés | Degrés
Brasses.| cent. cent. .
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150 | 6,2 | 8,0
200 4,2 7,9
250 1,2 3,0
300 32 |—0,7
350 |—0,3
384 —0,8
400 |—0,6
450 | —0,8
500 | 1,1
550 | —1,1
600 | -—1,2
640 | —1,4
NUMÉROS
DES STATIONS.
PROFONDEUR.
Brasses.
TEMPÉRATURE
DE LA SURFACE.
Degrés
cent.
TEMPÉRATURE
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Degrés
cent.
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TEMPÉRATURES DES GRANDES PROFONDEURS. 249
APPENDICE E
Températures intermédiaires provenant du mélange des courants
chauds et des courants froids, sur les limites des régions chaudes
et des régions froides.
NUMÉROS
DES
STATIONS.
PROFONDEUR.
Brasses.
TEMPÉRATURE.
TT
SURFACE. FOND.
o
MIC) 930:
1122 9,3
11,5 9,3
NUMÉROS
DES
STATIONS.
PROFONDEUR.
Brasses.
250
290)
‘
912
902
TEMPÉRATURE.
= ———_—
SURFACE. FOND.
10,8C.[ 5,5 C.
CHAPITRE VII
LE GULF-STREAM
Théâtre des recherches faites sur Ja température par le Porcupine. — Les températures
basses sont constantes dans les grandes profondeurs. — Difficultés de l'étude des cou-
rants océaniques. -— Théorie soutenue par le capitaine Maury et par le Dr Carpenter
d'une circulation océanique générale. — Opinion énoncée par sir John Herschel.
— Point de départ et développement du Gulf-stream. — Théorie du capitaine Maury,
du professeur Buff, du D' Carpenter. — Le Gulf-stream sur les côtes de l'Amérique
du Nord. — « Sections » du professeur Bache. — Trajet du Gulf-stream, indiqué par la
température de la surface de l'Atlantique du Nord. — Théorie de M. Findlay. —
Cartes de température du Dt Petermann. — Point de départ de l’eau froide sous
marine. — Contre-courants arctiques. — Courants antarctiques. — Distribution ver-
ticale de la température dans le bassin de l'Atlantique du Nord.
Toutes les études relatives à la température de la mer faites
sur les navires le Lightning et le Porcupine pendant les
années 1868, 1869 et 1870, si l’on en excepte une série d’ob-
servations qui ont été faites dans la Méditerranée pendant l'été
de 1870, sous la direction du D" Carpenter, sont comprises dans
un espace de 2000 milles anglais de longueur sur 250 de
largeur, commençant un peu au delà des îles Farôer,
par 62°30! de latitude N., et se prolongeant jusqu’au détroit
de Gibraltar, à 36° de latitude N.
La plus grande partie de cette zone forme la limite orien—
tale de l'Atlantique du Nord et côtoie l'Europe occidentale.
Un espace restreint, mais des plus intéressants, forme le canal
qui sépare les îles Farôer du nord de l'Écosse : c’est une des
grandes voies de communication entre le nord de l’Atlantique
et la mer du Nord; aussi quelques-uns des sondages pra-
tiqués dans les bas-fonds qui sont à l’est des îles Shetland
se trouvent-ils situés dans le bassin peu profond de la mer du
LE GULF-STREAM. 301
Nord. Il est done évident que la plus grande partie, si ce m'est
la totalité de cette zone, doit participer aux causes de la dis—
tribution de la température dans l'Atlantique du Nord, et doit
tenir d’une loi très-générale les particularités qui peuvent se
présenter dans ses conditions thermales.
Pour toutes nos observations de température, si J'en excepte
le petit nombre qui ont été faites en 1868 sur le Lightning,
nous nous sommes servis de thermometres abrités contre la
pression, d’après le système du professeur Miller; chaque
thermomètre avait été soumis par le capitaine Davis à une pres-
sion équivalant à environ 3 tonnes par pouce carré, avant
d'être livré au navire; ils ont été aussi à plusieurs reprises
ramenés jusqu'au point de congélation pendant la durée de
l'expédition, pour s'assurer qu'aucun accident n’était venu
en altérer le verre. Les indications peuvent, après cela, être
acceptées avee la plus entière confiance, sauf erreurs commises
en faisant les observations, et que le soin extrème apporté par
le capitaine Calver a. réduites à un minimum des plus insi-
enifiants.
Un grand nombre d'observations isolées, dont malheureuse-
ment la plupart ont été faites à l’aide d'instruments auxquels
on ne peut accorder toute confiance pour l'exactitude des détails
(leur écart pourtant a toujours lieu probablement dans le sens de
lexagération de la chaleur), établissent ce fait très-curieux que,
bien que la température de la surface de la mer puisse monter
dans les régions équatoriales jusqu’à 30° C., aux plus grandes
profondeurs, soit dans l'Atlantique, soit dans le Pacifique, elle
ne s'élève pas au-dessus de 2° à 4°,6 C., et tombe quelquefois,
dans les très-grandes profondeurs, à 0°. J’emprunte au remar-
quable discours présidentiel de M. Prestwich à la Société
géologique pour l’année 1871, un tableau des plus importantes
de ces premières observations faites dans l'Atlantique et dans
le Pacifique ‘ :
1. Address delivered at the Anniversary Meeting of the Geological Society of London,
on the 17th of February 1871, by Joseph Prestwicu, F. R. S. Pp. 36, 37.
302
LES .ABIMES DE LA MER,
TEMPERATURES DE L’ATLANTIQUE,
TEMPERATURE.
Oe
PROFONDEUR
LONGITUDE. oe
BRASSES.
LATITUDE.
SURFACE.
OBSERVATEURS
ET DATES
DES OBSERVATIONS.
780
1400
505
1006
1200
886
1051
1074
999
92909
TEMPÉRATURES DE L'OCÉAN PACIFIQUE.
PROFONDEUR TEMPÉRATURE.
LATITUDE. LONGITUDE. en ER aes hi
BRASSENS SURFACE. FOND.
cS 0 i] 4 0 1 À ee
51 34 N. 161 41 E. 957 118 Oe 2,5 C
28 52 173 09 600 955 5,0
18 05 174 10 710 94,7 4,8
4 32 134 94 O 2045 27,2 Sil
Equateur. 179 34 1000 30,0 25
TI SS 196 O1 916 22 22
DAT 176 42 E 782 16,4 5,4
MS eT 80 06 O. 1066 13,0 2,9
Chevalier. . 1837.
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1832.
Tessan. 182410
Tessan... 48442
OBSERVATEURS
ET DATES
DES OBSERVATIONS.
Tessan. ...4802-
Beechey.. . 1828.
La Bonite.1837.
Kotzebue. . 1824.
Wenza-eeee 1834.
Tessan... 1841:
LE GULF-STREAM. 303
On peut ajouter a ces observations celles du lieutenant
S. P. Lee, appartenant au service de surveillance côtière des
États-Unis, qui, en août 1847, a inscrit une température
de 2°,7 C. au-dessous du Gulf-stream, à une profondeur de
1000 brasses, par 35° 26’ de latit. N. et 73° 12’ de longit. O., et
celles du lieutenant Dayman, qui, à 1000 brasses, par 51° de
latit. N. et 40° de long. O., trouva une température de — 0°,4,
celle de la surface étant de 12°,5 C. Ces résultats sont pleme-
ment confirmés par les récents relevés du capitaine Shortland,
de la Marine royale, qui donnèrent une température de
2°,5 C. dans les grandes profondeurs du golfe Avabique, entre
Aden et Bombay', par ceux du commandant Chimmo et du
lieutenant Johnson, de la Marine royale, qui trouvèrent sur
divers points de l'Atlantique une température d'environ 3°,9 C,
à 1000 brasses, avec un lent abaissement depuis cette profon-
deur jusqu'à 2270 brasses, où la température indiquée par des
thermomètres non abrités était de 6°,6 C., réduite par la correc-
tion à environ 1°,6 C.*; enfin par les observations faites pendant
les expéditions du Porcupine, avec les plus grands soins et au
moyen d'instruments abrités, mais qui ne se sont rapprochées
des tropiques que jusqu’à la latitude du détroit de Gibraltar :
tous paraissent s’accorder à établir ce fait, qu'il règne aux
grandes profondeurs une température à peu près uniforme, qui
se rapproche du point de congélation de l’eau douce.
Comme il est évident que les basses températures des eaux
profondes dans les régions tropicales ne peuvent être attribuées
à leur contact avec la surface de la croûte terrestre, on est ar-
rivé depuis longtemps à cette conclusion, qu’elles doivent être
causées par une circulation océanique générale, par des cou-
rants chauds de surface se dirigeant vers les pôles, pour y
prendre la place des contre-courants froids qui des pôles vont
à l'équateur. Humboldt constate qu'en 1812 il démontrait
|. Sounding Voyage of H. M. S. Hydra, captain P. F. SuorrLanp. London, 1869.
2. Soundings and Temperatures in the Gulf-stream. By Commander W. Camo, R. \.
(Proceedings of the Royal Geographical Society, vol. MIL)
304 LES ABIMES DE LA MER.
déjà que «la basse température dans les grandes profondeurs
des mers tropicales ne pouvait avoir pour cause que les cou-
rants des pôles à l'équateur ' ».
D’Aubuisson attribuait aussi, en 1819, la basse température
des grandes profondeurs, sous l'équateur, ou dans son voisi-
nage, aux Courants venus des pôles *.
Mais, bien que le fait de l'existence de courants froids qui
abaissentla température de l’eau dans les grandes profondeurs
des régions équatoriales füt accepté par de nombreuses auto-
rités en matière de géographie physique, les causes de cette
circulation demeuraient entourées d’obseurité. La doctrine
dont nous avons déjà fait mention, d'une température égale,
permanente et universelle de 4° C., régnant au delà d’une
certaine profondeur, est venue plus tard compliquer et obs-
curcir encore cette question, dont l’étude n’a été reprise qu’à
l’époque où le séduisant ouvrage du capitaine Maury sur la
Géographie physique de la mer est venu donner un stimulant
extraordinaire à l'étude de cette branche de la science.
La position géographique et les grandes facilités qu'il offre
pour l’étude des innombrables données se rattachant à un pa-
reil sujet, ont fait tout naturellement tomber sur le bassin
de l’Atlantique du Nord, le choix de ceux qui désiraient sy
livrer; les particularités de climat y sont aussi nettement
marquées et aussi extrèmes dans leur caractère que l’espace
où elles se manifestent est limité dans son étendue.
I] semble, au premier abord, assez singulier qu’il puisse y
avoir place pour l'erreur au sujet des causes, des sources et de
la direction des courants qui, traversant l'Océan dans notre
voisinage immédiat, ont une influence des plus directes sur
notre économie et sur notre bien-être. Leur étude présente
pourtant de grandes difficultés. Certains courants sont suffi
samment visibles et marchent avec une vitesse et une force qui
1. Fragments de géologie et de climatologie asiatiques. 1831.
2. Traité de géognosie. — Quoted in the Anniversary Address to the Geological
Society of London, 1871.
LE GULF-STREAM. 305
les font aisément découvrir et rendent relativement facile la
mesure de leur volume et la détermination de leur trajet. Mais
les grands mouvements de l'Océan, ceux qui produisent les ré
sultats les plus importants par les modifications de température
et de climats, ne sont pas, parait-il, de même nature; ils s’ache-
minent au contraire si lentement, que leur mouvement de sur-
face est constamment dissimulé par la dérive due à des vents
variables, qui neutralisent ainsi l'influence qu'ils pourraient
avoir sur la navigation.
Le trajet et les limites de pareils cours d’eau ne peuvent se
déterminer qu'au moyen du thermomètre. Par suite des phé-
nomenes de la diffusion et du mélange, l’uniformité de tem-
pérature de masses d'eau en contact les unes avec les autres,
et inégalement échauffées, s’accomplit avec une lenteur qui
permet généralement de distinguer entre eux, sans trop de dif-
ficultés, les courants qui proviennent de sources différentes.
Jusqu'à l’époque actuelle, on avait peu cherché à étudier,
au moyen du thermomètre, la profondeur et le volume des
courants : ceux qui sont profonds étaient inconnus pour la
plupart; la limite des courants de surface avait seule été
déterminée avec une grande précision, par l’étude de la tem-
pérature de la surface de Océan, quand même la lenteur de
leurs mouvements les rendait presque imperceptibles.
La somme de chaleur venant directement du soleil peut
ètre calculée approximativement; elle dépend de la latitude
seule, et s'ajoute à celle des eaux de la surface, de quelque
source que cette dernière provienne. Ainsi les observations de
la température de surface nous indiquent la somme de chaleur
reçue directement du soleil dans la région même, puis la somme
de chaleur émanant de la même source et recue pendant le
trajet de l’eau à la région observée, ajoutées à la somme de
chaleur de l’eau elle-même. Si done l’eau d’une région quel-
conque est dérivée ou fait partie d’un courant de provenance
polaire, et si l’eau de surface d’un autre espace situé sur le
mème parallèle de latitude fait partie d’un courant équatorial,
20
306 LES ABIMES DE LA MER.
bien que la somme de la chaleur solaire recue à cette latitude
soit la mème pour tous deux, il y aura une différence sensible
dans leur température. Citons un exemple pris dans un cas
extrème : la température moyenne de la mer, au mois de
juillet, à la hauteur des Hébrides, par 58° de latit. N., sur le
trajet du Gulf-stream, est de 13° C., pendant qu'à la mème
latitude, sur la côte du Labrador et sur le trajet du courant
du Labrador, elle est de 4°,5 C.
La distribution de la température de surface dans l'Océan
Atlantique du Nord est certainement très-exceptionnelle. Un
coup d'œil jeté sur la carte (pl. VIL) qui représente la distri-
bution générale de la chaleur pour le mois de juillet, nous
fait voir que les lignes isothermes pour ce mois-là, lom de
tendre à suivre la direction des parallèles de latitude, forment
des séries de courbes allongées, dont quelques-unes se pro-
longent jusque dans la mer Arctique.
La température des terres qui avoisinent la mer n'est
qu'imperceptiblement influencée par la radiation directe de
la mer, mais elle subit à un haut degré l’action des vents
régnants. Sans nous occuper du point, plus important encore,
de l'égalité de la température de l'été et de l'hiver, remar-
quons que la température moyenne annuelle de Bergen, située
par 60° 24 de latit. N., mais soumise à l'influence bienfai-
sante du vent régnant de sud-ouest, qui lui arrive après avoir
soufflé sur les eaux tempérées du Nord-Atlantique, est de
6°,7 C., tandis que celle de Tobolsk, par 58° 13’ de latit. N.,
est de — 2°,4 C.
Mais la température de l'Atlantique du Nord et de son lit-
toral n’est pas supérieure seulement à celle des localités con-
tinentales situées sur le même parallèle de latitude, elle Vest
aussi à celle de localités de l'hémisphère méridional placées
dans des conditions selon toute apparence identiques : ainsi la
température moyenne annuelle des îles Farôer, à 62° 2° N., est
de 7°,1 C., à peu près la même que celle des iles Falkland,
à 52° de latit. S., qui est de 8°,2 C.; et la température de
Puancne VII.—Carte Physique de l’ Atlantique septentrional, montrant les profondeurs, et la distribution
générale de la température pendant le mois de Juillet.
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LE GULF-STREAM. 307
Dublin, à 53° 21’ N., est de 9°,6 C., tandis que celle de Port-
Famine, à 58° 8’ S., est de 5°,3 C. De plus, la température
élevée de l'Atlantique du Nord n’est pas également distribuée,
mais elle se fait sentir d’une manière très-marquée sur les
côtes nord-est : ainsi la température moyenne annuelle d’Ha-
lifax (Nova Scotia), par 44° 39’ de latit. N., est de 6°,2 C.,
tandis que celle de Dublin, à 53° 21’ de latit. N., est de 9°,6 C.,
et que celle de Boston (Massachusetts), par 42° 21’ de latit. N.,
est exactement la méme que celle de Dublin.
Ce remarquable écart de leur direction normale que font
les lignes isothermes est du à l'influence des courants océa-
niques qui agisseut sur la température de la surface en trans—
portant les eaux chaudes des tropiques vers les régions
polaires, d’où un contre-courant froid sous-marin non inter-
rompu vient remplir le vide qu'elles laissent.
Nous arrivons ainsi à cette conclusion bien connue, que la
température des eaux qui baignent les plages situées au nord-
est de l’Atlantique du Nord est élevée bien au-dessus de son
degré normal par des courants qui amènent un échange entre
les eaux tropicales et les mers polaires; les terres littorales
de l’Atlantique du Nord participent à cette amélioration de
climat par la chaleur que ces eaux communiquent aux vents
qui y règnent. |
L’Atlantique du Nord n’est pas seul à jouir de ce privilége,
bien que, par sa configuration particulière et par l’action qu'il
exerce sur ses plages, il présente l'exemple le plus frappant du
phénomène dont nous venons de décrire les effets. Une série
correspondante de courbes un peu moins accentuées longe la
côte orientale de l'Amérique du Sud, et une autre, des plus
accusées, occupe l'angle nord-est du Pacifique, à la hauteur
des iles Aléoutiennes et de la côte de Californie.
Deux avis se sont élevés sur les causes des courants de l'At-
lantique du Nord. L’un d'eux, émis et formulé pour la pre-
mière fois, d’une manière précise, par le capitaine Maury,
ensuite soutenu un peu vaguement par le professeur Buff,
308 LES ABIMES DE LA MER.
affirme que les grands courants et contre-courants chauds ou
froids sont produits par une circulation de l'enveloppe aqueuse
du globe, semblable à celle de son enveloppe atmosphérique,
c’est-à-dire par la chaleur tropicale, par l’évaporation qui en
résulte et par le froid arctique.
Il n’est pas facile de bien comprendre les idées du capitaine
Maury. Il attribue l'existence de tous les courants océaniques
aux différences de pesanteur spécifique. « Si nous en excep-
tons, dit-il, les courants partiels de la mer, tels que ceux qui
sont formés par l'influence des vents, nous pouvons accepter
comme règle que tous les courants de Océan doivent leur ori-
gine aux différences de pesanteur spécifique qui existent entre
l’eau d’une localité et celle d’une autre mer; car partout où
il y a une différence de cette nature, qu’elle soit un effet de la
température, du degré de salure de l’eau, ou de toute autre
cause, cette différence, en rompant l'équilibre, donne naissance
aux courants '. » Ll attribue ces différences de pesanteur spéci-
fique à deux causes principales : aux différences de température
et à l’excès de salure produit par l’évaporation. Pour expliquer
sa théorie sur la première de ces causes, le capitaine Maury
cite un exemple : « Supposons, dit-il, que toute l’eau contenue
entre les tropiques, jusqu’à la profondeur de 100 brasses, se
trouve tout d’un coup transformée en huile; léquilibre des
eaux de notre planète en sera rompu, et nous verrons naître
un système général de courants et de contre-courants : l'huile,
se maintenant à la surface, se dirigera vers les pôles sous
forme de nappe ininterrompue, et l’eau, en contre-courant
sous-marin, prendra sa direction vers l’équateur. Admettons
qu'alors l'huile arrivée dans le bassin polaire reprenne sa
première forme, et que l’eau, en traversant les tropiques du
Cancer et du Capricorne, se change en huile, s'élève à la sur—
face dans les régions intertropicales et reprenne le chemin des
poles. L'eau froide du nord, l’eau chaude du golfe du Mexique
1, The Physical Geography of the Sea, and its Meteorology. By M. T. Maury, L. L. D.
LE GULE-STREAM. 209
rendue spécifiquement plus légère par la chaleur tropicale,
présentant un système tout semblable de courants et de contre-
courants, ne sont-elles pas semblables dans leurs rapports
réciproques à l’eau et à Vhuile'? »
Il n’est pas douteux que la conclusion de Maury ne soit
que les eaux intertropicales dilatées par la chaleur et celles des
régions polaires contractées par le froid ne produisent un cou-
rant de surface de l'équateur aux pôles, et un courant pro-
fond des pôles à l'équateur *.
Quant à l'augmentation de pesanteur spécifique attribuée
à l'excès de salure, voici ce que dit le capitaine Maury :
« La salure de l'Océan assainit la terre; c’est à elle que la
mer doit sa puissance dynamique, et ses courants leur prin—
cipale foree *. L'un des buts, qu'il entrait sans doute dans le
grand plan de la Création d'atteindre en faisant les mers
salées plutôt que douces, c'était de donner à leurs eaux assez
de force et de puissance pour que leur circulation fut com—
plète *. Dans l’état actuel de nos connaissances, en ce qui touche
ce prodigieux phénomène, car le Gulf-stream est certainement
une des choses les plus merveilleuses de Océan, nous n’en
sommes guère encore qu'aux conjectures; nous cennaissons
pourtant quelques-unes des causes actives auxquelles nous
pouvons Vattribuer avec quelque assurance. Une de celles-ci,
c’est l'augmentation de salure des eaux, après l'absorption par
les vents alizés des vapeurs qui s’en dégagent, que cette ab-
sorption soit considérable ou faible. L'autre est la petite quan-
tité de sel contenue dans la Baltique et dans les autres mers
septentrionales *. lei nous avons la mer des Caraïbes et le golfe
du Mexique, dont les eaux sont une véritable saumure, et de
l’autre côté, le grand bassin polaire, la Baltique et la mer du
1. Captain MAURY, op. cit.
2. On Ocean Currents. Part III. On the Physical Cause of Ocean Currents. By James
Crow, of the Geological Survey of Scotland. (Philosophical Magazine, October 1870.)
3. Captain Maury. Op. cit.
4. Id., ibid.
5. Id., ibid.
310 LES ABIMES DE LA MER.
Nord, dont les deux dernières sont à peine saumâtres. L'eau est
pesante dans les premiers de ces bassins maritimes, dans les
autres elle est légère. L’étendue de l'Océan les sépare, mais
l'eau cherche et conserve son niveau; ne découvrons-nous pas
là une des causes du Gulf-stream '? »
Ainsi que M. James Croll l’a démontré avec une grande
clarté, les deux causes invoquées par le capitaine Maury doivent
avoir pour effet de se neutraliser réciproquement.
«Il est parfaitement évident que si la différence de tem—
pérature doit se combiner avec la différence de salure pour
produire les courants océaniques, les eaux les plus salées,
c’est-à-dire les plus denses, se trouveront dans les régions po-
laires, et les moins chargées de sel, c’est-à-dire les plus légères,
seront dans les espaces équatoriaux et intertropicaux. L'eau la
plus salée se trouvant à l’équateur et la plus douce aux pôles,
l'influence de la chaleur serait neutralisée, et l'existence de
courants résultant des différences de température rendue im-
possible, » Suivant ces deux théories, ce sont les différences
de densité entre les eaux équatoriales et les eaux polaires qui
produisent les courants : seulement lune donne aux premières
moins de densité, tandis que suivant l’autre elles sont plus
pesantes que les polaires. L’une ou l’autre de ces théories peut
être la vraie, ou toutes deux se trouver fausses, mais il est
logiquement impossible qu'elles soient justes l’une et l’autre,
par cette simple raison que les eaux de l’équateur ne sauraient
se trouver à la fois plus légères et plus lourdes que celles des
pôles. Tant que ces deux causes continueront à agir, aucun
courant ne pourra se produire, à moins que la puissance de
l'une n'arrive à surpasser celle de l’autre, et alors le courant
produit n’existera que dans la proportion exacte de cet exeé—
2
oD)
dant de puissance
Il serait inutile d’entrer dans d’autres détails sur la théorie
des courants océaniques exposée par le capitaine Maury; ce
1. Captain MAURY, op. cil.
2. James CROLL, op. cit.
LE GULE-STREAM. 314
travail est remarquable surtout par son ambiguité et par la
facture agréable et familière du style. Mon collègue et ami
le D' Carpenter vient de mettre en évidence et sous une forme
bien arrêtée une théorie qui parait être la même, avec quel-
ques modifications.
Dans l'excellent petit volume sur la Physique du globe, le
professeur Buff dit, à propos des mouvements de la couche
d’eau froide qui vient des mers polaires et garnit le fond de
l'Océan des tropiques : « Une expérience bien connue démontre
d'une manière frappante comment se produit ce mouvement.
On remplit un vase de verre d’une eau qu'on a mélangée d’une
poussière quelconque, puis on en fait chauffer le fond. On voit
bientôt, aux mouvements des particules, que des courants se
forment dans des directions différentes au travers du liquide.
L'eau chaude s'élève au centre du vase et se répand sur toute
la surface, pendant que celle qui est plus froide, et consé-
quemment plus pesante, retombe autour de la circonférence.
Des courants semblables doivent exister dans tous les bassins
et même dans les océans, pour peu que différentes parties
de leurs surfaces soient irrégulièrement chauffées*. »
Ceci n’est qu'une simple expérience d'école pour démontrer
le mouvement dû à la chaleur. Il est évidemment impossible
que les courants de l'Océan se produisent de cette manière-là,
car chacun sait que partout, excepté dans quelques rares
régions du bassin polaire, la température de la mer décroit
depuis la surface, et atteint son minimum au fond, et que la
chaleur tropicale ne se fait sentir qu'à la surface. On se de-
mande comment cet exemple, étranger à la question, a pu être
invoqué par le professeur Buff, dont l'explication de l’origine
et de la marche du Gulf-stream, ce type des courants océa—
niques, est parfaitement conforme aux idées reçues.
|. Familiar Letters on the Physics of the Earth; treating of the chief Movements of the
Land, the Water and the Air, and the Forces that give rise to them. By Henry Burr, pro-
fessor of Physics in the University of Giessen. Edited by A. W. Hofmann, Ph. D. F.R.S.
London, 1871.
312 LES ABIMES DE LA MER.
Après avoir étudié les relevés de température de lexpédi-
tion du Porcupine en 1869, le D' Carpenter parait s'être con-
vaincu que la masse d’eau relativement chaude de 800 brasses
de profondeur, dont nous avions affirmé Vexistence, et qui
parait se mouvoir dans la direction du nord-est, le long des
côtes de la Bretagne et de la péninsule lusitanienne, ne peut
être un prolongement du Gulf-stream, mais doit avoir pour
cause la circulation générale des eaux de l'Océan, comparable
à la circulation atmosphérique.
« L'influence du Gulf-stream même (et par là nous enten—
dons désigner la masse d’eau chaude qui se fait jour à travers
les détroits du golfe du Mexique), si elle s'étend jusqu'à ces
parages, ce qui est fort douteux, n’en pourrait atteindre que
la couche la plus superficielle; on peut en dire autant du
courant dérivé produit par la fréquence des vents du sud-
ouest, auquel on a souvent attribué les phénomènes dus au
prolongement du Gulf-stream dans ces régions. La présence
de la masse d’eau qui se trouve entre 100 et 600 brasses, et
dont la température varie de 48° (8°,85 C.) à 42° (5°,5 C.), ne
peut guère s’expliquer que par Vhypothése d'un grand mou-
vement général des eaux équatoriales vers les espaces polaires,
courant dont le Gulf-stream constitue une partie, modifiée par
certaines conditions locales. De même le courant arctique qui
coule sous les couches superficielles chaudes, dans notre espace
froid, constitue une branche spéciale modifiée par les condi-
tions locales d’un grand courant général des eaux polaires vers
les espaces équatoriaux, qui abaisse la température des parties
les plus profondes des grands bassins de l'Océan, presque jus-
qu'au point de congélation. »
Au début, le D" Carpenter parait avoir considéré cette
circulation océanique comme un cas de simple transport de
la masse aqueuse. « À quoi peut-on alors attribuer le courant
au nord-est de la couche supérieure chaude de Atlantique du
1. A Lecture delivered at the Royal Institution, abstracted with the Author’s signature
in Nature, vol. I, p. 488 (March 10th, 1870.)
LE GULF-STREAM. 313
Nord? J'ai essayé de démontrer qu'il fait partie de léchange
qui a lieu entre les mers polaires et les mers équatoriales ;
il est entièrement soustrait aux influences locales, telles que
celles que produit le Gulf-stream mème, et met en mouve-
ment des masses d’eau bien autrement larges et profondes que
celles que transporte celui—ci.
La théorie physique et l’observation même donnent une
double preuve de cet échange. Un mouvement pareil doit né-
cessairement se produire, ainsi que l’a depuis longtemps indiqué
le professeur Buff, toutes les fois qu’une masse d’eau d’étendue
considérable est chauffée dans une de ses parties et refroidie
dans une autre: c’est sur ce principe qu'est basé le chauffage
des appartements par l'appareil à eau chaude. [la été admira-
blement démontré, il y a quelques mois, à [Institution Royale,
par l’expérience suivante, dont M. Odling m'a obligeamment
préparé les éléments. « Le D" Carpenter décrit alors Vexpé-
rience du professeur Buff sur les mouvements d’une masse li-
quide, la chaleur étant appliquée au moyen d’un jet de vapeur
introduit verticalement à l’une des extrémités d’un étroit auget
de verre, pendant qu'un morceau de glace était fixé à l’autre. »
Dans cette expérience on peut constater que la cireulation avait
lieu dans la cuve par suite de Papplication de la chaleur à
l’une de ses extrémités et du froid à l’autre; l’eau chaude cou-
lait à la surface, de l'extrémité chaude à l’extrémité froide, et
l’eau refroidie coulait au fond, de l'extrémité froide à l’extré-
mité chaude. C’est ainsi, dit-on, que les eaux équatoriales eir-
culent à la surface dans la direction des pôles, et que les eaux
polaires retournent à l'équateur en rasant le fond, lorsque ces
courants ne sont ni interrompus par des obstacles, ni arrètés
par des courants contraires et accidentels, produits par des
causes locales '.
I a été démontré qu'un pareil courant re peut s'expliquer
par cette hypothèse. Le D" Carpenter, faisant une conférence
1. The Gulf-stream. A letter from D* Carpenter tothe Editor of Nature, dated
Gibraltar, August 11th, 1870. (Nature, vol. IL, p. 334.)
ol LES ABIMES DE LA MER.
à la Société royale de géographie et supposant deux bassins,
l'un dans les conditions équatoriales, et l’autre dans les condi-
tions polaires, réunis par un détroit", dit: « L'effet de la chaleur
de la surface sur Peau du bassin tropical sera, pour la plus
grande partie, limité à sa couche supérieure, et nous pouvons
n'en pas tenir compte. Mais l'effet du froid de la surface
sur l’eau du bassin polaire sera de réduire la température de
la masse entière au-dessous du point de congélation de l’eau
douce : la couche de surface s’enfoncera en se refroidissant, à
cause de la diminution de son volume et de l'accroissement de sa
densité; elle sera remplacée par une eau qui n'aura pas encore
atteint ce même degré de refroidissement. Cette eau plus chaude
ne remontera pas du fond; c’est de la surface des espaces en-
vironnants qu'elle sera attirée dans le bassin polaire, et comme
il faut bien que celle qui est ainsi attirée soit remplacée par
d’autres eaux venant d’une distance plus grande encore, le re-
froidissement continuel de la couche de surface du bassin
polaire fera avancer des masses d’eau depuis les régions tro—
picales, à travers les espaces océaniques qui les séparent. »
Plus loin le D' Carpenter ajoute : « On voit par là que Vappli-
cation du froid à la surface est précisément l’équivalent, comme
force motrice, de l’application de la chaleur au fond; c'est le
principe sur lequel est établie la circulation de l’eau dans de
nombreux appareils de chauffage. Il n’est pas douteux que
l'application du froid à la surface d’une masse d’eau dont la
température était primitivement uniforme, ne produisit le même
effet que celle de la chaleur au fond, et dans les deux cas nous
aurions un exemple du mouvement simple, la couche inférieure
plus chaude s’élevant à la surface au travers d’une couche
supérieure froide. Mais ce n’est point là ce qui se passe dans les
mers polaires, car la température de la mer Aretique s’abaisse
graduellement après les quelques brasses qui se trouvent immé-
1. Onthe Gibraltar Current, the Gulf-stream, and the general Oceanic Circulation.
By De W. B. Carpenter, F. R. S. Reprinted from the Proceedings of the Royal Geogra-
phical Society of London, 1870.
LE GULF-STREAM. 915
diatement au-dessous de la surface jusqu'au fond, où elle atteint
sa température minimum avee la densité maximum qui en
résulte. Ainsi, dans ce cas, l'application du froid à la surface
n'équivaut pas à l'application de la chaleur au fond d’un appa-
reil de chauffage, et le D' Carpenter a prouvé qu'il s’en doutait,
en supposant le trajet inverse d’un courant de surface.
Qu'il se produise un certain accroissement de pesanteur spé-
eifique par le refroidissement d’une mince couche superficielle
de l'océan Arctique, cela n’est guère douteux : mais l’étendue
où cet effet maximum se produit est très-limitée ; pendant le
long hiver arctique, la plus grande partie de cet espace est pro-
tégée par une épaisse couche de glace, corps très-mauvais
conducteur du calorique.
Cette cause me parait donc tout à fait insuffisante à produire
un puissant courant d’une profondeur énorme, de 6000 milles
de longueur et de plusieurs milliers de milles de largeur; c’est
pourtant là l'effet que le D' Carpenter lui attribue.
Pendant l'été de 1870, puis en 1871, le D' Carpenter a fait
une série d’études sur le courant du détroit de Gibraltar. L’exis-
tence d’un courant sous-marin sortant de la Méditerranée pa-
rait avoir été parfaitement établie, et les conclusions auxquelles
on est arrivé sur ces causes ne différent pas sensiblement de
celles qui étaient généralement admises. Le D' Carpenter croit
cependant que les conditions du détroit de Gibraltar et celles
du Sund dans la Baltique sont une démonstration exacte de
la circulation océanique, et confirment pleinement ses théories
sur ce sujet.
J’emprunte les passages suivants au résumé du discours du
D° Carpenter à la Société de géographie :
« Voici quelle est application des prineipes qui précèdent
aux cas particuliers qui sont étudiés dans ce travail :
» VIT. Un courant engendré dans le détroit de Gibraltar
par l’évaporation de la Méditerranée supérieure à la quantité
d'eau douce se déversant dans son bassin, abaisse le niveau
et accroit la densité de cette mer; de telle sorte qu'un cou-
316 LES ABIMES DE LA MER.
rant salé de surface S'y introduit et en relève le niveau; le
poids du sel contenu exeède le poids de l’eau douce enlevée
par l’évaporation. Ce courant détruit l’équilibre de la Médi-
terranée, et produit un courant profond sortant, qui, à son
tour, en abaisse le niveau. On peut affirmer que la même
chose se passe dans le détroit de Bab-el-Mandeb.
» IX. Une circulation verticale existe dans le Sund de la
Baltique, produite par la surabondance d’eau douce intro—
duite dans cette mer; cette masse liquide élève le niveau et
diminue la densité de facon à produire un courant de surface
du dedans au dehors. La colonne d’eau du côté de la Baltique
étant la plus légère des deux, il faut nécessairement qu'un
courant profond du dehors au dedans vienne rétablir Véqui-
libre. On peut être certain que le Bosphore et les Dardanelles
présentent des phénomènes semblables.
» X. D’après les mêmes principes, la circulation verticale
ne peut pas manquer d'exister entre les eaux polaires et les
équatoriales, produite par la différence de leurs températures.
Le niveau des mers polaires doit être diminué et leur densité
accrue par /e froid auquel leur surface est soumise : cet abaisse-
ment de température imprime un mouvement de descente à
chacune des couches successives qui y sont tour à tour expo-
sées; le niveau des mers équatoriales doit être élevé, et leur
densité diminuée par la chaleur qui agit à leur surface. La
première de ces actions est de beaucoup la plus puissante, puis-
quelle se fait sentir sur toute la masse profonde des eaux,
tandis que la seconde ne produit d'effet sensible que sur la
couche superficielle. Cest ainsi qu'un mouvement de l’équa-
teur aux poles est imprimé à la couche supérieure de l'Océan,
tandis que’ses couches inférieures sont attirées des pôles à
l'équateur. »
La doctrine de mon savant collègue, si toutefois je lai bien
comprise, me parait donner lieu aux objections dont j'ai déjà
parlé à propos des théories du capitaine Maury.
En admettant que les courants marchent dans la direction
LE GULE-STREAN. 347
et avec la constance admise par le D' Carpenter pour le détroit
de Gibraltar et pour le Sund de la Baltique, si leur vitesse et
leur direction sont dues aux causes auxquelles il les rapporte,
et pour peu qu'il y ait quelque analogie entre les conditions
d'équilibre de ces mers presque fermées et celles. de l'Océan,
il me semble que la vaste région équatoriale, qui est la voie
des vents alizés et la zone de la radiation solaire verticale, doit,
sous le rapport de l’évaporation, rappeler les conditions de Ta
Méditerranée, en les exagérant même beaucoup. Mais aucune
de ces propositions ne me parait avoir été résolue d’une ma-
niére concluante. L’accumulation de sel qui aura lieu dans
toute la profondeur, puisque l’eau salée tend toujours à aller
au fond, doit l'emporter de beaucoup sur Vinsignifiante expan -
sion produite par la chaleur sur les couches de surface. Je
donne ce fait pour ce que Petermann appellerait une réflexion
sans conséquence. D'un autre côté, le bassin arctique, plus
restreint, rappelle jusqu'à un certain point, ainsi que l’a fait
observer il y a longtemps déjà le capitaine Maury, les condi-
tions qui caractérisent la Baltique, et je me trompe fort, si le
peu de pesanteur spécifique de la mer polaire, résultant de la
condensation et de la précipitation des vapeurs des régions
intertropicales, n’équivaut pas largement à la contraction par
le froid arctique de la même couche superficielle.
La profondeur de l'océan Atlantique du Nord est à la masse
de la terre en proportion infiniment moindre que celle du
papier qui recouvre une sphère de 18 pouces à la sphere
elle-même; la surface chauffée directement par la radiation
solaire peut se comparer pour l'épaisseur à la couche de vernis
dont ce même globe est enduit : en réalité, sa profondeur ne
dépasse pas la hauteur de l’église Saint-Paul à Londres. Les
physiciens paraissent éprouver quelque difficulté à accorder la
puissance nécessaire pour mettre en mouvement, dans notre
enveloppe aqueuse, des courants de 6000 milles de longueur,
3 milles de largeur et 2 milles d'épaisseur, aux forces aux—
quelles le D' Carpenter les attribue: ces causes, dans les cir-
318 LES ABIMES DE LA MER.
constances particulières et au degré où nous les voyons agir
dans la nature, ne nous permettent pas encore de fournir aux
savants les données qui leur en feraient apprécier l'intensité.
M. Croll, qui fait autorité dans ces matières, a essayé de faire
quelques caleuls qui l'ont amené à conclure qu'aucune d’elles
ue suffirait à vainere le frottement de l’eau et à produire un
courant quelconque '; mais il faut bien dire que cette théorie
est loin d’avoir obtenu une approbation générale. Je suis moi-
mème disposé à croire que dans une grande masse d’eau
salée, avec des températures diverses, une évaporation inégale,
soumise à des pressions barométriques variables, et sujette à
l'impulsion de vents qui changent sans cesse, des courants de
toute nature, grands et petits, variables et plus ou moins per -
manents, doivent nécessairement se former”; seulement le ré-
sultat probable doit se réduire à fort peu de chose : cela n’est
pas douteux lorsque nous voyons des causes déjà par elles—
mêmes d’une efficacité douteuse agir en sens contraire. On en
est réduit à attribuer alors l'effet définitif à la somme des forces
dont la moins faible d’entre elles dépasse de bien peu les autres.
En l'absence complete de toute donnée digne de confiance, je
crois que si l’on attribue la circulation océanique aux seules
causes invoquées par le D" Carpenter, en faisant abstraction
de tout autre agent, en admettant qu'alors cette circulation ait
lieu, ce qui est assez douteux, les probabilités seraient plutôt
en faveur d’un courant chaud sous-marin, poussé vers le nord
par l'excès de salure, et contre-balancé par un courant de
surface marchant en sens inverse et formé d’une eau arctique
plus douce, quoique plus froide.
J'accepte donc, jusqu'à nouvel avis, en ce qui touche cette
question d’une circulation générale produite par des différences
de pesanteur spécifique, l’opinion exprimée par sir John
1. James CROLL, op. cit.
2. On the Distribution of Temperatures in the North Atlantic. An Address delivered to
the Meteorological Society of Scotland at the General Meeting of the Society, July
oth, 1871, by professor Wyville THomson.
LE GULF-STREAM. 319
Herschel, dans une lettre excellente et pleine de réserve,
adressée par lui au D" Carpenter, lettre qu'il m'est permis de
citer tout au long, puisqu'elle a été déjà imprimée, et qui pré-
sente un intérêt tout particulier, car elle est une des dernières
de sir John Herschel ayant trait à un sujet scientifique :
Collingwood, ce 9 avril 1871.
Mille remerciments pour votre travail sur le courant de Gibraltar et
sur le Gulf-stream. Après avoir réfléchi sur tout ce que vous avancez,
je pense que la logique des choses, expérience journalière des appareils
à eau chaude de nos serres, nous forcent à admettre qu'une circulation
océanique spéciale doit résulter de la chaleur, du froid et de l’évaporation,
comme causes efficientes ; vous avez fait ressortir la puissance d'action
du froid polaire, ou plutôt l'éntensité d'action du froid polaire, car son
effet maximum se produit sur un espace bien plus restreint que celui sur
lequel agit le maximum de la chaleur tropicale.
De mème, l’action des vents alizés et contre-alizés ne peut être nice;
la question des courants océaniques devra donc être étudiée dorénavant
à ce double point de vue. Les courants produits par les vents sont de
beaucoup les plus accessibles aux recherches, parce que toutes les causes
qui les produisent se trouvent à la surface et qu'aucun de ces agents ne
peut échapper à l’investigation : la configuration des côtes, qui est une
cause déterminante de leur direction, est chose visible. Il n’en est pas de
même des autres courants : ils ont lieu dans les profondeurs de l'Océan,
et leur marche, leur direction, leurs points de jonction, dépendent de la
configuration du fond de la mer, dont il faudrait reconnaître la surface
entière par la méthode, fort insuffisante, du sondage.
Je vous félicite d’avoir réussi à vous procurer des échantillons de l’eau
de la Méditerranée pris à l'emplacement de la source présumée d’eau
salée de Smyth et de Wollaston; ces expériences prouveront que leur
opinion est due à la substitution d’une bouteille à une autre, ou bien
à l’évaporation du liquide. Je n'ai jamais eu grande confiance en cette
théorie.
Voilà done qu'après tout il existe un courant sous-marin qui sort
du détroit de Gibraltar !
Je vous réitère mes remerciments pour cet intéressant mémoire, et
vous prie de me croire, mon cher monsieur,
Tout à vous,
J. F. W. Herscuen !.
|. Nature, vol. IN, p. 74.
320 LES ABIMES DE LA MER.
La seconde théorie, soutenue par le D' Petermann (de Gotha)
et par la plupart des savants versés dans la géographie phy-
sique, en Allemagne et dans l'Europe du Nord, et fortement
appuyée par sir John Herschel dans ses E'squisses de géogra-
phie physique publiées en 1846, attribue la presque totalité
des phénomènes appréciables de la distribution de la chaleur
dans l'Atlantique du Nord au Gulf-stream et aux contre-cou-
rants arctiques, qui sont entrainés vers le sud par le déplace—
ment des eaux tropicales que le Gulf-stream emporte vers les
régions polaires. Dès que l’on admet, ne füt-ce que pour un
instant, que ce soit presque exclusivement au Gulf-stream qu'il
faut attribuer les singuliers avantages de climat que les côtes
orientales de l'Atlantique du Nord possèdent, à l’exclusion des
côtes occidentales, il est certain que le point de départ de ce
grand courant, son étendue, sa direction, la nature et la somme
de son influence, deviennent des questions du plus haut intérêt.
Avant de les approfondir pourtant, il sera bon de bien définir
ce qu'on entend ici par Gulf-stream, car sur ce point même
il y a eu beaucoup de malentendus.
Par Gulf-stream j'entends désigner cette masse d’eau chaude
qui, sortant du détroit de la Floride, s’élance à travers VPAt-
lantique du Nord, et aussi un courant chaud plus large, mais
moins distinet, qui fait évidemment partie du même cours
d’eau, et qui, à l’est des Indes occidentales, décrit une courbe
vers ie nord. Je n'hésite pas à considérer ce courant comme un
simple affluent du courant équatoriat, grossi sans aucun doute
pendant son trajet au nord-est par le courant de surface dù aux
vents alizés, qui suit à peu près la même direction.
La marche et les limites du Gulf-stream seront mieux com-
prises, si nous étudions d’abord son origine et ses causes.
Divisés, comme chacun le sait, en deux bandes, l’une au nord,
l’autre au sud de l'équateur, et poussés dans une direction
méridionale par le frottement que produit le mouvement
oriental de rotation de la terre, les vents alizés du nord-est
et du sud-est chassent devant eux un magnifique courant
LE GULF-STREAM. 921
chaud de surface de 4000 milles de longueur sur 450 milles de
largeur, avec une vitesse moyenne de 30 milles par jour. Sur
les côtes d'Afrique, près de son point de départ, au sud des
iles Saint-Thomas et Anna-Bon, ce courant équatorial a une
vitesse de 40 milles par vingt-quatre heures, et une tempé-
rature de 23° C.
Augmentant sans cesse de volume, et s'étendant de plus en
plus de chaque côté de l’équateur, il coule rapidement à l’ouest,
dans la direction de Amérique du Sud. Au cap Saint-Roch,
le point le plus oriental de l'Amérique du Sud, le courant
équatorial se divise en deux : l’une de ses branches se précipite
vers le sud, où elle fait dévier les lignes isothermes de 21°,
15°,5, 10°et 4°,5 C., et les transforme en courbes sur nos cartes,
pour le plus grand bien-étre des habitants des iles Falkland
et du cap Horn. La partie septentrionale du courant, suivant
la côte nord-est de l'Amérique du Sud, accroit constamment
sa température sous l'influence du soleil des tropiques. La
il acquiert une vitesse de 68 milles par vingt-quatre heures,
et sa réunion aux eaux de la rivière des Amazones la porte
à 100 milles (6,5 pieds par seconde), mais elle décroit de nou-
veau en entrant dans la mer des Caraïbes. Il traverse ensuite
lentement cette mer dans toute sa longueur, entre dans le golfe
du Mexique par le détroit de Yucatan, où une partie s'en dé-
tache et entoure immédiatement l'ile de Cuba. Le courant prin—
cipal, « après avoir fait le tour du golfe du Mexique, traverse
le détroit de la Floride, d’où il sort Gulf-stream, majestueux
courant de plus de 50 milles de large et de 2200 pieds de
profondeur, avec une vitesse moyenne de 4 milles à l’heure et
une température de 30° C.'. » En sortant du détroit, l'eau chaude
incline au nord-est, à cause de sa grande vitesse initiale.
M. Croll? a calculé que le Gulf-stream est égal à un cours d’eau
1. Physical Geography. From the Encyclopedia Britannica. By sir John F. W.
HERSCHEL, Bart., K. H. P. Edinburgh, 1861, p. 49.
2. On Ocean Currents. By James CROLL, of the Geological Survey of Scotland. Part f.
Ocean Currents in relation to the Distribution of Heat over the Globe. (Philosophical
Magazine, February, 1870.)
21
322 LES ABIMES DE LA MER
de 50 milles de largeur et de 1000 pieds de profondeur, coulant
à raison de 4 milles à Uheure, transportant, conséquem—
ment, 5.575 680 000 000 pieds cubes d’eau par heure, ou
133 816 320 000 000 pieds cubes d’eau par jour. Cette masse
liquide a une température moyenne de 18°C. en sortant du
golfe, mais son trajet vers le nord la fait tomber à 4,5;
la perte de chaleur est done de 13°,5 C. La somme totale
de chaleur transportée chaque jour des régions équatoriales
s'élève à quelque chose comme 154 959 300 000 000 000 000
calories .
Cette quantité est presque égale à la totalité de la chaleur
que les régions arctiques reçoivent du soleil; en la réduisant
de moitié pour éviter toute possibilité d’exagération, elle est
encore égale à un cinquième de la somme de chaleur répandue
par le soleil sur l’espace entier de l’Atlantique du Nord. Le
Gulf-stream sortant du détroit de la Floride et se répandant
dans l’Océan en se dirigeant vers le nord est probablement le
plus magnifique phénomène naturel qui existe à la surface du
globe. Ses eaux ont la transparence du cristal; elles sont d’un
bleu intense, et longtemps encore, après avoir pénétré dans la
haute mer, elles s'en distinguent facilement par leur chaleur,
leur teinte et leur limpidité : les bords du courant se dessinent
d'une manière si tranchée, qu'il pourrait arriver à un vaisseau
d'avoir sa proue dans ce beau courant bleu, pendant que sa
poupe se trouverait encore dans les eaux ordinaires de l'Océan.
L'ouvrage du capitaine Maury, auquel nous avons déjà
fait allusion, parle des puissances dynamiques du Gulf-stream
avec un étonnement que nous ne pouvons nous empêcher de
trouver un peu déplacé, comme s’il y avait la plus petite raison
pour douter qu'il ne doive son origine aux vents alizés”.
Mettant de côté la question plus générale de la possibilité
d'une circulation océanique provoquée par la chaleur, par le
|. La calorie (foot pounds) est la quantité de chaleur que doit recevom une livre
d’eau pour élever sa température à 1° Fahrenheit.
2. HERSCHEL, op. cit., p. 91.
LE GULF-STREAM. 929
froid et par l’évaporation, je crois que le capitaine Maury et le
D' Carpenter sont les deux seules autorités qui, dans ces der-
nieres années, aient discuté la source de ce courant visible et
qui peut se jauger et se mesurer a sa sortie du détroit de la
Floride ; car il serait puéril de rappeler les premières conjec-
tures auxquelles il a donné lieu : on le supposait provenir du
Mississippi, ou engendré par l'écoulement d’une masse d’eau
amoncelée dans la mer des Caraïbes par l’action des vents
alizés.
Le capitaine Maury écrit ' que «les forces qui donnent nais-
sance au Gulf-stream sont le fait de la différence de pesanteur
spécifique qui existe entre les eaux intertropicales et les eaux
polaires ». La puissance dynamique dont le Gulf-stream est
l'expression peut, avee autant de raison, être supposée exister
dans ces eaux septentrionales que dans les mers des Indes occi-
dentales, puisque, d’un côté, nous avons la mer des Caraïbes
et le golfe du Mexique fortement salés; de l’autre, le grand
bassin polaire, la Baltique et la mer du Nord, dont les eaux
sont à peine saumatres. L'eau est pesante dans les premiers
de ces bassins; dans les autres, elle est légère. L’Océan s'étend
entre eux, mais l’eau cherchant et conservant son niveau, nous
découvrons là un des agents donnant naissance au Gulf-stream.
Quelle est la puissance de cette cause? Est-elle supérieure à
celle des autres agents? et de combien l’est-elle? Nous ne sau-
rions répondre à cette question, mais nous savons que c’est la
un des agents principaux. De plus, quelles que soient nos con-
jectures au sujet des forces employées à réunir dans la mer des
Caraïbes toutes ces eaux qui ont chargé de vapeurs les vents
alizés, et à les transporter à travers l'Atlantique, nous sommes
forcés de reconnaitre que le sel abandonné sous les tropiques
par l’évaporation due aux vents alizés doit être ramené de ces
régions, et mélangé dans la proportion voulue à l’eau des
autres mers, y compris la Baltique et l’océan Arctique : ce sont
|. Maury’s Physical Geography of the Sea. (Op. cit.)
324 LES ABIMES DE LA MER.
là, en partie du moins, les eaux que nous voyons courir dans
le Gulf-stream. Ce transport est probablement un des emplois
qui lui ont été assignés dans l’économie de l'Océan; mais le
lieu où résident les forces qui ont mis en mouvement le Gulf-
stream et qui l'y maintiennent, les amateurs de théories peu-
vent le placer avec une raison tout aussi philosophique d’un
côté de l'Océan ou de l’autre. Les eaux pénètrent dans la mer
du Nord et dans l’océan Arctique en vertu de leur pesanteur
spécifique, et l’eau de ces parages, pour la remplacer, et en
vertu aussi de sa pesanteur spécifique, revient en contre—
courant dans le golfe. La puissance dynamique que produit le
Gulf-stream peut done être supposée résider dans les eaux
polaires aussi bien que dans les eaux intertropicales de l’At-
lantique. |
Suivant cette théorie, l’eau des tropiques pénétrerait, à cause
de son plus grand poids, vers les pôles, pendant que les eaux
polaires, en vertu de leur poids moindre, se dirigeraient vers
le sud et viendraient les remplacer. Le résultat serait done un
système de courants sous-marins chauds et de courants froids
de surface; c’est la ce qui n'a pas lieu dans la réalité. Je ne
cite ce passage que comme une curieuse justification de cet
adage que, dans la plupart des questions, on peut trouver beau-
coup d'arguments pour el contre.
Nous avons déjà examiné la théorie soutenue récemment
par le D' Carpenter, d’une circulation océanique générale, et
il ne me reste qu'à indiquer ici quels sont les rapports de cette
doctrine avec notre manière d'expliquer l'origine du Gulf-
stream; ses rapports au sujet de l'étendue et de la distribu-
tion du courant seront étudiés plus tard. Ainsi que cela a été
déjà dit, le D' Carpenter attribue tous les grands mouvements
de l'Océan à une circulation générale dont il considère le Gulf-
stream comme un cas particulier. Dans Je passage déjà cité
(page 312) de son discours prononcé à l’Institution Royale, le
D' Carpenter déclare que « le Gulf-stream constitue un cas spé-
cial modifié par des conditions locales, d’un grand mouvement
LE GULF-STREAM. 329
général des eaux équatoriales vers les espaces polaires ». Je
suis forcé d'avouer une manière de voir totalement différente.
Le Gulf-stream me parait être [unique phénomène physique
sur la surface du globe dont l’origine et la cause principale,
les courants dus aux vents alizés, se découvrent facilement
et clairement.
Le trajet et l'extension du Gulf-stream dans l'Atlantique du
Nord, dans leurs rapports avec les climats, ont été pourtant
une source fertile de discussions. La première partie de son
“trajet, à sa sortie du détroit, est très-visible, l’eau conser-
vant longtemps une teinte et une température toutes différentes
de celles de l'Océan. D'ailleurs, un courant capable d’avoir une
influence marquée sur la navigation, et roulant des eaux si
dissemblables à celles qu'il traverse, doit être reconnaissable sur
une grande étendue. « Étroit à son origine, il coule autour de
la péninsule de la Floride, et avee une vitesse de 70 à 80 milles
il suit la côte dans une direction septentrionale d’abord, et
tourne ensuite au nord-est. Il quitte définitivement les côtes de
l'Amérique du Nord à la latitude de Washington, et conserve sa
direction vers le nord-est; puis, au sud des bancs de Terre-
Neuve et de Saint-George, ses eaux s'étendent de plus en plus
sur la surface de l'océan Atlantique jusqu'aux Açores. La une
partie retourne au sud-est, vers la côte d'Afrique. Tant que
ses eaux sont réunies, le long de la côte américaine, le Gulf-
stream conserve une température de 26°,6 C. ; et même, sous
cette latitude septentrionale de 36°, Sabine trouva 23°,3 C. au
commencement de décembre, pendant que l’eau de la mer, en
dehors du courant, n’était qu'à 16°,9 C. Suivant Humboldt,
sous la latitude septentrionale de 40° à 41°, l’eau du courant
est à 22°,5 C., et celle qui n’en fait pas partie à 17°,4 C.'.»
La portion du Gulf-stream qui coule sur les côtes de l’Amé-
rique du Nord a été soigneusement étudiée par les officiers
des États-Unis, sous les ordres du professeur Bache d’abord,
|. Professor Burr, op. cit., p. 199.
926 LES ABIMES DE LA MER.
et en dernier lieu sous ceux de Vhabile directeur actuel du Bu-
reau hydrographique, le professeur Pierce. En 1860, M. Bache
publia un compte rendu des résultats obtenus”. Quatorze sec—
tions du Gulf-stream, à environ 100 milles de distance les unes
des autres, avaient été soigneusement étudiées ; la première
presque dans le golfe du Mexique, de Fortingas à Havana,
et la dernière à la hauteur du cap Cod, par 41° de latit. N., la
où le courant perd son parallélisme avec la côte américaine
et se précipite vers l’est. Ces sections mettent en évidence
les phénomènes principaux de la première partie du trajet
de ce merveilleux courant, que le professeur Bache appelle
avec juste raison « le grand trait hydrographique des Ktats-
Unis ».
A la hauteur de Fortingas, passant le long de la côte cu-
baine, le courant est ininterrompu et sa vitesse faible; sa
température est, à la surface, d’environ 26°,7 C. A sa sortie
du détroit de Bemini, la forme des côtes force le courant à se
diriger vers le nord; un peu au nord du détroit, sa vitesse
est de 3 à 5 milles à l'heure; son épaisseur n’est que de
325 brasses. La température de la surface est d'environ
26°,5 C., et celle du fond de 4°,5 C. Ainsi done, à la profondeur
très-modérée de 325 brasses, le courant équatorial, à la sur-
face, et le courant polaire sous-marin, ont assez d'espace pour
se croiser; celui du nord se tempère évidemment beaucoup par
le mélange. Au nord de l'entrée de Mosquito, le courant se
précipite au nord-est, et à la hauteur de Saint-Augustin il a
une direction sensible vers l’est. Entre Saint-Augustin et le
cap Hatteras, le courant et la côte ne divergent que de bien
peu, ne faisant que 5° vers l’est dans 5° vers le nord. A Hatteras,
il décrit une seconde courbe vers le nord, puis se précipite
à l’est. A la latitude du cap Charles, il tourne complétement
à l’est, avec une vitesse d’un mille à un mille et demi à l’heure.
1. Lecture on the Gulf-stream, prepared at the request of the American Association
for the Advancement of Science, by A. D. BACHE, Superintendent U. S. Coast Survey.
(From the American Journal of Science and Arts, vol. XXX, November 1860.)
LE GULF-STREAM. 921
Une courte description d’une des sections donnera mieux que
toute autre chose une idée des phénomènes généraux du cou-
rant sur les côtes de l'Amérique. Je choisis celle qui suit une
ligne droite s'étendant de la cote à la hauteur de Sandy-Hook.
A partir du rivage, pendant une distance d'environ 250 milles,
la température de la surface s'élève graduellement de 21° à
24° C.; à 10 brasses, elle s'élève de 19° à 22°, et à 20 brasses
elle se maintient, avec quelques irrégularités, à une tempéra-
ture de 19°, pendant qu'à 100, 200, 500 et 400 brasses, on
constate les températures de 8°,8, 5°,7, 4°,5 et 2°,5 C. C’est
donc par de l’eau froide que cet espace est occupé, et l’obser-
vation a suffisamment démontré que cet abaissement de tem-
pérature est produit par un embranchement du courant du
Labrador, qui coule lentement le long de la côte, dans la direc-
tion contraire à celle du Gulf-stream. Arrivé au détroit de la
Floride, ce courant froid se divise : une partie passe, sous l’eau
chaude du Gulf-stream, dans le golfe du Mexique; l’autre coule
autour de l'extrémité occidentale de Cuba. A 240 milles de la
cote, toute la masse d’eau s'élève soudain de 10°C., sur une
largeur de 25 milles, élévation de température qui se fait sentir
presque également à toutes les profondeurs, et qui produit le
singulier phénomène de deux masses qui se côtoient sur le même
niveau, dont l’une chemine lentement vers le sud, l’autre plus
rapidement vers le nord, avec des températures totalement
différentes. Cette ligne de contact du courant froid avec le
courant chaud est si tranchée, qu'elle a été désignée avec
beaucoup d’a—propos, par le lieutenant Bache, sous le nom de
muraille froide. Dépassant cette muraille froide, nous arrivons
au Gulf-stream, qui présente tous ses caractères particuliers
de coloration, de limpidité et de température. Dans la section
que nous avons choisie pour exemple, pendant plus de 300
milles, la température de la surface est d’environ 26°,5 C.,
mais la chaleur n’est pas égale dans toute la largeur du cou—
rant et dans toute sa longueur; loin vers le sud, au niveau
du cap Canaveral, le courant est divisé en bandes longitudi-
298 LES ABIMES DE LA MER.
nales formées d’une eau plus ou moins chaude. A la hauteur de
Sandy-Hook, au delà de la muraille froide, le courant s'élève
à un maximum de 27°,8 C., et cette zone chaude a une étendue
de 60 milles environ. Plus loin, la température tombe au mi-
nimum de 26°,5, qu’elle conserve pendant à peu près 30 milles;
puis survient une seconde zone à 27°,4 C., qui se trouve dans
l'axe même du Gulf-stream, et qui a environ 170 milles de
largeur. Elle est suivie d’une seconde bande à 25°,5 C., et
celle-ci d’une troisième, après laquelle les zones cessent d’être
distinctes. Ce qui est fort curieux, c’est que les bandes à tempé—
rature minima correspondent à des dépressions du fond sem-
blables à des vallées qui suivent successivement les contours
des côtes, et qui reçoivent de profondes ramifications des cou-
rants arctiques.
La dernière des sections étudiées par les hydrographes amé-
ricains s’étend dans la direction du sud-est, depuis le cap Cod,
41° de latit. N., et suit le Gulf-stream, qui, toujours divisé en
zones de température inégale, s’étend directement à l’est à tra-
vers l’Atlantique; sa rapidité est cependant devenue moins
considérable, et l’aide du thermomètre devient nécessaire pour
suivre ses limites.
Au delà de ce point, le trajet du Gulf-stream a été l’objet de
grandes discussions. J’emprunte à M. Buff ce qui peut être
considéré comme la théorie la plus généralement adoptée par
les physiciens géographes :
« Une grande masse d’eau chaude est transportée en partie
par son mouvement propre, mais surtout par les vents régnants
de l’ouest et du nord-ouest, vers les côtes d'Europe et même
au delà du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble; e’est ainsi
qu'une partie de la chaleur du sud pénètre au loin dans l'océan
Arctique. Aussi sur les côtes septentrionales du vieux conti-
nent trouve-t-on des bois provenant des régions méridionales,
qui ont flotté jusque-là : c’est la raison pour laquelle ce céoté-ci
de l'océan Aretique demeure libre de glaces jusqu’au 80° de
latitude pendant une grande partie de l’année, tandis que sur
LE GULE-STREAM. 329
la cote opposée (celle du Groenland), la glace ne fond pas
entièrement, même en été. »
Ainsi done, les deux forces citées par le professeur Buff pour
accomplir ce travail sont le vis à ¢ergo du courant formé par
les vents alizés, et la puissance d’impulsion directe des vents
contre—alizés, qui produisent ce qu’on appelle le courant des
contre-alizés : ces idées sont les mêmes que celles soutenues
ici. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible
de déterminer la proportion dans laquelle ces deux forces
agissent.
M. G. Findlay, dont l'autorité en matière d’hydrographie
est incontestable, a lu devant la Société royale de géographie
un travail sur le Gulf-stream, publié dans le XII volume
des Actes de la Société. M. Findlay, tout en admettant que
la température du nord-est de l'Europe est adoucie d’une
manière anormale par l’action d’un courant de surface chaud,
combat l’idée que le Gulf-stream même, e’est-à-dire le cou-
rant poussé par les vents alizés, né pour ainsi dire dans
l'Atlantique, dans les détroits qui avoisinent la Floride, se
disperse et se perd à la hauteur des banes de Terre-Neuve,
par environ 45° de latit. N. Les eaux chaudes des parties mé-
ridionales du bassin de l'Atlantique du Nord sont portées plus
loin encore, dans une direction septentrionale ; mais M. Findlay
attribue ce mouvement uniquement aux vents contre-alizés,
vents du sud-ouest, qui par leur persistance maintiennent à la
couche supérieure des eaux la direction du nord-est.
Le D* Carpenter croit positivement que la dispersion des
eaux du Gulf-stream peut être considérée comme un fait
accompli à 45° de latit. N. environ et 35° de longit. O. Il
admet l'exactitude de la projection des isothermes sur les cartes
de Berghaus, Dove, Petermann et Keith Johnston; il pense
aussi que la douceur anormale du climat des côtes du nord-
ouest de l’Europe est due à un mouvement des eaux équato-
riales dans la direction du nord-ouest, « Ce que je mets en
question, dit-il, e’est la justesse de la doctrine qui veut que
330 LES ABIMES DE LA MER.
le courant nord-est soit un prolongement du Gulf-stream,
chassé en avant par l'impulsion des vents alizés, doctrine qui
(à mon grand étonnement) est adoptée et défendue par mon
collègue le professeur Wyville Thomson. Bien que ces autorités
rapportent la totalité ou la presque totalité de ce courant au
Gulf-stream même, j'ai la conviction que la plus grande partie,
si ce n’est la totalité de celui qui côtoie nos plages de l’ouest
et passe au nord et au nord-est, entre l'Islande et la Norvége,
pour arriver jusqu'au Spitzberg, en est tout à fait indépen-
dante, et qu'il continuerait d'exister lors même que, les con-.
tinents des deux Amériques venant à se disjoindre, les courants
équatoriaux seraient poussés par les vents alizés dans l’océan
Pacifique, au lieu de se précipiter dans le golfe du Mexique,
pour en être ensuite chassés dans la direction du nord-est,
à travers les détroits qui environnent le cap de la Floride, »
Le D' Carpenter n'entend point du tout pourtant adopter
l'opinion de M. Findlay, qui attribue le courant, au delà du
45° parallèle de latitude, uniquement à l'impulsion des vents
contre-alizés ; car il ajoute : « D’après la théorie que je sou-
tiens, le courant du nord-est aurait pour cause l’impulsion
(vis à fronte) due à l’action du froid sur les eaux des espaces
- polaires, qui tend à en déprimer sans cesse le niveau”. L’adou-
cissement du climat du nord-ouest de l’Europe serait done
amené par un cas accidentel de la circulation générale de
l'Océan, et non par le Gulf-stream ou par l’impulsion des vents
contre—alizés.
Bien qu'il wait été fait jusqu'ici que bien peu d’études de
la température des grandes profondeurs qui soient compléte-
ment dignes de confiance, la température de la surface de
l'Atlantique du Nord a été relevée avec beaucoup de soin.
Le caractère général des lignes isothermes et leurs dévia-
tions au nord, qui donnent lieu à de singulières courbes, sont
connus depuis longtemps, grâce aux cartes dressées par les
1. Dr CARPENTER, Proceedings of the Royal Geographical Society for 1870, op. cit.
2. Op. cit.
LE GULF-STREAM. 394
géographes dont nous avons déjà eité les noms; pendant les
années qui viennent de s’écouler, une quantité prodigieuse de
documents ont été réunis, à l’étranger, par notre Amirauté
et par le Bureau météorologique.
Le D" Petermann, de Gotha, a publié" en 1870 une série
précieuse de cartes de températures, comprenant les résultats
de la réduction de plus de 100 000 observations puisées prin-
cipalement aux sources suivantes : g
1° Dans les cartes des vents et des courants du lieutenant
Maury, comprenant environ 30 000 observations bien distinctes
de températures.
2° Dans les 50 000 observations relevées par des capitaines
de la marine hollandaise, et publiées par le Gouvernement des
Pays-Bas.
3° Dans les livres de bord des vapeurs Cunard, faisant le
trajet entre Liverpool et New-York, et dans ceux des vapeurs
de la Compagnie de Montréal, entre Glasgow et Belle-Ile.
4° Dans les renseignements qui concernent la température
de la mer sur les côtes d'Écosse, recueillis par M. Buchan,
secrétaire de la Société météorologique écossaise.
5° Dans les publications de l’Institut Norvégien, sur les
températures de la mer entre la Norvége, l'Écosse et l'Islande.
6° Dans les matériaux fournis par le contre-amiral danois
Irminger, sur la température de la mer entre le Danemark et
les établissements danois du Groenland.
7° Dans les observations faites par lord Dufferin, a bord
de son yacht Foam, entre l'Écosse, l'Islande, le Spitzberg et la
Norvége.
Et enfin, dans de récentes observations recueillies par les
expéditions anglaises, suédoises, allemandes et russes aux
régions arctiques et vers le pole nord.
Le D* Petermann a consacré une grande partie de son exis-
1. Der Golf-Strom und Standpunkt der thermometrischen Kentnniss des Nord-Atlan-
tischen Oceans und Landgebietes im Jahre 1870. Justus PerTHE’s Geographische Mit-
theilungen, Band XVI. Gotha, 1870.
332 LES ABIMES DE LA MER.
tence à l'étude de la distribution de la chaleur à Ja surface de
l'Océan, et il ne peut y avoir l'ombre d’un doute sur l’exac-
titude de son travail et sur l'attention consciencieuse qu'il
a apportée à son exécution. La planche VIT est tracée, dans
son ensemble, d’après ses cartes, avec quelques modifications
et additions commandées par l’acquisition récente de données
nouvelles. Le remarquable écart des lignes isothermes est
causé, sans aucun doute, par des courants océaniques de sur-
face qui transportent vers les régions polaires les eaux chaudes
des tropiques. Ge ne sont point là de vaines théories, puisque
le courant se trahit souvent par son influence sur la navi-
gation, et que le trajet des eaux chaudes se reconnait facilement
par observation thermométrique.
Dans l'Atlantique du Nord, chaque courbe de température
égale, de l'été ou de l'hiver, pour un seul mois ou pour l’année
entière, se manifeste tout de suite comme faisant partie d'un
système de courbes qui partent toutes du détroit de la Floride,
source première de la chaleur; le courant chaud est visible à
cause de l’agitation des eaux, et se reconnait encore, quand
son mouvement n'est plus appréciable, par sa forme particu-
lière. Il s’étend en éventail du voisinage du détroit à travers
l'Océan, suivant les côtes de la France, de la Bretagne et de la
Scandinavie; tournant le cap Nord, traversant la mer Blanche
et la mer de Kara, baignant les plages occidentales de la Nou-
velle-Zemble et du Spitzberg, et enfin se précipitant le long
des cotes de la Sibérie, en enyoyant une ramification dans le
Pacifique du Nord, à travers le passage étroit et peu profond
de Behring (voy. la planche VII).
Quand nous n’aurions que ces courbes de la carte, déduites
d’un nombre presque infini d'observations et de nombreuses
études antérieures, sans même qu'aucun fil vint nous mettre
sur la voie de leur raison d’être, nous serions encore contraints
d'admettre que, quelles que soient la somme et la distribution
de chaleur produite par une circulation océanique générale, ré-
sultat elle-même de l'effet des vents qui règnent dans la région,
LE GULF-STREAM. 990
d’une pression barométrique inégale, de la chaleur tropicale
ou du froid arctique, le Gulf-stream, le majestueux courant
chaud dont le trajet est indiqué par les écarts des lignes iso
thermes, possède une puissance auprès de laquelle tout le reste
sefface, et qui est capable de produire à elle seule tous ces
phénomènes anormaux de température.
Les températures de fond relevées sur le Porcupine sont
importantes au point de vue de cette question, en nous indi-
quant quels sont la profondeur et le volume de la masse d’eau
qui, chauffée à un degré bien supérieur à sa température nor-
male, doit être considérée comme la cause de l’adoucissement
des vents qui soufflent sur les côtes de l’Europe. Nous avons
vu (fig. 60) que, dans la baie de Biscaye, à une couche mince
échauffée par la radiation solaire directe, sueceéde une zone
d'eau chaude qui s’étend jusqu’à une profondeur de 800 brasses,
puis une couche froide, profonde d’environ 2000 brasses.
Dans le canal de Rockall (fig. 59), la couche chaude a la même
puissance, et la zone froide du fond a 500 brasses d’épaisseur.
A la pointe de Lews (fig. 56), la température du fond est de
0,2 GC. à 767 brasses; ici la couche chaude arrive done déci-
dément jusqu’au sol. Dans le canal de Farôer (fig. 55), l’eau
chaude forme la couche de surface, et l'eau froide coule au—
dessous, et commence à la profondeur de 200 brasses, à
907 brasses au-dessus du niveau du fond de la couche chaude
à la pointe de Lews. L'eau froide coule côte à côte avec l’eau
chaude, rien ne les sépare; une partie de l’eau chaude roule
sur la surface de la nappe froide, et forme la couche supérieure
du canal des Farôer. Quel est l'obstacle qui empêche l’eau
froide de s’enfoncer, en vertu de sa pesanteur plus grande, sous
la couche chaude à la pointe de Lews? Il y a évidemment là
quelque force active qui maintient l’eau chaude dans cette
position et la fait se mouvoir dans cette direction. J'ai toujours
attribué la température relativement élevée qui commence à
100 brasses, et persiste jusqu'à 900, à l'accumulation septen—
trionale des eaux du Gulf-stream. La somme de chaleur qui se
334 LES ABIMES DE LA MER.
communique directement du soleil à l'eau, pendant son trajet
à travers une région quelconque, dépend uniquement de la
latitude. En tenant compte de ce fait, nous avons trouvé que,
dans les espaces chauds, les températures de surface coïner-
daient parfaitement avec les courbes de Petermann, qui indi-
quent le trajet septentrional du Gulf-stream.
J’emprunte ce qui va suivre à une lettre adressée, le 23 sep-
tembre 1872, par le professeur H. Mohn, directeur de l’Institut
météorologique de Christiania, à M. Buchan, le savant secré-
taire de la Société météorologique écossaise : « J’ai fait, cet
été, des relevés de température qui seront, je crois, d’un intérêt
général pour nos climats. Dans le Trondhjemsfjord, j'ai trouvé
16°,5 à la surface, et à partir de 50 brasses jusqu'au fond,
(200 brasses) une température uniforme de 6°,5 G. à un en-
droit, et 6° CG. un peu plus à l’intérieur. Dans le Sœguefjord,
j'ai trouvé 16°C. à la surface, et constamment, depuis 10 brasses
jusqu'à 700, 6°,5 C. Entre l'Islande et Farôer, le lieutenant
Müller, commandant du steamer qui fait le trajet entre Bergen
et l'Islande, a trouvé, cet été, 8° C. au fond, à 300 brasses.
Ceci prouve que l’eau du Gulf-stream remplit entièrement
le canal, à l'inverse de ce qui a lieu dans l’espace qui sépare
les Shetland des Farôer, où l’on trouve de l’eau glacée à
300 brasses de profondeur. » Ces faits sont importants et con-
firment entièrement nos conclusions; mais, en les citant, j'ai
pour but principal de montrer combien l’explication qui attri-
bue au Gulf-stream l'élévation de température de la mer sur les
côtes scandinaves est acceptée sans hésitation par les hommes
les plus compétents.
L’Atlantique du Nord et la mer Arctique forment ensemble
un cul-de-sac fermé du côté du nord, car il n’existe aucun pas-
sage praticable pour une grande masse d’eau à travers le
détroit de Behring. Pendant qu'une grande partie du courant,
ne trouvant pas d’issue vers le nord-est, tourne au midi dans
la direction des Acores, le reste, au lieu de s’écouler et de se
perdre, tend à s’accumuler sur les côtes qui ferment les parties
LE GULF-STREAM. 990
septentrionales du bassin. Aussi lui trouvons-nous sur la côte
occidentale de l'Islande une profondeur d’au moins 4800 pieds,
et une largeur qui n’a pas été mesurée. Le D" Carpenter
dit, en discutant ce fait: « Il est, pour moi, matériellement
impossible que cette insignifiante couche d’eau de surface,
plus légère (parce qu’elle est plus chaude), puisse se main-
tenir en nappe même, en supposant qu'elle ait conservé
une certaine élévation de température, et que, en s’enfonçant
dans le bassin, elle déplace une masse d’eau beaucoup plus
froide et plus lourde qu’elle-méme, à une profondeur plus
grande que celle à laquelle elle coulait au moment où elle était
douée de sa plus grande force, à sa sortie des détroits de la
Floride. Ceux qui soutiennent cette hypothèse auront à expli-
quer comment cette force de cohésion suivie d’un pareil plon-
geon s'accorde avec les principes de la physique’. » Les expé-
riences faites sur une petite échelle sont en général de peu
d'utilité comme démonstration des phénomènes naturels, cepen-
dant il en est une bien simplé qui prouve que la chose est pos-
sible. En mettant une cuillerée de cochenille dans une burette
d’eau chaude, de manière à la colorer en rouge, puis en la lan-
cant avec force au moyen d'un tuyau de caoutchouc à la surface
d’un certaine quantité d’eau froide contenue dans un bassin,
on voit la masse rouge s'étendre, en devenant plus pale, sur
toute la superficie de l’eau, jusqu'à ce qu’elle arrive au bord
opposé; bientôt après, la teinte de plus en plus foncée d’une
bande qui se forme le long de cette paroi opposée, indique une
accumulation de l’eau colorée à l'endroit où le courant s’est
trouvé arrêté. Si l’on trempe alors la main dans l’eau au centre
du bain, un cercle chaud entoure le poignet, tandis qu'à l’ex-
trémité du bain opposée à celle par laquelle on a introduit
le courant chaud, l’eau chaude, bien que très-mélangée, enve-
loppe toute la main.
L’Atlantique du Nord nous présente un bassin fermé au nord.
|. DE CaRPENTER’S Address to Geographical Society, op. cil.
390 LES ABIMES DE LA MER.
Dans un des angles de ce bassin, comme dans une baignoire,
obéissant à la direction nord-est qui lui est imprimée par
sa vitesse initiale, et comme si le robinet chaud du bain était
perpétuellement ouvert, une énorme masse d’eau arrive jour
et nuit, hiver et été. Quand le bassin est plein, mais à ce mo-
ment seulement, l’excédant de l’eau, maitrisant l'impulsion qui
la pousse vers le nord, prend en tourbillonnant une direction
méridionale; l'eau chaude tend à s’accumuler ainsi dans le
bassin septentrional et à longer les côtes du nord-est”.
Il est inutile de rappeler que toute quantité d’eau qui s’in-
troduit dans le bassin de l'Atlantique du Nord, et qui ne dispa—
rait pas par l’évaporation, doit être restituée a la mer dou elle
vient. L’eau froide pouvant arriver de toutes les directions
dans les parties les plus profondes de l'Océan, aucun mouve-
ment ressemblant à un courant ne se forme, si ce n’est dans des
conditions toutes particulières. Ces circonstances se présentent
dans les passages étroits et bornés qui se trouvent entre l’At-
lantique du Nord et la mer Arctique. Entre le cap Farewell et
le cap Nord, il n’existe que deux passages qui aient quelque
profondeur : l’un, très-étroit, longe la côte orientale de lIs-
lande; l'autre est situé le long de la côte orientale du Groen-
land. Les parties peu profondes de la mer sont entièrement
occupées, du moins en été, par les eaux chaudes du Gulf-
stream, excepté en un seul point, où un rapide courant d’eau
froide, très-étroit et de peu d'épaisseur, tourne autour de l’ex-
trémité méridionale du Spitzberg, et plonge dans les eaux du
Gulf-stream, à l’entrée septentrionale de la mer d'Allemagne.
Ce fleuve froid, rapide d’abord, puis faible courant d’eau,
influe beaucoup sur la température de la mer du Nord; il se
perd ensuite complétement, car le léger courant que produit
l’extrème étroitesse du pas de Calais a une température d’été
de 7°,9 GC. Le trajet du courant froid du Spitzberg se reconnait
1. Ocean Currents. An Address delivered to the Royal United Service Institution June
loth, 1871. By J. K. LAUGHTON, M. A., Naval Instructor at the Royal Naval College. (From
the Journal of the Institution, vol. XV) *
LE GULF-STREAM. 391
facilement sur la carte aux dépressions des lignes isothermes
et au draguage, à l'abondance des gigantesques Crustacés am—
phipodes, isopodes, et autres espèces des régions arctiques.
D’après sa faible rapidité initiale, le contre-courant arctique
doit sans aucun doute tendre légèrement à l’ouest, et la pesan—
teur spécifique de l’eau froide doit la précipiter dans les parties
les plus profondes. Il n’est pas impossible que, par la combi-
naison des deux causes et dans le cours des siècles, les cou—
rants ne se creusent de profonds sillons dans la direction du
sud-ouest. Quoi qu'il en soit, les grands courants arctiques
se voient nettement sur la carte se dirigeant dans ce sens,
ce qu'indiquent les déviations très-marquées des lignes iso-
thermes. Le plus remarquable de tous, c'est le courant du
Labrador, qui descend le long des côtes de la Caroline et de
New—Jersey, qui rencontre le Gulf-stream à la singulière
muraille froide, plonge au-dessous de lui à sa sortie du golfe,
et reparait à la surface un peu au dela; une portion de ce
courant se Jette même dans le golfe du Mexique, en passant
comme contre-courant froid sous le Gulf-stream.
Je soupçonne le Gulf-stream de former, à 50 ou 60 milles
de la côte occidentale de l'Écosse, une seconde muraille froide,
moins tranchée que Ja première. En 1868, après que nous
eumes étudié pour la première fois le remarquable courant
froid du canal qui sépare les Shetland des Faréer, j’exprimai
ma conviction que le courant était complétement maintenu dans
le canal de Faréer par le passage du Gulf-stream à son entrée.
Depuis lors jai été conduit à supposer qu'une portion des
eaux arctiques s'échappe le long de la côte d'Écosse, très-
mélangées et assez peu profondes pour être pénétrées jusqu'au
fond par la radiation solaire. A 60 ou 70 milles de la côte,
les lignes isothermes subissent une déviation légère, mais
générale. Dans les eaux basses de cette zone se trouvent en
grand nombre les types qui caractérisent la faune scandinave :
mais, malgré une habitude de la drague qui date de bien des
années, je n'y ai jamais trouvé aucun des Ptéropodes du Gulf-
oo)
DOS LES ABIMES DE LA MER.
stream, les charmantes Polyeystines, n1 les Acanthométrines,
qui littéralement pullulent au delà de cette limite. La diffé-
rence de température moyenne entre les côtes orientales et
occidentales de l'Écosse, qui est de 1°C., est un peu moindre
qu'elle ne le serait si le Gulf-stream arrivait plus près de la
côte occidentale.
Les communications entre l’Atlantique du Nord et la mer
Arctique, qui est un second cul-de-sac, sont ainsi restreintes,
et l'échange des eaux chaudes et des froides dans la direction
du courant du Gulf-stream est assez géné pour qu'une grande
partie du courant soit foreée de tourner vers le sud; les ouver—
tures du bassin antarctique sont aussi libres que possible, et se
font par une vallée ouverte et continue de 2000 brasses de pro-
fondeur, qui s'étend, au nord, le long des côtes occidentales
de l’Europe et de l'Afrique.
On ne pouvait guère douter, d'après la configuration du ter—
rain, que les eaux méridionales ne vinssent sourdre dans cette
vallée, mais ici nous en trouvons encore dans les cartes de
curieuses indications par la disposition remarquable des courbes
des isothermes. La température de l’eau du fond à 1230 brasses
de Rockall est de 3°,22 C., exactement identique à celle de la
mème profondeur dans la série de sondages faite par 47° 38" de
latit. N. et 12°08' de longit. O., dans la baie de Biscaye; on
peut supposer que, dans les deux cas, l’eau provient de la même
source. L’eau du fond, a Rockall, est plus chaude que celle de
la baie de Biseaye (2°,5 C.), et une chaine de sondages de tem-—
pérature partant du nord-ouest de l'Écosse pour arriver à un
point situé sur un bas—fond de l'Islande ne donne aucune tem—
pérature inférieure à 6°,5 C. Hest done fort peu probable que
la basse température de la baie de Biscaye soit attribuable a
une partie un peu considérable du courant du Spitzberg pas-
sant le long de la cote occidentale de l'Écosse; comme le cou-
rant froid de Vest de l'Islande chemine vers le sud beaucoup
plus à l’ouest, ainsi que cela est indiqué sur la carte par les
dépressions successives des isothermes, on peut supposer que
LE GULF-STREAM. 939
les conditions de température et la marche lente de cette énorme
masse d’eau modérément froide, et épaisse de près de 2 milles,
ont une origine antarctique plutôt qu’arctique.
L’Atlantique du Nord parait donc se composer d’abord d’une
immense nappe d’eau chaude apportée par le courant équatorial
dans sa marche vers le nord; la plus grande partie traverse le
détroit de la Floride, poussée dans la direction du nord-est par
les vents contre-alizés : on l'appelle dans son ensemble le Gulf-
stream. D’après les observations du capitaine Chimmo et d’au-
tres personnes encore, l'épaisseur de cette couche est variable,
diminuant jusqu’à 100 brasses environ dans la partie centrale
de l'Atlantique, et atteignant à une profondeur de 700 à
800 brasses sur les côtes de l’'Islande et sur celles de l'Espagne.
Secondement, d’une couche mélangée qui a environ 200 brasses
dans la baie de Biscaye, et au travers de laquelle la température
s abaisse rapidement; et enfin, d’une nappe sous-marine d’eau
froide ayant 1500 brasses d’épaisseur dans la baie de Biscaye,
masse d'eau que l'effet de la gravitation amène des sources
les plus profondes, arctiques ou antarctiques. A première vue,
il semble inadmissible que les eaux froides qui remplissent de
profondes vallées océaniques situées dans l'hémisphère septen-
trional proviennent en grande partie de l'hémisphère méri-
dional ; cette difficulté naît, je crois, de l'idée fausse qu’il existe
à l'équateur comme un diaphragme qui sépare le bassin océa-
nique du nord de celui du midi: c’est là une des erreurs pro-
duites par la théorie d’une circulation océanique semblable
à celle de l'atmosphère. Il se fait sans doute un exhaussement
graduel de la zone intertropicale d’eau froide sous-marine que
suuléve l’eau plus froide encore qui vient prendre la place de
celle qu'a emportée le courant équatorial et de celle qui a dis-
paru par l’évaporation, mais un tel mouvement doit se faire
irrégulièrement sur des espaces immenses : il doit être trés-lent
et sans aucun rapport avec la division produite dans l’atmos-
phère par l’envahissement violent des vents alizés du nord-
est et du sud-est dans la zone calme. Une des preuves les plus
310 LES ABIMES DE LA MER.
concluantes de la lenteur extrème des mouvements sous-
marins, c’est la nature du fond. Il s’amasse ‘sur une grande
partie du fond de Atlantique un dépôt de coquillages micros-
copiques, qui, avec leurs hôtes vivants, n’ont pas une pesan-
teur spécifique beaucoup plus grande que celle de l’eau dans
laquelle ils vivent. Ils forment une couche blanchatre, flocon—
neuse, que doit nécessairement entrainer le moindre mouve-
ment. Dans ces profondeurs moyennes, sur le trajet d’un
courant, ce dépôt disparait pour faire place à un gravier fin
ou grossier.
C’est à la surface de la mer seulement qu'une ligne est tracée
par le courant équatorial, qui déverse une énorme quantité
d’eau sur chaque hémisphère, en se brisant sur les plages
orientales des terres équatoriales. On peut s’en rendre compte
en jetant les yeux sur la carte physique la plus élémentaire.
Le Gulf-stream perd une énorme quantité de chaleur pen-
dant son trajet vers le nord. Sur un point, situé à 200 milles à
l'ouest d’Ouessant, des expériences ont été faites à bord du Por-
cupine aux plus grandes profondeurs ; la une section des eaux
de l'Atlantique montre l'existence de trois zones où s’accom—
plissent des échanges de température. D'abord la surface supé—
rieure du Gulf-stream, qui perd rapidement sa chaleur par
le contact d’une couche d'air constamment agitée et refroidie
par le mouvement, et par la transformation de ses eaux en
vapeur '. Ce refroidissement du Gulf-stream, ayant lieu sur-
tout à la surface, la température de la masse se maintient
par le mouvement à peu près uniforme. On rencontre ensuite
la zone inférieure du Gulf-stream, qui se trouve en contact
avee la surface supérieure du courant froid. lei l'échange
de température doit être fort lent, bien qu'il ne soit pas
douteux, car il y a une légère dépression des isothermes sur
>
tout le trajet du courant froid; le mélange s'étend sur un
1. On Deep-sea Climates. The Substance of a Lecture delivered to the Natural Science
Class in Queen’s College, Belfast, at the close of the Summer Session 1870, by professor
Wyville Thomson. (Nature, July 28th, 1870.)
LE GULF-STREAM. 24
espace considérable. L'eau froide étant à la couche inférieure,
le mélange,’ dans le sens ordinaire du mot, ne peut avoir lieu,
et l'échange de température se fait par conductibilité et par dif-
fusion. Ces moyens, lorsqu'il s’agit de pareilles masses d’eau,
doivent avoir exigé des siècles pour arriver à un résultat appré-
ciable. Les courants locaux et les marées ont aussi une action,
mais peu prompte et peu étendue.
La troisième zone est celle située entre la nappe froide et le
fond de la mer. La température de la croûte terrestre a été cal-
culée, et les résultats varient de 4° à 11° C., mais elle doit être
fortement refroidie par le mouvement et par le renouvellement
incessant d'eau froide ; cependant le contact avec le fond ne sau-
rait être une cause d'abaissement de température. La tempéra-
ture des eaux du Gulf-stream est à peu près égale dans toute
sa profondeur ; il y a une zone bien définie de mélange au point
de jonction de l’eau froide et de la chaude, et la nappe froide est
stratifiée d’une manière régulière par l'effet de la gravitation,
de telle sorte que, dans les eaux profondes, les lignes du con-
tour du fond de la mer sont généralement des lignes de tem—
pérature égale. En songeant à l’immense influence que les cou-
rants océaniques exercent sur la distribution des climats à
l'époque actuelle, je ne crois pas trop m’avancer en concluant
que ces courants, mouvements communiqués à l’eau par des
vents réguliers, ont existé à toutes les périodes géologiques,
comme l’un des grands moyens, je dirai presque le seul ca-
pable de produire une circulation générale et de distribuer
ainsi la chaleur dans l’Océan. Ils ont du exister partout où il
s’est trouvé des terres équatoriales pour interrompre le cou-
rant des vents alizés. Toutes les fois qu’un courant chaud
s’est détourné au nord ou au sud de la zone équatoriale, une
masse d’eau polaire est Yenu sourdre au fond et prendre la place
des eaux ainsi emportées ; l'Océan devait done, comme de nos
jours l'Atlantique et le Pacifique, se composer d’une couche
supérieure d’eau chaude et d’une couche inférieure d'autant
plus froide qu’elle est plus profonde.
342 LES ABIMES DE LA MER.
Contrairement done aux idées de mon collégue distingué, je
suis contraint de répéter que je ne vois jusqu'ici aucune raison
de modifier ma manière de voir. Je suis toujours plus convaincu
que les remarquables conditions de elimat des côtes du nord
de l’Europe sont dues surtout à l'influence du Gulf-stream. Et
quoique des mouvements d’une certaine importance puissent
se produire à la faveur des différences de pesanteur spécifique,
l'influence du grand cours d’eau que nous nommons le Gulf-
stream, branche du grand courant équatorial, est trop domi-
nante pour ne pas effacer toutes les autres.
Le Géant et la Sorcière (Farüer).
CHAPITRE IX
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS
Les Protozoaires des mers profondes. — Le Bathybius. — Les Coccolithes et les Cocco-
sphères. — Les Foraminiféres des espaces chauds et ceux des espaces froids. —
Les Hexactinellides. — Le Rossella. — L’Hyalonema.
Les Crinoides à tige. — Le Pentacrinus.— Le Rhizo-
Les Astéries des mers profondes. — Distribution géné-
Eponges des mers profondes.
— Coraux des mers profondes.
crinus. — Le Bathycrinus.
rale et rapports des Oursins des mers profondes. — Les Crustacés, les Mollusques
et les Poissons recueillis pendant les expéditions du Porcupine.
Le moment de présenter une description détaillée de la faune
des mers profondes n’est point encore venu, fût-il même pos—
sible de la faire sous la forme d’une simple esquisse des résultats
généraux des recherches qui viennent d’avoir lieu. Je me bor-
nerai done pour le moment à faire un court résumé de la distri-
bution des formes de la vie animale qui se sont rencontrées dans
la zone étudiée pendant les draguages du Porcupine, zone qui
ajoute 100 milles, sur les côtes du nord et de Pouest des Îles
Britanniques, aux espaces géologiques qui leur sont propres.
La limite des profondeurs autrefois sérieusement étudiées était
de 200 brasses; nous avons porté nos recherches jusqu à
800, 1000 brasses, et, dans une ou deux circonstances, jus—
qu’à l’extrème limite de 2000 brasses.
Ces investigations, qui ont eu pour résultat la découverte,
dans ces grandes profondeurs, d’une faune abondante et variée
d’Invertébrés marins, nous ont fourni des sujets d'étude en telle
344 LES ABIMES DE LA MER.
profusion, que certaines classes les plus étendues demanderont
aux spécialistes des années de travail. Ne pouvant qu effleurer
l'histoire de ceux des ordres qu'il a été impossible jusqu'ici
d'atteindre, je m’étendrai un peu plus sur certains groupes res—
treints qui éclaircissent plus particulièrement la question des
conditions qui régissent la région des abimes et celle des rap-
ports de leur faune avec celles des autres provinces zoologiques
et des périodes antérieures. A la tête de ces groupes spéciaux la
première et la plus simple des sous-divisions d'Invertébrés, les
Protozoaires, représentés par trois de leurs classes, les Monères,
les Rhizopodes et les Éponges, occupent une place importante.
Les Monères ont été placés récemment dans une classe
distincte par le professeur Ernest Haeckel‘. Ce sont des êtres
presque informes, apparemment privés de toute structure
interne, organismes rudimentaires qui vivent et se meuvent
sous une forme gélatineuse. Leur caractère principal, qui,
selon Haeckel, les distingue des autres Protozoaires, leur
reproduction non sexuelle, mais uniquement par subdivision
spontanée, peut, avec le temps et les progrés de la science, étre
controuvé; mais leur nombre, la ressemblance qu ils ont entre
eux, qui n'empêche pourtant pas de distinguer les différentes
espèces, quoique douées de caractères peu tranchés, le rôle im-
portant qu'ils jouent dans l’économie de la nature, tout paraît
leur donner droit à une position d’une importance plus qu'ordi-
naire. Les naturalistes allemands, dans leur enthousiasme pour
la théorie Darwinienne de l’évolution, voient naturellement
dans ces Monères l’attribut essentiel de l’Urschleim, puissance
illimitée pour le progrès physiologique dans toutes les directions
possibles. Pour les biologistes plus positifs, ils offrent un pro—
fond intérêt, parce qu’ils présentent les phénomènes essentiels
de la vie, la nutrition et Virritabilité, tout en n'ayant que l’appa-
rence d’un composé chimique homogène et dépourvu d'orga-
nisation.
1. Biologische Studien. Von Dt Ernst Hagcket, Professor an der Universitit lena
Leipzig, 1870.
LA FAUNE-DES GRANDES PROFONDEURS. 345
Des Monères on passe aux Rhizopodes, qui donnent quel-
ques signes de perfectionnement dans les formes arrêtées et la
structure gracieuse des coquilles que la plupart d’entre eux
sécrètent ; les deux groupes peuvent être réunis.
Le draguage à 2435 brasses, fait à l'entrée de la baie de
Biscaye, a donné une idée très-juste des conditions du fond de
la mer sur une zone fort étendue, ainsi que nous l'ont appris les
nombreuses observations qui ont été faites depuis, au moyen
des divers instruments de sondage inventés pour ramener des
échantillons du fond. Dans ces parages, la drague remonta en-
viron 150 livres de limon calcaire. D’après son contenu, il était
évident que le lourd chassis était tombé pesamment et s’était
en partie enfoui dans la vase molle qui lui avait opposé peu
de résistance. L'ouverture du sac avait été ainsi partiellement
obstruée, ce qui avait empèché l'introduction des organismes
vivants. Les matières contenues dans la drague consistaient
surtout dans une masse compacte, de couleur bleuâtre, recou-
verte d’une couche mince (évidemment superficielle) beaucoup
plus molle, d’une consistance crémeuse et d’une teinte jaunâtre.
On vit à l’aide du microscope que cette couche supérieure se
composait principalement de coquilles entières de Globigerina
bulloides (fig. 2, page 18) grands et petits, et de fragments
de ces coquilles mélangés d’une quantité de matières amor-
phes calcaires en particules impalpables, d’un peu de sable,
de beaucoup de baguettes d’Oursins plus ou moins brisées,
de coquilles de Radiolaires, de quelques spicules d’Kponges et
de quelques carapaces de Diatomées. Au-dessous de la couche
de surface, le sédiment devient graduellement moins compacte,
une légère nuance grise, qui provient, selon toute vraisem-
blance, de matières organiques en décomposition, se prononce
de plus en plus, et les coquilles entières de Globigérines tendent
à disparaitre ; tous les fragments deviennent plus petits et l’on
ne trouve plus qu'un limon calcaire très-fin. En examinant ce
sédiment, on ne peut douter qu’il ne se compose en majeure
partie de l’accumulation et de la désagrégation des coquilles de
346 LES ABIMES DE LA MER.
Globigérines : coquilles entières, fraiches et vivantes dans la
couche supérieure; plus bas, mortes, tombant graduellement en
poussière par l'effet de la décomposition de leur ciment organique
et de la pression des couches supérieures ; matière animale qui
a beaucoup de ressemblance, par la manière dont elle se forme,
avec celle produite par l'accumulation des matières végétales
dans une tourbière: la vie et la croissance dans les régions
supérieures ; la mort, une lente décomposition et des phéno—
mènes dus à la pression, dans les couches inférieures.
Dans ce draguage, comme dans la plupart de ceux qui ont
été faits dans Atlantique, on a trouvé en quantités considé—
rables une matière organique molle et gélatineuse qui donne
une certaine viscosité au limon de la surface. Quand on agite ce
limon dans de l’alcool peu concentré, il s’en détache de légers
flocons semblables à des mucosités coagulées, et quand on place
dans une goutte d’eau de mer, sous la lentille du microscope,
une parcelle du limon le plus pénétré de ces viscosités, on aper-
coit en général, au bout de quelques instants, une membrane
presque imperceptible formée d’une matière qui ressemble à
du blanc d'œuf, qui ne se distingue que parce qu’elle conserve
ses contours et ne se mélange pas avec l’eau. On voit cette
membrane varier lentement de forme, et les granules et autres
corps étrangers qui y sont engagés changer de position. La
matière gélatineuse est done susceptible d’un certain mouve--
ment, et il n’est pas douteux que ce ne soit là une manifestation
de la vie sous une forme des plus élémentaires.
C’est à cet organisme, s’il est permis de désigner ainsi un être
qui ne montre pas trace de dfférentiation d'organes, qui con-
siste, selon toute apparence, dans une mince couche d’une ma-
tiére amorphe protéique, sensible à un degré presque nul, mais
capable de s’assimiler la nourriture, auquel le professeur
Huxley a donné le nom de Bathybius Haeckelii (fig. 63). S'il
doit être reconnu pour une entité vivante ayant acquis sa forme
distincte et définitive, il doit prendre place dans la division la
plus simple des Rhizopodes sans coquille, ou parmi les Monères,
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 347
si nous adoptons la classification de Haeckel. Ce qui donne au
Bathybius son principal intérêt, e’est son aire de dispersion: qu il
Fic. 63. — Une grande eystode de Bathybius avec des Coccolithes. Le protoplasma, contenant
beaucoup de Discolithes et de Cyatholites, forme un filet à trame épaisse 1. — (Grossissement,
700 diamètres.
se montre sur de vastes étendues ou en groupes circonscrits
et séparés, il paraît occuper une grande partie du lit de l'Océan;
et, comme aucun étre vivant, si passive qu’on suppose son
1 Biologische Studien. Von D' Ernst HAECKEL, Professor an der Universität Tena.
Leipzig, 1870.
348 LES ABIMES DE LA MER.
existence, n’est jamais absolument immobile, mais agit et réagit
continuellement sur tout ce qui Ventoure, il faut en conclure
que le fond de la mer est, comme sa surface et celle de la terre,
le théâtre d’un changement incessant, et remplit un grand role
dans l’œuvre du maintien de « l'équilibre de la nature orga-
nique ».
Des corpuscules calcaires de forme particulière, constam—
ment engagés et emportés dans ces courants visqueux, ont été
regardés pendant longtemps comme faisant partie du Bathy-
bius. Ces petits corps, soigneusement étudiés par Huxley‘,
Sorby’, Haeckel’, Carter‘, Gümbel” et d’autres encore, rap-
pellent par leur forme certains boutons ovales, doubles, qui
ferment Je devants de chemises d'homme. Ils se composent
d’un petit disque ovale d'environ 0"",01 de longueur, ayant
au centre une espèce de cone oblong, grossièrement taillé
à facettes, autour duquel, chez les spécimens vivants, se dresse
une sorte de frange composée de matière organique; une
courte tige ou col, puis un second disque plus petit, qui rap-
pelle le petit disque inférieur du bouton de chemise. Huxley
donne à ces corps, qu'on rencontre à tous les degrés de déve-
loppement, le nom de Coccolithes. On les trouve quelquefois
agelomérés à la surface de petites boules membraneuses,
transparentes, qu'on a supposé d’abord être pour quelque chose
dans la production des Coccolithes, et que le D° Wallich nomme
Coccospheres (fig. 64). Le professeur Ernest Haeckel déeri-
vait récemment un fort élégant organisme appartenant aux
Radiolaires, et, selon toute apparence, allié au 7halassicolla,
le Myxobrachia rhopalum. Aux extrémités des bizarres ap—
pendices divergents de cet animal, il a découvert des agglo-
mérations de corpuscules trés-semblables aux Coccolithes et
aux Coccosphères du fond de la mer. Ces corps paraissent
1. Quarterly Journal of Microscopical Science, 1868, p. 205.
2. Proceedings of the Sheffield Literary and Philosophical Society, October 1860.
3. Op. cit.
4. Ann. and Mag. Nat. Hist., 1871, p. 184.
», Jahrbuch Munch, 1870, p. 73.
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 349
avoir servi de nourriture au Myrobrachia, et les parties dures
s'étaient accumulées dans les cavités du corps de lanimal,
après l'absorption des parties assimilables. Il n'est pas douteux
qu'un grand nombre des organismes dont les squelettes sont
mélangés au limon du fond de la mer ne vivent à la surface;
les légers disques, les spicules déliés, siliceux ou calcaires,
tombent lentement à travers les couches aqueuses, et finissent,
Fig. 64, — Coce spheres — Grossissement, 100),
quelle que soit la masse d’eau à traverser, par arriver au fond.
Je crois que l'opinion la plus généralement accréditée main-
tenant, c’est que les Coccolithes sont les articulations d’une
petite Algue unicellulaire qui vit à la surface de la mer; elles
s’enfoncent et se mélangent au sarcode du Bathybius : de cette
facon, les matières végétales qui en font partie servent à nourrir
la gélatine animale. On ignore encore ce que sont les Cocco-
sphères et les rapports qui peuvent exister entre ces organismes
ct les Coccolithes.
Il est encore une multitude de Protozoaires, de Foramini-
fères et autres Rhizopodes, Radiolaires et Éponges, qui vivent
au milieu de ces Bathybius, mais ce sont des groupes dont les
conditions d'existence sont encore à peu près complétement
inconnues. Nul doute que lorsque le développement de ces
250 LES ABIMES DE LA MER.
organismes aura été-sérieusement étudié, on ne constate que
beaucoup d’entre eux peuvent changer de forme, et que lorsque
nous connaitrons bien leur mode de multiplication, nous ne
nous trouvions en présence de nombreux cas de polymor-
phisme, présentant de grandes différences entre les individus
sexués et leurs produits. Je ne suis pas du tout convaineu que
le Bathybius soit la forme définitive d’un être vivant et dis-
tinct; il m’a paru, au contraire, que des individus différents
présentaient des variations d’aspect et de consistance. Bien
qu'il n’y ait rien dimprobable dans le fait de l'existence
au fond de la mer d'une masse abondante de Monères sans
coquille, je ne crois pas impossible qu’une grande partie des
Bathybius, c’est-à-dire du protoplasme sans forme qui se
trouve répandu dans les grandes profondeurs, ne soit après
tout qu'une espèce de mycélium, un produit informe du pro—
eres, de la multiplication ou de la décadence de plusieurs
organismes différents.
Des Foraminifères appartenant à différents groupes habi-
tent les grandes profondeurs, et vivent, soit sur la surface, soit
mélangés à la couche supérieure du limon à Globigérines, ou
bien encore fixés sur quelque corps étranger, Éponge, Corail
ou rocher. Tous sont remarquables par leurs grandes dimen—
sions. Dans les «espaces chauds », et partout où le fond se
compose de limon, les formes calcaires dominent, ainsi que les
eros Cristellaires recouverts de sable durci par un ciment eal-
caire qui fait ressortir chaque grain en sombre sur la surface
blanche de la coquille, Les Miliolines abondent, et les spéci-
mens de Cornuspira et de Buloculina dépassent de beaucoup
pour la taille tout ce qu'on avait trouvé jusque-là dans les
régions tempérées; elles rappellent les formes tropicales qui
abondent au milieu des îles du Pacifique.
Dans la région froide et sur le trajet des courants froids, les
Foraminifères dont le test est garni de sable sont très-nom-—
breux; quelques-uns de ceux qui appartiennent aux genres
Astrorhiza, Lituola, et Botellina, sont gigantesques, et four-
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. dol
nissent des exemplaires de 30 millimétres de longueur sur
8 millimètres de diamètre.
Quelques coups de drague dans les eaux profondes ont suffi
pour nous prouver que nos connaissances relatives aux Eponges
sont encore trés -rudimentaires; les espèces que nous avons re—
cueillies dans les bas-fonds de nos rivages, et même celles qui
ont été ramenées en petit nombre des grandes profondeurs sur
les cordes de péche, et qui nous ont charmés par la beauté de
leurs formes et l'éclat de leur lustre, ne donnent qu’une faible
idée de la faune merveilleusement variée des Éponges, qui
parait s'étendre sur le fond tout entier des mers. Je ne peux
essayer ici qu'une ébauche des caractères généraux de celles
qui sont venues s'ajouter à ce que nous connaissions déjà
de ce groupe; Les Éponges recueillies pendant l’expédition du
Porcupine sont en ce moment entre les mains de M. Henry
Caster, chargé d’en faire la description. Un excellent aperçu
sur les Éponges des profondeurs de |’ Atlantique a été publié
par l’homme le plus compétent sur les animaux de ce groupe,
par le professeur Oscar Schmidt, de Grätz.
Ainsi que je l’ai déjà dit, les formes nouvelles les plus
remarquables appartiennent au groupe qui parait être spécial
aux eaux profondes, les Hexactinellides. J'ai déjà brièvement
décrit (page 59) une des formes les plus abondantes et les
plus singulières de cet ordre, VHoltenia Carpenteri: toutes
les autres, malgré les variations de forme et d'apparence gé-
nérale, sont conformes à |’//oltenia dans leurs caractères
essentiels. Chez les Hexactinellides, tous les spicules, autant
du moins qu'il nous est donné de le constater, sont de forme
serradiée, cest-a-dire qu'ils ont un axe principal long ou
court, et quatre rayons secondaires qui traversent cet axe
à angle droit. Il arrive assez fréquemment qu'une moitié de
la lige centrale fait défaut ou qu'elle n’est représentée que par
un petit tubercule arrondi; nous avons alors un spicule dont
l'extrémité est en forme de croix, ainsi qu’on les voit fréquem-
ment dans l’armure extérieure de ces Éponges. Quelquefois
059 LES ABIMES DE LA MER.
352
aussi les rayons secondaires n’ont pas tout leur développement ;
lorsqu'il en est ainsi, comme dans les longues fibres de la touffe
de l'Ayalonema, dans les jeunes spicules et dans d’autres qui
sont légèrement anomaux, quatre petites saillies vers le mi-
lieu du spicule, recevant quatre branches secondaires du canal
central, maintiennent la persistance du type primitif. Chez
plusieurs des Hexactinellides, les spicules, tous distinets, sont
réunis, comme chez l’'Aoltemia, par une petite quantité de sar-
code presque transparent, tandis que chez d’autres, comme chez
la « Corbeille de Vénus », et chez les genres presque aussi bril—
lants, /phiteon, Aphrocallistes et Farrea, les spicules s’entre-
croisent et forment un filet siliceux continu. Quand il en est
ainsi, en faisant bouillir l'Éponge dans de l'acide nitrique,
toutes les matières organiques, toutes les impuretés disparais-
sent pour ne laisser qu'un squelette, ravissante dentelle tissée
du cristal le plus limpide. La forme des spicules à six rayons
donne au filet qui résulte de leur combinaison une grande
variété de dessin, avec une tendance caractéristique pourtant
à présenter des mailles carrées.
Le 30 août 1870, M. Gwyn Jeffreys, draguant à 651 brasses
dans l'Atlantique, à Ventrée du détroit de Gibraltar, retira
une Eponge semblable à l'Holtenia, mais qui s’en distingue
cependant par la singulière et charmante particularité d’un
léger voile extérieur, tendu à un centimètre de la surface et
formé de l’entrelacement des quatre rayons secondaires des
grands spicules à cing bras semblables à ceux de I’ Holtenia.
Les petits spicules du sarcode, enfouis dans les parties gélati-
neuses de l'Éponge vivante, sont d’une forme totalement diffé-
rente. Un seul oscule s'ouvre largement, comme chez l'ÆHol-
tena, à la partie supérieure seulement; au lieu de former
une coupe régulièrement doublée d’un filet membraneux, le
fond de la cavité oseulaire se divise en un certain nombre
de conduits qui se ramifient comme chez le Pheronema Annee
décrit par le D'Leidy (fig. 65). Au premier abord j'étais disposé
à placer cette espèce dans le genre Pheronema, mais ni la des—
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 300
eription ni le dessin du D' Leidy ne sont concluants; ils peuvent °
Fic. 65. — Rossella velata, WYvILLE Thomson. Grandeur naturelle. (N° 32, 1870.)
fort bien s'appliquer a quelque autre forme du groupe des #ol-
tenia. Les spicules du chevelu sont plus rigides et plus épais
yo
23
BY LES ABIMES DE LA MER.
.
que ceux de l’//ollenia et sont mélangés de très-gros crochets
à quatre pointes.
Par 400 à 500 brasses de profondeur, à la pomte de Lews,
nous avons trouvé deux fois des individus adultes d’une espèce
qui appartient au genre remarquable Hyalonema (fig. 66), dont
les plus grands exemplaires avaient des torsades de plus de
40 centimètres de longueur. L’Æyalonema est incontestable-
ment un objet d'étude des plus remarquables ; et bien que nos
spécimens appartiennent, selon toute apparence, à l'espèce déjà
signalée par M. Barboza du Bocage sur les côtes du Portugal,
VHyalonema lusitanicum, ils n’en sont pas moins une des
acquisitions les plus intéressantes qu’ait faites pendant notre
croisière la faune britannique.
Une touffe composée de 200 à 500 fils de silice transparente,
d'un éclat soyeux, semblable au verre filé le plus brillant. —
Chacun des fils, long de 30 à 40 centimètres, ayant au milieu
le volume d’une aiguille à tricoter, puis se terminant en pointe
fine à chaque extrémité; la touffe entière réunie en spirale
allongée, comme un cordage; les parties moyennes et supérieures
soudées et enroulées en hélice par le fait de la torsion de chacun
des fils dont elles sont composées; la partie inférieure de la
torsade, lorsque l'animal est vivant, plongeant dans le limon,
est éraillée de façon que chaque fil se trouve isolé des autres,
comme les poils d’une brosse luisante ; la partie supérieure,
serrée et compacte, assujettie perpendiculairement daus une
Éponge conique ou cylindrique. Ordinairement, l’extrémité
supérieure de la corde siliceuse et une partie de la substance
spongieuse sont recouvertes d’une couche brunatre semblable
à du cuir, dont la surface est constellée des Polypes d’un Zoo-
phyte alcyonaire. Tel est Vaspect que présente, un spécimen
complet de l’Hyalonema.
Le genre a été connu en Europe par des échantillons rappor-
tés du Japon par le célèbre naturaliste voyageur von Siebold;
on voit encore des exemplaires japonais d’Hyalonema Sieboldi
(Gray), plus ou moins complets, dans la plupart des Muséums
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 309
européens. À l’époque où le premier Hyalonema fut apporté
Fic. 66. — Hyalonema lusitanicum, BARBOZA bu BocaGe. Demi-grandeur naturelle, (N° 90, L860.
chez nous, les autres Kponges siliceuses quis en rapprochent de
356 LES ABIMES DE LA MER.
si prés dans toutes les parties essentielles de leur structure, n°é-
taient pas encore connues ; il est curieux de suivre l’évolution
des idées qui se sont formées successivement à leur sujet.
L'organisme se compose de trois parties bien distinctes: la
première, et de beaucoup la plus remarquable, c’est la torsade
d’aiguilles siliceuses; l'Éponge, qui pendant longtemps a été
regardée comme la base de laquelle se projetait la touffe luisante
qui était supposée s’étaler au-dessus d’elle dans l'eau; et enfin
les Zoophytes parasitaires incrustés dans la masse.
Cette conformation compliquée faisait naitre beaucoup de
conjectures. L’Hyalonema était-il un produit naturel? Ce
qu'on en voyait constituait-il un organisme complet ? Ses trois
parties devaient-elles nécessairement être réunies ? Si non,
chacune des trois pouvait-elle être indépendante des autres?
Ou bien deux d’entre elles faisaient-elles partie du même
organisme ?
L’ Hyalonema a été nommé et déerit pour la première fois
en 1835, par le D° Edward Gray; dans deux notices publiées
dans les Annales d'hustoire naturelle, il a énergiquement
défendu son opinion première. Le D° Gray associait la touffe
siliceuse aux Zoophytes, et regardait l'Éponge comme un or-
ganisme à part. La torsade siliceuse représentait pour lui l’axe
calleux de l Eventail de mer (Gorgonia), et la couche semblable
à du cuir comme son écorce charnue. Il supposait exister entre
ce Zoophyte et l’Éponge des rapports d'hôte et de commensal,
le Zoophyte étant invariablement associé à l’Éponge. D’après
cette opinion, il proposa, pour classer le Zoophyte, un nouveau
groupe d'Alcyonaires auquel il donna le nom de Spongicole,
pour le distinguer des Sabulicole (Pennatulæ) et des Rupicole
(Gorgonie).
Sous bien des rapports la théorie du D' Gray paraissait être
juste, et elle fut acceptée dans ses données principales par le
D' Brandt, de Saint-Pétersbourg, quien 1859 publia un long
mémoire dans lequel étaient décrits un certain nombre de spé-
cimens apportés du Japon. Le D' Brandt plaçait ce qu'il croyait
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 907
un Zoophyte composé de la torsade et de l'enveloppe dans
un groupe spécial de Zoanthaires scléreux munis d'un axe
siliceux.
Un fait cependant s'élevait fortement contre l'hypothèse du
D' Gray et du professeur Brandt: aucun Zoophyte connu n'avait
un axe purement siliceux, et cet axe, composé de spicules indé-
pendants et détachés, se trouvait en étrange contradiction avec
les caractères de la classe. D'autre part, les spicules de toutes
formes et de tous volumes sont connus dans les Eponges, et
en 1857 le professeur Milne Edwards, s’autorisant de Valen-
ciennes, si versé dans l'anatomie des Gorgonia, réunit | Kponge
à la torsade, et fit descendre le Zoophyte au rang de simple
parasite.
Tout objet un peu étrange provenant du Japon doit être
examiné avec défiance. Les Japonais sont extrémement adroits,
et l’un des buts favoris de leur industrie est la fabrication de
monstres impossibles au moyen de la juxtaposition des ditfé-
rentes parties d'animaux divers. Il était done tout à fait probable
que le tout était une tromperie; que ces beaux spicules, em-
pruntés à quelque organisme inconnu, avaient été transformés
en corde par les Japonais, puis soumis, pour obtenir la complète
agelutination des fibres, à l’action des Éponges et des Zoophytes
qui pullulent dans les bas-fonds rocailleux. Ce fut là l'impression
qu'éprouva Ehrenberg en examinant |’ //ya/lonema. H reconnut
tout de suite dans les torsades siliceuses les spicules d’une
Éponge absolument indépendante des Zoophytes dont ils étaient
incrustés, et il pensait que ceux-ci avaient été fixés sur la torsade
par des moyens artificiels et soumis à des conditions spéciales
favorables au développement d’une Éponge d'espèce différente.
L'état où l’on voit en Europe beaucoup de spécimens est fait
d'ailleurs pour exciter des doutes sur leur authenticité. Des
masses de spicules arrangés de différentes manières se vendent,
parait-il, comme ornements, soit en Chine, soit au Japon. Les
torsades de spicules sont souvent placées verticalement, et leurs
extrémités supérieures passées à travers des trous pratiqués
358 LES ABIMES DE LA MER.
dans des pierres. M. Huxley montrait, il y a quelques années,
à la Société Linnéenne un magnifique spécimen de cette espèce,
maintenant au British Museum. Une pierre a été percée proba—
blement par des Mollusques lithophages et toute une colonie
d’ Hyalonema jeunes et vieux sortent de ses cavités : les plus
erands individus ont un pied et plus de longueur; les plus
petits ont la dimension du pouce et rappellent de petits pin-
ceaux de poil de chameau. Tous sont incrustés des inévitables
Zoophytes qui s’étendent çà et là jusque sur la pierre où ils ont
probablement été scellés; mais il n’y a pas trace d’Kponge.
Un pareil arrangement ne peut être quartificiel.
Le D* Bowerbank, grande autorité en fait d'Éponges, émet
une autre opinion. Il soutient que «l'axe siliceux, son enve-
loppe, ainsi que l'Éponge qui se trouve à sa base, font partie
du même animal ». [l considère les Polypes comme des oscules
qui, avec la torsade, constituent une espèce de colonne creuse
servant de cloaque.
Le professeur Max Schultze, de Bonn, aprés avoir étudié
avec grand soin, au Muséum de Leyde, divers spécimens plus
ou moins complets d’ Hyalonema, a publié en 1860 une {des-
cription détaillée de sa structure. D’après Schultze, l’Éponge
conique constitue le corps de |’ Hyalonema, Kponge alliée sous
tous les rapports à l’£Evplectella, et la torsade siliceuse est un
appendice composé de spicules modifiés. Le Zoophyte est,
cela va sans dire, un animal entièrement distinct, et ses seules
relations avec l'Éponge sont des rapports de commensalité; il
s'établit sur l’Éponge, vivant certainement aux dépens de la
torsade, et prenant probablement sa part de l’oxygène et des
matières organiques attirés par l'appareil ciliaire des canaux
de l’animal. Ce genre d'association est très-commun, et nous en
avonsun autre exemple dans le Palythoa Axinelle (Schmidt),
commensal assidu de PAxinella cinnamomea et de VAxinella
verrucosa, deux Éponges de l’Adriatique.
En 1864, le professeur Barboza du Bocage, directeur du
Muséum d'histoire naturelle de Lisbonne, communiquait à la
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 359
Société zoologique de Londres la nouvelle inattendue de la dé-
couverte, sur les côtes du Portugal, d’une espèce d’ Hyalonema,
et en 1865 il publiait, dans les Procès-verbaux de la même
Société, une note supplémentaire sur le lieu d'habitation de
l Hyalonema lusitanicum. UW parait que les pêcheurs de Setubal
ramènent fréquemment des grandes profondeurs, sur leurs
cordes, des torsades de fil siliceux qui ressemblent beaucoup
à celles de l'espèce japonaise, qu’elles surpassent même en lon—
gueur, car elles atteignent parfois 50 centimètres. Les pêcheurs
paraissent les bien connaître. Ils les appellent « fouets de
mer»; mais, avee l'esprit superstitieux de leur classe, ils regar-
dent tout ce qu'ils prennent et qui sort de l'ordinaire comme
« portant malheur», et se hatent ordinairement de les mettre en
pièces et de les rejeter à la mer. A en juger par quelques spé-
cimens du British Museum et par le dessin de du Bocage, la
«corde de verre » de l’espèce portugaise est moins épaisse que
celle de l’Æyalonema Sieboldi. iy à aussi une légère différence
dans la sculpture des longues aiguilles ; mais la structure même
de l’Éponge et la forme très-caractéristique des petits spicules
sont identiques. Je ne pense pas qu'il y ait entre les deux
formes d’autres différences que quelques imperceptibles nuances
dans les détails, et, s’il en est réellement ainsi, e’est une nou—
velle espèce à ajouter à la liste de celles qui sont communes
à nos mers et aux mers du Japon.
La plus singulière peut-être des circonstances qui ont
accompagné ces études, c’est que pendant toute leur durée
l’Éponge a été étudiée sens dessus dessous, et que personne
n'a eu l’idée de la placer en sens inverse. Cela vient de l’ar-
rangement des spécimens apportés du Japon et assujettis dans
des pierres ; il est certain que l'Éponge a tout l'air d’avoir été
faite pour servir de base à l'édifice. Quand les Eponges dra-
guées plus tard sur les côtes d'Europe furent comparées a
d’autres espèces voisines, il devint évident que la touffe sortant
de la partie inférieure de l'Éponge est placée la pour la sou-
tenir, et que le disque plat ou légèrement creusé qui reçoit l’ex-
360 LES ABIMES DE LA MER.
trémité supérieure de la torsade, avec une papille au centre, de
larges ouvertures osculaires, et une frange de spicules déliés
rayonnant autour des bords, est la partie supérieure de l'Éponge
destinée probablement à s'étendre à la surface du limon.
L’Hyalonema se rapproche beaucoup, dans sa structure
essentielle, de 1 Holtenza et des.formes les plus caractéristiques
des Hexactinellides. La surface est soutenue par un filet carré,
formé par l’entrecroisement symétrique des quatre rayons
secondaires de spicules à cing branches; le sarcode qui relie
ensemble ces rayons est plein lui-même de légers et impercep-
tibles spicules, qui garnissent les branches comme une frange
déliée. Les ouvertures (oscula) sont placées presque toutes sur
le disque supérieur, et conduisent à de nombreux passages qui
traversent dans tous les sens le corps de l’Éponge. Lorsque
l’on étudie son développement, la torsade perd tous ses mys-
teres. Un des Æoltenia pris à la pointe de Lews avait parmi
ses fibres une légère accumulation de matière verdatre et gra-
nulée; placée sous le microscope, on découvrit qu'elle se
composait d'un grand nombre de petites Éponges à peine
sorties de l’état de germes. Toutes se ressemblaient parfai-
tement à première vue : c'étaient de petits corps en forme
de poire, avec un long et léger pinceau de spicules soyeux,
en guise de tige. En y regardant de plus près cependant, ces
germes parurent appartenir à des espèces différentes, chacun
reproduisant, sans qu'on püt s'y méprendre, les formes qui
caractérisaient ses spicules spéciaux. La plupart étaient des
jeunes 7siphonmia: mais parmi eux se trouvaient plusieurs
Holtenia, et un ou deux se rapportaient à l’Ayalonema. Deux
ou trois draguages dans la mème localité nous en amenèrent
à tous les degrés de développement, charmants petits orga-
nismes longs d’un centimètre, ayant une seule ouverture
osculaire à leur extrémité supérieure, et une touffe semblable
à un léger pinceau. À ce degré de croissance, le Palythoa est
habituellement absent; mais, dès que le corps de l’Éponge
atteint 15 millimètres de longueur environ, on aperçoit géné-
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 361
ralement un petit tubercule rougeatre au point de jonction de
la torsade et du corps de l'Éponge : c’est le germe du premier
Polype.
L’Hyalonema lusitanicum (Barboza du Bocage), espèce qui
se trouve dans les mers britanniques et sur les côtes oceiden—
tales de l’Europe, parait habiter une zone restreinte, mais être
fort abondante aux stations ott on la rencontre.
Pendant la croisière de M. Gwyn Jeffreys en 1870, on
dragua, à la hauteur du cap Saint-Vincent, sur un terrain
Fic. 67. — Askonema selubalense, KENT. Un huitième de la grandeur naturelle. (N° 25, 1870.)
rocailleux et par 374 brasses, deux spécimens d’une très-
curieuse Éponge, faisant partie des Hexactinellides. La plus
grande représente une coupe complète, fort élégante, de 90 cen-
timètres de diamètre, sur 60 de hauteur (fig. 67). L’Eponge
fut retirée pliée en deux, et ressemblait ainsi à un morceau
de molleton de laine grossier et grisätre. La structure cepen—
dant est fort belle. Comme celle de l’Aoltenia, elle consiste
dans deux couches de filet, une intérieure, l’autre extérieure,
362 LES ABIMES DE LA MER.
formées par lentrelacement symétrique des quatre branches
latérales de spicules à cing rayons; de même que chez V Hol
lenia et le Rossella, le sarcode est plein de spicules excessi-
vement fins, à cing et à six branches, qui cependant ont un
caractère bien distinct et qui leur est spécial; cd et là un très-
beau spicule en forme de rosette, autre modification curieuse
du type sexradié, qui caractérise ce groupe. Entre ces deux
filets, la substance même de l'Éponge se compose de mailles
détachées et arrondies, formées par les faisceaux faiblement
réunis de longues fibres, mélangées de spicules appartenant
à d'autres formes, mais en petite quantité. Cette Éponge parait
avoir été fixée sur une pierre. Elle est dépourvue de spicules
d'ancrage, et le pied de la coupe, qui dans nos deux spécimens
est tres—rétréci et de forme carrée, a, selon toute apparence,
été arraché de quelque corps auquel il était adhérent. Cette
belle espèce a été nommée Askonema setubalense, et brieve—
ment décrite, d’après un exemplaire du Muséum de Lisbonne,
par M. Saville Kent, dans un mémoire où il fait mention des
Éponges draguées dans le yacht de M. Marshall Hall‘.
D’autres Éponges appartenant à des groupes différents, ra-
menées aussi des grandes profondeurs, sont presque aussi inté-
ressantes. J’ai déjà fait allusion (page 157) aux belles espèces
branchues appartenant aux Espéradiées, qui abondent sur les
côtes de l'Écosse et du Portugal. Près de l’entrée du détroit de
Gibraltar, on a pris en quantités considérables bon nombre
d'individus qui font partie d’un groupe qu'on a confondu au
premier abord avec les Hexactinellides, parce qu’elles présen-
tent fréquemment un filet siliceux, brillant et continu, qui,
bouilli dans l'acide nitrique, produit la même fine dentelle. Les
Corallio-spongiaires diffèrent pourtant des Hexactinellides par
un caractère trés-important. Chez ces dernières, le spicule est
serradé; chez les premiers, il se compose d’une /léche ayant
à une extrémité trois rayons divergents. Il arrive souvent que
1. Monthly Microscopic Journal, November 1, 1870.
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 363
ceux-ci s'étendent sur un même plan, puis ils se séparent
de nouveau, et il n’est pas rare que les espaces qu'ils laissent
entre eux se remplissent d’une seconde couche siliceuse, den-
telée et brodée sur les bords de manière à donner au spicule
l'apparence d’un elou aplati et richement travaillé. Ces étoiles
ou disques à trois branches soutiennent, en se soudant entre
eux, la membrane extérieure, et ce sont des spicules du même
type qui, fondus ensemble suivant des dessins variés, forment
le squelette de l'organisme.
Ce groupe d’Eponges n’est encore qu’imparfaitement connu.
Elles paraissent caractérisées par des formes telles que le
(reodia et le Tethya. Le type avec lequel nous sommes le plus
familiers est le genre Dactylocalyx, représenté par les masses
en forme de coupes semblables à la pierre ponce, et qui sont
jetées de temps en temps sur les rivages des iles des Indes
occidentales.
Le professeur P. Martin Duncan a déjà publié une descrip-
tion des Madrépores recueillis pendant la croisière du Porcu-
pine en 1869, et il a maintenant entre les mains ceux qui ont
été trouvés sur les côtes du Portugal en 1870, et dont quei-
ques-uns sont d’un intérét d'autant plus grand, qu ils res-
semblent d’une manière frappante à certaines formes crétacées.
On en a dragué en 1869 douze espèces différentes.
Le Caryophyllia boreahs (Fleeming) (fig. 4, p. 22) est très-
abondant aux profondeurs moyennes, particulièrement le long
de la côte occidentale de l'Irlande, où il présente de nom-
breuses variétés. La plus grande profondeur à laquelle cette
espèce ait été draguée est de 705 brasses. Il se rencontre à l’état
fossile dans les couches miocènes et pliocènes de la Sicile.
Le joli Corail Ceratocyathus ornatus (Seguenza) wa fourni
qu'un seul échantillon à la pointe de Lews, par 705 brasses.
Il n’était pas encore connu comme espèce vivante : Seguenza
l'avait trouvé dans les couches miocènes tertiaires de Sicile.
Le Flabellum laciniatum (Edwards et Haime) abonde de 100
à 400 brasses, depuis les Faréer jusqu'au cap Clear. L’ex-
364 LES ABIMES DE LA MER.
tréme ténuité de son euveloppe extérieure rend ce Corail
excessivement fragile, et parmi plusieurs centaines d’exem—
plaires remontés dans la drague, e’est à peine s'il s'en est
trouvé une demi-douzaine qui fussent complets. Une autre
belle espèce du même genre, le Ælabellum distinctum (fig. 68),
Fig. 68. — Flabellum distinctum. Double de la grandeur naturelle. (Ne 28, 1870.)
a été draguée à plusieurs reprises, en 1870, sur les côtes du
Portugal. Ce qui donne un intérèt tout particulier à cette
espèce, c'est quelle parait être identique avec une forme des
mers du Japon.
Le Lophohelia prolifera (Pallas) (fig. 30, page 141), et ses
nombreuses variétés, abondent dans les profondeurs de 150 a
500 brasses, tout le long des côtes occidentales de l'Écosse
et de l’Irlande, dans un milieu dont la température oscille
entre 0° et 10° C. Dans certains parages, à la station 54 par
exemple, entre l'Écosse et les Farüer, et à la station 15, entre
la côte occidentale de l'Irlande et le bane du Porcupine, ils
paraissent former de véritables lits, car la drague revient
toujours chargée de fragments vivants et morts.
Cinq espèces voisines du genre Amphihelia se montrèrent,
mais beaucoup moins abondamment.
L’Allopora oculina (Ehrenberg). Très-belle forme dont on
prit quelques spécimens dans la zone froide, à un peu plus
de 300 brasses de profondeur.
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 365
Le Thecopsammia socials (Pourtales) (fig. 69), forme alliée
de près au Balanophylha, et qui ressemble à certaines espèces
saxophiles. Il avait été déja dragué dans le golfe de la Floride.
Le Thecopsammia est assez commun dans les grandes profon-
deurs des zones froides, où il vit en société: on en ramène
parfois cing ou six exemplaires sur le méme fragment de
rocher.
Fic. 69. — Thecopsammia socialis, PouRTALES. Une fois et demie la grandeur naturelle
(Ne 57, 1869.)
Jai déjà appelé l'attention sur l'erreur que l’on peut eom-
mettre en voulant apprécier la proportion dans laquelle certains
groupes spéciaux font partie de la faune des grandes profon—
deurs, d'après le nombre des individus capturés d’une façon ou
d’une autre. Leur volume considérable, la longueur et la rigi-
dité de leurs bras et l'habitude qu'ils ont de s’attacher à des
objets fixes, empêchent les Echinodermes de se prendre faci-
lement dans la drague, mais en revanche ils sont la proie
des « houppes de chanvre ». Il est fort possible que cette cir-
constance ait, Jusqu à un certain point, donné une idée fausse
366 LES ABIMES DE LA MER.
de leur abondance dans les profondeurs extrémes; mais la
grande quantité qu'on en ramène prouve cependant d’une
manière positive qu'à certains endroits ils sont étonnamment
nombreux : il nous est arrivé souvent de draguer des Éponges
et des Coraux qui en étaient littéralement couverts, conservant
leurs attitudes habituelles, blottis au milieu des fibrilles et
dans les angles formés par les branches des Coraux. J'ai compté
soixante-treize exemplaires d’Amphiura abyssicola, petits et
grands, établis sur un seul /ollenia.
Le premier ordre des Échinodermes, les Crinoïdes, ont tou-
jours eu pour les naturalistes un intérêt tout spécial, soit
à cause de leur beauté et de leur très-grande rareté, soit sous
le rapport du rôle important qu'ils ont joué dans la faune des
périodes anciennes de l’histoire de la terre. Désireux comme
nous l’étions de retrouver les chainons disparus qui devaient
servir à relier le présent au passé, le moindre indice de leur
présence devait être le bienvenu parmi nous. Les Crinoïdes
étaient fort abondants dans les mers de la périgde silu-
rienne. Certaines couches profondes du calcaire carbonifère
sont formées presque exclusivement de leurs squelettes, dont Les
articulations sont réunies par un sédiment calcaire ; les calices
entiers de l’élégant Crinoide en forme de lis se comptent souvent
par douzaines à la surface d’une plaque de muschelkalk. Mais
plus tard l’ordre entier paraît avoir eu le dessous dans la «lutte
pour l'existence ». Les exemplaires deviennent rares dans les
couches mézozoiques récentes, plus rares encore dans les ter-
liaires; et jusqu'à ces dernières années on ne connaissait
dans les mers de la période actuelle que deux Crinoides à tige
vivants, qu'on supposait n’exister que dans les grandes pro-
fondeurs de la mer des Antilles, d’où les pêcheurs en ramenaient
de temps en temps sur leurs cordes des échantillons mutilés.
Leur existence est connue depuis plus d’un siècle; mais,
malgré toute l’ardeur des recherches, une vingtaine d'individus
tout au plus étaient arrivés jusqu'en Europe; encore sur ce
nombre deux seulement conservaient-ils toutes les plaques et
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS 367
toutes les articulations du squelette, et tous étaient privés de
leurs parties molles.
Ces deux espèces appartiennent au genre Pentacrinus, qui
est abondamment représenté dans les couches du lias et de
loolithe, et plus faiblement dans la craie blanche; elles se
nomment Pentacrinus Asteria (L.) et Pentacrinus Miilleri
(Oersted). La fig. 70 représente la premiére des deux. Cette
espèce est connue en Europe depuis l’année 1755, époque où
un spécimen fut apporté de la Martinique à Paris, et déerit par
Guettard dans les Mémoires de l'Académie royale des sciences.
Pendant le siècle suivant, quelques exemplaires apparurent
à de longs intervalles, venant des Antilles. Ellis en a décrit un,
qui est maintenant dans le muséum Huntérien à l’université
de Glasgow, dans les Philosophical Transactions de 1761. Un
ou deux ont trouvé le chemin des muséums de Copenhague, de
Bristol et de Paris; deux, celui du, British Museum. [len est
heureusement tombé un entre les mains de feu le professeur
Johannes Müller, de Berlin, qui en a fait paraitre une descrip-
tion détaillée dans les Actes de l'Académie royale de Berlin
de 1843. Dans le courant de ces derniéres années, M. Damon,
de Weymouth, naturaliste collectionneur bien connu, en a
acquis plusieurs fort beaux spécimens, qui sont maintenant
dans les muséums de Moscou, de Melbourne, de Liverpool
et de Londres.
Le Pentacrinus Asteria peut ètre pris comme type de son
ordre ; aussi vais-je en faire une rapide description. L'animal se
compose de deux parties bien distinctes, une tige et une tête.
La tige consiste dans une succession d’articulations caleaires
aplaties; on la brise facilement au point de jonction de deux
de ces articles; en introduisant la pointe d’un canif dans la
suture suivante, on enlève facilement l'articulation entière.
Le centre de l’article est perforé, et ce trou, dans lequel on
pourrait introduire une aiguille fine, fait partie d’un conduit
rempli, pendant la vie de lPanimal, d’une matière gélatineuse
et nutritive qui cireule dans toute la longueur de la tige, dans
308 LES ABIMES DE LA MER
toutes les plaques du calice, et finalement passe à travers l’axe
Fic. 70. — Pentacrmus Asteria, LiNNAEUS. Un quart de la grandeur naturelle.
de chacun des articles des bras et pénètre jusqu'aux extrémités
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 309
des dernières pinnules qui les terminent. Sur les surfaces supé—
rieure et inférieure des articles de la tige, se trouve tracé un
gracieux dessin formé de cinq espaces ovales disposés en rayons.
Chacun d’eux est entouré d’une bordure de côtes alternant avec
des sillons très-fins. Les côtes de la surface supérieure s’ajustent
dans les sillons de la surface inférieure de l’article placé immé-
diatement au-dessus ; de sorte que, bien que par le fait de sa
subdivision en tronçons la tige soit susceptible de certains
mouvements, ceux-ci sont cependant fort limités.
La bordure de chaque dessin étoilé est exactement à la
mesure de celle de l'étoile qui est au-dessus et de celle qui est
au-dessous ; les cinq petites feuilles dont elles se composent
sont également placées les unes au-dessus des autres. Au centre
des feuilles, la matière calcaire, qui fait le fond même des
articles, est beaucoup moins compacte qu’à la circonférence, et
cing liens ovales de fibres solides passent dans les espaces inter-
médiaires, au travers des articulations et de l’une a l’autre,
d'une des extrémités de la tige jusqu’à l’extrémité opposée.
Ces bandes fibreuses prêtent beaucoup de force à la colonne,
qui ne se rompt pas facilement, mème quand l'animal est mort
et desséché. Leur élasticité permet aussi une certaine flexibilité
passive. Il n’existe aucun muscle entre les articulations de la
tige, de sorte que l'animal ne parait pas pouvoir la remuer
à volonté. Il n'est probablement balancé que par les marées,
par les courants et par l’action de ses propres bras.
Chez le Pentacrinus Asteria, chaque dix-septième article
environ de la partie inférieure de la tige adulte est un peu plus
épais que les autres, et porte un verticille de cing longs cirres
ou vrilles. La section de la tige, même près de sa base, est
légèrement pentagonale, et le devient d’une manière plus mar-
quée en approchant de la tête. Les cirres sortent des sillons
peu profonds formés par les angles rentrants du pentagone, et
sont disposés sur cinq rangs, du haut en bas de la tige; ils se
composent de trente-six ou trente-sept courtes articulations;
à leur naissance, ils sont roides et rigides, mais leur extrémité
Wy
at
370 LES ABIMES DE LA MER.
se recourbe en général vers le bas, et la derniére articulation
est aiguë et en forme de griffe. Ces cirres n’ont pas de véri-
tables muscles; ils sont doués seulement d’une certaine con—
tractilité autour des objets résistants qu'ils touchent; on trouve
souvent des Astéries et autres animaux marins enchevêtrés
parmi eux. (est ainsi que le spécimen ici représenté est
devenu la demeure temporaire d’une espèce très-élégante
d’Asteroporpa.
En se rapprochant de la tete, les cirres deviennent plus
courts et plus minces, leurs verticilles se rapprochent de plus
en plus; en voici la raison. La tige s’accroit immédiatement
au-dessous de la téte, et les articles qui portent les cirres ont
été les premiers formés; les intermédiaires se sont produits
ensuite au-dessous et au—dessus des articles à cirres, qu'ils
séparent graduellement de ceux qui les avoisinent, jusqu’a ce
que le nombre des dix-sept ou dix-huit articulations intermé-
diaires soit complet. En haut de la tige, cing petits tubercules
calcaires s’élévent sur les côtes que forme le pentagone; c’est
sur ces excroissances et sur la partie supérieure de la tige que
repose le calice qui renferme les viscéres de Vanimal. Dans
cet état, ces tubercules n’ont pas grande importance, mais ils
représentent des articulations qu'on trouve fréquemment déve-
loppées en plaques larges et très-ornées chez les diverses classes
de ses ancêtres fossiles. Ce sont les plaques de la base du calice.
Sur une rangée supérieure, et alternant avec ces dernières, se’
trouve un rang de cinq plaques oblongues, qui font face aux
sillons de la tige, et adhèrent les unes aux autres de manière
à former un anneau; ces plaques sont isolées quand l’animal
est jeune : on les nomme les premières plaques radiales,
elles sont le commencement de longues séries d’articula-
tions qui se prolongent jusqu'aux extrémités des bras.
Immédiatement au—dessus de ces plaques, il s’en trouve
une seconde rangée presque de même forme et de mêmes
dimensions : seulement ces dernières ne sont pas adhérentes
les unes aux autres et ne forment pas d’anneau : ce sont les
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. D1]
secondes radiales. Sur celles-ci repose une troisième série
de cinq plaques très-semblables à celles des autres rangées.
Au centre de leur surface supérieure, deux côtes se croisent,
et leurs deux bords, taillés en biseau, reçoivent chacun deux
articulations au lieu d'une seule. Les articulations de ce der-
nier anneau sont les radiales axillaires; c’est au-dessus d’elles :
que se trouve placée la première bifurcation des bras. Ces
trois séries d’articulations radiales constituent le calice lui-
même. Dans les espèces vivantes, les dimensions en sont
peu considérables; mais chez beaucoup d'espèces fossiles ils
ont un très-grand développement, et forment parfois, avec
l’aide de plaques intermédiaires ou interradiales, et dune
rangée de plaques basilaires, une spacieuse cavité intérieure.
Les deux articulations supérieures de chaque rayon sont sépa-
rées de celles du rayon voisin par un prolongement inférieur
de la membrane ridée qui recouvre la surface supérieure du
disque ou corps de l'animal; appuyée sur les bords de chacune
des articulations axillaires radiales, se trouve une série de cing
articulations, dont la dernière est taillée également en biseau,
pour recevoir deux articulations. Ces einq articles forment la
première série des articulations brachiales ; c’est à partir de
la base de cette série que les bras deviennent libres.
La première des articulations brachiales, c’est-à-dire celle
qui est immédiatement au-dessus de l’axillaire radiale, est en
quelque sorte partagée en deux par une suture toute spéciale
que Müller appelle une syzygie. Toutes les articulations ordi-
naires des bras sont pourvues de muscles qui produisent des
mouvements variés, et qui assujettissent les articulations forte—
ment ensemble. Les syzygies en sont dépourvues, et, consé—
quemment, les bras se brisent facilement partout où elles
existent. C’est la une admirable précaution pour la sécurité
d’un organisme compliqué d’un si grand nombre d’appendices.
Un de ses bras venant à sembarrasser ou à tomber sous la
grifle ou sous la dent d’un ennemi, une secousse suffit au Cri-
noide pour se séparer du membre compromis, et, grâce à la
372 LES ABIMES DE LA MER.
faculté merveilleuse que possède tout ce groupe de reproduire
ses parties endommagées, le bras est bientôt remplacé.
Quand l’animal meurt, il brise généralement tous ses bras
aux syzygies, de sorte que la plupart des spécimens qui ont
été apportés en Europe y sont arrivés avec les bras séparés
du corps.
Sur chacune des branches, à la sixième articulation environ
au-dessus de la première, il se présente un second appendice
brachial et une autre bifurcation, puis une autre encore sept
ou huit articulations plus loin; et ainsi de suite, mais de plus
en plus irrégulièrement en s’éloignant du centre, jusqu’à ce que
chacun des cing rayons primitifs se soit divisé et subdivisé en
vingt à trente branches terminales, ce qui produit une eou-
ronne composée de plus de cent bras. La surface supérieure
de chacune des articulations des bras a une profonde rainure,
l’inférieure est convexe; alternativement, de chaque côté, une
série d’osselets, qui forment les dernières petites branches ou
pinnules, frangent les bras de la même manière que les barbes
d’une plume. Il est facheux que la plupart des exemplaires du
Pentacrinus Asteria trouvés jusqu ici soient privés de leurs
parties molles, et que leurs disques soient endommagés. Je
possède pourtant un spécimen complet. La partie supérieure
du corps est recouverte d'une membrane tachetée de plaques
irrégulières et aplaties; après avoir recouvert le disque, cette
membrane pénètre dans les espaces qui séparent les séries
des articulations radiales, et complète, avec les articulations
du calice, la paroi du corps. La bouche est une ouverture
arrondie et de grande dimension, placée au centre du disque;
elle communique avec un estomac, suivi d’un intestin court
et recourbé, se terminant par un tube exeréteur prolongé, qui
n’est autre que la prétendue ¢rompe des Crinoides fossiles :
ce tube nait à la surface du disque, près de l’orifice buccal.
A partir de la bouche, cing profondes rainures, bordées de
chaque côté de petites plaques carrées, se prolongent jusqu'au
bord du disque, et continuent les sillons de la surface supé-
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 373
rieure des bras et des pinnules. Dans les angles qui séparent
ces rainures, cing zones solidifiées du revétement du disque
entourent la bouche sous forme de valves. Elles ont été suppo-
sées remplir l’office de dents, mais les Crinoides ne sont point
des animaux de proie, et leur nutrition s’opére d’une façon fort
inoffensive. Les rainures des pinnules et des bras sont abon-
damment pourvues de cils. Le Crinoide développe ses bras
à la façon des pétales d’une fleur épanouie, et un courant d’eau
de mer chargé de matières organiques en dissolution et en
suspension est dirigé par les cils dans les rainures brachiales
et radiales, et de là dans la bouche de l’animal. Toutes les
matières assimilables sont absorbées dans l’estomac et dans
l'intestin, et la longueur et la direction du conduit excréteur
empêchent l’eau qui a été ainsi épuisée de rentrer immédia-
tement dans les rainures ciliées.
La seconde espèce de Pentacrinus, celle des Indes occiden-
tales, le Pentacrinus Mulleri, parait être plus abondante près
des îles danoises que le Pentacrinus Asteria. Les formes de
l’animal sont plus délicates; la tige atteint à peu près la mème
longueur, mais elle est plus mince; les anneaux des cirres se
répètent à douze articulations environ d'intervalle, et à chaque
verticille il y a modification de deux articles: le supérieur porte
la facette destinée à Vinsertion des cirres, et l’inférieur pré-
sente une rainure qui recoit la base élargie, laquelle est serrée
fortement contre la tige, avant de devenir libre. La syzygie est
placée entre les deux articulations modifiées, et chez tous les
spécimens complets que j'ai pu voir, la tige est rompue à l’une
de ses syzygies; l’articulation terminale de la tige qui est usée
et amincie, prouve que l’animal était depuis longtemps libre
de tout lien le fixant au fond.
Le 21 juillet 1870, mon ami M. Gwyn Jeffreys, draguant sur
le Porcupine, dans une profondeur de 1095 brasses, par 59° 42’
de latit. N. et 9° 43’ de longit. O., avec 4°,3 C. de température
et un fond de boue molle, prit environ vingt spécimens d’un
beau Pentacrinus, embarrassés dans les houppes de chanvre,
BTA LES ABIMES DE LA MER.
et il m'a fait l'honneur d'associer mon nom à ce splendide
accroissement de la faune des mers européennes.
Le Pentacrinus Wyville-Thomsoni (Jeffreys) (fig. 71) tient
le milieu, par quelques-uns de ses caractères, entre le Penta-
crinus Asteria et le Pentacrinus Mulleri; c’est cependant de la
dernière espèce qu'il se rapproche le plus. Chez un spécimen
adulte, la tige a environ 120 millimètres de longueur, et se
compose de cing ou six entre-nœuds. Les verticilles des cirres
sont à 40 millimètres de distance les uns des autres, vers la
partie inférieure de la tige, et les entre-nœuds comprennent
de trente à trente-cinq articulations. Les cirres sont un peu
courts, et sortent en ligne droite de l’articulation, ou se recour-
bent brusquement en bas, comme chez le Pentacrinus Asteria.
Cette articulation est simple; elle ne diffère pas essentiellement
des autres articulations internodales de la tige. La syzygie la
sépare de celle qui est immédiatement au-dessous. Les tiges
des exemplaires adultes de cette espèce se terminent unifor-
mément par une articulation à tubereules entourée de son
verticille de cirres recourbés comme des racines en forme de
griffes. La surface inférieure de l'articulation terminale est
arrondie, et témoigne de la liberté dans laquelle, depuis long-
temps, l’animal avait vécu. J'avais déjà observé cette particu-
larité chez certains spécimens du Pentacrinus Mulleri; je ne
doute pas qu’elle ne soit habituelle dans l’espèce en question,
et que l’animal ne vive légèrement engagé dans la boue molle,
mais changeant de place à volonté, nageant au moyen de ses
bras empennés, et occupant, sous ce rapport, une place inter—
médiaire entre le genre libre Avtedon et les Crinoides déeidé-
ment fixes.
Un individu jeune du Pentacrinus Wyville-Thomsoni im-
dique la manière dont cette liberté s’acquiert dans cette espèce.
La longueur totale de ce spécimen est de 95 millimètres, sur
lesquels la tête en occupe 35. La tige est rompue au milieu
du huitième entre-nœud, en partant du côté de la téte; celui
des entre-nœuds complets qui est placé le plus bas compte
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEU
14 articulations, le suivant 18, le suivant 20, et le dernier 26.
seven
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Fic. 71. — Pentacrinus Wyville-Thomsoni, JEFFREYS, Grandeur naturelle. (No 17, 1870.)
Les cirres du verticille inférieur ont 8 articulations, ceux
376 LES ABIMES DE LA MER.
du second 10, ceux du troisième 12, et ceux du quatrième 14.
Ceci est l'inverse de ce qui se passe chez les spécimens adultes,
dont les articulations zdernodales et celles des cirres décrois-
sent régulièrement de bas en haut. L’entre-nœæud rompu chez
le jeune individu, les trois entre-nœuds qui sont au-dessus sont
atrophiés et n’ont pas acquis leur entier développement; puis,
brusquement, au troisième nœud à partir de la tête, la tige
augmente de volume et parait être complétement développée.
Il n’est pas douteux, d’après cet exemple, que pendant la pre-
mière partie de son existence le Crinoïde ne soit fixé, et, plus
tard, rendu libre par la dessiccation et la rupture de la partie
inférieure de sa tige.
La structure du calice est la méme que chez le Pentacrinus
Asteria et le Pentacrinus Mulleri. Les plaques de la base se
montrent sous la forme de boucliers qui avancent et recouvrent
les angles saillants de la tige. Alternant avec ces plaques, les
premieres radiales bien développées forment un anneau fermé
et tiennent à des secondes radiales libres par des muscles arti-
culaires. Les secondes radiales sont réunies par une syzygie
aux axillaires radiales, qui, comme toujours, portent chacune
deux premières brachiales sur leurs bords taillés en biseau.
Une seconde brachiale se réunit par une syzygie à la première,
et, dans l’état normal, cette seconde brachiale est une axillaire,
et porte deux bras simples; il arrive cependant quelquefois
que l’axillaire brachiale porte un seul bras sur lun de ses
bords ou sur les deux, ce qui diminue le nombre total des
bras; quelquefois, au contraire, un des quatre bras fournis par
les axillaires brachiales se subdivise, et alors le nombre total
des bras est accru. La structure du disque est à peu près la
même que dans les espèces déjà connues du même genre.
Deux autres Crinoïdes fixes ont été dragués par le Porcu-
pine; il faut les classer parmi les Apiocrinidæ, qui diffèrent de
toutes les autres sections de leur ordre par la structure de la
partie supérieure de la tige. Sur un point situé bien au-dessous
de la couronne des bras, les articulations de la tige s’élar-
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. oi
gissent par l'effet du plus grand développement de l’anneau
calcaire, car le tube central n’augmente pas sensiblement de
volume. L’élargissement des articles de la tige augmente en
remontant jusqu'à produire un corps en forme de poire, ordi-
nairement fort élégant, et qu’on prendrait volontiers pour le
calice; il n’est dû cependant qu'à l’épaississement régulier de
la tige. La cavité du corps occupe une faible dépression placée
au sommet; elle est entourée des plaques du calice, de celles de
la base et des radiales, qui sont plus épaisses et plus massives
que chez les autres Crinoïdes, mais d’ailleurs disposées de la
même manière. La tige est ordinairement longue et demeure
simple jusqu'à sa base; 1a elle se complique d’un appareil de
fixation comme chez les célèbres Encrinites piriformes du cal-
caire bathonien (forest-marble). ‘Ge sont tantôt des couches
concentriques de ciment calcaire qui la fixent sur un corps
étranger; tantôt, comme chez le Bourguetticrinus de la craie,
et le Rhizocrinus actuellement vivant, c'est une série irré—
gulière de cirres branchus et articulés.
Les Apiocrinidæ ont atteint leur maximum de développe-
ment pendant la période jurassique, où ils étaient représentés
par plusieurs belles espèces des genres Apiocrinus et Milleri-
crinus. Le genre crétacé Bourguetticrinus trahit déjà des sym-
ptomes de dégénérescence. La tête est petite, les bras minces
et courts. Les articulations des bras sont si ténues, qu'il est
presque impossible d’en recueillir une série parmi les frag—
ments dont la craie est parsemée, même dans le voisinage d’un
groupe de calices. La tige est démesurément grosse et longue,
circonstance qui ferait supposer que l’animal se nourrissait
surtout par une absorption extérieure de matières organiques,
et que la téte ainsi que les organes spéciaux d’assimilation
servaient principalement aux fonctions de la reproduction.
Le Rhizocrinus loffotensis (M. Sars) (fig. 72) a été décou-
vert pendant l’année 1864, dans une profondeur d'environ
300 brasses, près des îles Lofloten, par G. O. Sars, fils du
célèbre professeur de l’université de Christiania, qui en fit la
378 LES ABIMES DE LA MER.
description en 1868. C’est évidemment là une forme des Apio-
Fig. 72. — Rhizocrinus loffotensis, M. Sars. Une fois et demie la grandeur naturelle.
(No 43, 1869.)
crinde plus dégénérée encore que le Bourguetticrinus, auquel
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 319
il ressemble beaucoup. La tige est longue et excessivement
épaisse, eu égard au volume de la tête; les articulations en
sont longues, coniques; entre ces articles sont ménagés des
espaces qui alternent de chaque côté de la tige, comme chez le
Bourquetticrinus et chez VAntedon, dans lesquels sont insérés
des fascicules de fibres contractiles. Vers la base de la tige, des
branches s’échappent de la partie supérieure des articulations ;
elles se composent d’une succession d'articles qui vont dimi-
nuant graduellement. [ls se divisent et se subdivisent, pour
former une touffe de fibres qui souvent s’épanouissent à leurs
extrémités en minces lames calcaires, qui s’accrochent aux
débris de coquilles, aux grains de sable, à tout ce qui est fait
pour favoriser la fixation du Crinoide dans la boue molle,
qui est à peu près universellement répandue dans les grandes
profondeurs.
Chez les Rhizocrinus, on ne peut distinguer les séries de
plaques qui sont à la base du calice. Elles sont cachées dans
l’intérieur d’un anneau fermé placé au sommet de la tige. Cet
anneau se compose-t-il des seules plaques de la base fondues
ensemble, ou d'une articulation supérieure de la tige renfer-
mant ces plaques et formant rose//e, comme dans le calice de
l’Antedon? Cest là une question qui ne pourra se résoudre que
par l’observation attentive des degrés successifs du développe-
ment de l’animal. Les premières radiales sont également fon
dues les unes dans les autres, et forment la partie supérieure et
la plus large d’un calice en forme d’entonnoir. Elles sont pro—
fondément entaillées dans leur partie supérieure pour recevoir
les muscles et les ligaments qui les unissent aux secondes
radiales par une véritable articulation. Une des particularités
les plus remarquables de cette espèce, c’est que les premières
radiales, les premiers articles du bras, varient en nombre;
quelques exemplaires ont quatre rayons, d’autres cinq, quel-
ques-uns six, ef un très-petit nombre sept, dans la propor-
tion suivante. Sur 75 individus étudiés par G. Sars, il s’en
trouvait :
380 LES ABIMES DE LA MER.
15- avail, es fe rade euee de DRE 4 bras.
43 — D
LD. 5) RRL PRS ER AA 6
o) "7
=
Cette variabilité dans un membre aussi important, surtout
quand on la rapproche de l’énorme prépondérance de la partie
végétative de cet organisme sur la partie animale, doit, sans
aucun doute, indiquer une déchéance dans l’organisation des
Aprocrinide de la période jurassique.
Après l’anneau ankylosé des premières radiales, suit une
rangée de secondes radiales indépendantes, qui sont réunies
par une suture syzygiale droite, à la série suivante, qui se
compose des axillaires radiales. La surface de la partie de
la tige dilatée en forme d’entonnoir et surmontée par l’an-
neau des premières radiales est unie et égale; les secondes
radiales, ainsi que les axillaires radiales, présentent une sur-
face extérieure lisse et régulièrement cintrée. Les axillaires
radiales diffèrent des articulations correspondantes de la plupart
des autres Crinoïdes connus par une légère contraction de leur
partie supérieure, qui ne présente qu'une seule facette articu-
laire, et ne donne naissance qu’à un seul bras. Les membres,
qui chez les plus grands spécimens ont de 10 à 12 millimètres
de longueur, se composent d'une série d’environ vingt-huit à
trente-quatre articulations uniformément et transversalement
cintrées et garnies de profondes rainures destinées à recevoir:
les parties molles. Un article sur deux porte une pinnule; les
pinnules alternent de chaque côté de l’axe du bras. L’article
qui ne porte pas de pinnule est réuni par une syzygie à l’article
supérieur, qui en est pourvu : ainsi les articulations avec liens
musculaires alternent avec les syzygies sur toute la longueur
du bras.
Les pinnules, au nombre de douze ou quatorze, se composent
d'une série uniforme de très-petites articulations réunies par
des muscles ligamenteux. Les rainures des bras et des pinnules
sont bordées d'une double série de plaques calcaires minces,
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 3st
arrondies et fenestrées, qui, lorsque l'animal est replié et au
repos, forment une enveloppe imbriquée garnie de ses délicats
tentacules cæcaux. Elle protége le nerf et le vaisseau radial.
La bouche est placée au centre du disque, et des conduits, dont
le nombre est égal à celui des bras, traversent le disque, et
continuent les rainures des bras. La bouche est entourée d’une
rangée de cirres flexibles, disposés à peu près comme chez
VAntedon pentacrinoides; elle est pourvue de cing plaques
calcaires ovales, semblables à des valves, qui occupent les
angles interradiaux, et se referment à volonté sur la bouche.
Une papille placée au fond de l’un des espaces interradiaux,
désigne la position d’un imperceptible orifice excréteur.
Le Rhizocrinus loffotensis apporte une forme des plus inté-
ressantes à la faune britannique. Nous l'avons découvert en
1869, dans le canal des Farôer, sous la forme de trois exem—
plaires très-mutilés, pris à 530 brasses, avec température de
fond de 6°,4 C., station 12 (1868). Plusieurs spécimens sont
arrivés embarrassés dans les houppes des Æoltenia à la pointe
de Lews, et l’on en a dragué vers le cap Clear, dans une pro-
fondeur de 862 brasses, plusieurs spécimens de grande dimen-
sion. L’étendue occupée par cette espèce est évidemment très-
erande. Elle a été draguée par G. O. Sars, au nord de la
Norvége; par le comte de Pourtalès, dans le Gulf-stream, vers
les côtes de la Floride ; par le naturaliste du navire /a Joséphine,
sur le banc de la Joséphine, près de Ventrée du détroit de
Gibraltar, et par moi-même entre les Shetland et les Farôer,
et près d’Ouessant et du cap Clear.
Le genre Bathycrinus appartient aussi aux Aprocrinide,
puisque la partie inférieure de la tête s’élargit en entonnoir,
et parait se composer des articulations supérieures de la tige
réunies ou fondues ensemble.
Le corps du Bathycrinus gracilis (fig. 73) est long et mince.
Une tige isolée, péchée en méme temps que le seul exem-
plaire à peu près complet qu'on en ait obtenu, mesurait
90 millimètres de longueur. Les articulations ont la forme
82 LES ABIMES DE LA MER.
d’entonnoirs, comme celles du Rhizocrinus; allongées et amin-
FIG. 73. — Bathycrinus gracilis, W YViLLE TnomsoN Double de la grandeur naturelle
y ÿ Ê We naturelle,
(N° 37, 1869.)
cies vers la partie inférieure de la tige, elles ont au milieu
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 383
3 millimètres de longueur sur 0,5 de largeur; les extré—
mités présentent un renflement qui porte leur largeur à
un millimètre. Comme chez le Rhizocrinus, la longueur des
articulations de la tige diminue en se rapprochant de la tête;
là on voit des lamelles calcaires au-dessous des articulations
dont la réunion forme la base de la coupe du calice.
Les premières plaques radiales sont au nombre de cinq.
Elles sont solidement réunies, mais ne paraissent pas être fon—
dues ensemble, comme chez le Rhizocrinus, car les sutures se
laissent voir très-distinctement. Le centre de ces premières
radiales se relève comme une carène aiguë, et le bord en est
légèrement déprimé vers la suture, ce qui donne au calice une
apparence cannelée, comme un filtre de papier replié en
plusieurs doubles. Les secondes radiales sont allongées, indé-
pendantes les unes des autres, et réunies aux axillaires radiales
par une suture syzygiale. La forme en est très-smgulière : leur
surface extérieure est traversée par une saillie très-accusée, et
l'articulation, très-excavée de chaque côté, se relève vers les
bords. L’axillaire radiale reçoit la prolongation de la même
saillie le long de sa moitié inférieure, puis à la partie moyenne
de l'articulation, cette saillie se bifurque, ménageant ainsi
dans son centre un espace carré des plus caractéristiques ; il se
crée ainsi deux facettes destinées à Vinsertion de deux pre-
mières radiales : les bras sont done au nombre de dix; ils sont
parfaitement simples, et se composent de douze articulations
chacun. Il n’y a pas trace de pinnules, mais les bras rappellent
par leur caractère les pinnules du Rhizocrinus. La première
brachiale est réunie à la seconde par une suture en syzygie,
mais il n'existe pour chaque bras qu’une seule de ces articula-
tions spéciales. Les rainures des bras sont garnies de plaques
circulaires et fenestrées, comme chez le Rhizocrinus.
Certains caractères très-marqués dans la structure de la
tige, dans celle de la base du calice, et dans la forme et la
disposition de l’extrémité des bras, rapprochent évidemment
le Bathycrinus du Rhizocrinus, mais il existe néanmoins entre
384 LES ABIMES DE LA MER.
eux de bien grandes dissemblances; cinq premières radiales
à saillies ciselées et indépendantes remplacent l'anneau uni-
forme que composent ces mêmes plaques chez le Rhizoerinus ;
les axillaires radiales fournissent chacune deux bras, et se
conforment en cela à Ja disposition habituelle de l’ordre; mais
les syzygies alternantes des bras, qui sont un trait si saillant
du Rhizocrinus, manquent chez le Bathycrinus.
On n'a découvert jusqu'ici de cette remarquable espèce
qu’un seul spécimen à peu près complet, et une tige isolée, qui
ont été ramenés de la plus grande profondeur où l’on soit
encore parvenu avec la drague, 2435 brasses, à l'entrée de
la baie de Biseaye, à 200 milles au sud du cap Clear.
D’après nos connaissances actuelles, les Crinoides à tige
appartiendraient à la faune des grandes profondeurs. Un
second spécimen d’une autre forme très-remarquable, |’ Ho-
lopus Rangi (VOrbigny), a été pris récemment près des Bar-
bades, et cette espèce, avec celles qui ont été déjà décrites,
composent la liste entière des formes vivantes connues de
nos jours. Il est rarement sensé de prophétiser; mais quand
on songe qu'il a suffi de quelques coups de drague dans
les grandes profondeurs pour ajouter deux nouvelles et très-
remarquables espèces aux représentants vivants d’un groupe
qui, jusqu'à l’époque actuelle, était supposé à la veille de
disparaitre, et que toutes les espèces connues appartiennent
à des profondeurs qui défient les ressources du draguage ordi-
naire, il est permis de supposer que les Crinoides constituent
un des éléments importants de la faune des abimes.
Il a déjà été question de la distribution générale des Astéries
des mers profondes. La plus frappante des particularités
qu'elles présentent, c’est peut-être la grande prépondérance
des genres Astrogonium, Archaster, Astropecten, et leurs —
alliés. Les genres appartenant à d’autres groupes ne parais-
sent pas devenir moins nombreux dans les grandes pro-
fondeurs, car l’As{eracanthion, le Cribrella, V'Asteriscus et
l’'Opladiaster y sont aussi abondants que dans les profon-
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEUR. 380
deurs moindres. Mais à mesure qu'on descend, de nouvelles
espèces au disque recouvert d'une cuirasse tachetée, et aux
plaques marginales massives, surgissent continuellement. Dans
nos mers, quelques rares formes très-caractéristiques, telles
que l’Astrogonium phrygianum et VArchaster Andromeda ct
Dati <1
LIT EG
a eee ti
ES
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EN
VAR
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be
te
Fic. 74. — Archaster bifrons WYVILLE THOMSON, face orale. Trois cinquièmes de la grandeur
naturelle. (N° 57, 1869.)
Parellii se rencontrent sur l’extrème limite de la grande pro-
fondeur, et l’on en prend de temps en temps en dehors des
limites du draguage côtier ou sur les cordes des filets de
pèche. Dans les eaux profondes, tout le long du nord et de
l’ouest de l'Écosse, |’ Astrogonium granulare, V Archaster tenui-
spinus et V Astropecten arcticus abondent, et la drague ramène
de temps en temps des exemplaires de VArchaster bifrons
(fig. 74), de VArchaster verillifer, et de VAstrogonium longi-
25
386 LES ABIMES DE LA MER.
manum (Mobius). Le singulier petit groupe dont le Pleraster
peut être pris pour type a reçu de nombreux accroissements,
mais je crois que sa place est, comme pour la plupart des
Ophiuridés, plutôt dans la faune des profondeurs moyennes
à portée de la drague du naturaliste, sur les côtes scandi-
naves, que dans celle des abimes. On peut en dire autant
Fic. 75. — Solaster furcifer, yon DuBEN ct Koren, face orale. Grandeur naturelle.
(Ne 55, 1869),
de quelques autres formes, telles que le Solaster furcifer
(fig. 75) et le Pedicellaster typicus. Ces espèces se trouvent
au delà de la zone de 200 brasses, sur les côtes de la Grande—
Bretagne, mais ne paraissent pas s'étendre à une très-grande
profondeur.
Vingt-six Échinides ont été observés sur les rivages de la
Grande-Bretagne et sur ceux du Portugal,. à des profon—
deurs qui variaient de 100 à 2435 brasses, pendant les croi—
sières du Lightning et du Porcupine. Ce groupe était repré-
senté à cette dernière profondeur par une petite variété de
l'Echinus norvegicus, et par un jeune exemplaire du Brissopsis
lyrifera.
Parmi les Cidarideæ, le Cidaris papillata (Leske) se montre
fort abondant, de 100 à 400 brasses. Cette espèce est très-
répandue et habite une zone, selon toute apparence ininter—
rompue, qui s'étend du cap Nord au détroit de Gibraltar, et
pénètre même dans la Méditerranée. Cette forme varie, mais
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 281
seulement dans des limites très-restreintes. Les spécimens
méridionaux se modifient graduellement pour arriver à la
variété qui est le type de l'espèce de Lamarck, le Cidaris
Hystrix. Le Cidaris affinis (Philippi) est très-commun dans
la Méditerranée, particulièrement le long des côtes d'Afrique.
Je crois que cette jolie petite espèce doit être, pour le moment,
considérée comme distinete. Les spicules du corps sont d’un
brillant écarlate, et chez les spécimens bien caractérisés, les
longs spicules sont bruns, rayés de rouge ou de rose, ce qui
en fait un objet d’une singulière beauté.
Le genre Porocidaris, les trois espèces de la famille des
Echinothuride, et leurs rapports pleins d'intérêt avec les
formes fossiles, ont été déjà étudiés; mais elles ne peuvent
nous transporter dans les temps géologiques antérieurs plus
complétement que deux genres d’Oursins irréguliers dont
l’un a été dragué sur la côte d'Écosse, et l’autre à l'entrée de
la Manche.
Le premier de ceux-ci est le Pourtalesia, dont une des
espèces, le Pourtalesia Jeffreysi, a déjà été dessinée et décrite
(page 92). D’après la classification de Desor, qui fait de la
disposition disjointe des ambulacraires du sommet le trait
distinctif des Dysasteridw, ce genre devrait être réuni à ce
groupe, car son disque supérieur est véritablement disjoint
comme chez le Dysaster et chez le Collyrites, et non simple-
ment écarté, comme chez lAnanchytes. Cependant la dispo-
sition et la forme des pores, et l’apparence générale de l'animal,
me disposeraient à trouver, comme Alexandre Agassiz, qu’il
a plus d’affinités avec des formes telles que l’/nfulaster. Quel
que soit le groupe dans lequel on le place, le Powrtalesia sera
toujours un type spécial.
L'autre genre, le Veolampas (Alexandre Agassiz) se rap-
porte aux Cassidulide, en vertu de sa bouche pentagonale et
presque centrale, avee une foscelle assez distincte et un anneau
anal souvrant au fond d’une rainure postérieure profonde,
creusée dans un rostelhun qui se projette en avant; les espaces
388 LES ABIMES DE LA MER.
ambulacraires sont petits, et les plaques supérieures serrées
et peu considérables. Mais il différe de tous les genres connus,
vivants ou éteints de cette famille, en ce qu il offre pas trace
de la disposition pétaloïde des ambulacraires, qui sont réduits,
sur la surface supérieure du test, à un seul pore qui passe
au travers de chaque plaque ambulacraire, et forme ainsi
une double rangée de pores simples et alternes pour chaque
espace ambulacraire. Je ne crois pas me tromper en ?denti-
fiant un spécimen unique, que nous avons dragué à l'entrée
de la Manche, dans une profondeur de 800 brasses, avec l’es-
pèce draguée par le comte de Pourtalés dans des profon-
deurs de 100 à 150 brasses, dans le détroit de la Floride,
et décrite par Alexandre Agassiz sous le nom de Veo/ampas
rostellatus.
Sur les vingt-six Échinodermes dragués par le Porcupine,
six, l'Echinus Fleeminqii, VEchinus esculentus, le Psamme-
chinus miliaris, V Echinocyamus angulatus, V Amphidetus cor-
datus et le Spatangus purpureus, peuvent être considérés
comme appartenant aux profondeurs moyennes dans la pro-
vince Celtique, les observations récentes ayant simplement
démontré qu'ils occupent un espace un peu plus grand dans
le sens de la profondeur qu'on ne l'avait d’abord supposé. Il
est probable que le Spatanqus Raschi est essentiellement une
forme des eaux profondes, mais ayant son quartier général
dans la même région. Sept espèces, le Crdaris papillata,
VEchinus elegans, VEchinus norvegicus, VEchinus rarispina,
VEchinus microstoma, le Brissopsis lyrifera et le Tripylus
fragilis, font partie d’une faune des profondeurs intermédiaires,
et toutes, y compris l’exemplaire douteux de l’£chinus micro-
stoma, ont été observées dans les eaux relativement basses
des côtes de la Scandinavie. Cinq espèces, le Cidaris affinis,
l'Echinus Melo, le Toxopneustes brevispinosus, le Psamme-
chinus microtuberculatus et le Schizaster canaliferus, sont
connues pour faire partie de la faune lusitanienne et méditer-
ranéenne; et sept, le Porocidaris purpurata, le Phormosoma
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 38)
placenta, le Calveria Hystrix, le Calveria fenestrata, le Neo-
lampas rostellatus, le Pourtalesia Jeffreysi et le Pourtalesia
phiale, sont des formes qui ont été mises au jour pour la
première fois pendant les draguages dans les grandes pro-
fondeurs, soit de ce coté-ci de PAtlantique, soit à son autre
extrémité.
Il n’est guère douteux que ces dernières espèces ne doivent
prendre place dans la faune des abimes, que nous avons à peine
effleurée. Trois des plus remarquables des formes génériques,
le Calveria, le Neolampas et le Pourtalesia, ont été trouvées
par Alexandre Agassiz parmi les produits des draguages
profonds exécutés par le comte de Pourtalès dans le dé-
troit de la Floride, et témoignent d’une distribution latérale
fort étendue; mais ce qui excite un intérêt plus vif encore,
c’est que, tandis que la famille typique des Echinothuride
nest connue jusqu'ici qu'à l’état fossile, le groupe entier
trouve, dans les faunes éteintes de la craie ou des tertiaires
anciens, des alliés plus rapprochés que dans celle de la période
actuelle.
Ainsi que je l’ai déjà dit, les Mollusques obtenus pendant les
trois années de draguage sont entre les mains de M. Gwyn
Jeffreys, chargé den faire le classement et la description.
D’après le grand nombre des espèces nouvelles, et à cause des
rapports compliqués que plusieurs des formes des grandes pro-
fondeurs ont avec des espéces qui s’en trouvent maintenant
séparées par de grands espaces, ou qui appartiennent a des
périodes géologiques écoulées, la tache sera difficile, et nous
ne pouvons espérer qu'elle se termine avant un certain temps.
En attendant, M. Gwyn Jeffreys a publié plusieurs esquisses
préliminaires qui laissent entrevoir des résultats du plus haut
intérêt.
M. Gwyn Jeffreys croit que les Mollusques des grandes pro-
fondeurs qui ont été dragués depuis les îles Faréer jusqu'aux
côtes d'Espagne, sont presque tous d’origine septentrionale.
La plupart des espèces déjà décrites étaient connues dans les
39) LES ABIMES DE LA MER.
mers scandinaves, et plusieurs de celles dont la description
n'a point encore été faite, appartiennent aux genres du Nord.
Il fait observer que la faune des mers arctiques est encore à
peu près inconnue; mais, d’après les grandes collections faites
au Spitzberg par le professeur Torrell, et d’après les nombreux
fragments de Mollusques qui ont été rencontrés dans les grandes
profondeurs, à l’intérieur du cercle arctique, il conclut que
la faune doit y être riche et variée. Il cite des sondages
faits en 1868, par l'expédition suédoise, qui atteignirent a
2600 brasses, et qui ramenèrent un Cuma et un fragment
d’Astarte dans la sonde du Bull-dog. «Il est évident, dit-il,
que la grande majorité, si ce n’est la totalité de nos Mollusques
sous-marins (et ceci pour les distinguer des espèces litto—
rales et phytophages), ont leur origine dans le Nord; avee le
temps, ils ont été transportés vers le Midi par les grands
courants arctiques. Beaucoup paraissent s’étre ayancés jusque
dans la Méditerranée, ou avoir laissé leur dépouille dans
les formations tertiaires ou quaternaires du midi de VItalie;
quelques-uns même ont émigré jusque dans le golfe du
Mexique. »
Ce n’est pas sans de grandes hésitations que je mets en doute
certaines des conclusions de mon ami M. Gwyn Jeffreys,
quelque autorité qu'il ait sur un pareil sujet; mais J'avoue ne
pas trouver que son raisonnement soit concluant, car il sem
blerait plutôt que le dernier changement qu’a subi la faune
des Mollusques des profondeurs moyennes de la zone britan-
nique ait consisté dans la retraite vers le Nord des espèces
septentrionales à la fin de la période glaciaire, suivie de lim
migration des faunes méridionales. Les couches quaternaires
du district de la Clyde recélent une riche série de Mollusques;
celles de Rothesay représentent particulièrement les parties les
plus profondes de la zone des Laminaires et des Corallines. Le
trait le plus caractéristique de la faune de cette couche, c’est
que plusieurs de ses espèces les plus nombreuses, par exemple
le Pecten islandicus, le Tellina calcarea et le Natica.clausa,
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 991
sont maintenant éteintes dans les mers de la Grande-Bretagne, »
tandis qu’on les trouve en grande abondance dans celles de la
Scandinavie et du Labrador; par contre, beaucoup de formes
extrêmement communes maintenant dans les mers britan-
niques et plus au sud, manquent entièrement à ces régions du
Nord. Nous avons trouvé vivants quelques-uns des coquillages
elaciaires des couches de la Clyde, sur les confins septentrio—
naux de notre région: le Zellina calcarea, par exemple, était
très-commun dans quelques-uns des fjords de Farôer. Il
parait évident que cette forme s’est lentement retirée vers
le nord, chassée par le changement graduel des conditions
d'existence.
Ce changement de faune, que nous pouvons suivre pas à pas,
est des plus intéressants au point de vue de la question de la
contemporanéité des couches situées à de grandes distances les
unes des autres, mais renfermant des faunes identiques. Nous
pouvons facilement imaginer qu’un bloc de vase parfaitement
dureie puisse être apporté d’une localité voisine du cerele
arctique, et renfermer précisément les mêmes espèces de Mol-
lusques que ceux que contiendra un bloc de l'argile glaciaire
de la Clyde: la nature minérale de la gangue, dans les deux
cas, pourrait mème correspondre plus exactement encore. En
appliquant la règle géologique ordinaire, ces deux blocs, sem-
blables dans leurs caractères paléontologiques, devraient être
contemporains; mais nous n’ignorons pas que la vase durcie
appartient à la période actuelle, tandis que les argiles gla-
claires de la Grande-Bretagne sont recouvertes d’une couche
épaisse de dépôt moderne qui représente une période considé-
rable même au point de vue géologique, et contient une faune
d’un caractère bien différent. C’est là sans doute un exemple
relativement de peu d'importance; il n’est question que de
couches peu profondes qui correspondent paléontologique-
ment, et qui ne sont cependant pas, nous le savons de science
certaine, contemporaines, puisque l’une est recouverte d’un
dépôt plus récent et de grande épaisseur, tandis que l’autre,
392 LES ABIMES DE LA MER.
en voie de formation, nous fournit ainsi une date, chose rare
et précieuse en géologie.
J'ai déjà fait observer qu'au point de vue de l'identité des
formes appartenant aux grandes profondeurs avec les espèces
découvertes jusqu'ici en Scandinavie, il ne faut pas oublier
que les conditions de température, dans nos mers méridionales
profondes, se rapprochent beaucoup de celles qui règnent dans
des profondeurs infiniment moindres dans les mers scandi-
naves. La température est, de toutes les conditions, celle qui
parait avoir le plus d'influence sur la distribution des espèces.
Cette faune correspondante dans les régions du Nord est
connue depuis bien plus longtemps, et d’une manière bien
plus complète. M. Gwyn Jeffreys insiste beaucoup sur la plus
grande abondance, dans les régions arctiques, d'espèces qui
se trouvent aussi dans nos mers, et sur la supériorité de leur
développement, soit au point de vue du volume, soit à celui de
l’ornementation, de la ciselure extérieure. C’est ce qui se
voit sans doute fréquemment ; cependant il faut reconnaitre
que plusieurs groupes, et cela plus particulièrement parmi les
Mollusques, ont une tendance à se rapetisser dans les grandes
profondeurs, et je crois fort possible qu’une espèce puisse
arriver à un développement très-supérieur en habitant une
zone où les conditions spéciales de température qui sont néces-
saires à son existence se trouvent plus près de la surface, et
conséquemment plus accessibles à l'influence de Pair et de la
lumière.
Plusieurs des Mollusques des grandes profondeurs ne se sont
trouvés Jusqu'ici que dans les zones septentrionales, et sont
généralement alliés aux formes du Nord. Comme échantillons
de ce groupe, je peux citer deux espèces intéressantes, qui
viennent s'ajouter à la faune déjà célèbre des Shetland : le
Buccinopsis striata (Jeffreys) (fig. 76), forme un peu voisine du
Buccinopsis Dalei, qui a été pendant longtemps une des gloires
de la mer des Shetland, et le Latirus albus (Jeffreys) (fig. 77),
connu aussi sur les côtes de Norvége. Le Cerithium granosum
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 393
(S. V. Wood), commun aussi à la Norvége et aux Shetland, se
trouve à l’état fossile, et le Fusus Sarsi (Jeffreys), des Shetland
et de la Norvége, existe à l’état fossile à Bridlington. Plu-
sieurs espèces n'étaient connues jusqu'iei que comme méri-
Fic. 76. — Buccinopsis striata, JEFFREYS. Fic. 77. — Latirus albus, JEFFREYS. Double de
Canal de Farüer. la grandeur naturelle. Canal de Farüer.
x
dionales, et M. Jeffreys a quelque peine à s'expliquer leur
présence. Ainsi, le Tellina compressa (Brocchi) est connu dans
les iles Canaries et dans la Méditerranée, et à l’état fossile dans
les tertiaires italiens très-récents. J’ai déjà fait mention du
a, De l’Est-Atlantique. b. Du golfe du Mexique.
Fic. 78. — Pleuronectia lucida, JEFFREYS. Double de la grandeur naturelle.
Verticordia acuticostata (Philippi) comme se rencontrant sur
les côtes du Portugal et sur celles du Japon. C’est un fossile
très-commun dans la Calabre. Les Mollusques qui offrent le
plus d'intérêt cependant, sont ceux qui font partie de la faune
294 LES ABIMES DE LA MER.
des abimes, mais nous ne savons encore que fort peu de chose
de ce groupe. Comme les Échinodermes, ils paraissent con-
stituer des formes spéciales, et avoir une vaste extension laté-
‘ale. Le Pleuronectia lucida (Jeffreys) (fig. 78), jolie coquille
qui appartient au groupe du Pecten pleuronectes, est représenté
par des individus provenant de l'Atlantique du Nord et du
golfe du Mexique. Les Mollusques des abimes sont loin d’être
décolorés, bien qu'ils soient toujours plus ternes que ceux qui
habitent les bas-fonds. Le singulier Dacrydium vitreum, qui
lic. 79. — Pecten Hoskynsi, ForBEs. Double de la grandeur
naturelle.
construit et habite un tube mince et délicat en forme d’ampoule,
composé de Foraminifères, de spicules d’Eponges, de Cocco-
lithes et d’autres corps étrangers cimentés par une matière
organique, et doublé d’une membrane délicate, est d’une
belle couleur brun-rouge teinté de vert, et a été trouvé à
2435 brasses. Une ou deux espèces de Lima venues des pro-
fondeurs extrèmes n’en ont pas moins la couleur ordinaire de
vif écarlate orangé. Les Mollusques des abimes ne sont point
non plus privés d’yeux; une espèce nouvelle de Pleurotoma,
venue de 2090 brasses, avait une paire d’yeux fort bien déve-
loppés et placés sur de courts pédoncules, et un Fusus pris à
1207 brasses en était pourvu d’une manière tout aussi com
plète. La présence de ces organes à pareilles profondeurs ne
permet guère de douter qu’une lumière quelconque n’y arrive.
Par bien des raisons, ce ne peut être celle du soleil. J’ai déjà
émis l’idée qu’au delà d’une certaine profondeur, toute lumière
LA FAUNE DES GRANDES PROFONDEURS. 395
_ pourrait bien être produite par la phosphorescence, qui est
certainement très-générale, surtout chez les larves et les jeunes
des animaux qui habitent ces zones profondes; mais c’est la
une question aussi difficile à résoudre qu'intéressante, et qui
nécessitera les recherches les plus persévérantes.
Bordôü, Kuné et Kalsü : vue prise dans le voisinage du hameau de Vider (Faréer)
CHAPITRE X
DE LA FORMATION, ACTUELLE DE LA CRAIE
Des points de ressemblance qui existent entre le limon de VAtlantique et la craie
blanche. — Des différences qui les distinguent. — Composition de la craie. — Théorie
de la permanence de la formation de la craie. — Objections. — Arguments en faveur de
la théorie fournis par la Géologie et par la Géographie. — Ancienne distribution des
mers et des terres. — Preuves tirées de la Paléontologie. — Les roches crayeuses. —
Les Eponges modernes et les Ventriculites. — Les Coraux. — Les Echinodermes. —
Les Mollusques. — Opinions du professeur Huxley et de M. Prestwich. — De la com-
position de l’eau de mer. — Présence de matières organiques. — Analyses des gaz
qui y sont contenus. — Différences dans les pesanteurs spécifiques. — Conclusions.
APPENDICE A. — Résumé des résultats des expériences faites sur divers échantillons d’eau
de mer pris à la surface et à différentes profondeurs, par William Lant Carpenter.
APPENDICE B. —- Résultats de l'analyse de huit échantillons d’eau de mer recueillis pen-
dant la troisième croisière du Porcupine, par le D° Frankland.
APPENDICE CG. — Notes sur des spécimens du fond recueillis pendant la première croi-
sière du Porcupine, en 1869, par David Forbes.
APPENDICE D. — Notes sur l'acide carbonique contenu dans l’eau de mer, par John
Young Buchanan, chimiste de l'expédition du Challenger.
Dès que les échantillons du fond des régions moyennes de
l'Atlantique, rapportés par la sonde, eurent été soumis à l’ana-
lyse chimique et à l’examen du microscope, l’analogie de sa
composition et de sa structure avec celles de l’ancienne craie
frappa plusieurs des observateurs. J’ai déjà décrit le carac—
tère général et le mode d’origine du grand dépôt calcaire qui
parait recouvrir la plus grande partie du lit de l’Atlantique. Si
Von prend un morceau de craie blanche commune dans le midi
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 307
de l’Angleterre, qu’on le désagrége dans l’eau au moyen d’une
brosse, et qu’on place ensuite sous le microscope une goutte du
liquide laiteux qui résultera de l’opération, on voit que, comme
le limon de l'Atlantique, cette craie est composée en grande
partie par de fines particules amorphes de chaux, avec quelques
fragments de coquilles de Globigérines, plus rarement de ces
coquilles entières, et d’une proportion considérable (près d’un
dixième dans certains échantillons) de Coccolithes, qu'aucun
caractère ne distingue de ceux du limon océanique. Dans leur
ensemble, deux préparations, l’une de craie désagrégée dans
l'eau, l’autre du limon de l’Atlantique, se ressemblent si par-
faitement, qu'il n’est pas toujours facile, même pour un micro-
graphe expérimenté, de les distinguer. On peut se rendre
compte aussi de la composition de la craie en la découpant,
comme l'ont fait Ehrenberg et Sorby, en tranches minces et dia-
phanes, ce qui permet de démontrer très-bien le mode d’agré-
gation des différentes substances dont elle est composée.
De nombreuses expériences ont rendu de plus en plus évi-
dentes ces ressemblances frappantes qui mettent hors de doute
que la craie de la période crétacée et le limon crayeux mo
derne de l’Atlantique sont identiques; des études plus appro—
fondies encore sont venues prouver qu'il existe cependant
entre eux des différences importantes. La craie blanche est
très-homogène, plus peut-être qu'aucune autre roche sédimen—
taire, car on peut dire qu’elle constitue du carbonate de chaux
presque pur. Voici, du reste, l'analyse, faite par M. David
Forbes’, de la craie blanche de Shoreham (Sussex) :
Carbonate. de. chau §. RARES: 98,40
Carbonate de magnésie. 325... 5.5 5 0,08
Debris msblables: so APR ALAN 1,10
Alumineretdechets = area nr ere 0,42
100,00
La craie grise de Folkstone elle-même contient une forte
1. Citée dans le discours présidentiel de M. Prestwich, 1871.
398 LES ABIMES DE LA MER.
proportion de carbonate de chaux, les autres substances n’y
existent que comme impuretés, et n’entrent pas dans la compo-
sition de la roche. L’analyse suivante, faite par M. Forbes,
indique quelle est la base de la craie grise de Folkstone :
Carbonate de chaux..... Po Sh Spottt Deen
Carbonate de magnésie. .............. 0,31
Débris de roches insolubles. .......... 3,61
Acide phosphorigue 7). es. ace }
: : traces
Allumimevetwdéchet ss PERRET a eae \
Chlorure te soditims. Wiis) Te ER M 1,29
ARR OR NE TRES CAR ARE AU 0,70
100,00
I] est à remarquer, dans cette analyse, que la craie blanche,
presque toujours associée au grès vert et au silex, ne ren—
ferme pas un atome de silice.
Le limon crayeux de |’Atlantique ne contient pas plus de
60 pour 100 de carbonate de chaux, avee 20 a 30 pour 100
de silice, et des proportions variables d’alumine, de magnésie
et d'oxyde de fer. Il faut se rappeler cependant que fa craie se
présente sous sa forme la plus pure dans les rochers des côtes
anglaises, tandis que dans d’autres parties du monde elle
affecte un caractère tout différent et contient du carbonate de
chaux dans des proportions tout autres. M. Prestwich cite une
couche de la eraie blanche de Touraine (terrain sénonien) dont
le carbonate de chaux est entièrement absent.
On ne saurait mettre en doute qu'il n’y ait en voie de forma-
tion, au fond de l'Océan, une vaste étendue de roches qui res—
semblent beaucoup à la craie. L'ancienne craie, la formation
erétacée, qui, dans certaines parties de l'Angleterre, s’est
trouvée soumise à une énorme dénudation, et qui est recou-
verte par les couches de la série tertiaire, a été formée de la
mème manière et dans des circonstances à peu près identiques.
Ceci est probablement vrai non-seulement pour la craie, mais
encore pour toutes les grandes formations calcaires. Les restes
de Foraminifères abondent à peu près partout; quelques-uns
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 399
sont spécifiquement identiques avee les formes vivantes, et
dans un grand nombre de calcaires de toutes les époques le
D' Gümbel a trouvé les Coccolithes si caractéristiques.
Longtemps avant les recherches actuelles, certaines considé-
rations m’avaient fait juger très-probable l'existence, dans les
parties les plus profondes’ de l'Atlantique, d’un dépôt en voie
de formation. Je pensais que la composition en pouvait varier
dans les détails, mais que les caractères généraux en devaient
ètre partout les mêmes. Ce dépôt, selon moi, s’accumulait
d’une manière continue depuis la période crétacée, ou même
depuis des époques plus anciennes encore, Jusqu'à nos Jours.
J’exposai cette idée dans ma première lettre au D" Carpenter,
en insistant sur l’opportunité d’une exploration du fond de
la mer, et elle a trouvé une chaleureuse approbation ‘chez
mon collègue, dont l'opinion est d’un grand poids à cause
des études approfondies qu’il’a faites de plusieurs groupes des
animaux dont les restes entrent dans la composition de la craie
ancienne, ainsi que dans la craie de nouvelle formation.
A notre retour de l'expédition du Lightning, dont les résul-
tats nous avaient paru justifier amplement notre théorie, nous
nous sommes exprimé d'une manière qui rendait mal notre
pensée, puisqu'elle n’a pas été comprise, en disant que nous
pouvions, dans un certain sens, nous considérer comme vivant
encore dans la période crétacée. Plusieurs géologues éminents,
parmi lesquels se trouvent sir Roderick Murchison et sir Charles
Lyell, ont critiqué cette opinion; mais leur désapprobation
s’adressait moins, parait-il, à l'opinion elle-même qu'aux
termes dans lesquels elle se trouvait exprimée : aussi je crois
que la théorie de la permanence de la eraie, dans le sens où
nous l’entendons, est maintenant généralement acceptée.
Je ne prétends point soutenir que la phrase, « nous vivons
encore dans la période crétacée », soit exacte dans son accep-
tion strictement scientifique; mais cela vient de ce que les
termes d'époque géologique et de période géologique ont un
sens parfaitement indéterminé. Nous parlons indifféremment _
100 LES ABIMES DE LA MER.
de la période silurienne, de la période glaciaire, sans nous
préoccuper de leur valeur totalement différente; de la période
tertiaire, de la période miocène, bien que l’une soit comprise
dans l’autre. Notre manière de nous exprimer, dans son sens
populaire, s’accordait done avec l’idée qui, jusqu’à une époque
toute récente, était généralement répandue ; qu’une période a,
dans les régions où elle a été étudiée et définie, quelque chose
comme un commencement et une fin, qu’elle trouve ses bornes
dans telle époque de changements, tels qu’élévation, dénuda-
tion ou autres influences dues au cours des siècles. Il serait
inadmissible de parler de deux parties d’un dépôt permanent,
quelque éloignées que soient les époques de la formation de ce
dépôt et quelque distinctes que puissent être les faunes qu'il
renferme, comme appartenant à des périodes géologiques diffé-
rentes.
C'est certainement dans ce sens que, dans un discours pro—
noncé en avril 1869, devant un auditoire populaire, j'ex-
primai l’opinion que ce n’est pas seulement de la craie qui se
trouve en voie de formation dans l'Océan, mais bien la craie
par excellence, la craie de la période crétacée. En résumant
ses objections à cette théorie, sir Charles Lyell dit ‘: « Le lee-
teur comprendra tout de suite que les noms d’océan Atlantique,
Pacifique ou Indien, sont de simples termes géographiques
sans signification quand on les applique à la période éocène,
et surtout à la période crétacée, et que dire que la craie
s’est formée d’une manière ininterrompue dans l'Atlantique, est
aussi inadmissible au point de vue géographique qu’à celui de
la géologie. » J’avoue que la difficulté géographique m’échappe:
l'océan Atlantique est certainement un terme géographique;
la dépression dont il est ici question occupant l’espace qu’on
désigne actuellement de ce nom-là, il nous a paru que lem—
ployer était la maniére la plus simple d’en indiquer la posi-
tion. Les probabilités nous paraissent être en faveur de la for-
1. The Students Elements of Geology. By sir Charles LyeLr, Bart., F. R. S. Lon-
don, 1871; p. 265.
mi
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 401
mation non interrompue de la craie sur plusieurs points de cet
espace, et notre croyance est fondée sur des données physiques
et paléontologiques.
Tous les principaux soulévements au nord de l’Europe et au
nord de Amérique sont d’une date de beaucoup antérieure au
dépôt des couches tertiaires et même des secondaires, bien que
quelques-uns d’entre eux, tels que les Alpes et les Pyrénées,
aient reçu, à une époque plus récente, des accroissements con-
sidérables. Ces couches plus nouvelles ont done été déposées
de facon à conserver certains rapports de position qui existent
encore à l’époque actuelle. Bien des oscillations ont, sans aucun
doute, eu lieu depuis, et il n’est probablement aucune portion
du plateau européen qui n’ait subi ses alternances de terre et
de mer; mais il est difficile de démontrer que, dans le nord de
l'Europe, ces oscillations aient dépassé 4000 à 5000 pieds,
distance verticale la plus grande qui sépare la base des ter-
tiaires des points les plus élevés où l’on trouve sur les pentes
et sur les crétes des montagnes des coquilles tertiaires et post-
tertiaires. Un simple abaissement de 1000 pieds suffirait ce-
pendant pour amener sur la plupart des terres septentrionales
une mer de 100 brasses de profondeur, plus profonde que la
mer d'Allemagne, et un exhaussement de même proportion
réunirait les Shetland, les Orcades, la Grande-Bretagne et
l'Islande au Danemark et à la Hollande, laissant seulement un
fjord profond entre la péninsule Britannique et la Scandinavie.
Ii faut se rappeler les nombreuses preuves que nous possédons
de ces oscillations, qui varient de 1000 pieds à un maximum
de 4000 à 5000 pieds, et qui se sont répétées fréquemment
dans le monde entier, à des époques relativement récentes,
réunissant les terres, puis les séparant par des mers peu
profondes, pendant que la position des grandes profondeurs
demeurait la même, pour comprendre l'importance de la
détermination exacte des profondeurs des mers dans toutes
les études qui ont pour objet la distribution géographique et
l’origine de faunes spéciales.
26
102 LES ABIMES DE LA MER.
En jetant un coup d'œil sur la carte (pl. VIII), en se rappe-
lant que le même ordre existe dans les roches plus récentes de
l'Amérique du Nord, il parait évident que le résultat de ces
élévations et de ces abaissements de moindre importance, a
été un relèvement général des bords, avec dépression d'un ,
bassin dont l’axe de longueur coïncide dans son ensemble
avec l’axe de longueur de PAtlantique. Les couches jurassiques
affleurent le long des bords extérieurs du bassin ; les couches
crétacées forment une bande médiane, pendant que les dépôts
tertiaires occupent les creux et les vallées. Toutes ces couches
cependant conservent les unes avec les autres, et toutes avec
les plages de la mer actuelle, un certain parallélisme, déter—
miné par le contour des terres primitives et par la direction
des chaînes de montagnes les plus anciennes.
Depuis le 55° parallèle de latitude nord jusqu'à l'équa-
teur, il existe sur chacun des côtés de l’Atlantique une dé-
pression de 600 à 700 milles de largeur, ayant une pro—
fondeur moyenne de 15 000 pieds. Ces deux vallées sont
séparées par le plateau volcanique récent des Açores. Il ne nous
parait pas probable qu'il se soit produit dans l'hémisphère
septentrional aucune oscillation générale assez importante pour
créer ces immenses abimes ou pour les transformer en terre
ferme.
S'appuyant sur des données physiques et paléontologiques,
M. Prestwich suppose que l’ancien océan crayeux qui formait
une grande zone à travers le midi et l’est de l’Europe et le
centre de |’Asie, d’une part, Visthme de Panama et la partie
sud de l'Amérique du Nord, de l’autre, était séparé de la mer
Arctique par une barrière de terres, circonstance à laquelle il
devait sa température plus élevée et plus égale jusqu’au fond.
Tout porte à croire que cette barrière a existé au nord du
grand bassin atlantique, et qu’elle était la prolongation de la
ceinture des terres septentrionales sur lesquelles il n’existe
aucun dépôt de roches crétacées. Il dit que «s'il existait une
barrière semblable à l’époque de la craie, et que cette barrière
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DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 403
ait été submergée pendant la première partie de la période
tertiaire, cette circonstance, rapprochée des conditions si diffé
rentes de profondeur où l’on a trouvé la craie et les tertiaires
inférieurs, suffirait pour expliquer l'interruption qui se trouve
entre les faunes des deux périodes. »
D’après les renseignements connus sur les profondeurs de
l'Atlantique du Sud et du Pacifique du Nord, on n’a cependant
aucune raison de supposer qu'il ait existé récemment une bar-
rière qui séparat la mer polaire de l'hémisphère méridional des
autres mers; on ne saurait comprendre comment il en résul-
terait le fait avancé par M. Prestwich, à moins de prendre en
considération un autre fait dont l’existence parait être démon
trée. Un bane de roches crétacées entoure notre globe, et passe
un peu au nord de l'équateur, partout où il y a terre ferme;
l'étude des profondeurs fait supposer que ce bane crayeux se
prolonge également à travers les grands bassins océaniques.
Il paraitrait done qu’à cette époque aueun continent s'étendant
du nord au sud ne venait mterrompre le courant équatorial,
faire dévier du nord au midi les eaux chaudes de l'équateur,
ct donner lieu en retour à un courant des eaux polaires. Ce fait
détruirait la principale, sinon l'unique eause de la basse tem—
pérature qui règne actuellement dans les grandes profondeurs
des tropiques. D’après cette théorie, l’abaissement de tempé-
rature, cause de l'interruption de la faune, serait produit plus
encore par l’élévation de l'Amérique centrale, de Visthme de
Panama et des côtes orientales du continent asiatique, que
par la dépression de la barrière septentrionale qui a ouvert
le bassin arctique.
« Si, à une époque antérieure à la nôtre, le climat de notre
globe a été beaucoup plus chaud ou beaucoup plus froid qu'à
l’époque actuelle, il a dû conserver cette température plus
élevée où plus basse pendant une succession d’époques géolo-
giques.... La lenteur des changements climatériques à laquelle
il est fait ici allusion est due a la grande profondeur de la mer
104 LES ABIMES DE LA MER.
par rapport à l'élévation des terres et à l'immense laps de
temps qui est nécessaire pour amener un changement dans la
position des continents et des grands bassins océaniques. —
La hauteur moyenne des terres n’est que de 1000 pieds; la
profondeur de la mer de 15 000 pieds : conséquemment, des
mouvements verticaux de 1000 pieds dans chaque direction,
de haut en bas ou de bas en haut, doivent avoir pour résultat
de grands déplacements de terre et d’eau dans les espaces
continentaux autour desquels existent de vastes mers dont la
profondeur ne dépasse pas 1000 pieds; tandis que des mouve-
ments d’égale importance n’occasionneraient pas de change-
ments sensibles dans l'Atlantique ou dans le Pacifique, et ne
transformeraient ni les espaces continentaux, ni les étendues
océaniques. Une dépression de 1000 pieds aménerait la sub—
mersion de vastes espaces de terre, mais il faudrait quinze fois
ce mouvement pour faire de ces terres une mer de profondeur
moyenne, ou pour transformer un des continents actuels en
une mer de 3 milles de profondeur *. »
La grande étendue des tertiaires en Europe et au nord
de l'Afrique donne la mesure de tout ce qui a été gagné de
terrain pendant les périodes tertiaire et post-terhiare, et les
grands massifs de montagnes du midi de l’Europe témoignent
de grands bouleversements locaux. Bien que les Alpes et les
Pyrénées soient de nature, par leur altitude et par leur éten—
due, à produire une profonde impression sur l’esprit humain,
ces montagnes réunies et nivelées ne couvriraient la surface
de l'Atlantique que d’une couche de six pieds d'épaisseur, et
il faudrait au moins 2000 fois leur volume pour remplir
son lit. Pendant que les bords de ce que nous appelons la
erande dépression atlantique se soulevaient graduellement,
sa partie centrale a pu subir une dépression équivalente ; mais
il est peu probable que, les traits principaux du contour de
1. LyeLL, Principles of Geology, 1867, p. 265-6.
‘
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE, 405
l'hémisphère septentrional demeurant les mêmes, un espace
aussi vaste se soit déprimé de plus que toute la hauteur du
mont Blane. D’après ces données physiques seules, nous pen-
sons qu'une partie considérable de cette étendue est toujours
demeurée sous l’eau, et qu’un dépôt s’y forme d’une manière
permanente, depuis la période de la craie jusqu'à l’époque
contemporaine.
J’ aborde maintenant le côté paléontologique de la question.
Depuis longtemps M. Lonsdale a démontré que la craie
blanche n’est composée que des débris de Foraminifères, et
le D' Mantell estime que le nombre de ces coquillages dé—
passe un million par pouce cube. Il disait, en 1848, à propos
de la craie: « Pour que l’ensemble des dépôts sédimentaires
dont elle est composée fit accessible à l’observation, il faudrait
qu’une masse du lit de l'Atlantique de 2000 pieds d'épaisseur
se trouvât soulevée au-dessus des eaux et passat à l’état de
terre ferme; la seule différence essentielle résiderait dans les
caractères génériques et spécifiques des restes animaux et vé-
eétaux qu'on y trouverait enfouis '.» En 1858, le professeur
Huxley appelait le limon de l'Atlantique « la craie moderne? ».
L'identité de quelques-uns des Foraminifères de la craie avec
des espèces vivantes a été reconnue depuis longtemps. Dans
son savant résumé de cette question, quia été si souvent cité,
M. Prestwich présente un tableau, tracé par le professeur
Rupert Jones, de 19 espèces de Foraminifères sur 110, prove-
nant du limon de PAtlantique, et qui sont identiques aux
formes de la craie, savoir :
1. Wonders of Geology, 6th edition, 1848, vol. I, p. 305.
2. Saturday Review, 1858 : « Chalk ancient and modern. »
406 LES ABIMES DE LA MER.
AUTRES FORMATIONS ANTÉRICURES
ESPÈCES DE FORAMINIFÈRES DANS LESQUELLES ELLES SE TKOUVENT.
QUI SONT COMMUNES AU LIMON DE L’ATLANTIQUE
ET A LA CRAIE
DE L’ANGLETERRE ET DE L’EUROPE.
JURASSIQUE
JURASSIQUE
RUETIQUE
PERMIEN.
CARBONIFÈRE.
Glandulina levigata, @Orbigny.
Nodosaria radicula, Linn
DMT APA MUS AIME ere eo ae «Bac oe
Dentalina communis, d’Orb
Cristellaria cultrata, Mont
» rotulata, Laur
D verepidula. Fel Moo. PRE Re
Lagena sulcata, W. et J
» globosa, Montagu
Polymorphina lactea, W. et J
» communis, dOrb
» compressa, d'Orb
De) Or bignivie aig. ne cease ae tant
Globigerina bulloides, @Orb
Planorbulina lobatula, W. et J
Pulvinulina Micheliana, d'Orb
Spiroplecta biformis, P. et J
Verneuilina triquetra, von M. ...........
D: polystrapha, ews ask Se A ee
LRU TOR
[| SGA SE
LAINE
Ainsi que le tableau suivant des Foraminifères communs au
limon de l'Atlantique et aux diverses formations géologiques
de l'Angleterre :
COMMUXS AUX FORMATIONS SUIVANTES.
TOTAL
DANS L’ATLANTIQUE
PROFOND,
CRAG.
CRAIE.
SUPER.
JURASSIQUE
JURASSIQUE
INFER
RUBTIQUE
t
TRIAS SUPER.
PERMIEN
CARBONIFÈRE.
110 09 28 19
—!
—!
1
=
de
La morphologie des Foraminifères a été étudiée avec soin,
et les différences qui existent entre des prétendues espèces alliées
sont si insignifiantes, que ces types pourraient, dans bien des
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 407
cas, n'être considérés que comme variétés. Cette observation
minutieuse, cette attention apportée aux plus légères diffé-
rences n’en rend la classification que plus exacte et plus sure,
et les probabilités plus grandes pour que les formes animales
qui sont matériellement identiques aient persisté dans les
profondeurs de la mer pendant une période géologique con—
sidérable.
Les récents draguages profonds de M. Pourtalès sur les côtes
américaines, ceux des vaisseaux de Sa Majesté le Lightning et
le Porcupine, et ceux du yacht de M. Marshall Hall, Vorna, sur
les côtes de l’Europe occidentale, n’ont fait découvrir aucune
forme animale appartenant aux groupes élevés spécifiquement
identiques aux fossiles de la craie; je ne pense pas qu'on doive
s'attendre à en trouver. Une grande partie de | Atlantique
-du Nord est échauffée actuellement jusqu’à la profondeur de
9000 pieds environ, à un degré bien supérieur à sa tempé-
rature normale, tandis que dans ses grandes profondeurs les
courants arctique et antarctique abaissent sa température dans
une proportion tout aussi extrême. Ces températures anor-
males sont l'effet de la distribution actuelle des terres et des
mers, et J'ai déjà démontré qu'il y a eu depuis des temps
géologiquement modernes bien des oscillations qui ont du
produire, dans les mêmes espaces, des conditions entièrement
différentes. Si nous acceptons, jusqu'à un certain point,
comme nous sommes tenus de le faire, la théorie de la mo—
dification graduelle des espèces sous l'influence de causes
naturelles, nous devons nous attendre à l'absence complète
de formes identiques à celles qui se trouvent dans la craie
ancienne, parmi les groupes chez lesquels il existe des diffé
rences de structure suffisantes pour permettre des variations
sensibles, produites par la modification des conditions. Tout
au plus y aura-t-il persistance de quelques-uns des anciens
types génériques ; entre les deux faunes on trouvera une res-
semblance suffisante pour justifier la théorie que la faune mo-
derne présente avec l’ancienne des rapports de descendance
408 LES ABIMES DE LA MER.
extrêmement modifiés, tout en réservant l'influence de l’émi-
eration, de l'immigration et de l’extermination de certaines
faunes.
J'ai déjà dit qu'une des plus grandes différences qui existent
entre le limon crayeux récent de l'Atlantique et l’ancienne
craie blanche, c’est absence complète de silice libre dans cette
dernière. Il paraitrait, d’après l'analyse de la craie, que les
organismes siliceux n’existaient absolument pas dans les an-
_ciennes mers crétacées. D’autre part, la silice est abondante
dans le limon crayeux où, dans la plupart des spécimens, elle
entre pour une proportion de 30 à 40 pour 100. Une portion
considérable de cette quantité est représentée par un sable
siliceux inorganique, dont la présence s'explique, sans aucun
doute, par le voisinage des terres et le trajet des courants;
tandis que Vextréme pureté de la craie blanche de Sussex
semble indiquer qu'elle a été déposée dans une eau tranquille,
profonde et éloignée de toute terre. Une grande partie de la
silice du limon crayeux se compose cependant de spicules
d’Eponges, de plaques de Radiolaires et de frustules de Dia-
tomées; cette silice organique se trouve distribuée dans la
masse entière.
La craie blanche, quoique ne contenant pas de silice, nous
offre ce fait smgulier de l’existence de couches régulières de
masses rocheuses de silice presque pure, qui affectent fré—
quemment la forme extérieure d’Éponges plus ou moins régu-
lières, et qui souvent remplissent les cavités des Oursins et de
certaines coquilles bivalves. Cette circonstance seule d’un Our-
sin, tel que le Galerites albo—galerus ou VAnanchytes ovata,
entièrement rempli d’une matière grise, qui forme à l’ouver-
ture orale du test une protubérance semblable à celle d’un
moule à balles rempli de plomb, nous force à en conclure
qu'après la mort de l’Oursin, la silice a pénétré dans l’intérieur
à l’état de solution ou tout au moins de gélatine, et que la si
lice devait exister antérieurement, sous quelque autre forme,
dans la craie ou ailleurs. On trouve souvent, dans la craic
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 409
qui ne renferme pas de silice, les moules d'organismes connus
pour être siliceux, et desquels toute la silice a été soustraite ;
j'ai vu moi-mème plus d’une fois une partie de la trame déli-
cate d’une Éponge siliceuse conservée intacte dans un morceau
de roche, pendant que l’autre partie de l’organisme, qui se
projetait en dehors du rocher, se montrait dans la craie comme
un treillis composé d'espaces vides ou garnis de peroxyde ou
de carbonate de fer. Il parait donc certain que, par un procédé
quelconque, la silice organique répandue dans la craie sous
forme de spicules d’Eponges et autres organismes siliceux a
été dissoute ou réduite à un état gélatineux, et qu'elle s’est
accumulée dans des moules constitués par les coquilles ou les
parois des animaux de différentes classes enfouis dans la roche.
On ne sait pas d’une manière certaine comment s’effectue la
solution de la silice. Une fois réduite à l’état gélatineux, il
est facile de comprendre qu’elle soit tamisée par un procédé
d'endosmose, à la faveur de la porosité de la craie, et qu’elle
se trouve accumulée dans toutes les cavités favorablement
disposées. |
Dans plusieurs localités du nord de l’Angleterre, les orga—
nismes appelés Ventriculites se trouvent ‘en grande abondance
dans la craie et dans la craie chloritée. Ce sont des coupes et
des vases de forme élégante, avec des bases ramifiées sem—
blables à des racines, ou des groupes de tubes s’étendant régu—
lièrement ou irrégulièrement, et recouverts sur leur surface
d’un filet qui pourrait rivaliser avec la plus fine dentelle. Feu
M. Toulmin Smith a publié en 1840 le résultat de plusieurs
années d’une étude approfondie de ces corps, et la description
aussi exacte que détaillée de leur structure. Il a découvert
qu'ils se composent de tubes d’une ténuité extrême, réunis par
des mailles très-fines et ayant entre eux des vides de forme
généralement cubique ou octaédrique très-régulière. Ces
tubes des Ventriculites trouvés dans la craie étaient vides ou
ne renfermaient qu'un peu de matière rougeatre et ocreuse.
Quand un Ventriculite se trouvait en tout ou en partie engagé
J
410 LES ABIMES DE LA MER.
dans une roche, il était entiérement incorporé a la gangue
ou remplacé par de la silice. M. Toulmin Smith suppose que le
squelette du Ventricultite était originairement calcaire, et il
Fic. 80. — Ventriculites simplex, TOULMIN SiTH. Une fois et demic la grandeur naturelle.
classe le groupe parmi les Polyzoaires. A l’époque où M. Toul—
min Smith étudiait les Ventriculites, les Hexactinellide, les
Éponges à trame sexradiée, étaient peu connus, bien qu'il
y en eût déjà quelques exemplaires dans les muséums. Un
des premiers résultats des draguages profonds est la décou—
verte que le limon crayeux des grandes mers en est littérale-
ment chargé, et, en comparant des formes récentes telles que
’Aphrocallistes, VIphitron, VHoltenia et VAskonema, avec
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. AN
certaines séries des Ventriculites de la craie, on ne peut con—
server le moindre doute qu’elles n’appartiennent à la même
famille, et même, dans certains cas, à des genres voisins. La
SE
à
Fic. 81.— Ventriculites simplex, TOULMIN SitH, surface antérieure.
Quatre fois la grandeur naturelle.
figure 80 représente un fort beau spécimen de Ventriculites
simplex conservé dans la roche, et dont je suis redevable
à M. Sanderson, d'Edimbourg. Comparé à l’Euplectella, à
Fic. 82. — Ventriculites simplex, TouULMIN SmitH. Section de la surface inférieure,
montrant Ja structure du réseau siliceux (X 50.)
VAphrocallistes Beatriz, nous trouvons immédiatement la
mème structure jusque dans les détails les plus microscopiques.
D'autres Éponges qui appartiennent principalement aux
Lithshide et aux Corticate, reproduisent avec une singulière
412 LES ABIMES DE LA MER.
exactitude les formes plus irrégulières des Kponges de la craie
et de la craie chloritée. Un groupe non encore décrit, mais
qui, selon toute apparence, est une famille égarée des £spe-
riadæ, pousse des tubes longs et ténus qui s’amincissent lége—
rement, mais dune manière tout a fait caractéristique, au
point même de leur insertion dans le corps de l’Éponge; ils
rappellent ainsi d’une manière frappante la façon toute parti-
culière dont les racines tubuleuses s'unissent à l’Éponge dans
le genre C’hoanites encore bien vaguement défini.
La figure 83 reproduit un des individus appartenant à ce
groupe. Une sphère de 15 à 20 millimètres de diamètre, qui
se compose d'une écorce extérieure lisse et luisante, tissée
Fic. 83. — Celosphera tubifer, WyvILLE THosoN, légèrement agranili.
Péché sur les côtes de Portugal.
de spicules granulés réunis par des mailles serrées, avec
ceux du sarcode, lesquels sont, les uns grands et en forme
de C, les autres beaucoup plus petits et répondant au type
tridenté, à trois crochets égaux, décrit par Bowerbank. De
distance en distance l’épiderme ainsi composé se trouve per-
foré. L'intérieur de la sphère est rempli d’un sarcode mou,
à demi fluide, contenu dans un filet fort lâche formé d’une
matière cornée et granuleuse et de spicules. Irrégulièrement
disséminés sur la surface de l’Éponge, des tubes d’environ
3 millimètres de diamètre s’étendent dans toutes les directions ;
les parois de ces tubes sont minces et délicates, et le devien-
nent plus encore à leurs extrémités, qui se contractent légè-
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 413
rement, tout en restant perforées. A sa jonction avec l’Éponge,
le tube présente aussi un étranglement, et une légère dépres—
sion se remarque à la surface de l'organisme. Il y a, dans cette
structure, quelque chose de très-caractéristique qui montre
qu'il existe les plus étroites relations entre ces formes récentes
et les Éponges fossiles tubifères, telles que les Choanites.
Le professeur Martin Dunean cite plusieurs Coraux des côtes
du Portugal qui sont alliés de plus près aux formes de la craie;
mais c’est surtout chez les Échinodermes que les rapports
entre la faune ancienne et la moderne deviennent évidents.
Rappelons brièvement les points principaux qui se rapportent
à cette question. Les Apiocrinidæ, ce groupe de Crinoides
fixes que j'ai déjà décrit, abondent dans toute l’étendue des
roches jurassiques, et leurs dépouilles se trouvent en grande
quantité dans les épaisses couches de caleaire jaune de loo-
lithe. Vers la fin de la période jurassique, les genres typiques
disparaissent, et nous ne trouvons dans la craie que le groupe
représenté par une forme évidemment dégénérée, le Bour-
guetticrinus. On a rencontré, dans certaines couches tertiaires,
des fragments de tiges d’un petit Bourquetticrinus, qui a été
également découvert dans les brèches calcaires récentes de la
Guadeloupe, qui renfermaient aussi le squelette humain bien
connu que l’on voit au British Museum. Il n’est pas douteux
que ces fragments tertiaires et post-tertiaires se rapportent au
genre Rhizocrinus, que nous savons maintenant si largement
distribué à l’état vivant dans les grandes profondeurs. Dans
cette série des Apiocriridæ, qui se prolonge depuis le batho-
nien (Forest marble) jusqu’à l’époque actuelle, bien qu'il y ait
une succession d'espèces toujours variables, la dégénérescence
graduelle, persistant dans le mème sens à travers la série tout
entière, indique d’une manière incontestable une certaine
continuité aboutissant à un type qui s’efface peu à peu sous
l'influence de conditions lentement modifiées dans un sens
défavorable.
L'autre famille des Crinoides à tige, les Pentacrinide, se
414 LES ABIMES DE LA MER.
comporte tout différemment. Elle se trouve abondamment dans
le lias et dans l’oolithe inférieure, où elle recouvre des plaques
entières; là elle est associée d’une manière très-caractéristique
avec les espèces des grandes profondeurs, Cidaris, Astrogonium
et Astropecten; bien quelle soit peu abondante dans la craic
d'Angleterre, on en trouve quelques espèces, et celles-la ne
témoignent d'aucune tendance à la dégénérescence. Ainsi qu'on
devait s’y attendre, ces restes sont rares dans les dépôts ter—
tiaires des bas-fonds. Quant à leur distribution dans les mers
modernes, d’après la grande abondance du Pentacrinus Asteria
et du Pentacrinus Mulleri dans les eaux profondes des Indes
occidentales, et du Pentacrinus Wyville-Thomsoni sur les
côtes du Portugal, il est très-possible, ainsi que je Vai déjà
dit, qu'ils occupent dans la faune des abimes une place beau-
coup plus importante que nous ne l’avions cru jusqu ici.
Presque toutes les espèces des grandes profondeurs qui
sont venues s'ajouter à la liste des Astéries appartiennent aux
genres Archaster, Astropecten ou aux différentes subdivisions
de l’ancien genre Goniaster. Les restes fossiles des Astéries
sont relativement rares, à cause de la rapide décomposition de
leurs parties molles : après la mort, l'animal se brise en une
multitude d’ossicules imperceptibles; aussi ne les retrouve-t-on
guère que dans des formations calcaires d’une extrême finesse,
telles que le calcaire de Wenlock, et dans les temps plus mo-
dernes, dans le calcaire jaunatre de Voolithe et dans la craie
blanche. Le caractère général du groupe enfoui dans cette der-
niére formation, déposée dans des circonstances trés-semblables
à celles du limon crayeux de Océan, est à peu près le même
que celui des animaux qui font partie de la faune actuelle des
profondeurs de l'Atlantique.
Les Échinides forment un type mieux caractérisé. Grâce à la
dureté de leur test, ils se conservent plus facilement entiers, et
depuis les périodes les plus anciennes, leurs séries harmonieu-
sement variées sont d’un grand secours pour la distinction des
différentes formations géologiques. Leurs dépouilles se trouvent
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. ALS
en grande abondance dans la craie blanche du midi de l’Angle-
terre. Les fossiles les plus abondants et les plus caractéristiques
de la craie sont peut-être les Cidaridæ, qui, mieux encore que
tous les autres, démontrent les conditions à la faveur desquelles
la craie a été déposée. Les grands spicules du Cidaris sont
assujettis aux plaques du test par un ligament central qui sort
Fic. 84. —- Choanites, dans un silex de la craie blanche.
du calice au travers d’une perforation de la sphère, et par
une membrane qui part de la plaque et qui adhere à la base du
radiole. Mais les spicules sont si démesurément grands et les
parties molles se décomposent si rapidement aprés la mort de
Vanimal, qu il est bien difficile, malgré tous les soins apportés
à la préparation, de conserver l’adhérence de ces organes. On
trouve fréquemment dans la craie des tests de Cidaris parfaite-
ment entiers et avec tous leurs spicules, de sorte qu’en enlevant
416 LES ABIMES DE LA MER.
soigneusement la gangue avec la pointe d’un canif, on retrouve
l'animal complet. Il est assez difficile de se rendre compte de la
manière dont ce résultat a pu se produire : il faut que l’Oursin
soit tombé dans le limon crayeux liquide, et qu'il en ait été
recouvert de façon à soutenir et protéger les spicules et le test,
ce qui lui a permis de se consolider graduellement et de
former, avec le temps, une masse compacte. Un des Cidaris
ramenés récemment des grandes profondeurs appartient à un
genre supposé éteint, bien qu'en général les formes du limon
crayeux n'aient de ressemblance spéciale avec aucune des
espèces qui sont particulières à la craie. Cependant le carac—
tere général du groupe est bien le même. Les Echinothuride
n'étaient connus que comme fossiles de la craie; leur présence
en grand nombre dans le limon crayeux récent est done un
exemple très-positif de la conservation de l’un des types an-
ciens supposés anéantis. On en peut dire autant du Pourtalesia,
qui doit s'associer avec l’Ananchytes ou avec le Dysaster,
types l’un et l’autre de groupes que l’on croyait perdus. Ainsi
done, bien que jusqu’ici on n’ait pas découvert dans les eaux
profondes des Echinodermes qui soient spécifiquement iden—
tiques aux formes de la craie, la faune des abimes, avec sa
multitude de Cidaride, d'Echinothuride, d'Oursins irrégu-
liers et le nombre disproportionné de ses genres Astrôpecten,
Astrogonium, Stellaster et leurs alliés, parmi les Astéries, rap-
pelle singulièrement la craie, non-seulement dans ses traits
généraux, mais encore par l’extrème ressemblance de plusieurs
de ses genres avec certaines formes anciennes dont ils se rap—
prochent plus que de toutes les espèces vivantes.
Ils simulent ces formes au point de faire naître forcément
la conviction que leurs ressemblances ne peuvent provenir que
de l'influence de la descendance accompagnée de conditions
dont les modifications graduelles ont amené laltération des
types, sans les transformer cependant complétement.
Ainsi que je l'ai dit, tous les Mollusques des grandes pro-
fondeurs qui avaient été décrits auparavant à l’état fossile
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. AAT
provenaient des couches tertiaires, à l’exception de notre Tere-
bratulina Caput-serpentis, qui se rapproche incontestablement
beaucoup du Terebratula striata de la craie.
I] n'y a rien d'étonnant qu'il en soit ainsi : un des carac—
téres saillants des terrains tertiaires européens, c'est qu’à
l'exception de quelques-unes des couches plus anciennes du
midi de l’Europe, ils ont tous été déposés dans les bas-fonds,
de telle sorte que ces couches représentent les dépôts et la
faune des bords d’une mer quelconque. On peut dire qu'ils
ont pris naissance dans les bas—fonds des mers tertiaires dont
la faune profonde est inconnue : c’est le mode d'expression qui
s'accorde le mieux avec les idées reçues ; mais si cette théorie
est la vraie, il faut considérer les terrains tertiaires comme
des sédiments formés et mis à découvert par les dépressions et
les soulèvements successifs des bords de la mer crétacée, d’une
mer qui, malgré les nombreux changements produits par ces
mêmes oscillations qui ont alternativement découvert et sub-
mergé les tertiaires, a existé d’une manière continue et formé
des couches concordantes de limon erayeux, depuis la période
de l’ancienne craie.
Les Mollusques sont surtout des formes de bas-fonds, bien
que quelques-uns d’entre eux soient spéciaux aux grandes
profondeurs, et que d’autres occupent un grand espace vertical.
Après les changements multipliés qui se sont produits pendant
les périodes géologiques récentes, dans les conditions qui ont
le plus d'influence sur la vie animale, on ne peut s'attendre
à trouver aucun organisme appartenant aux groupes supérieurs
spécifiquement semblable aux fossiles de la craie ; il est même
difficile d'expliquer l'identité de plusieurs espèces vivantes des
grandes profondeurs avec certaines espèces qui se trouvent dans
les terrains tertiaires. Je crois cependant qu’il est possible d’en
trouver la raison. La plupart des espèces qui sont communes
à l'Atlantique actuel et aux couches tertiaires se trouvent
maintenant dans l'Atlantique à des profondeurs beaucoup plus
considérables que celles auxquelles elles ont été enfouies dans
27
418 LES ABIMES DE LA MER.
les mers tertiaires; ceci nous est indiqué par les espèces des bas—
fonds auxquelles elles sont associées dans les tertiaires. Ce sont
done des espèces qui jouissaient d’un champ vertical fort étendu,
et il est probable que, pendant qu'un grand nombre de formes
habitant les bas-fonds ont péri par suite de l’exhaussement ou
de quelque autre cause d’altération qui s’est fait sentir dans les
100 ou 200 brasses de la superficie, elles auront survécu parce
que les parties les plus profondes de leur habitat se seront
trouvées à l’abri de ces changements.
« Il est bon, dit sir Charles Lyell, de rappeler au lecteur
qu'en géologie nous avons lhabitude d'établir nos grandes
divisions chronologiques, non d’après les Foraminiféres et les
Éponges, ni mème d’après les ichinodermes et les Coraux,
mais d’après les êtres les plus complétement organisés qui soient
à notre portée, tels que les Mollusques..... Parmi ces der-
uiers, ceux qui nous offrent les meilleurs caractères sont Jus-
tement ceux dont l’organisation est la plus complète et la plus
spécialisée, et dont le champ d'activité est le. moins développé
dans le sens vertical. Ainsi les Céphalopodes sont les plus pré-
cieux de tous, parce qu'ils ont, dans le temps, une étendue
plus restreinte que les Gastéropodes ; ceux-ci, d'autre part,
caractérisent mieux les subdivisions s{ratigraphiques que les
Bivalves lamellibranches, qui, de leur côté, sont plus utiles
pour la classification que les Brachiopodes, classe plus infé-
rieure encore, et celle de toutes qui a le plus de durée. »
Malgré toute ma déférence pour sir Charles Lyell, je ne sau-
rais considérer les groupes des animaux supérieurs comme les
plus propres à caractériser les limites des grandes divisions
chronologiques, bien que j’admette toute leur valeur quand
il s’agit d’en déterminer les subdivisions.
Le développement maximum de ces groupes animaux, tel
qu'il nous apparait à la fin de la période jurassique et au
commencement de la crétacée, dans la merveilleuse abondance
et l’étonnante variété des deux ordres de Céphalopodes, met
incontestablement en relief et fait admirablement ressortir les
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 419
grands caractères distinctifs de la faune mésozoïque; mais, en
général, plus un Mollusque est élevé dans la série animale, plus
sont profondes les eaux qu'il habite. Les Céphalopodes sont des
animaux pélagiques, habitant la surface des hautes mers, et
dont on trouve conséquemment les dépouilles dans les dépôts
de toutes les profondeurs. Il y a deux remarquables exceptions
à cette distribution générale des Céphalopodes, et ces exceptions
sont les deux espèces de beaucoup les plus intéressantes au point
de vue géologique. Le Nautilus Pompilius anime les grandes
profondeurs du Pacifique, et Vhabitat du Sprrula australis est
inconnu. La coquille du Spzru/a est mince et légère ; il est pro-
bable qu'après la mort de animal, et par l’effet de la décompo—
sition des matiéres organiques, elle se remplit de gaz, et flotte
alors et dérive au gré des vents à la surface de la mer. Les
plages tropicales sont jonchées de cette petite coquille perlée
dont la forme élégante attire l'attention; elle abonde sur
toutes les cotes qui se trouvent sur le trajet du Gulf-stream.
Sysselmann Müller m'en a donné, il y a quelques années, en
quantité ; elles avaient été jetées sur le rivage sud-ouest de
différentes iles du groupe des Farôer. Malgré cela, on peut
dire que l’organisation et habitat du Sprrula sont encore
inconnus. Un seul spécimen décrit par le professeur Owen a été
trouvé à peu près complet par M. Percy Noël sur les côtes de la
Nouvelle-Zélande. Il me parait hors de doute que ce soit là une
forme des grandes profondeurs ; j'espère qu’au moyen de nos
draguages profonds, nous arriverons sous peu à le bien con-
naitre ; mais, en attendant, l’ignorance où nous sommes encore
à son sujet, malgré son extrême abondance, donne beaucoup à
penser. Il a été découvert dans l'argile de Londres un ou deux
exemplaires d'un fossile voisin du Spirula, mais qui en diffère
en ce que de sa partie postérieure se projette un solide rostre
conique dont la substance, qui tient du calcaire et de la corne,
renferme la plus grande partie de la spirale dont est formée la
coquille. Si le Spirula moderne était alourdi d'un pareil rostre,
il nous serait probablement encore totalement inconnu. JI n’est
120 LES ABIMES DE LA MER.
pas toujours prudent de faire des prédictions; cependant je re-
garde comme très-probable la découverte, dans les grandes
profondeurs, de quelque espèce très-voisine du Spirularostris.
Lorsque des formes tertiaires nous passons aux crétacées,
nous trouvons chez le Belemnitella la coquille cloisonnée,
rétrécie, et le volume de la garde grandement accru. Si les
Bélemnites habitaient les grandes profondeurs, comme cela
parait très-probable, et qu'il en existat encore, il n’est guère
possible, d’après la forme et le poids de leurs coquilles, qu’elles
soient jetées sur le rivage; aussi les draguages profonds pourront
seuls les empêcher de demeurer à jamais inconnues. Je ne dis
ceci que pour démontrer qu’on ne saurait baser un argument
quelconque sur le fait de absence, à l’époque actuelle, de tout
représentant de la faune des Céphalopodes erétacés.
Les Gastéropodes, sauf quelques exceptions relativement peu
communes, s'étendent de la plage même à une profondeur de 100
à 200 brasses ; les Lamellibranches deviennent plus rares à une
profondeur à peine plus considérable, tandis que certains ordres
de Brachiopodes, de Crustacés, d'Échinodermes, d’Eponges
et de Foraminiféres atteignent une profondeur de 10 000 pieds
sans voir diminuer sensiblement leur nombre. L’étendue bathy-
métrique des divers groupes dans les mers actuelles corres-
pond d’une manière remarquable avec leur étendue verticale
dans les anciennes couches.
Le moindre changement dans la distribution des mers et des
terres, ce changement ne ftit-il qu'une simple modification du
trajet d’un courant océanique, pourrait transformer les condi-
tions d'existence de quelques espèces d’un type élevé qui vivent
à la surface, telles que la plupart des Céphalopodes et tous les
Ptéropodes et Hétéropodes, au point d’en amener la destruction
complète. Des oscillations verticales de 500 pieds forceraient la
erande masse des Gastéropodes et tous les Coraux construc-
teurs de récifs à émigrer, ou les modifieraient si elles ne les
détruisaient pas; 100 brasses de plus extermineraient le plus
grand nombre des Bivalves. Mais des oscillations dix fois plus
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 421
fortes n’atteindraient que faiblement la région des Brachic-
podes, des Échinodermes et des Éponges.
L'étude attentive des résultats obtenus par les recherches
récentes n’a fait que confirmer l’opinion que j'avais déjà anté—
rieurement que les divers groupes fossiles qui caractérisent les
couches tertiaires de l’Europe et de Amérique du Nord repré- :
sentent la faune, incessamment modifiée, des bas-fonds d’un
Océan dont les profondeurs sont encore occupées par un dépôt
qui s’y accumule sans interruption depuis la période de la craic
prétertiaire, et dont il perpétue la faune, bien qu'avec de
erandes modifications. Je ne vois rien dans cette théorie qui
soit en contradiction avec les données de la géologie telle que
nous l’avons apprise de sir Charles Lyell; nos draguages dé—
montrent seulement que ces abimes de l'Océan (abimes que
sir Charles Lyell reconnait s’étre maintenus par leffet de leur
profondeur a travers une succession de périodes géologiques)
sont peuplés d’une faune spéciale, peut-être aussi persistante
dans ses traits généraux que les abimes qu'elle habite. J’ai dit
que la théorie de la permanence de la craie, telle quelle est
comprise par ceux qui en ont été les initiateurs, est maintenant
très-généralement acceptée; j'en citerai pour preuve deux dis—
cours prononcés dans des réunions annuelles, par deux pré-
sidents de la Société de géologie, bien convaincu que les asser-
tions d'hommes d’une si grande valeur ne peuvent être que
l'expression d'opinions saines, justes et judicieuses. Le pro—
fesseur Huxley a dit, en 1870, dans son discours annuel :
«lly a déjà bien des années ‘ que j’osai désigner le limon de
l'Atlantique comme la craie moderne, et il west venu à ma
connaissance aucun fait qui contredise l’opinion énoncée par
le professeur Wyville Thomson, que la craie moderne ne des-
cend pas seulement en ligne directe, pour ainsi dire, de l’an-
cienne craie, mais quelle est toujours demeurée en quelque
sorte en possession de son domaine héréditaire, depuis la pé-
1. Saturday Review, 1858 : « Chalk ancient and modern. »
122 LES ABIMES DE LA MER.
riode crétacée (si ce n’est depuis plus longtemps encore) jusqu’à
nos jours, les eaux profondes ayant recouvert une grande partie
de ce qui est encore aujourd'hui le lit de l'Atlantique. Mais
puisque les Globigerina, les Terebratula Caput-serpentis et
les Beryx, pour ne faire mention d'aucune des autres formes
animales ou végétales, relient ainsi le présent aux périodes
mésozoiques, est-il probable que la majorité des autres êtres
vivants aient subi un changement rapide et se soient trouvés
subitement transformés ? »
M. Prestwich, dans son discours présidentiel de 1871,
s'exprime ainsi : « Ainsi done, et bien qu'il me paraisse fort
probable qu'une partie importante du lit de l’Atlantique se
trouve immergée d’une manière permanente depuis la période
de notre craie, et bien que les formes les plus modifiables de
la vie aient pu par ce moyen se transmettre sans interruption,
cependant les immigrations de faunes différentes et plus ré—
_centes peuvent avoir modifié l’ancienne au point de ne laisser
à élément primitif qu’une importance comparable à celle de
l'élément anglais primitif au milieu de notre nation anglaise, »
M. Prestwich admet donc pleinement la très-grande pro-
babilité de la permanence que nous soutenons. La dernière
question qu'il soulève dans les portions de son discours que
nous avons citées présente d'immenses difficultés qu’il nous
est impossible de surmonter, ne possédant aucune donnée à cet
égard. Elle ne serait peut-être pas beaucoup plus difficile à
résoudre pourtant que le problème ethnologique qu'il a choisi
comme point de comparaison.
Plusieurs autres questions fort importantes ayant trait aux
conditions de l'Océan dans les grandes profondeurs ont attiré
l'attention des naturalistes chargés de la direction scientifique
des expéditions de draguage du Lightning et du Porcupine. Un
préparateur familiarisé avec les méthodes de recherches chi-
miques et physiques accompagnait chaque fois le navire. Un
des fils du D’ Carpenter, M. William Lant Carpenter, accom—
pagna la première croisière dirigée par M. Jeffreys. M. John
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 423
Hunter, jeune chimiste plein d'espérance, mort depuis ce
voyage, me suivit dans la baie de Biscaye, et un fils plus jeune
de notre collègue, M. Herbert Carpenter, a fait partie de la
troisième et longue expédition du canal de Farôer.
La pesanteur spécifique de l’eau a été constatée à chaque
station, et pendant les sondages par séries l'appareil a été
plongé dans les profondeurs intermédiaires, et l’eau recueillie
a été soigneusement analysée. Les différences observées sont
peu considérables, mais elles confirment l'opinion du profes-
seur Forschammer, que les eaux arctiques contiennent moins
de sel que l’eau de mer des régions tempérées et des régions
intertropicales.
Ainsi que je l’ai déjà dit (page 38 et suiv.), on a trouvé, au
moyen de l'épreuve du permanganate, des matières organiques
partout et à toutes les profondeurs. On a analysé avec soin les
gaz contenus dans l’eau de mer, et le résultat général des expé-
riences prouve que la quantité d'acide carbonique libre aug-
mente avec la profondeur, tandis que la proportion d'oxygène
diminue. Il parait évident cependant que la quantité d’acide
carbonique dépend beaucoup de Vabondance des formes les
plus élevées de la vie animale. M. Lant Carpenter prédisait
toujours aux zoologistes un draguage improductif quand il
trouvait l'acide carbonique peu abondant en proportion de
l'oxygène et de l'azote. Le maximum de l'acide carbonique se
trouvait toujours un peu au-dessus du fond. La moyenne prise
sur trente analyses de l’eau de la surface donne les chiffres
suivants comme proportion des gaz qui s'y trouvaient con-
tenus : oxygène, 25,1; azote, 54,2; acide carbonique, 20,7.
Cette quantité pourtant variait beaucoup. Les eaux inter-
médiaires ont donné une proportion moyenne de: oxygène, 22,0;
azote, 92,8, et acide carbonique, 26,2; et les eaux profondes :
oxygène, 19,5; azote, 52,6, et acide carbonique, 27,9.
Mais les eaux du fond, à une profondeur relativement faible,
renfermaient souvent autant d'acide carbonique que les eaux
intermédiaires à des profondeurs beaucoup plus grandes. Dans
424 LES ABIMES DE LA MER.
une série de sondages où l’eau a été puisée de 50 en 50 brasses,
trois analyses ont donné le résultat suivant :
750 brasses. 800 brasses. 862 brasses (fond).
ORV ORNS LR AE RCE 18,8 17,8 17,2
AZOtG fant PAL MPa ERA 49,3 48,5 94,9
Acide carbonique. .......... ai) 99,1 48,3
La moyenne si rapidement croissante de l'acide carbonique
contenu dans la couche d’eau qui recouvrait immédiatement
le lit de la mer était toujours l’indice d’une grande abondance
de vie animale.
Je ne saurais regretter que l’espace dont je dispose ne me
permette pas, pour le moment, de m'étendre sur l’importance
de ces études physiques, parce que je dois avouer que les résul-
tats obtenus ne m'inspirent pas une confiance assez complète.
Les observations et les analyses ont certainement été faites avec
soin et habileté, mais les différences entre les échantillons
divers, — différences de pesanteur spécifique et surtout de com-
position chimique et de proportions entre les diverses sub—
stances qui entrent dans cette composition, — sont si légères,
qu'il faudra nécessairement avoir recours à des procédés plus
exacts que ceux qui ont été employés jusqu'ici, si l’on veut
obtenir des résultats certains.
Dans les recherches de ce genre, tout dépend du plus ou
moins de perfection dans la manière de puiser l’eau à une pro—
fondeur déterminée, et la méthode d’après laquelle Vinstru—
ment à puiser était construit laissait à désirer. Cet appareil se
composait d’un tube très-solide de cuivre d'environ deux pieds
de longueur et deux pouces de diamètre à l’intérieur, contenant
un peu plus d’un litre et demi, et fermé aux extrémités par un
disque également de cuivre. Au centre de chaeun de ces disques
se trouvait une ouverture circulaire obturée hermétiquement
par une soupape de forme conique; les deux soupapes s’ou—
vraient de bas en haut quand l'instrument était disposé pour
l'immersion.
DE LA FORMATION ACTUELLE DE LA CRAIE. 425
Un courant continu, produit par le mouvement de descente
de Vappareil, est supposé soulever les soupapes et passer au
travers du tube, qui serait, de cette manière, constamment
rempli de l’eau provenant de la couche qu'il traverse. En re-
montant, c’est le mouvement inverse qui a lieu; les soupapes
retombent à leur place, et le liquide dont le tube s’est rempli
aux plus grandes profondeurs est ramené à la surface. Cet
appareil a paru d’abord atteindre le but, car il nous a été prouvé
plus d’une fois par le trouble de l’eau dont il était chargé, que
c'était bien celle du fond; cependant des expériences subsé—
quentes ont démontré qu’on ne peut lui accorder une entière
confiance. L'appareil ne peut agir qu'à la condition que le
mouvement de descente soit assez rapide et régulier pour pro-
duire un courant capable de maintenir complétement ouvertes
deux lourdes soupapes de cuivre ; s’il se produit, en remon-
tant, le moindre mouvement en sens contraire, la plus légère
secousse, une irrégularité quelconque, le contenu se trouve plus
ou moins partiellement altéré et mélangé; les deux soupapes,
lors même qu’elles sont entièrement ouvertes, se trouvent
situées sur le trajet d'entrée et de sortie du courant, et nous
pensons que l’eau n'est ni aussi rapidement ni aussi compléte-
ment renouvelée qu’on pourrait le croire. Un appareil à puiser
tout à fait satisfaisant est donc encore chose à créer. Je crois
cependant que celui qui a servi au D' Mayer et au D' Jacobsen
l'été dernier, pendant l’expédition allemande dans la mer du
Nord, est exempt de la plupart de ces inconvénients. J'espère
que d'ici à un an nous serons en mesure de donner sur ce sujet
un avis mieux motivé.
On trouvera, dans l’Appendice de ce chapitre, un résumé
des recherches chimiques qui ont été faites pendant les croi-
sières du Porcupine en 1869; jv ai ajouté une note dont je
suis redevable à l’obligeance de mon ami M. J. Y. Buchanan,
qui doit m’accompagner en qualité de chimiste dans l’expé—
dition du Challenger : cette note montrera combien il reste
encore à faire avant que nous puissions nous flatter d’avoir
126 LES ABIMES DE LA MER.
obtenu quelque chose de concluant au sujet de la quantité
et de la nature des gaz contenus dans l’eau de la mer. Nous
ne saurions non plus, et je le dis à regret, accepter avec
toute confiance l'estimation faite des matières organiques
contenues dans l’eau de mer au moyen du permanganate,
quoique la conclusion à laquelle nous sommes arrivés, de la
présence de matières organiques dans l’eau de mer à toutes
les profondeurs soit un fait acquis. L'application à ce genre
de recherches des méthodes exactes de la science moderne est
chose nouvelle, et leur perfectionnement exigera de longs et
persévérants travaux. Le progrès réel qui a été accompli dans
cette voie, comme complément ajouté aux moyens employés
jusqu'ici pour l'étude des abimes au point de vue de la phy—
sique, consiste en un appareil digne de toute confiance, qui
permet de relever les températures à toutes les profondeurs
avee une exactitude qu'on peut appeler absolue.
Kunÿ, vue prise près de Vaaÿ, sur l'ile de Bordé (Faréer).
ETUDE DES ÉCHANTILLONS DE L'EAU DE MER.
=
L c
—!
APPENDICE A
Résumé des résultats -fournis par l'étude des échantillons de l'eau de
mer puisés à la surface et à diverses profondeurs, par W. Lant
Carpenter.
Eaux de surface. — On à cherché à se procurer les eaux aussi pures
que possible, non contaminées par les matières provenant du navire ;
on les puisait dans des récipients parfaitement propres, à quelques pouces
au-dessous de la surface, et à l'avant du navire. A deux reprises cepen-
dant, les échantillons ont été pris à l’arrière des roues.
Eaux puisées à une certaine profondeur au-dessous de la surface. —
IL a été reconnu nécessaire d’enduire intérieurement les appareils à
puiser d’un vernis à la cire d'Espagne, pour les préserver de l’action cor-
rosive de l’eau de mer. Ils ont alors très-bien fonctionné toutes les fois
que le poids attaché à la corde de sondage à laquelle ils étaient assujettis
s’est trouvé assez considérable pour les maintenir dans une position ver-
ticale. Quand, par le fait de l'insuffisance du poids ou de l'agitation de la
mer, la corde de sondage s’est trouvée, en remontant, former un angle
aigu avec la ligne de l’herizon, les résultats de l'examen de l’eau obtenue
dans ces conditions démontraient la probabilité de l'introduction, à la
surface ou près de la surface, d’une certaine quantité d’eau, et l’impos-
sibilité de considérer celle qui était contenue dans l'appareil comme
provenant uniquement des couches inférieures.
L'eau puisée à une profondeur qui dépassait 500 brasses était presque
toujours chargée d’un limon très-fin qui, tenu en suspension, la rendait
complétement trouble. Il fallait plusieurs heures d’immobilité pour faire
déposer ce limon, mais il était facilement séparé de l’eau par la filtration.
Nous n’avons pas eu d’exemple que l’eau des couches profondes se soit
montrée plus chargée de gaz en dissolution que les eaux de surface; dans
toutes les analyses il a fallu une élévation considérable de température
pour mettre en liberté les gaz dissous.
Mode d'examen des échantillons. — Les échantillons d’eau ainsi
obtenus ont été examinés dans le plus bref délai possible, dans le but de
constater :
428 LES ABIMES DE LA MER
1° La pesanteur spécifique de l’eau.
2 La quantité totale des gaz qui y sont contenus en dissolution, et les
proportions relatives d'oxygène, d'azote et d'acide carbonique.
3° La quantité d'oxygène nécessaire pour brûler les matières orga-
niques contenues dans l’eau, en faisant une distinction entre :
a. Les matières organiques décomposées, et
b. Les matières organiques facilement décomposables.
1° Les études des pesanteurs spécifiques se sont faites à une tempé-
rature aussi rapprochée que possible de 60° Fahr., au moyen de légers
hydromètres de verre, gradués de manière que la pesanteur spécifique
pût se lire facilement et rapidement au quatrième décimal.
2° L'appareil destiné à l'analyse des gaz dissous dans l’eau de mer
était en principe celui que décrit le professeur Miller dans le second
volume de ses Éléments de chimie; on a dû le modifier sous certains
rapports, à cause du mouvement du vaisseau. Ces modifications consis-
taient surtout à suspendre l'instrument au plafond de la cabine au lieu
de l’assujettir par sa partie inférieure, et à articuler toutes ses parties par
des tubes de caoutchouc, etc., en veillant attentivement à ce que toutes
les 7ointures fussent hermétiquement fermées.
On à pu ainsi faire des analyses exactes, même pendant que le vaisseau
était secoué au point de renverser les chaises et le mobilier de la cabine.
Voici le résumé de la méthode d’après laquelle les analyses ont été
faites : On faisait bouillir, pendant environ trente minutes, de 700
à 800 centimètres cubes de l'échantillon à analyser, de façon que la
vapeur et les gaz mélangés qui s’en dégageaient fussent recueillis sur
la cuve à mercure, dans un des récipients à gaz gradués de Bunsen, dans
lequel lair ne pouvait avoir aucun accès. Les gaz mélangés étaient alors
transvasés dans deux tubes gradués placés sur un bain de mercure ; là
acide carbonique se trouvait d’abord absorbé par une forte solution de
potasse caustique, et l'oxygène par l'acide pyrogallique; le gaz restant
après ces opérations devait être de l’azote.
Pour faciliter les comparaisons, les résultats des analyses ont constam-
ment été ramenés à la température de zéro centigrade et à une pression
barométrique de 760 millimètres. Presque toujours les analyses des mêmes
mélanges gazeux faites en duplicata se ressemblaient beaucoup, quand
elles n'étaient pas absolument identiques.
3° Les recherches des matières organiques -dans l’eau de la mer ont été
faites suivant la méthode indiquée par le professeur Miller dans le Journal
de la Société de chimie, numéro de mai 1865, avec un supplément qu'on
doit au D' Angus Smith. Chaque échantillon était divisé en deux parts ;
à l’une on avait soin d'ajouter un peu d’acide libre, et à toutes les deux
PESANTEUR SPÉCIFIQUE DE L'EAU DE MER. 429
un excédant d’une solution normale de permanganate de potasse. Au
bout de trois heures, on arrétait la réaction en ajoutant de l’iodide de
potassium et de l’amidon ; l’excédant du permanganate était estimé par
l'emploi d’une solution normale d’hyposulfite de soude. La partie de l’eau
à laquelle l’acide libre avait été ajouté donnait l'oxygène nécessaire pour
brûler les matières organiques décomposées et aisément décomposables ;
la seconde partie fournissait l'oxygène nécessaire aux seules matières
décomposées formant la moitié ou le tiers de la totalité.
Le tableau suivant est un résumé du nombre total des observations,
analyses, etc., qui ont été faites pendant les trois expéditions :
ANALYSES DES EAUX DE L'OCÉAN.
CROISIÈRE.
1 CROISIÈRE.
Qe
3° CROISIÈRE.
bo
—
wee
Déterminations de la pesanteur spécifique...
bo
=
Analyses des gaz, faites à double ............
Co
lo
Epreuves pour les matières organiques.......
Pesanteur spécifique. — La pesanteur spécifique des eaux de la sur-
face diminue légèrement à mesure qu'on se rapproche de la terre; la
moyenne de trente-deux expériences faites sur des eaux suffisamment
éloignées des côtes est 1,02779 : le maximum 1,0284, et le mini-
mum 1,0270.
On a constamment remarqué que, sous l'influence d’un vent violent, la
pesanteur spécifique de l’eau de la surface était au-dessus de la moyenne.
La moyenne de trente expériences faites sur la pesanteur spécifique
des eaux de la zone intermédiaire est 1,0275 : le maximum 1,0281, et le
minimum 1,0272.
La pesanteur spécifique des eaux de fond prises à des profondeurs qui
variaient de 77 à 2090 brasses, déduite de la moyenne de quarante-trois
expériences, était 1,0277 : le maximum 1,0283, et le minimum 1,0267.
Il est à remarquer que la moyenne de la pesanteur spécifique des eaux
du fond est légèrement moindre que celle de l’eau de la surface. A plu-
sieurs reprises, les pesanteurs spécifiques des eaux de la surface et de
celles du fond, puisées sur le même point, ont été comparées ; les der-
nières ont toujours été sensiblement plus légères que celle de la surface.
Ainsi :
130 LES ABIMES DE LA MER.
A 1495 brasses (station 17), elle était de......... 1,0269
À.la surface (méme-station).. 3% 5. 7112%,5 ae gee 1 ,0280
Puis :
A 664 brasses (station 26 b), elle était de........ 1,0272
À la surface (même station). . 0.0.0... 02.0 2 1,0280
Cependant, dans une série d'expériences faites sur le même point
(station 42) à intervalles de 50 brasses, de 50 à 800 brasses, la pesan-
teur spécifique s’est accrue avec la profondeur ; de 1,0272 qu'elle avait
à 50 brasses, elle a atteint 1,0277 à 800 brasses.
Plusieurs séries d'expériences sur la pesanteur spécifique ont été faites
près de l'embouchure des fleuves et des cours d’eau : elles ont démontré le
mélange graduel de l'eau douce avec l’eau salée, et le /lottage à la surface
des couches plus légères sur Peau de mer plus dense, ainsi que l'effet con-
traire produit par l’action des courants dus aux marées. C’est ainsi qu'à
l'extrémité de Belfast Lough il existe un courant rapide dont l’eau, d’une
pesanteur spécifique de 4,0270, coule au-dessus dune couche qui, à la
profondeur de 73 brasses, a une pesanteur spécifique de 1,0265.
Gaz de l'eau de mer. — Les analyses des gaz qui entrent dans la com-
position de l’eau de mer peuvent se diviser en deux groupes : 1° analyses
des eaux de la surface; 2° analyses des eaux qui sont au-dessous de la sur-
face, et qui peuvent elles-mêmes se subdiviser en : 4. eaux intermédiaires,
et 6. eaux du fond.
La quantité totale des gaz en dissolution contenus dans l’eau de mer,
soit à la surface, soit au-dessous, est en moyenne de 2,8 volumes pour
100 volumes d’eau.
La moyenne de trente analyses des eaux de la surface faites dans le
cours de lexpédition a donné les proportions suivantes :
Pour 100. Proportion.
Oxygeme. LS nate a ah ea 25,046 100
INGOEG. HE LS RU eo meh cues hee 54,214 216
Acide CarpomQue- here 20,743 80
100,000
Les maxima et minima de chacun des éléments constituants trouvés
dans les analyses sont distribués dans les trois expéditions ainsi qu'il
suit :
GAZ DE L'EAU DE MER. 431
MOYENNE PROPORTION ACIDE
pour 100. MOYENNE. CARBONIQUE,
=>
=
100.
100.
100.
400.
Minimum
Minimum
a
TL
a
a
=<
a
a
‘a
a
4
=
Q
=
CARBONIQU
Maximum
Maximum
pour
pour
pour
pour
; . arrete |
fre croisière ... 52,95 58100 JZ 19,60] 62,95 |46,35152,00|
9° croisière .. - 2 131,33)54,85] 13,82] 100) 17: 4 137,10) 25,56 159,63 |50,07 [24,3
3° croisière ... we 1001228! 74 }45,28) 13,98]68,67|4
Il est curieux d’observer que l’eau de la surface renferme une plus
grande quantité d'oxygène et moins d’acide carbonique pendant la durée
d'un vent violent. Voici la moyenne de cing analyses faites dans ces condi-
tions atmosphériques :
Pour 100. Proportion. Moyenne générale.
( Oxyepne +7. 99,10 100 95,046 100
EET TROLE nes 52,87 182 54,211 216
| Acide carbonique. 18,03 62 20,743 83
Dans les deux circonstances qui ont produit ces faibles minima d’acide
carbonique accompagnés d’une surabondance d'oxygène, l'eau avait été
puisée accidentellement à l'arrière des roues, où elle était soumise à un
mouvement violent qui la mettait en contact avec Pair atmosphérique.
On a fait cinquante-neuf analyses des eaux puisées à des profon-
deurs variées, et inférieures à la couche de surface. Les eaux qui ont été
soumises aux vingt-six analyses de la première croisière, provenaient
principalement du fond et de profondeurs variant de 25 à 1476 brasses.
Les vingt et une analyses faites pendant la seconde expédition se divisent
en deux séries: la première se compose des analyses d'échantillons puisés
à intervalles de 250 brasses, de 2090 brasses à 250 brasses ; la seconde,
des analyses d'échantillons puisés à intervalles de 50 brasses, depuis
862 brasses jusqu’à 400 inclusivement. Pendant la troisième expédition
ila été fait douze analyses, huit des eaux du fond, dont la moitié puisée
dans l’espace froid et les quatre autres puisées dans les profondeurs inter-
médiaires.
La moyenne générale des cinquante-neuf analyses des eaux recueillies
au-dessous de la couche de surface donne le résultat suivant :
132 LES ABIMES DE LA MER.
Pour 100. Proportion.
OXY PERC ican ns ne Cert ee 20,568 100
AGO. NE oem eee Bee Sera dees 52,240 254
Acide carbonique... 2:..2,.... 27,192 132
100,000
On voit d’après cela que, tandis que la quantité d’azote n’est que de
1,97 pour 100 moindre que dans l’eau de surface, la quantité d'oxygène
est diminuée de 4,48 pour 160, et celle d'acide carbonique accrue de
6,45 pour 100. Cette différence augmente encore si l’on compare les eaux
du fond à celles de la couche supérieure :
30 À LA SURFACE. | 24 INTERMÉDIAIRES. 35 AU FOND.
Re +, A A
Pour 100. | Proportion. } Pour 100. | Proportion. | Pour 100. | Proportion.
100 22,03 100 19,53 100
216 o1,82 52,60 261
»
Acide carbonique. ...| ‘ 4 83 264: 27,87
100,00 100,00 100,00
Les deux séries d’analyses qui ont été faites pendant la seconde expédi-
tion, avec des eaux provenant des couches intermédiaires puisées sur le
même point à des profondeurs successives, témoignent d’un accroisse-
ment continu d'acide carbonique avec diminution d'oxygène à mesure
que la profondeur devient plus grande; la proportion d’azote ne varie que
très-peu. ;
Ces résultats généraux paraissent démontrer que l’oxygéne diminue
et que l'acide carbonique augmente avec la profondeur, jusqu’au moment
où le fond est atteint ; mais qu’au fond même, et quelle que soit l'épaisseur
de la couche liquide qui le sépare de la surface, les proportions d’acide
carbonique et d'oxygène cessent d’être conformes à cette loi : l’eau du
fond, à une profondeur relativement faible, contient autant d'acide car-
bonique et aussi peu d'oxygène que les eaux intermédiaires à une bien
plus grande profondeur. Il n’est pas arrivé une seule fois, pendant les
deux premières expéditions (quand les échantillons d’eau de surface,
GAZ DE L'EAU DE MER. 433
d’eau intermédiaire et d’eau de fond ont été puisés sur le même point),
que la quantité d’acide carbonique ait été moindre ou celle d'oxygène
plus grande qu'à la surface ; la seule exception s’est présentée pendant
Ja troisième croisière, sur un point où l’on suppose que des courants se
rencontrent.
On a fréquemment observé qu’une forte proportion d’acide carbonique
dans les eaux du fond était accompagnée d’une grande abondance de vie
animale, ce que démontrait le draguage; quand la drague produisait peu, .
la quantité d'acide carbonique était toujours moindre. La plus grande
proportion d'acide carbonique qui ait jamais été notée était accompagnée
d’une faune nombreuse, tandis qu’à une faible distance (62 brasses) au-
dessus du fond, la proportion d’acide carbonique redevenait conforme
aux lois ordinaires de variation suivant la profondeur, dont il a déjà été
fait mention :
Fond à 862 brasses, 800 brasses. 150 brasses.
LÉ TONNERRE AT 28 17,79 18,76
ANSE CRE PE 94,00 48,46 49,32
Acide carbonique. ....... 48,28 33,19 31,92
100,00 100,00 100,00
La plus faible proportion d’acide carbonique (7,93) qui ait jamais été
trouvée dans l’eau du fond, à 362 brasses, était accompagnée d’un ¢rés-
pauvre draquage.
En traversant le large canal qui s'étend du nord-ouest de l'Irlande
jusque vers Rockall, où la mer a sur une certaine étendue plus de
1000 brasses de profondeur, la proportion d'acide carbonique paraît avoir
varié avec les résultats du draguage, tellement que le chimiste pré-
disait le plus ou moins de succès de la pêche avant même la réappari-
tion de l'engin, d’après le résultat des analyses qu'il faisait des gaz de
l’eau du fond ;-le résultat est toujours venu justifier ses prévisions.
STATION 17, STATION 19. STATION 20. STATION 21.
1425 br. 1360 br, 1443 br. 4476 br.
Wyeyene rn gis ae nes 16,14 17,92 91,34 16,68
APTE amendes a 48,78 45,88 47,51 43,46
Acide carbonique.... 35,08 36,28 34,49 39,86
100,00 100,00 100,00 100,00
Réussite téussite Insuccès Réussite
du draguage.
Dans les analyses des eaux de l’espace froid, et généralement pendant
la durée de la troisième croisière, on a éprouvé, comme on devait s’y
28
134 LES ABIMES DE LA MER.
attendre à cause de divers courants, plus de variation dans les résultats
que dans les autres séries. Les eaux du fond et celles des couches inter-
médiaires renfermaient l'azote en quantité plus considérable que la
moyenne ordinaire, et l'acide carbonique variait de 7,58 pour 100 à la
station 47 (540 brasses, tempér. 48°,8 Fahr.), à 45,59 pour 100 à la sta-
tion 52 (384 brasses, 30°,6 Fahr.). La moyenne des eaux de surface était
à peu près celle des autres espaces parcourus par l’expédition.
Sur les points où la plus grande profondeur ne dépassait pas 150 brasses,
les résultats des analyses des gaz des eaux de la surface et de celles du
fond étaient souvent si semblables, qu’on peut supposer qu'il existe à
cette limite une circulation des particules de l’eau même ou des gaz qui
s’y trouvent en dissolution, suffisante pour maintenir la masse gazeuse
dans des conditions partout uniformes. Cette profondeur, dans ces mers,
est la limite extrême où l’on trouve des poissons. C’est là un fait qui
donne beaucoup à penser.
Matières organiques. — Afin d’éprouver la méthode d’expérimenta-
tion par le permanganate de potasse, on a fait deux ou trois séries d’ana-
lyses sur les points où l’eau douce et l’eau salée se mélangent, comme
dans le port de Killibegs, dans la baie de Donegal; toutes ont justifié cette
opinion que le permanganate donne une indication assez exacte du degré
de pureté relative de l’eau, sous le double rapport des matières organiques
décomposées et décomposables.
Laissant de côté ces séries, on a fait ensuite sur l’eau de mer 134 expé-
riences qui peuvent se diviser ainsi :
56 sur les eaux de surface.
18 sur celles des couches intermédiares.
60 sur Peau du fond.
134
pendant la première et la troisième croisière.
Les produits sont donnés par la quantité d'oxygène, en fractions d’un
oramme, nécessaire pour brüler les matières organiques dans un litre
d’eau.
Moyente de cinquante-six analyses des eaux de surface :
N° 28. Décomposée:..::::.. 0,00025 | Salas
: ; A SA Total. 0,0009.
No 28. Décomposable:.:.... 0,00070 j ‘ : “
Maximum. Minimum.
Décomposée..........:..i 0,00094 0,00000 4 fois.
Décomposable. ........:.: 0,00100 0,00000 1 fois.
Totale ST 0,00104 0,00000 1 fois.
MATIÈRES ORGANIQUES DANS L'EAU DE MER. 435
Moyenne de dix-huit analyses d’eau puisée dans les couches inter-
médiaires :
N° 9. Décomposée.......... 0,00005 } ase
Ne 9. Décomposable....,... 0,00034 | Total..... 0,00039
Sept fois sur neuf il n’y a pas eu de matières organiques décomposées,
et trois fois sur neuf il n’y a pas même eu de matière organique, ainsi
que l’indiquent les épreuves.
Les analyses faites pendant la seconde croisière ne sont pas comprises
dans cette série, les calculs ayant été faits d’une manière différente,
Moyenne de soixante analyses de l’eau du fond :
N° 26. Décomposée......... 0,00047
; À PS Asso ), ;
N° 34. Décomposable...... . 0,00041 | Total sles
Maximum. Minimun.
Décomposee allie: 0,00105 0,00000 2 fois.
Décomposable. : :......... 0,00148 0,00000 | fois.
Totals es 0,00253 0,00000 1 fois.
D’après ces chiffres il paraitrait que :
1° Les couches intermédiaires sont plus privées des impuretés orga-
niques que celles de la surface et celles du fond, ainsi qu'on pouvait s’y
attendre d’après la pauvreté relative de la faune de leurs eaux.
2 L'absence complète des matières organiques est le cas moins fré-
quent dans les couches du fond, et le plus fréquent dans les couches
intermédiaires, les eaux de la surface occupant, sous ce rapport, une place
moyenne.
3° Enfin, il existe peu de différence entre les eaux du fond et celles de
la surface, soit au point de vue de la quantité d'impuretés organiques
qu’elles contiennent, soit au point de yue des proportions relatives des
matières organiques décomposées ou fucilement décomposables.
Lorsque les eaux du fond, puisées à de grandes profondeurs, étaient
troubles, les expériences faites avant et après leur filtrage prouvaient qué
l'opération les débarrassait d'une partie des matières organiques:
436 LES ABIMES DE LA MER.
APPENDICE B
Résultat de l'analyse de huit échantillons d'eau de mer puisés pendant
la troisième croisière du Porcupine, par le D' Frankland.
Collége royal de chimie, ce 15 novembre 1869.
D' Carpenter, je vous envoie ci-joint le résultat des analyses des échan-
tillons d’eau de mer puisés pendant votre: récente expédition sur le Por-
cupine.
Je n’essayerai de tirer aucune conclusion de ces résultats; votre con-
naissance complète des circonstances dans lesquelles on s’est procuré les
échantillons vous permettant de le faire infiniment mieux que moi.
Il est cependant un point sur lequel je désire attirer votre attention,
parce qu'il est extrêmement remarquable : je veux parler de la grande
quantité de matières organiques azotées qui sont contenues dans la plu-
part des échantillons, ce que démontrent les expériences faites sur les
quantités des carbonates et d’azote et sur les proportions de carbone orga-
. nique comparées à celles d’azote organique. Pour faciliter les comparai-
sons, J'ai ajouté les résultats de quelques analyses de l’eau de la Tamise
et de celle du Loch Katrine : la première représente, selon toutes les pro-
babilités, une moyenne juste des quantités de matières organiques azotées
que les cours d’eau de notre pays transportent à la mer, quantités qui
dépassent probablement de beaucoup celles que lui fournissent les rivières
des autres parties du monde. S’il en est ainsi, on peut dire que, dans la
mer, les matières organiques azotées solubles proviennent de matières
inorganiques contenues également dans l’eau de mer, ou bien que ces
matières se concentrent par l’évaporation de l'Océan, auquel les rivières
en fournissent sans cesse, tandis que l’eau qui s’évapore n’en emporte pas.
Les quantités de carbonate de chaux indiquées dans le tableau suivant
sont obtenues par l'addition du nombre 3 (qui représente la solubilité
du carbonate de chaux dans l’eau pure) à la solidification temporaire qui
décèle la présence du carbonate de chaux précipité par l’ébullition. L'ap-
préciation de ce phénomène ne pouvant être d’une exactitude rigoureuse
pour une eau aussi chargée de principes salins, il ne faut considérer les
ANALYSE DE HUIT ÉCHANTILLONS D'EAU DE MER. 137
nombres qui composent les colonnes intitulées modification temporaire
et carbonate de chaux que comme approximatifs, d'autant plus que le
carbonate de chaux se trouve mélangé avec une faible proportion de ma-
gnésie qui est comprise dans l'évaluation.
Les résultats de ces expériences sont conformes à ceux que j'ai obtenus |
antérieurement par l'analyse de nombreux échantillons d’eau de mer
recueillis par moi à Worthing et à Hastings.
Agréez, etc.
E. FRANKLAND.
LES ABIMES DE LA MER,
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V SH SLYLTISAd
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ÉTUDE DES ÉCHANTILLONS DU FOND. 439
APPENDICE C
Étude des échantillons du fond recueillis pendant la première expédition
du Porcupine en 1869, par David Forbes.
Limon de l’Atlantique renfermé dans un petit flacon étiqueté : Sondage
n° 20, 1443 brasses.
Une analyse complète de cet échantillon donne le résultat suivant
comme composition chimique :
Carbonate de chaux........... ee GS M TER ee 50,12
Alumine 1, soluble dans les acides...................... “199
Sesquioxyde de fer, soluble dans les acides. .............. 2,17
Siren A Petat salable: 2222s) 0 oie A0 RTL Seen ated 5,04
Sable fin, granuleux (débris de roches)................... 26,77
APN DE AE RES A ER CET EN SA D PO CRE CE 2,90
Matières organiques. ................................. 4,19
Chlorure de sodium et autres sels solubles. ............... 7,48
100,00
En comparant la composition chimique de ce limon avec celle de la
craie commune, qui consiste presque entièrement en carbonate de chaux
et contient rarement plus de 4 ou 2 pour 100 de corps étrangers (argile,
silice, ete.), on voit qu'elle en diffère surtout par la forte proportion de
débris de roches très-fins. Si nous en supprimons l’eau, les matières orga-
niques et les sels marins qui disparaitront probablement longtemps ayant
que le cours des siècles ait converti ce limon en roche compacte, méme
alors la proportion de carbonate de chaux ne dépassera pas 40 pour 100
de la totalité.
Ces dépôts doivent nécessairement varier beaucoup sous le double rap-
port.de leur caractère physique et de leur composition chimique ; une
opinion quelconque sur la nature même des dépôts actuellement en voie
1. Avec de l'acide phosphorique.
440 LES ABIMES DE LA MER.
de formation dans les profondeurs de l'Atlantique serait done prématurée,
tant qu'il n'aura pas été fait un examen minutieux et approfondi d'une
série de spécimens provenant de divers points de l'Océan. La silice soluble
est produite principalement par des organismes siliceux.
Quant à l’origine probable des cailloux et du gravier trouvés dans les
différents draguages, on verra tout de suite, d’après leur description, qu'ils
consistent surtout en fragments de roches volcaniques et de schistes cris-
tallins. Les premiers sont venus, selon toute apparence, de l'Islande ou
de l’île Jean Mayen ; les autres, mélangés comme ils le sont de petits
fragments de roche grise et de roche calcaire un peu décomposée, pa-
raissent provenir des côtes nord-ouest de l'Islande, dont les rochers sont
d'une nature identique. Il existe au nord de l'Écosse et dans les îles voi-
sines des formations semblables ; mais, sans vouloir pourtant être trop
affirmatif, je crois que les fragments qui nous occupent viennent de
l'Islande. Pour expliquer cette présence, il ne faut pas nécessairement
faire intervenir un phénomène glaciaire, car l’action des courants marins
suffit parfaitement pour l'expliquer.
Cailloux venant de 1215 brasses (station 28).
Les pierres sont toutes subangulaires, avec des angles plus ou moins
usés ou complétement arrondis. Les spécimens sont au nombre de #8;
l'examen a montré qu'ils consistent en :
5 schistes à hornblende, dont le plus volumineux, qui était aussi le plus
considérable de toute la série, pesait 421 grains, soit 28 grammes,
était très-compacte et se composait de hornblende noire, de quartz
grisâtre et de grenats.
2 micaschistes. Quartz et mica, dont le plus gros pesait 20 grains.
5 pierres calcaires grises assez compactes, dont la plus grosse était du
poids de 7 grains.
2 fragments d’orthoclase (feldspath de potasse), dont les surfaces de
clivage sont arrondies sur leurs bords; provenant évidemment d’un
granit : le plus volumineux pèse 15 grains.
quartz laiteux ou incoiores ; le plus gros pèse 90 grains 3/4; prove-
nant, selon toute apparence, des filons de quartz si communs dans
l’ardoise argileuse.
19 fragments de véritable lave volcanique, dont la plupart fort légers et
à l’état de scories vésiculaires, bien que quelques-uns soient durs
et cristallins. On distingue parfaitement dans ces fragments
Vagate, Volivine et le feldspath vitreux. Il s’y trouve aussi des
fragments de lave trachytique, trachydoléritique et pyroxénique
(basaltique) tout à fait semblables à celles de l'Islande et de Jean
Mayen, desquelles ces fragments proviennent trés-probablement.
or
+
ÉTUDE DES ÉCHANTILLONS DU FOND. AAA
Gravier pris à 143 brasses de profondeur (station 20).
Cet échantillon de gravier comprend 718 fragments subangulaires,
dont la plupart ne pèsent guère au delà de 1,4 à 1/2 grain, et parmi les-
quels il s'en trouve d'un peu plus volumineux, dont le plus considérable,
un fragment de micaschiste, ne pèse pas plus de 3 grains. Ces 718 frag-
ments se décomposent ainsi :
3 fragments d’orthoclase feldspathique.
4 fragments d'argile bitumineuse.
5 fragments de coquilles (indéterminables).
A de granit renfermant du quartz, de l’orthoclase et de la moscovite,
15 pierres calcaires grises fort dures.
69 micaschistes quartzeux.
317 schistes à hornblende, dont quelques-uns renferment des grenats, —
273 fragments quartzeux avec quelques rares débris de quartz hyalin.
Le plus grand nombre des morceaux, d’une teinte grisâtre sale,
souvent cimentés ensemble, sont évidemment des débris de roches
quartzeuses ou de grès, mais ne proviennent pas du granit.
28 roches dures, noires, contenant de l'argile ; très-probablement du
basalte volcanique.
De 1263 brasses (station 22).
Un seul caillou arrondi, pesant 18 grains, composé en majeure partie
de quartz avec un peu de hornblende ou de tourmaline, provenant, selon
toutes les probabilités, d’un schiste métamorphique.
Gravier tiré de 1366 brasses (station 19 a).
Ce sont 51 morceaux de roches fragmentaires et subangulaires, pesant
moins de 1/2 grain, sauf l'exception d’un fragment de quartz qui pesait
2 grains. Ils se décomposaient ainsi :
19 fragments de quartz qui tous paraissent proyenir de la désagrégation
de schistes cristallins et non de granit.
9 schistes à hornblende.
8 micaschistes.
7 pierres détachées, calcaires, tufeuses et d'un blanc sale.
3 petits fragments d’augite ou de tourmaline.
1 fragment de quartz avec tourmaline.
h fragments difficiles à déterminer.
=
=~
bo
LES ABIMES DE LA MER
Gravier pris à 1h76 brasses (station 21).
Six petits fragments subangulaires, dont le plus gros ne dépasse pas
2 grains:
4 quartz jaune.
1 schiste avec quartz et chlorite.
3 micaschistes.
4 petit fragment de lave volcanique,
Le spécimen de Rockall n’est détaché d’aucune roche normale ; c'est
simplement un agrégat bréchiforme, composé principalement de quartz,
de feldspath et de cristaux de hornblende verte, réunis par un ciment sili-
ceux. Il a évidemment été détaché du bord en saillie d’un filon, et, bien
qu’on n’en puisse tirer des conclusions positives sur la nature des roches
dont cet ilot est composé, il semblerait pourtant indiquer le gneiss ou
le schiste de hornblende, et exclure l'hypothèse d’une origine vraiment vol-
canique. Je puis affirmer qu'il ne ressemble à aucun des fragments
recueillis dans les draguages profonds que j'ai pu étudier Jusqu'ici.
ACIDE CARBONIQUE DANS L'EAU DE MER. AAD
APPENDICE D
Acide carbonique contenu dans l'eau de mer, par John Young Buchanan,
chimiste de l’expédition du Challenger.
L'été dernier, dans une réunion de la Société de chimie , le D" Himly
rapporta que le D' Jacobsen, de Kiel, avait reconnu que l'acide carbo-
nique ne se sépare qu'incomplétement de l’eau de mer par l’ébullition
dans le vide, opinion que le D' Jacobsen lui-même a confirmée dans une
lettre adressée au journal da Nature, et publiée dans le numéro du
8 août 1872. Vers la même époque, l'expédition allemande dans les mers
arctiques arriva à Leith, et j’eus le privilége d'entendre de sa propre
bouche la confirmation de cette opinion, ainsi que l'hypothèse que c’est
la présence des sels tels que le sulfate de magnésie qui retient avec tant
de force l’acide carbonique.
M’étant assuré par diverses expériences que l'acide carbonique est véri-
tablement retenu par l’eau de mer avec une force considérable, car les
dernières traces en avaient à peine disparu quand le contenu de la cornue
s'était déjà évaporé, j'organisai une série d'expériences analytiques dans
le but de déterminer auquel des sels il fallait attribuer cette anomalie.
Voici en résumé le résultat de ces études : Une solution de chlorure de
sodium et de chlorure de magnésium saturés chacune d’acide carbonique
ont donné le même résultat, et abandonné tout leur acide carbonique au
premier huitième de la distillation. Des solutions de sulfate de magnésie
et de sulfate de chaux se sont d’abord comportées de même et ont aban-
donné le surplus de l'acide carbonique dissous dans le premier huitième
de la distillation; puis la quantité d’acide carbonique chassée devint
insignifiante, et s’accrut de nouveau jusqu’à la moitié de la distillation,
période où elle a atteint son maximum ; plus tard elle diminue de nou-
veau, ne disparaissant cependant qu'à de rares intervalles, à mesure que
le contenu de la cornue s’épuisait. Il est évident, d’après cela, qu'il existe
dans les sulfates de magnésie et de chaux des agents capables de retenir
l’acide carbonique de la même manière qu'il est retenu dans l'eau de
1. Chemical Society Journal, 1872, p. 455.
A
444 LES ABIMES DE LA MER.
mer. On saura s’il est d’autres agents qui produisent le même résultat
lorsque le sujet qui nous oceupe aura été plus complétement étudié. Une
nouvelle série d'expériences a été faite sur la variabilité, par la pression,
du coefficient de solubilité de l’acide carbonique, dans une solution conte-
nant 1,23 pour 100 de sulfate de magnésie cristallisé, maintenue à une
température égale à 11° C. Le résultat a montré qu'à une pression de
610 millimètres, la solution de sulfate de magnésie dissolvait la même
quantité d’acide carbonique qu’une quantité égale d’eau pure; en d’au-
tres termes, leurs coefficients d'absorption étaient les mêmes. Au-des-
sous de 610 millimètres, celui de la solution saline était supérieur; au-
dessus de 610 millimètres, c'était l'inverse. La courbe cependant n’est
pas une ligne droite, et paraît couper de nouveau celle de l’eau pure à
une pression de 800 millimètres.
Les faits énoncés ci-dessus suggèrent naturellement au chimiste cette
question : Quel est le corps que forment le sulfate de magnésie et l'acide
carbonique mis en rapport dans la solution ?
Il est évident que, outre la quantité d'acide carbonique dissous, il en est
une qui est retenue par un lien plus fort, et qui ne se trouve libérée que
lorsque la concentration est arrivée à un degré plus avancé. La décompo-
sition résulte-t-elle de la perte de l’eau ou de l’élévation du degré d’ébul-
lition ? La différence entre les degrés d’ébullition de la solution au mo-
ment où le gaz s'échappe le plus abondamment ne dépasse pas 4° C. : il
est difficile de croire que le même mélange qui demeure intact à 101 de-
grés, se décomposera rapidement à 102 degrés. De plus, si la décompo-
sition du mélange s’opérait par l’eau seule, elle serait d’autant plus facile
à obtenir que la solution serait plus étendue. D’après la théorie d’Erlen-
meyer sur la position de Peau d’hydratation dans le sulfate de magnésie
(HO—Mg—O—S0O*—OH), on pourrait supposer que lacide carbonique
remplace simplement les molécules d’eau : ainsi Mg < Ou eh ; mais il
serait contraire à toute analogie qu'un corps semblable fût plus stable
dans des solutions étendues que dans des solutions modérément concen-
trées et à la même température. Si, d’un autre côté, nous supposons
que CO? s’interpose entre le Mg et la base HO, nous aurons un corps
ayant cette forme : HO—C0—0—Mg—0 —$0*— OH. On conçoit qu'un
pareil corps puisse, en se concentrant, se déshydrater, puisque le sel
anhydrique Mg < MA NE O, se forme pour se diviser en CO? et en
MeS0*. En attendant que ce corps formé de cette manière se trouve ainsi
constitué, il est clair que pour un mélange donné de sulfate de magnésie,
d’eau et d'acide carbonique, ce corps sera un produit de la température,
de la pression et de la durée de leur action réciproque. Dans les grandes
profondeurs de la mer où les influences atmosphériques ne se font pas
sentir, ces conditions se trouvent complétement réalisées. La température
y est basse, la pression considérable et le temps illimité. L'eau de mer
ACIDE CARBONIQUE DANS L'EAU DE MER. 449
contient en moyenne environ 2 grammes de sulfate de magnésie cristal-
lisé par litre, et si la réaction était complète, les 2 grammes de sulfate
de magnésie ou le litre d’eau absorberaient 181,1 centimètres cubes
d'acide carbonique. En supposant qu'un cinquième seulement du sulfate
de magnésie soit ainsi saturé d'acide carbonique, il reste dans le litre
d’eau de quoi détruire plus de 36 centimètres cubes d'acide carbonique.
Nous avons ainsi dans les sulfates (car le sulfate de chaux parait posséder
une action plus énergique encore) un agent qui, dans les profondeurs de
l'Océan, remplit une des deux importantes fonctions des végétaux dans
les bas-fonds et dans l’air atmosphérique, c’est-à-dire l'absorption de
l'acide carbonique expulsé par les animaux ; le renouvellement de l’oxy-
gène s’accomplit par suite de la circulation de l'Océan. Il serait d’ail-
leurs difficile d'imaginer des circonstances plus favorables à la produc-
tion de ce corps que celles qui existent au fond des mers. La température
y est généralement un peu supérieure à celle de la glace fondante ; la
pression dépasse souvent plusieurs centaines d’atmosphéres, et l'acide
carbonique se produisant graduellement et mis en contact à l’état nais-
sant avec la solution saline, se trouve placé dans les conditions les plus
favorables pour entrer facilement en combinaison chimique.
La quantité de cette formation saline dépendant de la pression, il est
évident qu’en ramenant l'échantillon d’eau de mer d’une grande profon-
deur à la surface, une partie de l'acide carbonique qui y était contenu
auparavant deviendra libre; de plus, comme la quantité décomposée
varie suivant le temps écoulé, il est évident aussi que la somme d’acide
carbonique libre obtenue par l’ébullition dans le vide variera en propor-
tion de la profondeur d’où l'échantillon aura été tiré, du temps qui se
sera écoulé avant qu’il ait été mis en ébullition, du degré de tempéra-
ture auquel il aura été soumis pendant l'ébullition, et du temps qu’aura
duré cette opération. Il est donc facile de comprendre comment le
D: Jacobsen a trouvé que la quantité d’acide carbonique obtenue par
l’ébullition dans le vide ne donnait pas la mesure de la quantité réelle, et
que des portions parfaitement égales du même échantillon donnent des
résultats différents.
On verra, d’après les observations qui précèdent, que les solutions
d'acide carbonique dans l’eau de mer ou dans le sang se ressemblent
dans presque tous les détails, à cela près cependant, que, dans le sang,
le corps qui le renferme est le sulfate de soude, tandis que dans l’eau de
mer Cest le sulfate de magnésie, substances qui, l’une et l’autre, con-
tiennent de l’eau de formation. Les conditions à la faveur desquelles
l'acide carbonique est éliminé, soit du sang, soit de l’eau de mer, sont
aussi très-semblables.
146 LES ABIMES DE LA MER.
L'étude de la manière dont l'acide carbonique et d’autres gaz se com-
portent dans les solutions salines ouvre un champ illimité aux recher-
ches utiles. Déterminer les coefficients d'absorption de la solution de
sulfate de magnésie pour l'acide carbonique, avec des conditions varia-
bles de température, de pression, de concentration et de durée, suffirait
à occuper plus d’un chimiste d’une manière aussi utile qu'intéressante.
APPENDICE
AJOUTÉ PAR LE TRADUCTEUR
LA TERRE ENGLOUTIE DE BUSS
(voyez page 21).
Quelques anciennes cartes marines signalent un dangereux récif ou
bas-fond dont les navigateurs du temps ont fait fréquemment mention
sous le nom de terre de Buss ; elles le placent par 57° 30’ de latit. N. et
29° 50" de longit. O.
Une carte française dont l’exécution est fort helle, qui porte la date de
Paris, 1777, et qui a pour auteur M. Fleurieu, lui assigne également cette
position; on y remarque un autre récif situé beaucoup plus à l’est
(par 59° 80° de latit. N. et 16° 50! de longit. O.), ce qui le place à cin-
quante ou soixante milles de l'extrémité occidentale du bane de Rockall.
Il est fait mention de ces deux bas-fonds dans le récit du voyage entrepris
par le capitaine sir J. Ross en 1818 :
« Nous atteignimes le 8 mai », y est-il dit, « le point où la carte de
» Steel indique un banc découvert par Olof Kramer » (latit, 59° 28',
longit. 17° 22'); «à 130 brasses, nous ne trouvâmes le fond ni à l'endroit
» désigné, ni dans son voisinage immédiat ou éloigné. »
Et encore : « Dans l'après-midi, nous trouvant exactement sous la
» latitude de la terre submergée de Buss, ainsi qu'elle est nommée stir
» quelques cartes, c’est-à-dire par 57° 28' de latit. N., et désireux de
» reconnaitre si ce bas-fond existe réellement par 29° 45! de longit.,
» nous changeâmes de direction au coucher du soleil, diminuant de
» voiles et virant de bord pour jeter la sonde ; à 180 brasses, nous ne
—
LA TERRE ENGLOUTIE DE BUSS. AAT
» trouvions pas de fond, et l’opération répétée de quatre en quatre milles
» ne donna aucun résultat. »
Le capitaine Graah, dans sa narration d’un voyage au Groenland fait
par lui en 1828, s’exprime ainsi : « Nous avons dépassé, le 25, ce qui est
» appelé sur les cartes la ¢erre submergée de Buss, écueil dont les dan-
» gers sont signalés dans les instructions anglaises aux navigateurs,
» même les plus récentes; les marins peuvent se tranquilliser à cet
» égard, et se tenir pour assurés que ce danger-la est purement imagi-
» naire. Il est assez singulier que le point où la terre de Buss est sup-
» posée avoir existé soit précisément celui où d’anciennes cartes placent
» Friesland, cette terre mystérieuse dont la position a tant embarrassé
» les géographes, et qu'on a découvert tout récemment n'être autre que
» les îles Farôer. Cette grossière erreur au sujet de la position de Fries-
» land prouve, à mon avis, que Zeno (le navigateur vénitien du xiv'siècle)
» était loin de posséder la connaissance exacte et approfondie de nos mers
» septentrionales que plusieurs lui ont prêtée, »
L’appendice au même ouvrage renvoie ses lecteurs aux /nstructions
pour naviquer entre l'Islande et le Groenland, d'Ivor Bardeen, qui décrit
certains écueils qu'il nomme les écueils de Gembrém, et qu'il place au
sud-ouest, à mi-chemin de l'Islande au Groenland. Il recommande de
gouverner dans une direction qu'il indique, afin d'éviter les glaces qui,
arrivées à la dérive, se fixent à ces rochers.
L'Histoire du Groenland, de Crantz, fait aussi mention d’une terre
située sur ce point. Il parle de Sébastien Cabot et dit qu’il fut le premier
à pénétrer dans le détroit de Davis, puis il ajoute : « Nous avons lu dans
» une relation qu'un siècle auparavant, en 1380, Nicolas et Antonius
» Zeni, deux nobles Vénitiens, emportés par une tempéte des rivages de
» PIslande dans la mer Deucalédonienne, découvrirent, par 58° de latit.,
» entre l'Islande et le Groenland, une grande ile habitée par des chré-
» tiens et possédant cent villes ou villages. Cette ile s’appelait l'Ouest-
» Friesland. » Depuis lors aucun renseignement quelconque n'est venu
donner à ce récit le moindre semblant de confirmation. Pendant son
troisième voyage, Frobisher, ayant relâché dans une contrée située sur
cette latitude et dont il trouva les habitants jdentiques sous tous les rap-
ports aux Groenlandais, en conclut avec juste raison que leur pays faisait
partie du Groenland. Quelques personnes pourtant ont adopté l'opinion
que cette île a été engloutie par un tremblement de terre, et qu'elle n'est
autre que la terre de Buss marquée sur les cartes, et que les navigateurs
redoutent à cause du peu de profondeur des eaux qui l'entourent et de la
violence des vagues dont elle est battwe.
Il est inutile de multiplier les citations, Malgré le peu de crédit accordé
~
448 LES ABIMES DE LA MER.
aux assertions des auteurs anciens et aux témoignages positifs des navi-
gateurs vénitiens et norvégiens, les récits des voyageurs modernes qui
parlent d’une terre engloutie ou bas-fond, et la remarquable corrobora-
tion que viennent de leur fournir les draguages récemment entrepris,
permettent de considérer comme très-probable l'existence, à une certaine
époque (entre les 27° et 29° degrés de latit. N. et les 59° et 60° de longit. O.),
d’une île ou terre qui, engloutie subitement par une formidable action
volcanique ou graduellement et lentement submergée, n’a laissé pour
témoigner de son existence que le bas-fond actuellement recouvert par
les flots.
D’après les connaissances récemment acquises, un fait certain, c'est
qu'il est un point situé entre les 27° et 32° degrés de longit. O., qui,
recouvert par 748 brasses seulement, se trouve placé entre une profon-
deur de 1160 brasses d’un côté et 1260 de l’autre.
Il est à remarquer que la position ainsi indiquée ne se trouve qu’à
100 milles au nord-est de celle qu’occupe sur les anciennes cartes la
terre engloutie de Buss, et que, sur un point situé à une centaine de
milles à l’ouest du sondage précédent, la profondeur décroît jusqu’à
512 brasses. Comme il est fort peu probable qu’on soit tombé par hasard
sur la plus faible profondeur de tout l’espace, et la terre engloutie devant
nécessairement en occuper le point le moins profond, il est permis de
croire que la profondeur continue à décroître depuis les 748 brasses du
sondage qui se trouve à l’ouest jusqu’à celui où elle est supposée avoir
existé. Ce qui renforce cet argument, c’est que ce point n’est éloigné du
méridien indiqué par M. Fleurieu que de la faible distance de 12 milles
dans la direction de l’est '.
1. The North Sea Bed, by G. C. Wazuicu, M. D. London, 1862, p. 63 à 66, et p. 141
et 142.
INDEX
A
Acanthometrina, 83.
Æga nasuta, 107.
Acassiz (Alexandre). Échinodermes ; faune
des deux bords de listhme de Pa-
nama, 11.— Sur les Echinocyamus, 99.
Algues (Zone des), 12.
ALLMAN (professeur), F.R.S. Liste des
formes animales découvertes dans les
grandes profondeurs, 22.
Allopora oculina, 142, 364.
Amathia Carpenteri, 147.
Amphidetus cordatus, 388.
Amphihelia atlantica, A. miocenica, A
oculata, A. ornata, A. profunda, 141.
Amphiura abyssicola, 104.
Antedon celticus, 64; A. Eschrichtii,
A. Sarsii, 103.
Aphrocallistes Bocagei, 80.
Archaster Andromeda, 125; A. bifrons,
103; A. Parelli, 103; A. tenuispinus,
102; A. vexillifer, 125.
Arcturus Baffini, 107.
Askonema setubalense, 361.
Asterophyton Linckii, 16.
Astrorhiza limicola, 63.
- Atavisme, 7.
Atretia gnomon, 76.
= 5
BACHE (professeur A. D.), inspecteur de la
surveillance côtière des États-Unis. Sur
le Gulf-stream, 325.
Bathybius Heckelii, 347.
Bathycrinus gracilis, 381.
Bathyptilum Carpenteri, 65.
BERRYMAN (le lieutenant) de la Marine des
Etats-Unis. Sondages profonds sur le
brick des Etats-Unis Dolphin, 192.
BocacE (le professeur Barboza du), direc-
teur du Muséum d'histoire naturelle de
Lisbonne, 232. —Sur l Hyalonema, 354.
Bowerpank (DF F. R. S.). Sur l’Hyalo-
nema, 398.
Branot (D°). Sur l’Hyalonema, 356.
Brisinga coronata, 56, 100; B. endeca-
cnemos, 55, 84, 100 — Description par
Absjürnsen, 57.
Brissopsis lyrifera, 99, 387, 388.
Brooke (J. M.), de la Marine des Etats-Unis.
Appareil de sondage, 17, 176, 178.
Browninc (le lieutenant), 71.
Buccinopsis striata, 392.
BuCHANAN (John Young, M. A.). Sur l’acide
carbonique de l’eau de mer, 443.
Burr (le professeur Henry). Sur les cou-
rants de l'Océan, 311. — Sur le Gulf-
stream, 328.
Buss (la terre de), 21, 446.
C
CALVER (le capitaine). Son habileté à di-
riger les opérations de draguage, 71.
— Sondages par séries, 261.
Calveria Hystrix, 130, 388; C. fenes-
trata, 133, 152, 388.
Caprella spinosissima, 106.
CARPENTER (Dt William), B. F.R.S., 2. —
Rapport préliminaire sur des opérations
de draguage du Lightning, 112. — Ob-
servations de température dans la Médi-
terranée, 276. — Théorie des courants
de l'Océan, 311, 312. — Observations
29
Yj
sur les courants du détroit de Gibral-
tar, 315. — Sur le Gulf-stream, 329.
CARPENTER (William Lant), 72. — Analyses
des eaux de la mer, 427 à 435.
Caryophyllia borealis, 22, 363.
Ceratocyathus ornatus, 363.
Cerithium granosum, 392.
CHmmo (le commandant W.), de la Marine
royale, 193. Températures de lAtlan-
tique, 303.
Choanites, 415.
Chondrocladia virgata, 157.
Cidaris papillata, 64; C. Hystrix, 98,
162, 388; C. affinis, 162, 387, 388.
Cladorhiza abyssicola, 95.
Coccolithes, 348.
Coccospheres, 349.
Celosphera tubifer, 412.
Conservation des spécimens, 220.
Corallines (zone des), 13.
Craie, 345; -— (analyses de la), 397.
Crinoides, 366.
CROLL (James). Sur les courants océa-
niens, 310, 318, 321.
D
Dacrydium vitreum, 393.
Darwin (Charles), M. A., F. R.S. Origine
des espèces, 7.
D’Auguissox. Sur les températures des pro-
fondeurs, 304.
Davis (le capitaine), de la Marine royale.
Thermomètres vérificateurs, 244, 249.
DayMAN (Joseph), commandant dans la Ma-
rine royale, 19, 193, 255. — Tempéra-
tures de l'Atlantique, 303.
Despretz (M.). Recherches sur le maximum
de densité des solutions salines, 29. —
Température de l’eau de la mer à sa plus
grande densité, 256.
Dorynchus Thomsoni, 146.
Draguage (Appareils de). Drague de Miil-
ler, 199; drague de Ball, 202; dragues
pour les grandes mers, 207; cabes-
tan, 208; l’accumulateur, 208; chevilles
à enrouler, 208 ; corde de drague, 210. —
Draguages peu profonds, 211 ; draguages
profonds, 212. — Houppes de chanvre,
215,216; vider la drague, 218; tamis de
450 INDEX.
draguage, 219. — Comité de draguage
(membres du), 223; comité de draguage
de Belfast, 224.
Draguage (Opérations de) sur les côtes
d'Irlande, 224; d'Angleterre, 224; de
Shetland et des Hébrides, 224; du Por-
tugal et de la Méditerranée, 225, 226,
233; du nord-est de l'Atlantique, 225;
de la Norvége, de la Suéde et du Dane-
mark, 225; de lAdriatique, 225; de
l'Algérie, 226; du Spitzberg, 227; de
Malte, 227; de la Finlande et des îles
Loffoten, 228; des Etats-Unis, 234.
Draguages (Journal des), 237.
Duncan (le professeur P. Martin). Sur les
Coraux des mers profondes, 363.
E
Echinides fossiles, 135, 136.
Echinocucumis typica, 105, 146.
Echinocyamus angulatus, 99, 388.
Echinothuride (Vaste distribution des),
143.
Echinus elegans, 64, 388.
Echinus esculentus, 388.
Echinus Fleemingii, 98, 388.
Echinus Melo, 388.
Echinus microstoma, 142.
Echinus norvegicus, 64, 98, 217, 388.
Echinus rarispina, 388.
Echinus rarituberculatus, 98.
Egée (Mollusques et Radiolaires de la
mer), 4.
Ethusa granulata, 146.
Euplectella, 62.
Eusirus cuspidatus, 105.
Evolution (Doctrine de 1’), 7.
F
Finpray (A. G.). Sur le Gulf-stream, 330.
Flabellum distinctum, 364.
Floride (Faune du détroit de la), 143.
Foraminifères, 97, 139, 350, 406.
Forges (David). Analyse de la craie blanche
de Shoreham, 397; de la craie grise de
Folkestone, 398.— Spécimens du limon
de l'Atlantique, 439 à 442.
INDEX. 451
Forges (Edward). De la distribution des
formes marines, 4; de l’immutabilité des
espèces, 4; centres spéciaux de distri-
bution, 6; la loi de représentation, 6. —
Zones de profondeur, 12; formes repré-
sentatives, 10.— Analogie inverse entre
Ja distribution des faunes et des flores
de la mer et celles de la terre, 36. —
Du draguage, 223.
FRANKLAND (D'). Analyses de l’eau de
mer, 436 a 438.
Fusus Sarsi, 398.
G
Geryon tridens, 75.
Globigerina bulloides, 12, 350.
Gonoplax rhomboides, 74.
Goopsir (Henri). Draguages profonds dans
le détroit de Davis, 17.
Gray (Dt John Edward).
nema, 356.
Gulf-stream, 241, 300. — Description du
—,320.— Son trajet et son extension à
travers l'Atlantique du Nord, 323.
Sur l’Hyalo-
H
HæckeL (le professeur Ernest), 7. — Études
biologiques, 347.
Halichondride, 62.
Hatt (Marshall). Croisière du yacht Norna,
225.
Herscuen (sir John F. W.). Théorie d’une
température uniforme de 4° C. aux
grandes profondeurs, 28. — Lettre au
Dr Carpenter, 319. — Description du
Gulf-stream, 320.
Heæactinellidæ, 59, 351.
Holothuria ecalcarea, 106.
Holtenia Carpenteri, 60. — Large distri-
bution de ?—, 62, 85, 139, 351, 360.
Humpotpt (baron von). Sur la température
des profondeurs, 304.
Hunter (John), 72. — Analyses de Peau de
mer, 423.
HuxLey (le professeur F. H.). La vie aux
grandes profondeurs, 19. — Le limon
- crayeux de Atlantique, 421.
Hyalonema, 61, 85, 139, 232, 352, 359.
Hyalonema lusitanicum, 354, 355, 359.
Hyalonema Sieboldi, 354.
Hymenaster pellucidus, 101.
INskiP (le commandant d'état-major),
TL
Isthme de Panama (Faune des Échino
dermes des deux côtés de 1’), 11.
JEFFREYS (J. Gwyn). Distribution des
Mollusques marins, 33. — Première
croisière du Porcupine, 72; — dra-
guages sur la côte méridionale de
l'Irlande, 102. — Quatrième croisière
du; ‘Porcupine, 149, 225, .234./ 352,
901. — Observations de température,
275.
JENKIN (le professeur Fleeming). Le cable
entre la Sardaigne et Bone, 21. — Pre-
mière preuve positive de l’existence,
aux profondeurs dépassant 1000 brasses,
d'animaux d'organisation supérieure,
24.
K
Kent (W. Saville). Expédition du yacht
Norna, 62, 235.
Kophobelemnon Mulleri, 64.
Korethraster hispidus, 101.
L
Laminaires (Zone des), 13.
Latirus albus, 392.
LaucuTon (J. K.). Des courants de l’0-
céan, 336.
LEE (le lieutenant), de Ja Marine des
Etats-Unis. Les sondages profonds, 192.
#52
Lightning (Croisière du). Les bancs de >
Farôer, 48. — Les îles Faréer, 49;
Thorshaven, 51. — Premier essai de
draguage profond, 54; d'espace froid,
58 ; d'espace chaud, 59. — Stornoway,
64. — Résultats généraux de l’expédi-
tion, 66.
Littoral (Zone du), 12.
Lituola, 97, 162.
Lophohelia profilera, 64, 141, 364.
LovEN (le professeur). Additions à la con-
naissance acquise en Zoologie marine,
225 .— Distribution bathymétrique de
la vie sous-marine, 226.
LYELL (sir Charles). La période créta-
cée, 400. — La permanence de la
craie, 403, 418.
Lyman (Théodore). Mémoires dans le
Bulletin du Muséum de zoologie com-
parée, 234.
M
Mac Cunrock (l'amiral sir Leopold).
Voyage du Bull-dog, 20.
Maury (M. F.), L. L. D., capitaine dans i
Marine des tie Unes 18. — Théorie
des courants de l'Océan, 310; — du
Gulf-stream, 322.
May (commandant d’état-major). Troi-
sième croisière du vaisseau le Light-
ning, 48, 297.
Mercure (Croisière du), 195.
MitNE Epwarps ipeees 23. — Liste
des animaux pris sur le cable méditerra-
néen depuis la profondeur de 1100
brasses, 23.
Moun (le professeur H.). La température
de la surface et celle des profondeurs
sur les côtes occidentales de la Nor-
vége, 994
Moyennes des températures annuelles :
Hébrides, 306; Labrador, 306 ; Ber-
gen, 306; Tobolsk, 306; îles Farder,
306; iles Falkland, 306; Dublin, 307;
Port-Famine, 307; Halifax, 307; Bos-
ton, 307.
MueLer (Otho Frederick), 199; — sa dra-
gue, 199.
Munida, 64.
INDEX.
Neolampas, 387.
Neolampas rostellatus, 388.
Norman (le Rév. A. Merle). Découvertes sur
la faune des Shetland, 104.
Notice préliminaire sur les Crustacés de
l'expédition du Porcupine. Nutrition des
animaux dans les grandes profondeurs,
146. ;
Nymphon abyssorum, 109.
0
Océanique (Circulation), 67, 239. — Théorie
du Dr Carpenter, 313.
Ophiacantha spinulosa, 64, 123, 145.
Ophiocten sericeum, 64, 104.
Ophiomusium Lymani, 144.
Ophiopeltis securigera, 104.
Ophioscolex glacialis, 104.
Ophioscolex purpurea, 10%.
Ophiothrix Lutkeni, 85.
Orbitoliles tenuissimus, 77, 162..
Orbulina universa, 19.
P
Pecten Hoskynsi, 394.
Pedicellaster typicus, 386.
Pentacrinus Asteria, 368.
Pentacrinus Mulleri, 374.
Pentacrinus Wyville-Thomsoni, 156, 375.
P£TERMANN (Dr). Du Gulf-stream, 242, 320,
af.
Pheronema Anne, 352.
Phormosoma placenta, 143, 388.
Phosphorescence, 83, 123.
Pierce (le professeur). Du Gulf-stream,
326.
Platydia anomioides, 122.
Pleuronectia lucida, 393.
Poissons (Nouvelles espéces de), 110.
Polycystines, 83.
Porcupine (Première croisière du), 70;
équipement du vaisseau, 71. — Résultats
du premier draguage, 73 ; premier essai
des thermomètres Miller-Casella, 74.
Banc du Porcupine, 75; promenade à
Rockall, 76. — Seconde croisière, 78.
— Draguage à 2435 brasses de profon-
deur, 84. Retour à Belfast, 85 — Troi-
sième croisière, 85. Terrain de l’Hol-
tenia, 88 ; les houppes de chanvre, 89.
Thorshaven, 90; découverte du cou-
rant arctique, 95; plateau des Shet-
land, 94. Prédominance de la faune
arctique , 110 ; faune des espaces
chauds sur la côte septentrionale de
l'Écosse, 148. Retour à Belfast, 149. —
Quatrième voyage du Porcupine, 150.
Croisière dans la Méditerranée, 159 ;
faune de la côte d'Afrique, 161 ; banc
de l’Adventure, 161; Malte, 162; son-
dages de température près de Strom-
boli, 163. Retour à Cowes, 164.
Porocidaris purpurata, 86, 388.
PourTALES (le comte L. F. de). Draguages
profonds à travers le Gulf-stream sur la
côte de la Floride, 234.
Pourtalesia Jeffreysi, 92, 387, 388.
Pourtalesia phiale, 77, 388.
Prédominance des Protozoaires, 39.
Pression (Couditions de la) dans les gran-
des profondeurs, 26. — Méthodes pour
apprécier la pression véritable, 28.
— Effet de la pression sur le thermo-
mètre, 248.
PRESTWICH (Joseph), président de la So-
ciété de géologie. Températures de VAt-
lantique, 301. — La permanence de Ja
craie, 397.
Profondeurs (Sondages dans les grandes),
171.— Plomb à coupe, 176 ; appareil de
Brooke pour sonder dans les grandes
profondeurs, 177, 178; machine à son-
der du Bull-dog, 179; machine à son-
der de Fitzgerald, 181; machine à
sonder de l’'Hydre, 183; le petit che-
val, 185 ; les cabestans, 185; l’accumu-
lateur, 186. — Rapidité de descente de
Vinstrument de sondage, 189.— Machine
a sonder de Massey, 189.
Profondeurs (Théorie de la température
des grandes), 242. — Distribution de la
chaleur dans la mer, 256; la muraille
froide, 327, 337. — Température mini-
mum de la mer, 253 ; proximité des es-
paces chauds et des espaces froids, 322.
INDEX. 153
Grande égalité de température à toutes
les profondeurs dans la Méditerranée,
276. — Sondages de température faits
par séries, 261, 262.
Profondeur de la mer, 173 ; premiers
draguages profonds qui aient réussi,175.
— Formes animales trouvées aux profon-
deurs de 70 à 1200 brasses, 22; abon-
dance de la vie animale au fond de Ja
mer, 217. — Moyenne de la profondeur
de la mer, 195. — Calme absolu aux
grandes profondeurs, 340; pénétration
de la lumière, 43. — Abondance des
genres Astropecten et Archaster, 100. .
Psammechinus microtuberculatus , 388. .
Psammechinus miliaris, 388.
Psolus squamatus, 105.
Pteraster militaris, 143.
R
Rhabdammina abyssorum, 63.
Rhizocrinus loffotensis, 64, 105, 378.
RICHARDS (le contre-amiral), hydrographe
de la Marine, xvut.
Ross (sir James Clarke), de Ja Marine
royale. Draguages profonds dans la
mer Antarctique, 16. — Observations de
température, 257.
Ross (sir John). Voyage de découvertes
dans la baie de Baffin, 15. — Machine
à remonter les sondes des plus grandes
profondeurs, 175. — Observations des
températures pendant un voyage arc-
tique, 253.
Rossella velata, 353.
Royal Society (Lettre à la) du Dr Carpen-
ter, pour demander une série systémati-
quement organisée de draguages pro-
fonds, 44. — Lettre du secrétaire de la
Royal Society au secrétaire de lAmi-
rauté, 46; réponse de l’Amirauté, 47.
(Voyez aussi 112 a 118.)
S
SABINE (le général sir Edward). Extraits
de son journal particulier, 17, 254.
Sars (le professeur Michel). Liste des
animaux appartenant à tous les groupes
Ba INDEX. Le
d'nvertébrés qui vivent à la profon-
deur de 300 à 400 brasses, 27, 225,
228, 231.
Schizaster canaliferus, 388.
SCHMIDT (le professeur Oscar). Les Heæacti-
nellidæ, 59; Cometella, 97.
SCHULTZE (le professeur Max) . De l’Hyalo-
nema, 358.
Serpula, 230.
SHORTLAND (le capitaine), de la Marine
royale. Températures des grandes pro-
fondeurs dans le golfe Arabique (mer
d’Oman), 303.
SmitH (Toulmin J.).Les Ventriculites, 409.
Solaster furcifer, 100, 386.
Solaster papposus, 100.
Spatangus purpureus, 388.
Spatangus Raschi, 100.
. Spirorbis, 230.
SPRATT (le capitaine), de la Marine royale.
Draguages dans la Méditerranée, 227.
Squales aux grandes profondeurs, 27.
STEENSTRUP (le professeur). Agrandissement
des connaissances de la zoologie ma-
rine, 225.
Stylocordyla borealis, 96.
Surface (Moyen de déterminer la tempé-
rature de la), 241. — Distribution de la
température de la surface dans l’Atlan-
tique du Nord, 306.
r
Tellina calcarea, 390.
Tellina compressa, 393.
Température de la croûte terrestre, 341.
Terebratula septata, 109.
Thecophora Ibla, 123.
Thecophora semisuberiles, 122, 193.
Thecopsammia socialis, 365.
Thermomètre de Six, 243; Miller-Ca-
FIN DE
sella, 245 : thermomètre métallique de
Bréguet, 247; thermomètre de Negretti
et Zamba, 247.
THOMSON (sir William). Thermomètre en-
fermé dans un tube de verre herméti-
quement clos, 251.
Tisiphonia agariciformis, 63, 140.
Toxopneustes brevispinosus, 388.
Transport des Poissons vivants, 50.
Tripylus fragilis, 99, 388 .
V
Variation des espèces, 7.
Ventriculites simplex, 410; surface, 411 ;
extérieure, 411; section de la paroi ex-
térieure, 411.
Verticordia acuticostata, 393.
W
WALLACE (Alfred Russel). Sur la sélection
naturelle, 7.
WALLER (Edward). Draguages sur la côte
méridionale de l’frlande, des Hébrides
et des Shetland; la faune des Hé-
brides, 102.
WaLuicH (G. G.). Lit de l'Atlantique du
Nord, 20, 228, 255, 416.
Waicut (le professeur Percival). Draguages
profonds sur les côtes du Portugal, 232.
Z
Zone des Coraux des grandes profon-
deurs, 14.
Zoroaster fulgens, 128.
L’ INDEX
PARIS. — IMPRIMERIE DE E. MARTINET, RUE MIGNON, 2
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