RES A LR 2. Er e Lo == DIT A LRO “APE : - U ‘à = 4 & : cx C2 ENTer S … ee ps = = > mé QùS = # € e € fa SERA NNN ENS | RS s Lopeses ee. a. LA SRE ST . ER 1 PPT É y 2 F0 Ds PRINT RCE, ; a at a, 1. Dr + ; À 4 ç reve € s d = « - L ét CEA Le. «< re pe her RS : 4 tes ” CAS x. 4 y F he Ce DTA e Fm At qn , DAT SRE > = Le mn CE tree à 4 | pa …” é L « FA +. der de dy ET « Mob ans. : Tiers LES HELVIENNES, OU LETTRES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. TOME PREMIER. bn." ex dono FE D.JACQUINecan.tit 1908 Nous déclarons qu’étant propriétaires de cet ouvrage, nous poursuivrons les contrefacteurs sui- vant la rigueur des Lois. MÉQUIGNON fils aîné. : BOISTE père. ns, à LA Fr nt ss PE M DT 22222000 2 2 oo AD D © DE L’'IMPRIMERIE DA. CLO. LES HELVIENNES, , OU LETTRES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. PAR L'ABBÉ BARRUEL. Ostendaw gentibus nuditatem tuam. SIXIÈME ÉDITION. TOME PREMIER. PARIS, A la Librairie de la Société Typographique DE MÉQUIGNON FILS AINÉ, sr BOISTE PÈRE , KUE DES SAINTS-PÈRES, N° 10, M. DCCCXXIII. PR NE CORRE PRIS PT DU OÙ Àe MONS PORTES ST NÉE TTL" DE ND AE * SN re AE Es Se Tr RL. Ah: ? Ce AN 7 s + , 4 KE soit, à RES ET s : h, FRRAS pt 1" + LA : FL CR \ { M D F8! 4è AL DRE e EE AUS » i # x ; L d RUES MG ducs \ y Fe » 48 AR CE LS = 1, 1 dl Lo ve f ps ART 20 LR | 7 CLR -rà ES « , \ MELel “ir BAT Nistes 4 Fo 3! "? 1:72 M à . . Ce, a ; à / A: 4 LÉ = œ Lai g * à ; pe L - re | 4 +4 Pa RO rs 24 ” Des ac & à à ÈS < ru 38 . & pa sf _ JL 4r AA "à - _' - RE ns. CN EL DT It ARS NAN CET Le ce E . , CNE LE SA Rue 4e 1 de Du L Fr, " re a Le » r pe NOTICE SUR LA VIE ET LES OUVRAGES D'AUGUSTIN DE BARRUEL, PAR M. DUSSAULT, AUTEUR DES ANNALES LITTÉRAIRES , ET BIBLIOTHÉCAIRE DE STE GENEVIÈVE. Para les adversaires d’une philosophie souvent égarée dans ses vues, et plussouvent encore per- nicieuse dans ses théories, M. l’abbé de Barruel se place au premier rang de ceux qui montrèrent le plus de courage et de persévérance : son zèle, qui tenait à un caractère naturellement vif, ar- dent et ferme, éclata de bonne heure , et ne se démentit jamais dans le cours d’une longue vie, qu'il remplit de sa chaleur, et qu’il anima de son mouvement. M. de Barruel, toujours sous les armes, saisit avec joie toutesles occasions d’atta- quer les mauvaises doctrines; on eût dit qu'il lobéissait à à une inspiration spéciale, et qu'il s ’aC- quittait d’une mission particulière. Mais son in- fatigable activité sembla redoubler à cette époque fatale où la religion n'était plus menacée seule- ment par des livres et par des systèmes , mais par | G | i) NOTICE des actes, où l'Eglise de France avait à lutter contre une puissance ennemie qui, forte de tou- tes les préoccupations du siècle, entourée du prestige d’une régénération mensongère, et s’ap- puyant sur les lois qu’elle dictait elle-même, cher- chaït toujours à là compromettre, quand elle dé- sespérait de la vaincre :le nom de M. de Barruel, déjà célèbre avant ces troubles si funestes, devint alors presque populaire ; il acquit une sorte d’au- torité que redoutaient les destructeurs de l’ordre, et que tous les amis du bien accucillaient avec empressement. En un mot, dans ce tableau si divers d’une révolution si terrible et si mêlée , tandis que tant de figures s’effacent les unes les äutres , M. l’abbé de Barruel est un des person- naäges qui présentent une physionomie distincte ét caractérisée : cette physionomie pleine de relief sort , pour ainsi dire , de la toile; et si quelque- fois uné vivacité trop dominante, une entraînante imagination conduisit cet homme remarquable à des erreurs, on doit avouer qu’en somme ül a parfaitement accompli , ila surpassé même, dans des témps orageux ét difliciles , tout ce qu’avaient promis son zèle et son dévouement dans dés cir- constances moins malheureuses etdans desannées plus paisibles. Là révolution naïssante trouva M. de Barruel, en 1789, à ce point de l’âge où la maturité se consomme, et où l’expérience jouit pleinement d'elle-même : il était né, en 1741, à Villencuve- SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. üj de-Berg , dans le diocèse de Viviers; sa famille était ancienne et honorée dans le pays; son père remplissoit la charge de lieutenant-générai du bailliage de la province. La première éducation du jeune Augustin, tel était le nom de baptème de M. de Barruel, fut dirigée, dans la maison pa: ternelle , par ses parens eux-mêmes, qui craigni- rent prudemment de le confier trop tôt à des mains étrangères. Ses progrès furent rapides, et son père ne tarda pas à reconnaître la nécessité de l’en- voyer chez les jésuites achever et perfectionner ses études : il s’attacha fortement à ses maitres |_ par ses succès mêmes, qui ne manquèrent pas aussi de les attacher à un élève si distingué. Cette réciprocité naturelle fit naître , de part et d’autre, | le désir d’un lien plus solide et plus durable qu’une simple affection de collége : l'élève crut sentir une vocation; les maitres ne luttérent pas, ou luttèrent peu contre ceite confiance ; les premiers | gages furent donnés ; les premières épreuves fu- rent subies. Après le noviciat, Augustin, suivant la coutume; est appelé d’abord à l’enseigne- ment; on lenvoie à Toulouse, où l'attend une chaire ; il professoit avec éclat les humanités dans cette ville depuis si long-temps célèbre par son goût éclairé pour les lettres et pour les scien- ces, et il n’avait que vingt et un ans quand la foudre, partie du sein d’un orage qui s'était len- | tement amassé , vint frapper et renverser la so- ciëté chérie à laquelle il s'était lié par toutes les iv NOTICE ‘Fues spontanées de son esprit et par tous les vœux libres de son cœur. | | | Le parti auquel le fameux évêque d’Ypres avait légué son nom , avec une célébrité qu'il n’avait pas originairement lui-même ; ce parti qu'illus- traient tant de réputations brillantes , que sou- tenaient tant d'imposantes autorités ; avait lancé jadis l’accablant génie de Pascal contre ies abus d’une institution née , dans le seizième siècle, des besoins mêmes de l'Eglise , et devenue la sen- tinelle vigilante de cette unité précieuse déjà si scandaleusement violée. Les philosophes , puis- sance nouvelle qu'avait fait éclore la corruption de la régence, se liguèrent , dans la suite, avec des gens qu’ils n’aimaient pas , mais qu’ils crai- gnaient moins, contre des gens qu’ils redoutaient plus, et qu’ils haïssaient davantage. Les parle- mens toujours en garde contre ce qui s’élevait , et, par conséquent, toujours plus ou moins com- plices de l'envie, surveillans dangereux des droits de la couronne, et censeurs habituels de ceux de la tiare ; ces parlemens qui , sous un gouverne- ment toût royal et sans constitution écrite, for- maient ce genre d'opposition , contrepoids natu- rel dans les gouvernemens responsables , entrè- rent facilemént dans la ligue. 11 fallait quelque fait marquant qui devint un prétexte et une oc< casion. La rage d’un foreené l’offrit : un miséra- ble de la lie du peuple osa porter sa main impie et meurtrière sur la personne sacrée du roi; aus- SUR AUGUSTIN DE BARRUEL,. V sitôt des bruits sourds se répandirent effrayèrent les faibles, et persuadèrent les crédules; la ca- lomnie entretint long-temps ces rumeurs, qu’elle avait semées; les trames s’ourdirent plus étroite- ment; et lé moment vint de recueillir le fruit de tant d’intrigues : cinq ans après l’attentat, la destruction des jésuites est prononcée; il ne leur servit dé rien d’être protégés par l'héritier du trô- ne, par le souvenir des services qu’ils avaient ren- dus, par la reconnaissance d’une foule d’excellens élèves qu’ils avaient formés , par tant de renom- mées , qui leur appartenaient en propre. La ca- lomnie ne cessa de les poursuivre au-delà même de la proscription; et cette société , dépositaire et gardienne du cœur de Henri IV, se vit avec une douleur amère enveloppée, dans sa chute, du soupcon ténébreux d’avoir voulu percer le cœur. d’un descendant de ce grand et bon roi. Le jeune de Barruel voulut partager le malheur et l’exil de ceux dont il ne partageait pas encore les engagemens : il se rendit dans les Etats de la maison d’Autriche, l'attachement à son ordre prévalant sur le regret de la patrie. La Moravie etla Bohème furent successivement et long-temps- son séjour ; ily fit ses premiers vœux, etcontinua d'y exercer les fonctions de l’enseignement. Ses talens le rendaient digne de la capitale : on l’ap- pela à Vienne; le collége Thérésien le compta parmi ses professeurs les plus habiles. Mais bien- tôt une maison particulière envia ce régent cé- | v) :{! NOTICE | lèbre à l'instruction publique : il fut chargé de l'éducation d’un grand seigneur ; il conduisit son disciple en Italie, voyage qui ‘n’était pas moins profitable au maître qu’à l'élève : ils visitèrent ensemble ce pays $i riche de souvenirs; Rome, prodigieusement intéressante pour tout le monde, ét spécialement pour un jésuite , fixa surtout leur attention. Le précepteur, qui savait déjà très- bien l’allemand , apprit encore l'italien, en gui- dant son pupille dans l’étude de cette langue. Cette connaissance des idiomes étrangers ne pou- vait qu'être infiniment utile à un homme qui de- vait fournir la carrière où M. de Barruel se sentait eñtraîner : ses regards, après douze ou quinze années d’absence , se reportaient fréquemment vers la France ; on ne sait pas exactément à quelle époque il y revint : si ce fut'en 1774; lors- que Louis XVI prit le sceptre, ou plus tard en 15577, quand ce prince , dont les premiers mo- mens furent si beaux, et dont la fin fut si cruelle, eut rendu son édit touchant les jésuites. Ce qui pourrait faire croire que son retour date de 1774, c’est qu'on à de lui une ode, publiée dans ce temps, sur {e glorieux avénement de Lowis- Auguste au trône; pièce qui n’est pars d’un poëte, mais ouvrage d’un bon Français. , Quoi qu’il en soit, c’est ainsi que M. de Bar- ruel débuta dans la littérature : il fut d’abord moins averti par l'instinct de son talent, que sé- duit par l'attrait de la poésie ; on aimait béauceup SUR AUGUSTIN DE BARRUEL, vi) les vers chez les jésuites; cette société, qui vouait aux lettres une sorte de culte , produisit un grand nombre de poëtes, dans une langue, à la.vé- rité, qui n'est pas la nôtre. Parmi ces religieux , adorateurs des muses anciennes, que le génie de Virgile et d'Horace semblait inspirer , se range avec distinction le Père Joseph-Roger Boscowich, grand astronome, auteur du poème digne de Lu- crèce, intitulé : Les Eclipses. M. de Barruel ne put résister à une tentation que Racine et Boi- leau auraient certainement repoussée : il essaya d’abord de mettre en vers français ce chef-d’œu- vre , où l’art du poëte a vaincu d’une manière si étonnante la sécheresse du sujet; puis il le tra- duisit définitivement en prose , et publia sa tra= duction en 1779. Elle eut quelque succès. À ces tentatives, dans lesquelles il méconnaissait son génie, suivant l’expression de Despréaux, et s’i- gnorait lui-même, il joignit des travaux plus con- formes au caractère de son esprit, et plus appro= priés à la nature des circonstances : le zèle qui l'avait enflammé dès sa première jeunesse lui fit . rechercher avec ardeur et recevoir avec allégresse une part de coopération dans l'Annéetittéraire, dernier appui du goût déclinant, et dernier bou- levard des saines doctrines dont le goût suit la destinée. C’est là, c’est dans cette arène si conve- nable qu’il se préparait à des combats plus di- rects, et qu’il préludait à des luttes plus écla= Jantes. vii} NOTICE Il n’est rien d’absurde, dit Cicéron, qui n'ait été avancé par quelque philosophe. Cette asser- tion d’un grand homme qui parlait en connais- sance de cause n’empêche pas que la philosophie ne soit en elle-même très-respectable : elle ho- nore la raison humaine; elle est le plus bel usage que nous puissions faire de la plus sublime de nos facultés ; mais l'esprit philosophique touche à beaucoup d'abus : il peut souvent nous égarer, soit par l’orgueilleuse fierté qui d’ordinaire l’ac- compagne, soit par les fausses directions où quel- quefois il se jette, soit par les affections passion- nées , et les partialités dangereuses dont il devient l'instrument. Le désir de se distinguer par la nou- veauté des découvertes, par la hardiesse des opi- nions, par la singularité des paradoxes est encore une des sources les plus fécondes, comme les plus communes , de ses erreurs quelquefois si déplo- fables : dans un siècle où il domine , on voit s’al- lumer et se répandre de proche en proche, com- me un vaste incendie , une fatale émulation de pensées extraordinaires et de conceptions inouies, qui semblent se disputer entre elles la palme du délire et le prix de la témérité ; la vraie philosophie s'en indigne, et la sagesse même la plus vulgaire en rougit. Mille systèmes plus audacieux, plus ex- travagans les uns que les autres, sont les fruits empoisonnés de cette rivalité malheureuse, qui corrompt même des cœurs naturellement hon- nètes , et qui précipite dans de honteux exeës des SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. 1x esprits destinés aux plus nobles rôles. Ce tableau n'est qu’une image trop fidèle du dix-huitième siècle; mais, dans les temps antérieurs, l'esprit philosophique manquait, pour ainsi dire , d’u- nité : nous l’ävons vu dans le nôtre porter tous ses efforts et diriger tous ses traits vers un même but ; nous l’avons vu former une immense cons- piration , dont le succès progressivement amené se déclara par des résultats si désastreux et par des explosions si fulminantes, que les conspira- teurs eux-mêmes en furent consternés. La phi- losophie du siècle, dupe de ses intentions réfor- matrices , chereha dans ce désordre extrème ses- espérances évanouies , déplora ses illusions, et se repentit de ses vœux. M. l'abbé de Barruel travailla , pour sa part, à conjurer de tels maux : il tächa d’ouvrir les yeux à une génération séduite et aveuglée; dans le plus important etle mieux fait de ses ouvrages, les Helviennes, ou Lettres Provinciales philo- sophiques, il attaqua par le ridicule et par le-rai- sonnement des théories qui n’avaient d'autre base que l’imagination échauffée de leurs auteurs. En résumant ces théories avec autant d'adresse que: de fidélité, en présentant sous un même point de» vue , et dans un même cadre, tous ces caprices d’une philosophie qui semble se jouer des ques- . tionsles plus graves, plutôt que s’étudier à les ré- soudre , it les mit’, pour ainsi dire, aux prises les uns avec les autres, et ft voir que, dans ee cho, a. ZX NOTICE ils se renversent et se détruisent mutuellement, aw lieu de se soutenir entreeux, et de se prêter un ap- pui réciproque. Semblables, en effet, aux soldats de Cadmus, ces systèmes s’entre-combattent et s’entre-dévorent. Chacun d'eux, par lui-même, est faible , etle devient plus encore par le rappro- chement contradictoire des autres. C’estce qu'on peut remarquer, surtout dans ceux dont la phy- sique est l’objet. Le premier volume des Helvien- nes est censacré à ces. derniers : l’auteur y passe en revue Felliamed, La Métrie, Robinet, Buf- fon, et chacun de ces écrivains lui fournit les. armes avec lesquelles il les attaque tous. ILobser- ve la même méthode dans. son second et son troi- sième volume, relativement à la métaphysique, dont les sophistes modernes ont abusé si étran- gement, et à la morale dont ils ont obscurci toutes les évidences et renversé tous les appuis. Le quatrième volume achève le triomphe de la raison sur lé mauvais sens, et de la bonne cause- sur l’iniquité ,; par une argumentation serrée et pressante, dont les principaux moyens sont puisés: dans les contradictions mêmes que M. de Barrue a relevées, et qu’il groupe ici avec plus de force et d’effet. Ce plan est un des meilleurs que l’on püt sui- vre : il suppose une lecture très-exacte et très- réfléchie des auteurs réfutés, une logique fer- me et sévère, des connaissances variées et pro- fondes. La forme dent il est revéiu manque un SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. x} peu de nonveauté ; maïs elle est une de celles qui conservent toujours quelque agrément et quel- que gräce. Son plus sensible. inconvénient est peut-être de rappeler un peu trep cet inimitable et désespérant modèle que Pascal a donné dans ses Provinciales. Mais la gloire de l’imitateur est de n’ètre pas accablé par une telle comparaison , qui s’offre d'elle-même à tous les esprits, et qu'il ne paraît pas , malgré quelques mots de ses pré- faces, avoir assez redoutée : l'adversaire des phi- losophes, dans un si dangereux voisinage , se soutient non sans quelque honneur à côté de l’ad- versaire des jésuites. Si l'ironie de l’un n’est pas toujours, à beaucoup près , aussi vive, aussi lé- gère; aussi piquante que celle de l’autre ; si l’élo- cutien du premier n’a pas cette rare pureté, cette précision nerveuse, et cette finesse élégante qu’on admire dans le style du second ; si le défenseur de Port-Royal , dans les violentes diatribes qu'il fait succéder à ses ingénieuses et malignes plaisante- ries, monte à une hauteur d’éloquence à laquelle M. Pabbé de Barruel ne saurait aspirer, et qu’il m’essaie pas d’atteindre , celui-ci-n’ena pas moins composé un très-bon livre, qui, sous le rapport de l'utilité, ne le eède à aucun autre, et qui, marqué de l’uniquesceau de la vérité, ne porte aucunedes empreintes de l'esprit de parti. Les Hetviennes n’ont pas,ilest vrai, préparé comme les Provincia- des la ruine et Ja chute complète de ceux dont elles prouvaient encore plus qu’elles ne dénoncçaient Xi} NOTICE les tristes erreurs : les sophistes ne sont tombés que sous leurs propres expériences; ils ont été vaincus, non par les ouvrages de leurs antagonis- tes, mais par les essais de leurs adeptes. Le seul succès des lettres dont nous parlons fut d’obte- nir beaucoup de lecteurs , et beaucoup d’appro- bateurs : elles ont eu jusqu’aujourd’hui cinq édi- tions , et l’on s'occupe de publier la sixième. L’au- teur fit paraître d’abord la moitié de son travail en 1784; l’autre moitié parut en 1588. Il donnale nom de son pays à ses lettres, et les appela Het- viennes, du mot Helvii, qui, du temps des Romains , était la dénomination des peuples du Vivarais. Elles établirent invariablement la répu- tation de M. l'abbé de Barruel. de: La publication de la dernière partie de ce livre fut voisine de la révolution : déjà se faisaient en- tendre les murmures précurseurs de la tempête; . déjà s’approchaïît le moment où l'on n’aurait plus le loisir ni de faire des livres, ni même d’én lire, où la briéveté des brochures et la rapidité des journaux conviendraient mieux au mouvement desesprits; l’activité toujours éveillée de M. l'abbé de Barruel, l’extréme facilité avec laquelle il ma- niait la plume, s’accommodaient aussi très-bien de la rédaction haletante et précipitée d’un ou- rrage périodique : il se chargea de celle du Jour- ral Ecclésiastique, au commencement de l’an- ée 1788. On sait combien les circonstances de- 1ient ajouter d'intérêt à ce journal. Péndant Les | | | SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. Xh) quatre ans qu’il fut entre les mains du nouveau rédacteur, il eut un très-briHant succès; et ce succès alla tous les jours croissant jusqu’au mois d’août 1792, époque d’horreur, à partir de laquelle rien d’honnèête ne put désormais ni se faire, ni se dire sans les plus grands périls (1). Dans un temps de troubles et de ténèbres , où des passions tu- multueuses et des sophismes intéressés cher- chaient à tout confondre et à tout obscurcir , M. l’abbé de Barruel devint le guide et la lumière du clergé français. Les meilleurs juges en ces ma- tières regardent les neaf volumes du Jeurnat Ec- clésiastique, qui parurent par cahiers détachés, depuis 1788 jusqu’à 1792 , comme une collection infiniment précieuse : là se trouvent, en effet, discutés, approfondis, décidés avec autant de clar- té que de chaleur, les points les plus importans ; là sont examinées et sondées les bases de cette constitution civile , ouvrage, en partie , de ceux qu'un grand publiciste de nos jours a nommés si énergiquement {e Clergé des Jacobins ; fatal instrument de discorde au moyen duquel les en- nemis de la religion, mettant à profit les diver- sités d'opinion qui, depuis long-temps, parta- (1) M. Pabbé de Barruel publia aussi, pendant l’année 1599, une dissertation swr Les vraies causes de la Révo- lution aetuelle ; des Lettres sur Le divorce ; un ouvrag® ayant pour titre: Les vrais principes sur les mariages , opposés au rapport de Durand-Maillane ; et faisant suite aux. Lettres sur le divorce. / XIV NOTICE pen geaient déjà l’ordre ecclésiastique, achevèrent de le diviser pour l’anéantir plus sûrement, et pour ensevelir les constitutionnels eux-mêmes dans leur propre triomphe. Tel fut, au milieu de ces conjonctures pleines d’un si terrible avenir, l’as- cendant de M. l'abbé de Barruel, que, s’il était la ressource , l’appui et la consolation d’un des deux partis, il se voyait aussi le dépositaire des projets de désavœu qui se formaient quelquefois “dans l’autre, et le confident de ces repentirs ti- mides qui s’élevaient par intervalles dans quel- ques consciences , et qu'étouffait toujours la honte des rétractalions. $ Bientôt tous les gens de bien furent obligés de onercher leur salut dans Pebscurité ou dans la fuite. Après s’être caché quelque temps, M. Fab- bé de Barruel s’embarqua pour l'Angleterre, et se réfugia dans ce pays hospitalier, dernier conser- vateur de nosespérances , où, pendant trente an- nées, tous les adoucissemens furent ménagés à toutes les douleurs, tous Les secours offerls à tou- tes les infortunes , et toutes les perspectives ou- vertes aux jjromesses de lavenir. Ce nouvel exil ne désarma point son courage : il ne quitta point son posteen quittant sa patrie ; toujours la plume à la main, il continua de servir, avec un feu sans cesse renaissant , la cause sainte à laquelle il s’é- tait dévoué : dans les années 1704 et 1796, le pu- blic recut de lui deux nouveaux ouvrages , l’His- toire du Clergé de France pendant la révotu- SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. XY tion, etles Mémoires pour servir à l'Histoire du Jacobinisme, dont il n’imprima d’abord que les deux premiers volumes. La première de ces productions, irréprochable à l'égard des princi- pes, encourut quelques reproches assez vifs et assez fondés sous le rapport des faits, et tomba même dans une espèce de décri. La seconde est du nombre de celles où l'imagination peut domi- ner beaucoup. - Quand on est soudainement frappé du specta- ele d’un grand désordre social, on se sent assez naturellement disposé à rechercher les causes de ce phénomène extraordinaire , et à les réduire en système : la tête s'échauffe par l’importance mème de l’objet que l’on considère, et plus il est ef- frayant, plus d'ordinaire on l’environne de fan- tômes. On creuse à une grande profondeur pour trouver ce qu’on a quelquefois sous la main; on ne veut rien de vulgaire et de simple ; on court après le merveilleux ; il faut que la nuit impo- sante du mystère couvre la source d’un fait sin- gulier; il faut que ce fait se soit long-temps müri dans l’embre avant de se produire au grand jour avec toutes ses épouvantables circonstances. Une faction abominable inonde la France de sang, la remplit de cadavres et de ruines, et règne par la terreur quelle inspire, et par les crimes qu’elle commet ; aussitôt ce sont les temptiers, les mem- bres des sociétés secrètes, les roses-croix, les illu- aminés , les francs-maçons qui, sortis du fond de XY) NOTICE leurs sombres retraites, réalisent, à la face de l’uni- vers, tous les forfaits systématiques qu’ils ont dès long-temps conçus et médités dans le secret de leurs mystérieux conciliabules. Où sont les preu- ves de cette longueet ténébreuseconjuration ? Où sont les documens ? n’est-il pas à craindre que Pi- magination exaltée n’äit fait, elle seule, tous les frais de ces découvertes? Lorsque M. l'abbé de Barruel, dans la première division de son plan, attribue en partie la révolution aux écrits et aux intrigues de la secte philosophique , il ne ditrien qui ne soit clair et palpable; chacun peut appré- cier ce qu’il avance : les pièces du procès sont en- tre les mains de tout le monde ; mais quandilen vient aux francs-maçons et aux lluminés, ilne paraît plus consulter que son désir de donner à des effets terribles des causes non moins effroya- bles : il suppose, il conjecture , il imagine beau- coup plus qu’il ne prouve; il a l'air de composer le roman du Jacobinisme beaucoup plu s que son histoire. | 12 Cet ouvrage excita une foule de réclamations auxquelles l’auteur ne voulut pas , ou peut-être ne put pas répondre ; le célèbre M: Mounier, de F As- semblée constituante, en fit une réfutation dans un livre ayant pour titre : De l'influence attri- buée aux philosophes , aux francs-maçons, et aux illuminés sur La révolution de France. 1] est des hommes en qui l'imagination semble croî- tre avec'les années ; ét s’allamer plus vivement SUR AUGUSTIN DE BARRUEL. xvij sous les glaces mêmes de l’âge ; peut-être M. l’ab- bé de Barruel était-il de ce nombre. Quoi qu'il en soit, quelques-uns des événemens dont nous venons d'être témoins , et cette qualification nouvelle qui retentit aujourd’hui avec tant de fracas dans toute l'Europe , paraissent jusqu’à un certain point absoudre de fiction une de ses idées favorites, qui plaçait en Italie le centre et le foyer de la grande conspiration, dont il croyait avoir découvert l'existence. Mais en général, il fut trop séduit, ce nous semble , par lattrait de rallier à un point d'unité une multitude de faits divers ; et beaucoup de choses qu'il regardait comme certaines, sont maintenant encore au moins problématiques, : L’anarchie, fatiguée plutôt que rassasiée de meurtres , de pillages et de bouleversemens, fit place, d’abord, en 1795, à une ridicule apparence de gouvernement constitutionnel , et ensuite, en 1709 ; à un despotisme militaire, qui était quel- que chose de plus sérieux : sous l'équivoque, mais tranquillisant abri de cette dernière adminis- tration , la religion renaissante redemandait son culte, et l'Eglise de France rappelait ses prè- tres exilés. Alors s'émurent de grandes et dé- licates questions. M. l'abbé de Barruel fut à la tète. de ceux dont l'avis prévalut auprès des ec- clésiastiques qui sentaient, avant tout, le be- soin de rendre leur ministère à leur patrie. Par deux écrits publiés, à peu de distance l’un de XVil) NOTICE Pautre , en 1800, il rassura leurs consciences et fixa leurs incertitudes. Il intervint égaleme:t, en 1801, dans l’épineuse et importante affaire du Concordat , et , rentrant lui-même en France dans le cours de l’année 1802 ; il ajouta le poids de son exemple à celui de son autorité. Son ou- vrage sur Les Droits des Papes, publié dans l'annéc 1803, en deux volumes in-8°, ouvrit une intarissable source de contestations et de dispu- tes, et sembla trop préparer l’étonnant spectacle du mois de décembre 1804. II soutint avec vi- gueur tous les assauts que lui livra le parti con- traire : la force de sa conviction parut l’animer dans ces débats autant que l’énergie de son ca- ractère bouïillant. Les vertus étaient partout; de quel côté se trouvait la véritable doctrine ? C’est ce que les bienséances nousdéfendraient d’énon- cer formellement, quand même notre insufh- sance ne nous interdirait pas toute décision ; mais il faut convenir qu’il y a une puissance bien entraînante dans la conviction d’un homme aussi pur et d’un théologien aussi éclairé que M. l’ab- bé de Barruel. Jamais aucune vue d’ambition, ni aucun mo- tif d'intérêt n’influa sur sa conduite , et ne di- rigea sa plume ; content de la modique fortune qu'il avait reçue de ses pères, et de l’honora- ble nom qu’ils lui avaient transmis, il ne dé- sira ni les dignités , ni les places ; il n’eut point: lieu de prêter serment à Buonaparte, auquel il SUR AUGUSTIN DE BARRUEL xix ne demanda rien. Il fut chanoïne honoraire de Notre-Dame , dans ces derniers temps, comme autrefois il avait été aumônier titulaire de la prin- cesse de Conti : défendre infatigablement par ses ouvrages la sainteté de la religion el l'harmonie de la société, fut l'unique prétention de son cœur, et l’unique emploi de sa vie toute militante. On pourrait lui reprocher peut-être d’avoir tropécrit, si ce reproche ne venait expirer devant son zèle ; il s’occupait encore d’un travail très-considéra- ble sur les systèmes de Kent, lorsqu'il mourut , le 5 octobre 1820 , âgé de 79 ans accomplis : il se proposait d'analyser et de réfuter l’obscure phi- losophie du métaphysicien allemand , et regretta beaucoup que les infirmités de da vieillesse ne lui eussent pas permis d'achever une réfutation qu'il ne croyait pas moins utile aux études religieuses qu'aux études philosophiques. On peut dire qu’il est mort sur la brèche. Au reste , ses productions, qui se multipliè- rent et s’accumulèrent sans cesse jusqu’à son dernier soupir , ne l’absorbaient pas tellement qu'il ne jouit des succès que pouvaient obte- nir celles d’autrui : il était particulièrement sen- sible à la gloire du clergé. Personne ne ren- dait plus aisément justice aux beaux talens dont s'honore aujourd’hui le sacerdoce : il applaudit, avec transport, à ces conférences si éloquentes et si célèbres, à ces catéchismes sublimes, où la foi s’éclairoit de toutes les lumières de la philo- XX NOTICE SUR AUGUSTIN DE -BARRUEXL. sophie, et qui furent d’importans services, parce qu'ils répondaient à de pressans besoins. IL vit avec bonheur l'éclat naïssant de cette réputation nouvelle qui, dans le jeune et illustre auteur du livre sur l’Indifférence en matière de religion, montrait à la France et à l’Europe un des écrivains les plus énergiques de notre époque, et un des penseurs les plus profonds de tous les temps. Ce fut, sans doute, une des plus douces consolations de ses dernières heures; et ses yeux, en se fer- ant, se reposèrent avec confiance, et sans en- vie, sur de telles supériorités , qui, plus éminen- tes par le génie, n’en devaient que plus digne- ment recueillir l'héritage de son zèle, de son courage, et de son dévouement inaltérable. LES HELVIENNES, OU LES PROVINCIALES PHILOSOPHIQUES. CLARA LAS VV DAS RE VE A SAS RAR LATE LA SAS AA IIS D LETTRE PREMIÈRE. De Mre la Baronne *** au Chevalier ***, Quer. zéele est donc le vôtre, mon cher com- patriote! je vous demande quelques livres phi- losophiques , et vous m’en envoyez de quoi for- mer une bibliothèque; je vous les demande pour moi, et vous en envoyez à notre libraire plus que la province n’en lira jamais. Il est temps, dites-vous, que la philosophie établisse son empire dans nos champs helviens; il ’est temps de faire connoître la lumière à vos com- patriotes, et rien ne vous paroît plus propre à dissiper nos préjugés que ces ouvrages précieux dont vous nous recommandez la lecture. Je le crois comme vous ; mais il falloitau moins nous prévenir , et nous averlir des précaulions que nous avions à prendre. Savez-vous ce que sont devenus tous ces livres? Notre vieux bailli en a à 1 2 LES PROVINCIALES fait saisir une grande partie, sous prétexte qu’ils avoient été condamnés à être brülés au pied du grand escalier. Les autres ont occisionné des événemens Lrès-singuliers , dont je crois devoir vous faire part , de peur quewotre zèle ne vous fasse commettre quelque nouvelle indiscrétion. Vous connoissez le jeune d’'Horson , il venoit de se faire recevoir avocat, et devoit plaider à l'audience; malheureusement il avoit sauvé de la confiscation l’{nterprétation‘ de la Nature, par M. Diderot : il s’est avisé d’en apprendre par cœur quelques lambeaux ; il s’est efforcé d'en imiter le style dans son plaidoyer. Nos magistrats ont cru qu’il parloit hébreu , et que son esprit s’étoit égaré ; ils Pont condamné à se taire à l'audience, jusqu’à ce qu’il eût appris le françois , ou repris son bon sens (1). (1) Note de l'éditeur. L'aventure du jeune d’Horson n’étonnera pas ceux à qui la sublimité de M. Diderot est un peu connue. Quanà cet auteur célèbre applique Fen- tendement à l’entendement , il n’e nas donné à tout Le monde de Le suivre , et l’on n’est j surpris qu’il égare un peu l'esprit de ses lecteurs. Il ne ressemble point à ces philosophes spéculatifs qui n’apercowent la véri é que par le coté chauve, tandis que la main 1lu philosophe manouvrier est poriée par hasard sur Le côté qui a des cheveux ; mais pareil à celui qui regarde du haut des montagnes, dont Les sommets se perdent dans Les nues, les objets de la plaine disparoissent devant lui; 1l ne lu reste plus que le spectacle de ses pensées et la conscience de La hauteur à laquelle il s’est élevé. (V. Int. Nat. p. 43 et 47.) Lorsqu'il nous demande, par exemple , s les moules PHILOSOPHIQUES. 3 Vous ne sauriez croire combien cinq ou six autres événemens pareils ont décrédité la phi- losophie dans l'esprit de nos provinciaux. Je me suis bien gardée de leur parler des vapeurs que me donnoit la lecture des Incas, Trois fois j’ai essayé de lire cet ouvrage, trois fois jai senti ma tête s’appesantir, el mes yeux se fermer comme d'eux-mêmes. J’éitois d’une foiblesse à ne pouvoir plus me soutenir, le volume m’é- chappoit des mains, et , au bout de deux heu- res, j'élois comme une personne qui sort d’un profond assoupissement. Il n’en étoit pas de même quand je lisois M. de Buffon. Que j’étois enchantée de ses descriptions ! avec quel plaisir je revenois à celle de mon serin , de mon per- roquet, de mon épagneul, et de tant d’autres jolis animaux! mais peut-être n’éloit-ce pas là sont le principe des formes, s'ils sont un étre réel et préexistant, sè l'énergie d’une molécule vivante varie par elle-même, ou simplement selon La quantité, La qualité , les formes de la matière nrorte ou vivante, limites déter- minées par le rapport de la matière en tout sens ; lors- que , pour s'élever au principe des choses, il nous fait des questions si sublimes ( Jbid. pag. 197 et 199 ), je sens bien qu'il s'élève au-dessus des esprits vulgaires, et je défie toute Pécole péripateticienne de lui répondre ; mais M. Di- derot descend quelquefois du haut des montagnes, et l’on ne peut plus lui reprocher alors d’être inintelligible. Lors- qu’il dit, par exemple , qu'entre l'homme vertueux et l'a- nèmal, entre luiet son chien, il n'y a de différence que dans l'habit (Vie de Séneque, p. 377), on s’apercoit bien que la consrience de sa hauteur a disparu ; il n’est pas jus- qu'au dernier provincial qui ne le comprenne à mervciile, 4 LES PROVINCIALES ce qu’on appelle de la philosophie. Je voyois l'écrivain tour à tour élégant, noble, majes- tueux, sublime, et toujours charmant comme la nature. Seulement il me sembloit qu’il nous dit quelquefois en son nom des choses fort extraordinaires ; sans doute je ne le connoissois pas encore assez comme physicien. J’allois me pénébrer de son système lorsque le plus fâchenx accident me dépouilla de toute ma bibliothè- que. J'avois envoyé quelques livres chez mon re- lieur, entre autres , le Système de la Nature, et le Bon Sens ; j'avois recommandé qu’on ne les montrât à personne. La défense piqua la cu- riosité du garçon relieur ; il passa la nuit à feuil- leter ces livres, et prit le lendemain quelques libertés avec la fille de son maître. La pauvre enfant avoit sans doute peur d’être damnée, car notre galant se crut obligé de lui dire qu'il n’y avoit point d’enfer, et qu’il venoit de le lire dans un livre de madame la baronne. On ne répliqua paint, et la jeune Fanchon donna, quelque temps après , des marques assez appa- rentes de philosophie. Vous savez le tapage que l’on fait chez nous dans ces circonstances. Notre nouvel ‘apôtre est conduit chez le baïlli, et, comme séducteur , condamné aux galères. Le terrible homme que ce baïlh! il a prétendu que mes livres, ayant oc- casionné le crime du jeune homme, devaient PHILOSOPHIQUES, 5 être punis comme lui. Tout mon crédit n’a pa empécher une descente à ma bibliothèque ; on ne m'a laissé que mes Heures et quelques Ser- mons de Bourdaloue. J’étois d’une colère à ne pouvoir plus suppor- ter la province; je déteslois un séjour où la philosophie est si indignement persécutée. Déjà je partois pour la capitale, et, sous les auspices de M. T., j’espérois devenir aussi philosophe que madame Geoffrin. Aussi docile qu’elle aux leçons de nos sages, j’aurois été peut-être plus généreuse (1). Hélas! vingt obstacles ont rompu ce voyage. Je suis condamnée à croupir encore long-temps dans la province; mais ne pourrois- je pas espérer de vous un dédommagement ? Ne pourrois-je pas même l’exiger de votre re- connoissance ? Souvenez-vous des efforts que je fis pour persuader à vos parens qu’il falloit éclairer votre jeunesse et vous envoyer dans la capitale, Si vous avez eu le bonheur d’être initié à la philosophie par M. T., pensez que sans moi vous n’auriez peut-être jamais connu ce grand homme. Que vos lettres soient donc pour moi ce que ses leçons ont été pour vous, ce qu’au- roient été ces livres précieux dont la supersti- tion ma si indignement dépouillée : souvenez- RE (1) On sait cependant que madame Geoffrin donnoit tous les ans à chaque philosophe au moins une paire de haut-de-chausses. 6 LES PROVINCIALES vous surlout que j'aime les détails, et ne crai- gnez de ma part aucune indiscrétion. Je recevrai vos lettres avec empressement . je les baiserai avec respect; mais je me garderai bien de les montrer indiscrètement. Si j'ai promis à nos amis communs de les faire participer à vos le- çons, c'est qu’ils m'ont paru dignes de cette confiance ; c’est qu’un jour peut-être ils pour- ront répandre sur la province toutes les con- noissances que nous aurons acquises par Vous. Sans quitter la capitale, peut-être aurez-vous, par ce moyen, la gloire d'établir l’empire de la philosophie jusque dans nos cantons; mais, dussent nos compatriotes continuer à chérir leur ignorance et leurs préjugés , la philosophie n'en aura pas moins d’altraits pour moi; je n’en serai pas moins enchantée d’être appelée un jour la baronne philosophe. Je suis trop con- fuse de ne pouvoir me dire encore que voire affectionnée servante, ANÉLIE, Baronne de ***, PHILOSOPHIQUES, 7 A SE A A AAA LETTRE IL Réponse de M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Je n’insisterai point sur le sort révoltant que les chefs-d’œuvre philosophiques ont éprouvé dans notre patrie; nous sommes accoutumés à ces proscriptions , et le premier sénat duroyaume n’en a que trop souvent donné l’exemple à vos baillis. Quant à ces petits événemens qui vous semblent avoir décrédité la philosophie dans ces cantons , ils m'ont plus diverti qu’ils ne m'ont étonné. Qu'un ouvrage philosophique exalte la tête d’un provincial, qu’il lui occasionne des frissons , des sueurs froides , ou même des va- peurs, je pourrois vous dire que tout cela pro- vient d’un défaut d'habitude , el que la lecture de nos productions exige souvent une certaine constance à laquelle il n’est pas nécessaire de s’accoutumer pour lire les Bossuet, les Fénélon, les Boileau et tous ces auteurs du siècle dernier, qui sont presque les seuls connus dans vos bi- bliothèques. Je n’aurai point recours à ces sortes d’excuses : je ne veux justifier nos grands hom- mes qu’en me conformant à vos désirs, qu’en vous faisant part des connoissances qu ils ont Ne LES PROVINCIALES répandues dans la capitale. Le tribut que vous imposez à ma reconnoissance est d’ailleurs aussi juste qu’il m'est agréable; je vais donc m'oc- cuper uniquement du soin de salisfaire à votre empressement; je n’épargnerai rien pour vous mettre au fait de cette science sublime, que vous êtes si digne de connoître; je ne craindrai point les détails; je développerai nos systèmes ; j'ex- poserai nos principes; nos mystères même vous seront révélés. Nos grands hommes ont depuis long-temps secoué le joug de la contrainte; nos sages dé- daignent cet esprit méthodique , toujours at- tentif et toujours réglé dans sa marche: content de vous exposer fidèlement leurs découvertes, je n’imiterai point leurs écarts. Un reste de génie provincial m’asservit encore à ses lois : je me sens contraint de tracer un jan qui donne à mes idées cet ordre, cette suite dont nos compatrioles sont encore si jaloux : je dis- tinguerai donc les différentes sciences que la philosophie moderne a su embrasser , et mes premières lettres seront consacrées à vous faire connoître nos philosophes comme physiciens. Vous verrez ces hommes si profonds, conduits par les seules lois de la physique , ou plutôt lui donnant eux-mêmes de nouvelles lois, créer , pour ainsi dire, la nature, remonter aux prin- cipes et à l’origine des choses, braver à la fois tous les préjugés, et présider seuls à la forma- PHILOSOPHIQUES. 9 tion de l'Univers. Après vous les ayom montrés comme physiciens, j'essaierai de les faire con- noître successivement comme mélaphysiciens , moralistes, politiques, et eufin sous tous les jours possibles. Puissé-je vous transmettre dignement toute la lumière que je leur dois ! puissé-je, en vous faisant conuoître mon zèle, mon estime et mon respect pour ces divins génies, vous donner en même temps une preuve de tous les sentimens avec les- quels j'ai l'honneur d’être, MADAME , . Votre, etc. le Chevalier de *F#, RD AAA D A AT A A 0 A VAS SNS 0/2 LETTRE. IE. Du Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Hâtez-vous d'appeler ceux de nos zélés com- patrioles qui doivent partager avec vous la lumière philosophique , les leçons de nos sages. Que leur étonnement va vons réjouir , et de quelle admiration vous allez être saisie vons- même ! Les premiers principes que jétablirai sont les vérités fondamentales du système le plus ingénieux que la philosophie ait encore produit ; ç’est sur eux qu'est appuyée toule la 1, Te 10 - LES PROVINCIALES physique de M. de Buffon, ce célèbre interprète de la nature. Mais afin de mieux faire sentir à nos provinciaux de quelles ténèbres ils vont être délivrés, demandez-leur d’abord, je vous prie, ce que c’est que cette terre qu’ils habitent, ce que sont ces monlagnes qui les environnent, ces plaines qu’ils cultivent ; quelle est la nature du globe, quelle fut son origine, par quels états divers il a passé, et ce qu’il doit enfin devenir un jour. Tout ce que la province a pu lear apprendre jusqu’ici, c’est que les montagnes et les pierres sont des montagnes et des pierres; c’est que notre globe n’est guère aujourd’hui que ce qu’il fut toujours, et qu’il restera à peu près duns Te même état jusqu’à ce qu’il plaise à celui qui le créa de l’anéantir. Telle sera sans doute leur réponse; et, j'en rougis encore, telle fut aussi celle que me dicta le préjugé lorsque je parus pour Ja première fois à l’école de M.T. (1). Mais quel ne fut pas mon étonnement , quand je vis ce grand homme s'approcher d’un brasier ar- dent , et s’éntourer d’un tas de pierres, de moël- Jlons, de roc, de granit et d’ossemens divers! (x) Quoique nos provinciaux ne se doutassent pas seu- lement des révolutions étonnantes décrites par M. de Buf- fon, ils n’ignoroient pas que le déluge, les volcans ; les- tremblemens de terre , les pluies, et bien d’autres causes particulières ; ont produit des changemens très-considéra- bles sur la surface du globe, ( Note de l'éditeur. ) PHILOSOPHIQUES. 11 Exposez , me dit-il, à l’action du feu une partie de ces malières , et vous apprendrez à connoîïtre la nature des choses. J’attendois avec impatience le résultat d’une pareille leçon, quand enfin la violence du feu ayant dissous et liquéfié ces di- verses matières, je les vois s'écouler comme une lave brûlante que l’absence du feu condense de nouveau , et qui n’offre plus à mes yeux qu’une masse de verre. Cette métamorphose ne me parut point une chose bien difficile à expliquer pour un physi- cien ordinaire; mais que j’étois bien loin de soun- çonner le grand principe que la philosophie à su en déduire! Toutes ces matières, me dit M. T., en raisonnant d’après M. de Buffon , toutes ces matières ont été vitrifiées par le feu; toutes celles qui composent le globe terrestre, exposées à la même action, subissent le même changement : la terre ne fut donc originairement qu’un globe de verre, qu’une masse énorme d’un cristal pur et transparent. Tout ce que vous voyez sur la surface terrestre, la pierre, les rochers, les montagnes, les arbres, les fleurs, le corps hn- main lui-même, tout cela est donc encore du verre, ou du moins tout cela en conserve encore la nature, car tout cela peut être vitrifié par le feu. . . . . . Ah! monsieur , m'écriai - je en entendant ces dernières conséquences, je ne suis plus surpris que mes compalrictes aient eu Jusqu'ici tant de répugnance pour la phi- 12 LES PROVINCIALES losophie. Vous ne persuaderez jamais à nos montagnards que leurs rochers ne sont que du cristal , et qu’ils ne sont eux-mêmes que des hommes de verre. Je sens que j'ai aussi bien qu’eux quelque répugnance à admettre celte vérité, et je vous prie de me dire si tout ce que le feu noircit où blanchit fut aussi nécessairement noir ou blanc dans le premier instant de son existence, Cette objection peut- être n'est digne que d’un provincial; mais en voici une que je tirerai de M. de Buffon lui- même. Je crois avoir ouï dire que, selon ce profond naturaliste , le verre se change en ar- gile par l’action de l’eau; ne pourroit-on pas en conclure avec autant de droit que le verre lui- même n’est que de Pargile? Gardez-vous bien, reprend à l’instant M. 'T., de faire cette objec- tion au philosophe; il a le feu pour lui, et l’eau seule combattroit pour vous Ne sentez-vous pas que le feu doit l'emporter sur l’eau? Je le sentis enfin ; je n’hésitai plus, et nos compatriotes admetiront aussi bien que moi ce grand principe de M. de Buffon: La terre et toutes les matières qui la com- posent sont en général de la nature du verre. (V. Ep. p. 6, éd. èn-4°.) Si nos provinciaux Hésiloient encore sur cette vérité, M. de Buffon leur suggérera un moyen “très-simple pour s’en convaincre. Qu'ils essaient seulement de pénétrer dans l’intérieur du globe, PHILOSOPHIQUES. 13 qu'ils creusent dans nos plaines jusqu’à la pro- fondeur de ciny ou six cents lieues , et le noyau terrestre n’offrant à leurs yeux qu’une masse du verre primitif d'environ deux mille lieues de diamètre, ils ne révoqueront plus en doute le grand principe, Il ne suffil pas au sage d’avoir découvert la nature du globe, 1l en considère la forme; et quelle vérité plus étonnante encore ne devoile- t-il pas? « Le globe terrestre, s’est-il dit à lui- « même, le globe terrestre élevé sur l'équateur, « aplati sous les pôles ; a précisément la même « figure que prendroit un fluide en tournant sur « lui-même avec la vitesse que nous connois- « sons à la terre. La première conséquence qui « sort de ce fait incontestable , c’est que la ma- « tière dont notre terre est composée étoit dans « un état de fluidité au moment qu’elle a pris « sa forme. Il est nécessaire que cette fluidité « ait été une liquéfaction causée par le feu, No- « tre globe étoit donc alors un petit soleil, qui « ne le cédoit au grand que par le volume, et « dont la lumière et 1 chaleur se répandoiïent « de même ( 77 Ep. p. 7 et 59).» Eout dé- montre douc an philosophe cette vérité dont nous allons faire un second principe. Ceite même terre qui n’est aujourd’hui qu’un globe de verre obscur et compacte , a commencé par être un soleil de verre fondu. | Par où finxa-t-elle? Ah! madame , il faudroit 14 LES PROVINCIALES ici vous afliger; il faudroit vons montrer dans M. de Buffon le prophète des glaçons et des fri- mas. Ne prévenons pas des temps trop malheu- reux ; n10s amis ne sont pas encore assez philo- sophes pour en supporter l’idée : exhortons-les plutôt à considérer encore les matières diverses que Ja terre nous offre dans son elat actuel ; des vérilés moins tristes nous ferons découvrir dans son histoire un nouveau principe très-1impor- tant. Quoique en généraltoutesces matières, expo- sées à l’ardeur d’un feu violent , se changent en verre, il en est qui éprouveut à un degré bien inférieur une action qui les réduit en chaux, ce qui nous les fait désigner sous le nom de ma- üère calcaire. Or, savez-vous, madame, à qui nous devons cette seconde espèce de matière ? Savez-vous à qui la Champagne pouilleuse doit toute sa marne et toute sa craie ? à qui toute la terre doit ses pierres de taille , ses marbres com- muns , et le tuf, et l’albâtre, et le spath, et ces couches calcaires qui ont quelquefois plus de quarante lieues de long , plus de deux cents pieds de profendeur; ces collines même et ces mon- tagnes du second ordre, qui sont si communes sur le globe? Non, jamais les hommes n’eussent, sans le secours de la philosophie, cécouvert Porigine des matières. Quelle profondeur de rai- sonnement n'a-{-1l pas fallu à M. de Buffon pour la démontrer ! Toules ces matières, s'est-il dit PHILOSOPHIQUES,. 15 à lui-même , ne furent point d’abord dans leur état actuel ; z/ faut qu'elles aient passé par des filières qui les ont dénaturées ; il faut qu'elles aient été métamorphosées par le mécanisme de la digestion de ces animaux aquatiques gui seuls savent convertir le liquide en solide, et transformer l’eau de la mer en pierre : ainsi que la soie est le produit du parenchyme des feuilles, combiné avec la malière animale du ver à soie; ainsi les collines , le marbre , la pierre de taille sont le produit des eaux de la mer et des particules de la terre, combinées avec la ma tière des animaux testacées par le mécanisme de leur digéstion. Après une démonstration si claire , si évidente etsiintelligible, copiée presque mot à mot (1) de M. de Buffon, nous n’hésiterons pas à faire de (1) Le texte de M. de Buffon exactement copié, seroit celui-ci : Quoique originairement de verre comme toutes les autres, ces matières calcaires ont passé par des filières. qui Les ont dénaturées, elles ont été formées dans l’eau : toutes sont entièrement composées de madrépores , de co- quilles et de détrimens des dépouilles de ces animaux aqua- tiques, qui seuls savent convertir Le liquidé en solide , et transformer l’eau de la mer es pierre. Ce texte est expli- qué dans la même page par la note suivante : L’eau de la mer tient en dissolution des particules de terre qui, com- binées avec La matière animale, concourent à former les. coquilles, parle mécanisme de la digestion de ces animaux testacées, comme la soie est le produit du parenchyme des feuilles, combiné avec la matière animale du ver à soie. (Ep. tom. 1, in-4°. pag. 14.) 16 LES PROVINCIALES cetle véité un troisième principe, nous le di- rons sans crainte : | : Tout ce qui existe sur la terre, de pierre de taille , de marbre commun, d’albâtre, de craie, de tuf, de spath calcaire; toutes les vastes con- ches , toutes les montagnes calcaires, tout cela fut jadis poisson, huître, moule, coquillage, animal aquatique et testacée. Convaincue des effets de la digestion de ces animaux, vous allez en tirer un nouveau prin- cipe; vous ne doutcrez pas que la terre n’ait été long-temps, et très-long-temps ensevelie sous les eaux. Quelque activité que lon‘puisse sup- poser à l'appétit des huitres , il faut bien des années pour que leur digestion produise des montagnes. Oui, madame, il faut bien des au- nées; aussi regardons-nous comme démontrée cette vérilé. | La terre, après avoir élé un soleil de verre fondu , ne fut pendant long-temps qu’une vaste mer. (7. Ep. p.95.) … Chercher à vous prouver cette vérité par les coquillages sans nombre qu’on trouve sur la terre, par la disposition des diverses couches qui forment la croûte du globe, par la corres- pondance des angles saillans et rentrans de nos montagnes , ce seroit recourir à des armes dé-— sormais inutiles , et donner liéu peut-être à des observations qui diminueroient la force de nos preuves ; J'aime mieux terminer cetteletire par PHILOSOPHIQUES. 17 une réflexion bien glorieuse pour M. de Buffon. © Quel saut prodigieux n’a pas fait la raison de ce philosophe ! quelles barrières n'a-t-1l pas franchies , lorsque d’un morceau de roche vitri- fiée il s’est élevé jusqu’à la découverte de la ma- tière primitive ; lorsqu'en voyant la terre aplatie sous les pôles, il a prononcé qu’elle fut jadis un soleil de verre fondu; lorsqu’ayant aperçu dans les carrières de Sèvres où de Passy quelques coquillages , il nous démontra que les huîtres avoient digéré les tours#le Notre-Dame , le Louvre, le Pont- Neuf et toute la ville de Paris, et que, sans les effets de cette digestion , jamais nos architectes n’auroient pu bâtir à chaux et à sable! Livrez-vous, madame, à votre admiration, et que nos compalriotes apprennent enfin à connoîlre la sublimité du génie Read J'ai Phonneur d’être, etc. OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. NE refusons pas à M. de Buffon les éloges qui lui sont dus; ne lui disputons pas le titre d’in- terprète de la nature; mais donnons à cette ex- pression sa juste valeur, et voyons en quel sens elle peut lui être appliquée. L’interprète des rois est chargé de nous ren- 18 LES PROVINCIALES dre leurs volontés, de les rendre avec fidélité, avec exactitude; c’est là son devoir et l’essence de ses fonctions, Sa gloire est de les rendre avec celte douceur qui les fait chérir, quelquefois avec cette fierté qui les fait redouter, toujours avec celte assurance, celle majesté qui les fait respecter. Quand M. de Buffon se borne à nous parler de ce que la nature elle-même lui a ré- vélé, de quels sentimens il sait me pénétrer pour sa souveraine ! quelle est belle à mes yeux! quelle est puissante! quelle est majestueuse! je la chéris, je la respecte, je l’admire : elle doit bien me pardonner si celui qui m’inspire ces sentimens les partage avec elle. Mais lorsqu'un interprète s’écarte des lois qui lui sont prescrites; lorsqu’au lieu de me dire ce qu’il est chargé de m’annoncer, il ne m’entlre- tient plus que de ce qu'il a cherché à deviner, et que l’on s’obstine à lui tenir caché, il perd son caractère auguste, 1l ne me parle plus au nom du prince , et je sens que sa voix ne m’en impose plus; toute l’éloquence de ses discours ne sert qu’à me les rendre suspects. Pourquoi M. de Buffon a-t-il renoncé à ses nobles fonctions? Peu satisfait de ce que la na- ture se plaît à lui révéler, oubliant quelquefois les secrets qu’elle lui découvre , pour suppléer à ceux qu’il ne peut lui arracher, pourquoi s’est-il rangé dans la foule d’hommes à système? Je reprends malgré moi des droits que je perdois PHILOSOPHIQUES,. 19 si volontiers auprès de lui; à l'interprète de la nature j’oppose la nature elle-même, et j'ai tout l'avantage de celui qui s’en tient à ses lois. Mais, lors même que j’ose opposer ces lois à M. de Buffon , mon intention n’est pas que mes compatriotes cessent de lui rendre, avec l’Eu- rope , un juste tribut de respect et d'estime. Je ne veux que leur dire : Etudiez la nature, mais abandonnez les systèmes, ils seront toujours faux , ils sont presque toujours dangereux. Ad- mirez les ouvrages du Créateur, sans lui deman- der comment il les a faits : il s’est tu pour M. de Buffon , quelle réponse en pourrez-vous alten- dre? Malheureusement ce génie célèbre s’obstine à suppléer au silence de la nature ; il cherche à di- riger l'Êlre suprême dans la formation de l’uni- vers : que ses premiers écarts sont humilians pour la raison humaine ! Il n’est rien de plus simple que l'explication du changement des pierres et de diverses autres matières en verre, par l’action du feu; et rien assurément n’est plus extraordinaire, rien n’est moins conséquent que les raisonnemens de M. de Buffon sur cette opération chimique. L'action du feu sur la matière se réduit à la dilater, à détruire la cohésion des parties, à les diviser par les mouvemens opposés qu'il leur imprime. Tous les corps ainsi divisés, et pres- que réduits à la pelitesse de leurs élémens phy- 20 LES PROVINCIALES siques, forment nécessairement un fluide dont les différentes parties penvent être regardées comme de très-petits globules qui se volatilisent , ou que leur attraction mutuelle réunit dès que ja chalear cesse de les agiter. Si l’action du feu a été assez violente pour dissiper les matières trop hétérogènes , pareils à des boules d’ivoire dispo- sées en colonnes, ces petits globules laissent entre eux des vides ou des pores plus ou moins réguliers, que les rayons traversent, et nous avons ce corps transparent qu’on appelle du verre ; car toute la différence qu’il y à entre la glace et le verre vient de ce que les élémens de l’eau étant plus petits ou plus arrondis, un moindre mouvement de chaleur suffit pour les désunir et les liquéfier de nouveau. Le change- ment des solides en verre n’est donc qu’une nouvelle disposition de leurs molécules, qu’une combinaison dont ils sont susceptibles, sans qu'on puisse en rien conclure pour leur état primitif, Mais cette explication est trop naturelle pour lesprit à système, Le verre, nous dit-on, est le dernier terme auquel le feu peut réduire les corps : donc ils furent tous du verre dans leur origine. J’avoue que je n’ai jamais conçu la lo- gique de ce raisonnement : où je me trompe, ou autant vaudroit -il nous dire que , pour rap- peler tous les corps à leur état primitif, il faut les brüler et les détruire, autant qw’il est pos- PHILOSOPHIQUES. 21 sible , par l’action du feu. Je doute que nos lec- teurs soient de cet avis. Quel rapport y a-t-il donc entre les derniers efforts de cet élément destructeur et l’état primitif de la matikre? Qu'on lPassigne, ou qu’on cesse d'établir des systèmes sur un principe aussi ruineux. Si le dernier terme des agens naturels doit rappeler les corps à leur premier état, consultez la chi- mie, elle agit sur le verre Ini-même, elle est venue à bout de le détruire en le décomposant , et il n’en reste plus que des substances terreuses ou salines , des substances enfin qui ne sont plus du verre; nous serions donc autorisés, par vos propres raisonnemens , à vouloir que la destruc- ion du verre, plutôt que sa formation , rappe- lât les corps à leur premier état; mais la vérité est que ni l’une ni l’autre n'ont assez de rapport avec cet état pour autoriser la moindre con- jecture. Accordons cependant que l’action du feu peut nous faire connoître l’état primitif des ma- uiéres terrestres, les principes de M. de Buffon n’en seront pas plus satisfuisans. Il ne voit sur là terre que deux sortes de corps, les uns vi- trifiables , les autres calcaires. Au lieu de ces deux classes, l’action seule du feu en indique quatre d’une nature bien différente. Je mettrois. dans la première ces grès, ces cailloux, ce quartz et ces sables , que le feu ne peut ni fondre ui viuifier sans le sccours de quelque mélange 22 LES PROVINCIALES qui serve de fondant. La seconde seroit celle de tous les corps qui se changent en verre par la seule action du feu , comme différens spaths , le mica, le tale, etc. La troisième seroit celle des matières calcaires . qui ne coule jamais au feu; elle contiendroit la chaux ordinaire, là craie, et peut-être une seule espèce de spath calcaire, On pourroit placer dans la quatrième classe toutes les matières qu’un feu modéré calcine, mais qu'un feu plus violent réduit aussi en verre. Telles sont presque toutes les mat'ères calcaires. | Le diamant, qui se volatilise, le rnbiset la to - pase orientale, qui ne souffrent aucune altération de La part du feu, ni dans leur couleur, ni dans leur éclat, ni dans leur dureté, ne formeroient- ils pas une cinquième et une sixiéme classe , bien confirmée par les Mémoires de M. d’Ar- cet (1), dont nous avons aussi tiré les autres , et qui peut-être encore en fourniroient de nou- velles? Si nous devons juger de ces matières par l’action du feu , ne devroit-on pas nous assigner pourquoi celle action indique tant de variété dans leur substance (2)? D'où vient encore la (x) Cet habile chimiste ne craint point de dire que ses connoissances l'ont presque mis en état d'assurer que s'ily a uneterre primitive dans la nature, ce doit et ce ne peut étre que La terre calcaire (3°. Mém. pag. 161 ). Crosez aprés cela aux montagnes de verre. (2) Ceux qui n’ont point recours à la digestion des hui- Lex y PHILOSOPHIQUES. 23 différence que j’aperçois dans un bloc de granit? Il'est composé de mica, de spath, de tale, de quar!z. Ce quartz n’est point fusible sans addition; le spath, le mica et le talc le sont. Le quartz, me dit ici un nouveau disciple de M. de Buffon, n'est encore que le verre primitif. Je le veux ; mais le grès est-il aussi le verre primitif ? IL semble qu’il en diffère assez. Le feu n'a cepen- dant pas plus d’action sur lui que sur le quartz. N'insistons pas davantage sur ce soleil de verre; . deux mots sur la figure de la terre sufliront pour en donner l'explication, sans recourir encore à sa prétendue liquéfaction. La masse du globe n’est pas tellement com- pacte qu’elle ne pût encore être comprimée , si elle étoit beaucoup plus pressée vers les pôles que sous l'équateur ; or, en la supposant par- faitement ronde, les parties polaires, moins agt- tées par le mouvement diurne , péseroient sur le centre avec plus de force que celle de l'équa- teur. Il devroit donc se faire une compensat:on qui, en retranchant aux deux extrémités, for- tüifiâät le nombre des parties moins pesantes; compensalion qui ne peut avoir lieu que par BETETE, OST NP SERA tres, mais qui veulent pourtant que toute montagne cal- caire ait été un fond , une vase de l'Océan, ne seront pas moins embarrassés que M. de Buffon. Il faudra toujours qu’ils nous disent pourquoi la mème vase auroit produit des corps fusibles et vitrifiables par eux-mêmes, et d'au- tres que le feu ne sauroit liquefer «t changer en verre. 24 LES PROVINCIALES l’aplatissement des pôles et le renflement de l’équateur. Ce qui arriveroït encore aujourd’hui, si la terre étoit ronde, aura sans doute pu ar- river dès les premiers jours de son existence. Disons mieux : le Dieu qui la créa put bien lui donner la figure la plus convenable aux lois qu’il établissoit, et au mouvement de rotation. Je renvoie les observalions que j'aurois à faire sur le vaste Océan qui a couvert la terre, à celle que nous fournira le système de Tel- liamed. AR D A Te D A A Te Te TE le A D PE Me 0 Ne 00 1 LETTRE IV. De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Parmi les principes établis dans ma première lettre , distinguons celui dont la démonstration nous apprend que la terre a commencé par être un soleil de verre fondu , et remarquons surtout que toutes les planètes, ayant la même forme que notre globe, ont dû commencer de la même ma- nière.Vous avoir démontré ce grand-principe, c’est vous avoir déjà révélé l'origine, la formation, la théorie, les révolutions passées , présentes el à venir de la terre, des planètes , de la lune, et de tous les satellites; car voici, madame, un raisonnement bien simple que je tire du Livre nf lets PHILOSOPHIQUES. 25 des Epoques. « Nous ne connoissons dans la na - « ture aucane cause de chaleur, aucun feu que « celui du soleil, qui aït pu fondre on tenir en « liquéfaction la matière de la terre ou des pla- « nêtes; elles sont donc toutes sorties de cet . « astre; elles ont autrefois appartenu au corps « même du soleil. (Ep. pag. 42 ). » Telle est notre origine : nous fimes autrefois partie du grand soleil, nous avons élé détachés de cet astre, et nous en ferions encore partie sans une révolution dont la philosophie seule pou- voit nous instruire, Comment s’opéra- t-elle cette révolution ? Comment notre globe, et celui de la lune, et celui de toutes les pla- nètes, furent-ils détachés du grand soleil? Rien n'est plus simple encore , rien n’est plus facile à concevoir que la cause de ce grand évé- nement : quatre ou cinq pelites suppositions vont mettre nos compairiotes à portée de la bien saisir, Supposons d’abord qu’il a existé on qu’ilexiste encore une coméle vingt-huit mille fois plus dense, plus compacte que la terre , cent douze mille fois plus dense que le soleil (T.T, p.55); c'est beaucoup , mais qu'importe! Supposons en revanche que cette comète est cent fois plus peute que la terre, elle ne contiendra sous ce volume que la cent neuvième partie du soleil; elle sera exactement un boulet de canon cent millions de fois plus petit que cet astre. Suppo- 1. 2 26 LES PROVINCIALES sons encoreque celle comèle tombe-sur le soleil avec une direction fortoblique, et considérons ce qui doit arriver. La comète rasera la surface de l’astre, et la sillonnera à une petite.pro- fondeur ; elle en détachera une certaine quan - lité... Supposons que cette quantilé ne soit que la neuf-centième ou la six-centiëème partie du soleil ; c’est très-peu de chose que la six-cen- tième partie du soleil, à peine y en a-t-il assez pour former la terre, la lune, les planètes et tous les satellites de Jupiter et de Saturne... Supposons enfin que, dans le choc des corps, la force d’impulsion se communique en raison des surfaces. Je m'explique : supposez deux pelotons de laine également pesans, mais dont l’un élant beaucoup plus serré que lautre, ail deux fois moins de surface; supposez qu’en frappant nos deux pelotons avec la même force, el dans le même choc, et sous une direction également oblique, vous donnez à celui qui a deux fois plus de surface, deux fois plus de mou- vement qu'à lautre. Je ne vous dirai pas, faites-en l’expérience, car elle pourroit ne pas s’accorder avec nos principes; mais supposez qu’elle s'accorde avec cette ioi de l'impulsion iguorée jusqu'ici de tous les physiciens, et tout nouvellement découverte par M. de Buffon, vous conceyrez sans peine les grandes cosisé- quences qui en résullent. :, Les parties que la comite détache du soleil Sfmbbaiett-<"t" "€ ttes C'Éd.T EC PHILOSOPHIQUES, 27 formeront des globes par leur attraction mur- tuelle ; en second lieu , ces globes se trouveront à des distances différentes, suivant la différente densité des matières (£p. p. h#). Les plus lourds formeront les planètes inférieures; les plus lé- gers seront des planètes supérieures. Admirez, madame , admirez ici le génie de M. de Buffon. Il découvre d’abord sur le soleil une matière plus lourde que Pétain (Ep. p. 520 }; il voit celte matiere soutenue par un liquide quatre fois au moins plus léger que l’eau : c’est précisément comme si l’on voyoit un rocher de plomb flot- ter sur POcéan. Ce prodige étonrant sur notre globe n’a pour M. de Buflon rien que d’ordi- naire sur le soleil. La comète balaye la matière plus lourde que Pétain, et la chasse à onze mil- lions de lieues; c’est la planète la moins éloignée du soleil; c pas Mercure. | La sur ficé de l’astre du jour étoit en même temps chargée d’une malière un peu moins lourde, mais bien plus précieuse, d’une vaste minière d’émeri. Au choc de la comète, l’émeri s’envole à viugt et un millions delieues, se fixe, et devient la charmante Vénus, l'étoile du Ber- ger. Jamais la physique avoit-elle inventé, pour l'éclat, la beauté de cette planète, une raison plus ingénieuse, Vous vous attendez bien à voir la comète trouver sur le soleil une mine de verre fondu, et la chasser à trente-trois mullions de lieues; 23 LES PROVINCIALES c’est précisément de celle mine que s’esl formée la terre. Le marbre solaire, uu peu plus léger sans doute que notre verre , vole à qnarante-six millions de lieues, et nous avons l’étoile du fé— roce Mars , du Dieu au cœur de marbre. L’astre de Jupiter n’est qu’un astre de craie, et plus lé- ger encore, aussi est-il porté quatre ou cinq fois plus loin que la terre. La pierre-ponce vole en même temps à deux cent quatre- EE rmillivns de lieues loin du grand soleil ; elle s’ar- rête enfin, se fixe, et nous donne ne lan- guissant de Saturne ; astre qu’embellit et décore une vaste couronne ; mais, dans le fond, asire de pierre-ponce (1). (1) Note du chevalier. Comme nos provinciaux se per- suaderont difficilement que M. de Buffon ait déterminé si exactement la matière dont chaque planéte est composée, il ne sera pas hors de propos de citer lcs paroles mêmes de cet illustre physicien : « Ces conjectures raisonnables me paroissent , dit-il ( Æp. p. 520), être devenues des in- ducticns très-plausibles, desquelles il résuite que le globe de la terre est principalement composé, depuis la sur- face jusqu’au centre, d’une matière un peu plus dense que le verre (en cent autres endroits il le dit exactement de verre ); la lune, d’une matière aussi dense que la pierre calcaire ; Mars, d’une matière à peu prés aussi dense que celle du marbre ; Vénus, d'une matière un peu plus dense que l’émeri; Mercure , d’une matière un peu plus dense que l’étain ; Jupiter , d’une matière moins dense que la craie; et Saturne, d’une matiére presque aussi légère que la pierre-ponce. » On vait bien que je n’ai laissé les #7 peu plus , un peu anoins , Que pour abréger. "M OR A RAR RAR R RAR A _R R A PHILOSOPHIQUES. 29 Il ne nous reste plus à former que la lune et les satellites: d’où voulez-vous, madame, que nous les fassions partir: ? du grand soleil , ou bien des petits soleils de verre, de craie et de pierre-ponce ? Nous avons à choisir, et vous pourrez choisir vous-même celle des explica- tions de M. de Buflon qui vous plaira le plus. Voulez-vous les faire partir du grand soleil , par le même choc et dans le même temps que la terre et les planètes ? Nous dirons seulement que ces grandes masses d’étain , d’émeri et de pierre- ponce n’ont pu ëlre chassées sans quäl y ait eu quelques éclaboussures : ainsi l’avoit pensé, ainsi l'avoit écrit M. de Buffon dans son premier volume. Les salellites alors ne devoient être que des éclaboussures du soleil , forcées de tourner autour dela terre, de Jupiter et de Saturne. Mais aimez-vous mieux que la lune soit une produc- tion de la terre, et que les satellites soient sortis chacun de leur planète? Rien n’est plus ingénieux que leur nouvelle création, telle que les Epoques nous l’ont décrite. Vous avez vu sans doute des feux d’artifice ; vous avez vu ces roues qui tournent sur leur centre en vomissant du feu dans tout leur contour ; je crois qu'on les nomme des soleils artificiels. Supposez que les matières enflam- mées qui sortent de la roue vont se réunir à une certaine distance , et tournent eusuile aulour de la roue elle-même. « C’est ainsi que 50 LES PROVINCIALES « la terre , dont la witesse de rotation esl d’en- « viron neuf mille lieues par jour, a, dans ses « premiers temps , projeté hors d’elle les par- « ties les moins denses de son équateur , les- « quelles se sont rassemblées, par leur attraction « mutuelle, à quatre-vingt- cinq mille lieues « de distance, où elles ont formé le globe de la « lune ( Ep. pag. 60 ) » ; c’est ainsi qu'ont été formés l’anneau de Saturne , ses satellites, et ceux de Jupiter. De peur que nos compatrioles ne vous fassent ici quelques objections trop bien fondées sur la physique moderne, il faut vous prévenir que, dans les premiers temps, les parlies les moins denses qui circuloient avec la terre n’éloient pas cet air, celle eau, et tant d’autres matières fort légères que nous connoissons aujourd’hui, Alors la pierre calcaire, ou la pierre de taille et le marbre, étoient beaucoup plus légers que Pair et l'eau, ou, si vous l’aimez niieux, Pair nexistoit pas, car , dans notre système, il sem- bleroit devoir s'être échappé le premier pour former une lune, Je vous préviens encore que la terre et la lune tournèrent d’abord dans le même plan el uvec la même vilésse; mais, depuis ce temps-là, les choses ont un peu changé; l’or- bite de la lune s’est inclinée , et sa vitesse est devenue à peu près double de celle avec la- quelle notre globe tourne sur lui même. Quand PHILOSOPHIQUES. 31 M. de Buffon nous aura appris la raison de ces changemens, la lune formée par le feu d’ar- tifice nous paroîtra une explication aussi natu- relle que celle des éclaboussures; mais, en at- tendant , je conseillerois à nos compatriotes de s’en tenir à celle-ci. Peut-être feroïient-ils encore mieux d'admettre tantôt l’une et tantôt autre, suivant les circonstances, Ce ne seroit point à ce qu'on appelle uné coulradiction ,; mais une véritable varialion, c'est-à-dire une preuve de ce génie fécond et surabondant qui nous fait expliquer la même chose par des causes assez différentes pour être incompatibles. J'espère vous prouver duns la suite que M. de Buffon nous donne sonvent à choisir dans le même goût; mais j'ai créé la terre, Jupiter, Saturne, Mars, Mercure, Vénus, la Lune, et tous les satellites ; au prochain courrier , nous n’aurons à créer qu'environ quatre ou cinq cents comètes, et la génération de l'Univers ne sera plus un mys- ière pour nous. J'ai l'honneur d’être . etc. 9 OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. LE génie de la philosophie a donc ses écarts comme celui du poëte ! Le physicien se livre aux prestiges de l'imagination; et c’est en vio— 52 LES PROVINCIALES lant toutes les lois de la nature qu'il prétend nous dévoiler sa marche ! et c’est dans un temps où la physique s’applaudit de ses progrès que Von veut nous repaîlre de supposilions dignes tout au plus du dixième siècle ! Non, jamais les lois de limpulsion et de Pattraction ne furent plus évidemment contreditesque dans le système de M. de Buffon. Fut-il d’abord jamdis une supposition plus chimérique et plus contraire aux observations que celle d’une comète cent douze mille fois plus dense que le soleil, vingt-huit mille fois lus dense que la terre? «Toutes les comètes « que Jai vues, nous dit M. de la Lande, « éloient d'une lumière si fo'ble, si pâle, si « éteinte, qu'il y a lieu de croire que leur « substance a peu de densité, et qu’elles ont « très-peu de masse; ainsi les dérangemens « que peut causer leur attraction sont peu « considérables, » Celui qne nous observons dans leurs orbites, lorsqu'elles s’approclient de nos planttes , est ait contraire si considérable , que lx période de la comète de 1759 avoit été alongée d'environ cent jours par l'attraction de Saturne, et d’environ cinq cents par celle de Jupiter, selon les calculs de ce même as- tronome et de M. Clairant. Jupiter et mème Saturne , ces astres de craie et de pierre-ponce, ont donc assez de force pour troubler la marche des comites : celles-ci n’ont donc pas celte n 01 PHILOSOPHIQUES. densité que M. de Buffon leur suppose. Il n’est pas de médiocre physicien qui ne sente la vé- rité de celte conséquence. Dix où douze comètes pareilles à celles de M. de Buffon , supposées seulement aussi grandes que la terre, sufñ- roient pour déranger tout le système plané- taire. Où placerions- nous le centre commun de la gravitation, si elles venoient à se trouver du même côté ? Elles contiendroïent plus de malières que le soleil lui-même ; elles auroient par conséquent une force attractive plus grande; une seule sufliroit pour emporter et la terre et la lune , si elle s’approchoit tant soit peu de l’une ou de l’autre ; elle n’entreroit point dans notre système sans jeter la plus grande confu- sion dans le cours des plus grosses planètes. L’astronomie n’observa jamais rien d’appro- chant. Un physicien ne sauroit donc admeltre la supposition d’une comète de cette espèce ; et l’on se dispose à nous en donner jusqu’à cinq cents ! j Ce qu’il y a ici de plus singulier , c’est que plus M. de Buffon augmente la densité de sa comète , plus il diminue leffet qu’elle pourroit produire en sillonnant le globe du soleil ; il la resserre et la comprime tellement , que, relativement à l’immense étendue de cet astre , elie ne seroit que ce qu’est un boulet de canon de cinq ou six pouces par rapport à la terre : or, concevez, sil est possible, un boulet de LÀ 84 LES PROVINCIALES canon qui, rasant la surface de la terre, em- porte à la fois la Sicile et des provinces en- tières de la France , autant de la Hollande, aulant du Danemarck, de la Suède, enfin Ja six- centième partie di globe : encore seroit-il bien plus facile au boulet de canon d’emporter ces provinces qu’il ne le seroit à la comète d'entraîner une partie du soleil. Pour une co- mète vingi-huit mille fois plus dense que la terre, le soleil ne seroit plus qu’un air ex- trémement subtil, une vapeur Jégère qui se comprime , cède, s’échappe à droite et à gau- che ; à peine le corps qui la traverse est -:1l passé , elle se rétablit dans sa premiere place. Un boulet de canon sortant de latmosphere n'entraîneroit pas un pouce d’air ; la comète sortant d’un astre cent vingt huit mille fois moins dense qu’elle n’en entraineroit ou n’en chasseroit pas davantage. Un physicien pourroit tout an plus dire qu’elle produiroit un effet pareil à celui d’un boulet qui sillonne la surface de l'Océan. De côte et d'autre il verroit des éclaboussures s’é- lever et retomber sur la mer. En supposant même que ces éclaboussures puissent être chas- sées trës-loin , elles s’éleveront avec des direc- tions aussi opposées entre elles que le sont les rayons d’une roue, et les angles sous lesquels elles sont frappées. Celles que la comète fait élever à gauche ne pourront pas avoir la direc- PHILOSOPHIQUES. 55 tion de celles qui sont chassées à droite. . . . L’imagineroit:on ? c’est parce que Les planètes ont une direction commune d'Occident en Orient, que M. de Baffon veut les faire chasser par sa comète d’un soleil liquide. Il faut une distraction bien longue pour confondre aussi long -temps qu'il l’a fait l’action des corps liquides et celle des solides, pour violer également les lois des uns el des autres. Il falloit peut-être quelque chose de plus pour s’obstiner à soutenir que « la force del’impulsion « se communiquant par les surfaces , lé même « coup aura fait mou; oir les planètes ou les par- « ties les plus grosses et Les plus légères de là « matière du soleil avéc plus de vitesse que les & parties les plus petites et les plus massives. » (T.I, p. 144.) Pour s’obstiner, dis-je, à soutenir une pa- reille proposition , il falloit ignorer les pre- mières lois du mouvément, ou les contredire sciemment et de plein gré; il falloit ignorer que le mouvement se partage toujours dâns impulsion , en raison des masses, et nulle- ment en raison des surfaces ; qu'il se trouvé toujours, après l’impulsion , divisé de manière que le corps frappant et celui qui est frappé aient , après le choc, le même degré de vitesse, quelle que soit la surface de l’un ou de Pautre; il falloit ignorer que, dans le même choc, il ny à que le plus ou le moins d’obliquité et de masse ne 56 LES PROVINCIALES qui fasse varier les vélocités communiquées , abstraction faite de l’élasticité. Il falloit ignorer qu'avec Ja mème force nous communiquons plus de vilesse et moins de mouvement à un globe de fer d’une livre qu’à un ballot de laine de dix livres ; qu'il y a d’ailleurs entre la vitesse et la force, ou la quantité de mouvement , une trés-grande différence, et que Jupiter et Saturne, élant beaucoup plus grands que la terre, pour- sroient avoir reçu beaucoup plus de force et de mouvement , sans avoir reçu autant de vitesse, Que M. de Buflon doit savoir mauvais gré à l'instituteur qui lui laissa ignorer ces premiers élémens de la physique, ou qui lui suggéra des idées contraires à ses lois? Il ne savoit pas, cet instituteur , qu’il présidoit à l’éducation d’un génie, et que les premières erreurs d’un génie l’égarent et l’entraînent dans la suite bien plus loin du vrai, que les esprits communs. M. de Buflon aime la vérité, puisqu’il a ré- traclé, au moins tacitement . sa premiére ex pli- calion de l’origine des satellites. Il a compris, sans doute, que la lune, regardée comme une éclaboussure , auroit été frappée plus oblique- ment, et tourneroit par conséquent sur elle- même plus vite que la terre; mais est-1l plus heureux dans la seconde explication qu’il nous a donnée? Jamais on ne conceyra comment ces parties de la terre, lancées autour d'elle à la hauteur de quatre- yingt-cinq mille lieues , for- PHILOSOPHIQUES,. 37 mant pay conséquent une sphère de plus de cinq cent mille lieues de circonférence, se sont réu- nies pour former le globe de la lune. Les parties orientales de’cette sphère étoient la moitié plus près de la terre que des parties occidentales ; elles ne pouvoient pas les atteindre, puisqu'elles n’avoient que la même vitesse; comment sont- elles allées s’y réunir plutôt qu’à la terre ? Ne vaudroit-il pas autant nous dire que les rayons lancés en tous sens par l’équateur du soleil vont tous se réunir à un certain point pour for- mer une lune? ..... Quelle physique encore ! C’est le même mouvement qui a produit tous les satellites de la mème planète, et ils ont cha- cun une vilesse différente, aucun n’a celle de sa planète ! c’est par un mouvement concentrique à l’équateur qu'ils ont été lancés, et toutes leurs orbites sont fort inégalerment inclinées sur l'équateur de leurs planètes! ce sont les parties les moins denses qui ont été projetées pour for- mer la lune, et il nous reste une goutte d’eau, un pouce d’air! Brülez Newton, brülez Des- cartes, brülez tous les traités de physique, ou cessez de nous repaitre de ces chimères. LL 58 LES PROVINCIALES RAA RAA 8 AA SAR AA SRI D TT Te TS LETTRE V. Du Chevalier a madame la Baronne. MADAME, Au commencement tout étoil soleil, il n’y avoit nitérre, ni lune, ni planèies, ni comètes ; celles-ci parureut les premières , puisque vous avez vu qu’elles nous donnèrent les planètes , et voici le terrible événement qui leür donna naissance, Un de ces soleils que nous appelons étoiles, voisin de notre soleil ( Ep. p. 45), agité fort long-temps et tourmenté par ses propres feux , cède à leur violence : il souffre une explosion, mais une explosion, à cieux ! de quelle force! C’est une bombe immense, une bombe de plus de cent mille lieues de diamètre, qui éclate avec un fracas horrible , épouvantable : ses éclats se sont tous dispersés dans les airs. Le grand soleil n’est plus; mais cinq cents petits soleils vingt- huit mille fois plus denses que la terre se sont formés de ses débris; ils errent dans le vide éthéré, sans foyers-sans-pivot, sans centre commun , jusqu’à ce qu’enfin ils sont forcés d'obéir à la force attractive de notre soleil , qui devient leur pivot , leur foyer, leur centre. Nos cinq cents soleils s’éteignent, leur ancienie PHILOSOPHIQUES. 5g splendeur a disparu; de toute leur. gloire, de tout leur éclat, il ne leur reste plus qu’une chevelure étincelante, une barbe touffue, une queue menaçante. Au lieu du grand soieil et des cinq cents petits qui s’étoient formés de ses dé- bris , l'Univers n’a plus que cinq cents comèles. Il n’en reste même aujourd’hui que quatre cent quatre-vingt-dix-neuf, car celle qui tomba sur notre soleil s’est fondue et s’est liquéfiée ; sa matière s’est confondue avec celle des planètes. Je crois voir ici nos compatriotes effrayés, se regarder mutuellement, et se dire les uns aux autres : Notre soleil, un jour, pourra donc avoir le même sort que cet astre, le père de cinq cents comètés! Il peut, à chaque moment, souffrir une explosion ; il peut se dissoudre, éclater et se disperser. Quel désastre affreux nous annon- cez-vous ! les cinq cents comèéles vont encore perdre leur foyer, leur pivot ; il va s’en former deux ou trois cents nouvelles des débris du so- leil que vous nous arrachez. La Terre, Jupiter et toutes nos planètes vont errer à l’abandon. Quel astre bienfaisant nous rappellera dans sa sphère ? O Sirius ! c’est toi qui fixes de nouveau nos révolulions , c’est autour de ton centre que nous tournerons désormais : toi seul peux. ré- parer la perte et l’extinction de notre soleil ; mais où irons- nous si ton orbe doit aussi souffrir son explosion , si des nouvelles comètes se for- ment de tes débris ? 40 LES PROVINCIALES Telles sont vos craintes, madame , el j'avoue que jefus saisi de la même frayeur quand M. T. me fit voir dans M. de Buffon origine des co- mètles : mais rassurez-vous, me dit ce grand homme , le soleil a rendu un grand service aux cometes en les recevant dans sa sphère : celles- ci lui en rendent un autre aussi important. «il « est le pivot de Ja roue, elles en sont les jantes « mobiles ; les rayons de leur force attractive « en forment les raies; et dès-lors quel volume « immense de matière ! quel charge énorme sur « le corps de cet astre ! quelle pression, c’est-à- « dire quel frottement intérieur dans toutes les « parties de sa masse! (7. Ep. p. 47 et 50.) M. de Buffon se contente , il est vrai, d’ajouter que les comètes ne peuvent ainsi aîtirer, presser et frotter le soleil sans augmenter ses feux, sans rendre sa lumière éternelle ; mais il nous indi- que un aulreservice non moins essentiel qu’elles rendront toujours à cet astre. Toujours elles le presseront et le chargeront d’un poids énorme : leffet naturel de la pression est de resserrer , de comprimer les parties du corps qui la supporte ; ainsi notre soleil, grâce aux comètes, au lieu d’éclater el de se diviser, sera toujours plus comprimé , plus resserré. Il pourra devenir plus petit en se comprimant; mais il ne pourra ja- mais se dilater et se disperser, parce qu’il ne sauroit vaincre el soulever le poids énorme dont il est chargé par les cinq cents comiètes, par la PHILOSOPHIQUES. 41 terre, la lune ét toutes les planètes et tous les satellites qui le pressent et le frottent aussi de leur edité. Cessez donc, madame , de redouter pour no- tre soleil le destin de l'étoile mère des cometes. Je vous ai démontré leur origine, j’en ai pré- venu les inconvéniens ; il me reste encore à fixer l'époque de leur naissance. Lorsque notre globe partit du soleil, les co- mètes étoient très-solides , tres-dures et très- condensées, c'est-à-dire très-refroidies (T°. T, p. 137). Si nous connoissions exactement la grandeur d’une seule, et son degré de refroi- dissement, nous vous dirions sans peine de quelle aunte elles datent toutes; contentons- nous de faire la supposition la moins favorable à leur ancienneté, et calculons d’après la méthode de M. de Buffon. S’ilen est des comètes comme des planètes, si les plus grosses sont les plus éloignées, nous pouvons bien en supposer une qui, tout com pensé, ait au moins Ja grosseur de la terre, et la densité de celle qui tomba sur le soleil. Or, une pareille comète, pour se refroidir au point auquel la terre est refroidie aujourd’hui, de- vroit être exactement vingt-huit mille fois plus ancienne que la terre, puisqu'elle seroit vingt- huit mille fois plus dense. Nous vous appren- drons un jour que notre globe est, & vue d'œil, âgé d'environ soixante-quinzse mille ans : y a 492 LES PFROVINCIALES donc au moins deux milliards cent millions d’années que: les cinq cents comètes existent. Nous pourrions les faire dater d’un peu plus loin , en les sapposant plus froides que la terre, dans le temps où la comète génératrice tomba sur le soleil; mais respectons le préjugé, et pré- venons même l'esprit étroit et resserré de nos provinciaux, qui se prêteroient trop diflieile- ment à cette idée. Demandons-leur, avec M. de Buffon , pourquoi cent mille ans serotent plus difficiles à compter que cent mille livres de monnoie ? ils n’auront assurément rien à ré- pondre. Quel inconvénient peuvent-ils donc trouver dans l’antiquité des comètes? L'esprit du philosophe embrasse l'éternité même; et. qu'est-ce que deux milliards cent millions d’an- nées, comparés à l’éternité? Ajoutez à ce nom- bre celles que les comètes ont acquises depuis l’existence de la terre, et vous aurez l’époque précise de leur naissance. J'ai Phonneur d’être, etc. À Paris , ce 15 avril de l’ère vulgaire 1779s Depuis que les débris d’un grand soleil pro- duisirent les cinq cents comètes qui circulent autour du nôtre, 2,100,750,002 ans, 6 mois el 195 jours. PHILOSOPHIQUES, 43 OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. QUELLE imagination que celle d’an homme qui a pu se prêter à l’idée de cinq cents comèles produites par l'explosion d’une étoile ! et quelle physique que celle d’un homme qui , supposant les étoiles liquides comme le soleil ; parce qu’elles sont également lumineuses, les voit cependant se dissoudre par une explosion si terrible! La chaleur peut faire bouillonner les liquides et produire des exhalaisonsz mais des explosions -effroyables dans un corps dont la matière est toute en fusion; j’avois toujours cru qu'elles étoient la suite d’une force qui triomphe des plus grands obstacles , et de la résistance qu’op- pose la compression aux évaporations momen- tanées ou successives : j'avoue que j'ai bien de la peine à concevoir ces grands obstacles dans un astre brillant et liquide. On pourroit nous dire que ce grand soleil s’étoit déjà refroidi et con- _solidé; mais alors que de milliards d’années ne | faudroit-il pas compter pour remonter au temps de sa première inflammation ! Laissons là ces calculs, et convenons que M. de Buffon ne parle de cette terrible explosion que pour sat sfaire très-imparfaitement la curiosité de Pesprit. Peut- être auroit-il dù faire attention que si la curio- 4 LES PROVINCIALES sité de certains hommes est facile à satisfaire , il n’en est pas de même de ceux qui réfléchissent. ne faut aux uns que de l’invraisemblance, de lextraordinaire; les autres exigent des causes qui diminuent au moins l’invraisemblance : les physiciens en demandent surtout, et c’esl pour eux sans doute que M. de Buffon vouloit écrire. Peu satisfaits de lorigine de nos comètes, ne verront-ils pas les erreurs et les contradictions les plus sensibles dans la manière dont notre au- teur: fait disparoître celle qui tomba sur le soleil? La matière de cette comète se liquéfie par les feux du soleil : il ne falloit donc pas nous dire (Æp. p. 43) que le mouvement des comètes , à leur périhélie, étant très-rapide, le feu du so- leil, en brülant leur surface, n'a pas le temps de pénétrer la masse de celles qui s’en appro- chent le plus; que, pour les échauffer, il faudroit au moins la quinzième partie du temps qu’il fiut pour les refroidir. Il ne falloit pas nous in- viter (T.1, p.157) à faire attention à la den- silé, la fixité, la solidité de la matière dont elles doivent être composées, pour souffrir sans être altérées la chaleur inconcevable qu’elles éprou- vent auprès du soleil. Si la comète a dû se confondre avec nos pla- néles, elle a considérablement ajouté à leur matière; dès-lors celles-ci formeront ün tout bien plus grand que vous ne l'aviez d’abord annoncé, PHILOSGPHIQUES. 45 Si elle à pu se liquéfier, elle n’aura point con- serve la solidité nécessaire pour chasser du soleil la terre, Jupiter, Salurne, elc. Eile ne: s’est point liquéfiée sans se dilater et s’évaporer en très- grande partie; elle n’étoit donc plus vingt- huit mille fois plus dense que la terre. Dites- nous, je vous prie, dans quelle plani Le existe aujourd’hui cette matière cent douze mille fois plus dense que le soleil? car il faut, selon vous, qu'elle soit dans nos plan’tes, et qu’elles fassent même une bonne partie de leurs globes. Quant à son atmosphère, madame la baronne en a dis- posé, el ses vues nous paroissent aussi bien fon- dées que les vôtres sur la véritable physique. Le service que les comètes et les planètes ren - dent au soleil est au moins assez singulièrement imaginé. La terre, les comètes et toutes les pla-- nètes, pressent, froltent , c’est-à-dire attirent le soleil, Voilà une attraction d’une espèce tout-à- fait nouvelle : c’est la mème corde qui éleve en haut et qui pousse en bas le même poids dans le même instant. Celle attraction qui presse et ‘qui frotte le soleil entretient sa chaleur; mais il attire , 1l presse, il frotte notre terre un mil- lion de fois plus fortement qu’elle ne le frotte. Les comètes et les planètes froltent aussi notre globe; elles se frottent toutes ; et sont toutes frottées par le soleil ; la lune surtout nous frotte. de Lrès-près ; mais nous la frotions encore plus. Comment s'est-il fait, malgré ces frottemens, 46 LES PROVINCIALES que la lune, la terre , les comètes et les planètes aient perdu tous leurs feux? comment ont-elles cessé d’être soleils ? Apprenons à ceux de nos compatriotes qui n’auroient pas étudié la physique un ou deux mois, que l'attraction, quelque nom qu’on lui donne, ne pourra jamais être comparée au frot- tement. Quelle que soit la cause intrinsèque de la chaleur, au moins son effet naturel, lorsqu’elle est portée au degré d’incandescence et d’ébulli- tion, est-il d’exciter les mouvemens les plus opposés dans les diverses parlies du même corps, de les dissoudre et de Les séparer les unes des autres. L’attraction, au contraire, ne sau- roit produire qu’un mouvement commun. Tout ce qu'il y a d’opposé dans la direction des forces altractives se détruit mutuellement , et reste sans effet, comme un corps également tiré de deux côtés opposés reste sans mouvement, Le reste des forces concourt à donner à toutes les parties du corps attiré la même direction. C’est l'effet naturel de la décomposition du mouve- ment : ainsi les planètes et les comètes ont beau alüirer le soleil dans des opposés, ni leur action générale, n1 leur act'on particulière ne produira jamais les effets du frottement. Quand on a pour M. de Buffon autant d’estime et de respect que nous en avons pour lui, on est sincèrement af- fligé de voir son imagination le dominer, l’écar- ter à chaque instant des vérités réelles et phy- PHILOSOPHIQUES. 4 D | siques, le séduire également dans les causes et les effets qu’elle lui présente. L’attraction des corps, loin d’être une pres- sion réeHe de la part des comètes, est précisé- ment ce qu'il y a de plus opposé à la pression ; - en attirant chacune le soleil dans des sens oppo- sés, elles devroient plutôt le diviser, ou élever au moins sa surface , comme la lune élève celle de l'Océan , si ses propres forces n’étoient supé- rieures à l'effort de tous les autres qui lenviron- nent : mais celle pression, füt-elle bien réelle, comment nous faire croire qu’elle excite et re- double les feux du soleil? Plus vous vous écriez: quel volume immense! quelle charge sur le corps de cet astre! plus nous voyons d'obstacles au mouvement que produit la chaleur, et plus vous nous donnez le droit de répondreque cette charge énorme devroit étouffer, éteindre le feu du soleil, car tel est l’effet naturel de la pression. | Quant à l’antiquité des comètes, nous con- viendrons qu’elle est assez bien calculée par notie correspondant , suivant la méthode de N!. de Buffon; mais nous dirons un jour ce que nous pensons de cette méthode. Observons seu- lement par avance combien les résultats qu’elle donne sont peu conformes à un autre principe de A. de Bufion. Suivant ce principe, il ne faut aux corps, pour se refroidir, que quinze fois le, temps qu’il a fallu pour les échauffer ; très- 48 LES PROVINCIALES certainement il ne fallut pas un an à la comète pour se fondre, puisque son passage près du soleil fut #rés-rapide ; son refroidissement prou- veroit donc au plus qu’elle datoit d’environ quinze ans; ce qui n’approche guère d’un mil- liard et cent millions d'années; mais je ne crois point du tout à ce principe. Le temps dans le- quel] un corps parvient à un certain degré de chaleur pent varier à l'infini, suivant que le feu qui l’échaufle est plus ou moins vif. Un brasier très-ardent rougit en très peu d’instans un morceau de fer; il faut beaucoup de temps pour qu'il acquière ce degré de chaleur par lac- tion d’un feu beaucoup moins ardent; mais une fois rougi au même point , peu importe qu'il ait té un quart d'heure ou trois minutes à s’é- chaufler, il n'en mettra ni plus ni moins de temps à se refroidir. Je finis : il est trop désagréable de trouver tant d’erreurs dans les mêmes objets. SR ER ER dt cation nd itts LETTRE VI. Du Chevalier à madame la Baronne. MADAME, C'est peu d’avoir créé la terre , les planétes, les satellites et les comètes , il faut que le génie règle leur mouvement , qu’il assigne des cuses PHILOSOPHIQUES. 49 suffisantes à leurs révolutions; que faciles à con- cevoir , el conformes aux lois de la nature, ces causes nous présentent un caractère de vérité , de clarté, d’évidence, auquel le philosophe ne sauroit refuser son consentement. Revenons à la chute de cette comète, et loutes ces causes 5e présenteront d’elles-mêmes à notre esprit, M. de Buffon nous la montre heurtant le soleil avec une direction oblique : l'effet néces- saire d’une impulsion oblique est de communi- quer à la masse qui la reçoit un mouvement d2 rolation ; toutes les matières détachées par la comète, tous ces globes de verre fondu, de plomb, d’émeri, de pierre-ponce, de craie, ou de marbre liquéfié, obliquement choqués par un astre fondu et liquéfié lui-même, auront donc commencé à tourner sur leur centre, en s’éloignant du soleil, Telle est l’origine du mou- vement diurne, de ce mouvement qui, faisant tourner la terre sur elle-même, dans le court espace de vingt-quatre heures partage l'empire des jours et des nuits. Lorsque nos physiciens vous diront que ce mouvement est assez impétueux pour faire par- courir à chaque partie de notre équateur six lieues et un quart par minute, vous n’en serez plus étonnée; vous direz seulement que la comète a heurté le globe de verre très-oblique- ment, mais très-fortement. S'ils vous disent encore que Jupiter tourne sur lui-même vingt- 1, 3 5o LES PROVINCIALES quatre fois plus vite que la terre, car il ne fait pas moins de cent soixante-cinq lieues par minute, vous pourrez répondre qu’il a été frappé vingt-quatre fois plus obliquement, mais en mênie temps bien plus fortement; car il a été lancé cinq fois plus loin , quoiqu'il soit immen- sément plus gros. Je sais bien qu’on vous objec- iera que plus il y a d’obliquité dans le choc, moins son action est forte : mais si cela est vrai sur la terre, il n’en étoit pas de même sur le soleil; au moins pouvons-nous bien ie supposer en faveur de cette heureuse explication. Le mouvement annuel de nos planètes, leurs révolutions périodiques aulour du soleil, sont encore plus faciles à déduire du choc dela co- mète. Que faut-il, en effet pour la faire circuler éternellement autour de cet astre? Ce qu’il faut à la pierre pour tourner avec la fronde autour de la main, c’est-à-dire une force ou un obstacle qui les empêche de s'éloigner , en les repoussant toujours vers le même centre, et une force d’impulsion qui tende au contraire à les en écarter par la tangente. Les planètes chas- ses par la comète auront également cette double force. Le soleil les rappelle sans cesse autour de ni par son attractions; la force communiquée par la comète devroit les en éloigner : il est naturel que, prenant une direction moyenne, elles tournent continuellement autour du même centre, PHILOSOPHIQUES, 5x Daus cela, rien de neuf pour nos provin- ciaux ; mais un eorps agité par ces deux forces doii repasser, à chaque révolution , par le même point dont il est parti; la chose est mathémati- quement démontrée, M. de Buffon en convient, Il a donc fallu remédier à cet inconvénient , en empêchant la terre de se rapprocher du soleil, et de nous exposer une fois par an à sentir de irop près l’ardenr de ses feux. C'est ici, ma- dame, que vous allez voir l’romme de génie: c'est ici que M. de Buffon nous fait connoître la fécondité de ses ressources. « Supposons, nous dit-il, qu’on tirât du « haut d’une montagne une balle de mousquet , « et que la force de la poudre fût assez grande «pour la repousser au-delà du demi-diamètre « de la terre, ou de quinze cents lieues, il est «& cerlain que cette balle tourneroit autour du « globe, et reviendroit à chaque révolution pas- «ser au point d'ou elle a été tirée. Mais si, au « lieu d'une balle de mousquet , nons supposons «qu’on ait tiré une fusée volante, où l’action « du feu seroit durable et accéléreroit beaucoup « le mourement d’impulsion , ceile fusée, ou «plutôt la cartouche qui la contient, ne revien- « viendroit pas au même point comme la balle &-de mousquet,-mais décriroil un ordre don le «périgée serôit d'autant plus éloigné de la terre «-quesla: force d'accélération auroit été plus «grande (T°, L, p.140).» Or xoilà exactement 52 LES PROVINCIALES ce qui est arrivé. La terre, par tant du soleil, n’est point celte balle qui part d’un mousquet ; elle n’est pas même la fusée volante, elle est seulement la cartouche. Le soleil a beau lui op- poser la force de son attraction, elle monte en s'éloisnant de cet astre, comme la halle des- cend en se rapprochant de la terre; sa vitesse augmente et s'accélère ; elle arrive enfin à la dis- tance de trente-trois millions de lieues. C’est là qu’elle se fixe , c’est là qu'elle commence à par- courir une orbite régulière, et nous n’avons plus à craindre d’aller nous griller üne fois par an sur ce même soleil d’où la comète nous a fail partir. Je ne sais pas encore ce que nos compatriotes penseront de cette physique absolument nou- velle, d’un mouvement qui accéière, où New— ion lui-même n’auroit vu qu’un mouvement retardé; mais quand je réfléchis sur les combi- naisons de M. de Buffon; quand je vois ce pro- fond physicien régler le cours des astres ; nous indiquer avec exaclitude la cause premiére de leurs révolutions , et surtout quand je vois cette cartouche fournir à son génie de quoi faire sor- tir du soleil seize nouveaux soleils, ou plutôt de quoi les empêcher d’y retomber, je voudrois que la langue française eût déjà rendu à ce grand homme les honneurs qu’il mérite. Dès quenous disons le système des tourbillons , c’est une chose reçue parmi nous, chacun entend par là le sys- PHILOSOPHIQUES. 55 téme de Descartes : le seul mot d’attraclion nous rappelle celui de Newton. Pour désigner celui de M. de Buffon, je voudrois qu'on dit seulement le sysième de la fusée volante , ou plutôt de la car- louche, à moins qu’on n’aimât mieux dire le système de verre et des éclaboussures. Ces mots annonceroient la petitesse des moyens , et la petitesse des moyens annonceroit la gloire du philosophe qui en a su tirer un si grand parti. J’ai l'honneur d’être, etc. OBSERVATIONS D'un provincial sur la lettre précédente. | ADMETTRE pour la terre et les planètes li- quides un principe de rotalion aussi singulier que le choc d’une comète, c’est dire qu’un vais- seau ne peut sillonner la surface des mers sans faire tourner tout l'Océan, ou bien que je ne peux frapper obliquement l'extrémité d’un ca- nal sans communiquer un mouvement con- traire à l’extrémité opposée , comme en poussant à gauche le bout d’un bâton, je fais tourner à droite l’autre bout; n'est-ce pas réfléchir que, dans tous les corps où il n’y a point de cohésion , la partie qui reçoit l'impulsion oblique ou directe se séparera facilement des autres, sans les forcer à prendre une direction opposée, ou la même? Ajouter à cela que la comète a fait tourner Jus t$ 54 LES PROVINCIALES piter beaucoup plus vite que la terre, parce qu’elle l’a frappé plus obliquement , et que ce- pendant il a été chassé cinq fois plus loin par le mème choc , quoiqu'il ait beaucoup plus de ma- tière ; supposer une action et plus oblique et plus directe en même temps, ce seroif, de la part d’un anteur commun, se jouer du public et in- sulter à ses lecteurs, en s’imaginant qu’ils n'a- percevront pas les contradictions les plus pal- pables, ou s’exposer soi-même à lenr risée , en feignant de ne pas apercevoir ces contradictions. Mais, nous l'avons dit, le génie a ses écarts, et ceux-ci lui ressemblent. Dans M. de Buffon, ils devoient avoir quelque chose de plus frappant que ceux du vulgaire : ils se sentent du feu qui le transporte; et la vérité, malheureusement , n'est guère que le fruit du sang-froid. Il y a quelque chose de plus réfléchi dans la manière dont cet auteur célébre voudroit dé- montrer que la terre, chassée du soleil par la comèle, ne devroit pas s’en rapprocher une fois per an, et ses preuves souliennent au moins un certain examen. Nous conviendrons d’abord qu’elle ne devroit pas repasser, à chaque révolu- tion, par ce même point d’où elle est parie, si elle avoit pu s'éloigner du soleil par un mouve- ment accéléré ; "mais rien ne ressemble moins au départ d’une fusée que celui des planÿtes. La poudre contenue dans la cartouche n'’exerce qu'une action successive; la force que le feu lui PHILOSOPHIQUES. 55 donne au second instant conspire avec celle qui avoit d’abord élevé la cartouche ; ces deux forces s'unissent et augmentent la vitesse. Il en est de même des volcans sur lesquels M. de Buffon veut également établir son mouvement accéléré. La seconde et la troisième explosion peuvent être plus fortes que la première; la flamme s'ac- croît dans l’intérieur de la montagne, l'air de- vient plus élastique et s’échappe en plus grande quantité : il n’est pas étonnant que Les premières matières soient lancées avec moins de force que celles qui les suivent. Dans la comète et les pla- nètes qui partent du soleil, toul concourt au contraire à retarder leur mouvement. Celui de Ja comète est très-certainement retardé durant le choc, et par la quaulité qu’elle en commu- nique, et par la résistance du milieu qu’elle tra- verse. Dès qu’elle commence à s'éloigner du centre du soleil, cet astre lui oppose toute la force de son attraction ; il l’oppose également à toute la malière qu’elle est supposée entraîner ou chasser. A-t-on jamais vu des corps s'é- loigner da centre de gravitation par un mouve- ment accéléré ? Supposons cependant cette accélération dans la fuite des planètes, aura-t-elle aussi lieu quand la lune s'échappe de la terre? Il n’y a ici ni tor- rent, ni cartouche, ni fusée; c’est tout au plus la balle du mousquet; c’est la lune lancée au- delà du demi-diametre de la terre par le mou- 56 LES PROVINCIALES vement diurne, et le mouvement diurne ne s’accélère pas : il n’a pas pu donner à la lune une vitesse accélérée; pourquoi ne fait-elle pas ce que feroit la balle du mousquet ? pourquoi ne vient-elle pas nous rendre visite une fois par mois, en repassant au point d’ou elle est partie 7 Noire correspondant s’extasie quand il voit le soleil et quand il voit la lune , quand il voit la comète produire si naturellement les révolu- tions de nos planètes. En bon provincial, je dirai simplement : Je voudrois que l'étude de la physique füt moins négligée dans l’éducation de la jeunesse; on seroit un peu moins facile à se laisser séduire; les premiers principes , mé-— thodiquement indiqués, nous mettroient à l'abri de l'erreur. A A A A A A D Te D Or re A7 D ir A LETTRE NVIL Réponse de madame la Baronne au Chevalier. IL est temps, mon cher compatriote, que je vous fasse part de l’impression que vos pre- micres lettres ont faite sur vos amis. Ils ne sont pas tous également prévenus en faveur de M. de Buffon ; mais j'ai observé que les moins favora- bles au système dela cartouche ou de la fustesont ceux qui ont pris dans les colléges des principes un peu trop éloignés des vôtres, IL n’est pas PHILOSOPHIQUES,. b7 étonnant que le préjugé soit plus fort chez eux; ils prétendent avoir fait des expériences, obser- vé les forces de l’attraciion et de l'impulsion, calculé les effets d’après les lois constantes , et prévu des résultats bien différens des vôtres. Il faut leur pardonner; en nous exposant ce qui vous resle à nous dire sur le système de M. de Buffon , vous viendrez à bout de les réconcilier avec ce grand homme. Quant à moi, je suis émerveillée, je suis en- chantée de la comète. J'aime à la fureur la Vénus d’émeri; j’aurois voulu la terre de cristal de roche. Le feu d'artifice qu'a produit la lune me paroit beaucoup mieux inventé que les écla- boussures. Nos physiciens provinciaux ont beau me soulenir que, si elle est partie de la terre, elle devroit au moins nous rendre visile une fois par mois. Quel maly avoit-1ldone qu’elle repassät par l'endroit d’ou elle est partie comme la balle du mousquet? Vraiment ce seroit une chose char- manie; nous n’aurions pas besoin de voler aussi haut qu’Astolphe pour savoir ce qui se passe dans la lune ; nous n’aurions qu’un petit saut à faire pour nous iouver sur son globe. Ses ha- bitans pourroient également sauter sur la terre; nous xesierions chez eux, ils resteroient c:ez nous un mais entier; et, pour que chacun se trouvât chez soi, on n’auroit qu’à attendre une nouvelle conjonction, comme on ailend à Aen- tereau le retour du coche pour se rendre à Paris! Ni) 56 LES PROVINCIALES chacun, dans ce voyage, chercheroit ce qui pique le plus sa curiosité. Je serois surtout bien empressée de savoir les honneurs que l’on rend dans la lune aux philosophes qui ont eu la gloire de faire des systèmes et de créer le monde; car je ne doute pas que leurs fioles ne soient placées dans un lieu distingué. - Nous apprendrions aux habitans de la lune que leurs montagnes sont de pierre , au lieu que les nôtres sont de verre, parce que les leurs sont #ien plus légères. Nous leur dirions qu’ils fai- soient autrefois partie du gränd soleil, lorsque notre terre les lança à quatre-vingl-cinq mille lieues. Ces vérités, peut-être, ne seroient pas nouvelles pour eux; ils nous montroient une fiole qui rend des oracles , et qui doit les avoir instruits de leur origine , comme nous l’avons été par M. de Buffou. Avec quel respect je con- sulerois cet oracle ! Je Tui-demanderois pour- quoi les planètes s’éloignent du soleil par un mouvement accéléré, tandis qu'aujourd'hui leur vitesse se ralentit dès qu’elles s’en écartent ; je voudrois savoir si les poissons de la lune di- gèrent des montagnes aussi-bien que nos hui- tres ; si les lois du mouvement, de la digestion et de Paitraction étoient, 1l y a soixante ou soixante-quinze mille ans, les mêmes qu'au- RS hui; si on ne trouveroit pas au moins dans la lune des archives qui datassent de cinq ou six cents siècles, Enfin je voudrois faire à Pa- PHILOSOPHIQUES, 59 racle autant de questions que nos provinciaux en feroient à M. de Buffon. Mais en voici une que je vous prie de résoudre vous-même. On m’a dit que la comète de 1660 avoit pres- que rasé la surface du soleil , et que, selon M. de Buffon , elle pourroit bien y retourner oblique- ment dans quatre cent soixante - quinze ans. Je trouve ce terme un peu trop éloigné, et d'ail- leurs on m'assure que cette comèle ne serait point comme celle qui a chassé la terre, parce que lPatmosphère du soleil suffit pour retarder son mouvement, (77. 7°. 7, p. 155.) N’en con- noîtriez-vous pas une autre dont le cours nous annonce qu’elle viendra au moins dans deux ou trois ans sillonner le soleil, et ,par un mou- vement accéléré, nous donner de nouvelles planètes-soleils, une nouvelle [une et de nau- veaux satellites? Quel plaisir si M. de Buffon en pouvoit désigner une seule parmi les cinq cents qu’il a formées des débris de la grande étoile, si vous m'assuriez que nous allions la voir tomber obliquement sur cette astre! Quel spectacle char- mant de voir tout à coup une douzaine de nou- veaux soleils tourner commenousautour de Pan- cien ! alors il n’y auroil sans doute plus de nuit, et de long-tempsl’hiver ne se montreroit. Quand un pelit soleil s'éloigneroït , nous en verrions un autre s’approcher ; quand quelques-uns iroïent éclairer l’Amérique, d’antres reviendroient briller sur l’Europe. Demandez, je vous prie, demau- 60 LES PROVINCIALES dez à M. de Buffon si nous jouirons bientôt de ce spectacle. Je vous promets qu’alors la philo- sophie ne trouvera plus d’obstacle chez nous, nos physiciens alors n’auront plus besoin de re- courir à ce Moise, que je trouve d’une simpli- cité étonnante. Chez lui, Dieu n’a qu’à dire, et tout est fait; chez M. de BuHon, c’est bien autre chose! Il n’a que des soleils sans nombre; et avec un seul de ces soleils il a fait cinq :.ents co- mèles; avec une comète il a fait la terre et les planètes ; avec la terre il à fait la lune ; avec Jupiter et Saturne il a fait les satellites. Voilà ce qu’on appelle une généalogie qui remonte aux principes. Encore un pas seulement, et nous aurions su d’où viennent le soleil et les étoiles. Mais à propos, savez-vous bien que je me suis avisée de créer une partie de la terre, que M. de Buflon me semble avoir oubliée? Nos provinciaux se demandèrent les uns aux autres pourquoi les planètes et la lune n’ont point une atmosphère semblable à la nôtre. Si elles sont toutes parties du soleil, disoient-ils, elles ont toutes du em- porter une partie de son atmosphère, ou plutôt it semble que Saturne seul devroit en avoir une, parce que notre air, plus léger que la pierre- ponce , devoit au moins la suivre. Vous vous trompez, messieurs, leur ai-je dit. Notre air ne faisoit pas partie du soleil : ne voyez-vous pas combien il ressemble à celui des comètes? Il nous est donc venu de celle qui, après sa chute, con- PHILOSOPHIQUES. 61 fondit sa matière avec nos planètes. La comite nous donna alors ce qui pouvoit le mieux nous convenir. Qu’aurions-nous fait du reste de sa masse, vingt mille fois plus dense que la terre? elle nous a donnésa chevelure , sa queue, sa barbe, enfin son atmosphère; et c’est pour cela que nous soinmes entourés d’un air que n’ont point les autres planètes. À qui donnez-vous donc, me disoient nos physiciens, le reste de la comète? A telle autre planète que bon vous semblera, leur ai-je ré- pondu.'Fous ce que je sais, c’est que la chevelure et la barbe de la comète nous convenoient très- bien, qu’elles se retrouvent dans cet air dont nous avons besoin pour respirer ; au lieu qu’une matière vingt-huit mille fois plus dense que la terre est un peu diflicile à trouver; je doute même que les autres planètes aient pu s’en ac- commoder, à moins qu’on ne nous dise qu’elle est devenue légère comme la craie pour Jupiter, et comme la pierre-ponce pour Saturne, encore en sera-t-on toujours embarrassé ; car si cette masse s’est confondue avec les planètes, elle a de beaucoup augmenté la quantité de leur ma- üère , et il ne sera plus vrai de dire que nos planètes ne sont que la neuf-centième partie du soleil. Si M. de Buffon m'en croyoit , il anéantiroit cette comète dès l’instant qu’elle a créé la terre; il n’en conserveroit que la baroe ou la chevelure; 62 LES PROVINCIALES dont vous voyez qu'on peut tirer un assez bon parti. Au moins semble-t-il que, dans mon systéme, l’atmosphère terrestre auroit une origine très- physique. Je suis impatiente de savoir ce que vous en pensez. Je médile encore quelques petits changemens à faire dans la théorie de M. de Buflon. Je pourrai un jour vous en faire part; mais un philosophe ne précipile rien. Recevez mes remercimens el ceux de nos amis pour les premières leçons que nous avons reçues de vous; sans être également persuadés, nous sommes au moins ous reconnoissans, Croyez-moi surlout pénétrée de ce sentiment. Votre affectionnée, etc. BARONNE DE***, LAB AAA RAS A AAA A A A AA SA 0 A8 À 2 A AA SA A L'ÉT TRE: VER De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Croirez vous que M. T. a été frappé de vos réflexions sur l’atmosphère? il veut en faire part, m'a-t-il dit, à M. de Buffon; c’est une varration de plus dont on pourra vous faire honneur dans la premitre édilion, ou dans les supplémens au système de la comèle, Nous aurions été bien PHILOSOPHIQUES. 63 enchantés de vous annoncer la chule prochaine d’une nouvelle comète sur le soleil; nous vou- drions bien pouvoir vous prédire que vous la verrez vous-même engendrer une nouvelle terre, une douzaine de planètes et de satellites. Mais il y a toute apparence que ce spectacle est ré- servé à nos neveux; ils ne pourront même abso- lument en jouir que dans qualre ou cinq ans. Les grands événemens sont rares, 1] y a au moins soixante-quinze mille ans que celui-ci ne s’est pas renouvelé dans l'histoire des cieux. La terre a , depuis cette grande époque, essuyé bien des révolutions ; les soleils sont devenus des lunes, les lunes sont devenues des mers , les mers sont devenues des montagnes et des plaines fertiles, les plaines et les montagnes ne seront pas tou- jours ce qu'elles sont. C’est au philosophe à suivre ces divers changemens, à fixer les épo- ques, à calculer les temps passés, présens et à venir. Grâces à M. de Buffon , il n’est rien de plus facile aujourd’hui, il n’est rien de plus simple que la méthode par laquelle nous pou- vons fixer la durée et l’époque des grandes réro- lutions que la terre a subies. Première époque. L'état dans lequel se trouvoit notre globe après la chute de la cométe fut évidemment celui d'un petit soleil qui ne différoit du grand 64 LES PROVINCIALES que par le volume. Voulez-vous savoir combien de temps elle conserva ses premiers feux, sa première splendeur? Exposez diverses matières à toute la chaleur du feu, jusqu’à ce qu’étant de- venues du verre fondu, elles ressembient par- fitement à ce qu’étoit la terre sortant du soleil, Comparez ensuite les temps du refroidissement, observez-en bien les degrés , vous verrez que les corps les plus denses et les plus gros conservent aussi plus long-temps leur première effervescen- ce et chaque degré de chaleur. Etablissez en- suite une juste proportion entre le refroidisse- menti de ces corps et celui de la Lerre, vous ver- rez que le globe terrestre a dù conserver sa pre- mière chaleur, son état de liquéfaction, de verre fondu , de soleil , exactement deux mille neuf cent soixante-trois ans. C’est une affaire de cal- cul. Nos provinciaux n’auront pas besoin que j'entre là-dessus dans un plus grand détail. La même opération fixera la durée de cct état pour chaque planète en particulier , et ce temps de la terre en fusion vous donnera une première époque très-remarquable. Dans ces premicrs temps où toutes les planètes brilloient de leurs propres feux, ou elles étoient autant de petits soleils ( 77. Ep. p. 55 ), leurs pôies s’aplatirent. Les matières les plus légères fuyoient vers l'équateur, et la force centrifuge excédant la force centripète, il se fit aux dé- pens de ces petits soleils de nouveaux soleils plus PHILOSOPHIQUES. 65 petits encore, c’est-à-dire des lunes. Celles de Jupiter et de Saturne alloient se former à trois ou quatre cent mille lieues de distance les unes des autres. Heureusement la nôtre ne s’éloigna guère que d'environ quatre-vingt- cinq mille lieues ; et comme elle est bien plus petite que la terre , elle ne fut soleil que pendant six cent quarante-quatre ans. Seconde Epoque. Une seconde époque succède naturellement à celle-là. Notre terre, en cessant d’être so- leil , s’est consolidée jusqu’au centre , et ne ressemble plus qu’à une grande masse toute rouge de feu, Vous savez, madame, les divers changemens qu’épronve un corps dans cet état. À mesure qu'il perd son incalescence , il se forme à la surface des trous, des ondes, des aspérités ; au-dessous, des vides, des cavités , des boursoufilures. { Ep. p. 71.) Le premier degré de chaleur avoit produit la lune ; le se- cond nous donne les montagnes primitives , les cavernes et les principales inégalités du globe. Aussi ces montagnes sont-elles compo- sées, dans leur intérieur et jusqu’à leur som- met, de la mème matière que la roche inté— rieure du globe (Æp. p. 74); aussi sont-elles toutes de verre. Il est vrai que M. de Buffon avoit démon- 66 LES PROVINCIALES tré, dans ses premiers volumes, que nos mon- tagnes primitives et les principales inégalités du globe sont l'ouvrage des eaux; mais un excès de complaisance pour certains criliques lui fait dire aujourd’hui qu’elles sont l’ouvrage du feu. Dans le fond, cela revient au même ; la terre n’en a pas moins ses montagnes et ses inégalités. Vous pourrez choisir entre l’eau et le feu, comme nous avons eu à choisir entre les éclaboussures et le feu d'artifice pour la for- mation de la lune. Quelque parti que vous pre- niez, la terre, à la fin de cette seconde époque, ne doit avoir encore que trente ou treute-cinq mille ans. Troisième époque. La terre n’étoit pas encore, à cette date, assez refroidie pour être touchée au doigt; mais les eaux n’étoient plus poussées avec la même force, et le globe en fut bientôt couvert jusqu’à la hau- teur de vingt-deux mille toises au moins. Oh ! combien de choses admirables nous offriroit cette époque, s’il m’étoit possible de vous les exposer toutes ! D’abord laction de l’eau réduit en poudre les scories du verre primitif, et nous avons du sable ; bientôt le sable et le verre ne sont plus que de l'argile (77, Ep. p. 15); celle-ci se des- séchera un jour, et nous aurons des schistes, des ardoises, Les sables vitrescibles recevront PHILOSOPIHIQUES. 67 une forme concrète , et au lieu du verre primi- tif, nous aurons du roc vif, du grès et du granit, L'eau saisit enfin toutes les matières qu'elle peut délayer (p. 97); elle se combine avec l'air, la terre, le feu, pour former les acides, des sels : et l'Océan se trouve salé. Cette vasie mer est encore bouillante ; elle conserve encore cette chaleur qui ne permet- iroit pas de la toucher sans être vivement of- fensé (pag. 168). Mais déjà il existe des pois- sons , et la nature ne fait que travailler k maticre organique avec plus de force. Les ani- maux marins n’en sont que plus grands; les huiïtres , les polypes, les coraux , les madré- pores, les astroïtes n’en digèrent qu’avec plus d'activité ; et les eaux, transportant de côté et d'autre le fruit de leur digestion , en forment les coilines , la pierre de taille et les montagnes calcaires. Dans ce même temps, le mouvement des marées et les vents réglés commencent à former les couches horizontales de la surface terrestre, par le sédiment et le dépôt des eaux ; ensuite les courans donnent à toutes les montagnes de médiocre hauteur des directions correspon- dantes, en sorte que leurs angles saiflans sont toujours opposés à des angles rentrans, C’est peu de façonner ainsi les montagnes, les cou- rans de la mer creusent avec art les sources et le réservoir des fontaines, les lits des rivières et * * 65 LES PROVINCIALES des fleuves , qui rendront un jour à l’Océan les eaux qu’il perdra par l’évaporation. Ces effets prodigieux nous autoriseroient à donner à celte époque la durée de quarante à cinquante mille ans, Nous saurons nous restreindre ; nous ne deman- derons pour la durée du grand déluge qu’environ vingt mille ans. Quatrième Epoque. Les eaux se retirent enfin; la.cenhème partie de la terre est déja couverte de ses prenuères productions. Observez, je vous prie, cetle qua- trième époque: c’est celle des volcans. Les grands arbres et les végétaux, que la terre à produits dans les premières années de sa fer- tilté , se métamorphoseront bientôt en mines de charbon, de sel et de pyrites. Ils ne crois= soient d’abord que sur les hauteurs et sur les montagnes ; mais les eaux ont su les déposer sous ces mêmes montagnes : en les transportant dans les fentes de la roche du globe , elles vont en faire, le premier fonds de l’aliment des vol- cans (Ep. p. 134.) J'indique des causes très-physiques, très-na- turelles, très-simples , comme vous le voyez. Je voudrois détailler des effets qui fourniroient les descriptions les plus éloquentes; mais nos com- patriotes n’ont qu’à s’imaginer la quantité im- mense de grands arbres et de végétaux qui PHILOSOPHIQUES. 6j furent transportés, à travers les fentes des ro- chers, pour être changés en mines de charbon, en matières inflammables, ils en verront sortir des volcans sans nombre. «Partout des tour- « billons épais d’une noire fumée ou d’une « flamme lugubre, des nuages massifs de cen- « dres et de pierres, des torrens bouïlonnans « de laves en fusion , roulant au loin leurs flots « brülans et destructeurs, manifestent les mou- « vemens convulsifs des enirailles de la terre, » Cette métamorphose de forêts changées en mines de charbon dans ies creux des montagnes vous donnera encore l’explication des eaux chaudes et minérales qui les traversent. Les floties englouties dans la mer, et changées en mines de charbon sous le mont Vésuve, vous fourniront même une raison plausible et très- physique de ses fréquentes éruptions; mais vous aurez soïn de confondre l’époque des volcans avec les derniers temps de la retraite des eaux ; car, malgré l’attention que nous avons d’abréger nos époques, la terre, à la fin de celle-ci, doit au moins se trouver âgée de cinquante-sept mille ans , et je crois entendre une objection orave qui pourroit dégénérer en imputalion. «Comment accordez-vous, dira-t-on, cette «. haute ancienneté que vous, donnez à la ma- « tière , ayec les traditions sacrées qui ne don- « nent anmonde quesept à huit mille ans? Con- & redire Les faits rapportés par Moïse , n’est-ce 70 LES PROVINCIALES « pas manquer à Dieu, qui a eu la bonté de nous &« les révéler ? « Ah! madame, je suis affligé toutes les « fois que lon abuse de ce grand, de ce saint « nom de Dieu ; je suis blessé toutes les fois que « l’homme le profane, et qu’il prostitue l’idée « du premier Être à celle du fuitéme dé ses « opinions. » ( Æp. p. 2q.) Je suis indigné què ce Dieu nous disant lui-même : J'ai fait dans six jours Le ciel et la terre, et tout ce qu'ils con- tiennent; je me suis reposé Îc septième jour , et c’est pour cela que j'ai sanctifié le jour du sabbat (ÆExod. c. 20). Oui, je suis indigné que ce grand, ce saint Dieu s'exprimant d’une ma- nière si intelligible, de simples mortels osent soutenir que les six jours de la création ne sont pas des époques de vingt, de quinze, de trente mille ans. Ecoutons-attentivement la parole de l'interprète divin : « La terre éloit informe'et « toute nue, les ténèbres couvroient la face de « Vabime. La terre étoit, les ténthres cou- « vroient ; ces expressions ,; par l’imparfxit du « verbe , n'mdiquent-t-elles pas que c’est pen- « dant un long espace de temps que la terre a « été informe , et que les téntbres ont couvert « la surface de’ Pabime?» Si Pécrivain sacré n’eûl voulu désigner qu’une durée t'ès-courtes n'auroil-il pas employé le présent on le parfait du verbe, en disant, la terre est ou fut imforme; Jes ténèbres couvrent ou couvrirent la face de PHILOSOPHIQUES. A labime ? Si l’on résistoit à celte terrible preuve de M. de Buflon, la transition qui suit sufhroit encore pour confirmer son système. «Or, Dieu « dit : ce mot or suppose des choses failes et des « choses à faire, c’est le projet d’un nouveau « dessein, » Il indique au moins quelques mil- liers d'années entre les choses faites et les choses à faire. « IL fant se souvenir que la parole de Dieu « nous a été Lransmise dans une langue pauvre, « dénuée d'expressions pour les idées abstraites»; qu'il falloit une langue très-riche pour expri- mer l’idée très-abstraitede cinquante ou soixante mille ans. Moïse, dans sa langue naturelle, ne pouvoit gucre la rendre que par six jours. «Il « n’est pas même possible que ces jours fussent « semblables aux nèlres, et l'interprète de Dieu « semble l’indiquer assez, en les comptant « du soir au malin. Non, ces jours n’étoient « point des jours solaires semblables aux nô- « tres, ni même des jours de lumière, puisqu'ils « ctommençoient par le soir et dé ssoient au "« matin.» C’étoient des jours de nnit, et d’une nuit de vingt à trente mille ans, comme nos époques. Que l’on cesse donc de nous opposer la lettre qui tue, et qui seule met quelque dif- férence entre les jours et les années, L'esprit qui vivifie rapproche sans peine la parole de Dieu et celle dû philasophe, la Genèse et les époques, Moïse et M, de Buffon. 72 LES PROVINCIALES Au reste, madame, vous sentez que si nous insistons sur cette objection, c’est que le pré- jugé auroit pu s’en prévaloir, et qu'il falloit lui opposer des réponses triomphantes. La solidilé de celles que j’ai copiées de M. de Buffon éton- nera nos provinciaux ; j'espère redoubler leur admiration dans les épogñes qui me restent à vous développer. J'ai Phonneur d’être, etc. A A A Te AT AT AT TE A A 0 AA A A 2 LETTREIX. De madame la Baronne à M. le Chevalier. JE suis trop impatiente, je n’attendrai pas vos autres lettres sur les dernières époques 3 les premitres m'ont mise dans un embarras dont il faut absolument que vous me tiriez. Nous avons voulu faire l'expérience dont vous nous parlez , pour déterminer combien de temps la terre a dù être un soleil de verre fondu. Vos amis s’étoient tous assemblés chez moi; nous avons fait fondre un globe de verre; nous étions prêts à faire nos observations et nos calculs, quand il s’est élevé une contestation pour savoir en quel endroit et dans quelles circonstances il auroit fallu que l'expérience se fit, pour qu’on eût droit de comparer son refroidissement à ce- Jui de la terre. Etoit-ce en hiver ou'en été , dans PHILOSOPHIQUES. 73 un lieu fermé ou en plein air et par un très- grand vent, dans un temps très-sec ou fort hu- mide, qu’il falloit la faire? La différence de ces circonstances pouvoit en meltfe une très-consi- dérable dans le refroidissement du globe. J’ai prétendu , moi, qu’il falloit le mettre dans l’eau, ou tout au moins l’exposer à la pluie, parce que la terre, au commencement, étoit environnée d’une très-grande quantité d’eau qui devoit con- tinuellement tomber, se relever, retomber sur la surface; en disant ces mots, j’arrose notre verre fondu , et sa liquéfaction a presque cessé dans le même instant. Adieu notre première époque ; la terre, à en juger par notre expé- rience, n'auroil pas été soleil pendant plus de huït jours, et les trente mille ans de la seconde “poquese trouveroient réduits à vingt ou trente jours. Dites-nous, je vous prie, comment s’y est pris M. de Buffon pour démontrer qu’un globe environné d’une atmosphère toute char- gée d’ean a pu conserver si long-temps sa pre- mière chaleur. Û Je dois vous prévenir que nos provinciaux sont un peu élonnés de cette quantité immense d’eau qui se trouvoit alors sur la terre. M. de Buffon , me disent -ils, fait partir notre globe du soleil. Cet astre est donc entouré d’une at- mosphere très - humide et très-aquatique: il semble que cela devroit produire une pluie con- ünuelle sur la surface de ce globe, dont la cha- 1. 4 74 LES PROVINCIALES leur feroit sans doute évaporer les eaux ; mais la pluie tomberoit , retomberoit encore, jusqu’à ce qu’enfin les feux du soleil se trouveroient éteints. Comment ont-ils pu se conserver si long-temps malgré celte pluie continuelle ? je crois que nous ferions encore fort bien de faire venir notre Océan, non pas du soleil , mais de la comète ; son atmosphère a pu se trouver très- humide; elle avoit d’ailleurs ses mers et ses fleuves : rien ne nous empêche de dire qu’elle a fait présent à la terre de toutes ses eaux. Un de nos compatriotes me disoit un jour qu’il ne pleut jamais sur Ja lune ni sur les planètes, et sa raison étoit que les pluies, les nuages , les neiges, les brouillards donneroient à leur éclat une variété que le télescope ne nous annonce point. Il devroit cependant y pleuvoir aussi-bierf que sur la terre, si nolre Océan étoit venu du soleil; il est donc assez important de le faire venir de la comète. Je vous avoue que je suis toute glorieuse de celte découverte et de mes raisonnemens sur Ja comète; j’aurois envie d’en faire revenir la coiffure, mais je voudrois qu’il n’y eut que les femmes philosophes qui en prissent la mode. Le nombre en seroit plus grand que l’on ne pense, et peut-être plus grand que celui des hommes; car je m'aperçois qu’ils ont un peu plus de répugnance que nous*à croire à la co- mète, Il faut leur pardonner. La vieille physi- PHILOSOPHIQUES. 75 que de Newton les captive, et M. de Buflon ne trouve point chez nous de préjugés. Peut-être cependant en est-ce un de ma part de croire que l’eau éteignoit le feu an commencement ! Peut - être un Océan immense pèse-t1l encore sur le.soleil, comme les eaux de l’atmosphère pesoient sur la terre pendant les deux premières époques, sans nuire à sa chaleur: peut-être cette alimospaère aqueuse est-elle pas seulement capable d’éteindre les bluettes où les rayons solaires , quoique ces rayons aient bien de Ja peine à traverser nos nuages. En ce cas je me rétracte; je veux que nos eaux soient venues d’un astre tout de feu. Je ne retiens de la comète que la chevelure; je sens que j’abrégeois un peu trop nos époques : avec deux mille toises d’eau dans latmosphèére , j'éleignois la terre et le so- leil même dans très -peu de temps, je vous fri- sois éoucher l’une et l’autre au doigt, sans étre vivement blessé, dans moins d’un ou deux mois, C’étoit exiger un trop grand sacrifice de là part de M. de Buflon. Je me rétracte donc encore ; et pour vous prouver que je serois bien fichée d’abréger les époques, au lieu de vingt mille ans que vous donnez à la troisième; au lieu de ce pelit nombre d’années que vous accordez aux poissons pour digérer toutes nos montagnes calcaires, je veux leur en donner cinquante mille, et je crains encore que ce ne soit trop peu. J'en donne au moins autant à Ja mer pour 76 LES PROVINCIALES transporter à travers les fentes du globe et des rochers cette quantité immense d’arbres qui a formé le premier fond des volcans; quantité vraiment prodigieuse, car pendant huit ou dix mille ans que les volcans ont ravagé la terre, ils auront certainement consumé bien desarbres. Il a fallu aussi bien des années pour fillrer ces grands arbres sous les hautes montagnes , à tra- vers des fentes presque entiérement bouchées par les matières que les eaux dürent transporter et déposer dès le commencement du déluge. En un mot, je trouve que M. de Buffon semble trop se prémunir contre Moïse et la Sorbonne. Il falloit nous dire bonnement que les jours de la création sont des jours de cent mille ans. Nous les aurions complés aussi facilement que cent mille écus, et le temps auroit été plus propor- tonné à l'ouvrage , surtout à celui des animaux testacées : mais j'allois encore faire le procès à nos maitres, et je ne vous dois que des preuves de ma docilité, de la reconnoissance avec la- quelle je suis , etc. Baronne de ***, OBSERVATIONS D'un Provincial sur la VIII lettre. MALGRÉ la docilité réelle ou apparente de madame la Baronne, il seroit dificile de rien PHILOSZCPHIQUES. 77 ajouler à la manière dont elle réfute les pre- mières époques. Très-certainement les eaux de l'atmosphère ne pouvoient être repoussées par la chaleur du globe, s’évaporer et remonter sans cesse, que pour se condenser de nouveau à une certaine hauteur , y former des nuages très - épais et retomber en pluie. Ces chutes continuelles d’une immense quantité d’eau étein- droient bientôt le soleil lui- mème. Nous sa- vons bien qu’il a une atmosphère très - élen- due ; mais jamais physicien ne s’éloit avisé de trouver dans cette atmosphère au moins autant d’eau qu’il en faudroit pour en cou- vrir son globe à la hauteur de deux ou trois mille toises. La seconde époque nous donne les monta- gnes vitrescibles ; la troisième, les montagnes calcaires , et façonne les unes et les autres jusqu’à une certaine hauteur. Je n'aime point à chicaner , j’accorde à M. de Buffon que les Alpes , l’Apennin, le Caucase, etc., sont du même verre que le noyau de la terre, pourvu qu’il m’accorde que ce verre est du granit. Je lui accorde même que , dans son système, ces grandes montagnes devroient immédiatement tenir à la roche intérieure du globe, pourvu qu’il convienne que, dans le fait , leur base est toujours un quartz plus ou moins mélé de feldspath , de mica et de petites basaltes éparses sans aucun ordre, selon les pius ha- 7b LES PROVINCIALES biles observateurs (#7, Diss. sur les mont. Pallas ; p. 5); je me contenterai de demander comment le verre de ces montagnes est devenu du granit. M. de Buffon nous assure dans son premier volume (p.255 )que le granit, le grès, le roc xif doivent leur origine au sable et à l'argile, et dans les Epoques, qu’ils sont sim- plement des masses vitreuses ou des sables ritrescibles sous une forme concrète ( p. 15) : les sables et l'argile ne paroissent chez lui qu’à latroisitme époque, et après la chute des eaux; comment les montagnes ont-elles pu exister dès la seconde ? Ou je me trompe, ou il y a ici une contradiction palpable, Je vais plus loin; je suppose que la roche intérieure des grandes montagnes ne soit pas de cette roche qu’on nomme granit, mais de verre primitif ; comment ce verre est-il devenu une roche quelconque? Il étoit très-compacte, il existoit depuis trente mille ans quand les eaux ont paru ; elles n’ont donc pu que l’en- vironnér sans le pénétrer? au moins n’auront- elles jamais pu le délayer pour en faire du sable, de largile, et lui donner ensuite une forme concrète, cette opération auroit commencé par détruire les montagnes. Comment ont-elles donc conservé leur hauteur? Comment sont-elles devenues si parfaitement semblables à la pierre, au roc vif, au granit, que tous les yeux s’y trompent? Que M. de Buffon nous montre une PHILOSOPHIQUES. r9 seule bouteille de verre entourée d’eau et devenue sable , argile, granit ou roc vif, sans se délayer, nous pourrons soupçonner que les montagnes de verre sont devenues aussi du sable, de l'argile, ensuite du roc vif ou du granit, sans avoir élé délayées. Quant à ces montagnes calcaires, effet sin- gulier de la digestion des huîlres , je dirai seu- lement que je ne suis pas même convaincu du changement de l’eau en pierre; je croirois que sa substance reste toujours la même, de ma- nière qu'il y a toujours sur la terre à peu près la même quantité d'eau et de vrai liquide. Lorsque la coquilie d’une huiître est bien des- séchée , je penserois que toute leau qui a contribué à la former s’est évaporée, et qu’il n'y reste plus que les matières solides dont l’animal s’étoit nourri , comme dans le mortier bien desséché il: ne reste plus que le sable et la chaux. Il faut certainement que , dans ce dernier cas, toute l’eau se soit évaporée; car M. de Buffon ne trouvera pas dans le mertier ces animaux lestacées qui seuls ont le pri- vilége de changer le liquide en solide. Je pen- serois que la coquille se forme de même que les os des animaux ; cependant je n’ôte pas à mes compalrioles la liberté de croire que les huîtres ont changé la plus grande partie de l'Océan en montagnes calcaires, qu’eiles con- linuent même à opérer celte métamorphose ,' So LES PROVINCIALES comme onle verra dans une des lettres de madame la Baronne. Bien des gens s’étoient imaginé que M. de Buffon expliquoit plus heureusement la cor- respondance des angles saillans et rentrans de nos montagnes par les courans des eaux; mais cette correspondance est-elle bien assez géné- rale pour en autoriser la théorie? M. Pallas nous prévient qu’elle souffre bien des excep- tions, méme dans les montagnes secondaires. M. Giraud Soulavie, cet infatigable et savant observateur de monts et de vallées, nous assure que dans un pays entrecoupé de montagnes , dans un espace de auaranie lieues, dans tonte la vallée qu’arrose l'Ardèche , il n’a pu décou= vrir cette correspondance que dans six angles seulement ; aussi, malgré son grand attache- ment aux idées de M. de Buffon, s’est-il absolu- ment déclaré contre cette partie de son système. La carte de l’Académie des Sciences a confirmé les observations de M. Giraud Soulavie ; le systéme des angles rentrans et saillans ne Sy trouve nulle part; explication de-M. de Buffon ressemble donc un peu à celle de la dent d’or qu’il falloit trouver avant d’en rechercher l’ori- gine et les causes. Je ne m’en tiens pas à cette preuve : j'ob- serve que dans le système de M. de Buffon, les courans sont venus du midi jusqu’à l’en- tier établissement des eaux sur la terre, et PHILOSOPHIQUES. 81 j'en conclus que toutes les grandes montagnes devroient former des avancemens , des angles saillans vers le midi, aussi-bien que la pointe de l’ Afrique et de tous les anciens continens. Celle conséquence est évidemment conforme au principe de M. de Buffon ; mais elle n’est point confirmée par Le fait ; elle démontre donc . la fausseté du principe. J’examine encore l’effet naturel des courans entre deux montagnes opposées et de la même matière; je demande ensuite : ou la roche de ces montagnes forme déjà des avancemens, des pointes, des angles saillans , ou elle n’en forme pas. Dans le premier cas, je n’ai pas besoin des courans de la mer pour les former et les faire paroître; les eaux qui coulent des montagnes pendant les pluies ordinaires sufliront pour entraîner la terre qui pouvoit les couvrir. Dans le second cas, les {orrens ne pouvoient pas être détournés par des ayancemens qui n’existoient pas, pour aller battre avec plus de force la mon- tagne opposée et pour y former un angle ren- trant. Les fleuves qui coulent entre des rochers parallèles ne rongent pas plus d’un côté que de l’autre ; ils ne forment : ni angles saillans, ni angles rentrans. Qu'est-ce donc que cette explication , qui avoit paru si triomphante”? Elle est fausse dans son principe, en cequ’elle suppose une généralité qui 4 02 LES PROVINGIALES n'existe pas , elle ne rend pas même raison des faits qui existent. Mais, de bonne foi, comment nous per- suader encore que les mêmes courans ont creusé les lits des fleuves et des rivières ? Je me place sur le Rhône; à ma gauche une foule de ri- vières dan, e Dauphiné coulent d'orient en occident ; à ma droite, et dans le Vivarais , J'en vois une foule d’autres couler d’occident en orient : au milieu est le Rhône, qui les absorbe toutes en coulant du nord au midi. De côté el d’autre les vallées et les rivières sont à des distances tout-à-fait inégales. J’aperçois dans le cours de tous les fleuves et des rivières qu'ils reçoivent la même opposition. Con- cevra-t-on jamais dans Océan des courans si rapprochés , si multipliés, avec des directions si contraires ? La prétendue formation des montagnes secon- daires par les eaux de la mer nous fourniroit encore bien des observations à faire : nous remar- querions que l'effet naturel des eaux est plutôt de combler les profondeurs, et de tout réduire au même niveau, que d'élever les montagnes, nous confirmerions celte remarque par des re1- sons physiques. Nous observerions que ; si les courans produisent des inégalités dans le sein des eaux, plus la retraite des mers est lente, et plus les endroits qu’elles abandonnent se ‘trouvent de niveau avec l’ancien rivage, comme PIHILOSOPHIQUES. 83 on peut le voir dans les environs de la mer Noire, d’Aigues-Mortes et de plusieurs autres endroits : mais nous voulons au moins laisser croire que M. de Buffon a prévu quelques-unes des difficultés que nous pourrions lui opposer ; et plutôt que de nous arrêter à réfuter les évé- nemens de la quatrième époque , nous dirons presque qu’il est bien possible qu’une forêt, enfoncée à travers les fentes du Vésuve, s’y change en charbon, et fasse le premier aliment des volcans. bd C’est par une suite de cette déférence que nous applaudirons, comme théologiens, aux efforts que fait M. de Buffon pour concilier Moïse et la comète, la Genèse et les époques : nous sommes trop charmés de son respect envers nos saints livres pour soupçonner la dérision et le sarcasme dans l’hommage qu'il leur rend publiquement. Le seul reproche que pour- - roit lui faire la théologie seroit d’avoir cherché dans les œuvres de Dieu une proportion entre les jours et les ouvrages. Le Dieu que nous croyons n'a besoin ni des jours, ni des temps. M. de Buffon créa cinq cents comèétes d’une seule explosion : notre Dieu créera dans un instant la mouche ou lunivers. Il d't, et la lumière est faite : qu’il dise, et vingt millions de mondes paroïtront. Comme physiciens, nous serons un peu plus sévères que la Sorbonne. Nous ne permettrons 84 LES PROVINCIALES pas à M. de Buffon d’assurer qu’il à été forcé d'admettre les époques par une connoissance démonstrative des phénomènes de la Nature. Nous lui reprocherons que, s’il donne quelque- fois ses idées sur la formation de l'univers comme une pure hypothèse, trop souvent il prétend qu’on ne peut s’y refuser sans com battre les faits et la raison ; parce que les faits, la raison, les lois et les phénomènes de la Nature ne permetlent pas même de les admettre cemme une bypé@thèse. Nous le défierons de tirer de la physique une objection tant soit peu solide contre les livres de Moïse : nous ferons plus encore, nous l’avertirons que la physique commence où Moïse finit ; que jamais cette science ne connut de lois pour la création et la formation de l’uni- vers, mais seulement pour sa conservation dans l’état où il se trouve. Nous ne lui dirons pas : Tout homme qui s’écrie : Donnez-moi des soleils, j'en ferai des comètes, des planètes, des terres et des lunes, ressemble un peu au charlatan criant sur le Pont-Neuf : Donnez-moi l’hélio- trope, et j’en ferai des choux, des roses , des mavets; mais nous lui dirons : Tout physicien qui pense trouver dans sa sciencé de quoi for- mer l’astre le plus petit s’abuse lui-même, et s'expose à tromper ceux qu’il veut instruire, Newton ne s’amusa point à créer des mondes; il connnt les limites des sciences humaines : il se tut où Dieu seul peut parler. PHILOSOPHIQUES. 85 Léna alaniesleslbeshessssbssbesi ORALE VB LL ALBALIS VS LETTRE X. -Du Chevalier a madame la Baronne. MADAME, Je sens parfaitement que c’est malgré vous. que vous rencontrez de loin en loin quelques difficultés contre nos époques; mais continuez de les sacrifier à votre respect pour la philo- sophie, je continuerai à vous révéler des vérités inconnues à nos compatriotes. Je suis très-per- suadé , par exemple, qu’ils ne vous parlèrent jamais de ces molécules vivantes qui animent tous les corps organisés. Est-il cependant en physique rien de plus charmant, de plus inté— ressant que ces petits êtres! Toujours vivans, toujours indestrnctibles et toujours actifs, ils sont wr effet de la chaleur sur les matières aqueuses et ductiles ( Ep. p. 186 ) : peut-être seroit-il un peu difficile de vous dire en quoi consiste leur action lorsqu'ils sont isolés : mais au moins savons-nous ce qu’ils ont fait dans un temps qui n’est guère éloigné du nôtre que de quinze mille ans, c’est- -à-dire au commencemeni de la cinquième époque. 66 LES PROVINCIALES Cinquième époque. La terre étoit alors un peu plus tranquille ; une grande partie des volcans s’éteignoient ; la Sibérie , la Norwège , la Laponie étoient presque aussi refroidies que l’est aujourd’hui le centre de lPAfrique. Alors les molécules organiques , “ennuyées sans doute de rester isolées, commen- cerent à se réunir. D’abord elles formérent une masse très-lourde et assez informe; mais elles Jui donnèrent une tête, des pieds, des oreilles, un cœur, un estomac, des veines, des tendons, des yeux, de longues défenses, une trompe; l'éléphant se trouva tout formé. D’autres molé- cules, en plus petit nombre, concoururent aussi, et formerent un petit corps très-vif, très-délié surtout , et très-méchant. Au lieu d’une longue trompe, à peine lui donnérent- elles une espèce de nez; ce fut un sapajou. Ailleurs elles ne firent que deux pieds , et fort adroïtement elles remplacèrent les deux autres par deux ailes. Le nouvel animal fut aigle où _roitelet. Enfin, quand les espèces se furent multi- pliées à un certain point, «il ne pul s’en for- «mer de nouvelles, parce que les moules «intérieurs des êtres actuellement existans ab- « sorbérent les molécules organiquesz mais si «tout à coup la plus grande partie de ces «êtres étoit supprimée, on verroit paraître PHILOSOPHIQUES. 07 « des espèces nouvelles, parce que ces molé- «.cules organiques se réuniroient pour composer « d’autres corps organisés » (Ep. p. 164). C'est donc aux animaux existans qu’il faut nous en prendre, si nous ne voyons pas chaque jour une espèce nouvelle de quadrupèdes, de repliles ou de volatiles. Les anciens dévorèrent et nous dévorons avec eux une infinité de molé- cules organiques. Dans un seul ragoüt nous en mangeons quelquefois plus qu’il n’en faudroit pour faire naître vingt espèces différentes. Nous les ahsorbons , nous les empêchons d’exister. Hélas! noire crime est nécessaire ; car il faut bien que l’homme naisse, grandisse , se déve- loppe ; «et toute production , toute génération, «tout accroissement même, tout développe- « ment suppose le concours, la réunion d’une « grande quantilé de molécules organiques vivantes ». Remercions l’éléphant et Le rhino- céros d’avoir digéré, pendant bien des années, tant de molécules, sans absorber celles qui de- voient former l’espèce humaine. T'elles sont les découvertes vraiment physi- ques de M. de Buffon sur l’origine des animaux. C’est à lui encore à nous apprendre quelle partie de la terre a dü recevoir ces premiers habitans du globe, fruit des moléculés organiques. Je pourrois vous dire avec M. de Buflon que les pôles , s'étant refroïdis les premiers, ont été naturellemsnt peuplés les premiers ; mais vous 88 LES PROVINCIALES observeriez que les pôles, élant plus près du centre, ont pu conserver leur chaleur plus long-temps que les autres parties de la surface. Je vous opposerois avec le même physicien la chaleur solaire considérable sous l'équateur, et presque nulle sous les pôles ; mais je serai un jour obligé de vous présenter celte chaleur comme trente-deux fois plus petite que celle des régions les plus froides , et vous seriez sur- prise de nous voir attribuer aux rayons solaires l'effet le plus considérable dans un temps où leur chaleur, comparée à celle de la terre, étoit bien plus petite. Je vousmontrerois/es ministres du froid tombant sur les provinces du nord; mais vous auriez trop de peine à concevoir com- ment il pouvoit neiger et geler sur des pôles lorsqu'ils étoient encore plus chauds que la Libye. Il vaut mieux s’en tenir aux preuves de fait; elles sont sans réplique, et je prie nos com-. patrioles de les bien remarquer. | De grosses dents, dont la face qui broiïe est en forme de trèfle; d’autres dents encore, dont la face qui broie ‘est composée de grosses pointes mousses, ont été trouvées en Canada. Auprès de ces dents on trouve des mâchoires trop lourdes pour être portées par deux hommes, des fé- murs entiers qui pèsent cent livres, des squelettes monstrueux enterrés debout, avec des défenses de cinq à six pieds de long, qui sont de la forme et de la substance des défenses d'éléphans. PHILOSOPHIQUES. 89 Faites bien attention à ces défenses, elles appar- tenoient à de vrais éléphans, quoique la mëi- choire , les dents et tous les ossemens des sque- lettes qui les environnoient aient appartenu , selon M. de Buffon , à une autre espèce d’animal qui n'existe plus (Epoq., not. p. 504); mais si les éléphans n’ont laissé en Canada que leurs dé- fenses, au moins ont-ils laissé en Sibérie et leurs défenses, et leurs fémurs, et leurs omoplates , et même des squelettes entiers, aussi-bien que le rhinocéros; d’où nous concluons que ces ani- maux habitoient autrefois le Canada et la Sibérie : or le rhinocéros et l’éléphant n’ont pu habiter la Sibérie et le Canada que dans ces premiers temps ou les régions du Nord se trouvèrent assez refroidies pour être habitées : les contrées septentrionales furent donc les premieres peu- plées de ces animaux formés par la réunion des molécules organiques. Tel est le précis , telle est la conséquence des raisonnemens démonstratifs de M. de Buffon. Je ne m'’attache pas à vous en montrer toute la force, vous la sentirez assez de vous-même. Il restoit. à savoir comment ces premiers ha- bitans du nord se sont transportés vers le midi, et pourquoi l’on n’en vit jamais de vivans eu Sibérie ou dans le Canada. Suivons notre prin— cipe, et nous découvrirons la cause de leur émi- gration. Le septentrion n’a pü conserver le degré de 99 LES PROVINCIALES chaleur favorable au rhinocéros , au singe, au lion , à l'éléphant, que pendant ciuq mille ans, suivant ces calculs dont vous connoissez la soli- dité. Au bout de cinq mille ans, ce même degré de chaleur n’existoit qu’en France, en Alle- magne , en Italie , et dans toute notre zone tem- pérée. Le singe et Péléphant furent donc obligés de voyager, et vinrent ensemble habiter nos climats , aussi-bien que le chameau , le rhinocé- ros, le dromadaire, et tous les animaux qui cherchent naturellement les pays chauds. À peine eurent-ils séjourné dans nos provinces encore cinq mille ans, que le froid les chassa vers la Zone torride, qu’ils habitent aujourd’hui depuis le même nombre d’années, mais où leur espèce disparoïtra bientôt; car je ne saurois trop vous dire où ils pourroient fuir désormais sans re- trouver ce froid qui les a chassés de la Sibérie et de nos provinces. _ Oserai-je vous proposer, madame, d'établir une fouille dans quelqu’une de vos terres, pour voir si l’on n’y découvriroit pas quelques mä- choires ou fémurs, au moins quelques dents d’éléphant, de rhinocéros, de singe et de lion ? une pareille découverte confirmeroit admirabie- ment l’histoire de leur séjour en France pen- dant cinq mille ans, et les objections que lon nous à failes ne tiendroient pâs contre nos prin- cipes. . Mais préparez-vous à une perte plus sensible PHILOSOPHIQUES, gt que celle des lions, des éléphans et des tigres, qui ont abandonné nos provinces : armez-vous d’un courage philosophique : il vous reste en- core un sacrifice à faire. Vous aimez les oranges, —les figues , les citrons, et tous les excellens fruits de la Provence; je le dis mälgré moi, nous les perdrons ces fruits délicieux : les oranges , les figues, les melons font le même voyage que les éléphans , et pour la même cause. « Dans le « mème temps où ces animaux habiloient nos « terres septentrionales , les plantes et les arbres « qui couvrent actuellement nos contrées méri- « dionales existoient aussi dans les terres du « Nord, Ils se sont transplantés de proche en « proche » : ils ont fui leur première patrie, ils fuiront un jour loin de nous. Déjà les orangers | sont parvenus aux extrémités de la France; il ne leur reste plus qu’un pas à faire pour nous quitter. Ou les Provençaux iront-ils-les cueillir quand ils auront quitté les îles d’Hitres? Ce der- nier pas leur coûte un peu à fuire, car depuis long-temps ils ont cessé d’embaumer les jardins de Stockholm, les vergers des Lapons, ils diront aussi un éternel adieu à la Provence et au Por- tugal. Que le ciel éloigne ce triste avenir! Ne vous pressez pas même d'en révéler l’idée à nos compatriotes, ils croiroient voir bientôt le Bour- gogne et le Frontignan voyager comme les oran- gers. Ne troublons pas le plaisir qu’ils ont à sa- bler le Champagne ; il pourroit d’ailleurs arriver 92 LES PROVINCIALES que nous vissions les plantes revenir sur leurs pas. Les cerises de Montmorency avoient dispa- ru; la Bourgogne avoit vu fuir ses vignes : de retour des régions du midi, elles reparurent en France avec les Romains ; peut-ètre le palmier, le cèdre, le café reviendront-ils aussi ; mais quant aux éléphans, tout nous dit que, depuis la fin de la cinquième époque, depuis environ cinq mille ans, ils ont disparu de nos campagnes sans espoir de retour. J’ai l'honneur d’être , etc. OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. JusQu’A ce que j’aie vu nos philosophes refu- ser le diner d’un fermier-général , de peur d’y dévorer un trop grand nombre de molécules organiques, je ne croirai pas à ces petits ètres toujours actifs , toujours vivans, toujours in- destructibles. Je mangerai tranquillement du bouilli, du rôti, à moins qu’on ne me prouve que les molécules organiques du bœuf ou du mouton, dont je me nourris, suflivoient pour produire une espèce de nouveaux êtres qui com- bineroient des systèmes aussi-bien que nos sages, et le prouveroient mieux, Le voyage des éléphans nous sembloit d’a- PHILOSOPHIQUES. 95 bord offrir quelque chose de plus spécieux ; mais les recherches de M. de Buffon lui-même, et celles de M. Pallas, ont fait disparoître les difficultés. Quelque ressemblance qu'il y ait entre les défenses découvertes dans le Canada et celles de Véléphant, il est évident qu’elles appartenoient à Panimal dont les ossemens, les fémurs , les omo- plates , le squelette entier se trouvent toujours dans le même tombeau , et surtout à la mâchoire, où l’on découvre encore qu’elles éloient atta- chées : or ces ossemens indiquent , selon M. de Buffon, un animal dont l’espèce n’existe plus. Quel inconvénient trouverez-vous à croire que cet animal , dont vous prétendez que l'espèce est détruite, avoit des défenses parfaitement ressem- blantes à celles de l'éléphant, quoiqu'il en aiffé- rât par toutes les autres parties de son corps ? et comment pourfez-vous, au contraire, vous persuader que, si l'éléphant vécut en Canada , il n’a pu en rester que ses défenses toujours entou- rées du squelette d’un autre animal ? S’il m'étoit permis de dire mon sentiment, je dirois que tous ces ossemens el cet ivoire du Canada me paroissent avoir appartenu à des norses ou vaches marines, animal très-commun dans le Nord, et que la ressemblance de ces dé- fenses a fait nommer l’éléphant de mer. Il n’en est pas ainsi des découvertes faites en Sibérie : on y trouve au moins quelques sque- 94 ‘ LES PROVINCIALES lettes d’éléphans dans les mêmes endroits où l'on voit une grande quantilé d'ivoire (1), et peut-être sufhroit-il au système du refroidisse- de la terre que ces animaux eussent pu autrefois habiter la Sibérie; mais nous n'avons qu’à lire la dissertation de M. Pallas pour savoir combien peu toutes ces découvertes autorisent leur séjour dans les régions du Nord. Voici comment s’ex- plique cet auteur que M. de Buffon cite plusieurs fois comme un des plus fameux naturalistes : « En Sibérie, où l’on a découvert le long de « presque toutes les rivières ces restes d’ani- « maux étrangers, ell’ivoire même en si grande « abondance qu’il forme un article de com- « merce; en Sibérie, dis-je, c’est aussi Ja couche « la plus moderne du limon sablonneux qui « leur sert de sépulture. Ces grands ossemens, « tantôt épars, tantôt entassés par squelettes et « méme par hécaltombes , considérés dans leurs « sites naturels, m'ont surtout convaincu de la « réalité d’un déluge arrivé sur notre terre, « d’une catastrophe dont j’avoue n'avoir pu « concevoir la vraisemblance avant d’avoir par- (1) M. de BuMon vouloit autrefois que: cet ivoire re fût que le produit de la morse ( Hist. Nai. tom. AIT, pag. 358 , éd. in-12 ); mais à quoi s’en tenir avec un auteur qui change si souvent de sentiment? C’est l’antorilé de Palias qui nous décide à croire qu’il existe en Sibérie des restes de vrais eléphans ; d’ailleurs les rhinocéros que lon y dé- couvre sufiroient pour nous forcer de recourir à l’inon- dation qui les y tri n‘poria. PHILOSOPHIQUES. 93 « couru ces plages, et vu par moi-même tout «_ ce qui pêut y servir de preuve à cet événement « mémorable. Une infinité de ces 6ssemens cou- « chés dans des lits mêlés de petites télines cal- « cinées, d’os de poissons, de glossopètres , de « bois chargés d’ocre, prouve déjà qu’ils ont été « transportés par des inondations. Mais la-car— « casse d’un rhinocéros trouvée avec sa peau « entière, des restes de tendons, de ligamens et « de de dins les terres choié du bord « du Viloüi, dont j'ai déposé les parues les « wiieux conservées au cabinet de l’ Académie, « forment encore une preuve convaincante que ce devoit être un mouvement d’inondation « des plus violens et des plus rapides qui en- traîna jadis ces cadavres vers nos climats gla- « cés, avant que la cor ruption eut eu le temps « d’en détruire les parties molles. » (Obs. sur la form. des mont. , p. 36 et 59.) À l’évidence de ces preuves nous ajouterons celle que fournit la grandeur des ossemens que l'on trouve en Sibérie. Ils ne peuvent avoir ap- _partenu qu à des éléphans et à des rhinocéros de la plus haute taille; et, très-certainement ÿ" si cette région avoit jamais te la patrie de ces ani- maux ,on y trouveroit des dépouilk d’éléphans de tonte grandeur et de tout âge; au lieu que le déluge de Moïse rend très-bien raison de celte égalité. Ii n’y eut guère que les plus forts qui purent parvenir aux montagnes de la Tartarie, 96 LES PROVINCIALES fort éloignées de leur séjour ordinaire : les eaux atteignirvent ces hauteurs, et entraïnèrent les animaux qui s’y éloient réfugiés, dans la Sibé- rie, suivant le cours naturel d’une inondation qui venoit surtout du midi. La couche du lHimon sablonneux, les os de poisson , les productions marines qui entourent ces ossemens d’éléphans, les fleuves près desquels on les trouve, et vers lesquels les eaux s’écouloient , forment une dé- monstration sans réplique qu'ils avoient été en- traînés par un déluge. La peau du rhinocéros, trouvée sans pourriture demontre que dès-lors ces régions éloient aussi froides qu’elles le sont : aujourd’hui. Quelques-uns de ces animaux purent êlre entraînés vers d’autres climats ; aussi s’en trouve- t-il ailleurs, quoiqu'en très-petite quantité. Re- marquons cependant que la curiosité en a fait conduire un certain nombre en Europe; qu’An- mbal , Pyrrhus es les Romains en emmenèrent en Italie une bien plus grande quantité, el nous n’aurons pas même besoin de recourir au déluge pour rendre raison de ceux que l’on pourroit trouver sur les Alpes, l’Apennin et les Pyré- nées. Enfin , si l’éléphant et les autres animaux qui ne souffrent pas le froid de notre zone la peuplèrent jadis, pourquoi leurs ossemens ne seroient-ils pas en aussi grande quantité dans nos campagnes que dans la Sibérie? el pourquoi dans la Sibérie même ne trouveroit-on pas aussi des PHILOSOPHIQUES. G7 fémurs , des mâchoires, des squelettes de cha- meaux, de lions, de dromadaires et de tant d’autres animaux qui , aimant la chaleur comme l'éléphant , durent y vivre aussi pendant cinq mille ans ?.... Pour réfuter de même le voyage des arbres et des plantes , il suffit d'observer que la mer en transporte encore tous les jours bien loin des régions qui les ont vus naître ; que M. de Buffon attribue lui-même à une inondation gé-- nérale ces plantes étrang?res si abondantes à Saint-Chaumont, et qu’on ne voil point dans le resie du Lyonnais de la France. Il seroit en effet bien difficile que leur empreinte ne se fût con- seryée que dans cet endroit , si elles avoient ja- mais été une production naturelle de nos climats. M. de Jussieu a d’ailleurs observé que les plantes étrangères, dont l'impression s'est conservée dans nos ardoises, sont généralement couchées de maniere à faire eroire qu’elles ont été trans- portées par une inondation du sud. Cette direc- tion générale et celle des animaux du midi, entassés en Sibérie , nous prouvent évidem- ment que les plantes ont été transportées du midi au nord par le déluge, et que leur voyage du nord au midi, causé par le froid , n’est pas mieux trouvé que celui des éléphans, 1. | d) 98 LES PROVINCIALES AA A AAA A A A A A A A A Laldeslssissls22z:) LETTRE XI, De M. le Chevalier à madame la Baronne, MADAME, Qu'étoit-ce que les premiers hommes qui pa- rurent sur la terre? quelle fut leur patrie ? en quel temps parurent-ils sur le globe ? Telles sont les questions importantes que nous offre encore à résoudre la cinquième époque, et aux- quelles M. de Buffon va nous faire répondre. Un homme de six pieds est bien grand au- jourd’hui; un homme de huit pieds est un vrai géant. Il n’en étoit pas ainsi dans les commen- cemens. Nos plus beaux grenadiers ne sont que des nains en comparaison de nos premiers pères, Dans ces temps où la terre commençoit à se re- froidir, la nature étoit encore dans sa première vigueur, On voyoit alors des géans de toutes les espèces, des géans de douze, de quatorze ,-de quinze pieds de hauteur. Les nains et les pygmées sont arrivés depuis. (V. Ep. p. 27, etn.p. 274) Vous avez sans doute entendu parler de ce peuple relégué aujourd’hui à l'extrémité de l'Amérique méridionale, « de ces hommes plus « grands, plus carrés, plus épais et plus forts PHILOSOPHIQUES, 09 « que ne le sont tous les autres hommes de la « terre. » Vous avez entendu parler des Pata- gons. «C’est dans ce peuple seul qu’existent « encore de nos jours les géans de l’espèce hu- « maine (Ep. p. 215); leur race s’est conser— « vée dans ce continent désert, tandis qu’elle « a été détruite par le nombre des autres hom- « mes dans les contrées peuplées. » Les nains el les pygmées, venus après eux, leur faisoient la guerre et les réduisoient en captivité. Nos géans allèrent chercher en Amérique La liberté , la tranquillité, ou d'autres avantages que peut-étre ils n'avorent pas chez eux. Leur race gigantesque s’estenfin propagée sans obstacle, et peut-être avec la taille de nos ancêtres ont-ils conservé leurs hautes sciences, leurs vastes con- noissances ; Car le premier peuple eut non-scule- ment tout l'avantage de la taille, mais encore la gloire d’être un peuple très-éclairé , un peuple d’astronomes, de profonds physiciens, de phi- losophes , ur peuple enfin digne de tous nos respects, comme créateur des sciences, des arts, et de toutes les institutions utiles. J'ai besoin d’une preuve très-forte pour vous dé- montrer cetle vérité historique. Ecoutez, je vous prie, celle que nous fournit M. de Buffon; elie est d’un genre neuf, et très-convaincante. Selonle témoignage de Josephe, les patriarches connoïssoient la période luni-solaire de six cents ans, que Josephe ne connotssoit pas lui-méme, 100 LES PROVINCIALES et ils s’en servoient avant le déluge, Nos mo- dernes astronomes ont découvert l’origine de cette période ; en nous démontrant que sept mille quatre cent vingt et une lunaisons font exacte- ment six cents années solaires, Voilà le fait : voicicomment nous raisonnons... La découverte seule de cette période suppose /a connotssance des mouvemens précis de la terre et de la lune. Ceux qui l’ont imaginée les premiers sa- voient parfaitement le système de Copernic ; ils sawoient autant d'astronomie qu’en savoit de nos jours Dominique Cassini. Us en savoient peut-être un peu plus que M. de Buflon ; peut- être leurs écoliers même n’auroient-ils jamais dit que les planèles les plus distantes du soleil circulent autour de cet astre avec plus de vi- tesse que les planètes les plus voisines, Peut- être savoient-ils que Jupiter circule autour du soleil avec une vitesse qui n’est pas la moitié de celle de la terre, et que celle de toutes les pla- nètes doit être en raison inverse de la racine de sa distance, pour que lattraction , telle qu’elle existe, puisse la retenir dans son ellipse. (V. ASst, ‘de Lalande, n. 3418). C’étoient donc de très- grands astronomes que les hommes de ce pre- mier peuple. « La découverte de leur période « suppose de plus une grande perfection dans « les instrumens nécessaires aux observalions ; « elle suppose au moins une étude de trois mille « ans.» Le peuple astronome ayoit donc in= PHILOSOPHIQUES. i6i venté et perfectionné le télescope : or, nos pa- triarches, avant le déluge, ne connoissoïent ni le système de Copernic , ni le télescope; ils ne savoient pas plus d’astronomie que Dominique Cassini ou M. de Buffon ; ils n’avoient pas même étudié l'astronomie plus de trois mille ans. IL faut donc remonter aux premiers hommes pour trouver ce peuple qui avoit découvert la fameuse période ; et de là je conclus que ce premier peu- ple étoit non-seulement un peuple de géans, mais un peuple digne de tous nos respects ; comme ayant créé et perfectionné les sciences et les arts. Où vécurent ces hommes si dignes de nos hommages ? quelle fut la patrie de ce peuple primitif? [nterrogeons encore M. de Buflon, et nous apprendrons que ce fut sans doute «dans « un climat heureux, sous un ciel pur pour « l’observer , sur une terre féconde pour la cul- « tiver, dans une de ces régions comprises en— « tre le quarantième et le cinquante-cinquième « degré de latitude, dans celte contrée d’ou les « fleuves portent leurs eaux dans la mer du « Nord, dans les mers du Midi et dans la Cas- « pienne, dans cette terre plus élevée, plus « solide que les antres, qui fait aujourd’hui « partie de la Sibérie méridionale et de la Tar- « tarie. » Prenez une carte géographique, et vous verrez , madame, que cetle région plus heureuse, plus solide, plus favorisée que les 102 LES PROVINCIALES autres , est précisément la Calmaquie, et vous apprendrez avec élonnement que les Calmouks sont les premiers hommes du monde. Oui, vous en conviendrez, le premier géant, le pre- mier astronome, le premier philosophe fut un Calmouk. Les temps sont bien changés ; le Calmouk est devenu petit et lrapu, et fort su- perslitieux. N’en soyons pas surpris, les Cal- mouks de nos jours sont les nains et les pyg- mées qui ont chassé les Calmouks géans et astro- nomes , les Calmouks patagons. Pourquoi n’avons- nous pas cherché à con- firmer cet article si important dans l’histoire des hommes , et récemment révélé à notre sie- cle par M. de Buffon ? Il n’y avoit rien de plus facile que de donner à cette découverte le der- nier degré d’évidence. La czarine , zélée pour les progrès des sciences, avoit appelé jusqu’à Pétersbourg M. Diderot. Que ne l’envoya-t-elle jusqu’en Sibérie ou en Calmaquie! quelles dé- couvertes intéressantes n’auroit pas faites un sage assez convaincu du système du verre pour nous ayoir dit très-positivement que le noyau du globe est une masse de verre, que sa sur- face n’est couverte que de détrimens de verre! (nt. Nat. p. 79.) Représentons-nous ce célèbre scrutateur de la nature dans les champs sibériens , au milieu des martres et des Russes captifs. Ici, s’écrieroit- il dans un enthousiasme vraiment philosophique, PHILOSOPHIQUES. 103 ici ont vécu les premiers correspondans de l’a- cadémie calmouque. Ces ruines ne sont point les vestiges d’une chaumière; ce sont les fonde- mens de cette tour du haut de laquelle les doctes Sibériens observérent la lune pendant trois mille ans, pour savoir combien de jours a le mois , et combien l’année a de lunaisons.…., Cette monnoie ne porte point l'empreinte des Alexioviz. Sa légende dénote évidemment les jetons que les quarante de l’académie calmouque envoyoient à leurs correspondans.... Ce sillon n’est point l’effet du hasard ou de la charrue, La méridienne tracée par les Cassini de Calma- quie traversa ces campagnes! Cetuyau à Gemi- rongé par la rouille ne fut-il pas jadis le téles- cope du Contaisch ou du Kutuktu (1)? Oui, j'y découvre encore toutes les dimensions du tube optique... Au milieu de ces rocs enlassés les uns sur les autres, quelle masse pareille à nn co- losse a bravé les ravages du temps! Reçois mes hommages, à divin Calmouk ! tu fus le premier sage qui porta la lumière dans la Sibérie. « La « nature t’avoit donné une imagination forte, « une grande éloquence , Part de présenter « les idées sous des images frappantes et subli- « mes. L'édifice quetu avoisconstruita pu tom- « ber; mais ta statue est restée debout au milieu (1) Le Contaisch est le grand kan des Calmoucks ; le Ku- tuktu est leur pontife , vicaire du grand lama. 104 LES PROVINCIALES « des ruines. La pierre qui s’est détachée de la « montagne ne l’a point brisée, parce que « Les pieds ne sont pas d'argile. (7. nt. Nat. « p. 5a.)» Concevez-vous , madame , combien le séjour d’un pareil philosophe dans ces régions du Nord répandroit de la lumière sur l’histoire des premiers hommes ? Partout depuis Tobolsk jusque sur les hauteurs de la Calmaquie, il fouilleroit les champs et les tombeaux, il dé- chiffreroit les épitaphes, il nous apprendroit quels furent les ancêtres du géant Ferragus qui Jut tué par Roland, neveu de Charlemagne. (77. Ep. p. 571.) Le fémur ou l’omoplate du premier contaisch ne laisseroït plus douter que le roi T'eutobochus , un de ses descendans, nuit eu environ trente-deux pieds de hauteur. Nous saurions en quel temps fut déterminée la pé- riode luni-solaire, en quel temps les pygmées vainquirent et chassèrent les géans d’un pôle à l’autre. Nous apprendrions surlout en quelle année parut le premier homme, article d'autant plus essentiel , que M. de Buffon semble le lais- ser indécis , ou plutôt ne l'avoir décidé que de trois ou quatre manières différentes. D’abord il consent qu’on ne donne guère à nol‘e Adam que six ou huit mille ans d’ancienneté ; mais Adam calmouk, le père de ces rois puissans qui régnoient dans l’Atlantide submergée il y a dix mille ans, doit remonter au moins deux | PHILOSOPHIQUES. 105 mille ans plus haut. Ces fameux astronomes, qui avoient découvert la période, el par conséquent observé la lune trois mille ans avant Mathusa- lem, nous montrent des générations bien plus reculées; les volcans nombreux qui faisoient trembler la terre sous les pas chancelans des premiers hommes (Æp. p. 225) les fcroient presque regarder comme plus anciens que les éléphans. Mais nous aimons à prendre un juste milieu ; nous ne donnerons à lAdam calmouk, tartare ou sibérien , que treize ou quatorze mille ans d'ancienneté , à dater de ce jour en ari.ére. J'ai l'honneur d’être , etc. — à OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente, JAIME assez la manière dont M. le chevalier voudroit constater la taille énorme des premiers hommes. I! semble au moins que si la Caima- quie, la Sibérie et la Fartarie ont éié les pre- mières régions habitées, on devroit, selon M. de Buflon, y trouver qnelques vestiges de leurs académies de géans ; mais je crains bien que les monumens des pygmées n'aient fait disparoître ceux des géans. Ce n’est pas que je doute s'il y a eu des géans ; il en paroît encore de temps à autre... Je doute seulement que les Patagons b, 106 LES PROVINCIALES soient de vrais géans, qu’ils aient élé chassés par les pygmées, et qu’il n’y ail eu de ces pyg- mées, c’est-à-dire des hommes de cinq pieds, six, huit et dix pouces, que long-temps après qu'il y eut des géans. Je doute pour le moins autant de l’exis- tence de ces sayans astronomes qui, sur les hauteurs de la Tartarie , avoient perfectionné les instrumens astronomiques. Pour autoriser ses raisonnemens, M. de Buffon devoit au moins nous indiquer dans ces régions du Nord quel- ques-uns de ces monumens que le temps dé- grade , mais qu'il n’anéanuit pas, et qui indi- quent une contrée où les sciences et les arts ont fleuri pendant bien des siècles. Celles où l’on nous transporte n’offrent que les débris très-peu magnifiques de quelques villes ou villages aban- donnés par les’ Tartares; et rien n’est plus gratuit que ce qu'on nous dit sur les trois mille ans d’étude que suppose la découverte de la période luni-solaire, La vie pastorale des patriarches les obligeoit à observer les astres. Leurs mois , comme ceux de presque tous les anciens peuples, éloient réglés sur le cours de la lune. Il ne faut pas lavoir observée bien long - temps pour savoir qu'il se passe vingt-neuf jours et demi d’une nouvelle lnne à l’autre. C’est une observation facile, nous dit M. de Lalande, et les premiers pasteurs ne manquérent pas de la faire. Le ” PHILOSOPHIQUES, 107 premier qui eut l’idée de combiner les mois Junaires avec Pannée solaire n’eut certaine- ment pas besoin de télescope , ni d'observer la lune pendant plus de dix ans, pour trouver à peu près combien il faut de lunaisons pour fxivié six cents ans. Il s’aperçut peut-être qu'il poS cs ou retranchoit deux ou trois ans ; il s’en tint au nombre rond, et rencontra juste. Mais pour assurer que cet homme éloit aussi bon astronome que Dominique Cassini , il fau droit savoir s’il auroit démontré mathémati- quement l'exactitude de ses calculs, ce que M. de Buffon n’assurera pas, ou du moins ne nous prouvera point. Je croirois cependant qu’à force d’observa- tions répétées, les Chaldéens et Les patriarches avoient pu s'assurer que, s’il y avoit une er- reur dans leur calcul, elle étoit tout au plus d’un ou deux jours, erreur très-légère pour eux dans une période de six cents ans. Les druides gaulois avoient déterminé, sans téles- cope, leur cycle de trente ans, et Pinstant précis du lever héliaque de la canicule. On peut donc acquérir des connoissances assez exacies sur le cours des astres sans le secours de nos instrumeus astronomiques, surlout quand on les observe avec autant d'intérêt et de cons- tance que les patriarches , les Chaldéens, les Egyptiens , les Arabes et les Indiens, chez qui l’on trouve en effet des observations bien ! 108 LES PROVINCIALES autrement importantes que cette période de six cents ans. k Je ne sais trop par quelle prédilection M. le chevalier a choisi les Calmouks dans ce vaste pays , désigné par M. de Buffon comme la pa- trie du premier homme. Il pouvoit , au même titre , insliluer sa première académie chez les Mugales et les Mongons ou Tartares puans : les uns et les autres habitent Ics montagnes de la Tartarie. Mais je dirois bien pourquoi nos prétendus sages sont charmés de voir que M. de Buffon trouve son paradis {erreslre dans ces froides régions du Nord, au lieu de le placer, avec Moïse, dans ces lieux arrosés par l’Eu- phrate et le Tigre, et que baignoient de plus autrefois le Phison et le Géhon , comme le dit l'historien sacré, ct comme on le reconnoït par le témoignage des plus anciens géographes , Hérodote et Xénophon ( Géog. de Lacroix. ) Je dirois bien encore pourquoi ces messieurs aiment tant à voir la terre peuplée depuis quinze ou viugl mille ans; mais tant qu'ils n'auront pas constaté leurs annales par un seul événement qui remonte au moins à huit ou neuf mille ans, nous nous en üendrons à la Genèse. PHILOSOPHIQUES. 109 RL SARA A A A A A A 0 A A A AD À EBAY RE X LE Du Chevalier a madame la Baronne. MADAME, Sixième Epoque. Dans ces premiers temps où les astronomes calmouks observoient la lune avec d’excellens télescopes, la terre et l’océan n'’étoient pas ce qu’ils sont aujourd'hui ; les continens n’étoient pes divisés ; il n’existoit pas une seule île; ces arbres, que les eaux déposoïent dans le sein de la terre pour les transformer en mines de char- bon, n’avoient pas encore produit leur effet le plus merveilleux. Ce fut à la date d’environ dix mille ans, à compier de ce jour en arrière, ce fut à la sixième époque qu’ils chaugérent la fice de la terre. Un volcan terrible, mille fois plus terrible lui seul que tous ceux dont la terre avoit été la proie pendant dix mille ans; ce même volcan, dont le tremblement de Lisbonne nous indique encore les derniers effets, ouvrit une caverne de quinze à dix-huit cents lieues de long, sans compler la largeur et la profondeur, engloutit le royaume des Atlantes, qui s’étendoit depuis l'Espagne jusqu’au Canada , divisa PAmérique 110. LES PROVINCIALES de l’Europe , enlr'ouvrit le détroit de Gibral- ar, «et, par une suite nécessaire de la grande _« division , sépara J’Angleterre de la France, « l'Irlande de l'Angleterre, la Sicile de Pftalie, « la Sardaigne de la Corse, toutes les deux du « continent d'Afrique ; les Antilles, Saint-Domin- « gue et Cuba de l'Amérique» (77. Ep. p.106.) Par celte mème cause, ou du moins par un effet semblable , et dans le même temps, la Nor- wège , l'Écosse et le Groënland se virent divi- sés, comme les volcans de l’ Irlande paroissent l’indiquer. Rien n’est plus étonnant que cette origine de toutes les îles qui existent entre l’Europe et l'Amérique; mais comment en douter depuis le tremblement de terre de Lisbonne, et sur- tout quand on voit les volcans de l'Islande ? On pourroit tout au plus nous objecter que l’Atlantide n’étoit déjà qu’une île avant l’érup- tion du grand volcan ; mais Platon et Diodore, qui nous en ont donné cette idée, ne faisoient pas réflexion « qu’elle étoit fort peuplée , et « gouvernée par des rois puissans qui com- « inandoïent à plusieurs milliers de combat- « tans, ce qui déjà indique assez positivement « le voisinage de PAmérique, » Ils ne savoient pas que les éléphans avoient trouvé dans l’At- Jantide /a route la plus naturelle pour aller d’Espagne en Carla, lorsque le froid les eut chassés de la Sibérie; ils ne connoissoient. pas PHILOSOPHIQUES, 111 les bancs de sable et Les les dont cette route est encore semée , et que nos géographes né- gligent d'indiquer , en laissant des espaces im- menses entre l'Espagne et le Canada , sans îles et sans bancs de sable. M. de Buffon a senti le poids de toutes ces raisons ; 1l a vu les vol- cans qui existent encore ; il a calculé leurs forces , leurs effets, les suiles nécessaires de leurs anciennes explosions ; et, sans remonter au-delà de dix mille ans , il les a vus ouvrir des cavernes assez vastes pour affaisser des ré- gions bien des fois plus grandes que l’Europe entiere, Tandis que le feu agissoit à l’occident avec tant de violence, nos compatriotes voudront sayoir ce que faisoient les eaux à lorient, et si elles formoient encore des îles. Oui, ma- dame, pendant notre sixième époque, les eaux produisoient , de leur côté, le mème effet que le feu. Par un mouvement continuel, dont tous les physiciens ignorent la cause, et dont plusieurs nieroient l'existence , sans lauto- rité de M. de Buffon , par un mouvement con- tinuel d’orient en occident , la mer gagnoit sans cesse du terrain, et ne laissoit partout que des îles. Oh ! que ce mouvement devoit produire un jour d'élranges révolutions ! Déjà il avoit fait envahir à l'Océan plus de cing cents lieues de terrain sur les côtes orientales ; déjà il avoit 112 LES PROVINCIALES détaché du continent les îles Mariannes , celles du Japon , des Philippines , de Ceylan, et une foule d’autres. En gagnant toujours du terrain sur les côles orientales, l'Océan devoit engloutir successivement la Chine et la Tar- tarie , la Perse et-le Mogol, la Turquie , la Russie , la Pologne et l’Allemagne. Strasbourg et Besançon devenoient nos ports de mer; mais autant l'Océan gagnoil, de terrain sur les côtes orientales , aulant en perdoit-il sur les côtes occidentales: Brest et Rochefort alloient se trou- ver à cinq cents lieues de ia mer , l’Angleterre cessoit d’être une île, et l'Amérique s’éloignoit autant de nous que nous devions nous appro- cher d’elle. En suivant ces principes , il n’y avoit pas bien long-temps que Paris et Lyon éioient des ports de mer; nous avions acquis par alluvion la Normandie, la Bretagne et la Guyenne ; nous étions le peuple le plus nouveau ; nous allions devenir le plus ancien, par la submersion de tous les autres; mais M. de Buffon a jugé a propos de rassurer la Chine, la Tartarie et toutes les autres contrées de l’Asie contre les prédictions de ses premiers ouvrages. Pékin, Vienne et Moskou n’auront plus à redouter le monvement des eaux d’orient en occident. Il subsistera tou- jours avec la même force; mais c’est dans notre sixième époque qu'il a produit tous ses effets. Depuis cinq ou six mille ans, la mer s’est arrêtée LA PHILOSOPHIQUES, 119 aux portes de la Chine. Les eaux ont cessé d’envahir de grands terrains, et, dans la suile, la terre a plus gagné qu’elle n'a perdu; elle a même acquis une étendue de plus de cent vingt lieues sur les côtes de la Guiane, c’est-à-dire dans une de ces parties du globe où le mouvement d’orient en occident devoit le plus contribuer à détruire l’ancien terrain. A l’occasion de toutes ces îles que nous avons formées, vous me demanderez où se tenoient les eaux de la mer avant que l’Atlantide et toutes ces régions bien plus grandes que l’'Eu- rope ne fussent englouties. L’Océan étant plus resserré avant cette époque , les eaux plus éle- vées devoient couvrir l'Espagne, la France et bien d’autres contrées. Comment lAtlantide et l'Espagne étoient-elles donc habitées? M.T., à qui Je faisois cette observation, m'a tranquil- lisé d’un seul mot, L’Océan, m’a-t-il dit, étoit alors beaucoup moins large, puisque la terre avoit beaucoup plus de surface, mais il étoit aussi beaucoup plus profond. Les eaux étoient peut-être dans ces cavernes d’où le volcan ne sortit que pour y faire entrer l’Atlantide et les autres pays submergés. Elles étoient dessous , et n’ont fait que prendre le dessus. Ainsi il n’est pas étonnant + qu’elles n’occupassent pas plus d’étendue, et que l'Espagne, l’Atlantide , le Canada pussent être habités 1l y a dix mille ans, c’està-direavant la formation desiles. La réponse 114 LES PROVINCIALES m'a paru démonsirative, et j'espère que mes compatriotes en seront satisfaits. Il me reste encore à vous prévenir que nous ne saurions donner à celte époque ni moins ni plus de dix mille ans d’ancienneté, Si vous admettez moins de temps depuis la division de l'Espagne et du Canada, depuis la submersion de tant de royaumes, on fera réflexion que, selon nous, la terre étoit très-peuplée dès ce temps, que les sciences étoient tres-cultivées. On nous demandera comment le souvenir de ces grands événemens s’est perdu dans l’histoire : nous répondrons à tout, en disant qu’il y a dix mille ans que ces choses sont arrivées , et que l’histoire ne remonte pas si loin que la philoso- phie. Si vous admettez beaucoup plus de temps, nous serons en peine de faire passer en Amé- rique les éléphans et les Patagons:; la division des continens ne donnera plus à notre époque le même intérêt; lenons-nous-en donc précisément à ce nombre d'années, et défions l’histoire de nous contredire. J'ai l'honneur d’être, etc. L. PHT=v5O0OPHIQUES. 115 OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. L’ATLANTIDE étoit gouvernée par des rois puissans , qui commandoient à plusieurs milliers de combattans; cela nous indique assez positi- vemnent le voisinage de cette terre et de | Ame- rique! I y a des bancs de sable et quelques îles entre l'Espagne et le Canada; cela nous indique que l’Atlantide étoit unie à l’une et & l’autre, qu’elle offroit mème aux éléphans chas- sés par le froid du nord au midi la route la plus naturelle pour passer d'Espagne en Ca- nada, si l’on veut qu'ils y soient arrivés d'Europe... Lisbonne a essuyé de nos jours un tremblement de terre; ce tremblement r2ous indique les derniers effets d'un volcan qui submergea l Atlantide il y a dix mille ans... L'Islande a ses volcans, cela nous indique la cause de la séparation du Groënland de PEcosse et de la Norwège: et tout cela nous montre les causes, le temps , la véritable époque de la for- mation des îles occidentales , de la séparation de l'Europe et de l'Amérique... Dussé-je, en acquérant l'art de raisonner sur de semblables indices ; duissé-je, en me prètant à cette logi- que, acquérir le style , la noblesse, l'élégance, 116 LES PROVINes4tÉS les charmes, le génie de M. de Buffon, je n’eri voudrais pas. Tout l’art d’un auteur ne sup- pléera jamais à la solidité des preuves ; et toutes celles que l’on nous donne ici sur les faits les plus essentiels sont en elles-mêmes si légères, si dépourvues de connexion avec les consé- quences, que nous croirions inutile de Îles réfuter. Remarquons seulement que les contradictions perpétuelles de nos philosophes sur les Atlantes devroient bien les dégoûter de raisonner sur ces peuples et leur patrie, Platon et Diodore nous parlent de l’Atlantide comme d’une île submergée, sans indiquer clairement ni le lieu où elle fut, nile temps auquel elle cessa d’être. M. de Buffon en fait un empire qui s’étendoit depuis l'Espagne jusqu’au Canada; M. le Bailly va la chercher vers le pôle arctique , un autre a prétendu la trouver dans la Méditerranée; un qualrième la voit sur l'Océan, aux côtes d'Afrique. Ne vaudroit-il pas mieux avouer qu'on n’a rien d’assez positif sur les Atlantes pour autoriser tous les raisonnemens que l’on fait sur eux ? Au moins, lorsqu'on cite le texte même de Platon , ainsi que l’a fait M. de Buffon ( T'héo. de la Ter. tom. 1, pag. 606), au moins faudroit-il ne pas contredire si évidemment celte autorité. Ce texte nous apprend que PAllantide ne fut engloutie qu'après ja guerre de ses héros contre PHILOSOPHIQUES. 117 les Athéniens. T'raditur Atheniensiis Civitas restilisse olim innumeris hostium copiis , quoæ ÆAtlantico mari profectæ , propè cunctam Eu- ropam, Asiamque obsederunt..….…. Post hæc Jactum est ut terra dehiscens, omnes illos bellicosos absorberet, et Atlantis insula vaslo gurgite mergeretur. M. de Buffon , après avoir cité ces paroles, voudroit-il donner à Athenes et à Cécrops dix ou onze mille ans d’ancienneté ? Nous ne croyons pas qu'il ait envie de faire à l’histoire un pareil outrage, Passons à l’origine des îles orientales, Quand nous admettrions ce mouvement des mers d'erient en occident , nous demanderions toujours par quel miracle un mouvement que l’on reconnoît être insensible auroit agi avec tant de force contre l’Asie , en épargnant l’Afri- que, exposée comme elle l’est sous la zone torride, (#7, Palias, Dissert, sur l’orig. des mouv,), où l’on prétend que sa force est la plus grandes; uous demanderions d’où vient cette quantité prodigieuse d’iles détachées de lPAsie , tandis qu’en en trouve si peu à l’orient de l’Afrique, Mais examinous les causes que M, de Buffon assigne à ce mouvement. « Du mouvement alternatif de flux et reflux, « il résulte, nous dit:il ( 7°. 1,p.453), un « mouvement continuel de lorient vers l’occi= « dent, parce que l’astre (la lune) qui produit « l’intumescence des eaux va lui-mème d’orient 110 LES PROVINCIALES « en occident, et qu’agissant successivement dans « cettedirection , les eaux suivent le mouvement « de lPastre dans la même direction ». M. de Buffon parle sans doute ici du mouvement diurne et apparent de la lune, puisque deux jours d’observations suffisent au peuple mème pour s’apercevoir que son mouvement réel est d’occident en orient. Ne pourrions -nous pas dire, avec plus de raison, que l’astre qui produit le mouvement des eaux ayant une direction réelle d’occident en orient, les eaux devroient avoir celle même direction ? La vérilé est que la lune ne peut, ni retarder ni accélérer le mouvement général commun à la terre et à l'Océan. Que Pon considère avec tant soit peu d’atten- tion lPaction de la lune sur les eaux de l'Océan; dans le même imstant que son attraction contra- rie d’un côté le mouvement général, elle con- court de Pautre à laugmenter, puisqu’elle attire également à droite et à gauche. La partie des eaux qui éloit altirée et poussée vers l’occident se trouve donc, douze heures aprés, attirée vers lorient. Ces deux actions se succèdent journel- lement, à cause de la révolution diurne; elle se détruisent donc mutuellement, et ne produisent qu'un flux et reflux continuel, qui ne peut re- tarder ni accélérer le mouvement général com- mun à la terre et à l'Océan, parce que les som- mes de la retardation et de l’accélération étant PHILOSOPHIQUES, 119 égales , se détruisent et restent sans effet comme toutes les forces opposées, M. de Buflon croit trouver une autre cause de ce mouvement des mers dans les vents d’o- rient, Comment n’a-t-il pas vu que, pour don- ner aux eaux un mouvement constant et géné- ral, il falloit nous citer une cause constante et générale? Or nous n’avons qu’à lire cc qu’il dit lui même de ces vents, pour voir combien peu leur action est générale ou constante. Il réduit d’abord cette généralité du vent d’est aux ap- proches de l'équateur, quoique ce mouvement ait produit , selon lui, des effets très-violens en- deçà des tropiques. Dans lazone même la plus su- jette à ce vent, on trouve desespaces de cinq cents lieues où le sud et le sud-ouest sont conti. nuels ; d’ailleurs , c’est le nord-est qui vous ac- compagne depuis le vingt-huitième degré latr. tude nord jusqu'au dixième. En allant de Goa au Cap de Bonne-Espérance, on netrouve le vent d'est que douze degrés au-delà de l'équateur. Îl ne se fait point sentir en-decà. Dans l'Océan indien , entre l'Afrique et l'Inde, il règne pen- dant six mois; le reste de l’année est pour l'ouest ; les autres vents et les tempéles, À Saint-Domingue, l’ouest soufile régulière- ment pendint la nuit, et l’est ne reprend son empire qu'à dix heures du matin pour le perdre à six heures du soir. Je pourrois citer une foule d’autres variations; mais en voilà assez pour 120 LES PROVINCIALES démontrer que, même entre les tropiques , les vents d’est sont trop peu élendus , trop contra- riés par les autres vents pour donner à POcéan une direction constante et générale d’orient en “occident, direction à laquelle s’opposent tant d’autres vents dans toutesles autres parties de FO- céan. Vainement d’ailleurs chercherions-nous des causes générales où les effets ne le sont pas; l’Océan et les mers méditerranées s'étendent , se resserrent , tantôt à l’orient, tantôt à l’occi- dent. Les causes particulières sont sans nombre, comme les effets: mais les bornes générales sont prescriles , l'Océan ne les passera pas. A PACE LETTRE XIII. De M. le Chevalier à madame la Baronne, MADAME, Septième époque. L'homme invente les arts et les perfectionnez il cultive la terre, la rend plus féconde, plus agréable ; il resserre les fleuves, abat les forêts et retarde l'empire des frimas ; il seconde enfin de toute sa puissance celle de la nature, et ses nobles travaux nous présenteroient dans l’histoire des révolutions du globe une septième époque à développer ; mais une réflexion triste PHILOSOPHIQUES. 121 el désespérante m’absorbe aujourd’hui tout en- tier, je ne saurois vous entretenir que de mes frayeurs. Si M. de Buffon a aussi bien percé dans Pavenir qu'il a su remonter à l’origine des temps ; s’il prévoit aussi bien les effets qu’il ma- nifeste les causes, quel funeste sort menace la terre el ses habitans ! Encore quelques siècles, encore quatre-vingt-douze milleneufcent quatre: vingt-dix-huit ans à compter de ce jour, et la nature mourra. Eh! de quelle mort désagrea- ble ! d’une mort si triste, si désespérante , que la pensée seule en transiroit de froid un Proven- çal au milieu de juillet. Encore quatre-vingt- dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit ans, et l’Europe, lAsie, l'Afrique , FAmérique, la zone tempérée , la zone torride ne sont qu’une immense glacière; toute la nature est morte de froid. | O terre ! étoit-ce donc la peine de sortir d’un astre brûlant, de brüler toi-même d’un fen dé- vorant RE deux mille neuf cent trente-six ans, pour finir par être un cadavre plus froid que la glace? Mais avois-je donc oublié que je suis le disciple du grand T....? Contemplons la ature , et de quelque mort qu’elle soit menacée, ne refusons pas notre hommage au célèbre phi- losophe qui a su nous en prévenir. Secouons en- core ces vieux préjugés , effet d’un climat ou les hivers sont courts et les étés fort chauds , préju- 1. 6 122 LES PRAOVINCIALES gés qui seuls nous font redouter les approches d’un hiver sans fin. Contemplons, avec M. de Buffon, ces régions boréiles dont la chaleur donce el tempérée ani- moit jadis les premiers êtres. La vie nous étoit venue des pôles ; la mort a pris 1 même route, Des climats de l’ourse et du pôle antérctique, lle pousse sans cesse vers l’éqn:teur des mon tignes de glace qui convriront un jour toute la terre. Déja elles s’avarncen! TIBTE LE l: hauteur du Spitzberg et de la nouvelle Zemble. Eîles ont encore, ilest vrai, une assez longne roite à fire pour arriver aux plaines dn Languedoc ; mais nous avons un #miiemi plus voisin. Les 5la= cières de la Suisse s'étendent en long ei en large. Qu'importe que les vents du midi fondent quelquelois en quinze jours les couches accumu- es de quinze hivers? qu'importent ces royons brülans dont le soleil se prépare à les dur der lorsqu'elles seront aux portes de Marse'!le on de Montpellier ? Ne voyez-vous pas qu'elles cou- vreut déja les sommets du mont Gothard, du Grimsel el de toutes les montegnes de la Suis.e? La posterité ne tardera pas à s apercevoir que toutes ces glaciéres iront toujours en augmen- tant, jasqu'à ce que les mois de juillet et d'août soient plus froids à Rome que décembre et jan- yier ne le sont en Sibérie. Parce que nous voyons la neige, la glace et les frimas disparoïtre dès que le soleil s’élève sur PHILOSOPHIQUES. 123 nos têtes, parce que nous suons à grosses gout- tes lorsqu’il arrose nos champs de ses rayons, nous lui attribuons la plus grande partie de cettechaleur qui nous vivifie; accoutumés à dou- bler et à tripler nos vétemens pendant les grands hivers , nous les regardons comme deux ou trois fois plus glaçans que l'été; nous attribuons à l’absence du soleil nos rhumes, nos catarrhes, nos fluxions; nous croyons que toujours son retour suffira pour ranimer la nature; nous lui attribuons l’honneur de faire éclore les fleurs du printemps, et de mürir les fruits de l'automne ; mais désabusons-nous, ces bienfaits nous vien- nent presque entiérement de la chaleur que la terre a conservée jusqu'ici. La chaleur du soleil est si peu de chose, gw’entre Le plus chaud de nos étés et le plus froid de nos hivers, à peine ÿ a-t-1l un trente-néuvième de différence. (7°. Ep. p. 141). Pendant la canicule, vous ne recevez du soleil qu’un degré de chaleur, tandis qu’au milieu de l'hiver la terre vous en conserve encore trente et un; tant le soleil met peu de différence entre un homme qui sue et celui qui tremble et se meurt de froid. Que ne sommes-nous bien persuadés de cetts vérité! nous n’admetlrions aussi qu’un trente- deuxi&me de différence entre nos vêtemens d’hi- ver et nos hubits d'été; une simple serge, tant soit peu plus chaude que la toile légère ou que le taffetas de Florence , suffiroit pour se prome- 124 LES PROVINCIALES ner aux Tuileries au plus fort de janvier ; nous bannirions ces draps, ces velours, ces ratines, et surtout ces fourrures , qui ne font qu’attester l'ignorance et le préjugé; nous ne ferions pas honneur au soleil de cette chaleur qui féconde nos campagnes et ranime nos sens engourdis, nous saurions qu’elle vient pr PURE entièrement de la terre. Mais, hélas ! cette terre ne suflira point tou- jours à nourrir de ses feux la belle nature; nos derniers neveux les verront s’éteindre : expirans de froid au milieu des sables aujourd’hui brü- lans de la Libye, ils se rappelleront la gloire de cet homme qui , depuis quatre-vingt-treize mille ans, leur avoit annoncé l’empire des frimas sous lesquels la nature expire avec eux. Alors ils ver- ront notre globe fimr par le froid, et ne doute- ront plus qu’il n’ait commencé par le feu. Ils verront la terre changée en un monceau de glace, et croiront enfin qu’elle est toute de verre ; ils regarderont M. de Buffon comme le prophète de la véritable physique , et cette épo- que sera la dernière de la nature. J'ai l'honneur d’être , etc. Paris, ce 8 mai de l’ère vulgaire 1780. Depuis 4 la comète chassa les planètes du suüleil /+ 51%. MA Les LEO DIU Lx AO AR ONE Depuis ou la terre cessa d’être soleil. . . . 72,066. Depuis que les huîtres commencèrent à digé- rer les montagnes dans l’eau bouillante. . 37,942. PHILOSOPHIQUES. 125 Depuis que les forêts filtrées sous les monta- gues se convertirent en volcans . . . . . 25,000. Depuis que les arbres et les éléphans voya- gèrent ensemble du nord vers le midi, et depuis que les nains chassèrent les géans du fond de l'Amérique. . . . its y 14805, Depuis que le grand volcan sépara VEspauae AT EE rte ae AT RNA es” d'a C3 Avant que les glacières ne parviennent aux portes de Montpellier . . . . . . . 30,060, Avant que toute la terre ne soit plus Site que la glace , et que la nature ne meure de froid sous la zone torride. . . . « . . . 92.998 * RAR D D RE TR RS AS RAT 0 D Te RE D A] 1 “2h D LETTRE XIV. Réponse de madame la Baronne à la lettre précédente. Nous voilà donc condamnés à périr un jour de froid au milieu de juillet! la triste fin du monde que celle-là! Mon cher chevalier, ma philosophie’en étoit toute déconcertée, Je n’aime point le froid. Je ne supporte pas un hiver tant soit peu rude , et déjà notre province me semble aussi glacée que la Sibérie ou le mont Gothard. Quoi ! ce n’est pas assez que les frimas aient fait disparoître nos éléphans! au lien d’un épagneul nous n’aurions bientôt que des rennes et des ours à caresser! je n’ai pu m’endormir dans celte idée, Déjà je croyois voir les montagnes de glace 126 LES PROVINCIALETS m'environner, je périssois de froid. Mais, ai-je dit enfin en moi-même, d’où proviendroient donc ces montagnes de glace ? Il faudroit une bonne quantité d’eau pour en couvrir la terre, et l’eau diminue tous les jours , les huîtres la di- gèr ent et la changent en pierre de taille. J'ai suivi cette idée, il m’a semblé qu’elle m'annonçoit une fin du monde bien différente de celle que prédit M. de Buffon, et bien plus éloignée. Je veux vous en faire part. J’admets votre principe sur la digestion des huîtres, et je sens bien qu’il faut l’almetire pour savoir ce que sont devenues toutes ces eaux qui couvroieni la terre at ’a la hauteur de deux mille trois cents toises el plus. Par leffet naturel de cette digestion , a She grande partie des eaux s’est métamor phosce en mon- tagnes; car il n’en reste plus, m'a-t-on dit, que ce qu’il faudroit pour en couvrir le rlobe entier jusqu'a la hauteur de six cents pieds (Th. de la Ter. tom. T. p. 214), encore fau- droit il supposer que l'Océan se tronvât comblé. Il nous reste bien des huîtres et des animaux testacées ; il yeua dans nos mers une qui ntilé prodigiense: ces animaux digèrent et digére- ront encore long-lemps : ils continuent à chan- ger l’eau en pierre. Mes ponles, m'a 1-on dit, font tout comme les hui res, et changent l’eau en pierre, on du moins en matière calcaire, car les coquilles d'œufs sont aussi calcaires : lors PHILOSOPHIQUES. 127 donc que mes poules et les autres oiseaux au- ront pondu un certain nombre d'œufs, quand les coquilles d’huiîtres se seront multipliées à un certain point, qu'arrivera-t-il ? les poules et les huîtres n’auront plus d'eau à digérer : tout l'Océan se trouvera changé en coquilles d'œufs ou en coquilles d’huîtres. Alors toute la nature mourra, non de froid, mais de soif. L’un, me direz-vous, ne vaut pas mieux que l’autre: j'en conviens , mais l’un est bien plus éloigné que Pautre, car depuis la naissance du premier Cai- mouk, et surlout depuis la submersion de PAtlantide, les huîtres et les poules ont cessé de suivre exactement le calcul. de M. de Bufon. Deux mille toises d’eau digérées dans vingt mille ans avoient d’abord donné dix toises ou soixante pieds de digestion par siècle : en sui- vant ce calchl, il ne resteroit plus une goutte d’eau sur la terre depuis long-temps ; mais, je vous l'ai dit, les huîtres le suivent si peu aujour- d’hui , qu’elles n’ont pas produit une seule montagne depuis qu'il y a des hommes sur la terre. Elles ont donc fait comme l'Océan : celui- ci cessa d'envahir de grands espaces lorsqu'il eut produit ses grands effets; les huîtres ont cessé de changer en pierre une grande quantité d’eau quand elles ont eu produit les montagnes calcaires. À juger du temps dont elles auront besoin pour digérer loutes les eaux qui restent encore à l’Océan , par la proporiion que sui- ‘ 120 LES PROVINCIALES veni actuellement les effets de leur digestion, il faudra encore trente - cinq millions six cent soixante - dix - huit mille neuf cent quatre ans pour que toute la métamorphose soit opérée, pour que la nature meure de soif. Mais, allez-vous me dire, la nature sera morte de froid bien long-temps avant, comment pourra--elle encore mourir de soif dans trente- cing millions d'années? Non, M. le chevalier , Ja nature ne sera point morte, et ne mourra jamais de froid dens mon système; la terre sera toujours attirée et frottée par la lune et par le soleil, cette attraction, ce frottement, entre- tiendra toujours sa chaleur, comme le frotte- ment des comètes entretient celle du soleil, se- lon M. de Buffon. Je pourrois même dire que ce frottement continuel pourroit bien un jour augmenter les feux de la terre; mais j'aime mieux penser qu’ils resteront toujours au même degré. : Je regarde la terre comme un globe que vous feriez tourner autour d’un feu toujours égal. Quand ce globe auroit acquis un certain degré de chaleur, quand il seroit aa point où la quan- uté de feu qu’il réçoit égaleroit celle qu’il perd par lévaporation, la masse totale de la chaleur resteroit toujours la même. Elle ne pourroit pas toujours augmenter ; car une boule de fer, à cinq ou six pieds de distance d’un feu moyen, ne rongiroit pas, ne se fondroit jamais; elle ne PHILOSOPHIQUES. 129 se refroidiroit pas non plus, puisqu’un feu tou- jours égal lui rendroit à chaque instant la cha- Jeur qu’elle perd. C’est ainsi qu’un provincial m'a appris à raisonner sur la chaleur terrestre ; sa façon de penser m’a paru très-plausible, et je ne conçois plus que la terre, toujours à la même distance du soleil, du feu qui léclaire et léchauffe, puisse devenir plus froide que la glace ; mais, comme dans un système où l’on a expliqué la naissance de la nature, il fant en- core expliquer sa mort, j'espère que vous ap- plaudirez au léger changement que je fais à la théorie de M. de Buffon. Au lieu de penser que toute la nature mourra de froid dans quatre- vingt - treize mille ans, vous direz avec moi qu’elle est condamnée à mourir de soif, quand les animaux testacées auront changé en pierre toutes les eaux de l’Océan , c’est-à-dire, au plu - tôt, dans trente-cinq millions d'années. Je laisse pourtant à nos derniers neveux le droit de dé- cider qui aura prophélisé plus juste de M. de Buffon ou de madame la baronne , sa très-hum- ble servante et la vôtre, ete. 150 LES PROVINCIALES OBSERVATIONS D'un Provincial sur les deux lettres précé- dentes, C’EST à cette réponse de madame la baronne que nous avons renvoyé ceux qui pourroient croire au changement des eaux en pierre de taille par la digestion des animaux aquatiques : elle nous a paru démontrer que depuis long- temps cetle digestion auroit desséché l'Océan, si On pouvoit y ajouter foi. M. de Buffon n’ad- mel eu effet, et ne peut admettre dans les ca- vernes soulerainesqu’une assez petite quan lité d’eau ; qu’est donc devenue celte immense quan- Uté qui couvroit la terre , si elle n’a pas été di- gérée par les huîtres? et si les animaux testa- cées en ont digéré deux mille toises dans vingt mille ans, comment les effets de celle digestion ont-ils été si peu sensibles depuis que les hom- mes existent ? | L'expérience proposée par madame la ba- ronue, pour démontrer que la terre conservera toujours sa chaleur, nous paroïl aussi très-sa- Usfuisante, surtout en supposant que le globe dont il s’agit tourne autour du feu, de même que la terre autour du soleil. Les parties exlé- rieures sur lesquelles le feu agira le plus direc tement seront notre équateur et Ja zone torri- PHILOSOPHIQUES. 131 de ; les cercles un peu pluséloignés , sur lesquels le feu agit obliquement » représenteront leszones ” tempérées ; les extrémités, beaucoup plus obli- quement exposées à l’action du feu , nous mon - treront les pôles et les zones glaciales ; la partie tournée vers le feu sera seule éclairée et plus chaude : voilà nos jours et nos nuits, Les mêmes parles de la surface recevant, tantôt plus di- reclement, et tantôt plus obliquement Ja cha- leur, seront tantôt plus chaudes et tantôt plus froides : voilà nos saisons. S°1 y a sur ce globe quelques éminences terminées en pointes, et d’une matière plus difficile à pénétrer. les rayons plus obliques agiront avec moins de furce: une surface respectivement plus grande rendra l'é- vaporalion plus facile , et la fermentation inté- rieure moins considérable; les vents, les exhalaisons froides qui pourront s’y airéter ne permettront pis au sonrmet de ses pointes de s’'échauffer : voilà nos montagnes. La cheleur qui pénètre dans l'intérieur du globe s’y conservera plus égilement qu'à la sur- face, parce que l’Evaporation ne sera point né galement accélérée par les vents ; les pluies, etc. Elle sera partout à peu près la même à une cer- tatne profondeur, parce que le fluide igné se distribuera également lorsque son équilibre et son mouvement ne seront point inég:lemert troublés. Elle sera cou-tante quand elle sera parveuue à un certain degré, et ce degré sera ‘ 132 LES PROVINCIALES évidemment celui où la quantité du feu qui pé- nèlre à chaque instant par quelque partie de Ja surface sera égale à celle du feu qui s’évapore. Elle sera plas grande dans tout l’intérieur que dans certaines parties de la surface, parce que celles-ci ne reçoivent que tres-obliquement les rayons quë devroient les échaufler , et parce que l’air dissipe jusqu’au feu qu’elles recevroient de l’intérieur du globe. Par ces observations on expliquera facile- ment tous les phénomènes de la chaleur ter- restre ; elles montrent pourquoi la chaleur in- térieure est en général de dix degrés au-dessus de la glace , et pourquoi les exhalaisons fondent la neige dans certains endroits. On y voit un principe de fermentation qui, pouvant donner une chaleur plus grande partout où les matières pyriteuses seront plus ramassces et plus abon- dantes, échauffera les eaux minérales, et pro- duiramême des volcans. L'expérience deM.Gen- sanne , dans les mines de Giromanie, où la cha- leur s’accroit à mesure que l’on descend, n’est plus uue difficulté. Cette augmentation vient uniquement d’une cause locale, et des matières plus abondantes qui fermentent dans le fond de ces mines. On ne conçoit pas même comment MM. de Buffon et Bailly peuvent s’appuyer sur celte expérience, puisqu'elle est unique, et que, dans leur système, on devroit l’observer dans toutes les mines. Ces messieurs pouvoient -1ls PHILOSOPHIQUES. 133 ignorer les observations cilées par M. l'abbé Ro- sier, et faites à Joakims-Tlah, à Wiliska, dans plusieurs autres mines où le thermomètre dé- signe constamment le même degré de chaleur? La bonne foi sembloit exiger que M. de Buffon fit mention de ces dernières expériences, sil les connoissoit ; et s’il ne les connoissoit pas, il est à croire qu’il essaiera dans la suite de les expliquer de manière qu’elles paroissent moins opposées à son syslème, ou qu’il abindonnera ce feu central qui n’explique rien, qui n’est pas lui-même concevable, qui, s’il avoit jamais exis- té, seroit depuis long-temps éteint par le défaut d'air et par la pression des couches terrestres : tandis que tout s'explique sans peine lorsqu'on attribue la chaleur de notre globe à celle du so- leil. .... On peut voir sur cet objet l'excellente dissertation qui a pour titre: Le Soleil rétabli dans ses droits. 134 LES PROVINCIALES A A A A A PP PS re PA L'EURDHIR.E -X:Y: Réponse de M. le Chevalier & madame la Baronne. MADAME, Je ne déciderai point entre la fin dun monde par le froid et la fin du monde par la soif, je penserois même que M. de Buffon nous au- roit laissé là-dessus une liberté parfaite, s’il avoit connu vos raisons. Tantôt il auroit fait mourir la nature sous les glaces, tantôt H nous l’auroit montrée expirante de chaleur et de soif, comme il nous a fait voir la lune partant du soleil, pour nous dire ensuite comment elle est partie de la terre. Je vous ai déjà cité quelques exemples de cette fécondité de res- sources qui nous laissent maîtres de varier dans les causes , les principes et les effets. La philosophie est ennemie de l1 gène et de la contrainte ; elle ne souffre point qu'un auteur se laisse captiver aujourd’hui par le sentiment qu'il avoit her. Si vous développez jamais votre système , il sera bon pour vous de conroître toute la l'herté que nous vous laissons , et c’est pour cela que je vais vous donner encore quel. ques exeinples de l’usige qu’en a it M. de Buffon PHILOSOPHIQUES. 135 dans toutes les parlies-de son système. Je pro- poserai d’abord la question ; vous verrez ensuite cegraudhommenous fournir toujours une double réponse. | - 356 LES PROVINCIALES Q. Est-il probable que la terre ait été soleil? OUI. Tout concourt à prouver qu'il n’a pas suffi que la terre et les planèles aient passé dans le voisirage du soleil (Æp. p. 45); elles furent toutes autant de petits soleils détachés du grand. (Zbid. p. 60.) Q. Les coquilles sont-elles une preuve que la terre a été couverte d'eau ? ONE En considérant cette multitude de coquilles et d’autres productions marines, on ne peut pas douter que la terre n’ait été pendant très-long- temps un fond de mer. ( Tome T, p. 265.) Q. Toutes les espèces d'animaux et de vége- taux ont-elles été produites a peu près dans le méme temps ? OUT. Indépendamment des livres sacrés, on a raison de croire que toutes les espèces d’animaux et de végétaux sont à peu près aussi anciennes les unes que les autres. ( T'ome I, p. 196.) PHILOSOPHIQUES. 157 Q. Estul probable que la terre ait été soleil? NON. Prétendre avec Léibnitz que la terre a élé soleil, c’est dire une chose également possible et impos- sible , à laquelle il seroit superflu d'appliquer les regles de la probabilité. (Hist. Nat., in-4°., tom. TL, pag. 169.) Vous verrez, à la même page, cette idée mise au nombre de celles qui sont élevées, mais dénuées de preuves. Q. Les coquilles sont-elles une preuve que la terre a été couverte d'eau ? NON. Dire que la mer a autrefois couvert loute la terre, et que c’est par celte raison qu’on trouve des coquilles partout, c’est ne pas faire attention a une chose très-essentielle, qui est l’unité du temps de la création. ( éme vol., p. 196.) Q. Toutes les espèces d'animaux et de végé- taux ont-elles été produites a peu près dans le méme temps ? NON. Car les poissons exislèrent vingt mille ans avant les animaux terrestres; l'éléphant , le rhinocé- ros, et tous les animaux qui aiment la chaleur, parurent quelques milliers d’années après les végétaux, et avant l’homme. Les animaux qui 138 LES PROVINCIALES- OUI. Q. Peut-on établir un système sur le choc d'une cornete? OUL On peut conclure, avec une lrés-grande vrai- semblauce , que les phinies ont reçu leur mou- vement d'impulsion d’un seul conp. Cette grande probabilité, qui équivaut presque à une certitade, étaut acquise, je cherche quel corps a pu faire ce choc et produire cet cffet, el je ne vois que les comète; capables decommuniquer unanss: gran mouvement à d'aussi vastescorps(T'oin.1,p.155) (et notre système est fondé sur le choc d’une comète. ) Q. Les grandes montagnes ont-elles élé for-- mées par les eaux? OUI. L'Histoire Naturelle confirme merveillense- ment cetle opinion , et nous avons prouvé que , . . ? c’est le flux et Le reflux qui ont produit les mon- PHILOSOPHIQUES. 159 NON. ne souffrent point la chalenr dürent paroître long - temps après les autres. (Foy. la 3° et la h° Ep.) Q. Peut-on établir un système sur le choc d'une comète ? NON. Le choc où l'approche d'une comète , l’ab= sence de la June, 11 présence d'une nouvelle p'anéie, elc., sout des supposttions sur les quelles 1l est aisé de donuer carrière à sen imaz ginstion. De pareilles canses proluisent {ont ce que l’on veut, et d’une seuie de ces hypothèses on va ürer mille Romans physiques , que leurs auteurs appelleront T'héorie de la terre. Comme historiens, nous nons refosans & ces vaines spéculations : cles roulent sur des po3- sibiliiés qui, pour se rédnire à l'acte, stpposent un bouleversement de l'Univers, etc. (Mérne vol. , mais pag. 98.) Q. Les grandes montagnes ont-elles été Jor= mées par les eaux. NON. Elles (les hautes montagnes) doivent leur origine à l'effet du feu .... et l'on peut assurer que dans tous les lieux où l’on trouve des mou- 140 LES PROVINCIALES OUI. tagnes et toutes les inégalités de la surface de la terre (T°. L, p. 769) (1). Q. La mer est-elle navigable auprès des pôles? OUI. Si on vouloit tenter le voyage dela Chine et du Japon par les mers du nord, il faudroit peut-êlre, pour s'éloigner le plus des terres et des glaces, diriger sa route droit aux pôles, et chercher les plus hautes mers, où certainement il n’y a que peu ou point de glaces. ( 7°, 7, p. 216.) Q. Le froid est-il égal vers les deux pôles ? OUT. Les navigateurs prétendent que le continent des Terres Australes est beaucoup plus froid (1) N. B. On diroit que M. de Buffon a eu de la peine à concilier ces deux sentimens, car il s’est formellement rétracté sur la formation des grandes montagnes par les eaux; mais en ajou- tant qu’il peut dire en général qu’il n’y à au- cun autre changement à faire dans toute la théorie de la terre que celui de la composition des premières montagnes, qui doivent leur ori- PHILOSOPHIQUES, 141 NON. tagnes de roc vif, ou de toute autre matitre solide et vitrescible, leur origine et leur établis- sement local ne peuvent étre attribués qu'à l’action du feu. ( Ep. p. 87.) Q. La mer est-elle navigable auprès des pôles ? NON. Il est certain que les glaces se présentent de tous : côtés à huit degrés du pôle, comme des barrières znsurmontables . .,, et par conséquent cette région du pôle est entièrement et à jamais perdue pour nous. (Æp. p.220. Ÿ”, aussi les additions et corrections, p. 267.) Q. Le froid est-il égal vers les deux pôles? NON. L’hémisphère austral a été de tout temps, comme il l’est encore amjourd’hui , beaucoup gine au feu primitif (Ep. p. 521), il nous ap- prend en revanche comment on peut changer les oui en non, lors mème qu’il nous dit qu’il n’y a point de changement à faire dans un sys: ième. Je ne choisis pour preuve de cette liberté, que les trois propositions suivantes, dont les oui se trouvent dans le premier volume , et les non dans le dernier. 142 LES PROVINCIALES OÙ T que celni du pôle arctique; mais 17 n’y a au- cur.e apparence que cetle opinion soit fondée, TT, pag. 214) ©. Le soleil s’éteindra-t-1il comme les planètes ? OUI. Les planètes se sont éteintes faute de combus- tibles, comme, le soleil s’éteindra probablement par la même raison. (7°. Z, p. 149.) Q. Les comètes peuvent-elles se fondre en passant sur le soleil, ou en sillonnant sa surface ? OUT. La comète génératrice, malgré son extrême densité , se fondit si bien , que sa matiere se mela à celle des planètes pour sortir du soleil, et qu'elle existe plus que dans nos planètes. {V'oy. Ep. 51.) PHILOSOPHIQUES. 143 NON. plus froid que le nôtre. .. . Il est presque cer- ain que les glaces ont envahi une plus grande étedrie sous le pôle antarelique. (Æ£p. p. 221, et corrections.) Je laisse ici les corrections, mais les oui et les non continuent. Q. Le soleil s’éteindra-t il comme les planètes? NON. Le feu du so!el durera aussi long temps que le mouvement et la pres-1on des vastes Corps qui le produisent ( Ep. p. 46), c’est-à dire Lint qu’il y aura des comtes el des planètes, ou bien tant que le monde durera. Q. Les comètes peuvent-elles se fondre en passant sur le soleil, ou en sillonnant sa surface? NON. Car le fen du soleil, en brûlant leur surface, n’a pas le temps de pénétrer la masse des comètes qui s’en approchent Le plus. Il faudroit pour les liquéfier la quinzième partie da temps qu'il faut pour les refroidir £p. pag. 45 ) ; et M. de Buffon prouve , à la même page, qu'il faudroit »lu- sieurs milliers d'années pour fondre les comètes, quelque violent que soit le feu du soleil, 144 LES PROVINCIALES Q. Les provinces de l’Orient avancées vers le midi, telles que l’ Arabie Pétrée, sont-elles les parties de la terre les plus anciennement habitées ? OUI. La couche de terre végétale d’un pays habité doit toujours diminuer, et devenir enfin comme le terrain de l’ Arabie Pétrée , et comme celui de tant d’autres provinces de l’Orient, qui est en effet le pays le plus anciennement habité, (T, I, pag. 243.) Q. La terre étoit - elle déja fort tranquille quand les premiers hommes parurent ? OUI, OUL. Le Souverain Être n’a pas répandu le souffle de vie dans le même instant sur toute la surface de la terre; il a commencé par féconder les mers, et ensuite les terres les plus élevées, et il a voulu donner tout le temps nécessaire à la terre pour se consolider , se figurer , se refroi- dir, se sécher, et arriver enfin à lPéfat de tran- quillité où l'homme pouvoit être le témoin intel- ligent, l’admirateur paisible du grand spectacle de la nature et des merveilles de la création; ainsi nous sommes persuadés, indépendamment de l'autorité des livres sacrés, que l’homme a été créé le dernier, et qu'il n’est venu prendre le sceptre de la terre que quand elle s’est trouvée AA PHILOSOPHIQUES, . 149 Q. Les provinces de l'Orient avancées vers le midi , telles que l'Arabie Pétrée, sont-elles les parties de la terre les plus anciennement habitées ? | NON. Les terres avancées vers le midi (telles sans doute que l’Arabie Pétrée) étoient encore inha- bitables long-temps après la population du nord ( Ep. p. 165.) Q. La terre étoit-elle déja fort tranquille quand les premiers hommes parureni ? NON, NON. Les premiers hommes, témoins des mouve- mens convulsifs de la terre , encore récens et très-fréquens , w’ayant que les montagnes pour asile contre les inondations, chiassés souvent de ces asiles par le feu des volcans, éremblans sur une terre qui trembloit sous leurs pieds, nus d'esprit et de corps , exposés aux injures de tous les élémens, victimes de la fureur de tous les animaux féroces, dont ils ne pouvoient éviter de devenir la proie ; tous également pénétrés du sentiment commun d’une terreur funeste, tous également pressés par la nécessité, n’ont-ils pas promplement cherché à se réunir? ..... Ces hommes proïondément affectés des calamités 1, 7 146 LES PROVINCIALES OUI, OUI. digne de son empire. (Æp. p. 189, fin de la cinquième Epoque. ) EUESAS CRNOAE. ER SNE SECRET EERES MSERECRRTE Je pourrois ajouter à ces exemples ; mais en voilà sans doute assez pour faire comprendre quel homme doit être le philosophe qui a su concilier des senlimens si opposés en apparence. Je n’exigerai point de nos compalriotes ces su- b'imes efforts. Je suis persuadé qu’ils réussiroient plutôt à brouiller M. d’Alembert et le génie, M. de Bufon et la physique, Dieu et Diderot, qu'à réunir dans un seul cerveau toutes ces opi- uions. Il fiudroit pour cela savoir distinguer l'esprit qui vivilie, et la leltre qui tue, aussi bien que M. de Buffon a su le faire pour con- cilier les époques et la Genèse. Lans nos grands systèmes, la lettre, les chiffres, les principes, varient assez souvent, mais l’esprit est toujours le même; c’est toujours l'esprit de la philoso- he : il faut le saisir et l'admirer. J'ai l'honneur d’être , etc. PS. Si parmi ces oui et ces non il y en PHILOSOPHIQUES. 147 NON, NON. de leur premier état, et ayant encore sous leurs yeux les ravages des inondalions, des incendies des volcans, les gouïfres ouveïts par les secousses de la terre, ont conservé un souvenir durable et presque éternel de ces malheurs du monde. (Méme vol. , mais pag. 225 et 227, el commen- cement de la septième époque. avoit quelques-uns qui ne vous parussent pas tout à-fait aussi opposés que le pour et le contre, il ne seroit pas impossible d’y suppléer par un bon nombre d’autres dont l'opposition #eroit plus sensible. Je me chargerai d’en fournir à qui voudra au moins une centaine. — OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. Nous dispensons notre correspondant d’une collection complèle des ou et des 707 d’un sage dont ils dépareront toujours les sublimes. ouvrages. Nous le confessons à regret, il n’y à peut-être jamais eu que Voltaire et l’auteur du Système de la Nature, qui, lus avec attention ;. présentent autant de contradictions que le cé- lèbre auteur des Epoques, Nous aimerions bien 148 LES PROVINCIALES mieux que la vérité seule, toujours pure et tou- jours d’accord avec elle-même, ett inspiré cet homme si bien fait pour la servir. Hélas ! il a été le jouet de l'esprit de système; sans le vouloir, peui-être, 1l a servi l'esprit philosophique ; il a subi le sort attaché à la philosophie comme a l’iniquité , de mentir contre soi - même , de se contredire hautement et publiquement. Mentita est Plilosophia sibi. Peut-être son slyle enchanteur a-1-1l fait sur lui-même l'effet qu’il produit sur la plupart de ses lecteurs. Tout ce qu'il dit se trouve si bien dit, qu’on pense rarement, quand on l’écoule, à ce qu'il disoit quelqu& temps auparavant. On n’aime point à combiner ce qu’on a lu avec ce qu’on lit actuel- lement, de peur de troubler l’impression du moment, J'ai vu des hommes instruits épris de sa diction au point de ne s’apercevoir qu’il les avoit fait penser de bien des manières différentes sur les mêmes objets que long-temps après avoir fermé le livre. La réflexion venoit enfin, et l’on disoit : Des erreurs physiques si mal combinées, des contradictions si multipliées ne devoient pas couler d’une plume si éloquente. Quand la chaleur de la composition sera passée , quand M. de Buffon aura cessé de faire des systèmes , ses propres regrets ne vengeront-ils pas encore mieux la vérite? 4 PHILOSOPHIQUES. 140 CEE EE EE EE ET onda edeshesbesbtshss)hs)s:)22)] BEPTRE XVE De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Je vous avois promis des vérités neuves , inté- ressantes , et surtout très-variées ; grâces à M. de Buffon, je crois avoir tenu jusqu'ici ma parole assez fidèlement. Un autre philosophe me prête aujourd’hui sès lumières, et c’est un nouvel ordre de choses qui va s’offrir à nous. Nolre terre n'est plus un soleil qui finit par s’étein- dre et par devenir plus froid que la glace. Telliamed, dont le nom nous cachoit en vain celui du philosophe de Maillet, a les vues plus grandes et plus étendues que M. de Bufon. Il voit la nature naître, vivre, mourir, et se res- susciter elle-même. Dans notre univers, il a reconnu l’étonnante machine, l’horloge admi- rable qui sait se remonter elle-même, reprendre ses forces , et se donner une activité que la mort lui avoit Ôtée. | _ Peu de lecteurs peut-être s’étoient fait une idée aussi noble du système de Telliimed; on se contentoit d'admirer les vastes connoissances de son auteur sur les coquillages et sur la retraite des mers; mais voici, madame, les vrais prin- 150 .. LES PROVINCIALES cipes de cet ouvrage, tels que M. T, me les développera. Le monde n'a jamais été composé que de globes alternativement très-lourds ettrès-légers, rès-humides et très-secs, très-opaques et très- lumiuenx. « Le soleil lui-même étoit jadis opa- « que, et le deviendra encore. Les comtes, « régies autrefois par un soleil, ont été obligées « d'aller chercher fortune ailleurs, ou ne sout « peut-élre que Îes restes épars de ce même « soleil, éteint, entier, ou brisé. » La lune iroit aussi chercher fortune ailleurs, si elle ne savoit que la terre deviendra /a proie des flammes , et sera encore un nouveau soleil, L'article essentiel de ce système est donc de concevoir comment chaque globe s'éteint et se renouvelle; et c’est aussi ce que Telliamed nous explique très- physiquement par ces mots que je vais transcrire, et que je vous prie de bien mé- diter. Vous n’y trouverez pas l'élégance de M. de Buffon, mais vous y verrez en revanche des choses bien extraordinaires, « Font ce que les rayons du soleil enlèvent « de matiéres aux globes les plus voisins de lui « (p.110, t. IT), la poussière, les particules « d’eau dont ils se chargent en les faisant mou- « voir, et en passant avec rapidité vers les plus « éloignés, ce que ces mêmes rayonsemportént « de la substance du soleil, tout cela est porté à travers le fluide de l'air, vers extrémité du = = PHILOSOPHIQUES. 151 tourbillon, où l’activité de ces rayons, à la fin amortie et languissante, n’a pas plus de force qu’en ont pour notre globe, pendant la nuit, ces mêmes rayons réfléchis de là June. C’est là qu’au milieu d’un air presque sans mouvement , ils se dépouillent des ma- tières dont ils sont chargés. C’est aussi à celle extrémité du tourbillon, où le cadavre d'un soleil éteint qui aura été ponssé par sa légè- reté reçoit les dépôts de ces matières, et re- couvre, à leur faveur, ce qu’il avoit perdu d'humidité et de pesanteur pendant qu’il étoit enflammé. C'est là que, s’enrichissant de la dépouille des autres, ces globes sont recou- veris d’eau, et regagnent avec elle des limons qui rétablissent en eux le poids et la substance qu'ils avoient perdus. C'est dans le sein de ces eaux que les cendres qui sont restées de leur incendie, les sables, les métaux, les pierres calcinées, sont roulces ei agilées par les courans des nouvelles eaux qui s’y amas- sent. Ces mers diminueront un jour: et c’est de leur diminution que sortiront les mon- tagnes de ces nouvelles terres, ainsi que les nôtres en ont élé tirées. » M. T. lrouvoit dans ces paroles l’histoire de tous les corps célestes, et toute la théorie de notre globe, Considérez, me disuit-il, consi- dérez la terre dans l’état où elle est actuellement. Les rayons du soleil qui traversent notre air, on + 152 LES PROVINCIALES qui sont réfléchis par la surface, ne peuvent s’éloigner sans emporter chacan une petite quan- tité des parties terrestres ou humides. Il viendra un temps qu'ils auront emporté tonte l’eau de l’Océan. Tout mourra alors sur la terre ; et cela, m’a-t-1l ajouté depuis, cela s’accorde assez bien avec le système de madame la baronne, toute la nature mourra de soif. La terre, deve- nue tres-sèche, s'enflammera et deviendra soleil; ses rayons, comme ceux des autres soleils, em- porteront encore une partie de sa substance; ils épuiseront toutes les matières combustibles, Le globe sera donc alors très-légers et, selon les regles de la pesanteur, 1l a de lui-même vers celte extrémilé du tourbillon ou les rayons du soleil aboutissent et déposent loute l’eau dont ils s étoient chargés. La terre, dans ces endroits humides , ne peut que s’imbiber de toutes les eaux qu’elle avoit perdues ; son intérieur en est tout pénétré, sa surface en est toute couverte : de soleil qu’elle venoit d’èlre, elle devient un véritable océan. Alcrs sa pesanteur la ramène au point d’où elle étoit partie, à moins que le soleil épuisé ne soit allé lui-même se rafraîchir aussi à l'extrémité du tourbillon; car, dans ce cas, 1l faut que la terre cherche fortune ailleurs, et qu’elle aille tourner autour d’un autre soleil, Comme elle n’est plus qu'un vaste océan , elle ne peut être alors habitée que par les poissons , ‘ PHILOSOPHIQUES. 155 et les eaux ne peuvent naturellement que for- mer des montagnes, dont l’intérieur doit être mêlé d’un grand nombre de coquillages, à l’ex- ception de celles que nous appelons primitives , soit parce qu’elles sont restées de l’ancien monde, soit qu’elles aient été formées avant la naissance des poissons. En ce cas, les montagnes secon- daires les moins hautes, et celles où 1l se trouve des coquillages, auront été formées des débris des autres à mesure que la mer se retroit et se desséchoit ( pag. 77 ). Quand les rayons du soleil auront de nou- veau emporté une assez grande quantité d’eau pour que la surface de la terre soit découverte, elle deviendra habitable pour les hommes et pour les animaux; toute la nature ressusCilera » et la terre se trouvera au point dont je suis parti pour vous développer son histoire et sa théorie. Tous les autres globes célestes, par les mêmes raisons, subiront sans cesse lés mêmes change- mens. Ils furent et seront toujours alternati- vement océan , terre et soleil. Ces révolutions, très-naturelles et très-physiques, comme vous le voyez, se succéderont dans les siècles des siècles. Jétois dans une espèce d’extase en écoutant l’histoire de ces révolutions éternelles. J’admi - rois surtout ces rayons du soleil qui emportent les eaux de l’Océan à l'extrémité du tourbillon, et je convenois que la terre devoit enfin se trou- r PA / 154 LES PROVINCIALES ver trés-sèche; j’admirois la force qui retient notre océan et celui de tons les globes célestes à cetle extrémité du tourbillon jusqu’à ce que chacun aille reprendre le sien; j’adinirois cette terre assez intelligente pour venir chercher un soleil qui la délivre encore de ses eaux, et la rende de nouveau soleil : j'admirois bien des choses, quand, revenu enfin de mon étonne- ment, je fis à M. T. quelques questions dont la réponse me fournira un jour le sujet d’une nou- velle leitre. J’ai l'honneur d’étre, en attendant, etc. etc. D A AT A A A AT A A A A 8 a a TT TT OS AT Te LETTRE XVEL De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Après avoir appris comment les rayons du soleil épuisent les eaux de l'Océan, je priat M.T.dem’expliquer comment cesmêmesrayons font tourner la terre et dirigent tous ses mouve- mens. Voici quelle fut sa réponse. La terre, dans le système de Telliamed , au lien de s’aplatir, s’allonge au contraire vers les pôles; «sa figure est semblable à celle d’un « fuseau qui se dévideroit dans une eau tran- « quille; les rayons du soleil font sur elle l'efiet PHILOSOPHIQUES. 155 « d’un fil dont le fuseau seroit entraîné en se « dévidant. Par ce mouvement, ils la font tour- « ner sur elle-même dans un air libre, en un « de nos jours, et parcourir dans un an toute « Pécliptique ( Tom. IT, pag. 65 ). » Les deux extrémilés du fuseau s’élèvent et s’abaissent len- tement, et rien n’est plus facile à concevoir , dans ce système , que /a mutation de l’axe. Vous riez, madame; vous allez essayer si les rayons d’une bougie ne dévideroïent pas un fuseau que vous aurez mis dans une eat tranquille ; mais je vous prierai de faire at- tention que les expériences peuvent être in- faillibles en grand, et ne pas réussir en petit. C’est apparemment pour celle raison que le soleil ne dévide la lune que dans un mois ; car vous concevyez bien qu’étant beaucoup plus pelite que la terre , les rayons ne peuvent pas agir sur elle avec autant de force que sur notre globe, Ces difficultés ne sont donc que bien peu de chose ; mais en voici une qui pourroit paroître importante. Lorsque le soleil a perdu tous ses rayons, pourra-t-on nous dire quand cet astre devient opaque , car , dans notre système, cela lui arrive aussi-bien qu’à tous les autres globes, comment la terre peut-elle tourner sur elle- même, et par quel astre alors est-elle dévidée? Notre réponse est toute simpie. Lorsque le soleil devient opaque , la terre, sans doute , 2, 156 LES PROVINCIALES recouvre sa lumière; ses rayons font alors sur le soleil ce que le soleil faisoit sur elle-même ; elle dévide l’astre qui la dévidoit , jusqu’à ce que celui-ci s’enfuie aux extrémités du tour billon. Je sens bien que, malgré sa simplicité, cette réponse peut absolument vous étonner un peu ; mais quand on a vu chez M. de Buffon des comètes qui froltent le soleil, on peut bien pardonner à Telliamed les rayous du soleil qui dévident la terre, et ceux de la terre qui dévideront un jour le soleil. Je demandai encore à M. TT. si Telliamed, que j’avouois être aussi bon physicien que lau- teur des Epoques , avoit calculé aussi bien que lui pendant combien d’années la terre avoit été couverte d’eau, depuis quand elle éloit ha- bitée, et combien de temps elle seroit soleil. Ce grand physicien, me répondit-il, avoit pré- venu M. de Buffon dans bien des choses : il avoit indiqué l’origine des comètes; il avoit décou- vert le grand déluge, la formation des montagnes par l’Océan, la retraite des mers, l'apparition de l’homme vers les pôles, et nous avoit laissé de grandes recherches sur les coquillages ; 1l avoit eu, même avant Boulanger , cette belle idée que M. de Buffon a mise depuis en st beau français à la tête de ses Epoques. Il cherchoit aussi dans les couches de la terre des monumens stables , qu’il comparoit aux pierres milliaires , PHILOSOPHIQUES. 157 et par lesquelles il croyoit pouvoir remonter aux différens âges de la nature. J'avouerai cependant que ces manuscrits n'auront pas été aussi utiles à M. de Buffon que ceux de Boulanger ; car ses lois pour fixer les époques ne sont pas tout-à-fait aussi sûres que celle de la digestion des huîtres et de la filira- tion des forêts sous les montagnes; il ne parle pas même avec cetie assurance si naturelle à M. de Buffon. « Si lon trouvoit, dit-il, par « exemple ,; des morceaux de brique ou de « terre cuite dans des carrières élevées au- _« dessus de la mer de douze cents pieds, en & supposant la mesure commune de la dimi- «-nution de ses eaux à trois pouces par siècle, « on sauroit. que la terre a été habitée par les « hommes il ÿ a près de cinq cent mille ans. « (Tome IT, pag. 62).» Je n’ajouterois pas trop de foi à cette me- sure , continua M. T., soit parce que des mor- ceaux de brique ou de terre cuite trouvés dans des mines pourroient bien n’indiquer que deux ou trois siècles, soit parce que la mer ne s’abaisse très-certainement pas de trois pouces par siècle ; car les Vénitiens auroient vu son niveau s’abaisser de trois pieds depuis que leur ville existe. Marseille et bien d’autres villes au- roient fait des remarques bien plus sensibles en- core: d’ailleurs, si la mer s’est retirée de certains endroits, C’étoit en comblant quelques rivages, 150 LES PROVINCIALES et non pas en changeant de niveau : ainsi , je ne m'en tiendrai pas à Ceile mesure assiguée par Telliamed. En voici une autre qui nous indiqueroit des révolutions bien étranges , s’il étoit possible de la constater. M. de Buffon nous conseille de creuser dans les entrailles de la terre , pour y découvrir dans un’ noyau de verre les dé- bris d’un soleil liquifié ; Telliamed voudroit aussi que lon « püt creuser jusqu’au centre du « globe , et parcourir les divers arrangemens « de matières dont il est composé. On seroit en « état de juger sur ces recherches sil s’est « trouvé dans plusieurs sabmersions successives « sans avoir eté la proie des flammes. En ce « cas, on rencontreroit dans le globe les ves- « tiges de plusieurs mondes arrangés les uns « sur les autres , des villes entières , des monu- « mens durables , et {out ce que nous remar- « quons aujourd'hui sur la surface de la terre , « des os d’hommes et d’animaux , les uns pétri- « fiés, les autres non: des pierres et des marbres, « dans lesquels on trouveroit tout cequisetrouve « dans les nôtres. » Si j'élois roi, me dit ici M. T....., plein du noble enthousiasme ; si j’étois roi de France, on sauroit bientôt à quoi s’en tenir. Je serois un roi philosophe ; je n’éleverois pas de py- ramides ; je ne bâtirois pas des châteaux sur les hauteurs ; je creuserois en bas ; je vou- PHILOSOPHIQUES, 159 drois employer mes sujets à fouiller jusqu’au centre de la terre, ou tout au moins jusqu’à ce que l’on fût parvenu à découvrir la vérité. Si j'arrivois enfin au noyau de verre, M. de Baffon seroit proclamé le premier physicien de mon empire. Permis aux Allemands d’en faire autant pour Léibnitz, qui le premier fit fondre notre soleil de verre 3; mais si je décou- vrois à deux ou trois cents lieues au-dessons de la Seine une seule ville aussi grande que Paris, T'elliamed auroit seul le droit d’instruire mes peuples sur origine des choses. Il leur appren- droit que, sous cet empire dont je tiendrois le sceptre, étoient autrefois un empire et des Français gouvernés par des rois un million de fois plus anciens que Pharamond; que cent lieues au-dessus de nos têtes il paroîtra un jour une nouvelle France et des peuples nouveaux, dont les rois philosophes fouilleront encore les débris pour découvrir ces mondes arrangés les uns sur les autres, comme nous fouillons dans les ruines d’'Herculanum. Vous serez peut - être moins curieuse que M. T. de ces découvertes ; mais il faut con- venir que des villes arrangées les unes sur les autres , depuis le centre jusqu’à la surface , seroient une preuve très-forte que nos idées sur Pancienneté du monde ont été bien resserrées par Moïse. La philosophie n’est pas absolument dépourvue de toute preuve sur ces anciens 160 LES PROVINCIALES mondes : car, nous dit Telliamed (Tome T, page 97), «on n’a assuré, lorsque j’élois « à Paris, qu’en sciant ce grand morceau de « pierre dont les parties égales forment le « frontispice de la grande entrée du Louvre du « côté de Saint - Germain , on rencontra vers « le milieu une barre de fer de la forme de la « platine d’un fusil. » Cette découverte bien constatée prouveroit seulement au commun des hommes que la pierre se forma en peu de temps dans la carrière où cette platine avoit été laissée ; elle indique à nos sages qu’il existoit jadis un autre monde, où la poudre à canon étoit connue , et dont les habitans avoient des armes à feu aussi meurtrières que les nôtres ; qu’ils se faisoient la guerre et qu'ils se détrui- soient comme nous. Quand trouverons-nous des monumens plus propres à nous consoler? Quand pourrons - nous démontrer qu’ils avoient aussi leurs philosophes ? J'ai l’honneur d’être, etc. PS. Depuis cette leçon sur Telliamed, j'ai Ju qu’on a trouvé plusieurs fois des écrevisses , des crapauds et d’autres animaux , dans des blocs de pierre, et même dans les pierres les P . plus dures, sans aucune issue au-dehors (1). Ne e (x) Voyez les Mémoires Acad. ann. 1519 et 1731; le Dictionnaire d'Hist, Nat,, par M. Valmont de Bomare, tom. LT. PHILOSOPHIQUES. 161 pourroit-on pas dire que c’étoient des écrevis- ses, des crapauds de l’autre monde, qui vivoient encore ? BR LAS DIRE VD VB EVE S VAE LR A LALE GRAVES AA LIRE IAA ADI D LETTRE XVIIL De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Nos systèmes seroient bien imparfaits, et la philosophie auroit fait connoître bien peu de ressources , Si nous avions chacun la même marche , si nous courions Lous à la même ori- gine pour peupler la terre. Vous ne trouverez point chez nous celte disette. Les pôles se des- sechent pour M. de Buffon ; et le nord devient la première patrie de l’homme. Les pôles con- servent leur humidité chez Telliimed , et ils ne sont pour lui que notre seconde patrie : il voit nos ancêtres peupler depuis long-temips le fond des mers. « L'eau est le principe de toute chose , nous « dit ce philosophe (six. Dial. ), elle con- « tient toutes les semences. Les premiers ant- » maux qu’elle produit dans chaque espèce « vivent d’abord dans son sein ;eils s’accou-— « tument ensuite à en sortir et à vivre en « plein aix; mais la nalure, qui prépare tout « avec sagesse, leur montre les endroits les plus 162 LES PROVINCIALES « propres à ce passage, c’est-à dire les plus « humides ; ainsi le nord, chargé de parties « aqueuses , sera le lieu que les hommes ma- « rins ont commencé à habiter; aussi y a-t-il « apparence que les transmigrations de ces es- « pèces marines ont toujours été et seront tou- « jours plus fréquentes vers les pôles et dans « les pays froids; et c’est pour cette raison que « les multitudes innombrables d'hommes, dont « Jes parties méridionales de l’Asie et de l'Europe « ont été inondées, sout sorties des régions sep- « Lentrionales, » Si l’histoire des éléphans confirme admira- blement le système des molécules organiques , vous voyez, madame ,*que celle des hommes est plus favorable à Telliamed. Qu’étoit - ce , enfin , que ces hommes dont nos ancêtres con- juroient les cieux d’arrèter les ravages par cette pritre ajoutée pendant un temps à nos Litanies : À Jurore Normanorum libera nos , Domine : Seigneur, délivrez- nous de la fureur des Nor- mands ! C'étoient des légions de guerriers sor- ties de l'Océan sur les côtes de la Norwège ou de la Suède. Ces héros, lassés de vivre parmi les harengs et les sinmons, abandonnent leur premier élément, Pendant quelques années ils s’exercent dans l’art de ravager les provinces ; ils forgent des glaives, des lances , des flèches ; et bientôt la France est obligée d’avouer que des bommes naguère carpes et brochets peu- PHILOSOPHIQUES. 165 vent triompher de tous ceux qui, depuis bien des siècles, n’ont plus de nageoires , d’arêtes et d’écailles. Mais est-il bien vrai que nous avons absolu- ment perdu ces indices de notre première ori- gine ? « Non , madame, il y a encore, il y aura « toujours dans tous les hommes une marque « impérissable qu’ils tirent leur origine de la « mer : considérez leur peau avec un de ces mi- « croscopes qui grossissent aux yeux un grain « de sable à légal d’un œuf d’autruche, vous « la verrez toute couverte de petiles écailles, « comme l’est celle d’une jeune carpe. » (Zbid). Osons, après cela, révoquer en doute que nos premiers pères n'aient long-temps nage dans le fond des mers. Une marque plus évidente encore et bien plus commune que l’on ne pense nous apprend que les hommes ne sont pas tous issus de la même espèce de poisson. Ceux qui, dans leur état pri- m'tif, avoient une queue un peu trop longne, n’ont pas pu s’en défaire enlièrement, ef chez eux l’épine du dos se termine en quete de bro- chet ou de merlan. Vainement affectent-ils de cacher cette preuve de leur origine. Telliamed nous assure qu’il a vu lui-même, de ses propres yeux , que d’autres personnes très-dignes de foi ont vu , comme lui. des hommes chez qui ces restes précieux de leurs premiers pères étoient très-sensibles. 164 LES PROVINUIALES Faut-il porter la démonstration à un plus haut degré de certitude? Nous vous citerons l’histoire véritable d’un capitaine anglais, qui a vu une foule de ces hommes encore vivans dans le sein de l'Océan. C’étoit, autant que je puis me souvenir de l’avoir lu dans Telliamed, c’é- toit vers les côtes d'Irlande que notre Anglais faisoit voile, quandil aperçat un certain nombre de petites chaloupes montées par des hommes tout nus. Îl veut savoir quels sont ces hommes ; il s'approche d’eux ; mais tout à coup Les hom- mes et les chaloupes disparoissent. Vous pensez peut-être que c’étoient des pêcheurs qui furent submergés dans ce moment ; non: c’éloient réel- lement des hommes marins, car ils prirent cha- cun leur chaloupe , et l’emportèrent sous le bras au fond de la mer. Le capitaine anglais ou- blia peut-être de dresser un procès - verbal ; mais voici un fait confirmé par les preuves les plus juridiques, par le témoignage de cinq per- sonnes, par un procès-verbal dressé dans toutes les formes à la Martinique , sur Papparition d’un homme marin. Pour votre satisfaction et celle de nos compatriotes , je vais copier presque en eulier trois de ces dépositions authentiques , telles que je les trouve à la fin du second volume de T'elliamed. PREMIÈRE DIPOSITION. « Moi André, nègre du sieur Déforge, dé- PHILOSOPHIQUES. 16 pose ce qui suit : J'ai vu bête frite comme homme dans la mer, cheveux longs, épaules, un poil gris, barbe lPy gris comme main, le poil gris sur le sein (assurément c’étoit un homme gris ) , la queue faite comme carangue ; l'y veni trois fois sur l’eau, et gardé nous. toujours avec ses gris yeux ; moi teni mouche pour Py faire, Autre nègre couri après lPy pour prendre comme ligne; y caché dans la mer, et puis pu voir lui. » DEUXIÈME DÉPOSITION. Pierre, nègre dudit Noël Lemoulle de la Rosière , a déposé ce qui s’ensuit, et dit : «Moi « « « « miré un homme en mer de diamant; moi miré Ini trois fois; lui tenir tête. Bon visage de l’y comme monde, ly teni barbe gris, l’y sorti hors de l’eau, regardé nous. Je vous moi prendre lui dans ains pour prendre lui; moi tenir point peur, non pas grand, non; et puis lui caché; lui souvent gardé nous; et pourtant tenir queue comme poisson. » TROISIÈME DÉPOSITION. Le troisième déposant est Pierre, nègre du- dit sieur le Gras. « Moi miré bête, non pas « « « bien miré lui , parce que lui étoit dans lyeau. Lui sembloit pourtant poisson ; moi tenir peur. Autre dire ange , c’est un ange monde; 165 LES PROVINCIALES « lui regardé plusieurs fois, puis lui caché dans « l’eau, et moi non miré lui davantage.» Que nos compatriotes combinent ces trois témoignages, auxquels je pourrois en ajouter deux autres, qui n’en différeroient que par le style, celui de Julien Vattemort, jeune homme de dix-sept ans, et celui de Cyprien Poyer, qui ne savoit pas écrire ; ils verront que de pareils témoins ne savent pas mentir. Je vous avoue au moins que leurs dépositions suspendroient mon jugement entre lesystème de M. de Buffon et celui de Telliamed , entre les molécules or- ganiques et les hommes poissons. Si le premier avoit quelque avantage, c’est qu'il a démontré fort cluürement comment les molécules orga- niques ont pu se réunir pour former toutes les espèces d'animaux , comment elles se réuni- roient encore pour en former de nouvelles, sans notre appétit dévorant ; au lieu que T'el- liamed , en faisant sortir de la mer tous les ani- maux, néglige de nous dire quel poisson est devenu éléphant, quel autre est devenu singe, rhinocéros, etc. Je ne déciderai donc pas entre les deux systèmes: vous choiïsirez vous-même , ou plutôt vous attendrez, pour vous décider, que mes lettres vous aient fail connoitre de nou- veaux systèmes, de nouveaux grands hommes, J'ai lhonneur d'être, etc. PIHILOSOPHIQUES. 167 OBSERVATIONS D'un Provincial sur les trois lettres précé- | dentes. MES compatriotes ne s’attendent pas à me voir réfuter sérieusement ces rayons du soleil qui dévident la terre ; ces globes alternativement océan, terre, soleil; ces cadavres qui vont se ranimer à l'extrémité du tourbillon ; ces hom- mes marins qui ont les yeux gris, barbe grise, la queue comme carangue : mais croiroit-on bien que ces idées si bizarres n'ont d’autre fon- dement que les coquillages si muliüipliés qu’on trouve sur la terre , les vestiges d’un ancien dé- Juge, la retraite des mers loin de certains ri- vages 7? Oui, c’est uniquement pour nous expli- quer comment les eaux ont pu couvrir les plus hautes montagnes, comment elles ont pa se re- tirer et disparoître, que Telliamed invente un système si peu physique et siabsurde, M. de Buffon , et Wiston, et Burnet , et tant d’autres, ne se sont eux-mêmes donné tant de peine que parce qu’il y avoit un déluge à expliquer, parce que la terre a évidemment éprouvé des révolutions qu’on ne peut attribuer qu’à la chute et au séjour des eaux sur la surface da globe, Est-il donc impossible de trouver la raison de 168 LES PROVINCIALES ces révolutions dans le déluge dont parle Moïse? Nous ne répondrons à celte question qu’en éta- blissant les trois propositions suivantes : 1° Moise seul] assigne au déluge universel une raison plau- sible et suflisante. 2° Le déluge, tel qu'il est raconté par Moïse , suffit pour expliquer tout ce qui nous démontre que les eaux ont couvert la surface de la terre ct des montagnes. 5° Les preuves incontestables du déluge universel sont en même temps, pour tout homme instruit et physicien, une preuve physique , incontestable et toujours subsistante de la vérité de la reli- gion. M. de Buffon nous fournit lui-même la preuve Ja plus complète de notre premiere proposition, en assurant formellement « que la faute de Bur- « net, de Wiston et de Wodwart, est d’avoir « regardé le déluge comme possible par action « des causes naturelles. Il n’y a, ajoute-t-il « (7°. 7, p. 199), il n’y a aucune cause natu- « relle qui puisse produire, sur la surface en- « tère de la terre, la quantité d’eau qu’il a fallu « pour couvrir les plus hautes montagnes; et « quand même on pourroil imaginer une cause « proportionnée à cet effet, il seroit encore im- « possible de trouver quelque autre cause ca- « pable de faire disparoïtre les eaux , à moins « de supposer que l’eau tombée de la comète a « été détruite par miracle; elle seroit encore « aujourd’hui sur la surface de la terre , cou- PHILOSOPHIQUES. _ 169 « vrant les sommets des plus hautes montagnes, « Rien ne caractérise mieux un miracle que « Pimpossibilité d’en expliquer l'effet par les « causes naturelles. Nos auteurs ont fait de « vains efforts pour rendre raison du déluge, « leurs erreurs de physique ; au sujet des cau- « ses secondes qu’ils employoient, prouvent « la vérité du fait tel qu’il est rapporté dans « l’Ecriture sainte, et démontrent qu’il n’a pu « être opéré que par la cause première, par la « volonté de Dieu. » Aprés une déclaration aussi formelle que l’est celle-là , on ne s’attendoit pas, il est vrai, à voir M. de Buffon se donner lui-mêmetant de peine pour trouver dans les causes naturelles l’expli- calion des eaux qui, de son aveu, ont couvert nos montagnes, au moins jusqu'à la hauteur de deux mille trois cents toises, et pour nous faire comprendre comment elles ont disparu; mais Pinutilité de ses efforts n’est-elle pas une nouvelle preuve qu’il faut absolument recourir à l’action immédiate du Tout-Puissant pour trouver une cause capable de produire un déluge universel ? Convenir avec lui que la quantité des eaux souterraines est très-peu de chose en com- paraison de POcéan, et recourir aux animaux testacées pous changer en montagnes toutes celles qui n'existent plus, nous osons le dire, c’est prouver qu'elles n’ont disparu que par un vrai miracle. Je sais que des hommes bien [e] 1: Le) 170 * LES PROVINCIALES moins instruits que M. de Buffon prétendent que ces eaux , avant le déluge, étoient dans les cavernes intérieures du globe, et qu’elles sy sont retirées après le déluge. Mais ne faudroit-il pas un vrai miracle pour faire sortir les eaux de leur retraite souterraine, puisqu'elles ÿ seroient toujours portées et retenues par leur pesanteur naturelle, à moins que toute la voûte supérieure ne s’écroûülât pour prendre leur place ? Et dans ce cas, comment les faire rentrer dans des ca- vernes qui n’existeroient plus ? IL faut n’avoir pas la moindre idée de physique pour penser que iout notre Océan pourroit, sans miracle, sortir de son lit, et couvrir la surface terrestre. Ne seroit-ce pas un bien plus grand miracle que, du sein des cavernes intérieures, il püt s’é- lever un océan vingt ou trente fois plus profond, et une fois au moins plus large , tel que cette mer qui couvroit la terre au moins jusqu’à deux raille trois cent toises de hauteur? Je dis plus encore : ne seroit- ce pas un vrai miracle qu'il y eût dans l’intérieur du globe une mer vingt ou trente fois plus grande que notre Océan? Non, me répondrez-vous, toute la surface du globe formeroit en ce cas une voûle immense, dont les quatre parties, l’Europe, l'Asie, l’Afrique et PAmérique se souliendroient mutuellement. Vous ne faites donc pas attention que les inter- valles immenses qui séparent ces quatre parlies de Ja terre supposent nécessairement qu’elles re- _— : PHILOSOPHIQUES, 171 posent toutes sur le centre du globe? et fussent- elles jointes et serrées comme toutes les parties d’une voûte, sur quoi celle voûle seroit-elle portée sil se trouvoit entre elle et le centre trente fois plus d’eau que l'Océan ne peut en con- tenir ? Convenons-en donc, les eaux du déluge n’ont pu se trouver sur la terre et en disparoi- tre que par un effet iminédiat de la toute-puis- sance divine, que par un vrai miracle. Or Moïse seul nous présente le déluge comme un effet iim- média! de la toute-puissance divine , comme un événement produit par une cause surnaturelle. Tenons-nous-en donc à Moïse, sans nous épui< ser en suppositions chimériques. Il faut, nous dit M. de Buffon, il faut que la terre ait été sous les eaux plus d’une fois, et beaucoup plus long-temps qu’elle ne le fut pen- dant le déluge dont parle lEcrilure ; Car celui-ci ne suffit pas pour expliquer tous les effets des eaux sur la surface du glohe. Je pourrois répar- ür : Il y a donceu plusieurs miracles , puisque, selon vous-même, jamais les causes naturelles n’ont sufli et ne sufhront ponr inonder toute la surface du globe? vous serez donc forcé plus d’une fois de recourir à la cause qui vous ‘est assignée par Moïse? Mais est-il bien vrai que le déluge universel , dont parle l’Ecrilure, ne suffise pas pour expli- quer tout ce qu’on peul attribuer à une monda- tion générale ? J’ai annoncé le contraire, et j’es- 172 /LES PROVINCIALES père le prouver. Le seul mot de déluge, nous dit M. Valmont de Bomare, exprime la plus grande alluvion qui ait jamais couvert la terre; celle qui a dérangé Pharmonie première, ou plu- tôt la structure de l’ancien monde; celle qui, par une cause extraordinaire des plus violentes, a produit les effets les plus terribles en boule- versant la terre, soulevant où aplanissant des montagnes, dispersant les habitans des mers, couches par couches, sur la terre; celle enfin qui a semé jusque dans les entrailles du globe terrestre les monumens étrangers que nous y trouvons, et qui doit être la plus grande, la plus ancienne et la plus générale catastrophe dont il soit fait mention dans l’histoire; en un mot, Ja plus grande époque de la chronologie. (Dict. d’Hist. natur, art. Déluge), En effet, M. de Buffon recourt vainement à PEcriture pour nous démontrer que le déluge servit uniquement à détruire l’homme et les animaux ; qu'il n'a changé en aucune façon la surface de la terre. Les eaux bouleversèrent tout le globe, et l’Ecriture sainte nous l’annonce positivement par ces paroles : La terre est rem- plié de leurs iniquités, et je les perdrai avec elle : Repleta est terra iniquitate a facie ecrum, et ego disperdam eos cum terra. (Gen. c. 6.) Pouvoit-on annoncer plus positivement le des- sein de changer la face de Ja terre en détruisant les hommes ? | PHILOSOPHIQUES. 153 Quand l'Eternel ensuite promet au saint pa- triarche de ne plus envoyer de déluge qui dis- perse la terre : Non erit amplis diluviurm dis- sipans terram. Ce mot seul dissipans , qui rend l'action des eaux agitant , transportant de côté et d’autre les matières terrestres, comme les vents agitent et dispersent la poussière des champs, ne dit-il pas assez que le déluge avoit bouleversé _la surface du globe? Et certes, la manière dont s'opère le déluge doit absolument la bouleverser, ou bien il faut encore recourir à un miracle qui empêche les effets de la chute, du séjour et de la retraite des eaux. Ce n’est point ici une pluie bienfaisante qui n’arrose la terre que pour la féconder; ce ne sont pas même ces nuages épais et noirâtres qui enfantent la foudre et les orages, et font couler les eaux à pleins torrens. C’est une mer nouvelle, c’est un océan plus vaste, plus pro- fond que toutes nos mers ensemble, qui fond sur la terre NÉE et dont toutes les digues ont été rompues; c’est un Dieu irrité ani ap= pelle ;les eaux de ces réservoirs où jadis sa puissance ne les rassembloit que pour les faire servir à sa vengeance ; c’est du haut des airs que se précipite cet immense océan. Nos plaines sont couvertes de ses flots, et il les redouble ; la surface des mers s’est élevée, et il ajoute à leur immensité; les montagnes même se trou- 154 LES PROVINCIALES vent sous les eaux, et les flots de l’abime ne sont point épuisés ; ils auront surpassé de quinze coudées les plus hautes montagnes; toutes les cataracies des cieux auront été ouvertes pen- dant quarante jours et quarante nuits avant que Dieu ne se sonvienne de Noé, avant que les portes de l’abime ne soient fermées, Que l’on conçoive, s’il est possible, les ter ribles effets d’une pareille inondation. Huit jours d’une pluie extraordinaire suffisent quelquefois pour changer la face des campagnes, pour creu- ser de nouvelles profondeurs et combler les anciennes , pour entrainer du sommet des mon- tagnes des rochers énormes, changer le cours des fleuves , et faire disparoître des villes entières. Qu'est — ce que les effets d’une pluie de quel- ques jours , eomparés aux effets d’un déluge mniversel? Combien de milliers de torrens ont paru à la fois dans cette catastrophe? Et dès- lors, quelle quantité de terrain emportée des col- lines dans les plaines , des plaines dans les ri- viéres, et de celles-ci dans le sein des mers? Ici les rivages s’élargissent , et là ils disparoissent ; ici de vastes lacs ont succédé à de vastes champs ; et là, dépouillées du ciment qui les unissoit , les montagnes s’écroulent sur la terre ; ail- leurs, les terrains s’amoncellent et forment de nouvelles hauteurs , s'ils trouvent des obstacles. S'ils roulent sans pouvoir être arrêtés , ils ont combler d'anciens abimes. Quelle par- PHILOSOPHIQUES. 175 tie du globe a pu conserver une image de ce qu’elle étoit? Quelle partie n’a pas été alternali- vement creusée et recomblée, pour subir en- core de nouvelles révolutions par le séjour des eaux ? Partout elles pressent la terre da poids d’une colonne de plusieurs mille toises de hauteur ; partout elles sont agitées d’un flux et d'un re- flux continuel; elles ne commencent à diminuer que cent cinquante jours après leur chute. Leur retraite n’esl point celle d’unë mer qui creuse lentement sous un terrain nouveau en apla- nissant ses premiers rivages ; c’est un vent im- pétueux qui dessèche la terre : Ædduxit spiri- tum super terram , et imminutæ sunt aqucæ. Les flots ne quitteront le sommet qu'ils ont battu que pour venir le battre de nouvean et que pour transporter de nouveaux débris: Re- versæ sunt aquæ euntes et redeuntes. Ces pa- roles seules de Moïse annoncent partout un bouleversement que l'imagination ne sauroït concevoir; ce flux et ce réflux que redouble le souffle des vents produira seul l'effet des torrens les plus impétueux ; et cette retraite des flots, aussi précipitée que leur chute avoit été violente, loin d’aplanir les bords qu’ils abandonnent, ne laissera partout que les traces du ravage el de la confusion, Que le philosophe porte sur la terre un œil ebservaleur dans l'instant où les eaux ont enfin 156 LES PROVINCIALES disparu de dessus la surface. Quel spectacle doit- elle offrir à ses regards? Combien d’anciens sommets auront disparu ! que de hauteurs nou- velles se montreront à lui! Combien de bar- ricres franchies par les eaux! Que de détroits ouverts: Que d’iles détachées de l’ancien conti- nent par la violence des lorrens! Aïlleurs, au contraire, que de régions nouvelles acquises sur la mer par les débris qui ont éloigné les ri- vages ! Long - temps le souvenir de ces révolutions se conservera parmi les hommes; long - temps les dépouilles de l’océan, laissées sur la terre, annon- ceront aux enfans de Noé l’affreuse catastrophé qui les a produites. Depuis le sommet des mon- tagnes les plus élevées jusque sur la surface des plaines, dans l’intérieur même des collines nou- vellement formées , et dans les plus profonds souterrains, les poissons pétrifiés, les coquillages, les madrépores , les sables transportés on aban- donnés, les productions marines les plus variées rappelleront sans cesse les crimes de la terre livrée à la fureur des eaux ; et plus le souvenir de ce grand déluge se conservera, moins la va- riété et le nombre de ces productions répandues sur la terre étonneront le sage. Une infinité de poissons et d'animaux testa- cées recherchent les rivages : l’océan cessa pour un temps de leur en offrir; ils se répandirent sur la terre; ils y furent poussés par les flots , PHILOSOPHIQUES,. 177 et peut - élre atürés- par une nourriture plus abondante. Ils se trouveront dans la suite mêlés et confondus parmi ces matières que les eaux avoient délayées , que le temps durcira. Cent productions terrestres , long-temps pro- menées sur les eaux , purent enfin élre déposées loin du sol qui les avoit produites; leur em- preinte , gravée sur un limon péirifié, ne trom- pera point l'observateur plus ami du vrai que du systématique. Si de vastes forêts, ensevelies sous le sable et le limon, ont subi dans la suite des siècles divers changemens ; si des hommes ou des ani- maux poursuivis par les eaux, se sont retirés dans des cavernes où leurs ossemens pétrifiés se trouvèrent confondus avec les matières qui s’é- couloient sur eux; si d’autres ont fui, ou furent transportés loin des régions qui les avoient vus naître, toutes ces découvertes ne feront que ma- nifester la vivlence de l’inondation générale, La surface de la terre offrira partout des couches , tantôt plus légères , et tantôt plus lourdes, dont la disposition horizontale rappel- lera l'effet naturel des eaux qui auront trans- porté ou déposé successivement les malières plus légères ou plus pesantes, à mesure que les unes et les autres s’éloient opposées à leurs cours. Le sage en conclura peut - ètre que, dès Forigine du monde , la surface du globe se trouvera com- posée de bandes et de conches d’une pesanteur 8, 378 LES PROVINCIALES inégale, parce que, dans tous les systèmes pos- sibles, il sera difficile de se persuader qu'avant Pinondation générale, toutes les maliéres étoient confondues; parce que dés-lors elles ne pou- voient êlre divisées qu’en formant de vastes couches disposées les unes sur les autres, et surtout parce que les couches formées par les eaux supposent nécessairement des couches an- térieures à leur chute. Elles ont pu , sans doute, en déranger l’ordre, mettre les supéricures au- dessous des autres , et les entremèêler de nou- velles couches transportées d’une région loin- taime; mais elles n’auroient point disposé le gra- vier sur la marne , le sable sur largile , si elles n’avoient pas trouvé ces matières déjà arrangées ‘par couches les unes sur les autres. L'époque du déluge fixera peut - être encore celle d’an grand nombre-de volcans qui ont au- trefois ravagé la terre. Une grande partie du soufre, du bitume, des huiles terrestres, detontes ‘ les matières inflammables répandues sur toute la surface du globe, aura été portée par les eaux dans le sein des montagnes; les matières de la même espèce déjà contenue dans ces lieux sou- terrains auront commencé à fermenter quand les eaux retirées de dessus la surface subsis- toient excore dans les cavernes intérieures. Nous savons les combats qu’excite le mélange des eaux et des matières pyriteuses ; les volcans de PAu- vergne, du Vivarais, et de tant d’aulres pro- PHILOSOPHIQUES. 179 vinces, pourroient bien avoir naturellement suc- cédé à l’inondation générale aussitôt que, leseaux cessant de prévaloir, il n’en resta plus que la quantité nécessaire pour favoriser la fermenta- tion (1). Enfin, si la physique pouvoit se persuader que les anglés saillans et rentrans des mon- tagnes, et leur corréspondance , n’ont pu être formés que par des courans réguliers, le séjour des eaux sur la terre, leur flux el leur reflux pendant le déluge d’une année entière, four- niroient le principe de ces courans. Un mois de flux ou de reflux avec une pareille masse d’eau sufliroit sans doute pour découvrir les angles que formoit déjà la roche intérieure; et nous ne serions pas forcés de recourir à un déluge de (1): Te ne préténdrai pas Cependant qu’une grande par- tie de ces volcans n'ait pu s’enflammer dans des temps plus rapprochés du nôtre. Il existe même quelques preuves que ceux du Vivarais brülèrent avec violence vers le cinquième siècle. Avant que nos Français n’écrivissent l’histoire , combien d’éruptions peut-il y avoir eu , sans que le sou - venir s’en soit conservé ! Elles firent sans doute une vive impression dans la génération alors existante ; mais Les peu- ples avoient peu’ de communications les uns avec les au- tres, surtout avant l'arrivée des Romaïns, On pouvoit ignorer dans une province les catastrophes Les plus terri- bles d’une région peu éloignée, et dans celles mémes qui en avoient le plus souflert, quelques siècles suflisoient pour les faire oublier. Ces volcans ne sont donc pas une bien grande preuve de la haute antiquité que nos philosopiss donnent à la terre. 150 LES PROVINCIALES vingt mille ans pour expliquer la régularité que nous offre quelquefois leur correspondance. Nous pouvons donc le dire : tout ce qui peut servir à prouver que la terre s’est trouvée sous l'empire des eaux s'explique par l’efet naturel d’un déluge pareil à celui dont Moïse nous a conservé l’histoire; et M. de Buffon , Telliamed et tant d’autres, doivent moins se livrer à l’es- prit de système pour nous trouver une cause physique à celte fameuse révolution. Ce qui éloigne ici les philosophes de nos saints livres est précisément ce qui doit les en rap- procher davantage. Celui qui réfléchit se dit à lui- même : Il est incontestable que les eaux ont couvert la terre et les montagnes. Après les re- cherches de Wodwart, de Maillet, de M. de Buffon , et de tant d’autres philosophes, il n’y a que l'ignorance , la fatuité qui puissent le nier ; et il n’est presque pas un seul philosophe qui en doute aujourd’hui. Or, ils est physique- ment impossible que les eaux contenues dans tout le globe aient pu s'élever à celte hauteur ; il étoit encore physiquement impossible de faire disparoïtre l’océan sous lequel les monta- gnes étoient ensevelies; il est donc physique- ment démontré qu’il a existé un vrai miracle : le Dieu de Moïse , le Dieu qui opéra ce miracle doit donc être le Dieu du phycisien. Nous ne craignons pas de le dire, les poissons pétrifiés sur les montagnes, les éléphans et les PHILOSOPHIQUES. 181 rhinocéros transportés en Sibérie, la dispersion des coquillages de toute forme et de toute gran- deur, et sur toutes les hauteurs , prouvent aux physiciens la vérité du récit de Moïse presque aussi fortement que la dispersion des Juifs dé- montre la vérité des prophéties de Daniel et du Messie. Quand on a bien senti la force de ce raisonnement, on croit fermement à l'Ecriture. En suivant à la fois les lumières de la religion et celles de la physique, on se montre vérita- blement philosophe , et l’on est charmé des preuves que les faits consignés dans les archives de la nature fournissent au culte du vrai Dieu. On nous demandera peut-être si nous attribuons aussi au déluge toute la matière calcaire qui existe dans nos continens ? Nous répondrons à celte question : 1° qu’il existe trop de matières et de montagnes calcaires sans traces de pé- trification (1), pour que nous puissions nous persuader qu’elles doivent lonies leur origme aux dépôts de la mer. 2° Nous savons qu’elle produit encore de ces malières; mais nous ne croyons pas pouvoir en conclure que Dieu ne créa dans le commencement ni marbre , ni al- (1) Voyez surtout Pallas, Dessert. sur la form. des mont. pag. 4o. Cet excellent naturaliste, voyant des chaines entieres de montagnes calcaires sans pétrification , loin de les attribuer au séjour de l’eau , pense que c’est Le feu des volcans qui les a calcinées, lant il est peu constant que la mer puisse seule produire des montagnes calcaires. 182 LES PROVINCIALES bâtre, ni pierre de taille, ni plâtré, ni marne, ni craie. 5° Nous avons observé qu'avant le dé- luge, les eaux de l'Océan pouvoient occuper un lit bien différent de leur bassin actuel. Peut-être éloient — elles beaucoup plus divisées au milieu des continens. Pendant un séjour de plus de 1600 ans, anlérieur au déluge, elles auront produit une infinité de ces coquillages renfermés au- jourd’hui dans le sein des montagnes. 4° Puis- qu’il est des carrières calcaires où l’on ne trouve presque que de très-petits coquillages fluviatiles, nous croirions que les eaux des fleuves , des L 4 4 2) lacs, des étangs, des marécages, ont déposé aussi en bien des endroits des matières calcaires, soit avant, soit après le déluge. Que l’on consi- dére les régions désertes ou mal peuplées, et peu cultivées , elles ne sont convertes que d’an- tiques forêts et d’eaux slagnantes , les marais ÿ sont beaucoup plus communs, les débordemens pius fréquens; les coquillages, moins tourmen- tés par Ja main destructrice des hommes, SF multiplient beaucoup plus facilement. Tel a été iong - temps l’état d’une grande partié de la terre. Mais que «les arts se montrent dans ‘ces mêmes régions , le cours dés flenves se resserre, les marais disparoissent , les terres se dessèchent, les anciennes vases se durcissent et offrent à l'homme des sables, des terrains, dés carrières farcies de coquillages que le séjour des eaux y avuit produits, Celles du déluge ne s’écou- st ne mt PHILOSGPHIQUES. 183 lèrent pas apparemment sans laisser dans bien des endroits des lacs ou des marais, dans les- quelles les productions marines ne purent se mul- üiplier pendant bien des années. Toutes ces causes réunies nous paroissent très - suffisantes pour rendre raison de cette multitude de coquillages répandus aujourd’hui sur la surface aride du globe. Mais que l’on prenne garde qu’elles ne peu- vent point nous dispenser de recourir an déluge de Moïse, parce qu'il n’y aura jamais qu’un vrai miracle qui puisse nous donner assez d’eau pour transporter une foule de productions véritable— ment maritimes à deux ou trois mille toises de hauteur, et non seulement au sommet des mon- tagnes calcaires, mais sur celui des montagnes graniliques. On nous a objecté que les coquillages, vivant pour la plupart à la même place qui les a vus naître, seroient restés sur l’ancien rivage, tan- dis que les eaux diluviennes s’élevoient au sommet des montagnes. M. Valmont de Bomare nous fournit une réponse claire à cetle objec- üon , lorsqu'il dit qu’en se promenant « sur la « grève d’une mer , il ne faut pas croire que « toutes les coquilles qu’on ÿ trouve sont 6ri- « gimaires du lieu. Il y a de ces animaux voya- « geurs, et que la mer, à l’occasion d’une tem- « pête, charrie ou dépose quelquefois en abon- « dance sur des rivages éloignés, » Si tel est 184. LES BROVINCIALES l'effet d’une tempête, que n’aura pas fail le déluge? 10 Nos compatriotes pardonneront sans doute la longueur de ces observations à l'importance de la maliére; nous les terminerons en averlis= sant nos lecteurs qu’une cause aussi miraculeuse que celle du déluge a du occasionner un grand nombre d'effets particuliers qu’il n’est pas pos- sible de détailler. Cette catastrophe a pu et a dû bouleverser la terre; ce bouleversement étoit dans l'intention du Dieu qui vouloit, pour ainsi dire, la laver de ses crimes. Le moyen qu’il employa dut rendre la surface du globe mécon- noissable, combler d'anciennes mers, en creuser ou en élargir de nouvelles, aplanir des monta- gues, en élever d’autres, entremêler aux cou- ches tantôt irrégulières, tantôt transportées avec une cerlaine régularité , les vestiges de toutes les anciennes mers et de l’océan universel, et retracer sans cesse aux yeux du physicien obser- valeur la mémoire d’un Dieu trop justement courrouce : pour empêcher ce bouleversement en inondant la terre, ilauroit fallu denouveaux miracles aussi grands que celui de linondation même ; voilà ce que nous nous étions proposé de prouver, el ce que nous croyons avoir dé- montré. Quand même une révolution aussi prodi- gieuse auroit été suivie de quelques effets parti- culiers dont nous ne verrions pas la connexion PHiLOSOPHIQUES. 185 avec la cause générale, elle n’en seroit pas moins constatée, et les physiciens n’en seroient pas moins forcés d'y recourir pour retrouver cet immense océan dont les eaux s’élevèrent jus- qu'aux plus hauts sommets. Nous savons bien qu’il est des hommes, sur- tout des jeunes gens, qui pensent que les eaux ont pu couvrir, sans miracle, des sommets éle- vés de plusieurs mille toises au-dessus du ni- veau actuel de l'Océan, et parcourir ainsi succes- sivement toutes les montagnes du globe, sans jamais avoir couvert dans un même temps toute sa surface; mais ce n’est point pour ces sortes de physiciens que nous écrivons. Nous leur per- meltons de faire les savans à la toilette d’une jeune demoiselle, et de s’imaginer qu'ils ont solidement réfuté Moïse en riant du déluge. Nous donnons la même permission à ceux qui pensent expliquer le déluge par l’élévation de l’axe. Ces messieurs s’imaginent que cette élé- vation fero't verser les eaux de l’Océan comme celle d’un vase dont on incline la base. Mais le physicien voit l’axe s'élever ou s’abaisser, sans que cette inclinaison fasse sortir de Océan une goutte d’eau, parce qu’elle ne change rien au centre de gravité, ni pour la mer, ni pour les fontaines, les puits et les rivières. Ceux:là ne seront pas plus heureux qui don- neront à l’atmosphère. une étendue immense , pour y trouver dans l’eau dont Pair est im pré 186 LES PROVINCIALES gné plus de vingt océans, et les résoudre en une pluie qui, naturellement, produiroit un dé- Juge. Le physicien dira qu’il faudroit encore un miracle pour dissoudre à la fois tous ces océans, puisqu'on ne peut les supposer dans Pair, sil n’est de sa nature de les tenir absorbés, Tous ces océans ainsi absorbés, et qui, sans doute, ajou- teroient leur poids à celui de atmosphere, ne seront d’ailleurs qu’une supposition chimérique. Nous regarderons nos baremètres, et nous ri- rons encore de celte explication nouvelle, et tous vos vains efforts ne feront qu’ajouter à la preuve du miracle. Nota. Depuis l’époque où j’écrivois ces ob- servalions, il est des hommes qui croient les avoir sérieusement réfulées en nous disant : Si le déluge, qui laissa sur la terre et nos mon- tagnes tant de coquillages, tant de poissons pétrifiés, n’est pas d’une époque antérieure à celle que lui donne Moïse, et d’une époque antérieure même à l’existence des animaux ter- restres et du genre humain, pourquoi ne se trouve-t-il point de cadavres hnmains ou d’ani- maux terrestres parmi ces pétrifications? Ce- pendant la réponse à cette objection n’est pas difficile; car d’abord il est faux que l’on ne trouve point de cadavres humains parmi ces pétrificalions; il s’en trouve même une grande quantité daus les montagnes du Portugal : on PHILOSOPHIQUES. 187 en découvre assez souvent en France auprès de Grignan. L’ivoire découvert sur le Mont Coiror, en Vivarais, par M. l'abbé Lavalette, d’après ce que j'en ai vu, et ce qu’il m’en a dit, devoit appartenir à un animal d’une énorme grandeur. Qui ne sait pas d’ailleurs ce que M. Pallas nous dit de cette quantité d'ossemens entraînés par le déluge sur les montagnes de Sibérie ? En second lieu , observez les effets de l’eau sur le cadavre des noyés. Le corps d’abord s'enfuit , mais jamais à une grande profondeur. Le troisième jour, il s’est assez enflé pour re- venir à flot. Pendant le déluge, la quantité énorme de poissons et de monstres marins à dû naturellement dévorer la plus grande partie de ces cadavres. Ceux que l’on trouve pétrifiés ne peuvent étre que les corps des hommes qui, cherchant un refuge sur les hauteurs, auront été ensevelis par l’éboulement des montagnes. Tout ce qui pouvoit rester de ces cadavres, lors de la retraite des eaux, n’étoit plus que des ossemens épars qu’elles ont entraînés dans la mer, ou déposés sur la surface de la terre: peu d’années aurontsuffi pour réduire en cendres tout ce que la voracité des animaux aura épar- gné. Ceux que l’on trouve en si grande quan- tité sur les montagnes de Sibérie, à ‘part peut- être l’ivoire des éléphans , ne doivent leur con- servalion qu’à la rigueur du froid, à un état habituel de congélation, Ces ossemens humains, 188 LES PROVINCIALES ou ceux des animaux terrestres pétrifiés, ou mélés aux pétrifications marines, seroient en-— core plus rares , il n’en résulteroit pas la moin- dre objection sérieuse contre l’époque assignée au déluge par Moise, époque surtout ou il n’est pas dit que les quatre parties de la terre fussent encore habitées, et où il n’y avoit pent -être qu’une partie de l’Asie qui le füt. Aussi pour- roil-on bien attribuer à d’autres causes la pétri- fication des cadavres découverts ailleurs. Qui pourra même nous assurer que la terre fut alors divisée en quatre parties ? Ce que j’en sais, c’est que saint Pierre exprime bienautre- ment que tous nos géologues les bouleverse- mens qu’a produits le déluge. Il est, nous dit-il, des hommes qui prétendent que les choses vont aujourd’hui comme elles alloient au commen- cement : ils ne savent pas que ce monde d’alors, ces cieux et cette terre, qui éloient alors , ont péri par le déluge; que la même parole qui les avoit posés a posé aussi les cieux et la terre d'aujourd'hui. Ce monde d'alors , ce monde d'aujourd'hui! ‘Trouvez, si vous le pouvez, une expression plus forte, et qui dise mieux combien vous êles loin de connoître tous les changemens que la terre a subis par le déluge; mais aussi combien toutes vos explications se- rout nulles , tant que vous prétendrez nous dire ce qu’elle est aujourd’hui, sans recourir à cette | même parole toule-puissante qui l’avoit détruite par le déluge. (Epist. Pet. 2, c. 3.) PHILOSOPHIQUES. 189 LR LE AL ALES DR D EE D LS LR LD RIRES À Leslie s)2:1:.) LETTRE XIX. De ZT. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Oubliez , s’il se peut , et Telliamed, et M. de Buflon , pour ne vous occuper aujourd’hui que d'un philosophe plus étonnant encore, plus digne de nos respects et de nos hommages, du fameux Robinet. Les premiers supposolent toute la matière déjà existante, pour vous expliquer Porigine des choses , la formation de l’ univers ; celui-ci, pour créer la terre, les planètes, le soleil , et tous les élémens , et tout ce qui existe, el tout ce qui existera , ne vous demandera qu’un | point de matière, le plns petit qu’on puisse ima- giner, qu'une tête d’épingle. Avec un pied de mouche il va vous faire naître un million de mondes. C’est dans un ouvrage intitulé de La Nuture que cet homme extraordinaire a développé ses idées. C’est là que, suivant avec la nature /a marche la plus vite quoique la plus lente, comme la plus claire quoique la plus obscure et la plus énigmatique, il se trouve, au bout de cent chapitres , avoir tout doueement amené ses lecteurs bénévoles au point convenu. __ Je veux, en faveur de mes compatriotes , Jaisser Ja marche la plus lente et la plus obs- 190 LES PROVINCIALES cure, pour prendre la plus viteet la plus claire. Deux principes me sufliront pour vous amener tout doucement où toutes les recherches de ce philosophe doivent aboutir. « De fortes raisons d’analogie nous portent « à croire que le monde a commencé d’exister « par le plus petit terme, comme la suite des « nombres commence par l'unité. Sa progres- « sion naturelle ne croit que par laddition du « moindre nombre encore, Dans 1,2, 3.4, « chaque terme ne gagne jamais que l'unité « sur celui qui le précède; ainsi l’univers ne « reçoit à la fois que la plus petite portion de « l'être, une portion égale à celle qu’il eut au « commencement. » Tel est notre premier prin- cipe, fidelement extrait du neuvième chapitre, liv. premier. Le second se trouve très - claire- ment posé, très-ingénieusement amené au liv. 2, ch. 14, et le voici. « Tout dans la nature augmente et se repro- « duit par génération. » Prenez garde, je vous prie, que nous n’exceptous rien. Avec ces deux principes et un pied de mouche, jai dit que nous allions créer Lout l'univers , et je le prouve. Le premier nous montre ce qu’étoit l’univers dans son commencement, Il ne put d’abord être qu'un brin de poussière imperceptible , et la rai- son qu’en donne M, Robinet est assurément très-sensible. Ne faul-il pas en effet, en toute chose, ayoir un petit terme ayant d’en avoir PHILOSOPHIQUES. 1OL deux ? Pour arriver à mille, ne faut-il pas com- mencer par un ? Ainsi, pour qu’il y ait eu mille parties, mille petits points de matière dans le monde, il faut absolument qu’il n’ait d’abord existé qu’un de ces petits points. Pour arriver à mille, ne faut-il pas ajouter à l'unité de nou- veaux termes toujours égaux au premicr, en disant 1,2, 3,4, ainsi de suite? Il en fut de même de ce petit point qui, dans les premiers teinps, éloit à lui seul tout l’univers. Ce petit point gagna 1,2, 3,4% points de matière, et en fit de nouveaux mondes, une, deux, trois, quatre fois plus grands que le premier. Tout consistoit donc à savoir comment ceux-ci ont été suivis d’une infinité d’autres. C’est à quoi je je réponds très-facilement par notre deuxième principe. Le monde primiüf, le premier pelit point de matière, augmenta comme tout augmente au- jourd’hui. Il n’avoit pas pu être engendré, puisque rien n'exisloit avant lui ; mais il avoit la faculté d’engeudrer, de se reproduire par ge- nération : 1laccoucha d’un second point; celui- ci accoucha d’un troisième, qui se reproduisit encore; et, de génération en généralion, il se trouva une infinité de petits mondes pareils au premier. Ne croyez pas que notre philosophe borne à ces petits points la faculté d’engendrer par eux-mêmes. «Les pierres, chez lui, en- « gendrent les pierres, comme les animaux 192 LES PROVINCIALES « engendrent leurs semblables ,; comme les « montagnes engendrent les montagnes, comme « Jair engendre l'air, comme l’eau engendre « l’ean , comme l’Océan engendre tous les jours « un nouvel Océan , par des semences, des « graines ou des œufs. » (7’oy. iv. II, ch. 19.) Vous me demandez peut-être comment sont faits ces œufs de l'Océan, de l’air et des mon- _tagnes. Je ne vous dirai rien de ces derniers ; mais le grand Robinet vous apprendra que les multiplications de l'air sont aussi régulieres que celles des espèces animales (Ibid. ). Il vous apprendra même à distinguer les instans où pondent l'air et l’eau. « Les vents irréguliers, « vous dira-t-il, peuvent être pris pour des « superfétations de l'air. » Ainsi vous n’aurez qu’à observer ces jours où le vent souffle tantôt au nord et tantôt au midi, à lorient ou à l’oc- cident , ces momens enfin où le baromètre est au variable. C’est alors surtout que Pair fait ses pontes; mais des jours plus décisifs encore sont ceux où vous sentez dans l’air une chaleur acca- blante. Oui, ces jours sont surlont pour lair des jours de ponte. « Comment nommeriez-vous . « autrement cette génération d’air brulant qui, « le 50 juillet 1705, se fit sentir à la seule ville « de Montpellier ? On fil cuire des œufs au so- « leil. » C’auroit été bien pis, si une pluie abondante n’eüût nettoyé cet air devenu mal- sain à force de pondre (7’oy, 1bid.). Les œufs Pa 2 PHILOSOPHIQUES. 193 de l’air auroient non-seulement cuit ceux de la poule, mais rôti la poule elle-même, tant ils sont brülans. Quant aux pontes de l’eau, «des causes acei- « dentelles pourront les mulliplier ou les sus- « pendre. De là les années de sécheresse et leg « années pluvieuses, les inondations et les dé « luges, qui seront dans ce cas l'effet d’un « nombre de pontes extraordinaires. Par là « nous expliquons encore pourquoi l'Océan se « retire d’un côté et gagne de l’autre ; car le dé « périssement des eaux doit commencer et con- « tinuer par les anciennes générations, tandis « que les eaux multiplient d'autre part ». (Zbid.) Comme les vieilles poules ne sauroient pondre, il n’y aura de même que les jeunes eaux qui fassent des œufs, Avec autant d'esprit que vous en avez, vous concévez, madame, que si Pair, les eaux et les montagnes se forment pas des pontes, « les pla- « nètes, douées aussi de faculté génératrice , « produirent d’autres planètes; vous ne serez & plus étonnée que les satellites de Jupiter n’aient « pas été découverts avant 1610 , et ceux de Sas « turne avant 1655. Comment auroient-ils été « aperçus, s'ils n’étoient pas encore nés? Qui « sait si le tourbillon solaire n’a point eu d’au- « tres planètes qui soient mortes? Qui assurera « qu’il ne s’y en engendrera point d’autres dans « la suite des temps? Je me trompe: Vénus a ac- 1, 9 194 LES PROVINCIALES « quis de nos jours; pourquoi pas produit un « satellite? Les cométes prouvent incontestable « ment que la fécondité des globes célestes n’est « point épuisée, » (Jbid.) Il est donc démontré que les éloiles pondent iout comme l'Océan. Deux choses me plaisent singuliérement dans ce système. La premiére est de voir son auteur fort éloigné de ce qu’on appelle vulgairement le sens commun. Il ne se laisse pas même captiver par les physiciens, qui n’attribuent la décou- verte des satellites qu’à l'invention du télescope, sans penser que les méres planètes pourroient bien n’avoir accouché que du temps de Galilée, d'Huygens, de Cassini, qui s’en sont aperçus les premiers. Il a même la noble hardiesse de nous présenter les comètes comme les astres qui naissent chaque jour du sein de quelque étoile, quoique vous ayez vu qu’elles sont honnètement anciennes chez M. de Buffon. Tout cela me sert à vous prouver que la philosophie ne conuoît point d'esclaves; que c’est vraiment chez nous que chacun parle comme il entend, Nous avons ennobli ce proverbe trivial : Tot capita, tot sensus : autant de philosophes , autant de sen- iimens. Nulle part on ne trouve à choisir com- me chez nous. La seconde chose qui me frappe dans ce sys- ième, c’est qu’il est vraiment d’une simplicité étonnante. Un atome, un petit monde engendre un autre atome, un autre monde; celui-ci pros LS FHILOSOPHIQUES. 199 duit encore son semblable ; la terre enfin paroiît parmi ces mondes. « Les germes de la plus sim- « ple organisation s’y développent... Des gé- « nérations de l’eau il s’en forme des lacs, des « fleuves, des mers... Les semences pierreuses « et métalliques qui avoient été fécondées dans « le chaos ne tardent pas à éclore; les monta- « gnes et les pics se forment lentement, les vé- « gélaux paroissent. » La terre se trouve natu- rellement ce qu’elle est aujourd’hui; et voilà comme avec un atome, ou un pied de mouche, le grand Robinet bâtit tout Punivers. «C’est là « que j’avois promis de vous amener tout dou- « cement, et c’est où je vous laisse (chap. 28, « tome IT). » LETTRE XX, Réponse de madame la Baronne à la lettre précédente. QUE mon silence ne vous étonne pas, mon cher chevalier : je me tais, mais j’admire; et puisque je ne vous ai point envoyé mes réflexions sur vos dernières lettres, vous avez bien pu vous imaginer que je n’avois aucune explication à vous demander. Telliamed me sembloit l’em- porter sur M, de Buffon autant que le poissou et l’homme barbe grise l’emporte sur les molé- 196 LES PROVINCIALES cules organiques; mais Robinet efface l’un et l'autre, Un atome qui seul engendre un autre atome! Les montagnes, les planètes et tout l’u- nivers sortis d’un pied de mouche! Que cela est charmant! Que cette idée est riche, féconde et ingénieuse ! J'aurois cependant désiré que vous m’eussiez appris d’où ce premier atome tira la matière du second, d’où il venoit lui-même.Vous en ferez sans doute l'atome éternel; car étant le premier, il ne peut avoir été fait par un autre, Vous en ferez aussi l’atome créateur ; car il fau- dra bien qu’il ait non-seulement engendré, mais créé la matière, puisqu'elle alloit toujouts en augmentant : mais tout cela s’explique en lui donnant, avec la faculté génératrice, une fa- culté créatrice. J'aurois voulu savoir encore ce qu’étoit le chaos où tous les germes avoient été fécondés , tandis qu’il n’existoit que le pelit monde pri- milif, le petit atome duquel tout est sorti. Je sens votre réponse : le grand chaos étoit dans ce petit atome, Je n’insisterai pas, je ne vous demanderai pas même par quelle vertu cet atome engendra des atomes qui ont dans la suite engendré une plante, un animal, le chéne, l'éléphant , la souris , Robinet, J'aime bien mieux vous remercier de navoir fait connoître ce philosophe. Robinet : quel grand homme ! Je m’en vais le mettre dans mes tablettes à côté de M. Diderot. On m’a dit que ces deux PHILOSOPHIQUES, 197 philosophes se ressembloient assez pour la lour- nure du génie; qu’on trouvoit chez l’un et l’autre cette marque algébrique et mystérieuse , cette emphase énigmatique , ces nuages épais et ténébreux qui servent si bien à voiler au commun des hommes les grandes vérités phi- losophiques. Je n’aperçois pas dans vos lettres celte mystérieuse obscurité. Vous avez peut-êlre cherché à la dissiper en notre faveur. Je vous en sais bon gré; mais ne pourriez-vons pas nous donner du Diderot tout pur ? Cela exerceroit notre sagacité , et peut-être pourrions - nous juger de nos progrès dans la philosophie par notre facilité à le comprendre. Je suis réellement curieuse d’en faire l'essai. Ainsi n’y manquez pas : j'attends du Diderot par le premier cour- rier. Adieu. La Baronne de ***, Note de l'Editeur. IL est des systèmes qu’on ne réfute pas, et celui de M. Robinet est sans doute de ce nombre, puisqu'il n’a pas plu à notre provin- cial d’y opposer ses réflexions. De la part d’un autre homme, j’aurois attribué ce silence au respect pour l’auteur ; mais de la part du pro- vincial , je crains que le mépris n’y ait un peu de part. 198 LES PROVINCIALÉES LETTRE XXL. De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Votre dernière lettre ne pouvoit m’étre re- mise plus à propos. J’étois hier chez M.T., et nous faisions quelques expériences, lorsque tout à coup le bruit d’une remise annonce l’ar- rivée d’un personnage important. Au profond respect avec lequel il est reçu, je ne me crois pas digne d’attendre qu’il ait ouvert Ja bou- che : je cherche à m’échapper. Non, me dit alors M. T., vous ne perdrez pas l’occasion de vous mettre sous la protection du génie su- blime à qui nous devons l’{nterprétation de la Nature. En disant ces mots il me présente à ce personnage révéré , comme un aspirant à la gloire philosophique. J’incline respectueu- sement la tête ; et le monarque, ayant vu l’ap- pareil de nos expériences , daigne m'adresser ces paroles : « Jeune homme , tout m’annonce ici que « vous aspirez à la gloire de nos philosophes « manouvriers, de ceux qui se remuent et sai- « sissent la vérité par le côté où elle à des « cheveux. Savez-vous le service le plus im- « PHILOSOPHIQUES. 160 portant que nos grands manouvriers aient à rendre à ceux qu’ils initient à la philosophie expérimentale? C’est bien moins de les ins- truire du procédé et du résultat , que de faire passer en eux cet esprit de divination par lequel on subodore , pour ainsi dire, des procédés inconnus, des expériences nou velles, des résultats inconnus. Comment cet esprit se communiquera - t-il? Il faudroit que celui qui en est possédé descendit en lui-même pour reconnoître distinclement ce que c’est ; substituer au démon familier des notions intelligibles et claires , et les déve- lopper aux autres. S'il trouvoit , par exem- ple, que c’est une facilité de supposer ou d’apercevoir des oppositions ou des analo- gies , qui à sa source dans une connoissance pratique des qualités physiques des êtres con- sidérés solidairement , ou de leurs effets réci- proques , quand on les considère, 1l enten- . droit cette idée; et vous devez, jeune homme, vous appliquer à l’entendre (1).» (Foy. Int. Nat., page 68.) Je profitai de cet instant où notre philo- sophe sembla respirer, pour répondre que, tout (1) Ceux de nos lecteurs qui ne se sentent pas certain goût pour les énigmes pourront se dispenser de lire ce passage , et bien d’autres que nous pourrions extraire de l'Interprétation de la Nature. FO. LES PROVINCIALRES persuadé que j'élois du mérite des philosophes grands manouvriers , je m'étois occupé plus particulièrement de Ja gloire qu’ont acquise les philosophes systématiques. J’osai ajouter que je le priois de vouloir bien me faire connoître ce qu'il pensoit lui-même sur le monde et son origine. < La] { Le « Je ne vous dirai point, me répondit-il, ce que J'ai moi-même conçu sur celte ma- tiére; mais j’exposerai Les idées sublimes du « docteur Beauman. Ce docteur attribue à Pétre « corporel le désir , l’aversion , Ja mémaire et « l'intelligence , proportion gardée des masses ES an et des formes, dans la plus petite particule de la matière comme dans le plus gros animal. Chaque partie élémentaire . en s’acenmulant et en se CSrnbinant , ne perdra pas ce pelit degré de sentiment et de perception qui lui sont essenliels. De ces perceptions d’élémens rassemblées et combinées, il en résultera une perception unique , proportionnée à la masse et à la disposition; et ce système de percep- tions, dans lequel chaque élément a perdu la mémoire du soi, et concourt à former la conscience du tout , sera l’âme de l'animal. En vertu de la copulation universelle de toutes les molécules sensibles et pensantes , le monde, semblable à un grand animal , auroit une âme; et le monde pouvant être infini, celte âme du monde pourroit être un système infini de per PHILOSOPHIQUES. 261 « ceplions ; et le monde pourroit ètre Dieu. » ({nt. Nat., pag. 140.) Heureusement pour moi, je n’avois pas perdu un seul mot de celte explication du monde; car notre philosophe ne la termina que pour essayer s’il trouveroit dans moi cel esprit de divination qui subodore des résultats inconnus, Voyons, me dit-il, si j'aurai fait passer dans votre esprit des notions intelligibles et claires sur le monde. Vous avez, répondis-je, vous avez fait encore davantage, Ô grand philosophe! vous m'avez persuadé. Le monde ne peut être qu’un grand animal, et le monde pouvant être infini, cet animal est Dieu, le Dieu de Beauman : ow plutôt celte idée vous paroissant sublime, le grand animal est ie Dieu que vous nous apprenez à révérer , le Dieu de Diderot : mais si le monde n’est qu’un grand animal, toutes les particules dont il est composé ne sont, pour le sage , qu’un petit animal doué de mémoire et d'intelligence, Ces petits animaux, accumulés et combinés, ayant formé le monde tel qu’il est, auront tous perdu la mémoire du soi; aucun ne se souvient de ce qu’il étoit avant de contribuer par ses combinaisons à former l’univers. Il n’y a que le tout, le grand animal qui en ait conservé la mémoire. Les petits animaux dont les combi- naisons forment un philosophe ne s’en sou- viennent pas eux-mêmes ; mais le philosophe a su le deviner : il voit par ce qu’il est ce qu’il 9» 202 LES PROVINCIALES fut autrefois, et ce que dut être le monde Iui- mème avant de devenir, par la copulation universelle des molécules sensibles et pensantes, le grand animal. Je m’applaudissois d’avoir si bien conçu le système sublime du grand animal, de ce monde formé par la copulation des petits animaux ; et voyez, madame, s'il ne m'éloit pas permis d’être un peu content de ma personne. «Tes « discours, me dit notre philosophe, ne décèlent « point un raisonneur pusillanime et demi- « sceptique, qui se laisse effrayer par les consé- « quences. Tes notions ne sont point placées :« dans un recoin de ta cervelle, comme dans un « sanctuaire dont tu n’oses approcher ( 7oyez « Pens. philos. 54). Apprends cependant que « le docteur Beauman devoit se contenter de « supposer aux molécules organiques une sensi- « bilité mille fois moindre que celle que le Tout- € Puissant a accordée aux animaux les plus stu- « pides. En conséquence de cette sensibilité et « de la différence des configurations, il n’y « auroit eu, pour une molécule organique quel- « conque, qu’une situation la plus commode de « toutes, qu’elle auroit cherchée par une « inquiétude automate, comme il arrive aux « animaux de s’agiter dans le sommeil. » (Il nous auroit appris que le monde s’est fait en dormant.) « Ce seul principe eût satisfait, d’une « manière assez simple et sans auçune consé- ’ PHILOSOPHIQUES. 203 « quence, aux phénomènes qu’il se proposoit d'expliquer. » Rien n’auroit été surtout plus facile à expliquer que la formation de tous les animanx. « [Il auvoit défini l'animal en général, « un système de différentes molécules organi- « ques qui, par l'impulsion d’une sensation sem- « blable à un toucher obtus et sourd, que celui « qui a créé la matière en général leur a donnée, « se sont combinées jusqu’à ce que chacune ait « rencontré la place la plus convenable à sa « figure et à son repos. » (Voyez Int. Nat. E pag. 195. ) Vous vouliez, madame, du Diderot tout pur, en voilà du sublime. J'espérois pouvoir vous en donner aujourd’hui quelqu’autre échantillon ; mais 1l étoit deux heures après midi, et notre philosophe seniit une 27quiétude automate qui lappeloit à la table d’un milord à qui il mter- prète depuis six mois l’Interprétation de la Na- ture, I! eut la bonté. en tirant de sa poche ce livre précieux , de m'en faire présent. « Jeune « ‘homme, prends et lis, me dit-il: et si tu penx « aller jusqu’à la fin de cet ouvrage, tu ne seras « pas incapable d’en entendre un autre. (Préf. « Jnt. Nat. ).» Vous seriez-vous attendue à cetie modestie de la part d’un génie si fameux ? Il semble soupçonner qu’on aura de la peine à soutenir la lecture de son chef-d'œuvre. Il nous prévient qu’il faut des efforts au-dessus de la patience du vulgaire pour aller jusqu’au bout. Eu Pan 204 LES PROYINCIALES La modestie fut toujours l’apanage des philo- sophes. J'ai l'honneur d’être, etc. RDA AS SA BIRR L08 488 AA RD BELLE LR DIR ARR LA LA D AR RP LAB IR SA IET'ERE, K X IL, De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Vous aurez sans doute parfaitement compris ce que c’est que le monde ou le grand animal; mais l’inquiétude automate, la sensation sem-— blable à un toucher oblus et sourd dans les molé- cules organiques, n'aura pas suffi pour vous fairé comprendre l’origine des autres animaux , et je sens que cette idée a besoin d’être déve- loppée. Empressé d’en chercher l'explication dans l’Interprétation de la Nature, j’ai été en- chanté que cette matière me fournît encore l’oc- casion de vous donner du Diderot. « Si Ja foi, « nous dit ce grand homme, ne nous apprenoit « que les animaux sont sortis des mains du « Créateur ; s’il étoit permis d’avoir la moindre « incertitude sur leur commencement » (ne vous étonnez pas de ce préambule, la philoso- phie doit imposer silence au préjugé : la plus grande partie de nos lecteurs sait à quoi s’en tenir ), «ne pourroit-on pas soupçonner que PHILOSOPHIQUES, 205 « l’animalitéavoit, de toute éternité, ses élémens « particuliers épars et confondus dans la masse « de la matière; qu’il est arrivé à ses élémens de se réunir, parce qu'il étoit possible que cela « se fit; que l'embryon formé de ces élémens a « passé par une infinité d'organisations et de « développemens; qu’il a eu, par succession, « du mouvement, de la pensée , de la réflexion, « de la conscience, des sentimens, des passions , « des signes , des gesles, des sons articulées , une « langue, des lois, des sciences et des arts? » C'est-à-dire, ne pourroit-on pas soupçonner que embryon formé par ces élémens fut d’abord une simple machine , un automale, ensuite un moucheron , une souris, un chien, un renard, un cheval, un perroquet, un aigle , un éléphant, un homme dirigé par des lois, et auteur enfin des sciences el des arts? Ne pourroit-on pas ajouter qu’il a été très-long-temps dans chacun de ces états; «qu'il s’est écoulé des millions d’an- « nées entre chacun de ces développemens; « qu’il a peut-êlre encore d’autres développe- « mens à subir, d’autres accroissemens à prendre « qui nous sont inconnus; qu’il deviendra un « jour quelque chose de plus qu’un philosophe, « mais qu'il à eu aussi ou qu'il aura unétat « stationnaire; qu’il s’éloigne on qu’il s’éloignera « de son état par un dépérissement, pendant « lequel ses facultés sortiront de lui comme elles « y sont entrées » ( ’oy. {nt. Nat, fol, 191 }3 da La) Pas 206 LES PROVINCIALES qu’il cessera un jour d’étre homme et philoso- phe , pour redevenir chien, chat, renard, souris, moucheron , toujours en décroissant comme 1l s’étoit accru; « qu’il disparoîtra pour jamais de « la nature, ou plulôt qu'il continuera d’y « exister, mais sous une forme et avec des fa- « cultés tout autres que celles qu’on lui remarque « dans cet instant de la durée? » La religion, ajoute M. Diderot, en prenant encore ici ses précautions philosophiques ; «la religion nous « épargne bien des écarts. » Mais que nos compatrioles ne s’y méprennent pas. On n’exi- gera pas apparemment que nous reénoncions ; en faveur de la religion , aux lumières de la philosophie rationnelle. Or vous allez voir à quoi l’on s’expose en refusant d'admettre lanimal prototype dont M. Diderot nous annonce lexis- tence d’un ton plus décisif par le texle suivant : «Quand on considère le règne animal; quand « on s'aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il « n’y en a pas un qui m’ait Les fonctions et Les « parties, surtout intérieures, entièrement sem- « blables à un autre quadrupède , ne croiroit- « on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un « premier animal prototype de tous les animaux, « dont la nature n’a fait qu’allonuger, raccourcir, « transformer, mulüplier, oblilérer certaines « parties? Imaginez les doigts de la maïn réunis « à la matière des ongles, si abondante que, « venant à s’étendre, àse gonfler, elle enveloppe PHILOSOPHIQUES. 207 « et couvre le tout : au lieu de la main d'un « homme, vous aurez le pied d’un cheval. « Quand on voit les métamorphoses succes- « sives de l’enveloppement du prototype, quel « qu’il ait été , approcher un règne d’un autre « règne par des degrés insensibles, et peupler « les confins des deux règnes, s’il est permis de « se servir du terme de confins, où il n’y a « aucune division réelle, et peupler les confins « des deux règnes d'êtres incertains, ambigus, « dépouillés en partie des formes, des qualités , « des fonctions de l’un, et revètus des formes, « des qualités, des fonctions de autre, qui ne « se sentiroit pas porté à croire qu’il n’y a ja- « mais eu qu’un premier être prototype de tous « les êtres? » Cette conjecture ( remarquez, je vous prie, cette assertion), « cette conjecture, « rejetée par M. de Buffon , doit être embrassée « comme une hypothèse essentielle au progrès « de la physique expérimentale et à celui de la « philosophie rationnelle, (nt. Nat. p. 55.) Voyez-vous, madame, comment notre sage sait se replier, comme il ne ménage les préju- gés reçus que pour nous faire voir combien ils s'opposent au progrès de la physique et de la raison ? Quels progrès en effet pourrons - nous faire ? Comment le philosophe pourra-t-1l con- cevoir qu’il ait acquis des sons articulés, une langue, des lois , des sciences et des arts, s’il ne se croit issu de l'animal prototype” Comment 208 LES PROVINCIALES peut-il avoir aujourd’hui cinq doigts à la main, et se tenir debout sans penser que jadis il mar- choit à quatre pattes, et que ses mains étoient un pied de bœuf on de cheval ? Comment prou- vera-t-il que ses oreilles ont pu se raccourcir, s’il n’est parfaitement convaincu qu’elles furent jadis bien plus longues , et qu’elles s’allongeront de nouveau , qu’il redeviendra tout ce qu’il fut d’abord , qu’il changera d’étal jusqu’à ce qu’enfin chacune de ses molécules, par une impulsion semblable a un toucher obtus et sourd , ait rencontré la place la plus convenable à sa figu- re et a son repos? N'’en doutez point, madame, l’animal pro- totype de M. Diderot démontre seul à l’homme sa vraie origine; il pouvoit seul dicter l’Inter- prétation de la Nature , le plus beau des sys- tèmes. J’ai l’honneur d’être, elc. LETTRE XXIIEI. Réponse de madame la Baronne aux deux lettres précédentes. JE n’en peux plus, mon cher chevalier, je n’en peux plus, trève de Diderot , je vous en prie. Vos deux dernières lettres m'ont donné un mal de tête affreux. Vainement j’ai passé deux jours = — PHILOSOPHIQUES, 209 et deux nuits à les méditer. Que je suis morti- fiée! que je suis humiliée ! Votre grand ma- nouvrier ne fait point passer en moi son esprit de divination qui subodore des expériences ; il n’a point substitué à ce démon familier dont il est possédé des notions assez intelligibles pour mot. Ah! je le sens bien, j'ai vécu trop long- temps en province. Les dames de Paris auront supporté Panimal prototype, et je serai réduite à vous confesser que jen'y entends rien. Oui, jen fa's lhumble aveu ; je n’entends rien du tout à ce prototypes je n’entends rien encore à cet autre animal dans lequel chaque élément con- serve le degré de sentiment et de perceptions qui lui sont essentiels, en perdant la mémoire 3 ! A ke ae soi, et concourt à former la conscience du tout. Je me tue à deviner comment un million d’être intelligens ont pu ne former qu’une seule intelligence , comment celte copulation univer- | selle des molécules sensibles et peusantes a pro- duit la grande âme du grand animal, ou de Punivers. Je ne vois pas même quelle idée su- blime vous trouvez dans un homme chez qui l'intelligence et la mémoire sont en raison des masses. Cela voudroit-1l dire que les grandes montagnes ayant plus de masse que les petites, auront aussi plus de mémoire et d’intelligence ; qu’un homme aux épaules larges et massives aura plus d’esprit que Voltaire et Jean-Jacques? Qui est-ce que ce toucher oblus et sourd, cette 210 LES PROVINCIALES inquiétude automate qui fait toujours chercher aux molécules la place qui convient à leur re- pos ? Place qu’elles me semblent ne jamais trou- ver. puisque ÿpour la chercher, elles sont tantôt singes et tantôt chats, tantôt souris et tantôt philosophes. J'en suis désespérée; mais à mon gré, le vilain animal que ce prototype! IL seroit donc un temps où j’aurois eu pour doigts la corne d’un cheval ou un pied de bœuf? Un temps viendroit encore où chacun reprendroit son pied de bœuf, sa patte de chat, sa griffe de lion, sa queue de souris? Nous repasserions tous par ces divers états, pour aller de nouveau nous con- fondre avec le prototype ? Ah ! je vous en con- jure , plus de prototype el plus de Diderot. Non, je n’en veux plus, il me révolte quand je l’entends; il me donne la migraine quand je ne J'entends pas, et quand il dit le plus , il me semble qu’il ne dit pas grand’chose. D'où ve- noit, je vous prie, son premier animal ? Celui qui le forma n’en pouvoit-il pas faire un mil- lion d’autres? Etce T'out-Puissant qui accorde la sensibilité aux plus stupides ne pouvoit-il pas, dès les premiers temps, disposer des molé- cules organiques comme bon lui sembloil? Quel besoin avoit-il d’un prototype? de faire un mou- cheron avant de parvenir à faire un éléphant ? Seroit -ce donc là ce que vous appelez remon- ter aux principes des choses? Il valoit bien la PHILOSOPHIQUES. + St peine de faire une Interprétation de la Nature, pour se voir forcé de recourir à ce que le Tout- Puissant donne ou ne donne pas, à un proto- type formé on ne sait quand, ni par qui, ni comment. Oh! vous ne sauriez croire combien J'en veux à cet animal prototype, de me faire araignée on quadrupède , pour me faire baronne ou philosophe. Jamais , non jamais vous ne m’ac- corderez ayec lui. Chez M. de Buffon, il peut bien se former de nouvelles espèces , dès que les ancierines cesseront de manger les molécules organiques ; mais le singe ne fut jamais qu’un singe, et l'homme ne craint pas de devenir sou- ris. Avec Telliamed , nous fümes , il est vrai, des brochets, des saumons ; mais nous ne crai- gnons pas de l’être de nouveau. Avec Robinet, je ne sais pas même ce que.je fus; mais la lune n’engendre qu’une lune, et chaque chose est dans son espèce. Avec Diderot, fi donc! que ne faudroit-il pas avoir été ? Que ne faudroit-il pas devenir encore? Salut à l'animal prototype. Je suis sa très-humble servante et la vôtre; mais ne m'en parlez plus. ù La Baronne de ***, P. S. Comme l'Interprétation de la Nature a un peu décrédité la philosophie dans l'esprit de nos amis, donnez-nous-en d’un autre; je voudrois que ce füt du Système de la Nature, 212. LES PROVINCIALES OBSERVATIONS D'un Provincial sur les deux lettres précé - dentes. JE n’aime point à croire avec notre correspon- dant que M. Diderot se joue absolument de l’o- pinion publique lorsqw’il nous assure que la religion nous épargne bien des écarts et bien des travaux, surtout quand il ajoute : «Si la « religion ne nons eût point éclairés sur l’ori- « gine du monde ct sur le système universel ‘« €Ss ‘êtres, combien d’hypothèses différentes « que nous aurions été tentés de prendre pour « le secret de la nature! Ces hypothèses, étant « toutes à Nes fausses, nous auroïent paru « toutes à peu près Éhétéiidni vraisemblables, « La question pourquoi il existe quelque chose « est la plus embarrassante que la philosophie « pût proposer, et il n’y a que la religion qui « y réponde.(Int. Nat.) Mais, après cet aveu, que la force de la vérité pouvoit seule arracher à M. Diderot, n’auroit-on pas droit de lui de- mander comment il a pu se livrer lui-même à des systèmes, et nous proposer l’hypothèse de Beauman comme nécessaire aux progrès de la physique et de la raison? Il nous semble au con- traire que ces hypothèses, nécessairement dou- FIIlILOSOPHIQUES, 213 teuses et improbables, toujours opposées à la vraie physique, presque toujours absurdes et risibles , comme celle du monde grand animal et de l’arimal prototype , ne peuvent que re- tarder le progrès des sciences. Quand on a perdu un temps précieux à for- mer de pareilles hypothèses ,; qu’en résulte-t-il autre chose que des conséquences aussi dou- teuses, aussi improbables , «ussi absurdes que les principes, et qui sont la source de mille erreurs physiques? On ne sauroit se faire en- tendre; on ne s'entend pas soi-même, on nous donne des interprétations de Ja nature mille fois plus obscures que le texte. Et comment se rendre intelligible quand , au lieu d’une explicalion physique et naturelle , on nous propose les choses les plus opposées au cours de la nature? L'animal prototype seroit lai seul un être plus miraculeux que tout l’an- cien et tout le nouveau Testament. Quelle suite de prodiges ét de miracles ne faudroit-il pas pour faire sortir du même animal le chat et la souris, le loup et la brebis , le cerf et le lion , et tous les animaux, et l’homme lui-même ; pour que ces animaux, qui ne seroient alors que de vrais monstres dans leur origine, pus- sent se multiplier, et fonder chacun leur es- pèce ; pour que ces espèces dégénérant ensuile, celle de léléphant se trouvât confondue avec celle de la souris, et cclle-ci avec l’animal pro 214 LES PROVINCIALES totype? Proposer des mystères et de pareils miracles comme une explication physique de notre origine, n’est-ce pas se jouer du public? ou plutôt n’est-ce pas s’exposer au mépris et à l’indignation de tout homme tant soit peu instruit, en se targuant du titre de physicien et de philosophe, tandis qu’on ne voit pas seu- lement ce que c’est qu’une supposition physi- que ; tandis qu’on ne nous donne pour hypo- thèses naturelles que des mystères et des mira- cles ? Eh! puisqu'il nous faut des mystères et des miracles, ne nous en offrez pas au moins d’aussi risibles que ceux de l'animal prototype ; laissez-nous croire à ceux dont la religion admire la grandeur et la majesté, laissez-nous croire au Dieu de la Genèse : il dit, et tout est fait. LR A A A A A A AA AA 0 AA A 0 90 1/0 0/0 1/0 4 De LETTRE X XIV, De M. le Chevalier à madame la Baronne, MADAME, Quel dommage que vous soyez si vivement brouillée avet l’Interprétation de la Nature! c’est notre Apocalypse ; et je me proposois d’en extraire encore bien des choses, de vous con- «ulter même sur certains articles, J’aurois voulu sayoir, par exemple, «si l’agrégat de la matière { PHILOSOPHIQUES, 215 « vivante et de la matière morte est vivant ou « mort; quand et pourquoi il est vivant, quand « et pourquoril est mort. (77. Znt, Nat, p. 197 « et 199) ; si les limites déterminées par le rap- « port de l'énergie...» Mais votre migraine vous reprend , et c’est du Système de la Nature qu’il faut vous entretenir, Comment m'y prendrai-je pour vous pré- senter cet important système d’une manière plus satisfaisante ? Peu de mots sufiroiïent pour Le développer, s’il étoit possible de bien distin- guer ce que l’auteur entend par la nature; mais après avoir dit avec ce moderne Lucrèce : «La « nature n’est autre chose que le grand tout, « ou bien le résultat de l’assemblée des diffé- « rentes matières , de leurs différentes combi- « naisons el des différens mouvemens que nous « voyons dans l’univers » (Syst. Nat. ch. 1), | oserai-je vous dire, avec le même auteur, | | qu’elle est un êlre abstrait (zbid.) , c’est-à-dire un êlre qui n'existe pas réellement, un être qui n’a rien de positif? et ne craindrai-je pas | de vous voir confondre le grand tout avec le grand rien? Et quand j’ajouterai : la nature fait tout; «elle altère , elle augmente, elle diminue _« tous les êtres, les rapproche , les éloigne, les « forme ou les détruit (ch. 4 ;; elle enfante, « par ses combinaisons, des soleils qui vont se | « placer au centre d’autant de systèmes; elle « produit des planètes qui gravitent et décrivent 216 LES PROVINCIALES « leurs révolutions autour de ces soleils» (ch. 5); ne penserez-vous pas que j’ai person- nifié cétte nature , et que je lui fais produire bien des effets? Vous serez dans lerreur; car en vous disant : « La nature produit un effet, « jen’entendrai point qu’elle le produise , mais « seulement que l'effet dont je parle est le ré- « sultat nécessaire des propriétes de quelques- « uns de ces êtres qui composent le grand en- « semble» (7. ch. 1, Not.), c’est-à-dire qu’il est le résullat de quelqu'un de ces êtres dont résulte le grand résultat, le grand tout. Si je vous dis encore : La nature combine, elle est industrieuse, elle est assez habile pour produire des êtres intelligens, pour élaborer des élémens propres à faire éclore de nouvelles générations, serai-je bien reçu à vous dire qu’elle n’est point intelligente parce qu’elle n’a point d'organes? Oserai-je ajouter qu’elle n’a point de but, parce que le grand tout ne sau- roit en avoir, quoiqu'elle ait un plan formé, quoique son but soit de conserver, d’exister, et de conserver son ensemble ? Vous dirai-je qu’elle est absolument aveugle quoiqu’eile y voie assez pour marquer à l’homme chacun des points de la ligne qu’il doit décrire, et pour placer sur son chemin tous les objets qui le modifient? Après m'être écrié : Ramenons les mortels aux pieds de La nature, après lui avoir adressé de longues et ferventes prières, com- PHILOSOPHIQUES. 217 ment m'y prendrai-je pour vous persuader qu’elle n’entend pas mieux qu’elle ne voit, et pour vous adresser ces paroles : N’adorons point, ne flations point une nature sourde qui agit nécessairement , et dont rien ne peut déranger le cours ? Tous ces textes, fidèlement extraits du fa- meux Système, feroient peut-être croire à nos provinciaux que cette nature est chez nous un grand tout el un grand rien, qui fail tout ei ne fait rien, qui voit tout el ne voit rien, qui en- tend tout et n'entend rien, qui résulte de tout et de qui tout résulte. Quoique tout cela ne s’ac- corde pas moins que les oui et les non de M. de Buffon, l’auteur du Système auroit beau nous dire «qu’il n’y a qu’un renversement de la cer- « velle qui puisse faire admettre des contradic- « tions », vous me demanderiez dans quel état étoit la sienne lorsqu’il a fait son livre. Vainement expliquant le Système de la Na- ture par celui du Bon sens, vainement vous dirois-je avec lauteur de celui-ci : « La nature « est un nom dont nous nous servons pour dé- « signer l’assemblage des êtres, des matières di- « verses, des combinaisons infinies, des mou- « vemens variés dont nos yeux sont témoins », je craindrois que ce mot ne perdit toute sa force auprès de nos compatriotes. Ils le profaneroient par leurs mépris; ils vous diroient peut-être dans leur langage que ce mot fut toujours pour 2. 10 219 LES PROVINCIALES nos philosophes une selle à tout cheval, et que, pour vouloir tout expliquer par ce mot, nous n’expliquerous jamais rien , parce que nous se- rons toujours forcés d’en varier le sens ; parce que ce mot désignera chez nous tantôt un être posilif, tantôt un ètre actif, et tantôt un être purement passif, tantôt le principe des choses, el tantôt les choses mêmes. Je voudrois vous parler de la matière, et vous expliquer comment son attraction et ses combi- naisons peuvent former des êtres physiques et moraux , des planétes , des métaux, un animal, un homme, des unions. des mariages, des so- cictés, des amitiés , des vices, des vertus (’oyez Syst. Nat. chap. 5, t. 1). Vous me demande- riez d’où lui vient un pouvoir si étonnant, et je vous parlerois de son énergie infinie, des essen— ces, des sympathies, des affinités , des antipa- thies, de la substance amie ou ensemie, de la ficulté de se coordonner, et de la coordinalion relative; mais ne croiriez-vous pas que Je vous donne encore du Diderot? Les maux de tête vous reprendroient, et je ne serois plus, dans l'esprit de nos compatriotes, qu’un vieux péri- patéticien , ou qu’un radoteur ininielligible, qui les renvoie sans cesse aux qualités occultes. Serois-je plus heureux quand, nos provinciaux ne pouvant pas mieux nous comprendre sur la matière que sur la nature , je voudrois au moins leur faire comprendre ce que c’est que le mou- PHILOSOPHIQUES. . 219 vement par lequel la nature et la matière op*- rent tous les effets possibles? « Le mouvement, « dirois-je, n’est autre chose qu’un effort par « lequel un corps change on tend à changer de « place» (Zome 1, chap. 2); et peut-être alors croiriez-vous m’entendre dire que la santé n’est qu’un remède par lequel je me porie bien, ou tends à me bien porter. Cette définition auroit cependant un grand avantage ; car elle prouve- roit que le même corps peut être en mouvement et en repos dans le même instant, Il seroit en repos s’il ne changeoït pas de place ; mais dans cet instant il seroit aussi en mouvement, parce qu’il tendroiït au moins à en changer. Nos philosophes sont admirables pour les dé- finitions , et vous ne sauriez croire l'avantage que nous en retirons. Que ne ferois-je pas, par exemple , avec celle-ci? Je vous démontrerois que le mouvement où le concours des atomes suffit non senlement pour former des soleils, la terre et lous les corps célestes, mais pour piper des dés el composer des poëmes épiques , tels que l'Iiade, lEnéide et la Henriade. Nos com- patriotes croiroient me surprendre en défaut; ils voudroient parier que le concours forluit des dés pipés ou des atomes ne produiroit jamais une tragédie, pas même une comédie qui fit autant rire que celle du Fils Naturel (1) fait (1) Comédie de M. Diderot, 220 LES PROVINCIALES pleurer. Ici je me verrois forcé de vous donner encore du Diderot. Ne pariez pas, vous dirois-je, « car il ya tel nombre de coups dans lesquels je « gagerols avec avantage d'amener cent mille « six à la fois avec cent mille dés. Quelle que « fut la somme finie des caractères avec laquelle « on me proposeroit d’engendrer VIliade , il y « a telle somme de jets qui me rendroit la pro- « position avantageuse; et pensez enfin que « si la possibilité d’engendrer fortuitement l’u- « nivers est trés-petite, la quantité des jets est « infinie, c’est-à-dire que la difficulté de Pévéne- « ment est plus que compensée par la multitude « des jets » (Pens. Pjul. n. 21). Malgré tout le faste de cet argument, je crain- drois de voir nos provinciaux rire de la gageure et de la conséquence. Ils demanderoient bonne- ment au célthbre parieur s’il prétendroit aussi tirer de son sac de cent mille dés, non plus cent mille six, mais une seule loi du mouvement, de la gravitation ou de limpulsion. C’est peu, ajouteroient-ils, c’est peu, ce n’est rien même pour la terre, les astres et tous les élémens, que l’ordre dans lequel ils se trouvent rangés: il faut des lois constantes qui maintiennent cet ordre malgré l’agitation d’un mouvement continuel; il en faut pour régler les révolutions ; il en faut pour les germes et la végétation; il vous en faudroit pour produire des êtres sensibles et pensans: 1l vous en faudroit même pour le raisonnement, PHILOSOPHIQUES, 221 pour l’imitation réfléchie de cequele hasard auroit produit. Tirez toutes ces lois de votre sac, mon- sieur le parieur; tirez-en une seule du concours fortuit des atomes; montrez-nous la pensée, l'intelligence, la volonté sortant de vos cornets; agitez vos atomes tant que vous voudrez, et moutrez-les-nous arrangés enfin comme un pe- tit être qui réfléchit, qui parle, qui calcule par combien de jets le concours fortuit des atomes a pu lui donuer une tête, des pieds et des mains, un esprit raisonneur, un cœur tendre, sensible, et quelquefois assez ingrat envers l’auteur de son existence pour le blasphémer ; et ce petit impie, ce petil athée, sortant de vos cornets, suffira apte nos faire croire que l’univers peut n’être que l’eFet d’un mouvement for- tuit, et de toutes les combinaisons possibles des atomes. Après tous ces sarcasmes, on me demande- roit au moins quelques détails physiques sur la formation de l'univers, ou sur la théorie de notre globe, et l’auteur du Système ne fourni- roit ici que des peut-étre , dont nos provinciaux ne sentiroient pas toute la force. «Peut-être, de- « vrois-je vous dire, peut-être cette terre que « nous habitons n’est-elle que le résultat de ces « taches ou de ces croutes que les astronomes « aperçoivent sur le disque du soleil; peut-être « ce globe est-ilune comète éteinte et déplacée : « (ch. 6,6. 1 };: peut-être que les approches 222 LES PROVINCIALES « d’une coméëte ont produit sur notre terre € plusieurs ravages universels, qui ont chaque « fois anéanti la portion la plus considérable de « lespèce humaine » (ch. 2,4. 2). Avec tous ces peut-êlre, ne risquerois-je pas de faire dire que trés-certainement l’auteur de ce système n’entendoit rien du tout à l’astronomie et à la physique , ou qu’il mentoit contre ses propres connoissances, parce qu’absolument rien de tout cela ne peut être selon les lois physiques connues du vulgaire ? Vous devez sentir à quoi j’exposeroïs notre nouveau Lucrèce par un plus grand détail. Nos compalrioles , trop peu philosophes encore, n’apercevroient dans tout le Système de la Na- üre qu'un chaos informe, qu’une compila- tion monstrueuse d'erreurs en tout genre, de contradictions , d’absurdités, d’extravagances et de déclamations fanatiques : ce mépris retombe- roit sur la philosophie , et seroit trop contraire à nos intentions. Je pense donc , madame , qu’il seroit expédient de laisser encore quelque lemps nos provinciaux dans l’heureuse igno- rance de ce profond Système. Il ne faudroit même leur révéler qu'avec beaucoup de discrélion ce que j'en ai fait entrer dans cette lettre. J'espère les dédommager au premier jour , en leur ex- posant un système plus étonnant encore, mais très-facile à concevoir , très court surtout , et PHILOSOPHIQUES. 223 très-conforme à la portée des philosophes les plus novices. J’ai l'honneur d’être, etc. OBSERVATIONS D'un Provincial sur les trois lettres pré- cédentes. VouLEZ-vOUS une méthode très - simple pour concevoir le faux , le ridicule et l’absurde de tout ce que nous disent les philosophes sur la toute-puissance , l’énergie, l’activité de cette nature qu’ils regardent comme le seul principe de tout ce qui existe, et comme je ne sais quel être dont les combinaisons nous dis- pensent de recourir à un Dieu créateur? A la place du mot nature , mettez ce qu'ils vous disent entendre par ce mot. Quand le nouveau Lucrèce vous dit, par exemple : « La nature « combine des soleils, elle est occupée dans « son laboratoire immense à faire éclore des « générations nouvelles ; elle marque à homme « tous les points de la ligne qu’il doit décrire; « c’est elle qui élabore et combine les élémens « dont il est composé, etc. » Au lieu du mot nature , mettez la définition qu’il vous en donne , le véritable sens de ces propositions sera celui-ci : le résultat de Passemblage des 224 LES PROVINCIALES différentes matières , de leurs différentes com- binaisons, et des différens mouvemens que nous +oyons dans l’univers, combine des soleils ; ce même résultat , dans son laboratoire, est oc- cupé à faire éclore des générations , à marquer à l’homme tous les points de la ligne qu’il doit décrire, à élaborer, à combiner ses élémens..… Que pensez-vous de ce résultat de combinai- sons qui combine ? Que pensez-vous de son laboratoire immense et de toutes ses occupa- tions? La même méthode vous fera sans peine apercevoir toute l’absurdité de nos prétendus sages, chaque fois qu’ils voudront faire de la nature un véritable agent capable de suppléer à la Divinité. L'auteur du Système de la Nature ne paroît avoir senti cette absurdité que pour nous en donner une autre également palpable, Il nous avertit une fois pour toutes qu’en disant, « la nature produit un effet, il n’entend point « personnifier cette nature , qui est un être « abstrait ; il entend que Peffet dont il parle « est le résultat nécessaire des propriétés de « quelqu'un des êtres qui composent le grand « ensemble que nous voyons. » Pesez ces pa- roles , et dites - moi si on n’est pas tenté de hausser les épaules de pitié où de mépris. La nature , le grand tout, le résultat de tous les êtres posilifs , est un être abstrait ; et de quoi, je vous prie, fait-elle abstraction , si elle em- brasse tout? Vous n’entendez pas la personni- PHILOSOPHIQUES. 225 fier ! pourquoi l’avez-vous donc personnifiée à chaque page ? Les effets que vous lui attribuez sont le résultat nécessaire des propriétés de quelques - uns de ces êtres qui composent le grand ensemble ; parmi tous ces êtres, il en est donc qui ont la propriété de combiner néces- sairement des soleils et des planètes ? Il en est qui pipent nécessairement les dés qui feront des poëmes épiques, des sonnets, des chansons, des histoires; d’autres marquent à l’homme la ligne qu’il doit décrire; et le résultat nécessaire des propriétés de quelqu'un de ces êtres fut d'élaborer et de combiner le Système de la Na- ture ! Il faut convenir que ce résultat élaboroit et combinoit , dans son laboratoire, des choses bien singulières. Ce qu’il y a ici de plus étonnant , c’est que l’on s’accoutume à considérer comme de vrais génies les auteurs de toutes ces absurdités. On ne veut pas voir combien ils se rapprochent de celui qui, voyant une montre pour la pre- mière fois, s’occuperoit des années entières à chercher comment cette montre s’est faite elle- même. Cet homme nous feroit cent raisonne- mens aussi risibles les uns que les autres. Il nous parleroit de énergie de sa montre, de sa sympathie , de sa coordination relative aux heures, du résultat de ses roues qui élaborent et combinent d’autres roues, d’autres cadrans, d’autres montres. Îl rempliroit un gros volume 10, 226 LES PROVINCIALES de ses idées, et se croiroit un homme de génie. Que résulteroit - il cependant de son long et pénible travail, si ce n’est qu’il a l'esprit assez bouché pour ne pas concevoir dans bien des années ce que le bon sens nous apprend au premier conp-d’œil? Soit défaut d'intelligence, soit obstination , il ne concevroit pas , il s’a— veugleroit plutôt que d’avouer que sa montre suppose un artiste supérieur à l’ouvrage, et d’une nature toute différente. Ce raisonneur auroit peut-être de l’esprit; mais ne devroit- on pas lui souhaiter un peu de bon sens ? et de quels hommes ne seroit- il pas la fidèle image ! RD D ER A 1 A AE Te 0 A AT 9 2 Te 4, Te D LETTRE X XV. De M. le Chevalier a madame la Baronne. MADAME, fe vous l'ai promis, je vous tiens ma parole : voici sans contredit le plus court, le plus facile de tous nos systèmes; celui qui, d’un seul mot ;, tranche toutes les difficultés et résout la ques- tion la plus importante, Me demanderez-vous par qui et comment l’u- nivers a été fait? Je n’ai qu’à vous répondre, avec l’auteur du Bon Sens : «La question porte « toutesur un faux supposé ; l'univers n’a pont « été fait, parce qu’il éloit impossible qu’il le PHILOSOPHIQUES. 297 « füt.» (Ze Bon Sens, 39.)..... Voilà nos compatriotes bien étonnés , sans doute; les bras leur tombent ; ils se regardent les uns les autres ; ils sont tout stupéfaits; enfin ils se récrient : Comment ! l'univers n’auroit pas été fait ! il au- roit toujours été ce qu’il est, ou bien il seroit un effet sans cause! «Au contraire, messieurs, « l’univers est une cause el n’est point un c£- « fet; il est sa cause à lui-même. » (Zbid.) Mais cet ordre admirable qui règne dans la marche des astres, la terre, les cieux et tout ce qui existe dans l’univers, tout cela seroit donc aussi sa cause à soi-même, et rien de tout cela ne seroit un effet ?.... An contraire encore; la terre, les cieux et tout ce qu’ils contiennent, ne sont que des effets. « L’univers seul est cause , et tous les « êtres qu’il ren ferme sont des effets nécessaires « de cette cause.» (43). L’étonnement de nos provinciaux redouble, L'univers n’a point été fait, et tout ce qui com pose l’univers a été fait! Comment distinguez- vous donc l’nnivers de tout ce qui le compose, de tout ce qui existe ? Rien ne sera plus simple que notre réponse à cette prétendue subtilité. Nous avons un mot par lequel nous désignons univers ; nous l’appelons eause ; nous en avons un autre par lequel nous désignons tont ce qui existe, nous l’appelons ef/et. Nous distingnons donc l’univers de tout ce qui existe, comme la cause est distingnée de l’effet. Nos compatriotes 220 LES PROVINCIALES pourroient insister et me dire que notre dis- tinction n’est que dans les mots; mais je ne prétends point entrer avec eux dans un détail que l’auteur du Bon Sens a eu soin d’éviter. Il a vu que son système éloil fort simple; il l’a tout renfermé dans trois ou quatre mots qu'il n’a répétés que trois ou quatre fois, pour les mieux prouver. Sije voulois entrer dans des dis- cussions , le plus court des systèmes deviendroit le plus long. Admirons-en plutôt la noble sim plicité; admirons-en surtout la commodité. De combien de recherches ne délivrera-t-il pas nos compatriotes ? Ils n’ont qu’à s’en tenir à l’auteur du Bon Sens , et dès-lors ils pourront se dire à eux-mêmes : Nous étions bien aveugles de nous tant tourmenter pour forger des systèmes, pour savoir l’origine des choses, pour savoir qui a fait tout ce qui existe, et de quelle cause nous sommes les effets ! Eh! c’est l’univers qui est notre cause; c’est lui qui nous a faits... Mais il n’a fait eucore de nous que des hommes : puisse- t-1l bientôt nous faire philosophes ! Tel sera sans doute le vœu qu’ils formeront en applaudissant au philosophe autcur du plus simple de tous les systèmes. Quant à moi ,madame, vous ne sauriezcroire quel plaisir je sens à penser et à vous dire que depuis long-cemps l’univers m’a fait Votre très -humble et très- obéissant serviteur, PHILOSOPHIQUES. 229 OBSERVATIONS D'un Provincial sur la lettre précédente. O PHILOSOPHIE! Ô sagesse suprème! toi qui x. brillois dans nos cœurs que pour y répandre le jour le plus pur, quel crime poursuis-tu dans ces hommes que nous avions crus tes disciples chéris? Ils ne vouloient briller que de ta lu- miére; ils ne devoient instruire qu’en nous ré— péiant tes oracles; et ton divin flambeau s’est éteint pour eux ! Pareils à l’enfant dont la foible raison est le jouet des erreurs et des préjugés d’une folle nourrice , le mensonge pour eux et la vérité n’ont plus de caractères distinctifs. Les absurdités, les inconséquences, les contradic- tions, toute l’incohérence et l’invraisemblance possible ne leur font pas même soupçonner Per- reur. Un fantôme semble parler en ton nom; et ces discours vagues et ténébreux , sans liaison , sans suite, sans idées, tu permets qu'ils les prennent pour tes propres leçons. Il leur dit : L'univers est sa cause à lui-même , et tout ce qui compose l’univers est l’effet de l’univers. Les eaux de l'Océan ont été faites, et POcéan n’a pas été fait. Il n’est point de cause supérieure; il nest point un Dieu auteur et créateur de Puni- vers. Tout ce qui existe a été fait, et Punivers n’a pas été fait. 230 LES PROVINCIALES Le fantôme a parlé, et le philosophe croit avoir entendu la voix de la sagesse; et ce sont les leçons du bon sens qu’il croit nous répéter! O sagesse suprême, tu l’avois donc frappé d’a- veuglement. Tu voulois que, semblable à celui dont la fièvre a troublé les sens, aussi éloigné de ton temple que ces tristes mortels dont un réduit étroit cache au reste des hommes la foi- blesse et l’imbécillité , tu voulois qu’il se crüt au milieu de ton sanctuaire, tu le condamnois à prendreses propres rèveries pour la voix de l’ora- cle ! Que ce prétendu sage te dut être odieux, si son crime égaloit son aveuglement! Ton nom était sans doute dans sa bouche, il sembloit t’in- voquer; mais son cœur appeloit le mensonge; il vouloit abuser de sa raison pour égarer les hommes ses frères; tu voulus qu’il s’égarät lui- même au-delà de toutes limites; tu sus le livrer au délire le plus évident, pour rendre l’impos- ture plus manifeste. + rai D AS A A A A A A A A A A A LETTRE XXVE De M. le Chevalier à madame la Baronne. MADAME, Sans nous occuper en ce moment de tout un système, bornons-nous à voir combien un-seul philosophe à trouvé de manières diverses pour dr 2 PIHILOSOPHIQUES. 2514 donner à la terre ses premiers habitans. Ecou- tons aujourd’hui le sage Lamétrie, nous verrons la nature, la terre, FOcéan, un œuf. des ani- maux, des plantes, lui fournir tour à tour les ressources les plus simples pour montrer à l’homme sa premiére origine: et vous remar- querez surtout le soim qu’il a d’exclure l’action de la Divinité dans toutes ses ressources. « La nature, nous dit-il d’abord, a fait sans « voir, des yeux qui voient ; elle a fait, sans « penser, un homme qui pense (_4br. des « Syst.) ». Je ne vous donne pas ce sentiment comme généralement admis par nos philosophes; car si Lamétrie a cru pouvoir se passer des yeux de la nature, Pauteur du Bon Sens ne pense pas de même. Voulez-vous comparer leurs opi- nions? Voici comment s'explique le dernier : « La machine humaine me paroït surprenante; « Mais puisque l’homme existe dans la nature, « je ne me crois pas en droit d'assurer que sa « formation est au-dessus des forces de la nature. « J’ajouterai que je concevrai bien moins Ja « formation de la machine humaine, quand, « pour me l'expliquer, on me dira qu’un pur « esprit qui n’a ni des yeux, ni des pieds, ni « des mains, ni une tête, ni des poumons, ni « une bouche, ni une haleine, a fait homme « en prenant un peu de boue, et en soufflant « dessus (Le Bon Sens ,42).» Vous le voyez, madame, ce dernier philosophe veut absolument 232 LES PROVINCIALES que l’auteur de la nature ait toutes les parties du corps humain; et puisque la nature nous a for- més , ilfaudra , selon lui, qu’elle ail, tout comme nous, des yeux, des pieds, des mains, une tète, des poumons, une bouche, une haleine. Puisqu’elle a formé le renard, le bœuf et l’élé- phant, il faudra aussi qu’elle ait une queue, des cornes, une trompe; puisqu'elle a formé l'aigle, il lui faudroit des plumes et des ailes; puisqu'elle a formé des poissons, il lui faudroit au moins des nageoires. Mais vous auriez peut- être de la peine à lui donner en même temps le bec de la cigogne, le visage de l’homme et le museau de l’ours. Ainsi tenons-nous-en à Lamé- trie, et nous nous passerons des yeux, de la tête et des poumons de la nature; nous pense- rons même que c’est un singulier préjugé que de vouloir donner aux premiers hommes un estomac , des jambes , une tête, des pieds, etc. La philosophie nous apprend que «les premières « générations ont du être fort imparfaites. [ci « l’œsophage manquoit; là l’estomac, la vulve « les intestins..... les premiers animaux qui « auroni pu vivre, se conserver et perpétuer « leur espèce , auront été ceux qui se seront « trouvés munis de toutes les pièces nécessaires « à la génération. Ceux-là seuls auront eu la « faculté de voir ei d'entendre, à qui d’heureuses « combinaisons auront donné des yeux et des « oreilles exactement faits et placés comme les LL ; PHILOSOPHIQUES. | 255 « nôtres ( Lamétrie , pag. 266 et 268 ). » nature fit donc en premier lieu des aveugles, des sourds, des boiteux, des manchots; elle fut long-temps à deviner où placer les yeux et les oreilles; elle en mit quelquefois au milieu du front, ou sur le bout du nez; d’autres fois elle mettoit un pied à la place d’un bras : enfin il se trouva quelques individus heureusement com- binés, et parfaitement semblables aux hommes d’aujourd’hui. « Mais ne croyez pas que ces « premiers hommes soient venus au monde « grands comme père et mère, et fort en état « de procréer leurs semblables (pag. 264). Ne « croyez pas surtout que le premier nouveau-né & ait trouvé un teton ou un ruisseau de lait « tout prêt pour sa subsistance, Les autres « animaux ; émus de compassion à l’aspect de « l’embarras où il se trouvait, ont bien voulu « prendre soin de lallaiter, comme plusieurs « écrivains dignes de foi assurent que cela arrive « quelquefois en Pologne (pag. 277 et 278). » Une ourse charitable et une lionne comp:tissante furent les bonnes nourrices du véritable Adam. D’ou était-il donc sorti ce véritable Adam ? me demanderez-vous. « Peut-être, répondrai- « je avec Lamétrie, peut-être avoit-il été is au « hasard sur un point de la terre, sans qu’on | « puisse savoir pour quoi ni comment : sem— « blables à des champignons qui paroissent « d’un jour à l’antre, nous ne sommes pas faits 254 LES PROVINCIALES « pour avoir une idée de l'infini (Z’oy. l Hom. « mach.) Il faut cependant que la terre ait « servi d’utérus à l’homme, qu’elle ait ouvert « son sein aux germes humains déjà préparés « pour que ce superbe animal en püt éclore. » Ne reprochons pas à la terre sa stérilité actuelle ; ne lui demandons pas pourquoi on ne voit plus d’enfans éclore de son sein : «elle a fait sa por- « tée de ce côté - là; une vieille poule ne pord « plus, une vieille femme ne fait plus d’en- « fans. » ( Lam. pag. 264 et 266.) La terre en a fait pendant assez long-temps; sa vieil- lesse seule est une raison très - physique de sa stérilité. | Vous voyez, madame, que nous nous éloi- gnons un peu du sage ‘Telliamed. L’Océan ne fat point notre père, la carpe ne fut point no- tre mère commune; cependant nous pouvons lui passer la carpe, pourvu qu'il nous passe les œufs ; ou , pour parler plus vrai, nous lui ac- corderons que la mer pondit l’œuf humain, pourvu qu'il convienne que la terre et le soleil Pont fait éclore. « Car toujours faudra-1-il que « la mer, absorbée par les pores de la terre, con- « sumée peu à peu par la chaleur du soleil, et « Je laps infini des temps, ait été forcée, en se « retirant, de laisser l’œuf humain comme elle « laisse queiquefois le poisson à sec sur le rivage. & Moyennant quoi, sans autre incubation que « celle du soleil, P’homme et tout .utre animal | | PHILOSOPHIQUES. 233 « seroïent sortis de leur coque» (pag. 275). Il paroît seulement que l’homme fut le dernier à sortir de la sienne, puisqu'il fut reçu, allaïtée, nourri, élevé par les animaw.x. Il grandit enfin ; une Fo charmante, une aimable tigresse furent successivement éprises de ses charmes , et de leur union naquirent différens peuples de l'univers (1). Que cette origine des peuples ne vous étonne pas. Quelques-uns de nos sages n’ont pas hésité à nous présenter l’homme comme un monstre qui doit à chaque espèce d'animaux un partie de son existence : le savant Lamétrie lui-même ne paroit pas toujours éloigné de ce sentiment. C’est de lui que j'apprends « que les animaux « éclos d’un germe éternel , quel qu’il ait été, « venus les premiers au monde, à force de se « mêler entre eux, ont, selon quelques philo- « sophes, produit ce beau monstre que l’on ap- « pelle homme» (pag. 181.) Ce système auroit quelque chose de très- physique, s’il existoit des monstres féconds et capables de se reproduire : il expliqueroit à mer- veille les qualités de l'espèce humaine. Quand nous voyons la force du lion, la fierié du cheval, la douceur du mouton , la finesse du renard, 1 (1) Le texte porte exartement : Celui-ci (l’homme) à son tour , par son mélange avec les animaux, auroit fait naitre les différens peuples de l'univers. ( Lamét. p. 251. ) 256 LES PROVINCIALES réunies dans l’homme, ne pourroit-on pas dire que ces animaux, à force de se mêler ensemble, ont produit le beau monstre qui participe à leurs qualités ? Mais voici, madame, une opinion philoso- phique qui sera un peu plus de votre goût. C’est encore le sage Lamétrie qui nous la propose, peut-être uniquement pour s’égayer, peut-être aussi pour nous apprendre que la nature a bien des ressources que nous ignorons. Telliamed découvroit sur sa peau de petites écailles , et il en concluoit très- physiquement que ses ancêtres avoient été poissons. Lamétrie observe sayamment que nous avons des bras, des jambes, des poumons : nos jambes ne res- semblent pas mal aux tiges des plantes; nos bras pourroient bien n'avoir été que des branches d'arbres ; nos poumons ne seroient-ils pas les pétales d’une tulipe? Ne pourroit-on pas dire que les premiers hommes furent d’abord une plante, un arbre ou une fleur (1)? Quelque pro- vincial va s’écrier ici : 4h! Coridon , Coridon , quæ te dementia cepit ! Ah! Coridon, quelle est donc ta folie ! Mais dans le fond, que restoit- il au philosophe à décider ? Une seule question. Il auroit tout dit, s’il nous avoit appris de quelle (1x) Les poumons sont nos feuilles,... Si les fleurs ont leurs feuilles ou pétales, nons pouvons regarder nos bras et nos Jambes comme de pareilles parties. ( L’ Homme plante , p.71.) PIHILOSOPHIQUES, 239 plante ou fleur nous sommes issus. Le More assurément n’esl provenu que de quelque fleur trés-noire. Nos anciens Gaulois, connus par Péclat de leur teint, le devoient à la blancheur du lis. Un en sr décidé pour le ronge me persuaderoit que les nymphes de la Seine na- quirent de la rose. C’est à vous, madame, à développer ce système à à nos compatriotes ; je dois vous en laisser la gloire. Aussi me hâté-je de terminer ma lettre, en vous assurant du profond respect avec lequel j’ai l'honneur d’è- tre , etc. mt OBSERVATIONS D'un Provincial sur La lettre précédente. COMMENT l’homme peut-il conserver la plus foible étincelle de sa raison , et se livrer à toutes ces idées de Lamétrie sur l’incubation du soleil, sur les œufs de la terre ou de l’O- céan , sur ce beau monstre produit par le mé- lange de tous les animaux ? ete. Comment peut- on se croire philosophe, et écrire de par eilles absurdités ? Cette question me paroît aussi dif- ficile à résoudre que toutes celles que l’on a faites sur l’origine des hommes et de tous les êtres. _ L'auteur du Bon Sens reparoît dans cette lettre. Qu’il y soutient bien dignement l’idée que 258 LES PROVINCIALES nons en avions déjà conçue !'qu'il sy trouve dignement associé avec Lamétriei Celui qui nous dit : Un Dieu n’a point fait l’homme , parce qu'un Dieu, pur esprit, ne peut avoir ni bras, ni jambes, ni poumons; et celui qui nous dit : La nature a fait , sans penser , un homme qui pense, nous paroîtront toujoursdeux philosophes dignes du même rang. A A A 9 A TT Te LETTRE XXVILI De M. le Chevalier a madame la Baronne. MADAME, Quel ne doit pas être votre étonnement ! le nom du plus grand, du plus célèbre, da plus étonnant de tous nos sages, le nom de ce génie supérieur, qui, dans nos philosophes eux- mêmes, voyoit tout au plus des hommes dignes de porter sa livrée , le nom de Voltaire n’a point encore paru dans ces lettres consacrées à la gloire de la philosophie. Vous pensez sans doute que mon profond silence sur ce héros du siècle philosophique n’avoit d'autre principe que le désir de vous surprendre un jour agréablement, et de redoubler votre admiration , en vous dé- veloppant son système comme la perfection et le complément de tous les autres. Hélas ! votre espoir ne sera pas rempli, Voltaire a déduigné la 1 | | PHILOSOPHIQUES. 279 gloire de créèr lPunivers; il a combattu tous les systèmes , il n’en a point formé, Les Buffon , les Muuillet , Les Moïse, 1l les attaquoit tous; seul 1l détruisoit tout; il ne se refusoit qu’au plaisir d’édifier. Quel dommage, madame, que ce grand phy- “sicien n'ait point fuit de ses connoissances l’usage que nous en attendions ! il avoit en Hide le sentiment de toutes ses forces quand il nous disoit : « L'existence de Dieu n'est point du tout nécessaire a la création des étres » (4.8, _ pag. 552.) Il sentoit qu'il pouvoit se passer de ce Dieu pour créer lunivers : maïs falloïi-1l donner le mouvement à cetle étonnante ma- chine, en combiner la marche, établir ses lois, et faire paroître un seul être pensant? le pré- jugé reprenoit son empire ; Voltaire se croyoit ubligé de nous dire: « Dieu seul est le prin- « cipe de toutes choses , et toutes existent en « lui et par lui; il agit sur tout étre; la matière « de lPunivers lui appartient , et il n’y a pas « un seul mouvement , pas même une idée, « qui ne soit l'effet immédiat de ce principe « universel. » ( Quest. Ency. Idées. ) O foi- blesse bumilhiante dans le héros des sages ! Il donne plus à Dieu que le préjugé religieux ne Jui à jamais accordé, Il lui eède la gloire d’avoir immédiatement produit Lous nos chefs-d'œuvre ; il en fait l’auteur immédiat de toutes nos idées philosophiques ; méme de ces blasphèmes que °40 LES PROVINCIALES nos sages ont eu quelquefois la hardiesse d’écrire contre la Divinité. 11 fait Dieu penser, écrire, conjurer immédiatement contre Dieu; et vous savez bien que , selon les préjugés religieux , si Dieu donne la force et la hberté , l’usage et surtout l’abns de cette force , de cette liberté, n’est point un effet immédiat de la Divinité, mais de l’homme. Heureusement Voltaire n’est pas toujours également généreux. Souvent il semble croire que rien ne vient de rien; et alors il refuse absolument à la Divinité le pouvoir de créer la moindre chose ; mais sou- vent aussi, et plus souvent encore il est in- décis. En voyant seulement l’homme venir de Jhomme , les végétaux sortir des végétaux , et l'animal venir de l’animal , il n'ose plus nous dire que rien ne vient de rien ; il avoue seu- lement « qu’il lui est aussi diflicile de voir clai- « rement comment un ètre vient d’un autre , « que de comprendre comment il est arrivé du « néant.» (Quest. Ency.Générat.) Quel dom- mage qu'il ait ainsi perdu le sentiment de ses propres forces ! Cent traits épars dans ses ouvrages nous ont annoncé tout ce qu’il pouvoit faire, s’il avoit entrepris de régler l'univers, et nous expli- quer notre origine. Jamais il n’auroit dil avec Moise : Au com- mencement Dieu créa le ciel et la terre. Jugez- en, madame, par ses observations physiques sur le premier verset de la Genèse : « Dans le PHILOSOPHIQUES. 241 « temps où l'on place Moïse, les philosophes phéniciens en savoient-ils assez pour regarder «_ la terre comme un point en comparaison « de la multitude infinie des globes que Dieu « a placés dans l’immensité de l'espace qu’on « nomme le ciel? C’est à peu près comme si « on disoit que Dieu créa toutes les montagnes « el un grain de sable. » { Zbid. Genès.) Les connoissances physiques de Voltaire ne lui au- roient donc pas permis de nous dire: Je cois en un Dieu créateur du ciel et de la terre, Sous peine de passer pour ignorans , nous ne le dirons plus. Mais comment dirons - nous ? Voltaire n’a pas pris la peine de nous l’ap- prendre, Tout ce que nous savons , c’est qu’il auroil élé rarement d’accord avec le légisiateur des Hébreux. Je me représente ce grand physicien com- mentant la Genèse , corrigeant Moïse au milieu d’une synagogue. D’un côté j'aime à voir le philosophe opposant au préjugé toutes ses con- noissances physiques : de l’autre, vingt rabbins opposant au philosophe tous les raisonnemens et toute l’obstinalion du préjugé. Il nous a dé- montré qu’il est ridicule d'appeler un Dieu le créateur du ciel et de la terre; il leur prouvera que sans un singulier renversement de l’ordre, ce Dieu ne pouvoit pas dire dès le premier jour : que la lamière soit faite, parce qu’il n’avoit poiut encore de soleil pour faire la lumivre. [l 1. 11 & 242 LES PROVINCIALES ajoutera que ce ‘Dieu n’a point séparé la lu- mière et les ténèbres, parce que la nuit et Le jour n’éloient point mèlés ensemble comme des grains d'espèces différentes , comme des grains d'orge et des grains de millet. Il rira savam- ment de cette lune appelée par Moïse le flam- beau de la nuit , expression qui désigne toujours dans les Juifs la méme ignorance. I leur ap- prendra que cet astre ne brille que d’une lu- mière réfléchie ; qu’il n’est pas surtout un grand luminaire, puisqu’il est tantôt quarante, tan- tôt cinquante fois plus petit que la terre; ïl saura reprocher à Moïse de nous avoir dit tout simplement que Dieu fit les étoiles, au lieu de nous dire qu'il fit autant de soleils dont chacun a des mondes roulans autour de lux. Nos rabbins diront-ils à tout cela que le Dien de Moïse put créer la lumière sans le secours d’un astre qui doit à ce Dieu toute sa splen- deur ? Qu’avant l’existence du soleil il pouvoit éclairer l’univers, diviser les temps, partager l'empire des jours et des nuits, et gouverner même tout ce qui existoit par des moyens lout autres que ceux dont il a voulu se servir après avoir donné au monde une forme constante, et quand l'ouvrage des six jours a été consom- mé? Diront-ils à Voltaire que toutes ses obser- vations sur les premiers chapitres de la Genèse ne sont que des chicanes pwriles ou des jeux de mots, ou qu'un vain étalage des connois- PHILOSOPHIQUES, 43 sances les plus communes? A quel homme font- ils un pareil reproche? S'il faut du Newton pour réfuter Moïse, quel homme en peut don- ner à nos rabbins autant que Voltaire, et du moins commun , surtout quand il s’agit de la lumière ? Savez-vous, en eïet, madame , pour- quoi il ne fait pas jour pendant la nuit? C'est parce qu’alors les rayons rencontrent un espace vide; « et parce qu’un rayon rencontrant des « espaces vides est obligé de revenir sur ses « pas»; où si vous aimez mieux, c’est parce qu'alors les passages ouverts à la Jumière sont beaucoup trop larges pour qu’elle les traverse. Car, nous dit Voltaire , plus un passage où un pore est étroit, plus les rayons traversent avec Jacilité ; et plus il est large, plus ils ont de peine à y passer. La preuve en est certaine, et c’est Voltaire seul qui l’a découverte en nous apprenant qu'a mesure que nous pornpons l'air, il passe moins de lumière dans Le réci- pient, et qu’enfin il n'en entre plus du tout ( Vol. Elément. Newton. p. 51, 112, et Lett. à la fin des Elém.) (1). Tres-certainement ce ne (1) Comme les diverses éditions de Voltaire ne se res- semblent guëre , nous croyons devoir prévenir les lecteurs que si quelqu'un de ces textes sur La physique ne se trou- voit pas dans celles qu’ils ont entre Les mains, ils les trou- veront presque tous cilés dans un petit ouvr ige intitulé le Newionianisme de Voliaire. D'ailleurs quelle que soit l’é- dition qu'ils ont entre Les mains , la physique de c: grand homme leur offrira toujours des explications assez exiraor- duaives, Note de l'éditeur, 244 LES PROVINCIALES sont pas là des connoissances communes; mais je ne voudrois pas en faire part à nos rabbins : les uns se mettroient à pomper Pair, et ver- roient la lumière pénétrer dans le récipient tout comme auparavant; les autres fermeroient les portes, fenêtres et volets, pour voir si les rayons traverseront mieux quand le passage sera plus étroit, et n’y verroient plus goutte, Je ne voudrois pas même leur donner sur lat- traction les connoiïssances peu communes de Voltaire; je ne leur dirois pas, avec ce grand homme, que si les liqueurs s'élèvent au-dessus de leur niveau dans les tubes capillaires, «& c’est « Pattraction seule du haut du verre qui est la « cause de ce phénomène, et que l’eau montera « toujours d’autant plus dans ces tubes qu’ils « seront plus longs ( Elem. p.431 ).» Nos rab- bins en feroient encore l'expérience; et voyant que l’eau ne monte pas davantage dans le tube d’un pied que dans celui de deux pouces de hauteur , ils perdroient le respect dû à ce philo- sophe; ils lui diroient peut-être qu'après avoir fait tant de bévues sur la physique, il ne lui convient pas de corriger Moïse? Mais l’article essentiel sur lequel je serois le plus curieux de voir nos hébraïsans aux prises avec Voltaire, c’est l’Adam de Moïse et Pori- gine qu’il donne à tous les peuples. Je voudrois voir Voltaire argumentant sur les hommes blancs et sur les ndirs , sur les jaunes , les rouges » PHILOSOPHIQUES. 245 et les gris, sur les im.+erbes et sur les barbus. « Tous sont également hommes, leur diroit-il ; « mais ils le sont comme un sapin, un chène « et un poirier sont également arbres ; le poirier « ne vient point du sapin , et le sapin ne vient « point du chêne. » (Quest, Ency. Hom.) L’imberbe et le barbu , l’homme noir , le blanc, le jaune et le rouge ne viennent donc point de la même tige. «Je vous l’ai déjà dit, mais vous « êtes sourds... Il n’a jamais été possible de « composer nn régiment de Lapons et de Sa- « moyèdes ; vous ne parviendrez jamais à faire « un bon grenadier d’un pauvre Darien ou « d’un Albino.. Il n’y a qu'un aveugle, et mème « un aveugle obsliné qui puisse nier l’existence « de toutes ces différentes espèces. » Il faut donc un Adam à chacune de ces espèces; il nous faut un Adam noir et un Adam blanc; il nous en faut un jaune , un rouge et un gris; un imberbe et un barbu , un Chinois et un Lapon, un Darien et un Caraïbe ; il nous en faut an aux cheveux plats , un autre aux cheveux noirs et frisés , un autre encore aux yeux de perdrix, aux cheveux et aux sourcils de la soie la plus fine et la plus blanche; il nous fandroit même un Adam grenadier et un Adam poltron. Com- ment , après cela, croirons-nous à un homme qui , d’un seul Adam, ose faire sortir tout le genre humain ? Quel terrible argument contre la synagogue ; 246 LES PROVINCIALES st M. de Buflon ne nous apprenoit que du même animal il peut sortir vingt races diffé- rentes et bien plus variées que celles de ces hommes noirs, blancs, jaunes et gris; que le père commun du chien danois, du dogue d’An- gleterre, du lévrier, de l’épagneul , du barbet et de tant d’autres races, se trouve dans le chien de berger; si de l’ours le plus noir, transporté en Sibérie, il ne sortoit avec le temps une race d'ours blancs ; si même dans l’Europe on ne voyoit pas des hommes sans barbe sorlis d’une race barbue, d’autres à cheveux moutonnés sortis d’un homme à cheveux plats; si nos plus robustes héros n’avoient pas quelquefois des enfans malingres et poltrons ; s'il n’étoit deé- montré que la différence des climats, des ali- mens, et même que les maladies héréditaires, ou une humeur vicieuse suffisent pour occa- sionner dans les animaux , les plantes et les hommes des variétés plus remarquables que celle de Ja couleur et de la barbe! Quelle difi- cullté, si l’enfant d’un Américain , d’un nègre où d’un Lapon, ne ressembloit pas à celui d’un Européen un peu mieux que le gland ne res- semble à la poire; ou si d’un poirier enlé sur sur le chêne il sortoit un germe qui nous donnût des poires, comme les alliances des nègres et des blancs forment avec le temps des races d'hommes noirs ou d'hommes blancs! Que Vol- taire auroit bien eu raison d'opposer tant de PHILOSOPHIQUES. 247 fois à Moïse cette difficulté, si le préjugé ne trouvoit jusque dans nos philosophes tant de réponses satisfaisantes ! Je sais qu’on peut répondre également à toutes ses autres objections. Lorsqu'il dit, par exemple, que « le même pouvoir qui fait naître « l'herbe en Amérique a pu y mettre aussi « des hommes. » Je sais qu’on répondra qu’il ne s’agil point de ce qui pouvoit être, mais de ce qui fut, Lorsqu'il ajoutera qu’il n’y a plus que les ignorans à croire qu’Adam n’avoit ni pére ni mère, on lui demandera quel savant découvre dans l’histoire un seul homme de plus ancienne date que cet Adam, à qui if en veut tant, Mais nous, qu’embarrasse le plus vieux de tous les préjugés, ne devons-nous pas Ini savoir gré des armes qu’il employoit pour le com- battre ? N'applaudirons-nous pas également à l’expé- dient qu'il a imaginé pour délivrer encore la philosophie des soucis , des peines que nous donnent les débris de ce déluge dont parle Moïse? Ces productions marines , ces divers coquillages que l’on trouve sur nos montagnes, ne feront plus la moindre difliculté si, comme Voltaire ,; « nous faisons réflexion à la foule in- « uombrable de pèlerins qui partoient à pied « de Saint-Jacques en Galice, et de toutes les « provinces, pour aller à Rome par le Mont- « Cénis, chargés de coquilles à leurs bonnets » 248 LES PROVINCIALES (Q. Ency. Coquil.). Nous regrelterons seule- ment que quelques-uns de ces pélerins n’aient pas perdu leurs bonnets à coquilles dans le Pérou, dans le Chili, et sur toutes les mon- tagnes les plus élevées de l'Amérique, où Pon trouve des coquillages en aussi grande quantité que sur toutes celles de l’Europe, de l’Asie et de l'Afrique, Si Voltaire avoit fait un système, tous les changemens que la surface terrestre a éprou- vés ne Vauroient pas embarrassé davantage. La nutation de Paxe, c’est-à-dire un léger mou- vement qui élève et abaisse successivement les pôles de la terre , ce mouvement qui vous pa- roîtroit incapable de déranger une seule goutte d’eau , lui auroit suffi pour déranger tout O- céan, pour vous expliquer la retraite des mers, et leur faire occuper succesivement toute Ka sur- face de la terre; et puisque Lout montre que les eaux de la mer ont déjà couvert au moins une fois toute cette surface , cette explication détruiroit très-efficacement un nouveau préjugé. Elle feroit dater l’existence de notre globe au moins de deux millions et trois cent mille ans; car il en faudroit encore davantage pour que ce mouvement eût fait faire à la mer le tour de la terre, Il est vrai que, selon M. de Buffon , l'Océan devroit se retirer d'Orient en Occident; au lieu que Voltaire, par ce mouvement, le feroit alter- = PHILOSZPHIQUES. 249 nativement avancer et reculer du nord au midi, et du midi au nord; il est vrai encore que les pôles ont beau s'élever et s’abaisser, tant que le mouvement diurne se fera sur ces pôles, toutes les mers devront conserver leur situalion. Mais Voltaire dédaigne les détails ; 1l nous à privés des grands avantages que ses connois- sances physiques auroient procurées à la philo- sophie, et nous sommes réduits à regretter qu'il n'ait pas voulu nous donner un système complet. Je me trompe , madame, la philosophie n’y a rien perdu. Un système exigeoit de sérieuses méditalions, de longs raisonnemens, des com- binaisons, et surtout une grande connoissance des lois de là nature; le commun des hommes ne se prête point à cette étude. Il faut, pour les gagner à la philosophie, voltiger et ne pas les contraindre par des réflexions trop suivies. Il faut les divertir , les délasser , les faire rire, même aux dépens de ce qu’ils appellent leur plus grand intérêt. Un bon mot, une raillerie fine, un ton enjoué, un sarcasme bien assai- sonné, voilà le grand art d’attacher ses lecteurs. Raisonnez très-peu en votre faveur, couvrez de ridicule Nonnote, Sabatier, Fréron et Patouil- let, vous aurez tout fait pour la philosophie, Ménagez l'ironie, mais faites-la sentir, et qu’elle accompagne toujours le nom de Moïse ou du bon homme Job: tancez joliment Häbacuc, et plaisantez cent fois avec grâce le déjeüné d'Ezé- 1 Le 250 LES PRHOVINCIALES chiel; combien de jeunes gens vous arracherez au préjugé! Vos bons mots seront répétés à toutes les toileltes; vous remplirez de jeunes philosophes les cafés et l'Opéra. Un âge plus mür ne défendra pas même vos lecteurs des impres- sions que vous cherchez à faire. On veut rire à tout âge; on lit pour s’amuser plutôt que pour s’instruire; quelque léger que soit un argument, dès qu’il favorise certains penchans, il sera tou- jours bien accueilli; et s’il est proposé de ma- nière à divertir, il vaut cent fois mieux qu'une bonne raison. Ne craignezZ pas même de répéter cent fois la même chose. Si vous n’avez pas une nouvelle plaisanterie à nous donner, répétez les anciennes : on pourroit les avoir oubliées; vous les rappellerez, vous les inculquerez; vous ferez de nouveaux philosophes. Or quel homme a jamais mseux connu que Voltaire cet art de suppléer à la raison par lironie, la plaisanterie, le ridicule, les sarcasmes et les répétitions? et cel art heureux, à quoi l’employoit-il? Etoit-ce à combattre nos vices, nos passions, nos pen- chans ? Non, il sut le tourner adroiïitement contre le préjugé religieux. Il écrivit beaucoup, rai- sonna fort peu ; mais il fit souvent rire. Il con- noiïssoit les hommes, et la philosophie lui doit plus de conquêtes qu'aux Jean-Jacques, aux Fréret, aux Boulanger. On a dévoré ses bro- chures , on les relit encore, on les lira long- temps, S'il se füt amusé à raisonner comme les PHILOSORHIQUES. 251 d’Alembert et les Diderot, quel homme auroit jeté deux fois les yeux sur ses ouvrages? Non, toute l'Encyclopédie, tous les raisonnemens de l'animal prototype n’inspirent pas autant d’es- prit philosophique qu’une seule plaisanterie de Voltaire. Faut-il vous en donner un exemple? lisez seulement la traduction qu’il fait des pre- mieres paroles de l’Ecriture-Sainte. « Au com- « mencement, fait-il dire à Moise, au commen- « cement les Dieux firent, ou les Dieux fit le « ciel et la terre; or la terre étoit tohu bohu. » N'est-ce pas-là du vrai, du plus puissant ridicule jeté sur Moïse? Ne vous sentez-vous pas bien disposée à rire par avance de tout ce que l’auteur de la Genèse est prêt à vous dire de ces Dieux qui fit le ciel et la terre, ou le tohu bohu? Voilà le grand homme, le vrai philosophe : il s’habille en Momus, quelquefois en Pasquin: mais à peine a-t-1l ouvert k bouche, que les Dieux, Eve, Adam, la création , sont couverts d’un ae re À qui met dr oit toutes les pelites maitresses du monde de croire à Ecriture. Ne demandez pas à Pasquin ce qu’il met à la place de la création telle que Moise nous l’expose. Ne lui demandez pas quel Adam il nous donne, Il a chassé le vôtre, c’est tout ce qu'il demande, Il lui en faudroit bien une vinglaine; mais , trop adroit pour en nommer un seul, il se contentera de vous égayer. Admirez-vous son ton léger et facile ? riez-vous avec lui de Moïse et de k révélation ? dès-Lors 252 LES PROVINCIALES vous pouvez occuper un rang distingué parmi nous; vous êtes philosophe. Que votre respect pour Voltaire annonce le sage qui a su vous enjouer, et vous délivrer de vos préjugés sans se donner la peine de vous instruire , et sans vous donner celle de raisonner. J’ai honneur d’être, etc. P.S. Aux systèmes que j'ai eu l’honneur de vous exposer je pourrois ajouter ceux de Wodward , de Burnet, de Wiston, de Eeibnütz; mais ce seroit vous rappeler à la terre soleil de verre fondu , au choc des comètes , à de longs déluges , et toutes ces idées n’auroient plus pour vous l’agrément de la nouveauté; la gloire de ces philosophes est d’ailleurs étrangère à notre nalion : en me bornant à vous faire connoilre celle de nos systématiques francais , jai cru que leurs leçons suffisoient pour vous démon - trer combien la philosophie trouve de ressources dans leurs connoissances physiques : comment ils se passent de Dieu et de Moïse quand il s’agit de bâtir l’univers ou de le peupler. P’espère que mes lettres, en changeant d’objet, n’en devien- dront pas moins intéressantes, Nous attaquerons des préjugés bien plus enracinés encore que celui de la création , et vous verrez nos sages les combattre avec la même ardeur , les mêmes succès et le même accord, ou plutôtavec la même variété. | PHILOSOPHIQUES. 253 - OBSERVATIONS * D'un Provincial sur la lettre précédente. JE ai vu cet homme pour qui l’auteur suprème de tous les talens parut oublier ces réserves et cette économie qu'il observa tou- jours en les distribuant au reste des hommes. Mes yeux ont vu Voltaire. Je n’oublierai point les premiers transporls que son aspect excita dans mon cœur. Je crus voir à la fois dix grands hommes , l’émule de Virgile et d'Ho- mère, l’élégant Tibulle, le charmant Anacréon, le sensible Racine, le terrible Crébillon , le su- blime Corneille, Il étoit entouré d’une foule d’admirateurs: l’air retentissoit de cris de joie, de battemens de mains. Quel homme, à l’as- pect de Voltaire, eùt pu s’empècher d’unir ses applaudissemens à ceux du publie ? Les miens furent sincères. Ils étoient insphés par la re- connoissance que doit un Français au chantre d'Henri IV, au poëte qui seul nons empêécha long-temps de regretter le siècle de Lonis XIV. Mais une horréur secrète suspend tout à coup ces sentimens de joie ; de respect et d’admira- tion. J’applaudis à Voltaire ; et je vois près de lui. . . : Dieu ! quels hommes affectent d’a- jouter aux transports du! publie ! Que mon hommage ne soit poiut confondu aves le vôlrez 254 LES PROVINCIALES sophistes odieux ! Je l’offrois au génie, à tous les talens réunis, au poëte chéri des jeux et des grâces, et surtout au favori de Melpomène ; le vôtre ‘n’a d’objet que l’abus de talens et le génie révolté contre les cieux. À côté de Racine et de Corneille, l’auteur de Zaïre, de Mérope, d’Alzire et de Mahomet m'a paru grand comme eux. Je vous vois empressés autour de lui. Votre aspect me rappelle toutes ses foiblesses et lout son opprobre; vingt productions informes, et toutes impies, et toutes scandaleuses, s’offrent à mon esprit; Voltaire n’est plus à mes yeux que le triste emblème de la nature humaine, h boîte de Pandore, ce trésor fatal d’où sortent à la fois les biens et les maux, les vertus et les vices, la vérité et le mensonge , la raison et les passions , la lumière et les ténèbres, L’estime et le respect l’emporteront-1ls sur la douleur et l’indignation ? le blâme devra-1-il égaler les éloges ? Mes plus justes reproches tomberont sur ces hommes dont la présence seule obscurcit son triomphe ; et dont les transports annoncent qu’il le doit à ses égaremens plutôt qu’à son génie. J’accuserai ces hommes qui, connoissant Voltaire dévoré de l'amour de la gloire, sem- bloient lui avoir dit : Que notre sagesse devienne la vôtre : adoptez notre esprit et nos opinions , vous serez notre idole, et tout notre encens fumera pour vous. Frondez tous les principes que nous 2yons 0sÉ attaquer ; prèlez-nous ces PHILOSOPHIQUES. 255 charmes séducteurs , ce coloris , celte légéreté . ces suillies , cet art de suppléer au fond par la superficie, au vrai par l’agréable ; faites - nous des disciples , et nous vous ferons des adora- teurs. Malgré tous les écarts , toutes les er- reurs , toules les petitesses , toutes les con- tradictions où nos systèmes pourront vous en traîner , vous serez toujours loué , toujours exallé ; toujours volre nom sera répété avec enthousiasme. Une nouvelle erreur sera toujours pour nous un nouveau service ; une nouvelle gloire et de nouvelles louanges en seront tou- jours le prix. De combien de chefs-d’œuvre ce pacte in- sidieux n’a-t-il pas privé l'empire des lettres ? Voltaire , attaché aux grands principes , ne pouvoit que marcher à côté du génie : sa gloire étoit Sans tache; son cœur en jouissoit sans trouble , sans reproche et sans amertume. Mais Voltaire, aveuglé par un fantôme, cesse d’être lui-même; il ne pense plus que d’après les Fré- et, les Boulanger, les Bayle, les Bolyngbrocke. Une fausse sagesse détourne ce grarid fleuve sur un {errain de sable qui absorbe ses eaux, qui ne peut se couvrir que de fange, et porter que de foibles roseaux : alors on voit éclore ces poëmes où l’obscénité et la philosophie révol- tent également, Pune par ses images lascives et sans pudeur, lantre par ses maximes im pies et sans frein, La Pucelle, la Guerre de Genève , 256 LES PROVINCIALES l'Epitre à Uranie, déshonorent le poële philo- sophe. Cent traits orduriers dans Candide et dans la Princesse de Babylone déshonorent le philosophe romancier. Les infidélités, la mau- vaise foi , les mensonges redoublés de l’Essai sur l'Histoire, du Tableau du genre humain , dés- honcrent le philosophe historien. Le Diction- naire philosophique, le Catéchisme de l’honnête homme, les Questions encyclopédiques, le Ser- mon des Cinquante, les questions de Zapata , vingt productions informes , consacrées à com- battre avec une obstination et un acharnement inconcevable tous les vrais principes, à répéter el à ressasser les raisonnemens les plus foibles et les plus frivoles, les mêmes erreurs ; les mêmes mensonges , à falsifier les textes, à tron- quer les passages, à se contredire perpétuelle- ment, à noircir les auteurs, à vomir des injures dignes du langage des halles , feroient presque oublier le chantre d'Henri IV, et rendroient odieux l’auteur de Zaire. Non, je ne craindrai pas de le dire, Voltaire cesse d’être lui-même, il cesse d’être grand , dès qu’il ne travaille que pour celle fausse philosophie , dont les sectateurs le prirent pour idole : ils Pont enivré de leur en- cens , et il n’est jamais plus petit que dans leur temple; ils se réjouissent de son triomphe, et il ne cessa de le mériter que lorsque leurs oracles devinrent les siens. Mais Ja postérité démélera un, jour le gtuje: PHILOSOPHIQUES. 257 de ces faux sages et celui de Voltaire ; elle s'apercevra qu’il avoit dans lui-même un fonds de véritable philosophie , qu’il connoissoit un Dieu , et que s’il favorise l’athéisme , c’est bien moins par haine de la Divinilé que par une fausse déférence pour l’impie. Elle reconnoitra que ses écrits respirent très-souvent l'humanité, la douceur , la bienfaisance; mais en s’étonnant que, sensible aux malheurs du genre humain , il se soit acharné à décrier une religion qui peut seule les prévenir ou les soulager ; elle en accusera ceux qui, avant lui, s’obstinoient à confondre l’abus avec la loi, le prétexe avec la cause, le fanatique avec le religieux, et les forfaits contre le christianisme avec le chris- tianisme. En déplorant la perte des services qu’il étoit capable de rendre à Phistoire ; elle verra la cause de toutes ses iufidélités dans les sources empoisonnées où la philosophie Pin vitoit à puiser ; elle distinguera Voltaire abusé par l'esprit de parti de Voltaire émule des gé- nies véritablement grands. Tout ce que les Corneille , les Boilean , les Fénélon auroient déchiré de ses ouvrages, tout ce qu’il en auroit déchiré lui -même quand la crainte , la honte , les remords lui dictoient les désaveux les plus authentiques, la postérité le déchirera un jour. Le talent ne fait pas survivre le mensonge ct l'absurdité ; les taches du soleil ne sont pas éter- nelles comme sa splendeur. Quand le temps aura 258 LES PROVINCIALES fait oublier le faux sage , quand les siècles auront épuré les écrits de Voltaire, il en restera loujours assez pour éterniser sa mémoire et pour étonner l'univers. Nous ne préviendrons pas ce jugement de la postérité sur chacun des ouvrages de cet auteur célèbre; mais nous croirons au moins que ce ne sera pas comme physicien qu’il méritera son: admiration. Tout ce qu’il a écrit contre Mouse ,: en cette qualité; ne nous a paru qu’un vain’ étalage des notions les plus communes , ou que des erreurs mamifestes, Qu’importe en effet à Phistorien sacré que la terre soit un million de: fois plus petite que le soleil, et quarante (1) ou cinquante fois plus grande que la lune? que lui importe encore que la lune éclaire par une lu- mière réfléchie où par une lumière propre? que la terre tourne sur elle-même, ou que le soleil décrive le cercle des jours? Toutes ces (Gi) Il est à propos d’observer ici que Voltaire , parlant astronomie , ne s'exprime guère que par des à-peu-près : ainsi il n’est pas étonnant que, dans le même ouvrage, ilait pu faire la lune tantôt quarante , et tantôt cinquante fois plus petite que la terre ( Quest. Encycl. art. Chaine des êtres et art. Genèse). La vérité seroit que la lune est treize fois plus pelite, puisque son rayon est © du raÿon terres tre. Avec celte surface, elle auroit quarante- neuf fois moins de matière que la terre, si les deux globes’ étoient de la même densité ; mais on a reconnu, par l’action de la lune sur les marées, qu’elle a environ soixante-dix fois moins de matière que la terre. ( Voy. Astronom. de Lalande, n° 1717.) PIILOSOPHIQUES.- 250: circonstances sont indifférentes am récit de Moïse. En le supposant même aussi instruit que Newlon sur tous ces objets, quel inconvénient trouvez-vous à dire que Dieu a créé le ciel et la terre; qu’il a fait les étoiles ; que le soleil pré- side au jour comme un grand flambeau ; que la lune préside à la nuit comme un flambeau plus petit, luminare minus ? Il n’y aura jamais que l'esprit de chieane à condamner ces expressions comme contraires à la physique. Vous trouverez encore un singulier renver- sement de l'ordre , à ne faire créer le soleil que quatre jours après la lumière. Je vois dans cette marche un Dieu bien plus grand que le vôtre. Sa voix seule supplée à l’astre du jour. Les lois: de la physique n’existent pas encore; il n’en a pas besoin ; et, sans le secours du soleil, il di- vise les temps les jours et les nuits, le soir et le matin : il pouvoit s’en passer pour diviser les siècles, sa toute-puissance appelle les êtres et les fait sortir du néant quand bon lui semble , et dans l’ordre qu’il juge à propos. Ce n’est point aux premiers qu’il doit le pouvoir d’en produire de nouveaux ; il n’a pas besoin d’intermède ; et le soleil, quand il existera , ne lui dira point : Je devois paroître avant la lumière. Ces vaines objections ne feront pas plus d’im- pression sur nos compatriotes que PAdam gris, Adam jaune, et tous les Adams de Voltaire. Après les réponses que notre correspondant 260 LÉS PROVINCIALES nous fournit lui-même contre ces Adoms , il reste tout au plus une difficulté à examiner. Pourquoi, nous dira-t-on, les enfans des nè- gres, transporlés en Europe ou dans nos colo- nies. ÿ conservent-ils tous les caractères de leur nation ? Pourquoi les Européens, transportés en Afrique, ne se sont-ils pas rapprochés de la couleur des nègres”? Il semble que les uns et les autres devoient, en changeant'de climat, chan- ger également de couleur , ou bien il faudra dire que leur origine ne fut jamais commune; qu’ils forment des espèces essentiellement différentes. Je réponds à cela que le climat seul pourroit avoir changé la couleur d’un peuple, sans que le changement du climat püt lui rendre sa cou- leur primitive, Les eaux du même fleuve, en se divisant , en arrosant des régions différentes, peuvent acquérir des couleurs et des propriétés différentes qu’elles ne perdront pas, quoiqu’on Jes transporte au lieu de leur source. Elles sont devenues où jaunes ou noïâtres, et douces et améres ; il faudra, pour leur rendre leur état primitif, on les décomposer et les décharger des diverses matières auxquelles leur substance s’est mêlée, ou les délayer avec d’autres eaux qui n’ont point subi le même changement. Il en est Ce même de J’humeur qui noircit l’Afii- cain ; elle ne coule plus dans ses veines qu'après avoir passé par des canaux qui l’ont dénaturée ; lant qu'elle n'ira pas se confondre et se délayer PHILOSOPHIQUES. 262 avee un sang plus pur, elle conservera tout le vice qu’elle aura contracté. En deux mots : de l'eau la plus limpide vous avez fait une encre trés-noire; sous quelque climat que vous Ja transportiez , tant qu’elle restera dans des vases de la même nature, et ne se mêlera qu’à des eaux également noircies, n’espérez pas lui ren- dre sa limpidité. Je serois moins surpris de voir l’Ethiopien sortir d'une génération de blancs, que de voir blanchir les enfans d’un nègre et d'une négresse, Les couleurs dégénèrent facile- ment ; mais le temps et les lieux ne suffisent pas pour leur rendre leur éclat. Les Portugais transplantés en Afrique, nous dites - vous ici, auroient donc aussi dégénérés, et seroïent aujourd’hui semblables aux nègres? L'abbé Demanet vous répondra qu’oui; et si l’expérience a déjà confirmé sa réponse ; comme il le prétend , il ne reste plus rien à examiner; cependant , comme il pourroit se faire que ces Portugais, noircis en Afrique, ne dussent un pareil changement qu'à une incontinence phy- sique , au mélange des femmes porlugaises avec les nègres du pays, nous ajouterons que des Européens transplantés en Afrique pourroient bien ne pas éprouver au même degré que les nègres loute l’influence du climat, à moinsqu'ils ne se livrassent entièrement au même régime, à la mème manière de vivre que les nègres, Nos colons prendroient naturellement les plus gran 262 LES PROVINCIALES des précautions pour éviler les ardeurs du se- Jeil (1); ils en sentiroient moins les impressions, æt ils pourroient peut-être y vivre bien des sië- -cles sans en éprouver les mèmes effets. 11 y au- roit alors entre eux.et les nègres la même dif- #érence qu’on voit en Italie entre les paysans -qui supportent dans les rues ou à la campagne doute la chaleur du soleil, et les personnes aisées -qui ne s’exposent point à ses rayons brülans. N’avons-nous pas vu dans les mêmes villes des “hommes affreusement rembrunis, tandis que les autres, plus jaloux de leur teint, et surlout le ‘beau sexe, étoient d’une blancheur étonnante .dans un climat très-chaud? Ne nous contentons pas de cetie réponse. Les ‘variétés qu’on observe dans l’espèce humaine -pourroïient bien avoir une aulre cause que l’in- fluence du climat : c’est en croisant les races que l’on voit paroïtre dans les animaux des gé- nérations extrêmement différentes les unes des autres. Le barbet, l’épagneul et les dogues les (1) Les Européennes curieuses de leur béauté ont soin, dit Pierquin, de se frotter, en certain temps de l’année, avec de l'huile de noix tirée sans feu. Les négresses ont aassi besoin de certaines précautions pour ne pas devenir semblabies aux albinos. Selon ce meme auteur, le soleil, qui produit en Europe des rousseurs désagréables, forme sur les nègres des taches farineuses qui, fortifiées par la corruption des humeurs , effacent leur teint, et produisent ces nègres blancs appelés albinos, ( Dissert, phy sig. sur Le que l'oranger ne mürit point sur des roches glacées. Le GRAND FIAT que vous aviez peut-être ima- giné, avant, n’est plus qu’un réchauffé des idées de M. de Marivetz sur la formation du globe; vous n’en serez pas moins le premier homme du monde pour inventer des siècles avant le premier soir et le premier matin. Il n’y a pas jasqu’à l’art de cristalliser nos grandes chaines graniliques qui ne füt déjà connu (#07. Enc. art. MONTAGNE) ; vous n’en aurez pas moins la gloire d’avoir vu le premier ce grand prodige. Nos abhés provinciaux auront observé long- Lemps avant vous la différence des coquillages apparens dans les diverses couches (1); vous | (1) C’est d’un ecclésiastique que M. de Gensanne dit avoir appris à observer la différence de ces coquillages dans ses Voyages minéralogiques sur nos montagnes. (Voyez ces Voyages , art. des Cévennes et du Vivarais. }) Comme il est des coquillages reconnus pour aimer le fond des mers, il devient moins étonnant que les couches inférieures en con- fiennent un plus grand nombre d’une espèce particuliére , quoique les autres n’en soient pas exclus. Telle vase d’ail- leurs peut être plus recherchée par les uns que par les au- tres; dans le desséchement de la maticre, il peut y en avoir dent les débris s’incorporent plus facilement et disparois- sat, etc. (Voy. Ob:ervations sur da Lure 28.) 384 LES PROVINCIALES tagnes qui ont encore trois mille toises de hau— teur, et qui d’abord en eurent bien davantage. Pour les faire sortir du fond de POcéan , il ne faut rien autre que du vent à un certain adepte { voyez la Terre habitable , ou Essai sur la structure intérieure et extérieure du globe), conyne il ne lui faudra que de la pluie pour les y faire entrer de nouveau. Avec du vent et de la pluie , il vous montrera le globe, alternativement mourant et renaissant pendant V’élernité; mourant, lorsque les pluies ont en— traîné les Alpes dans la mer ; renaissani, quand le vent on la iempète les force d’en sortir,-quand l’huile de pétrole, que les coquilles laissent dans nos montagnes , esl assez abondante pour cou- ler de leurs fentes pendant deux ou trois mille siècles. Mais dans la visite de leur Bedlam, nos compatriotes ont senti où un pareil système peut conduire nos sages. N’exposons pàs la gloire de celui-ci, | Gardons un silence bien plus profond encore sur un nouyel adepte , qui voit les Pyrénées d'abord devenir cendre, et de cendre devenir granit, et se changer pendant toute léternité, de montagnes en plaines , de plaines en mon- tagnes. Je ne sais trop comment peul se faire la première métamorphose ; notre sage lui-même , n’en est pas mieux instruit ; la seule raison, qu’il nous en donne, c’est que personne encore | ne sachant ce que peuvent devenir les cendres. PHILOSOPBHIQUES. 583 des volcans, 27 n'y a pas d’inconvénient à croire qu’elles deviennent des granits, en at- tendant qu'on découvre qu’elles sont devenues autre chose. (Mémoire sur lHistoire naturelle de la Corse, partie systématique, pag. 112, par M. Barral.) Je serois un peu plus en état de vous ap- prendre comment nos plaines deviennent mon- tagnes ; je n’aurois pour cela qu’à vous dire avec notre auteur : « Supposez que la mer s’est « retirée de six toises (de la plaine qu’elle a « formée sur le rivage), et que ce retrail donne « un piedde pente; cette progression continuant, « comme effectivement cela arrive, une distance « de cent vingt loises donnera une pente de « vingt pieds. Voilà donc vingt pieds de plus « que nos pelits monticules ont acquis, » (7d, p-. 120). Je voudrois continuer ; mais vous allez, lecteur, vous mettre à calculer sur cette règle la hauteur de Montmartre, et nos Parisiens se- ront fort étonnés d'apprendre qu'ils ont, dans un de leurs faubourgs, la plus haute montagne du monde, une montagne haute de plus de quatre mille toises. | Laissons donc là nos mers et nos montagnes; [ilest temps de vous montrer un nouvel ordre de choses , en passant à la seconde partie de ma correspondance ayec mes compatriotes. FIN BU PREMIER VOLUME. + Au Fe 5 “à 97: " É 1 ‘ * Mi t4 on Qué n] RUSNU ER fr AINEE 14 PUÉEE 14 ? | Dee AE en LT ST °4 D #6} pin À drge 6 F Me td VER re eg 0e ss REUTERS VE D [HET oh nt : 27 OPA dun AÉRPEBTE LORE OR lo Mt Là 52 Se er Ce LOUE PSSTAE HOUR Fa OCR AE Na tr da à 1123 FRERES Cup st à ét sers pts né QAR st | Manon Res RO se AG) Las is Céfrae le ht à EM LH seine crabe: fit ia lab » > a 7 Lies CAMP soit Sob # A | (7% Ji iaGrr î N] €, 1% UN NP HOT eut oh 51 Rue r st ANRT 2 “At 1108 Hb1boo% Li 4 Cr Le CONS MANS) Loti ed ie LS ju AY LA détahéictt don Je (our éttroM of 14m. ‘À ; 1 seb: CTN6 EE np St t BHO A6: fe dé DOANQUEE frécberrter Ars tË AU data) 2 x ‘#4 LT NE : del rider Sels eolro ca de TE, 4° QUE, Si A st “th Far # K7 dira ESbair detr@err ati edré spi ti “aie rgé ré pa vi Bb'e at! | à see d'abéose EN De Pi Mers £ LÀ réussis >: Earl o fa sb | WP sde. raison, d'est dj rés Le 6 co a PS" AO en Dr «wi V XX LTe ER sh a tr E_ pm.) re — RE : En) 2 - — » 1; — Tr" SRE MUC Ca 2° 4 AN